Certains (Joris-Karl Huysmans)  

From The Art and Popular Culture Encyclopedia

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A work of art criticism by Huysmans, (1889). The text on Félicien Rops was reprinted in La Plume 179, 1896. Digitally, it is most faithfully reproduced in[1].

Contents

TOC

Du dilettantisme. — Puvis de Chavanne. — Gustave Moreau. — Degas.

Bartholomé. — Raffaëlli. — Stevens. — Tissot. — Wagner. — Cézanne. — Forain.

Chéret. — Wisthler.

Félicien Rops.

Des Prix. — Jan Luyken. — Le Monstre.

Le Musée des Arts décoratifs et l’Architecture cuite.

Le Fer. — Millet.

Goya et Turner. — La Salle des Etat au Louvre. — Bianchi.

Full text

Du dilettantisme. — Puvis de Chavanne. — Gustave Moreau. — Degas.

L’UN des symptômes les plus déconcertants de cette époque, c’est la promiscuité dans l’admiration. L’art étant devenu, comme le sport, une des occupations recherchées des gens riches, les expositions se suivent avec un égal succès, quelles que soient les oeuvres qu’on exhibe, pourvu toutefois que les négociants de la presse s’en mêlent et que les étalages aient lieu dans une galerie connue, dans une salle réputée de bon ton par tous.

La vogue de ces amusettes s’explique.

D’abord, l’aridité des cerveaux dévolus aux gens du monde découvre dans la régulière parade des dessins et des toiles de frivoles ressources prêtes à alterner avec les discussions fripées de la politique et les tarissables potins sur le théâtre ; puis les lieux communs sur la peinture suppléent parfois aussi, le soir, aux cancans mondains et conjurent les somnolentes réflexions des parties de bouillotte ou les diplomatiques silences des joueurs de whist.

Enfin, — et cette raison suffirait à elle seule — visiter et soi-disant admirer les oeuvres les plus différentes et les plus hostiles, implique une largeur d’esprit, une élasticité d’aise artistique, vraiment flatteuses.

En littérature, plus particulièrement, les connaisseurs sans préjugés foisonnent. Tout le monde, en effet, — et qui en doute ? — est expert à juger des phrases. Parfois, il se trouve des fossiles, des êtres arriérés, des bourgeois naïfs qui avouent ne pas être absolument sûrs de la véracité des appréciations qu’ils avancent sur la peinture ; d’aucuns conviennent, au besoin, que le sens musical leur échappe et vont même jusqu’à prétendre que les oeuvres de Wagner ne sont peut-étre pas tout à fait insanes, mais aucun n’a jamais confessé sa parfaite ineptie à comprendre une page de prose ou de vers. Prenez dans la masse de Paris les plus blasonnes des princes et les plus véreux des fruitiers du coin ; choisissez, dans le tas, la plus vidangère des filles ou la baronne la plus en vue, et aussitôt une opinion, assise, voulue, raisonnée, ferme, s’échappera d’eux, à propos d’un livre. Jamais, au grand jamais, personne ne conviendra qu’il est absolument inapte à apprécier un art qui est cependant le plus compliqué, le plus verrouillé, le plus hautain de tous.

Au reste, qui de nous n’a vu parmi les papiers reliés que les bourgeois et les gens du monde appellent « leur bibliothèque » le côte à côte indécent d’un Ohnet et d’un Flaubert, d’un Goncourt et d’un Delpit ? Qui ne s’est délicieusement senti remué, alors que le connaisseur jetait d’un ton négligent : « Moi, vous savez, je suis éclectique, tout m’intéresse, j’ai, là, sans restriction d’écoles, les spécimens d’art les plus divers. » Un jeune gentleman qui dit admirer très sincèrement l’Assommoir d’Emile Zola n’a-t’il pas tout récemment encore exprimé devant moi l’ardent désir que M. Sarcey, le sénile matassin, le cuistre pluvieux du Temps, réunisse enfin en un livre les éjaculations théâtrales de ses lundis !

Eh bien ! ces individus sont des gens à esprit ouvert, des fouille-au-pot délicats, des dilettanti !

Ah ! l’on a peut-être tout de même abusé de ce mot de dilettante, dans ces derniers temps ! Au fond, en laissant de côté le sens si vaniteusement faux qu’on lui prête, l’on arrive, en le serrant de près, à le décomposer, à le dédoubler en les deux réelles parties qui le composent :

— Imbécillité d’une part — lâcheté de l’autre.

Imbécillité pour les gens du monde ; lâcheté pour la presse qui les dirige.

Imbécillité, c’est-à-dire, au point de vue artistique qui nous occupe, non-sens complet de l’art, versatiles louanges tirées au petit bonheur, ainsi que des boules de loto, d’un sac, parfaite ignorance traduite par d’élogieux ponts-neufs.

Le plus décisif exemple de ce que j’avance nous a été fourni au point de vue pictural, il y a quelques ans. Les expositions de Delacroix et de M. Bastien Lepage se touchaient ; les dames qui, comme chacun sait, s’intéressent vivement à la peinture — et la comprennent autant que la littérature — ce qui n’est pas peu dire ! — passaient, sans sourciller, de l’exposition des Beaux-Arts à l’exhibition de la maison Chimay, et regardaient avec une admiration égale l’entrée des Croisés à Constantinople de Delacroix et les bouvières d’opérettes costumées par le Grévîn de cabaret, par le Siraudin de banlieue, qu’était M. Lepage. Les rengaînes sévissaient : « On admire le beau où qu’il se trouve. Parce que Delacroix fut un grand peintre, est-ce une raison pour que M. Bastien n’en soit pas un autre ? » Et personne, non, personne ne tressaillait devant cette ridicule familiarité d’un office et d’un salon, devant cet incroyable coudoiement d’un laquais et d’un maître !

Mais ces gens-là sont des inconscients. Froidement, ils se promenaient, jaugeant l’oeuvre des deux peintres à laquelle ils adjoindront certainement, dans leurs besoins d’éloges, celles de Lobrichonne et d’Adrienne Marie, alors que la mort arrêtera enfin le flux des sentimentales vignettes dont ces industrieuses personnes nous inondent !

Làchete, ce mot s’applique à la critique d’art. De même que le critique littéraire qui en fait métier, le critique d’art est généralement un homme de lettres qui n’a pu produire de son propre crû une véritable oeuvre. Parmi eux, quelques-uns ont la vacuité de cervelle des gens du monde qu’ils envient et singent ; leurs opinions sont dès lors connues. Mais, il en est d’autres, plus ouverts, plus rusés, qui professent, sous le nom de dilettantisme, la nécessité de ne pas se fier, le besoin de ne rien affirmer, la lâcheté, pour tout dire, de la pensée et l’hypocrisie de la forme.

Pour les critiques, c’est un terrain de rapport que ce fluctueux terrain sur lequel ils se meuvent. Vanter ou dénigrer les artistes morts ; éviter de se compromettre, en parlant de ceux qui vivent ; encenser en de sportulaires phrases les vaches à lait académiques des vieux prix ; baladiner avec des thèses soumises et des idées en carte ; débiter, sous prétexte d’analyse, les lieux communs les plus fétides, dans une langue limoneuse, simulant sous l’obscurité des incidentes la profondeur ; tel est le truc. Le critique hésitant et satisfait, amorti et veule, qui manie cette pratique, est aussitôt réputé homme de goût, homme bien élevé, compréhensif et charmant, délicat et fin — ah ! surtout, délicat et fin ! C’est pour lui tout honneur et profit et j’imagine du reste que c’est là tout ce qu’il cherche.

Non, la vérité c’est qu’on ne peut comprendre l’art et l’aimer vraiment si l’on est un éclectique, un dilettante. L’on ne peut sincèrement s’extasier devant Delacroix si l’on admire M. Bastien Lepage ; l’on n’aime pas M. Gustave Moreau si l’on admet M. Bonnat, et M. Degas si l’on tolère M. Gervex.

Heureusement que ce profitable état de dilettante a un revers ; fatalement, dans ces excès de pusillanimité, dans ces débauches de prudence, la langue se débilite, coule, revient au style morne et plombé des Instituts, se liquéfie dans le verbe humide de M. Renan ; car l’on n’a pas de talent si l’on n’aime avec passion ou si l’on ne hait de même ; l’enthousiasme et le mépris sont indispensables pour créer une oeuvre ; le talent est aux sincères et aux rageurs, non aux indifférents et aux lâches.

Et combien y en a-t-il maintenant de peintres et qui peinent et qui ragent et qui souffrent sur leurs oeuvres ?

  • *

Un autre rapprocbement curieux à noter encore. Une tentative de concubinage essayée, cette fois, par de jeunes écrivains dont la bonne foi ne saurait être mise en doute.

L’accolement « dans le raffiné » des noms de M. Puvis de Chavanne et de M. Moreau.

M. Puvis de Chavanne est un habitué des omnibus de l’art, car, chaque année, il ne manque point de s’installer en bien mauvaise compagnie, sur les cymaises. Comparé à ses voisins de banquettes, aux Boulanger, aux Cabanel, aux Gérome, aux Tony-Robert Fleury et aux Henner, ces fidèles intendants préposés à la garde des anciennes formules, ces vigilants conservateurs du musée de la clicherie humaine, il apparaît comme un peintre extraordinaire, presque comme un foudre. Sa fresque de Sainte-Geneviève détonne, en effet, dans ce Panthéon où s’entassent des peintures qui ont une aimable couleur d’enseignes pourléchées par des vitriers probes ; elle est, au moins honorable, et celles qui couvrent les murailles du Musée d’Amiens valent aussi qu’on les cite. J’ajoute que lorsqu’il daigne ne pas dérouler dans les salons officiels des voiles de trois-mâts, parfois il plaît.

Tel son « pauvre pêcheur », telle surtout sa petite toile « l’automne » ainsi figurée : une femme debout dans un bois cueille des grappes de raisins et les dépose dans une corbeille que lui tend une autre femme ; une troisième, assise, sourit et les regarde. Dans la maladive pâleur de ce tableau, une robe déroulait un lilas d’un ton charmant et une association de verts laiteux de feuilles et de blancheurs florales de chairs caressait l’oeil irrite par les criardes mesquineries des oeuvres qui l’entouraient.

Ces femmes, avec leurs poses élancées et leurs yeux bleus de poupées étonnées, paraissaient si bizarres, si vagues, au milieu de ce troupeau de femelles échappées des ateliers de ses confrères et réunies dans le parc des Champs-Élysées à sons de cornes !

Mais si M. Puvis de Chavanne a quelquefois exposé quelques toiles pas trop élimées, quelques charpies quasi fraîches, il ne faudrait cependant pas affirmer qu’il a apporté en art une nouvelle note.

Il a tenté, en 1887, un lourd effort qui résume son oeuvre, alors qu’il exposa une grande machine destinée à l’amphithéâtre de la Sorbonne.

Cet interminable carton m’apparut comme le gala présomptueux d’une antique panne, comme une oeuvre lente et figée, laborieuse et fausse. C’était l’oeuvre d’un rusé poncif, d’un gourrnand ascète, d’un éveillé Lendore ; c’était l’oeuvre aussi d’un infatigable ouvrier qui, travaillant dans les articles confiés aux oncles de l’art, pourrait être réputé prud’homme et sage maître si la sotte emphase d’une critique en vogue ne s’évertuait à le proclamer grand artiste original et grand poète. Comparer M. Puvis et M. Gustave Moreau, les marier, alors qu’il s’agit de raffinement, les confondre en une botte d’admiration unique, c’est commettre vraiment une des plus obséquieuses hérésies qui se puissent voir. M. Gustave Moreau a rajeuni les vieux suints des sujets par un talent tout à la fois subtil et ample ; il a repris les mythes éculés par les rengaînes des siècles et il les a exprimés dans une langue persuasive et superbe, mystérleuse et neuve. Il a su d’éléments épars créer une forme qui est maintenant à lui. M. Puvis de Chavanne n’a rien su créer. Il ne s’est pas abstenu comme M. Moreau des tricheries académiques, des vénérables dols ; il a détroussé les Primitifs Italiens, les pastichant même, d’une façon absolue, parfois ; là, où les gens du moyen âge étaient croyants et naïfs, il a apporté la singerie de la foi, le retors de la simplesse ; au fond, c’est un bon vivant dont le famélisme de peinture nous dupe, c’est un vieux rigaudon qui s’essaie dans les requiem !

  • *

Eloigné de la cohue qui nous verse, à chaque mois de Marie, l’ipéca spirituel du grand art, M. Gustave Moreau n’a plus, depuis des années, immobilisé de toiles sous les mousselines qui sèchent, en pavillonnant, de même que de misérables dais, dans les hangars vitrés du Palais de l’Industrie.

Il s’est également abstenu des exhibitions mondaines. La vue de ses oeuvres, confinées chez quelques commerçants, est donc rare ; en 1886, cependant, une série de ses aquarelles fut exposée par les Goupil dans leurs galeries de la rue Chaptal.

Ce fut dans la salle qui les contint un autodafé de ciels immenses en ignition ; des globes écrasés de soleils saignants, des hémorragies d’astres coulant en des cataractes de pourpre sur des touffes culbutées de nues.

Sur ces fonds d’un fracas terrible, de silencieuses femmes passaient, nues ou accoutrées d’etoffes serties de cabochons comme de vieilles reliures d’évangéliaires, des femmes aux cheveux de soie floche, aux yeux d’un bleu pâle, fixes et durs, aux chairs de la blancheur glacée des laites ; des Salomés tenant, immobiles, dans une coupe, la tête du Précurseur qui rayonnait, macérée dans le phosphore, sous des quinconces aux feuilles tondues, d’un vert presque noir ; des déesses chevauchant des hippogriffes et rayant du lapis de leurs ailes l’agonie des nuées ; des idoles féminines, tiarées, debout sur des trônes aux marches submergées par d’extraordinaires fleurs ou assises, en des poses rigides, sur des éléphants, aux fronts mantelés de verts, aux poitrails chappés d’orfroi, couturés ainsi que de sonnailles de cavalerie, de longues perles, des éléphants qui piétinaient leur pesante image que réfléchissait une nappe d’eau éclaboussée par les colonnes de leurs jambes cerclées de bagues !

Une impression identique surgissait de ces scènes diverses, l’impression de l’onanisme spirituel, répété, dans une chair chaste ; l’impression d’une vierge, pourvue dans un corps d’une solennelle grâce, d’une âme épuisée par des idées solitaires, par des pensées secrètes, d’une femme, assise en elle-même, et se radotant, dans de sacramentelles formules de prières obscures, d’insidieux appels aux sacrilèges et aux stupres, aux tortures et aux meurtres.

Loin de cette salle, dans la morne rue, le souvenir ébloui de ces oeuvres persistait, mais les scènes ne paraissaient plus en leur ensemble ; elles se disséminaient, dans la mémoire, en leurs infatigables détails, en leurs minuties d’accessoires étranges. L’exécution de ces joyaux aux contours gravés dans l’aquarelle comme avec des becs écrasés de plumes, la finesse de ces plantes aux hampes enchevétrées, aux tiges patiemment enlacées, brodées de même que les guipures des rochets autrefois ouvrés pour les prélats, le jet de ces fleurs tenant par leurs formes de l’orfèvrerie religieuse et de la flore d’eau, des nénuphars et des pyxides, des calices et des algues, toute cette surprenante chimie de couleurs suraiguës, arrivées à leurs portées extrêmes, montaient à la tête et grisaient la vue qui titubait, abasourdie, sans les voir, le long des maisons neuves.

A la réflexion, alors qu’on se promenait, que l’oeil rasséréné regardait, voyait cette honte du goût moderne, la rue ; ces boulevards sur lesquels végètent des arbres orthopédiquement corsetés de fer et comprimés par les bandagistes des ponts et chaussées, dans des roues de fonte ; ces chaussées secouées par d’énormes omnibus et par des voitures de réclame ignobles ; ces trottoirs remplis d’une hideuse foule en quête d’argent, de femmes dègradées par les gésines, abêties par d’affieux négoces, d’hommes lisant des journaux infâmes ou songeant à des fornications et à des dols le long de boutiques d’où les épient pour les dépouiller, les forbans patentés des commerces et des banques, l’on comprenait mieux encore cette oeuvre de Gustave Moreau, indépendante d’un temps, fuyant dans les au delà, planant dans le rêve, loin des excrémentielles idées, secrétées par tout un peuple.

Et en effet, quand le moment est définitivement venu où l’argent est le Saint des Saints devant lequel toute une humanité, à plat ventre, bave de convoitise et prie ; quand un pays avarié par une politique accessible à tous, suppure par tous les abcès de ses réunions et de sa presse ; quand l’art méprisé se ravale de lui-même au niveau de l’acheteur ; quand l’oeuvre artiste, pure, est universellement considérée comme le crime de lèse-majesté d’un vieux monde, soûlé de lieux communs et d’ordures, il arrive fatalement que quelques êtres, égarés dans l’horreur de ces temps, rêvent à l’écart et que de l’humus de leurs songes jaillissent d’inconcevables fleurs d’un éclat vibrant, d’un parfum fiévreux et altier, si triste ! — La théorie du milieu, adaptée par M. Taine à l’art est juste — mais juste à rebours, alors qu’il s’agit de grands artistes, car le milieu agit sur eux alors par la révolte, par la haine qu’il leur inspire ; au lieu de modeler, de façonner l’âme à son image, il crée dans d’immenses Boston, de solitaires Edgar Poe ; il agit par retro, crée dans de honteuses Frances des Baudelaire, des Flaubert, des Goncourt, des Villiers de l’Isle Adam, des Gustave Moreau, des Redon et des Rops, des êtres d’exception, qui retournent sur les pas des siècles et se jettent, par dégoût des promiscuités qu’il leur faut subir, dans les gouffres des àges révolus, dans les tumultueux espaces des cauchemars et des rêves.

  • *

Soyez certains encore que les artistes dont la cervelle est peu nomade, dont l’imagination casanière se rive à l’époque actuelle, n’éprouvent pas une exécration moins vive, un mépris moins sûr, s’ils sont des esprits supérieurs et non de ces âmes subalternes auxquelles s’adapte seule la méthode inaugurée par M. Taine.

Alors leur art évolue d’une façon différente ; il se concentre, se piète sur place et, dans des oeuvres narquoises ou féroces, ils peignent ce milieu qu’ils abominent, ce milieu dont ils scrutent et expriment les laideurs et les hontes.

Et c’est le cas de M. Degas.

Ce peintre, le plus personnel, le plus térébrant de tous ceux que possède, sans même le soupçonner, ce malheureux pays, s’est volontairement exilé des exhibitions particulières et des lieux publics. Dans un temps où tous les peintres se ventrouillent dans l’auge des foules, il a, loin d’elle, parachevé en silence, d’inégalables oeuvres.

Quelques-unes furent, comme un insultant adieu exposées, en 1886, dans une maison de la rue Laffitte.

C’était une série de pastels ainsi notifiés dans le catalogue ; « Suite de nus de femmes se baignant, se lavant, se sechant, s’essuyant ou se faisant peigner. »

M. Degas qui, dans d’admirables tableaux de danseuses, avait déjà si implacablement rendu la déchéance de la mercenaire abêtie par de mécaniques ébats et de monotones sauts, apportait, cette fois, avec ses études de nus, une attentive cruauté, une patiente haine.

Il semblait qu’excédé par la bassesse de ses voisinages, il eût voulu user de représailles et jeter à la face de son siècle le plus excessif outrage, en culbutant l’idole constamment ménagée, la femme, qu’il avilit lorsqu’il la représente, en plein tub, dans les humiliantes poses des soins intimes.

Et afin de mieux récapituler ses rebuts, il la choisit, grasse, bedonnante et courte, c’est-à-dire noyant la grâce des contours sous le roulis tubuleux des peaux, perdant, au point de vue plastique, toute tenue, toute ligne, devenant dans la vie, à quelque classe de la société qu’elle appartienne, une charcutière, une bouchère, une créature, en un mot, dont la vulgarité de la taille et l’épaisseur des traits suggèrent la continence et décident l’horreur !

Ici, c’est une rousse, boulotte et farcie, courbant l’échine, faisant poindre l’os du sacrum sur les rondeurs tendues des fesses ; elle se rompt, à vouloir ramener le bras derrière l’épaule afin de presser l’éponge qui dégouline sur le rachis et clapote le long des reins ; là, c’est une blonde, ramassée, trapue et debout, nous tournant également le dos ; celle-là a terminé ses travaux d’entretien et, s’appuyant les mains sur la croupe, elle s’étire dans un mouvement plutôt masculin d’homme qui se chauffe devant une cheminée, en relevant les pans dé sa jaquette ; là encore, c’est une dondon accroupie ; elle penche tout d’un côté, se soulève sur une jambe, passe en-dessous le bras, s’atteint dans le cuveau de zinc ; une dernière enfin, vue, cette fois, de face, s’essuie le haut du ventre.

Telles sont, brièvement citées, les impitoyables poses que cet iconoclaste assigne à l’ètre que d’inanes galanteries encensent. Il y a, dans ces pastels, du moignon d’estropié, de la gorge de sabouleuse, du dandillement de cul-de-jatte, toute une série d’attitudes inhérentes à la femme même jeune et jolie, adorable couchée ou debout, grenouillarde et simiesque, alors qu’elle doit comme celle-ci, se baisser, afin de masquer ses déchets par ces pansages.

Mais en sus de cet accent particulier de mépris et de haine, ce qu’il faut voir, dans ces oeuvres, c’est l’inoubliable véracité de ces types enlevés avec un dessin ample et foncier, avec une fougue lucide et maîtrisée, ainsi qu’avec une fièvre froide ; ce qu’il faut voir c’est la couleur ardente et sourde, le ton mystérieux et opulent de ces scènes ; c’est la suprême beauté des chairs bleuies ou rosées par l’eau, éclairées par des fenêtres closes vêtues de mousselines, dans des chambres sombres où apparaissent, en un jour voilé de cour, des murs tapissés de cretonnes de Jouy, des lavabos et des cuvettes, des flacons et des peignes, des brosses à couvertes de buis, des bouillottes de cuivre rose !

Ce n’est plus la chair plane et glissante, toujours nue des déesses, cette chair dont la plus inexorable formule figure dans un tableau de Régnault, au musée Lacaze, un tableau où l’une des trois Grâces arbore un fessier de percale rose et huilé, éclairé en dedans par une veilleuse, mais c’est de la chair déshabillée, réelle, vive, de la chair saisie par les ablutions et dont la froide grenaille va s’amortir.

Parmi les gens qui visitaient cette exposition, d’aucuns, en présence de celle de ces femmes qui est vue, accroupie, de face, et dont le ventre s’exonère des habituelles fraudes, s’écriaient, indignés par cette franchise, poignés quand même par la vie émanée de ces pastels. En fin de compte, ils échangeaient quelques réflexions honteuses ou dégoûtées, lâchaient au départ le grand mot : c’est obscène !

Ah ! si jamais oeuvres le furent peu ; si jamais oeuvres furent, sans précautions dilatoires et sans ruses, pleinement, décisivement chastes, ce sont bien celles-ci ! — Elles glorifient même le dédain de la chair, comme jamais, depuis le moyen âge, artiste ne l’avait osé !

Et cela va même plus loin, car ce n’est pas un dédain révisable d’homme, c’est bien plutôt l’exécration pénétrante, sûre, de quelques femmes pour les joies déviées de leur sexe, une exécration qui les fait déborder de raisons atroces et se salir, elles-mêmes, en avouant tout haut l’humide horreur d’un corps qu’aucune lotion n’épure !

Artiste puissant et isolé, sans précédents avérés, sans lignee qui vaille, M. Degas suscite encore dans chacun de ses tableaux la sensation de l’étrange exact, de l’invu si juste qu’on se surprend d’être étonné, qu’on s’en veut presque ; son oeuvre appartient au réalisme, tel que ne pouvait le comprendre la brute que fut Courbet, mais tel que le conçurent certains des Primitifs, c’est-à-dire à un art exprimant une surgie expansive ou abrégée d’âme, dans des corps vivants, en parfait accord avec leurs alentours.

Bartholomé. — Raffaëlli. — Stevens. — Tissot. — Wagner. — Cézanne. — Forain.

DANS la solennelle infamie des salons de Mai, deux toiles :

Une récréation de M. Bartholomé, ainsi conçue : des petites filles jouent dans un préau autour duquel court un hangar soutenu par des piliers de fonte et coiffé de tuiles rouges. Au fond, un arbre poussé de travers, un pan de mur qui se profile sur un champ pommelé de ciel. Un coup de soleil divise la cour en deux parts : l’une éclairée, l’autre perdue dans l’ombre.

Au premier plan, six fillettes se tiennent la main et s’apprétent à tourner en rond. La chaîne est interrompue par l’une d’elles, qui renoue le cordon de sa chaussure ; plus loin, d’autres se lancent et se renvoient des biffles, tandis que, dessinant un A renversé sur sa pointe avec leurs pieds réunis et arcs-boutés sur le sol, leurs corps renversés en arrière, écartés à droite et à gauche comme les deux jambages de la lettre et reliés au milieu par la barre des bras, deux bambines, les mains enlacées, se préparent à pivoter éperdûment sur place.

D’autres, enfin, grimpent sur des bancs pour une partie de chat-perché, et, dans l’ombre du hangar, passe la silencieuse silhouette d’une méditante soeur.

Ce qu’il faut tout d’abord relever, c’est l’observation précise du peintre. Ces enfants sont saisies, piquées sur la toile, sans tricheries ni dols. A ce point de vue, les fillettes, qui tendent encore la main à leur camarade si naturellement courbée sur sa chaussure, sont décisives ; — puis, prenez chacune d’elles à part et voyez combien les tempéraments s’accusent. — Ici, une petite, maigriotte, pauvre de sang, intéressante par sa mine fûtée, anoblie presque par sa chétivité et sa pâleur ; là, une autre plus membrue, pius mastoque, plus tachée de sons ; la encore, une autre dont la figure est déjà faite : son visage de trente ans est prêt ; plusieurs sont dans ce cas fréquent, du reste, parmi les enfants du peuple. Et, dans cette joie d’une sortie de classe, dans ce délassement de cris et de rires, dans ces transports de courses et de danses, les traits endormis s éveillent, les physionomies effacées s’accusent, les laides mème deviennent charmantes. De la toile à peine couverte s’évapore comme une puberté de gràces simples.

Ajoutez enfin que la peinture est lumineuse et gaie, que la couleur parfois un peu timide du peintre s’est enhardie et qu’avec les teintes neutres des tabliers et le bleu ou le lilas des robes, avez ces touffes de cheveux tombant en natte sur le col ou nouées en paquet d’échalotes sur la nuque, ces cheveux de blondines qui se fonceront plus tard, il est parvenu à moduler une mélodie d’une plaisance de tous exquise.

  • *

Une autre de M. Raffaëlli : « La belle matinée. » Dans un lit capitonné, en bois blanc laqué, Louis XV, une femme dort ; le livre qu’elle parcourait est là, ouvert, sur la place vide du lit, près de l’oreiller désert qui l’avoisine ; le monsieur s’est levé et sans doute a fui ; la femme, lasse, s’est rendormie. Ce qui étonne dans cette oeuvre, c’est l’extrême véracité de cette femme qui, la tête un peu renversée, souffle doucement, les cheveux dénoués, le cou un peu tendu, les paupières talées, les membres las ; puis tout le ragoût du lit qui nous fait face, avec ses oreillers, ses draps, est épicé vraiment à point. C’est un hymne blanc, un hymne dans lequel le peintre a trahi le symbole de la couleur chaste, hystérisé la candeur, imprégné de volupté la fraîcheur des tons communiants, cantharidé les teintes évangéliques, les nuances d’épithalame ! Oeuvre d’une distinction mitoyenne, voulue, oeuvre précise, d’un réalisme absolu, d’une observation acérée, d’une vigueur intense, ce tableau détonne, dans la pièce où il chante à tue-tête son hosanna libertin des blancs, au milieu des antiennes multicolores moulues par les orgues de Barbarie de ses confrères.

  • *

De M. Raffaëlli, mais exposées, cette fois, avec des paysages de Jersey, chez M. Georges Petit, d’extraordinaires aquarelles reproduites dans le numéro du Paris-Café-Concert, édité par M. Baschet.

L’une d’elles nous montre un quadrille aux Ambassadeurs : deux blanchisseuses qui ont lâché le fer à repasser, le « gendarme », deux lavasses roulées sur tous les canapés sans ressort des marchands de vins, secouent, les pieds au ciel, dans un furieux chahut, l’étal mouillé de leurs chairs ; et il faut voir le sourire carnassier de ces bouches, la danse de ces fanons, le cancan de ces yeux de filles à trois francs, qui allument le fond des corridors ou attirent, pour de courtes besognes, dans la nuit des terrains vagues !

Les deux hommes qui leur servent de vis-à-vis sont encore plus turpides ; l’un d’eux tord une gueule de garçon de cuvette et l’autre un mufle de camelot ou d’acteur ; eux aussi se dégingandent, battent avec les moulinets de leurs bras une rémolade de poussière dans les jets de gaz, font avec les manches de veste de leurs jambes les digue-digue-don d’une crampe atroce.

C’est de l’élixir de crapule, de l’extrait concentré d’urinoir transporté sur une scène, de la quintessence de berge, de dessous de pont, enrobée dans une musique poivrée de cymbales et salée de cuivres.

Peintre des paysages suburbains dont il a, seul, rendu les plaintives déshérences et les dolentes joies, M. Raffaëlli a voulu suivre la créature humaine échappée de la banlieue et jetée en pâture sur des tréteaux, aux ruts oculaires des quartiers riches ; et sous les paillons de ce carnaval, sous les teintures de ces faces, sous l’emphase de ces ventres en sortie et de ces tétons sautés, il a retrouvé la canaillerie alcoolique des gestes, l’indécence intéressée des yeux et il les a peintes, comme vues au travers d’un tempérament d’Anglais, d’un pinceau naïf et féroce, brutal et dur.

  • *

STEVENS

Je m’explique décidément mal cette présomption des Belges de qualifier, depuis des années, M. Stevens de « grand peintre de la vie moderne. »

De ses doigts lourdauds il lapidifie les légers chiffons qu’il touche et sourdement il éclaire, de la lanterne glacée de son gros oeil, des petites femmes qui ne sont plus des Flamandes et qui ne seront jamais des Parisiennes.

Et puis, quelle vision superficielle des élégances de ce Paris qu’il peint  ! Dans des intérieurs généralement déformés par de la porcelaine et de la quincaillerie japonaises, il campe en des poses sentimentales des modèles d’atelier qu’il affuble d’oripeaux durs. Cela représente la femme du monde, la Parisienne riche.

Dans cette série de minauderies belges, une exception eut lieu pourtant. M. Stevens exposa, un jour, chez M. Georges Petit, un portrait de fille : sur un fond sardiné s’enlevait une tête vannée, aux chairs retenues par des mastics, reconstituées par des cold-cream et des graisses. Sous une perruque rousse se liquéfiait un oeil bleu, las et rosse. Cela sentait non la luxure des noces partagées, mais l’épuisement de l’acte sans aide, de la caresse sans prière, du péché muet. Un peu d’âme était montée à la face de ce portrait : c’était authentique et curieux. M. Stevens avait eu tout à coup la grâce, cette grâce de l’art qui, plus fugitive que la grâce divine, délaisse les gens après une bonne oeuvre et les remet là où elle les a pris, dans la profitable boutique des succès bourgeois et des achats sûrs.

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J. TISSOT

En dépit des sourdes révoltes que soulevaient en moi leurs rigides manigances, j’ai longtemps, aimé les eaux-fortes de M. Tissot. D’aucunes me sollicitaient par leur ferme aplomb, par leur solide assise de planches méthodiques, d’architecture, si l’on peut dire, par leur ton sépiacé largement gravé dans du papier fort. Telles ses miss sur des ponts de paquebot penchés ou en compagnie d’un soldat à bonnet à poil dans une barque. Il y avait là un sentiment spécial du moderne anglais. C’étaient des eaux-fortes protestantes, un peu lourdes, mais rendant parfois un amusant entour de cordages et de vergues, des fonds de Tamise, sur lesquels se détachaient quelques grandes filles un peu godiches, quelques femmes bornées d’esprit mais de chairs saines.

Malheureusement, M. Tissot a jugé bon de passer la Manche et d’exposer à Paris de la peinture, et pas plus que M. Stevens, moins encore, il n’était de taille à s’attaquer à la femme élégante en France. Ses Parisiennes exhibées chez M. Sedelmeyer étaient issues de l’accouplement d’un Savoyard et d’une Jane Bull ; les poses étaient nigaudes et, malgré toutes ses simagrées, l’exécution était nulle. Ajoutons qu’elles n’étaient pas isolées dans son oeuvre, car il exhuma jadis, en 1883, je crois, dans le désert du Musée des Arts décoratifs, toute une série d’aquarelles et d’huiles et jamais je ne vis rien de plus pénible, de plus cinéraire et de plus morne que les châssis de cet homme qui avait été quelquefois libre et coloré dans ses grandes planches.

A propos de ses hauts pastels qui figuraient aussi dans ces salles — une nourrice et un enfant entre autres — je n’ai pu m’empêcher de songer aux agaçantes frivolités de cette infidèle soubrette de la couleur, à M. de Nittis, mais à une soubrette, assagie par l’épargne et par l’âge et devenue, en s’incarnant en M. Tissot, une matrone revêche, une Madame pète-sec, à menton carré et à gros os.

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WAGNER

Quelle singulière toile nous révéla la première Exposition des Indépendants qui s’ouvrit, en 1884, dans les baraques des Tuileries !

Dans un jour crépusculaire, ce jour qui éclaire les cauchemars des nuits mauvaises, aux sommeils concassés et sans repos, l’on entrevoyait une moitié de cirque, et des clowns pareils à des ombres jonglaient ou tenaient au bout du bras ces cerceaux de papier que les écuyères crèvent.

Ces clowns vivaient d’une vie fluide, étrange : on eût dit des spectres passant dans un cirque mort ; c’était devant ce tableau un malaise d’art qui s’accroissait alors que, contemplant ces figures, on les voyait s’animer et sourire avec des veux mortellement tristes.

Aucun renseignement sur le catalogue ; le tableau ne portait aucun titre à la suite de ce nom : « Wagner ». Ni prénoms, ni lieu de naissance, ni adresse, rien.

Je me suis souvent demandé quel pouvait être cet homme qui n’avait jamais exposé jusqu’alors et qui n’a plus jamais exposé depuis. Mais personne, parmi les littérateurs et les peintres, ne le connaissait. Longtemps après, il me fut dit, au hasard d’une conversation, un soir : « A propos, j’ai entendu parler, par un monsieur dont j’ignore jusqu’au nom, de ce Wagner dont l’oeuvre vous préoccupe ; eh bien ! il paraît que ce peintre est un malheureux qui a été et qui est encore, je crois, lutteur dans les foires et clown. » Si c’était vrai, pourtant !

Mais alors, comment expliquer la maladive élégance de cette peinture noyée de rêve, le douloureux et délicat murmure de cet art réalisé par un paillasse qui fait les poids ?

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CÉZANNE

En pleine lumière, dans des compotiers de porcelaine ou sur de blanches nappes, des poires et des pommes brutales, frustes, maçonnées avec une truelle, rebroussées par des roulis de pouce. De près, un hourdage furieux de vermillon et de jaune, de vert et de bleu ; à l’écart, au point, des fruits destinés aux vitrines des Chevet, des fruits pléthoriques et savoureux, enviables.

Et des vérités jusqu’alors omises s’aperçoivent, des tons étranges et réels, des taches d’une authenticité singulière, des nuances de linge, vassales des ombres épandues du tournant des fruits et éparses en des bleutés possibles et charmants qui font de ces toiles des oeuvres initiatrices, alors que l’on se réfère aux habituelles natures-mortes enlevées en des repoussoirs de bitume, sur d’inintelligibles fonds.

Puis des esquisses de paysages en plein air, des tentatives demeurées dans les limbes, des essais aux fraîcheurs gâtées par des retouches, des ébauches enfantines et barbares, enfin, de désarçonnants déséquilibres : des maisons penchées d’un côté, comme pochardes ; des fruits de guingois dans des poteries saoûles ; des baigneuses nuits, cernées par des lignes insanes mais emballées, pour la gloire des yeux, avec la fougue d’un Delacroix, sans raffinement de vision et sans doigts fins, fouettées par une fièvre de couleurs gâchées, hurlant, en relief, sur la toile appesantie qui courbe !

En somme, un coloriste révélateur, qui contribua plus que feu Manet au mouvement impressionniste, un artiste aux rétines malades, qui, dans l’aperception exaspérée de sa vue, découvrit les prodromes d’un nouvel art, tel semble pouvoir être résumé, ce peintre trop oublié, M. Cézanne.

Il n’a plus exposé depuis l’année 1877, où il exhiba, rue Le Pelletier, seize toiles dont la parfaite probité d’art servit à longuement égayer la foule.

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J.-L. FORAIN

M. Forain est maintenant connu ; les journaux s’achalandent sur son nom ; ses aquarelles s’acquièrent à des prix fermes ; il n’est plus besoin de certifier, comme je le fis autrefois, l’apport ignoré de son talent neuf ; je n’ai donc que quelques notes à joindre à celles que j’ai réunies dans mon livre : « L’Art Moderne. »

Sorti de l’École des Beaux-Arts et ayant même passé, je crois, par l’atelier de feu Carpeaux, M. Forain n’eut en réalité que deux maîtres, Manet et M. Degas. Bien que la filiation de Manet surtout puisse être soupçonnée dans ses premières oeuvres qu’il signait d’un paraphe maintenant aboli, débutant par un L et un F emboîtés, en forme de 4, elle est devenue presque aussitôt problématique et quasi nulle. M. Forain eut, en somme, l’inespérable chance de ne ressembler à personne, dès ses débuts.

De ce temps datent des aquarelles étranges ; quelques-unes, usant de perspectives japonaises, prêtant, presque toutes, à la créature humaine une certaine roideur ironique, de bon ton, bizarre. Je me rappelle dans un jardin une jeune mère, effilée, droite, aux traits laconiques, au buste sortant d’un paletot mastic, conduisant par la main un enfant dont la très simple attitude du corps tourné sur le poignet était charmante ; de la même époque, quelques dessins parus dans La République de Lettres : l’un, un intérieur de salon, avec des messieurs chauves et diserts, aux allures différentes et pourtant pareilles ; l’autre, une salle de cabaret, avec des ouvriers tout en barbes et en pipes, et une fille passsionnément vautrée sur un voyou froid ; un autre dessin inséré, en 1876, dans la Cravache, était merveilleux encore. Il était intitulé « L’Amant d’Amanda » et formait une parodie du groupe « Gloria Victis, » de M. Mercié, avec un gommeux rigide, mi-mort, la tête en arrière, soulevé par une exquise femme qui tenait tout à la fois de la poupée et de la maraudeuse !

Puis cette saveur spéciale, dure, presque naïve, verte, si l’on peut dire, s’effaça ; sous l’influence de M. Degas, toute une technique plus compliquée parut. Alors, il fit, en d’extraordinaires aquarelles rehaussées de gouaches, des scènes de coulisses et de cafés-concerts, de bordeaux et de bars ; il apprêta des ragoûts de couleurs studieusement épicés, mit à de friandes sauces des nudités, obtint, par des mariages et des heurts inattendus de tons des effets inouïs, atteignit la nuance vraiment exacte, par l’observation attentive des reflets et des ombres, par la science absolue des adjuvants et des fontes.

Ainsi armé, M. Forain a voulu faire ce que le Guys, révélé par Baudelaire, avait fait pour son époque : peindre la femme où qu’elle s’affirme, dans les lieux où elle travaille, et il a naturellement peint aussi l’éternel comparse de la vieille farce, le Hulot moderne ou le jeune jobard en quête d’un renom mondain. A coup sûr, personne n’a mieux que lui, dans d’inoubliables aquarelles, décrit la fille ; personne n’a mieux rendu les tépides amorces de ses yeux vides, l’embûche polie de son sourire, l’émoi parfumé de ses seins, le glorieux dodinage de son chignon trempé dans les eaux oxygénées et les potasses ; personne, enfin, n’a plus justement exprimé la délicieuse horreur de son masque rosse, ses élégances vengeresses des famines subies, ses dèches voilées sous la gaieté des falbalas et l’éclat des fards.

En sus de ses qualités d’observation aiguë, de son dessin délibéré, rapide, concisant l’ensemble, avivant le soupçon, forant d’un trait jusqu’aux dessous, il a apporté, en art, la sagace ironie d’un Parisien narquois.

C’est gràce, sans doute, à cette orientation d’un esprit net et blagueur, très élagué de toute chimère, qu’il dut d’avoir trouvé, pour les dessins des journaux où il logeait, d’audacieuses légendes, parfois cruelles, souvent même presque comminatoires pour les ridicules gredineries de ces temps fous.


Chéret.

SI j’étais l’homme qui incarne si formellement le goût du siècle, l’homme qui secrète la pensée de tout le monde et qui, par conséquent, professe pour l’art une insatiable haine, si j’étais M. Alphand, je voudrais interdire l’affichage des oeuvres de M. Chéret, le long des murs.

Elles gàtent, en effet, la taciturne tristesse de nos rues ; à l’heure qu’il est, les ingénieurs ont démoli les quelques maisons, les quelques sentes qui pouvaient demeurer aimables ; tous les coins intimes ont disparu, tous les vestiges des anciens âges sont tombés, tous les jardins sont morts ; le boulevard Saint-Germain, l’avenue de Messine s’imposent comme le type du Paris moderne ; nous ne verrons bientôt plus que des rues rectilignes, coupées au cordeau, bordées de maisons glaciales, de bàtisses peintes au lait de chaux, d’édifices plats et mornes, dont l’aspect dégage un ennui atroce.

L’irrémédiable sottise des architectes a, du reste, ardemment suivi l’idéal casernier des ingénieurs ; le public est enfin satisfait car aucune oeuvre d’art n’offusquera plus désormais sa vue. Il est d’ailleurs convaincu que Paris est sain. jadis les rues étaient étroites et les logis vastes, maintenani les rues sont énormes et les chambres microscopiques et privées d’air ; l’espace demeure le même, mais se répartit de façon autre ; il parait qu’au point de vue de l’hygiène, cela constitue un exorbitant bénéfice.

Toujours est-il que sur cette teinte générale, d’un gris morose, les affiches de M. Chéret détonnent et qu’elles déséquilibrent, par l’intrusion subite de leur joie, l’immobile monotonie d’un décor pénitentiaire enfin posé ; cette dissonance compromet l’ensemble de l’oeuvre réalisée par M. Alphand.

Autrefois, en effet, les placards en couleur sur les palissades des maisons en construction ou le long des murs étaient d’une telle laideur qu’en dépit de leurs tons crus, ils s’harmonisaient avec la teinte des alentours. La tristesse sourde et le cri coriace se mariaient à peu près, faisaient presque bon ménage, ne blessaient pas, en tout cas, par un faux accord. M. Chéret a changé cela ; mais, on peut le dire, lui ou la rue, l’un des deux tel qu’il est, n’a pas de raison d’être.

Il est, on le conçoit, impossible de rendre compte, par le menu, de l’oeuvre de M. Chéret qui a dessiné des milliers d’affiches, qui, dans ce journalisme, au jour le jour, de la peinture, s’est révélé véritable écrivain, très authentique peintre. Je ne puis donc que noter, en examinant quelques-unes de ses planches, les très spéciales qualités qu’elles décèlent.

M. Chéret a d’abord le sens de la joie, mais de la joie telle qu’elle se peut comprendre sans être abjecte, de la joie frénétique et narquoise, comme glacée de la pantomime, une joie que son excès même exhausse, en la rapprochant presque de la douleur.

Plusieurs de ses affiches l’attestent. Qui ne se rappelle, parmi ses nombreuses illustrations, celles qui célèbrent le Pierrot, ce Pierrot en habit noir qu’il arbora le premier et qu’a repris, à sa suite, M. Willette ? Qui ne se rappelle l’incompressible gaieté de son Agoust conduisant la pantomime des Hanlon-Lees, dans Do mi sol do ? Cet homme, en maillot vermillon, agitant un crâne piriforme surmonté de deux touffes de cheveux en escalade, proietant les yeux hors du front, tordant sa bouche en fer à cheval, dans un rire d’hospice, s’enlevait en l’air, et fouettait à tour de bras, le délire de l’orchestre audessus duquel passait subitement, en pétillant comme une fusée, un minuscule train. Agoust devenait presque satanique dans ce dessin qui bondissait, étoffé de rouge sur un tond verdâtre pointillé d’encre, surmonté d’éclatantes lettres blanches, doublées de noir.

Cette joie démentielle, presque explosible, il l’exprimait aussi sur une couverture bleue et jaune, qu’il fit pour un volume de M. Duval, « Paris qui rit ; » là, c’était une sarabande de gens se culbutant, se roulant, dans des accès d’allegresse folle. Une sorte de gnaff, un Auvergnat, se débridait la mâchoire, se trouait le mufle jusqu’à la luette ; un gommeux à la renverse, le chapeau envolé du crâne, bombait le ventre et se le tambourinait, pâmé, avec ses poings ; un petit trottin, un carton dans chaque main, ricanait d’un rire sournois, avec des lèvres mauvaises et des yeux pincés, un concierge pilait du poivre à force de s’esclaffer, une femme s’extravasait, la jambe en l’air, tandis qu’une petite fille, assise, les jambes écartées, les bras au ciel, éclatait en de jubliants cris ; M. Chéret avait noté toute une série de rires, et très finement observé la qualité de l’esprit et l’aloi de gaieté de tous ces gens.

Mais, parmi les innombrables affiches dans lesquelles il a raconté le rire, nulle ne fut plus surprenante que cet immense placard qu’il a peint pour l’Hippodrome, un Cadet-Roussel, à cheval, vêtu d’un costume d’incroyable, d’un pantalon à pont, d’un gilet à revers jaune serin, d’un habit noir, d’une cravate à goître et de bas chinés ; ce vieillard avec sa bouche ouverte jusqu’aux oreilles, débusquait ses gencives, pompait un nez montueux sur des pommettes roses, s’auréolait comme d’un nimbe de feu, avec le fond d’un parapluie de pourpre ; le cheval lancé au galop en pleine piste, l’homme débonnaire et jovial, de carrure superbe, exubéraient de vie ! A citer entre toutes aussi, une petite affiche qui servait d’annonce aux Folies-Bergère et portait ce titre : « la Musique de l’Avenir par les Bozza. »

Celle-là était, dans son genre, une vraie merveille ; elle mettait en scène une cascade de clowns habillés de tenues bizarres. En bas, un marmiton, bouleversé par un rire qui lui fendait la face et lui pochait un oeil, donnait des coups de pieds dans le vide et sonnait avec ses casseroles de la cymbale ; un peu plus haut, une sorte de Yankee flottant dans un pantalon à pattes d’éléphant et dans une veste à damier, blanche et verte, avançait un museau de singe et jouait comme du flageolet, bouchant avec ses doigts de fictifs trous, suçant, ainsi qu’une idéale flûte, le bec d’une burette à lampe ; plus haut, encore, un autre gâte-sauce se trémoussait, éperdu, en choquant des casseroles et des pincettes, alors qu’une vieille femme, en bonnet à ruches, à nez retroussé, à bandeaux plats, un galfâtre déguisé en vieille et tenant de la poseuse de sangsues et du fruitier soûl, tournait rageusement la manivelle d’un moulin à café, soutenu dans son vacarme par un margougnat de Grenelle qui battait, avec des assiettes, des cymbales sur une grosse caisse figurée par un obèse fût.

La gaieté torrentielle de cette affiche débordait vraiment de son léger cadre elle avait un diable au corps, un délirant suriet de vie, un pépiement d’oiseaux fous ! Ces êtres lancés à toute volée dans les airs étaient enlevés en des traits brefs et rapides, avec une alerte de dessin rare et la couleur, en ses larges plaques, incitait, elle aussi, à d’artistiques aises, avec son rose tendre commençant au bas de la page, se muant en rouge flamme derrière l’homme armé de la burette à huile, sautant, derrière le marmiton qui brandissait des pincettes, dans un opulent vert tilleul sur lequel l’annonce crevait en lettres blanches.

Cela donnait une note de joie nerveuse, unique en art. Mais en sus de cette dispense, M. Chéret a, dans des sujets moins spéciaux ou ne s’adaptant pas à des personnages précis, à des Pierrots, à des clowns dont les types doivent être formulés sur l’affiche, divulgué une très particulière vision du Parisianisme.

Vision superficielle et charmante, adorablement fausse, aperçue ainsi qu’au travers d’un optique de théàtre, dans une féerie, après un diner fin.

Dans cette essence de Paris qu’il distille, il abandonne l’affreuse lie, délaisse l’elixir même, si corrosif et si àcre, recueille seulement les bouillonnements gazeux, les bulles qui pétillent à la surface.

Il verse une légère ivresse de vin mousseux, une ivresse qui fume, teintée de rose ; il la personnifie, en quelque sorte, dans ses femmes délicieuses par leur débraillé qui bégaye et sourit, sans cri vulgaire. Il prend une fille du peuple à la mine polissonne, au nez inquiet, aux yeux qui s’allument et qui tremblent, il l’affine, la rend presque distinguée, sous ses oripeaux, fait d’elle comme une soubrette d’antan, une friponne élégante dont les écarts sont délicats ; l’on peut à ce propos, citer, entre beaucoup d’autres, une planche de bal masqué où un Mephisto noir et rouge enlève une danseuse dont les allures chiflonnées ravissent. Il fait, à ce point de vue, songer aux dessinateurs d’il y a cent ans, il est, si l’on peut dire, le XVIIIe du XIXe siècle !

Et ce coin spécial d’art qu’il affectionne se retrouve aussi dans ses enfants qu’il dessine avec une incomparable verve, un peu joufflus, éveillés, toujours heureux, car ils sont presque constamment environnés de jouets. Les interminables affiches qu’il a prodiguées aux magasins de nouveautés l’affirment. J’aime moins, par exemple, ses grands placards pour libraires, tels que celui qui annonce les Mystères de Paris ou le Drame de Pontcharra; là, la terreur exigée s’édulcore, l’horrible s’enjolive ; puis l’enfant qu’il fait si bien rire, pleure mal.

En résumé, si nous parcourons l’oeuvre de cet ingénieux fantaisiste, nous trouvons dans des sujets imposés, souvent rebelles, et avec une réticence forcèe de tons qui se résument en quelques-uns pour les tirages, une expression de vie très personnelle, décorative et humoriste, une senteur parisienne portée à son acuité suprême et se résolvant en ces gaz hilarants dont les effluences réjouissent et grisent les gens qui les aspirent.

Pour tout dire, l’oeuvre de M. Chéret est une dînette d’art, exquise.


Wisthler.

L’AUTEUR des vigilantes et sagaces « critiques d’avant-garde, » M. Théodore Duret qui défendit, l’un des premiers, Manet, les impressionnistes, tous les évadés des pénitenciers fructueux de l’art, nous apprend que M. James Mac Neil Wisthler naquit à Baltimore, d’un major de l’armée américaine, qu’il suivit comme Edgard Poe les cours de l’école militaire de West-Point, et qu’il s’empressa, comme le poète aussi, d’échapper à un avenir de casernes et de gardes.

Venu à Paris en 1857, il fréquente l’atelier de Gleyre, envoie aux salons officiels de 1859 et de 1860 des toiles que le jury repousse ; en 1863, il figure dans le salon des refusés avec une femme vêtue de blanc et se détachant sur un fond blanc. Voici la description de cette oeuvre, que je copie dans une brochure de Fernand Desnoyers devenue rare.

« La peinture la plus singulière, la plus originale est celle de M. Wisthler. La désignation de son tableau est « La Fille Blanche. ’ C’est le portrait d’un spirite, d’un médium. La figure, l’attitude, la physionomie, la couleur sont étranges. C’est tout à la fois simple et fantastique ; le visage a une expression tourmentée et charmante qui fixe l’attention. Il y a quelque chose de vague et de profond, dans le regard de cette jeune fille qui est d’une beauté si particulière que le public ne sait s’il doit la trouver laide ou jolie. Ce portrait est vivant, c’est une peinture remarquable, fine, une des plus originales qui aient passé sous les yeux du jury. »

En 1865, la douane de l’Institut laisse passer La Princesse des pays de la Porcelaine. « Une princesse des mille et un jours, lumineuse comme ces formes que l’imagination croit voir dans les nuages, est debout, la chevelure ébouriffée et laissant trainer sur un tapis à dessins bleu de ciel, ses draperies. Je souhaite que la mode vienne de son costume ; elle viendra peut-être cet hiver, à quelque bal de la cour où la princesse du pays de la porcelaine aura du succès : robe gris-perle à ramage, manteau de couleur safran, avec bouquet de fleurs tropicales, ceinture coquelicot, un éventail en plumes de paradis dans la main droite. Pour fond un paravent pâle et au-dessus un lambris blanchâtre. Comme fantaisie de coloriste, cette princesse est affolante. » (William Burger. Salon de 1865.)

En 1867, M. Wisthler exhibe une toile « Au piano, » et, installé depuis longtemps déjà en Angleterre, ne fait plus parler de lui, n’expose plus en France.

En 1878, cependant, le bruit d’un procès qu’il intente à M. Ruskin passe la Manche. Dans la Revue « Fors Clovigera », M. Ruskin, le défenseur des préraphaélites, déclarait, à propos de certains tableaux du peintre, entre autres de ses « Harmonies » et de ses « Nocturnes », qu’il avait vu ou connu, par ouï dire, bien des impudences de cockney, mais qu’il ne se serait jamais attendu à ce qu’un farceur vînt demander 200 guinées pour avoir jeté un pot de peinture à la face du public.(1) (A Londres, dans les Expositions, un registre est ouvert sur lequel le peintre inscrit le prix auquel il prétend coter son oeuvre.)

M. Wisthler s’indigne et, en bon Américain, actionne, pour dépréciation de sa marchandise, le critique, devant la Chambre de l’Echiquoùier, qui condamne à un liard de dommages-intérèts M. Ruskin.

Puis M. Wisthler se décide à exposer de nouveau en France. Il envoie au salon de 1882 un portrait noir, fantômatique, surtout bizarre. Ce n’est, en somme, que l’année suivante qu’il nous sera permis d’admirer l’extraordinaire personnalité de ce peintre.

Au salon officiel, il apporte le portrait de sa mère, une vieille dame se découpant de profil, dans ses vêtements noirs, sur un mur gris que continue un rideau noir, tacheté de blanc. C’est inquiétant, d’une couleur différente de celle que nous avons coutume de voir. La toile est, avec cela, à peine chargée, montrant, pour un peu, son grain. L’accord du gris et du noir de l’encre de chine était une joie pour les yeux surpris de ces lestes et profonds accords ; c’était de la peinture réaliste, toute intime, mais s’éployant déjà dans l’au-delà du rêve.

Presque en même temps, à l’exposition internationale de la rue de Sèze, il exhibe ses toiles fameuses à Londres, ses paysages de songes, son délicieux « Nocturne en argent et bleu », où monte dans l’azur une ville bâtie sur une rive ; son « Nocturne en noir et or », où des feux d’artifice crèvent de baguettes sanglantes et parsèment d’étoiles les ténèbres d’une épaisse nuit ; enfin, son « Nocturne en bleu et or », représentant une vue de la Tamise au-dessus de laquelle, dans une féerique brume, une lune d’or éclaire de ses pâles rayons l’indistincte forme des vaisseaux endormis à l’ancre.

Invinciblement, l’on songeait aux visions de Quincey, à ces fuites de rivières, à ces rêves fluides que détermine l’opium. Dans leur cadre d’or blême, vermicellés de bleu turquoise et piquetés d’argent, ces sites d’atmosphère et d’eau s’étendaient à l’infini, suggéraient des dodinements de pensées, transportaient sur des véhicules magiques dans des temps irrévolus, dans des limbes. C’était loin de la vie moderne, loin de tout, aux extrêmes confins de la peinture qui semblait s’évaporer en d’invisibles fumées de couleurs, sur ces légères toiles.

En 1884, l’artiste revient avec deux portraits, celui « de miss Alexander » et de « Carlyle ». L’historien qui eut la bonne foi d’avouer qu’au fond il n’y avait pas d’histoire véritable et qui a quelque part écrit cette décisive phrase : « L’on devrait bien élever des autels à la solitude et au silence », est assis de profil, la redingote noire, bouffante, le chapeau placé sur les genoux. Cette figure triste, un peu bourrue, avec sa barbe poivre et sel, respire et médite, lentement résume ; c’est un portrait qui pénètre sous la peau, met sur la physionomie du personnage un reflet des pensées qui l’habitent ; c’est un portrait d’àme ouverte, mais si étonnant qu’il puisse être, celui de miss Alexander me paraît plus admirable encore.

Imaginez une petite fille, d’un blond cendré, vêtue de blanc, tenant, à la main, un feutre gris, empanaché d’une plume et s’enlevant sur un panneau d’un gris ambré appuyé par le noir pur d’une plinthe ; une blondine, aristocratique et anémiée, cavalière et douce, une infante anglaise se mouvant dans une atmosphère d’un gris doré par dessous, d’un or effacé de vieux vermeil. C’est encore, dans son large fini, peint à peine, et autant que les Vélasquez, brossés d’une si belle pàte dans la gamme des gris d’argent, cela vit d’une vie intense !

Ainsi que dans les autres oeuvres de M. Wisthler, il y a, dans cette toile un coin supraterrestre, déconcertant. Certes, son personnage est ressemblant, est réel, cela est sûr ; certes, il y a, en sus de sa chair, un peu de son caractère dans cette peinture, mais il y a aussi un côté surnaturel émané de ce peintre mystérieux, un peu spectral, qui justifie, dans une certaine mesure, ce mot de spirite écrit par Desnoyers. L’on ne peut, en effet, lire les révélations plus ou moins véridiques du docteur Crookes sur cette Katie, sur cette ombre incarnée en une forme dédoublée de femme tangible et pourtant fluide, sans songer à ces portraits de femmes de Wisthler, ces portraits-fantômes qui semblent reculer, vouloir s’enfoncer dans le mur, avec leurs yeux énigmatiques et leur bouche d’un rouge glacé, de goule.

Ces réflexions ne sont-elles pas applicables surtout à ce portrait de Sarrasate qu’il prêta en 1886, un portrait de médium, fuyant et nerveux et même à cette splendide lady Archibald Campbell qui glorifia le salon officiel de 1885.

Campée de côté, presque de dos, montrant la figure qui se retourne, elle se retire dans une ombre noire, tout à la fois profonde et chaude, et deux coups partent, deux coups de brun amadou, le coup des petits souliers et celui des longs gants qu’elle boutonne, deux coups qui réveillent la nuit dont les ténèbres s’éclaircissent, dans le bas de la toile ; mais ce n’est là que l’accessoire, le détail prenant place dans l’ensemble voulu du peintre. Du la pélerine de loutre, de la robe sombre, jaillit avec une suprême élégance Lady Campbell, dont le corps étroitement lacé palpite, dont le mystérieux visage se penche, avec son oeil incitant et hautain qui convie et sa bouche d’un rouge mat qui repousse. Cette fois encore, l’artiste a sorti de la chair une expression indéfinie d’âme et il a mué aussi son modèle en une inquiétante sphynge.

Je laisse de côté maintenant le portrait de M. Duret qui est représenté en habit noir, tenant sur le bras un domino rose et un éventail à lames rouges. L’oeuvre est curieuse, ferme mais moins jaillie dans les au-delà et les couleurs sont tristes ; — l’on dirait presque d’un Manet lisse et atone — et j’arrive à cette série de tableaux, de paysages, pour la plupart, qu’il exposa, au mois de mai 1887, dans la galerie de M. Georges Petit, et an mois de mai 1888, dans les salles de M. Durand-Ruel ; toute une série d’harmonies, d’arrangements ; un village intitulé : vert et opale ; une vue de Dieppe : argent et violet ; un site de Hollande : gris et jaune ; un pastel : bleu et nacre ; puis des duos de capucine et de rose, d’argent et de mauve, de lilas et d’or ; un solo enfin, chanté par une boutique de bonbons sous ce titre ; note en orange.

D’inégale valeur, ces tableaux dont quelques-uns semblaient n’être que des bouts d’esquisses, confirmaient l’aveu de ces paysages exhibés, en 1883, dans la rue de Sèze. C’étaient des horizons voilés, entrevus dans un autre monde, des crépuscules noyés de pluies tièdes, des brouillards de rivière, des envolées de brume bleue, tout un spectacle de nature indécise, de villes flottantes, de languissants estuaires, brouillés dans un jour confus de songe ; c’était, en dehors de l’art contemporain, une peinture convalescente, exquise, toute personnelle, toute neuve, « la peinture des fluides », que ce visionnaire s’est essayé à rendre, même dans ses précieuses eaux-fortes, où, en quelques traits, il éparpille des monuments, des cités, illimite l’espace, projette des sensations de lointains, uniques.

Artiste extralucide, dégageant du réel le suprasensible, M. Wisthler me fait songer avec ses paysages à plusieurs poésies d’une douceur murmurante et caline, comme confessée, comme frôlée, de M. Verlaine. Il évoque, ainsi que lui, à certains instants, de subtiles suggestions et berce, à d’autres, de même qu’une incantation dont l’occulte sortilège échappe. M. Verlaine est évidemment allé aux confins de la poésie, là où elle s’évapore complètement et où l’art du musicien commence. M. Wisthler, dans ses harmonies de nuances, passe presque la frontière de la peinture ; il entre dans le pays des lettres, et s’avance sur les mélancoliques rives où les pàles fleurs de M. Verlaine poussent.

M. Wisthler définit ainsi, dans son « Ten o’clock » traduit par M. Stéphane Mallarmé, l’art tel qu’il le conçoit : « C’est, dit-il, une divinité d’essence délicate, tout en retrait. » — Et ce sera sa gloire, comme ce sera celle des quelques-uns qui auront méprisé le goût du public, que d’avoir aristocratiquement pratiqué cet art réfractaire aux idées communes, cet art s’effaçant des cohues, cet art résolument solitaire, hautainement secret.


Félicien Rops.

La vue d’une oeuvre érotique, faite par un artiste d’un vrai talent, m’induit à d’obscures descentes dans des fonds d’âmes. Loin des nudités que j’eus tout d’abord un mélancolique plaisir à contempler, je rêve à leurs auteurs et je me demande à quelles impulsions, à quels sentiments ils obéirent, alors qu’ils exécutèrent de semblables oeuvres.

Le point de vue vénal écarté, s’il s’agit d’un artiste que je sais probe, je dois repousser aussi le soupçon de moeurs infâmes, éloigner l’idée que ses tableaux reproduisent les épisodes de sa vie intime, car du moment que la débauche effective s’affirme, l’art exténué s’endort dans le coma des roquetitins et meurt. Au reste, celui qui cède aux abois lubriques n’est guères en état de les traduire sur un papier ou sur une toile. J’ajoute que, généralement, celui-là célébre la vertu, proclame la décence, exalte l’amour, cèle, sous les allures bégueules et glacées d’une oeuvre, les studieuses turpitudes qu’il élabore dans le coûteux silence des lieux sûrs.

L’hypocrisie qui voile si délibérement les ordures de la vieille Angleterre en proie à l’enfantine passion des viols, explique aisément la conduite de ces gens, dans leur existence privèe et dans leurs oeuvres.

Au fond, quand on y songe, seul le contraire est vral, car il n’y a de réellement obscènes que les gens chaste. Tout le monde sair, en effet, que la continence engendre des pensées libertines affreuses, que l’homme non chrétien et par conséquent involontairement pur, se surchauffe dans la solitude surtout, et s’exalte et divague ; alors, il va mentalement, dans son rêve éveillé, jusqu’au bout du délire orgiaque.

Il est donc vraisemblable que l’artiste qui tralte violemment des sujets charnels, est, pour une raison ou pour une autre, un homme chaste.

Mais cette constatation ne semble pas suffisante, car, à se scruter, l’on découvre que, même en ne gardant pas une continence exacte, même en étant repu, même en éprouvant un sincère dégoût des joies sensuelles, l’on, est encore troublé par des idées lascives.

C’est alors qu’apparaît ce phénomène bizarre d’une âme qui se suggère, sans désirs corporels, des visions lubriques.

Impurs ou non, les artistes dont les nerfs sont élimés jusqu’à se rompre, ont, plus que tous autres, constamment subi les insupportables tracas de la Luxure. Je ne parle pas ici de l’acte suscité par la Luxure même, de l’acte de fornication qui n’est que malpropre et qui témoigne simplement d’un tempérament plus ou moins excitable, de nerfs plus ou moins vibrants, de reins plus ou moins forts. Je ne parle même pas de la convoitise qui précède les labeurs vénériens et les réclame, car elle décèle seulement un éveil aisé des sens ou des réserves dociles et longtemps gardées ; je parle exclusivement de l’Esprit de Luxure, des idées érotiques isolées, sans correspondance matérielle, sans besoin d’une suite animale qui les apaise.

Et presque toujours la scène rêvée est identique : des images se lèvent, des nudités se tendent ; mais, d’un saut, l’acte naturel s’efface, comme dénué d’intérêt, comme trop court, comme ne provoquant qu’une commotion attendue, qu’un cri banal ; — et, du coup, un élan vers l’extranaturel de la salauderie, une postulation vers les crises échappées de la chair, bondies dans l’au-delà des spasmes, se déclarent. L’infamie de l’âme s’aggrave, si l’on veut, mais elle se raffine, s’anoblit par la pensée qui s’y mêle, d’un idéal de fautes surhumaines, de péchés que l’on voudralt neufs.

A spiritualiser ainsi l’ordure, une réelle déperdition de phosphore se produit dans la cervelle, et si, pendant cet état inqtiétant de l’âme qui se suggère à elle-même et pour elle seule, ces visions échauffées des sens, le hasard veut que la réalité s’en mêle, qu’une femme, en chair et en os, vienne, alors l’homme, excédé de rêve, reste embarrassé, devient presque frigide, éprouve, dans tous les cas, aprés une pollution réelle, une désillusion, une tristesse atroces.

Cette étrange attirance vers les complications charnel les, cette hantise de la saloperie pour la saloperie même, ce rut qui se passe tout entier dans l’âme et sans que le corps consulté s’en mêle, cette impulsion livide et lirnitée qui n’a, en somme, avec l’instinct génésique, que de lointains rapports, derneurent singulièrement mystérieux quand on y songe.

Étréthisme du cerveau, dit la science; et si cet état persiste et s’exaspère, détermine dans l’organisme certains désordres, elle prononce le mot « d’hystérie mentale », recommande les émollients, le lupulin et le camphre, le bromure de potassium et les douches.

Quant aux causes mêmes qui produisent ces troubles, elle reste forcément hésitante; elle ignore, de même que pour les terribles maladies des nerfs, les motifs des désarrois et des crises; elle surveille simplement la marche des épisodes, les conjure ou les retarde, mais elle ne peut, en tout cas, actuellement expliquer la turbulente nature des pensées malsaines.

L’Église, elle, se retrouve, là, dans son élément; elle reconnaît les sinueux agissements du vieux péché. Cette hystérie mentale, elle la nomme la Délectation morose et elle la définit : « La complaisance d’une chose mauvaise offerte comme présente par l’imagination, sans désir de la faire. » Et, au point de vue des responsabilités, elle la juge aussi dangereuse que l’acte même, la classe, sans hésiter, dans la série des péchés mortels.

Elle voit, dans cet onanisme mental, les insidieux appels du Très-Bas. Comme remède, elle ne peut offrir que les obsécrations et les prières; au besoin, elle pourrait encore recourir aux reliques et brandir l’arme rouillée des exorcismes; mais, persuadés de la vertu des Sacrements, ses grands praticiens d’âmes se bornent à obliger les gens atteints de ce mal à communier, attendent la délivrance du patient des approches de la Sainte-Table.

En somme, ce phénomène est clair pour les catholiques, profondément obscur pour les matérialistes inaptes à découvrir dans le cerveau le mécanisme de cette âme qu’ils considérent ainsi qu’une fonction d’un système nerveux qui se meut seul.

En art, cette hystérie mentale ou cette délectation morose devait forcément se traduire en des oeuvres et fixer les images qu’elle s’était créées. Elle trouvait, là, en effet, son exutoire spirituel, le seul qui fût possible, car un exutoire corporel est, comme je l’ai déjà rapporté, le destructeur le plus certain de l’art.

Cest donc à cet état spécial de l’âme que l’on peut attribuer les hennissements charnels, écrits ou peints, des vrais artistes.

Manié par des subalternes ou par des parasites épris de la gaudriole, cet éréthisme sec, si l’on peut dire, a produit des ceuvres abjectes et bêtes. Dirigé, réglé, par des maîtres, il a fondé ces grandes oeuvres lubriques qui dorment dans « l’enfer » des Bibliothèques, en des cases occultes et des cartons cachés.

Je désire parler de celles-là, seulement. D’aucunes, parmi les plus célèbres, les musées secrets de l’antiquité, les oeuvres libres de Jules Romain, de Marc-Antoine, de Carrache, par exemple, sont, il faut bien l’avouer, des plus médiocres ; et, en admettant qu’au XVIe siècle le peintre hollandais Torrentius eût du génie, comment le vérifier puisque tous ses tableaux furent brûlés en place de Grève, alors que lui-même, après avoir subi la torture, était exilé comme adamite ?

D’autre part, les estampes de Rembrandt sont lourdes, sans cette saveur aiguë que certaines priapées dégagent ; je ne m’y arrèterai donc pas. Je passerai aussi sous silence les gentillesses avariées du dernier siècle. Au fond, cette époque érotisa le meuble d’une façon charmante, aphrodisia l’industrie des tapissiers et des ébénistes, triompha dans les alentours de l’art, mais, dans le district meme de la peinture, elle ne découvrit qn’une minauderie interlope, qu’un raffinement de cabinet de toilette, qu’un agagant décor de bidet imprégné d’ambre. Laissant de côté les farfouilles peintes par les Fragonard et les Boucher, nous arriverions, si nous suivions la pente, aux séniles frivolités des Baudouin et des Carême qui firent du licencieux et du joli, qui deshonorèrent par la bassesse de leurs sous-entendus, par la petitesse de leur vision, le grand vice biblique qu’est la Luxure.

Négligeant aussi les ridicules scénes de la Vie Intime de Gavarni, les libertinages de Devéria, et les vignettes étriquées du doux Tassaert, je ne ferai halte que devant Rowlandson et les Japonais, avant de m’arrêter définitivement devant M. Rops dont je voudrais essayer de définir l’oeuvre.

Rowlandson traita ces sujets avec un humour féroce, une gouaillerie débordante, une gaieté folle. Ses héros sont, en grande partie, des hussards qui fouettent, déculottés, le vent, et violent, à la bonne franquette, des filles étonnées de l’aubaine et se tordant éperdues de joie. Dans l’une de ses planches en couleur, c’est un surprenant vacarme de toules en rut : sur une place publique, une acrobate, nue, le ventre pareil à un giraumont, se casse en deux, à la renverse, dans un cerceau, au son d’un orgue. Des croisées s’ouvrent ; un Turc, assis en tailleur, fume sa pipe, la panse à l’air et demeure bredouille; un vieux marquis, l’épée en verrouil sur des reins nus, se précède de formes écarlates et fuselées, tandis qu’un hussard en batterie s’extermine, qu’un docteur en Sorbonne s’ébahit et reste inerte, qu’une femme huchée sur la tête d’un homme qui souffle du cor, grimpe, les jupes retrousées, jusqu’aux fenêtres. C’est, dans une incohérence de réalisme, une gaieté débraillée de grosse noce marine, un rire gras qu’accélère la comique allure du vieux savant, dépourvu de gloire, et le constatant avec une rageuse moue et des yeux dépités qui mendient de patients secours.

Cette joie ventripotente et massive se lamine, s’affine pourtant chez Rowlandson, tourne souvent, comme dans les planches pincées d’Hogarth, à la scéne justement observée dans ses épisodes ridicules, dans ses coins bouffes. Telle une autre de ses estampes en couleur, l’Avare.

Dans une chambre close, un vieux grigou, coiffé d’un bonnet rose, est assis près d’un coffre-fort. Deux filles, l’une, sur le rebord du lit qui, la chemise relevée, s’ébrase ; l’autre, qui s’évertue à rendre vivant ce vieillard dont la culotte s’est rabattue. D’une main, il tient un sac d’écus, de l’autre, se gratte le front, suppute, dans un gémissant sourire, le prix exigé des filles, se dispute entre les appels de sa ladrerie et les abois de sa paillardise.

L’hésitation de l’homme, le regard goguenard et sournois des femmes qui, fascinées par les bosses et les cliquetis du sac, négligent presque de surveiller les ratatouilles libertines qu’elles préparent au vieux, sont vraiment rendus avec une bonhomie railleuse, une sagacité du cocasse, avec une entente et une verve telles que le côté obscène disparaît, que la scène de moeurs reste seule, avec ses détails de physionomies sur lesquelles passent les ardents reflets des vices qui se croisent.

La femme grasse et jolie, avec sa tentation campagnarde de chairs saines, la femme au minois tout à la fois grave et fûté, à la peau joyeuse, qu’enlève si délibérément Rowlandson, apparaît dans ces planches, comme dans d’autres du même genre, où des hussards paillardent, où des moines culbutent des nonnes, où des musiciens, mi-nus, l’archet au vent, battant ainsi qu’un métronome, la mesure lubrique, soufflent, congestionnés, dans des instruments à pavillons de cuivre.

Mais, il faut bien le dire, si désirable qu’elle soit, la femme de Rowlandson est toute animale, sans complication de sens qui intéressent. Il a plus fait, en somme, la machine à forniquer, la bête sanitaire et solide, que la terrible faunesse de la Luxure. Ses hommes sont des butors, à reins de portefaix, ses filles sont des vivandières à croupes de limoniers; ce sont des créatures parfois issues de Rubens et qui, pressées par le besoin, s’allègent. — Voilà tout.

Avec les Japonais, le point de vue change ; cette compréhension un peu vile de la chair débordante et hilare, cette gaieté saugrenue qui rapetisse, suivant moi, dans de tels sujets, l’oeuvre libre de Rowlandson, a disparu et le contraire s’atteste. La douleur s’affirme dans leurs albums.

Chez eux, le commerce charnel semble briser le système nerveux, traverser de points fulgurants les membres hérissés, tendus jusqu’à se rompre; il torture les couples, leur crispe les poings, leur retourne, ainsi qu’un courant électrique, les jambes qui se rétractent avec des pieds dont les doigts se tordent.

Leurs fermmes, à chairs indolentes, blanches comme des emphysèmes, agonisent, à la renverse, les yeux clos, les dents serrées dans du sang de lèvres ; le ventre, affreusement fendu, bâille, sous une houppette, de méme qu’une plaie à caroncules ; leurs hommes râlent prostrés, arborent d’inconcevables phallus , aux cimes en parasols, aux tubes gonflés et sillés de veines. Enchevêtrés, dans d’impossibles poses, tous gisent, semblables à des cadavres dont de puissantes estrapades ont brisé les os.

La plus belle estampe que je connaisse, dans ce genre, est effroyable. C’est une Japonaise couverte par une pieuvre ; de ses tentacules, l’horrible bête pompe la pointe des seins, et fouille la bouche, tandis que la tête même boit les parties basses. L’expression presque surhumaine d’angoisse et de douleur qui convulse cette longue figure de pierrot au nez busqué et la joie hystérique qui filtre en même temps de ce front, de ces yeux fermés de morte, sont admirabies !

Les Japonais ont donc réhabilité par la souffrance cette Luxure qui trinque de si bon cceur dans les ruts au galop du peintre anglais ; mais, là encore, ce ne sont que des anecdotes, nullement des oeuvres exhaussées par une idée générale qui les soulève, pourvues d’une tige spirituelle qui les soutienne.

Dans ces planches, aucun concept ramassant, condensant cette Luxure même qui emplit la Bible, qui se dresse, dès les premières pages, sous l’arbre de l’Eden, qui émerge encore à la fin du Livre, alors qu’évoquée par l’ange aux sept fioles, surgit, en ses accoutrements de métaux et de pourpre, la souveraine Salope vue par Saint Jean.

Déifiée par le Paganisme qui l’adora dans les diverses incarnations de ses Vénus et de ses Priape, la Luxure, devenue plus tard un péché chrétien, se symbolisa dans la danse carnassière des Hérodiades. Puis elle livra, comme des terres arables, au vieil Herseur de péchés, l’âme éperdue des Saints, supplicia dans leurs thébaïdes les solitaires, dévergonda, pendant des siècles, la pudeur résolue des cloîtres.

C’est elle aussi qui détermina les migrations des tribus, les érasements des peuples, qui édifia sur des pilotis de phallus la chancelante histoire ; elle qui, à l’heure présente, tient le monde, peut, seule, lutter contre l’autre puissance du siècle, contre l’argent qui, entre les mains du plus ladre, vacille, quand la chair flambe !

Ce cric des masses charnelles, ce levier des âmes valait cependant que l’on décelât son mécanisme, qu’on démontât ses moyens, qu’on divulguât ses causes, qu’on le résumât catholiquement, si l’on peut dire, en d’ardentes et tristes images, qu’on substituât, au point de vue plastique, aux allégoriques déités du Paganisme, une Démone nouvelle, une Satane neuve.

Attardée dans l’enfantillage des variables poses révélant ce qu’un bégueulisme séculaire interdit de voir, mauvaisement et bêtement réjouie par d’ingénieux et bas détails, la peinture ne se rendit pas compte qu’elle devait graviter comme l’humanité qui l’enfance, comme la terre méme qui la porte, entre ces deux pôles : la Pureté et la Luxure, entre le ciel et l’enfer de l’art. Elle ne s’expliqua point que pour être suraiguë, toute oeuvre devait être satanique ou mystique, qu’en dehors de ces points extrêmes, il n’y avait plus que des oeuvres de climat tempéré, de purgatoire, des oeuvres issues de sujets humains plus ou moins pleutres.

La Pureté, elle, a inspiré d’incomparables toiles ; elle a sublimé le talent des grands peintres, chrétiens, les Fra-Angelico et les Gründwald, les Roger Van der Weyden et les Memlinc.

Elle est morte après le Moyen Age ; elle est maintenant inaccessible en art, ainsi que le sentiment divin dont elle émane, à des générations privées de foi.

La Luxure n’a enfanté, pour sa part, aucune oeuvre qui soit réellement forte. Et il a fallu arriver jusqu’à notre temps pour trouver un artiste qui ait songé à explorer réellement ces régions antarctiques inconnues à l’art. Adoptant le vieux concept du Moyen Age, que l’homme flotte entre le Bien et le Mal, se débat entre Dieu et le Diable, entre la Pureté qui est d’essence divine et la Luxure qui est le Démon même. M. Félicien Rops, avec une âme de Primitif à rebours, a accompli l’oeuvre inverse de Memlinc ; il a pénétré, résumé le satanisme en d’admirables planches qui sont comme inventions, comme symboles, comme art incisif et nerveux, féroce et navré, vraiment uniques.

Mais, il faut bien le dire, M. Rops n’a pas atteint du premier coup à cette synthèse du Mal. Dans les agiles frontispices qu’il grava, jadis, pour les oeuvres libertines réimprimées par Poulet-Malassis, à Bruxelles, il révèle simplement une verve railleuse et impie, une imagination bizarre et prompte.

Avec un esprit souligné parfois, il parachève des planches, tantôt élégantes et rubantées ainsi que celles du XVIIIe siècle — telles l’eau-forte qui précède le « Théâtre Gaillard » ou le « Point de Lendemain, » de Vivant Denon — tantôt il se résume en des allégories toutes personnelles, d’une liberté absolue d’allures. Parmi celles-là, on peut citer ses eaux-fortes du « Parnasse satyrique », l’une : où des envolées de minuscules fermmes et de petites bacchantes grimpent aprés le rigide boute-joie d’un Terme dont la barbe de bouc s’évase d’allégresse, alors que, de ses yeux de bon père, il contemple l’une des femmes qui chevauche, éperdue, la cime de son formidable membre et qui tend les bras, crie, en se pâmant, grâce, tandis que ses compagnes se suspendent, hurlantes, aux sphères de ses pesantes outres ; l’autre, représentant la scène retournée : une troupe de petits aegypans qui montent à l’assaut d’une faunesse sans bras, couronnée de pampres, aux oreilles en pointes et aux seins lourds. Elle aussi, se délecte, sourit, maternelle et lascive, à ces petits chèvrepieds qui lui prennent la gorge, rampent sur son large ventre, fourragent la fosse de son nombril, se glissent comme en une chattière, dans la cosse entrebâille du sexe. Mais l’une des oeuvres les plus ingénieuses, les plus véhémentes de cette série, c’est encore celle qui devance le petit volume des « Joyeusetés du Vidame de la Braguette », du pauvre Glatigny.

Imaginez un bon raillard des Flandres assis, la panse au frais, tenant la vasque rabattue d’une culotte à pont ; il s’esclaffe jusqu’aux larmes, exubère et s’étrangle, tandis qu’un essaim de mignonnes créatures s’élance sur sa prodigieuse nudité qui se dresse ainsi qu’un phare dont la base plonge dans d’épais taillis.

Et elles sont inouies, ces nymphomanes naines ! Jamais, jusqu’alors, on n’avait rendu avec un tel sens de la chair chaude, avec une telle fougue, cette folie de chattes en rut ! Crispées, elles s’accrochent à pleins poings aux touffes, font l’ascension du mât, contournent les besaces, se hissent les unes sur les autres, se dévorent entre elles et se culbutent en de mourantes grappes. Tout cela enlevé d’un dessin vivace et foncier, forant et sûr. Puis, dans ses planches, le Lingam arbore les formes les plus imprévues, les plus étranges. Au repos, comme dans le frontispice du « Dictionnaire érotique », de Delvau, il simule un papillon à face humaine : le nez dessiné par la tige molle, les yeux situés en haut, sous la toison, les joues imitées par les deux bourses. Au travail, comme dans l’eau-forte du Vidame, il se mue en figurine, le frein se sculpte en nez et en bouche, le sommet devient un turban de Turc, surmonté d’une liquide aigrette.

En méme temps qu’il illustre la série de ces volumes parus : Partout et nulls part, S. L. N. D., A Eleuthéropolis ou à Lampsaque, et qu’il égaye par des préambules gravés les mornes proses de feu Delvau, M. Rops crée un type de femme que nous reverrons, repris et dérivé, dans son oeuvre ce type de la buveuse d’absinthe qui, désabrutie et à jeun, devient encore plus menaçante et plus vorace, avec sa face glacée et vide, canaille et dure, avec ses yeux limpides, au regard fixe et cruel des tribades, avec sa bouche un peu grande, fendue droite, son nez régulier et court.

Ce type de la loupeuse insatiable et cupide apparaît, modifié, dans plusieurs de ses planches; pour en citer une, par exemple, dans, « sa femme assise sur une fourrure », qu’il n’inséra point dans le volume auquel elle était destinée : « Les Rimes de Joie », de M. Théodore Hannon, un poete de talent, sombré, sans excuse de misère, à Bruxelles, dans le cloaque des revues de fin d’année et les nauséeuses ratatouilles de la basse presse.

Parallèment à ces oeuvres que M. Rodin transpose souvent dans ses sculptures, alors que M. Rops dessine la réalité authentique et brute, je l’aime moins ; en effet, sous ses paysans, l’influence de Millet se sent, et lorsqu’il aborde la femme habillée, moderne, l’être contemporain, la véridique fille, il semble attardé et n’atteint pas au pouvoir de réalité, aux irruptions de vie, au cri méchant de ce prodigieux Degas ; je lui préfère aussi, je dois le dire, M. Forain, dont le sens parisien est autrement sûr; par contre, dès qu’il allègorise et synthétise la femme, dès qu’il la distrait d’un milieu réel, il devient tout de suite inimitable.

Dans ce genre, l’on peut noter l’adorable créature qu’il a, avec quelques variantes, par trois fois reproduite dans le postface des « Sonnets du Docteur », dans le menu de Mlle Doucé et celui de Mme Dulac.

Elle se profile, dodue, coiffée d’un chapeau à fleurs, en chemise et les seins nus, gantée jusqu’aux biceps de longs gants noirs, chaussée de bas de soie, à raies. Avec sa margoulette régulière, un pen peuple, ses yeux où pétille le moût fringant des noces, sa bouche mauvaise et serrée, elle est irrésistible. Dans ces planches où volètent des amours soufflant sur des feuilles de vignes, elle se tient comme une sentinelle placée sur le front de bandière du camp lubrique ; elle évoque l’idée, pour l’homme, de caresses illicites et de baisers indus ; elle suggére, pour elle-même, la réflexion de paroxysmes de comédie intenses.

Mais cette eau-forte à laquelle bien d’autres pourraient se joindre n’est, en somme, dans l’oeuvre gravée de M. Rops, qu’une alerte et qu’une boutade. Toutes celles que j’ai passées en revue sont seulement ironiques et scabreuses, d’aucunes presque fanfaronnes dans leur entrain.

Nous allons signaler maintenant son oeuvre même ; la femme va surgir démoniaque et terrible, traitée par un talent qui s’amplifie et se condense à mesure qu’apparaît, dans un retour d’idées catholiques, ce concept du satanisme dont j’ai parlé.

Forcément, M. Rops devait incarner la Possession en la femme. Et, ce faisant, il était d’accord avec les Pères de l’Eglise, avec tout le Moyen Age, l’Antiquité même ; car, s’occupant des couples incriminés de magie, Quintilien écrivait déjà : « la présomption est plus grande que la femme soir sorcière. » Au reste, il suffit que la femme soit ensorcelée pour que l’homme qui l’approche se contamine ; « Satan, par le moyen des femmes, attire les hommes à sa cordelle », attestait Bodin, paraphrasant le Moyen Age qui affirme, dans toutes les déclarations de ses exorcistes, qu’il y avait cinquante femmes sorcières ou démoniaques pour un homme.

D’ailleurs, que l’on accepte ou que l’on repousse la théorie du satanisme, n’en est-il point encore de même aujourd’hui ? l’homme n’est-il pas induit aux délits et aux crimes par la femme qui est, elle-même, presque toujours perdue par sa semblable ? Elle est, en somme, le grand vase des iniquités et des crimes, le charnier des misères et des hontes, la véritable introductrice des ambassades déléguées dans nos âmes par tous les vices.

L’on peut ajouter encore, en demeurant dans le cercle tracé par les catholiques, que le Démon s’incarnait volontiers en elle et s’accouplait, sous cette forme, la nuit, avec les hommes. Il était alors le Succube ou l’Ephialte. M. Rops a donc suivi l’immuable tradition des siècles, alors que, dans son oeuvre satanique, il a choisi pour principal personnage la femme, maléficiée par le Diable et vénéficiant, à son tour, l’homme qui la touche.

D’autre part, il devait faire entrer, dans les redoutables scènes qu’il méditait, le Démon même.

Pendant le Moyen Age, un fait est à noter, c’est que tous les peintres représentérent le Malin sous des formes horribles ou grotesques, mais jamais sous les formes révélées par la procédure ordinaire des sabbats.

Ici, les documents abondent et se confirment. A part certains cas où ce Traitant des âmes apparut sous des traits insolites et des costumes imprévus, à saint Romuald, par exemple, en vautour ; à saint Robert, en herbager ; à Evagre, en un clerc haletant, et à d’autres encore sous des déguisements variés ou sous des apparences d’animaux fantasques, toujours il se montre : bestialement, en bouc, en chien, en chat, couleur de suie ; humainement, sous des traits spécifiés d’une façon nette.

« Il était un homme grand et fort noir, vêtu tout de noir, toujours botté et éperonné. » (Bodin. De la Démonomanie.).

« Quand il prend la forme humaine, le Diable est noir, crasseux, puant et formidable, ou bien du moins en visage obscur, brun et barbouillé ; le nez est déformément camus ou énormément aquilin, la bouche ouverte et profonde, les yeux enfoncés et fort étincelants... » (Del Rio. Controverses magiques.)

« Il est long, noir, avec une voix inarticulée, cassée, mais bruyante et terrible...ses cheveux sont hérissés...il a la barbiche d’un bouc... » (Gorres. Mystique diabolique.)

Ici M. Rops a résolument rompu avec les traditions. Son Commanditaire des Ténèbres n’est plus ce cavalier noir, ou ce bouc qui terrifièrent les âmes naïves des anciens temps ; il nous semblerait sortir d’une boîte à surprises, s’il se présentait maintenant sous cet attirail et sous ce masque. Son Satan, à lui, est bien moderne; il est un gentleman, en habit noir, un paysan, un Prudhomme immonde, et alors qu’il lui conserve sa forme hiératique, il l’emprunte, le plus souvent, aux Priapes et aux Termes, aux Satyres et aux Faunes, qui, de l’avis de tous les docteurs en diabologie, les Lancre et les Bodin, les Sinistrari et les Del Rio, les Sprenger et les Gorres, n’étaient autres que des troupes de démons ou de malins esprits.

Tel, il l’assume dans ses Sataniques. Cette série, qui n’est pas achevée, renferme cinq planches traities au vernis mou ; mais on peut y annexer, comme rentrant dans le même ordre d’idées, certaines des eaux-fortes qui illustrent les « Diaboliques » de Barbey d’Aurévilly, quelques autres qui servent de vestibules aux élucubrations de M. Péladan.

La premiére de ses Sataniques « Satan semant l’ivraie, » est ainsi conçue :

La nuit, au-dessus de Paris qui dort, un semeur immense emplit le ciel ; ses pieds, chargés de pesants sabots, posent sur les toits de la rive droite et sur le sommet des tours de Notre-Dame. Sous l’arche dessinée par ses maigres jambes, la Seine roule comme une eau de riz que glace la lune dont le disque semble excorié par la fumée des nues. D’un bras, Satan relève son tablier dans lequel des larves de femmes grouillent et, de l’autre, il fauche le firmament d’un geste qui lance, à toute volée, ces germes du mal sur la ville muette.

Vêtu en paysan, coiffé d’un chapeau à larges bords, il darde dans une face osseuse, des yeux de braise, grimace un sourire sardonique atroce. Ses cheveux flottent, sa longue barbe divulgue par sa coupe une origine américaine que certifie la forme de ce chapeau rappelant par certains détails de ses ailes, par certains de ses plis, la coiffure presque bretonne de quelques quakers.

ll semble qu’il soit passé par ce nouveau-monde qui a lavé dans sa cupide hypocrisie, tonifié, rajeuni, les vices de la vieille Europe.

En scrutant l’horrible face, l’on peut discerner la jubilation froide et décidée du Diable qui sait de quelles vertus infâmes sont douées les larves qu’il essaime. Il sait aussi que la récolte est sûre et ses hideuses lévres susurrent des rogations à rebours, invitent railleusement son inerte Rival à bénir ces maux de la terre, à consacrer la formidable moisson de crimes que ce grain prépare !

Cette planche est vraiment éloquente, vraiment superbe. Ce Terrien à la structure énorme, dont le talon de sabot emplit toute la superficie du sommet d’une tour, dont les jambes de squelette dressent une immense ogive au-dessus de la ville minuscule qui s’étale, diluée dans l’infini des nuits, est spécifié par un dessin ample et pourtant ramassé sur lui-même, concis et souple.

Comme idée, l’on peut rapprocher de cette estampe, celle intitulée : « Satan semant des monstres », un Satan levant, dans la nuit, un bras, inondant, de l’autre, l’espace de sa semence.

La seconde Satanique « l’Enlévement, » nous représente une sorciére, nue, emportée dans les airs sur un manche à balai que le Diable tient. Jetée à la renverse, sur son dos, elle franchit, culbutée, l’espace, jusqu’à ce qu’il la dépose en ces lieux solitaires où le sabbat bruit.

Et celle-là suscite de longues rêveries, évoque les monstrueux souvenirs que les démonographes ont notés.

On songe au départ pour le sabbat, aux pommades extraites des mandragores, des jusquiames, des sucs des solanées, dont les femmes s’enduisaient le corps ; on pense aux philtres dont elles s’enivraient, des philtres composés, d’après Del Rio, « de flux menstrual, de sperme, de cervelle de chat ou de petit ânon, de ventre d’hyéne, de parties génitales de loups et surtout d’hippomane qui coule des parties des chevales lorsqu’elles sont en chaleur. » Puis, à la chevauchée dans les nues succéde la descente dans la clairiére où le Diable, sous la forme du Satyre ou du Bouc, tend sa fesse, noire et velue, qu’on baise ; tout autour, les enfants proménent des crapauds autour des mares, car, dit Lancre, « Satan les tient éloignés de peur de les rebuter pour jamais, par l’horrible vue de tant de choses. » Et la messe noire se célébre sur la croupe nue d’une femme ; l’on banquette, l’on se gave de soupe humaine, de chair d’enfant dont on suce le sang par le nombril et la nuque ; l’on mâche les os qui, depuis une année, cuits avec certaines herbes sont devenus mous comme des raves. Privé du sel qui empêche la corruption, le pain est fait avec ces épis que la rouille a frappés et dans lesquels fermentent des graines de maladies, des germes de mort ; le vin est un vin furieux dont les vignes ont crû dans la cendre tiéde des volcans ; les blaspèmes s’élèvent, l’on communie avec la noire hostie estampée d’un bouc, les torches s’éteignent, hommes, femmes, tournoient, s’accouplent ; chacun plonge dans les vases illicites, tâche de joindre, pour pratiquer l’inceste, sa fille ou sa mère, s’efforce de les rendre grosses, afin de pouvoir égorger et manger, dans un prochain sabbat, l’enfant né de ces hideuses oeuvres !

Il y eut dans ces agissements d’ardentes joies maintenant perdues et des douleurs impossibles à notre temps. M. Rops l’a compris et dans certaines de ses planches, il a exprimé ces excès d’allégresse et de souffrance, d’une facon terrible.

L’une « Le Sacrifice » atteint à l’épouvante. Sur un autel, une femme nue est étendue, les jambes écartées ; au-dessus d’elle, un être ineffable dont le dos est fait par le squelette d’une tête de cheval, trouée de deux yeux vides, avec, au bout du museau descendu à la place des reins, deux longues dents, est surmonté d’une tête obscure qui se détache dans un ciel bouleversé, sur un croissant de lune. Les bras maigres forment des anses de chaque côté de ce corps terminé, sans croupe, par une sorte de thyrse, par une double vrille qui plonge dans le bas-ventre de la femme, la cloue sur la pierre tandis qu’elle clame, éperdue d’horreur et de joie !

Ce qui est unique c’est l’impression que dégage cette effrayante page. Ce démon si étrangement figuré, est là, immobile, inipitoyible, campé en quelque sorte dans sa victime dont il n’entend même pas les râles. Sa tête, traversée par la corne lunaire et dont on ne voit que la nuageuse nuque, songe, loin de la terre, alors que le pieu festonné de ses génitoires baigne dans des flots de sang. C’est affreux et grandiose, d’un symbolisme aigu de Luxure échouée dans la mort, de Possession désespérément voulue et, comme tout souhait qui se réalise, aussitôt expiée.

Dans une autre « l’Idole », la femme acquiert, elle aussi, son Dieu, un Satan, effroyable encore, une sorte d’Hermès, à gaîne de pierre, une tête souriante et lascive, ignoble avec son front bas, son nez cassé, sa barbe de bouc, sa lippe velue qui suinte. Il est là, droit, dans un hémicycle de marbre, planté de phallus dont le bas s’hermaphrodise, entre deux pieds de chèvres ; à droite, un éléphant se stimule avec sa trompe.

Et la femme a bondi sur le monstre; elle l’étreint d’un mouvement passionné, féroce reste suspendue à ce ventre qui la perfore, regarde l’abominable Amant, avec des yeux stridents dont l’allégresse effraie.

Cette figure est vraiment magnifique ; jamais la violence de la chair n’était ainsi sortie d’une oeuvre ; jamais expression d’infini, d’extase, n’avait ainsi décomposé, en la sublimant, une face. Il y a d’une Thérèse diabolique, d’une sainte satanisée, en prière, dans cette créature accouplée, attendant la minute suprême qui se changera en une inoubliable déception, car tous les documents l’affirment, la femme qui fait paction avec le Diable, éprouve, au moment final, l’indicible horreur d’un jet de glace et tombe aussitôt, dans une inexprimable fatigue, dans un épuisement intense.

La dernière planche enfin, s’intitule : « le Calvaire, » et c’est le Maudit qui se dresse à la place du Christ sur le gibet infâme, le Maudit, ricanant avec une tête où il y a du paysan vicieux, du Yankee et surtout du Faune, un Satan bestial, vineux, immonde, avec sa gueule en tire-lire et ses dents de morse. Et il sourit, la mentule en l’air, et, de ses pieds décloués qu’il écarte, il atteint et tire la crinière d’une femme, nue, debout, devant lui, et lentement il l’étrangle avec le lacis de ses cheveux, alors que, terrifiée, les bras étendus, elle agonise, dans un spasme nerveux, d’une jouissance atroce.

La fiction dérisoire de cette scène, le sacrilège de cette croix devenue un instrument de joie, le stupre de cette Madeleine en extase devant la nudité de ce Christ, à la verge dure, toute cette Passion utérine qu’éclaire une rangée de cierges dont les flammes dardent dans les ténèbres comme des lancettes blanches, sont véritablement démoniaques, véritablement issus de ces anciens sabbats qui, s’ils n’existent plus maintenant à l’état complet et réel, n’en sont pas moins célébrés, à certains instants encore, dans l’àme putréfiée de chacun de nous.

Là encore, le peintre du nu féminin qu’est M. Rops, a saisi la chair ardente et roide ; il l’a pétrie, tordue dans des excès de fièvres ; il a révélé enfin l’extranaturel des physionomies surmenées qui éclatent en des transports si véhétrients, que l’expression de leurs traits vous poursuit et vous angoisse.

C’est là, en effet, que réside la personnalité de ces planches. Un peintre de talent eût peut être rendu cette fougue charnelle, cette férocité de rut, simulé, d’après nature, la face ardente des satyriasiques et des nymphomanes, créé enfin une oeuvre matérielle confinée dans les aberrations des sens génésiques, et sans au-delà, mais je n’en connais maintenant aucun qui eût pu, de même que M. Rops, faire fulminer l’âme enragée de la femme maléficiée, possédée, tisonnée, dans toutes ses idées, par le génie du Mal.

L’on peut assimiler à ces Sataniques, certaines eaux-fortes, le frontispice de « Curieuse » par exemple, une femme s’approchant d’un Terme, lui passant les bras autour du cou, le regardant avec des yeux dévorants, scrutant le sourire de son affreuse gueule, une femme qui semble la soeur de celle qui bondit et s’enfourche, dans « les Sataniques » sur un ricanant Hermès. Une autre encore est admirable, celle qui porte cette inscription : « In lumbis Diaboli virtus », et qui représente l’Amour sous l’image de la Mort. Vue de dos, le cràne couronné de roses, la Mort lève les ailes qui palpitent sur son dos vide ; un corset de soie noire serre sa taille extravagamment mince, puis s’évase sur d’énormes fesses de chairs vives ; d’une main, elle tient l’arc de l’ancien Eros dont le carquois lui bat les jambes, de l’autre, elle élève, comme le chef sanglant du Précurseur la tète décapitée d’Hamlet ; cette Salomé de sépulcre est effrayante avec son dos par la grille duquel on aperçoit l’épine dorsale et toute une végétation de vertèbres et de côtes, poussée ainsi que des touffes de branches sèches, dans la vasque géminée de la croupe qui bombe tandis que, vu à la cantonade, le globe d’une puissante gorge s’épanouit sur la façade déterrée de cette carcasse creuse.

En bas, pour compléter la symbolique image, l’ossature du râble montre ses anneaux et ses anses dépouillés de chairs et ce squelette des régions rénales auquel l’artiste adjoint de longues ailes, évoque l’idée d’un immense papillon de nuit ou d’un mufle de bête inconnue, d’un animal volatile et félin dont la tête se surmonte de ces oreilles en boucles que figurent les os décharnés des hanches.

Cette Mort, sur laquelle ne vivent plus que les parties influentes, que les endroits propices aux folies de l’homme, nous la retrouvons, éparse, dans l’oeuvre de M. Rops; dans certaines planches où comme toujours il l’associe à la Luxure, il fait voleter et se jouer de petits Cupidons à têtes camuses, ou bien, il lui restitue sa véritable forme et l’exhibe, sortant vivante d’un cercueil, dans l’eauforte mélangée d’aqua-tinte qui figuré au début du « Vice suprême. » Là, elle est plus hideuse encore. Habillée de falbalas, relevant sa traîne de sa main aux osselets gantés, elle s’évente et minaude, terrible, auprès d’un homme décapité qui tient sous son bras sa tète de mort et parade, constellé de décorations, dans une tenue de bal.

Ainsi que les peintres du Moyen Age que la figure de la Mort hantait, M. Rops, l’approche, et, fasciné, tourne autour d’elle ; son oeuvre la choie, la dévie, l’attiffe, dans ce sentiment Baudelairien qui semble la dernière expression de l’art catholique, chez les modernes.

Aussi était-il le seul qui pût illustrer les Diaboliques qu’un artiste, foncièrement chrétien comme Barbey d’Aurévllly, était, seul aussi, apte à écrire.

D’aucunes de ces illustrations sont d’authentiques oeuvres de synthèse figurée et de symbole plastique. Je ne parle pas ici, bien entendu, de ces eaux-fortes si misérablement réduites pour les besoins du tirage de l’édition Lemerre, mais bien des originaux, des vernis mous, dans lesquels l’artiste a pu, en se libérant de la minutie d’un format de poche, travailler sur de valables planches.

A ne citer que les plus curieux, voici d’abord deux postfaces qui traitent le même sujet : « La prostitution et la folie dominant le monde. »

Dans l’un, une femme à pieds de chèvre, debout, sur l’un des pôles de la terre émerge d’une nuit semée d’étoiles. Nue jusqu’aux cuisses, elle avance une tête laide et pourtant jolie, sourit avec la gràce provocante d’une garçonne ivre, arrondit des yeux turbulents, ouvre une bouche qui crie des ordures de barrlères et hue le firmament, tandis que, d’un geste crapuleux, elle se remue le chignon d’un tour de poing. Elle fleure le trottoir et le bagne, évoque l’image de la pierreuse qui joue du couteau dans les terres vagues. Derrière elle, une Folie capripède, sous les traits d’une vieille femme, glisse son bras sous le sien, lui découvre le ventre, regarde sous son bonnet à grelots et à pointes, avec le sourire paterne et cupide des macqua et des marcheuses.

Dans l’autre, sur le même pôle, en un ciel plus clair, une femme se tient également debout ; mais ce n’est plus la tète de la voyoute blonde de tout à l’heure ; c’est une haute et forte brune qui soulève ses cheveux défaits, rit insolemment, de sa large bouche, relève la chemise de liasse qui la couvre. C’est la belle fille des maisons vantées ; elle est de faubourg moins excentrique, de chairs plus saines, d’instincts moins tapageurs et moins traîtres. Derrière elle, aussi, la Folie tend la tête et sourit, maternelle et retorse, butée sur ses pieds de bouc.

Cette brune ne raccroche pas Dieu comme la blonde qui fait la retape en plein ciel, ou celle-là, du moins, sourit, silencieuse, mais n’interpelle pas les célestes Clients, n’engueule pas les astres.

De sujet moins général est cette autre planche lui illustre la fauve nouvelle du « Bonheur dans le crime. » Sur un socle où repose, dans sa crinière de serpents, le pâle visage de la Méduse, le couple meurtrier s’enlace, tandis que la morte déterrée se traîne à genoux dans son suaire, hurle des imprécations, supplie de la venger la Gorgone qui sourit de ses lèvres impassibles et de ses yeux blancs.

L’on peut remarquer encore l’eau-forte du « Dessous d’une partie de Wisth » avec sa figure maigre et élancée de femme, marchant sur un foetus, regardant fixement devant elle avec une tête aux tempes osseuses, aux yeux ronds et rentrés, une tête dont l’invisible bouche, barrée par dix doigts qui soulèvent un bâillon, imite la denture des cadavres, le rire affreux des morts.

Mais le « Sphynx, » qui devance le texte du livre et qui est l’une des pièces les plus lettrées du M. Rops, rentre spécialement dans la catégorie des planches symboliques dont je m’occupe. Celle-là s’ordonnance ainsi :

Sur un Sphynx allongé dans l’attitude hiératique précise, les seins rigides et durs, les pattes alignées en avant, les cuisses repliées, et la tête droite, la femme se glisse, nue, enlace le col de la bête, se hausse à son oreille et, tout bas, la supplie de lui révéler enfin le surnaturel secret des jouissances inrêvées et des péchés neufs. Vicieuse et câline, elle frotte ses chairs contre le granit du monstre, tente de le séduire, s’offre à lui comme à l’homme dont elle voudrait extirper l’argent, reste fille, même transportée dans cette scène hors du monde, même magnifiée par cette inquittable nudité de déesse ou d’Eve.

Tandis qu’elle presse, en chuchotant, le cou de l’immobile sphynx, Satan, en habit noir, le monocle à l’oeil, assis entre les deux alles qui se dressent, tels que des croissants évidés sur le dos du monstre, écoute, attentif, l’aveu du délirant espoir qui obsède cette âme sur laquelle son pouvoir est sûr.

Et cependant, il semble que lui-mème ait besoin de sonder cet inscrutable puits dont il n’a pas encore reconnu le fond. Celui-là c’est le vrai Satan apprivoisé de cette fin de siècle, un gentleman, muet et propre, longanime et tenace ; il est imparfait, usé, vieux ; obligé maintenant de se rendre compte, il n’a plus la colossale allure de son âge mûr ; il doit écouter au dehors, n’entend plus au dedans, ne se sert plus peut-être, dans ses chasses aux àmes, que des facultés limitées de l’homme.

L’on pourrait adjoindre à ces séries de nombreuses planches, car cette oeuvre gravée sans souci de la gloire boulevardière par un artiste vivant à l’écart des variables hourras des foules, est immense. Un catalogue rédigé par M. Ramiro énonce, en dehors des lithographies, plus de six cents pièces, mais leur détail ne nous susciterait pas des sensations différentes de celles que j’ai citées et qui semblent suffire pour se figurer quel est le tempérament particulier de M. Rops.

L’on pourrait, en somme, après quelques finales explications, résumer ainsi, je crois, l’appoint qu’il apporte à l’art  :

Contrairement à ses confrères qui sont presque tous nés dans des étables et des sous-sols et dont l’instruction s’est faite dans les écoles communales et les beuglants, M. Rops, dispensé d’origines ouvrières ou paysannes et investi d’une éducation toute littéraire, est le seul qui, dans la plèbe des crayonnistes, soit apte à formuler les synthèses du frontispice dont il demeure l’unique maître, le seul surtout qui soit de taille à réaliser une oeuvre dans laquelle se résume le passif de l’éternel Vice.

Initié, en ces matières, maintenant omises, par Baudelaire et par Barbey d’Aurévilly qui l’avaient précédé dans la voie du Satanisme, il l’a explorée jusqu’à ses confins et, dans un art différent, il est vraiment celui qui a notifié la diabolique ampleur des passions charnelles.

Il a restitué à la Luxure si niaisement confinée dans l’anecdote, si bassement matérialisée par certaines gens, sa mystérieuse omnipotence ; il l’a religieusement replacée dans le cadre infernal où elle se meut et, par cela même, il n’a pas créé des oeuvres obscènes et positives, mais bien des oeuvres catholiques, des oeuvres enflammées et terribles.

Il ne s’est pas borné, ainsi que ses prédécesseurs, à rendre les attitudes passionnelles des corps, mais il a fait jaillir des chairs en ignition, les douleurs des âmes fébricitantes et les joies des esprits faussés ; il a peint l’extase démoniaque comme d’autres ont peint les élans mystiques. Loin du siècle, dans un temps où l’art matérialiste ne voit plus que des hystériques mangées par leurs ovaires ou des nymphomanes dont le cerveau bat dans les régions du ventre, il a célébré, non la femme contemporaine, non la Parisienne, dont les grâces minaudières et les parures interlopes échappaient à ses apertises, mais la Femme essentielle et hors des temps, la Bête vénéneuse et nue, la mercenaire des Ténèbres, la serve absolue du Diable.

Il a, en un mot, célébré ce spiritualisme de la Luxure qu’est le Satanisme, peint, en d’imperfectibles pages, le surnaturel de la perversité, l’au-delà du Mal.

TABLE DES MATIÈRES

Du Dilettantisme 7

Pcvis de Chavanne i3

Gustave Moreau 17

Degas 22

Bartholocné 3i

Raffaêlli 33

Stevens 36

Tissot 38

Wagner 40

Cézanne 41

Forain 43

Chéret 5i

Wisthler 63

220


230 CERTAINS

Rops . 77

Des prix 121

Jan Luyken ... 126

Le Monstre 137

Le Musée des Arts décoratifs et l'Architecture

cuite 157

Le Fer 169

Millet i85

Goya et Turner igg

La salle des Etats au Louvre 2o5

Blanchi .219

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PARIS

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