L'idée de sadisme et l'érotologie scientifique  

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"Il existe, à n’en pas douter, un parti pris de grossissement chez tous les chroniqueurs de cette période. La plupart paraissent avoir posé vaniteusement pour la postérité et avoir été pris, au point de vue sexuel, d’une sorte de monomanie des grandeurs canalisée dans un désir d’aptitude spéciale à un amour continu, non borné par la force humaine. Chez tous, Casanova, Restif de la Bretonne, de Sade, de Nerciat, Desforges, Lorenzo d’Aponte, etc., on trouve, des témoignages de ce satyriasisme spécial que, par la suite, le célèbre aliéniste Charles Lasègue devait caractériser du nom si usité dépuis d’Exibitionnisme. La plupart des érotomanes et des érotographes du siècle dernier furent, en quelque manière, desexibitionnistesspéciaux, irresponsables, subissant d’instinctives incitations sexuelles et éprouvant surtout à les traduire littérairement, à les exagérer démesurément, une sorte d’ivresse caractéristique, un pervers plaisir d’en souiller le public, assez semblable."--"L'idée de sadisme et l'érotologie scientifique" (1901) by Octave Uzanne

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"L'idée de sadisme et l'érotologie scientifique" (1901) is the title to the preface written by Octave Uzanne of the French translation of Der Marquis de Sade und seine Zeit (1900), Le marquis de Sade et son temps : études relatives à l'histoire de la civilisation et des moeurs du XVIIIme siècle.

Full text

On a prétendu que les livres d’imagination se trou- vaient être plus particulièrement dangereux en France que partout ailleurs , par cette simple raison que les auteurs y veulent tous avoir de l’esprit, et que les lecteurs même en prêtent à ceux qui ne se sont point avisé d’en montrer. Cette observation peut être vraie quelquefois, mais il serait sans doute plus judicieux encore d’affirmer que le principal danger des livres français, — (surtout des romans et des autres oeuvres de fiction,) — réside dans ce fait que ceux qui s’adonnent à les écrire y déploient habituellement une extraordinaire et volontaire débauche d’images érotiques et s’efforcent, au cours de leurs récits, de dépasser leurs concurrents par une surabondante mise en scène de vices, de peintures licencieuses et d’excen- tricités passionnelles.


Il en fut ainsi dès 1725, au début du dix-huitième siècle.

A cette époque, les petits poètes de Cythère, les jolis conteurs musqués qui voulurent se mettre à la mode des boudoirs et dans le bon ton et le goût du jour, rivalisèrent


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de libertinage, de grivoiserie, de recherche et de suprême^ galanterie pimentée, si bien qu’insensiblement, vers le- déclin du règne de la rocaille,, beaucoup d’écrivains et conteurs glissèrent hors des marges de l’amour licite eu plein pays des paradoxes sexuels.

Ce fut alors une course à l’extravagance, à l’immoralitéy au dévergondage; on apporta un véritahle esprit de- fanfaronnade à se montrer impudique et luxurieux, à passer du style équivoque à la brutalité et à la scatalogie. Ils y eut une littérature toute préoccupée d’érotisme, toute- dévouée à l’étude de ces contacts d’'épidermes qui consti- tuaient l’amour, au dire de certains désabusés. Comme- le cercle des caresses humaines est des plus restreint et que l’on a vite fait d’épuiser les diverses combinaisons d’accouplements d’un même acte, voire en dehors des lois normales et de la casuistique, il fallut bien arriver à violenter la nature, à créer un satyriasisme inhumain,, à exposer des théories de rapprochements Griminels^ à prêcher la volupté dans le crime, la jouissance dans la douleur • d’autrui, en un mot à imaginer une érotomanie furieuse- et folle, se satisfaisant de préférence dans une débauche- sanglante torturante et ordurière.

Le Marquis de Sade fut l’homme indiqué pour synthétiser et pousser jusques à ses dernières limites- l’art de la spermacrasie anormale et monstrueuse. Il dépassa dans ce genre toute l’antiquité; il fixa dans un monde d’horreurs les colonnes d’Hercule des démentes priapées. Jamais, heureusement, on n’ira désormais aussi loin; de Sade aura borné l’horizon du champ érotique.

Ses ouvrages sont des Bibles du Diable qui consacrent ces principes effroyables qui guidèrent les actes des Néron et des Gilles de Retz. Il eut to-utefois lie génie dm


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mal avec une candeur infinie et crut toujours se justifier par son surprenant distique:

On n’est pas criminel pour faire la peinture
Des bizarres penchants qu’inspire la nature [...]

❖ *

Cette littérature graveleuse, frivole, impudique du dix-huitième siècle qui aboutit aux livres révolutionnaires, êroto-anarchistes du Marquis de Sade, cette littérature n’est pas plus l’image réelle de la société française d’alors que les peintures de Watt eau, de Boucher ou de Fragonard ne sont ses miroirs, car elles n’expriment ni la physionomie même des personnages du temps, ni l’aspect véritable des paysages de notre sol. Le siècle dernier avait la passion de se travestir en des mythologies nouvelles, de s’exprimer en symboles, de se farder, de se pomponner, de se poudrer à blanc, de s’affabuler en des styles de bergeries, de se métamorphoser en des attitudes d’objets de porcelaineries gracieuses et maniérées.

Les moeurs de la Cour et de l’aristocratie, certes furent aussi corrompues qu’il est possible de l’imaginer, mais encore cette corruption était encore plutôt super- ficielle et plus extérieure qu’on n’a prétendu la montrer. Lorsqu’on expose tant de vices aimables au grand jour, il faut se défier de la qualité et de la quantité qui demeure réservée pour les ténèbres des alcôves.

Après avoir lu les conteurs, les nouvellistes, les moralistes, philosophes, les petits poètes, les auteurs d’autobiographies tels que Casanova, Desforges ou Restif de la Bretonne, après avoir compulsé les épistoliers publiés ou inédits, les peintres de vie ambiante


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à la façon de Sébastien Mercier, les annalistes et analystes de ce siècle galant, il nous vient un doute sur ce qu’on nomme „pourriture . profonde de l’époque".

Nous sommes, — à la distance de cent et quelques années, — aussi peu clairvoyants que possible sur la société française d’avant la Eévolution; nous demeurons dupes inconsciemment d’une vision erronnée qui nous fut donnée par notre éducation initiale, nos lectures et les représentations théâtrales qui nous expriment des costumes et des manières dont les acteurs n’ont plus, d’ailleurs, ni les traditions de port ni les gestes voulus.

Nous imaginons et représentons sans cesse par exemple, tout un dix-huitième siècle délicat, amoureux des nuances affadies, des tonalités subtiles, des couleurs anémiées, et cependant rien n’est plus absolument faux. Si nous retrou- vons des coins d’étoffes, de meubles, de robes ou d’habits qui ne sont point restés exposés à la lumière, nous découvrons des couleurs brutales, criardes, d’une violence stupéfiante qui nous poussent à reconstituer le décor d’autrefois à un ^ diapason de ton qui nous semble excessif et prodigieux.

Il en serait de même, croyons-nous, pour tout ce qui est de l’intimité de nos ancêtres, et l’on perdrait bien des illusions à faire une enquête sérieuse et approfondie sur le confortable, la toilette, la propreté méticuleuse et secrète de ces jolies caillettes „à vapeurs", de ces frisques maîtresses qui tenaient petit lever et aussi sur l’élégance des dessous des marquis freluquets, petits abbés, hommes à bonne fortune qui peuj)lent tant de romans jadis à la mode.

Ce n’est pas ici le lieu de jeter quelque lumière sur ces questions intéressantes qui feront peut-être un jour le sujet d’un ouvrage de documentation relatif à un temps


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sur la moralité du quel la littérature et les arts nous ont probablement leurrés. Cependant, si j’y insiste au passage, c’est que, à la lecture du très curieux et très abondant travail du Docteur Eugène Duehren sur le Marquis de Sade et Son Temps, il m’a semblé <|ue le très sagace et très savant compilateur de ce livre surprenant, attachait peut-être, comme tous les historiens du reste, une excessive attention et une importance outrée aux mémoires, souvenirs, chroniques, romans et libelles cités pour en déduire l’état faisandé de nos moeurs dans le •courant du siècle dernier.

Ces moeurs n’étaient ni meilleures ni pires à Paris -qu’à Londres, à Kome, à Berlin, à Vienne, à Venise ou .à St. Pétersbourg. La Cour des Georges, en Angleterre, celle du Grand Frédéric de Prusse ou celles des petites principautés d’Allemagne pouvaient, avec plus ou moins d’hypocrisie, se donner la main à un même niveau de moralité. Toutes les capitales d’Europe cultivaient les mêmes vices avec une passion plus ou moins dissimulée, et, comme en France, on cuisinait Part de l’amour avec des soins jaloux et des délicatesses particulières, le souvenir qui en demeura fut évidemment plus persistant. — Ceux •qui, à cette époque, parcoururent le monde avec un bel appétit sexuel et une curiosité inassouvie de la femme, comme l’extraordinaire aventurier Casanova de Seingalt, sinon comme le duc de Kichelieu ou le prince de Ligne, purent observer et dire que le gibier féminin ou .autre qu’ils pourchassaient d’une égale ardeur était non moins facile à surprendre au Nord qu’au Sud de l’Europe •et qu’ils le pouvaient aussi aisément accommoder à leurs fgoiits physiques plus ou moins dépravés.

A Paris, les plaisirs étaient plus bruyants, plus


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extérieurs et plus hospitaliers peut-être qu’ailleurs; maiSy avant tout, les écrivains qui traitaient de la nature et de* la diversité de ces plaisirs, loin d’en dissimuler le charme- et d’en atténuer l’éclat, s’efforçaient, au contraire, d’en énumérer la grande variété, d’en décrire l’ivresse, d’en signaler l’extrême licence dans tous les coins du Paris- ou l’on s’amusait.

Cependant, la France du dix-huitième siècle ne fut pa& aussi pervertie que nous le disent nos écrivains et que- se plurent, en les exagérant, à le déclarer les étrangers. — Le peuple des villes et des campagnes qui vivait dans- la sainte ignorance des imprimés et des journaux avait conservé des moeurs très douces et les modèles des familiales- toiles de Greuze étaient plus nombreux sur tous les points de notre territoire que les bergers dépravés et les friponnes fermières des Lemoine, des Boucher, des- Pater et des Baudoin. On n’a point dit ces choses, et je les puis proclamer avec une sincérité satisfaite au cours de cette légère préface au Ime „ du Marquis de Sade, et son temps“ dans le quel l’auteur met notre littérature si largement à contribution, comme il le devait d’ailleurs, mais avec une tendance inconsciente à regarder tout notre pays comme responsable d’avoir couvé de sa fièvre vicieuse- l’oeuf monstrueux dont sortit le divin Marquis.

Le peuple, la bourgeoisie même, vivaient sainement^ placidement, avec des moeurs sans doute supérieures à celles des autres nations, et lorsque, plus tard, on vit à l’épreuve sur les champs de bataille, où les conduisit Bonaparte, les' vigoureux gaillards, fils de nos pa3^sans et petits bourgeois de ce siècle tant décrié, on put s’apercevoir que leur origine n’était point contaminée, qu’ils n’avaient rien de décadent et que leur vigueur physique, et leur courage, leur


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endurance et leur saine constitution les rendaient plus que tous autres, incomparables au combat.

  • *

La vérité, c’est qu’on pourrait dire du vice ce que Balzac écrivait de la vertu, à savoir qu’il est un principe dont les manifestations diffèrent selon les milieux. — Le vice de province, celui de Londres, de Constantinople et de Paris ont des effets dissemblables sans cesser pour cela d’être le vice. Chaque vie humaine offre dans son tissu des combinaisons les plus singulières, mais, vues d’une certaine hauteur, toutes paraissent semblables.

Le vice français plus extérieur, plus bruyant, plus scandaleux et plus aimable à la fois, ce vice aussi affiché à Paris qu’il se déguisait et se terrait par ailleurs, attira plus spécialement, il faut en convenir, comme les vives flammes d’un feu de joie tous les papillons de nuit des Cythères d’Europe et les crépusculaires du plaisir épars dans les grandes villes du monde. Les anecdotiers qui vivaient dans ce virulent bouillon de culture, jusqu’à en perdre la notion de l’honnêteté et de la discrétion, devinrent vivement des greffiers clandestins de chroniques scandaleuses. A côté des Bachaumont, des Métra, des Thévenot de Morande, des Pidanzat de Mairobert, des Mouffle d'Angerville, des Chevrier, nombreux furent, à Paris, les pamphlétaires, bulletiniers et nouvellistes venus de l’étranger. Combien d’Italiens, de Hollandais, d’Anglais même, qui exercèrent dans notre Capitale la profession de calomniographes, de parfumeurs et de ruffians de la littérature, contribuant encore à augmenter les ferments des débauches parisiennes. Une étude sur


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le rôle des étrangers dans la corruption générale des milieux de plaisirs de Paris fournirait d^nnombrables preuves de ce que fut chez nous, dans la seconde moitié du dix-huitième siècle, le cosmopolitisme de ces vices dont on charge avec un excès de dédain sans doute la nation française, lorsqu’on s’avise au delà de ses fron- tières d’historiographer ses moeurs.

„Le Français, écrivait alors Duclos, dans ses Considérations sur les moeurs, compte au milieu de ses défauts un mérite distinctif, c’est le seul peuple dont les moeurs peuvent se dépraver, sans que le fond du coeur se corrompe, ni que le courage s’altère. Il allie les qualités héroïques avec le plaisir, le luxe et la mollesse ; ses vertus ont peu de consistance, ses vices n’ont point de racines. Le caractère d’Alcibiade n’est pas rare en France; le déréglement des moeurs et de l’imagination ne donne point atteinte à la franchise, à la honté naturelle du Français, l’amour-propre contribue à le rendre aimable ; plus il croit plaire, plus il a de penchant à aimer. La frivolité qui nuit au développement de ses talents et de ses vertus le préserve en même temps des crimes noirs et réfléchis. La perfidie lui est étrangère et il est bientôt fatigué. Le Français est l’enfant de l’Europe. Si l’on a quelquefois vu parmi nous, des crimes odieux, ils ont disparu plutôt par le caractère national que par la sévérité des lois."

C’est bien là le fidèle portrait de ces Français et parisiens du dix-huitième siècle qu’on a vraiment noircis au point de désespérer de leur survie, et qui, cependant, gaspillèrent leur sang avec tant de bravoure, de folie et d’insouciance, aussi bien dans la guerre civile que dans la guerre étrangère, aux heures de la Kévolution et de


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l’Empire. — Mais, parmi les mémorialistes à la petite semaine qui s’étaient abattus sur Paris sous le règne de Louis XYI, combien d’aventuriers d’Europe qui vinrent vivre parmi nous de scandale et de prostitution et qui nous léguèrent ces recueils mal famés connus sous les noms de spectateurs, d’observateurs, ou d’es- pions anglais, hollandais, chinois ou turques au cours desquels sont relatés avec complaisance, outrés à plaisir, travestis, avec quels accents aigus de liber- tinage ! tous les menus faits qui se pouvaient collectionner sur les moeurs secrètes de l’époque.



Il existe, à n’en pas douter, un parti pris de grossissement chez tous les chroniqueurs de cette période. La plupart paraissent avoir posé vaniteusement pour la postérité et avoir été pris, au point de vue sexuel, d’une sorte de monomanie des grandeurs canalisée dans un désir d’aptitude spéciale à un amour continu, non borné par la force humaine. Chez tous, Casanova, Restif de la Bretonne, de Sade, de Nerciat, Desforges, Lorenzo d’Aponte, etc., on trouve, des témoignages de ce satyriasisme spécial que, par la suite, le célèbre aliéniste Charles Lasègue devait caractériser du nom si usité dépuis d’Exibitionnism e. La plupart des érotomanes et des érotographes du siècle dernier furent, en quelque manière, desexibitionnistesspéciaux, irresponsables, subissant d’instinctives incitations sexuelles et éprouvant surtout à les traduire littérairement, à les exagérer démesurément, une sorte d’ivresse caractéristique, un pervers plaisir d’en souiller le public, assez semblable.


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par bien des cotés, à celui de ces fous débonnaires qui exposent à la curiosité on au dégoût des femmes qui passent dans la rue, la vue de leurs organes génitaux, sous le pardessus subitement entr’ouvert.

Restif de la Bretonne fut, au pied de la lettre, un exibitionniste. On pourrait soupçonner Jacques Casanova de Sein gai t d’une analogue monomanie, ses derniers écrits au château de Walstein et les récit des derniers jours qu’il passa en Bohème tendraient à con- firmer ce soupçon. Quant au Marquis de Sade, qui fut le Nicolet de l’érotologie furieuse et qui voulut faire de plus en plus fort dans la recherche des jouissances sexuelles, il semble assez naif de douter qu’il ait été un fou. Ce fut le plus déséquilibré des êtres, malgré l’apparent équilibre de sa philosophie anarchiste et le panache de ses sophismes. Il était allé aux antipodes de ses facultés natives qui étaient toutes de sensibilité, et nous demeurons assuré qu’il fut des plus sincère en écrivant cette „[[Idée sur les Romans]]“ qui forme le plus étrange contraste avec ses autres oeuvres, et que Florian ou Bernardin de St. Pierre auraient pu signer. Un phrénologiste, disciple de Gall, examinant la tête du divin Marquis, après sa mort, put exprimer sans autrement nous surprendre ses observations en ces termes:

„Ce crâne mis à nu, ressemble à tous les crânes de vieillards, c’est un mélange singulier de vices et de vertus, de bienfaisance et de crimes, de haine et d’amour; cette tête qui est là, sous mes yeux, est petite, bien conformée, on la prendrait au premier abord pour une tête de femme, d’autant plus que les organes de la tendresse maternelle et de l’amour des enfants y sont aussi saillants que sur la tête d’Héloise, ce modèle de tendresse et d’amour “.


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Nous sommes toujours trop enclins à juger les êtres d’un point de vue noir ou blanc avec un absolutisme contraire à ce qu’ils sont en réalité, c’est-à-dire ni tout- a-fait vicieux, ni parfaitement bons. De même nous exagérons l’état des moeurs de telles ou telles époques disparues avec trop de pessimisme ou d’optimisme, car les passions humaines étant toujours les mêmes, les moeurs qui les représentent sont à peu près également toujours les mêmes. Comme l’écrivait Sainte Beuve, il n’y a, le plus souvent que les manières qui diffèrent. Le dix-huitième siècle ne diffère des autres siècles que par ses manières seules et non pas par ses moeurs. —

Si l’on pouvait recueillir toutes les oeuvres du trop fameux Marquis publiées, oeuvres inédites et correspondances intimes, et, de cet ensemble, tirer des déductions sur la psychologie de cet homme encore très mystérieux à notre entendement, il est croyable que l’on arriverait à des conclusions stupéfiantes sur sa vie privée, son caractère, sa sentimentalité emphatique, et, qui sait même, peut-être sur son ingénuité et son désir du bien.

On a réuni très peu d’opinions de contemporains sur cet étrange et obscur personnage qui passa, comme La tu de, une grande partie de sa vie en prison. Le peu qui nous soit parvenu nous surprend cependant dans l’idée que nous nous faisions de cet homme sanguinaire et plus cruel en soi qu’un chinois ataviquement tortionnaire. C’est ainsi que le portrait dont Charles Nodier crayonna le croquis dans ses Souvenirs de la Révolution, après l’avoir rencontré dans la prison du Temple sous le Consulat, nous laisse plutôt rêveur.

„Un des prisonniers qui se trouvait avec nous, écrit-il, se leva de très bonne heure parce qu’il allait être trans-


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féré et qu’il en était prévenu. Je ne remarquai d’abord en lui qu’une obésité énorme, qui gênait assez ses mouvements pour l’empécher de déployer un reste de grâce et d’éloquence, dont on retrouvait des traces dans l’ensemble de ses manières et de son langage.

„Ses yeux fatigués conservaient cependant je ne sais quoi de brillant et de fin, qui s’y ranimait de temps à autre comme une étincelle expirante sur un charbon éteint. Ce n’était pas un conspirateur et personne ne pouvait l’accuser d’avoir pris part aux affaires politiques. Comme ses attaques ne s’étaient jamais adressées qu’a deux puissances sociales d’une assez grande importance, mais dont la stabilité entrait pour fort peu de chose dans les instructions secrètes de la police, c’est à dire la religion et la morale, l’autorité venait de lui faire une grande part d’indulgence. Il était envoyé au bord des belles eaux de Cliarenton, relégué sous ses riches ombrages; et il s’évada quand il mourut. Nous apprîmes, ^ quelques mois plus tard, en prison, que M. de Sade s’était sauvé.

„Je n’ai point, poursuit Nodier d’idée nette de ce qu’il a écrit. J’ai aperçu ces livres-là ; je les ai retournés plutôt que feuilletés, pour voir de droite à gauche si le crime filtrait partout. J’ai conservé de ces monstrueuses turpitudes^une impression vague d’étonnement et d’horreur; mais il y a une grande question de droit politique à placer à coté de ce grand intérêt de la société, si cruellement outragé dans un ouvrage dont le titre même est devenu obscène. Ce de Sade est le prototj^pe des victimes extra- judiciaires de la haute justice du Consulat et de l’Empire.

On ne sut comment soumettre aux tribunaux, et à leurs formes politiques, et à leurs débats spectaculeux, un délit


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qui offensait tellement la pudeur morale de la société tout entière, qu’on pouvait à peine le caractériser sans danger; et il est vrai de dire que les matériaux de cette hideuse procédure étaient plus repoussants à explorer que le haillon sanglant et le lambeau de chair meurtrie qui décèlent un assassinat. Ce fut un corps non judiciaire, le Conseil d’Etat, je crois, qui prononça contre l’accusé la détention perpétuelle; et l’arbitraire ne manqua pas d'occasions pour se fonder, comme on dirait aujourd’hui, sur ce précédent arbitraire. Je n’examine pas le fond de Isl question. Il y a des cas de publicité où la publicité est peut- être plus funeste que l’attentat: mais il faudrait alors un code- réservé pour ces cas réservés; il faudrait que la loi eut; ses grands pénitenciers comme l’Eglise. Parmi les images; de Némésis que les anciens nous ont laissées, il y en a une qui porte un voile: autrement il est aisé de comprendre comment cette usurpation de juger du droit de juger, tout exceptionnelle qu’on ait voulu la faire, tombe, de degré en degré, aux derniers agents des derniers pouvoirs; et remarquez que lorsqu’un de ces attentats a été commis deux ou trois fois, il change tout à coup de nom. Il s’appelle jurisprudence. Les sociétés ne périssent que par des abus légitimés.

„J’ai dit, conclut Charles Nodier, que ce prisonnier ne fit que passer sous mes yeux. Je me souviens seule- ment qu’il était poli jusqu’à l’obséquiosité, affable jusqu’à l’onction, et qu’il parlait respectueusement de tout ce que l’on respecte. “

Nodier, dans ce simple passage de ses curieux Souvenirs, nous donne du divin Marquis, un type de sacristain Tartufe, onctueux, cafard, chattemite, obèse, et nous voyons aussitôt le répugnant personnage transformé


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en héros de Eugène Sue, en sorte de Rodin, avec des manières ouatées, insidieuses de certains criminels de cours d’assises qui dissimulent, sous une humble attitude de contrition et de religiosité hypocrite et pateline, une série de viols et de méfaits contre nature dignes de déchainer contre eux l’indignation publique.

Mais que ce portrait de vieux bedeau est loin, con- venons-en, du Marquis de Sade provocateur, crâneur, et „portant beau“ que nous imaginions naguère. Qui sait si sa psychologie scientifiquement exposée ne nous éton- nerait pas pareillement, sinon bien davantage !


Pendant longtemps et longtemps, bien au delà du milieu de ce siècle, la seule évocation du nom du Marquis de Sade était une sorte d’infernal épouvantail. On imprimait sans doute encore parfois ses livres „sous le • manteau^ en Belgique ou en Hollande, mais ceux qui les possédaient les verrouillaient comme des poisons en des encoignures ténébreuses et ne se vantaient point de les avoir lus.

Les écrivains et le public intellectuel français de la génération de 1850 aurait assurément témoigné de quelque incrédulité si l’on avait exprimé cette idée qu’à la fin du présent siècle le Marquis de Sade, étudié en tant que monomane et comme prototype de la perversion du goût sexuel et du plaisir dans la douleur, pourrait fournir à une étude ouvertement publiée et acceptée comme un sérieux ouvrage d’étude sociale et de pathologie érotique. Les hommes qui avaient lu, il y a quinze ou vingt ans, „Justine et Julie tte“ et qui avouaient ces lectures


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sachant en citer les pins typiques excentricités de langage, étaient exceptionnels et sentaient le roussi: ils n’étaient guère accueillis que dans certains cénacles de lettrés indépendants, frondeurs, vaguement athées, amoureux de paradoxes, curieux de luxures occultes et d’irrévéren- •cieuses théories. On se croyait du dernier bateau de damnés, pour s’écrier au dessert, entre hommes, s’adressant ,à Tun des plus connaisseurs des bouquins du Marquis de Sade: „Dites donc, mon cher Un Tell, q)aiiez-nous un peu du divin Marquis !“ — et chacun de dre, de demander des mots phénoménaux de Dolmancé, <le la baronne de Saint-Ange ou de quelque autre prota- goniste de la „Philo Sophie dans le boudoir.“

Parmi les littérateurs, dans certain diner, qui, vers 1885, réunissait Pélite des hommes de lettres, des diplo- mates et des artistes, le romancier du Boisgobey, et Charles Monselet, le fin chroniqueur, poète et réno- Tateur d^ubliés ot de dédaignés , faisaient volontiers assaut de citations prodigieuses recueillies dans l’oeuvre <lu Marquis. Ils j découvraient toute la bouffonnerie in- •consciente, le lyrisme déplacé, l’éloquence ruisselante d’inouïsme, l’emphase scatalogique, l’image extravagante •et aussi commo un avant-goût de cet esprit prétentieux ot prudhommesque dont plus tard Henri-Monnier devait immortaliser le genre dans un type légendaire et pittoresque.

Que ‘de citations qui semblaient d’un hétéroclisme fabuleux! C’étaient d’abord des phrases du Marquis ■de Sade, croquiste de ses héros, telle celle-ci: „Nul n’était maître de sa semence comme Dolmancé “ ou encore •cette apostrophe aimables débauchés, convainquez-vous, à l’école de Dolmancé, que ce n’est qu’en étendant la


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sphère de ses goûts et de ses fantaisies, que ce n’est qu’en sacrifiant tout à la volupté que le malheureux in- dividu, connu sous le nom d’homme, et jeté malgré lui sur ce triste univers peut réussir à jeter quelques roses- sur les épines de la vie.“ On citait encore, dans Juliette ^ ce type caricatural rencontré debout sur le cratère du Vésuve dans l’exercice cher à Onan et qui, à cette question: „Que faites-vous donc là?“ — répondait avec solennité et componction: „Vous le voyez bien. Monsieur, j’essaie de noyer de ma sève les flammes de ce volcan/'

Il y avait comme un ragoût d’impiété, comme une attitude cherchée d’esprit fort dans le plaisir des convives à parler du d i v i n M a r qu i s et de ses particulières oeuvres,, où tant de postures s’arrangent et se défont, où tant de groupes se forment que ni Carrache, ni Jules Romain ne se seraient avisés de dessiner en raison des combinaisons insensées qui ont présidé à leur mise en oeuvre.

Mais, en dehors de ces milieux d’artistes, ou, post prandium, l’on recherchait plutôt dans les écrits du Marquis de Sade l’excessif, le style dithyrambique et l’incommensurable dose de comique imprévu qui s’y trouve,, les dialogues „destinés à l’éducation des jeunes demoiselles“ semblables à ceux de la „ Philosophie dans le Boudoir “ étaient, comme ils le sont encore, d’ailleurs, ignorés de l’élite, et la plupart de ceux qui s’étaient aventurés à les lire les déclaraient vraiment fastidieux.


On n’inventa, croyons-nous, l’idée de sadisme, et on ne songea à appliquer l’action des cruelles théories du Marquis à un état de délire physio-oii


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psychologique individuel que peu après 1870. Dans son livre publié en 1859 et intitulé: La psychologie morbide dans ses rapports avec la philosophie de l’histoire ou de l’Influence des névropathies sur le dynamisme intellectuel, le Docteur J. Moreau, de Tours, alors médecin à l’hôpital de Bicêtre, ne songeait certes pas encore, non plus que dans ses „Aberrations du sens génésique“ , à déterminer l’état de sadisme.

On ne pensa d’abord à appliquer ce mot qu’à telles ou telles parties de la littérature pornographique, puis à certains cas de criminalité spéciale. Quelques professionnels de Don Juanisme qui émettaient la nécessité de faire souffrir les femmes, pour se faire aimer d’elles, furent étiquetés également „des sadiques," mais l’idée même physiologique de sadisme, en tant qu’amour morbide, crimes passionnels ou déséquilibre du cerveau ne se fit jour que plus tard, quand l’étude scientifique des perversions du goût fut étudiée plus rigoureusement et qu’on s’efforça de déterminer les diverses spécialités de monomanies rencontrées dans le domaine des délires sexuels.

C’est ainsi que l’on peut s’étonner de ne voir apparaître aucune idée ou aucune trace d’expression scientifique de sadisme dans la remarquable et célèbre „Etude médico-légale sur les Attentats aux Moeurs‘‘, faite par le Docteur Ambroise Tardieu, dont la première édition parut vers 1865. A cette époque, l’exposé du déterminisme sadique, n’avait pas encore pénétré dans les ouvrages dévoués aux dépravations morales et aux monstruosités physiques. Kaan n’en fait pas davantage mention dans sa „Psychologia Sexualis" éditée auparavant à Leipzig; non plus que Casper, de


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Berlin dans son livre „Sur le Viol et la pédérastie, an point de vue de la médecine légale“.

Mais, depuis une dizaine d’années, l’idée de sadisme* a obsédé tous les auteurs qui se sont occupés de la prostitution infile et de l’inversion sexuelle. On a même singulièrement abusé du terme avec des complaisances- véritables et toute une bibliographie médicale du sadisme- est en train de se créer aussi bien en France qu’en Allemagne. A propos des crimes de Vacher, l’éventreur,. un livre tout entier parla des crimes sadiques, puis ce- furent des études curieuses de névropathie sexuelle par A. Eulenbourg, de la vie sexuelle par W. Russalkow, des livres fortement documentées de Brierre de-Boismont, de L. Toinot, du Docteur Lacassagne,. des comparaisons entre le masochisme et le sadisme par Krafft-Ebing, le professeur de clinique des maladies- mentales à l’Université de Vienne, etc.

Tous ces ouvrages aujourd’hui passent couramment dans Li librairie, peuvent être achetés par tous, grâce à l’estampille des facultés médicales. La science les met donc hors la loi et leur prête leur caractère respectable et sacré. Nul, à cette heure, n’oserait se formaliser des- poisons qu’ils contiennent et des effroyables anomalies- passionnelles qui y sont décrites très amplement ce n’est plus de l’érotologie sensuelle, cela devient de la pathologie d’analyse, de la clinique documentaire..

Assurément, un écrivain qui, avec un apport con- sidérable d’art et de style littéraire, publierait un livre- sur ces mêmes sujets, se verrait conspué, saisi, et traduit devant la justice pour immoralité. Mais la science peut impunément toucher à tout et manier les matières les plus toxiques, les observations sur les vices les plus


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répugnants; il y a pour elle un constant „laissez-passer“. Elle a d’ailleurs pour les amours contre nature de si jolis mots : l’homosexualité, l’uranisme, l’inversion sexuelle, la nymphomanie, le saphisme et tant d’autres encore!

Toutefois, convenons-en, c’est grâce à la science et à ses oeuvres sur les dépravations de l’instinct génésique, que l’être humain, si longtemps mineur intellectuellement, finira par secouer peu à peu les préjugés et qu’il se familiarisera normalement avec la vision de ce qu’on nomme l’anormal.

L’homme regardera d’un autre point de vue les vices qui naguère attisaient sa curiosité et l’excitaient davantage parce qu’on les dissimulait, qu’on les étouffait dans Tombre, qu’il n’en fallait point parler, et que tant de mystère et de contrainte, à l’évocation de certaines amours, étaient plutôt de nature à rendre l’idée de ces amours plus dangereuse et plus malsaine pour des esprits prévenus et impatients de connaître et d’apprendre ce qu’on leur cachait.

„Je ne sais ce que les organes des deux sexes ont fait à l’humanité, écrivait déjà Montaigne, pour qu’on n’en puisse parler de propos délibéré. “ Il convient en effet de dire que ceux qui ont inventé la pudeur et créé les images obscènes sont ces mêmes hypocrites qui imaginèrent de mettre d’imbéciles feuilles de vignes sur les statues et sur les mots. La science et l’hygiène nous affranchiront peu à peu de toutes ces misères que la religion et les moeurs ont déchaînées sur notre faiblesse morale. Si le Marquis de Sade n’avait fait que prêcher ces idées d’indépendance, comme il le fit en quelques parties saines de sa „Phil osophie dans le boudoir",


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sa mémoire recueillerait assurément plus d’estime de la part des esprits libres.

Aujourd’hui, ce monstre, dont le nom seul faisait rougir nos pères, est enfin admis dans le vaste musée de la science anthropologique; on y étale son mal publique- ment; on s’applique à étudier le type exceptionnellement anormal qu’il fut; on recherche les causes de son délire; on classe son cas dans une catégorie de folie dont l’étude a dévoilé le curieux processus, aussi, n’ effraie- t-il plus aucunement. Le Sadisme est un département de l’alié- nation mentale, on en parle comme d’une irresponsabilité qui peut affliger l’individu, mais personne ne s’en effare. Avant cinquante années, il en sera de même de tant d’autres folies étrangement passionnelles qui sont aujourd’hui du seul ressort de la criminalité. — La vérité est en marche; espérons-le du moins. L’indulgence de- viendra de plus en plus une partie de la justice qui s’efforcera d’être la vérité en action, c’est à dire la Science des sciences. Quand on connaîtra toutes les irresponsables victimes de l’hérédité, les prisons ne retiendront plus que de rares et véritables coupables; les émules du marquis de Sade ne seront plus passibles des modernes Bastilles, mais des nécessaires infirmeries d’inconscients.


„I1 y a dans chaque siècle, disait Joubert, même dans les siècles les plus éclairés, ce qu’on peut appeler, a juste titre, l’esprit du temps, c’est à dire une sorte d’atmosphère qui passera, mais qui, pendant sa durée, trompe tout le monde sur l’importance et sur la vérité même de la plupart des opinions dominantes. ‘‘


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Eien n’est plus juste. Au siècle des César, des Tibère et des Caligula, des Héliogabale, des O al b a et des Vitellius, le Marquis de Sade aurait été le confident, l’ami, l’homme de toutes les fêtes de ces divers empereurs. D’autre part, si Pétrone, Sué- tone, Martial, Apulée et la plupart de ceux que Forberg signale dans son Manuel d’érotologie classique (De Figuris vénéris), eussent vécu au dix-huitième siècle, ils auraient, à n’en pas douter, été en butte aux lettres de cachet et aux détentions prolongées.

Le sadisme n’est, en réalité, qu’une variété de l’algophilie, un besoin d’allier la volupté à la cruauté, à la douleur, à la souffrance qui exaspèrent la jouissance de celui qui est actif et fait concourir à son propre plaisir le vue du sang et des angoisses d’autrui.

Mantegazza dans ses études anthropologiques. Moreau de Tours, Lombroso, Paul Aubry, dans sa contagion du meurtre, et nombre d’autres physiologistes nous ont démontré que les amoureux de la douleur sont très fréquents dans l’humanité et aussi chez les animaux. Les enfants même montrent, d’instinct, des aptitudes perverses à faire souffrir les autres par un goût étrange, et dans la griserie des conquêtes et des batailles, on sait de quelle bestiale fureur sont saisis les soldats qui font montre d’une volupté sanguinaire dans le viol, l’éventrement des femmes et la tuerie des enfants sans besoin et sans but.

La brute réparait en nous plus souvent qu’on ne pense et fait craquer le mince vernis de civilisation qui recouvre notre être moral soi-disant policé. — Si l’on était admis à recueillir les confidences des alcôves, les révélations des femmes de la meilleure société des deux


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mondes, les récits des jouvenceaux de toutes classes, si' le grand livre social était rédigé avec précision, exactitude et vérité, on verrait que de Sade n’avait rien à apprendre- à nos ancêtres aussi bien qu’à nos contemporains.

A côté de ce qui se pratique partout à huis cloSy ses théories se trouvent dépassées par le seul instinct de l’immondice des êtres. Partout, en effet, la force bestiale domine encore la faiblesse ingénue saignante et endolorie, et il nous faut à tous une force incroyable d’illusions et de douce et aveugle vanité pour oser parler fréquemment de progrès moral et condamner, au nom d’une fausse- majorité vertueuse, le vice soi-disant exceptionnel de ceux qui n’ont pas su se payer l’étoffe nécessaire à la confection d’un confortable écran d’hypocrisie et de mensonge.


Mais il est temps, pour nous, de dire ce que nous pensons de l’excellent livre du Docteur Eugène Duehren „Le Marquis de Sade et son Temps“ dont ces quelques feuillets de préface aux théories peut- être trop hasardées vagabondes et diffuses doivent précéder la traduction française. — Il est peu d’ouvrages qui remuent davantage d’idées, qui agitent plus de problèmes phéno- ménologiques de l’amour et qui montrent une aussi extra- ordinaire documentation sur notre dix-huitième siècle, sa littérature galante, ses milieux passionels, ses centres névropathiques, sa philosophie, ses scandales et ses divers éléments d’immoralité ou, pour mieux dire, d’amoralité.

Après l’avoir lu et relu ce volume, nous demeurons vrai- ment surpris de l’érudition considérable du Docteur Duehren et de la variété de cette érudition à la fois si originale,


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si profonde et si subtile, en tant que science physio- psychologique, et également tour à tour si curieusement historique, si sûre des sources les plus dissimulées de nos nouvellistes et chroniqueurs, si avisée de ce tout ce qui concerne la vie intime des hommes et des oeuvres du siècle dernier.

„Qui ne connait pas le site ne connait pa& la plante^ dit un proverbe Persan. Le Docteur Eugène Duehren à voulu connaître dans toute son étendue et sa profondeur le terrain sur lequel a germé et pousa,. monstrueuse, cette fleur du mal qui eut nom le Marquis de Sade. Rien de ce qui entoura son habitat, de ce qui le nourrit de son suc vénéneux n’a échappé à cet historien supérieurement avisé. Le livre qu’il nous offre dans ses divisions générales et ses multiples ou dif- férentes subdivisions, est aussi substantiel qu’il était permis de le rêver; il dépasse même notre attente. Lorsqu’il est du à un de ces vigoureux écrivains d’outre Rhin,, un livre d’étude exige toujours de nous une sincère ad- miration car il exprime le plus souvent cette force- d’argumentation, cet approvisionnement considérable de faits, cette puissance centralisatrice de • l’idée dominante qui nous frappent d’autant plus, nous autres français, que nous sommes plutôt incomparables à donner à nos oeuvres, de même nature, une excessive élégance, de la grâce, de l’esprit, mais tout cela fanfreluché sur une ossature de documents plus frêle alors même qu’ils sont aussi bien échaffaudés.

Il est Yrai que du ciel la prudence infinie

Départ à chaque peuple un différent génie

écrivait Corneille. Ce qui fait l’originalité française,, sa marque caractéristique et champagnisée est pré-


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-cisément le contraire de ce qui assure à l’érudition allemande sa durée, son poids documentaire, sa solidité obtenue par une lente et patiente coordination.

L’ouvrage du Docteur Duehren restera comme la plus dense et la plus definitive publication de physio- psyclio-bio-bibliographie qui ait encore été faite sur le divin Marquis. Ce livre laissera un sillage longtemps visible sur cet océan rose et fangeux d’érotologie du dix- huitième siècle français déjà parcouru dans tant de sens opposés par des croisières individuelles vers des destinations difiérentes. On y reviendra comme on revient à un magasin de faits généraux et particuliers où l’on est assuré de se pourvoir sérieusement. Ceux qui l’auront lu auront la satisfaction d’y avoir puisé non-seulement sur le cas du Marquis de Sade et les idées que son nom évoque, mais sur tout le dix-huitième siècle libertin et non conformiste, comme on disait alors, les renseig- nements les plus précieux et un aperçu d’ensemble et de détails qu’on ne saurait trop s’étonner de trouver ici réunis.


OCTAVE UZANNE.




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