Anecdotes Historiques et Litteraires  

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Anecdotes Historiques et Litteraires racontées par L'Etoile, Brantôme, Tallement des Réaux, Saint-Simon, Bachaumont, Grimm, etc, published by L. Hachette, 1858

Full text

ANECDOTES HISTORIQUES ET LITTERAIRES, HACHETTE AND COMPANY 2 / o.. ozretsle

  • Abou, Loomea foreife 。

dassée. Tadilat 2 O - O IO ra O - 2 o - I о BERKELEY HACHETTE AND COMPANY BRARY Publishers and Foreign Booksellers, LONDON : 18, KING WILLIAM STREET, CHARING CROSS. IVERSITY OF ALIFORNIAHACHETTE'S SERIES OF MODERN FRENCH AUTHORS. Annotated and Edited by eminent French Professors. Wames are placed in Parenthesis .) . d . S. d . About. Contes choisis , etc. (Brette, * Guizot. Récits Historiques. Vol. Masson and Testard ) II . (Naftel) I 6

  • About. La Fille du harloine. Halévy. L'Abbé Constantin. (Pe.

) - O IO tillcau ) 36 bé Constantin ' o 6 . à 6 Lacombe. Petite Histoire du Peuple

  • About. Récits et Nouvelles.

Français. (Bue) - 2 O (Huguenet)

  • Lamartine. La Bataille de Tra
  • About. Le Roi des Montagnes falgar. (Clapin )

( Testard ) 2 O Lamartine. Christophe Colomb. The Vocabulay be Roi de Claoin ) Montagnes' separately 6 16 Aubigné. Histoire de Bayart. (Bue) 2 * Lamartine. Le Tailleu , de Pierres Augier et Sandeau. Le Gendre de Saint -Point. ( Barlet) -I 6 de M. Poirier . ( Petilleau ) : *Macé. Contes du Petit Château . Balzac. Eugénie Grandet. Ire Serie . (Barlet) ( Petilleau) 20 * Macé. Contes du Petit Château. Bernardin de St. Pierre. Paul et ze Serie . ( Barlet) Io Virginie. ( Dubourg) - OTO * Macé, Contes du Petit Château.

  • Bonnechose. Bertrand du Guesclin.

ze Serie. (Barlet) ( Ludwig) Maitre, X. de La Jeune Sibérienne;

  • Bonnechose . Lazare Hoche. (Bué) I 6

Le Lepreux de la Cité d'Aoste . ( V. Kastner) - I 6 Chateaubriand. Aventures du der nier Abencérage (Roulier) - French - English Vocabulary to same 6 * Claretie , J. Pierrille. (Naftel) 2 O

  • Maistre, X , de. Les Prisonniers Daudet, A. Le Petit Chose. Part I .: du Caucase. ( . Spiers) -O IO

Le Petit Chose en Province. * Maistre, X. de. Un Voyage autour ( Petilleau ) de ma Chambre . ( Bue ) Daudet, A, LePetit Chose. Part II. : * Malot. Capi et sa Troupe. Episode Le Petit Chose à Paris. (Petil de " Sans Famille." ( F. Tarver ) i leau ). In preparation 2 O * Malot. L'Ile Déserte. Episode de

  • Dumas. Un Drame de la Mer. “ En Famille ." (Naftel) 6

( Clapin )

  • Malot. Remietses Amis. Episode Dumas. La Tulipe Noire. (Blouët) 1 6 de " Sans Famille . ” . (Rey )

Vocabulary to " La Tulipe Noire o 6 Exercises for re - translation * Enault. Le Chien du Capitaine. based on ' Remi et ses Amis 8 (H. Bué) -I 6 * Malot. Sous Terre. Episode de * Feuillet. Roman d'unjeune homme Sans Famille " (Dupuis) 6 pauvre. (H. Bue) 36 * Malot. Sur Mer. ( Testard ) - 6 * Feval, P. Chouans et Bleus. * Marmier. Le Protégé de Marie ( Ludwig ) 2 0 Antoinette. ( Belfond) Genin. Le Petit Tailleur Bouton. * Mérimée. Chronique du Règne de (Attwell. ) Charles IX. (Rey ) Guizot. Alfred le Grand, Mérimée. Colomba. (Brette) (Lallemand) - 26 Vocabulary to Colomba o 6 Guizot. Edouard III . et les Bour Michaud. Histoire de la Première geois de Calais (Clapin) 6 Croisade (Naftel) Guizot. Guillaume le Conquérant. *Michelet. Louis XI et Charles le (Dubourg) - 2 O Téméraire. (Davis )

  • Guizot. Récits Historiques. Vol. I.

- I O 2 o - O IO - O 2 O - O IO ao I O IO . I 6 o - I 1 - 2 0 - O IO - 2 O - 1 - 2 O 2 O o

  • Michelet. Récits d'Histoire de ( Clapin ) -I 6 France. (Esclangon ). Part I. - 2.0
  • The Volumes indicatedby Asterisks ( ) h . Bended .

For full particulars of above S Free on 98. HACHETTE AND COMPANY Publishers and foreign Booksellers, LONDON : 18, KING WILLIAM STREET, CHARING CROSS. Hachette's Modern French Authors. - Continued. ( The Editor's Names are piaced in Parenthesis .) • Ο 1Ο - 2 o . O IO - 2 O • 2 0 O 3 - 2 o - 2 • 2 0 O o s. d . Michelet. Récits d'Histoire de France. (Esclangon). Part II . Musset. Croisilles . (Masson et H. Tarver) .OIO Musset. Histoire d'un Merle blanc. 'Musset. Pierre et Camille. (Masson et H. Tarver ) - O IO Musset. Selections. (Masson ) Ohnet, G. Le Chant du Cygne. ( Testard ) Ponsard. Charlotte Corday . (Davis ) 2 Ponsard. Le Lion Amoureux. (De Candole ) Pressensé. Rosa. (Masson ) . Quinet. Lettres à sa Mère. ( Kastner) 2 'Richebourg. Deux Amis. (Julien ) o 10 Rousset. Alma et Balaclava. ( Huguenet) Rousset. La Bataille d'Inkermann . ( L. Sers) . O TO Saint-Germain. Pour une Epingle. (Kastner) Saintine. Picciola. (Baume) 6 Vocabulary to Picciola " 6 Sand. La Mare au Diable. ( Davis) 1 6 Sardou. Perle Noire. (Lamart) 6 Scribe. Bertrand et Raton (Bué) 6 Souvestre. Au Coin du Feu. (Lallemand) 6 Souvestre. Une Philosophe sous les Toits . (J. Bué) - 6 French - English Vocabulary to same 6 s. d .

  • Souvestre. Le Serf. (Davis)
  • Souvestre. Le Chevrier de Lor.

raine. ( Davis)

  • Souvestre. Le Serf. Le Chevrier de Lorraine (in one vol.) 1 6

The Vocabulary to " Le Serf" and " LeChevrier de Lorraine , " o 6 Staël, Mme de. Le Directoire. (Oger) 6 Key to Twelve Examination Papers on “ Directoire . " (Oger) 1 6 Theuriet. Les Enchantements de la Forêt. ( Lallemand ) 6 Thierry, Aug. Récits des Temps Mérovingiens. I. - III . ( Testard ) 2 Thierry, Augustin . Récits IV.. VII. ( Testard ) Töpffer. Histoire de Charles, Hist oire de Jules. ( Brette) Vigny. Cinq Mars. (Oger )

  • Vigny. Le Canne de Jonc.

(Clapin ) 6 Villemain. Lascaris. (Dupuis) 6 Witt. De Glaçons en Glaçons. ( L. Delbos) 6 Witt. Derrière les Haies. (De Bussy) 2

  • Witt. Les Héroïnes de Harlem.

( Barbier) Zeller. Francois Ier. (Petilleau ) Zeller. Henri IV . ( Barlet) Zola. L'Attaque du Moulin . (Julien ) . 16 • 2 0 - ο το - Ο ΤΟ • 3 6 2 O . 1 . I ( 6 - O • I 1 o I - 2 o -I • 2 O I • 2 o - O 2 0 2 6 2 6 Half-Hours with Modern French Authors, including Typical Extracts from popular Writers of the Day. One hundred choice pieces , of high literary merit, providing good and varied material in every kind of style . Selected and Edited for use in Intermediate and Advanced Classes, with a full English- French Vocabulary by J. LAZARE, B. ès L. Crown 8vo. Cloth Short Passages from Standard French Authors for Translation and Dic. tation , Papers set for various Public Examinations, with Questions on the Grammar, Idioms, Maximns, and Proverbs in Daily Use, and Notes by A, HAMONET. 172 pages, Crown 8vo. Cloth Short Stories from Modern French Authors. Selected as Subjects of French Conversation. Edited with Questions on Grammar, History, Geography, and Biographical and General Notes by eminent French Professors under the direction of J. BUÉ, M.A. 246 pages, Cr. 8vo. Cl . The Volumes indicated by Asterisks (*) have French - English Vocabularies apbended. For full particulars of above, see Hachette's Catalogue, Free on Application. HACHETTE AND COMPANY Publishers and foreign Booksellers, LONDON : 18 , KING WILLIAM STREET, CHARING CROSS. HACHETTE'S FRENCH CLASSICS . Carefully edited by eminent French Masters, with Grammatical and Explanatory Notes. Price per Volume, bd. ; in Limp Cloth, 9d. Boileau. L'Art Poétique. Molière. Le Médecin malgré lui. Le Lutrin. Le Misanthrope. Brueys. L'Avocat Patelin . Les précieuses Ridicules. Corneille. Le Cid. Tartufe Musset. On ne saurait penser à tout. Cinna. Il faut qu'une Porte soit ouverte ou Horace. fermée . Polyeucte. Racine. · Andromaque. Le Menteur. Athalie. La Suite du Menteur. Britannicus. Florian . Fables. Book I. Esther. Fables. Book II . Iphigénie. Fables. Book III . Phèdre. Molière. L'Avare. Les Plaideurs. Le Bourgeois Gentilhomme. Regnard. Le Joueur Les Femmes savantes. Sedaine. Le Philosophe sans le savoir Les Fourberies de Scapin. Voltaire. Mérope. Le Malade imaginaire. Zaïre . Corneille, Horace. Translated into English Blank Verse by W. F. Nokes, interleaved with French Text, 25. ód. ; Cloth, 35. 6d. Polyeucte, ditto. 2s. 6d. ; Cloth, 3s. 6d. Piron, La Métromanie. IS. Cloth , is. 6d. Racine , Athalie. Interleaved with an English Translation in Verse by W. P. THOMPSON. Cloth, 35, 6d . THÉATRE FRANÇAIS. Popular French Plays. With Summaries of the Plots and Explanatory Notes by experienced French Teachers. FIRST SERIES ( for Schools and Families). Price per Volume, in Paper Cover, 9d. Vol. Vol. 1. - Labiche et Jolly . Le Baron de Four- 9. - Bornier, H. de. Un Cousin de Pas. chevif. sage . 2. - Scribe, E. La Camaraderie, ou La 10. - Ordonneau, Valabrègue et Kéroul. courte Échelle , Les Boulinard, 3. - Legouvé et Labiche. La Cigale 11. -Ferrier, P. Le Codicille. chez les Fourmis. 12. -Labiche, E. La Lettre Chargée. 4. - Raymond et Ordonneau. Maitre Corbeau. 13.-- Gill et Richard. Un Caissier, 5. - Labiche, Lefranc et Jessé. Le 14. - Gréville, H. A la Campagne. Major Cravachon . 15. - Augier et Sandeau. Le Gendre de 6. - Gréville , H. Ma Tante. M. Poirier . 7 .-- Bisson, A. Le Sanglier. 16. -Gréville, H. Les Cloches Cassées. 8. - Legouvé, E. Ma fille, et mon Bien. 17. -Labiche et Martin. La Matinée d'une Étoile . Yeux . SECOND SERIES ( for Adult Students). Price per Volume, in Paper Cover, 1s . Vol. Vol. 1. - Coppée, F. Le Passant. 4.- Ohnet, G. Le Maître de Forges. 2. - Scribe, E. Une Chaîne. 5. -Ordonneau et Chivot. 3. — Damien, E. La Peur d'être Grand ' Godin. mère. 6. - Coppée, F. Pour la Couronne, La Poudre aux Les Petites 1 ANECDOTES HISTORIQUES ET LITTÉRAIRES By the same Author : ELEMENTS OF FRENCH COMPOSITION. An easy and progressive Method for the Translation of English into French . With a Complete Vocabulary. Cloth . 2s. KEY TO SAME. (For Teachers only) . Cloth . 2s. 6d. ANECDOTES HISTORIQUES ET LITTÉRAIRES. Cloth. 2s. XAVIER DE MAISTRE : LA JEUNE SIBERIENNE LE LÉPREUX DE LA CITÉ D'AOSTE. Cloth . 1s. 6d . BOUILLY : L'ABBÉ DE L’ÉPÉE. Cloth, ls,

VOLTAIRE ; SIÈCLE DE LOUIS XIV, CHAPTERS 14 TO 24 . Cloth. 28. SAINT-GERMAIN : POUR UNE ÉPINGLE, or THE MEMOIRS OF A PIN . Cloth . 2s . Mme. LE PRINCE DE BEAUMONT: CONTES DE FÉES. Cloth , 1s . 6d . ANECDOTES HISTORIQUES ET LITTÉRAIRES A SELECTION OF FRENCH ANECDOTES FROM THE BEST CLASSICAL AND MODERN WRITERS With Historical and Explanatory Notes BY V. KASTNER, M.A. Officier d'Académie, HON . FELLOW OF QUEEN'S COLLEGE, LONDON ; FRENCH LECTURER IN VICTORIA UNIVERSITY, OWENS COLLEGE, MANCHESTER . TENTH EDITION. LIBRAIRIE HACHETTE & Cie LONDON : 18, King WILLIAM Street, CHARING Cross PARIS : 79, BOULEVARD SAINT- GERMAIN BOSTON : CARL SCHOENHOF 1894. All rights reserved .

PC2117 K 3 1894 PRE FACE. Tus accompanying Collection of Anecdotes is intended to provide those engaged in teaching French with some assistance in their work , by placing in their pupils' hands a Reader which contains material more interesting , and capable of fixing the attention of the young, than those usually employed . At the same time, it is hoped that it may be of use in encouraging the practice of French conversation in classes, since anecdotes, such as those here selected, afford at once a natural subject for a conversation, and also in themselves supply the pupil with most of the words and phrases requisite for carrying it on. Since, too, the greater portion of the collection relates to those who have been eminent in French History as writers, statesmen, or soldiers, and many of the anecdotes illustrate with vividness and brevity their various qualities and peculiarities, I trust that this book may be of considerable use in stamping in the pupils' memory some great names, and encouraging them to advance further in the study of French History and Literature. CHARTERHOUSE, October, 1877 . 425

TABLE DES MATIÈRES. ... ... .. Page 1 1 2 2 2 2 3 3 3 4 ... ... ... ... ... .00 Io . ... ... ... ... ... ... ... ... ... Livre Premier, Anec. 1. Les enfants 2. Distinguo 3. La chute 4. Un post-scriptum .. 5. Une explication 6. Le froid aux pieds 7. L'opération inutile 8. Jobert de Lamballe 9. Des excuses 10. Comment amuser les malades 11. Une menace expliquée 12. Manche à manche... 13. Une présentation ... 14. Le mausolée de Frédéric le Grand 15. Provocation 16. Le baromètre du docteur Hugh ... 17. Il n'y a pas de claqueurs à l'Odéon 18. Frédéric et le conscrit 19. La correspondance du roi de Prusse et du sacristain ... 20. Le bon chasseur 21. Les paquets à leur adresse 22. Le singe du cardinal 23. Le feu purifie tout 24. Le duc de Laval à San Carlo 25. L'abbé Maury 26. Marie Leczinska 27. Une joyeuse harangue 28. Napoléon et le paysan de l'Escaut 29. Un courtisan pris au piège 30. Echange de rôles ... 31. Pierre le Grand et le roi de Danemark 32. Louis XIV et le " Bourgeois gentilhomme" 33. Simplicité de Louis XVI 34. Applaudissements malencontreux 35. Fou ou voleur 86. Entre hommes on ne s'embrasse pas 37. Magnanimité d'un mourant 38. Catherine II et ses courtisans ... ... 5 5 6 7 7 8 9 9 10 10 11 11 12 13 13 14 14 15 15 16 17 17 18 18 -19 ... IS .. ... ... ...

yiii TABLE DES MATIÈRES.

... ... ... ... ... ... .. Page 20 21 21 21 22 22 23 24 24 25 26 26 27 27 28 29 29 30 30 32 32 33 34 34 35 ... .. Anec . 39. La musique de Charles XI 40. Le cocher de Frédéric le Granu 41. Le portrait 42. Le chien de l'avocat 43. Un éloge en partie double 44. A Gascon, Gascon et demi 45. Fontenelle et les asperges à l'huile 46. Les vagues à un shilling 47. Un chef-d'oeuvre de style 48. L'armée vendéenne 49. La montre de Newton 50. Franchise 51. Le cheval trop court 52. Le page de l'empereur de Russie 53. La leçon de lecture 54. Reconnaissance 55. Le médecin et la baronne 56. Le souper d'Auteuil 57. Le reporter modèle 58. L'abbé de Molières et le voleur 59. Fontenelle à l'Académie ... 60. Napoléon et Mme. de Brissac 61 . Scène d'omnibus 62. Quelle est la ville que prit Alexandre ? 63. La jambe cassée 64. La méprise 65. Prédicateur précoce 66. Le censeur impartial 67. L'article du code 18. A bon entendeur, salut 69. Patience invincible 70. Joseph II et le sergent 71. Feu Duponchel 72. Dix mille livres de rente .. 73. L'évêque Bonner 74. Le sourd, ou l'auberge pleine 75. Une promenade de Fénelon ... ... .. 35 36 37 3738 ... ... ... 39 39 41 43 45 45 47 ... ... Livre Second,

... 1. Monsieur Bébé %. L'orateur embarrassé 3. Un drôle de prisonnier 4. Laissez danser les pauvres gens 5. L'acteur difficile 6. Les croque- morts 7. Flatterie délicate 8. Philippe II et le gentilhomme aragonais ... 51 51 51 52 52 52 53

... TABLE DES MATIÈRES . ix ... ... ... .

... ... ... ... Aneo. 9. Pope et Gay chez Swift 10. Les Français riront toujours 11. Communauté d'opinions ... 12. Requête d'un Suisse 13. Le café sucré 14. Magnanimité d'un gouverneur de la Havane 15. Joseph II et la jeune fille 16. Unesottise à chaque mot 17. Le lion magnanime 18. Les bonnes manières en Afrique 19. La plus grande ganache de l'empire 20. Le poulet du Cardinal Dubois 21. Le déserteur 22. Fénelon et le duc de Bourgogne 23. Le trésorier de Frédéric II 24. Harangue de Malesherbes 25. Le jury de Strasbourg 26. Junot et Bonaparte 27. Malcolm 28. Voltaire chez les Capucins 29. Mort de Vatel 30. La poule au pot 31. Funérailles magnifiques 32. Un sermon du docteur South 33. Lesexpéditionnaires 34. Sir Richard Steele et ses laquais 35. Réponse de Pope... 36. Plaidoirie d'un abbé 37. Justice de Saint- Louis 38. Le général Souwarow et M. de Lameth 39. Evasion de Grotius 40. Moyen de voyager à l'aise 41. Civilité relative 42. Vanité punie 43. Le chien d'Aubri de Montdidier ... 44. Voleurs dupés 45. Un repas de Louis XVI 46. L'épée de M. Ampère 47. Le roi de Prusse et le Hongrois 48. La veuve de Malabar 49. Bolivar 50. Ce que J.-J. Rousseau pensait de Fénelon 51. Le sabre de bois 52. Thomas Morus 53. Le banquier Suderland 54. L'art de se faire 4,000 francs de rente en garnissant des salades ... 55. Voltaire et les comédiens 56. Une distraction de l'abbé Terrasson 57. Une affiche... Page 54 55 55 56 56 57 58 58 59 60 60 61 62 62 64 65 65 65 67 6759 70 70 71 71 72 72 73 74 75 75 77 77 79 80 81 82 83 85 86 87 87 88 89 89 ... ... ... ... ... *** ... ... 91 93 94 ... 94 TABLE DES MATIÈRES. Anec . 58. Egoïsme de Mme. du Deffant 59. Tour de page 60. Le perroquet de Cuvier 61. Le meunier Sans- souci Pago 96 96 97 98 Livro Troisième. ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... 1. Naïveté d'un domestique ... 2. Qu'alliez-vous faire à la cuisine ? 3. Les lauriers du grand Condé 4. Une injure 5. La lettre de change 6. L'homme le plus laid du monde... 7. Un prince complaisant 8. A quoi sert la vaccine ? 9. Louis XIV et Molière 10. Le maire de Luçon 11. Impartialité 12. Unnouveau Régulus 13. Comment on devient maréchal de France 14. Pourquoi Charles XII ne buvait que de l'eau 15. Dot imprévue 16. Louis XI et le marmiton 17. Avarice du président Rose 18. Le major qui perd son régiment 19. Le peintre David et le cocher 20. Ham en Picardie 21. L'inscription carthaginoise 22. Swift et le domestique 23. Le rédacteur du “ Broughton Times 24. La harangue interrompue 25. Santeuil et le portier 26. Recette contrele froid 27. Le bouffon de la reine Elisabeth 28. Fielding 29. Le souffleur 30. Plus fort que son oncle 31. Carle Vernet et le paillasse 32. Mémoire extraordinaire 33. Charbonnier est maître chez lui ... 34. Le déjeuner de Napoléon... 85. Economie et bienfaisance 36. L'empereur et le muletier 37. Force extraordinaire 38. Le docteur Abernethy 39. · Piron et les passants 40. Invention de la lithographie 11. Le sous -préfet Romieu 101 101 101 102 102 102 103 103 104 101 105 105 106 106 107 107 108 108 109 109 110 111 111 112 112 113 113 113 114 115 115 116 117 118 120 121 121 122 123 121 124 ... TABLE DES MATIÈRES. xi ••• ... Page 125 125 126 127 127 123 ... ... ... ... ... 123 ... ... ... ... ... -I . ... Aneo. 42. Encore Romieu 43. Monseigneur Affre et le commis- voyageur 44. Un beau mangeur 15. Excepté le Lord -maire 46. Madame Deshoulières et le revenant 47. Pari du prince de Galles 48. Enthousiasme de Piron 49. Le géneral Souwarow et le comte K. 50. Etourderie de Nicole 51. Henri IV et Sully .. 52. Les distractions du professeur Sturm 53. Bernardin de Saint-Pierre 54. Dîner d'avare 55. Une leçon de politesse 56. Epitaphe de Franklin 57. La théorie du charlatanisme 58. Lord Egerton 59. Une peur 60. Les fables de La Motte 61. Une leçon de politique 62. Le capucin etle voleur 63. Les deux matelots anglais 64. L'arabe et son cheval 65. Le docteur Young et l'officier 66. Recette contre l'enrouement 67. Les trois Racan 68. Un étrange testament 69. Pain bis 70. Un enfant gâté 71. Le domestique de l'invalide 72. Testament trompeu 73. Une représentation du Roi Lear 74, Mme. de Rohan et le président Deslandes 75. Les dix francs d'Alfred ... 123 130 131 132 133 134 135 136 137 138 133 141 141 143 144 145 147 148 149 151 152 154 156 157 159 160 161 ... ... ... ... ... ... ... ... :: Livre Quatrième. 1. Probité d'un Hernute ... 2. Le roi David nommé consul de France... 3. Le médecin de Ninon de Lenclos 4. L'ordre de Labaksi- Tapô... B. Une distraction de La Fontaine... 6. Audience bizarre 7. InsouciancedeLa Fontaine 8. Voltaire en toge 9. C'est ma coutume... 10. L'aiglon de Voltaire 11, Démence de Charles VI 165 165 166 167 168 169 170 171 171 172 174 .00 ... ... ... TABLE DES MATIÈRES. Anec . ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... Page 176 178 179 180 183 184 185 187 189 191 193 194 196 198 199 200 202 204 205 207 209 210 212 214 .00 12. Un épisode de la retraite de Russie 13. La schlague 14. Entre confrères 15. Monsieur Chut 16. Courtoisie du maréchal de Bir an 17. Publii Ovidii Manibus Sacris 18. Les usages de la table 19. La peste de Marseille 20. L'académie silencieuse 21. Un professeur de signes 22. Augures et présages 23. Charité de Saint Vincent de Paul 24. Meurtre de Thomas Becket 25. L'zospitalité dans les ruines de Balbek 26. L'archevêque de Reims 27. Paul- Louis Courier en Calabre 28. Le cardinal de Retz et les fautômes 29. Rage poétique 30. Stoïcisme de La Condamine 31. Cent écus 32. Le bourreau de Versailles... 33. Mort de Mirabeau .. 31. Importunité généreuse 35. Meurtre de l'amiral Coligny ... ... ... ...

ANECDOTES. LIVRE PREMIER . 1 1. Les enfants . Les enfants ont quelquefois des saillies auxquelles on ne peut s'empêcher de sourire. J.-J. Rousseau cite deux espiègleries d'un petit garçon et d'une petite fille, auxquels on avait défendu de demander quoi que ce fût à table. Le petit garçon, qu'on avait oublié, et qui craignait de désobéir, s'avisa de prendre un peude sel. Onlui demanda pourquoi il prenait du sel: " C'est, répondit-il, pour la viande qu'on me donnera .” La petite fille, au contraire, avait mangé de tous les plats , excepté d'un seul qu'elle aimait beaucoup. Pour en avoir sans désobéir, elle fit, en avançant son doigt, la revue de tous les plats, disant à mesure qu'elle les désignait : " J'ai mangé de ça, j'ai mangé de ça. " Quelqu'un, s'apercevant qu'elle regardait beaucoup un plat duquel elle ne parlait pas, lui dit: " Et de cela, en avez - vous mangé ? -Oh ! non," reprit doucement la petite gourmande, en baissant les yeux. 2. Distinguo. On parlait à l'évêque de Rodez d'un séminariste qui disait à tout propos, distinguo. “ Monsieur l'abbé, lui dit l'évêque qui s'était fait fort de l'embarrasser, peut on baptiser avec du bouillon ? -Distinguo, Monseigneur, répondit l'abbé, si c'est avec le vôtre, non ; si c'est avec celui du séminaire, oui.” B 2 ANECDOTES.

3. La chute. Un Français se plaignait un jour, dans un hôtel de Londres, d'une chate qu'il avait faite et qui lui causait de très - vives douleurs . Monsieur, lui dit un chirur gien qui était à côté de lui, est-ce près de l'épaule que vous vous êtes fait mal ? -Non , monsieur, reprit le malade, c'est près de Hyde-Park.” ) 4. Un post -scriptum . Un benêt écrivit la lettre suivante à un de ses amis : “ Mon cher C ... , j'aioublié ma canne chez toi; fais -moi le plaisir de me la renvoyer par le porteur de ce billet.' Au moment de cacheter, il retrouve sa canne et ajoute en post-scriptum : “ Je viens de la retrouver, ne prends pas la peinede la chercher." Puis il ferme sa lettre et l'envoie. 5. Une explication . Thouin , le pépiniériste du Jardin des Plantes, avait chargé un domestique fort simple de porter à Buffon deux belles figues de primeur. En route, le domestique se laissa tenter et mangea un de ces fruits. Buffon, sachant qu'on devait lui en envoyer deux, demanda l'autre au valet qui avoua sa faute : “ Comment dono as- tu fait ? " s'écria Buffon . Le domestique prit la figue qui restait, et l'avalant: “ J'ai fait comme cela ," dit- il. 6, Le froid aux pieds. Pendant la guerre de Crimée, un jeune soldat écrivit à son frère une lettre dans laquelle il ne cherchait pas à plaisanter, et que, pourtant, il terminait ainsi : “ Je ne t'en dis pas plus long, car j'ai si grand froid aux pieds que je ne puis tenir maplume." LIVRE PREMIER . 3 7. L'opération inutile . Un officier anglais ayant reçu une balle dans la jambe, fut transporté chez lui , où deux médecins furent appelés. Pendant huit jours ils ne firent que sonder et fouiller la plaie. L'officier, qui souffrait beaucoup, leur demanda ce qu'ils cherchaient: “ Nous cherchons la balle qui vous a blessé. — C'est trop fort ! s'écria le patient, pourquoine le disiez-vous pas plus tôt ? je l'ai dans ma poche." 66 8. Jobert de Lamballe. و Une pauvre femme alla un jour consulter le chirurgien Jobert de Lamballe dans son somptueux appartement de la rue de la Chaussée - d'Antin . La consultation termi née, elle glissa timidement sur la table une pièce de cent sous et se disposait à sortir, lorsque Jobert la rappela de sa voix peu caressante : “ Madame ! ...” L'infortunée, qui s'était probablement saignée pour amasser cette maigre somme, se retourne, convaincue que le chirurgien va lui en reprocher la modicité ; mais lui, avec sa brusquerie ordinaire : “ Qu'est- ce que cela signifie ? vous me donnez cent francs et vous n'attendez pas que je vous rende la monnaie !" En même temps il lui glisse, bon gré mal gré, quatre louis dans la main et la pousse dehors. 9. Des excuses. Un artiste très-connu donnait une représentation en province. Mal disposé sans doute, il jouait assez mé diocrement une fort mauvaise pièce, et fut outrageu sement sifilé. Habitué auxapplaudissements, l'excellent acteur se laissa aller au dépit : “ Imbéciles ! ” s'écriu -t-il. Et il quitta la scène. “ Des excuses ! " hurla le public. > 4 ANECDOTES . Le commissaire intervint, il fallut présenter des excuses : “ Messieurs, je vous ai dit que vous étiez tous des imbéciles, c'est vrai. Je vous fais mes excuses , j'ai tort." Les spectateurs applaudirent à tout rompre. 10. Comment amuser les malades, Le docteur J... venait d'opérer un de ses clients auquel il avait coupé la jambe. Un proche parent de la victime le prend à part: “ Pensez- vous, monsieur le docteur, lui demande- t- il, que le malade en réchappe ? — Lui ? Il n'y a jamais eu l'ombre d'espoir. — Alors, àà quoi bon lefaire souf frir ? - Eh ! vous n'y pensez pas, monsieur ; est-ce qu'on peut, tout de suite dire à un malade qu'il est perdu ? ... Il faut bien l'amuser un peu .” H. DE VILLEMESSANT. 11. Une menace expliquée . Un officier qui avait été forcé de donner sa démis sion, ayant dit en public qu'il pourrait bien en coûter la vie à plus de cinq centspersonnes, cepropos vintaux oreilles du ministre de la guerre, qui le fit arrêter. “ Que prétendiez-vous dire par cette menace ? lui de manda-t--on à son interrogatoire. — Moi, répliqua-t-il, je n'ai menacé personne ; je voulais seulement dire que j'allais me faire médecin .” 12. Manche à manche. O'était en 1815, pendant l'occupation de Paris par les alliés. Le colonel d'un régiment de Cosaques sonne et demande un coiffeur. Celui- ci arrive. çon, je suis très -délicat pour la barbe. Voilà un écu - Mon gar LIVRE PREMIER . 5 pour toi, si tu me rases sans me couper, et voici un pistolet avec lequel je te ferai sauter la cervelle, si tu me fais la moindreentaille. Le perruquier le rase avec la plus grande légèreté. “ Comment ! dit le Cosaque en chanté, mon pistolet ne t'a pas fait peur ? Non, colonel. — Etpourquoi ? Je vais vous le dire, si j'avais entamé, j'aurais achevé de vous couper le cou . ” - 13. Une présentation . Un fat, fort content de sa figure, conduisait dans une maison un jeune avocat, dont la physionomie peu spiri tuelle ne prévenait pas en sa faveur. Croyant faire une bonne plaisanterie, il dit en le présentant à la com pagnie : “ Vous voulez bien que je vous présente monsieur, qui n'est pas si sot qu'il le paraît. — C'est, mesdames, reprit aussitôt l'avocat, la différence qu'il y a entre nous deux ." 14. Le mausolée de Frédério le Grand . Un habile sculpteur de Berlin, M. Tassard, trouvant qu'il n'avait pas assez d'occupation , demanda son congé au roi de Prusse, quoique pensionné par Sa Majesté. Frédéric lui dit : “ S'il ne s'agit que de vous occuper, je vous commande mon mausolée.” L'artiste, enchanté d'avoir un ouvrage de cette impor. tance à exécuter, répondit au monarque : “ Sire, il ne faut pas moins de dix ans pour ce travail. en donne vingt,” répondit Frédéric . Je vous 15. Provocation . Pendant la guerre d'Espagne, sous la Restauration , la discipline la plus exacte et le respect des propriétés avaient été mis à l'ordre du jour, même le respect des 6 ANECDOTES . basses - cours. Or un capitaine entendit un jour un bruit guttural, que son oreille exercée reconnut à l'instant pour le dernier soupir d'une poule étranglée par une main expérimentée. Il se retourna vivement, et aperçut un vieux hussard en train de glisser le corps du délit dans sa sabretache. “ Hussard, s'écria-t-il, avancez à l'ordre ! Me voici , mon capitainel dit celui- ci en mettant une main à son colback et en collant l'autre sur la tête de sa victime. - Pourquoi avez- vous tordu le cou à cette poule ? —Mon capitaine, elle m'a provoqué en regardant d'un air insolent, et quand il s'agit de faire respecter l'uniforme du régiment I ... suffit." Le capitaine se mordit les lèvres pour réprimer un violent éclat de rire. “ Allons, passe pour cette fois, mais n'y revenez pas. Hussard I ... – Mon capitaine...- Désormais, quand vous rencontrerez des poules, je vous ordonne de baisser - me les yeux ." Semaine des familles. 16. Le baromètre du docteur Hugh . Le docteur Hugh, mort évêque de Worcester, était le savant le plus doux et le plus aimable de l'Angleterre. Il possédait un baromètre très-curieux qu'il avait payé 200 guinées. Un jeune homme dont la famille était très -attachée à ce prélat, passant un jour à Worcester, crut kevoir lui faire une visite : il fut très -bien reçu, mais il arriva que le laquais qui lui avança un fauteuil fit tomber le baromètre et l'instrument fút brisé en mille morceaux. Le jeune homme, au dés espoir d'être la cause innocente de l'accident, cherchait à excuser le domestique auprès de son maître, qui lui dit en souriant : “ N'en parlons plus ; il a fait très -seo jusqu'à présent, j'espère qu'enfin nous aurons de la pluie : je n'ai jamais vu mon baromètre si bas." Et le bon prélat se mit à parler d'autre chose. LIVRE PREMIER . 7 17. Il n'y a pas de claqueurs à l'Odéon. Sous la direction de M. Bernard, qui avait beau coup, couru le monde en qualité de directeur et de comédien , l'Odéon était devenu tout à fait un théâtre de province ; M. Bernard aimait à parler au public, et le public le servait à souhait. Il le faisait venir à la rampe deux ou trois fois par soirée. Un soir, après avoir mis à la porte les claqueurs, au milieu d'une pièce, ils appellent : “ Bernard i Bernard ! ” M. Bernard arrive ; il se plaint qu'il n'ait plus le moyen de vivre, qu'on veuille tuer son théâtre ; il mettra la clef sous la porte. “ Monsieur Bernard, réplique-t-on, nous ne voulons point de claqueurs . - Eh ! messieurs, il n'y en a pas.-- Si! sil - Non, messieurs, non. —C'est un peu fort, nous venons de les mettre à la porte . -Donc il n'y en a pas,” répond le directeur ; et le public d'applaudir à tout rompre. 18. Frédéric II et le conscrit . Frédéric le Grand avait coutume, toutes les foisqu'un nouveau soldat paraissait au nombre de ses gardes, de lui faire ces trois questions : “ Quel âge avez - vous ? Depuis combien de temps êtes- vous à mon service ? Recevez - vous votre paie et votre habillement comme vous le désirez ? " .Un jeune Français désira entrer dans la compagnie des gardes. Sa figure le fit accepter sur -le -champ quoiqu'il n'entendît pas l'allemand. Son capitaine le prévint que le roi le questionnerait dès qu'il le verrait, et lui recommanda d'apprendre par cour, dans cette langue, les trois réponses qu'il aurait à faire. Il les sut bientôt, et le lendemain , Frédéric vint à lui pour l'interroger ; mais il commença par la seconde question, et lui demanda : “ Combien y a -t - il de temps que vous êtes à mon service ? —Vingt-et- un ans," ré pondit le soldat. Le roi , frappé de sa jeunesse, qui ne To laissait pas présumer qu'il eût porté le mousquet si - 8 ANEODOTES. - longtemps, lui dit d'un air de surprise : “ Quel âge avez - vous donc ? Un an.” Frédéric, encore plus étonné, s'écria : “ Vous ou moi avons perdu l'esprit.” Le soldat, qui prit ces mots pour la troisième question, répliqua sans hésiter : " L'un et l'autre, sire. — Voilà, dit Frédéric, la première fois que je mesuis vu traiter de fou à la tête de mon armée." Le soldat, qui avait épuisé sa provision d'allemand, garda alors le silence ; et quand le roi , se retournant vers lui, le questionna de nouveau afin de pénétrer ce mystère, il lui dit en fran çais qu'il ne comprenait pas un mot d'allemand . Fré . đéric s'étant mis à rire, lui conseilla d'apprendre la langue qu'on parlait dans ses états, et l'exhorta, d'un air de bonté, à bien faire son devoir . 19. La correspondance du roi de Prusse et du sacristain. 9 Le sacristain de l'église cathédrale de Berlin écrivit un jour à Frédéric II : “ Sire, j'avertis Votre Majesté, 1. qu'il manque des livres de cantiques pour la famille royale ; j'avertis Votre Majesté, 2. qu'il n'y a pas assez de bois pour chauffer comme il faut la tribune royale ; j'avertis Votre Majesté, 3. que la balustrade qui est sur la rivière, derrière l'église , menace ruine. Signé SCHMIDT Sacristain de la cathédrale ." Le roi de Prusse s'amusa beaucoup de cette lettre , et fit la réponse suivante : « J'avertis M. le sacristain Schmidt, 1. que ceux qui veulent chanter peuvent acheter des livres ; j'avertis M. le sacristain Schmidt, 2. que ceux qui veulent se chauf fer peuvent acheter du bois ; j'avertis M. le sacristain Schmidt, 3. que la balustrade qui est sur la rivière ne le regarde point; enfin j'avertis M. le sacristain Schmidt, 4. que je ne veux plus avoir de correspon dance avec lui.” 1 LIVRE PREMIER . 20. Le bon chasseur. Un ministre protestant établi à Smyrne, M. Kuhn, homme très- grave et très-flegmatique, se détermina pourtant un jour à suivre à la chasse quelques per sonnes de sa connaissance ; il s'était fait accompagner d'un petit garçon pour porter et charger son fusil. On lui assigna sonposte; il s'y plaça , s'assit, mit ses lunettes, et tirant un livre de sa poche, il commença sa lecture, après avoir recommandé au petit garçon de l'avertir lorsqu'il verrait une pièce de gibier. Chaque fois que le petit drôle en apercevait une, il disait au ministre : “ Monsieur, en voilà une.” Mais avant que celui- ci eût posé son livre, ôté ses lunettes, pris son fusil, ce qu'il faisait toujours très-flegmatiquement, la bête disparaissait, et le petit garçon désolé lui disait : " Eh mais, monsieur, elle est partie. -- Mon ami, répondait gravement le pasteur, j'en aurais fait autant à sa place." 21. Les paquets à leur adresse, M. Dumont, célèbre avocat, plaidant au parlement de Paris, devant la grand' chambre, mêlait à des moyens victorieux, d'autres moyens faibles ou captieux. Après l'audience, le premier président de Harlay lui en fit des reproches.. “ Monseigneur, lui répondit-il, si je n'avais à parler que devant des gens comme vous, je n'emploierais que de bons moyens : mais à M. le président B. , & M. le conseiller N., il faut de faibles moyens et des choses qu'ils puissent entendre.” Après quelques audiences l'affaire fut jugée, et les opinions motivées comme Dumont l'avait prévu ; il gagna sa cause . Le premier président l'appela et lui dit : “ Maître Dumont, tous vos paquets sont parvenus à leur adresse ." > 10 ANECDOTES . 22, . Le singe du cardinal. On cite des centaines de cures opérées par un bon , rire ; en ici une : Le cardinal Saldiani se mourait d'une angine couenneuse . Couché dans son lit, incapable de parler, il regardait d'un air désespéré ses domestiques qui voyant approcher la dernière heure de leur maître étaient en train de le piller. Tout à coup son singe favori se coiffe de son chapeau de cardinal, saisit une épée et se précipite sur les pillards qu'il met en fuite. Ce trait excite tellement le rire du cardinal que l'abcès se crève par suite de l'ébranlement intérieur et tout danger disparaît. Après sa guérison le cardinal ne parlait jamais de son singe sans ajouter : s Vous saurez, messieurs, que c'est lui quim'a sauvé la vie ." 23. Le fou purifie tout. Le chancelier Daniel Voisin, ayant appris qu'un scélérat avait trouvé assez de protections pour obtenir des lettres de grâce, vint trouver Louis XIV dans son cabinet : “ Sire, lui dit - il en parlant du coupable, Votre Majesté ne peut accorder des lettres de grâce dans un cas pareil. —Je les ai promises, répondit le roi qui n'aimait pas à être contredit ; allez me chercher les sceaux . Mais, sire ... Faites ce que je veux .". Le chancelier apporta les sceaux. Le roi scella les lettres, et les lui rendit. “ Ils sont pollués, dit celui-ci en les repoussant sur la table, je ne les reprends plus." ; Louis XIV s'écria : “ Quel homme ! " et il jeta au feu les lettres de grâce. “ Je reprends les sceaux, dit alors le chancelier, le feu purifie tout." LIVRE PREMIER . 11 24. Le duc de ' Laval à San - Carlo , Le duc de Laval était un trèsbel homme, très-poli, mais fort distrait, ce qui le jetait dans des embarras désagréables, qui cependant ne le déconcertaient pas. Ainsi, étant ambassadeur à Naples, il entra un soir avec l'ambassadeur d'Autriche au balcon du théâtre San. Carlo, afin de jouir du coup d'oeil de la salle, et lui dit étourdiment: “ Dieu ! que nous avons là de laides personnes dans la loge du corps diplomatique ! – Mais c'est ma femme, arrivée ce matin , répondit l'ambassadeur autri chien. — Pas celle -là, que vous désignez, reprit le duc de Laval ; ... l'autre à côté, celle en robe blanche : elle est affreuse. C'est ma sour, dit d’un ton mécontent le collègue. -· Mais non,, non, la troisième, si disgra cieuse ; les autres sont très -bien . C'est ma fille ! - Ah ! reprit le duc de Laval du ton le plus affable, elle est charmante. Ces dames sont toutes charmantes, monsieur l'ambassadeur, et je vous fais mes bien sincères compliments." MME. ANCELOT. - - 25. L'abbé Maury . L'abbé Maury , étant pauvre, avait enseigné le latin à un vieux conseiller du parlement, qui voulait entendre les Institutes de Justinien . Quelques années se passent, et il rencontre ce conseiller, étonné de le voir dans une maison honnête. “ Ah ! l'abbé, vous voilà ! lui dit- il lestement ; par quel hasard vous trouvez- vous dans cette maison - ci ? Je m'y trouve comme vous vous y trouvez. Oh ! ce n'est pas la même chose. Vous êtes donc mieux dans vos affaires ? Avez -vous fait quelque chose dans votre métier de prêtre ? - Je suis grand vicaire de M. de Lombez.. - Oh ! c'est quelque chose ! Et combien cela vaut- il ? - Mille francs . - 12 ANECDOTES . . C'est bien peu ! ” Et il reprend, le ton leste et léger : “ Mais j'ai un prieuré de mille écus. Mille écus ! bonne affaire (avec l'air de la considération ).- Et j'ai fait la rencontre du maître de cette maison- ci chez M. le cardinal de Rohan.- Peste ! vous allez chez le cardinal de Rohan ? — Qui, il m'a fait avoir une abbaye.- Une abbaye !! Ah ! cela posé, monsieur l'abbé, faites-moi l'honneur de venir dîner chez moi.” CHAMFORT. 26. Marie Leczinska. avons Et vous , Marie Leczinska se promenant un jour dans le paro de Versailles, rencontra une pauvre femme fort mal vêtue, qui le traversait avec un pot à la main , portant un petit enfant sur ses bras, et suivie de plusieurs autres ; la reine l'appelle : " Où allez - vous, ma bonne femme ? Madame, je vais porter la soupe à mon homme. — Et que fait -il ? — Il sert les maçons. Combien gagne-t- il par jour ? —· Douze sous à présent, quelquefois dix. — Avez- vous quelque champ ?? — Non, inadame. — Combien avez - vous d'enfants ? — Nous en six. que gagnez - vous ? Rien, madame, j'ai bien assez d'ouvrage dans mon ménage. Quel est donc votre secret pour tenir votre ménage et nourrir sept personnes avec douze sous par jour et quelquefois dix ? — Eh ! madame (montrant une clef pendue à sa ceinture ), le voilà mon secret ; j'enferme notre pain , et je tâche d'en avoir toujours pour mon homme. Si je voulais croire ces enfants-là, ils man. geraient dans un jour ce qui doit les nourrir une semaine." La princesse, touchée jusqu'aux larmes à ce récit, mit dix louis dans la main de cette pauvre mère, en lui disant : “ Donnez donc un peu plus de pain à vos enfants. " LIVRE PREMIER . 13 27. Une joyeuse harangue. Philippe V, allant, en 1707>, prendre possession du royaume d'Espagne, passa par Montlhéri. Le curé du lieu se présenta à lui à la tête de ses paroissiens, et lui dit : « Sire, les longues harangues sont incom . modes, et les harangueurs ennuyeux ; ainsi je me con. tenterai de vous chanter : Tous les bourgeois de Châtres et ceux de Montlhéri Eurent fort grande joie en vous voyant ici. Petit- fils de Louis, que Dieu vous accompagne ; Et qu’un prince si bon Don don Centans et par delà La la, Règne dedans l'Espagne ." Le roi, enchanté du zèle chansonnier du curé, lui dit : Bis. Celui- ci obéit et répéta son couplet avec encore plus de gaieté. Le roi lui fit donner en sa présence dix louis. Le curé, les ayant reçus, dit en prose : Bis, sire. Le roi, trouvant le mot plaisant, fit doubler la somme. 28. Napoléon et le paysan de l'Escaut, Dans un voyage que l'empereur Napoléon fit en Hollande peu de temps avant sa chute, il alla voir un paysan dont la maison était isolée sur les bords de l'Escaut. Deux aides de camp accompagnaient le monarque ; l'un d'eux dit au paysan : “ Voilà l'em. pereur Napoléon ! " Le Hollandais, assis , le bonnet zur la tête, lui répond : “ Qu'est- ce que cela me fait ? " Napoléon entre aussitôt. " Bonjour,, bonhomme.” Le paysan ôte son bonnet, mais reste sur son siége en se contentant de répéter: " Bonjour.- Je suis l'empereur. Vous ? Oui, moi.— J'en suis bien aise.— Je veux faire ta fortune. Je n'ai besoin de rien . - As-tu des 14 ANECDOTES . 9 filles ? — Qui. -Combien ? - Deux.- Je les marierai. Non, je les marierai moi-même.” Ces mots surpri. rent fort le vainqueur d'Austerlitz ; il tourna brusque ment le dos au paysan , et sortit. 29. Un coartisan pris au piège. Un matin Louis XIV dit au maréchal de Grammont : “ Monsieur le maréchal, lisez, je vous prie, ce petit madrigal, et voyez si vous en avez jamais vu un si impertinent. Parce qu'on sait que depuis peu j'aime les vers , on m'en apporte de toutes les façons! Le maréchal, après l'avoir lu, dit au roi : “ Votre Majesté juge divinement bien de toutes choses : il est vrai que voilà le plus sot et le plus ridicule madrigal que j'aie jamais lū . ” Le roi se mit à rire et lui dit : « N'est-il pas vrai que celui qui l'a fait est bien fat ? — Sire, il n'y a pas moyen de lui donner un autre nom. Oh bien ! je suis ravi, dit le roi, que vous m'ayez parlé si bonnement; c'est moi qui l'ai fait. · Ah ! sire, quelle trahison! Que Votre Majesté me le rende, je l'ai lu brusquement. — Non, monsieur le maréchal, les premiers sentiments sont toujours les plus naturels." Le roi a fort ri de cette folie, et tout le monde trouve que voilà la plus cruelle petite chose que l'on puisse faire à un vieux courtisan . MME. DE SÉVIGNÉ . 30. Echange de rôles. Milord Montaigu était mal satisfait du roi Jacques, et un jour qu'un gentilhomme écossais, que le roi avait plusieurs fois évité, venait pour demander une récom pense, il lui dit : “ Sire, vous ne sauriez plus fuir. Cet homme-là ne vous connaît point; j'ai votre ordre ( l'ordre de la Jarretière), je ferai semblant que je suis le roi, mettez -vous derrière moi." L'Écossais fait sa LIVRE PREMIER . 15 harangue ; Montaigu lui répondit : " Il ne faut pas que vous vous étonniez que je n'aie rien fait encore pour vous, puisque je n'ai rien fait encore pour Montaigu, qui m'a rendu tant de services." Le roi Jacques entendit raillerie, et lui dit : “ Otez-vous de là ; vous avez assez joué mon rôle." TALLEMANT DES RÉAUX. 31. Pierre le Grand et le roi de Danemark, Pierre le Grand visita au commencement du dix huitième siècle la Tour ronde de Copenhague. Le roi de Danemark, Frédéric IV , dont Pierre était l'hôte, l'accompagnait dans cette excursion . Les deux sou · verains étaient arrivés au sommet de la tour ; un magnifique panorama se déroulait sous leurs yeux. Pierre expliquait à Frédéric son système politique . “ Voulez-vous, dit - il tout d'un coup, que je vous donne uneidée de la puissance de mon autorité ? ” Et, sans attendre la réponse de Frédéric , le fondateur de la monarchie russe fait un signe à un Cosaque de sa suite, et lui désignant du doigt l'abîme qui s'ouvrait sous leurs pieds : “ Saute !” dit-il . L'autre regarde le czar, le salue, et, sans hésiter, il s'élance dans le vide. “ Qu'en pensez-vous ? dit Pierre en se tournant vers le roi de Danemark ; avez-vous de pareils sujets ? Heureusement non ," répondit Frédéric. La France. - 32 , Louis XIV et le Bourgeois gentilhomme, Lorsque le Bourgeois gentilhomme fut joué pour la première fois devant Louis XIV, le prince ne s'expliqua pointsur cette pièce, et Molière pensait qu'elle n'avait pas réussi. Quelques seigneurs même publiaient qu'elle était détestable. Mais après une seconde représentation, le roi dit à Molière : « Je ne vous ai point parlé de 16 ANECDOTES, votre pièce à la première représentation, parce que j'ai craint d'être séduit par le jeu des acteurs ; mais en vérité, Molière, vous n'avez encore rien fait qui m'ait autant diverti, et votre pièce est excellente .” Aussitôt l'auteur fut accablé de louanges, et les courtisans, sans excepter ceux qui l'avaient le plus critiqué, répétaient tout le bien que le roi avait dit de la nouvelle comédie. Mém . anecd . des règnes de Louis XIV et de Louis XV . 33. Simplicité de Louis XVI. Un jour, Louis XVI, vêtu commeun bon bourgeois, avec le prince de la Paix, costume comme lui, allait traverser une des routes voisines du parc de Versailles, lorsqu'il y rencontra un voiturier chargé de vins, qui fouettait ses chevaux à outrance pour tirer sa charrette d'un mauvais pas. Il s'en approche: “ Eh ! pourquoi maltraiter ainsi ces pauvres bêtes ? - Eh..., de quoi vous mêlez-vous ! répond le charretier avec colère; si vous êtes plus habile que moi, essayez de faire mieux, voilà mon fouet.” Louis XVI, sans s'émouvoir , prend le fouet d'une main , saisit de l'autre le cordeau qui sert de guide et se met à l'ouvrage . La charrette est bien mise en mouvement, mais dans le sens qui n'opposait point d'obstacle; aussi la fait -il verser, et le charretier de jurer , de jurer comme un charretier . El bien, mon ami, le mal est fait, dit le roi, il faut le réparer ; nous allons t'aider." Et le voilà, secondé du voiturier et de quelques passants, ainsi que du prince de la Paix , qui aide de tout son cœur et de toutes ses forces, et il en avait beaucoup, à décharger la voiture, à la relever et à la recharger. Il fallait voir commeil était crotté ! Les pages arrivent en cet instant, le reconnaissent et s'écrient : " Le Roi !” Le charretier ,que ce mot épouvante, court se cacher dans les bois . Le roi le fait chercher ; on lo lui ramène tout tremblant. " Pourquoi t'enfuir, lui dit- il ; ne sommes-nous pas de braves gens ? Ne t'avons LIVRE PREMIER . 17 nous pas bien aidé? Allons, tiens, prends ceci pour te consoler." Et il lui met plusieurs pièces d'or dans la main . Louis XVI revint au château tout couvert de boue, mais riant de tout son coeur. HANNET- CLÉRY, Mémoires. 34. Applaudissements malencontreux. Franklin assistait à Paris à une séance publique de l'Académie. Il entendait mal le français, maisvoulant être poli, il prit la résolution d'applaudir lorsqu'il verrait une dame de sa connaissance, madame de Boufflers, donner des marques de satisfaction . Après la séance, son petit- fils lui dit : “ Mais, mon papa, vous avez applaudi toujours, et plus fort que tout le monde, lors qu'on vous louait." Le philosopheavoua son embarras, et le parti qu'il avait pris pour s'en tirer . 35. Fou ou voleur. Cela ne se - - On rapporta à deux hommes bien placés dans l'ad ministration que M. Passy avait dit, en parlant d'eux : “ L'un est un fou , l'autre est un voleur ." passera pas ainsil s'écria M.... Et comment voulez vous donc que cela se passe ? J'obtiendrai raison de M. Passy ; je me battrai avec lui. Il refusera de se battre avec son subordonné. Eh bien ! je vais donner ma démission. Vous êtes fou ! - Comment dites vous ? — Allez -vous me chercher querelle aussi à moi ? Non, je veux savoir ce que vous m'avez dit. Je vous ai dit : “ Vous êtes fou . " —Alors, je suis content, et je ne demanderai rien à M. Passy. Comment ? que voulez -vous dire ? – M. Passy à dit de nous deux : “ L'un est un fou , l'autre est un voleur. " Vous dites que c'est moi le fou ; donc c'est vous qui êtes ... l'autre ; c'est à vous à vous fâcher.” ALPH . KARR - . 18 ANECDOTES . 36. Entre hommes on ne s'embrasse pas. M. de Lamartine reçut un jour, à l'hôtel de ville, une députation de femmes du peuple, aux allures farouches, qui n'étaient pas sans analogie avec les tricoteuses de péfaste mémoire. La bande des mégères avait envahi le cabinet de M. de Lamartine. Il se présente à elles, et leur demande ce qu'elles veulent. " Citoyen, répond l'une d'elles , les femmes de Belle ville ont tenu à t'envoyer une députation pour t'exprimer toute l'admiration que tu leur inspires. Nous sommes cinquante ici, et au nom de toutesles autres nous avons mission de t'embrasser.” Elles n'étaient pas belles, disait plus tard M. de Lamartine, en rappelant ce souvenir de sa vie politique. Se laisser embrasser, c'était dur. Alors le poète eut une de ces inspirations comme lui seul savait en avoir. Il s'avance vers les bellevilloises, et leur dit : " Citoyennes , merci des sentiments que vous me témoignez. Mais laissez - moi vous le dire, des patriotes telles que vous ne sont pas des femmes ; elles sont des hommes. Entre hommes, on ne s'em brasse pas ; on se tend la main. ' Et c'est ainsi que M. de Lamartine évita les cinquante accolades. 37. Magnanimité d'un mouragt. Les cris furieux des paysans vendéens qui deman daient la mort des prisonniers républicains (au moment du passage de la Loire) arrivaient jusqu'à l'oreille de Bonchamps, sans qu'il pût distinguer ce qu'ils récla maient . Un officier luiraconta ce qui se passait. Alors Bonchamps, élevant sa voix mourante : * Grâce, dit-il, grâce pour les prisonniers ! ". Puis, se tournant vers d'Autichamp: ' Mon ami, lui dit -il, c'est sûrement le dernier ordre que vous recevrez de moi. Laissez -moi espérer qu'il sera exécuté. Grâce pour les prisonniers !” 66 LIVRE PREMIER . 19 A l'instant, plusieurs officiers sortirent de la chambre, et, montant à cheval, allèrent répéter de proche en proche à la foule émue ces motsqui sauvaient cinq mille vies : “ Grâce aux prisonniers ! Bonchamps mourant le veut ! Bonchamps l'ordonne ! ” A ces paroles, qui leur annonçaient en même temps la mort prochaine d'un chef bien aimé et sa dernière et ma gnanime volonté, les paysans sentirent leur colère tomber. La plupart d'entre eux faisaient partie de l'arméede Bonchamps, et le vénéraient comme un père. Ils n'avaient rien à refuser à son agonie sup pliante. Bientôt des milliers de voix répétèrent :

  • Grâce aux prisonniers ! Bonchamps l'ordonne " ... Les prisonniers étaient sauvés.

NETTEMENT, Vie de Mme. de la Rochejaquelein,. 38. Catherine II et ses courtisans. Catherine II, impératrice de Russie, conçut dans un âge avancé, le projet de visiter la partie méridionale de ses états. Elle partit pour la Tauride, et, à l'expres sion de fierté empreinte sur tous ses traits , à ses yeux vifs et perçants, habitués à commander, aux différents ordres qui brillaient sur sa poitrine, au bonnet de four rure qui couvrait sa tête , on l'aurait prise moins pour une femme que pour un guerrier et un conquérant. Le char qui portait Catherine traversait comme un éclair les vastes plaines de la Russie. Cependant, malgré le zèle des conducteurs et la vitesse des chevaux, le chemin aurait paru long et triste à l'auguste voyageuse, si l'adresse de quelques courtisans n'eût embelli les déserts que parcourait Sa Majesté. On avait eu soin de placer, dans plusieurs voitures de suite , des pièces de bois et de carton peint, représentant des chaumières et des maisons de paysans. Chaque soir, lorsque l'im pératrice était arrêtée, on allait, à la lueur des flambeaux, disposer ces décorations à droite et à gauchede la route, tantôt sur le bord d'un fleuve, tantôt sur le penchant 20 ANECDOTES . - d'ane colline. Le lendemain , Catherine, aux premiers rayons du jour, découvrait avec étonnement des villages dont elle ignorait l'existence . " Quelles sont ces maisons ? disait-elle, je croyais ce pays inhabité . — Il l'était en effet sous vos prédécesseurs, lui répondait un des courtisans ; mais la sagesse de votre administration & répandu partout le bonheur, et peuplé le désert même.Je suis étonnée dene pas aper cevoir un seul des habitants. - C'est qu'ils ont eu le malheur de ne point être prévenus du passage de leur souveraine ; car votre Majesté n'a pas de sujets plus dévoués : jamais ils ne se sont révoltés. — Mais com ment se fait - il que le nom de tous ces villages soit oublié sur la carte que j'ai entre les mains ? C'est une omis sion impardonnable de la part de vos ingénieurs. Fiez- vous donc aux rapports d'autrui ! reprenait l'impératrice ; ah ! je vois bien que les princes, pour savoir la vérité, n'en doivent croire que leurs propres yeux. " A. FILON . 39. La musique de Charles XII. En opérant sa descente à Copenhague, Charles XII, impatient de ne pas aborder assez près ni assez tôt, se jette de sa chaloupe dans la mer l'épée à la main , ayant de l'eau par delà la ceinture : ses ministres, l'ambassa deur de France, les officiers, les soldats suivent aussitôt son exemple, et marchent au rivage malgré une grêle de mousquetades que tiraient les Danois. Le roi, qui n'avait jamais entendu de sa vie de mousqueterie chargée à balle, demanda au major Stuard, qui se trouva auprès de lui, ce que c'était que ce petit sifflement qu'il enten dait à ses oreilles ? “ C'est le bruit que font les balles de fusil qu'on vous tire, lui dit le major. Bon, dit le roi, ce sera là dorénavant ma musique.' VOLTAIRE, Hist. de Charles XII. . LIVRE PREMIER. 21 40. Le cocher de Frédério le Grand , Dans un voyage que fit Frédéric le Grand, son cocher eut le malheurde le verser. Le roi n'éprouva aucun mal, mais il fut si furieux contre ce pauvre homme qu'il s'élança vers lui, la canne levée, dans l'intention de lui administrer une bonne volée. Celui. ci ne perdit pas son sang- froid : “ Mon Dieu ! sire, dit - il au roi, vous êtes le meilleur général de votre siècle, et cependant vous avez déjà perdu mainte bataille. Je viens d'en perdre une, mais depuis trente ans que je vous sers, c'est la première. Je prie Votre Majesté de croire que j'en suis aussi fâché qu'Elle.” -Le roi se mit à rire de cette singulière comparaison, remonta dans son carrosse qu'on avait réparé dans l'intervalle, et continua sa route. 41 . Le portrait, Il prit fantaisie à un jeune homme fort simple de faire faire son portrait ; mais craignant que les parents de lajeune personne à qui il le destinait ne lui défendis sent leur maison, s'ils trouvaient par hasard ce portrait dans les mains de leur fille, il dit au peintre : “ Monsieur, faites mon portrait, comme je vous l'ai demandé ; mais faites- le de manière qu'on ne puisse me reconnaître." > £2. Le chien de l'avocat. Un joar, maître Cazeneuve, célèbre avocat de Tou louse, se rendait d'assez mauvaise grâce au tribunal. Azor, son chien, avait eu la curiosité de le suivre au palais. M. Cazeneuve, qui ne savait rien refuser à son caniche, ne s'y était point opposé. Arrivés au tribunal, Azoralla s'asseoir à l'extrémité 22 ANECDOTES . du banc de la défense, et son maître se mit à plaider . Malheureusement, il advint que, entraîné par son éloquence, l'avocat éleva la voix. Azor, qui sans doute n'aimait pas le bruit, se mit à aboyer pour manifester son mécontentement. Maître Cazeneuve suspendit son plaidoyer, et , s'adressant au chien : “ Azor, lui dit -il, fais-moi le plaisir de te taire.” Azor se tut. Mais il ne se tut pas longtemps. En effet, bientôt après, l'avocat s'étant livré à des considérations trop élevées pour les nerfs délicats d'Azor, l'animal aboya derechef, et cette fois avec un tel entrain, que la défense ne fut plus libre . Alors l'avocat, impatienté, se tourna vers I'interrupteur, et , avec des gestes d'ancien télégraphe : “ Enfin , Azor , lui dit-il, ça ne peut pas durer comme ça ; si tu veux plaider, plaide, ou laisse -moi plaider . " 0. COMETTANT. 43. Un éloge en partie double. Un Anglais étant venu voir M. de Voltaire à Ferney, il lui demanda d'où il venait : le voyageur lui dit qu'il avait passé quelque temps avec M. de Haller. Aussitôt le patriarche s'écrie : " C'est un grand hommeque M. deHaller, grand poète, grand naturaliste, grand philo sophe, homme presque universel! - Ce que vous dites là, monsieur, lui répondit le voyageur, est d'autant plus beau, que M. de Haller ne vous rend pas la même justice. Hélas ! répliqua Voltaire, trompons peut -être tous les deux. " GRIMM . - - nous nous A Gascon, Gascon et demi.. Un certain monsieur venait de raconter en présence odier une de ces gasconnades qui ne peuvent s'a dresser qu'à des sots . Nodier lui laissa achever l'odyssée de ses prouesses, qu'il semblait écouter avec une con fiance complète ; puis il prit à son tour la parole : LIVRE PREMIER . 23 " Oh ! ce que vous venez de nous raconter là ne me surprend aucunement, dit -il, car il m'est arrivé, à moi qui vous parle, quelque chose de presque aussi fort. Je voyageais tout seul, à pied, dans les Abruzzes, quand tout à coup , du fond d'une gorge effroyable, bondissent cinq brigands; et quels bandits, monsieur i je les vois encore : des gaillards portant plus de six pieds de haut, et quelles figures ! Vousn'avezjamais rien vu de si affreux ! līs me barrent le chemin en me criant dans un baragouin effroyable : la bourse ou la vie ! Je le compris à leurs gestes. Mais moi, sans perdre la tête, je recule d'un pas et tirant de ma poche deux pistolets, je fais feu de chaque main : deux brigands mordent la poussière ; un troisième s'avance : je lui ouvre le crâne d'un coup de crosse ; un quatrième enfin : je lui défonce la poitrine avec le canon de mon pistolet. Et le bon Nodier s'arrête tout épouvanté de cet hor rible carnage ; car tuer quelqu'un , même en paroles, lui semblait un crime. “ Vous ne nous dites pas ce que vous avez fait du cin quième, demanda malicieusement le premier narrateur. Ah ! le cinquième ? ... reprend Nodier qui s'était cru maitre du champ de bataille, eh bien ! il me tua.” MADAME DE BASSANVILLE. 45. Fontenelle et les asperges à l'huile . M. de Fontenelle aimait singulièrement les asperges, surtout accommodées à l'huile. Un de ses amis qui aimait à les manger au beurre (je ne sais si ce n'est pas l'abbé Terrasson ), étant venu un jour lui demander à dîner, il lui dit qu'il lui faisait un grand sacrifice en lui cédant la moitiéde son plat d'asperges, et ordonna qu'on mît cette moitié au beurre. Peu de temps avant de se mettre à table, l'abbé se trouve mal et tombe un instant après en apoplexie. M. de Fontenelle se lève avec pré . cipitation , court à la cuisine et crie : « Tout à l'huile ! Tout à l'huile ! " GRIMM . 24 ANECDOTES . 46. Les vagues à an shilling . se On avait engagé, dans un théâtre anglais, des hommes chargés de figurer les vagues dans une tempête, à raison d'un shilling par soirée . On s'avisa de vouloir les ré duire à six pence. Les vagues rassemblèrent aussitôt dans un meeting, où il fut décidé que toute la mer ferait grève. En conséquence, le soir même, tandis que de faux éclairs faisaient rage sur la scène, que le faux tonnerre résonnait de son mieux dans la coulisse, l'Océan, à la stupéfaction de tous, demeurait calme et platcomme un tapis. Le souffleur, hors de lui, leva un coin du voile et enjoignit aux flots de faire leur devoir. à six pence ou à un shilling ? demanda une jeune voix qui sortait du fond de l'abîme. —- A un shilling, répondit résolûment le souffleur, qui n'avait point d'autre alternative. Dès que ce mot magique eut été prononcé , la mer se remua en toute conscience, comme si elle eût été agitée par une vraie tempête. A. ESQUIROS. 6. Des vagues 47. Un chef - d'ouvre de style . sans Dryden se trouvant un jour, avec le duc de Bucking ham , le comte de Rochester et lord Dorset, la con versation vint à tomber sur la langue anglaise, sur l'harmonie du nombre, sur l'élégance du style, sorte de mérite auquel chacun des trois seigneurs prétendait exclusivement et partage. On discute, on s'échauffe, on convient enfin d'en venir à la preuve, et de prendre un juge. Ce juge fut Dryden . L'épreuve consistait à écrire, isolément et sans désemparer, sur le premier sujet venu, et à mettre les trois compositions sous le chandelier. On se met à l'ouvrage. Le duc et le comte font des efforts de génie. Lord Dorset trace négligemment quelques lignes. Quand chacun eut fini, LIVRE PREMIER . 25 et placé son chef-d'ouvre sous le chandelier, Dryden procéda à l'examen. Dès qu'il eut achevé la lecture des trois pièces : “ Messieurs, dit--il au duc de Buckingham et au comte de Rochester, votre style m'a plu, mais ce lui de Lord Dorset m'a ravi. Écoutez; c'est vous qu'à présent je fais juges. “ Au premier mai prochain, je paierai à John Dryden, ou à son ordre, la somme de cinq cents livres sterling, valeur reçue. 15 avril 1686. Signé DORSET." Après avoir entendu cette composi tion, Rochester et Buckingham ne purent disconvenir que ce style ne l'emportât sur tout autre. 48. L'armée vendéenne . La veille de l'attaque d'Angers un jeune officier, nommé de Boispréau, raconte à la marquise de la Roche jaquelein dans quelles circonstances il est passé aux royalistes, et comment il s'est battu pour la première fois dans leurs rangs. “ La bataille fut gagnée. J'avais été fort étonné de l'équipement des hommes avec lesquels j'étais, de leur ignorance de toute chose militaire. Je me figurais que je n'avais autour de moi que des éclaireurs, des enfants perdus. Après le combat, je fis mille questions. — Quel est votre général en chef ? - Il n'y en a pas.- Quel est le major général ? Il n'y en a pas. Combien de régiments ? Il n'y en pas. Mais vous avez des colonels ? -Il n'y en a pas.-- Qui donne le mot d'ordre ? - On n'en donnepas. — Quifait les patrouilles ? — On n'en fait pas. Qui monte la garde ? - Personne. Quel est l'uniforme ? - Il n'y en pas; Où sont les ambulances ? — Il n'y en a pas. Où sont les maga sins de vivres ? Il n'y en a pas, Où fait- on la pou dre ? On n'en fait pas. - D'où la tire- t-on ? On la prend aux Bleus. Quelle est la paye ? —- Il n'y en a pas. Qui fournit les armes ? — Nous les prenons aux Bleus, etc. - J'allais d'étonnement en étonnement, et je medisais : Il n'y a rien ici qui constitue une armée, mais je ne puis douter que nous venons de bien rosser - - - - - - - 26 ANECDOTES . les républicains, qui l'ont été hier à Vihiers. Toutes ces merveilles me confondaient. Dès le lendemain nous les battimes à Montreuil, puis à Saumur. A présent je me suis accoutumé à cette façon de faire la guerre." MARQUISE DE LA ROCHEJAQUELEIN . 49. La montre de Newton . Newtonétait un jour absorbé dans ses profondes médi tations philosophiques, lorsque sa domestique entra dans son cabinet de travail portant son déjeuner habituel, un cuf frais et une casserole dans laquelle elle voulait le faire cuire en présence du maître, pour qu'il fût bien à point. Newton qui voulait être seul, lui dit de s'en aller, qu'il ferait cuire l'æuf lui-même. La domestique mit l'euf sur la table, à côté de la montre du philosophe, en faisant à ce dernier la recommandation de ne lelaisser que trois minutes dans l'eau bouillante, et se retira . Quel ne fut pas son étonnement, lorsqu'elle revint une demi-heure après pour desservir, de trouver son maître debout devant la cheminée, regardant attentivement l'euf qu'il tenait à la main, pendant que la montre bouillait dans la casserole , 50. Franchise. Louis XV , jouant au piquet, était en différend avec un de ses courtisans sur un coup qui venait d'être fait . Le plus grand silence régnait dans l'assemblée, qui était mombreuse, lorsque le marquis de Sourcé, très connu à la cour pour ses bons mots et ses réparties ingénieuses, entra . Dès que le roi l'aperçut, il l'appela et lui dit : « Vous voilà arrivé à propos, vous allez juger un coup singulier surlequel nous nesommes pas d'accord. Vous avez tort, Sire, dit M. de Sourcé. Comment, reprend le roi, et vous ne savez pas encore de quoi il s'agit 1 -Eh ! qu'ai-je besoin d'en être instruit ? s'écrie LIVRE PREMIER . 27 le marquis ; s'il n'était pas évident que Votre Majesté a tort, tous ces messieurs ne l'auraient-ils pas dit cent fois ? ” Le roi paya aussitôt sans faire aucune obser vation , 51. Le cheval trop court . Lalande, musicien - violon de la chapelle de Versailles, était connu commeun homme jovial et qui aimait beau coup le plaisir. Jeune , il lui prit envie, pendant la semaine sainte, d'aller figurer à Longchamps. Il va trouver Mousset, loueur de chevaux, retient un cheval richement caparaçonné, et donne neuf francs d'arrhes à compte sur dix -huit, prix convenu de la location . Sorti de l'écurie, il rencontre un ami qui lui parle d'une partie de Longchamps, en quatuor, dans sa voiture. « Si seulement, dit Lalande, je pouvais retirer les arrhes que je viens de donner ! En tout cas,allons chez Mousset, et nous verrons....M. Mousset, montrez-moi encore une fois le cheval que je vous ai loué.- Monsieur, le voici.-- Savez - vous, monsieur Mousset, que ce cheval là est bien court ? —Comment, Monsieur, bien court ? Mais certainement..." Puis s'adressant à son ami: “ Voilà bien ma place, voilà la tienne, voilà celle de Daigremont ...... Mais où donc se placera Mondon ville, et cependant il vient avec nous ? Comment, Mon. sieur, vous montez à quatre ? Mais oui. Tenez , voilà vos arrhes; allez chercher un cheval ailleurs ; je ne loue pas le mien pour qu'on l'éreinte .” 52. Le page de l'empereur de Russie. Le petit page Kapioff avait parié avec les autres pages, ses camarades, que cette queue qui pendait dans le dos de l'empereur Paul I, et devant laquelle les plus hauts personnages s'inclinaient, il la tirerait, comme un simple cordon de sonnette, en plein dîner de gala. En effet, au moment où l'empereur se met à table, 28 ANECDOTES . a - entouré de la famille impériale et des hauts dignitaires, Kapioff empoigne la queue et donne un coup sec comme s'il tirait une sonnette. L'empereur pousse un cri de douleur et se retourne furieux ; toute le monde tremble ; seul le petit page est là calme et tranquille. “ Qui a fait cela ? demande Paul d'une voix entrecoupée par la fureur.. — C'est moi, sire, répond l'enfant; cette queue est toujours de travers , je l'ai mise dans le milieu . Eh ! polisson, tu ne peux pas tirer moins fort ? ” Et c'est tout ce qu'il en fut. La tabatière enrichie de diamants dont l'empereur se sert est sacrée comme la couronne elle -même; il est défendud'y toucher. Kapioff parie qu'il y prendra une prise. Un matin , il s'approche de la tablequi est près du lit où est encore couché le souverain , et sur laquelle se trouve l'auguste boîte ; il la prend hardiment, l'ouvre avec bruit, y introduit les doigts, et pendant que Paul, stupéfait d'une pareille audace, le regarde effaré, il re nifle sa prise avec bruit. Qu'as- tu fait là, drôle ? s'écrie le czar furieux. Moi, sire ? répond le gamin , mais j'ai pris une prise. Voilà huit heures que je suis de service, je sentais le sommeil qui me gagnait ; j'ai pensé que cela me réveillerait, et j'aimemieuxmanquer à l'étiquette qu'à mon service.” Paul éclata de rire et se contenta de répondre : “ Soit, mon garçon. Seule ment, comme la tabatière est trop petite pour nous deux, tu la garderas pour toi." Petit Moniteur. 53. La leçon de lecture. Le maire du petit village de Talans en Bourgogne, avait le droit de siéger aux États de la province, et celui de manger à la table du prince de Condé, lorsqu'il venait les présider. Celui qui occupait ce poste en 1761 était un bon paysan d'assez mince apparence, mais ne manquant pas d'un certain esprit ; d'ailleurs fort con tent de profiter de sa prérogative. Les jeunes pages qui servaient à table imaginèrent de s'amuser à ses LIVRE PREMIER . 29 dépens. A mesure qu'on mettait quelques mets sur son assiette, celui qui était derrière lui la lui enlevait avant qu'il eût eu le temps d'y toucher, et lui en don pait une propre. Ce petit divertissement, qui le faisait rester à jeun au milieu d'un excellent dîner, commençait à l'ennuyer. On venait de lui servir une aile de faisan, et le page allait la faire disparaître, lorsqu'il donna un coup sec du manche de son couteau sur les doigts du petit espiègle qui retira bien vite la main. Le prince qui était jeune, et qui s'était amusé de cette plaisanterie, sans faire semblant de la voir, lui dit : “ Qu'est- ce dono que cela, monsieur le maire ? Vous battez mes pages ? Oh, non , monseigneur, répondit- il, je leur apprends à lire : ils prennent des L (ailes) pour des O (os).” Le prince rit beaucoup de ce calembour, et fit cesser le badinage. 54. Reconnaissance . Un gascon entra un jour dans la boutique d'un coiffeur nouvellement établi, et lui demanda de lui prendre mesure pourune perruque. “ Monsieur, lui dit celui- ci, le dîner est servi; et comme vous êtes une nouvelle pratique, vous m'obligerez si vous voulez bien accepter la fortune du pot. - Volontiers," reprit l'étran ger, qui se mit de suite à table. Après le dîner, le café et le pousse- café, le coiffeur se mit en devoir de préparer * Ce que vous faites là est inutile, lui dit son hôte . - Pourquoi donc, monsieur ? —C'est que vous ne ferez pas ma perruque. — Comment ! est- ce que vous auriez à vous plaindre de moi ? -Non . — De ma femme? Encore moins, mon bon ami ; mais si vous travailliez pour moi, vous ne seriez jamais payé." ses mesures . 55. Le médecin et la baronne . Un célèbre médecin de Berlin fut mandé auprès d'une dame malade. En entrant dans le salon où elle était assise, le docteur lui dit d'un ton tout à fait bienveillant: 80 ANECDOTES. • Eh bien, madame, vous n'êtes pas très -bien , paraît-il ? - Monsieur, répond- elle, d'un petit air pincé, je suis baronne . - J'en suis bien fâché, répliqua le docteur en reprenant sa canne et son chapeau , mais c'est une maladie dont je ne saurais vous guérir ." Et il sortit. 56. Le souper d'Auteuil, Il y eut un souper àછે. Auteuil, où Molière rassemblait quelquefois ses amis, dans une petite maison qu'il y avait louée. Ce fameux souper, quoique peu croyable, est très- véritable . Mon père heureusement n'en était pas ; le sage Boileau, qui en était, y perdit la raison comme les autres. Le vin ayant jeté tous les convives dans la morale la plus sérieuse, leurs réflexions sur les misères de la vie, et sur cette maxime des anciens : “ Que le premier bonheur est de ne point naître, et le second de mourir promptement,” leur firent prendre l'héroïque résolution d'aller sur-le-champ se jeter dans la rivière. Ils y allaient, et elle n'était pas loin . Molière leur représenta qu'une si belle action ne devait pas être ensevelie dans les ténèbres de la nuit, et qu'elle méritait d'être faite en plein jour. Ils s'arrêtèrent et se dirent en se regardant les uns les autres : “ Il a raison ; " à quoi Chapelle ajouta : “ Oui, messieurs, ne nous noyons que demain matin, et, en attendant, allons boire le vin qui nous reste.” Le jour suivant changea leurs idées , et ils jugèrent à propos de sup porter encore les misères de la vie. LOUIS RACINE. 57, Le reporter modèle. Le métier de reporter n'est pas de création récente : date de l'invention du journalisme. Le reporter le plus éminent s'appelait Mathieu Don zelot, autrement dit l’Infatigable. Le matin , avant de quitter sa chambre, le père Donzelot consultait le ciel LIVRE PREMIER . 81 et un baromètre qui décorait sa mansarde ; puis il prenait sa canne et son écritoire en disant : « De la pluie!... Nous aurons aujourd'hui des gens écrasés en glissant sous les roues des voitures." Ou bien : « Le temps est à l'orage! Nous constaterons quelques alié nations mentales et quelques cas d'hydrophobie." Ou enfin : “ Sombre ! nébuleux ! Beau temps pour le spleen . Faisons la guerre aux suicides ! ” Un jour d'émeute, sur la place du Panthéon, il s'in stalle au milieu d'une grèle de pierres, plume en main , pour enregistrer les événements ... Un de ses amis passé là : “ Que faites- vous ici , malheureux ? lui crie -t-il, partez, fuyez ! ” Donzelot, sans l'écouter, tire sa montre, constate minute par minute les phases et les évolutions de l'émeute . “ Vous ne vous sauvez pas ? cria de nouveau l'ami. Dieu m'en garde; mais puisque vous partez vous-même, obligez -moi de remettre ceci à mon journal; vous leur direz que je reste sur les lieux envoyer suite ." Une heure après le désordre était à son comble ; l'autorité et les insurgés en étaient venus aux mains. La garde nationale fit feu , et le reporter fut atteint d'une balle. Un chirurgien se hâte de lui porter secours. “ Vous êtes blessé ? lui dit - il. — Oui, reprit Donzelot, et grièvement, car je ne puis écrire.-- Il s'agit bien d'écrire, objecta brusquement le praticien ; il s'agit de vous guérir.— Ce n'est pas le plus pressé, répliqua Donzelot. Chacun sa tâche ; la mienne est de raconter l'événement. Vous allez me suppléer. Tenez , écrivez au bas de cette page ce post-scriptum : “ 3 heures 20 minutes du soir .... A la suite d'une décharge de mous queterie faite par la troupe, on a compté dans les rangs du peuple trois blessés et un mort... Quel est donc le mort ? * demanda le chirurgien, -Moi," reprit Donze lot ; et il expira. Il expira sur le champ de bataille, comme Épaminon das, comme Turenne, comme Bayard. TH. TRIMM . pour leur la 32 ANECDOTES . 58. L'abbé de Molières et le voleur. - - L'abbé de Molières était un homme simple et pauvre, étranger à tout, hors à ses travaux sur le système de Descartes ; il n'avait point de valet, et travaillait dans son lit, faute de bois, sa culotte sur sa tête par-dessus son bonnet, les deux côtés pendant à droite et à gauche. Un matin il entend frapper à sa porte : “ Qui est là ? Ouvrez...” Il tire un cordon et la porte s'ouvre. L'abbé de Molières, ne regardant point : “ Qui êtes vous ? Donnez-moi de l'argent. De l'argent ? Oui, de l'argent. Ah ! j'entends, vous êtes un voleur ? Voleur ou non, il mefaut de l'argent. Vraiment oui, il vous en faut ? eh bien ! cherchez là dedans.” Il tend le cou, et présente un des côtés de la culotte ; le voleur fouille : -" Eh bien ! il n'y a point d'argent. Vraiment non, mais il y a ma clef. Eh bien ! cette clef... - Cette clef, prenez-la . Je la tiens. – Allez - vous - en à ce secrétaire ; ouvrez... Le voleur met la clef à un autre tiroir. “ Laissez donc, ne déran gez pas, ce sont mes papiers. Voyons donc ! finirez vous ? ce sont mes papiers ; à l'autre tiroir, vous trouverez de l'argent. Le voilà . Eh bien ! prenez. Fermez donc le tiroir ... " Le voleur s'enfuit. 7 Mon sieur le voleur, fermez donc la porte. Le scélérat ! il laisse la porte ouverte ! Quel chien de voleur ! II faut que je me lève par le froid qu'il fait ! maudit voleur !" L'abbé saute en bas du lit, va fermer la porte, et revient se remettre à son travail, sans penser, peut-être, qu'il n'avait pas de quoi payer son dîner. CHAMFORT: S - 59. Fontenelle à l'Académie. Le cardinal de Bernis lut à l'Académie française une építre adressée à Fontenelle. Elle finissait par ce vers qui excita de grands applaudissements : Et le Nestor des Grecs fut encor le plus sage. Fontenelle qui était sourd, demanda à Marivaux, qui LIVRE PREMIER . 33 était placé à côté de lui, de qui il était question , et ce qu'ondisait. “ Monsieur, lui cria Marivaux dans les orcilles, on fait votre éloge; cela ne vous regarde pas.” 1 60. Napoléon et Mme. do Brissao. Mme. de Brissac était prodigieusement sourde. Le jour où elle fut présentée à l'empereur, elle s'inquiéta beaucoup des questions qu'il lui ferait probablement et de cequ'elle aurait à lui répondre. On luiavait dit que Napoléon s'informait presque toujours de quel départe ment on était, de l'âge qu'on pouvait avoir, et du nombre d'enfants qu'on avait. Connaissant son infir mité, elle se méfia de son oreille, que la timidité ou l'émotion pouvait rendre encore plus dure dans un pareil moment, et elle calcula que l'empereur lui adres serait les questions dans l'ordre où les avait classées celui quil'avait prévenue, En conséquence, et selon cet avis, Napoléon devait lui demander d'abord de quel département elle était, son âge, et enfin combien elle avait d'enfants . Arrive le jour de la présentation. Mme. de Brissao, parée comme une femme de la cour et n'ayant omis ni la toque empanachée, ni la robe à queue traînante, fait ses trois révérences à l'empereur, qui lui dit assez ra pidement, quoique avec sa bienveillance accoutumée : Madame, votre mari était bien le frère du duc de Brissac tué au 2 septembre ? Avez -vous hérité de ses terres ? ” Comme la phrase était longue, Mme. de Brissac crut qu'il y en avait au moins deux, et répondit en souriant et de l'air le plus gracieux du monde : “ Seine- et- Oise, sire.” L'empereur, quoique ne faisant pas toujours grande attention aux réponses qui lui étaient adressées, fut frappé probablement de l'incohérence de celle-ci ; il re garda Mme. de Brissac d'un air étonné : “ Vous n'avez pas d'enfants ? ... Cinquante-deux, sire,” lui répondit D 84 ANECDOTES. elle , croyant que cette fois Napoléon lui avait demandé son âge. Il ne lui fit pas d'autres questions, et continua de faire le tour du cercle. Il avait compris que Mme. de Brissac avait au moins l'oreille dure . DUCHESSE D’ABRANTÈS. 61. Scène d'omnibus . La scène se passe dans un omnibus, à Paris. Deux vieilles dames sont assises l'une à côté de l'autre. L'une veut que la portière soit fermée, l'autre la veut ouverte. On appelle le conducteur pour décider la question. “ Monsieur, dit la première, si cette fenêtre reste ouverte, je suis sûre d'attraper un rhume qui m'empor tera. — Monsieur, si on la ferme, je suis certaine de mourir d'un coup d'apoplexie." Le conducteur ne savait que faire, lorsqu'un vieux monsieur, qui jusque là s'était tenu tranquille dans un coin de la voiture, le tira d'embarras. " Ouvrez donc la portière, mon cher ami, cela fera mourir l'une ; puis vous la fermerez, cela nous débarrassera de l'autre , et nous aurons la paix.” 62. Quelle est la ville que prit Alexandre ? Le général Alexandre Tatischef, pendant la campagne de 1813, avait pris Cassel, capitale du nouveau royaume de Westphalie , qui ne dura en tout que quatre ou cinq ans. Comme c'était le plus grand exploit de son mari, la princesse Tatischef trouvait moyen de le citer au moins une fois par jour. Or, il arriva qu'en faisant son récit habituel, la narratrice, contre toute prévision , oublia le nom de la capitale prise par son mari. En ce moment, Menchikof traverse l'appartement. “ Prince, lui crie madame Tatischef, prince, quelle est donc la ville qu'a prise Alexandre ? -Babylone, princesse, lui répond Menchikof sans s'arrêter.". AL. DUMAS. LIVRE PREMIER . 85 63. La jambe cassée. Le docteur Hill, piqué contre la Société royale de Londres qui avait refusé de l'admettre dans son sein , imagina, pour s'en venger, une plaisanterie d'un genre tout nouveau. Il adressa au secrétaire de cette aca démie, sous le nom d'un prétendu médecinde province, le récit d'une cure récente dont il se prétendaitl'auteur. “ Un matelot, écrivait- il, s'était cassé la jambe ; m'étant trouvé par hasard sur le lieu, j'ai rapproché les deux parties de la jambe cassée, et , après les avoir fortement assujetties au moyen d'une ficelle, j'ai arrosé le tout d'eau de goudron . Le matelot en très-peu de temps a senti l'efficacité du remède, et n'a point tardé à se servir de sa jambe comme auparavant.” Or cette cure se trouvait publiée dans le temps que le fameux Berkeley venait de faire paraître son livre sur les “ Vertus de l'eau de goudron ," ouvrage qui faisait beau coup de bruit et qui avait mis la division parmi les médecins. La relation du docteur fut lue et écoutée très-sérieusement dans l'assemblée publique de la Société royale, et l'on y discuta de la meilleure foi du monde sur la cure merveilleuse. Les uns n'y virent qu'un témoignage éclatant en faveur de l'eau de goudron ; les autressoutinrent, ou que la jambe n'était pas réellement cassée, ou que la guérison n'avait pu être si rapide. On allait imprimer des mémoires pour et contre, lorsque la Société royale reçut une seconde lettre du soi-disant médecin de province qui écrivait au secrétaire : “ Dans ma dernière, j'ai omis de vous dire que la jambe cassée du matelot était une jambe de bois." La plaisanterie ne tarda pas à se répandre, et divertit beaucoup les bonnes gens de Londres aux dépens de la Société royale. 9 64. La méprise. Quelques bons vivants s'étaient réunis dans une au berge de New - York pour y consulter l'oracle de la 86 ANECDOTES. dive bouteille. Après un repas arrosé de nombreuses rasades, l'un d'eux, voyageur de commerce, qui devait partir de grand matin, fut conduit seul dans lachambre où il devait passer la nuit. Tous les lits étaient occupés ; il n'en restait qu'un , à demi vacant,, dans lequel un nègre ronflait detoutes ses forces. Le voyageur se glisse à côté de l'Africain , et s'endort bientôt, après avoir recommandé à ses amis de le réveiller à la pointe du jour. Ceux- ci le lui pro mirent et allaient se retirer, lorsque, voyant le nègre, il leur vint à l'esprit l'idée singulière de barbouiller de noir la face du voyageur endormi, pour le rendre sem blable à son camarade de lit. Ce bizarre projet fut exécuté séance tenante. Le lendemain le domestique entre dans la chambreet éveille le voyageur, qui se lève, s'habille, et s'approche de la glace pour arranger sa cravate. A peine a -t-il jeté les yeux sur la glace, qu'il pousse un cri et recule tout étonné à la vue de cette face noire. « Les imbé. ciles ! s'écrie-t-il , il se sont trompés. Je leur avais dit de m'éveiller, et ils ont éveillé le nègre ! ” Puis il se déshabille, et se remet tranquillement au lit. 65. Prédicateur précoce. Bossuet, encore enfant, donna d'heureux présages de ce qu'il serait un jour . Dès l'âge de sept à huit ans, il apprenait par cour des sermons, qu'il prononçait de fort bonne grâce. La marquise de Rambouillet, en ayant entendu parler, voulut l'entendre, et fit naître le même désir aux personnes qui, tous les soirs, s'assemblaient chez elle. Le jeune Bossuet y fut conduit entre onze heures et minuit, et prêcha avec beaucoup d'agrément et d'assurance. Toute l'assemblée en parut très-satisfaite. Voiture, qui courait toujours après l'esprit, dit, au sujet de l'âge du prédicateur et de l'heure de la prédication : “ En vérité, je n'ai jamais entendu prêcher si tôt ni si tard."

LIVRE PREMIER . 87 66. Le censeur impartial. > > . - Un jeune auteur remit à M... , célèbre acteur de la Comédie Française, mort en l'an III, un manuscrit attaché avec un ruban, en le priant de lire sa pièce et de lui dire franchement ce qu'il en pensait. Trois mois se passent sans nouvelles. Le jeune auteur se présente vingt fois chez le comédien sans obtenir ni audience, ni réponse. Fatigué de ces visites répétées, M... veut enfin s'en délivrer. “ Ah ! vous voilà, monsieur, je suis bien aise de vous voir. J'ai lu votre pièce. Eh bien ! comment la trouvez-vous ? - Vous exigez que je vous donne mon avis ? Sans doute. - Vous le voulez ? Absolument. En ce cas je vous dirai que votre pièce annonce du talent, mais qu'elle ne nous convient pas. - Eh ! pourquoi ? - Le sujet en est trop léger ; il n'y a pas d'entente de la scène. – Mais le dialogue ? - Oh ! il est beaucoup trop diffus. Des longueurs, des longueurs ! -L'exposition ? Obscure. Le dé nouement ? - Trop brusque. – Enfin l'ouvrage ? - Annonce des dispositions, mais ne mérite pas les hon. neurs de la scène. Je vous remercie de vos observa tions, monsieur, dit le jeune homme; mais vous me permettrez de n'en point profiter.” En disant ces mots, il déroule le ruban qui attachait son manuscrit, et fait voir à l'acteur stupéfait qu'il ne lui avait remis qu'un cahier de papier blanc. . 67. L'article du code, Un paysan alla consulter maître Crémieux au sujet d'un procès qu'il brûlait d'intenter. « Vous perdrez votre temps et votre argent, dit le célèbre avocat. Vous avez cent fois tort. Un article du Code vous condamne formellement.” Le paysan saute sur sa chaise. “ Il y a un article ? et où est-il le gueusard ? – Tenez , le voici." 88 ANECDOTES . - Profitant d'un moment où l'avocat tourne la tête, le paysan déchire la page indiquée, la roule en boule et la fourre dans son gousset. “" Eh bien ! reprend maître Crémieux, êtes- vous convaincu à présent ? - Dame! puisque vous le dites, il faut bien que je vous croie, mon digne monsieur." Il salue, et s'en va chez un autre avocat, lequel accepte la cause, la plaide et naturellement la perd . Comme il traversait la salle des Pas-perdus, au sortir de l'audience, il rencontra maître Crémieux, qui lui dit:

    • Vous n'avez pas voulu vous en rapporter à moi,

voyez ce que vous y avez gagné. - J'ai perdu, c'est vrai, mais c'est bien étonnant. Ce n'est pas étonnant du tout; ne vous avais-je pas averti qu'un article vous con damnait ? - Eh ! c'est là précisément ce qui me con . fond. J'ai allumé ma pipe avec la page qui contenait ce maudit article. Comment les juges ont- ils fait pour le connaître ? " 68. A bon entendeur, salut. Le maréchal duc de Biron , qui avait hérité de toute la valeur de ses ancêtres , et qui méritait par lui-même le respect général dont il étaitentouré, apprit qu'il cou rait contre luiune petite pièce de vers dans laquelle il était tourné en ridicule. Il trouva moyen de s'en pro curer une copie, et quelques circonstances particulières, ainsi que le bruit public, ne lui laissèrent pas douter que le duc d'Ayen , avec lequel il se croyait lié, n'en fût l'auteur. Il se rendit chez lui , et en présence d'une nombreuse société, lui dit : “ Mon cher duc , on a fait contre moi une fort méchante diatribe en vers, dont l'auteur garde l'anonyme. Je ne suis pas poète, et ne connais d'autres armes que celles qui conviennent à un gentilhomme. Vous, qui vous servez également bien de la plume et del'épée, faites- moi le plaisir d'y répondre ; la voilà . - Eh bien, dit le duc, après avoir fait semblant de la lire, que voulez - vous que je réponde à cela ?-Eh! mon ami, reprit le maréchal, il faut dire à l'auteur que celui qui se cache pour insulter impunément un honnête LIVRE PREMIER . 89 homme, est un drôle ; que si jamais je le connais, je lui ferai donner cent coups de bâton. Arrangez -lui cela en prose ou en vers, tout comme il vous plaira. Je laisse ma commission en bonnes mains. Adieu ." Et le ma réchal se retira, laissant les rieurs de son côté et le duo d'Ayen fort interdit. 69. Patience invincible . Mme. Necker racontait de M. Abauzit, vieillard gene vois que Rousseau a rendu célèbre parmi nous, un trait qui mérite d'être rapporté, et qui prouve le sang froid de ce philosophe. On disait qu'il ne s'était jamais mis en colère ; et sa servante , qui depuis trente années était à son service, attestait le fait . On lui promit de l'argent si elle pouvait réussir à lefâcher. Elle y con sentit ; et sachant qu'il aimait à être bien couché, elle ne fit point son lit. M. Abauzit s'en aperçut, et lui en fit l'observation le lendemain ; elle répondit qu'elle l'avait oublié. Il ne dit rien de plus, et le lit ne fut point encore fait. Même observation le jour suivant, elle ne répondit que par une mauvaise excuse ; enfin , à la troisième fois, il lui dit : “ Vous n'avez pas encore fait mon lit ; apparemment que c'est un parti pris, et que cela vous paraît trop fatigant. Au surplus, il n'y a pas grand mal, et je commence à m'y accoutumer. " Elle se jeta à ses pieds, et lui avoua tout. 70. Joseph II et le sergent. L'empereur Joseph II n'aimait ni la représentation ni l'appareil, témoin ce fait qu'on se plaît à citer. Un jour que, revêtu d'une simple redingote boutonnée, accompagné d'un seul domestique sans livrée , il était allé, dans une calèche à deux places qu'il conduisait lui-même, faire une promenade du matin dans les environs de Vienne, il fut surpris par la pluie, comme il reprenait le chemin de la ville. 40 ANECDOTES . Il en était encore éloigné, lorsqu’un piétus, qui regagnait aussi la capitale, fait signe au conducteur d'arrêter, ce que Joseph II fait aussitôt. “ Monsieur, lui dit le militaire ( car c'était un sergent), y aurait- il de l'indiscrétion à vous demander une place à côté de vous ? cela ne vous gênerait pas prodigieusement, puisque vous êtes seul dans votre calèche, et ménagerait monuniforme que je mets aujourd'hui pour la première fois. - Ménageons votre uniforme, mon brave, lui dit Joseph, et mettez -vous là. D'où venez - vous ?-Ah ! dit le sergent, je viens de chez un garde -chasse de mes amis, où j'ai fait un fier déjeuner. — Qu'avez -vous donc mangé de si bon ?-Devinez . - Que sais-je, moi, une soupe à la bière ?—Ah ! bien, oui, une soupe ; mieux que ça . — De la choucroute ? –Mieux que ça.-Une longe de veau ? Mieux que ça, vous dit-on . - Oh ! ma foi, je ne puis plus deviner, dit Joseph . - Un faisan , mon digne homme, un faisan tiré sur les plaisirs de Sa Majesté, dit le cama rade enlui frappant sur le genou . — Tiré sur les plaisirs de Sa Majesté, iln'en devait être que meilleur . - Je vous en réponds." Comme on approchait de la ville, et que lapluie tombait toujours, Joseph demanda à son compagnon dans quel quartier il logeait, et où il voulait qu'on le descendît. " Monsieur, c'est trop de bonté, je craindrais d'abuser de... -Non, non, dit Joseph, votre rue ? ” — Le sergent, indiquant sa demeure, demanda à connaître celui dont il recevait tant d'honnêtetés. “ A votre tour, dit Joseph, devinez. — Monsieur est militaire, sans doute ? -Comme dit monsieur. -Lieutenant ? —Ah ! bien oui, lieutenant; mieux que ça.- Capitaine?–Mieux que ça. -Colonel, peut-être ?–Mieux que ça, vous dit -on. Comment! s’écrie le sergent, en se rencognant aussitôt dans la calèche, seriez - vous feld -maréchal ? ... Mieux que ça.... Ah ! mon Dieu, c'est l'empereur ! ... Lui-même, dit Joseph, se déboutonnant pour montrer ses décorations." Il n'y avait pas moyen de tomber à genoux dans la voi. ture ; l'invalide se confond en excuses et supplie l'em pereur d'arrêter pour qu'il puisse descendre. 66 Non pas, lui dit Joseph ; après avoir mangé mon faisan, vous seriez trop heureux de vous débarrasser de moi LIVRE PREMER . 41 aussi promptement; j'entends bien que vous ne me quittiez qu'à votre porte . ” Et il l'y descendit. - 71. Feu Duponchel. Un beau jour, voilà le tableau que présentait la cour de l'Opéra, rue Grange-Batelière. Des employés des pompes funèbres tendent la grande porte et dressent un catafalque. La besogne terminée, ils entrent dans la cour et se trouvent face à face avec un monsieur, moitié homme, moitié lorgnon , qui sortait précipitamment. “ Monsieur, lui dit l'un d'eux, voudriez -vous nous dire où nous pourrons trouver le corps ? — Quelcorps ? - Le corps de Monsieur Duponchel. — Le corps de M. Duponchell s'écrie le monsieur, stupéfait. — Oui, du défunt. - Je suis défunt ? - Vous, non ; mais M. Du ponchel. - Mais Duponchel, c'est moi. - Vous ? Moi ! — M. Duponchel, directeur de l'Opéra ? - Lui-. même. Alors, si vous êtes M. Duponchel, mon de voir est de vous enterrer. M'enterrer ! un instant, mon cher ... L'affaire s'échauffait ; les croque-morts prenaient la mouche. M. Duponchel riait comme un fou de ce qu'il croyait un quiproquo, quand il se vit aborder par plusieurs invités qui arrivaient tout de noir habillés et porteurs de figures de circonstance . A son aspect, c'est un cri unanime, cri d'étonnement et de stupeur. “ Quoi ! c'est vous, mon cher Duponchel, vous n'êtes donc pas mort ? s'écrie Vatel, le futur directeur du Théâtre- Italien . Tu quoque, ô Vatel ! Si vous n'êtes pas mort, que signifie cette lettre de faire part que j'ai reçue hier ? Les assistants, en chour : “ Voici nos lettres ! voici nos lettres ! ” Pendant cette explication, la cour s'était peu à peu remplie de gens qui venaient pieusement rendre les derniers devoirs au directeur de l'Opéra. On finit pour tant par comprendre qu'il devait y avoir là -dessous une plaisanterie un peu corsée, et que le mieux était d'en rire. M. Duponchel n'avait pas attendu jusque-là pour 42 ANECDOTES. s'en amuser. I passa en revue tout le personnel de ses obsèques, qui ne s'attendait guère à le trouver si souriantet si gai ; il donna cent, deux cents, cinq cents poignées de main ; et cette journée, qui semblait devoir se passer au Père-Lachaise, se termina par un excellent dîner, où M. Duponchel prouva qu'il n'avait nulle envie de se faire enterrer, pas même sous la table. Il n'y eut qu'un mécontent, un seul, M. Maillot, le bonnetier de l'Opéra, mortel célèbre qui a donné son nom au cos tume des danseurs de corde. M. Maillot se retira de fort mauvaise humeur, se plaignant d'avoir été dérangé pour rien . A partir de ce jour-là M. Duponchel perdit l'estime de M. Maillot ; il eut tort, sans doute, de ne pas donner satisfaction à cet homme vénérable, ce qui fut cause que le rancunier Maillot jura qu'il ne mettrait de sa vie les pieds qu'à un seul enterrement, le sien , et le brave homme a tenu parole plus tôt qu'il ne sup posait. “ J'ai perdu ma journée, disait - il avec aigreur à M. Duponchel, en parodiant, sans le savoir, le mot de Titus. - Mais j'ai gagné la mienne," répondait M. Du ponchel. Restaient les croque -morts, qui partageaient la mau vaise humeur de M.Maillot ; ils avaient bien plus réelle ment encore perdu leur journée. Jaloux de conserver l'incognito, les auteurs de la mystification avaient eu la précaution de solder le compte d'avance , mais ils n'avaient pas pensé à la buona mano des croque-morts, comme disent les Italiens. Un croque -mort qui se croit frustré irait jusqu'au bout du monde pour réclamer son pourboire. Ceux -ci n'avaient qu'un étage à monter, et ils se trouvaient en présence de M. Duponchel. “ Ah ça ! dit - il, à la vue de ces enterreurs quand même, finirez -vous par me lâcher ? - Hélas ! monsieur, il le faut bien, répondit l'orateur de la troupe ; mais nous voudrions faire observer à monsierr que nous avons été refaits. - Et que voulez-vous que j'y fasse ? - Ayez égard, monsieur, à notre fâcheuse position de pères de famille! – Un mort de plus ou de moins, ce n'est point une affaire. Ce n'est pas pour le mort, monsieur, mais le pourboire ? -- Le pourboire !l...mais - LIVRE PREMIER . 48 - - vous êtes fous .... Ohi monsieur, soyez humain , ce sont nos petits bénéfices ; nous ne vivons que de... La mort des autres ... Je ne suis pas mort, je ne dois rien. Vous nous reviendrez tôt ou tard , monsieur, personne ne nous échappe. Soyez bon pour nous de votre vivant, nous vous le rendrons plus tard. —Il faut donc payer d'avance ? Allons, soit, j'y consens pour la rareté du fait... Voyons, quel est le tarif ? Vous com prenez que je n'ai guère l'habitude... On ne va pas tous les jours à son enterrement..- Cela varie, monsieur ; celadépend de la générosité des vivants et de la qualité du mort. Combien êtes-vous ? Quatre, mais je compte pour deux, je suis brigadier. -Eh bien , mon sieur le double croque-mort, voici 30 francs, allez vous griser à ma santé ; et surtout ne revenez pas ...de sitôt. " CH. DE BOIGNE. - 72. Dix mille livres de rente. Quand j'avais dix- huit ans ( je vous parle d'une époque bien éloignée ), j'allais, durant la belle saison, passer la journée du dimanche à Versailles, ville qu'ha bitait ma mère. Pour m'y transporter, je venais, pres que toujours à pied , rejoindre sur cette route une des petites voitures qui en faisaient alors le service. En sortant des barrières, j'étais toujours sûr de trouver un grand pauvre qui criait d'une voix glapissante : “ La charité, s'il vous plaît , mon bon monsieur ! " De son côté il était bien sûr d'entendre résonner dans son chapeau une grosse pièce de deux sous. Un jour que je payais mon tribut à Antoine ( c'était le nom de mon pensionnaire), il vint à passer un petit monsieur poudré, sec, vif, et à qui Antoine adressa son memento criard : “ La charité, s'il vous plaît, mon bon monsieur !” Le passant s'arrêta, et , après avoir con . sidéré quelques moments le pauvre : • Vous me parais. sez, lui dit-il, intelligent et propre à travailler ; pourquoi à faites-vous un si vil métier ? Je veux vous tirer de cette triste situation et vous donner dix mille livres de 44 ANECDOTES. rente." Antoine se mit à rire et moi aussi. • Ries tant qu'il vous plaira, reprit le monsieur poudré mais suivez mes conseils, etvous acquerrez ce que je vous promets. Je puis d'ailleurs vous prêcher d'exem ple : j'ai été aussi pauvre que vous ; mais , au lieu de mendier, je me suis fait une hotte avec un mar ais panier, et je suis allé dans les villages et dans les villes de province demander, non pas des aumônes, mais de vieux chiffons qu'on me donnait gratis et que je reven dais ensuite, un bon prix , aux fabricants de papier . Au bout d'un an, je ne demandais plus pour rien les chif. fons, mais je les achetais, et j'avais en outre une char. rette et un âne pour faire mon petit commerce. Cinq ans après, je possédais trente mille francs, et j'épousais la fille d'un fabricant de papier, qui m'asso ciait à sa maison de commerce peu achalandée, il faut le dire ; mais j'étais actif, je savais travailler et m'im poser des privations. A l'heure qu'il est , je possède deux maisons à Paris, et j'ai cédé ma fabrique de papier à mon fils, à qui j'ai enseigné de bonne heure le goût du travail et le besoin de la persévérance. Faites comme moi, l'ami, et vous deviendrez riche " comme moi.” Là- dessus le vieux monsieur s'en alla , laissant An . toine tellement préoccupé que deux dames passèrent sans entendre l'appel criard du mendiant: “ La charité, s'il vous plaît.” En 1815, pendant mon exil à Bruxelles, j'entrai un jour chez un libraire pour y faire emplette de quelques livres. Un gros et grand monsieur se promenait dans le magasin et donnait des ordres à cinq ou six commis. Nous nous regardâmes l'un l'autre comme des gens qui, sans pouvoir se reconnaître, se rappelaient cependant qu'ils s'étaient vusautrefois quelque part. “ Monsieur, me dit à la fin le libraire, il y a vingt-cinq ans, n'alliez vous pas souvent à Versailles le dimanche ? Quoi ! Antoine, c'est vous ! m'écriai- je . — Monsieur, répliqua t - il, vous le voyez, le vieux monsieur poudré avait raison ; il m'a donné dix mille livres de rente." A. V. ARNAULT. LIVRE PREMIER. 45 73. L'évêque Bonner. Henri VIII, roi d'Angleterre, ayant des démêlés avec François I, roi de France, il résolut de lui envoyer un ambassadeur, et de le charger de paroles fières et mena çantes. Il choisit pour cette mission l'évêque Bonner en qui il avait beaucoup de confiance. Cet évêque lui représenta que sa vie serait en grand danger , s'il tenait de pareilsdiscours à un roi qui était aussi fier que François I : “ Ne craignez rien, lui dit Henri VIII, si le roi de France vous faisait mourir, je ferais abattre bien des têtes à quantité de Français qui sont ici en ma puissance. – Je le crois, répondit l'évêque ; mais de toutes ces têtes , il n'y en a pas une qui pourrait être adaptée sur mes épaules mieux que celle-ci , " en montrant la sienne. 74. Le sourd, ou l'auberge pleine. Un homme d'un certain âge, menant son cheval par la bride, entra, sur les cinq heures du soir, dans une auberge qui était remplie demonde. « Prends soin de mon cheval, dit - il au valet d'écurie. - Nous n'avons pas de lit, lui répondit celui-ci; ainsi, monsieur, cher chez une autre auberge. Cela est juste, reprit notre homme ; il faut donner quelque chose au garçon, et j'aurai soin de toi demain matin. Je ne vous dis pas cela, répliqua le domestique ; je vous dis que nous n'avons pas de place, et que je ne puis mettre votre cheval à I'écurie, qui est pleine. — Celasuffit, reprit le voyageur ; tu as l'air d'un brave garçon , aie bien soin de ma bête. Je crois que cet homme-là est fou, s'écria le valet, voyant l'étranger prendre le chemin de la cuisine : que veut- il que je fasse de son cheval ? - Je pense qu'il est sourd, lui dit quelqu'un ; prenez garde que son cheval ne sorte, vous en seriez responsable.” L'homme étant entré dans la maison , l'hôtesse lui fit le même compliment que sou valet : il lui répondit qu'il lui était bien obligé; mais qu'il la priait de ne point se fatiguer à lui faire des compliments, parce qu'il était si sourd, 16 ANECDOTES. qu'il n'entendrait pas tirer le canon ; et tout de suite il prit une chaise et s'établit auprès du feu, comme s'il eût été chez lui. L'hôtesse tint conseil avec son mari et le cuisinier , et comme il n'y avait pas moyen de faire sortir cet homme de force, il fut décidé qu'il coucherait sur sa chaise. Quelqu'un entre dans la salle et raconte l'embarras de l'hôtesse ; on en rit, et le conteur lui même, qui ne croyait pas être dupe de l'aventure. On sert : notre homme entre à la suite des plats et s'assied au bas de la table, vis- à -vis de la porte. Comme c'était une société particulière, on lui dit qu'il ne pouvait se mettre à table d'hôte et qu'on ne voulait pas d'étranger. On lui avait fait ce compliment à tue-tête ; il crut apparemment qu'on voulait le mettre à la place d'hon neur, car il répondit qu'il était fort bien , et qu'il savait trop bien vivre pour se mettre au haut de la table Voyant qu'il n'était pas possible de se faire entendre, la société se décida à prendre patience. Il mangea commequatre ; et lorsqu'on apporta la note de la dé pense, il tira trente sous de sa poche et les mit sur la table. La dépense de chaque convive s'élevait à six francs, ce qu'on tâchait de lui faire comprendre ; mais il répondit toujours qu'il n'était pas homme à souffrir qu'on payât son écot ; que, quoiqu'il fût mal mis, il avait le gousset garni ; ce qu'il disait , sans doute , parce qu'on lui rendait sa monnaie pour qu'il donnât davan tage. Sur ces entrefaites, ayant vu monter une bassi noire, il salua et sortit , laissant toute la société rire à son aise. Un moment après, la servante descendit et slit que quelqu'un de ces messieurs devait aller à la chambre dont cet homme s'était emparé, sans avoir voulu écouter ses raisons. Tout le monde y monta, mais il avait barricadé la porte, et on sentit qu'il serait inutile de frapper. Comme il parlait seul on prêta l'oreille. Que ma condition est misérable ! disait -il, on pourrait enfoncer ma porte sans que je l'entende ; je n'ai d'autre ressource que de veiller toute la nuit aveo une chandelle allumée, pour faire usage de mes pis tolets, si l'on cherchait à ma voler.” Il n'en eut pas la peine ; car celui à qui le lit était destiné passa la nuit auprès du feu , et pardonna à cet homme qui, aprda LIVRE PREMIER , 47

tout, lui paraissait fort à plaindre. Il se lève le lende main de bonne heure, donne trente sous pour la dépense de son cheval, et, en montant dessus, il adresse la parole à celui dont il avait pris le lit : " Je vous de mande pardon, lui dit - il, d'avoir pris votre lit; un de mes amis à qui on avait refusé un logement ici, a parié vingt louis que je n'y coucherais pas ; cette somme valait bien la peine d'être sourd.” Il pique des deux en achevant ces mots, et laisse tout le monde dans la stupéfaction. 75. Une promenade de Fénelon . Victime de l'intrigue et de la calomnie, Et par un noble exil expiant son génie, Fénelon dans Cambrai, regrettant peu la cour, Répandait des bienfaits et recueillait l'amour, Instruisait, consolait, donnait à tous l'exemple. Son peuple, pour l'entendre, accourait dans le temple ; Il parlait, et les cours s'ouvraient tous à savoix. Quand du saint ministère ayant porté le poids, Il cherchait vers le soir le repos, la retraite, Alors , aux champs aimés dusage et du poète, Solitaire et rêveur, il allait s'égarer ; De quel charme, à leur vue, il se sent pénétrer ! . Un jour, loin de la ville ayant longtemps erré, Il arrive aux confins d'un hameau retiré Et sous un toit de chaume, indigente demeure, La pitié le conduit ; une famille y pleure. Il entre ; et , sur-le -champ, faisant place au respect, La douleur un moment se tait à son aspect. “ O ciel ! c'est monseigneur 1... On se lève, on s'em presse ; Il voit avec plaisir éclater leur tendresse. " Qu'avez -vous,mes enfants ? d'où naît votre chagrin ? Ne puis-je le calmer ? Versez-le dans mon sein ; Je n'abuserai point de votre confiance." On s'enhardit alors, et la mère commence : " Pardonnez, monseigneur; mais vous n'y pouvez rien ; Ce que nous réclamons, c'était tout notre bien ; 48 ANECDOTES , Nous n'avions qu'une vache ! Hélas ! elle est perdue : Depuis trois jours entiers nous ne l'avons point vue ; Notre pauvre Brunon !... nous l'attendons en vain ! ... Les loups l'auront mangée, et nous mourrons de faim . Peut- il être un malheurau nôtre comparable ? - Ce malheur, mes enfants, est- il irréparable ? Dit le prélat ; et moi ne puis-je vous offrir, Touché de vos regrets, de quoi les adoucir ? En place de Brunon si j'en trouvais une autre ? - L'aimerions-nous autant que nous aimions la nôtre ! Pour oublier Brunon il nousfaudra du temps ! Eh ! comment l'oublier ? ni nous, ni nos enfants, Nous ne serons ingrats ! ... C'était notre nourrice i Nous l'avions achetée étant encor génisse ! Accoutumée à nous , elle nous entendait, Et même à sa manière elle nous répondait ; Son poil était si beau ! d'une couleur si noire ! Trois marques seulement, plus blanches que l'ivoire, Ornaient son large front etses pieds de devant. Avec mon petit Claude elle jouait souvent ; Il montait sur son dos ; elle le laissait faire ! Je riais .... A présent nous pleurons, au contraire ! Non, monseigneur, jamais ! il n'y faut pas penser, Une autre ne pourra chez nous la remplacer. ” Fénelon écoutait cette plainte naïve ; Mais pendant l'entretien , bientôt le soir arrive : Quand on est occupé de sujets importants, On ne s'aperçoit pas de la fuite du temps, Il promet, en partant, de revoir la famille. “ Ah ! monseigneur, lui dit la plus petite fille , Si vous vouliez pour nous la demander à Dieu , Nous la retrouverions. – Ne pleurez plus. Adieu.”" Il reprend son chemin , il reprend ses pensées, Achève en son esprit des pages commencées ; Il marche; mais déjà l'ombre croît, le jour fuit ; Ce reste de clarté qui devance la nuit Guide encore ses pas à travers les prairies, Et le calme du soir nourrit ses rêveries. LIVRE PREMIER . 49 Tout à coup à ses yeux un objet s'est montré ; Il regarde... il croit voir ... il distingue ... en un pró, Seule, errante et sans guide, une vache ... c'est celle Dont on lui fit tantôt un portrait si fidèle ; Il ne peut s'y tromper ! Et soudain, empressé, Il court dans l'herbe humide et franchit un fossé, Arrive haletant ; et Brunon complaisante, Loin de le fuir, vers lui s'avance et se présente ; Lui-même, satisfait, la flatte de la main . Mais que faire ? va - t - il poursuivre son chemin , Retourner sur ses pas ou regagner la ville ? Déjà , pour revenir , il a fait plus d'un mille... “ Ús l'auront dès ce soir, dit-il, et par mes soins; Elle leur coûtera quelques larmes de moins." Il saisit à ces motsla corde qu'elle traîne, Et, marchant lentement, derrière lui l'emmène. Venez, mortels si fiers d'un vain et mince éclat ; Voyez, en ce moment, ce digne et saint prélat, Que son nom, son génie et son titre décore, Mais que tant de bonté relève plus encore ! Ce qui fait votre orgueil vaut- il un trait si beau ? Le voilà , fatigué, de retour au hameau. Hélas ! à la clarté d'une faible lumière, On veille, on pleure encor dans la triste chaumière. Il arrive à la porte : “ Ouvrez -moi, mes enfants, Ouvrez -moi ; c'est Brunon, Brunon que je vous rends ." On accourt. O surprise ! ô joie ! ô doux spectacle ! La fille croit que Dieu fait pour eux un miracle : “ Ce n'est point monseigneur, c'est un ange des cieux, Qui sous ses traits chéris se présente à nos yeux ; Pour nous faire plaisir il a pris sa figure ; Aussi je n'ai pas peur ... Oh ! non , je vous assure, Bon angel ... " En ce moment de leurs larmes noyés, Père, mère, enfants, tous sont tombés à ses pieds. “ Levez -vous, mes amis ; mais quelle erreur étrange ! Je suis votre archevêque, et ne suis point un ange ; J'ai retrouvé Brunon , et, pour vousconsoler, Je revenais vers vous ; que n'ai-je pu voler ! 60 ANECDOTES. - 9 Reprenez- la , je suis heureux de vous la rendre. Quoi! tant de peine ! 0 ciel ! vous avez pu la prendre, Et vous-même !... " Il reçoit leurs respects , leur amour . Mais il faut bien aussi que Brunon ait son tour. On lui parle : “ C'est donc ainsi que tu nous laisses ! ... Mais te voilà ! ... ” Je donne à penser les caresses ! Brunon paraît sensible à l'accueil qu'on lui fait : Tel au retour d'Ulysse , Argus le reconnaît. " Il faut, dit Fénelon, que je reparte encore ; A peine dans Cambrai serai-je avant l'aurore ; Je crains d'inquiéter mes amis , ma maison ... Oui, dit le villageois, oui , vous avez raison ; On pleurerait ailleurs, quand vous séchez nos larmes ! Vous êtes tant aimé ! prévenez leurs alarmes ; Mais comment retourner ? car vous êtes bien las ! Monseigneur, permettez ... nous vous offrons nos bras : Oui, sans vous fatiguer, vous ferez le voyage." D'un peuplier voisin on abat le branchage . Mais le bruit au hameau s'est déjà répandu : “ Monseigneur est ici ! " chacun est accouru . Chacun veut le servir. De bois et de ramée Une civière agreste aussitôt est formée, Qu'on tapisse partout de fleurs, d'herbage frais ; Des branches au- dessus s'arrondissent en dais ; Le bon prélat s'y place, et mille cris de joie Volent au loin : l'écho les double et les renvoie. Il part ; tout le hameau l'environne et le suit ; La clarté des flambeaux brille à travers la nuit ; Le cortège bruyant, qu'égaie un chant rustique, Marche... Honneurs innocents ! et gloire pacifique! Ainsi amour Fénelon escorté Jusque dans son palais en triomphe est porté. par leur ANDRIEUX. LIVRE SECOND. 1. Monsieur Bébé. Maman, de retourd'une visite, s'aperçoit qu'une main téméraire s'est glissée dans uneboîte de pralines. Elle fait comparaître devant son tribunal Mademoiselle Liline, âgée de quatre ane, et M. Bébé, qui va sur son trente - deuxième mois. Allons, dit la maman d'un ton sévère, qui a mangé les pralines ? — Pas moi ! -- Pas moi ! Ne mentez pas , c'est ou Liline ou Bébé. C'est Bébé.— Non ce n'est pas moi ! Liline est une menteuse ! ... D'ailleurs, elle n'était pas là quand je les ai prises ..." Le Figaro. > 2. L'orateur embarrassé.

Dans un meeting orageux , on cria à un interrupteur de monter à la tribune. On le presse ; il paraît être au supplice : enfin il se décide à ouvrir la bouche, et d'un gir embarrassé: “ Messieurs, je n'ai jamais pu parler en public ; mais si quelqu'un d'entre vous veut bien prendre la parole enmon nom, je lui tiendrai le cha peau. ” 3. Un drôle de prisonnier. “ A moi, à moi ! mon capitaine, criait un soldat, à moi! je tiens un prisonnier,. —- Eh bien, lui dit le capi taine, amène-le. Je ne demande pas mieux ; mais il ne veut pas me laisser aller ." . 62 ANECDOTES . 4. Laissez danser les pauvres gens . Un curé du diocèse de Cambrai se félicitait devant Fénelon d'avoir aboli la danse des paysans . “ Monsieur le curé, lui dit ce vertueux archevêque, ne dansons pas ; mais permettons à ces pauvres gens de danser. Pourquoi les empêcher d'oublier un moment qu'ils sont malheu. reux ? 5. L'acteur difficile . Un auteur bien connu pour ne faire ses pièces qu'aux répétitions, impatientait tous les acteurs par les nom breux et perpétuels changements qu'il faisait subir à un ouvrage qu'on étudiait . A la répétition générale, un acteur, chargé d'apporter une lettre, disait trop vite quelques mots qu'il avait à prononcer : “ Allez plus lentement, lui cria l'auteur ; prenez votre temps, ilуy a un point et virgule. — Non, monsieur, répondit le débutant, il n'y a qu'une virgule. — Eh bien ! reprit l'auteur en riant, mettez un point et virgule. — Mafoi, monsieur, s'écria ce pauvre jeune homme, si vous faites toujours des changements, je ne serai jamais prêt pour ain . " a - 6. Les croque -morts. « Mais, Vous savez la remarque terrible et profonde du fos soyeur qui enterrait les morts après la bataille : malheureux, lui dit un des officiers qui surveillaient cette sinistre besogne, tu viens de pousser dans la fosse an homme qui respirait encore ! Ah ! monsieur, répliqua le fossoyeur , on voit bien quevous n'avez pas, comme moi, l'habitude... Si on les écoutait, il n'y en aurait jamais un de mort.” Hélas ! on a beau se défendre, aspirer à la vie, sinon LIVRE SECOND. 53 9 ) la respirer encore, le lugubre valet de la mort n'accom plit pas moins sa fonction ; - on pourrait même dire qu'il y met du zèle. Un jour, deux vauriens d'étu diants en médecine avisent aux Champs - Élysées un croque-mort qui revenait à vide. “ Cocher, avez- vous de la place? dit l'un d'eux en faisant le signe usité pour les omnibus. - C'est bon , c'est bon,, répliqua le croque mort, votre tour viendra ; et ne faites pas tant les malins, j'en ai enterré de mieux portants que vous.” Une autre fois, c'était à la Martinique, en temps d'épidémie ; d'immenses voitures parcouraient la ville portant des centaines de victimes cimetière. Un nègre, compris un peu légèrement dans une héca tombe, parvint à se dégager de ses camarades, et se mit à sauter lestement à terre. • Arrêtez ! se mit à crier le croque-mort, arrêtez mon mort, qui se sauve !...” VILLEMOT. au 7. Flatterie délicate. Suivant l'étiquette , la dauphine, mère de Louis XVI devait, le troisième jour après son mariage, porter en bracelet le portrait du roi son père. Quoiqu'on se fût déjà fait de part et d'autre des protestations bien sincères d'oublier pour toujours les démêlés des deux cours, on sent assez qu'il devait en coûter à la fille de Stanislas de voir porter, comme en triomphe, dans le palais de Versailles le portrait de Frédéric. Une partie de la journée s'était déjà passée sans que personne eût oséregarder ce bracelet, qui avait quelque chose de plus brillant que ceux des jours précédents. La reine fut la première qui en parla. - Voilà donc, ma fille, le por. trait du roi votre père ? — Oui, maman, répo: adit la dauphine, en lui présentant son bras ; voyez comme il est ressemblant ! " C'était celui de Stanislas. trait fut applaudi et admiré de toute la cour et la reine sentit ce qu'il valait ; elle en témoigna sa satisfaction à la jeune princesse, qui lui devint plus chère de jour en jour. 64 ANECDOTES . 8. Philippe II et le gentilhomme aragonais . Un gentilhomme aragonais, ayantune affaire im . portante à la cour de Philippe II, s'y rendit et s'adressa aux ministres, qui le traînèrent de semaine en semaine et de mois en mois. Enfin , sa patience et sa bourse étant épuisées, il voulut parler au roi lui-même, l'attendit lorsqu'il allait à la messe, et s'étant mis en posture de suppliant, lui dit son affaire en très -peu de mots. Philippe lui dit encore plus laconiquement que cela était impossible. Le gentilhomme lui rendit grâces de cette favorable réponse. " Comprenez bien mes paroles, lui dit le roi ; je ne puis faire ce que vous de mandez . - C'est justement de cela, répliqua le gentil homme, que je remercie Votre Majesté . Les ministres m'ont amusé longtemps avec de vaines paroles , et m'ont fait malheureusement dépenser tout ce que j'avais, et Votre Majesté m'expédie en deux mots." Il avait raison, car c'est gagner que de perdre une fausse espérance. 9. Pope et Gay chez Swift. Swift était un vrai original dans sa vie privée comme dans ses ouvrages. Pope se rendit un soir avec Gay chez le doyen de Saint- Patrick. “ Nous trouvâmes, dit- il, le docteur assis devant une table , la tête appuyée sur sa main. En nousvoyantil s'écria : “ Quoil c'est vous ? que signifie cette visite ? comment avez -vous eu le courage de déserter la société des grands seigneurs pour venir chez un pauvre doyen ? Parce que nous préférons la vôtre à celle des plus grands seigneure le l'Angleterre. - Si je ne vous connaissais pas, j'aurais été la dupe de ce com . pliment, mais puisque vous êtes ici , je dois vous donner à souper. Nous avons soupé. Quoi! déjà ? cela me paraît fort étrange ; à peine est- il hu t heures. Si vous n'aviez pas eu cette précaution , j'aurais été obligé de vous donner quelque chose à manger. Voyons, quel . LIVRE SECOND. 55 . souper vous aurais -je donné ? deux homards, qui me seraient revenus à deux shillings, un gâteau d'un shilling. Quoique vous ayez soupé de bonne heure, pour m'épargner la dépense de vous nourrir, vous ne merefuserez point de boire un verre de vin avec moi ? Nous préférons causer avec vous. Sans doute que vous auriez bu si vous aviez mangé ? — Oui. Par conséquent une bouteille de vin de deux shillings. Deux et deux font quatre et un font cinq. Ienez, Pope, voilà une demi- couronne pour vous et une autre pour Gay : je ne veux pas qu'on vienne s'ennuyer chez moi gratis.” - 10. Les Français riront toujours . Le chevalier de Mirabeau , capitaine de vaisseau , étant à Civita - Vecchia, demanda aupape Benoît XIV la per mission de lui présenter les gardes -marines. Les jeunes gens furent admis à l'audience de Sa Sainteté ; mal heureusement, après les premières cérémonies d'éti. quette, il leur prit une telle envie de rire, que les éclats partirent malgré tous leurs efforts. Le chevalier, tout interdit , s'épuisait en excuses auprès de Benoît XIV. “ Consolez - vous, lui dit le pontife ; tout pape que je suis, je ne me sens pas assez de puissance pour empê oher un Français de rire . " 11. Communauté d'opinions. L'hiver de 1793 fut très -rude. M. de Lamoignon Malesherbes, malgré son grand âge, allait tous les jours au Temple; et comme à cette époque c'était un moyen de plus de se compromettre que d'avoir un équipage, l'ancien ministre de Louis XVI allait tout simplement en fiacre. Il avait un marché fait avec un cocher qui venait tous les jours le prendre. Les conférences, qui commençaient à midi, se prolongeaient quelquefois jusqu'à six heures. Un jour que la séance avait duré 66 ANECDOTES . . . . depuis le matin jusqu'au soir, M. de Malesherbes, en donnant un pourboire à son cocher, lui adressa des paroles d'intérêt: “ Je suis bien fâché, mon brave homme, lui dit- il, que vous ayez attendu si longtemps. - Ne faites pas attention, not' bourgeois. —C'est que, par un froid de dix -huit degrés, c'est un peu dur. Ah bah ! pour une pareille cause, on souffrirait ben aut chose. Oui, vous, c'est fort bien, mais vos chevaux. Mes chevaux, monsieur ! mes chevaux pensent comme moi." ALISSAN DE CHAZET. 12. Requête d'un Suisse. Il y avait à la ménagerie de Versailles un fort beau dromadaire. Cet animal, transporté dans une terre étrangère, languissaitloin de sonclimat, beaucoup plus chaud que le nôtre. Pour ranimer sa chaleur presque éteinte, on ordonna de lui donner, par jour, quatre bouteilles de bon vin , avec du pain. Le soin du malade fut confié à un Suisse de la ménagerie, qui était exact à lui faire avaler l'ordonnance, dont il se serait, par parenthèse, fort bien accommodé . Cependant, malgré son attention scrupuleuse, l'animal dépérissait de jour en jour, et l'affaiblissement de tous ses membres annon çait une mort prochaine. Alors le bon Suisse alla d'un air suppliant solliciter une récompense des soins qu'il avait rendus au moribond : “ Eh bien ! que veux- tu ? lui demanda le roi . Sire, la survivance du dromadaire." Le roi rit beaucoup de cette requête naïve, et l'ex gardien du dromadaire s'en alla content. 13. Le café sucré. M. T ... , premier commis de la marine en 1786, savait très-bien tirer parti des avantages de son état. Un capitaine de vaisseau , qui avait besoin de sa protection, lui envoya, en présent, une balle de café . Qu'est- ce que cela ? demanda M. T... au domestique qui accom pagnait le message. Monsicur, c'est une balle de café 66 LIVRE SECOND 57 Moka, que M. de S. , mon maître, vous prie d'accepter. -C'est bon, laissez cela là, et allez dire à votre maître que je ne prends jamais mon café sans sucre." Le capitaine devaisseau n'hésita pas à envoyer tout de suite une balle de sucre . 14. Magnanimité d'un gouverneur de la : Havane. En 1746, c'est- à- dire dans le temps où les Anglais et les Espagnols étaient en guerre , l'Elizabeth , vaisseau anglais commandé par le capitaine GuillaumeEdwards, venant de la Jamaïque et richement chargé, essuya la plus violente tempête. Le capitaine, pour sauver la cargaison et l'équipage, ne vit d'autre ressource que celle d'entrer dans le port de la Havane. Il y aborda, et, s'adressant au gouverneur, il lui raconta par quel accident il avait été obligé de relâcher dans un port ennemi. “ Je viens, ajouta -t - il, livrer aux Espagnols mon vaisseau, mes matelots , mes soldats et moi-même, ne demandant que la vie pour moi et mon équipage. Monsieur, répondit le gouverneur espagnol, je ne com. mettrai pas une action si déshonorante. Si nous vous avions pris en pleine mer ou sur nos côtes , en vous préparant au combat, votre vaisseau serait de bonne prise et vous seriez nos prisonniers . Mais quand, battu par la tempête, vous vous réfugiez dans ce port, j'oublie et je dois oublier que ma nation est en guerre avec la vôtre. Nous ne voyons plus en vous que des hommes ; déchargez donc en assurance votre vaisseau , radoubez. le ; trafiquez sur ce port si vous le jugez àà propos , afin de payer les frais du radoub. Vous partirez ensuite, et je vous donnerai un passeport jusqu'à ce que vous soyez au delà des Bermudes. Si vous êtes pris en pleine mer, vous serez de bonne prise ; mais à présent, vous n'êtes pas Anglais, vous êtes des étrangers quiavez besoin de Ce vaisseau partit quelque temps après. Il arriva heureusement à Londres où le capitaine Edwards n'a cessé de raconter cet acte d'hospitalité. secours. " 58 ANECDOTES . . 15. Joseph II et la jeune Alle, L'empereur Joseph II se promenant sur les bastions, quelques jours avant de quitter Vienne, y vit une jeune fille qui puisait à grande peine de l'eau à un puits. Le monarque, qu'elle ne connaissait pas, lui demanda ce qu'elle faisait et qui elle était. “ Je puise de l'eau comme vous voyez, dit -elle, et je suis la fille d'une pauvrefemme que je dois entretenir du peu que mon travail me fait gagner. Mon pèrea été cocher au palais ; mais nous n'avons pas eu le bonheur d'obtenir une pension. Venez demain à la cour, répondit Joseph, j'y suis en crédit, et je tâcherai de vous y être utile. Ah ! mon cher monsieur, répliqua la fille, je crains fort que vous ne gagniez rien. L'empereur ôte plus volontiers qu'il ne donne ; ayez seulement la bontéde m'aider à mettre cette cruche d'eau sur ma tête ." Le monarque ne se le fit pas dire deux fois ; mais le lendemain iſ fit venir la jeune fille, qui bientôt reconnaissant son souverain dans celui à qui elle avait parlé la veille, parut confuse et toute tremblante. “ Rassurez- vous, lui dit avec douceur Joseph , j'accorde à votre mère une pension de six florins pas mois ; mais apprenez désormais à parler avec plus de respect et de justice d'un souverain qui veut être le père et non le tyran de ses sujets." 16. Une sottise à chaque mot. Madame de B. , se trouvant dans un dîner à côté de M. Legouvé, célèbre jurisconsulte, mit la conversation sur le théâtre, et, parlant des comédies de société : " Connaissez-vous, monsieur, dit - elle à son voisin , un petit théâtre de société qu'on vient d'établir à Auteuil ? --- Oui, madame. – Pour mes péchés, je fus obligée d'aller la semaine dernière y entendre une tragédie nouvelle : Attilie . - Madame, je ne suis nullement étonné que vous en ayez été mécontente ; c'est un ouvrage de ma jeunesse, que des amis trop indiscrets LIVRE SECOND. 59 - ou trop indulgents m'ont forcé de donner. -- Oh ! monsieur, je ne parle pas de la pièce ; elle m'a fait le plus grand plaisir ; je parle seulement de la manière dont elle fut jouée : cette princesse , l'héroïne de la pièce qui... -Madame, c'est ma femme, qui, occupée de sonménage, n'a pu acquérir l'habitudede la scène. - Oh ! elle a joué en actrice consommée, avec beaucoup d'intelligence : je veux parler de ce prince qui nous arrive avec la pique comme le valet de carreau... Laissez-moi carte blanche sur celui-là . Hélas ! madame, c'est moi qui jouais ce rôle, et je conviens que, accoutumé à ma grande robe et à mon bonnet carré, je dois être fort maladroit à chausser le cothurne. Eh bien , monsieur, restons-en là, je vous prie, car je vois bien qu'à chaque mot je dirais quelque sottise ." > 17. Le lion magnanime. Un lion du grand -duc de Toscane, étant sorti de la ménagerie, entra dans la ville de Florence, et уy répandit beaucoup d'épouvante. Entre les fugitifs, il se trouva une femme qui portait son enfant dans ses bras, et qui le laissa tomber. Le lion s'en saisit, et il paraissait prêt à le dévorer, lorsque la mère, transportée du plus tendre mouvement de la nature, retourna sur ses pas, se jeta aux pieds du lion , lui demanda son enfant. Il la regarda fixement: ses cris, ses pleurs semblèrent le toucher ; enfin il mit l'enfant à terre sans lui avoir fait le moindre mal... Le malheur et le désespoir ont donc une expression qui se fait entendre des monstres les plus farouches ! mais ce qu'il y a sans doute de plus admirable, c'est ce mouvement aveugle et sublime qui précipite la mère sur les pas de l'animal féroce devant lequel tout fuit ; cet oubli de toute raisor, bien au dessus de la raison même, et qui fait recourir cette femme désespérée à la pitié du monstre même qui ne respire que la mort et le carnage, c'est bien là l'instinct des grandes douleurs qui semble toujours se persuader qu'on ne peut être inflexible. LA HARPE. 60 ANECDOTES. 18. Les bonnes manières en Afrique, Le célèbre voyageur maltais Andréa de Bono désirait traiter avec le roi d'une peuplade assez importante d'Afrique. Il voulait obtenir le droit de faire le com. merce de l'ivoire avec sa tribu. On convient du lieu du rendez - vous ; c'était sur les bords du fleuve. De Bono sortit de sa barque, alla au- devant du souverain, qui l'attendait au seuil de sa hutte, assis sur une espèce de siège , qui pouvait ressembler à un trône ; devant lui se tenaient couchés à plat ventre, pour lui servir de tapis , trois ou quatre de ses officiers. De Bono s'arrêta respectueusement à quelques mètres du souverain ; ce dernier se leva et fit deux pas à la rencontre de l'étran ger en marchant sur le dos de ses courtisans et en crachant sur eux à droite et à gauche. Puis il regarde l'étranger bien en face, et lui crache à la figure. De Bono était Maltais, c'est- à- dire très -violent; du reste , sans être Maltais, qui ne sentirait , en pareille circonstance, son sang bouillonner ? Mais il eût été dangereux pour lui de prendre son revolver. Je drog. man s'empressa de le calmer : “ C'est un grand hon. neur que vous a fait le roi ; c'est un honneur très apprécié dans ce pays, lui disait- il : ne reçoit pas de ses inondations qui veut.” De Bono se recueillit un peu , puis il lança un for midable crachat en plein nez royal. Le prince se frotta la figure avec satisfaction , accorda au marchand tout ce qu'il désirait , et , après la conférence, il dit avec conviction au drogman : « Votre maître est un homme d'infiniment de savoir -vivre." R. CORTAMBERT. 19, La plus grande ganache de l'empire. Un jour Napoléon , fort mécontent à la lecture d'une dépêche de Vienne, dit à Marie- Louise : “ Votre père est une ganache." Marie-Louise, qui ignorait beaucoup LIVRE SECOND. 61 de de termes français, s'adressa au premier chambellan : L'empereur dit que mon père est une ganache, que veut dire cela ? ” A cette demande inattendue, le cour tisan balbutia que cela voulait dire un homme sage, poids, de bon conseil. A quelques jours de là, et la mémoire encore toute fraîche de sa nouvelle acquisi. tion, Marie- Louise présidait le conseil de famille. Voyant la discussion plus animée qu'elle ne voulait, elle interpella, pour y mettre fin, M. R... , qui, à ses côtés , bayait tant soit peu aux corneilles. 6. C'est à vous à nous mettre d'accord dans cette occasion importante, lui dit elle ; vous serez notre oracle, car je vous tiens pour la plus grande ganache de l'empire ." 20. Le poulet du Cardinal Dubois . Le fameux cardinal Dubois était fort emporté. Il mangeait habituellement une aile de poulet tous les soirs ; mais un jour, à l'heure où on allait le servir, un chien emporta le poulet. Ses gens n'y surent d'autre remède que d'en remettre promptement un autre à la broche. Le cardinal demande à l'instant son poulet. Le maître d'hôtel , prévoyant la fureur où il le mettrait en lui disant le fait, ou en lui proposant d'attendre plus tard que l'heure ordinaire, prend son parti et lui dit froidement : " Monseigneur, vous avez soupé. — J'ai soupé ! répondit le cardinal. – Sans doute, monsei gneur. Il est vrai que vous avez peu mangé, vous paraissiez fort occupé d'affaires ; mais si vous voulez on vous servira un second poulet, cela ne sera pas long ." Le médecin Chirac, qui voyait Dubois tous les soirs, arrive dans ce moment ; les valets le pré vienrent et le prient de ne pas les trahir. “ M. Chirac, dit le cardinal, mes gens veulent me persuader que j'ai soupé ; je n'en ai pas le moindresouvenir, et de plus je me sens beaucoup d'appétit. — Tant mieux, ré pond le docteur ; les premiers morceaux n'auront que réveillé votre appétit ; mangez donc encore , mais peu. Faites servir monseigneur,” dit- il aux gens. Le car 62 ANECDOTES . dinal, regardant comme une marque évidente de santé de souper deux fois de l'ordonnance de Chirac, l'apôtre de l'abstinence, crut fermement qu'il avait fait un premier repas, et fut de la meilleure humeur du monde. 21. Le déserteur, Quelque temps avant la bataille de Rosbach, époque à laquelle les affaires du grand Frédéric étaient dansun tel délabrement qu'il y avait tout lieu d'en augurer la ruine totale et prochaine, ce prince était couché et dormait sur la paille entouré de ses grenadiers. Au milieu de la nuit, l'un d'eux le réveilla, en lui criant : “ Frédéric, voilà un de tes grenadiers qui avait déserté, et qu'on te ramène. Fais- le avancer, dit le roi . ... Pourquoi m'as- tu abandonné ? continua - t -il, quand le déserteur fut en sa présence. Parce que tes affaires sont dans un tel état , qu'il m'a fallu aller chercher fortune ailleurs . - Tu as raison , répondit Frédéric ; mais je te demande de rester encore avec moi cette campagne ; et si les choses ne vont pas mieux, je te promets de déserter avec toi.” 22. Fénelon et le duc de Bourgogne, Fénelon , s'étant vu forcé de parler à son élève ( le duc de Bourgogne) avec une autorité et même une sévérité qu'exigeait la nature de la faute dont il s'était rendu coupable, le jeune prince se permit de lui répon dre : “ Non, monsieur, non, je sais qui je suis et qui vous êtes. " Fénelon ne répondit pas un seul mot; mais le lendemain, à peine le jeuneprince fut-il éveillé, que Fénelon entra chez lui. « Je ne sais, monsieur, dit-il, si vous vous rappelez ce que vous m'avez dit hier, que vous saviez ce que vous êtes et ce que je suis. Il est de mon devoir de vous apprendre que vous igno rez l'un et l'autre. Vous vous imaginez donc, mon sieur, être plus que moi ; quelques valets, sans doute, LIVRE SECOND , 63 vous l'auront dit, et moi je ne crains pas de vous dire, puisque vous m'y forcez, que je suis plus que vous. Vous comprenez assez qu'il n'est pas question ici de naissance ; vous regarderiez comme un insensé celui qui prétendrait se faire un mérite de ce que la pluie à fertilisé sa moisson, sans arroser celle de son voisin. Vous ne seriez pas plus sage si vous vouliez tirer vanité de votre naissance, qui n'ajoute rien à votre mérite personnel. Vous ne sauriez douter que je suis au -dessus de vous par les lumières et les connais. sances . Vous ne saviez pas ce que je vous ai appris , et ce que je vous ai appris n'est rien, comparé à ce qui me resterait à vous apprendre. Quant à l'autorité, vous n'en avez aucune sur moi, et je l'ai moi- même pleine et entière sur vous. Le roi vous l'a dit assez souvent. Vous croyez peut-être que je m'estime fort heureux d'être pourvu del'emploi que j'exerce auprès de vous ? Désabusez - vous encore, monsieur : je ne m'en suis chargé que pour obéir au roi , et nullement pour le pénible avantage d'être votre précepteur ; et, afin que vous n'en doutiez pas , je vais vous conduire chez Sa Majesté pour la supplier de vous en nommer un autre, dont je souhaite queles soins soient plus heureux que les miens.' Le duc de Bourgogne, que la conduite sèche et froide de son précepteur, depuis la scène de la veille, et les réflexions d'une nuit entière passée dans les regrets et dans l'anxiété, avaient accablé de douleur, fut atterré par cette déclaration. Il chérissait Fénelon avec toute la tendresse d'un fils, et d'ailleurs son amour-propre et un sentiment délicat sur l'opinion publique lui faisaient déjà pressentir tout ce que l'on penserait de lui, si un instituteur du mérite de Fénelon se voyait forcé de renoncer à son éducation, Les larmes, les soupirs, la crainte , la honte, lui permirent à peine de prononcer ces paroles entrecoupées à chaque instant par ses sanglots : " Ah ! monsieur, je suis désespéré de ce qui s'est passé hier ; si vous en parlez au roi , vous me ferez perdre son amitié ... Si vous m'abandonnez, que pensera -t-on de moi ? Je vous promets que vous serez content de moi ... Mais promettez -moi..." 65 ANECDOTES . Fénelon ne voulut rien promettre ; il le laissa un jour entier dans l'inquiétude et dans l'incertitude. Ce ne fut que lorsqu'il eut lieu d'être bien convaincu de la sincérité de son repentir, qu'il céda à ses nouvelles sup plications et aux instances de Mme. de Maintenon . DE BAUSSET . 23. Le trésorier de Frédério II. 9 Frédéric avait commandé des tapisseries. L'ouvrier étant quelque temps sans les apporter, le monarque lui demanda la raison de ce retard : “ Sire, lui répondit il, je tapisse les salles de la maison que votre trésorier vient de faire bâtir, et il me presse extraordinairement.' Le roi , surpris de la dépense que cet employé faisait, voulut en connaître l'objet. Il fit épier le moment où celui- ci se trouverait dans sa nouvelle demeure. Comme elle était à quelques pas de Sans- Souci, le souverain s'y rendit à pied, en allant à la parade, et entra lorsque le propriétaire s'y attendait le moins. Il se fit conduira partout ; il trouva que tout était magnifique, et loua le bon goût du maître. Arrivé à la chambre à coucher, il fut si frappé de sa richesse, qu'il demanda avec vivacité : " Qui dort donc dans ce superbe appartement ? ” Le trésorier, fort embarrassé, répondit à voix basse : “ C'est moi, sire." Le roi sortit sans dire un mot. Il ren contra à la porte l'entrepreneur, qui, sur la demande du monarque, répondit que cette pièce seule coûtait soixante mille écus. Frédéric fit appeler son trésorier: “ Où avez-vous pris tant d'argent ? lui dit - il. – Dans votre cassette , sire, répondit- il, en tombant à ses genoux ; mais je le rembourserai." La patience échappa au roi ; il lui donna des coups de canne et lui dit en par tant : " Je t'aurais pardonné, coquin , sans cet apparte ment somptueux où tu as eu l'impudence de dormir. Cet homme se croyait perdu ; mais Frédéric fit ouvrir sa cassette en saprésence. Surpris de n'y voirque huit cents frédérics dor : “ Prends cela encore, fripon , lui dit-il, et que je ne te revoie plus." LIVRE SECOND . 66 24. Harangue de Malesherbes . Le vertueux Malesherbes avait été chargé de ha ranguer le Dauphin encore au berceau. Il se borna à lui dire : “ Puisse, Monseigneur, Votre Altesse Royale, pour le bonheur de la France et le sien , se montrer toujours aussi insensible et sourde au langage de la flatterie, qu'elle l'est aujourd'hui au discours que j'ai l'honneur de prononcer devant elle. " 25. Le jury de Strasbourg . Les jurés sont toujours choisis dans la population la plus éclairée. Or, à l'époque du procès historique de Strasbourg , il уy avait un juré qui n'entendait pas la langue de Voltaire. On dut traduire à son usage non seulement les dépositions des témoins français, mais toutes les plaidoiries, d'un bout à l'autre. Et le hasard malicieux voulut que ce bonhomme se trouvât le chef du jury . Et c'est lui qui, appuyant la main droite sur le cour, qu'il avait heureusement à gauche, émit cette singulière déclaration : “ Sur mon honneur et ma conscience, devant Dieu et devant les hommes, non , le jury n'est pas coupable." On avait employé deux heures à lui apprendrela phrase enfrançais ! EDM . ABOUT. 26. Junot et Bonaparte . Un jour, pendant le siège de Toulon, un commandant d'artillerie venu de Paris depuis peu de jours pour diriger les opérations du siège en ce qui regardait l'ar. tillerie, sous les ordres de Carteaux, demanda à l'officier du poste un jeune sous - officier qui eût en même temps de l'audace et de l'intelligence . Le lieutenant appelle aussitôt La Tempête, et Junot se présente. Le com 66 ANECDOTES . - Je mandant fixe sur lui cet eil qui semblait déjà connaître les hommes. “ Tu vas quitter ton habit, dit le com mandant, et tu iras là porter ces ordres." Il lui indi quait de la main un point plus éloigné de la côte , et lui expliqua ce qu'il voulait de lui . Le jeune sergent devint rouge comme une grenade, ses yeux étincelèrent. ne suis pas un espion, répondit-il au commandant ; cherchez un autre que moi pour exécuter ces ordres. ' Et il se retirait . “ Tu refuses d'obéir ? lui dit l'officier supérieur d'un ton sévère ; sais - tu bien à quoi tu t'ex poses ? - Je suis prêt à obéir , dit Junot, mais j'irai là où vous m'envoyez avec mon uniforme, ou je n'irai pas.” Le commandant sourit, en le regardant attentivement. “ Mais ils te tueront ! reprit- il. — Que vous importe ?? Vous ne me connaissez pas assez pour que cela vous fasse de la peine, et quant à moi, ça m'est égal ... Al. lons, je pars comme je suis , n'est-ce pas ? ” Alors il mit la main dans sa giberne. 6. Bien ! avec mon fusil e ces dragées - là, du moins la conversation ne languira pas, si ces messieurs veulent causer." Et il partit en chantant . Après son départ : “ Com ment s'appelle ce jeune homme ? demanda l'officier supérieur. Junot. Il fera son chemin . ” Alors le commandant inscrivit son nom sur ses tablettes. On a facilement deviné que l'officier d'artillerie était Napoléon. Peu de jours après, se retrouvant à cette même bat terie que l'on appelait la batterie des Sans- Culottes, Bonaparte demanda quelqu'un qui eût une belle écri. ture ; Junot sortit des rangs et se présenta. Bonaparte le reconnut pour le sergent qui déjà avait fixé son attention. Il lui témoigna de l'intérêt , et lui dit de se placer pour écrire sa lettre sous sa dictée. Junot se mit sur l'épaulement même de la batterie. A peine avait -il terminé sa lettre , qu'une bombe lancée par les Anglais éclate à dix pas, et le couvre de terre ainsi que la lettre. Bien, dit en riant Junot, nous n'avions pas de sable pour sécher l'encre.” Bonaparte arrêta son regard sur le jeune sergent ; il était calme et n'avait pas même tressailli. Cette circonstance décida de sa fortune . DUCHESSE D’ABRANTÈS. LIVRE SECOND. 67 27. Malcolm. A l'avènement de Malcolm au trône d'Écosse, un seigneur lui présenta la patente de ses privilèges, le suppliant de les confirmer ; le roi la prit et la déchira Le seigneur ayant porté plainte contre lui, le parlement ordonna que le roi, assis sur son trône, serait tenu , en présence de toute sa cour, de recoudre avec du fil et une aiguille la patente déchirée, ce qui fut exécuté . 28. Voltaire chez les Capucins, > Une voiture casse dans un chemin pierreux, auprès de la pauvre petite vallée de Gondrecourt; il faut donc la raccommoder. Il y a beaucoup d'ouvrage, peu d'ouvriers, et, par conséquent, le retard sera long ; du reste, aucune ressource dans l'endroit: monsieur le juge, monsieur l'élu, madame la baillive, madame la procu . reuse fiscale, enfin toute la bonne compagnie est à la campagne. Notre voyageur avise, dans une assez jolie exposition, une maison très - modeste, surmontée d'un très -modeste clocher ; c'était un petit couvent de capucins : il y va. On entend sonner ; on ouvre, et l'on voit un homme très-maigre, un peu souffrant, d'ailleurs assez bien mis et fort poli, qui demande l'hospitalité. Les capucins n'ont rien ; mais ils don nent tout. Voilà notre étranger bien reçu, bien soigné. Après les compliments d'usage, prodigués d'une part et rendus de l'autre avec une égale honnêteté, on s'en tretient de choses et d'autres ; notre homme écoute beaucoup et parle peu. Arrivent bientôt les questions ; on trouve qu'il répond à tout avec assez debon sens. L'Angelus sonne: " Monsieur dit - il son Angelus ? disent les bons pères. Mes frères, j'allais vous le proposer. " Vient ensuite le dîner, médiocre sans doute, mais pourtant meilleur qu'à l'ordinaire ; on avait eu soin de ne donner que des choses saines, a 68 ANECDOTES . cause de la délicatesse du nouveau convive. Pendant le dîner, on parle de théologie ( c'était la philosophie des capucins) ; l'étranger en sait presque autant que les pères, et se trouve de leur opinion. On parle des dif férents couvents de France, d'Allemagne, d'Italie, qui, pour ces braves gens, sont les vraies capitales de tous les pays ; l'étranger est plus au fait qu'on ne l'aurait crude cette partie si intéressante de la géographie, et fait valoir le talent particulier des enfants de Saint François, pour choisir les plus jolies situations. On cite quelques traits de ce bon Saint-François d'Assise ; l'étranger les admire, et en raconte de soncôté quelques autres que les pèresignoraient. Voilà qu'on se pas sionne pour cet honnête étranger, et qu'on finit par s'applaudir d'avoir été si poli envers un homme qui le mérite si bien à tous les égards ; un homme qui, malgré sa modestie, a l'air d'avoir reçu une assez belle édu cation ; un homme à qui l'on peut parler de tout, et qui sûrement a fait de bonnes études, puisqu'il a compris une ou deux citations latines presque aussi bien que le père gardien ; un homme qui paraît être au courant de tout ce qui intéresse l'ordre, et qui même serait en état de converser tout un jour avec les coryphées du couvent sans les ennuyer. Les choses en viennent au point qu'on voudrait l'engager dans la troupe, et que déjà les pères lui montrent en perspective les plus belles digni tés, s'il veut quelque jour prendre l'habit. L'étranger y pensera : il est sensible, comme il le doit, aux senti ments qu'il inspire ; et, sans refuser d'une manière positive les offres qui lui sont faites, il se défend modestement de tant d'honneurs. Cependant on vient annoncer que la voiture est prête ; tout le couvent s'en afflige, mais il n'y a si bonne compagnie qui ne se quitte, et c'est de part et d'autre avec les plus grands témoignages d'estime et d'intérêt. Devinez - vous à présent quel était cet homme qui avait si bien gagné le coeur des capucins ? c'était ... Voltaire. LIVRE SECOND 69 29. Mort de Vatel. Le roi arriva le jeudi au soir ; la promenade, la collation dans un lieu tapissé de jonquilles, tout cela fut à souhait. On soupa ; il y eutquelques tables où le rôti manqua, à cause de plusieurs dîners auxquels on ne s'était point attendu. Cela saisit Vatel ; il dit plusieurs fois : * Je suis perdu d'honneur ; voici une affaire que je ne supporterai pas. " Il dit à Gourville : “ La tête me tourne; il y a douze nuits que je n'ai dormi; aidez moi à donner des ordres.” Gourville le soulagea en ce qu'il put. Le rôti quiavait manqué, non pas à la table du roi, mais à la vingt- cinquième, lui revenait toujours à l'esprit. Gourville le dit à M. le Prince ; M. le Prince alla jusque dans la chambre de Vatel, et lui dit : “ Vatel, tout va bien ; rien n'était plus beau que le souper du roi.” Il répondit : “ Monseigneur, votre bonté m'achève ; je sais que le rôti a manqué à deux tables. Point du tout, dit M. le Prince ; ne vous fâchez point, tout va bien ." Minuit vient : le feu d'artifice ne réussit point; il fut couvert d'un nuage ; il coûtait seize mille francs. A quatre heures du matin, Vatel s'en va partout, il trouve tout endormi. Il rencontre un petit pourvoyeur qui lui apportait seule ment deux charges de marée. Il luidemande : « Est- ce là tout ? — Oui, monsieur.” Il ne savait pas que Vatel avait envoyé à tous les ports de mer. Vatel attend quelque temps ; les autres pourvoyeurs ne vinrent point. Sa tête s'échauffait ; il crut qu'il n'y aurait point d'autre marée. Il trouve Gourville ; il lui dit : “ Monsieur, je ne survivrai point à cet affront -ci.” Gourville se moqua de lui. Vatel monte à sa chambre, met son épée contre la porte, et se la passe au travers du cœur ; mais ce ne fut qu'au troisième coup ( car il s'en donna deux qui n'étaient pas mortels) qu'il tomba mort. La marée cependant arrive de tous côtés ; on cherche Vatel pour la distribuer ; on va à sa chambre, on heurte, on enfonce la porte ; on le trouve noyé dans son sang. On court à M.le Prince qui fut au désespoir. M. le duc pleura ; 70 ANECDOTES . c'était sur Vatel que tournait son voyage de Bourgogne. M. le Prince le dit au roi fort tristement. On dit que c'était à force d'avoir de l'honneur à sa manière. Onle loua fort, on loua et blâma son courage. MME. DE SÉVIGNÉ. 30. La poule au pot. Tout le monde connaît le mot d'Henri IV sur la poule au pot. Quand l'infortuné Louis XVI monta sur le trône, quelqu'un écrivit en gros caractères, au bas de la statue de Henri IV qui était sur le pont Neuf, resurrexit. Le lendemain on y lut ce distique : Resurrexit, j'approuve fort ce mot ; Mais pour y croire, il faut la poule au pot. Deux mois après parut le quatrain suivant sur le même sujet : Enfin la poule au pot sera donc bientôt mise, On doit du moins le présumer : Car depuis deux cents ans qu'on nous l'avait promise On n'a cessé de la plumer. 31. Funérailles magnifiques . 66 Un gros homme joufflu et vermeil venait chez un entrepreneur des pompes funèbres commander l'en terrement de sa femme ; il prévint tout d'abord l'entre preneur qu'il ne voulait rien épargner pour donner à cette épouse si chérie un dernier témoignage de sa tendresse .-- " La tenture de velours ? Oui sans doute, la tenture de velours; peut- il y avoir rien de trop beau pour elle ? De quel prix est la tenture de velours ? Six cents francs. Six cents francs... Je fais une réflexion : je dois respecter ses goûts, même après sa mort, et je me souviens qu'elle avait pour ce genre de luxe une aversion toute particulière. Mettez la tenture de serge ; mais pour le reste , n'épargnez rien , je veux

LIVRE SECOND, 71 faire les choses grandement. - Nous vous donnerons cinquante cierges de première qualité pour deux cents francs. — Cinquante cierges pourdeux cents francs ! Ah ! chère amie, s'il m'en fallait allumer un pour chacune de tes vertus, quelle fortune y pourrait suffire ! Nous en mettrons quatre ; mais sous tous les autres rapports, que le convoi soit brillant. Vous voulez donc un grand nombre de voitures de suite ? vingt- cinq, par exemple, à un louis chacune. — C'est ce qu'il y a de mieux, mais rien d'inutile ; cette excellente femme choisissait bien ses amis : elle en avait peu, et je ne veux pas d'indifférents à ce convoi ; une seule voiture suffira . " DE Jouy. 32. Un sermon du docteur South. Un orateur aussi savant que spirituel, le docteur South , prêchait un jour à Saint-Paul, devant Charles II et sa cour . Il s'aperçut, vers le milieu de son sermon, que le roi et la plupart des seigneurs de sa suite s'étaient endormis. Quelques- uns même de ces auditeurs malen contreux ronflaient assez fort pour se faire entendre de leurs voisins. L'orateur s'interrompit aussitôt, et s'adressant à lord Lauderdale qui était à côté du roi : “ Milord, lui dit-il, je vous demande pardon de vous dé ranger, mais je dois vous dire que vous ronflez si fort que vous courez risque d'éveiller Sa Majesté." Cet avertissement réveilla tout le monde et personne n'eut plus envie de se rendormir . 33. Les expéditionnaires. Il y a toujours, dans les administrations publiques, malgré le progrès des lumières et la rigueur des exa mens d'admission , des employés dont l'intelligence finit par s'atrophier. Le M. Bellemain de Scribe, ce commis fossile qui avait copié, mais qui n'avait pas lu, 72 ANECDOTES . n'est point une fantaisie du poète. On le rencontre encore dans les ministères à l'état de réalité. Un de ces crétins de la bureaucratie était chargé de transcrire une dépêche, dont l'analyse, établie en marge, portait, mais en caractères courus et à peine lisibles : Demande de copie de pièces au ministre de la marine. Le nouveau Bellemain copia de sa plus flambante écriture, et sans avoir lu sans doute : Demande de coups de pied au Ministre de la marine. Heureusement que la dépêche fut collationnée avant d'être mise à la poste. 34, Sir Richard Steele et ses faquais . Sir Richard Steele invita un jour à dîner chez lui un certain nombre de personnes d'un rang très-élevé. Les convives en arrivant furent surpris de la multitude de domestiques qui environnaient la table. Après le dîner, lorsque le vin et la gaîté eurent banni tout céré monial, un d'eux demanda à Richard comment il pou vait entretenir , avec si peu de fortune, un nombre si prodigieux de laquais. Sir Richard leur avoua, avec la plus grande franchise, que c'était un tas de coquins dont il voudrait bien qu'on le débarrassât. " Eh ! qui vous en empêche ? lui repartit le lord. —Une bagatelle, répondit-il ; c'est que ce sont autant de sergents qui se sont introduits chez moi une sentence à la main ; et ne pouvant les congédier, j'ai jugé à propos de leur faire endosser deshabits de livrée, afin qu'ils puissent me faire honneur tant qu'ils resteront chez moi." Ses amis rirent beaucoupde l'expédient, le déchargèrent de ces hôtes en payant ses dettes, et demandèrent à Richard sa parole qu'ils ne le trouveraient plus si bien monté en domestiques. 35. Réponse de Pope. Le célèbre satirique Pope était bossu et avait les jambes torses. Le roi d'Angleterre l'apercevant un LIVRE SECOND . 79 jour dans une rue de Londres, dit à quelques -uns do ses courtisans : « Je voudrais bien savoir à quoi nous sert ce petit homme qui marche de travers ? ” Le i propos étant rapporté sur-le- champ à Pope, il répondit: “ A vous faire marcher droit." 36. Plaidoirie d'un abbé. Sous le règne de Louis XV un jeune abbé de qualité avait loué une loge à l'Opéra ; un maréchal de France voulut avoir cette loge, que l'abbé refusa. Le maréchal insista et s'y prit si bien, que l'abbé fut contraint de céder à la force. Pour obtenir réparation de cette insulte, il attaqua le maréchal au tribunal de la conné tablie et demanda la permission de plaider lui-même sa cause, ce qu'il obtint. Il commença son discours par se féliciter de l'honneur qu'il avait de paraître devant une assemblée aussi illustre ; ensuite il exprima combien il était affligé d'avoir à se plaindre d'un des membres qui la composaient : mais il ajouta qu'il les croyait trop équitables pour ne pas lui faire raison de la violence qu'il avait éprouvée. Et désignant alors chaque maré chal de France par les actions mémorables qui les caractérisaient : “ Ce n'est point, dit - il, M. le maréchal un tel dont j'ai à me plaindre ; ce n'est point M. le maréchal de Broglie, quis'est si bien distingué dans les dernières guerres ; ce n'est pas M. le maréchal de Clermont-Tonnerre, qui a faitde sibelles retraites ; ce n'est point M. le maréchal de Contades, qui a fait de si belles actions ; ce n'est point M. le maréchal de Riche lieu , qui a pris Port-Mahon ; celui dont j'ai à me plaindre n'a jamais rien pris que ma loge à l'Opéra." Le tribunal, qui ne s'attendait point à une pareille chute, décida que l'abbé avait raison de se plaindre, et qu'il était vengé par la tournure de son plaidoyer. 74 ANECDOTES . 37. Justice de Saint Louis . Saint Louis écoutait et examinait lui-même par son équité les différends de son peuple. L'entrée du Louvre était libre à tous ceux qui recouraient à sa protection. On ne voyait pas autour de lui des rangs affreux de gardes en haie pour effrayer les timides ou pour rebuter les importuns ; il ne fallait pas gagner par présents ou fléchirpar prières des huissiers intéressésou inexorables. Il n'y avait point de barrière entre le roi et les sujets que le moindre ne pût franchir. On n'attendait pas quel serait son sort auprès de ces portes superbes qu'on entr'ouvre de temps en temps pour exclure, non pas pour recevoir ceux qui se présentent. On n'avait besoin d'autre recommandation ni d'autre crédit que celui de la justice , et c'était un titre suffisant pour être introduit auprès du prince que d'avoir besoin de sa protection. Que j'aime à me le représenter, ce bon roi , comme l'histoire le représente dans le bois de Vincennes, sous ces arbres quele temps a respectés , s'arrêtant au milieu de ses divertissements innocents pour écouter les plaintes et pour recevoir les requêtes de ses sujets ! Grands et petits, riches et pauvres, tout pénétrait jusqu'à lui in différemment dans le temps le plus agréable de sa pro- , menade. Il n'y avait point de différence entre ses heures de loisir et ses heures d'occupation. Son tribunal le suivait partout où il allait . Sous un dais de feuillage et sur un trône de gazon, comme sous le lambris doré de son palais et sur son lit de justice, sans brigue, sans faveur, sans acception de qualité ni de fortune, il rendait sans délai ses jugements et ses oracles avec autorité, avec équité, avec tendresse, roi, père et juge tout en. semble. FLÉCHIER. 1 LIVRE SECOND . 75 38. Le général Souwarow et M. de Lameth. Souwarow étonnait ceux qui ne le connaissaient pas par la multiplicité et la rapide concision des questions qu'il leur adressait, comme s'il avait eu le droit de leur faire subir une sorte d'interrogatoire. C'était sa manière de connaître un homme en un clin d'œil ; il ne faisait aucun cas de ceux qu'il embarrassait, et concevait une prompte estime pour celui qui lui répondait nettement et sans hésitation . J'en avais fait l'épreuve à Péters bourg ; mes réponses laconiques lui avaient plu , et pendant son court séjour il était venu souvent dîner chez moi. Le premier jour qu'il rencontra M. Alexandre de . Lameth, leur entretien me parut assez original pour être ici rapporté. “ De quel pays êtes - vous ? lui dit brusquement le général. Français. — Quel état ? - Militaire . — Quel grade ? Colonel. —Votre nom ? Alexandre de Lameth . — C'est bon ." M. de Lameth , un peu piqué de ce bref interrogatoire, l'interpellant à son tour et le regardant fixement lui dit: “ De quel pays êtes - vous ?—Russe apparemment. --Quel état ?–Militaire. —Quel grade ? -Général. - Quel nom ?-Souwarow. —C'est bon .” Alors tous deux se mirent à rire, et depuis furent très- bien ensemble. DE SÉGUR. 39. Evasion de Grotius . amitié pour Grotius, illustre par ses talents et surtout par son le Grand - Pensionnaire Barneveldt, fut con damné , par cette seule raison , à une prison perpétuelle, et enfermé dans le château de Louvenstein ; mais il eut le bonheur, au bout de quelque temps, de se sauver par le conseil et l'industrie de son épouse. Cette femme avait remarqué que les gardes de la forteresse , lassés de visiter et de fouiller un grand coffre rempli de linge qu'on envoyait blanchir à Gorcum , ville voisine, com . > > > 76 ANECDOTES . mençaient à le laisser passer sans l'ouvrir. Elle crut qu'on pourrait tirer parti de cette négligence, et con seilla à son mari de se mettre dans le coffre àla place du linge. Mais pour ne rien hasarder elle fit des trous au coffre, à la place où Grotius devait tourner le visage, et s'y enferma autant de tempsqu'il en fallait pouraller de Louvenstein à Gorcum. Cet essai ayant parfaite ment réussi, elle choisit un jour que le commandant était obligé de s'absenter, alla rendre visite à la com mandante, et lui parla, dans la conversation , de la santé de son mari, si faible, disait -elle, qu'elle voulait renvoyer tous ses livres dans un coffre, afin de l'empêcher de tra vailler. Le lendemain elle arrange son mari à la place des livres. Deux soldats viennent prendre le coffre et l'emportent. L'un d'eux trouvantle coffre plus lourd qu'à l'ordinaire : “ Il faut, s'écria-t -il, qu'il yy ait quelque Ārménien là -dedans. - Effectivement, répondit madame Grotius, il y a des livres arméniens." On descendit le fardeau avec beaucoup de peine. Aux soins, aux agita tions de la tendre épouse, un des soldats eut encore quelques soupçons. Il demanda la clef, elle ne trouva pas ; il alla prendre les ordres de la comman. dante, qui, instruite dès la veille, répondit qu'on laissât passer le coffre, et qu'elle savait que c'étaient des livres qui étaient dedans. Grotius fut ainsitransporté, non sans beaucoup d'inquiétudes, jusqu'à Gorcum , d'où il passa à Anvers. Le commandant, irrité de voir son prisonnier lui échapper, fit resserrer plus étroitement la femme, et lui intenta un procés criminel ; il y eut des juges qui opinèrent à la retenir prisonnière à la place de son mari; mais les Etats généraux auxquels elle présenta sa requête, lui accordèrent son élargissement. 5. Une telle femme, dit Bayle, mériterait, dans la répu blique des lettres, non -seulement une statue, mais encore les honneurs de la canonisation ." C'est à elle que nous devons les excellents ouvrages que son mari a composés, et qui ne seraient jamais sortis des ténèbres de Louven stein , s'il y eût passé toute sa vie, comme les jugos choisis parmi ses ennemis l'avaient résolu. se LIVRE SECOND. 77 40. Moyen de voyager à l'aise. 66 - Un lieutenant se trouvait un jour, en allant à Ver . sailles, dans l'une de ces voitures incommodes, que l'on nommait coucous, avec un officier de la bouche, d'une ampleur énorme, dont le voisinage l'incommodait fort. Il résolut de s'en débarrasser . Au bout de quelques minutes, voilà des convulsions affreuses qui prennent au militaire . Mais, monsieur, qu'avez - vous donc ? Ce n'est rien , monsieur, répond le jeune lieutenant en se contenant, ce n'est rien ..." Un moment après, les contorsions recommencent, et le contrôleur de la bouche renouvelle ses questions. " Ce n'est rien , vous dis -je ; ne craignez rien , le mal n'est pas encore à un degré... -Comment ? ... expliquez -vous ... quel mal ? ...—J'ai eu il y a quelques jours le malheur d'être mordu par un chien enragé ; on m'a conseillé d'aller à la mer, et je vais à Versailles chercher de l'argent pour faire ce voyage...” Il n'avait pas eu le temps d'achever, que le prudent contrôleur était déjà en bas de la voiture. “ Bon voyage, monsieur ! il fait beau, j'aime beaucoup à marcher..." Le lieutenant continue sa route fort à son aise , en s'applaudissant de son stratagème. Son premier soin en arrivant à Versailles fut d'en faire le récit ; longtemps après, le gros contrôleur, suant, es soufflé, arriva pour faire son service, conta son aventure, et loin d'être plaint, il ne trouva que des rieurs qui se moquèrent de lui. Pas un d'eux n'aurait peut-être été plus hardi ou plus fin . 41. Civilité relative. Le duc d'A... , absent de la cour depuis plusieurs années, revenait deson gouvernement de Berri et allait à Versailles. Sa voiture versa et se rompit. Il faisait un froid très -aigu . On lui dit qu'il fallait deux heures pour la remettre en état. Il vit un relais et demanda > 78 ANECDOTES . - - pour qui c'était : on lui dit que c'était pour l'archevêque de Reims, Le Tellier -Louvois, qui allait à Versailles aussi. Il envoya ses gens devant lui, n'en réservant qu'un, auquel il recommanda de ne point paraître sans son ordre. L'archevêque arrive . Pendant qu'on attelait, le duc charge un des gens de l'archevêque de lui demander une place pour un honnête homme dont la voiture vient de se briser, et qui est condamné à attendre deux heures qu'elle soit rétablie. Le domesti que va et fait la commission . " Quel homme est- ce ? dit l'archevêque. Est- ce quelqu'un comme il faut ? Je le crois, monseigneur ; il à un air bien honnête. - Qu'appelles -tu honnête ? Est- il bien mis ? - Mon seigneur, simplement, mais bien . —- A -tt- il des gens ? - Monseigneur , je l'imagine. — Va- t'en le savoir." Le domestique va et revient. " Monseigneur, il les a envoyés devant à Versailles.- Ah ! c'est quelque chose ; mais ce n'est pas tout. Demande-lui s'il est gentil homme." Le laquais va et revient. “ Oui, monsei gneur, il est gentilhomme.. — A la bonne heure ! qu'il vienne, et nous verrons ce que c'est.” Le duc arrive, salue. L'archevêque fait un signe de tête, se range à peine pour faire une petite place dans sa voiture. Il voit une croix de Saint- Louis. Monsieur, dit- il au duc, je suis fâché de vous avoir fait attendre ; mais je ne pouvais donner une place dans ma voiture à un homme de rien : vous en conviendrez. Je sais que vous êtes gentilhomme. Vous avez servi , à ce que je vois ? Oui, monseigneur. Et vous allez à Versailles ? Oui monseigneur. — Dans les bureaux apparemment ? Non : je n'ai rien à faire dans les bureaux. Je vais remercier... Qui ? M. de Louvois ? - Non, monsei. gneur, le roi. — Le roi ! ( ici, l'archevêque se recule et fait un peu de place) .—Le roi vient donc de vous faire quelque grâce toute récente ? - Non, monseigneur; c'est une longue histoire. --Contez toujours. C'est qu'il y a deux ans, j'ai marié m fille à un homme peu riche ( l'archevêque reprend un peu de l'espace qu'il a cédé dans la voiture), mais d'un très - grand nom (l'ar chevêque recède la place.) Le duc continue : Majesté avait bien voulu s'intéresser à ce mariage... so Sa LIVRE SECOND. 79 ( l'archevêque fait beaucoup de place) et avait même promis à mon gendre le premier gouvernement qui vaquerait. — Comment donc ? Un petit gouvernement sans doute ! De quelle ville ? Ce n'est pas d'une ville, monseigneur, c'est d'une province. -D'une pro vince, monsieur ! crie l'archevêque en reculant dans l'angle de sa voiture, d'une province ! — Oui, et il va y en avoir un de vacant. Lequel donc ? Le mien , celui de Berri, que je veux faire passer à mon gendre. Quoi ! monsieur... vous êtes gouverneur du ... ! Vous êtes donc le duc de...? " Et il veut descendre de sa voiture. Mais, monsieur le duc, que ne parliez - vous ? mais cela est incroyable ! mais à quoi ni’exposez -vous ! Pardon de vous avoir fait attendre ... Ce maraud de laquais qui ne me dit pas ... Je suis bien heureux encore d'avoir cru, sur votre parole, que vous étiez gentil homme : tant de gens le disent sans l'être ! Et puis ce D’Hozier est un fripon. Ah ! monsieur le duc , je suis confus. - Remettez - vous, monseigneur. Pardonnez à votre laquais ; il s'est contenté de vous dire que j'étais un honnête homme ; pardonnez à D’Hozier, qui vous exposait à recevoir dans votre voiture un vieux militaire non titré ; et pardonnez-moi aussi de n'avoir pas com mencé par faire mes preuves pour monter dans votre carrosse . ' CHAMFORT. 1 42. Vanité punie . > Le marquis de l'Étorrière, officier au régiment des Gardes Françaises, avait la réputation d'être le plus bel homme de Paris. Il en était un peu vain , et fut une fois cruellement dupe de la bonne opinion qu'il avait de lui- même. Se trouvant au milieu de la foule , dans l'église des Quinze- Vingts, à la messe de midi, il se sentit pressé de côté assez singulièrement pour se retourner avec vivacité vers son voisin . Celui qui le serrait ainsi lui dit tranquillement : “ Monsieur, vou driez -vous bien vous tourner de l'autre côté ? –Pour. 80 ANECDOTES . quoi donc, monsieur ? — Puisque vous me forcez de l'avouer, c'est queje suis peintre, et mon camarade, qui est là- haut dans la tribune à gauche, chargé par une jolie dame de faire votre portrait, me fait signe sur l'attitude dans laquelle il voudrait vous saisir .” M. de l'Étorrière doute d'autant ns de la vérité de cette assertion, qu'il aperçoit en effet en haut un homme qui avait les yeux sur lui, et auquel il crut voir un crayon à la main . A mesure qu'il se sent touché, il a soin de prendre la position qu'il croit lui être indiquée. Quel ques minutes après, son voisin lui dit : “ Monsieur, je vous suis obligé; ne vous gênez plus : c'est fait. - Ah , monsieur, réplique le marquis, on ne saurait être plus leste ! ” Le prétendu peintre s'esquive dans la foule, et M. de l'Étorrière, fouillant dans ses poches, s'aperçoit que l'histoire du portrait n'a été qu'une ruse pour lui voler sa montre, son argent et tout ce qu'il avait de bijoux sur lui. 43. Le chien d'Aubri de Montdidier . Aubri de Montdidier passant seul dans la forêt de Bondy, fut assassiné et enterré au pied d'un arbre. Son chien resta plusieurs jours sur sa fosse et ne la quitta que pressé par la faim . Il vint à Paris chez un intime ami du malheureux Aubri, et, par ses tristes hurlements, semblait vouloir lui annoncer la perte qu'ils avaient faite. Après avoir mangé, il recommence ses cris,va à la porte, tourne la tête pour voir si on le suit, revient à cet ami de son maître et le tire par l'habit comme pour lui mar quer de venir avec lui. La singularité de tous les mou vements de ce chien, sa venue sans son maître qu'il ne quittait jamais, cemaître qui tout d'un coup adisparu, et peut- être cette distribution de justice et d'événements qui ne permet guère que les crimes restent longtemps cachés , tout cela fit que l'on suivit ce chien . Dès qu'il fut au pied de l'arbre, il redoubla ses cris en grattant la terre comme pour faire signe de chercher dans cet en droit ; on y fouilla et on y trouva le corps du malheureux Aubri. LIVRE SECOND 81

Quelque temps après, il aperçoit par hasard l'assassin que tous les historiens nomment le chevalier Macaire : il lui saute à la gorge, et l'on a bien de la peine à lui faire lâcher prise. Chaque fois qu'il le rencontre, il l'attaque et le poursuit avec la même fureur. L'achar nement de ce chien qui n'en veut qu'à cet homme com mence à paraître extraordinaire : on se rappelle l'affec . tion qu'il avait montrée pour son maître,et en même temps plusieurs occasions où ce chevalier Macaire avait donné des preuves de sa haine et de son envie contre Aubri de Montdidier. Quelques autres circonstances augmentent les soupçons. Le roi , instruit de tous les discours que l'on tenait, se fait amener ce chien qui paraît tranquille jusqu'au moment où , apercevant Macaire au milieu d'une vingtaine d'autres courtisans, il tourne, aboie, et cherche à se jeter sur lui. Dans ces temps- là on ordonnait le combat entre l'accusateur et l'accusé, lorsque les preuves du crime n'étaient pas convaincantes : on nommait ces sortes de combats jugements de Dieu, parce qu'on était persuadé que le ciel aurait plutôt fait un miracle que de laisser succomber l'innocence. Le roi, frappé de tous les indices qui se réunissaient contre Macaire jugea qu'il échéait gage de bataille, c'est-à -dire qu'il ordonna le duel entre ce chevalier et le chien. Le champ clos fut marqué dans l'île Notre-Dame, qui n'était alors qu'un terrain vague et inhabité. Macaire était armé d'un gros bâton ; le chien avait un tonneau percé pour sa retraite et ses relancements. On le lâche ; aussitôt il court, tourne autour de son adversaire, évite ses coups, le menace tantôt d'un côté tantôt d'un autre ; le fatigue, et enfin s'élance, le saisit à la gorge, le ren verse, et l'oblige de faire l'aveu de son crime en présence du roi et de toute la cour. 44. Voleurs dupés . François Ier s'étant égaré à la chasse, dans la forêt de Rambouillet, entra pour se reposer dans une maison isolée. Il y trouva quatre hommes qui faisaient mine de dormir et qui furent bientôt debout. 82 ANECDOTES .

1 L'un d'eux dit au roi : “ Tu as un bon feutre, je m'en empare.” Un autre : “ Voilà une belle casaque ; elle m'ira comme un gant." Le troisième : “ La superbe cotte blanche ! le bel air que j'aurai !" La quatrième : “ Moi, je me contenterai du cor de chasse. Le sournois était loin d'y perdre, car il s’allouait en même temps une magnifique chaîne d'or. Il s'en saisis sait, lorsque François Ier s'écria : “ Permettez que je vous montre quelle vertu a ce cor.” Il en sonne, et à l'instant accourent les officiers qui le cherchaient. “ Voici, leur dit-il, des gens qui ont songé que tout ce que j'avais était à eux . J'ai songé à mon tour qu'il fallait les envoyer au prévôt de Montfort- l'Amaury pour les empêcher de rêver." Le soir du même jour, ils dormaient tous les quatre d'un sommeil exempt de rêves, -la corde au cou, COLOMBEY. 45. Un repas de Louis XVI. La longueur de son interrogatoire à la Convention avait épuisé les forces de Louis XVI. Il chancelait d'inanition . Chaumette lui demanda s'il voulait pren dre quelque aliment. Le roi refusa . Un moment après, vaincu par la nature et voyant un grenadier de l'escorte offrir au procureur de la commune la moitié d'un pain, Louis XVI s'approcha de Chaumette et lui demanda, à voix basse, un morceau de ce pain. “ Demandez à haute voix ce que vous désirez, lui répondit Chaumette, en se reculant comme s'il eût craint le soupçon même de la pitié .--Je vous demandeun morceau de pain , reprit le roi en élevant la voix. —Tenez , rompez àà présent, lui dit Chaumette, c'est un déjeuner de Spartiate. Si j'avais une racine, je vous en donnerais la moitié .” On annonça la voiture. Le roi y remonta, son mor . ceau de pain encore à la main ; il n'en mangea que la LIVRE SECOND, 83 croûte . Embarrassé du reste , et craignant que s'il le jetait par la portière, on ne crût que son geste était un signal, ou qu'il avait caché un billet dans la mie de pain, il le remit à Colombeau, substitut de la commune, assis en face de lui dans la voiture. Colombeau jeta le pain dans la rue. " Ah ! lui dit le roi, c'est mal de jeter ainsi le pain dans un moment où il est si rare. — Et com ment savez -vous qu'il est rare ? lui demanda Chaumette. -Parce que celuique je mange sent la poussière . — Ma grand'mère, reprit Chaumette avec une familiarité jo viale, me disait dans mon enfance : “ Ne jetez jamais une miette de pain, car vous ne sauriez en faire pousser autant.-- Monsieur Chaumette, dit en souriant le roi, votre grand’mère avait du bon sens, le pain vient de Dieu ," LAMARTINE. 46. L'épée de M. Ampère. C'était à la fin de l'empire. M. Ampère venait d'être nommé membre de l'Institut. Invité à un dîner et à une soirée chez le grand-maître de l'Université, l'illustre mathématicien ne savait trop quel costume prendre. Un amiconsulté lui persuada de revêtir son uniforme académique. Ampère se rendit à ses raisons , mais il n'avait pas ses libres allures dans l'habit officiel, et il sentait à chaque pas l'épée lui battre les jambes et embarrasser sa marche. Ce ne fut pas tout. La confusion du nouvel élu devint extrême quand, en entrant dans le salon de Fontanes, il s'aperçut qu'il était le seul des convives en uniforme. Tout le monde avait l'habit de ville ; lui seul paraissait, par vanité, par gloriole , avoir saisi avec em pressement l'occasion de s'endimancher fonction naire. La crainte d'un ridicule, la peur d'être soupçonné d'une coquetterie qui était bien loin de sa pensée, troublait le naif savant. Il voulut se débarrasser de cette malencontreuse épée qui lui heurtait les flancs en 84 ANECDOTES . comme une ironie, et pendant que la conversation occu. pait tous les invités dans le salon, avant que le dîner fût servi, il trouva le moyen de retirer le glaive pacifique qui lui faisait si cruellement la guerre, et il le glissa avec son fourreau sur un canapé, derrière des coussins. On se mit à table , et pendant le dîner Ampère, à demi soulagé, put retrouver assez de présence d'esprit pour n'être pas toujours étranger à la conversation . Mais, dans la soirée qui suivit, le fameux distrait ne lutta pas assez contre ses habitudes, et peu à peu, s'isolant des invités, se confinant dans un coin , il s'absorba dans un problème ou deux, et ne pensa plus ni à l'endroit où il se trouvait ni aux heures qui s'écoulaient, si bien qu'après minuit il ne restait plus personne que M. Ampère, qui calculait dans un coin , et que la maîtresse de la maison, qui avait cru de son devoir de tenir tête à son dernier convive. Toutefois Mme de Fontanes, respectant les calculs de M. Ampère, s'était assise en silence, et attendait qu'il eût fini, sans se permettre de l'interrompre. A quelle heure le distrait s'aperçut-il de sa solitude ? Je l'ignore. Ce que je sais , c'est que, voyant enfin qu'il était temps de s'éloigner, M. Ampère se mit en mesure de chercher son épée. Après plusieurs tours dans le salon , l'académicien reconnut avec effroi que Mme de Fontanes était assise précisément sur le canapé où l'épée était cachée, et que, pour surcroît d'embarras, Mme de Fontanes dormait. Que faire ? Après avoir hésité, cherché, médité, il se dit que le mieuxétait de ne pas réveiller la maîtresse du logis , et qu'avec un peu d'adresse on pourrait s'en tirer . M. Ampère adroit ! C'était se flatter de l'impossible. Résolu pourtant à poursuivre son projet, le brave acadé micien se met à genoux devant Mme de Fontanes en dormie et essaye de glisser sa main entre le canapé et la robe de la dame, pour atteindre à l'épée . Je vous laisse à juger l'émotion, la terreur qui pénétrait le pauvre M.Ampère. to Si l'on me voyait ! ” disait- il en pensant à l'étran . geté de son attitude. LIVRE SECOND, 85 Mais, ô bonheur ! sa main a rencontré le pommeau de l'épée . Il est vrai qu'elle est retenue, mais en tirant doucement, doucement, on peut la dégager. M. Ampère crut tirer avec modération ; mais peut-être avait - il mal calculé la force de résistance et la force d'attraction. Quoi qu'il en soit , au moment où il amenait l'épée hors du canapé, il s'aperçut que le fourreau était resté en place, et qu'il n'avait en main que la lamenue. L’im prudent oublia la nécessité du silence ; il fut si surpris, si contrarié, qu'il poussa tout haut une exclamation. A ce bruit, Mme de Fontanes se réveille en sursaut, ouvre les yeux , et se met elle- même à crier très - fort en voyant à ses pieds un homme qui , la figure bouleversée, semble brandir sur elle . une épée nue. Aux cris de Mme de Fontanes on accourt, et on trouve M. Ampère, toujours agenouillé, penaud, l'épée à la main, terrifié comme un assassin qu'on prendrait en flagrant délit. Quand tout se fut expliqué, M. de Fontanes, qui s'était retiré dans ses appartements et qui était revenu attiré par le tumulte, rit beaucoup de l'aventure. M. Ampère fit un effort pour en sourire , et supplia le grand-maître de lui garder le secret. M. de Fontanes promit ; mais il ne tenait pas tous les serments qu'il prêtait, et il manqua, entre autres, à celui- là. L'aven ture fut racontée à l'empereur, et elle circula dans tout Paris. THÉCEL , Indépendance. 47. Le roi de Prusse et le Hongrois. Guillaume Ier voyageait incognito en Bohême. Il ren contra aux environs de Tæplitz un juge hongrois, qui se promenait fort tranquillement sur la grande route en fu mant sa pipe de porcelaine. Le roi , dont les allures de sous -officier alsacien et le rude langage ne sont bien appréciés que des Prussiens, apostropha le juge sans façon : “ Qui es-tu, mon garçon ?-Juge au comitat, répondit le magistrat, un peu surpris. - Es-tu content de ton état ? —Sans doute. -Allons, je t'en félicite ." Le 86 ANECDOTES . roi s'éloignait, le juge le retint. “ Et toi, mon garçon, lui demanda- t- il, qui es-tu ?" Le souverain fit un haut le- corps, mais il se ravisa , et , croyant tenir une réplique triomphante : “ Je suis roi de Prusse .” Le Hongrois resta impassible. 6. Es-tu content de ton état ? con tinua -t- il . – Sans doute, balbutia Guillaume, visiblement troublé de l'indifférence de son interlocuteur. — Allons, je t'en félicite , " dit le juge en saluant Sa Majesté avec bonhomie et continuant sa promenade. L'histoire est authentique et connue de toute l'Alle magne. Le Figaro 48. La veuve de Malabar. L'usage le plus commun est qu'aussitôt après la mort du mari, s'il est Brame, on place la femme devant la porte de sa maison, dans une espèce de chaire, dont la couverture est ornée ; on bat du tambour, on sonne con tinuellement de la trompette. La femme ne mange plus, ne fait que mâcher du bétel, et prononce sans s'arrêter le nom du dieu de sa secte . La victime s'est parée chez elle de ses bijoux et de ses habits les plus beaux ; ses amis, ses parents l'accompagnent au son des tambours, des trompettes et d'autres instruments. Les Brames l'encouragent à s'immoler, en l'assurant qu'elle va jouir d'une félicité sans bornes ; ils lui promettent encore que son nom sera célébré par toute la terre et chanté dans tous les sacrifices. Cependant elle s'avance vers le bû. cher avec courage ; d'une voix entrecoupée elle fait de tristes adieux à ses parents qui, les larmes aux yeux, la félicitent du bonheur qui l'attend ; elle leur distribue ses joyaux, et les embrasse pour la dernière fois. Après avoir fait trois tours, selon l'usage, autour de la fosse ardente, elle s'élance au milieu des flammes. Aussitôt quantité d'instruments font retentir l'air des sons les plus aigus, et empêchent ainsi d'entendre les cris que la douleur doit nécessairement arracher à la malheureuse victime. SONNERAT. LIVRE SECOND. 87 49. Boliyar. Bolivar assistait à un grand repas où se trouvaient beaucoup d'hommes attachés aux idées libérales ; quand l'instant des toasts arriva, on but à la liberté, et Bolivar s'y joignit. Ce fut alors qu'un de ses amis, répandant le vin dont était rempli son verre, se mit à dire d'une voix forte : “ A Bolivar ! Il est mon ami ; mais s'il pou vait trahir la sainte cause de la liberté , que son sang coule comme ce vin jusqu'à la dernière goutte." Aus sitôt le libérateur se lève, presse M. R. dans ses bras, et s'écrie avec enthousiasme : “ Oui, tu es vraiment mon amil tu sais comprendre la liberté ! ' 50. Ce que J.-J. Rousseau pensait de Fénelon. J.-J. Rousseau, qui jugeait si sévèrement et les livres et les hommes, eût presque dressé des autels à Fénelon. C'est son ami le plus intime, M. de Saint- Pierre, qui prouve, par un récit touchant, combienle citoyen de Genève estimait le Cygne de Cambrai. “ Un jour, dit- il, j'étais allé avec lui me promener au Mont-Valérien, quand nous fûmes parvenus au haut de la montagne, nous formâmes le projet de demander l'hospitalité à ses ermites pour notre argent. Nous arrivâmes chez eux un peu avant qu'ils se missent à table , et pendant qu'ils étaient à l'église. Jean- Jacques me proposa d'y entrer et d'y faire notre prière . Les ermites récitaient alors les litanies de la Providence, qui sont très - belles. Après que nous eûmes prié Dieu dans une petite chapelle, et que les ermites se furent acheminés au réfectoire, Jean Jacques me dit avec attendrissement: “ Maintenant j'é prouve ce qui est dit dans l'évangile : Quand plusieurs d'entre vous seront rassemblés en mon nom, je me trou verai au milieu d'eux. Il y a ici un sentiment de paix et de bonheur qui pénètre l'âme." Je luirépondis : “ Si Fénelon vivait , vous seriez catholique. " Il me répondit 66 88 ANECDOTES . hors de lui et les larmes aux yeux :-Oh ! si Fénelon vivait, je chercherais à être son laquais, pour mériter d'être son valet de chambre ." 51. Lo sabre de bois. Dans une de ces visites que le grand Frédéric faisait incognito à ses soldats, il lui arriva un soir d'en rencon trer un qui paraissait avoir bu plus que de raison. Il l'aborda d'un air familier, et lui demanda, comment, avec sa modique paye, il se trouvait en état de faire des libations aussi copieuses. “ Sur ma parole , camarade , je suis à la même paye que vous , et cependant je ne puis rien mettre de côté pour la taverne ; de grâce, apprenez moi comment vous faites. –Vous m'avez l'air d'un bon garçon , répondit le soldat en lui serrant la main , pour quoi vous le cacherais-je ? Aujourd'hui , par exemple, je viens de régaler une ancienne connaissance ; il serait bien dur, n'est- il pas vrai, que de temps en temps on n'eût pas la satisfaction de trinquer avec un ami; or, en pareille circonstance, la paye d'un jour ne nous menerait pas loin . J'ai donc été forcé d'avoir recours au vieil expédient. Quel est - il ? — Bon. Je mets en gage ceux de mes effets dont je puis me passer quelques jours ; ensuite un peu d'abstinence ramène de quoi les ravoir. Ce matin j'ai fait de l'argent avec la lame de mon sabre ; on nous assemblera pas avant une semaine, ainsi je n'en aurai pas besoin .” Frédéric eut soin de bien remarquer son homme, puis il le remercia et lui souhaita le bonsoir. Le lendemain les troupes reçurent à l'improviste un ordre de s'assembler. Le roi les passa en revue, et venant à reconnaître son camarade de la veille, il le fit sortir des rangs avec le soldat qui était à sa droite, en leur commandant de se déshabiller. « Maintenant, dit -il à celui qu'il voulait surprendre, tirez votre sabre et coupez la tête à ce misérable ." Celui- ci veut s'ex cuser ; il supplie le roi de ne pas le condamner à gémir toute sa vie d'avoir fait mourir un honnête homme, ne LIVRE SECOND. 89 aveo qui il sert depuis quinze ans. Le roi demeure inflexible. “ Eh bien, Sire, dit le soldat, puisque rien ne peut vous toucher, je prie Dieu de faire un miracle en ma faveur, et de changer mon sabre en un morceau de bois .” Il prononça ces mots avec une dévotion affectée, et feignit la plus grande surprise, lorsqu'ayant tiré son sabre,, il vit son souhait accompli. Le monarque admira son adresse, et , non content de lui pardonner, le gratifia d'une récompense. 32. Thomas Morus. Lorsque Thomas Morus fut mis en prison par ordre de Henri VIII, il mangeait à la table du gouverneur de la Tour, qui est toujours un officier de distinction . Il y avait là encore d'autres prisonniers de marque. Le gouverneur leur ayant dit par politesse qu'il les priait de se contenter de ce repas, tel qu'il était . 6. Si quelqu'un de nous, reprit Morus, n'était pas content de ce que voilà, il mériterait que vous le fissiez prendre par les épaules, et que vous le missiez à la porte, comme indigne de manger ici.” En montant sur T'échafaud où il allait être décapité, il pria un des assistants de l'aider . Excusez, lui dit-il, si , en montant, je vous donne cette peine ; je n'en aurai pas besoin pour redescendre." 53, Le banquier Suderland , Un étranger très - riche nommé Suderland était ban . quier de la cour et naturalisé en Russie ; il jouissait auprès de l'impératrice d'une assez grande faveur. matin, on lui annonce que sa maison est entourée de gardes, et que le chef de la police demande à lui parler. Cet officier , nomméReliew , entre avec un air consterné : “ Monsieur Suderland, lui dit - il, je me vois , avec un vrai chagrin , chargé par ma gracieuse souveraine d'exécuter un ordre dont la sévérité m'aplige, w'effraie, 1 90 ANECDOTES . - - et j'ignore par quelle faute ou par quel délit vous avez excité à ce point le ressentiment de Sa Majesté. – Moi ! monsieur,répondit le banquier, je l'ignore autant et plus que vous ; ma surprise surpasse la vôtre . Mais enfin quel est cet ordre ? – Monsieur, en vérité, le courage me manque pour vous le faire connaître. Eh quoi! aurais-je perdu la confiance de l'impératrice ? Si ce n'était que cela, vous ne me verriez pas si désolé : la confiance peut revenir ; une place peut être rendue. -Eh bien ! s'agit-il de me renvoyer dans mon pays ? Ce serait une contrariété, mais avec vos richesses on est bien partout ! Ah ! mon Dieu ! s'écrie Suderland tremblant, serait - il question de m'envoyer en Sibérie ? Hélas ! on en revient. — De me jeter en prison ? Si ce n'était que cela, on en sort. Bonté divine, voudrait-on meknyuter ? - Ce supplice est affreux,, mais il ne tue pas. — Eh quoi ! dit le banquier en sanglo tant, ma vie serait- elle en péril ? L'impératrice, si bonne, si clémente, qui me parlait avec tant de bonté encore il y a deux jours, voudrait ... mais je ne puis le croire . Ah ! de grâce, achevez ; la mort serait moins cruelle que cette attente insupportable. Eh bien ! mon cher, dit enfin l'officier de police avec une voix lamentable, ma gracieuse souveraine m'a donné l'ordre de vous faire empailler. – Empailler ! s'écrie Suderland, en regardant fixement con interlocu teur ; mais vous avez perdu la raison , ou l'impératrice n'aurait pas conservé la sienne ; enfin , vous n'auriez pas reçu un pareil ordre sans en faire sentir la barbarie et l'extravagance. —Hélas ! mon pauvre ami, j'ai fait ce que d'ordinaire nous n'osons tenter ; j'ai marqué ma surprise, ma douleur; j'allais hasarder d'humbles re montrances ; mais mon auguste souveraine, d'un ton irrité, en me reprochant mon hésitation , m'a commandé de sortir et d'exécuter sur-le -champ l'ordre qu'elle m'avait donné, en ajoutant ces paroles qui retentissent toujours à mon oreille : Allez , et n'oubliez pas que votre devoir est de vous acquitter, sans murmure, des commissions dont je daigne vous charger.” Il serait impossible de peindrel'étonnement, la colère, le saisissement, le désespoir du pauvre banquier. Après - LIVRE SECOND. 91 avoir laissé quelque temps un libre cours àl'explosion de sa douleur, l'officier de police lui dit qu'il lui donne un quart d'heure pour mettre ordre à ses affaires. Alors Suderland le prie, le conjure, le presse longtemps en vain de lui laisser écrire un billet à l'impératrice pour implorer sa pitié. Le magistrat, vaincu par ses sup plications, cède en tremblant à ses prières, secharge de son billet, sort, etn'osant pas aller au palais, se rend précipitamment chez le comte Bruce. Celui- ci croit que le chef de la police est devenu fou ; il lui dit de le suivre, de l'attendre dans le palais, et court, sans tarder, chez l'impératrice. Introduit chez cette princesse, il lui expose le fait . Catherine entendant cet étrange récit , s'écrie : “ Juste ciel ! quelle horreur ! en vérité, Reliew a perdu la tête. Comte, partez, courez et ordon nez à cet insensé d'aller de suite délivrer mon pauvre banquier de ses folles terreurs, et de le mettre en liberté . " Le comte sort , exécute cet ordre, revient et trouve Catherine riant aux éclats. 6. Je vois bien à présent, dit - elle, la cause d'une scène aussi burlesque qu'incon cevable ; j'avais, depuis quelques années, un petit chien que j'aimais beaucoup, et je lui avais donné le nom de Suderland, parce que c'étaitcelui d'un Anglais qui m'en avait fait présent. Ce chien vient de mourir; j'ai ordonné à Reliew de le faire empailler ; et comme il hésitait, je me suis mise en colère contre lui , pensant que par une sotte vanité il croyait une telle commission au - dessous de sa dignité. Voilà le mot de cette ridicule énigme.” 54. L'art de se faire 4,000 francs de rento en garnissant des salades. Un émigré français s'enrichit à Londres par son ha bileté à faire la salade. Il était Limousin , et s'appelait d'Aubignac, ou d'Albignac. Quoique sa pitance fût forcément restreinte par le mauvais état de ses finances, il n'en était pas moins un jour à dîner dans une des plus fameuses tavernes de Londres ; il était de ceux qui ont 92 ANECDOTES. pour système qu'on peut bien dîner avec un seul plat, pourvu qu'il soit excellent. Pendant qu'il achevait un succulent rostbeef, cinq à six jeunes gens des premières familles se régalaient à une table voisine ; et l'un d'eux s'étant levé, s'approcha, et lui dit d'un ton poli : “ Mon sieur le Français, on dit que votre nation excelle dans l'art de faire la salade ; voudriez -vous nous favoriser et en accommoder une pour nous ? ” D’Albignac y con sentit, après quelque hésitation , demanda tout ce qu'il crut nécessaire pour faire le chef- d'ouvre attendu, y mit tous ses soins, et eut le bonheur de réussir . Pendant qu'il étudiait ses doses, il répondait avec franchise aux questions qu'on lui faisait sur sa situation actuelle ; il dit qu'il était émigré, et avoua, non sans rougir un peu , qu'il recevait les secours du gouvernement anglais, cir constance qui autorisa sans doute un des jeunes gens à lui glisser dans la main un billet de cinq livres sterling, qu'il accepta après une mollerésistance. Il avait donné son adresse; et à quelque temps de là il ne fut que mé diocrement surpris de recevoir une lettre par laquelle on le priait, dans les termes les plus honnêtes, de venir accommoder une salade dans un des plus beaux hôtels de Grosvenor Square. D’Albignac, commençant à pré voir quelque avantage durable , ne balança pas un in . stant, et arriva ponctuellement, après s'être muni de quelques assaisonnements nouveaux qu'il jugea convena bles pour donner à son ouvrage un plus haut degré de perfection . Il avait eu le temps de songer à la besogne qu'il avait à faire ; il eut donc le bonheur de réussir encore, et reçut, pour cette fois , une gratification telle qu'il n'eût pas pu la refuser sans se nuire. Les pre miers jeunes gens pour qui il avait opéré avaient, comme on peut le présumer, vanté jusqu'à l'exagération le mé rite de la salade qu'il avait assaisonnée pour eux. La seconde compagnie fit encore plus de bruit, de sorte que la réputation de d’Albignac s'étendit promptement : on le désigna sous la qualification de fashionable salad maker ; et dans ce pays avide de nouveautés tout ce qu'il y avait de plus élégant dans la capitale des trois royaumes se mourait pour une salade de la façon du gentleman français. 7 LIVRE SECOND . 98 D'Albignac profita en homme d'esprit de l'engouement dont il était l'objet ; bientôt il eut un carrick pour se transporter plus vite dans les endroits où il était appelé, et un domestique portant, dans un nécessaire d'acajou, tous les ingrédients dont il avait enrichi son répertoire, tels que des vinaigres à différents parfums, des huiles avec ou sans goût de fruits, du soyac, du caviar, des truffes, des anchois, du ochkept, du jus de viande, et même des jaunes d'oeuf, qui sontle caractère distinctif de la mayonnaise. Plus tard, il fit fabriquer des nécessaires pareils, qu'il garnit complètement, et qu'il vendit par centaines. Enfin, en suivant avec ex actitude et sagesse sa ligne d'opérations, il vint à bout de réaliser une fortune de plus de 80,000 francs, qu'il transporta en France quand les temps furent devenus meilleurs. BRILLAT- SAVARIN . 55. Voltaire et les comédiens. Voltaire corrigeait et recorrigeait sans cesse ses pièces, à mesure que la représentation lui en faisait découvrir les défauts ; l'ennui, le dépit même sont inséparables d'abord de ces corrections, auxquelles on finit par s'attacher ensuite ; mais ce n'était là que le moindre inconvénient. La grande difficulté était de persuader à messieurs les comédiens d'apprendre plusieurs fois leurs rôles . Pour Mérope, ils s'y étaient, quoique avec bien des façons, déjà prêtés deux fois ; mais l'auteur demandant un troisième effort, ils s'y étaient refusés tout net et même dédaigneusement, car messieurs les comédiens se ressemblent à toutes les époques. Quelle épreuve pour l'irascible Voltaire ! mais il était auteur, il rongea son frein . Le soir même du refus, messieurs de la Comédie, réunis à un grand souper chez leur confrère Baron , voient apporter un énorme pâté; les têtes rapprochées de six perdrix qu'il contenait, s'élevaient au -dessus, et chaque bec présentait un papier roulé : c'était les rôles corrigés. Le moyen de rejeter cette ingénieuse et gastronomique requête On devine que les rôles furent appris. 94 ANECDOTES . 36. Une distraction de l'abbé Terrasson . Pendant que l'abbé Terrasson vivait chez un célèbre avocat de ce nom , son parent, il était logé à un troi. sième étage. Lorsqu'il voulait sortir, il descendait presque entièrement habillé ; il ne lui manquait que sa perruque et ses souliers , qu'il trouvait préparés dans une salle basse, où il déposait un grand bonnet rouge et des pantoufles de même couleur, qu'il reprenait à son retour. Unjour, après avoir fait sa toilette à l'ordinaire, il descendit pour sortir ; mais sa tête se trouva tellement occupée d'Homère, que le bon abbé passa devant la salle sansy entrer pour prendre sa perruque et ses souliers. Il alla donc de la rue Serpente où il demeurait, jusque vers le pont Saint-Michel, avec ses pantoufles et son bonnet rouge. Il est aisé de concevoir que les passants se mirent à rire en le voyant ; l'abbé Terrasson ne s'en apercevait pas. A la fin , une vieille femme l'ayant averti de sa mascarade, il l’en remercia, revint chercher ce qui manquait à son ajustement, et dit en rentrant chez lui : “ Je viens de donner à la populace un petit amusement qui ne lui a rien coûté, ni à moi non plus.” 57. Une affiche, En 1824 , on lisait sur les murs de Paris l'affiche suivante : “ Un directeur de spectacles, qui craint la suppression dont plusieurs théâtres sont menacés , va mettre inces samment en vente un grand palais, accompagné de jardins magnifiques, quelques forteresses avantageuse ment situées, une forêt, des bocages, des prairies, et plusieurs maisons de campagne. Il y joindra les meubles et effets dont l'inventaire suit : Premièrement, une mer consistant en douze grosses vagues dont la douzième, plus grosse que les autres, se trouve un peu endommagée. LIVRE SECOND. 95 > Item , une douzaine et demie de nuages rayés d'éclairs et garnis de falbalas. Item , un arc -en - ciel un peu passé . Item , une belle neige en flocons de papier d'Auvergne. Item , deux autres neiges plus brunes, en papier commun . Item , trois bouteilles d'éclairs. Item , un soleil couchant de peu de valeur, et une nouvelle lune surannée . Item , une voiture bien dorée et presque neuve avec son attelage de deux dragons. Item , un manteau impérial fait pour Sémiramis, et successivement porté par Agamemnon, Wenceslas et par le roi de Cocagne. Item , l'habit complet d'un spectre, savoir : une che mise ensanglantée , un pourpoint déchiqueté , et une casaque percée sur la poitrine de trois trous, ou grands cillets en soie rouge. Item , une boîte contenant une perruque noire , un morceau de liège brûlé, et le reste de ce qui compose la physionomie d'un assassin. Item , un panache qui n'a servi qu'à Edipe et au comte d'Essex. Item , le mouchoir d'Othello et les moustaches d'un pacha. Item , un flacon d'eau- de- vie de Nantes rectifiée, bonne pour les apparitions, et jetant de trèsbelles flammes bleues. Item , une demi- bouteille du plus beau fard , à l'usage des actrices ; c'est le reste de deux muids arrivés d'Es pagne l'hiver dernier. Item , trois rochers bien rembourrés, et deux bancs de gazon en bois de sapin. Item, deux douzaines de soldats d'osier, avec armes et bagages. Item , un très - bel ours doublé de toile neuve, et six brebis remplies de sciure de bois. Item , un bûcher qui brûle par tous les bouts, et qui sert habituellement depuis dix ans. Item , un repas composé de quatre entrées et d'un pâté de carton, d'une poularde de même matière, de plusieurs 98 ANECDOTES. bouteilles en bois de chêne, avec le dessert en cire. Cet article- là se vendra cher, attendu la grande demande occasionnée par les pièces du jour. Item, cinq aunes de chaînes de fer -blanc, dont le cli quetis est admirable, et fait couler des torrentsde larmes. On trouvera aussi une quantité considérable d'épées, de hallebardes, de houlettes, de turbans, de bonnets carrés, de pots de faïence, un berceau, un gibet, un autel de Jupiter , un puits, eto ... " 58. Egoisme de Mme. du Deffant. Madame du Deffant était la personne la pluségoiste que l'on connût. Elle avait une maladie qui l'obligeait à passer dans son lit plus de la moitié de sa vie, ce qui ne l'empêchait pas de recevoir beaucoup de monde. Un jour plusieurs visites arrivèrent à la fois chez elle ; elle était couchée. On se plaignit en entrant de la fraîcheur de la chambre : “ Comment, dit-elle, il fait donc bien froid ? ” On l'assura qu'il gelait à pierre fendre ; alors madame sonna précipitamment : on était charmé, on crut qu'elle allait demander du bois ; point du tout : “ Apportez-moi, dit-elle, un autre couvre- pied . " Après avoir donné cet ordre, elle parla d'autre chose. 59. Tour de page. Comme le premier présideni faisait fort régulièrement sa cour, il était à Versailles, attendant dans une anti chambre que le roi passât, afin de le saluer, et , en atten dant il se tenait assis sur son banc , la tête appuyée contre la tapisserie. Un page, qui le vit dans cette atti tude, eut la malice d'attacher, sans qu'on y prit garde, la perruque du magistrat à la tapisserie avec une grosse épingle ; un moment après, on cria : “ Voici le roi." Le premier président se leva avec empressement ; mais sa perruque resta où l'on l'avait attachée : il parut devant LIVRE SECOND, 97 le roi avec son crâne pelé. Il ne se déconcerta pour tant pas ; et, sans rien diminuer de sa gravité, il dit au roi : « Je ne croyais pas , Sire, avoir l'honneur de saluer aujourd'hui Votre Majesté en enfant de chœur. " Le roi eut beaucoup de peine à s'empêcher de rire ; et comme il comprit bien que c'était là un tour de page, il voulut savoir qui était celui qui l'avait fait, etlui or donna de ne paraître devant lui qu'après en avoir été demander pardon au premier président. Le page se retira après avoir reçu cet ordre, et attendit qu'il fût minuit pour l'exécuter ; alors il monta à cheval et courut au galop chez le premier président, où tout le monde était couché. On fut bientôt éveillé par le bruit qu'il fit à la porte ; tout le quartier en fut ému. Les gens dupremier président coururent aux fenêtres, et demandèrent pour quoi on faisait carillon à cette heure ? « Il faut, dit le page, que je parle à votre maître, de la part du roi.” Onalla avertir le bonhomme, qui se leva et mit sa si. marre de velours ciselé pour recevoir le courrier que roi lui envoyait, en habit décent. On l'introduisit en cérémonie dans la salle des audiences, et quand il fut entré, il ne fit autre chose que de dire au premier pré sident: “ Monsieur, je suis ici de la part du roi, qui m'a commandé de venir vous demanderpardon d'avoir hier attaché votre perruque à la tapisserie. — Monsieur, dit le premier présidentsans s'émouvoir, cela n'était pas si pressé. Le page s'en retourna après avoir fait tout son tintamarre, et parut le matin au lever du roi, qui lui demanda s'il avait fait ce qu'il lui avait ordonné. Il répondit que oui, et il y eut des gens qui contèrent à Sa Majesté de quelle manière la chose s'était passée. Le roi haussa les épaules et répondit: " Cela est bien page! " MME. DUNOYEE. le 60. Le perroquet de Cuvier. Georges Cuvier possédait un perroquet doué d'une intelligence vraiment remarquable, et qui tenait aveo les visiteurs de son illustre maître des conversations н 98 ANECDOTES . presque suivies. Installé sur un haut perchoir dans l'antichambre du grand naturaliste, à l'arrivée d'une personne il grattait gravement avec sapatte gauche sa grosse tête verte à favoris rouges, et demandait d'une voix nettement accentuée : “ Que veux- tu à mon maître ?" Suivant la réponse qu'on lui faisait presque toujours pour abréger l'attente, il reprenait: “ Ne bavarde pas ! Georges n'a pas le temps ! " ou bien : “ Va - t'en , va-t'en , voleur de temps ! " . Mais c'était à dîner qu'il déployait son intelligence : placé à côté de son maître, il lui pro diguait toutes sortes de tendresses, l'appelait des noms les plus affectueux, et tendait à chaque instant son gros bec pour obtenir quelque bon morceau. Au dessert, on lui servait un peu de vin dans un verre, qu'il saisissait avec l'une de ses pattes , et qu'il vidait à petites gorgées et en véritable amateur. D'ordinaire ce régal le mettait en gaieté , et , j'en ai bien peur, lui frap pait quelque peu sur le cerveau, car il riait aux éclats, bavardait à tue-tête, et souvent imitait de la façon la plus comique l'accent étranger des savants allemands ou anglais que Cuvier admettait à sa table. Celui- ci s'amusait beaucoup des fredaines de l'oiseau, qui ne laissait point parfois de déconcerter beaucoup ceux auxquels il s'adressait, et qui ne comprenaient guère qu'un homme de génie pût s'amuser depareilles bille vesées. J'ai vu , entre autres, M. de Humboldt sortir de table presque scandalisé, et renfonçant plus que jamais son menton solennel dans les plis de sa haute et im mense cravate. S. H. BERTHOUD. 61. Le meunier Sans - souci. L'homme est dans ses écarts un étrange problème : Qui de nous , en tout temps, est fidèle à soi-même ? Le commun caractère est de n'en point avoir ; Le matin incrédule, on est dévot le soir . Tel s'élève et s'abaisse, au gré de l'atmosphère, Le liquide métal balancé sous le verre. LIVRE SECOND . 99 L'homme est bien variable ; et ces malheureux rois, Dont on dit tant de mal, ont du bon quelquefois. Je l'avoûrai sans peine, et ferai plus encore ; J'en citerai pour preuve un trait qui les honore ; Il est de ce héros , de Frédéric second, Qui, tout roi qu'il était, fut un penseur profond, Redouté de l'Autriche, envié dans Versailles, Cultivant les beaux- arts au sortir des batailles, D'un royaume nouveau la gloire et le soutien, Grand roi, bon philosophe et fort mauvais chrétien. Il voulait se construireun agréable asile, Où , loin d'une étiquette arrogante et futile, Il pût, non végéter, boire et courir des cerfs, Mais des faibles humains méditer les travers, Et, mêlant la sagesse à la plaisanterie, Souper avec d'Argens, Voltaire et Lamettrie. Sur le riant côteau par le prince choisi, S'élevait le moulin du meunier Sans- souci. Le vendeur de farine avait habitude D'y vivre au jour le jour, exempt d'inquiétude ; Et, de quelque côté que vînt souffler le vent, Il y tournait son aile, et s'endormait content. pour y Très -bien achalandé, grâce à son caractère, Le moulin prit le nom de son propriétaire ; Et des hameaux voisins, les filles, les garçons Allaient à Sans-souci pour danser aux chansons. Sans- souci ! ... ce doux nom d'un favorable augure Devait plaire aux amis des dogmes d'Epicure. Frédéric le trouva conforme à ses projets, Et du nom d'un moulin honora son palais. Hélas ! est- ce une loi sur notre pauvre terre Que toujours deux voisins auront entre eux la guerre Que la soif d'envahir et d'étendre ses droits Tourmentera toujours les meuniers et les rois ? En cette occasion le roi fut le moins sage ; Il lorgna du voisin le modeste héritage. On avait fait des plans, fort beaux sur le papier, Où le chétif enclos se perdait tout entier. Il fallait sans cela renoncer à la vue, Rétrécir les jardins et courber l'avenue. Des bâtiments royaux l'ordinaire intendant 100 ANECDOTES . . Fit venir le meunier, et d'un ton important: " Il nous faut ton moulin, que veux- tu qu’on t'en donne ? Rien du tout, car j'entends ne le vendre à personne Il vous faut, est fort bon ... Mon moulin est à moi, Tout aussi bien, au moins, que la Prusse est au roi . Allons, ton dernier mot, bonhomme, et prends-y garde ? Faut-il vous parler clair ? - Oui. — C'est que je le garde ; Voilà mon dernier mot.” Ce refus effronté Avec un grand scandale au prince est raconté. Il mande auprès de lui le meunier indocile , Presse, flatte, promet. Ce fut peine inutile ; Sans -souci s'obstinait : “ Entendez la raison, Sire, je ne peux pas vous vendre ma maison : Mon vieux père y mourut, mon fils y vient de naître ; C'est mon Potsdam à moi. Je suis têtu peut- être ; Ne l'êtes-vous jamais ? Tenez, mille ducats Au bout de vos discours ne me tenteraient pas. Il faut vous en passer ; je l'ai dit, j'y persiste. Les rois malaisément souffrent qu'on leur résiste. Frédéric, un moment par l'humeur emporté : Voyons ! de ton moulin c'est bien être entêté ! Je suis bon de vouloir t'engager à le vendre : Sais-tu que sans payer je pourrais bien le prendre ? Je suis le maître. — Vous ? de prendre mon moulin ? Oui, si nous n'avions pas de juges à Berlin . Le monarque, à ce mot, revient de son caprice. Charmé que sous son règne on crût à la justice, Il rit, et se tournant vers quelques courtisans : “ Mafoi ! messieurs, je crois qu'il faut changer nos plans. Voisin , garde ton bien ; j'aime fort ta réplique . ". Qu'aurait -on fait de mieux dans une république ? Le plus sûr est pourtant de ne pas s'y fier : Ce même Frédéric, juste envers un meunier, Se permit maintes fois telle autre fantaisie ; Témoin ce certain jour qu'il prit la Silésie ; Qu'à peine sur le trône, avide de lauriers, Epris du beau renom qui séduit les guerriers, Il mit l'Europe en feu . Ce sont là jeux de prince ; On respecte un moulin, on vole une province . ANDRIEUX. 101 LIVRE TROISIÈME, 1. Naïveté d'un domestique. Un des amis de Mme Geoffrin étant venu la voir pendant la longue léthargie qui précéda sa mort, un domestique vint lui dire : " Madame est bien sensible à votre souvenir ; elle vous fait dire qu'elle a perdu l'usage de la parole. " 3 2. Qu'alliez-vous faire à la cuisine ? Un prieur des chartreux se trouvant à un repas maigre fort appétissant , entendait faire l'éloge d'un plat et désirait en goûter, lorsque le frère qui l'accom pagnait lui dit: " Mon père, n'en mangez pas ; j'ai vu dans la cuisine qu'on y mettait du gras. -Ehl qu'alliez vous faire dans la cuisine, lui dit le prieur avec dépit, était-ce là votre place ? ” 3. Les lauriers du grand Condé. Le grand Condé alla saluer Louis XIV après la bataille de Senef, qu'il venait de gagner. Le roi était au haut de l'escalier. Le prince de Condé, qui avait de la peine à monter parce qu'il avait été fort maltraité de la goutte, dit au milieu des degrés : “ Sire, je demande pardon à Votre Majesté si je la fais attendre . " Le roi lui répon dit : “ Mon cousin, ne vous pressez pas ; quand on est chargé de lauriers comme vous l'êtes, on ne saurait marclier si vite. " 102 ANECDCTES . 4, Une injure . Le président Bexon était bossu, et bossu très- pro noncé : on amena à son audience un de ses pairs en difformité, accusé d'avoir maltraité à outrance un indi vidu plus fort et mieux fait que lui. Or , cet accusé bossu avait pour défenseur l'avocat Mathon de la Va renne , qui lui-même était bossu. Interpellé par le président de dire pourquoi il avait si rudement frappé le plaignant, l'accusé balbutie : “ Je n'oserai jamais vous le dire. Le tribunal vous ordonne de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. ” Nouvelle hésitation de l'accusé . « Il m'a dit une grosse injure que je n'ai pas la force de répéter. - Quelle est donc cette injure ? Votre intérêt est de le dire. Eh bien, là, il m'a dit que j'étais bossu ! ” Aussitôt le président de répliquer : “ Mais, mon camarade, ce n'est pas là une injure ; demandez plutôt à votre défenseur. " BERRYER. . 5. La lettre de change. M. Léon C... , professeur à la Faculté de droit de Paris, connu autant par ses dettes que par ses ouvrages , et mieux par ses créanciers que par ses élèves , demandait à un étudiant, le jour de son examen : “ Qu'est- ce que la lettre de change ? C'est ... Je n'en sais rien . Vous êtes bien heureux, monsieur ! " reprit avec un soupir l'examinateur. 6. L'homme le plus laid du monde. Un avocat d'un grand talent, mais très- grêlé et très laid, plaidait dans un procés en séparation. Emporté par l'ardeur de la plaidoirie, il maltraitait assez rude LIVRE TROISIÈME. 108 ment l'époux de sa cliente. Il oubliait même les règles de la convenance , et plusieurs fois déjà le président avait été sur le point dele rappeler àl'ordre. Enfin il lança cette phrase un peu vive : “ Il est permis à tout homme d'être laid , mais encore est - il des bornes qu'il faut respecter. Eh bien, messieurs, ces bornes , M. X. les a outrageusement dépassées ... Je ne crois pas qu'il y ait au monde un homme plus laid que M. X. Avocat, dit le président, vous vous oubliez ! Toute l'assemblée se mit à rire, et l'avocat le premier. P. LAROUSSE . 7. Un prince complaisant. Le duc d'Orléans, fils de Louis -Philippe, était l'ami du peintre Camille Roqueplan. Un jour il se présente, très - simplement habillé, chez le concierge de cet artiste : “ M. Roqueplan est-il chez lui ? - Oui , monsieur, répond celui-ci ... Mais pardon , ajouta -t-il, enhardi par la simplicité de la mise du visiteur, puisque monsieur va chez lui, monsieur aurait- il l'obligeance de lui monter ce pantalon que vient d'apporter le tailleur ? – Volon tiers , " dit le duc en souriant.. Et il porta le pantalon à l'artiste, tandis que le concierge s'applaudissait de s'être aussi adroitement épargné une ascension de six étages. 8. A quoi sert la vaccine ? Un homme très -crédule disait qu'il n'avait pas de confiance dans la vaccine. “ A quoi sert- elle , ajoute-t-il ; je connais un enfant beau comme le jour, que sa famille avait fait vacciner ... eh bien ! il est mort deux jours après... - Comment ! deux jours après ? ... Oui... il est tombé du haut d'un arbre, et s'est tué raide ... Faites donc vacciner vos enfants après cela ! ” 104 ANECDOTES . 9. Louis XIV et Molière, Pour l'intelligence de ce récit il faut savoir que tous les soirs on apportait chez le roi un grand bol de bouillon, un poulet rôti froid, une bouteille de vin et quelques autres objets, en cas qu'il eût appétit ; ce service s'appelait l'en cas de nuit. Louis XIV apprit un jour que les officiers de sa chambre ayant témoigné par des dédains offensants qu'ils étaient blessés de manger avec Molière , valet de chambre du roi, parce qu'il avait joué la comédie, cet homme célèbre s'abstenait de se trouver do table avec eux. Voulant faire respecter l'immortel auteur du Misanthrope et de Tartufe, il lui dit un matin , à l'heure de son petit lever : “ On dit que vous faites maigre chère ici, Molière, et que les officiers de ma chambre se croient trop grands seigneurs pour manger avec vous : vous avez peut-être faim ; moi-même je m'éveille avec un excellent appétit ; mettez - vous à cette table , on va me servir mon en cas de nuit." Puis, découpant le poulet, le roi en passe une aile à Molière, prend l'autrepour lui, et, en même temps, il ordonne qu’on introduise les entrées familières, c'est- à - dire les personnes les plus marquantes et les plus distinguées de la cour. “ Vous me voyez, Messieurs, leur dit - il, occupé à faire manger Molière que mes valets de chambre ne trouvent pas d'assez bonne compagnie pour eux.” Dès ce jourtous les courtisans se disputèrent l'honneur de recevoir Molière à leur table. 1 10. Le maire de Luçon . Après avoir fait un séjour de vingt- quatre heures & Napoléonville, Napoléon Ier se dirigea vers Niort. En arrivant à Luçon,il s'aperçut que les habitants avaient fait de grands frais en arcs de triomphe pour le recevoir . Il témoigna au maire, qui vint à sa rencontre à la tête d'une députation, tout le plaisir qu'il éprouvait d'une LIVRE TROISIÈME . 105 1 telle surprise et surtout d'une telle réception ; mais à la suite de sa harangue, l'officier municipal, ayant recom mandé à la générosité inépuisable de SaMajesté les habitants de la commune qui, ajouta - t-il, n'étaient pas riches : “Mais alors, monsieur le maire, lui dit l'empe. reur d'un air plus qu'étonné, pourquoi ces dépenses inutiles, ces apprêts ?... Je m'en serais bien passé, je Ah ! Sire, répliqua le maire, nous avons fait tout ce que nous devions; mais ... j'avouerai à Votre Majesté que nous devons tout ce que nous avons fait. A cette spirituelle naïveté, l'empereur ne put s'empêcher de rire et fit remettre à l'officier municipal un rouleau de cent napoléons. MARCO DE SAINT-HILAIRE. > vous assure. 1 ) 11. Impartialité. Un Arabe était venu se jeter aux genoux du sultan Amurath pour se plaindre des violences que deux incon nus exerçaient dans sa maison. Le sultan s'y transporta aussitôt, et, après avoir fait éteindre les lumières, saisir les criminels et envelopper leurs têtes d'un manteau, il commanda qu'on les mît à mort. L'exécution faite, le sultan, faisantrallumer les flambeaux,considère les corps de ces criminels, puis lève les mains au ciel et rend grâce à Dieu. “ Quelle faveur, lui dit son vizir, avez- vous donc Vizir, répond le sultan, j'ai cru mes fils auteurs de ces violences, c'est pourquoi j'ai voulu qu'on éteignît les flambeaux, qu'on couvrîtd'un manteau le visage de ces deux malheureux ; j'ai craint que la tendresse paternelle ne mefît manquer à la justice que je dois à mes sujets. Juge si je dois remercier le ciel, maintenant que je me trouve juste sans être parricide ." reçue du ciel ? 12. Un nouveau Régulus. Hododine combattait en 1793 contre les Vendéens. La fortune trahit son courage ; il fut fait prisonnier. 106 ANECDOTES . On le chargea, comme Régulus à Carthage, d'une mis. sion pour un échange de prisonniers. Les conditions étaient les mêmes ; sa vie était attachée au succès de l'entreprise . Il part pour Nantes, expose l'objet de sa mission et ne peut réussir . Il avait fait serment de re tourner au camp ennemi, dans le cas où les propositions ne seraient pas acceptées. Ses concitoyens lui firent les plus vives instances pour le décider à ne point se livrer aux Vendéens. Il résista avec fermeté aux prières de ses amis , aux larmes de sa famille, et alla dégager sa parole. Mais plus heureux que Régulus, il trouva des admirateurs de sa vertu parmi ses ennemis même ; et loin de se souiller de son sang, les Vendéens renvoyèrent honorablement Hododine dans sa famille. 13. Comment on devient maréchal de France . Le maréchal Lefebvre avait un camarade de régiment qui vint le voir un jour et qui admirant , non sans un sentiment d'envie , son bel hôtel, ses belles voitures , sa nombreuse livrée, ses magnifiques appartements, tout le train enfin d'un grand dignitaire de l'empire: “ Par bleu, lui dit-il, il faut avouer quetu es bien heureux, et que le ciel t'a bien traité ! - Veux -tu, lui répondit le maréchal, avoir tout cela ? Oui, certainement. La chose est très-simple : tu vas descendre dans la cour de mon hôtel ; je mettrai à chaque fenêtre deux soldats qui tireront sur toi. Si tu échappes aux balles , je te donnerai tout ce que tu m'envies. C'est comme cela que je l'ai obtenu. SAINT-MARO GIRARDIN. - 14. Pourquoi Charles XII ne buvait que de l'eau. Charles XII, roi de Suède, avait un jour, étant ivre, manqué au respect qu'il devait à la reine sa mère. Elle LIVRE TROISIÈME. 107 se retira dans son appartement, pénétrée de douleur, et y resta enfermée tout le lendemain. Comme elle ne paraissait pas, le roi en demanda la cause ; on la lui dit. Il fit remplir un verre , et alla trouver cette princesse : " Madame, lui dit- il, j'ai appris qu'hier, dans le vin , je m'étais oublié à votre égard ; je viens vous en demander pardon , et afin que je ne tombe plus dans l'ivresse, je bois ce verre à votre santé ; ce sera le dernier de ma vie . ” Il tint parole, et depuis ce jour il ne but jamais de vin . 15. Dot imprévue, M. de La Bruyère venait presque journellement s'as . seoir chez unlibraire nommé Michallet, où il feuilletait les nouveautés et s'amusait avec une enfant fort gen tille, fille du libraire, qu'il avait prise en amitié. Un jour, il tire un manuscrit de sa poche, et dit à Michal let : “ Voulez -vous imprimer ceci ? (c'étaient les Ca ractères). Je ne sais si vous y trouverez votre compte ; mais, en cas de succès, le produit sera pourmapetite amie . " Le libraire, plus incertain de la réussite que l'auteur, entreprit l'édition ; mais à peine l'eut- il exposée en vente qu'elle fut enlevée et qu'il fut obligé de réim primer plusieurs fois ce livre, qui lui valut deux à trois cent mille francs. Telle fut la dot imprévue de sa fille, qui fit dans la suite le mariage le plus avantageux. Mémoires de l'Académie de Berlin . 16. Louis XI et le marmiton. Louis XI étant au château du Plessis, près de Tours, descendit un jour dans les cuisines. Il y trouva un jeune garçon dont la physionomie prévenait en sa faveur. Le roi lui demanda d'où il était, qui il était, et ce qu'il gagnait. Ce jeune garçon , qui ne le connaissait pas,, lui dit sans le moindre embarras : “ Je suis du Berri, je : 108 ANEUDOTES . m'appelle Etienne, marmiton de mon métier, et je gagne autant que le roi . Que gagne donc le roi ? lui demanda Louis. Ses dépenses, reprit Etienne, et moi les miennes." Cette réponse libre et ingénieuse lui valut pour toujours les bonnes grâces du roi. 17. Avarice du président Rose. commune. L'abbé Régnier, secrétaire de l'Académie Française, y faisait un jour, dans son chapeau , une collecte d'une pis tole, que chaque membre devait fournir pour unedépense Ne s'étant point aperçu que le président Rose, connu pour son avarice, eût mis dans lechapeau, il le lui présenta une seconde fois : le président assura qu'il avait fait son offrande. “ Je le crois, dit l'abbé, mais je ne l'ai point vu . Etmoi,, dit Fontenelle , je l'ai vu, mais je ne le crois pas. - 18. Le major qui perd son régiment. En 1769, le régiment de B... , en garnison à Nîmes , fut conduit à la messe un dimanche par le sous- aide major, M. de Sav... Jeune et galant, il saluait de l'épée, à droite et à gauche , les dames qui étaient aux fenêtres. Un de ses camarades, M. de la Mart..., proposa au marquis de S ... , colonel, qui marchait sur les flancs, avec les officiers, d'escamoter le régiment. Il y consentit. M. de la M... , prenant par le bras le premier grenadier de la tête de lacolonne, fit tourner le peloton vers une rue qui conduisait aussi à l'église , mais plus long. Tous les autres pelotons suivirent. Le bruit des tambours et de la musique empêcha M. de Sav ... de s'apercevoir qu'il n'était pas suivi. A la porte de l'église, il se range pour fairedéfiler le régiment et ne trouve pas un soldat. Tandis qu'il regarde detous côtés et ne sait s'il rêve , le colonel lui dit d'un air sérieux : “ Eh bien, monsieur, qu'est devenu mon régiment ? - par un chemin LIVRE TROISIÈME . 109 En vérité , monsieur , je n'en sais rien . -- Comment, vous n'en savez rien ! on vous confie un régiment à conduire à la messe, et vous le laissez escamoter comme une muscade ! Je ne sais pas comment le roi prendra cela ; mais je ne voudrais pas être à votre place. M. de Sav ... , hors de lui , ne pouvait que lever les yeux au ciel, en s'écriant : “ C'est inconcevable ! ” Enfin, après quelques minutes d'angoisses , le régiment reparut à l'entrée d'une autre rue. On plaisanta beaucouple sous aide-major, qui, revenu de ses terreurs, finit par rire comme les autres du tour qu'on lui avait joué. ) 19. Le peintre David et le cocher. David avait exposé un de ses plus beaux tableaux et se trouvait par hasard confondu dans la foule qui l'ad mirait. Il remarque un homme dont le costume annon . çait un cocher de fiacre et dont l'attitude indiquait le dédain. “ Je vois que vous n'aimez pas ce tableau , lui dit le peintre. - Ma foi, non . – O'est pourtant un de ceux devant lesquels tout le monde s'arrête. Il n'y a pas de quoi. Voyez cet imbécile de peintre qui a fait un cheval dont la bouche est toute couverte d'écume et qui, pourtant, n'a pas demors. ” David se tut ; mais, dèsque le salon fut fermé, il effaça l'écume. - 20. Ham en Picardie, Un jeune Anglais errait vers midi aux abords de la gare du Nord, à Paris. Il avait bien faim , mais ne re trouvait pas le chemin de son hôtel et ne savait à qui s'adresser, ignorant complètement le français. Il accoste un employédu chemin de fer, et lui débite une phrase à laquelle celui-ci ne comprend rien. Aussi la lui fit- il répéter trois ou quatre fois. A la fin il dis tingue le mot ham, qui revenait plusieurs fois sur les lèvres de l'Anglais. " Ham ? — Yes, ham ." 110 ANECDOTES . - L'employé le conduit à l'endroit où l'on délivre les billets . Il lui fait signe de donner de l'argent. L'étranger, peu familier avec la monnaie française , met dans sa main des louis , des pièces d'argent et fait signe à son guide de prendre. Celui- ci fait passer au guichet une certaine somme, et on lui repasse un billet qu'il remet à l'Anglais. Puis il le pousse dans une salle d'attente. “ Ham , dit -il au préposé aux billets. Très bien !...' fit celui- ci , et il lui fit signe d'aller tout droit . Un nouvel employé, remarquant qu'il ne parlait pas français, regarde son billet et le fait entrer dans un compartiment de première. Le train part. L'Anglais est ahuri. Deux heures après, il arrive à destination. Il était exaspéré. Justement il se trouve en face d'un employé qui comprend sa langue. Explication. L'An glais avait demandé à Paris qu'on lui indiquât un en droit où il pourrait manger une tranche de jambon (ham ), on l'avait amené à Ham>, en Picardie. 21, L'inscription carthaginoise. > C'était vers 1840, je crois ; il s'agissait de traduire une inscription carthaginoise. Le général Duvivier avait donné cette version : “ Ici repose Amilcar, père d'Annibal, comme lui cher à la patrie et terrible à ses ennemis." M. de S. soutenait cette autre version : “ La prêtresse d'Isis a élevé ce monument au Printemps, aux Grâces et aux Roses, qui charment et fécondent le monde. " Les deux savants s'entêtant chacun dans sa traduc. tion , l'Académie des inscriptions et belles - lettres se vit contrainte de nommer un expert, dont voici la traduc tion : “ Cet autel est dédié au dieu des vents et des tempêtes, afin d'apaiser ses colères." Qui sait maintenant si l'expert n'a pas donné à son tour une traduction de fantaisie ? J. DENIZET. LIVRE TROISIÈME . 111 22. Swift et le domestique. Un jour un ami de Swift lui envoya un magnifique turbot. Le groom chargé de la commission s'était déjà maintes fois acquitté de pareils messages sans avoir jamais rien reçu de Swift. Fatigué d'une besogne aussi peu lucrative, il déposa brusquement le poisson sur une table en s'écriant : “ Voici un turbot que vous envoie mon maître. Plaît- il ? repartit aussitôt Swift. Est- ce ainsi que tu remplis tes fonctions ? Tiens, prends ce siège ; nous allons changer de rôle, et tâche, une autre fois, de mettre à profit ce que je vais t'enseigner ." Swift alors s'avance respectueusement vers le domestique, qui s'était assis dans un large fauteuil, et lui dit , en lui présentant le turbot : “ Monsieur, je suis chargé par mon maître de vous prier de bienvouloir accepter ce petit cadeau. – · Vraiment ? reprit effronté ment le valet, c'est très-aimable à lui ; et tiens, mon brave garçon , voici trois francs pour ta peine." Swift, un peu interdit par ce trait à son adresse, s'empressa de congédier le groom. P. LAROUSSE . 23. Le rédacteur du “ Broughton Times." Je ne sais plus quel voyageur anglais aux Etats- Unis, raconte qu'il rencontra le rédacteur en chef du Times de Broughton, petite ville de je ne sais plus quel Etat : " Eh bien , dit le rédacteur du Times de Broughton, com. ment va la reine Victoria ? ” Je l'assurai que, d'après les dernières nouvelles reçues, Sa Majesté allait fort bien. “ Mon dernier article a dû la fâcher un peu ; mais que voulez - vous ? Nous autres , Américains, nous som mes habitués à dire la vérité à tout le monde. Mon prochain article lui fera plaisir ; je suis réconcilié avec elle. Et votre Palmerston , le Times de Broughton lui a fait passer, je pense, bien des mauvais quarts d'heure ?” 112 ANECDOTES. Il me fut impossible, dit le voyageur anglais, de per suader à ce brave homme que le Times de Broughton ne faisait ni tant de peine ni tant de plaisir à la reine Victoria . SAINT-MARO GIRARDIN . 24. La barangue interrompue. Un magistrat s'étant présenté à Henri IV sur l'heure de son dîner, comme il eut commencé sa harangue par ces mots :: " Agésilaüs, roi de Lacédémone, Sire, " le roi, ayant doute que cette harangue fut un peu longue, lui dit en l'interrompant : “ Ventre- saint - gris, j'ai bien ouſ parler de cet Agésila üs-là ; mais il avait dîné, et je n'ai pas dîné, moi. L'ÉTOILE , 25. Santeuil et le portier. Santeuil se retirait quelquefois plus tard qu'il ne convenait à un homme de son état. Un soir qu'il voulut rentrer à Saint- Victor après onze heures, le portier refusa de lui ouvrir, parce que, disait-il, on le lui avait défendu. Après bien des prières et bien des refus, notre poète glissa un demi-louis sous la porte, et les verrous tombèrent aussitôt . A peine fut- il entré qu'il feignit d'avoir oublié un livre sur une borne où il s'était assis pendant qu'on le faisait attendre. L'officieux portier sortit pour aller chercher le livre, et Santeuil de fermer aussitôt la porte sur lui. Maître Pierre, qui était à demi nu , se met à frapper à la porte: notre poète lui répond qu'il n'ouvrira pas, parce que M. le prieur l'a défendu. “ Eh ! monsieur de Santeuil, je vous ai ouvert de si bonne grâce ! Je t'ouvrirai au même prix , dit San . teuil." Le portier rend le demi-louis, et la porte lui est ouverte. DINOUART. LIVRE TROISIÈME . 113 26. Recette contre le froid . - En l'année du grand hiver qu'il gelait à pierre fendre, le feu roi Henri IV, passant en carrosse sur le Pont Neuf, le nez dans son manteau de panne, vit un jeune Gascon se promenant gaillardement, avec un pourpoint de toile découpé sur lachemise et un petit manteau de camelot, comme si on eût été au cœur de l'été . Le roi lui dit : “ N'as-tu point froid ? - Non , Sire, répondit-il. Comment ? dit le roi, je m'étonne comment tu ne gèles pas en l'état où tu es, et moi qui suis extrêmement bien vêtu , je ne puis durer ! — Ah ! Sire, dit le Gascon , si Votre Majesté faisaitcomme moi, elle n'aurait jamais froid . Comment ? dit le roi. Si vous portiez, dit le Gascon, tous vos habits sur vous, comme je porte tous les miens, assurez - vous que vous n'auriez pas froid .” Le roi trouva cette repartie si bonne qu'il lui fit faire un habit tout neuf. D'OUVILLE . - 27. Le bouffon de la reine Elisabeth . Le bouffon de la reine Elisabeth ayant été longtemps sans oser paraître devant elle, à cause de ses paroles hardies, eut enfin la permission de se présenter . Cette princesse lui dit : " Eh bien ! venez - vous encore nous reprocher nos fautes ? — Non , madame, répondit le bouffon ; ce n'est pas ma coutume de discourir des choses dont toute la ville s'entretient." 28. Fielding. Comme la plupart des auteurs, Fielding était peu fortuné. On se présenta un jour chez lui pour réclamer une taxe paroissiale. Comme il n'avait pas de quoi 114 ANECDOTES , la payer, il courut chez son libraire Tomson, qui lui prêta la somme nécessaire, hypothéquée sur le produit d'un ouvrage qu'il avait encore dans la tête . En chemin , Fielding rencontre un ancien ami de collège ; ils entrent ensemble dans une taverne ; il prête tout son argent à son camarade, continue sa route, et en arrivant chez lui, apprend qu'on est venu deux fois réclamer la taxe. L'auteur de Tom Jones ne se déconcerte pas. bien ! dit- il , on reviendrá une troisième fois ; je cours emprunter encore à Tomson sur l'hypothèque de ma cervelle ." Ainsi dit , ainsi fait, et l'impôt fut payé. Cette anecdote a fourni une jolie comédie à M. Mennechet, en 1825 . 6. Eh > 29. Le soufieur . Le souffleur a sa légende dans l'histoire comique des accidents de la scène. On jouait à Lunéville la Mélanide de La Chaussée. L'acteur qui représentait Darviam manqua de mémoire à tel point , au moment de la décla ration d'amour, que le souffleur fut obligé de réciter toute la tirade à haute voix. Lorsqu'il eut fini, Darviam se tourna, sans se déconcerter , vers l'actrice : - Made moiselle, reprit - il , comme monsieur vous a dit ... " etc. , en montrant le souffleur. On peut juger de l'hilarité du parterre à ce beau sang- froid. Un autre, dans le même cas, dit naïvement au souf fleur , assez haut pour être entendu : “ Taisez- vous ! laissez - moi rêyer un moment. Et dire que je le savais si bien ce matin ! " Un des principaux acteurs de la Comédie Française s'arrête court, dans une tragédie, à ce passage : J'étais dans Rome alors... Il eut beau recommencer deux ou trois fois, il ne trou vait pas la suite . Voyant que le souffleur, distrait ou déconcerté , ne le tirait pas d'embarras : “ Eh bien , maraud, lui dit - il avec dignité, quefaisais-jedans Romer" V. FOURNEL. > LIVRE TROISIÈME . 115 30. Plus fort que son oncle. Une année ou deux avant mon entrée à Juilly , deux neveux de Châteaubriand en étaient sortis, et lorsque je le connus lui- même, je méritai un de ses plus gracieux sourires , en lui racontant une anecdote traditionnelle que nous nous transmettions de classe en classe. Le père Huré, professeur de rhétorique, helléniste éminent et classique adorateur des auteurs du règne de Louis XIV , n'avait feuilleté que dédaigneusement le Génie du Christianisme. M. de Châteaubriand n'était pour lui qu’un dangereux novateur. Or il donna un jour pour sujet de composition à ses élèves la Fête- Dieu . Un des neveux de M. de Châteaubriand, qui possédait secrète ment l'ouvrage de son oncle, y copia textuellement lo chapitre qui porte ce titre . Il fut le premier, laissant å un long intervalle tous ses concurrents. Le père Hure, après avoir lu tout haut le chef-d'œuvre du lauréat, s'écria avec enthousiasme : " Jeune homme, vous êtes plus fort que votre oncle. " Am. PichoT. 31. Carle Vernet et le paillasse. Carle Vernet, revenant de Marseille, se trouva dans le coche avec un gros monsieur d'apparence rustique, et dont la physionomie semblait prêter à la charge. Comme les voyageurs étaient descendus pour monter une côte à pied, le peintre sauta un fossé sur le bord de la route, puis, se retournant vers le gros monsieur : “ Sauteriez vous comme cela , vous ? " lui demanda- t - il en riant. L'autre ne répondit rien. “ Je vous en défie bien, con tinua Vernet. Alors je vais essayer, dit le monsieur ; mais parions quelque chose : un déjeuner, par exemple. - Volontiers ! " Legros homme prit son élan au milieu des éclats de rire des spectateurs ; il s'élança lourdement, gauche 116 ANECDOTES . . ment, mais il franchit le fossé. “ Bravo ! " cria - t- on . Carle Vernet paya le déjeuner. Vers le soir, nouvelle côte, nouveau fossé, mais plus large que le premier ; nouveau saut du peintre, nouveau défi. L'autre se fit prier. “ Vous me devez une revan che ! —Une revanche soit ! Alors nous parions le dîner ? Très bien .” _ Le pauvre homme parut faire un effort gigantesque. Il s'y reprit à deux fois, mais il sauta encore . A cette époque, on mettait cinq jours pour aller de Paris à Marseille ; ce fut pendant cinq jours la même chose. A la fin , le gros monsieur franchissait des fossés de six mètres de large. Le peintre était exténué, dépité, furieux. " Monsieur, lui dit son adversaire en prenant congé de lui, je vous remercie de m'avoir si bien nourri durant ce petit voyage, et j'espère que vous voudrez bien assister à mes débuts. Comment, à vos débuts ? Oui, monsieur. Je suis engagé comme premier paillasse chez Nicolet,, et je joue ces jours-ci. — Paillasse ? mais, alors, vous m'avez trompé? Un peu ... au commen cement. Dame, bourgeois, j'ai voulu faire comme chez mon maître, de plus fort en plusfort I... " La Petite Presse. - 32. Mémoire extraordinaire. Un jour Voltaire, alors fort jeune, lut à La Motte une tragédie qu'il avait composée. Ce dernier était doué d'une mémoire prodigieuse. Après avoir écouté la pièce du jeune poète avec toute l'attention possible : « Votre tragédie est belle , lui dit- il, et j'ose vous répondre du succès. Une seule chosemefait de la peine, c'est que vous donnez dans le plagiarisme ; je puis vous citer comme preuve la seconde scène du quatrième acte .” Voltaire fit de son mieux pour se justifier d'une pareille accusation. “ Je n'avance rien , dit La Motte, qu'en connaissance de cause, et , pour vous le prouver, je vais vous réciter cette même scène, que je me suis fait un plaisir d'apprendre par cour, et dont il ne m'est pas échappé un seul vers. " LIVRE TROISIÈME. 117 En effet, il la récita tout entière sans hésiter, et d'un ton aussi animé que s'il l'eût faite lui- même. Tous ceux qui avaient été présents à la lecture de la pièce se re gardaient les uns les autres, et ne savaient ce qu'ils devaient penser ; l'auteur surtout était absolument dé concerté. Quand La Motte eut un peu joui de son em barras : “ Remettez-vous , monsieur, lui dit - il, la scène en question est de vous, sans doute, ainsi que tout le reste ;; mais elle m'a paru si belle et si touchante, que je n'ai pu m'empêcher de la retenir . ” 33. Charbonnier est maitre chez lui. > François Ier, s'étant égaré à la chasse, entra sur les neuf heures du soir dans la cabane d'un charbonnier. Le mari était absent : il ne trouva que la femme accrou pie auprès du feu . C'était en hiver, et il avait plu. Le roi demanda une retraite pour la nuit, et à souper. Il fallut attendre le retour du mari. Pendant ce temps, le roi se chauffa, assis sur une mauvaise chaise, la seule qu'il y eût dans la maison. Vers les dix heures arrive le charbonnier, las de son travail, fort affamé et tout mouillé. Le compliment d'entrée ne fut pas long. La femme exposa la chose à son mari et tout fut dit. Mais à peine le charbonnier eut- il salué son hôte, et secoué son chapeau tout trempé, que prenant la place la plus commode et le siège que le roi occupait, il lui dit : " Monsieur, je prends votre place, parce que c'est celle où je me mets toujours, et cette chaise parce qu'elle est à moi : Or, par droit et par raison, Chacun est maître en sa maison . " François applaudit au proverbe, et se plaça willeurs sur une sellettede bois . On soupa : on régla les affaires du royaume ; on se plaignit des impôts : le charbonnier voulait qu'on les supprimât. Le prince eut de la peine à luifaire entendre raison . “ A la bonne heure, donc, dit le charbounier ; mais, ces défenses rigoureuses pour la chasse, les approuvez-vous aussi ? Je vous crois hon. 118 ANECDOTES, nête homme, et je pense que vous ne me dénoncerez pas. J'ai là un morceau de sanglier qui en vaut bien un au tre : mangeons-le ; mais surtout bouche close . ” Fran. çois promit tout; mangea avec appétit, se coucha sur des feuilles , et dormit bien. Le lendemain il se fit connaître , et permit la chasse au charbonnier qui lui avait donné l'hospitalité. C'est à cette aventure qu'il faut rapporter l'origine du proverbe : Charbonnier est maître chez lui. 34. Le déjeuner de Napoléon . L'une des plus habituelles fantaisies de Napoléon c'était de parcourir Paris incognito, à la manière du sultan des Mille et une nuits. Dans ces excursions à travers la ville, il était toujours vêtu d'une redingote grise , entièrement boutonnée sur la poitrine. Il portait un chapeau rond à larges bords. Impatient de voir le monument de la place Vendôme terminé, il voulut le visiter lui- même. Dans ce but, il sortit du palais avant le jour, suivi d'un grand-maréchal du palais; il traversa le jardin des Tuileries , et se rendit sur la place Vendôme au moment où le crépuscule commençait à poindre. Après avoir examiné la gigantesque charpente dans tous ses détails et s'être promené à l'entour pendant trois quarts d'heure , l'empereur continua sonchemin, en suivant la rue Napoléon ( aujourd'hui la Rue de la Paix) , et, tournant à droite, il remonta le boulevard en disant gaîment à Duroc : “ Il faut que messieurs les Parisiens soient bien paresseux dans ce quartier, puisque toutes les boutiques sont encore fermées, quoiqu'il fasse grand jour.” Tout en causant il arriva devant les Bains -Chinois, dont le restaurant avait depuis peu été repeint à neuf. « Si nous entrions là pour déjeuner ?" dit Napoléon à Duroc. “ Qu'en pensez-vous ? Cette tournée ne vous a- t - elle pas donné de l'appétit ?? — Sire, c'est trop tôt ; il n'est encore que " huit heures. Bah ! bah ! votre montre retarde toujours. Moi, j'ai faim. " Et l'empereur LIVRE TROISIÈME. 119 > entre dans le café, s'assied à une table, appelle le garçon, et lui demande des côtelettes de mouton, une omelette aux fines herbes ( c'étaient ses mets favoris), et du vin de Chambertin . Après avoir mangé de très-bon appétit et avoir pris une demi-tasse de café, qu'il prétenditêtre meilleur que celui qu'on lui servait habituellement aux Tuileries , il appelle le garçon , lui demande la carte, et se lève , en disant à Duroc : “ Payez, et rentrons ; il est temps." Puis, se posant sur le seuil de la porte du café, les mains croisées sur le dos, il se met à siffler entre ses dents un récitatif italien . Le grand -maréchal s'était levé en mêmetemps que l'empereur, et, après avoir vainement fouillé toutes ses poches, il acquit enfin la certitude que, dans la précipitation qu'il avait mise le matin à s'habiller, il avait oublié sa bourse. Or, il savait que Napoléon ne portait jamais d'argent sur lui : il hé sitait dans le parti qu'il avait à prendre. Le garçon attendait. Le total montait à douze francs. Pendantcet incident, l'empereur, qui n'a rien vu, peu habitué à ce qu'on le fasse attendre, ne conçoit pas la lenteur que met Duroc à le rejoindre : déjà mêmeil a tourné la tête plusieurs fois de son côté, en disant d'un ton d'impatience: “ Allons, dépêchons-nous ; il se fait tard .” En effet, déjà les pourvoyeurs campagnards arrivaient de tous côtés ; les laitières et les porteurs d'eau circulaient. Le grand-maréchal prend enfin son parti, et , s'approchant de la maîtresse du café, qui se tient au comptoir, lui dit d'un ton poli, mais un peu honteux : 66 Madame, mon ami et moi sommes sortis ce matin un peu précipitam . ment; nous avons oublié de prendre notre bourse. Mais je vous donne ma parole que dans une heure je vous enverrai le montant de cette carte. sible , monsieur, reprit froidement la dame ; mais je ne vous connais ni l'un ni l'autre, et tous les jours je suis attrapée de la même manière. Vous sentez que ... Madame, nous sommes des gens desofficiers de la garde. — Oui, jolies pratiques, en effet, que les officiers de la garde!! – Madame, dit le garçon de café à la maîtresse, puisque ces messieurs ont oublié de prendre de l'argent, je réponds pour eux, persuadé que ces braves officiers ne voudront pas faire tort à un pauvre > C'est pos d'honneur, 120 ANECDOTES . C garçon de café. Voici les 12 francs. Autant de perda pour vous , fit la limonadière." Chemin faisant, Duroc raconta à l'empereur son aven ture. Napoléon en rit de bon cour. Le lendemain , un officier d'ordonnance, auquel le grand -maréchal avait donné des instructions précises, entrait au café des Bains- Chinois, et s'adressant à la maitresse de la mai son : “ Madame, n'est- ce pas ici que deux messieurs, vêtus l'un et l'autre de redingotes bleues, sont venus déjeaner hier, et que n'ayant pas d'argent ? ... – Oui, monsieur, répond la dame. — Eh bien , madame, c'était 8. M. l'Empereur et monseigneur le grand -maréchal du palais. Puis-je parler au garçonqui a payé pour eux ?” La dame sonne, et se trouve mal. Mais l'officier, s'a dressantau garçon , lui remet un rouleau de 50 napo léons. Ce garçon s'appelait Durgens. Quelques jours après il fut placé valet de pied dans la maison de l'em pereur. - 35. Economie et bienfaisance , On faisait à Londres une quête pour la construction d'un hôpital. Les commissaires chargés de la faire arrivent à une petite maison dont le vestibule était ouvert, et de ce vestibule ils entendent un vieux garçon , le maître de la maison, quereller sa servante de ce qu'ayant employé une allumette, elle l'avait étourdiment jetée au feu, sans faire attention que cette allumette pouvait encore servir par son autre bout. Après s'être amusés du sujet de la querelle et de la véhémence des reproches, les commissaires frappent et se présentent à la porte du vieux célibataire qui, instruit de l'objet de leur mission, leur remet 100 guinées. Les commis saires, étonnés de cette générosité, lui témoignent leur surprise. “ Vous vous étonnez de bien peu de chose, leur répond le vieux garçon . J'ai ma manière de ména ger et de dépenser. L'une fournit à l'autre, et toutes deux font mon bonheur. Au reste, en fait de bienfai. sance, attendez tout de ceux qui savent compter aveo eux -mêmes. " LIVRE TROISIÈME . 121 36. L'empereur et le muletier . Bonaparte gravit le Saint- Bernard , monté sur un mulet, revêtu de cette capote grise qu'il a toujours portée, conduit par un guide du pays, montrant dans les passages difficiles la distraction d'un esprit occupé ailleurs, entretenant les officiers répandus sur la route, et puis, par intervalles, interrogeant le conducteur qui l'accompagnait, se faisant conter sa vie , ses plaisirs, ses peines, comme un voyageur oisif qui n'a pas mieux à faire. Ce conducteur, qui était tout jeune, lui exposa naïvement les particularités de son obscure existence, et surtout tout le chagrin qu'il éprouvait de ne pouvoir, faute d'un peu d'aisance, épouser l'une des filles de cette vallée. Le premier consul, tantôt l'écoutant, tantôt questionnant les passants dont la montagne était rem plie, parvint à l'hospice où les bons religieux le reçurent avec empressement. A peine descendude sa monture, il écrivit un billet qu'il confia à son guide, en lui recom mandant de le remettre exactement à l'administrateur de l'armée, resté de l'autre côté du St - Bernard . Le soir, le jeune homme, retourné à St -Pierre, apprit avec sur prise quel puissant voyageur il avait conduit le matin , et sut que le général Bonaparte lui faisait donner un champ, une maison, les moyens de se marier enfin , et de réaliser tous les rêves de sa modeste ambition . THIERS. 37. Force extraordinaire. < M. de Biron était d'une force telle, qu'en serrant les jambes d'un cheval, il lui en cassait les os. Étant un jour chez un forgeron, il demanda un fer de grande ré sistance. Le forgeron se mit à l'ouvrage, et pendant qu'il avait le dos tourné, le maréchal prit l'enclume et la cacha sous son manteau. L'ouvrier fut étonné, lorsqu'il voulut battre son fer, de ne pas trouver sur 122 ANECDOTES . quoi le poser ; mais il le fut bien davantage, lorsqu'il vit retirer l'enclume de dessous le manteau et la remettre en place. Le maréchal de Saxe, voulant un jour donner une preuve de sa force à quelques personnes, entra chez un forgeron , sous le prétexte de faire ferrer son cheval, et comme il trouva plusieurs fers préparés : “ N'en as- tu pas de meilleurs que ceux- ci ?" dit - il à l'ouvrier. Celui-ci lui représenta qu'ils étaient excellents ; mais le maréchal en prit cinq ou six qu'il rompit successivement. Le forgeron admirait en silence ; enfin le maréchal feignit d'en trouver un bon qui fut mis au pied du cheval. L'opération faite , il jeta un écu de six livres sur l'en clume. “ Pardon, monsieur, dit le forgeron, je vous ai donné un bon fer, il faut me donner un bon écu de six livres.” En disant ces mots, il rompit l'écu en deux, et en fit autant de quatre à cinq autres que le maréchal lui donna . “ Mon ami, tu as raison , lui dit le comte ; je n'ai que de mauvais écus ; mais voici un louis d'or qui, j'espère, sera bon ." Le maréchal convint qu'il avait trouvé son maître. 38. Le docteur Abernethy. Le docteur Abernethy était bien connu par son laco nisme. Il détestait les longues consultations et les détails inutiles et filandreux. Une dame, connaissant cette particularité, se présente chez lui pour le consulter sur une grave blessure qu'un chien lui avait faite au bras. Elle entre sans rien dire, découvre la partie bles sée, et la place sous les yeux du docteur. M.Abernethy regarde un instant, puis il dit : “ Egratignure ? - Mor Chat ? - Chien. · Aujourd'hui ? Hier. Douloureux ? Non ." Le docteur fut si enthousiasmé de cette conversation à la Rabelais, qu'il aurait presque embrassé la dame. Il n'aimait pas non plus qu'on vînt le déranger la nuit. Une fois, qu'il se couchait à une heure du matin de fort mauvaise humeur, parce qu'on était venu le faire lever sure . - LIVRE TROISIÈME . 123 à minuit , il entendit la sonnette retentir. “ Qu'y a - t -il ? s'écria -t - il avec colère. Docteur ... vite ! vite ! ... Mon fils vient d'avaler une souris. Eh bien , dites- lui d'a valer un chat et laissez-moi tranquille !” fit le docteur en se recouchant. 39. Piron et les passants. Piron avait coutume d'aller presque tous lesmatins au bois de Boulogne, pour y rêver à son aise . Un jour il s'y égara et n'en sortit qu'à quatre heures du soir, si las de sa promenade qu'il fut obligé de se reposer sur un banc tenant à un des piliers de la porte. A peine est- il assis, que, de droite et de gauche, il est salué par tous les passants qui entraient et sortaient à pied, à cheval ou en voiture. Piron d'ôter son chapeau, plus ou moins bas, suivant la qualité apparente des personnes. “ Oh ! ohi disait - il en lui-même, je suis beaucoup plus connu que je ne le pensais ! Que M. de Voltaire n'est-il ici, pour être témoin de la considération dont je jouis en ce moment ! lui, devant lequel je me suis presque prosterné ce matin , sans qu'il ait daigné autrement y répondre que par un léger mouvement de tête !" Pendant qu'il faisait ces réflexions, le monde allait et venait sans cesse, tant qu'à la fin l'exercice du chapeau devint très-fatigant pour Piron ; il l'ôta tout à fait, se contentant de s'incliner devant ceux qui le saluaient. Unevieille survient, qui se jette à ses genoux, les mains à ointes. Piron surpris et ne sachant pas ce qu'elle veut : " Relevez- vous, lui dit-il, bonne femme, relevez - vous ; vous me traitez en faiseur de poëmes épiques ou de tra gédies ; vous vous trompez , je n'ai pas encore cet hon neur- là ; je n'ai fait parler jusqu'à présent que des ma rionnettes .” Mais la vieille restant toujours à genoux sans l'écouter, Piron croit apercevoir qu'elle remue les lèvres, et qu'elle lui parle ; il se baisse, s'approche et prête l'oreille. Il entend en effet qu'elle marmotte quelque chose entre ses dents ; c'était un Ave qu'elle adressait à une image de la Vierge, placéejuste au-dessus du banc où 124 ANECDOTES . Piron était assis . Alors il lève les yeux et voit que c'est à cette image que s'adressaient aussi tous les saluts qu'il avait rendus. 40. Invention de la lithographio . Aloys Senefelder, de Munich, étant devenu, par la mort de son père, chef d'une nombreuse famille , cher chait à soutenir sa mère et ses frères, à l'aide des faibles ressources que lui offrait un médiocre talent dramatique. La misère l'accablait, lorsqu'un jour se promenant sur les bords de l'Iser, avec de sinistres desseins, il arrêta par hasard ses yeux sur une pierre calcaire fort mince, sur laquelle était empreinte, avec beaucoup de délica tesse , la figure d'un brin de mousse. Il se mit à imiter cet accident sur des pierres semblables, et à en faire des dessus de tabatière. Aloys enduisait ses mousses d'une encre noire et grasse et les appliquait ainsi sur la pierre ; bientôt il s'aperçut que ces pierres, couvertes ensuite d'un papier humide, donnaient plusieurs épreuves de l'empreinte qu'y avaient laissée les mousses. Il inventa ainsi la lithographie , perfectionna sa découverte, et se fit le sort le plus brillant. 41. Le sous - préfet Romieu . On raconte qu'un soir M. le sous- préfet Romieu , ren trant chez lui å onze heures, après un souper en ville ; quand Romieu soupait en ville, à Paris, il ne ren trait jamais que le lendemain matin ; mais chacun sait, hélas ! que Paris n'est point la province ! - M. le sous préfet rentrant donc chez lui à onze heures du soir, aperçut trois ou quatre gamins de la localité occupés à viser avec des pierres le réverbère d'honneur allumé la sous-préfecture ; seulement c'était en province toujours, et non à Paris , et les gamins, dans leur mala dresse départementale, avaient déjà jeté quatre ou cing LIVRE TROISIÈME. 125 pierres sans atteindre le but. Le sous- préfet, qui les voyait sans qu'ils le vissent, hausse les épaules. Enfin, ne pouvant plus se contenir en face d'une pareille mala dresse, il s'approche, prend place au milieu des gamins étonnés, råmasse une pierre au hasard, la lance, et clic ... plus de réverbère. " Voilà comme cela se pratique, messieurs ”, dit - il. Et il rentre chez lui en murmurant : “ Ah ! la jeunesse est bien dégénérée !" ALEXANDRE DUMAS. 42. Encore Romieu . - Ce même Romieu entre un jour chez un horloger du Palais-Royal, nommé Leroy , dans l'intention de le mystifier : “ Monsieur, lui dit- il avec un accent anglais très-prononcé, qu'est-ce que ces petites machines accro chées à votre devanture ? Monsieur, ce sont des montres, répond l'horloger, en en détachant une pour la mettre entre les mains de Romieu. Ah ! des mon. tres ! Et à quoi cela sert - il, s'il vous plaît ? - A indi. quer l'heure, monsieur. - A indiquer l'heure ! Et de quelle façon ?" L'horloger s'épuise en explications et en démonstrations, et il en arrive enfin à lui dire comment il faut remonter la montre : “ Vous la monterez ainsi toutes les vingt- quatre heures, lui dit - il. Est- ce le matin ou le soir ? Le matin , monsieur. Ah ! le matin ! Et pourquoi pas le soir ? — Parce que le soir vous êtes ivre, monsieur Romieu, " fit l'horloger en souriant. - - 43. Monseigneur Affre et le commis - voyageur. Mer Affre, archevêque de Paris, était, comme on le sait, un prélat aussi distingué par l'élégante finesse de son esprit que par ses lumières et l'étendue de ses con naissances théologiques. Avant qu'il ne fût arrivé au poste éminent qu'il a occupé avec tant de vertu et qu'il a 126 ANECDOTES . quitté, en martyr, avec tant d'héroïsme, il se rencontra un jour dans une voiture publique avec un commis voyageur goguenard qui voulut amuser la compagnie à ses dépens. Pour commencer, il lui adressa la question suivante : “ Quelle différence y a- t- il entre un âne et un évêque ?" Le prêtre, surpris, regarde l'impertinent, et lui répond, après quelques moments de silence, qu'il n'en sait rien . “ C'est, reprend le spirituel questionneur, qu'un âne porte sa croix sur le dos, et que l'évêque la porte sur sa poitrine !" Après cette plaisanterie de bon goût, le commis- voyageur se mit à rire aux éclats, mais il trouva peu d'écho. Un instant après, le prêtre lui dit : “ Et vous, monsieur, savez- vous quelle différence il y a entre un âne et un commis -voyageur ? —Non. —Eh bien ! ni moi non plus.” Cette fois tous les rieurs se mirent du côté de Mø*Affre ; le voyageur seul ne rit pas ; il baissa la tête et descendit au premier relais. 44. Un beau mangeur. Au milieu d'un dîner, on vint à parler d'un homme qui mangeait extraordinairement, et on cita des exem. ples de son prodigieux appétit.. “ Il n'y a là rien de bien surprenant, dit un officier, et j'ai dans ma compagnie un soldat qui, sans se gêner, mange un mouton tout en tier." Chacun de se récrier, mais l'officier propose un pari considérable, qui est accepté par tous ceux qui étaient présents . Au jour indiqué, les parieurs se ren. dent chez un restaurateur. L'officier , afin de mieux tenir en haleine l'appétit de son mangeur, avait fait apprêter à diverses sauces les différentes parties du mouton. Le soldat se met à table ; les plats se succèdent et sont engloutis avec rapidité. Chacun admire, et les parieurs commencent à trembler . Le soldat avait déjà dévoré les trois quarts de la bête, lorsque, se tournant vers son capitaine: " Ah ça, lui dit-il, il me semble qu'il serait temps de faire servir le mouton ; autrement, je ne réponds plus de vous faire gagner .” Il avait cru que tout ce qu'on lui avait servi jusqu'alors n'était que pour LIVRE TROISIÈME . 127 • aiguiser son appétit. On demandait à ce même soldat combien il croyait pouvoir manger de dindons: “ Une douzaine. - Et de pigeons ? - Cinquante. - Com. bien donc mangerais -tu d'alouettes ? - Toujours, mon capitaine, toujours .” . . 45. Excepté le Lord-maire. > L'acteur Foote, voyageant dans la partie occidentale de l'Angleterre, s'arrête pour dîner dans une auberge. Lorsqu'il voulut régler son compte, le maître d'hôtel lui demanda s'il était satisfait. “ J'ai dîné comme personne en Angleterre, dit Foote. — Excepté le lord- maire, fit l'aubergiste avec vivacité . — Je n'en excepte personne. Vous devez en excepter le lord-maire .” Foote se mit en colère . “ Pas même le lord -maire !" fit - il en appuyant sur chaque syllabe. La querelle s'envenima au point que l'aubergiste, qui était magistrat des ses sions ordinaires, le fit comparaître devant le mayor de l'endroit. “ Monsieur Foote, lui dit ce vénérable ma gistrat, vous saurez que c'est une habitude datant de temps immémoriaux dans cette ville de faire toujours une exception pour le lord- maire, et afin que vous n'ou bliiez pas une autre fois nos us et coutumes, je vous condamne à un shilling d'amende ou à cinq heures d'emprisonnement, à votre choix." Foote exaspéré se vit dans l'obligation de payer l'amende. Il sortit de la salle en disant : “ Je ne connais pas dans toute la chrétienté un plus grand fou que cet aubergiste, - excepté le lord -maire," ajouta -t -il en se tournant respectueusement du côté de Sa Seigneurie . International . 46. Madame Deshoulières et le revenant. Madame Deshoulières étant allée voir une de ses amies à la campagne, on lui dit qu'un fantôme se promenait 128 ANECDOTES . toutes les nuits dans l'un des appartements du château, et que depuis bien longtemps personne n'osait l'occuper. Comme elle n'était ni superstitieuse ni crédule, elle eut la curiosité de s'assurer du prodige par elle-même, et voulut absolument coucher dans cet appartement. En effet, au milieu de la nuit, elle entendit ouvrir sa porte : elle parla ; le spectre ne lui répondit pas, cependant il marcha pesamment vers elle . Une table qui était au pied du lit fut renversée, et ses rideaux s'entr'ouvrirent avec bruit. La dame, quelque peu troublée, allongeait les deux mains, pour sentir si le spectre avait une forme palpable. En tâtonnant, elle lui saisit les deux oreilles qui étaient longues et velues, ce qui lui donnait beau coup à penser. Elle n'osait retirer une de ses mains pour toucher le reste du corps, de peur qu'il ne lui échappât ; et pour ne point perdre le fruit de sa peine, elle se tint dans cette attitude jusqu'à l'aurore. Enfin, au point du jour, elle reconnut dans l'auteur de tant d'alarmes un gros chien assez pacifique, qui n'aimant point à coucher dehors, avait coutumedevenir chercher un abri dans cette chambre, dont la porte ne fermait pas bien. 47. Part du prince de Galles . Brummel, ce roi de la mode, mort détrôné comme tant d'autres, comme on critiquait un jour sa vigueur, ditauprince de Galles : "“ Je parie de porterVotre Altesse sur mes épaules, depuis la porte de Hyde- Park, à l'extrémité de Piccadilly, jusqu'à la Tour deLondres, sans m'arrêter et en allant toujours au pas de course.' Le pari est accepté, fixé à deux mille livres, et rendez vous est pris pour le lendemain à midi. “ L'heure est mal choisie, dit le prince, et les curieux abonderont. Heureusement Brummel n'ira pas loin ." Brummel, le prince et leurs témoins s'étant rendus sur le terrain : “ Le cheval est prêt, dit Brummel, que le cavalier_se prépare. — Je suis prêt , répondit le prince. – Pas tout à fait. Il faut d'abord que vous ôtiez votre habit. LIVRE TROISIÈME . 129 - - A quoi bon ? – Je me suis engagé à porter Votre Altesse, mais non pas son habit, qui ajouterait au poids. Il est juste que je me tienne à la lettre du pari. Soit, me voilà sans habit. Partons ! Pas encore. Mainte nant, Ôtez vos bottes. Les bottes aussi ? Fort bien ! A présent, dépouillez-vous de votre gilet, de votre cravate, de votre ... " Le prince fut obligé de re noncer à la gageure, et Brummel gagna les deux mille livres. 48. Enthousiasme de Piron . Après la représentation du Tartufe , un jeune homme s'écriait sans fin : “ Ah! mon Dieu ! ah ! mon Dieu ! quel bonheur ! oh ! quel bonheur! messieurs, quel bonheur ! A qui en avez - vous donc, lui demanda un de ses voisins ? Quoi ! répondit le jeune enthousiaste, vous n'avez pas vu , vous n'avez pas senti ; vous ne sentez pas que si cette pièce admirable que nous venons de voir n'était pas faite, elle ne se ferait jamais ! ” L'admi rateur de ce chef-d'æuvre était Piron , alors commis dans un bureau . 49, Le général Souwarow et le comte R ... Souwarow était de petite taille ; son corps était seo, nerveux, endurci autravail par l'habitude de la fatigue et des privations. Son regard était ferme et perçant, son sang était toujours bouillant, et ne lui permettait jamais un repos complet ... Après avoir essuyé une disgrâce, il revint à St. Pétersbourg où l'empereur le fit complimenter par son favori, le comte K ... qui se fit “ Mais je ne connais point de famille russe de ce nom -là, dit-il ; au surplus , qu'il entre . ” Le comte étant entré, il lui demandeencore à lui-même son nom, fait toujours l'étonné, et le prie de lui dire de quel pays il est originaire. Le comte , un peu embarrassé, répond annoncer . > K 180 ANECDOTES . enfin : " Je suis natif de la Turquie, c'est à la grâce du monarque que je dois mon titre. Ah ! dit le général, vous avez sans doute rendu des services importants à l'État ? Dans quel corps avez-vous servi ? à quelle bataille avez -vous assisté ? Je n'ai pas servi dans l'armée. - Vous étiez donc employé dans les affaires civiles ? et dans quel ministère ? . -Je n'ai jamais servi dans aucun ministère ; j'ai toujours été auprès de l'au guste personne de 8. M. Ah ! mon Dieu! En quelle qualité ? ” Le comte eut beau rechigner, il fallut en venir au fatal aveu que l'impitoyable Souwarow voulait lui arracher : “ J'ai été le premier valet de chambre de S. M. - Ah ! très - bien, " s'écria le général, et se tournant vers ses domestiques qui étaient présents, il dit à son valet de chambre : " Yvan, vois- tu ce seigneur ? Il a été ce que tu es ; il est vrai que c'est auprès de notre gra cieux souverain. Vois- tu quel beau chemin il a fait ? Il est devenu comte ; il est décoré des ordres de Russie : ainsi conduis-toi bien ; qui sait ce que tu peux devenir ? " 50. Etourderie de Nicole. Nicole, avec le mérite que tout le monde lui connaît, était si simple, si timide, et s'exprimait si mal qu'il fut refusé à l'examen pour l'ordination, comme un sujet absolument incapable. Une dévote qui, en parlant de des ouvrages, désirait, depuis longtemps, de faire con naissance avec lui , pria, un jour, son directeur de l'en gager à venir manger sa soupe. Il y vint ; et comme il n'y a chère que de dévote et de directeur, et que les meilleurs vins ne furent pas épargnés, Nicole, à quile champagne et le muscat avaient un peu brouillé les idées , dit en prenant congé de la pieuse dame : “ Ah ! madamel je suis pénétré de vos bontés et de vos poli tesses à mon égard... Non, rien n'est si gracieux que vous ! Vous êtes, en vérité, charmante en tous points ; l'on ne peut qu'admirer vos appas, et surtout vos beaux petits yeux !" Le directeur qui l'avait présenté, et qui avait plus LIVRE TROISIÈME . 131 > d'usage du monde, dès qu'ils furent sortis, lui fu quel ques reproches sur sa simplicité : • Vous ne savez donc pas, lui dit-il , que les dames ne veulent point avoir de petits yeux ? Ilfallait, au contraire, lui dire qu'elle les avait grands et beaux. — Croyez - vous cela, monsieur ? Comment, si je le crois ? ... Mais très - assurément ! Ah ! que je suis mortifié de ma sottise l ... Mais paix ! paix ! monsieur, je m'en vais la réparer." Et tout de suite le moraliste, que l'autre ne peut retenir, vole, re monte chez la dévote, et lui dit : “ Ah ! madame ! par donnez à la méprise que je viensde commettre, et que mon digne confrère, bien plus poli que moi, vient de me faire apercevoir... Oui, oui, je vois que je me suis trompé; car vous avez de très-beaux grands yeux ... ' le nez, la bouche et les pieds aussi.” DE LA PLACE . 51. Henri IV et Sully . Une calomnie travaillée de main de courtisan avail sapé les fondements de l'amitié qui régnait entre le roi et son ministre : on avait représenté Sully comme dan. gereux, comme prêt à s'armer contre son maître des bienfaits de son ami; on avait cité les exemples de tant d'ingrats et de traîtres dont ces temps malheureux abondaient. Les avis étaient si multipliés, si détaillés, toutes les circonstances avaient été rassemblées avec tant d'art, qu'elles avaient ébranléHenri. Déjà son cœur se resserre ets'éloigne ; Sully voit le progrès de la ca lomnie, peut l'arrêter d'un seul mot et ne daigne pas le dire. Henri attend ce mot et ne l'exige point : la douce familiarité, le badinage aimable, la liberté, la confiance avait fui de leurs entretiens. Henri n'était plus que poli, Sully n'était plus que respectueux ; le ministre n'était pas renvoyé, mais l'ami était disgracié. Qu'il est dur et difficile de cesser d'aimer ! Henri jette de temps en temps sur celui qu'il aima des regards de tend.'esse et de regret, et s'il voit sur son visage quelques traces de douleur, s'il croit reconnaître à quelque marque son 192 ANECDOTES. fidèle Sully, son cæur ne se contient plus, ses bras vont s'ouvrir, il va se jeter au cou de son ami. Une mauvaise honte, un reste de défiance, et toujours ce fier silence de Sully le retiennent encore ... Il succombe enfin . “ Sully, lui dit-il, n'auriez- vous rien à me dire ? Quoi ! Sully n'a plus rien à me dire. Eh bien ! c'est donc à moi de parler .” Il lui dévoile alors son âme tout entière avec tous les combats quil'ont agitée et toutes les douleurs qui l'ont affligée : “ Cruel, commentpouviez - vous laisser à votre ami le désespoir de vous croire infidèle ?" Sully, pénétré de ce tort, le seul qu'il ait pu avoir, veut tomber aux pieds de Henri... “ Que faites -vous, Sully ? lui dit le roi ; vos ennemis vous voient, ils vont penser que je vous pardonne ; ne leur donnez point la satisfaction de vous avoir cru coupable." GAILLARD, 52. Les distractions du professeur Sturm . M. Sturm cheminait un jour dans la rue, fort absorbé par je ne sais quelle suite de calculs . Tout à coup un beau disque noir- -un vrai tableau tentateur —s'offre au morceaudecraie que sa poche tenait toujours en réserve. C'était le fond du tonneau d'un porteur d'eau, qui montait ses deux seaux à un étage voisin. M. Sturm s'arrête instinctivement, et s'abîme en quelques minutes dans une myriade de chiffres qu'il essuie de temps à autre avec le pan de sa redingote. Cependant, l'Au vergnat redescend, et, sans dire gare, fait rouler de nou. veau son équipage. Mais il avait compté sans M. Sturm , qui , toujours attaché à son char et toujours crayonnant, ne s'en sépara qu'après avoir terminé ses observations. Si le porteur s'étonna, il en fut bien autrement d'une dame qui, vêtue de grand deuil, rendait un jour visite au même savant. Visiblement préoccupé , M. Sturm paraissait sonder du regard la jupe de sa visiteuse. Tout à coup, sa main s'allonge conclusivement, et à l'instant où la dame, surprise, se préparait à répéter avec l'Elmire de Molière : Ah ! de grâce, laissez , je suis fort chatouilleuse LIVRE TROISIÈME . 133 elle voit avec stupéfaction le même morceau de craie sortir de cette main audacieuse et barioler impitoyable ment sa robe. C'était encore un problème dont M. Sturm cherchait la solution. Ces deux traits ne sont que comiques. En voici un d'une touchante modestie. Entre autres services rendus à la science, M. Sturm est l'auteur d'un théorème qui porte son nom . Lorsque vient le moment de le démontrer à son auditoire, il ne sait comment s'y prendre pour dissimuler son ego, et murmure en rougissant : " J'arrive, messieurs, au théo rème dont j'ai l'honneur de porter le nom .” Revue anecdotique. 53. Bernardin de Saint- Pierre. Madame Necker ayant écrit à Bernardin de Saint Pierre pour lui demander une lecture de ses ouvrages, lui promit pour auditeurs et pour juges les hommes qu'elle estimait le plus. MM. Necker, Thomas, Buffon, l'abbé Galiani et plusieurs autres personnages distin gués, furent admis à ce tribunal, ou l'auteur comparut, le manuscrit de “ Paul et Virginie" à la main . D'abord on l'écoute en silence ; peu à peu l'attention se fatigue, on bâille, on n'écoute plus. M.de Buffon regarde sa montre et demande ses chevaux ; le plus près de la porte s'esquive ; Thomas s'endort ; M.Necker sourit en voyant pleurer les dames , et les dames , honteuses de leurs larmes, n'osent avouer qu'elles ont été intéressées. La lecture achevée, on ne loua rien ; madame Necker criti qua seulement la conversation de Paul avec le vieillard, dont la morale lui sembla ennuyeuse et commune ; elle suspendait l'action et refroidissait le lecteur: c'était un verre d'eau à la glace. M. de Saint- Pierre se retira dans un découragement impossible à dépeindre. Accablé, se voyant sans ressource après un teleffet de son ouvrage sur l'auditoire, il eut l'idée de brûler tous ses papiers, de renoncer aux sciences , à la littérature, et de demander une portion inculte des domaines du roi, pour s'y établir 134 ANECDOTES . avec quelques pauvres familles. On lui refusa . Tout à l'impression de ce double échec, il reçut la visite du peintre Vernet, qui venait souvent le voir dans son petit donjon de la rue Saint-Étienne du Mont. Sur les ques tions du célèbre artiste, le pauvre auteur raconta sa mésaventure. Vernet en fut surpris, car il avait entendu plusieurs fragments des " Études de la nature . " Ilengage Bernardin à lui faire connaître ce malencontreux roman : celui -ci ne cède qu'avec peine à ses instances ; enfin , il prend son manuscrit, qu'il n'avait pas déroulé depuis le jour fatal. Le peintre l'écoute d'abord avec méfiance ; mais le charme ne tarde pas à agir sur lui : à chaque page il se récrie ; bientôt il ne loue plus, il pleure ; il partage les transports de Paul au départ de Virginie. On arrive au dialogue du vieillard . M. de Saint -Pierre propose de passer outre ; Vernet ne veut rien perdre ; il est tout attention, et son silence devient plus éloquent que ses larmes et ses éloges. Enfin , la lecture s'achève ; l'artiste, transporté, se lève, embrasse son ami, le presse sur son sein. “ Heureux géniel s'écrie -t- il ; charmante créature ! ah ! vous avez fait un chef- d'auvre, mon ami, vous êtes un grand peintre, et j'ose vous prédire la plus brillante renommée." Ces éloges pénétrèrent de joie M. de Saint- Pierre, et lui rendirent cette confiance qu'un excès de modestie fait perdre quelquefois au talent, et qu'une conscience secrète lui rend presque toujours malgré lui. AIMÉ MARTIN . 54. Diner d'avare. Le docteur Galabert, Provençal, était connu dans tout Lyon par son insigne lésinerie. Depuis longtemps il tourmentait le comédien Frogères pour qu'il vînt dîner chez lui. Frogères, ami de la bonne chère, n'avait garde d'accepter. Un jour, cependant, Galabert s'attache à lui : « Monsieur Frogères, vous viendrez manger ma soupe. Impossible, on m'attend. Je ne vous quitte pas ; vous viendrez ..." Il n'y eut pas moyen de - LIVRE TROISIÈME . 138 s'en défendre, il fallut suivre le docteur. Un se met à table. Paraît une soupe qui n'avait ni le goût ni la cou leur du bouillon . Le comédien en avale cinq ou six cuillerées, en faisant autant de grimaces. " Monsieur Frogères, comment trouvez - vous ce potage ? Excel lent, monsieur Galabert. N'est-ce pas qu'il est bon ? Eh bien ! vous allez voir le bouilli.” Il n'était pas plus gros qu’un bouchon, mais un peu plus dur. " Voilà ordinairement mon dîner, dit le sobre docteur, mais nous aurons un petit extraordinaire. La bonne, fais nous griller deux côtelettes ; nous mangerons bien cha cun la nôtre ; qu'en dites - vous ? ” Les deux côtelettes sont servies. Galabert a soin de les couper l'une après l'autre, se réserve la viande, donne l'os à Frogères, et recommence de la même manière à la seconde. Frogères enrageait de faim et de colère. “ Monsieur Frogères, lui dit le docteur, voulez -vous manger un excellent gigot ? Comment donc ! bien volontiers , répond l'affamé comédien. Eh bien ! mon cher, vous n'avez qu'à le prendre trois jours d'avance, le faire mortifier et cuire dans son jus, c'est un morceau excellent...” Ce fut là le plat du dessert. MARTAINVILLE. - - 3 55. Une leçon de politesse. C'était le matin ; le président de Mézières était en redingote, en mauvaise perruque ronde, en bas de laine grise , un mouchoir de soie autour du cou, ce qui n'était pas propre à sauver sa mauvaise mine. Il était pour une somme considérable dans un état de créance que le procureur chargé de l'affaire ne se pressait pas d'ac, quitter. Il entre dans l'étude de cet homme ; il s'adresse au procureur honnêtement, parce que le pré sident de Mézières est l'homme de France le plus doux et le plus honnête : " Monsieur, il y a longtemps que j'attends; pourriez -vous me dire quand je serai payé ? Je n'en sais rien.” Le président était debout, le procureur assis ; le président chapeau bas, le procureur 196 ANECDOTES. - - - - - la tête couverte de son bonnet ; le président parlait, le procureur écrivait. “ Monsieur, c'est que je suis pressé. - Ce n'est pas ma faute. Cela se peut. Cependant, voilà mes titres ; je les ai apportés, et vous m'obligerez de les regarder. — Je n'ai pas le temps. — Monsieur, de grâce, faites -moi ce plaisir. — Je ne sau rais, vous dis-je. -Monsieur... -— Vous m'interrompez ? Est- ce que vous croyez , mon ami, que je n'ai que votre affaire en tête ? Vous serez payé avec les autres. Allez vous- en , et ne m'ennuyez pas davantage. — Monsieur, je suis fâché de vous ennuyer, mais vous n'êtes pas le premier ! Tant pis ! Il ne faut ennuyer personne . Il est vrai ; mais il ne faut brusquer personne. Cela fait le plaisant! - Le plus plaisant des deux, je vous jure, monsieur, que ce n'est pas moi. On me doit, j'ai besoin, je voudrais toucher mon argent. Je ne vous demande que de jeter un coup d'oeil sur mes titres . Voyons donc, voyons ces titres. Si on avait affaire à deux hommes comme vous par jour, il faudrait renoncer au métier." Le président déploie ses titres, et le pro cureur lit : “ Monsieur le président de Mézières, etc.” Et aussitôt le voilà qui se lève : " Monsieur le président , je vous demande mille pardons ... Je n'avais pas l'hon neur de vous connaître ... Sans cela ... " Le président le prend par la main, l'éloigne de son fauteuil, s'y place, et lui dit : “ Maître un tel , vous êtes un insolent. Il ne s'agit pas de moi : je vous pardonne ; mais je viens de voir la manière indigne et cruelle dont vous en usez avec les malheureux qui ont affaire à vous. Prenez garde à ce que vous ferez à l'avenir. S'il me vient jamais une plainte sur votre compte, je vous fais perdre un état que vous remplissez si mal. Adieu.” DIDEROT. S 56. Epitaphe de Franklin . On voit à Philadelphie, sur une modeste tombe cou. verte de mousse sauvage, à un kilomètre environ de la maison où Franklin rendit le dernier soupir, cette épi. LIRE TROISIÈME . 137 taphe, composée par lui-même plusieurs années avant sa mort : CI-GIT LE CORPS DE BENJAMIN FRANKLIN , IMPRIMEUR , SEMBLABLE À LA COUVERTURE D'UN VIEUX LIVRE DONT LA TABLE DES MATIÈRES A ÉTÉ ARRACHÉE, DONT LES CARACTÈRES ONT ÉTÉ EFFACÊS ET LA DORURE TERNIE LA PÂTURE DES VERS. CEPENDANT L'OUVRAGE LUI- MÊME NE SERA PAS PERDU , CAR IL REPARAITRA SOUS UN AUTRE FORMAT DANS UNE NOUVELLE EDITION CORRIGÉE ET PURIFIÉE PAR L'AUTEUR , 57 . La théorie du charlatanisme, Un célèbre médecin hollandais, établi à Londres depuis de longues années, le docteur Vanslebten, passant sur Grosvenor Square, s'arrêta à considérer un charlatan qui, dans une superbe calèche à quatre chevaux, avec plusieurs domestiques magnifiquement vêtus , attirait une foule immense, et faisait une énorme distribution de ses drogues. Informé de sa demeure, il le fait prier de passer le lendemain matin chez lui. Le char latan s'y rend. · Monsieur, lui dit le docteur, je vous entendis annon . cer hier publiquement que vous aviez d'excellents remèdes pour toutes sortes de maladies : en auriez- vous pour la curiosité ? En vous regardant attentivement, j'ai cru vous reconnaître, et je ne peux me rappeler où Monsieur, il me sera très aisé de vous satisfaire . J'ai servi plusieurs années chez lady Waller, où vous veniez très -souvent; j'étais son premier laquais, et je l'ai quittée depuis trois ans pour exercer le métier dans lequel vous me voyez. Vous excitez de plus en plus ma curiosité . Comment est - il possible que des talents acquis en trois ans vous aient procuré les moyens d'entretenir l'état brillant que vous me paraissez avoir, tandis qu'exerçant maprofession depuis quarante ans avec la plus grande application, et j'ose dire avec quelque célébrité, je peux à peine entre tenir mon petit ménage ? - Monsieur, pour que je nous nous sommes vus . - 138 ANECDOTES. puisse répondre directement à votre question, me per mettez- vous de vous en faire quelques -unes ? · Volon . tiers . Vous demeurez dans une des rues les plus fréquentées de la ville .... Combien croyez -vous qu'il y passe de monde par jour ? Cela serait difficile à compter ; mais, à estimation arbitraire, à peu près dix mille. - J'accepte ce calcul comme juste. Et combien pensez-vous que dans ces dix mille il y ait de gens de bon sens ? ... je ne dis pas d'esprit, car le monde en fourmille. Ah ! vous m'embarrassez en distinguunt l'esprit du bon sens . Si sur les dix mille il y en a cent de cette dernière espèce, c'est beaucoup. - Eh bien, monsieur, vous avez répondu vous- même à votre ques tion . Les cent personnes de bon sens sont pratiques , et les neuf mille neuf cents autres sont les miennes. " - VOS 58. Lord Egerton . Lord Egerton , à qui appartenait l'hôtel de Noailles, situé rue de Rivoli, joignait à des goûts fort originaux une fortune immense, qui lui permettait de les satisfaire, à quelque prix que ce fût. L'hôtel de Noailles, que lord Egerton habitait, devait, au bout d'un certain nombre d'années , être démoli pour faire place à des constructions sur un nouveau plan, et l'époque fatale de la démolition étant arrivée, l'Hôtel de ville de Paris envoya des émissaires chez le noble Anglais, pour l'avertir qu'il eût à s'exécuter. Mais la ville n'avait nullement réfléchi que lord Egerton était infirme et vieux, que, par con se quent, il n'aimait pas à être dérangé ; qu'il était, en outre, le lord le plus entêté de la Grande -Bretagne, et : que, par surcroit de difficulté, il était excessivement riche. Lord Egerton reçut fort poliment les archi tectes municipaux ; mais il leur déclara qu'il n'avait pas le temps de se déranger pour les embellissements de la capitale. Là - dessus sommation en règle de la part de l'administration et menace de procéder par LIVRE TROISIÈME. 189 - autorité de justice. Lord Egerton est long à prendre ses mesures ; il fait appeler son médecin et lui demande sérieusement combien la Faculté peut encore le retenir sur la terre : " Cinq ans, répond le docteur. Sans flatterie, sans fausse espérance ? ” reprend le comte. Le médecin affirme de nouveau . « C'est bien ; allez vous-en, docteur." Et lord Egerton appelle alors auprès de lui M. P... , son avocat, et lui montrant la somma tion timbrée de la Ville : “ Combien de temps me pro mettez- vous de faire traîner ce procès en longueur ? Dites la vérité : consultez vos forces... Je vous pro mets, sur mon honneur, répond l'homme de loi, de le faire durer cinq ans et plus. C'est bien ; allez -vous en .” Et lord Egerton envoie sur-le -champ à l'Hôtel de ville le résultat de ses deux consultations, en con seillant d'attendre. On attendit, lord Egerton mourut en 1829, et l'hôtel de Noailles fut alors démoli. Petit Journal. - 59. Une peur. Il m'arriva une aventure qui donna dans le couvent une belle idée de mon courage. Une jeune personne, voulant se faire religieuse, vint avec sa mère à Origny. On les logea dans un grand appartement à côté du mien, et vide depuis plus de trois ans. Tout le monde dans le couvent était couché avant dix heures ; pour moi, j'écrivais , je lisais , je jouais de la harpe, et com munément jusqu'à deux heures du matin ; le soir même de l'arrivée de la jeune personne novice, j'entendis à minuit doucement frapper à ma porte ; c'étaient la novice et sa mère. Elles étaient toutes tremblantes et me contèrent qu'elles avaient été réveillées par un bruit étrange qu'elles avaient entendu dans un cabinet voisin de leur chambre, et dans lequel elles n'étaient point entrées. Commeil faisait beaucoup de vent ce soir-là , je leur représentai que ce bruit n'avait rien d'étonnant; elles me répondirent qu'il était si prodigieux qu'il sem blait qu'on voulût du dehors briser et enfoncer la fenêtre 140 ANECDOTES. qui donnait sur les basses- cours. La mère pensait que c'étaient des voleurs qui, ayant escaladé les murs, vou laient entrer dans cet appartement ; la fille disait qu'elle croyait que c'était toutsimplement un revenant. Made moiselle Victoire, ma femme de chambre, qui était fort courageuse, offrit d'aller visiter la chose, et, piquée d'émulation, je dis que je voulais y aller avec elle. On y consentit ; je distribuai les armes : un balai, des pin cettes , des tenailles, une pelle; je marchai à la tête, et nous allâmes très -gaîment dans l'appartement des deux étrangères . Arrivées à la porte du cabinet, nous écoutâmes et nous entendîmes, en effet, un bruit extra ordinaire. Cependant, par un de ces premiers mouve ments d'imprudence et d'audace que j'ai eus mille fois en ma vie, j'ouvris la porte et je fis passer Victoire, qui tenait une bougie ... Vis -à - vis de la porte était la fenêtre avec un grand rideau blanc tiré ... A peine la valeureuse Victoire a- t- elle jeté les yeux sur ce rideau qu'elle pâlit, chan celle, et la lumière vacille dans sa main tremblante ; elle voyait, je vis comme elle au même instant deux gros pieds d'homme qui passaient sous ce rideau ... C'était voir un voleur ; mais, sans nulle réflexion, je m'élance vers le rideau , en m'écriant : “ Eh bien ! nous lui parlerons ; ne me laissez pas seule et avançons nous ... ' En disant ces mots, je mejette sur le rideau brusquement. Quelle ne fut pas notre agréable surprise, en découvrant que ces prétendus pieds n'étaient que des souliers d'homme, posés de manière à produire l'illu sion qui nous avait tant effrayées ! Quant au bruit, il venait d'un contre -vent dont un des pitons était détaché, de sorte que, mis en mouvement par le vent, il ballottait avec fracas contre la fenêtre, dont il avait même cassé deux ou trois vitres. Cet appartement avait été habité quelques années auparavant par une vieille dame que son laquais venait servir, permission que l'abbesse don nait aux pensionnaires et que j'avais moi- même ; ces gros souliers avaient apparemment appartenu à son laquais, qui les avaient oubliés là ; on n'entrait jamais dans ce logement, et enfin ces souliers y étaient restés. MME. DE GENLIS . LIVRE TROISIÈME. 141 60. Les fables de La Motte. Voici une anecdote qui prouve que la plupart des hommes, même parmi les connaisseurs, ne jugent d'un ouvrage que sur le nom de l'auteur. On déchirait sans pitié La Motte au Temple , dans une compagnie composée des personnes les plus distinguées et des plus beaux esprits . Voltaire, fatigué de cet acharnement, joua ce tour adroit à la société ... “ Messieurs, dit- il, je suis possesseur d'une fable de La Fontaine qui n'a jamais été imprimée. Comment ! vous avez une fable de La Fontaine que nous ne connaissons pas ? Dépê chez- vous de nous la lire.” Voltaire en fit la lecture, et chacun de se récrier : “ Voilà qui est admirable ! et ce n'est pas comme ces vilaines fables de La Motte. Que de naturel, que de naïveté, que de grâces ! - Eh bien, messieurs, s'écria M. de Voltaire, cette fable charmante que vous admirez tous est pourtant de M. de La Motte. " 61. Une leçon de politique. Le comte d'Aranda, ambassadeur d'Espagne en France, portait sur sa physionomie, dans son main tien , dans son langage et dans toutes ses manières, une grande empreinte d'originalité ; sa vivacité était grave, sa gravité ironique et presque satirique. Il avait un tic étrange : à presque chaque phrase , il ajou tait ces mots : - Entendez- vous ? comprenez - vous ? M. de Ségur, nommé, tout jeune encore, ambassadeur en Russie, alla le voir, lui fit part de son inquiétude relativement à la nouvelle carrière où il entrait, de son vif désir d'y réussir , etc. " Ah ! lui dit en souriant le comte d'Aranda, vous êtes effrayé des longues études qu'exige la diplomatie ? Entendez- vous ? comprenez -vous ? Vous croyez devoir longtemps sécher sur des cartes, de vieux diplômes et des livres ? Vous voulez que je 142 ANECDOTES. vous donne des leçons de politique ? eh bien ! j'y con. sens ; nous commencerons quand vous voudrez. Tenez, venez chez moi demain à midi, et je vous promets qu'en peu de temps, vous saurez toute la politique de l'Eu rope. Entendez -vous ? comprenez-vous ? ” M. de Ségur le remercia, et, le lendemain , fut ponctuel au rendez vous . Il trouva le diplomate assis dans un fauteuil, devant un bureau , sur lequel était la carte d'Europe. “ Asseyez - vous , lui dit M. d'Aranda, et commençons. Le but de la politique est , comme vous le savez , de connaître la force, les moyens, les intérêts, les droits, les craintes et les espérances des différentes puissances, afin de nous mettre en garde contre elles , et de pouvoir, à propos, les concilier, les désunir , les combattre ou nous lier avec elles, suivant ce qu'exigent nos propres avantages et notre sûreté. Entendez -vous ? comprenez vous ? -– A merveille ; mais c'est là précisément ce qui représente à mes yeux de grandes études à faire et de grandes difficultés à vaincre. - Point du tout, vous vous trompez ; et en peu de moments, vous allez être au fait de tout : Regardez cette carte ; vous y voyez tous les États européens, grands et petits, n'importe leur étendue, leurs limites. Examinez bien ; vous verrez qu'aucun de ces pays ne vous présente une enceinte parfaitement régulière, un carré complet, un parallelogramme régulier, un cercle parfait; on y remarque toujours quelques saillies, quelques renfonce ments, quelques brèches, quelques échancrures. Enten dez-vous ? comprenez-vous ? Voyez ce colosse de Russie ; au midi , la Crimée est une presqu'île qui s'avance dans la mer Noire , et qui appartenait aux Turcs; la Moldavie et la Valachie sont des saillies et ont des côtes sur la mer Noire, qui conviendraient assez au cadre mosco vite, surtout si, en tirant vers le nord, on y joignait la Pologne : regardez encore vers le nord ; là est la Fin lande, hérissée de rochers ; elle appartient à la Suède, et cependant, elle est bien près de Pétersbourg. Vous entendez ? Passons à présent à la Suède : voyez -vous la Norvège ? c'est une large bande tenant naturellement au territoire suédois. En bien ! elle est dans la dépen dance di Danemark. Vous comprenez ? Voyageons

LIVRE TROISIÈME . 143 assez. en Prusse : remarquez comme ce royaume est long, frêle, étroit; que d'échancrures il faudrait remplir pour l'élargir du côté de la Saxe, de la Silésie , et puis sur les rives du Rhin ! Entendez - vous ? Et l'Autriche, qu'en dirons-nous ? Elle possède les Pays-Bas, qui sont pourtant séparés d'elle par l'Allemagne, tandis qu'elle est tout près de la Bavière, qui ne lui appartient pas. Entendez -vous ? comprenez -vous ? Vous retrouvez cette Autriche au milieu de l'Italie ! mais comme elle est loin de son cadre ! comme Venise et le Piémont la rempliraient bien ! Allons, je crois vous en avoir dit Entendez -vous ? comprenez-vous ? Vous sentez bien à présent que toutes ces puissances veulent con server leurs saillies, remplir leurs échancrures, et s’ar rondir enfin suivant l'occasion . Eh bien ! mon cher, une leçon suffit ; car voilà toute la politique. Entendez vous ? comprenez - vous ? Ah ! j'entendset je comprends d'autant mieux que je jette à présent mes regards sur l'Espagne, et que je vois à sa partie occidentale une longue et belle lisière ou échancrure nommée le Portugal, et qui conviendrait, je crois , parfaitement au cadre espagnol. Je vois que vous entendez, que vous comprenez , répliqua le comte d'Aranda . Vous voilà tout aussi savant que nous dans la diplomatie. Adieu ; marchez gaiment, hardiment, et vous prospérerez . Vous entendez ? vous comprenez ? ' Ainsi se termina ce bref et bizarre cours de politique. - > 62. Le capucin et le voleur . Un frère quêteur du couvent des capucins de Meu don, revenant à son monastère avec sa besace bien garnie, et ayant pris un sentier écarté dans le bois pour abréger son chemin, est rencontré par un voleur qui, le pistolet sous la gorge, lui demande la bourse ou la vie. Le pauvre frère représente inutilement que son état, annonçant un dénûment absolu, doit le mettre à l'abri de semblables demandes ; il est forcé de céder, de mettre bas sa besace remplie de provisions, de vider ses 144 ANECDOTES . mais en . poches et de donner 36 francs qu'il avait recueillis d'au. mônes. Le voleur s'en allait content de sa capture, lorsque le moine le rappelle. “ Monsieur, lui dit-il, vous avez été assez bon pour me laisser la vie ; rentrant à mon couvent je risque d'être bien maltraité, car peut-être ne voudra -t-on pas ajouter foi à ce qui m'est arrivé, à moins que vous ne me fournissiez une excuse en tirant un coup de pistolet dans marobe pour prouver que j'ai résisté jusqu'au bout, et qu'il ne m'est resté d'autre ressource que d'abandonner le fruit de ma quête. Volontiers, dit le voleur ; étendez votre man teau ... " Le voleur tire, le capucin regarde. “ Mais il n'y paraît presque pas. C'est que mon pistolet n'é tait chargé qu'à poudre ; je voulais vous faire plus de peur que de mal. Cette faible trace ne suffira pas pour m'excuser ; ... n'en auriez - vous pas un autre mieux chargé ? Non, vraiment. Ah, coquin ! s'écrie le moine, nous voilà donc à armes égales ! " Et le vigou reux capucin saute sur le brigand, le terrasse, le roue de coups, reprend sa besace, ses 36 francs et revient en triomphe à son couvent. BACHAUMONT. > . 63. Les deux matelots anglais. Deux matelots anglais étaient prisonniers à Verdun, où se trouvaitle dépôt le plusconsidérable des Anglais que le premier consul avait retenus prisonniers en France, lors de la rupture de la paix d'Amiens. S'étant évadés, ils arrivèrent à Boulogne sans avoir été découverts en route, malgré la surveillance rigoureuse dont tous les Anglais étaient l'objet. Ils y restèrent quelque temps, dépourvus d'argent, et ne trouvant aucun moyen pour s'échapper. Il leur sembla impossible de se procurer un bateau, tant les moindres embarcations étaient scrupuleusement in spectées. Ces deux marins construisirent eux-mêmes uneespèce de batelet avec des petits morceaux de bois qu'ils joignirent tant bien que mal, sans autre outil que leurs couteaux. Ils recouvrirent cette frêle embarcation LIVRE TROISIÈME. 145 avec une toile qu'ils appliquèrent dessus. Elle ne pré sentait qu'une largeurde trois ou quatre pieds, et n'était pas beaucoup plus longue ; elle était d'une telle légèreté qu'un seul homme la portait facilement sur son dos. Ce que c'est que l'amour de la patrie joint à l'attrait de la liberté ! Sûrs d'être fusillés s'ils étaient découverts, presque également sûrs d'être submergés, ils n'en ten tèrent pas moins de passer le détroit sur un esquif aussi léger. Ayant aperçu une frégate anglaise en vue des côtes, ils s'élancèrent dans leur barque, et s'efforcèrent de la rejoindre ; ils n'étaient pas encore parvenus à cent toises en mer que les douaniers les aperçurent, coururent sur eux, les prirent et les ramenèrent, sans qu'ils pus sent y mettre le moindre obstacle. Cette aventure se répandit promptement dans le camp, où l'on s'entretint del'incroyable témérité de ces deux hommes. Le bruit en alla jusqu'aux oreilles de l'empereur, qui voulut les voir et les fit amener en sa présence avec leur petit bâ timent. Napoléon, dont l'imagination était vivement frappée de tout ce qui était extraordinaire, ne put cacher sa surprise d'un projet si audacieux, avec un si faible moyen d'exécution. « Est- il bien vrai , leur demanda l'empereur, que vous ayez songé à traverser la mer avec cela ? Ah ! Sire, lui dirent-ils , si vous en doutez , donnez- nous la permission et vous allez nous voirpartir. Je le veux bien ; vous êtes des hommes hardis, en treprenants : j'admire le courage partout où il se trouve, je ne veux pas que vous exposiez votre vie ; vous êtes libres ; bien plus, je vais vous faire transporter à bord d'un bâtiment anglais. Vous irez dire à Londres quelle estime j'ai pour les braves , même quand ils sont mes ennemis ." Mémoires de Bourienne. 64. L'Arabe et son cheval. Un Arabe et sa tribu avaient attaqué dans le désert la caravane de Damas ; la victoire était complète, et les Arabes étaient déjà occupés à charger leur riche butin, L 146 ANECDOTES . quand les cavaliers du pacha d'Acre, qui venaient à la rencontre de cette caravane , fondirent à l'improviste sur les Arabes victorieux, en tuèrent un grand nombre, firent les autres prisonniers, et, les ayant attachés avec des cordes, les emmenèrent à Acre pour en faire présent au pacha. Abou- el- Marsch, c'est le nom de cet Arabe, avait reçu une balle dans le bras pendant le combat; comme sa blessure n'était pas mortelle, les Turcs l'avaient atta ché sur un chameau, et, s'étant emparés du cheval, em. menaient le cheval et le cavalier. Le soir du jour où ils devaient entrer à Acre, ils campèrent avec leurs prison niers dans les montagnes de Japhadt ; l'Arabe blessé avait les jambes liées ensemble par une courroie de cuir , et était étendu près de la tente où couchaient les Turcs. Pendant la nuit, tenu éveillé par la douleur de sa bles sure, il entendit hennir son cheval parmi les autres che vaux entravés autour des tentes , selon l'usage des Orien taux ; il reconnut sa voix, et ne pouvant résister au désir d'aller parler encore une fois au compagnon de sa vie , il se traîna péniblement sur la terre, àl'aide de ses mains et de ses genoux, et parvint jusqu'à son coursier. " Pauvre ami, lui dit- il, que feras- tu parmi les Turcs ? tu seras emprisonné sous les voûtes d’un khan avec les chevaux d'un aga ou d'un pacha ; les femmes et les en fants ne t'apporteront plus le lait de chameau, l'orge ou le doura dans le creux de la main ; tu ne courras plus libre dans le désert, comme le vent d'Égypte ; tu ne fendras plus du poitrail l'eau du Jourdain qui rafraîchis sait ton poil aussi blanc que ton écume; qu'au moins si je suis esclave, tu restes libre ! Tiens, va, retourne à la tente que tu connais, va dire à ma femme qu'Abou -el Marsch ne reviendra plus , et passe ta tête entre les ri deaux de la tente pour lécher la main de mes petits enfants.” En parlant ainsi , Abou- el -Marsch avait rongé avec ses dents la corde de poil de chèvre qui sert d'en traves aux chevaux arabes, et l'animal était libre ; mais voyant son maître blessé et enchaîné à ses pieds, le fidèle et intelligent coursier comprit, avec son instinct, ce qu'aucune langue ne pouvait lui expliquer ; il baissa la tête, flaira son maître, et l'empoignant avec les dents par la ceinture de cuir qu'il avait autour du corps, il LIVRE TROISIÈME. 147 pártit au galop et l'emporta jusqu'à ses tentes. En ar rivant et en jetant son maître sur le sable aux pieds de sa femme et de ses enfants, le cheval expira de fatigue. Toute la tribu l'a pleuré; les poètes l'ont chanté, et son nom est constamment dans la bouche des Arabes de Jéricho. A. DE LAMARTINE. 65. Le docteur Young et l'officier . - . - > Le docteur Young, le célèbre auteur des Nuits, avait, avant ses malheurs, un caractère bien éloigné de la sombre mélancolie qu'il montre dans cet ouvrage. Un jour qu'il était en bateau avec quelques dames qu'il conduisait au Wauxhall, il se mit à jouer de la llûte , instrument sur lequel il excellait. Mais, suivi bientôt et côtoyé par un autre bateau rempli de jeunes militaires, il s'interrompit, et remit sa flûte dans sa poche. " Pourquoi cessez- vous de jouer ? demanda au docteur un de ces étourdis ? - Par la même raison , répondit Young, que j'avais commencé. Quelle est cette raison ? - C'est que cela me plaît. Ehbien ! réplique le militaire, reprenez sur-le- champ votre flûte, sans quoi il meplaira de vous jeter dans la Tamise. " Le docteur, qui vit que la querelle commençait à répandre l'effroi parmiles dames avec qui il était , crut devoir céder, et joua d'assez bonne grâce pendant tout le trajet. Arrivé au Wauxhall, il ne perdit pas de vue son agresseur, et , l'ayant trouvé dans la soirée se promenant seul dans une allée, il l'aborda, et lui dit d'un ton ferme et tranquille : “ Monsieur, la crainte de troubler votre compagnie et la mienne m'a fait céder à votre impertinence ; mais, pour vous prouver que le courage peut loger sous un uniforme noir comme sous un rouge, je vous prie de vous trouver demain à Hyde - Park, à dix heures. Nous n'avons pas besoin de seconds : la querelle est entre nous, et il est inutile d'y compromettre des étrangers." Le jeune offi. cier accepte le défi. Arrivés tous les deux au rendez vous à l'heure indiquée, l'officier tire son épée et se met > 148 ANECDOTES. en garde ; mais Young lui présente aussitôt un pistolet sur la gorge. “ Êtes- vous venu ici pour m'assassiner ? s'écrie le militaire. Non, répond tranquillement le docteur ; mais ayez la bonté deremettre sur -le -champ votre épée dans le fourreau, et de danser un menuet, sans quoi vous êtes mort.” L'officier fit quelques façons, mais le flegme et le ton ferme de son adversaire lui en imposè rent tellement qu'il obéit. Le menuet dansé : “ Mon sieur, dit Young, vous m'avez forcé hier de jouer de la flûte malgré moi ; je vous ai fait danser aujourd'hui malgré vous ; nous voilà quittes . Si cependant vous n'êtes pas content, je suis prêt à vous donner telle satis faction qu'il vous plaira . ” Pour toute réponse , l'offi cier lui saute au cou, et le prie de l'honorer de son amitié. Dès ce moment commença entre eux une liaison qui ne cessa qu'à la mort du docteur Young. 66. Recette contre l'enrouement. Sous le règne de Frédéric II, on comptait parmi les pensionnaires du théâtre royal de Berlin une grande ar tiste, qui partageait son temps entre les attaques de nerfs et les rhumes. Pour un oui, pour un non , la can tatrice faisait manquer le spectacle, et un soir que le grand roi était dans sa loge, le régisseur vint dire ceci : “ Messieurs et mesdames, la direction a la douleur de vousannoncer que notre prima donna est enrouée et que la représentation annoncéene peut avoir lieu ." A ces mots, le grand Frédéric s'adresse à son aide de camp, lui donne un ordre, puis, se penchant vers l'orchestre, il fait signe aux musiciens de rester à leur place... Que va - t - il se passer ? ... Un quart d'heure s'écoule ; le public est dans une attente cruelle. Tout à coup le rideau se lève ; le régisseur revient : ““ Messieurs et mesdames, dit- il, j'ai la joie de vous annoncer que notre prima donna, subite ment remise de son rhume, va avoir l'honneur de paraître devant vous. ' Et, en effet, la cantatrice entra . Elle était très-pâle, mais jamais elle ne chanta mieux ; le roi l'avait guérie en un instant, et je donne même la recette > LIVRE TROISIÈME . 149 - pour l'usage de nos théâtres lyriques. La cantatrice, dont le nom m'échappe, était tranquillement au coin du feu , pas plus enrouée que vous et moi, et se réjouissait du mauvais tour qu'elle venait de jouer à son directeur, quand soudain la porte s'ouvrit avec fracas, et un officier, suivi de quatre dragons, se présenta. “ Mademoiselle, dit- il, le roi mon maître me charge de vous demander des nouvelles de votre chère santé. Je suis très enrouée... - Sa Majesté le sait , et je suis chargé par Elle de vous conduire à l'infirmerie de l'hôpital militaire, où vous serez guérie en peu de jours .” L'actrice pâlit : “ C'est une plaisanterie ! murmura -t- elle. Un officier du roi ne plaisante jamais.” Sur un signe du lieutenant, les quatre dragons s'avancent, saisissent l'artiste , la portent dans une voiture qui attend à la porte ; les sol dats montent à cheval, et : " A l'hôpital I " dit l'officier au cocher. Le carosse roule . “ Attendez, dit la canta trice au bout de quelques instants, je crois que je vais mieux ... Le roi désire, mademoiselle, que vous vous portiez tout à fait bien , et que vous chantiez votre rôlo ce soir même. -J'essayerai,murmura la prisonnière. — Au théâtre !" dit le lieutenant au cocher. La cantatrice s'habille à la hâte, puis au moment d'entrer en scène, elle dit à son geôlier : “ Monsieur, puisque le roi l'exige, je vais chanter, Dieu sait comment. Vous chanterez comme une grande artiste. Je chanterai comme une artiste enrouée. Je ne le crois pas. Et pourquoi ? Parce que je vais placer un dragon derrière chaque coulisse, et au moindre couac les soldats vous arrêteront et vous conduiront là -bas.” Du rhume il n'en fut plus question : la prima donna avait retrouvé toute sa voix . Evénement. - 67. Les trois Racan . Lorsque Montaigne fut mort, la vieille mademoiselle de Gournay, sa fille d'alliance, tourna toutes ses affections du côté de Racan, qu'elle ne connaissait encore que par ses ouvrages. L'envie de connaître plus particulière 150 ANECDOTES. ment un poète de ce mérite et si capable de faire valoir celui des autres, détermina Mlle. de Gournay à mettre tout en æuvre pour se procurer sa visite. Le jour et l'heure où il viendrait la voir furent arrêtés. Deux amis du poète, qui en furent informés, saisirent cette occasion pour s'amuser aux dépens de la vieille demoi selle . Un de ces messieurs devança d'une heure ou deux le temps du rendez- vous, et fit dire que c'était Racan qui demandait à voir Mlle. de Gournay. Il fut parfai tement reçu ; il parla beaucoup à cette demoiseſle des ouvrages qu'elle avait fait imprimer et qu'il avait étudiés, afin de faire mieux sa cour. Enfin , après un quart d'heure de conversation, il sortit, et la laissa fort satis faite d'avoir vu Racan . Il était à peine à vingt pas de chez elle, qu'on vint lui annoncer un autre monsieur de Racan . Elle crut d'abord que c'était le premier, qui avait quelque chose à lui communiquer, et qui remontait. Elle se préparait à lui tourner uncompliment agréable à ce sujet, lorsqu'elle aperçut une autre figure de Racan qui renchérit sur les compliments du premier. Mlle. de Gournay, très-surprise, ne put s'empêcher de lui demander s'il était véritablement monsieur de Racan, et lui raconta ce qui venait de se passer. Le nouveau Racan fit fort le fâché, et jura qu'il se vengerait da mauvais tour qu'on lui avait joué, Mlle. de Gournay fut encore plus contente de celui -ci qu'elle ne l'avait été de l'autre, parce qu'il la loua davantage. Il passa auprès d'elle pour le véritable Racan , et l'autre pour le Racan de contrebande. Il ne faisait que de sortir, lorsque, pour le coup, le véritable Racan demanda à parler à Mlle. de Gournay. Dès qu'elle en fut informée, elle perdit patience. “ Quoi ! encore des Racan ? ” s'écria t -elle. Néanmoins, on le fit entrer. Mlle. de Gournay le prend sur un ton fort haut, et lui demande, s'il vient pour l'insulter. Racan, qui n'était pas parleur et qui s'attendait à une autre réception , ne sait que répondre et balbutie. Mlle. de Gournay, qui était violente, se persuade pour de bon que c'est un homme envoyé pour la jouer, et, déchaussant sa pantoufle, elle le charge à grands coups de mule, et l'oblige à se sauver. Ménage, qui rapporte cette scène, ajoute que Bois- Robert la LIVRE TROISIÈME. 151 racontait à qui voulait l'entendre, qu'il en plaisantait même en présence de Racan, qui répondait, lorsqu'on lui demandait si cela était vrai : “ Qui- da, il en est quel que chose.” Cette anecdote donna lieu à la comédie des “ Trois Oronte ,' de Bois- Robert. 68. Un étrange testament. Il vient de mourir, en Amérique, un planteurde coton , dont le testament est, certes , un des spécimens les plus curieux de la fantaisie américaine. Il laisse une fortune de cinq cent mille francs, répartie ainsi par un testament en bonne et due forme : “ Je lègue tousmes biens aux enfants de mon frère, aux conditions suivantes : Désirant reconnaître le ser vice que mon chien de Terre- Neuve m'a rendu en me sauvant la vie un jour que je me noyais, et voulant con stituer une rente au profit de ma gouvernante, j'établis ladite gouvernante nourricière, tutrice et mère ( sic) de mon chien. « Mes héritiers naturels seront obligés, de ce chef, à lui payer, sur ma fortune totale, une rente quotidienne, dont voici les conditions : « Cette rente durera aussi longtemps que vivra le terre-neuve, mais pas une seconde (sic) de plus. “ La première année qui suivra le jour de ma mort, aussi longtemps que vivra le terre- neuve, ma gouver nante touchera vingt-cinq francs par jour ; la seconde année , cinquante francs par jour, la troisième année, soixante -quinze francs. “ Le mois de la mort du chien, il sera payé à la gou vernante, par jour d'existence dudit chien, six cent vingt -cinq francs. “ Le jour de la mort du chien , il lui sera payé, par heure, mille deux cent cinquante francs. “ La dernière heure de la vie du chien , elle recevra par minute mille huit cent soixante- quinze francs, et par seconde de la dernière minute, deux mille cinq cents francs. 152 ANECDOTES . “ Mon notaire est chargé de veiller à l'exécution de ce testament. ” Si nous voulons prendre un moment ce testament au sérieux, et que nous en comprenions bien les dispositions, en admettant que le fameux terre- neuve rende le dernier soupir le 30 d'un mois, à cinq heures cinquante -neuf minutes cinquante-neuf secondes ( nous admettons que le jour finisse à six heures de l'après -midi), on aurait à compter à sa gouvernante : Pour 30 jours du dernier mois à 625 fr. 18,750 fr . Pour 11 heures du dernier jour à 1,250 13,750 Pour 59 minutes de la dernière heure à 1,875 110,625 Pour 59 secondes de la dernière mi nute à 2,500 147,500 ... 290,625 La plus belle chance qu'il reste aux héritiers bipèdes de ce bizarre testateur, c'est que l'usufruitier avale une boulette foudroyante, le premier jour d'un mois, à six heures précises du matin, auquel cas sa mort ne vaudrait pour sa chère tutrice que six cent vingt- cinq francs . Opinion nationale. 69. Pain bis. Je logeais dans une auberge à Colmar. Un jour, me trouvant à la table d'hôte, où l'égalité amenait de mêmeles puissants du jour, j'y vois arriver un représentant du peuple dontle nom m'est échappé ; Lassère, commissaire ordonnateur, était avec lui. Le maître de la maison fai sait les honneurs. Le représentant, à qui l'on présente du pain, se lève et s'écrie : “ Comment, citoyen hôte , tu nous fais servir du pain blanc ici, tandis qu'à Paris et dans tous les départements que je parcours, onne mange que du pain bis ! Je ne souffrirai pas que, dans ce dé partement, on se distingue d'une manière aussi choquante pour touslesautres ; je te préviens, citoyen, que demain, je donne à dîner chez toi à toutes les autorités de la ville, LIVRE TROISIÈME. 153 et je prétends que tu ne nous serves que du pain bis. Obéis, si tu ne veux pas qu'il t'en arrivemal.” L'hôte, déconcerté, n'ouvrait pas la bouche et trem blait d'autant plus d'attirer sur lui l'attention des auto rités qu'il avait deux fils émigrés. Ce brave homme, dont j'étais depuis quelque temps le commensal, vint me confier sa peine et son embarras. " Allons, allons, lui dis -je, je vais vous tirer d'affaire, moi. Avez- vous de la farine ? Oui, mais je n'en ai que de très -blanche, et d'ici à demain, je n'ai pas le temps de moudre d'autre grain . Avez -vous encore du pain de cuit ? - Oui, j'ai la provision de la semaine. - Il suffit. Que votre femme et vos filles se réunissent à moi ; nous passerons la nuit, s'il le faut, et je vous réponds que demain, avant le dîner, nous aurons converti votre farine blanche en pain bis . ” Il meregardait avec étonnement, mais mon assurance lui rendit la tranquillité. Mon moyen fut bien simple : je fis dépouiller les pains cuits de leurs croûtes, que je fis griller, puis délayerdans de l'eau épaisse et noirâtre, que nous mêlâmes dans le pétrin avec la farine blanche ; et bientôt, à l'aide de nos bras, nous obtînmes du pain qu'on pouvait appeler plus que bis. Il ne fallait pas être grand sorcier pour cela ; mais personne aussi ne le fut assez pour deviner la na ture de ce pain, et ce qu'il y eut de plaisant, c'est qu'au dînerdulendemain, le représentant et tous les convives le savouraient en s'écriant: “ Parbleu, voilà d'excellent pain bis !—Mais d'où le tires -tu , citoyen hôte ? dit le re présentant. - Citoyen , mon pain se fait toujours chez moi. —En ce cas, fais -en beaucoup : je veux en em porter pour le montrer partout , et faire connaître ton habileté et ton dévouement ; ils ne resteront point sans récompense, sois- en sûr. Si je puis même, pendant que je suis ici , faire quelque chose enta faveur, parle , et je suis prêt à t'obliger . "' Ainsi qu'il l'avait dit, le repré sentant emporta quantité de ce pain dans sa voiture et dans celle de l'ordonnateur Lassère ; ils le montrèrent, ils en donnèrent des échantillons dans les hôpitaux, et en envoyèrent jusqu'à la Convention. Je ne sais, tant ils étaient émerveillés, s'ils n'auraient pas fait donuer i un brevet à l'aubergiste de Colmar ; mais je sais bien 154 ANECDOTES . que notre hôte, ayant demandé les moyens de faire con. struire dans son vaste local un grand hangar poury mettre à couvert les bestiaux du parc, le représentant le fit autoriser par le département à faire une coupe de bois dans la forêt des Vosges. Le hangar ne fut pas construit ; mais par la suite, la vente de ce bois produisit au moins 60.000 francs à l'hôte. Que de fortunes, dont l'origine n'est guère autre chose que de la croûte de pain brûlée ! HANNET-CLÉRY, Mémoires. 70. Un enfant gâté. Mme. d'Estourmel, âgée de cinquante -sept ans, avait un fils unique de cinq ans. Cet Isaac de cette moderne Sarah était l'enfant le plus gâté et le plus insupportable que j'aie jamais rencontré. On lui permettait tout, on ne lui refusaitrien, il était le maître absolu du salon et du château. J'arrivai au Frétoy deux heures après le dîner ; il yу avait beaucoup de monde de Paris. J'avais un chapeau de villageoise, comme on disait alors ; il était neuf, tout couvert de fleurs charmantes, et attaché sur l'oreille gauche avec beaucoup d'épingles. A peine étais -je assise, que le terrible enfant du château vint m'arracher des mains un superbe éventail et le mit en pièces . Mme. d'Estourmel fit une petite réprimande à son fils, non pas d'avoir brisé mon éventail, mais de ne pas mel'avoir demandé poliment. Un instant après, l'enfant alla confier à sa mère qu'il avait envie de mon chapeau. “ Eh bien, mon fils, répondit gravement ma dame d'Estourmel, allez le demander bien honnêtement." Il accourut aussitôt vers moi en disant : votre chapeau. ” On le reprit d'avoir dit je veux ; c'est ce que sa mère appelait ne lui rien passer. Elle lui dicta sa formule de demande : “ Madame, voulez - vous bien avoir la bonté de me prêter votre chapeau ? ” Tout ce qui était dans le salon se récria sur cette fantaisie : la mère et l'enfant y persistèrent ; M. de Genlis s'en moqua un peu aigrement. Je vis que Mme. d'Estourmel « Je veux . LIVRE TROISIEME . 155 allait se fâcher ; alors je me levai, et, sacrifiant généreu sement monjoli chapeau, j'allai prier Mme. d'Estourmel de me le détacher, ce qu'elle fit avec empressement, car l'enfant s'impatientait violemment. Mme. d'Estour mel m'embrassa, loua beaucoup ma douceur, ma com plaisance et mes beaux cheveux. Elle soutint que j'étais cent fois mieux sans chapeau, quoique je fusse tout ébou riffée, et que j'eusse une figure très-ridicule, avec une grande parure et cette coiffure en désordre. Mon cha peau fut livré à l'enfant, sous la condition de ne pas le gåter. Mais en moins de dix minutes, le chapeau fut dé chiré, écrasé , et hors d'état d'être jamais porté. J'eus grand soin , les jours suivants, de me coiffer en cheveux, sanschapeau et sans fleurs . Mais, par malheur, cet enfant gâté était reconnaissant; il s'attacha à moi avec une passion démesurée, et nevoulut plus me quitter. Dès que j'étais dans le salon , il s'établissait sur mes genoux : il était fort gras et fort lourd ; il m'assommait, chiffon nait mes robes, et même les déchirait en posant sur moi des quantités de joujoux. Je ne pouvais ni parler à qui que ce fût ni entendre un mot de la conversation , et il m'était impossible de m'en débarrasser, même pour jouer aux cartes . Dans tous mes petits voyages, je portais toujours ma harpe : on voulut m'entendre; il n'y eut pas moyen, tandis que je jouais, d'empêcher l'enfant ( qui se tenait debout près de la harpe) de jouer aussi avec les cordes de la basse, ce qui formait un accompa gnement peu agréable. Lorsque j'eus fini, on vint pren. dre ma harpe pour l'emporter : l'enfant s'y opposa en faisant des cris terribles . La harpe resta ; il en joua à sa manière, il égratigna les cordes, en cassa plusieurs, et dérangea totalement l'accord . Quand on représentait à Mme. d'Estourmel que cet enfant devait m'importuner beaucoup, elle me demandait si cela était vrai, et elle prenait au pied de la lettre la politesse de ma réponse, en ajoutant qu'à mon âge, on était charmé d'avoir un prétexte de s'amuser d'une manière enfantine, et que je formais avec son fils un tableau délicieux. Au vrai, cet enfant ne m'était pas aussi désagréable que tout le monde le croyait, non que j'aimasse ses jeux, mais sa personne m'intéressait et medivertissait. Il était joli, caressant, 156 ANECDOTES . a original, et il n'avait rien de méchant. Avec une édu cation passable, on en aurait facilement fait un enfant charmant. Sa pauvre mère a bien payé la folie de cette mauvaise éducation : l'année d'ensuite, l'enfant, pour la première fois de sa vie , eut un peu de fièvre ; il refusa toute boisson , et demanda avec fureur les aliments les plus malsains. Une légère indisposition devint une ma ladie sérieuse , et bientôt mortelle, parce qu'il fut impos sible de lui faire prendre une seule drogue, et que toutes les tentatives en ce genre lui causaient des accès de co lère qui allaient jusqu'aux convulsions. Il mourut à six ans, et il était naturellement très -robuste et parfaitement bien constitué. MME, DE GENLIS. 71. Le domestique de l'invalide. Un vieux soldat de l'empire , ayant laissé ses deux bras et ses deux jambes sur le champ de bataille , avait dû les remplacer, tant bien que mal, artificiellement. Le tourneur du village s'était chargé de la besogne, cor l'art d'articuler un membre artificiel était loin d'être arrivé à la hauteur qu'il a atteinte de nos jours. Tous les soirs , avant de se coucher, il fallait que le valet de chambre de l'invalide le débarrassât de ses membres de bois. Or, un jour qu'il avait changé de domestique, il oublia d'expliquer à Jean ( c'était nom du nouveau valet de chambre), toutes les infirmités dont il était aflligé. Le soir venu : Tiens, dit l'invalide au garçon , en lui tendant le bras droit, tire - moi ce bras." Et le bras resta entre les mains de Jean. Jugez de l'étonnement de celui- ci lorsque son maître, lui pré sentant successivement tous ses membres, ne cessait de lui répéter : “ Tire-moi cette jambe, tire-moi l'autre." Le pauvre garçon se mit à trembler en se trouvant en face d'un homme de bois, qui n'avait que le tronc, et qui semblait poser sur la chaise comme un de ces antiquesdieuxde marbre dont le temps a mutilé les mem bres. Mais ce n'est pas tout ; le vieux soldat, voulant s'amuser jusqu'au bout de la frayeur qu'il lui inspirait, LIVRE TROISIÈME . 157 tendit le cou en lui disant : “ Maintenant, tire-moi la tête." Pour le coup, le malheureux domestique, épou vanté, se mit à pousser un cri de terreur, et s'enfuit comme si le feu était à la maison. 72. Testament trompeur. Jean Conaxa, riche bourgeois d'Anvers, avait marié ses deux filles à deux des seigneurs les plus opulents de cette ville . Ceux -ci, malgré la dot considérable portée aux contrats et qu'ils avaient reçue, convoitaient le reste de la fortune de leur beau- père. Ils s'entendirent avec leurs femmes pour l'amener à un abandon complet de ses biens. Circonvenu de belles paroles, de caresses de toutes sortes , le bonhomme consentit à cette cession. Quelques jours après, les prévenances qu'on avait eues pour lui commencèrent à diminuer : il ne devint bien tôt plus qu'un importun , à charge à ses enfants. Conaxa se promit de leur donner une leçon éclatante. Il alla trouver un banquier de ses amis : “ Faites-moi le plaisir, mon cher, dit -il, de me prêter quinze cents écus, pour trois heures seulement. Vous me les enverrez demain matin ; et pendant que je serai à dîner avec ma famille, un de vos commis viendra de votre part me de mander l'argent en question , et insistera pour que je le lui remette..” L'arrangement conclu, Conaxa invita ses gendres à dîner pour le lendemain . Ils vinrent, non sans répugnance , eux et leurs femmes : à quoi bon se déranger pour un homme dont on n'attend plus rien ? Au milieu du repas , on entend frapper à la porte de la maison. Un domestique va ouvrir, puis rentrant dans la salle : “ C'est pour les mille écus, dit -il à son maître, que vous avez promis de prêter à M. le banquier. – Je suis en compagnie, et n'ai pas le temps de m'occuper d'affaires, répond Conaxa : qu'on repasse plus tard ." L'envoyé insiste, alléguant que le banquier a un besoin pressant de cette somme. Conaxa gagne en grommelant son cabinet, qui est tout proche : il compte les écus avec fracas, puis revient prendre sa place à table . Quelle 158 ANECDOTES. transformation dans la physionomie des convives ! Tout à l'heure empreinte d'une réserve glaciale, elle est main . tenant épanouie et souriante. Levieillard n'a pas l'air de remarquer ce changement subit. Ses gendres , qui croient qu'il a caché des trésors, l'accablent de protes tations de tendresse, qu'il reçoit sans sourciller. Pen dant les quelques années qu'il eut encore à vivre, Conaxa se vit l'objet des soins les plus empressés. Etant tombé malade, il donna à entendre à ses gendres accourus auprès de son lit , que celui qui se signalerait le plus par ses attentions serait le mieux partagé dans son testament. C'était à qui passerait le plus de nuits à son chevet. Enfin, on le pria de déclarer sa dernière volonté. Il répondit que c'était déjà chose faite, et ordonna d'apporter son coffre- fort àtrois serrures, qui était dans son cabinet, et qui parut d'un poids énorme. Conaxa fit ensuite appeler le prieur des Jacobins d'Anvers, et, l'instituant son exécuteur testamentaire, lui remit une des clefs du coffre- fort ; les deux gendres en reçurent aussi chacun une. Le testament ne devait être ouvert que quarante jours après les obsèques . “ Mes enfants, leur dit Conaxa, je désire, pour le salut de mon âme, faire quelques bonnes cuvres avant ma mort. C'est pourquoi je vous prie de payer une fois et présen tement cent livres à chacune des églises d'Anvers, et deux cents livres à l'église des Jacobins, où je serai en terré . Faites en sorte que mes funérailles soient hono rables et répondent à votre rang et au mien : je vous assure que vous n'y perdrez rien ." Les gendres pro mirent de remplir exactement les volontés du mourant. Ils acquittèrent sur l'heure, par moitié, les legs faits aux églises , et, les larmes aux yeux, demandèrent à Conaxa sa bénédiction. Celui-ci se prêta de bonne grâce à cette comédie. On lui fit de magnifiques obsèques, comme à un homme qui laisse des millions. Puis on attendit, avec une impatience fiévreuse, le moment fixé pour l'ouverture du coffre - fort. Les quarante jours écoulés, le prieur des Jacobins fut invité à se rendre au domicile du testateur, et les trois clefs furent introduites dans les trois serrures . Mais quel ne fut pas le désap pointement des deux gendres ! Le coffre n'était rempli LIVRE TROISIÈME. 159 que de vieilles ferrailles, sur lesquelles était placé un gourdin en forme de massue, autour duquel serpentait un papier contenant ces mots : “ Moi, Jean Conaxa, je lègue ce bâton pour qu'on en frappe celui qui sacrifiera ses propres intérêts à ceux d'autrui.” 73. Une représentation du “ Roi Lear . " 19 On se Je m'étais placé à l'amphithéâtre le jour de la pre mière représentation du Roi Lear. Près de moi était un Anglais, M. Taylor, jeune homme de beaucoup d'esprit, et qui parlait notre langue comme la sienne. Pendant les quatre premiers actes , il avait constamment applaudi et la pièce et le jeu des acteurs ; le cinquième était à peine commencé, que je m'aperçus qu'il faisait tous ses efforts pour ne point pouffer de rire . Enfin , n'y pouvant plus tenir, il quitta la place. La pièce terminée, j'allai dans le foyer ; et la première personne que j'y rencontrai fut M. Taylor, qui m'aborda. “ Con venez, me dit- il, monsieur Préville, que vous me regar dez comme un homme bien bizarre , bien ridicule, et, pour tout dire, comme un véritable Anglais ! doute bien de ma réponse : “ Ecoutez -moi, ajouta-t - il, et vous me direz ensuite, si , à ma place, vous auriez eu plus de flegme. Il y a deux ans qu'à Londres je me trouvais à la représentation du Roi Lear . Au moment où Garrick fonden larmes sur le corps de Cordélia, on s'aperçut que les traita de sa physionomie prenaient un caraetére bien éloigné de l'esprit momentané de son rôle. Le cortège qui l'environnait, hommes et femmes, paraissait agité du même vertige : tous paraissaient faire leurs efforts pour étouffer un rire qu'ils ne pouvaient maîtriser. Cordélia elle-même, qui avait la tête pen. chée sur un coussin de velours, ayant ouvert les yeux pour voir ce qui suspendait la scène, se leva de son sopha, et disparut du théâtre en s'enfuyant avec Albani et Kent, qui se traînaient à peine. Les spectateurs ne pouvaient expliquer l'étrange manière dont les acteurs terminaient cette tragédie, qu'en les supposant tous 100 ANECDOTES . saisis à la fois d'un accès de folie. Mais leur rire, comme vous allez voir, avait une cause bien excusable. Un boucher, assis à l'orchestre , était accompagné d'un bull- dog ( chien de combat avec les taureaux) , qui, ayant pour habitude de se placer sur le fauteuil de son maître, à la maison, crut qu'il pouvait avoir le même privilège au spectacle. Le boucher était très -enfoncé sur son banc ; de sorte que Turc, saisissant l'occasion de se placer entre ses jambes, sauta sur la partie antérieure du banc, puis, appuyant ses deux pattes sur la rampe de l'orchestre , se mit à fixer les acteurs d'un air aussi grave que s'il eût compris ce qu'ils disaient. Ce bou cher, qui était d'un embonpoint énorme, et qui n'était point accoutumé à la chaleur du spectacle , se sentit oppressé. Voulant s'essuyer la tête , il ôta sa perruque, et la plaça sur la tête deTurc, qui, se trouvant dans uneposition remarquable, frappa Ies regards de Garrick et des autres acteurs. Un chien de boucher, en per ruque de marguillier ( car il est bon de dire que son maître était officier de paroisse), aurait fait rire le roi Lear lui-même, malgré son infortune: il n'est donc pas étonnant qu'il ait produit cet effet sur son repré sentant et sur les spectateurs qui , ce jour -là, se trou vaient réunis dans la salle de Drury-Lane. Cette scène m'est tellement restée gravée dans la mémoire, qu'il ne m'a pas été possible de revoir à Londres la tragédie du Roi Lear. J'imaginais qu'en la voyant représenter traduite en français, le souvenir de Turc fuirait de ma mémoire. Effectivement, il ne m'avait point occupé pendant les quatre premiers actes ; mais je n'ai pu échapper à ce souvenir, lorsque est arrivé l'acte dans lequel eut lieu l'événement que je viens de vous raconter. " PRÉVILLE, Mémoires. 74. Mme. de Rohan et le président Deslandes. Mme. de Rohan, mère du premier duc de Rohan , était de la maison de Lusignan. C'était une femme de vertu, LIVRE TROISIÈME . 161 mais un peu visionnaire. Elle avait une fantaisie, la plus plaisante du monde: il fallait que le dîner fut tou jours prêt sur table à midi ; puis, quand on le lui avait dit, elle commençait à écrire, si elle avait à écrire, ou à parler d'affaires ; bref, à faire quelque chose jusqu'à trois heures sonnées : alors on réchauffait tout ce qu'on avait servi, et on dînait. Ses gens, faits à cela, allaient en ville après qu'on avait servi sur table. C'était une grande rêveuse. Unjour, elle alla pour voir M. Des landes, doyen du parlement; Mme. desLoges était avec elle, et, en attendant qu'il revint du palais, elle se mit à travailler et à rêver en travaillant; elle s'imagina qu'elle était chez elle, et quand on lui vint dire que M. Des landes arrivait : “ Eh ! vraiment, dit-elle, il vient bien àpropos. Eh ! monsieur, que je suis aise de vous voir ! Eh ! quelle heure est - il ? Il faut, puisque vous voilà, que nous dînions ensemble . Madame vous me faites trop d'honneur, " dit le bonhomme, qui aussitôt envoie chercher à la rôtisserie. Enfin, on sert ; elle regarde sur la table : Mais, mon ami, vous ferez méchante chère aujourd'hui.” Mme. des Loges eut peur qu'elle ne continuât sur ce ton-là ; elle la tire : sez-vous être ? ” lui dit -elle . Mme. de Rohan reyint et lui dit en riant : - Vous êtes une méchante femme de ne m'en avoir pas avertie de meilleure heure.” Elle dit, pour s'en aller , qu'elle était conviée à dîner en ville. TALLEMENT DES RÉAUX. " Eh ! où pen 75. Les dix franos d'Alfred . Alfred était, je pense, Un enfant tel que vous, ayant huit à neuf ans. Bien, bien richel il avait dans sa bourse dix francs, Dix francs beaux et tout neufs. C'était la récompense Donnée à sa sagesse, à ses petits travaux : Ce qui faisait encor ces dix francs-là plus beaux. Mais l'idée arriva d'en chercher la dépense, M 162 ANECDOTES. Car c'eût été vilain de les garder toujours : L'argent qui ne sert pas est sans valeur aucune ; Le point est de savoir lui donner un bon cours. On avait fait Alfred maître de sa fortune ; Tantôt il la voyait en beau cheval de bois, Tantôt c'était un livre ... Un livre ... Alors sa mère Souriait de plaisir , sans l'aider toutefois, Lui laissant tout l'honneur de ce qu'il allait faire. Sur le livre son choix à la fin se fixa . Charmant enfant ! Combien sa mère l'embrassa ! C'est qu'aussi c'était beau, savez- vous ? C'est qu'un livre, C'est tout ; c'est là- dedans que l'on apprend à vivre, A devenir un homme, à penser, à parler ; C'est là, nous, à vos jeux qui venons nous mêler, Là que nous déposons le travail de notre âme, Quand le Dieu tout- puissant jette en nous cette flamme Qui nous rend la candeur et nous fait jusqu'à vous, Comme à nos premiers jours , remonter purs et doux. Vous ne comprenez pas, amis ? ... Mais il faut lire; Et plus tard vous saurez ce que j'ai voulu dire; Et puis, lorsque vos cours seront bien désolés, Vous ouvrirez un livre et serez consolés. C'était un jour d'hiver, quand la neige et le givre Des arbres effeuillés blanchissent les rameaux , Quand vous, heureuxenfants, dansde larges manteaux Dans de bons gants fourrés, du froid on vous délivre : Alfred courait, joyeux, pour acheter son livre. Mais voici toutà coup qu'il s'arrête surpris: Deux enfants étaient là, tels, hélas ! qu'à Paris Si souvent on en voit sur les ponts de la Seine. Dans les bras l'un de l'autre ils étaient enlacés ; L'un de son petit frère, avec sa froide haleine, Cherchait à réchauffer les pauvres doigts glacés ; Ils grelottaient bien fort, car leurs habits percés Presqu'à nu les laissaient étendus sur la pierre, Tournant vers les passants un regard de prière; Ensemble ils répétaient: “ J'ai grand froid ! j'ai grand' faim ! ” Mais les riches passaient sans leur donner de pain ; LIVRE TROISIÈME . 163 Et leur cour se gonflait, et puis de grosses larmes Roulaient dans leur paupière et sillonnaient leur sein . Certes vous eussiez pris pitié de leurs alarmes, Et vous ne seriez point passés sur leur chemin, N'est- ce pas, mes amis, sans leur tendre la main, Sans demander pour eux quelque argent à vos mères ? Alfred était témoin de leurs larmes amères : Maman, vois donc, dit - il, comme ils sont là tous deux ! Ils sont bien malheureux !-Oh ! oui, bien malheureux ! ” Lui répondit sa mère, attentive et touchée. 66 Saisissant une vielle, auprès de lui muette , Pour charmer l'enfant riche et recevoir de lui Le pain qu'il n'avait pas obtenu d'aujourd'hui, Il s'efforce de rire, et, dansant, il répète Un de ces airs appris sous le doux ciel natal ; Mais ce rire était triste, et ce chant faisait mal : C'est que rien n'est affreux comme la feinte joie Du mendiant qui chante, à sa misère en proie ; C'est un rire effrayant qui naît dans les douleurs, Et qu'il faut endormir comme on endort vos pleurs. Enfants, vous qui pleurez pour un bruit, pour une ombre, Que vous croyez entendre ou voir dans la nuit sombre, Pour un conseil ami que la raison vous doit, Une goutte de sang qui vous rougit le doigt, Que sais-je ? un aiguillon d'abeille qui vous frappe, Ou pour un papillon qui de vos mains s'échappe, Voilà des maux cuisants que vous ne saviez pas ; Or, vers le petit pauvre Alfred porta ses pas: " Pourquoi, dit - il ,tous deux restez - vous dans la neige ? Vous n'avez doncpoint, vous, de maman comme moi, Qui vous donne du pain, du feu , qui vous protége ? -Oh ! nous en avons une aussi, monsieur.- Pourquoi Vous laisse- t- elle aller sans elle ou votre bonne, Les pieds nus sur la terre ? elle n'est donc pas bonne Votre maman à vous ? - Si fait ! elle avait faim , Elle nous a donné ce qu'elle avait de pain , Et voilà deux grands jours, hélas ! qu'elle est couchée . Comme il ne restait plus chez nous une bouchée, Elle nous embrassa, disant : “ Pauvres petits ! Allez et mendiez.” Et nous sommes partis, 164 ANECDOTES . Et nous sommes venus nous coucher sur la pierre, Et personne , ô mon Dieu ! n'entend notre prière ; Et voilà que bientôt mon frère va mourir ! Car le froid et la faim nous ont tant fait souffrir ! - Vous n'avez donc pas, vous, reprit Alfred , un père Qui donne tous les jours de l'or à votre mère ? ” Le pauvre enfant se prit à sangloter plus fort. “ Hélas ! répondit-il, notre père I ... il est mort ! Il est mort l et c'est lui qui nous faisait tous vivre ! " Alfred, pleurant aussi, ne songea plus au livre, Et dans la main du pauvre il glissa ses dix francs. La mère le saisit dans ses bras triomphants, Et lui dit : “ Mon Alfred, un livre pour apprendre, C'était déjà bien beau ! Mais tu m'as fait comprendre, Mon fils, que mieux encore est de donner du pain A ceux qui vont mourir et de froid de faim . " GUÉRIN -LÉON . LIVRE QUATRIÈME. 1. Probité d'un Hernute . Lors de la campagne dans le pays de Hesse ( 1760), un capitaine de cavalerie se rendit, à la tête de sa troupe, dans le quartier qui lui était assigné ; c'était un vallon solitaire où l'on nevoyaitguère que des bois . Il y aperçoit une pauvre cabane, il yfrappe ; il en sort un vieil Hernute à barbe blanche. “ Mon père,lui dit l'officier, montrez moi un champ où je puisse faire fourrager mes cavaliers. Tout à l'heure , reprit l'Hernute. " Ce bonhomme se met à leur tête et remonte avec eux le vallon. Après un quart d'heure de marche, ils trouvent un beau champ d'orge. “ Voilà ce qu'il nous faut, dit le capitaine. — Attendez un moment, répond le conducteur, vous serez content.” Ils continuent à marcher, et ils arrivent à un autre champ d'orge. La troupe aussitôt met pied à terre, fauche le grain, le met en trousse et remonte à cheval. L'officier de cavalerie dit alors à son guide: - Mon père, vous nous avez fait aller trop loin sans nécessité, le premier champ valait mieux que celui- ci. Cela est vrai, reprit le bon vieillard , mais il n'était pas à moi. " BERNARDIN DE SAINT- PIERRE . 2. Le roi David nommé consul de France Lorsqu'en 1848, M. de Lamartine parvint au pouvoir, il fut assailli de tant de sollicitations et de recomman . dations, qu'il dut se borner à inscrire sur son calepin tous 166 ANECDOTES. les agents diplomatiques de l'avenir . Vint le grand jourdes nominations. Le poète dépouilla son memento, etchaque nom choisi par lui trouva place aussitôt dans un décret. Toutes les ampliations furent bientôt dans les mains des élus , toutes, moins une, qui demeura sur le bureau du citoyen directeur des affaires étrangères ; il n'avait point l'adresse du titulaire, et personne ne réclamait. Après quinze jours d'attente, on recourut au ministre pour savoir où gîtait “ le citoyen David, nommé consul de France à Brême.” Ce nom ne rappelant rien à M. de Lamartine, il eut recours à son carnet, et vit en effet le nom de David inscrit en grosses lettres au milieu d'une page. Il se rappela alors que quelques jours ayant les événements de février, il avait pris cette note pour se rappeler un passage des psaumes du roi hébreu . Mais, malheureux , s'écria le ministre en riant, vous avez fait un consul républicain du roi David . Quel roi ? bal butia le directeur du personnel interloqué. - Le prophète ! le père de Salomon." Le lendemain , on lisait au Moni teur : “ Le citoyen X... est nommé consul de France à Brême, en remplacement du citoyen David, décédé.” L'honneur des bureaux était sauf. Patrie. - > 3. Le médecin de Ninon de Lenclos. Ninon de Lenclos avait pour premier médecin un petit chien svelte, mignon , à l'oeil noir, au poil fauve, qu'elle appelait Raton. Quand Ninon allait dîner en ville, Ra ton l'accompagnait. Elle le plaçait dans un corbillon tout près de son assiette . Raton laissait passer, sans mot dire, le potage, la pièce de boeuf, le rôti ; mais dès que que sa maîtresse faisait semblant de toucher aux ragoûts, grommelait, la regardait fixement et les lui interdisait. C'était un colloque animé, sentimental, où , après bien des remontrances, le docteur régent obtenait toujours pleine obéissance : quelques entremets n'éveillaient pas toute sa sévérité; mais il y en avait qu'il proscrivait ab solument, surtout quand une odeur d'épices annonçait > LIVRE QUATRIÈME . 167 quelque danger. Le docteur jappant voyait, de son corbillon , passer et se succéder tous les services sans rien prendre pour lui, sans convoiter un os de poulet : ce n'était point un médecin prêchant la tempérance et gourmand à table ; mais voyait -il arriver le dessert, zeste ! il sautait sur la nappe, courait çàet là, rendant ses hommages aux dames et aux demoiselles, leur riant gentiment, et pour prix de ses caresses, recevait force macarons, dont deux ou trois suffisaient à son appétit. Il permettait le fruit à discrétion et l'usage du sucre ; mais au service du café, la désapprobation était formelle ; ses yeux devenaient demi- ardents de colère . Décoif. fait - on l'anisette, Raton aussitôt de se serrer contre sa maîtresse, comme dans l'instant du plus grand péril, d'emporter entre ses dents le petit verre et de le cacher soigneusement dans le corbillon . Ninon feignait - elle de vouloir prendre du nectar prohibé, notre petit San . grado se mettait à la gronder ; Ninon insistait- elle, c'était bien autre chose : il se démenait comme un lutin , et jamais Purgon, sur notre scène comique, ne parut plus emporté. Chacun se pâmait de rire en voyant la grande fureur hippocratique logée dans un corps si mince : "Docteur, disait Lenclos, vous mepermettrez au moins de boire un verre d'eau ?” Aces mots, l'on se radoucissait, on remuait la queue ; plus de colère : en signe de récon. ciliation , l'on buvait dans le même gobelet. Raton ac ceptait alors et grugeait une gimblette ; puis, victorieux, il faisait mille tours, et sautait d'aise et d'allégresse d'avoir vu passer encore un repas conforme à l'ordon nance, et qui ne devait pas nuire aux jours précieux de son inséparable amie. MERCIER, 4. L'ordre de Labaksi- Tapô . Le docteur X... arrive un matin chez le ministre de l'instruction publique, lui annonce que le roi d'Honolulu vient de le décorer de son ordre du Labaksi- Tapô, et que lui, docteur X... , serait bien aise d'obtenir de la chan 168 ANECDOTES. cellerie l'autorisation de porter immédiatement cette dé coration nouvelle. “" Hélas ! répondit le ministre de l'instruction publique d'un ton plein d'amères désillu sions, hélas ! cher docteur, moi aussi je suis chevalier de première classe du Labaksi- Tapô, c'est - à -dire du Calumet qui remue. Vous savez que la décoration consiste en un anneau d'or auquel pend un calumet émaillé en rouge ; mais ce que vous ne savez sans doute pas, c'est oùcette décoration doit réglementairement s'attacher ? Non ... non ... balbutia l'Esculape, visiblement inquiet... Où donc s'attache- t- elle, Excellence ? Au nez, cher doc teur, au nez I...” A ce mot, frappé d'épouvante, le prince de la Faculté se leva, bégaya deux ou trois syllabes inintelligibles, et s'enfuit comme s'il eût eu la peste à ses trousses. Patrie. - 5. Une distraction de La Fontaine. Le célèbre fabuliste fit un jour le voyage de Versailles pour présenter ses fables à Louis XIV. Le roi le reçut avec bonté, et ordonna à Bontems, son premier valetde chambre, de lui montrer lui-même tout ce qu'il y avait de curieux au château, de le faire bien dîner, et de lui donner une bourse de mille pistoles . Le valet de cham bre exécuta l'ordre du maître. Enivré de si grandes faveurs, le fabuliste remonte dans sa voiture de louage, arrive à Paris, descend aux Tuileries, paye le cocher et gagne à pied la rue d'Enfer. Le soir même, M. d'Her vart, contrôleur général , voit La Fontaine. Eh bien ! comment cela s'est-il passé à Versailles ? -A merveille! le roi m'a dit les choses les plus gracieuses. mais ne rapportez -vous que des compliments ? Je rapporte une grosse bourse toute remplie d'or. Où est -elle ? Elle est ( La Fontaine cherche dans ses poches, et ne trouve rien ) ... elle est sans doute restée dans la voiture qui m'a mené. Fort bien : et où l'avez -vous prise ? comment est- elle faite ? où l'avez - vous laissée ? Je l'ai prise sur la place du Palais -Royal ; elle est 66 - Oui ; - - . LIVRE QUATRIÈME . 169 faite comme tous les fiacres ; elle m'a descendu aux Tuileries. - Voilà de bons renseignements ! Si vous n'en avez pas d'autres, la bourse court grand risque d'être perdue pour vous. Attendez , il me sembleque l'un des chevaux était noir et l'autre blanc. " M. d'Hervart monte sur-le -champ dans sa voiture avec La Fontaine, et se faitconduire au plus vite sur la place du Palais Royal. Il s'informe là, si un cocher, dont les chevaux étaient de deux couleurs, n'avait point fait le voyage de Versailles. On lui dit que oui, et que cet homme demeure rue Fromenteau. On y va. Ce cocher, qui avait fait une autre course après avoir quitté notre poète, venait de rentrer. Par un bonheur inespéré, la bourse se trouva derrière le coussin , où personne, heureusement, ne s'était avisé de fouiller. 6. Audience bizarre. La place de gouvernante des filles de M. le duc d'Or léans avait été donnée à madame de Conflans. Un peu après le sacre, madame la duchesse d'Orléans lui de manda si elle avait été chez le cardinal Dubois. Là dessus, madame de Conflans répondit que non , et qu'elle ne voyait pas pourquoi elle irait, la placeque LL. AĀ.RR. lui avaient donnée étant si éloignée d'avoir trait à aucune affaire. Madamela duchesse d'Orléansinsista sur ce que le cardinal était à l'égard de M. le duc d'Orléans. Madame de Conflans se défendit, et finalement dit que c'était un fou qui insultait tout le monde, et qu'elle ne voulait pas s'y exposer. Elle avait de l'esprit et du bec, et était souverainement glorieuse, quoique fort polie. Madame la duchesse d'Orléans se mit à rire de sa frayeur, et lui dit que, n'ayant rien à lui demander ni à lui représenter , mais seulement à lui rendre compte de l'emploi que M. le duc d'Orléans lui avait donné, c'était une politesse qui ne pouvait que plaire au cardinal, et finit par lui dire que cela convenait et qu'elle voulait qu'elle y allât. La voilà donc partie , car c'était à Versailles, au sortir du dîner, et arrivée dans un grand cabinet, où il уy avait 170 ANECDOTES . - . huit ou dix personnes qui attendaient pour parler au car . dinal, qui était auprès de sa cheminée avec une femme qu'il galvaudait. Lapeur en prit à madame de Conflans, qui était petite et qui en rapetissa encore. Toutefois, elle s'approche comme cette femme se retirait. Le cardinal, la voyant s'avancer, lui demanda vivement ce qu'elle voulait. " Monseigneur, dit - elle . - Oh, monseigneur ! monseigneur! interrompit le cardinal; cela ne se peut pas. — Mais, monseigneur... reprit -elle. - Mais, interrompit de nouveau le cardinal, quand je vous dis que cela ne se peut pas . – Monseigneur... voulut encore dire madame de Conflans, pour expliquer qu'elle ne demandait rien ; mais, à ce mot, le cardinal lui saisit les deux épaules, la pousse du poing par le dos, et : “ Allez -vous-en, dit- il, et melaissez en repos.” Elle pensa tomber toute plate et s'enfuit en furie, pleurant à chaudes larmes, et arrive en cet état chez madame la duchesse d'Orléans, à qui, à travers ses sanglots, elle conte son aventure. On était si accoutumé aux incar tades du cardinal, et celle - là fut trouvée si singulière et si plaisante , que le récit en causa des éclats de rire qui achevèrent d'outrer la pauvre Conflans, qui jura bien que de sa vie elle ne remettrait le pied chez cet extra vagant. SAINT- SIMON . 7. Insouciance de La Fontaine, La Fontaine avait un procès, ne s'en inquiétait nul. lement, et restait à la campagne. Un de ses amis ap prend que ce procès va être jugé le lendemain ; il en prévient La Fontaine, et lui envoie en même temps un cheval pour qu'il se rende tout de suite à Paris, afin de solliciter ses juges. La Fontaine se met en route, puis, pourse reposer, il s'arrête chez une de ses connaissances, qui demeurait à une lieue de la capitale. Il est reçu avec joie , accueilli avec empressement, parle de vers et oublie son procès; on l'invite à coucher, il consent à rester, dorttoute la nuit, et se réveille tard dans la ma LIVRE QUATRIÈME. 171 tinée ; mais en se réveillant, il se rappelle enfin le motif pour lequel il s'est mis en route ; il repart, arrive après le jugement rendu, et essuie les reproches de son ami. Sans se déconcerter, LaFontaine répondqu'il était bien aise, au fond, de cet incident, parce qu'il n'aimait ni à parler d'affaires ni à en entendre parler. WALCKENAER 8. Voltaire en toge. Voltaire aimait à faire représenter ses tragédies sur son théâtre de Ferney ; son plus grand plaisir était d'y jouer un rôle ; jamais le jeune comédien le plus enthou siaste ne s'est occupé avec tant d'ardeur du personnage qu'il devait remplir. Il fallait que son costume fût prêt huit jours d'avance, et il fatiguait les ouvriers par les fréquents et minutieux changements qu'il leur ordonnait. Un jour qu'il devait jouer Cicéron dans Catilina , il avait endossé, dès le matin, la toge romaine, et se promenait dans son jardin en récitant son rôle , qu'il interrompait pour faire à son jardinier diverses questions. Celui-ci, étonné du singulier équipage de son maître, ne put re tenir un grand éclat de rire. Voltaire se fâcha tout rouge : Que trouvez - vous d'extraordinaire à mon habit, lui dit -il, Cicéron se promenait comme moi dans son verger avant d'aller au sénat ; je le représente ce soir , fallait - il faire deux toilettes ? " Il rentra avec humeur, et fut longtemps sans pouvoir pardonner à son jardinier d'avoir ri au nez de Cicéron. 9. C'est ma coutume. M. de Saint- Foix se prit un jour de querelle au foyer de l'Opéra avec un provincial qu'il ne connaissait pas, et qui ne voulut point céder. M. de Saint- Foix se crut offensé et lui donna un rendez - vous. — " Monsieur, lui dit le provincial, quand on a affaire à moi, on vient me trouver, c'est ma coutume ; je demeure à l'hôtel de Rome, 172 ANECDOTES. je vous y attendrai.” M. de Saint- Foix ne manque pas le lendemain d'aller chercher l'inconnu, qui le reçoit très -poliment et lui offre à déjeuner. " Il est bien question de cela, dit Saint-Foix; sortons. – Non, ré. pond tranquillement le provincial ; je ne sors jamais sans avoir déjeuné, c'est ma coutume.' Il déjeuna à son aise, en invitant toujours M. de Saint- Foix d'en faire autant. Le déjeuner fini, ils sortent, et M. de Saint Foix respire ; mais, en passant devant un café, l'inconnu s'arrête. “ Monsieur, lui dit- il, après mon déjeuner, je joue toujours une partie de dames ou d'échecs, c'est ma coutume ; chacun a la sienne, et vous ne voudriez pas... -Eh, monsieur, reprend Saint-Foix , vous prenez bien votre temps pour jouer aux échecs ! — Cela ne sera pas long, lui dit l'inconnu, après quoi je suis à vous.” Ils entrent dans le café ; l'inconnu joue avec le plus grand flegme, gagne la partie, se lève, fait signe à Saint Foix, qui jurait entre ses dents, lui fait mille excuses et ajoute : “ Si vous voulez, monsieur, nous irons aux Tui leries, et nous ferons deux tours de promenade ; après avoir joué une partie , je ne manquejamais de me pro mener ; c'est encore ma coutume." Comme les Tuileries sontprès, M. de Saint-Foix, qui crut que l'ennemi avait fixé là le lieu du combat, accepte. On se promène, l'in connu fait ses deux tours, et Saint-Foix lui propose de passer aux Champs-Elysées.. " Pourquoi faire ? lui dit I'inconnu. - Belle demande, répond Saint- Foix ; mais pour nous battre. Est- ce que vous avez oublié ?... Nous battre ! s'écria l'inconnu ; y pensez- vous, mon sieur ? Que dirait-on de moi ? Convient-il à un tréso rier de France, à un magistrat, de mettre l'épée à la main ? On nous prendrait pour des fous.” M. de Saint Foix resta comme anéanti, et quitta le trésorier, qui fut le premier à conter son aventure. . 10. L'aiglon de Voltaire . Voltaire aimait beaucoup un jeune aiglon qui était enchainé dans la cour de son château de Ferney. Un LIVRE QUATRIÈME . 173 > jour, l'aiglon sebattit contre deux coqs, et fut griève ment blessé. Voltaire, désolé, envoie un exprès à Genève, avec ordre de ramener un homme qui passait pour un habile médecin d'animaux. Dans son impa tience, il ne faisait qu'aller de la niche de son aiglon à la fenêtre de son appartement, d'où l'on découvrait la grand' route ; enfin , il aperçut son courrier, ayant en croupe l'Esculape tant désiré ; il pousse un cri de joie, vole au devant de lui, l'accueille de la manière la plus distinguée, et lui prodigue prières et promesses pour l'intéresser en faveur de son malade. Le manant, tout ébahid'une réception à laquelle il n'était pas accoutumé, examine les blessures de l'aiglon. Voltaire, inquiet, cher chait à lire dans ses yeux ses craintes ou ses espérances. Le docteur déclare , d'un air capable, qu'il ne peut se prononcer qu'après la levée du premier appareil ; il promet de venir le lendemain, et se retire après avoir été généreusement payé. Jusqu'au lendemain, Voltaire fut sur les épines ; enfin , la décision est qu'on ne répond pas des jours de l'aiglon . Nouvelle source d'inquiétude. La première question que Voltaire faisait chaque matin à une de ses servantes, nommée Madeleine, chargée de se trouver à son réveil, était : Comment va mon aiglon ? -Bien doucement, monsieur, bien doucement." Un jour, enfin , Madeleine répond d'un air riant : “ Ah ! monsieur, votre aiglon n'est plus malade. - Il est guéri ? quel bonheur ! —Il est mort. Mort ! mon aiglon est mort ! et vous m'annoncez cette nouvelle en riant ? Ma foi, monsieur, il était si maigre ! il vaut mieux qu'il soit mort. — Comment, maigre ! s'écrie Voltaire furieux ; la belle raison ! vous n'avez qu'à me tuer aussi, parce que je suis maigre : voyez la coquine ! rire de la mort de mon pauvre aiglon , parce qu'il était maigre ! parce que vous êtes grasse, vous croyez qu'il n'y a que des gens de votre espèce qui aient droit à la vie ? Sortez, sortez d'ici.” Madame Denis accourt aux cris de son oncle, et lui demande le sujet de sa colère . Voltaire le lui raconte en murmurant toujours: “ Maigre, maigre ... il faut donc me tuer, moi...” Enfin , il exige que Madeleine soit renvoyée. La complaisante nièce feint d'obéir, et ordonne à la pauvre fille de se tenir cachée 174 ANEODOTES . dans le château. Ce ne fut qu'au bout de deux mois que Voltaire demanda de ses nouvelles. « Elle est bien malheureuse, lui dit Mme. Denis ; elle n'a pas pa trouver à se placer à Genève, dès qu'on a suqu'elle avait été renvoyée du château de Ferney. -- C'est sa faute. Pourquoi rire de la mort de mon aiglon, parce qu'il était maigre ? ... Cependant, il ne faut pas qu'elle meure de faim : faites -la revenir, mais qu'ellene se présente jamais devant moi, entendez-vous? —Oh ! mon oncle, elle n'aura garde. — A la bonne heure." Voilà donc Madeleine sortie de sa cachette, mais évitant avec soin la rencontre de son maître. Un jour, cepen . dant, Voltaire, en sortant de table, se trouve face à face avec elle ; Madeleine, interdite, rougit, baisse les yeux, veut balbutierquelques excuses “ Ne parlons plus de cela , lui dit Voltaire ; mais au moins, souvenez -vous qu'il ne faut pas tuer tout ce qui est maigre.” 11. Démence de Charles VI. On était alors au commencement d'août, dans les jours les plus chauds del'année. Le soleil était ardent, surtout dans ce pays sablonneux. Le roi était à cheval, vêtu de l'habillement court et étroit qu'on nommait une jacque; le sien était en velours noir et l'échauffait beaucoup. Il avait sur la tête un chaperon de velours écarlate , orné d'un chapelet de grosses perles, que lui avait donné la reine à son départ. Derrière lui etaient deux pages à cheval; l'un portait un de ces beaux casques d'acier, légers et polis, qu'on fabriquait alors à Montauban ; l'autre tenait une lance, dont le fer avait été donné au roi par le sire de La Rivière, qui l'avait rapporté de Toulouse, où on les forgeait mieuxque nulle part ailleurs . Pour ne pas incommoder le roi par la poussière et la chaleur , on le laissait marcher ainsi presque seul. Le duc de Bourgogne et le duc de Berry étaient à gauche, quelques pas en avant, conversant ensemble. Le duc d'Orléans, le duc de Bourbon, le sire de Coucy et quelques autres étaient aussi en avant, LIVRE QUATRIÈME . 175 - Ne vas pas formant un groupe. Par derrière , les sires de Navarre, d'Albret, de Bar, d'Artois, et beaucoup d'autres formaient une assez grande troupe. On cheminait en cet équipage, et l'on venait d'entrer dans la grande forêt du Mans, lorsque tout à coup sortit de derrière un arbre, au bord de la route, un grand homme, la tête et les pieds nus, vêtu d'une méchante souquenille blanche. Il s'élança et saisit le cheval du roi par la bride : plus loin , noble roi, cria -t- il d'unevoix terrible ; retourne, tu es trahi ! " Les hommes d'armes accoururent sur- le champ, et , frappant du bâton de leurs lances sur les mains de cet homme, lui firent lâcher la bride. Comme il avait l'air d'un pauvre fou et de rien de plus, on le laissa aller sans s'informer de rien, et même il suivit le roi pendant près d'une demi-heure, répétant de loin le même cri. Le roi fut troublé de cette apparition subite. Sa tête, qui était toute faible, en fut ébranlée ; cependant on con tinua àà marcher. La forêt passée, on se trouva dans une grande plaine de sable, où les rayons du soleil étaient plus éclatants et plus brûlants encore. Un des pages du roi, fatigué de la chaleur, s'étant endormi, la lance qu'il portait tomba sur le casque, et fit soudainement re tentir l'acier. Le roi tressaillit, et alors on le vit, se levant sur ses étriers, tirer son épée, presser son cheval des éperons et s'élancer en criant : “ En avant sur ces traîtres ! ils veulent me livrer aux ennemis." Chacun s'écarta en toute hâte, pas assez tôt cependant pour que quelques -uns ne fussent blessés, on dit même que plu. sieurs furent tués, entre autres un Polignac. Le duc d'Orléans se trouvait là, tout auprès ; le roi courut sur lui l'épée levée, et allait le frapper : " Fuyez, mon ne. veu, s'écria le duc de Bourgogne qui était accouru, mon. seigneur veut vous tuer. Ah ! quel malheur ! Monsei. gneur est dans le délire ! Mon Dieu ! qu'on tâche de le prendre ! ” . Il était si furieux que personnen'osait s'y risquer. On le laissait courir çàet là, et se fatiguer en poursuivant tantôt l'un , tantôt l'autre. Enfin , quand il fut lassé, et tout trempé de sueur, son chambellan, mes. sire Guillaume Martel, s'approcha par derrière et le prit à bras-le -corps ; on l'entoura, on lui ôta son épée, on le 176 ANECDOTES . descendit de cheval, il fut couché doucement par terre, on lui défit sa jacque ; on trouva sur le chemin unevoi. ture à boufs, on y plaça le roi de France en le liant, de peur que sa fureur ne le reprit; on le ramena à la ville, sans mouvement et sans parole. DE BARANTE . 12. Un épisode de la retraite de Russie. L'empereur Napoléon Ier avait passé la nuit dans sa voiture. Des coups perdus de batteries volantes tra versaient la plaine et rasaient par moments le quartier général. A l'aube tardive du jour, sur un champ de neige semé de débris de chevaux et d'hommes, l'empereur, baissant la glace de sa voiture, appela lui-même M. de Narbonne et lui dit d'une voix affaiblie : “ Quelle nuit ! mon cher générall elle n'a pas été plus rude pour nos sentinelles que pour moi, qui l'ai passée à réfléchir sans sommeil. Voyez, cependant, qu'on les relève. Et vous, venez à la distribution et prenez ceci pour vous ranimer ; car le courage seul ne tient pas chaud, par ce froid de vingt huit degrés." Et en même temps, d'un vase chauffé à l'esprit de vin , qui était placé dans sa voiture, il verse dans une grande tasse unmélange bouillant dechocolat et de café. L'aide de camp reçut avec respect ce que lui offrait l'empereur, et ayant fait quelques pas en arrière de la voiture, il heurta presque un soldat de la garde, couché sur un petit exhaussement de neige battue, ser rant son fusil dans ses mains convulsives, et portant dans l'énergie de ses traits contractés une expression in dicible de souffrance vaincue. Il se pencha vers lui : “ Eh bien, mon brave, lui dit - il, voilà une mauvaise nuit pas sée ; mais enfin , nous avons le jour : levons-nous !" Le soldat fit un effort de puissante volonté, et parut, cepen dant, comme frappé d'engourdissement sur tous ses mus cles tendus et immobiles. " Allons, il faut s'aider un peu , reprit M. de Narbonne, lui présentant le breuvage encore chaud ; prenez ceci, nous en avons d'autre au LIVRE QUATRIÈME . 177 - . quartier général.” Le soldat hésita avec une sorte de fierté respectueuse, porta la main à son bonnet de poil noir, puis reçut la tasse, et l'ayant vidée d'un seul trait, il fit un nouvel et rude effort, se souleva et, appuyé sur son fusil, dont la crosse enfonça dans la neige durcie, par une secousse violente, il se redressa de toute sa hau. teur, et parut ce qu'il était, un des plus vaillants grena diers de la garde impériale: “ Ahi mon général, dit-il, comme la faim et le froid démoralisent les hommes de cour ! Est- ce que j'aurais dû accepter cela de vous, qui êtes mon ancien et qui vous l'ôtez de la bouche pour moi ? Je vous en demande pardon ; et j'en suis tout honteux, ma foi, maintenant que j'ai l'estomac chaud. Allez, mon brave, ce que j'ai fait là est bien peu ; et nous devons partager en frères le peu qui nous reste." Et en même temps M. de Narbonne, songeant que, dans ses bagages , ni dans sa bourse, il n'avait plus rien des soixante mille francs que lui avait fait remettre l'em pereur en quittant Moscou, dit au soldat qui lui rendait respectueusement la coupe d'or : " Non, non , mon brave, gardez ceci pourles frais de route, le dehors vous appar tient comme le dedans, et ne voussera pas moinsutile en touchant la Pologne où nous allons entrer. ” Mais le soldat , reculant d'un pas et faisant de nouveau le salut militaire : “ Ah ! pour cela , dit- il, Dieu m'en garde ! mon général ; je n'ai jamais rien pris, ni rien reçu au monde, que ma solde et ma distribution , quand il y en a." Et il déposa la coupe sur le chevet de neige battue qu'il venait de quitter. Le général insistant avec amitié, en s'excusant de n'avoir rien autre chose à offrir à un vaillant homme, le soldat reprit la coupe, et sous sa main de fer, pressant du pouce un des coins du vase, il en fit éclater un frag ment. “ Puisque vous l'ordonnez, dit -il, général, je garderai de cette tasse d'or ce petit Napoléon. Ce sera ma médaille à inoi, qui me rappellera l'honneur que j'ai eu de monter la garde à pareille fête derrière la voi. ture de l'Empereur, et d'être relevé par vous. ' Puis, portant alertement les armes au général, en signe d'adieu, comme s'il eût retrouvé toute sa vigueur, il s'avança à grands pas en tête de la voiture, qui venait d'être attelée, > N 178 ANECDOTES. et s'ébranlait en sillonnant péniblement la neige, à tra vers les débris du bivouac et les morts de la nuit. VILLEMAIN . 13. La schlague. En Hongrie, la maison du bailli est presque toujours indiquée par des stocks destinés à retenir les prévenus qui attendent la justice , ou, ce qui pourrait ne pas être syno nime, les arrêts du magistrat. Dans la cour on voit un banc de cinq pieds de long, dont les extrémités sont gar nies de bracelets de fer et le milieu d'une chaîne. Celui que je vis chez le bailli d’Almas était porté sur quatre roues et semblait être nouvellement fait . Je lui en de mandai la destination . “ C'est, me dit- il , le banc qui acher les coquins auxquels je fais administrer la schlague." “ Mets- toi là , ” dit-il à un paysan . Le paysan s'étale à plat ventre sur le banc. On lui passe les mains et les jambes dans les bracelets. La chaîne lui comprime les reins de manière à donner plus de saillie à la partie de son individu qui devait recevoir la correction, et la dé monstration commence. “ Ces bancs, continua le bailli, étaient ordinairement fixes . J'ai imaginé de placer celui- ci sur des roues, afin de diviser le spectacle de la correction entre tous les quartiers du village. Les habi tants m'en savent beaucoup de gré . Dans le fait, il n'est pas juste que, parce que je demeure à un bout de la paroisse, les habitants de l'autre extrémité soient privés d'un genre de distraction qui amuse tout le monde, ou d'un exemple de sévérité qui peut profiter à beaucoup. Lors donc qu'un coquin doit recevoir cent coups de bâ ton, je le fais bien arranger sur ce banc, comme vous voyez cet homme (le paysan conservait sa position ). On le promène par tout le village et on lui fait subir la peine, en autant de reprises qu'il y a de quartiers. Vous voyez comme c'est commode. Pour vous peut- être et pour les amateurs de spectacle ; mais pour le patient ? — Cela revient au même pour lui ; il ne reçoit pas un coup - LIVRE QUATRIÈME. 179 de plus. Hélas ! ajouta -t- il après un soupir péniblement arraché du fond de sa poitrine, bientôt ce banc sera inutile. On veut rendre toute subordination impossible, on veut rompre le lien qui tient la société réunie. On va supprimer la schlague, aussi on verra comme tout marchera. Mais je me flatte qu'on ne tardera pas à la rétablir ; car on ne peut s'en passer, et dans cet espoir je conserverai mon banc. Sa vue suffira pour contenir et faire trembler mes paysans. C'est que, voyez- vous, la bastonnade a cela de bon, que le souvenir s'en conserve assez longtemps pour amener et mûrir la réflexion . Après l'avoir reçue, pourvu toutefois qu'elle ait été appli. quée avec conscience, on est quinze jours couché sur le ventre et quinze jours debout. Cela donne le temps de faire un retour sur soi-même." D'HAUSSEZ. 14. Entre confrères . Arrêté au commencement de la révolution, Garat charmait les ennuis de sa captivité en chantant presque toute la journée. Il disait que ses vocalises avaient augmenté de beaucoup la légèreté naturelle de sa voix. Les prisonniers, ravis , se réunissaient dans le corridor ou sous ses fenêtres pour l'entendre. Un jour, il en voit entrer un dans sa chambre, qui le salueprofondé ment avec les signes d'un grand respect : • Vous êtes l'incomparable Garat, monsieur ? Oui , monsieur... Votre talent est prodigieux. Monsieur... Ne m'interrompez pas... Oui,monsieur , prodigieux, et qui que ce soit ne peut vous disputer le titre de roi de la musique. Je suis votre plus grand admirateur. – J'en - suis fort reconnaissant. Personne ne peut vous juger mieux que moi, car je m'occupe beaucoup de cet art enchanteur où vous excellez . Ah ! monsieur est musicien ? dit Garat, ne sachant où aboutiraient tous ces compliments. — Oui, monsieur, nous sommes collègues ; ainsi, vous trouverez tout simple que je m'adresse à vous, pour vous demander un grand service. Parlez, mon - . 180 ANECDOTES. . - sieur, que puis-je faire ? Les Vandales qui se sont emparés du pouvoir s'opposent à tout ce qui pourrait faire prospérer les arts. S'en occuper, serait à leurs yeux un crime de plus ; aussi, je n'ose m'adresser qu'à vous dans une circonstance si critique. Je suis à vos ordres. — Par un accident, je mevois dans l'impossi bilité de cultiver mon talent; il dépend de vous de me rendre à mes occupations chéries. Et comment ? Un hommecomme vous n'est étranger à rien de ce qui & rapport à la musique ; aussi, je viens vous prier de vouloir bien raccommoder mon instrument, queje m'em presserai de vous prêter dès qu'il sera en état : il est digne de vous accompagner.' En finissant ces mots, l'étranger ouvre son manteau, et présente à Garat une... serinette. Ce dernier fit des éclats de rire tellement forts, que plusieurs personnes accoururent pour en savoir la cause, et partagèrent sa gaîté.. Le solliciteur, tout surpris de cette hilarité générale, se retira furieux, et devint, depuis ce moment, l'ennemi déclaré de Garat, qu'il n'appela plus que le charlatan. MLLE. DUCREST. 15. Monsieur Chut. Il y avait au plus six mois que j'étais dans les mous quetaires ( disait un jour le feu comte d'Egmont dans un souper ), qu'enchanté d'être affranchi des entraves d'une éducation, qui depuis longtemps m'ennuyait fort, je me livrais aveuglément à toute la licence desplaisirs dont je voyais jouir mes jeunes camarades. Un jour, après avoir aussi amplement que joyeusement dîné avec quelques-uns d'eux, nous entrâmes à l'Opéra, où la foule était grande ; après nous être glissés et tré moussés chacun de notre mieux, nous parvînmes enfin à trouver place au milieu du parterre. Là, forcés de nous arrêter, j'aurais, ainsi que mes amis, pris patience, si je n'avais eu le malheur de trou ver devantmoi un vieux monsieur, orné d'une immense perruque, dont l'ampleur formait à mon égard une LIVRE QUATRIÈMEo. 181 espèce de parapet, qui me dérobait absolument la vue du spectacle. Après avoir prié et reprié ce monsieur, que déjà j'incommodais fort, de vouloir bien , par quel ques mouvements (qu'il disait sèchement impossibles) me procurer quelque petit coin de vue, impatienté de son sang-froid ainsi que de ma position , qui, pour comble de chagrin, prêtait à rire àmes voisins, et surtout à mes jeunes amis, je tire de ma poche une paire de ciseaux, avec lesquels je travaille, non -seulement à élaguer ce qu'avait de trop touffu l'espèce de branchage qui me nuisait, mais encore les næuds qui lui servaient d'ornements et dont, à chaque ondulation du parterre, mon pauvre estomac était cruellement foulé . Les éclats de rire qu'excita ma vengeance , ayant réveillé mon homme de l'espèce d’apathie qu'il avait montrée jus que - là , et s'étant à peu près aperçu de l'état où j'avais mis sa perruque : “ Mon jeune ami, me dit-il en se tournant, j'espère que vous ne sortirez pas d'ici sans moi.” Ce petit compliment continua le comte d'Egmont) et surtout certain coup d'ail très-expressif dont il était accompagné, m'ayant fait sentir toute l'étendue de ma sottise, tempéra, je l'avoue, un peu le plaisir que j'avais goûté à la faire ... Mais le vin était tiré, je sentis qu'il fallait le boire, et m'y déterminai. L'opéra fini, mon homme, en se retournant gravement, ne m'invita que par un signe à le suivre, et je le suivis. Après avoir traversé, non sans peine, la place du Palais Royal, et enfilé la rue Saint - Thomas -du - Louvre, nous entrâmes sous l'arcade, où, s'arrêtant tout à coup : • Vous êtesjeune, me dit - il, monsieur le comte d'Egmont, car j'ai l'honneur de vous connaître, et je vous dois une leçon dont feu monsieur votre père, que j'eus l'honneur de mieux connaître encore, m'aurait probablement su quelque gré. Quand on insulte publiquement, et sur tout un vieux militaire, il faut au moins savoir se battre ... Voyons, continua -t-il, en tirant son épée, comment vous vous en acquittez ...' Aussi furieux qu'humilié d'un propos qui me sem blait tenir du mépris, je fonds sur lui avec toute l'impé tuosité dont l'âge et le ressentiment me rendaient capable. Mais mon homme, sans s'émouvoir, et fixe 182 ANECDOTES. comme un terme, après s'être contenté pendant quel. ques instants de me désorienter par la plus insolente des parades, ne répondit enfin à mes attaques que par un coup de fouet, qui fit sauter, à six pas de là, mon épés. " Reprenez -la, monsieur le comte, me dit- il avec le même sang - froid , ce n'est pas en danseur de l'opéra, c'est en galant homme, c'est de pied ferme qu'un homme de votre nom doit se battre ... et c'est à quoi je vous invite." Biendéterminé à périr, plutôt que de m'exposer à de nouveaux sarcasmes de la part de ce singulier adver saire , je me plante vis-à -vis de lui, et j'attaque avec autant de froideur que lui-même se défendait . 6. Fort bien cela ! fort bien, monsieur le comte ! ” s'écriait de temps en temps ce drôle d'homme, jusqu'au moment qu'après m'avoir percé le bras d'outre en outre : “ En voilà , dit- il, assez pour cette fois . " . Sur quoi, après m'avoir placé contre le mur et m'avoir dit del'attendre un instant, il vole à la place du Palais-Royal, amène un fiacre, bande ma plaie avec unmouchoir, dit aucocher de nous mener aux mousquetaires de la rue de Beaune, m'y dépose entre les mains du suisse et prend congé de moi. Après une retraite de plus de six semaines qu'avait exigée mablessure, il y avait au plus huit jours que je reparaissais dans le monde, lorsque, entrant un soir au café de la Régence , où je cherchais deux de mes cama rades, je reconnais mon homme, qui, en quittant sa triste bavaroise, se lève, vient à moi, met un doigt sur sa bouche, en me disant chut, me fait signe de le suivre. Arrivés sous la même voûte : “ Vous vous êtes un peu égayé à mes dépens, en racontant notre aventure, dit- il, mon cher comte ! et je vous considère trop pour ne pas contribuer à la rendre plus plaisante encore, en ajoutant une suite au récit que vous pourrez encore en faire ... allons donc, l'épée à la main ." Que vous dirai - je , messieurs et dames ? continua M. d’Egmont ; cette seconde leçon, qui fut à peu près la même que la pre mière, fut encore suivie, quelques mois après, d'une troisième . Ce bourreau d'homme, enfin, était devenu si redoutable pour moi, que je n'entrais dans aucun me LIVRE QUATRIÈME. 183 lieu public sans frémir, en quelque façon , de l'y rencon trer ... car j'oubliais de vous dire que la dernière leçon qu'il avait daigné me donner était àla veille d'un carna val, qu'il m'avait fait passer, on ne saurait plus triste ment, dans mon lit. Jugez donc de ma joie, ainsi que de ma reconnaissance, lorsqu'un garçon du café de la Régence , arrivantun matin chez moi, me dit : Pardon, monsieur le comte ; mais j'ai cru ne pas vous déplaire en venant vous apprendre que M. Chut est mort hier au soir, et que ma bourgeoise espère vous revoir bientôt chez nous. " LA PLACE. 16. Courtoisie du maréchal de Biron, Un chevalier de Saint- Louis étant au parterre de l'Opéra avec un bonnet de velours noir sur sa tête , le sergent de garde vint l'inviter à se conformer à l'ordre général, en ôtant son bonnet . L'officier répon. dit qu'il ne le pouvait pas, ayant une blessure à la tête qui ne lui permettaitpas de se tenir découvert. Le sergent alors le pria avec la plus grande honnêté de passer dans un coin , où il lui fit faire place, jusqu'à ce qu'il eût été prendre , à cet égard, les ordres du maréchal de Biron , qui, heureusement, était ce jour-là au spec tacle , et qui, apprenant ce dont il s'agissait, dit au ser gent: « Je ne lèverai pointla consigne; mais engagez de ma part ce respectable militaire à venir dans ma loge, où il sera plus à son aise et où je serai enchanté de le recevoir .' Le chevalier de Saint-Louis se rendit aveo empressement à cette invitation , et fut accueilli avec toute laconsidération possible par le maréchal, qui lui dit, qu'il n'était pas juste qu'une blessure honorable, reçue au service du roi, le privât des plaisirs auxquels tout le monde avait droit, et lui annonça que, doréna vant, il aurait une place dans sa loge à tous les spectacles. Il l'engagea à dîner pour le lendemain ; et là , en pré sence d'une nombreuse société, il lui demanda l'histoire de sa blessure. Le brave officier raconta, qu'à la 184 ANECDOTES . bataille de X., ayant reçu un coup de fusil qui lui perça la tête de part en part, il était resté couché parmi les morts ; mais que, commençant à revenir d'un long évanouissement, sans avoir encore la force de parler, il vit venir à lui deux hussards démontés, dont l'un, en le regardant avec commisération, s'écria : “ Ah ! le pauvre malheureux, comme il souffre ! ” et lui appuyant sa carabine sur la poitrine, il allait l'achever par pitié, lors que le danger lui rendant plus de force , il eut le bonheur d'écarter avec sa main l'arme qui allait partir. “ Ah ! tu veux souffrir, dit le hussard en mauvais baragouin ; eh bien, souffre ! " et il s'en alla . Il ajouta que les suites de sa blessure l'ayant obligé de quitter le service, où il était déjà avancé, il s'était rendu à Paris pour solli citer une pension de retraite. Le maréchal de Biron lui promit de s'intéresser vive ment à la lui faire obtenir , et lui dit que, jugeant qu'elle serait au moins de deux mille francs, il le priait de permettre qu'il lui en offrît la première année d'avance. 17. Publii Ovidii Manlbus Sacris . Un des plus fameux antiquaires de Paris se desséchait depuis trente ans à la recherche de certains objets d'an tiquité. On lui apporta un jour une assiette brune qui avait un air passablement antique, et qu'on lui présenta comme trouvée avec des ossements dans une espèce de tombeau ; il fut enchanté de ce cadeau. “ Voilà, dit - il, la preuve incontestable que les anciens donnaient á dîner aux morts dans de petits plats.” Il tourna l'as siette de tous côtés, et faillit tomber de joie, en décou vrant au- dessous ces lettres mal marquées : POMANS. Il les étudiaun quart d'heure, et les ponctua ainsi : P. O. MAN . S. , puis avec une jouissance inexprimable, il s'écria : “ PUBLII OVIDII MANIBUS SACRIS ! ... Aux mânes sacrés de Publius Ovidius !..." On sent quel trésor il eût dès lors fallu pour payer un objet aussi rare. L'anti. quaire entreprit une dissertation dans laquelle il faisait LIVRE QUATRIÈME . 186 ' - entrer toute l'histoire d'Ovide ; mais au bout de huit jours, il reçut la visite d'un autre savant à qui il montra son assiette ; celui - ci l'examina froidement. 6. Mon cher ami, dit-il ensuite, vous prenez cela pour une anti quité ? Oui, certes ; et pour une des plus rares . Eh bien ! j'en ai une pareille qui sert de plat à ma chatte. Ob ciell mais c'est un meurtre ; ah ! mon ami, donnez - la -moi. — Mon cher, reprit gravement le savant flegmatique, vous en aurez de toutes semblables, autant qu'il vous plaira, à trois sous la pièce, chez le faiencier du coin : elles sortent de la fabrique de M. Pomans, à Rheims, et ce sont des antiquités qui n'ont pas quatre ans d'existence. L'antiquaire, confondu, brisa son assiette tumulaire ; mais cette leçon ne l'empêcha pas d'acheter, en 1817, un bocal à cerises, de quatre litres , pour une urne sépul. crale trouvée aux environs de Lyon. 18. Les usages de la table . En avril 1786 , M. Delille, étant à dîner chez Mar montel, son confrère, raconta ce qu'on va lire, au sujet des usages qui s'observaient à table dans la bonne compagnie. On parlait de la multitude de petites choses qu'un honnête homme est obligé de savoir dans le monde pour ne pas courir le risque d'y être bafoué. “ Elles sont innombrables, dit M. Delille, et ce qu'il y a de plus fâcheux, c'est que tout l'esprit du monde ne suffirait pas pour faire deviner ces importantes vétilles. Dernièrement, ajouta -t-il, l'abbé Cosson, professeur de belles- lettres au collège Mazarin, me parla d'un dîner où il s'était trouvé quelques jours auparavant avec des gens de cour, des cordons-bleus, des maréchaux de France, chez l'abbé Radonvilliers, à Versailles . – Je parie, lui dis-je, que vous y avez commis cent incon gruités. Comment donc ? reprit vivement l'abbé Cosson fort inquiet. Il mesemble que j'ai fait la même chose que tout le monde. Quelle présomption ! Je gage que vous n'avez fait rien comme personne. Mais, 1 186 ANECDOTES . S - voyons, je me bornerai au dîner. D'abord, que fîtes vous de votre serviette en vous mettant à table ? De ma serviette ? Je fis comme tout le monde ; je la déployai, je l'étendis sur moi et je l'attachai par un coin à ma boutonnière. Eh bien ! mon cher, vous êtes le seul qui ayez fait cela ; on n'étale point sa ser viette, on la laisse sur ses genoux. Et comment fîtes . vous pour manger votre soupe ? Comme tout le monde, je pense : je pris ma cuiller d'une main et ma fourchette de l'autre... - Votre fourchette, bon Dieu ! personne ne prend de fourchette pour manger sa soupe ; mais poursuivons. Après votre soupe, que mangeâtes vous ? Un cuf frais. Et que fîtes -vous de la coquille ?—Comme tout le monde, je la laissai au laquais qui me servait. Sans la casser ? Sans la casser. Eh bien ! mon cher, on ne mange jamais un euf sans briser la coquille; et après votre cuf ? – Je demandai du bouilli. — Du bouilli ! Personne ne se sert de cette expression ; on demande du bæuf et point du bouilli ; et après cet aliment ? Je priai l'abbé de Radonvilliers de m'envoyer d'une très- belle volaille. Malheureux ! de la volaille ! On demande du poulet, duchapon, de la poularde ; on ne parlede volaille qu'à la basse -cour. Mais vous ne dites rien de votre manière de demander à boire. J'ai, comme tout le monde, demandé du champagne, du bordeaux, aux personnes qui en avaient devant elles. Sachez donc qu'on demande du vin de Champagne, du vin de Bordeaux ... Mais dites- moi quelque chose de la manière dont vous mangeâtes votre pain. Certainement à la manière de tout le monde ; je le coupai proprement avec mon couteau. Eh ! on rompt son pain, on ne le coupe pas. Avançons. Le café, comment le prîtes- vous ? le coup, comme tout le monde ; il était brûlant, je le versai, par petites parties, de ma tasse dans ma soucoupe. Eh bien ! vous fîtes comme ne fit sûrement personne : tout le monde boit son café dans sa tasse et jamais dans sa soucoupe. Vous voyez donc, mon cher Cosson, que vous n'avez pas dit un mot, pas fait un mouvement, qui ne fût contre l'usage. L'abbé Cosson était confondu, continua M. Delille. Pendant - - Oh ! pour LIVRE QUATRIÈME. 187 six semaines, il a informait à toutes les personnes qu'il rencontrait de quelques- uns des usages sur lesquels je l'avais critiqué." M. Delille lui-même les tenait d'une dame de ses amies, et avait été longtemps à se trouver ridicule dans le monde, où il ne savait comment s'y prendre pour boire et manger conformément à l'usage. BERCHOUX 19. La peste de Marseille. Malgré plusieurs expériences fatales, dont quelques unes étaient récentes, la ville de Marseille avait laissé s'introduire un peu de négligence dans les soins et dans les rigueurs nécessaires de son lazaret. Un vaisseau, qui venait de Syrie, entra dans ce port au mois de mai. Le capitaine croyait n'avoir trouvé la peste dans aucun des lieux où il s'était arrêté . Il avait cependant perdu plusieurs hommes à son retour. Il en perdit encore quelques- uns pendant le temps de la quarantaine. Sur la foi d'un chirurgien ignorant et opiniâtre, on commit l'imprudence d'abréger ce temps d'épreuve pour son équipage, et déjà les marchandises qu'il avait apportées circulaient dans la ville. La peste se propagea dans le peuple sans que les hommes de l'art voulussent la reconnaître; mais elle enleva, au mois de juillet, un si grand nombre de victimes qu'il ne fut plus possible do s'aveugier ... Le fléau redouble chaque jour de fureur. Cent mille âmes se craignent, veulent se fuir et se rencontrent par tout. Les liens les plụs sacrés sont rompus. Tout ce qui languit est déjà réputé malade, tout ce qui est malade est regardé comme mort . On s'échappe de sa propre maison, où quelques parents rendent leurdernier souffle; on n'est reçu dans aucune autre. Les hôpitaux sont comblés, la mort les vide en un instant; ils sont comblés de nouveau. On établit des tentes dans une plaine voi. sine des murailles. Plusieurs se tiennent penchés tout le jour sur le bord des ruisseaux qui arrosent le territoire; d'autres se croient plus heureuxparce qu'ils vivent dans 1 188 ANECDOTES. des barques sur le port. Mais la mer et les ruisseaux ne mettent point à l'abri de la contagion. Dans le commencement, on avait choisi la nuit pour enterrer les morts. L'attrait d'une forte récompense avait engagé les ouvriers les plus pauvres à se charger de ce soin périlleux ; mais lorsqu'il mourut plus de mille personnes par jour, lorsque presque tous les ouvriers et les hommes les plus indigents eurent disparu, on vit le comble de l'horreur ; des milliers de cadavres étaient répandus ou entassés dans les rues avec des amas de meubles et de vêtements. Au milieu de l'épouvante générale, des âmes grandes, héroïques se dévouèrent et résolurent de vivre incessamment dans tous les gouffres de la mort pour sauver, pour consoler, pour ramener, soit aux devoirs de la nature, soit aux espérances de la religion, ce qui restait de leurs concitoyens. Deux échevins de Marseille, Estelle et Moustier, exposèrent plus souvent leur vie en quelques mois que le guerrier le plus intrépide ne peut le faire dans le cours de plu. sieurs campagnes. Ils veillaient sur tout ; ils faisaient arriver, ils distribuaient les denrées et présidaient à l'enlèvement des cadavres. Quels horribles convois ! C'étaient des forçats qui ramassaient et jetaient dans des fosses profondes les corps des victimes de la peste. Ils yy étaient contraints par des soldats, que conduisaient Estelle, Moustier et un intrépide officier, le chevalier Rose. Aucun des forçats ne survivait à cette tâche. On en fournissait quatre- vingts par semaine. Le com mandant des galères hésitait de les envoyer à une mort aussi assurée . Chaque instant de délai ajoutait, par l'entassement des cadavres, une peste nouvelle à celle qui déjà infectait la ville... L'évêque de Marseille, Belzunce, se joignit au chef d'escadron Langeron, commandant de la ville, aux échevins Estelle et Moustier et au chevalier Rose. Il s'approchait des mourants qui, couchés dans les rues, étaient des objets d'horreur pour leurs plus proches parents. Il ordonnait des processions expiatoires ; il y marchait lui-même à la tête du peuple , les pieds nus et la corde au cou. Chaque fois que les deux courageux échevins étaient prêts à partir pour conduire le convoi LIVRE QUATRIÈME. 189 de plusieurs milliers de cadavres, il implorait, pour eux, la bénédiction du ciel. Eux seuls , toujours exposés, paraissaient invulnérables ... Le fléau avait toujours été en croissant ; le nombre de ceux qui survivaient égalait à peine celui des morts. . La peste s'était répandue dans la campagne de manière à faire craindre pour toute la France. Le 26 septembre, un nouveau malheur parut ôter aux Marseillais leur dernière espérance. On avait travaillé, sans relâche, à construire unhôpital isolé des quartiers populeux de la ville dans un lieu nommé le Jardin -du -Mail. Cet édifice touchait à sa fin, lorsqu'un vent du nord des plus furieux en brisa les charpentes et la toiture . Ce coup de vent fut, cependant, le salut de Marseille ; il chassa, en se prolongeant, les vapeurs pestilentielles. Le nombre des morts diminua ; mais la contagion , recélée dans les meubles et dans les vêtements, quoique ralentie, enlevait encore un grand nombre de victimes . Le gouvernement ne la regarda comme finie qu'au mois de juin 1721 . CA. LACRETELLE. 20. L'académie silencieuse . Memphis possédait une académie célèbre, dont le principal statut était digne de l'école de Pythagore. Le voici : Les académiciens penseront beaucoup , écriront peu et parlerontle moins possible. On l'appelait l'Académie silencieuse, et il n'y avait point, dans l'Egypte, desavant distingué qui n'eût l'ambition d'y être adinis. Alamir , jeuneEgyptien, d'une érudition immense et d'un jugement exquis, avait composé une courte et excellente brochure, intitulée le Bâillon. Il travaillait encore à diminuer ce chef- d'ouvre de précision, quand il apprit, du fond de sa province, qu'il y avait une place vacante dans l'Académie silencieuse. Quoiqu'il ne fût alors âgé que de vingt-deux ans; quoiqu'un grand nombre de concurrents briguassent la place, il arrive et se présente à la porte de la célèbre académie. Une foule de bavards et d'importuns, rôdant le long des galeries, s'approchent, à la hâte, du taciturne 190 ANECDOTES . étranger ; ensuite, ils l'accablent,comme c'est la coutume, de mille questions à la fois. Alamir, marchant droit à son but, et sans proférer un seul mot, donne le billet suivant à l'huissier de la salle, pour le remettre au président de l'auguste assemblée : " Alarnir demand humblement la place vacante.” La cabale et l'intrigue j avaient déjà pourvu, et elle venait d'être accordée au protégé d'un Crésus ignorant. Le sénat silencieux fut désolé de ce contre- temps ; il venait de recevoir un froid bel esprit, dont le verbiage amphigourique ennuyait extrêmement, sans instruire en aucune façon, au lieu qu'Alamir, le fléau des babillards, n'énonçait pas une parole qu'elle ne portât sentence. Le moyen d'annoncer une nouvelle si désagréable à l'auteur du Bâillon ? On ne savait comment s'y prendre, lorsque le président imagina cet expédient: il remplit d'eau une grande coupe, mais demanière qu'une petite goutte de plus l'eût fait déborder à l'instant ; puis il fit signe qu'on intro duisît le candidat. Alamir, la rougeur sur le front, la démarche lente et posée , s'avança avec cet extérieur modeste qui sied si bien au vrai mérite. A son approche, le président del'Aca démie se leva fort honnêtement et lui montra d'un air triste l'emblême fatal de son exclusion. Souriant à cet aspect, le jeune Egyptien comprit aisément ce dont il était question, et ne se déconcerta point. Persuadé qu’un académicien surnuméraire ne dérangerait rien , et ne porterait nulle atteinte à la loi , il ramassa une feuille derose, qu'il vit à ses pieds, puis il la posa dou cement sur la surface de l'eau, où elle surnagea , à son aise, sans répandre la moindre larme. A cette réponse ingénieuse, chacun battit des mains, et, d'un consentement unanime, on fit passer de main en main à l'aspirant le registre de l'Académie ; il y inscrivit son nom à la suite de ceux des récipendiaires, et traça en marge le nombre 100, qui était celui de ses nouveaux confrères. Posant ensuite devant ces chiffres un zéro, par lequel il se désignait, il ajouta ces mots : « Ils n'en vaudront ni plus ni mcins.” Egalement enchanté et de l'esprit laconique et de la modestie peu commune du jeune Alamir, le président l'embrassa aveo LIVRE QUATRIÈME. 191 cordialité, et le combla de caresses . Il substitua ensuite le chiffre 1 au zéro qui précédait le nombre cent, et il écrivit à son tour cette courte phrase : " Ils en vaudront dix fois plus .” BLANCHET. 21, Un professeur de signes. Un ambassadeur d'Espagne en Ecosse, savant très érudit, mais homme à systèmes et, de plus, peu parleur de son naturel, prétendait que les signes pourraient avantageusement remplacer la parole, et il allait jusqu'à soutenir que, dans toute université, il devrait y avoir un professeur de signes. “ Justement il y en a un, et même très - célèbre, à Aberdeen, lui dit le roi Jacques, qui voulait se donner la satisfaction de rire un peu aux dépens de l'ambassa deur. – A Aberdeen, dites -vous ? J'irai le voir," ré pond l'ambassadeur .” Il part, en effet, dès le lendemain. Le roi Jacques, voulant pousser jusqu'au bout la mysti fication, écrivit sur -le-champ aux membres de l'université d'Aberdeen, et voici ce que l'on combina : Il y avait dans la ville un nommé Glaskull, boucher de son métier, assez laid, borgne même, mais très facétieux. Les membres de l'université vont le trouver et lui proposent, contre gratification , de jouer le rôle de professeur de signes. Glaskull y consent ; il jure sur I'honneur que, tant que la comédie durera, et quoi qu'il arrive, il gardera le silence et ne parlera que par gestes. ( Dès que l'ambassadeur est arrivé, on le conduit à l'uni. versité. Glaskull s’affuble d'une robe de professeur, d'une épaisse perruque, et s'installe dans une chaire ; puis onintroduit l'ambassadeur. On le prie de s'entre tenir, comme il pourra, avec le soi- disant professeur de signes, et les professeurs se retirent dans une salle voisine, où ils attendent avec impatience le résultat de l'entrevue. L'ambassadeur s'approche de Glaskull, et lève un doigt de la main. Glaskull, à ce geste, en lève deux. L'ambassadeur lui montre alors trois doigts ; 192 ANECDOTES . Glaskull ferme le poing et l'avance d'un air menaçante L'ambassadeur tire une orange de sa poche et la met sous le nez de Glaskull . Glaskull, à son tour, sort de sa poche un gros morceau de pain d'avoine , qu'il étale avec complaisance. Sur ce, l'Espagnol, qui paraît très-satisfait, fait une profonde révérence et se retire. Aussitôt les professeurs, curieux de savoir comment s'est tiré d'affaire leur confrère borgne, vont en toute hâte questionner l'ambassadeur. " Ah ! c'est un homme admirable, répond l'Excellence. Il vaut tous les trésors de l'Inde, et son intelligence est vraiment merveilleuse. Ecoutez plutôt. D'abord je lui ai montré un doigt, voulant lui dire, par là, qu'il n'y aqu'un Dieu. Il m'en montre deux, ce qui signifie, évidemment, qu'il y a le Père et le Fils. A cela , je réponds en levanttrois doigts, pour lui indiquer le Père, le Fils et le Saint-Esprit. Mais lui aussitôt de fermer le poing, pour faire com prendre que les trois ne font qu'un seul Dieu. Je sors ensuite une orange, comme symbole de la Providence, qui nous prodigue non -seulement tout ce qui est nécessaire ànotre subsistance, mais encore les douceurs de toutes sortes qui embellissent et agrémentent notre vie . Savez-vous ce que fait cet homme prodigieux ? Il m'étale un morceau de pain , pour me rappeler que c'est là le bien essentiel, nécessaire, préférable à toutes les exigences du luxe et de la vanité." Après cette explication , l'ambassadeur se retire enchanté , enthou siasmé, ne tarissant pas d'éloges sur le compte du grand professeur de signes. Les professeurs appellent alors Glaskull , et lui demandent comment il avait interprété les gestes de l'Espagnol. “ Votre ambassadeur est un insolent, répond le boucher d'un air courroucé ; il s'est joué de moi d'une façon intolérable. Figurez- vous que d'abord il me montre un doigt, sans doute pour me reprocher de n'avoir qu'un mil. Je m'empresse de lui montrer mes deux doigts, pour lui faire voir que mon wil vaut bien les deux siens. Je le vois alors lever trois doigts ; c'est sans doute pour me dire que nous n'avons tout de même que trois yeux à nous deux. Irrité de cette impertinence, je m'avance vers lui le poing fermé, et, sans le respect que je vous dois, je lui en aurais · LIVRE QTJATRIÈME. 193 volontiers appliqué en pleine figure. Croyez - vous que cela l'intimide ? Pas le moins du monde. Il tire tranquillement une orange de sa poche et me la promène devant les yeux, comme pour me dire : « Ce n'est pas votre pauvre pays glacé qui pourra jamais rien produire de pareil." Mais moi, à mon tour, je lui montre un bon et gros gâteau d'Ecosse, pour lui prouver que je me soucie peu de ses friandises. Comme il riait d'un air béat, j'allais le lui jeter à la face, lorsqu'il a eu l'heureuse idée de s'en aller en me faisant une grande révérence. ” 9 22. Augures et présages. L& superstition était si répandue chez les anciens, que la vue d'un rat, le passage d'un blaireau pouvaient changer les destins de la république. L'apparition subite d'une souris obligea Fabius Maximus d'abdiquer la dictature, et le consul Flaminius de renoncer au commandement de la cavalerie. On gouvernait l'Etat sur l'avis d'un poulet; on portait les lois, on décidait de la paix ou de la guerre d'après le bêlement d'un mouton ou les entrailles d'un chevreau ; le principe de la puissance législative était dans les basses -cours. Annibal, pressant le roi Prusias de livrer bataille aux Romains, le monarque s'en excusa , en disant que les victimes s'y opposaient: “ C'est- à -dire, reprit Annibal, que vous préférez l'avis d'un mouton à celui d'un vieux général.” N'est-il pas étonnant que les plus beaux génies n'aient pas su s'affranchir de ces tristes et ridicules superstitions ? Virgile, Horace, Tacite, Pline le Jeune témoignent, en mainte occasion , de leur respect pour les augures. Auguste avait l'esprit rempli de visions et dechimères ; il s'imagina qu'une sédition, élevée parmi les soldats de sa garde, provenait de ce qu'il avait mis, ce jour - là, son soulier droit au pied gauche. Nous sommes aujourd'hui un peu déchus de la foi de nos pères. Un tison qui roule , une araignée qui file, une oreille qui tinte, voilà à peu près à quoi se réduisent 194 ANECDOTES. On se " Le tous nos augures ; encore nombre d'esprits forts ont- ils la malhonnêteté d'en faire fort peu de cas . demande quel rapport il peut y avoir entre un tison et une visite , un mouvement convulsif qui fait tinter l'oreille et la conversation de quelques personnes, entre un trésor et une araignée. Du reste, l'araignée qui, pour quelques - uns, est le signe de la richesse, devient, pour d'autres, la cause d'une terreur véritable. duc de Lorraine , dit quelque part Helvétius, donnait un grand repas à toute sa cour. On avait servi dans le vestibule, et le vestibule donnait sur un parterre. Au milieu du souper, une dame croit voir une araignée. La peur la saisit, elle pousse un cri, quitte la table, fuit dans le jardin et tombe sur le gazon . Au moment de la chute, elle voit quelqu'un rouler à ses côtés : c'était le premier ministre du duc. “ Ah ! Monsieur, que vous me rassurez, et que j'ai de grâces à vous rendre ! Je craignais d'avoir fait une impertinence. — Hé! Madame, qui pourrait y tenir ! Mais, dites - moi, était -elle bien grosse ? Ahi Monsieur, elle était affreuse ! - Volait elle près de moi ? - Que voulez- vous dire ? une araignée voler ! – Eh quoi ! reprend le ministre, pour une araignée vous faites ce train -là ! Allez, Madame, vous êtes folle ; je croyais, moi, que c'était une chauve souris . " SALGUES.

23. Charité de Saint Vincent de Paul. Lorsque ce grand homme vint à Paris, on vendait les enfants trouvés dans la rue Saint-Landry, vingt sols la pièce ; et on les donnait par charité, disait-on , aux femmes malades qui avaient besoin de ces innocentes créatures pour leur faire sucer un lait corrompu. Cez infortunés, que le gouvernement abandonnait à la pitié, ou , pour mieux dire, à la barbarie publique, périssaient presque en totalité ; et ceux qui échappaient par hasard à tant de dangers étaient quelquefoisintroduits furtive ment, par les complots de la cupidité, dans des familles LIVRE QUATRIÈME . 195 opulentes, pour en supplanter les héritiers légitimes . Ces frauduleuses substitutions d'individus furent, en France , durant plusieurs siècles , une source intarissable de procès, dont on voit encore les pièces et les détails dans les compilations de nos anciens jurisconsultes. Vincent de Paul donna l'exemple , en fournissant d'abord des fonds assurés pour nourrir douze de ces malheureux enfants ; bientôt sa charité obtint des soulagements à tous ceux qu'on trouvait exposés aux portes des églises ; mais cette nouvelle ferveur, qu’inspire toujours unnouvel établissement, s'étant refroidie , les secours manquèrent entièrement, et les outrages faits à l'humanité allaient recommencer. Le pèrenourricier des orphelins ne se découragea point. Bien loin de désespérer de la Providence, il convoqua une assemblée extraordinaire : il fit placer dans son église de Saint -Lazare un très- grand nombre de ces pauvres enfants, prêts à expirer, entre les bras des filles de la charité, et montant aussitôt en chaire, il prononça, les yeux baignés de larmes, cette allocution pleine d'âme, qui fait autant d'honneur à son éloquence qu'à son zèle

“ Or sus , mesdames , la compassion et la charité vous ont fait adopter ces petites créatures pour vos enfants. Vous avez été leurs mères , selon la grâce, depuis que leurs mères, selon la nature, les ont abandonnés. Voyez, maintenant, si vous voulez aussi les abandonner pour toujours. Cessez à présent d'être leurs mères, pour devenir leurs juges ; leur vie et leur mort sont entre vos mains. Je m'en vais donc, sans délibérer, prendre les voix et les suffrages. Il est temps de prononcer leur arrêt, et de décider irrévocablement, si vous ne voulez plus avoir pour eux des entrailles de miséricorde. Les voilàdevant vous ! Ils vivront, si vous continuez d'en prendre un soin charitable, et , je vous le déclare devant Dieu, ils seront tous morts demain , si vous les délaissez .” On ne devait répondre , on ne répondit à cette pathétique exhortation que par des pleurs et des largesses ; et le même jour, au même instant, dans la même église, l'hôpital des Enfants - Trouvés de Paris fut fondé par acclamation et doté de quarante mille livres de rente. MAURY. 1 196 ANECDOTES. 24. Meurtre de Thomas Becket. - - Thomas Becket venait d'achever son dîner, et ses ser . viteurs étaient encore à table ; il salua les Normands à leur entrée et demanda le sujet de leur visite. Ceux- ci ne lui firent aucune réponse intelligible, s'assirent et le regar dèrent fixement pendant quelques minutes. Regnault, fils d'Ours, prit ensuite la parole : " Nous venons, dit- il, de la part du roi, pour que les excommuniés soient absous, que les évêques suspendus soient rétablis, et que vous-même rendiez raison de vos desseins contre le roi. – Ce n'est pas moi, répondit Thomas, c'est le Souverain Pontife lui-même qui a excommunié l'arche vêque d'York , et qui, seul, par conséquent, a le droit de l'absoudre. Quant aux autres, je les rétablirai, s'ils veulent me faire leur soumission . Mais, de qui donc, demanda Regnault , tenez-vous votre archevêché ; est- ce du roi ou dupape ? J'en tiens les droits spirituels de Dieu et du pape, et les droits temporels du roi. Quoi! ce n'est pas le roi qui vous a tout donné ? Nullement, répondit Becket." Les Normands murmu rèrent à cette réponse, traitèrent la distinction d'argutie, et firent des mouvements d'impatience, s'agitant sur leur sièges et tordant leurs gants, qu'ils tenaient à la main . “ Vous me menacez, à ce que je crois, dit le primat ; mais c'est inutilement: quand toutes les épées de l'Angleterre seraient tirées contre ma têüe, vous ne gagneriez rien sur moi. Aussi, ferons -nous mieux que menacer, répliqua le fils d'Ours, se levant tout à coup; et les autres le suivirent vers la porte en criant : Aux armes ! La porte de l'appartement fut fermée aussitôt derrière eux ; Regnault s'arma dans l'avant-cour ; et prenant une hache des mains d'un charpentier qui travaillait, il frappa contre la porte, pour l'ouvrir où la briser. Les gens de la maison, entendant les coups de hache, supplièrent le prélat de se réfugier dans l'église, qui communiquait à son appartementpar un cloître ou une galerie ; il ne le voulut point ; et on allait l'y entraîner LIVRE QUATRIÈME , 197 de force, quand un des assistants fit remarquer, que l'heure des vêpres avait sonné. " Puisque c'est l'heure de mon devoir, j'irai à l'église ," dit l'archevêque; et faisant porter sa croix devant lui, il traversa le cloître à pas lents, puis marcha vers le grand autel, séparé de lanef par une grille de fer entr'ouverte. Apeineil avait le pied sur les marches de l'autel, que Regnault, fils d'Ours, parut à l'autre bout de l'église, revêtu de sa cotte de mailles, tenant à la main sa large épée à deux tranchants, et criant : “ A moi , à moi, loyaux serviteurs du roi !" Les autres conjurés la suivirent de près , armés, comme lui, de la tête aux pieds et brandissant leurs épées. Les gensqui étaient avec le primat voulurent alors fermer la grille du chvur ; lui-même le leur défendit, et quitta l'autel pour les en empêcher ; ils le supplièrent, avec de grandes instances, de se mettre en sûreté dans l'église souterraine, ou de monter l'escalier par lequel, à travers beaucoup de détours, on parvenait au faîte de l'édifice. Ces deux conseils furent repoussés aussi positivement que les premiers. Pendant ce temps, les hommes armés s'avançaient; une voix cria : est le traître ? ” Personne ne répondit. 66 Où est l'archevêque ? - Le voici , répondit Becket ; mais il n'y a pas de traître ici . Que venez-vous faire dans la maison de Dieu avec un pareil vêtement ? Quel est votre dessein ? Que tu meures. Je m'y résigne ; vous ne me verrez point fuir devant vos épées ; mais, au nom de Dieu tout-puissant, je vous défends de toucher à aucun de mes compagnons, clerc ou laïque, grand ou petit.” Dans ce moment, il reçut, par derrière, un coup de plat d'épée entre les épaules, et celuiqui le lui porta lui dit : • Fuis, ou tu es mort." Il ne fit pas un mouvement ; les hommes d'armes entreprirent de le tirer hors de l'église, se faisant scrupule de l'y tuer. Il se débattit contre eux et déclara fermement qu'il ne sortirait point, et les contraindrait à exécuter, sur la place même, leurs intentions ou leurs ordres. Durant cette lutte, les clercs qui accompagnaient le primat s'enfuirent et l'abandonnèrent tous, à l'exception du porte-croix Edward Grim ... Les conjurés, le voyant sans armes d'aucune espèce, firent peu d'attention à lui , 66 Où - 198 ANECDOTES. et l'un d'eux, Guillaume de Traci, leva son épée pour frapper l'archevêque à la tête ; mais le fidèle et courageux Saxon étendit aussitôt son bras droit, afin de parer le coup : il eut le bras presque emporté ; et Thomas ne reçut qu'une légère blessure. “ • Frappez, frappez, vous autres, ” dit le Normand à ses compagnons ; et un second coup , porté à la tête , renversa l'archevêque, laface contre terre ; un troisième lui fendit le crâne, et fut asséné avec une telle violence , que l'épée se brisa sur le pavé. Un homme d'armes , appelé Guillaume, poussa du pied le cadavre immobile, en disant : Qu'ainsi meure le traître qui a troublé le royaume et fait insurger les Anglais . AUGUSTIN THIERRY. 66 25. L'hospitalité dans les ruines de Balbek. Nous arrivâmes à la porte d'une cabane basse et à demi cachée par des pans de marbre dégradés, et dont la porte et les étroites fenêtres, sans vitres et sans volets, étaient construites de marbre et de porphyre, mal collés ensemble avec un peu de ciment. Une petite ogive de pierre s'élevait, d'un ou deux pieds , au - dessus de la plate-forme, qui servait de toit à cette masure, et une petite cloche, semblable à celle que l'on peint sur la grotte des ermites, s'y balançait aux bouffées du vent : c'était le palais épiscopal de l'évêque arabe de Balbek , qui surveillait, dans ce désert, un petit troupeau de douze ou quinze familles chrétiennes, de la communauté grecque, perdues au milieu de ces déserts, et de la tribu féroce des Arabes indépendants de Bkà. Jusque-là, nous n'avions vu aucun être vivant que les chacals qui couraient entre les colonnes du grand temple, et les petites hirondelles , au collier de soie rose , qui bordaient, comme un ornement d'architecture orientale, les cor niches de la plate - forme. L'évêque, averti par le bruit de notre caravane, arriva bientôt, et, s'inclinant sur sa porte, m'offrit l'hospitalité. C'était un beau vieillard, aux clicveux et à la barbe d'argent, à la physionomie LIVRE QUATRIÈME. 199 grave et douce , à la parole noble, suave et cadencée, tout à fait semblable à l'idée du prêtre dans le poème ou dans le roman, et digne, en tout, de montrer sa figure de paix , de résignation et de charité dans cette scène solennelle des ruines et des méditations. Il nous fit entrer dans une petite cour intérieure, pavée aussi d'éclats de statues, de morceaux de mosaïques et de vases antiques , et nous livrant sa maison, c'est- à -dire deux petites chambres basses, sans meubles et sans portes , il se retira et nous laissa, suivant la coutume orientale, maîtres absolus de sa demeure. Pendant que nos Arabes plantaient en terre , autour de la maison , les chevilles de fer , pour y attacher, par des anneaux , les jambes de nos chevaux , et que d'autres allumaient un feu dans la cour, pour nous préparer le pilau et cuire les galettes d'orge, nous sortîmes pour jeter un second regard sur les monuments qui nous environnaient. Les grands temples étaient devant nous comme des statues sur leurs piédestaux, le soleil les frappait d'un dernier rayon vague, qui se retirait lentement d'une colonne à l'autre, comme les lueurs d'une lampe que le prêtre emporte au fond du sanctuaire : les mille ombres des portiques, des piliers, des colonnades, des autels se répandaient, mouvantes, sous la vaste forêt de pierre, et remplaçaient, peu à peu, sur l’Acropolis, les éclatantes lueurs du marbre et du travertin : plus loin , dans la plaine, c'était un océan de ruines, qui ne se perdait qu'à l'horizon ; on eût dit des vagues de pierres brisées contre un écueil, et couvrant une immense plage de leur blancheur et de leur écume. DE LAMARTINE. 26. L'archevêque de Reims. L'archevêque de Reims ( Le Tellier) revenait hier fort vite de Saint-Germain, c'était comme un tourbillon . Il croit bien être grand seigneur, mais ses gens le croient encore plus que lui. Ils passaient au travers de Nanterre: tra , tra, tra ; ils rencontrent un homme à cheval : gare, 200 ANECDOTES. gare ! Ce pauvre homme se veut ranger, son cheval ne le veut pas, et enfin, le carrosse et les six chevaux ren . versent, cul par -dessus tête , le pauvre hommeet le cheval, et passent par- dessus, et si bien par-dessus, que le carosse en fut versé et renversé. En même temps, l'homme et le cheval, au lieu de s'amuser à être roués, se relèvent miraculeusement et remontent l'un sur l'autre, et s'enfuient, et courent encore, pendant que les laquais et le cocher de l'archevêque, et l'archevêque lui même, se mettent à crier : " Arrête, arrête ce coquin ; qu'on lui donne cent coups !" L'archevêque, en racontant ceci, disait : “ Si j'avais tenu ce maraud-là, je lui aurais rompu les bras et coupé les oreilles." MME. DE SÉVIGNÉ. 27. Paul- Louis Courier en Calabre . Un jour, je voyageais en Calabre ; c'est un pays de méchantes gens, qui , je crois, n'aiment personne, et en veulent surtout aux Français : de vous dire pourquoi, ce serait long ; suffit qu'ils nous haïssent à mort, et qu'on passe fort mal son temps, lorsqu'on tombe entre leurs mains. J'avais pour compagnon un jeune homme d'une figure ... ma foi, comme ce monsieur que nous vîmes au Raincy ; vous en souvenez-vous ? et mieux encore peut-être. Je ne dis pas cela pour vous intéresser, mais parce que c'est la vérité. Dans ces montagnes, les chemins sont des précipices ; nos chevauxmarchaient avec beaucoup de peine ; mon camarade allant devant. Un sentier , qui lui parut plus praticable et plus court, nous égara. Nous cherchâmes, tant qu'il fit jour, notre chemin à travers le bois ; mais plus nous cherchions, plus nous nous perdions, et il était nuit noire, lorsque nous arrivâmes près d'une maison fort sombre ; nous y entrâmes, non sans soupçon, mais comment faire ? Là, nous trouvons toute une famille de charbonniers à table, où, du premier mot, on nousinvita. Mon jeune hommo ne se fit pas prier : nous voilà mangeant et buvant, lui du moins, car, pour moi, j'examinais le lieu et la mine LIVRE QUATRIÈME . 201 de nos hôtes. Nos hôtes avaient bien la mine de char bonniers ; mais la maison , vous l'eussiez prise pour un arsenal : ce n'étaient que fusils, pistolets , sabres, cou . teaux, coutelas. Tout medéplut, et je vis bien que je déplaisais; mon camarade, au contraire, était de la famille : il riait, il causait avec eux ; et, parune impru . dence, que j'aurais dû prévoir, il dit d'abord d'où nous venions, où nous allions, que nous étions Français : imaginez un peu , chez nos plus mortels ennemis, seuls, égarés, si loin de tout secours humain ! et puis, pour ne rien omettre de ce qui pouvait nous perdre, il fit le riche, promit à ces gens pour la dépense et pour nos guides, le lendemain, ce qu'ils voulurent. Enfin , il parla de sa valise , priant fort qu'on en eût grand soin, qu'on la mît au chevet de son lit ; il ne voulait point, disait-il, d'autre traversin. Cousine, on crut que nous portions les diamants de la couronne, et ce qu'il уy avait qui lui causait tant de souci dans cette valise, c'étaient les lettres de sa fiancée. Le souper fini, on nous laissa ; nos hôtes couchaient en bas , nous, dans la chambre haute, où nous avions mangé ; une soupente, élevée de sept à huit pieds, où l'on montait par une échelle, c'était là le coucher qui nous attendait, espèce de nid, dans lequel on s'introduisait en rampant, sous des solives chargées de provisions pourtoute l'année. Mon camarade y grimpa seul ; moi, déterminé à veiller, je fis bon feu , et m'assis auprès. La nuit s'était déjà passéepresque entière assez tranquillement, et je com mençais à me rassurer, quand, sur l'heure où il me semblait que le jour ne pouvait être loin, j'entendis, au - dessous de moi, notre hôte et sa femme parler et se disputer ; et, prêtant l'oreille par la cheminée qui communique avec celle d'en bas, je distinguai parfaite ment ces propres mots du mari: " Eh bien ! enfin, voyons, faut- il les tuer tous les deux ? ” A quoi la femme répondit : “ Oui.” Et je n'entendis plus rien. Que vous dirai-je ? je restai respirant à peine, tout mon corps froid comme marbre ; à me voir, vous n'eussiez su si j'étais mort ou vivant. Dieu ! quand j'y pense encore l ... Nous deux , presque sans armes, contre eux douze ou quinze, qui en avaient tant! Et mon camarade, 202 ANECDOTES . mort de sommeil et de fatigue! L'appeler, faire du bruit, je n'osais ; m'échapper tout seul, je ne pouvais ; la fenêtre n'était guère haute, mais, en bas, deux gros dogues hurlant comme des loups... En quelle peine je me trouvais, imaginez -le, si vous pouvez. Au bout d'un quart d'heure, qui fut long, j'entendis, sur l'escalier, quelqu'un, et, par la fente de la porte, je vis le père, sa lampe dans une main , dans l'autre, un de de ses grands couteaux. Il montait, sa femme après lui, moi derrière la porte. Il ouvrit ; mais, avant d'entrer, il posa sa lampe, que sa femme vint prendre; puis il entre, pieds nus , et elle , de dehors, lui disait à voix basse, masquant avec ses doigts le trop de lumière de sa lampe : “ Doucement, va doucement." Quand il fut à l'échelle, il monte, son couteau entre les dents, et venu à la hauteur du lit, ce pauvre jeune homme étendu , offrant sa gorge découverte, d'unemain ,il prend son couteau, et de l'autre ... ah ! cousine ... il saisit un jambon qui pendait au plancher, en coupe une tranche et se retire comme il était venu. La porte se referme , la lampe s'en va , et je reste seul à mes réflexions . Dès que le jour parut, toute la famille, à grand bruit, vint nous éveiller comme nous l'avions recommandé. On apporte à manger , on sert un déjeuner fort propre, fort bon, je vous assure. Deux chapons en faisaient partie , dont il fallait, dit notre hôtesse, emporter l'un et manger l'autre . En les voyant, je compris enfin le sens de ces terribles mots : Faut- il les tuer tous deux ? P.-L. COURIER. 28. Lo cardinal de Retz et les fantômes . Nous allâmes à Saint-Cloud, chez M. l'archevêque. Les comédiens, qui jouaient ce soir-là à Ruel, chez monsieur le cardinal , n'arrivèrent qu'extrêmement tard . Enfin , l'on s'amusa tant que la petite pointe du jour ( c'était dans les plus grands jours de l'été) commençait LIVRE QUATRIÈME. 203 1 à paraître quand l'on fut au bas de la descente des Bons- Hommes. Justement au pied , le carrosse arrêta tout court. Comme j'étais à l'une des portières avec mademoiselle de Vendôme, je demandai au cocher pourquoi il arrêtait, et il me répondit avec une voix fort étonnée : 6. Voulez vous que je passepar dessus tous les revenants qui sont là devant moi ? " Je mis la tête hors de la portière ; et, comme j'ai toujours eu la vue fort basse, je ne vis rien. Madame de Choisy, qui était à l'autre portière avec M. de Turenne, fut la première qui aperçut du carrosse la cause de la frayeur du cocher ; je dis du carrosse , car cinq ou six laquais, qui étaient derrière, criaient : Jésus Maria ! et tremblaient déjà de peur. M. de Turenne se jeta hors du carrosse, aux cris de Madame de Choisy. Je crus que c'étaient des voleurs ; je sautai aussi hors du carrosse ; je pris l'épée d'un laquais, je la tirai et j'allai joindre de l'autre côté M. de Turenne, que je trouvai regardant fixement quelque chose que je ne voyais point. Je lui demandai ce qu'il regardait, et il me répondit, en mepoussant du bras et assez bas : « Je vous le dirai, mais il ne faut pas épouvanter ces femmes," qui, dans la vérité, hurlaient plutôt qu'elles ne criaient. Voiture commença un Oremus : vousconnaissez peut-être les cris aigus de madame de Choisy ; mademoiselle de Vendôme disait son chapelet ; madame de Vendôme se voulait confesser à M. de Lisieux, qui lui disait : “ Ma fille, n'ayez point de peur, vous êtes en la main de Dieu, " et le comte de Brion avait entonné, bien dévote ment, à genoux, avec tous nos laquais, les litanies de la Vierge. Tout cela se passa, comme vous vous pouvez imaginer, en même temps et en moins de rien . M. de Turenne, qui avait une petite épée à son côté, l'avait aussi tirée , et, après avoir un peu regardé, comme je vous l'ai déjà dit, il se tourna vers moi, de l'air dont il eût demandé son dîner et de l'air dont il eût donné une bataille, me dit ces paroles : 66 Allons voir ces gens- là . — Quelles gens ? " lui repartis-je ; dans le vrai , je croyais que tout le mondeavait perdu le sens. Il me répondit : Effectivement, je crois que ce pourrait > 204 ANECDOTES . bien être des revenants." Comme nous avions déjà fait cinq ou six pas du côté de la Savonnerie, et que nous étions, par conséquent, plus proches du spectacle, je commençai à entrevoir quelque chose, et ce qui m'en parut fut une longue procession de fantômes noirs, qui me donna d'abord plus d'émotion qu'elle n'en avait donné à M. de Turenne. Les gens du carrosse, qui croyaient que nous étions aux mains avec ces fantômes, firent un grand cri , et ce ne furent pourtant pas eux qui eurent le plus de frayeur. Les pauvres Augustins réformés et déchaussés, que l'on appelle les capucins noirs, qui étaient nos revenants d'imagination, voyant venir à eux deux hommes qui avaient l'épée à la main , l'eurent très-grande ; et l'un d'eux, se détachant de la troupe, nous cria : “ Messieurs, nous sommesde pauvres gens qui ne faisons de mal à personne, et qui venons de nous rafraîchir un peu dans la rivière pour notre santé." Nous retournâmesau carrosse, M. de Turenne et moi, avec les éclats de rire que vous vous pouvez imaginer CARDINAL DE RETZ. 29. Rage poétique. - Un jour, il me vint un jeune poète comme il m'en vient tous les jours. Après les compliments ordinaires sur mon esprit, mon génie, mon goût, ma bienfaisance, le jeune poète tira un papier de sa poche: " Ce sont des vers, me dit - il. Des vers ! Oui, monsieur, et sur lesquels j'espère que vous aurez la bonté de me dire votre avis. Aimez- vous la vérité ? Oui, monsieur, je vous la demande. Vous allez la savoir ." Je lis les vers du jeune poète, et je lui dis : Non seulement vos vers sont mauvais, mais il m'est démontré que vous n'en ferez jamais de bons . Il faudra que j'en fasse de mauvais, car je ne saurais m'empêcher d'en faire . · Voilà une terrible malédiction ! Concevez vous, monsieur, dans quel avilissement vous aller tomber ? Ni les dieux, ni les hommes, ni les colonnes - LIVRE QUATRIÈME . 205 . - - n'ont pardonné la médiocrité aux poètes : c'est Horace qui l'a dit. Je le sais. Êtes-vous riche ? Non. Êtes -vous pauvre ? Très -pauvre. Et vous allez joindre à la pauvreté le ridicule de mauvais poète ; vous aurez perdu toute votre vie, vous serez vieux. Vieux, pauvre et mauvais poète, ah ! monsieur, quel rôle ! - Je le conçois, mais je suis entraîné malgré moi. Avez - vous des parents ? J'en ai . Quel est leur état ? Ils sont joailliers. Feraient - ils quelque chose pour vous ? Peut- être. Eh bien, voyez vos parents, proposez -leur de vous avancer uno pacotille de bijoux. Embarquez-vous pour Pondichéry : vous ferez de mauvais vers sur la route ; arrivé, vous ferez fortune. Votre fortune faite, vous reviendrez faire ici tant de mauvais vers qu'il vous plaira, pourvu que vous ne les fassiez pas imprimer ; car il ne faut ruiner personne... Il y avait environ douze ans que j'avais donné ce conseil au jeune homme, lorsqu'il m'apparut; je ne le reconnaissais pas. “ C'est moi, monsieur, que vous avez envoyé à Pondichéry ; j'y ai été, j'ai amassé là une centaine de mille francs. Je suis revenu, je me suis mis à faire des vers, et en voilà que je vous apporte ... Ils sont toujours mauvais ? Toujours, mais votre sort est arrangé, et je consens que vous continuiez à faire de mauvais vers. C'est bien mon projet.” DIDEROT. . 30. Stoicisme de La Condamine, La Condamineavaitcontracté de nombreusesinfirmités. Un jour il apprend qu'un jeune chirurgen vient de poser à l'Académie une opération nouvelle, fort hardie et fortcontroversée, pour guérirradicalement une infirmité qu'il comptait parmi les siennes. Sans perdre une minute, il mande chez lui l'inventeur : Ecoutez, lui dit - il, voilà une occasion magnifique. Votre méthode est contestée. Vous allez l'expérimenter sur moi. 66 206 ANECDOTES . - - Sur vous ! fit le chirurgien effrayé. — Mais oui. Qui vous arrête ? Je suis bien aise de voir par moi-même si vous avez raison . Et si j'allais ne pas réussir ? Comment, comment! vous n'êtes donc guère sûr de votre moyen, monsieur l'inventeur ? Je m'en crois sûr, monsieur, mais ... - Eh bien ! alors, monsieur, pas d'enfantillage ! Je vous offre un sujet ; vous n'en Trouveriez peut -être pas facilement un autre ayant si bien toutes les qualités requises. - Votre grand âge rend le succès fort douteux . - C'est précisément pour cela. Si je meurs , eh bien ! je suis vieux, malade , usé par tous les bouts; on dira que c'est la nature qui m'a tué et que tout l'art du monde ne pouvait me guérir. Je ne risque que deux ou trois ansau plus. Si vous me sauvez, vous en aurez dix fois plus de gloire ; c'est la confirmation sans réplique d'une découverte précieuse à l'humanité, et je me charge de faire moi-même un rapport à l'Académie . Ainsi, rien à perdre, tout à gagner. C'est convenu, n'est- ce pas ? Venez demain , et apportez vos instruments.” Le lendemain , en effet, l'opération eut lieu, à l'insu de sa femme et de ses gens. Elle fut longue et cruelle. La main du chirurgien tremblait sur le corps de ce vieillard impassible , qui suivait curieusement de l'ail chaque détail, penchant la tête pour mieux voir, comme si l'on eût expérimenté sur un mannequin près de lui. Ce stoïcisme incroyable donnait le vertige au chirurgien ; il se hâtait, dans une espèce de fièvre et de délire : “ Mais, monsieur, disait le malade, doucement donc ! N'allez passi vite ... Permettez que je voie... Comment avez - vous fait cela ? ... C'est trop haut... C'est trop Pourquoi allez - vous par ici ? ... Morbleu ! mon sieur, si je ne vois pas, comment voulez -vous que je rende compte à l'Académie ? ... Enfoncez donc votre bistouri. Cela n'est pas nécessaire. Je le sais bien, mais on vous a fait des difficultés là-dessus ; vous avez soutenu que vous pouviez faire la plaieplus profonde sans inconvénient, et l'on n'a pas été de votre avis : tentez l'expérience sur moi. Tenez - vous tranquille, monsieur, je vous en prie; je ne puis plus aller ; vous m'interrompez sans cesse. -- Cependant ... - La paix, bas ... - 1 LIVRE QUATRIÈME. 207 นี้ la paix ! fit le chirurgien , qui se mit cette fois en colère . Je vous laisse à moitié opéré si vous ne vous taisez .” La Condamine se tut quelques minutes en grommelant, sans cesser de suivre le bistouri du regard. L'opération obtint un plein succès, mais le malade, impatient, se hâta trop de faire fermer la plaie, et deux jours après, il était mort. VICTOR FOURNEL. 31. Cent écus. Dans l'auberge où nous descendîmes, pendant que nous soupions, une petite servante en bavolet et en tablier blanc se fit remarquer de madame la comtesse du Nord. Elle était jolie comme un ange, et paraissait accorte et intelligente. Madame la comtesse du Nord la montra au prince, qui, ainsi que nous, se mit à la regarder, ce qui nela déconcerta pas du tout. “ Voilà une jolie fille ," dit Son Altesse. Elle leva la tête et sourit, en montrant deux rangs de dents blanches comme du lait, pour montrer qu'elle avait entendu. “ Comment t'appelles -tu, mon enfant ? demanda la princesse. Madame, je m'appelle Jeanne, mais on m'appelle Javotte, parce qu'on prétend que je parle beaucoup. Ah ! tu aimes à causer, poursuivit le prince, veux -tu causer avec nous ? Dame! si vous voulez ... Tu n'es pas timide ? Je n'ai point honte avec vous, monsieur ; je sais bien que vous êtes un grand prince, très-riche, aussi riche que le roi ; mais vous avez l'air bon , et je n'ai pas plus peur de vous que des sous lieutenants de Royal-Lorraine." Le grand-duc se mit à rire et nous dit : “ Vous voyez que Javotte, qui craint les jolis garçons, est de l'avis des Parisiens." A Paris, un jour, dans une foule, on l'avait trouvé laid, et il l'avait entendu . “ Eh bien , Javotte, puisque tu trouves que j'ai l'air bon, que veux-tu que je fasse pour toi ? Damel monsieur... je ne sais pas ... Tu ne sais pas ? Cherche bien.” Elle se prit à sourire, du même sourire fin et perlé, comme une soubrette de 208 ANECDU CES . . - - - - - comédie. “ Ah ! je sais peut- être bien ! mais ... Veux- tu que je t'aide ? - C'est cela, aidez -moi. – Voyons, me répondras -tu franchement ? – Ah ! que oui. As- tu un prétendu ? ”. Elle devint toute rouge, ce qui nous prouva qu'elle n'était point effrontée, malgré sa hardiesse, et répondit avec un sourire, en roulant son tablier : " Ah ! oui. Comment s'appelle -t-il ? Bastien Raulé, pour vous servir.” Et elle fit la révérence. Que fait - il ? - Il est tailleur de pierres ; c'est un bon état, mais très -sale et très- ennuyeux. Pourquoi ne l'épouses- tu pas ? - Ah ! voilà justement, monsieur, que vous y arrivez. Est - il riche ? Hélas ! non. Et toi ? Moi, j'ai mes gages, dix écus par an. C'est pour cela que vous ne vous mariez pas ? — C'est pour cela, monseigneur, rien que pour cela ; il en a bien envie, et moi aussi. Est- ce un joli garçon ? Ah ! pour ça, monsieur, je vous en réponds ; plus joli, quand il est requinqué, que tous les officiers de Royal-Lorraine. Et combien vous faudrait-il pour vous marier ? Beaucoup , beaucoup d'argent ; plus que vous n'en avez peut- être en ce moment, monsieur. Mais, encore ? faudrait... cent écus ! " Lorsqu'elle eut lâché cette énormité, elle baissa la tête et devint plus rouge encore. Le comte du Nord regarda en souriant son aimable épouse ; il voulait lui laisser le plaisir du bienfait. “ Viens ici, Javotte, dit celle -ci, et tends ton tablier .' Elle chercha sa bourse et en tira quinze louis d'or, qu'elle laissa tomber dans le tablier de la servante. Celle-ci fut si joyeuse, si étonnée, qu'elle lâcha les coins, et leva les yeux au ciel, en s'écriant : “ Dieu du ciel ! est-il possible ? " Jies louis roulèrent sur le plancher, elle ne songea point à les ramasser ; mais les yeux tout pleins de larmes, et sans rien ajouter , elle prit le bas de la robe de la princesse, qu'elle porta à ses lèvres avec une grâce et une simplicité quinous touchèrent tous. Cette fille avait certainement un bon cæur . On parla d'elle pendant tout le reste du souper. DU COUDRAY. - Il nous LIVRE QUATRIÈME . 209 32. Le bourreau de Versailles, Un habitué d'un des grands restaurants du boulevard prenait ses repas toujours chez le même traiteur et à la même table. Si on lui eût mis son couvert à une autre, il eût eu une indigestion . Le restaurateur lui faisait toujours garder sa place de prédilection . Un jour, cependant, que toutes les autrestables étaient occupées, on disposa de celle - là. Quand il arrive et qu'il voit sa place prise, il est désolé. En attendant qu'elle soit vacante, il s'approche du comptoir et se met à causer avec la maîtresse de la maison . Mais l'étranger était un gaillard de bon appétit, qui n'aimait pas à se gêner, et qui paraissait se complaire dans l'exercice de la table . Notre habitué enrageait, mais il serait mort de faim plutôt que de se mettre autre part. Enfin , voyant que son usurpateur ne se disposait pas à lever le siège, car il venait de demander une seconde bouteille de vin : “ Connaissez-vous la personne qui dîne là, à ma place ? demanda - t - il à la dame du comptoir. — Non, monsieur, c'est la première fois qu'il vient ici. Je le crois, car, si vous le connaissiez, vous ne le recevriez pas. Vous me faites trembler 1... quel homme est- ce donc ? C'est le bourreau de Versailles ! ” A ce nom, la damepâlit et fixe sur l'étranger un regard de curiosité et d'effroi. “ Le bourreau de Versailles l" murmure- t - elle tout bas . Elle appelle son mari et lui répète ce qu'elle vient d'apprendre. Le restaurateur est aussi effrayé que sa femme, et va redire l'affreuse nouvelle à quelques -uns des habitués, qui, tous, lui conseillent de congédier l'horrible consommateur. Le maître du lieu s'arme de courage, et, s'approchant de l'étranger, il entame avec lui une conversation par cette phrase, stéréotypée à l'usage des restaurateurs : 6. Eh bien ! monsieur, vous êtes content de votre dîner ? Très. content ; je trouve seulement qu'on me fait attendre bien longtemps ce que j'ai demandé. Mon Dieu ! monsieur, c'est qu'on ne peut pas vous le donner. S'il n'y en a pas, il fallaitmele dire. Je vaisdemander - P 210 ANECDOTES. - - autre chose. Oh ! ce n'est pas cela, monsieur ; mais on ne vous servira plus rien, et je suis forcé de vous prier de vous en aller le plus tôt possible, et de ne plus revenir chez moi. Ah ! mon Dieu ! et qui peut m'attirer cette proscription ? Vous devez bien le savoir. Je vous jure que je n'y comprends rien. Qu'il vous suffise d'apprendre que vous êtes connu ici. Je suis connu !... c'est possible l ... eh bien ! après ? Et vous sentez bien que je perdrais toutes mer. pratiques, si je vous recevais davantage. Ah ça, voyons, pour qui me prenez -vous ? car vous commencez à m'impatienter. -Parbleu, monsieur, pour ce que vous êtes , pour le bourreau de Versailles. Ah ! ... et qui vous a dit que j'étais le bourreau de Versailles ? C'est monsieur, dit le traiteur en montrant du doigt l'habitué, qui commençait à trembler des suites de sa plaisanterie . — Monsieur ! s'écrie l'étranger en élevant la voix : je n'ai rien à dire ; il doit le savoir mieux que personne , car je l'ai marqué il y a deux ans.” Puis il demande sa carte , paye, et sort tranquillement. Le mystificateur était resté pétrifié. 33. Mort de Mirabeau . Des pressentiments de mort se mêlaient aux vastes projetsde Mirabeau, et quelquefois en arrêtaient l'essor. Cependant, sa conscience était satisfaite ; l'estime publique s'unissait à la sienne et l'assurait que,s'il n'avait pas encore assez fait pour le salut de l'Etat, il avait, du moins, assez fait pour sa propre gloire. Pâle, et les yeux profondément creusés, il paraissait tout changé à la tribune, et souvent il était saisi de défaillances subites ; les excès de plaisir et de travail, les émotions de la tribune avaient usé, en peu de temps, cette existence si forte. Des bains, qui renfermaient une dissolution de sublimé, avaient produit cette teinte verdâtre qu'on attribuait au poison. La cour était alarmée, tous les partis étonnés ; et, avant sa mort, on s'en demandait la cause . Une dernière fois, il prit la LIVRE QUATRIÈME . 211 parole à cinq reprises différentes, sortit épuisé et ne reparutplas. Le lit de mort le reçut et ne le rendit qu'au Panthéon. Il avait exigé de Cabanis qu'on n'appelât pas de médecins; néanmoins, on lui désobéit, et ils trouvèrent la mort qui s'approchait, et qui, déjà, s'était emparée des pieds. La tête fut atteintela dernière, comme si la nature avait voulu laisser briller son génie jusqu'au dernier instant. Un peuple immense se pressait autour de sa demeure, et encombrait toutes les issues dans le plus profond silence. La cour envoyait émissaires sur émissaires ; les bulletins de sa santé se transmettaient de bouche en bouche et allaient répandre partout la douleur à chaque progrès du mal. Lui, entouré de ses amis, exprimait quelques regrets sur ses travaux interrompus, quelque orgueil sur ses travaux passés : “ Soutiens, disait -il à sou domestique, soutiens cette tête , la plus forte de France." L'empressement du peuple le toucha ; la visite de Barnave , son ennemi, quise présenta chez lui au nom des Jacobins, lui causa une douce émotion. Il donna encore quelques pensées à la chose publique. L'assemblée devait s'occuper du droit de tester ; il appela M. de Talleyrand et lui remit un discours qu'il venait d'écrire. “ ) sera plaisant, lui dit-il, d'entendre parler, contre les testaments, un homme qui n'est plus et qui vient de faire le sien .” avait voulu, en effet, qu'il le fît, promettant d'acquitter tous les legs. Reportant ses vues sur l'Europe, et devinant les projets de l'Angleterre : “" Ce Pitt, dit-il,, est le ministre des préparatifs ; il gouverne avec des menaces : je lui donnerais de la peine, si je vivais .” Le curé de sa paroisse, venant luioffrir ses soins, il le remercia avec politesse et lui dit, en souriant, qu'il les accepterait volontiers s'il n'avait, dans sa maison, son supérieur ecclésiastique, M. l'évêque d'Autun . Il fit ouvrir ses fenêtres : « Mon ami, dit-il à Cabanis, je mourrai aujourd'hui ; il ne reste plus qu'à s'envelopper de parfums, qu'à se couronner de fleurs,qu'à s'environner de musique, afin d'entrer paisiblement dans le sommeil éternel. " Des douleurs poignantes interrompaient, de temps en temps, ces discours si nobles et si calmes. “ Vous avez promis, dit- il à ses amis, de m'épargner des La cour 212 ANECDOTES. I souffrances inutiles.” En disant ces mots, il demande de l'opium avec instance. Comme onle lui refusait, il l'exige avec sa violence accoutumée. Pour le satisfaire, on le trompe, et on lui présente une coupe, en lui persuadant qu'elle contenait de l'opium . Il la saisit avec calme, avale le breuvage qu'ilcroyait mortel, et paraît satisfait. Un instant après, il expire. C'était le 2 avril 1791. Cette nouvelle se répand aussitôt à la cour, à la ville, à l'Assemblée. Tous les partis espéraient en lui, et tous, excepté les envieux, sont frappés de douleur. L'Assemblée interrompt ses travaux, un deuil général est ordonné, des funérailles magnifiques sont préparées. On demande quelques députés . “ Nous irons tous," s'écrient- ils. L'église de Sainte -Geneviève était érigée en Panthéon, avec cette inscription, qui n'est plus à l'instant où je raconte ces faits : “ Aux grands hommes la Patrie reconnaissante .” THIERS. 34. Importunité généreuse. Nous passions à Orléans, mon capitaine et moi. II n'était bruit, dans la vill que d'une aventure récemment arrivée à un citoyen , appelé M. le Pelletier, homme pénétré d'une si profonde commisération pour les malheureux, qu'après avoir réduit, par des aumônes démesurées, une fortune assez considérable au plus étroit nécessaire, il allait, de porte en porte, chercher, dans la bourse d'autrui, des secours qu'il n'était plus en état de trouver dans la sienne. Presque tous les riches, sans exception, le regardaient comme une espèce de fou ; et peu s'en fallut que ses proches ne le fissent interdire comme dissipateur. Tandis que nous nousrafraîchissions dans une auberge, une foule d'oisifs s'était rassemblée autour d'une espèce d'orateur, le barbier de la rue, et lui disait : • Vous уy étiez, vous ; racontez-nous comment la chose s'est passée. Très volontiers," répondit l'orateur du coin , quine demandait LVRE QUATRIÈME. 213 - . C'est un pas mieux que de pérorer. “ M. Aubertot, une de mes pratiques, dont la maisonfait faceà l'église des Capu. cins, était sur sa porte. M. le Pelletier l'aborde et lui dit : - Monsieur Aubertot, ne me donnerez -vous rien pour mes amis ? car c'est ainsi qu'il appelle les pauvres, comme vous savez. Non, pour aujourd'hui, monsieur le Pelletier . " M. le Pelletier insiste : “ Si vous saviez en faveur de qui je sollicite votre charité ! c'est une pauvre femme, qui vient d'accoucher, et qui n'a pas un guenillon pour entortiller son enfant. Je ne saurais. C'est une jeune et belle jeune fille qui manque d'ouvrage et de pain , et que votre libéralité sauvera peut-être du désordre. Je ne saurais. manouvre qui n'avait que ses bras pour vivre, et qui vient de se fracasser une jambe en tombant de son échafaud . Je ne saurais, vous dis-je. Allons, monsieur Aubertot, laissez - vous toucher, et soyez sûr que jamais vous n'aurez occasion de faire une action plus méritoire. Je ne saurais, je ne saurais. Mon bon, mon miséricordieux monsieur Aubertot !... Monsieur le Pelletier, laissez -moi en repos ; quand je veux donner, je ne me fais pas prier..." Et cela dit, M. Aubertot lui tourne le dos, passe de sa porte dans son magasin , où M. le Pelletier le suit ; il le suit de son magasin dans son arrière-boutique, de son arrière- boutique dans son appartement. Là, M.Aubertot, excédé des instances de M. le Pelletier, lui donne un soufflet... Alors, mon capitaine se lève brusquement, et dit à l'orateur : « Et il ne le tua pas ? Non, monsieur ; est- ce qu'on tuecomme cela ? Un soufflet, morbleul un soufflet ! et que fit- il donc ? fit après son soufflet reçu ? Il prit un air riant, et dit à M. Aubertot : “ Cela, c'est pour moi ; mais pour mes pauvres ? " DIDEROT. - C Ce qu'il 214 ANECDOTES. 35. Meurtre de l'amiral Coligny. 66 Coligny languissait dans les bras du repos, Et le sommeil trompeur lui versait ses pavots. Soudain de mille cris le bruit épouvantable Vint arracher ses sens à ce calme agréable : Il se lève, il regarde, il voit de tous côtés Courir des assassins à pas précipités ; Il voit briller partout les flambeaux et les armes, Son palais embrasé, tout un peuple en alarmes, Ses serviteurs sanglants dans la flamme étouffés, Les meurtriers enfoule au carnage échauffés, Criant à haute voix : Qu'on n'épargne personne ; C'est Dieu, c'est Médicis, c'est le roi qui l'ordonne. " Il entend retentir le nom de Coligny ; Il aperçoit de loin le jeune Téligny , Téligny dont l'amour a mérité sa fille, L'espoir de son parti, l'honneur de sa famille ; Qui sanglant, déchiré, traîné par des soldats, Lui demandait vengeance, et lui tendait les bras. Le héros malheureux, sans armes , sans défense, Voyant qu'il faut périr et périr sans vengeance, Voulut mourir dumoins comme il avait vécu, Avec toute sa gloire et toute sa vert Déjà des assassins la nombreuse cohorte, Du salon qui l'enferme allait briser la porte ; Il leur ouvre lui- même, et se montre à leurs yeux, Avec cet æil serein , ce front majestueux, Tel que dans les combats, maître de son courage, Tranquille il arrêtait ou pressait le carnage. A cet air vénérable , à cet auguste aspect, Les meurtriers, surpris, sont saisis de respect ; Une force inconnue a suspendu leur rage. “ Compagnons, leur dit-il, achevez votre ouvrage, Et de mon sang glacé souillez ces cheveux blancs, Que le sort des combats respecta quarante ans; Frappez, ne craignez rien. Coligny vous pardonne ; Ma vie est peu de chose et je vous l'abandonne... LIVRE QUATRIÈVE. 215 J'eusse aimé mieux la perdre en combattant pour vous...' Ces tigres à ces mots tombent à ses genoux ; L'un saisi d'épouvante abandonne ses armes ; L'autre embrasse ses pieds qu'il trempe de ses larmes ; Et de ses assassins, cegrandhomme entouré, Semblait un roi puissant par son peuple adoré. Besme, qui, dans la cour, attendait sa victime, Monte, accourt, indigné qu'on diffère son crime. Des assassins trop lents, il veut hâter les coups ; Aux pieds de ce héros , il les voit trembler tous . A cet objet touchant lui seul est inflexible ; Lui seul, à la pitié toujours inaccessible, Aurait cru faire un crime et trahir Médicis, Si du moindre remords il se sentait surpris. A travers les soldats il court d'un pas rapide ; Coligny l'attendait d'un visage intrépide : Et bientôt dans le flanc ce monstre furieux Lui plonge son épée en détournant les yeux, De peur que d'un coup d'oeil oet auguste visage Ne fît trembler son bras, et glaçât son courage. Du plus grand des Français tel 'fut le triste sort. On l'insulte, on l'outragé encore après sa mort. Son corps percé de coups , privé de sépulture, Des oiseaux dévorants fut l'indigne pâture ; Et l'on porta sa tête aux pieds de Médicis ; Conquête digne d'elle et digne de son fils . Médicis la reçut avec indifférence Sans paraître jouir du fruit de sa vengeance, Sans trouble, sans remords, maîtresse de ses sens, Et comme accoutumée à de pareils présents . VOLTAIRE. FLK ,

NOTES ON BOOK I. Anecdote 1. Page Line3 Rousseau (Jean - Jacques), a celebrated philosopher, and most eccentric genius, born at Geneva, in 1712, d. 1778. 5 Quoi que ce fût, anything. 13 A mesure qu'elle, as she went on . Anecdote 2. Distinguo (Lat.), I distinguish ; there is a distinction to be made. An expression much used in theolo gical disputations. 19 Rodez or Rhodez (Lat. Segodunum or Civitas Ruthe norum ), an ancient town in the South of France, with a fine Gothic cathedral. 19 Séminariste, a seminarist, ayoung man preparing for the priesthood, in the Roman catholio church . 20 A tout propos , at every turn . 20 Monsieur l'abbé. The title of abbé ( abbot), is now prefixed, merelyout of politeness, to the name of every Roman catholic clergymar and seminarist. 21 Se faire fort, to undertake. 22 Bouillon, broth . Anecdote 3. La chute, the fall. 5 Se faire mal, to hurt oneself. Anecdote 4. Un post- scriptum or postscript, a postscript, a para graph added to a letter after it is concluded and signed by the writer. From Lat. post (after), and scribere (to write). 7 Un benet, a simpleton. 9 Billet, note. 11 Je viens de la retrouver, I have just found it. 218 NOTES ON BOOK 2 . Page 2, Anecdote 5. Line 14 Pépiniériste, nursery -man. 14 Le Jardin des Plantes, the botanical and zoological gardens of Paris. 15 Fort simple, a great simpleton. Buffon (Georges Leclerc, comte de) , intendant of the king's gardens and cabinets of natural history, was one of the most elegant writers of the last century and a man of uncommon genius. He was born at Montbard ( Burgundy) in 1707, and died April 16th , 1788. 16 Figues de primeur, early figs. 17 Selaisser tenter, to yield to temptation . 19 Comment donc as-tu fait ? how could you do such a thing ? Anecdote 6. 23 La guerre de Crimée, the Crimean war ( 1854–1856). 25 Plaisanter, to joke, to jest, Anecdote 7. 8 , 6 C'est trop fort, it is too bad ! Anecdote 8. 10 A. J. Jobert, usually called Jobert de Lamballe, from the name of the place where he was born , the the small town of Lamballe ip Brittany, went to Paris in 1820 to study medicine. There he soon acquired a great renown both as a consulting physician and a professor at the University. He died in 1867. il La rue de la chaussée d'Antin was, twenty years ago, the most fashionable street in Paris. It runs along the new Opera house. 12 Une pièce de cent sous, a five franc or four shilling piece. 15 Se saigner and sometimes se saigner aus quatre membres is a very usual figurative expression which means : to drain oneself entirely out of money ; to put oneself to inconvenience to make up a certain sum . 19 Vous me donnez cent francs, you have given me a hundred franc note. 20 La monnaie, the change. 21 Bon gré mal grē, willing or unwilling NOTES ON BOOK I. 219 Page Line 3, 21 Quatre louis, eighty francs, the louis or napoléon being worth twenty francs or about sixteen shillings. Anecdote 9. 23 Enprovince, in a country town . 27 Se laissa aller au dépit, lost his temper. 1 Le commissaire, i. e. le commissaire de police, the district superintendant of the police . 6 Applaudir à tout rompre, to applaud enthusiastically . Anecdote 10. 9 Pensez -vous... que le malade en réchappe, do you think he will get over it ? 11 A quoi bon, what is the use of ? Anecdote 11. 15 Donner sa démission , to resign . 21 Je voulais seulement dire, I only meant. Anecdote 12. Manche à manche, quits ! 23 Les alliés. In 1815 , after the battle of Waterloo, Paris was occupied , for the second time, by the allied forces of England, Germany, Russia, & c. 23 Cosaques, Cossacks , the irregular cavalry of Russia . 23 Sonne, rings the bell. 25 Ecu , half- crown, from Lat. scutum , a shield, and later a coat of arms, hence a piece of money stamped with the king's arms. 2 Jete ferai sauter la cervelle , I shall blow your brains out. 5 Faire peur, to frighten . By Anecdote 13. 8 Unfat, a coxcomb. 10 Prévenir, toprepossess. ji Une bonne plaisanterie, a good joke. 12 Vous voulez bien que je vous présente, allow me to introduce to you. Anecdote 14. Frédéric le Grand, Frederic II, the founder of Prussian greatness, ascended the throne in 1740. The greatest general of his age and a shrewd politician, Frederic was also an enlightened protector of literature and fine arts. He died in 1786. 220 NOTES ON BOOK I. Page 5, Line 19 S'il ne s'agit que de vous occuper , if you only want work . 22 Il ne faut pas moins de dix ans, it requires nos los than ten years. Anecdote 15. 25 Pendant la guerre d'Espagne, during the Franco Spanish war . In 1823, a French army, under the command of the duke of Angoulême, entered the peninsula to support king Ferdinand VII. against his revolted subjects. The French " Restoration " includes the sixteen years elapsed between the fall of Napoleon and the Revolution of July (1814-1830). 6 Le corps du délit, the main proof, i.e. the chicken . 6 Sabretache, a sabre-tasche, a leathern case or pocket worn by certain cavalry soldiers at the left side, suspended from the sword belt. Etym .: Germ . Sabel, a sword, and Tasche, a pocket. 7 Avancez à l'ordre, stand forward ! 13 Suffit, ( vulg .) that's enough ; I know what I mean . 16 Passe pourcette fois, I forgive you for this time. 16 N'y revenez pas, don't begin again. Anecdoto 16. 31 N'en parlons plus, let us say no more about it. 31 Io a fait très-sec, the weather has been very dry. Anecdote 17. Claqueurs, hired clappers. L'Odéon, the second dramatic theatre of Paris. 2 Qui avait beaucoup couru le monde, who had travelled about a great deal. 2 Directeur, stage -manager. 6 Le public le servait à souhait, the audience served him according to his wishes. 6 La rampe, the foot lights, the front of the stage, i.e. the place whence managers use to address the public. 10 Il mettra la clef sous la porte, (very fam .) he will make a moonshiny fit, i.e. he will become a bankrupt. 13 C'est un peu fort, it is to bad. 16 A tout rompre. See Anecdote 9. NOTES ON BOOK I. 221 Anecdote 18. Page Line 7 , Frédéric le Grand , see An . 14. Conscrit, a recruit , a young soldier, from Lat. con scriptus, inscribed on therolls. 17 Toutes les fois que, whenever. 33 Porter le mousquet, to serve in the army. 8, 5 L'un et l'autre, both. 6 Traité de fou , called a madman . 7 Le soldat, qui avait épuisé sa provision d'allemand, the soldier, who had exhausted his stock of German. Anecdote 19. Le roi de Prusse, i.e. Frederic II. See An . 14. Le sacristain , the sexton . 19 La tribune royale, the royal gallery, at church . 80 Ne le regarde point, is no business of his. Anecdote 20. B , 1 Smyrne, Smyrna, the capital of Ionia, in Asia Minor, one of the finest ports of the Levant. 4 Il s'était fait accompagner d'un petit garçon , he had taken with him a little boy. 10 Le petit drôle, the little fellow . Anecdote 21. 18 Au parlement de Paris , at the parliament of Paris. In France, parliaments, which were suppressed at the end of last century, were mere courts of justice. The parliament of Paris was composed of a premier président, a kind of Lord Chief Justice, twelve justices ( présidents à mortier), and about fifty puisne judges, or conseillers. 19 Devant la grand'chambre, before a full bench . The grand'chambre of the parliament included the Lord Chief Justice, ten justices and forty assistant judges. The Lord Chancellor, the Keeper of the Seals, the Archbishop of Paris, and the Abbot of Cluny were likewise entitled to a seat in the grand chambre. 20 Moyens, arguments. 21 Achille de Harlay, a very learned and exceedingly witty magistrate, presided the parliament of Paris, from 1689 to 1707. 26 Après quelques audiences , after a few sittings . 80 Maître Dumont, Mr. Dumont. Barristers and attor. neys are addressed in France as “ Master so and so”, when acting in their official capacity. a 222 NOTES ON BOOK I. Page 10, Anecdote 22. Line 3 Une angine couenneuse , a quinsy. 7 Etaient en train de le piller, were engaged in plundering him . 8 Son chapeau de cardinal, his red hat. The dress of the cardinals is a red cassock , a rochet, a short purple mantle, and a red hat . Anecdote 23. 16 Daniel Voisin was chancellor of France during the last part of the reign of Louis XIV . The office of Lord Chancellor was suppressed by a law of Nov. 27 , 1790, and the attributions of the chancellor were transferred to a secretary of State styled the Keeper of the Seals and Minister of Justice . 18 Lettres de grâce , charter of pardon. 18 Vint trouver Louis XIV , called upon Louis XIV . Louis XIV . ascended the throne of France in 1643, when 5 years of age ; he died in 1715. His reign, which lasted seventy-two years, is the longest and one of the most glorious recorded in the French history. 19 Cabinet, study. 23 Faites ce que je vouw, do what I tell you . Anecdote 24. 11, San - Carlo (Ital., St. Charles ), a beautiful opera house in Naples. 6 Afin de jouir du coup d'oeil de la salle , to enjoy the sight of the house. 18 Je vous fais mes bien sincères compliments, I sin . cerely congratulate you. Anecdote 25. 80 Maury ( Jean - Siffrein ), a French cardinal and arch bishop, played a conspicuous part in the political assemblies of France during the great Revolution and the Empire. He died at Rome, in 1817. 21 Conseiller du parlement, assistant-judge at the parliament ofParis. See An. 21. 22 Les Institutes de Justinien , the Institutes of Justinian , a book containing the principles of Roman juris prudence, drawn up by order of emperor Justinian, in the 6th entury. NOTES ON BOOK I. 223 Page Line 11, 24 Une maison honnête , a respectable house. 29 Dans votre métier de prêtre, in your profession . The word métier properly means " a trade,” and would be entirely out of place here, if the writer had not intended to give us an idea of the rudeness of the counsellor. 30 M. de Lombez, thebishop of Lombez, a small town in Gascony. Bishops are usually styled Monseigneur instead of Monsieur. 12, 5 Le cardinal de Rohan, Louis- René de Rohan, bishop of Strasbourg. 5 Peste ! you dont mean to say so ! 7 Cela pesé, if such is the case . Anecdote 26. 9 Leczinska (Marie), daughter of Stanislas, king of Poland, was married to Louis XV ., in 1721. 10 Versailles, a town near Paris, adorned with a royal palace, which Louis XIV. rendered one of the finest in the world. It stands on a rising ground, in a hunting country , and in the midst of a valley agreeably surrounded with hills. 20 Ménage, household. 80 Dix louis, ten pounds. French louis were worth twenty -four francs, or about one pound ; they were reduced to their actual value of sixteen shillings & the introduction of the decimal system . Anecdote 27. 13, 1 Philippe V , grandson of king Louis XIV .., was called to the throne of Spain in 1700, by the last will of Charles II. His accession was the cause of a long and disastrous war between France on one side, and England and Germany on the other. 2 Montlhéri, a small town in the county of Seine- et - Oise. 7 Châtres , the ancient name of the small town of Arpajon . 11 Don don and La la are not to be translated . 14 Dedans should be dans. Dedans is an adverb , and consequently cannot be used before a noun . Though this rule is now strictly observed, it is not an old one : Corneille, Racine and all the best writers of the 17th century made a free use of dedans as a preposition . Cf. CORNEILLE, Les Plaideurs, I. 1 : " Mais puisque nous voici dedans les Tuileries. " 224 NOTES ON BOOK I. Page 13 . Line 16 Bis, encore ! “ Bis ” is the expression used in Franco by the auditors and spectators of plays and other sports, to call for a repetition ofa particular part. So, while the English use a French word , the French use a Latin one for the same purpose. 19 Mot, joke. Anecdote 28 . Napoléon Bonaparte, born at Ajaccio (Corsica ) in 1769, or according to others in 1768, died at St. Helena May 5th , 1821. L'Escaut, the Scheld , a river in Holland . 22 Le bonnet sur la tête, his cap on his head . Notice the use of the definite article instead of the possessive pronoun . 23 Qu'est -ce que cela me fait ? what does that matter to me ? 27 J'en suis bien aise, I am very glad of it. 1 Je les marierai, I will find husbands for them . 3 Le vainqueur d'Austerlitz, i.e. Napoleon. 14 , Anecdote 29. 6 Louis XIV . See An. 23. 7 Madrigal, a short pastoral poem , containing some tender and delicate, though simple, thought. Etym . Gr. pávopa , a herd of cattle. 8 Impertinent, foolish. 14 Est bien fat, is an idiot. Anecdote 30. 24 Le roi Jacques, James II. 27 Vous ne sauriez, you cannot. 29 Je ferai semblant que je suis le roi, or better : je ferai semblant d'être le roi, I shall pretend to be the king, 5 Le roi entendit raillerie, the king understood the joke, 15 , Anecdote 31. Pierre le Grand, Peter the Great, Czar of Russia, who civilized that nation , and raised it from ignorance and barbarism , to knowledge and power. He was born in 1672, and died Jan. 28th , 1725. 8 Copenhague, Copenhagen, the capital of Denmark. 9 Frédéric IV, king of Denmark and Norway, born 1671, died 1730. 17 Cosaque, Cossack. See An. 12. 20 Il s'élance dans le vide, be jumps into space. NOTES ON BUOK I. 226 Page 15, Anecdote 32. Line Louis XIV, king of France. See An. 23. 24 Le “ Bourgeois gentilhomme," one of the most amusing dramas of Molière. 26 Molière ( Jean - Baptiste Poquelin de), the great French dramatic poet, was born at Paris in 1622. Many are of opinion thatMolière's plays equal the noblest performances of that kind in ancient Greece and Rome, and Voltaire calls him “ the best comio poet that ever lived in any country . ” 2 Le jeu des acteurs, the performance of the actors. 7 Tout le bien que le roi avait dit de la nouvelle comédie, all the praise the king had bestowed on the new comedy. 16 , Anecdote 33. Louis XVI, the unfortunate king of France, beheaded in 1792. 8 Vêtu comme un bon bourgeois, dressed in plain clothes. 10 Le prince de la Paix, Don Manuel Godoy, prince of Peace, Prime Minister of Spain , born at Badajoz (Estramadura) in 1767. 13 A outrance, beyond measure . 14 Un mauvais pas , a scrape. 15 De quoi vousmêlez-vous, mind your own business ! 20 Guide, rein. 32 Le roi le fait chercher, the king sends after him . Anecdote 34. 6 Franklin (Benjamin ), the celebrated American states man , born at Boston in 1706, died April 17th, 1790. 6 L'Académie, or l'Académie Française, a literary senato founded by Cardinal Richelieu, to uphold the purity of the French language. 6 n entendait mal le français, he had only an imperfect knowledge of the French language. Anecdote 35. 15 Passy (Hippolyte- Vincent), a French economist and statesman, born 1793, was for some timepresident of the French Board of Trade and Chancellor of the Exchequer. 30 Je vais donner ma démission , I am going to resign. 22 Chercher querelle, to pick a quarrel. 25 Que voulez -vous dire, what do you mean ? 226 NOTES ON BOOK I. Page 18, Anecdote 36. Line1 Lamartine ( Alphonse- Marie- Louis Prat de) , an illus. trious French poet and statesman ( 1790-1863),wasa member of the provisional government established in 1848. 1 L'hôtel de ville , the town - hall. 3 Les tricoteuses de néfaste mémoire, the horrible knit ting women of the last century. During the Reign of Terror, when so many heads fell on the scaffold of the Place de la Concorde, a crowd of sordid women used to surround the guillotine , looking at the executions, and in the meanwhile knitting their stockings ; hence the name of tricoteuses, from tricoter, to knit. 8 Mégères ( from Latin Megaera ), a fury. 8 Citoyen, citizen . During the great revolution, and also in 1848, it was a custom among French re publicans to call each other citoyen and citoyenne, the words monsieur and madame being considered aristocratic, and contrary to the principles of equality. Some contemporary radicals have tried to bring back that custom , but without success . 8 Belleville , à suburb of Paris inhabited by workmen only — the Whitechapel of the French metropolis. 22 On se tend la main, they shake hands. Anecdote 37. 24 Vendéen, Vendean, a native or inhabitant of Vendée, a county in the west of France. The name of “ Vendean ” is also applied to all those who took part in the great insurrection of 1793. 26 La Loire, the finest river in France, has its source in Mount Gerbier, one of the Cevennes ; thence it runs N. and N.W., through Nevers, Orleans, Tours, Saumur, and Nantes, before falling into the Bay of Biscay. 27 Bonchamps, or Bonchamp (Artus, marquis de) , a Vendean general, mortally wounded before Chollet, Oct. 17th , 1793. 31 D’Autichamp, a Vendean officer, 19, 2 De proche en proche, from place to place . Anecdote 38, 15 Catherine II, empress of Russia, born at Stettin (Germany) in 1729, ascended the thronein 1762, after the deposition of her husband. She died in 1796. NOTES ON BOOK I. 227 Page 19, 7 Line 17 La Tauride ( Lat . Taurica Chersonesus), a province in the south of Russia - Crimea . 20 Ordres , orders, decorations. 29 Voitures de suite, luggage vans. This expression is only applied to the carriages of a prince's house hold. 32 A la lueur des flambeaux , by torch -light. 18 N'en doivent croire que leurs propres yeui, must trust only to their own eyes. 20, Anecdote 39, 20 Charles XII, king of Sweden, born June 27th , 1682, died in 1718, at the siege of Frederickshall, in Norway, where, as he was visiting the works of his engineers by star-light, he was struck upon the head with a ball, and killed on the spot. Charles XII might be called the Quixote of the North , carrying all the virtues of the hero to an excess , which made them as dangerous and per nicious as the opposite vices. His firmness was obstinacy ; his liberality, profusion ; his courage, rashness ; his severity, cruelty . He was, in his last years, less a king than a tyrant, and more a

soldier than a hero . 26 Mousquetade, musket-shot. Anecdote 40. 21, Frédéric le Grand See An . 14. 2 Verser, to upset . 5 Une bonne volée, ( fam .) a good drubbing . 5 Celui- ci ne perdit pas son sang-froid, the latter did not lose his presence of mind . 8 Mainte bataille, many a battle. The word " maint " is becoming obsolete. 11 Qu'Elle, i.e. que Votre Majesté. The word majesté is. feminine in French, hence elle and not lui. 13 Dans l'intervalle , in the meantime. Anecdote 41. 21, 15 Un homme fort simple, a great simpleton. 17 Défendrela maison à quelqu'un, to forbid a person one's house. 228 NOTES ON BOOK I. Anecdote 42. Line 21 , 22 Maître Cazeneuve. On the use of the word “ master in French, see An . 21. 22 Toulouse, a large and ancient town in the south of France, on the river Garonne. 23 D'assez mauvaise grâce, rather reluctantly. 24 Qui ne savait rien refuser, who could refuse nothing. £ 2 , 10 Derechef (becoming obsolete), anew , again. 11 Avec un tel entrain , with so much spirit. 13 Avec des gestes d'ancien télégraphe, gesticulating like a semaphore. Anecdote 43. Partie double , double entry . 16 Voltaire (Marie- François Arouet de) , amost celebrated French historian, philosopher, dramatic writer, and epic poet, born in 1694 , d . 1778. He was intended for the profession of the law, but soon became disgusted with the dryness of that pursuit, and devoted his life to the service of the Muses. His “ Tragedies ” are master-pieces of pathos and dignity ; but his “ Philosophic Letters ” abound in bold expressionsand indecent witticisms against religion . The “ Henriad is a fine epic poem , and his History of Charles XII. is a model of historic composition . As a man of letters, Voltaire will stand in the first rank with posterity for brillancy of imagination, for astonishing ease, exquisite taste, versability of talents, and extent of knowledge. 16 Ferney, a small town near Geneva, with a fine castle inhabited by Voltaire. 18 Haller (Albert de) , a Swiss savant and poet, ( 1708—1777) . 19 Le patriarche, or more usually le patriarche de Ferney, i.e. Voltaire . 25 Nous nous trompons peut-être tous les deux, perhaps we are both mistaken . a Anecdoto 44. A Gascon, Gascon et demi (a proverb ), the biter bit. The Gascons or inhabitants of the province of Gascony, in the south of France, had always a reputation for boasting and blustering. 27 Nodier (Charles), a man of letters, born at Besançon in 1780, d. 1841 . NOTES ON BOOK I. 229 Page 22, 23, Line27 L'odyssée de ses prouesses, the long tale of his exploits, from the " Odyssey, a poem of Homer on the return of Ulysses to Ithaca . 3 Quelque chose de presque aussi fort, something almost as surprising. 4 Les Abruzzes, a chain of mountains in the south of Italy. 7 Des villards portant plus de six pieds de haut, fellows being more than six feet high . 12 Je fais feu de chaque main , I fire with both hands, Anecdote 45. Fontenelle (Bernard de), a celebrated French author, who died in 1756, when he was somewhat above 100. Voltaire declares him to have been the most universal genius the age of Louis XIV. produced , and compares himto lands situated in so happy a climate, as to produce all sorts of fruits. Asperges à l'huile, asparagus with salad -dressing. 26 Au beurre, with melted butter. 27 L'abbé Terrasson, a French critic of Homer, born in 1669, d. 1750. See Book II. An. 56 . 27 Etait venu lui demander à dîner, had come and invited himself to dinner. 31 Se trouver mal, to swoon , to faint away. Anecdote 46. 24 , 8 On s'avisa de vouloir les réduire à six pence, they presumed to reduce them to six pence. 6 Faire grève, to strike. 8 Faire rage, to rage. 9 Dans la coulisse, behind the scenes. 11 Hors de lui , beyond himself. 17 En toute conscience, loyally, conscientiously. Anecdote 47. 19 Dryden ( John), the illustrious English poet, ( 1631--1701). 21 Vint à tomber sur la langue anglaise, happened to fall upon the English language . 24 Exclusivement et sans partage, entirely and exclusively. 25, 11 L'emporter sur, to excel , to surpass. 230 NOTES ON BOOK I. Page 25, Anecdote 48. Line L'armée vendéenne, the Vendean army. See An . 37. 13 La marquise de la Rochejacquelein. The Marchioness La Rochejacquelein fought by the side of her husband during the whole of the war of Vendée. 20 Des enfants perdus (milit.), a forlorn hope. 25 Mot d'ordre, watch -word . 32 Les Bleus, the Blues, a name given to the republicau soldiers by the Vendean peasants, very likely on account of their uniform. 36 Rosser ( fam .) , to lick. 3 Montreuil and Saumur, two small towns in the west of France. 26, Anecdote 49. Newton (Sir Isaac) , a celebrated English philosopher and mathematician , and one of the greatest geniuses that ever appeared in the world, born 1642, d. 1727. 7 Cabinet de travail , study. 16 Desservir, to clear away . 17 Debout, standing. Anecdote 50. 20 Louis XV, king of France, ascended the throne in 1715 , at the death of his great grand- father Louis XIV. He was styled, in the beginning of his reign “ the well-beloved ,” but he soon for feited the love of his subjects. He died in 1774, in the 64th year of his age, and 59th of his reign . 20 Avoir un différend, to be at variance. 29 Vous ne savez pas encore de quoi il s'agit, you do not know yet what the question is. Anecdote 51. 27 , 5 Musicien -violon, a violin - player, a violinist. 5 La chapelle , the chapel Royal. 5 Versailles. See An. 26. 8 D'aller figurer à Longchamps, to go and cut a figure at Longchamps. Longchamps is a fash able resort where the French Derby is run . Every year, in the last week of Lent, the leaders of the Parisian high life repair to Longchamps to parade in the new spring fashions. NOTES ON BOOK I. 291 Page 27, Line9 Retient un cheval, bespeaks a horse. 10 Arrhes, earnest money . 13 En quatuor, four together. 24 Vous montez à quatre, you mean to ride four the same horse ? Anecdote 52. 29 Paul I, a crowned madman, ascended the throne of Russia in 1792 , at the death of his mother (Catherine II. ). Ile was strangled by some Russian lords on the 23rd of March, 1801. 31 Un simple cordon de sonnette, a mere bell- pull. 2 Un coup sec, a sharp stroke. 9 Polisson , you mischievous monkey. 10 C'est tout ce qu'il en fut , nothing more was said about it 21 Mais j'ai pris une prise, I only took a pinch of snuff. 28, Anecdote 53. 28 Talans, a small town in Burgundy. 29 Etats de province, provincial states (a sort of provin cial parliament) . 32 D'assez mince apparence, a very ordinary looking man. 32 Ne manquant pas d'un certain esprit, not entirely deficient in wit. 5 Rester à jeun , to remain fasting. 7 Un coup sec, a sharp stroke. 11 Sans faire semblant de le voir, appearing to take n) notice of it , pretending not to see it. 15 Calembour, a pun. 29, Anecdote 54. 29, 17 Un gascon . See An. 44. 22 La fortune du pot, “ pot-luck .". 24 Le pousse-café, the small glass of brandy (which Frenchmen usually drink with or after their coffee). 24 Se mit en devoir de préparer ses mesures, set about preparing his measures. Anecdote 55. 30 , 2 D'un petit air pincé, with a conceited air . 6 Je ne saurais, I cannot. 232 NOTES ON BOOK I. Anecdote 56. Page Lino 30, 6 Auteuil, a fashionable suburb of Paris, close to the Bois de Boulogne. 6 Molière. See An. 32. 9 Mon père n'en était pas, my father was not among the guests. The father of the writer of this anecdote was Jean Racine, the illustrious French dramatio poet ( 1639-1699). 10 Boileau , sieur Despréaux (Nicolas), a celebrated French poet, born at Paris, Nov. 1, 1636. He wrote satires, in which he exposed the bad taste of his time, and was extremely severe against vice and the corrupt manners of the age. He died March 2, 1711 . 22 Chapelle ( Claude-Emmanuel-Lullier ), a French poet of some renown in his time, but now all but forgotten , was born in 1621. 25 Ils jugèrent à propos , they thought oper. Anecdote 57. 31, 27 Reporter, an English word which begins to be natural . ized in French . 31 Le père Donzelot , ( fam. ) old Donzelot. 4 Le temps est à l'orage, the weather is stormy. 5 Cas d'aliénations mentales, cases of insanity. 8 Faisons la guerre aux suicides , let us hunt up suicides. 9 La place du Panthéon, the square of the Pantheon. The Pantheon, called also sometimes église Ste. Geneviève is one of the finest and largest buildings in Paris. It reminds one very much of St. Paul's in London, or St. Peter's in Rome, though smaller than either. 21 Sur les lieux , on the spot . 23 Le désordre était à son comble, the utmost confusion wasprevailing. 24 En venir aux mains, to fight it out. 28 Il sagit bien d'écrire, the question is not of writing. 29 Le praticien , the surgeon. 39 Epaminondas , the famous Theban general, slain in battle 363 B.C. 40 Turenne (Henri de la Tour, viscount), a renowned marshal of France under Louis XIV ., was killed at Saltzbach in 1675. 40 Bayard (Le chevalier ), a celebrated French warrior, slain at Romagnano ( Italy) in 1524 . 1 NOTES ON BOOK I. 233 Page 32. Anecdote 58. Line 1 Molières, a French savant, not to be mistaken for the great Molière. 1 Simple, unpretending. B Descartes (René), aneminent French philosopher and mathematician, born at La Haye, in Touraine, March 31, 1596. He died in 1650 , having extended tho limits of geometry as far beyond the place where he found them, as Sir Isaac Newton did after him. 4 Faute de bois, for want of wood . 10 Ah ! j'entends, oh ! I see ! 17 Secrétaire, writing-desk. Anecdote 59. Fontenelle (Bernard ). See An. 45. 29 Bernis (François -Joachim de Pierre de), a Frenchpoet and cardinal, born in the south of France, d . 1794. 32 Nestor des Grecs, the Nestor, i.e. , the oldest of the Greeks. Nestor, son of Neleus and Cloris, lived 300 years, according to Homer. 83 Marivaux ( Pierre Carlet de), a French dramatio author and writer of romance, born 1688, d. 1763. The great characteristic of both his comedies and romance was to convey a useful moral under the veil of wit and sentiment. “ My only object,” he says, “ is to make men more just and more humane." Anecdote 60, 83 , 3 Cela ne vous regarde pas, that's no business of yours. 9 Napoleon the First. See An . 28. 9 Département, county . 12 Avoir l'oreille dure, to be dull of hearing. 22 La toque empanachée, the velvet cap adorned with plumes, which was in fashion at the time. 22 La robe à queue traînante, the dress with a long train , thecourt- dress. 23 Révérences, courtesies. 26 Au 2 Septembre. On the 2nd, 3rd , 4th , and 5th of September, 1792, a gang of murderers, inspired by Marat, stormed the prisons of Paris, where some eight or ten thousand priests and noblemen were crowded, and barbarously slaughtered them on the play of an imaginary conspiracy. 80 Seine-et-Oise, the name of the county that surrounds Paris . 234 NOTES ON BOOK I. Page 34 , Anecdote 61. Line 8 La portière, the coach - door. Anecdote 62. 21 Cassel, on the Fulde, near the borders of Brunswick , was the capital of the kingdom of Westphalia , founded by Napoleon I. for one of his brothers ( Jérome Bonaparte ). 28 Menzikof or Menschikoff ( Alexander - Sergeewitch , prince) , a Russian admiral, born in 1789, served first in the land forces, where he obtained the rank of a general . From 1812 to 1816 he acted as aide de- camp to emperor Alexander. He died at St. Petersburgh in 1869. 80 Babylone, Babylon, the capital of the empire of the same name, taken by Alexander the Great. Anecdote 63. 35, 1 Piqué contre la Société royale , nettled at the Royal Society. 15 Berkeley ( Dr. George) , the learned and ingenious bishop of Cloyne, in Ireland , was born at Kilerin , near Thomas - town, the 12th of March , 1684, and died Jan. 14th , 1753. His philosophical discoveries, particularly of the medical virtues of tar-water, were of great service to mankind. 15 Venait de faire paraitre, had just published . 27 Dans ma dernière, in my last letter. Anecdote 64. So , 33 Bons vivants, jolly companions. 34 Pour consulter l'oracle de la dive bouteille, lit. : to consult theoracle of the divine bottle, i.e. to drink together. The word dive for divine is now obsolete and only used in conjunction with the word bouteille . 2 Rasade, bumper. 2 Voyageur de commerce, a commercial traveller . 6 A demi vacant, half empty. 9 A la pointe du jour, at day -break. 14 Séance tenante, on the spot, forthwith . 19 Les imbéciles, the idiots. NOTES ON BOOK I. 235 Page 36, Anecdote 65. Line 23 Bossuet (Jacques - Bénigne), bishop of Meaux, born at Dijon (Burgundy) in 1667, was the most powerful orator of his age , and one of the greatest prose writers who ever lived. He died in 1704. 25 De fort bonne grâce, in a very creditable manner. 26 La marquise de Rambouillet, Catherine de Vivonne, marchioness of Rambouillet, was an onlightened supporter of good taste and literature. The best writers of her time , Corneille, Mme. de Sévigné, &c. , regulary attented her evening parties at her mansion of the Rue St. - Thomas du Louvre. 82 Voiture ( Vincent), a polite and elegant French miscel. laneous writer and poet, born 1598 , died 1648. His “ Letters ” make the bulk of his works. 82 Qui courait toujours après l'esprit, who never missed an opportunity of showing his wit. 34 Ni si tot ni si tard, neither so soon nor so late ( So soon in point of age, so late in point of time). Anecdote 66. 37, 2 La Comédie française or le Théâtre français, the first dramatic scene of Paris, supported by a grant of the government. 2 En l'an III, in the third year of the French republic. The republican era began on the 22nd of September, 1792 , and lasted 13 years. 17 Le dénouement or dénoûment, the catastrophe. Anecdote 67. 26 Maître Crémieux, Mr. Crémieux. The word maître (master) , is often prefixed to the names of baristers and attorneys. The English custom of placing it before the names of young gentlemen is totally unknown in France. Master Charles, Master Henri should be translated Monsieur Charles, Monsieur Henri. Crémieux ( Isaac-Adolphe), a celebrated French lawyer and statesman, born at Nîmes, April 30, 1796, is still living. 29 Un article du Code. French laws were codified under Napoleon I. 32 Le gueusard (vulg .), the rascal. 3 Gousset, fob, watch pocket. This word is growing obsolete. 9 La salle des Pas -perdus, the great hall or antechamber of the court of law. 11 Vous n'avez pas voulu vous en rapporter à moi, you whould not trust to me, i.e. , believe what I told you. 88 , 236 NOTES ON BOOK I. Page 38, Anecdote 68. Line A bon entendeur, salut (A proverbial expression ), a word to the wise . 9 Le maréchal duc de Biron, Charles -Armand, duke of Biron (1663-1756 ), served with distinction under Louis XIV. and Louis XV. , and was made a marsha) of France by the latter. 21 Courir, to be circulated. 25 Le bruit public, public opinion . 30 Garder l'anonyme, to remain anonymous. 31 Un gentilhomme, a nobleman . 34 Après avoir fait semblant de la lire , after pretending to read it . 39, 1 Est un drôle, is a rogue. Anecdote 69. 7 Mme. Necker ( Suzanne Churchodde la Nasse), wife of the celebrated minister of Louis XVI. ( Jacques Necker ), founded the hospital Necker at Paris. She left also some writings, which are not without merit. 8 Rousseau ( Jean - Jacques). See An. 1 . 9 Sang- froid , composure. 11 Se mettre en colère, to lose one's temper. 21 C'est un parti pris, you have made up your mind not to do it . Anecdote 70. Joseph II, of Austria, born in 1741 , was elected king of the Romans in 1764, and emperor of Germany in 1765 , at the death of his father. The insurrec tion in the Low Countries , and the outburst of the French Revolution, which so cruelly threatened his sister, Marie -Antoinette, threw him into a deep melancholy, wich caused his death . 27 Revêtu d'une simple redingote boutonnée, dressed in a plain frock coat buttoned up to his chin . 29 Une calèche à deux places, a “ single brougham ," i.e. a brougham for two persons. 32 Il reprenait le chemin de la ville, he was returning to town. 1 Un piéton , a pedestrian, a foot-passenger. 7 Ménager, to spare, to save. 11 Un garde chasse de mes imis, a friend of mine, who is a game-keeper. 40, NOTES ON BOOK I. 237 Page 40, Line13 Une soupe à la bière, a bier- soup, a favourite dish among the lower classes in Germany. 15 Choucroute ( Germ. Sauer - Kraut, i.e. sour cabbage). sour - crout, a sort of cabbage cut fine, and suffered to ferment till it becomes sour . Sour - crout might be called the national dish of the Germans, who eat it with ham or sausages. 15 Une longe de veau, a loin of veal. 18 Les plaisirs de Sa Majesté, the pleasure grounds of his Majesty, the royal chases. 23 Dans quel quartier il logeait, in what part of the town he lived . 36 Ses décorations, his orders . 38 L'invalide se confond en excuses, the old soldier loses himself in apologies. 41 Vous débarrasser de moi, to get rid of me. Anecdote 71. a Feu Duponchel, the late Mr. Duponchel. 4 L'Opérā, the Paris Opera- house. 4 Des employés des pompes funèbres , undertakers ’ men . 5 Dressent un catafalque, erect a catafalque. It is a custom in France, when there is a dead body in a house, to hang the main door with black draperies, and to erect under it a catafalque, on which the coffin is placed several hours before the burial takes place. 13 Du défunt, of the deceased . 19 L'affaire s'échauffait, the quarrel was getting serious. 19 Les croque -morts prenaient la mouche ( very fam .), the undertaker's men were getting excited . 21 Un quiproquo, a misunderstanding. Etym . Lat. quid, pro and quod, to mistake a quid for a quod. 27 Tu quoque (Lat.), and you too ! the words uttered by Cæsar, when he was stabbed by Brutus . 28 Lettre de faire part, a circular letter on the occasion of a birth , marriage, or death. 36 Une plaisanterie un peu corsée (fam. ) , a rather strong joke. 5 Le Père - Lachaise, the principal cemetry of Paris, so called from a father Lachaise , a Jesuit, and con fessor of King Louis XIV ., who was presented by the king with a beautiful park and villa in the East- end of Paris. The park was converted into a cemetery in 1804. 15 Mettre les pieds à, to set a foot at. 28 Buona mano, an Italian expression, corresponding to the French pourboire, and English gratuity . 33 Ces enterreurs quand même, the obstinate buriers. 238 NOTES ON BOOK I. Pag 42, 43, Line 36 Nous avons été refaits (very fam. ) , we have been done. 6 Nous vous le rendrons plus tard, we shall repay you for that later. Anecdote 72. 19 Versailles. See An . 26 . 21 Sur cette route , i.e. sur la route de Versailles. 22 En sortant des barrières, in crossing the gate. Re member that Paris is surrounded by walls. 23 Un grand pauvre, a tall beggar. When the adjective grand is placed before the noun, it generally means great.” The present instance is an exception. 27 Une grosse pièce de deux sous, a penny. At the time copper coins were almost twice as heavy as they are now. 30 Son memento criard, his noisy appeal. 36 Dix mille livres de rente, ten thousand francs (four bundred pounds) of income. 6 Une hotte, a peculiar kind of basket, which the rag gatherers carry on their back. 16 Peu achalandée, il faut le dire, which had few customers, I must say. 18 A l'heure qu'il est, at the present. 29 Faire emplette, to buy. 44, Anecdote 73. 45, 1 Démêlé, quarrel, contest, dispute. 2 François Ī, Francis the First, king of France , ascended the throne in 1515. 4 Bonner ( Edmund ), bishop of London in the reign of Henry VIII. , Edward VI. , and Queen Mary. Upon Queen Elizabeth's accession he refused to take the oath of allegiance and supremacy, for which reason he was deprived of his bishoprio, and committed to the Marshalsea. After having lived in confinement some years, he died Sept. 5, 1569. 9 Si le roi de France vous faisait mourir, if the king of France presumed to put you to death . Anecdote 74. noon. 16 Sur les cinq heures dri soir, towards five in the after. 18 Valet d'écurie , stable boy. 26 Tu as l'air d'un brave garchus, you look like a good boy. NOTES ON BOOK II , 239 Page 46, Line2 n s'établit auprès du feu , he sat, he made himself comfortable by the fireside. 13 A tue -tête, at the top of their voice. 20 Trente sous, fifteen pence. 21 Six francs, about five shillings. 23 Qu'il n'était pas homme à souffrir qu'on payât son écot, he was not a man to suffer that anybody should pay his score. 24 Il avait le gousset garni (fam. ) , he had plenty of money in his pocket. 27 Une bassinoire, a warming-pan . 40 Il n'en eut pas la peine, he had no occasion for doing it. 7 Vingt louis, twenty pounds. 8 Il pique des deuw , he spurs his horse. NOTES ON BOOK II . Anecdote 1, 51 , Monsieur Bébé, Master Baby. 4 Qui va sur son trente -deuxième mois, who will soon be thirty -two months old . Anecdote 2. 12 Monter à la tribune , to ascend the platform . 12 Etre au supplice, to be on the rack . 15 Veut bien prendre la parole en mon nom , is kind enough to address the meeting in my name, Anecdote 3. 18 A moi, à moi, help, help ! 20 Je ne demande pas mieuw, I wish I could . Anecdote 4. 52 , 1 Cambrai, a town in French Flanders, famous for its fine linens called cambrics . 240 NOTES ON BOOK II . Page 52 , Line2 Fénelon (François de Salignac de La Motte), arch . bishop of Cambray, born 1651 , died 1715. Ho wrote many works, but what has gained him the greatest reputation , and for which he will be immortal, is his “ Telemachus." No work ever had a greater reputation ; the style of it is lively, natural, and beautiful; the fictions well contrived ; the moral sublime ; and the political maxims tending all to the happiness of mankind. Anecdote 5. L'acteur difficile, a dainty actor. 8 Répétitions, rehearsals. 14 Un point et virgule, a semi-colon . Anecdote 6. 53, Croque -mort (fam. ) , an undertaker's man. 3 Deux vauriens d'étudiants en médecine, two roguish medical students. 4 Les Champs-Elysées ( from Lat. Elysei Campi ), the fine avenue in Paris, which extends from the Tuileries to the Triumphal Arch. 8 Ne faites pas tant les malins (fam.) , do not be so cunning. 9 Mieux portants que vous , in better health than you are. 10 La Martinique, Martinico, the principal of the French Caribbee islands. 13 Hécatombe. In French as in English, the word “ hecatombe ” properly means a sacrifice of a bundred of oxen or beasts of the same kind. Of course, here it is taken in a figurative meaning. Anecdote 7. 17 La dauphine, the wife of the Dauphin , i.e. the eldest son of the king of France. The name of “ Dauphin ” was given for some reason unexplained to Guigo, count of Vienne, in the 12th century, and was borne by succeeding counts of Vienne, hence the name of Dauphiné given to the county of Vienne. In 1349, Dauphiné was bequeathed to Philippe de Valois, king of France, on condition that the heir of the crown should always hold the title of “ Dauphin du Viennois." NOTES ON BOOK II . 241 Page 58, Line 17 Louis XVI, a kind -hearted , but weak-minded king of France, suffered for the misdeamenours of his ancestors , specially of king Louis XV ., his grandfather. He was beheaded inParis, January 21, 1793. 19 Le portrait du roi son père. The Dauphine was a daughter of Frederic IV. of Denmark, who had greatly contributed to depossess Stanislaus, father of the queen of France. 23 Stanislas, Stanislaus I. , king of Poland and elector of Saxony, a most unfortunate and virtuous prince. Driven from his dominions by Augustus, his com. petitor, who was supported by the Czar Peter the Great and Frederic of Denmark, in opposition to Charles XII. of Sweden, he was obliged to content himself with the empty title of king and the duchies of Lorraine and Bar. At the age of 70, he came to a fatal end, being burnt to death before he could get assistance (1766) . Anecdote 8. Philippe II, Philip II. of Spain , son of Charles V. and Isabella of Portugal, ascended the throne on the 17th of January, 1556, after the abdication of his father; two years after he married queen Mary of England. The destruction of his Invincible Armada is two well known to deserve even a mention ; he died in 1598. 9 s'y rendit et s'adressa au ministres, went there and applied to the ministers, Anecdote 9. Pope (Alexander), the celebrated English poet ano epistolary writer ( 1681—1744 ). Gay (John), an English poet,born 1688. His fables will be read and admired so long as any taste for that kind of writing shall exist. He died in 1732, and was buried in Westminster Abbey, with this epitaph (written by himself) engraved on his tomb : “ Life is a jest, and all things show it ; I thought so once ; now I know it. ” Swift (Dr. Jonathan ), dean of St. Patrick's in Dublin , an illustrious English poet, political, satirical, and miscellaneous writer, born 1667, died 1745 . 19 Un original, a man of aneccentric turn of mind. 1 Qui me seraient revenus à deux shillings, for which I should have paid two shillings. B $5, 242 NOTES ON BOOK II . Page 55, Line 12 Gratis, for nothing ( Lat. contracted from gratiis, out of favour, of kindness , without recompense ). Anecdote 10. 14 Civita - Vecchia ( Ital. old town), a fortified town, situated in a bay of the Tuscan Sea , belonged to the pope until 1870. 14 Le pape Benoît XIV, pope Benedict XIV. (B. Lamber. tini) , born at Bologna in 1675 , elected pope in 1740 . 15 Gardes -marines, naval cadets. 16 Sa Sainteté, His Holiness, a title usually given to the pope . 21 Tout pape queje suis , pope as I am . Anecdote 11. 24 M. de Lamoignon Malesherbes, better known under the name of M. de Malesherbes, the celebrated French lawyer who defended king Louis XVI. before the Convention . 26 Le Temple, the Temple, the prison where king Louis XVI. was detained previously to his execution . 27 Equipage, private carriage. 29 Fiacre, a cab. 2 Un pourboire, a gratuity (lit. , drinking -money). 5 Ne faites pas attention not bourgeois, dont mention it , sir. Not bourgeois for “ notre or mon bour geois ” (master, employer) belongs to the cabmen's special vocabulary. 7 Ben aut' chose = bien autre chose. 56, Anecdote 12. 18 Par parenthèse, by the way. 25 La survivance du dromadaire, the reversion of the dromedary, i.e. the privilege of enjoying the same treatment after the death of the animal. 26 L'ex - gardien , the late keeper. Anecdote 13. 28 Premier commis de la marine, principal clerk in the admiralty offices. 1 Moka, a port on the Red Sea, exports a great quantity of coffee. NOTES ON BOOK II. 243 age 57, Anecdote 14. Line La Havane, Havana, the chief town of the island of Cuba. 9 La Jamaïque, Jamaica, discovered by Columbus in 1443 . 9 Essuya la plus violente tempête, was assailed by the most violent tempest. 14 Relâcher, to put into port. 20 En pleine mer , in open sea. 21 Votre vaisseau serait de bon prise, your ship would be a lawful prize. 26 Radouber, to refit, to repair. 30 Les Bermudes, the Bermudas, a cluster of very small islands in the Atlantic ocean . a 58, Anecdote 15. Joseph II, emperor of Austria. See Book I., An. 70. 10 J'y suis en crédit, I have some influence there. 15 Le monarque ne se le fit pas dire deux fois, the emperor did it willingly (lit., did not wait till he was asked twice). Anecdote 16. 25 Mit la conversation sur le théâtre, turned the conver sation to the stage . 26 Comédies de société, amateur theatricals. 28 Auteuil, a fashionable suburb of Paris. 7 Elle a joué en actrice consommée, she played her part masterly. 10 Laissez -moi carte blanche sur celui- là , give me full power over that one. Longue robe et bonnet carré, lawyer's gown and cap . 13 Je dois être bien maladroit à chausser le cothurne, I must look rather awkward in the cothurne i.e. on the stage. The cothurne was a kind of high shoe used by the ancients in theatrical performances. 59, Anecdote 17. 17 Florence, the capital of the Grand- duchy of Tuscany in Italy, on the banks of the Arno. 22 Retourna sur ses pas, retraced his steps. 60, Anecdote 18. 1 Andréa de Bono or Debono, a Maltese, whom Cortam . bert represents here as a celebrated traveller, has been denounced by Sir Samuel Baker, and other African explorers, as one of the worst among the slave traders who infest the region of the Upper Nile , 244 NOTES ON BOOK II . Pago 60, Line4 On convient du licu du rendez -vous, they appoint a place of meeting. 6 Alla au -devant du souverain , went to meet the king. 9 Couchés à plat ventre, lying flat on the ground. 19 Le drogman, the interpreter. 25 En plein nez royal, full in the face of the king 28 Votre maitre est un homme d'infiniment de savoir -vivre, your master is a perfect gentleman. Anecdote 19. 61, 32 Une ganache, a block-head, a numskull. 80 Napoléon Ier, emperor of the French_ (1769–1821), was married in 1810 to Marie-Louise, arch. duchess of Austria . 2 Que veut dire cela, what does that mean ? 5 A quelques jours de là , a few days after. 7 Le conseil de famille, the privycounsel. 10 Bâyer aux corneilles, to gape in the air. Anecdote 20. Cardinal Dubois, a most dissolute character (1656 1723) , was first a servant, and later a tutor to the children of the Regent (the duke of Orleans ). Having succeeded in securing the favour of that prince, he was made, in the same night, a priest and an archbishop. Soon after, he became a cardinal and prime-minister of France. 29 Les domestiques le préviennent, the servants tell him what has happened . 83 Tant mieus , so much the better. 36 Faites servir monseigneur , send in some supper for my lord . 62 , L'apôtre de l'abstinence, the great promoter of absti. nence . Anecdote 21. 6 Rosbach, & small town of Saxony, in Germany, famous for a victory obtained (Nov. 5 , 1757), by king Frederick II. of Prussia, over the French, commanded by the duke of Soubise. 12 Fais - le avancer, bring him forward . 15 Aller chercher fortune ailleurs, to go and try my chances elsewhere. NOTES ON BOOK II . 245 Page 62 , 63, Anecdote 22. Line Fénelon, (See An. 4) . Before being raised to the archbishopric of Cambray, Fénelon acted for some years as tutor to the duke of Burgundy, grandson of king Louis XIV. It was for the use of this prince that he wrote his “ Telemachus," and different educational works. 23 Se permettre, to venture, to take upon one's self. 10 Par les lumières et les connaissances, by my abilities and learning. 5 Mme. de Maintenon (Françoise d'Aubigné), wife of Scarron, a French poet, and afterwards of king Louis XIV. , was born in 1635. She founded the “ Convent of St. Cyr,” near Versailles, for the maintenance of a certain number of daughters of reduced noblemen. Mme. de Maintenon died in 1719. Her letters have secured to her an honourable rank among the best writers of her age. 64 , Anecdote 23. i Frédéric II, king of Prussia. ( See Book I. , An . 14.) 1+ Sans-souci, a royal palace near Potsdam , was built in 1745 by king Frederick II. The anecdote of the miller who refused to sell his mill to build the palace is well known, and has been gracefully narrated in verse by Andrieux. (See p. 98.) 14 Le souverain s'y rendit à pied, the king went there on foot. 25 Soixante mille écus, seven thousand two hundred pounds. 26 Dans votre cassette, in your privy purse. 33 Huit cents frédérics d'or, eight hundred gold fredericks. The “ frederick ” was a Prussian coin , worth five “ rix -dollars,” or about seventeen shillings. Anecdote 24, 65, Malesherbes. (See An. 11.) 2 Le Dauphin (See Au. 7.) Anecdote 25. 8 Les jurés, jurymen . 11 La langue de Voltaire, i.e. the French language. 12 Les témoins français, the French -speaking witnesson. 246 NOTES ON BOOK II . Page 65 , Anecdote 26. Line Junot (Andoche), duke of Abrantès, a French general, born in 1771 , at Bussy-le-Grand, in Burgundy. His wife , the writer of the present anecdote, has gained a considerable literary fame by her Novels and Memoirs. Bonaparte (Napoléon ), born at Ajaccio in 1769. 21 Toulon , one of the most spacious aud secure ports in Europe, in a bay of the Mediterranean . 24 Cartaux , a French general , commanded the republican troops during the siege of Toulon . 27 La Tempête, the tempest, a nick-name given to Junot, when a private soldier. 19 Ces dragées-ld , these sweets , i.e. the cartridges. 28 La batterie des Sans- Culottes. The name of Sans. Culottes was given during the first French revolution to the extreme republican party, who rejected breeches as an emblem or badge peculiar to the upper classes . 66, Anecdote 27. i Malcolm , a king of Scotland, lived in the tenth cen . tury . 2 La patente de ses privilèges, the chart of his privileges. 4 Porter plainte, to lodge a complaint. Anecdote 28. season. Les Capucins, the capucins or monks of the order of St. Francis . Their name is derived from a hood (Fr. capuce , capuchon ), which they wear in every 9 Gondrecourt, a small town in the north- east of France. 13 Monsieur l'élu, the assessor ( of taxes) . 13 Madame la baillive, the mayor's wife . 13 Madame la procureuse fiscale, the wife of the lord's attorney. -Le procureur fiscal était un magistrat établi près des justices seigneuriales, pour y remplir les fonctions qu'exerçaient les procureurs du roi dans les justices royales.- ( A . Chéruel, Diction . naire des Institutions de la France.) 24 On s'entretient de choses et d'autres, they talk about different subjects . 28 L’Angelus sonne , the angelus (Lat. ) , the first word of a prayer to the Virgin Mary. NOTES ON BOOK II . 247 Page 68 , Line 7 L'étranger est plus au fait qu'on ne l'aurait cru de cette partie si intéressante de la géographie, the stranger is more acquainted than would have been expected with such an interesting part of geography. 9 Il fait valoir le talent des enfants de Saint- François, he lays stress on the ability of the Capuchins. 11 Saint - François d'Assise , Francis of Assisi, the founder of the order of the Capuchins. Born in 1181, died 1226. He was canonised a few years after his death by pope Gregory IX . 23 Les coryphées du cou rent,the heads of the convent 27 Prendre l'habit, to turn a monk. 37 Voltaire. (See Book I. , An. 43.) Anecdote 29. 69 , Vatel, majordomo or steward of the Prince of Condé, committed suicide in 1671. 1 Le roi , i.e. Louis XIV. 1 La collation, a light meal taken between dinner and supper. 5 Cela saisit Vatel, V. was greatly affected. 7 La tête me tourne, I feel quite giddy. 12 M. le prince, i.e. the Prince of Condé. 17 Ne vous fâchez point, do not be uneasy about it. " Se fâcher " occurs very rarely in that meaning ; usually it means “ to become angry , to get into a passion ." 18 Le feu d'artifice, the fire -works. 23 Marée, salt- water fish. 35 On heurte, they knock at the door. 37 M. le duc, i.e. theDuke of Enghien, eldest son of the Prince of Condé. Anecdote 30. 70 , Lo poule au pot, the chicken in the saucepan . Henry IV. , king of France, used to say that he would make all his subjects so well off, that every peasant should have a chicken for his Sunday dinner ; or, to use his own words, " a chicken in the saucepan every Sunday. ” Perhaps he would have made good his word, had not his life been taken away by the murderous hand of Ravaillao, in the twenty -second year of his reign (1610) . 8 Resurrexit ( Lat.), he came to life again. 17 On n'a cessé de la plumer, they never left off plucking it . The French say, “ to pluck a dupe," and not " to fleece him .” 248 NOTES ON BOOK II . Page 70 Anecdote 31. Line 18 Chez un entrepreneur de pompes funèbres, to an under. taker's . 24 La tenture de velours, the velvet hangings. 1 Grandement, in a grand style. 6 Sous tous les autres rapports, in every other respect. 7 Brillant, grand, stylish . 91, Anecdote 32. South ( Dr. Robert) , an English divine and theological writer of great parts and learning. Born 1633, died 1716. Anecdote 33. 72 , Expéditionnaire, copying clerk. 29 Dont l'intelligence finit par s'atrophier, whose intellect finally wastes away. 30 21. Bellemain, a character in one of Scribe's plays. 30 Scribe ( Augustin-Eugène) , a celebrated French dra . matic writer. Born at Lille in 1815, died 1861. 3 Un de ces crétins de la bureaucratie, one of the idiots of the red -tape. 6 En caractères courus et à peine lisibles, in a running and hardly legible hand. 7 De sa plusflambante écriture, in his best handwriting. 8 Coups de pied, kicks . 10 Collationner, to collate with the original; to read over before signing. Anecdote 34.

Bir Richard Steele, an English writer, who made himself famous by his zeal in political matters, as well as by the various productions of his pen , was born at Dublin in 1671, and educated at the Charterhouse with his friend Addison . He died. in 1729. 22 Ce sont autant de sergents, all of them are bailiff's officers. 24 J'ai jugé à propos de leur faire endosser des habits de livrée, I thought proper to dress them in livery. NOTES ON BOOK II . 249 Page 72, Anecdote 35. Line 32 Pope ( Alexander). (See An. 9) . 32 Avait les jambestorses, had crooked legs. 2 Je voudrais bien savoir à quoi nous sert ce petit homme, I wonder what is the use of that little man. 73, enecdote 36 . 6 Louis XV, king of France. ( See Book I. , An . 50 ) . 6 Un jeune abbé de qualité, a young clergyman belonging to a family of rank. 11 Il attaqua le maréchal au tribunal de la connétablie, he summoned the marshal before the Constable's court. The Constable of France was the first officer of the crown, and had the chief command of the armies. To him devolved the duty of regulating all matters of chivalry and feats of arms; and in that capacity, he had to take cog nisance of all affairs of honour between gentlemen and officers, and to see that proper reparation was made to the injured party . TheConstable's court was called sometimes the Marshals' court, as the marshals used to sit in the court as assessors of the constable. 21 Ce n'est point M. le maréchal un tel , it is not marshal 80 and so. 26 Qui a fait de si belles actions, who gained so fine battles. 28 Port-Mahon , the chief town of the island of Minorca, one of the Balearic islands. In 1780 the English took it from Spain , and retained it till 1756, when the French, under Marshal Richelieu , invaded the island, and, in about two months, made themselves masters of St. Philip's castle. Anecdote 37 . 74, 1 Saint- Louis, Louis IX ., king of France (1215–1270). 2 Le Louvre , one of the finest buildings in Paris, stand ing on the right bank of the Seine, was for & long time the residence of the kings of France. 9 Le moindre, the meanest (of his subjects) . 17 Le bois de Vincennes, a forest near Paris, surrounding the castle of the same name. According to tra dition , Saint Louis used to sit under one of the lofty oaks of the forest, and there to dispense justice to all comers. 250 NOTES ON BOOK II . Anecdote 38. Page Line 75, Souwarow (Alexi Vasilibwitch, Count, 1729–1800), a Russian general , more famous for his eccentricities than for his military capacities. 5 En un clin d'ail , in a trice. 11 Alexandre de Lameth, a royalist member of the “ Assemblée Nationale," emigrated in 1792. Anecdote 39, 76, 21 Tous deux se mirent à rire, both burst out laughing. Grotius ( Hugo) , or Hugo de Groot, born at Delf, 1583, died 1645. He was eminent as a lawyer, philo sopher , mathematician , historian, political and poetical writer. His chief work, which singly is sufficient to render his name immortal, is his “ Treatise on the rights of Peace and War" (De Jure Belli et Pacis) . 24 Le grand pensionnaire Barneveldt, John Olden - Barna veldt, grand -pensionary or prime-minister of the Republic of Holland, one of the founders of the civil liberty of his country, was beheaded in 1619. 26 Louvenstein , à fortress at the confluence of the Waal and Maes. 31 Gorcum , a small town of Holland, on the Waal. i Elle crut qu'elle pourrait tirer parti de cette négligence, she thought she could turn that carelessness to account. 9 Elle alla rendre visite à la commandante, she paid a visit to the governor's wife . 16 Il faut qu'il y ait quelque Arminien là dedans, some Arminian must be in that box. Grotius was a member of the sect of Arminians which arose in Holland by a separation from the Calvinists. 27 Anvers, Antwerp. 33 Bayle (Picrre), author of the “ Historical and Critical Dictionary,” was born at Carlat, in the county of Foix, in 1647. He was such a laborious and in. defatigable writer that in one of his letters he states, that since his twentieth year he hardly re members having had any leisure. He died on the 28th of December, 1706 , after he had been writing the greater part of the day. Anecdote 40. 97, 3 Un officier de la bouche, an officer of the king's table. 7 Qu'avez -vous donc ? what is the matter with you ? 14 Un chien eni agé, a mad dog. NOTES ON BOOK II . 251 rage 77, 78 , Anecdote 41, Line 28 Berry or Berri , a province in the centre of France. 30 Il fallait deux heures, it required two hours. 2 Reims or Rheims, anciently Durocortorum and Civitas Remorum, one of the oldest and most celebrated towns of the north of France, has a fine Gothio cathedral. 11 Est - ce quelqu'un comme il faut, is he a gentleman P 14 A- t- il des gens , has he any servants with him ? 18 Gentilhomme, nobleman. 17 Et puis ce d’Hozier est un fripon , and then d'Hozier, you know , is a rogue. P. d'Hauzier ( 1592–1660 ), the well-known genealogist. 79, Anecdote 42. 27 Gardes -Françaises, French guards; a regiment of in fantry belonging to the royal household . 31 Les Quinze-Vingt, a hospital in Paris, founded by king Louis IX ., for three hundred ( 15 x 20) blind soldiers he had brought back from the Holy Land . Anecdote 43. 80, 81, 19 Aubri de Montdidier, a French nobleman, murdered in 1731 . 20 Bondy, a forest, eight miles from Paris, had always the reputation of being haunted by robbers and highwaymen . 4 Lacher prise, to let go. 6 En vouloir à quelqu'un, to have a grudge against somebody. 23 Il échéait gage de bataille , there was cause why they should fight. 25 Le champ-clos, the lists. 25 L'île Notre- Dame, an island on the Seine, in the middle of Paris. Anecdote 44. 34 François Ier, Francis I. , king of France, ascended the throne in 1515. 85 Rambouillet, a small tzwn with a fine castle, in which king Francis I. died . 36 Qui faisaient mine de dormir, who feigned sleep. 252 NOTES ON BOOK II . Page 82 , Line 1 Un feutre, a felt -hat. 3 Elle m'ira comme un gant, it will fit me like a glove. 16 Montfort - l'Amaury, a small town twelve miles north . west of Rambouillet, the birth place of Simon de Montford, was the see of a criminal court. Anecdote 45. 20 La Convention, or Convention Nationale, the second parliament of the French Revolution, assembled September 21 , 1792. 21 Louis XVI, King Louis XVI., beheaded January 21, 1793. 22 Chaumette, procureur syndic de la Commune, a kind of attorney -general, acted as public prosecutor in the trial of king Louis XVI. 25 La moitié d'un pain , half- a- loaf. 2 La portière , the carriage- door. 4 Colombeau, substitut de la Commune, Colombeau, deputy attorney- general. 83, Anecdote 46. 16 Ampère (André-Marie), a French mathematician, born at Polémieux, near Lyons, d. 1836. 18 Le grand -maître de l'Université. L. de Fontanes, grand -master of the French University, was born at Niort , in 1757. The grand- master of the Uni. versity is now a secretary of State, styled " minister of public instruction ." 20 Son uniforme académique, his official dress , i.e. an embroidered coat with sword, etc. 28 Habit de ville , evening dress (black coat) . 30 S'endimancher er. fonctionnaire, to make a show of his embroidered coat. 17 Tenir tête, to keep company. 31 On pourrait s'en tirer, one could overcome the difficulty. 11 Madame de Fontanes se réveille en sursaut, Lady Fontanes wakes up with a start. 17 Enflagrant délit (Lat. flagrante delicto) , in the act. 8 % , 85, Anecdote 47. 27 Guillaume Ier, William I. , the reigning king_of Prussia . He ascended the throne in 1860. Ten years later, after a successful campaign against France, he was proclaimed emperor of Germany. NOTES ON BOOK II . 253 Page 85 , Line 28 Toeplitz, a small town of Bohemia, in the county of Leitmeritz. 33 Comitat (Lat. comitatus), a county ( in law only ). 86 , 2 Le souverain fit un haut-le -corps, the king started. Anecdote 48. Malabar (coast of), a large district lying in the south west part of the Indian peninsula. 13 Brame, à brahmin , a member of the upper or sacer dotal caste among the Hindoos. 17 Bétel, betel, a creeping plant like the ivy, the leaves of which are chewed by the inhabitants of the East Indies. Anecdote 49. 87, Bolivar (Simon ), the liberator of South America , born in 1783, at Caracas ; died 1830 . 9 Le libérateur, i.e. Bolivar. Anecdote 50. Jean - Jacques Rousseau . See B. I. , An . 1 . Fénelon . See B. II ., An . 4. 15 Le citoyen de Genève, i.e. J.-J. Rousseau. 16 Le Cygne de Cambrai, i.e. Fénelon . 17 Le Mont- Valérien , a hill commanding the west side of Paris. 88 , 1 Hors de lui, enraptured. Anecdote 51. 4 Frédéric le Grand . See B. I., An . 14 . 6 Plus que de raison , too much. 8 Il se trouvait en état de faire des libations si copieuses, he was able to drink so much. 15 Je viens de régaler une ancienne connaissance, I just treated an old friend of mine. 17 Trinquer, to touch glasses (a continental custom ), to drink together. 28 A l'improviste, unexpectedly. ,64 NOTES ON BOOK II. Anecdote 52. Page Line 89, Morus, or More ( Thomas), chancellor of England in the reign of Henry VIII. , born 1480. After hav ing been long in habits of uncommon familiarity and confidence with the king, his master, More, at last, brought down upon him all the vengeance of that haughty and overbearing monarch, for oppos ing his divorce from Catherine of Aragon . 17 Il mériterait que vous le.. missiez à la porte, he would deserve to be turned out. Anecdote 53 . 90, 25 L'impératrice, empress Catherine II. of Russia, who ascended the throne in 1762 . 13 Sibérie, Siberia, & barren and desolate country situated in the most northern part of the Russian empire. 16 Knouter, to knout, to punish with the knout. The knout, according to the New Monthly Magazine, consists of a handle about two feet long, to which is fastened a flat leather thong about twice the length of the handle, terminating with a large copper or brass ring ; to this ring is affixed a strip of hide about two inches broad at the ring, and terminating, at the end of two feet, in a point. This is soaked in milk, and dried in the sun to make it harder ; and should it fall, in striking the culprit , on the edge , it would cul like a penknife. At every sixth stroke the tail is changed . 24 M'a donné l'ordre de vous faire empailler, gave me the order to have you stuffed. 91, 19 Riant aux éclats , ready to burst with laughing. Anecdote 54. 92 , 31 Il était Limousin, he was from Limoges, a town in the south-west of France. 32 Sa pitance, his fare. 24 D’Albignac ... ne balança pas, D'Albignac did not hesitate. 40 Se mourait pour une salade , would have given anything for a salad. 2 Un carrick , a kind of carriage . 4 Un nécessaire d'acajou , a mahogany work -case. 93, NOTES ON BOOK II . 265 Anecdote 55. Page 93, Line Voltaire. See B. I. , An. 43. 24 Mérope, one of Voltaire's dramas. 26. Avec bien des façons, very reluctantly . 26 Ils s'y étaient refusés tout net, they had refused flatly. 31 Messieurs de la Comédie , the stage players (ofthe “ Théâtre Français” ). 32 Leur confrère Baron, their colleague Baron . Michel Boyron or Baron deserved to be called the Roscius of his age. Anecdote 56. 94, L'abbé Terrasson . See B. I. , An . 45. 8 A l'ordinaire, as usual. 95 , Anecdote 57. 23 Un directeur de spectacle, a stage manager. 1 Une douzaine et demie de nuages rayés d'éclairs et garnis de fuloaias, eighteen clouds torn by lightnings, and adorned with furbelows. 3 Un peu passé, somewhat faded. 4 Auvergne, a mountainous province of the south of France, takes its name from its ancient inhabitants, the Arverni. 12 Sémiramis, a queen of Assyria, famous for her exten sive conquests. 13 Agamemnon , the general of the Greeks against the Trojans. Wenceslas, duke of Bohemia. 26 Eau -de-vie de Nantes rectifiée, rectified spirit of wine. 29 Fard , rouge. 30 Muid , hogshead. 33 En bois de sapin , in deal wood. 96, 7 Bonnets carrés, university caps. Anecdote 58. Du Deffant (Marie de Vichy -Chamrond, marquise), a lady celebrated for her beauty and wit, born in 1697, d. 1780. 17 Il gelait à pierre fendre, there was a very hard frost. 20 Czuvre -pied, coverlet. quilt. 256 NOTES ON BOOK III . Page 97, Anecdote 59. Line 4 En enfant de chąur, as a chorister. 14 Quartier, neighbourhood . 16 Faire carillon ( fam. ) , to ring the bell, to make a noise. 22 1 ne fit que de dire, he onlysaid this. 28 Tintamarre, uproar. 32 Cela est bien page, that is very page - like, ib . very childish . Anecdote 60. 98, Cuvier (Georges), a celebrated French naturalist, born in 1769 at Montbéliard, died at Paris in 1832. 19 A tue-tate, at the top of his voice. 22 Fredaines, tricks, frolics. 26 Humboldt (Alexandre , baron de), a celebrated German savant and writer on natural history, born at Berlin in 1769, died in 1859. NOTES ON BOOK III . Anecdote 1. 101. 1 Geoffrin (Marie- Thérèse Rodet, dams), a lady endowed with all possible attractions and accomplishments, whose house was the rendezvous of all the savants and wits in Paris ; was born in 1699. Anecdote 2. 8 Les chartreux, the Carthusian monks. That religious order , founded in 1080 by St. Bruno, took its name from “ La Grande Chartreuse,” the place of its institution in France. i Un repas maigre, a fish meal. 10 On y mettait du gras they dressed it with gravy . NOTES ON BOOK IN . 257 Anecdote 3. Page Line ob, Condé ( Louis II de Bourbon , prince de), usually called the Great Condé, was born at Paris in 1621. Ap pointed general-in -chief at the age of 22, he defeated the Spanish forces at Rocroy (1643), the Germans at Fribourg ( 1644), at Norlingen ( 1645), and at Lens ( 1648) . Twenty years later, he conquered the province of Franche-Comté, and in 1674, he routed the Prince of Orange at Senef. He died in 1687. 13 Louis XIV , king of France. See B. I. , An . 23. 14 Senef, a village of Brabant, famous for the battle fought near it by the French under the prince of Condé, and the Dutch commanded by the prince of Orange ( 1674) . Anecdote 4. 102 , 1 Le président Bexon était bossu, et bossutrès-prononcé, president Bexon had a hump on his back, and a very large one, too. 3 A outrance,to excess, beyond measure. 16 Plutôt, rather ; plus tôt, sooner. 16 Défenseur, counsel. Anecdote 5. Lettre de change, note of hand, promissory note. 17 La Faculté de droit de Paris, the Faculty of Law in the University of Paris. Anecdote 6. 24 Grêlé, pitted with the small pox . 25 Procès en séparation , divorce case . Anecdote 7. 103, 11 Le Duc d'Orléans. Ferdinand, duke of Orleans, eldest son of king Louis -Philippe, was riding near the castle of Neuilly, on the 13th of July, 1842, when his horses ran away, and he was killed in jumping out of the carriage. 14 M. Roqueplan est-il chez lui ? is Mr. Roqueplan at home ? 16 Puisque monsieur va chex lui, since you go to Mr. Roqueplan's. S 258 NOTES ON BOK III . Anecdote 8 . Page Line 103, 24 A quoi sert la vaccine ? what is the use of vaccination : Anecdote 9, 104, Louis XIV. See B. I. , An. 23. Molière. See B. I. , An. 32 . 1 Pour l'intelligence de ce récit, to understand what follows. 6 Li'en cas de nuit, the night meal. Every night soma cold supper was kept at hand, in case the king should feel hungry ; hence the strange name given to that meal. 11 The Misanthrope and Tartufe are the two finest dramas of Molière . 12 Vous faites maigre chère ici , you live very poorly here. 20 Les entrées familières, the courtiers who had a free access to the king's chamber. Anecdote 10. Luçon, a small town in Lower Poitou, is the see of a bishop, who was the lord of the place before the great revolution . 28 Napoléonville or Pontivy, a town in Brittany. 28 Niort, the chief town of the département of Deux Sèvres (Upper Poitou) . 31 témoigna, he expressed . 7 Je m'en serais bien passé, I could have done without it. ? Un rouleau de cent napoléons, a purse of eighty pounds. 105, Anecdote 11. 16 Amurath 1, the fourth emperor of the Turks, and one of the greatest princes of the Ottoman empire, succeeded Solyman in 1360. He was murdered by a Servian in 1389. Anecdote 12. Régubus (M. Attilius), a Roman consul during the first Punic war ; was defeated by Xantippus, and taken prisoner with 15,000 of his soldiers. Having been sent to Rome, to negociate an oxchange of prisoners, he dissuaded his countrymen from acccepting the terms proposed by the enemy, and returned to Carthage, where he was put to death in the most barbarous manner . NOTES ON BOOK III . 259 Page 105, Line 30 Hododine, an officer in the republican army. 30 Les Vendéens, the Vendean insurgents. In March, 1793, a very dangerous insurrection, which brought the republican institutions of France to the very verge of ruin, broke out in the Lower- Poitou (Vendée), and soon spread itself into the provinces of Anjou , Maine, and Brittany. 4 Nantes, anciently Condivineum or Condivienum , a large commercial town in the west of France. 106 , Anecdote 13. 15 Lefebvre, duke of Dantzick , one of the most brilliant lieutenants of Napoleon . 17 Son bel hôtel, his fine mansion . 17 Sa nombreuse livrée, his numerous servants . Anecd 14. 107 , Charles XII, king of Sweden. See B. I. , An. 39. 4 Alla trouver cette princesse, called upon that princess. 5 Dans le vin , being drunk. Anecdote 15. 66 11 La Bruyère (Jean de), a celebrated French author, born 1644, wrote • Characters ” in which hie de scribed the manners of his age, in imitation of Theophrastus. 12 Ilfeuilletait les nouveautés, he looked atthenewbooks. 21 L'édition fut enlevée, the edition was sold in less than no time. Anecdote 16. Louis XI, king of France, a very shrewd politician , ascended the throne in 1461. 25 Le Plessis -lès- Tours, a village near Tours , with a fortified castle, in which king Louis XI. died. 80 Berri or Berry, a province in the central part of France . Anecdote 17. 108 , 7 Une pistole, a gold coin of Spain, current in France during the last two centuries. 12 Il avait fait son offrande, he had paid his quota. 13 Fontenelle. See B. I. , An. 45. 260 NOTES ON BOOK M. Anecdote 18 . Page Line 108, 15 Nimes, a large and ancient city of Languedoc, situated in a very pleasant country. Besides other anti quities, Nimes boasts of a Roman amphitheatre, the least damaged of any in Europe. 28 Pour faire défiler le régiment, to see the regiment marching off. Anecdote 19. 109, J.-L. Darid , a celebrated French painter, born 1748, died 1825. 15 Cocher de fiasre, hackney coachman. 18 Il n'y a pas de quoi, there is no occasion for it. 22 Dès que le salon fut fermé, as soon as the exhibition was over. Anecdote 20. Ham , a small town in Picardy, with a fortress made famous by the imprisonment and escape of prince Napoleon, later emperor Napoleon III . 23 La gare du Nord, the Great Northern terminus at Paris. 110 , 11 Un compartiment de première , a first class carriage. Anecdote 21. 20 Duvivier ( Franciade -Fleurus), a French lieutenant. general, born at Rouen in 1794, killed at Paris during the insurrection of June 1848, had been intrusted with different commands in Algiers. 29 L'Académie des inscriptions et belles-lettres , the Aca demy of inscriptions and belles- lettres, one of the four sections of the “ Institut de France," founded by king Louis XIV . in 1663. 35 Une traduction de fantaisie, a fancy translation . Anecdote 22. 111, Swift ( Dr.), the celebrated dean of St. Patrick , Dublin . 7 Plaît - il ? what ! NOTES ON BOOK III. 261 Page 111, Anecdote 23. Line 26 Mon dernier article a da la fâcher un peu , my last paragraph must have rather vexed her. 37 Que voulez -vous, I cannot help it. Anecdote 24. 112 , 7 Agésilaüs. The spelling Agesilaus is obsolete. 9 Ventre -saint-gris (interj.), a kind of oath , often made use of by king Henri IV . Anecdote 25. Santeuil ( Jean - Baptiste), a modern Latin poet ( 1630 1697 ), was a canon of the church of St. Victor in Paris. He wrote beautiful Latin hymns, inscrip tions, and epigraphs. 17 Un demi-louis, a half sovereign. It is only at the in troduction of the metrical system in France that “ louis ” were reduced to the actual value of sixteen shillings; previously they were worth twenty - four francs, or about one pound. 21 Et Santeuil de fermer aussitôt la porte sur lui, and directly Santeuil closed the doorbehind him . The use of the infinitive mood in sentences similar to this imparts a great rapidity to the narration . 22 A demi nu, half dressed. 25 M. de Santeuil, cf. La Fontaine, Fable II ., Book I. " Hé, bonjour, monsieur du corbeau . ” By addressing Santeuil as a nobleman, the door keeper expected to propitiate him . Anecdote 26. 113, 1 Qu'il gelait à pierre fendre, when there was such a hard frost. 3 Le nez dans son manteau de panne, wrapped up to his nose in his plush cloak . The word panne is now obsolete. 10 Je ne puis durer, 1 cannot stand it. 262 NOTES ON BOOK III . Page 113, Anecdote 28. Line Fielding ( Henry), the celebrated author of “ Tom Jones , ” born in 1707, died 1754. 26 Une taxe paroissiale, a parish tax. 26 Comme il n'avait pas de quoi, as he had not the means. 114, 2 Hypothéquée, mortgaged. Anecdote 29. 14 Le souffleur, the prompter. 15 Lunéville, a small town of Lorraine. 16 La Chaussée ( P. - C1. Nivelle de) , a dramatic writer, born at Paris in 1692, died 1754. 16 Darviam , one of the characters in La Chaussée's “ Mélanide." Anecdote 30. 115, 1 Juilly , a village of Seine- et -Marne, has a fine college and school, conductedby Roman Catholic priests. 2 Châteaubriand ( François-Réné, vicomte de), one of the ablest writers of this century, and the father of the romantic school in France, was born at St. Malo (Brittany) in 1768. He died in Paris in 1848. 8 Le Génie du Christianisme, the Genius of Christianity, Châteaubriand's masterpiece. 11 La Fête - Dieu , Corpus-Christi day. 1 Anecdote 31, 116, Carle Vernet, a French painter of great renown , born at Bordeaux 1758, died 1836. 21 Prêter à la charge (fam .), to give full scope to raillery. 17 Débuts, first appearance. 18 Paillasse, clown. 19 Nicolet ( J.-B.), manager of a small theatre in Paris ( 1710–1790). His success gave birth to the popular saying : Toujours de plus fort en plus fort, comme chez Nicolet, always better and better, as at Nicolet's. Anecdote 32, 23 Voltaire. See B. I. , An. 43. 23 La Motte (Antoine-Houdart de), an ingeniousFrench critic and miscellaneous writer, born 1672, died 1731. 29 Donner dans le plagiarisme, to be guilty of literary theft. NOTES ON BOOK III . 263 Page 117 , Anecdote 33. Line 11 François I, king of France, ascended the throne in 1515. 34 A la bonne heure, donc, well, as you please. 118, 3 Bouche close, keep your own counsel. Anecdote 34. 12 Les Mille et une nuits, the Arabian Nights. 33 Duroc (Michel), Duke of Frioul, Great Marshalof the Palace of Napoleon , born at Pont-à -Mousson (Lorraine) in 1772, was killed at the battle of Wurtschen , May 22, 1813. 120 15 50 napoléons, 40 pounds. , Anecdote 36. 121, 1 Le Saint-Bernard , one of the principal passes of the Alps, between Switzerland and Italy . Anecdote 37. 25 Biron (Charles-Armand duc de) , marshal of France, died 1788. 4 Saxe (Maurice, comte de), marshal of France, born at Dresden in 1696, died in 1750. 122, Anecdote 39. 123, Piron (Alexis), a French dramatic writer, born at Dijon in 1689, died 1773. 7 Le bois de Boulogne, a fashionable park close to the walls of Paris. 16 Que M. de Voltaire n'est-il ici , I wish M. de Voltaire might be here. Voltaire and Piron heartily de tested each other. 22 L'exercice du chapeau , i.e. , his repeated salutation. 30 Jusqu'a présent je n'ai fait parler que des marionnettes. up to the present time I only worked for puppet stages. Piron's reputation as a writer commenced with some pieces which he published for the enter tainment of the lower classes. Anecdote 40. 124 , 4 Senefelder ( Aloys), the inventor of lithography , was born at Prague ( Bohemia) in 1771. 9 Iser, or Isar, ariver in Germany. 264 NOTES ON BOOK III . Page 124, Anecdote 41. Line 80 Dans leur maladresse départementale, with their country awkwardness, i.e. lackingin that peculiar dexterity which characterises the Paris street boy. Anecdote 43. 128, 126, 26 Affre ( Denis- Auguste), archbishop of Paris, born at St. Rome- de - Tarn (Aveyron ), in 1793, was killed on a barricade of the Rue St. Antoine during the insurrection of June, 1848. 9 Un âne porte sa croix sur le dos, a donkey wears his cross on his back. The pack -saddle of donkeys looking somewhat like a cross. 9 L'évêque la porte, etc. It is well known that Roman Catholic bishops always wear a golden cross over their cassock as a mark of their dignity, Anecdote 44. Un beau mangeur, a great eater. 27 Tenir en haleine, to keep in play. Anecdote 45. 127, 6 Foote ( Samuel), the celebrated player and dramatic writer, born at Truro, in Cornwall, about 1720, died 1777. 14 Appuyant sur chaque syllabe , with great emphasis. Anecdote 46. 128 , Deshoulières (Antoinette du Ligier de la Garde, dame). born at Paris, in 1633, enjoyed a great reputation as a poet during her life- time. herenant, ghost. Anecdote 48. 129 , Piron . See An . 39. 10 Tartufe, one of Molière's masterpieces. Great oppo sition was made to the appearance of that play '. but at length, in 1667, Molière succeeded in bring . ing it on the stage, and for three months Tartuse was performed uninterruptedly with great ap plause. 18 A qui en avez - vous done ? what is the matter with you ? NOTES ON COOK III . 200 Page 129, Anecdote 49. Line Souwarow ( Alexis Vasiliéwitch , count), a most excentrio Russian general, born in 1729, died at Moscow in 1800 . 28 Au surplus, after all . 30 Il fait l'étonné, he pretends to be surprised. 10 Le comte eut beau rechigner, it was of no use for the count to answer reluctantly. 130 , Anecdote 50. 131, Nicole ( Pierre), a moralist and theologian, and one of the best writers of Port- Royal, was born at Chartres in 1625. 27 Il n'y a chère que de dévote et de directeur, there is no fare to be compared to that of a lady penitent entertaining her spiritual director. Anecdote 51. Sully (Maximilien de Bethune, duc de), a marshal of France, prime-minister to Henri IV. , and one of the ablest and most honest statemen that France ever had ; born 1560, died 1641. 16 Une calomnie travaillée de main de courtisan, a masterly stroke of calumny. Anecdote 52. 132 , Sturm ( Jacques - Charles - François ), professor of mathematics in theUniversity of Paris ; born at Geneva in 1804, died 1856. 24 L'Auvergnat, the water -carrier. 35 Elmire, one of the characters of Molière's Misan . thrope. 10 Son ego (Lat. ), his “ Self.” 133, Anecdote 53. Saint- Pierre ( Bernardin de), & celebrated French writer, born at Havre in 1737, died 1814. 16 Necker (Jacques), the popular minister of king Louis XVI. 16 Thomas ( Ant. -Léonard ), born at Clermont-Ferrand in 1732, took five times the prize of eloquence at the Academy of Paris, with his panegyrist of Descartes, Sully, etc. 266 NOTES ON BOOK III . Page 133, Lino 16 Buffon . See Book I. , An. 5 . 17 Galiani (l'abbé Ferdinand ), born 1728, an antiquarian and economist of great renown . 19 Paul et Virginie, a novel considered as de Saint Pierre's masterpiece. 3 Vernet (Claude-Joseph) , & mos; eminent marine painter, born 1708, died 1789. 134 , Anecdote 54. 135, 33 Vous viendrez manger ma soupe ( fam .), you will come and dine with me. 10 Nous aurons un petit extraordinaire, we shall have something extra. 20 Mortifier, to make meat tender . Anecdote 55. 23 Le président de Mézières, Lord Chief Justice de Mézières. 23 Je ne saurais, I cannot. 13 Cela fait le plaisant, the fellow tries to be funny. 26 Maître un tel , Mr. So- and- So. On the use of the word “ maître, " see B. I. , An. 67. 136, Anecdote 56. Franklin (Benjamin ). See B. I. , An . 34. Anecdote 58. 138 , 17 L'hôtel de Noailles, Noailles House. 24 L'Hôtel de ville, the town - hall, taken here figuratively for the Paris Board of Works. 8 La sommation timbrée de la ville, the stamped sum . mons of the Board. 139, Anecdote 59. 20 Origny, a convent of nuns. 140, 15 Victoire, the maid - servant of Mme. de Genlis. Anecdote 60. 141, La Motte (Antoine Houdard de), a miscellaneous writer, born 1762. 4 Le Temple, a literary club patronised by the best writers of the 18th century. Voltaire, See B. I. , An. 43. NOTES ON BOOK III . 267 Anecdote 61. Pago Line 141, 25 Ségur (Louis- Philippe, comte de) , born in 1753, served in America under Lafayette, and on his return to France was appointed ambassador to the court of Russia. 29 Aranda (don Abarca de Bolea, count), an ambassador of Spain in France, was made prime-minister in 1792. 32 Diplomes, charters . Anecdote 62. 143, 28 Meudon, a village between Versailles and Paris, had a beautiful royal palace, destroyed in the last Franco -German war. Anecdote 63. 22 Verdun , a strong town of Lorraine, thirty -eight miles north -west of Nancy. 25 Amiens, a strong and large city on the river Somme ; has a very grand and stately cathedral. The peace of Amiens was signed March 27th, 1802. 84 Tant bien que mal, as well as they could. Anecdote 64. 145, 9 34 Damas, Damascus, the capital of the south part of Syria, lying in a delightful and fertile plain, en . compassed with mountains, but at so great a dis tance from it as tobe hardly discernible. 26 Doura or durra, a kind of millet cultivated throughout Asia. 146, Anecdote 65. 147, Young (Edward ), the immortal author of the “ Night Thoughts,” born at Upsham, near Winchester ,in 1681 ; died 1765. Anecdote 66. 148 , 17 Frédéric II, king of Prussia . See B. I., An . 14 . 19 Attaques de nerfs, hysterica) fits. 20 Pour un oui, pour un non, for the least cause. 4 Directeur, stage - manager. 10 Elle, i.e. , his majesty . See B. I. , An . 40. 149, 268 NOTES ON BOOK IN . Page 149, Anecdote 67. Line Racan (Honorat de Bueil, marquis de), a French poet, born in 1589, died 1670. 32 Montaigne (Michel de), an eminent French writer , born 1533, died 1592. His celebrated ““Essays were first published in 1580. 33 Gournay (Mlle. Marie Lejars de) , the adopted daughter 150, of Montaigne, was herself a writer of some merit. 1 Faire valoir, to put forward, to promote. 2 Mettre tout en cuvre, to leave no stone unturned . 24 Racan fit fort le fâché, Racan pretended to be very cross. 28 Le Racan de contrebande,the sham, or pseudo Racan. 39 Pour la jouer, to scoff at her. 41 Bois-Robert, a French wit and poet ; born at Caer in 1592. 3 Oui-da , il en est quelque chose, well, well, there is some truth in it. 151, Anecdote 68. 9 Cinq cent mille francs , twenty thousand pounds. 10 En bonne et due forme, surrounded with all the for . malities prescribed by law. 18 De ce chej, on that head. 152 , 1 Mon notaire, my attorney. Anecdote 69. 152, 21 Colmar, a town in Alsace , on the river Lauch . 23 Représentant du peuple, a member of the National Assembly. 24 Commissaire-ordonnateur, commissioner of the War Office . 153, 28 D'où le tires- tu ? where do you get it from i Anecdote 70 . 155 , 35 Au pieã ãe la lettre , literally. 38 Au vrai, as a matter of fact. Anecdote 71. 156, 157, 16 Tant bien que mal, as well as he could . 2 Pour le coup, this time. 4 Comme si le feu était à la maison, as if the house were on fire . NOTES ON BOOK IV . 269 Pare 157, Anecdote 72. Lino 5 Anvers, Antwerp, a large and beautiful city, standing on the eastern shore of the Scheld . 7 Malgréla dot considérable portée au contrat, in spite of the beautiful marriage - portion of their wives. 158 , 17 Les Jacobins, the Jacobines, a religious order . Anecdote 73. 159, 7 Le Roi Lear, King Lear, Shakespeare's play. 13 Pouffer de rire, to burst out laughing: 15 Le foyer, the lobby or saloon of thetheatre. 24 Garrick (David ), the illustriousEnglish actor, born in 1716, died January 15, 1779. 160, 19 Marguillier, parish beadle. Anecdote 74. 161, 7 Faits à cela, used to it . 20 Vous ferez méchante chère, you shall have a poor dinner. 23 Revint, came back to herself. NOTES ON BOOK IV . Anecdote 1. 165 , Hernute, a Moravian , a member of the religious sect called the United Brethren. Etym . Germ. Herren huter, or inhabitant of Herrenhut, a German village founded by the first members of that sect. Anecdote 2. 166 30 M. de Lamartime. See Book I. , An . 36 . 22 Calepin, note -book. Etym. Calepino, or Calepin , tho nameof the learned compiler of a polyglot lexicon , who lived in the 15th century. 4 Ampliations, official copy, duplicate. 9 Où gîtait (fam .), where lived. 14 Les événementsde février, the revolution of February , 1848. 19 Le Monitevr, the French official gazette. 270 NOTES ON BOOK IV , Anecdote 3. Page Lino 166 , Ninon de Lenclos, a beautiful and witty French courtesan , whose house was a common rendez -vous to the learned as well as to the fine gentlemén of the world. Scarron consulted her upon his " Comical Romance ; " St. Evremond upon his Verses ; Molière upon his Comedies, and Fontenelle upon his Dialogues. She died in 1706, aged 90, retaining her personal charms to the last. 26 Corbillon , little basket. 32 Le docteur régent, the rigid or strict doctor. 2 Services, courses. 6 Zeste ! ( interj.) presto ! 6 Rendant ses hommages aux dames, paying his compli. ments to the ladies. 17 Sangrado, a celebrated physician . 20 Purgon, a physician's most amusing character in Molière's " Malade imaginaire." 167 , Anecdote 4. Honolulu , or Honarura, the capital of the Sandwich islands. 85 La chancellerie (Supp. de la Légion d'Honneur). No Frenchman is allowed to wear a foreign decoration, unless he obtains a leave from the chancellor of the Legion of Honour. 168 , 15 A ses trousses, at his heels. Anecdote 5. 21 Mille pistoles, ten thousand francs or £ 400 . 23 Voiture de louage, hired carriage. 26 Contrôleur -général, chief comptroller of taxes. 1 Fiacre, hackney -coach. 12 Une autre course, another drive. 169, Anecdote 6. 16 Le duc d'Orléans, Philippe II., duke of Orléans, regent of France during the minority of king Louis XV. 18 Après le sacre, after the king's coronation . 19 Cardinal Dubois, the dissolute prime minister the regent. 27 Elle avait du bec (vulg .), she had a sharp tongue. 30 Représenter, to remonstrate. 3 Galvauder (obs.), to scold. 16 Me laissez en repos, leave me alona , 170, NOTES ON BOOK IV . 271 Page 170 , Anecdote 7. Line 25 Il ne s'en inquiétait nullement, he never troubled him . self in the least about it. 3 Il essuie les reproches de son ami, he is lectured by his friend,

  • 171,

Anecdote 8. Toge, toga, the loose outer garment worn by the ancient Romans, consisting of a single broadpiece of cloth , and wrapped around the body. 8 Ferney, the country seat of Voltaire, near Geneva. 14 Catilina, one of Voltaire's plays. 18 Singulier équipage, strange turn -out. 19 Voltaire se fâchatout rouge, Voltaire was quite angry 25 Humeur, temper. 172, Anecdote 9. 27 Le foyer de l'Opéra, the lobby or saloon in the opera house. 11 Je joue toujours une partie de dames ou d'échecs, I always have a game at draughts or at chest. 27 Belle demande... mais pour nous battre. What a question ... to fight a duel, of course ! Anecdote 10. 173, 7 Ayant en croupe l’Esculape, riding with the doctor behind him . 18 Voltaire fut sur les épines, Voltaire was in the greatest anxiety ; lit. was on thorns. 24 Bien doucement, monsieur, very poorly, sir . 36 Madame Denis , Voltaire's niece. 10 Elle n'aura garde, she will take care not to do it . 10 A la bonne heure, very well then . 174 , Anecdote 11. 21 Une jacque (obs . ), a jerkin. 28 Montauban, a well-built city, 20 miles north of Toulouse. In 1562, the inhabitants of Montauban embraced the reformedreligion, and fortified the town, so that Louis XIII . besieged it without success in 1621, and did not take it till 1629, when it was dismantled . 29 Sire, lord. Is now obsolete in that sense . 41 A bras-le -corps, round the waist. 2 On lui défit sa jacque, they took off his jerkin . 175 , 176 , 272 NOTES ON BOOK IV . Page 176, Anecdote 12 . Line7 Des coups perdus de batteries volantes, shots fired at random by the Russian flying batteries. 10 Semé, studded. 1 Quartier général, head- quarters. 35 Ce petit Napoléon, this small golden coin . 89 Portant alertement les armes, briskly presenting arms. 177, 178 , Anecdote 13. La sehlague, flogging. Etym . Germ . schlagen , to beat, to flog. 9 Almas, a small town in Hungary, 15 Faire un retour sur soi-même, to look into one's heart. 179, Anecdote 14. 16 Garat (Pierre- Jean ), a celebrated singer, died at Paris in 1823. 9 Ce qui a rapport à la musique, what relates to musio. 12 Quand il sera en état, when it is mended. 15 Serinette, bird -organ . 180, Anecdote 15. 181, Monsieur Chut, Mr. Hush ! 23 Mais le vin était tiré, etc., an application of the French proverb : Quand le vin est tiré, il faut le boire, when the wine is drawn , it must be drunk, i.e. when one has brought about a certain state of affairs, one must abide by the consequences. 41 Fixe comme un terme, standing there like a mile -stone. 12 Je me plante vis- à -vis de lui, I set myself opposite him. 27 Le café de la Régence, a celebrated coffee -house iu Paris, almost opposite the Palais Royal. 29 Bavaroise, milk -posset. 182, Anecdote 16. 183, 12 Un chevalier de St.-Louis , a knight of St. Louis. The military order of St. Louis was suppressed at the end of last century . 184, 11 Baragouin , gibberish, or broken French . The etymo. logy of that word is very curious. It comes from the two Welsh or Celtic words Bara, bread , and Gwin, wine ; hence “ baragouiner," i. e. to speak French like a Welshman , or a native of Lower Brittany. NOTES ON BOOK I. 273 Anecdote 17. Page Line 184, s Publii Ovidii Manibus Sacris (Lat.), to the sacred manes of P. Ovid . 185, · 16 Bocal à cerises, a wide -mouthed bottle for preserving cherries. Anecdote 18. 18 Delille ( Jacques), a French didactio poet; born in 1738, died in 1813 . 18 Marmontel ( J.- François), an ingenions and entertain . ing writer, born in 1723, diod 1799. 23 Etre bafoué, to be scoffed at. 30 Cordons bleus, knights of the Order of the Holy Ghost, founded by king Henri III. This title is now obsolete in that sense, and is only applied “ in joke ” to first -rate cooks. 18 Bouilli, boiled meat. 21 Volaille, fowl. 186, Anecdote 19. 187, La peste de Marseille. In 1720 and 1721 the plague made terrible havock at Marseilles. 10 Lazaret, a public buildingor hospital for the reception of persons affected with a contagious disease. 20 Les hommes de l'art, the physicians. 17 Echevins ( obsolete), aldermen. 33 Belzunce ( IIenri- F. Xavier de), bishop of Marseilles, won general admiration by his devotion during the plague. 188, Anecdote 20. 189, 20 Memphis, anciently the capital of Egypt, situated on the west side of the Nile , almost opposite to Cairo . 21 Pythagore, Pythagoras, of Sidon, oneof the greatest philosophers of antiquity, born about 590, died 497 B.C. 8 Un Crésus, a very rich man, a nabob . King Crosus the Fifth, and last of the Mermnadæ, whoreigned in Lydia, was supposed the richest of mankind. 15 Comment s'y prendre, how to manage. 190 , Anecdote 21. 191, 6 Homme à systèmes, a man with preconceived ideas. 30 Le soit -disant professeur, the pretended professor. T 274 NOTES ON BOOK IV . Page 193, Anecdote 22 . Ilne 14 Fabius Maximus Cunctator, the famous adversary of Annibal, was five times consul of Rome. He was elected dictator, after the defeat of Trasimene, in 217, B.C. 20 Basse - cour, poultry - yard . 9 Helvétius ( Claude-Adrien ), & renowned philosopher , born at Paris in 1715, died in 1771. 19 Qui pourrait y tenir ? who could stand it ? 194, Anecdote 23. Vincent de Paul (Saint), famous for his charity and devotion to the poor, was born at Dax ( France) in 1576. 27 Vingt sols , or more usually vingt sous, ten - pence. 13 Père nourricier, foster- father. 18 Filles de la charité, sisters of mercy . 89 Enfants -trouvés, foundlings. 195, Anecdote 24. 196 , Becket (Thomas), archbishop of Canterbury in the reign of Henri II. , was born in London 1119, and was assassinated in the cathedral church of Canter bury on the 29th of December, 1171. Anecdote 25. 198, Balbek, a town of Turkey, at the foot of mount Libanus, the ancient Heliopolis, of which there are magnificent remains. 199, 25 Libcropolis, the acropolis or citadel of Heliopolis. Anecdote 26. 32 86.- Germain - en - Laye, a town on the Seine, 16 miles north -westof Paris ; has a royalpalace of irregular structure, founded by Francis I., and enlarged by Henri IV. , Louis XIII., and Louis XIV . The castle of St. Germain was the residence of James II. of England, during his exile. 34 Nanterre, a village between St. Germain and Paris . 200, 1 Se ranger, to get out of the way. NOTES ON BOOK IV . 275 Anecdote 27. Page Line 200, Courier (Paul- Louis ), born at Paris in 1772 , had already acquired some distinction as an artillery officer, when he left the service to devote his whole time to literary pursuits. As a Grecian scholar and satirical writer he remains unsurpassed. He died in 1825 . 14 Calabre, Calabria , a mountainous province of South Italy, has always been famous for its brigands. Anecdote 28. 202 , Le cardinal de Reta . Jean Paul de Gondi, afterwards cardinal de Retz, born 1613, died 1679. This famous agitator, who, in his youth , lived like Catiline, and in his old age, like Atticus, has left « Memoirs " which are written with such an air of grandeur, impetuosity of genius, and inequality, as give us a very strong representation of his conduct, » Anecdote 29, 204 , 20 n me vint, called upon me, i.e. uponDiderot. Denis Diderot, one of the principal writers of the Encyclopedia , was born at Langres in 1712. 34 Colonnes, booksellers. See Hor. Ars poetica. Anecdote 30. 205, La Condamine (Charles -Marie de), a celebrated traveller and savant, born at Paris in 1701 . 82 Il mande chez lui l'inventeur, he sends for the inventor. Anecdote 31. 207 , 8 Dans l'auberge où nous descendimes, at the inn where we put up. 11 Comte du Nord, a title assumed by a brother of the emperor of Russia in his travels. 20 Javotte, chatter- box. 3 Ah ! que oui, yes, certainly. 18 Requinqué (vulg. ) , in his Sunday drcss. 23 Cent écus, twelve pounds. 208 , 276 NOTES ON BOOK IV . Anecdote 32. Page Line 209, Bourreau, hangman . 1 Boulevard. Originally a bulwark or rampart of a fortified town, nowapplied to the fashionable street of Paris occupying the site of the demolished forti. fications. 210, 8 Eh bien ! après ? well, what next ? 19 Marquer, to brand, to impress a mark with a hot iron on the shoulder of a criminal. This kind of punish ment is no longer practised in France. Anecdote 33. Mirabeau (Gabriel-Honoré Riquetti, comte de), the greatest orator of the French Revolution , was born in 1749. 33 Teinte verdâtre, greenish complexion . 211, 3 Au Panthéon, i.e. to his grave. Mirabeau was buried in the “ Panthéon ." See B. I. , An. 57 . 3 Cabanis ( P.-J. Georges), a well -known physician, born in 1757, died 1808. 18 Barnave ( Pierre - Joseph -Marie), a lawyer, born in 1767, at Grenoble , played a conspicuous part in the French Revolution . He was sentenced to death by the Revolutionary Tribunal. 22 Talleyrand - Périgord ( Charles -Maurice de), the greatest diplomatist of modern times , was bishop of Autun at the outbreak of the French Revolution . 212 , 15 Qui n'est plus, which has been defaced. This is no longer true, the inscription having been re-estab blished in 1848. Anecdote 34, 23 Peu s'en fallut que ses proches ne le fissent interdire comme dissipateur, his friends were on the point of having the management of his estate taken away from him , on account of his lavish expendi ture. 10 Guenillon , rag . 10 Je ne saurais, I cannot. Coas. STRAKER & Sons, Ltd., Printers, Eishopsgate Avenue, Londor , Great Britain . L.H HACHETTE AND COMPANY Publishers and foreign Booksellers, LONDON : 18, KING WILLIAM STREET, CHARING CROSS. IS. 6d. IS . 6d. IS . 6d . HACHETTE'S NEW SERIES OF LATIN CLASSICS Compiled from the best texts available, and edited for Schools and Candidates preparing for Examinations. 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2 6

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  • Riehl, Kulturgeschichtliche Novellen . (Dr. J. F. Davis, M.A. ) 2 6
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Schiller, Der Geisterseher. ( Rev. C. MERK, M.A., Ph.D.)

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Schiller, Maria Stuart. ( E. L. NAFTEL.) Paper cover 9

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See also

anecdotal history





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