Les Curiosités de la médecine  

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Les Curiosités de la médecine is a book by Augustin Cabanès

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AVANT-PROPOS


Le livre que nous publions n'est pas une histoire de la médecine; c'est plutót, comme son titre Tindique, un recueil de curiosités se rapportant à notre art.

Diré quelle a été notre contribution person- nelle dans cette collection de faits empruntés pour la plupart à différents auteurs présente, à coup súr, quelque difíiculté. Nous allons essayer cependant de déterminer ce qui nous appar- tient.

Et d'abord Tidée, le plan de cet ana^ bien dilFérent, ainsi qu'on en pourra rapidement juger en parcourant la table, des ouvrages auxquels on pourrait ètre tenté de le comparer. Gontrairement à ce qu'on fait d'ordinaire, nous avons cru devoir établir une classification sur le modèle de celle qui a été suivie dans tel manuel classique de chirurgie que nos confrères con- naissentbien. Nous avons du pourtant modifier


y ■


VI AVANT-PROPOS

légòrement le plan adopté pour ne pas étre astreint à évoluer dans un cadre trop rétréci.

G'est ainsi que, sous le titre générique de Ciu'iosités de la Médecine^ nous avons groupé tout ce qui se rapporte aux origines de la profession ; et nous avons fait suivre les Ciu'iosités des regions d'un chapitre (que nous aurions pu allonger considerablement, si la place ne nous avait été mesurée), relatif aux Curiosités du système nerveux.

On nous posera sans doute maintenant la question : à Taide de quels matériaux avez- vous composé ce livre ?

Nous pourrions répondre comme Voltaire : quand on se mèle de détrousser les gens, on ne va pas crier à la garde. Notre réponse serà plus prudente : outre les nombreux articles, publiés tant sous notre nom que sous divers pseudonymes [D^ Monpart^ D^ Quercy, D^ Gourdon, Pont-Calè)^ dans des journaux médicaux tels que : La Gazette des Ilópitaux., Le Journal de Médecine de Paris, Le Jour- nal de la Santé^ La France Médicale, La fíevue Médicale, La Revue d'Obstétrique, La Gazette de Gynécologie, etc, nous avons fait quelques emprunts ànos confrères, les D*"' Clo-


AVANT-PROPOS VII

quet, Le Double, F. Regnault, Roclier, etc, sans préjudice de tous ceux que nous avons cités au cours de ce recueil.

Pour que cet ouvrage presentat pour le plus grand nombre Tattrait de l'inédit, nous nous sommes imposé, quoiqu'à regret, de ne point puiser dans la collectioii, déjà riclie en documents, de la Chronique médicale^ afin que les lecteurs de notre revue ne nous accu- sent pas de leur avoir servi une primeur par trop défraichie.

Selon Taccueil que voudra bien faire le públic médicalàcette encyclopédiecurieuse, nous conti - nuerons ou non cette sèrie nouvelle qu'a bien voulu entreprendre M. Maloine, Tactif et intel- ligent éditeur, dont les tentatives iieuves et hardies se comptent par autant de succés.


liES CÜRIOSITÉS


DE ÜA mEDEClHE


L'ANTIQUITÉ DE LA MÉDECINE



E Code Lombard renferme plus d'un nom de médecin et plus d'une trace de l'intervention de la médecine dans la confection des lois. Des le VI® siècle, on traduisait en latin certains


ouvrages de médecine.


Les rois Mérovingiens et Carlovingiens avaient leurs archiàtres. (1) On distinguait déjà les chirur- giens des médecins.


(1)« Archiàíres, c'est le nom par lequel Galien désigne Audromaque, médecin de Néron. Grégoire de Tours parlede ïarchidtre on primus medicorum. Le mot était depuis cette époque, tombé en désuétude lopsqu'il fut repris, sous la forme de Comte des Archiàtres, par Marc Miron, seigneup de l'Herraitage, médecin de Henri IIL en 1574. L*appellation ne dura pas, mais les privilèges restèrent ; les médecins du roi jouissaient un peu des prérogatives que le code théodosien assigne aux professoribus mcdicis^ médecins du palais, aqu'insacro paíatio inter archiatros militarunt, nulla senatoria vel glebali collationo, nulla municipali, nulle curialium concentione vexandosï). A l'époque ou nous sommes, les médecins du roi jouissaient encore d'une foule de prérogatives : ils prenaient les premiers, à l'église, le

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1 LES CCRIOSITES DE LA MEDECÍNE

Dans ses Capitulaires de 805 et de 807, Charle- magne rappelle qu'il faut étre initié à la médecine dès Fenfance.

Un manuscrit de Milan contient, au díre de Daremberg, la preuve qu'on faisait à Ravenne, vers la fin du VIII® siècle, des leçons publiques sur Hippocrate et Galien. Dans ce méme siècle, on transcrivait des manuscrits médicaux à l'abbaye de Saint-Gall et à l'abbaye du Mont-Cassin.

Soit dans les archives italiennes, notamment dans celles de Lucques, de Crémone, de Naples, soit dans les chroniques, on relève, en grand nombre, des noms de médecins, du viii® au xiii® siècle. lis sont presque tous laiques, contrairement à l'opinion reçue qui prétend que la médecine du moyen-àge était exclusivement entre les mains des clercs (1).

pain bénitet i*eau bénite, et, dans un autre ordre d'idées, pouvaient pratiquer la médecine à Paris sans passar par la Faculté de cette ville. Lorsqu'ils venaient à l'Ecole, couverts de leur robede satin, emblema da leur titre de Conseiller d'Etat, ils devaient étre reçus au bas de Tes- calier par les docteurs regents. Plus tard, en 1606, Henri IV leur accorda, pour André du Laurens, son médecin, le droit de commattre, par tout le royaume un oudeux chirurgienschargés des rapports judiciaires; et en 1611, Louis XIII leur attribua l'intendance de la médecine, la chirurgie, la pharmacie, avec le droit d'approuver, de recevoir et de graduerles barbiers-chi- rurgiens et les apothicaires. » Bordier, La Médecine à Grenoble.

(1) « Lepremier des médecins dauphinois (^ui nous soit connu da nom, est Maytre Brun, fusician^ qui, en 1275, assista com me témoin, dans la gr^nde salle du


l'antiquité de la médecine 3

Le litre de docteur est apparu vraisemblablement pour la première fois au xii® siècle. (1)


  •  »


Maxime de Tyr attribue l'origine de la médecine à Tusage qu'avaient plusieurs peuples de l'antiquité d'exposer leurs malades sur les places publiques ou dans les passages les plus freqüentés, afin d^nterroger les passants qui s'arrétaient pres d'eux et de leur demander ce qu'ils avaient fait ou vu faire dans des circonstances semblables (2).

Le chapitre 38 de VEcclésiaste nous ordonne

chàteau d'Uriage, au testament de Guignes Alleman, seigneur du lleu.

« En 1328, le regent Henri, oncle de Guignes VIII et de Humbert II, son frère, qui lui succéda, laissa par testa- ment plusieurs legs à ses trois médecins : Jacques Alle- man, Pierre de Bcene^ maitre Jean.

« Enfin, en 1334, Humbert II avait auprès de lui un fusiriian ou médecin, qu*il avait ramené de Naples et qui venait de TEcole de Salerne, Pandulfe, ainsi que nous i'apprend le trésorier du Dauphin, Jean de Pon- cey. II avait encore auprès de lui un autre médecin nommé Jean, sans doute le méme que maitre Jean, légataire du regent Henri .

« Ces médecins, /Mstcía/ís ou mires étaient tres proba- blement des clercs.))D' Bordier, La Médecine à Greno- ble, p. 3.

(1) Cf. la Chronique médicale, correspondance mé- dico-littéraire, Tables annuelles, 1895 et suivantes.

(2) Nous allons rapporter textuellement le passag^e de Maxime de Tyr à ce sujet ( Dissertatíon XL) : « Voici « comment on rapporte que la médecine a été jadis « inventée. Les parents des malades allaient les déposer € dans les rues et les passages les plus freqüentés ; les a passants s'approchaient, faisaient des qüestions sur a la maladie, et, selon qu'ils avaient éte atteints du « méme mal, et avaient été guéris en preuant quelque


4 LES CURIOSITES DE LA MEDECINB

d'honorer le médecin, parce que Dieu Ta créé après avoir reconnu qu'il était absolument nécessaire dans le monde.

Le second verset nous apprend que toute la médecine vient de Dieu et que ceux qui l'exercent doivent recevoir dans tous les temps de magnifiques presents des Princes de la Terre.

Cicéron écrivait qu'il trouvait quelque cliose de surnalurel dans la médecine, assurant que l'art de guérir les liommes rendait ceux qui le pratiquaient presque semblables aux Dieux.

Ovide croit donner à ApoUon (1) des louanges dignes d'un Dieu, en lui faisant diré qu'il est le Pere et l'inventeur de la médecine ; qu'il n'est point d'herbes et de plantes sur la terrç dont il ne con- naisse les propriélés.

A chose, ou en faisant quelque amputation, ou par la « diète, chacun indiquait le remède qui avait réussi. « L'identité des maladies fixa dans la mémoire Tiden- « tilé des medicaments qui avaient eu du succés, et « une courte habitude de Tensemble de ce resultat fut « la mòre de la science ».

(1) ApoUon, père d'Esculape, a été regardé comme l'inventeur de la médecine parles plus anciens auteurs. Pindare (Pythiq., ode 5, vers 85j dit qu'il apprend aux hommes les moyens pour guérir les maladies.

Dans Ovide (Métainorph., lib. 1, v. 521), ApoUon se glorifie par ces mots d'avoir inventé la médecine :

Invcntum medicina mciim est, opifexqae per orbem Vocor, et herbarum subjecta potentia nobis.

Plusieurs auteurs ont pensé gue Paean, médecin des Dieux, dont parle Homère, était le méme qu'ApoUon ; mais Sprengel croit que ce sont deux divmites dilTé- rentes.



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l'antiquité de la médecixe 5

Quintilien, dans ses Instilutions oratoires^ que Saint-Jéròme appelle un ouvrage aclievé, ensei- gnant la manière de faire l'éloge des Dieux, dit qu'il faut louer dans Apollon rinventiou de la mé- decine.

Les Grecs n'ont-ils pas rendu à Ilippocrale les honneurs divins qu'ils avaient auLrefois décerués à Hercule ? Quinte-Curce ne nous apprend-il pas également que Tarmée des Macédoniens rendit à Philippe les mémes actions de gràces failes à un Dieu, pour avoir sauvé la vie d'Alexandre?



Escliyle, Pindare, Aristophane, Pausanias regar- dent la médecinecommerun des attributs d' Apollon.

On lit dans YAlceste d'Euripide : « C'est ce Dieu qui enseigna aux Asclepiades l'art de connai- tre et d'employer les medicaments. »

Dans la tragédie d'Andromaqne, Oreste invoque Apollon comme Dieu de la médecine. Diane, sa soeur, avail des temples en Grèce et à Rome, ou ello était adorée comme une divinité médicale et prési- dant à la naissance.

Fils d'un roi de Pylos, le devin Mélampe ensei- gna aussi l'art de guérir et rendit ala santé les filles de PJioebus, dont il épousa Tainée, Iphianasse, qui lui apporta en dot la couronne d'Argos.

Podalire ne fut pas moins royalement récom- pensé de ses services : au retour de Troie, jeté par


6 LES CURIOSITES DE LA MEDECIXE

la tempéte dans l'ile de Scyros, il épousa la fdle du roi, qu'il avait guérie des suites d'une chule qu'elle avait faile du liaut d'un toit. II la saigna des deux bras, au moment oü l'on désespérait de sa vie. Celte histoire, rapportée par Pausanias, est le premier exemple d'un médecin qui ait pratiqué la sai gnée.




Les auteurs anciens ne soni pas d'accord sur l'époque oü l'on a commencé à adorer, en Grèce, Esculape comme un dieu, et à lui bàtir des temples. Apollodore d'Athènes, cité par saint Clement d'Ale- xandrie, prétend que ce fut cinquante-trois ans avant la prise de Troie.

Pausanias fait mention d'un temple d'Esculape k Amyclée, qui aurait été consacré par Hercule, en reconnaissance de ce qu'Esculape l'avait guéri d'une douleur à la cuisse. Cependant, malgré ces autorités, il parait certain que le culte d'Esculape n'a point existé antérieurement au siège de Troie.

Homère n'en parle nuUe part ; il ne regarde Esculape que comme un excellent médecin, et Ilésiode n'en fait pas mention dans sa Théogonie.

Alexanor, íils de Podalyre, fit bàtir, selon le témoignage de Pausanias, k Tilane, ville du Pélo- ponnèse, un temple en l'iionneur d'Esculape, son aïeul. Dujardin, Sprengel et M. Hecker pensent que ce temple, qui fut construit environ cinquantè ans


LA NOBLESSE DE LA MEDECINE 7

après la prise de Troie, fut le premier ou un culte divin ait été rendu au dieu de la médecine.

Malgaigne est d'avis que le culte d'Esculape est d'une époque encore plus moderne, et un savant Dafnois, Birger Thorlacius, va jusqu'à pretendre qu'il ne date que du v® siècle avant Jésus-Christ. La raison qu'il en donne est que Pindare, dans sa troisième Pythique, ne parle d'Esculape que comme d'un héros et non comme d'un Dieu ; mais Thorla- cius n'a pas fait attention qu'Hipys de Reggio, écri- vain contemporain de Pindare, fait mention de Texercice de la médecine^ dans le temple d'Epidaure ; et, quoique l'histoire de la guérison miraculeuse d'une femme qui avait le ver solitaire, qu'il attribue à Esculape, ne soit qu'un conte absurde, cela ne prouve pas moins qu'à l'époque oíi vivait Hipys de Reggio, le temple d'Epidaure existait déjà, et qu'Esculape y était adoré comme un dieu.

Quelle que soit l'époque à laquelle on ait bati le premier temple à Esculape, il est certain que ces temples devinrent bientót très-nombreux dans la Grèce.

On leur donnait le nom d'Asclépion ; il y en avait dans presque tou tes les villes. Schulz en a compte soixante trois, dont Pausanias a fait mention.

La noblesse de la médecine.

Autrefois, en recevant un médecin, on lui met- tait un anneau d'or aux doigts, en lui disant


8 LES CURIOSITÉS DE LA MEDECINE

les paroles suivantes : « Accipe annulum aureum in signum nobilitatis, ab Auguslo et Senatu romano medicis coneessoe. Prenez cet annean d'or pour marque de la noblesse conférée aux médecins par Auguste et le Senat romain. »

Cette cérémonie de Tanneau qui remonte, comme on voit, au regne d'Auguste, reconnait Torigine suivante : Cet empereur, atteint d'une maladie qui mettait ses jours en danger, fut guéri en peu de joursparles soins éclairés d'Antonius Musa, cèlebre médecin de Rome.

Pour l'en récompenser, Auguste lui donna une somme considerable, et lui accorda, ainsi qu'à tous ceux qui, dans la suite, exerceraient la profession médicale, Ic privilège de porter un anneau d'or et de jouir de toutes sortes d'exemp- tions. L'anneau d'or étant chez les Romains la veri- table marque de noblesse, les médecins avaient quelque droit de se qualifier de nobles.

Les empereurs Honorius et Théodose élevèrent les médecins de leur palais à la dignité de comtes et vicaires de l'Empire.

En France, les premiers médecins de nos rois ont toujours eu la qualité, les armes et la couronne de comte, et transmetlaient à leurs descendants la noblesse réelle.

A la íin du regne de Louis XIV, le premier méde- cin touchait 40.000 livres d'appointements. II avait


LA NOBLESSE DE LA MEDECINE d

la surinlendance du Jardin des Plantes et celle de toutes les eaux minérales de France. II recevait le brevet de conseiller d'Etat, en prenait la qualité, en toucliait le traitement (compris dans les 40.000 livres), avait droit d'en porter le costume. Méme s'il n'élait pas docteur de Paris, lorsqu'il daignait honorer la Faculté de sa présence, le doyen précédé des bedeaux allait le recevoir à la porte. Le plus envié de ses priviléges était celui de pénétrer tous les jours dans la chambre du roi pendant que le monarque était encore au lit et avant les premières entrées, II devait aussi toujours étre present, et en robe de satin, au diner de Sa Majesté. II avait le titre de comte, et transmettait à ses descendants une noblesse réelle.

Dans ses armoiries figurait le bàton entortillé d'un serpent, que la mythologie donnait pour symbole à Esculape ; on remplaça parfois le serpent par un dragon.

La clientèle du premier médecin était immense, car tous les courtisans tenaient à honneur d'avoir le méme docteur que le roi. « On croyait, dit Fon- tenelle, faire sa cour de s'adresser à lui ; on s'en faisait méme une loi. »

Ses fonctions cessaient aussitót que le souverain avait rendu le dernier soupir. « La cliarge de pre- mier médecin, écrit Duclos, est la seule qui se perdé à la mort des rois.»


10 LES CURIOSITES DE LA MEDECINE


L'emblème de la médecine.

Le serpent, enroulé autour du bàton, est depuis un temps immemorial, Temblème de Tart de guérir. Dans les anciennes statues, Esculape est represento tenant dans sa main gauche le serpent, Dans le grand temple d'Epidaure, cette statue était d'or et d'ivoi^e et tenait d'une main un bàton noueux, tandis qu'autour de Tautre bras était enroulé un serpent.

On a dit que ce symbole du serpent signifiait que les malades, pour aller mieux, devaient se dépouiller de leur propre peau, comme le fait le serpent lui- meme. Mais ce signe a une autre signification pour le médecin, le serpent étant l'emblème de Fattention et, dans le cas particulier, étant destiné à lui rappeler sans cesse qu'il doit bien observer ses malades et se tenir sur ses gardes dans les diverses pliases de la maladie.

En Egypte, le serpent était consacré à Isis, déesse de la fécondité et de la Nature.

Quant au bàton, il signifie que les convalescents ont besoin de soins et d'aide pour éviter les rechútes.

Les noeuds du bàton d'Esculape indiquent les diííicultés inliérentes à l'étude et k la pratique de la médecine.


l'embleme de la. médecine 11

La couronne de laurier est le symbole de la vic- toire et de l'honneur ; elle montre que le médecin triomphe de la mort et mérite d'étre glorifié pour sa vaillance.

Des la plushaute antiquité, le serpent fut honoré comme l'emblème de l'intelligence, de la prudence, de la ruse : c'est une superstition qui remonte à la séduction d'Eve, au serpent d'airain fabriqué par Moïse, au serpent Pytlion et aux fétiches des negres de la Guinée. La rapidité avec laquelle il se meut, les figures mystiques qu'il semble former en se repliant sur lui-méme, sa force, sa longévité, le danger de sa morsure, tout cela dut frapper l'ima- gination des premiers hommes et leur faire attribuer à ce reptile une nature particulière et supérieure.

Les Pliéniciens l'appelaient le bon démon. Les Egyptiens représentaient le monde par un serpent enfermé dans un oeuf. Les Romains et les Grecs y voyaient l'emblème de Téternité.

Le serpent désignait aussi la prudence et la vigi- lance nécessaires au médecin.

Plineditquele serpent est l'emblème de laméde- cine, parce qu'il fournit à l'art de guérir des remèdes précieux. On sait que Nicandre a fait de l'histoire naturelle et de l'emploi médical des reptiles le sujet de l'un de ses poemes. Cette opinion s'est propa- gée jusque dans les temps modernes ; aussi les


12 LES CURIOSITÉS DE LA MEDECINE

pharmacopées arabes et celles des derniers siècles font-elles grand élat des propriétés de la vipère. Moïse Charas en fit la matière de savantes recher- clies et de ses travaux les plus importants.




Le 11 octobre 1597, la Faculté avait décidé de prendre pour insignes trois cigognes, portant dans leur bec un rameau d'origan, avec cette devise : Urbi et orbi salus, allusion au droit qu'avaient les docteurs de Paris d'exercer dans le monde entier.


L'instinct médical des animaux

La croyance que c'est Tibis et la cigogne qui ont enseigné aux hommes l'usage du lavement, et l'hippopotame l'usage de la saignée, a été générale dans l'antiquité et au moyen àge. On trouve encore un reflet du premier de ces préjugés dans la cigogne qu'on voit à la devanture de quelques vioilles phar- macies.

Pline, qui a attribué à Tibis Tinvention du lave- ment, n'a fait que copier Diodore de Sicile. Le nom du roi Toth s'écrit au moyen de Thiérogly- plie de cet oiseau. Frenant Tibis pour sa valeur figurative et imaginant le bec qui sert de canule, lenarrateur grec aurait, selon quelques-uns, gro- tesquement travesti une tradition sérieuse, celle


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l'instinct xMÉdical des animaux 13

de Tantiquité du neter halapa^ autrement dit du remède cher à M. de Pourceaugnac.

Selon qiielques aulres, et M. Maspéro est de ce nombre, Tibis aurait été, dans Tancienne Egypte, parfaitement bien considéré comme Finventeur du lavement, et cela par suite de Fhabitude qu'a cet oiseau de recueillir la matière graisseuse qui se trouve aux environs de sa queue, pour lustrer ses plumes.

Les betes ont été nos premiers docteurs en méde- cíne, n en doutons nuUement, quand l'histoire médi- cale ne l'attesterait pas.

Le syrmaïsme^ ou la purgation par en haut et par en bas, fut indiqué aux Egypliens par le vomis- sement que se procurent les chiens avec le chien- dent, dit CElien [Hist. ànim., lib. V, c.. 40).

Ce peuple observateur apprit aussi l'usage de la saignéederhippopotamc(Cicéron, de Natnr. Deor.^ L II).

Le bon eiTet de la salive pour cicatriser les ulce- res a été montré par les chiens qui lèclient leurs plaies (CElien, lib. VIII, c. 9. Voyez Joh. Sclinidii, Díss. de brutis hominum doctoribus, Lips. 1684, in-4** et Paul Boccone, De Solertia brutorum in seipsis curandis^ et dans Manget, BibL méd,, tom. /, part. /, art. 25).

Les moulons qui ont des vers au foie vont léclier les pierres salées et urineuses. Dans les terrains inondés, d'autres bestiaux hydropiques avalent des


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14 LES CURIOSITÉS DE LA MÉDEGINE

terres ferrugineuses, comme font aussi, par msfo'/2cí, des filles aux pales couleurs, et des femmes encein- tes. La voix intérieure est si manifeste dans plu- sieurs maladies, chez les animaux surtout, qu'à cet égard les ours méme nous instruiraient mieux que les gens d'esprit.

Qui ne sait que les chiens mangent de Therbe quand ils se sentent l'estomac trop chargé ; que les chats se soulagent en mangeant de la calaminthe sauvage, qu'onappelle pour cette raison Vherbeaux chats ; que les sangliers guérissent leurs douleurs de téte, en mangeant des écrevisses?

Plutarque ne nous a-t-il pas appris, dans ses Qüestions naturelles, que les tortues mangent de l'origan, les belettes de la rue, lorsqu'elles sont pi- quées par un serpent ? Le dragon éclaircit sa vue en frottant son oeil malade contre du fenouil, les hiron- delles, pour rendre la vue à leurs petits, se servent de chélidoine ou hyrundinaria. Les ours, quand ils sortent de leurs cavernes, ou ils se sont retirés pen- dant l'hiver, vont manger du pied de veau sauvage pour relàcher leurs intestins. Quand ils sont dé- goútés et privés d'appétit, ils lèchent du miel, et tendent leur langue couverte de cette douceur vers les trous des fourmis, jusqu'à ce qu'il s'en soit amassé une certaine quantité, qu'ils avalent pour se déterger l'estomac.


l'instinct medical des animaux 15

En Egypte, le cheval marin se roule dans les ro- seaux jusqu'à ce qu'il se soit procuré une saignée en se blessant une veine. En Lithuanie, les chevaiix se mordent dans le méme but, quand ils se sentent tròp échauffés.

Les cerfs et les chèvres sauvagesdela Crète mon- trèrent les premiers Femploi du dictame et des vulnéraires, selon Cicéron, Virgile et d'autres an- ciens ; mais. en admettant qu'il y ait quelque sup- position gratuite à pretendre avec certains auteurs, que riiirondelle sait éclaircir sa vue en frottant sa cornée avec le suc de chélidoine, en guise de coUyre ; que des serpents ont fait connaitre l'usage du fenouil (CElien, HisL aninty liv. 4, chap. 9.), et le crapaud. celui du planlain à feuilles étroites (Van Helmont, TumuL pestisy etc), toujours est-il vraisemblable que la natura, loin d'abandonner ses plus faibles créatures, leurfournit les moyens de se garantir des maux. Quand on voit les moindres in- sectes, au sortir de l'ceuf, et sans guide surla terre, découvrir précisément la plante qui leur convient le mieux, le nectar caché au fond d'une fleur, et s'ils ne trouvent pas le vegetal qui leur est naturelle- ment destiné, se repaitre des autres végétaux d'un méme genre ou d'une méme famille, comme un bota- niste exercé, (c'est ainsi qu'agissent plusieurs insec- tes d'Amérique, transportés en Europe avec des marchandises), on peut croire que divers animaux nous ont dicté l'empirisme médical.


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16 LES CURIOSITES DE LA MEOECINE




C'est une tradition générale dans Tlnde, selon Kempfer, Garcias ab orto et d'autres voyageurs, que la mangouste sail se garantir du venin du ser- pent naja ou à lunettes, au moyen de la racine d'ophiorrhiza mungos L. On a dit que les belettes se défendaient de méme du venin des aspics au moyen de la rue, et la cigogne avec l'origan ; que les san- gliers guérissent leurs plaies avec le lierre ; que l'ours, au printemps, se remet en appétit solt avec Varum qui le purge, soit en devorant des fourmis ; que les cerfs nousont appris à manger les cardons, les artichauts ou autres espèces de cynara^ etc.

Les chiens onttrouvé aussi Idi canària (une grami- née) avec laquelle ils se guérissent du défaut d'ap- pétit. Ils mangent cette plante en notre présence, mais de manière qu'on ne distingue jamais ce que c'est, parce qu'on ne la voit que bien màchée. On a encore noté un instinct bien plus singulier de cet animal à l'égard d'une autre plante : on dit que, mordu par un serpent, il se guérit avec une certaine herbe, mais qu'ilne la cueille pas quand un homme le regarde !

Les biches, moins envieuses, nous ont enseigné l'élaphoboscos (pastinaca saliva, L,), ainsi que le séséli, dont elles usent après avoir mis bas.

Ce sont aussi les biches qui ont fait connaitre le


l'instinct mbdical des animaux 17

dictame, [origanum dictamnusy L,}\ blessées-, elles mangent de cette plante, et les flèclies se détaclient aussitót de leur corps. Le dictame ne se trouve pas ailleurs qu'en Crète.


  • *


Parmi les autres betes, auxquelles Aristote et Pline pretendent que les hommes doivent rendre gràce pour leur avoir indiqué divers remèdes pré- cieux, on peut ajouter aux serpents aveugles, qui se frottent les yeux de fenouil pour revoir la clarté des cieux, les ramiers, les merles, les per- drix, qui mangent des feuilles de laurier quand ils sont constipés^ etc. « L'invention d'abattre les tayes des yeux appelées cataractes fut trouvée, dit Ambroise Faré, par une chèvre qui avait une taye devant la pupille, se frottant et gallant contre des espines, abattit ladite taye de devant la pupille, et par ce moyen recouvra la vue. »



Maintenant est-il bien exact de diré que le chien a appris à l'homme Fusage des vomitifs, Tibis celui des clystères, l'hippopotame Temploi de la saignée? II est evident, au contraire, que l'homme a dú s'observer lui-méme avant d'observer les ani- maux, et que Tinstinct des malades dut souvent offrir des indications, des enseignements plus cer- tains et plus naturels. Ne sait-on, par exemple, que les personnes atteintes d'une íièvre putride demandent des àcides, que certains poissons plai-


18 LES CURIOSITES DE LA MEDEGINE

sent aux leucorrhéiques et que la dyssenterie se caractérise par une appétence particulière pour le raisin ? C'est le hasard qui nous a enseigné les propriélés du quinquina, de l'ellébore et d'une foule d'autres medicaments qui enrichissent la matière médicale de nos jours. La nature, d'ailleurs, a placé dans beaucoup de pays les medicaments les plus propres à combattre les maladies endèmiques. C'est ainsi que le cochléaria guérit le scorbut, si freqüent dans le nord de l'Europe ; que, dans l'Amérique septentrionale, le polygala sénéga est un antidote précieux centre la morsure du serpent à sonnettes ; que, sous les tropiques, on emploie le suc de limons et de plusieurs fruits àcides dans les maladies aigües ; que quelques lézards, dans le royaume de Guatemala, guérissent la lèpre qui y est fort commune; que le curcuma fournit aux Brésiliens un excellent remède contre le venin du gecko ; et que, dans le Schirwan, le pétrole est appliqué avec avantage à la guérison des frac- tures. Les peuples les moins civilisés possè- dent ainsi une sorte de matière médicale indigène, dont les effels sont surprenants et dont les nations policées ont fait souvent leur profit.

L'homéopathie chez les animaux

M. B. C..., bien connu en Ecosse et quia beau- coup vécu à l'étranger, rapporte (1) qu'ayant sou-

(1) Les còtés obscurs de la nature, par Mrs Crowe.


l'instinct meoical des animaux 19

vent entendu parler de la singulière expérience du scorpion et de la souris, il l'avait tentée, et le resul- tat établit parfaitement ce qu'il ne pouvait croire d'abord : les deux animaux, mis ensemble sous un méme verre, furent évidemment effrayés ; puis le scorpion attaqua la souris et lapiqua ; elle sedéfendit bravement et le tua. Cette victoire ne fut pas sans péril, car la souris enfla prodigieusement et sembla en danger de mourir empoisonnée ; mais elle se sou- lagea et se guérit à la fois en mangeant le scorpion, qui se trouva étre l'antidote de son propre poison, donnant un exemple d'homéopathie des plus inté- ress'mts et des plus remarquables (1).

Gomment on devient médecin

»

Ce fut un songe de Nicon, savant et riche archi- tecte de Pergame, qui le determina à faire étudier la médecine à son fils, le cèlebre Galien (2).

(1) M"® Calderón de la Barca cite, dans ses lettres du Mexique, quelques cas singuliers oü des morsures veni- meuses n'eurent aucune suite mauvalse; et elle raconte que, dans certaines parties de TAmèrique oíi les ser- pents à sonnettes pullulent, il est d'usage d'inoculer les enfants avec leur venin, car c'est un préservatif contre toute blessure.

(2) (( Galien dutsavocation de médecin à un songe, danslequel Apollon lui appaiutàdeux reprisesdifEéren- tes pour lui ordonner de se livrer désormais à l'étude de la médecine. Ce cèlebre médecin s'est étendu avec com- plaisance sur cette circonstance de sa vie.» Brierre de BcisMONT, Halluctnatwns, cité par le D' Chabaneix, Essai sur le subconscient.


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20 LES CURIOSITKS 1!>E LA MEDECINE

Ainsi, cetle réputation extraordinaire qui, dans les temps anciens et modernes, n'a qu'une seule rivale, celle d'Hippocrate, aurait poiir origine... un réçe !


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André Rudiger, médecin à Leipsick, s'avisa, étant au coUège, de faire l'anagramme de son nom en latin : il trouva de la manière la plus exacte, dans Andreas Rudiger us ^ ces mots : arare rus Dei dignuSy qui veulent diré : digne de labourer le champ de Dieu, II conclut de là que sa vocation était pour l'élat ecclésiastique, et se mit à étudier la théologie. Peu de temps après cette belle décou- verte, il devint précepteur des enfants du célèbre Thomasius. Ce savant lui dit un jour qu'il croyait qu'il ferait mieux son chemin en se tournant du cóté de la médecine. Rudiger avoua que naturel- lement il avait plus de goüt et d'inclination pour cette science ; mais qu'ayant regardé l'anagramme de son nom comme une vocation divine, il n'avait pas osé passé outre. Que vous étes simple ! lui dit Thomasius; c'est justement l'anagramme de votre nom qui vous appelle à la médocine ; Rus Dei^ n'est-ce pas le cimetière, et qui le laboure mieux que les médecins? Rudiger ne put résister à cet argument irresistible, et il se fit médecin.



Aétius d'Antioche, de vigneron qu'il était, devint orfèvre, puis médecin. II ne tarda pas àabandonner


COMMENT ON DEVIENT MEDECIN 21

la médecine pour devenir chef de secle. II défendit avec chaleur l'hérésie à Vienne. Peu après, il reprenail l'élal de médecin, qu'il quiita de nou- veau pour entrer dans les ordres. II devint évéque vers Tan 361.

Récamier fit ses études au coUège de Belley. Dans cet établissement dirigé par un ordre reli- gieux — des joséphistes — il eut pour camarade et ami un jeune garçon de son àge, nommé Riclie- rand, qui le suivit à l'iiópital de Belley. II devait le retrouver plus tard sur la grànde scène médicale parisienne, et il resta toute sa vie étroite- ment lié avec lui. Ses classes terminées, le père de Récamier, qui voulait lui transmettre sa cliarge de notaire, le plaça dans un cabinet de procureur pour rinitier aux affaires. Mais le jeune homme, qui avait déjà une vocation tres nette pour la médecine, ne put y rester plus de trois semaines et obtint de son père qu'il commencerait ses études médicales à l'hópital de Belley.




Vicq d'Azyr, qui devint membre de l'Aca- démie française, de TAcadémie des sciences, secré- taire perpétuel de la Société royale de médecine, etc., désirait entrer dans Tétat ecclésiastique, afin de mieux suivre son penchant pour les lettres, et


22 LES CURIOSITÉS DE LA MEOECINE

c'est pour se conformer aux voeux de sa famille qu'il embrassa la médecine.




Cruveilliier, d'une iialure fine et délicate, orienté vers les idees religieusesparime mère animée d'une foi ardenle, avait voulu étre prétre et n'avait étudié la médecine que pour obeir à son père. Celui-ei, médecin lui-méme, caractère entier et énergique, compagnon d'armes des grands chirurgiens mili- taires de l'Empire, n'admettait pas d'autre volonté que la sienne, ni d'autre carrière pour son fils que celle qu'il professait, et il lui imposa les études médicales. Mais il arri va, qu'au cours de ses études anatòmiques et cliniques, le jeune étudiant, troublé par le spectaele des ampliithéàtres et l'assistance aux opérations, quitta l'école pour se réfugier au Séminaire deSaint-Sulpice. Averti aussitót, le père accourut de sa résidence du Limousin, et le ramena d'autorité à la Facullé.




Jobert était domestique du curé de son village, qui, touché de sa belle figure et de son intelligence, lui donna des leçons de latin, et, à sa mort, lui laissa une somme de 10.000 francs pour lui per- mettre d'acliever son éducation et de faire ses études médicales.


COMMENT ON DEVIENT MEDEGIN 23

Aussi peu favorisé par la fortune, simple apprenti maréchal-ferrant, Velpeau aspirait à devenir méde- cin. Sans ressources, sans soulien, sans recomman- dation, entendantprononcer le nom de Bretonneau, doni la renommée remplissail sa province, il va le trouver à l'iiópital de Tours et lui demande à étu- dier la médecine. Bretonneau s'informe si ce jeune homme a fait des études préliminaires : Noriy répon- dit Velpeau avec assurance,ye ferai tout en méme temps, Touché de tant de naïveté, Bretonneau Tadmit dans son hópital et plus tard l'envoya à Paris.




Claude Bernard était simple élève en pharmacie à ses debuts dans la carrière scientifique.

Le D' Péan rappelait souvent que son père vou- lait qu'ilfut agriculteur comme lui. Le futur cliirur- gien eut préféré faire de la peinture . <íPourtransigery ajoute-t-il, je déclarai que je feraisde la médecine. »

Le D"^ Demarquay, qui mourut membre de l'Aca- démie de Médecine et chirurgien de la Maison de San té Dubois, avait commencé par étre ouvrier tourneur, puis, ayant quitté ce métier pour faire ses classes, il devint maítre répétiteur, aíin de pou- voir poursuivre ses études. Alexandre Dumas fils, qui est toujours resté son ami, et qui lui a méme dédié VAffaire Clémenceauy avait été son élève.


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24 LES CUmoSITÉS DE LA MEDECINE

Trousseau avait également commencé par étre « pion ».

Tessier, qui fut membre de l'Institut et de la plu- part des corps savants du Monde, avait du, pour commencer ses études de médecine, prendre le titre d'abbé. Gràce à la protection de rarclievéque de Paris, il avait obtenu una bourse au coUège de Mon- taigu, à la condition qu'il se destinerait à l'état ecclé- siastique. Quand il sortit du coUège, au lieu d'en- trer dans les ordres, il aborda la carrière médicale.

A l'exemple de Tessier, Esquirol, le futur aliéniste, avait été destiné à l'Eglise. Ses premières études achevées au coUège de l'Esquille, ses parents le firent recevoir au séminaire de Saint-Sulpice, à Issy, pour qu'il y fit ce qu'on appelait « la philosophie ». La Révolution survint, etle jeunehomme dut retourner dans sa ville natale, Toulouse, ou il debuta dans la médecine.


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Le père du D"" Würtz était ministre protestant à Strasbourg. Le père de Maisonneuve était simple conseiller municipal de Nantes.

Legrand du SauUe était fds d'un capitaine de dra- gons. Tardieu avait pour père un graveur-géographe.

Le D"" Lorain était fils et petit-fils d'universitaires.

Leblanc, membre de l'Académie de médecine, vétérinaire distingué, avait pour père un cultivateur. - Le père de Micliel Lévy, l'hygiéniste, grand offi- cier de la Légion d'honneur, professeur, membre


COMMEXT LA FORTUXE VIENT AUX MÉOECINS 25

de rinstitut, etc, était un simple marchand de rubans.

Nélaton, dont le nom seul évoque la période la pins brillante de la chirurgie contemporaine, était né dans une boutique de tapissier.

Un autre virtuose du bistouri, Ricord, avait pour père un marchand de Baltimore.

Par une singulière coïneidance, le D'^Véron, qui fut homme de lettres à ses heures — ainsi que le témoi- gnent ses Mémoires d'un Bourgeois de Paris, — directeur de l'Opéra, eréateur de la spécialité phar- maceutique (demandez plutót à certains marchands de pàtes... non alimentaires), le D' Véron avait vu le joup dans une papeterie.

Gomment la fortune vient aux médecins

Le duc de Guise, blessé au siège de Boulogne-sur- Mer, venait d'étre porté dans sa tente ou il était regardé comme mort. Le tronçon d'une lance, après avoir traversé la joue du prince au-dessous de l'oeil droit, et pénétré jusqu'à la nuque au-dessous de Toreille gauche, était resté dans la téte.

Arrive Pare son chirurgien, quilui était tendrement attaché : « Messieurs, s'écrie-t-il en s'adressant aux assistants, le prince n'est pas mort. . . Mais il va bientòt l'étre, à moins que, perdant toute espèce de respect du à sa personne, je ne hasarde d'arracher à Tins-

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26


LES CURIOSITES DE LA MEDECINE


tant méme ce tronçon de la téte du blessé... et je le tente, aux risques de tout ce qu'il peut arriver. »

II applique alors son pied gauche sur la face du prince, avec ses ongles parvient à ébranier douce- ment le fatal tronçon, et par degrès l'altire à lui avec assez d'adresse pour ne pas achever par des efforts trop violents de faire expirer le malade. Le succés répondit à l'espoir de l'heureux opérateur, d'oü s'ensuivit sa forlune, car il fut depuis le pre- mier chirurgien de quatre de nos rois.

Et c'est de là qu'est resté à François, duc de Guise, le surnom de Balafrè.


Ròles singuliers joués par des médecins (1)

Les princes faisaient parfois appel à leurs méde- cins pour toute autre chose que ce qui concer-

(1) On lit dans les Mèmoires du niarèckal de Ças- iellane :

« La marquise de Talaru a plus de 50 ans ; elle croit avoir besoin pour sa santé d'avoir une homme couché à cóté d'elle : en conséquence, quand M. de Talaru est absent, elle fait mettre dans un sac M. de Courtivron, son parent, ou M. de Chavagnac, un de ses amis, et elle les fait porter dans son lit, en ayant soin de faire cons- tater le lendemain, par ses gens ou par sa femme de chambre, que le sac n'apas été décousu. Aetuellement, MM. de Chavagnac et de Courtivron sont à Madrid, attachés à l'ambassadede M. de Talaru, et c'est M. Boi- rot, médecin des eaux de Néris, quiexerce pour le quart d'heure l'honneur de cette charge. Ceci n'est en aucune façon une plaisanterie ; mon secrétaire est parent du docteur, qui positivement est renfermé dans le sac tous les jours. »


ROLES JOUÉS PAR LES MÉDECINS 27

naii leiir art. C'est ainsi que Philippe-le-Bon faisait payer en 1446 « à maistre Ilenry de Zivols, docteur en médecine, nostre phisicien, la somme de trois cens saluz d'or, du prix de quarante-liuit groz, sur Touvraige d'ung orloge, contenant le vray cours des sept planetes, que ledit maistre Ilenry a faít pour nous. »

En 1469 et en 1470, Charles-le-Téméraire envoyait à Gand son physicien (médecin), maítre Simón de Lescluse, comme commissaire pour a le renouvellement des magistrats. »

L'archiduc Charles et son pèrefaisaient remettre en 1509 la somme de soixante-dix livres à maitre Gabriel de la Serre, docteur en médecine, pour ung liçre contenant la généalogie et descente de leurs prédécesseurs et d'eulx^ qu'ils lui avaient demandé. / ^

Dans les commencements de sa convalescence, le maréchal de Saxe menait partout avec lui son médecin Sénac.

Un jour qu'au siège d'une ville, le maréchal voulut aller reconnaítre quelques ouvrages, il fit avancer jusqu'à demi-porlée de cànon son carrosse, dans lequel était le bon médecin ; il en descend, monte à cheval, et dit à ce clier Esculape : « Attendez-moi là, docteur, je serai bientót de retour. — Mais, Monseigneur, lui dit Sénac, et le cànon?... Je vois d'ici des canonniers qui vont


28 LES CURIOSITÉS DE LA MEDECINE

prendre pour but nolre carrosse, et moi qui serai dedans ! — Vous n'avez qu'à lever les glaces », lui dit militairement le maréchal, et il partit.

Sénac partit aussi, ou du moins descendit sur- le-champ du carrosse, et fut se mettre en súrelé à la queue de la tranchée, jusqu'à ce qu'il vit revenir son auguste convalescent.

Alexandre-Ie-Grand, qui passe pour n'avoir res- pecte aucune loi, eut pourtanthorreur de Tadultère.

Ses médecins lui ayant amené une femme tres belle, il lui demanda pourquoi elle ètait venue si tard \ elle répondit qu'elle avait attendu que son mari fui coí/cAé/illa renvoya, et réprimanda rude- ment ses médecins de leur mépris pour la fidélité conjuga e, et leur dit qu'il s'en ètait peu fallu que par eux il n'eút commis adultère,

II parait que les anciens médecins n'étaient pas tres scrupuleux sur cet article. lis voulurent per- suader à Saint-Louis de prendre une fille sous pré- texte de recouvrer guérison, laReineélantabsente. Ce roi pieux leur répondit : qu'il aimait mieux mourir que de violer la foi par lui jurée^ et de donner un tel scandale à ses sujets,

Responsabilité médicale

Chez les VisigotIis,leméme personnage exerçait en méme temps la fonction de médecin et celle


RESPONSABILITÉ MEDICALE 29

de chirurgien et d'apothicaire, et il convenait d'un cerlain prix avant que d'entreprendre la cure des ma- lades, qui ne payaient qu'après leur guérison ; s'ils venaient à mourir pendant leur maladie, le médecin perdait tout son salaire.

Lorsqu'il eslropiait quelqu'un en le saignant, il payait cent sols d'or d'amende, si c'était une per- sonne libre ; et si cette méme personne venait à mourir d'abord après la saignée, il perdait la liberté et était livré entre les mains des parents du mort pour étre puni à leur gré.

Si celui qui avait été estropié par la saignée, ou qui venait à mourir après, était serf, le médecin en était quitte en donnant un autre serf à la place.

Tels étaient les usages et les moeurs des Visigoths dans le temps que les Sarrazins envahirent les Etats de ces peuples au delà et en deçà des Pyré- nées (1).




La belle Austrigilde, femme de Gontran, roi de Bourgogne et d'Orléans, fils de Clotaire,exigea en mourant, de son mari, qui eut la faiblesse de le lui promettre, et la cruauté de tenir sa parole (Voy. Histoire de France^ de Velly, 1. 1, p. 146), que les

(1) Sylla rendit une loi nouvelle, qui n'était que rapplication aux médecins de l'ancienne loi Aquilia, Cette loi édlctait que celui qui fait mal ce dont il se charge, serà responsable des accidents causés par son impéritie. Cf. Graves, Etatdcla Pharmacie enFrance»

2*


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30 LES CURIOSITES DE LA MÉDEGINE

deux médecins qui l'avaient traitée dans sa maladie el dont les remèdes, à ce qu'elle prétendait, avaient causé sa perte, fussent enterrés avec elle. Ce sont peut-étre les seuls médecins, depuis que le monde existe, qui aient eu l'honneur de la sépulture dans les tombeaux des Rois.

Jean de Luxembourg, roi de Bohème (1296-1347), fit coudre son médecin français dans un sac et le fit jeter dans l'Oder. Le médecin du moyen-àge était toujours tenu responsable de l'issue fàcheuse de la maladie (V. Nicaise, Inttroduction à la Chirurgie de Monde\>illey p. XI et Bernard de Gourdon, Lilium Médicinsey p. 635).



Vers la fm du 14® siècle, « un nommé Viennot dè Labergement, soi disant physicien (médecin), fut condamné à 50 fr. (450 fr.) par le bailli de Dijonpour n'avoir pas guéri les malades qu'il avait entrepris, et qui, au contraire, étaient plus grièvement malades de corps, de jambes, de pieds, et pour un mal en avaient deux, pour ce que ledit physicien les déce- vait. II fut mis en prison à Ponlaller. » (1)


  • *


Les Egyptiens avaient un code de médecine dont il n'était pas permis aux médecins de s'écarler dans

(1) Anciennes coutumes de Boiirgogne, par Amanton (ou Peignot).


-Sf-Ti.-


RESPONSABILITE MEOICALE


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le traitement des maladies : si le malade mourait après avoir usé de quelque mèdicament qui n'élait point dans ce code, le médecin payait cette erreur de sa vie. Ce n'était pas là un moyen de contribuer beaucoup aux progrés de la médecine en Egyple.




Arrien nous apprend que, pendant la maladie dont mourut Alexandre le Grand, plusieurs de ses géné- raux allèrent passer la nuit dans un temple de Sérapis qui existait à Babylone, et y demandèrent s'il fallait que le monarque fút transporté dans le temple afin d'y étre traité par le dieu. Sérapis répondit qu'il valait mieux que le roi restat oíi il était. D'après cette réponse, on peut présumer que les prétres craignirent peut-étre la responsabilité qui pèserait sur eux s'ils échouaient dans le traite- ment d'un malade aussi puissant que le conquérant de l'Asie.



Lorsqu'Ephestion mourut, non seulement Alexan- dre fit pendre le médecin qui l'avait soigné, et cela contre tout bon sens et toute raison, car celui-ci était fort innocent de la mort de son malade, qui, au mépris de son ordonnance, avait bu et mangé immodérément ; mais pour réconforter son deuily el passer un peu son ennuiy Us* en alia à la guerre comme à chasse d'hommes ; là ou il subjugua la


32 LES :CURIOSIT£S OE LA MÉDECINE

nation des Cosséiens, qiCil extermina toutey y tuantjusqu'aux petits enfantSy ce qui fut appelé le sacrifice des funèrailles d' Ephestion,

« Au moyen-àge, écrit le D*" Dupouy, lorsqu'un médecin est appelé pour panser une pfaie ou traiter une maladie, il doit, après avoir pris connaissance, fournir une caution et s'arranger pour ses hono- raires qu'il ne pourra réciamer dans le cas de dan- ger pour les jours du malade.

« Si un médecin blesse un gentilhomme par la saignée, il sera condamné à payer cent sous, et si le gentilhomme meurt des suites de cette opération, le médecin doit étre livré entre les mainsdes parents, qui pourront faire de lui tout ce qu'ils voudront.

« Si le médecin estropie un esclave ou bien lui cause la mort, il est tenu à la restitution.


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Varillas, dans ses Anècdotes deFlorence, dit que Pierre de Médicis, voyant son père mort, jeia de colère (1) le Médecin Léony dans un puits, oii il se nova. '

Ange Politien qui était present, témoigne dans


(1) Gabriel deZerbis, professeur à Padoue età Rome, était un homme violent et d'une vie tres dissipée. II fut envoyéen Turquie pour traiter un pachaqui Tavait demandé à la république de Venise ; mals celui-ci ayant suecombé, Zerbis futmis à mort. V. Cap, La Science et les Savants au XVP siècle*


RESPONSABILITÉ MKDICALE 33

une de ses lettres, oíi il rapporte toutesles circons- lances de la mort de Laurent de Médicis, père de Pierre, que Léony, de déplaisir de n'avoir su gué- rir ce Seigneur, comme il se l'était promis, se noya lui méme.

A qui devons-nous croire? A Ange Polilien ou à Varillas ?


L'ANTIQUITÉ DE LA CHIRURGIE


'■/lE bon sens seul suíïit pour assurer queia chirur- 4&^ gie doit étre le plus ancien de tous les arts. Les chutes, les rixes mémes ont dú donner lieu à des fractures ou à des luxations qu'il a fallu re- duiré, et on peut regarder comme le premier chi- rurgien celui qui le premier eut l'idée de secourir ses semblables dans ces circonstances malheu- reuses.

Moïse est peut-étre le plus ancien auteur qui fasse mention de la chirurgie et des cliirurgiens, lorsqu'il ordonne que celui qui frappera ou blessera un de ses semblables, paiera au blessé son temps, et le salairQ dú au chirurgien qui l'aura guéri.

Homère parle de plusieurs princes et chefs d'ar- mées qui pansèrent les blessés pendant la guerre de Troie.

Nous lisons dans Tite-Live, que Massinissa, roi de Numidie, guérissait les blessures, pendant les guerres de Carthage, avec quelques simples.

Denys, tyran de Syracuse, a aussi exercé la chi- rurgie, et pansaitles plaies.


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LA CHIRURGIE CHEZ LES ANLMAÜX 35

Josine, roi d'Ecosse, pendant son séjour en írlande, apprit la cliirurgie, et, pour imiter son exemple, toiite la noblesse d'Ecosse étudia cet art, en sorte que cent ans après il n'y avait point de gentilhomme écossais qui ne fàt chirurgien, ainsi que nous l'apprend Boèce dians son Histoire d*Ecosse,


La chirurgie chez les animauz.

Certains auteurs ont prétendu que les éléphants exercent la chirurgie, quand ils se trouvent auprès de quelque animal blessé et qu'ils ont l'adresse de retirer d'une plaie les dards, flèches et autres instruments, sans provoquer la moindre dou- leur. Nous avons dit que les chèvres de l'ile Candie, des qu'elles se sentent atteintes, cherchent le dic.- tame, qui a la vertu de faire tomber les flèches d'elles-mémes, aussitót qu'elles en ont mangé.

« Des crustacés chirurgiens, voilà qui peut paraitre bizarre, écrít M. H. Coupin ; mais il faut se rendre à l'observation, et reconnaitre que ces animaux ont une certaine chirurgie qui leur est d'ailleurs tres profitable.

« Saisissez un crabe vigoureux et bien vivant par une patte sans vous laisser pincer, bien entendu, à moins que vous n'y teniez particulièrement, et le voilà tout-à-coup qui tombe à terre, et pourtant la


36 LES GURlQSITES DE LA MKDECINE

patte est toujours entre vos doigts. Le crabe, lui, détale à toute vitesse, vous laissant une patte, et employant les neuf autres à fuir au plus vite ou à s'enfouir dans le sable, montrant par là combien votre société lui est désagréable. Vous insistez pour le garderauprès de vous, et vous le rattrapez; la scène recommence, et généreusement il vous abon- donne une seconde patte. Si vous voulez voir Ic phénomène dans toute sa netteté et d' une façon constante, au lieu de prendre le crabe par une patte, déterminez dans celle-ci une douleur quel- conque, par une coupure, une piqúre, une brúlure, ou Félectrisation : du moment oii l'une ou Tautre de ces excitations porte sur un point quelconque de l'une des pattes — sauf le dernier segment ou arti- cle, celui qui sert de griffe, et la moitié de l'avant- dernier — la patte se détache immédiatement, et il m'est arrivé, rarement car l'expérience est cruelle, bien qu'instructive, et je n'ai pas voulu la répéter inutilement de faire couper successive- ment à un crabe chacune de se» dix pattes, Tanimal ne réfléchissant pas que, dans ces conditions, la vie lui devient à peu pres impossible. Que peut-il faire, en effet, sans un seul membre ; comment se nourrir ou se defendre ?

c( Mais, me direz-vous, ou est la chirurgie dans tout cela ? Je vois bien une fracture ; mais je ne vois ni chirurgien ni opération* Le chirurgien, oest le crabe lui-méme, et l'opération, c'est la frac-


LA CHIRURGIE CHEZ LES ANÍMAUX 37

Iure. Celte fracture est produite par le crabe lui- méme, plus ou moins volontairement, et elle a une utilité tres grande. En effet, tandis que la fracture de patte que vous pourrez déterminer vous-méme, avec un couteau ou des ciseaux, saigne abondam- ment, celle que le crabe lui-méme se fait aussitdt, ne saigne pas du tout : la vótre lui serait mortelle, la sienne lui sauve la vie. Et si sa fracture ou am- putation ne saigne pas, c'est qu'elle se fait dans un point ou les conditions anatòmiques rendent l'écou- lement de sang tres difficile ou impossible. L'ampu- tatíon spontanée est donc indispensable dans les cas ou la patte est levée d'une façon quelconque ; et dans les cas ou l'animal, sans ètre blessé, se sent retenu par une patte et en danger d'étre fait prison- nier, il se dit sans doute que mieux vaut perdre une patte ou deux ou plus encore, mais garder sa liberté. Le raisonnement est d'autant plus juste que le crabe, en renonçant à une patte, n'y renonce point pour toujours, comme cela serait le cas chez un oiseau, un mammifère ou l'homme : à la pre- mière mue — ou le changement de carapace — la patte perdue repousse ».

M. Patio a cité, devant la Société médicale de Genève, Tobservation d'une bécassíne, qui, à l'aide de son bec et de ses plumes, faisait un veritable pansement, appliquaít sur une plaie saignante un

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38 tfiS CURIOSITES D£ LA MEDECINB

emplàtre, et méme soulenait un membre cassé à l'aide d'une ligature solide.

Dans une autre occasion, M. Palio captura une bécassine, portant sur sa poitrine un large panse- ment composé de duvet emprunté à d'autres parties du corps et fortement maintenu sur la blessure par du sang coagulé. Deux fois, il rapporta chez lui des bécassines portant au niveau d'une fracture des plumes entrelacées et solidement fixées.

L'exemple le plus interessant est celui d'une bécassine dont les deux pattes avaient été frac- turées par un coup violent. L'oiseau fut recueilli le jour suivant et déjà il avait réussi à appliquer un pansement et une sor te d'attelle aux deux mem- bres. Mais, pendant ce travail, des plumes s'étaient fixées dans son bec et dans Timpossibilité oíi il se trouva de les enlever, le pauvre oiseau était mort de faim.

Dans un cas rapporté par M. Magnier, une bécas- sine aperçue volant avec une patte cassée fut trouvée avec les fragments places dans une posi- tion parallèle, et maintenue ainsi à Taide d'une forte ligature de plumes avec de la mousse interposée. Ce qui frappa surtout les observateurs, ce fut Tap- plication d'une ligature d'une sorte d'herbe plate, de forme spirale, fixée autour du membre à l'aide d'une sorte de glu.

II existe, au Brésil, un oiseau que l'on appelle le


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LA CHJRURGIE CHEZ LES ANLMAUX 39

chirurgien ou le Jacana arméy pour le distinguer des deux autres espèces qui fréquentent les marais du nouveau continent.

Le chirurgien est ainsi nommé parce qu'il porte, à la partie antérieure de chaque aile, une manière de lancette ou d'éperon, jaunàtre, fort effilé, d'une consistance de corne, dont il se sert pour se defen- dre contre ses ennemis. Le chirurgien hrun armé ou Jacana hrun armé, qui ne diffère pas sensible- ment du precedent, se trouve au Mexique, à Cayenne et à Saint-Domingue.

Une troisième espèce, qu'on nomme le chirurgien varié ou la foulque épineuse, fulca spinosa, de Linné, se rencontre dans l'Amérique méridionale ; on a vu exceptionnellement des Jacanas armés en Afrique.

II existe également un poisson, qu'on nomme le chirurgien, parce que sa queue se termine par deux petites pointes, fermées et aigües comme une lan- cette.

Enfín le thalictrum, plante qui croit en abondance sur les vieux murs, et parmi les décombres des bàtiments, est appelée Sophia chirurgorum, science des chirurgiensy parce que, pilée et appliquée sur les blessures et les ulceres, elle a la vertu de les guérir en tres peu de temps.


40 LES CURIOSITÉS DE LA MEDECINE


Chirurgiens de robe longue et chirurgiens de

robe courte.

A l'article Chirurgie du Dictionnaire des sciences médicalesy on peut lire qu'en 1372, un édit royal fixa la part des barbíers dans les opérations. II est ajouté :

« Cependant les chirurgiens à robe longue (ou de Saint-Cóme) conservèrent leur suprématie, leur juridiction sur les barbiers, leurs droits à conférer les grades. »

En 1640, ce titre : Chirurgien de robe longue était encore en usage, mais, vingt ans plus tard, il semble avoir perdu le droit d'exister. En effet Guy Patin dit ceci :

« II se plaida, le 21 du mois de février 1660, une cause à la Grand'chambre entre les médecins et les chirurgiens de notre ville.

« L'avocat djt bien des choses inutiles il con-

clut enfin, et pria la cour de permettre aux chirur^ giens de porter la robe et le bonnet.

« Des qu'il eut fini, M. Langlet, recteur de TUni- versité, harangua pour l'Académie de Paris contre les chirurgiens. II les a traités comme ils méritent et a conclu à ce qu'ils n'eussent ni robe, ni bonnet, ni aucune qualité que de manoeuvres chirurgiens sous la direction et intendance des médecins pour


CHIRURGIENS DE ROBE LONGUE ET COURTE 41

lesqaels il parlait et intervenait. Enfin Saint-Luc a élé plus fort que Saint-Cóme.

« Monsieur Talon a fait merveille pour obtenir delacour que ces gens fussent rangés à leur devoir. II leur a été défendu d'user d'aucun litre de bache- lier, licencié, docteur ou professeur en chirurgie. »

Au XIII® siècle, quelques barbiers fondèrent une confrérie spéeiale, placée sous l'invocationdessaints Cóme et Damien, et, vers 1268, ils soumirent leurs statuts à l'homologation de la prévoté de Paris. Leur Corporation se divisa alors en deux classes : celle des simples barbiers ou barbiers laiques, appelés aussi barbiers-chirurgiens ou chirurgiens de robe courte et celle des barbiers-clercs, dits aussi chirurgiens-barbiers, chirurgiens de Saint- ,Cóme et chirurgiens de robe longue.

Ces derniers aspiraient à se rapprocher des mires ou médecins et à s'élever au-dessus des simples barbiers-laïques. II leur fallut plusieurs siècles pour y parvenir.

C'est Louis XIII qui crea les barbiers barbants ou perruquiers ; ils devaient mettre à leurs ensei- gnes des bassins blancs pour les distinguer des chi- rurgiens qui en avaíent de jaunes ; mais ce n'est qu'en 1743, que les chirurgiens furent reconnus comme constituant un corps savant, et se séparèrent définitivement des barbiers.


42 LES CURIOSITES DE LA MEDECINB


Jjes enseignes des chirurgiens d'autrefois.


Comme on a raison de s'écrierque le pittoresque s'en va, car nous tendons de plus en plus à une désespérante et banale uniformité. Voyez ce qui s'est passé pour les enseignes des médecins. C'est à peíne si une plaque indicatríce désigne à Theure actuelle le domicile des discíples d'Esculape. Autre- fois il n'en allait pas de méme. Ce furent les barbiers qui commencèrent par ajouter aux armes parlantes de leur métier celles de la chirurgie, c'est-à-dire les trois palettes peintes en rouge, qu'ils suspen- daient àleurs bassins professionnels. Quand le Par- lement les autorisa à s'intituler : mattres barbiers chirurgiens^ il leur permit par la méme ordonnance de faire figurer dans leurs enseignes les bassins ou plats à barbe et les trois palettes. Toutefois, ceux qui n'avaient pas subi l'examen d'anatomie et de chirurgie pratique, qu'ils étaient tenus de passer devant les maítres-jurés de la communauté pour avoir le droit de « saigner et de panser les pauvres malades », ne devaient pas, sous peine d'amende, arborer les trois palettes symboliques.

Les chirurgiens pouvaient pendre des bassins à leur porte, ainsi que des boites d'onguents, qui res- semblaient beaucoup aux palettes des barbiers. De


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LES ENSEIGNES DES CHIRURGIENS D^AUTREFOIS 43

là procés et contestations, et en fm de compte, déci- sion du Parlement, permettant aux chirurgiens d'avoir « des bassins de cuiyre ^vec trois boites », et aux barbiers des « bassins d'étain ou de plomb avec trois palettes ». Les chirurgiens donnaient par- fois libre cours à leur imagination dans la confection de leurs enseignes. C'est ainsi qu'un d'entre eux, demeurant à Paris, pres de Saint-Martial, avait fait peindre un tableau representant La Charité de Saint-Louis^ et avait prió son ami Santeuil de com- poser une inscription latine à son intention. Le poète fabriqua ce distique que le chirurgien fit graver en lettres d'or au-dessous de son tableau :

Ne medicus adhibere manus dubitaveris segro, Admonet hsec picta regiasy teque doceU

Ce n'était qu'une boutade à l'adresse des méde- cins, qui ne se faisaient, du reste, aucun scrupule d'étaler publiquement leurs enseignes (1).

L'accoucheur Mauriceau, qui écrivit en 1681 le Traité des femmes grosses^ donnait ainsi son adresse, à défaut de celle de son libraire : Parísy chez Vauteurj au milieu de la rue des Petits^ ChampSy à Venseigne du Bon^Médecin. .

Que les temps sont changés !...


(1) Le médecin catholique Nicolas Venette (1633-1698) avait fait poser sup la façade de sa maison des textes latins de la Vulgate.


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44 LES CURIOSITKS DE LA MÉDECIXE


Les premiers bandages

On sait que les bandages étaíent déjà employés par les Romains. Celse, qui vivait sous Tibère, plus tard Galien, enfin Oribase, qui suivit en Gaule l'empereur Julien, parlent tous des bandages dans le sens général. Mais ils ne donnentpas d'explications détaillées, et il est difficile, d'après cette simple mention, de se faire une idée de la manière dont ces bandages étaient employés.

Or, d'heureuses trouvailles, faites dans les cime- tières gallo-romains, ont permis de se procurer des échantillons de ces bandages. Alfred Danicourt notamment, a rapporté à la Société archéologi- que qu'il avaittrouvé un bandageherniaire dans des fouilles opérées à Marchélepot, en Picardie. Le bandage était en fer, entier, avec une armature faite et courbée, pour pouvoir maintenir une hernie du cóté gauche.

II fut trouvé in situ sur le fèmur gauche.

Une partie de la pelote de peau placée pour adoucir la pression du ressort était encore adhé- rente. Le ressort presque recouvert de cuir ou d'é- toffe ne pouvait laisser aucun doute sur la destina- tion de Tobjet.

Déjà on avait fait plusieurs fois, parait-il, sem- blable trouvaille.


LES PREMIERS BANDAGES 45

M. leD'Colson (deNoyon),avaittrouvéun ban- dage dans une tombe remontant à la basse époque gallo-romaine, mais rien de la trouvaille n'avait élé conservé.

M. Darly (Amiens) a de méme rencontré deux íois pareil ressort dans le cimetière mérovingien de Fluy (Somme), mais il n'y avait altaché aucune importance.

Ce serait donc à M. Danicourt que reviendrait le mérite d'avoir le premier signalé et décrit le ban- dage herniaire de nos ancétres gallo-romains.

L'historique chirurgieal des bandages herniaires ne contient presque aucun renseignement. A part un passage de Celse, qui ne s'occupe que du ban- dage mou pour la hernie des enfants ; à part quel- ques mots sur Constantin l'Africain qui, exerçant à Carthage (vers 1100), usait déjàde pelotes métalli- ques, nous ne savons rien de la construction des brayers dans Tantiquité.

De Celse à Ambroise Paré, qui ne connut que les bandages à pelotes en chiffons, avec bretelles et sous-cuisse, jusqu'à Lequin et Blégny, lesquels commencèrent la veritable réforme des brayers soli- des, à ceintures métalliques et à pelotes, malgré Texistence, jusqu'à Charles IX, de la compagnie des boursiersà Paris, la nuitla pluscomplète regne dans cette partie de l'histoire de la chirurgie ; à tel point

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46 LES CURIOSITÉS DE LA MÉDECINE

que Dezeimeris essaya bien de traiter ce sujet dans le Dictionnaire en 30, mais, dans les dictionnaires de médecine les plus recents, il n'en est plus question : l'historique est supprimé faute de documents.

Nous possédons aujourd'hui une figurine en terre cuite, trouvée à Sousse (Hadrumòte) sur un cime- tière, vers l'enceinte phénicienne, representant le dieu Bes porteur d'un bandage herniaire inguinal double, avec plusieurs au tres variétés de hèrnies.

Cette figurine démontre, sans doute possible, que, tres probablement, peu de temps après la fondation de Sousse et de Carthage, àl'époque des Phéniciens, des Tan 900 av. J.-C, les médecins de ce pays con- naissaient tres bien la pathologie, les variétés des hèrnies et savaient appliquer un excellent bandage herniaire double, rigide, métallique, à pelotes, sur les tumeurs inguinales.

Ce bandage, qui vient méme peut-étre de Tyr> est établi selon les lois de la mécanique, avec une perfection que n'ont pas surpassée de nos jours les meilleurs constructeurs des capitales de l'Europe.

S'il est vrai que ni les ruinesde Pompeï et d'Her- culanum, ni l'arsenal chirurgical du moyen-àge et de la Renaissance ne contiennent trace du brayer à ceinture métallique, il n'est pas moins établi main- tenant, et de la façon la plus solide, mieux que par untexte, que, longtemps avant Celse, les Phéniciens savaient construiré le bandage herniaire inguinal à double pelote métallique.


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LES PR£MIERS BÀNDAGES 47

Les appareils que les Lequeux, Blégny, Tiphaine croyaient avoir inventés, avaient été déjà réalisés par les médecins, les fabricants, les couteliers d'Ha- drumète, pres de vingt-cinq siècles avant TAcadé- mie de Chirurgie !

Ce premier bandage, que nous révèle une fouille faite à Sousse, se rapproche beaucoup de la dernière variété de brayer, qui fut construite avec cette méme arcade pubienne, vers 1865, par Dupré et Robert, à Paris.

Les premiòres autòpsies

Galien, nous l'avons vu, n'a disséqué que des animaux.

Aristote n'avait pas pratiqué, semble-t-il, Tana- tomie humaine, mais il avait disséqué un grand nombre d'ahimaux, quadrúpedes, oiseaux, serpents, poissons.

A l'Ecole d'Alexandrie cependant, la dissec- tion avait été cultivée avec ardeur, sous les Pto- lémées.

Les médecins pouvaient opérer sur les cadavres humains et l'on ne tenait pas compte du préjugé qui faisait considérer l'ouverture du corps de l'homme comme une viola tion et un crime (1).

(1) A Rome, le Saint-Siège, sans interdire les dissec- tions, en rendait la pratiqué excessivementdifflcile. Le praticien devait, sous peine d'amende, préalablement sollieiter l'autorisation du vicaire pontifical, obtenir de Tautoritó municipale la remise d'un cadavre, fixer


48 LES CURIOSITÉS DE LA MEDECINE

Celse, Galíen et ses commentateurs nous ont fait connaitre les deux plus grands anatomístes de l'é- cole d^Alexandrie, Hiérophile et Erasistrate, dont les ouvrages ont dísparu. Tous deux vivaient sous Ptolémée Soter, entre 305 et 280 avant Tère chré- tienne. lis iirent faire de sensibles progrés à Tana- tomie en disséquant un grand nombre de cadavres. Selon Celse et Tertullien, Hiérophile disséqua méme vivants des malfaiteurs condamnés à mort.

En 1213, Frederic II, empereur d'Allemagne et roí des deux Siciles, promulguaitune ordonnance par laquelle il élait défendu de se livrer à Texercice de la chirurgíe sans avoir fait un an d'anatomie sur le corps humain. Et, en exécution de cette ordon- nance, il prescriví tauxécoles de Salerneetde Naples d'anatomiser publiquement un cadavre humain au moins tous les cinq ans (i).


d'avance le programme des expériences et recherches auxquelles 11 allait se livrer, veiller personnellement au choix du local ainsi qu'à la préparation des instruments. Les expériences terminées, il devait s'assurer que le cadavre était enseveli d'une façon honorable et faire diré, à son intention, en guise d'expiation, au moins vingt messes.

S'il s'agissait d'un porc. les formalilés éiaient un peu moins compliquées ; cependant aucune dissection ne pouvait avoir lieu en públic et sans que l'autorité en alt été dúment avisée.

Cesi, du moins, ce que dit E. Rodocanachi dans son ouvrage sur les Corporations àRomc (Picard, 1892).

(1) Dans un bas-relief de Donatello, Saint Antoine de Padoue est représenté pratiquant une autopsie : en


LES PREMIERES AUTÒPSIES 40

Cent ans plus tard, une nouvelle ordonnance fut rendue, entrant dans plus de détails et accordant plus de cadavres.

Ce ne fut réellement qu'en 1306 que Mundini (1) disséqua publiquement à Bologne le cadavre d'une femme. Dix ans après, il en anatomisa deux autres ; c'est alors que Boniface IV lança un édit « contre ceux qui osaient attenter à la dignité de l'homme ». Et les études de dissection furent interrompues.

Pendant tout le moyen-àge, les progrés de l'ana- tomie furent donc lents, pour ne pas diré nuls (2).


ouvrant la cavité thoracique d'un avare 11 trouve une pierre à la place du coeur.

Saint Antoine, né en 1195, mort en 1231, vivait à une époque oü les dissections étaient à peine toiérées. Mais Donatello, Tauteur dü bas-relief figurant le saint, pou- vait en avoir vu pratiquer, car 11 vécut vers le milieu du quinzième siècle.

(l)Mundini de Luzziétailprofesseurà Bologne, oü, le premier, il fit publiquement la dissection de deux ca- davres féminins en 1315 ; l'un en janvier, l'autre en mars, ainsi qu'il le dit lui-méme. En 1316, il publia son anatomie, ainsi que cela ressort de ses paroles : « quam anatomizavi onus procterito ». Mundini parle toujours des testicules féminins, et il appelle le vagin « collum matricis, cujus extremitas est vulva ». Par contre, il décrit tres exactement V « os uteri » qu'il compare à un « os catuli nuper nati, ou avec 1' « os tincü3 » (museau de chat nouveau-né, ou museau de tanche; ce nom lui estresté).

(2) Au debut du xm® siècle, une ordonnance royale avait prescrit à Salerne la dissection d'un cadavre. Jusque-là on se servait de porcs pour les démonstra- tions anatòmiques.

Le 7 mars 1308, parut une ordonnance, fixant le


50 LES CURIOSITÉS DE LA MEDECINE

L'ouverture d'un cadavre était considérée comme un événement tellement extraordinaire, que les auteurs contemporains l'enregistrent dans leurs écrits comme digne de passer à la postérité. Dans un traité de chirurgie publié en 1546, on lit qu'en 1429, le 8 février, fut disséqué un individu de Ber- game, et qu'en 1430 on fit à Venise la dissection d'une matrice de femme.

Bertapaglia, qui professait à Padoue vers 1424 et qui fut chirurgien universitaire, savait peu d'ana- tomie ; il fait remarquer qu'il a assisté à l'anatomie d'un cadavre en 1429 et à celle d'une matrice en 1430. Quelque cent ans plus tard, d'ailleurs, et alors que l'anatomie était entrée dans une phase nouvelle, les étudiants en médecine, surtout dans les universités françaises, mentionnaient encore dans leurs notes les séances publiques de dissection ou d'autopsie auxquelles ils avaient assisté.

En France, les premières dissections furent fai- tes à Montpellier, dont la Faculté de médecine avai*- obtenu en 1376 du duc d'Anjoul'autorisation d'ana- tomiser chaque année le corps d'un criminel exécuté.

nombre de cadavres doni les médecins pourraient dis- poser.

Dès 1302, Guillaume de Varignana, assisté de phy- siciens et de médecins-chirurgiens, avait pratiqué des autòpsies, soit pour rechercher les causes d'un empoi- sonnement, soit dans un but d'enseignement.

Dans celte méme ville, Guillaume de Salicet, avant Varignana, avait ouvert des cadavres.


LES PREMIERES AUTÒPSIES 51

Celte aulorisation fut ratiíiée Tannée suivante par Charles le Mauvais, roi de Navarre, alors seigneur de Montpellier, el, de plus, en mai 1396, par letires patentes de Charles VI.

Mais les sujets livrés aux Facultés françaises étaient peu nombreux. Au commencement du xv« siècle, à Paris, on disséquait un cadavre de pendu trois à cinqfois par an seulement. C'est peu, si Ton songe qu'au moyen-àge on faisait assez bon marché de la vie humaine.

Au XV® siècle, un chirurgien du Chàlelet devait, chaque année, faire c< une anatomie de femme, pour rinstruction de ce qui est de la pratique des sages- femmes, ou elles seront averties de se trouver. »

Un arrét de 1660 porte « que les anatomies doi- vent se faire dans les écoles, au nombre de deux au moins par an. »

Un passage des CEu^^res anatòmiques de Jean Riolariy complétées et mises en français par Pierre Consíanty publiées à Paris en 1629, montre que les sujets d'amphithéàtre étaient aussi rares à Paris qu'à Montpellier, quand parut PantagrueL « Au temps de Vesalius, a écrit Riolan, Charles-Quint fit mettre en question dans son université de Sala- manque s'il estoit permis aux médecins chrestiens de disséquer les corps humains. U luy fut respondu que cela étant utile et nécessaire à la médecine, il leur devoit estre permis. C'estoit en Tannée 1556. »

Dans les registres de la Faculté de médecine de


52 LES CURIOSITES DE LA MEDECINE

Paris (Reg. ms. s. de la Fac, t. VI, fol. 149, v^) il est fait menlion — propter raritatem casus, k cause de la rareté du cas — de l'autopsie du corps d'une femme, morte en travail puerpéral, pratiquée dans les premiers jours de mars 1551, à THótel- Dieu de Paris, sous la présidence de Jacques Gou- pil. En dehors des cadavres de criminels ou de sup- pliciés, les médecins de celte époque ne pouvaient guère, en effet, disséquer que ceux qu'ils avaient dérobés la nuit dans les cimetières, en bravant la hart et la répulsion publique.


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Un médecin bàlois, Fèlix Platter, qui a étudié à Montpellier, nous a laissé dans ses Mémoires un récit curieux de sa première expédition à la recher- che de « sujets d'expériences ».

a Elledate, dit-il, du 11 décembre 1554. La nuit était déjà sombre quand Gallotus (1) nous mena hors de la ville, au monastère des Augustins. Nous y trouvàmes un moine qui s'était déguisé et nous préta son aide. Nous entrons furtivement dans le cloitre et nous restons à boire jusqu'à minuit. Puis, bien armés et observant le plus profond silence, nous nous rendons au cimetière Saint-Denis. Nous déterrons le mort en nous aidant des mains seulement, car la terre n'avait pas eu le temps de s'affermir; une fois le cadavre à découvert, nous

(1) Un des collègues et amis de Fèlix Platter.


LES PREMIERES AUTÒPSIES 53

lui passons une corde, et tirant de toutes nos forces nous l'amenons en haut. Après Favoir enveloppé de nos manteaux, nous le portons sur deux bàtons, jusqu'à Tentrée de la ville. II pouvait étre trois heures du matin ; nous déposons notre fardeau dans un coin et frappons au guichet. Un vieux portier se présente et ouvre ; nous le prions de nous donner à boire, pretextant que nous mourons de soif. Pen- dant qu'il va chercher le vin, trois d'entre nous introduisent le cadavre et vont le porter dans la maison de Gallotus. Le portier ne se douta de rien. Quant aux prétres de Saint-Denis, ils se virent obligés de garder le cimetière, et de leur cloitre ils décochaient des traits d'arbalète sur tous les étu- diants qui s'y présentaient. » (1)

Quand les médecins ont eu aequis le droit de disséquer, ils l'ont refusé aux chirurgiens. Les chirurgiens de Saint-Cóme et leur prévót Mauri- ceau, déjà cèlebre par ses travaux sur les accou- chements, ont dú, le 24 février 1672, après avoir vu forcer les portes de leur collège par un serrurier ílanqué de plusieurs archers, remettre à Puylon, doyen des Ecoles de médecine, un cadavre qu'ils avaient reçti plusieurs jours auparavant de l'exécu- teur de haute justice.

(1) Le 23 avril 1565, « le fils aysné de Monsieur le comte de Tenda (gouverneur du chàteau de Valognes) mourutle matin. Le lendemain, onrouvrit (pour recon- naitre sans doute la cause de sa mort) ». Journal du sire de Gouberville, p. 575.


54 LES CURIOSITÉS DE LA MEDECINE

Une sentence du lieulenant de police, rendue le 16 avril 1683 contre de Blégny, chirurgien du duc d'Orléans et de La Noue, son còmplice, prouve, au surplus, mieux que toutes les paroles que nous pourrions ajouter, quelle valeur la Faculté a attaché primitivement aux moindres sujets et avec quelle énergie elle a entendu s'en réserver la propriété, méme au detriment de ses frères en Esculape, les ehirurgiens-barbiers. Cette sentence « condamne par contumace de Blégny à étre banni du royaume à perpétuité, ses biens confisqués au profit du roi, et le còmplice de La Noue à étre battu et fustigé nu de verges aux carrefours et lieux accoutumés, et de plus à trerite

livres d'amende. » Et cela pour avoir acheté

du fils du fossoyeur de Saint-Sulpice plusieurs cadavres exhumés !

Disons bien vite que cette abominable sentence ne reçut pas son exécution ; que, sur l'appel de Blégny et de La Noue, qui s'étaient constitués prisonniers à la Conciergerie de Paris, le Parle- ment se contenta d'admonester les délinquants et de les condamner à des peines pécuniaires assez fortes.

Les autòpsies vivants

Vesale, originaire de Vesel dans le duché de Clèves, est le premier qui ait disséqué des corps humains ; ildisséquaun gentilhomme qui était


LES AUTÒPSIES VIVANTS 55

encore vivant. II fut déféré pour cet acte à l'In- quisition, à laquelle Charles-Quint parvint à le soustraire, en lui faisant faire un pélérin^ge en Terre-Sainte, pour expier son erreur.

Le cèlebre abbé Prévost succomba brus- quement, le 23 novembre 1763, en revenant de Chantilly. Une attaque d'apoplexie l'étendit au pied d'un arbre. Des paysans qui survinrent le portèrent chez le curé du village le plus voisin. On rassembla avec précipitation la justice, qui fil procéder sur-le-champ par un chirurgien à l'ou- verture du corps. Un cri du maiheureux, — c'est ici que commence la légende, (1) — qui n'était pas mort, arréta l'instrument, et glaça d'effroi les spectateurs ; mais le coup mortel était déjà porté ! Tinfortuné abbé Prévo.st n'aurait rouvert les yeux que pourvoir l'appareil cruel qui l'environnait, et la manière horrible dont on lui arrachait la vie. C'est ainsi qu'il aurait terminé sa carrière, presque aussi romanesque que celle de ses héros.

Guillaume Rondelet. fameux médecin de l'Uni- versité de Montpellier, avait un zèle outré pour les


(1) Nous rétablirons ce qui parait étre la vérité dans notre volume, actueliement en préparation, sur Les Morts mystèrieuses de VHistoirc,


50 LES CURIOSITÉS OE LA MÉDECINE

dissections. On assure qu'un de ses enfants étant mort, il en fil lui-méme la dissection. C'élait pousser furieusement loin Tentbousiasme de Tanatomie.

Posthius, son disciple, nous apprend de son cóté que Rondelet, voyant Fonlanus, son ami et coUè- gue, Irès dangereusement malade, le pria instam- ment d'ordonner par son testament qu'après sa mort on lui remít son corps — pour le disséquer !

Jadis les médecins et les savants ne se faisaient aucun scrupule de faire des expériences sur des con- damnés à mort. Hérophile, d'Alexandrie, opera des viviseetions sur six cents condamnés ; il leur ouvrait le ventre pour sentir les mouvements de l'intestin et la poitrine, pour sentir battre leur coeur.

Attale, roi de Pergame, et Mithridate, roi du Pont, abandonnaient à leurs médecins des scélérats sur lesquels on essayait des poisons.

Le christianisme provoqua une telle réaction qu'au temps de Galien on ne put méme plus dissé- quer les morts.

Les premiòres secouristes.

Une fonction particulièrement généreuse passion- naitles femmes au moyen-àge : c'était celle de panser les blessures et de guérir les naçrés. Elles s'y livraient avec zèle, et, si Ton encroit les témoignages des poetes, elles y réussissaient à miracle. Ces succés


LES PREMIÈRES SECOURISTES 57

doivent-ils élre attribués aux recettes simples et éprouvées qu'elles se transmettaient de mère en fille, aux potions et oignements^ dont quelques spécimens sont venus jusqu'à nous, sous le nom de « remèdes de bonnes femmes » ? Etaient-ils en majeure partie le resultat du contact magnétique de leurs blanches mains, délicates et attentives, de leurs voix douces et pleines de tendres consolations? Les guérisons avaient, nous le croyons, toutes ces causes à la fois.

Ceux qui en ont écrit ont donné, pour but unique de leur soin d'acquérir la science de guérir, le devoir de panser elles-mémes leurs parents et leurs amis blessés à la guerre ou dans les tournois. C'est un de leurs motifs en effet, le passe-temps favori étant alors de donner et de recevoir des coups de lance ; màis ce motif n'est assurément pas le seul. Au talent d'étancher une plaie, de Tentourer de bandelettes, de reduiré une fracture, les femmes joignaient celui de saigner, de ventouser, de composer des elixirs et des potions, d'oindre les parties malades du suc de bonnes herbes et de les désenfiévrer. (1)

Dans sa dissertation « sur Tétat des sciences de 1031 à 1314 », Tabbé Leboeuf nous apprend qu'Abailard voulut, dans sa communauté du

(1) Cf. Antony Méray. La Vic au temps des Trou- tércs.


58 LES CÜRIOSITES DE LA MEDEGINE

Paraclet, que rinfirmière au moins fut experie en médecine, et qu'il y eút une des religieuses capable de donner des soins aux aulres scEurs. Les lettres d'Héloïse nous montrent qu'elle-méme était loin d'étre ignoranle à cet égard.

C'est au point de vue du pansement héroïque, il est vrai, que les preuves sont les plus nombreuses. A chaque page de nos innombrables épopées cheva- leresques, apparait une dame ou une demoiselle piteusement penchée sur un corps meurtri.

Dans le roman de Perce^al, lorsque l'illustre chevalier a cassé le bras du sénéchal de sa cour, le roi Artus « qui le cuer a tendre » envoie chercher pour le guérir un médecin et trois jeunes filles ses élèves.

Autre exemple, fourni encore par Chrestien de Troyes, THomère de la table ronde, dans son roman d'E rec et d'Enide : Le chevalier Erec, rapporté sanglant, est soigné par sa femme et par les deux soeurs du comte de Guivres. Ces habiles guéris- seuses, « qui moult en savoient », enlèvent premiè- rement la chair gàtée, « la morte car », puis lavent soigneusement les plaies.

Dans la jolie nouvelle d'Aucassin et Nicolèíe^ Aucassin, tombé de cheval sur une pierre, s'est démis Tépaule. Sa mie ne charge personne de sa guérison ; elle-méme opère la cure et le pansement : « Elle le portasta et trova qu'il avoit Fespaule hors du liu [lieu] ; elle le mania tant à ses blanches


LES PR£MIBRS HOPlTAUX 59

mains et porsaça, si com Diex le veut qui les amano aime, qu'èle (l'épaule) revint à liu (en place) ; et puis si prist des flors et de Therbe fresce et des feuilles vertes, si les loia sus au pan de sa cemise, et il fut tost gari. »

La belle sarrazine Floripe, dans le vieux roman de Fierabras^ panse Olivier avec la mandragore^ cette plante mystérieuse aujourd'hui perdue.

Gerard de Nevers, blessé dans un combat, n'eut pas d'autre médecin qu'une demoiselle : « Une pucèle de céans le prist en cure ; si le pansa tèle- ment que en pou d'espace en commença à amender, tèlement et si bien le pensa la pucèle, que, avant que le mois fust passé, il fut remis sus et du tout guari. »

Egalement dans le dramatique lai de Gugemer, par Marie de France, le chevalier de ce nom, atteint à la cuisse par sa propre flèche, est soigné par une dame et sa nièce, avec les mémes soins touchants.

On pourrait multiplier à l'infini les citations.

Les prexniers hòpitauz

Saint Jéróme dit que Fabiola, dame romaine fort opulente, vendit tous ses biens et, avec le pro- duit, fonda (vers l'an 380) un hòpital dans lequel on recevait les malades que Ton allait chercher dans


GO LES CURIOSITES DE LA MEOBCINE

les rues et sur les places publiques, ou ils gisaienl consumés par la faim et les douleurs.

Saint-Jéróme fait observer que c'est le premier établissement de ce genre auquel on ait donné le nom de nosocomium, Cependant il parait certain que, depuis près de cinquantè ans, il existait déjà en Orient quelques établissements qui avaient beau- coup de rapports avec celui de Fabiola.

On voit par les écrits de saint Epiphane qu'au milieu de iv® siècle, il y avait à Sébaste, ville du Pont, un hópital destiné à recevoir les pauvres, les étrangers, les estropiés et les iníirmes. II parait, d'après ce que dit ici saint Epiphane, que l'hópital de Sébaste n'était pas alors le seul en Asie, et qu'a peu près à la méme époque, il en existait quelques autres, qui étaient tous administrés par des évéques.

Ce ne fut que plus tard qu'on commença à en établir en France; l'Hótel-Dieu de Lyon parait étre le plus ancien dont il soit fait mention.

Les hópitaux de Reims et d'Autun le suivirent de près.


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L'ANTIQUITÉ DE L'OBSTÉTRIQUE


Les premières sages-femmes


,'est dans Plaute que nous trouvons la première n Rome :



mention de Texistence des sages-femmes à


Tam obatetrix expostulaoit mecumparum missum sibi(l)

« La sage-femme se plaignit à moi de n'avoir pas été suffisamment payée ».

Térence, qui vécut après Plaute, parie égale- ment des sages-femmes. Dans la comédie intitulée L'Andrienne^ il est question d'une sage-femme adonnée à la boisson, et qui pour cette raison ne pouvait pas inspirer beaucoup de confiance.

« C'est une femme qui a l'habitude de boire ; elle est imprudente, et l'on ne peut confier à ses soins une femme qui accouche pour la première fois. »

En arrivant à une époque plus rapprochée de nous, on trouve des détails plus complets sur les

(1) Plaute, Miles ^loriosus.


62 LES CURIOSITES DE LA MEDEGINE

sages-femmes. II existait à Rome des obstetrices [i] ou accoucheuses, et des adstetrices^ mot qui sem- ble désigner les aides des sages-femmes.

Nous trouvons enfin un autre ordre de femmes intervenant dans la pratique de la médecine : ce sont les sagopy et c'est ici que nous est révélée Tétymologie du mot sage-femme, indiquée d'une manière claire, et sans qu'on soit obligé de recou- rir aux subtilités d'une philologie fantaisiste.

Les fonctions de la saga étaient assez mal defi- nies. Festus nous apprend que les prétresses char- gées des expiaiionSy pia trices (expiatrices), étaient aussi désignées par quelques auteurs sous le nom de sagce; mais ce mot avait d'autres significations,- et il était également employé pour désigner les magiciennes, les sorcières, les entremetteuses, les parfumeuses et les sages-femmes. Comme on voit,

(1) Les « obstetrices » sont seules nommées quand d'anciens auteurs parlent occasionnellement d'accouche- ments ; par contre nuUe part 11 n'est fait mention de médecins. Osiander indique, dans son histoire, p. 54, § 92, qu'Antonius Musa aurait été appelé auprès de Lívie en travail, mais il n'indique pas le livre de cet auteur, dans lequel, d'après Suétone, se trouverait la citation, ni Tédition à laquelle il Taurait empruntée. Ce passage, qui ne se trouve pas dans cet auteur, a tout simplement été copiédans Süe (ouv. c, t. I, p. 70), qui a écrit avec beaucoup de légèreté et qui n'a pas rougi d'attribuer à Suétone des paroles qui ne se trouvent nulle part dans cet auteur, à moins qu'on veuille admet- tre qu'il ait eu à sa disposi tion une édition que per- sonne ne connait. Siebold et Hergott, Essaid'une his^ toire de Vobstètricie^ p. 107.


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LES PREMIERES SÀGES-FEMMES 63

cette expression n'est jamais prise qu'en mauvaise part, et pour désigner des femmes qui exerçaient à la fois tous les métiers que nous venons de citar.

On sait que, dans les siècles precedents jusque vers la fin du dix-septième siècle, c'étaient exclusi- vement des femmes qui faisaient métier d'accou- cheuses. On les nommait au debut des ventrières.

En 1292, il y en avait à peine deux pour toute la capitale : Fune demeurant rue Saint-Martin, la seconde, rue des Ecouffés.

Cent ans plus tard, il existait, attachées au tri- bunal du Chàtelet, des {^entrières ou matronesjurées qui, comme nos experts actuels, étaient commises pour éclairer la justice, pour rédiger des rapports médico-légaux. Laurent Joubert, médecin de Henri III, nous a conservo le texte d'un de ces rapports, qui est un modèle du genre :

« Nous, etc, matrones jurées de la ville de Paris, certifions à tous qu'il appartiendra, que, le 14® de juin 1532, par l'ordonnance de Monsieur le prévót de Paris ou son lieutenant en ladite ville, nous sommes transportées en la rue Frepaut, ou pand pour enseigne la Pantoufle ; ou nous avons veue et visitée Hanriete Pelicière, jeune fiUe àgée de quinze ans, ou anviron, sur la plainte par elle faite an justice contre Simón le Bragard, duquel elle la dit avoir été forcée et déflorée. Et le tout veu et visité au doigt et à l'oeil, nous trouvons, etc. »


64 LES CURIOSITHS DE LA MEDECINE

La confrérie des sages-femmes, comme, du reste, celle des médecins, était placée sous le patronago des saints Come et Damien. Les aspirantes sages- femmes ne recevaient pas une instruction théorique des plus perfectionnées. II n'existait aucun cours oíficieL Toutefois, il était fait chaque année, par un des chirurgiens du Chàtelet, « une anatomie de femme pour Tinstruction de ce qui est de la pratique des sages-femmes, ou elles seront averties se trouver si elles en ont commodité. » Cela fait, les aspirantes subissaient une sorte d'examen, oü elles étaient

interrogées par le médecin, les deux chirurgiens et les deux matronesjuréesdu Chàtelet. Si elles étaient admises, elles pouvaient, une semaine après, « mettre et apposer au-devant de leurs maisons, enseignes de saiges-femmes, comme ont les autres : qui sont une femme portant un enfant, et un petit garçon portant un cierge, ou un berceau avec une fleur de lys, si bon leur semble ».

Une fois reçues, elles devront rigoureusement observer les statuts de la Corporation. En toutes circonstances, elles se comporteront « sagement, honnestement et vertueusement, et n'useront de paroUes ny gestes dissolus » . Elles ne toucheront les patientes, qu'autant qu'elles auront óté leurs bagues de leurs doigts, si elles en ont, et lavé leurs mains. Si l'accouchement est difficile, elles devront faire appeler aussitót soit un médecin, soit un chirurgien, soit une « des anciennes mai- tresses et matrones jurées »,


LES PREMIÈRES SÀGES-FEMMES 65.

Une déclaration de septembre 1664 chargeales chirurgiens d'instruire les sages-femmes ; à partir de ce moment, elles sont « agrégées » officielle- ment à la communauté des chirurgiens , au méme titre que les renoueurs, les herniaires, les dentistes, les oculistes et les litothomistes.

Cela n'empéchait point les sages-femmes, alors comme plus tard, de pratiquer, quand l'occasion s'en présentait, des avortements criminels. Quand le crime était découvert, le chàtiment était exem- plaire. A la date du 14 décembre 1596, le chroni- queur L'Estoile écrivait ces lignes : » Y eut une garce pendue à la place Maubert, qui avait jesté son enfant dans les privés, chose assez commune à Paris. » On apportait à l'Hótel-Dieu une telle quantité de foetus mort-nés qu'une religieuse était spécialement chargée de les jeter au fond de la toui^ du limbe, avec « un minot de chaux-A ive par dessus, pour les brusler et consommer et empes- cher la trop grande puanteur ». (1)


♦ *


On cite peu de noms celebres de sages-femmes, avant les Lachapelle, les Dugès, les Boivin, qui ont été l'honneur de leur profession. La première qui ait occupé Topinion publique de son temps est Louise Bourgeois « femme de M. Martin Bours-

(1) Alb. RoussELET, Notes sur l'ancien Hótel-Dicu de Paris, p. 37.

4*


66 LES CURIOSITES DE LA MEDECINE

sier » reçue le 12 novembre 1598, et dont le docteur Chéreau (1) s'est jadis constitué l'histo- rio graphe.

Louise Bourgeois accoucha six fois Marie de Médicis. EUe perdit sa réputation dans les circons- tances suivantes : En 1627, elle avait accouché la duchesse de Montpensier, qui mourut d'une affec- tion offrant tous les symptómes d'une péritonite puerpérale. Bien que, dans le procès-verbal d'au- topsie, les médecins et chirurgiens se fussent gardés d'incriminer la sage-femme, celle-ci se crut offensée par les termes du rapport, et attaqua ceux qui l'avaient signe avec une rare violence. Mal lui en prit. Guillemeau, premier chirurgien du roi, lui répliqua de bonne encre, et declara brutalement que la mort de la duchesse était imputable aux manoeuvres de la sage-femme. Louise Bourgeois dut bientót après se retirer des affaires : son renom était mortellement atteint.




Jadis, en temps d'épidémie, il y avait des sages- femmes spécialement désignées pour accoucher les femmes atteintes de la peste, et il semble méme que partout la charge de sage-femme des pestiférés ait existé avant celle de sage-femme des pauvres.

La sage-femme des pestiférés s'appelait sage-

(1) Chéreau, Esquisse historiquc sur Z. Bourgeois (1852, in-8o).


' .'


LES PtlEMIERES SAGES-FEMMES 67

femme rouge^ parce que, comme les prétres, les médecins et les chirurgiens, affectés au service des pestiférés, elle devait porter un vétement de couleur écarlate qui la désignait de loin au públic. On vou- lait ainsi permettre à ceux qui avaient besoin de ses soins de la distinguer facilement, et prevenir en méme temps les autres de s'écarter de son dange- reux contact. Du reste, son costume lui était fourni par la ville, qui lui délivrait 5 à 6 aunes de drap rouge par an, tant que l'épidémie sévissait.




Pline fait mention de plusieurs femmes cèlebres qui ont pratiqué les accouchements, qui méme ont composé des traités d'obstétrique : telles Artémise, reine de Carie, Livie, Laïs, etc.

Le médecin grec Aétius parle, à plusieurs repri- ses, d'une sage-femme du nom d'Aspasie, tres habile dans son art, et qui pourrait bien étre la cèlebre courtisane qui fut la maitresse de Cyrus le Jeune et d'Artaxercès, roi de Perse. Aétius nous a conservé les fragments d'un volume oíi Aspasie enseignait les meilleurs procédés pour rendre les femmes stériles ou pour les faire avorter.

La mère de Socrate était sage-femme. (1)


(1) « Ce que raconte Hyginus « qu'au commencement 11 n*y avait point de sages-femmes chez les Athéniens, attendu que les lois défendaient à toute femme libre ou esclave d'étudier la médecineet « qu'une jeune


68 LES CURIOSITÉS DE LA MEOECINE

Vers la fin du xvii® siècle [1692), les sages-fem- mes étaient peu nombreuses et d'autant plus consi- dérées. M"™® Parfait, au pavillon des Tuileries, près des grandes écuries (pavillon de Marsan), était une sage-femme de distinction.

La cèlebre M™® Pilon, d'après l'abbé de Choisy [Mém.^ ColL Petitoty 2® sèrie, t. 63, p. 515), était une accoucheuse de mérite ; de méme, la grand'tante de Racine, M°*^ Vitart (Mesnard, Vie de Racine, p. 40).

A Amsterdam, on avait donné aux sages-femmes pour les instruiré le fameux Ruysch, dont les pré- parations anatòmiques ètaient, à juste titre, si universellement admirées. (1)


fiUe nommée' Agnodice, déguiséeenhomme, avait appris la médecine chez Hérophtle, et avait sous ce travestis- sement porté secours aux parturientes », a un tel cachet d'invraisemblance, que la donnée ancienne de la prati- que des aecouchements par les femmes n'a pas pu en ètre ébranlée. La suite du récit d'Hyginus qui dit que les médecins, n'étant plus appelés chez les femmes, por- tèrent plainte devant l'Aréopage, pourrait prouver tout au plus que la jeune femme-médecin avait outrepassé les limites de son devoir, et qu'elle avait été appelée à la place des médecins.» Siebold et Hergott, Essai d/unc histotre de l'obstètrícíe, p. 53-54.

(1) II y a une école pour les sages-femmes au Caire.

(( Les élèves sont renfermés comme dans un harem, jamais elles ne sortent ; et chaque mois, la sage-femme en chef les visite, afin de bien constater qu'elles sont toujours vicrges. Elles sont payées et reçoivent de 60 à 115 piastres par mois. On les marie à leur sortie de Técole ». D' Godard, Egr/pte et Palestine^ p. 19-20.


LES ÀCCOUCHEUnS DE LA COUR 69


Les accoucheurs de la Cour.

Parmi les accoucheurs, quelques-uns jouirent d'un grand crèdit à la Cour. On citait, entre autres, un certain Jacques de la Cuisse et son beau- père Bouchet.

Anne d'Autriche et Marie-Thérèse eurent recours à des sages-femmes ; bien que, pour cette dernière, le cèlebre accoucheur François Bouchet se tint dans une pièce voisine, prét à intervenir, si besoin était.

M"® de la Vallière et la Dauphine furent délivrées par le fameux accoucheur Clement.

Mais ce n'est qu'au commencement du dix- huitième siècle que les médecins ou chirurgiens sont appelés fréquemment auprès des femmes en couche.

Dionís écrivait en 1717 :

« Les princesses et toutes les dames de qualité choisissentdes accoucheurs ; les bonnes bourgeoises suivent leur exemple, et l'on entend diré aux femmes des artisans et du menú peuple que, si elles avaient le moyen de les payer, elles les préféreraient aux sages-femmes. » (1)

(1) DiONis, Traitè des accouche ments, p. 444 et 448. « II y a des gens, écrivait Mauriceau, qui disent qu'un chirurgien qui veutpratiquerles accouchements aoit estre mal propre ou à tout le moins fort négligé, se


70 LES CURIOSITÉS DE LA MÉOECINE

La grande mode à Paris était de se servir des aecoucheurs, mais devaient-il étre jeunes ou vieux, beaux ou laids, cela donnait lieu à d'interminables discussions.

Dans toutes les classes de la société, la femme, en cas de maladie et surtout d'accouchement, témoi- gnait d'une égale pudeur à se soumettre à l'assis- tance masculine ; elle n'y avait recours qu'excep- tionnellement. On cite méme des exemples celebres de cet excés de fausselionte : celui, entre autres, de la duchesse Marie de Bourgogne, fiUe de Charles le Téméraire, aimant mieux, à la suite d'une chute de


laissant venir une longue barbe saie, aíin de ne pas donner aucune jalousie aux maris des femmes qui l'en- voient quérir pour les secourir. A la vérité, on en voit qui creient que cette politique leur peut faire donner beaucoup de pratiques, mais qu'ils s'en désabusent, car une sembiable mise ressemble plulót à un bou- cher qu*à un chirurgien, dont les femmes ont déjà assez de peur sans qu il se déguise ainsi. »


Dionis disait à son tour :


« Celui qui embrasse les accouchements doit étre bien fait de sa nersonne, n'ayant aucun défaut corpo- rel, ni rien de cnoquant dans son visage. II faut qu'il soit fait de manière qu'une femme puisse se mettre entre ses mains sans aucune répugnance. II ne doit étre ni trop jeune ni trop vieux; il faut qu'il soit dans la viçueur de son àge et qu'ií ait de la force pour pouvoir faire un accouchement laborieux, qui le met quelquefois tout en sueur. »


» -^ —


LES ACCOUCHBÜRS DB LA COÜR 7i

cheval, succomber à sa blessure qu'en dévoiler le siège à un médecin.

Nous venons de diré que, en France, jusqu'au xvii* siècle, Tart des accouchements fut exclusive- ment exercé par des femmes, et que la délivrance de M"® de la Vallière par le chirurgien Julien Cle- ment, en 1663, est le plus ancien cas connu de l'in- tervention d'un accoucheur. Or, des le xiv® siècle, « un barbier » de Dole était appelé auprès d'une femme en couches ; il devait, sans doute, en étre de méme, déjà auparavant, pour les accouchements laborieux.


» ♦


Avant la fin du xvii® siècle, les matrones étaient seules chargées de l'accouchement des reines de France et des princesses de sang royal. Les méde- cins et chirurgiens de la Cour se tenaíent dans une pièce voisine, pendant le travail, mais on ne cite pas de cas ou ils aient dú intervenir.

Jusqu'à l'accouchement de la Dauphine Anne- Marie-Victoire de Bavière, les reines et autres prin- cesses s'étaient toujours servies de sages-femmes. Marie de Médicis, femme de Henri IV, eut pour accoucheuse la cèlebre Louise Bourgeois (1) ; Anne d'Autriche, femme de Louis XIII, M"® Pérone.

(1) Louise Bourgeois. la sage-femme de Marie de Médicis, nous apprend elle-méme qu'elle recevait du roi 500 ecus, si c'était un fils, 300 si e'était une fille. La reine, il est vrai, y joignait quelquefois 200 ecus. Louise Bourgeois obtint en outre, en décembre 1609,


'Í2 LES CURIOSITES DE LA MEDECINB

La Dauphine Victoire de Bavière, étant d'uno santé particulièrement délicate, les plus grandes précautionsluifurent imposées durant sa grossesse. Le Roí, qui désirait ardemment un petit-íils, dut surtout se préoccuper du moment de l'accouche- ment. II est probable que Louis XIV consulta ses médecins sur cet important sujet, et parmi eux celui qu'il honorait de toute sa confiance, l'illustre Fagon. Fagon, médecin de M°*® de Montespan, recommanda au Roi Taccoucheur Clement, dont il vanta les talents à ce point que Louis XIV ne voulut pas entendre parler d'un autre médecin pour déli- vrer la Dauphine.

Julien Clement peut donc étre regardé comme le premier accoucheur en titre des princesses de la maison de Bourbon. Non seulement il accoucha de tous ses enfants la Dauphine, belle-fille de Louis XIV, mais il fut Taccoucheur de la duchesse de Bourgogne, de la reine d'Espagne, soeur de la duchesse de Bourgogne, qui mit au monde trois

une pension de 300 ecus ; mais elle fait observar que ses freqüentes et longues absences pour le service de la Cour lui avaient fait perdre la plus grande partie de sa clientèle, de sorte que ce titre de sage-femme de la reine, dont elle avait été d'abord ravie, lui était de ven u préjudiciable. Par compensation, 11 est vrai, Henri IV lui avait accordé le privilège, dont elle était íière, et qui ne coútait rien au tresor, de porter le chaperon de velours. « J'ai été, écrit-elle, la première sage-femme qui l'a jamais porté ; avant moi celles de la reine por- taient le coUet de velours et la grosse chaine d'or au cou. »


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LES ACCOUCHEURS ,DE LA COUR 73

fois de süite un prince, et de toutes les grandes dames de l'époque. Après Clement, (1) on ne voitplus que des accoucheurs à la Cour, en place des sages- femmes.

Sous Louis XV, Levret accouche la Dauphíne.

Sous Louis XVI, Faccoucheur Vermond délivre Marie-Antoinette.

Sous le premier Empire, dès que Marie-Louise devient grosse, Baudelocque est désigné pour l'as- sister, et comme il mourut bientót après sa nomi- nation, Antoine Dubois le remplaça auprès de Tim- pératrice.

Sous Louis-Philippe, Moreau assista la duclíesse d'Orléans.

(1) Clement eut 10.000 livres pour la naissancedu duc de Bourgogne ; plus tard, en 1707, tant pour son salai- re, que comme gratification, il eut la chargede premier valét de chambre de la duchesse de Bourgogne, valant 10.000 ecus, et en 1711, des lettres de noblesse. Pey-^ rard, choisi par Marie Leczinska, avait 1200 livres ; i I en eut méme 15.000 pour la venue du dauphin. Plus tard Louis XV lui donna les premières entrées. Ver-^ mond, qui remplit les mémes fonctions auprès deMarie- Antoinette, reçut, à la naissance de la duchesse d'An- gouléme, une pension de 12.000 livres, et l'expectative de l'ordre de Saint Michel. On voit que la royauté devenait de plus en plus généreuse à Tégard des accou- cheurs. Ajouterons-nous que souvent il leur venait d'ail- leurs des presents ? Ainsi Marie-Thérèse, marraine, envoie à Vermond une belle bague en diamant, et une boite émaillée du prix de 600 florins. D'autres fois, c'était la province dont le nouveau-né portait le nom, qui témoignait sa joie par un cadeau: un petit-fils de Louis XV réçut le titre de Comte d'Artois ; les députés de l'Artois ofErirent à l'accoucheur une boite en or. '


" I


74 LES GURIOSITÉS DE LA MEDECINE

Enfin Paul Dubois fut nommé accoucheur de la Cour, dès que l'impóratrice Eugénie manifesta les premiers symptòmes de grossesse.

Une enseigne d'accoucheur

Un pauvre chirurgiendecampagne, se mélant un peu d'accouchement, demeurait dans le village d'OuUens, dont Farchevéque de Lyon était seigneur, et ou il avait une charmante maison de campagne. Ce malheureux suppót d'Esculape avait été appelé quelquefois chez le prelat, quandil avait des domes- tiques indisposés. Fier de cette pratique, il avait fait placer sur sa porte une enseigne, oíi était écrit en gros caractères : Claiide Ponceify Chirurgien- accoucheur de Monseigneur VArches^éque, Onpeut juger de la naïveté et de l'ignorance de cet homme par une ordonnance qu'il avait faite pour l'un de ses malades, auquel il crut nécessaire de faire prendre une potion caiman te, dans laquelle devait entrer quelques gouttes de laudanum, et, comme sa mé- moire seule lui fournissait ce mot, il l'écrivit ainsi, Veau d'anon, « Ah ! je ne savais pas, dit le phar- macien auquel on porta cette ordonnance, que le bonhomme Poncey se fút fait distiller (1).»


(1) Paris, Versuilles et les Promnces^ t. III, p. 261- 262.


DE QUAND DATE LE FOnCEPS 75


De quand date le fòrceps ?

• Depuis longtemps on cherchait un instrument qui permit d'extraire les enfants dont Tinertie utérine ou un vice de conformation du bassin em- pèche ou retarde la sortie.

La question fut résolue à cinquantè ans de dis- tance par l'anglais Pierre Cliamberlen et par le flamand Palfyn.

Chamberlen, au lieu de publier de suite sa trou- vaille et de faire profiter tout le monde de cette utile invention, la tint soigneusement cachée et en fit un secret de famille, qu'il exploita avec ses fils, preuant les plus grandes précautions pour que nul n'en pút surprendre ou deviner le principe. C'était du mer- cantilisme bien digne d'un Anglais !

Gràce à Tàpreté avec laquelle Chamberlen et ses successeurs avaient protégé contre les indiscrétions le principe de leur instrument, la question restait entière pour le públic médical et le champ était libre pour les inventeurs à venir. Le premier en date fut Palfyn.

Guidé par ses études d'anatomíe et par sa grande science des accouchements, Palfyn inventa en 1716 un instrument, apte à saisir la téte foetale et suíïi- samment approprié, au moins dans sa forme géné- rale, au canal pelvien qu'il devait suivre pour extraire cette téte.


76 LES CLRIOSITES DE LA MEDECIXE

L'iiislrument consistait en deux mains de fer^ (comme il les appela luÍTméme), espèces de cuillers creuses à axe fortement incurvé : le fòrceps de Chamberlen, au conlraire, était ab'solumeht recti- ligiie, et la forme en était donc moins bien app'ro- priée au but poursuivi que celle des mains de Palfyn: La différence entre les deux instruments est clairé- ment rendue par cette phrasé de M. lè professeur E. Hubert, à propos de l'inventioh de Chamberlen :

« Ce ne sont plus les mains qui attirent, c'est un outil brutal, une pince qui serre* fortement." »

En 1747, Levret en France, et, cihq ans après; Smellie en Angleterre, rendaiént justice à la supé- riorité de l'invention de Palfyn en abandonnant le fòrceps anglais, pour reprendre le fòrceps flamanj en le modifiant. ' •.


L'origine de Topération césarlenne

Ce fut gràce à l'opération césarienne qu'on sauva Scipion TAfricain l'Ancien, ou Publius Cornélius Scipion, encore nommé le premier des Cèsars, parce qu'on Tavait tiré par incision du ventre de sa mère, a copso matris iitevo. Par le méme procédé on sauva Manilius ou Manlius Torquatus qui entra plus tard dans Carthagc en vairiquéur à la téte d'une armée.


L ORIGINE DE l'opÉRATION CBSARIEXNE 77

i Lucien raconie positivement [Dialog. Deoí\^ IX), que Hermes, sur l'ordre de Jupiter, ouvrit le ventre dfe Semele morle dans les flammes, pour en retirer Tenfant de sept mois qu'elle portait, et que Jupiter cousit dans sa lianche jusqu'à sa maturité. D'après d'autres(Appollodore,lll; 4, Diod.Sicul.,lV, 2), Se- mele auraít mis au nionde dans les llammes, avant terme, un enfant que Jupiter prit auprès de lui. II y a plus de concordance dans la manière dont est ra- contée la naissance d'Asclepios, que Phoebus sauva du sein de sa mère Coronis, brulée sur le búcher après avoir été tuée par Artemise (Pind., Pyth,^\\\^ 76; Apollod, III, 10;' Pausan., II, 26). On voit que riiistoirede ce qui a été appelé « opération césarienne sur la femmemorte», se perd dans les temps les plus anciens, car le fait dè la possibilité de sauver l'en- fant après la mort de la mère ne pouvait avoir échappé.aux peuples anciens.

Toutefois il est extraordinaire qu'aucun des mé- decins de l'antiquité n'ait mentionné cette opération dans ses écrits, d'oü l'on pourrait tirer la conclu- sion qu'elle n'avait pas été pratiquée par les méde- cins, et qu'elle avait été entreprise et pratiquée tout simplement et sans art. La frayeur des morts, l'im- pureté deleur contact, font penser que les médecins ne la pratiquaient pas, et qu'elle avait été abandon- née aux esclaves.

La provenance du mot « Coesar », a uíero vocsOy que Plinedonne, queFestusrépète(ouv. c, p. 262),


78- LES CCRIOSITÉS DE LA MEDECIXE

« coesones appellantur ex utero matri exsecti » ; le dire d'écrivains postérieurs, qui, dans les mots de « primus coesar» veiilent voir Jules César si connu, est aussi inexact qu'irréfléchi, car lors de la guerre dans les Gaules, sa mère vivait encore. ainsi que cela est prouvé par les anciens auteurs.

L'opération pratiquée sur la femme vivante appai** tient à une époque bien postérieure. Àussi Festus déjà donnait-il une autre origine du mot Coesar ajouté au nom de Jules (i).-


Un ventre pensionnó

On lit dans les Mèmoires de Feuquièresy que François de Pas, un des meilleurs officiers de Tarmée de Henri IV, ayant été tué à Ivry, sous les yeux de ce prince : « Ventre saint gris, j'en suis fàché! n'y en a-t-il plus?», s'écria-t-il. Et sur ce qu'on lui dit que la veuve du mort était grosse : « Eh bien ! répliqua-t-il, je donne au {>entre la pen- sion qu'avait cet oíficier. »

Ne nous étonnons pas de voir un ventre pensionné; n'y en a-t-il pas eu un de couronné ? Sapor II, roi des Perses, ce barbare dont la fortune triompha du génie de l'empereur Julien, était encore dans le

(1 j SiEBOLD et Hergott, Essai d'une histoire de l'Obs- tétricie .


LA COUVADE 79

ventre de sa mere lorsque le tróne devint vacant par la mort d'Hormisdas. Les mages ayant annoncé que la reine était grosse d'un enfant màle, le ç^entre fut couronné et regna. D'autres ventres ont régné depuis, mais tous n'ont pas étó aussi virils que ce ventre fémínin.

Superstitions relatives à l'obstótrique.

La Couvade

Combien d'usages qui nous apparaissent à pre- mière vue singuliers, combien de légendes naïves, dont le sens allégorique cache le sens exact, et qui, à l'analyse, nous reveient chez nos ancétres, des états d'àme, si Ton peut ainsi parler, qu*on retrouverait diíTicilement chez les sujets habituelle- ment dissequés par MM. Barres et Bourget!

Au risque de sembler vieux-Jeu, nous ne sommes pas de ceux qui sourions aux récits fantàstiques, aux contes de Mère l'Oye, qui font encore la joie des veillées. Nous osons méme diré qu'il est regrettable qu'on ne recueille pas, alors qu'il en est encore temps, les débris épars du traditionnísme : les recettes populaires, les formules màgiques, les pro- verbes et les dictons, tout ce qui constitue, en un mot, ce que les Anglais ont appelé le Folk-Lore, Les médecins de campagne emploieraient leurs loisirs à interroger, à interviewer, puisque le mot est de mode, nos braves paysans sur ce sujet parti- culier, que nous ne trouverions point là matière à


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80 LES CURIOSITJÉS DE LA MEDECINE

raillerie. Quelle ample moisson pourraieni-ilsfaire! 11 y a tel remède, dit de bonne femme , qui réussit : pourquoi ne pas en chercher l'explica- tion au lieu de le rejeter de parti-pris? La chimie excite notre admiration, mais elle nous eause par- fois de pénibles déceptions. On a trop médit des herbes et des simples, et le temps de leur réhabilitation n'est peut-étre pas si éloigné qu'on le pense.

II est un autre point que cliacun de nous pour- rait tenter d'éclaircir dans sa sphère : comment se sont perpétuées, à travers les àges, et dans quelques regions déterminées, des coutumes qui touchent de pres ou de loin à la médecine ?

Ainsi, par exemple, quelle est l'origine de cette coutume bizarre qu'on nomme la couvade ? Com- bien de nous qui ignorent la signification de ce terme !

La couvade, qu'on prononce « la coubade » dans le Midi, c'est, comme l'étymologie l'indique, l'action de couver. Ceci ne vous dit rien ? vous n'allez pas tarder à étre tirés d'embarras.

Lorsqu'une femme vient d'accoucher , il est d'usage, dans certains pays, qu'elle se lève dès le premier jour. Le mari s'alite à sa place, et se couclie auprès de l'enfant, qu'il couçcy pour ainsi diré, pendant plusieurs heures, sinon pendant plusieurs jours. Alors les voisins, les amis, de s'em- presser autour du lit oíi repose le père du nou-




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LA COUVADE 81

veati-né, s'inquietant de sa santé, l'interrogeant avec sollicitude sur les douleurs qu'il prélend ressentir, lui témoignant loutes sortes de marques de sympathie. ^ •

V Cette • coutume de la coinfade a existé, à ce que nous assurent les savants, des la plus haute anti- •quité. Les écrivains grecs et romains en ont parlé en termes qui ne laissent aucune place au doute.

Au diré d'ApoUonius de Rhodes (1), des peuples derace scythique, habitant sur la cóte orientaledu^ Pont-Euxin, les Tibari ou Tibarènes auraient pra- •tiqué ce singulier usage.

•'• . On le retrouve chez les Thraces, les Iberes (2), les Corses, d'après Diodore de Sicile (3).

Alafm du xiii® siècle, Marco Polo a fait pareille coristatation chez les habitants du Turkestan chi- ^nois. 11 a rappòrté la coutume des maris de la ^petite Boukharie, qui se mettent au lit pendant •les quarantè jours qui suiyent l'accouchement de vleur femme. '

11 en est de méme . chez les Tàrtares et plu- sièurs Orientaux ; chez les Canadiennes, selon ."Charlevoix ; les Caspiennes, d'après Leclercq ; de


(1) Apollonils, ArgonaiUica,. \iy. II, V, 1012.

(2) D'après Strabon, Géograp/iie, III, 16..

(3) Gi^ASuy; Be ribéric ; et Diodore de Sicile, V, l'i.

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82 LES CURIOSITÉS DE LA MEDECINE

méme, au Groénland, au Mississipí; chez lesCa- raïbes de la Guyane (1).

Dans rAmérique du Sud, la coutume de la cou'• vade élait jadis tres répandue. Elle l'est moíns aujourd'hui sans avoir pour cela disparu. L'abbé Brasseur de Bourbourg, qui a habité longtempç l'Amérique, en fait mention dans son ouvrage sur l'Allantide : « En Cantabrie, dit-il, les femmes accouchaient en pleins champs, et c'était 1(B mari qui se mettait au lit comme s'il avait eu le mal d'enfant, et les femmes le soignaient. C'est exac- tement ce qui se pratiquait dans plusieurs des regions de l'Amérique, dans le Yucatan et notam- ment chez les Cafres du Copan et de Chiquimala. » La couvade, comme on voit, remonte loin.

II existait au Brésil une tribu indienne qui avait adopté le méme usage. Quand la femme était délivrée, elle suspendait l'enfant à son cou dans une écharpe blanche de coton et reprenait bientót ses travaux ordinaires, tandis que le mari se cou- chait dans la hutte pour recevoir les félicitations des amis et des voisins (2).

En Californie, quand la mère accouchait, le père se contentait de garder la maison en s'abstenant de manger du poisson et de la viande (3).

(1) ViREYjZa Femme, 52.

(2) La Harpe, Abrégé de VEncyclopédie des voyages^ t. XII, 186.

(3) Banckoft, Natwe Races, I, 412.


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LA COUVADE 83

Dans son récit d'expédition au Maroni, le D' Crevaux (1) a consigné la coutume de la couvade, qu'il avait observée chez les peuples qu'il venait de visiter.

Chez les Galibís, la couvade ne semble plus avoir cours, ainsi qu'en témoigne le travail fort instruc- tif de M. Manouvrier, sur les Galibis qui se sont exhibés au Jardín d*acclimatation en 1882. Un voya- geur du seizième siècle prétendait cependant en avoir été témoin chez les Guaranis, dont les Galibis dérivent directement.

D*une façon générale, dans l'Amérique du Sud, cette coutume aurait persisté jusqu'en ces derniers temps.

Au nouveau Mexique, quand une femme accou-


(1) Nous extrayons le passage sui van t d*une lettre adressée à la Société de géographle par rinforturié docteur Crevaux :

(( La confiance que j'avais su inspirar aux indígenes, me valut de pouvoir assister aux coutumes bizarres des Indians de TAmazone.

(( Cast ainsi que je fus témoin das supplices atrocas qu'on inflige aux jeunes gens qui ont des veliéités de se marier : on leur appliqua sur la poitrine les dards d'une centaine de fourmis ; sur le front, laiguillon de guépes enormes, puis on las laisse prasque sans nourriture se tordre de doulaur pendant quinze jours dans laur hamac, au-dassus d'un petit feu de bois vert dont Tàcre fumée est soigneusement entretenue.

« C'est ainsi que s'inaugurant las joies du ménage.

« Los maris semblent, du reste, partager plus que partout ailleurs Ips peines de leurs femmes : lorsqu'un enfant vient au monde^ c'est le pére qui garde le hamac 0.


84 LES CURIOSITKS DE LA MKDECINE

che. lepère s'alite pendant six ou sept jours et s'abstient scrupuleusement de manger soit du poisson, soit de la viande (1).

Du Tertre, dans son Histoire des Antilles (2), a raconté, de son cóté, que, des qu'un Caraïbe deve- nait père, il se couchait, simulant un accouclie- ment. Les commères ' du hameau se pressaient autour de son lit, et venaient le féliciter sur son heureuse délivrance. Cette bizarre coutume a été aussi remarquée par l'Anglais Brett clíez les Indiens de la Guyane : « Le père, dit-il, se met tout nu dans son liamac, en preuant la posture la plus indécente, et il y reste quelques jours comme s'il était malade, recevant les eongratulations de ses amis, soigné par les femmes du voisinage, tandís que la mère du nouveau-né prépare la cui- sine sans qu'on s'occupe d'elle » (3).

Méme constatation, par le jésuiteDobritzhoffer (4), chez les Abipones, tribu de l'Amérique du Sud, que ce voyagèur visita en 1784 : « Chez les Abipones de l'Amérique du Sud, aussitót que la femme a mis au monde un enfant, on voit le mari se mettre au liti 011 l'entourc de soins ; il jeúne pendant un oer-

(1) Bancroft, Natwe Races, t. i. 585, cité parLetour- neau, L'Evolution du Mariagc et de la Famille, 1888, Paris.

(2) 1667, t. II, 371.

(3) Giraud-Teulon, Origine du Mariage, 138.

(^) Historia de Abiponibus (ílSi), t. ii, 231, cité par Letourneau.




LA COUVADE 85

tain temps. Vous jureriez que c'est lui qui vient d'accoucher. J'avais lu cela autrefois et j'en avais ri, ne pouvant ajouter foi à pareille folie, et suppo- sant que cette coutume barbare était contée plutót en plaisanterie que sérieusement, mais, à la fin, je l'ai vue, de mes propres yeux^ chez eux. »

Plus pres de nous, en 1842, M. Mazé, commis- saire general à la Guyane française, constate la couvade chez des tribus indiennes, riveraines de rOyapok.

En 1852, M. Voisin, juge de paix d'une commune de la Guyane, reçoit, pendant une nuit, l'hospita- lité dans une cabane d'indiens Galibis, et, le lende- main, apprend avec stupéfaction que, derrière la cloison de feuillages qui séparait son hamac de celui de ses liótes, il était né un enfant. La mère n'avait pas poussé le moindre cri. Mieux encore : elle était, dès l'aube, à la rivière, occupée à faire sa toilette et celle du nouveau-né, tandis que, pendant ce temps, le mari restaít couché et geignait.

Plus récemment, en 1884, le D Lenoèl, profes- seur suppléant à l'école d'Amiens, chargé par le gouvernement français d'une mission dans la région qu'on appelle le territoire contestés partie de la Guyane comprise entre TOyapock et l'Ama- zone, écrivait au D Maurel, à propos de la cou- vade :

« La couvade existc chez tous les Indiens que j'ai


86 LES CURIOSITES DE LA MÉDECINB

rencontrés ; je l'ai vue chez les Marouanes du haut Ouassa. Pendant dix jours, riiomme est resté dans son hamac, ne mangeant pas de poisson, a qui aurait été pour Tenfant une cause de mort » , et ne se nourrissant que de viandes róties. Au bout du deuxième jour, la femme était remise de son accouchement. EUe avait passé ces deux jours dans une des petites huttes que les Indiens cons- truisent dans les savanes, à quelques metres de la rivière. Tous les soirs, pendant tout le temps qu'a duré la couvade, les hommes s'assemblaient dans la case du mari, et s'enivraient de cachiri en dan- sant au son d'un tambour. Les femmes n'étaient pas admises. »

En Europe méme, la couvade existe de nos jours. Dernièrement, un Russe assurait à M. Letourneau, qui a rapporté le fait dans un de ses ouvrages (1), que la couvade était encore en usage dans les pro- vinces bàltiques. Le mari se mettaitau lit, poussait des gémissements, et voisins et amis venaient lui rendre visite.

Léon Donnat avait également raconté à l'auteur de VEi^olution du mariage qu'il avait trouvé la couvade dans la petite ile de Markens dans le Zuy- derzée.

En Sardaigne, dans le Campidano, la couvade se pratique.

(1) Letourneau, L'Evolution du Mariage et de la Famille, 397.


LA COUVADE 87

Du temps de Diodore de Sicile, on l'avait obser- vée dans certaines localilés de la région monta- gneuse du Tallano.

Fait qui parailra plus surprenant: la couvade exislerait, encore à l'heure actuelle, dans notre propre pays, dans le Béarn (1) !

11 n'y a là rien de bien surprenant. Nous avons vu que les Anciens avaient mentionné Texistence de la couvade chez les Iberes, ces peuples vaillants qui furent les alliés de Carthage lors de la deuxième guerre punique. Or, nos Basques modernes ne sont autres que les Iberes. C'est pour le méme motif que les Iberes, ayant peuplé la Corse et la Sar- daigne, la coutume de la couvade se retrouve dans ces pays.

On a longuement disserté sur Texistence de la couvade en Béarn, et, comme dans toute contro- verse, tout le monde n'est pas tombé d'aecord. A MM. Beauregard et Hervé (2), qui sont pour l'aflir- mative, ont répliqué MM. Vinson et Hovelacque (3), qui penchent pour la négative (4).

(1) On a aussi parlé du Haut-Limousin, mais un sup- piément d'enquéte serait nécessaire pour Tétablir.

(2) Bull, de la Société d'Anthropologie. 2 novembre 1882.

(3) J. Vinson et Hovelacque, Etiides de linguistique. 1878, p. 197-209.

(4) M. Bladé, dans son Etude sur l'originc des Bas- ques, 1869, in-8o, conclut aussi pour la négative.


^.


88 LES CURIOSITÉS DE LA iMEDECINE

M. de Quatrefages, qui a séjourné pres de huit mois parmi les Basques, aíRrme, dans ses Sorn^e^ nirs d'un naturalistes que la couvade existe encore et qu'elle remonte à la plus hauie antiquité (1): il s'ap- puye sur l'autorité d'un auteur (2), originaire du pays basque, qui, en cetie qualité, devait élre bien renseigné sur les moeurs de ses compatriotes. Pour qui connaít la súreté de documentation de M. de

(1) Le médecin Sacombe, qui écrivait à la fin du siè- cle dernier, en parle ainsi dans sa Luciniadc :

En Amérique, en Corse, et clíez l'Ibérien, En France, méme encore chez le Vénarnien, Au pays navarrois, lorsqu'une femme accouche, L'épouse sort du lit et le mari se couche ; Et quoiqu'il soit tres sain ét d'esprit et de corps, Contre un mal qu'il n'a point l'art unit ses efforts ; On le met au régime, et notre faux malade Soigné par l'accouchée, en son lit fait couvade ; On ferme avec grand soin portes, volets, rideaux ; Immobile, on Toblige à rester sur le dos. Pour étouffer son lait qui, géné dans sa course, Pourrait, en l'étouffant, remonter vers sa source. Un mari, dans sa couche, au médecin soumis, Reçoit en cet état, parents, voisins, amis. Qui viennent Texhorter à prendre patience Et font des voeux au ciel pour sa convalescence.


(2) Chaho, Nist, basqucsy Bayonne, 18'i7; Légende d'Aitor, 91 etsuivantes.


t ,

I


LA COUVADE 89

Quatrefages, la question est résolue (1) ; n'empéche que son opinion a troiivé des incrèdules.

Tres préoecupé de découvrir la solution du problème, en 1875, un membre de la Société des Sciences, lettres et arts de PaUy M. Piche, avocat, proposait de rechercher si la couvade existait réellement dans le Béarn, comme l'avaient toii^à tour atteslé Sir John Lubbock, Herbert Spencer et M. de Quatrefages. Et à Tappui de sa proposition, il formulait ces diverses qüestions :

1° La coutume désignée sous le nom de cou{>ade a-t-elle réellement existé dans le Béarn ou le pays Basque?

2** Si oui, peut-on déterminer son extension géographique ou historique ?

3** Existe-t-elle encore et quelle explication en peut-on donrier ?.

A ces qüestions, M. Locliard, percepteur à la Labastide-Clairenoe, faisait cette réponse topi- que :

« Dans un des derniers buUetins de la Société, vous avez appelé l'attention sur un article publié dans la Revue des Deux-Mondesy au sujet de la Cou{>ade en Béarn,,.

« D'après un fait accompli dans une des com- munes du canton de Labastide-Clairence, la Reçne

(1) Dans une note du fabliau bien connu de Nico- lette et Aucassin , Legrand d'Aussy a signalé la cou- vade béarnàise.


90 LES CÜRIOSITÉS DE LA MEOECINE

des Deux-Mondes a eu raison. Comme docu- ment historique, je ne change rien, ni dans le fond, ni dans la forme à ce qui a été raconlé hier, di- manclie, à ce sujet, en présence de M. Lafour- cade, maire de Labastide-Clairence, et d'une autre personne, alors chez moi ; j'écris presque sous la dictée du narrateur.

ce Dans une famille des plus aisées de la com- mune (Ayherre), chaque fois que la femme accou- chait, le mari se mettait au lit immédiatement, faisait le malade et recevait les soins que com- portait la situation de sa femme. II recevait aussi les compliments de ses parents et de ses voisins. A cette occasion, Tusage de ce ménage voulait que l'on tuàt de la volaille ; le bouillon passait à la femme, tandis que la volaille elle-méme était absorbée par le marí qui, comme il a été dit, gardait le lit. Le repas se faisait dans le but de relever les forces du prétendu malade.

« Ce fait ne s'est pas accompli une fois seule- ment dans cette famille, mais bien onze ou douze fois, de 1844 à 1858. L'accoucliée, d'une forte constitution, comme le sont d'ailleurs en general les femme basques, faisait elle-méme les prépa- ratifs du repas de baptéme, c'est-à-dire que, dès le lendemain de l'accouchement, elle vaquait aux soins du méiiage.»

La personne de qui le percepteur tenait ce récit, un ancien instituteur, avait assisté, en qualité


LA COUVADE 91

de voisin, à tous les repàs de famille organisés pour la circonstance. La source n'était dono pas suspecte. Malgré cela, des doutes ayant été émis, plusieurs notables de la commune d'Ayherre confir- mèrent, par une attestation écrite, dúment signée etparaphée, la déciaration de l'instituteur.

Comment expliquer la persistance d'une cou- tume qui jure avec Fétat actuel de notre civilisa- tion? Est-ce un reste de ces èpoques bàrbares ou la femme vivait dans une dépendance absolue vis-à-vis de l'homme, son seigneur et maitre? Nous ne voyons pas que l'homme soit ici en bonne posture pour affirmer sa supériorité. Son attitude n'est rien moins que celle d'un guerrier ou d'un héros. EUe préte au ridicule sans conteste. Serait- ce l'attestation du mépris dans lequel tenait les femmes l'homme, s'attribuant tout l'hon- neur de la perpétuation de la famille et de la race ?(l)C'est, après tout, une hypothèse soutenable.

Est-ce pour defendre l'enfant que le mari garde le lit? Mais, dans la plupartdes pays ou existe la couvade, l'enfant est séparé de son père et sa mère ena seule la charge. Ne doit-on pas plutòt voir dans cet usage bizarre comme l'affirmation par l'homme de ses droits de paternité? Le père prend possession de l'enfant, de son enfant, dès


(\) Ainsi que l'écrit le comte de Gramont, in Int. des C'/.ercMr., 1893, t. n, 264.


92 LES CURIOSITÉS DE LA MEDECINE




la naissance. C'est sa chose, son bien, auquel nul ne doit toucher.

. Coutume purement allégorique, répliquera-t-on ! Mais songez qu'elle est actuellement réduite à un simulacre, à une simple mimique, plus ou moins grossière, une sorle de « symbole d'adoplion, par lequel le père est en quelque sorte investí de droits égaux à ceux de la mère » (1).

C'est, en somme comme l'a synthétisé Letour- neau, une révolte de l'individualisme contre le communisme primitif.

(1) Giraud-Tellon, ouv. cité.


L'ANTIQUITÉ DE LA PHARMACIB


Les premiers pharmaciens

"■r Ks ancétres des pharmaciens s'appelaient, comme J2^ chacun sait, desapothicaires.(i)Miús si Ton attache généralement aujourd'hui au mot pharma- cien (2) ridée d'une profession libérale, dégagée le plus souvent (?) d'esprit de mercantilisme, on ju-

(1) « Si rapothicaire, tel que nous le comprenons, est relativement moderne, le mot est beaucoupplusancien. Jusqu*au XII* siècle, on donnait le nom d'apotccarii à tous ceux qui tenaient une boutique, apotheka. Une eharte de l'église de Cahors (1178) donne à tous les détaillants le nom d'apotecarii. Plus tard, le nom d' apotheka fut réservé aux magasins ou étaient gardés eertains produïts spéeiaux regardés comme rares et pré- cieux. Un document de 1290 émploie ce terme, à propos des greniers épiscopaux, pour les figues, les amandes, le riz, les salaisons. Les Lombards tinrent à Paris, dans le quartier qui porte encore leur nom, les produits du Levant et, intermédiaires entre ce que nous nommons aujourd'hui dro^uiste, conflseur, épicier, devinrent, par suite de la division du travail dans Torganisation de la médecine, les premier apothicaires pharmaciens. » D' Bordier, La Médecine à Grenoble.

(2) Le docteur Philippe prétend que l'apothicaire k la Révolution, fit comme tout le monde. dépouilla le vieil homme et las d'entendre de toute part ridiculiser son «om, le changea pour se faire appeler pharma- cien .

«C*est une grave erreur,ou une mauvaise plaisanterie,


94 LES CURIOSITES DE LA MEDECINE

geait plus sévèremenl aulrefois ceux qu'on nommait les apothicaires,

Nicolas Langius, de Rochefort, et Cornélius Agrippa appelaient les apothicaires les cuisiniers des médecins, medicorum coquL

Symphorien Champier et Lisset Benancio les nommaient abuseursy quiproqueursy flibustiers ; Hecquet les stigmatisait du nom de faux-moti" nayeurs pharmaceutiques.

Gui Patin leur décochait, à tout propos, les ílè- ches de son esprit acéré. L'apothicaire, ce fricas- seiir d'Arabie, était, pour le mordant satirique, un animal « fourbissimunij bene faciens partesy et lucrans mirabiliter^ » c'est-à-dire un étre des plus

écrit M. Grave, le mot n'est pas un neologisme de la Révolution. A Paris, dans toutes les grandes villes, dans qualques ordonnances, et dans plusieurs livres, on trouve déjà ce mot bien avant le xix' síècle.

Jean de Renou dit plutót pkarinacicn qn'apothicaire, II fait méme ladistinction suivante: « Toutefois, dít-ili ii y en a qui font diíïérence entre lenom de pharmacien et d'apothicaire, car ils disent que le pharmacien com- pose et mictionne les medicaments, tandis que Tapo- thicaire les entasse en un lieuppopre et les vend en gros et en détail. »

François Verny de Montpellier, dans son édition de la Pharmacopèe de Brice Bauderon, (Lyon 1672), adresse sa préface « à Messieurs les Pharmaciens cèlebres et sinceres du Royaume. »

Ce fut une affaire de mode comme en toute chose et le nom de pharmacien s'est peu à peu substitué à celui diapothicaire ; c'est ainsi que i'avoué a pris la place du procureur, et le notaire celle du taheliion ; voire méme le coiffeur celle de perruquier, » Grave, Etat de la Fharmacie en France.-


LES PREMIERS APOTHICAIRÉS 95

fourbes, faisant bien les parts, et singulièrement àpre au gain.

Vadé, Tauteur du «Catéchisme poissard», ne les désignait que sous lenom de « limonadiers des pos- térieurs ».

C'est aux vaudevillistes Varin et Vermond qu'on doit Texpression assez imagée de mousquetaires à genoiix.

Enfin, un faiseur d'anagrammes a trouvé dans le mot apothicaire un synonyme dont le sens se rappro- che assez de celui de certain papier hygiénique. Nous ne dirons pas le mot de l'énigme pour ne pas effaroucherla pudeurdenos lecteurs etlectrices.

Les apothicaires-barbiers

Vers 1301, les barbiers à Paris avaient, outre léur emploi ordinaire, l'habitude de vendre des emplà- tres, des cataplasmes et des purgations, ce qui devint une cause de querelle entre eux et les clii- rurgiens.

Une ordonnance du roi Jean les adjoignit aux médecins et aux chirurgiens pour le traitement de la peste. Une autre ordonnance de Charles V, de 1372, reconnut officiellement aux barbiers le droit d'administrer « emplàtres, onguements, et aultres medecines convenables, pour boces, apostumes et toutes les plaies ouvertes, car les mires jurez sont gens de grant estat et de grant salaire ; les pou-


96 LES CURIOSITES DC LA MEDECINE

res gens ne sauraient comment les payer, » Voilà la morale du temps peinte sur le vif en quelques mots. Tout ce que les pauvres gens ne peuventlar- gement payer, peut étre préparé et fourni par le premier venu, quand méme ce serait mauvais ou dangereux. Ce dont les riclies ont besoin ne serà délivré que par les 31 (en 1395) mires ou docteurs- régenls de la Faculté ; ils sauront bien se faire payer. Les privilèges de cette ordonnance de 1372 furent bienlótétendus à tous les barbiers du royaume qui relevaient du barbier du roi. C'est assez pour signaler un droit restreint d'exercer la pharmacie et c'est à cetitrequece traitde moeurs devait étre cité. Mais ils n'avaient pas attendu les permissions royales , car les barbiers, les BarÒandiers de VillaigeSy comme on les appelait, allaient, de lout temps, de village en village, vendre leurs « anlidoles et leurs drogues renfermés en leurs boistiers ». C'était un vieux reste des coulumes du tonsor romain, type dont la race n'est pas encore éleinte en Italie.


Le serment des apothicaires

II était d'usage que le futur apothicaire offrit des diners à ses juges. Mais pour éviler lout écart ou in- lempérance, de sages réglements venaient en dé- terminer les conditions.

• (1) Gra VE, op. cit» , - . .


• <


LE SERMENT DES APOTHICAIRES 97

Dans un de ces réglements cités par de Closmadeuc, on lit ceci : « Au jour de présentation dudit sup- « pliant se pourra faire une collation seulement ; au c( jour de l'examen sur la théorique se pourra don- a ner k souper et sans excés ; au jour de la présen- « tation des drogues dispensées pour le chef-d'oeu- « vre se pourra donner à souper sans excés.

« Et pendant tout le temps employé à la confec- « tion du clief-d'oGuvre, attendu que MM. les exa- « minateurs sont dans la nécessité de surveiller íf tous les délails de l'opération dont la durée était « quelquefois de plusieurs jours, se pourra donner « le desjeuner et le goúter.

'*c( Au jour que le chef-d'oeuvre serà aclievé, se « pourra donner à souper.

« Au jour donné que le dit chef-d'oeuvre se porle « à l'Hòtel-de-Ville, doit un banquet general ou « disner tant aux médecins, apothicaires, leurs fem- « mes et aux femmes veuves dudit estat.

« Le méme jour donnera à souper aux médecins « et apothicaires sans leurs femmes».

La dernière épreuve du chef-d'oeuvre victorieuse- ment subie, « il fallait se parer de la culotte ,cour- te, orner son chef de la perruque à trois tours, et après avoir mis ses pieds dans des souliers à bou- cles d'argent, prendre, bras dcssus bras dessous, le prévót et aller avec ce grand personnage rendre une visite respectueuse au lieutenant general de

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98 LES CtJRIOSITES DE LA MEDECINE

police^ entre les mains duquel le nouveau-maitre apothicaire préiait le serment' accoutumé » .

Ce fameux serment des apothicaires, dit M. le professeur Diipuy, imposé par la Faciilté, n'était qu'un pastiche défiguré de celuí d'Hippocrate, et arrangé au mieux par les docteurs-régents.

La prestation de serment accomplie, les maitres- apothicaires, précédés de musiciens et trainant à leur suite tous les animaux à lait médical, chèçres, dnessesy juments^ ornées de guirlandes de fleurs, conduisaient le nouvel élu à une officine et l'instal- laient au comptoir, tandis qu'au dehors les meneurs et meneuses d'animaux chantaient les anciennes et naïves chansons d'usage.

Cette réception, peut-étre un peu bruyante, ne paraissait pas trop étrange à cette époque. Ne sait- on pas, en effet, que les étudiants reçus licencíés se faísaient accompagner de trompettes et de tam- bours dont le nombre allaít croissant, et qui, par une sage mesure du pape Jean XXII, fut fixé, en 1324, à deux trompettes et un tambour ?

La réception des médecins était plus calme : elle se bornait à une distribution de gants et de confia tures^ suivie de la cérémonie du bonnet doctoral. Le chancelier les couronnait, leur mettait au doigt l'anneau d'or et autour du corps la ceinture d'or, puis leur présentait le livre d'Hippocrate, les em- brassait, leur donnait la bénédiction en disant : Allez ! et tuez Caïn ! « Les plus savants médecins,


LE SERMEXT DES APOTHICAIRES 99

dit Monteil, ne saventpas ce qu'il faut entendre par ce mot, en sorte qu'ils ne savent au juste qui il faut luer ».


Enseignes d'apothicaires


Cadet de Gassicourt, dans son curieux Voyage en Antriche^ raconte que, se promenant dans une des rues d'Augsbourg, il vit, au-dessus de l'officine d'un apothicaire, une Transfiguration de notre Sei- gneur. « Quel rapport, dit-il à celui qui l'accompa- gnaít, ce miracle a-t-il avec la pharmacie? il me semble que mon confrère Augsbourgeois aurait pu mieux choisir... La guérisondes lépreux, par exem- ple? — Oui, répliqual'interlocuteur, la guérison des lépreux, ou saint Bernard préchant l'incarnation, avec le lexte écrit au bas du tableau. Et comme Cadet paraissail surpris: — «Quoi ! vousnesavezpas qu'il n'y a rien de plus analogueà la pharmacie que la -manière dont Saint Bernard explique le mystère de la divine incarnation ? Ecoutez : Ex Deo et ho" mine cataplasma confectuus esty quod sanaret omnes infirmitates tuas, Coutusat sunt autem et commixtoo hce duce species in iitero virginis tan-' quam in mortariolo; Sancto Spiritu tanquam pis-


100 LES CURIOSITES D£ LA MEDECINE

tilloíllassuaçiter commiscente[\.],n Cadet de Gassi- court rit de bon coeur de la citation, el la nota sur le cliamp. Et c'est ainsi qu'elleest parvenuejusqii'à nous.

Certa in apothicaire auvergnat de Montferrant s'était fait représenter sur l'une despoutres d'angle de sa maison, la seringue en joue, tandis qu'à l'au- tre extrémité du toit, sur la poutre opposée, un client attend patiemment le. resultat de l'opérationr, Cette enseigne avait, à tout le moins, le mérite d'étre parlante, et elle vaut bien certains étalages multicolores d'aiijourd'hui.


Apothicaires et hommes illustres.

M. le vicomte d'Avenel rapporte Tanecdote sui- vante, d'après un mémoire manuscrit d'André Duchesne, 2* feuillet recto (Bibliothèque Nationale, Cahinet généalogique ; famille de la Porte) :

a Au chateau d'Ouerron, en Poitou, à six lieues de Thouard et huit de Saumur, se voit un tableau

(1) « Le ciel fit de i'homme et de Dieu un cataplasme pour guérir toutes nosinfirmités. Ces deux natures furent broyées et mélées dans le sein de la Vierge comme dans un mortier; le Saint-Esprit servant de pilon pour en faire avec suavité le plus doux amalgame, »




APOTHICAIRES ET HOMMES IL•LUSTRES 101

representant la elmte de la maison Gouffier- Roannez et l'élévation de la famille de la Meille- raye. Au fond du tableau, on voit le Louvre : la fortune est à la porte '; d'une main elle chasse le duc de Roannez. Ce duc est represento une béche à la main, marque de son exil ; on lui donne un air menaçant et une taille haute ; de son autre main, la fortune attire un vieux apo- thicaíre, vétu de brun, avec un bonnet doublé de peau, comme en ont communément les airtisans ; une seringue pend à sa ceinture ; il tient par la lisière un petit enfant qui, ramassant tout ce qu'il trouve pour en faire son jouet, rencontre par hasard un bàton de maréchal de France » .

Cette peinture satirique, commente M. Avenel, fait allusion à la profession du grand-père de Char- les de la Porte, depuis duc et maréchal de la Meilleraie, et de Suzanne de la Porte, mère du cardinal de Richelieu, qu'on a dit etre apothicaire. Le père Anselme ne fait nuUe mention de cette particularité, non plus que Duchesne dans sa généalogie imprimée de la maison de Richelieu ». Lettres, íns/ ruc/ions diplomàtiques et papiers d*Etat du Cardinal de Richelieu, publ. par Avenel, t. I, p. 159, note 1, col. 2. Paris, 1853.

M. Gabriel Ilanotaux a combattu cclle note, dans son Ilisloire du Cardinal de Richelieu (t. i, p. 19, note 1. Paris, 1893) ; il y donne le nom du prétendu

6*


102 LES CURIOSITÉS EB LA MEDECINE

ancétre de Richelieu : Pierre de Genouillac^ apothícaire d'Angles.

Le trisaïeul de La Bpuyère était apothicaire dans la rue Saint-Denis ; c'étaít un des marckands les plus piches de cette rue, et il possédait plusieurs domaines et une seigneurie en province.


♦ ♦


La mère de Molière, Marie Crissé, était de la méme famille que ce médecin Crissé, dont Beffara a prouvé la parenté avec le grand comique, et auquel il arriva une si singulière aventure, racontéo par Guy Patin (Lettre du 24 novembre 1609). V. Taschereau, Vie de Molière^ 2* édition, p. 151-208.


1-


LES


CÜRIOSITES

des regions


í;;


LiES CÜRIOSITÉS

DE IlA TÈTE



Menton

ORSQUE Aspasie, la maítresse de Cyrus, était encore jeune, il liii vint au menton une tumeur qui l'enlaídissait beaiicoup et qui lui causait de grands soucis.

' Son père qui n'en était pas moins désolé qu'elle, se décida à la conduiré chez un médecin qui promit de la guérir pour trois statères, environ 12 à 15 francs de notre monnaie.

Mais Hermotime — c'était le nom du père — n'ayant pas cette somme sur lui, le médecin refusa d'indiquer le remède.

Quelques jours après, Aspasie faisait un reve qui la combla de joie. Elle vit en songe iine colombe qui, se changeant en femme, lui dit : « Aie bon courage, Aspasie ; prends des roses offertes à Venus et déjà fanées, broie-les dans tes mains, et appliques-les sur la tumeur, » A son réveil, Aspasie


106 . LES CURIOSITES DE LA TETE

suivit à la leltre les conseils do la déesse..., et la tumeur disparut.

N'est-ce pas là un exemple d'auto-siiggestion thérapeutique des plus nets ?

Bouche

Fracastor vint au monde sans bouche ; il n'avait qu'une petite fente, c'est-à-dire que ses lèvres étaient soudées. Un chirurgien les separa avec un rasoip.

Un jour que sa mère se promenait dans un jardin, le tenant entre ses bras, elle fut foudroyée pap le tonnerre sans que l'enfant en fut aucunement blessé.

Son poème de Syphilide est encore lu de nos jours. On a de Fracastor un autre poème sur les aventures du patriarche Josepli, mais son inspi- ration Tavait abandonné. Fracastor fit moins d'honneur au saint qu'il n'en avait fait au mal napo ■ litain.

Langue

Aussi loin qu'on remonte dans Tantiquité, on retrouve l'habitude de la section du frein de la langue, non seulement dans le cas de soudure com- plète de la langue au plancher de la bouche, non seulement comme moyen curatif de défauts de pro-


LANGUE 107

noncíation existants, maisencore etsurtout sur des nouveau-nés, comme mesure préventive, destinée à assurer dans l'avenir aux enfants une élocution saiísfaísante.

Dans cet ordre d'idées, il s'est méme créé une sèrie de légendes qui ont donné naissance à des proverbes, qui reflètent, comme chacun sait, la sagesse des nations. « II a le filet bien coupé y) ^ dit-on d'une personne qui parle beaucoup. Au XVIII® siècle, on disait couramment d'un grand parleur : a // n'a pas de filet. »

Dans son épitre IX, Boileau s'exprime ainsi :

Tout charme en un enfant dont la langue sans fard, A peine du filet encore débarrassée, Sait d'un air innocent bégayersa pensée...

Les Folkloristes, qui si bien nous renseignent sur les coutumes de nos aïeux, nous montrent ^ue cette pratique est, à l•lieure actuelle, encore tres répandue.

M. Sébillot aflirme que l'usage de couper le frein ou le sublet est à peu pres general dans les cam- pagnes de la haute Bretagne.

M. Moisset nous assure que, dans l'Yonne, c'est une opinion acceptée par tous, que si l'on omettait de couper le frein aux nouveaux-nés, l'enfant serait muet.

Dans le Poitou, suivaat M. Desaivre, on dit


108 LES curiositÉs de la tète

à quelqu'un qui parle beaucoup : « Celui qui t'a coupé le lignoux ii'a pas volé ses cinq sous. » On s'empresse de couper le lignoux aux nouveaux-nés dès leur naissance, parce qu'on croit. qu'il empé- cherail l'enfant de téter et plus tard de parler.




LeD'"Tholozan a communiqué jadisà rAcadémie de médecine une notesurl'excisiondelaluettepar les barbiers persans. M. Tliolozan affirme que dans les districts de Semnanetde Firouz-Kouh, situés à cinq journées de marclie à l'est de Teheran, Texci- sion de la luette est pratiquée par les barbiers persans chez presque tous les enfants, comme moyen prophylactique des inflammations de la gorge. M. Tliolozan fait remarquer avec raison qu'il n'est pas sans intérét de voir que cette pra- tique n'existe dans aucune autre localité de la Perse, et qu'elle reste cantonnée dans les deux petites villes citées plus haut et dans les villages qui les environnent, oíi les maladies inflammatoires et catarrhales de la gorge sont assez freqüentes.


  • *


« Le treize avril mil sept cent soixante-et onze, ilestvenuà l'Académie une fiUe sans langue, et qui parlait très-bien. Ce fait n'est pas unique ; Jus- sien a vu en Espagne un phénomène semblable; C*était encore une fille. »


LAN G CE 109

Portal, qui cile celte observalion dans ses cours d'anatomie, dit qu'ayant légèrement comprimé avec son pouce, et par surprise, la trachée-artère de la fiUe qui fait Tobjet de cette observation, elle ouvrit la bouche, et on y distingua la portion postérieure de la langue. Cette fille ne pouvait prononcer ni la lettre T, ni d'autres lettres qu'on ne prononce que par le moyen de la langue, et que l'on appelle pour cette raison linguales.



Lesjournaux d'AUemagne ont parlé d'une fille qui vint au monde avec deux langues et qui néan- moins fut privée de l'usage de la parole (1).


♦ 4


La papole peut se passer parfois de Torgane qui en est réputé l'instrument indispensable* Fabre en a réuni divers exemples, savoir :

Dans les Mémoires de VAcadémie des Sciences^ année 1718, on lit une observation de Jussieu qui a vu à Lisbonne, une fille, àgée de quinze ans, née sans langue et qui parlait distinctement.

En 1763, on presenta à l'Académie de la RoclicUe une fille qui avait perdu la langue après une affec- tion gangréneuse, puis qui avait recouvré la parole.

Dans la tlièse du cliirurgien Aurran, soutenue à

(1) Journal des savants^ 15 janvier 1685.

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-»•.- « 


110 LES CURIOSITBS DE LA TETE

Strasboupg en 1766, on Irouve l'observation d'une Bavaroise doni la langue avait été sphacélée et qui parvint à parler après quelques années.




II est interessant de connaitre les colorations que peuvent communiquer à la langue divers aliments, medicaments ou càustiques. En voiei le tableau d'après Butlin et Rigal :

Noir, — Encre, vin rouge, múres, certaines espèces de cerises ou de baies. Vins ferrugineux et préparations martiales solubles.

Brun. — Tabac, jus noir, noix fratches, prunes.

Rouge brun, — Chocolat.

Jaune safran. — Laudanum, rhubarbe. .

Rouge, — Quinquina rouge, ratanhia, fram- boises, cerises.

Quant aux colorations des càustiques, elles peu- vent avoir un intérét double : au point de vue de la thérapeutique immédiate à employer comme contre- poison ou antídote, si le malade est hors d'état de vous renseigner sur la nature du caustique ingéré, et au point de vue médico-légal.

Gris'blanc, — Acide sulfurique, acide oxalique, acide phénique.

Jaune. -— Acide nitrique (si Taction est superfi- cielle), acide chromique.

Rouge. — Nitrate acide de mercure.

Gris gélatiniforme. — Potasse caustique.


. t .


DENTS lli

Blanc ou gris-perle. — Nitrate d'argent, sublimé corrosif.


Dents

Quand les enfants perdent une dent, ils la jettent par dessus la té te en se signant et en recitant une formulette pour obtenir une nouvelle dent.

Aux environs de Ninove, on s'arrache un cheveu de la téte après avoir jeté la dent.

Le mal de dents est assez souvent attribué à des vers.

Manger beaucoup de sucre fait tomber les dents.

Celui qui entreprendra un pèlerinage pour le mal de dents sans nécessité, simplement pour étre en bonne compagnie, reviendra avec le mal de dents.

Pour guérir le mal de dents, les bonnes femmes recommandent de détacher, mais non arracher, un morceau d'écorce d'un saule ; puis de la partie de l'arbre mise.à nu, enlever un petit fragment qu'on enfonce dans la gencive malade ; remettre le frag- ment de bois, teint de sang, à la place ou il avait été enlevé et le recouvrir de Técorce détachée. Le mal serà transféré sur l'arbre.

AUez chez un rebouteur qui vous enfoncera un objet pointu dans la partie enflammée pour la faire saigner. Dans ce s^ng il trempera un petit morceau


f


t


112 LES CUIUOSITÉS DE LA ÏJEÏE

de linge, après y avoir mis iin peu de sel ; il voiis remettra ce linge en dísant : « Prenez cela, et, en retournanl chez vous, vous le perdrez, la douleur s'en ira en méme temps. »

Beaucoup de personnes attribuent le mal de dents et l'enflure de la gencive à du mauvais sang qui s'y est accumulé ; pour cela ils se piquent la gencive avec une épingle (ou une aiguille) afin de se faire saigner.




L'on conçoit le chagrin qui s'imprime sur un joli visage auquel vient d'étre ravie une des trente-deux perles qui l'ornent si bien.

Aussi l'homme s'est-il ingénié, des les origines de la civilisation, à réparer ces outrages faits à la beauté. Nous en avons la preuve dans ces vestiges de prothèse qu'offrent les mòmies d'Egypte, dont bon nombre gardent dans leur màchoire des frag- ments d'or et des dents artificielles. Mais comme le progrés est la loi de l'humanité, on s'applique beau- coup aujourd'hui k développer la greffe dentaire pour consoler la beauté avariée.

Ce n'est pas que le procédé soit de récente inven- tion. Oh ! non, car Hippocrate l'a indiqué depuis deux mille trois cents ans. Mais comme il n'y a de nouveauté réelle que ce qui est tres ancien, les Américains, gens fort osés et tout à fait affranchis de nos préjugés, se sont adonnés avec ardeur à


DE\TS 113

replanier dans la bouche de leurs concitoyens les dents fraichement arrachées à un autre.

D'ailleurs, rien de si commode qu'une dent ; cela pousse partout. D'éminents praticiens l'ont démon- tré en ornant de dents récemment extraites les dos de rats, les oreilles de lapins, etc. Les dents se sont tres bien acclimatées sur ces diverses peaux d'ani- maux.

Actuellement, on se commande des dents natu- relles, comme on se commande une robo ou une redingote, sur mesure. L'opérateur arrive avec sa trousse garnie d'un assortiment de dents encore saignantes, provenant indifféremment de la femme de chambre ou du commissionnaire du coin ; il les nettoie, les débarrasse de leurs parties malades, les taille, les rogne à la mesure, et les met tranquille- ment à la place de celles qu'il s'agit de remplacer, en les maintenant au moyen d'un petit appareil.

• Dix jours après, la greffe est prise, la substitu- tion est parfaíte.

Sans aller jusqu'à ces resultats, peut-étre un peu excessifs, il est tres réel queia transplantation des dents est désormais entrée dans la pratique, et qu'on en tire les plus heureux resultats.

Pendant qu'à Saint-Germain, en 1776, le cliirur- gien Du Chàteau fabriquait des dents avec de la porcelaine, Robert, digne rival des ouvriers do


112 LES CURIOSITÉS DE LA TETE

Saxe, en faisaít, lui, d'admirables fleurs, aussi légè- res, aussi délicates que les naturelles.

Depuis longtemps, Fauchard se servait de dents d'hippopotame. (V. son Chirurg. dentista^ 1728). II les faisaít tenir, avec des ressorts ou a avec des fils d'or», suivantla méthode antique. (Cicér., de Legibus^ livr. II, eh. xxiv). On a trouvé dans un tombeau grec sept dents fausses ainsi attaehées . (Sischbein, Peinture des s^ases^ t. I, p. 63).

Ce procédé nous re vint par les Arabes. (Albu- casis. De Chirurgia^ lib. II, sect. 33).

Les poudres dentifrices étaient à Rome les mèmes qu'aujoupd'hui. (Boettiger, Sabine^ etc., 1813, in-8, p. 41).



L'impératrice Marie-Thérèse, étant enceinte de son quinzième enfant, commençait à sentir quelques symptómes avant-coureurs, lorsqu'une rage de dents, que rien ne pouvait calmer, la détermine à faire arracher eelle d'oü partait sa douleur. Sur quoi son dentiste est appelé, mais la prudence ne lui permettait pas d'instrumenter dans un moment si critique, sans l'aveu du premier médecin de Sa Majesté.

Le cèlebre Van Swieien arrive, représente les risques auxquels s'exposait rimpératrice.


DENTS 115

trice. EUe persiste : la dent est enlevée ; maís les douleurs qui precedent Tenfantement se mani- festent d'autantplus» EUe ordonne alors qu'on aver- tisse Tempereur, qu'on lui dresse un lit, suivant leur usage ordinaire (car ils vivaient on ne peut plus bourgeoisement), puís elle se place devant son secrétaire, et se hàte d'expédier quelques affaíres, qu'elle ne croitpas dans le cas de pouvoir étre remises à un autre temps. Les douleurs cependant deviennent si pressantes, que, forcée de quitter la plume, elle ne tarde pas à mettre au monde une archiduchesse (1) ; maisàpeineTa-t-elle vue, que, se faisant apporter ses expéditions, elle les signe, malgré toutes les représentations qui lui sont faites, en disant : « Mes sujets sont mes premiers enfants ; je leur dois mes premiers soins ; ceux des autres viendront après d^

A propos de l'influence que sa dentition peut exercer sur la vie d'un homme, fút-il roí de France et de Navarre, serait-il paradoxal d'avancer qu'une des grandes causes de l'humeur morose de Louis XIII, de la sujétion ou le tint Richelieu, doit étre recherchée dans la diíRculté qu'il éprouvait à exprimer ses idees, non pas qu'elles ne vinssent en foulc à son esprit, mais parce qu^une double

(1) Marie-Antoinette, plus tard reine de France,


116 LES CÜRIOSITÉS DE LA TETE

rangée de ilenls à cliacun des maxillaires .était pbur lui un insürmontable obstacle à une articii- làtion nètte, précise et rapide des mots? Pour èmployer une expression vulgaire, Louis XIII « bafouillait ».

Le D*" Chervin, dans son livre Le Bégaiement et autres défauts de la prononciation^ a cité le cas de la duchesse de. . Chaulnes qui, pour se rajeunir, se mit à zézayer « commé un enfant qui change de dents » . EUe ne réussit qu'à se rendre ridicule,« n'ayantpas, comme le fondateur d'Israel, l'equivalent de la peau de bique pour donner le change à ses juges. »

Balzac, dans une lettre à Richelieu, dit qu' « à la Cour on ne se sert guère des paroles ;que pour déguiser ses sentiments ». Qui ne connaít, d'autre part, l'aphorisme de Talleyrand, qui n'est peut-étre qu'une paraphrase de l'aíTirmation de Balzac.


Salive.

Dans l'antiquité, écritP. Sébillot, on croyait à Tef- ficacité médicinale de la salive ; on pensait qu'elle avait par elle-méme unevertu, que sonpossesseur possédait un certain pouvoir, ou qu'elle aidait aux conjurations qui devaient chasser la maladie.


SALIVE 117

• L'Evahgile selon saint Marc (1) raconte que Jésus se servit de sa salive pour guérir un homme sòurd et muet. II le prit à part, lui mit les doigts dans les oreilles, cracha sur sa langue, regarda le ciel en soupirant, et le sourd-muet fut guéri.

- D'après Pline, il est d'usage, avant de prendre un iremède, de cràcher trois fois pour conjurer le mal et d'aider aihsi l'effet du mèdicament ; . comtne aussi de toucher trois fois avec de la salive les furoncles naissants, lorsqu'on est à jeun. . Le méme auteur rapporte bien d'autres exem- ples de la puissance de cette singulière médica- tion. La salive d'une femme à jeun, bonne contre les fluxions, passe pour bonne aussi aux ycux pleins de sang, cas auquel il faut mouiller de temps en temps les coins des yeux enílammés ; pratique encore plus eíficacc si la femme s'est abs- teniie la veille d'aliments et de vin (2) : « Ne refu- sez dono pas, dit-il, de croire qu'on guérit les

(1) « Etant venu à Bethsaïde, dit saint Marc, on lui presenta un aveugle qu'on le pria de toucher. Alors Jésus prit Taveugle par la main, et l'ayant mené hors du bourg, il lui mit de la salive sur les yeux, et lui ^yant imposé les mains, illui demanda s'il voyaitquel- que chose. Et l'homme ayant regardé, dit : Je vois mar- cher des hommes qui me paraissentcomme des arbres.

• « Jésus lui mit encore les mains surles yeux, et lui dit de regarder, et il fut guéri, et il les voyait tous distinc- tement. »

(2) Pline, 1. xxvin, eh. xxii.


é


118 LES CURIOSITÉS DE LA TETE

lichens et les lepres en les frottant tous les jours avec de la salive à jeun ; qu'on guérit Toplitalmie en y faisant pareille onction le matin ; les carei- només, en pétrissant avec de la salive la planta appelée le mal de la terre ; le torticolis, en por- tant de la salive à jeun, de la main droite au jar- ret droit, de la main gauche au jarret gauche ; qu'enfin, si quelque animalcule est entre dans l'oreille, il suífit de cracher dans cette partie pour l'en faire sortir ».

II dit aussi, d'après Cratès de Pergame, qu'il y avait dans l'Hellespont une espèce d'hommes appelés ophiogènes^ qui possédaient le don de gué- rir par le toucher les morsures des serpents et de faire sortir tout le venin du corps en y appliquant seulement la main. Et Varron rapporte que, de son temps, il restait encore dans ce pays quelques* uns de ces « ophiogènes, r, dontla salive était un remède contre la morsure des serpents.

II existe en Espagne — ou du moins il exis- tait encore au commencement de notre siècle, — des saladadores, des santiguadores^ des eusalr madores qui, à l'exemple des ophiogènes de l'Hel- lespont, avaient la vertu ou la prétention de guérir toutes les maladies avec leur salive.

La salive entrait aussi dans la composition des charmes, qui prévenaient ce qu'on appela plus tard le nouement de l'aiguillette. Dans le Satyricon


SALI VE 119

de Pétpone, eh. CXXVIII, la vieille sorcière à laquelle Eucolpe s'adresse pour recouvrer la puis- sance qu'il a perdue, lui attache au cou un réseau formé de fils de différentes couleurs, pétrit de la poussière avec sa salive, prend ce mélange avec le doigt du milieu et lui en signe le front ; elle lui ordonne ensuite de cracher trois fois.

En ce temps-là, cracher constituait un préser- vatif contre le malheur, les maléfices, le mauvais oeil, etc. On crachait dans son sein pour s'óviter tout malheur. La femme crachait sur son nourrisson pour le préserver. On crachait sur le soulier du pied droit avant de le chausser, en traversant un endroit ou l'on avait couru un danger.

Pour préserver des maléfices, dans la Grèce anti* que, les vieilles femmes léchaient le front des enfants.

Chez les anciens Romains, on passait surle front et les lèvres le médius humecté de salive.

Ces croyances persistent encore en bien des pays. En Angleterre, le pécheur à la ligne crache sur son ver après l'avoir attaché à l'hameçon.

Dans le comte de Kent, quand un malade va mieux, on dit qu'il a craché dans ses mains.

Les paysans des parties reculées de l'Irlande crachent sur le nouveau-né, enfant ou animal, qu'ils voient pour la première fois ; la sage-femme crache sur l'enfant qui vient au monde. Dans la partie orientale de Cork, on crache par terre devant une personne qui a de la malechance.


120 LES CURIOSITÉS DE LA TETE

En Àllemagne, on obscrve des pratiques anàlo- gues : le crachat protège contre la sorcellerie.

A Berlín, on crache derrière la personne qui sort.

Dans la Prusse orientale, après une frayeur, on crache trois fois.

En Silésie et en Bohème, on fait de méme si on rencontre une vieille femme.

Dans rOldenbourg, on crache trois fois dans le pétrin.

En Silésie, on crache à la figure des gens ; en Hongrie, à celledcsenfants.

En Portugal, quand onaunpied engourdi, si l'on veut qu'il revienne à son état naturel, il faut l'oin- dre de salive, en y faisant une croix avec le doigt et recitant une conjuration (C. Pedvoso^ Supei^sticoes), La méme superstition a été relevée en Espagne par Guichot.

Dans le nord-est de l'Ecosse, pour guérir l'impé- tigo, il faut faire passer un shelling neuf trois fois autour de la crémaillère, cracher fortement dessus et frotter avec la partie maladc (1).

Les populations contemporaines peu avancées en évolution ont encore une confiancc plus grande dans le crachat. Raffenel dit qu'un remède infailli- ble, selon les negres du Senegal, consiste à cracher dans la bouche du malade.

(1) W. Gregor, Folk-Lore of N.-E. of Scotland .


SAU VE 121

All Gabon, pour chasser le mauvais esprit, onfait unc aspersion avec une sorte d'eau, puis on crache à droite et à gauche du patient, en exprimant le voeu que le mauvais esprit soit chassé. La cérémonie íinie, le malade crache à son tour, en marmottant une formule d'exorcisme (1).

A laNouvelle-Calédonie, le sorcier qui admonesle le malade saisi de frénésie, lui crache, pour le gué- rir, brusquement dans l'oreille ou dans Tceil des herbes màchées (2).

D'après Férnel, cité par Thiers, « pour guérir la toux il faut cracher dans la gueule d'une grenouille de buisson et la laisser incontinent après toute vive ».

En Suède, il arrive souvent de voir des gens qui, aliant visiter un malade, crachent trois fois pres du seuil de la porte (3).

En Corse, si on loue un enfant sans lui cracher en méme temps à la figure, il est fasciné ; de méme en Sardaigne.

En Calabre, pour se préserverdu mauvais oeil, la femme entr'ouvre sa chemisette, crache sur ses mamelles et dit : « Ppou » .

A Naples, les nourrices crachent sur Tétranger qui entre dans la chambre ou est endormi un enfant.

(1) Tour du Monde, t. xii, p. 294.

(2) RocHAS, La Nouvelle Calédonie.

(3) PiTRÉ, La Jettatura, ap. Acta comparationis, vol. XI.


122 LES CURIOSITES DE LA TETE

En Sicile, la mère crache sur son enfant, s'il a été regardó par quelque personne douteuse.

En Danemark, quand un joueur perd aux cartes, il crache sur son siège et dit : Qu'un chien soit enterré ici. On crache dans Teau avec laquelle on se lave, si elle a déjà été utiliséepar unautre.

L'antique croyance au pouvoir de la salive a tra- versé les àges : on la retrouve en Bretagne. Renan, qui raconte dans ses Sous>enirs d*enfance Thistoire d'un vieux gentilhomme ruiné, devenu broyeur de chanvre, dit que l'on croyait que, comme chef, il était dépositaire de la force de soon lui servit le méme mets : il n'en témoigna aucun déplaisir. On le sacrifia, et à l'autopsie, on constata le par- fait état de l'estomac et des intestins, qui ne por- taient aucune trace de la moindre inflammation ou altération.

Un second chat, cinq à six chiens, se compor- tèrent de la méme façon, et une commission de doc- teurs, dont faisaient partie Laénnec, Dupuytren, Duméril, furent appelés à conslater ces faits, que leur étrangeté avait rendus suspecls. Six rats surmulots fournirent les mémes resultats.

M. Le Sauvage voulut, à son tour, tenter l'ex- périence sur lui-méme afin de dissiper toutes les préventions .

Le 8 mars 1809, il avala, en présence de M. Cayol, son çonfrère, et de plusieurs élèvesi de laCharité.




POLYPHAGES 147

des fragments de verre d'une forme irrégulière et plus ou moins aigué.

Le lendemain, il renouvela son expérience de la veille, en présence du professeur Lallement. Ses fonctions n'en furent aucunement troublées.

II y a quelques années, cette question a été de nouveau soulevée dans une revue scientifique estimée, et de nouveaux faits ont été apportés à l'appui de Finnocuité du verre. Un employé de magasin avait souvent, au diré de son patron, mangé entièrement des morceaux de verre à vitre. Ayant fait un pari, il avait absorbé toute la partie raince d'un verre à boire, dit mousseline^ sauf le pied. Un autre jour, il avait mangé « une lampe à incandescence brúlée » devant ses camarades d'atelier (ceci serait plus dur à avaler — par nous !).

Un de nos amis, pharmacien à Paris, M. Blain- ville, écrivit naguère à La Nature : « Un certain nombre de mes amis et moi avons assisté à diverses reprises à un repàs qui consistait à manger du verre. L'opérateur, étant Tun de nous, n'avait aucune espèce de raison de nous tromper; nous Tavons vu plus de dix fois prendre un verre à madère et, en trois ou quatre bouchées, le reduiré en miettes ayant au plus la grosseur des grains de sucre cristallisé. Un verre à liqueur ou un verre mince, dit mousseline, étaient devorés en un clin d'oeil. »


148 LES CURIOSITÉS DE LA TETE

C'est le cas de diré qu'il y a vraiment des opsophages et des estómacs complaisants !


Nez.


Ses relatioxs avec l'appareil sexuel.

Nous ne sommes pas de ceux qui trouvons matière à raillerie dans les traditions ou les expressions populaires. Sous une apparence fruste, on découvre des tresors de bon sens dans une multi- tude de proverbes qui, avant réflexion, nous por* teraient plutót à sourire. Combien de fois avons- nous exprimé le désir qu'un savant, épris de curiosité, soumit au creuset de Tanalyse les remè- des dits de bonnc femme pour en extraire l'élément actif ? Un travail de sélection de méme genre, mais dans un autre ordre d'idées, ne devrait-il pas étre tenté pour les dictons, par exemple, qui, dans leur naïf langage, en disent parfois si long sur les moeurs et les usages d'un peuple ou dune race, ou qui expriment sous une forme concise et synthé-» tique une vérité physiologique ? Ainsi, qui ne recon* nait, pour les avoir maintes et maintes fois entén- dues, cesphrases qui, sans avoir recula consécra*


NÉZ 140

lion de l'Académie, sont passées dans le langage courant : « Je ne peux pas le sentir... Je l'ai dans le nez. » Ou encore celle-ci, moins Iriviale, plus adoucie: « II se laisse conduiré par le bout du nez... elle le mène par le nez ».

Un aulre proverbe dit, mais celui-là nous l'em- prunterons aux Latins,si osés eri la matière:

Noscitur e labiis quantum sit virginis antrum. Noscitur e naso quanta sit hasta viro.

N'avez-vous pas deviné qu'il existe une relation évidente entre l'appendice nasal et les organes sexuels ; que ces rapports ont été notés des la plus haute antiquité?

De tout temps, en effet, on a remarqué qu'un grand nez était le signe d'une exceptionnelle puis- sance virile. Dans les satiriques de l'ancienne ftome, sous la plume de Martial et de Juvénal, revient à tout instant ce parallèle.

Dans la Vie d'Héliogabale^ Lampridius raconte que ce prince dissolu choisissait pour compagnons de ses infames débauches des jeunes gens dont le nez avait de respectables dimensions (1). Les phy- siologistes n'ont pas, du reste, essayé de nier la corrélation, la sympathie qui existe entre Tap- pareil de Tolfaction et celui de la reproduction.

« L'odorat, dit Cloquet, est en rapport immediat avec les fonctions de la génération ».

(1) JoAL, De VEpistaxis génitalc, 6.


I \


150


LES CURIOSITKS DE LA TETE


a II n'est pas sans intérét de remarquer, observè Féré, que, quelle que soit Todeur qui provoque une sensation agréable, les mouvements mímiques du nez et de la lèvre supérieure, en particulier, rappeUe&t ceux qui accompagnent Texcilation géné- sique(l) ».

« L'amour, écrlt Maiüegazza, a beaucoup de rapports mystérieux avec le sens de Todorat. Dans le monde animal, les parfums sont souvent Texci- tant le plus direct et le plus puissant de la lulte amoureuse, et avant méme que la femelle ait vu celui qu'elle recherche, les ailes du vent ont porté à ses narines l'odeur qui l'enivre de volupté. La nature a placé le musc, la civette, le castoréum et beaucoup d'autres substances odorantes, de façon à montrer avec évidence à quelles fins elle les destine. Et les fleurs, qui nous ravissent par leur éclat si varié, ne nous disent-elles pas com- bien sont intimes les rapports qui lient Todorat à l'amour, et les molècules odorantes aux mystères de la reproduction (2) ? »

C'est encore Cabanis qui écrit que « la saison des fleurs est en méme temps celle des plaisirs


(1) Féré, Pathologie des Emotions, 439. Beaucoup de personnes ne peuvent visiter des fabriques de par- fums, au diré de Mantegazza, sans éprouver des désirs particuliers.

(2) Mantegazza, Physiologie de l'amour^ 149.


NEZ 151

de Tamour » (i), témoignant ainsi que les lois de la nature sont immuables et régissent le monde vegetal aussi bien que le monde animal.

a Chez les animaux, a dit Longet, la liaison entre les fonctions olfactive et génitale est aussi incontestable qu'elle est intime. A l'époque du rut, les individus d'une méme espèce devaient se recher- cher mutuellement. 11 leur fallait donc un moyen de se diriger les uns vers les autres, au moyen d'excitation, et la nature a pris soin de faire exha- ler vers cette époque une odeur forte et spéciale aux or ganes sexuels de la plupart (2). »

C'est un fait bien connu que, chez la plupart des animaux, une odeur se dégage au moment du rut des organes génitaux ou des glandes qui les avoi- sinent.

Les partícularités qui suivent sont peut-étre plus ignorées. « Chez certaines femelles destinées à reproduiré des hybrides, on est quelquefois obligé de couvrir les yeux du màle et d'imprégner la femelle qu'on veut faire saillir des parfums natu- rels d'une autre femelle préférée de ces males et choisie dans leur espèce. On fait habiter Tétran- gère dans l'écurie de la sultane, à cóté d'elle,


(1) Une dama tres sensible aux odeurs disait : « J'éprouve tant de plaisir à sentir une fleur qu'ii me semble que je commets un péché. » Mantegazza, Phy- siologie de l'Amour, 151, note.

(2) Longet, Traité de Physiologie,


152 LES CURIOSITÉS DE LA TETB

durant plusieurs jours. On transporte, au moment du coït, les produits de sécrétion féminins qui doi- vent tromper l'officiant, qu'on a préalablement mis dans Timpossibilité de voirla concubine qu'on subs- titue à sa légitime. Souvent, dans ce cas, l'illusion est assez complète pour tromper le maitre et sei- gneur. Si le màle se doute de la fraude, il faut dou- cement éloigner la cavale adultère et mettre à sa place l'épouse préférée, la lui faire sentir et lui substituer promptement la première, quand on croit l'illusion assez complète, et le moment arrivé... (1) »

Une remarque qui a été souvent faite par les vélé- rinaires : lorsque le sens de l'olfaction est pervertí chez un étalon, son ardeur est presque éteinte.

De méme, si la femelle n'exhale pas une odeursM^ generis^ le màle s'en éloigne(2). Ainsi le taureau se refusera à saillir une de ces vaches qu'on appelle des vaches rohinieres^ dont le «relent ne lui monte pas au nez ». Aussi, pour surmonter cette antipa- thie, a-t-on imaginé d'aromatiser la région vulvaire de la femelle pour dissimuler sa veritable odeur.

Chez les chevaux, on se sert, àcet effet, d'infusions

(1) D*" Galopin, Lg Parfum de la Fenime, p. 160- 161.

(2) Notons en passant que Cabanis conseillait l'air des étables et des vacheries pour restaurer les forces des gens épuisés par des excés de coït. {Ranports du Physique et d(i Moral, t. II, 419-42Q,)


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très concentrées de sainfoin, deserpolet, de sauge, et autres foins aromàtiques. Quelquefois on prati- que des injections vaginales avec ces mémes subs- tances, mais il est rare que le màle s'en contente, préférant à tout le parfum naturel.

Chez certaines espèces animales, ce parfum est, du reste, des plus penetrants. Le musc, la civette, le castoréum et toutes les humeurs odorantes sécré- tées par les follicules inguinaux voisins des orga- nes sexuels, agissent par leur odeur et favorisent l'accouplement. Qui n'a observé les chiens se flai- rant avant de copuler ; Tétalon frottant ses naseaux avec du mucus de la vulve de la cavale (ce que les anciens appelaient riiippomane), avant de commen- çer le combat amoureux (1)?

Les chats sont spécialement excités par l'odeur du /warM/w,delacataire [nepeta cataria)^des racines de valériane et de serpentaire de Virginie. Us se roulent littéralement quand on leur en presento.

Rien de tel pour faire frayer les carpes que de leur frotter Tanus avec du musc ou de la civette. La civette réussit pareillement, au diré d'Olina, à faire chanter les rossignols en cage, sans doute parce qu'elle accroit leurs désirs.

(1) (( Sí, après avoir examiné des grenouilles et des cra- pauds femelles, dit Galopin, qui aurait été lui-méme témoin de l'expérience, on plonge les mains dans l'eau, les m&les s'empressent d'accourir de loin et de les em- brasser étroi tement. » D' Galopin, loc, cit., 32.

9*


154 LES CURIOSITÉS DE LA TETE

Les crapauds sont attirés par les émanalions de Vanthemis cotula^ du stachys palustra^ de Vàctea spicata,

L'odeur du chenopodiuni culparia provoque clíez les chiens la sécrétion urinaire.

Ce qui n'est pas moins remarquablè, c'est qu'il est des plantes dont le parfum est modifíé durant l'accouplement : dans la Botanique de Duchartre, Morren a signalé de nombreux cas à Tappui de cette thèse. Laplupart des orehidées perdent leur parfum une demi-heure après l'application du pollen (1).

Le nom de la famille de ces plantes, orchis, annonce assez à quoi se comparent les doubles bul- bes de leurs racines, et l'odeur du sperme qu'elles exhalent n'est pas pour iníirmer la comparaison. Plusieurs de ces végétaux, entre autres le salep, jouissent dé verlus aphrodisiaques, non pas seule- ment parce qu'on a observé des analogies toutes forluites de forme avec des analogies d'odeur, mais parce que leur action a été réellement constatée.

II est à noter que la plupart des végétaux quiexal- tent les facultés generatives sont des aromates. La vanille, la cannelle, le macis, la girofle, la muscade le poivre, le safran, l'ail, sont des substances tres odoriférantes.

Est-ce pour ce motif que, de tout temps, les fem-

(l)Rivière a cité le conophallus, dont les fleurs femel- les exhalent une odeur infecte, jusqu'au moment oü les fleufs males y répandent le produit de leurs étamines.


NEZ 155

mes ont employé les parfums dans leur toilette secrète, en ont usé poiir captiver ceux qu'elles vou- laient s'attacher ? N'est-ce pas J.-J. Rousseau qui a dit dans son Emile (1) : « Le doux parfum d'un cabinet de toilette n'est pas un piège aussi faible qu'on le pense? », ce que Parny a exprimé dans ces vers elegants :

Plus tendrement un coeur soupire, L'air et les parfums qu'on respira De l'amour allument les feux(2).

On a soutenu que les artifices de toilette étaient un produit de notre civilisation ; rien n'est plus faux. A ceux qui n'ont pas encore tout à fait rompu avec les clàssiques, nous rapellerons ce que dit Homère au quatorzième livre de l'Iliade : « Junon lavait son corps avec de l'ambroisie, et se parfumait avec une essence aussi précieuse que suave . »

Et ce ne sont pas seulement les belles Grecques qui ont eu recours à ces procédés de séduction. Dans l'Ancien Testament, on voit Ruth s'inonder de par- fums pour plaire à Booz.

Les Arabes, les Orientaux et tous les peuples qui ont adopté la religion mahométane, ont le culte des parfums.

Mahomet lui-méme partageait son affection entre

(1) J.-J. Rousseau, Emile, édition stéréotypée, 262.

(2) Elégie VII, livre III


156 LES CURIOSITÉS DE LA TETE

les parfums et les femmes, ou plutót il les adorait inséparablement.

En Nubie, les eourtisanes se frictionnaient avec un cosmétique odoriférant, composé de graisse de mouton, de savon, de musc, de bois de santal pul- vérisé, de sembil (valeriana celtica) et de mehleb (fruit qu'on cueille en Arménie, en Perse et en Asie- Mineure) (1).

Ala séance de IdiSociétè anthropologique de Berlin, du 18 octobre 1873, Hartmann a présenté des vases troués, en terre cuite, envoyés par J. Hildebrant, qui servaient aux femmes somalis pour se parfumer les organes génitaux, et qui s'appellent en nubien Kalenqül ou TerenquL On en avait rencontré dans les cabanes les plus pauvres. Le parfum qui s'y consommait s'obtenait en faisant brúler de Tambre, les opereules d'une espèce de Strombns qui se trouve dans la mer Rouge et le bois de Y Acàcia Verek. Ces fumigations s'emploieraient encore en Abyssinie (Ascherson) et sur les coles de la mer Rouge (Issel).

Aujourd'hui que l'industrie est parvenue à repro- duiré synthétiquement la plupart des odeurs de fleurs naturelles, et que l'usage des triples et quà- druples extraits s'est généralisé, telles Parisiennes de nos jours laissent loin derrière elles les Orien- tales les plus expertes dans l'art de se parfumer. Mais

(1) Mantegazza, Hygiènede l'Amour, 175.


NEZ 157

r

ce sont là des artificesqui répugnent à celles dont le charme réside dans les seuls avantages naturels. Celles-là savent, mieuxque toutes autres, que l'exci- tation génésique est plus súrement provoquée par Todeur de leur corps que par les cosmètiques les plus compliqués. Cette excitation n'est pas seule- ment due àFodeur des sécrétions provenant des or ganesdelagénération, maisencoreàcelle des sécré- tions cutanées et (1) parfois àune sécrétion locale. h'odor difemina est, pour tout diré, des plus com- plexes, et le chimiste le plus habile aurait quelque peine à en dissocier les elements.

II est des femmes qui sentent l'ambre, le musc, mais naturellement : telles les blondes cendrées, au diré du D"" Galopin, qui a fait de la question une étude approfondie.

D'autres, principalement dés femmes aux cheveux chàtains, sentent la violette. Agnès Sorel, Diane de


(1) Lft D' Galopin a notéque les personnes de laméme profession se recherchent et se marient ensemble. C'est un mariaged'odeurs, « le parfum de la femme s'harmo- nisant avec celui de l'homme ».

(( La Marseillaise respira avec volupté son mari qui sent l'ail et l'oignon ; les ouvriers en phosphoreépousent presque toujours des ouvrières de la méme profession qu'eux. » C'est bien à des accouplements de ce gen re qu'on peut appliquer, en Tamplifiant, la définition si connue du mariage : « Un échangede transpirations la nuit..., et le jour. »



158 LES CURIOSITES DE LA TETE

Poitiers, M"*® de Maintenon possédaient ce rare pri vilège (1).

Certaines femmes, tres brunes, à la peau blanche, dégagent une odeur d'ébènocurais beaucoup de plaisir ! Je fus alors atteint d'accès d'aslhme d'une intensité exlréme. Enfin, vers l'àge de quatorze ans, je fus pris de douieurs violentes aux lombes et aux mem- bres inférieurs ; jedus m'aliter. Je saignais toujours du nez et je me masturbais avec fureur. Le médecin comprit, m'admonesta sévèrement et m'annonça de terribles conséquences si je persistais dans mes habitudes. Je ne me sevrai pas complétement, mais je fus plus sage. Ainsi j'atteignis le bachot qui me jeta dans les bras de la femme. Mes mòdiques res- sources de lycéen me mèttaient dans l'obligation d'espacer mes nouveaux plaisirs ; mes saignements de nez disparurent... Depuis, je me suis fait vieux, père de famille, mais aux jours de féte et d'abon- dance, la toux nasale et les épistaxis reparaissent. Pour moi, il est certain que mes saignements de nez ont une origine génitale. »

La connaissance des relations de Tappareil geni- tal avec l'appareil nasal n'est pas encore, que nous sachions, familière aux médecins. Mais nous sommes de l'avis de Joal, à savoir que cette notion de sym- patliie (1) une fois répandue dans le monde scienti-


(1) Ne peut-on expliquer par cette sympathie l'arpèt de ceptaines épistaxis gràce à l'application d'eau froide ou de glace sup le scpotum? (V. Schwilgué, Traité de Maíicre médicale, t. u, 5 èt 112.)

10


170 LES GURIOSITÉS DE LA TÈTE

fique, la rencontre de faits nombreux viendra démonirer la fréquence des épistaxis génitales.

Sans doute, la goutte, le rhumatisme, ranémie> la plélhore, les varices nasales soni des facleurs étiolo- giques importants de l'épistaxis, mais dans l'enfance et l'adolescence, le point de départ genital devra toujours étre recherché. C'est à l'époque de la puberté, au moment oü la vie génitale commence qu'apparaitront les épistaxis cataméniales, copula- tives, en un mot toutes les liémorrliinies dépendant d'une irritation de Tappareil sexuel.

Esperons qu'il aura sufíi d'avoir appelé sur ce point l'attention des praticiens pour que celle-ci soit désormais en éveil. (1)

(1) A propos du nez et des organes génitaux. Joal a également pu, dans la majorité des cas, vérifier les assertions de Malgaigne (Archives generales de mé- decíne, 1891):

« J'établis comme un principe certain, dit cet auteur, qu'il est possible de juger de la gravité ou de Tacuité de la voix par la forme et la saillie du nez. Je n'ai ja- mais vu un homme ou unefemmeavoir un nez retroussé et une voix gra ve ; toujours les voix graves sontaecom- pagnées d'un nez considerable ; 11 est enorme chez les basses tailles, chez les chantres de cathédrale par exemple.

« Je pose en principe que le développement des cavités nasales est en rapport direct avec celui du larynx, et le larynx étant lui-meme en relation étroite avec les or- ganes génitaux, peut-étre cette coïncidence ser vira- t-el le à expliquer un fait jusqu'à present inexplicable, et qui, faux dans quelques applications, certain pour la plu- part, a été érigé en axiome par Ovide ; Noscitur c naso quanta sit hasta tiro. »


LE NEZ D ANS LA LITTÉRATURE 171


LE NEZ DANS LA LITTÉRATURE

Chez toutes les natures particulièrement impres-

sionnables, l'acuité des sens est un phénomène d'ob-

servation courante. Les littérateurs semblent avoir

à cet égard, une gràce d'état. Les littérateurs, et nous devrions généraliser, tous ceux qui travail-

lent cérébralement, qui ont une surabondance d'in- flux nerveux à dépenser.

Lisez les Goncourt, par exemple, et dites-nous si vous n'étes pas resté en admiration devant cette puissance de reproduction, comme sur une plaque sensibilisée, de ce qui vibre autour d'eux et dont ils vibrent à leur tour. « On sent dans le style des Goncourt, a dit un penetrant critique, la vibration méme de leurs nerfs trop tendus (1). » Mais tenons- nous en à l'extériorisation puré : Goncourt, comme Loti, comme Baudelaire, comme Zola, auquel nous allons arriver comme le plus démonstratif de notre thèse, a l'un des cinq sens particulièrement déve- Ipppé ; celui-là méme qui deviendra extraordinaire- ment subtil chez le père des Rougon-Macquart, le sens de l'odorat.

L'odorat acquiert chez Goncourt des fonctions presque anormales, tellement elles sont grandies, nous dirions presque hypertrophiées. Mais, ce qui

(1) Jules Lemaitre.


)ss


172 LES CURIOSITÉS DE LA TETE

nous rend son cas altachant, c'est qu'il y faut un élat morbide : le sens de Fodorat, chez Goncourt, acquiert une force singulière dans un accés de mi- graine.

Chez Berthelot. un homme de lettres égaré dans la science, les excés de travail développent plulót le sens de l'ouïe.

Ce sont aussi les impressions reçues par l'oreille qui souíïïent à Fromantin son beau morceau sur la poésie du silence dans la solitude du desert.

Le poète des Fleurs du Mal est plus sensible à la griserie des odeurs. La vie de Baudelaire, au diré de Théophile Gautier, qui, lui, seplaisait aux séduc- tions de Tceil, se passa à composer « unbouquet de fleurs étranges, aux couleurs métalliques, auxpar- fums vertigineux, dont le calice, au lieu de rosée, contient d'àcres larmes ou des gouttes d'aqua to- fana ». Mais Baudelaire est un malade, dont Tàme « voltige sur les parfums cormme l'àme des autres liommes voltige sur la musique » Pour Tauteur des Paradís artificiehy Tàme des chosesse transformait en capiteuses exlialaisons, dont il.adorait s'eniyrer.

Encore un olfactif que Texotique troublant, Tépoux de Rarahu et d'Azyadé, Pierre Loti. Loti, c'est un clavier complet de sensations, dont le nez rendrait les notes aigües. Ce nez a une silliouette qui mérite une esquisse et Rodenbacli n'apas man- qué de la brosser.

Lp nez de Loti est « un nez busqué et embusqué ;


LE NEZ DANS LA LITTERATURE 173

un nez de proie qui hume, devine, attire toute sén- teur éparse, la captive, la différencie ; et c'est ainsi en ce joli livre, le Mariage de Loti^ quand il nous promène avec Rarahu dans les nuíts voluplueuses de Taïti, que nous percevons vraiment l'odeur des sexes et des plantes en route vers les étoiles. » Ce que Lemaitre exprimera à sa manière, toute de fine ironie : « Pierre Loti, la plus délicate machine à sensations que j'ai jamais rencontrée ! »

Comme il laisse loin derrière luitous ses rivaux, comme il les distance, « le musicien, le symphoniste des odeurs » qui a servi de prétexte àTamusantefan- taisie physiologico-littéraire(l) dont nous voudrions donner une idée.

Vous le voyez entrer en lice le nez triomphant, le nez fureteur « qui interroge, qui approuve, qui con- damne, le nez qui est gai, le nez qui est triste, un vrai nez de chien de chasse, dont les impressions, les sensations, les appétences divisent le bout en deux petits lobes, qu'on dirait, par moments, frétil- lants » (2). Ne l'avez-vous pas déjà flaire « le roman- cier aux narines frémissantes, au flair subtil, tou- jours chatouillé par les mystérieux effluves de l'air ; l'homme qui a vécu le plus par le nez, qui a le plus souffert et le plus joui de l'odeur des choses, qui a


(1) L. Bernard, Les odeurs dans les romans de Zola.

(2) De Goncourt, JoiirnaL

10*


174 LES CURIOSITÉS DE LA TETE

été remué le plus délicieusement par tous les par- fums, qui a élé le plus soulevé de dégoút pour toutes les puanteurs » ? Voilà qui est nouveau comme procédé critique et Zola, qui a posé tant de fois devant l'objectif, deprofil, de trois quarts ou de face, se trouve « instantanéisé » dans une attitude ou nous n'avons pas coutume de le voir.

Est-ce un amusant paradoxe qu'a voulu soutenir M. Léopold Bernard, en relevant dans Toeuvre du maitre tout ce qui accuse son extréme sensibilité de l'odorat? Ne veut-il s'attaclier à démontrer, ce qui serait plus malicieux encore, que M. Zola rapporte tous ses jugements, samanière de penseret d'écrire à son organe olfactif? En tout état de cause, ledéve- loppementestcurieux et mérite de retenir Tattention. Vous semblera-t-il, comme à nous, assez plaisant, ce M. Beriiard, dans cette boutade d'humour: « Est- ce illusion d'un esprit trop prévenu, trop plein de son sujet, toujours est-il que dans les portraits de Zola que j'ai eus sous les yeux, c'est le nez qui m'a frappé le plus ; le front est large, bien découvert, encadré de cheveux taillés court et plantés droit ; la barbe qst fourrée, touffue, à crins droits et forts, coupés en brosse ; le regard est froid, perçant, aigu bien qu'un peu émoussé par les verres d'un binocle ; les lèvres disparaissent sous la moustache, qui ne laisse voir qu'à moitié le trait de la bouche ; seul, le nez est en pleine lumière au centre du visage, il est charnu, élargi, percé de deux grosses narines qui


LE NEZ D ANS LA LITTERATURE


175


semblent frémir et humer Taír ou elles baignent. Rien qii'à voir ce nez puissant, aux ailes dilatées, on s'explique les descriptions presligieuses du Paradou, la fameuse symphonie desfromages et tant d'autres concertes d'odeurs non moins étourdissants, bien que moins connus. »

N'allez pas croire que'l'auteur s'arrétera en si beau chemin. Les premisses sont posées, il pour- suivra jusqu'au bout la démonstration, sans nous faire gràce du moindre passage des oeuvres du ro- buste ouvrier de lettres ou il trouvera à puiser un argument. C'est ainsi qu'il va nous le montrer ex- cellant « à noter les odeurs, à les décrire, à les ana- lyser, à les classer, à saisir leurs secretes harmo- nies, leurs mystérieuses correspondances avec les sentiments et les idees, leur sourde mais néanmoins irresistible influence sur les résolutions et la con- duite ». Pour peuquevous le pressiez, il vous décla- rera que Zola est le créateur d'une terminologie spéciale, d'une langue des odeurs qu'il n'a peut-étre pas établie de toutes pièces, mais qu'il a, cela n'est pas douteux, prodigieusement enrichie. Que si vous doutez, les preuves sont là pour vous convaincre, et faire fléchir votre scepticisme railleur.

A cliaque page, et dans certaines pagès à cliaque ligne, la virtuosité est manifeste. Les choses ina- nimées, autant et plus que les personnages eux- mémes, ont leur odeur, dégagent leur parfum. « Les nuages qui passent cliargés d'électricité, les


170 LES CÜRIOSITÉS DE LA TETE .

brises qui souíïïent du large ou qui viennent de la terre, le sable du rivage, les pierres du chemin, les mottes de terre que retourne la charrue, les herbes des prairies, les fleurs, les grands arbres, les eaux courantes des rivières, ou les eaux dormantes et croupissantes des marais, les maisons, les betes, les hommes et leurs vétements, tout dégage au loin une odeur caractéristique, révélatrice de son indi- vidualité, de sa constitution intime, de ses vertus bienfaisantes, de ses propriétés nuisibles, de son temperament, de son caractère, de ses habi- tudes , de sa physionomie morale. Aussi, pour Zola, le signalement d'un objet ou d'une personne n'est complet que s'il a noté d'un mot expressif l'o- deur qu'il exhale. »

Que Mouret entre dans la chambre de l'abbé, il ne tardera pas à trouver qu'il s'en exhale « une odeur de prétre, un homme autrement fait que les autres ». L'abbé Mouret, de son cóté, penetrant dans la maison en ruines de Jeanbernat, serà pris à « la gorge par une odeur de damnation » . Se remé- more-t-il les années de séminaire, l'abbé revoit en imagination « cet ancien convent du vieux Plassans, tout plein d'une odeur séculaire de dévotion ». Mais qu'il évoque la délicieuse image d'Albine, dans cette nuit qu'il passe accoudé à sa fenétre, ce sont des bouffées desenteurs quiluiempourprentlaface, qui accélèrent le pouls et lui brúlent le sang. Tout conspiré pour l'étourdir : la chaleur des terres rou-




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LE NEZ DANS LA LITTEHATURE 177

ges, les sueurs humaines, les senteurs fades du ei- melière, les odeurs de filles mélangées aux odeurs d'encens, les vapeurs de fumier et les fermenlations des fermes, et se dégageant, superbe dans saflorai- son, cetarbuste vivace, Albine, « fleur naturelle de ces odeurs », qui « parfume l'abbé desonlongrire ». C'est dans tout l'éclat de sa beauté ensorceleuse qu'Albine, la fillette sauvage du Paradou, apparai- tra, comme en une vision celeste, à Serge ébloui : Serge qui se risque à la suivre à peine des yeux, tant il arrive difficilement à dépouiller le vieil homme, l'adolescent « dont la bonne odeur » char*» mait ses maitres au séminaire.

Dans VAssommoir, nous retrouvons la méme préoccupation de Zola à mettre en relief « l'odeur savonneuse, l'odeur fade, moite » du lavoir de la rue Neuve ; « l'odeur liquoreuse des tournées de vitriol » , qui se répand dans l'atmosphère du cabaret du père Colombe ; « l'odeur de poussière ancienne et de saleté rance » du logis des Lorilleux. Les per- sonnages sont impregnés chacun d'un parfum suí generis, « qui tient à l'àge, au sexe, à leur état de santé ou de maladie. à leurs vices secrets, à leur complexion héréditaire, à leurs qualités ».

Quand Lantier revient chez Gervaise, et que celle-ci déballe les loques qui sont empilées dans sa malle, « elle sent monter une odeur de tabac, une odeur d'iiomme malpropre qui soigne seulement le dessus ».


178 LES CURIOSITÉS DE LA TETE

L'oncle Baclielard, de Pot-Bouille^ « exhale une odeur de débauche canaille, un fumet d'absinihe, de tabac, et de musc », alors que M*"® Campardon a « une bonne odeur fraíche de fruit d'automne. »

Et Nana, ne doit-elle paslemeilleur de son succés à « une odeur de vice, une toute-puissance de femme dont le públic se grise » ?

Dans le Ventre de Paris^ le procédé est poussé à l'outrance. Toute cette population grouil- lante des Halles emporte dans les moindres plis de ses vétements une odeur defrai, « une de ces odeurs épaisses, qui montent des joncs et des nénuphars vaseux, quand les ceufs font éclater le ventre des poissons pàmés d'amour au soleil».

A quoi tient cette hantise constante des odeurs chez le romancier naturaliste? Est-ce à un vice d'organisation, àuneirritabilité spéciale des papil•les nerveuses des fosses nasales? Serait-ce, au con- traire, de propos délibéré que Zola, ayant voulu peindre la brute qui sommeille au fond de tout étre liumain, ait exalté de partí pris les sens de la vie végétative, les ait mis sur le pied d'égalité avec les manifestations, d'ordre plus élevé, de la vie céré- brale? Ceserait matière à discussion. Toujours est- il que le róle des odeurs est au premier plan dans les divers ouvrages de Zola. Elles n'agissent pas seulement comme influence ambiante, elles vont jusqu'à avoir une action déterminante. Par instant; l'auteur les dramatise, leur donne une vie, témoin


r- ■ - • . X


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LE NEZ DANS LA LlTTKRATÜRE 179

la cèlebre Symphonie des fromages^ ou « toutes les haleines empeslées de la fromagerie semblent souffler la médisance, la calomnie empoisonnée».

II est des odeurs chastes, il en est de per- verses ; les unes inspirent les actions heroiques, tandis que les autres réveillent les pires instincts.

On pourrait se demander avec M. Bernard, si M. Zola, « qui se piqué tant d'observation et de vérité, n'a pas dépassé la juste mesure, en mettant ainsi des personnages dans une si étroite dépen- dance des impressions de leur odorat».

On pourrait le chicaner sur le róle par trop exclusif qu'il attribue à la matière, et protester, par suite, contre l'affaiblissement des facultés intel- lectuelles.

Mais pourquoi s'embarrasser de tant de philosophie, quand nous sommes si peu certain que M. Zola y attache lui-méme l'importance que nous lui prétons ? Restons-en plutót sur cette impression que M. Bernard a voulu nous amuser et aussi se divertir aux depens de M. Zola, qui aura fait preuve d'esprit s'il a ri le premierde cet elegant badinage.

LE NEZ DES HOMMES CELEBRES

« Certains physiologistes, écritTli. Gautierdans ses Grotesques, pretendent que la longueur du nez est le diagnòstic de Tesprit, de la valeur et de tou- tes les belles qualités. Socrate était camus, aussi


l80 LÈs cüríositÉs de la tete

avouait-il qu'il élait né avec les dispositions les plus vicieuses. César, Napoléon ont un bec d'aigle au milieu de la figure ; le vieux Corneille a le pro- monloire nasal tres développé. Le nez de Cyrano est moins pàteiix que les nez bienveillants de Saint Vincent de Paul et du diacre Paris, moins charnu dans ses contours ; il a plus d'os et de cartilage, plus de méplats et de luisant, il est plus héroï- que... i) (1)

Gautier auraitpu signaler encore, ajoute lemieux renseigné parmi les biographes de Cyrano (2), le nez du grand Conde, qui l'empruntait d'ailleurs à la race des Bourbons; celuidu duc de Roquelaure, "Celui de l'abbé Charles Genest, qui lui valut cet anagramme : Eh ! cest large nez ! ; celui de Madame de Villette, que le president de Périguez appelait un nez eloqüent; celui de Madame de Nemours, qui surmontant des lèvres rouges, faisait diré à Vendóme : « EUe a l'air d'un perroquet qui mange une cerise » etc.



Plusieurs grands capitaines, Cyrus, Artaxerce le Grand ^ Constantin, avaient le nez aquilin et renílé. Fortement recourbé ainsi qu'il l'étaitchez Catilina,


(\) Les Grotesques, p. 181 et suivantes.

(2) P. Ant . Brun, Sa^inien Cyrano de Bergerac, Jp. 18, (nota).


LE N£Z DES HOMMES GELEBItES Í8l

il annonce un caraclère entreprehant et dissimulé ;, épaté, il est un signe de luxüre.

A voir le nez eourtetécrasé du maréchai de Saxe^ pouvait-on reconnaítre le grand homme qui réunis- sait en sa seule personne le génie de Vauban et celui de Charles XII ?




Le cèlebre peintre Charles Lebrun était parvenu à connaitre à la téte des animaux, s'ils étaient timides ou courageux, paisibles ou féroces. II s'était assuré que le signe du courage réside dans une petite bosse qu'oií doit avoir à la partie supérieuré du nez (!)♦

J.-B. Porta avait déjà émis cette opinion, et cilé un nombre assez remarquable de grands hommes et de guerriers intrèpides chez lesquels on avait observé un nez aquilin et renflè.

Plutarque nous reprèsente ainsi celui de Cyrus ; au rapport de Justin, il en ètait de méme d'Arta- xerxès-le-Grand et d'Antiochus Gryphus. Suétone et Zonara nous peignent avec les mémes traits l'un Sergiüs Galba, et Tautre Constantin-le-Grand, et les mèdailles peuvent aussi nous convaincre dé cette vérité.

On pourrait ajouter à cette liste : Georges Scan-

(1) Voy. Salgues, Des Erreurs et des Préjugés, etCi, t. n, p.. 2K

11


J82 LES CURIOSITÉS DE LA TJÈTE

derberg ; Ismael, sophi de Perse ; Mahomet II ; Sélim, fils de Bajazet ; Soliman, fils de Sélim ; le grand Conde ; Louis XIV, etc.


4 4


Un nez recourbé trop fortement indique souvenl un esprit hardi et enireprenani, mais avec des moyens réprouvés : tel a été Catilina, dont Tambi- tion et la cupidité ont causé de si grands maux à sa patrie.

Un nez épaté et écrasé, comme l'est celui des singes, passe pour un signe de luxure ; on sait que Socrate avouait lui-méme avoir ce penchant, et J.-B. Porta relate la méme chose de J. Ruelle, bota- tiiste français.


LE NEZ CHEZ LES DIFFEREXTS PEUPLES

Les Hébreux mettaient la colère dans le nez : ascendit futnus de naribus ejus; de naribus ejus procedit fumus.

Les anciens auteurs grecs et latins parlent à peu près de méme. Perse et Plaute n'ont-ils pas dit, le premier, Satire V :

Disce : sed ira cadat nasoy rugosaque sanna.

et le second :

Fames et mors bilem in naso conciunL


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LE NEZ CHEZ LES DIFFÉREXTS PEUPL•ES 183

Ceite idée de placer la colère dans le nez vient sans doute de ce que, chez celui qui se met en colère, les muscles du nez se froncent, et le font paraítre plus raccourci qu'il n'était ; ce qui est plus ou moins sensible chez les uns que chez les autres, suivant la force ou la grandeur de ces muscles.


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Chez les Tàrtares, le nez est d'autant plus beau qu'il est plus court et plus enfoncé. Les femmes les plus admirées sont celles qui ont le moins de nez.


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Un cordelier, nommé Rubruquiz, envoyé par saint Louis en Tartarie pour y précher l'Evangile, ou plutót pour y nouer des relations commerciales, avait ouï vanter Tépouse du grand chef Zenghis comme une beauté incomparable. Admis en sa présence, il recula stupéfait : elle n'avait pour tout nez que deux petits trous qui formaient Vouverture des narines.


» ♦


Un Mongol disait un jour à un Européen : « Cela doit bien vous gener d'avoir sans cesse un nez sous les yeux ? »




Chez les Bushmens, il ne suffit pas à une femme pour étre belle d'avoir le nez exigu ; il faut que les joues soient assez saillantes et assez rebondies pour cacher presque enlièrement le promontoire nasal vu de profil.


184 LES CUniOSlTÉS DE LA TETE

Le nez pourrait fournir un chapitre à l'hisloire des grands évènements engendrés par de petites causes.

Par exemple, que serait-il advenu du royaume de Perse si Darius n'eút réprimé la révolte de la Baby- lonie? II ne se serait jamais emparé de Babylone si Zopyre ne lui eüt fait le sacrifice de son nez, et ne lui eút ouvert les portes de la ville, après s'y étre introduit comme victime de la cruauté de son maitre.

Le nez retroussé de Cléopàtre, en charmant César et en captivant Antoine, blasés sur les nez grecs et romains, n'a-t-il pas changé la face du monde?




Le nez est la partie du corps qui a toujours eu le plus à souffrir de la haine, de la justice, du dévoue- nient ou de l•Iionneur.

Les Egyptiens, les Grecs et les Romains cou- paient le nez aux femmes adulteres.

« Dans certains cantons de l'Allemagne, dit un auteur, on vise au nez dans les duels et on en abat un bon nombre. »

Dans plusieurs circonstances memorables, des centaines de nez sont tombés en holocauste sur Tautel de la chasteté.

Les femmes et les fdles d'Angleterre se le coupè- rent pour se rendre hideuses aux yeux des Danois


LE NEZ CHEZ LES DIFFEHENTS PEUPLES


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et empécher les conquérants d'altenter à leur hon- neur.

Eusébie, abbesse du monastère de Sainl-Cyr, à Marseille, se eoiipa le nez à l'approche des Sarra-» zins et le fit coiiper à toutes ses religieuses. Ellles conservèrent peut-étre leur virginité, mais les vain^ queurs, trompes dans leur convoitise, les massa- crèrent impitoyablement.

La mutilation du nez, comme procédé de justice sommaire, a surtout été pratiquée dans l'Inde sur les esclaves ; en Italie, sur les malfaiteurs.

Domeny de Rienzy, qui a étudié toule TOcéanie, dit qu'il n'a jamais vu un sauvage en embrasser un autre de son sexe, ou méme d'un sexe différent. Chez la plupart des in^ulaires du grand Océan, la manière de saluer consiste à se frotter mutuelle- ment nez contre nez.

Comme dans toute la Polynésie, enNouvelle-Zé- lande on se salue par le frottement du nez et on n'a aucune idée du baiserdesEuropéens. Le salut du nez par attouchements existe à quinze cents lieues.

Dans ses Voyages de découçer^íes aux terres australesy de 1800 à 1804, François Péron afait des observalions du méme genre, que De Bonald n'a pas hésitéàciter, dans sesHecherches philosophiques : <( Envain,dit Péron, jem'adressai àplusieurs d'entre eux pour leur faire concevoir ce que je désirais con- naítre (s'ils avaient dans leur langue les mots d'em- brasser et de caresser) ; leur inlelligence se trou-


186 LES CURIOSITÉS DE LA TETE

vait en défaul. Quand, pour ne laisser aucun doule sur l'objet de ma demande, je voulais approcher ma íigiire de la leiir pour les embrasser, ils avaientpris cet air de surprise qu'une action inconnue excite en nous et que j'avais observé déjà parmi les indígenes du canal d'Entrecasseaux ; el quand, les embrassant effectivement, je leur disais : « Comment cela s'ap- pelle-t-il? » — Je ne sais pas, était leur réponse. L'idéede caresser paraissait leur étre étrangère. En vain je faisais des gestes propres k caractérisep cette action; leur surprise annonçait leurignorance, Ainsi donc ces deux actions si pleines de charmes et qui nous paraissent si naturelles, les baisers et les caresses affectueuses, sembleraient inconnues à ces peuplades féroces et grossières. Je n'ai jamais vu, soit à la terre de Diémen, soit à la Nouvelle- Hollande, aucun sauvage en embrasser un autre de son sexe ou méme d'un sexe différent. »

Dans son Voyage dans la mer du Pacifique^ de 1821 à 1823, le capitaine anglais Parry écrit, à propos d'une tribu d'Esquimaux de TAmérique septentrionale : « Quoique les Esquimaux soient naturellement flegmatiques, ils ne sout pas étran- gers à la tendresse conjugale, et Ton voit fréquem- ment de jeunes couples frotter leurs nez l'un contre l'autre, ce qui est une plus grande preuve d'affec- tion. »

C'est par ce frottement de nez que les Esquimaux témoignent leur reconnaissance aux étrangersdont ils ont reçu quelques cadeaux d'Europe.


LE NEZ CHEZ LES DIFFERENTS PEUPLES 187

La plupart des peuples de l'antiquité faisaient le plus grand cas de la beautédu nez. Platon et Plu- tarque assurent que les Perses trouvaient dans un nez bien conforme le signe des qualités les plus convenables à un souverain, et que Cyrus, leur premier roi, avait un nez aquilin. Aussi, chez eux, au rapport du premier de ces auteurs, les eunuques chargés de Téducation des princes s'occupaient avec soin de façonner leur nez d'une manière élégante.

Chez les Hébreux, le Lévitique excluait du sacer- doce ceux qui avaientle nez mal fait.

Chez les Egyptiens, on coupait le nez à la femme adultère, pour enlaidir à jamais celle qui avait employó sa beauté à la débauche, et Ezéchiel menace de ce supplice ignominieux, qui vengeait mais ne réparait pas l'injure, les habitants de Jeru- salem chez qui lacorruption s'était glissée.

Les plus grands personnages n'ont pas toujours été k l'abri de la perte de leur nez, témoin ce Justi- nien, qui fut surmené Rhinotmète^ pour cette seule raison.

II fut un temps aussi oii, en France, on coupait le nez aux blasphémateurs, et la reine d'Angleterre fit ordonner par un bill du parlement qu'on le tran- chàt à quiconque parlerait d'elle ou de son gouver- nement d'une manière injurieuse.

On cite l'exemple de quelques femmes qui, comme Eusébie, abbesse du monastère de Saint-Cyr, à Marseille, et les filles du monastère de Saint-Claire


188 LES CURIOSITÉS DE LA TBÏE

en la ville d'Acre, en 1291, pour conserver leur pudeur et faire cesser des poursuites crimi- nelles, employèrent ce moyen ; et les poetes latins ont toujours parlé de cette espèce de mutila- tion avec une sorte de sentiment d'horreur, et des défauts du nez avec un veritable mépris ; aussi le casuiste Sanchez décide-t-il hardiment (jue la laideur produite par Tablation du nez doit étre \ine causecapable de faire casserun mariage (1).


LE NEZ CONSIDERE COMME REMEDE

Dans les maladies du nez, comme dans des cas de perforation du septum, dans la syphilis du nez invétérée, dans la rhinitis sicca, dans un cas grave d'ozène qui avait résisté à tout traitement, le doc- teur Rivière de Lyon a employé un extrau fluide de la muqueuse pituitaire du nez. Ce savant se loue des heureux resultats qu'il a obtenus.


LE NEZ DANS LES MALADIES

Dans les maladies, le nez peut servir à baser des pronòstics ; c'est un des organes dont la séméiologie

(1) Oosphrésiolo^ie^ de Cloquet, loc, cit.


LÉ NEZ DANS LES MALADIES 189

tire le plus de renséignements. Sa couleur, son volume, sa température, ses mouvements varient, en effet, dans un grand nombre d'affections de l'éco- nomie toute entière.

Dans bien des cas, nous consullons Telat du nez, soit pour découvrir une altération cacliée que lui fieul peut révéler, soit pour juger de l'imminence du péril ou se trouve un malade.

On sait combien il indique un état fàcheux quand il maigrit, et devient allongé, eíTilé, aigu, que ses cartilages sont affaissés, presses, lívides ou pales, comme cela a lieu dans quelques affections spas- modiques, dans la phtisie pulmonaire confirmée, et dans toutes les maladies qui produisent un dépé- rissement general ; dans cet état, il contribue à former ce qu'on appelle le facieshippocratique : c'est celui que présentent les moribonds en general, et dont le Pere de la médecine a tracé les traits de maín de maitre. Mais il donne encore lieu à un pro- nòstic plus fàcheux s'il y a constriction des narines coïncidente à Tenfoncement des joues, entre le bord inférieur de l'orbite et l'arcade alvéolaire.

La pàleur et le refroidissement du riez , des narines surtout, annoncent la débilité, ou méme un danger extréme, s'il y a d'autres signes de mau- vaise nature; et les accés des íièvres intermittentes, de l'hystérie, de riiypocliondrie. . La teinte livide et violacée de son extrémité et de ses ailes fait présumer que le foie commence à

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190 LES CCRIOSITÉS DE LA TETE

s'affecler ; c'est souvent aussi, chez la femme, l'in- dice d'une leucorrhée chronique.

La rougeur et la ciialeur du nez et de ses eiívi- rons, le gonflement des veines nasales, annoncent Tépistaxis, et quelquefois un délire procliain ou la phrénésie.

La rougeur du nez est, dans quelques cas, égale- ment un signe d'évacuations alvines ou d'affection hépatique ou pulmonaire.

Dans la plupart des lesions orgàniques du coeur ou des gros vaisseaux, il prend une teinte d'un bleu plus ou moins livide, et le docteur Kraft, de Runkel- sur-la-Lahn, a observé que toutes les fois que, chez des malades atteints du iyplius, le nez devient bleu, la maladie se termine par la mort (1).

Dans l'embarras gastrique, ses ailes acquièrent une couleur jaunàtre ou verdàtre. Elles deviennent livides ou plombées dans certaines maladies des poumons.


(1) Journal de Mèdecine et de Chirurgie pratiques, par MM . Hufeland et Himly , juillet 1815. Dans le cahier de juin 1816 de ce méme recueil, le docteur Gutberlet cadet, de Wurtsbourg, confirme la remarque du docteur Kraft. Tous les malades à nez bleu qu'il a observés, et leur nombre s'élève à trois cents, ont succombé et lui ont paru communiquer plus facílement la maladie, Unautre médecin, le docteur Fuse, de Bliescastel, dans le cercle des Deux-Ponts, assure avoir fait la méme ob- servation sur sept malades ( V. le méme journal, juin 1818), et s'appuiesur un passagede ÏAnnus medi- cus pri'nus, de Storck,


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LE NEZ DANS LES MALADIES 191

C'est également un mauvais présage que les ailes du nez suivent régulièrement, et avec une appa- rence de géne, les divers mouvements de la respi- ration. C'est ce qui arrive dans le croup, dans la dernière période de la phtisie pulmonaire, etc.

II est remarquable encore que les mouvements du nez cessent dans toute affection grave des fonctions córébrales, comme Tapoplexie, la léthar- gie, etc.

Dans riiémiplégie, ils ne sont détruits que d'un còté. Le prurit continuel de cet organe est fàcheux dans les maladies aigües : souvent, il précède le délire, mais souvent aussi il annonce simplement

le corvza.

1/

Dans rérysipèle de la face, le nez acquiert beau- coup de volume ; ce qui lui arrive aussi dans les affections scrofuleuses.

Le nez contourné, soit à droite, soit à gauche, dans une fièvre continue, oii il y a faiblesse, est un signe de convulsion ou de mort prochaine.

Un observateur a remarqué que les personnes qui ont le nez aquilin sont prédisposées aux mala- dies de poitrine, tandis que celles qui ont un nez retroussé et des narines tres ouvertes sont à l'abri des affections de poitrine, mais plutót prédisposées aux affections de foie. Les chevaux arabes, dont les narines sont ouvertes, deviennent rarement pous- sifs, tandis que les chevaux à téte busquée avec des


192 LES CURIOSITES DE LA TETE

tiarines rentrantes gagnent facilement des maladies pulmonaires.

• La conformation du nez el la facilité qu'il donne à la libre circulation de l'air vers Içs poumons, ou l'obstacle qu'il oppose à la respiration, doivent évi- demment agir sur l'état sanitaire deia poitrine chez l'homme et chez les animaux: voyez la différence entre les narines du chevreuil et celles du mouton, si exposé aux inflammations de poumons.

On sait que cerlains malades dégagent une odeur particulière suivant leur affection.

Nouss dit que l'odeur chez les malades atteints de rougeole rappelle celle de l'oie plumée ; chez les scarlatineux, c'est l'odeur qui se dégage des cages des fauves ou l'odeur du mauvais vieux fromage ; dans la suette miliaire, l'odeur est celle du mauvais vinaigre ou encore de la colle de pàte décomposée, tandis que la variole rappelle par ses exhalaisons, le pain moisi. Ajoutons encore qu'au voisinage des paralytiques agitants on respire une atmosphère de souris des plus désagréables, etc. (1).

LE NEZ ET SES ETATS REFLEXES

II n'est presque personne qui n'ait éprouvé une douleur très-vive dans la membrane pituitaire à la suite de l'application de certaines substances sur

(1) Y. pour plus de détails l'opuscule du D** Monin^ précité.


LE NEZ ET SES ÉTATS REFLEXES 193-

le palais : tel est, par exemple, Peffet de la prepara- tion connue sous le nom de moutarde (1).

Lorsqu'onprendune glace, sansétreencorehabi- tué à son action, on éprouve une sensation très- désagréable à la racine du nez.

Dans les affeetions vermineuses, Tirritation du eanal alimentaire par la présence des vers produit à la partie inférieure de la cloison du nez une démangeaison qui oblige de la frotter, et qui est un des signes caractéristiques de la maladie. Serait-ce là en partie ce que Darwin a appelé Polypiis narium ex ascaridíbus ?

Alibert a observé le méme phénomène chez des petites-filles empoisonnées par des racines de stramoniíim,

L'énergie de la sensation est augmentée chez certaines femmes jjendant la période menstruelle. Fallope dit en avoir connu une qui avait un érysipèle au nez toutes les fois qu'elle se mettait ne colère.

Dans la migraine, il y a le plus communément une douleur vers la voúte des fosses nasales, et quelquefois une légère épistaxis.

L'humidité des pieds ou leur refroidissement donne souvent lieu à un corvza ou à une inflamma-

(1) Le cresson de fontaine (Srjsimhrium nasturtium) aété appelé par les Latins nasitoriuin ou nasturtium^ en raison de la sensation qu'il produit sur la membrane olfaetive lorsqu'on le mange ; c'est une cootraction de nasi iomentum.


194 LES CURIOSITÉS DE LA TETE

tion catarrhale de la membrane pituitaire, lequel cède quelquefois, au contraire, à un pédiluve à la glace ou très-chaud.

On empéche l'éternúment encomprimantle grand angle de I'cbíI ; on le détermine en passant subi- tement de Tobscurité à une vive lumière.

L'olfaction enfin est souvent dépravée dans cer- tains états de débilité de l'utérus, comme dans l'amé- norrliée et la chlorose ; ou exaltée lors de l'écoule- ment des menstrues. Maís, dans tous ces exemples, la membrane pituitaire est le siège d'influences sympathiques, émanées d'organes plus ou moins éloignés.

Quelques odeurs répugnantes augmentent d'une manière marquée la sécrétion de la salive ; Wliytt a observé que l'alcoolat de romarin, flaire avec force, produisait le méme phénomène. (1)

D'autres émanations odorantes, en irritant la mem- brane olfactive, produisent le larmoiement : telles sont les vapeurs de Tammoniaque, de l'acide acéti- que, des oignons, etc. ; une titillation mécanique et vive, à l'aide d'une barbe de plume ou d'un corps étranger quelconque, cause aussi le méme phéno- mène.

Le larmoiement est également un des symptómes les plus constants du coryza, et est souvent pro- duit par l'éternúment (2).

(1) Traité des maladies nerv,, t. i, p. 264.

(2) Whytt, Traité des maL nerv,, loc. cit.


LES VICES DE CONFORMATION DU NEZ 195

Nous avons déjà dit quelle influence exerçaient les odeurs siir les organes de la génération ; nous avons aussi noté leur action dans les cas d'affections hystériques.

Des odeurs douces, chez certaines personnes nerveuses, produisent la syncope ou la cessation des mouvements du coeur.

Des odeurs fortes et àcres, dansbeaucoup de cas, réveillent Taction de cet organe, de méme que celle des poumons et du cerveau, lorsqu'elle a été sus- pendue ; on a vu effectivement une odeur pénétrante arréter la toux (1), ou prevenir un accés d'épi- lepsie (2).

Ces divers faits, dont plusieurs nous prouvent le rapport qui unit les sensationsdugoútetdel'odorat, en nous faisant reconnaítre que certains corps, en agissant sur l'un, agissent également sur l'autre, que les organes de l'une perçoivent parfois les impressions destinées à ceux de l'autre, sont vrais et evidents pour toutle monde, maisilssontdifíiciles à expliquer, de méme que la transformat ion des odeurs en saveurs.

LES VICES DE COXFORMATIOX DU NEZ

Le nez off re fréquemment des vices de conforma- tion, ou des difformités remarquables. Ludit in

(1) Whytt, Traité desmai, nerv., t. i.

(2) PiNEL, Nosographie philosophiqiie.


196 LES CURIOSITÉS DE LA T^TE

humanis divina potentia rebus, et cela est tres vrai à l'égard du nez. Cet organe peut méme manquer totalement, ainsi qu'Olaüs Borrich a eu l'occasion de l'observer.

En 155G, il naquit à Bàle un enfant dont le nez était tellement fendu et écarté qu'on pouvait aper-» cevoirle cerveau.

P. Borel dit que, dans une ville de Normandie, il existait de son temps un charpentier qui avait un double nez ; mais il ne donne aucun détail à ce sujet.

" Samuel Ledel rapporte la méme chose d'un enfant mort-né qu'il a eu l'occasion d'observer ; et Thomas Bartholin parle d'unetumeur qui, dévelop- pée à la racine de l'organe, scmblait chez cer- tain individu, simuler un second nez au-dessus du premier.

II n'est point rare non plus de voir des personnes chez lesquelles le nez est incliné plus ou moins manifestement à droite ou à gauclie, mais plus communément dans le premier sens. Cette inclinai- son vicieuse est en general Teffet d'une conforma-» tion primitive ; mais on prétend qu'elle peut étre augmentée par l'habitude de semoucherd'une main plutót que de l'autre. Aussi voit-on quelquefois chez les gauchers, dit M. Boyer, le nez se porter à gauche. Lorsque cette diíTormité est extréme, elle offre une incommodité tres génante qui défigure et qui nuit à l'olfaction et à la respiration*


LA RHINÒPLASÏIE. — SES ORIGINES 197

Dans certaines famílies, le nez devient, pour ainsi

diré, un caractère distinclif; il se présente avec la jneme forme clíez tous les individus qui en font par- tie. II n'est personne quineconnaisse le nez de saint Charles Borromée ; on assure que tous ses parents Tavaient conforme comme lüi.


LA RHIXOPLASTIE — SES ORIGINES

En general, on attribue àTitalien Gasp. Taglia- cozzi, ou, suivant d'autres, àTagliaguerso, mort à Bologne en 1599, l'invention d'unprocédé pour res- taurer les nez, en réunissant avec le contour de la cicatrice, rendue saignante, la peau d'une partie de Tavant-bras, ou plutót du bras. Cependant cette méthode, originaire probablement de la Calabre ou de la Sicile, était déjà connue deux siècles avant que Tagliacozzi en fit le sujet d'un livre qui lui en a fait accorder la découverte.

Dans un traité sur la rhinoplastie, ou réparation des nez, publié en 1597, in-folio, sous le titre : De curtorum chir urgia per insitionem^ l'auteur, Taglia- cozzi, emploie dix-huit chapitre^, sur quarante-cinq dont son ouvrage est composé, à prouver Timpor- tance, Fexcellence et la dignité du nez, des lèvres et des oreilles, et, dans ce but, il invoque tour à tour Tautorité des médecins, des orateurs, des poetes, de la Bible et des Peres de TEglise.


198 LES CURIOSITÉS DE LA MEDECINE

Dès 1280, en effet, Lanfranc traitait de menteur impudent quiconque se vanterait de réussir à ra- juster un nezcoupé, après l'avoir lenu dans sa main. II fallait donc bien qu'alors il fut déjà queslion de cette manoeuvre.

Guy de Chauliac, qui vivait peu de temps après lui, et qui a écrit vers la fin du quatorzième siècle, s'exprime de la méme manière. II s'élève con- tre les jongleurs qui pretendent avoir guéri des nez entièrement décollés de la téte.

Dans le quinzième siècle, Jéróme Braunschweig tient le méme langage, et il regarde tous les faits rapportés à ce sujet comme controversés.

Mais, vers 1450, un chirurgien sicilien, nommé Branca, possédait l'art de fabriquer les nez, ainsi que le rapporte P. Ranzano, évéque de Lucera ; et son fils Antonio avait perfectionné sa méthode.

Gabriel Fallopia et André Vésale, qui moururent entre 1563 et 1564, ont aussi consacré quelques pagès à la description d'une opération, que le pre- mier de ces auteurs désapprouve à peu pres complè- tement, conseillant de rester mutilé plutót que de se soumettre à des tourments qui durent jusqu'à douze mois entiers.

Paracelse, qui ne pouvait avoir entendu parler de Tagliacozzi, puisqu'il mourut en 1541, cinq ans avant que ce dernier vint au monde, a également dit quelques mots de la restauration des nez.

L'art de raccommoder les nez paraít s'étre perdu en


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LA RHINOPLASTIE. — SES ORIGINES 199

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Calabre vers la fin du seizième siècle. J.-B. Cortesi qui parcourut cette province en 1599, s'assura qu'il n'y existait plus aucun Bojano, et que leur art lui- méme était complétement oublié.

René-Antoine Ferchault de Réaumur parait ce- pendant diré le contraire dans l'histoire de l'Acadé- mie des Sciences.

Mais cet art n'était point perdu pour le reste de ritalie. Ambroise Pare, qui écrivait en 1574, parle d*un chirurgien de ce pays, qui, par son arti/ice, refaisait des nez de chair. « Nous avons ce témoi- « gnage, ajoute-t-il, d'un gentilhomme nommé le « cadet de Saint Thoan, lequel ayant .perdu le nez, « et porté longtemps un d'argent, se fascha pour la « remarque, qui n'estoit sans une risée, lorsqu'il a estoit en compagnie. Et ayant ouy diré qu'il y « avoit en Italie un maistre refaiseur de nez perdus, « s'en alia le trouver qui le lui refaçonna, comme « une infinité de gens l'ont veu depuis, non sans a grande admiration de ceux qui l'avoyent cogneu « auparavant avec un nez d'argent. »

Peut-étre s'agit-il ici de Gasp. Tagliacozzi, qui florissait à Bologne vers la fin du siècle, et dont l'ouvrage parut à Venise en 1597.

Philippe Salmuth, J. N. Pfitzer ont préconisé les avantages qui résultaient du mode d'opérer du chi- rurgien Tagliacozzi, et l'honneur de l'invention lui est généralement demeuré, ce qui lui attira de grandes distinctions et l'admiration générale ; car


200 LES CUniOSlTÉS DE LA TEÏE

lorsqu'il vint à mourir, en 1509, on lui eleva dans l'ampliitliéàtre d'anatomie de Bologne, une stalue qui le représentait lenant un nez dans la maín droile.

La rliinoplastie aurait été rendue fréquemment nécessaire parles ravages dus à la syphilis, d'après Puschmann. Cet auteur raconle, sous forme anpc- dotique, que la perte du nez pouvait élre aussi le resultat d'une condamnation : une ordonnance de l'empereur Frederic II punissait de cette peine les adulteres et les meres qui livraient leur íille à la prostitution.

Une ordonnance de police d'Augsbourg, de l'année 1270, ordonnait qu'on coupàt le nez aux « demoiselles ambulantes ou coqueteuses », si elles se promenaient dans la rue pendant le jeúne, et le samedi soir, sauf cependant quand les nobles étran- gers se trouvaient dans la ville. (1)

ANÈCDOTES SUll LE NEZ

L'astronome Tycho-Brahé, voyageant en Alle- magne, se prit de querelle avec un savant à propos d'un théorème. Un duel s'en suivit, et le pauvre Tyclio y perdit son nez. II dut s'en faire mouler un en cire.

Les grands nez sont en honneur par toutle monde (1) Cf . posphròsiologic, de Cloquet.


ANÈCDOTES SlJR LE NE^ 20l

excepte en Chine et chez les Bat*bares. Ceux-ci écrasent le nez de leurs enfants, et croient que c'est une folie de porter un nez devant les yeux.

Les nez camus déplaisent et sont de mauvais augure. Le connétable Anne de Monímorency était camus, et on l'appelait ala cour le Camus de Mont* morency. Le duc de Guise, fils de celui quifut tué à Blois, était aussi camus ; et un gentilhomme qui avait une vénération singulière pour ces deux mai- sons de Guise et de Montmorency, ne pouvait se consoler de ce qu'il s'y était trouvé dèux camus, comme si ce défaut en avait diminué le lustre.



Hippolyte Lucas, un écrivain sérieux auquel la critique n'a guère reproché que son long nez, jouait, aíHigé d'un gros rhume, aux échecs, avec Louis Desnoyers ; force lui était de reniíler de temps en temps pour lutter contre la dilatation intérieure des muqueuses nasales.

— Mouchez donc votre nez, mon cher ! dit Des- noyers avec d'autant plus d'humeur qu'il voyait la partie perdue.

— Mouchez-le vous-méme, répondit gaiement Ilyppolyte Lucas. II est plus pres de vous que dé moi.


202 LES CURIOSITÉS DE LA TETE

Un médecin de Londres, nommé Brown, établi à la Barbade, avait une sucrerie et des negres. On lui vola une somme considerable ; il assembla ses negres.

— Mes amis, leur dit-il, le grand serpent m'est apparu pendant la nuit : il m'a dit que le voleur de mon argent devait avoir, des ce moment, une plume de perroquet sur le bout du nez.

Le coupable por te sur le champ la main à son nez.

— C'est toi qui m'a volé, dit le maitre ; le grand serpent vient de m'en instruiré.

Et il reprit son argent.




On sait que Rossini n'était pas tendre et que maintes fois ses boutades le vengèrent d'avoir souf- fert d'une audition fàcheuse. Un soir, dansun salon, ou se produisait un couple à prétentions d'artistes, Rossini se trouvait present. Le monsieur et la dame entamèrent d'une horrible voix du nez le duo de la Muette. Rossini écoute et reste calme devant les applaudissements. Quand le bruit fut apaisé, il se pencha vers la maitresse de la maison :

« Voilà, mürmura-t-il, ce qui peut s'appeler un beau combat nasal » .


ANÈCDOTES SÜR LE NEZ 203


PROVERBES TIRES DE LA FORME DU NEZ.

Ne pas voir plus loin que le bout de son nez.

Tirer les vers du nez à quelqu'un.

Jeler à quelqu'un une chose au nez.

Mettre le nez dans une affaire

Mettre le nez dans un livre.

Ne pas lever le nez de dessus quelque chose.

Mener quelqu'un par le bout du nez.

Se casser le nez.

Donner du nez en terre.

Avoir toujours quelqu'un à chieval sur le nez.

S'arracher le nez pour faire dépit à son visage.

Casser le nez à coups d'encensoir.

II lüi en pend autant au nez.

II vaut mieux laisser son enfant morveux que de lui arracher le nez.

II est si jeune, que, si on lui tordait le nez, il en sortirait encore du lait.

Cela ne parait pas plus que le nez au milieu du visage.

Ce n'est pas pour son nez.

Jamais grand nez ne gàte beau visage.

Rire au nez de quelqu'un. Lui faire un pied de nez,


204 LES CURÏOSITES DE LA TETE


CEil


AVEUGLES, MYOPES ET BORGNES CELEBRES.


Homère qualifie Junon de l'épitliéte aux yeux de boeuf. On a regardé les gros yeux comme un signe de médiocrité des facultés intellectuelles : ceux qui ont connu Boyer, le cèlebre chirurgien, et les familles Guersant, Andrieux, Viennet et plusieurs aimables littérateurs, dont les yeux étaieht tres saillants, diront combien cetle appréciation est erronée.



La grande passion que Démocrite avait pour l'étude fit qu'il s'aveugla lui-méme pour se mettre liors d'état de pouvoir s'appliqueràd'autres choses. II exposa à découvert une plaque d'airain, qui ren- voyait vers ses yeux les rayons du soleil, dont la clialeur lui fit à la fin perdre la vue.



Conrad Gessner était d'un caractère doux et modeste. II s'était fait beaucoup d'amis et de nom-


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breuses relations. Bien qu'il fút pauvre, souvent maladíf, et qu'il eút beaucoup voyagé, il avait rassemblé une bibliothèque considerable, ainsi qu'un grand nombre de planches et de manuscrits. II était myope, ce qui ne l'empéchait pas de dessiner et méme de peindre assez facilement.




Le P. Lejeune, né à Poligny en 1592, fut le pré- dicateur le plus cèlebre de son siècle. Des l'àge de 35 ans, il perdit la vue en précliant un caréme à Rouen. Cette iníirmité n'altéra pointsa gaieténatu- relle, et une fluxion ayant fait fondre l'un de ses yeux, ce qui le rendait diíforme, il disait en riant à ses amis : «Lesborgnesdeviennentparfoisaveugles; pour moi, au contraire, d'aveugle je suis devenu borgne. »

Malgré son austérité extréme, il fut accablé din- firmités, et subit deux fois l'opération de la pierre sans qu'il lui échappàt une plainte. Ce saint homme inspirait une vénération universelle et, quoique sujet à des maladies aussi cruelles, il n'en prolon- gea pas moins sa carrière jusqu'à 80 ans.


♦ *


Milton, ayant perdu les yeux, se marià en troi- sièmes nocesàune femme trèsbelle, mais d'uncarac- tère violent et d'une humeur aigre et difíicile. Le

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^ n


Í06 LES CURIOSITÉS DE LA TETE

lord Buckingliam ayantdit unjouràson mariqu'elle était une rose : « Je n'en puis juger par les couleurs, répondit trislement Milton, maisj'en juge par les épines. »

D ans ses courts intervalles de santé, l'auleur du Paradís perdu avait l'habilude de se balancer dans un fauleuil, ou d'autres fois se distrayait à jouer de l'orgue. Comme il avait les mains déformées parla goutte, il disait que, sans celte incommodité, sa cécilé lui eut paru supportable.

Son hygiène élait des plus severes. II faisait peu d'usage des liqueurs fortes, se nourrissait tres sobrement et n'était nuUement delicat sur le choix de ses aliments. Dans sa jeunesse, il ne quittait sa table de travail que fort avant dans la nuit. Par la suite, il changea ses heures et resta dans son lit de 9 heures du soir à 4 heures du matin en été et à 5 heures l•liiver.

Devenu aveugle, il était à peine levé qu'il se faisait lire un chapitre de la Bible en hebreu, et étudiait jusqu'à midi. II prenait alors quelque exercice pendant une heure, puis il dínait, jouait de l'orgue et chantait ou entendait quelqu'un chanter. II se remettait à l'étude jusqu'à six heures, et causait iusqu'à huit avec les personnes qui venaient lui rendre visite. Puis il soupait, et après avoir fumé une pipe et " bu un verre d'eau, il se couchait. La nuit. il ne dormait pas toujours ; il lui arri- vait souvent d'étre tourmenté par l'inspiration,


(EiL 207

et, saisi soudain par la verve poétique, d'imaginer ses plus beaux vers. Alors il appelait sa fiUe pour qu'elle écrivit ce qu'il venait de composer. L'époque oíi il était le mieux inspiré était comprise entre l'équinoxe d'automne et l'équinoxe du printemps. II profitait de la présence de ses amis pour leur dicter les vers qu'il avait composés de mémoire. II ne revoyait naturellement jamais ses poemes, ni sur le manuscrit, ni sur les épreuves, puisqu'il était aveugle. Et cependant la forme primitive en était parfaite, définitive.


  • *


Les quatre plus grands écrivains du xviii® siècle ont eu de mauvais yeux : Voltaire, Rousseau, Buffon et Montesquieu. L'auteur de « l'Esprit des Lois » mourut méme aveugle.

L'an 1402, Tamerlan remporta une grande vic- toire sur le sultan Bajazet, qu'il fit prisonnier avec toute sa famille. S'apercevant que son ennemi était borgne, et songeant que lui-méme était boíteux, il s'écria : « Qu'est-ce donc que ces grands empires de la terre qui passent si facilement d'un borgne à un boíteux ? »

La bataille de la Borodino, de la Moskova ou de Mojaïsk,futlivréele7septembre ; cliacune des deux armées avait 130000 combattants et une formidable artillerie.


208 LES CURIOSITÉS DE LA TETE

Ils étaient commandés par Kutusoff, un general vieilli dans les camps, et qui, parvenu à l'àge de 75 ans, n'avail rien perdu de son courage, de son acti- vi té et de son génie.Il était pourtant borgne, — comme Philippe, Antigone, Annibal, Sertorius, Augereau, etc...


LE SENS DE l'oUÏE CHEZ LES AVEUGLES.


Le docteur Dufour (de Lausanne), cèlebre ocu- liste, préoccupé des moyens d'assurer Texistence aux maiheureux aveugles-nés, passant en revue toutes les professions pouvant utiliser Textraordi- naire faculté auditive dont ils sont doués, déciare que tous les bateaux à grande vitesse devraient avoir à leur bord deux aveugles-nés, pouvant servir de vigie par les temps de brouillard.

Le D"^ Dufour afíirme, après expériences faites sur le lac de Genève, que la finesse de Touíe chez ces sujets est telle qu'il leur est facile de perce* voir à grande distance le bruit du bateau en mar- che, et, à plus forte raison, les signaux acoustiques qu'il peut faire et de fournir des renseignements exacts sur sa situation et sa destination.


LA PROTHÈSE OCULAIRE


Les premiers essais de prothèse oculaire parais- sent remonter au regne de Ptolémée II, surnommé


LA PROTHÈSE OCULAIRE 209

Philadelphe, vers Tan 300 avant J.-C. En tout cas, les Egyptiens furent les premiers à se servir d'yeux artificiels, et l'on trouve parfois des mòmies qui gardent encore dans leiirs òrbites des yeux de ce genre. On les faisait d'abord en ciiivre, en argent ou en or ; le verre ne fut employé que plus tardi^ vement.

A une certaine époque, on ornait d'yeux de verre non-seulement les vivants, mais méme les statues. Pline raconte que sur la tombe de Hermias, prince de l'ile de Chypre, se trouvait une admirable figure de lion dont les yeux étaient d'émeraude.

Les Grecs et les Romains n'ont pas connu les yeux artiíiciels ; il n'en estfait mention dans aucun auteur.

' Paul d'Egine, au Vil" sièele, décrit aussi un oeil artificiel ; mais il ne semble pas avoir connu ceux de fabrication égyptienne, beaucoup plus parfaits que celui qu'il désigne sous le nom d'ecblépkaros, Celui-ci consislait en un morceau de cuir ovale sur lequel était plus ou moins grossièrement peint un ceil et que l'on s'appliquait extérieurement sur l'orbite vide. Pour le retenir en cette position, on le ílxait à un fil de fer qui, passant derrière l'oreille, faisait ressort en preuant appui sur l'occiput.

A Byzance, à la fin de l'Empire, on signalait déjà une femme qui portait un oeil artificiel. de tout point semblable à celui qui lui restait.

Dans des temps plus modernes, en 1579, Ambroise

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210 LES CURIOSÏTÉS DE LA TETE

Pare est le premier auteur qui ait décrit exacte- ment roeil artificiel. II se composait d'une pièce de la forme d'une amande, en or émaillé, bombé en dessus et en dessous, aux couleurs semblables à roeil conservé. Connaissant Tart des émailleurs français. nul doute que, dès cette époque, les yeux artificiels n'aient atteint la perfection dans l'imita- tion de la nature.

Au commencement du 17'"*' siècle, Jessenius et Fabrice d'Acquapendente indiquent, les premiers à Venise,la fabrication des yeux de verre de forme sphérique; ils furent d'abord assez rares. Toutefois, à la íin du siècle, le médecin anglais Lister signale, dans son voyage, en 1698, la boutique de Hubius, fabricant d'yeux de verre à Paris, ou il en vit de pleins tiroirs de tou tes couleurs, de façon à appa- railler n'importe quels yeux naturels. Evidemment à cette époque la fabrication en était déjà fort répandue.


FABRIQUE DE CILS ET DE SOURCILS.

La coquetterie des femmes anglaises vient de s'adjoindre un nouveau serviteur : le fabricant de cils et de sourcils naturels pour mondaines et artistes dramàtiques ou lyriques. II s'agit d'un parfumeur, dédaigneux des vieux maquillages, qui a trouvé le moyen de planter des cheveux sur l'arcade sourci-


FABRÏQUE DE CILS ET DE SOURCILS 211

lière et au bord des paupières, et qui donne ainsi une expression profondeoulangoureuseaux regards qui en ont été le plus cruellement privés par la nature.

L'opération par laquelle s'obtient ce précieux resultat ressemble de bien pres à un supplice, mais de délieieuses créatures, assez patientes pour de- meurer pendant quatre heures d'horloge entre les mains d'une émailleuse qui leur glace de vernis le visage, les bras et les épaules, sont capables d'af- fronter toutes les souffrances pour atteindre à l'illu- sion de la perfection plastique. Armé d'une fine ai- guille à laquelle pend un long cheveu de nuance assortie à la chevelure de la patiente, parfois un cheveu empruntéàcette chevelure méme, l'opérateur attaque l'extréme bord de la paupière, entre l'épi- derme et le léger ourlet graisseux qui la termine. L'aiguille y est conduite à la façon d'une couture au petit point, le cheveu demeurant làche et formant à l'extérieur une boucle de deux centimètres de diàmetre. Quand toute la paupière est ainsi cousue, un coup de ciseau sépare le cheveu en deux rangées de cils épais qu'il suífit ensuíte de retrousser à l'aide d'un petit fer à friser en argent, gros tout au plus comme une aiguille à tricoter.

On opère de méme pour la paupière inférieure, en faisant de faux cils naturels dans l'autre sens. La patiente conserve ensuite sur les yeux, pendant une demi-journée, un bandeau huilé ; et le lende-


212 LES CURIOSITÉS DE Í.A TETE

main, íl ne reste plus aucune trace de l'opération. Le regard a acquis une poésie exquise qu'il conser- vera pendant six mois.

La fabrication du sourcil naturel demande un peu plus de temps, mais elle n'oblige pas les coquettes à six ou huit heures de cécité. Le derme doit subir une préparation de quelques heures ; puis le parfu- meur intervient avec son aiguille jusqu'à obtention d'unepaire de sourcils tout à fait espagnols.

Un delicat poète a écrit que Dieu avait donnó à la femme la bouche pour parler et les yeux pour ré- pondre. Désormais, en Angleterre, le sexe fort ne pourra méme plus se fier à la sincérité de ces ré- ponses-là.

SOURCILS

Qui croirait qu'il y a eu un temps ou on louait comme une perfection chez les femmes d'avoir les deux sourcils jòints ensemble ? C'est cependant un fait réel, attesté par Anacréon, qui vante cet agré- ment dans sa maítresse ; par Théocrite, Pétrone, et beaucoup d'autres anciens.

Ovide assure que de son temps les dames romaines se peignaient l'entre-deux des sourcils, pour qu'ils parussent n'en faire qu'un. Cette mode était aussi en usage chez les Hébreux: Jézabel, épouse d'Achab etmèrede Joram, roi d'Israel, ayant appris Tarrivée de Jéhu, se farda les yeux avec de l'antimoine, ou selon l'hébreu, se mit les yeux dans l 'antimoine.


l'orïcine des lünettes 213

l'origïne des luxe tt es

La découverte des verres pour améliorer la vision apparliendrait au roi d'Angleterre Charles II, Après sa fuite en France, il devint pensionné de Louis XIV, et tandis qu'il menait à Cologne une existence oisive et dissolue, il rencontra un verrier et, regardant à travers une petite lentille, il s'aper- çut qu'il voyait plus distinctement les objets. II emmena l'ouvrier avec lui.

On raconte que ce prince, né avec un astigma- tisme myopique, put arriver mathématiquement à còrriger entièrement son amétropie. Sès lünettes sont aujourd'hui au British Museum ; elles furent les premières construites.

Quand il fut couronné roi d'Angleterre, il amena l'artisan avec vingt autres qui ne firent pas moins de six mille paires de lünettes avant de faire celles qui lui convenaient. Son fils préféré, le duc de Monmouth, myope d'un oeil, ne portait qu'un verre : d'oü l'origine du monocle (1).

LARMES

Les larmes ont été brutalement analysées, et le resultat de cette analyse a inspiré un poéte dont

(1) Em. Renan, dans VAntechrist^ p. 122, d'après Pline, Hist. nat., XXXVII, V, a écrit. à propos de Néron : « Comme il était myope, 11 avait coutume de porter dans Tceil, quand il suivait les combats de gladia- teurs,une émeraude concave qui lui servaitdelorgnon ». Ne serait-ce pas là la veritable origine du monocle ?


214 LES CÜRIOSITÉS DE LA TETE

j'ignore le nom. A litre de ciiriosilé, voici les vers qu'on me dit détachés du Chemin du rire^ deJnt je ne connaissais pas l'existence :


Vauquelin et Fourcroy les ont analysées. ïls ont tpouvé dedans du sel et du mucus.. Mes amis, qu'en eut dit Horatius Flaccus? Le mucus florissant dans les ames brisées! Combien Horatius en eút fait de risées! lis ont trouvé dedans du sel et du mucus.


Quand les anciens pleuraient sur l'amour de leurs mies, Les pauvres vieux versaient... ils ne savaient pas quoi. Gràces à Vauquelin, et gràces à Fourcroy, Nous connaissons à fond nos paupières bíèmies; Mais les pauvres anciens n'avaient point nos chimères, Ils ont toujoups pleupé sans jamais savoirquoi.


Quand on souffre ou qu'on est épau, lorsque l'on boude,

Unè chose, pour nous, affaiblit le souci.

Et c'est évidemment ceci :

Pour que mon ccjeur brisé se referme et se soude,

Combien vais-je verser de bismuth et de soude?

Cette réflexion égaye le souci.


Les anciens poursuivaient de bienmaigres chimères. lis éiaient ignorants et nous sommes complets; Ils savaient de combien d'affronts et de soufflets, D'espoirs guerriers déçus et de hontes amères, Etaient faits despleups4'hommes... Belles misères! Ils étaient ignorants, et nous sommes complets.


Nous connaissons le fort et le faible des larmes,

Nous connaissons le sel, le mucus, le bismuth ;

Et nous avons appris que menteur est le luth,

Quand il vient nous chanter que lespleursont des charmes

Scientifiquement nous nerendons les armes

Qu'au mucus, à la soude^ au sel et au bismuth.


LES LARMES 215

Dans un sonnet de A. de Musset, publié par E. Fournier dans un feuilleton de \a.Patríe^ et repro- duït par la Gazette anecdotiqiie du 28 février 1877, on trouve ces deux stances, dont Richepin semblé s'étre inspiré plus tard dans sa pièce des Blas- phèmes :

Je vous dirai ; Sachez que les larmes humaines Ressemblent dans nos yeux aux eaux de l'Océan Qu'on n'en fait rien de bon en les analysant;

Et quand vous en auriez deux tonnes toutes pleines, En les laissant sécher vous n'en aurez demain Qu'un méchant rjrain de sel dans le creux de la main.


PROVERBES SUR LES YEUX

// n'a pas froid aux yeux.

D'ou vient cette expression d'un usage si commun?

Cetle locution, qui est passée dans le langage vulgaire pour désigner des personnes timorées, puisque l'on dit d'une personne courageuse qu'elle « n'a pas froid aux yeux», exprime, dans le langage médical, la sensation qu'éprouvent beaucoup de personnes après des fatigues prolongées des yeux. La sensation inverse est, d'ailleurs, aussi accusée quelquefois, mais on la met en general, sur le compte des larmes ; on dit : « Les larmes mebrúlent les yeux. » •


21G LES Cl'RlOSÏTÍ:S DE LA TETE

// a le mauvais (vil

Van Ilelmont, ayantaífirmé qu'il était possible de tuer un animal par rintensilé du regard [ovulis intentis}^ Rousseau, le naturaliste, répéta cette expérience en Orient et tua ainsi plusieurs cra- pauds. Quand il refit plus tard, à Lyon, la méme expérience, il arriva que l'animal, sentant qu'il ne pouvait s'échapper, fixa lui-meme Rousseau avec une telle intensité qu'il s'évanouit, et qu'on le crut mort. On le ranima avec de la tliériaque et de la pòudre de vipère, remède liéroïque s'il enfut!

Voilà sans doute l'origine de la croyance popu- laire si répandue que l'oeil du crapaud exerce une influence mystérieuse, et l'origine aussi de ce qu'on nomme le « ynauvais oeil » (1).


Oreille

Darwin, Broca et d'autres ont signalé chez certaines personnes le caractère fonclionnel des muscles auriculaires qui, chez l'homme, ne sont d'aucun usage et qui rappelleraient simplement un état ancestral. L'homme, d'après les anthropolo- gistes, n'étant qu'un animal en voie de perfection-

(\)Les còtès obscurs dó la naéure^ par Mrs. Crowe, p. 307,


ORÈILLE 217

nement, on doit encore retrouver chez lui la trace d'organes ayant servi dans ses états transitoires antérieurs. Jadis, les oreilles remuaient ; donc elles peuvent encore remuer. Et, en effet, on rencontre encore aiijourd'hui des personnes aux muscles auricu- laires actifs. Autrefois, on en rencontrait également, puisque les Ephémèrides des Curieux de la NaturCy de 1685, parlent d'iine jeune fille dont les oreilles se mouvaient. Quelques erudits du temps mirent en doute l'autlienticité de l'observation. Le rédac- teur des Nous^elles de la République des Lettres^en septembre 1686, fit remarquer qu'il n'était pas permis de « nier cette singularité après ce que M. Tabbé de Marolles atteste du philosoplie Crassot. »

Né k Langres et mort à Paris, au coUège de la Marche, cet original, malpropre comme un cynique, portant la barbe longue, touffue, et les cheveux mal peignés, avait (dit l'abbé de Marolles qui l'a connu) une chose bien particulière : c'était de plíer et de redresser ses oreilles à volontéy sans y toucher*




Selon Pierre Messie, saint Augustin a vu un Iiomme qui non seulement remuait les oreilles comme il le voulait, mais encore ses cheveux, sans faire aucun mouvement ni des mains ni de la tt^lei

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2ïS LES CURIOSITÉS DE LA TBTE

Vesalius, un anatomiste tres expérimenté pour son temps, dit fort bien qu'il a rencontré à Padoue deux hommes dont les oreilles se dressaient.

Est-ce que Procope ne compare pas Justinien à un àne, « non seulement à cause de sa pesanteur d'esprit et bestise, mais encore eu égard à ses oreilles mobiles, qui le firent nommer en plein théàtre maitre baudet par ceux de la faction Verte ou Prasine dont il était l'ennemi ? »

II y a mieux : cette anomalie musculaire a été signalée chez une divinité grecque, chez le dieu de la force brutale, chez Hercule. Hercule possédait des oreilles mobiles. On les voyait se dresser quand il mangeait. Athénée rapporte des vers d'Epicharme oü il est dit : « Sa màchoire choque bruyamment, ses molaires frappent avec éclat, ses canines grin- cent, il sifïle par les narines, il agite ses oreilles ! »




Le chirurgien belge Jean Palfin ou Palfyn dit, dans son Anatomie chírurgicale (Leyde, 1710), que Jean Méry, chirurgien berrichon, faisait exécuter à volonté toutes sortes de mouvements à ses oreilles.

Valsalva, autre chirurgien italien, soutient, dans son ouvrage : De aure humancutractatus (Bologne, 1704), que si l'oreille humaine n'exécute point les mémes mouvements que certains animaux, ce n'est pas qu'elle est dépourvue de muscles, mais


OREILLE 219

c^est qu*ils sont dans un état de paralysie par l'eíTet de nos habitudes sociales ; il ajoute que les Afri- cains, chez lesquels on ne comprime point la téle des enfants nouveau-nés par l'usage des bandeaux, ontles oreilles avancées endehorset que leurs mus- cles auriculaires jouissent de tous leurs mouvements. Aussi ces peuples entendraient-ils beaucoup mieux que nous.



La duchessed'Abrantès, dans ses Mèmoires^ rap- porte qu'un des plaisirsde la Cour étaitdevoir Tlm- pératrice Marie-Louise faire tourner son oreille sur elle-méme ; elle accomplissait ce curieux phéno- mène par un mouvement des muscles delamàchoire qui faisait tourner son oreille presque en un cercle entier.




D'un homme humilié, triste ou déçu, Ton ditqu'il baisse Voreille. Cette expression vient d'observa- tions faites sur certains animaux qui dressent ou rabattent les oreilles suivant ce qu'ils éprouvent. Elle se rencontre dans les écrits de Platon. Horace s'en est servi pour lui-méme. . La Fontaine nous mont re le renard qui, dupé par la cigogne, s'en va,

Serrant la queue et portant has Voreille,

Chez l'homme, les muscles auriculaires sont, en




220 LES CURIOSITÉS DE LA TETE

général, assez atrophiés pour ne pouvoir détermi- ner aucun mouvement du pavillon.

On lit dans le second volumedes Anècdotes ari" glaises que le poéte Prior, étant devenu sourd dans sa prison, on lui reprochait à sa sortie d'avoir né- gligé sa santé : « Comment pouvais-je, disait-il, prendre soin de mes oreilles, quand je n'étais pas súr de ma té te. »

Cheveux

On prétend que tou tes les femmes dont Fliistoire a gardé la mémoire, — ou presque toutes — ou bien celles qui vivent encore dans le souvenir des hommes de par les traditions mythologiques ou légendaires, que toutes ces créatures, charmantes et sou vent fa tales, avaient des cheveux clairs, cen- dres, dorés... ou enflammés.

Adam était rouge, Eve était blonde.

Les cheveux de Venus ruisselaient comme des flots d'or sur ses divines épaules rosées.

La chevelure de Cérès avait la couleur des mois- sons qu'elle enseigna aux hommes à tirer de la terre.

La belle llélène, que les vieillards de Troie ne pouvaient regarder sans émotion, relevait savam- ment ses cheveux, blonds comme les blés murs.


CIIEVEUX . 221

Salomé, fiUe d'Hérodiade, qui dansa devant Hérode et liii demanda la téte de saint Jean-Bap- tiste, Salomé ' avait des cheveux jaimes. Du moins, les vieux maitres la représenient avec une cheve- lure claire, parce qu'on prétend que les jeunes fil- les juives de haute naissance étaient blondes.

Saint Jean-Baptiste, le supplicié, avait des clie- veux couleur noisette — une teinte qu'on Irouve assez souvent en Russie.




Lucrèce Borgia était blonde.

Blonde aussi Catherine de Médicis, ou du moins elle teignait en blond ses tresses brunes.

Marie de Médicis avait également des cheveux clairs.

C'est V. Cousin, je crois, qui nous décritainsi les cheveux de Mme de Longueville : « d'un blond cen- dré, de la dernière finesse, ils descendaient en bou- cles abondantes, ornaient l'ovale gracieux de son visage et inondaient d'admirables épaules, tres dé- couvertes, selon la mode du temps. »

Blonde encore, Anne d'Autriche ; blonde, Mme de Sévigné, dont la coiffure bouclée est restée cèlebre. Blonde, la douce La Vallière. Les clieveux blonds de Mme de Lamballe et de Marie-Antoinette furent teínts du sang de celles dont ils étaient le plus su- perbe ornemei\t


222 LES cuniosiTÉs de la tète

Mme de Girardin eut aussi une chevelure blonde ; clleétait douée, en outre, d'un teint si fin qu'il siipportait, sans désavanlage, le voisinage du vert glauque.

Une des beautés de rimpératrice Eugénie, c'é- taient ses clieveux d'unblond... hardi.

Les Anglais ont une nuance de blond charmant, qu'ils appellent auburn, C'est un blond foncé, à refleisdorés. ^(J\^ c \ T ?

Leur lady Macbelh et Mary Tudojr étaienl blon- des. La reine Bee (Elisabeth) avait descheveux rou- ges.

Les plus grands dieux des Grecs : Jupiter, Apol- lon, Vulcain élaient eramoisis.

Samson, dont la force titanesque ébranlait de puissantes colonnes, avait des clieveux flamboyants, et Dalila, la perfide, était blonde. La conservation du royaume de Mégare était attachée à un chevçu pourpre du roi Nisus.

Parmiles blonds vénitiens, oncite encore Shakes- peare, Milton, Lafayette et l'auteur de « Robinson » dont la tète était ornée de cheveux roux.

Les possesseurs de chevelures rousses et blond doré jouiraient, du reste, d'une immunité bien con- solante (s'ils se plaignaient de leur couleur). lis ne seraient jamais atteints deia petite vérole, d'après les statistiques. Par contre, ils seraient des cajídi- dats-nés à la tuberculose.


■< I


CHEVEUX 223

Dodonée mentionne des plantes qui favorisent ou arrétent la pousse des cheveux.

Ainsi les cendres de l'armoise champétre [Arte- misia campestris L), dans un peu d'huile claire, empécheraient la calvitie, et feraient pousser rapi- dement et fortement la barbe qui serait un peu lente à venir.

On emploie encore à cet effet des plantes sym- pathiques, par leurs tiges velues ou capillaires ; c'est par exemple le cas pour l'ortie et VAdianthum capillus çeneris L.

Cette dernière plante, coupée menue et appli- quée sur la téte, qui est devenue chauve par la teigne ou quelque autre maladie, fait repousser, d'après Galien, une nouvelle chevelure.

Si, pour avoir les mains blanches, on lave celles- ci dans une décoction de racines d'orties, les mains se couvrent de poils ; voilà pourquoi il faut ensuite les frotter avec de la fiente de moineau et les laver dans de l'eau tiède.




En Nouvelle-Calédonie, les hommes teignent leurs cheveux en jaune avec de la chaux et les par- sèment de grains de corail et de perles de verre.

En Micronésie, les femmes blanchissent les leurs avec des liquides spéciaux.


224 L£» CURIOSITÉS DE LA TETE

A Taïti, les femmes, au temps de Cook, se coupaient les cheveux aulour des oreilles ; aujourd'hui, elles les laíssent flotter en grandes boucles sur les épau- les, à Fexemple des hommes, ou les réunissent en deuxtresses, relevées endouble frondesurla nuque.

A l'imitation des Européens, les Taïtiens utilisent les cheveux des moris, mais, au lieu d'en faire des portraits, ils en fabriquent des íicelles d'une grande longueur, dont on conserve plusieurs brasses au musée de Londres.

Les sauvages qui ont la moustache peu fournie se la coupent ou se l'épilent presquetoujours. Ceux qui sont peu avancés en civilisation obtiennent ce resultat au moyen d'une pierre tranchante; tels les insulaires de l'ile de Pàques, au diré du missionnaire Eyraud.

Les Javanais s'épilent la barbe, et leurs femmes ont horreur de cet attribut sexuel : elles traitent de boucs les hommes barbus.

A Taïti, on s'épile jusque sous les aisselles; de méme aux Philippines, oii les naturels portent pour cet usage de petites pincettes de métal suspen- dues au cou.

Les Péruviens, racontent des historiens espa- gnols, s'arrachent avec grand soin les rares poils de barbe dont les pourvoit la nature.

Dans les huacas ou anciennes sepultures, on retrouve fréquemment des mòmies munies de pinces de cuivre pour s'épiler la face.


CHEVFATC 225

Les Peaux-Rouges pratiquent encore aujourdiíui un usage analogue.

Par opposition, ei tons l'exemple de la race velue des Aïnos. Les femines ne se trouvant pas des favo- ris assezabondants, s'enpeignentenbleuau-dessus des lèvres.



D ans bien des pays, comme aulrefois clíez les Francs, leslongscheveuxétaientunsigned'aiitorilé. Les prétres du soleil au Mexique les laissaient croi- tre danscebut; et, d'après Herrera, Cortezobligeait les prétres idolatres à couper leur chevelure avant de transformer leur temple en chapelle catholique. La noblesse et l'armée avaient aussi le droit de porteries cheveux longs. Le peuple, aucontraire, les conservait courts ou se les coupait avec des rasoirs de pierre.

Mais il ne suílit pas à certains peuples de laisser croitre leurs cheveux naturellement. lis en font d'étranges édifices, au pres desquels pàliraient ceux de nos coiffeurs parisiens. Les Vétiens se consti- tuent ainsi des coiffures qui ont jusqu'à 5 pieds anglais de circonférence et donnent à Tètre humain l'aspect d'un enorme champignon. Pour ce faire, ils ont un coiffeur spécial auquel ils consacrent plu- sieurs heures tous les soirs.

En Afrique, dans la vallée du Niger, la chevelure

13*


226 LES CURIOSITES DE LA TETE

tressée des jeunes femmes ressemble àun casque de dragons.

Sur rOubanghi, nous rapportent les derniers voyageurs français, les femmes, pour grossir leup clievelure, Tentremélent de paquets de ficelles.

On comprend que les clieveux étant tenus pour une possession si honorifique, l'iiabilude soit venue d'en dépouiller les ennemís et de s'en servir comme trophée de gloire : tel le scalp usité chez les Indiens d'Amérique.

Chez les Abyssiniens, au contraire, le vainqueur avait droit de se tresser une tresse avec ses cheveux pour cliaque ennemi tué. Après dix faits d'armes, on pouvait se tresser la chevelure à volonté.

D*autres peuples se rasent soigneusementla téte; mais cette pratique existe surtout chez des peuples assez civilisés : telle la pratique des Indous. Les Chinois, on le sait, s*en rapprochent, ne conservant qu'une queue.

Chez nos moines, c'est une idée de sacrifice àDieu qui impose cette mutilation (1).


■k


Les races se déplument au fur à mesure qu'elles s'instruisent, en raison directe méme de leur civi- lisation. Gloire aux chauves ; ils sont les hommes d'après-demain, ils sont les précurseurs. Et puis

(1) D"^ F.Regnault in Médecine Moderne,


CHEVEUX 227

n'est pas chauve qui veut, mais bien chauve qui peut.

Les chauves ont d'illustres ancétres: Sòcrate, César et Louis XIV. Ces deux derniers étaient méme tellement fiers de leur calvitie qu'ils la cachaient jalousement àtous les regards comme un porte-bonheur. ^César la dissimulait sous la cou- ronne impériale de laurier et Louis XIV sous la perruque. C'est méme pour complaire à leur sou- verain que les courtisans du Roi-Soleil portèrent perruque ; et ce fut une mode, presque une regle de Tétiquette royale pendant le grand siècle.

Plus pres de nous, le chancelier de fer, M. de Bismarck, n'est-il pas une des figures les plus con- siderables de l'histoire moderne? Or, il possèdait trois clieveux, trois, qui se dressaient comme un trident sur son sommet marmoréen.

11 est curieux de constater que, depuis un temps immemorial, les cheveux sont considerés comme concentrant la force vitale de l'homme. C'est à cela que l'on doit la coutume qui consiste à conserver quelques cheveux d'un personnage cèlebre, ou méme, tout simplement, d'un étre aimé.

La légende des cheveux, centre de la vie, se retrouve de toutes parts en Judée, avec Samson ; en Grèce, avec VAlceste, d'Euripide ; chez les Védas et aussi à Rome, oii Virgile parle des cheveux d'or de Dídon.


228 LES CURIOSITÉS DE LA TETE

La vie de Nisus, d'après Pausanías, tenait à ses cheveux de pourpre et celle de Ptéréieas, d'après Apollodore, élait due à son unique cheveu d'or.

Est-ce de là que viendrait la locution familière : a Sa vie ne lient qu'à un cheveu ?. . . »


4-


Nolre système pileux change de couleur avec l'àge, ce qui n'estpointlecas dans l'espèce animale. Laneige desannéestombe surlecràne des vieillards mais à d'autres causes encore il faut quelquefois attribuer la décoloralion capillaire.

On raconte que les cheveux de Thomas Morus, chancelier d'Anglelerre, devinrent blancs dans l'es- pace d'une nuit lorsqu'on lui eut annoncé sa con- damnation à mort (1534).

On a prétenduqueMarie-Antoinette,emprisonnée à la Conciergerie, vit ses cheveux blanchir d'une nuit à l'autre ; mais le fait n'est pas historiquement prouvé. D'autres exemples sont et scientifique- ment confirmés : à Solférino, un jeune soldat autri- chien, terrifié par le combat auquel il prenait part, devint blanc instantanément. (1)

(1) « Mademoiselle..., d'une tres forte constitution, d'une taille élevée, avaitpassé son enfance dans le chà- teau de Chantilly et avait sou vent joué avec le duc d'Enghien, enfant lui-méme. Lors de l'émigration, Mademoiselle... futconfiée à unedamechargée de veli-


CHEVELX 229

Byron a démontré qu'il n'ignorait pas la canilie subite dans son Prisonnier de Chillon :

« Mes cheveux sont gris, non à cause des ans — Et ils n'ont pas blanclii — En une seule nuit, — comme les cheveux de ceux qui sont sous le coup de soudaines frayeurs. »

La littérature ofTre, au resle, de nombreux exemples de canitie émotionnelle. Ludovic Sforze, dit le Morè, devint subitement blanc dans la nuit méme qui suivit le jour oíi il tomba au pouvoir de Louis XII, son plus mortel ennemi.

Sanson, dans les Mémoires d'un bourreau de Paris^ rapporte un grand nombre de cas de canitie subite chez des condamnés à mort.

Le cardinal Donnet, qui faillit étre enterré vivant, en ressentit une telle émotion que ses cheveux en devinrent blancs.

Presque lout le monde connait le cas historique d'IIenri IV, qui aimait à montrer une partie de sa barbe et des cheveux, blanchisen une nuit ala suite de la douleur causée parlemassacredela St-Barlhé-


ler à sonéducation. Lesévénements polítiques devinrent plus graves, cette jeune enfant sentit la misère, son édueation fut négligée. A la mort du duc d'Enghien, mademoiselle tombe dans la lypémanie la plus pro- fonde, elle avait 16 à 17 ans, seu checeiix decinrcnt gris presque subiíement^ Mademoiselle fut envoyée à la Sal- pétrière, oü elle avécu un grand nombre d'années avant de succomber. » Esquirol, Des maladics mcntalcs, t. i.


230 LES CURIOSITÉS DE LA TETE

lemy. II avait dormi pendant 24 heures la téte et le menton appuyés surlamain (1).


4-


Les cheveux portent malheur : en astronomie, la cometé, présage de terribles événements, a une che- velure ; le soleil qui dore les moissons et fait múrir les fruits, les étoiles confídentes de nos réves, ne sont point embarrassés de cet encombrant appen- dice.

La Bible ne nous rapporte que des histoires fàcheuses arrivées à des gens chevelus. C'est d'abord Taventure d'Absalon, qui resta accroché aux bran- ches de la forét. C'est Holopherne que Judith prit par les cheveux pour lui couper la téte. C'est Samson, à qui Dalila coupe les cheveux et qui vani- teusement laisse repousser cette broussailleuse auréole ; la force revient à Samson, il ébranle les colonnes du temple de Dagon et meurt enseveli sous les décombres. II fut resté téte rase, coupée « à Tor- donnance », qu'il eút vécu vieux.

L'hístoire de France n'est pas moins instructive : en 93, les bourreaux prenaient les tetes des guillo-


(1) Gf. De la canitie subite émotionnelle, par le D*" Rousseau.Thèse de doctorat en medecina, Bordeaux, 1900.

Ces faits de canitie subite auraient été mieux places à la fin du volume, au chapitre : Les Emotions morbi- des. Nous nous excusons d y avoir songé trop tard.


CHEVEUX 131

tines par les cheveux pour les montrer au peuple ; jamais ils n'ont osé prendre la téte d'un chauve à deuxmains. Rappelez vous Zfe/via/i/ de Víctor Hugo: n'est-ee point à sa calvitie que le vieux Ruy Gómez doit d'échapper à la mort, quand le roi Don Carlos lui dit :


La tète qu'il me faut est jeune ! 11 faut que morte On la prenne aiix cheveux. La tienne ? Que m'importe ! Le bourreau la prendrait par les cheveux en vain ; Tu n*en a pas assez pour lui remplir la main.




On ne cite qu'un seul accident du k la calvitie : La Fontaine, dans une fable intilulée VHoroscope (livre VIII), nous raconte la mort du poète grec Eschyle ; mais il est bon d'ajouter que La Fontaine est fataliste et que sa fable tend à prouver qu'on ne peut se souslraire à sa destinée. Ecoulez plulot :

Cette précaution nuisit au poète Eschyle.

Quelque divin le menaça, diton,

De la chute d'une maison.

Aussitòt il quitta la ville^ Mit son lit dans les champs, loin des tolts, sous lescieux- Un aigle, qui portait en l'air une tortue, Passa par là, vit l'homme, et sur sa téte nue, Qui parut un morceau de rocher à ses yeux,

Etant de cheveux dépourvue, Laissa tomber sa proie, afln de la easser : Le pauvre Eschyle ainsi vit ses jours avancer.


232 LES CURIOSITKS DE LA TETE

Les dames romaines, à la fin de Tempire, por- laient souvent de faux vhes>eiix^ des perruques volumineuses, poudrées, parfumées, leintes en pourpre, coiívertes de po.ussière d'or. Les premiers Pères de l'Eglise se sont fort elevés contre cette mode, qui c^pendant persista longtemps à la cour d'Orient.

II ne parait pas que l'usage de porter perruque fut admís en Occident pendant le moyen àge, et cette habitude ne s'introduisit en France que vers la fm du XV* siècle. C'était une importation ita- lienne.

Quant aux faux cheveux, il est à croire que de tout temps les femmes en portèrent pour suppléer à ce que la nature leur refusait. Cependant nous ne trouvons, à propos de cet usage, que des al•lusions trop obscures pour affirmer qu'il en fut aínsi.

A la fm du xv* siècle, les gens de robe portaient perruque, ainsi que nous l'apprend Villon, si toute- fois les Repeues franches sont de ce poete :


Et mettez tous peine délire (1). Entre yous, jeunes perrucatz (2), Procureurs, nouveaulxadvocatz, Aprenant aux despens d'aultruy.


(1) Laissez de cóté toute préoccupation ».

(2) « Gens à perruques », c'est ainsi qu'on désignait, à la lin du xv« siècle, les gens de la basoche.


CHEVEUX 23?

On jurait anciennement sur les cheveux comme on jure aujourd'lmi sur son honneur ; les couper à quelqu'un c'était le dégrader, le ílélrir.

On obligeait ceux qui avaient trempé dans une méme conspiration de se les couper les uns aux aulres.Frédégonde coupales cheveux à une maitresse de son beau-fils et les fit attacher à la porte de l'ap- partementdu prince. L'action parut horrible.

En saluant quelqu'un, rien n'était plus poli que de s'arracher un cheveu et de le lui présenter, Clovis s'arracha un cheveu et le donna à saint Germier, pour lui marquer à quel point il Thono- rait ; aussitót chaque courtisan s'en arracha un et le presenta à cet évéque, qui s'en retourna dans son diocèse, enchanté des politesses de la cour.


4-


On lit dans le Cours d'Histoire Naturelle (tome I, page 197, édition de Paris, 1770), que, dans une famille de Verneuil-sur-Oise, pres Senlis, le père et ses fds seulement étaient nés absolument sans che-


veux.


•k


L'histoire nous offre un exemple oíi les femmes se couvrirent de gloire en faisant le sacrifice de leurs cheveux.


234 íes curiosités de la téte

Au siège de Carlhage, comme on manquait de matière pour faire des cordes, elles coupèrent leurs cheveux et en fournirent abondamment.

Ce fut un temps la mode de porter les cheveux courts. A propos de l'origine de cette mode, on a fourni l'explication qui suit :

Cette mode s'était établie à la suite d'un acci- dent arrivé à François I" dans une de ces batailles que se livraient le roi et les seigneurs de la cour par façon de passe-temps. Voici les détails qu'E- tienne Pasquier nous donne à ce sujet : « Advint paraventureque le roy François P*" de ce nomayant esté fortuitement blessé à la teste d'un tizon par le capitaine Lorges, sieurde Montgommery, les méde- cins furent d'avis de le tondre (1521). Depuis, il ne porta plus de longs cheveux. »

Par flatterie, les courtisans s'empressèrent d'imi- ter le roi ; puis, la vanité s'en mélant, cette mode finit par gagner de proche en proche. La petite noblesse se fit un point d'honneur de copier les gens de la cour. La bourgeoisie voulut à son tour ressembler aux gens d'épée ; et de là la manie de se faire tondre, suivant l'expression employée par Lyon Jamet, pour avoir quelque chose de l'homme de guerre.

Les Egyptiens offraient auxdieux des voeux pour a guérison de leurs enfants malades ; et lorsque ces


CHEVEUX 235

derniers étaient hors de danger, ils les conduisaient dans le temple oíi ils leur coupaient les cheveux, qu'ils mettaient dans une balance avec une somme d'argent du méme poids, qu'ils donnaientà ceux qui avaient soin de nourrir les animaux sacres (Diodore de Sicile).




Ce fut Philippe-le-Bon qui donna le premier exemple des perruques. Une longue maladie lui ayant faittomber les cheveux, ce prince, sur le con- seil de ses médecins, couvrit sa téte chauve d'une chevelure artificielle, et par une politesse de cour- tisan, cinq cents gcntilshommes en íirent autant dans la ville de Bruxelles. C'est sans doute depuis cette époque qu'on a pu compter parmi les courti- sans tant de tetes à perruques.




Dans l'Armorique, les enfants conservent encore, dans les échanges de leurs petites propriétés, un usage tres ancien : on confirme la cession qu'on venait de faire en soufïïant au vent un cheveu. Ainsi se terminaient sans signature et sans notaire les marchés des premiers àges.'

Le cheveu était l'emblème de la propriété. On y renonçait en le jetant : c'était déclarer par un acte matériel qu'on ne reviendrait pas sur l'accord


I

1


236 LES CURIOSITÉS DE LA. ÏETE

arrété, puisqu'il serait impossible aux contractants de rendre le cheveu que le vent avait emporté.

De ces cheveux, dans les temps plus modernes, ont été trouvés sous des sceaux : ils tenaient Heu de signature.


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LES


CURIOSITÉS

des régfíons

THORACIQUE ET ABDOMINALE


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IlES CÜRIOSITÉS

THORACIQUE ET ABDOMINALE



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La voix et les parfums

N sait depuis longtemps, d*après les récits de riiistoire et de la légende,quele voisinage des bouquels de fleurs, à odeurs plus ou moins péné- trantes, n'est pas sans causer des incommodités, des malaises, parfois méme des accidents d'une réelle gravi té.

On a recommandé, de tout temps, d'éviter de dormir dans une pièce oíi sont enfermées des fleurs, des syncopes prolongées, des asphyxies méme ayant été en pareil cas dúment constatées. Notre confrère Cartaz a cité à cet égard quelques observations des plus nettes. C'est une jeune fiUe qu'ontrouve morte dans une chambre oíi l'on avait laissé des bottes de lys; c'est un officier qui, à Milianah, s'endortdans une alcóve décorée de branches de lauriers roses et s'y endort de son dernier sommeil.

On a beaucoup disserté sur la cause de ces acci- dents, sans que Ton soit arrivé à des conclusions bien fermes. L'intoxication est vraisemblablement due à des éthers composés, des hydrocarbures qui empoisonnent les systèmes nerveux et vasculaire. 11 fautaussí tenir compte de ce que certaines plantes


240 LES CURIOSITES DES REGIONS

n'exhalent leurparfum que pendant la nuit ou dans l'obscurité. II s'en dégage alors de l'acide carbo- nique, et, d'après Boussingault, de l'oxyde de car- bone, gaz des plus tòxiques comme nul ne l'ignore. Qu'il y ait, en oulre, ce qu'on nomme en médeeine de Tidiosyncrasie, c'est-à-dire que tels tempera- ments soient plus incommodés que d'autres, cela n'a rien qui doive surprendre.

Ce qui est moins connu, et que nous avons pour notre modeste part contribué à mettre en lumière, à la suite d'une enquéteminutieuse, c'est que lesfleurs ontune actionnuisible,qu'on ne songeraplusdésor- mais à méconnaitre: sur l'appareil de la plionation.

Les fleurs, et en general tous les parfums, exer- cent une action néfaste sur les cordes vocales ; le fait n'est pas douteux, et s'il a été rarement décrit, il a été bien des fois observé.

Le D' Fauvel, à qui nous avions demandé quel- ques renseignements sur la question, nous fit la réponse qui suit :

« Cerlainement, nous dit Téminent laryngo- logisle, les odeurs ont une influence néfaste sur la voix, et il y a longtemps qu'il m'a été donné de l'ob- server, Vous connaissez Marie Sasse, la grande chanteuse? Eh bien, Marie Sasse, au moment ou elle répétait VAfricaine^ m'a conté qu'elle avait un soir complètement perdu la voix brusquement, et dans les circonstances suivantes : elle chantait chez les Rotschild, je crois, avec Mme Penco, du


,!

LA VOIX ET LES PARFUMS 241 J

I*

Théàlre-ltalien, à moíns que ce ne fút avec la Patti.

Mme Penco, qui était pressée ce jour-là, demande

à sa camarade de lui céder son tour. Marie Sasse I

accorde tres gracieusement ce qui lui est demandé, ,

et Mme Penco, ofTre, en guise de remerciement, à

Marie Sasse, un magnifique bouquet de violettes de

Parme, arrosées d'un extrait tres concentré de la

méme lleur. L'effet fut presque immediat. Quand

Sasse, qui avait respiré à plein nez les violettes,

dont elle adorait le parfum, parut en scène, elle était

devenue aplione !

« Que seproduit-il en pareille circonstance? Peut- étre une lutte vibratoire entre les ondes sonores et les ondes odorantes ; les cordes vocales se mettent en état de parésie, de défaut de contraction, elles boitent... mais, ce n'est qu'une théorie, et je vous la donne pour ce qu'elle vaut.

« Le fait existe, sans conteste. Je soigne méme, en ce moment, la femme d'un grand parfumeur, qui a des accidents reflexes laryngés, du « laryn- gisme », que je serais assez disposé à attribuer à l'atmosphère dans laquelle elle vit, aux émanations qu'elle est forcée d'absorber. »

Qui n'entend qu'une cloche ?. . . Nous nous sommes donc adressé au D"* Gouguenlieim, qui avait effleuré le sujet dans une leçon faite auConservatoire :

« Aucune étude vraiment scientifique n'a encore été tentée, nous répond le maitre spécialiste. Mandl et d'autres observateurs en ont bien parlé, mais très superficicUement.

14


242 LES CÜRIOSITÉS DE LA TETE

« Le fait de raction des parfums sur le larynx n'est pas conlestable. Comment se produït cette action ? Est-elle d'ordre nerveux ? C'est plus que probable. Y a-t-il un effet réflexe sur le larynx ? C'est possible. On peut bien affirmer l'influence réflexe d'une lésion nasale, mais peut-il en étre de méme de la réalité de l'influence réflexe d'une impression nasale ? C'est bien delicat à trancher. Tous ceux qui appartiennent à la « gent artistique » sont d'un temperament ultra-nerveux ; rien de surprenant qu'ils présentent des reflexes laryngés de la varia- bilité la plus grande ».

Mériíe consultation clíez le D"" Poyel, qui soigne bon nombre de chanteurs, et dont la compétence est universellement reconnue dans le monde artis- tique. Le D"" Poyet s'excuse, avecune parfaite bonne gràce du reste, de ne pas nous en diré plus long, bien que, s'il eut eu le loisir...

Pour avoir un dossier complet, et afin d'étayer notre jugement sur des documents précis, il nous restait à consulter deux categories de personnes : les artistes, d'abord ; les professeurs de chant au Conservatoire, ensuite. II y aurait bien eu une Iroi- sième enquéte à faire, mais elle était particulière- ment malaisée. II aurait été, croyons-nous, d'un grand intérét de visiter les usines oíi se fabriquent artificiellement les parfums, et de constater si les ouvriers de ces fabriques présenlent des lesions spéciales du cóté du larynx. Mallieureusement, 11


LA VOIX ET LES PARFUMS 243

ne suffit pas, comme dans le conte des Mille et une Nidts^ de dire : SèsamCy ou{>re'toi ! pour pouvoir pénétrer dans ces laboratoiresmystérieux. Desvies liumaines sont en péril, qu'importe? Les inté- réts matériels priment toiit. Faute de mieux, nous dúmes abandonner provisoirement cette piste et nous contenter de SK)lliciter l'avis des artistes, puis des professeurs de chant.




Dans le monde artistique, on a depuis longtemps remarqué que certaines fleurs naturelles, le lys, le mimosa, la violette, la tubéreuse, la jacintlie, et quelques parfums artificiels, lesessencesetextraits, Teau de Cologne russe, la peau d'Espagne, etc, produisent une influence nocive sur les organes vo- caux. II sç manifeste chez ceux ou celles qui en usent habituellement de l'enrouement, et quelque- fois pis encore, de l'aphonie complète.

Mme Renée Richard (de l'Opéra) nous a coníié à cet égard qu'elle a depuis longtemps in- terdit aux eleves qui fréquentent ses cours de por- ter, durant le trajet de leur domicile au domicile de la cantatrice, méme un simple bouquet de violettes à leur corsage. Quand ces eleves ont respiré en chemin ces fleurs au parfum suave, qui passent pourtant pour étre inoflfensives, elles sont tout à fait incapables d'émettre un son. Mme Richard, qui se sert du laryngoscope aussi habilement qu'un


-, >■


244 LES CURIOSITÉS DES REGIONS

professionnel, a cherché à se rendre compte du phénomi^ne.

« Les cordes vocales, nous dit-elle, apparaissent tuméíiées, alors que, clíez les artistes qui n'emploient pas de parfums, les cordes vocales, loin de se ten- dre, snard, le conduisant (d'Aubigné) à Confor- gien, le destourna pour liiy faire voir en un village le miracle d'une femme de septante ans, de qui la fdle estant morte en couche, elle pressa son petit fils .con tre son sein, s'escriant : « O Dieu! qui te nourrira? » A ces mots l'enfant empoigna un des bous de sa grand'mère, et les deux mamelles furent à Pinstant pleines de laict, duquel elle l'a nourri dishuit mois, parfaitementbien. Cette histoire avant d'estre imprimée, a esté vériíié par Tacte públic de l'Eglise. ))

' M. Doraange a rapporté un cas de sécrétion lactée pendant une grossesse nerveuse (2), dans lequel Tirritation locale n*était évidemment pour rien.


Coeur


Sait-on \\ quelle époque remonte l'usage d'inhu- mer à part le coeur des personnages qui se sont illustrés par leur naissance, leur fortune ou leurs actions heroiques ? II serait difficile de le déter-


(l)AGRippAd'AiJBiGNÉ, Mémoires publiés par Lalanne, édit. Jouaust, 1889, p. 138.

(2) Arch. de tocologic, 1885, t. xvi, p. 246.


258 LES cuniosiTÉs des regions

miner exactement. II est à peu près certain que l'antiquité païenne n'a pas connu celte pratique. La combuslion des corps étaít une mesure générale qui ne souffrait aucune cxceplion.

II faut arriver au douzième siècle pour tpouver la première trace du culte funéraire isolé du coeur.

Le 25 février 1117, Robert d'Arbrissel, le reli- gieux fondateur de l'ordre de Fontevrault, meurt dans l'abbaye d'Orsan, fondée par lui. En exécution de ses dernières volontés, son corps, qui était encore douze jours après sa mort dans un état parfait de conservation, fut enlevé aux religieuses d'Orsan pour etre transporto à Fontevrault. Mais pour les consoler de la perte de cette relique, Léger, arche- véque de Bourges, qui accompagnait les restes du bienheureux Robert, consentit à laisser aux reli- gieuses le cceur du fondateur de l'ordre de Fonte- vrault.

C'est dans cette méme église de Fontevrault que fut inhumé le coeur du roi anglo-normand, Ilenri II, mort à Chinon en 1189.


  1. #


11 est assez singulier qu'on n'ait pas retrouvé le cceur de saint Louis, et on ne s'explique guère comment on aurait dérogé en faveur du saint roi à la coutume déjà généralisée en France, que nous avons signalée plus haut.


".%■.--


...*^


THORAX 259

Outre le père et la mère du saint roi, Thibàult V, son gendre, mort en Sicile à son retour des Croi- sades, avait légué son corps aux religieuses Corde- lières de Provins et son coeur au convent des Cor- deliers, dont il était le fondateur. Ce coeur, après diverses migrations, était encore, il y a une trentaine d'années environ, dans le sanctuaire de l'église de Provins, oíi il passait pour opérer des miracles, notamment dans les maladies des yeux, rebelles à tout traitement.

Les Jacobins reçurent également en dépót le coeur de Philippe III, fils de saint Louis. Son autre fils, Pierre, comte d'Alençon, légua son coeur aux fre res précheurs de Paris.

Les Jésuites, les Célestins, les religieuses deMau- buisson, de Paris, du Val-de-Gràce, etc, ont par- tagé avec les jacobins le privilège de recueillir les coeurs et les entrailles des souverains. L'abbaye de Saint-Denis les a reçus aussi quelquefois, excep- tionnellement.

Richard-Cceur-de-Lion, blessé à mort devant un chàteau du Limousin, le 5 avril 1199, avait demandé, selon Mézerai, « que son corps fút inhumé à Fontevrault pres de celui de son père ; que la ville de Rouen, qu'il chérissait à cause de la fidélité qu'elle lui avait toujours gardée, eút son coeur et que les Poitevins, qu'il avait peu estimés, eússent ses boyaux, la plus vile partie de son corps. »


260 LES CURIOSITÉS DES REGIONS

Au XIII® siècle, les rois de France commencent à se conformer à la coutume' de rinliumation isolée du coeur. C'est ainsi que, Louis Vlir étant mort à Montperísier en 1226, son corps est porté à l'abbaye de Saint-Denis, tandís que son coeur et ses entrailles restént en Auvergne.

En 1258, trois abbayes de femmes se partagent les dépouilles mortelles de la mère de saint Louis, Blanche de Castille ; c'est à l'église du Lys qu'échoit le coeur de la reine.

' On a beaucoup discúté, vers 1843, sur la pré- tendue trouvaille du coeur dè saint Louis à la Sainte- Chapelle. D'après Andry, ce coeur pourrait bien étre celui de Christophe Barjot, chanoine de la Sainte-Chapelle, mort en 1682 ; ou celui de Jacques Barrin, immortalisé par Boileau dans son Lutririy ou de tout autre personnage encore plus inconnu.




L'histoire a mentionné, comme deposés à Saint- Denis : le coeur de Jeanne de Bourgogne, femme de Philippe V ; le coeur de François ^^^ qui avait élé d'abord donné aux religieuses de Notre-Dame de Ilaute-Bruyère ; les coeurs de Louis XHI et de Louis XIV, qui étaient primitivement dans l'an- cienne église de la maison professe des jésuiles de Paris ; le coeur de Louis, dauphin de France, fils de


THORAX 261

Loüis XV et père de Louis XVI, mort en 1765 ; le çoeur de Louis XVIII et celui du duc de Berry.

Les Cordeliers possédèrent les eceurs de Phi- lippe V, mort en 1322, de sa femme, et celui de Jeanne d'Evreux, reine de Navarre, épouse de Charles IV.

Les frères précheurs ou Jacobins eurent, entre autres viscères, le coeur du fils de saint Louis, Pierre d'Alençon, et celui de son frère, Charles d'Anjou ; les coeurs de Philippe-le-Bon et de sa femme.

Chez les Célestins, on trouve les coeurs de Louis XII, de Charles VI, de Henri II, et les entrailles de la malheureuse Ilenriette d'Angleterre, morte à Saint-Cloud à 26 ans, dont la fin subite inspira à Bossuet la tirade éloquente si connue : Madame se meurt^ Madame est morte /...

Chez les Jésuites, furent primitivement deposés le

coeur de Louis XIII, fondateur de l'église professe

de cet ordre ; et celui de Louis XIV. Ces deux coeurs

furent plus. tard transportés à Saint-Denis.

- Les Jésuites du collège de la Flèche, fondè*par

Ilenri IV, eurent le ccBundí«k'Vcaft-íGa^ítóiÍ4.íí| roj-m-o

> .Lesr re|%ipliseifei'diij V)»l-def Gflràiao'ga«4e«jb^è^^

fiAíHiantr daBS^hk'MPjTai•hioiBè tloumatbjWfíoli^Wi^üVli

•<jafl^eatti le^i boeturs )•;d ' Aíhuj « iV AjvU x\tà^i fortcja trioe lile

dtüttffioHabtèroiv: d'ítéBjHoilQíld'Angtetótlye .A^BHr

15*


26^ LES CURIOSITES DES REGIONS

lippe d'Anjou, second fils de Louis XIV, et de Tépouse du grand Roi, Marie-Thérèse d'Autríehe, morte en 1683.

  1. #

D'autres églises possèdent des coeurs de grands personnages. Le coeur de Duguesclin se trouve dans Téglise des Jacobins de Dinan ; celui de Charles V a été, au moins jusqu'en 1736, dans la cathédrale de Rouen, oü se trouvent aussi le coeur de Richard Coeur-de-Lion , du cardinal Estouteville , mort en 1482, de Charles de la Rochefoucauld, etc.

Le ccBur de la mère de François P*" est inhumé dans l'église Notre-Dame-de-Paris.

Le cceur de saint François de Salles a du étre inhumé à part, puisque. huit ans après la mort du saint, survenue en 1622, Louis XIII, àgé de 29 ans, tonibé gravement malade à Lyon, fit suspendre la relique vénérée au chevet de son lit.



Nous arrivons au xvii® siècle ; Harvey vient de découvrir la circulation du sang (1619). L'éclat de celte découverle a sa répercussion dans les allé- gories plàstiques ou figuratives. En feuilletant les iconologies, on retrouve le coeur àtoutpropos. Maís rintervention du coeur dans l'art religieux remonte encore plus haut : on voit des coeurs figurés au- dessous d'images du Christ, sur des piliers


THORAX 263

d'églises, sur des chapiteaux, dès le xv• siècle. Aujoiird'hui on ne retrouverait plus guère le ccBur sous forme symbolique que sur les plastpons des

maitres d'armes.

Veut-on savoir ce qu'est devenu le coeur de Buffon ?

BufTon étant mort au Jardin du Roi, dans la nuit du 15 au 16 avril 1788, à une heure du matin, fut embaumé dans la matinée du 16, moins de sept heures après son décès, par les chirupgiens Portal, Betz et Girardeau.

Ceux-ci embaumèrent avec soin le coeur et le cerveau, qui furent renfermés dans des urnes de cristal.

Buffon avait témoigné le désir que son coeur fut remis au géologue Faujas de Saint-Fond, mais le fils de Buffon ne lui remit que le cerveau.

Quant au coeur, M. Nadaud de Buffon, arrière- petit-neveu du grand naturaliste, pense que l'urne qui le renfermait a été comprise, sans qu'on ait pris méme la peine de s'enquérir de son contenu, dans la ven te publique faite à Montbard et à Paris au profit de la nation, au mois d'aoút 1794, après la fin tragique du fils de Buffon.

  • *

Puisque nous en sommes au chapitre du coeur,


264


THORAX


rappelons cette anecdote, qui a Irait au coeurde Voltaire. Après la mort de cel liomme universel, le bruit se répandit que le marquis de Villette avait renfermé le coeur de Voltaire daus un vase en or, sur lequel était gravé ce vers :

Son eoear est en ces lienx, son esprit est partout.

Sans considérer tout le bien que le grand homme avait fait à beaucoup d'infortunés, un esprit mali- cieux s'empressa d'ajouter que le coeur de Voltaire ne remplacerait jamais son esprit.

Les usages du coeur en thérapeutique.

Pline a dit que le coeur du ccrf n'est point sujet aux maladies fébriles et que méme il en préserve. .

Dans un ouvrage de pharmacie, imprimé à Colo- gne en 1703 (1), on trouve plusieurs formules d'eau cordiale, préparée avec le coeur d'un cerf récem- ment tué.

L'auteur d'un traité publié à Francfort au xvi® siècle (2), recommande une mixture, composée de coeurs de cerfs, à défaut d'un coeur de boeuf ou de porc, auxquels on ajoute des coeurs d'oiseaux, sur- tout de perdrix, du citron, du santal, de Taloès, etc.


(1) Jacobí Mangeti, Bibliotheca Pharmaceutico-Me- dica.

(2) Arnold Weickard, Thesaurus pharmaceuticus galeno-Chimicus.


* ; THORAX T 265

' Pline, Marcellus Empiricus, elc^ nous ont laissé iine sèrie de recettes oíi entrent diíTérents coeiirs d'ariimaux. .

Les coeurs du lion, du crocqdile, du eaméléon, étaient employés contre la fièvre quarte ; celui de l'hyène, contre les spasmes ; celui de Tàne, contre l'épilepsie; celui du lézard, contre la scrofule ; celui de la grenouille, contre la dysenterie, etc.

Certains magiciens, dit encore Pline (1), font attacher aux mains le coeur d'un lièvre, comme pre- serva tif de la fièvre quarte.

  • *

Puisque nous voilà sur la pente de la magie, pé- nétrons franchement dans sondomaine mystérieux.

Quiconque mangeait le cceur d'une taupe, tout frais et palpitant, possédait le don de divination.

Le cceur d'un chat-huant, appliqué sur le sein gauche d'une femme endormie, lui faisait révéler tous ses secrets.

Quand les Esquimaux sont malades, leurs sor- ciers, pour tout remède, leur prescrivent ou leur in-

« 

terdisent telle ou telle portion de l'un des animaux dont ils se nourrissent, et c'est spécialement le coeur ou le foie qui leur sont ainsi ordonnés ou défendus.


♦ ♦


Dante prétait au coeur, dans le sexe masculin, un


(1) L. 28, Ch. 19.


y^ .-


266 LES CURIOSITÉS DES REGIONS

usage tout spécial : celui de communiquer au plus pur de notre sang la puissance génératrice, cette vertu qui, dit-il, « procède du coeur du père. » [Purgatoire^ eh. 25, p. 37 et suivantes).

Rabelais voyait dans le cceur une officine qui affi- nait le sang, déjà élaboré par le foie, et purifié par les reins et la rate.

Riolan comparait le coeur humain au Paradis ter- restre de la Genèse.




Si l'on parcourt les recueils d'armoiries des an- ciens souverains, ontrouve, offrant des coeurs, avec les armes de Danemarck, celles de Saxe-Meiningen, de Saxe-Cobourg Gotha, de Saxe-Altenbourg.

Le coeur figuraitdans les armes du cèlebre réfor- mateur religieux Luther.

A partir du xv® siècle, et surtout du xvi®, de nom- breuses familles ont un coeur dans leurs armes. Ci- tons notamment Jacques Coeur, anobli par Char- les VII, et qui avait pour devise : A copur çaillant^ rien d'impossible ; les Amelot, faraille de magistrats, les Coeuret, etc.

Quelques villes de France ont fait figurer le coeur dans leurs armoiries, par exemple : Seez en Nor- mandie ; Vertus en Champagne ; Conflans en Lor- raine ; Corbeil pres Paris (le mot Corbeil serait méme dérivé de Cceur-Bel, coeur loyal, et fidèle à la couronne de France).


THORAX 2G7

A quelle époque le coeur a-t-il figuré sur les car- tes à jouer? Vraisemblablement pas avant les der- nières années da xiv® siècle. Une opinion, entre beaucoup d'autres, attribue à Jacques Coeur, Tori- gine du coeur sur les cartes à jouer, parce que, dit- on, Jacques Coeur, qui était en relations commer- ciales avec l'Orient, aurait importé le jeu de cartes de ces regions lointaines. On sait que dans Thótel de Jacques Coeur, construit à Bourges vers le milieu du XV® siècle, le coeur avait été si peu ménagé qu'on en voyait partout. Pas une serrure, pas une sculp- ture, pas une téte de clou, ou ne figuràssent les emblemes du maitre de céans : une coquille ou un coeur.

De méme, dans l'hotel de Luynes, appelé encore Palais d'amonry que François P'" se fit bàtir tout auprès de l'hótel de la duchesse d'Etampes, entre la rue Git-le-Cwur et la rue de Vlíirondelle.

De toutes les devises, je n'ai pu, dit Sauval, me res- souvenir que de celle-ci : « c'était un coeur enflammé placé entre un alplia et un omega. »




Au XVI® siècle, le coeur figure non seulement dans les enseignes (la rue Grégoire de Tours qui s'appe- lait primitivement rue du Ccpiir- Volant^ devait ce nom à une enseigne, representant un coeur ailé), mais encore au frontispice des livres, comme mar-


268 LES CURIOSITÉS DES REGIONS

que d'impression ou de librairie, et quelquefois sous forme de rébus. Ainsi Gilles Corrozet, libraire fa- meux du xvi® siècle, distingue le frontispice de ses livres par une rose épanouie dans un coeur. ' On retrouve, à la méme époque, la forme du coeur sur des cachets, des joya,ux, des bijoux, sur des plats de faïence, sur certaines monnaies. Bien plus, le coeur joue un tel role dans le symbolisme du temps, que les jeunes amoureux ont coutume, pour se faire part de leurs sentiments, de s'envoyer des pèclies traversées d'une llèclie, parce que, nous apprend Pierius Valérianus, ce fruit est semblable à un coeur, et qu'en le traversant d'unc flèclie, on exprimait la blessure dont on avait été frappé au coeur.

Les médecins n'appliquaieut-ils pas d'ailleurs, en ce temps-là, la péche au traitement des maladies du coeur « parce que la nature, en donnant k la pé- che cette coníiguration, avait indiqué ainsi l'organe lui-méme auquel elle convenait ».



La sorcellerie a souvent fait usage du coeur, notamment dans ce qu'on a nommé Vens>oútement,

L'ençoiUement ou ens>oiissnre que, d'après Fer- dinand Denis, on a retrouve jusque clíez les sauva- ges de l'Amérique du Nord, remonte à Taivlic^iftéta plus reculée. -*■' '^^l'-iii^»"! in: '.iolui'j -As.ni


THOilAX ' 26^

L'envoàtement consiste à reproduiré en cirela fi- gure de la personne à qui Ton veut du mal, et de piquer cetteeffigie soit au cràne, soit dans les mem- bres, le plus souvent dans la région du coeur.

Un exemple d'envoutement fameux est celui du roi Louis X ou Louis le fíutin, qui aurait été, dit-on, en^onté par la femme d'Çnguerrand de Marigny, laquelle vivait au commencement du xiv® siècle.

Mème accusation, en 1461, à proposdu comte de Charolais et de Louis XI; puis, en 1574, contrel'as- trologue Ruggieri, condamné aux galeres avec La Móle et Coconas pour avoir tenté d'envoúter le roi Charles IX.

Nous avons vu renaitre les mémes pratiques de

nos jours. En 1850, un coeur de mouton traversé d'un poignard, servait aux conjurations d'une né- cromancienne du faubourg Saint-Martin.

Deux ans plus tard, on ramassait dans un cime- tière parisien un coeur, tout liérissé de longues épin- gles noires, disposées dans un certain ordre.

On sait que le maréchal de Rais (Gilles de Laval) s'était donné au diable corps et àme pour refaire sa fortune, et lui avait offert, en guise de sacrifice, la main, les yeux, le sang et le coeur d'un enfant égorgé.

. Dans les théories des astrologues, le coeur était placé, comme le foie, sous l'iníluence de Mars, pro- bablement à cause de la similitude de couleur de ces viscères avec la coloration de la planète elle-méme.


270 LES CURIOSITÉS DES REGIONS




Le coeur était un tel objet de vónéralion chez les Anciens qu'ils interdisaient de faire servir le muscle cardiaque des animaux aux usages comestibles.

Le biographe de Pylhagore, Elien, nous assure que ce philosophe interdisait de mangerle coeur des animaux; Jamblique ajoute que Pylhagore défen- dait également la cervelle.

L'arrachement du coeur a été, de tout temps un des supplices les plus cruels qu'on iníligeàt aux coupables. En Angleterre, ce raffinement de cruauté était mis en usage contre ceux qui se rendaient cou- pables de haute trahison.

Le coeur des animaux tenait une grande place chez les Romains, dans les sacrifices et les augures. C'était, nous dit Pline, un heureux présage quand unecertaine quantitéde graisse enveloppaitlapointe du coeur.

Suivant le scoliaste de Marcien Capella, cité par Montfaucon, dans leSnpplémentà l'Antiquitéexpli- quècy les aruspices observaient sept organes avant de prononcer leur sentence : la langue, le foie, la rate, le poumon, les reins et le coeur. Si ces orga- nes étaient pales et livides, c'était mauvais signe ; s'ils étaient frais et vermeils, le présage était heu- reux.


THORAX 271

Riolan rapporte qu'il a Irouvé des coeurs quipesaient jusqu'àdeux ou Irois livres ; entr'autres celui de la Reine Marie de Médicis, qui était envi- ron de cepoids. «Peut-étre, ajoute-t-il, que les cha- grins et les afflictions de cette malheureuse Prin- cesse, ^avaienl pas peu contribué à lui grossir le coeur ; au moins est-ce le proverbe, qui n'est pas fondé sur rien : que les gens oufragez ont le cceiir gros. »




TertuUien reproche à Marcion d'avoir un melon à la place du coeur, piiponem loco cordis habere, Notre expression ayoir un copur de cilrouille ne viendrait-elle pas de là ?

On se souvient des vers de la Chanson de Mu- sette.


Nou, ma jeunesse n'est pas morte, II n'est pas mort, ton souvenir ; Et si tu frappais à ma porte, Mon cceury Musette, irait t'oucrir.


Ontrouverait facilement dans nos poetes, et non des moindres, des vers oíi le coeur joue un róle bizarre.

Lisez la dernière scène de Rinj-Blas^ vous y verrez :


I \


272 LES cuniosiTÉs des kégions

Pemiettez, ó mon Dieu, justice souveraine ? Que ce pauvre laquais bénisse cette reine. Car elle a consolé mon ccsar cracifié. Vivant par son amour, niourant par sa pitié...

Concierge chezMíirg'er, le coour est devenu Christ chez Ilugo.

Nous allons maintonant le voir sous le costume militaire :

'i

Lecoeur, pourquoi, je l'ignore, Ai me à changer de garnison.

Ces derniers vers soni de Xadaud. La langue française emploie, comme on voit, des métapliores plulót hardies.

Estómac

Chez les Arabes, non-seulement l'éruclation est tolérée, mais elle est une marque de politesse et le témoignage bien accueilli de salisfaction d'un estómac reconnaissant.

Tous les vovasfeurs en font foi. Gusta ve Flaubert, pour n'en citer quiin, dans une lettre adressée à Jules Cloquet, s'exprime ainsi : « Quelquefois nous nous arretons pour déjeuner dans un restaurant turc ; là on déchire la viande avec ses mains, on recueille la sauce avec son pain, on boit de l'eau


THORAX 273

dans des jatles, la vermine coiirt sur la muraille^ et loute l'assistance role à qui mieiix mieux, c'est charmant ».

L'invasion arabe parait méme avoir laissé sur ce point, en Espagne, des traces de son passage ; elle en a laissé heureusement beaucoup d'autres plus importants et d'un meilleur goút.

, Tallemant des Réaux raconte dans ses Mémoires que au cours d'un certain repas. offert à la cour d'Henri IV au connétable de Castille et aux gen- tilshommes espagnols de sa suite, un de ces derniers, assis en face du maréchai de Roque- laure, « faisait de grands rots en disant : La sanita del cuerpo^ senor mareschaln. Le senor mareschal se contenta d'abord de faire la grimace; mais comme Tautre réitérait fréquemment, il se lève, tourne le dos," et lui fait un gros p... en disant : « La sanita del culoj senor espagnoL »

La conduite du gentilhomme espagnol et la phrase qui lui sert de commentaire indiquent bien qu'une idée d'utilité et d'hygiène est attaché à cet usage si universellement répàndu dans les pays crien taux.

Les copieux repas emplissent l'estomac et la ten- sion desgazsejoint au poids des aliments pourdilater Torgane. On a fait grand bruit dans ces* dernières années et non sans raison de la dilatation de V estómac etdesathérapeutique. Les Orienlauxontdepuislong-


1


274 LES CURIOSITKS DES UEGIONS

temps appliqué à cel état un moyen propliylactique et curatif qui ne parait pas inférieur à maints autres plus vantés.




En diverses localités du département de Saóne- et-Loire, on a pu observer et recueillir plusieurs curieuses particularités à propos de ce mouvement convulsif de l'eslomac, connu sous le nomde hoqiiet.

Voici quelques-uns des moyens couramment employés pour le guérir.

1. — D'abord le couplet enfantin que les mamans lie manquent pas de faire diré à leurs « petiots [», cerlaines que ces mols Iradilionnels vont conjurer et faire cesser la désagrésble convulsion:

J'ai Vloquet {le hoguet) Dieu m'iafait Vice Jésus J3 n'iaipus.,.

La naïve formulelte est efficace ou non ; mais elle n'en reste pas moins en pleine faveur parmi la population des meres, qui toutes y onl une aveu- gle confiance.

2. — Ensuileune expérience un peu moins benigne et à laquelle on a, dil-on, reconnu mainles fois une veritable influence.

Nous la délaillons : on prend de la main droite un verre aux trois quarls rempli d'eau. De la main


THORAX 275

gauche, on prend un couleau, dont on plonge la lame jusqu'au fond du verre, en tournant le coupant du cóté des lèvres : onle tient par lemanche, et l'on boit. C'est une posilion difficile, la téte se penchant forcément en arrière, aíin de tenir les lèvres aussi éloignées que possible du fil du couteau. Le resul- tat de cette posture serait de faire cesser le désa- gréable hoquet.

3. — Puis enfin, 11 y a le coup de la peur. Si l'on parvient à se glisser mystérieusement derrière la personne ennuyée de la secousse trop longtemps répétée, et que, par un cri subit ou un brusque contact sur l'épaule, on réussisse à l'effrayer, il a été souvent reconnu que cette frayeur ferait immé- diatement cesser l'indisposition.


ABDOMEN



Le Foie

X savant a remarqué que les écrivains orien- laux plaçaientlesiège des sentiments affeetifs plutüt dans le foie que dans le coeur, à l'exemple des poetes grecs, et il cite Anacréon, qui dit que Vamour tend son arc et me perce le foie.

Dans lelangagevulgaire, les Allemandsdisentaussi Tir^er ses paroles du foie (Von der Leberweg spre- clien), pour òxve parler as^ec sincèritéet sans dètour^ comme si cet organe était le siège de la franchise.

lis disent aussi, en parlant de quelqu'un qui a un accés de mauvaise humeur : qiiil lui a passè quelque chose par dessus le foiey ou que quelque chose lui est tomhé sur le foie [Es ist ihm etwas iiher die Leher gelaufen^ ou Es ist ihm etwas auf die Leher ge fallen).

Les Français, au lieu de Torgane sécrétoire, parlent souvent de la sécrétion : émouçoir la bile, èchauffer la hile^ décharger la hile^ sont syno- nimes d'exciter la colèrey décharger sa colère,

Une hile triste signifiait en latin : deuily tristesse


ABDOMEN 277

affliction, L'élégant Tibulle, poiir exprimer une époqiie calamiteuse, dit que les temps sontinondés d* un triste fiel,

Omnia jam írwíi tempora/eWe madent.

Lib. III. Eleg. IV.

Les anciens, dit Virey [DicL des sc\ méd,^ à l'article Passion)^ avaient. fondé une théorie, erro- née sans doute, sur le siège des diverses affections; mais qui prouve (ju'ils avaient observé leur iníluence sur plusieurs de nos viscères. Ainsi Ton a dit que les hommes splene ridenty felle irascunty jecore amanty pulmone jactantury corde sapiunt,

D'autres regardent les vapeurs ou l'hypocondrie nerveuse, et la sombre tristesse qui l'accompagne, comme emanant de la rate, etc.

Ces expressions materialistes, dont cliaque langue a les siennes, quoique différentes selon les nations, mériteraient plus d'attention qu'on ne leur en a donné, qu'on les emploie dans le style élevé ou dans le langage familier.




Les Hébreux localisaient l'amour dans le foie ; comme les ílébréux, les Arméniens rapportaient l'amour ala gfande hépatique. Un poète arménien

16


278 LES CURIOSITKS DES REGIONS

dit, en parlant d'un amant délaissé par sa maitresse, qu'il se retire le foie hrisè.

Les Persans plaçaient dans le foie le courage, et méme toutesnos facultés intellectuelles et morales.

Les Chinois le mettaient dans la vésicule du fiel. . Comme nous dirions un homme de cceur, les Chinois disaient un homme de bile. Les Chinois crovaient, du reste, qu'en mangeant le foie ou en buvant le fiel de leurs ennemis, leur courage et leur ardeur au combat en élaient accrus.

Pour Galien, il y avait au contraire un rapport inverse entre le courage et le volume du foie : il cite à ce propos le lièvre dont le foie est remarquable- ment développé.

Pour Platon, le foie est le siège des passions charneíles.

Si Horace veutnouspeindre la colère, c'estle foie et la bile qu'il met en jeu.

Senèquele Tragiquefait siéger dans lefoie la mi- séricorde et, dans un autre passage, lapeur.

Perse y voit le point de départ de toutes nos passions.




On a emplové le foie des animaux à divers usages thérapeutiques.

Cen'estpassansfondement, nousdit Celse, qu'on recommande contre Tasthme le foie du renard des- séché, réduit en pondre et administré en potion. Et


'V


ABDOMEN 279

il ajoute : les personnes qui distinguent passable- ment les objets dans le jour, mais qui ne peuvent rien voir pendant la nuit, doivent faire rótir un foie de bouc ou de chèvre, se faire des onciions sur les yeux avec le jus qui découle pendant la cuisson et manger ensuite le foie lui-méme.

Pline donne le méme conseil, relativement au foie de chèvre, en le motivant par ce fait que les chèvres, dit-il, voient aussi clair la nuit que le jour.

Lefoie deTànemangé à jeun, d'après Dioscoride, est convenable contre le mal caduc, et le méme auteur estime que le foie du chien enragé, mangé roti par ceux qui sont mordus, préserve de l'hydro- phobie.

Le fiel lui-mémé, en dépit ou peut-étre à cause de la répulsion qu'il inspirait, jouissait, aux yeux des anciens, de propriétés curatives : « Le fiel de riiyène et la présure du phoque, animaux d'ailleurs tres dangereüx, ont des propriétés éprouvées pour certaines maladies, » nousassure Plutarque, et le fiel, confirme Pline, est utile contre les affections des yeux, ad oculorum medicamenta utilius ha- hetur.

Les malades atteints d'ictère (jaunisse) en étaient guéris en regardant un loriot. D'après Plutarque, cet oiseau « attire ét reçoit en son corps la jaunisse qui sort et s'écoule par les yeux du malade. »

Divers objets à Tusage de l'homme ont, depuis


280 LES CUniOSITÉS des nÉGIONS

les temps les plus reculés, emprunté leur nom k cerlains organes du corps hum*àin, soit à cause de raclion médicamenleuse de ces substances, soit par suite de certaines analogies de forme ou de couleur. Ainsi clíez les Grecs, la plante hepatorium était ainsinommée à cause de sa ressemblance extérieure avec le foie; rAé/?rtízY<?, present précieux chez les Latins, devait son nom à sa couleur analogue à celle du foie.

De méme le foie de soufre^ le foie d*antimqiney etc, sont des medicaments se rapprochant par leur couleur de la glande hépatique.



ORQ ANÉS QÉNITO-URIN AIRES

Les Reins

.u XIV* siècle, le jugement des urines était con- sidéré comme une nécessité, ainsi que le prouve le document suivant: la ville de Collioure, qui dès le XIII® siècle avait un hópital, s'attacha, en 1372, un médecin públic, maítre Albert del Puig, avec le titre de phijsicietiy par un traité dans lequel ce médecin s'engageait à examiner les maladies par les moyens d'observation médicale en usage ; parmi eux était spécifié l'examen des urines. (1)

(1) « Jusqu'au xvii' siècle; l'examen^ dftSíUrtHeS'&p.jiwfe un role capital en méde©itíéi'Dakíi•le^tíà/bíéíi«iittí^i»emme hydropique qui est universellement pegfc^è-^c^ittftfl^^^l^ chef-a;ç^05ri\^i!Íft)6.»\lï^^>^Y., v]94^,^ió(^çie çftfttepM^Í^- atten-




282 LES CURIOSITES DES REGIONS

Le médecin aux urines était d'ailleurs un person- nage important et Le Boulanger de Chalussay, dans Elomire Hypocondre^ (scène III), a misfortau long ce repugnant Esculape en scène, et expliqué sa spé- cialité en détail... C'était une tradition du bas comique, mais fondée sur la réalité.

On connaíssaít le médecin des urines depuis longtemps, (1) et maitre Pathelin, contrefaisant le malade, dit au drapier, qu'il feint de prendre pour un médecin :

Et mon orine,

Vous dit-elle point que je meurre ?

(1) Stercus et urina medici sunt prandia prima.

Ex aliís paleas^ ex istis collige grana.

déclare Panurge au docteur Rondibilis. ^

— (( Vous ppenez mal, dist Rondibilis, le vers sub- séquent est tel :

Nobis sunt signa^ tobis sunt prandia digna

Les matières fécales et Turine sont les mets préférés du médecin ; des autres reeueille la paille et de ceux-ci lagraine. »

« Le premiep de ces deux vers est une allusion à un réglement de Henri II, dont voici le texte: « Sur les déclarations des personnes déoédées par la faute des médecins, il en serà informe et rendu justice comme de tout autre homicide, et seront les médecins mercenaires tenus de goúter les excrements de leups patients et de leur impartir toute autre sollicitude, autrement seront réputés avoip été cause de leup mort et décès » . ( Voy . Mercier, Tableau de Paris, vn, p. 227).

(( Le second vers que Panupge accole plaisamment au premiep est emprunté à un bpocapd de droit qui n'a aucun rappopt avec le sujet ». (Burgaud des Marets et Rathery).


LES REINS 283

Une superstition tres répandue préte à l'urine des vertus prophylactiques et médicales.

L'urine humaine, chez les Romains, préservait de la sorcellerie.

Les juges qui condamnèrent Sainte-Luce, la firent arroser d'urine afin qu'elle ne put s'échapper par un maléfice, ou se préserver des sortilèges en se lavant les mains dans l'urine.

Pouréviterle nouement de.l'aiguillette, le pre- mis urine trois fois au travers de l'anneau destiné à sa future en disant : In nomine patris^ etc.

Dans le comte de Mark, en Wesphalie, la nuit de Walpurgis, on lave le bétail avec de l'urine dans laquelle on a fait cuire de la matricaire.

Les excrements sont aussi un préservatif. Les amulettes antiques représentent assez souvent un enfant nu et accroupi, les deux mains sur les genoux, dans une attitude caractéristique.

En Ecosse, pour préserver les veaux, on leur intro- duit des la naissance, dans la bouche, un peu de bouse de vache.

A Amsterdam, le crottin de cheval ramassé devant la maison et placé derrière la porte éloigne tous les maux.

En Souabe, pour préserver du mauvais oeil, on peint le front des enfants avec des excrements. Chez les Slaves méridionaux, le jour de la Saint- Georges, on trace sur la porte des croix avec de la bouse de vache.


284 LES cuniosiTÉs des bégions

Avant l'Islamisme, les Arabes s'attachaient des ordures au cou conlre le mauvais oeil (1).

  1. *

Les Tschuktschs offrent leurs femmes aux voya- geurs; mais ceux-ci, pour s'en rendre dignes, doi- vent se soumettre à une épreuve, dégoúlante : la fille ou la femme qui doit passer la nuit avec son nouvel hóle, lui présente une iasse pleine d' urine ; il faul qu'il s'en rince la bouche. S'il a ce courage, il estregardé comme un amisincère ; sinon, il est traité comme un ennemi de la famille.

En Afrique, sur le cóte de liiogabou^ on observe la méme pratique. (2)

La vessie

Le premier qui ait pratique la taille hypogastri- que, que l'on nommait aulrefois la taille par. le

(1) D»- F. Regnault, in CorrespondanY^h^ÜL^klV^^^^

Bòüvard, sort premier medecin, lui inuigea en une seule année 215 medecines, 212 laveníètiteïtfri4f7Htttil-

Oblige de passer par leurs mams, ct ue rester long- -^ipyíttftíKt*, rlííVistt'Vltt mbvàl'de-sitisïiairéplli^ooiq-

iiririotrs a col et les biguiers ou vases a col avec les- '«ftieí«>ï>'p(KÍ\^it pT^ndré*ideiI*íirt)Wiï^PituJBsí saiu^i^tBafeïidÉ de sedéranger. .mí•.í•. rM» .•i;-iicvd nf


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LA VESSIE


haut appareil^ est un chirurgien du xvi® ^4^1f[(J:^ nom de Pierre Franco, né aux environs de )SÍ3jÇfOf)-[ Franco n'était pas, à vrai diré, un ch^çiiçg^€^,j^ c'était plutüt ce que l'on appelait un íncí^aiq\ ^/f. pierre, profession peu estimée, exercée par jj^s ejpjv piriques. Franco n'en a pas moins laissé un|jg^.fiçf^ nom dans les annales de la chirurgie. Gràce[.à^g9j\, procédé, on pouvait aller chercher dans la ves^^Jgg, càlculs trop volumineux pour etre extraits p^VvISs taille périnéale. [\ini\q



Un des clürurgiens qui ont pratiqué avec le p^i}/^ de succés la métliode du hant appareil fut S^tj^j^-T, berbielle, discipledufròre Cóme, qui garda jusqjj.'^^ sa mort une physionomie des plus originales de^ç^ siècle. Songez qu'il avait été l'ami de Marat et ^^ Robespierre, le juge de Marie-Antoinette, et qu'^l, vit successivement lomber l'Empire, deux rois çj. qu'il assista à Taurore de la seconde République^,


  • *


. Onlitdanslc Journal de Jean de Roye (1460- 1483), par Bernard de Mandrot, le passage suivant : « Audit moys de janvier IIIP LXXIII, advint que ung franc arclier de Meudon, pres Paris, estoit pri- sonnier es prisons de Chastellet, pour occasion de plusieurs larrecins qu'il avoit faicts en divers lieux et mesmement en l'église dudit Meudon; et pour lesdiz cas et estranglé au gibet de Paris nommé Montfaucon, dont il appellaenlacourt deParlement,


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1


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280 LES CURIOSITES DES REGIONS

oíi il fiit mené pour discuter de son appel. Par laquelle court et par son arrest fut ledit franc archer déclairé avoir mal appellé et bien jugié par le prévost de Paris, par devers lequel fut ren- voié pour éxécuter sa sentence. Et, ce mesme jour, fut remonstré au roy par les médecins et cliirur- giens de ladicte ville. que plusieurs et diverses per- sonnes estoient fort traveillez et moleslez de la pierrcy colique, passion et maladie du costé, dont pareillement avoit esté fort molesté ledit franc archer, et que aussi desdictes maladies estoit lors fort malade monseigneur du Boscliage, et qu'il seroit fort requis de veoir les lieux oulesdictes ma- ladies sont concrées dedens les corps humains, laquelle chose ne povoit mieulx estre sceue que inciser le corps d'un liomme vivant,ce qui povaitbien estre fait en la personne d'icellui franc archer, qui aussi bien estoit prest de souffrir mort. Laquelle ouverture et incision fut faicte au corps dudit franc archer, et dedens icellui quis et regardé le lieu des- dites maladies. Et, après qu'ilz orent esté veues, fut recousu et ses entrailles remises dedens, et fut, par l'ordonnance du roy, fait tres bien penser, et tellement que, dedens XV jours après, il fut bien guery et ot rémission de ses cas, et ot remission sans despens et si lui fut donné avecques ce argent » .

C'est vraisemblablement la première opération de la pierre qui ait été signalée.


LA VESSIE 287

L'histoire nous apprend qu'un grand nombre d'hommes cèlebres ont souffert de la gravelle et de la pierre. Parmi eux citons : Louis XIV, Cromwell, Bacon, Bossuet, Buffon, Chamfort, Colbert, Fran- klin, Montaigne, Napoléon P*", elc.

Les médecins, qui passent, du reste, pour n'ètre pas insensibles à la bonne chère, dépensent peu de force'physique, malgré leur vie active ; aussi fournis- sent-ils de nombreux exemples de gravelle et de pierre. Tels sont ceux de : Barthez, Hallé, Nysten, Lisfranc, Antoine Dubois, etc.




«Le Pape Innocent XI, écritDionis, (1) étantmort le 13 Aoút 1G89, fut ouvert. On lui trouva deux pierres, une dans chaque rein ; celle du rein gauche pesait dix onces, et celle du droit dix. J'ai trouvé ce fait si particulier, et le volume de ces càlculs si extraordinaire, eu égard à la capacité naturelle du lieu oii elles se rencontrent, que je les ai fait graver sur un dessein qui m'en fut envoyé de Rome, afin de vous en faire voir la grosseur et la figure. »


Le pape Innocent XI n'est pas le seul calculeux


(1) Cours et Operat ions de C/iírurgie,


588 LES CURIOSITÉs DES REGIONS

fflu^lr*é^ dotíi'l^istoire de la médecine ait relenu le

í^^Vè^^ fe Wnteíi du dix-septième siècle, on porta "sBlïíiíiiefiléttifehí 'ttn jour à Notre-Dame de Liesse, un càlcul enorme' qu'on suspendit, en façon d'ex- \>7kàj^ ókii'i^ rírié^ffliapelle, par un cordonde vermeil, sJur^f^iíéS'té^ dònàlaire avait fait graver l'inscription ^W^WtiPèUè^pién'e a été tirèe de Franc ois- 'Ah/libà*Í^'(fEè'p'éè^y^ duc et pair y premier maréchal dè'PïimGhppíirSà^^^rdce'de Dieu et Vintercession de la Sainte-Viergey'le 15 septembre Í65U.

Or, le maréchal d'Estrées, qui n'étaitautrequele frère de la belle Gabrielle. de galante mémoire, avait quatre-vingt-deux ans, lorsqu'on lui fit cette ïemMíéí^pé^àtiònv^iiü'il eut raison d'affronter avec «iWffag59^,»fpmíS(çrfiMàt plus de vingt ans de survie. OflL•iSK^íiïàpécfelabíB^Estrées íut pendant quelque temps^ dails .tóí»ptii8bgmnd danger. Un courlisan 4k)fll"4híyi<ïíétali í*rBtíípeu édifiante, mais qui joi- ^fcí»ír?)àfiJd0SíV)iisiieqiií)s»ífscandaleuses une dévotion outíéç^ iínViya'&xioirfjiQJses nouvelles, en ajoutant qfe'iíUliaiirrplífepIDreuvpoiir lui : « Qu'il s'en garde bien, répand^lleíi-tiàiréciíat, il gàterait toút. m




Quand Fagon eut annoncé à Bossuet qu'il avait lí^íte^;'l'ííWg &Í g*ail\ï'^;?Véque fut saisie dlior- reur. et il préféra la mort à l'opération ; Fagon la subit plus tar.dv'^vetó\^b'v>^rand courage. Boileau


/


LA VESSI£ 289

eut la pierre dans son adolescence. Newton, Mar- montel, d'Alembert en furent atteints dans leur vieillesse.

La découverte de la lithotritie est la plus admira- ble de la chirurgie, et nous ne craignons pas de la regarder, de méme que celle des anesthésiques, comme un des presents de la divinité.

Disons, à l'honneur de Malgaigne, qu'interprète du sentiment universel, il declara à la tribune que, s'il avait la pierre, il aurait recours à la lithotritie, c'est-à-dire qu'il aurait suivi Pexemple fourni à notre génération par Pun des plus grands lithoto- mistes de notre siècle, Antoine Dubois. II n'avait pas oublié que, peu d'années auparavant, soUicité par son ami Hallé de lui pratiquer la taille, Dubois engagea Béclard à le remplacer. Hallé mourut des suites de l'opération. Atteint lui-méme de la pierre, il s'adressa à Civiale qui le guérit et donna un ban- quet pour célébrer son rétablissement. Dubois y vint, conduit par Orfila, et c'est avec une joie sans jnélange que fut célébrée cette féte de famille.


» ♦


Duret de Cheverny, president des comptes, était

fils de Louis Duret, médecin. II mourut en 1637,

après avoirété taillé de la pierre. On fit pour lui cette

épitaphe :

Cy git qui fuyait le repòs, Qui íut nourri, dès la mamelle De tributs, tailles et impòts,

1?


200 LES CURIOSITÉS DES REGIONS

De subsides et de gabelle ; Qui mélait dans ses aliments Del'essence du sol pour livre. Passant, songe à te mieux nourrir, Car si la Taille le fit vivre, La taille aussi l'a fait mourir.


  • *


L'épigramme suivante, dont l'auteur est le cèlebre Saint- Just, est tirée de l'Almanach des Muses, année 1775, page 200 :

Certain Ministre avait la pierre, On résolut de le tauler. Chacun se permit de parler, Et l'on égaya la matière. Mais commeni, se demandait-on, A-t-ilpareille maladie ? C'est que soncoeur, dit Florimon, Serà tombé dans sa vessie.


Les organes gónitaux de la femme, d'après les Anciens .

Quelle idée se faisaient les Anciens des organes génitaux de la femme ? Se représentaient-ils leur forme, leur topographie el leiirs fonctions ? Comment comprenaient-ils la féeondalion ? Avaient- ils quelques notions d'embryogénie ? Aïllant de qües- tions peu frivoles, si l'on en juge par Touvrage compact qui a élé publié sur ce siijet (1) mal connu.

A une époque ou les dissections n'étaient point autorisées, il élait difficile d'exposer avec clarté ce qu'on pensaitdela fonction génératrice. On en élait réduit aux conjectures, et les narraleurs n'avaient pour guide que la fantaisie.

Poiir qui connait les origines de la médecine, il n'y a là qu'un phénomène d'ordre naturel. Dans les temps primitifs, la médecine est aux mains des


(1) Etude historique sur Ics organes génitaux de la femme, par lo D' G. TVillon. Tfièse de Paris, 1891.




292 LES CURIOSITES DES REGIONS

prélres, qui en gardent jalousement le monopole. Leurs moyens d'action sont aussi simples que puissants : ils ont les attributs de la divinité, ou plutót des divinités qu'ils représentent. Ces divini- tés ont chacune leur privilège : elles president au bonheur ou au malheur, à la joie ou à raffliclion, à la santé et au mal.

Le polythéisme a dominé le monde durant des siècles. On prévoit, des lors, que les invocations ou les prières constitueront toute la tliérapeutique de ces peuples encore bàrbares, dont on nous vante pourtant les connaissances scientifiques et la civi- lisation.

Les Egypliens, par exemple, qu'on croirait tres avancés en matière d'anatomie, à en juger par ces merveilleuses mòmies qui ont bravé depuis des siè- cles les injures du temps, avaient tout juste sur cette Science les connaissances de nos bouchers ac- tuels. Les embaumeurs étaient, certes, d'habiles praticiens, mais ils appartenaient à une classe fort ignorante.

C'était un sacrilège d'oser, méme dans un but de curiosité scientiüque, toucher à un cadavre. Les embaumeurs devaient nuilamment, et avec mille précautions, exercer leur profession, au risque de subir de cruelles représailles.

ChezlesEgyptiens, le cóté hiéralique dominait.

Ils ne manquaíent jamais d'invoquer les divinités avant d'administrer leurs drogues ; notamment « le


LES OllGANES GÉNITAUX DE LA FEMME 293

divin **emède, le fameux remède » de M. de Poiir- ceaugnac. A ce propos, on croit communément, sur la foi de Diodore de Sicile el surtoiit de Pline, que c'est à Tibis, la cigogne sacrée des Egyptiens, qu'on doit attribuer l'invenlion dii...lavemenl. Nous avons vu ce qu'il en faul penser.




Pline, qui prend son bien oii il le trouve, ne s'in- quiéiait pas aulrement de prouver ses asserlions. II n'est pas plus véridique quand il nous affirme « que lesrois d'Egypte avaient ordonné d'ouvrir les cada- vres pourétudier les maladies».

Pendant longtemps, on s'en est rapporté aux au- teurs grecs et latins pour connaítre la médecine des anciens Egyptiens. Les archéologues, en mettant au jour ces documents précieux qu'on appelle des papyrus, nous ont présenté tou te une sèrie de notes, prises par divers observateurs, qui avaient recueilli les traditions, et les avaient transmises de généra- tion en génération.

Le D' Peillon semble n'avoir eu sous les yeux que le papyrus Ebers, qui est, à la vérité le plus volumi- neux, le mieux conservé, et aussi le plus important.

Le papyrus Ebers contient tout un chapitre sur les maladies des femmes ; mais, à part quelques indications sur la durée de la possession, le savant archéologue ne nous cite pas autre chose. 11 y est bien encore traité des soins hygiéniques, de l'inté-


294 LES CURIOSITES DES REGIONS

rieur des habitaüons, de certaines affeclion , de la peau, mais tout cela en un langage confús, sans ordre et sans précision.

« Ce sont toujours des prières, des jongleries, des breuvages detoute espèce, des plantes sacrées, des sacrifices,'etc., qui constituent le tresor médi- cal » (1).

Les premiers médecins grecs, et en téte d'eux Galien, considéraient les traitements des Egyptiens comme « des farces ridícules. »

L'expression, pour si brutale qu'elle soit, nous parait largement justifiée.

On en pourrait diré autant de la médecine des Chinois qui passent encore, dans certains milieux, comme nos précurseurs en toutes matières.

Les esprits vivifiants jouent un grand róle dans la physiologie chinoise. Le sang fait cinq fois le tour de l'organisme dans les vingt-quatre heures, Le diagnòstic s'établit presque uniquement sur l'é- tat du pouls, qu'on doit examiner, pendant de loïl- gues heures, à trois endroits différents du bras.

La gynécologie est une branche de la médecine peu cultivée clíez eux.

La grossesse a une durée de dix mois : le second mois, l'enfant ressemble à un bouton de fleurs de

(1) IIandvogel, loc. cit.j 54,


LES ORGANES GENITAUX DE LA PEMME 295

pécher, le troisième mois à un cocon, le cinquième mois on reconnaít son sexe.

Le moyen est au moins original : si la mère a un goút prononcé pourles choses sures, si l'enfant change de position à gauche, c'est un màle.

Si elle aime les choses douces, si l'enfant inclina à droite, c'est une femelle.

Le 8® mois, l'enfant est pourvu d'une àme (cette question tant controversée reçoit ici une solution aussi absolue qu'imprévue).

Le D' Peillon rapporte dans sa thèse différents détails sur lastérilité, les aptitudes ala génération, la manière d'avoir des enfants, qui sont des plus suggestifs. II les a extraits du livre « Sur la com- modité des femmes », traduit en français par Stee- nackers, et il les a accompagnés de dessins et de planches tres réjouissantes. Les amateurs pourront

s'y référer.

Les Chaldéens croyaient fort à l'influence des as- tres, lis étaient plutót devins que thérapeutes. Leur médecine est analogue à la médecine des Persans, dont le D"" Peillon a oublié de nous entretenir.

Les livres sacres des Persans contiennent tout : les prescriptions hygiéniques et médicales alter- nent avec le preceptes religieux ou administratifs.

D'après la fable persane, Zoroastre aurait écrít son Zend-Avesta, qui est comme le Coran des peu- ples de la haute Asie, sous l'inspiration directe


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296 LES GUmOSITÉS DES REGIONS

d'Ormudz, ladivinité dubien. Mais k cóté d*Ormudz le génie du bien, lutle Ariman qui cherche à con- trarier son heureuse influence. C'est Ariman qui possède la boite à Pandore de tous les fléaux qui afili gent les humains.

Le D*" Handvogel (1) a rapporté quelques pres- criptions du Zend-Avesta, qui ont trait au sujet abordé par le D*" Peillon.

Les femmes, durant l'époque menstruelle, étaient regardées comme impures et devaient étre isolées.

Lorsque le flux sanguin se prolongeait au delàde neuf jours, on considérait cet état anormal comme Toeuvre du démon habitant le corps de la femme et qui devait en étre chassé à coups de verges.

La femme en couches était regardée comme im- pura pendant six semaines.

Le coït avec une femme grosse ou avec une nour- rice était considéré comme un gros péché.




Cette doctrine de Timpureté de la femme, nous allons la retrouver dans les livres bibliques.

Quand on lit dans la Bible les passages qui ont trait aux organes génitaux, on voit la préoccupa- tion des Hébreux de purifier par tous les moyens ce qu'ils considèrent comme pollué.

(1) Apercu historic^ue de l'orígine de la médccine.


LES ORGANBS GENITAUX DE LA FEMME 297

Dominés par cette idée, ils ne font qu'une allu- sion discrète à la fécondation. Ils croient à la dou- ble semence màle et femelle, le produit étant una íille quand la semence de la femme a été plug chaude que la semence de l'homme.

Dans la Genèse, ou première période biblique, c'est-à-dire cinq à six siècles environ avant Moïse, il est fait mention, en termes précis, de la circonci- sion, de la fièvre traumatique qui parfois l'accom- pagne et de son caractère spécifique. On y peut aussi constater pour la première fois que les Hé- . breux connaissaient parfaitement les èpoques de la formation de la femme, la conception, la durée de la grossesse et la cessation du flux menstruel.

Dans la Bible, il est, au reste, souvent question de médecine. Et l'on trouverait certes matière à un interessant ouvrage d'érudition si l'onvoulait pren- dre la peine d'extraire des livres sacres ce qui a traità notre art.

Les Hébreux, bien avant les Egyptiens, avaient, par exemple, connu l'embaumement. On sait que Joseph d'Arimathie s'était servi de ce moyen pour préserver de la putréfaction le corps de son père durant le transport au pays de Chanaan, oíi devait avoir lieu Tinhumation défínitive.

Dans la partie de l'Ecriture qu'on nomme le Lé- vitique, Moïse annonce aux femmes qui accouchent qu'elles seront souillées pendant une ou deux se-

17*


298 LES CURIOSITÉS DES REGIONS

maines, suivant qu'elles donneront lejour à un enfant màle ou un enfant femelle.

Comme on l'a justement fait remarquer, cette distinction entre l'enfantement de l'un ou de l'autre sexe pour la souillure qui en résulte repose, pro- bablement, sur une idée physioloçique erronée.

Heureusement le propliète est parfois mieux ins- piré. Moïse parait avoir eu, en dermatologie sur- tout, des idees fort avancées pour l'époque. Nous avons eu depuis des classifications plus savantes, mais la vérité nous oblige à reconnaitre que la symptomatologie de ces affections a fait peu de progrés. Moïse s'est, avant tout, préoccupé de dé- limiter nettement les maladies contagieuses et celles qui ne l'étaient pas ; les affections curables et celles rébelles à tout traitement. C'était se m'ontrer hygiéniste avisé.

II y aurait encore beaucoup à diré sur les doctri- nes médicales de la Bible. Peut-étre y reviendrons- nous un jour, avec de plus larges développements.

Malgaigne qui s'intéressait à tout ce qui, de pres ou de loin, touchait à Tliistoire de la medecina, avait fait le projet d'ébaucher cette étude. L'idée de Malgaigne ne pourrait-elle étre reprise ?

Toutes les notions médicales des Indous se trou- vent dans la collection des Védas, qui, d'après la croyance populaire, émanent de l'Étre supréme, de Brahma lui-mème. Nous n'avons à rapporter ici


LES ORGANES GENITAUX DE LA FBMME 299

que ce qu'ils disent des maladies des femmes et des enfants, ou, pour mieux diré, de la gynécologie et de l'obstétrique.

La fémme ne doit jamais se marier avant douze ans ; l'homme pas avant vingt-cinq.

Les enfants de parents trop je^nes n'arrivent pas vivants à terme, ou s'ils viennent au monde, ils ne sont pas viables.

La durée de la grossesse est incertaine : dix mois estle terme régulier.

La ligature du cordon, la délivrance sont indi* quées avec force détails.

Les cas de dystocie les plus freqüents sont la difformité de la téte foetale, laconformation vicieuse du foetus.

La version par les pieds et par la téte, qu'on croirait d'origine moderne, est recommandée comme une opération de choix dans des cas bien determinés. S'il falldit s'en rapporter exclusivemcnt aux indologues, le peuple indien nous aurait de- vancé aussi bien en matière de chimie ou de méde- cine générale qu'en chirurgie ou en obstétrique. La trépanation, l'embryotomie, l'opération césarienne auraient été, à les entendre, d'un usa ge courant chez ces peuples primitifs.

11 faut en rabattre : les Indiens n'ont pu cultiver l'anatomie, le respect des morts étant un obstacle absolu à l'ouverture des cadavres. Leur thérapeu- tique n'a pas d'autre formulaire qu'une coUection d'hymnes aux Dieux.


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300 LES CURIOSITES DES REGIONS

Les Védas, comme tous les livres sacres des èpoques primitives, ont subi, à travers les siècles, des modifications nombreuses. Leur rédaction n'est pas uniforme ; d'importantes interpolations en ont altéré le texte primitif.

Les auteurs grecs seront les premiers à traiter ces qüestions si àrdues de la génération et de Tem- bryogénie humaines, « avec une liberté toute laï- que ». Les révélations, d'essence divine, vont eníin faire place aux arguments d'ordre scientifique.

Sans doute, ce sont encore les phénomènes phy- siques les plus grossiers qu'ils invoqueront pour expliquer la formation de l'embryon et la détermi- nation des sexes. Les mots qu'ils emploieront seront le plus souvent des termes d'argot populaire, qui rentreront plus tard par droit de conquéte dans le langage anatomique : le vocabulaire d'Aristo- phane est, entre tous, riche en mots de basse extraction.


♦ »


Nous passons rapidement sur Pythagore et ses disciples pour arriver à la période hippocrati- que. Le grand nom d'Hippocrate (1) s'impose par sa

(1) HiPPOCRATE, dans son trailé De Dietd^ parait avoir insinué que les semencesd'aiiimauxsontremplies d'animalcules. Platon l'a énoncéd'une manière fornielle dans le Timée (p. 1088, trad. de Marcus Picenos).

Démocrite a parlé de certains vers qui prennent la forme humaine. Aristotea soutenu pareiUernent que les premiers hommes sont sortis de lerre sous la forme d'un ver, etc. Cf. Le Double, Rabelais anatomiste.


LES ORGANES GÉNITAUX DB LA FEMME 301

haute autorité, des le debut de cetle phase nouvelle Maiheureusement son existence est si légendaire, ses oeuvres ont une orígine si discutable, qu'on se prend à considérer, avec son illustre commentateur, comme apocryphes, la plupart des ouvrages qui lui sont généralement attribués. Les livres sur la géné- ration, surlanature delafemme et de Tenfant, sur les maladies des femmes, relèvent plutót de TEcole cnidienne que de l'Ecole de Cos.

En tout cas, à còté de théories physiologiques au moins bizarres, on trouve de la menstruation et des principales affections de l'ulérus, telles que la métrite, les ulcérations du col, les métrorrhagies, des descriptions cliniques qui témoignent d'un rare esprit d'observation. Inutile de chercher des notions anatòmiques. Pour les disciplesd'Hippocrate, comme plus tard pour Aristote, c'est encorelettre morte.

Aristote fait toutefois des découvertes et des remarques generales dont l'originalité a tout lieu de nous surprendre. On luidoitcertainementd'avoir poséles premièreslois de zoologie etd'anatomie com- parées et, àl'aide d'inductions hardies,d'avoir pres- senti la conformation extérieure des organes qu'il

décrit par le seul effort de sa féconde imagínation.

Avec l'école d'Alexandrie, et les successeurs des Alexandrins, tels qu'Asclépiade et Athénée, com- mence la phase scientííique de la question qui nous occupe.


302 LES CURIOSITÉS DES REGIONS

Mais à Galien, et surtout à Soranus, on doit de bonnes et sérieuses descriptions des organes géni- taux de la femme et des maladies qui les affectent. Galien, qui accepte en grande partie les idees hip- pocratiques, adumoins eule mérite de comprendre le róle du col de l'utérus dont il fait un sphincter.

Dans son Traité de médecine^ Celse ne cite que deux fois la matrice (1), etencore à l'occasion d'opé- rations chirurgicales pratiquées sur elle. II est pru- dent de démélerdans ses compilations ce qui revient à la légende, pour ne point s'exposer à commettre de graves erreurs.

Les Arabes ont publié peu d'ouvrages originaux, se contentant de reproduiré avec une fidélité, à coup súr louable, les notions anatòmiques des anciens.

Ce n'est qu'au xiii® siècle, commel'a faitremar- quer Chéreau, à cette cour si brillante du roí Frederic II, un mécréant qui ne redoutait pas de braver les foudres de la Sainte Eglise, qu'on auto-


(1) « La matrice, dit Platon, est un animal qui désire ardemmentengendrer des enfants ; lorsqu^il reste long- temps stérile après l'époque de la puberté, lla peineà le supporter ; il s'indigne, il parcourt tout le corps, obs- truant les issues de í'air, arrètant la respiration, jetant le corps dans des dangers extremes et occasionnant di- verses maladies, jusqu*à ce que ledésir et l'amour, réu- nissant l'iiommeet la femme, fassent naltre un fruit, et le cueillent com me sur un arbre, semantdans la matrice, comme dans un champ, des animaux invisibles par leur petitesse et encore informes. » Platon, Le Tiinèe, édi- tion V. Cousin, t. xn, p. 241.


LES ORGANES GENITAUX DE LA FEMME 303

risa les chirurgiens à disséquer des cadavres humains.

C'est Mundinus qui donna au col ulérin le nom de museau de goujon, qu'on a, depuis, changé en celui plus exact de museau de tanche (1).

Chéreau a fait justement remarquer que la splanchnologie de cet anatomiste du moyen-àge est pleine de renseignements qui indiquent une largeur de vues et une sagacité des plus remarquables

pour Tépoque.

Le D' Peillon, dans un aperçu rapide, nous donne de précieux détails sur la longue període qui

(1) La matrice a été considérée par Platon com me un animal ; par Guy de Chauliac, Mundinus, Mathieu de Gradibus, etc, com me un membre viril retourné et interne. « Elle est, dit Guy de Chauliac, comme la verge renversée ou mise au dedans, au quatorzième de l'usage des parties. Car elle a au-dessous des deux bras cellu- laires avec les testicules, comme la bourse des testicu- les. Elle a aussi un ventre commun au milieu comme les parties du pénil. Elle a son col en bras canulé comme la verge. Elle a aussi la vulve comme une ba- lance et la mitre. Elle a aussi le tentigo comme un pré- puce. Elle a aussi sa longueur comme la verge de buit ou neuf doigts. Et, bien qu elle n*ait que deux seins ou ca- vités manifestes suivant le nombre des mamelles, toute- fois elle a chacune d'icelles triplement cellulée, et une au milieu, de sorte que, selon Mundinus, on y trouve sept receptacles . Elle a colligence ou alíiance avec le cerveau, le coeur, le foie, l'estomac, et est attachée au dos. Entre elle et les mamelles sont continuées les vei- nes dulait et des menstrues.àraisonde quoi, dit Galien au chapitre vi, Hippocrate disait le lait estre frère des menstrues. » Guy de Chauliac, Gi^andc Chirurgie, p. 77, édit. Joubert, Houen, 1632.


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304 LES CURIOSITÉS DES REGIONS

s'étend de la Renaissance à la fin du xviii® siècle. Quelque intéressantes que nous aíent paru ses investígations, nous ne poursuívrons pas plus loin nolre roule.

Nous n'auríons garde toutefois de passer sous silence la Irès curieuse produclion de Léonard de Vinci (1) sur la généralion, que l'auteur précité a lenue de Tobligeant et tres erudit bibliothécaire des Beaux-Arts, M. Eug. Müntz.

Léonard de Vinci, inventeur précoce de toutesles idees et de toutes les curiosítés modernes, génie universel et raffiné, chercheur solitaire et inassouvi, a dit en termes excel•lents M. Taine, pousse ses divinations au-delà de son siècle, jusqu'à rejoindre parfois le nótre.

Ce grand homme ne s'est pas contenté d'étre un admirable artiste, mais il s'est encore livré avec passion à l'étude de la physiologie et de Tanatomie.

(1) «Ilexisteun dessin, extréniement curíeux, intitulé Do Coïtu^ dont Tauteur est un comtemporain de Rabe- lais, un grand peintre doublé d'un grand savant: j*ai nommé Léonard de Vinci. C*est la reproduction par le trait des anciennes doctrines concernant la génératíon dans l'espèce humaine. Chez Thomme, on voit des ca- naux qui charrient de la moelle et du cerveau aux tes- ticules le sperme nécessaire à la fécondation, et les ca- naux qui portent des poumons à la verge le souffle qui, d'après Galien, produisait l'érection. Chez la femme, on aperçoit une matríce assez bizarre, de laquelle naissent des conduïts qui vent se termineraux mamelles, en con- íormité de la théorie hippocratique, qui voulait que les regles se transformassent en lait, après la délivrance, pour servir à Tallaitement. » Le Double, op. cit.


LES OllGANES GÉNITAUX DE LA FEMMB 305

II a abordé cette étude en philosophe avide de pénélrer le mecanisme des fonctions les plus intimes, les rapports des organes les plus profonds.

II était bien placé pour étre exàctement renseigné. Fort bien en cour aupres du cèlebre duc de Milan, Ludovic le Maure, il était en relation avec tout ce que l'Europe comptaitd'illustrations.

II méditait de rédiger un traité d'anatomie, mais ses occupations múltiples l'obligèrent à se borner à quelques notes, qui ne reflètent pas seulement les idees de son époque, mais accusent, par endroits, sa puissanteoriginalité. Quelqueimparfaitesqu'elles soient, elles suffisent pour attester ses généreux projets.

Ses manuscrits sur la matrice des femelles en gestation, sur les connexions utérines de la mère et du foetus, les fonctions de la génération et le déve- loppement embryonnaire, ensontla preuve, et nous font regretter qu'il n'ait pas consacré plus de loisirs à la science que nous cultivons.

Nous avons, en tout cas, quelque fierté à l'en- róler sous notre bannière à còté de ces noms illustres : Le Dante, Rabelais, Cicéron et bien d'autres, à qui nous réservons une place d'honneur dans la galerie, en préparation, des Evadés de la Médecine,


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MBMBRES


La main

V/;a main, a écrit Balzac, est celui de nos organes i3^ qui traduit le plus immédíatement nos affec- tions sensuelles. La main est l'instrument essentiel du toucher.

« Or, le toucher est le sens qui remplacele moins imparfaitement tous les autres, par lesquels il n'est jamais suppléé. La main ayant seule exécuté tout ce que l'homme a cónçu jusqu'ici, elle est en quelque sorte Vaction méme. La somme entière de notre force(l) passe en elle, etil est à remarquer que les hommes à puissante intellígence ont presque tous eu de belles mains, dont la perfection est le carac- tòre distinctif d'une haute destinée.

« Jésus-Christ a fait tous ses miracles par Timpo- sition des mains. La main transsude la vie, et par- tout ou elle se pose, elle laisse des traces d'un pou- voir magique ; aussi est-elle de moitié dans tous les plaisirs de l'amour.

« Elle accuse au médecin tous les mystères de

(1) La main, pour les Arabes, est un embième de force. Abd-El-Kader, en 1839, avait institué, comme décoration militaire, une main d'argent qui se portait attachée au turban et qui présentait d'autant plus de doigts que le grade était élevé.


MEMBRES 307

nolre organisme. * EUe exhale, plus qu'une aulre partie du corps, les fluides nerveux ou la substance inconnue qu'íl faul appeler çolonté^ k défaut d'un autre terme. L'oeil peut peindre l'état de notre àme ; mais la main trahit tout à la fois les secrets du corps et ceux de la pensée. Nous aequérons la faculté d'imposer silence à nos yeux, à nos lèvres, à nos sourcils et au front ; mais la main ne dissimule pas, et rien dans nos traíts ne saurait se comparer pour la richesse de l'expression.

« Le froid etle chaud dont elle est passible ont de si imperceptibles nuances, qu 'elles échappent aux sens des gens irréfléchis. Mais unliomme sait les dis- tinguer, pour peu qu'il se soit adonné à l'anatomie des sentiments et des choses de la vie humaine*

A

Ainsi la main a mille manières d'étre sèche, humide, brúlante, glacée, douce, réche, onctueuse. Elle pal- pite, elle selubrifie, s'endurcit, s'amoUit. Eníin, elle offre un phénomène inexplicable qu'on est tenté de nommer Yincarnation de la pensée, Elle fait le désespoir du sculpteur et du peintre quand ils veulent exprimer le cliangeant dédale de ses mys- térieux linéaments. Elle sert de gage à tous nos sentiments. De tout temps les sorcières ont voulu lire nos destinées futures dans ses lignes, qui n'ont rien de fantastique, et qui correspondent aux principes deia vie et ducaractère. En accusant un liomme de manquer de tact, une femme le con- damne sans retour.


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308 LES CURIOSITÉS DES KÉGIONS

« On dit enfin : a La main de la justíce, la main de Dieu» ; puís a un coup de main », quandon veut exprimer une enlreprise hardie... »


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Les Juifs portaient la main à leurs organesgéni- taux, dans leurs serments solennels ; et alors le serment était réputé inviolable.

Lorsqu'on fait diré à Abraham, s'adressant à Eliézer; Mettez la main sur ma cuissey et promet- tez-moi que s^ous ne marierez point mon filsà une Ca/ia/íée/i/i^; lorsqu'on fait adresser par Jacob mou - rant, ce discours à Josepli : Touchez ma cuisse^ monfilsy etjurez-moiquevousne m* enter rerez point en Egypte^ on a inexactement traduït le texte hébra- ïque : ce n'est pas de la cuisse qu'il est ici question, disent les plus savants commentateurs ; et les Rab- bins croient qu'un tel attouchement était institué pour honorer la circoncision.

Cetusage s'est conservé dans ce pays jusqu'ànos jours. Les Arabes, suivantplusieurs voyageurs, soit pour saluer, soit pour engager leur promesse dans la forme la plus solennelle, portaient la main en cet endroit.

On en a un exemple relativement recent, dans une lettre de l'adjudant-général Julien à un membre de l'institut d'Egypte, publié dans la Correspon- dance de l'armée d'Egypte,


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MEMBKES 309

Un article des lois que IIoél-le-Bon fit au dixième siècle pour la province de Galles en Angleterre, porte que si une femme violée veut poursuivre en juslice celui qui lui a fait cet outrage, elle doit. en proférant le serment déclaratif du crime et du cri- minel, poser la main sur les reliques des saints, et de la gauche tenir le membre viril de Taceusé.

On ne saurait imaginer les roles bizarres que la médecinede jadis faisait jouer aux différents doigts. D'après Hippocrate, l'index étaiten sympathie avec le foie; le médius (surtout celui de la main gauche), avec la rate et l'annulaire avec le coeur.

La lèpre, qui provenait du foie, se montrait tout d'abord dans le premier doigt. La goutte, qui atta- quait tous les doigts, ne venait qu'en dernier lieu dans Tannulaire, qui avait une bien plus grande force de résistance. en raison de ses relations étroites avec le coeur. II faut avouer qu'une autre théorie, tout aussi sérieuse, donnait Tindex aux poumons, le médius au foie, le petit doigt à la rate et l'annulaire, comme toujours, au coeur.

Mais, au point de vue curatif, les doigts ont sur- tout servi contre le mauvaisoeil. Les Italiens portent souvent de petites mains de corail, dans lesquelles le premier et le quatrième doigt sont étendus, pen- dant que le pouce demeure cachó dans la paume de la main.


310 LES CUKtlOSITES DES REGIONS

Pline nous dit que Tannulaire (1) était appelé le médecin, tarpòç; un autre auteur latin le nomme le doigt riiédical. digitus medicinalis , On le désigne au Japon sous le nom de « metteur de rouge », benizashi^ parce que c'est lui que les dames japo- naises emploient plus volontiers pour cette partie de leurtoilette.




Les Transactions philosophiques et VHistoire de VAcadémie dessciences contiennent un grand nom- bre d'exemples de polydigités ; le plus curieux est celui que rapporte Maupertuis, lequelest relatif ala íamille de Jacob Ruhe, chirurgien de Berlin : samère et sa grand-mère avaient six doigts aux piedset aux


(1) Lc doigt mèdical des Ancians est Tannulaire. (( On s'est généralement accordé à porter les anneaux ppincipalement à la main gauche, et au doigt qui est à còté du petit et qu on àppelie « doigt mèdica I ». Ma- CROBE, Saturnales,YU, 33.

Guillaume Bouchet, dans ses Serées^ disait encore,au xvii® siècle : « Mais n'est-ce point aussi une sorceilerie (( que quand vous baillez une potion à vos malades, (( vous les meslez avec le doigt medicinal de la main « gauche. Ge doigt, le plus proche du petit, avait esté « honoré avec un anneau d'or, et, par ce, appelé digitus « annularis, à cause d'une artère qui vient du coeur, y (( ayant une telle afflnité par ces artères du cceur à ce « doigt, qu'il ne peut endurer aucun poison ».


MEMBRES 311

mains ; (1) il presenta lui-méme celie conformation, ainsi que trois de ses frères ; quatre autres en furent exempts. Marié, en 1733, àunefemme bien confor- mée, Sophie-Louise de Thingen, ilen eut six enfants, dont deux, du sexe masculin, naquirent sexdigi- taires [CEuçres compLy t. 11, LetL XVII).

Le proíesseur de philosophie Belfinger, l'un des plus savants liommes du xviii® siècle, présentait, ainsi que toute sa famille, de père en fils, douze doigts et douze orteils, ce qui lui valut le nom qui por- tait, dérivé de vielfínger (2).

Anne de Boleyn, une des femmes de Henri VIII, dont les manières étaient si séduisantes et si pleines

(1) Le D' J. Thiénot (d'Abbeviile), a publié sur ce sujet une intéressante note dans V Indèpendance Mèdi- cale (1900, n° 3). Selon lui, cette anomalia serait une anomalie de perfectionnement

Dans la tribu des Hyamites. au sud de TArabie, il existe depuis plusieurs siècles une famille tres nom- breuse, dont les membres ne s'allient qu'entre eux, et dont le grand honneur est que tous les enfants qui en naissent ont vingt-quatre doigts.

Une grande famille Saharienne est dans le mémecas. Les sexdigitaires sont d'ailleurs freqüents chez les Ara- bes.

Selon Thiénot, il y a un rapport entre l'existence d*un sixième doigt et Tadresse de la main. C'est, dit-il, dans des famílies oii les doigts sont exercés par des ouvrages tres delicats que survient Tanomalíe en ques- tion. L'anomalie sexdigitaire serait donc une anomalie par forme nouvelle de perfectionnement.

(2) D»" Foissac.


312 LES CUniOSITBS BES REGIONS

de charmes qu'il semblait que tous les agrémenls se fussent réunis en sa personne, avait six doigis à la main droite, une dent mal rangée à la màchoire supérieure, et au niveau du cou une petite tumeur qu'elle cachait avec le plus grand art.

La science qui consíste à deviner le caractère, sinon Tavenir par les lignes des doígts, se nomme digitomancie .

Enduits d'encre, appliqués sur une surface ronde, comme celle d'unballon d'enfant, ou préférablement une de ces petites balles en peau blanche que l'on trouve communément dans les bazars, les doigts laissent une empreinte filigranée, dont les petites lignes sont nombreuses, détaillées, fines, délicates, plus le sujet est supérieur.

II y a méme, paraít-il, dans la manière de saisir la balle une première révélation.

Les personnes cultivées saisissent l'objet fran- chement et appliquent sur la peau blanche de la balle la région centrale des pulpes qui forment Tex- trémité des doigts. Les trois doigts médians sont plus rapprochés les uns des autres que le pouce de l'index. Le pouce se met à égale dístance de l'index et du petit doigt.

Au contraire, les personnes d esprit vulgaire, les « mal doués », selon l'expression du docteur Féré, rapprochent les uns des autres les quatre derniers


MEMBRES


313


doigts; les pulpes du pouce, de l'index et de l'an- nulaire sont les seules qui laissent des empreinles de leur partie centrale. Le petit doigt n'appuie que par une partie insignifiante de sa région exlerne et quelquefois il manque de touche totalement.

Les doigts des pieds peuvent aussi donner des indications tres intéressantes ; mais peut-étre est-ce beaucoup demander à quelqu'un que de les trempar dans de Tencre, au milieu d'un cercle de personnes.




L'opinion ancienne que les dieux habitaicnt le bout des doigts peut parfaitement avoir donné nais- sance aux curieuses superstitions qui concernent les ongles.

D'après le Talmud babylonien, nn doit se couper les ongles le vendredi, en suivant pour les doigts un ordre determino, et les rognures doivent étre brúlées ou cachées soigneusement.

Les Juives d'Orient ont Thabitude de fourrer les rognures de leurs ongles dans les crevasses des murs.

Dans un livre sacre des Parsis, le Shayast La Shayast, il existeune prière qu'on doit diré sur ces rognures, sans quoi les démons s'en emparent et s'en font des armes.

Dans rinde, on ne doit pas se couper les ongles

18


314 LES CURIOSITES DES REGIONS

chez soi. II fauí que cetle opéralion se fasse au de- hors, par les soins d'un barbier et les rognures soni tabou,

D'après les vieilles croyances norvégiennes, il faut couper les ongles aux morts ; faute de le faire, ils iraient retrouver «le navire des ongles» , lenaglfar^ qui doit, quand il serà fini, amener la fin du monde.

Les Français d'autrefois juraient volontiers en frappant leurs ongles contre leurs dents. Ceux d'aujourd'hui font encore claquer l'ongle du pouce contre les dents en disant : « Pas ça ! » (1)

Chez les Annamites des classes élevées, un des signes les plus marquants de la distínction est la longueur des ongles.

C'est une preuve hautement prisée de lanoblesse d'origine d'avoir des ongles d'une taille tellement démesurée, qu'il rendent impossible toute occupa- tion manuelle. Un voyageur a relaté de visu qu'un grand mandarin de la cour de Hué porte à la main gauclie (2) des ongles d'une singulière longueur. L'un d'eux atteint jusqu'à soixanle-seize centimè- tres!

(1) Le Double, op, cit.

(2) Jean Jouvenet, fanicux peintre français, étant par Tofíet d'une attaque d'apoplexie, demeuré paralysé du cóté droit, s'habitua à se servir de la raain gauche. On a de lui plusieurs ouvrages très estimés qu'il a executés de eette mómc main, entre autres le tableau appelé Lc Magnificat^ qui se voyait autrefois dans le chcour de Notre-Dame de Paris.


MEMBRES 315

Nous disons à la main gauche, parce que la pos- session d'un pareil ornement aux deux mnias ren- drait l'existence absolument intolerable ; aussi la main droite, tout en portant des ongles longs seu- lement de quelques centimètres, reste relati vement libre pour les besoins de son propriétaire.

II n'en est pas de méme pour la main gauche, con- damnée à une immobilité absolue par suite des pré- cautions imposées à la conservation de ce joyau naturel. On peut diré que son entretien et sa pré- servation de tout accident est la principale préoc- cupation de celui qui jouit de cet ornement. Orne- ment est un mot... poli ; car en réalité rien n'est hideux comme ces griffes enormes, couleur de vieille corne, déformées, contournées en spirales disgrà- cieuses.

Pour protéger un tel objet, leur possesseur s'as- treint, durant la nuit, à dormir en tenant la main en l'air, et durant le jour à insérer ses doigts dans une gaine d'argent fabriquée par les plus habiles bijoutiers.





Les Cimbres en se mariant avaient coutume de se couper les ongles; le mari et la femme s'en envoyaient réciproquement les rognures.

Les ongles ont été un des champs les plus ferti- les de Voneirocritie judiciaire et plus particulière- ment de la chiromancie ; la couleur des ongles, les


316 LES CURIOSITBS DES REGIONS

taches qu'ils présenlent, ladirection deleurs sillons, leur épaisseur et leur consistance, tout a été mis à contribution et a donné líeu à des conjectures plus ou moíns ridícules.

On a voulu, dans leur examen approfondi, trou- ver les indices du caractère, des moeurs, des facultés intellectuelles de chaque individu. Ces piperies, comme disait Montaigne, présentées sous des dehors scientiíiques, dans un langage qui parait étre celui de la vérité avec la livrée de la philosophie, auraient acquis un certain degré d'importance; on peut s'en convaincre en lisantune dissertation assez curieuse, ayant pour titre: De naturali ex unguium inspectione praesagio com, mentaria ah Hippolyto Scaffilione medicin, docL ex Camilli Baldi Bonojiy philosophi sermonibus collecta. BononioBy 1629.

Les vieilles locutions ont toujoursraison.Témoin les innombrables proverbes qui concernent le pouce humain : lire au pouccy tourner lespouces, serrer les poucesy semordre lespouces^ mettreles poucesy se lécher les pouceSy étre malade du pouce ^ donner le coup depouccy et bien d*autres expressions, dont l'énumération seule remplirait plusieurs pagès.

Dans un ordre d*idées plus scientifique, M. R. Whitehead, du Medical Record^ nous fait Téloge du pouce comme element civilisateur. Sans


MEMBRES 317

le pouce, pas de civilisatíon, pas d'homme! Avec un pouce rudimentaire et imparfait d'anthropoïde, Phomme n*eút pu fabriquer ni armes offensives, ni armes defensives, ni lancer une ílèche, ni se livrer à aucune industrie : il fúb resté une sorte de singe mal offensif et pas défénsif, imperfectible.

Les sauvages d'Australie et d'Afrique, d'après ce que rapporte sir John Lubbock, sont penetrés de la conviction de cette puissance du pouce. lis en don- nentune preu ve matérielle, en ayant soin de couper le pouce à ceux de leurs ennemis dont ils peuvent s'emparer. C'estpour eux, d'après ce qu*ilspensent, le moyen de se mettre à l'abri, le plus efQcacement, des retours offensif s.


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LES


CURIOSITÉS


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DU


SYSTEME NERVEUX


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LES CURIOSITÉS

DU SYSTÈME NERVEÜX


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L•es Émotions morbides

LusiEURs maladíes infectieuses ont passéj pour avoir été produites de toutes pièces sous des influences morales.

Sennert croyait que la peur était capable de provoquer l'érysipèle. Hack Tuke admetlait Tin- fluence de la peur sur la contagion de la rage Plusieurs fois, du reste, on a constaté Téclosion de la rage à la suite d'une émotion psychique.

Bouley cite un cliien devenu rabíque après son immersíon dans Teau. Gamaléia cite un fait analogue chez un homme, et un autre chez une femme effrayée parunhomme ivre. C'était pouréviterFinfluence de la peur que Desgenettes cachait le nom et la nature de la peste. Ce qui explique cette aptitude de la contagion à la suite d'émotions violentes, c'est que la décharge nerveuse s'accompagne probablement d'altérations du saRg, de modifications du milieu intérieur que justifient les expressions populaires : es faire du mauvais sangy se tournerles sangs.

(1) Nous avons emprunté les elements de ec chapitre à l'excellent ouvrage du D^ Fér^, Pathologie des émo- tions, auquel nous renvoyons pour plus amples détails,


322 LES CURIOSITES DU SYSTÈME NEUVEUX

L'augmentation de travail mécanique du cceup peut entraínerla défaillance de cet organeetla syn- cope, ou méme la mort subite. Cet accident n'est pas fort rare dans la colère ; et on l'observe aussi à propos d emotions sthéniques moins violentes. (1) Plutarque nous apprend que Polycrate mourut de joie en recevant les témoignages de reconnaissance des Noxiens. Diagoras et Sophocle auraient suc- combé à la méme émotion. Léon X mourut aussi de joie en apprenant la prise de Milan ; et la nièce de Leibnitz, quand elle eut connaissance de son héritage. (2)

Les effets mortels de la joie ne paraissent pas


(1) On salt que le propriétaire de la malson de Cha- tou, ou le crime de Marín Fenayrou fut commis, est mort presque subitement en apprenant ce qui était arrivédans son immeuble. Ce sensible propriétaire avait une fortune d'environ trois millions, dont un tiers est revenu à M. l'amiral Mouchez, son petit-cousin par alli ance.

(2) II y a quelques années. l'administration des valeurs à lots de Panamà procédait à un de ces tirages freqüents oü les obligataires peuvent gagner de 150 à 500,000 francs.

Dans le públic, on remarquait un vieillard agité, an- goissé, inquiet . chaque tour de roue lui causait une émotion intense'.

Cet énervement durait depuis quelque temps déjà lorsqu'à un arrét de la roue, le vieillard, ayant cru sans doute que son numero était sorti, cria follement. Puis il tomba. Le pauvre hom me était mort d'une joie prématurée.

II était àgé de soixante-dix ans.C'est, après tout, une mort heureuse, puisque son numero n'était pas le bon. (Journaux du 17 décembre 1898).


LES KMOTIONS MÒRBIDES 323

méme étre le propre de l'homme : Homère nous a peint le chien d'Ulysse mourant de joie en revoyant son maitre.

Escoubas a cité un cas d'hémorrhagie utérine provoquée par la colère. Valentinien serait mort d'apoplexie et Attila d'un vomissement de sang dans un accés de colère.

Isocrate mourut de douleur en apprenant la perte de la bataille de Chéronée.

Fourcroy et Chaussier furent, dit-on, frappés d'apoplexie à la suite de chagrins violents.

L'amour malheureux a eu des suites aussi funes- tes. Parmi les exemples històriques, oncite Lucrèce, Pindare, le Tasse, etc.

Une émotion peut remettre en activité une mala- die (1) ou un délire jusque-là dissimulo, et elle peut lé faire naítre, lorsqu'il n'en existait encore aucune trace (2). Handfield Jones raconte le cas


(1) La peur fait quelquefois une telie révolution dans le corps qu'elle peut y produiré également de grands blens et de grands maux. Au siège qui fut mis en 1555 devant laviíle de Sienne, un boulet de cànon qui passa bien pres du marquis de Marignac lui donna tant d'effroi qu'il en perdit la goutte dont il était tourmenté. (UEsprit de Giuj Patin),

(2) Peut-on aggraver son mal en y pensant trop ? De tout temps, le populaire a eu la fer me croyance,

que de penser constamment à une partie du corps ou à

un organe, produisait de ce cóté un effet nefasta ou que,

s'il s'agissait d*un endroit ou d'un organe déjà malade,

1 en résultait une aggravation locale ; mals, au point


324 LES CtRIOSITÉS Dt' SYSTEME NERVEL'X

d'un marin qui fut pris de deliriíim trentens à propos du meurtre de deux de ses camarades par des Japo- nais. Morel cite un cas de delirium tremens passa- ger à la suite d'une querelle de ménage. Griesinger

de vue médical ou physiologique, les preuves de cette croyance populaire ont été jusqu'à present rares et dis- cutables.

Le professeur Carpentier a été, d'après notre conf rere anglais The Lancct qui asoulevé cette question derniè- rement, le premier à faire remarquer et à démontrer expérimentalement que la concentration de lapensée, localisée chez le méme sujet sur une partie du corps, pouvait y produiré une hyperémie loeale, accompagnée de démangeaisons et d'élaneements, sans arriver à une in flam mat i on.

Si on admet cela comme possible, etil n*y a pas de raisons qui s'y opposent, on peut logiquement en deduiré que ce léger desordre initial pourra amener plus tard des changements morbides ou y prédisposer. Mais les cas produits ou qui pourraient étre elucidés au moyen de la théorie exposée ci-dessus, sont, il faut l'avouer, tres peu nombreux.

D'après The Lancet^ ^I, W. H. Bermett a cité, dans une conférence clinique tènue à Saint-George's Hospital, deux cas tres probables, et suggestifs s'ils ne sont pas concluants.

II s'agit dans chacun de ces cas d'une tumeur, dont le volume augmenta d'une manière rapide, à la suite d'une préoccupation constante de l'esprit du malade sur son mal et d'une attention perpétuelle à la partie malade.

D'autre part, en a quelques exemples que des méde- cins ou des chirurgiens, s'étant adonnés d'une manière toute spéciale à l'étude et au traí tement de tel ou tel organe ou de telle ou telle affection, aient subi un com- mencement de la maladie vers laquelle s'étaient por- tées leurs études.

Ces exemples sont en assez petit nombre pour ne pas dépasser les moyennes ordinaires de la probabilité. (La Naturé)»


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MÉMÜREd 325

dit aussi qu'un seul accés peut déterminer la folie, surtout sous rinfluence de l'alcool. Bennett cite un jeune homme qui avait fui la maison paternelle pour aller faire la féte à Londres et qui, avant reçu de son père une sévère réprimande, fut pris le soir ménie de delirium tremens.

Aliberta rapporlé l'exemple dun domestique qui, en 1793, ayant vu son maítre conduit à Técliafaud, fut soudainement frappé d'une éruption furfuracée qu'il conserva plusieurs années. Suivant ce méde- cin, les dartres de toutes espèces sont souvent occasionnées par une vive frayeur ou de grands revers de fortune.

Coílius Aurelianus rapporte que le grammairien Artemidore fut saisi d'un tel effroi en voyant un crocodile, qu'il en perdit sans retour la mémoire.

Suivant Tissot, Pinel, Esquirol, Georget, les violentes commotions morales, la colère, le cha- grin, en un mot toutes les passions fortes sont les causes ordinaires de l'épilepsie, mais la frayeur est sans contredit celle qui exerce l'influence la plus fàclieuse sur la produclion de cette cruelle maladie.



La commotion morale peut, lorsqu'elle est trèò

19


320 LES CURlOfilTÉs DU SYSTEM E NERVEUX

violento, arréter complètement lejeii des fonclions ani males. (1)

Diagoras, de Rliodes, tomba mort entre les bras de ses fils, qu'il venait de voir couronner aux jeux olympiques.




Par contre, la joie peut produiré Teffet inverse et devenir curatrice de maladies qui avaient résisté aux plus enèrgiques médications.

Onraconte que Claude de Peiresc, ce savant que Bayle appelait le « procureur general de la littéra- ture », éprouva tant de plaisir en recevant une let- • tre du president deTliou, qu'il fut subitement guéri d'une paralysie qui affectait surtout la langue, organe dont il recouvra si bien Tusage qu'il put chanter un hymme renfermé dans la lettre.

Le professeur Coringius fut guéri d'une fièvre tierce par le plaisir de causer avec le cèlebre anato- miste Meibomius.


(1) «Nous ne concevons pas facilement que la peur, le chagrin, et autres passions de ce genre, vident lessécré- tions, et augmentent la transpiration. Les Annales Médicales rapportent le cas d'une jeune fille dont les sécrétions axillaires devinrent teliement fètides, par suite de Thorreur qu'elle avait éprouvée en voyant assassiner aux Indes des parents à elle, qu'elle ne pou- vait aller dans le monde. » Les còtés obscurs de la nature, parMrs Crowe, p. 494.


LES EMOTIOXS MOKBIDES 32y

Alexandre de Palerme guérit Alphonse le Sage d'une íièvre de langueur en liii lisant Quinle-Curce. La lecture de Tite-Live prodiiisit le méme effet sur Ferdinand le Catliolique.

Ambroise Pare, Ruysch, Mackensie regardent la joie commele meilleur remède de tonies les aíTec- tions chroniques.

On ena souvent constato lesheureuxeffets dansla jaunisse, la paralysie et surtout dans les maladies de langueur.

Van Swieten raconte qu'un goutteux condamné k mort guérit en apprenant qu'il était gracié.

II serait superflu de rappeler les funestes effets de la colère ; on en trouve des exemples à chaque page de l'histoire. Nous ajouterons toutefois que cette passion est la cause d'un grand nombre de maladies; qu'elle produit les tro ubles les plus désor- donnés et quelquefois méme une mort subite.

Fallope a rapporté l'exemple d'une femme qui était prise d'un érysipèle au nez chaque fois qu'elle se mettait en colère.

Le docteur Magnus IIuss [de Slockholm) a publié, vers 18G3, l'observation d'une jeune fille de 19 ans, Marie K..., atteinte d'une sueur de sang et de convulsions épileptiques, que rappelait tout mouvement de colère, et mème une altercation un peu vive.

Un jeune savant, indigne de voir sa découverte contestée par un liomme puissant, dont le devoir




328 LES CURIOSITÉS DU SYSTEME XERVEUX

eut été de Tencouragor, fiit pris subitement d'un ictère general.

Bricheteau a cité plusieurs exemples de la méme maladie, occasionnée par les impressions morales. Le fait suivant, du à ce judicieux observateur, eut des conséquences plus funestes encore : un jeune officier reçoit publiquement un soufïlet ; il veut sur le champ venger son injure, mais on le retient ; il devient à l'instant ictérique ; pris bientót après d'une íièvre violente avec délire, il meurt dans les con- vulsions.

Un accés de colère a souvent produit des syn- copes, des apoplexies et des hémorrhagies mor- telles. L'un des plus cèlebres chirurgiens des temps modernes, John Hunter, était sujet à la goutte et à des accés d'angine de poitrine, accompagnés d'hal- lucinations fort extraordinaires. Ces accidents sur- venaient sous l'influence des affections pénibles de l'àme, tandis que le travail intellectuel, des conver- sations intéressantes et des passions douces lui procuraient toujours du soulagement. Eníin, le 16 octobre 1793, à la suite d'unmouvement de colère qu'il voulut réprimer, ce grand chirurgien poussa un profond soupir et tomba mort.

On lit, dans la chronique d'Eusèbe, que Portius Latro se tua du chagrin que lui causait une fièvre quarte rebellc à tous les remèdes.

Quelques malades, quelques vieillards ont méme regardé la mort comme une libératrice. La mare-


LES ÉMOTIONS MORBIDES 329

cliale de Mirepoix termina ses jours en 1791, à Bruxelles, dans un àge avancé. Le prince de Ligne rapporte, dans ses leltres, que, le jour méme de sa mort, le médécin lui annonca une amélioration : (í Fàclieuse nouvelle, dit la maréchale, ayant fait mes paquets, j'aimerais mieux partir. »

Le cèlebre grammairien Urbain Domergue était retenu au lit par un abcès à la gorge qui menaçait de le suffoquer. Son médecin s'approche et lui dit : Si vous ne prenez ce que je vous ordonne, je vous observe que... — Et moi je te fais observer, s'écrie le moribond, transporté d'une scientiíique colère, que c'est bien assez de m'empoisonner par tes remèdes, sans qu'à mon dernier moment tu viennes m'assassiner par tes solécismes. Va-t-en ! A ces mots prononcés avec impétuosité, l'abcès crève, la gorge se débarrasse, et gràce au solécisme, l'iras- cible grammairieíi fut rendu à la vie.

  • *

Le Duc d'Elbeuf était si violent dans sa colère, qu'un jour il voulut jeter par la fenétre sa femme qui était grosse. Elle fut saisie d'un tremblement si fort que le fils dont elle accoucha eut toujours un tremblement qui le rendit incapable de tout ; il avait d'ailleurs beaucoup d'esprit, de politesse et de


«'■*".


330 LES CUHIÜSITÉS DU SYSTEME NERVEUX

savoir. On le fit clievalier de Malte : il passa toute sa vie au Mans ou il mourut. On le surnomma le Tremhleur.

Percy rapporte que, ayant assisté à une opération de lataille, qui fut tres longue àcause d'unehémor- rhagie difficileà arréter, le calculeux, quiétaitsexa- génaire, invité plusíeurs fois par le cliirurgien à laisser échapper ses cris, répondit toujours avec sang-froid que cela n'en valait pas la peine.

D'Alembert, au contraire, préféra mourir plutòt que de se laisser tailler ; et Fagon ayant annoncé à Bossuet qu'il avait la pierre, la crainte seule de Vopèration le troubla cruellement et precipita sa mort.

  1. #

Atteint d'une fluxion de poitrine, lord Byron, ayant refuséd'abordde voirunmédecin, puisensuite de suivre les consells de celui qui avait été appelé, paya de sa vie sa mallieureuse obstination.

Celle-ci ne fut pas moins fatale à Descartes, qui, atteint d'une fièvre dévorante excitée par les rigueurs du climat de Stockholm, y succomba à l'àge de 54 ans ; il avait voulu la traiter lui-méme par l'eau- de-vie, prétendant déjà, deux siècles presque avant Hahnemann, que les semblables guèrissent par les semblables.


/ .


LES PASSIONS-REMÈDES 331


Les Passions-Remòdes

Ouvrez au Imsard les traités de thérapeutique modernes, nous vous inettons au déíi d'y trou- ver les remèdes curatifs que nous allons signaler. Et cependant le père de la Médecine, Ilippocrate en personne, n'a pas négligé d'indiquer, dans ses écrits, le grand parti qu'on pouvait tirer des pas- sions affeclives pour le traitement des maladies.

Les passions seraient donc des remèdes ? Nous venons d'invoquer à ce propos l'autorité d'Hippo- crate. Mais Galien, et après lui Ambroise Pare, Sanctorius, Tissot, ont cité une foule de cures ob- tenues par l'effet de la joie nolamment, dans les fièvres intermiltentos, le scorbut, la jaunisse, la scrofulose, la paralysie.

Le rire, qui est une expression de la joie, ne pro- duit pas seulement une aecélération marquée de la circulation, mais il imprime à certains musclos une secousse qui produit los plus lieureux resultats. C'est ainsi (pie Peclilin rapporte (ju'un jeune liomme, grièvemenl blessé à la poitrine, était aban- donné des médecins, qui avaient jugé son état comme désespéré. Ses camarades, qui le veillaient, curont l'idée de noircir avec de « la mouclmre de


332 LES CURIOSITÉS DU système nehveux

cliandelle » le plus jeune d'entre eux qui s'élait endormi au pied du lit. Le mourant, avant ouvert les yeux, fut si frappé de ce grotesque spectacle qu'il se mit à rire aux éclats — ce qui provoqua un épanchement sanguin abondant, lequel provoqua sa guérison.

Plus d'une fois le rire a déterminé la délivrance de femmes en couches, dont la résistance était épuisée.

Plusieurs vomií[ues ou abcès dans le poumon ont été ouverts dans les bronches et heureusement ex- pulsés par les effets du rire. Ce fut en lisant les Lettres des hommes obscurs^ qu'Erasme rejeta la vomique qui le suffoquait et qu'il écliappa ainsi à une mort certaine.

La curiosité a servi aussi bien des fois d'aiguil- lon à des malades atteints d'affections du système nerveux. Andry rapporte, dans son Orthopédie^ qu'en 1682, six paralytiques de l'Hópital general de Paris se levèrent et marchèrent, au grand étonne- ment de tous, curieux qu'ils étaient de voir l'am- bassadeur du Maroc venu pour les visiter.

La colère a été recommandée par Hippocrate et depuis par Bacon, dans le traitement des maladies chroniques, caraclérisées par une alonie générale. Des praticiens. tres dignes de foi, ont attesté que la fièvre intermittente, l'hydropisie, le rhumatisme, la goutle, la surdité et mèmele mutisme de naissance, avaient quelquefois complètement disparu après un


LES PASSIONS-REMÈDES 333

accés de colère. Pechlin a cité robservalion d'une chute de l'utérus, guérie par lapeur, qu'avait cau- sée à la malade la vue d'un incendie. Le méme mé- decin a rapporté le cas d'un de ses amis, affecté d'une fièvre tierce, qui, assailli en mer par une tempéte violente, en conçut une telle frayeur que ses accés ne revinrent plus.

Lieutaud a observé nombre de cas d'épilepsie guéris par la peur. Ce moyen n'élait pas inconnude Boerhaave, qui le mit à profit dans les circonstances suivanles : un jour, dans un hópital de Haarlem, il s'était déclaré dans les salles une maladie convul- sive dont presque tous les sujets étaient affectés. Boer- haave fit mettre au milieu des salles un brasier, oíi l'on entretenait continuellement un fer rouge, des- tino à brúlerjusqu'à l'os lepremier qui tomberait dans une attaque nerveuse. A la suite de cette me- nace, tout rentra dans l'ordre.

A la Révolution de juillet 1830, une foule d'indis- positions chroniques, des névralgies surtout et des névroses, disparurent comme par enchantement, surtout clíez les femmes, préoccupòes qu'elles étaient de l'issue du combat.

Enfin le nom seul de la passion dominante peut suffire à réveiller en nous le sentiment et les forces. Morand a cité, dans ses Opnscules, l'exemple d'un joueur qui ne sortit de sa torpeur que quand on lui eut crié aux oreilles : Quinte, qnatorze et le point !

FIN.


TABLE DES MATIERES


Avant-propos v-vii

LES CURIOSITÉS DE LA MÉDECINE

L'ANTIQUITÉ de la MÉDECINE ^ . . . 1-33

La noblesse de la médecine 7

L'emblèmc de la médecine 10

L'instinct médical des animaux 12

Comnient on dement médecin 19

Comment la fortune ment aux nièaecins. . . 25

Ròles singulievs jouès par des mèdecins, ... 26

Responsahilité mèdicale 28

L'aNTIQUITÉ de la CHIRURGIE 34-60

La Chirurgie ches les animaux 35

Chirurgiens de robe longue et chirurgiens

de robe courte 40

Les enseignes des chirurgiens d'autrefois . . 42

Les premiers bandages 44

Les premiares autòpsies 47

Les autòpsies vicants 54

Les premiers secouristes 56

Les premiers hòpitaux 59

L'aNTIQUITÉ DE L*OBSTÉTRlQUE 61-92

Les premiares sages-femmes 61

Les accoucheurs de la Cour 69

Une enseigne d'accoucheur 74

De quand date le fòrceps ? 75


336 TABLE DES MATIÈHES

L'origine de l'opéraéion cèsariennò 76

Un tentre pensionné 78

Superstitions relatives à Vohstètrique : la

Coutade 79

L'aNTIQUITÉ de la PHARMACIE 93-102

Les prciniers pharniaciens 93

Les apothicaires-barbiers 95

Le ser ment des apothicaircs 96

Enseignes des apothicaires 99

Apothicaires et honimes illiistres 100

LES .CURIOSITÉS DES REGIONS 103-317

Menton 105

Boiiche 106

Langue 106

Dents 111

Salite 116

Les perversions du goút, — I. Lesmangeursdeterre. 126

II. Les anthophages 132

III. Antipathies bizarres et dépravations singu- lières 133

IV. Les Polyphages 142

Nez, — Ses relations avec l'appareil sexuel., 148

Le nez dans la littérature 171

Le nez des hommes celebres 179

Le nez chez les différents peuples 182

Le nez considérécomme remède. 188

Le nez dans les ma/ladies 188

Le nez et ses états reflexes 192

Les vices de eonformation du nez 195

La rhinoplastie. — Ses origines 197

Anècdotes sur le nez 200

Proverbes tirés de la fornie du nez 203

CEiL — Aveugles, myopes et borgnes cèlebres. 204


TABLE OES MATIÈRES 337

Le sens de Touie chez les aveugles 208

La prothèse oculaire 208

Fabrique de cils et de sourcils 210

Soupcils 212

L'origine des lunettes 21 3

Les larmes 213

Proverbes sur les yeux 215

Oreille 216

Checcux 220

Cou . — La voix et Ics par/ums 239

PoiTRiNE . — Les seins 251

Le coeur 257

UEstoniac 272

Abdomen . — Le Foie 276

Organes GÉNiTo-URiNAiRES. — Les reÍTís 281

La Vessie 284

Les organes gènítaux de la femme, d'après

les Anciens 291

Membres. — La main 306

LES CURIOSITÉS DU SYSTÈME NER-

VEUX. — Les èmotions morhides 321

Les passions-remèdes 331


BUZANÇAIS. — IMP. F. DEVERDUN



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