Histoire de la Révolution française: 1789-1799  

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"La prise de la Bastille est un fait culminant dans l'histoire non seulement de la France , mais de l'Europe entière ..."--Histoire de la Révolution française: 1789-1799 (1883) by Alfred Nicolas Rambaud


"There are pages in the books of the French official professors of history that are very curious [...]. They prove too how little the critical spirit is developed by the system of university education in vogue in France. I cite as an example the following extracts from the "French Revolution" of M. Rambaud, professor of history at the Sorbonne:

"The taking of the Bastille was a culminating event in the history not only of France, but of all Europe; and inaugurated a new epoch in the history of the world!"

With respect to Robespierre, we learn with stupefaction that "his dictatorship was based more especially on opinion, persuasion, and moral authority; it was a sort of pontificate in the hands of a virtuous man!" (pp. 91 and 220.)

--The Crowd: A Study of the Popular Mind (1895) by Gustave Le Bon

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Histoire de la Révolution française: 1789-1799 (1883) is a book by Alfred Nicolas Rambaud

Full text

HISTOIRE DE LA RÉVOLUTION FRANCAISE 1789 1799 FOTE DE LA YON ?BIB

  • 1893 *

Sermentdu Jeu de Paume. 308027 HISTOIRE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE 1 789 1 799 PAR ALFRED RAMBAUD fartial OUVRAGE CONTENANT 30 GRAVURES THÈOTE DE LA LYON 2771N

  • 1893 *

PARIS LIBRAIRIE H A CHETTE ET Cie 79 , BOULEVARD SAINT-GERMAIN , 79 1883 Droits de propriété et de traduction réservés

PRÉFACE La France ne date pas de la Révolution : elle n'est pas une na tion sans ancêtres, et ce serait par trop restreindre son patri moine de gloire que de ne pas tenir compte d'un passé de plus de vingt siècles , qui nous rattache à Vercingétorix . Les victoires qu’ont remportées sur la coalition les jeunes soldats de la République ne doivent pas nous faire oublier les grandes luttes qui, aux siècles féodaux, portèrent le nom fran çais en Palestine et en Égypte, qui, au temps de Jeanne Darc et de Henri IV, maintinrent l'indépendance nationale contre les convoitises de l'Anglais et de l'Espagnol , et qui , sous les drapeaux de Louis XIV, imposėrent à l'Europe notre suprématie. De même, dans l'ordre social , le présent est solidaire du passé . La transformation accomplie par la Révolution a été pré parée par le patient labeur d'innombrables générations . Même dans les temps les plus sombres de notre histoire , au milieu des bouleversements qui suivirent la chute de l'empire romain ou de l'empire de Charlemagne, parmi les invasions des Germains, des Normands , des Hongrois et des Sarrasins ou parmi les terreurs de l'an Mil , il a été accompli une æuvre dont nous devons être filialement reconnaissants. La domination des barons féodaux, la tutelle de l'Église , furent alors un progrès sur l'anarchie et l'ignorance des temps bar bares : car le château seigneurial protégea le village contre les bandits ; des bourgs purent se fonder à l'abri des monastères, et le palais fortifié de l'évêque servit d'asile aux derniers débris de l'ancienne civilisation . A son tour, la puissance royale fut un progrès sur le morcel lement féodal : ce sont les rois de France qui rassemblèrent > 10 PRÉFACE. autour de leur trône les provinces dispersées , qui sur la force brutale firent prévaloir l'action de la Loi , et qui , malgré les pré tentions des papes, constituèrent l'État laïque , de l'État moderne . C'est dans ce conflit des pouvoirs rivaux, féodalité , Église , royauté , c'est dans ces siècles reculés que le peuple de France fit les premiers pas vers la liberté : dès le onzième siècle , les communes conquièrent leur indépendance; dès le douzième, les paysans commencent à s'émanciper du servage de la glėbe; dės le quatorzième, la bourgeoisie , avec Étienne Marcel, s'essaye à un rôle politique dans les états généraux et impose à tous le respect du tiers état. Puis ce tiers état grandit par le travail et l'épargne , par l'in dustrie , et , avec Jacques Cæur, par les grandes entreprises com merciales . Il pénètre dans le conseil des rois , dans les Parle ments et les autres cours de la justice , dans l'administration du royaume et même dans les commandements militaires . Il s'é lève, au seizième et au dix- septième siècle , par les arts et les lettres ; au dix-huitième siècle, par les sciences , la philosophie et l'économie politique . Après avoir fourni à la monarchie des mi nistres comme Louvois et Colbert, il se trouve supérieur aux autres classes en éducation politique . A la veille de 1789, il est mûr pour la liberté et pour le pouvoir. Nous reconnaissons les services qu'ont pu rendre , à d'autres époques , la noblesse, l'Église , la royauté; mais à la fin du dix-hui tième siècle leur rôle était terminé. L'ancien régime avait fait son temps . Le moment était venu de constituer en France la société mo derne, la société démocratique . Ce passage de l'ancien régime au régime no uveau , cette trans : formation et cette métamorphose de la France , ils se sont ac complis chez nous par la Révolution , c'est-à -dire au milieu de convulsions violentes qui ont ébranlé non seulement la France , mais l'Europe. Quel Français ne regrette , encore aujourd'hui , que cette trans formation n'ait pu s'accomplir sans secousse , par des transitions sagement ménagées , et qu'en un mot la Révolution ait été néces saire ? Si notre dernier roi absolu , Louis XVI, avait soutenu en 1776 les réformes de Turgot , ou s'il eût admis sincèrement, en juin 1789, la fusion des trois ordres, ou s'il eût adhéré sans arrière-pensée à la constitution de 1791 , les événements auraient 1 (PRÉFACE. INI a pu prendre une autre tournure , Peut- être aurions- nous échappé aux angoisses des discordes civiles et de l'invasion , aux excès de la Terreur, à vingt-deux années de guerres , à l'issue desquelles la France s'est trouvée plus petite et les nations rivales , surtout l'Angleterre et l'Allemagne, plus puissantes. Mais le passage de la monarchie de droit divin à la société démocratique pouvait-il s'accomplir sans luttes ? Il n'y a pas d'exemple dans l'histoire que, sans résistance , des pouvoirs hu mains aient renoncé à la toute - puissance, qu'une royauté ait consenti , de son plein gré , à n'être plus absolue , une noblesse à n'être plus prépondérante, une Église à échanger contre d’im menses richesses et une situation privilégiée un salaire modéré et la jouissance du droit commun . Si la transformation a été moins violente dans la plupart des États européens, c'est que la France, après avoir accompli sa propre révolution , l'a étendue à l'Europe presque entière et a renversé les obstacles matériels qui auraient empêché en Espagne , en Italie , en Allemagne, l'établis sement des régimes parlementaires. N'oublions pas que les An glais , bien qu'en possession de leur Grande Charte depuis Jean sans Terre, ont cependant décapité Charles ler en 1649 et détrôné Jacques II en 1688, et que les Américains eux-mêmes ont con quis leur indépendance au prix d'une guerre terrible . L'ancien régime , en France , s'est défendu énergiquement, et nous avons eu la guerre civile ; l'ancien régime, en Europe , s'est senti menacé par les réformes qui s'accomplissaient en France, et nous avons eu la guerre étrangère . Le roi et les privilégiés ont une lourde responsabilité dans les malheurs de la Révolution . Les pouvoirs issus de la Révolution ne sont pas sans reproche . Robespierre , par exemple, en prolongeant les cruautés de la Terreur même après que la guerre civile eut été étouffée et l'invasion repoussée , a lassé la France, rendu inévi table la réaction contre la République , préparé l'avènement du des potisme militaire . Napoléon , en abusant de sa prépondérance militaire , a lassé l'Europe , rendu inévitable la réaction des peuples contre la France, préparé la ruine de notre suprématie. Louis XVI, Robespierre, Napoléon , ont contribué , chacun pour leur part, à rendre formidable le prix dont nous avons dû payer notre régé nération. Nous sommes maintenant assez éloignés de cette époque glo rieuse et tragique pour essayer de la raconter avec quelque impar tialité, IV PRÉFACE. Le temps a marché comme les idées . Encore quelques années, et tout un siècle aura passé sur la Révolution . Depuis que les paroles enflammées de Mirabeau ont retenti dans les États géné raux , trois générations se sont déjà succédé . Une quatrième génération grandit : elle arrivera à l'adolescence quand on célé brera le centième anniversaire de 1789. En même temps que se renouvelaient les générations, la trace matérielle des événements s'est effacée. Il y a cinquante ans , on rencontrait encore des hommes qui, dans leur famille ou dans leurs biens, avaient souffert de la Révolution. Nul nepeut se donner aujourd'hui pour une de ses victimes et il m'est per: sonne qui ne profite de son triomphe définitif. Personne : car, parmi ceux qui l'attaquent avec le plus d'âpreté dans leurs dis cours ou leurs écrits, il n'en est pas un qui voudrait renoncer à la liberté de conscience, à la liberté de la presse , au droit de contrôle sur les actes du gouvernement, à aucun des droits diritti ria assurés par la Révolution à tout citoyen français : or , tous ces trirana ༣ བ བ , progrès constituent l'héritage de la Révolution , au partage du main quel ont été conviés ses ennemis comme ses amis, les fils des nem ,émigrés comme ceux des patrioles, les nations qu'on avait armées contre elle aussi bien que le peuple français . Les maux qu'elle a causés furent passagers : ses bienfaits durent et dureront. Il ne faul pas mettre seulement à son actif les réformes qui se réalisèrent directement par elle , mais celles qu'elle a rendues possibles après elle, et qui sont la conséquence naturelle des premières. Si les idées d'égalité , de solidarité, de fraternité s'affermissent et s'étendent ; si les lois nouvelles ont toutes en vue l'intérêt du plus grand nombre ; si elles se préoc cupent surtout d'assurer à l'ouvrier et au paysan plus de bien être, au faible la protection , au pauvre l'assistance , à l'enfant l'instruction , si les pouvoirs absolus font place partout en Europe Fado aux gouvernements constitutionnels ; si l'humanité, après bien inseng des rechutes , est entrée dans la voie du progrès indéfini ; c'est parce que la Révolution , dans un admirable et douloureux effort, a brisé tous les obstacles , déblayé les routes de l'avenir et anéanti pour jamais l'ancien régime , au profit non de la France seulement, mais de tous les peuples . A. R. 1 ܝܪܶܝ . ܂ܝ܂ 1 . i HISTOIRE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE PREMIÈRE PARTIE L'ANCIEN RÉGIME ET L'EUVRE DE LA RÉVOLUTION CHAPITRE PREMIER L'ANCIEN RÉGIME L'ancien régime était caractérisé , à la fin du dix - huitième siècle : 1 ° par le pouvoir absolu de la royauté ; 2° par les privilèges excessifs des deux premiers ordres de l'État : 3° par des abus invétérés dans toutes les branches de l'ad ministration publique . I POUVOIR ABSOLU DU ROI Sous les derniers rois de la dynastie de Bourbon , l'auto rité royale était devenue telle , que le jurisconsulte anglais A , RAMBAUD . 1 2 HISTOIRE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE . ( Blackstone osait comparer comme « pays despotiques » la France et la Turquie, et que les ennemis de Louis XIV l'appelaient « le Grand Turc des Français » . Lorsque Henri IV se considérait comme étant « au- dessus des lois »); lorsque Louis XIV,disait : « L'État, c'est moi » ; lorsque Louis XV proclamait qu'il n'était « responsable qu'à Dieu » ; lorsque Louis XVI répondait au duc d'Orléans : « C'est légal , parce que je le veux » , ils ne faisaient que résumer la doctrine même de la monarchie . Cette doctrine , Louis XIV l'a formulée ainsi dans ses Instructions à l'usage de son fils : « Le roi représente la nation tout entière ; toute puissance réside dans les mains du roi .... Les rois sont seigneurs absolus et ont natu rellement la disposition pleine et entière de tous les biens qui sont possédės, aussi bien par les gens d'Eglise que par les séculiers.... Quiconque est né sujet doit obéir sans discernement. » Les docteurs de la Sorbonne , consultés par le jésuite Le Tellier , confesseur de Louis XIV, affirmaient « que tous les biens des sujets étaient au roi et qu'en les prenant, il ne prenait que ce qui lui appartenait » . — « Tout l'État est en lui, » écrivait à son tour Bossuet. Et Vergennes, ministre de Louis XVI, dira : « Le monarque parle : tout est peuple et tout obéit . » Quelques écrivains ont prétendu que la France avait une constitution , parce que l'autorité du roi semblait limitée par les prérogatives de certains corps. M. Duvergier de Hauranne leur répond que la France n'avait d'autre con stitution que celle- ci : « L'omnipotence royale, contrariée quelquefois, jamais entravée. » On a parlé du droit de remontrances des parlements ; mais le roi les réduisait au silence quand il lui plaisait , et il lui suffisait de tenir un lit de justice pour les obliger à enregistrer les édits qui avaient provoqué leurs remon trances . On a parlé des états généraux ; mais de 1614 à 1789 , on n'a pas réuni une seule fois ces représentants de la L'ANCIEN RÉGIME. 3 nation . Le cardinal Dubois, disait que « l'appareil des députés du peuple, la permission de parler devant le roi et de lui présenter des cahiers de doléances, ont je ne sais quoi de triste qu'un grand roi doit toujours éloigner de sa présence » . On a parlé des états provinciaux ; mais la royauté les avait abolis partout, sauf en Languedoc, Bretagne, Bour gogne, Province, Dauphiné, Artois et quelques autres pro vinces plus petites. Ces provinces s'appelaient pays d'etats ; mais quand les députés de ces états montraient quelques velléités de résistance , les gouverneurs royaux emprison naient les meneurs et réduisaient le reste au silence . Les trois quarts de la France , bien qu'on les appelât pays d'élection , n'avaient aucune représentation provinciale. On a parlé des libertés municipales; or, non seulement les offices municipaux, ceux de maires, prévôts, échevins, conseillers, dans le Nord , de consuls, capitouls, jurats , dans le Sud , étaient à la nomination du roi , mais on avait imaginé de rendre ces charges vénales, c'est- à -dire de les vendre à qui voulait les payer. Les agents du roi , dans les provinces et dans les villes , ne rencontraient donc pas plus de résistance que le roi lui - même n'en rencontrait au centre du gouvernement. En bas comme en haut, il n'y avait place que pour l'auto rité absolue et l'obéissance muette . Ainsi, tandis que l'Angleterre, depuis le treizième siè cle , avait une constitution ; tandis que ses rois ne pou vaient ni faire les lois , ni lever l'impôt , ni contracter un emprunt, ni déclarer la guerre, ni conclure la paix qu'avec le concours du parlement; tandis que tout sujet anglais voyait sa liberté et sa propriété garanties par la constitu tion, par l'institution du jury, par une représentation na tionale, le roi de France , entouré de ministres qui n'étaient que ses commis, livré aux conseils de ses familiers, dis posait arbitrairement du sort des particuliers comme des destinées de la nation . 4 HISTOIRE DE LA REVOLUTION FRANÇAISE . 11 Il trônait à Versailles, dans cet immense palais qui, parmi les misères du dix- septième siècle , avait coûté près d'un milliard, et qu'on avait édifié loin de Paris , afin que la voix de l'opinion publique ne pût s'y faire entendre. Là , 10 000 hommes composaient sa maison militaire, 4000 sa maison civile ; 2000 chevaux peuplaient ses écuries. La plus haute noblesse de France, réduite volontairement à l'état de domesticité, s'empressait autour de lui , se dispu tait les bienfaits du roi , c'est- à -dire l'argent du trésor, l'entretenait dans l'enivrement de sa toute-puissance , dans la persuasion qu'il était au- dessus de l'humanité. Partout , dans la décoration du palais de Versailles , l'image du roi se confondait avec celle du soleil ; et c'est ainsi que le pinceau des artistes traduisait cette parole de Bossuet : « O rois , vous êtes des dieux. » Le gouverneur du jeune Louis XV ouvrait une fenêtre et , montrant à cet enfant la foule qui se pressait autour du palais, lui disait : « Tout ce peuple est à vous ! » II VIOLATION DE TOUTES LES LIBERTÉS PUBLIQUES Le roi ne pouvait exercer lui-même l'autorité absolue qu'il s'arrogeait; il gouvernait par ses ministres, dont le premier portait le titre de contrôleur général des finances. Ces ministres étaient souvent incapables ou mal choisis pour les fonctions où les appelait la faveur. Necker ra conte à ce propos une anecdote bien caractéristique. Sar tine, lieutenant de police, venait d'être nommé ministre de la marine . Il s'empressa d'acheter des cartes géogra phiques et en tapissa son cabinet. « Voyez donc, disait-il à ses visiteurs , voyez quels progrès j'ai déjà faits; je puis mettre la main sur cette carte et vous montrer en fermant TO Tout ce peuple est à vous ! > 6 IHISTOIRE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE . > > les yeux où sont les quatre parties du monde . » D'ailleurs, eussent- ils été vraiment capables, les ministres du dix huitième siècle n'avaient plus le temps d'administrer : entraînés dans les tourbillons des plaisirs ou des intrigues de la cour , ils s'en remettaient à des subordonnés. C'étaient donc , en dernier ressort , des subalternes irres ponsables , qui, souvent à l'insu du roi et des ministres, décidaient sur les affaires les plus importantes de l'État. Le despotisme , en enlevant à la nation la connaissance de ses affaires, aboutissait au gouvernement des commis, à une simple bureaucratie . L'administration, comme le gouvernement , avait pour principe l'arbitraire , le « bon plaisir_ » . La police était mal payée , par conséquent corrompue. Un emploi de po lice , payé 300 livres , en rapportait 400 000. Certains agents étaient de connivence avec les voleurs , leur accordaient des permis de séjour, les autorisaient à sortir la nuit des prisons, partageaient avec eux le fruit de leurs brigan dages. En revanche , tout citoyen , sans être accusé , sans être jugé, en vertu d'une lettre de cachet, pouvait être jeté à la Bastille ou dans quelque autre des forteresses royales. Ce n'était pas seulement le roi qui délivrait des lettres de cachet, mais les ministres, mais les intendants, leurs commis, leurs agents les plus infimes. On en délivrait avec le nom en blanc. On en faisait un odieux trafic : une com tesse de Langeac , au nom du ministre La Vrillière, les vendait 25 louis ; ce ministre finit par les faire vendre par ses laquais : il n'en coûtait plus que 120 livres pour faire arrêter les gens . Qui ne connaît l'histoire de Latude mis à la Bastille par la marquise de Pompadour et oublié là trente-cinq ans ! Sous Louis XV , on distribua plus de 150 000 lettres de cachet. L'abus était tellement inhérent à l'ancienne monarchie, que, même sous Louis XVI , on en lança 14 000 . La poste n'était pas alors un service public, mais une ferme exploitée par des traitants . Le secret des lettres , > L'ANCIEN RÉGIME. 7 > chose sacrée pour toute administration loyale , était violé chaque jour : le cabinet noir , qui subsista jusqu'à la Révo lution, décachetait les lettres confiées à la poste et en fai sait des extraits pour le roi . Turgot , ministre de Louis XVI, suppliait son ami Condorcet de ne plus lui écrire par la poste . La presse était encore sous le coup des ordonnances de 1547 et de 1563 , qui condamnaient à la potence les impri meurs et les auteurs d'écrits réputés hostiles à la religion ou au gouvernement. Sous Louis XIV, on pendait les délin quants après les avoir mis à la torture ; sous Louis XV, on se contentait de les mettre à la Bastille et de brûler les livres devant l'escalier du Palais de Justice . Cent soixante-huit « censeurs du roi » surveillaient les produc tions littéraires : la Dime royale de Vauban, le Télémaque de Fénelon , les Inconvénients des droits féodaux de Tur got , beaucoup des ouvrages de Raynal , Diderot, Rous seau , Voltaire , furent condamnés et brûlés . Si le livre était ainsi traité , à quoi pouvait s'attendre le journal ? Aussi la presse périodique, si active et si puissante dans l'Angleterre du dix-huitième siècle , n'existait même pas à Paris, à part quelques feuilles insignifiantes, comme la Gazette ou le Mercure de France. Il n'y avait pas de jour naux en province . L'Anglais Young s'en étonnait en 1789 : « Personne ne saurait douter , dit-il , que cette affreuse ignorance, chez le peuple, des événements qui doivent l'intéresser le plus , ne provienne de l'ancien gouverne ment. » La liberté de conscience n'était pas plus respectée que la liberté de la presse. Sous Louis XIV, après la révocation de l'édit de Nantes, on avait vu les pasteurs condamnés à la potence ou à la roue , leur voix étouffée sur l'échafaud par des roulements de tambour, les populations protestantes livrées aux dragonnades, les « religionnaires » condamnés à ramer sur les galères ou à peiner dans les bagnes. L'évêque Bossuet approuvait ces barbaries et , dans son 8 HISTOIRE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE.

enthousiasme, comparait Louis XIV aux empereurs romains Constantin et Théodose. L'évêque Fléchier, après les mas sacres de Nimes, avait dit : « Cet exemple était nécessaire pour châtier l'insolence de ces gens- là . » Le sort des protestants ne s'était guère amélioré sous Louis XV : chaque fois que le gouvernement réunissait l'assemblée du clergé pour en obtenir un don gratuit, il lui accordait, en récompense , un redoublement de rigueurs contre les dissidents , l'autorisant à enlever les enfants des protestants pour les élever dans les couvents . Un édit de 1724 ordonne que ceux qui mourront après avoir refusé les sacrements de l'Église catholique seront traînés, sur une claie , à la voirie. Une ordonnance de 1730 statue que, lorsque des protestants seront surpris à prier en commun , les hommes seront envoyés aux galères, les femmes en pri son pour la vie , les pasteurs à la potence. En 1745 et 1746 , rien que dans le Dauphiné, 287 protestants sont condamnés aux galères et nombre de femmes au fouet. Encore en 1762 , le pasteur La Rochette fut décapité par arrêt du par lement de Toulouse. On sait l'horrible supplice de Calas et les persécutions contre la famille Sirven . Ces cruautés durèrent jusqu'à une époque si voisine de la Révolution , que la mère de M. Guizot, un jour que les soldats avaient surpris une assemblée, reçut des coups de fusil dans ses vêtements . Cette intolérance était tellement liée au système de gouvernement , que Louis XVI , à son sacre , fut obligé de répéter l'ancien serment : « Je jure de m'appliquer sincèrement et de tout mon pouvoir à exter miner de toutes les terres soumises à ma domination les hé rétiques nommément condamnés par l'Église. » Comme les registres de l'état civil étaient tenus par les curés, les protestants ne pouvaient faire constater ni leur mariage, ni la naissance de leurs enfants : leurs femmes et leurs enfants étaient considérés comme illégitimes. Cela dura jusqu'à l'édit de 1787 , qui reconnut la légiti mité des mariages contractés par les protestants ; mais jus 1 OFITENTUK SELANG په مرمر اور بے Les dragonnades . 10 HISTOIRE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE. qu'en 1789 ils continuèrent à être exclus des emplois . Les juifs, moins cruellement traités , étaient en revanche plus méprisés . Ils vivaient parqués dans des quartiers à part, exclus de toutes les professions libérales , soumis à des taxes exceptionnelles . « On voit avec une peine infinie, osait écrire un écrivain catholique , Expilly , que des hommes aussi vils , qui n'ont été reçus qu'en qualité d'es claves , aient des meubles précieux, vivent délicatement, portent de l'or et de l'argent sur leurs habits , se parent, se parfument, apprennent la musique instrumentale et vo cale et montent à cheval par pure récréation . » Bien que les jansenistes fussent des catholiques , comme ils affectaient une morale sévère et prétendaient limiter l'autorité du pape , ils subirent à plusieurs reprises de barbares persécutions . En 1709 , Louis XIV avait chassé les jansenistes de Port-Royal des Champs, si célèbre par les travaux du grand Arnauld et par le séjour de Racine . On avait déterré leurs morts et passé la charrue sur l'emplace ment de cette illustre maison . Rappelons qu'en 1766 un jeune homme de vingt ans , le chevalier de La Barre , pour n'avoir pas salué une proces sion et avoir mutilé , à ce qu'on prétendait, un crucifix , eut le poing coupé et la langue arrachée; puis il fut décapité , et son corps brûlé sur un bûcher. JII INEGALITÉ DANS LA CONDITION DES PERSONNES Le despotisme royal pesait sur tous, mais pesait d'un poids inégal sur les diverses catégories de sujets. La nation française était répartie en trois ordres : clergé, noblesse, tiers état . Le clergé se composait de 150 000 prêtres ou moines; la noblesse, de 140 000 personnes ; le tiers état , L'ANCIEN RÉGIME. 11 de 25 millions d'hommes. Quiconque n'était pas clerc ou noble était roturier, c'est- à- dire vilain . 25 millions de Français étaient donc , pour emprunter les termes d'un édit de Louis XIV , « des gens de naissance ignoble » . Le clergé et la noblesse , c'étaient les ordres privilégiés : sous prétexte que le clergé priait et que la noblesse com battait, ils se refusaient à payer presque tous les impôts : ceux- ci retombaient sur le tiers état . Non seulement les privilégiés payaient au roi infiniment moins d'impôts que le peuple , mais le peuple leur payait à eux- mêmes des impôts. Le clergé, outre le produit des quêtes et du casuel, per cevait sur les blés , le vin, le bétail et tous les fruits de la terre un impôt qu'on appelait la dime ; la dime, portant sur le produit brut , enlevait au paysan bien plus que le dixième , souvent le quart de son revenu . Les nobles exigeaient du paysan les droits seigneuriaux : les lods et ventes ou droits casuels, qui étaient des espèces de droits de mutation , payables au seigneur chaque fois que la terre changeait de propriétaire; et qui montaient généralement au sixième du prix de la vente ; le cens, l'ente annuelle, perpétuelle et irrachetable, dont le non- payement entraînait parfois la confiscation de la terre ; la taille sei gneuriale, qui était en certaines occasions un doublement du cens ; la corvée, qui prenait aux cultivateurs, en moyenne, 52 journées de travail par an ; les péages sur les ponts, les chemins, les marchés; les banalités, qui obli geaient le petit propriétaire à sé servir, moyennant finance, du pressoir , du moulin, du four établis par le seigneur; les droits de colombier , de garenne, de préage, de ravage, qui livraient les semailles ou la récolte du paysan aux pigeons et au gibier du seigneur. C'étaient là les droits les plus ordinaires ; d'autres étaient comme le rachat ou la compensation en argent d'usages abominables qui avaient. prévalu dans la barbarie féodale et qui se conservaient encore dans certaines provinces reculées. > 12 HISTOIRE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE. Enfin , au-dessous du paysan durement exploité, mais cependant libre de sa personne, surchargé de redevances, mais cependant propriétaire, venait le serf, dont l'héritage et la personne même appartenaient au seigneur et qui était soumis à toute la rigueur du droit de mainmorte. Il y avait encore en France, à la veille de la Révolution , dans certains cantons de la Bourgogne, de l'Alsace , de la Lorraine, des Trois Évêchés, du Hainaut, de l'Artois , de la Flandre , de la Champagne, de la Marche, de l'Auvergne , du Bourbonnais , du Berry, du Nivernais, 150 000 sujets du roi qui restaient serfs . Voltaire , dès 1771 , avait élevé la voix en faveur des serfs du Jura, qui appartenaient au chapitre de Saint-Claude. « Il y a donc, s'écriait - il, des peuples chrétiens gémissant dans un triple esclavage sous des moines qui ont fait veu d'humilité et de pauvreté ! » Les serfs du Jura étaient si bien la propriété, la chose de leurs maitres ecclésiastiques, qu'ils n'avaient même pas de noms de famille. D'ailleurs, pour « cette canaille » , comme disait le marquis de Langeron , le nom d'un saint, Jean , Pierre ou Paul , suffisait . On aura une idée des charges qui écrasaient le peu ple quand on saura que les propriétés roturières, c'est à -dire les seules qui supportassent l'impôt, formaient au plus le quart du territoire français : les trois autres quarts se partageaient entre le domaine royal, les apa nages des princes du sang, les terres nobles et les terres d'Église . L'inégalité n'existait pas seulement en matière d'impôt : elle se retrouvait partout . Dans l'armée, il fallait être noble pour devenir officier . Dans le clergé, les dignités d'arche vêques, évêques, abbés des monastères, membres des cha pitres, n'étaient accessibles qu'à ceux qui faisaient preuve de noblesse. Dans les tribunaux, les offices supérieurs de justice , dans l'administration , les hautes charges munici pales, étaient réservés aux gentilshommes. Les criminels mêmes étaient traités inégalement suivant la différence de 7 L'ANCIEN RÉGIME . 13 leur condition : le condamné, s'il était noble , était déca pité; s'il était roturier, pendu . Non seulement le noble et le roturier n'étaient pas égaux devant les juges du roi, mais le noble avait droit de juger le paysan ; il avait sa justice à lui , la justice sei gneuriale . On la distinguait en basse justice , moyenne justice et haute justice. La haute justice emportait le droit de condamner à mort ; une potence se dressait, en signe de son droit , aux portes du château qu'habitait le seigneur haut justicier. On pouvait dire qu'il n'y avait pas en France trois ordres , mais presque trois nations différentes, comme si les privilégiés eussent été , ainsi que le prétendait le comte de Boulainvilliers, les descendants d'une race étrangère qui aurait conquis et asservi la race indigène. Chacun des trois ordres se subdivisait en classes nette ment séparées. Dans le clergé , il y avait le haut clergé, qui était noble, et le bas clergé, c'est- à - dire les curés, qui sortaient du peuple. Dans la noblesse, on distinguait les princes du sang, la noblesse de cour, qui accaparait les emplois et les pensions , la noblesse des villes , qui se per . pétuait dans les offices municipaux, la noblesse rurale , pauvre et négligée : ajoutons- y la noblesse de robe , qui occupait les tribunaux. Celle - ci formait la transition entre la noblesse et le tiers état . Dans le tiers état , il y avait d'abord la haute bourgeoisie, qui vivait noblement, c'est à - dire ne travaillait pas , qui possédait des terres nobles, c'est - à - dire ne payait pas l'impôt foncier, qui avait acheté des châteaux et qui exerçait dans les villages tous les droits seigneuriaux. Puis venaient la bourgeoisie moyenne, la petite bourgeoisie et le peuple des villes , le peuple des campagnes , le serf enfin , placé au dernier échelon de la société . La noblesse à quartiers, qui pouvait faire ses preuves d'ancienneté, dédaignait la noblesse de robe, qu'elle appe Jait les robins , les bourgeois qui avaient acquis des terres 14 TIISTOIRE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE. ou des charges conférant la noblesse et qui étaient ainsi devenus nobles au moyen de la sąvonnette à vilain , c'est à- dire à prix d'argent. Elle dédaignait également les gen tilshommes verriers, anoblis par l'industrie de la verrerie . C'était même une maxime que tout travail , tout commerce , toute industrie faisait déroger, c'est- à-dire perdre la no blesse. Tous ces privilégiés s'accordaient à mépriser le paysan, qui formait alors les cinq sixièmes de la nation . Un des motifs pour lesquels la noblesse, en 1776 , repoussait la transformation de la corvée royale en contribution pécu niaire , c'est que « ce serait effacer sur le front de la plėbe la tache originelle de la servitude » . Philipporean Misère des paysans sous Louis XIV. Sur le paysan retombait en dernier lieu tout le poids de cette société si étrangement construite. Ainsi que l'écri vait l'Américain Jefferson en 1786 : « Pour apprécier la masse des maux qui découlent de cette source fatale, L'ANCIEN RÉGIME. 15 l'aristocratie, il faut résider en France, il faut voir le sol le plus beau , le meilleur climat , l'Etat le plus compact, le caractère national le plus bienveillant , en un mot, la réunion de tous les avantages naturels, être insuffisants pour empêcher ce fléau de l'aristocratie de rendre la vie un supplice pour les vingt- quatre vingt-cinquièmes des habitants de ce pays. » IV L'ADMINISTRATION DES PROVINCES Dans les provinces, les gouverneurs, tous gens de haute noblesse , très largement appointės , se bornaient à prési der, dans les pays d'états , les sessions des assemblées provinciales ; le reste de l'année , ils résidaient à la cour. Le véritable représentant du roi , c'était l'intendant. In vesti d'attributions beaucoup plus étendues et plus variées que les préfets d'aujourd'hui, il ne subissait pas , comme eux, le contrôle d'assemblées élues. Il n'était responsable qu'envers le roi et les ministres. Impôts, armée, routes, industrie, commerce , justice , tout relevait de son autorité . Sous les ordres des intendants se plaçaient les sous- inten . dants appelés subdélégués, simples commis des intendants, nommés et révoqués par eux. « Sachez, écrivait d'Argen son , que ce royaume de France est gouverné par trente intendants : ce sont trente maîtres des requêtes , commis aux provinces, de qui dépendent le malheur ou le bon heur de ces provinces, leur abondance ou leur stérilité. » Les trente intendances ou généralités se subdivisaient en 8 pays d'états et 118 pays d'élection . Les provinces étaient donc les unes privilégiées , les autres arbitrairement gou vernées. Les provinces étaient séparées par des lignes de douanes . L'Alsace, la Lorraine , les Trois Évêchés ( Metz > 16 HISTOIRE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE . Toul , Verdun ) avaient des douanes du côté de la France et n'en avaient pas du côté de l'Allemagne. Les provinces n'étaient pas astreintes au même régime d'impôts : la Lor raine n'était pas soumise à la capitation ; l'impôt du vingtième était moins lourd en Lorraine , en Alsace et en Franche-Comté que dans le reste de la France. Ces diver sités administratives entretenaient le souvenir des an ciennes divisions. La Bretagne invoquait encore le contrat de mariage d'Anne de Bretagne ; la Lorraine regrettait ses ducs , la Franche-Comté son ancienne indépendance, la Flandre ses franchises municipales . Les paysans d'Alsace -payaient l'impôt à la fois au roi de France et aux princes allemands possessionnés dans la province . La France n'était pas encore une patrie. Dans les provinces éloignées, quand on allait à Paris , on disait : « Je vais en France . » V ! LA JUSTICE > En matière judiciaire , il y avait treize parlements et quatre conseils souverains jugeant en dernier ressort , tant au civil qu'au criminel . C'étaient , par ordre d'ancienneté , les parlements de Paris, Toulouse , Grenoble, Bordeaux , Dijon, Rouen , Aix, Rennes , Metz, Pau , Douai, Besançon , Nancy, et les conseils souverains d'Alsace, de Roussillon , d'Artois et de Corse . Environ huit cents tribunaux de second ordre, bailliages, sénéchaussées, présidiaux, jugeaient en première instance. Au -dessous venaient les justices sei gneuriales , les justices municipales ( le sénat , ou conseil municipal de Strasbourg, prononçait même des condam nations à mort), les justices ecclésiastiques qui , sous le nom d'officialités, pouvaient prononcer la prison perpé tuelle. Ces tribunaux inférieurs étaient des écoles de chi L'ANCIEN RÉGIME. 17 cane, de corruption et de vénalité. Tel seigneur haut justi cier, afin de prouver son droit , dit La Bruyère , « faisait pendre un homme qui méritait le bannissement . » Beaumarchais, dans sa comédie du Mariage de Figaro, a ridiculisé l'ineptie et la servilité du juge seigneurial , personnifié dans le type grotesque de Bridoison. A côté de la justice ordinaire du roi , il y avait aussi la justice extraordinaire ou administrative que rendaient les chambres des comptes, les cours des aides , la cour des monnaies, le grand conseil, les eaux -et -forêts, les fermiers généraux, les fermiers de la gabelle. Le cours régulier de la justice pouvait être arrêté par les évocations au grand conseil , les lettres de répit, les arrêts de surséance , que le roi accordait trop facilement aux solli citations des privilégiés qui voulaient ajourner le paye ment de leurs dettes ou échapper à un procés criminel. Quand le roi tenait à faire condamner quelque grand per sonnage, il l'enlevait à ses juges naturels et le traduisait devant une commission . Les charges de justice , même de justice royale , étaient la propriété des juges ; ils les avaient achetées à prix d'argent et transmettaient , comme héritage à leurs fils, comme dot à leurs gendres, ou simplement comme un objet de vente, le droit de juger. Ces charges étaient donc à la fois vénales et héréditaires. Les magistrats, greffiers et autres officiers de justice , n'étant pas payés par le roi , se faisaient payer par les plaideurs : cela s'appelait recevoir des épices. Ces épices coûtaient aux justiciables près de 60 millions par an . Un avocat du roi dit que la justice de son temps était un brigandage . Les procès étaient intermi nables : l'argent, les titres , le crédit des plaideurs influaient sur la décision des juges . La diversité de législation aggravait le désordre. On dis tinguait les provinces du nord ou pays de droit coutumier, et les provinces du sud ou pays de droit écrit, c'est-à-dire de droit romain ; mais comme chaque petite province avait A. RAMBAUD. 2 18 HISTOIRE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE. aux filles sa coutume particulière , il y avait près de quatre cents codes différents. Dans la législation relative aux héritages , se perpétuaient les droits d'ainesse et de masculinité qui dépouillaient les cadets au profit des aînés, les filles au profit des garçons, ne laissant de ressource aux fils cadets que le régiment et que le couvent. La justice criminelle surtout fut la honte de l'ancien régime. La procédure rappelait celle de l'inquisition . On n'accordait au prévenu ni débat public, ni confrontation de témoins , ni communication de pièces ; ni assistance d'avocat . On l'obligeait à prêter serment qu'il dirait la vérité : ce qui le plaçait entre le parjure ou l'abandon de sa défense . Le grand moyen d'instruction judiciaire , c'était la question , une torture raffinée dont un chirurgien attaché au tribunal surveillait l'application afin que le patient pût souffrir le plus possible sans mourir. Quand le juge d'instruction , à force de barbarie, avait arraché au misé rable l'aveu vrai ou faux de son crime , on l'amenait devant le tribunal. Ce n'était pas un jury, comme aujourd'hui , mais c'étaient des juges de profession, naturellement en clins à voir dans tout prévenu un coupable , qui appré ciaient la culpabilité et prononçaient la sentence, sans même prendre la peine de la motiver. Rarement on envoyait le condamné au supplice sans l'avoir remis à la torture pour lui faire avouer ses com plices , ou sous tout autre prétexte : c'était d'usage et pour ainsi dire de style . On appelait question préparatoire celle dont on usait pendant l'instruction , et question préalable celle qui précédait l'exécution. Suivant l'intensité de la torture, on la distinguait aussi en ordinaire et extraordi naire. Quant à la peine suprême; les juges se contentaient diffi cilement de la mort simple : le chevalier de La Barre fut į cruellement mutilé avant sa décapitation ; le supplice ordinaire qu'on appliquait aux voleurs de grand'route , 1 L'ANCIEN RÉGIME . 19 aux assassins ( à Calas, par exemple , faussement accusé du meurtre de son fils ), c'était la roue , sur laquelle expirait le condamné après que le bourreau l'avait rompu vif, c'est à - dire lui avait brisé tous les os à coups de barre de fer . Rien de plus affreux que les tortures infligées à Damiens , qui avait égratigné Louis XV avec un canif. La place de Grève, la plus fréquentée de Paris , était le lieu ordinaire des supplices : le gouvernement ne comprenait pas que de pareils spectacles ne pouvaient qu'entretenir le peuple dans la barbarie et le rendre féroce. VI L'ARMÉE L’armée, même après les réformes de Louvois au dix septième siècle , reflétait l'inégalité sociale . Les chefs étaient nommés non pour leurs talents, mais pour leurs quartiers de noblesse, par le bon plaisir du roi ou le caprice des favorites : c'est aux choix de Mme de Pompadour que nous sommes redevables des généraux courtisans qui, pen dant la guerre de Sept ans, firent battre les Français par les Prussiens. Les grades s'achetaient ou s'obtenaient à la faveur. Sous Louis XV, on vit un enfant de treize ans, le vicomte de Turenne, nommé colonel général de la cavalerie ; le duc de Bouillon était colonel à onze ans ; le duc de Fronsac, å sept ans ; les princes du sang, au berceau . C'est seulement à partir de Choiseul , en 1758 , qu'on exigea sept ans de service comme officier pour devenir colonel . Une charge militaire , étant vénale comme une charge de juge , était comme elle un objet d'exploitation . Malgré les réformes de Choiseul, colonels et capitaines continuaient à vivre sur le soldat , spéculaient sur son habillement, son 20 HISTOIRE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE. armement, sa nourriture , fraudaient sur sa paye , faisaient coucher jusqu'à trois soldats dans un même lit. Il y avait des écoles militaires , mais elles ne s'ouvraient qu'aux nobles . Les examens de sortie étant secrets , c'étaient les plus protégés qui avaient les meilleurs rangs . Un édit du 22 mars 1781 , sous Louis XVI , vint encore aggraver la situation : il exigeait de tout candidat au grade d'officier qu'il fit preuve devant le généalogiste Chérin de quatre générations de noblesse. C'est alors que Jourdan , Joubert, Kléber quittérent l'armée pour les carrières civiles ou le service A étranger. la veille de la Révolution , Iloche était sergent aux gardes, Marceau , Ney, Augereau , Berna dotte, Championnet, Éblé , Friant et beaucoup des futurs généraux de la République et de l'Empire étaient sous-offi ciers et sans espoir d'avancement. Dans la marine , on distinguait entre les officiers rouges ou nobles et les officiers bleus ou roturiers ; les premiers ne cachaient pas leur dédain pour les seconds : de là des querelles et des duels nombreux. Comme il fallait placer les cadets de noblesse , on avait multiplié inutilement les emplois d'officiers. On comptait 60 000 officiers pour une armée de 170 000 hommes. Un régiment de cavalerie comprenait 142 officiers ou sous officiers et seulement 482 soldats . La situation du soldat était intolérable , surtout depuis que le comte de Saint Germain , ministre de la guerre, entiché des principes prussiens, avait, en 1774 , emprunté aux armées allemandes l'usage des châtiments corporels et recommandé les coups de plat de sabre. « La discipline militaire, raconte Moreau de Jonnès, consistait à battre les soldats à coups de canne, de cour roies, de plat de sabre, de baguettes de fusil, de verges d'osier , ou clandestinement avec la savate, et les châti ments tuaient aussi sûrement et avec bien plus d'atrocité que le gibet. J'ai vu sur le rempart de Rennes, derrière les Carmes , le vicomte de Mirabeau, colonel du régiment Ce Le racolement au cabaret, 22 HISTOIRE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE. de Touraine , .. , frère du grand orateur, présider lui-même au supplice des militaires qu'il faisait passer par les verges . Il les suivait pas à pas, pour s'assurer de leurs effroyables souffrances, et criait aux soldats : « Frappez fort ! » donnant des coups de plat de sabre à ceux dont le cour faiblissait dans ces barbares exécutions . » L'armée se recrutait : 1 ° par le racolement ; 2 ° par le tirage de la milice. Les racoleurs attiraient au cabaret les vagabonds ou les imprudents , les enivraient pour leur faire signer des engagements, et encombraient ainsi les régiments de la lie des grandes villes . Des soldats ainsi recrutés n'avaient ni sentiment du devoir, ni patriotisme : on comptait 4000 désertions par an. Quant au tirage de la milice, qui fournissait des éléments plus sains et plus honnêtes, il pesait principalement sur le peuple des cam pagnes . En temps de guerre , les recrues de la milice étaient envoyées dans les régiments. Cet impôt du sang, comme toutes les charges de l'ancien régime, était aggravé par une révoltante inégalité. On exemptait du tirage non seulement les nobles, les clercs , les bourgeois vivant noblement, les gros marchands, les employés de bureaux, mais les fermiers, commis et laquais des privilégiés : on peut ajouter tous ceux qu'il plaisait à l'intendant ou au subdélégué d'exempter. C'étaient en résumé les paysans qui , après avoir finance pour tous, partaient à la place de tous . La noblesse n'en continuait pas moins à s'exempter des contributions sous prétexte qu'elle payait de son sang. Étant admis qu'on n'envoyait au régiment que les pauvres diables sans appui et sans protection , qui n'étaient même pas valets d'un couvent, la milice ne pouvait être pour le paysan qu'un objet d'horreur et le nom de milicien qu’un terme de mépris . On cherchait à se dérober au service par tous les moyens possibles : la maréchaussée , c'est - à- dire la gendarmerie, n'était occupée qu'à donner la chasse aux réfractaires . Comme la fuite d'une recrue aug L'ANCIEN RÉGIME. 23 mentait les risques du tirage , les paysans eux- mêmes cherchaient à rattraper le fugitif. « Chaque tirage, raconte Turgot , donnait le signal des plus grands désordres et d'une sorte de guerre civile entre les paysans, les uns se réfugiant dans les bois, les autres les poursuivant à main armée pour enlever les fuyards. Les meurtres , les procédures criminelles se multipliaient et la dépopulation en était la suite . Lorsqu'il était question d'assembler les bataillons , il fallait que les syndics des paroisses fissent amener leurs miliciens escortés par la maréchaussée et souvent garrottés. » VII L'ÉGLISE Nous avons parlé des immenses richesses de l'Église voyons comme elles étaient employées et comment se répar tissaient , dans cet ordre privilégié, les avantages et les charges. Une fonction d'Eglise s'appelait bénéfice, et , en effet, on s'occupait plus des revenus qu'elle procurait que des devoirs qu'elle imposait. La feuille des bénéfices était entre les mains soit d'un aumônier de la cour, soit d'un familier du roi , parfois d'une favorite . Mme de Pompa dour, pendant de longues années , a distribué sans contrôle les évêchés , les bonnes cures et les abbayes : aussi l'anti chambre et le boudoir de cette femme étaient- ils encombrés de candidats ecclésiastiques . Le haut clergé, ainsi recruté, justifiait la peinture qu'en a faite le roi Louis XVIII dans ses mémoires : « Par son ambition et ses prodigalités, il s'était attiré le mécontente ment de la nation . Il désertait les temples et ne se montrait plus qu'à Versailles . Profitant de son influence , il exerçait une tyrannie insupportable sur le bas clergé et sur le 24 IIISTOIRE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE . peuple , se faisait craindre par son intolérance et mépriser par le relâchement de ses mæurs. » Tandis que l'évêque de Gap recevait à peine 8000 livres , celui d'Autun en touchait 50 000 , celụi de Strasbourg 60 000, celui de Bordeaux 63 000 , celui de Sens 82 000, celui d'Alby 100 000, celui de Toulouse 106 000, celui de Narbonne 120 000 , celui de Rouen 130 000. Les plus grasses sinécures étaient les abbayes des monastères : on en gratifiait des jeunes gens qui ne résidaient même pas dans leurs couvents ; on les accumulait sur les mêmes têtes , de manière à faire à M. de Rohan jusqu'à 400 000 livres et à M. de Brienne jusqu'à 678 000 livres de revenu .. L'abbé de Vermond , prêtre autrichien , lecteur de la reine Marie-Antoinette , touchait 60 000 livres par an , sans être astreint à visiter aucune de ses abbayes . Dans les cures , il Уy avait presque toujours un curé titu laire , abbé de monastère, grand seigneur ecclésiastique, gros décimateur qui touchait les dîmes et autres revenus , mais se souciait peu de dire la messe à des paysans . Il prenait à sa solde un pauvre diable d'ecclésiastique auquel il allouait quelques centaines de livres sous le nom de por tion congrue, et qui se chargeait de prêcher, baptiser, ma rier et enterrer ses paroissiens. La misère de ces pasteurs contrastait si scandaleusement avec le luxe du haut clergé, que Voltaire les prenait en pitié : « Je plains , disait - il, le curé à portion congrue à qui des moines, nommés gros dé cimateurs, osent donner un salaire de quarante ducats pour aller faire, toute l'année , à deux ou trois milles de sa mai son , le jour, la nuit, au soleil , à la pluie, dans les neiges, au milieu des glaces , les fonctions les plus pénibles et les plus désagréables. » Tandis que les abbés ou les abbesses de noble famille retrouvaient au couvent les plaisirs et les hommages du monde, les simples religieux ou religieuses formaient une nouvelle variété de malheureux. Les jeunes gens ou les jeunes filles étaient ordinairement conduits au couvent par > > > பொறாரார்பார்ப்பும் பாப்பானானாங்கை SH பாபாபாபாபாபாபாபா EE Ir ENT பார்போம் SNEHALF 22 223 பா TN பாபா LLTEETUETTE உ ப MEERE TARTTHU ID Wratiral .FETHERIICTIu =THERONUT Palais deVersailles . 26 HISTOIRE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE. une vocation prématurée , par les entraînements et l'inex périence de l'adolescence , plus souvent par les calculs intéressés des familles qui voulaient se débarrasser des cadets et des filles afin d'avantager les aînés . Une fois entrés dans le monastère, ils n'en pouvaient plus sortir . Ils étaient frappés de mort civile, c'est- à -dire qu'ils n'avaient plus droit à l'héritage de leurs parents . S'ils se révoltaient contre cette tyrannie, le bras séculier, c'est- à- dire l'État, venait en aide aux anathèmes de l'Église ; le moine fugitif était ramené par la maréchaussée . Suivant l'humeur des supérieurs , le relâchement de la discipline pouvait aller jusqu'à la licence , ou la rigueur de la règle dégénérer en cruauté . L'abbé titulaire, surtout dans les couvents riches , était un mondain qui allait vivre à la cour des revenus de la communauté et qui , pour les accroître , exploitait la plebe monacale, obligeait ses frères à des jeûnes sévères . S'il résidait au couvent, c'était sou vent un tyran domestique qui mettait la patience de ses subordonnés à de rudes épreuves. Dans le secret impéné trable du cloître , il avait à sa disposition , contre les carac tères et les esprits trop indépendants , les privations , le fouet , le cachot, l'in -pace. Du reste , il y avait les couvents aristocratiques , où l'on n'admettait à faire veu d'humilité que les cadets et les filles de fière noblesse, et les couvents de moindre renom, où s'abritaient les vocations plébéiennes. VIII L'AGRICULTURE, L'INDUSTRIE ET LE COMMERCE Nous avons vu que le paysan payait pour tout le monde et que même il payait à tout le monde : au roi , les im pôts ; au clergé, la dîme ; à la noblesse, les droits féodaux. L'ANCIEN RÉGIME. 27 Nous avons vu que , tandis que la noblesse s'exemptait des impôts sous prétexte du service militaire , c'était cepen dant le paysan qui principalement formait l'armée . En même temps qu'il avait à supporter la corvée seigneuriale, il élait astreint à la corvée royale pour l'entretien des grandes routes. Les paysans que l'on amenait ainsi des villages les plus éloignés pour faire la corvée sur les grandes routes, tandis que les chemins vicinaux restaient à l'état de bourbiers , n'étaient ni payés ni nourris, et sou vent maltraités par les piqueurs des ponts et chaussées, contre la tyrannie desquels les plaintes n'étaient jamais reçues . « Les corvées, a dit un économiste , l'abbé Luber sac, sont un impôt qui coûte aux cultivateurs et à l'État , en déprédations , en anéantissement de production , soixante fois au moins la valeur du travail des corvéables . » Les charges de l'agriculture étaient si excessives qu'elles ruinaient la production ; le paysan, appauvri , s'en tenait à un outillage imparfait , pratiquait une agriculture qui , au dire d'un agronome anglais , rappelait celle du dixième siècle , n'élevait plus de bétail , ne fumait plus la terre ; le sol épuisé ne se réparait plus. Dans certains pays,, les vexations exercées par les agents des contributions indi rectes faisaient que le campagnard désespéré arrachait les vignes. S'il plantait la pomme de terre, nouvellement im portée d'Amérique, aussitôt l'Église s'en faisait par les tribunaux attribuer la dîme . Aussi les économistes constataient que le quart du sol restait en friche ; qu'en Touraine, en Poitou, en Berry, s'étendaient des solitudes de 50 000 et 40 000 arpents ; que les deux tiers de la Bretagne , que la moitié des provinces du centre n'étaient point cultivées ; que la Sologne , autre fois florissante , redevenait marécage et forêt; qu'en beau coup de régions, le désert se faisait et que la terre retour nait à l'état sauvage. Devant ce lamentable tableau , on pense au mot de Montesquieu : « Les terres rendent moins en rai son de leur fertilité que de la liberté de leurs habitants . » 28 HISTOIRE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE . L'industrie restait soumise au régime des corporations. A la tête de chaque corporation , il y avait une jurande, com posée de syndics et jurés choisis parmi les maîtres . Pour exercer n'importe quel métier ou industrie, il fallait avoir la maîtrise. La charge de maître charpentier ou de maître drapier devait être achetée , tout comme celle de capi taine , de conseiller au parlement ou d'échevin municipal : on ne pouvait devenir maître qu'en payant cette charge à un maître ou en obtenant du roi une lettre de maîtrise , qui valait entre 2000 et 3500 livres . Mais il fallait d'abord avoir passé par les grades d'apprenti et de compagnon . L'apprentissage durait longtemps : dans certaines profes sions dix ou douze ans. Puis on restait une autre série d'années compagnon, travaillant sous les ordres et pour le compte d'un maître. On faisait le chef-d'oeuvre, qui devait être admis par la jurande . Enfin on payait une coûteuse bienvenue à tous les confrères . Les délais étaient abrégés lorsqu'on était fils de maître, ou qu'on épousait la fille ou la veuve d'un maître. Remarquons qu'une lettre de mai trise n'avait de valeur que dans une ville déterminée et qu'elle ne permettait pas à l'industriel lyonnais , par exemple , d'aller s'établir à Marseille ou à Paris . Les métiers étaient rigoureusement séparés . Le bonnetier qui s'avisait de fabriquer un chapeau avait un procès contre toute la corporation des chapeliers . Les attributions des métiers étant mal définies, les corporations dépensaient un million par an , rien que dans Paris, à plaider les unes contre les autres : pâtissiers contre boulangers, tailleurs contre fripiers, cordonniers contre savetiers , poulaillers contre rôtisseurs. L'administration , s'étant avisée de réglementer les pro duits de l'industrie , entravait tous les perfectionnements : le drapier qui augmentait ou diminuait le nombre des fils dans une pièce d'étoffe, le chandelier qui mêlait de la graisse de vache au suif de mouton , le chapelier qui mê lait de la soie au castor , quand bien même ils annonçaient L'ANCIEN RÉGIME. 29 > loyalement au public un produit nouveau et moins coû teux , étaient frappés de grosses amendes , privés de leurs maîtrises. Leur marchandise était clouée au pilori , brûlée en place publique. La royauté intervenait sans cesse dans le travail natio nal pour le contrarier, multipliant les emplois inutiles ou ridicules qu'elle vendait fort cher, créant par exemple des visiteurs et langueyeurs de porcs , des jurés cribleurs de blė , des visiteurs de foin , des conseillers du roi mesureurs du bois de chauffage, des contrôleurs de perruques, etc. Pontchartrain, sous Louis XIV , avait vendu à lui seul 40 000 de ces emplois. Le commerce était entravé par les douanes intérieures, par la diversité des monnaies, des poids et mesures, par les restrictions apportées à la circulation des grains, par le monopole des grandes Compagnies : jusqu'à l'année 1770, la Compagnie des Indes avait seule droit de faire le négoce dans les mers d'Orient. Les autres Compagnies étaient abolies depuis trop peu de temps pour que les particuliers eussent pu prendre la suite de leurs affaires et faire preuve d'initiative . Toute espèce de production était ainsi arrêtée dans son développement; les impôts excessifs et vexatoires ache vaient de la ruiner. Bien que le total des impôts fût alors quatre fois moins considérable qu'aujourd'hui, ils écra saient le peuple, parce qu'ils étaient mal assis , que le sys tème de répartition et de perception était mauvais , et qu'ils portaient sur une part restreinte du sol , de la population , de la richesse. IX L'ADMINISTRATION FINANCIÈRE La taille, ou impôt foncier, qui ne pesait que sur les roturiers , arbitrairement fixée par le roi , arbitrairement 30 HISTOIRE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE. répartie entre les communes par les intendants , était per çue par les collecteurs. Les collecteurs étaient des contri buables à qui on imposait cette fonction désagréable et qui répondaient sur leurs biens du rendement de l'impôt : ils étaient forcés de ménager les puissants, chargeaient d'autant plus les pauvres , et s'inspiraient trop souvent de leurs affections ou de leurs inimitiés . Comme ils étaient à la fois victimes et tyrans , la taille était perçue par eux avec une extrême rigueur. L'insolvable se voyait enlever ses hardes, ses meubles, son lit , jusqu'au plancher de sa chambre et aux tuiles de son toit . La capitation, impôt personnel qui n'atteignait que fai blement les nobles, que le clergé esquivait en votant des dons gratuits, était ruineuse pour le peuple : un pauvre journalier, qui gagnait dix sous par jour, payait jusqu'à huit et dix livres et même, par exemple en Bourgogne , dix - huit ou vingt livres de capitation. Les vingtièmes, taxes qui auraient dû être proportionnelles au revenu , se payaient en raison inverse du revenu . Grâce à la connivence du fisc , les princes du sang qui auraient dû payer 2 400 000 livres , n'en payaient que 188 000 ; les privilégiés trouvaient moyen de se faire exempter en grande partie ; toute la charge , ainsi allégée pour les grands, retombait d'aplomb sur les pauvres . Pour la gabelle , ou impôt du sel , on distinguait les pays de grande gabelle, pays de petite gabelle , pays francs, pays rédimés. Dans le pays de grande gabelle, le sel se payait de 55 à 60 livres le quintal; dans les pays de petite gabelle, 28 livres ; dans les pays rédimés, 9 livres ; dans les pays francs, de 2 à 7 livres. Pour conserver cette iné galité de régime , l'administration interdisait de transpor ter le sel d'un canton dans un autre . Sur les rivages , pour maintenir le prix fixé, les agents de la gabelle rejetaient dans les flots le sel formé par la mer et qui dépassait les besoins du service. Chaque habitant du royaume, au -dessus de sept ans, était astreint à en payer une quantité déter > > L'ANCIEN RÉGIME. 31 minée , qu'on appelait le sel du devoir, et qui était géné ralement fixée à sept livres par tête. Le régime de la gabelle ne se maintenait que par des perquisitions constantes et des pénalités rigoureuses. Était réputé fraudeur ou faux -saunier quiconque employait à un autre usage le sel acheté pour sa consommation per sonnelle , le paysan qui épargnait son sel pour saler son porc, celui qui employait le sel du poisson salė , etc. Les faux-sauniers étaient fouettés , envoyés aux galères , et , en cas de récidive , pendus. Il y avait , en moyenne, deux ou trois mille arrestations par an : les prisons regorgeaient. La haine du peuple contre le gabelou a survécu au sys tème : Mandrin, le hardi capitaine de faux - sauniers et de brigands, était au dix-huitième siècle le héros favori des légendes populaires. Le comte de Provence , qui fut plus tard le roi Louis XVIII , ne craignit pas de dire, en 1788, å l'Assemblée des notables : « La gabelle est un impôt dont les effets sont si effrayants, qu'il n'est pas un bon citoyen qui ne voulût contribuer, fût- ce d'une partie de son sang , à l'abolition d'un pareil régime. >> Les aides, ou impôts sur les boissons et consommations, donnaient lieu à la même inquisition , aux mêmes vexa tions. Le saides présentent avec la gabelle ce trait commun , qu'elles ne sont pas perçues par des agents du roi , mais par les agents de la Ferme, compagnie de financiers qui , moyennant une somme payée au trésor, avaient la faculté d'extorquer au peuple tout ce qu'ils pouvaient lui arra cher . Les contribuables payaient deux ou trois fois plus que ne recevait le trésor. Quand le droit de joyeux avène ment fut affermé en 1715 , les traitants payèrent au roi 20 millions et firent suer au peuple 40 millions . Pour comble d'iniquité, c'étaient des juges spéciaux, nommés, payés par la Ferme , qui statuaient sur les procès entre la Ferme et les contribuables. 32 HISTOIRE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE . X L'INSTRUCTION PUBLIQUE Voyons ce qu'a fait l'ancien régime pour l'éducation nationale . Un fait suffit à juger son wuvre, c'est que la masse du peuple en 1789 était illettrée et que , plus de quarante ans après, quand M. Guizot fit la loi de 1833 , on constata que 55 pour 100 des conscrits ne savaient ni lire ni écrire. Malgré l'éclat des lettres sous Louis XIV, malgré la gloire de Corneille , Racine, Molière, Montesquieu , Vol taire , on peut dire qu'au dix -huitième siècle , après une si longue tutelle exercée par l'Eglise sur les intelligences, le peuple, dans ses masses profondes, était resté à l'état de primitive barbarie. Dans la plupart des villages , il n'y avait même pas d'école . Le syndic de la commune souvent ne sait pas lire ; on trouve parfois dans les registres cette mention : « Pour avoir pris un homme pour dresse du présent compte, pour n'avoir l'usage d'écrire : trois livres. Les registres de l'état civil , tenus par le curé, portent, au lieu de signatures, des milliers de croix . Çà et là , quelque prêtre réunissait à son presbytère trois ou quatre enfants choisis parmi les mieux doués ; mais, s'il les instruisait, c'était en vue de les préparer au sacerdoce. Dans les pays où le culte catholique et le culte protestant étaient en présence, dans les Cévennes par exemple, le clergé, comme moyen de propagande, créa des écoles . Dans l'est de la France , notamment en Alsace , en Lorraine , en Franche Comté, on comptait presque autant de maîtres d'école que de communes. En Champagne, en Artois, en Flandre, en Normandie, il y avait encore un assez grand nombre de petites écoles. Mais les provinces du centre , de l'ouest et du sud étaient beaucoup moins favorisées. Dans le Bourbon L'ANCIEN RÉGIME. 33 nais >, à peine si 19 pour 100 des mariés pouvaient signer leur nom. Dans l'Auvergne , la Marche, le Limousin , on ne rencontrait pas une école pour vingt villages . Ce qui importe plus que le nombre des écoles, c'est la manière dont elles étaient tenues . Comme il n'y avait pas alors d’écoles normales pour former les instituteurs, ceux ci passaient un examen peu sévère devant une commission nommée par l'évêque et recevaient de lui l'approbation , ou permission d'enseigner. Alors le maitre d'école se met tait en quête d'un emploi , se présentait devant les muni cipalités , donnait un échantillon de son talent à chanter ou à calculer, montrait son écriture et , s'il était agréé, signait un engagement. Avec sa classe, il se logeait où il pouvait, dans un grenier, dans une cave , dans une grange; il vivait d'un petit traitement, soit en argent, soit en na ture, d'un droit d'écolage de quelques sous par tête d'écolier, des bénéfices que lui rapportait son service à l'église , parfois d'une dime imposée sur un laboureur, et mangeait tour à tour chez les parents de ses élèves . Géné ralement, il cumulait ses fonctions de l'église et de l'école avec quelque profession manuelle , comme celle de tailleur ' , cordonnier, maçon ou débitant de boissons. Le gouverne ment se désintéressait absolument de l'instruction du peuple et s'en remettait au zèle des évêques et des con grégations . L'enseignement secondaire se donnait dans les collèges, au nombre de 554. Les études littéraires y étaient incom plėtes : l'histoire de France ne figurait pas dans les pro grammes. « Le nom de Henri IV , raconte Lavalette , ne nous avait pas été prononcé une seule fois pendant nos huit années d'études, et, à dix -sept ans, j'ignorais encore à quelle époque et comment la maison de Bourbon s'est établie sur le trône . » L'enseignement scientifique surtout restait fort en arrière des progrès du siècle . Les châtı ments corporels étaient fréquemment employés, ainsi que cela se pratique encore aujourd'hui en Angleterre. Le bon A. RAMBAUD . 3 34 HISTOIRE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE. Rollin lui-même, dans son Traité des études , allègue ce passage de l'Écriture : « Celui qui épargne la verge hait son fils. » Pour l'enseignement supérieur, sur les vingt- deux uni.. versités patentées par le roi , bien peu méritaient ce nom. Les grades de licencié et de docteur, sauf à Paris et à Montpellier, se délivraient presque sans examens, à la faveur ou à prix d'argent. Les exercices du culte catholique étant obligatoires , les protestants et les juifs étaient exclus des universités . Les écoles spéciales étaient dans un état déplorable : les titres nobiliaires , et non les examens, décidaient de l'en trée à l'école du génie militaire de Mézières , à l'école d'ar tillerie de Châlons, à l'école des ponts et chaussées et à l'école des mines de Paris. La nomination des professeurs du Collège de France était soumise à la signature du grand aumônier. Ce qui manquait au système d'enseignement public sous l'ancien régime, c'était un concours efficace et régulier de l'État , c'était le désir sincère d'éclairer le peuple. C'était aussi la liberté : Fréret, membre de l'Académie des inscrip tions, avait été mis à la Bastille pour son Mémoire sur l'origine des Français, et l'Église surveillait jalousement toute science et tout enseignement. CHAPITRE II L'EUVRE DE LA RÉVOLUTION L'ouvre de la Révolution s'est complétée sous quatre régimes successifs : 1 ° sous l'assemblée qui, convoquée d'abord le 5 mai 1789 comme réunion des états généraux, s'est ensuite déclarée Assemblée nationale constituante ; 2° sous la Législative, qui a duré du 1er octobre 1791 au 20 septembre 1792 ; 3° sous la Convention , qui a gou verné ensuite jusqu'au 26 octobre 1795 ; 4° sous le Direc toire , qui a fonctionné jusqu'au 9 novembre 1799 avec le concours de deux assemblées législatives , celle des Anciens et celle des Cinq-Cents. De toutes ces assemblées, deux surtout ont contribué à accomplir la transformation de la France : la Constituante, qui a rendu près de 4000 décrets et opéré la grande révo lution politique et sociale; la Convention, à qui nous som mes redevables des grandes créations scientifiques, litté raires et artistiques.

1 SOUVERAINETÉ NATIONALE A la théorie de la royauté absolue de droit divin , traitant 36 HISTOIRE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE. la nation en sujette, faisant seule la loi et se mettant au dessus des lois , l'Assemblée constituante opposa le prin cipe de la souveraineté nationale formulé dans ces deux articles de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen : « Le principe de toute souveraineté réside essentielle ment dans la nation . Nul corps , nul individu, ne peut exercer d'autorité qui n'en émane expressément. « La loi est l'expression de la volonté générale . Tous les citoyens ont droit de concourir personnellement ou par leurs représentants à sa formation . » Dans la première constitution qu'ait eue la France, celle de 1791 , la royauté a déjà changé de nature. Le roi, désor mais , règne « par la volonté nationale » . Il n'est plus que le premier magistrat du pays . Il ne peut plus faire la loi , établir l'impôt, déclarer la guerre, conclure la paix , signer des traités de commerce, contracter des emprunts, qu'avec le concours d'une assemblée composée des élus de la na tion . Il cesse d'être le propriétaire des personnes et des biens de ses sujets ; la constitution substitue partout la loi consentie par tous à l'arbitraire d'un seul. Le roi ne puise plus à sa fantaisie dans le trésor. Comme tous les fonctionnaires publics, il reçoit un traite ment : on a fixé sa liste civile à 25 millions. On l'a rendu irresponsable, précisément pour le rendre impuissant ; les ministres seuls sont responsables ; les actes qu'ils accom plissent au nom du roi sont jugés par l'Assemblée. Quoi que le souverain soit héréditaire , on a déterminé en quels cas il peut être déclaré déchu du trône et passer de la condition de roi à celle de sujet. Bien des constitutions se sont succédé en France depuis la constitution de 1791 ; il y a eu , à plusieurs reprises, des essais de pouvoir personnel; mais ni Napoléon Ier, ni Charles X, ni Napoléon III , n'ont prétendu gouverner sans le concours d'une représentation nationale. Enfin , depuis 1870, le pouvoir exécutif a cessé d'être héréditaire; la forme républicaine, après avoir fait deux apparitions, L'EUVRE DE LA RÉVOLUTION. 57 en 1792 , puis en 1848 , s'est définitivement implantée dans notre pays . La participation de tous les citoyens à la formation de la loi est devenue une réalité ; la constitution de 1791 , celle de l'an III , celle de l'an VIII ont établi le suffrage à deur degres ; les chartes de 1814 et de 1830 ont organisé le suffrage censitaire; depuis 1848 , c'est le suffrage uni versel qui est la loi fondamentale . II LIBERTÉS PUBLIQUES lu L'arbitraire gouvernemental ou administratif est con damné, les libertés naturelles garanties par cet article de la Déclaration des droits , qui ne nous laisse rien à envier aux vieilles libertés britanniques : « Nul homme ne peut être accusé , arrêté ni détenu que dans les cas déterminés par la loi et selon les formes qu'elle a prescrites . Ceux qui sollicitent , expedient, exécutent ou font exécuter des ordres arbitraires, doivent être punis . Les lettres de cachet furent abolies ; le secret des lettres déclaré inviolable . On vit la Constituante refuser d'ouvrir des plis saisis à la poste et qui contenaient, disait - on , la preuve des complots tramés contre elle . La liberté de conscience, la liberté de la presse , furent dans la Déclaration des droits, affirmées en ces termes : « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même re ligieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l'ordre établi par la loi . « La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l'homme; tout citoyen peut donc parler, écrire , imprimer librement, sauf à ré Comas ho 38 HISTOIRE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE. pondre de l'abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi . » La constitution de 1791 garantit « la liberté à tout homme de parler, d'écrire , d'imprimer et publier ses pen sées, sans que ses écrits puissent être soumis à aucune censure , ni inspection avant leur publication , et d'exercer le culte religieux auquel il est attaché; la liberté aux citoyens de s'assembler paisiblement et sans armes , en sa tisfaisant aux lois de police » . Si la liberté de la presse a été de nouveau menacée , opprimée même à certaines époques, elle n'en est pas moins restée dans la conscience publique comme une de nos li bertés essentielles . La Révolution a fait mieux que de proclamer la liberté d'écrire : la Constituante, puis la Convention ont créé la propriété littéraire, en assurant à l'écrivain et à ses héri tiers le droit exclusif de retirer de son wuvre un profit légitime. La Révolution a garanti la propriété. Dans l'ancien ré gime, sous prétexte d'utilité publique, l'administration s'arrogeait le droit d'exproprier les citoyens, sans juge ment, en leur promettant une indemnité qui souvent ne leur était jamais payée . La Constituante a établi les jurys d'expropriation : les immeubles ne peuvent être frappés d'expropriation que pour cause bien établie d'utilité pu blique , et l'indemnité doit être payée avant l'entrée en possession. Là Convention elle - même, si impitoyable pour les droits féodaux, ne permit pas qu'on discutât le principe de la propriété : le 18 mars 1793, elle décrétait la peine de mort contre quiconque proposerait la loi agraire. Quant à la confiscation , si souvent pratiquée par les rois, elle fut abolie par la Constituante. Rétablie par les assemblées révolutionnaires comme une arme contre les émigrés, puis par Napoléon au retour de l'île d'Elbe, elle a , depuis la Restauration, disparu de nos lois . > L'EUVRE DE LA RÉVOLUTION. 39 Le principe de la liberté de conscience amena, sous la Constituante, une série de mesures réparatrices envers les protestants. Le décret du 24 décembre 1789 leur rendit les droits politiques. Celui du 10 juillet 1790 restitua aux héritiers des fugitifs les biens qui avaient été confisqués et se trouvaient incorporés au domaine de l'État , sous la garde de la régie aux biens des religionnaires. On respecta les biens possédés de bonne foi par des catholiques , mais on dé pouilla ceux qui en jouissaient « pour prix de leurs ser vices » , c'est -à- dire à titre de dénonciateurs d'hérétiques . Le décret du 9 décembre 1790 alla rechercher sur la terre d'exil les rejetons des proscrits : il statua que tout descen dant d'un Français ou d'une Française expatriés pour cause de religion, né en pays étranger, serait de plein droit, s'il revenait en France et y prêtait le serment civique , admis à jouir de tous les droits attachés à la qualité de Français . Les juifs furent en partie affranchis par le décret du 27 septembre 1791 : ils étaient tenus de prêter le serment civique pour être admis à jouir de leurs droits politiques . Cette condition fut abolie sous l'empire. Il n'y a plus de juifs en France, mais seulement des citoyens français professant la religion juive. La Constituante, en retirant au clergé les registres de l'état civil , en les confiant aux officiers municipaux, ga rantit les droits des dissidents. En déclarant que « la loi ne considère le mariage que comme contrat civil » , en exigeant que le mariagecivil précédât le mariage religieux, la Révolution a sécularisé la famille et assuré la liberté de conscience contre tout retour offensif de l'intolérance . > 10 JUISTOIRE DE LA REVOLUTION FRANCAISE . III ÉGALITÉ ENTRE TOUS LES CITOYENS, AFFRANCHISSEMENT DE LA TERRE 1 . L'égalité entre tous les citoyens devenait ainsi la loi nou velle de la France. Voici comment la Déclaration des droits formulait ce principe d'égalité : « Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits. Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l'utilité commune. « La loi doit être la même pour tous, soit qu'elle pro tège , soit qu'elle punisse . - Tous les citoyens sont égaux à ses yeux, sont également admissibles à toutes dignités, places et emplois publics, selon leur capacité et sans autre distinction que celles de leurs vertus et de leurs talents . )) En conséquence : « Il n'y a plus ni noblesse, ni pairie, ni distinctions héréditaires , ni distinction d'ordres , ni ré gime féodal, ni justices patrimoniales , ni aucun des titres , dénominations et privilèges qui en dérivaient, ni aucun ordre de chevalerie, ni aucune des corporations ou déco rations pour lesquelles on exigeait des preuves de noblesse ou qui supposaient des distinctions de naissance, ni aucune autre supériorité que celle des fonctionnaires publics dans l'exercice de leurs fonctions. » Et on lit dans le préambule de la constitution de 1791 : « La constitution garantit comme droits naturels et civils : 10 que tous les citoyens sont admissibles aux places et emplois, sans autre distinction que celle des vertus et des talents ; -2° que toutes les contributions seront réparties entre tous les citoyens également, en proportion de leurs facultés ; 3º que les mêmes délits seront punis des mêmes peines , sans aucune distinction des personnes. » 5 JANEIRO Nuit du 4 août 1789, Abolition de la féodalité. 42 HISTOIRE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE . La Révolution avait trouvé le peuple français divisé en trois ordres : elle fit passer sur tous les privilèges le niveau de la loi commune. Elle détruisit le clergé comme puis sance temporelle et comme propriétaire du sol ; elle anéantit le pouvoir de la noblesse, qui retenait encore sur les personnes et sur les propriétés une partie de son an cienne souveraineté féodale . Les célèbres décrets de la nuit du 4 août 1789 avaient mis fin à la féodalité ; celui du 19 juin 1790 abolit la noblesse héréditaire . Il n'y eut plus de distinction ni pour les impôts, ni pour la justice, ni pour les charges de la ju dicature, du clergé , de l'armée, de l'administration . Ce fut une longue et difficile liquidation que celle des droits seigneuriaux qui pesaient sur le peuple des campa gnes. On s'y reprit à trois fois : sous la Constituante, sous la Législative, sous la Convention . Après la nuit du 4 août, les législateurs de la Consti tuante s'avisèrent de distinguer entre les droits seigneu riaux qui témoignaient de l'ancien asservissement du peu ple par la noblesse , et ceux qui dérivaient de contrats librement consentis entre les propriétaires nobles et les paysans. En d'autres termes, ils établirent deux catégories de droits seigneuriaux : ceux qui procédaient de la féoda lité dominante, et ceux qui procédaient de la féodalité contractante . Après la nuit du 4 août, fut abolie , sans indemnité pour les propriétaires, la première catégorie de ces droits ; ainsi disparurent le servage , le droit de mainmorte et toutes les obligations , plus ou moins odieuses , qui rappelaient l'ancienne servitude; les droits de chasse, de colombier, de garenne, de préage, de ravage ; les droits de déshérence et de bâtardise, qui livraient aux seigneurs l'héritage de leurs sujets morts sans postérité et celui des enfants illégitimes ; le droit d'aubaine, en vertu duquel ils acquéraient les biens des étrangers morts sur leur domaine ; le droit d'épave, qui assurait aux seigneurs de Bretagne la dépouille L'EUVRE DE LA RÉVOLUTION. 43 des naufragés; la corvée seigneuriale , la taille seigneu riale , les banalités ou droits de pressoir, de moulin , de four ; les péages sur les routes , les rivières , les marchés. La Constituante, composée en majeure partie de nobles ou de bourgeois qui exerçaient des droits seigneuriaux, n'osa aller plus loin. Elle fit entrer dans la catégorie des droits procédant de la féodalité contractante beaucoup de redevances qui grevaient encore les terres, telles que les lods et ventes ou droits usuels, le cens ou rente seigneuriale, un certain nombre de banalités qu'on regardait comme la récompense de services autrefois rendus par le seigneur. Le paysan ne pouvait s'en affranchir qu'en les rachetant. Le paysan se voyait donc obligé de payer comme droits fonciers les mêmes droits de mutation ou les mêmes rentes qu'il payait auparavant comme droits féodaux. Si ce système avait prévalu , la propriété rurale restait sur chargée de redevances énormes ; elles se seraient accrues d'année en année à mesure que la richesse publique aurait grandi ; elles auraient maintenu la fortune nationale entre les mains de l'aristocratie et brisé l'essor de notre démo cratie rurale. Il fallait pousser plus loin la Révolution. Citons les mémorables décrets par lesquels la Législa tive et la Convention achevérent l'émancipation du paysan , et qui doivent se graver dans la mémoire reconnaissante du peuple. Par le décret du 18 juin 1792 , la Législative déclara abolis sans rachat « les droits connus sous les noms de quint, requint, treizième, lods et treizains, lods et ventes et issues, mi- lods, rachaps, ventroles , reliefs, relevaisons, plaids- acapte, arrière-acapte et autres , sous quelque déno mination que ce soit , qui se percevaient à cause des muta tions qui survenaient dans la propriété ou la possession d'un fonds, sur le vendeur , l'acheteur, les donataires, les héritiers et tous autres » . Elle ne maintint, en fait de droits casuels, que ceux dont le propriétaire pourrait établir , par des titres, qu'ils UUSTOIRE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE. étaient le prix ou la condition d'une cession de terre. Par le décret du 25 août 1792 , rendu par la Législative, les banalités que la Constituante avait réservées furent abolies sans rachat ; tout propriétaire devint, sans aucunes conditions ni réserves, le maître de sa terre . La Convention , par la loi du 17 juillet 1793, alla encore plus loin : elle abolit même les droits casuels que la Législative avait conservés, même ceux qui avaient été le prix ou la condition d'une acquisition de terre . Elle n'admet plus que la féodalité ait jamais été contractante ; elle entend abolir jusqu'à son nom et à sa mémoire. Pour empêcher qu'on ne puisse revenir sur cette abolition, la Convention décrète « que tous les titres féodaux devront être déposés dans les trois mois au greffe des municipalités et qu'ils seront brûlés en présence du conseil général et de tous les citoyens » . Enfin , le 7 septembre 1793 , la Convention promulgue ce décret : « La Convention nationale décrète qu'aucun Français ne pourra percevoir des droits féodaux et des redevances de servitude , en quelque lieu de la terre que ce puisse être , sous peine de dégradation civique . >> La féodalité, qui avait si longtemps stérilisé le sol fran çais, en fut ainsi extirpée jusqu'en ses dernières racines. Le laboureur français devint enfin libre dans sa personne et dans son bien . Le paysan d'aujourd'hui a même peine à s'imaginer tout ce que ses devanciers ont eu à souffrir dans le bon vieux temps. Une autre révolution se fit dans la propriété française. Jusqu'alors le service du culte, comme le service mili taire, comme d'autres services publics au moyen âge , n'a vait pu être rémunéré que par des dons de terres ou par des droits à percevoir sur la terre . Désormais l'État se chargeait d'assurer le service du culte par une inscription au budget. Les dimes furent donc abolies sans rachat et les biens d'Église déclarés biens nationaux . Le décret du L'OEUVRE DE LA RÉVOLUTION. 45 14 août 1792 prescrivit de les vendre par petits lots de deux , trois ou quatre arpents, pour que le plus pauvre paysan pût s'en rendre acquéreur. L'émission des assignats et plus tard des mandats territoriaux permit aux cultiva teurs d'acheter à vil prix les terres qu'ils avaient cultivées pendant tant de siècles pour le compte des évêques, des moines et des seigneurs. Des millions de campagnards de vinrent ainsi propriétaires . Les acquisitions de biens natio naux furent le lien puissant qui attacha le paysan à la Ré volution ; c'est pour défendre à la fois les droits de l'homme et sa propriété nouvelle qu'il s'arma contre les émigrés et les armées coalisées . Comme on le disait en 1791 , la pro priété lui fut donnée comme « la dot de la constitution » et comme le premier bienfait de la liberté . Une France nou velle sortit de cette révolution agraire, et la démocratie rurale de France, la plus puissante qu'il y ait dans le monde, grandit sur ce sol par elle reconquis . IV ADMINISTRATION DÉPARTEMENTALE ET MUNICIPALE De même que nous avons pu retrouver dans toutes les branches de l'administration et de la vie publique l'appli cation de ces deux principes sur lesquels reposait l'ancien régime, c'est - à -dire arbitraire et privilège, nous allons suivre dans toutes les lois de la Révolution l'application de sa double devise : liberté et égalité. Dans la nuit du 4 août les provinces et les villes avaient renoncé à leurs privilèges . Pour abolir jusqu'au souvenir des anciennes distinctions territoriales , des anciennes autonomies, des anciennes dynasties , des rivalités et des haines locales , l'Assemblée constituante décréta, le 20 jan vier 1790 , la nouvelle division territoriale de la France. Les vieux noms historiques des provinces disparurent de 46 HISTOIRE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE. ܕ la langue administrative. Les départements ne portèrent d'autres noms que ceux qu'ils empruntaient aux monta gnes, aux cours d'eau et autres particularités de leur to pographie. Ils se subdivisèrent en districts ou arrondis sements; les districts en cantons ; les cantons en com munes. Alors l'unité nationale , ébauchée par les plus grands de nos rois , se trouva consommée. Il n'y eut plus des Bretons , des Flamands, des Alsaciens, des Provençaux : il n'y eut plus que des Français ayant tous les mêmes de voirs et les mêmes droits . La Constituante supprima les intendants et les subdélé gués et les remplaça par des autorités électives : le département était administré par le conseil de département et le directoire départemental, surveillés par l'assemblée de leurs électeurs ; le district, par le conseil et le directoire de district; la commune, par un corps municipal, composé du conseil général de la commune et d'un bureau exécutif, c'est- à - dire d'un maire, d'un procureur, d'un greffier et d'un trésorier. Le premier consul Bonaparte, en l'an VIII, renforça dans cette organisation l'autorité du pouvoir central : il établit des préfets et des sous-préfets, créa des tribunaux admi nistratifs sous le nom de conseils de préfecture , et s'attri bua la nomination des maires ; mais à côté d'eux subsis tèrent les conseils généraux, les conseils d'arrondissement et les conseils municipaux; depuis cette époque les attri butions des conseils généraux et municipaux se sont ac crues , et récemment l'élection des maires a été attribuée aux conseils municipaux. La modification apportée par le Premier consul å l'orga nisation créée par la Constituante n'était pas inutile . Cette assemblée, préoccupée surtout d'assurer la liberté , avait affaibli à l'excès le pouvoir central ; celui - ci n'avait pres que aucune action sur les départements et les communes ; auprès du directoire du département et du conseil de la commune, il n'avait pas , comme agents directs, un maire L'UVRE DE LA RÉVOLUTION. 47 ou un préfet chargés de l'exécution des lois, mais seule ment des procureurs chargés d'en requerir l'exécution . Les directoires et les communes pouvaient donc entraver , par inertie ou malveillance, les mesures les plus essentiel les à la défense du territoire , et empêcher l'exécution des réformes. La Constituante eut à lutter en effet contre les administrations royalistes ; la Législative , où dominaient les Girondins , contre les administrations constitutionnel les ou feuillantes ; la Convention , après le triomphe de la Montagne, contre les administrations girondines, les pro vinces se trouvant toujours un peu en retard sur le mou vement parisien. C'est ce qui explique l'impuissance de la Législative à assurer l'ordre à Paris même, et les mesures exceptionnelles et terribles auxquelles fut obligée de re courir la Convention pour assurer la défense nationale , le recrutement des armées , la levée de l'impôt, la mise en vente des biens nationaux , le cours forcé des assignats . La Convention fut contrainte de suppléer à l'absence d'agents directs du pouvoir par l'envoi des représentants en mis sion, de même qu'elle voulut suppléer à l'inertie des tribu naux par l'établissement de la justice révolutionnaire. V RÉFORME DE LA JUSTICE ET DE LA LÉGISLATION La Constituante supprima les parlements, qui étaient des foyers d'opposition à ses réformes ; elle supprima les tri bunaux de second ordre, les juridictions extraordinaires du roi , toutes les justices seigneuriales, ecclésiastiques, municipales . Elle anéantit toutes ces anciennes institutions qui n'étaient plus que les débris anarchiques des pouvoirs féodaux , et qui ne servaient plus qu'à entraver l'action de la justice et à vexer les justiciables. 48 HISTOIRE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE. Par la loi du 16 août 1790 , elle disposa qu'il y aurait un tribunal par district . Les parlements avaient été dis sous par Louis XVI en 1787 , et , pour ne pas les restaurer sous un autre nom, la Constituante n'établit pas de cours d'appel . Elles ne furent créées que plus tard par le Premier consul. En revanche, l'organisation judiciaire de la Con stituante présente deux particularités originales. Elle instituait au sommet de la hiérarchie judiciaire une Cour de cassation qui devait statuer uniquement sur les vices de forme et sur l'interprétation des lois . La Cour de cassation assurait l'unité de jurisprudence, en même temps que le Code civil allait assurer l'unité de législa tion. L'autre innovation fut l'institution des juges de paix , à raison d'un par canton . Dans nos campagnes où fourmil laient auparavant les chicanes des diverses justices locales , ces mangeries de village, comme les appelait le juriscon sulte Loyseau, voici qu'une magistrature paternelle et conciliatrice allait rendre aux ouvriers, aux paysans, aux pauvres, dans leurs petits procès, une justice prompte et peu coûteuse ; pour les causes qui dépassaient sa compé tence, les plaideurs étaient cependant tenus de se rendre devant le juge de paix ; il s'efforçait alors de concilier leurs prétentions , d'étouffer les procès naissants, d'épar gner aux justiciables des peines et des dépenses inutiles . Enfin le juge de paix avec deux assesseurs rendait une jus tice dite de simple police ou correctionnelle, car elle avait surtout pour but de corriger par des peines légères les délits d'une faible gravité. Des tribunaux de commerce, d'une procédure simple et expéditive, remplacerent dans un certain nombre de villes les anciennes juridictions consulaires . La Constituante s'inspira de ce principe de la Déclara tion des droits : « Nul corps, nul individu ne peut exercer d'autorité qui n'émane expressément de la nation . » Les magistratures héréditaires et les magistratures achetées, L'EUVRE DE LA RÉVOLUTION. 49 le juge par droit de naissance et le juge par droit d'achat disparurent également. Il n'y eut plus de juge propriétaire de la justice. Tous les magistrats étaient élus pour dix ans par le même corps électoral qui nommait les députés. Ce corps électoral fit des choix excellents : beaucoup des hommes de loi qui plus tard contribuèrent à la rédaction du Code civil ou à l'établissement de la jurisprudence nouvelle , soit au Conseil d'État, soit à la Cour de cassation , entré rent dans la magistrature par les élections de 1790 . La Constituante voulut même que le peuple intervînt di rectement dans l'exercice de la plus importante des attri butions judiciaires , dans la justice criminelle. C'était une vieille maxime du droit français que nul ne pouvait être jugé que par ses pairs, c'est- à - dire par ses égaux; en France elle était tombée en désuétude ; on ne la retrouvait plus que dans les pays libres , comme l'Angleterre et l'Amé rique, où fonctionnait l'institution du jury. La Consti tuante décréta que , dans toute cause criminelle, douze jurés, s'inspirant du simple bon sens dans l'examen des faits, statueraient par un verdict sur la culpabilité ou l'innocence du prévenu ; d'après ce verdict, les juges appli queraient la loi et prononceraient la sentence . La Constituante exigea que l'on donnât connaissance à l'inculpé des accusations portées contre lui , qu'il reçût communication des pièces , fût confronté avec les témoins, pût recourir au ministère d'un avocat. Les débats devaient être publics et le jugement motivé. Toute irrégularité dans le procès permettait de recourir à la Cour de cas sation . Louis XVI n'avait aboli , en 1788, que la question pré paratoire ; encore se réservait- il de la rétablir « si l'expé rience en démontrait la nécessité » . La Constituante anéantit les restes de cette abominable procédure en abo lissant la question préalable. Elle supprima toutes les barbaries qui accompagnaient le supplice des condamnés, A. RAMBAUD . 50 HISTOIRE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE. Elle abolit le fouet, la marque, les mutilations, les peines perpétuelles, restreignit à des cas assez rares la peine de mort. Napoléon ſer rétablit la marque, les peines perpė tuelles , la peine de mort dans un grand nombre de cas , l'amputation du poing avant la décapitation pour les par ricides. La réforme du Code pénal en 1832 , sous Louis Philippe , supprima de nouveau ces vestiges de barbarie , et , par l'admission des circonstances atténuantes, permit aux magistrats d'abaisser toutes les peines d'un ou deux degrés et de réduire l'application de la peine de mort. L'adoucissement des moeurs n'a cessé de correspondre, comme pour le justifier, à cet adoucissement progressifde la législation . La république de 1848 a aboli l'exposition publique et la peine de mort en matière politique. Dans la Déclaration des droits , la Constituante posait ce principe : « Il sera fait un code de lois civiles communes à tout le royaume. » L'Assemblée travaillait à fondre dans une loi commune les dispositions les plus équitables du droit coutumier et du droit romain. La loi du 15 avril 1791 proclama le droit égal des enfants à la succession de leurs parents , abolit les privilèges des aînés à l'égard des cadets et ceux des garçons à l'égard des filles, et , pour empêcher leur rétablissement par voie indirecte , décida que le père de famille, par donation ou testament, ne pourrait favo riser l'un de ses enfants au détriment des autres que dans une mesure déterminée. A vingt et un ans, les enfants étaient émancipés de la tutelle paternelle, qui autrefois se prolongeait sur leur vie entière, et reprenaient la dispo sition de leurs biens personnels. Dans la famille despo tique et divisée de l'ancien régime, pénétrèrent les prin cipes de liberté et d'égalité qui régissaient l'ordre social et politique . Les meurs et les affections de famille n'y ontrien perdu . ? L'institution des actes de l'état civil donna une date cer taine aux naissances, aux mariages, aux décès, coupa court à d'innombrables procès. L'EUVRE DE LA RÉVOLUTION . 51 La Constituante n'eut pas le temps de codifier les lois par lesquelles elle réforma l'ancienne société et fonda le droit nouveau . Si elle ne fit pas le Code civil , elle en pré para tous les éléments essentiels . On l'a appelé Code Na poléon : mais il est bien le Code de la Révolution ; ce sont les principes de 1789 qu'il a formulés, c'est des sentiments de la Constituante qu'il est imprégné : c'est pour cela qu'il a mérité de servir de modèle à tous les peuples civilisés et de fonder non seulement en France, mais dans la moitié de l'Europe, la société moderne. VI . RÉFORME DE L ARMÉE La Constituante commença la régénération de l'armée en déclarant, le 28 février 1790 , « tous les soldats habiles à obtenir tous les emplois et grades militaires . » Déjà un souffle nouveau de patriotisme avait pénétré dans l'armée comme dans le peuple . On vit alors cette nation, qui naguère manifestait tant d'horreur pour la milice, courir spontanément aux armes en 1789 et mettre sur pied quatre millions de gardes na tionaux ; on la vit , en 1792 , envoyer aux frontières ses bataillons de volontaires en sabots ; on la vit , en 1793 , répondre à la proclamation de la levée en masse, remplir de ses recrues quatorze armées ; on la vit , de 1792 à 1815 , tenir tête à l'Europe entière, couvrir de ses bataillons l'Allemagne et l'Italie , guerroyer en Irlande , en Espagne, en Égypte, en Syrie, à Saint-Domingue, affronter le soleil d'Afrique et les neiges de Russie. Ainsi fut réalisée cette prédiction de Sieyès à un gentilhomme qui justifiait l'op pression du peuple par un prétendu droit de conquête : 52 HISTOIRE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE. « N'est- ce que cela ? répondit- il . Nous serons conquérants à notre tour. » Les châtiments ' corporels furent abolis comme incom patibles avec la dignité du citoyen et du soldat . Plus tard, ils seront abolis , à notre exemple, dans la plupart des armées étrangères. L'armée se recruta d'abord, sous la Législative, par les errôlements volontaires ; sous la Convention , par les ré 1 Les enrôlements volontaires. quisitions; sous le Directoire, par la loi du 21 août 1798 (4 fructidor an VI ) , qui établit la conscription et posa en principe que tout Français contractait en naissant l'obli gation de servir la patrie. La conscription , restée depuis lors la règle fondamentale de notre armée, s'imposa à tous sans distinction de naissance ; elle fut le niveau égalitaire sous lequel se courbèrent toutes les têtes ; ceux- là seuls qui ayaient encouru des peines infamantes furent exemp L'EUVRE DE LA RÉVOLUTION. 53 tés de l'honneur de porter les armes . Servir le pays fut le premier des droits civiques comme le premier des de voirs. Cette organisation militaire a atteint son plus haut de gré de moralité et d'égalité par la loi du 27 juillet 1872 , qui a proclamé le service militaire universel et obliga toire et qui a réalisé ce que les hommes de la Révolution avaient rêvé ou ébauché : la nation armée- vilede dos queries VII REFORME ECCLÉSIASTIQUE La Révolution anéantit le clergé comme ordre de l'État , abolit ses justices ecclésiastiques , lui retira les registres de l'état civil , supprima les dîmes qu'il faisait payer au peuple , s'empara des biens de l'Eglise et en fit les biens nationaux, pourvut à l'entretien du clergé en constituant le budget des cultes . Un épisode de cette sécularisation de l'Eglise fut la réunion à la France du comtat d'Avignon qui , depuis le x111° siècle , appartenait au pape et qui con tribua à former le département de Vaucluse. L'ancienne France était divisée en 111 évêchés et 18 ar chevêchés. L'étendue de ces diocèses était aussi variable que le revenu des titulaires ; à la frontière leurs limites ne coïncidaient même pas avec celles de la France ; ainsi les évêchés de Metz, Toul, Verdun, Strasbourg, dépendaient des archevêchés allemands de Trèves et Mayence; les cinq évêchés de Corse dépendaient des archevêchés italiens de Gènes et de Pise ; en revanche, les archevêques de Cambrai et de Besançon étendaient leur autorité sur une partie de la Belgique et de la Suisse. La Constituante ſit concorder les limites des diocèses avec 54 HISTOIRE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE. celles des départements ; il y eut autant de diocèses que de départements; le nombre des archevêchés ou évêchés se trouva donc ramené à 83. Le traitement des prélats fut réduit à des proportions plus modestes , celui des curés ou desservants porté à un chiffre équitable . Toutes ces ré formes furent sanctionnées sous le Consulat par le Concor dat du 15 juillet 1801 conclu avec la cour de ne , ra tifié par la loi du 28 germinal an X ( 18 avril 1802) en même temps que les articles organiques. Au contraire, la Révolution échoua dans sa tentative pour changer le mode de nomination des évêques et des curés : elle avait voulu les faire nommer à l'élection comme les magistrats. La cour de Rome traita en schismatique le clergé élu par le suffrage des citoyens. Le Concordat conclu entre le Premier consul et le pape Pie VII rendit au pouvoir exécutif la nomination des évêques. Pourtant l'Église constitutionnelle de France a jeté un certain éclat avec Grégoire, évêque de Loir- et-Cher, Fauchet, du Cal vados, Lindet, de l'Eure, Thibaut, du Cantal , Cazeneuve , des Hautes-Alpes, Gay-Vernon, de la Haute - Vienne, Massieu , de l'Oise , Huguet , de la Creuse , Lalande , de la Meurthe, qui furent tous membres de la Convention . Un des adver saires de l'Eglise constitutionnelle lui a rendu ce témoi gnage : « Les nouveaux élus, dit Lally- Tollendal , ont prêché, de parole et d'exemple, l'étude de la religion, la régularité des meurs, la pratique de la charité et de tous les devoirs sacerdotaux. Dans les temps de la Terreur, on a vu de ces pasteurs schismatiques braver les plus grands dangers pour conserver le souvenir d'une religion , pour secourir, consoler, sauver ce qu'ils appelaient leur troupeau , même sans différence d'amis ou d'ennemis . On en a vu qui , trai nés à l'échafaud , ont reçu le coup de la mort avec courage et religion . >> Les 429 abbayes ou monastères de l'ancienne France disparurent dans la tourmente. Par le décret du 1er novem > L'EUVRE DE LA RÉVOLUTION. 55 bre 1789, la Constituante commença par suspendre l'émis sion des veux dans tous les monastères des deux sexes et par restreindre le nombre des couvents à un seul du même ordre dans chaque municipalité. Par le décret du 20 fé vrier 1790 , elle entra au vif de la question. Voici le texte de l'article premier : « La loi constitutionnelle du royaume ne reconnaîtra plus de veux monastiques solennels de personnes de l'un et de l'autre sexe. En conséquence les ordres et congré gations religieux dans lesquels on fait de pareils væux sont et demeurent supprimés en France, sans qu'il puisse en être établi de semblables à l'avenir. » Les veux monastiques pouvaient être encore des liens de conscience et de foi : la loi ne les sanctionnait plus comme obligation civile . Elle abolissait leurs conséquences légales , relevait les religieux et religieuses de la mort civile , leur reconnaissait les mêmes droits qu'aux autres citoyens, les déclarait habiles à hériter et à posséder, leur permettait le mariage . Pour beaucoup d'infortunés dont les vocations avaient été contraintes, cette loi fut une grande délivrance. La loi de 1790 n'avait pas entendu fermer les couvents, sauf ceux où l'on prononçait les veux perpétuels, qui sont encore aujourd'hui prohibés par nos lois; elle avait seus lement voulu en ouvrir les portes aux religieux qui vou draient recouvrer la liberté . La Législative , par le décret du 18 août 1792 , alla plus loin . Elle anéantit tous les couvents sans exception . Les religieux et les religieuses dépossédés reçurent une pension. Ainsi fut dissoute cette vaste confédération d'associa tions monacales, plus ancienne que le royaume de France , qui avait exercé dans notre pays une influence si puis sante et souvent si nuisible , et qui pendant quatorze siècles avait concentré entre les mains des moines une part si considérable de la fortune nationale. La même ruine en 56 HISTOIRE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE. veloppa les Bénédictins, contemporains des rois francs, les Dominicains, qui au treizième siècle avaient établi l'inquisition dans le midi de la France , les Franciscains , qui depuis cinq cents ans mendiaient pour enrichir l'Église et , la besace au cou , amassaient des millions , et qui , sous le nom de Capucins, avaient figuré dans les guerres religieuses du seizième siècle . etelest tout ! minst int arust in share rote dho noin incha. oleh mereka tino w doremobiti VIII ilimen Mineiro AFFRANCHISSEMENT DE L'AGRICULTURE, DE L'INDUSTRIE ET DU COMMERCE La Révolution a été surtout l'émancipation du travail national. Elle affranchit l'agriculture de la dime, des droits seigneuriaux, de la corvée royale ; elle adoucit pour elle le poids des autres impôts en les répartissant également sur tous les citoyens ; elle lui a livré les terres de l'Église et de l'aristocratie : elle a honoré le travail agricole , qui était le plus méprisé, en amenant les députés- paysans sur les bancs des assemblées nationales , en faisant trembler les aristocraties et les rois de l'Europe devant ses armées de soldats-paysans. Elle a décrété la libre circulation des grains dans l'intérieur du pays. Les lois du 14 décem bre 1789 et du 28 septembre 1790 ont donné l'impulsion à la construction des chemins vicinaux . Les diverses assem blées révolutionnaires se sont préoccupées de faire péné trer, par l'établissement d'écoles primaires, l'instruction et la lumière jusqu'au fond des campagnes. Toutes les lois qui , depuis cette époque , se sont inspirées de l'esprit de 1789 , même celle qui a établi le suffrage universel , sont à l'avantage des paysans. La Révolution , dans ses traits essentiels, a été appelée par les cahiers des paysans, réalisée par le soulèvement des paysans en 1789 , conso > > L'OEUVRE DE LA RÉVOLUTION . 57 > > lidée par les victoires des paysans sur les armées de l'Eu rope . Nulle classe de la société n'est plus intéressée au maintien des conquêtes de la Révolution ; nulle ne serait plus ardente à les défendre, si elles étaient menacées . Le commerce a été affranchi par la suppression des douanes intérieures , qui , plus tard, a eu pour conséquence, dans les rapports avec les pays étrangers, l'application des principes du libre- échange. La Convention a mis fin à la diversité infinie des poids , des mesures, des monnaies, en décrétant l'établissement du système décimal , qui a été rendu obligatoire par la loi du 4 juillet 1837 , et qui a été adopté ensuite par la plu part des nations européennes. En abolissant les abus dont souffrait l'étranger domi cilié en France , comme le droit d'aubaine, en favorisant son admission au titre de citoyen , la Constituante a donné plus de sécurité aux relations commerciales . Par l'aboli tion des restrictions qu'apportait l'Eglise au prêt à intérêt, elle a fondé la puissance du crédit ; par la création d'un bon système d'hypothèques, elle a facilité la vente et la circulation des propriétés. En un mot, elle a donné à la richesse mobilière, jusqu'alors presque nulle en France , une extension inouïe et si rapide , que le Code civil lui même n'a pu la prévoir . La Constituante, reprenant la réforme tentée par Turgot , rendit le décret du 15 février 1791 qui abolit les maîtrises et les jurandes , supprima la distinction entre maîtres et compagnons, abrogea tous les règlements qui s'opposaient au progrès et à la variété de la fabrication, substitua au régime du privilège celui de la libre concurrence . Par le décret du 7 janvier 1791 , la Constituante a garanti la propriété industrielle et établi les brevets d'invention. Sous le Directoire , en 1798 , par les soins du ministre François de Neuchâteau, fut ouverte au Champ de Mars la première exposition de l'industrie , et l'on sait quel de veloppement a pris cette institution . 58 USTOIRE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE. Les plus illustres savants de l'époque révolutionnaire s'honorèrent en rédigeant des livres d'agriculture à la portée du peuple : Daubenton , par ordre de la Convention , écrivit une Instruction pour les bergers ; le conventionnel Romme publia l’Annuaire du cultivateur. IX RÉFORME DU SYSTÈME DES CONTRIBUTIONS La Révolution introduisit de profondes et salutaires modifications dans l'administration des finances. La Décla ration des droits a défini en ces termes les principes nouveaux qui régissent la matière : « Pour l'entretien de la force publique , et pour les dé penses d'administration , une contribution commune est indispensable ; elle doit être également répartie entre les citoyens, en raison de leurs facultés. « Tous les citoyens ont droit de constater par eux -mêmes ou par leurs représentants la nécessité de la contribution publique , de la consentir librement, d'en suivre l'emploi et d'en déterminer la quotité , l'assiette , le recouvrement et la durée . » Ainsi , dans le langage de ce temps, on n'emploie même plus le mot d'impôt, qui semble emporter l'idée d'une obligation tyrannique, mais celui de contribution, qui rappelle à la fois la légitimité et l'utilité du sacrifice auquel chaque citoyen doit consentir en vue de l'intérêt commun. L'impôt ou la contribution n'est plus, suivant l'expression de Proudhon , que la « quote-part à payer par chaque citoyen pour la dépense des services publics » . Dans l'organisation établie par la Constituante, les con L'EUVRE DE LA RÉVOLUTION. 59 tributions ne sont plus imposées par le roi ; elles sont consenties par les représentants de la nation et les mêmes représentants de la nation qui en ont autorisé la perception en surveillent l'emploi . De même qu'ils ont établi le budget des recettes , ce sont eux qui dressent le budget des dépenses. Les seuls impôts directs établis par la Constituante sont la contribution foncière, la contribution personnelle et mobilière , les patentes : à ces trois impôts il faut en ajouter un quatrième, établi sous le Directoire : celui des portes et fenêtres . Pour assurer l'égale répartition de l'impôt foncier, la Constituante, puis la Convention ordonnèrent l'établisse ment du cadastre; cette longue et coûteuse opération n'a été terminée qu'en 1850 . En fait d'impôts indirects, la Constituante n'autorisa que les droits d'enregistrement, de timbre, d'hypothèque, et les douanes . La gabelle et les aides avaient laissé un souvenir trop détesté pour qu'elle ne s'empressåt pas de les abolir. Les impôts de consommation, rétablis par Napoléon sous le nom de droits réunis , abolis de nou veau par la Restauration , ont dû être rétablis presque aussitôt . Les emprunts , livrés autrefois au bon plaisir du souverain , sont depuis la Révolution soumis au vote des assemblées. Cette garantie parlementaire est même une condition essen tielle du crédit de l'État . Seuls les gouvernements libres peuvent emprunter å un taux raisonnable : les gouverne ments despotiques , n'offrant pas de garanties à l'épargne, sont nécessairement la proie des usuriers et des lanceurs d'affaires. On sait quelle horreur inspirait à la Consti tuante l'idée de faire banqueroute aux créanciers de l'Etat , idée si familière aux ministres des finances sous l'ancien régime. La Convention , dans ses plus terribles embarras, montra la même probité inflexible : en 1793, elle créa le grand- livre de la dette publique, qui, malgré la banque > 60 HISTOIRE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE . route partielle du Directoire, connue sous le nom d'opé ration du Tiers- Consolidé, est resté la base solide de notre crédit : aussi la rente française compte- t- elle aujourd'hui parmi les plus sûres des valeurs mobilières . X L'INSTRUCTION PUBLIQUE SOUS LA RÉVOLUTION GRANDES CRÉATIONS DE LA CONVENTION

La Révolution, qui rencontra parmi les contemporains des résistances si acharnées , ne pouvait compter que sur l'avenir pour s'implanter définitivement. Les générations nées avant 1789 étaient encore trop imbues des idées et des sentiments anciens : c'est à l'enfance , c'est à la jeunesse qu'on devait s'adresser, c'est dans leur esprit et leur cæur qu'il fallait enraciner l'amour de la liberté et de l'égalité . On ne pouvait y parvenir qu'en organisant l'éducation publique. C'est. le sentiment de tous que Grégoire ex primait en ces termes : ( Reconstituons la nature hu maine en lui donnant une nouvelle trempe ; il faut que l'éducation publique s'empare de la génération qui naît . » Et Mirabeau disait : « Ceux qui veulent que le paysan ne sache ni lire ni écrire se sont fait sans doute un revenu de son ignorance. » L'instruction du peuple fut le premier souci de l'As semblée constituante . Dans la Déclaration des droits , on trouve formulée cette prescription : « Il sera créé et organisé une instruction publique commune à tous les citoyens, gratuite à l'égard des parties d'enseignement indispensables pour tous les hommes. » La Constituante se mit à l'ouvre et se fit présenter suc cessivement deux rapports, l'un par Mirabeau , l'autre par Talleyrand ; mais la tâche était si longue et si delicate que L'EUVRE DE LA RÉVOLUTION. 61 c'est seulement la Convention qui put l'accomplir, au moins en partie. « L'histoire, dit un écrivain royaliste, M. de Riancey, n'a pas enregistré sans une sorte d'étonnement mêlé de Condorcet, membre de la Convention , auteur du plan d'éducation nationale. frayeur l'activité de la Convention. Or, parmi les douze comités qui la composaient, le Comité de salut public seul peut être comparé pour sa terrible ardeur à celui de l'in struction publique. » 02 HISTOIRE DE LA RÉVOLUTION FRANCAISE. Nous allons résumer les titres que le Comité d'instruc tion publique de la Convention s'est acquis à la recon naissance de la nation . Condorcet avait rédigé un vaste plan d'enseignement national, qui embrassait tous les degrés d'instruction , mais la Convention dut courir d'abord au plus pressé, c'est- à - dire aux écoles élémentaires . C'était l'éducation du peuple qui avait été la plus négligée, c'était donc elle qui s'imposait le plus impérieusement aux méditations de la première assemblée républicaine. Celle- ci vota la loi du 29 frimaire an II (19 décembre 1793) qui rendait l'ensei gnement primaire obligatoire et gratuit, et mettait le salaire des instituteurs et institutrices à la charge de la République . Après la journée de thermidor, c'est-à- dire après la chute de Robespierre , le principe de l'obligation et de la gratuité fut abandonné : il n'a pu être réalisé que de nos jours. Il ne suffisait pas de décréter l'instruction primaire ; il eût fallu créer les locaux, le personnel , les méthodes . C'est une cuvre qui ne peut s'accomplir qu'avec beaucoup de temps devant soi : or la Convention se sépara en 1795 ; le Directoire mit peu de zèle à continuer l'entreprise ; Napoléon ne se soucia pas de la reprendre. Il lui suffisait d'inscrire à ses dépenses une somme de 4250 francs des tinée au noviciat des écoles chrétiennes ; ce fut tout le budget de l'instruction populaire sous le puissant em pereur. De grands progrès ont été accomplis depuis : sous le ministère de M. Guizot, par la loi de 1833 ; sous celui de M. Duruy, par la loi de 1867 ; sous celui de M. Jules Ferry, par le vote de l'instruction gratuite et obligatoire, par la loi sur les écoles normales des filles, par la créa tion de plus de 6000 emplois nouveaux d'instituteurs, par l'accroissement du budget de l'enseignement populaire qui s'élève à près de 100 millions. Les essais tentés par la Révolution se sont complétés , et c'est l'esprit de la première République qui inspire la République nouvelle . L'EUVRE DE LA RÉVOLUTION. 03 En revanche, la Convention eut le temps d'inaugurer ses écoles centrales qui correspondent aux lycées ou collèges d'aujourd'hui. C'est Lakanal qui présenta le rapport que sanctionna le décret de février 1795. La supériorité des écoles centrales de 1795 sur les collèges de l'ancien régime consistait surtout dans un enseigne ment sérieux de la philosophie, de l'histoire, des sciences , du dessin : cet enseignement tout scientifique nous était alors bien nécessaire ; car les défauts de l'esprit français, à cette époque, provenaient surtout d'une éducation trop exclusivement littéraire . Les écoles centrales restérent florissantes jusqu'à Napoléon, qui les remplaça par les lycées et rétablit en grande partie l'ancien programme. Pour l'enseignement supérieur proprement dit , la Con vention n'eut pas le temps de créer une organisation d'en semble : les facultés de lettres et de sciences ne furent établies que beaucoup plus tard ; mais la Convention ou vrit à Paris deux écoles de droit et constitua les écoles de médecine de Paris , Montpellier et Strasbourg. A l'organisation du service médical se rattache une réforme des hôpitaux, qui, sous l'ancien régime , étaient dans un état affreux : à l'Hôtel - Dieu , les morts et les mourants étaient confondus dans le même lit , et Necker vit à Bicêtre neuf malades couchés dans les mêmes draps infects. La Convention , énergiquement soutenue d'ailleurs par la Commune de Paris, institue une commission parle mentaire des hôpitaux et défend de mettre deux malades dans le même lit. Elle prend sous son patronage l'établis sement des Sourds- Muets fondé par l'abbé de l'Épée , et en établit un second à Bordeaux ; elle subventionne la maison des Jeunes Aveugles, fondée par Haüy, et qui prend le nom d'Institut national des aveugles travailleurs. Telle était la philanthropie éclairée de cette assemblée qui a laissé dans l'histoire un si terrible renom ! L'honneur de la Convention , ce sera surtout la création des grandes écoles spéciales. 64 HISTOIRE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE .

L'École centrale des travaux publics , qui est devenue l'École polytechnique, fut constituée par le décret de 1794. Les conventionnels Carnot et Prieur de la Côte- d'Or furent les auxiliaires les plus zélés de l'ingénieur Lamblardie , chargé de l'organiser. Parmi ses premiers professeurs se rencontrent les plus illustres savants de l'époque : Lagrange, Prony, Monge, Berthollet, Fourcroy, Chaptal, Vauquelin , Guyton de Morveau . L'ancienne École des mines, supprimée depuis 1790, fut rétablie sur un plan nouveau en 1795 . L'École du génie, réorganisée par la Constituante, fut, en 1794, transférée de Mézières à Metz . Elle est aujour d'hui à Fontainebleau . Aux 54 écoles de navigation établies dans les ports de mier par la Constituante , la Convention en ajouta deux nouvelles. De plus elle fonda trois écoles spéciales pour les aspirants reçus dans les ports de Brest , Toulon et Rochefort. Ces trois écoles furent l'origine de notre École navale . L'École normale, pour le recrutement des professeurs, fut fondée le 30 octobre 1794. Les jeunes gens, trop nom breux ( ils étaient 1200) , qui y furent appelés , y eurent pour maîtres les plus éminents professeurs du temps. Les mathématiques y étaient enseignées par Lagrange , Laplace , Monge ; la physique , par Haüy; l'histoire natu relle , par Daubenton ; la chimie, par Berthollet; l'agri culture, par Thouin ;; la géographie , par Buache ; l'histoire, par Volney ; la morale , par Bernardin de Saint-Pierre ; la grammaire générale, par Sicard ; l'analyse de l'entende ment, par Garat; la littérature, par Laharpe ; l'économie politique , par Vandermonde. Le conventionnel Lakanal, qui avait fait voter le décret de fondation, présida la séance d'inauguration. Avec l'École polytechnique et l'École nor male, l'avenir scientifique du pays était assuré. Le Jardin du Roi ou Jardin des Plantes devint , par le décret de juin 1793, rendu également sur la proposition L'EUVRE DE LA RÉVOLUTION. 65 de Lakanal >, ce magnifique établissement scientifique qu'on appelle le Muséum , et qui est peut-être unique au monde pour l'enseignement des sciences naturelles. Geoffroy Saint- Hilaire y ouvrit, en 1794, « le premier cours de zoologie qu'on ait fait en France » . C'est là que les La marck , les Cuvier, les Jussieu , les Brongniart , les Lacépède allaient donner à l'étude de la nature une merveilleuse impulsion . Lakanal , dont le nom est associé à toutes ces grandes créations , aux projets de lois sur l'instruction primaire, à la création des écoles centrales, de l'École normale supé rieure , du Muséum , qui avait été représentant du peuple en mission et qui fut membre de l'Institut , renonça en suite à la vie politique plutôt que de reconnaître le coup d'État du 18 brumaire : il vécut simple professeur à l'École centrale du faubourg Saint-Antoine ( lycée Charlemagne). Il avait pris pour devise : « Un peuple ignorant ne peut être libre . » C'est avec justice qu'on a donné le nom de Lakanal au nouveau lycée de Sceaux. Parmi les créations de la Convention , citons encore : Le Collège de France, réorganisé par décret de juillet 1795. L'École spéciale des langues orientales, « d'une utilité re connue pour la politique et le commerce, » fondée par décret de mars 1795. Langlès y enseignait le persan et le malais ; Sylvestre de Sacy, l'arabe; Venture, le turc et le tatar ; Millin , l'archéologie ; sous le Directoire, une chaire de grec moderne y sera créée pour d'Ansse de Villoison ; Le Bureau des longitudes, constitué par le décret de juin 1795. Le Conservatoire des arts et métiers, créé par le décret d'octobre 1794, et qui est resté une école supérieure d'industrie . Le Musée du Louvre, établi par le décret de juillet 1793 , pour l'éducation artistique du peuple, dans le palais des rois. Il fut formé des tableaux que la monarchie avait dis A. RAMBAUD , S 66 HISTOIRE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE. persės dans ses galeries et , dès 1794 , enrichi par les vic toires de nos armées en Belgique et en Hollande. La Bibliothèque nationale , l'ancienne bibliothèque du roi , prodigieusement agrandie et que la loi de 1793 sur le dépôt légal va augmenter de tout ce que publieront les presses françaises. Le Musée des monuments français, fondé en février 1793 , où la Convention veut réunir les morceaux de sculpture et d'architecture du moyen âge qu'elle protège contre le vandalisme, défendant de mutiler les monuments ou les livres, « sous prétexte de faire disparaître les insignes de la féodalité ou de la royauté » ; il fut dispersé après la Restauration des Bourbons . L'idée a été reprise seulement de nos jours. Les Archives nationales, où doivent se centraliser les papiers précieux des châteaux et des monastères, lorsque, sur la proposition de Grégoire, la Convention interdit de continuer à brûler les chartes féodales. Le Conservatoire national de musique, créé par décret de novembre 1793 , où six cents élèves viennent écouter les leçons de Gossec , de Grétry, de Méhul, de Lesueur, de Cherubini. La Révolution a convoqué le premier jury national des Beaux -Arts ; la première exposition artistique a lieu au Louvre en 1791 , en cette année à la fois terrible et féconde , qui vit la Convention, au milieu de dangers mortels, pré parer la grandeur scientifique et artistique de la France. Quant aux Académies, Mirabeau , dans ses derniers jours, avait préparé un rapport concluant à la suppression de « ces écoles de servilité et de mensonge ) . Il avait surtout en vue l'Académie française, qui comptait alors dix de ses membres dans l'émigration. Elle fut en effet supprimée ; les autres académies furent réorganisées avec un person nel en partie renouvelé et sur un plan plus conforme å l'état des sciences. Elles devinrent des sections de l'In stitut national de France, créé le 23 octobre 1795 , sur le L'EUVRE DE LA REVOLUTION. 67 rapport de Daunou. Il se divisait en trois classes : sciences physiques et mathématiques, sciences morales et poli tiques, littérature et beaux - arts. Il comprenait tous les hommes marquants de cette époque, dont quelques-uns sont les plus grands du siècle . Cette organisation était la plus rationnelle ; l'Institut ainsi compris était comme la consécration de tout le mouvement scientifique qui a pro duit la Révolution ; il était , suivant un mot du temps, l'Encyclopédie vivante. C'est encore dans la mémorable et tragique année 1795 que la Convention vota la loi sur la propriété artistique et littéraire ( juillet), qu'elle entendit le rapport du député Arbogast sur l'unité des poids et mesures ( août) . Au plus fort de sa lutte contre l'Europe ( avril 1793), elle avait ac cueilli , sur le rapport de Romme, l'invention nouvelle de l'abbé Chappe , le télégraphe aérien . Le 30 août 1794, le télégraphe, fonctionnant pour la première fois jusqu'à la frontière, lui apportait cette nouvelle : « La ville de Condé est restituée à la République : la reddition a eu lieu ce matin à six heures. » C'est aux armées de la Convention, dans la triomphante journée de Fleurus, que fut tenté le premier essai d'aérostation militaire : un ballon captif permit aux Français de surveiller tous les mouvements de l'ennemi. Dans un rapport à l'Assemblée , Fourcroy con statait , en janvier 1795 , que depuis cette première ascon sion , qui avait si fort intrigué les Autrichiens, il y en avait eu déjà trente -cinq. Il était bien juste que la science se mît au service du seul gouvernement qui en Europe com battit pour la raison et pour le droit, celui dont les vic toires préparaient l'avenir splendide de l'humanité, et dont la défaite eût été le triomphe des puissances du passé. > DEUXIÈME PARTIE HISTOIRE DE LA RÉVOLUTION CHAPITRE PREMIER LES ORIGINES DE LA RÉVOLUTION Il faut chercher dans les splendeurs mêmes du règne de Louis XIV les causes de la Révolution . Sous ce roi , qu'en France et en Europe on appelait le grand roi , l'État fran çais arriva au plus haut degré de puissance. L'Alsace , le Roussillon, l'Artois, la Flandre, la Franche-Comté furent réunis à la France ; à nos colonies du Canada , de la Guyane, de l'ile de France , s'ajoutèrent celles de la Louisiane, de Saint-Domingue, du Sénégal , presque tout le groupe des petites Antilles, des établissements considérables à Mada gascar et dans l'Hindoustan. Louis XIV, justifiant sa devise Nec pluribus impar, lutta seul , dans plusieurs guerres, contre l'Europe coalisée , la fatigua de ses victoires , et presque toujours, sauf dans sa dernière guerre , celle de la succession d'Espagne, dicta les conditions de la paix. Les souverains de l'Europe s'inclinaient devant sa prépondé rance, le reconnaissaient pour le premier d'entre eux et s'efforçaient de l'imiter en tout. j 2 LES ORIGINES DE LA RÉVOLUTION. 69 A l'intérieur , il fonda sa royauté absolue sur la ruine des pouvoirs qui avaient tenu en échec ses prédécesseurs : il dompta l'aristocratie , qu'il réduisit à n'être plus qu'une noblesse de cour ; il humilia les prétentions du pape et fit des évêques les plus dociles de ses sujets ; il réduisit å l'impuissance les États provinciaux et effaça les derniers vestiges des libertés municipales . Louvois lui organisa son armée sur un pied formidable ; Colbert accrut sa marine marchande , créa une puissante marine de guerre, fonda les ports militaires de Dun kerque , Brest, Rochefort et Toulon ; ses architectes bâti rent le Val- de- Grâce , l'Observatoire , le palais Mazarin , les Invalides, les deux arcs de triomphe qu'on appelle portes Saint- Denis et Saint- Martin , achevérent le Louvre et les Tuileries , construisirent Versailles . Toute cette grandeur fut achetée par d'énormes sacri fices , et la nation en fut comme écrasée . Les vingt- six ans de guerres non interrompues, de 1688 à 1714 , qui signalèrent la fin de ce règne , portèrent à son comble la misère du peuple des campagnes et des villes : la guerre sévissait aux frontières et la famine dans l'intérieur du royaume . Laroyauté persécuta cruellement les protestants, supplicia leurs pasteurs, terrorisa les populations du Midi par les dragonnades, poussa les calvinistes des Cévennes à l'insurrection ; 400 000 Français , les plus riches et les plus industrieux, fuyant la barbarie de ses intendants, de ses juges , de ses dragons , émigrèrent dans les pays voi sins : ce fut un coup mortel pour l'industrie et le com merce de la France, et le commencement des prospérités de la Prusse et de l'Angleterre. Après avoir étonné l'Europe de ses victoires, de ses bâtiments, du luxe de sa cour, Louis XIV laissait en mourant une dette de prés d'un mil liard . Sous Louis XV, cette situation empira . La banqueroute de Law au début, la banqueroute de l'abbé Terray à la fin du règne , anéantirent le crédit de l'État . Le pouvoir royal , 70 HISTOIRE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE . tout aussi écrasant pour le peuple , tout aussi tyrannique pour les dissidents, n'offrait plus, en compensation, la gloire militaire et la prépondérance du pays au dehors. La guerre de Sept ans anéantit tout respect pour la royauté et pour les nobles qui commandaient ses armées ; en Europe, la France fut humiliée devant la Prusse naissante ; hors d'Europe, les Anglais s'emparèrent du Canada, de nos possessions de l'Indoustan ; la Louisiane était cédée å l'Espagne . La vie privée du roi fut le scandale du siècle : le peuple, qui , en 1744 , lui avait décerné le nom de « Louis le Bien-Aimé » , changea cet amour en haine : on vit le roi , par le Pacte de famine, s'associer aux spécula teurs pour accaparer les grains et créer des disettes arti ficielles. La royauté, si obéie naguère, voyait l'insubordi nation grandir autour d'elle : les évêques la bravaient ; les parlements refusaient d'enregistrer ses édits ; à Paris, le peuple exaspéré par la disette, les petits rentiers ruinés par les banqueroutes de l'État, multipliaient les émeutes . Les campagnes se dépeuplaient, et , dans certaines pro vinces, le désert s'étendait. Le tiers état , qui jusqu'alors avait soutenu la royauté contre tous ses rivaux, contre l'aristocratie , contre le pape, contre les évêques, et qui l'avait aidée à fonder sur l'unité française la grandeur royale, commençait à séparer sa cause de celle du monarque. La bourgeoisie était main tenant trop éclairée pour s'accommoder plus longtemps du despotisme royal, de l'arbitraire administratif, des abus qui déshonoraient la justice et tous les services pu blics , des privilèges que s'arrogeaient le clergé et la noblesse . Les économistes français ou étrangers, Vauban, Boisguillebert, Quesnay, Gournay, Adam Smith , démon traient l'absurdité du système d'impôts. Voltaire flétrissait l'intolérance religieuse, vengeait La Barre, Sirven , Calas, ces victimes de la barbarie des juges, dénonçait au monde entier l'état de servage où le chapitre de Saint-Claude retenait les paysans du Jura. Montesquieu , dans son Es LES ORIGINES DE LA RÉVOLUTION. 71 prit des lois , dégagait le principe des constitutions libres et donnait la formule des réformes. Rousseau , dans son Contrat social , proclamait la souveraineté du peuple . Dide rot et d'Alembert, dans l'Encyclopédie, commençaient l'édu cation scientifique de la nation et détruisaient par la base toutes les superstitions politiques ou religieuses . Beau marchais, dans sa comédie du Mariage de Figaro , livrait la noblesse et le régime arbitraire aux risées du public . Quand, le 11 mai 1774, Louis XVI succéda à son aïeul Louis XV, une immense espérance s'empara du peuple et de la bourgeoisie . Le nouveau roi parut d'abord vouloir justifier cette attente . Il congédia les ministres de Louis XV, que poursuivaient la haine et le mépris de la nation : mais presque aussitôt se manifesta l'indécision qui était le trait essentiel de son caractère. Il nomma Turgot con trôleur général des finances, et Malesherbes ministre de sa maison ; mais en même temps il confiait le ministère des affaires étrangères à l'écervelé Maurepas, qu'on appelait le « Perroquet de la Régence » , et le ministère de la guerre au comte de Saint-Germain , qui exaspéra l'armée en la soumettant au régime des châtiments corporels. Malgré les obstacles qui leur étaient suscités par la reine Marie -Antoinette, fille de l'imperatrice Marie- Thérèse d'Autriche, par les parlements, les courtisans, les finan ciers , par leurs propres collègues et tous ceux qui pro fitaient des abus, les deux ministres populaires, Turgot et Malesherbes, se mirent à l'oeuvre . Malesherbes proposa à Louis XVI la restitution des droits civils aux protestants, la suppression des lettres de cachet et l'abolition de la torture : ces réformes furent ajournées. Turgot fit décréter la suppression de la corvée royale sur les routes , l'abolition des maîtrises , ' la destruction des douanes intérieures, la libre circulation des grains . Mais ces réformes suscitèrent l'animosité des privilégiés . Le parlement de Paris soutint que « le peuple est taillable et corvéable å merci, et que c'est une partie de la consti > 72 HISTOIRE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE. tution que le roi est impuissant à changer » ; il n'enre gistra que par force l'édit qui abolissait la corvée. Les accapareurs soulevérent le peuple ignorant contre l'édit qui établissait la liberté du commerce des grains, et sou doyèrent des brigands qui allérent piller les boulangeries et couler les bateaux chargés de blé . Il fallut tout un corps de troupes pour mettre fin à la « guerre des farines >> (mai 1775) . Le roi n'osa soutenir les ministres réforma teurs . Malesherbes et Turgot donnèrent leur démission ; les paysans furent soumis de nouveau à la corvée , les ouvriers au régime des maîtrises , le commerce aux an ciennes entraves . Tous les projets de réformes étaient abandonnés . Lorsqu'en 1776 éclata la guerre contre l'Angleterre pour la liberté des États-Unis , pressée de rétablir ses finances, la cour s'adressa à un banquier genevois, Necker ; comme il était protestant , on ne le nomma pas contrôleur général , mais simplement directeur des finances. Necker reprit quel ques-unes des idées de Turgot, affranchit les serfs du domaine royal , abolit la question , mais seulement la ques tion préparatoire, et non pas la question préalable. Pour trouver de l'argent, il fallait emprunter. Pour emprunter, il fallait relever le crédit de l'État, et donner confiance aux capitalistes . Necker , pour la première fois, rendit public le budget des recettes et dépenses ; cette publication était fort incomplète et dissimulait encore bien des abus . Les cour tisans , qui vivaient, comme on disait alors , des « bienfaits du roi » , furent inquiets de ce commencement de lumière. Comme le Compte rendu de Necker avait une couverture bleue : « Avez-vous lu le conte bleu ? » dit Maurepas. Le mot eut du succès ; cela suffit pour que le roi abandonnat son ministre . La guerre d'Amérique continuait : elle eut des consé quences que la cour n'avait sans doute pas prévues quand elle permit à Lafayette et aux volontaires français d'aller soutenir les insurgés américains, et quand ensuite elle (( LES ORIGINES DE LA RÉVOLUTION. 73 , envoya les troupes royales sous la conduite de Rocham beau . Les Français assistèrent dans le Nouveau Monde au soulèvement d'un peuple qui revendiquait ses droits ; ils entendirent proclamer le principe nouveau de la souve raineté nationale et saluèrent la naissance de la République des États- Unis. Beaucoup dirent avec Lafayette : « Voilà des principes que nous rappellerons un jour chez nous ! » Ils gravèrent dans leur cæur ces maximes de la déclaration de Philadelphie : « Tous les hommes ont été créés égaux ; ils ont été doués par le Créateur de certains droits inaliénables ; pour s'assurer la jouissance de ces droits, les hommes ont établi parmi eux des gouvernements dont l'autorité légitime émane du consentement des gouvernés ; toutes les fois qu'une forme de gouvernement quelconque devient des tructive des fins pour lesquelles elle a été établie , le peuple a le droit de la changer et de l'abolir . >> Pendant que l'Amérique anglaise devenait une républi que , la cour de France et le gouvernement s'obstinaient dans les mêmes errements . Malgré le déficit dans les finances et la misère du peuple , les favoris de la reine touchaient de grosses pensions : les Polignac, à eux seuls , 700 000 livres par an . Aussi la haine du peuple ' se tour nait-elle contre Marie -Antoinette : on commençait à l'ap peler l'Autrichienne ou encore Madame Déficit. La mali gnité publique s'empara des incidents du célèbre procès du collier , en 1783 : le cardinal de Rohan se laissa trom per par une intrigante, la comtesse de Lamotte , qui lui avait ménagé une entrevue secrète avec une fille qui res semblait à la reine et à laquelle il remit un collier de 1 600 000 livres . La comtesse fut condamnée par le parle ment de Paris à la marque et à la réclusion ; le scanda leux prélat fut banni de la cour ; la réputation de la reine , malgré son innocence , souffrit de cet éclat . Les frères du roi, le comte de Provence, le comte d'Artois , qui plus tard furent rois sous le nom de Louis XVIII et Charles X, s'ad

74 HISTOIRE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE. jugeaient des sommes énormes. Il fallait aviser à remplir le trésor , épuisé par les dépenses de la guerre et les pro digalités de la cour. Calonne promit à la reine de trouver des ressources : nommé contrôleur général, il débuta par emprunter 100 millions , dont un quart à peine entra au trésor ; le reste fut dévoré par les gens de cour : le comte de Pro vence en prit pour sa part 25 millions et le comte d'Ar tois 56. Le comte de Provence disait en riant : « Quand je vois chacun tendre la main pour recevoir, moi , je tends mon chapeau. » Cette mendicité des princes était la ruine du pays . Calonne ne savait rien refuser à personne ; il fal lut emprunter encore 400 millions . Alors il proposa des réformes : soumettre les privilégiés à l'impôt , décréter la liberté du commerce, établir des assemblées provincia les , etc. C'était revenir; mais trop tard, aux idées de Turgot . La situation était si grave que l'on parla de convoquer les États généraux : on ne pensait à eux que lorsqu'il y avait de l'argent à leur demander. Cette fois, on avait de tels comptes à leur rendre qu'on n'osa les réunir. On se borna donc à convoquer les notables, c'est-à -dire précise ment les représentants des classes privilégiées , qui ne payaient rien et qui entendaient continuer à ne rien payer. lls repoussèrent unanimement les réformes que proposait le contrôleur général, et Calonne tomba . Son successeur, Loménie de Brienne, archevêque de Toulouse , ne réussit pas mieux à convaincre les notables. Ils acceptèrent l'établissement d'assemblées provinciales, analogues à nos conseils généraux de départements, l'abo lition de la corvée royale , la restitution de l'état civil aux protestants. Ils consentirent même à voter un impôt du timbre et une subvention territoriale ; mais ils se refuse rent tout net à l'égalité des impôts , seul moyen d'éviter la banqueroute. Au cours des discussions, Lafayette avait prononcé le mot d'États généraux et même d'Assemblée nationale . LES ORIGINES DE LA RÉVOLUTION. 75 comme > comme Le parlement de Paris, quand les notables se furent séparés , refusa au ministère même les maigres ressources que ceux- ci lui avaient accordées. Il n'enregistra que par force, dans une séance royale, ou lit dejustice tenu par le roi, les deux impôts votés par eux. Après la séance royale, le parlement protesta et fut exilé à Troyes, puis dissous ; les parlements de province firent cause commune avec ce lui de Paris et furent également dispersés au milieu de l'émotion publique. En se retirant , le parlement de Paris, comme l'assem blée des notables , comme naguère la cour des aides , les états provinciaux du Dauphiné réunis à Vizille , comme le clergé lui-même dans son assemblée de 1787 , l'opinion publique tout entière, en avait appelé aux États généraux. Le roi finit par se résigner : en décembre 1787 , il promit qu'on les convoquerait dans cinq ans. La situa tion des finances ne permit pas d'attendre si longtemps : la date de mai 1789 fut définitivement arrêtée . Puis, pour s'assurer un peu de popularité , le gouvernement rappela Necker. Il y avait cent soixante-quinze ans qu'on n'avait convoqué les mandataires de la nation ; la dernière réunion remon tait à 1614. Le souvenir des États généraux de 1614 était d'ailleurs resté peu populaire , tant le tiers état y avait essuyé d'humiliations; les représentants de la bourgeoisie y avaient paru àà genoux et tête nue , tandis que le clergé et la noblesse restaient assis et couverts devant le roi . L'orateur du tiers état ayant osé dire que les trois ordres étaient comme trois frères, les deux premiers étant les aînés et le tiers état étant le cadet, la noblesse lui fit cette insolente réponse : « Qu'il n'y avait aucune frater nité entre elle et le tiers ; que les nobles ne voulaient pas que les enfants de cordonniers et de savetiers les appe lassent leurs frères ; qu'il y avait autant de différence entre eux et le tiers qu'entre le maitre et le valet . » Pendant les deux règnes si longs de Louis XIV et de 76 HISTOIRE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE. . Louis XV, pendant plus d'un siècle et demi de monarchie absolue et irresponsable , on n'avait même pas songé aux États généraux. Personne à la cour n'eût osé en prononcer le nom. En 1788 , la première question qui se posa fut celle - ci : le tiers état aurait- il un nombre de représentants égal à celui des représentants des deux autres ordres réunis ? C'est ce qu'on appelait la question du « doublement du tiers » . En fait, dans la plupart des réunions d'États géné raux, le tiers avait une double représentation ; en droit, il était bien juste que vingt millions d'hommes eussent une représentation au moins égale à celle des cent mille ecclésiastiques et des cent cinquante mille nobles qui com posaient les deux autres ordres. Necker le comprit ainsi; mais il voulut faire décider le doublement du tiers par une nouvelle assemblée de notables qu'il convoqua en 1788. Les notables, gens privilégiés , refusèrent le dou blement : Necker le fit décider par le conseil du roi . De ce premier principe , le doublement du tiers, décou lait naturellement cette conséquence : le vote par téles, et non le vote par ordres, dans les délibérations. A quoi bon attribuer au tiers état un nombre double de représen tants , si l'on devait voter par ordres, s'il ne devait avoir qu'un suffrage contre les deux suffrages des ordres privi légiés ? Necker ne put ou ne voulut pas tirer la conséquence du principe posé par lui- même. Les événements allaient montrer tout le péril de cette irrésolution . Necker fit admettre les curés dans la représentation du clergé, les paysans dans celle du tiers état, les protestants au nombre des électeurs et des éligibles . Il s'abstint d'exercer aucune pression sur les élections : on vit , pour la première fois dans notre histoire, cinq millions de Fran çais exercer leur droit de citoyens. Les privilégiés essayé rent bien d'apporter quelque trouble dans ce grand mou vement : leurs intrigues ne furent pas étrangères à l'é meute du 27 avril 1789 à Paris, pendant laquelle la popu LES ORIGINES DE LA RÉVOLUTION . 77 lace incendia la fabrique Réveillon , et qui manqua de faire ajourner la convocation des États . Presque ' partout les élections se firent avec le plus grand calme : dans chaque bailliage, le clergé, la noblesse, le peuple des villes et des campagnes rédigèrent les fameux cahiers de 1789 , c'est - à -dire les væux dont les députés aux États étaient chargés de demander la réalisa tion . Le clergé revendiqua, dans ses cahiers, le maintien de la dime et de la propriété ecclésiastique, son droit de surveillance sur l'éducation , sur la presse , sur les dissi dents religieux ; la noblesse stipula la garantie de tous ses privilèges ; mais le clergé comme la noblesse s'unit au tiers état pour demander qu’on restreignît le despotisme royal et que les mandataires de la nation fussent convo qués périodiquement . « Écoutez ! écrivait Camille Desmoulins dans sa bro chure la France libre, écoutez Paris et Lyon , Rouen et Bor deaux , Calais et Marseille ; d'un bout de la France à l'au tre , le même cri , un cri universel , se fait entendre . La nation a partout exprimé le même vou. Tous veulent être libres. >> Les cahiers du tiers état de Rennes contiennent ce veu qui est la formule même de la Révolution : « C'est par erreur que ce qu'on appelle tiers état a été qualifié d'ordre ; avec ou sans les privilégiés , il s'appelle Peuple ou Nation . » C'est l'idée que l'abbé Sieyès avait déjà expri mée dans la célèbre brochure :: « Qu'est-ce que le tiers état? Rien . Que doit-il être ? Tout . ) La députation de la noblesse , telle qu'elle sortit des élections, se composait de 242 .gentilshommes et de 28 membres des parlements ; celle du clergé , de 48 pré lats , de 35 abbés de monastères, de 208 curés; le tiers comptait 578 membres, parmi lesquels 2 prêtres, 12 nobles , 13 magistrats des municipalités, 102 magistrats de bail liage , 212 avocals, 16 médecins, 100 marchands ou culti vateurs. Le comte de Mirabeau et l'abbé Sieyès figuraient comme députés du tiers. 2 > CHAPITRE II LES ÉTATS GÉNÉRAUX, LA CONSTITUANTE RÉUNION DES ÉTATS GÉNÉRAUX > Les États généraux se réunirent non à Paris, mais à Ver sailles , où résidait le monarque. Le 4 mai , le roi, sa fa mille, ses ministres , les députés des trois ordres, se ren dirent processionnellement de l'église Notre- Dame à l'église Saint-Louis, pour y entendre la messe d'inauguration. Une foule immense était accourue de Paris pour assister à la cérémonie. Elle fut péniblement frappée du contraste qu'on avait voulu ménager entre le costume simple et sévère, l'habit noir, le petit manteau court des députés bourgeois, et les costumes magnifiques des députés privilégiés . En fait d'étiquette , la cour prétendait revenir à la tradition des États de 1614. Quand on demandait au garde des sceaux Barentin si le tiers état serait obligé de parler àà genoux , il répondait : « Si le roi voulait ! ... » La même distinction humiliante se retrouva dans la harangue que l'évêque de Naney adressa au roi dans l'église de Saint- Louis : « Sire, recevez les hommages du clergé, les respects de la noblesse et les humbles supplications du tiers état . » Le lendemain , 5 mai, la séance d'ouverture eut lieu LES ÉTATS GÉNÉRAUX. LA CONSTITUANTE. 79 > > dans la salle des Menus. En face du trône que le roi allait occuper , le maître des cérémonies plaça le clergé à droite, la noblesse à gauche, le tiers au fond de la salle . Plus de quatre mille spectateurs emplissaient les tribunes. Louis XVI , entouré de la reine , de ses frères, de ses mi nistres, de toute une cour brillante, se plaça sur le trône et se couvrit. Les députés du clergé et de la noblesse , comme c'était leur droit , en firent autant : ceux du tiers les imitèrent. Des murmures éclatèrent sur les bancs des privilégiés. Alors le roi, pour ne pas autoriser cette usur pation du tiers état , retira son chapeau , ce qui obligea tout le monde å se découvrir. Dans les discours que prononcèrent successivement le roi , le garde des sceaux et Necker , on s'appliquait à mettre les députés en garde contre les « innovations dan gereuses » ; c'était uniquement de l'état financier, des sacrifices à s'imposer qu'on prétendait les entretenir. Quant à la question du vote par têtes ou par ordres, on la lais sait indécise . Au fond la cour eût désiré qu'on votât par têtes dans les matières de finances, afin d'être plus assurée d'obtenir les fonds, et qu'on votât par ordres sur presque toutes les autres questions, afin d'être garantie contre toute innovation . Elle s'obstinait à voir dans les députés , non des législateurs , mais des contribuables . Or, la na tion française qui , pour la première fois depuis ses ori gines, se trouvait maîtresse de ses destinées, qui depuis quinze siècles portait le triple joug des clergés , des aris tocraties, des monarchies de toute forme, qui pendant cent soixante- quinze ans avait vu interrompre la convoca tion de ses États, n'entendait pas que tant de souffrances, tant d'efforts, tant de progrès accumulé , tant d'espé rances suscitées, n'aboutissent qu'à ce résultat : refaire les finances du roi pour que les vieux abus pussent en paix se perpétuer. Les députés du tiers furent à la hau teur de leur mission . 80 HISTOIRE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE. LE TIERS ÉTAT SE CONSTITUE EN ASSEMBLÉE NATIONALE Le 6 mai , le clergé et la noblesse se rendirent dans les salles qu'on leur avait préparées ; le tiers état, comme le plus nombreux, continuait à siéger dans la salle des Menus. Il y avait à procéder tout d'abord à la vérification des pouvoirs. Cette opération devait- elle se faire en com mun par les trois ordres ou séparément? Les privilégiés entendaient qu'elle se ferait séparément; les députés du tiers , qu'elle se ferait en commun. Si ces derniers cédaient , il était certain que toutes les autres délibéra tions auraient lieu dans la même forme; que toutes les fois qu'il y aurait un abus à supprimer, une réforme à établir , le suffrage unique du tiers serait annulé par ' le double suffrage des ordres privilégiés. La Révolution se serait trouvée arrêtée dès le début, le tiers état main tenu dans son infériorité, le peuple condamné à une ser3 vitude éternelle . Ainsi de la solution qu'on donnerait à cette simple question , la vérification des pouvoirs , dépendait l'avenir même de la France. C'est ce que comprirent les députés du tiers : ils maintinrent leur revendication et attendirent que les pri vilégiés voulussent bien se réunir à eux. Ils attendirent patiemment, longtemps ; mais le temps travaillait pour eux. Ils savaient que, même parmi les nobles, un certain nombre souhaitaient que la Révolution continuat, et que, dans le clergé, la plupart des curés, opprimés par l'épi scopat, exploités par les monastères, étaient favorables aux communes. Des conférences s'établirent entre les délégués des trois ordres ; les évêques , sous prétexte de se porter médiateurs, n'oublièrent rien pour empêcher l'accord. Ils affectaient de rendre le tiers état responsable du retard apporté au soulagement de la misère croissante du peuple; LES ÉTATS GÉNÉRAUX . LA CONSTITUANTE . 81 . un des prélats s'écriait pathétiquement, en montrant un morceau d'affreux pain noir : « Voilà le pain du paysan ! » Mais qui donc était cause de cette misère du peuple ? Près de cinq semaines se passèrent ainsi , les privilégiés se concertant avec la cour, le tiers en relation constante avec le peuple , qui , tous les jours, venait remplir les tri bunes de l'Assemblée. Le 10 juin, Sieyès dit à ses amis : « Coupons le câble, il est temps. » Il était temps de quitter le rivage du vieux monde et de voguer en pleine mer , vers l'avenir. Sieyès proposa de sommer une dernière fois le clergé et la noblesse, de leur signifier que l'appel se ferait dans une heure et qu'il serait donné défaut contre les non - comparants. Cette mise en demeure, rédigée en style de procédure , décida quelques curés, trois d'abord , puis sept, puis un plus grand nombre, à se rallier au tiers, qui les accueillit avec enthousiasme . Le 17 , les députés des communes firent un pas encore plus hardi . Sur la motion de Sieyès, « attendu que cette assemblée est déjà composée des représentants envoyés di rectement par les 96 centièmes au moins de la nation , et qu'une telle masse de députation ne saurait rester inactive par l'absence des députés de quelques bailliages ou de quelques classes de citoyens , » ils se proclamèrent consti tués en Assemblée nationale. C'en était fait des États géné . raux , de la division en ordres, de tout l'ancien régime politique. L'Assemblée nationale parle et agit tout d'abord en souverain. Elle entend et décrète : 1 ° que les impôts ces seront d'être perçus, si elle vient à être dissoute ; 2° que la dette publique est sous la garantie de la nation ; 3 ° qu'un comité de subsistances sera constitué. Par le premier de ces décrets, elle mettait, quant aux finances, la cour dans sa dépendance ; par le second, elle s'attachait les capitalistes et les créanciers de l'État ; par le troisième, elle s'assurait les sympathies du peuple, qui souffrait cruellement de la disette . A. RAXBAID , 82 HISTOIRE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE. La cour et les privilégiés sentirent le coup qui leur était porté . Louis XVI hésita quelque temps entre les con seils de Necker et ceux de sa famille . La reine l'entraîna, sous prétexte de chasse, à Marly, l'entoura d'un comité secret formé du comte d'Artois, des princes de Condé et de Conti, du garde des sceaux Barentin , de l'archevêque de Paris, du cardinal de la Rochefoucauld . Il se laissa con vertir à l'idée d'un coup d'État : il tiendrait dans la salle des Menus une séance royale, parlerait aux députés un langage menaçant, indiquerait les quelques réformes aux quelles il consentait, et signifierait aux trois ordres d'avoir à se séparer. Necker serait renvoyé. LE SERMENT DU 20 JUIN ET LA SÉANCE ROYALE DU 23 Dans la nuit du 20 juin, Bailly, président de l'Assemblée nationale, fut averti par le garde des sceaux que les séances étaient suspendues. Ce grand citoyen aima mieux obéir à son mandat qu'à la cour. A l'heure ordinaire, il se pré senta, suivi des députés, à la salle des États . Il la trouva fermée, occupée par les ouvriers qui faisaient les prépa ratifs de la séance royale : les sentinelles présentèrent la baïonnette aux représentants de la nation. Ceux-ci, dans leur indignation, parlaient d'aller tenir leur séance à Marly, sous les fenêtres du roi . On décida de se rendre à la salle du Jeu de Paume ; et , dans cette grande salle nue , en présence d'un public nombreux, parmi les rafales du vent qui pénétrait de toutes parts, tandis que le président monté sur une table lisait la formule du serment, les députés debout, la main levée, jurèrent de ne pas se sépa rer avant d'avoir donné une constitution à la France . Le surlendemain, l'Assemblée trouva le Jeu de Paume fermé, le comte d'Artois ayant retenu la salle ; mais à ce moment, la majeure partie du clergé s'étant réunie aux com munes, on fit ouvrir l'église Saint- Louis, et, suivant l'ex LES ÉTATS GÉNÉRAUX. LA CONSTITUANTE. X3 pression d'un orateur, « le temple de la religion derint celui de la patrie . >> Le 23 eut lieu la séance royale . La salle des Menus était entourée de troupes ; les députés du tiers 'at tendirent longtemps à une porte de derrière , sous la pluie , disputant avec les gardes, pendant que les ordres privilégiés entraient par la grande porte. Dans l'appareil militaire qui entourait le roi, on remarqua l'absence de Necker, Les tribunes étaient vides, l'entrée de la salle ayant été interdite au public . Le roi tint le discours que lui avait dicté le comité secret : il cassa tous les décrets de l'Assemblée, prescrivit le maintien de la division en ordres , déclara qu'il ne permettrait pas qu'on touchât ni à l'Église , ni à l'organisation de l'armée, ni au système d'impôts , sans le consentement des privilégiés , ni à la dime, ni aux droits et devoirs seigneuriaux. « Je vous ordonne, messieurs, ajouta- t- il , de vous séparer tout de suite et de vous rendre demain matin dans les chambres affectées à vos ordres. » Quand le roi se fut retiré, le clergé et la noblesse sortirent également. Les députés des communes restèrent à leurs places, calmes, silencieux, indignés . Le grand maitre des cérémonies, Dreux -Brézé, revint alors , et s'adres sant au président : « Vous avez entendu, messieurs, l'ordre du roi . » Bailly , se tournant vers ses collègues : « Il me semble, leur dit - il, que la nation assemblée ne peut pas recevoir d'ordre. » Alors Mirabeau , d'une voix tonnante, répondit à Dreux Brézé : « Nous avons entendu les intentions qu'on a suggé rées au roi ... Allez dire à ceux qui vous envoient que nous sommes ici par la volonté du peuple et qu'on ne nous en arrachera que par la puissance des baionnettes. » Le grand maitre des cérémonies, intimidé par la majesté de cette sou veraineté nouvelle qui venait de se révéler, sortit å reculons devant les représentants du peuple, comme il faisait de vant le roi. « Quoi donc ! dit un député bretori, le roi parlé ( > 84 HISTOIRE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE. en maître quand il devrait consulter . » Sieyès ajouta : « Vous êtes aujourd'hui ce que vous étiez hier : délibé rons . » C'était déclarer qu'on tenait pour nul tout ce · qu'avait dit le roi ; on cassait les actes de la séance royale, tandis que la séance royale avait prétendu casser les actes de l'Assemblée . Puis l'Assemblée décréta l'inviolabilité de ses membres. Dans le premier moment, la cour crut à son triomphe. La reine était radieuse, et , présentant son fils aux députés nobles : « Je le confie, dit-elle , å la noblesse » . Toute cette joie tomba quand on apprit la résistance du tiers : on n'avait pas prévu ce refus d'obéissance ; le roi parais sait déconcerté et disait : « S'ils ne veulent pas s'en aller , qu'on les laisse ! » Necker, que le matin on avait décidé de congédier, fut, le soir, supplié de rester . Le 27 , le duc d'Orléans se rendit à l'Assemblée avec un grand nombre de députés nobles, et la réunion des trois ordres devint alors définitive. PRISE DE LA BASTILLE ET NUIT DU 4 AOUT La reine et le parti de la cour n'avaient reculé que parce qu'on n'était pas en mesure d'employer « la puissance des baïonnettes » . On se mit aussitôt en devoir de réparer cet échec ; dès les premiers jours de juillet , des mouvements de troupes se dessinèrent autour de Versailles et de Paris ; on appela de préférence les troupes étrangères, les merce naires suisses , allemands, croates , hongrois, qui résiste raient moins à un attentat contre l'Assemblée nationale , les régiments de Diesbach , Reinach , Helmstadt, Salis- Salmade, Berchiny, Esterhazy, Royal-Allemand , Royal-Pologne, Royal Croate, etc. On occupa toutes les routes de manière à pouvoir, suivant le cas, menacer Versailles ou affamer Paris. On fit entrer un renfort de Suisses à la Bastille . On confia toutes ces troupes à Breteuil , qui disait : « S'il faut brûler Paris, e t L I e 3 02 Mirabeau et Dreux - Brézé. 86 HISTOIRE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE. > > on brûlera Paris ! » et au maréchal de Broglie; qui disait , parlant des députés, que « le canon et la fusillade auraient raison des argumentateurs » . Enfin , on sut que la reine, pour payer la guerre civile , faisait fabriquer secrètement du papier-monnaie, c'est- à-dire préparait la banqueroute . Le 9 juillet , le jour même où elle prit le titre de Consti tuante, l'Assemblée nationale envoyait une adresse au roi pour demander l'éloignement des troupes étrangères, dont la présence agitait le peuple . La réponse du roi fut peu ras surante : il était, disait-il , seul juge de la nécessité de faire venir ou de renvoyer les troupes ; il ne s'agissait que d'assurer l'ordre et de garder l'Assemblée ; si l'Assemblée était inquiète , il pourrait la transférer à Noyon ou à Sois sons. C'eût été l'éloigner de Paris et la mettre à la discré tion des mercenaires. Le mêmejour , 11 juillet , on apprenait que Necker, chassé du ministère, était parti pour Bruxelles, et qu'un nouveau cabinet venait de se former, composé précisément de tous les hommes du coup d'État : Broglie, Breteuil, La Galisson nière, Vauguyon, l'ami des jésuites , et Foulon , auquel le peuple prêtait cette parole : « S'ils ont faim , qu'ils man gent du foin ! » caminn frente a limpia ( nona lalt; L'Assemblée, sous le coup de cette provocation , reprit toute son énergie. Elle envoya une députation demander au roi le renvoi des troupes et le rappel de Necker ; la dépu tation ne fut pas reçue. Alors cette Assemblée, qui n'avait pas un soldat pour la défendre, décréta : 1. Que Necker et ses collègues emportaient sa confiance et les regrets de la nation ; 2 Qu'elle rendait responsables les ministres actuels et les conseillers du roi, de quelque rang et état qu'ils pussent être ( ce qui visait les frères du roi et la reine elle-même) ; zu Que quiconque proposerait la banqueroute serait dé claré infâme ( c'était flétrir d'avance les projets financiers de la cour ). Cela fait, l'Assemblée attendit. یه نهم LES ÉTATS GÉNÉRAUX . LA CONSTITUANTE. 87 A Paris, que se passait- il ? Depuis la séance royale du 23 juin , les esprits étaient inquiets et agités. L'abbé Fau chet et d'autres journalistes avaient mis en circulation une adresse au roi qui demandait l'éloignement des troupes, la formation d'une garde civique, l'élection d'une municipalité parisienne : ils recueillirent 3000 signatures . La déclaration du roi au sujet de l'armée avait achevé de convertir les gardes françaises à la cause de la Révolution . Déjà ils refusaient de tirer sur le peuple : leur colonel en fit mettre onze à l'Abbaye ; le peuple les délivra de vive force. Les Parisiens furent exaspérés quand ils virent les troupes étrangères occuper le Champ de Mars et pousser leurs patrouilles jusqu'aux Tuileries . Le 12 juillet, à la nouvelle du renvoi de Necker, Ca mille Desmoulins monta sur une table au Palais - Royal , distribua aux assistants les feuilles des marronniers en guise de cocarde et appela le peuple à l'insurrection . On promena les bustes de Necker et du duc d'Orléans. Les dragons du prince de Lambesc chargèrent la foule aux Tuileries : les gardes françaises tirèrent sur les dragons . Les électeurs se réunirent à l'Hôtel de Ville , chassèrent la municipalité royale , en installèrent une nouvelle, et dé crétèrent la levée de 48 000 hommes. Toute la journée du 13 , le tocsin de l'Hôtel de Ville et des églises retentit dans la ville , soulevant l'effroi et la colère des masses. Flesselles , prévôt des marchands (maire de Paris) , essaya d'amuser le peuple en lui promettant des armes . Le peuple en trouva tout seul ; on fabriqua 50 000 piques et l'on enleva du dépôt des Invalides les fusils et les canons. Le 14 au matin , un cri unanime s'éleva dans Paris : « Allons prendre la Bastille ! » La Bastille passait pour imprenable ; elle avait huit tours d'une hauteur vertigineuse, des fossés pleins d'eau , larges comme une rivière, des canons à toutes ses embra sures : elle pouvait broyer le faubourg Saint- Antoine. Le peuple parlementa d'abord avec le gouverneur de Launay, > 88 HISTOIRE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE. puis l'attaque commença . Les Parisiens, que la garnison pouvait canonner et fusiller à l'abri , eurent 83 morts et 98 blessés ; mais, à cinq heures, la Bastille était prise . Il était temps ; dans la nuit du 14 au 15 devait se faire le coup d'État ; 40 000 exemplaires de la proclamation royale étaient déjà imprimés ; la reine et Mme de Polignac visitaient les troupes étrangères , présidaient aux distribu tions d'argent et de vin . Le ministre Foulon et son gendre , l'intendant Berthier, poussaient avec ardeur les prépa ratifs . Le roi devait quitter Versailles pour laisser l'Assem blée aux prises avec les soldats. Ce jour- là , une grande dame disait à Dumouriez :: « Il parait que les députés mutins sont déjà à la Bastille . » La nouvelle de la victoire du peuple tomba comme un coup de foudre sur Versailles. L'Assemblée, pour éviter de trouver encore une fois les portes fermées, s'était dé clarée en permanence ; elle siégea soixante - dix -neuf heures de suite . Presque en même temps , elle apprit la chute de la Bastille et la retraite des troupes, qui des Champs- Élysées se repliaient sur Sèvres. Berthier et Foulon auraient voulu faire opérer aux soldats , à la faveur de la nuit, un retour offensif sur Paris ; mais des symptômes de mutinerie s'étaient manifestés même dans les troupes étran gères, et le régiment suisse de Châteauvieux avait déclaré qu'il ne tirerait pas sur le peuple . Le 15 au matin, les représentants décidèrent d'envoyer au roi une députation que Mirabeau enflamma de sa redou table éloquence. Au moment où elle se disposait à sortir, on annonça que le roi allait se rendre dans l'Assemblée. Louis XVI , à qui le duc de Liancourt avait fait entendre qu'il s'agissait non d'une révolte, mais d'une révolution, venait tenter une réconciliation . « Le sang de nos frères coule à Paris ! s'écria Mirabeau . Qu'un morne respect soit le premier accueil fait au monarque par les représentants d'un peuple malheureux : le silence des peuples est la leçon des rois . >> Pourtant, quand le roi parut sans gardes, accom IT 1 BARENT 2 de laBstille Prise de. ou PE tie dir wh. PIC 1731 30 INISTOIRE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE. pagné seulement de ses frères, lorsqu'il eut dit qu'il avait éloigné les troupes, qu'il ne faisait qu'un avec la na tion , cette assemblée, profondément imbue de sentiments et de traditions monarchiques, se leva au cri de Vive le Roi ! et reconduisit le prince jusqu'au château . Mais la faiblesse de Louis XVI et la perfidie obstinée de la cour autorisaient des défiances qui étaient dans tous les caurs, et qu'une vieille femme, se jetant aux genoux du roi sur la place du palais, exprima en son langage : « Ah ! sire ! êtes- vous sin cère ? Ne vont- ils pas encore vous faire changer? » Le roi , réconcilié avec l'Assemblée , sentit qu'il devait également se réconcilier avec Paris : Paris qu'un long di vorce séparait de ses rois depuis un siècle et demi qu'ils avaient quitté les Tuileries pour Versailles , Paris encore tout bouillant du 14 juillet, Paris qui poursuivait de son courroux les complices du coup d'Etat, où l'on venait de mettre à mort Flesselles et de Launay, où le même sort attendait Foulon et Berthier. La reine aurait voulu que le roi n'allât pas à Paris, qu'au contraire il quittât Versailles et commençat la guerre civile : Louis XVI n'osa pas . Une délégation de cent députés précéda le roi à Paris. Elle y fut reçue avec en thousiasme ; l'Assemblée de Versailles et le peuple parisien avaient également fait leur devoir : au serment du Jeu de Paume avait répondu la prise de la Bastille , et le peuple avait mis sa force au service du droit . Bailly , nommé maire de la municipalité nouvelle , Lafayette , proclamé com mandant des gardes nationales, allèrent aux portes de la ville recevoir le roi . Louis XVI traversa Paris entre deux haies de gardes nationaux, reçut des mains de Bailly la cocarde tricolore , monta l'escalier de l'Hôtel de Ville sous une voûte d'acier formée par les épées des officiers de la milice nouvelle, sanctionna la nomination de Bailly et de Lafayette, et repartit pour Versailles . Necker était revenu en triomphe. Les fauteurs du coup d'État, le comte d'Artois, Condé, Conti, Polignac , Broglie , LES ÉTATS GÉNÉRAUX. LA CONSTITUANTE. 91 Lambesc, Calonne quittaient la France et donnaient ainsi le signal de l'émigration . Le drapeau tricolore , emblème de la Révolution , flottait sur la Bastille vaincue , sur cette sombre forteresse qui était comme le symbole de l'absolutisme royal , qui avait servi de prison à toutes les victimes de l'arbitraire, aux protestants, aux philosophes. " Les cahiers de 1789 en avaient demandé la démolition : le peuple de Paris ne fit te qu'exécuter la sentence prononcée par la France tout en tière . La prise de la Bastille est un fait culminant dans l'histoire non seulement de la France, mais de l'Europe entière ; elle inaugurait une époque nouvelle de l'histoire du monde et consacrait l'avènement de la société mo derne . Ce ne furent pas seulement les Français qui se réjouirent, mais les libéraux de l'Angleterre, de l'Alle magne, de l'Italie ; dans la Russie lointaine, à Saint-Péters bourg, quand parvint cette grande nouvelle, on vit les Russes et les étrangers s'embrasser dans les rues et répéter avec enthousiasme : « La Bastille est prise ! » La province suivit le mouvement de Paris : à Rouen , à Orléans, à Lyon , à Nancy, il y eut des rixes entre la troupe et la milice bourgeoise ; à Caen, à Bordeaux, les forte resses royales furent prises ; à Rennes, à Saint-Malo, à Strasbourg, les soldats fraternisèrent avec le peuple. Le mouvement gagna les campagnes : partout les paysans coururent aux châteaux des nobles, brûlèrent les archives pour anéantir les titres qui consacraient les re devances féodales : dans beaucoup de villages , les chå teaux, édifiés autrefois des corvées du peuple , furent in cendiés, et les potences des seigneurs haut justiciers renversées . Partout, dans les campagnes comme dans les villes , la population s'arma de piques, de faux ou de fusils . En face des régiments restés fidèles à la cour, l'Assemblée dispo sait maintenant de trois ou quatre millions d'hommes. En huit jours, contre les droits féodaux , contre les intrigues 1 92 HISTOIRE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE . de Versailles, contre les menaces de l'Europe , la nation s'était levée d'un élan unanime. Cette haine du paysan contre la féodalité, qui se tradui sait en incendies des châteaux et en violences contre les seigneurs, força l'Assemblée à prendre un grand parti. Dans la nuit du 4 août, le duc d'Aiguillon et le vicomte de Noailles proposérent l'abolition de tous les droits féodaux : les curés offrirent d'abandonner leur casuel; les députés des pays d'état renoncèrent à leurs privilèges en matière d'impôts, les députés des villes aux privilèges municipaux. Ce fut une émulation admirable de renoncement et de sacrifice . Le haut clergé , qui s'était abstenu , n'y gagna rien : deux jours après il fut dépouillé de la dime, en attendant qu'il perdit ses immenses possessions . L'Assemblée venait , en cette nuit mémorable , de consa crer l'abolition du régime qui depuis les origines de notre histoire pesait sur le peuple de France . Il lui restait à accomplir son serment du 20 juin , à faire la constitution . D'abord elle rédigea la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen , ce résumé des principes de la Révolution qui est resté comme l'Évangile politique et social de la France nouvelle. Puis elle discuta l'organisation du pouvoir exécutif et du pouvoir législatif. Quand on en vint à cette matière délicate , les partis qui existaient en germe dans l'Assemblée commencèrent à prendre position . On put distinguer bientôt : 1 ° le parti de la cour , composé du haut clergé et de la noblesse, qui prétendait maintenir presque entièrement l'ancien régime; il comptait parmi ses plus brillants orateurs l'abbé Maury et Cazalės ; 2º le parti monarchien, qui entendait conserver au roi tout le pouvoir exécutif, à la noblesse et au clergė une grande situation dans l'État , qui rêvait de partager l'Assemblée en une Chambre haute , dans laquelle l'aristo cratie eût pu garder son ancien éclat et son ancienne puis sance , et une Chambre des communes : il reconnaissait pour ses chefs Necker, Mounier, Lally- Tollendal et Cler

LES ÉTATS GÉNÉRAUX. LA CONSTITUANTE . 95 mont- Tonnerre; 3° le parti populaire, qui voulait consti tuer une Assemblée unique en face de la royauté affaiblie ; il avait à sa tête Mirabeau , Sieyès, Bailly et Lafayette; 4° le parti avancé, avec Duport, Barnave, les frères La meth, qui essayait de stimuler l'Assemblée en s'appuyant sur le peuple de Paris et sur les clubs ; 5° les hommes comme Robespierre, Barère, Grégoire, Pétion , Buzot, dont le groupe contenait en germe la future Gironde et la future Montagne et qui se réservait de pousser encore plus loin la Révolution . Hors de l'Assemblée, Danton avait déjà une puissante action sur le peuple, Camille Desmoulins dans la presse . Des clubs s'ouvraient aux Jacobins, aux Cordeliers. Lous talot tirait à 200 000 exemplaires son journal intitulé les Révolutions de Paris, Fréron rédigeait l'Orateur du peuple ; Camille Desmoulins, les Révolutions de France et de Bra bant; Barère, le Point du jour. Plus tard viendront Marat avec l'Ami du peuple, Hébert avec le Père Duchêne. Le parti de la cour, dans le Journal de la Cour et de la Ville, le Journal des Halles, l'Ami du roi , les Actes des apôtres, attaquait avec une violence inouïe les hommes de la Ré volution , outrageant de préférence les modérés, comme plus dangereux pour la royauté , LES JOURNÉES D'OCTOBRE Il ne faut pas croire que la cour , après la terrible leçon du 14 juillet , eût désarmé. Tandis que ses partisans dans l'Assemblée s'étudiaient à troubler les séances, le roi en travait l'ouvre législative et la marche du gouvernement en refusant de sanctionner tantôt l'abolition du régime féodal, tantôt la Déclaration des droits de l'homme. Le comité secret, qui , au 23 juin, au 14 juillet , avait échoué dans ses deux tentatives de coup d'État , en rêvait une troisième, Cette fois, on comptait sur Bouillé, qui 94 HISTOIRE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE. commandait autour de Metz une armée de 25 à 30 000 hom mes. On projetait de rassembler autour du roi , outre les 10000 hommes de la maison militaire, les régiments des garnisons voisines , d'envoyer Louis XVI à leur tête rejoin dre Bouillé , qui aurait marché sur Paris . On commença par appeler à Versailles le régiment de Flandre, et les cocardes des régiments étrangers se montrèrent de nou veau à Paris . Le 1er octobre , dans la salle du théâtre de Versailles , un repas donné par les gardes du corps au régiment de Flandre dégénéra en manifestations violentes. Le roi , la reine avec le dauphin dans ses bras , parurent dans cette fête . La musique joua un air significatif : « O Richard, ô mon roi , l'univers t'abandonne ! » puis la Marche des uhlans; ensuite on sonna la charge, et les convives, excités par le vin , escaladèrent, l'épée en main , les loges du théâtre ; des dames enlevèrent aux officiers la cocarde tri colore pour la remplacer par la cocarde blanche.. Le 3 oc tobre , autre banquet du même genre. Pendant qu'on banquetait à Versailles, la famine sévis sait à Paris . Ces provocations tombèrent sur une popula tion affolée par ses souffrances, aigrie par des soupçons qui malheureusement n'étaient que trop justifiés . Le 5 , quelques milliers de femmes envahissent l'Hôtel de Ville et déclarent qu'elles vont chercher le boulanger, c'est- à -dire le roi , dont la présence à Paris ramènera l'abondance. Plusieurs sont munies de tambours et entraînent le reste sur la route de Versailles ; l'huissier Maillart leur sert de guide , comme pour aller opérer la saisie de la royauté; les volontaires de la Bastille courent à leur suite , traînant des canons ; Lafayette rassemble en hâte les gardes natio nales et prend à son tour le chemin de Versailles, dans le dessein de protéger le château . Toute cette multitude entre à Versailles en chantant l'air royaliste : Vive Henri IV! Une députation de ces femmes est reçue par Louis XVI, qui promet de veiller à l'approvisionnement de Paris . Sauf > LES ÉTATS GÉNÉRAUX . LA CONSTITUANTE. 95 quelques rixes avec les gardes, la soirée est calme. Mais au matin, vers six heures, quelques hommes du peuple, rôdant autour des grilles du château, trouvent une porte ouverte et s'y précipitent . La foule accourt et les suit. Elle commence à massacrer les gardes du corps , elle pénètre dans les appartements. Lafayette parvient à sauver le roi, la reine et le dauphin, mais c'est à condition que le boulanger, la boulangère et le petit mitron viendront à Paris. Telles furent les journées d'octobre, qui écrasèrent en germe le complot de la cour et mirent le monarque à la discrétion du peuple. Quand on fut arrivé à Paris, Louis XVI s'installa aux Tuileries, et l'Assemblée à l'Évêché, plus tard au Manège . La situation devenait d'autant plus périlleuse que les questions dont l'Assemblée avait à s'occuper étaient plus délicates . On allait toucher aux biens et même à l'organi sation du clergé. Pour éviter la banqueroute, l'Assemblée avait , sur la proposition de Mirabeau , décrété le don patriotique par tous les citoyens d'un quart de leur revenu . Ce sacrifice fut reconnu insuffisant. Alors on songea aux immenses ressources que détenait encore l'Église : 100 000 membres du clergé régulier et séculier , ou plutôt quelques centaines de prélats , abbés de monas tères, grands seigneurs ecclésiastiques , possédaient en toute propriété le tiers du sol national ; leurs revenus s'élevaient à près de 400 millions. Le chapitre de Saint Claude tenait en servage 15 000 paysans . C'était là- une situation qui ne pouvait plus se défendre. Dès le 6 août, Buzot avait déclaré qu'il fallait reprendre les biens d'Eglise . Le 8 , le marquis de Lacoste proposa ce projet de loi : « 1 ° Les biens ecclésiastiques appartiennent à la nation ; 2 ° les moines dépossédés recevront une pension ; le trai tement des évêques et des curés sera payé par le Trésor. » C'était transformer les ecclésiastiques en fonctionnaires salariés de la nation . Au cours de la discussion , pendant laquelle les curés 96 HISTOIRE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE. ( soutinrent faiblement les évêques, car ils avaient tout à gagner à la réforme, survint un incident qui acheva de décider l'opinion . Les serfs du Jura déléguèrent un des leurs pour remercier l'Assemblée « d'avoir adouci leur sort par ses décrets libérateurs » . Ils choisirent un homme qui était peut- être le doyen des paysans français, un vieillard de cent vingt ans , Jean- Jacob, qui parut devant les députés entouré de ses enfants et de ses petits enfants. Sur la proposition de l'abbé Grégoire, toute l'As semblée se leva , émue et respectueuse , devant l'héritier de tant de générations opprimées, devant le dernier des serfs de France, et lui décerna les honneurs de la séance (23 oc tobre). Le 2 novembre 1789 , un décret de l'Assemblée mit les biens d'Église « à la disposition de la nation » . Sous le nom de biens nationaux, ils devaient former la garantie des assignats qu'on allait créer, et dont l'Assemblée décida une première émission pour une somme de 400 millions . Le haut clergé n'avait d'ailleurs pas attendu cette . mesure pour agir en ennemi irréconciliable de la Révolu tion ; il se joignit aux émigrés qui ameutaient les cours étrangères contre la France , aux États provinciaux qui protestaient contre les décrets de l'Assemblée, aux parle ments qui refusaient de les enregistrer, à tous les privi légiés qu'exaspérait l'avènement de l'égalité . Les évêques s'attachèrent à soulever les campagnes : cela commença dès le 14 octobre, par un mandement séditieux de l'évêque de Tréguier ; il pleurait sur la captivité du roi et déclarait que les prêtres n'étaient plus que « les commis soldés des brigands » : par brigands il entendait les députés . Le réveil du fanatisme, dans les populations ardentes du Midi , amena les massacres de Nîmes, de Toulouse et de Mon tauban . LES ÉTATS GÉNÉRAUX . LA CONSTITUANTE. 97 LES FÉDÉRATIONS DE 1790 . Contre tant d'ennemis occultes ou déclarés, dans la dis solution des pouvoirs anciens et le laborieux enfantement . 12 I ON 12 es line era 018 JI pa PF Tel TH re es u La Fédération au Champ de Mars des pouvoirs nouveaux, la nation sentit la nécessité de s'unir , de s'armer, et , comme on disait alors, de se fédérer. 7 A. RAMBAID , 98 HISTOIRE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE. ( Dès novembre 1789 se constitue la fédération d'Étoiles, prés de Valence ; dės janvier 1790, sur une lande de Bretagne , 15 000 gardes nationaux prêtent le serment fédéral de « fide lité à la nation , à la loi , au roi ») . Le 6 mars 1790, les garnisons et les gardes nationales de l'Est se confédé rèrent à Épinal ; le 30 mai, 30000 hommes en armes se réunissent à Lyon autour de l'autel de la patrie ; le 13 juin s'organise sous la présidence du maire de Strasbourg , Frédéric Dietrich, la fédération alsacienne : le drapeau tricolore est arboré au plus haut de la flèche de Stras bourg ; la vieille cathédrale est illuminée afin que « le spectacle, vu des rives opposées du Rhin , apprenne à l'Al lemagne que l'empire de la liberté est fondé en France » , Ce vaste mouvement qui se propageait de la Bretagne à l'Alsace , et de l'Escaut aux Pyrénées, devait aboutir le 14 juillet 1790 , anniversaire de la prise de la Bastille , à la grande fédération parisienne du Champ de Mars. En présence de 400 000 spectateurs et de 50 000 gardes natio naux accourus de toutes les provinces de France, et qui étaient la délégation et comme l'avant-garde de trois mil lions d'hommes en armes, Lafayette prêta sur l'autel de la patrie le serment fédéral. Puis le roi , d'une voix forte, fit entendre ces mots : « Moi, roi des Français, je jure d'employer tout le pouvoir qui m'est délégué par la loi constitutionnelle de l'État à maintenir la constitution décrétée par l'Assemblée nationale et acceptée par moi, et à faire exécuter les lois . » Ja reine, comme gagnée par l'enthousiasme général, prit le dauphin dans ses bras et le présenta au peuple, l'associant ainsi au serment de son père. Le soir , on dansa sur l'emplacement de la Bastille . La cour était- elle donc ralliée à la constitution ? Non ! en cette grande journée, le serment du roi, pas plus que l'enthousiasme de la reine, ne fut sincère. Marie-Antoi nette n'avait pas renoncé à ses plans d'évasion et de guerre civile : en octobre 1789, complot Augéard pour faire échapper le roi sur Metz ; en décembre de la même année, LES ETATS GENERAUS. LA CONSTITUANTE . 99 complot Favras pour l'emmener à Péronne; puis complot Maillebois pour le conduire à Lyon ; en octobre 1790, reprise du plan d'évasion sur Metz, avec le concours de Bouillé. C'était pour en préparer l'exécution qu'en août 1790 , Bouillé terrorisait l'armée par la cruauté qu'il déploya, après la révolte de Nancy, contre ce même régi ment suisse de Châteauvieux qui, au 14 juillet, avait refusé de marcher contre le peuple de Paris : il fit pendre 21 sol dats, infligea au vingt- deuxième le supplice barbare et illegat de la roue, envoya le reste aux galères. THEUTE , DE LA BIBLID LYCE LA CONSTITUTION CIVILE DU CLERGÉ

  • 1893 *

En juillet 1790 , la Prusse et l'Autriche s'étaient rap prochées en vue de surveiller la Révolution et avaient conclu la convention de Reichenbach . En octobre , Louis XVI écrivit au roi d'Espagne et à d'autres souverains pour les prier de ne tenir aucun compte des actes publics qui lui étaient imposés. Entre le roi et l'Assemblée, un nouveau sujet de désac cord venait de surgir. Le 12 juillet 1790, l'Assemblée avait décrété la constitution civile du clergé : le nombre des archevêchés et évêchés était réduit de 135 à 83 , à raison d'un par département; les évêques et curés devaient être nommés par les mêmes électeurs qui nommaient les députés; les évêques recevraient l'institution canonique , non du pape , mais de leur archevêque. La première de ces dispositions est la même que, plus tard , le pape accepta sans difficulté par le Concordat ; la seconde se bornait à substituer à la nomination par le roi la nomination par les électeurs ; mais la troisième sem blait s'attaquer à un droit que la plupart des catholiques reconnaissaient au pape. Pourtant, si la loi nouvelle pouvait faire des mécon tents , elle ne faisait pas encore des insoumis . Tout le mal 100 HISTOIRE DE LA RÉVOLUTION FRANCAISE. est venu de la funeste décision qui imposa le serment constitutionnel aux ecclésiastiques : par là on fournissait aux évêques, à la cour de Rome, le prétexte qu'ils cher chaient pour troubler les consciences; on divisait le clergé en deux catégories , les prêtres assermentés ou constitu tionnels et les prêtres refractaires ; on s'imposait l'obliga tion de dompter la résistance de ces derniers et de les traiter en rebelles. On risquait d'en revenir aux guerres de religion . Les ennemis de la Révolution s'empressèrent d'exploiter cette faute de l'Assemblée . « Les évêques, dit un écrivain royaliste, le marquis de Ferrières, refusèrent de se prêter à aucun arrangement et par leurs intrigues coupables fermèrent toute voie de con ciliation , sacrifiant la religion catholique à leur fol entê tement et à un attachement condamnable à leurs richesses . )) Le pape, conseillé par eux et par le parti de la cour , s'empressa d'interdire aux ecclésiastiques le serment constitutionnel . Nombre de prêtres qui avaient jusqu'alors servi la Révolution se trouvèrent jetés dans les rangs de ses ennemis , confondus avec eux sous le nom de refrac taires. Le peuple n'était pas moins troublé : il se sentait partagé entre son amour pour la Révolution et son atta chement au culte catholique. Le roi Louis XVI, dominé par ses convictions religieuses , se trouva forcément en conflit avec l'Assemblée ; les desseins hostiles de la cour pouvaient désormais se colorer d'un prétexte. TENTATIVE CONTRE- RÉVOLUTIONNAIRE DE MIRABEAU . En juillet 1790 , un puissant moyen de salut s'était offert à la cour . Mirabeau , l'orateur populaire qui avait brisé la monarchie absolue au 23 juin 1789, croyait le moment venu de défendre la monarchie parlementaire et d'arrê ter la Révolution . La constitution qu'il rêvait étant une sorte d'équilibre entre l'Assemblée et la royauté, il fallait LES ÉTATS GÉNÉRAUX. LA CONSTITUANTE . 101

que la royauté ne fût pas trop affaiblie. Bien que , de temps à autre , il continuât à tonner contre les intrigues de la cour, secrètement il s'était rapproché du roi, et , le 3 juillet , il fut reçu par la reine. Il accepta une forte somme pour payer ses dettes . Lui aussi se proposa de re former autour du roi une armée fidèle, de l'emmener en province, à Rouen , de commencer au besoin la résistance armée . Engagé dans cette voie funeste, il en vint à ad mettre une certaine coopération de l'étranger, au moyen de démonstrations sur nos frontières . Comment ces offres de dévouement furent-elles accueil lies par la cour ? On ne vit pas en lui un sauveur, mais une dupe dont on pouvait exploiter la crédulité . La reine écrivait à Flachslanden : « On se sert de Mirabeau , mais il n'y a rien de sérieux . » Quand Mirabeau s'apercevait de quelque trahison de ses nouveaux alliés , il entrait dans des colères terribles. C'est alors qu'il écrivait à son ami Lamarck : « A quoi donc pensent ces gens- lå ? Ne voient ils pas les abîmes qui se creusent sous leurs pas ? Le roi et la reine y périront , et , vous le verrez, la "populace battra leurs cadavres . » Dans la discussion du droit de paix et de guerre , Mi rabeau employa toute son éloquence à faire attribuer au roi l'initiative des propositions de paix et de guerre, la décision demeurant réservée à l'Assemblée . C'est à la suite de ce discours que l'on commença à crier dans les rues « La grande trahison du comte de Mirabeau » . Plus tard , lorsqu'on voulut user de rigueur contre les émigrés, et qu'on proposa contre eux la mort civile et la confiscation des biens : « Si vous faites une loi contre les émigrants , s'écria Mirabeau, je jure de ne pas l'observer. » Entre la royauté , qui ne voulait d'autre secours que celui de l'e tranger, et le parti avancé, qui grandissait chaque jour, Mirabeau usa ce qui lui restait de forces. Atteint d'une maladie mortelle, il put dire : « J'emporte avec moi le deuil de la monarchie ; ses débris vont être la proie des > 102 HISTOIRE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE . factieux. » Les factieux de la cour ne devaient pas être les moins acharnés . Le 2 avril 1791 , Mirabeau mourut ; ses restes furent portés au Panthéon . LE COMPLOT DE VARENNES Plus que jamais, la cour en revint å ses projets de fuite et d'alliance avec l'étranger. On s'étudiait à alarmer la conscience du roi ; en avril 1791 , l'évêque de Clermont refusait au roi la communion, et celui- ci promettait « de rétablir entièrement le culte catholique, si jamais il recou vrail son autorité » . Le 18 avril, sous prétexte d'aller faire ses Pâques, Louis XVI annonça qu'il partait pour Saint Cloud . Il comptait que, ou bien l'Assemblée autoriserait ce voyage , et alors il irait rejoindre ses complices ; ou bien elle s'y opposerait, et alors il serait constaté, devant la France et l'Europe, que les émigrés ne mentaient pas et que le roi n'était pas libre. C'est la seconde de ces pré visions qui se réalisa : le peuple, inquiet, se porta aux Tuileries et empêcha le départ. Le lendemain , le roi se rendit à l'Assemblée et répéta qu'il voulait maintenir la constitution , « dont faisait partie la Constitution civile du clergé » . Il ne lụi en coûtait pas de prendre ces engage ments, car il avait fait rechercher, dans les archives du royaume, la formule des actes par lesquels on peut désa vouer « les promesses arrachées par la force » . L'erreur des politiques de l'Assemblée a été de croire que Louis XVI finirait par se résigner au rôle de monarque constitutionnel. Il ne le pouvait pas. Descendant de Louis XIV et de Louis XV, héritier de rois absolus , con vaincu qu'il ne tenait son autorité que de Dieu et n'en devait pas compte aux hommes, persuadé qu'en défendant ses prérogatives il défendait en même temps la religion menacée, il n'admettait aucun des résultats de la Révolu tion . Il ne croyait pas qu'il lui fùt permis d'aller au delà TURTO Thi Royalistes libéraux etdevant porte ladeMirabeau malade . 104 HISTOIRE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE. des déclarations qu'il avait faites dans la séance royale Ju 23 juin : tout ce qui s'était accompli depuis était l'oeuvre des députés séditieux qui avaient outrepassé leur propre mandat. Les serments prêtés à une constitution qu'il considérait comme funeste n'étaient point valables à ses yeux . Contre des sujets rebelles, il se croyait en droit de faire appel au secours de l'étranger ; car les souverains de l'Europe , unis entre eux par les liens du sang ou les mariages , formaient comme une seule famille, parfois divisée sur des questions particulières, mais d'accord sur leurs intérêts communs . Louis XVI était donc étranger à ce sentiment patriotique qui enflammait le cæur des Français et qui leur faisait voir dans toute intervention des puissances européennes la plus outrageante des provocations. Le roi Louis XVI était un homme d'un autre âge, d'une autre race ; les hommes de la Révolution , les hommes de la France nouvelle, ne pouvaient le comprendre, aussi ne purent- ils lui pardonner. Sa femme Marie -Antoinette avait d'ailleurs un grand em pire sur lui ; or Marie-Antoinette , fille de l'impératrice d'Allemagne , sæur des empereurs Joseph II et Léopold , seur de la reine de Naples Caroline , avait été élevée à Vienne dans les mêmes idées qui régnaient à Versailles sur le droit divin des couronnes. Le 20 mai , Louis XVI autorisait secrètement le comte d'Artois et son homme de confiance, le comte de Durfort, à traiter avec l'empereur Léopold aux conférences de Man toue : l'Autriche devait fournir 35000 hommes, les princes allemands 15 000 , les Suisses 15000 , le roi de Sardaigne 15 000, l'Espagne 20 000 ; toutes ces troupes, avec l'appui du roi de Prusse , devaient, à la fin de juillet, bloquer nos frontières ; à ce moment, les frères du roi feraient une protestation contre les actes de l'Assemblée, et les puissan ces lanceraient un manifeste. Le roi comptait sur l'armée que Bouillé concentrait autour deMetz : plus près de Paris, ce général avait établi un camp à Montmédy et des déta LES ÉTATS GÉNÉRAUX. LA CONSTITUANTE . 105 chements de cavalerie étaient postés sur la route de Mont médy à la capitale . A Paris, on n'était pas sans inquiétude sur quelque nouveau projet du roi ; mais Louis XVI s'expliqua avec tant de bonhomie avec Lafayette, que celui-ci déclara répon dre du roi sur sa tèle . Or, le 21 juin , Paris en s'éveillant apprit avec stupeur que le roi s'était évadé pendant la nuit avec la reine, ses enfants et sa sœur . Louis XVI allait rejoindre Bouillé . Il y eut à Paris un moment d'effroi : on s'attendait à l'invasion de la France par les troupes étran gères et les mercenaires allemands de Bouillé, au triomphe de l'émigration , au retour de l'ancien régime , au massacre des patriotes et au démembrement du pays. Le calme de l'Assemblée rassura tout le monde : elle manda à sa barre les ministres du roi, surtout le ministre des affaires étrangères Montmorin, qui n'avait pu igno rer les desseins de son maître . Elle se saisit du pouvoir exécutif, adressa aux cours étrangères des déclarations pacifiques , envoya des commissaires aux troupes pour leur faire prêter le serment de fidélité à la nation , ordonna d'arrêter quiconque voudrait sortir du royaume, décréta l'armement de 300 000 gardes nationaux. Les affaires de l'État furent expédiées comme à l'ordinaire : il fut ainsi démontré combien le roi était devenu étranger au gouver nement et inutile à la chose publique . La démonstration parut si concluante , que , pour la première fois, une opi nion républicaine se forma . « Voilà le grand embarras parti ! » disaient les uns. Et d'autres, montrant la salle de l'Assemblée : « Notre roi est là dedans , disaient- ils ; l'autre roi peut bien s'en aller où il voudra. » nom de la république, écrivait madame Roland , l'indigna tion contre Louis XVI , la haine des rois , s'exhalent ici de partout. » Aussi, quand on apprit que le roi avait été arrêté à Varennes au moment où les hussards de Bouillé allaient lui prêter main - forte , Paris éprouva comme une dé

« Le 106 STOIRE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE. ception. C'était son « embarras » qu'on lui ramenait. Nul doute que l'Assemblée, si elle eût alors proclamé la déchéance du roi parjure, n'eût obtenu l'assentiment de la nation . Bien des malheurs eussent été évités . Condorcet disait avec une sagesse profonde et une clairvoyance vraiment patriotique : « Le roi en ce moment ne tient plus à rien ; n'attendons pas qu'on lui ait rendu assez de puissance pour que sa chute exige un effort ; cet effort sera terrible si la République se fait par révolution , par soulèvement du peuple ; si elle se fait à présent avec une Assemblée toute -puissante, le passage ne sera pas diſti cile. » Malheureusement l'Assemblée était profondément roya liste . Quand elle sut l'arrestation de Louis XVI, elle en voya trois de ses membres, Pétion , Latour -Maubourg et Barnave, au -devant de la famille royale. Ils la rejoigni rent à Épernay et revinrent avec elle dans la même voi Ture. Durant ce voyage, Barnave se laissa gagner par la reine et se prépara à jouer le rôle qui avait si mal réussi à Mirabeau. A Paris , on avait affiché partout cet avis : « Celui qui applaudira le roi sera battu ; celui qui insultera le roi sera pendu. » Louis XVI rentrait en vaincu dans sa capitale, au milieu d'un peuple immense, muet et dédaigneux. L'Assemblée déclara Louis XVI suspendu de ses pou voirs, lui donna une garde aussi bien qu'à la reine, nomma des commissaires pour les interroger, décréta que le roi serait considéré comme ayant abdiqué s'il rétrac tait ses serments, s'il faisait la guerre à la nation ou s'il souffrait qu'on la fit en son nom . On reçut une lettre insolente de Bouillé qui menaçait, si l'on touchait au roi, à un cheveu de sa tête , « d'amener les armées étrangères et de ne pas laisser pierre sur pierre dans Paris » . L'As semblée accueillit par des rires cette vaine menace. Dès le 1er juillet, une affiche fut placardée dans Paris par le parti républicain : « La nation ne rendra jamais sa LES ÉTATS GÉNÉRAUX. LA CONSTITUANTE . 107 confiance au parjure, au fuyard ... La royauté est finie. Qu'est- ce qu'un office abandonné au hasard de la nais sance , qui peut être rempli par un idiot ? N'est - ce pas un rien , un néant ? » Pourtant les républicains, même à Paris , étaient loin d'être en majorité. Encore à cette épo que, Robespierre, au club des Jacobins, disait « qu'on lui faisait trop d'honneur en l'appelant républicain ; qu'on lui faisait déshonneur en l'appelant monarchiste; qu'il n'é tait ni l'un ni l'autre » . Le peuple, encore sans parti pris contre la royauté, sans enthousiasme pour la forme républicaine, n'avait qu'une idée bien arrêtée : s'affranchir d'un monarque qui violait ses serments et correspondait avec l'étranger. Or tout autre monarque paraissait alors impossible , et les partisans du duc d'Orléans étaient peu nombreux. Cette répugnance contre Louis XVI devait donc logiquement nous conduire à la République . Le club des Jacobins avait écrit ; « Nous ne reconnaitrons plus Louis XVI. » Le club des Cordeliers, où dominaient Danton et Desmoulins, ajouta : « Ni un autre roi. » L'AFFAIRE DU CHAMP DE MARS. FIN DE LA CONSTITUANTE Le 17 juillet , une pétition qui demandait la déchéance du roi fut déposée au Champ de Mars sur l'autel de la patrie et se couvrit de milliers de signatures. L'Assemblée s'effraya de voir ses intentions dépassées: des hommes in téressés à produire un conflit lui présentèrent cette manifes tation pacifique comme un danger public. Par ses ordres, Lafayette et Bailly se rendirent au Champ de Mars avec des troupes, proclamèrent la loi martiale et déployèrent le dra peau rouge. Les trois sommations légales, même une décharge à poudre, restèrent sans effet ; alors les soldats tirèrent à balles sur la foule et couvrirent l'autel de la patrie de morts et de mourants . L'Assemblée venait de faire 108 HISTOIRE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE. 4 couler le sang du peuple parisien qui l'avait sauvée au 14 juillet 1789. Et dans quel but ? pour sauver la royau té , qui conspirait contre l'Assemblée et qui avait tout fait pour rendre sa chute inévitable ! La popularité de la Con stituante, de Lafayette et de Bailly ne put s'en relever. Un schisme s'était produit à cette occasion dans le club des Jacobins . Duport, Barnave, les frères Lameth , se sépa rèrent de leurs ancieus collègues et fondèrent le club des Feuillants, qui devint le centre de ralliement des monar chistes constitutionnels. Par la retraite de ces anciens chefs du parti populaire, l'influence au club des Jacobins appartint sans partage aux hommes qui tiendront désor mais la tête du mouvement révolutionnaire, Robespierre, Pétion , Brissot et leurs amis . Les jours de l'Assemblée étaient comptés . Elle venait de terminer la constitution , c'est-à-dire d'accomplir la mission qu'elle s'était donnée. Écartant la proposition d'un parlement divisé en deux chambres, qui aurait donné une trop forle situation à l'aristocratie , elle avait institué une assemblée unique , investie du pouvoir législa tif. Le roi n'avait pas le droit de la dissoudre ; l'autorité de l'Assemblée était indépendante et rivale de la sienne. Le monarque avait le pouvoir exécutif et la sanction des lois ; contre tout décret volé par l'Assemblée , il avait le droit de veto, non pas le veto absolu , mais le veto sus pensif pendant deux législatures ; après ce délai , si la troisième législature persistait , le décret voté par elle pre nait force de loi , sans qu'il fùt besoin de sanction . En ma tière de paix et de guerre, l'initiative appartenait au roi , la décision à l'Assemblée. La dignité royale était héréditaire et se transmettait, conformément à l'ancien droit, de mâle en måle, par ordre de primogéniture. L'Assemblée législative était élue par le peuple , mais non par tout le peuple ; les citoyens actifs, c'est- à- dire payant une contribution égale à la valeur de trois journées de travail, étaient seuls investis du droit de suffrage ; eux 1. h: L 7 L'affaire du Champ de Mars. 110 ITISTOIRE DE LA RÉVOLUTION FRANCAISE . mêmes élisaient non pas les députés, mais des électeurs, qui devaient justifier d'un revenu d'au moins 250 livres et qui nommaient les députés , les administrations départe mentales, les juges, les évêques, les curés. Puisque l'Assemblée avait entendu faire un gouverne ment monarchique, cette constitution avait un défaut : c'était de trop restreindre les attributions du monarque. Mais, étant donnée l'attitude que la royauté avait prise envers la nation , cette même constitution laissait encore trop de pouvoirs au roi. Le droit de veto que l'on conce dait à Louis XVI devait consommer sa perte. Quand la constitution fut achevée, l'Assemblée releva le roi de sa suspension et soumit la constitution à sa libre acceptation. Le 13 septembre , Louis XVI envoya son adhé sion à l'Assemblée ; le 14 il s'y rendit en personne et pro nonça une fois de plus le serment constitutionnel : « Je jure d'être fidèle à la Nation et à la Loi . » Dans l'intervalle, le roi de Prusse et l'empereur d'Alle magne tinrent le congrès de Pilnitz , où assistèrent les frères de Louis XVI, et , d'accord avec eux, publièrent la déclaration du 27 août . Ils signifièrent à la France et à l'Europe qu'ils s'entendraient avec les autres souverains pour mettre le roi de France en état d'assurer sa liberté et d'affermir les bases du gouvernement monarchique; « en attendant, ils donneraient à leurs troupes les ordres convenables pour qu'elles fussent à portée de se mettre en activité » . C'était une déclaration de guerre de l'Europe monarchique à la France émancipée. La Révolution était assurée des ressources nécessaires pour lutter contre l'Europe ; la veille de la déclaration de Pilnitz, on annonçait à l'Assemblée qu'on avait déjà vendu pour près d'un milliard de biens nationaux. Comme le pape Pie Vi , non content d'exciter secrètement le clergé à la résistance et le peuple à la révolte, venait de publier un manifeste outrageant pour la Révolution , l'Assemblée l'en punit en saisissant Avignon . LES ÉTATS GÉNÉRALS. LA CONSTITUANTE . 111 Le 30 septembre , Louis XVI vint , encore ' une fois, re nouveler à l'Assemblée son serment de fidélité à la con stitution , et le président Thouret prononça la formule de clôture : « L'Assemblée nationale constituante déclare sa mission terminée . » Les élections pour l'Assemblée législative venaient de finir . La Constituante avait elle - même décidé qu'aucun de ses membres ne pourrait faire partie de l'assemblée nou velle . Bailly avait donné sa démission de maire et Lafayette sa démission de commandant des gardes nationales. C'étaient des hommes nouveaux qui allaient arriver aux affaires ; ils allaient être privés de l'expérience et des con seils de leurs devanciers , mais ils avaient sur eux l'avan tage de représenter l'opinion qui s'était formée le plus récemment dans le pays. CHAPITRE III L'ASSEMBLÉE LÉGISLATIVE LE ROI ET LA CONSTITUTION Pendant près de trois années qu'avait duré la Consti tuante, une France toute nouvelle s'était faite . Le Tiers État était devenu la Nation ; le paysan , naguère opprimé, était aujourd'hui un homme libre , un propriétaire , un citoyen , un électeur. Par la vente des biens nationaux, la Révolution s'était donné pour appui les intérêts mêmes qu'elle créait . Or ces intérêts étaient menacés : surtout depuis la fuite de Varennes, le paysan comprenait que c'était au nom de Louis XVI qu'on fomentait la guerre étrangère, la guerre civile . Pour défendre ses droits et ses biens, il était prêt à courir aux armes . C'est sous le coup de ces préoccupations que s'étaient faites les élec tions pour l'Assemblée législative . On peut l'appeler l'as semblée de la guerre , car elle arrivait avec un mandal bien défini : faire la guerre à tout ennemi de la Révolu tion, au prêtre réfractaire, à l'émigré , aux rois étran gers, même au roi des Tuileries . Toute son histoire d'une année, c'est la lutte pour la défense de la Révolution . > L'ASSEMBLÉE LÉGISLATIVE 113 on La royauté, malgré ses grandes défaites de 89 et de 91 , était encore puissante. Louis XVI , désarmé par la prise de la Bastille , amené de Versailles à Paris, ramenė prisonnier de Varennes, suspendu de ses fonctions , enfermé aux Tui leries, forcé de jurer la constitution , restait dangereux. II disposait d'une force militaire : outre ses gardes suisses, il avait la garde dite constitutionnelle, que lui avait accor dée l'Assemblée. La reine avait si bien fait que cette garde fut successivement portée de 1800 à 6000 hommes ; elle se composait de gentilshommes braves et dévoués, comme Larochejacquelein, de soldats de fortune, de fanatiques qui avaient déjà figuré dans les troubles du Midi et goûté au sang des guerres civiles . En cas de péril, le roi pouvait encore faire appel à nombre de royalistes fidèles : évaluait à 12 000 le nombre des chevaliers de Saint- Louis , presque tous anciens militaires , qui habitaient Paris . Le pouvoir exécutif était entièrement aux mains du roi. Aujourd'hui les ministres sont toujours pris dans les Cham bres et ne peuvent être que les hommes de la nation ; mais la constitution de 1791 , en interdisant le cumul des fonc tions de ministre et de député, amenait ce résultat, que les ministres, pris en dehors de l'Assemblée, étaient unique ment les hommes du roi . Les ministres des affaires étran gères, comme Montmorin, puis Delessart, mettaient au service de la contre -révolution le personnel de notre di plomatie ; ceux de la guerre et de la marine encourageaient la désertion des soldats , l'émigration des officiers de terre et de mer ; tous amusaient l'Assemblée de faux rapports. Aux frais de la liste civile se publiaient des journaux qui bravaient audacieusement l'opinion, calomniaient les libéraux, insultaient au sentiment patriotique, au drapeau national, annonçaient chaque matin la prochaine invasion de la France et promettaient la potence à tous les auteurs de la Révolution , aux modérés encore plus qu'aux Jaco bins. Le Journal général de la cour et de la ville, un mois après la déclaration de Pilnitz , écrivait : « Les ci- devant > A. RAMBAUD . 8 114 HISTOIRE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE. Français n'attendent que l'arrivée des Autrichiens pour changer leur devise : au lieu de Vivre libre ou mourir, ils diront : Vivre libre et courir. » En octobre 1791, il pu bliait ces vers : Tremblez, canaille, De voir nos drapeaux blancs Et la mitraille De nos canons fumants ! Les Actes des apôtres célébraient la cruelle répression de l'insurrection belge et annonçaient le même sort à la Révolution française : Quinze milliers de potences, Qui feraient fort bien en France. Attesteront la clémence Et la verte vigilance De monsieur l’Empereur Dont ils ont grand'peur. Louis XVI pouvait s'appuyer à Paris sur deux catégories bien distinctes de partisans : les royalistes purs et les royalistes constitutionnels. Une grande partie de la garde nationale de Paris, le directoire du département de la Seine, presque toutes les administrations, étaient compo sés de royalistes constitutionnels. Or le roi avait trouvé le moyen de se concilier les constitutionnels, tout en préparant la ruine de la consti tution . Il était toujours prêt à renouveler ses serments de fidélité : mais il dsait de son droit de veto pour annuler les décrets de l'Assemblée et entraver les mesures de défense . Les royalistes constitutionnels lui avaient mis en mains l’arme avec laquelle il tenait la constitution en échec ; les royalistes purs lui forgeaient à l'étranger une arme pour la détruire. Au fond la cour n'aimait pas les Feuillants ; on le vit bien aux élections municipales de Paris, en novembre L'ASSEMBLÉE LÉGISLATIVE. 115 1791 : la reine engagea ses amis à voter contre Lafayette. C'est grâce à elle que Lafayette fut écarté , que le républicain Pétion devint maire de Paris et Danton substitut du pro cureur- syndic. La cour , en réalité, ne voulait rien attendre que des royalistes purs, c'est - à -dire des prêtres réfrac taires, des émigrés. Avant tout elle comptait sur les cours étrangères. L'Assemblée montra d'abord de la modération envers les réfractaires. Certains d'entre eux n'avaient refusé le ser ment qu'avec regret et par scrupule de conscience ; mais le plus grand nombre agissaient en ennemis mortels de la Révolution. Leur animosité la plus violente se tournait contre les prêtres assermentés, bien qu'ils fussent séparés d'eux, non par une question de dogme, mais seulement par un point de discipline. Un écrivain catholique, l'abbé Jæger, avoue, en effet, que, « d'après les sentiments d'ecclésiastiques recomman dables , les prêtres pouvaient en conscience prêter le ser ment » . Pie VII étant évêque d'Imola disait qu'il ne l'eût pas refusé , s'il avait été prélat français; devenu pape , il sanctionna par le Concordat beaucoup de dis positions empruntées à la constitution civile du clergé et admit à sa communion les évêques constitutionnels de France. Où les prêtres constitutionnels étaient les plus forts , comme à Paris, ils usaient de tolérance envers leurs adver- · saires : à l'église Saint -Jacques, sept réfractaires disaient leur messe . En province, la situation était bien différente : dans une commune du Beaujolais , l'ancien curé se mettait à la tête de cinq cents montagnards pour chasser le nou veau ; à Caen, le curé constitutionnel était attaqué par les nobles et leurs domestiques armés ; en Alsace , les asser mentés couraient chaque jour risque de la vie. C'était sur tout dans l'Ouest , dans le Midi , que les réfractaires, en chaire, au confessionnal, apitoyaient les cours sur celui qu'ils appelaient déjà le roi martyr, vouaient à l'enfer les 116 IIISTOIRE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE. agents du gouvernement, les acquéreurs de biens natio naux, même les bons citoyens qui payaient l'impôt. Les nobles continuaient à émigrer du royaume, mais beaucoup d'émigrés commençaient à rentrer pour préparer la révolte : ainsi Lescure et quantité de gentilshommes vendéens. Les émigrés ou leurs agents travaillaient Paris et la province, tentaient la fidélité des régiments, embau chaient des hommes pour l'armée du prince de Condé, entretenaient des intelligences dans les places frontières , paradaient dans les cours de Pétersbourg, Berlin, Vienne, Turin , Trèves , y calomniaient la France et l'Assemblée, insultaient les voyageurs et les commerçants français à l'étranger. Établis tout le long de nos frontières, ils cor respondaient avec les nobles restés sur leurs terres , en voyaient des quenouilles à ceux qui refusaient d'émigrer, annonçaient partout la prochaine invasion et les prochaines vengeances . La situation de l'Europe était périlleuse pour nous : les peuples, partout asservis , ne pouvaient nous aider ; tandis que les libéraux faisaient des voeux impuissants pour le succès de la Révolution , les gouvernements armaient contre elle . La Prusse s'était réconciliée avec l'Autriche et s'était associée à la déclaration de Pilnitz . L'imperatrice de Russie , Catherine II, signait un traité avec Gustave III , roi de Suède, qui s'engageait à débarquer sur nos côtes . Elle renvoyait sans l'ouvrir la lettre par laquelle Louis XVI lui notifiait officiellement son acceptation de la Constitu tion. Partout nos agents diplomatiques , quand ils se refusaient à trahir leur devoir, étaient insultés : à Potsdam , le roi de Prusse tournait le dos à Ségur pour sourire à l'envoyé des émigrés; à Trèves, Bigot de Sainte -Croix était outragé par le gazetier de l'archevêque-électeur ; à Mayence, les émigrés aiguisaient leurs épées sous les fenêtres de M. de Villars . Les plus petits Etats nous bravaient : le sénat aristocratique de Berne châtiait les villes du pays de Vaudt , où l'on avait osé chanter des chansons révolution L'ASSEMBLÉE LÉGISLATIVE. 117 naires. A Venise, le conseil des Dix , en Espagne , l'Inquisi tion redoublaient de rigueurs contre les partisans des idées françaises. LES PARTIS DANS L'ASSEMBLÉE : FEUILLANTS, GIRONDINS ET MONTAGNARDS Contre tant de dangers, l'Assemblée législative était fai blement armée. Les directoires des départements, les con seils municipaux des grandes villes , les gardes nationales , les magistrats des tribunaux étaient acquis aux idées dites monarchiennes. La Constituante avait détruit la centralisa tion administrative, et désarmé l'Assemblée encore plus que la royauté . La Législative se composait d'hommes nouveaux : les grandes influences et les grandes réputations de la Consti tuante restaient en dehors d'elle . Elle se composait de trois partis . Les royalistes purs , qui avaient formé la droite de la précédente Assemblée, ne comptaient plus dans la Législa live . La droite était donc formée des constitutionnels ou monarchiens, qu'on appelait aussi Feuillants ou Fayettistes. Leurs chefs dans l'Assemblée étaient Mathieu Dumas , Ra mond , Vaublanc, Beugnot. Hors de l'Assemblée, ils s'ap puyaient sur les anciens constituants, sur le triumvirat Barnave, Duport, Lameth , sur le directoire de la Seine et la plupart des administrations; sur certains bataillons de la garde nationale ; sur Lafayette, qui allait bientôt commander l'armée du Nord ; enfin sur le club des Feuil lants . La gauche se partageait entre les Girondins et les Mon tagnards. Les Girondins, de beaucoup les plus nombreux et les plus influents , reconnaissaient pour chefs, dans l'Assemblée , Vergniaud , Guadet , Gensonné, tous trois avocats de Bordeaux, Isnard, Brissot, Condorcet; ils s'ap 118 HISTOIRE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE . puyaient , hors de l'Assemblée , sur Pétion , qui succédait à Bailly dans la mairie de Paris ; ils disputaient aux Monta gnards la prédominance dans le club des Jacobins et dans la Commune de Paris . Les principaux Montagnards de l'Assemblée étaient Merlin de Thionville, Bazire , le capucin Chabot, Couthon. Les plus grands noms du parti avaient été laissés en dehors de la Législative : par exemple, Robespierre, qui finit par devenir maître du club des Jacobins ; Danton et Ca mille Desmoulins , qui dominaient au club des Cordeliers ; Santerre , qui soulevait à volonté le faubourg Saint Antoine ; Marat, qui , dans son Ami du peuple, prêchait l'extermination des aristocrates. Le club des Jacobins constituait alors une puissance énorme ; c'était comme une assemblée rivale de l'Assem blée , qui avait son président , sa tribune aux harangues, ses galeries pleines de public. Dans toutes les villes de France, jusque dans des bourgs et des villages , il se forma bientôt des sociétés de Jacobins affiliées à la société mère, qui recevaient son mot d'ordre , adoptaient ses motions et remplaçaient l'ancienne centralisation administrative par une confédération de sociétés . C'étaient ces clubs de pro vince qui surveillaient les magistrats, dénonçaient les suspects, poussaient au morcellement et à la vente des biens d'Église, intimidaient les ennemis de la Révolu tion , et donnèrent l'impulsion à la défense nationale et à toutes les mesures révolutionnaires. L'Assemblée apportait des idées fort arrêtées au sujet des réfractaires, des émigrés et des puissances euro péennes , moins arrêtées en ce qui concernait la royauté. On le vit bien encore, le 7.juillet 1792, lorsque l'évêque Lamourette proposa que tous ceux qui étaient à la fois contre la République et contre les deux Chambres se le vassent : l'Assemblée tout entière se leva , car elle ne vou lait alors ni d'une Chambre haute , ni de la République : ce furent les trahisons, de la cour qui la firent républi LASSEMBLÉE LEGISLATIVE . 119 caine. Elle tenait le roi pour suspect , mais ne songeait pas encore à détruire la royauté . Dės sa première séance, comme Louis XVI lui avait manqué d'égards, elle adopta par dépit les propositions de Grangeneuve et Couthon , qui demandaient la suppres sion des titres de sire et de majesté et voulaient que le fauteuil du roi, semblable à celui du président, fût placé à la gauche de celui- ci. Revenue de son irritation , le len demain , elle rapporta son décret, et , quand Louis XVI se rendit à l'Assemblée pour inaugurer ses travaux , elle l'ac cueillit aux cris de Vive le Roi ! Trois questions furent soulevées presque simultanément : celle des émigrés, celle des réfractaires, celle des mesures à prendre pour la défense du territoire. Même sur cette dernière question, la cour se trouva en conflit avec l'As semblée, grâce à la façon perfide dont le ministère prépa rait la guerre et conduisait les négociations. Il en était de même pour toutes les questions : l'Assemblée avait décrété l'émancipation des nègres aux colonies et la réunion d'Avignon à la France : le pouvoir exécutif, en retardant la promulgation des décrets de l'Assemblée, amena les épouvantables massacres qui désolèrent l'ile Saint- Do mingue et le comtat d'Avignon . La discussion sur les émigrés fut signalée par un dis cours d'Isnard où il prenait surtout à partie les deux frères du roi : « Si nous ne les punissons pas, est- ce donc parce qu'ils sont princes ?... Si nous voulons être libres , il faut que la loi seule gouverne, que sa voix foudroyante reten tisse également au palais, à la chaumière, qu'elle ne dis tingue ni rangs ni titres, inexorable comme la mort quand elle tombe sur sa proie. » L'Assemblée rendit un premier décret portant que si le comte de Provence ne rentrait pas dans deux mois , il serait déchu de son droit éventuel à la régence et à la royauté ; puis un second décret ( 8 novembre) , statuant que les émi grés qui ne rentreraient pas pour le fer janvier seraient 120 HISTOIRE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE . déclarés coupables de conjuration et punis de mort; que leurs revenus seraient perçus au profit de la nation , sauf les droits des femmes, des enfants, des créanciers ; que les peines contre la désertion seraient appliquées aux officiers émigrés; que l'embauchage serait puni de mort. Le roi ne sanctionna que le décret relatif à son frère et opposa au second son veto ( 12 novembre). L'irritation qu'en ressentit l'Assemblée rendit plus rigou reux son décret du 29 novembre contre les prêtres réfrac taires. Elle statua « que le serment civique serait exigé des prêtres réfractaires dans le délai de huit jours ; que ceux qui le refuseraient seraient tenus pour suspects de révolte et recommandés à la surveillance des autorités ; que s'il se produisait des troubles dans la commune qu'ils habiteraient, le directoire du département pourrait les en éloigner ; que s'ils résistaient à cet ordre, ils seraient passibles d'une année au moins d'emprisonnement, et de deux ans, s'ils provoquaient à la désobéissance. » A ce second décret, le roi opposa encore son veto , le 19 de cembre . Dans l'intervalle, le 22 novembre, l'Assemblée avait entendu un rapport de Koch sur nos relations extérieures, les armements de l'Europe, les vexations exercées sur les citoyens français d'Alsace par les émigrés et les princes allemands du voisinage . Isnard s'empara de la question dans un discours éloquent où il avertissait les ministres qu'ils étaient responsables et que par responsabilité il entendait la mort. « Disons à l'Europe, s'écria - t -il, que si les cabinets engagent les rois dans une guerre contre les peuples, nous engagerons les peuples dans une guerre contre les rois . » Le 14 décembre, le roi vint déclarer å l'Assemblée qu'il faisait sommer l'électeur de Trèves d'avoir à disperser, avant le 15 janvier, les rassemblements armés sur son territoire . L'ASSEMBLEE LIGISLATIVE. 121 ENTENTE DE LA COUR AVEC L'ÉTRANGER Pendant que Louis XVI tenait ce langage à la Législative , quels étaient ses actes ? Il adressait secrètement aux souve rains de l'Europe des lettres circulaires pour les inviter å s'unir contre ceux qu'il appelle les factieux. Voici sa lettre au roi de Prusse en date du 5 décembre 1791 : encore « Monsieur mon frère, « J'ai appris par M. de Moustier l'intérêt que Votre Majesté avait témoigné non seulement pour ma personne, mais pour le bien de mon royaume . La disposition de Votre Majesté à m'en donner des témoignages, dans tous les cas où cet intérêt pourrait être utile pour le bien de mon peuple, a excité vivement ma sensibilité ; je la réclame avec confiance dans ce moment- ci, où , malgré l'accepta tion que j'ai faite de la nouvelle constitution , les factieux montrent le projet de détruire entièrement les restes de la monarchie . Je viens de m'adresser à l'Empereur et à l'impératrice de Russie , aux rois d'Espagne et de Suède , et je leur présente l'idée d'un congrès des principales puissances de l'Europe, appuyé d'une force armée, comme la meilleure manière pour arrêter ici les factieux , donner le moyen d'établir un ordre de choses plus désirable, et empêcher que le mal qui nous travaille puisse gagner les autres États de l'Europe. J'espère que votre Majesté approu vera mes idées et qu'elle me gardera le secret le plus absolu sur la démarche que je fais auprès d'elle . Elle sentira aisément que les circonstances où je me trouve m'obligent à la plus grande circonspection. La reine, de son côté , à la date du 16 décembre, écrivait au résident autrichien de Bruxelles, le comte Mercy d'Ar genteau : « Sans armée , sans discipline, sans argent, c'est nous 122 HISTOIRE DE LA RÉVOLUTION FRANCAISE . 29 qui voulons attaquer ! Mais le roi n'est pas libre ; il faut qu'il suive exactement la marche qui lui est prescrite . C'est à l'Empereur et aux autres puissances à présent å nous servir. Nous serons obligés à faire des démarches et moi surtout vis - à -vis de mon frère, mais comment pourra t - il de bonne foi les regarder comme des actes de notre volonté ? ... « Il n'est plus temps de craindre pour nos personnes : la marche que nous avons adoptée , en ayant l'air de marcher franchement dans le sens qu'on désire , nous met en sûreté . » Ainsi, c'est pendant que la confiance du peuple fran çais les mettait en sûreté, que le roi et la reine appe laient contre la France les puissances étrangères. A la même époque, Marie - Antoinette écrivait à Fersen : « Il faut que les puissances soient bien convaincues que nous ne faisons ici qu'exécuter les volontés des autres , que toutes nos démarches sont forcées, et que dans ce cas la meilleure manière de nous servir est de bien nous tom ber sur le corps. » C'était une guerre d'invasion que nous préparait la cour. Or elle savait parfaitement que les puissances comptaient faire payer les services rendus au roi par le démembrement du territoire français . La reine, évidemment, avait souscrit aux conditions posées par Mercy d'Argenteau dans sa lettre de mars 1791 : « Il ne faut pas se dissimuler le principe recu généralement que les grandes puissances ne font rien pour rien . Le roi de Sardaigne a toujours eu des vues sur Genève : une extension de limites dans la partie française des Alpes et sur le Var lui serait très intéressante. Pareille facilité pourrait être négociée avec l'Espagne pour les li mites de la Navarre. » Le 18 décembre 1791, au club des Jacobins, Isnard ré pondait à cette coalition des rois contre les peuples en donnant la formule de la guerre des peuples contre les rois. La salle était décorée des drapeaux de la France , de l'Angleterre et de l'Amérique, les trois nations libres L'ASSEMBLÉE LEGISLATIVE . 12.5 d'alors. Un citoyen suisse , un Neuchâtelois, avait envoyé une épée de Damas pour le premier général français qui remporterait une victoire sur les ennemis de la liberté . Isnard se saisit de cette épée, l'épée de la Révolution uni verselle , et s'écria : « La voilà ! Elle sera victorieuse. La France poussera un grand cri, tous les peuples répon dront. La terre se couvrira de combattants, et les ennemis de la liberté seront effacés de la liste des hommes. » Le 2 janvier 1792 , l'empereur et le roi de Prusse signèrent un traité d'alliance offensive et défensive . Des trois partis qui divisaient l'opinion, il y en avait deux qui désiraient la guerre : c'étaient les Feuillants et les Girondins , mais pour des motifs différents , ceux - là dans l'espérance de consolider la royauté, et ceux -ci pour l'affaiblir et lui imposer un ministère girondin . Les Montagnards étaient pour la paix ; mais ils luttaient contre le courant manifeste de l'opinion . Robespierre, qui ne voyait partout que des complots, répétait que la Gironde était d'accord avec les Feuillants : calomnie ridi cule, car la Gironde ne pouvait atteindre son but qu'en écrasant les Feuillants . Les Montagnards étaient jaloux de la Gironde, alors à l'apogée de sa popularité et qui avait la direction du grand mouvement révolutionnaire. Ils ne voulaient de guerre que contre l'ennemi du dedans, prétendant qu'il fal lait avant tout épurer la France ; Marat et Fréron di saient qu'il suffisait pour cela de poignards et de bouts de corde. La Gironde avait un idéal plus haut : arracher le pays à ses divisions, propager la Révolution pour la fortifier, aller au - devant des nations qui attendaient de nous leur délivrance , prévenir la croisade des rois par le soulèvement des peuples, faire flotter sur les Alpes et sur le Rhin le drapeau aux trois couleurs. C'était la Gironde qui donnait alors l'impulsion à l'armement des masse à la fabrication des piques , à l'adoption du bonnet rouge comme signe de liberté, et qui pouvait se vanter , en jan 124 HISTOIRE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE . vier 1792 , d'avoir armé 600 000 volontaires. Par Isnard et Brissot, elle prêchait l'armement universel, comme par Condorcet l'instruction universelle . Elle ne pouvait prendre encore la direction des affaires, car le roi ne voulait pas entendre parler d'un cabinet girondin. Elle laissait les Feuillants pousser Narbonne, le protégé de Mme de Staël , au ministère de la guerre ; elle laissait Narbonne s'infa tuer de son rôle nouveau et donner la mesure de son incapacité. Elle se réservait, dans le comité diplomatique de l'Assemblée, la tâche de démasquer l'entente du mi nistère et de l'Europe. Le 14 janvier , Gensonné concluait à ce que le roi som mât l'Empereur de déclarer s'il était pour nous ou contre nous . Guadet flétrissait en ces termes l'idée du congrés que rêvait la cour : « Quel est ce congrès, ce complot ? ... Apprenons donc à ces princes que la nation maintiendra sa constitution tout entière ou qu'elle périra avec elle ... Marquons une place aux traitres, et que cette place soit l'échafaud ... Je propose de déclarer traitre et infâme tout Français qui prendra part à un congrés pour modifier la constitution ou obtenir une médiation entre la France et les rebelles. » Et l'Assemblée se levait tout entière pour prêter ce serment. Le for mars, Delessart lisait à l'Assemblée une note de Kaunitz plus insolente que toutes les autres : elle fournit aux Girondins l'occasion de pousser à fond l'enquête sur les affaires étrangères. On y acquit la preuve que Deles sart avait constamment éludė les ordres de l'Assemblée, qu'il s'était prêté aux intrigues de l'Autriche, qu'il n'avait cherché qu'à endormir le pays , comme pour laisser à la coalition le temps d'organiser l'invasion . Brissot démon tra que la cour de Vienne était en parfait accord avec celle des Tuileries, que l'Empereur parlait un langage identi que à celui des Feuillants , et que la note du chancelier autrichien Kaunitz avait dû être rédigée sur les indications fournies par les ministres et par la reine. L'ASSEMBLÉE LÉGISLATIVE 125 + Vergniaud s'écria : « De cette tribune, je vois le palais où se trame la contre -révolution , où l'on prépare les ma næuvres qui doivent nous livrer à l'Autriche ... Le jour est venu où vous pouvez mettre un terme à tant d'audace et confondre les conspirateurs. L'épouvante et la terreur sont souvent sorties de ce palais , dans les temps antiques, au nom du despotisme; qu'elles y rentrent aujourd'hui, au nom de la loi ; qu'elles y pénètrent les cours ; qu'ils sa chent bien , ceux qui l'habitent, que la constitution ne rend inviolable que le roi . La loi atteindra les coupables , sans faire nulle distinction . Point de tête criminelle que son glaive ne puisse toucher. >> Du coup Delessart tomba, fut décrété d'accusation, ainsi que le ministre de la marine . Narbonne ne put se soute nir, et la cour se laissa imposer un ministère girondin (24 mars 1792) , que les royalistes appelèrent le ministère sans- culotte. Les finances furent confiées à Clavière , la justice à Roland , la guerre à de Grave d'abord, puis à Servan , les affaires étrangères à Dumouriez. Roland avec son austère probité , madame Roland avec son grand caur et sa haute intelligence, avaient la direction morale du ministère. Quant à Dumouriez, ce n'était pas un Girondin : c'était un aventurier de grand talent, dont la jeunesse s'était passée dans les camps , qui avait été employé dans la diplomatie secrète de Louis XV. Il avait toujours su accommoder ses opinions aux situations. Il arrivait main tenant au pouvoir par les Girondins, mais avec la pensée de suivre sa politique à lui . Dès le premier jour, il coiffa le bonnet rouge et alla se faire applaudir au club des Jacobins . Dans telle autre occasion , il sera l'homme du roi contre la Gironde . La reine avait deviné Dumouriez. En toute franchise , elle lui dit : « On assure que vous avez beaucoup de ta lents . Vous devez juger que ni le roi ni moi , nous ne pouvons souffrir toutes ces nouveautés, ni la constitution . Je vous le déclare franchement ; prenez votre parti . » 126 UİSTOIRE DE LA REVOLUTION FRANÇAISE. > Léopold, malgré ses notes menaçantes, n'entendait pas faire la guerre. Malheureusement pour la paix du monde, il mourut le 1er mars ; son fils François II , esprit étroit et fanatique, devait précipiter les événements. Il charge son généralissime Hohenlohe de s'entendre avec celui de Prusse, Brunswick , pour tracer un plan de campagne en commun . Son ministre Cobentzel signifie à la France l’ul timatum de l'Autriche : restituer aux princes allemands possessionnés en Alsace tous leurs anciens droits ; rendre Avignon au pape ; rétablir la monarchie sur le pied de la déclaration royale du 25 juin 1789. Déjà , pour appuyer ces insolentes sommations, les troupes de la coalition s'avan çaient vers nos frontières. Louis XVI fut bien obligé alors de jouer son rôle de mo narque constitutionnel : poussé par ses ministres girondins et accompagné de Dumouriez, le 20 avril 1792, il se ren dit à l'Assemblée et proposa la guerre contre l'Autriche. Au cours de la délibération , ces paroles du député Mialhe furent vivement applaudies : « Si votre humanité souffre à décréter en ce moment la mort de plusieurs milliers d'hommes, songez aussi qu'en même temps vous décrétez la liberté du monde. » Merlin de Thionville ajouta : « Vo tons la guerre aux rois et la paix aux nations. » L'Assem blée se leva tout entière , et à l'unanimité, moins sept membres, vota la guerre à l'Autriche. Condorcet fut chargé de rédiger le manifeste : il affirmait que « la France ne voulait pas de conquête et n'attaquerait la liberté d'aucun peuple » . La déclaration de guerre redoubla l'élan guerrier de la nation . Dès janvier 1792, le département de la Dordogne annonçait à l'Assemblée qu'il avait forgé 5000 piques et demandait qu'on fit partir les volontaires. A la fin de ce mois, il y avait 600 000 hommes en armes. On voyait par fois tous les hommes d'une famille se rendre à l'armée, comme les trois frères Levavasseur de Rouen , qui tous trois deviendront généraux. Le contingent des Vosges fut L'ASSEMBLÉE LÉGISLATIVE . 127 - PS prêt le premier. Dans le Jura, les femmes faisaient partir les hommes, déclarant qu'elles se chargeaient de monter ! la garde . Championnet arrivait avec le sixième bataillon de la Drôme, Kléber avec un bataillon du Haut-Rhin . A la tête de ces multitudes armées, dans les grades secon daires de chefs de bataillon ou de capitaines, il y avait des hommes dont les noms allaient retentir sur tous les champs de bataille de l'Europe : pour la première fois l'épée du commandement est aux mains des Hoche, des Marceau , des Desaix, des Joubert , les glorieux généraux de la République prochaine ; des Masséna , des Augereau . des Moncey, des Davoust, des Macdonald , les futurs mare chaux de Napoléon ; de Murat, le futur roi de Naples, de Bernadotte, le futur roi de Suède. Du fond de la Bretagne, un homme qui n'est plus jeune, - il avait alors 49 ans, - s'arrachant à ses études celtiques, n'emportant que sa grammaire bretonne et son fusil de munition , part avec les jeunes gens el en route les forme au métier des ar mes . Celui- là ne sera ni maréchal, ni roi ; il ne voudra jamais être que le premier grenadier des armées de la République » : c'est l'immortel Latour - d'Auvergne. Sur toutes ces colonnes enthousiastes qui en tous sens sillonnent la France, qui vont aux armées de Lafayette, de Luckner, de Rochambeau, plane comme une fanfare de victoire, un chant nouveau , composé à Strasbourg par Rouget de Lisle, imprégné ensuite des ardeurs apportées par les volontaires de la Provence, et qui s'appelle la Marseillaise . Dans les églises, les femmes sont organisées en ateliers nationaux, cousent les capotes, les tentes, qui réchauffe ront, qui abriteront leurs frères ou leurs fils . A Paris, les femmes de la halle, les ouvrières, apportent leurs bijoux, leur épargne, pour payer la guerre sainte de la liberté . Tandis que les volontaires de France courent à la fron tière, que fait- on à la cour ? Montmorin , l'ancien ministre des affaires étrangères, communique aux Autrichiens les 128 HISTOIRE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE. plans de guerre, et la reine révèle à Mercy d'Argenteau, l'agent autrichien à Bruxelles, le secret des délibérations du conseil. Il y a surtout un billet , terriblement accusa teur , de Marie -Antoinette à Mercy d'Argenteau : « 26 mars 1792. M. Dumouriez, ne doutant plus de l'ac cord des puissances par la marche des troupes, a le projet de commencer ici le premier par une attaque sur la Savoie et le pays de Liège . C'est l'armée de Lafayette qui doit servir à cette dernière attaque . Voilà le résultat du conseil d'hier ; il est bon de connaître ce projet pour se tenir sur ses gardes et prendre toutes les mesures convenables. Se lon toutes apparences , cela se fera promptement. » Le comte de Fersen , un agent de la reine , celui qui l'a vait aidée dans la fuite à Varennes , lui écrivait le 2 juin : « La Prusse va bien . C'est la seule sur laquelle vous pouviez compter. Vienne a toujours le projet de démembre ment . La tête de l'armée prussienne arrivera le 3 juillet . Tout y sera le 4 août . Nous agirons sur la Moselle et la Meuse, les émigrés du côté de Philipsbourg, les Autri chiens sur le Brisgau. Le duc de Brunswick vient le 5 juil let à Coblentz . Quand tout y sera arrivé , il avancera , mas quera les places fortes, et avec 36 000 hommes d'élite marchera droit sur Paris. » JOURNÉES DU 20 JUIN ET DU 10 AOÛT Pendant ce temps, nos volontaires, en arrivant à la frontière, trouvaient qu'une partie des officiers avaient émigré, que d'autres affichaient hautement leur haine de la Révolution . L'intendance , comme les cadres , était désor ganisée : les soldats étaient mal nourris, mal commandés. Les débuts de la guerre furent désastreux : deux colonnes L'ASSEMBLÉE LÉGISLATIVE. 129 qui se dirigeaient sur Mons et sur Tournaifurent prises de panique et reculèrent en désordre ; la seconde égorgea son général. Cet échec causa dans Paris une vive émotion . Au club des Jacobins, Robespierre en profita pour accuser Brissot et les Girondins; mais dans l'Assemblée les Giron dins se relevèrent par une série d'actes de vigueur. Bris sot , dans la séance du 23 mai, dénonça l'existence du comité autrichien, formé autour de la reine , qui se com posait des ministres déchus, Montmorin , Delessart, Ber trand de Molleville , qui étendait sur la France un vaste réseau d'intrigues , correspondait, avec Bruxelles, Berlin , Madrid , Saint-Pétersbourg , Vienne , et poussait nos re présentants à l'étranger, comme cela fut prouvé pour l'envoyé de France à Genève , à prendre du service dans l'émigration. Six jours après, l'Assemblée décréta le licen ciement de la garde constitutionnelle du roi , cette menace permanente contre la constitution, et décréta d'arrestation son commandant, le duc de Brissac . Les 6000 gardes dépo sèrent leur uniforme, mais restérent dans Paris, attendant des événements leur revanche. Le 27 mai , nouveau décret contre les prêtres réfractaires : la déportation aura lieu dans un mois , hors du royaume, si elle est demandée par vingt citoyens actifs, approuvée par le district , pro noncée par le département. Enfin , Servan , le ministre de la guerre, propose à l'Assemblée la formation d'un camp de 20 000 fédérés sous les murs de Paris . La proposition est votée (8 juin ). L'accueil fait par le roi , surtout à ce dernier décret, devait permettre de juger ses intentions : s'il refusait la sanction , il serait visible à tous qu'il était le grand obsta cle à la défense nationale . Il évita d'abord de se pronon cer ; mais Roland , brusquement, le mit en demeure. Dans le conseil des ministres, il lut une lettre qu'il avait écrite au roi pour le sommer d'éloigner de sa personne les pré tres réfractaires et d'observer loyalement la constitu tion . Louis XVI , piqué au vif, congédia Roland , Servan

A. RAMBAUD. 9 130 HISTOIRE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE. et Clavière (13 juin) . Il fit croire à Dumouriez qu'il sanc tionnerait les décrets, et obtint ainsi de lui qu'il aban donnât ses collègues. Les ministres girondins furent rem placés par des Feuillants. Alors le roi , changeant de langage , refusa la sanction des décrets , et Dumouriez, comprenant trop tard qu'il avait été pris pour dupe, donna à son tour sa démission ( 15 juin ). L'Assemblée déclara que les ministres girondins emportaient sa confiance, et vota l'envoi de la lettre de Roland aux 83 départements. Louis XVI restait seul. Lafayette acheva de le compro mettre en adressant, de l'armée du Nord, une lettre im périeuse à l'Assemblée. En même temps , il écrivait au roi : « Persistez, sire , fort de l'autorité que la volonté na tionale vous a déléguée : vous trouverez tous les bons Français rangés autour de votre trône. » Le peuple de Paris comprit alors que le palais du roi était le centre où venaient aboutir les menées des réfrac taires, les complots des émigrés , les intrigues de l'Eu rope, toutes les espérances factieuses . Deux coups terri bles furent frappés sur la royauté : au 20 juin , au 10 août. Le 20 juin , premier avertissement au roi ; le 10 août, anéantissement de la royauté. Le 20 juin fut un soulèvement spontané du peuple, auquel Marat ni Robespiere n'eurent aucune part. Robes pierre, qui s'était opposé à la formation du camp sous Paris, en était encore à prêcher le respect de cette consti tution violée par le roi et qui livrait la France à l'ennemi. Pétion, maire de Paris, se contenta de laisser faire. C'est Danton qui fut l'âme du mouvement par ses amis du fau bourg Saint-Antoine, par le boucher Legendre, le brasseur Santerre, par Lacroix, Westermann, Panis, Sergent, Four nier l'Américain. Le 20 juin au matin, des milliers d'hommes se mirent en marche vers l'Assemblée, lui apportant une pétition qui requérait des mesures énergiques . Après avoir défilé de vant l'Assemblée, ils forcèrent la grille des Tuileries, L'ASSEMBLÉE LÉGISLATIVE . 131 montèrent l'escalier du palais , traînant avec eux un canon, enfoncèrent les portes de l'appartement du roi . Legendre apostropha Louis XVI : « Monsieur ! lui dit- il , écoutez nous. Vous êtes un perfide; vous nous avez toujours trom pés ; vous nous trompez encore . Mais prenez garde à vous ; la mesure est comble ; le peuple est las de se voir votre jouet . » Le roi resta impassible. « Je ferai , dit- il , ce que m'ordonnent les lois et la constitution . :) Il but à la santé de la nation et se coiffa du bonnet rouge ; mais il refusa la sanction des décrets. Pétion survint alors, harangua le peuple et l'engagea à se retirer. Les manifestants s'en al lèrent assez tristes , en se disant : « Nous n'avons rien ob tenu : il faudra bien revenir. » L'Assemblée, fidèle à ses principes monarchiques, désa voua l'insurrection. La cour reprit confiance : quand Pé tion vint le lendemain rendre compte au roi de la situa tion de la capitale , Louis XVI lui dit : « Taisez -vous ! » et lui tourna le dos . Sergent, qui l'accompagnait, malgré son écharpe de conseiller municipal, fut injurié et frappé par des royalistes . Une petition , portant vingt mille signa tures, protesta auprès de l'Assemblée contre l'acte du 20 juin . Lafayette , quittant son armée, vint demander aux députés le châtiment des « Jacobins ») . Malgré la réclama tion de Guadet contre cette démarche étrange d'un géné ral qui abandonnait son commandement, Lafayette fut ad mis aux honneurs de la séance. Le danger grandissait à l'extérieur comme à l'intérieur : un double complot se poursuivait contre la liberté ; tan dis que l'invasion s'organisait sur nos frontières , l'insur rection royaliste , dans le Midi et dans l'Ouest, se préparait. Les bourgeois de Quimper avaient dû réprimer une pre mière tentative de chouannerie dans le Finistère ; les cam pagnes du Languedoc étaient parcourues par un aventurier qui s'intitulait « lieutenant général des princes, gouver neur du Bas-Languedoc et des Cévennes » , et appelait les paysans à l'insurrection. A Strasbourg, on découvrait une > 132 HISTOIRE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE. conspiration pour ouvrir la ville aux Autrichiens. Le grand duc de Bade venait de leur livrer Kehl, c'est-à- dire le pont du Rhin ; le congrès des princes allemands , à Ratisbonne , refusait d'admettre notre envoyé; l'armée prussienne, renforcée des contingents de la Hesse -Cassel et de Saxe Weimar, se disposait à franchir la frontière de Lorraine. L'Assemblée finit par s'émouvoir. Jean Debry, au nom de la commission des Douze , avait appelé son attention sur les mesures à prendre en cas de danger de la patrie, spécialement pour le cas où ce danger « viendrait préci sément du pouvoir exécutif » . Vergniaud prononça en cette occasion ( 5 juillet) un de ses plus éloquents dis cours : « C'est au nom du roi , dit-il , que les princes français ont tenté de soulever l'Europe ; c'est pour ven ger la dignité du roi que s'est conclu le traité de Pilnitz ; c'est pour venir au secours du roi que le souverain de Bohême et de Hongrie nous fait la guerre , que la Prusse marche vers nos frontières. » Et il montrait le roi usant de tous les moyens que la constitution mettait entre ses mains pour aider au renversement de la constitution . L'Assemblée ne prit cependant aucune décision à l'égard de Louis XVI . L'anniversaire du 14 juillet fut célébré comme à l'ordinaire : seulement le roi remarqua la multitude de porteurs de piques accourus au Champ de Mars, l'ardeur avec laquelle ils criaient Vive la nation ! Il vit aussi, présage menaçant, des hommes qui portaient solennelle ment, enveloppée dans un voile , une chose qui reluisait sinistrement : c'était « le glaive de la loi » . Le 11 juillet , l'Assemblée avait proclamé l'avertissement solennel : « La patrie est en danger! » En conséquence, le 22 juillet , les gardes nationaux et les troupes parcou rurent la ville en colonnes précédées de herauts qui répé taient la formule sacrée. Les canons du Pont Neuf ton nèrent toute la journée, en signe d'alarme : le canon de l'Arsenal leur répondait. Le drapeau du « Danger de la patrie » déploya ses plis immenses au fronton de l'Hôtel L'ASSEMBLÉE LÉGISLATIVE. 133 1 de Ville . La foule se pressait aux bureaux d'enrôlement . En même temps les fédérés de l'Ouest , du Midi , les Bre tons , les Marseillais , commencèrent à affluer, ajoutant leurs ardeurs à l'excitation des Parisiens. Sur toute cette fermentation belliqueuse le fameux ma nifeste du duc de Brunswick tomba comme une étincelle. Il résumait les accusations des rois contre la Révolution fran çaise et déclarait que les souverains alliés entendaient faire cesser l'anarchie, relever le trône et l'autel , rendre au roi ses prérogatives ; que les habitants qui oseraient se défendre seraient passés par les armes et leurs maisons démolies ou brûlées ; que si Paris ne mettait pas le roi en liberté , toutes les autorités civiles et militaires seraient traduites en conseil de guerre; que si les Tuileries étaientinsultées , les princes exerceraient une vengeance mémorable, livre raient Paris à une exécution militaire et à une subversion totale . Chose singulière, le manifeste, daté du 25, fut connu à Paris le 28. On ne s'en étonne plus quand on sait que c'étaient un agent du roi , Mallet du Pan , et un émigré, de Limon, qui, malgré Brunswick , y avaient fait insérer les phrases les plus violentes , et quand on lit ce billet de Fersen à la reine : « Vous avez le manifeste et vous devez être contente . » Fersen , à cette époque, recommandait à la reine de se préparer à la délivrance et « d'emporter les diamants de la couronne » . La reine répondait : « Vous avez pu juger par une précédente lettre combien il est intéressant de gagner vingt-quatre heures ; je ne ferai que vous le répé ter aujourd'hui, en ajoutant que , si l'on n'arrive pas, il n'y que la Providence qui puisse sauver le roi famille. » Elle continuait à révéler le secret des opéra tions françaises : « Il y a des ordres pour que l'armée de Luckner attaque incessamment; il s'y oppose , mais · le ministère le veut . Les troupes manquent de tout et sont dans le plus grand désordre. » L'infortunée Marie-Antoinette ne cachait pas à son entou а et sa 134 HISTOIRE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE, rage ses imprudentes espérances : « Une nuit, raconte Mme Campan, comme la lune éclairait sa chambre, elle la contempla et me dit que , dans un mois , elle ne verrait pas cette lune sans être dégagée de ses chaînes. Elle me confia que tout marchait à la fois pour la délivrer. Elle m'apprit que le siège de Lille allait se faire, qu'on leur faisait craindre que, malgré le commandant militaire, l'au torité civile ne voulût défendre la ville . Elle avait l'itiné raire des princes et des Prussiens ; tel jour ils devaient être à Verdun et tel jour à un autre endroit. » Le peuple ignorait ces correspondances ; il ne pouvait que les soupçonner ; mais un sûr instinct le guidait et lui montrait les Tuileries comme étant, en plein Paris, une place d'armes de l'invasion , la cour comme l'alliée secrète des Prussiens qui allaient ravager la Lorraine , des Autri chiens qui allaient bombarder Lille. Le jour même où la proclamation de Brunswick fut connue, l'une des sections de Paris , la section Mauconseil, déclara : qu'il était impos sible de sauver la liberté par la constitution; qu'elle abju rait son serment et ne reconnaissait plus Louis XVI pour roi . Sur les 48 sections de Paris , 47 votèrent la déchéance du roi . L'Assemblée , sous la pression de l'opinion, licencia les corps d'élite de la garde nationale, qui étaient royalistes ou fayettistes, et enjoignit aux gardes suisses de sortir de Paris ; mais , faute de prendre à temps une décision à l'é gard du roi , elle laissa l'initiative au peuple. Le 8 août , elle commit une faute irréparable : par 406 voix contre 224 , elle repoussa la mise en accusation de Lafayette qui conspirait publiquement en faveur du roi. Le 10 août ne fut pas une surprise : ce fut une lutte en plein soleil entre la royauté et la nation . On s'y préparait ouvertement, de part et d'autre, depuis trois longues semaines. Les deux faubourgs démocratiques, Saint-Antoine et Saint-Marceau , s'entendaient pour une action commune. Les anciens gardes françaises, mêlés au peuple , le for > L'ASSEMBLÉE LÉGISLATIVE. 135 maient au courage et à la discipline; les fédérés bretons et marseillais, pour la plupart anciens soldats, très aguer ris , allaient former le noyau de l'insurrection . La cour, de son côté , avait fait revenir secrètement les Suisses aux Tuileries : c'était une troupe d'élite d'en viron 1500 hommes ; beaucoup des anciens gardes consti tutionnels et plusieurs centaines de gentilshommes accou rurent au château prendre leur part du danger. Le 9 août encore , la cour croyait pouvoir compter pour sa défense sur la Commune de Paris et sur le maire Pétion ; Mandat, commandant des gardes nationales, lui était acquis. Dans la soirée du 9 , Mandat fit masser autour des Tuileries les bataillons qu'il croyait royalistes ou fayettistes, placer des canons au Pont Neuf afin d'arrêter les hommes du fau bourg Saint - Marceau , occuper la place de Grève afin . d'arrêter le faubourg Saint-Antoine . Mais , dans la nuit du 9 au 10 août, une Commune insurrectionnelle, composée des insurgés du 20 juin, se substitua à l'ancienne et s'em para de l'Hôtel de Ville ; Mandat, appelé à la municipa lité , fut , à son retour, tué d'un coup de pistolet au coin d'une rue. Aux Tuileries, la confiance, très grande d'abord , com mença à diminuer : les gentilshommes se défiaient des gardes nationaux ; ceux- ci , qui , en général , tenaient pour la royauté constitutionnelle, ne se souciaient pas de com battre avec les partisans de l'absolutisme . La reine, pour relever les courages, engagea le roi à passer les troupes en revue vers cinq heures du matin ; l'air fatigué et triste de Louis XVI, son silence glacèrent les cours ; plusieurs bataillons de gardes nationaux commencèrent à crier : Vive la nation ! d'autres : A bas le tyran ! Tous finirent par abandonner le château , et quelques-uns allérent même rejoindre l'insurrection . Louis XVI n'eut plus autour de lui , en cette journée suprême de la royauté, que les Suisses et quelques gentilshommes. C'est alors, quand Paris s'ébranlait déjà, que Louis XVI 136 HISTOIRE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE. se laissa persuader par le procureur -syndic du départe ment, Roederer , de venir chercher un asile dans l'Assem blée . La reine l'y suivit . Elle n'avait pas encore perdu l'espérance : si ses partisans repoussaient l'attaque des insurgés, ils pourraient bien venir la chercher dans l'As semblée même, et alors les rôles seraient changés ; ce serait l'Assemblée qui se trouverait à la discrétion du roi . Vers huit heures arrivèrent devant les Tuileries les pre mières bandes d'insurgés, les plus impatients, les plus mal armés, les porteurs de piques. Ils s'engagèrent imprudem ment dans la cour du Carrousel , furent accueillis par un feu roulant, et s'enfuirent en désordre , laissant trois ou quatre cents morts sur le pavé . Les nobles se crurent victorieux : déjà d'Hervilly courait aux Suisses , leur criant : « Ce n'est pas tout ; il faut vous porter à l'Assemblée , près du roi ; ) déjà les députés , pénétrant les intentions secrètes de la cour, se préparaient au sacrifice de leur vie , et l'Assemblée se levant tout entière , d'un mouvement spontané, renou velait le serment de mourir pour la liberté . L'arrivée des Bretons , des Marseillais , des gardes natio naux armés de fusils , changea la face des choses. Ils mi rent en position quatre pièces de canon et refoulèrent les Suisses dans le palais . Alors s'engagea la vraie bataille , acharnée, sanglante. Les assaillants étaient plus nom breux ; mais les Suisses, à l'abri dans le château , tiraient à coup sûr . Aussi ne perdirent-ils que 700 hommes, tandis que 1100 périrent du côté des Parisiens . A la fin les Tui leries furent enlevées et les Suisses pourchassés à travers le jardin et les Champs- Élysées. Louis XVI envoya l'ordre à ses gardes de cesser le feu , mais seulement quand le château fut forcé. Le peuple victorieux demandait la déchéance du roi . L'Assemblée , sur la proposition de Vergniaud, se borna à décréter la suspension du pouvoir exécutif . Elle déclara qu’une nouvelle assemblée , la Convention , aurait à statuer sur le sort de la royauté. > பயாயம் BATTELU நவக .Août Le10 138 HISTOIRE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE. Le malheur fut que l'Assemblée, au lieu d'agir, s'était laissé traîner à la remorque des événements. La veille du 10 août , un décret prononçant la déchéance ou la suspen sion du roi eût évité l'insurrection. C'était à l'Assemblée de prendre l'initiative de ce grand acte de justice , et de ne pas la laisser à un pouvoir inférieur au sien, rival du sien , la Commune de Paris . Le renversement de la royauté ne pouvait être qu'un acte de souveraineté natio nale ; seule , l'Assemblée souveraine , issue des votes du pays tout entier, avait qualité pour l'accomplir. Ses fu nestes hésitations au lendemain de la chute de Roland, qui ne rappellent que trop celles de la Constituante au lendemain de Varennes , son désaveu du 20 juin , sa lon ganimité envers Lafayette qui osait lui parler en soldat du coup d'État, sa résistance au veu le plus légitime de l'opinion, eurent un résultat funeste : l'affaiblissement de son pouvoir et de sa popularité . Elle ne fit pas le 10 août : elle n'eut plus qu'à le ratifier . Par là grandit démesurément cette puissance nouvelle, anonyme, irresponsable, de la Commune, née dans la nuit du 10 août, et qui déjà tombait en des mains suspectes. Les Vergniaud, les Brissot, les Isnard, les Merlin de Thion ville , les Jean Debry, n'auraient pas dû livrer une telle force à des Rossignol, à des Hébert, à des Bourdon, des Tallien et des Collot . Ces inconnus, ayant au front l'au réole du 10 août , transfigurés dans la gloire de cette journée, associés au plus grand événement du siècle , la chute de la royauté , et comme sacrés chefs du peuple et de la Révolution , se dressent en face de l'Assemblée qui a préparé la République et qui n'a pas osé la faire. Bientôt les municipaux s'adjoignent Marat, tiré de sa cave , Robes pierre, sorti de sa retraite . Robespierre recueille les fruits de la victoire , lui qui s'est toujours opposé à la lutte , lui qui a tout désapprouve : le décret sur les réfractaires, et la déclaration de guerre , et la formation du camp de vingt mille hommes, et l'appel aux fédérés , et l'insurrection du L'ASSEMBLÉE LÉGISLATIVE. 139 20 juin ; lui qui, à la veille du 10 août, prêchait encore le respect de la constitution ! Dès le lendemain du 10 août, on voit que le vainqueur ce n'est pas l'Assemblée . L'Assemblée ordonne que le roi sera mis au Luxembourg, c'est- à -dire dans un palais ; la Commune l'envoie au Temple, c'est-à- dire dans une pri son . C'est la Commune qui enferme les Suisses à l'Abbaye, qui fait briser les statues des rois et les emblèmes de la royauté ; c'est à son profit qu'on supprime les attributions politiques du directoire du département, auquel elle était jusqu'alors hiérarchiquement subordonnée et dont l'ef facement la laisse sans contrepoids. Le peuple de Paris avait fait de grosses pertes pendant le combat : une partie du nouveau conseil municipal, Marat et autres furieux, l'excitaient à la vengeance , disant qu'il fallait « en finir avec l'ennemi » . On commença à craindre un massacre dans les prisons. Des députations menaçantes se succédaient à la barre de l'Assemblée . Les amis de Danton résistaient à cette propagande de meur tres. Le jacobin Choudieu disait : « Ceux qui viennent crier ici ne sont pas les amis du peuple ; ce sont ses flatteurs ! » et Thuriot prononça ces belles paroles : « La Révolution n'est pas seulement à la France ; nous en sommes comp tables à l'humanité . » Le ministère girondin avait été reconstitué, avec Roland à l'intérieur , Clavière aux finances, Servan à la guerre , Monge à la marine, Lebrun aux affaires étrangères. On lui avait adjoint un seul des inspirateurs du 10 août , Danton , nommé ministre de la justice . Danton proposa l'établisse ment d'un tribunal criminel, qui frapperait les plus cou pables parmi les complices de la cour. Les jurés devaient être choisis par l'élection à deux degrés , comme les dé putés. « Que la justice des tribunaux commence, écrivait Danton dans une circulaire , et celle du peuple cessera . ) Le tribunal entra en fonction le 19 et prononça trois condamnations capitales. En même temps l'Assemblée ren ) > 140 HISTOIRE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE. dit deux décrets rigoureux sur les émigrés, dont les biens furent placés sous séquestre ; sur les réfractaires, qui de vaient être déportés dans les quinze jours. Lafayette avait essayé de soulever contre l'Assemblée l'armée du Nord et avait fait arrêter trois représentants du peuple, le girondin Kersaint, les jacobins Antonelle et Péraldy ; il fut décrété d'accusation et s'enfuit avec ses amis Alexandre Lameth et Latour-Maubourg. Il n'échappa aux prisons de Paris que pour tomber dans celles de l'Autriche. Il devait expier par cinq ans de captivité, à Magdebourg et à Olmütz, le crime d'avoir commencé la Révolution et d'avoir combattu dans les deux mondes pour la liberté . Ses malheurs ont fait oublier aux libéraux les fautes qu'il commit en cette année 1792 , quand sa fidélité au roi le rendit infidèle à la nation . L'INVASION PRUSSIENNE. LES MASSACRES DE SEPTEMBRE L'exaspération du peuple était entretenue par les nou velles de la frontière. Longwy venait d'être livré aux Prussiens par la trahison de son commandant. L'Assem blée décréta que tout citoyen qui, dans une place assié gée , parlerait de capitulation , serait puni de mort. Le péril était grand : les insurrections royalistes éclataient dans plusieurs provinces ; à Paris même , la contre-révo lution se reprenait à espérer. Quand on apprit le désastre de Longwy, des rassemblements royalistes se formèrent autour du Temple, sous les fenêtres de Louis XVI, et l'on entendit des cris de Vive le Roi ! Les combattants roya listes du 10 août étaient restés dans Paris ; on insulta pendant la nuit les statues de la Loi et de la Liberté ; dans les prisons même, on entretenait des relations avec l'émi gration , on buvait au succès des alliés . Et les Prussiens arrivaient ! Danton ordonna des visites domiciliaires ; elles se firent L'ASSEMBLÉE LÉGISLATIVE. 141 en grand appareil , pour frapper les royalistes d'une terreur salutaire ; ces jours- là , les barrières de Paris étaient fer mées, les rues barrées par la troupe, tandis que les gardes nationaux pénétraient dans les maisons pour chercher les armes cachées et arrêter les suspects . On saisit 2000 fu sils et l'on fit 3000 arrestations, qui , pour la plupart, ne furent pas maintenues. Danton estimait que le tribunal criminel et les visites domiciliaires suffiraient pour répri mer l'audace des conspirateurs : de ce jour, en effet, ils commencèrent à trembler: Ces mesures ne contentaient point Marat et ses amis : ils répétaient qu'avant de courir à l'ennemi du dehors, il fallait exterminer celui du dedans. Déjà deux sections sur quarante -huit avaient voté le massacre des détenus , et la Commune, responsable de la garde des prisonniers, ne prenait aucune mesure pour leur sûreté . Le 1er sep tembre, Panis avait illégalement introduit dans le comité de surveillance de la Commune l'homme qui , depuis deux ans , demandait des massacres : Marat. Le 2 septembre , le jour même où devaient se faire les élections pour le nou veau conseil municipal , on apprenait à Paris l'investisse ment de Verdun : l'ennemi n'était plus qu'à quelques jours de marche. Devant l'imminence du danger, le courage de Roland fléchit un moment : il proposait que l'Assemblée et le ministère se retirassent derrière la Loire, à Tours ou à Blois . Danton ne voulut pas entendre parler de retraite : « La France est dans Paris , répondit-il ; si vous aban donnez la capitale à l'étranger , vous vous livrez et vous livrez la France ; c'est dans Paris qu'il faut se maintenir par tous les moyens . » La Commune et l'Assemblée se trouvent d'accord pour décréter les mesures les plus énergiques. La Commune invite tous les citoyens en état de porter les armes à se réunir à l'instant au Champ de Mars ; elle décide que le canon d'alarme sera tiré ; qu'on assurera des secours 142 HISTOIRE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE. aux familles des volontaires ; qu'on portera de 30 000 à 60 000 hommes le contingent de Paris . L'Assemblée ap prouve toutes ces décisions . Vergniaud s'écrie : « C'est aujourd'hui que Paris doit vraiment se montrer dans toute sa grandeur; je reconnais son courage à la démarche qu'il vient de faire , et maintenant on peut dire que la patrie est sauvée.... Hommes du 14 juillet , du 10 août , c'est vous que j'invoque ... Il n'est plus temps de discourir ; il faut piocher la fosse de nos ennemis , ou chaque pas qu'ils font pioche la nôtre. » Pour diriger le peuple que toutes ces nouvelles, tous ces discours, toutes ces mesures extraordinaires allaient soulever , pour le soustraire aux tentations mauvaises, pour le lancer vers la frontière, vers la gloire, pour assurer la défense nationale , il fallait créer un gouvernement, forti fier le ministère. Danton obtint de l'Assemblée un décret portant que quiconque refuserait de servir de sa per sonne ou de remettre ses armes ; quiconque, directement ou indirectement, refuserait d'exécuter ou entraverait , de quelque manière que ce fût, les ordres donnés et les me sures prises par le pouvoir exécutif, serait puni de mort. « Le tocsin qu'on va sonner, s'écria Danton , n'est pas un signe d'alarme ; c'est la charge sur les ennemis de la pa trie . Pour les vaincre, messieurs, il nous faut de l'audace, toujours de l'audace, et la France est sauvée ! » Ce même jour, vers quatre ou cinq heures, comme Ma rat, Panis et quelques autres siégeaient au comité de sur veillance de la Commune, commencèrent les massacres de l'Abbaye. Ils se continuèrent les 3, 4, 5 et 6 septembre à la Force , au Châtelet, à la Salpêtrière , à Bicêtre. Les prisonniers qu'on devait juger à Orléans, Delessart, Brissac, furent amenés à Versailles et massacrés par Fournier et Lazowski accourus de Paris. Sur une circulaire sortie de l'imprimerie de Marat , expédiée aux départements sous le couvert du ministre de la justice, il y eut aussi des meur tres à Reims, à Meaux, à Lyon, à Châlons. L'ASSEMBLÉE LÉGISLATIVE. 143 + 1 Pendant ces scènes abominables , l'Assemblée restait inerte et passive : Danton , ministre de la justice , non seu lement n'empêcha rien , mais approuva. Peut-être croyait il ce qu'il dit à Brissot, qui le pressait de sauver au moins les innocents : « Il n'y en a pas un ! » répondit le ministre de la justice . Aussi quelque chose du sang de septembre lui resta sur les mains : c'est ce qui éloigna de lui les Girondins, empêcha l'alliance de l'homme d'action et des hommes d'éloquence , et plus tard les livra désunis et désarmés à la sanglante dictature de Robespierre. Ces journées de septembre, il n'est peut- être personne, parmi les plus endurcis, qui , à un moment donné , ne les ait désavouées ; Marat, le mois suivant, les qualifiait de désastreuses ; Danton , de journées sanglantes sur lesquelles tout bon citoyen a gémi ; Tallien , dans son apologie de novembre, d'événement douloureux. Elles furent désavouées plus tard par la Commune elle-même à la barre de la Convention ; elles le furent immédiatement par le peuple, par l'armée . Le faubourg Saint-Antoine n'y eut aucune part; des volontaires qui partaient pour l'armée vinrent les flétrir à l'Assemblée ; un des assassins de Mme de Lam balle fut plus tard sabré par ses camarades de régiment auxquels il faisait horreur. Le crime de septembre fut commis par une bande de trois ou quatre cents hommes, qui firent leur horrible besogne au milieu de la stupeur de tous et de l'impuissance publique. Manuel, procureur-syndic, risqua sa vie pour arrêter les meurtres : il fit échapper son ennemi personnel , Beaumar chais . Danton réussit à sauver ses adversaires politiques , Duport et Lameth . C'est seulement le 6 septembre que Pétion put aller fermer les portes des prisons et que l'Assemblée se crut assez forte pour maîtriser la Commune. Elle fit défense å toute municipalité d'envoyer des ordres hors de son terri toire . Une petite commune de la Haute -Saône, Champlitte, donna l'exemple aux autres : elle refusa d'obéir aux délé 1.14 HISTOIRE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE. gués de la commune de Paris , déclarant que toutes les communes de France étaient égales devant la loi . L'Assem blée décréta que « quiconque prendrait indûment l'écharpe municipale serait puni de mort » . Ce décret visait Marat, l'intrus du comité municipal de surveillance. Malgré ces efforts tardifs, l'Assemblée était frappée à mort : le 10 août l'avait affaiblie, parce qu'elle n'avait pas su agir ; les journées de septembre la tuèrent, parce qu'elle ne sut pas les empêcher. Une majorité de Feuillants et d'indécis paralysait l'énergie des Girondins et des Jaco bins . Il faut citer à l'honneur de la Gironde ces belles paroles de Vergniaud , dénonçant à la France la tyrannic de la Commune ( 17 septembre) : « Ils ont des poignards, je le sais .... Mais qu'importe la vie aux représentants du peuple, lorsqu'il s'agit de son salut ?.... Quand Guillaume Tell ajusta la flèche pour abattre la pomme fatale sur la tête de son fils, il dit : « Périssent mon nom et ma mémoire, « pourvu que la Suisse soit libre ! .... » Et, nous aussi , nous disons : Périsse l'Assemblée nationale , pourvu que la France soit libre ! qu'elle périsse si elle épargne une tache au nom français ! .... Oui , périssons , et , sur nos cendres, puissent nos successeurs plus heureux assurer le bonheur de la France et sauver la liberté ! » Twinings BATAILLE DE VALMY : L'INVASION REPOUSSÉE Périssent les hommes, et que la liberté vive ! Ce cri était à ce moment celui de tous les patriotes . L'héroïsme de Beaurepaire vint , en cette épreuve terrible , consoler et exalter le cœur de la France . Il avait traversé tout le pays , avec des volontaires de Maine-et-Loire, pour aller s'enfer mer dans Verdun ; en arrivant sur cette frontière, si pro fondément travaillée par les royalistes , ils firent d'avance le sacrifice de leur vie , chargèrent un patriote de porter leurs adieux à leurs familles et de dire « qu'ils étaient L'ASSEMBLÉE LÉGISLATIVE. 145 morts » . Presque aussitôt après l'investissement de la Bataille Valmy de. place, une partie des bourgeois et le commandant militaire se préparèrent à livrer la ville . Beaurepaire fit au projet 10 A. RAMBAUD . 146 IIISTOIRE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE. de reddition une résistance énergique; quand il vit que décidément on capitulait, il se fit sauter la cervelle. Son sang rejaillit sur les traîtres et les marqua pour le châti ment. Tandis que leurs femmes et leurs filles allaient, vêtues de blanc , recevoir l'ennemi aux portes de la ville et offrir au roi de Prusse des fleurs et des dragées, un des volontaires de Maine- et- Loire , plutôt que de se rendre , se précipita dans la Meuse. La trahison des notables de Verdun exaspéra les colères ; l'exemple de Beaurepaire et de ses soldats enflamma les courages . C'est le moment du grand élan vers la frontière : chaque jour 1800 volontaires sortent de Paris. Sans cette tache des massacres , le mois de septembre 1792 serait un des plus beaux de l'histoire révolutionnaire . Il vit la pre mière victoire des Droits de l'homme , le premier triomphe de la France nouvelle sur la coalition des vieilles royautés, la première revanche des peuples contre l'oppression sé culaire ; et , au soleil de Valmy, l'enfantement splendide de la liberté européenne. Contre l'ennemi du dehors , l'accord était complet entre tous les partis ; tous furent admirables de patriotisme et d'abnégation. Les Girondins n'aimaient pas Dumouriez, qui les avait trahis, et pourtant ils le nommèrent général en chef; les Montagnards ne l'aimaient pas , et pourtant ils appuyèrent le choix ; Danton ne l'aimait pas , et pourtant il lui donna pour conseils ses amis dévoués Fabre d'Eglan tine, l'intrépide Westermann . Tous se rangèrent sous le commandement de celui qu'ils jugeaient l'homme néces saire et s'accordèrent à lui mettre aux mains le glaive de la Révolution , l'épée libératrice qu'Isnard avait brandie aux Jacobins. Ils l'affermirent de leur confiance, l'exal tèrent de leur enthousiasme, firent cet aventurier digne de vaincre . Tandis que Wimpfen se maintenait dans Thionville, Dumouriez s'empara des défilés de l'Argonne ; il prédit qu'ils seraient « les Thermopyles de la France » . Quand L'ASSEMBLÉE LÉGISLATIVE. 147 sa position fut tournée, il s'établit dans le camp de Sainte Menehould , sur le flanc même de l'armée prussienne. Il s'y tint si ferme que rien ne put l'en arracher, pas même le mouvement des Prussiens, qui vinrent camper sur les collines de la Lune, coupant de Paris l'armée fran çaise . Dumouriez , rejoint par Kellermann , se trouva comman der 76 000 Français contre 70 000 Allemands : le 20 sep tembre au matin la bataille s'engagea . Brunswick et le roi de Prusse observerent longuement la contenance de cette armée « de vagabonds, de tailleurs, de savetiers » , qui , au dire des émigrés, devaient se disperser au premier coup de canon . Au contraire , ils enduraient avec le sang froid de vieilles troupes le feu de soixante canons et y répondaient. Vers onze heures , les Prussiens se formerent en trois colonnes et commencèrent à gravir le plateau de Valmy, occupé par Kellermann . Comme ils montaient ainsi , mitraillés sur leur flanc par Dumouriez, ils virent tout à coup une chose extraordinaire : trente mille hommes élevant dans un accès d'enthousiasme leurs chapeaux à la pointe des sabres et des baïonnettes, et couvrant la voix du canon d'un cri formidable : Vive la Nation ! Brunswick n'osa risquer l'attaque et fit sonner le rappel . Le roi de Prusse, à son tour, voulut recommencer l'escalade : mais son infanterie, décimée par la mitraille , était encore plus troublée par ce cri formidable qu'on entendait là-haut et qui annonçait au monde le réveil des peuples . Le soir , au bivouac , le grand poète allemand , Gøthe, qui accompagnait les troupes allemandes, dit à ceux qui l'entouraient : « En ce lieu et en ce jour a commencé une nouvelle ère de l'histoire du monde, et vous pourrez tous dire : J'ai assisté à sa naissance . » Le lendemain , 21 septembre , pendant qu'à Paris la Convention se réunissait et , sans connaître encore la pre mière victoire de la Révolution, proclamait la République, le roi de Prusse reprenait le chemin de la frontière . 148 HISTOIRE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE . La victoire de Valmy, ce n'était pas seulement l'invasion repoussée, la France sauvée : c'était aussi l'Europe ouverte à la France , les peuples saluant d'avance le drapeau tri colore, le monde entier agité d'un frémissement dont tous les trônes chancelèrent. CHAPITRE IV LA CONVENTION LA GIRONDE ET LA MONTAGNE La Convention était comme une nouvelle Constituante qui devait faire la constitution républicaine, de même que la première Constituante avait fait la constitution monar chique de 1791. Au point de vue des partis , elle présen tait d'abord deux groupes peu nombreux, d'un peu plus de cent membres chacun , qu'on appela la Gironde et la Montagne. Le reste de l'Assemblée , environ cinq cents membres, devait suivre tour à tour l'impulsion des deux groupes dirigeants : c'était la Plaine, ou encore le Ma rais. La Gironde , ainsi nommée parce que ses principaux membres étaient députés de Bordeaux, se composait d'hommes qui avaient déjà illustré ce parti dans la Légis lative , comme Vergniaud, Guadet, Gensonné, Condorcet, Isnard , Brissot , de quelques anciens constituants, comme Pétion , Buzot, Rabaut-Saint-Étienne, Lanjuinais, et d'hommes nouveaux , comme Barbaroux , Rebecqui , Louvet . 150 HISTOIRE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE. > La Montagne, ainsi nommée parce que ses membres occupaient les bancs les plus élevés de l'Assemblée, comp tait dans ses rangs Robespierre, Grégoire, Merlin de Douai, Prieur de la Marne, qui avaient déjà siégé à la Consti tuante ; Cambon, Carnot, Lindet, Merlin de Thionville, Couthon , Prieur de la Côte -d'Or, Hérault de Séchelles, qui avaient figuré à la Législative; Danton, Camille Desmou lins , Fabre d'Églantine, Legendre, Marat, Billaud -Varennes, Collot-d'Herbois, Saint -Just, Lebas, le peintre David , Ro bespierre jeune, Fouché, Barras, Tallien, Carrier, etc. , qui débutaient dans la vie parlementaire. Nous verrons les Montagnards se diviser par la suite en robespierristes, maratistes, hébertistes, dantonistes, thermidoriens, mon tagnards indépendants. Dans la Plaine figuraient des notoriétés de l'époque pré cédente : beaucoup étaient d'opinion constitutionnelle , bon nombre aussi étaient républicains . Citons Sieyès , Camus, Daunou, Durand -Maillane , Laréveillère - Lépeaux, Boissy d'Anglas , etc. Ils traverserent , beaucoup moins éprouvés que la Gironde ou la Montagne, tous les orages de la Ré volution, et commencèrent seulement à jouer un rôle lors que les deux partis militants eurent été décimés. La puis sance des hommes de la Plaine commence dans la déca dence de la Révolution . La Plaine a toujours fourni aux divers comités de la Convention des hommes compétents, laborieux , expéri mentés , qui ont attaché leurs noms aux lois les plus utiles ; mais dans les luttes politiques , elle formait une masse inerte, une majorité de flottants et de timorés, qui mal heureusement se prêta au jeu de bascule des partis au lieu de les maîtriser . Avec sa complicité muette et peu reuse , elle aida la Gironde d'abord à dominer la Conven tion , puis la Montagne à écraser la Gironde ; dans la Mon tagne même, Robespierre à écraser tour à tour les héber tistes et les dantonistes ; puis elle favorisa la réaction thermidorienne contre les robespierristes et la réaction LA CONVENTION . 151 girondine contre les thermidoriens. La Plaine ne sut jamais former une majorité compacte de gouvernement ; · par sa faiblesse, elle a contribué à rendre inévitable l'ex termination réciproque des groupes les plus énergiques de l'Assemblée , et assumé ainsi devant l'histoire une lourde responsabilité . La difficulté avec laquelle la Convention se débattit pendant toute son existence fut l'établissement d'un gou vernement. Contre l'Europe coalisée, contre la Vendée insurgée , il eût fallu une autorité très forte et une administration très obéie . La Constituante, en organisant toutes les administrations sur la seule base de l'élection , n'avait songé qu'à affaiblir la royauté : la royauté disparue, le pouvoir qui lui succéda, celui de l'Assemblée souve raine, hérita de la même impuissance. Comme il n'y avait alors ni préfets, ni procureurs généraux , ni aucun agent direct du pouvoir central , la Convention ne possédait au cune action sur les directoires de département, les muni cipalités , les tribunaux. Pour assurer le recrutement des armées, la perception de l'impôt, la justice nationale, elle en sera réduite à organiser, à côté des pouvoirs légaux , des pouvoirs exceptionnels : à côté des administrations locales, les sociétés jacobines et les comités révolution naires ; à côté des tribunaux réguliers , les tribunaux révo lutionnaires ; et , par- dessus tout , les pouvoirs extraordi naires des représentants en mission. Elle n'obtiendra que par la Terreur beaucoup de résultats qui s'obtiennent aujourd'hui par une bonne administration . La Convention, précisément parce qu'elle était chargée de faire une constitution , n'avait aucune loi constitution nelle qui réglát son fonctionnement. Elle réunissait tous les pouvoirs : le pouvoir exécutif, le pouvoir législatif, comme le ouvoir judiciaire ; aucune loi ne déterminait de quelle manière elle aurait à les exercer. Dans ces con ditions la lutte des partis devait être extrêmement vio lente ; comme on ne pouvait espérer que la minorité se . 152 IIISTOIRE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE . soumît volontairement à une autre minorité , comme, d'autre part, l'inertie de la Plaine empêchait la constitution d'une véritable majorité, le parti qui arrivait un moment au pouvoir n'avait qu'un moyen de s'y maintenir, c'était d'exterminer le parti vaincu. Aujourd'hui le parti qui perd le pouvoir en est quitte pour devenir un parti d'opposi tion ; à cette époque, dans une situation aussi troublée, parmi les dangers de la guerre étrangère et de la guerre civile , le parti vaincu dans l'Assemblée ne savait que recourir à la force; ce n'était qu'après avoir été décimé par l'échafaud qu'il se résignait à sa défaite. Battus dans l'Assemblée, les monarchistes ont recours à l'étranger, les Girondins au soulèvement des départements, les Mon tagnards à l'émeute parisienne : toutes les crises parle mentaires font couler le sang. L'Assemblée souveraine, qui disposait de moyens si imparfaits pour gouverner la France, se trouvait, à Paris même, en présence d'influences qui rivalisaient avec la sienne . La Commune de Paris rendait des arrêtés par fois contraires aux décrets de la Convention. On discutait dans les clubs les mêmes questions qu'à l'Assemblée : telle séance du club des Jacobins ou du club des Cordeliers avait plus d'importance et entraînait des résultats plus directs que celles de la Convention. Les sections ou quar tiers de Paris , les bataillons de gardes nationaux , se croyaient le droit de prendre des arrêtés. Un groupe quel conque de citoyens se donnait pour « le peuple souverain » et traitait en égale , même en subordonnée , une assemblée qui était élue par la France entière . Une erreur qui alors égara beaucoup d'excellents patriotes était de croire que le peuple peut à tout moment reprendre les pouvoirs qu'il a confiés å ses mandataires ; ils ne voyaient pas que c'était lui reconnaître un droit continu à l'insurrection . Le temps a fait justice de ces deux hérésies politiques : aujourd'hui le suffrage universel est la négation du droit insurrection nel ; la loi électorale, qui s'impose aux électeurs aussi LA CONVENTION. 153 chainen ?bien qu'aux élus , détermine rigoureusement la durée des mandats. Mais en 1792 et 1793 la loi électorale , comme la constitution elle-même, était à faire : cette incertitude favorisait les émeutes aussi bien que les coups d'État . La lutte commença presque aussitôt entre la Gironde et la Montagne . Les Girondins avaient été élus dans les dé partements sous l'impression causée par les massacres de septembre : ils s'indignaient de retrouver , parmi leurs collègues de la Montagne, beaucoup d'anciens membres de la Commune insurrectionnelle. Ils accusaient en masse la députation de Paris, bien que fort peu de ces députés eussent été compromis dans les massacres. Les Girondins étaient hantés de craintes chimériques, soupçonnant la Montagne de vouloir porter atteinte à la propriété, et Dan ton , Robespierre etMarat d'aspirer à la dictature.Les Montagnards, à leur tour, avaient leurs préjugés contre les députés des provinces; ils accusaient les Girondins de vouloir substituer à l'unité française une fédération des départements, et leur prêtaient des arrière - pensées de royalisme. Ces accusations que se renvoyérent si longtemps les deux partis étaient également fausses : les Montagnards ne demandaient pas la dictature, mais un gouvernement assez fort pour résister à la coalition de l'Europe, de la Vendée et de l'émigration ; encore moins voulaient- ils mettre en péril la propriété, puisque leurs amis, dans toute la France, se portaient acquéreurs des biens natio naux . De même, les Girondins n'ont jamais songé à fédé raliser la France , ni à rétablir la monarchie : ils étaient aussi dévoués que leurs adversaires à la République et ils sont morts en invoquant son nom . C'était faute de se bien connaître que Girondins et Montagnards étaient tourmen tés de ces injustes méfiances . Danton, Robespierre lui-même, avec un grand sens d'hommes d'État, comprirent tout le danger de ce malen tendu , qui pouvait diviser la Convention en face de l'Eu 154 HISTOIRE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE. rope . Ils entreprirent de rassurer la Gironde : Couthon, ami de Robespierre, proposa , dès la première séance, de jurer haine non seulement à la royauté , mais à la dicta ture ; Danton , lorsqu'il donna sa démission de ministre, fit décréter que « toute propriété, territoriale et indus trielle , serait éternellement maintenue » . Quant aux mas sacres de septembre , les Montagnards essayèrent de prou ver combien étaient exagérés les récits qu'on en faisait dans les provinces, où l'on parlait de 10 000 ou 12 000 morts, où l'on contait que le sang avait monté à douze pieds dans la prison de l'Abbaye. La Commune de Paris vint à la barre de la Convention répudier toute participation à ces crimes . En même temps, pour écarter le fantôme du fédéralisme, Danton proposa de déclarer la République française « une et indivisible » , et les Girondins , comme les Montagnards, votèrent cette déclaration de principe. La situation de la Gironde était alors très forte dans l'Assemblée et dans le pays. C'étaient des Girondins, Ro land, Clavière, Servan , Monge, qui occupaient les minis tères ; l'éloquence de Vergniaud, la fougue d'Isnard, la froide sagesse de Condorcet étaient d'un grand effet sur la Convention ; la Plaine sympathisait avec eux ; le président de l'Assemblée était toujours élu parmi eux ; par le mi nistère de l'intérieur, par les journaux, ils formaient l'opinion publique ; au club des Jacobins, ils disputaient l'influence aux Montagnards; dans la Commune même, ils avaient des amis : le maire de Paris , Pétion , réélu le 15 oc tobre , puis son successeur Chambon ( décembre ), étaient Girondins ; dans les départements , les directoires, les municipalités , les tribunaux, autrefois peuplés de Feuil lants, étaient maintenant acquis aux Girondins ; l'armée, par Dumouriez, semblait leur appartenir. Jusqu'alors ils avaient tenu la tête du mouvement révolutionnaire ; c'étaient les Girondins, par l'évêque Fauchet, par Brissot, par Condorcet, qui avaient pris l'initiative de la Répu blique, au moment où Robespierre proclamait qu'il n'était LA CONVENTION . 155 « ni républicain , ni monarchiste » ; c'étaient eux qui avaient armé l'ouvrier et le paysan, poussé à la fabrica tion des piques, fait adopter le bonnet rouge ; c'étaient eux qui avaient déclaré la guerre aux rois . Comment ont- ils pu déchoir d'une situation si haute, et laisser la grande initiative démocratique passer aux mains de Ro bespierre ? A cela , plusieurs raisons . D'abord , leur parti , en s'éten dant, perdait de son énergie première . Beaucoup d'an ciens constitutionnels, feuillants , royalistes même, s'étaient ralliés à eux, se disaient Girondins, couvraient du pavil lon républicain leurs espérances de réaction . Les pré tendus Girondins , qui remplissaient les administrations, restaient fort en deçà du républicanisme de Vergniaud ou de Condorcet, donnaient une main à Isnard et l'autre aux monarchiens, voulaient que la Révolution s'arrêtât , reculât, à l'instant même où il fallait qu'elle déployât toute son énergie. C'étaient ces amis dangereux qui partout éner vaient l'action des municipalités, entravaient la vente des biens nationaux et , par là , produisaient la baisse des assi gnats et compromettaient le crédit de la Révolution . C'étaient eux qui retardaient le départ des volontaires et plus tard la levée en masse . En outre , les chefs du parti girondin dans l'Assemblée ne se rendaient pas assez compte des difficultés de l'heure présente : la plupart ont résisté à des mesures reconnues indispensables . Les Girondins auraient pu prévenir les déchirements de la Convention ; mais leurs orateurs , jeunes , ardents, avec leur fougue méridionale , souvent grisés de leur propre élo quence, montrèrent tout d'abord un acharnement impoli tique à réveiller le souvenir des massacres, à remuer cette boue sanglante de septembre. Ils s'attaquèrent à Marat, qu'ils auraient dû dédaigner, à Robespierre , qu'ils auraient pu contenir, à Danton, qui ne demandait qu'à s'unir à eux pour maintenir la Révolution dans une voie plus modérée. 156 HISTOIRE DE LA REVOLUTION FRANÇAISE. Danton n'était ni un furieux , ni un sectaire ; c'était un homme d'État. Quoiqu'il fût sorti du ministère , il exerçait encore une grande action sur la diplomatie et la poli tique : c'était lui qui, à ce moment, conduisait les négo ciations avec la Prusse afin de rompre le faisceau de la coalition! ; c'était lui qui , par ses agents secrets , surveillait les complots de la Vendée et de l'émigration. La Révolu tion , il la poussait à l'action , à l'expansion , pour la sauver de la guerre civile ; il organisait ce que les Girondins avaient rêvé , le soulèvement des peuples contre les rois. Il avait donné des garanties efficaces à la propriété et dé savoué publiquement les exagérations de Marat ; bien que ses paroles, par une nécessité des temps, fussent parfois d'un violent , ses actes étaient ceux d'un modéré. Comment les Girondins ont- ils pu méconnaître en Danton le grand indulgent, celui qui devait expier sur l'échafaud le même crime qu'eux- mêmes : la modération ? C'est le malheur de la Révolution que les Girondins aient repoussé les avances de Danton ; eux et lui , avec les sages Montagnards, comme Carnot, Cambon , Lindet, les deux Prieur, ils étaient la force vive de la France, de la Révolution ; peut-être eussent- ils sauvé le pays sans le faire passer par les angoisses de la Terreur. Danton , du moins , a tout fait pour conjurer la rupture. Plusieurs des grands Girondins , Vergniaud , Condorcet , Gensonné , n'avaient aucune haine contre lui ; ils auraient consenti å un rapprochement. Ce furent surtout Roland, Mme Roland, Buzot , Valazé , Barbaroux , Guadet, qui , obéissant à d'aveu gles antipathies, entrainèrent le reste du parti dans une voie funeste. Les Girondins s'attaquaient non seulement aux députés parisiens, mais à Paris même, affectant contre cette ville une défiance injurieuse , comme si les massacres de sep. tembre eussent été l'æuvre de Paris, comme s'il n'eût pas été plus sage de se souvenir que Paris , au 14 juillet , au 5 octobre , au 10 août , avait sauvé la Révolution . Buzot et > LA CONVENTION. 157 Roland proposaient d'entourer la Convention d'une garde fournie par les 83 départements ; Barbaroux annonçait qu'il faisait venir mille Marseillais pour garantir la sécu rité des Girondins. Vainement Gonchon , l'orateur du fau bourg Saint-Antoine, essayait de calmer ces craintes chi mériques et prononçait à la barre de la Convention ces paroles fraternelles : « Qu'ils viennent , non pas six , sept, huit, vingt- quatre mille, mais qu'un million de Français accourent dans ces murs. Nos bras sont ouverts pour les recevoir. Ils trouveront les mêmes foyers qu'ils visitèrent à l'époque de la Fédération . >> Le peuple de Paris voyait bien que les discordes de l'Assemblée seraient l'écueil de la Révolution : Gonchon disait encore , au nom des ouvriers : « C'est avec douleur que nous voyons des hommes, faits pour se chérir et s'es timer, se haïr et se craindre autant et plus qu'ils ne dé testent les tyrans . N'êtes-vous pas , comme nous , les zéla teurs de la République, les fléaux des rois et les amis de la justice ? Ah ! croyez- en des citoyens étrangers à l'in trigue. On s'attribue mutuellement des torts imaginaires. Soyez persuadés que les hommes ne sont pas aussi mé chants qu'on le croit . » Danton fut peut-être le seul à s'inspirer de ces conseils dictés par le bon sens du peuple. A plusieurs reprises , il essaya de se rapprocher des Girondins : la raideur de Ro land , la hauteur de sa femme firent échouer toutes les ten tatives de réconciliation . > LES PEUPLES ET LA RÉVOLUTION . LA SAVOIE. LE RHIN . BATAILLE DE JEM MAPES La guerre continuait aux frontières. Comme elle n'avait pas le caractère d'une guerre de conquête , mais d'une guerre de principe, d'une guerre de la liberté contre l'absolutisme, les libéraux des pays voisins faisaient des 158 HISTOIRE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE. veux pour le triomphe des Français, et saluaient le dra peau tricolore comme celui de la régénération européenne. Auprès de nos généraux s'empressaient des réfugiés hol landais, belges, liégeois , allemands, suisses , savoisiens, italiens , qui les exhortaient à passer les frontières et à renverser les vieilles tyrannies. Nombre de Savoisiens venaient jusqu'à Lyon , prenaient l'uniforme des gardes nationaux français et la cocarde tricolore, se mêlaient à nos fêtes patriotiques . Les habi tants de la Savoie détestaient nos émigrés, dont le gouver nement sarde tolérait les rassemblements sur son terri toire : l'un de ceux -ci s'étant avisé d'attacher une cocarde tricolore à la queue d'un chien , un soulèvement éclata .. Alors le général français Montesquiou franchit la fron tière , poussant devant lui , presque sans échanger de coups de fusil , les troupes sardes. « Le plus merveilleux dans cette conquête admirable, dit Michelet, c'est que ce ne fut pas une conquête. Ce ne fut rien autre chose qu'un mutuel élan de fraternité. Deux frères, longtemps séparés, se retrouvent, s'embrassent : voilà cette simple et grande histoire . C'était un spectacle étrange. Les chants Allons, enfants de la patrie ! faisaient tomber les murailles des villes . Les Français arrivaient aux portes avec le drapeau tricolore ; ils les trouvaient ouvertes et ne pouvaient passer ; tout le monde venait à leur rencontre et les reconnaissait, sans les avoir jamais vus ; les hommes les embrassaient, les femmes les bénissaient, les enfants les désarmaient. Les Français furent saisis d'étonnement, pro fondément émus en découvrant une France inconnue, une vieille France naïve qui , dans la langue de Henri IV , bé gayait la Révolution . » Les documents officiels confirment ce récit. « Le peuple des villes et des campagnes de Sa voie , écrivait Montesquiou à l'Assemblée , accourt au devant de nous ; la cocarde tricolore est arborée partout, des cris de joie accompagnent nos pas . La municipalité de Chambéry m'attendait à la porte de la ville pour m'en LA CONVENTION. 159 remettre les clefs ; le chef de la municipalité m'a exprimé les sentiments d'attachement et de respect du peuple de Savoie pour la France. » Le syndic Mansord , sûr de n'être pas démenti, avait dit à Montesquiou : « Nous ne sommes pas un peuple conquis , mais un peuple délivré » ( 22 sept . ) . Et, en effet, dans toutes les communes de Savoie , eurent lieu , le 14 octobre, les élections pour « l'Assemblée na tionale souveraine des Allobroges » . Ces populations, très libérales d'opinion , toutes françaises de cour et de lan gue , manifestèrent aussitôt leur désir d'être réunies à la France. Le 21 octobre 1792 , dans la cathédrale de Cham béry, les députés proclamèrent le veu des populations : sur 658 communes, 583 s'étaient prononcées pour l'an nexion. Cette première union de la France et de la Savoie devait durer vingt- deux ans . Anselme, avec une poignée de soldats, occupa sans plus de difficulté le comté de Nice . Custine, dont le quartier général était à Landau , répon dit également à l'appel des libéraux allemands. Il entra presque sans résistance à Spire et à Worms. Le 19 octo bre, il parut devant Mayence , capitale de l'archevêque électeur et place forte de premier ordre sur le Rhin . La ville capitula et Custine y fit son entrée le surlendemain . Il poussa également une pointe sur Francfort, mais ne put s'y maintenir. Ce qu'il y eut de caractéristique dans l'oc cupation de Mayence, c'est l'empressement d'une partie de la population auprès des Français. Il se forma aussitôt un club à la tête duquel se placèrent des patriotes allemands , comme Bæhmer, Hoffmann, Dorsch , Stamm , Wetekind , le naturaliste Forster, l'ingénieur Eckemeyer . On plantait en grande pompe des arbres de liberté, on aidait les soldats français à élever des retranchements contre les Prussiens . Plus tard les habitants des bords du Rhin s'organisèrent en république et réunirent à Mayence une Convention alle mande, à l'imitation de notre Convention nationale . Puis cette Convention vota la réunion de Mayence et de toute la > 160 TIISTOIRE DE LA RÉVOLUTION FRANCAISE . rive gauche du Rhin à la France. L'enthousiasme n'était pas moindre dans les autres pays allemands de la région rhé nane . Le grand poète Gøthe en témoigne dans le passage suivant : « Les Français arrivèrent, mais ils semblaient n'apporter que l'amitié . Et ils l'apportèrent, en effet, car ils avaient tous l'âme exaltée . Ils plantaient avec allégresse les joyeux arbres de liberté, promettant à chacun son droit , à chacun son gouvernement national. Les jeunes gens, les vieillards se félicitaient, et les danses joyeuses commen cèrent autour des nouveaux étendards .... Il est beau le temps où , avec son amante, le fiancé prend l'essor à la danse , en attendant le jour de l'union souhaitée ; mais il était plus magnifique le temps où le premier des biens que l'homme puisse rêver nous sembla proche et acces sible , la liberté ! Toutes les langues étaient déliées : vieil lards , hommes faits , jeunes gens, exprimaient hautement des pensées et des sentiments sublimes » . Pendant que les Français étaient partout reçus en li bérateurs, l'armée autrichienne assiégeait Lille . Le duc de Saxe- Cobourg et sa femme, l'archiduchesse Christine , sæur de la reine de France , infligeaient à cette ville un effroyable bombardement ( 20 septembre - 7 octobre), qui brûla 400 maisons , tua des femmes et des enfants, mais ne put réduire l'héroïque cité . Le peuple lillois se montra digne de ce canonnier qui refusa de quitter le rempart, bien que sa maison brûlât : « Mon poste est ici , répondit il en pointant sa pièce : feu pour feu ! » On se souvient en core du perruquier Maës qui , ramassant un éclat de bombe, s'en servit comme d'un plat à barbe pour raser sa clien tèle , au sifflement des boulets. Dumouriez arrivait avec son armée victorieuse de Valmy pour venger ces inutiles barbaries . Le 6 novembre, il rencontra l'ennemi sur les hauteurs de Jemmapes. Les positions des Autrichiens étaient formi dables : ils occupaient des pentes rapides qu'ils avaient fortifiées de quatorze redoutes et armées de batteries s1 BS ll 1 u ne W qui 1 : tra di ell be el TE Bataille de Jemmapes. 1 A. RAMBAUD . 11 162 HISTOIRE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE. > disposées par étages . Sous le feu d'une artillerie terrible , un moment nos bataillons hésitèrent; mais Dumouriez les rallia , les encouragea en entonnant lui-même la Marseil laise, et emporta toutes les positions autrichiennes. Jem mapes fut la seconde des grandes victoires de la liberté . Le 7 novembre, Dumouriez fit son entrée à Mons, le 14 å Bruxelles , le 18 à Liège . La Belgique tout entière était à nous . Il fallait savoir comment on l'organiserait . Ici commence le dissentiment entre Dumouriez et les Montagnards. Dumouriez, qui n'avait pas renoncé à réta blir en France la royauté, qui avait voulu attribuer au duc de Chartres , plus tard Louis-Philippe ler , fils du duc d'Orléans, tout l'honneur du succès de Jemmapes, n'était pas homme à révolutionner la Belgique . Il cherchait, au contraire, dans les classes dirigeantes de ce pays un point d'appui pour ses desseins ultérieurs. Il ménageait la no blesse et l'Église , demandant seulement un emprunt de 100 millions au clergé. Il laissait les « aristocrates » en possession de toutes les administrations locales . Il se trouva tout d'abord en lutte avec les Jacobins, qui voulaient éta blir dans toutes les villes belges des clubs affiliés à la société- mère, appliquer à la Belgique les lois , révolution naires , anéantir le pouvoir des classes aristocratiques, assurer l'avènement des classes populaires . Il se fit un ennemi de Cambon, président du Comité des finances, que la Convention avait chargé de la vente des biens nationaux et de l'émission des assignats, et qui voulait introduire en Belgique le même système financier qu'en France . La vente des biens du clergé belge eût créé dans le pays toute une classe de propriétaires intéressés au succès de la Révo lution ; une nouvelle émission d'assignats eût donné au paysan belge le moyen d'acheter la terre ; ainsi les frais de la guerre pour l'affranchissement de la Belgique eussent été payés par l'Église . Dumouriez résistait . Danton se rendit en Belgique pour empêcher la rupture entre le général et l'Assemblée. Dans l'intervalle , le 15 dé LA CONVENTION . 163 cembre, Cambon fit rendre un décret qui défendait aux généraux de passer des marchés , chargeait de ce soin des commissaires -ordonnateurs, et cassait tous les marchés con clus par Dumouriez : il voulait obliger celui- ci à nourrir son armée aux dépens des riches abbayes de Belgique. Déjà , le 19 novembre, la Convention avait décrété que la France appuierait toute nation qui voudrait la liberté. Le 15 décembre parut un nouveau décret qui réglait l'ap plication du précédent : dans tous les pays où entreraient les armées françaises, elles devaient casser les autorités aristocratiques, les remplacer par des sans-culottes, saisir les biens d'Église, abolir les dimes et les droits seigneu riaux, appeler le peuple à la liberté . C'était l'organisation de la guerre révolutionnaire . Quand Dumouriez reçut en Belgique le décret du 15 dé cembre, il en conçut un profond dépit : il demanda å Dan ton ce qu'il en pensait : « Ce que j'en pense , répondit celui - ci , c'est que j'en suis l'auteur. » Ce décret réalisait , en effet, les idées de Danton et de ses amis : la guerre commencée par les rois ne devait plus s'arrêter que par leur renversement ou leur soumission . Le drapeau trico lore devenait l'étendard de la révolution universelle . PROCÈS DE LOUIS XVI La victoire de Jemmapes assurait déjà la sécurité de nos frontières. Si elle eût été remportée plus tôt , elle eût peut être empêché la mise en jugement de Louis XVI. Mais, dès le 16 octobre, la Convention avait accueilli une pétition des Jacobins d'Auxerre qui demandait le procès du roi . Au fond , personne dans l'Assemblée n'avait intérêt à sa perte : n'était- il pas mort , en tant que roi , depuis le 10 août ? Mais, une fois la question posée, ni Robes pierre , ni Danton , ni la Montagne , ni même la Gironde, ne voulaient risquer de passer pour modérés, peut- être pour 164 HISTOIRE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE . mná fauteurs de la royauté. Le 6 et le 7 novembre, deux rap ports furent lus dans l'Assemblée, l'un du girondin Valazé, l'autre du montagnard Mailhe : tous deux concluaient à la mise en accusation . La Gironde et la Montagne ne vou laient pas se laisser dépasser l'une par l'autre . Une chose aurait pu sauver la tête du roi , c'était la ré conciliation de la Gironde avec Danton ; mais il fallait laisser à celui- ci ce rôle de chef des violents, qui cachait en lui tant de modération , et qui était le secret de sa force et de sa popularité . Un mot de Danton au club des Corde liers aurait dû éclairer les Girondins : ( Une nation se sauve , avait - il dit , mais ne se venge pas . » Le 30 novem bre, dans le plus grand secret , au milieu des bois de Sceaux , il eut avec les chefs girondins une dernière en trevue et fit une suprême tentative de réconciliation . Il les trouva intraitables, obstinés dans leurs soupçons de dicta ture , enfermés dans leurs haines et leurs défiances, achar nés à réveiller les souvenirs de septembre , comme s'ils ne comptaient pas dans leurs rangs Duprat et Mainvielle , qui avaient laissé faire, en 1791 , les massacres d'Avignon . « Guadet , dit alors Danton à l'un d'eux , Guadet , tu as tort : tu ne sais point pardonner. Tu ne sais pas sacrifier ton ressentiment à la patrie. Tu es opiniâtre, et tu péri ras ! » Les choses suivirent donc leur cours et le procès du roi allait fournir un nouvel aliment aux discordes . Dans la séance du 13 novembre, un homme nouveau , Saint-Just , l'ami de Robespierre, avait prononcé un discours bref, tranchant comme la hache. Pour lui , il ne s'agissait pas de discuter si le roi était ou non couvert par l'inviolabilité ; on n'avait pas à le juger, mais à le frapper ; on devait le traiter non en citoyen, mais en ennemi . « Un jour, s'écria t-il , on s'étonnera de la barbarie d'un siècle où ce fut quelque chose de religieux que de juger un tyran .... On s'étonnera qu'au dix- huitième siècle , on ait été moins avancé que du temps de César ; le tyran fut immolé en > > LA CONVENTION . 165 plein sénat, sans autres formalités que vingt-trois coups de poignard , sans autre loi que la liberté de Rome ! Et au jourd'hui l'on fait avec respect le procès d'un homme assassin d'un peuple, pris en flagrant délit , la main dans le sang,, la main dans le crime ! Ceux qui attacheront quelque importance au juste châtiment d'un roi ne fonderont jamais une république .... Juger un roi comme un citoyen ! ce mot étonnera la postérité froide . Juger, c'est appliquer la loi . Une loi est un rapport de justice . Quel rapport de justice y a - t- il donc entre l'humanité et les rois ? ... La royauté est un crime éternel; on ne peut point régner innocemment. » On reprochait d'abord à Louis XVI les affaires de Nancy, de Varennes, du Champ de Mars : mais , sur tous ces points , il pouvait répondre que sa responsabilité se trouvait couverte , amnistiée en quelque sorte par son acceptation de la constitution . D'autres accusations n'étaient que trop bien fondées : la désorganisation de l'armée , de la marine , des forteresses , les intelligences avec les émigrés et avec l'étranger . Mais, malgré les papiers trouvés aux Tuileries après le 10 août, on était loin de savoir, sur les relations de Louis XVI avec la coalition , tout ce que nous en savons aujourd'hui. En réalité , pour les Jacobins, il n'y avait pas un accusé à juger, mais un ennemi à détruire . Ils voulaient con sommer la rupture entre le passé et l'avenir, rendre irré parable le divorce de la France et de la royauté, couper les ponts derrière la Révolution . A ce prix seulement, pensaient ils , les intérêts créés par elle seraient affermis, le crédit de la Révolution solidement établi , toutes les espérances de restauration anéanties . Ils voulaient, par un remède terrible , « guérir le monde du mal des rois » . Thomas Payne, un Anglais devenu Français par amour de la Révo lution , envisageait la question d'un point de vue beaucoup plus élevé.Il entendait que le procès de LouisXVIfût un com mencement d'instruction « contre la bande des rois » . > > 166 HISTOIRE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE. » (( De ces individus , disait- il , nous en avons un en notre pouvoir. Il nous mettra sur la voie de la conspiration gé nérale . Il y a aussi de fortes présomptions contre M. Guelfe, électeur de Hanovre , en sa qualité de roi d'Angleterre . M. Guelfe, c'était , dans la langue des Jacobins, le roi d'Angleterre George III , comme M. Capet était le roi de France Louis XVI. Ainsi, le procès d'un roi serait devenu le procès de tous les rois , la mise en accusation de la royauté elle-même. Les souverains de l'Europe auraient été cités à la barre de la Convention. L'ère nouvelle se se rait ouverte par la condamnation solennelle de l'institu tion monarchique. Les circonstances ne permettaient pas de donner au procès cette ampleur. Le 2 décembre , la Commune de Paris fut renouvelée ; à peine installée , elle vint à la barre de la Convention demander la condamnation du roi . Elle était forte du malaise public , de la souffrance du peuple ; les masses , jusqu'alors indifférentes au débat , commen çaient à s'agiter , associant bizarrement ces deux idées : la vie du roi et la misère du peuple. Le 3 décembre, Robespierre intervint pour reprendre la thèse de Saint-Just : « Il n'y a point ici de procès à faire. Louis n'est point un accusé , vous n'êtes point des juges ; vous êtes , vous ne pouvez être que des hommes d'État et les représentants de la Nation. Vous n'avez point une sentence à rendre pour ou contre un homme, mais une mesure de salut public à prendre, un acte de provi dence nationale à exercer. Quel est le parti que la saine politique prescrit pour cimenter la République naissante ? C'est de graver profondément dans les cours le mépris de la royauté et de frapper de stupeur tous les partisans du roi.... Louis ne peut donc être jugé, il est déjà con damné ; il est condamné, ou la République n'est point absoute .... Les peuples ne jugent pas comme les cours judiciaires ; ils ne rendent point de sentences, ils lancent la foudre. » > LA CONVENTION . 167 Au cours du procès, Chabot avait tenté de compromettre certains députés girondins avec les papiers trouvés au Tuileries : ils n'eurent pas de peine à confondre leurs accusateurs. Mme Roland parut à la barre de la Convention : elle eut un vrai triomphe . En revanche, les Girondins , dans leur désir secret de sauver la vie du roi , commirent une lourde faute : Guadet demanda qu'on réunît à l'instant les assemblées primaires ( c'est- à - dire les électeurs du pre mier degré) pour sanctionner les choix faits par les élec teurs du degré supérieur et pour révoquer les députés qui auraient perdu la confiance du peuple. Guadet espérait par là éliminer Marat, Robespierre et plusieurs des députés de Paris . Dans cette vaine espérance, il venait de donner une force nouvelle à la plus dangereuse des doctrines anar chistes : la perpétuelle révocabilité du mandat de repré sentant. Les Girondins, qui devaient tomber victimes de cette théorie funeste , se levèrent en masse pour appuyer la proposition . Il fallut que les Montagnards intervinssent . pour montrer à la Convention que tout était perdu si , pressée entre la guerre étrangère et la guerre civile , elle paraissait douter de ses pouvoirs. La Convention avait nommé une commission de vingt et un membres pour instruire le procès du roi. Le 10 décembre, le montagnard Robert Lindet lut un exposé historique de la cause , et le girondin Barbaroux donna le résumé des griefs. Le 11 , Louis XVI comparut à la barre de l'Assem blée et répondit à l'interrogatoire du président. Il persista à répéter qu'il n'avait jamais eu connaissance d'un seul projet de contre - révolution . On lui permit de choisir pour l'assister trois jurisconsultes, Malesherbes, Tronchel et De sèze . Ce dernier présenta , le 26 décembre, la défense du roi . Les Girondins acceptaient la mise en jugement du roi, mais ils auraient voulu que sa vie fût sauve. Vergniaud , dans son beau discours du 31 décembre, prophétisa les malheurs qui suivraient son exécution : la coalition accrue 168 HISTOIRE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE. - par l'accession de l'Angleterre , de la Hollande , de l'Espagne, des princes allemands ; une recrudescence de la misère ; une lutte plus acharnée des partis ; la Convention prochai nement en butte aux mêmes haines qu'aujourd'hui la royauté ; peut- être la dictature s'élevant sur les cadavres des défenseurs de la République . Les Jacobins , au contraire, entendaient que le procès , une fois commencé, aboutit à la condamnation , à l'exécution . Trois questions seulement, formulées par le girondin Fonfrède, furent présentées au verdict de l'Assemblée constituée en tribunal : « Louis est - il coupable ? - YYaura t- il appel au peuple ? - Quelle peine sera infligée ? » Le 15 janvier commença l'appel nominal sur ces trois questions. Chaque député, à l'appel de .son nom , montait à la tribune et émettait son suffrage à haute voix . Du 15 au 19 janvier la Convention siégea nuit et jour. A l'unanimité, moins une trentaine de voix , Louis XVI fut déclaré coupable de conspiration contre la liberté de la nation et la sûreté générale de l'État. L'appel au peuple, qui aurait ajourné indéfiniment l'exé cution , fut repoussé par 423 voix contre 281 . La séance du 16 au 17 janvier fut la plus dramatique . On allait voter sur l'application de la peine . Lanjuinais et Lehardy soulevaient la question de savoir si la majorité requise pour la peine de mort serait la majorité simple ou la majorité des deux tiers. Danton fit écarter cette propo sition , et l'appel nominal commença à huit heures du soir pour se prolonger toute la nuit et le jour suivant : 354 dé putés se prononcèrent, soit pour la mort avec sursis à l'exécution , soit pour des peines qui n'étaient pas la mort ; 387 votèrent la mort sans condition . Sur cette question , comme déjà sur la question de l'appel au peuple, les Girondins s'étaient divisés : Condorcet et Rabaut-Saint - Étienne votèrent pour la détention ; Ver gniaud, Guadet, Buzot, Pétion , Valazé, Brissot , Louvet , se prononcèrent pour la mort avec sursis ; Gensonné, Rebecqui, > mgg .Convention ladevant XVI Louis 170 ITISTOIRE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE. Barbaroux, Duprat, Isnard , Fonfrède, votèrent pour la mort sans condition . Dans la Montagne , on vit avec stupeur le duc d'Orléans, qui se faisait appeler Philippe- Égalité , voter la mort de son parent ; il espérait que son suffrage régicide pourrait faire oublier ses immenses richesses. Danton motiva son vote en ces termes : « Je ne suis pas de cette foule d'hommes qui ignorent qu'on ne compose pas avec les tyrans, qu'on ne les frappe qu'à la tête . » Robespierre dit : «« Je suis inflexible pour les oppresseurs, parce que je suis compatissant pour les opprimés . Je ne connais point l'humanité qui égorge les peuples et qui pardonne aux despotes. » Il ajouta que le même sentiment qui l'avait porté à demander l'abolition de la peine de mort le forçait aujourd'hui à l'appliquer au tyran . Le 19 , on reprit la question du sursis . Le 20 , à trois heures du matin , par 580 voix contre 310, la Convention décida qu'il ne serait pas sursis à l'exécution et qu'elle aurait lieu dans les vingt- quatre heures. Le 21 janvier, à 10 heures 22 minutes, Louis XVI fut décapité sur la place de la Révolution, aujourd'hui place de la Concorde . L'historien impartial doit tenir compte à ce malheureux prince des fatalités de la naissance et de l'éducation ; roi de droit divin , élevé par les jésuites dans les idées de la monarchie absolue , on conçoit qu'il n'ait jamais pu se résigner à voir limiter le pouvoir qu'il avait reçu intact de ses ancêtres ; que , pour rétablir son ancienne autorité , il se soit cru en droit de faire appel aux autres souverains, qu'il soit resté étranger à ces idées nouvelles de patriotisme qui exaltaient les hommes de 93 et qu'il se soit senti soli daire de la famille des rois plutôt que de la nation française . L'historien qui fera ces réserves en faveur du roi sera tenu à la même justice envers les régicides. Ces hommes qui pour la défense du territoire ne reculèrent devant aucun sacrifice, qui , pour sauver la France et la liberté , affrontèrent le feu des champs de bataille , le poignard des Marat ! LA CONVENTION. 171 4 conspirateurs, le couteau de la guillotine , devaient consi dérer comme le plus abominable des crimes l'appel à l'étranger. Faisant application à Louis XVI d'un droit qui était nouveau pour lui , ils le jugèrent coupable et n'hési tèrent pas à le frapper. Carnot, qui avait voté la mort du roi et signé l'ordre d'exécution , disait : « Aucun devoir ne m'a tant coûté. » On voit , par ces paroles mêmes, qu'à ses yeux ce fut un devoir. C'est une erreur que de se représenter les députés qui votèrent la mort du roi comme ayant cédé à la peur , Paris fut calme pendant les journées de janvier, et la Convention délibéra en toute liberté . Il y avait alors plus de péril pour ceux qui émettaient un vote régicide que pour les indul gents . Paris était encore plein d'anciens gardes constitu tionnels et gardes du corps. Le jour même où le sursis fut rejeté, la veille de l'exécution de Louis XVI, un de ces soldats royalistes rencontra Lepelletier de Saint- Fargeau , qui avait voté la mort du roi : d'un coup de coutelas , il lui perça le cœur. Lepelletier de Saint -Fargeau est l'au teur d'un projet de Code pénal , dans lequel la peine de mort est abolie, et d'un plan d'éducation nationale, où il demande l'instruction gratuite et obligatoire, commune aux enfants pauvres et riches , afin que les premiers puis sent participer au bien - être de leurs camarades, et l'abo lition des châtiments corporels dans les écoles . L'Assem blée fit à la victime de magnifiques funérailles et lui de cerna les honneurs du Panthéon . Sa fille fut adoptée par la nation . Le tableau du grand peintre David qui repré sentait la mort de Lepelletier fut placé dans la salle des séances de la Convention . LA COALITION ET LA VENDÉE La Convention, au lendemain de l'exécution du roi , se trouva en présence de dangers plus ' terribles . Comme Vergniaud l'avait prévu , la mort de Louis XVI fut sinon 172 HISTOIRE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE . la cause , du moins le prétexte de nouvelles attaques. C'était uniquement la conquête de la Belgique qui avait décidé Pitt, le premier ministre d'Angleterre, à entrer dans la coalition ; mais il prit occasion du régicide pour chas ser notre envoyé Chauvelin . Le stathouder de Hollande suivit , comme il faisait toujours, l'exemple de la Grande Bretagne . La cour de Naples, où régnait une sour de Marie - Antoinette, la cour d'Espagne, où régnait une bran che des Bourbons, se joignirent à nos ennemis. Le pape, qui avait tant fait pour attiser chez nous la guerre ci vile , laissait prêcher à Rome le meurtre des Français : le 13 janvier, notre envoyé Basseville était égorgé avec un rasoir sous les yeux de la police pontificale. La Convention décréta sa déclaration de guerre le 1er février à l'Angleterre et au stathouder de Hollande, le 7 mars au roi d'Espagne . Le 22 mars , la diète de Ratisbonne, conseil suprême du Saint- Empire, se prononça pour la guerre. La guerre , dé clarée au nom du Saint- Empire , armait contre nous les petits États allemands si nombreux à cette époque, ducs , princes, comtes , landgraves , prélats ou abbés , simples hobereaux ou villes libres , que leur multitude même ren dait peu dangereux, mais qui cependant apportaient leur appoint aux deux grandes puissances germaniques, l'Au triche et la Prusse . Sur le point d'engager cette lutte gigantesque où la li berté du monde pouvait périr avec la France, la Conven tion nationale, dans sa séance du 29 février, lança une magnifique proclamation qu'Isnard avait rédigée. Elle di sait aux soldats : « Vainqueurs de Valmy, de Spire et d'Argonne! laisserez- vous périr une patrie que vous avez une fois sauvée ? ... Si vous êtes vaincus , la France de vient la risée des nations et la proie des tyrans.... Votre défaite couvre la terre de deuil et de larmes ; la liberté fuit de ces tristes contrées et avec elle s'évanouit l'espé rance du genre humain. Longtemps après que vous ne serez plus , des malheureux viendront agiter leurs chaînes LA CONVENTION. 173 sur vos tombeaux , insulter à vos cendres . Mais si vous êtes vainqueurs, c'en est fait des tyrans. Les peuples s'em brassent et , honteux de leur longue erreur, ils éteignent à jamais le flambeau de la guerre. On vous proclame les sauveurs de la patrie, les fondateurs de la République, les régénérateurs de l'univers ! ... >> Au moment où il fallait faire face à l'Europe entière , où 400 000 Anglais, Hollandais , Allemands , Autrichiens, Sardes , Espagnols menaçaient toutes nos frontières, la France se trouva prise à revers par l'insurrection ven déenne . Depuis longtemps déjà, dans les départements du Poitou et de la Bretagne , les prêtres réfractaires, les émi grés revenus dans leurs manoirs, attisaient la guerre ci vile . Le 24 août 1792, avait eu lieu la première insurrec tion , comprimée par les bourgeois de Quimper. Ainsi, la veille même du jour où l'Assemblée législative décrétait l'abolition des derniers droits féodaux, affranchissait la terre du paysan , l'aveugle paysan vendéen s'armait contre la Révolution ; il s'armait pour un régime qui, durant tant de siècles , l'avait tenu dans la misère et dans l'igno rance. Cette première prise d'armes avait coïncide exacte ment avec l'invasion prussienne de 1792 : la grande insur rection de mars 1793 coïncida avec la grande coalition . Comme il fallait augmenter l'effectif de nos armées , on proclama par toute la France la réquisition, c'est- à-dire l'appel sous les drapeaux. Le paysan vendéen prit le fusil, mais contre la France. Le 4 mars, on avait assassiné le commandant de Cholet ; le 10 , les masses rurales assail lirent Machecoul et y massacrèrent les patriotes ; le 12 , à Saint- Florent , elles tuèrent les gendarmes chargés du recrutement, tirèrent sur la troupe et se saisirent des canons . En quelques jours le tocsin sonna dans toutes les paroisses ; 100 000 paysans se trouvèrent sous les armes, fanatisés par les prédications du carême, par les approches de Pâques. Ils se formerent en bandes, à la tête desquelles 174 HISTOIRE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE. se placèrent le voiturier Cathelineau , le garde- chasse Stof flet, le perruquier Gaston. Les chefs nobles, Charette, Les cure, d'Elbée , Talmont, Sapinaud , Bonchamp, Larochejac quelein, ne parurent que plus tard . Le mouvement fut d'abord plutôt religieux et populaire que royaliste . Cathelineau était avant tout l'homme du clergé : ses hommes portaient presque tous un sacré- caur sur la poitrine avec cette inscription : « Arrête ! le cœur de Jésus est avec moi . » Le chapelet était une partie essen tielle de leur équipement . Quand ils prenaient des patriotes, ils n'oubliaient jamais de les faire confesser avant de les fusiller. Ils restaient aussi barbares que leurs ancêtres du moyen âge : leur isolement, en plein dix- huitième siècle , les avait maintenus à l'état sauvage . Leur fanatisme parut dans les tortures qu'ils faisaient subir à leurs prisonniers : en cela il différait du fanatisme révolutionnaire, qui se contentait de rendre la mort pour la mort. A Machecoul, les paysans prirent le curé constitutionnel , et le firent mourir à petits coups, pour que le supplice durât plus long temps ; avec des cors, ils donnèrent la chasse aux patriotes ; quand ceux- ci tombaient, on sonnait la curée et les femmes achevaient les victimes ; il y eut des hommes enterrés vifs, des gardes nationaux cruellement martyrisés . Des prêtres réfractaires rivalisaient de férocité avec les paysans . A Machecoul , l'un d'eux, comme il n'y avait plus à tuer que les femmes, s'avisa de dire la messe sur la tombe d'une sainte . Tout à coup il cria qu'il sentait la pierre se soule ver. Ce miracle allait faire continuer les massacres, quand arrivèrent les troupes républicaines . Ces paysans, qui refusaient d'aller combattre aux fron tières , montrèrent une bravoure farouche : on les vit se jeter à la bouche des canons pour s'en emparer . Toutefois le succès de l'insurrection paraîtra moins étonnant, quand on saura que les départements de l'Ouest étaient alors en tièrement dégarnis de troupes et que les insurgés n'eurent à lutter que contre les gardes nationales des petites villes . > LA CONVENTION . 175 La guerre que les paysans faisaient aux citadins était à certains égards une guerre sociale . Ils haïssaient les villes comme la résidence des autorités, des gens de loi , des marchands. La Vendée , avant même l'arrivée des trou pes de la Convention , était déjà divisée en bleus et en bri gands. Les bleus, c'est- à -dire les habitants des villes , se sacrifièrent pour arrêter l'insurrection . Les cités de Nantes, Rennes, Quimper, Angers, même de petites villes comme Machecoul, Chollet, les Sables -d'Olonne, Luçon, Fontenay, la Roche -Bernard , acquirent alors des titres impérissables à la reconnaissance du pays . Les villes étaient comme des îlots perdus au milieu du soulèvement des masses rurales , dans les départements de la Vendée, des Deux- Sèvres , de Maine- et- Loire, Ille - et-Vilaine, Loire - Inférieure. L'insur rection dans les départements bas-bretons (Morbihan , Fi nistère , Côtes- du-Nord) s'appela d'un nom particulier, la chouannerie, parce que le signe de ralliement était le cri du chat -huant. TRAHISON DE DUMOURIEZ La lutte continuait entre Dumouriez , le conquérant de la Belgique , et Cambon, que soutenait toute la Montagne . Dumouriez ne voulait pas de la guerre révolutionnaire ; or, c'est avec cette guerre seulement qu'on pouvait résis ter à l'Europe. Il négligeait de poursuivre les Autrichiens et de les jeter au delà du Rhin , laissait battre Custine et bloquer Mayence. Son armée découragée fondait entre ses mains. Il se croyait fort habile en négociant avec l'Autri che et l'Angleterre, qui le trompaient et complétaient leurs armements. Il s'aliénait à la fois tous les partis de la Con vention : Danton et les Girondins , qui demandaient la pro pagande armée ; les Jacobins, qui visaient à l'établissement du gouvernement révolutionnaire; Cambon, qui voulait étendre à la Belgique son système financier . 176 HISTOIRE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE.

Un échec que Dumouriez éprouva près d'Aix -la -Chapelle le força d'évacuer Liège, abandonnant les patriotes de cette ville aux vengeances de leur évèque et de l'Autriche : les Liégeois fugitifs accoururent à Paris, soulevant les colères du peuple contre Dumouriez. Celui- ci se décida alors à prendre l'offensive, à tenter l'invasion de la Hollande : victorieux , il marcherait ensuite sur Paris et ferait la loi à la Convention . Le 12 mars, il écrivait une lettre menaçante, qui excita l'indignation de l'Assemblée. Le 18, il attaqua les Autrichiens à Neerwin den, dans une situation presque semblable à celle de Jem mapes ; mais il n'avait plus que 35 000 hommes contre 52 000. Il fut complètement battu . Alors il ne vit plus de salut que dans la trahison . Il eut des conférences secrètes avec le colonel Mack, délégué par le duc de Cobourg, promit de livrer aux Autrichiens Condé et Valenciennes, à condition qu'ils l'appuieraient dans sa marche sur Paris . Trois envoyés du club des Jaco bins étant venus le trouver dans son camp, il leur dit nettement que la Convention était un tyran à 745 têtes , la République un vain mot, et qu'il allait rétablir la royauté avec la constitution de 1791. Dans sa pensée le roi devait être le duc de Chartres . Dès que la Convention eut connaissance de ses projets, elle le somma de comparaître à sa barre. Sur son refus, elle envoya Beurnonville , ministre de la guerre , et les dé putés Camus, Quinette, Lamarque et Bancal . Ceux- ci lui présentèrent le décret qui le suspendait de ses pouvoirs. Dumouriez fit arrêter les représentants du peuple et les livra aux Autrichiens. Toutefois la démarche hardie des commissaires avait dérangé tous ses plans. Jusqu'alors il traitait d'égal à égal avec les Autrichiens; maintenant il fallait en passer par leurs exigences . Or Cobourg avait d'autres projets que Dumouriez : il voulait d'abord s'em parer de nos places frontières ; ensuite, si l'on marchait sur Paris , donner le trône, non pas au duc de Chartres, LA CONVENTION . 177 (( mais au fils ou au frère aîné de Louis XVI . Dumouriez se rendit auprès de Mack, puis revint dans son camp, entouré de dragons autrichiens. A la vue des uniformes étrangers, ses soldats refusèrent de l'entendre. Il eut beau dire : « Mes amis, j'ai fait la paix. Nous allons à Paris arrêter le sang qui coule . » Un simple fourrier, nommé Fichet, sortit des rangs et cria : « Trahison ! » Un soldat tira sur Dumouriez . Il fut obligé de fuir avec ses généraux orléanistes , Valence et le duc de Chartres (4 avril ). Les soldats coururent d'eux mêmes à Condé, à Valenciennes , se jetèrent dans ces deux places et les mirent en état de défense . Dumouriez était le troisième général qui essayait une rébellion militaire : Bouillé avait conspiré contre la Con stituante, Lafayette contre la Législative, Dumouriez contre la Convention . Tous ces essais de coup d'État échouèrent également contre le patriotisme du peuple et de l'armée. CHUTE DES GIRONDINS Les défaites et la trahison de Dumouriez portèrent à la Gironde un coup mortel. Depuis la condamnation du roi , la Montagne, qui avait montré plus d'union et plus de déci sion pendant le procès, prenait de l'avance sur les Giron dins . C'étaient ceux- ci qui autrefois avaient mis Dumouriez à la tête de l'armée : aussi commença-t-on à crier dans les rues de Paris « la grande trahison du général girondin » . Leur situation devenait critique : ils occupaient les ministères, la présidence de l'Assemblée, les adminis trations locales . Ils étaient donc le gouvernement ; on les rendait responsables de tout . La Plaine jouait alors un jeu fort dangereux : si les Montagnards proposaient quelque décret énergique, elle s'empressait de le voter , mais elle en laissait l'exécution aux Girondins : dès lors rien ne se faisait . La seule solution raisonnable eût été que A. RAMBAUD . 12 178 HISTOIRE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE. " la Gironde cédât à la Montagne la direction légale de la Révolution , que les ministres girondins Roland, Clavière , Tondu -Lebrun, Garat, donnassent leur démission , que les autorités girondines des départements les suivissent dans la retraite , qu'un gouvernement jacobin succédât réguliè rement au gouvernement girondin. Malheureusement les Girondins estimaient que sortir du pouvoir, c'était déser ter le danger. La Plaine les encourageait dans leur résis tance en les choisissant toujours pour la présidence de l'Assemblée : ils pouvaient donc dire qu'ils avaient une majorité de gouvernement . La Convention , en apprenant la perte de Liège, avait décidé que tout ce qu'il y avait de soldats et de fédérés dans Paris se rendrait immédiatement à la frontière : les fédérés bretons, sur lesquels la Gironde comptait pour sa sûreté , partirent les premiers. Le lendemain 9 mars, la Commune fit arborer aux tours de Notre- Dame le drapeau noir et à l'Hôtel de Ville l'étendard du « Danger de la pa trie » . Quelques furieux, Varlet, Lazowski , Fournier, es sayèrent de soulever les sections, brisèrent les presses de deux imprimeries girondines , demandèrent l'épuration de l'Assemblée . Mais Paris resta sourd à ces excitations : le faubourg Saint- Antoine fit même offrir une garde à la Convention . La population parisienne n'avait alors d'autre préoccu pation que celle de la défense nationale : dans presque tous les quartiers , on offrait des repas civiques aux volon taires qui se rendaient aux frontières. La seule section de la Halle aux blés , après son banquet du 10 mars, envoya mille volontaires . Le nouveau maire de Paris , Pache, et le procureur de la commune, Chaumette, vinrent à la Con vention rendre témoignage de l'élan patriotique du peuple et recommander à l'Assemblée les familles des volontaires. Puis les compagnies de citoyens en armes défilèrent devant la Convention , en disant : « Pères de la patrie , nous vous laissons nos enfants. » « Nous n'enverrons pas LA CONVENTION . 179 seulement à la frontière, répondirent les députés, nous irons nous-mêmes. » Et la Convention, sur la proposition de Carnot, décréta que 82 de ses membres se rendraient aux armées. Le même jour , l'Assemblée commença la discussion sur l'établissement d'un tribunal revolutionnaire, demandé par la Commune et les Jacobins . La mesure fut appuyée par Jean- Bon Saint-André et Levasseur : ceux- ci n'étaient pas des hommes de sang, mais des hommes d'État, des pa triotes qui se montrèrent héroïques aux armées. C'est Jean - Bon Saint- André qui osa improviser une marine, en 1794, et se risquer avec elle contre la flotte anglaise. C'est lui qui plus tard organisa les départements du Rhin ., Il fallait qu'il jugeât ce tribunal nécessaire pour qu'il le ré clamåt . La Gironde , à part Lanjuinais et quelques autres, en adoptait le principe, mais discutait les détails d'organisa tion . Cambacérès, qui fut plus tard un des rédacteursdu Code civil et grand dignitaire de l'Empire, disait « qu'on ne pouvait suivre ici les principes ordinaires » . La Convention décida que le tribunal serait composé de neuf juges et d'un jury, nommés par elle ( 10 mars) . Le tribunal révolutionnaire tel que l'entendait Dan ton n'était en somme qu'une juridiction exceptionnelle, comme il s'en est toujours établi dans les circonstances extraordinaires, lorsque l'existence même de l'État est mise en péril . Ce n'était pas autre chose qu'une cour martiale comme celles qui ont fonctionné à des époques plus ré centes , quand le pays s'est trouvé en état de guerre étran gère ou de guerre civile . La France tout entière étant comme une place assiégée , le tribunal révolutionnaire se trouvait chargé de punir les traîtres , les rebelles, les com plices de l'étranger, les fournisseurs infidèles , les fabrica teurs de faux assignats. Les peines appliquées par le tri bunal étaient la mort ou la déportation : les déportés étaient provisoirement emprisonnés à Bicêtre. Sans doute , c'était seulement au prix d'une justice rigoureuse qu'on 180 HISTOIRE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE . pouvait prévenir le retour des massacres de septembre. Mais comme ce n'est jamais impunément qu'on sort de la légalité , qu'on supprime les garanties essentielles à la sé curité des citoyens, le tribunal révolutionnaire ne tarda pas à devenir l'instrument d'une effroyable tyrannie. Danton, après avoir vu couler des flots de sang autour de lui , tomba lui- même victime de cette juridiction anarchique et , avant de monter à l'échafaud, un cri échappa à sa con science : il demanda pardon à Dieu et aux hommes d'avoir été l'un des créateurs de ce tribunal de sang. L'organisation du tribunal révolutionnaire faisait partie de l'ensemble des mesures de défense proposées par Dan ton dans son discours du 10 mars , qui touchait à l'orga nisation politique et militaire du pays et qui se terminait ainsi : « Je me résume. Ce soir, organisation du tribunal , organisation du pouvoir exécutif. Demain , mouvement mi litaire. Que demain vos commissaires soient partis ; que la France entière se lève, coure aux armes , marche . å l'ennemi ; que la Hollande soit envahie ; que la Belgique soit libre ; que le commerce de l'Angleterre soit ruiné ; que nos armes , partout victorieuses, apportent aux peuples la délivrance et le bonheur, et que le monde soit vengé. » L'Assemblée était comme enveloppée du mouvement pa triotique de Paris . Pendant cette discussion, les défilés des bataillons qui se rendaient aux frontières continuaient. Quand le contingent des Halles vint faire ses adieux à la Convention et la traversa tambours battants et drapeaux déployés, l'Assemblée, saisie d'enthousiasme, se leva tout entière au cri de « Vivent les défenseurs de la patrie! » Tandis que la Convention discutait l'organisation du tri bunal révolutionnaire, le même jour, en Vendée, com mençait à fonctionner le tribunal révolutionnaire de l'in . surrection ; le massacre de Machecoul, commencé le matin par les paysans, était régularisé le soir par un comité d'honnêtes gens qui en six semaines condamnait å mort 542 patriotes. LA CONVENTION. 181 > > Quand l'insurrection de Vendée fut connue à Paris le 18 mars; la Convention , sur la proposition de Duhem, décréta que tous les émigrés ou prêtres réfractaires qui , au bout de huit jours, seraient trouvés sur le territoire de la République , encourraient la peine de mort. Le 19 mars, sur la proposition de Cambacérés, nouveau décret portant que tous les individus prévenus d'avoir pris part aux mou vements contre - révolutionnaires ou arboré la cocarde blanche seraient mis hors la loi ; s'ils étaient pris les armes à la main , ils seraient exécutés dans les vingt-quatre heures. « Vous n'ignorez pas, disait Cambacérés, que les circonstances commandent presque toujours les décisions. ) Le 22 mars, après la défaite de Neerwinden , Jean Debry fit décréter l'établissement dans chaque commune ou section de commune d'un comité révolutionnaire, chargé de sur veiller les suspects. Le 26 mars , désarmément de tous les ci-devant nobles et prêtres : ce qui fut exécuté aussitôt à Paris . Le 28 , bannissement à perpétuité de tous les émigrés, peine de mort contre ceux qui rentreraient en France . La nouvelle de la trahison de Dumouriez eut des effets encore plus terribles ; on autorisa l'accusateur public å traduire d'office devant le tribunal révolutionnaire tous les prévenus du crime de conspiration , sauf les députés, les ministres et les généraux , dont l'arrestation devait être consentie par l'Assemblée . On décréta l'arrestation des généraux orléanistes et de toute la famille d'Orléans. On envoya 40 000 hommes aux frontières et l'on dépêcha de nouveaux commissaires à l'armée du Nord. Enfin , sur la proposition de Barrère, on décida l'organisation du Comité de salut public, et ce fut le girondin Isnard qui rédigea le rapport et le texte du décret (6 avril) . Ce comité devait se composer de neuf membres (ce nombre fut augmenté par la suite) , renouvelables tous les mois . Il devait concentrer tous les pouvoirs, donner des ordres aux ministres, tracer des plans aux généraux. Il fut 1X2 III STOIRE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE. d'abord composé de Barère, Jean Debry, Bréard , Treilhard, Cambon , Danton , Delacroix , Delmas, Guyton -Morveau. La Convention semblait avoir écarté systématiquement les membres influents des partis en lutte ; la Montagne n'était guère représentée dans le Comité que par Danton ; la Gironde en était exclue. La Convention avait, dès ses premières séances, tiré de son sein un certain nombre d'autres comités. Outre le Comité de salut public, qui fut la terreur de l'Europe, et le Comité de sûreté générale, qui devint la terreur des suspects, elle eut quatorze comités d'affaires, savoir : le Comité des finances ; de législation ; d'instruction pu blique ; d'agriculture et des arts ; du commerce et des approvisionnements; des travaux publics; des transports , postes et messageries; de la guerre ; de la marine et des colonies; des secours publics ; de division ; des pétitions , correspondances et dépêches ; des inspecteurs du palais national. Beurnonville était remplacé au ministère de la guerre par le montagnard Bouchotte. Roland quittait le ministère de l'intérieur, où il fut remplacé par Garat; mais Lebrun restait aux affaires étrangères et Clavière restait aux fi nances , en lutte ouverte avec Cambon . La Convention , unanime contre l'invasion , contre la Vendée, contre Dumouriez et contre les traîtres , était en discorde sur toutes les autres questions. Girondins et Mon tagnards se renvoyaient mutuellement la responsabilité des malheurs publics. Robespierre surtout eut un rôle fu neste. Dans la séance du 10 avril , il rassembla contre les Girondins toutes les accusations qui traînaient dans les clubs, leur reprochant d'avoir voulu la guerre, que toute la France avait voulue avec eux ; d'être complices de Dumouriez et des Orléans , tandis qu'ils s'étaient associés à toutes les mesures contre les Orléans et Dumouriez. Ver gniaud , avec une grande éloquence, réfuta ces calomnies et fit l'apologie de la politique modérée . Camille Desmoulins, LA CONVENTION . 183 suscité par Robespierre , lança contre la Gironde un pam phlet meurtrier, l'Histoire des Brissotins. Les Girondins, qui ne furent pas alors plus sages que Robespierre, en revinrent à leur politique de provocations envers Marat et la Commune. Guadet fit. décréter Marat d'accusation ; mais celui- ci fut acquitté par le tribunal révolutionnaire et ramené en triomphe à la Convention sur les épaules de la foule ( 24 avril). Quelques jours auparavant, la Commune était venue , à la barre de l'As semblée, réclamer l'expulsion de vingt-deux Girondins ( 14 avril ) . Les deux partis en appelaient également aux assemblées primaires : les Girondins pour faire exclure de la Conven tion Marat, Robespierre, Danton , les députés de Paris ; la Commune, pour en faire chasser les Girondins. Emu de ces discordes, un membre obscur de la droite , Vernier, poussa ce cri d'alarme : « Eh ! citoyens , si vous en êtes à ce point de défiance que désormais vous ne puissiez plus servir la patrie , partons plutôt ; soyons généreux les uns et les au tres. Partons ! que les plus violents dans l'un et l'autre parti s'en aillent ; simples soldats , qu'ils donnent à l'armée l'exemple d'une soumission courageuse et marchent å l'ennemi ! » Vergniaud, le plus sage des Girondins , eut aussi une grande inspiration de patriotisme . « On vous accuse, dit- il aux représentants, on demande un scrutin épuratoire. Ce n'est point par l'appel au peuple, c'est par le développe ment d'une grande énergie qu'il faut vous justifier. L'in cendie va s'allumer : la convocation des assemblées pri maires en sera l'explosion . C'est une mesure désastreuse . Elle peut perdre la Convention , la République et la liberté . S'il faut ou décréter cette convocation , ou nous livrer aux vengeances de nos ennemis , citoyens, n'hésitez pas entre quelques hommes et la chose publique . Jetez-nous dans le gouffre et sauvez la patrie ! » Les Girondins s'associèrent par leur silence aux paroles de Vergniaud ; plusieurs com 184 HISTOIRE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE. prenaient qu'un des deux partis était de trop à la tête de la République . Danton exprimait le même sentiment que Vergniaud , mais sous une autre forme : « Que les Brissotins s'en ail lent et nous laissent travailler , disait- il ; quand nous au rons sauvé la France, ils reviendront jouir de nos travaux. » Mais les Girondins ne pouvaient « s'en aller » . Le point d'honneur leur défendait de se retirer ; leurs convictions de modérés leur interdisaient de s'associer à certaines me sures révolutionnaires. Il n'y avait donc pas d'issue à cette situation. En avril , les Girondins opposèrent une résistance éner gique à l'établissement du maximum sur les denrées, mesure assurément contraire à la liberté économique , mais nécessaire à un moment où l'agiotage, par la hausse des denrées, tendait à amener l'avilissement des assignats, c'est- à - dire la ruine du crédit . Coup sur coup , on apprit la mort de Dampierre , tué au camp de Famars, l'investissement de Condé et de Valen ciennes par les Autrichiens, les victoires vendéennes dans l'Ouest. Ces défaites fournissaient de nouveaux arguments à la doctrine du salut public, à la politique jacobine de la nécessité. La majorité de la Convention refusait toujours d'abandonner les Girondins, ce qui leur eût öté le pou voir, mais eût sauvé leurs têtes . Au contraire, elle portait à la présidence ( 16 mai ) le plus violent d'entre eux, l'élo quent et colérique Isnard. Alors la Commune de Paris, le club des Jacobins et la réunion de l'Évêché, qui était le centre d'action des co mités révolutionnaires de Paris, s'entendirent pour arra cher à la Convention l'expulsion des principaux Girondins. La Gironde venait de commettre une nouvelle impru dence : elle avait fait décréter ( 18 mai) l'établissement d'un comité de douze membres , tous Girondins, chargé de prendre toutes les mesures nécessaires à la tranquillité publique. Son premier acte fut d'arrêter un membre de la LA CONVENTION . 185 Commune, Hébert, rédacteur d'une feuille grossière et vio lente , le Père Duchêne. Le mot d'ordre donné à tous les comités révolution naires fut donc celui- ci : expulsion des vingt- deux députés précédemment dénoncés par la Commune et des douze membres du nouveau comité . Le 25 mai , la Commune se présente à la barre et demande la mise en liberté d'Hébert ct la suppression des Douze. La section de la Cité osa même demander que les Douze fussent traduits devant le tribunal révolutionnaire. Le président Isnard se laissa em porter par la colère jusqu'à' prononcer des paroles qui devaient avoir un funeste retentissement : « Écoutez ce que je vais vous dire, dit- il aux pétitionnaires; si jamais il arrivait qu'il portåt atteinte à la représentation nationale, je vous le déclare au nom de la France entière , Paris serait anéanti , oui , la France entière tirerait vengeance de cet attentat, et bientôt on chercherait sur les rives de la Seine si Paris a existé . » Ces paroles imprudentes, répétées, amplifiées, exagé rées dans tout Paris , mirent en mouvement les faubourgs. La section des Gravilliers se déclara en insurrection ; celles de Montmartre, le 27 , se rendirent à la Convention pour lui présenter « une pétition au bout d'une pique » . La Convention était désarmée en face de l'émeute. Elle avait bien donné au comité des Douze les pouvoirs discré tionnaires qui irritaient la Commune , mais elle ne lui avait pas donné le droit de requérir la force armée ; elle exaspérait ses adversaires sans avoir rien préparé pour les contenir. Les députations se succédèrent en si grand nombre à la barre de la Convention , que dans la nuit du 27 au 28 mai , les pétitionnaires vinrent s'asseoir jusque sur les bancs des représentants. Les députés de la Montagne , mêlés aux hommes des faubourgs, votèrent l'élargissement des per sonnes arrêtées et la suppression du comité des Douze . Le lendemain , au début de la séance, les Girondins eurent 186 HISTOIRE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE . le courage de demander le rétablissement des Douze : la majorité eut l'imprudence de le voter . Alors la réunion de l'Évêché convoqua les délégués de tous les comités révolutionnaires, proclama l'insurrection , s'empara de l'Hôtel de Ville , nomma Hanriot commandant général des gardes nationales , fit sonner le tocsin de Notre-Dame et tirer le canon d'alarme . La Convention fut envahie le 31 mai par les sectionnaires en armes : mais le peuple n'avait pas d'intention hostile contre l'Assemblée ; il ne toucha à aucun des représentants , et dès qu'il eut obtenu la suppression définitive du Comité des Douze , il se retira . Marat, l'Évêché et la Commune trouvèrent qu'on n'avait rien obtenu. Ils se séparèrent de Danton qui cherchait à les contenir, et préparèrent une nouvelle insurrection . Le club des Jacobins , dans la nuit du 1er au 2 juin , décréta la levée immédiate d'un emprunt forcé sur les riches, qui servirait à solder une « armée révolutionnaire » à rai son de 40 sous par homme. Au matin du 2 , on apprit l'insurrection girondine de Lyon et le massacre des Jaco bins lyonnais. Cette nouvelle accéléra le mouvement. Han riot avait requis la force armée au nom de la Commune, et Marat avait fait sonner le tocsin de l'Hôtel de Ville . Pen dant ce temps le Comité de salut public, qui savait à quel point les Girondins étaient innocents des événements de Lyon , se désespérait de ne pouvoir les sauver. Le ministre de l'in térieur Garat vint proposer au Comité de salut public un étrange expédient : trente- quatre députés girondins se reti reraient de l'Assemblée , mais la Montagne enverrait dans les départements des otages en nombre égal . Cambon , Barère , Delmas saisirent avidement cette idée . Danton se leva et dit : « Je m'offre le premier pour aller à Bordeaux : pro posons -le à la Convention. » Ils le proposèrent, mais Robespierre jeta sur leur enthousiasme le froid de son ironie . A dix heures la Convention , qui occupait alors ( depuis le 10 mai) la grande salle des Tuileries, est complètement 10 MRIN 11 .des Jacobins LeClub 188 HISTOIRE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE. cernée par les insurgés que commande Hanriot . Les dépu tés qui veulent sortir sont repoussés dans la salle . « Prou vons que nous sommes libres ! s'écria Barère : allons délibérer au milieu de la force armée ; elle protégera sans doute la Convention . » L'Assemblée, ayant à sa tête son président, Hérault de Séchelles , se forma en cortège : les députés de la droite en première ligne, les Montagnards ensuite . Seuls les mara tistes, au nombre d'une trentaine, désapprouvant la dé marche de leurs collègues, restèrent à leur banc . Quand Hérault de Séchelles se présenta à la porte du pavillon de l'Horloge, il se trouva en présence d'Hanriot : « Que de mande le peuple ? lui dit- il . La Convention n'est occupée que de lui et de son bonheur. — Hérault, répondit Han riot , le peuple ne s'est pas levé pour écouter des phrases, mais pour donner des ordres. Il veut qu'on lui livre trente- quatre coupables. Qu'on nous livre tous ! » s'écrient les députés . Et ils essayent de forcer le passage . « Canonniers, à vos pièces ! » commande le général de la Commune, et six pièces de canon sont braquées sur les représentants . La Convention rentra et essaya de sortir par l'autre porte qui donne sur le jardin des Tuileries : elle yy trouva Marat, qui somma « les députés fidèles » de retourner å leurs bancs. L'Assemblée rentra, vaincue, la tête baissée, dans la salle des séances, et consentit à sa propre mutila tion . La liste des expulsés comprenait entre autres : Vergniaud, Guadet, Gensonné , Brissot, Pétion , Barbaroux , Buzot, Lanjuinais, Louvet, Valazė , Rabaut- Saint-t-Étienne en tout vingt- sept députés. Isnard et Fauchet s'étaient volontairement démis de leurs fonctions . Les députés expulsés ne furent pas mis en prison : ils étaient simplement consignés chez eux et si peu gardés que ceux qui le voulurent purent quitter Paris. Danton et presque toute la Montagne n'entendaient faire aucun mal aux Girondins; ils voulaient seulement les éloigner de la LA CONVENTIOX. 189 Convention pendant la crise, les empêcher de parler, de voter, de se perdre .. Le coup d'État du 31 mai et du 2 juin ouvrit la porte à toutes les autres violations de la représentation nationale : il contient en germe le 18 brumaire . Quand l'attentat fut consommé , ceux mêmes qui l'avaient jugé nécessaire en furent émus. Les Jacobins essayèrent de donner le change à l'opinion : dans les 48 sections, ils racontèrent « comment la Convention avait été au jardin prendre quelques mo ments de repos, puis, invitée par le peuple, était rentrée en séance » . A la fin de la séance du 2 juin , une députa tion vint , au nom du peuple de Paris , remercier l'Assem blée du décret qu'elle avait rendu , et offrit de constituer des otages en nombre égal à celui des députés arrêtés. Lanjuinais déclara qu'il acceptait « pour empêcher la guerre civile » ; mais Barbaroux refusa , disant « qu'il s'en remettait à la loyauté du peuple de Paris » . Ce n'était pas seulement la Plaine , mais les Montagnards indépendants, non inféodés à Robespierre et à Marat, comme les Carnot, les Lindet, qui se sentirent atteints . Ils rentrèrent cepen dant le lendemain dans la salle profanée, reprirent leur place sur les bancs dégarnis. Il le fallait ! La Convention , même humiliée et décimée , c'est encore la Convention , c'est- à - dire l'unité visible de la France, la légalité vi vante , l’unique moyen de salut pour la République. Voilà pourquoi ces hommes intrépides, ceux qui formèrent le Comité de salut public et furent commissaires aux armées, acceptèrent le fait accompli et reprirent sans protester leur rude labeur. quel com LA CONSTITUTION DE 1793 Comme tous les désordres semblaient occasionnés par l'absence d'une loi précise , d'un pacte fondamental qui s'imposât à tous, la Convention résolut de hâter l'oeuvre qui était le point principal de son mandat et de faire la 190 ISTOIRE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE. constitution . Devant l'Europe en armes , parmi les insur rections des départements, sous la menace de 500 000 baïonnettes et dans le bouleversement universel , la Con vention légiféra. Une foi robuste la soutenait dans ce labeur : elle croyait fermement que , lorsqu'elle aurait formulé en une loi les principes de la Révolution, ses en nemis seraient confondus, bien plus, convertis, et que l'avènement de la justice désarmerait les insurgés. Déjà une commission de neuf membres, Sieyès , Thomas Payne , Brissot , Pétion , Vergniaud , Gensonné , Barère, Danton et Condorcet , avait élaboré en treize titres un projet de constitution . Condorcet, qui en fut le rédacteur, avait • présenté son projet dans les séances du 15 et du 16 février. La lutte chaque jour plus vive entre la Montagne et la Gironde avait fait ajourner la discussion . Après le 31 mai , on adjoignit, pour terminer cette cuvre, aux membres du Comité de salut public cinq nouveaux commissaires : Ilérault de Séchelles, Ramel, Mathieu, Couthon , Saint -Just. Ceux- ci reprirent le travail de Condorcet , mais en l'abré geant, en l'imprégnant de l'esprit de la Montagne. Le projet fut présenté à l'Assemblée le 10 juin, discuté sans désemparer et voté le 24. La constitution fut ensuite soumise à la ratification des assemblées primaires dans les départements restés fidèles et acceptée à une grande majorité. Le 10 août 1793 , il devait y avoir à Paris, pour célébrer l'acceptation de la constitution, une fête grandiose dont le peintre David rédi gerait le programme. La constitution de 1793 était précédée d'une nouvelle Déclaration des droits de l'homme et du citoyen en trente cinq articles . Parmi les principes que le peuple français proclamait « en présence de l'Être suprême » , on lisait cette maxime : « L'instruction est le besoin de tous : la société doit favoriser de tout son pouvoir les progrès de la raison publique et mettre l'instruction à la portée de tous. » L'article suivant témoigne d'une des plus vives préoc LA CONVENTION. 191 cupations de ce temps : « Que tout individu qui usurpe rait la souveraineté soit à l'instant mis à mort par les hommes libres . » Celui- ci servira à justifier tous les coups de force que la constitution est précisément destinée à réprimer : « Quand le gouvernement viole les droits du peuple, l'insurrection est pour le peuple , et pour chaque fraction du peuple, le plus sacré des droits et le plus indispensable des devoirs. » La constitution elle -même se composait de cent vingt quatre articles . Elle donnait au peuple, c'est - à -dire aux assemblées primaires, le droit de délibérer sur les lois ; . elle réduisait à une année le mandat de député ; elle établissait une Assemblée unique « indivisible et perma nente » , rendant à la fois des lois et des décrets . Elle eủy été probablement inexécutable ; en tout cas , elle n'a pas été appliquée, le gouvernement révolutionnaire ayant fonctionné jusqu'au moment où la Convention lui sub stitua la constitution de l'an III . Certains articles portent l'empreinte du vigoureux esprit de 1795. Les idées huma nitaires ont inspiré l'article qui accorde le droit de çité à l'étranger qui , établi en France depuis une année , aura adopte un enfant ou nourri un vieillard. L'énergie toute romaine des grands conventionnels revit dans celui - ci : « Le peuple français ne fait point la paix avec un ennemi qui occupe son territoire. » C'est à propos de ce dernier article que le girondin Mercier demanda : « Avez-vous fait un pacte avec la victoire ? » Bazire répondit: « Nous en avons fait un avec la mort. » Et ce n'était pas un vain mot : nombreux furent les patriotes qui scellèrent ce pacte de leur sang LES INSURRECTIONS GIRONDINES ET ROYALISTES L'expulsion des Girondins produisit les mêmes effets désastreux que la mort du roi. Après le 21 janvier, la Vendée ; après le 2 juin, la grande insurrection girondine. 192 HISTOIRE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE . Caen , Bordeaux, Lyon , Marseille , presque toutes les villes du Midi se déclarèrent contre la Convention. Il y eut å un moment près de soixante départements insurgés. Cer tains députés girondins commirent alors un véritable crime contre l'unité nationale. Tandis que Vergniaud, Gensonné, Fauchet, Valazé et d'autres restaient à Paris, attendant leur jugement, résignés à leur sort, d'autres, enflammés des mêmes passions que les émigrés, organi saient la guerre civile. Guadet, Buzot, Louvet, Barbaroux, Kervélégan, soulevaient la Normandie ; Meilhan et Duchâtel s'agitaient en Bretagne, Rabaut- Saint- Étienne dans le Gard , Brissot dans l'Allier , Rebecqui en Provence, Ils eurent alors la révélation de l'état réel de leur parti. Ils virent avec stupeur que , sous le drapeau répu blicain , à l'abri de leur modération girondine, c'étaient partout les royalistes qui , après avoir tenu la Révolution en échec, se préparaient à la combattre avec l'appui de l'étranger . Partout où d'abord ils essayèrent d'agir au nom de leurs principes, ils se virent supplantés par les émigrés et les agents des princes. L'insurrection prétendue giron dine du Calvados se mit sous les ordres du royaliste Wimpfen et de Puisaye, agent de l'Angleterre ; dans les Cévennes, sous les yeux de Rabaut- Saint- Étienne , les paysans arboraient le drapeau blanc ; Lyon , tout à l'heure girondin , se remplissait de nobles , de réfractaires ; Toulon allait être livré aux Anglais ( 27 août) ; Paoli les appelait en Corse . Les Anglais bloquaient nos ports , affamaient les dépar tements maritimes, jetaient des armes en Vendée, inon daient la France de faux assignats, afin de hâter la ruine de notre crédit. Toutes les armées étrangères faisaient un pas en avant : les Espagnols envahissaient le Roussillon ; les Autrichiens prenaient Condé ( 15 juin) et Valenciennes ( 28 juillet) ; enfin Mayence succombait devantles Prussiens ( 22 juillet) . Kléber et le représentant Merlin de Thionville, enfermés dans Mayence , ne recevant aucun secours de LA CONVENTION. 193 > Custine et ayant consommé tous leurs approvisionnements, après trois mois de siège et un mois de bombardement, après avoir vécu sous une « voûte de feu » , se décidèrent à capituler . La garnison française sortit de Mayence avec tous les honneurs de la guerre, avec ses armes, ses ba gages et deux canons de campagne , musique en tête , drapeaux déployés et en chantant la Marseillaise. Les Alle mands , parmi lesquels se trouvait alors le poète Goethe , admirèrent la fière attitude des vaincus . Merlin fit aux Mayençais cette déclaration : « Ce n'est pas la dernière fois que vous me voyez ici . » Là garnison avait promis de ne pas servir d'une année contre la coalition ; mais on allait pouvoir l'employer contre la Vendée, où elle s'illustrajan sous le nom de Mayençais ou de colonnes infernales.. basowenyeGOUVERNEMENT DES MONTAGNARDS. - LE COMITÉ DE SALUT PUBLIC. LA LEVÉE EN MASSE, LA TERREUR ( La Convention , en face de tant d'ennemis , déploya une redoutable énergie . Dès le 10 avril , elle était revenue sur son décret du 15 décembre 1792 , et avait déclaré que « la France ne s'immiscerait pas dans les affaires des autres peuples » ) . La constitution de 1793 , tout en constatant que « le peuple français est l'ami et l'allié naturel des peuples libres » , ajoutait : « Il ne s'immisce point dans le gouver nement des autres nations ; il ne souffre point que les autres nations s'immiscent dans le sien . » La France re nonçait donc à la guerre de propagande, mais pour con centrer tout son effort sur la guerre nationale. Au cours des débats sur la constitution , Danton avait dit : « Mettons en réquisition 400 000 hommes ; c'est à coups de canon qu'il faut signifier la constitution à nos ennemis. C'est l'instant de faire un grand et dernier serment : que A. RAMBAUD . 194 HISTOIRE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE. 2 nous nous vouons tous à la mort , ou que nous anéanti rons les tyrans . » Le 10 juillet , le Comité de salut public fut renouvelé dans un sens plus avancé. Des anciens membres il ne resta que Barère et Robert Lindet : on leur adjoignit Jean- Bon Saint-André, Hérault de Séchelles , Prieur de la Marne, Gasparin, Thuriot, Saint-Just , Couthon. Une jeune fille de Caen, descendante de Pierre Corneille , Charlotte Corday, exaltée par les discours des proscrits gi rondins , se rendit à Paris , pénétra chez Marat et, le 13 juil let , le poignarda dans son bain. Elle fut exécutée quatre jours après. L'attentat commis par Charlotte Corday eut des conséquences funestes : il donna raison aux conseils des violents , hâta l'établissement du régime terroriste . Il laissait Robespierre en présence de Danton . Marat était utile en ce sens qu'il maintenait un certain équilibre entre les deux autres triumvirs. Sa sæur répétait plus tard que « Marat aurait sauvé Danton » . Or, le 27 juillet , au moment le plus critique , quand les mauvaises nouvelles arrivaient coup sur coup, du Nord , du Midi , de l'Ouest, du Rhin, quand l'extrême danger sem blait justifier d'avance les mesures extrêmes , Robespierre entrait au Comité de salut public. Sous l'impression de ces nouvelles , la Convention porta, le 26 juillet , peine de mort contre les accapareurs, et dé créta , dans sa séance du 1er août, une série de mesures terribles : confiscation des biens de toutes les personnes mises hors la loi; jugement de la reine ; destruction des sépultures royales de Saint-Denis ; cours forcé des assignats sous peine des galères ; dévastation systématique de la Vendée , incendie des bois, des taillis , des genêts, des « repaires de rebelles » ( c'est-à- dire des villes occupées par les insurgés ). Le 7 août, la guerre contre l'Angleterre prend un caractère particulier de fureur par le décret qui déclare Pitt « l'ennemi du genre humain » . La fête du 10 août , par laquelle on célébra l'acceptation de la consti > LA CONVENTION . 193 tution , eut un caractère de grandeur triste et tragique qui exalta encore les imaginations. Le 12 août , sur la propo sition de Danton , les 8000 délégués des assemblées pri maires, venus pour proclamer la ratification de la consti tution , sont investis de pouvoirs extraordinaires à l'effet d'organiser la levée en masse. La Montagne était bien maîtresse du pouvoir : mais dans la Montagne même se manifestèrent de nouvelles divisions, et la question vitale , la création d'un gouvernement uni et fort, n'en était pas plus avancée. On peut dire que, pendant les trois mois qui suivirent l'expulsion des Giron dins, la défense nationale se trouva presque sans direction . C'est avec des troupes levées par eux-mêmes, en Dauphiné par Dubois-Crancé , en Auvergne par Couthon, en Normandie par Lindet, que les représentants en mission combattaient les rebelles. La ville de Nantes se protégeait toute seule contre l'insurrection vendéenne. Les Autrichiens n'avaient pas su tirer profit de leur succès de Valenciennes : ils s'attardèrent au blocus de Maubeuge et du Quesnoy, tandis que les Anglais assiégeaient Dunkerque; mais , ces forteresses prises , toutes les armées ennemies pouvaient faire leur jonction et marcher en masse sur Paris. Dès juillet , Danton invitait le Comité de salut public à se subordonner les ministères, à se constituer en gouver nement. « Vous redoutez la responsabilité , disait- il aux membres du Comité ; souvenez - vous que , quand je fus membre du conseil , je pris sur moi toutes les mesures révolutionnaires . Je dis : Que la liberté vive , et périsse mon nom ! ) Robespierre, à ce moment, ne voulait pas agir contre les hébertistes . Depuis la mort de Marat, Hébert, par son journal le Père Duchêne, avait acquis une influence énorme sur l'opinion . Le ministre de la guerre , Bouchotte , avait pour adjoint et pour secrétaire général deux amis d'Hébert, Ronsin et Vincent ; et parmi les journaux dont la Convention avait décrété l'envoi gratuit aux armées, le

196 ILISTOIRE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE. Père Duchêne, grâce aux ordres donnés par Vincent, tenait le premier rang. Robespierre, quoiqu'il n'aimât pas Hébert et son parti, ne se sentait pas assez fort pour renverser l'idole de la populace. D'autre part, il ne se souciait pas de constituer un gouvernement dans lequel il eût fallu partager le pouvoir avec Danton. Il ne voulait faire donner la dictature au Comité de salut public que lorsqu'il n'aurait à y craindre ni la rivalité des hébertistes, ni celle des dantonistes. C'est seulement en août 1795 , quand Robespierre eut pris la haute direction du Comité de salut public avec ses amis Saint-Just et Couthon , quand les dantonistes Thuriot et Hérault de Séchelles en furent sortis , que les ressorts du pouvoir commencèrent à se tendre. Carnot entra au Comité le 14 août, un peu malgré Robespierre : mais tout le monde jugeait Carnot l'homme nécessaire pour la guerre, comme Cambon pour les finances. Le 23 août, Barère vint à la Convention lire, au nom du Comité , un projet de décret sur la levée en masse. « La liberté, dit- il , est devenue créancière de tous les citoyens; les uns lui doivent leur industrie, les autres leur fortune; ceux- ci leurs conseils, ceux- là leurs bras ; tous lui doivent leur sang. Ainsi donc, tous les Français , tous les sexes, tous les âges, sont appelés par la patrie à défendre la liberté . Toutes les facultés physiques ou morales, tous les moyens politiques ou industriels lui sont acquis ; tous les métaux, tous les éléments sont ses tributaires. Que chacun occupe son poste dans le mouvement national et militaire qui se prépare. Les jeunes gens combattront ; les hommes mariés forgeront les armes , transporteront les bagages et l'artillerie, prépareront les subsistances ; les femmes tra vailleront aux habits des soldats, feront des tentes et por teront leurs soins hospitaliers dans les asiles des blessés ; les enfants mettront le vieux linge en charpie , et les vieillards , reprenant la mission qu'ils avaient chez les an ciens, se feront porter sur les places publiques ; ils en LA CONVENTION : 197 flammeront le courage des jeunes guerriers, ils propage ront la haine des rois et l'unité de la République. Les maisons nationales seront converties en casernes , les places publiques en ateliers ; le sol des caves servira à préparer le salpêtre ; tous les chevaux de selle seront requis pour la cavalerie, tous les chevaux de voiture pour l'artillerie ; les fusils de chasse, de luxe , les armes blanches et les piques suffiront pour le service de l'intérieur. La Répu blique n'est qu'une grande ville assiégée, il faut que la France ne soit plus qu'un vaste camp. » En conséquence , il fut décrété que tous les citoyens non mariés ou veufs sans enfants partiraient les premiers, et se rendraient immédiatement au chef-lieu de district , où ils s'exerceraient tous les jours en attendant l'ordre du départ. Chaque district formerait un bataillon dont le dra peau porterait cette inscription : « Le peuple français debout contre les tyrans. » La réquisition fut à l'ordre du jour . On recruta les armées avec les réquisitions d'hommes, on les nourrit avec des réquisitions de vivres. (Mignet.) Partout aux frontières menacées , aux portes des villes rebelles, investis de pouvoirs illimités , le sabre nu au côté , avec le panache et l'écharpe tricolore, se montrèrent les représentants en mission . Sans distinction de partis, ces envoyés , qui portaient avec eux l'enthousiasme ou la terreur , firent preuve d'un courage intrépide, domptant les mauvaises volontés, forçant les « aristocrates » à nourrir, à équiper les armées, faisant le coup de fusil comme des soldats , pointant le canon , couchant sur la terre nue , marchant à l'assaut des retranchements ennemis. Il faut citer Merlin de Thionville dans la défense de Mayence et la campagne de l'Ouest ; Bourbotte en Vendée; Philippeaux, qui pacifia et sauva Nantes ; Briez, qui résista quarante jours dans Valenciennes; Duquesnoy, qui combattit à Wattignies ; Chasles, qui fut blessé d'un obus au combat de Werwick ; Baudot , J.-B. Lacoste, Lebas , Saint-Just , aux armées du Rhin ; Dubois-Crancé, à l'armée des Alpes ; 198 HISTOIRE DE LA RÉVOLUTION FRANCAISE. Soubrany et Milhau, aux Pyrénées; Ricord, Salicetti, Robes pierre jeune, devant Toulon ; Couthon , intrépide, quoique paralyse des deux jambes, devant Lyon ; Victor Hugues, aux Antilles. On fondit des canons avec les cloches des églises , des balles avec le plomb des cercueils : on fabriqua de la poudre en extrayant le salpêtre des étables . Les grands chimistes Fourcroy, Monge , Berthollet mettaient la science au service de la liberté, inventaient de nouveaux procédés pour travailler le bronze, l'acier, les poudres. Carnot trouva la seule tactique qui convint à l'inexpérience des soldats et à leur enthousiasme: la guerre toujours offensive, l'élan par grandes masses , les charges à la baïonnette. Assisté de deux autres membres du Comité, Lindet et Prieur de la Côte- d'Or , il fut , comme on l'a appelé , l'organisateur de la victoire. Il finit par mettre 1 200 000 hommes sur pied. L'élan patriotique de 1792 n'avait pas faibli en juillet 1793 ; seulement, après tant d'illusions perdues, devant les réalités terribles d'une guerre non plus de propa gande, mais de défense, les esprits étant assombris par les horreurs de la guerre civile , le patriotisme avait pris une teinte plus sévère . Les ardeurs du départ étaient calmées , et la nécessité des suprêmes sacrifices apparais sait à tous . Deux épisodes touchants nous montrent comment l'amour de la patrie enflammait tous les âges . L'un de ces épisodes se rattache à la guerre civile de Vendée, l'autre à la guerre civile du Midi, et deux jeunes enfants en furent les héros. Joseph Bara , de Palaiseau , avait à peine quatorze ans quand il s'engagea, non comme tambour ( la légende est sur ce point dementie par l'histoire), mais comme volon taire de hussards, à l'armée de l'Ouest . Un jour, il tomba dans un parti de Vendéens : « Crie Vive le Roi, ou tu es mort! » lui disent les rebelles . « Vive la Répu blique ! » cria l'enfant intrépide, et il expira. En juillet 1793, les royalistes du Midi marchant sur > LA CONVENTION . 199 Avignon arrivent au pont de bateaux sur la Durance : les ré publicains, trop peu nombreux, ne peuvent le défendre et décident de couper le câble qui retient les pontons . Mais qui osera tenter l'opération sous la grêle de balles ? On demande un homme de bonne volonté : un enfant se pré sente , Joseph Viala , âgé de treize ans . On repousse son offre, mais il s'échappe , saisit une hache et court au câ ble. Il avait déjà commencé à l'entamer : une balle royaliste l'étend raide mort. Quand on apprit cette nou velle à sa mère , elle pleura d'abord, mais, se raidissant contre sa douleur : « Il est mort pour la patrie ! » dit- elle . Bara et Viala , bien qu'ils aient été frappés dans une guerre civile, sont morts pour la patrie ; car la patrie était aussi cruellement déchirée par les royalistes de l'Ouest et du Midi que par leurs alliés , les Autrichiens et les Anglais ; le devoir civique de combattre les rebelles était tout aussi impérieux. Bara et Viala auraient mérité de mourir dans une autre guerre, en conquérant quelque drapeau alle mand ou britannique, mais le malheur des temps ne lais sait pas le choix aux dévouements . La Convention, au nom du pays pour lequel avait coulé leur sang innocent , vota des fêtes funèbres pour honorer leur mémoire. Le poète Chénier, dans son Chant du Départ dont Méhul fit la musique, a uni ces deux noms pour l'immortalité . Voici la strophe qu'en 1794, à la fête du 14 juillet, chan tait le choeur des enfants : De Bara, de Viala le sort nous fait envie. Ils sont morts, mais ils ont vaincu ; Le lâche accablé d'ans n'a point connu la vie : Qui meurt pour le peuple a vécu. Cependant à Paris, le peuple, déjà irrité par les nou velles de la frontière, subissait une double excitation, La cessation des affaires avait amené pour les ouvriers une misère inouïe ; littéralement, ils manquaient de pain ; ils ne recevaient plus de salaire , et le prix des denrées mon 200 HISTOIRE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE . USM MINTAtait chaque jour. D'autre part, les royalistes , dans les théâtres, dans la rue , affectaient de provoquer les sans culottes. Au Théâtre -Français, ils applaudissaient Pamela, où se trouvait un éloge de l'Angleterre; au théâtre du Lycée, Adèle de Sacy, qui était la mise en scène de l'his toire de la reine. A ce moment arrive à Paris la nouvelle de la perte de Toulon, livré à l'amiral anglais Hood par les royalistes . Le 1er septembre, le club des Jacobins demanda la créa tion d'une armée révolutionnaire pour l'extermination des ennemis de l'intérieur , et l'établissement du maximum . Le 4 septembre , dès cinq heures du matin, la foule se rassemble sur la place de Grève , en criant : Du pain ! du pain ! Une table est posée sur la place et l'on signe une pétition à la municipalité ; puis l'Hôtel de Ville est envahi à ce cri lugubre : Du pain ! Le procureur de la commune, Chaumette, court à la Convention et en revient avec la promesse que le prix du pain va être fixé. L'arrivée d'une députation du club des Jacobins achève de calmer la foule : elle se disperse. Mais les Jacobins prennent l'en gagement de porter le lendemain une pétition à la Con vention. Le 5, la Convention , présidée par Robespierre, délibé rait sur une proposition de Merlin de Douai concluant å une organisation plus expéditive du tribunal révolution naire , lorsqu'une députation de la Commune se présente à la barre. Le maire Pache dénonce les accapareurs ; Chaumette demande l'organisation de l'armée révolution naire qui parcourra les départements, accompagné d'un tribunal et de la guillotine. A peine ont-ils parlé , qu'une foule énorme d'hommes, de femmes, d'enfants envahit l'assemblée, aux cris de Vive la République ! mort aux ac capareurs ! La passion populaire réveille celle de l'Assem blée. Moyse Bayle , Billaud-Varennes, Bazire,, Léonard Bourdon se succèdent à la tribune. Danton y monte à son tour, et d'une voix tonnante, aux applaudissements du 4IS1T 11MO LA CONVENTION. 201 . peuple, appuie toutes les motions révolutionnaires, pro pose de les formuler en décrets . Thuriot essaye de modé rer les violents : « La France n'est pas altérée de sang, s'écria- t- il ; elle n'est altérée que de justice . » Mais Barère prononce le mot qui exprime la situation : « Plaçons la terreur à l'ordre du jour ! » En effet, c'est de ce jour de colère et d'effroi que date la Terreur. Coup sur coup la Convention décrète : l'orga nisation d'une armée révolutionnaire, sorte de mare chaussée républicaine, qui sera chargée de comprimer la contre-révolution, d'assurer le service des subsistances et l'exécution des lois ; la peine de mort contre quicon que trafiquera des assignats ; la division du tribunal ré volutionnaire en quatre sections , afin d'accélérer la jus tice ; le renvoi devant ce tribunal des Girondins détenus ; le renouvellement des visites domiciliaires et l'arrestation des suspects ; l'épuration des comités révolutionnaires ; une solde de trois livres par jour aux membres de ces comités et de quarante sous aux citoyens qui seront assidus dans les sections . Ce formidable ensemble est complété, le 17 septembre, par la loi des suspects. Cette loi répute suspect quiconque s'est montré partisan de la royauté ou du fédéralisme, quiconque ne justific pas de l'accomplis sement de ses devoirs civiques, tous les ci- devant nobles pas fait preuve d'un constant attachement à la République , tous les fonctionnaires destitués. Le 29 , la Convention décrète l'établissement du maximum . Une dernière fois, il est question d'adjoindre Danton au Comité de salut public. Mais Danton , qui venait de se re marier dans une famille royaliste , répugnait au fardeau trop lourd du pouvoir. Il était opposé aux mesures vio lentes : à la mort des Girondins , dont on instruisait alors le procès; à la destruction de la Vendée , que Ronsin livrait à l'extermination , sans vouloir distinguer entre les insur gés royalistes et les communes patriotes qui s'étaient dé fendues contre eux. C'est par humanité que Danton se qui n'ont 202 HISTOIRE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE . perdait. Malgré son attitude dans la séance du 5 septem bre, on commençait à soupçonner en cet orateur si violent le chef secret des modérés . La place que Danton laissait vide au Comité , deux hom mes nouveaux l'occupèrent en septembre : Billaud-Varen nes et Collot- d'Herbois , qui étaient comme la personnifi cation de la Terreur et qui allaient imposer aux répu gnances de Robespierre lui-même la continuation de ce régime . Ce funeste renoncement de Danton marque un point décisif dans l'histoire de la Révolution : il se laissa mettre en dehors du gouvernement qu'il avait fait consti tuer et, par aversion contre certaines mesures de la Ter reur, s'ôta tout moyen de l'enrayer. C'est à cette époque que le Comité de salut public ap paraît définitivement constitué tel qu'il resta jusqu'à la chute de Robespierre en thermidor . Carnot, Lindet, Prieur de la Côte-d'Or étaient chargés spécialement de la guerre : ils formaient le groupe des gens d'examen ; Collot- d'Her bois, Billaud -Varennes, avaient la direction des repré sentants en mission, Barère les rapports à l'Assemblée : ces trois hommes formaient le groupe des gens révolu tionnaires . Prieur de la Marne et Jean-Bon Saint-André étaient constamment en mission. Sur le tout planait la pensée politique du moment, le groupe des gens de la haute main, Robespierre en trois personnes , c'est-à - dire Robespierre , Saint-Just, Couthon . Tel fut ce fameux Comité qui fut pendant près d'une année l'effroi de l'Europe . Le 14 septembre , le Comité de sûreté générale avait été réorganisé. Il se composait, à la fin de 1793 , de Vadier, Lavicomterie, Amar, Élie Lacoste, Dubarran, Jacot, Louis (du Bas-Rhin ), Voulland , Moyse Bayle , et de deux amis de Robespierre, Lebas et le peintre David. Le parti de Robes pierre dominait au tribunal révolutionnaire avec le prési sident Herman , le vice- président Dumas, le juge Coffinhal, les jurés Duplay, Nicolas, Souberbielle, Renaudin , Topino Lebrun. Aux Jacobins, depuis la retraite des Girondins, il LA CONVENTION . ' 203 était si bien le maitre, que plus tard il y fera rayer Ana charsis Cloots, et que Danton et Camille Desmoulins ne pourront s'y maintenir que par sa protection . Dans la Commune de Paris, son autorité était encore tenue en échec par les hébertistes . Le 10 octobre , sur la proposition de Saint- Just, la mise en vigueur de la constitution fut ajournée ; on décrète le maintien du « gouvernement révolutionnaire » jusqu'à la paix générale. Revenons aux luttes militaires et voyons quel fut sur les insurrections girondines et royalistes , sur la guerre de Vendée , sur les opérations aux frontières , l'effet de ces terribles mesures de « salut public ) . LES INSURRECTIONS VAINCUES ET L'INVASION REPOUSSÉE Les insurrections girondines ou royalistes qui se cou vraient du nom de girondines furent assez facilement ré primées . A Caen, la garde nationale avait emprisonné dans le Château les commissaires de la Convention , Roinme et Prieur de la Côte- d'Or (juin) . Comme ces représentants partageaient les idées de conciliation qui animaient alors Danton et ses amis, ils écrivirent à l'Assemblée : « Confir mez notre arrestation et constituez -nous otages pour la sécurité des députés arrêtés à Paris. » Quelqu'un fit ob server à la Convention que cette lettre leur avait peut-être été dictée par contrainte : « Vous vous trompez, répondit Couthon : Romme serait libre au milieu de tous les ca nons de l'Europe. >> C'est à ce moment que la révolte change de caractère , que Wimpfen, appelé à Paris par le ministre de la guerre Bouchotte, lui répond ironiquement qu'il ne pourra s'y rendre qu'accompagné de 60 000 hommes ; que Puisaye , accouru de Londres, prend le commandement en chef des forces insurrectionnelles. Elles n'allèrent pas bien loin et 201 HISTOIRE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE. rencontrérent à Vernon les gardes nationales de l'Eure et quelques troupes accourues de Paris. Trois coups de ca non, sans atteindre personne, suffirent à disperser les re belles. C'est cette échauffourée qu'on appela emphatiquement la bataille de Vernon : elle eut lieu le 13 juillet , le jour même où Charlotte Corday poignardait Marat. L'in surrection normande tombait dans le ridicule : Lindet , envoyé de la Convention , ne jugea pas nécessaire de tour. ner les choses au tragique. Comme il était Normand lui même, député de l'Eure, il s'employa à la pacification du pays, fit trainer l'instruction contre les rebelles , garda les dossiers , malgré les réclamations de Fouquier- Tinville, et réussit à éviter les mesures de rigueur. C'est ainsi qu'il démentit le surnom de la Hyène, que lui appliquait si injustement Brissot . Les députés girondins, chassés de Normandie, s'étaient embarqués pour Bordeaux, où Buzot , Barbaroux, Louvet , Guadet, Pétion , Salles , essayèrent d'organiser une insur rection vraiment girondine . Ils échouèrent encore et fu rent obligés de fuir. Tallien , commissaire de la Conven tion , sévit cruellement contre leurs complices. Puis il fit traquer, avec une meute de chiens, les proscrits cachés dans les grottes de Saint-Émilion . Barbaroux, Guadet , Salles furent guillotinés l'année suivante à Bordeaux (juin juillet 1794) . Buzot et Pétion , mis hors la loi , errèrent quelque temps dans la campagne ; vers la même époque, on trouva leurs cadavres dans un champ, à moitié dévorés par les loups . Marseille avait emprisonné les deux commissaires de la Convention , Bô et Antiboul . Là encore le mouvement girondin tourna bien vite au royalisme. Le girondin Re becqui , de désespoir, se noya dans le port . Les royalistes se préparaient à livrer la ville aux Anglais, déjà maîtres de Toulon , lorsque l'approche du général Carteaux rendit courage aux patriotes qui, le 24 août , prirent les armes, LA CONVENTIOV. 205 1 engagèrent la lutte contre les rebelles et favorisèrent la reprise de la ville ( 25 août) . Lyon débuta le 29 mai par l'insurrection girondine; Chålier, chef du parti populaire lyonnais , fut guillotinė par les Girondins, le 17 juillet ; puis les royalistes s'empa rèrent de la direction du mouvement, expulsèrent les gi rondins Biroteau et Chasset, mirent à leur tête les comtes de Précy et de Virieux, organisèrent le massacre des pa triotes et entrèrent en négociation avec le roi de Sardaigne. Dubois -Crancé fut d'abord délégué par le Comité de salut public pour reprendre Lyon , avec ordre « d'épargner ceux qui se soumettraient et de se montrer dur seulement aux superbes » . Il amena contre Lyon tout ce qu'il put rassembler de troupes et de gardes nationales aux environs, force de dégarnir ainsi la frontière des Alpes . Ses som mations demeurèrent inutiles ; le bombardement , com mencé le 24 août 1793, ne put réduire la ville . La Convention remplaça Dubois-Crancé par Couthon et le médecin Doppet . Couthon lança sur Lyon la levée en masse des départements d'Auvergne , somma une dernière fois les rebelles et , dans la nuit du 8 au 9 octobre , em porta la ville d'assaut. Il laissa échapper à travers ses lignes 2000 des plus désespérés , et cette conduite, qu'on taxa d'indulgence, fit grand bruit à Paris. Puis il institua une commission militaire pour juger sommairement les insurgés pris les armes à la main, et une commission civile pour examiner ceux qui étaient seulement égarés. Dans l'intervalle, la Convention , irritée des lenteurs du siège, avait rendu , sur la proposition de Barère, un ter rible décret : on devait juger tous les contre-révolu tionnaires, détruire avec la mine et le canon les maisons des riches ; le nom de Lyon serait effacé et remplacé par celui de Commune-Affranchie, un monument expiatoire érigé avec cette inscription : « Lyon s'est révolté , Lyon a cessé d'exister . » Couthon continuait à user d'indul gence. Il démolit , en grand appareil , une seule maison Los Cansang ' n sonsonant, > 206 HISTOIRE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE. sur la place Bellecour. Il fut alors remplacé par Fouché et Collot-d'Herbois , qui commencèrent la démolition et employèrent la mitraille contre les condamnés. Le 16 décembre 1793 , Toulon, au pouvoir des Anglais depuis le 28 août, fut repris par le général Dugommier, assisté de Bonaparte . Les représentants du peuple Robes pierre jeune, Ricord, Salicetti, s'élancèrent à la tête des troupes et enlevèrent sous la mitraille les redoutes an glaises . Les Anglais ne quittèrent le port qu'après avoir incendié la flotte française et les arsenaux . Robespierre jeune, qui avait surveillé les opérations militaires , mon tra quelque indulgence ; mais Barras et Fréron , qui lui succédèrent, furent implacables. Ils changèrent le nom de Toulon contre celui de Port-de- la -Montagne. On dut leur défendre de traiter Marseille avec la même rigueur. En Alsace , tandis que Landau était bloqué par les Au trichiens, se formerent des complots royalistes pour livrer les forteresses . A Molsheim , les prêtres réfractaires soule vèrent les paysans contre les décrets qui ordonnaient la levée de 300 000 hommes. Les rebelles, pris les armes à la main, furent passés par les armes ou guillotinés . Le club des jacobins de Strasbourg, le maire Monet, l'ex-prê tre allemand Eulogius Schneider, opposèrent le fanatisme révolutionnaire à celui des royalistes et les domptèrent par la terreur. Il y eut à Strasbourg 31 exécutions sous le proconsulat de Schneider. Quand Saint-Just avec Lebas fut envoyé en Alsace, il destitua Schneider ( 14 décembre 1795) , l'exposa toute une journée sur l'échafaud , lié au poteau de la guillotine , et l'envoya sous escorte au tribu nal révolutionnaire de Paris. La terreur continua cepen dant : il y eut encore 62 exécutions capitales: Saint-Just, en terrifiant les conspirateurs, réussit à approvisionner les armées ; il faisait déchausser les « aristocrates » de Strasbourg pour envoyer leurs souliers aux soldats . Le 29 juin, les Vendéens avaient fait une grande perte. Ils étaient sur le point d'enlever Nantes ; Cathelineau , le

LA CONVENTION. 207 > « saint de l'Anjou » , s'était déjà glissé , de maison en maison , jusqu'à la place Viarmes ; croyant la ville prise, il s'agenouille et se met à dire son chapelet. D'une masure voisine, un cordonnier l'aperçoit, l'ajuste et l'étend sur le pavé , blessé à mort . La Vendée venait d'être frappée dans une de ses forces vives ; son chef populaire allait être remplacé par les chefs nobles : ils n'auront pas, comme lui , l'art d'entraîner les masses . Les Vendéens, ayant échoué contre Nantes , n'avaient pas de port où ils pussent ac cueillir les Anglais. Dans les landes de la Bretagne, dans les chemins creux et les taillis du Bocage , la guerre conti nuait avec acharnement. L'incapacité de Ronsin , de Ros signol, de Léchelle, paralysait la bravoure des Kléber, des Westermann, des Marceau . La garnison de Mayence, transportée en poste dans la Vendée et qui s'était déjà illustrée! sous le nom de colonnes infernales , fut écrasée à Torfou ( 19 septembre). Au nord, les progrès de la coalition s'étaient ralentis par les divisions des alliés . Le roi de Prusse, après la prise de Mayence , était retourné dans ses États pour surveiller l'ambition de Catherine II , et prendre sa part dans le second démembrement de la Pologne. Il ne laissait à Bruns wick qu'une partie de ses troupes pour appuyer les opé rations de l'Autrichien Wurmser contre l'Alsace . En Flan dre , Cobourg avait encore 100 000 Autrichiens et York 50 000 Anglais ou Hollandais. Avec cette masse , ils au raient pu écraser l'armée française , réduite à 35 000 hom mes. Mais Cobourg voulut d'abord prendre Cambrai , et Pitt enjoignit au duc d’York de prendre Dunkerque. Dunkerque était énergiquement défendue par Hoche. Houchard vint attaquer les positions anglaises à Hond schoote, livra bataille pendant trois jours et contraignit le duc d'York à la retraite ( 8 septembre) ; puis il se jeta sur les Hollandais et les battit à Menin ( 18 septembre) . Une panique inexplicable s'empara à ce moment des troupes républicaines : elles se replièrent en désordre sur Lille. 208 HISTOIRE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE. Le Comité de salut public , voyant qu'on avait vaincu les Anglo- Hollandais , mais qu'on ne les avait pas écrasés, jugea la victoire incomplète et renvoya Houchard devant le tribunal révolutionnaire . Ce fut dès lors sa politique à l'égard des généraux indociles ou malheureux : successive ment les généraux Custine, le 28 août, Houchard, le 17 novembre, Biron , le 31 décembre 1793, Beauharnais, le 23 juillet 1794, montèrent sur l'échafaud . En septembre, le Comité de salut public confia l'armée du Nord à Jourdan ; celle du Rhin à Pichegru ; celle de la Moselle à Moreau, qui aura pour successeur Hoche . Jour dan, après avoir plusieurs fois refusé, car, ainsi que le disait Kléber , un titre de général était alors un brevet d'échafaud , se résigna à prendre le commandement qu'on lui imposait. Il rencontra les Autrichiens à Wattignies et échoua d'abord dans l'attaque de leurs positions. Carnot était auprès de lui avec le représentant Duquesnoy ; Carnot comprit qu'au moment où l'Alsace allait être envahie , où la grande armée vendéenne marchait sur la Loire , tout était perdu si l'on ne battait pas les Autrichiens . Jourdan risqua le tout pour le tout . Le 16 octobre , à la faveur d'un brouillard épais, il dégarnit son centre et sa droite , porta toutes ses forces à sa gauche, tenta un effort déses péré sur la droite des Autrichiens et remporta une vic toire complète . Elle coïncidait avec des succès dans la Vendée : à Châtillon, le Tremblay, Cholet, Beaupréau . EXÉCUTIONS EN OCTOBRE, NOVEMBRE ET DÉCEMBRE 1793 Il semblait qu'après les victoires de Hondschoote et de Wattignies , la France était en mesure de vaincre sans s'astreindre au régime de la Terreur. Danton et ses amis le pensaient. Robespierre parut un instant incliner vers les indulgents. On commentait la modération relative de ses amis personnels :: dc Couthon à Lyon en octobre, de 21. 12 -el P 11 A. RAHBAUDI , moguce 14WWW Attaque repoussée des Vndéens sur Cholet octobre ,171793 . 210 HISTOIRE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE. son frère à Toulon et à Marseille en décembre . On la com parait avec la rigueur excessive des représentants par les quels le Comité de salut public les avait remplacés . Un incident significatif avait eu lieu le 3 octobre : Amar, du Comité de sûreté générale , apportait à la Convention son rapport contre la Gironde ; d'un geste menaçant il fit fermer les portes et proposa la mise en accusation de 75 Girondins qui , au lendemain du 31 mai , avaient signé une protestation contre l'expulsion de leurs collègues. Ils allaient être envoyés au tribunal révolutionnaire , lorsque Robespierre intervint, les sauva . « La Convention ne doit pas multiplier les coupables, dit-il ; il suffit des chefs ; s'il en est d'autres, le Comité de sûreté générale en présentera la nomenclature. » Grâce à Robespierre, les 73 furent sim plement mis en état d'arrestation . Dans cette clémence presque royale, plusieurs entrevirent un plan qui aurait consiste à prendre appui sur la docilité de la Plaine pour maîtriser la Montagne . Alors Collot, Billaud , s'appliqué rent à démontrer au Comité que sans la Terreur on ne pourrait ni contenir les royalistes , ni assurer les réquisi tions , ni maintenir la loi du maximum et le cours forcé des assignats . Robespierre , s'il eut une velléité de clė mence, y renonça : c'est alors qu'il signa avec ses col lègues le décret qui vouait Lyon à l'anéantissement . Les exécutions continuèrent à Paris . Le jour même où les Autrichiens étaient battus à Wattignies, la reine Marie Antoinette d'Autriche montait sur l'échafaud . Puis vint le tour des Girondins arrêtés après le 31 mai et dont la dé tention était devenue de plus en plus rigoureuse . Le 31 oc tobre, vingt et un d'entre eux furent exécutés. Nul specta cle plus cruel que de voir périr ainsi des hommes par qui la royauté était tombée , par qui la république avait été fondée, ceux qui furent les pères de la patrie , les meil leurs de leur parti , car ils étaient innocents des révoltes girondines, et plusieurs, par respect pour la loi , avaient refusé de quitter leur prison. & abatirante asautopusti refaster - LA CONVENTION. 211 > Ce jour- là moururent Vergniaud, dont l'éloquence avait tant de fois, en 1792 , fait rentrer la terreur dans le palais des rois , en 1793 , apaisé les orages de la Convention ; Brissot , qui avait appelé l'Europe à la liberté et qui em ploya ses derniers jours à rédiger un mémoire sur l'éman cipation des noirs ; l'évêque Fauchet, qui le premier avait juré la constitution civile du clergé et l'un des premiers, dans la Bouche de fer, demandé l'abolition de la royauté ; Gensonné, Valazé , Fonfrède, Ducos et tant d'autres , libres esprits, grands citoyens , ardents patriotes, humains et purs entre tous . La veille de leur exécution , ils se réu nirent dans un banquet fraternel, le dernier repas des Girondins . Valaze se perça le cæur d'un stylet : on char gea son cadavre sur la charrette qui emmenait ses compa gnons à l'échafaud. Tous les autres allèrent au supplice, l'amour de la République dans le cour, la Marseillaise sur les lèvres , inébranlables dans leur foi à la France, au progrés, à la liberté . Quelques jours après ( 8 novembre) , Mme Roland, con damnée à mort, refusa le poison que lui offrait une main amie, voulut mourir au grand jour, souverainement dédai gneuse de ceux qui croyaient servir la liberté par de telles barbaries . Roland ne put lui survivre : il quitta son asile de proscrit pour ne pas compromettre son hôte, alla se tuer sur la grand'route . On trouva sur lui un billet ainsi conçu : « Qui que tu sois , toi qui me trouves gisant, res pecte mes restes : ce sont ceux d'un homme vertueux . » Condorcet, l'auteur du premier plan d'éducation nationale , un des plus grands esprits de ce temps , périra également par suicide ( 9 avril 1794 ) . L'extermination de la Gironde fut complétée par l'exécution de Rabaut-Saint-Étienne et de Kersaint (décembre 1793) . On frappa aussi les vaincus du parti constitutionnel : par une froide matinée d'automne, le 11 novembre, on amena au Champ de Mars , pour expier le sang versé au 17 juillet 1791 , l'homme dont la parole en juin 1789 avait 212 HISTOIRE DE LA RÉVOLUTION FRANCAISE. fait reculer la royauté toute- puissante, celui qui prêta le premier le serment du Jeu de Paume, qui le premier pré sida une Assemblée nationale et fut le premier maire de Paris . Comme les mains du vieillard tremblaient : « Tu trembles ! lui dit un des assistants . — Mon ami, répondit paisiblement Bailly, c'est de froid . >> - LE CULTE DE LA RAISON Vers cette époque, se produisit une curieuse tentative pour remplacer l'ancienne religion comme on avait rem placé l'ancienne royauté . Le culte nouveau était celui de la raison pure et celui de la nature . Romme, le 5 octobre, avait proposé une réforme du calendrier qu'il avait pré parée en collaboration avec les mathématiciens Lagrange et Laplace. Il divisait le mois en décades ou séries de dix jours, et remplaçait le dimanche par le décadi; mais l'aus tère mathématicien ne voulait désigner les mois que par des termes abstraits : Justice, Egalité, etc. Le littérateur Fabre d'Églantine rendit son idée plus populaire , trouva les noms poétiques des mois révolutionnaires : vendé miaire, brumaire, frimaire ;; - nivôse , pluviôse, ventose ; - germinal, floréal , prairial ; messidor, thermidor, fructidor. L'ère nouvelle, par une mesure rétroactive , fut fixée au 22 septembre 1792 , jour de la fondation de la Ré publique. Le calendrier de Romme, amendé par Fabre, devint le calendrier officiel ( 24 octobre) . Le but de Romme était surtout la destruction du catho licisme. Pour fonder le culte de la Raison, il s'unit à Chaumette et à Anacharsis Clootz , « l'orateur du genre humain » , le républicain cosmopolite qui voulait donner le Rhin à la France et lui ouvrir l'Allemagne. Chaumette, ordinairement confondu dans le parti d'Hé bert, valait mieux que lui . C'est sous ses inspirations que la Commune de Paris fit pour le peuple tant de choses - LA CONVENTION . 213 humaines et grandes, assainissant les hôpitaux, réformant le régime de Bicêtre , créant le premier hospice de mater nitė , adoptant les enfants trouvés et ceux des suppliciés, recueillant les indigents , les infirmes et les vieillards, cherchant à élever l'esprit du peuple par l'amour des arts, fondant le Conservatoire national de musique. Chaumette voulait associer à la religion nouvelle l'avènement d'une politique d'humanité ; il avait sauvé les domestiques de Louis XVI et commençait à résister aux dénonciations. Il demandait tout d'abord que l'État ne subventionnât plus aucun culte : l'État ou la Commune recevait le citoyen à sa naissance , sanctionnait son mariage, honorait ses funé railles . Déjà c'était un usage établi à Paris que l'égalité des enterrements : sur le cercueil du riche comme du pauvre, on jetait non pas le funèbre drap mortuaire, mais le drapeau de la section aux couleurs éclatantes , le dra peau de la patrie à l'ombre duquel , citoyen, il avait vécu , et , soldat , combattu . La Convention se prêta d'abord aux idées des novateurs : elle reçut les vases sacrés, statues de saints , châsses, cha subles , qu'on enlevait aux églises et qu'on lui amenait par charretées . Le 7 novembre , elle accueillit Gobel , l'évêque constitutionnel de Paris , qui vint avec tout son clergé donner sa démission de prêtre . Elle toléra pourtant les protestations de l'évêque Grégoire qui , jusqu'à la fin , en pleine Terreur, sur les bancs de la Montagne, siégea en bas violets et en camail d'évêque catholique. Le 10 novembre, la fête de la Raison fut célébrée en grande pompe à Notre-Dame : on y chanta un hymne dont Chénier avait composé les paroles et Gossec la musique . , La Raison , en robe blanche, en manteau bleu , avec le bonnet rouge , représentée par Mile Maillard , une artiste fort estimée , fut menée sur un char triomphal à la Con vention et y reçut, au nom du peuple français, l'accolade du président. Les départements avaient précédé Paris : les représentants en mission favorisaient la destruction du lo culto de la chair , he wchon sus l'autot 214 HISTOIRE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE. PC0 2 e0 Dcatholicisme, et le député alsacien Ruhl, à Reims , brisa de sa main la sainte- ampoule qui , suivant la légende , avait été apportée du ciel par une colombe , et avait servi au sacre de Clovis par l'évêque saint Remy. Par décret du 16 novembre, les bâtiments affectés au logement des prêtres catholiques furent transformés en écoles pour les enfants ou en asiles pour les infirmes. Robespierre voyait d'un cil inquiet ce mouvement contre le culte catholique, qui se poursuivait en dehors de son influence. Le 17, il dénonçait à la Convention les exagérés en même temps que les modérés, et le 21 il prononçait aux Jacobins un grand discours contre l'athéisme. Malgré ses efforts , la Commune arrêta , le 23, que les églises de Paris seraient fermées. Danton, qui était revenu à Paris pour essayer avec ses amis de renverser la puissance des Comités , avait intérêt à aider d'abord ceux - ci à contenir la Commune. ll se rap procha donc de Robespierre et , dans la séance du 26 no vembre, flétrit les « mascarades religieuses » organisées par les hébertistes. La Commune, inquiète de ce rappro chement, revint le 28 novembre sur son arrêté du 23. Dans l'intervalle , au cours de la discussion sur l'orga nisation du gouvernement révolutionnaire, Danton avait contribué à faire prendre deux dispositions qui fortifiaient le pouvoir central et limitaient celui de la Commune : d'une part, les procureurs-syndics, élus par le peuple, devaient être remplacés par des commissaires ou agents nationaux, nommés par le gouvernement ; d'autre part, on retirait aux communes le droit de convoquer les comités révolutionnaires. L'alliance momentanée de Robespierre et de Danton fut encore marquée par un fait significatif. Le club des Jaco bins avait décidé qu'il procéderait à l'épuration de ses membres : le 3 décembre, c'était le tour de Danton. Vive ment attaqué par les terroristes , il fut éloquemment dé fendu par Robespierre. latoao10U 11 LA CONVENTION. 215 Robespierre alla plus loin dans sa campagne contre l'athéisme. C'est grâce à lui qu'au plus fort de la Terreur les cérémonies de l'Eglise catholique ne furent pas inter rompues. On priait pour Robespierre à Notre - Dame. La censure eut l'mil ouvert sur les publications irréligieuses . Au club des Jacobins , nous verrons Robespierre obtenir le maintien des évêques et des prêtres constitutionnels sur la liste de la société , tandis qu'il en fera rayer Anacharsis Clootz ( 12 décembre ). Danton s'était uni à Robespierre pour restreindre l'au torité de la Commune et pour organiser sur une base plus régulière le gouvernement révolutionnaire. Il crut le mo ment venu de prendre sa part du pouvoir qu'il avait con tribué à créer. Le 12 décembre, un de ses amis, Bourdon de l'Oise , fit observer à la Convention que le mandat des comités était expiré et proposa le renouvellement du Comité de salut public . Après quelque hésitation , le lende main , l'Assemblée décida que les comités seraient main tenus : c'était ajourner les espérances des dantonistes. Sur ces entrefaites, on eut des succès aux armées. Le 19 décembre Toulon était repris; la grande armée ven déenne, après avoir franchi la Loire et poussé jusqu'à Laval , était ramenée sur Savenay et totalement anéantie par Marceau et Kléber ( 23 décembre ). En Alsace , Saint- Just, Lebas , Lacoste , Dentzel, après avoir réorganisé les troupes et placé Hoche à leur tête , les accompagnèrent dans le mouvement en avant. L'armée s'ébranla au cri de Landau ou la mort ! Le soir même, la bataille de Geisberg faisait tomber les retranchements autrichiens, et le lendemain les Français entraient dans Landau débloqué ( 26 décembre). LUTTE DE ROBESPIERRE CONTRE LES HÉBERTISTES ET LES DANTONISTES Cette fois, la Vendée abattue et les frontières reprises, 216 HISTOIRE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE. rien ne pouvait justifier la continuation du système terro riste . Il était une insulte à la victoire , à la fortune de la France. Ainsi que le sanguinaire Collot- d'Herbois l'écrivait à la Convention , au bruit de ses mitraillades de Lyon, il y eut à ce moment « un grand complot pour demander l'amnis tie » . Le 13 décembre, une députation de femmes vient à la Convention pleurer, prier pour leurs maris. Le 18, le robespierriste Levasseur, en mission dans la Vendée , proclame une amnistie pour ceux des Vendéens qui n'é taient qu'égarés. Le même jour, la Convention accueille avec faveur une pétition des patriotes lyonnais demandant grâce pour leur malheureuse ville . Le 20 , les femmes re viennent, et Robespierre propose de nommer des com missaires « pour rechercher les patriotes qui auraient pu être incarcérés et que les comités pourraient élargir » . Sur ses conclusions , l'Assemblée décréta l'établissement d'un « comité de justice ) . C'était un premier pas hors de la Terreur. Qu'est- ce qui empêcha Robespierre de s'abandonner å ce grand courant de générosité , de suivre sa propre inspi ration, d'exaucer le væu de ses propres partisans ? Le club des Jacobins, qui apparaissait comme le régulateur de la Révolution , lui était dévoué absolument, au point de sui vre l'impulsion qu'il voudrait lui donner dans un sens ou dans l'autre . Pourquoi hésita- t - il à fermer ce gouffre béant des haines civiles , qui allait engloutir les meilleurs de la Montagne, le dévorer lui-même? Il eut peur ! peur d'être débordé par les violents , supplanté par les modé rés ; peur des terroristes, de Collot- d'Herbois qui arrivait de Lyon pour dénoncer le complot de clémence ; peur de Camille Desmoulins , qui , dans les premiers numéros de son journal le Vieux Cordelier, implorait Robespierre et qui voulait le compromettre dans la politique d'hu manité. Derrière Camille Desmoulins , Robespierre crut entrevoir Danton . ( > LA CONVENTION . 217 Alors Camille Desmoulins, que Robespierre ménageait pourtant et qui grâce à lui venait d'être maintenu aux Ja cobins ( 14 décembre) , entra en lutte avec lui . Dans le n° 3 du Vieux Cordelier, il compare le gouvernement de la France à la tyrannie décrite par Tacite ; dans le n ° 4, au comité de justice demandé par Robespierre, il oppose un comité de clémence . Il demande qu'on ouvre les prisons : « Voulez- vous, s'écriait- il , que je l'adore , votre constitu tion , que je tombe à genoux devant elle ? Ouvrez la porte à ces 200 000 citoyens que vous appelez suspects. » Dans le nº 5 du Vieux Cordelier ( 25 décembre) , il exécute une charge à fond contre ces deux génies de la Terreur, Collot et Barère ; contre Hébert, qui aurait détourné les fonds de la guerre pour payer son Père Duchêne et dont les amis auraient fait écraser en Vendée l'armée de Mayence; contre les familiers de Robespierre , contre l'imprimeur Nicolas . Dans les numéros suivants, il s'attaquait à l'incorruptible lui- même, le comparant, injure suprême ! au girondin Brissot. Fabre d'Églantine , le véritable meneur de cette campa gne contre la politique du Comité de salut public , ne mon tra pas moins d'audace : on croit qu'à cette époque il écri vait une comédie politique, dont les variations de Robes pierre faisaient les frais. Fabre et Philippeaux devenaient embarrassants par l'acharnement qu'ils déployaient contre les Hébertistes : la Convention retentissait de leurs accu sations contre Hébert, Vincent, Ronsin , Rossignol , tandis que les Jacobins étaient fatigués des accusations d'Hébert et de Collot contre Fabre, Philippeaux, Camille Desmoulins. A ce moment la situation peut se résumer ainsi : la de vise des hébertistes , c'était la Terreur ; celle des danto nistes , la Clémence. Robespierre et le Comité de salut pu blic essayaient de se maintenir entre ceux qu'ils appelaient les exagérés et les modérés, en prenant pour mot d'ordre : la Justice. Or le Comité était attaqué à la fois par les dan tonistes et par les Hébertistes , dont une députation, pour 218 HISTOIRE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE . mieux l'atteindre, venait demander à la Convention la mise en jugement de 73 Girondins. Collot était revenu de Lyon : il apportait le moulage de la tête de Châlier, reproduisant la triple entaille de la maladroite guillotine des Girondins . Le suicide d'un autre exalté lyonnais, Gaillard , qui , en entendant parler de clémence, avait « désespéré de la Révolution » , ajoutait encore à la surexcitation. Contre la trinité des « gens révolutionnaires » , reconstituée au sein du Comité par l'arrivée de Collot , Robespierre se voyait isolé , ne sa vait où prendre un point d'appui. Il dut subir à la Con vention la semonce de Billaud , qui , appuyé de Collot et de Barère , fit rapporter le décret du 20 décembre établis sant le comité de justice ( 26 décembre) . Les Jacobins , sous l'influence de Collot, étaient revenus aux idées terroristes . Pendant trois séances, ils examinė rent les numéros du Vieux Cordelier, et le 10 janvier pro noncèrent l’exclusion de Camille Desmoulins. Robespierre intervint alors et le fit maintenir pour la seconde fois . En revanche , il dénonçait aux Jacobins Fabre d'Églantine , qui, le 13 janvier, était arrêté par ordre du Comité de sû reté générale comme complice de Chabot dans une affaire de concussion. D'autre part, Ronsin et Vincent, arrêtés en décembre sur une dénonciation de Fabre qui fut reconnue fausse, étaient mis en liberté le 2 février. Ainsi donc, Robespierre se trouva ramené, malgré lui , dans la Terreur , et dans la Terreur il allait trouver la toute- puissance suivie d'une chute tragique. Robespierre, avec son esprit étroit et soupçonneux , ne comprenait qu'un côté de cette Révolution , alors si com plexe, si vivante , qui remuait tous les problèmes à la fois : le problème religieux avec Chaumette , le problème euro péen avec Clootz, le problème social avec Jacques Roux. Cette lave enflammée d'idées et de passions, il entreprit de la figer avec la Terreur jacobine. Il prétendit faire une Révolution à son image, sèche, froide, négative. Dans LA CONVENTION . 219 son fanatisme à rebours, il voulut l'enfermer en un dogme, épurant, comme il disait , les personnes et les doctrines , traitant en hérétique tout ce qui était en deçà ou au delà de son orthodoxie, usant de la guillotine comme l'Église avait autrefois usé du bûcher, jalousant à la fois les généraux victorieux , les penseurs, les orateurs, citant toutes les manifestations séditieuses de l'idée révolution naire devant un concile à lui, le club des Jacobins , pro voquant les radiations comme des excommunications, sa chant d'avance que l'anathème jacobin serait sanctionné par le bras séculier , c'est- à- dire par le tribunal révolu tionnaire . Il s'appuyait sur les Jacobins pour asservir la Montagne ; car il faut bien distinguer ces deux mots que l'on con fond ordinairement. La Montagne était la Révolution même ; dans la variété infinie de ses représentants, elle en per sonnifiait toutes les aspirations. Les Jacobins, au contraire, étaient devenus , sous l'influence de Robespi ' rre , une secte , une petite église . Carnot, Cambon, Danton , Desmoulins, Merlin de Thionville étaient des Montagnards, et non des Jacobins . Leur puissante nature dépassait l'honnête mé diocrité du club : ils lui étaient suspects. Robespierre, probe et pauvre, vivant simplement chez le menuisier Duplay, incorruptible et impeccable, défiant de toute su périorité, était au contraire l'homme des Jacobins , et c'est à leur mesure qu'il entendait mesurer la Révolution. Chose singulière, Robespierre, au temps de sa plus grande puissance, quand il dominait la Convention par la terreur, se sentait dépendant de la Convention, car elle était la Loi ! Il ne la décima que par les décrets qu'elle con sentit à voter. C'est légalement qu'il perdit les Hébertistes , les Dantonistes , tous ses ennemis. Il ne gouverna jamais que par la majorité, n'administra que par la loi , n'agit que par la parole et la discussion, par les seuls moyens autorisés dans l'État le plus libre. Il eut, dans les plus grandes violences, dans les situations les plus extrêmes, 220 HISTOIRE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE. des scrupules de légalité . Sa dictature fut surtout d'opi nion, de persuasion, d'autorité morale : elle fut une sorte de pontificat entre les mains d'un homme « vertueux » , i( sensible » , fervent disciple de Jean -Jacques Rousseau, croyant sincère de l'Être suprême et de l'immortalité de l'âme . Le jour où la Convention, c'est- à -dire la Loi , se re tira de lui, il se laissa mourir, plutôt que de recourir à un coup d'État , à la force illégale . A ce point de vue, il fut un personnage presque unique dans l'histoire. Exer çant la plus effroyable tyrannie , il resta un citoyen , de même qu'en étant l'homme de la Terreur, il se piquait de rester un philanthrope. Le 5 février , Robespierre lut à la Convention un rapport où il signalait les deux factions extrêmes qui menaçaient la République : « L'une nous pousse à la faiblesse, l'autre aux excès ; l'une veut changer la liberté en bacchante, l'autre en prostituée . » Il définissait la Terreur en ces termes « Elle n'est autre que la justice prompte, sévère, inflexible. » Peu de jours après, Robespierre et Couthon tombèrent malades, ne parurent de quelque temps ni à la Convention ni aux Comités. Les Hébertistes profitèrent de leur absence : aux Cordeliers, ils déclamèrent contre la Convention , contre les Comités , et contre « les hommes usés » , c'est- à-dire contre Robespierre et Couthon . Mais le 25 février, le troisième membre de la trinité robes pierriste , Saint-Just, revint d'Alsace : d'abord il tenta de désarmer les Hébertistes, offrant à Vincent une place de commissaire-ordonnateur à l'armée du Nord et à Ronsin un poste de général aux frontières. Sur leur refus, il les attaqua le lendemain à la Convention , dans un discours qui dut leur donner le frisson : il déclarait qu'il ne con naissait que la Justice , mais la définition qu'il en donnait faisait pâlir la Terreur hébertiste, car sous le nom de Jus tice , c'était sa Terreur à lui qui était érigée en système permanent et régulier de gouvernement. Saint-Just menace à la fois les modérés et les exagérés : !

LA CONVENTIOX . 221 il se plaint qu'on ne punit point les coupables , et les Dan tonistes à leur tour commencent à ne plus se sentir inno cents . Le Vieux Cordelier savait bien que c'était à lui que s'adressaient ces paroles : « La cour pendait dans les pri sons; les noyés que l'on ramassait dans la Seine étaient ses victimes ; il y avait 400 000 prisonniers ; on pendait par an 15 000 contrebandiers ; on rouait 3000 hommes ; il y avait dans Paris plus de prisonniers qu'aujourd'hui... Parcourez l'Europe ; il y a en Europe quatre millions de prisonniers dont vous n'entendez pas les cris ... Citoyens , par quelle illusion vous persuaderait- on que vous êtes in humains ? Votre tribunal révolutionnaire a fait périr trois cents scélérats depuis un an ! Et l'inquisition d'Espagne n'en a- t- elle pas fait plus ? Et pour quelle cause , grand Dieu ! Et les tribunaux d'Angleterre n'ont- ils égorgé per sonne cette année ? Et Bender, qui faisait rôtir les enfants des Belges ! Et les cachots de l'Allemagne où le peuple est enterré ! on ne nous en parle point ? Parle-t- on de clé mence chez les rois de l'Europe ? Non ! ne vous laissez point amollir ! » Puis, se retournant contre les terroristes : « Que de trai tres ont échappé à la Terreur, qui parle, et n'échappe raient point à la Justice, qui pèse les crimes dans sa main ! La Justice condamne les ennemis du peuple et les parti sans de la tyrannie parmi nous à un esclavage éternel : la Terreur leur en laisse espérer la fin . » Dans la bouche de Saint-Just reparaissaitla menaçante formule de Robespierre : l'épuration : « La société doit s'épurer , disait- il . Qui l'em pêche de s'épurer la corrompt. Qui la corrompt veut la dé truire. » C'était l'annonce de la guillotine en permanence. Les Hébertistes furent les premiers qui se placèrent im prudemment sous le couteau . Le club des Cordeliers, où ils étaient devenus prépondérants, voila d'un crêpe la Dé claration des droits . Leurs orateurs, Vincent , Hébert, Bou langer, Momoro, attaquèrent les Comités . Carrier, revenu de Nantes, proposa contre eux une « insurrection morale » , 222 HISTOIRE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE. Ronsin , le fanfaron général de l'armée révolutionnaire , traîna son sabre dans les rues de Paris. Robespierre ce pendant était revenu au Comité. Le 13 mars, un coup de foudre tomba sur eux : ce fut le rapport de Saint-Just dé nonçant le « parti de l'étranger » . Le soir, ils étaient tous arrêtés par Hanriot. Ils furent traduits devant le tribu nal.révolutionnaire comme « agents de l'étranger » ; bien mieux, comme royalistes ! Pour donner couleur à leurs prétendues relations avec l'ennemi, on leur adjoignit quelques étrangers : mais ces étrangers étaient de vrais patriotes qui avaient combattu avec nous pour l'affranchissement de leurs con citoyens : le Hollandais Kock , père du célèbre romancier Paul de Kock , qui avait appelé les Français , et levé pour nous une légion batave ; Anacharsis Clootz, cet Allemand qui avait voulu la réunion des provinces du Rhin à la France et prêché la république universelle . Un de ses derniers mots fut celui -ci : « France, guéris -toi des indi vidus ! » trop justifié par la dictature de Robespierre , par celle de Bonaparte . Le 24 mars, exécution de vingt et un Hébertistes . Sur l'échafaud, les pires d'entre eux furent touchés comme d'un rayon d'en- haut. Ils montrèrent bien qu'on les avait calomniés en les accusant de royalisme . « Ce qui me tue, disait Hébert , c'est que la République va périr. - Non, répondit Ronsin , elle est immortelle ! » Ayant frappé ce coup sur les exagérés, il était trop évident que les Comités en allaient frapper un autre sur les indul gents . Ceux-ci crurent d'abord que la ruine des Hébertistes allait profiter à leur propre parti . Le 19 mars , Bourdon de l'Oise avait fait rendre à la Convention un décret or donnant l'épuration de la Commune de Paris ; le lende main, il fit voter l'arrestation de Héron , agent du Comité de sûreté générale ; mais, sur l'intervention de Robes pierre et de Couthon, la Convention rapporta le décret d'arrestation . Cependant les Dantonistes semblaient près - LA CONVENTION . 223 9 d'être les maîtres de la situation : Tallien venait d'être porté à la présidence de la Convention, Legendre à celle des' Jacobins . Les Comités se sentent menacés, et Robes - pierre se décide à perdre Danton . Dans la nuit du 29 au 30 mars, les deux Comités signent, à l'unanimité des membres présents, moins Lindet, l'ordre d'arrêter les Dantonistes . Danton, qui habitait Sèvres, avait été averti de ce qu'on tramait contre lui : « Eh bien ! ré pondit- il , j'aime mieux être guillotiné que guillotineur. » Il pouvait fuir, se cacher. « Bah ! s'écria -t- il , est - ce qu'on emporte la patrie à la semelle de ses souliers ? » Desmou lins aussi se savait en péril : ayant un jour Brune à dé jeuner, il lui dit en latin , pour n'être pas entendu de sa femme : « Mangeons et buvons, car demain nous mour rons. >> Le 31 mars, Danton , Desmoulins, Lacroix, Philippeaux, sont arrêtés. On les conduit au Luxembourg, où ils trou vent Fabre d'Églantine , Thomas Paine et Hérault de Séchelles, arrêté précédemment sous la prévention d'avoir caché un émigré ; puis à la Conciergerie , où ils retrouvent Chabot, Bazire , Westermann. Le procès qu'on fit aux Dantonistes fut dans la manière ordinaire de Robespierre, qui voulait déshonorer ceux qu'il faisait mourir . Pour faire croire à l'accusation de vol , on leur avait adjoint quelques hommes tarés ; et de même que pour les Hébertistes, quelques étrangers : l'Allemand Frey, l'Espagnol Gusman , le Danois Diedriksen. Les jurés du tribunal révolutionnaire furent triés avec soin , la défense étouffée, tous les procès-verbaux mutilés ; mais, malgré les falsifications, ils témoignent de la fière attitude des accusés. Quand le président Herman lui posa les ques tions d'usage , Danton répondit : « Mon nom est Danton ; mon âge, trente- cinq ans ; ma demeure sera demain le néant ; mon nom restera au Panthéon de l'histoire . Et moi , dit son ami , je suis Camille Desmoulins ; trente-trois ans , l'âge du sans- culotte Jésus . » Les jurés eux-mêmes 224 HISTOIRE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE.

furent émus de voir devant eux l'homme qui avait fait le 20 juin, le 10 août, renversé la royauté, lancé la guerre des peuples , et l'homme qui , en juillet 1789 , avait mené le peuple à l'assaut de la Bastille et , en 1791 , demandé l'un des premiers la République. Topino -Lebrun prit à part un de ses collègues dont le cour défaillait, et , invo quantla raison d'État : « Ceci n'est pas un procès, lui dit il , c'est une mesure. Deux hommes sont impossibles ; il faut qu'un périsse. Veux- tu tuer Robespierre ? - Non ! Eh bien , par cela seul , tu viens de condamner Danton. » Danton , dans sa prison, n'eut qu'un regret, sa jeune femme; qu'un souci , l'avenir de la République : « Encore si je laissais mes jambes à Couthon et mon énergie à Robespierre, dit - il , cela pourrait marcher quelque temps. » Sur l'échafaud, comme le bourreau l'empêchait d'embrasser Hérault : « Imbécile, lui dit Danton , tu n'em pêcheras pas.nos têtes de se baiser dans le même panier. » Camille regarda le couteau sanglant : « Digne récompense, dit-il , du premier apôtre de la libertél » et il chargea le bourreau de faire parvenir à sa femme une mèche de ses cheveux . Quand ce fut le tour de Danton , il dit à l'exécu teur : « Tu montreras ma tête au peuple, elle en vaut la peine! » (5 avril . ) La mort de Danton fut le crime inexpiable de Robes pierre et de ses amis. En détruisant les Dantonistes et même les Hébertistes, ils avaient tué deux forces vives de la Révolution. De ce moment date le commencement de la réaction ; elle se poursuivra contre Robespierre lui-même en thermidor ; contre les vainqueurs de Robespierre après thermidor, jusqu'à ce qu'elle aboutisse au coup d'État, au Consulat, à l'Empire. Quand les vivaces partis dont se composait la Convention eurent été décimés, les Girondins aủ 31 mai, les Hébertistes au 24 mars, les Dantonistes au 5 avril, les Robespierristes en thermidor, les derniers Montagnards en prairial, la Révolution se trouva décapitée. Les vaillants qui avaient siégé aux Comités , les représen LA CONVENTION . 225 tants qui avaient conduit les armées à la victoire , les pères de la Révolution, les héros de la République étaient morts : ch alt 12 per ted hes Danton et Camille Desmoulins à l'échafaud . le reste n'avait plus qu'à fléchir devant un maître . Robes pierre, à son insu, travaillait pour Bonaparte. à A. RAMBAUD . 15 226 HISTOIRE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE . DICTATURE DE ROBESPIERRE

Le lendemain de l'exécution , Couthon vint dire à la Con vention : « Nous préparons une fête à l'Être suprême. » Le mot fit horreur à la droite comme à la Montagne. Une fête ! une fête entre l'échafaud de Danton et celui où mon tèrent, les jours suivants, Chaumette, l'apôtre de la Rai son ; Lucile Desmoulins, la veuve de Camille ; Gobel , sur qui Robespierre semblait venger l'injure faite au catholi cisme; Lavoisier, dans lequel on frappait l'esprit même du siècle , l'esprit scientifique, ce fidèle auxiliaire de la Révo lution ; Malesherbes, qui avait été le collaborateur de Tur got dans les réformes de 1774 ! Le froid fanatisme de Robespierre se doublait alors de celui de Saint-Just : Saint-Just , avec sa raideur jacobine , sa volonté inflexible , son inexpérience de jeune homme, sa fausse éducation classique , n'entendait rien à ces choses vivantes , la France, la Révolution . Il disait : « Le monde est vide depuis les Romains. » Son idéal, c'était Lycurgue, la pureté, la pauvreté spartiate. Il rêvait un progrès qui eût été un retour à la barbarie, ne voulant ni industrie , ni commerce, ni monnaie : il était en lutte sourde avec Cambon . Il eût si bien épuré que rien ne serait resté de la Montagne , ni de la France. Cette étroitesse, cette sévé rité d'inquisiteur ou de tyran effrayait parfois Robespierre. « Il y a en lui du Charles IX, » disait- il . Collot et Billaud n'étaient pas moins implacables. Billaud fit rendre le 10 avril ce décret : « La Convention nationale déclare qu'appuyée sur les vertus du peuple français, elle fera triompher la République démocratique et punira sans pitié tous ses ennemis. » On avait fait bien du chemin depuis décembre 1793 , lorsque Robespierre parlait de justice et Desmoulins de clémence ; le mot d'ordre était maintenant celui de Billaud : « Sans pitié ! » LA CONVENTION . 227 Robespierre usa de sa victoire pour asseoir son autorité. La Commune, débarrassée de Pache, de Chaumette et d'Hé bert, fut tout à lui : elle avait pour maire et pour agent national deux de ses créatures, Fleuriot - Lescot et Payan . A la dictature , Robespierre allait joindre le pontificat. Il était pontife d'une nouvelle religion d'État : le 7 mai , jour de l'exécution de Lavoisier, il prononça un long dis cours contre l'athéisme et le fanatisme, et fit voter le célèbre décret : « Le peuple français reconnaît l'existence de l'Être suprême et l'immortalité de l'âme » . Ce fidèle disciple de Rousseau , tout en déclamant contre les prêtres « qui sont à la morale ce que les charlatans' sont à la médecine » , devenait l'espérance de l'ancienne religion . II rendait les églises aux catholiques , autorisait la célé bration du dimanche : celle du décadi tombait en désué tude. Comme il avait guillotinė Clootz et autres apôtres de la guerre des peuples, comme il arrêtait l'invasion de l'Italie et retardait la chute du pouvoir temporel , il appa raissait à l'Europe comme un homme de gouvernement, le modérateur de la Révolution , conservateur au dehors comme au dedans, éloigné de toute folie révolutionnaire. L'empereur d'Allemagne François II et le roi de Prusse Frédéric- Guillaume II étaient disposés à traiter avec Robes pierre dès qu'il aurait saisi la dictature et constitué un gouvernement. D'une part, ils étaient inquiets de voir l'impératrice de Russie Catherine II disposer à son gré des territoires polonais; d'autre part, les succès de nos armées ne leur laissaient plus aucune espérance de lasser ou de vaincre la Révolution. Pichegru prenait successivement Ypres, Bruges , Ostende et achevait la conquête de la Flandre ; Jourdan , après plusieurs tentatives infructueuses, franchissait la Sambre et forçait la place de Charleroi à une capitulation immédiate; puis, retranché sur les hauteurs de Fleurus , il supportait victorieusement l'assaut des 80 000 Autrichiens de Cobourg et les contraignait à la retraite ( 26 juin 1794) . Cette grande victoire , suivie de la 228 HISTOIRE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE. une jonction de Jourdan et Pichegru , nous livra Bruxelles et toute la Belgique . Les Autrichiens laissaient derrière eux des garnisons dans quatre forteresses françaises : Landre cies , le Quesnoy, Valenciennes , Condé . Le Comité de salut public , pour frapper de terreur ces garnisons étrangères, rendit le décret du 6 juillet , qui était une violation du droit des gens : « Toutes les troupes des tyrans coalisés, renfermées dans des places du territoire français ..... et qui ne seront pas rendues à discrétion vingt-quatre heures après la sommation qui leur en sera faite, ne seront admises à aucune capitulation et seront passées au fil de l'épée. » La nouvelle produisit son effet, au moins sur Landrecies , qui se rendit sur-le-champ. Les autres places ne tombèrent que plus tard . Pendant que ces succès assuraient nos frontières et nous livraient la Belgique , on essuyait sur mer défaite, mais une de ces défaites glorieuses, « triomphantes à l'égal des victoires » , comme a dit Montaigne. La France, dans cette cruelle disette de 1794, attendait avec impatience un grand convoi de deux cents navires qui lui amenait du blé d'Amérique. L'amiral anglais Howe appareilla avec trente vaisseaux pour le capturer ; Villaret -Joyeuse recut l'ordre de le protéger. Il n'avait que vingt-quatre vaisseaux, montés par des officiers novices et des équipages dont beaucoup voyaient la mer pour la première fois. C'est alors que le représentant Jean Bon -Saint-André monta sur le vaisseau amiral, harangua ces marins improvisés et leur inspira une telle confiance qu'ils demandèrent le combat à grands cris . Le 29 mai , première bataille dans laquelle les Français soutinrent sans désavantage l'effort des An glais ; le 1er juin , chacune des flottes ayant reçu des ren forts, nouvelle bataille encore plus acharnée, où plusieurs vaisseaux, de part et d'autre , furent désemparés. L'amiral français se vit obligé de battre en retraite, aban donnant six de ses vaisseaux qui n'étaient plus, suivant le mot de Saint-André, que des « carcasses abimées » . Un

i ED a PM 5€ Bataille navale du 1er juin 1794. Le Vengeur. 230 HISTOIRE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE. septième vaisseau , le Vengeur, entouré par la flotte bri tannique , refusa de se rendre : les survivants de son équi page clouèrent au grand mât le pavillon tricolore et quand le navire, criblé de boulets, commença à s'enfoncer dans les flots, poussèrent un dernier cri : « Vive la République ! » Tant de dévouement et d'héroïsme n'avait pas été inu tile ; pendant que la flotte française attirait sur elle tous les coups des Anglais, le convoi passait sans encombre, abordait dans nos ports de Bretagne et sauvait de la famine nos départements de l'Ouest . Cependant tout semblait pousser Robespierre à la dic tature : la France et l'Europe , ses amis et ses ennemis. Saint-Just disait : « Il faut un dictateur. » Pour en arriver là , un seul obstacle, la Montagne : les Montagnards com mencèrent à trembler. Robespierre avait forcément contre lui plusieurs sortes d'hommes : les corrompus, comme Tallien ou Fouché, qui redoutaient sa justice ; les amis d'Hébert et de Danton , qui voulaient les venger ; les indé pendants, comme Romme ou Soubrany, qui craignaient pour la liberté ; les membres des Comités, qui commen caient à trouver sa tutelle trop pesante. Il avait alors contre lui tout le Comité de salut public , sauf Couthon et Saint- Just, et presque tout le Comité de sûreté générale. Il s'était fait aussi beaucoup d'ennemis par ses dénonciations vagues et meurtrières. On l'avait vu attaquer non seule ment Fouché et Tallien , si méprisables , mais Merlin de Thionville, qu'il accusait d'avoir reçu de l'argent pour rendre Mayence; mais Dubois -Crancé , qui aurait trahi devant Lyon ; mais Lindet , qui aurait innocenté le fédé ralisme; mais Briez, qui avait le tort de n'être pas mort dans Valenciennes ; mais Philippeaux, traité de modéré pour ses attaques contre les généraux hébertistes; mais Bourbotte , traité d'aristocrate . Un jour même il osera traiter Cambon de fripon. Il faisait le procès aux représen tants en mission , anticipant ainsi sur la réaction de 1795. Lui , qui couvrait de sa protection les 75 Girondins, seni LA CONVENTION . 231 blait n'en vouloir qu'aux Montagnards. Son ami David di sait : « Je crois que nous ne resterons pas vingt membres de la Montagne . > Tous ces sentiments d'hostilité éclatérent à la fête de l'Être suprême, le 8 juin . Ses collègues du Comité , après l'avoir élevé à la présidence de la Convention, affectèrent de le laisser bien en avant d'eux pour signaler « le grand prêtre » aux soupçons du peuple . Ils répétèrent ce mot d'un sans- culotte : « Il n'est pas content d'être maître , il lui faut encore être Dieu ! » Beaucoup espéraient que cette fête serait le commence ment de la clémence et que la guillotine , retirée ce jour -là de la place de la Révolution , n'y reparaitrait plus. Tout au contraire , le surlendemain , Robespierre et Cou thon , au nom des Comités , mais sans les avoir consultés, faisaient voter la loi du 22 prairial ( 10 juin) , qui ordon nait à tout citoyen de dénoncer les conspirateurs et l'au torisait à les arrêter, qui supprimait toutes les formalités de jugement et déclarait suffisante la preuve morale ; la mort devenait la peine unique pour tous les délits jugés par le tribunal révolutionnaire. Bourdon de l'Oise voulut y introduire un article qui donnait une nouvelle consé cration au droit que la Convention avait seule de mettre ses membres en accusation ; Couthon et Robespierre obtin rent que cette réserve ne fût pas rappelée , et Robespierre apostropha Bourdon de telle sorte que ce député en fut malade pendant un mois . A partir de ce jour, il y eut un redoublement de ter reur dans le pays et dans l'Assemblée . Soixante députés ne couchaient plus dans leur domicile . On exécutait par fournées de quarante ou cinquante. Paris ne cachait plus son dégoût : il fallut transporter la guillotine de la place de la Révolution à la barrière du Trône, ouvrir de nou veaux cimetières . Robespierre, à la suite d'une scène violente avec Bil laud qui lui reprochait d'avoir présenté , sans consulter 232 HISTOIRE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE. ses collègues , « le décret abominable qui faisait l'effroi des patriotes » , et de vouloir « guillotiner la Convention nationale » , cessa de paraître au Comité de salut public. Les Comités profiterent de son absence pour jouer ce jeu cruel d'exagérer la Terreur afin de rendre Robespierre plus odieux. Une jeune ouvrière ayant été surprise chez lui avec deux petits couteaux , on impliqua dans l'affaire cinquante- quatre personnes, qu'on revêtit pour l'exécu tion du manteau rouge des parricides. En longue file, au pas lent des charrettes, le funèbre et rouge cortège tra versa tout Paris ( 17 juin) . Ce spectacle frappa le peuple : Robespierre était - il donc roi pour qu'on le vengeât si royalement ? D'autre part , on le rendait ridicule en instrui sant l'affaire de Catherine Théot , une vieille folle qui se disait la mère de Dieu , appelait Robespierre son fils, et annonçait le prochain avènement du Sauveur. Le rappor teur Vadier, tandis que Robespierre même présidait la Convention , amusa l'Assemblée à ses dépens. CHUTE DE ROBESPIERRE Cependant les Comités et la Montagne hésitaient avant d'engager la lutte. Si Robespierre semblait dangereux pour la liberté , sa mort pouvait être funeste à la Révo lution et devenir le signal de l'universelle réaction . Sa situation était d'ailleurs très forte : il avait pour lui les Jacobins, la nouvelle Commune; or , la Commune, par Hanriot, disposait de la force armée. Il semblait avoir pour lui la majorité de la Convention , et il pouvait reven diquer pour son gouvernement la victoire de Jourdan å Fleurus et la conquête de la Belgique. La lutte était cependant inévitable ; pour fonder l'ordre de choses qu'il rêvait, Robespierre devait détruire les Co mités ; ceux- ci devaient le détruire ou périr par lui . Sa dé fiance de la Montagne tout entière , ses avances à la droite LA CONVENTION. 253 étaient visibles . On contait qu'il avait des listes de pro scription toutes prêtes sur lesquelles ne figuraient que des Montagnards. Dans son grand discours du 8 thermidor ( 26 juillet) , il fit planer la Terreur sur toutes les têtes , at taqua même Cambon , qui riposta avec . vigueur. La Con vention décréta l'impression de son discours, puis, revenant sur cette décision, refusa l'impression et l'envoi aux dé partements. C'était un vote de défiance et de haine. En rentrant chez son hòte le menuisier, Robespierre dit aux dames Duplay : « Je n'attend plus rien de la Monta gne ; mais la majorité est pure . » La majorité , c'est - à -dire les monarchiens honteux , les Feuillants déguisés , ceux qu'il appelait naguère les « serpents du Marais ! » Le soir, aux Jacobins, il relut son discours et fut ap plaudi . Couthon fit rayer du club les conventionnels qui avaient voté contre l'impression . Saint-Just , malgré Robes pierre, presse les préparatifs d'une journée contre l'As semblée. Hanriot, dans la nuit, rassemble ses canonniers. Ses ennemis, de leur côté , Tallien , Fréron , Fouché, Bour don de l'Oise , Lecointre, Legendre, Collot, Billaud, ne perdent pas leur temps . S'ils ne peuvent décider les Co mités à l'action , ils ont plus de succès auprès de la droite . Ils réussissent sans doute à lui persuader que, si Robespierre succombe, c'est à elle que reviendra peut- être le pouvoir, qu'on pourra enrayer la Terreur, « arrêter l'horrible charrette » . L'alliance se conclut entre les mo dérés et les violents, ceux - ci espérant bien arracher à ceux- là le fruit de la victoire commune. Le lendemain , 9 thermidor, Saint-Just monte à la tri bune de la Convention pour lire un rapport qui devait conclure contre Billaud et Collot . On le harcèle , on l'arrête dès les premiers mots . Tallien et Billaud se succèdent à la tribune , multipliant les accusations de dic tature et de tyrannie. Ce qui anime surtout Tallien , c'est que la future Mme Tallien, alors Mme de Fontenay, est en prison depuis le 22 mai, réservée pour une des premières 234 HISTOIRE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE. fournées. Robespierre parvient enfin å occuper la tribune ; mais les conjurés l'interrompent en criant : « A bas le tyran! » Éperdu , il se tourne vers la Plaine, vers les modérés , vers ces amis des soixante-treize Girondins qui lui doivent la vie : « C'est à vous , hommes purs, que je m'adresse , et non aux brigands. >> Alors, toute cette Plaine, muette et tremblante depuis quinze mois, recouvre la parole, mais c'est pour pousser, d'une clameur unanime, continue, roulant comme le ton nerre , le mê crime terrible : « A bas le tyran ! » Le dan toniste Thuriot occupe le fauteuil de la présidence et , de sa sonnette furieuse , couvre la voix de Robespierre. Un député lui crie de sa place : « C'est le sang de Danton qui t'étouffe ! » Puis une autre clameur succède à la pre mière : « L'arrestation ! l'accusation ! » Thuriot met l'ac cusation aux voix : elle est votée à l'unanimité. Les cla meurs reprennent : « A la barre, les accusés ! Point de privilège ! » Il faut que Robespierre descende de son banc et se rende å la barre . Il y est rejoint par son frère, par Lebas, qui intrépidement déclarèrent vouloir partager son sort, par Couthon , Saint-Just, également décrétés d'accu sation . Le bruit de la mise en accusation de Robespierre se ré pand dans Paris . Son nom est tellement associé à celui de la Terreur, que tout le monde s'écrie : « Alors plus de guil lotine ! » Les faubourgs restèrent indifférents : on leur avait fait croire que Robespierre trahissait et qu'on avait trouvé chez lui un sceau avec des fleurs de lis . Le faubourg Saint Marceau n'agit pas plus que le faubourg Saint- Antoine : il y avait là trop de gens qui ne lui pardonnaient pas la mort ou des Hébertistes, ou de Danton . Paris, dans sa grande masse , ne remua pas. Dans la soirée, Fleuriot , Payan , Coffinhal font sonner le tocsin , mais ne réussissent à insurger : que quelques sections avec lesquelles ils vont délivrer Robespierre qu'on > 4 ti i 11 be

WA Robespierre amené au Comité de salut public ( aux Tuileries) . 236 HISTOIRE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE . ܕ avait écroué à la police : ou plutôt il s'y était écroué lui même, le concierge de la prison du Luxembourg n'ayant pas voulu le recevoir. Robespierre refụsait de suivre les insurgés, disant : « Laissez-moi comparaître devant mes juges . » On l'entraîna malgré lui, on l'amena à l'Hôtel de Ville , tandis qu'il ne cessait de répéter : « Vous me perdez ! Vous perdez la République ! » La Convention tenait alors une séance de nuit : sur la proposition de Collot-d'Her bois, président, elle décréta la mise hors la loi des accu sés et nomma Barras général de ses troupes . Ces troupes étaient peu considérables : à force de courir leurs sections , quelques représentants finirent par réunir 1800 hommes. La section des Gravilliers, se sou venant que Robespierre avait fait condamner ses favoris, le socialiste Jacques Roux et Chaumette, fournit le plus fort contingent. Vers une heure et demie du matin, Léonard Bourdon et Barras marchent sur l'Hôtel de Ville , précédés des huis siers de la Convention qui proclament le décret de mise hors la loi : cela suffit pour disperser les canonniers qui occupent la place de Grève. Robespierre, à ce moment, supplié par ses amis de convoquer la force armée, hési tait par scrupule de légalité, demandant : « Mais au nom de qui ? » L'Hôtel de Ville était donc sans défense . Quel ques gendarmes montèrent sans obstacle l'escalier, arri vèrent jusqu'à Robespierre. L'un d'eux, nommé Merda, d'un coup de pistolet lui fracassa la mâchoire et d'un autre coup blessa Couthon à la jambe. Se voyant pris, Lebas se fait sauter la cervelle ; Robespierre jeune se jette par la fenêtre ; Hanriot y est jeté par Coffinhal, exaspéré de ses maladresses . On arrête les survivants , on ramasse les mou rants, orr les amène au Comité de salut public. C'est avec un serrement de cœur que les ennemis mêmes de Robespierre, Collot, Billaud , Barère, le virent en cet état . Ils inventèrent une fable, et répétèrent partout qu'il s'était « tiré lui - même » . Ils comprenaient qu'en > LA CONVENTION . 237 présence de la réaction imminente, si l'on voulait tenir tête à la droite déchaînée, on devait ménager une récon ciliation avec les Robespierristes. Leurs ménagements ne furent pas admis par la majorité : la Convention fit du parti une boucherie. La guillotine fut relevée tout exprès sur la place de la Révolution . Robespierre, avec sa ma choire fracassée ; son frère, Couthon , Hanriot, tous trois à demi morts ; Saint- Just, le président du tribunal Dumas, le maire Fleuriot, l'agent national Payan, le cordonnier Si mon, en tout vingt et un condamnés, furent guillotines le 10 thermidor. Les Robespierristes, comme leurs adver saires , Girondins, Hébertistes , Dantonistes , mouraient jeunes : le plus âgé, Couthon, avait 38 ans , Robespierre 35 ans, Saint-Just 27 ans. Le lendemain , soixante-dix exé cutions , et le surlendemain treize : c'était l'extermination en masse de la Commune robespierriste. LE RÉGIME THERMIDOBIEN La Terreur était finie . Depuis trois mois , elle ne se main tenait plus que par la défiance réciproque et par la sourde rivalité, au sein même du Comité, de la trinité robespierriste et de la trinité Collot, Billaud et Barère. Comme les deux partis ne poussaient à l'exagération du système que pour s'en faire une arme l'un contre l'autre , Robespierre pour atteindre enfin ses ennemis de la Montagne, ceux -ci pour le noyer dans le sang répandu, il était évident que, quel que fût le parti victorieux, les exécutions devaient cesser . L'un aussi bien que l'autre devait nécessairement inaugurer sa dictature par des mesures de clémence. D'ailleurs la Montagne était maintenant trop affaiblie, trop divisée, pour qu'elle pût imposer à l'Assemblée , à la ville de Paris, à la France, la continuation d'un régime qu'elles · avaient en exécration . 238 HISTOIRE DE LA REVOLUTION FRANÇAISE.

Dès le début, la Convention eut à statuer sur les in struments de ce régime. Elle manifesta d'abord quelques hésitations : le 11 thermidor, le tribunal révolutionnaire avait été suspendu : Billaud - Varennes le fit rétablir. Ba rère essaya d'aller plus loin et de faire décréter le main tien de tous ses membres, même de l'accusateur Fouquier Tinville, qui , nommé par l'influence de Desmoulins, avait requis contre Desmoulins, qui, après avoir requis contre les ennemis de Robespierre, avait requis contre Robes pierre, et se montrait disposé , agent docile de toute tyrannie pourvu qu'il gardât sa place, à requerir contre tous ceux qu'on lui désignerait. La proposition de Barère souleva un mouvement d'horreur : Fouquier- Tinville fut décrété d'accusation. On conserva le tribunal, mais en le renouvelant, en l'entourant de garanties protectrices pour les accusés . La loi de prairial fut rapportée . On sup prima la paye de 40 sous par jour établie pour assurer la fréquentation des assemblées des sections. On renouvela le Comité de salut public. La majorité dans les deux comités fut acquise aux Thermidoriens, aux Dantonistes, aux mode rés : Collot , Billaud, Barère, Carnot s'y virent débordés. Trois partis se dessinèrent alors dans l'Assemblée : le parti des anciens Comités, qu'on appela aussi les Crétois ou Montagnards de la Crête, avec Billaud , Collot, Barère, Vadier, Amar, Carnot, Cambon, les deux Prieur, la plupart des représentants revenus de mission, tous se considérant comme solidaires des mesures de salut public, aucun n'entendant qu'on fit le procès à la Révolution, et que la réaction contre la Terreur pût conduire à la contre- révo lution ; – le parti des Thermidoriens proprement dits, qui , étant allés s'asseoir à droite au lendemain du 9 ther midor, essayaient de répudier leur part de responsabilité dans le gouvernement précédent et cherchaient leur sû reté dans l'alliance avec les modérés : leurs chefs étaient Tallien, Barras, Fréron, Legendre, Lecointre, Bourdon de l'Oise , Rovere, Bentabole, André Dumont, les deux Merlin ; LA CONVENTION. 239 . enfin les modérés, qui n'avaient pris aucune part au gouvernement terroriste , qui restaient fidèles à la Révo lution, même à la République , mais qui allaient montrer de singulières complaisances pour les royalistes : tels étaient Sieyès, Boissy d'Anglas, Cambacérés, Thibaudeau , Chénier (Marie-Joseph) , frère du grand poète André Ché nier, qui avait été supplicié le 25 juillet 1794. Ce furent les Thermidoriens qui, pour compléter leur victoire sur le parti robespierriste ou pour faire oublier leur rôle sous la Terreur, ouvrirent la campagne contre le parti des anciens comités . Fréron parlait de détruire l'Hô tel de Ville , ce « Louvre du tyran Robespierre » . Le pein tre David, autrefois fanatique de Robespierre, qui avait promis de « boire la ciguë » avec le juste, le reniait en pleine Convention . Lecointre, le 30 août, dénonçait Bil laud , Collot , Barère , de l'ancien Comité de salut public, Amar, Voulland , Vadier , David même , de l'ancien Comité de sûreté générale. La Convention comprenait que ces accusations contre Billaud ou Collot menaient logiquement à la mise en accu sation de Carnot, de Lindet , de Prieur, solidaires de tous les actes du Comité de salut public , au procès de la Con vention tout entière , qui les avait couverts de son approbation ou de son silence , à la condamnation de la Révolution même. « Si les comités sont criminels, fit ob server Cambon, criminelle aussi doit être l'Assemblée qui , chaque mois et unanimement, a prorogé leurs pouvoirs. » D'ailleurs la plupart des Thermidoriens étaient bien mal fondés à attaquer le régime précédent ; quand Tallien montrait l'ombre de Robespierre planant encore sur la Convention , il s'attirait cette verte réplique du député Lefiot : « Tel qui déclame aujourd'hui contre le système de terreur en vantait hier l'utilité. » La Convention eut la sagesse de repousser les accusations de Lecointre, de clarées calomnieuses. Deux jours après , le résultat que Lecointre voulait ob > 240 HISTOIRE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE. tenir par sa dénonciation fut obtenu par un autre moyen. Barère , par la voie du sort , Collot et Billaud, par abdi cation volontaire, sortirent du Comité ; Tallien lui-même, l'allié de Lecointre, fut obligé de démissionner. Les hommes comme Tallien , Fréron, Lecointre , qui n'ou vraient les portes des prisons aux royalistes que pour les remplacer par des républicains , qui ne répudiaient la Ter reur que pour se jeter avec la même frénésie dans la réac tion , étaient également abhorrés de tous les partis , des modérés pour leurs anciens excès, des Montagnards pour leurs violences nouvelles . Le club des Jacobins, si cruellement frappé dans son idole Robespierre , conservait cependant une bonne partie de son autorité morale. Il fut généralement approuvé quand il prononça l'exclusion de Tallien et de ses deux acolytes . La Convention résistait encore aux entraine ments de la réaction : aux députations jacobines , qui se présentaient à sa barre , elle répondait qu'elle maintien drait vigoureusement le gouvernement révolutionnaire, et décrétait la translation des restes de Marat au Panthéon . Elle rendit en octobre le même hommage à Jean - Jacques Rousseau . Ces honneurs rendus à Marat et à Rousseau cachèrent aux yeux du peuple une campagne activement menée contre les clubs et les sociétés populaires. Le 28 septembre, la Convention ferma le club de l'Évêché, où se réunis saient les débris des partis hébertiste et socialiste , où Gracchus Babeuf et ses disciples prêchaient le partage des biens , la « vraie égalité » et le « bonheur commun » ). Le 16 octobre, elle décréta des mesures de police contre les sociétés. Dans la nuit du 11 au 12 novembre , comme des désordres s'étaient produits autour du club des Jacobins, la salle fut fermée . Ainsi perit cette célèbre société qui , dans la décompo sition des pouvoirs publics, avait été le grand ressort de la Révolution, qui, par ses affiliations des départements, LA CONVENTION . 241 par le réseau de ses innombrables succursales , par la vaste confédération de ses clubs, avait suppléé à l'impuis sance des autorités locales , qui avait été à la fois un gou vernement et une administration . Elle succomba au mo ment où se réveillaient toutes les forces hostiles à la Révolution, où la « jeunesse dorée » houspillait les répu blicains dans les rues de Paris, où les violences de la presse royaliste commençaient à faire oublier celles de l'Ami du Peuple et du Père Duchêne, où le chant contre révolutionnaire du Réveil du peuple étouffait celui de la Marseillaise. La Convention prit, le 8 décembre, une mesure encore plus grave. Sur la proposition de Merlin de Douai , elle rappela les soixante - treize représentants girondins qui avaient été exclus de l'Assemblée pour leur protestation contre le 31 mai. Le retour de ces députés , fort aigris pour la plupart, beaucoup moins dévoués à la République qu'ils ne l'avaient été en 1793 , changea la distribution des partis dans l'Assemblée et assura la prépondérance aux modérés, ou plutôt, comme la modération était alors un vain mot, à cette forme modérée de contre - révolution que représentaient Sieyès et Boissy d'Anglas. Les soixante treize demandèrent aussitôt la rentrée des Girondins expulsés le 2 juin et mis hors la loi pendant l'insurrec tion des départements . Leur motion fut d'abord repoussée. Merlin de Douai lui- même s'écria : « Voulez-vous ouvrir les portes du Temple ? » Au Temple étaient encore enfer més les enfants de Louis XVI. On persistait toujours, dans la Convention , à identifier la cause des Girondins proscrits avec celle de la royauté. En même temps commençait le procès de Carrier. Au 10 thermidor, on l'avait vu , derrière la charrette qui emportait Robespierre, crier : « A bas le tyran ! » Cela ne le sauva pas . Le 23 novembre il avait été , sur un rapport de Romme, mis en accusation devant la Convention . Sa défense consista à démontrer que, s'il était criminel , la A. RAMBAUD . 16 242 HISTOIRE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE. moire de Robespde la salle des Barère et VadierLe 8 mars, suvire protestatio:dins mis hors 1lère-Lépeaux, la Convention .1. Merlin de. Convention, la Révolution l'étaient également : « Tout est coupable ici , disait- il , tout, jusqu'à la sonnette du prési dent. » Mais 498 voix sur 500 votants répudièrent la soli darité qu'il osait établir entre les mesures de salut public et tant d'inutiles barbaries . Il fut traduit, avec tout le comité révolutionnaire de Nantes, devant le tribunal révo lutionnaire . Sur trente-trois accusés , il n'y eut que trois condamnations à mort : celles de Carrier, Grandmaison et Pinard. Les autres furent renvoyés devant le tribunal criminel d'Angers. On continuait à détruire les restes du système dictato rial . La suppression du maximum (23 décembre) entraîna une crise économique aussi violente que celle qui avait motivé son établissement ; le prix des denrées haussa dans des proportions énormes, la valeur des assignats baissa d'autant . La misère du peuple s'accrut ; l'agiotage, les accaparements, les disettes factices recommencèrent. Boissy d'Anglas proposa le rationnement des vivres à Paris : le peuple s'en vengea en l'appelant Boissy-Famine. On révoquait les décrets d'expulsion contre les nobles et les prêtres réfractaires. Mais, si l'on voulait substituer au système révolutionnaire , aux lois d'exception , un régime de liberté et de légalité , il eût été sage de ne pas revenir sur le passé, et , en abandonnant les voies du précédent gouvernement, de ne pas poursuivre , en même temps que lui , la Révolution . La Convention, dès que les soixante treize у furent rentrés, ne sut pas se tenir dans la poli tique équitable et réparatrice qu'elle avait suivie un instant. La dénonciation de Lecointre, reprise par Clauzel , fut accueillie : l'Assemblée chargea une commission de 21 membres d'examiner les actes de Billaud, Collot, Barère et Vadier. Duhem s'étant écrié que l'aristocratie et le royalisme triomphaient, fut envoyé à l'Abbaye. Vers cette époque, la mémoire de Marat, honorée naguère parce qu'on voulait s'appuyer sur ses partisans contre ceux de Robespierre, fut en butte aux mêmes attaques que la mé pouvait espéreconstituer unles rovalistesobstinés, unchance de sinquètes cordemandaienavaient étéimprudencefrances duquence , coLes rixParis, ention emtcontre lde la Conven: scremplapierrides tion ProvLeune LA CONVENTION. 243 moire de Robespierre. En février 1795, son buste fut retiré de la salle des séances de la Convention . Billaud, Collot , Barère et Vadier furent décrétés d'accusation ( 2 mars) . Le 8 mars, sur une motion de Chénier et malgré une vive protestation du thermidorien Bentabole, les Giron dins mis hors la loi , Isnard, Lanjuinais, Louvet, Laréveil lère- Lépeaux, en tout vingt-deux députés , rentraient dans la Convention . La fête commémorative du 31 mai fut abo lie . Merlin de Douai avait appuyé ces propositions. On pouvait espérer que les Girondins aideraient du moins à constituer un parti qui soutiendrait franchement, contre les royalistes , la République , contre les révolutionnaires obstinés , un régime légal . Pour que cette tentative eût chance de succès, il était nécessaire de mettre fin aux enquêtes contre les hommes des Comités. Lindet et Carnot demandaient la mise en liberté des quatre accusés qui avaient été leurs collaborateurs. Malheureusement les imprudences du parti montagnard, la disette , les souf frances du peuple , les troubles qui en furent la consé quence , compromirent la politique d'apaisement. JOURNÉES DE GERMINAL ET DE PRAIRIAL Les rixes continuaient au Palais- Royal , dans les rues de Paris , entre les patriotes et la jeunesse dorée. La Conven tion emprunta à la Constituante de 1791 la loi martiale contre les attroupements. Le 30 mars, les pétitionnaires de la section des Quinze-vingts vinrent demander à la Convention le rétablissement de la municipalité de Paris, remplacée , depuis l'extermination de la Commune robes pierriste, par des commissions exécutives ; la réouverture des sociétés populaires ; la mise en vigueur de la constitu tion de 1793; des mesures énergiques pour assurer l'ap provisionnement de Paris . Le 12 germinal ( 1er avril) , l'Assemblée fut envahie par une foule nombreuse d'hommes, de femmes, d'enfants, 214 HISTOIRE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE . buvissa d'Anglas.Arenglés par timité de l'insurtionale, convaintemps, de se su cessait en preparni les derleurs droits ,pour ce peupBuhl, DurosSoubrany, GO: criant : « Du pain ! la constitution de 1793 ! » Le peuple sanglante par lesétait d'ailleurs sans armes ; il se retira sans avoir commis de violence . La majorité de la Convention prit prétexte de sanglante. cette insurrection de la misère pour ordonner la déporta tion de Collot, Billaud, Barère, Vadier, et l'arrestation d'un certain nombre de députés de la Crête qui avaient appuyé les revendications de la foule . Choudieu, Duhem , Amar, Léonard Bourdon , Levasseur, qui avait sous Robespierre demandé l'amnistie pour les tagnards de laVendéens, Thuriot, qui avait présidé au 9 thermidor, grares. TandiMaignet, qui avait défendu Marseille contre les fureurs de Fréron et Barras, Lecointre , Cambon lui-même, furent décrétés d'accusation. Fréron , trop tard , voulut intervenir : sa proposition d'abolir la peine de mort en matière politique fut repous sée . Ainsi , tandis que les Girondins rentraient dans la propose laConvention , les Montagnards en étaient exclus : la Con vention, après avoir rappelé les proscrits du 31 mai, fai sait un 31 mai contre les patriotes . On désarma les fau bourgs; on réorganisa la garde nationale, croyant donner la force aux modérés, tandis qu'on la donnait en réalité aux royalistes . Le tribunal révolutionnaire, qui avait été maintenu par les modérés, fut encore une fois remanié . Son premier acte fut de condamner Fouquier -Tinville, qu'on exécuta en place de Grève avec quatorze autres accusés, pour la plupart membres de l'ancien tribunal. Le 1er prairial ( 20 mai), nouvelle insurrection , en armes cette fois, à laquelle prirent part les faubourgs Saint-Antoine et Saint- Marceau . Elle s'intitulait « l'insur rection du peuple pour obtenir du pain et reconquérir ses droits » . La Convention est de nouveau envahie : un député thermidorien , Féraud, pour empêcher la violation de l'Assemblée , se couche en travers de la porte . Par une erreur de nom, on le prend pour Fréron, que le peuple regardait comme l'âme de la réaction . Il est massacré , et sa tète , portée au bout d'une pique , est présentée toute Ton patriotes artés patriotParis; la convocatiopeine de 1les fabricgres rentrisites demesuresParis . 'de la gmemesLe de mipaticfestaenla LA CONVENTION. 245 sanglante par les assassins au président de la Convention , Boissy d'Anglas. Le président se lève et salue cette tête sanglante . Aveuglés par la funeste doctrine qui admettait la légi timité de l'insurrection même contre la représentation na tionale , convaincus que le peuple avait le droit, en tout temps, de se substituer à ses députés et que leur mandat cessait en présence du « peuple souverain » , les Mon tagnards de la Crête commettent alors un acte des plus graves . Tandis que les hommes des faubourgs siègent parmi les députés de la nation , usurpant leurs places et leurs droits , Romme, cédant à un élan de pitié irréfléchie pour ce peuple affamé, monte à la tribune . Soutenu par Ruhl , Duroy, Duquesnoy , Bourbotte, Prieur de la Marne , Soubrany, Goujon, il appuie les revendications de l'émeute . Il propose la permanence des sections; l'élargissement des patriotes arrêtés ; la rentrée dans la Convention des dépu tés patriotes ; le rétablissement de la municipalité de Paris ; la mise en vigueur de la constitution de 1793 et la convocation d'une assemblée législative ; l'abolition de la peine de mort, sauf contre les émigrés, les conspirateurs, les fabricateurs de faux assignats; l'arrestation des émi grés rentrés dans Paris et des folliculaires royalistes ; les visites domiciliaires et le désarmement des suspects; des mesures exceptionnelles pour ramener l'abondance dans Paris . Toutes ces propositions sont votées par les députés de la gauche et les ouvriers insurgés, confondus sur les mêmes bancs. Le peuple, satisfait , commence à se retirer. Il était plus de minuit . A ce moment, quelques bataillons de la garde nationale pénètrent dans la salle et en expulsent ce qui restait d'insurgés. La scène change aussitôt . C'est main tenant Tallien , Fréron , Legendre, Thibaudeau , qui sont à la tribune et qui font voter l'annulation de tous ces dé crets, comme surpris à l'Assemblée . Quatorze députés de la Montagne sont ensuite décrétés d'accusation comme com > 246 HISTOIRE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE . restés étrangerbine. Au sortides poinçonsDuquesnoy, ysouffres, patDu haut parole supele seul moderniers tion et po Ainsi, plices de l'insurrection . Au matin , le peuple étant revenu à la partageant leuplace du Carrousel , on le disperse en lui annonçant la jamais adopte présentation , sous trois jours, des lois organiques de la semblait néceconstitution de 1793 et en lui promettant d'assurer l'abon dance. Le surlendemain , la Convention fait entrer dans Paris de nombreux escadrons de hussards, chasseurs, dragons, désarme les faubourgs et les sections patriotes, fait opérer dans les quartiers suspects près de 10 000 ar rette qui lerestations. Ce fut la défaite irrémédiable du Paris révo cruellement lutionnaire : le peuple disparait presque entièrement de la scène ; désormais c'est par l'armée que se feront les ses tortures.coups d'État et les insurrections. Nombre d'insurgés furent traduits devant les commis sions militaires : 24 furent passés par les armes . Dans l'Assemblée , où la Montagne était décidément vaincue, la réaction fut implacable . Outre les députés qui avaient pris le parti des insurgés dans la journée du 1er prairial, on décréta l'arrestation de Lindet, Saint -André, Prieur de la Côte -d'Or, qui avaient été la gloire du Comité de salut public, de J.-B. Lacoste , Baudot, Salicetti , qui s'étaient honorés par leurs missions aux armées, de Sergent et Panis, qui avaient combattu au 10 août, d'Élie Lacoste, qui avait commencé la lutte contre Robespierre . Maure, désespérant de la République, se fit sauter la cervelle . Ruhl se poignarda. Six autres furent traduits devant une cour martiale et condamnés à mort : c'étaient Romme, mathématicien , agronome, philanthrope, qui avait pacifié la Normandie , proposé le calendrier républi cain et rédigé le premier Annuaire du cultivateur ; Goujon , qui avait défendu Kléber et Marceau contre les Hébertistes; Duquesnoy, qui avait été un héros à Wattignies; Duroy , qui avait tenu tête à Robespierre et avait osé lui dire : « J'entends juger même les actes du Comité de salut public ; » Bourbotte, qui avec Kléber avait vaincu la Ven hydée ; Soubrany, qui, à l'armée de la Moselle, s'était fait adorer des soldats , couchant avec eux sous la tente et hébertistotées, c'étplus granla terre tières dede forcele courle couiintrépigenieJust BourRom grama ri LA CONVENTION. 247 partageant leurs miseres. Ces six hommes n'avaient jamais adopté des mesures de terreur que ce qui leur semblait nécessaire pour sauver le pays ; ils étaient restés étrangers au fanatisme sectaire , à l'inquisition jaco bine . Au sortir du tribunal , ils essayèrent de se tuer avec des poinçons ou de mauvais couteaux. Romme, Goujon , Duquesnoy, yy réussirent ; Soubrany expira dans la char rette qui le conduisait au supplice ; Duroy , Bourbotte , cruellement blessés, survécurent pour la guillotine. « Tu souffres, pauvre Duroy, disait Bourbotte , souriant parmi ses tortures. Console -toi : c'est pour la République. » Du haut de l'échafaud, Duroy fit entendre à la foule une parole suprême de concorde : « Unissez- vous tous : c'est le seul moyen de sauver la République . » La mort des « derniers Montagnards » fut une perte pour la Conven tion et pour la liberté . Ainsi, après que la Gironde, après que la Montagne hébertiste, dantoniste, robespierriste, avaient été décapi tées, c'était le tour de la Montagne indépendante. Les plus grands de chaque parti , ceux qui furent le « sel de la terre » , étaient couchés dans la chaux vive des cime tières de la Révolution . Ceux qui survivaient n'étaient plus de force à sauver la liberté. Si Bonaparte , quand il médita le coup d'État de Brumaire , avait vu se dresser devant lui le courage stoïque des Roland et des Condorcet, l'éloquence intrépide des Vergniaud, des Brissot et des Barbaroux, le génie révolutionnaire de Danton , l'âme hautaine de Saint Just et de Robespierre, la bravoure des Philippeaux, des Bourbotte, des Soubrany, l'indomptable conviction des Romme et des Goujon, s'il avait trouvé devant lui cette grande légion républicaine, si diverse en ses aspirations, mais si unanime dans son amour de la République, si riche en beaux talents ; en grands cours, en volontés iné branlables , il serait resté dans le devoir, et la République aurait vécu. Mais la Révolution, suivant un mot du temps, ( ( avait dévoré ses enfants » . 248 HISTOIRE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE. le mettre en junet landaise du Tesde tous leurs PAIX DE BALE. LA CONSTITUTION DE L'AN III . batave DaendelsJOURNÉE DU 13 VENDÉMIAIRE. FIN DE LA CONVENTION au -devant d'elleà la Haye, les IPendant qu'à l'intérieur la Révolution cherchait pénible ment à constituer un gouvernement régulier, au dehors pour l'Angletesa cause triomphait partout. naire s'était Sur la frontière septentrionale, à gauche, l'armée du Nord , sous Pichegru , au centre, l'armée de Sambre-et Meuse , sous Jourdan, à droite, l'armée de la Moselle et l'armée du Rhin , qui avaient été un moment retardées par le siège des places, opéraient un vaste mouvement d'en semble : l'armée du Rhin formait à l'extrême droite comme le pivot, tandis que les trois autres armées , marchant en une seule ligne , balayant tout sur leur passage , allaient se rabattre sur le Rhin , occupant ainsi ce grand fleuve de la Hollande à l'Alsace . Pichegru , chassant les Anglais de vant lui , prenait Bois-le- Duc, Grave , Vanloo , Nimègue; Jourdan, battant les Autrichiens sur l'Ayvaille et la Roër, s'emparait de Cologne, Andernach , Coblentz, Maëstricht; les armées de la Moselle et du Rhin, qui avaient affaire aux Prussiens, occupaient Trèves, prenaient Rheinfels, bloquaient Luxembourg, investissaient Mayence . La rive gauche du Rhin était tout entière en notre pouvoir . Les patriotes allemands qui avaient figuré dans la Convention mayençaise de 1793 revenaient de l'exil , reprenaient leurs places dans les municipalités et plantaient de nouveau les arbres de liberté . Le rigoureux hiver de 1794 n'arrêta pas les progrès de nos armées . Pichegru passa sur la glace les fleuves et les canaux de la Hollande, et , avec ses soldats à demi nus, sans bas, sans souliers , les pieds enveloppés de tresses de paille , entrait le 20 janvier 1795 dans Amsterdam . Le même jour, il lançait ses hussards et son artillerie légère sur les glaces de la mer du Nord et y capturait la flotte hol lo&Aussitôt aprèsnationale quoDéclaration dla RépubliquRiepublique Les Espagleur pays par les levé le canpénétrer eLe 5 par laquegauchec(22 juilleDomingude févridaigne,l'Autricl'Empidu Rheconquçaienetė l'ocgiq LA CONVENTION . 249 landaise du Texel. Les libéraux de Hollande appelaient de tous leurs voeux l'arrivée des Français. Un général batave Daendels avait guidé nos colonnes5 ; le peuple venait au -devant d'elles en chantant le Ca ira et la Marseillaise ; à la Haye, les habitants avaient menacé le stathouder de le mettre en jugement et l'avaient contraint à s'embarquer pour l'Angleterre; à Amsterdam , un comité révolution naire s'était formé pour faire accueil à nos soldats. Aussitôt après l'entrée des Français, se réunit une assemblée nationale qui déclara le stathouderat aboli , adopta la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, proclama la République batave et signa un traité d'alliance avec la République française . Les Espagnols étaient rejetés au delà des Pyrénées et leur pays menacé d'une double invasion par la Catalogne et par les provinces basques. L'armée des Alpes avait en levé le camp des Piémontais à Saorgio et se préparait à pénétrer en Italie . Le 5 avril 1795 , la Prusse signait la paix de Bale , par laquelle elle nous cédait ses possessions sur la rive gauche du Rhin ; l'Espagne traitait également à Bâle ( 22 juillet) et nous cédait la partie espagnole de Saint Domingue. Le duc de Toscane avait fait la paix dès le mois de février. Il ne restait en guerre avec nous que la Sar daigne , dépouillée de ses provinces de langue française , l'Autriche, sur laquelle nous avions conquis la Belgique, l'Empire , dont toutes les possessions sur la rive gauche du Rhin étaient entre nos mains, l'Angleterre, dont la conquête de la Hollande et l'ouverture de l'Escaut mena çaient les rivages . Le résultat de la grande coalition avait été de nous rendre maîtres de tous les pays compris entre l'Océan , le Rhin et les Alpes, de nous agrandir de la Bel gique, de Nice et de la Savoie, et de constituer la Hol lande en république. Si les espérances que le parti royaliste avait fondées sur le succès de la coalition se trouvaient cruellement déçues, 230 HISTOIRE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE. la Vendée ne lui donnait guère plus de satisfaction . La Convention avait proclamé , le 2 décembre 1794, une am nistie générale pour tous les rebelles qui poseraient les armes dans le délai d'un mois . Beaucoup de paysans firent leur soumission, et les chefs vendéens, Charette, Sapinaud, Stofflet; consentirent à un armistice qui devait certaine ment conduire au désarmement. Hoche menait l'ouvre de pacification avec autant d'habileté, d'énergie, d'humanité qu'il en avait montré dans les opérations militaires. L'Angleterre se résolut alors à intervenir pour empêcher la paix de se rétablir . Elle débarqua ( 27 juin) dans la presqu'île de Quiberon, en Basse-Bretagne, un corps de 1500 émigrés, auxquels vinrent se joindre quelques mil liers de chouans. La garnison du fort de Penthièvre se rendit sans combat aux royalistes ; on se flatta de tourner ses armes contre les républicains . Hoche, accouru avec une troupe peu nombreuse, se trouva enfermé entre les émigrés, le fort de Penthièvre et les bandes de chouans. Il fut sauvé par l'audace d'une compagnie de grenadier's qui escalada pendant la nuit le fort de Penthièvre, insurgea con tre les Anglais la garnison de prisonniers, et arbora sur la forteresse le drapeau tricolore . Hoche reprit alors l'avan tage : les 1500 émigrés , mal soutenus de la flotte anglaise , canonnés par le fort de Penthièvre , furent tous tués ou pris ( 21 juillet). Pour faire un exemple qui épouvantat les émigrés dans l'Europe entière, Tallien eut ordre d'appli quer aux gentilshommes prisonniers les lois terribles de la Convention : 200 furent passés par les armes à Vannes et 800. à Auray. Le sang noble coula à flots dans ces journées tragiques. Le débarquement des émigrés à Quiberon coïncidait avec une agitation royaliste dans les départements du Midi . Encouragés par les discordes de la Convention , l'indul gence des modérés et la défaite de la Montagne , se cou vrant parfois du nom des Girondins, ils organisèrent une Terreur blanche qui dépassa les excès de la Terreur jaco elV NO 1 IV 2 RE trees CHFARBANA . Prise delaflotte hollandaise . 252 HISTOIRE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE. Marie- Joseph CGrenoble de fadu Midi . Quandprisons, elle Toulon avait mission extrala sanglante peu l'agitatieLa constitachera la Moconsacrait u la distinctioen 1791 , ettrême briè> par l'interdans le gobine . Dans l'Ouest apparaissaient des bandes de bri gands royalistes qu'on appelait les chauffeurs. Les com pagnies de Jésus et du Soleil infestaient les grandes routes, arrêtaient les diligences , pillaient les caisses publiques, égorgeaient les prêtres constitutionnels, les fonctionnaires républicains, les acquéreurs de biens na tionaux. Ces brigands pénétraient même dans les grandes villes , où ils soulevaient la populace et massacraient les patriotes détenus aux prisons. Le 5 mai , à Lyon, ils tuèrent 100 prisonniers ; le 10 mai, à . Aix, 72 ; à Marseille , 50 ; dans la seule petite ville de Lisle, 80. Le 27 mai , à Ta rascon , ils prirent d'assaut le château et précipitèrent les prisonniers du haut des tours sur les rochers du Rhône. Le comte de Précy, qui avait dirigé la révolte de Lyon en 1793, reparaissait dans Avignon et y soutenait un siège contre le représentant Boursault. Les émigrés s'agitaient sur toutes nos frontières, rentraient hardiment dans les villes et les châteaux, se glissaient dans nos armées , dans nos camps. D'Antraigues, agent du prince de Condé, né gociait avec Pichegru , qui commandait l'armée de Rhin - et Moselle, lui faisait promettre de donner la main aux Au trichiens pour rétablir en France la royauté . C'était ce d'Antraigues qui disait : « Je veux être le Marat de la contre révolution , » et qui demandait 400 000 têtes . Les émigrés allaient répétant qu'on n'accorderait de pardon à personne, et que si le roi faisait grâce , son parlement ferait justice . Quand le dauphin mourut le 8 juin 1795 à la prison du Temple, la coalition reconnut le comte de Provence comme roi de France sous le nom de Louis XVIII , et les intrigues reprirent à son profit avec une nouvelle ardeur. La Convention , jusqu'alors uniquement occupée des émeutes jacobines, commença à s'émouvoir de cette con spiration royaliste qui embrassait à la fois la Bretagne, la Vendée, le midi de la France ; elle ignorait encore la trahison de Pichegru . Le 30 avril, sur la proposition de l'anarchieconstitutiYavoir fail'applicatstitué leLa Cocautre coDirectotait pertres lodirectlégisposė aussiSaiscoretie LA CONVENTION . 253 1 Marie -Joseph Chénier, elle chargea le tribunal criminel de Grenoble de faire une enquête sur les premiers assassinats du Midi. Quand eurent lieu les massacres de mai dans les prisons , elle chargea Fréron , qui depuis la répression de Toulon avait un si terrible renom en Provence, d'une mission extraordinaire. La tournée de Fréron dans le Midi , la sanglante victoire de Hoche à Quiberon , calmèrent un peu l'agitation . La constitution de 1793 avait été frappée du coup qui acheva la Montagne . Cette constitution, à certains égards, consacrait un grand progrès démocratique: elle supprimait la distinction en citoyens actifs et citoyens passifs, établie en 1791 , et décrétait le suffrage universel ; mais, par l'ex trême brièveté du mandat de député, réduit à une année, par l'intervention permanente des assemblées primaires dans le gouvernement et la législation, elle organisait l'anarchie sans garantir la liberté . Les auteurs de cette constitution avaient bien senti ses défauts, car, après l'avoir fait accepter par le peuple, ils en avaient suspendu l'application jusqu'à la paix générale et lui avaient sub stitué le gouvernement révolutionnaire. La Convention la remplaça, le 22 août 1795, par une autre constitution . Le pouvoir exécutif était confié à un Directoire composé de cinq membres, dont chacun por tait pendant trois mois le titre de président : les minis tres lui étaient subordonnés ; tous les ans, un des cinq directeurs , désigné par le sort, était remplacé . Le pouvoir législatif était partagé entre le conseil des Anciens, com posé de 250 membres, et le conseil des Jeunes, appelé aussi conseil des Cing- Cents. C'étaient les Cinq -Cents qui faisaient les lois : les Anciens pouvaient les rejeter, ou en core les annuler comme contraires à la constitution. Chaque année, les deux conseils étaient renouvelables par tiers . La distinction entre électeurs du premier et du deuxième degré était rétablie ; pour appartenir à la plus haute catégorie, il fallait justifier d'un revenu égal à la 254 HISTOIRE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE . valeur de 150 journées de travail . Telle fut la constitution directoriale ou constitution de l'an III . Les royalistes s'étaient résignés à essayer, par des voies légales , la destruction de la République. A la faveur de l'épouvante que continuaient à causer les excès des brigands , organisant la terreur autour des urnes électo rales, ils se préparèrent à faire entrer leurs partisans dans les conseils des Anciens et des Cinq-Cents , poussant entre autres la candidature de Job Aymé , compromis dans les troubles de Montbrison . L'Assemblée dėjoua leurs calculs, en décrétant que les deux tiers des membres dans ces deux Chambres devraient être choisis parmi les membres de la Convention . Elle soumit ce décret, avec la constitution elle-même, à l'acceptation des assemblées primaires : 940 000 voix contre 40 000 se prononcèrent en faveur de . la constitution , 168 000 contre 95 000 en faveur du décret sur les deux tiers . Même les modérés de la Convention, comme Daunou et Louvet, prirent l'initiative de mesures rigoureuses contre les agitateurs : la Convention décréta le bannissement à perpétuité de tous les émigrés et assura les acquéreurs de biens nationaux contre toute revendi cation . Les royalistes parisiens se décidèrent à recourir aux armes. La section Lepelletier insurgea sept autres sec tions ; elles se renforcèrent d'émigrés , de chouans , accou rus à Paris et qui portaient encore les uniformes de la guerre civile . Contre 40 000 insurgés royalistes , l'Assem blée ne pouvait plus compter sur le peuple qu'elle avait désarmé . Elle enrôla seulement 1800 a patriotes de 89 » , et emprunta des troupes et des canons au camp des Sa blons . Le général Menou , placé à la tête des troupes de la Convention , montra une mollesse suspecte , parlementa avec la section Lepelletier retranchée dans le couvent des Filles- Saint-Thomas, accrut par son attitude douteuse l'au dace des royalistes. La Convention révoqua Menou et confia le commandement au représentant Barras. « LA CONVENTION. 255 Celui-ci entoura les Tuileries de retranchements, dis tribua des fusils et des gibernes aux députés, qui durent former une troupe de réserve, chargea Carteaux de gar der les quais et Bonaparte d'occuper la rue Saint-Honoré. Danican, général des insurgés, envoya un parlementaire pour négocier avec l'Assemblée, demandant la retraite des troupes et le désarmement des terroristes. Boissy d'Anglas et Lanjuinais, par faiblesse ou complicité, insis be 1 bi Les Directeurs. taient pour qu'on négociât sur cet insolent ultimatum. Le bruit du canon interrompit la discussion : Bonaparte à coups de mitraille balayait la rue Saint-Honoré et les marches de l'église Saint- Roch. Les bataillons royalistes s'enfuirent en désordre , laissant 200 morts sur la place ( 13 vendémiaire, 5 octobre). Dans la répression , l'Assem blée montra autant d'indulgence pour les royalistes qu'elle avait déployé de rigueur, en germinal et en prairial , contre 256 AJSTOIRE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE . les Jacobins. Les commissions militaires ne prononcèrent que deux condamnations à mort : celle de Lebois, qui avait été l'instigateur du mouvement, et celle de l'émigré Lafond , ancien garde du corps. L'Assemblée victorieuse désarma les sections royalistes. Puis elle se forma en assemblée électorale nationale pour désigner ceux de ses membres qui composeraient, à raison des deux tiers , les Anciens et les Cinq-Cents. Les deux Con seils , définitivement constitués le 17 octobre, élurent les cinq directeurs :Laréveillère-Lépeaux,Rewbell , Letourneur, Barras et Carnot . Ces cinq hommes avaient des origines bien différentes : Laréveillère étant un proscrit du 31 mai , Carnot un ancien membre du Comité de salut public ; mais tous étaient républicains , tous avaient voté la mort du roi . Par cette élection de cinq régicides , les Conseils entendaient rassurer les intérêts créés par la Révolution contre toute crainte d'un retour au passé . Le 26 octobre , dans sa dernière séance , la Convention avait décidé que la place de la Révolution , sur laquelle avaient péri tant de nobles victimes de nos haines civiles , prendrait le nom de place de la Concorde. Elle décréta l'abo lition de la peine de mort, mais seulement à dater de la paix générale . Elle proclama une amnistie générale , sauf pour les émigrés, les prêtres réfractaires, les fabricateurs de faux assignats, les insurgés de vendémiaire . Puis Gė nissieu, président de l'Assemblée, prononça la formule solennelle : « La Convention déclare que sa mission est remplie et que sa session est terminée. » La Convention , malgré ses discordes, malgré ses défail lances ou ses excès, restera glorieuse dans l'histoire . Son cuvre peut se résumer en ces deux mots : la Révolution accomplie , l'invasion repoussée . Plus tard , un des membres de cette Assemblée , Jean Bon - Saint-André, devenu , en 1813 , préfet de Mayence , discutait avec les courtisans de Napoléon. Ceux-ci assail laient de leurs railleries « le conventionnel , le votant, > LA CONVENTION. 257 l'ancien collègue de Robespierre, qui puait le jacobin une lieue à la ronde » , et se moquaient de sa mise austère et de ses bas noirs . Il leur fit alors cette fière réponse : « J'avoue tout cela . L'Europe était alors conjurée contre la France , comme elle l'est aujourd'hui. Elle voulait nous écraser de toutes les forces morales et matérielles de l'an cienne civilisation . Elle avait tracé autour de nous un cercle de fer. Déjà la trahison lui avait livré des villes notables; elle s'avançait . Eh bien ! les rois en ont eu le démenti ; nous avons dégagé le territoire et reporté chez eux la guerre d'invasion qu'ils avaient commencée chez nous . Nous leur avons enlevé la Belgique et la rive gau che du Rhin, que nous avons réunies à cette même France dont ils avaient, au début de la guerre, arrêté le partage. Nous avons porté au loin notre prépondérance et forcé ces mêmes rois à venir humblement nous demander la paix. Savez-vous quel gouvernement a obtenu ou préparé de tels résultats ? Un gouvernement composé de conventionnels, de jacobins forcenés , coiffés de bonnets rouges, habillés de laine grossière, des sabots aux pieds, réduits pour toute nourriture à du pain grossier et à de mauvaise bière, et qui se jetaient sur des matelas étalés par terre dans le lieu de leurs séances quand ils succombaient à l'excès de la fatigue et des veilles . Voilà quels hommes ont sauvé la France. J'en étais , Messieurs ! Et ici , comme dans l'ap partement de l'Empereur où je vais entrer, je le tiens à gloire.... La fortune est capricieuse de sa nature. Elle a élevé la France bien haut : elle peut tôt ou tard la faire descendre, qui sait ? aussi bas qu'en 1793. Alors on verra si on la sauvera par des moyens anodins, et ce qu'y fe ront des plaques, des broderies, des plumes et surtout des bas de soie blancs. » « Je n'oublierai jamais, dira plus tard le grand orateur Berryer, royaliste fervent , mais patriote sincère, je n'ou blierai jamais que la Convention a sauvé mon pays ! » a A. RAMBAUD 17 . CHAPITRE V LE DIRECTOIRE POLITIQUE DU DIRECTOIRE. — CAMPAGNES D'ALLEMAGNE ET D'ITALIE - Le 27 octobre , les comités des Anciens et des Cinq Cents s'installèrent aux Tuileries et les cinq Directeurs au Luxembourg. « Lorsqu'ils y entrèrent, raconte Bailleul , il n'y avait pas un meuble. Dans un cabinet, autour d'une pe tite table boiteuse , l'un des pieds étant rongé de vétusté, sur laquelle table ils déposèrent un cahier de papier à lettres et une écritoire à calumet, qu'heureusement ils avaient eu la précaution de prendre au Comité de salut public, assis sur quatre chaises de paille , en face de quelques bûches mal allumées , le tout emprunté au con cierge Dupont, — qui croirait que c'est dans cet équipage que les membres du gouvernement, après avoir examiné toutes les difficultés, je dirai plus , toute l'horreur de leur situation , arrêtèrent qu'ils feraient face à tous les ob stacles, qu'ils périraient ou qu'ils sortiraient la France de l'abîme où elle était plongée. Les cinq directeurs se partagèrent le travail suivant leurs aptitudes . Barras se chargea de la police et de la représen tation extérieure ; Laréveillère, de l'éducation, des sciences, » LE DIRECTOIRE. 259 > > . lettres et arts, des manufactures ; Rewbell , de la justice, des finances , de la diplomatie; Letourneur, ancien officier d'artillerie, de la marine et des colonies ; Carnot, des opé rations militaires. Les divers ministres avaient à leur rendre compte. La politique des cinq Directeurs était celle que récla mait la situation du pays : défendre la République contre les royalistes, maintenir l'ordre contre les anarchistes , déshabituer le pays des procédés de violence , faire suc céder au gouvernement révolutionnaire un régime de lé galité et de liberté, rendre à la France une vie normale et régulière. La composition des deux Conseils prêtait au Directoire une grande force : la politique qu'il voulait faire prévaloir était précisément celle que la majorité de la Convention avait défendue depuis thermidor ; or le pouvoir législatif nouveau sortait, comme le pouvoir exécutif, de cette ma jorité ; ils étaient issus de la même situation et s'inspi raient des mêmes principes. Les deux tiers élus par la Convention se composaient d'hommes des anciens partis républicains, soit montagnards modérés, soit girondins, qui, partis de points différents, avaient fini par unir leur politique. Ils avaient une répugnance égale pour le réta blissement de la royauté et pour le retour au régime ter roriste. Presque tous, en janvier 1793 , avaient voté la culpabilité de Louis XVI . Enfin -ils étaient attachés par leurs intérêts matériels, beaucoup par des propriétés ré cemment acquises , au maintien de l'ordre nouveau . Il y avait là une certaine moyenne d'opinion sur laquelle un gouvernement modéré pouvait s'appuyer. Le tiers issu des récentes élections comptait dans ses rangs beaucoup de royalistes avoués, comme Vaublanc, un des hommes du 13 vendémiaire, comme Job Aimé, un des insurgés de Montbrison , comme Mersan et Lemerer, agents secrets de Louis XVIII, un plus grand nombre encore de royalistes constitutionnels, comme Barbé-Marbois, Pastoret , 260 HISTOIRE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE . Portalis, mais qui ne se sentaient pas assez forts pour ma nifester leurs vrais sentiments. La guerre de Vendée finissait à ce moment : Hoche, par les égards qu'il témoignait au culte catholique, par le désar mement méthodique des villages , avait ramené le paysan aux travaux de l'agriculture. Au printemps de 1796 , Stof flet et Charette , pris les armes à la main, avaient été fu sillés l'un à Angers, l'autre à Nantes . Hoche pacifia ensuite la Bretagne par les mêmes procédés et purgea le pays des chouans de Cadoudal . L'armée de l'Ouest , forte de 80 000 hommes, restait maintenant disponible contre l'Angleterre. En décembre 1796, Hoche faisait la première tentative de débarque ment en Irlande ; les vents contraires dispersèrent la flotte, et Hoche , arrivé presque seul dans la baie de Bantry , fut contraint de se rembarquer. Convaincu que c'était en Ir lande qu'il fallait frapper l'Angleterre, il écrivait au géné ral Hédouville : « Ma fortune me menât- elle avec mon armée aux portes de Vienne, comme je l'espère, je la quit terais encore pour aller à Dublin , et de là à Londres . » ; com Pichegru , dont le quartier général était à Manheim , commandait l'armée de Rhin - et -Moselle, Jourdan mandait l'armée de Sambre- et -Meuse . Jourdan passa le Rhin près de Dusseldorff ( 6 septembre 1795 ), remonta le fleuve sur la rive droite afin d'opérer sa jonction avec Pichegru et reprendre Mayence. Pichegru, exécutant sa criminelle convention avec le prince de Condé, fit tout ce qu'il fallait pour détruire les deux armées françaises. Il se fit battre volontairement à Heidelberg et repassa le Rhin précipitamment , abandonnant Jourdan qui , resté seul sur la rive droite , faillit être anéanti. Les Français per dirent par ces combinaisons perfides près de 20 000 hommes tués , blessés ou prisonniers. Pour gagner du temps afin de se concerter avec Condé et livrer Huningue aux Autri chiens, Pichegru conclut un armistice (31 décembre 1795 ) . LE DIRECTOIRE. 261 Le Directoire , sans avoir encore la preuve de sa trahison , le destitua et le remplaça pár Moreau . Jourdan et Moreau reprirent l'offensive : le premier franchit le Rhin et traversa toute la Franconie ; le second passa le Rhin près de Kehl et arriva sur le Danube. Jour dan devait donner la main à Moreau , et Moreau à Bona parte, général en chef de l'armée d'Italie , de manière à faire converger les trois armées sur Vienne. L'archiduc Charles devina le projet : il se jeta avec toutes ses forces sur Jourdan , le battit et l'obligea àà repasser le Rhin ; puis il revint sur Moreau , qui fut également obligé de rétro grader et qui opera, à travers la Forêt Noire et le Val d'En fer, une retraite imposante ( septembre 1796 ). Au printemps de 1797, Jourdan ayant été remplacé par Hoche, les deux armées françaises passèrent de nouveau le Rhin ; elles al laient se réunir en Franconie pour marcher sur Vienne , lorsqu'elles apprirent que Bonaparte avait signé avec l'Au triche les préliminaires de Leoben . Voyons ce qui s'était passé, pendant ces dix - huit mois , à l'armée d'Italie. Bonaparte, en avril 1796 , avait franchi les Alpes : par les combats de Montenotte, Dego , Millesimo, Mondovi, il sépara l'armée sarde de l'armée autrichienne, força le roi de Sardaigne à signer l'armistice de Cherasco ( 28 avril ) , puis la paix de Paris ( 18 mai), par laquelle il cédait à la France Nice et la Savoie , et nous laissait occuper ses for teresses de Ceva , Tortone et Alexandrie . La victoire de Lodi livre à Bonaparte presque toute la Lombardie ; il fait son entrée dans Milan ( 14 mai ) , et achève de rejeter l'armée autrichienne dans le Tyrol. Il conclut des armistices avec les ducs de Parme et de Mo dène, oblige le sénat de Venise et celui de Gênes à lui donner des garanties, impose au pape une contribution de 21 millions, détache en Toscane une division qui oc cupe Livourne. Il fait trembler les princes et les répu bliques aristocratiques de l'Italie et en tire près de cin 262 HISTOIRE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE. quante millions qui lui permettent d'équiper son armée, et d'envoyer des fonds au Directoire. Pour être le maître de l'Italie , il lui restait à prendre Mantoue : Bonaparte en fit le siège . Afin de sauver cette forteresse , Wurmser, le meilleur général de l'Autriche, descendit en Italie ; mais, battu à Lonato , Castiglione , Saint-Georges, il fut lui-même obligé de s'enfermer dans Mantoue. Alvinzi , qui accourut à son tour pour le déblo quer, fut battu à Arcole, à Rivoli, à la Corona. Alors Wurm ser , qui avait nourri avec de la viande de cheval son ' armée affamée , capitula et rendit Mantoue avec 13 000 pri sonniers et 350 canons. Le pape, pendant ce long siège, avait fait des armements : quand Mantoue fut prise, il trembla et demanda la paix. Elle lui fut accordée à To lentino, moyennant 30 millions, la cession définitive d'Avignon , celle de Bologne, Ferrare, Ancône et de toute la Romagne, qui furent réunies à la République cisalpine ( 19 février 1797) . L'archiduc Charles, après ses succès sur Jourdan et Mo reau , élait revenu en Italie pour barrer à Bonaparte la route de Vienne. Il fut battu sur le Tagliamento, au col . de Tarwis et à Neumark . Les Français n'étaient plus qu'à vingt- cinq lieues de Vienne lorsque l'empereur François demanda un armistice et signa les préliminaires de Leoben sur les bases suivantes : cession à la France de la Bel gique et des possessions autrichiennes sur la rive gauche du Rhin ; cession de la Lombardie, qui déjà formait la ré publique cisalpine. Il était convenu que l'Autriche rece vrait une compensation territoriale : ce fut aux dépens de Venise qu'elle l'obtint . Pendant que Bonaparte s'enfonçait dans les provinces autrichiennes, de graves événements s'étaient passés en Vénétie . A Venise même et dans les villes principales, la bourgeoisie et le peuple étaient gagnés aux idées fran çaises ; mais le sénat, c'est - à -dire l'oligarchie des nobles , qui s'appuyait sur les populations ignorantes des cam 15 | TIME SHIENCILL 11 w Entrée des Français àMilan (14mai796 ). 264 HISTOIRE DE LA RÉVOLUTION FRANCAISE. 0 pagnes et contenait par la terreur les libéraux , était l'allie secret de la coalition . Sur la fausse nouvelle d'une défaite de Bonaparte , il appela dix régiments d'Esclavons et sou leva les paysans : les convois de l'armée française furent interceptés par des bandes furieuses ; nos blessés et nos malades massacrés dans les hôpitaux. Quand on sut que Bonaparte , loin d'avoir éprouvé une défaite, était au con traire victorieux et dictait la loi à l'Autriche, l'aristocratie vénitienne s'empressa de désarmer , s'humilia devant le conquérant et envoya des députés implorer la paix. Bona parte les repoussa durement : « Le sang de mes frères d'armes sera vengė , écrivit - il au sénat ; je serai un Attila pour Venise . » Les libéraux vénitiens, n'espérant plus sauver l'indépendance de leur ville qu'en renversant le gouvernement de l'aristocratie, s'insurgèrent contre le doge et le sénat, les forcèrent à abdiquer, amenèrent, sur des barques, à travers la lagune, les régiments français et les firent entrer dans Venise ( 16 mai) . Ils espéraient pou voir, sous la protection de Bonaparte, constituer la répu blique démocratique de Venise. Leur attente devait être cruellement trompée . Une révolution analogue éclata à Gênes, où le peuple renversa également le doge et le sénat et proclama la Répu blique ligurienne ( juin 1797) . L'Angleterre elle -même, effrayée de nos succès, menacée en Irlande d'une descente des Français, tremblant de voir proclamer une république irlandaise , mise en péril par la révolte de ses propres marins , cernée par ses flottes insur gées comme par une « république flottante » , demanda la réunion d'un congrès à Lille pour y traiter de la paix . Le fruit de tant de victoires était compromis par le fâcheux état des finances : comme on avait émis pour 24 milliards d'assignats , ils étaient tombés au centième de leur valeur nominale : le gouvernement était obligé de les accepter comme argent comptant ; quand on lui devait 1000 francs, en réalité il en percevait 10. Pour relever

LE DIRECTOIRE . 265 l'assignat, le Directoire émit des mandats territoriaux, . ainsi nommés parce qu'on pouvait s'en servir pour payer les biens nationaux. On en émit pour deux milliards quatre cent mille francs , dont un tiers consacré à acheter les assignats au trentième de leur valeur. La planche aux assignats fut brisée. Ce qu'il y avait de rassurant, c'était le grand élan de tra vail et de production qui se manifestait dans le pays, au sortir de crises si terribles , et qui allait refaire la richesse nationale . Le peuple , qui avait si longtemps déserté les champs ou les ateliers pour la place publique ou les clubs , revenait à ses travaux . Déjà commençait à se faire sentir l'action bienfaisante des mesures décrétées sous la Révolution : abolition des maîtrises et jurandes, morcel lement des propriétés , affranchissement de la terre , li berté industrielle et commerciale . Si la paix eût pu se ré tablir, la prospérité nationale eût pris un essor prodigieux. Les luttes religieuses semblaient sur le point de prendre fin . Le Directoire, après la Convention , avait proclamé la liberté des cultes . Dans les cinq années de son adminis tration , 40 000 églises se rouvrirent; il n'est donc pas vrai que Bonaparte ait absolument rétabli le culte catho lique. Seulement l'ancienne religion avait cessé d'être religion d'État : les manifestations extérieures, les sonne ries de cloches restaient interdites ; le ministre du culte n'était plus payé que par les fidèles; toutes les religions jouissaient de la même liberté , et l'on ne permettait pas au prêtre romain de molester le prêtre constitutionnel, pas plus que le pasteur protestant. Certaines églises, comme Notre- Dame à Paris, servaient en même temps à deux cultes : le culte catholique constitutionnel et celui des théophilanthropes, qu'encourageait un membre du Directoire, Laréveillère, et qui s'inspirait des doctrines de Rousseau sur l'Être suprême. Malheureusement les partis politiques n'avaient pas désarmé. Au club du Panthéon , se réunissaient Babeuf

266 HISTOIRE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE. . et la société des Égaux. Pour assurer l'avènement du bon heur commun , ils projetaient de renverser le gouverne ment , de le remplacer par une Convention uniquement composée de Montagnards et de faire revivre la constitu tion de 1793. Leur club fut fermé; mais les Egaux conti nuèrent à se réunir secrètement pour pleurer Robespierre et déclamer sur « la servitude du peuple » . Ils avaient gagné la police, presque entièrement composée d'anciens robespierristes, et qui fermait les yeux sur ces concilia bules . Le nombre des adeptes fut bientôt d'environ 17 000 ; alors Vadier , Amar, Choudieu , Ricord, Rossignol et autres terroristes constituèrent le « comité insurrectionnel de salut public » . Ils entretenaient des intelligences au camp de Grenelle et comptaient entraîner les soldats . Le 10 mai, Babeuf est arrêté ; le Directoire publie ses papiers ; cette révélation jette l'effroi parmi les propriétaires . Le 10 sep tembre , pour délivrer leur chef et réaliser ses plans , sept ou huit cents conjurés essayèrent de surprendre le Luxem bourg, qu'ils trouvèrent gardé, puis de soulever le camp de Grenelle , où ils espéraient trouver des complices . Contre leur attente , ils y furent reçus છેà coups de sabre par les dragons et laissèrent entre leurs mains nombre de prison niers que le Directoire traduisit devant des commissions militaires . Trente-huit accusés , dont trois membres de la Convention , furent passés par les armes. Babeuf fut con damné à mort, avec un de ses adeptes , par la haute cour de Vendôme. A quelque temps de là , une tentative semblable fut faite, sur ce même camp de Grenelle , par le parti contraire : l'abbé Brothier et deux autres conspirateurs , membres de l'Agence royale de Paris, furent pris ; ils ne furent condam nés qu'à la détention . > LE DIRECTOIRE. 2017 LE 18 FRUCTIDOR A part cette échauffourée, le parti royaliste , depuis Quiberon et le 13 vendémiaire , avait renoncé à la lutte armée . Il comptait arriver plus sûrement à renverser la République par les moyens légaux . Aux élections de mai 1797 , bien mieux organisé que ses adversaires, il ne né gligea rien pour gagner ou intimider les votants. Les com pagnies de Jésus et du Soleil , les chauffeurs de l'Ouest, les Verdets du Rhône, les Barbets des Alpes se remirent en campagne. Soixante mille émigrés et une multitude de prêtres réfractaires étaient rentrés en France et se livraient à une propagande effrénée . Ils chassaient les patriotes des assemblées primaires , distribuaient des proclamations de Louis XVII , et annonçaient ouvertement le rétablissement de la royauté . Le résultat de ces manæuvres fut l'élection de près de 250 députés royalistes , parmi lesquels le traitre Pichegru, le général Willot et Imbert- Colomės, tous deux agents du prétendant , Camille Jordan , l'avocat du clergé réfractaire . Arrivés à Paris , ces députés fondèrent le club de Clichy, rallièrent autour d'eux la jeunesse dorée et les habitués des bals de victimes, réunions où l'on dansait en habits de deuil , où l'on n'accueillait que ceux qui affir maient avoir perdu des parents pendant la Terreur et où l'on se saluait par un geste brusque de la tête , comme si elle eût été frappée par le couperet de la guillotine. „Grâce aux élections nouvelles, la majorité se trouva changée dans les deux Conseils : Pichegru fut élu prési dent des Cinq-Cents, Barbé -Marbois, président des Anciens. Le sort ayant désigné Letourneur pour sortir du Directoire, il y fut remplacé par Barthélemy, un des négociateurs du traité de Bâle , secrètement acquis à Louis XVIII . La nouvelle majorité dans les deux Conseils s'empressa de rapporter les lois qui excluaient des fonctions publi > 2.8 JUISTOIRE DE LA RÉVOLUTION FRANCAISE . ques les parents d'émigrés et punissaient de la déportation les prêtres réfractaires. Elle amnistia les habitants de Toulon qui avaient livré la ville et la flotte aux Anglais. Pourtant, lorsque Camille Jordan demanda qu'on abolit le serment civique imposé aux prêtres, sa motion fut re poussée par 210 voix contre 204. Il ne faut pas croire que cette faible majorité de 6 voix fut acquise au gouverne ment : beaucoup de députés, parmi les plus ardents pour le rétablissement de la royauté , encore imbus des opinions voltairiennes , ne voulaient rien faire pour le clergé ; c'est grâce à eux qu'une autre motion de Jordan , tendant à rendre aux prêtres le droit de sonner les cloches, fut re poussée : il n'y gagna que le surnom de Jordan-Carillon ou Jordan - les -Cloches. L'ordre politique n'en était pas moins menacé, et le danger parut même si grave que les constitutionnels de 1791 crurent devoir se rapprocher des républicains et fonder avec eux le club de Salm . Les royalistes se proposaient de désorganiser la gen darmerie, à un moment où les attentats se multipliaient contre les personnes et les propriétés, et de réorganiser la garde nationale sur un plan à eux , qui leur eût assuré la revanche de vendémiaire. Ils ne se donnaient pas la peine de cacher leurs espérances : dans les départements de l'Est on racolait des soldats pour l'armée du roi ; c'est le moment où Fauche- Borel, agent de Louis XVIII, s'instal lait à Strasbourg, distribuait des montres d'or aux offi ciers de l'armée de Moreau , et , dans des påtés de foie d'oie, envoyait aux Autrichiens des renseignements militaires. Imbert- Colomès s'étonnait publiquement qu'on lui fit un reproche de correspondre avec « le Roy » . Les violences recommençaient, en province, contre les acquéreurs des biens nationaux, à Paris , contre ceux qu'on appelait les terroristes, c'est- à -dire contre les républicains de toutes nuances. Louvet, l'ancien membre de la Gironde à la Con vention , proscrit au 31 mai , qui vivait maintenant d'une petite librairie au Palais- Royal , était tous les jours,> ainsi LE DIRECTOIRE 269 que sa femme, en butte à de sanglants outrages . Les cha rivaris qu'on lui donnait s'entendaient dans tout le quar tier. « Le nom de républicain, raconte Thibaudeau, pro noncé avec respect, avec effroi dans l'étranger, était chez nous un terme de mépris, un titre de proscription. » Les meurtres étaient si fréquents dans les départements, que l'on dut voter une loi sur la responsabilité des communes. Et Camille Jordan allait répétant : « Des assassinats ! mais il y en a fort peu , il n'y en a pas ! » Tout ce que le parti royaliste comptait d'hommes de main , anciens gardes du corps, anciens gardes constitu tionnels , peut-être cinq mille chouans ou émigrés, étaient accourus à Paris. On y rencontrait le duc de la Rivière et le prince de Polignac, tandis qu'on signalait près de Lyon la présence du prince de Condé . Le gouvernement répu blicain était comme entouré d'une armée ennemie : or les faubourgs, depuis les journées de germinal et de prairial, étaient désarmés, et la constitution interdisait aux troupes régulières d'approcher de Paris à moins de soixante kilo mètres . C'était ce rayon de soixante kilomètres qui fornait ce qu'on appelait le cercle constitutionnel. La situation du Directoire était d'autant plus critique qu'il était divisé : non seulement Barthélemy était acquis à la réaction , mais Carnot servait la même cause en affec tant de répéter qu'il n'y avait aucun danger. Il peuplait les administrations de jeunes royalistes. Une transformation si prodigieuse s'était opérée en lui , que cet ancien membre du Comité de salut public, qui avait signé la mort du roi, la proscription des Girondins et toutes les mesures de la Terreur, devenait justement suspect à Laréveillère, un ancien Girondin , proscrit par lui au 31 mai. Les deux Conseils faisaient au Directoire une guerre acharnée, critiquant avec violence sa politique étrangère et ses expédients de finances, lui refusant les crédits néces saires à la défense nationale et annonçant hautement l'in tention de « l'affamer » . Ils avaient pour eux les ministres 270 HISTOIRE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE. de la guerre et de l'intérieur et celui de la police , Cochon de Lapparent, une créature de Carnot ; ils exigeaient le renvoi des autres ministres, dont le seul crime était d'être fidèles à la République. Le Directoire se garda bien de céder aux injonctions des Conseils : il garda les ministres qui lui étaient dévoués et destitua les autres. Sotin , nommé ministre de la police , put alors révéler au gouvernement tous les dangers qui l'entouraient et qu'avait soigneusement dissimulés son prédécesseur. Il lui montra Paris plein de chouans et de Vendéens, nos armées travaillées par les agents royalistes, Pichegru trahissant la République au profit de Louis XVIII , un double complot prêt à éclater dans Paris et aux fron tières . C'est à ce moment que Moreau , qui possédait depuis longtemps les preuves de la trahison de Pichegru, notam ment sa correspondance avec d’Antraigues, se décida à les envoyer au Directoire. Laréveillère, en découvrant tout à coup l'étroite rela tion qui existait entre le complot des Conseils et le complot de Pichegru, fit une dernière tentative auprès de Carnot. Lui , l'ancien proscrit, il rappela à l'ancien terroriste tout ce qu'il avait souffert par lui, le suppliant de sacrifier comme lui ses sentiments personnels au salut de la Répu blique, et de ne pas se livrer à un parti qui voulait le –éshonorer en perdant la patrie . Toutes ses supplications restèrent inutiles . Alors Barras, voyant qu'on ne pouvait plus compter sur Carnot, écrivit secrètement aux généraux, à Hoche et à Bonaparte. Les armées dans lesquelles s'étaient fondus les volontaires de 1792 et les réquisitionnaires de 1795 avaient gardé toute la ferveur républicaine : le tutoiement et l'appellation de citoyen s'y étaient conservés. Ces soldats , partis pour défendre les Droits de l'homme, la liberté , le champ de leur père , appre naient avec indignation les nouvelles de France : le retour des émigrés, la chasse aux patriotes, les proprié LE DIRECTOIRE. 271 taires assassinés, les femmes insultées par les habitués du club de Clichy. Leurs inquiétudes se font jour dans cette lettre de Bonaparte au Directoire : « N'est- il donc plus en France de républicains ? Après avoir vaincu l'Europe , serons-nous donc réduits à chercher quelque coin de terre pour y terminer nos tristes jours ? Vous pouvez d'un seul coup sauver la République et deux cent mille têtes qui sont peut- être attachées à son sort : vous pouvez conclure la paix en vingt-quatre heures. Faites arrêter les émigrés ; détruisez l'influence des étrangers. Si vous avez besoin de force, appelez les armées . Faites briser les presses des journalistes vendus à l'Angleterre et plus sanguinaires que ne le fut jamais Marat ... A quoi sert que nous rempor tions des victoires ? Les menées de l'intérieur annulent tout et rendent inutile le sang que nous versons pour la patrie. » Les adresses envoyées au Directoire par les soldats s'inspiraient des mêmes sentiments : « Tremblez, roya listes , écrivaient les soldats de l'armée d'Italie . De l'Adige à la Seine, il n'y a qu'un pas. Tremblez ! vos iniquités sont comptées , et le prix en est au bout de nos baïon nettes . » –- « C'est avec indignation, portait l'adresse de l'état -major, que nous avons vu les intrigues du royalisme vouloir menacer la liberté . Nous avons juré , par les mânes des héros morts pour la patrie , guerre implacable à la royauté et aux royalistes ... Qu'ils se montrent, les royalistes, et ils auront vécu . » Hoche adressait à l'armée de Sambre- et- Meuse cet ordre du jour : « Amis ! Vous ne devez pas encore vous dessaisir de ces armes terribles avec lesquelles vous avez tant de fois fixé la victoire . Peut- être aurons- nous à assurer la tranquillité de l'intérieur que des fanatiques et des rebelles aux lois républicaines essayent de troubler. » Hoche fut appelé à Paris par le gouvernement. On avait voulu le nommer ministre de la guerre , mais il n'avait pas l'âge 272 HISTOIRE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE. requis par la loi . Il vint montrer aux chouans , aux émi grés , aux complices de l'Angleterre, leur vainqueur de Quiberon . Vainement ils poussèrent la fureur jusqu'à faire tirer sur lui , à mutiler ses chevaux pendant la nuit : il les brava froidement. Sur son ordre , s'étaient ébranlés quatre régiments de chasseurs, 6000 hommes d'infanterie et 1000 canonniers détachés de l'armée de Sambre-et Meuse : son lieutenant Richepanse osa même franchir la limite constitutionnelle et amener ses troupes jusqu'aux portes de Paris. Les Conseils protestèrent et ordonnèrent une enquête : elle fut conduite par Delarue, un des chefs de la conspiration royaliste ; peu s'en fallut que Hoche ne fût mis en accusation . Devant ces manifestations le Direc toire hésita : il renvoya Hoche et ne garda que Chérin, son chef d'état-major . De son côté , Bonaparte avait envoyé à Paris son aide de camp Lavalette , puis Augereau , le vainqueur de Casti glione, puis Bernadotte, son intime confident . Lavalette apportait de nouveaux papiers saisis sur d'Antraigues. La réveillère , voulant s'appuyer à la fois sur l'armée ' de Sambre-et-Meuse et l'armée d'Italie , fit nommer Chérin commandant de la garde directoriale , et Augereau com mandant de la dix-septième division militaire , c'est- à- dire des troupes chargées de protéger Paris . Pendant que le Directoire prenait ces précautions, dans le camp des royalistes, Pichegru et Willot discutaient un plan qui consistait à enlever par un coup de main les trois directeurs républicains. Ils avaient déjà 1500 hommes tout prêts et comptaient, au premier signal , en assembler 10 000. D'autres conjurés voulaient différer , attendre les élections de 1798 , qui , à ce qu'ils espéraient, assureraient la victoire légale du parti. Ce furent les impatients qui l'emportèrent : brusquement ils proposèrent la réorgani sation de la garde nationale et la firent voter par les Con seils . Ce vote permettait aux milices rebelles de vende miaire de se reformerimpunément sous la protection des lois . ch A. RAMBAUD. 1 OR 18 for fructidor Le18Arrestation .Pichegru de 274 HISTOIRE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE . > Le gouvernement comprit qu'il était perdu s'il hésitait encore . Le lendemain de ce vote des Conseils , le 18 fructi dor au matin , les régiments cantonnés autour de Paris entrèrent dans la ville . Augereau , leur chef, se rendit aux Tuileries, se trouva dans la cour du Carrousel en face de la garde des Conseils, forte d'un millier d'hommes. « Êtes vous républicains ? » demanda- t - il aux grenadiers. Les cris de « Vive Augereau ! Vive le Directoire ! Vive la Répu blique ! » lui répondirent . Il pénétra dans le palais et y procéda à l'arrestation de Pichegru , Willot et autres conjurés. Des proclamations affichées dans tout Paris annoncèrent au peuple la trahison de Pichegru . Les pièces qui prouvaient son crime furent imprimées et répandues à profusion ( 4 septembre 1797) Le Directoire convoqua aussitôt la minorité républicaine des Anciens à l'École de médecine et celle des Cinq - Cents à l'Odéon , ne voulant pas , disait le message, « compro mettre la sûreté publique et celle des représentants fidèles en les laissant confondus avec les ennemis de la patrie dans l'antre des conspirations » . Ces deux assemblées sanctionnèrent toutes les mesures prises par le gouverne ment : l'annulation des élections dans cinquante-trois dé partements, l'institution de tribunaux extraordinaires pour réprimer la Terreur blanche, la déportation de qua rante -deux membres des Cinq- Cents , de douze membres des Anciens, des deux directeurs Barthélemy et Carnot, des chefs de l'Agence royaliste et d'un grand nombre de propriétaires ou rédacteurs de journaux monarchistes. Il fut enjoint aux émigrés rentrés en France d'en sortir dans les trois jours sous peine de mort; la loi qui rappelait les prêtres déportés fut rapportée ; celle qui excluait des fonc tions publiques les parents d'émigrés fut renouvelée ; le décret sur la réorganisation de la garde nationale fut cassé et la liberté de la presse suspendue pour un an . Le parti royaliste ne put se relever du coup de fructi dor ; il ne devait reparaître qu'en 1814 avec l'invasion . LE DIRECTOIRE . 275 Sa victoire en 1797 eût amené la destruction totale des institutions et des intérêts créés par la Révolution et l'extermination du parti républicain : sa victoire en 1814 ne réussit même pas à ébranler l'ordre de choses consacré par vingt-huit années de Révolution, organisé par le Code civil , sanctionné par la gloire militaire et par les traités avec l'Europe. En ajournant de dix- sept années les espé rances des royalistes , la journée du 18 fructidor les ren dit à jamais irréalisables ; car pendant ce temps la Révolu tion enfonça de si profondes racines dans le sol français qu'aucune réaction ne put l’en arracher. Si l'on veut apprécier le coup d'État exécuté par le Di rectoire, il faut se souvenir que la constitution ne lais sait aucune issue légale au conflit entre le pouvoir exécu tif et le pouvoir législatif, puisqu'elle ne donnait ni aux Directeurs le droit de dissoudre les Conseils , ni aux Con seils le droit de déposer les Directeurs. En l'absence de tout moyen légal , il restait à décider si le coup d'État serait exécuté par les royalistes contre la République, ou par le gouvernement contre les conspirateurs . Les royalistes , au lieu de se renfermer dans une opposition constitutionnelle , avaient faussé les élections par la Terreur blanche, pré paré ouvertement l'armement des partisans de la monar chie , organisé le guet -apens de Pichegru et Willot contre les Directeurs; enfin leur complot contre la République se compliquait d'intelligences avec l'ennemi et de trahison envers la patrie . Le Directoire se montra plus clément envers les conspi rateurs de fructidor qu'il ne l'avait été pour les complices de Babeuf. La plupart des déportés n'allèrent pas plus loin que l'île de Ré ou l'île d'Oléron . On laissa Carnot s'échap per. Quinze condamnés seulement, parmi les plus compro mis, furent envoyés à Cayenne . Encore , le plus coupable de tous , Pichegru, réussit-il à s'enfuir de Sinnamary : deux ans après, nous le retrouverons guidant les armées russes contre la France . 276 , HISTOIRE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE. EXPANSION DE LA RÉVOLUTION AU DEHORS : RÉPUBLIQUES CISALPINE, LIGURIENNE, ROMAINE, HELVÉTIQUE. LE 22 FLORÉAL Les deux Directeurs proscrits ayant été remplacés par François de Neufchâteau et Merlin de Douai, le gouverne ment reprit son cours normal . Le Directoire atteignit alors à son maximum de puissance : les révolutionnaires étaient domptés par les exécutions qui suivirent le complot de Grenelle , et les royalistes par la répression de fructidor . La défaite des royalistes eut en Europe un énorme re tentissement. Les libéraux de tous pays , troublés par l'au dace de la réaction , par les fanfaronnades des émigrés, par la faiblesse apparente du gouvernement, avaient pu croire un instant que la fin de la République était prochaine. Ce coup de vigueur leur rendit le courage et ranima leurs espérances : de toutes parts leurs mains se tendaient vers la France. Les Irlandais opprimés appelaient une flotte de secours ; sur les bords du Rhin, les Allemands de Trèves , de Cologne, de Mayence, de Coblentz, essayaient, sous la protection de Hoche, de constituer une république cisrhé nane ; en Suisse, les cantons démocratiques se préparaient à secouer le joug des sénats aristocratiques ; en Piémont, à Rome, à Naples , la bourgeoisie conspirait la chute des vieilles tyrannies. Le 17 octobre, Bonaparte signa la paix de Campo-For mio. Méprisant les ordres formels du Directoire, qui ju geait le peuple vénitien digne de la liberté, il étouffa la république naissante de Venise , fit expier au gouvernement des libéraux les crimes de l'ancien sénat, livra Venise à l'Autriche, en compensation des territoires que celle- ci était obligée de nous céder. Enfin Bonaparte s'emparait des îles loniennes, qui avaient appartenu à la république de Venise : situées sur les côtes occidentales de la Grèce et de la Turquic, il espérait s'en faire un point d'ap pui pour agir plus tard en Orient. Le Directoire , à qui 1( LE DIRECTOIRE. 277 l'opinion reprochait injustement la rupture des conférences de Lille , dut fermer les yeux sur un acte qui mettait fin à l'existence d'un peuple libre, et qui , de la part du général Bonaparte , était un premier essai de rebellion . A Tolen tino dėjà, Bonaparte avait tranché du maître : il s'était contenté de la cession des Romagnes au lieu de détruire le pouvoir temporel du pape . Dans toute l'Italie , il avait fait ce qu'on avait reproché à Dumouriez, après la conquête de la Belgique : il s'était contenté de rançonner les cou vents, mais s'était bien gardé de mettre en vente les biens d'Église , ce qui aurait assuré l'avenir de la Révolution ita lienne. L'opinion publique , fatiguée de la guerre , ne vou lut voir dans le traité de Campo -Formio que ses résultats immédiats : cession de la Belgique ; reconnaissance de nos droits sur la rive gauche du Rhin ; constitution de la Lom bardie et des Romagnes en République cisalpine ; acquisi tion des îles Ioniennes . En même temps que par la paix comme par la guerre , par les traités comme par les victoires, Bonaparte gran dissait ainsi , déjà menaçant pour la liberté , la mort déci mait la génération des jeunes chefs républicains : en 1796, Marceau , à vingt- sept ans, avait été tué près d'Altenkir chen ; en 1797 , Hoche, à vingt-huit ans, mourait à son quartier général de l'armée d'Allemagne. Le Directoire ne se rendait pas compte des dangers que faisait déjà courir à la République le système de pro pagande armée et de guerres continuelles. Entraîné par l'ardeur des soldals , l'ambition des généraux, les appels désespérés des libéraux, partout persécutés en haine de la France , il en revenait à la politique audacieuse que la Gi ronde avait autrefois inaugurée, mais qui, dans l'affaiblis sement très sensible de l'esprit républicain et le progrès de l'esprit militaire , était bien plus dangereuse qu'en 1792 . Il voulait, comme pour prendre sa revanche sur les alliés de Pichegru, étendre au delà de nos frontières les consé quences de la victoire du 18 fructidor. 278 HISTOIRE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE . A Rome, des rixes avaient éclaté entre la bourgeoisie et les troupes pontificales ; celles-ci poursuivirent leurs ad versaires jusque dans le palais de l'ambassadeur de France, Joseph Bonaparte, et , sous ses yeux, égorgèrent le général Duphot. Pour châtier ce crime contre le droit des gens, le Directoire enjoignit à Berthier, qui commandait l'ar mée d'Italie , de marcher sur Rome . L'armée française occupa le château Saint-Ange, la vieille forteresse papale : les démocrates réunirent le peuple sur le Forum et pro clamèrent la République romaine ( 15 février 1798) . On attacha la cocarde tricolore à la statue de l'empereur Marc-Aurèle, et le drapeau de la France nouvelle flotta sur les monuments qui parlaient aux Romains de leurs gloires passées. La cour pontificale feignit de céder aux circonstances, affecta même une tendresse inattendue pour la nouvelle république : nombre de cardinaux assistèrent au Te Deum qui célébra l'affranchissement du peuple romain . Le Di rectoire ne fut pas dupe de ces démonstrations : il fit en lever le pape Pie VI , qui fut conduit à Pise , puis à Valence en Dauphiné, où il mourut l'année suivante . La Révolu tion exerçait enfin sa justice sur cette cour pontificale qui avait été pour nous un ennemi plus acharné que l'Angle terre et l'Autriche, car elle avait encouragé Louis XVI dans sa funeste obstination , interdit au clergé français de prêter le serment civique, excité le schisme et soufflé la guerre civile , et , couverte du sang de Basseville et de Duphot , n'avait cessé de prêcher la croisade contre la France. En Suisse , le sénat de Berne opprimait les populations de langue française, punissait comme un crime le chant de la Marseillaise, faisait de Berne le quartier général des émigrés et des agents britanniques : les Vaudois s'étant insurgés pour réclamer des droits politiques , le sénat envoya des troupes pour les soumettre . Le Directoire, ne voulant point abandonner ces fidèles amis de la France, fit passer la frontière à nos soldats : aussitôt les campagnes onz NU pe iltas le LI 10: Tales Rela کتا 17 IV P - 1 /2chard Proclamation de la République romaine ( 15 février 1798) . 280 HISTOIRE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE . de Båle et d'Argovie, les cantons de Zurich , Lucerne , Schaffhouse, accomplirent leur révolution démocratique. Le sénat de Berne arma 20 000 montagnards ; mais Brune les battit et pénétra dans Berne. Alors le sénat fut disperse; une diète , réunie à Aarau , décréta une constitution démo cratique modelée sur celle de la France , et proclama la République helvétique ( 12 avril 1798) . Vers cette époque le Directoire, qui avait fait le coup d'État de fructidor contre les rovalistes, en fit un autre contre le parti avancé : celui - ci venait de triompher dans les élections de 1798 et allait envoyer aux deux Conseils une majorité de députés gagnés , assurait- on , aux doctrines anarchistes. Le Directoire, usant du droit qu'on lui avait reconnu en 1797 de juger les résultats du scrutin , proposa aux Conseils l'annulation d'une partie des élections. Tel fut le coup d'État du 22 floreal ( 11 mai ) , moins violent, mais moins excusable que celui de fructidor, car les « pa triotes » ne voulaient que modifier la marche du gouver nement, tandis que les royalistes prétendaient anéantir la Révolution . Le nouveau tiers , après que les élections eu rent été recommencées, fut composé presque uniquement de républicains modérés. François de Neufchâteau , qui sortit cette année du Directoire, y fut remplacé par Treilhard . EXPÉDITIONS D'ÉGYPTE ET D'IRLANDE. RÉPUBLIQUE DE NAPLES. DÉFAITES EN ALLEMAGNE ET EN ITALIE. LE 30 PRAIRIAL Le Directoire, qui entendait pousser à outrance la lutte contre l'Europe coalisée, commit une grande impru dence lorsque, à l'instigation de Bonaparte, il envoya hors d'Europe l'élite des armées républicaines et quelques - uns de nos meilleurs généraux, comme Kléber et Desaix . Sous prétexte de préparer une grande expédition contre les iles Britanniques, Bonaparte réunit à Toulon, sous le nom LE DIRECTOIRE. 281 « d'aile gauche de l'armée d'Angleterre » , 36 000 soldats et 10 000 marins. Alors commença l'aventureuse expédi tion d'Égypte : elle ne pouvait aboutir à un résultat se rieux, puisque nous n'étions pas maitres de la mer. Bona parte sortit de Toulon le 19 mai , prit Malte en passant, débarqua à Alexandrie, gagna la bataille des Pyramides le 21 juillet et fit son entrée au Caire . La destruction totale de la flotte à Aboukir ( 1er août) rendit stériles toutes ses victoi res . Son expédition de Syrie ( février -mai 1799) , malgré de brillants succès comme la bataille du Mont- Thabor, aboutit à un échec : Bonaparte ne put prendre Saint-Jean - d'Acre que les Anglais défendaient du côté de la mer. Il remporta encore une grande victoire le 25 juillet 1799 sur les Turcs et les Anglais débarqués à Aboukir . L'armée française n'en était pas moins prisonnière dans sa conquête . Attaquer l'Angleterre au cœur même de sa puissance, créer sur ses flancs une république en Irlande , lui enlever cette île féconde, inépuisable en hommes, qui recrutait les flottes, les armées, les colonies britanniques, eût été une entreprise à peine plus difficile que l'expédition d'Égypte. à Bonaparte ayant préféré chercher des aventures en Orient , le Directoire désigna le général Humbert pour une tenta tive sur l'Irlande . On ne lui donna que 1500 hommes pour la conquête de ce grand pays. Humbert débarqua le 22 août près de Killala , mais fut obligé de capituler le 3 septembre . Pendant ce temps, une nouvelle coalition se préparait contre la France . Non seulement l'Autriche et ses alliés d'Allemagne reprenaient les armes pour se joindre à l'An gleterre, mais la Russie et la Turquie, si longtemps ennemies , se réconciliaient contre nous : la cour de Naples et celle de Sardaigne s'associaient à la coalition : 40 000 Napolitains , sous l'Autrichien Mack , envahirent le terri toire de la république romaine ; le roi de Naples fit son entrée à Rome. Le Directoire eut une prompte revanche : le 9 décembre 1798 , Joubert chassa de Turin le roi de

282 HISTOIRE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE. Sardaigne ; le 15 décembre, Championnet reprit Rome et marcha sur Naples : le roi Ferdinand se réfugia avec ses trésors sur la flotte anglaise, laissant à ses ministres le soin de défendre la ville ou de traiter avec le vainqueur. A Naples , l'opinion était fort divisée : la bourgeoisie et la partie libérale de la noblesse , comme le prince Carac ciolo , appelaient les Français. Au contraire le bas peuple, les lazzaroni, fanatisés par les moines, persuadés que les soldats républicains étaient des athées qui en voulaient au bienheureux, prirent pour chef un des leurs, Michel le Fou , et pendant trois jours défendirent la ville avec achar nement. Lorsque les libéraux eurent livré à Championnet le fort Saint- Elme, dont le canon décima les lazzaroni, Michel le Fou demanda à traiter , posant comme unique condition que l'on respecterait saint Janvier. Championnet rendit à ce saint des honneurs extraordinaires, lui fit don d'une mitre enrichie de diamants, et assista avec tout son état -major au miracle annuel de la liquéfaction du sang de saint Janvier. Le royaume fut érigé en République par thenopéenne (23 janvier). Les montagnards des Abruzzes, royalistes fanatiques, restèrent seuls en insurrection . Cette conquête nouvelle, en étendant nos opérations, accroissait nos dangers. Nous avions à nous défendre sur une ligne qui allait du Zuyderzée, en Hollande, au golfe de Tarente en Italie , à protéger à la fois les républiques ba tave , helvétique, cisalpine, ligurienne, romaine, parthéno péenne. Or à 350 000 émigrés, Anglais, Allemands, Autri chiens, Russes, Turcs, nous n'avions à opposer que 170 000 hommes répartis en cinq armées : celle de Hol lande sous Brune, celle d'Allemagne sous Jourdan , celle d'Helvétie sous Masséna , celle de la haute Ilalie sous Sché rer , celle de Naples sous Macdonald , qu'on avait donné pour successeur à Championnet. C'est alors que Jourdan fit décréter la levée de 200 000 hommes et établit la conscription comme loi militaire de la France. C'était la troisième forme donnée, depuis la LE DIRECTOIRE. 283 Révolution , au recrutement de nos armées : en 1792 , les enrôlements volontaires ; en 1793 , la réquisition ; en 1799 , la conscription . Les débuts de la campagne furent partout malheureux. Jourdan , vaincu á Stokach , dut rétrograder sur le Rhin ( 22 mars). Schérer fut battu par les Autrichiens à Magnano sur l'Adige ( 5 avril) et céda le commandement à Moreau . Un nouvel ennemi vint fondre sur cette malheureuse armée d'Italie : l'empereur de Russie, Paul Ier , avait envoyé «« contre les athées et impies Français » le feld-maréchal Souvarof ( ou plutôt Souvorof), le vainqueur des Turcs et des Polonais , tout sanglant des massacres d'Ismaïl et de Praga. La réaction espérait bien qu'il traiterait de même les Français : une joie impie éclata parmi les émigrés et les royalistes de l'intérieur . Le généralissime russe annon çait que d'Italie il se rendrait en Bourgogne et de là å Paris. Aussi fut - il le héros du jour : à Paris, la jeunesse dorée ne portait plus que le chapeau à la Souvarof et les bottes à la Souvarof. Souvarof accourut dans la haute Italie et renforça l'ar mée autrichienne de 60 000 Russes prêts à mourir pour Dieu et pour le tsar . L'Autriche crut n'avoir plus rien à ménager : ses hussards assassinèrent les plénipotentiaires français au congrès de Rastadt. : deux d'entre eux, Bonnier et Roberjot, furent tués; le troisième, Jean Debry , laissé pour mort . L'armée brûlait de venger ce nouveau crime contre le droit des gens ; mais Moreau n'avait que 28 000 hommes contre 80 000 Austro -Russes. Battu sur l'Adda à Cassano ( 27 avril), il fut contraint d'évacuer Milan , emme nant avec lui les Italiens compromis dans la révolution , et les membres du gouvernement cisalpin . Macdonald avait quitté Naples et se dirigeait à marches forcées sur la haute Italie afin d'opérer sa jonction avec Moreau . Après trois jours de combats sur la Trebbia ( du 17 au 20 juin ), Souvarof le rejeta en désordre dans les gorges des Alpes . Moreau fut également forcé d'aban 284 HISTOIRE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE. donner ses positions. L'Italie était perdue pour nous : les républiques parthénopéenne, romaine , cisalpine furent anéanties. L'Autriche n'entendait rétablir ni le pape, ni le roi de Sardaigne ; elle occupa leurs États pour son propre compte. Le roi de Naples fut ramené dans sa capitale par les Anglais ; sa femme Caroline , seur de Marie - Antoinette, exerça d'horribles représailles sur les patriotes . Le prince Caracciolo fut pendu . L'amiral Nelson déshonora le pavillon britannique en l'associant à ces barbaries. Le gouvernement fut ébranlé par tant de désastres que l'opinion attribuait à sa politique de propagande armée . Pour faire face aux dépenses de la guerre, il avait dû décréter de nouvelles contributions, établir sur les denrées une imposition qui accrut les privations du peuple. L'opé ration du tiers consolidé, qui réduisait des deux tiers la dette garantie par l'État , sembla une banqueroute partielle, et désespéra une multitude de petits rentiers . Comme les troubles recommençaient dans l'Ouest et dans le Midi , le gouvernement proposa la loi des otages, qui rendait responsables tous les parents d'émigrés et qui alarma 150 000 familles. Le mécontentement public encouragea les Conseils, que les élections de 1799 venaient de renforcer dans le sens républicain , à prendre sur le Directoire une sorte de revanche des épurations qu'il leur avait fait subir en fructidor et en floréal . Les révolutionnaires et les modérés s'unirent pour demander compte au gouvernement de sa politique intérieure et extérieure . Rewbell, ami de La réveillère , venait d'être remplacé par un ennemi de celui- ci , Sieyès . Alors Sieyès s'entendit avec Barras pour arracher àà Laréveillère sa démission . «( Je cède , dit celui - ci , mais la République est perdue. » Merlin de Douai et Treilhard l'accompagnèrent dans sa retraite . Tel fut le coup d'État du 30 prairial ( 18 juin 1799) . Le Directoire se trouvait ainsi reconstitué: Barras, homme sans convictions et sans moralité; Sieyès , décidé à renverser 1 LE DIRECTOIRE. 285

la constitution ; Roger-Ducos, dévoué à la famille Bonaparte . Deux membres seulement restaient sincèrement attachés à la République et à la constitution : Gohier et le général Moulin . Tout marchait à un dénouement funeste pour la liberté . En Italie , Joubert, mis à la tête des dernières forces de la France, venait d'être battu et tué à Novi par les Russes : les débris de l'armée se dispersèrent dans les cols des Alpes . Le désastre de Novi semblait un argument de plus pour ceux qui appelaient la dictature; ils établissaient des com paraisons perfides entre les défaites d'Allemagne et d'Italie et les victoires d'Égypte et de Syrie, qui empruntaient à l'éloignement un merveilleux prestige . Les partisans de Bonaparte commençaient à répéter que , seul , le vainqueur des Pyramides pouvait sauver le pays. L'armée d'Helvétie et l'armée de Hollande leur donnèrent coup sur coup deux éclatants démentis . VICTOIRES DE ZURICH ET DE BERGEN . LE 18 BRUMAIRE Masséna, après les revers des armées d'Allemagne et d'Italie , avait dû se retirer en deçà de la ligne formée par la Linth , le lac de Wallenstadt et la Limmat, abandonnant Zurich aux coalisés . Il avait en face de lui une armée autri chienne sous l'archiduc Charles, forte de 36 000 hommes, et une armée austro- russe sous Korsakof, forte de 55 000 hommes. Il ne pouvait leur en opposer en tout que 60 000, et voici que Souvarof, avec 20 000 Russes, accourait par la vallée de la Reuss . Jamais la République n'avait couru un danger si terrible ; une seule bataille pouvait ouvrir aux coalisés la route de Paris. Seulement Souvarof ne devait arriver que lorsque l'archiduc Charles serait en marche pour attaquer Jourdan auprès de Philippsbourg. Masséna épia le moment où l'archiduc était déjà parti et où Sou varof n'était pas encore arrivé : avec 48 000 hommes, il 286 IIISTOIRE DE LA RÉVOLUTION FRANCAISE . tomba sur les 55 000 hommes de Korsakof, et , après une bataille de trois jours, leur enleva Zurich et les rejeta hors de Suisse . Pendant ce temps Lecourbe, avec le reste de l'armée, 12 000 hommes, ralentissait la marche de Sou · varof. Quand Masséna en eut fini avec Korsakof, il vint rejoindre Lecourbe et avec toutes ses forces retomba sur Souvarof. Le généralissime russe, qui avait promis de ra mener Louis XVIII à Paris, eut bien du mal à se tirer des précipices et des gorges de la Suisse ; les cadavres russes jonchèrent les glaciers du Bragel et du Krispalt ; avec 8000 hommes seulement, il put gagner la Bavière . Tous ces combats, qui portent dans l'histoire le nom de bataille de Zurich, avaient duré douze jours, du 25 sep tembre au 8 octobre . En Hollande, Brune, avec 25 000 hommes, avait battu les troupes russes et anglaises du duc d'York à Bergen et Kastrikum ( du 19 septembre au 6 octobre) , puis leur avait imposé la capitulation d'Alkmaar, å la suite de la quelle elles se rembarquèrent. Ainsi la bataille de Zurich sauvait la république helve tique et nous garantissait la frontière des Alpes ; celle de Bergen sauvait la république batave et nous assurait la frontière du Rhin . La coalition était non seulement vain cue, mais disloquée. Paul Ier accusait de trahison les Au trichiens pour Zurich et les Anglais pour Bergen . Il rap pela « l'invincible Souvarof » . Le 8 octobre, Bonaparte, que les intrigants appelaient comme un sauveur et qui , après quinze années de guerre, devait laisser la France plus petite que ne l'avait trouvée la Révolution , débarquait à Fréjus . Le Directoire n'osa pas lui demander de quel droit il abandonnait son armée pour venir, comme avaient fait les Bouillé, les Lafayette , les Dumouriez , se mêler aux luttes des partis. Sieyès, qui conspirait la ruine de son propre gouvernement , répétait à ses intimes : « Il nous faut une tête et une épée. » La tête , c'était lui , pensait- il ; l'épée , ce .deZurich Bataille 288 HISTOIRE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE. serait Bonaparte. Deux autres directeurs, Barras et Roger Ducos , une partie des ministres, Gambacérés à la justice , Fouché à la police, étaient dans le complot. Bonaparte se tint quelque temps sur la réserve pour bien étudier la situation des partis. Ancien client des Robespierre, il avait des amis dans le parti révolutionnaire ; par sa femme, Joséphine , il avait des intelligences dans le parti royaliste. Mais il comprit que les républicains avancés ne l'aide raient pas contre la République el que les royalistes ne travailleraient que pour le roi . Il estima plus facile de tromper les modérés, les indécis , les habiles . Il se rap procha de Sieyès . Tous deux s'entendirent sur les préparatifs du coup d'État. On devait effrayer les Anciens en leur annonçant brusquement la découverte d'une grande conspiration jaco bine ; obtenir d'eux un décret qui transférerait les deux Conseils à Saint - Cloud , loin de Paris et du peuple des faubourgs , au milieu des régiments dévoués à Bonaparte ; déférer à celui-ci le commandement de la dix -septième division militaire et la mission de protéger le parlement ; arracher la démission de Gohier et Moulin ; organiser un gouvernement provisoire avec Bonaparte, Sieyès et Roger Ducos ; abolir la constitution de l'an III et la remplacer par une nouvelle, que Sieyès comptait rédiger suivant ses idées, mais que Bonaparte fit rédiger suivant ses intérêts. Avec de l'argent avancé par le banquier Collot, Bonaparte corrompit un certain nombre de chefs de corps, entre au tres le Corse Sébastiani, colonel d'un régiment de dra gons, et Jubé, commandant de la garde directoriale. Tout se passa comme il était convenu . Le 18 brumaire ( 9 novembre) au matin, Sieyès fit convoquer aux Tuile ries le conseil des Anciens; ses acolytes , Cornet, Lebrun , Régnier, épouvantèrent l'assemblée du récit d'une conspi ration jacobine, ourdie pour massacrer les députés et ré tablir la Terreur. Le Conseil vota le décret de translation à Saint- Cloud et la nomination du nouveau commandant LE DIRECTOIRE. 289 de Paris . Bonaparte, qui attendait le résultat dans sa mai son de la rue Chantereine ( depuis rue de la Victoire), se rendit aux Anciens à la tête d'un brillant état-major, en touré de Berthier, Lefebvre, Moreau , Macdonald , Beurnon ville , Sérurier, Lannes, Marmont, Murat, Leclerc . Il n'avait pas convoqué Augereau , et Bernadotte, quoique beau frère de Joseph Bonaparte , avait refusé son concours . A la barre de l'Assemblée, le général Bonaparte jura de défen dre « une république fondée sur la vraie liberté » , mais il évita soigneusement de prêter serment à la constitution . Aussitôt Sieyès et Roger -Ducos donnèrent leur démission de directeurs. Barras, après avoir fait quelque résistance , abdiqua, et partit pour la campagne. Seul Gohier et Mou lin refusèrent de déserter le poste où les avait placés la constitution. On les retint prisonniers au Luxembourg : Moreau accepta la mission peu honorable de les y garder . Bonaparte parlait déjà en maître absolu . Il avait dit au secrétaire de Barras : « Qu'avez- vous fait de cette France que j'avais rendue si brillante ? Je vous avais laissé des victoires, j'ai retrouvé des revers. ( Il oubliait apparemment les victoires de Zurich et Bergen , aussi bien que ses pro pres revers en Syrie . ) Je vous avais laissé les millions de l'Italie, j'ai retrouvé des lois spoliatrices et partout la misère. Que sont devenus cent mille hommes qui ont dis paru du sol français ? Un tel état ne peut durer : avant trois ans il nous mènerait au despotisme . » Comme si le coup d'État n'était pas l'inauguration du despotisme mi litaire ! Le lendemain , 19 brumaire , Bonaparte se rendit à Saint Cloud : il n'était pas sans inquiétude sur l'accueil que lui feraient les deux Conseils. Celui des Cinq- Cents, indigné de se voir entouré de troupes, décréta que tous ses membres renouvelleraient , sur un appel nominal , le serment de fidé lité à la constitution de l'an III : ce qui fut exécuté aux cris de : « La constitution ou la mort ! Point de dictature ! A bas le dictateur ! » A. RAMBAUD. 19 290 HISTOIRE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE ,

Bonaparte, en apprenant ce qui se passait aux Cinq Cents , parut soucieux . Beaucoup le croyaient perdu et s'at tendaient à le voir mis hors la loi. Augereau vint le nar guer, lui disant : « Te voilà dans une jolie position ! » Fouché lui-même pensait que « les baïonnettes couraient le risque d'être moins puissantes que les toges » . Bonaparte résolut d'aller d'abord aux Anciens qu'il es timait devoir être plus traitables . Il s'y fit précéder par une fausse nouvelle : la démission de quatre directeurs sur cinq . Puis il entra dans l'assemblée, y tint un dis cours obscur, entrecoupé, plein d'emphase, annonçant qu'il marchait « accompagné du dieu de la fortune et du dieu de la guerre » . Un député le requit de jurer fidélité à la constitution ; il se tira de la difficulté en s'écriant : « La constitution , vous l'avez violée au 18 fructidor, au 22 flo réal, au 50 prairial. La constitution ! Elle a été invoquée par toutes les factions, et toutes l'ont violée ... Sauvons les bases sur lesquelles elle repose : la liberté et l'égalité. » Aux Cinq -Cents, quand Bonaparte entra, et que les dé putés aperçurent les baïonnettes de ses grenadiers arrêlés aux portes de la salle , une clameur universelle s'éleva , comme celle qui avait anéanti Robespierre. Bonaparte se sentit troublé autant par les cris dont il était assailli que par la conscience de l'acte qu'il venait accomplir: Les députés , avec leurs manteaux rouges et leurs toques de législateurs, l'entourent et lui reprochent son crime. « Est- ce donc pour cela que tu as vaincu ? » lui dit Destrem . « Que faites- vous ici , téméraire ? vous violez le sanc tuaire des lois ! » lui crie le représentant Bigonet. L'em barras et la pâleur de Bonaparte étaient visibles : il put à peine balbutier quelques mots. Alors un de ses géné raux , Lefebvre , entre dans la salle et l'entraîne au dehors . Le danger était grand pour lui : si les députés avaient montré quelque décision , s'ils avaient décrété hardiment sa mise hors la loi , ils enlevaient les troupes, encore très attachées à la République. Lucien Bonaparte, président LE DIRECTOIRE. 291 des Cinq - Cents, s'évertue à empêcher l'assemblée de ren dre ce décret . Ne pouvant se faire écouter, il dépose sa toge et ses insignes et quitte la salle pour aller rejoindre son frère. Celui- ci le fait monter à cheval : Lucien haran gue les troupes et , tournant contre l'assemblée les pou voirs qu'il a reçus d'elle , usant d'un mensonge audacieux, il accuse ses collègues d'avoir voulu l'assassiner : « Le pré sident du Conseil des Cinq -Cents vous déclare que ce Con 1 14 ta The Ic LE ľ Le 18 brumaire. seil est opprimé par la terreur que leur inspirent des re présentants à stylet qui menacent leurs collègues et leur présentent la mort.... Ce sont des brigands soldés par l'Angleterre .... Au nom de la loi, je vous confie, soldats , le soin de délivrer la majorité de vos représentants. Que 292 HISTOIRE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE. les baïonnettes les délivrent des stylets .... Les autres, ce ne sont plus les représentants du peuple, ce sont les repré sentants du poignard. Vive la République! » Les soldats répètent le cri de « Vive la République ! » mais ils hésitent encore à pénétrer en armes dans l'en ceinte où siège la représentation nationale. Alors Lu cien, jouant une scène de tragédie, saisit une épée et s'écrie : « Je jure de percer le sein de mon propre frère si jamais il porte atteinte à la liberté des Français ! » Alors Leclerc entraîne ses grenadiers et pénètre à leur tête dans la salle . Les soldats poussent dehors les députés , mais en usant de ménagements , fort émus par leurs protestations, cruellement troublés quand un représentant comme Jour dan , le vainqueur de Fleurus, leur disait, à eux les fils de 1792 : « Soldats ! que faites- vous ? Vous ternissez vos lauriers . » Leclerc, pour étouffer la voix des représentants, ordonne de battre la charge. La salle est évacuée . C'en est fait de la liberté, et ce grand attentat contre la loi inau gure le régime despotique. Le gouvernement qui eut une fin si misérable au 18 bru maire n'avait pas été sans mérite. Le Directoire fut, å l'intérieur, un essai remarquable du gouvernement libre , compromis par le souvenir d'événements trop récents : les partis extrêmes gardant les passions acharnées de cette époque de lutte , les uns s'obstinant à ne pas voir de salut pour la République hors de la Terreur, les autres se croyant autorisés à venger la Terreur républicaine par la Terreur blanche. Malgré son désir de légalité et de liberté , la situation était trop exceptionnelle pour que le gouver nement lui-même ne fût pas contraint de recourir à des mesures d'exception. Il fit le coup d'État du 18 fructidor contre les royalistes , et celui du 22 floréal contre les Ja cobins. Le coup d'État du 30 prairial , qui exclut du gou vernement Laréveillère-Lépaux, l'homme le plus estima ble du Directoire , prépara l'attentat militaire qui mit fin à la République. Malgré ces actes illégaux, qui ne s'expli LE DIRECTOIRE. 293 quent que trop par les habitudes violentes de l'époque précédente et par la persistance des traditions de l'ancien régime, les quatre années du gouvernement directorial n'en furent pas moins une époque de liberté, de grandeur et de prospérité nationales . A l'extérieur , la politique des grands Girondins, l'expan sion des idées révolutionnaires en Europe, fut reprise. La France républicaine accorda son appui à tous les peuples qui voulurent être libres ; un moment elle refit à son image presque toute l'Europe occidentale . Elle renversa les sénats aristocratiques de Berne , de Venise, de Gênes ; elle affranchit l'Italie septentrionale de la domination autri chienne et faillit affranchir l'Irlande de la domination an glaise ; elle chassa les rois de Sardaigne et de Naples ; elle vengea sur le pouvoir temporel tout le mal que la papauté avait fait à la liberté . Elle rencontra d'admirables dévoue ments parmi les patriotes de la Suisse , de l'Italie , de l'Ir lande ; elle effraya les cours européennes par une merveil leuse multiplication de républiques : république helvéti que , cisalpine , ligurienne, romaine, parthénopéenne . Si le Directoire, imprudemment engagé dans de lointaines expéditions en Égypte et en Syrie , éprouva les cruelles dé faites d'Allemagne et d'Italie , ses derniers jours furent marqués par une éclatante revanche : les victoires de Mas séna à Zurich et de Brune à Bergen assurèrent à la France ses limites naturelles , ses frontières du Rhin et des Alpes que l'Empire allait nous faire perdre.

CONCLUSION Avec le 18 brumaire se termine l'histoire de la Révolus tion : ce qui suit , c'est l'histoire du gouvernement per sonnel , quelque nom qu'il porte , Consulat ou Empire . Les destinées de la France sont dès lors aux mains d'un homme : or notre tâche était seulement de faire revivre l'époque où les destinées de la France étaient aux mains de la France . Grande" époque , quels quaient étéses misères ou ses excès, glorieuse et féconde entre toutes . Alors c'était le peuple qui était debout pour assaillir la Bastille , pour défendre la frontière contre les rois étran gers , pour leur renvoyer la terreur que leurs manifestes prétendaient répandre chez nous . Alors la tribune de la Constituante, de la Législative , de la Convention , cette tri bune que le 18 brumaire allait rendre muette , retentis sait de paroles que le monde n'avait jamais entendues , qui allaient au cœur de tous les peuples, et qui formulaient pour toutes les nations les principes du droit moderne. Alors le bruit des batailles n'étouffait pas la voix des orateurs : aux victoires de Kellermann à Valmy , de Du mouriez à Jemmapes, de Jourdan à Wattignies et à Fleurus, de Marceau à Savenay, de Hoche à Landau , de Brune à Bergen, de Masséna à Zurich , répondaient l'éloquence des Vergniaud, des Brissot, des Isnard, des Danton , le fécond CONCLUSION . 295 2 olu elo Our 'un vre lains labeur des Condorcet, des Romme, des Lakanal, des Daunou , des Merlin de Douai , des législateurs du futur Code civil . Il y avait une merveilleuse émulation entre les hommes d'État et les orateurs, entre les députés et les généraux, entre le peuple et ses représentants, entre les soldats et leurs chefs , pour le salut de la République et la liberté du monde. Pendant que les armées renversaient à coups de canon le vieil édifice européen , des milliers de lois fondaient la société nouvelle , affranchissant à la fois l'in dustrie et l'agriculture, l'homme et la terre, organisant les tribunaux, les administrations, les écoles, les musées . Les soldats avaient le respect de la loi comme des légistes , et les avocats montraient sur le champ de bataille la bra voure des soldats . C'étaient des pouvoirs purement civils qui envoyaient à la victoire des armées de citoyens. La vertu antique semblait revivre dans ces hommes si jeunes, que la guillotine ou la mitraille frappait à la fleur de l'âge. Ils mouraient comme des Romains. Les morts héroïques des Girondins, des Dantonistes, des derniers Montagnards sont comparables aux plus glorieuses de l'Antiquité . Toute cette génération, vouée à une mort prématurée, n'eut devant les yeux que l'avenir infini, la vie immortelle de l'humanité. C'est pour avoir regardé au delà du temps, qu'elle vivra éternellement dans la mémoire des hommes. Nulle gloire, ni celle d'Austerlitz ni celle d'Iéna, n'effacera la sienne . Dans nos prospérités, c'est à la Révolution que nous faisons remonter l'hommage de notre reconnaissance; dans nos épreuves, c'est à elle que nous nous adressons pour lui demander l'inspiration et la foi. Nos pères de 1789 et de 1792 , par leurs combats , par leurs souffrances, par leur vie et par leur mort, nous ont faits ce que nous sommes : ingrats serions-nous si nous ne défendions pas leur mémoire ; indignes, si nous lais sions périr leur héritage. Stran destes de la te tri tentis dues slapen deme n de de la PUNTS runei woude 1211-13 ficand TABLE DES MATIÈRES PREMIÈRE PARTIE L'ANCIEN RÉGIME ET L'Euvre de LA RÉVOLUTION CHAPITRE ler . II . L'ancien régime . . L'quvre de la Révolution . 1 35 THERTE DE LA DEUXIÈME PARTIE LYON37711 BIB ** 1893 * HISTOIRE DE LA RÉVOLUTION CHAPITRE Ier. II . IU . IV . V. Les origines de la Révolution . Les États généraux, la Constituante . L'Assemblée législative . La Convention . Le Directoire.. 68 78 112 149 258 CONCLUSION . 294 Paris - Imprimerie A. Lahure et Cie, rue de Fleurus, 9. ن







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