Histoire de Dom Bougre, Portier des Chartreux  

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Histoire de Dom Bougre, Portier des Chartreux (English: The Story of Dom Bougre, Porter of the Carthusians) is a French libertine novella from 1741 attributed to Gervaise de Latouche. It was frequently reprinted and was the subject of sequels that appeared as late as the 1780s. It is perhaps the first truely pornographic novel, with its aspects of voyeurism and its obsession with things sexual, and this 7 years before Fanny Hill. The name Bougre in the title refers to the French term boulgre meaning bugger. The novel --which takes the form of a confessional report -- mocks biblical injunctions, extols same-sex love, incest and sodomy and assures us that the true vices are the province of the aristocracy and the clergy. Its first edition was accompanied by 18 engravings, two of them foldouts.

Dom Bougre designated the famous abbé Desfontaines, who, accused of sodomy, had spent time in prison in 1724, and spent time in exile.

The protagonists are Saturnin, Suzon, Polycarpe, Monique and Toinette. Saturnin, our picaresque hero, tells of his sexual initiation to his sister Suzon. She in turn, tells her sexual adventures. The book does not use euphemisms and is full of explicitives (the word foutre is used 60 times). The book's "single driving argument is the naturalness of the joys of orgasm and everything conducive to or associated with it" (Brulotte, Encyclopedia of Erotic Literature). In its defense of sexuality as a new religion it implores us to drop false modesty:

"car quand on dit : Monsieur de.. est amoureux de madame..., c’est la même chose que si l’on disait : Monsieur de... a vu madame... ; sa vue a excité des désirs dans son cœur ; il brûle d’envie de lui mettre son vit dans le con. Voilà véritablement ce que cela veut dire ; mais comme la bienséance exige qu’on ne dise pas ces choses-là on est convenu de dire : Monsieur de... est amoureux."

and assures us that when a man is excited enough he'd even f**k the devil himself:

"Quelle foule de réflexions pour ces lecteurs dont le tempérament froid et glacé n’a jamais ressenti les fureurs de l’amour ! Faites-les, messieurs, ces réflexions ; donnez carrière à votre morale ; je vous laisse le champ libre, et ne veux vous dire qu’un mot. En bandant aussi fort que je bandais, vous foutriez, quoi ? le diable !"

The story ends when Saturnin is castrated, having caught syphilis. Dom Bougre imagines his own epitaph, "Hic situs est Dom Bougre/Fututus, futuit," which roughly translates: "Here lies Dom Bougre, he fucked and got fucked."

The novel was republished in 1778 as Mémoires de Saturnin (Paris, Cazin) and variously illustrated by Paul Avril and François-Rolland Elluin.

In 1741, a dozen or so colporteurs were sent to the Bastille prison for some weeks or months in order to find the culprits for the book.

Contents

Excerpt

... Figurez-vous quel spectacle ce devait être Le père ne poussait aucun coup à ma mère qu'elle ne le lui rendît sur-le-champ au triple, et son cul, en retombant sur le mien, me faisait enfoncer dans le con de Madelon, ce qui faisait un ricochet de fouterie tout à fait divertissant; non pas pour nous, car nous étions trop occupés pour nous amuser à rire. Il n'eût tenu qu'à moi de me venger de Madelon, en laissant tomber le poids de trois corps sur le sien ; mais elle était trop amoureuse, travaillait de trop bon cœur pour me laisser concevoir une telle pensée. Je la soulageais de mon mieux; elle en eut pourtant la peine; mais ce Jut plutôt un surcroît de volupté pour elle, car ayant senti les délices de la décharge avant nos fouteurs d'en haut, le plaisir me rendit immobile. Gabrielle le sentit, et ses coups de cul, avec vivacité, faisaient pour moi ce que je n'étais plus en éiat de faire, et, en m'agitant, allaient donner de nouveaux ébranlements de plaisir à Madelon, qui déchargeait aussi. Nos fouteurs finirent et joignirent leur extase à la nôtre. Nos quatre corps n'en firent plus qu'un ; nous mourions, nous nous confondions l'un dans l'autre.

See also

18th century erotica, Chartreux

Full text (French)

Le Portier des Chartreux
ou
Mémoires de Saturnin écrits par lui-même
(Histoire de Dom Bougre), Jean-Charles Gervaise de Latouche, 1741


Édition d'Amsterdam, 1889

PREMIÈRE PARTIE

Que c’est une douce satisfaction pour un cœur d’être désabusé des vains plaisirs, des amusements frivoles et des voluptés dangereuses qui l’attachaient au monde ! Rendu à lui-même après une longue suite d’égarements, et dans le calme que lui procure l’heureuse privation de ce qui faisait autrefois l’objet de ses désirs, il sent encore ces frémissements d’horreur qui laissent dans l’imagination le souvenir des périls auxquels il est échappé : il ne les sent que pour se féliciter de la sûreté où il se trouve ; ces mouvements lui deviennent des sentiments chers parce qu’ils servent à lui faire mieux goûter les charmes de la tranquillité dont il jouit.

Tel est, cher lecteur, la situation du mien. Quelles grâces n’ai-je pas à rendre au Tout-Puissant, dont la miséricorde m’a retiré de l’abîme du libertinage où j’étais plongé et me donne aujourd’hui la force d’écrire mes égarements pour l’édification de mes frères !

Je suis le fruit de l’incontinence des révérends pères Célestins de la ville de R.... Je dis des révérends pères, parce que tous se vantaient d’avoir fourni à la composition de mon individu. Mais quel sujet m’arrête tout à coup ? Mon cœur est agité : est-ce par la crainte qu’on ne me reproche que je révèle ici les mystères de l’Église ? Ah ! surmontons ce faible remords. Ne sait-on pas que tout homme est homme, et les moines surtout ? Ils ont donc la faculté de travailler à la propagation de l’espèce. Eh ! pourquoi la leur interdirait-on ? Ils s’en acquittent si bien !

Peut-être, lecteur, vous attendez avec impatience que je vous fasse le récit détaillé de ma naissance : je suis fâché de ne pouvoir pas sitôt vous satisfaire sur cet article. Vous allez me voir de plein saut chez un bonhomme de paysan que j’ai pris longtemps pour mon père.

Ambroise, c’était le nom du bonhomme, était le jardinier d’une maison de campagne que les Célestins avaient dans un petit village à quelques lieues de la ville ; sa femme, Toinette, fut choisie pour me servir de nourrice. Un fils qu’elle avait mis au monde, et qui mourut au moment où je vis le jour, aida à voiler le mystère de ma naissance. On enterra secrètement le fils du jardinier et celui des moines fut mis à sa place : l’argent fait tout.

Je grandissais insensiblement, toujours cru et me croyant moi-même fils du jardinier. J’ose dire néanmoins, qu’on me pardonne ce petit trait de vanité, que mes inclinations décelaient ma naissance. Je ne sais quelle influence divine opère sur les ouvrages des moines : il semble que la vertu du froc se communique à tout ce qu’ils touchent Toinette en était une preuve. C’était bien la plus fringante femelle que j’aie jamais vue, et j’en ai vu quelques-unes. Elle était grosse, mais ragoûtante, de petits yeux noirs, un nez retroussé, vive, amoureuse, plus parée que ne l’est ordinairement une paysanne. C’aurait été un excellent pis aller pour un honnête homme ; jugez pour des moines !

Quand la coquine paraissait avec son corset des dimanches, qui lui serrait une gorge que le hâle avait toujours respectée, et laissait voir deux tétons qui s’échappaient, ah ! que je sentais bien dans ce moment que je n’étais pas son fils, ou que j’aurais volontiers passé sur cette qualité.

J’avais les dispositions toutes monacales. Guidé par le seul instinct, je ne voyais pas une fille que je ne l’embrassasse, que je ne lui portasse la main partout où elle voulait bien la laisser aller ; et quoique je ne susse pas bien positivement ce que j’aurais fait, mon cœur me disait que j’en aurais fait plus, si l’on ne m’eût arrêté dans mes transports.

Un jour qu’on me croyait à l’école, j’étais resté dans un petit réduit où je couchais : une simple cloison le séparait de la chambre d’Ambroise, dont le lit était justement appuyé contre ; je dormais ; il faisait une extrême chaleur : c’était dans le cœur de l’été ; je fus tout à coup réveillé par de violentes secousses que j’entendis donner à la cloison. Je ne savais que penser de ce bruit ; il redoublait. En prêtant l’oreille, j’entendis des sons émus et tremblants, des mots sans suite et mal articulés. « Ah ! doucement, ma chère Toinette, ne va pas si vite ! Ah ! coquine ! tu me fais mourir de plaisir !... Va vite... Eh ! vite... Ah !... je me meurs !... »

Surpris d’entendre de pareilles exclamations, dont je ne sentais pas toute l’énergie, je me rassis ; à peine osais-je remuer. Si l’on m’avait su là, j’avais tout à craindre ; je ne savais quoi penser, j’étais tout ému. L’inquiétude où j’étais fit bientôt place à la curiosité. J’entendis de nouveau le même bruit, et je crus distinguer qu’un homme et Toinette répétaient alternativement les mêmes mots que j’avais déjà entendus. Même attention de ma part. L’envie de savoir ce qui se passait dans cette chambre devint à la fin si vive qu’elle étouffa toutes mes craintes. Je résolus de savoir ce qu’il en était. Je serais, je crois, volontiers entré dans la chambre d’Ambroise pour voir ce qui s’y passait, au risque de tout ce qui aurait pu arriver. Je ne fus pas à cette peine. En cherchant doucement avec la main si je ne trouverais pas quelque trou à la cloison, j’en sentis un qui était couvert par une grande image. Je la perçai et me fis jour. Quel spectacle ! Toinette nue comme la main, étendue sur son lit, et le père Polycarpe, procureur du couvent, qui était à la maison depuis quelque temps, nu comme Toinette, faisant... quoi ? ce que faisaient nos premiers parents, quand Dieu leur eut ordonné de peupler la terre, mais avec des circonstances moins lubriques.

Cette vue produisit chez moi une surprise mêlée de joie et d’un sentiment vif et délicieux qu’il m’aurait été impossible d’exprimer. Je sentais que j’aurais donné tout mon sang pour être à la place du moine. Que je lui portais d’envie ! que son bonheur me paraissais grand ! Un feu inconnu se glissait dans mes veines ; j’avais le visage enflammé, mon cœur palpitait, je retenais mon haleine, et la pique de Vénus, que je pris à la main, était d’une force et d’une roideur à abattre la cloison, si j’avais poussé un peu fort. Le père fournit sa carrière, et en se retirant de dessus Toinette, il la laissa exposée à toute la vivacité de mes regards. Elle avait les yeux mourants et le visage couvert du rouge le plus vif. Elle était hors d’haleine ; ses bras étaient pendants, sa gorge s’élevait et se baissait avec une précipitation étonnante. Elle serrait de temps en temps le derrière, en se roidissant et en jetant de grands soupirs. Mes yeux parcouraient avec une rapidité inconcevable toutes les parties de son corps ; il n’y en avait pas une sur laquelle mon imagination ne collât mille baisers de feu. Je suçais ses tétons, son ventre ; mais l’endroit le plus délicieux, et de dessus lequel mes yeux ne purent plus s’arracher, quand une fois je les y eus fixés, c’était... Vous m’entendez. Que cette coquille avait pour moi de charmes ! Ah ! l’aimable coloris ! Quoique couverte d’une petite écume blanche, elle ne perdait rien à mes yeux de la vivacité de sa couleur. Au plaisir que je ressentais, je reconnus le centre de la volupté, Il était ombragé d’un poil épais, noir et frisé. Toinette avait les jambes écartées, il semblait que sa paillardise fût d’accord avec ma curiosité pour ne me rien laisser à désirer !

Le moine, ayant repris vigueur, vint de nouveau se présenter au combat ; il se remit sur Toinette, avec une nouvelle ardeur ; mais ses forces trahirent son courage, et, fatigué de piquer inutilement sa monture, je le vis retirer l’instrument de la coquille de Toinette, lâche et baissant la tête. Toinette,dépitée de sa retraite, le prit et se mit à le secouer ; le moine s’agitait avec fureur et paraissait ne pouvoir plus supporter le plaisir qu’il ressentait. J’examinais tous leurs mouvements sans autre guide que la nature, sans autre instruction que l’exemple, et, curieux de savoir ce qui pouvait occasionner ces mouvements convulsifs du père, j’en cherchais la cause en moi-même. J’étais surpris de sentir un plaisir inconnu qui augmentait insensiblement, et devint enfin si grand que je tombai pâmé sur mon lit. La nature faisait des efforts incroyables, et toutes les parties de mon corps semblaient fournir au plaisir de celle que je caressais. Il tomba enfin de cette liqueur blanche dont j’avais vu une si grande profusion sur les cuisses de Toinette. Je revins de mon extase, et retournai au trou de la cloison ; il n’était plus temps : le dernier coup était joué, la partie était finie. Toinette se rhabillait, le père l’était déjà.

Je restai quelque temps l’esprit et le cœur remplis de l’aventure dont je venais d’être témoin, et dans cette espèce d’étourdissement qu’éprouve un homme qui vient d’être frappé par l’éclat d’une lumière étrangère. J’allais de surprise en surprise ; les connaissances que la nature avait mises dans mon cœur venaient de se développer, les nuages dont elle les avaient couvertes s’étaient dissipés. Je reconnus la cause des différents sentiments que j’éprouvais tous les jours à la vue des femmes. Ces passages imperceptibles de la tranquillité aux mouvements les plus vifs, de l’indifférence aux désirs, n’étaient plus des énigmes pour moi. Ah ! m’écriai je, qu’ils étaient heureux ! la joie les transportait tous deux. Il faut que le plaisir qu’ils goûtaient soit bien grand. Ah ! qu’ils étaient heureux ! qu’ils étaient heureux ! L’idée de ce bonheur m’absorbait ; elle m’ôtait pour un moment tout pouvoir d’y réfléchir. Un silence profond succédait à mes exclamations. Ah ! reprenais-je aussitôt, ne serai je jamais grand pour en faire autant à une femme ? Je mourrais sur elle de plaisir, puisque je viens d’en avoir tant. Ce n’est là sans doute qu’une image de celui que le père Polycarpe goûtait avec ma mère ; mais, poursuivais-je je suis bien simple ! Est-il absolument nécessaire d’être grand pour avoir ce plaisir-là ? Pardi ! il me semble que le plaisir ne se mesure pas à la taille : pourvu que l’on soit l’un sur l’autre, cela doit aller tout seul !

Sur le champ il me vint dans l’esprit de faire part de mes nouvelles découvertes à ma sœur Suzon. Elle avait quelques années de plus que moi : c’était une petite blonde fort jolie, qui portait une de ces physionomies ouvertes que l’on serait tenté de croire niaises, parce qu’elles paraissent indolentes. Elle avait de ces beaux yeux bleu, pleins d’une douce langueur, qu’il semble que l’on tourne sur vous sans intention, mais dont l’effet n’est pas moins sûr que celui des yeux brillants d’une brune piquante qui vous lance des regards passionnés. Pourquoi cela ? Je n’en sais rien, car je me suis toujours grossièrement contenté du sentiment, sans être tenté d’en pénétrer la cause. Ne serait-ce pas parce qu’une belle blonde, avec ses regards languissants, semble vous prier de lui donner votre cœur, et que ceux d’une brune veulent vous enlever de force ? La blonde ne demande qu’un peu de compassion pour sa faiblesse, et cette façon de demander est bien séduisante ; vous croyez ne donner que la compassion, et vous donnez de l’amour. La brune, au contraire, veut que vous soyez faible, sans vous promettre qu’elle le sera. Le cœur se gendarme contre celle-ci, n’est-il pas vrai ? Qu’en pensez-vous, lecteur ?

Je l’avoue à ma honte, il ne m’était pas encore venu dans l’esprit de jeter sur Suzon un regard de concupiscence, chose rare chez moi, qui convoitait toutes les filles que je voyais. Il est vrai qu’étant la filleule de la dame du village, qui l’aimait et la faisait élever chez elle, je ne la voyais pas souvent. Il y avait même un an qu’elle était au couvent ; elle n’en était sortie que depuis huit jours ; sa marraine, qui devait venir passer quelque temps à la campagne, lui avait promis de venir voir Ambroise. Je me sentis tout d’un coup enflammé du désir d’endoctriner ma chère sœur et de goûter avec elle les mêmes plaisirs, que je venais de voir prendre au père Polycarpe avec Toinette. Je ne fus plus le même pour elle. Mes yeux sourirent à mille charmes que je ne lui avais pas aperçus. Je lui trouvai une gorge naissante, plus blanche que le lis, ferme, potelée, Je suçais déjà avec un délice inexprimable ces deux petites fraises que je voyais au bout de ces tétons ; mais surtout dans la peinture de ses charmes je n’oubliais pas ce centre, cet abîme de plaisirs dont je me faisais des images si ravissantes. Animé par l’ardeur vive et brûlante que ces idées répandaient dans tout mon corps, je sortis, j’allai chercher Suzon. Le soleil venait de se coucher, la brune s’avançait : je me flattais qu’à la faveur de l’obscurité que la nuit allait répandre je serais dans un moment au comble de mes désirs, si je la trouvais. Je l’aperçus de loin qui cueillait des fleurs. Elle ne pensait pas alors que je méditais de cueillir la fleur la plus précieuse de son bouquet. Je volai à elle ; la voyant livrée toute entière à une occupation aussi innocente, je balançai dans le moment si je lui ferais connaître mon dessein. A mesure que j’approchais, je sentais ralentir la vivacité de ma course. Un tremblement soudain semblait me reprocher mon intention : je croyais devoir respecter son innocence ; je n’étais retenu que par l’incertitude du succès. Je l’abordai, mais avec une palpitation qui ne me permettait pas de dire deux mots sans reprendre haleine. — Que fais-tu donc là, Suzon ? lui dis-je en m’approchant d’elle. Et voulant l’embrasser, elle s’échappa en riant et me répondit : Comment ! ne vois-tu pas que je cueille des fleurs ? — Ah ! ah ! repris-je, tu cueilles des fleurs ? — Eh ! vraiment oui, me répliqua-t(elle ; ne sais tu pas que c’est demain la fête de ma marraine ? Ce nom me fit trembler, comme si j’eusse craint que Suzon ne m’échappât. Mon cœur s’était déjà fait (si j’ose me servir de ce terme) une habitude de la regarder comme une conquête sûre ; et l’idée de son éloignement semblait me menacer de la perte d’un plaisir que je regardais comme certain, quoique je n’en eusse pas encore goûté. — Je ne te verrai donc plus, Suzon ? lui dis je d’un air triste. — Pourquoi donc, me répondit-elle, ne viendrais-je pas toujours ici ? Mais, allons, poursuivit-elle d’un air charmant, aide-moi à faire mon bouquet. Je ne lui répondis qu’en lui jetant quelques fleurs au visage ; aussitôt elle de m’en jeter aussi, — Tiens, Suzon, lui dis-je, si tu m’en jettes davantage, je te... Tu me le payeras ! Pour me faire voir qu’elle bravait mes menaces, elle m’en jeta une poignée. Dans le moment ma timidité m’abandonna ; je ne craignais pas d’être vu. La brune, qui empêchait qu’on ne pût voir à une certaine distance, favorisait mon audace. Je me jette sur Suzon, elle me repousse ; je l’embrasse, elle me donne un soufflet ; je la jette sur l’herbe, elle veut se relever, je l’en empêche ; je la tiens étroitement serrée dans mes bras en lui baisant la gorge, elle se débat ; je veux lui fourrer la main sous la jupe ; elle crie comme un petit démon ; elle se défend si bien que je crains de n’en pouvoir venir à bout, et qu’il ne survienne du monde. Je me relevai en riant, et je crus qu’elle n’y entendait pas plus de malice que je voulais qu’elle n’y entendît. Que je me trompais ! — Allons, lui dis-je, Suzon, pour te faire voir que je ne voulais pas te faire de mal, je veux bien t’aider. — Oui, oui, me répondit-elle avec une agitation au moins égale à la mienne, va, voilà ma mère qui vient, et je... — Ah ! Suzon, repris-je vivement en l’empêchant d’en dire davantage, ma chère Suzon, ne lui dis rien ; je te donnerai... tiens, tout ce que tu voudras ! Un nouveau baiser fut le gage de ma parole : elle en rit ; Toinette arriva. Je craignais que Suzon ne parlât ; elle ne dit mot, et nous retournâmes tous ensemble souper, comme si rien n’était.

Depuis que le père Polycarpe était à la maison, il avait donné de nouvelles preuves de la bonté du couvent pour le prétendu fils d’Ambroise : je venais d’être habillé tout de neuf. En vérité, sa révérence avait en cela moins consulté la charité monacale, qui a des bornes fort étroites, que la tendresse paternelle, qui souvent n’en connaît pas. Le bon père, par une pareille prodigalité, exposait la légitimité de ma naissance à de violents soupçons. Mais nos manants étaient de bonnes gens et n’en voyaient pas plus que l’on ne voulait leur en faire voir. D’ailleurs qui aurait osé porter un œil critique et malin sur le motif de la générosité des révérends pères. C’étaient de si honnêtes gens, de si bonnes gens ; on les adorait dans le village : ils faisaient du bien aux hommes et aimaient l’honneur des femmes ; tout le monde était content. Mais revenons à ma ligure, car je vais avoir une aventure illustre.

A propos de cette figure-là, j’avais un air espiègle qui ne prévenait pas contre moi. J’étais mis proprement ; des yeux malins, de longs cheveux noirs me tombaient par boucles sur les épaules, et relevaient à merveille les couleurs de mon visage, qui, quoiqu’un peu brun, ne laissait pas de valoir son prix. C’est un témoignage authentique que je me crois obligé de rendre au jugement de plusieurs très honnêtes et très vertueuses personnes à qui j’ai rendu mes hommages.

Suzon, comme je l’ai dit, avait fait un bouquet pour Mme Dinville (c’était le nom de sa marraine), femme d’un conseiller de la ville voisine, qui venait à sa terre prendre le lait pour rétablir une poitrine dérangée par le vin de Champagne et quelques autres causes.

Suzon s’étant mise dans ses petits atours, qui la rendirent encore plus aimable à mes yeux, il fut dit que je l’accompagnerais. Nous allâmes au c4iàteau. Nous trouvâmes la dame dans un appartement d’été où elle prenait le frais. Figurez-vous une femme d’une grandeur médiocre, poil brun, peau blanche, le visage laid en général, enluminé d’un rouge champenois, les yeux alertes, amoureux, et tétonnière autant que femme au monde. Ce fut d’abord la première bonne qualité que je lui remarquais : c’a toujours été mon faible que ces deux boules-là ! C’est aussi quelque chose de si joli quand vous tenez cela dans la main, quand vous..... Ah ! chacun le sien : qu’on me passe celui-ci !

Sitôt que la dame nous aperçut, elle jeta sur nous un regard de bonté, sans changer de situation. Elle était couchée sur un canapé, une jambe dessus et l’autre sur le parquet ; elle n’avait qu’un simple jupon blanc, assez court pour laisser voir un genou qui n’était pas assez couvert pour faire penser qu’il serait bien difficile de voir le reste ; un petit corset de la même couleur, un pet-en-l’air de taffetas couleur de rose, bichonnée d’un petit air négligé, et la main passée sous son jupon, jugez à quelle intention ! Mon imagination fut au fait dans le moment, et mon cœur la suivit de près ; mon sort était de devenir désormais amoureux de toutes les femmes qui se présenteraient à mes yeux : les découvertes de la veille avaient fait éclore en moi ces louables dispositions.

— Ah ! bonjour, ma chère enfant, dit Mme Dinville à Suzon ; eh bien, tu reviens donc me trouver ? Ah !... tu m’apportes un bouquet ; mais, vraiment, je te suis bien obligée, ma chère fille ; embrasse-moi donc ! Embrassade de la part de Suzon. Mais, continua-t-elle en jetant les yeux sur moi, quel est donc ce beau gros garçon-là ? Comment petite fille, vous vous faites accompagner par un garçon ? Cela est joli ! Je baissai les yeux ; Suzon lui dit que j’étais son frère ; révérence de ma part — Ton frère ? reprit Mme Dinville ; allons donc ! continua-t-elle en me regardant et en m’adressant la parole, baise-moi, mon fils. Oh ! je veux que nous fassions connaissance. Elle me donne un baiser sur la bouche ; je sens une petite langue se glisser entre mes lèvres et une main qui joue avec les boucles de mes cheveux. Je ne connaissais pas encore cette manière de baiser ; j’étais tout ému. Je jetai sur elle un regard timide, et je rencontrai ses yeux brillants et pleins de feu qui attendaient les miens au passage et qui les firent baisser. Nouveau baiser de même nature après lequel je fus libre de me remuer, car je ne l’étais guère de la façon dont elle me tenait embrassé. Je n’en étais pourtant pas fâché : il me semblait que c’était toujours autant de retranché sur le cérémonial de la connaissance qu’elle disait vouloir faire avec moi. Je ne fus sans doute redevable de ma liberté qu’à la réflexion qu’elle fit sur le mauvais effet que pouvait produire la vivacité de ses caresses prodiguées avec si peu de ménagement à une première vue ; mais ces réflexions ne furent pas de longue durée ; elle reprit la conversation avec Suzon, et le refrain de chaque période était : Suzon, venez me baiser. D’abord le respect me faisait tenir écarté. — Eh bien, dit-elle en m’adressant de nouveau la parole, ce gros garçon-là ne viendra donc pas aussi me baiser ? J’avançai et j’appuyai sur la joue. Je n’osais encore aller à la bouche : je lui fis un baiser un peu plus hardi que le premier. Je ne fus en reste avec elle que de quelque chose de plus passionné qu’elle mit dans le sien. Elle partageait ainsi ses caresses entre ma sœur et moi, pour me donner le change sur le sujet de celles qu’elle me faisait. Sa politique me rendait justice : j’étais plus habile que ma figure ne le promettait, Je me fis insensiblement si bien à ce petit manège, que je n’attendais pas le refrain pour prendre ma part. Peu à peu ma sœur se trouva sevrée de la sienne ; je m’établis dans le privilège exclusif de jouir des bontés de la dame ; Suzon n’avait plus que les paroles

Nous étions assis sur le canapé : nous babillions, car Mme Dinville était grande babillarde. Suzon était à sa droite, j’étais à sa gauche, Suzon regardait dans le jardin et Mme Dinville me regardait ; elle s’amusait à me défriser, à me pincer la joue, à me donner de petits soufflets ; moi, je m’amusais à la regarder, à lui mettre la main, d’abord en tremblant, sur le col ; ses manières aisées, me donnaient beau jeu ; j’étais effronté ; la dame ne disait mot, me regardait, riait, et me laissait faire. Ma main, timide dans les commencements, mais devenue plus hardie par la facilité qu’elle trouvait à se satisfaire, descendait insensiblement du col à la gorge, et s’appesantissait avec délices sur un sein dont la fermeté élastique la faisait tant soit peu rebondir. Mon cœur nageait dans la joie ; déjà je tenais dans la main une de ces boules charmantes que je maniais à souhait. J’allais y mettre la bouche ; en avançant on arrive au but. J’aurais, je crois, poussé ma bonne fortune jusqu’où elle pouvait aller, quand un maudit importun, le bailli du village, vieux singe envoyé par un démon jaloux de mon bonheur, se fît entendre dans l’antichambre. Mme Dinville, réveillée par le bruit que fit cet original en arrivant, me dit : Que faites-vous donc, petit fripon ? Je retirai la main précipitamment ; mon effronterie ne tint pas contre un pareil reproche ; je rougis, je me croyais perdu. Mme Dinville, qui voyait mon embarras, me fit sentir, par un petit soufflet qu’elle accompagna d’un sourire charmant, que sa colère n’était que pour la forme, et ses regards me confirmèrent que ma hardiesse lui déplaisait moins que l’arrivée de ce vilain bailli.

Il entra : l’ennuyeux personnage ! Après avoir toussé, craché, éternué, mouché, il fit sa harangue, plus ennuyeuse encore que sa figure. Si nous en eussions été quittes pour cela, ce n’aurait été que demi-mal ; mais il semblait que le maraud eût don. né le mot à tous les importuns du village, qui vinrent tour à tour faire un salamalec. J’enrageais. Quand Mme Dinville eut répondu à bien des sots complimenteurs, elle se tourna de notre côté et nous dit : Ah ça ! mes chers enfants, vous reviendrez demain dîner avec moi : nous serons seuls. Il me sembla qu’elle affectait de jeter sur moi les yeux en disant ces derniers mots. Mon cœur trouvait son compte dans cette assurance, et je sentis que, sans faire tort à mon penchant, mon petit amour propre ne laissait pas d’être flatté. — Vous viendrez, entendez-vous, Suzon ? continua Mme Dinville, et vous amènerez Saturnin ; c’était le nom que portait alors votre serviteur. Adieu, Saturnin, me dit-elle en m’embrassant. Pour le coup, je ne fus en reste de rien avec elle. Nous sortîmes.

Je me sentais dans une disposition qui assurément m’aurait fait honneur auprès de Mme Dinville, sans la visite imprévue de ces ennuyeux complimenteurs ; mais ce que je sentais pour elle n’étais pas de l’amour, ce n’était qu’un désir violent de faire avec une femme la même chose que j’avais vu faire au père Polycarpe avec Toinette. Le délai d’un jour que Mme Dinville m’avait donné me paraissait immense. J’essayai, chemin faisant, de remettre Suzon sur les voies, en lui rappelant l’aventure de la veille. — Que tu es simple, Suzon ! lui dis-je. Tu crois donc que je voulais te faire du mal hier ? — Que voulais-tu donc me faire ? répondit-elle. — Bien du plaisir. — Quoi ! reprit-elle avec une apparence de surprise, en me mettant la main sous la jupe tu m’aurais fait bien du plaisir ? — Assurément ; si tu veux que je t’en donne la preuve, lui dis-je, viens avec moi dans quelque endroit écarté. Je l’examinais avec inquiétude ; je cherchais sur son visage quelques marques des effets que devait produire ce que je lui disais : je n’y voyais pas plus de vivacité qu’à l’ordinaire. Le veux tu bien ? dis, ma chère Suzon, continuais-je en la caressant, — Mais, encore, reprit-elle sans faire semblant d’entendre la proposition que je lui faisais, qu’est-ce donc que ce plaisir dont tu me fait tant d’éloges ? — C’est, lui répondis-je, l’union d’un homme avec une femme qui s’embrassent, qui se serrent bien fort et qui se pâment en se tenant étroitement serrés de cette façon. Les yeux toujours fixés sur le visage de ma sœur, je ne laissais échapper aucun des mouvements qui l’agitaient ; j’y voyais la gradation insensible de ses désirs, sa gorge bondissait. — Mais, me dit-elle avec une naïveté curieuse qui me paraissait de bonne augure, mon père m’a quelquefois tenu comme tu le dis, sans sentir cependant ce plaisir que tu me promets. — C’est, repartis-je, qu’il ne te faisait pas ce que je voudrais te faire. — Et que voudrais-tu donc me faire ?me demanda-t-elle d’une voix tremblante. — Je te mettrais, lui répondis-je effrontément, quelque chose entre les cuisses qu’il n’osait pas te mettre. Elle rougit, et me laissa, par son trouble, la liberté de continuer en ces termes : Vois-tu, Suzon, tu as un petit trou ici, lui dis-je en lui montrant l’endroit où j’avais vu la fente de Toinette. — Eh ! qui t’a dit cela ? me demanda-t-elle sans lever les yeux sur moi. — Qui me l’a dit, repris-je assez embarrassé de sa question, c’est q... c’est que toutes les femmes en ont autant. — Et les hommes ? poursuivit-elle. — Les hommes, lui répondis-je, ont une machine à l’endroit où vous avez une fente. Cette machine se met dans cette fente, et c’est là ce qui fait le plaisir qu’une femme prend avec un homme. Veux-tu que je te fasse voir la mienne ? mais à la condition que tu me laisseras toucher à ta petite fente : nous nous chatouillerons, et nous serons bien aises.

Suzon était toute rouge. Les discours que je lui tenais paraissaient la surprendre ; il semblait qu’elle eût peine à m’en croire ; elle n’osait me laisser mettre la main sous sa jupe, dans la crainte, disait-elle, que je ne voulusse la tromper et que je n’allasse tout déclarer. Je l’assurai que rien au monde ne serait capable de m’en arracher l’aveu, et, pour la convaincre de cette différence que je lui disais se trouver entre nous deux, je voulus lui prendre la main ; elle la retira, et nous continuâmes notre entretien jusqu’à la maison.

Je voyais bien que la petite friponne prenait goût à mes leçons, et que si je la trouvais encore une fois cueillant des fleurs, il ne me serait pas difficile de l’empêcher de crier. Je brûlais d’envie de mettre la dernière main à mes instructions et d’y joindre l’expérience.

A peine étions nous entrés dans la maison que nous vîmes entrer le père Polycarpe ; je démêlai le motif de sa visite : je n’en doutai plus quand sa révérence eut déclaré d’un air aisé qu’elle venait prendre le dîner de famille. On croyait Ambroise bien loin ; il est vrai qu’il ne les gênait guère, mais on est toujours bien aise d’être débarrassé de la présence d’un mari, quelque commode qu’il soit. C’est toujours un animal de mauvais augure. Je ne doutai pas que je n’eusse aprèsmidi le même spectacle que j’avais eu la veille, et sur le champ je formai le dessein d’en faire part à Suzon. Je pensais, avec raison, qu’une pareille vue serait un excellent moyen pour avancer mes petites affaires avec elle ; je ne lui en parlai pas. Je remis cette épreuve à l’après-dînée, bien résolu à n’employer ce moyen qu’à l’extrémité, comme un corps de réserve décisif pour une action.

Le moine et Toinette ne se gênaient pas en notre présence : ils nous croyaient des témoins peu dangereux. Je voyais la main gauche du père se glisser mystérieusement sous la table et agiter les jupes de Toinette, qui lui souriait et me paraissait écarter les cuisses pour laisser apparemment le passage plus libres aux doigts libertins du paillard moine.

Toinette avait de son côté une main sur la table, mais l’autre était dessous et rendait vraisemblablement au père ce que le père lui prêtait. J’étais au fait. Les plus petites choses frappent un esprit prévenu. Le révérend père chopinait de bonne grâce ; Toinette lui répondait sur le même ton ; ses désirs parvinrent bientôt au point d’être gênés par notre présence : elle nous le fît connaître en nous conseillant, à ma sœur et à moi, d’aller faire un tour dans le jardin ; j’entendis ce qu’elle voulait nous dire. Nous nous levâmes aussitôt, et leur laissâmes, par notre départ, la liberté de faire autre chose que glisser les mains sous la table. Jaloux du bonheur que notre départ allait les mettre en état de goûter, je voulus encore essayer de venir à bout de Suzon sans le secours du tableau que je devais offrir à ses regards. Je la conduisis vers une allée d’arbres dont l’épais feuillage faisait une obscurité qui promettait beaucoup d’assurances à mes désirs. Elle s’aperçut de mon dessein, et ne voulut pas m’y suivre.

— Tiens, Saturnin, me dit-elle, ingénument, je vois que tu veux encore m’entretenir de cela ; et bien, parlons-en. — Je te fais donc plaisir, répondis-je, quand j’en parle ? Elle me l’avoua. Juge, lui dis-je, ma chère Suzon par celui que mes discours te donnent, de celui que tu aurais... Je ne lui en dis pas davantage : je la regardais, je tenais sa main, que je pressais contre mon sein. — Mais, Saturnin, me dit-elle, si... cela allait faire du mal ?

— Quel mal veux-tu que cela fasse ? lui répondis-je, charmé de n’avoir plus qu’un aussi faible obstacle à détruire ; aucun, ma chère petite ; au contraire. — Aucun, reprit-elle en rougissant et en baissant la vue, et si j’allais devenir grosse ? Cette objection me surprit étrangement. Je ne croyais pas Suzon si savante, et j’avoue que je n’étais pas en état de lui donner une réponse satisfaisante. — Comment donc, grosse ? lui dis-je ? est-ce que c’est comme cela que les femmes deviennent grosses, Suzon ? — Sans doute, me répondit-elle, d’un ton d’assurance qui m’effraya. — Et où l’as-tu donc appris ? lui demandais-je, car je sentais bien que c’était à son tour à me donner des leçons. Elle me répondit qu’elle voulait bien me le dire, mais à condition que je n’en parlerais de ma vie. — Je te crois discret, Saturnin, ajouta-t-elle, et si tu étais capable d’ouvrir jamais la bouche sur ce que je vais te dire, je te haïrais à la mort. Je lui jurai que jamais je n’en parlerais. Asseyons-nous ici, poursuivit-elle en me montrant un gazon où l’on n’était à l’aise que pour causer sans être entendus. J’aurais bien mieux aimé l’allée ; nous n’y aurions pas été vus ni entendus. Je la proposai de nouveau, elle n’y voulu pas venir.

Nous nous assîmes sur le gazon, à mon grand regret ; pour comble de malheur, je vis arriver Ambroise. N’ayant plus d’espérance pour cette fois, je pris mon parti. L’agitation où me mit le désir d’apprendre ce que devait me dire Suzon fit diversion à mon chagrin.

Avant de commencer, Suzon exigea encore de nouvelles assurances de ma part : je les lui donnai avec serment. Elle hésitait, elle n’osait encore ; je la pressai si fort qu’elle se détermina. — Voilà qui est fait, me dit-elle, je t’en crois, Saturnin ; écoute, tu vas être étonné de ma science, je t’en avertis. Tu croyais m’apprendre quelque chose tantôt, j’en sais plus que toi : tu vas le voir ; mais ne crois pas pour cela que j’aie moins pris de plaisir à ce que tu m’as dit : on aime toujours à entendre parler de ce qui flatte. — Comment donc ! tu parles comme un oracle ; on voit bien que tu as été au couvent. Que cela façonne une fille ! — Oh ! vraiment, me répondit-elle, si je n’y avais jamais été, j’ignorerais bien des choses que je sais. — Eh ! dis-le-moi donc ce que tu sais, repris-je vivement ; je meurs d’envie de l’apprendre.

Il n’y a pas longtemps, continua Suzon, que, pendant une nuit fort obscure, je dormais d’un profond sommeil ; je fus réveillée en sentant un corps tout nu qui se glisser dans mon lit ; je voulus crier, mais on me mit la main sur la bouche, en me disant : Tais-toi ; je ne veux pas te faire de mal ; est-ce que tu ne reconnais pas la sœur Monique ? Cette sœur venait, depuis peu, de prendre le voile de novice ; c’était ma meilleure amie. — Jésus, lui dis-je, ma bonne, pourquoi donc venir me surprendre dans le lit ? — C’est que je t’aime ! me répondit-elle en m’embrassant. — Et pourquoi êtes-vous toute nue ? — C’est qu’il fait si chaud que ma chemise même est trop pesante ; il tombe une pluie terrible ; j’ai entendu le tonnerre qui grondait : j’en ai bien peur ; ne l’entends-tu pas aussi ? Quel bruit il fait ! Ah ! serre-moi bien fort, mon petit cœur ; mets le drap par dessus notre tête pour ne pas voir ces vilains éclairs. Là, bon ! Ah ! ma chère Suzon, que j’ai peur ! Moi, qui ne crains pas le tonnerre, je tâchais de rassurer la sœur, qui, pendant ce temps-là, me passait sa cuisse droite entre les miennes et sa gauche par dessous, et, dans cette posture, elle se frottait contre ma cuisse droite, en me mettant la langue dans la bouche et me donnant de petits coups sur la fesse avec la main. Après qu’elle se fut un peu remuée de cette façon-là, je crus sentir qu’elle me mouillait la cuisse. Elle poussait des soupirs : je m’imaginais que c’était la peur du tonnerre qui faisait cela. Je la plaignais ; mais bientôt elle reprit sa posture naturelle. Je croyais qu’elle allait s’endormir, et je me préparais à en faire autant, quand elle me dit : Tu dors donc, Suzon ? Je lui répondis que non, mais que j’allais bientôt le faire. — Tu veux donc, reprit-elle, me laisser mourir de frayeur ? Oui, je mourrai si tu te rendors ; donne-moi la main, ma chère petite : donne. Je me laissai prendre la main, qu’elle porta aussitôt à sa fente, en me disant de la chatouiller avec mon doigt dans le haut de cet endroit. Je le fis par amitié pour elle. J’attendais qu’elle me dît de finir, mais elle ne disait mot, écartait seulement les jambes et respirait un peu plus vite qu’à l’ordinaire, en jetant de temps en temps quelques soupirs et en remuant le derrière. Je crus qu’elle se trouvait mal, et je cessai de faire aller le doigt. — Ah ! Suzon, me dit-elle d’une voix entrecoupée, achève ! Je continuai. Ah ! s’écria-t-elle en s’agitant bien fort et en m’embrassant étroitement, dépêche, ma petite reine, dépêche ! Ah ! ah ! vite, ah !... je me meurs ! Au moment qu’elle disait cela, tout son corps se roidit et je me sentis de nouveau la main mouillée ; enfin, elle poussa un grand soupir et resta sans mouvement. Je t’assure, Saturnin, que j’étais bien étonnée de tout ce qu’elle me faisait faire. — Et tu n’étais pas émue ? lui dis-je. — Oh ! que si, me répondit-elle ; je voyais bien que tout ce que je venais de lui faire lui avait donné beaucoup de plaisir, et que si elle voulait m’en faire autant j’en aurais beaucoup aussi ; mais je n’osais le lui proposer. Elle m’avait cependant mise dans un état bien embarrassant. Je désirais et je n’osais lui dire ce que je désirais : je remettais avec plaisir la main sur sa fente ; je prenais la sienne, que je portais, que je faisais reposer sur différents endroits de mon corps, sans oser pourtant la mettre sur le seul où je sentais que j’en avais besoin. La sœur, qui savait aussi bien que moi ce que je lui demandais, et qui avait la malice de me laisser faire, eut à la fin pitié de mon embarras et me dit en m’embrassant : Je vois bien, petite coquine, ce que tu veux. Aussitôt elle se couche sur moi, je la reçois dans mes bras. — Ouvre un peu les cuisses, me dit-elle. Je lui obéis. Elle me coule le doigt où le mien venait de lui faire tant de plaisir : elle répétait elle-même les leçons qu’elle m’avait données. Je sentais le plaisir monter par degré et s’accroître à chaque coup de doigt qu’elle donnait. Je lui rendais en même temps le même service. Elle avait les mains jointes sous mes fesses ; elle m’avait avertie de remuer un peu le derrière, à mesure qu’elle pousserait. Ah ! qu’elle semait de délices dans ce charmant badinage ! Mais elles n’étaient que le prélude de celles qui devraient suivre. Le ravissement me fit perdre toute connaissance ; je demeurai pâmée dans les bras de ma chère Monique. Elle était dans le même état : nous étions immobiles. Je revins ensuite de mon extase. Je me trouvai aussi mouillée que la sœur, et ne sachant à quoi attribuer un pareil prodige, j’avais la simplicité de croire que c’était du sang que je venais de verser ; mais je n’en étais pas effrayée, au contraire ; il semblait que le prodige que je venais de goûter m’eût mise en fureur, tant je me sentais envie de recommencer. Je le dis à Monique ; elle me répondit qu’elle était lasse et qu’il fallait attendre un peu. Je n’en eus pas la patience et je me mis sur elle, comme elle venait de se mettre sur moi. J’entrelaçai mes cuisses dans ses cuisses, et me frottant comme elle l’avait fait, je retombais en extase. — Eh bien, me dit la sœur chargée des témoignages que je lui donnais du plaisir que je ressentais, es-tu fâchée, Suzon, que je sois venue dans ton lit ? Oui, je gage que tu me veux du mal d’être venue te réveiller. — Ah ! lui répondis-je, que vous savez bien le contraire ! Que pourrais-je vous donner pour une nuit aussi charmante ? — Petite coquine, reprit-elle en me baisant, va, je ne te demande rien : n’ai-je pas eu autant de plaisir que toi ? Ah ! que tu viens de m’en faire goûter ! Dis-moi, ma chère Suzon, poursuivit-elle, ne me cache rien : n’avais-tu jamais pensé à ce que nous venons de faire ? Je lui dis que non. Quoi ! reprit-elle, tu ne t’étais jamais mis le doigt dans ton petit conin ? Je l’interrompis pour lui demander ce qu’elle entendait par ce mot. Eh ! c’est cette fente, me répondit-elle, où nous venons de nous chatouiller. Quoi ! tu ne savais pas encore cela ? Ah ! Suzon, à ton âge, j’en savais plus que toi. — Vraiment, lui répondis-je, je n’avais garde de goûter de ce plaisir. Vous connaissez le père Jérôme, notre confesseur : c’est lui qui m’en a toujours empêchée. Il me fait trembler quand je me confesse ; il ne manque pas de me demander exactement si je ne fais pas d’impuretés avec mes compagnes, et il me défend surtout d’en faire sur moi-même. J’ai toujours eu la simplicité de l’en croire ; mais je sais à présent à quoi m’en tenir sur ses défenses. — Et comment, me dit Monique, t’explique-t-il ces impuretés qu’il te défend de faire sur toi même ? — Mais, lui répondis-je, il me dit, par exemple, que c’est quand on se met le doigt où vous savez, quand on se regarde les cuisses, la gorge. Il me demande si je ne me sers pas de miroir pour m’examiner autre chose que le visage. Il me fait mille autres questions semblables. — Ah ! le vieux coquin ! s’écria Monique ; je gage qu’il ne cesse de t’entretenir de cela. — Vous me faites, dis-je à la sœur, prendre garde à certaines actions qu’il fait pendant que je suis dans son confessionnal et que j’ai toujours prises sottement pour des marques d’amitié. Le vieux scélérat ! J’en connais à présent le motif. — Eh ! quelles actions donc ? me demanda vivement la sœur. — Ces actions, lui répondis-je, c’est de me baiser à la bouche, en me disant de m’approcher pour qu’il entende mieux, de me considérer attentivement la gorge pendant que je lui parle, de m’y mettre la main dessus, et de me défendre de la montrer, sous prétexte que c’est un acte de coquetterie ; et malgré ses sermons il ne tire pas sa main, qu’il avance de plus en plus sur mon sein, et pousse même quelquefois jusqu’à mes tétons. Quand il l’ôte, c’est pour la porter aussitôt sous sa robe, qu’il remue avec de petites secousses. Il me presse alors entre ses genoux ; il m’approche avec sa main gauche, il soupire, ses yeux s’égarent ; il me baise plus fort qu’à l’ordinaire, ses paroles sont sans suite ; il me dit des douceurs et me fait des remontrances en même temps. Je me souviens qu’un jour, en retirant la main de dessous sa robe pour me donner l’absolution, il me couvrit toute la gorge de quelque chose de chaud qui se répandit par petites gouttes. Je l’essuyai au plus vite avec mon mouchoir, dont je n’ai pas pu me servir depuis. Le père, tout interdit, me dit que c’était de la sueur qui coulait de ses doigts. Qu’en pensez-vous, ma chère Monique ? dis-je à la sœur. — Je te dirai tout à l’heure ce que c’était, me répondit-elle. Ah ! le vieux pécheur ! Mais sais-tu bien, Suzon, continua-t-elle, que tu viens de me conter ce qui m’est arrivé avec lui ? — Comment donc, lui dis-je, vous ferait-il aussi quelque chose à vous ? — Non, assurément, me répondit-elle, car je le hais à la mort, et je ne vais plus à lui depuis que je suis devenue plus savante. — Et comment avez-vous donc appris, lui demandais-je, à connaître ce qu’il vous faisait ? — Je consens à te le dire, me répondit la sœur ; mais sois discrète, car tu me perdrais, ma chère Suzon.

— Je ne sais. Saturnin, poursuivit ma sœur après un moment de silence, si je dois révéler tout ce qu’elle m’apprit. L’envie de savoir une histoire dont le prélude me charmait me fournit des expressions pour vaincre l’irrésolution de Suzon. Je mêlai les caresses aux assurances et je vins à bout de la persuader. C’est la sœur Monique qui va s’exprimer par la bouche de Suzon. Quelque emporté que doive paraître le caractère de cette sœur, je crains que mes expressions ne soient encore au-dessous de la réalité. Le peu de temps que j’ai passé avec elle m’en a fait concevoir une idée que je ne saurais rendre bien fidèlement. Voici comme s’explique cette héroïne :

Nous ne sommes pas maîtresses des mouvements de notre cœur. Séduites en naissant par l’attrait du plaisir, c’est à lui que nous en offrons le premier sentiment. Heureuses celles dont le tempérament ne s’effraye pas des conseils austères de la raison ! Elles y trouvent un secours contre le penchant de leur cœur. Mais doit-on leur envier leur bonheur ? Non. Qu’elles jouissent du fruit de leur sagesse : elles rachètent assez cher, puisqu’elles ne connaissent pas le plaisir. Eh ! qu’est-ce que cette sagesse, après tout, dont on nous étourdit les oreilles ? Une chimère, un mot consacré à exprimer la captivité où l’on retient notre sexe. Les éloges que l’on fait de cette vertu imaginaire sont pour nous ce qu’est pour un enfant un hochet qui l’amuse et l’empêche de crier. Des vieilles que l’âge a rendues insensibles au plaisir, ou plutôt que la retraite leur interdit, croient se dédommager de l’impuissance de le goûter par les portraits hideux qu’elles nous en font. Laissons-les dire, Suzon. Quand on est jeune, on ne doit avoir d’autre maître que son cœur : ce n’est que lui qu’il faut écouter, ce n’est qu’à ces conseils qu’il faut se rendre. Tu croiras facilement qu’ayant de pareilles inclinations, il ne fallait pas moins que la contrainte d’un cloître pour m’empêcher de m’y livrer ; mais c’est dans le lieu même où l’on voulait étouffer mes désirs que j’ai trouvé le moyen de les satisfaire.

Toute jeune que j’étais, quand ma mère, après la mort de son quatrième mari, vint demeurer dans ce couvent en qualité de dame pensionnaire, je ne laissai pas d’être effrayée de la résolution qu’elle avait prise. Sans pouvoir distinguer le motif de ma frayeur, je sentais qu’elle allait me rendre malheureuse. L’âge en me donnant des lumières, m’éclaira sur la cause de mon aversion pour le cloître. Je sentais qu’il me manquait quelque chose, la vue d’un homme. Du simple regret d’en être privée je passai bientôt à réfléchir sur ce qui pouvait me rendre cette privation si sensible. Qu’est ce donc qu’un homme ? disais je. Est-ce une espèce de créature différente de la notre ? Quelle est la cause des mouvements que sa vue excite dans mon cœur ? Est-ce un visage plus aimable qu’un autre ? Non ; le plus ou le moins de charmes que je trouve n’excite que plus ou moins d’émotion. L’agitation de mon cœur est indépendante de ces charmes puisque le père Jérôme lui même, tout désagréable qu’il est, m’émeut quand Je suis près de lui. Ce n’est donc que la seule qualité d’homme qui produit ce trouble ; mais pourquoi le produit-elle ? J’en sentais la raison dans mon cœur, mais je ne la connaissais pas ; elle faisait des efforts pour irriter les liens où mon ignorance la réduisait. Efforts inutiles ! Je n’acquérais de nouvelles connaissances que pour tomber dans de nouveaux embarras.

Quelquefois je m’enfermais dans ma chambre, je me livrais à des réflexions : elles me tenaient lieu de compagnie où je me plaisais le plus. Qu’y voyais-je dans ces compagnies ? Des femmes ; et quand j’étais seule, je ne pensais qu’aux hommes ; je sondais mon cœur, je lui demandais raison de ce qu’il sentait ; je me déshabillais toute nue ; je m’examinais avec un sentiment de volupté ; je portais des regards enflammés sur toutes les parties de mon corps ; je brûlais, j’écartais les cuisses, je soupirais ; mon imagination échauffée me présentait un homme, j’étendais les bras pour l’embrasser, mon conin était dévoré par un feu prodigieux : je n’avais jamais eu la hardiesse d’y porter le doigt. Toujours retenue par la crainte de m’y faire mal, j’y souffrais les plus vives démangeaisons sans oser les apaiser. Quelquefois j’étais prête à succomber ; mais, effrayée de mon dessein, j’y portais le bout du doigt, et je le retirais avec précipitation ; je me le couvrais avec le creux de la main, je le pressai. Enfin, je me livrai à la passion, j’enfonçai, je m’étourdis sur la douleur, pour n’être sensible qu’au plaisir ; il fut si grand que je crus que j’allais expirer. Je revins avec une nouvelle envie de recommencer, et je le fis autant de fois que mes forces me le permirent. J’étais enchantée de la découverte que je venais de faire : elle avait répandu la lumière dans mon esprit. Je jugeai que, puisque mon doigt venait de me procurer de si délicieux moments, il fallait que les hommes fissent avec nous ce que je venais de faire seule, et qu’ils eussent une espèce de doigt qui leur servît à mettre où j’avais mis le mien, car je ne doutais pas que ce ne fût là la véritable route du plaisir. Parvenue à ce degré de lumière, je me sentais agitée du désir violent de voir dans un homme l’original d’une chose dont la copie m’avait fait tant de plaisir.

Instruite par mes propres sentiments de ceux que la vue des femmes fait réciproquement naître dans le cœur des hommes, je joignis à mes charmes tous les petits agréments dont l’envie de plaire a inventé l’usage. Se pincer les lèvres avec grâce, sourire mystérieusement, jeter des regards curieux, modestes, amoureux, indifférents ; affecter de ranger, de déranger son fichu, pour faire fixer les yeux sur sa gorge ; en précipiter adroitement les mouvements, se baisser, se relever, je possédais ces petits talents dans le dernier degré de la coquetterie ; je m’y exerçais continuellement ; mais, ici, c’était les posséder en pure perte. Mon cœur soupirait après la présence de quelqu’un qui connût le prix de mon savoir et qui me fit connaître l’effet qu’il aurait produit sur lui.

Continuellement à la grille, j’attendais que mon bonheur m’envoyât ce que je souhaitais depuis longtemps inutilement : je me faisais l’amie de toutes les pensionnaires que les frères venaient voir. En demandait-on quelqu’une, je ne manquais pas de passer sans affectation devant le parloir : on m’appelait, j’y courais, et j’ose dire que ceux que j’y trouvais ne me voyaient pas impunément.

J’y examinais un jour un beau garçon dont les yeux noirs et vifs me rendaient avec usure mes regards. Un sentiment délicat et piquant, détaché même du plaisir ordinaire que la présence des hommes me procurait, fixait agréablement mon attention sur lui. L’opiniâtreté de mes regards qu’il avait d’abord reçus avec assez d’indifférence, anima les siens : il ne les détourna pas de dessus moi. Il n’était rien moins que timide, ou plutôt il était d’une hardiesse qui, soutenue des charmes de sa figure, lui répondait du succès avec toutes les femmes qu’il voulait attaquer. Il profitait des moments que sa sœur détournait la vue pour ma faire des signes auxquels je ne comprenais rien, mais que ma petite vanité voulait que je fisse semblant d’entendre, et que j’autorisais par des sourires qui l’enhardirent au point de lui faire faire des gestes que je compris parfaitement bien. Il porta la main entre ses cuisses : je rougis, et, malgré moi, j’en suivis du coin de l’œil le mouvement. Il la tira en faisant signe avec la main gauche, qu’il appuya au-dessus du poignet de la droite : il ne fallait pas être bien savante pour sentir qu’il voulait dire que ce qu’il venait de toucher était de cette longueur. Son action m’avait mise en feu. La pudeur voulait que je m’éloignasse, mais la pudeur fait une faible résistance quand le cœur est d’intelligence pour la trahir. L’amour me faisait rester. Je baissai timidement la vue, mais bientôt je portai sur Verland (c’était son nom) des yeux que je voulais faire paraître irrité ? et que le plaisir rendait languissants. Il le sentit ; il vit que je n’avais pas la force de le désapprouver ; il profita de ma faiblesse, et pour ne me rien laisser à désirer sur l’ardeur dont ses regards me témoignaient qu’ils étaient animés, il joignit le premier doigt de la main gauche avec le pouce, et mit dans cette espèce de fente le second doigt de sa main droite : il le poussait, le retirait et jetait des soupirs. Le fripon me rappelait par là des circonstances trop charmantes pour me laisser la force de lui témoigner la colère que méritait ce nouveau manque de respect. Ah ! Suzon, que j’étais contente de lui ! et que je me figurais que je l’aurais été bien davantage, si nous nous fussions trouvés seuls ; mais, quand nous l’aurions été, une grille impénétrable eût arrêté nos plaisirs.

Dans le moment on appela ma compagne ; elle nous dit qu’elle allait voir ce qu’on lui voulait et qu’elle ne tarderait pas à revenir. Son frère profita de cet instant pour s’expliquer plus clairement ; il ne me tint pas de grands discours, mais ils signifiaient beaucoup. Quoique le compliment ne fût pas absolument poli, il me parut si naturel que je m’en souviens avec plaisir. Nous autres femmes, nous sommes plus flattées d’un discours où la nature parle toute seule, quelque peu mesurées qu’en soient les expressions, que de ces galanteries fades que le cœur désavoue et que le vent emporte. Revenons au compliment de Verland ; le voici : « Nous n’avons pas de temps à perdre ; vous êtes charmante, je bande comme un carme, je meurs d’envie de vous le mettre ; enseignez-moi un moyen de passer dans votre couvent. » Je fus si étourdie de ses paroles et de l’action dont il les dit, que je demeurai immobile, de façon qu’il eut le temps de passer la main au travers de la grille, de me prendre les tétons, de me les manier, et de me dire encore d’autres douceurs de la même force avant que je fusse revenue de ma surprise ; et quand j’en revins, je me trouvai si peu en état d’arrêter ses transports, que sa sœur le surprit dans cette occupation ; elle fit le lutin, me dit des injures, en dit à son frère, et je ne le revis plus.

Tout le couvent sut bientôt mon aventure : on chuchotait, on me regardait, on riait, on parlait, on se raillait. Je m’en inquiétais fort peu, pourvu que le murmure ne passât pas les pensionnaires. J’étais sûre de la discrétion des jolies, mais je ne l’étais pas trop de celle des laides. Celles-ci, qui étaient sûres de n’avoir jamais de pareilles occasions de pécher, crièrent au scandale, bas d’abord, puis haut, et si haut que les vieilles le surent. J’en avais ri au commencement ; je tremblai alors, et j’avais bien raison de trembler, car les mères discrètes assemblèrent le conseil pour délibérer entre elles sur ce que l’on ferait à une effrontée qui se laissait toucher les tétons, crime irrémissible aux yeux d’une bande de vieilles momies qui n’avaient plus que des tétasses à jeter sur l’épaule. On trouva le cas grave : tout autre que moi eût été renvoyée. Que je l’aurais souhaité ! Mais je devais apporter une bonne dot. Ma mère les les avait assurées que je prendrais le voile : on me ménagea, et le résultat du conseil fut qu’on me châtierait. On se mit en devoir de le faire : je l’avais prévu. Je m’étais cantonnée dans ma chambre : on força ma porte, on m’attaqua. Je mordis l’une, j’égratignais l’autre, donnai des coups de pied, déchirai des guimpes, arrachai des bonnets ; enfin, je me défendis si bien que mes ennemies renoncèrent à leur entreprise. Elles n’emportèrent de leur action que la honte d’avoir fait voir que six mères n’avaient pu réduire une jeune fille : j’étais une lionne dans ce moment.

La rage et le soin de ma défense m’avaient jusqu’alors entièrement occupée. Je ne songeai qu’à donner le démenti aux vieilles, mais je devins bientôt aussi faible que j’étais hardie et vigoureuse auparavant. La colère fit place au désespoir. Moins flattée du plaisir de me voir en sûreté que pénétrée de l’affront qu’on avait voulu me faire, mon visage était baigné de larmes. Comment reparaître dans le couvent ? disais-je ; je vais être moquée : peu me plaindront, toutes me fuiront. Ah ! me voilà couverte de honte ! mais je veux aller trouver ma mère, poursuivis-je ; elle pourra me blâmer, mais peut-être me pardonnera-t-elle. Un garçon m’a... Eh bien, où est donc le grand crime ? Y ai-je consenti ? C’est ainsi que je raisonnais. Oui, continuai-je, je vais la trouver. Je me levai de dessus mon lit à ce dessein, et j’y aurais été, si, en faisant un pas pour ouvrir la porte, je n’eusse marché sur quelque chose qui roula et me fit tomber.

Je voulus voir ce qui pouvait m’avoir fait faire cette chute : je cherchai, je trouvai. Figure-toi ce que je devins à la vue d’une machine qui représentait au naturel une chose dont mon imagination m’avait souvent fait la peinture : un vit ! — Un vit ! eh ! qu’est-ce que cela ? demandai-je à la sœur. — Ah ! me dit-elle, il ne tiendra qu’à toi de ne pas rester longtemps dans cette ignorance. Jolie comme tu es, que d’aimables cavaliers se trouveront heureux de pouvoir t’instruire ! Mais ils n’en auront pas la gloire : c’est à moi qu’elle est réservée. Un vit, ma chère Suzon, est le membre d’un homme ; on l’appelle le membre par excellence, parce qu’il est le roi de tous les autres Ah ! qu’il mérite bien ce nom ! Mais si les femmes lui rendaient la justice qu’il mérite, elle l’appelleraient leur dieu, Oui, c’en est un ; le con est son domaine, le plaisir est son élément, il va le chercher dans les replis les plus cachés ; il pénètre, il s’y plonge, il le goûte, il le fait goûter ; il y naît, il y vit. il y meurt et renaît aussitôt pour le goûter encore. Mais ce n’est pas à lui seul qu’il doit tout son mérite. Soumis aux lois de l’imagination et de la vue, sans elles il ne peut rien ; il est mou, lâche, petit, et n’ose se montrer ; avec elles, fier, ardent, impétueux, il menace, s’élance, brise, renverse tout ce qui ose lui faire résistance. — Attendez, dis-je à la sœur en l’interrompant, vous oubliez que vous parlez à une novice ; mes idées se perdent dans votre éloge ; je sens que j’adorerai quelque jour ce dieu dont vous parlez ; mais il est encore étranger pour moi ; avant d’aimer il faut connaître ; proportionnez vos expressions à la faiblesse de mes connaissances ; expliquez-moi d’une manière simple tout ce que vous venez de me dire. — Je le veux bien, me répondit la sœur. Le vit est mou, lâche et petit quand il est dans l’inaction, c’est-à-dire quand les hommes ne sont pas excités ou par la vue d’une femme ou par les idées qui leur en viennent ; mais offrons-nous à leurs yeux, découvrons la gorge, laissons voir nos tétons, montrons-leur une taille fine, une jambe dégagée, — les grâces d’un joli visage ne sont pas toujours nécessaires, — un rien les frappe, leur imagination travaille ; elle s’exerce, elle pénètre toutes les parties de notre corps ; elle se fait les plus beaux portraits, donne de la fermeté à des tétons qui souvent n’en ont guère, se représente un sein appétissant, un ventre blanc et poli, des cuisses rondes et potelées, fermes, une petite motte rebondie, un petit conin entouré de tous les charmes de la jeunesse : ils pensent alors qu’ils goûteraient des délices inexprimables s’ils pouvaient y mettre leur vit. Dans ce moment le vit devient gros, s’allonge, se durcit ; plus il est gros, plus il est long, plus il est dur plus il fait de plaisir à une femme parce qu’il remplit davantage, frotte bien plus fort, entre bien plus avant, procure des délices, des élancements qui vous ravissent. — Ah ! dis-je à Monique, que ne vous dois-je pas ! Je sais à présent le moyen de plaire, et je ne manquerai pas, dans l’occasion, de me découvrir la gorge, de montrer mes tétons. — Prends-y garde ! me dit la sœur ; ce n’est pas le vrai moyen de plaire ; il faut plus d’art que tu ne penses. Les hommes sont bizarres dans leurs désirs ; ils seraient fâchés de devoir à notre facilité des plaisirs qu’ils ne peuvent pourtant pas goûter sans nous ; leur jalousie les indispose contre tout ce qui ne vient pas d’eux-mêmes ; ils veulent qu’on ne leur présente les objets que couvert d’une gaze légère, qui laisse quelque chose à faire à leur imagination, et les femmes n’y perdent rien : elles peuvent se reposer sur l’imagination des hommes du soin de peindre leurs charmes ; libérale pour ce qui la flatte, elle ne les peindra pas à leur désavantage. Tu ne sais pas que c’est cette peinture que les hommes se font qui fait naître leurs désirs ou l’amour, — c’est la même chose, — car quand on dit : Monsieur de.. est amoureux de madame..., c’est la même chose que si l’on disait : Monsieur de... a vu madame... ; sa vue a excité des désirs dans son cœur ; il brûle d’envie de lui mettre son vit dans le con. Voilà véritablement ce que cela veut dire ; mais comme la bienséance exige qu’on ne dise pas ces choses-là on est convenu de dire : Monsieur de... est amoureux.

Charmée de tout ce que le sœur me disait, je m’impatientais de ne pas savoir le reste de son histoire. Je la pressai de continuer, — Volontiers, me dit-elle ; nous nous sommes un peu arrêtées, mais ce détail était nécessaire pour ton instruction. Revenons à la surprise que me causa la vue de cette machine ingénieuse que je venais de ramasser.

J’avais mille fois ouï parler de godmiché : je savais que c’était avec cet instrument que nos bonnes mères se consolaient des rigueurs du célibat. Cette machine imite le vit ; elle est destinée à en faire les fonctions ; elle est creuse et s’emplit de lait chaud, pour rendre la ressemblance plus parfaite, et suppléer par ce lait artificiel à celui que la nature fait couler du membre d’un homme. Quand celles qui s’en servent se sont mises, par un frottement réitéré, dans la situation d’avoir quelque chose de plus, elles lâchent un petit ressort : le lait part et les inonde. Elles trompent ainsi leurs désirs par une imposture dont la douceur leur fait oublier celle de la réalité. Je jugeai que l’agitation avait fait tomber ce précieux bijou de la poche de quelqu’une des mères qui m’étaient venues attaquer. Je n’étais pourtant pas sûre que ce fût véritablement un godmiché ; mais mon cœur me le disait. Cette vue dissipa toute ma douleur : je ne pensai plus qu’à ce que je tenais dans ma main, et je voulus sur-le-champ en faire l’essai. Sa grosseur m’effrayait à la vérité, mais elle m’animait. Mes craintes cédèrent bientôt à l’ardeur que sa vue m’inspirait. Une douce chaleur, avant-coureur du plaisir que j’allai goûter se répandit par tout mon corps ; il tremblait de l’émotion où j’étais, et je poussais de longs soupirs.

Crainte de surprise, je commençai par fermer la porte ; et, sans quitter les yeux de dessus le godmiché, je me déshabillai avec toute l’ardeur d’une jeune mariée que l’on va mettre dans le lit nuptial. L’idée du secret qui devait ensevelir les plaisirs dont j’allais m’enivrer leur donnait une pointe de vivacité qui m’enchantait. Je me jetai sur mon lit, mon cher godmiché à la main ; mais, ma chère Suzon, quelle fut ma douleur quand je vis que je ne pouvais pas le faire entrer ! Je me désespérai, je fis des efforts capables de déchirer mon pauvre petit conin. Je rentr’ouvrais, et, appuyant le godmiché dessus, je me faisais un mal insupportable. Je ne me rebutais pas. Je crus que si je me frottais avec de la pommade, cela m’ouvrirait davantage. J’en mis ; j’étais en sang, et ce sang mêlé avec la pommade et ce que la fureur où j’étais faisait sortir de mon con avec un plaisir qui me transportait, aurait sans doute ouvert le passage, si l’instrument n’eût été d’une grosseur prodigieuse. Je voyais le plaisir près de moi, et je n’y pouvais atteindre. J’étais forcenée, je redoublais mes efforts, mais inutilement, le godmiché maudit rebondissait et ne me laissait que la douleur. Ah ! m’écriai-je, si Verland était ici, l’eût-il encore plus gros, je me sens assez de courage pour le souffrir. Oui, je le souffrirais, je le seconderais, dût-il me déchirer, dussé-je en mourir ; je mourrais contente, pourvu qu’il me le mît. S’il me faisait de la douleur, reprenais-je, que les plaisirs qu’il me donnerait rendraient cette douleur bien douce ! Je le tiendrais dans mes bras, je le serrais étroitement, il me serrait de même ; je collerais sur sa bouche vermeille des baisers enflammés ; je les prodiguerais sur ses yeux, ses beaux yeux noirs pleins de feux ; il me tiendrait dans ses bras ; quelle volupté ! Il répondrait à mes transports par des transports aussi vifs ; j’en ferais mon idole ! Oui, je l’adorerais : un beau garçon comme lui mérite de l’être. Nos âmes se confondraient ; elles s’uniraient sur nos lèvres brûlantes. Ah ! cher Verland, pourquoi n’es-tu pas ici ? Quelles délices ! L’amour en inventerait pour nous, je me livrerais à tout ce que la passion m’inspirerait. Mais, hélas ! reprenais-je, pourquoi m’abuser par une si douce illusion ? Je suis seule, hélas ! je suis seule, et, pour comble de douleur, je tiens dans mes mains une ombre, une apparence de plaisir, qui ne sert qu’à augmenter mon désespoir, qui m’inspire des désirs sans pouvoir les satisfaire. Instrument maudit, continuai-je, en apostrophant le godmiché et en le jetant au milieu de la chambre avec rage, va faire les délices d’une malheureuse à qui tu peux servir ; tu ne feras jamais les miennes : mon doigt vaut mille fois mieux que toi ! J’y eus aussitôt recours et me donnai tant de plaisir, que j’oubliai la perte ceux que je m’étais promis d’avoir avec le godmiché Je tombai épuisée de lassitude et m’endormis en pensant à Verland.

Je ne me réveillai le lendemain que fort tard ; le sommeil avait amorti mes transports amoureux ; mais n’avait rien changé à la résolution que j’avais prise de sortir du couvent. Les mêmes raisons qui m’avaient déterminée à prendre cette résolution me firent encore sentir avec plus de force la nécessité de l’exécuter. Je me regardai dès lors comme libre, et le premier usage que je fis de ma liberté fut de tranquilliser au lit jusqu’à dix heures. La cloche eut beau sonner, je ne parus pas. Je m’applaudissais du dépit que ma désobéissance devrait causer à nos vieilles. Je me levai à la fin, je m’habillai ; et pour me mettre dans l’obligation de suivre mon dessein, je commençai par déchirer mon voile de pensionnaire, que je regardais comme une marque de servitude. Je me sentis le cœur plus libre ’il me semblait que je venais de franchir une barrière qui jusque-là s’était opposée à ma liberté. Mais comme j’allais et je venais dans ma chambre, ce maudit godmiché se présente encore à mes yeux. Cette vue me rend immobile ; je m’arrête, je le prends ; je vais m’asseoir sur mon lit, je me mets à considérer l’instrument. Qu’il est beau ! disais-je en le prenant avec complaisance dans la main, qu’il est long, qu’il est doux ! C’est dommage qu’il soit si gros : à peine ma main peut-elle l’empoigner ! Mais il m’est inutile... Non, jamais il ne pourra me servir, continuai-je en levant ma jupe et en essayant de nouveau de le faire entrer dans un endroit qui me faisait encore une douleur cuisante des efforts que j’avais fait la veille. J’y trouvai les mêmes difficultés, et il fallut encore me contenter de mon doigt. Je travaillai avec tout le courage que la vue de l’instrument m’inspirait, et je poussai les chosesau point que les forces me manquèrent. Je demeurai insensible au plaisir même que je me donnais ; ma main n’allais plus que machinalement, et mon cœur ne sentait rien. Ce dégoût momentané me fit naître une idée qui me flatta beaucoup. Je vais sortir, me dis-je, je n’ai plus rien à ménager ; sortons avec éclat ; je veux porter cet instrument à la mère supérieure : nous verrons comment elle soutiendra cette vue.

Je jouissais d’avance, en allant à l’appartement de la supérieure, de la confusion que j’allais lui causer en lui montrant le godmiché. Je la trouvai seule ; je l’abordai d’un air libre. — Je sais bien, madame, lui dis-je, qu’après ce qui s’est passé hier et l’affront que vous avez voulu me faire, je ne peux plus rester avec honneur dans votre couvent. (Elle me regardait avec surprise et sans me répondre, ce qui me donna la liberté de continuer.) Mais, madame, sans en venir à de pareilles extrémités, si j’avais fait une faute, et c’est de quoi je ne conviens pas, puisque la violence que l’indigne Verland me faisait m’ôtait la liberté de me défendre, vous auriez pu vous contenter de me faire une réprimande ; quoique je ne l’eusse pas méritée, je l’aurais soufferte et je me serais bornée à gémir sans me plaindre, puisque les apparences parlaient contre moi. — Une réprimande, mademoiselle, me répondit-elle alors sèchement, une réprimande pour une action comme la vôtre ! Vous méritez une punition exemplaire, et sans les égards que nous avons pour madame votre mère, qui est une sainte dame, vous... — Vous ne punissez pas toutes les coupables, interrompis-je vivement, et vous en avez dans le couvent qui font bien autre chose ! — Bien autre chose ? reprit-elle ; nommez-les moi, je châtierai. — Je ne vous les nommerai pas, lui répondis-je, mais je sais qu’il y en avait une parmi celles qui m’ont traitée hier avec tant d’indignité. — Ah ! s’écria-t-elle, c’est pousser trop loin l’effronterie ! c’est pousser la corruption du cœur et le dérèglement de l’esprit jusqu’où ils peuvent aller ! Juste ciel ; joindre la calomnie aux actions les plus criminelles, accuser les plus saintes de nos mères, des exemples de vertu, de chasteté et de pénitence, quelle dépravation du cœur ! Je lui laissai tranquillement achever son éloge, et quand je vis qu’elle s’arrêtait, je tirai froidement le godmiché de ma poche, et le lui présentant : Voilà, lui dis-je du même air, une preuve de leur sainteté, de leur vertu, de leur chasteté, ou du moins de l’une d’elles ! J’examinais pendant ce temps-là le visage de notre bonne supérieure. Elle me regardait, rougissait, était interdite : ces témoignages involontaires ne me laissèrent pas douter que le godmiché ne fût à elle ; j’en fus encore plus convaincue par son ardeur à me le retirer des mains. — Ah ! ma chère enfant, dit-elle (la restitution que je venais de lui faire m’avait réconciliée avec elle), ah ! ma chère fille, se peut-il que dans une maison où il y a tant d’exemples d’édification, il se trouve des âmes assez abandonnées de Dieu pour faire usage d’une pareille infamie ? Ah ! mon Dieu ! j’en suis toute hors de moi. Mais, ma chère fille, ne dites jamais que vous avez trouvé cela : je serais forcée d’user de sévérité, de faire des recherches, et je veux prendre le parti de la douceur. Mais vous, ma chère enfant, pourquoi voulez-vous nous quitter ? Allez, retournez-vous en dans votre chambre, je raccommoderai tout : je dirai qu’on s’est trompé. Comptez sur mon affection, car je vous aime beaucoup. Soyez sûre qu’on ne vous verra pas de plus mauvais œil, malgré ce qui s’est passé. Je vois bien qu’effectivement nous avons eu tort de vous traiter comme cela : vous n’étiez pas coupable. Je parlerai sur le bon ton à Mlle Verland. Jésus, mon Dieu, continua-t-elle en regardant le godmiché, que le démon est malin. Je crois, le ciel me pardonne, que c’est un... Ah ! la vilaine chose !

Au moment où la supérieure achevait ces mots, ma mère entra. — Qu’ai-je donc appris, madame ? dit-elle à la supérieure ? et sur-le-champ m’adressant la parole : Et vous, mademoiselle, pourquoi vous trouvez-vous ici ? Il fallait répondre ; j’étais déconcertée, je rougissais, je baissai les yeux ; on me pressa, je bégayai. La supérieure parla pour moi ; elle le fit avec esprit. Si elle ne me donna pas tout à fait le tort dans la conduite qu’on avait tenue avec moi, elle ne me chargea pas assez pour faire croire que je fusse bien coupable. Ma faute passa pour une imprudence où le cœur n’avait eu aucune part, pour une violence de la part d’un jeune téméraire que l’on promit bien de ne plus laisser revenir à la grille, et on conclut qu’il n’y avait que mademoiselle Verland de criminelle, puisque c’était elle qui avait fait éclater une chose qu’elle devait taire si ce n’était pour l’honneur de son frère, du moins pour le mien, qui pourtant n’en souffrirai point, parce que, dit la supérieure, elle voulait réparer l’insulte qu’on m’avait faite. Je n’en pouvais pas souhaiter davantage. Je sortis blanche comme neige d’une aventure où. sans me faire injure, on pouvait mettre le tort de mon côté ; mais je n’avais garde d’en tomber d’accord. Ma mère me plaignit et me parla avec une douceur qui me toucha.

Les âmes zélées pour la gloire de Dieu savent tirer parti de tout. Il fut arrêté entre la supérieure et ma mère qu’ayant eu le malheur de scandaliser, quoique involontairement, le prochain, il fallait me réconcilier avec le Père des miséricordes et m’approcher du sacrement de la pénitence. On me tit là-dessus bien des exhortations que je passe, pour ne pas t’ennuyer.

Ma mère m’avait presque convertie avec ses sermons. Cependant la peine que je sentais à avouer mes fautes aurait dû me faire douter de ma conversion, et le père Jérôme m’en arrachait l’aveu plutôt que je ne lui faisais. Dieu sait quel plaisir il avait, ce vieux pécheur ! Je ne lui en avais jamais tant dit ; encore ne sut-il pas tout ; car je ne crois pas que Dieu puisse faire grand crime à une pauvre fille de chercher à se soulager quand elle est pressée. Elle ne s’est pas faite elle-même ; est-ce sa faute si elle a des désirs, si elle est amoureuse ? Est-ce sa faute si elle n’a pas de mari pour la contenter ? Elle cherche à apaiser ces désirs qui la dévorent, ce feu qui la brûle ; elle se sert des moyens que la nature lui donne : rien de moins criminel.

Malgré les petits mystères que j’avais faits au père Jérôme, je ne laissais pas d’être pénétrée. Était-ce repentir ? Non. La véritable cause était le refus que le père m’avait fait de me donner l’absolution. Je craignis qu’il ne fournît une nouvelle matière à la médisance ; j’en étais touchée jusqu’aux larmes. Je craignais qu’en allant offrir ma confusion aux yeux de mes ennemies, je ne leur donnasse un nouveau sujet de triompher. J’allai me placer sur un prie-Dieu, vis-à-vis de l’autel : mes pleurs m’assoupirent, je m’endormis. J’eus pendant mon sommeil le rêve le plus charmant ; je songeais que j’étais avec Verland, qu’il me tenait dans ses bras, qu’il me pressait avec ses cuisses. J’écartais les miennes et me prêtais à tous ses mouvements. Il me maniait les tétons avec transport, les serrait, les baisait. L’excès du plaisir me réveilla. J’étais réellement dans les bras d’un homme. Encore toute occupée des délices de mon songe, je crus que mon bonheur changeait l’illusion en réalité. Je crus être avec mon amant : ce n’était pas lui ! On me tenait étroitement embrassée par derrière. Au moment que j’ouvris les yeux, je les refermai de plaisir et n’eus pas la force de regarder celui qui me le donnait. Je me sentis inondée d’une liqueur chaude, et quelque chose de dur et de brûlant que l’on m’enfonçait en jetant des soupirs. Je soupirais aussi, et dans le moment une liqueur semblable que je sentais s’échapper de toutes les parties de mon corps, avec des élancements délicieux, se mêlant avec celle que l’on répandait une seconde fois, me fit retomber sans mouvement sur mon prie-Dieu.

Ce plaisir qui, s’il durait toujours, serait plus piquant mille fois que celui qu’on goûte dans le ciel, hélas ! ce plaisir finit trop tôt. Je fus saisie de frayeur en pensant que j’étais seule pendant la nuit dans le fond d’une église : avec qui ? Je ne le savais pas ; je n’osais m’en éclaircir, je n’osais remuer ; je fermais les yeux, je tremblais. Mon tremblement augmenta encore quand je sentis qu’on pressait ma main, qu’on la baisait. Le saisissement m’empêcha de la retirer, je n’en avais pas la hardiesse ; mais je me rassurai un peu en entendant dire à mes oreilles, d’une voix basse : Ne craignez rien ; c’est moi ! Cette voix, que je me souvenais confusément d’avoir entendue, me rendit le courage, et j’eus la force de demander qui c’était, sans avoir celle de regarder. — Eh ! c’est Martin, me répondit-on, le valet du père Jérôme. Cette déclaration dissipa ma frayeur. Je levai les yeux, je le reconnus. Martin était un blond, éveillé, joli, amoureux. Ah ! qu’il l’était ! Il tremblait à son tour, et attendait ma réponse pour fuir ou me baiser encore. Je ne lui en fis pas, mais je le regardai d’un air riant, avec des yeux qui se ressentaient encore du plaisir que je venais de goûter. Il vit bien que ce n’était pas un signe de colère ; il se jeta dans mes bras avec passion ; je le reçus de même, et sans penser que si quelqu’un s’apercevait que je manquais dans le couvent on pourrait venir et nous trouver ensemble... Te le dirais-je ? L’amour rend tout excusable. Sans respect pour l’autel, sur les marches duquel nous étions, Martin me pencha un peu, leva mes jupes, porta sa main partout ; aussi passionnée que lui, je portai la mienne à son vit ; j’eus pour la première lois de ma vie le plaisird’en manier un ! Ah ! que le sien était joli ! petit, mais long, tel qu’il me le fallait. Quel feu ! Quelle démangeaison voluptueuse se glissa d’abord par tout mon corps ! J’étais muette, je serrais ce cher vit dans ma main, je le considérais, je le caressais, l’approchais de mon sein, le portais à ma bouche, le suçais ; je l’aurais avalé ! Martin avait le doigt dans mon con, le remuait doucement, le retirait, le remettait et renouvelait ainsi mes plaisirs à chaque instant, il me baisait, me suçait le ventre, la motte et les cuisses ; il les quittait pour porter des lèvres brûlantes sur ma gorge. En un moment je fus couverte de ses baisers. Je ne pus pas tenir contre ces attaques de plaisir. Je me laissais tomber, l’attirant doucement à moi avec mon bras droit, dont je le serrais amoureusement ; je le baisais à la bouche, tandis que de la main gauche, tenant l’objet de tous mes vœux, je tâchais de me l’introduire et de me procurer un plaisir plus solide. Un égal transport le fit coucher sur moi : il se mit à pousser. — Arrête, lui dis-je d’une voix entrecoupée par mes soupirs, arrête, mon cher Martin ; ne va pas si vite, restons un moment. Aussitôt, me coulant sous lui et écartant les cuisses, je joignis mes jambes sur ses reins. Mes cuisses étaient collées contre ses cuisses, son ventre contre mon ventre, son sein contre mon sein, sa bouche sur ma bouche : nos langues étaient unies, nos soupirs se confondaient. Ah ! Suzon, quelle charmante posture ! Je ne pensais à rien au monde, pas même au plaisir que j’avais, n’étant occupée qu’à le sentir. L’impatience m’empêcha de le goûter plus longtemps. Je fis un mouvement, Martin en fit autant, et notre bonheur s’évanouit ; mais avant de le perdre, nous sentîmes combien il était grand : il semblait qu’il eût ramassé ses traits les plus vifs et les plus ravissants pour nous en accabler. Nous restâmes sans sentiment, n’ouvrant les yeux que pour nous presser de nouveau ; le plaisir se refusait à nos efforts.

Il est temps, poursuivit Monique, de t’apprendre, Suzon, ce que c’était que cette eau bénite dont le père Jérôme t’arrosa un jour la gorge en te donnant l’absolution.

Ma première action, quand Martin fut retiré de mes bras, fut de porter la main où j’avais reçu les plus grands coups. Le dedans, le dehors, tout était couvert de cette liqueur dont l’effusion m’avait fait tant de plaisir ; mais elle avait perdu toute sa chaleur et était froide alors comme de la glace. C’était du foutre. On appelle ainsi une matière blanche et épaisse qui sort du vit ou du con quand on décharge. La décharge est l’action qui suit ce frottement voluptueux par où l’on prélude. — Comment, dis-je à Monique, c’en était donc que vous répandiez tout à l’heure ? — Oui, vraiment, me dit-elle, et tu m’en as donné aussi, petite friponne ! N’as-tu pas senti ton petit conin tout mouillé ? C’en était.

Mais, ma chère petite, le plaisir que tu as goûté est bien au-dessous de celui qu’on goûte avec un homme ; car ce qu’il nous donne se mêlant avec ce que nous lui donnons, y rentre, nous pénètre, nous enflamme, nous rafraîchit, nous brûle. Quelles délices, Suzon ! Ah ! ma chère Suzon, elles sont inexprimables ; mais écoute le reste de mon aventure, poursuivit-elle.

J’étais bien chiffonnée, comme tu peux croire, après l’exercice amoureux que je venais de faire ; je me remis le mieux qu’il me fut possible, et demandai à Martin quelle heure il était. — Oh ! il n’est pas tard, me répondit-il : je viens d’entendre la cloche du souper, — Je me passerai bien d’y aller, repris-je ; je vais vite me coucher ; mais avant que je te quitte, apprends-moi, mon cher Martin, par quel hasard tu t’es trouvé ici, et comment as-tu osé venir ?... — Oh ! pardi ! ce n’est pas la hardiesse qui me manque. V’ià comme c’a été : j’étais venu pour parer l’église, car, comme vous savez, c’est demain bonne fête ; je vous ai aperçue. M’est avis, ai-je dit à part moi en vous reluquant, que voilà une demoiselle qui prie bian le bon Dieu ! Pardi ! ce me suis-je fait, il faut qu’aile ait bien la rage de la dévotion pour s’en venir à c’t’heure-ci dans l’église, pendant que tretoutes prennent leurs becquées ! mais ne dormirait-elle pas aussi ?’ ce me suis-je dit, voyant que vous ne bronchiez ni pied ni patte. Pardi ! je le croirais bian, Voyons un peu ça. Je me suis cependant approché tout fin près de vous, et j’ai vu que vous dormiais. Je sis resté là un petit bout de temps à vous lorgner, et pendant ce temps-là, mon cœur faisait tic toc, tic toc. Le guiable est bian fin ; Martin, m’a t-il corné aux oreilles, aile est bian jolie au moins : v’ià un biau coup à faire, mon enfant ; si tu laisses échapper c’t’occasion-là, tu ne la retrouveras pas ? avise-toi, Martin. Pardi ! je me sis avisé tout de suite. J’ai levé tout doucement votre collerette, et ai vu deux petits tétons bian blancs. Pardi ! j’ai mis la main dessus, et pis je les ai baisés aussi tout doucement ; et pis, voyant que vous dormiais comme un sabot, j’ai eu envie de faire autre chose, et c’t’autre chose-là, je l’ai faite en vous troussant bravement vot’ cotillon par derrière ; et pis j’ai poussé ; et pis, dame, vous savez le reste.

Malgré son langage grossier, l’air d’ingénuité avec lequel Martin s’expliquait me charmait. — Eh bien, lui dis-je, mon cher ami, as-tu bien eu du plaisir ? — Oh ! pardi ! me répondit-il en m’embrassant, j’en ai tant eu que j’sis prêt à recommencer, si vous voulez. — Non, pas pour le présent, lui dis-je ; peut-être s’apercevrait-on de quelque chose ; mais tu as la clef de l’église ; situ veux venir demain à minuit, tiens la porte ouverte, je viendrais te trouver ; entends-tu Martin ? — Oh ! morgue ! me répondit-il ; c’est bian dit ; nous nous en donnerons à cœur-joie ; nous n’aurons pas d’espions à c’t’heure-là. Je l’assurai que je m’y trouverais. La réflexion me fit résister a mon envie et aux prières de Martin, qui voulait que nous fissions cela encore une petite fois, disait-il, avant de nous quitter. Mon refus l’aurait plongé dans la tristesse si je ne l’eusse consolé par l’espérance du lendemain. Nous nous embrassâmes, je rentrai dans le couvent et regagnai heureusement ma chambre sans avoir été aperçue.

Tu devineras facilement que je mourais d’impatience de me visiter et de savoir en quel état j’étais après les assauts que je venais d’essuyer. Je sentais une vive cuisson ; à peine pouvais-je marcher. J’avais pris une lumière au dortoir ; je tirai bien mes rideaux pour n’être vue de personne, et m’étant assise sur ma chaise, une jambe sur mon lit et l’autre sur le plancher, je fis mon examen. Quelle fut ma surprise lorsque je trouvai que mes lèvres, qui auparavant étaient si fermes et si rebondies, étaient devenues toutes molles et comme flétries ! Les poils qui les couvraient, quoiqu’ils se ressentissent encore de l’humidité, formaient d’espace en espace, mille petites boucles. L’intérieur était d’un rouge vif, enflammé et d’une extrême sensibilité. La démangeaison m’y faisait porter le doigt, et sur-le-champ la douleur me forçait de le retirer. Je me frottais contre les bras de mon fauteuil et les couvrai des marques de la vigueur de Martin. Le plaisir combattait contre la fatigue ; mais mes yeux s’appesantissaient insensiblement. Je me couchai et dormis d’un sommeil qui ne fut interrompu que par d’agréables songes qui me rappelaient les délices que j’avais goûtées.

On ne me dit rien le lendemain sur mon absence ; on la regarda comme un reste de ressentiment que je devais avoir du traitement que l’on m’avait fait. Mon air fier confirma cette pensée. J’assistai comme les autres à l’office ; toutes mes compagnes communiaient, moi je ne communiai pas ; et à te dire vrai, je m’étais mise au-dessus de la honte de ne pas suivre leur exemple. L’amour dissipe les préjugés. La présence de mon amant, que je voyais rôder dans l’église, me dédommageait assez. Plus d’une parmi mes compagnes aurait bien quitté au même prix la nourriture spirituelle.

Je jetais sur mon amant plus de regards amoureux que je n’en jetais de dévotion sur l’autel. Aux yeux d’une femme du monde, Martin n’aurait été qu’un polisson ; aux miens c’était l’amour même : il en avait la jeunesse, il en avait les grâces. Son mérite caché me faisait passer légèrement sur sa négligence extérieure. Je m’aperçus pourtant qu’il s’était accommodé ce jour-là et qu’il tâchait de se donner meilleur air qu’à l’ordinale. Je lui su bon gré de son intention, que j’attribuais plutôt à l’envie de me plaire qu’au mérite de la fête qu’on célébrait. Rien n’échappe aux yeux d’une amante. Je le voyais regarder les pensionnaires pour tâcher de me découvrir. Je ne voulais pas qu’il me reconnût ; j’avais soin de me cacher ; mais j’aurais été fâchée qu’il n’eût pas pris cette peine inutile. Que veux-tu, j’en étais amoureuse à la rage. J’attendais avec impatience la nuit pour lui tenir la parole que je lui avais donnée.

Elle vint enfin, cette nuit si ardemment souhaitée. Minuit sonna. Ah ! que je fus alors troublée ! Je ne traversai le corridor qu’en tremblant, et quoique tout le monde fût endormi, je croyais les yeux de tout le monde ouverts sur moi. Je n’avais, pour me conduire, d’autre lumière que celle de mon amour. Ah ! disais-je en marchant à tâtons dans l’obscurité, si Martin m’avait manqué de parole, j’en mourrais de douleur ! Il était au rendez-vous, aussi amoureux, aussi impatient que j’avais été ponctuelle. J’étais vêtue fort légèrement ; il faisait chaud, et je m’étais aperçue la veille que les jupes, les corps, les mouchoirs de gorge, tout cela était trop embarrassant. Sitôt que je sentis la porte ouverte, un tressaillement de joie me coupa la parole. Je ne la recouvrai que pour appeler mon cher Martin à voix basse : il m’attendait ; il accourut dans mes bras, me baisa ; je lui rendis caresse pour caresse. Nous nous tînmes longtemps étroitement serrés. Revenus des premiers mouvements de notre joie, nous cherchâmes réciproquement à en exciter de plus grands. Je portai la main à la source de mes plaisirs ; il porta la sienne où je l’attendais avec impatience. Il fut bientôt en état delà contenter. Il se déshabilla, me fit un lit de ses habits : je me couchai dessus. Nos plaisirs se succédèrent pendant deux heures avec rapidité et des mouvements de vivacité qui ne laissaient pas le temps de les désirer ; nous nous y livrions comme si nous ne les eussions pas encore goûtés ou que nous ne dussions plus les goûter. Dans le feu du plaisir on ne songe guère à ménager les moyens de l’entretenir. L’ardeur de Martin ne répondait plus à la mienne ; il fallut s’arracher de ses bras et se retirer.

Notre bonheur ne dura guère plus d’un mois, €t j’y comprends le temps que la nécessité faisait donner au repos. Quoiqu’il ne fut pas rempli par ie plaisir de voir mon amant, il l’était par celui de penser à lui et par les agréables idées qui disposaient mon cœur aux délices que sa présence ramenait. Ah ! que les nuits heureuses, que j’ai passées dans ses bras ont coulé rapidement, et que les suivantes ont été longues !

Redouble ton attention, ma chère Suzon, renouvelle-moi tes promesses de m’être toujours fidèle et de ne jamais révéler un secret que je n’ai confié qu’à toi. Ah ! Suzon, qu’il est dangereux d’écouter un penchant trop flatteur et de s’y livrer sans réflexion ! Si les plaisirs que j’avais goûtés étaient délicieux, l’inquiétude qui les suivit me les fit payer bien cher. Que je me repentis d’avoir été trop amoureuse ! Les suites de ma faiblesse se présentèrent à mon imagination avec ces circonstances affreuses. Je pleurai, je gémis. — Que vous arriva-t-il donc ? lui demandai-je. — Je m’aperçus, me dit-elle, que mes règles ne coulaient plus ; huit jours s’étaient passés sans les avoir ; je fus surprise de leur interruption, ayant souvent entendu dire que c’était un signe de grossesse. J’étais souvent attaquée de maux de cœur, de faiblesses. Ah ! m’écriai-je, il n’est que trop vrai, malheureuse ! hélas ! je le suis, il n’en faut plus douter, je suis grosse ! Un torrent de larmes succédait à ces accablantes réflexions. — Vous étiez grosse ? dis-je à la sœur avec étonnement. Ah ! ma chère Monique, comment avez-vous fait pour en dérober la connaissance à des yeux intéressés ? — Je n’eus, me répondit-elle, que la douleur de savoir mon malheur, et non celle d’en essuyer les suites. Martin l’avait causé, il m’en délivra. Ma grossesse ne m’empêchait pas de me rendre toujours à nos rendez-vous ; j’étais inquiète, j’étais tremblante, mais j’étais encore plus amoureuse. Le poids victorieux du plaisir m’entraînait. Qu’en pouvait-il arriver davantage ? Mon malheur était à son comble. Ce qui me l’avait causé devait servir du moins à m’en consoler.

Une nuit, après avoir reçu de Martin ces témoignages d’un amour ordinaire qui ne se ralentissait pas, il s’aperçut que je soupirais tristement ; que ma main, qu’il tenait dans la sienne, était tremblante (quand ma passion était satisfaite, l’inquiétude reprenait dans mon cœur la place que l’amour y occupait un moment avant) ; il me demanda avec empressement la cause de mon agitation, et se plaignit tendrement du mystère que je lui faisais de mes peines. — Ah ! Martin, lui dis-je, mon cher Martin, tu m’as perdue ! Ne dis pas que mon amour pour toi n’est plus le même, j’en porte dans mon sein une preuve qui me désespère : je suis grosse ! une pareille nouvelle le surprit. L’étonnement fit place à une profonde rêverie ; je ne savais qu’en penser, Martin était toute mon espérance dans cette circonstance cruelle ; il balançait : que devais-je croire ? Peut-être, disais-je, abattue par son silence, peut-être médite-t-il sa fuite. Il va m’abandonner à mon désespoir. Ah ! qu’il reste ! j’aime mieux perdre la vie en l’aimant que mourir faute de le haïr ! Je versais des larmes, il s’en aperçut. Aussi tendre, aussi fidèle que je craignais de le voir perfide, tandis que je le croyais occupé du soin de se dérober à mon amour, il ne l’était que de celui de tarir mes pleurs en me délivrant de leur cause. Il m’annonça, en m’embrassant avec tendresse, qu’il en avait trouvé le moyen. La joie que me causa cette promesse n’égala pas celle de m’être trompée dans mes soupçons : il me rendait la vie. Charmée des assurances qu’il me donnait, je fus curieuse de savoir quel était ce moyen qu’il prétendait employer pour me délivrer de mon fardeau. Il me dit qu’il voulait me donner d’une boisson qui était dans le cabinet de son maître, et dont la mère Angélique avait fait l’expérience avant moi. Je voulus savoir ce que le père Jérôme pouvait avoir de particulier avec cette mère. Je la haïssais mortellement, parce qu’elle avait paru une des plus animées contre moi le jour de l’aventure de la grille. Je l’avais toujours prise pour une vestale ; que je me trompais ! D’autant plus sévère qu’elle savait mieux déguiser son caractère vicieux, qu’elle voilait sous les apparences de la vertu ses inclinations corrompues, elle était en intrigue réglée avec le père Jérôme. Martin m’en apprit toutes les circonstances. Il me dit qu’en furetant dans les papiers de son maître, il avait trouvé une lettre où elle lui marquait qu’elle se trouvait, pour l’avoir trop écouté, dans le même embarras où je me trouvais pour avoir trop écouté Martin !que le père lui avait envoyé une petite fiole de cette liqueur dont je devais user ; que la mère, en recevant le présent, avait paru être transportée de joie, et qu’il avait trouvé une seconde lettre par laquelle elle marquait à son vieil amant que la liqueur avait fait merveille ; qu’on n’avait plus aucune incommodité, et qu’on était prête à recommencer. — Ah ! mon cher ami, dis-je à Martin, apporte-moi dès demain de cette liqueur : tu me tireras de toutes mes peines ! Et, portant mes vues plus loin, je crus que par le moyen de ces lettres je pourrais servir ma vengeance et ma haine contre la mère Angélique ; je les demandai à Martin, qui, ne sentant pas combien cette imprudence nous coûterait cher, crut me marquer son amour en me les apportant le lendemain avec ce qu’il m’avait promis.

J’avais fait réflexion que la lumière pourrait me trahir, si on en apercevait dans ma chambre à pareille heure. Je modérai l’impatience où j’étais de lire les lettres de la mère : j’attendis que le jour parût ; il vint : je lus ; elles étaient écrites d’un style passionné, et aussi peu mesuré que la figure et les manières de celle qui les avait écrites l’étaient beaucoup. Elle y peignait sa fureur amoureuse avec des traits, des expressions dont je ne l’aurais jamais crue capable ; enfin, elle ne se gênait pas, parce qu’elle comptait que le père Jérôme aurait la précaution, comme elle le lui marquait, de brûler les lettres. Il avait eu l’imprudence de n’en rien faire, et je triomphais. Je songeai longtemps de quelle manière je devais me servir de ces lettres pour perdre mon ennemie. Les rendre moi-même à la supérieure, c’eût été une démarche trop dangereuse pour moi : il aurait fallu rendre compte de la façon dont je les avais eues ; les faire rendre par quelqu’un, c’aurait été l’exposer à des questions dont il ne serait peut-être pas sorti à son honneur et qui auraient pu entraîner ma perte. Je choisis une autre parti : ce fut de les porter moi-même à la porte de la supérieure, au moment où je saurais qu’elle devait rentrer. Je m’arrêtai à cette idée. Imprudente que j’étais ! J’aurais dû brûler ces lettres. Que de chagrins je m’apprêtais ! je m’enlevais mon amant ! Cette réflexion, si elle me fût venue, aurait éteint mon ressentiment. Quelque douceur que la vengeance me présentât, eût-elle un moment balancé la douleur de perdre Martin ? Non ; il m’était mille fois plus précieux que ce qui me flattait le plus dans ce moment. Je ne remis l’exécution de mon projet que jusqu’au temps où je serais hors de danger : je le fus bientôt. J’avais demandé à Martin une trêve de huit jours ; elle n’était pas encore expirée. Je crus pouvoir exécuter alors le dessein que j’avais formé : il eut tout l’effet que j’en pouvais attendre. La supérieure trouva les lettres, fit venir la mère Angélique et la convainquit. Peut-être la réflexion eût-elle obtenu sa grâce, si un crime plus grand, et que les femmes ne pardonnent jamais, la rivalité, n’eût rendu sa punition nécessaire pour le repos de la supérieure ; car, quoiqu’elle ne manquât pas, comme je te l’ai dit, de ces secours capables d’émousser la pointe des aiguillons de la chair, il est bien difficile, quand on a grand appétit, de s’en tenir à cette nourriture artificielle qui charme la faim sans la calmer.

Un godmiché n’est qu’un secret pour endormir le tempérament ; son sommeil n’est pas de longue durée ; il se réveille, et, furieux de la tromperie qu’on lui a faite, il ne s’apaise que par la réalité.

La supérieure était dans ce cas. Une fille qui a acquis quelques connaissances dans les mystères de l’amour voit clair dans une injure. Si les objets lui manquent, l’imagination y supplée ; elle s’aigrit des difficultés qu’on lui oppose, et va quelquefois plus loin que la réalité ; mais avec un homme, une femme du caractère de la supérieure, de celui du père Jérôme, je craignais moins d’en trop penser que de n’en pas penser assez. Leur liaison ne me laissait pas douter que le directeur ne partageât secrètement ses consolations spirituelles entre elle et la mère Angélique. Le prompt châtiment de celle-ci confirma mes soupçons ; elle expia dans une chambre obscure le crime de m’avoir déplu et d’avoir enlevé à la supérieure le cœur d’un amant confirmé dans ses bonnes grâces.

Je me repentis bientôt de ma sottise ; je m’étais toujours flattée que l’orage ne tomberait que sur la mère Angélique : il alla plus loin. Le père, outré de se voir enlever sa maîtresse, soupçonna Martin de la cause de son malheur : il le sacrifia à son ressentiment en le chassant ; je ne l’ai plus revu depuis.

Voilà mon histoire, ma chère Suzon, poursuivit la sœur Monique ; je ne te recommande pas le secret ; tu es intéressée à le garder ; te voilà associée à mes plaisirs ! Hélas ! je n’ai presque pas joui depuis que j’ai perdu mon amant. Que n’est-il ici, continuait-elle en me baisant, je le mangerais de caresses !

Le souvenir de Martin l’animait : ses discours avaient produit sur moi le même effet. Nous nous trouvâmes, sans y penser, disposées à ne pas attendre au lendemain pour célébrer la perte de ce cher amant. Je rappelais à Monique les plaisirs qu’elle avait autrefois goûtés avec lui. Trompée par mes caresses, elle oubliait que je n’étais qu’une fille, me prodiguait les mêmes noms qu’elle lui prodiguait dans ses transports. J’étais son ange, son dieu ! Je n’avais pas encore l’idée d’un bien plus grand plaisir que celui dont je jouissais : Monique, dans mes bras, comblait tous mes désirs. L’imagination va toujours plus loin que ce que l’on possède. Monique songeant au plaisir que lui avait causé le frottement du poil de Martin, quand elle le sentit contre ses fesses la nuit de l’aventure du prie-Dieu, m’en promit autant si je voulais le lui procurer encore. J’y consentis. Elle se coucha sur le ventre, j’agissais : nous nous animâmes de façon qu’à force de nous chatouiller nous nous trouvâmes, l’une la tête au chevet du lit, et l’autre la tête au pied. Dans cette situation, nous nous rapprochâmes ; l’une de mes cuisses était sur le ventre de Monique, l’autre sous ses fesses : mon ventre et mes fesses étaient de même entre ses cuisses ; étroitement collées l’une contre l’autre, nous nous pressions en soupirant, nous nous frottions réciproquement, nous répandions à chaque instant. Les sources de notre plaisir, gonflées par un jaillissement continuel, qui n’ avait d’autre issue que de passer de l’une dans l’autre, étaient comme deux réservoirs de délices où nous mourrions plongées sans sentiment, où nous ne ressuscitions que par l’excès du ravissement. L’épuisement seul mit fin à nos transports. Enchantées l’une de l’autre, nous nous promîmes de recoucher ensemble le lendemain. Elle y revint et me rendit encore plus savante à cette seconde entrevue. Ces nuits charmantes n’ont été interrompues que par ma sortie du couvent pour venir ici.

Ce que Suzon venait de me raconter avait si fort agi sur mon imagination, que je n’avais pu refuser à l’énergie de ses discours des marques de sensibilité relative au sujet. Quoique j’eusse affecté de lui dérober les larmes qu’elle m’arrachait, le plaisir de les répandre, les regards passionnés que je jetais sur elle en les répandant, m’avaient trahi ; elle s’était aperçue de mes mouvements ; mais, charmée d’avoir fait sur moi l’impression qu’elle désirait, elle me dissimulait adroitement sa satisfaction, et, par une politique mal entendue, combattait encore en elle même le doux penchant qui devait couronner l’ardeur qu’elle m’inspirait. Autant ses discours m’avaient étonné, autant ils me donnèrent d’espoir. Ces peintures si vives et si animées des situations et des sentiments de la sœur Monique, dans une circonstance à peu près semblable à celle où nous nous trouvions, ne pouvaient partir que d’un cœur pénétré. Elle ne m’avait rien caché de ses actions, pas même sa sensibilité pour les plaisirs de l’amour. Elle avait dit tous les mots ; rien n’avait été fardé. Si nous eussions été dans l’allée, elle n’aurait pas dit un mot que je n’en eusse profité, et n’aurait pas fait une peinture que n’y eusse joint la représentation au nature !. Son dessein n’avait pas été d’y venir. Que devais-je penser de cette résistance ? Comment l’accorder avec ce que je venais d entendre ? Ah ! si j’avais pu lire dans son cœur, que je me serais épargné d’inquiétudes ! Résolu à suivre mon dessein, mais en garde contre une précipitation qui aurait pu effaroucher Suzon, je pris autrement mes mesures. Je cherchai dans le récit même qu’elle venait de me faire des armes pour la combattre. Je lui demandai d’abord indifféremment si la sœur Monique était jolie. — Comme un ange, me répondit-elle, et une fille qui possède ces charmes est toujours sûre de plaire. Sa taille est fine et bien prise ; sa peau est d’une blancheur, d’une douceur parfaites ; elle a la plus belle gorge du monde, le visage un peu pâle, mais joli et formé de façon que les plus belles couleurs lui conviendraient moins que cette pâleur ; ses yeux sont noirs et bien fendus ; mais, contre l’ordinaire des brunes, elle les a languissants ; il n’y reste qu’assez de feu pour faire juger qu’ils seraient brillants si elle n’était pas si amoureuse. — Tu me rends compatissant pour elle, dis je à Suzon. Sa passion pour les hommes la rendra malheureuse. — Désabuse-toi, répondit Suzon, ce n’est que depuis peu, comme je te l’ai dit, qu’elle a pris le voile par complaisance pour sa mère. Le temps de prononcer ses vœux n’est pas encore venu ; son bonheur dépend de la mort d’un frère, l’idole de sa mère. Il court grand risque de ne pas vivre plus longtemps que sa sœur ne le souhaite. On l’a déjà blessé à Paris dans un bordel... — Un bordel ! eh ! qu’est-ce que cet endroit ? demandai-je à Suzon, par pressentiment sans doute de ce qui devait m’y arriver un jour. — Je vais te dire, me répondit-elle, ce que j’en sais de la sœur Monique qui connaît tout ce qui a rapport à ses inclinations. C’est un lieu où s’assemblent des filles tendres et faciles, qui reçoivent avec complaisance les hommages des libertins, et se prêtent à leurs désirs, sous l’espoir de la récompense. Leur penchant les y mène, le plaisir les y fixe. — Ah ! m’écriai-je en l’interrompant, que je voudrais être dans une ville où il y eût de ces endroits-là ! Et toi, Suzon ? Elle ne dit mot, mais je compris par son silence qu’elle ne serait pas plus cruelle qu’une autre pour son tempérament, et que ce plaisir aurait autant d’empire sur son cœur que sur celui de ces filles tendres que l’empressement des hommes érige en idoles publiques. Je crois, ajoutai-je, que la sœur Monique irait là aussi volontiers que son frère. — Assurément, me dit-elle ; cette pauvre fille aime les hommes à la fureur ; l’idée seule l’en enchante. — Et toi, petite friponne, tu ne les aimes donc pas ? — Je les aimerais, me répondit-elle, si ce que l’on fait avec eux n’était pas si dangereux. — Tu le crois ! lui dis-je ; il ne l’est pas tant que tu le penses. Pour faire cela avec une femme, elle ne devient pas toujours grosse. Vois cette dame qui est notre voisine : mariée depuis longtemps, elle le fait avec son mari, et cependant elle n’a pas d’enfants. Cet exemple parut l’ébranler. Écoute, ma chère Suzon, poursuivis-je, et comme inspiré par une intelligence au-dessus de mon âge, qui me faisait pénétrer dans les mystères de la nature, la sœur Monique t’a dit que, quand Martin le lui mettait, elle était toute remplie de ce qu’il lui donnait : c’était sans doute ce qui lui avait fait un enfant. — Eh bien, dit Suzon en me regardant et cherchant dans mes yeux un moyen de satisfaire son envie sans s’exposer aux hasards, que veux-tu dire par là ? — Ce que je veux dire, repris-je, c’est que si c’est ce que l’homme répand qui produit cet effet, on peut l’empêcher en se retirant, quand on sent que cela vient. — Eh ! le peut-on faire ? interrompit vivement Suzon. N’as-tu jamais vu deux chiens l’un sur l’autre ? On a beau les battre pour les faire finir, ils crient, se démènent, voudraient se retirer et ne peuvent pas : ils sont attachés de façon que cela leur devient impossible. Dis-moi, si un homme se trouvait attaché de même à une femme, que quelqu’un vînt, qu’on les surprît ? Cette objection me démonta, l’exemple était simple ; il semblait que Suzon eût prévu ce que j’allais lui proposer. L’exemple était pour nous ; nous allions nous trouver dans le même cas, si Suzon se rendait. Elle semblait attendre ma réponse ; et si j’avais pu lire dans son âme, j’aurais vu qu’elle se repentait de m’avoir proposé une difficulté que j’étais hors d’état de résoudre. D’autant plus intéressé à détruire son préjugé, je ne doutai pas que mon bonheur ne dépendît de ma réponse, et je cherchai des raisons pour la convaincre. Je me souvenais parfaitement que le père Polycarpe n’avait pas eu la veille cette difficulté à se retirer de dessus Toinette. Je lui aurais cité cet exemple, mais j’aimais mieux le lui faire voir. Mes raisonnements ne la persuadèrent pas, mais ses désirs suppléaient à ce qu’ils avaient de défectueux. Elle affectait d’insister encore, et il lui fallait un exemple contraire pour la persuader. Dans le moment je vis le bonhomme Ambroise sortir de la maison et gagner le chemin de la rue. Son départ m’offrit l’occasion la plus favorable qui pût se présenter. Ne doutant pas que le père et Toinette ne profitassent de la liberté qu’il leur laissait pour réparer le temps perdu par sa présence, Je dis d’un ton assuré à Suzon : Viens, je veux te faire voir que tu t’es trompée. Je me levai et j’aidai Suzon à en faire autant après lui avoir porté sous sa jupe une main qu’elle repoussa en folâtrant. — Où vas-tu donc me mener ? me dit-elle, voyant que je gagnais la maison. La petite friponne croyait que j’allais la mener dans l’allée : elle m’y aurait suivi. Que j’aurais bien mieux fait d’y aller ! Mais je n’étais pas assez expérimenté pour voir qu’elle ne demandait pas mieux. Je craignais quelque nouvelle résistance de sa part, et mon destin m’entraînait. Je lui répondis que je la menais dans un lieu où elle verrait quelque chose qui lui ferait plaisir.

— Où donc ? me répondit-elle avec impatience, voyant que j’avançais vers la maison. — Dans ma chambre, lui répondis-je. — Dans ta chambrer me dit-elle ; oh ! non ! Tiens, Saturnin, cela est inutile : tu me ferais quelque chose ! Je lui jurai que non, et je connus à l’air dont elle consentait à y venir qu’elle était moins fâchée de m’y suivre qu’elle ne l’aurait été si, en lui promettant d’être sage, je ne lui avais pas donné un prétexte pour s’y laisser conduire. Que je me rappelle avec plaisir ces traits charmants de mon enfance ! l’habitude d’accorder tout à mes passions et l’usage immodéré des plaisirs n’ont point émoussé ma sensibilité pour ces précieux instants de ma vie.

Nous entrâmes dans ma chambre sans avoir été aperçus ; je tenais Suzon par la main, elle tremblais ; je marchais sur la pointe des pieds, elle m’imitait ; je lui fis signe de ne point parler, et, la faisant asseoir sur mon lit, je m’approchai doucement de la cloison : personne n’y était encore. Je dis d’une voix basse à Suzon que l’on ne tarderait pas à venir. Mais que veux-tu donc me montrer ? me demanda-t-elle, intriguée par mes façons mystérieuses. — Tu vas le voir, répondis-je ; et sur-le-champ, en avancement du privilège que je comptais que cette vue allait me donner, je la renversai sur mon lit, en tâchant de lui glisser la main sur les cuisses. Je n’en étais pas encore à la jarretière, qu’elle se leva avec action, et dit qu’elle ferait du bruit si j’étais assez hardi pour la toucher. Elle alla même jusqu’à faire semblant de vouloir sortir : je pris cette grimace pour une marque de colère, et je fus assez simple pour m’imaginer qu’elle voulait effectivement se retirer. J’étais interdit, le cœur me battait, à peine osais-je répondre ; et quoique ce ne fût qu’en bégayant, je persuadai facilement une fille qui aurait été bien fâchée que mon silence l’eût mise dans la nécessité de joindre l’effet à la menace : elle consentit à rester. J’allais désespérer de pouvoir venir à bout de mon entreprise, quand j’entendis ouvrir la porte de la chambre d’Ambroise. Le cœur me revint, et j’attendais avec impatience que la curiosité de Suzon fît pour moi ce que je n’avais pu faire moi-même. — Les voici ! lui dis-je en lui faisant signe de se taire et en la remuant sur le lit ; les voici, ma chère Suzon ! Je m’approchai aussitôt de la cloison ; j’écartai l’image qui dérobait à mes regards ce qui se passait dans la chambre, et j’aperçus le père qui prenait sur la gorge de Toinette des gages peu équivoques de sa bonne volonté. Immobiles, serrés étroitement l’un contre l’autre et recueillis en eux-mêmes, il semblait qu’ils voulussent, par une profonde méditation, se remplir de la grandeur des mystères qu’ils allaient célébrer. Attentif à leurs mouvements, j’attendais qu’ils les poussassent un peu plus loin pour faire signe à Suzon d’avancer. Toinette, ennuyée de la longue méditation, se débarrassa la première des bras du moine, et, jetant corset, jupe, chemise, tout à bas, parut telle que la bienséance du mystère l’exigeait. Ah ! que j’aimais à la voir dans cet état ! Ma fureur amoureuse, que les combats de Suzon n’avaient fait qu’irriter, redoubla d’un degré à cette vue.

Suzon, que mon attention rendait impatiente, avait quitté le lit et s’était approchée de moi. J’étais si fort occupé que je ne m’en étais pas aperçu. — Laisse-moi donc voir aussi ! me dit-elle en me repoussant un peu. Je ne demandais pas mieux. Je lui cédai aussitôt mon poste et me tins à côté d’elle pour examiner sur son visage les impressions qu’y produirait le spectacle qu’elle allait voir. Je m’aperçus d’abord qu’elle rougissait ; mais je présumai trop de son penchant à l’amour pour craindre que cette vue ne produisît un effet contraire à celui que j’en espérais. Elle resta. Curieux alors de savoir si l’exemple opérait, je commençai par lui couler la main sous la jupe. Je ne trouvai plus qu’une résistance médiocre ; elle se contentait de me repousser seulement la main, sans l’empêcher de monter jusqu’aux cuisses, qu’elle serrait étroitement. Ce n’était qu’aux transports des combattants que j’étais redevable de la facilité que je trouvais à les desserrer insensiblement. J’aurais calculé le nombre de coups que donnaient ou recevaient la père et Toinette par celui des pas que ma main, plus ou moins pressée, faisait sur ses charmantes cuisses. Enfin, je gagnai le but. Suzon m’abandonna tout, sans pousser plus loin sa résistance ; elle écartait les jambes pour laisser à ma main la facilité de se contenter. J’en profitai, et portant le doigt à l’endroit sensible, à peine pouvait-il y entrer. Sentant que l’ennemi s’était emparé de la place, elle tressaillit, et ses tressaillements se renouvelaient au moindre mouvement de mon doigt. — Je te tiens, Suzon ! lui dis je alors ; et levant son jupon par derrière, je vis, ah ! je vis le plus beau, le plus blanc, le mieux tourné, le plus ferme, le plus charmant petit cul qu’il soit possible d’imaginer. Non, aucun de ceux à qui j’ai fait le plus de fête, aucun n’a jamais approché du cul de ma Suzon. Fesses divines dont l’aimable coloris l’emportait sur celui du visage ; fesses adorables, sur lesquelles je collai mille baisers amoureux, pardonnez si je ne vous rendis pas alors l’hommage qui vous était dû ; oui, vous, méritiez d’être adorées ; vous méritiez l’encens le plus pur ; mais vous aviez un voisin trop redoutable. Je n’avais pas encore le goût assez épuré pour connaître votre véritable valeur : je le croyais seul digne de ma passion. Cul charmant, que mon repentir vous a bien vengé ! Oui, je conserverai toujours votre mémoire ! Je vous ai élevé dans mon cœur un autel où tous les jours de ma vie je pleure mon aveuglement ! J’étais à genoux devant cet adorable petit cul, l’embrassais, le serrais, l’entr’ouvrais, m’extasiais ; mais Suzon avait mille autres beautés qui piquaient ma curiosité. Je me levai avec transport, fixai mes regards avides sur deux petits tétons durs, fermes, bien placés, arrondis par l’amour. Ils se levaient, se baissaient, haletaient et semblaient demander une main qui fixât leur mouvement. J’y portais la mienne, je les pressais. Suzon se laissait aller à mes transports. Rien ne pouvait l’arracher au spectacle qui l’attachait. J’en étais charmé ; mais son attention était bien longue pour mon impatience. Je brûlais d’un feu qui ne pouvait s’éteindre que par la jouissance. J’aurais voulu voir Suzon toute nue, pour me rassasier de la vue d’un corps dont je baisais, dont je maniais de si charmantes parties. Cette vue était capable de satisfaire mes désirs. Mais bientôt j’éprouvai le contraire en déshabillant Suzon, sans qu’elle s’y opposât. Nu de mon côté, je cherchais les moyens d’assouvir ma passion, je n’avais pas assez de force pour la presser. Mille et mille baisers répétés, les marques les plus vives de l’amour étaient mille fois au-dessus de ce que je sentais. Je tâchais de le lui mettre, mais l’attitude était gênante : il fallait le mettre par derrière. Elle écartait les jambes, les fesses, mais l’entrée était si petite, que je n’en pouvais venir à bout. J’y mettais le doigt et l’en retirais couvert d’une liqueur amoureuse. La même cause produisait sur moi le même effet. Je faisais de nouveaux efforts pour prendre dans ce charmant endroit la même place que mon doigt venait d’y occuper, et toujours même impossibilité, malgré les facilités qu’on me donnait. — Suzon, dis-je, enragé de l’obstacle que son opiniâtre attention apportait à mon bonheur, laisse-les ; viens, ma chère Suzon, nous pouvons avoir autant de plaisir qu’eux. Elle tourna les yeux sur moi ; ils étaient passionnés. Je la prends amoureusement entre mes bras, je la porte sur mon lit, je l’y renverse ; elle écarte les cuisses, mes yeux se jettent avec fureur sur une petite rose vermeille qui commence à s’épanouir. Un poil blond, et placé par petits toupets, commençait à ombrager une motte dont le pinceau le plus délicat rendrait faiblement la blancheur vive et animée. Suzon, immobile, attendait avec impatience des marques de ma passion plus sensibles et plus satisfaisantes. Je tâchai de les lui donner ; je m’y prenais fort mal : trop bas, trop haut, me consumant en efforts inutiles. Elle me le mit. Ah ! Que je sentais alors qu’il était dans le véritable chemin ! Une douleur, que je ne comptais pas trouver sur une route que je croyais couverte de fleurs, m’arrêta d’abord. Suzon en ressentit une pareille ; mais nous ne nous rebutâmes pas. Suzon tâchait d’élargir le passage ; je m’efforçais, elle me secondait. Déjà j’avais fait la moitié de ma course. Suzon roulait sur moi des yeux mourants ; son visage était enflammé, ne respirait que par intervalles, et me renvoyait une chaleur prodigieuse. Je nageais dans un torrent de délices ; j’en espérais encore de plus grandes, je me hâtais de les goûter. O ciel ! des moments si doux devaient-ils. être troublés par le plus cruel des malheurs ! Je poussais avec ardeur ; mon lit, ce malheureux lit, témoin de mes transports et de mon bonheur, nous trahit : il n était que de sangle ; la cheville manqua, il tomba et fit un bruit affreux. Cette chute m’eût été favorable, puisqu’elle m’avait fait entrer jusqu’où je pouvais aller, quoique avec une extrême douleur pour tous les deux. Suzon se faisait violence pour retenir ses cris. Effrayée, elle voulait s’arracher de mes bras ; furieux d’amour et de désespoir, je ne la serrais que plus étroitement. Mon opiniâtreté me coûta cher.

Toinette, avertie par le bruit, accourut, ouvrit et nous vit. Quel spectacle pour une mère ! une fille, un fils ! La surprise la rendit immobile ; et comme si elle eût été retenue par quelque chose de plus puissant que ses efforts, elle ne pouvait avancer. Elle nous regardait avec des yeux enflammés par la lubricité ; ouvrant la bouche pour parler, la voix expirait sur ses lèvres.

Suzon était tombée en faiblesse ; ses yeux tendres se fermaient, sans avoir ni le courage, ni la force de se retirer. Je regardais alternativement Toinette et Suzon, l’une avec rage, l’autre avec douleur. Enhardi par l’immobilité où l’étonnement semblait retenir Toinette, je voulus en profiter, je poussai ; Suzon donna alors un signe de vie, jeta un profond soupir, rouvrit les yeux, me serra en donnant un coup de cul, Suzon goûtait le souverain plaisir ; elle déchargeait : ses ravissements me faisaient plaisir ; j’allais les partager. Toinette s’élança au moment où je sentais les approches du plaisir ; elle m’arracha des bras de ma chère Suzon. Pourquoi n’avais-je pas assez de force pour me venger ? Le désespoir me l’ôta sans doute, puisque je restai immobile dans les bras de cette marâtre jalouse.

Le père Polycarpe, aussi curieux que Toinette, accourut dans cet intervalle, et ne demeura pas moins surpris qu’elle à la vue du spectacle qui s’offrait à ses yeux, surtout de Suzon nue, couchée sur le dos, se passant un bras sur les yeux et portant la main de l’autre à l’endroit coupable, comme si une telle posture eût pu dérober ses charmes aux regards du moine lascif. Il les porta d’abord sur elle. Les miens y étaient fixés comme sur leur centre, et ceux de Toinette l’étaient sur moi. La surprise, la rage, la crainte, rien ne m’avait fait débander. J’avais le vit décalotté et plus dur que le fer. Toinette le regardait. Cette vue obtint ma grâce et me réconcilia avec elle. Je sentais qu’elle m’entraînait doucement hors de la chambre. J’étais troublé, ne sachant ce que je faisais. Nu comme j’étais, je la suivis sans y penser, et cela se fit sans bruit.

Toinette me mena dans sa chambre et en ferma la porte aux verrous. La crainte me retira alors de mon étourdissement. Je voulus fuir : je cherchai quelque refuge qui pût me dérober au ressentiment de Toinette. N’en trouvant pas, je me jetai sous le lit. Toinette reconnut le motif de ma frayeur et tâcha de me rassurer. — Non, Saturnin, me dit-elle ; non, mon ami, je ne veux pas te faire de mal. Je ne la croyais pas sincère et je ne sortais pas de ma place. Elle vint elle-même pour m’en tirer ; voyant qu’elle tendait les bras pour m’attraper, je me reculais : mais j’eus beau faire, elle me prit, par où, par le vit ! Il n’y eut plus moyen de m’en défendre. Je sortis ou plutôt elle m’attira, car elle n’avait pas lâché prise.

La confusion de paraître in naturalibus ne m’empêcha pas d’être surpris de trouver Toinette toute nue, elle qui, un moment avant, s’était offerte à mes yeux dans un état presque décent. Mon vit reprenait dans sa main ce que la crainte lui avait fait perdre de sa force et de sa roideur. Avouerai-je mon faible ? En la voyant, je ne pensai plus à Suzon : Toinette seule m’occupait. Bandant toujours fort, et mes craintes subordonnées à la passion, j’étais bien en peine. Toinette me serrait le vit, et moi je regardais son con. Que fait ma ribaude ? elle se couche sur le lit et m’entraîne avec elle. — Viens donc, petit couillon,, mets-le-moi, là, bon ! Je ne me fis pas prier davantage, et, ne trouvant pas de grandes difficultés, je le lui enfonçai jusqu’aux gardes. Déjà disposé par le prélude que j’avais fait avec Suzon, je sentis bientôt un flux de délices qui me fit tomber sans mouvement sur la lubrique Toinette, qui, remuant avec agilité la charnière, reçut les prémices de ma virilité... C’est ainsi que, pour mon premier coup d’essai, je lis cocu mon père putatif ; mais qu’importe ?

Quelle foule de réflexions pour ces lecteurs dont le tempérament froid et glacé n’a jamais ressenti les fureurs de l’amour ! Faites-les, messieurs, ces réflexions ; donnez carrière à votre morale ; je vous laisse le champ libre, et ne veux vous dire qu’un mot. En bandant aussi fort que je bandais, vous foutriez, quoi ? le diable !

J’allais répéter un aussi charmant exercice, quand nous fûmes interrompus par un bruit sourd qui partait de ma chambre. Toinette, qui comprit de quoi il s’agissait, se leva en criant au père de finir. Elle se rhabilla aussitôt, me dit de me remettre sous le lit et courut pour empêcher que les choses ne fussent poussées plus loin.

A peine eut-elle le dos tourné, que je volai au trou. J’aperçus le moine qui tenait dans ses bras Suzon qui s’était rhabillée, mais dont le cotillon et la chemise étaient levés. Le froc du moine l’était aussi, et je jugeai que le bruit ne venait que de l’extrême grosseur du membre de sa révérence, qui faisait sans doute des efforts inutiles pour le faire entrer dans un endroit qui n’était pas fait pour lui. Le débat finit à l’aspect de Toinette qui fondit sur les combattants, arracha Suzon des bras de l’incestueux célestin, et lui donna, avec deux, ou trois soufflets, la liberté de sortir. Il semblait que l’action vigoureuse que Toinette venait de faire l’eût épuisée, et qu’il ne lui restât plus assez de force pour marquer son mécontentement au père Polycarpe : elle le regardait tout essoufflée. Un moine ne manque guère d’impudence ; cependant celle du père ne tint pas contre la honte d’avoir été pris en flagrant délit, peut-être contre la crainte des reproches dont il croyait que Toinette allait l’accabler, ou plutôt contre l’idée d’infamie dont il croyait qu’un moine devait être noté, quand il entreprenait d’exploiter une fille sans en venir à bout. Il rougissait, il pâlissait, et n’osait presque regarder Toinette qui, de son côté, paraissait agitée des mêmes mouvements. Moi, de mon trou, je les examinais attentivement et m’attendais à être bientôt spectateur de quelque crise violente ; je le craignais. Que je les connaissais peu l’un et l’autre ! Le moine paraissait confus, mais il ne débandait pas : un moine débande-t-il jamais ? Toinette paraissait furieuse, mais elle regardait le vit du moine. Son faible était toujours de sacrifier toute sa colère à cette vue ; mon exemple devait m’avoir préparé à lui voir une pareille indulgence pour le père. Le raccommodement fut bientôt fait. Le moine s’approcha d’elle, et j’entendis qu’il lui disait, en lui mettant en main son joyeux aiguillon : Si je n’ai pas pu foutre la fille, du moins je foutrai la mère. Oh ! pour cette insulte, Toinette était toujours prête à la lui pardonner : elle s’offrit même de bonne grâce pour victime à la fureur amoureuse du moine ; il la saisit, il l’embrassa, et, tombant l’un sur l’autre sur les débris de mon lit, ils scellèrent leur réconciliation par une copieuse décharge ; du moins j’eus lieu de le juger aux transports du père et aux serrements du cul de Toinette.

Pendant ce temps là, allez-vous demander, que faisait ce petit bougre de Saturnin ? Se contentait-il de regarder comme un sot par le trou, sans se joindre du moins en idée aux caresses des deux champions ? Belle demande ! Saturnin était nu, il était encore en feu des caresses que Toinette lui avait faites ; le spectacle qu’il avait devant les yeux réchauffait encore : que vouliez-vous qu’il fît ? Il se branlait : il enrageait de voir le moine sur Toinette, sans pouvoir en tirer sa part, et le petit coquin déchargeait au moment où sa mère serrait le cul et où le père se pâmait. Vous voilà instruit ; revenons à nos gens.

— Eh bien, dit le moine, trouves-tu que je fasse cela aussi bien que Saturnin ? — Que Saturnin ! répondit-elle ; moi, j’ai fait quelque chose avec Saturnm ? Bon ! le petit fripon n’a-t-il pas été se cacher sous le lit où il est encore ? Mais, patience ; laissez venir Ambroise, les étrivières ne lui manqueront pas ; il les aura, et de la bonne façon !J’écoutais ce colloque : jugez s’il dut me faire plaisir ! Redoublant mon attention, j’entendis le père qui répliquait : La, la, Toinette, ne nous fâchons pas ; vous savez qu’il ne doit pas toujours demeurer ici ; il est assez grand à présent, n’est-il pas vrai ? Je veux l’emmener quand je partirai. — Mais, reprit Toinette, vous ne songez pas que si ce petit coquin restait ici, nous ne pourrions plus rien faire ? Cela babille, et je me doute qu’il nous a découverts. Justement ! poursuivit-elle en voyant le trou de la cloison. Ah ! mon Dieu ! je n’avais pas encore remarqué ce trou. Il aura tout vu par là, le petit chien ! Je jugeai qu’elle allait venir vérifier son doute, et vite je me refourrai sous le lit, d’où je ne sortis plus, quelque envie que j’eusse d’entendre le reste d’une conversation qui m’intéressait si fort. Je me tins coi, et j’attendis avec impatience le résultat de leurs discours. Je n’attendis pas longtemps. On vint me tirer de ma prison ; je tremblais que ce ne fût Ambroise. S’il m’avait vu là, quelle scène pour moi ! C’était Toinette qui m’apportait mes habits, et qui me dit de m’habiller au plus tôt. Je ne la regardais que de travers, après ce que je lui avais ouï dire à mon sujet. Je me hâtai de faire ce qu’elle me disait en bravant ses menaces. Elle s’habillait aussi, et se mettait même sur son propre. J’eus bientôt fait de mon côté, et elle du sien. — Allons, Saturnin, me dit-elle, venez avec moi. Force me fut de là suivre. Où me mena-t-elle ? Chez M. le curé.

La vue du presbytère me fit trembler. Le pasteur me visitait souvent le derrière, chose que, par parenthèse, il ne haïssait pas, et je craignais fort que ce ne fût encore pour lui procurer le même divertissement que l’on me menait chez lui. Je n’osais pas tout à fait laisser voir mes craintes à Toinette. Si elle sent que j’ai peur, me disais-je, elle réveillera le chat qui dort, et ne manquera pas de saisir l’occasion. Mais pourquoi m’amène-t-elle ici ? je n’en sais rien ; faisons de nécessité vertu : entrons toujours.

J’entrai, et j’en fus quitte pour la peur ; car Toinette, en me présentant au saint homme, le pria de vouloir me garder pendant quelques jours chez lui. L’expression de quelques jours me rassura. Bon ! dis-je en moi-même, et quand ces quelques jours seront passés, le père Polycarpe m’emmènera avec lui. Plein de cet espoir, je me familiarisais plus aisément avec ma retraite, sur le motif de laquelle je n’osais réfléchir sans être saisi de douleur. Suzon, chère Suzon, je te perdrai donc pour toujours ? m’écriai-je dans un coin de la salle où je m’étais d’abord retiré par frayeur et où je restais par goût, parce que j’y rêvais à mon aise. A quoi ? A Suzon. L’agitation où j’étais depuis quelques heures ayant suspendu ce que je sentais pour elle, quand je fus revenu à moi-même, son idée m’occupa tout entier. Le cœur me saignait quand je pensais que j’allais la perdre. Mon imagination se repaissait de tous ses charmes, parcourait les beautés de son corps, ses cuisses, ses fesses, sa gorge, ses petits tétons blancs et durs, que j’avais baisés tant de fois. Je me rappelai le plaisir que j’avais eu avec elle et, pensant à celui que j’avais pris avec Toinette : Qu’eût-ce donc été, disais-je, si je l’eusse goûté sur Suzon ! Je me suis pâmé sur Toinette, je serais mort sur Suzon. Ah ! je n’aurais pas de regret à la vie, si je la perdais dans ses bras. Mais que sera-t-elle devenue ? Exposée aux fureurs de Toinette, elle va mourir de chagrin. Peut-être pleure-t-elle à présent, peut-être me maudit-elle. Suzon pleure, et j’en suis cause ; Suzon me maudit, elle jure de me haïr. Pourrai-je vivre si elle me hait, moi qui l’adore, moi qui souffrirais tout pour lui épargner le moindre chagrin ? Hélas ! elle prévoyait notre malheur et c’est moi qui l’y ai plongée ! Telles étaient les pensées qui m’agitaient alors ; j’étais dans une mélancolie dont je ne sortis qu’au son d’une clochette qui m’avertit qu’on avait servi le souper ; on vint m’appeler. Laissons pour un moment Suzon ; nous la retrouverons toujours ; elle joue un rôle assez important dans ces mémoires. Allons prendre un repas et faisons connaître quelques bévues des originaux avec qui j’étais ; commençons par le curé.

M. le curé était une de ces figures qu’on ne saurait regarder sans avoir envie de rire ; haut de quatre pieds, le visage large d’un demi et enluminé d’un rouge foncé qui ne lui venait pas de boire de l’eau ; un nez épaté, surmonté de rubis, de petits yeux noirs et vifs ombragés d’épais sourcils ; un front petit, le poil frisé comme un barbet ; joignez-y un air goguenard et malin, voilà M. le curé. Avec cela le coquin avait de bonnes fortunes ; plus d’une m’en aurait encore dit des nouvelles dans le village. Il cultivait volontiers la vigne du Seigneur ; il faisait le petit célestin. Ces magots-là sont d’ordinaire de vigoureux sires à ce jeu, et notre curé ne manquait pas, je crois, de ces talents, qui valent mieux qu’une belle figure, quand il est permis de les faire valoir.

Passons au second cartouche du tableau célestin de la maison du curé, et disons un mot de sa respectable gouvernante.

Madame Françoise était une vieille sorcière plus maligne qu’un vieux singe, plus méchante qu’un vieux diable. Ôtez cela, c’était la bonté même. Son visage portait bien cinquante bonnes années. La coquetterie est de tout pays et de toute condition : la vieille ne s’en donnait pas trente-cinq. Mais, malgré ses discours, elle était canonique, et si canonique, que, depuis quinze ans qu’elle était au service de M. le curé, elle l’avait garanti des retraites incommodes qu’il avait coutume de faire au séminaire, au moins deux ou trois fois chaque lustre, disgrâces qui avaient dégoûté le patron de la jeunesse ; et quoique la dame Françoise eût les yeux bordés de rouge, le nez barbouillé de tabac, la bouche fendue jusqu’aux oreilles, et qu’elle n’eût plus dans cette bouche que quelques dents mal assurées, M. le curé, par reconnaissance pour ses services passés, ne démentait en rien son estime et, qui plus est,ses caresses pour elle. Madame Françoise était surintendante de la maison ; tout passait par ses mains, jusqu’à l’argent des pensionnaires qui n’en, sortait guère. Elle ne parlait jamais du curé qu’en nom collectif ; apportait-on de quoi dire une messe : — Nous vous la dirons ! Donnait-on quelque chose de moins : — A ce prix nous n’en disons pas ! — Eh ! Mme Françoise (madame gros comme le bras : elle se serait offensée en cette honorable qualité), eh ! madame Françoise, je n’ai pas davantage ! — Séant ; comment donc, vous croyez, apparemment qu’on nous donne cela ! il faut du vin, des cierges ; et notre peine, la comptez-vous pour rien ?

A l’ombre de l’union qui régnait entre Françoise et le curé, croissait une fille, soi-disant nièce du curé, mais qui lui appartenait de plus près que par la qualité de nièce. C’était une grosse joufflue, un peu picotée de petite vérole, fort blanche, et une gorge adorable ; un nez tirant sur celui du curé, aux rubis près, qu’elle n’avait pas. encore, mais beaucoup de dispositions pour en avoir un jour ; des yeux petits, mais ardents. Il n’aurait tenu qu’à elle de passer pour rousse, si elle n’avait pas su que cette couleur était proscrite et que le blond est plus séant pour les belles ;. comme elle croyait l’être, elle en prenait les attributs. Ce n’est pas que le blond ou le roux eussent fort inquiété certain grand coquin d’écolier de philosophie qui venait quelquefois passer huit ou dix jours au presbytère, moins par amitié pour le curé que pour sa charmante nièce, que le maraud serrait de près, et de si près que... Mais il n’est pas encore temps de raconter ce qui m’arriva à ce sujet.

Mademoiselle Nicole (c’était le nom de cette aimable personne), telle que je viens de vous la présenter, était l’objet des tendres vœux de tous les pensionnaires. Les externes voulaient aussi s’en mêler ; les grands étaient assez bien reçus, les petits fort mal. Je n’étais pas des plus grands, par malheur pour moi. Ce n’est pas que je n’eusse plusieurs fois tenté de pousser ma pointe auprès de cette pouponne, mais mon âge parlait contre moi. Plus je protestais que je n’étais jeune que par la figure, moins on me croyait ; et pour finir de me désespérer, on confiait mes entreprises amoureuses à Mme Françoise, qui les confiait à M. le curé, et celui-ci ne me ménageait pas. J’enrageais d’être petit, car je voyais bien que c’était là la cause de mes malheurs.

La difficulté de réussir auprès de Nicole m’avait dégoûté. Des rebuts de la part de la nièce, des étrivières de la part du curé, il n’y avait pas moyen d’y tenir. Tout cela n’avait pas éteint mes désirs ; ils n’étaient que cachés, la présence de Nicolle les ralluma. Il ne leur manqua plus qu’une occasion d’éclater ; elle ne tarda pas à venir, l’ordre des faits exige que cette aventure n’aille qu’à son tour, et son tour n’est pas encore venu : c’est celui de Mme Dinville.

Je n’avais pas oublié que cette dame m’avait fait promettre d’aller dîner avec elle le lendemain. Je me couchai, résolu à lui tenir parole, et on juge bien que le jour ne changea rien à ma résolution. Si on me demandait si c’était véritablement pour Mme Dinville que je voulais aller au château, à cela je ne saurais que répondre. En général, je dirais que l’idée du plaisir m’y conduisait ; mais je sentais que ce plaisir, présenté par Suzon, me serait plus sensible que si je le recevais de Mme Dinville. L’espoir d’y trouver ma Suzon n’était pas sans vraisemblance ; voici comme je raisonnais : Pourquoi m’a-t-on mis chez M. le curé ? C’est parce que le père Polycarpe s’est douté que Toinette m’a donné une leçon qui n’est pas de son goût ; et c’est dans la crainte que je m’accoutumasse à ces leçons, qu’il a jugé à propos de me mettre ici. Toinette a bien vu autre chose de la part du père ; elle a donc pour le moins autant de raisons d’éloigner Suzon du moine, que le moine en a eu de m’éloigner de Toinette. Si Suzon est au château, il y a de petits bois dans le jardin : je l’engagerai à y venir, La petite friponne est amoureuse, elle m’y suivra ; je la tiendrai à l’écart, nous serons seuls, nous n’aurons rien à craindre. Ah ! que de plaisirs je vais goûter ! Ces agréables idées me conduisirent jusqu’au château. J’entrai.

Tout était calme chez Mme Dinville. Je ne trouvai personne sur mon passage, ce qui me fit traverser plusieurs appartements. Je n’entrais dans aucun sans sentir mon cœur agité par l’espoir de voir Suzon et la crainte de ne pas la trouver. Elle sera dans celui-ci, disais-je ; Ah ! je vais la voir : personne ; dans un autre de même. J’arrivai ainsi jusqu’à une chambre dont la porte était fermée, mais la clef y était. Je n’étais pas venu si loin pour reculer, j’ouvris ; ma hardiesse fut un peu déconcertée à la vue d’un lit où je jugeai qu’il devait y avoir quelqu’un couché. Je me retirais, quand j’entendis une voix de femme demander qui c’était, et en même temps je reconnus Mme Dinville. Je me disposais à sortir, mais sa gorge m’en ôta le pouvoir. — Eh ! c’est mon ami Saturnin, s’écria-t-elle ; viens donc m’embrasser, mon cher enfant. Aussi hardi après ces paroles que j’étais timide auparavant, je me précipitai dans ses bras. J’aime, me dit-elle d’un air de satisfaction, après m’être acquitté d’un devoir où le cœur avait eu plus de part que la politesse, j’aime qu’un jeune garçon obéisse ponctuellement. A peine eut-elle achevé ces mots que je vis sortir d’un cabinet de toilette un petit homme à figure minaudière qui écorchait d’un ton de fausset l’air d’une chanson nouvelle alors ; il en marquait la cadence par des pirouettes qui répondaient à merveille aux bizarres accents de sa voix. A la brusque apparition de cet Amphion moderne, — c’était un abbé, — je rougis pour Mme Dinville des marques indiscrètes de bienveillance qu’elle venait de me donner, et, pour mon propre compte, du motif de celles dont j’avais payé les siennes ; mais je me vengeai bientôt du trouble qu’il venait de me causer par le jugement que je portai sur lui. La situation où l’on se trouve influe souvent sur la façon de penser. Je ne doutai pas que mon arrivée imprévue n’eût dérangé une partie qui ne souffre de tiers qu’à titre d’importun. Pouvais-je, en effet, penser qu’un homme pût se trouver seul avec une femme sans lui faire ce que j’aurais fait moi-même ?

Craignant qu’il n’eût pénétré le sujet de ma visite, je n’osais pas le regarder. Si la curiosité m’excitait à l’envisager, la crainte de rencontrer sur son visage quelque sourire malin, me faisait baisser la vue aussitôt. Je n’y trouvai pourtant pas ce que je craignais, et perdant l’habitude de le regarder comme un témoin redoutable, je ne vis en lui qu’un importun fait pour gêner les plaisirs dont mon imagination se repaissait.

Je l’examinais avec attention, et, réfléchissant sur sa qualité d’abbé, j’en cherchais dans sa personne des marques justificatives. J’avais sur le mot abbé des idées extrêmement bornées, m’imaginant que tous les abbés devaient être faits comme M. le curé ou comme M. le vicaire ; et j’avais peine à concilier l’air bonhomme que je leur connaissais avec les pétulantes extravagances de celui que j’avais devant moi.

Ce petit Adonis, nommé l’abbé Fillot, était le receveur des tailles de la ville voisine, homme fort riche, Dieu sait aux dépens de qui. Il revenait de Paris, ainsi que la plupart des sots de sa trempe, plus chargé de fatuité que de doctrine. Il avait accompagné Mme Dinville à sa campagne, dans l’intention de la réjouir. Écolier, abbé, tout était bon pour elle.

La dame sonna, on vint : c’était Suzon. Mon cœur tressaillit à sa vue ; j’étais charmé que mes conjectures se trouvassent aussi heureuses. Elle ne m’aperçut pas d’abord, parce que j’étais caché par les rideaux du lit, sur lequel Mme Dinville m’avait fait asseoir, situation que, par parenthèse, M. l’abbé commençait à ne pas trouver à son gré. Il avait peine à souffrir la petite liberté que Mme Dinville me donnait, et je voyais qu’il taxait de mauvais goût la complaisance qu’elle me témoignait.

Suzon s’avança, elle me vit. Dans le moment, ses belles joues s’animèrent des plus vives couleurs ; elle baissa les yeux, l’agitation lui coupa la parole. J’étais dans un état peu différent du sien, excepté qu’elle baissait les yeux, et que les miens étaient fixés sur elle. Les charmes de Mme Dinville, dont elle ne me ménageait pas la vue, sa gorge, ses tétons et les autres parties de son corps, dont un drap jaloux dérobait, à la vérité le spectacle à mes yeux, mais n’en rendait la peinture que plus vive à mon imagination, tout cela avait fait dans mon cœur des impressions qui tournèrent à l’instant au profit de Suzon. Mais la réflexion corrigea bientôt un sentiment trop précipité et me ramena, non pas tout à coup, à mon caractère dominant.

Si j’eusse eu le choix de Suzon ou de Mme Dinville, je n’aurais pas balancé : Suzon avait la pomme ; mais on ne me présentait pas l’alternative. La possession de Suzon n’était pour moi qu’une espérance bien incertaine, et la jouissance de Mme Dinville était presque une certitude, ses regards m’en assuraient. Ses discours, quoique gênée par la présence du petit abbé, ne détruisaient pas l’espoir que ses yeux me laissaient concevoir. Suzon, après avoir été chargée d’avertir une femme de chambre, sortit, et son départ commença à restituer à Mme Dinville des désirs qui lui appartenaient, puisqu’ils étaient son ouvrage.

Je restai cependant si troublé, les mouvements de mon cœur, combattus et détruits alternativement par deux causes qui l’intéressaient également, l’une par l’idée du plaisir, l’autre par celle de ce même plaisir, mais accompagné de quelque chose de plus touchant, étaient dans une si grande confusion, que je ne m’aperçus pas de la brusque disparition de l’abbé. Mme Dinville l’avait bien vu sortir ; mais, s’imaginant que je l’avais vu aussi, elle ne croyait pas qu’il fût besoin de m’en faire souvenir. Elle se pencha sur mon coussin, et, me regardant avec une douce langueur qui me disait inutilement qu’il ne tenait qu’à moi de devenir heureux, elle me prenait tendrement la main qu’elle me pressait dans la sienne, en la laissant de temps en temps tomber d’un air indifférent sur ses cuisses, qu’elle serrait et desserrait avec un mouvement lascif. Ses regards accusaient ma timidité, et semblaient me reprocher que je n’étais pas le même que la veille. Toujours préoccupé de la pensée que l’abbé nous examinait, je restai dans une défiance niaise qui l’impatienta. — Tu dors, Saturnin ? me dit-elle. Un galant de profession aurait profité de l’occasion pour débiter une tirade d’impertinences. Je ne l’étais pas, je n’en dis qu’une : Non, madame, je ne dors pas. Quoique cette réponse innocente diminuât de beaucoup l’idée que mon effronterie de la veille avait pu lui donner de mon savoir, elle ne fit pas de tort à sa bonne volonté pour moi : elle fit un effet tout contraire ; elle me donna un nouveau titre à ses yeux, me fit regarder comme un novice, morceau délicat pour une femme galante dont l’imagination est voluptueusement flattée par l’idée d’un plaisir qui doit augmenter la vivacité des transports qu’elle ressent. C’est ainsi que pensait Mme Dinville, c’est ainsi que pensent toutes les femmes. Mon indifférence lui fît connaître que sa façon d’attaquer glissait sur moi, et qu’il fallait quelque chose de plus frappant pour m’émouvoir. Elle me lâcha la main, et, étendant les bras avec un mouvement étudié, elle m’étala une partie de ses charmes. Leur aspect me tira de mon engourdissement ; je me réveillai, la vivacité reparut sur mon visage, l’idée de Suzon se dissipa ; mes yeux, mes regards, mon impatience, tout fut pour Mme Dinville ; s’apercevant de l’effet de sa ruse, et pour exciter mes feux, elle me demanda ce qu’était devenu l’abbé. J’eus beau regarder, je ne le voyais pas ; je sentis ma sottise. — Il est sorti, reprit-elle ; et, affectant de jeter un peu son drap, en se plaignant de la chaleur, elle me découvrit une cuisse extrêmement blanche, sur le haut de laquelle un bout de chemise paraissait mis exprès pour empêcher mes regards d’aller plus loin, ou plutôt à dessein d’exciter ma curiosité. J’entrevis pourtant quelque chose de vermeil qui me mit dans un trouble dont elle reconnut le motif. Elle recouvrit adroitement l’endroit qui avait fait tout l’effet qu’elle espérait. Je lui pris la main, qu’elle m’abandonna sans résistance ; je la baisai avec transport ; mes yeux étaient enflammés, les siens brillants et animés. Les choses se disposaient à merveille ; mais il était écrit que, malgré les plus belles occasions, je ne serais pas heureux. Une maudite femme de chambre arriva dans le temps qu’on n’avait pas besoin d’elle. Je lâchai vite la main, la soubrette entra en riant comme une folle ; elle se tint un moment à la porte, pour se dédommager, par l’abondance de ses éclats, de la gêne que la présence de sa maîtresse allait lut faire. — Qu’avez-vous donc ? lui dit Mme Dlnville d’un air sec. — Ah ! madame, répondit-elle, monsieur l’abbé... — Eh bien, qu’a-t-il fait ? reprit sa maîtresse. Dans le moment rentre l’abbé en se cachant le visage avec son mouchoir. Les ris de la suivante augmentèrent à sa vue. — Qu’avez-vous donc ? lui demanda Mme Dinville. — Regardez mon visage, répondit-il, et jugez de l’ouvrage de Mlle Suzon. — De Suzon ? reprit Mme Dinville en éclatant à son tour. — Voilà ce que coûte un baiser, poursuivit-il froidement ; ce n’est pas l’acheter trop cher, comme vous voyez. L’air aisé avec lequel l’abbé nous parlait de son malheur me fit rire comme les autres. Il soutint sur le même ton les railleries peu ménagées de Mme Dinville. Elle s’habilla ; l’abbé, malgré le mauvais état de son visage, fit le coquet à la toilette, contrôla la coiffure et divertit madame, qui riait de ses balivernes. La suivante pestait contre ses corrections, et moi je riais de la figure du petit homme. Allons dîner. Nous étions quatre à table, Mme Dinville, Suzon, l’abbé et moi. Qui fit une sotte figure ? Ce fut moi, quand je me trouvai vis-à-vis de Suzon ; l’abbé, qui était à son côté, faisait bonne mine à mauvais jeu, et voulait persuader à madame Dinville que ses traits railleurs n’étaient pas capables de le déconcerter. Suzon n’était guère moins confuse. Je voyais pourtant dans ses regards furtifs qu’elle aurait voulu que nous eussions été seuls. Sa vue m’avait encore rendu infidèle à Mme Dinville, et je désirais sortir de table pour essayer de nous dérober. Le dîner fini, je fis signe à Suzon : elle m’entendit, et sortit. J’allais la suivre ; Mme Dinville m’arrêta, en m’annonçant que je lui servirais d’écuyer à la promenade. Se promener à quatre heures après midi dans l’été, cela parut extravagant à l’abbé ; mais ce n’était pas pour lui plaire qu’elle le faisait. Elle ne voulait pas exposer le teint de l’abbé à l’ardeur du soleil ; aussi prit-il le parti de rester. J’aurais bien voulu ne pas suivre Mme Dinville, pour courir vers Suzon ; mais je me crus obligé de sacrifier mon envie à la déférence dont je devais payer l’honneur qu’on me faisait.

Suivis des yeux par l’abbé, qui se pâmait de rire, nous marchions avec une gravité concertée au milieu des parterres, sur lesquels le soleil dardait ses rayons. Mme Dinville ne leur opposait qu’un simple éventail, et moi l’habitude. Nous fîmes plusieurs tours avec une indifférence qui désespérait l’abbé. Je ne pénétrais pas encore le dessein de la dame, et je ne concevais pas comment elle pouvait résister à une chaleur que je trouvais insupportable. Ma qualité d’écuyer me pesait, et j’y aurais volontiers renoncé ; mais j’ignorais les fonctions de cet emploi, et on m’en réservait une qui devait me consoler de l’ennui de la première.

L’abbé s’étant retiré, nous nous trouvâmes au bout de l’allée. Mme Dinville gagna un petit bosquet dont la fraîcheur nous promettait une promenade charmante, si nous y restions. Je le lui dis. — Soit, me répondit-elle, en cherchant à pénétrer dans mes yeux si je n’étais pas au fait du motif de sa promenade. Elle n’y vit rien. Je ne m’attendais pas au bonheur qui m’était préparé. Elle me serrait affectueusement ; et, penchant sa tête près de mon épaule, approchait son visage si près du mien que j’aurais été un sot si je n’y eusse pris un baiser, on me laissa faire, je réitérai ; même facilité, j’ouvris les yeux. Oh ! pour le coup, dis-je, c’est une affaire faite ; nous n’aurons pas ici d’importuns. Ayant pénétré ma pensée, nous nous engageâmes dans un labyrinthe dont l’obscurité nous dérobait aux yeux des plus clairvoyants. Elle s’assit à l’abri d’une charmille ; j’en fis autant, et me mis à côté d’elle. Elle me regarda, me serra la main et se coucha. Je crus que l’heure du berger allait sonner, et déjà je préparais l’aiguille, quand tout à coup elle s’endormit. Je crus d’abord que ce n’était qu’un assoupissement qu’il me serait facile de dissiper ; mais voyant qu’il augmentait, je me désespérais d’un sommeil qui me devenait suspect. Encore, disais-je, si elle avait satisfait mes désirs, je lui pardonnerais ! Mais s’endormir au moment du triomphe, je ne pouvais m’en consoler. Je l’examinais avec douleur : elle avait les mêmes habits que la veille ; sa gorge était découverte, elle y avait mis son éventail, qui, suivant les mouvements du sein, se soulevait assez pour m’en laisser voir la blancheur et la régularité. Pressé par mes désirs je voulais la réveiller : mais je craignais de l’indisposer et de perdre l’espoir dont son réveil me flattait encore. Je cédai à la démangeaison de porter la main sur sa gorge. Elle dort trop pour se réveiller, disais-je. Quand elle se réveillerait, mettons les choses au pis, elle me grondera, voilà tout ! Essayons. Je portai une main tremblante sur un téton, tandis que je regardais son visage, prêt à finir au moindre signe qu’elle ferait ; elle n’en fit pas, je continuai. Ma main ne frisait pour ainsi dire que la superficie de son sein, comme une hirondelle qui rase l’eau en y trempant ses ailes. Bientôt j’ôtai l’éventail, je pris un baiser ; rien ne la réveilla. Devenu plus hardi, je changeai de posture, et mes yeux, animés par la vue des tétons, voulurent descendre plus bas. Je mis la tête aux pieds de la dame, et, le visage contre terre, je cherchai à pénétrer dans le pays de l’amour ; mais je ne vis rien. Ses jambes croisées et sa cuisse droite collée sur sa gauche mettaient mes regards en défaut. Ne pouvant voir, je voulus toucher. Je coulai la main sur la cuisse et j’avançai jusqu’au pied du mont. Déjà je touchais à l’entrée de la grotte, et je croyais y borner mes désirs. Parvenu à ce point, je ne m’en trouvai que plus malheureux. J’aurais voulu rendre mes yeux participants des plaisirs de ma main ; je la retirai, et je me mis à ma place pour examiner de nouveau le visage de ma dormeuse. Il n’était point altéré ; le sommeil semblait avoir versé sur elle ses pavots les plus assoupissants. J’entrevoyais cependant un œil dont le clignotement m’inquiétait. Je m’en défiais, et si dans l’instant il se fût fermé, peut-être me serais-je contenté de ce que j’avais fait ; mais l’immobilité de cet œil suspect me rendit la confiance. Je retournai à mon poste inférieur, et commençai à lever doucement le jupon. Elle fit un mouvement, je la crus réveillée. Je me retirai précipitamment, et, le cœur saisi de frayeur, je me remis à ma place sans oser la regarder ; mais cette contrainte ne fut pas longue ; mes yeux retournèrent sur elle ; je reconnus avec plaisir que le mouvement qu’elle avait fait ne venait pas de son réveil, et je remerciai la fortune de mon heureuse situation. Ses jambes étaient décroisées, son genou droit élevé, et le jupon tombé sur son ventre, et je vis ses cuisses, ses jambes, sa motte, son con ! Ce spectacle me charma. Un bas, proprement tiré, noué, sur le genou, avec une jarretière feu et argent, une jambe faite au tour, un petit pied mignon, une mule, la plus jolie du monde, des cuisses, ah ! des cuisses dont la blancheur éblouissait, rondes, douces, fermes, un con d’un rouge de carmin entouré de petits poils plus noirs que le jais, et d’où sortait une odeur plus douce que celle des parfums les plus délicieux ! J’y mis le doigt, je le chatouillai un peu ; le mouvement qu’elle avait fait ayant écarté ses jambes, j’y portai aussitôt la bouche en tâchant d’y enfoncer la langue. Je bandais d’une extrême force. Ah ! les comparaisons l’exprimeraient mal ! Rien ne put alors m’arrêter : crainte, respect, tout disparut. En proie aux désirs les plus violents, j’aurais foutu la sultane favorite en présence de mille eunuques, le cimeterre nu, et prêts à laver mes plaisirs dans mon sang. J’enconnai Mme Dinville sans m’appuyer sur elle, crainte de la réveiller. Appuyé sur mes deux mains, je ne la touchais qu’avec mon vit ; un mouvement doux et réglé me faisait avaler à longs traits le plaisir : je n’en prenais que la fleur.

Les yeux fixés sur ceux de ma dormeuse, je collai de temps à autre ma bouche sur la sienne ; La précaution que j’avais prise de m’appuyer sur mes mains ne tint pas contre mon ravissement. Plus d’attention, je me laissai tomber sur elle ; il ne fut plus en mon pouvoir de faire autre chose que la serrer et la baiser avec fureur. La fin du plaisir me rendit l’usage de mes yeux, que le commencement m’avait ôté ; elle me rendit le sentiment que j’avais perdu : je ne le recouvrai que pour avoir des transports de Mme Dinvillc que je n’étais plus en état de partager. Elle venait de croiser les mains sur mes fesses,et, élevant le derrière, qu’elle remuait avec vivacité, m’attirait sur elle de toute sa force. J’étais immobile, et je lui baisais encore la bouche avec un reste de feu que le sien commençait à rallumer. — Cher ami, me dit-elle à demi-voix, pousse encore un peu, ah ! ne me laisse pas en chemin. Je me remis au travail avec une ardeur qui surpassa la sienne, car, à peine eus-je donné cinq ou six coups, qu’elle perdit connaissance. Plus animé que jamais, je doublai le pas, et. tombant sans mouvement dans ses bras, nous confondîmes nos plaisirs dans nos embrassements.

Revenus de notre extase, quand je me retirai, ce ne fut pas sans confusion. Je baissais la vue, la dame avait les yeux tournés sur moi et m’examinait. J’étais sur mon séant ; elle me passa une main sur le col, me fit recoucher sur l’herbe, et porta l’autre main à mon vit : elle se mit à le baiser. — Que veux-tu donc faire, grand innocent ? me dit-elle ; as-tu peur de me montrer un vit dont tu te sers si bien ? Te cachai-je quelque chose, moi ? Tiens, vois mes tétons, baise-les ; mets cette main-là dans mon sein, bon ; et celle ci, porte-la à mon con, à merveille ! Ah ! fripon, que tu me fais de plaisir ! Animé par ses caresses, j’y répondais avec ardeur ; mon doigt s’acquittait bien de sa fonction : elle roulait des yeux passionnés et soupirait beaucoup ; ma cuisse droite était passée dans les siennes ; elle la serrait avec tant de plaisir que, se laissant tomber sur moi, elle m’en donna des preuves parlantes. Mon vit avait repris toute sa roideur, mes désirs renaissaient avec une nouvelle vivacité. Je me mis à mon tour à l’embrasser, à la serrer dans mes bras. Elle ne me répondait que par des baisers. J’avais toujours le doigt dans son con ; je lui écartai les jambes en regardant ce charmant endroit avec complaisance. Ces approches du plaisir sont plus piquantes que le plaisir même. Est-il possible d’imaginer quelque chose de plus délicieux que de manier, que de considérer une femme qui se prête à toutes les postures que notre lubricité peut inventer ? On se perd, on s’abîme, on s’anéantit dans l’examen d’un joli con, on voudrait n’être qu’un vit pour pouvoir s’y engloutir. Pourquoi n’a-t-on pas la prudence de s’en tenir à ce charmant badinage ? L’homme, insatiable dans ses désirs, en forme de nouveaux dans le sein des plaisirs mêmes ; plus les plaisirs, qu’il goûte sont vifs, plus les degrés qu’ils font naître sont violents. Découvrez une partie de votre gorge à votre amant, il veut la voir tout entière ; montrez-lui un petit téton blanc et dur, il veut le toucher : c’est un hydropique dont la soif s’accroît en buvant ; laissez-le lui toucher, il voudra le baiser ; laissez-lui porter la main plus bas. il voudra y porter son vit : son esprit ingénieux à forger de nouvelles chimères, ne lui laissera pas de repos qu’il ne vous l’ait mis. S’il vous, le met, qu’arrive-t-il ? Semblable au chien de la fable, il lâche l’os pour prendre l’ombre, il perd tout en voulant tout avoir. Tout cela est excellent, mais, après tout, il en faut toujours revenir au proverbe : Vit bandant n’a point d’arrêt ; et moi-même qui prêche ici comme un docteur, hélas ! si le ciel l’avait voulu, je serais le premier à faire le contraire de ce que je dis. S’il se présentait une femme dans l’attitude où j’avais mis madame Dinville, les jambes écartées, me montrant un con rouge et vermeil, où il ne tiendrait qu’à moi de me plonger dans la source des plaisirs, M’amuserai-je à lanterner, à baisoter, à chatouiller, à la foutaise, enfin ? Non, parbleu ! je la foutrais sonica. Jugez, si je fus longtemps à coniller autour de ma fouteuse. Je l’enconnai vigoureusement ; elle, vive et infatigable, m’embrassa en répondant avec un mouvement égal aux coups que je lui donnais. J’avais les mains croisées sous ses fesses ; elle avait les siennes croisées sur les miennes ; je la serrais avec transport, elle me serrait de même ; nos bouches étaient collées l’une sur l’autre ; elles étaient deux cons, nos langues se foutaient ; nos soupirs poussés et confondus l’un dans l’autre, nous causaient une douce langueur qui fut bientôt couronnée par une extase qui nous enleva, qui nous anéantit.

On a raison de dire que la vigueur est un présent du ciel. Libéral envers ses fidèles serviteurs, il consent que leurs rejetons participent à cette libéralité, et que la force génitale soit héréditaire, et passe des moines à leurs enfants : C’est le seul patrimoine qu’ils laissent. Hélas ! je l’ai promptement dissipé ce patrimoine ! Mais n’anticipons pas sur les événements ; retarder le récit de son malheur, c’est en adoucir le sentiment.

Toute l’étendue du don du ciel m’était nécessaire pour sortir à mon honneur de l’aventure où j’étais engagé. Si j’avais à faire à forte partie je pouvais sans vanité m’appliquer les paroles du Cid :

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Je suis jeune, il est vrai, mais aux âmes bien nées La valeur n’attend pas le nombre des années.</poem>


J’en avais jusqu’alors donné les marques les plus vigoureuses à Mme Dinville ; mais il semblait que son courage s’accrût avec ma résistance, et elle s’aperçut bientôt que je ne battais plus qu’en retraite, elle m’excitait, elle m’animait à lui porter de nouveaux coups ; elle s’y présentait, et contribuait par ses caresses à me procurer une nouvelle victoire. Je recommençais à la regarder avec langueur ; je retrouvais du plaisir à lui baiser la gorge : je lui grattais le con avec plus de vitesse, je soupirais. Elle s’aperçut de l’heureuse disposition où ses caresses m’avaient mis. Ah ! fripon ! me dit-elle en me baisant les yeux, tu bandes ; qu’il est gros ! qu’il est long ! Coquin ! tu feras fortune avec un tel vit. Eh bien, veux-tu recommencer, dis ! Je ne lui répondis qu’en la renversant. Attends donc, reprit-elle, attends, mon ami, je veux te donner un plaisir nouveau, je veux te foutre à mon tour : couche-toi comme je l’étais tout à l’heure. Je me couchai aussitôt sur le dos ; elle monta sur moi, me prit elle-même le vit, me le plaça, et et se mit à pousser. Je ne remuais pas ; elle faisait tout, et je recevais le plaisir. Je la contemplais, elle interrompit son ouvrage pour m’accabler de baisers ; ses tétons cédaient au mouvement de son corps et venaient se reposer sur ma bouche. Une sensation voluptueuse m’avertit de l’approche du plaisir. Je joignis mes élancements à ceux de ma fouteuse, et nous nageâmes bientôt dans le foutre. Brisé par les assauts que j’avais reçus et livrés depuis près de deux heures, le sommeil me gagna. Mme Dinville me plaça elle-même la tête sur son sein, et voulut que je goûtasse les douceurs du sommeil dans un endroit où je venais de goûter celles de l’amour. — Dors, me dit-elle, mon cher amour ; dors tranquillement ; je me contenterai de te voir. Je dormis d’un profond sommeil, et le soleil s’approchait de l’horizon quand je me réveillai. Je n’ouvris les yeux que pour envisager Mme Dinville, qui me regardait d’un air riant. Elle s’était occupée à faire des ; nœuds pendant mon sommeil. Elle interrompit son ouvrage pour me glisser la langue dans la bouche, elle le laissa bientôt, dans l’espérance que j’allais l’occuper à faire des nœuds d’une autre espèce. Elle ne me cacha point ses désirs et me pressa de les satisfaire. J’étais d’une nonchalance qui irritait son impatience. Je n’avais pourtant ni dégoût, ni envie ; je sentais que s’il eût dépendu de moi, j’aurais préféré le repos à l’action. Ce n’était pas là le dessein de la dame, qui m accablait en vain de caresses brûlantes et voulait réveiller en moi des désirs que je n’avais plus. Elle s’y prit d’une autre façon pour animer ma chaleur éteinte. Elle se coucha sur le dos, et se troussa. Elle connaissait combien une semblable vue avait de pouvoir sur moi, et, me prenant le vit, elle me branlait avec plus ou moins de vitesse, proportionnément aux degrés de volupté qu’elle sentait naître. Elle en vint enfin à son honneur : je bandai, elle triomphait. Le retour de ma virilité la réjouit beaucoup. Charmé moi-même de l’effet de ses caresses, je lui donnai des marques de reconnaissance qu’elle reçut avec fureur. Elle me serrait, s’élançait avec des mouvements si passionnés que je déchargeai soudain, et avec tant de plaisir que je voulus du mal à mon vit de l’obstacle qu’il avait apporté par sa lenteur à la jouissance. Afin de tromper la vigilance des curieux, nous quittâmes le gazon où nous venions de nous livrer aux plaisirs de l’amour ; nous fîmes quelques tours dans le jardin, et ces tours ne se firent pas sans causer. — Que je suis contente de toi, mon cher Saturnin, me disait Mme Dinville, et toi ? — Moi, lui répondis-je, je suis enchanté des plaisirs que vous venez de me faire goûter ! — Oui, reprit-elle, mais je ne suis guère sage de m’être ainsi livrée à tes désirs ; sauras-tu être discret, Saturnin ? — Ah ! vous ne m’aimez guère, lui dis-je, puisque vous me croyez capable d’abuser de vos bontés. Contente de ma réponse un tendre baiser en aurait été le prix si nous n’avions pas été aperçus. Elle me serra la main contre son cœur, et me regarda d’un air de langueur qui me charma.

Nous allions vite ; la conversation était tombée, et je m’aperçus que Mme Dinville jetait un œil inquiet de côté et d’autre. Je n’avais garde d’en pénétrer la cause, ne la soupçonnant pas ; vous ne l’auriez pas soupçonnée vous-même, et vous ne vous seriez pas attendu qu’après avoir travaillé comme nous l’avions fait, la dame ne fût pas contente de sa journée. L’envie de la couronner avec honneur la rendait attentive à examiner si quelque indiscret ne viendrait pas y mettre obstacle. Mais, direz-vous, elle avait donc le diable au cul ? D’accord ; elle venait de sucer ce pauvre petit bougre ; il n’en pouvait plus ; il était rendu, cela est vrai ; mais comment a-t-elle fait pour le faire bander ? Oh ! c’est ce que je vais vous démontrer.

En garçon qui commençait à savoir son monde, puisque je venais d’y faire une entrée assez brillante, j’aurais manqué à mon devoir si je n’avais pas conduit Mme Dinville dans son appartement. Je me préparais à lui tirer ma révérence, à l’embrasser pour la dernière fois de la journée, quand elle me dit : Tu veux t’en aller, mon ami ? il n’est pas huit heures ; va, reste, je ferai la paix avec ton curé. (Je lui avais dit que j’étais un des pensionnaires de M. le curé.) L’idée du presbytère me chagrinait, et je n’étais pas fâché que Mme Dinville m’épargnât une heure de dégoût. Nous nous assîmes sur son canapé, et, après avoir fermé sa porte, elle me prit une main qu’elle pressa dans les siennes et me regarda fixement, sans mot dire. Ne sachant que penser de ce silence, elle le rompit en me disant : tu ne te sens donc plus d’envie ? Mon impuissance me rendait muet ; je rougissais de ma faiblesse. Nous sommes seuls, Saturnin, reprit-elle en redoublant ses caresses ; personne ne nous voit ; déshabillons-nous et couchons-nous sur mon lit. Viens, mon fouteur, que je te fasse bander ! Elle me porta sur son lit, m’aida à me déshabiller, et me vit bientôt dans l’état qu’elle me désirait, nu comme la main. Je la laissais faire, plutôt par complaisance que par l’idée du plaisir. Elle me renverse, me couvre de baisers, me suce le vit, et aurait voulu le faire entrer jusqu’aux couilles dans sa bouche. Elle semblait extasiée dans cette posture, me couvrait d’une salive semblable à de l’écume ; mais elle employait en vain toute la chaleur de ses caresses pour ranimer un corps glacé par l’épuisement. A peine mon vit se redressait-il, et c’était si faiblement, que, n’en pouvant tirer aucun service, elle courut d’abord chercher dans une cassette une petite fiole de liqueur blanchâtre qu’elle versa dans le creux de sa main, et m’en frotta les couilles et le vit à plusieurs reprises. Va, me dit-elle alors avec satisfaction, nos plaisirs ne sont pas encore passés : tu m’en diras tout à l’heure des nouvelles. Sa prédiction s’accomplit ; je sentis bientôt des picotements dans les couilles qui commencèrent à me faire entrevoir la possibilité de la réussite de son secret. Pour lui donner le temps d’opérer, elle se déshabilla à son tour. A peine se fut-elle montrée nue à mes yeux qu’une chaleur prodigieuse m’enflamma le sang, mon vit banda, mais d’une force inexprimable. Je devins enragé et, m’élançant sur elle, à peine lui donnai-je le temps de se mettre en posture. Je la dévorais ; je ne voyais plus, ne connaissais plus rien : toutes mes idées étaient concentrées dans son con. Arrête, mon amour ! s’écria-t-elle en s’arrachant de mes bras ; ne nous pressons pas si fort ; ménageons nos plaisirs, et, puisqu’ils ne durent qu’un instant, rendons-les vifs et délicieux. Mets ta tête à mes pieds, et tes pieds à la mienne. Je le fis. Mets ta langue dans mon con, ajouta-t-elle, et moi je vais mettre ton vit dans ma bouche. Nous y voilà ! Cher ami, que tu me fais de plaisir ! Dieux ! qu’elle m’en faisait aussi ! Mon corps étendu sur son corps nageait dans une mer de délices ; Je lui dardais ma langue le plus avant que je pouvais ; j’aurais voulu y mettre la tête, m’y mettre tout entier ! Je suçais son clitoris ; j’allais chercher un nectar rafraîchissant jusqu’au fond de son con, plus délicieux mille fois que l’imagination des poètes faisait servir sur la table des dieux par la déesse de la jeunesse, à moins que ce ne fût le même et que la charmante Hébé ne leur donnât son conin à sucer. Si cela est, tous les éloges qu’ils ont donnés à cette boisson divine sont bien au-dessous de la réalité. Quelque critique de mauvaise humeur m’arrêtera ici tout court et me dira : Que buvaient donc les déesses ? Elles suçaient le vit de Ganimède ! Mme Dinville me tenait le derrière serré et je pressais ses fesses : elle me branlait avec la langue et avec les lèvres, je lui en faisais autant ; elle m’avertissait, par de petites secousses et en écartant les cuisses, du plaisir qu’elle ressentait, et les mêmes signes qui m’échappaient lui faisaient connaître celui que j’avais. Modérant où augmentant la vivacité de nos caresses, nous plongions ou nous avancions celui qui devait y mettre le comble ; il vint insensiblement ; alors, nous roidissant, nous serrant avec plus de force, il semblait que nous eussions ramassé toutes les facultés de l’âme pour ne nous occuper que des délices que nous allions goûter.

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Loin d’ici, fouteurs à la glace. Dont le vit, effrayé d’aller jusqu’à deux coups, Mollit au premier choc et déserte la place ; Loin d’ici : mes transports ne sont plus faits pour vous.</poem>


Nous déchargeâmes en même temps ; je pressai dans ce moment, je couvris avec mes lèvres tout le con de ma fouteuse ; je reçus dans ma bouche tout le foutre qui en sortait : je l’avalai ; elle en fit autant de celui qui sortait de mon vit. Le charme se dissipa ; je ne gardai du plaisir que je venais d’avoir qu’une légère idée qui s’évanouit comme l’ombre. Tels sont les plaisirs. Retombé dans le même état de dégoût et d’affaiblissement dont le secret de Mme Dinville m’avait retiré, je la pressai d’y recourir encore. — Non, mon cher Saturnin ; je t’aime trop pour vouloir te donner la mort. Sois content de ce que nous avons fait. Je n’étais pas pressé de mourir, et un plaisir qu’il me fallait acheter aux dépens de ma vie n’était plus de mon goàt. Nous nous rhabillâmes.

J’étais trop content de ma journée pour négliger de prendre des assurances d’en passer encore de semblables. Mme Dinville, qui n’était pas plus mal satisfaite que moi, me prévint : Quand reviendras-tu ? me demanda-t-elle en m’embrassant. — Le plus tôt que je pourrai, lui répondis-je, mais jamais assez tôt pour mon impatience ; demain, par exemple ? — Non, me dit-elle en souriant, je te donne deux jours : reviens le troisième, et le jour que tu viendras, continua-t-elle en rouvrant la cassette d’où elle avait tiré l’eau admirable dont j’avais éprouvé la vertu, et en me donnant quelques pastilles qu’elle y prit, tu auras soin de manger cela. Surtout, Saturnin, sois discret ; ne parle à personne de tout ce que nous avons fait. Je l’assurai du secret et l’embrassai pour la dernière fois, la laissant bien persuadée qu’elle venait de recevoir mon pucelage.

Mme Dinville était restée dans son appartement. Elle m’avait averti de faire en sorte que l’on ne m’aperçût pas ; l’obscurité me favorisait. Je traversais une antichambre, quand je me vis arrêté, par qui : par Suzon. Sa vue me rendit immobile : il semblait que sa présence me reprochât les plaisirs que je venais de goûter. Mon imagination, d’intelligence avec mon cœur pour m’accabler, la rendait témoin de tout ce que je venais de faire. Elle me prit la main, et demeura sans parler. La confusion me faisait baisser la vue. Inquiet cependant de son silence, je ne confiai qu’à mes yeux le soin de lui en demander la cause ; je les levai sur elle, je m’aperçus qu’elle versait des larmes. Ce spectacle me perça le cœur. Suzon y reprit dans le moment l’empire que les caresses de Mme Dinville lui avaient enlevé. Je ne pouvais concevoir que sa maîtresse eût fasciné mes yeux et mon cœur au point de ne voir qu’elle, de n’être sensible qu’au plaisir d’être avec elle, et j’avais ]a simplicité de regarder comme l’effet de quelque sortilège ce qui n’était que l’effet de mon tempérament et de l’attrait des plaisirs. — Suzon, dis-je à ma sœur d’un ton pénétré, tu pleures, ma chère Suzon ; tes yeux se couvrent de larmes quand tu me vois ; est-ce moi qui les fais couler ? — Oui, c’est toi, me répondit-elle ; je rougis de te l’avouer. cruel Saturnin, oui, c’est toi qui me les arraches ; c’est toi qui me désespères et qui vas me faire mourir de douleur. — Moi, m’écriai-je ; juste ciel ! Suzon, oses-tu me faire de pareils reproches ? Les ai-je mérités, moi qui t’aime ? — Tu m’aimes, reprit-elle ; ah, je serais trop heureuse si tu disais vrai ! Mais peut-être viens-tu de jurer la même chose à Mme Dinville. Si tu m’aimais, l’aurais-tu suivie ? N’aurais-tu pas imaginé un prétexte pour venir me trouver quand je suis sortie ? Vaut-elle mieux que moi ? Qu’as-tu fait avec elle toute l’après-dînée ? Qu’as-tu dit ? Pensais-tu à Suzon qui t’aime plus que sa vie ? Oui. Saturnin, je t’aime ; tu m’as inspiré une si forte passion, que je mourrais de douleur si tu n’y répondais pas. Tu te tais ? poursuivit-elle ; ah : je le vois, ton cœur ne se faisait pas de violence pour suivre une rivale que je vais haïr à la mort. Elle t’aime, je n’en saurai douter ; tu l’aimes aussi : tu n’étais occupé que du plaisir qu’elle te promettait, tu ne songeais guère à la douleur que tu m’allais causer. Attendri par ses reproches, je ne pus dissimuler à Suzon qu’ils déchiraient mon cœur. — Cesse tes plaintes, lui dis-je ; n’accable plus ton malheureux frère ; tes larmes le désespèrent ; je t’aime plus que moi-même, plus que je ne peux te dire ! — Ah ! reprit-elle, tu me rends la vie, et je consens à oublier ton injure si tu me promets de ne plus voir Mme Dinville. As-tu assez d’amour pour ta Suzon pour la lui sacrifier ? — Oui, lui répondis-je, je te la sacrifie ; tous ses charmes ne valent pas un seul de tes baisers. En lui disant cela, je l’embrassais, et elle ne rebutait pas mes caresses. — Saturnin, reprit-elle en me serrant tendrement la main, sois sincère : Mme Dinville aura exigé de toi que tu reviennes la voir : quand t’a-t-elle dit de revenir ? — Dans trois jours, lui répondis-je. — Et tu viendras, Saturnin ? me dit-elle tristement. — Que dois je faire ? lui répliquai-je. Si je viens, ce sera pour la désespérer par mon indifférence ; si je ne viens pas, qu’il en coûtera à mon cœur de ne pas voir Suzon ! — Je veux que tu reviennes, reprit-elle, mais il ne faudra pas qu’elle te voie j e ferai semblant d’être malade ; je resterai au lit, nous passerons la journée ensemble ; mais, ajouta-t-elle, tu ne sais pas où est ma chambre ? Suis moi : je vais t’y conduire. Je me laissai mener ; j’étais tremblant, je pressentai le malheur qui m’allait arriver. — Voici, me dit Suzon, mon appartement. Regretterais-tu d’y passer la journée avec moi ? Ah ! Suzon, lui répondis-je, quelles délices, tu me promets ! Nous serons seuls, nous nous abandonnerons à nos amours ! Suzon, conçois-tu ce bonheur comme moi ? Elle se taisait et paraissait rêver profondément ; je la pressai de s’expliquer. — Je t’entends, me dit-elle d’un ton d’indignation ; tandis que nous serons seuls, que nous nous livrerons à l’amour, ah ! Saturnin, que tu parles de ce jour avec indifférence, et que les plaisirs qu’il te promet te touchent peu, si tu as la force de les attendre deux jours !

Je sentis son reproche ; l’impossibilité de lui en prouver l’injustice me désespérait, je maudissais les plaisirs que je venais de goûter avec Mme Dinville. Ciel ! m’écriai-je, je suis avec Suzon, j’aurais donné mon sang pour jouir de ce bonheur ! J’y suis, et je n’ai pas la force de former un désir ! Au milieu de cette confusion de pensées, je me ressouvins des pastilles que Mme Dinville m’avait données. Je jugeai que l’effet devait en être semblable à celui de son eau. Ne doutant pas qu’il ne fût aussi prompt, j’en avalai quelques-unes. L’espoir de désabuser bientôt Suzon me la fit embrasser avec une ardeur qui nous trompa tous deux. Suzon la prit pour un témoignage de mon amour, et moi, comme une marque de retour de ma vigueur. Suzon abusée par l’idée du plaisir, tomba sur son lit à demi pâmée. Quoique je me défiasse encore de moi-même, j’aurais cru l’accabler de douleur si je ne m’étais pas mis en état de justifier son espérance. Je me couchai sur elle, et collant ma bouche sur la sienne, je lui mis mon vit dans la main. Il était encore mou, mais je crus que son secours hâterait l’effet des pastilles. Elle le serrait, le remuait, le branlait ; rien n’avançait : un froid mortel m’avait glacé le corps ! C’est Suzon, disais-je, que j’embrasse, et je ne bande pas ! Je baise ses tétons que j’idolâtrais hier ; ne sont-ils plus les mêmes aujourd’hui ? ils n’ont rien perdu de leur rondeur, de leur dureté, de leur blancheur. Sa peau est aussi douce, ses cuisses aussi brûlantes. Elle les écarte, j’ai le doigt dans son con, hélas ! et je ne puis y mettre que le doigt ! Suzon soupirait de ma faiblesse ; je maudissais le présent de Mme Dinville. Je m’imaginais qu’elle avait prévu ce qui devait m’arriver en sortant de chez elle, et avait voulu achever avec ses pastilles l’épuisement où j’étais. L’opiniâtreté de ma froideur confirma si bien cette pensée, que j’allais avouer mon impuissance à Suzon, quand je sortis d’embarras d’une manière inattendue. On va penser que l’amour fit d’abord un miracle, que je bandai et que je foutis : point du tout ; une main invisible ouvrant avec fracas les rideaux du lit, vint m’appliquer un soufflet. Effrayé de cet accident, je n’eus pas la force de crier ; je m’enfuis, et laissai Suzon exposée à la fureur du spectre, ne doutant pas que ce n’en fût un. Je sortis du château en diligence, et tremblais encore dans mon lit, où je m’étais mis en arrivant chez le curé, à qui je fis le détail d’un spectacle que je n’avais pas vu et que mon trouble croyait véritable. Je n’en imposai au curé que sur le lieu de la scène, que je ne mis pas dans la chambre de Suzon. La frayeur et l’épuisement me procurèrent un sommeil profond. Je me réveillai avec le même accablement, et dans l’impossibilité de me lever. Surpris d’une lassitude que je n’attribuais qu’au plaisir, je connus combien il est nécessaire de se ménager, et ce que coûte trop de complaisance pour les désirs de ces sirènes voluptueuses qui vous sucent, qui vous rongent et qui ne vous lâcheraient qu’après avoir bu votre sang, si leur intérêt soutenu de l’espérance de vous attirer encore par leurs caresses, ne les retenait. Pourquoi ne fait-on ces réflexions qu’après coup ? C’est qu’en amour la raison n’éclaire que le repentir.

Le repos avait effacé de mon esprit ces idées lugubres tracées par la frayeur. Devenu tranquille sur mon compte, mon cœur ne sentait que les inquiétudes que lui causait l’incertitude du sort de Suzon. Je me représentais avec horreur l’état où je l’avais laissée. Elle sera morte, disais-je tristement ; timide comme je la connais, il n’en fallait pas tant pour la faire mourir. Elle n’est donc plus ! continuais-je, accablé par cette réflexion cruelle. Suzon n’est plus ! ah ! ciel ! Mon cœur, que ces tristes pensées avaient serré d’abord, s’ouvrit bientôt à un torrent de larmes ; j’en versais encore quand Toinette entra. Sa vue m’épouvanta ; je tremblais qu’elle ne vînt me confirmer un malheur que je craignais, et je mourais d’envie de l’entendre. Il n’en fut pas question. Son silence à ce sujet, joint à celui de tout le monde, me fit croire que ma douleur était sans fondement. Je pensai que Suzon en avait été quitte comme moi de la frayeur. Le chagrin que j’avais ressenti de sa mort fit place à la curiosité de savoir ce qui s’était passé dans la chambre après mon départ ; mais c’était une curiosité que je ne pouvais satisfaire qu’après mon rétablissement.

Les deux jours de repos que Mme Dinville m’avait accordés étaient expirés ; nous étions au troisième, et quoique je commençasse à me sentir mieux, je ne fus point tenté d’aller chercher de l’exercice au château. Je ne songeais cependant qu’avec chagrin à l’obstacle que cette funeste aventure avait mis au plaisir que je m’étais promis d’avoir avec Suzon. Cette réflexion me fit penser aux pastilles de Mme Dinville : je mangeai ce qu’il m’en restait. Je ne dirai pas si leur effet fut vif ou lent ; mais, après avoir profondément dormi, je fus réveillé par la force de l’érection que je sentais. J’en étais effrayé, et j’aurais craint pour mes nerfs si la même chose ne me fût pas arrivée chez Mme Dinville. Qu’on rie de mon embarras ; qu’on dise si l’on veut : Eh quoi ! brave Saturnin, n’aviez-vous pas vos quatre doigts et le pouce pour vous soulager ? Comment font ces cafards de prêtres, ces hypocrites dont le cœur est corrompu ? On ne trouve pas toujours un bordel, une dévote sous la main ; mais on a toujours un vit : on s’en sert, on se branle. Je le savais, mais il n’y avait pas longtemps que, pour m’en être trop donné, je me trouvais brisé, moulu. En garde contre la tentation, je me branlotais et faisais venir le plaisir jusqu’à ma portée. Quoiqu’il ne soit pas si grand que quand on fait le cas, on a toujours la faculté de le répéter autant de fois qu’on le juge à propos. L’imagination se joue, voltige sur les objets, qui nous charment les yeux. Avec un coup de poignet, on fout la brune, la blonde, la petite, la grande ; les désirs ne connaissent pas l’intervalle des conditions ; ils vont jusque sur le trône, et les beautés les plus fières, forcées de céder, accordent ce qu’on leur demande. Du trône on descend à la grisette ; on se représente une fille timide, neuve sur les plaisirs de l’amour et qui ne connaît la nature des désirs que par ceux qu’elle ressent. On lui donne un baiser ; elle rougit ; on lève un mouchoir qui cache une gorge naissante ; on descend plus bas : on y trouve ; un petit conin chaud, brûlant ; on lui fait faire une résistance que le plaisir augmente, diminue, fait évanouir à son gré. Le plaisir est vif et pétillant. Semblable à ces feux qui sortent de la terre, il se montre et s’échappe ! l’avez-vous vu ? Non ; la sensation qu’il a excitée dans votre âme a été si vive, si rapide, qu’anéantie par la force de son impulsion elle n’a pu le connaître. Le vrai moyen de le fixer, c’est de badiner avec lui, de le laisser échapper, de le retrouver enfin, en vous livrant tout entier à ses transports.

J’étais dans cette occupation, la nuit était déjà fort avancée, j’allais finir mon badinage pour m’abandonner au sommeil, quand j’entrevis quelqu’un paraître au pied de mon lit et disparaître à l’instant. Je fus moins effrayé que réveillé par une pareille vision. Je crus que c’était l’abbé dont je vous ai parlé dans le portrait de mademoiselle Nicole. C’est lui, disais-je, oui ; où va ce bougre-là ? Foutre Nicole ? Ira-t-il seul ? Non, parbleu ! car je vais le suivre. Je me lève ; j’étais en habit de combat, c’est-à-dire en chemise ; je savais les êtres. Je gagnai le corridor où était la chambre de la belle. J’entrai dans une chambre dont la porte n’était pas fermée ; je la repoussai et m’approchai avec circonspection du lit où je croyais nos amants occupés à prendre leurs ébats. J’écoutais, j’attendais que des soupirs m’apprissent si mon tour viendrait bientôt. Quelqu’un respirait ; mais ce quelqu’un paraissait être seul. Ne serait-il pas venu ? dis-je alors bien étonné. Non, assurément il n’y est pas. Oh ! parbleu, monsieur l’abbé, vous n’en tâterez, ma foi ! que d’une dent. Dans l’instant, je coulai ma main entre les jambes de la belle dormeuse, et je lui donnai un baiser sur la bouche. — Ah ! me dit-on d’une voix basse, que vous vous êtes fait attendre ! Je dormais ; montez donc. Ma foi ! Je montai dans le lit, et bientôt sur ma Vénus, qui me reçut assez froidement dans ses bras. Je fus sensible à cette marque d’indifférence qu’elle croyait donner à son amant, et je m’applaudis du succès que la fortune me donnait, en me procurant une vengeance aussi douce des mépris de ma tigresse. Je la baisais à la bouche, lui pressais les yeux avec les lèvres, me livrais à des transports d’autant plus vifs qu’on leur avait toujours refusé la liberté d’éclater. Je lui maniais les tétons, qui étaient bien séparés, bien formés, bien durs. Je nageais dans un fleuve de délices ; je fis enfin ce que j’avais souhaité tant de fois de faire avec divinité. Assurément, elle ne s’attendait pas à être si bien régalée. A peine eus-je fini ma carrière, que, me sentant encore plus animé que jamais, je repris du champ, et je donnai une nouvelle matière à ses éloges. Je l’avais mise en goût et jugeai par ses caresses qu’elle n’attendait plus que cette troisième preuve de valeur pour mettre cette nuit au-dessus de toutes celles qu’elle disait que nous avions passées ensemble. Quoique je fusse capable de lui donner encore cette nouvelle satisfaction, la crainte d’être surpris par l’abbé amortit un peu mon courage. Je ne savais à quoi attribuer sa lenteur. Je ne pouvais en accuser qu’un changement de résolution. Sur cette pensée, je crus que je pouvais reprendre haleine et ne pas précipiter mes coups ainsi que Je l’avais fait.

Deux décharges abattent un peu les fumées de l’amour ; l’illusion se dissipe, l’esprit rentre dans ses fonctions ; les nuages s’évanouissent, les objets cessent d’être ce qu’ils étaient. Les belles y gagnent, les laides y perdent : tant pis pour elles. Je voudrais en passant donner un conseil à celles-ci : Laides, quand vous accordez des faveurs à quelqu’un, ménagez-le, ne l’en accablez pas : quand on n’a plus rien à désirer, on ne désire plus ; la passion s’éteint par une jouissance trop complète. Prenez-y garde : vous n’avez pas les ressources d’une belle à qui les charmes promettent le retour de ces désirs qu’elle vient d’assouvir et que le moindre désir rallume.

La réflexion que je viens de faire cadre le mieux du monde avec ce que j’éprouvai. Je m’amusais à parcourir avec la main les beautés de ma nymphe ; j’étais surpris de trouver une différence dans les choses que j’avais maniées un instant auparavant. Ses cuisses, qui m’avaient paru douces, fermes, remplies, unies, étaient devenues ridées, molles, sèches ; son con n’était plus qu’une conasse, ses tétons que des tétasses ; ainsi du reste. Je ne pouvais concevoir un pareil prodige ; j’accusais mon imagination de s’être refroidie, je voulais du mal à ma main du rapport trop fidèle qu’elle lui faisait. Ce n’est pas que ces témoignages incertains m’eussent empêché de livrer un troisième assaut ; j’allais m’y présenter, et on se préparait à le recevoir, quand nous entendîmes un charivari dans la chambre voisine, que je prenais pour celle de la dame Françoise, notre vénérable gouvernante. Ah ! le chien ! criait une voix enrouée ; Ah ! la misérable ! ah ! la.... A ces mots ma mignonne, que j’allais enconner, me dit : ah ! mon Dieu, que fait-on à notre fille ; est-ce qu’on la tue ? Allez donc voir. Je ne répondis rien. Frappé de ce discours, je ne savais où j’en étais : Notre fille, disais-je ; Nicole aurait-elle une fille ? Le bruit continuait, et l’on me pressait d’aller au secours. Je ne m’en remuais pas davantage. On s’impatiente, on court au fusil, on allume de la chandelle, et à sa faveur je reconnais la dame Françoise, cette vieille... Je demeurai pétrifié à la vue de ce fantôme ; je vis bien que je m’étais trompé de porte, et j’étais enragé de me voir la dupe de ce misérable abbé, ou plutôt de mon impatience qui ne m’avait pas permis de faire attention à la disposition des lieux. Je jugeai que M. le curé, s’étant trouvé en humeur de s’ébaudir cette nuit-là avec sa chambrière, l’avait avertie de se tenir prête pour la danse, et que, me prenant pour le pasteur, elle m’avait reproché ma lenteur à me rendre à mon poste ; que le saint prêtre pour éviter le scandale, avait attendu que la nuit fût avancée pour tenir parole à sa beauté ; qu’ayant trouvé la porte de la chambre de sa nièce ouverte, la tendresse l’avait fait courir à son lit, où il l’avait trouvée en flagrant délit ; que, frappé de l’ idée d’infamie dont elle couvrait son front, il avait donné aux combattants des témoignages de sa colère plus forts que jeu. Mais le bruit redouble, on s’étrangle : eh ! vite, dame Françoise, volez sur le champ de bataille ; l’honneur, l’amour, la tendresse, tout vous en fait une loi ; allez séparer des ennemis dont la mort vous affligerait ; mais, au nom de Dieu, laissez la porte ouverte pour que je me sauve. Oh ! la chienne 1 elle la ferme à double tour. Malheureux Saturnin, comment vas-tu t’échapper ? La dame Françoise va s’apercevoir que ce n’est pas avec le curé qu’elle a eu affaire, il va venir, il va te trouver, tu es perdu, tu payeras pour les autres. Telles étaient les pensées qui m’agitaient tandis qu’on se chamaillait dans la chambre voisine. Inutilement j’avais essayé de sortir ; réduit à pleurer mon triste malheur, je m’y abandonnais. Insensé que j’étais, comme si je n’eusse pas déjà éprouvé qu’au sein du malheur même on ne doit paS désespérer de sa félicité ; qu’au moment où l’on se croit accablé par les coups redoublés du sort nous devons au hasard les jours les plus fortunés. Divine Providence, c’est par tes décrets que ces merveilles s’opèrent.

Au moment où je me livrais au désespoir, la fortune tournait sa roue. Le bruit avait augmenté à la vue de Françoise, à qui le chandelier tomba des mains à l’aspect du curé qu’elle prit pour un spectre. Qu’on se peigne cette scène. Si j’en avais été témoin, j’en épargnerais la peine, mais la connaissance des parties me met en état de fournir des idées pour la perfection du tableau. Qu’on se figure M. le curé, nu, en caleçon, un bonnet gras sur la tête, ses petits yeux étincelants, sa grande bouche écumante, frappant comme un sourd sur l’abbé et sur la nièce. Qu’on se représente ces deux amants, la belle tremblante et s’enfonçant dans son lit, l’abbé se cachant sous la couverture et n’en sortant que pour allonger de temps en temps des coups de poing sur le visage du pasteur. Qu’on se trace la figure d’une mégère en chemise, qui, la chandelle à la main, s’approche, veut crier, demeure interdite, et tombe de frayeur sur une chaise.

L’abbé, autant que j’en fus juge par le silence qui régna tout à coup, craignant d’être découvert, gagna le large. Le curé l’avait suivi. On ouvrit dans le moment ma porte, et on la referma sur-le-champ. Je tremblais, on se coucha ; nouvelle frayeur. Je crus que c’était Françoise, et que le curé allait venir. Tout était pourtant calme, et cette Françoise qui était dans le lit, pleurait et soupirait. J’étais confus. Que penser de ces pleurs ? Pourquoi soupire-t-elle ? pourquoi est-elle revenue ? Le curé reviendra-t-il ou non ? Ah ! que l’incertitude est une peine cruelle ! Je voulais sortir, mais je n’osais ; enfin, j’allais m’évader quand le diable m’arrêta. Mon cœur me disait : Tu vas te coucher, nigaud, et tu bandes encore ! Tu abandonnes Françoise à son chagrin : crains-tu de la consoler ? c’est bien la moindre chose que tu lui doives ; elle t’a comblé de caresses, refuseras-tu d’essuyer ses larmes ? Elle est vieille, d’accord ; laide, soit ; mais n’a-t-elle pas un con, nigaud ? Ma foi ? seigneur Diable, vous avez raison.

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Un con n’est jamais qu’un con ; Quand on bande tout est bon.</poem>


Va, va, continua la voix intérieure, l’orage est passé ; il n’y a plus rien à craindre, remets-toi dans le lit. Je succombai à la tentation, je m’y remis. Je commençai à me coucher, avec beaucoup de discrétion, sur le bord ; mais toute ma politesse ne put arrêter un cri de frayeur qui partit et fut dans l’instant étouffé par la crainte d’être entendu. Je sentis qu’on se retirait dans le coin du lit. Une pareille façon d’agir augmentait ma surprise. Je crus que je la ferais bientôt cesser, en expliquant mes intentions, et cette explication fut de porter la main entre les cuisses de ma vieille : elles étaient redevenues tout ce qu’on pouvait les souhaiter et pour exciter les plus vives émotions, plus douces et plus fermes qu’elle ne m’avaient encore paru. Ma main ne s’y arrêta pas longtemps, quelque plaisir qu’elle y sentît : elle passa au conin. La motte, le ventre, les tétons, tout était aussi doux, aussi uni qu’à une jeune fille. Je maniais, je baisais, je suçais, on me laissait faire, et mon feu ranimant celui de ma belle, elle cessa de soupirer, se rapprocha de moi et moi d’elle. De la tristesse je la fis passer à l’amour ; je l’enconnai. — Ah ! me dit-elle alors, cher abbé, qui t’a conduit ici ? Que ton amour me va coûter de larmes ! Quoique attendri par ce discours, mes transports redoublèrent : je serrai tendrement ma nymphe, confondis mes soupirs avec les siens, et scellai, par des élancements de volupté, les délices qui les avaient précédés. L’extase finie, je me rappelai les paroles qu’on venait de m’adresser. Où suis-je ? me dis-je alors. Est-ce avec Françoise ? Quelle différence de plaisirs ! Mais elle me prend pour l’abbé ; elle dit que mon amour va lui faire verser des larmes : partagerait-elle avec Nicole les hommages de ce faquin-là ? Elle est apparemment jalouse, la bonne dame ; elle croyait posséder toute seule le cœur de son mignon. Pourquoi est-elle vieille ? Pourquoi est-elle laide ? Malgré sa laideur, j’eus encore assez de hardiesse pour m’exposer au désagrément de l’examen dont je m’étais si mal trouvé après les premiers coups. Ma main impatiente brûlait de retourner sur son corps sec et décharné ; et quoique je sentisse que le dégoût serait le prix de mon imprudence, et que si je voulais courir encore une poste, le meilleur parti était d’attendre le retour de ma vigueur, sans la précipiter par un badinage qui pourrait bien au contraire l’éloigner, je hasardai de porter la main ; mais, ô surprise ! partout la même fermeté, le même embonpoint, la même chaleur, la même douceur ! Que veut dire ceci ? repris-je alors. Est-ce Françoise ? ne Test-ce pas ? Non assurément, ce ne peut être que Nicole. O ciel ! c’est Nicole ! J’en ai pour garants le plaisir qu’elle m’a donné et la continuation de ce plaisir que je ressens encore à la toucher. Elle se sera échappée de son lit, aura profité de la faiblesse de Françoise pour venir se réfugier ici : elle s’imagine que son amant est venu aussi s’y cacher ! Je retrouvais dans cette explication toute naturelle des paroles qu’elle m’avait adressées. Rempli de cette pensée, je sentis les désirs qu’elle m’avait autrefois inspirés renaître avec plus de force. Le croirait-on ? J’eus regret aux plaisirs que je croyais n’avoir eus qu’avec Françoise, parce que c’était autant de diminué sur ceux que j’allais goûter avec Nicole. Je me mis en état de récompenser le temps perdu. — Ma chère Nicole, lui dis-je en la baisant tendrement et en tâchant de contrefaire la voix de l’abbé, de quoi t’occupes-tu ? Peux-tu te laisser aller à la tristesse, quand l’heureux hasard qui nous rassemble veut que nous nous livrions à notre amour ? Foutons, ma chère enfant ; noyons notre malheur dans le foutre ! — Que tu me fais de plaisir, me répliqua t-elle en répondant à mes caresses ! Ta douleur augmentait la mienne. Oui, profitons du seul moyen que nous ayons de nous consoler. Arrive tout ce qui pourra, tant que j’aurai cela dans la main, continua-t-elle en me prenant le vit, je ne craindrai pas la mort même. N’appréhende pas qu’on vienne nous interrompre, j’ai retiré la clef ; ils ne peuvent entrer qu’en jetant la porte en dedans. Charmé de cette heureuse précaution inspirée par l’amour, je la caressais avec un nouveau plaisir ; mon vit, qu’elle tenait toujours dans sa main, était toujours d’une raideur qui l’enchantait. Vite, lui dis-je, mets-le dans ton cher conin ; Nicole, que tu me fais languir ! Elle ne se pressait pas, continuait de serrer mon vit, et paraissait surprise de sa grosseur, qu’elle prenait pour l’effet de ses caresses. Je voulus le mettre moi-même. — Attends, mon cher ami, me répondit-elle en me pressant dans ses bras ; laisse-le venir encore plus gros et plus long. Ah ! je ne l’ai jamais vu plus beau : est-il augmenté cette nuit ! l’abbé n’était pas apparemment si bien partagé que moi des dons de la nature. J’aurais ri de cette pensée de Nicole, si je n’avais pas été en humeur de faire autre chose. — Ah ! que je vais avoir de plaisir ! reprit-elle en se le mettant. Pousse, cher ami, pousse ! Il n’était pas besoin de me le dire : j’enfonçai, et, m’appesantissant sur sa gorge, sur son sein, je les couvrais de baisers de feu, je restais immobile, j’y mourais. — Fais donc ! me dit Nicole, en se remuant avec des transports qui me tirèrent de mon assoupissement extatique ; fais donc ! Je me mis aussitôt à lui allonger des coups de cul, des coups de vit, qui lui allaient, disait-elle, jusqu’au cœur. Ah ! ceux qu’elle me rendait allaient bien plus loin ! Ils portaient le feu, ils me lançaient des torrents de délices jusqu’aux parties les plus reculées de mon corps. O décharge ! tu es un rayon de la Divinité, ou plutôt n’es-tu pas la Divinité même ? Pourquoi ne meurt-on pas dans les transports ? La mère du dieu des buveurs ne mourut-elle pas quand Jupiter, cédant à ses instances, la foutit en dieu ? car ne vous y méprenez pas, messieurs les mythologistes, ce n’est pas l’appareil, l’éclat, ni la majesté du souverain des cieux, qui ravirent le jour à Sémélé : c’est le foutre embrasé qui sortait de son vit. Mahomet, j’observe ta loi, Je suis ton plus fidèle croyant ; mais tiens-moi parole ; fais-moi jouir pendant mille ans des embrassements continuels du plaisir toujours renaissant de la décharge délicieuse que tu promets à tes fidèles avec tes houris rouges, blanches, vertes, jaunes : la couleur n’y fait rien, que je décharge, c’est tout ce qu’il me faut.

Nicole était enchantée de moi, j’étais enchanté de Nicole. Quelle différence entre une vieille et une jeune ! Une jeune le fait par amour, une vieille par habitude. Vieillards, laissez la fouterie à la jeunesse ; c est un travail pour vous, c’est un plaisir pour elle.

Mon vit, plus dur qu’il ne l’était avant l’action, restait dans son étui sans s’amollir. Nicole me serrait avec plus de feu, et le même feu qui m’animait me la faisait serrer avec plus de roideur encore, elle ne m’aurait pas lâché pour un trône ; je ne l’aurais pas quittée pour l’empire de l’univers. Bientôt un mouvement nous lit recourir après ce que nous venions de perdre. L’imprudence est le partage de l’amour ; le bonheur éblouit, on est trop occupé pour penser qu’il puisse s’évanouir. Nous nous trahîmes par nos transports ; le lit était appuyé contre la cloison de la chambre voisine ; nous ne songions pas que Françoise était dans cette chambre, qu’elle pouvait se réveiller au bruit que nous faisions par les secousses indiscrètes que nous donnions au lit, qui, frappant contre cette cloison, l’eût bientôt mise au fait de ce qui se passait dans la chambre. Plus vite que l’éclair, elle accourt à la porte ; point de clef : comment faire ? Appeler Nicole ; elle le fit. A cette voix terrible nous fûmes glacés d’effroi ; nous nous arrêtâmes tout court, et la vielle cessa de crier ; mais nous cessâmes bientôt d’être sages. Trop animés pour rester longtemps dans notre inaction gênante, nous reprîmes notre ouvrage ; mais quoique nous le fissions avec toute la discrétion possible, la vieille, qui avait l’oreille au guet, ne prit pas le change. Elle démêla, dans le bruit sourd de nos soupirs et des mots interrompus qui nous échappaient, le motif de notre silence. Nouveau tapage. Nicole, criait-elle en frappant contre la cloison, misérable Nicole finiras-tu ? Nouvelles alarmes de notre part ; mais me mettant bientôt au-dessus de la crainte, je dis à Nicole que, puisque nous étions découvert, il était inutile de nous gêner. Elle approuva par son silence cette résolution courageuse, et, me donnant elle-même le premier coup de cul, en me remettant sa langue dans la bouche, elle me piqua d’honneur ; et tels que des généreux guerriers qui, bravant dans les lignes le feu d’une artillerie meurtrière braquée contre eux sur un rempart, continuent tranquillement leur ouvrage et rient du bruit impuissant du canon qui gronde sur leur tête, nous travaillâmes intrépidement au bruit des coups que Françoise donnait contre la cloison. Nous achevâmes ; et, soit que l’interruption, soit que le bruit que la vieille faisait encore eût donné une pointe de vivacité à nos plaisirs, nous nous avouâmes réciproquement que nous n’en avions pas encore goûté d’aussi vifs.

Le faire cinq fois en fort peu de temps, ce n’était pas mal s’en tirer pour un convalescent, convalescent encore de quelle maladie ! Je sentais cependant que je n’étais pas tout-à-fait hors de combat ; il fallait avoir de la sagesse pour ne pas se laisser aller ; je l’eus, cette sagesse ! je triomphai de mon envie. Il faut pourtant convenir que la réflexion eut bonne part dans ma modération. La dame Françoise pourrait à la fin s’impatienter de ce petit manège, des honnêtes remontrances passer aux cris, des cris, que sais-je ? sonner le tocsin sur nous, ou peut-être venir faire sentinelle à notre porte. S’exposer aux risques d’être arrêtés au passage ; mauvaise affaire ; rester dans la chambre, assiégés jusqu’au jour, au bout du compte il en aurait fallu sortir ; Comment ? Nus ; cela n’aurait pas été honnête, un jeune homme, une jeune fille dans cet équipage. Le parti le plus sûr était de faire une prompte retraite ; je la fis ; mais avant que de gagner mon lit je jugeai prudemment que je ne serais qu’un sot si je laissais subsister dans l’esprit de Nicole l’opinion trop avantageuse que j’y avais fait naître sur le compte de l’abbé. Il en aurait trop coûté à mon amour-propre de faire à ce maroufle le sacrifice de la gloire que je venais d’acquérir sous son nom. De la vanité, à moi, cela vous fait rire, lecteur, n’est-il pas vrai ? J’aurais voulu vous voir à ma place. Je vous suppose rival comme je l’étais et sensible au plaisir de vous venger, je gage que vous auriez été aussi fat que moi, et que vous auriez dit, ainsi que je le fis ; ma belle Nicole, vous ne devez pas être mécontente de moi ? Là-dessus elle vous aurait assuré que son cœur était charmé. N’est-il pas vrai, auriez-vous repris, que vous n’en attendiez pas tant du petit drôle que vous avez toujours méprisé ? Vous aviez tort, et il ne méritait pas le traitement que vous lui avez fait ; car vous voyez que les petits valent bien les grands. Adieu, ma chère Nicole ; je me nomme Saturnin, pour vous servir. Vous l’auriez embrassée, et puis vous l’auriez laissée là, bien étourdie de votre compliment ; vous auriez gagné la porte, vous l’auriez ouverte (on avait laissé la clef dans la serrure), et vous auriez été vous recoucher tranquillement dans votre lit. Dieu veuille que vous eussiez été capable de le faire aussi bien et aussi heureusement que moi.

Frappé de la bizarrerie des aventures qui venaient de m’arriver, j’attendis avec impatience que le jour vint m’apprendre qu’elles seraient les suites d’une nuit aussi singulière. J’étais charmé du désastre de l’abbé et de ma bonne fortune. Comme personne (excepté Mlle Nicole, sur la discrétion de laquelle je pouvais compter) ne me soupçonnait de rien, je me faisais d’avance une comédie de la figure que je verrais faire à nos acteurs nocturnes, et je me promettais d’autant plus de plaisir, que je serais le seul à qui elle devait être indifférente. M. le curé, disais-je, aura un air sombre, taciturne, sera de mauvaise humeur, fessera ; qu’il fesse, ce ne sera pas moi. ou je jouerai de malheur, Françoise examinera tous les écoliers, l’un après l’autre, avec des yeux dont la fureur rendra l’écarlate plus vive et plus brillante. Elle cherchera, parmi les grands, celui sur qui elle doit se venger, non des plaisirs qu’elle a eus, mais de ceux qu’il a donnés à sa fille. Si elle me reconnaît, elle sera bien fine. Nicole n’osera se montrer ; si elle se montre, elle rougira, sera honteuse, me fera la mine, peut-être les yeux doux ; que sait-on ? Elle est friande, ferai-je le cruel ? Peut-être l’abbé sera-t il cassé aux gages ; oh ! pour lui, il n’en sera que plus impudent.

J’étais si fort occupé de toutes ces pensées, que je ne songeais pas à dormir ; et l’Aurore aux doigts de rose avait déjà ouvert les portes de l’Orient, que je n’avais pas encore fermé l’œil. J’avais pourtant besoin de repos. Le sommeil, qui semblait avoir respecté mes réflexions, vint aussitôt qu’elles furent cessées, et ce ne fut pas sans peine qu’on vint à bout de le faire rompre au milieu du jour. Que devins-je à la vue de Toinette, qui, placée aux pieds de mon lit, paraissait attendre mon réveil ? Je pâlis, je rougis, je tremblai. Je crus que mon procès était fait et parfait, qu’on avait découvert que j’avais eu part aux désordres de la nuit et que j’allais le payer. Cette pensée accablante me fit retomber sans force sur mon lit. — Eh bien, Saturnin, me dit Toinette, es-tu encore malade ? Pas de réponse. Le révérend père Polycarpe va donc partir sans toi, continua-t-elle ; il comptait pourtant remmener avec lui. A ce mot de départ, ma tristesse se dissipa. — Il parti dis-je à Toinette avec vivacité. Eh ! vraiment, je me porte à merveille. Dans le moment je m’élançais hors du lit, et je fus habillé avant que Toinette songeât à faire attention au passage subit de la tristesse à la joie que je venais d’éprouver en si peu de temps ; je la suivis.

J’étais trop agréablement occupé de la nouvelle que Toinette venait de m’apprendre pour quitter avec regret la maison du pasteur. Je ne pensai pas même que je ne reverrais plus Suzon. Je trouvai le père Polycarpe qui m’attendait : il fut charmé de me revoir. Je passe sous silence les caresses d’Ambroise, les baisers, les larmes de Toinette : elle en répandit, j’en jetai moi*même. Me voilà en croupe sur le cheval du valet de sa révérence. Adieu, père Ambroise. Adieu, Mme Toinette, serviteur. Je pars, nous marchons, nous arrivons, nous voilà au couvent.

FIN DE LA PREMIÈRE PARTIE


SECONDE PARTIE

J’entre dans une nouvelle carrière. Destiné par mon état à grossir le nombre des pourceaux sacrés que la piété des fidèles nourrit dans l’aisance, la nature m’avait donné les plus belles dispositions pour cet état, et l’expérience avait déjà commencé à perfectionner ses présents.

La sincérité n’a plus besoin de faire son éloge pour persuader. Il se trouve pourtant des faits hors de la règle ordinaire : tels sont ceux que je vais rapporter. Si la vraisemblance n’y est pas ménagée, c’est que ce ne sont pas ici de ces jeux de l’imagination que l’on compassé, que l’on manie avec adresse pour ménager la crédulité du lecteur, mais qu’ils sont vrais, et que la vraisemblance ne porte pas toujours le caractère de la vérité. Dois-je craindre, après tout, que l’on trouve étrange de voir des moines scélérats, débauchés, corrompus, qui croient qu’on est assez honnête homme quand on n’est pas reconnu pour fripon ; qui, sous le masque de la religion dont ils se jouent, rient de la crédulité du peuple, et font de tout ce qu’elle condamne l’objet de leurs occupations ? Non, c’est l’usage. Les cordeliers, les carmes, les minimes, me justifient assez. On en sait mille histoires, sans celles que nous ignorons.

Qu’on me permette de réfléchir un peu sur la vie que nous menions, et de démontrer à quel point les moines sont corrompus. Quelles raisons assez puissantes ont pu rassembler dans le cloître tant de caractères différents ? La paresse, la paillardise, le mensonge, la lâcheté, la perte des biens et de l’honneur.

Pauvres gens, qui croyez que c’est la religion qui peuple les cloîtres, que ne pouvez-vous en pénétrer l’intérieur ? Indignés de leur iniquité, vous en rougiriez et vous apprendriez à les mépriser ; Levons le bandeau qui vous couvrait les yeux. Dites-moi, vous qui avez connu le père Chérubin, cet homme qui ne respire que le plaisir, vous, dis-je, qui l’avez connu avant qu’il fût moine, comment vivait-il ? Il ne se couchait pas qu’il n’eût sablé dix bouteilles du meilleur vin, et souvent le jour le trouvait enterré sous la table parmi les débris du souper. Il a quitté le monde, Dieu l’a illuminé de sa grâce ; il lui a montré le bon chemin. Je n’examine pas si c’est le ciel ou ses créanciers qui ont fait ce miracle ; mais sachez que le père Chérubin tiendrait encore tête aux plus intrépides buveurs ; il boirait et mangerait le revenu du couvent.

Voilà le père Chérubin : tel vous l’avez connu tel il est encore. Et le père Modeste, que vous avez vu parmi vous tout bouffi d’arrogance et d’amour-propre, son caractère est-il refondu depuis qu’il a le corps ceint d’un triple cordon ? Vous le croyez ! Moi qui le connais, je vous garantis le contraire. S’il parle, Bourdaloue près de lui ne fait que bégayer. Plus subtil que saint Thomas, il perce, raisonne, entend, pénètre. A son avis, le père Modeste est un phénix ; au vôtre, c’est un sot ; au mien, c’en est un encore. Voyez-vous le père Boniface, ce madré furet, qui penche dévotement la tête, qui tourne vers la terre des yeux mortifiés, qui semble, en marchant, composer avec le ciel ? Évitez-le, c’est un serpent qui se glisse ; il monte chez vous : veillez votre femme, serrez les filles, éloignez les garçons. Bougre, bardache, fouteur ; il est entré, il est sorti ; tâtez-vous le front : tout est foutu, tout est enculé. Vous avez fait connaissance avec le père Hilaire, serrez bien les cordons de votre bourse, vous avez affaire à un fripon. Bientôt aux conversations consolantes il fera succéder des peintures énergiques des besoins du couvent. Nous manquons de tout, vous dira-t-il, nous sommes nourris, couchés comme des chiens ; notre maison tombe en ruines. Vous vous laissez attendrir, votre bourse s’ouvre ; puisez père Hilaire vous avez trouvé votre dupe ; pillez, volez, c’est l’esprit de l’Église.

Que de caractères odieux n’aurais-je pas à tracer, si je peignais ceux de tous les moines ! Change-t-on d’inclinations pour changer d’habits ? Non ; le buveur est toujours ivrogne, le voleur est toujours impudent, et le fouteur est toujours un fouteur. Je dis plus : les passions s’irritent sous le froc ; on les porte dans le cœur, l’oisiveté, les renouvelle, l’occasion les augmente. J’ose le dire, les moines sont autant d’ennemis de la société : on pourrait les comparer à ces armées de peuples barbares qui sortirent de leurs marais pour inonder l’Europe. Réunis par l’intérêt, ils se détestent en particulier. Rien n’est mieux ordonné que leur armée ; rien ne l’est moins que l’intérieur. Faut-il élire un général, que de factions, que de complots ! On crie, on court, on s’agite. S’agit-il de faire quelque incursion dans le monde, d’attenter à la bourse des fidèles, d’inventer quelques nouvelles pratiques de superstition, le même esprit les anime, tous concourent au but général. Dociles aux ordres de leurs supérieurs, ils se rangent sous leurs drapeaux, montent en chaire, prient, exhortent, J’ajouterai à cet éloge des vers dictés par le bon sens et justifiés par une longue expérience :

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Toile autem lucruni, supcros et sacra negabunt : Ergo sibi, non cœlestis, htcc turbat rainistrat. Utiiitas facit esse deos, qua neinpe remota, Templa auent, nec crunt rrae, nec Jupiter ullus.</poem>


Sur tout ce que j’avais vu faire aux révérends, étant chez Ambroise, et en dernier lieu sur les galanteries du père Polycarpe et de Toinette, j’avais conçu les idées les plus riantes de l’état monacal. Je croyais que le froc était l’habit sous lequel on eût le plus libre accès dans le temple du plaisir. Mon imagination s’enivrait des chimères agréables qu’on se forgeait. Elle ne s’arrêtait pas dans les bras de Toinette, elle me représentait les plus aimables femmes des lieux où mon sort me conduisit, se disputant la conquête du père Saturnin, prévenant ses désirs par l’attention la plus tendre, et payant ses bontés par les transports les plus vifs et les plus délicieux. On croira facilement qu’étant dans de pareilles dispositions je reçus avec joie l’habit de l’ordre, dont le père prieur (qui s’attacha d’abord à moi avec une affection vraiment paternelle) m’honora dès le lendemain de mon arrivée.

J’avais appris assez de latin de mon curé, qui pourtant n’en savait guère pour figurer avec honneur dans le noviciat. On me louait de quelques dispositions assez heureuses ; en ai-je profité ? Hélas ! non. A quoi m’ont-elles servi ? A être portier ; belle avance !

En écrivain fidèle, je me croirais obligé de mener mon lecteur, année par année, jusqu’en théologie ; on me verrait novice, puis profès, enfin un vénérable père. J’aurais mille belles choses à lui dire ; mais les belles choses ne nous plaisent qu’autant qu’elles nous intéressent. Eh ! quel intérêt prendrait on à voir un penaillon disputer envers et contre tous, mettre le bon sens et la raison à la gêne dans des arguments en baroco, dans des distinctions subtiles que lui-même n’entendrait pas ? J’en fais grâce.

Je sens pourtant que je ne saurais passer crûment sur un si long espace de temps sans parler de quelques bagatelles. Mon séjour dans le couvent avait éclairé mes idées : j’y avais appris, malgré moi, que si le plaisir était fait pour les moines, il ne l’était pas pour les moinillons. Me repentant d’avoir fait vœu, et désirant en même temps arriver à la prêtrise, que je regardais comme le terme de mes peines, je me laissais endormir par le prieur, qui me vengeait du mépris que l’on affectait pour moi, parce que j’étais le fils d’un jardinier et que je surpassais les autres par mes études.

L’on m’avait tant de fois reproché ma naissance que j’en étais honteux, Toinette était devenue pour moi un fruit défendu ; toujours entourée par les supérieurs, pouvait-elle être accessible à un novice ? D’ailleurs, je ne trouvais plus Suzon ; elle avait disparu de chez Mme Dinviile, après mon entrée chez les célestins. On n’avait appris aucune de ses nouvelles. Sa perte m’avait plongé dans la douleur ; je l’aimais, un je ne sais quoi, plus fort que son tempérament, m’attachait à elle. Les lieux où je l’avais vue, où nos cœurs avaient fait le premier essai de l’amour, tout m’attristait. Souvenirs agréables, combien je payais cher votre absence ! Devenu sans objet, ces idées ne m’occupaient plus sans douleur.

Mais voilà un garçon bien désœuvré, dira-t on ; à quoi vous occupiez-vous, pauvre Saturnin ? Hélas ! je me branlais : c’était ainsi que j’oubliais mes peines.

Écarté un jour dans un lieu solitaire, où je me croyais sans témoin, je me dulcifiais avec une indolence voluptueuse. Un coquin de moine m’observait : il n’était pas de mes amis ; il parut si brusquement, que les bras me tombèrent de surprise. Je restai dans cet état exposé à la malignité de ses regards. Je me crus perdu ; je crus qu’il allait publier mon aventure, et sa façon de m’aborder me donna lieu de craindre. — Ah ! ah ! frère Saturnin, me dit-il, je ne vous croyais pas capable de faire de pareilles choses. Vous, le modèle du couvent ! vous, l’aigle de la théologie ! vous... — Eh ! morbleu ! interrompis-je brusquement, finissons ces éloges ironiques ; vous m’avez vu me branler, faites-en fête à tout le couvent, continuai-je ; amenez qui vous voudrez, je vous attends à la dixième décharge ! — Frère Saturnin, reprit-il de sang-froid, c’est pour votre bien que je vous parle : pourquoi vous branler ? Nous avons tant de novices ! c’est un amusement d’honnête homme. — Vous vous rangez sans doute dans cette classe, lui dis-je. Tenez, père André, vos discours m’impatientent ainsi que vos éloges. Décampez, ou je vous... La vivacité avec laquelle je parlai lui fît rompre son sérieux. Il éclata de rire, et, me tendant la main : Va, me dit-il, touche là, frère ; je ne te croyais pas si bon vivant ; ne te branle plus : tu es digne d’un meilleur sort ; laisse cette viande creuse, je veux te faire part de quelque chose de plus solide. Sa franchise excita la mienne, je lui tendis la main à mon tour. Je ne suis pas défiant, lui dis-je, quand on agit ainsi ; j’accepte vos offres. — Allons, reprit-il, parole d’honneur, tantôt je vous prends à minuit dans votre chambre. Boutonnez votre culotte, ne tirez plus votre poudre aux moineaux ; vous en aurez besoin. Je vous quitte ; ne sortez qu’après moi ; il ne faut pas qu’on nous voie ensemble : cela pourrait nous nuire ; à tantôt. Je demeurai surpris après le départ du moine. Il n’était plus question de se branler ; occupé de sa promesse, j’y rêvais sans la comprendre. Que veut-il dire par cette viande dont il veut me régaler ! Si c’est quelque novice, je n’en veux pas. Je raisonnais en sot, je n’en avais pas goûté. Lecteur, êtes-vous plus habile que je ne l’étais alors ? Oui, dites-vous ; n’est-il pas vrai que ce n’est pas un si mauvais morceau ? Le préjugé est un animal qu’il faut envoyer paître. Le goût fait tout. Est-il rien de plus charmant qu’un joli giton, blancheur de peau, épaules bien faites, belle chute de reins, fesses dures, rondes, un cul d’un ovale parfait, étroit, serré, propre, sans poil ? Ce n’est pas là de ces conasses, de ces gouffres où on entre tout botté. Je te vois, censeur atrabilaire, tu me reproches mon inconstance, en ce que je loue tantôt le con, tantôt le cul. Apprends, nigaud, que j’ai pour moi l’expérience, que j’enfile une femme, quand elle se présente, et que je prends mes ébats avec un beau garçon. Allez à l’école des sages de la Grèce, allez à celle des honnêtes gens de notre temps, vous apprendrez à vivre. Mais mon moine va venir, minuit sonne ; on frappe, c’est lui : Bon, marchons, père, je vous suis. Mais où diable me menez-vous ? — A l’église. — Vous vous moquez : pour prier Dieu ? Serviteur ! je vais dormir. — Suivez-moi, morbleu ! ne voyez-vous pas que je monte dans les orgues ? Nous y voilà ! Savez-vous bien ce que j’y trouvai ? une table bien garnie, de bon vin, trois moines, trois novices et une belle fille de vingt ans, jolie comme un ange. Je suivais mon conducteur. Le père Casimir était le chef de la bande joyeuse. Il me reçut bien. — Père Saturnin, me dit-il, soyez le bienvenu. Le père André m’a fait votre éloge : sa protection le justifie. Foutre, manger, rire et boire, telle est ici notre occupation ; êtes-vous disposé à en faire autant ? — Parbleu ! oui, lui répondis-je ; s’il ne faut que soutenir l’honneur du corps, je m’en tirerai aussi bien qu’un autre ; soit dit, continuai-je, en me tournant du côté de l’assemblée, sans diminuer le mérite de vos révérences, — Vous êtes de nos gens, reprit le père Casimir ; placez-vous ici entre cette charmante enfant et moi ; çà ! décoiffons une bouteille en l’honneur du père : à vous, tope ! Et nous voilà à flûter. Et vous, lecteur, que ferez-vous pendant que nous viderons nos bouteilles ? Tenez ! amusez-vous à lire ce rogaton.

Le père Casimir était d’une taille médiocre, brun de visage, d’un ventre de prélat. Il avait des yeux qui vous enculaient de cent pas, et qui ne s’attendrissaient qu’à la vue d’un joli garçon. Alors le bougre, en rut, hennissait. Sa passion pour l’antiphysique était si bien établie, que les Savoyards le redoutaient. Aisément l’on tombait dans ses filets ; il était auteur et bel esprit à la mode ; censeur caustique, écrivain sec, plaisant sans légèreté, ironique sans délicatesse. Il s’était fait un nom par des écrits qui n’avaient d’autre mérite que celui de la méchanceté. Le succès de ses satires le consolait des coups de bâton dont on le régalait quelquefois. Il faut pourtant convenir qu’on avait tort de le maltraiter ainsi ; car, quoique les satires parussent sous son nom, le pauvre père n’y avait souvent d’autre part que le soin qu’il s’était donné de rédiger les écrits de ceux qui travaillaient sous ses yeux. Il cultivait les petits talents qu’il leur connaissait, leur distribuait sa matière, revoyait leur ouvrage, le faisait imprimer, et en recueillait souvent des fruits bien amers. Il n’en était pas moins hardi ; et tel que l’avare qui se console des huées du peuple en ouvrant son coffre-fort, les ris qu’il excitait dans le public aux dépens des auteurs essuyaient les larmes que ceux-ci lui faisaient verser dans le particulier.

Au sein de la littérature, il goûtait le plaisir de se satisfaire sans sortir de son cabinet. Les culs de ses myrmidons remplissaient ses désirs. Pour prix de leur complaisance, il leur abandonnait sa nièce, et la nièce acquittait les dettes de l’oncle. Le portier du couvent étant à la dévotion du père, tout entrait aisément : vin, viande, fille, rien n’était excepté. On avait préféré les orgues pour de semblables orgies, parce qu’on ne pouvait pas soupçonner qu’on passât la nuit dans l’église. Une autre raison, c’est qu’on était à portée d’assister aux offices, et cette exactitude empochait de babiller.

Malgré le soin que prenait le père Casimir pour conserver ses élèves, il en perdait toujours quelqu’un ; j’en dirai la raison : quelquefois l’ingratitude est le prix de l’obligation. Ces déserteurs se servaient contre le père des traits qu’il leur avait appris à aiguiser contre les autres. Un d’eux fit sur lui le sonnet qui suit :

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Un jour dom Happecon, plus arrogant qu’un coq, Las de sentir son vit aussi droit qu’une quille, Sortit de son couvent, enfoncé dans son froc, Et fut chez la Dupré demander une fille.

Le bougre qui jamais ne foutait qu’en escroc, Pour qui cinq ou six coups n’étaient qu’une vétille. Crut qu’il ne s’agissait que d’essayer le choc, Et tira son engin de dessous sa mantille,

— Tout beau, dit la putain, rengaine l’instrument ; On commence d’abord par payer largement : De foutre on vit ici, comme au palais, d’épices.

Le pater étonné de ce foutu cartel, Quitta, faute d’argent, ce pilier de bordel, Et fut, de désespoir, enculer deux novices.</poem>


Je ne saurais mieux finir ; je quitte le pinceau, de nouveaux coups affaibliraient ma peinture. La nièce du père Casimir était brune, vive et petite. Si elle perdait au premier coup d’œil. l’examen la vengeait ; ménageant avec adresse sa gorge, qui n’était plus absolument belle, elle en tirait le meilleur parti. Ses yeux petits, mais noirs, promenaient sur vous ses regards enjoués conduits par la coquetterie la plus raffinée. Elle enchantait par la vivacité et le sel de ses polissonneries. En un mot, c’était tout ce qu’on pouvait souhaiter de plus charmant pour attraper le jour, sans s’apercevoir qu’on a passé la nuit.

Aussitôt que je me vis placé à côté de cette aimable fille, je sentis renouveler ces mouvements confus que j’avais autrefois éprouvés quand le hasard m’avait fait découvrir Toinette et le père Polycarpe. La longue privation du plaisir m’avait formé pour ainsi dire une seconde nature, susceptible d’impressions aussi vives et aussi piquantes ; je recommençai à vivre, parce que je crus que j’allais revivre pour le plaisir. Je regardais ma voisine, dont l’air riant et docile me faisait connaître que mes désirs ne languiraient qu’autant de temps que j’aurais la simplicité de ne pas les expliquer. Je sentis bien que ce n’était pas l’envie de faire la vestale qui la faisait trouver au milieu d’une bande de moines ; mais le bonheur qu’elle semblait m’offrir me paraissait si grand, que j’avais peine à le concevoir ; j’étais tremblant, et, dans la crainte qu’elle m’échappât, à peine aurais-je pu former le dessein de le demander. J’avais la main sur sa cuisse, que je pressais contre la mienne ; je sentis qu’elle me la prenait et la passait par l’ouverture de son jupon ; je connus son dessein, je portai bientôt le doigt où elle le désirait. Le toucher d’un endroit qui m’était interdit depuis longtemps me causa un frémissement de joie qui fut aperçu de la bande, qui me cria : Courage, père Saturnin, vous y voilà. Peut-être me serais-je déconcerté de cette exclamation, si Marianne (c’était le nom de notre déesse) ne m’eût sur-le-champ donné un baiser et déboutonné ma culotte d’une main, tandis qu’elle passait l’autre bras autour de mon cou, et, empoignant mon vit : Ah ! pères, s’écria-t-elle en le leur montrant, en avez-vous de cette beauté-là ? Il se fit un brouhaha d’admiration, et chacun la félicita sur son bonheur prochain. Elle en était enchantée. Alors le père Casimir, imposant silence à la troupe, m’adressa la parole. — Père Saturnin, me dit-il, disposez de Marianne ; vous la voyez, dispensez-moi de faire son éloge. Elle est accomplie, elle va vous donner tous les plaisirs imaginables ; mais ces plaisirs sont à une condition. — Quelle est-elle, cette condition ? lui répondis-je ; faut-il vous donner mon sang ? — Non. — Quoi donc ? — Votre cul. — Mon cul ? eh ! que diable en feriez-vous ? — Oh ! c’est mon affaire, répondit-il. L’envie de baiser Marianne fit que je n’insistai pas. Je me mis en devoir de l’enconner, et mon bougre de m’enculer. Un banc nous servit de siège : je m’étendis sur elle, le père sur moi. Quoique Casimir me déchirât le cul, le plaisir que je goûtais avec sa nièce faisait diversion à la douleur. Nous nageâmes bientôt dans les délices. Si quelquefois le plaisir m’arrêtait au milieu du travail, Casimir, réveillant ma valeur, m’animait à faire aussi bien que lui. Ainsi poussé et poussant, les coups de l’oncle allaient retentir dans le con de la nièce, qui, tantôt mourant et ressuscitant, surprenait l’assemblée. Il y avait longtemps déjà que nous avions laissé derrière nous le père Casimir, qui, surpris de l’opiniâtreté du combat, joignit son admiration à celle de la compagnie, qui en attendait l’issue. J’étais surpris que Marianne me tînt tête, à moi qui croyais avoir rassemblé dans ce moment toutes les forces acquises pendant un si long temps. Elle était enragée de ma valeur, elle qui avait désarçonné les plus vigoureux, le foutre et le sang ruisselaient. Déjà nous avions déchargé quatre fois, quand Marianne, fermant l’œil, baissant la tête, attendait sans mouvement que, par une cinquième décharge, je lui donnasse le coup de grâce ; elle le reçut, et, après l’avoir savouré pendant quelques minutes, s’échappa de mes mains et me dit qu’elle se rendait. Fier de ma victoire, je lui versai une rasade, j’en pris autant, et nous scellâmes dans le vin notre réconciliation.

Ce combat fini, chacun se mit à sa place, et Casimir entama l’éloge de la bougrerie. Possédant à fond cette matière, il s’en acquitta bien, il passa en revue tous les bougres célèbres : il y trouva des philosophes, des papes, des empereurs, des cardinaux. Il remonta à l’aventure de Sodome, soutint qu’on avait falsifié, par jalousie, ce mémorable événement, et, cédant tout à coup à son enthousiasme, il finit son éloge par ces vers :

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Taisez-vous, censeurs indociles, Étourdissez les sots de vos voix imbéciles, Mais n’allez pas fouiller dans l’histoire des temps. Vous osez, ignorants reptiles, Des écrivains les plus habiles Altérer les beautés et corrompre les sens. Sodome, ce n’est point par un souffle funeste Que furent consumés tes heureux habitants ; C’est par un feu divin, c’est par un feu céleste : Sodome, que n’étais-je alors de tes enfants !</poem>


Le discours du père reçut les applaudissements qu’il méritait et qu’il était sûr de recevoir des assistants, en traitant un sujet qui leur était si agréable. On foutit encore, tant en cul qu’en con ; on but, on rit et on se sépara, avec promesse de se retrouver à huitaine, car ces banquets ne se faisaient pas tous les jours : les revenus du père Casimir, qui régalait ordinairement, n’y auraient pas suffi. Nous nous séparâmes les meilleurs amis du monde, Marianne et moi. La pauvre enfant ne tarda guère à s’apercevoir qu’il était dangereux de jouer avec moi ; sa ceinture devint bientôt trop courte : on m’en donna la gloire. Le père Casimir prit soin de conduire les choses secrètement ; il était juste qu’il prît sur lui les risques du hasard auquel il exposait sa chère nièce. Elle en sortit à son honneur, et tout aurait été le mieux du monde, si cette grossesse inattendue n’avait pas mis le désordre dans nos assemblées nocturnes. J’essayai le remède de Casimir, et, sur ses traces, je me rendis bientôt redoutable au cul de tous nos novices ; mais je retombai peu de temps après dans mes anciennes erreurs, et les plaisirs du con m’enlevèrent à ceux du cul. Un beau jour, après avoir chanté ma première messe, le prieur me fit avertir d’aller dîner dans sa chambre. J’y fus, et je trouvai avec lui quelques anciens qui me reçurent, ainsi que le prieur, avec de vives accolades que je ne savais à quoi attribuer. Nous nous mîmes à table, et nous fîmes une chère de prieur : c’est tout dire. Quand le vin, que sa révérence avait soin de ne pas choisir dans le plus mauvais cru, eut répandu la gaieté dans la conversation, je fus surpris d’entendre mes doyens, donnant l’essor à leur langue, lâcher les b et les f..... avec une aisance que je n’aurais pas attendue de gens que j’avais toujours vus sous le masque de la réserve. Le prieur, voyant mon étonnement, me dit : Père Saturnin, nous ne nous gênons plus avec vous, parce qu’il est temps que vous ne vous gêniez plus avec nous, oui, mon fils, ce temps est arrivé. Vous avez reçu le saint ordre de prêtrise, cette qualité vous rend aujourd’hui notre égal et me met dans l’obligation de vous révéler des secrets importants qui vous ont été cachés jusqu’à présent et qu’il serait dangereux de confier à des jeunes gens qui pourraient nous échapper et divulguer des mystères qui doivent être ensevelis dans un silence éternel ; c’est pour m’acquitter de cette obligation que je vous ai fait venir ici.

Cet exorde imposant me fit écouter avec attention le prieur, qui dit : Vous n’êtes pas de ces esprits faibles que la fouterie effarouche : l’action de foutre est naturelle à l’homme. Nous sommes moines, mais on ne compte ni le vit ni les couilles, quand nous faisons vœu. Pourquoi nous interdire cette fonction toute naturelle ? Faut-il, pour exciter la compassion des fidèles, aller nous branler dans les rues ? Non, il faut garder un milieu entre l’austérité et la nature. Ce milieu est de donner tout à celle-ci dans nos cloîtres, et le plus que nous pouvons à l’austérité dans le monde. Pour cet effet, dans les couvents bien réglés, on a quelques femmes avec qui l’on jouit ; on oublie dans leurs bras les déboires de la pénitence. — Vous me surprenez, lui dis-je, mon révérend ; ah ! pourquoi faut-il qu’une si belle police n’étende pas sa sagesse sur nous ? Nos convives rirent, et le prieur me répondit : Nous ne sommes pas plus dupes que les autres ; nous avons ici un endroit où nous ne manquons pas de femmes. — Ici ! repris-je, et vous ne craignez pas que l’on vous découvre ? — Non, dit-il, cela est impossible ; le continent de notre maison est trop vaste pour qu’on s’aperçoive de cet endroit. — Ah ! m’écriai-je, quand me sera-t-il permis d’aller consoler ces aimables recluses ? — Les consolations ne leur manquent pas, me répondit-il en riant, et votre qualité de prêtre vous donne le droit d’y aller quand vous voudrez. — Quand je voudrai ? Ah ! mon père, je vous somme dès à présent de tenir votre parole. — Il n’est pas encore temps ; on n’entre que sur le soir dans notre piscine, qui est l’appartement de nos sœurs. Personne n’en a la clef ; il n’y en a que deux, l’une entre les mains du père dépensier, l’autre entre les miennes.

Ce n’est pas tout, père Saturnin, continua le prieur ; lorsque vous saurez que vous n’êtes pas le fils d’Ambroise, vous serez doublement étonné. (Je fus effectivement si interdit, que je n’eus pas la force d’ouvrir la bouche.) Vous n’êtes pas le fils d’Ambroise, poursuivit le prieur, ni celui de Toinette ; votre naissance est plus relevée. Notre piscine vous a vu naître : une de nos sœurs vous a donné le jour. — S’il en est ainsi, m’écriai-je, revenu de ma surprise, pourquoi m’avez-vous toujours envié la douce satisfaction d’embrasser ma mère, si elle vit encore ? — Père Saturnin, me dit le prieur attendri, vos reproches sont justes ; mais croyez que ce n’est pas par défaut de tendresse qu’on vous a interdit notre piscine. L’amour que nous avons pour vous a longtemps combattu contre nos règles ; mais il faut de l’ordre, et le temps nous met aujourd’hui en état de faire cesser vos plaintes. Dès tantôt vous aurez le plaisir que vous souhaitez, vous embrasserez votre mère. — Que je suis impatient, m’écriai-je, de me voir dans ses bras ! — Modérez-vous, le sacrifice ne sera pas long. Déjà la nuit s’avance, et l’heure viendra sans y penser. Nous souperons à la piscine, on vous y attend. Ne paraissez au réfectoire que pour le décorum ; vous viendrez nous retrouver ici.

Le plaisir de voir ma mère y entrait pour quelque chose, mais l’espérance de me livrer à l’amour offrait à mon cœur une immensité de désirs que tous les efforts de mon imagination ne me rendaient que faiblement. Le voilà donc arrivé, me disais-je, ce temps si souhaité ! Heureux Saturnin, plains-toi de ton sort ! Dans quel état de la vie aurais-tu trouvé ce que l’on vient de t’annoncer aujourd’hui.

L’heure vint ; je retournai chez le prieur, où je trouvai cinq ou six moines. Nous partîmes dans un profond silence. Nous marchâmes Jusqu’à ces antiques chapelles qui servaient de rempart à la piscine d’un côté ; nous descendîmes sans lumière dans un caveau dont l’horreur semblait être ménagée pour préparer un nouveau charme au plaisir qui devait le suivre. Ce caveau, que nous traversâmes à l’aide d’une corde attachée contre le mur, nous conduisit à un escalier éclairé par une lampe. Le prieur ouvrit la porte qui fermait cet escalier. Nous entrâmes, par un petit détour, dans une salle galamment meublée, autour de laquelle étaient quelques lits commodes pour les combats de Vénus. Nous y vîmes les apprêts d’un magnifique repas. Personne n’arrivait encore ; mais au bruit d’une sonnette que le prieur tira, une vieille cuisinière parut, suivie de six sœurs qui me semblèrent charmantes. Chacune choisit son chacun ; je restai seul témoin de leurs transports, piqué de l’indifférence qu’on semblait me témoigner ; mais j’eus bientôt mon tour, et je fus dédommagé avec usure.

Le maigre n’était pas plus observé à la piscine qu’au repas du père Casimir. Les viandes les plus exquises furent servies avec toute la propreté possible : chacun, à côté de sa belle, mangeait, buvait, patinait, parlait foutaise. On me faisait la guerre sur mon peu d’appétit ; je me défendais mal, uniquement occupé du désir de retrouver ma mère, ou plutôt celui de m’escrimer avec quelqu’une de nos sœurs. Je cherchais des yeux celle qui m’avait donné l’être : l’air de fraîcheur et de jeunesse qu’elles avaient toutes ne me dénotait pas qu’aucune fût ma mère. Quoique occupées avec les pères, elles me lançaient des regards qui renversaient mes conjectures. Je m’imaginais sottement que je reconnaîtrais ma mère au respect, à la tendresse que j’avais pour elle ; mais mon cœur parlait pour toutes, et je bandais en l’honneur de chacune d’elles.

Mon inquiétude divertissait la compagnie. Quand on eut assez mangé, il fut question de foutre. Le feu brillait dans les yeux de nos adorables, et, comme nouveau venu, je commençai la danse. — Allons, père Saturnin, me dit le prieur, il faut faire assaut avec la sœur Gabrielle, ta voisine. J’avais déjà préludé avec elle par des baisers donnés et reçus ; sa main avait même été jusqu’à ma culotte, et quoiqu’elle fût la moins jeune de la compagnie, je lui trouvais assez de charmes pour ne pas envier le sort des autres. C’était une grosse blonde qui n’avait d’autre défaut que son embonpoint. Sa peau était d’une blancheur éblouissante, la plus belle tête du monde, des yeux grands et bien fendus. La passion les rendaient tendres et mourants, mais ils étaient vifs et brillants pour le plaisir.

L’exhortation du prieur n’avait pas prévenu mes désirs ; Gabrielle les avait excités, elle se prêta galamment à les satisfaire. — Viens, mon roi, me dit-elle, je veux avoir ton pucelage ; viens le perdre dans un endroit où tu as reçu la vie ! Je tremblai à ce mot. Sans avoir plus de vertu, j’avais acquis chez les moines des connaissances qui ne me permettaient pas d’être avec Gabrielle ce que j’avais été avec Toinette. J’allais l’enfiler, un reste de honte m’arrêta ; je reculai. — Ah ! ciel, dit Gabrielle, est-il possible que ce soit là mon fils ? Ai-je pu mettre au monde un tel lâche ? Foutre sa mère lui fait peur. — Ma chère Gabrielle, lui dis-je en l’embrassant, contentez-vous de mon amour ; si vous n’étiez pas ma mère, je ferais mon bonheur de vous posséder ; respectez une faiblesse que je ne puis vaincre.

L’apparence même de la vertu est respectable aux cœurs les plus corrompus. Mon action fut louée des moines ; ils convinrent de leur tort ; il n’y en eut qu’un qui voulut entreprendre de me convertir. — Pauvre sot, me dit-il, pourquoi t’effrayer d’une action indifférente ? La fouterie n’est-elle pas la conjonction de l’homme et de la femme ? Cette conjonction est ou naturelle ou défendue parla nature. Elle est naturelle, puisque leur penchant invincible les entraîne l’un vers l’autre. Si ce penchant est dans leur cœur, l’intention de la nature est donc qu’on le satisfasse indistinctement. Si Dieu a dit à nos premiers pères de croître et de multiplier, comment entendait-il que la multiplication se fit ? Adam avait des filles, il les foutait. Ève avait des fils qui faisaient avec elle ce que leur père faisait avec leurs sœurs. Descendons au déluge. Il ne restait dans le monde que la famille de Noé ; il fallait nécessairement que le frère couchât avec la sœur, le fils avec sa mère, le père avec sa fille, pour repeupler la terre. Allons plus loin : Loth fuit de Sodome ; ses filles qui avaient devant les yeux l’intention du Créateur, et qui venaient de voir leur bonne femme de mère changée en statue pour avoir été trop curieuse, s’écrièrent dans l’amertume de leur cœur : Hélas ! le monde va donc finir ? Elles auraient été coupables au yeux de Dieu si elles n’avaient pas rétabli ce qu’il venait de détruire ; et Loth, pénétré de cette vérité, y contribua de tout son pouvoir. Voilà la nature dans sa première simplicité. Les hommes, soumis à ses lois, se faisaient un devoir de les suivre ; mais bientôt corrompus par les passions, ils oublièrent la volonté de cette tendre mère ; ils ne voulurent pas rester dans l’état heureux où elle les avaient placés ; ils renversèrent tout, se forgèrent des chimères qu’ils qualifièrent de vertus et de vices, inventèrent des lois qui, au lieu de faire naître la vertu, engendrèrent le vice. Ces lois ont fait les préjugés, et ces préjugés, adoptés par les sots et siffles par les sages, se sont fortifiés d’âge en âge. Il fallut donc que ces impertinents législateurs, en renversant les lois de la nature, refondissent les cœurs qu’elle nous avait donnés ; il fallut qu’ils réglassent nos désirs, qu’ils y missent des bornes. La nature, au fond de notre cœur, réclame contre l’injustice de leurs lois ; en un mot, la fouterie sans distinction est d’institution divine, et la fouterie distincte est d’institution humaine. L’une est aussi élevée au-dessus de l’autre que le ciel l’est au-dessus de la terre. Peut-on, sans se rendre criminel, écouter l’homme préférablement à Dieu ? Non, non, et saint Paul, interprète sacré des volontés du ciel, a dit : Plutôt que de brûler, foutez, mes enfants, foutez ! Il est vrai que, pour ne pas choquer la faiblesse des petits génies, il met un correctif à sa pensée et se sert de l’expression : Mariez-vous ; mais, au fond, c’est la même chose : on ne se marie que pour foutre. Ah ! que j’en dirais bien plus si je ne me sentais pressé de suivre le conseil de saint Paul.

On rit de la saillie du père ; déjà le ribaud se levait et, le braquemart à la main, menaçait tous les cons de la salle. — Attendez ! dit une sœur nommée Madelon ; pour punir Saturnin, il me vient une idée. — Quelle est-elle ? lui demanda-t-on, — C’est, répondit-elle, de le faire coucher sur un lit ; Gabrielle s’étendra sur son dos, et le père qui vient de parler comme un oracle exploitera Gabrielle ! Les ris redoublèrent ; j’en ris moi-même, et dis que j’y consentais, à condition que pendant que le père foutrait sur mon dos. je foutrais, moi, avec la donneuse d’avis. — J’y consens, reprit-elle, pour la rareté du fait. Chacun applaudit, nous nous mîmes en posture. Figurez-vous quel spectacle ce devait être ! Le père ne poussait aucun coup à ma mère qu’elle ne le lui rendît sur-le-champ au triple, et son cul, en retombant sur le mien, me faisait enfoncer dans le con de Madelon, ce qui faisait un ricochet de fouterie tout à fait divertissant ; non pas pour nous, car nous étions trop occupés pour nous amuser à rire. Il n’eût tenu qu’à moi de me venger de Madelon, en laissant tomber le poids de trois corps sur le sien ; mais elle était trop amoureuse, travaillait de trop bon cœur pour me laisser concevoir une telle pensée. Je la soulageais de mon mieux ; elle en eut pourtant la peine ; mais ce fut plutôt un surcroît de volupté pour elle, car ayant senti les délices de la décharge avant nos fouteurs d’en haut, le plaisir me rendit immobile. Gabrielle le sentit, et ses coups de cul, avec vivacité, faisaient pour moi ce que je n’étais plus en état de faire, et, en m’agitant, allaient donner de nouveaux ébranlements de plaisir à Madelon, qui déchargeait aussi. Nos fouteurs finirent et joignirent leur extase à la nôtre. Nos quatre corps n’en firent plus qu’un ; nous mourions, nous nous confondions l’un dans l’autre.

Notre éloge sur cette façon de goûter les plaisirs excita les moines et les sœurs. Ils se mirent en devoir de foutre en quatrain, — c’est le nom que nous donnâmes à cette posture, — et nous à leur donner l’exemple. C’est ainsi que les plus belles découvertes qu’on ait faites dans la nature sont dues au hasard.

Gabrielle était si charmée de cette invention,qu’elle avoua qu’elle avait eu autant de plaisir qu’elle en avait goûté en me faisant. Curieux de savoir comment la chose s’était passée, nous la priâmes de la raconter. — J’y consens, nous dit-elle, et d’autant plus volontiers que Saturnin ne connaît encore que sa mère, sans savoir d’où elle vient ni comment elle s’est trouvée ici. Permettez-moi, mes révérends, de l’en instruire, et de remonter un peu plus haut que le jour que vous souhaitez que je vous rappelle. Mon ami, continua-t-elle en m’adressant la parole, tu ne te vanteras pas d’une longue suite d’aïeux illustres : je n’en ai jamais connu. Je suis fille d’une loueuse de chaises de ce couvent, et sans doute de quelqu’un des pères qui vivaient alors, car elle était trop vive jet trop amie du couvent pour que je puisse penser que je dois le jour à son bonhomme de mari.

A dix ans je ne démentais pas mon sang ; je connaissais l’amour avant de me connaître ; les pères cultivaient mes heureuses inclinations. Un jeune profès me donna des leçons si sensibles que j’aurais cru payer les autres d’ingratitude si je ne leur avais fait connaître que j’étais en état de leur en donner moi-même. Je m’étais déjà acquittée de mon devoir envers chacun d’eux, quand ils me firent la proposition de me mettre dans un endroit où je renouvellerais mes payements aussi souvent que je le voudrais. Je n’avais pu le faire jusqu’alors qu’à la sourdine : tantôt derrière l’autel,tantôt devant, tantôt dans un confessionnal, rarement dans les chambres. L’idée de la liberté me flatta ; j’acceptai les offres, j’entrai ici.

En y entrant, j’étais parée comme une jeune fille qu’on mène à l’autel. L’idée de mon bonheur répandait un air de sérénité sur mon visage qui charmait tous les pères. Tous brûlaient de me voir, et chacun briguait la gloire de me le mettre. Je vis le moment où le festin de ma noce allait finir comme celui des Lapithes. — Mes révérends, leur dis-je, votre nombre ne m’épouvante pas ; mais je présume peut-être trop de mes forces : je succomberais, vous êtes vingt ; la partie n’est pas égale ; Je vais vous proposer un accommodement. Il faut nous mettre nus ! (Et, pour leur en donner l’exemple, je commençai la première. Robe, corset, chemise, tout partit dans la minute. Je les vis tous dans le même état que moi ; mes sœurs étaient aussi nues. Mes yeux savourèrent un moment le charmant spectacle de vingt vits roides, gros, longs, durs comme fer, et qui se présentaient fièrement au combat.) Allons, repris-je, il est temps de commencer. Je vais me coucher sur ce lit ; j’écarterai assez les cuisses pour qu’en accourant sur moi le vit à la main, vous m’enfiliez l’un après l’autre, car il faut que le sort règle le pas ; les maladroits n’auront pas à se plaindre, puisqu’en me manquant ils trouveront des cons touts prêts sur qui ils pourront décharger leur colère. Voilà, messieurs, ce que j’avais à vous proposer. Ils applaudirent tous à cet heureux essor de mon imagination. On tire au sort, je tends la bague, on court : un, deux, trois passent sans m’enfiler, et vont tomber sur mes sœurs, qui leur font oublier leur malheur par toutes sortes de plaisirs. Un quatrième vient, c’était vous, père prieur. Ah ! je payai votre adresse par les transports les plus vifs ; et si le plaisir qu’on goûte par une décharge mutuelle fait concevoir, vous partagez la gloire d’avoir fait Saturnin avec quatre ou cinq de ceux qui vous suivirent. Oui, mon ami, continua-t-elle eu s’adressant à moi, tu as l’avantage d’être au-dessus des autres hommes, qui peuvent bien dire le jour de leur naissance, mais non pas celui où ils ont été faits.

Telles étaient nos conversations dans la piscine, tels étaient les plaisirs que nous y goûtions. Je ne m’y rendais pas le dernier. Toutes les nuits j’allais chez le prieur ou chez le dépensier : J’étais infatigable ; je conduisais toujours la bande joyeuse. Bref, j’étais l’âme et les délices de la piscine ; tout, jusqu’aux vieilles, tout tâta de mon vit. La réflexion cependant perçait quelquefois au milieu de mes plaisirs ; toutes nos sœurs me paraissaient charmées de leur sort. Je ne pouvais concevoir que des femmes, dont le naturel est vif et dissipé, eussent pu, sans frayeur, concevoir le dessein de passer leur vie dans une pareille retraite, y vivre sans dégoût et être sensibles à des plaisirs achetés par un esclavage éternel. Elles riaient de mon étonnement, et ne pouvaient elles-mêmes concevoir que je pusse avoir de pareilles idées. — Tu connais bien peu notre tempérament, me disait un jour une d’entre elles extrêmement jolie, et que le libertinage, fruit trompeur d’une éducation cultivée, avait fait jeter dans les bras de nos moines ; n’est-il pas vrai, me disait-elle, qu’il est plus naturel d’être sensible au bien qu’au mal } J’en convenais. Ferais-tu difficulté, reprenait-elle, de sacrifier une heure du jour à la douleur, si l’on t’assurait que l’heure suivante se passerait dans une extrême joie ? — Non, assurément, lui disais-je. — Eh bien, poursuivit-elle, au lieu d’une heure mets un jour ; de deux, l’un sera pour le chagrin et l’autre pour le plaisir ; je te crois trop sage pour refuser un pareil parti si l’on te l’offrait. Je dis plus : l’homme le plus indifférent ne le refuserait pas, et la raison en est toute naturelle. Le plaisir est le premier mobile de toutes les actions des hommes ; il est déguisé sous mille noms différents, suivant les différents caractères. Les femmes ont de commun avec vous tous les caractères possibles ; mais elles ont au-dessus l’impression victorieuse du plaisir de l’amour ; leurs actions les plus indifférentes, leurs pensées les plus sérieuses naissent toutes dans cette source et portent toujours, quoique déguisées, la marque du fond d’où elles sortent. La nature nous a donnés des désirs bien plus vifs, et par conséquent bien plus difficiles à satisfaire que les vôtres. Quelques coups suffisent pour abattre un homme, et ne font que nous animer, mettons-en six ; une femme ne recule pas après douze. Le sentiment du plaisir est donc au moins une fois aussi vif dans une femme qu’il l’est dans un homme, et si tu te croyais heureux de payer un jour de joie par un jour de chagrin, trouverais-tu étrange que j’en donnasse deux. Serais-tu surpris que je passasse les deux tiers de ma vie dans la peine pour passer l’autre tiers dans le plaisir ? J’ai mis les choses égales entre nous : quand tu nous vois continuellement occupées de ce qui fait le souverain bonheur des femmes, quand nous sommes continuellement dans vos bras, dis-moi, crois-tu que nous puissions songer à la peine, qu’elle ait quelque empire sur nous ? Ne trouveras-tu pas notre condition mille et mille fois plus heureuse que celle de ces filles imprudentes qui, nées avec des inclinations aussi violentes que celles des autres femmes, viennent porter dans la solitude des désirs qui ne seront jamais apaisés par les embrassements d’un homme ? Qu’ils seraient plus vifs, ces désirs, s’il était possible de nous refroidir ! Nous ne regrettons rien ici. Libres des inquiétudes de la vie, nous n’en connaissons que les charmes ; nous ne prenons de l’amour que les agréments et nous ne remarquons la différence des jours que par la diversité des plaisirs qu’il nous procurent. Désabuse-toi, père Saturnin, si tu nous crois malheureuses.

Je ne m’attendais pas à trouver des pensées aussi justes dans une fille que je ne croyais capable que de sentir le plaisir. Né pour le goûter, je profitai de l’heureux penchant qui me la livrait, et nous satisfîmes à loisir nos transports.

L’homme n’est pas né pour être toujours heureux ; je devins rêveur. J’étais en fouterie ce qu’Alexandre était en ambition : je désirais de foutre toute la terre, et après elle un nouveau monde. Depuis six mois j’avais toujours remporté le prix dans les combats amoureux, et du plus brave que j’étais je devins bientôt le plus lâche. L’habitude du plaisir en avait émoussé la pointe, et j’étais avec nos six sœurs ce qu’un mari est avec sa femme. Le mal de mon esprit influa bientôt sur mon corps ; on m’en fit des reproches qui ne glissèrent que sur mon cœur, et il ne fallait pas moins que toute la tendresse du prieur pour me faire aller à la piscine. Il engagea nos sœurs à travailler à ma guérison : elles ne négligèrent rien pour y réussir ; non seulement elles employèrent tous leurs charmes naturels, mais elles y joignirent encore ce que l’art le plus consommé peut suggérer à une vieille coquette fouteuse. Tantôt se rangeant en cercle autour de moi, elles offraient à ma vue les tableaux les plus lascifs : l’une, mollement appuyée sur un lit, laissait voir négligemment la moitié de sa gorge ; une petite jambe faite au tour, des cuisses plus blanches que la neige me promettaient le plus beau con du monde ; l’autre dans l’attitude d’une femme qui se prépare au combat, marquait l’ardeur qui la consumait ; d’autres, dans des postures différentes, en se chatouillant le con, exprimaient par leurs soupirs les plaisirs qu’elles ressentaient. Tantôt elles se mettaient nues, et me présentaient la volupté dans tout son jour. Celle-ci, appuyée sur un canapé, me montrait le revers de la médaille, et, passant la main sous son ventre, elle écartait les cuisses et se branlait, de manière qu’à chaque mouvement que faisait son doigt je voyais l’intérieur de cette partie qui m’avait autrefois causé de si vives émotions. Une autre, couchée sur un lit de satin noir, me présentait la même image que l’autre ne me présentait qu’à l’envers ; une troisième me faisait coucher par terre entre deux chaises, et, mettant ensuite un pied sur l’une et un pied sur l’autre, elle s’accroupissait, et son con se trouvait perpendiculairement sur mes yeux. Dans cette situation, je la voyais travailler avec un godmiché, tandis qu’une autre foutait devant moi de toutes ses forces avec un moine, nu comme elle. Enfin, on offrit à ma vue les images les plus lubriques, tantôt à la fois, tantôt successivement.

Quelquefois on me couchait tout nu sur un banc ; une sœur se mettait à califourchon sur ma gorge, de sorte que mon menton était enveloppé dans le poil de sa motte ; une autre se mettait sur mon ventre ; une troisième, qui était sur mes cuisses, tâchait de s’introduire mon vit dans le con ; deux autres s’étaient placées à mes côtés, de façon que je tenais un con de chaque main ; une autre enfin, — celle qui avait la plus belle gorge, — était à ma tête, et, s’inclinant, elle me pressait le visage entre ses tétons ; toutes étaient nues, toutes se grattaient, toutes déchargeaient ; mes mains, mes cuisses, mon ventre, ma gorge, mon vit, tout était inondé, je nageais dans le foutre et le mien refusait de s’y joindre. Cette dernière cérémonie appelée par excellence la question extraordinaire, fut aussi inutile que les précédentes : on me tint pour un homme confisqué, et l’on abandonna la nature à elle-même.

Tel était mon état, quand, en me promenant un jour dans le jardin, seul, rêvant au malheur de ma destinée, je rencontrai le père Siméon, homme profond, qui avait blanchi dans les travaux de Vénus et de la table, et, tel que le vieux Nestor, avait vu plusieurs fois renouveler le couvent. Il vint à moi, et, m’embrassant tendrement, me dit : O mon fils ! votre douleur est grande, mais ne vous alarmez pas, je veux vous guérir. La trop grande dissipation, mon ami, a causé votre mal ; il faut réveiller votre appétit malade par quelques mets succulents, et c’est une dévote qu’il vous faut. Le flegme du père me fît rire. Vous riez, me dit-il, je vous parle sérieusement. Vous ne connaissez pas les dévotes, vous ignorez leurs ressources pour rallumer les feux éteints. Je l’ai éprouvé moi-même. Temps heureux où je faisais retentir les voûtes du couvent en frappant avec mon vit, hélas ! qu’êtes-vous devenu ? On ne parle plus du vigoureux père Siméon ; ce n’est plus qu’un vieillard cassé ; son sang est glacé dans ses veines, ses couilles sont sèches, son vit est disparu : tout meurt ! J’avais toutes les envies d’éclater, mais la crainte de l’indisposer me retint. O mon fils, poursuivit-il, profitez de votre jeunesse. Le seul moyen de vous tirer de votre léthargie, c’est de vous mettre au régime, d’avoir recours à une dévote ; mais, pour cet effet, il faut avoir la liberté de confesser, et je me charge de vous l’obtenir auprès de Monseigneur. Je remerciai le père, et, sans avoir grande foi en son secret, je le priai de s’y employer ; il me le promit. Ce n’est pas tout, continua-t-il, il vous faut un guide avant d’entrer dans cette carrière, et je veux vous en servir.

Vous savez, mon fils, que la confession vient de nos ancêtres, c’est-à-dire des prêtres et des moines. J’ai toujours admiré le génie profond de ces hommes célèbres qui établirent la confession. Depuis ce temps tout a changé de face ; les biens ont fondu sur nous ; nos richesses ont grossi à l’ombre de ce tribunal auguste. Béni soit Dieu ! Amen !

Je ne vous parlerai pas de l’excellence du poste de confesseur : ayez seulement de la discrétion, de la douceur et de la condescendance pour les faiblesses humaines, et les femmes vous adoreront. Je ne dirai point quel parti vous devrez tirer de leurs heureuses dispositions par rapport à votre fortune, cela vous regarde ; je vous conseille de plumer impitoyablement ces vieilles bigotes qui viennent à votre confessionnal moins pour se réconcilier avec Dieu que pour voir un beau moine. Faites grâce aux jolies, parce que je la leur ai faite : elles me payaient différemment.

Une jeune fille, par exemple, ne peut faire de présents ; mais elle peut donner son précieux pucelage. Il faut user d’adresse pour lui ravir ce bijou. Fixez-vous à ces jeunes dévotes : elles pourront vous guérir ; ne vous livrez pourtant pas sans ménagement à la vivacité que pourrait vous inspirer l’espoir de votre guérison. Il y a moins de risque à se déclarer à une femme aguerrie qu’à une jeune personne chez qui la passion n’a pas encore triomphé des préjugés de l’éducation. Une femme vous entend à demi-mot ; son cœur a déjà fait la moitié du chemin avant de vous être expliqué : il n’en est pas de même d’une jeune fille ; mais s’il est difficile de la vaincre, la victoire en est plus douce. Je vais vous en tracer la route. Dans toutes, vous trouverez un penchant à l’amour. Le grand art est de savoir manier ce penchant. Telle qui paraît modeste, les yeux baissés et la démarche composée, couve un feu sous la cendre, prêt à s’allumer au vent de l’amour. Parlez, elle n’opposera qu’une faible résistance à vos premières attaques ; pressez, votre victoire est certaine.

D’autres, dont le tempérament est moins vif, moins impétueux, donneront plus d’exercice à votre adresse. Avec celles-ci, mêlez les caresses de l’amant aux remontrances du directeur ; échauffez leur naturel par des discours débités avec art ; informez-vous adroitement des progrès qu’elles ont faits dans la science de se procurer du plaisir ; levez le voile qui leur cachait des voluptés inconnues ; découvrez-leur tous les mystères de l’amour ; faites-leur-en des peintures riantes qui échauffent leur sensualité ; montrez-leur le plaisir dans les attitudes les plus séduisantes pour exciter leurs désirs. Vous objecterez peut-être qu’il est difficile de réussir dans un art aussi dangereux ; point du tout, il ne faut que de l’adresse. Je conviens qu’il serait dangereux d’encenser leurs désirs ; mais n’est-il pas mille moyens de concilier leur cœur et leur raison ? Que les portraits que vous leur ferez des plaisirs paraissent faits moins pour les engager à s’y livrer que dans la vue de les en détourner ; insistez sur les plaisirs ; soyez court sur les conséquences : la raison s’opposera vainement aux impressions que vos discours feront dans leur cœur. Rassurez-les du côté du ciel ; détruisez leurs préjugés du côté du monde ; faites-leur envisager qu’il est dangereux de garder trop longtemps une fleur qui se fane ; qu’il est si doux de la laisser cueillir, que sa perte est idéale. Ajoutez qu’il est mille secrets pour empêcher la grossesse. Examinez alors leur visage, vous le verrez enflammé. Laissez tomber votre main sur leurs tétons ; pressez-les, et bientôt vous entendrez leurs soupirs, fidèles interprètes des sentiments de leur cœur. Joignez vos soupirs aux leurs, appliquez un baiser sur leur bouche, offrez-vous pour consolateur de leurs peines. L’aveu de ce qui se passe dans le cœur établit la confiance, on ne rougit plus d’être faible avec des faibles, on se console réciproquement.

Le discours du père Simon m’avait échauffé l’imagination ; il m’avait si fort ému, que je ne doutai plus de la possibilité d’une chose que j’avais prise pour un badinage. Je réitérai mes instances auprès du père, qui obtint bientôt ce que je demandais.

Il me tardait de me voir érigé en médiateur entre les pécheurs et le Père des miséricordes. Je me réjouissais d’avance de l’aveu que pourrait me faire une fille timide d’avoir donné à son tempérament la satisfaction qu’il demandait. Je fus au confessionnal prendre possession de mon poste.

On dit qu’un grand philosophe avait la faiblesse de rentrer chez lui et d’y rester tout le jour, quand, en sortant le matin, une vieille était la première personne qu’il rencontrât. Si l’exemple de ce philosophe avait été une règle pour moi, j’aurais sur-le-champ déserté le confessionnal ; mais je tins bon, et je m’armai de courage contre l’ennui que devait me causer la confession d’une vieille qui se présenta.

J’essuyai patiemment un déluge de balivernes que je payai par des maximes de morale si consolantes, que ma vieille, charmée, m’aurait d’abord donné des marques de satisfaction, si le grillage ne se fût pas trouvé entre nous. Pour me dédommager, elle me voua un attachement à l’épreuve de toutes les tentatives que les autres directeurs pourraient faire pour me l’enlever. Je lui passai son transport en faveur du profit que j’en pourrais tirer. Bon pour plumer, me dis-je en moi-même ; mais pour cela il fallait sonder le terrain. Elle était babillarde ; je la mis sur le chapitre de sa famille. Grandes invectives d’abord contre un traître de mari, qui portait ailleurs ce qui lui appartenait : elle était blessée dans l’endroit le plus sensible ; autres invectives contre son fils, qui suivait l’exemple du père ; elle ne louait que sa fille, une fille dont l’occupation et le plaisir étaient le travail et la prière, — Ah ! ma chère sœur, m’écriai-je alors d’un ton de tartufe, que vous devez être charmée de vous voir revivre dans une pareille fille ! Mais cette sainte âme vient-elle à notre église ? Que je serais édifié de la voir ! — Vous la voyez tous les jours ici, me répondit la vieille ; elle est aussi belle qu’elle est dévote ; mais dois je parler de beauté devant vous, qui êtes des saints ? Vous méprisez cela. — Ma chère sœur, repris-je, nous croyez-vous assez injustes pour refuse d’admirer les beaux ouvrages du Créateur, surtout quand ce qu’ils ont de mondain se trouve réparé par tant de vertus célestes ? Ma vieille, enthousiasmée du tour que j’avais donné à ma curiosité, me dépeignit sa sainte, que je reconnus pour une brune piquante qui venait à nos offices. Père Siméon, me dis-je alors, voilà de nos dévotes ; ménageons celle-ci : elle pourrait bien vous rendre prophète. Crainte d’effaroucher la mère, je remis à une seconde séance d’engager sa fille à se ranger au nombre de mes pénitentes, et je lui donnai l’absolution, tant pour le passé que pour le présent. Je l’aurais même donnée pour l’avenir si elle avait voulu : cela ne coûte rien. Je l’engageai cependant à venir se rafraîchir souvent dans les eaux de la pénitence. Ainsi finit ma première expédition.

Il me semble que je vous entends crier : Allons, dom Saturnin, vous voilà dans le bon chemin ; vous êtes en train de vous guérir, à ce qu’il paraît. Oui, lecteur, oui, la sainteté du caractère dont je viens d’être revêtu commence à opérer ; Dieu soit loué ! Que la grâce est puissante ! Je bande déjà assez pour me faire croire que je banderai bientôt davantage.

Je ne manquai pas le lendemain d’aller à l’office : on s’imagine bien à quelle intention. Je vis ma brune qui priait Dieu de tout son cœur. La voilà, me dis-je, cette charmante enfant, ce modèle de toutes les vertus ! Ah ! quel plaisir de croquer un morceau aussi délicat ! Quel ravissement de donner à cela la première leçon du plaisir amoureux ! Vivat ! je suis guéri, je bande comme un carme : pourquoi ne pas dire comme un célestin ? valent-ils moins que les autres ? Mais ma dévote me regarde : sa mère lui aurait-elle parlé de moi ? Ah ! vite, apaisons le feu que sa vue m’inspire : branlons-nous ! Le roulement d’yeux que me causait le plaisir fut pris pour un excès de dévotion. Le plaisir que j’avais en me branlant à l’intention de ma dévote m’était un sûr garant de celui que j’aurais si j’en pouvais faire davantage. J’attendais de mon adresse un bonheur que le hasard me procura quelques jours après.

J’étais un jour sorti du couvent. Le portier, quand je rentrai, me dit, en m’ouvrant la porte, qu’une jeune dame m’attendait et voulait me parler. Je courus au parloir ; mais, ô surprise ! je reconnus ma dévote. Me voyant, elle se jeta à mes pieds. — Ayez pitié de moi ! me dit-elle en pleurant. — Qu’avez-vous donc ? lui demandai-je en la relevant. Parlez, le Seigneur est bon, il voit vos larmes, ouvrez votre cœur à son ministre. En voulant parler, elle tomba évanouie dans mes bras, Que faire ? J’allais crier au secours, quand la réflexion me dit : Où vas-tu ? attends-tu une plus belle occasion ? Je m’approche de ma dévote, la délace, lui découvre la gorge. Jamais plus beau sein ne s’offrit à ma vue. En écartant sa robe et sa chemise, je crus ouvrir le paradis. Je fixai mes yeux sur deux globes blancs et fermes comme le marbre ; je les baisais, je les pressais ; je collais ma bouche sur la sienne : je réchauffais son souffle. Enfin, je prends ma dévote amoureusement. Une palpitation subite me saisit. Je la quitte et reste tremblant à la considérer ; tout à coup soufflant la lumière, je la reprends dans mes bras et gagne ma chambre avec ce cher fardeau. Dieux ! qu’il était léger ! Je la mets sur mon lit, rallume ma bougie et la considère de nouveau. Je découvre sa gorge, lève ses jupes, écarte ses cuisses ; j’examine, j’admire. Quel spectacle ! l’amour, les grâces embellissaient son corps. Blancheur, embonpoint, fermeté, tout charmait la vue. Las d’admirer sans jouir, je portai la bouche et les mains sur ce que je venais de voir ; mais à peine y eus-je touché, que ma dévote soupira et porta sa main où elle sentait la mienne. Je la baise sur la bouche, elle veut se débarrasser ; inquiète, elle cherche à pénétrer où elle est. Mon ardeur produit sur moi le même effet ; je ne la quitte pas. Elle veut s’arracher de mes bras, je résiste, je la renverse ; furieuse, elle se relève, veut me déchirer le visage, mord, frappe : rien ne m’arrête. J’appuie ma poitrine sur la sienne, mon ventre sur le sien, et laisse à ses mains tout ce que la fureur leur inspire, employant les miennes à lui écarter les cuisses ; elle les serre, je désespère de triompher ; la rage augmente ses forces, la passion diminue les miennes ; m’excitant, je les réunis, j’écarte ses cuisses, je lâche mon vit ; je l’approche du con, je pousse, il entre. Alors la fureur de ma dévote s’évanouit, elle me serre, me baise, ferme les yeux et se pâme. Je ne me connais plus, je pousse, je repousse, et j’inonde le fond de son con d’un torrent de foutre. Elle redécharge, nous restons sans connaissance, tous deux absorbés par le plaisir.

Mon aimable compagne ne revint à elle-même que pour m’inviter par ses caresses à la replonger dans le délire. Ses yeux sont languissants, se troublent, s’égarent ; son con est une fournaise, mon vit brûle. Ah ! me dit-elle, le plaisir me suffoque ; je meurs ! Ses membres se roidissent, elle donne un coup de cul, j’en rends deux ; nous déchargeons encore.

Après avoir épuisé la plaisir, j’allai chercher à la cuisine de quoi réparer les forces d’un malade ; je dis que je l’étais. Je rentrai chez moi, j’y trouvai ma dévote dans la tristesse ; je la dissipai par mes caresses, et j’attendis que nous eussions mangé pour m’informer de son chagrin. Nous soupâmes sans faire beaucoup de bruit, crainte d’être découverts et qu’on ne confisquât mon trésor au profit de la piscine, suivant les règles de l’ordre.

Comme nous étions tous deux extrêmement fatigués, nous songeâmes plutôt à nous reposer qu’à causer. Quand nous eûmes fini notre repas, nous nous mîmes au lit ; mais aussitôt que nous nous vîmes nus, le repos s’enfuit loin de nous ; je portai la main au con de ma dévote, elle porta la sienne à mon vit, et, admirant sa grosseur, sa fermeté : Ah ! me dit-elle, je ne suis plus surprise que tu m’aies réconciliée avec le plaisir que j’avais résolu de haïr ! Je songeai moins à lui demander la cause qu’à lui prouver, en le lui faisant goûter de nouveau, qu’elle avait eu tort de former une pareille résolution. Elle me reçut dans ses bras avec une vivacité inexprimable. Étroitement serrés, à peine pouvions-nous respirer : le lit ne pouvant plus soutenir nos secousses, il suivait l’impression de nos corps, il craquait effroyablement. Une douce ivresse succéda bientôt à nos efforts, et nous nous endormîmes couchés l’un sur l’autre, étroitement serrés, langue en bouche, vit au con.

L’aurore nous trouva endormis dans cette posture, et, soit que l’imagination eût fait distiller cette eau délicieuse qui annonce le feu intérieur, soit que nous eussions déchargé machinalement, nous nous réveillâmes tout trempés. Bientôt nous renouvelâmes nos plaisirs, et j’eus assez de force pour m’en acquitter monacalement. Je ne dirai pas combien de fois je n’eus pas la peine d’enconner. Je passe rapidement à vous informer du sujet qui avait jeté ma dévote dans mes bras.

Je lui voyais un air d’inquiétude et de tristesse qui me pénétrait. Je la priai tendrement de s’expliquer et d’être persuadée que je remédierais à sa douleur, à quelque prix que ce fût. — Perdrai-je ton cœur, cher Saturnin, me dit-elle en me regardant languissamment, quand je t’avouerai que tu n’es pas le premier qui m’ait fait goûter les plaisirs de l’amour ? Rassure mon cœur contre une crainte dont on ne peut se défendre, et qui vient, malgré moi, de répandre sur mon visage une tristesse que je n’ai pu te cacher. Oui, c’est cette seule crainte qui m’inquiète à présent ; celle de mon sort ne m’occupe plus, puisque je suis avec toi. — Oses-tu, lui répondis-je, te défier des charmes que tu étales à mes yeux ? Que tu en connais peu le prix, si tu doutes de leur effet ! Oui, l’ardeur qu’ils m’inspirent est trop forte pour ne pas s’indigner d’une pareille crainte. Que tu me connais peu ! Si un préjugé ridicule a mis une différence entre une fille foutue et une fille à foutre, ce préjugé n’est pas ma règle. La beauté, pour en avoir charmé d’autres, doit-elle perdre le droit de nous charmer ? Quand tu l’aurais fait avec toute la terre, n’es-tu pas toujours la même, n’es-tu pas toujours une fille adorable, en serais-tu moins précieuse à mes yeux ? Les plaisirs que tu as donnés à d’autres ont-ils altéré la vivacité de ceux que tu viens de me donner ? — Tu m’enlèves, me répondit-elle ; je ne fais plus de difficulté de t’apprendre des infortunes que tu viens de faire cesser.

Elle me raconta ce qui suit :

Mon malheur a sa source dans mon cœur. Un penchant invincible pour le plaisir ne me fait respirer que pour lui. Une mère injuste et cruelle m’avait confinée dans un cloître. Trop timide pour opposer mon dégoût à ses ordres, je ne fis parler que mes larmes ; elles ne l’attendrirent pas, je pris le voile. Le moment fatal de prononcer l’arrêt de ma mort approchait : je frémis à la vue du serment que j’allais faire. L’horreur de ma prison, le désespoir d’être privée de mon unique bien, me plongèrent dans une maladie qui aurait terminé mes peines, si ma mère, touchée de mon état, ne s’était reproché sa dureté. Elle était pensionnaire dans le couvent où elle voulait que je prisse l’habit. Un projet de retraite l’y avait amenée ; mais la réflexion l’en retira. Les femmes ne renoncent pas au plaisir, ne vieillissent pas sans chagrin ; c’est un sentiment naturel que leurs efforts peuvent bien dissimuler, mais qu’ils n’arracheront jamais de leur cœur. Ma mère, jugeant de mon tempérament par le sien, me tira de mon cachot, et reparut dans le monde sur le pied d’une dame qui se consolerait aisément de la perte du défunt dans les bras d’un cinquième mari.

Connaissant le génie de ma mère, je jugeai qu’il serait dangereux de me trouver en rivalité avec elle, certaine qu’un amant qui se présenterait me préférerait à elle. Je compris que les plaisirs de l’amour goûtés dans le mystère en étaient plus piquants, que la retraite me les procurait ainsi que le grand monde. J’agis d’après ce système, et je passai bientôt pour une dévote. Charmée du progrès de mon stratagème, je ne songeai qu’à nouer quelque intrigue secrète à l’ombre de cette haute réputation de vertu factice. Cette réputation parut équivoque à un jeune homme que j’avais vu autrefois à la grille, et avec qui il m’était arrivé une aventure...

J’interrompis alors ma dévote. Me rappelant ce que Suzon m’avait autrefois appris de la sœur Monique, son aversion pour le couvent, sa passion pour l’amour, la scène qu’elle avait eue avec Verland, son caractère, le séjour que sa mère avait fait dans le couvent, je confrontais le portrait de cette sœur avec le charmant minois que j’avais devant moi. J’allai plus loin ; je me ressouvins que Suzon m’avait dit que la sœur Monique avait le clitoris un peu long. Dans l’espoir de trouver à ma dévote ce dernier signe qui devait confirmer mes soupçons, je la fis coucher sur le dos, et, lui examinant le con avec une attention que la passion ne m’avait pas encore permise, j’y trouvai ce que je cherchais, un clitoris vermeil un peu plus long que les femmes ne l’ont ordinairement, et qui semblait n’être placé là que pour le plaisir.

Ne doutant plus que ce ne fût elle, je l’embrassai avec un nouveau transport. — Chère Monique, lui dis-je, est-ce toi que le ciel m’envoie ? Elle se débarrasse de mes bras, me fixe avec surprise, et me demande qui m’avait appris le nom qu’elle portait au couvent. Une fille, lui dis-je, dont je pleure la perte, et la confidente de tes secrets, — Ah ! s’écria-t-elle, c’est Suzon : elle m’a trahie ! — Oui. c’est elle, lui répondis-je ; mais c’est un secret qu’elle n’a confié qu’à moi, et ce n’est qu’à mes importunités que je le dois. — Comment, reprit Monique, tu es le frère de Suzon ? Ah ! je ne me plains plus d’elle : si je le faisais, je me mettrais dans la nécessité de la défendre contre les plaintes que tu en ferais à ton tour, car elle ne m’a pas caché ce qui lui était arrivé avec toi.

Nous nous attendrîmes sur le sort de Suzon et la sœur Monique continua ainsi :

Puisqu’elle t’a conté mon aventure avec Verland, c’est de ce dernier que je vais te parler. Ma métamorphose l’avait surpris ; il m’avait vue à la grille vive, coquette : une longue absence ne m’avait pas effacée de son souvenir. A son retour le bruit de ma dévotion éclatant, il ne voulut en croire que ses yeux. Il me vit à l’église, et l’amour l’y suivit.

En parcourant des yeux tous ceux qui m’environnaient, j’aperçus Verland ; je rougis à la vue d’un homme qui avait autrefois été témoin de ma faiblesse, et je rougis encore plus de ne pouvoir lui cacher les dispositions où mon cœur était de retomber dans les mêmes fautes. L’âge, en tempérant sa vivacité, avait rendu ses grâces plus mâles et plus touchantes. Sa présence ralluma mes désirs ; ils m’entraînaient tous les jours au même endroit, et tous les jours je l’y voyais aussi attentif à me regarder et aussi tendre dans ses regards. Mes yeux lui firent sentir combien j’étais mécontente de sa lenteur à m’apprendra de bouche les mouvements de son cœur ; il me comprit, et, m’abordant d’un air timide, me dit : Un homme qui, pour la première fois qu’il a eu le bonheur de vous voir, a mérité votre colère, peut-il aujourd’hui se présenter à vos yeux ? Si le repentir le plus vif peut faire oublier ma faute, vous devez me voir sans indignation. Sa voix était tremblante. Je lui répondis que le galant homme faisait oublier l’imprudence du jeune homme. — Vous ne connaissez pas toutes mes fautes, reprit-il ; votre bonté vient de me pardonner un crime : j’ai plus besoin que jamais de cette même bonté. Il se tut après ces mots, et, quoique je l’entendisse, je lui répondis que je ne connaissais pas la nouvelle offense dont il voulait me parler. — Celle de vous adorer, me dit-il en collant un baiser sur ma main. Il comprit par mon silence que ce crime était excusable ; et dans la crainte de m’ouvrir trop, je le quittai charmée de mon amour.

J’étais persuadée que, si Verland était sincère, il trouverait occasion de me le prouver ; il pénétra le motif de ma retraite, et me laissa partir en souriant. J’entendis ses soupirs, les miens y répondaient au fond du cœur. Que te dirais-je ? Une seconde entrevue lui valut l’aveu de ma tendresse et la permission de me demander à ma mère en mariage. Elle le refusa : j’en fus au désespoir. Son refus irrita notre amour, Verland en était accablé. Cette imprudente démarche nous ôtait tout espoir ; et, pour comble d’horreur, ma mère était ma rivale. Les éloges prodiges à Verland la trahirent. Triste victime de la dévotion et de l’amour, je n’osais demander à ma mère la cause du refus d’un homme qu’elle croyait parfait. Je ne pus résister à la douleur ; j’étais furieuse contre ma mère et contre moi-même : mon amour était au comble. Je voyais Verland tous les jours ; nous étions inséparables. Croirais-tu que jusqu’alors je n’avais point cédé à ses instances, le seul moyen de mettre ma mère à la raison ? Mais, attendrie par les larmes de mon amant, pressée par son amour, vaincue par mon penchant, je prêtai l’oreille à sa proposition de m’enlever : nous convînmes du jour, de l’heure et des moyens.

Je ne voyais dans mon amour que le plaisir que j’allais goûter avec Verland. Le lieu le plus affreux me paraissait un paradis, pourvu qu’il fût avec moi. Le jour du départ arriva : j’allais sortir, une main invisible m’arrêta. Arrivée sur le bord du précipice, j’en mesurai la profondeur ; effrayée, je reculai. Surprise de ma faiblesse, je voulus étouffer ma raison ; elle triompha ; je rentrai, mes larmes coulèrent. Indignée de ma lâcheté, je m’encourageais et m’effrayais. L’heure pourtant avançait quel parti prendre ? Hélas ! je ne savais que penser. Un rayon de lumière vint m’éclairer, et je fus tranquille : je vis un moyen d’être à mon amant et de me venger de ma mère. Hélas ! à quoi m’a servi tant de prudence ? A me plonger dans l’abîme ! Peut-être aurais-je été plus heureuse dans un pays inconnu : tout à moi-même, n’écoutant que mon amour pour un mari qui m’aurai ; adorée, je n’aurais pas été esclave de ces apparences qui m’ont perdue ? Mais pourquoi m’abuser } J’aurais porté dans un climat étranger le même cœur, la même fureur pour l’amour, et ce caractère m’y aurait perdue comme il l’a fait ici.

Je fis à Verland le signe dont nous étions convenus, en cas d’inexécution du projet : je remis au lendemain à l’informer de mes raisons. Nous nous trouvâmes à l’église, il m’aborda sans dire mot ; son visage exprimait la douleur ; je fus effrayée. — M’aimez-vous ? lui dis-je. — Si je vous aime ! me répondit-il avec un transport de désespoir qui l’empêcha d’en dire davantage. — Verland, repris-je, je lis votre douleur dans vos yeux, mon cœur en est déchiré ; plaignez-moi, plaignez-vous d’un défaut de courage qui nous arracherait à notre passion, si le désespoir ne m’avait pas suggéré le moyen de nous conserver l’un à l’autre. Je ne doute pas de votre tendre amour, mais j’en veux une preuve, puisqu’une mère cruelle s’oppose à nos désirs. Ah ! Verland, le rouge qui me couvre le visage ne vous dit-il pas quel est le moyen que je veux employer ? — Chère Monique, me dit-il en me serrant la main, ton amour te fait il sentir la nécessité d’une chose que je t’ai en vain souvent proposée ? — Oui, lui répondis-je, vous ne vous plaindrez plus ; mais pour vous rendre heureux, je ne veux qu’un mot de votre bouche. — Parlez ; que faut-il faire ? — Épouser ma mère, lui dis-je. La surprise lui coupa la parole ; il me regardait avec des yeux égarés. — Épouser votre mère, Monique ! que me proposez-vous ? — Une chose, lui répondis-je, dont je me repens. Votre froideur me dénote votre amour, et votre indifférence m’éclaire sur ma passion. Ciel ! ai-je pu penser à un homme aussi lâche ? — Monique, reprit-il tristement, à quoi veux-tu réduire ton amant ? — Ingrat, lui répondis-je, quand je surmonte l’horreur de te voir dans les bras de ma rivale ; quand, pour me livrer à toi, pour jouir du plaisir de te voir, pour recevoir enfin tes caresses, je sacrifie ma gloire, j’immole à ton bonheur ce que j’ai de plus cher, tu trembles ! Ai-je plus de force que toi ? Non ; mais tu n’as pas tant d’amour. — C’en est fait, me dit-il alors, tu triomphes ; j’ai honte de moi-même, et nos cœurs doivent être sans remords. Charmée de son courage, je promis de l’en récompenser le jour de ses noces ; peut-être n’aurais-je pas eu la force de l’attendre, si l’impatience de ma mère n’eût pas été aussi vive que la mienne. Verland lui avait offert ses vœux. Ravie d’une conquête qu’elle s’imaginait devoir à ses charmes, elle se hâta d’en recueillir le fruit ; il n’était pas fait pour elle. Le mariage se célébra ; la joie que j’en témoignai m’attira de ma mère mille caresses que je payai par d’autres qui étaient moins sincères. Mon cœur s’enivrait d’avance du plaisir de l’amour et de la vengeance. Verland parut : il était adorable ; mille grâces nouvelles animaient toutes ses actions ; le moindre sourire m’enchantait ; les paroles les plus indifférentes m’enflammaient ; à peine pouvais-je contenir mes désirs. Au milieu du tumulte, il trouva moyen de s’approcher de moi et de me dire : J’ai tout fait pour l’amour, ne fera-t-il rien pour moi ? Un coup d’œil fut ma réponse. Je sors, il s’échappe ; j’entre dans ma chambre, il m’y suit ; je m’élance sur mon lit, il se précipite sur moi. Dispense-moi de faire ici le récit des plaisirs que je goûtai, un seul mot te suffit pour te les faire connaître : toi seul, cher père, toi seul as été plus loin. O ma mère ! m’écriai-je, au milieu de nos transports, que ton injustice va te coûter cher.

Mon amant était un prodige ; nous restâmes ensemble une heure qui ne vit pas un moment d’intervalle. En vain les forces lui manquaient ; semblable à Antée, qui, luttant avec Hercule, ne faisait que toucher la terre pour réparer les siennes, mon amant me touchait et revenait à la charge avec plus de vigueur.

On nous cherchait partout ; on avait même frappé à ma porte. Nous nous séparâmes, crainte d’être suspectés. Verland gagna le jardin, où on le trouva, comme il l’avait prévu. On le railla, on lui fit la guerre. Un feint étourdissement vint à son secours, disant que, pour ne pas troubler les plaisirs, il s’était retiré sans parler. Son air abattu, occasionné par la fatigue qu’il venait d’avoir, aidait à faire croire ce qu’il disait.

Ne doutant pas qu’on ne vînt encore me chercher dans ma chambre, je dérangeai la portière qui bouchait le trou de la serrure et me mis à demi prosternée devant un crucifix. Cela me réussit : on crut que les plaisirs n’avaient pu me déranger de mes pieux exercices ; de là une nouvelle estime, une espèce de vénération pour moi. Remise enfin de mon travail amoureux, je rejoignis la compagnie pour ne donner aucun soupçon, en affectant de me prêter par complaisance à des divertissements dont le plus doux avait déjà été pour moi.

Après le dessein formé de marier ma mère avec mon amant, je disposai tout pour faciliter le moyen de nous voir, pour prévenir toute surprise étant ensemble ; j’affectai plus de dévotion, ne voulant pas être interrompue dans mes prières ; j’accoutumai le monde à ne point frapper chez moi, la clef n’y étant pas. Verland, de son côté, accoutuma ma mère à son absence, prétextant des affaires et se coulant dans mes bras. Quoique contraints, nous n’étions pas dégoûtés de nos plaisirs : je les croyais éternels, un moment me détrompa. Je rencontrai un jour une jeune personne que j’avais connue autrefois ; je lui demandai ce qu’elle faisait en cette ville ; elle me dit qu’elle n’y était attachée à personne : je la pris pour ma femme de chambre. Mais, cher père, est-ce avec toi que je dois feindre ? Cette prétendue femme de chambre n’était autre que Martin, dont ta sœur a dû te parler en te contant mon histoire. Je ne l’avais pas vu depuis notre séparation. Il était encore aussi joli, aussi aimable ; son menton était à peine couvert de quelques poils follets, blonds, que je lui coupais exactement. Martin était une jolie fille aux yeux de tout le monde ; il était pour moi d’un prix inestimable.

J’avais instruit Martin de mon intrigue avec Verland. Heureux de me posséder, il n’en était pas jaloux ; j’étais charmée de sa docilité, je l’étais encore plus de sa vigueur. J’avais arrangé sagement mes plaisirs : Verland avait le jour ; Martin, la nuit. Le jour ne disparaissait que pour faire place à une nuit voluptueuse. Jamais mortelle n’a joui d’une félicité plus parfaite : mais le plaisir est de peu de durée ; sa mesure est celle du tourment dont sa perte nous accable.

Martin pouvait passer pour une fille jolie sous cet habillement. L’ingrat Verland, hélas ! pourquoi le traiter d’ingrat ? n’étais-je pas coupable, et mon cœur criminel ? Verland trouva des charmes à ma prétendue femme de chambre, et négligea sa maîtresse. Dédommagée par les plaisirs de la nuit, je ne m’étais pas encore aperçue de l’indifférence de Verland ; il possédait si bien l’art de me persuader, que tous les motifs de son absence me paraissaient justes. Si je le grondais, un sourire, un baiser, apaisaient ma colère. Un jour de repos me le rendait plus vigoureux. Il en vint jusqu’à me faire croire que l’intérêt de notre plaisir rendait ces absences nécessaires ; j’y consentis : Martin suppléait au relâche.

Hier, jour infortuné et dont je ne dois me souvenir que pour le détester, hier était un jour de repos pour Verland. Renfermée seule avec Martin, et n’ayant pour témoin que l’amour, nous n’écoutions que ses conseils. J’étais couchée sur mon lit ; la gorge nue, les jupes levées et les cuisses écartées, j’attendais que Martin reprît ses forces. Il était nu, et, passant ma cuisse droite entre ses cuisses, me tenait d’une main les tétons, et de l’autre caressait ma cuisse gauche. Tandis que ses yeux et sa bouche cherchaient à rallumer son ardeur, Verland, que nous n’attendions pas, entra et nous surprit dans cette attitude. Il eut le temps de fermer la porte et d’accourir à nous avant que la frayeur nous eût permis de changer de posture. — Monique, me dit-il, je ne blâme pas tes plaisirs, mais tu dois avoir la même complaisance pour moi : j’aime Javotte (c’est le nom que Martin avait pris), je me sens des forces suffisantes pour vous contenter toutes deux. Dans le moment il veut embrasser Martin, il le tire de mes bras, il porte la main et trouve... Quelle surprise ! Sans lâcher Martin, il me jette un regard d’indignation ; il n’ose faire éclater contre moi sa colère ; mais tout le poids en retombe sur la cause innocente. Son amour s’était tourné en rage ; il frappait impitoyablement le malheureux Martin, et c’était moi qu’il frappait dans l’endroit le plus sensible.

Je me jette entre ces deux rivaux. — Arrêtez, dis-je à Verland en l’embrassant ; respectez sa jeunesse au nom de nos transports, au nom de notre amour, Verland, ayez pitié de sa faiblesse, soyez sensible à mes larmes. Il s’arrête, mais Martin, qui avait eu le temps de se reconnaître, était devenu furieux à son tour. Il prend l’épée de Verland, s’élance sur lui. Je fuis à cette vue, me sauve par un escalier dérobé, j’accours ici, tu sais le reste.

Monique ne put achever sans verser des larmes. — Hélas ! s’écria-t-elle, à quel sort dois-je m’attendre ? — Au plus heureux, lui dis-je : rassure-toi, chère Monique ; ce qui fait couler tes pleurs est peut-être sans objet. Si c’est la perte de tes plaisirs, de plus grands la répareront bientôt. Il m’était impossible de la garder encore dans ma chambre sans être découvert, et je crus que le meilleur parti était de la présenter à la piscine. Je ne craignais pas de lui promettre trop, en l’assurant que les plaisirs dont elle avait joui jusqu’alors n’étaient qu’une faible image de ceux qui lui étaient réservés. La piscine devait être un séjour divin pour un tempérament tel que le sien. — Cher ami, dit-elle en m’embrassant, ne m’abandonne pas ; puis-je rester avec toi ! Ton consentement ou ton refus décidera de mon sort ; si je te perds, je serai malheureuse. Je l’assurai que nous ne nous quitterions jamais. — Je n’ai plus, reprit-elle, qu’une inquiétude : pardonne ce dernier effort à un amour dont tu vas devenir l’unique objet. Je sentis ce qu’elle n’osait m’avouer. Je lui offris d’aller m’instruire du sort de ses amants et de l’effet de sa fuite. Elle m’en remercia. Je la laissai seule, et je sortis avec promesse de revenir bientôt.

Je m’informai dans la ville de ce qu’il y avait de nouveau. J’allai dans le voisinage de Verland ; rien n’avait transpiré, et je jugeai que tout le désordre s’était borné à la fuite de Monique. Je revenais au couvent quand j’aperçus le domestique, qui accourut à moi et me dit que le révérend père André l’avait chargé de me donner une lettre, et un sac d’argent de cent pistoles. Je crus d’abord que le père me chargeait de quelques commissions. J’ouvris la lettre et j’y trouvai ces mots :

« Vous vous êtes trahi par vos précautions ; on a ouvert votre chambre, et on y a trouvé le trésor que vous ne vouliez pas faire voir à vos frères ; on s’en est saisi ; on a mis cette personne à la piscine. Vous connaissez le génie des moines ; fuyez, père Saturnin ; fuyez, dérobez-vous aux horreurs d’une prison qui ne finirait peut-être qu’avec votre vie.

« P. André. »

Je fus frappé comme d’un coup de foudre à la lecture de cette lettre. Un accablement mortel m’ôta le sentiment. O ciel ! m’écriai-je, que devenir ? Dois-je m’exposer à la vengeance monacale ? Fuirai-je ? Malheureux, n’hésite point ; ah ! fuyons ! Mais où fuir, où me sauver ? La maison d’Ambroise s’offrit à mon esprit éperdu comme l’asile le plus sur contre la crainte présente. Je pris une résolution courageuse, trop heureux que la générosité du père André me dérobât au ressentiment monacal.

Ce ne fut pas sans douleur que je m’exilai d’un lieu où je laissais mon plaisir et mon bonheur. Déchiré par mes remords, abattu par mon désespoir, j’arrivai chez Ambroise. Toinette était seule ; mon malheur l’attendrit. Elle me secourut de son mieux et me couvrit d’un habit d’Ambroise. Je partis le lendemain pour Paris, dans l’espérance d’y trouver un état qui put me dédommager de celui que je venais de quitter.

Je partis, après avoir secoué, comme les apôtres, la poussière de mes souliers sur mon ingrate patrie ; et, marchant à pied, un bâton blanc à la main, j’arrivai à Paris. Je crus pouvoir braver alors la fureur monacale. L’argent du père André et les secours de Toinette pouvaient me conduire pendant quelque temps. Mon dessein était de chercher d’abord un poste de précepteur, en attendant que la fortune voulût m’en trouver un meilleur. Quelques connaissances que j’avais à Paris auraient pu me servir, s’il n’eût été dangereux de les employer. Moyennant un retour raisonnable, j’avais troqué mon habit de paysan contre un plus honnête. Heureux si, en quittant le froc, j’en avais quitté les inclinations ! Le noir chagrin qui me dévorait me faisait croire que j’étais venu à bout de déraciner cette mauvaise tige, ou que j’en triompherais aisément. Je l’avais même juré ; je voulais m’enchaîner par un serment, moi que les liens les plus respectables n’avaient pu retenir. Que l’homme est faible !

<poem>

Aujourd’hui sous un casque et demain sous un froc, Il tourne au moindre vent et tombe au moindre choc. </poem>


Je tombai ; le choc ne fut pas violent, puisque ce ne fut qu’un coup de coude qu’une coquine me donna en me disant : Monsieur l’abbé, voulez-vous me payer une salade ? — Plutôt deux, répondis-je, emporté par un mouvement naturel. La réflexion vint aussitôt à mon secours, mais trop tard ; j’étais trop engagé pour reculer. Nous entrâmes dans une allée obscure et étroite. Je pensai mille fois me rompre le cou dans un escalier tortueux, dont les marches glissantes et inégales me faisaient trébucher à chaque pas. Ma donzelle me tenait par la main. J’avouerai que, ne m’étant jamais trouvé en pareil cas, je ne pouvais me défendre d’un certain effroi qui parut de bon augure à ma conductrice : elle en aurait ri si elle eût connu ma qualité. Nous arrivâmes enfin avec bien de la peine à la porte du temple. Nous frappâmes ; une vieille, plus vieille que la sibylle de Cumes, vint ouvrir en entrebâillant la porte. — Mon petit roi, me dit-elle, il y a du monde ; attends un moment ; monte plus haut. Monter plus haut était bien difficile, à moins que de vouloir monter au ciel. Une porte se présenta sous ma main qui s’ouvrit d’elle-même. J’allai me retirer, crainte de trouver quelqu’un et de faire soupçonner ma probité. L’odeur me rassura ; c’était... Vous me devinez.

Abandonné à moi-même, dans un endroit affreux, au bout du monde, dans un pays perdu, avec des gens inconnus, je me sentis saisi d’une terreur subite. Le danger que je courais s’offrit à mes yeux. Profitons, dis-je en moi-même, de ce moment de clarté, sauvons-nous. Quelque chose de plus puissant que la réflexion m’arrêta ; il semblait qu’une mer immense se présentât à mes yeux et m’empêchât de gagner le rivage : je m’élançais et je me retenais aussitôt. Le ciel a-t-il gravé dans nos cœurs des pressentiments de ce qui doit nous arriver ? Oui, sans doute, et je l’éprouvais. Dans le moment on ouvre la porte fatale, on m’appelle, je descends ; infortuné, je courais à ma perte, mais quelle joie délicieuse devait la précéder !

J’entre d’un air timide à la lueur tremblante d’une lampe ; je vais m’asseoir sans parler ; j’appuie le coude sur une table mal assurée ; je me couvre les yeux avec la main, comme si j’eusse voulu me dérober aux réflexions qui venaient m’assaillir. Une quêteuse infernale s’avance ; Je me montre généreux, elle me remercie. Mon maintien triste surprenant les prêtresses du temple, la vieille sibylle s’approche pour m’en demander le sujet. Je la repousse brutalement ; elle s’en plaint.

— Laissez, madame, lui dit la plus jeune ; on peut avoir du chagrin.

Ce son de voix qui ne m’était pas inconnu, frappa mon cœur. Je tremblai, et, craignant de porter les yeux vers l’endroit d’où venait de partir cette voix, je les ferme et ne veux m’occuper que des mouvements qu’elle vient de réveiller en moi ; mais bientôt, me reprochant mon indifférence, je veux m’éclaircir ; je rouvre les yeux, me lève et m’approche. Cieux ! c’était Suzon ! Ses traits, quoique changés par l’âge, étaient trop gravés dans mon cœur pour les méconnaître. Je tombe dans ses bras, mes yeux se remplissent de larmes, mon âme est sur mes lèvres. — Chère sœur, lui dis-je d’une voix altérée, tu ne reconnais plus ton frère ? Elle jette un cri, et tombe évanouie.,

La vieille, étonnée, accourt et veut secourir Suzon ; je la repousse, colle mes lèvres sur les lèvres de ma chère sœur, et ne veux que le feu de mes baisers pour lui rendre la chaleur. Je la presse contre mon sein, arrose son visage de mes larmes ; elle ouvre des yeux humides de pleurs : Laisse-moi, Saturnin, me dit-elle, laisse une malheureuse !

— Chère sœur ! m’écriai-je, la vue de Saturnin t’inspire-t-elle de l’horreur ? Tu lui refuses tes baisers, tu lui refuses tes caresses. Sensible à mes reproches, elle me donna les marques les plus vives de sa joie. La gaieté reparut sur son visage ; elle se répandit jusque sur la vieille, à qui je donnai de l’argent pour nous apprêter à souper. J’aurais donné tout : je retrouvais Suzon, n’étais-je pas assez riche ?

On préparait le souper ; je tenais toujours Suzon dans mes bras. Nous n’avions pas encore eu la force d’ouvrir la bouche pour nous demander quelles aventures pouvaient nous rassembler si loin de notre patrie ; nous nous regardions, nos yeux étaient les seuls interprètes de nos âmes ; ils versaient des larmes de joie et de tristesse ; nous n’étions occupés que de ces deux passions. Notre cœur était si rempli, notre esprit si occupé, que notre langue était comme liée ; nous soupirions ; si nous ouvrions quelquefois la bouche, nous ne prononcions que des paroles sans suite ; tout nous ramenait à la réflexion du bonheur d’être ensemble.

Je rompis enfin le silence. — Suzon, m’écriai-je, ma chère Suzon ! c’est toi que je retrouve ! Par quel heureux hasard m’es-tu rendue ? Mais dans quel lieu, ah ! ciel ! — Tu vois, me répondit-elle avec un visage accablé, une fille malheureuse qui a éprouvé toutes les alternatives de la fortune, presque toujours l’objet de sa fureur, et forcée de vivre dans un libertinage que sa raison condamne, que son cœur déteste, mais que la nécessité lui rend indispensable. Ton impatience, je le vois, attend après le récit de mes malheurs ; puis-je donner un autre nom à la vie que j’ai menée depuis que je t’ai perdu ? Moins sensible à la honte de te révéler mes dérèglements qu’au plaisir de répandre ma douleur dans ton sein, je vais te faire un aveu sincère de mes peines. Te le dirai-je, c’est toi qui les as causées ; mais mon cœur était de moitié, lui seul a tout fait, il a creusé l’abîme où je suis plongée. Te souviens-tu de ces temps heureux où tu me faisais une peinture naïve de ta passion naissante ? Je t’adorais dès ce temps-là. En te racontant les aventures de Monique, en te découvrant nos mystères les plus cachés, je voulais t’enflammer, je voulais t’instruire ; je voyais avec plaisir l’effet de mes discours. J’ai été témoin de tes transports avec Mme Dinville, et tes caresses étaient autant de coups de poignard pour moi. Quand je t’entraînai dans ma chambre, j’étais dévorée par un feu que tu ne pouvais plus éteindre C’est ici l’époque de mes infortunes. Tu as toujours ignoré la cause de ce bruit affreux que nous entendîmes : c’était l’abbé Fillot, ce scélérat vomi par les enfers et né pour le supplice de mes jours. Il avait conçu pour moi un amour qu’il voulait satisfaire à quel prix que ce fût ; il avait choisi la nuit pour l’exécution de son dessein ; il s’était caché dans la ruelle du lit, et profita de ta fuite pour venir se mettre à ta place. Hélas ! il eut bon temps d’une malheureuse que la frayeur avait fait évanouir ; il fit ce qu’il voulut. Ranimée par le plaisir et trompée par ma passion, je crus le recevoir de mon cher Saturnin. Je comblai de plaisirs un monstre que j’accablai de reproches quand je le reconnus. Il voulut m’apaiser par ses caresses, je le repoussai avec horreur ; il me menaça de révéler à Mme Dinville ce que j’avais fait avec toi. L’indigne employait contre moi les armes dont je pouvais me servir contre lui. Il obtint par ses menaces ce que j’avais refusé à ses transports. Ainsi, j’accordais tout à un homme que je détestais, et le sort m’arrachait des bras de celui que j’aimais.

Bientôt je sentis les fruits amers de mon imprudence. Je cachai ma honte le plus que je pus ; mais je me serais trahie par un silence trop obstiné. J’avais chassé l’abbé Fillot ; il se consolait dans les bras de Mme Dinville. La nécessité me le fit rappeler. Je lui découvris mon état ; il feignit d’y être sensible, m’offrit de m’emmener avec lui à Paris, en m’y promettant le sort le plus heureux ; il ajouta qu’il ne demandait, pour prix de ses services, que de vouloir souffrir qu’il me les rendît. Je ne voulais qu’être en un lieu où je pusse me délivrer de mon fardeau, comptant bien ne me servir ensuite de son crédit que pour me placer auprès de quelque dame. Je me laissai gagner par ses promesses ; je consentis à le suivre et partis avec lui, déguisée en abbé.

Il eut pour moi mille attentions dans la route ; mais que le traître cachait bien la scélératesse de son cœur sous des apparences trompeuses ! Les secousses du carrosse avaient trompé mon calcul : je mis au monde, à une lieue de Paris, le gage odieux de l’amour d’un misérable. Tout le monde criait au prodige et riait. Mon indigne compagnon de voyage disparut, me laissa à ma douleur et à ma misère. Une dame charitable eut pitié de mon état, prit un carrosse, m’amena à Paris et de là à l’Hôtel-Dieu. Elle ne me tira des bras de la mort que pour me laisser dans ceux l’indigence. Je ne l’aurais sentie que trop tôt, si le hasard ne m’eût fait rencontrer une fille perdue. La misère entraîna le penchant.

N’en exige pas, davantage. La vie de Suzon n’a été qu’un enchaînement continuel de plaisirs et de chagrin. Si le plaisir s’est fait quelquefois sentir à mon cœur, il n’a fait que colorer le fond de tristessse qui le rongeait. Cessera-t-elle, cette tristesse ? Ah ! puisque je te retrouve, je ne dois plus me plaindre. Mais, toi, cher frère, ne me fais pas languir : es tu sorti de ton couvent ? Quel hasard t’a conduit à Paris ? — Un malheur semblable au tien, lui répondis-je, que m’a causé ta meilleure amie. — Ma meilleure amie ! reprit-elle en soupirant. En ai-je encore dans le monde ? Ah ! ça ne peut être que la sœur Monique. — Elle-même, repris-je : ce récit exige trop de temps : soupons.

Je fis à côté de Suzon le repas le plus délicieux de ma vie. L’envie de me voir seul avec elle et, de son côté, celle d’apprendre mes aventures, nous firent quitter promptement la table. Nous nous retirâmes dans sa chambre, où, sans témoins, sur un lit, digne meuble de l’endroit où nous étions, et qui n’avait jamais servi à deux amants aussi tendres, tenant Suzon sur mes genoux, et mon visage collé sur le sien je lui racontai mes aventures depuis ma sortie de chez Ambroise.

— Je ne suis donc plus ta sœur ? s’écria-t-elle quand j’eus fini. — Ne regrette pas, lui dis-je, une qualité que le sang donne, et rarement le cœur ; si tu n’es plus ma sœur, tu es toujours l’idole de mon cœur. Chère âme, continuai-je en la pressant tendrement dans mes bras, oublions nos malheurs, et commençons à compter notre vie du jour qui nous a rassemblés. En lui disant ces mots, je baisai sa gorge ; j’avais déjà ma main entre ses cuisses : — Arrête, me dit-elle en s’échappant de mes bras, arrête ! — Cruelle ! m’écriai je, quelles grâces aurais je donc à rendre à la fortune si tu rebutes les témoignages de mon amour ? — Étouffe, me répondit-elle, des désirs que je ne pourrais écouter sans être criminelle ; fais un effort sur ta passion : je t’en donne l’exemple. — Ah ! Suzon, lui répliquai-je, tu n’as guère d’amour si tu peux me conseiller d’étouffer le mien ! Et dans quelles circonstances ? Quand rien ne s’oppose à notre bonheur ! — Rien ne s’oppose à notre bonheur ? reprit-elle ; ah ! que ne dis-tu vrai ? Dans le moment je la vis en pleurs : je la pressai de m’en expliquer la cause. — Voudrais-tu, me dit-elle, partager avec moi le triste prix de mon libertinage ? Quand tu le voudrais, aurais-je la cruauté d’y consentir ? — Tu crois, lui répondis-je, m’arrêter par une raison aussi faible ? Je partagerais la mort avec ma Suzon, et je craindrais de partager ses malheurs ? Sur-le-champ je la renverse sur le lit et veux lui prouver que je ne crains pas le danger. — Ah ! cher Saturnin, s’écria-t-elle, tu vas te perdre ! — Je me perdrai, lui dis-je, transporté d’amour, mais ce sera dans tes bras ! Elle cède, je pousse... Qu’on me permette d’imiter ici ce sage Grec qui, peignant le sacrifice d’Iphigénie, après avoir épuisé sur le visage des assistants tous les traits qui caractérisaient la douleur la plus profonde, couvrit celui d’Agamemnon d’un voile, laissant habilement aux spectateurs le plaisir d’imaginer quels traits pouvaient caractériser le désespoir d’un père tendre qui voit répandre son sang, qui voit immoler sa fille. Je vous laisse, cher lecteur, le plaisir d’imaginer ; mais c’est à vous que je m’adresse, vous qui avez éprouvé les traverses de l’amour, et qui, après un long temps, avez vu votre passion couronnée par la jouissance de l’objet aimé. Rappelez-vous vos plaisirs, poussezvotre imagination encore plus loin s’il est possible, elle sera toujours au dessous de mes délices Mais quel démon jaloux de ma tranquillité me présente sans cesse un souvenir que j’arrose de larmes de sang ? Ah ! finissons, je succombe à ma douleur.

Le jour vint avant que nous nous fussions aperçus que la nuit avait disparu. J’avais oublié mes chagrins, l’univers entier, dans les bras de Suzon, — Ne nous quittons jamais, mon cher frère, me disait-elle ; où trouveras-tu une fille plus tendre ? où trouverais-je un amant plus passionné ? Je lui jurais de vivre toujours avec elle ; je le lui jurais, hélas ! et nous allions nous quitter pour ne nous jamais revoir. L’orage grondait sur nos têtes, le charme de l’illusion le dérobait à nos yeux. — Sauvez-vous, Suzon, vint nous dire une fille épouvantée sauvez-vous, fuyez par l’escalier dérobé ! Surpris, nous voulûmes nous lever : il n’était plus temps ; un archer féroce entrait au moment où nous nous levions. Suzon, éperdue, se jette dans mes bras : il l’en arrache malgré mes efforts, il l’entraîne. Cette vue me rend furieux ; la rage me prête des forces, le désespoir me rend invincible. Un chenet, dont je me saisis, devient dans mes mains une arme mortelle. Je m’élance sur l’archer. Arrête, malheureux Saturnin ! Il n’est plus temps, le coup est porté, le ravisseur de Suzon tombe à mes pieds. On se jette sur moi, je me défends, je succombe, je suis pris. On me lie ; à peine me laisse-t-on la liberté de prendre la moitié de mes habits. — Adieu, Suzon, m’écriai-je en lui tendant les bras ; adieu, ma chère sœur, adieu ! On me traînait inhumainement sur l’escalier ; la douleur que me causaient les coups des marches sur lesquelles ma tête frappait me fit bientôt perdre connaissance.

Dois-je finir ici le récit de mes malheurs ? Ah ! lecteur, si votre cœur est sensible, suspendez votre curiosité, contentez-vous de me plaindre mais quoi ! le sentiment de ma douleur prévaudra-t-il toujours sur celui de ma félicité ? N’ai-je pas assez versé de pleurs ? Je touche au port et je regrette encore les dangers du naufrage. Lisez, et vous allez voir les tristes suites du libertinage, heureux si vous ne le payez pas plus cher que moi.

Je ne revins de ma faiblesse que pour me voir dans un misérable lit, au milieu d’un hôpital. Je demandai où j’étais. A Bicêtre, me dit-on. A Bicêtre ! m’écriai-je ; ciel ! à Bicêtre ! La douleur me pétrifia, la fièvre me saisit, je n’en revins que pour tomber dans une maladie plus cruelle, la vérole ! Je reçus sans murmurer ce nouveau châtiment du ciel. Suzon, me dis-je, je ne me plaindrais pas de mon sort, si tu ne souffrais pas le même malheur.

Mon mal devint insensiblement si violent que, pour le chasser, on eut recours aux plus violents remèdes : on m’annonça qu’il fallait me résoudre à subir une petite opération. Il faut vous épargner ce spectacle de douleur. Que puis-je vous dire ? Je tombai dans une faiblesse que l’on prit pour le dernier moment de ma vie. Que ne l’était-il ? J’aurais été trop heureux ! La douleur qui avait causé mon évanouissement m’en retira. Je portai la main où je sentais la douleur la plus vive. Ah ! je ne suis plus un homme ! Je poussai un cri qui fut entendu jusqu’aux extrémités de la maison. Mais bientôt revenant à moi-même, et, tel que Job sur son fumier, pénétré de douleur et soumis aux ordres du ciel, je m’écriai dans l’amertume de mon cœur : Deus dederat, Deus abstulit.

Je ne souhaitais plus que la mort. J’avais perdu le pouvoir de jouir de la vie ; l’anéantissement était le but de tous mes désirs ; j’aurais voulu me cacher éternellement ce que j’avais été, je ne pouvais penser sans horreur à ce que j’étais. Le voilà donc, disais-je au fond de mon cœur, le voilà, cet infortuné père Saturnin, cet homme si chéri des femmes, il n’est plus ; un coup cruel vient de lui enlever la meilleure partie de lui-même ; j’étais un héros, et je ne suis plus qu’un... Meurs, malheureux, meurs ; peux-tu survivre cette perte ? Tu n’es plus qu’un eunuque !

La mort fut sourde à mes cris ; ma santé revint, je me rétablis ; mais ma débilité fit juger qu’on ne tirerait pas de moi les services qu’on en avait attendus et auxquels on m’avait destiné ; on me déclara que j’étais libre. — Je suis libre, répondis-je au supérieur qui me l’annonçait ; hélas ! à quoi va me servir cette liberté que vous me donnez ? Dans l’état cruel où je suis, c’est le présent le plus funeste que vous puissiez me faire. Mais, monsieur, oserais-je vous demander le sort d’une jeune personne que l’on doit avoir amenée ici le même jour que moi ? — Il est plus heureux que le vôtre, me répondit-il brusquement ; elle est morte dans les remèdes. — Elle est morte, repris-je, accablé de ce dernier coup ; Suzon est morte ! Ah ciel ? et je vis encore ! J’aurais dans le moment terminé mes jours si l’on n’avait arrêté l’effet de mon désespoir. On me sauva de ma propre fureur, et l’on me mit dans le chemin de profiter de la permission que l’on venait de me donner, c’est-à-dire à la porte.

Je restai un moment anéanti ; mes yeux seuls, en répandant un torrent de larmes, témoignaient que je vivais encore ; j’étais au dernier degré du désespoir et de la rage. Couvert d’un malheureux habit, ayant à peine de quoi vivre un jour et ne sachant où aller, je m’abandonnai dans les bras de la Providence. Je prenais le chemin de Paris, j’aperçus les murs des Chartreux ; la profonde solitude qui y règne fit briller à mon esprit un trait de lumière. Heureux mortels ! m’écriai-je, qui vivez dans cette retraite à l’abri des fureurs et des revers de la fortune, vos cœurs purs et innocents ne connaissent pas les horreurs qui déchirent le mien. L’idée de leur félicité m’inspira le désir de la partager. J’allai me jeter aux pieds du supérieur ; je lui contai mes infortunes. O mon fils, me dit-il en m’embrassant avec bonté, louez Dieu : il vous réservait ce port après tant de naufrages. Vivez-y, et vivez-y heureux, s’il est possible.

Je restai pendant quelque temps sans emploi, mais bientôt on m’en donna. Je montai par degrés au poste de portier, et c’est sous ce titre qu’on m’a connu.

C’est ici que mon cœur se fortifie dans la haine qu’il a conçue pour le monde ; j’y attends la mort sans la craindre ni la désirer, et je prétends que, quand elle m’aura tiré du nombre des vivants, on grave en lettres d’or sur mon tombeau :

<poem>

Hic situs est dom Saturnin, Fututus, Futuit.</poem>

FIN




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