Les Amours de deux bêtes  

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Les Amours de deux bêtes offerts en exemple aux gens d’esprit (English: The loves of two beasts) (sous-titrée histoire animau-sentimentale) est une nouvelle satirique d'Honoré de Balzac parue en livraison de 1840 à 1842, puis en livre illustré en deux volumes de 1844 à 1845 dans l'ouvrage collectif Scènes de la vie privée et publique des animaux.

Le texte est dédicacé par le rédacteur à Mademoiselle Anna Granarius, personnage humain du conte et amoureuse de l’élève de son père, éminent naturaliste. On reconnaîtra facilement dans cette pochade un Paul et Virginie animalier. Paul, cochenille capturé en Afrique pour la reproduction en laboratoire, refuse obstinément tout rapport sexuel car il demeure fidèle à son grand amour : la chenille Virginie restée au pays. Anne Granarius, émue par l’attitude, de l’insecte s’arrange avec son amoureux pour réunir Paul et Virginie qui ne cesseront de se reproduire.

Balzac s’est beaucoup amusé à décrire les serres tropicales et aussi la faune des naturalistes, avec des allusions à Georges Cuvier et Étienne Geoffroy Saint-Hilaire, lançant également force clins d’œil aux Orientales de Hugo, aux cigares de George Sand, et au Roméo et Juliette d’Hector Berlioz.

Full text

LES AMOURS DE DEUX BÊTÉk


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Mademoiselle Anna Grananus, qui aimait un simple élève natu- raliste, ne put s'empêcher de rougir, d'autant plus qu'elle était blonde et d'une excessive délicatesse de teint, une vraie Héroïne de roman écossais, aux yeux bleus, enfin presque douée de seconde vue. Aussi s'aperçut -elle, à l'air candide et presque niais du professeur, qu'il avait dit une de ces banalités familières aux savants qui ne sont jamais savants que d'une manière. Elle se leva pour se promener dans le «Jardin des Plantes, qui se trouvait alors fermé, car il était huit heures et demie, et au mois de juillet le Jardin des Plantes renvoie le public au moment où les poésies du soir commencent leurs chants. Se promener alors dans ce parc solitaire est une des plus douces jouis- sances, surtout en compagnie d'une Anna.

« Qu'est-ce que mon père veut dire avec ce Jarpéado qui lui


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tourne la tête? » se demanda-t-elle en s'asseyant au bord de la grande serre.

Et la jolie Anna demeura pensive, et si pensive, que la Pensée, comme il n'est pas rare de lui voir faire de ces tours de force



chez les jeunes personnes, absorba le corps et l'annula. Elle resta clouée à la pierre sur laquelle elle- s'était assise. Le vieux professeur, trop occupé, ne chercha pas sa fille et la laissa dans l'état où l'avait mise cette disposition nerveuse qui, quatre cents ans plus tôt, l'eût conduite à un bûcher sur la place de Grève. Ce que c'est que de naître à propos.


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II


g. A. R. le prince Jarpéado.


Ce que Jarpéado trouvait de plus extraordinaire à Paris était lui-même, comme le doge de Gênes à Versailles. C'était, d'ailleurs, un garçon bien pris dans sa petite taille, remarquable par la beauté de ses traits, ayant peut-être les jambes un peu grêles; mais elles étaient chaussées de bottines chargées de pierreries et relevées à la poulaiae de trois côtés. Il portait sur le dos, selon la mode de la Gactriane, son pays, une chape de chantre qui eût fait honte à celles des dignitaires ecclésiastiques du sacre de Charles X ; elle était couverte d'arabesques en semences de diamants sur un fond de lapis-lazjili, et fendue en deux parties égales, comme les deux vantaux d'un bahut; puis ces parties tenaient par une charnière cTor et se levaient de bas en haut à volonté, à l'instar des surplis des prêtres. En signe de sa dignité, car il était prince des Coccirubri, il portait un. joli hausse-col en saphir, et sur sa tête deux aigrettes filiformes qui eussent fait lionte, par leur délicatesse, à tous les pompons que les princes mettent à leurs shakos , les jours de fête nationale.

Anna le trouva charmant, excepté ses deux bras excessivement courts et décharnés ; mais comment aurait-on pensé à ce léger défaut à l'aspect de sa riche carnation qui annonçait un sang pur en har- monie avec le soleil , car les plus beaux rayons rouges de cet astre semblaient avoir servi à rendre ce sang vermeil et lumineux? Mais bientôt Anna comprit ce que son père avait voulu dire, en assistant à une de ces mystérieuses choses qui passent inaperçues dans ce terrible Paris, si plein et si vide, si niais et si savant, si préoccupé et si léger, mais toujours fantastique, plus que la docte Allemagne, et bien supérieur aux contrées hoffmanniques, où le grave conseiller du Kammergericht de Berlin a vu tant de choses. Il est vrai que maître Floh et ses besicles grossissantes ne vaudront jamais les forces apoca- lyptiques des sibylles mesmériennes, remises en ce moment à la disposition de. la charmante Anna par un coup de baguette de cette fée, la seule qui nous reste, Extasinada, à laquelle nous devons nos


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poètes, nos plus beaux rêves, et dont l'existence est fortement com- promise à l'Académie des sciences (section de médecine).


III


Autre tentation de saint Antoine.

Les trois mille fenêtres de ce palais de verre se renvoyèrent les unes les autres un rayon de lune, et ce fut bientôt comme un de ces incendies que le soleil allume à son coucher dans un vieux château, et qui souvent trompent à distance un voyageur qui passe, un laboureur qui revient. Les cactus versaient les trésors de leurs odeurs , le vanillier envoyait ses ondes parfumées, le volcameria distillait la chaleur vineuse de ses touffes par. effluves aussi jolies que ses fleurs, ces bayadères de la botanique, les jasmins des Açores babillaient, les magnolias grisaient l'air, les senteurs des daturas s'avançaient avec la pompe d'un roi de Perse, et l'impétueux lis de la Chine,. dix fois plus fort que nos tubé- reuses, détonait comme les canons des Invalides, et traversait cette atmosphère embrasée avec l'impétuosité d'qn boulet, ramassant toutes les autres odeurs et se les appropriant, comme un banquier s'assimile les capitaux partout où passent ses spéculations. Aussi le Vertige emmenait-il ces chœurs insensés au-dessus de cette forêt illuminée, comme à l'Opéra Musard entraîne, d'un coup de baguette, dans un galop la ronde furieuse des Parisiens de tout âge, de tout sexe, sous des tourbillons de lumière et de musique.

La princesse Finna, l'une des plus belles créatures du pays enchanté de Las Figuieras, s'avança par une vallée du. Nopalistan, résidence offerte au prince par ses ravisseurs, où les gazons étaient à la fois humides et lisses, allant à la rencontre de.Jarpéado, qui, cette fois, ne pouvait l'éviter. Les yeux de cette enchanteresse, que dans un ignoble projet d'alliance le gouvernement jetait à la tête du prince, ni plus ni moins qu'une Caxe-Sotha, brillaient comme des étoiles, et la rusée s'était fait suivre, comme Catherine de Médicis, d'un dangereux escadron composé de ses plus belles sujettes.

Du plus loin qu'elle aperçut le prince, elle fit un signe. A ce signal, il s'éleva dans le silence de cette nuit parfumée une musique


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absolument semblable au scherzo de la reine Mab, dans la symphonie de Roméo et Juliette, où le grand Berlioz a reculé les bornes de l'art du facteur d'instruments, pour trouver les effets de la Cigale, du Grillon, des Mouches, et rendre la voix sublime de la nature, à midi, dans les hautes herbes d'une prairie où murmure un ruisseau sur du sable argenté. Seulement le délicat et délicieux morceau de Berlioz est à la musique qui résonnait aux sens intérieurs d'Anna ce que le brutal organe d'un tonitruant ophicléide est aux sons filés du violoncelle de Batta, quand Batta peint l'amour et en rappelle les rêveries les plus éthérées aux femmes attendries que souvent un vieux priseur trouble en se mouchant ! (A la porte!)

C'était enfin la lumière qui se faisait musique, comme elle s'était déjà faite parfum, par une attention délicate pour ces beaux êtres, fruit de la lumière que la lumière engendre, qui sont lumière et retournent à la lumière. Au milieu de l'extase où ce concert d'odeurs et de sons devait plonger le prince Jarpéado, et quel prince ! un prince à marier, riche de tout le Nopalistan (voir aux annonces pour plus de détails), Finna, la Cléopâtre improvisée par le gouvernement, se glissa sous les pieds de Jarpéado, pendant qui six vierges dansèrent une danse qui .était aussi supérieure à la cachucha et au jaléo espagnol, que la musique sourde et tintinnulante des génies vibrionesques sur- passait la divine musique de Berlioz. Ce qu'il y avait de singulier dans cette danse était sa décence, puisqu'elle était exécutée par des vierges ; mais là éclatait le génie infernal de cette création nationale et trans- mise à ces danseurs, par leurs ancêtres, qui la tenaient de la fée Arabesque. Cette danse chaste et irritante produisait un effet absolument semblable à celui que cause la ronde des femmes du Campidano, colonie grecque aux environs de Cagliari. (Êtes-vous allé en Sar- daigne? Non. J'en suis fâché. Allez-y, rien que pour voir danser ces filles enrichies de sequins.) Assurément, vous regardez, sans y entendre malice, ces vertueuses jeunes filles qui se tiennent par la main et qui tournent très-chastement sur elles-mêmes ; mais ce chœur est néanmoins si voluptueux, que les consuls anglais de la secte des saints, ceux qui ne rient jamais, pas même au parlement, sont forcés de s'en aller. Eh bien , les femmes du Campidano de Sardaigne, en fait de danse à la fois chaste et voluptueuse, étaient aussi loin des danseuses de Finna , que la vierge de Dresde par Raphaël est au-dessus d'un portrait de Dubufe. (On ne parle pas de peinture, mais d'expression.)


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« Vous voulez donc me tuer? s'écria Jarpéado, qui certes aurait rendu des points à un consul anglais en fait de modestie et de patrio- tisme.

— Non, âme de mon âme, dit Finna d'une voix douce à l'oreille comme de la crème à la langue d'un chat; mais ne sais-tu pas que



je t'aime comme la terre aime le soleil, que mon amour est si peu personnel, que je veux être ta femme, encore bien que je sache devoir en mourir?


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— Ne sais-tu pas, répondit Jarpéado, que je viens d'un pays où les castes sont chastes et suivent les ordres de Dieu, tout comme dans l'Indoustan font les brahmes? Un brahmine n'a pas plus de répugnance pour un paria que moi pour les plus belles créatures de ton atroce pays de Las Figuieras, où il fait froid. Ton amour me gèle. Arrière, baya- dères impures!... Apprenez que je suis fidèle, et quoique vous soyez en force sur cette terre, quoique vous ayez en abondance les trésors de la vie, quand je devrais mourir ou de faim ou d'amour, je ne m'unirai jamais ni à toi, ni à tes pareilles. Un Jarpéado s'allier à une femme de ton espèce, qui est à la mienne ce que la négresse est à un blanc, ce qu'un laquais est à une duchesse! Il n'y a que les nobles de France qui fassent de ces alliances. Celle que j'aime est loin, bien loin; mais ou elle viendra , ou je mourrai sans amour sur la terre étran- gère... »

Un cri d'effroi retentit et ne me permit pas d'entendre la réponse de Finna , qui s'écria : « Sauvez le prince ! Que des masses dévouées s'élancent entre le danger et sa personne adorée ! »


IV


Où le caractère dé~Granarius se dessine par son ignorance en fait de sous-pieds.

Anna vit alors , avec un effroi qui lui glaça le sang dans les veines, deux yeux d'or rouge qui s'avançaient portés par un nombre infini de cheveux. Vous eussiez dit d'une double comète à mille queues.

« Le Volvoce ! le Volvoce ! » cria-t-on.

Le Volvoce, comme le choléra en 1833, passait en se nourrissant de monde. Il y avait des équipages par les chemins, des mères emportant leurs enfants, des familles allant et venant sans savoir où se réfugier. Le Volvoce allait atteindre le prince, quand Finna se mit entre le monstre et lui : la pauvre créature sauva Jarpéado qui resta froid comme Gonachar, lorsque son père nourricier lui sacrifie ses enfants.


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-.V. .


« Oh! c'est bien un prince, se dit Anna tout épouvantée de cette royale insensibilité. Non, une Femme donnerait une larme à un Homme qu'elle n'aimerait pas, si cet Homme mourait pour lui sauver la vie.

— C'est ainsi que je voudrais mourir, dit langoureusement Jarpéado, mourir pdur celle qu'on aime, mourir sous ses yeux, en lui


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léguant la vie... Sait-on ce qu'on reçoit quand on naît? tandis qu'à la fleur de l'âge, on connaît bien la valeur de ce qu'on accepte... »

En entendant ces paroles, Anna se réconcilia naturellement avec le prince.

« C'est, dit-elle, un prince qui aime comme un simple naturaliste.

— Es-tu musique, parfum, lumière, soleil de mon pays? s'écria le prince que l'extase transportait et dont l'attitude ût craindre à la jeune fille qu'il n'eût une fièvre cérébrale. ma Cactriane, où sur une mer vermeille, gorgé de pourpre, j'eusse trouvé quelque belle Ranagrida dévouée, aimante, je suis séparé de toi par des espaces incommensu- rables... Et tout oe qui sépare deux amants est infini, quand ce ne peut être franchi... »

Cette pensée, si profonde et si mélancolique, causa comme un frémissement à la pauvre fille du professeur, qui se leva, se promena dans le Jardin des Plantes, et arriva le long de la rue Cuvier, où elle se mit à grimper, avec l'agilité d'une Chatte, jusque sur le toit de la maison qui. porte le numéro 15. Jules, qui travaillait, venait de poser sa plume au bord de sa table, et se disait' en se frottant les mains: « Si cette chère Anna veut m'attendre, j'aurai la croix de la Légion d'honneur dans trois ans, et je serai suppléant du professeur, car je mords à l'Entomologie, et si nous réussissons à transporter dans l'Algérie la culture du Coccus Cacti... c'est une conquête, que diable!... »

Et il se mit à chanter :

Mathilde, idole de mon âme!... etc.,

de Rossini, en s'accompagnant sur un piano qui n'avait d'autre défaut que celui de nasiller. Après cette petite distraction , il ôta de dessus sa table un bouquet, fleurs cueillies dans la serre en compagnie d'Anna, et se remft à travailler.

Le lendemain matin, Anna se trouvait dans son lit, se souvenant, avec une fidélité parfaite, des grands et immenses événements de sa nuit, sans pouvoir s'expliquer comme elle avait pu monter sur les toits et voir l'intérieur de l'âme de monsieur Jules Sauvai , jeune dessinateur du Muséum, élève du professeur Granarius ; mais violemment éprise de curiosité d'apprendre qui était le prince Jarpéado.

Il résulte de ceci, pères et mères de famille, que le vieux pro-


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fesseur était veuf, avait une fille de dix-neuf ans, très-sage, mais peu surveillée, car les gens absorbés par les intérêts scientifiques accomplis- sent trop mal les devoirs de la paternité pour pouvoir y joindre ceux de la maternité. Ce savant à perruque retroussée, occupé de ses mono- graphies, portait des pantalons sans bretelles, et (lui qui savait toutes les découvertes faites dans les royaumes infinis de la microscopie) ne connaissait pas l'invention des sous-pieds , qui donnent tant de rectitude aux plis des pantalons et tant de fatigue aux épaules. La première fois que Jules lui parla de sous-pieds, il les prit pour un sous-genre, le cher Homme ! Vous comprendrez donc comment Granarius pouvait ignorer que sa fille fût naturellement somnambule, éprise de Jules, et emmenée par l'amour dans les abîmes de cette extase qui frise la catalepsie.

Au déjeuner, en voyant son père près de verser gravement la salière dans son café, elle. lui dit vivement: « P3pa, qu'est-ce que le prince Jarpéado? »

Le mot fit effet : Granarius posa la salière, regarda sa fille dans les yeux de laquelle le sommeil avait laissé quelques-unes de • ses images confuses, et se mit à sourire de ce gai, de ce bon, de ce gracieux sourire qu'ont les savants quand on vient à caresser leur dada !

« Voilà le sucre, » dit-elîe alors en lui tendant le sucrier.

Et voilà, chers enfants, comment le réel se mêle au fantastique dans la vie et au Jardin des Plantes.


Aventures de Jarpéadtf.

« Le prince Jarpéado est le dernier enfant d'une dynastie de la Cactriane, reprit le digne savant, qui, semblable à bien des pères, avait le défaut de toujours croire que sa fille en était encore à jouer avec ses poupées. La Cactriane est un vaste pays, très-riche, et l'un de ceux qui boivent à même les rayons du soleil ; il est situé par un nombre de degrés de latitude et de longitude qui t'est parfai- tement indifférent ; mais il est encore bien peu connu des observateurs,


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je parle de ceux qui regardent les œuvres de la nature avec deux paires d'yeux. Or, les habitants de cette contrée, aussi peuplée que la Chine, et plus même, car il y a dés milliards d -individus, sont sujets à des inondations périodiques d'eaux bouillantes, sorties d'un immense volcan, produit à main d'Homme, et nommé Harrozo- Rio-Grande. Mais la nature semble se plaire à opposer des forces productrices égales à la force des fléaux destructeurs, et plus l'Homme mange de Harengs, plus les mères de famille en pondent dans l'Océan... Les lois particulières qui régissent la Cactriane sont telles, qu'un seul prince du sang royal , s'il rencontre une de ses sujettes, peut réparer les pertes causées par l'épidémie dont les effets sont connus par les savants de ce peuple, sans qu'ils aient jamais pu en pénétrer les causes. C'est leur choléra-morbus. Et vraiment quels retours sur nous- mêmes ce spectacle dans les infiniment petits ne doit-il pas nous inspirer à nous... Le choléra-morbus n'est-il pas...

— Notre Volvoce ! » s'écria la jeune fille.

Le professeur manqua de renverser la table en courant embrasser son enfant.

« Ah! tu es au fait de la science à ce point, chère Annetle?... Tu n'épouseras qu'un savant. Volvoce ! qui t'a dit ce mot ? »

(J'ai connu, dans ma jeunesse, ua Homme d'affaires qui racontait, les larmes dans les yeux, comment un de ses enfants, âgé de cinq ans, avait sauvé un billet de mille francs qui, par mégarde, était tombé dans le panier aux papiers , où il en cherchait pour faire des cocottes. — Ce cher enfant ! à son âge ! savoir la valeur de ce billet... ) *■

« Le prince ! le prince ! » s'écria la jeune fille en ayant peur que son père ne retombât dans quelque rêverie; et alors elle n'eût plus rien appris.

« Le prince, reprit le vieux professeur en donnant un coup â sa perruque, a échappé, grâce à la sollicitude du gouvernement français, à ce fléau destructeur ; mais on l'enleva, sans le consulter, à son beau pays, à son bel avenir, et avec d'autant plus de facilité que sa vie était un problème. Pour parler clairement, Jarpéado, le centimil- liardimillionième de sa dynastie...

(« Et, fit le professeur entre parenthèse, en levant vers le plafond plein de Bêtes empaillées sa mouillette trempée de café, vous faites les fiers, messieurs les Bourbons, les Othomans, races royales et souveraines, qui vivez à peine des quinze à seize siècles avec les mille

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442 LES AMOURS DE DEUX BÊTES.

et une précautions de la civilisation la plus raffinée... O combien... Enfin ! . . . Ne parlons pas politique. » )

« Jarpéado ne se trouvait pas plus avancé dans l'échelle des êtres que ne Test une Altesse Royale onze mois avant sa naissance, et il fut transporté, sous cette forme, chez mon prédécesseur, l'illustre Lacrampe, inventeur des Canards, et qui achevait leur monographie alors que nous eûmes le malheur de le perdre ; mais il vivra tant que vivra la Peau de Chagrin , où l'illustrateur l'a représenté contemplant ses chers Canards. Là se voit aussi notre ami Planchette à qui, pour la gloire de la science , feu Lacrampe a légué le soin de rechercher la configuration, l'étendue, la profondeur, les qualités des princes, onze mois avant leur naissance. Aussi Planchette s'est-il déjà montré digne de cette mission ,< soutenant, contre cet intrigant de Cuvier, que, dans cet état, les princes devaient être infusoires, remuants, et déjà décorés.

« Le gouvernement français, sollicité par feu Lacrampe, s'en remit au fameux Génie Spéculatoribus pour l'enlèvement du prince Jarpéado, qui, grâce à sa situation, put venir par mer du fond de la province de Guaxaca , sur un lit de pourpre composé de trois milliards environ de sujets de son père, embaumés par des Indiens qui, certes, valent bien le docteur Gannal. Or, comme les lois sur la traite ne concernent pas les morts , ces précieuses momies furent vendues à Bordeaux pour servir aux plaisirs et aux jouissances de la race blanche, jusqu'à ce que le soleil, père des Jarpéado, des Ranagrida, des Negra, les trois grandes tribus des peuples. de la Cactriane, les absorbât dans ses rayons... Oui, apprends, mon Anna, que pas une des nymphes de Rubens, pas une des jolies filles de Miéris, que pas un trompette de Wouwermans n'a pu se passer de ces peuplades. Oui, ma fille, il y a des populations entières dans ces belles lèvres qui vous sourient au Musée, ou qui vous défient. Oh! si, par un effet de magie, la vie était rendue aux êtres ainsi distillés , quel charmant spectacle que celui de la décomposition d'une Vierge de Raphaël ou d'une bataille de Rubens! Ce .serait, pour ces charmants êtres, un jour comme celui de la résurrection éternelle qui nous est. promis. Hélas ! peut-être y a-t-il là-haut un puissant peintre qui prend ainsi les générations de l'humanité sur des palettes, et peut-être, broyés par une molette invisible, devenons-nous une teinte dans quelque fresque immense, ô mon Dieu!..: »


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Là-dessus le vieux professeur, comme toutes les fois que le nom de Dieu se trouvait sur ses lèvres, tomba dans une profonde rêverie qui fut respectée par sa fille.


VI

Autre Jarpéado.

Jules Sauvai entra. Si vous avez rencontré quelque part un de ces jeunes gens simples et modestes, pleins d'amour pour la science, et qui, sachant beaucoup, n'en conservent pas moins une certaine naïveté charmante qui ne les empêche pas d'être les plus ambitieux des êtres, et de mettre l'Europe sens dessus dessous à propos d'un os hyoïde ou d'un coquillage, vous connaissez alors Jules Sauvai. Aussi candide qu'il était pauvre (hélas! peut-être quand vient la fortune s'en va la candeur), le Jardin des Plantes lui servait de famille, il regardait le professeur Granarius comme un père, il l'admirait, il vénérait en lui le disciple et le continuateur du grand Geoflroy -Saint-Hilaire, et -il l'aidait dans ses travaux, comme autrefois d'illustres et dévoués élèves aidaient Raphaël; mais ce qu'il y avait d'admirable chez ce jeune Homme, c'est qu'il eût été ainsi, quand même le professeur n'aurait pas eu sa belle et gracieuse fille Anna , saint amour de la science ! car, disons-le promptement, il aimait beaucoup plus l'histoire natu- relle que la jeune fille.

«Bonjour, mademoiselle, dit-il; vous allez bien ce matin?... Qu'a donc le professeur ?

— Il m'a malheureusement laissée au beau milieu de l'histoire du prince Jarpéado, pour songer aux fins de l'humanité... J'en suis restée à l'arrivée de Jarpéado à Bordeaux.

— Sur un navire de la maison Balguerie junior, reprit Jules. Ces banquiers honorables, à qui l'envoi fut fait, ont remis le prince...

— Principicule... fit observer Anna.

— Oui, vous avez raison, à un grossier conducteur des diligences Laflitte et Gaillard, qui n'a pas eu pour lui les égards dus à sa haute naissance et à sa grande valeur; il l'a jeté dans cet abîme appelé caisse, qui se trouve sous la banquette du coupé, où le prince et son


hkh LES AMOURS DE DEUX BÊTES.

escorte ont beaucoup souffert du voisinage des groupes d'écus, et voilà ce qui nous met aujourdhui dans l'embarras. Enfin, un simple facteur des messageries Ta remis au père Lacrampe qui a bondi de joie... Aussitôt que l'arrivée de ce prince fut officiellement , annoncée au gouvernement français, Esthi, l'un des ministres, en a profité pour arracher des concessions en notre faveur : il a vivement représenté à la commission de la Chambre des députés l'importance de notre établis- sement et la nécessité de le mettre sur un grand pied, et il a si bien parlé, qu'il a obtenu six cent mille francs pour bâtir le palais où devait être logée la race utile de Jarpéado. « Ce sera, monsieur, a-t-il dit au rapporteur, qui par bonheur était un riche droguiste de la rue des Lombards, nous affranchir du tribut que nous payons à l'étranger, et tirer paiti de l'Algérie qui nous coûte des millions. » Un vieux maréchal déclara que, dans son opinion, la possession du prince était une conquête. « Messieurs, a dit alors le rapporteur à la Chambre, sachons semer pour recueillir... » Ce mot eut un grand succès ; car à la Chambre il faut savoir descendre à la hauteur de ceux qui nous écoutent. L'opposition , qui déjà trouvait tant à redire à propos du palais des Singes, fut battue par cette réflexion de nature à être sentie par les propriétaires , quj sont en majorité sur les bancs de la Chambre, comme les huîtres sur ceux de Cancale.

— Quand la loi fut votée, dit le professeur qui, sorti de sa rêverie, écoutait son élève, elle a inspiré un bien beau mot. Je passais dans le Jardin, je suis arrêté, sous le grand cèdre, par un de nos jardiniers qui lisait le Moniteur, et je lui en fis même un reproche ; mais il me répondit que c'était la plus grande des feuilles périodiques. « Est-il vrai, Monsieur, me dit-il, que nous aurons une serre où nous pour- rons faire venir les plantes des deux tropiques et garnie de tous les accessoires nécessaires, fabriqués sur la plus grande échelle? — Oui, mon ami, lui dis-je, nous n'aurons plus rien à envier à l'Angleterre, et nous devons même l'emporter par quelques perfectionnements. — Enfin, s'écria le jardinier en se frottant les mains, depuis la révolution de Juillet, le peuple a fini par comprendre ses vrais intérêts, et tout va fleurir ea France. » Quand il vit que je souriais, il ajouta: « Nos appointements seront-ils augmentés?...

— Hélas ! je viens de la grande serre, monsieur, reprit Jules, et tout est perdu! Malgré nos efforts, il n'y aura pas moyen d'unir Jarpéado à aucune créature analogue; il a refusé celle du Coccus ficus


LES AMOURS DE DEUX BÊTES. U5

caricœ* je viens d'y passer une heure, l'œil sur le meilleur appareil de Dollond, et il mourra.. •

— Oui, mais il mourra fidèle, s'écria la sensible Anna.

— Ma foi, dit Granarius, je ne vois pas la différence de mourir fidèle ou infidèle, quand il s'agit de mourir...

— Jamais vous ne nous comprendrez ! dit Anna d'un ton à fou- droyer son père ; mais vous ne le séduirez pas, iY se refuse à toutes les séductions, et c'est bien mal à vous, monsieur Jules, de vous prêter à de pareilles horreurs. Vous ne seriez pas capable de tant d'amour !.., cela se voit, Jarpéado ne veut que Ranagrida...

— Ma fille a raison. Mais si nous mettions, en désespoir de cause, les langes de pourpre où Jarpéado fut apporté, de son beau royaume de la Cactriane, dans l'état où sont les princes, dix mois avant leur naissance, peut-être s'y trouverait-il encore une Ranagrida.

— Voilà, mon père, une noble action qui vous méritera l'admi- t ration de toutes les femmes.

— Et les félicitations du ministre, donc ! s'écria Jules.

— Et l'étonnement des savants ! répliqua le professeur, sans compter la reconnaissance du commerce français.

— Oui, mais, dit Jules, Planchette n'a-t-il pas dit que l'état où sont les princes onze mois avant leur naissance...

— Mon enfant, dit avec douceur Granarius à son élève en l'inter- rompant, ne vois-tu pas que la nature, partout semblable à elle- même, laisse ainsi ceux du clan des Jarpéado, durant des années ! Oh! pourvu que les sacs d'écus ne les aient pas écrasés...

— Il ne m'aime pas! » s'écria la pauvre Anna, voyant Jules qui, transporté de curiosité, suivit Granarius au lieu de rester avec elle pendant que son père les laissait seuls.


YII

A la grande serre du Jardip des Plantes.

« Puis-je aller avec vous, messieurs? dit Anna, quand elle vil son père revenir, tenant à la main un morceau de papier.


446 LES AMOURS DE DEUX BÊTES.

— Certainement, mon enfant, » dit le professeur avec la bonté qui le caractérisait.

Si Granaiius était distrait, il donnait à sa fille tous les bénéfices de son défaut. Et combien de fois la douceur est-elle de l'indifférence ?... Presque autant de fois que la charité est un calcul.

« Les fleurs que nous avons partagées hier, monsieur Jules, vous ont fait mal à la tête cette nuit, lui dit-elle en laissant aller son père en avant, vous les avez mises sur votre fenêtre après avoir chanté :

Mathilde , idole de mon âme !

Ça n'est pas bien , pourquoi dire Mathilde ?

— Le cœur chantait Anna ! répondit-il. Mais qui donc a pu vous instruire de ces circonstances? demanda-t-il avec une sorte d'effroi. Seriez-vous somnambule ?

— Somnambule ? reprit-elle. Oh ! que voilà bien les jeunes gens de ce siècle dépravé ! toujours prêts à expliquer les effets du sentiment par certaines proportions du fluide électro-magnétique !... par l'abon- dance du calorique...

— Hélas ! reprit Jules en souriant, il en est ainsi pour les Bêtes. Voyez! nous avons obtenu là...» Il montra ? non sans orgueil, la fameuse serre qui rampe sous la montagne du belvédère au Jardin des Plantes. « Nous avons obtenu les feux du tropique, et nous y avons les plantes du tropique, et pourquoi n'avons-nous plus les immenses Animaux dont les débris reconstitués font la gloire de Cuvier ? C'est que notre atmosphère ne contient plus autant de carbone, ou qu'en fils de famille pressé de jouir notre globe en a trop dissipé... Nos sentiments sont établis sur des équations.. .

— Oh ! science infernale ! s'écria la jeune fille. Aimez donc dans ce Jardin, entre le cabinet d'anatomie comparée et les éprouvettes, où la chimie zoologique estime ce qu'un Homme brûle de carbone en gravissant une montagne ! Vos sentiments sont établis sur des équations de dot ! Vous ne savez pas ce qu'est l'amour, monsieur Jules...

— Je le sais si bien que, pour approvisionner notre ménage, si vous vouliez de moi pour mari, mademoiselle, je passe mon temps à me rôtir comme un marron, l'œil sûr un microscope, examinant le seul Jarpéado vivant que possède l'Europe, et s'il se marie, si ce conte de fée finit par : et ils eurent beaucoup d'enfants, nous nous marierons


LES AMOURS DE DEUX BÊTES. hkl

aussi, j'aurai la croix de la Légion d'honneur, je serai professeur adjoint, j'aurai le logement au Muséum, et trois mille francs d'appoin- tements, j'aurai sans doute une mission en Algérie, afin d'y porter cette culture, et nous serons heureux... Ne vous plaignez donc pas de ' l'enthousiasme que me cause le prince Jarpéado...

— Ah ! c'était donc une preuve d'amour quand il suivi mon père , » pensa la jeune fille en entrant dans la grande serre.

Elle sourit alors à Jules, et lui dit à Poreille :

« Eh bien, jurez-moi, monsieur Jules, de m'être aussi fidèle que Jarpéado l'est à sa race royale, d'avoir pour toutes les femmes * le dédain que le prince a eu pour la princesse de Las Figuieras> et je ne serai plus inquiète ; et quand je vous verrai fumant votre cigare au soleil et regardant la fumée, je dirai...

— Vous direz : Il pense k moi ! s'écria Jules. Je le jure... »

Et tous deux ils accoururent à la voix du professeur qui jeta solen- nellement le petit bout de papier au sein du premier nopal que le Jardin des Plantes y ait vu fleurir, grâce aux six cent mille francs accordés par la Chambre des députés pour bâtir les nouvelles serres.

« Ce être donc oune serre-popiers ! dit un Anglais jaloux qui fut témoin de cette opération scientifique.

— Chauffez la serre, s'écria Granarius ; Dieu. veuille qu'il fasse bien chaud aujourd'hui ! La chaleur, disait Thouin, c'est la vie ! »


VIII

Lo Paul et Virginie des Animaux.

Le lendemain soir, Anna , quand fut venue l'heure de la fermeture des grilles, se promena lentement sous les magnifiques ombrages de la grande allée, en respirant la Chaude vapeur humide que les eaux de la Seine mêlaient aux exhalaisons du jardin, car il avait fait une journée caniculaire où le thermomètre était monté à un nombre de degrés majuscule, et ce temps est un des plus favorables aux extases. Pour éviter toute discussion à cet égard et clore le bec aux Geais de la critique, il nous sera permis de faire observer que les fameux solitaires des premiers temps de l'Église ne se sont trouvés que dans les ardents


448 LES AMOURS DE DEUX BÊTES.

rochers de l'Afrique, de l'Egypte et autres lieux incandescents; que les Santons et les Faquirs ne poussent que dans les contrées les plus opiacées, et que saint Jean grillait dans Pathmos. Ce fut par cette

1 raison que mademoiselle Anna, lasse de respirer cette atmosphère embrasée où les Lions rugissaient, où l'Éléphant bâillait, où la Girafe elle-même, cette ardente princesse d'Arabie, et les Gazelles, ces Hirondelles à quatre pieds, couraient après leurs sables jaunes absents, s'assit sur la marge de pierre brûlante d'où s'élancent les murs dia- phanes de la grande serre, et y resta charmée, attendant un moment de fraîcheur, et ne trouvant que les bouffées tropicales qui sortaient de la serre comme des escadrons fougueux des armées de Nabuchodonosor, cet Homme que la chronique représente sous la forme d'une Bête, parce qu'il resta sept ans enseveli dans la zoologie, occupé de classer les espèces, sans se faire la barbe. On dira,, dans six cents ans d'ici, que Cuvier était une espèce de tonneau objet de l'admiration des savants.

A minuit, l'heure des mystères, Anna, plongée dans son extase et les yeux touchés par le Géant Microscopus, revit les vertes prairies du Nopalistan. Elle entendit les douces mélodies du royaume des Infiniment Petits et respira le concert de parfums perdu pour des organes fatigués par des sensations trop actives. Ses yeux, dont les conditions étaient changées, lui permirent de voir encore les mondes inférieurs : elle aperçut un Volvoce à cheval qui tâchait d'arriver au but d'un steeplechase, et que d'élégants Cercaires voulaient dépasser; mais le but ce steeple-chase était bien supérieur à celui de nos dandys, car il s'agissait de manger de pauvres Vorticelles qui naissaient dans les fleurs, à la fois Animaux et fleurs, fleurs ou Animaux ! Ni Bory- Saint-Vincent, ni Muller, cet immortel Danois qui a créé autant de mondes que Dieu même en a fait, n'ont pris sur eux de décider si la Vorticelle était plus Animal que plante ou plus plante qu'Animal. Peut- être eussent-ils été plus hardis avec certains Hommes que les cochers

. de cabriolet appellent melons, sans que les savants aient pu deviner à quels caractères ces praticiens des rues reconnaissent l'Homme-Légume. L'attention d'Anna fut bientôt attirée par l'air heureux du prince Jarpéado, qui jouait du luth en chantant son bonheur par une romance digne de Victor Hugo. Certes cette cantate aurait pu figurer avec honneur dans les Orientales, car elle était composée de onze cent onze stances, sur chacune des onze cent onze beautés de Zashazli (pro- noncez Virginie), la plus charmante des filles Ranagridiennes. Ce nom,


LES AMOURS DE DEUX BÊTES.


MO



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Le but de ce steeple-chase était...


de même que les noms persans , avait une signification , et voulait dire vierge faite de lumière. Avant de devenir cinabre, minium, enfin tout ce qu'A y a de plus rouge au monde, cette précieuse créature était destinée aux trois incarnations entomologiques que subissent toutes les créatures de la Zoologie, y compris l'Homme.

La première forme de Virginie restait sous un pavillon qui aurait stupéfait les admirateurs de l'architecture moresque ou sarrasine, tant

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LES AMOURS DE DEUX BÊTES.


il surpassait les broderies de l'Alhambra, du Généralife et des plus célèbres mosquées. (Voir, au surplus s V album du Nopalistan orné de sept mille gravures.) Situé dans une profonde vallée sur les coteaux de



laquelle s'élevaient des forêts immenses, comme celles que Chateaubriand a décrites dans Atala, ce pavillon se trouvait gardé par un cours d'eau parfumée, auprès de laquelle l'eau de Cologne, celle de Portugal et d'autres cosmétiques sont tout juste ce que l'eau noire , sale et puante


LES AMOURS DE DEUX BÊTES. 451

de la Bièvre est à l'eau de Seine filtrée. De nombreux soldats habillés de garance, absolument comme les troupes françaises, gardaient les abords de la vallée en aval , et des postes non moins nombreux veillaient en amont. Autour dû pavillon, des Bayadères dansaient et chantaient. Le prince allait et venait très-effaré, donnant des ordres multipliés. Des sentinelles, placées à de grandes distances, répétaient les mots d'ordre. En effet, dans l'état où elle se trouvait, la jeune personne pouvait être la proie d'un Génie féroce nommé Misocampe. Vêtu d'un corselet comme les hallebardiers du moyen âge, protégé par une robe verte d'une dureté de diamant, et doué d'une figure terrible, le Misocampe, espèce d'ogre, jouit d'une férocité sans exemple. Loin de craindre mille Jar- péadiens, un seul Misocampe se réjouit de les rencontrer en groupe, il n'en déjeune et n'en soupe que mieux. En voyant de loin un Miso- campe, la pauvre Anna se rappela les Espagnols de Fernand Cortez débarquant au Mexique. Ce féroce guerrier a des yeux brillants comme des lanternes de voiture, et s'élance avec la même rapidité, sans avoir besoin, comme les voitures, d'être aidé par des chevaux, car il a des jambes d'une longueur démesurée , fines comme des raies de papier à musique et d'une agilité de danseuse. Son estomac, transparent comme un bocal, digère en même temps qu'il mange. Le prince Paul avait publié des proclamations affichées dans toutes les forêts , dans tous les villages du Nopalistan, pour ordonner aux masses intelligentes de se précipiter entre le Misocampe et le pavillon, afin d'étouffer le Monstre ou de le rassasier. Il promettait l'immortalité aux morts , la seule chose qu'on puisse leur offrir. La fille du professeur admirait l'amour du prince Paul Jarpéado qui se révélait dans ces inventions de haute politique. Quelle tendresse! quelle délicatesse ! La jeune princesse ressemblait parfaitement aux babys emmaillottés que l'aristocratie anglaise porte avec orgueil dans Hyde-Park, pour leur faire prendre l'air. Aussi l'amour du prince Paul avait-il toutes les allures de la maternité la . plus inquiète pour sa chère petite Virginie, qui cependant n'était encore qu'un vrai baby.

« Que sera-ce donc, se dit Anna, quand elle sera nubile ? » Bientôt le prince Paul reconnut en Zashazli les symptômes de la crise à laquelle sont sujettes ces charmantes créatures. Par ses ordres, des capsules chargées de substances explosibles annoncèrent au monde entier que la princesse allait, jusqu'au jour de son mariage, se ren- fermer dans un couvent. Selon l'usage, elle serait enveloppée de voiles


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LES AMOURS DE DEUX BÊTES.



c?iG.\OT.


gris et plongée dans un profond sommeil, pour être plus facilement soustraite aux enchantements qui pouvaient la menacer. Telle est la volonté suprême de la fée Physine, qui a voulu que toutes les créations, depuis les êtres supérieurs aux Hommes, et même les Mondes, jusqu'aux Infiniment Petits, eussent la même loi. D'invisibles religieuses roulèrent la petite princesse dans une étoffe brune, avec la délicatesse que les esclaves de la Havane mettent à rouler les feuilles blondes des


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cigares destinés à George Sand ou à quelque princesse espagnole. Sa tête mignonne se voyait à peine au bout de ce linceul dans lequel elle resta sage, vertueuse et résignée. Le prince Paul JarpéadQ demeura sur le seuil du couvent, sage, vertueux et résigné, mais impatient! Il res- semblait à Louis XV qui, devinant dans une enfant de sept ans, assise avec son père sur la terrasse des Tuileries, la belle mademoiselle de Romans telle qu'elle devait être à dix-huit ans, en prit soin et la fit élever loin du monde.

Anna fut témoin de la joie du prince Paul quand, semblable à la Vénus antique sortant des ondes, Virginie quitta son linceul doré. Comme TÈve de Milton, qui est une Eve anglaise, elle sourit à la lumière, elle s'interrogea pour savoir si elle était elle-même, et fut dans l'enchantement de se voir si comforlable. Elle regarda Paul et dit : « Oh!... » ce superlatif de l'étonnement anglais.

Le prince s'offrit avec une soumission d'esclave à lui montrer le chemin dans la vie, à travers les monts et les vallées .de son empire.

« toi qufsj^ai pendant si longtemps attendue, reine de mon cœur, bénis par tes regards et les. sujets et le prince ; viens enchanter ces lieux par ta présence,' »

Paroles qui sont si profondément vraies, qu'elles ont été mises en musique dans tous les opéras !

Virginie se laissa conduire en devinant qu'elle était l'objet d'une adoration infinie,- et marcha d'enchantements en enchantements, écou- tant la voix sublime de la nature, admirant les hautes collines vêtues de fleurs embaumées et d'une verdure éternelle, mais encore plus sen- sible aux soins touchants de son compagnon. Arrivée au bord d'un lac joli comme celui de Thoune, Paul alla chercher une petite barque faite en écorce et d'une beauté miraculeuse. Ce charmant esquif, semblable à la coque d'une viole d'amour, était rayé de nacre incrustée dans la pellicule brune de ce tégument délicat. Jarpéado fit asseoir sa chère bien-aimée sur un coussin de pQurpre, et traversa le lac dont l'eau ressemblait à un diamant avant d'être rendu solide.

« Oh ! qu'ils sont heureux ! dit Anna. Que ne puis-je comme eux voyager en Suisse et voir les lacs !... »

L'opposition du Nopalistan a prétendu, dans le Charivari de la

capitale, que ce prétendu lac. avait été formé par une gouttelette

tombée d'une vitre située à onze cents milles de hauteur, distance

équivalant à trente-six mètres de France. Mais on sait le cas que les


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LES AMOURS DE DEUX BÊTES.



amis du gouvernement doivent faire des plaisanteries de l'opposition. Paul offrait à Virginie les fruits les plus mûrs et les meilleurs, il les choisissait, et se contentait des restes, heureux de boire à la même tasse. Virginie était d une blancheur remarquable et vêtue d'une étoffe lamée de la plus grande richesse; elle ressemblait à cette fameuse Esméralda tant célébrée par Victor .Hugo. Mais Esméralda était une femme, et Virginie était un ange. Elle n'aurait pas, pour la valeur d'un monde, aimé l'un des maréchaux de la cour, et encore moins un colonel. Elle ne voyait que Jarpéado, elle ne pouvait rester sans le voir, et comme il ne savait pas refuser sa chère Zashazli, le pauvre


LES ÀMOURS'DE DEUX BÊTES. 455

Paul fut bientôt sur les dents, car, hélas ! dans toutes les sphères, l'amour n'est illimité que moralement. Quand, épuisé de fatigue, Paul s'endormit, Virginie s'assit près de lui, le regarda dormant, en chassant les Vorticelles aériennes tjui pouvaient troubler son sommeil. N'est-ce pas une des plus douces scènes de la vie privée ? On laisse alors l'âme s'abandonner à toute la portée de son vol, sans la retenir dans les conventions de la coquetterie. On aime alors ostensiblement autant qu'on aime secrètement. Quand Jarpéado s'éveilla, ses yeux s'ou- vrirent sous la lumière de ceux de Virginie, et il la surprit exprimant sa tendresse sans aucun des voiles dont s'enveloppent les femmes à l'aide des mots, des gestes ou des regards. Ce fut une ivresse si contagieuse, que Paul saisit Virginie, et ils se livrèrent à une sara- bande d'un mouvement qui rappelait assez la gigue des Anglais. Ce qui prouve que dans toutes les sphères, par les moments de joie exces- sive où l'être oublie ses conditions d'existence, on éprouve le besoin de sauter, de danser ! (Voir les Considérations sur la pyrrhique des anciens, par M. Cinqprunes de Vergettes, membre de l'Institut.) En Nopalistan comme en France, les bourgeois imitent la cour. Aussi dansait-on jusque dans les plus petites bourgades.

Paul s'arrêta frappé de terreur.

« Qu'as-tu, cher amour? dit Virginie.

— Où allons -nous? dit le prince. Si tu m'aimes et si je t'aime, nous aurons de belles noces ; mais après ?... Après, sais-tu, cher ange, quel sera ton destin ? •

— Je le sais, répondit-elle. Au lieu de périr sur un vaisseau, comme la Virginie delà librairie, ou dans mon lit, comme Clarisse, ou dans un désert, comme Manon Lescaut ou comme. Atala, je mourrai de mon prodigieux enfantement, comme sont mortes toutes les mères tle mon espèce : destinée peu romanesque. Mais t'aimer pendant toute une saison, n'est-ce pas le plus beau destin du monde? Puis mourir jeune avec toutes ses illusions, avoir vu cette belle nature dans son printemps, laisser une nombreuse et superbe famille, enfin obéir à Dieu ! quelle plus splendide destinée y a-t-il sur la terre ? Aimons, et laissons aux Génies à prendre soin de l'avenir. »

Cette morale un peu décolletée fit son effet. Paul mena sa fiancée au palais où resplendissaient les lumières, où tous les diamants de sa couronne étaient sortis du garde-meuble, et où tous les esclaves de son empire, les Bayadères échappées au fléau du Vol voce, dansaient et


456 LES AMOURS DE DEUX BÊTES.

chantaient. C'était cent fois plus magnifique que les fêtes de la grande allée des Champs-Elysées aux journées de Juillet. Un grand mou- vement se préparait. Les Neutres, espèce de sœurs grises chargées de veiller sur les enfants à provenir du mariagfe impérial, s'apprêtaient à leurs travaux. Des courriers partirent pour toutes les provinces y annoncer le futur mariage du prince avec Zashazli la Ranagridienne et demander les énormes provisions nécessaires à la subsistance des principicules. Jarpéado reçut les félicitations de tous les corps d'État et fit un millier de fois la même phrase en les remerciant. Aucune des cérémonies religieuses ne fut omise, et le Prince paul y mit des façons pleines de lenteur, par lesquelles il prouva son amour, car il ne pouvait ignorer qu'il perdrait sa chère Virginie, et son amour pour elle était plus grand que son amour pour sa postérité.

« Ah ! disait-il à sa charmante épouse, j'y vois clair maintenant. J'aurais dû fonder mon empire avec Finna, et faire de toi ma maîtresse idéale. Virginie ! n'es-tu pas l'idéal, cette fleur céleste dont la vue nous suffit ? Tu me serais alors restée, et Finna seule aurait péri. »

Ainsi, dans son désespoir, Paul inventait la bigamie, il arrivait aux doctrines des anciens de l'Orient en souhaitant une femme chargée de faire la famille, et une femme destinée à être la poésie de sa vie, admirable conception des temps primitifs qui, de nos jours, passe pour être une combinaison immorale. Mais la reine Jarpéada rendit ces souhaits inutiles. Elle recommença plus voluptueusement encore la scène de Finna, sur le même terrain, c'est-à-dire sous les ombrages odoriférants du parc, par une nuit étoilée où les parfums dansaient leurs boléros, où tout inspirait l'amour. Paul, dont la résistance avait été héroïque aux .prestiges de Finna, ne put se dispenser d'emporter alers la reine Jarpéada dans un furieux transport d'amour.

« Pauvres petites bêtes du bon Dieu ! se dit Anna, elles sont bien heureuses, quelles poésies !... L'amour est la loi des mondes inférieurs, aussi bien que des mondes supérieurs ; tandis que chez l'Homme, qui est entre les Animaux et les Anges, la raison gâte tout ! »


LES AMOURS DE DEUX BÊTES. 457


IX

Où apparaît une certaine demoiselle Pigoiieau.

Pendant que ces choses tenaient la fille de Granarius en émoi, Jules Sauvai se répandait dans les sociétés du Marais, conduit par sa tante, qui tenait à lui faire faire un riche* établissement. Par une belle soirée du mois d'août, madame Sauvai obligea son neveu d'aller chez un monsieur Pigoizeau, ancien bimbelotier du passage de l'Ancre, qui s'était retiré du commerce avec quarante mille livres de rente, une maison de campagne à Boissy-Saint-Léger et une fille unique âgée de vingt-sept ans, un peu rousse, mais à laquelle il donnait quatre cent mille francs; fruit de ses économies depuis neuf ans, outre les espé- rances consistant en quarante mille francs de rente, la maison de campagne et un hôtel qu'il venait d'acheter rue de Vendôme, au Marais. Le dîner fut évidemment donné pour le célèbre naturaliste, à qui Pigoizeau, très-bien avec le chef de l'État, voulait faire obtenir la croix de la Légion d'honneur. Pigoizeau tenait à garder sa fille £t son gendre avec lui ; mais il voulait un gendre célèbre , capable de devenir professeur, de publier des livres et d'être l'objet d'articles dans les journaux.

Après le dessert, la tante prit son neveu Jules parle bras, l'emmena dans le jardin et lui dit- à brûle-pourpoint :

« Que penses-tu d'Amélie Pigoizeau ?

— Elle est effroyablement laide, elle a le nez en trompette et des taches de rousseur.

— Oui, mais quel bel hôtel!

— De gros pieds.

— Maison à Boissy-Saint-Léger, un parc de trente hectares, des grottes, une rivière.

— . Le corsage plat.

— Quatre cent mille francs.

— Et bête!....

-r- Quarante mille livres de rente, et le bonhomme laissera quelque cinq cent mille francs d'économies.

— Elle est gauche.

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LES AMOURS DE DEUX BÊTES.



Mademoiselle Pigoizeaii.


— Un homme riche devient infailliblement professeur et membre de F Institut.

— Eh bien ! jeune homme, dit Pigoizeau, Ton dit que vous faites des merveilles au Jardin des Plantes, que nous vous devrons une con- quête... J'aime les savants ! moi... Je ne suis pas une ganache. Je ne veux donner mon Amélie qu'à un hojnme capable, fût-il sans un sou, et eût-il des dettes... »

Rien n'était plus clair que ce discours, en désaccord avec toutes les idées bourgeoises.


LES AMOURS DE DEUX BÊTES. 459


Où mademoiselle Anna s'élève aux plus hautes considérations.

A quelques jours de là, le soir, chez le professeur Granarius, Anna boudait et disait à Jules : « Vous n'êtes plus aussi fidèle à la serre, et vous vous dissipez ; on dit qu'à force d'y voir pousser la cochenille, vous vous êtes pris d'amour pour le rouge, et qu'une demoiselle Pigoi- zeau vous occupe*..

— Moi ! chère Anna, moi ! dit Jules un peu troublé. Ne savez-vous pas que je vous arme...

— Oh! non, répondit Anna; chez vous autres savants, comme chez les autres Hommes, la raison nuit à l'amour. Dans la nature, on ne pense pas à l'argent, on n'obéit qu'à l'instinct, et la route est si aveuglément "suivie , si inflexiblement tracée, que si la vie est uni- forme, du moins les malheurs y sont impossibles. Rien n'a pu décider ce charmant petit être, vêtu de pourpre, d'or, et paré de plus de diamants que n'en a porté Sardanapale, à prendre pour femme une créature autre que celle qui était née sous le même rayon de soleil où il avait pris naissance ; il aimait mieux périr plutôt que de ne pas épouser sa pareille, son âme jumelle; et vous!... vous allez vous mariera une fille rousse, sans instruction, sans taille, sans idées, sans manières, qui a de gros pieds, des taches de rousseur et qui porte des robes reteintes, qui fera souffrir vingt fois par jour votre amour-propre, qui vous écorchera les oreilles avec ses sonates. »

Elle ouvrit son piano, se mit à jouer des variations sur la Dernière pensée de Weber de manière à satisfaire Chopin, si Chopin l'eût enten- due. N'est-ce pas dire qu'elle -enchanta le monde des Araignées mélo- manes, qui se balançait dans ses toiles au plafond du cabinet de Granarius, et que les Fleurs. entrèrent par la fenêtre pour l'écouter?

« Horreur! dit-elle ; les Animaux ont plus d'esprit que les savants qui les mettent en bocal. »

Jules sortit la mort dans le cœur, car le talent et la beauté d'Anna, le rayonnement de cette belle âme , vainquirent le concerto tintinnulant que. faisaient les écus de Pigoizeau dans sa cervelle.


660 l LES AMOURS DE DEUX BÊTES.


XI


Conclusion.

« Ah ! s'écria le professeur Granarius, il est question de nous dans les journaux. Tiens, écoute, Anna:

« Grâces aux efforts du savant professeur Granarius [et de son habile « adjoint, monsieur Jules Sauvai, on a obtenu sur le Nopal de la grande « serre, au Jardin des Plantes, environ dix grammes de cochenille, « absolument semblable à la plus belle espèce de celle qui se recueille « au Mexique. Nul doute que cette culture fleurira dans nos posses- « sions d'Afrique et nous affranchira du tribut que nous payons au « nouveau monde. Ainsi se trouvent justifiées lés dépenses de la grande « serre, contre lesquelles l'Opposition à tant crié, mais qui rendront « encore bien d'autres services au commerce français et à l'agriculture. « M. J. Sauvai, nommé chevalier de la Légion d'honneur, se propose « d'écrire la monographie du genre Coccus. »

— Monsieur Jules Sauvai se conduit bien mal avec nous, dit Anna, car vous avez commencé la monographie du genre Coccus...

— Bah ! dit le professeur, c'est mon élève. »

Pour copie conforme,

De Balzac.


English public domain translation

THE I_(OVE OF Two lN3ECTg.

PRESENTED AS AN EXAMPLE TO WISE MEN*


SENTIMENTAL HISTORY OF ANIMALS.

I. PROFESSOR GRANARIUS.

"CERTAINLY," said Professor Granarius, one evening while seated beneath his limes, " no- thing is more curious than the conduct of Jarpeado. In truth, if the French followed his ex- ample, we should have no need of codes, mandates, sermons, or social gatherings, for the advancement of mankind. No- thing proves more conclusively that reason alone the attribute of which men are so proud is the prime cause of all the evils of Society."

Miss Anna Granarius, who was devotedly attached to a poor student, could not help blushing deeply, for her skin was fair and delicate. Anna was the typical

  • The distinguished animal to whom we owe this history designed to show that

the creatures so boldly named stupid by men, and in reality superior to human beings desires to remain anonymous. It may nevertheless be said, that he is a creature who held a very high place in the affections of Miss Anna Granarius, and that he belongs to the sect of reasoning animals, for whose members she had the greatest esteem. ED.



THE LOVES OF TWO INSECTS. 269

heroine of a Scotch novel, the profound depths of her blue eyes almost betokening "Second-sight." By the candid and caught look of the professor, she perceived he had said one of those foolish things which frequently fall from the lips of scientific dreamers. Leaving her father to follow out his dream on the depravity of human reason, she bent her steps to a favourite spot in the Jardin des Plantes which was closed for the night, as the month was July and the hour half- past eight.

" What does my father mean to say about this Jarpeado who turns his head ? " she inwardly inquired, seating herself outside a hothouse. Pretty Anna remained pensively rooted to the seat, while her fcther, absorbed in his own thoughts, never missed her presence. The maiden was endowed with a highly strung nervous temperament which, had she lived four hundred years ago, would have brought her to the stake in the Place de Greve. But happily for her, she was born in more enlightened times.

II.

That which Prince Jarpeado found most extraordinary in Paris, was himself, like the dodge of G6nes at Versailles. He was undoubtedly a fine fellow, though small, remarkable for the classic beauty of his features. His legs might have been doubtful, a trifle or so bandy, but they were encased in boots garnished with precious stones and fixed up on three sides a la poulaine. On his back, as was the usage of Castraine, in his country, he carried a cape which cast into the shade those worn by the ecclesiastics of Charles X. It was covered with aberesques of diamonds on a ground of lapis-lazuli, divided into two equal parts like the two flaps of a trunk. These flaps were fastened by a gold clasp, and displayed like the priestly surplice, in token of dignity, for he was prince of Coccirubri. He wore a pretty necklace of sapphire and two aigrettes infinitely finer than any of the feathers in the caps of European potentates worn on State occasions.

Anna thought him charming, only his two arms were rather short and slender for embracing. This slight defect, however, was carried off by the rich carnation of his royal blood. Anna soon found out what her father meant, by witnessing one of those mysterious things which pass unnoticed in this terrible Paris, at once so full and so empty, so foolish and so wise, so preoccupied and so much on the alert, yet always so fantastic.


270 PUBLIC AND PRIVATE LIFE OF ANIMALS.


III.

The three thousand windows of this glass palace exchanged glances of moonlight so bright that the edifice seemed glowing at a white heat, ablaze with the fire, kindled by the rising orb which so fre- quently deceives the traveller. The cactus was breathing forth a store of strange odour, the vanilla its sweet perfume. The volcaneria dis- tilled the vinous heat from its tufts, the jessamine exhaled a poetic fragrance, the magnolia intoxicated the air, while the aroma of the datura advanced with the pomp of a Persian king, and the powerful Chinese lily sent her breath onward with an overpowering force that assimilated all the other odours of the flowery scene.

The perfume-laden air stood motionless to feast upon the spectacle presented by a troop of midnight spirits, as they rose from an en- chanted spot shaded by a grove of bananas, whose wide-spreading leaves formed a canopy gilded by a phosphorescent light. Soft streams of music floated around, gently awakening the spirits to their nocturnal revels. Suddenly the lights fell on a patch of green cactus, revealing the gay form of Prince Jarpeado exposed to the witchery of the fairy queen and her gorgeous attendants, robed in costumes so aerial as to disclose the full charms of their lovely forms. Phantom-Crickets sang love-ditties in the daintiest retreats, while a choir of winged musicians chanted the praises of the prince, who stood unmoved by the seductive art of this witching band. The passion-imbued glance of the queen fell, shivered against the armour of Jarpeado' s true heart, where, enshrined in all its artless purity, he treasured the image of the fair Anna. The music ceased, and in a silvery voice the queen, radiant with an unearthly beauty, exclaimed

" Jarpeado ! Jarpeado ! receive the homage of the fairy queen whose heart thou hast won."

The moment was enchanting. The perfumed breeze wooed the flashed cheek of the prince, and whispered love. Jarpeado stood irresolute. It was but for an instant, when rousing himself from the subtle influences that were kindling a fire of unworthy passion in his breast, he replied

"Fair spirit, whose unearthly radiance lays siege to a true heart, and who with cunning and skill have sought out the weak points of my armour, all thine arts, wiles, arid hellish tricks can never quench my love for the fair Anna,"


THE LOVES OF TWO INSECTS.


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272 PUBLIC AND PRIVATE LIFE OF ANIMALS.

Scarcely had the last word escaped his lips, when the weird scene was blotted out from his gaze, and a ghastly green light disclosed a slimy waste alive with crawling monads, and all the simplest forms of life. The balmy air was chilled and its fragrance replaced by the noxious breath of animal decay. A flash of lightning and peal of thunder heralded the approach of a monster with mouth wide open, dark and deep as the bottomless pit, his horns erect, his tail fiercely sweeping the waste ; onward he came, spreading terror around, and leaving death in his train.

This was the Valvos, which preyed like cholera on the people, but the prince escaped, saved by a fair maiden.

" Daughter of my country ! " he exclaimed, " my deliverer, cruel destiny stands between us ; I cannot wed thee."

The scene changed, and Anna was transported unseen to the attic of her lover, the poor pupil of Granarius. Bent over his books, for a moment he raised his head, crying out

" Oh ! if Anna would only wait for me ; in three years I shall have the cross of the Legion of Honour. I feel, I know, I shall solve this entomological problem, and succeed in transporting to Algeria the culture of the Cocus Cacti. Good heavens ! that would be a conquest."

Anna awoke and found herself in bed, she had dreamed a dream. But who was this Jarpeado of whom her father constantly spoke ? She hastened to ask the old professor. It was necessary to be careful, she must watch, and after breakfast seize one of his lucid intervals ; for in his normal condition, her father's mind was absent exploring the fathomless depths of science. Seated at the breakfast table she exclaimed

" Father !" just as the professor was putting a spoonful of salt into his coffee "what are you thinking about ?"

" Well, Anna, dear, I was investigating the subject of monads, or rather the nature of these simple inorganic forms, twelve months before birth, and I come to the conclusion that "

" That my dear father, if you succeed in introducing one of these ridiculous creatures to the scientists of Paris, you will both be decorated. But who, tell me, is this Prince Jarpeado 1 "

" Prince Jarpeado is the last of the dynasty of the Cactriane," replied the worthy professor, who employed allegory in addressing his daughter, forgetful that her mind had matured, and she had ceased to play with dolls ; " a large country, basking in the sun's rays, and


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having a longitude and latitude matters these you do not comprehend. The country is populous as China, and like that unhappy land, subject to periodical inundations, not of cold water, but of hot water, let loose by the hand of man. This depopulates the land, but nature has so provided that a single prince may alone repair the damage. This reminds me of something I discovered ten years ago in connection with Infusoria, the Rotafera of Cuvier, they "

" Yes. But the prince, the prince !" cried Anna, fearing lest her father should fall into a reverie and she would hear nothing more.

" The prince," replied the old professor, giving a touch to his wig, " escaped thanks to the French Government from the destroying flood, and he has been brought up without consulting his future, away from his fair realm. He was transported in his undeveloped form to my illustrious predecessor Sacrampe the inventor of Ducks.

" Jarpeado came here at the request of the Government on a bed of dust, made up of millions of his father's subjects, embalmed by the Indians of Gualaca, not one of the nymphs of Rubens, not one of Mieris' pretty girls has been able to dispense with the mummies of this race. Yes, my child, whole populations deck the lips which smile upon or defy you from each canvas. How would you like the freak of some giant painter who would take generations of human beings on his palette, crushing them to produce the colours of an immense fresco ? Heaven forbid that it should be so ! " Here the professor fell into a profound reverie as was his wont after uttering the word heaven.

The pupil of Granarius, Jules Sauval, entered. If you have ever met one of those modest young fellows devoted to science, knowing much, yet possessing a certain simplicity, which, although charming, does not prevent him from being the most ambitious creature in the world, an innocent who would turn the earth upside down about a hyo'ide bone, or a univalve shell. If you have seen a youth of this type, then you know Jules Sauval. He was as candid as he was p 0or candour goes when fortune comes. He venerated Professor Granarius as a father, and admired in him the disciple , of the great Geoffroy St. Hilaire. Blessed be science, Jules Sauval would have just been the same, even supposing the professor had no pretty daughter Anna. He was a second Jarpeado alive among the dry bones and debris of antiquity. Just as the Coccus cacti the subjects of Jarpeado had been crushed to lend a glow of life to the L finest works of art, so the young student identified himself with defunct organisms in


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order that science might all the more faithfully picture the forms arid colours of pre-historic life. Like Jarpeado, Jules Sauval had his loves, he admired the fair Anna as a perfect type of a highly-organised sensi- tive animal so he said.

In common with the professor he was intent upon uniting this red prince to some analagous creature. The men of science had come down to the level of the members of the Chamber of Deputies, and talked them into erecting a spacious hothouse to contain the finest plants of the tropics. Within its glass walls the illustrious professor has found a solitary living specimen of the Coccus cacti Cochineal Jarpeado, whose habits they had studied so profoundly as to discover that the prince was endowed with pride of race, and passion of senti- ment, opposed to his union with any partner saving a princess of his own vermilion blood.

"Alas! Professor," exclaimed Jules, "I have just left the glass- house, and all is lost ! There is no possibility of uniting Jarpeado to any living creature, he refused the Coccus ficus caricce. I had them under our best microscope."

Ah, you horrid creature ! " cried Anna. "This is then a prince of the insect world, and yet his history is interesting. I might have known he was no human being, since you say he will die faithful to his first love."

" Hush, child," said Granarius, " I fail to note the difference between dying faithful and unfaithful, when it is a question of dying."

" You will never understand me, sir," said Anna, in a tone which startled the mild professor, " and as for you, Mr. Jules, all your science and all your charms will never tempt the prince to prove unfaithful. You, sir, shall never be capable of love such as his. A little less science and a trifle more common sense would have suggested keeping him among the dust of his defunct ancestors, where, perchance, he left his living partner, or will find another of red-royal blood.

The professor and his pupil elated by this marvellous suggestion hastened to replace Jarpeado in the dust from which he had been taken.

Alas ! sighed Anna, Jules loves me not, else he would have lingered with me to tell his love. I made the path clear for him. Yet he perceived it not, but has gone with my father to speculate on the introduction of this scarlet Coccus cacti dynasty into Algeria. Follow- ing them to the large hothouse in the Jardin des Plantes, Anna


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observed her father consigning the small paper of Coccus cacti dust into the centre of the first nopal that had flowered.

A jealous Englishman, witness of this scientific operation, remarked in passing, " This old fool uses the plant as a portfolio ! "

" Heat the house well," cried Granarius, as he fell into a profound reverie-, leaving his daughter and Jules to talk of love, or science.

" So, Mr. Jules, you have ceased to love me," said Anna.

" Nay," replied Jules, " I do not think you do me justice, but I have come to the conclusion that sentiment, or passion, in all animals, follows a fixed natural law, and being divided between two creatures ought to form a perfect equation."

" Oh, infernal science ! thus to bamboozle a poor brain. Probably your sentiments are established on the equation of dowry, and you have yet to learn what love is, Mr. Jules. If you do not take care, science will claim possession, not only of your soul, but of your body, and you will become a beast like Nebuchadnezzar. History relates that he assumed this form because he devoted seven years to zoology in classing the different species, without once pausing to trim his beard. Six hundred years hence it will be said of certain zoologists that they were advanced types of the Orang-outang who stuck up for their race, and for themselves as examples of progression."

Jules was called away by the professor, while Anna, turning to a huge microscope, beheld a new world of creatures, invisible to the naked eye. There she saw the Volvoce engaged in a steeple-chase, mounted on an animal making for the winning post. Many elegant Cercairse were on the course, the prize being infinitely superior to that of the Derby ; for the winner was to feast on the Vorticella, at once animals and flowers. Neither Bory, Saint Vincent, nor Miiller that immortal Dame have taken it upon themselves to decide whether the Vorticella is more plant than animal ; had they been bolder they might have drawn valuable conclusions from the man vegetable known to coachmen as melon.

Anna was soon drawn from the contemplation of this little world to the fortunes of Jarpeado, who, in her vivid imagination, had become the hero of a fairy tale. He had at last discovered the object of his affections in a nursling of his tribe, over whom he watched as she lay in state beneath a perfumed pavilion, awaiting the incarnation common alike to heathen deities and zoological creatures. They were the Paul and Virginia of insect life. The pavilion was guarded by soldiers


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attired in madder. The prince proved himself a wise general, as well as ardent lover, for in order to protect his domain against a powerful-




winged foe called the Muscicapa, he ordered all his intelligent subjects to throw themselves in such numbers on the monster, as to choke him,


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or else satisfy his hunger. For this service he promised decorations and titles ; that was all he had to offer. The breast of Anna was filled with admiration of these cheap and valuable political inventions.

Invisible nuns shrouded the little princess in grey veils, so that nothing but her head was seen as she lay in state, awaiting her new winged life. Anna witnessed the joy of Paul, when, like Venus rising from the waves, Virginia quitted her winding sheet, and like Milton's Eve who is a real English Eve smiled on the light, and looking at Paul, exclaimed, "Oh ! " this superlative of English astonishment. The prince, with a slave's submission, offered to show the fair one the path of life, across the hills and dales of his empire.

Virginia, growing in loveliness and in the prince's affections, returned his care with caresses, while Paul ministered to her wants, bringing the ripest fruits for her food; and they at last embarked in a little skiff, on a lake bright as a diamond, and hardly larger than a drop of water. Virginia was arrayed in a bridal robe of brilliant stripes and great richness, her appearance recalling the famous Esmeralda, celebrated by Victor Hugo, only Esmeralda was a woman, and Virginia an angel who would not for all the world have loved a Marshal of the court, far less- a Colonel. Her whole affections were consecrated to Jarpeado. Happy pair, thought Anna, but alas ! what came of it all ? After the wedding came family cares, and a brood destined to make the fame and fortune of her much-loved, but faithless Jules.

A few evenings later, Anna was frowning on her father, and saying to Jules

" You are no longer faithful to the palm-house, so much gazing on the Cochineal has affected your taste. You are about to marry a red- haired girl, with large feet, without any figure, devoid alike of ideas and manners, freckled. She wears dyed dresses, and will wound your pride twenty times a day, and your ears with her sonatas."

She opened her piano and began to play with such feeling, that the Spiders remained pensive in their webs on Granarius' ceiling, and the flowers put their heads in at the window to listen.

" Ah me ! " said Anna, " animals have more sense than the wise men who preserve them in glass-cases."

Jules left the room, sad at heart, for the talent, beauty, and bright- ness of this good soul was struggling with the concert of vulgar coins- which his red-haired bride was bringing to his door.


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u Ah !" exclaimed Professor Granarius, "what have we here in the papers ? Listen, Anna.

" * Thanks to the efforts of the learned Professor Granarius, assisted by his clever pupil Jules Sauval, ten grains of cochineal have been ob- tained on the Nopal in the great palm-house. Doubtless this culture will flourish in our African possessions, and will free us from the tribute we pay to the new world. Thus the expense of the great palm-house has been justified against which opposition was not slow to make itself heard but the costly structure will yet render many valuable services to French commerce -and agriculture. M. J. Sauval is named Chevalier of the Legion of Honour.' "

" M. Jules behaves badly to us," said Anna, " for you have com- menced the history of the Coccus cacti, and he has impudently taken

Bp

" Bah ! " said the professor, " he is my pupil."





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