Dolmancé (Jean Lorrain)  

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"Dolmancé" the title of a short story[1] by Jean Lorrain published in the 1895 collection Sensations et souvenirs. The title refers to a fictional character by Sade. The story is about sadism and "le vice anglais" and refers explicitly to the Englishman as George Selwyn.

"- Sadique, sadique, on croit avoir tout dit quand on a épinglé cette épithète au dos du premier maniaque... je veux dire du dernier maniaque venu... Parole d'honneur, c'est à hausser les épaules ou à se tordre ? Et, d'un coup de pouce étalant sur la table le jeu de cartes qu'il était en train de battre : - Les Anglais sont autrement forts que nous sur ce chapitre."

Full text

Pour L. W. Hawkins

- Sadique, sadique, on croit avoir tout dit quand on a épinglé cette épithète au dos du premier maniaque... je veux dire du dernier maniaque venu... Parole d'honneur, c'est à hausser les épaules ou à se tordre ? Et, d'un coup de pouce étalant sur la table le jeu de cartes qu'il était en train de battre : - Les Anglais sont autrement forts que nous sur ce chapitre.

Et, les lèvres tirées par un équivoque sourire, notre hôte Gérard Asseline continuait à échelonner sur le tapis vert les rois de coeur et les as de pique de sa réussite solitaire.

Dehors, le vent soufflait en bourrasque et la mer striée d'écume, à la fois verte et blanche sous un ciel couleur d'écaille d'huîtres, se démenait avec un bruit sourd entre les deux hautes falaises toutes ruisselantes de pluie : il pleuvait depuis le matin, il avait plu encore la veille et, retenus à la villa des Saules par de torrentielles ondées d'équinoxe, voilà deux jours que nous nous cantonnions désespérément, mélancoliquement, essayant de tuer le temps et de tromper notre ennui par de successives parties de baccara, dans le grand hall, transformé en salon de jeu, de la villa.

L'heure du courrier apportait seule une diversion à la monotonie de nos occupations, jetant au milieu de notre lassitude l'imprévu des lettres particulières et les racontars plus ou moins frelatés des journaux. Or, le courrier venait d'arriver : comme la veille, avide de nouvelles, nous avions déployé fiévreusement les feuilles, tandis qu'Asseline, assez indifférent, tentait une illusoire patience avec les cartes du baccara soudain abandonné.

Georges Moor, Jacques de Tracy et moi, préoccupé de l'affaire Bloch, venions avec un ensemble touchant d'en lire le jugement et c'est ce jugement que nous discutions à voix haute, d'une extrémité du hall à l'autre, des divans respectifs où nous nous étions étendus, et c'est cette discussion, malgré nous passionnée et toute d'indignations frémissantes, que le flegme indolent d'Asseline venait de doucher de toute la froideur de sa phrase railleuse.

" Les Anglais sont autrement forts que nous sur ce chapitre. " Mais comment rendre le geste fatigué de notre hôte et le dédain somnolent de sa voix ?

Et, comme nous nous récriions tous, trop heureux et flattés, disions-nous, de céder là-dessus la supériorité aux sujets de Sa Gracieuse Majesté :

- Vous avez tous lu La Faustin, poursuivait tranquillement Asseline, question à laquelle Georges Moor ayant répondu par un vibrant : " Ah çà, pour qui nous prends-tu donc ! ", Asseline avait un mystérieux sourire et, tout en arrangeant ses cartes :

- Et vous vous souvenez tous de l'honorable Lord Selwyn, l'inquiétant et fuyant personnage de la fin du volume, et du scandale soulevé, lors de l'apparition du livre, autour de ce nom !

Nous nous étions tus tous les quatre, ne sachant où voulait en venir Asseline ; lui s'était levé, était allé à sa bibliothèque, et prenant dans un rayon une merveilleuse reliure en peau de truie, feuilletait une minute, et d'une voix devenue mordante, il lisait maintenant, détachait et mettait en valeur tous les mots, l'épaule accotée à l'angle de la bibliothèque.

- Au fond, décidément, qu'est-ce que votre ami Selwyn ?

Lord Annandale, occupé à allumer son cigare, en tira lentement une bouffée, regarda sa maîtresse en plein visage, et dit :

- Georges Selwyn... c'est un sadique.

Et, sur une muette interrogation des yeux de Faustin, il ajouta :

- Oui, un homme aux amours... aux appétits des sens déréglés, maladifs... Mais qu'est-ce que vous... qu'est-ce que nous fait sa vie ?

Et il se mit à se promener dans le salon en laissant tomber de sa bouche :

- Une grande... une très grande intelligence... un savoir immense... et un vieil ami de jeunesse.

Et puis, là-dessus, un silence.

- Sortez-vous aujourd'hui, Juliette ? fit-il au bout de quelques instants.

- Non !

Sur ce non, Lord Annandale se dirigea vers les écuries.

Et avec un bruit mat, Asseline refermait le livre de M. de Goncourt. Le charme évocatoire de ces quelques lignes lues à voix haute avait opéré. Nous avions tous maintenant présent à la mémoire, et dans les moindres détails, le louche et mystérieux ami de Lord Annandale : nous revoyions tous et la fleur rose de sa boutonnière à la queue baignant dans un flacon plat caché sous le revers de l'habit, et son front d'hydrocéphale et sa figure de vieille femme, jusqu'à ses vêtements prétentieux et tachés et ses mains desséchées se terminant aux deux petits doigts par deux ongles enfermés à la chinoise dans un étui de métal.

Entre-temps, la pluie avait cessé de tomber et, par la large baie-window de l'atelier, la plage, tout à coup baignée de soleil entre la double avancée des falaises, celle d'amont et celle d'aval, apparut lumineuse et comme transparente dans le brusque bleuissement du large !

- Et dire que dans ce décor d'opéra-comique, ricanait notre hôte et lecteur Asseline, on est parfaitement exposé à croiser le spectre à demi rassurant de l'honorable Georges Selwyn !

- Comment ici, à Etretat même, entre la silhouette autrefois romantique d'Hamlet Faure et le vivant souvenir de Guy de Maupassant ?

- Mais oui, mais oui, persiflait Asseline avec un clignement d'yeux à mon adresse, il y a quelque trente ans, un homme d'allures étranges venait s'établir à Etretat, pas l'Etretat d'aujourd'hui, où les femmes se baignent en bas de soie de couleur, mais Etretat simple hameau de pêcheurs, des masures et des vergers ; et c'est dans une vraie chaumière à toit de chaume, au beau milieu d'un préau de pommiers, que s'installait notre inconnu. Mais devant les yeux s'étendaient l'horizon que voici et, tout à l'entour, de profondes cavées, les chemins creux ombragés et toujours frais, même au moment de la canicule, que forment les hauts talus, plantés de hêtres et de frênes, de ce pays.

" En pleine verdure, comme je suis ici, à mi-vallée et déjà loin de la mer, une vraie retraite d'artiste ou de grand seigneur épris de solitude.

" Aucun changement ne fut opéré par le nouveau propriétaire, l'extérieur de la chaumière demeura le même... seulement, à l'intérieur s'épanouit, dit-on, un luxe d'ameublements et de tentures bizarre, luxe de sorcellerie ou tout au moins d'hystérie pure. On n'en parlait d'ailleurs que d'après les furtifs regards coulés par les fenêtres ouvertes, car personne dans le pays, pas même les fournisseurs, ne pénétrait dans Dolmancé ; Dolmancé, le nom désormais inscrit en lettres noires sur la porte charretière de ce lieu de mystère. Dolmancé, j'abandonne à vos appréciations, messieurs, le choix de ce nom pour une villégiature ; nous avons tous lu ou du moins essayé de lire l'oeuvre du divin marquis.

" C'était, paraît-il, entre autres merveilles, dans une longue, étroite et haute pièce tendue de soie violâtre, un squelette d'enfant ailé, comme un Eros, au crâne ceint de myrte, voilé de gaze noire et ricanant, debout, au milieu d'un taillis de lauriers-roses en fleur. Dans une autre salle, celle-ci nue comme une allée de catacombes, un buste de bronze vert aux yeux d'argent bruni incrustés d'une émeraude, tête de femme Renaissance aux regards de pierreries, émergeait d'un flot de clair brocart et de bruissantes étoffes avec, sur le front, un hennin.

" Ailleurs, une cire peinte aux yeux inanimés, aux lèvres entrouvertes, chef de sainte décapitée, saignait, accrochée à la muraille au-dessus d'un large bassin de cuivre débordant de lys rouges, comme d'une floraison de sang ; autre part enfin, un grand portrait de femme, qu'on eût dit de Vinci, vous offrait l'énigme de son sourire au fond d'un vieux cadre d'argent bossué de fruits d'agate et de raisins d'onyx. Et, partout, des voiles de gaze jetés compliquant les êtres et les objets de trouble et de mystère, puis dans des vases de forme hiératique une éternelle veillée de fleurs hostiles et symboliques, des liliums, des anthuriums et des orchidées, toute une flore méchante, posée, comme une offrande, au pied de chaque idole... tout un intérieur empreint d'un mysticisme sombre à la fois catholique et païen, installation de fou ou de vieux Coppelius entrevue à de rares intervalles par l'entrebâillement des vitraux émaillés de devises archaïques sur fond d'azur glauque sablé d'or.

" Et dans le logis, personne... personne autre que l'homme aux allures étranges, promenant ses épaules voûtées et sa ricanante figure de vieille derrière la haie vive du préau. Cependant, parfois deux êtres de rêve ou de cauchemar, tout au moins aussi inquiétants que leur maître, un enfant et une guenon.

" Une grimaçante et minaudière guenon, presque féminine de coquetterie et d'attitudes, presque humaine de laideur et toujours blottie dans le clair-obscur des pièces somptueuses dans quelque pose énamourée.

" Au cou, un collier de métal bossué de turquoises, des bracelets autour de ses petites mains noires, une vraie macaque aux allures d'infante et, comme une infante, sachant au besoin porter la robe espagnole et bouffant et jouer de l'éventail.

" Quant à l'enfant, une merveille de beauté, un vrai page de Memling, quatorze ou quinze ans au plus, un de ces boys comme l'Irlande seule en produit, aux yeux bleu flore, aux cheveux clairs nimbant le front d'un reflet de soie, le régal de chairs blondes et fraîches... mais vivant là solitaire et farouche, plus invisible encore que la coquette guenon, comme dérobé avec un soin jaloux, caché à tout regard, l'air d'un Ariel captif ou d'un jeune prince envoûté de légende.

" Tout a été depuis supposé, imaginé et dit sur le trio... Mais alors la guenon constellée de bijoux et minaudant, affublée de craquantes étoffes, indignait surtout l'opinion des campagnes ; les paysans ont des chèvres et un érudit du lieu cita à l'appui du Balzac, Une Passion dans le désert.

" La vérité dans tout ceci ?

" Une nuit, la chaumière de Dolmancé, ordinairement murée de silence, s'emplissait de vacarme et de cris c'étaient des jurons exaspérés, des voix de colère, des sanglots et des plaintes, puis un bruit de dispute et des appels déchirants, puis un grognement rauque, un râle... Tout le village, une angoisse à la gorge, avait passé cette nuit-là, debout, les fenêtres ouvertes, le cou tendu dans la direction de Dolmancé.

" Le lendemain, le menuisier du pays était mandé à la chaumière ; il recevait du propriétaire la commande d'un cercueil d'enfant en cœur de chêne et, le cercueil livré, payé le double de son prix, trois jours après, la chaumière était fermée, volets clos, porte condamnée et l'honorable disparu... Une chaise de poste était venue le prendre dans la nuit.

" Quant au Memling et à la guenon, depuis la nuit des plaintes et des appels, personne ne les avait revus ! Pour qui le cercueil ? pour l'enfant blond ? pour la macaque ? Mystère ! Un crime à n'en pas douter avait été commis. On a parlé longtemps de jalousie et de vengeance ! Quels liens pouvaient unir entre eux ces trois êtres bizarres ? Quel caprice sinistre avait bien pu les désunir ?

- Un conte d'Hoffmann, concluait de Tracy.

- Ou une farce à la Vivier, insinuait Georges Moor : Londres est le pays du fun. Le fun, la farce à froid, sinistre, exaspérante ; l'Angleterre est la patrie de ces gaietés affilées et coupantes comme l'acier : l'honorable Georges Selwyn n'était peut-être qu'un mystificateur macabre, ayant pioché son Swift et son Poe.

- Toujours est-il, reprenait Asseline, que deux mois après, une voiture de déménagement venait emporter le mobilier de Dolmancé, le nom du domaine disparaissait de la porte charretière et la masure, le pré et le verger, tout était mis en vente chez maître Récipon, notaire à Criquetot, où mon père s'en rendait acquéreur... La villa des Saules est l'ancien Dolmancé ; vous êtes, mes amis, sur les lieux du mystère... "

Nous regardions tous Asseline dans les yeux - il avait repris tranquillement place à la table de jeu ; la pluie retombait de plus belle et les grands hêtres du jardin, secoués par la bourrasque, courbaient éperdument leurs cimes bruissantes.




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