Les Sept Discours Touchant Les Dames Galantes Du Sieur de Brantome  

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Les Sept Discours Touchant Les Dames Galantes Du Sieur de Brantome is the title of a 1882 edition of Brantome's memoirs Les vies des dames galantes published by BnF curator Henri Bouchot, with drawings by Edouard de Beaumont, engraved by Émile Boilvin.

The imprint was Librairie des bibliophiles (Paris).

Full text of volume 1[1]

LES SEPT DISCOURS

TOUCHANT LES

DAMES GALANTES

DU SIEUR DE BRANTOME

PUBLIÉS

Sur les manuscrits de la Bibliothèque nationale PAR HENRI BOUCHOT

Dessins d'Edouard de Beàumont

GRAVÉS PAR E. BOILVIN



PARIS

LIBRAIRIE DES BIBLIOPHILES

Rue Saint-Honoré , 3 38

M DCCC LXXXIl


NOTE DE L'ÉDITEUR



Il n'y a jamais eu, dans l'intention de Bran- Uôme, de livre qui dut s'appeler les Dames liantes. Il a simplement écrit, sous le titre de \Recueil des Dames, un ouvrage en deux livres, [dont le premier contient des anecdotes pure- ment historiques, et le second des histoires galantes. A voir le ton terne et monotone du premier et l'allure vive et gaillarde du second, on serait tenté de douter que tous les deux aient germé dans le même cerveau et soient sortis de la même plume.

C'est que dans l'un Brantôme était tenu à la réserve que doit garder un historien officiel qui désigne ses person- nages, tandis que dans l'autre, où il recueille tous les cancans de l'époque sans se préoccuper de leur exactitude, et aussi sans nommer les héros des aventures qu'il raconte, il a donné libre carrière à son humeur satirique, et c'est là qu'il a été véritablement lui-même.

Il y a lieu de supposer qu'il se proposait d'épurer un jour ce second livre, tant au point de vue des gaillardises que des calomnies qu'il pouvait contenir en assez grand nombre, et de le refondre avec le premier pour faire du tout une histoire des « belles et honnestes dames » qui aurait été en même temps le miroir de leurs vertus et de leurs faiblesses.


II NOTE DE L EDITEUR

C'est le second , livre des Dames que nous publions au- jourd'hui, et nous lui avons conservé le titre de Dames ga- lantes qui lui a été donné dès la première édition qu'on en a imprimée ( Leyde , 1666), et sous lequel il n'a cessé d'être désigné par la suite.

En le faisant entrer dans notre Petite Bibliothèque artis- tique des contes et romans, où sa place était certainement marquée à côté de VHeptaméron, du Décaméron et des Cent Nouvelles Nouvelles, nous avons accédé à un désir manifesté depuis longtemps par bon nombre d'amateurs qui avaient hâte de voir cette collection s'enrichir du chef-d'œuvre de Brantôme.

Nous avons confié cette édition aux soins de M. Henri Bouchot, de la Bibliothèque nationale, que sa connaissance du XVI e siècle, et surtout des œuvres de Brantôme, dési- gnait spécialement pour un travail de ce genre, et nous pouvons dire qu'il l'a accompli de façon à satisfaire tous les érudits. Le texte a été revisé par lui avec la plus minu- tieuse attention; en quelques traits qui dénotent une vérita- ble connaissance de son auteur, il a, dans sa préface, très vivement esquissé la curieuse physionomie de Brantôme, et dans ses notes, qui contiennent de piquantes révélations, il a, autant que possible, levé les masques sous lesquels le chroniqueur de la cour des Valois avait cru devoir cacher ses personnages. Le travail de cette édition réclamait comme complément nécessaire un index, où M. Bouchot a fait en- trer non seulement les noms, assez rares, qui se rencontrent dans le texte de l'ouvrage mais aussi ceux qu'il a intro- duits dans ses notes.

Quant à un glossaire, il nous a paru inutile d'en sur- charger notre édition, la limpidité du style de Brantôme le rendant facilement intelligible pour tout le monde.

Nous avons fait notre publication en trois volumes, et nous devons prévenir le lecteur qu'il ne trouvera pas ici les sept discours des Dames galantes dans l'ordre où les ont placés la plupart des éditions précédentes. Nous avons fidè- lement suivi les manuscrits, qui donnent à ces discours le classement suivant :


NOTE DE L EDITEUR III

Premier Discours. — Sur les dames qui font l'amour, et leurs maris cocus.

Deuxième Discours. — Sur le sujet qui contente plus en amours, ou le toucher, ou la veue, ou la parole.

Troisième Discours. — Sur la beauté de la belle jambe et la vertu qu'elle a.

Quatrième Discours (alias cinquième). — Sur l'amour des dames vieilles, et comme aucunes l'ayment autant que les jeunes.

Cinquième Discours (alias septième). — Sur ce que les belles et honnestes dames ayment les vaillans hommes, et les braves hommes ayment les dames courageuses.

Sixième Discours. — Sur ce qu'il ne faut jamais mal parler des dames, et la conséquence qui en vient.

Septième Discours (alias quatrième). — Sur les femmes mariées, les vefves et les filles, à sçavoir, desquelles les unes sont plus chaudes à l'amour que les autres.

Le choix et l'exécution des sujets à faire graver pour les Dames galantes étaient chose assez délicate : il fallait, sans se rejeter dans la raideur et sans verser dans la grivoiserie, conserver l'allure gauloise qui est la note dominante de l'œuvre de Brantôme. Nous avons eu la bonne fortune de pouvoir confier cette tâche épineuse à M. Edouard de Beau- mont, le savant et aimable peintre des élégances féminines, qui, dans ses compositions, sait si bien allier la grâce à l'é- rudition. L'artiste écrivain qui vient de publier récemment avec tant de succès, sous le titre de l'Epée et les Femmes, un des ouvrages les plus originaux et les plus curieux de ces derniers temps, ne pouvait manquer de peindre à merveille une époque où les femmes et l'épée jouaient un si grand rôle.

Nous avons eu aussi ce rare bonheur, que les dessins de M.deBeaumont ont été gravés avec autant d'exactitude que


IV


NOTE DE L EDITEUR


de finesse par M. Boilvin, dont la pointe bien connue n'en est plus, d'ailleurs, à faire ses preuves de souplesse et d'ha- bileté.

Aussi espérons-nous, grâce au concours des différents ta- lents dont nous avons pu appuyer nos efforts personnels, avoir fait encore une fois une édition qui satisfera les ama- teurs et nous vaudra la continuation de la sympathie qu'ils nous ont montrée jusqu'à ce jour.


D. J.




PREFACE



ans vouloir prendre à la lettre la haine )des pamphlets , les cruelles piqûres des satires, on peut bien dire de la cour des t Valois qu'elle inventa Brantôme. Il fallait à cette royauté plus italienne que française, à cette société gaie, lettrée, spirituelle en même temps que fanatique et terrible, un autre historien que le sérieux L'Estoile, ou que d'Aubigné à la plume acérée comme une dague. Et pour peindre ces mœurs, tour à tour frivoles et tragiques, les adultères dorés des princes et des rois ou les massacres d'antichambre, il n'y avait plus que le témoin journalier et indiffé- rent, le courtisan impartial par corruption et cau- seur par métier. Pierre de Bourdeille se rencontra tout à point, merveilleusement préparé par sa longue habitude des cours, la verve de ses récits et certaine réputation de conteur habile dûment établie parmi ces courtisans en quête de scandale. Je pense que plusieurs d'entre eux persuadèrent au gentilhomme Brantôme. I. a.


II PREFACE

d'écrire « sans rien nommer » les friandes histoires d'alcôves, ou les menus faits des journées : il le voulut bien, se mit au travail, et, de temps à autre, il lut à un cénacle d'amis des fragments écrits au jour le jour, voilant d'un masque discret la plupart des visages, augmentant ou diminuant le conte, suivant l'occur- rence, jusqu'à blâmer la moindre peccadille ou excuser très bien les plus énormes fautes.

Ainsi fut composé ce livre des Dames, par un sceptique ayant vu tout, les palais et les chaumières, princesses et paysannes, rois et gens d'armes. Et la folie des temps l'avait si bien touché qu'il ne s'émeut guère. Ses voyages lointains le prémunissent contre l'étonnement et l'entraînement qui peut s'ensuivre. Il conte à présent aussi naturellement le meurtre d'une femme que la découverte inespérée d'une statue; il n'a pour l'une et l'autre que le mot du raffiné sur une belle chose brisée ou retrouvée, sans regret ou sans joie trop vive.

Pourtant cet indifférent était né au pays des grands enthousiasmes, en Gascogne, dans cette maison de Bourdeille que l'on se plaisait à compter parmi les plus illustres du pays. Sa mère, Anne de Vivonne, était sœur de La Chateigneraie, un vaillant d'épée, courtisan à la verve originale et malicieuse, dont les rois ne se défendirent pas toujours. Pierre de Bour- deille grandit ainsi simplement au milieu des belles plaines périgourdines, sans plus grand souci que d'acquérir la science suffisante à tel ou tel médiocre


PREFACE III

homme d'église de l'époque, et fort éloigné assurément de rêver pour lui-même les hautes destinées littéraires. Au sortir de l'enfance, son humeur l'emporta loin des siens dans une sorte de tour de France aventureux, « pour voir le monde » . Plus tard, le cercle de ses voyages s'agrandit : il passa en Ecosse, en Angleterre, y demeura peu, courut en Italie, visita l'Espagne et le Portugal, se mêla activement aux expéditions de ces pays contre les barbares, et revint portant les in- signes du Christ, « l'habito de Christo », que le roi Sébastien lui remit en mémoire de ses prouesses. Alors Pierre de Bourdeille n'avait point encore perdu les belles illusions de jeunesse, et, bien qu'il eût de cinq ans dépassé la trentaine, il reprenait en i 565 le chemin d'Italie et se trouvait à Malte lors du siège des Turcs. Là, une idée étrange lui vint. Il voulut être chevalier de Saint-Jean, et sans un camarade, Strozzi, homme de guerre que ces moines soldats ne purent séduire, il se fût bonnement croisé à Malte et y eût terminé ses jours. Il se laissa d'ailleurs facilement convaincre, et son goût de la vie monastique ne dura guère plus que d'autres passions plus mondaines et non moins guérissables. Il s'en revint en France, où Charles IX l'admit à la cour et lui servit une pension modeste. Ce fut l'âge d'or. Malheureusement, Charles mourut, laissant Pierre, que l'on appelait Brantôme à cause de l'abbaye de Gascogne dont il était co- seigneur, à demi ruiné et bien près de mourir de misère.


Voici le voyageur revenu au vieux château pa- ternel pour y servir de père aux sept enfants que lui léguait son frère, comme il le veut prétendre quelque part en ses livres, ou, selon ce qu'il écrit en d'autres endroits, pour fuir des gens qui ne l'aimaient plus. Cette dernière raison devait être la vraie. L'amitié de Brantôme pour le duc d'Alençon put mettre des nuages dans l'esprit soupçonneux du roi Henri III, et la prudence commandait la retraite; Pierre se retira. Il en garda bien quelque amertume, mais sans en rien laisser paraître qui ne fût en toute révérence et honneur des Majestés qu'il avait servies. Jusqu'à la fin il demeura le courtisan rompu aux misères des palais, aux affronts d'antichambre, aux on dit des garde-robes, n'ayant perdu à ce jeu que le sens moral avec toute libre appréciation des faits. La vieillesse étant venue, chenue, triste, désolante, il ne trouve que d'étranges regrets, des repentirs bizarres que nos mœurs ne comprennent plus et proscrivent. Ah ! s'il avait su ! Ah! que son désintéressement de la jeunesse lui pèse aujourd'hui ! Il eut pu, comme tant d'autres moins bien doués, et moins scrupuleux aussi, acquérir dignités, argent, terres, au doux contact des grandes dames. Il ne l'a pas voulu faire, et voilà que la pauvreté clame la faim devant l'hostière.

Malgré tout, le vieux galant défend et excuse les dames à sa manière. Pour lui, toutes sont « honnestes », Messalines et Lucrèces; la différence des chastes et des impures ne l'inquiète pas, je doute même qu'il l'ait


soupçonnée. D'instinct, il soutient la femme, mais en des termes qui détruisent singulièrement ses intentions charitables. Il ne dira point :

D'une chose je suis records, Que femmes sont mauvaises bestes : Car Dieu le père en fit les corps Et le grand diable fit les testes;

mais dans un éloge il jettera par mégarde un mot risqué qui fera grandement réfléchir le lecteur. Certes, il n'était point facile de parler longuement des dames de France sans broncher à chaque heurt. C'est quel- quefois une grande reine outragée, écoutant aux portes et perçant les murailles pour boire son ennui par tous les moyens, ou bien une autre courant aux derniers galants du monde, fuyant les mignons pour les portefaix ; des princesses suspendant aux portes des bouges l'hermine de leurs manteaux; de simples demoiselles à peine nubiles abandonnant au hasard des haltes de pauvres enfants qui chercheraient envain plus tard leur mère ou leur père. Brantôme n'invente rien; il raconte ces faits à l'appui de sa thèse, sans aigreur aucune. Il réserve son humeur pour les jaloux qui serrent, un beau matin, dans uneécharpe de soie blanche, la mignonne gorge qui a roucoulé tant de délicieuses romances d'amour. En vérité cela était bien mal, étant donné que les jaloux, eux non plus, ne se privaient guère!

Et cependant il a ses instants d'ironie; on sent en


VI PREFACE

lui l'âme blessée par quelque rebuffade de coquette, ou quelque mépris de courtisane pour sa pauvreté. Cest la coutume, dit-il en manière d'axiome, que les dames courent aux biens. Elles cherchent le clinquant, l'or, les joyaux, les fêtes somptueuses, et dédaignent les bourses peu garnies. Seulement il ne s'appesantit point sur ce fait: il le donne plutôt sous forme de remarque incidente que comme une accusation directe à mettre au passif de ces êtres charmants.

Et tout aussitôt les éclats de rire reprennent de plus belle. Il se gausse à merveille de ces sots et bornés Gascons, provinciaux endurcis et niais, qui croient encore à la vertu des femmes, et relèguent au nord de la Loire tous les maris trompés. La vie des champs, les femmes chastes, autant de cris étourdissants d'humeur joyeuse et bouffonne! Certes, il y abeau temps que l'on ne trouve plus au monde de cette graine rare, la femme chaste, et, dût-on en rencontrer quel- qu'une, que ce serait tout aussi bien à la cour de France que dans les cabanes du Périgord! Alors il donne des preuves sérieuses de cette assertion, il accumule les exemples avec la précision toute crue de sa plume de vieillard. Assurez-vous cependant qu'il ne croit pas très bien à ses preuves. « Je ne sçay s'il est vray, af- prme-t-il le sourire aux lèvres, mais il me l'a ainsi esté asscuré pour véritable! »

Brantôme est là tout entier- et pourquoi trouver étrange que ce soldat, ce voyageur, eût perdu ses il- lusions, quand la chance des guerres le poussait un


PREFACE VII

peu partout, dans le boudoir d'une princesse, au grenier d'une paysanne, en pays conquis, en ville amie, ou bien sous la tente, au milieu des tranchées ouvertes, quand la nuit se passe longuement en récits de guerre ou d'aventures? Aussi un galant endormi, un conteur ennuyeux ou raisonneur, lui paraîtront-ils chose pire que tel gentilhomme vendant ses faveurs à prix d'or, ou qu'une noble princesse associant à ses amours le poison, la corde ou le poignard. Et ses contes bleus volent ainsi que la fumée des bivouacs, légers, railleurs, comme les gais Français qui les dé- bitent, maltraitant les maris, bafouant les gens d'é- glise, riant même des hommes d'épée :

Cy est gisant de vers usé Le corps du gênerai Ruzé, Auquel y cousta maint escu Pour estre déclaré coquu. A son frère n'a tant cousté , Et touttefoys l'a bien esté... Il est de telles gens assez, Priez Dieu pour les trépassez.

Toutes histoires pourtant qui ne sont point écloses dans un cénacle de conteurs en verve, ni inventées pour les besoins d'une soirée, mais bien récits vrais, grossis, embellis parfois, toujours défigurés, et puisés un peu à toutes les sources antiques ou contempo- raines. Ce n'est pas d'ailleurs que le vieux soldat se pique d'une grande exactitude dans ses citations grecques ou latines : il a tant oublié l'une et l'autre


VIII PREFACE

langue dans ses voyages, et semé en tous lieux des bribes de jeunesse et de mémoire ! Il appelle à son secours les traductions fautives, les vieux bouquins poudreux de sa bibliothèque, dans lesquels les auteurs de Rome ou d'Athènes sont sabrés sans merci, et il les copie sans contrôle, avec la conviction sereine et F autorité du soldat. Du moyen âge iln'agrand'cure : c'était la mode du temps de ne s'occuper guère des anciennes époques de la monarchie française, et de rire souvent des aïeux à la cuirasse rudimentaire, aussi bien que des accoutrements malséants des châ- telaines ou des pages. Si Brantôme parle de ses ancêtres, il les choisit de préférence sous Charlemagne, faisant remonter jusque-là sa noble lignée' non qu'il fût seul à prendre de ces licences assurément, mais ces prétentions doivent prémunir le lecteur sérieux contre ses assertions historiques.

Il ne devient réellement lui que dans ses anecdotes sur les contemporains. Il est entendu que nous ne parlons ici que de son livre des Dames, et point de ses autres ouvrages de mémoires. Les Dames ont la prétention d'être une étude morale et physiologique, et Brantôme traite la morale à sa guise : il déve- loppe une thèse fantaisiste et l'appuie d'observations tirées de partout un peu, mais de préférence il choisit ses arguments dans les gens qui l'entourent. C'était là un procédé délicat à la cour des Valois : il fallait sans bruit ouvrir toutes grandes nombre de portes entr' ouvertes, remuer savamment la matière: car le


livre n'était point fait pour le silence absolu des bi- bliothèques; Brantôme entendait bien qu'on le connût de son temps, soit qu'il le publiât, soit qu'il en lût lui- même des passages aux amis dont nous parlions plus haut. On comprend alors sa discrétion dans la plupart de ses anecdotes : il laisse aux auditeurs le soin de mettre un nom sur tous ces anonymes. Pour lui, les rois deviennent de « grands princes » ; les reines, « de vertueuses et très grandes dames » ; rarement em- ploie-t-il ces termes de reines ou de rois, comme 's'il n'eût conservé de respect que pour le nom, à défaut des personnes. Tous y passent sous ce masque : Louise de Savoie, François I er , Henri II, la reine Catherine, Henri III, ses mignons, souvent même, et trop souvent, cette pauvre Marguerite de Valois, qu'il avait bien un peu aimée et courtisée. Que de secrets trahis par ce moyen! Bernardin Turissan, le libraire, lui confie que son Arétin se vend aux plus grandes dames; mais Bernardin a promis le secret, il le ré- clame de Brantôme. Pauvre secret ! « Et pourtant il me le dist», écrit le bavard, avouant que c'était bien folie que de lui conter l'aventure.

Malheureusement il accepte ses histoires des sources les plus suspectes : les jalousies de cour, les envies, les méchancetés, arrivent jusqu'à lui grossies, amplifiées. Il écoute tout et écrit à la hâte, parfois avec une pointe de réserve, mais rarement. « On m'a dict... J'ai ouy dire J'ai cogneu... » toutes phrases dou- teuses, recueillies de ci de là, historiettes au début, de-

b


PREFACE


venues de gros contes friands après avoir couru la cour, de la chambre du roi à la salle des gardes. Un jour un ligueur lui conte d'énormes choses. Les hu- guenots soufflent les chandelles et s'abandonnent aux plus honteuses saturnales dans leurs temples. Bran- tôme hausse un peu les épaules, car il n'est ni fanatique ni croyant : «Possible, dit-il, que cela est pur men- songe et imposture», mais il ne nomme pas V exalté qui lui a raconté l'aventure, et ce fait perd toute sa vraisemblance. C'est ainsi que la plupart de ses anecdotes deviennent méconnaissables quand on les compare aux récits de L'Estoile, Castelnau ouNevers, soit que de propos délibéré il embrouillât l'écheveau, ou que le récit eût passé par des bouches partiales avant d'arriver à lui.

Il semblerait qu'il eût mieux connu les cours étran- gères : il a moins de retenue pour elles, et nomme volontiers les princes dont il rapporte les déborde- ments et les honteuses équipées. Néanmoins, comme il a beaucoup voyagé en Italie, en Espagne, il se tient sur la réserve dans la plupart des cas. Il a la recon- naissance du voyageur bien reçu qui ne veut point payer d'une épigramme la bonne hospitalité de delà les monts. On trouve d'ailleurs chez lui de curieuses alternatives. Il paraît en certains moments perdre de sa politesse française et parler plus aigrement des grands princes qu'il ménageait naguère. C'est là chose facilement explicable: Brantôme écrivait au jour le jour, et, depuis sa jeunesse jusqu'à sa mort, les


PREFACE XI

événements politiques gênèrent bien souvent ses ap- préciations particulières. Courtisan, il parlait le lan- gage faussé des courtisans, flattant ses maîtres et les alliés de ses maîtres. Ne se vantait-il pas d'avoir dit des filles d'une grande reine qu'elles ressemblaient à leur père, alors que la reine en question ne se mettait pas en peine pour si peu ? Mais la politesse voulait qu'il parut l'ignorer, et il faisait ainsi le bon apôtre. La langue de Brantôme n'est point de celles qui marquent une époque comme la langue de Montaigne ou d'Amyot. Elle a le plus souvent le mérite de la simplicité, une tournure aisée, le mot juste. Brantôme parle plus qu'il n'écrit, et sa conversation est de tous points charmante. Il est vrai que de temps à autre les réminiscences grecques et latines viennent entraver l'essor et jeter la lourdeur de leur génie traduit et contrefait dans la leste désinvolture de ce babillage facile. Alors le tableau s'empâte, les contours s'ob- scurcissent, et, dans l'abondance des grands mots, le pauvre conteur se noie désespérément. Ainsi se per- dent ses belles théories philosophiques parmi les méandres tortueux des mots graves et des phrases pédantesques. Lorsqu'il cite des passages latins on sent qu'il démarque à peine; il commence alors ses périodes à la Romaine, avec la coquetterie des amoureux de la belle antiquité : « Ce divin Auguste... Ce grand Cicéron... » Ille divus Augustus; Magnus ille Cicero... Et cela n'est point sans préjudice pour lui. Sa phrase gauloise, railleuse et impudente comme


XII PREFACE

les belles dames qu'il met en scène, donnant le mot cru sans trop de rougeur aux joues, est bien celle du soldat de France, bon compagnon, conteur malicieux , mais point sanglant et bas à la manière d'un Suétone ou d'un Juvénal. Certes, notre pudeur vite éveillée ne comprend pas toujours aujourd'hui les naïves crudités du XVI e siècle. Si Boileau a pu dire cinquante années après Brantôme que le lecteur français veut être res- pecté, il faut se souvenir que Boileau vivait dans un temps de pruderie, où, tout compte fait, la cour ne va- lait pas mieux que celle des Valois. Alors comme à présent, le mot offensait seul, et les susceptibilités se heurtaient à l'expression triviale et hardie. Les châtiés du grand siècle eussent crié à la folie si de hasard ils eussent lu les Dames ; mais n'est pas fou qui veut de cette sorte. Comme disait un quatrain du temps de Brantôme :

Vous me reprochez à tout heure Que je suis un fou... Mais, je meure! Je suis bien sage quand je veux, Et fou, Madame, quand je peux.


MANUSCRITS ET ÉDITIONS


SECOND LIVRE DES DAMES


C'est à dessein que nous n'employons pas le titre de Dames galantes, qui n'est pas de Brantôme et n'apparut qu'en 1666, lors de la première édition du livre chez Sambix, à Leyde. Au surplus, ce mot de galant, au fémi- nin, ne se retrouve guère dans le cours du récit. Nous ne l'avons conservé sur la couverture que pour éviter les confu- sions possibles entre le premier et le second livre des Dames, sans quoi nous l'eussions supprimé avec M. Lalanne.

II ne reste point de manuscrit original de ce second livre des Dames. La copie, relativement satisfaisante, conservée aux manuscrits de la Bibliothèque nationale sous le n° 608 de la collection Dupuy, est un petit in-folio de 369 folios, d'une belle écriture du milieu du XVII e siècle, avec un ti- tre de la main de Dupuy. « Le second volume des Dames, du sieur de Brantosme. M.DCL. P. Dupuy. 608. » Ce ma- nuscrit est incomplet : il ne contient pas le dernier discours sur les femmes mariées, les veuves et les filles. Celui-ci se trouve au fonds français de la même Bibliothèque, dans le manuscrit 3273, ancien Béthune, 8776. C'est une copie corrigée par Brantôme lui-même, et le copiste explique dans une note mise en tête de ce fragment que le manque de papier l'a obligé d'écrire cette suite des Dames dans ce vo- lume. Brantôme, par une note autographe, reconnaît que cette copie ne le satisfait pas : il n'avait pu corriger sa be-


XIV MANUSCRITS ET EDITIONS

sogne avant qu'on ne la transcrivît : « Qui le veut voyr bien corrigé lise mon livre, qui est couvert de velours tané, ou mon grand livre couvert de velours verd où sont tous mes discours escritz touchant les dames. » Malheureuse- ment les livres en velours tanné et en velours vert ne se sont pas retrouvés; sans doute ils contenaient le chapitre dont parle Brantôme, et qui n'a jamais été publié nulle part, dont voici le titre : « Le 7 (chapitre) est un recueil d'aucunes ruses et astuces d'amour, qu'ont inventé et usé aucunes femmes mariées, veufves et filles à l'endroit de leurs maris, amants et autres : ensemble d'aucunes de guerre de plusieurs capitaines à l'endroit de leurs ennemis, le tout en comparaison, à sçavoir lesquelles ont esté les plus ru- sées cautes, artificielles, sublimes et mieux inventées et pra- tiquées tant des uns que des autres. Aussi Mars et l'Amour font leur guerre presque de mesme sorte, et l'un a son camp et ses armes comme l'autre. »

Nous avons dans cette nouvelle édition suivi le manu- scrit dans ses fautes mêmes, parce que, selon nous, corriger un texte est toujours une opération délicate, et que, de plus, nous manquions de moyens de contrôle. Des anciennes édi- tions, aucune n'est originale, beaucoup sont grossièrement fautives, et c'eût été se perdre que de rechercher dans cha- cune d'elles la leçon la plus vraisemblable d'un passage obscur. Nous dirons ci-après combien la belle édition de M. Ludovic Lalanne nous a profité, sans que cependant nous l'ayons servilement copiée. Pour en donner un exem- ple, nous avons, pour l'y et Vi rigoureusement suivi le ma- nuscrit 608 : nous avons fait disparaître l'apostrophe philo- logique, mise par M. Lalanne à l'adjectif féminin grand, de grandis : grand'œuvre, grand'dame, que nous écrivons éty- mologiquement grand œuvre et grand dame, comme le ma- nuscrit. Nous avons également donné les mots du manu- scrit omis dans les éditions anciennes, et fait disparaître cer- taines phrases des éditions quand le manuscrit ne les donne pas, et que le sens n'en souffre point. C'est, à proprement parler, une sorte de photographie de la copie de Dupuy que nous donnons au lecteur, tout en déplorant que cette copie n'ait point un caractère de justesse et d'authenticité absolue et indiscutable.




MANUSCRITS ET EDITIONS


ÉDITIONS.

— Leyde, 1666, chez Sambix le jeune, 2 vol. in-12. Le titre portait : « Vies des daines galantes. »

— Leyde, 1666, chez Jean de la Tourterelle, 2 vol. in- 1 2 . Le titre portait : « Mémoires de messire Pierre de Bourdeille, seigneur de Brantôme, contenans tes vies des dames galantes de son temps. »

— Leyde, 1722, chez Jean de la Tourterelle, 2 vol. in-i 2. Titre rouge et noir. Même titre que dans l'édition précé- dente et mêmes fautes.

Londres, 1739, Wood et S. Palmer, 2 vol. in-12, titre rouge et noir. « Mémoires de messire Pierre de Bourdeille, seigneur de Brantôme, contenant les vies des dames galantes de son temps. » Édition copiée sur les précédentes.

— La Haye, 1740, i5 vol. in-12. Cette édition est de Le Duchat, Lancelot et Prosper Marchand, et les remarques critiques ont servi aux éditions postérieures.

— Londres, 1779, aux dépens du libraire, i5vol.in-8°. « Œuvres du seigneur de Brantôme, nouvelle édition consi- dérablement augmentée, accompagnée de remarques histori- ques et critiques et distribuée dans un meilleur ordre. » Les Dames galantes occupent les tomes III et IV.

— Paris, 1822, Foucault, 8 vol. in-8°. « Œuvres com- plètes du seigneur de Brantôme, accompagnées de remarques historiques et critiques. Nouvelle édition collationnée sur les manuscrits de la Bibliothèque du Roi. » (Monmerqué). Les Dames galantes occupent le VII e vol.

— Paris, 1834, Ledoux, 2 vol. in-8°. « Les Dames ga- lantes, par le seigneur de Brantôme, nouvelle édition avec une préface de M. Ph. Chasles. » Édition qui a beaucoup et mal profité de l'édition précédente.

— Paris, 1841-1869, Garnier frères, 1 vol. in-18. Édi- tion populaire plusieurs fois réimprimée et faite d'après l'é- dition de 1 740.


XVI MANUSCRITS ET EDITIONS

— Paris, 1857, A. Delahays, 1 vol. in-12. « Œuvres de Brantôme, nouvelle édition revue d'après les meilleurs textes, avec une préface historique et critique par H. Vigneau. Vies des Dames galantes. » Édition faite d'après les éditions an- térieures. Les notes sont bonnes.

Il a été fait une nouvelle édition de ce travail en 1857, chez Delahays, en in-18.

— Paris, 1876, Renouard, libraire de la Société de l'histoire de France. « Œuvres complètes de Pierre de Bour- deille, seigneur de Brantôme, publiées d'après les manuscrits avec variantes et fragments inédits, pour la Société de l'his- toire de France, par Ludovic Lalanne. Tome neuvième. Des Dames » (suite). Un gros vol. in-8 de 743 pages, titre non compris.

Cette édition est la première qui indique les sources aux- quelles Brantôme a puisé ses historiettes. M. Lalanne n'a laissé aucun passage sans une explication toujours courte et toujours substantielle. Nous sommes heureux d'ajouter ici notre humble hommage aux éloges donnés à ce travail re- marquable, qui nous aura surtout guidé dans le dédale des conjectures possibles. Comme nous le disions, nous ne dif- férons de l'édition Lalanne que par le côté purement maté- riel et typographique de l'œuvre, dans les accents, les apos- trophes, quelques mots ajoutés ou rayés en suivant scrupu- leusement le manuscrit 608 de la collection Dupuy. Nous avons, de plus, donné aux notes un côté plus anecdotique et moins savant, et, tout en faisant connaître l'opinion de M. Lalanne sur tel ou tel point controuvé, nous avons par- fois émis une opinion personnelle, après un consciencieux travail de recherches et de comparaisons.



A MONSEIGNEUR

MONSEIGNEUR LE DUC D'ALENÇON

DE BRABANT, ET COMTE DE FLANDRES

FILS ET FRERE DE NOS ROIS.



onseigneur, d'autant que vous m'avez fait cet honneur souvent à la cour de causer avec moy fort privement de plu- sieurs bons mots et contes, qui vous sont si familiers et assidus qu'on diroit qu'ils vous naissent à veue d'ail dans la bouche, tant vous avez l'esprit grand, prompt et subtil, et le dire de mesme et très-beau, je me suis mis à composer ces discours tels quels, et au mieux quej'ay peu, afin que, si aucuns y en a qui vous plaisent, vous fassent autant passer le temps et vous ressouvenir de moy parmy vos causeries, desquelles m'avez honnoré autant que gentilhomme de la cour.

Je vous en dédie donc, Monseigneur, ce livre, et vous supplie le fortifier de vostre nom et autorité, en attendant que je me mette sur les discours sérieux. Brantôme. I. i


2 A MONSEIGNEUR LE DUC D ALENÇON

Et en voyez un à part, que j'ay quasi achevé, où je déduis la comparaison de six grands princes et capi- taines qui voguent aujourd'huy en ceste chrestienté, qui sont : le roy Henri III vostre frère, Vostre Altesse, le roy de Navarre vostre beau-frere, M. de Guise, M. du Maine et M. le prince de Parme , alléguant de tous vous autres vos plus belles valeurs, suffisances, mérites et beaux faits, sur lesquels j'en remets la conclusion à ceux qui la sçauront mieux faire que moy.

Cependant, Monseigneur, je supplie Dieu vous aug- menter tousjours en vostre grandeur, prospérité et altesse, de laquelle je suis pour jamais,

Vostre tres-humble et tres-obeissant subjet, et tres- affectionné serviteur,

BOURDEILLE.


J'avois voué ce 2° livre des femmes à mondict seigneur d'Alençon, durant qu'il vivoit, d'autant qu'il me faisoit cet honneur de m'aimer et causer fort privement avec moy, et estoit curieux de sçavoir de bons comptes ; ores , bien que son généreux et valheureux et noble corps gise sous sa lame honorable , je n'en ay pourtant voulu révoquer le voeu, ains je le redonne à ses illustres cendres et divin esprit, de la valeur duquel et de ses hauts faits et mérites je parle à son tour comme des autres grands princes et grands capi- taines, car certes il l'a esté, s'il en fut onc, encor qu'il soit mort fort jeune.

C'est assez parlé des choses sérieuses, il faut un peu par- ler des gayes.



LA DAME FOUETTÉE Dames Galantes, Discours I)



PREMIER DISCOURS

SUR LES DAMES QUI FONT l'aMOUR ET LEURS MARIS COCUS.



'autant que ce sont les dames qui ont fait la fondation du cocuage , et que ce sont elles qui font les hommes cocus, j'ay voulu mettre ce discours parmy ce livre des dames , encore que je parleray autant des hommes que des femmes. Je sçay bien que j'entreprens une grand œuvre , et que je n'aurois jamais fait si j'en voulois monstrer la fin : car tout le papier de la chambre des Comptes de Paris n'en sçauroit comprendre par escrit la moitié de leurs histoires , tant des femmes que des hom- mes. Mais pourtant j'en escriray ce que je pourray, et, quand je n'en pourray plus, je quitteray ma plume au diable, ou à quelque bon compagnon qui la reprendra, m'excusant si je n'observe en ce dis- cours ordre ny demy, car de telles gens et de telles


4 PREMIER DISCOURS

femmes le nombre en est si grand, si confus et si divers, que je ne sçache si bon sergent de bataille qui le puisse bien mettre en rang et ordonnance.

Suivant donc ma fantaisie , j'en diray comme il me plaira, en ce mois d'avril qui en rameine la saison et venaison des cocus : je dis des branchiers, car d'autres il s'en fait et s'en voit assez tous les mois et saisons de l'an.

Or, de ce genre de cocus, il y en a force de diver- ses espèces; mais de toutes la pire est, et que les da- mes craignent et doivent craindre autant, ce sont ces fols, dangereux, bisarres, mauvais, malicieux, cruels, sanglants et ombrageux, qui frappent, tourmentent, tuent, les uns pour le vray, les autres pour le faux, tant le moindre soupçon du monde les rend enragez ; et de tels la conversation est fort à fuir, et pour leurs femmes et pour leurs serviteurs. Toutesfois j'ay cogneu des dames et de leurs ser- viteurs qui ne s'en sont point soucié, car ilz estoyent aussi mauvais que les autres, et les dames estoyent courageuses, tellement que, si le courage venoit à manquer à leurs serviteurs, le leur remet- toyent ; d'autant que tant plus toute entreprise est périlleuse et escabreuse, d'autant plus se doit-elle faire et exécuter de grande générosité. D'autres telles dames ay-je cogneu qui n'avoyent nul cœur ny ambition pour attenter choses hautes, et ne s'amusoyent du tout qu'à leurs choses basses : aussi dit-on : « Lasche de cœur comme une pu- tain. »


PREMIER DISCOURS 5

5 J'ay cogneu une honneste dame, et non des moindres, laquelle, en une bonne occasion qui s'offrit pour recueillir la jouissance de son amy, et luy remonstrant à elle l'inconvénient quienadvien- droit si le mary, qui n'estoit pas loin, les surpre- noit, n'en fit plus de cas, et le quitta là, ne l'estimant hardy amant, ou bien pour ce qu'il la dédit au besoin : d'autant qu'il n'y a rien que la dame amoureuse, lorsque l'ardeur et la fantaisie de venir là luy prend, et que son amy ne la peut ou veut contenter tout à coup, pour quelques divers empeschements , haïsse plus et s'en dé- pite.

Il faut bien louer cette dame de sa hardiesse, et d'autres aussi ses pareilles, qui ne craignent rien pour contenter leurs amours, bien qu'elles y cou- rent plus de fortune et de dangers que ne fait un soldat ou un marinier aux plus hazardeux périls de la guerre ou de la mer.

J Une dame espagnole , conduite une fois par un gallant cavallier dans le logis du roy, venant à passer par un certain recoing caché et sombre, le cavallier, se mettant sur son respect et discrétion espagnole, luy dit : Senora, buen lugar, si no fuera vuessa merced. La dame luy respondit seulement : Si, buen lugar, si no fuera vuessa merced : « Voicy un beau lieu, si c'estoit une autre que vous. — Ouy vrayment, si c'estoit aussi un autre que vous. » Par là l'arguant et incolpant de couardise pour n'avoir pas pris d'elle en si bon lieu ce qu'il vou-


6 PREMIER DISCOURS

loit et elle desiroit ; ce qu'eust fait un autre plus hardy : et, pour ce, oncques plus ne l'aima, et le quitta.

J J'ay ouy parler d'une fort belle et honneste dame qui donna assignation à son amy de coucher avec elle, par tel si qu'il ne la toucheroit nullement et ne viendroit aux prises ; ce que l'autre accom- plit, demeurant toute la nuict en grand stase, tentation et continence ; dont elle lui en sceut si bon gré que quelque temps après luy en donna jouissance, disant pour ses raisons qu'elle avoit voulu esprouver son amour en accomplissant ce qu'elle luy avoit commandé. Et, pour ce, l'en aima puis après davantage, et qu'il pourroit faire toute autre chose une autre fois d'aussi grande adven- ture que celle-là, qui est des plus grandes.

Aucuns pourront louer cette discrétion ou las- cheté, autres non : je m'en rapporte aux humeurs et discours que peuvent tenir ceux de l'un et de l'autre party en cecy.

J J'ai cogneu une dame assez grande qui, ayant donné une assignation à son amy de venir coucher avec elle une nuict, il y vint tout appresté, en chemise, pour faire son devoir; mais, d'autant que c'estoit en hyver, il eut si grand froid en allant qu'estant couché il ne put rien faire, et ne songea qu'à se rechauffer : dont la dame l'en haït et n'en fit plus de cas.

J Une autre dame devisant d'amour avec un gentilhomme, il luy dit, entre autres propos, que


PREMIER DISCOURS 7

s'il estoit couché avec elle, qu'il entreprendroit faire six postes la nuict, tant sa beauté le feroit bien piquer. « Vous vous vantez de beaucoup, dit-elle. Je vous assigne donc à une telle nuict. » A quoy il ne faillit de comparoistre ; mais le malheur fut pour luy qu'il fut surpris, estant dans le lict, d'une telle convulsion, refroidissement, et retirement de nerf, qu'il ne put pas faire une seule poste; si bien que la dame luy dit : « Ne voulez- vous faire autre chose? Or, vuidez de mon lict; je ne le vous ay pas preste, comme un lict d'hostellerie, pour vous y mettre à votre aise et reposer. Par- quoy, vuidez. » Et ainsi le renvoya, et se mocqua bien après de luy, l'haïssant plus que peste.

Ce gentilhomme fust esté fort heureux s'il fust esté de la complexion du grand protenotaire Baraud, et aumosnier du roy François, que, quand il cou- choit avec les dames de la cour, du moins il alloit à la douzaine, et au matin il disoit encor : « Excusez-moi, Madame, si je n'ay mieux fait, car je pris hier médecine. » Je l'ay veu depuis ; et l'appelloit-on le capitaine Baraud, gascon, et avoit laissé la robbe ; et m'en a bien conté, à mon advis, nom par nom.

Sur ses vieux ans, cette virile et venereique vi- gueur luy défaillit ; et estoit pauvre, encore qu'il eust tiré de bons brins que sa pièce luy avoit valu ; mais il avoit tout brouillé, et se mit à escouler et distiller des essences : « Mais, disoit-il, si je pou- vois, aussi bien que de mon jeune aage, distiller


8 PREMIER DISCOURS

de l'essence spermatique, je feroisjbien mieux mes affaires et m'y gouvernerons mieux. »

J Durant cette guerre de la Ligue, un honneste gentilhomme, brave certes et vaillant, estant sorti de sa place, dont il estoit gouverneur, pour aller à la guerre, au retour, ne pouvant arriver d'heure en sa garnison, il passa chez une belle et fort honneste et grande dame veufve, qui le convie de demeurer à coucher leans ; ce qu'il ne refusa, car il estoit las. Après l'avoir bien fait souper, elle luy donne sa chambre et son lict, d'autant que toutes ses autres chambres estoyent dégarnies pour l'amour de la guerre, et ses meubles serrez, car elle en avoit de beaux. Elle se retire en son cabinet, où elle y avoit un lict d'ordinaire pour le jour.

Le gentilhomme, après plusieurs refus de cette chambre et ce lict, fut contraint par la prière de la dame de le prendre; et, s'y estant couché et bien endormy d'un très-profond sommeil, voicy la dame qui vient tout bellement se coucher auprès de luy sans qu'il en sentist rien, ny de toute la nuict, tant il estoit las et assoupy de sommeil; et reposa jusques au lendemain matin grand jour, que la dame, s'ostant prés de luy qui s'accommençoit à esveiller, luy dit : « Vous n'avez pas dormy sans compagnie, comme vous voyez, car je n'ay pas voulu vous quitter toute la part de mon lict, et par ce j'en ay jouy de la moitié aussi bien que vous. Adieu : vous avez perdu une occasion que vous ne recouvrirez jamais. »


PREMIER DISCOURS


Le gentilhomme, maugréant et détestant sa bonne fortune faillie (c'estoit bien pour se pendre), la voulut arrester et prier ; mais rien de tout cela, et fort dépitée contre luy pour ne l'avoir contentée comme elle vouloit, car elle n'estoit là venue pour un coup (aussi qu'on dit : « Un seul coup n'est que la salade du lict »), et mesmes la nuict, et qu'elle n'estoit là venue pour le nombre singulier, mais pour le plurier, que plusieurs dames en cela ayment plus que l'autre; bien contraires à une très-belle et honneste dame que j'ay cogneu, laquelle ayant une fois donné assignation à son amy de venir coucher avec elle et le mary l'alloit voir souvent, et se plaisoit en cette langueur, et en


20 PREMIER DISCOURS

rioit, et disoit qu'elle n'avoit que ce qu'il luy falloit.

J Une autre, son mary l'enferma dans une chambre et la mit au pain et à l'eau , et bien sou- vent la faisoit despouiller toute nue et la fouettoit son saoul, n'ayant aucune compassion de ceste belle charnure nue, ny non plus d'émotion. Voilà le pis d'eux : car estant desgarnis de chaleurs et despourveus de tentation comme une statue de marbre, n'ont pitié de nulle beauté, et passent leurs rages par de cruels martyres, au lieu qu'es- tans jeunes la passeroyent, possible, sur leur beau corps nud, comme j'ay dict cy devant.

Voylà pourquoy il ne fait pas bon d'espouser de tels vieillards bizarres : car, encor que la veue leur baisse et vienne à manquer par l'aage, si en ont-ils tousjours prou pour espier et voir les frasques que leurs jeunes femmes leur peuvent faire.

5 Aussy j'ay ouy parler d'une grande dame qui disoit que nul samedy fut sans soleil, nulle belle femme sans amours, et nul vieillard sans estre ja- loux; et tout procède pour la debolezze de ses forces.

C'est pourquoy un grand prince que je sçay disoit qu'il voudroit ressembler le lion, qui, pour vieillir, ne blanchit jamais; le singe, qui tant plus il le fait, tant plus il le veut faire; le chien, tant plus il vieillit, son cas se grossit; et le cerf, que tant plus il est vieux, tant mieux il le fait, et les biches vont plustost à luy qu'aux jeunes.


PREMIER DISCOURS


Or, pour en parler franchement, ainsi que j'ay ouy dire à un grand personnage, quelle raison y a-il, ny quelle puissance a-il le mary si grand, qu'il doive et puisse tuer sa femme, veu qu'il ne l'a point de Dieu, ny de sa loy, ny de son saint Evangile, sinon de la répudier seulement? Il ne s'y parle point de mort, de sang, de meurtre, de tourmens, de prison, de poisons ny de cruautez. Ah! que Nostre Seigneur Jesus-Christ nous a bien remonstré qu'il y avoit de grands abus en ces fa- çons de faire et en ces meurtres, et qu'il ne les approuvoit guieres, lorsqu'on luy amena cette pauvre femme accusée d'adultère pour jetter sa sentence de punition; il leur dit, en escrivant en terre de son doigt : « Celuy de vous autres qui sera le plus net et le plus simple, qu'il prenne la première pierre et commence à la lapider! » ce que nul n'osa faire, se sentans atteints par telle sage et douce reprehension.

Nostre créateur nous apprenoit à tous de n'es- tre si légers à condamner et faire mourir les per- sonnes , mesmes sur ce sujet, cognoissant les fragilitez de nostre nature, et l'abus que plusieurs y commettent : car tel fait mourir sa femme, qui est plus adultère qu'elle, et tels les font mourir bien souvent innocentes, se faschans d'elles pour en prendre d'autres nouvelles; et combien y en a-il ! Saint Augustin dit que l'homme adultère est aussi punissable que la femme.

5 J'ay ouy parler d'un très-grand prince de par


PREMIER DISCOURS


le monde, qui, soubçonnant sa femme faire l'a- mour avec un gallant cavalier, il le fit assassiner sortant le soir de son palais, et puis la dame; la- quelle, un peu auparavant, à un tournoy qui se fit à la cour, et elle fixement arregardant son servi- teur qui manioit bien son cheval, se mit à dire : « Mon Dieu! qu'un tel pique bien! — Ouy, mais il pique trop haut » ; ce qui l'estonna, et après fut empoisonnée par quelques parfums, ou autrement par la bouche.

J J'ay cogneu un seigneur de bonne maison qui fit mourir sa femme, qui estoit très-belle et de bonne part et de bon lieu, en l'empoisonnant par sa nature, sans s'en ressentir, tant subtile et bien faitte avoit esté icelle poison, pour espouser une grand dame qui avoit espousé un prince ; dont en fut en peine, en prison et en danger, sans ses amis; et le malheur voulut qu'il ne l'espousa pas, et en fut trompé et fort scandalisé, et mal veu des hommes et des dames.

J J'ay veu de grands personnages blasmer gran- dement nos rois anciens, comme Louis Hutin et Charles le Bel, pour avoir fait mourir leurs femmes: l'une, Marguerite, fille de Robert, duc de Bourgogne; et l'autre, Blanche, fille d'Othelin, comte de Bourgogne ; leur mettans à sus leurs adultères; et les firent mourir cruellement entre quatre murailles, au Chasteau-Gaillard ; et le comte de Foix en fit de mesmes à Jeanne d'Arthoys. Sur quoy il n'y avoit point tant de forfaits et de


FREMIER DISCOURS 23

crimes comme ilz le faisoient à croire; mais mes- sieurs se faschoyent de leurs femmes, et leur met- toyent à sus ces belles besognes, et en espou- serent d'autres.

J Comme de frais, le roy Henry d'Angleterre fit mourir sa femme et la décapiter, Anne de Bou- lan, pour en espouser une autre, ainsi qu'il estoit fort sujet au sang et au change de nouvelles femmes. Ne vaudroit-il pas mieux qu'ils les répu- diassent, selon la parole de Dieu, que les faire ainsi cruellement mourir? Mais il leur en faut de la viande fraische à ces messieurs, qui veulent tenir table à part sans y convier personne, ou avoir nouvelles et secondes femmes qui leur apportent des biens après qu'ilz ont mangé ceux de leurs pre- mières, ou n'en ont eu assez pour les rassasier; ainsi que fit Baudouin, 2 e roy de Jérusalem, qui, faisant croire à sa première femme qu'elle avoit paillarde, la répudia pour prendre une fille du duc de Malyterne, parce qu'elle avoit un dot d'une grand somme d'argent, dont il estoit fort nécessiteux. Cela se trouve en l'Histoire de la Terre Sainte. Il leur sied bien de corriger la loy de Dieu et en faire une nouvelle , pour faire mourir ces pauvres femmes.

J Le roy Louis le Jeune n'en fit pas de mesme à l'endroit de Leonor, duchesse d'Aquitaine, qui, soubçonnée d'adultère, possible à faux, en son voyage de Syrie, fut répudiée de luy seulement, sans vouloir user de la loy des autres, inventée et


24 PREMIER DISCOURS

pratiquée plus par autorité que de droit et raison : dont sur ce il en acquist plus grande réputation que les autres rois, et tiltre de bon, et les autres de mauvais, cruels et tyrans; aussi que dans son ame il avoit quelque remords de conscience d'ail- leurs; et c'est vivre en chrestien cela! Voire que lespayens romains, la pluspart s'en sont acquittez de mesme plus chrestiennement que payennement, et principalement aucuns empereurs, desquels la plus grande part ont esté sujets à estre cocus, et leurs femmes tres-lubriques et fort putains ; et, tels cruels qu'il ont esté, vous en lirez force qui se sont défaits de leurs femmes plus par répudiations que par tueries de nous autres chrestiens.

5 Jules César ne fit autre mal à sa femme Pom- peïa, sinon la répudier, laquelle avoit esté adultère de P. Claudius, beau jeune gentilhomme romain, de laquelle estant eperdument amoureux, et elle de luy, espia l'occasion qu'un jour elle faisoit un sacrifice en sa maison, où il n'y entroit que des daines : il s'habilla en garce, luy qui n'avoit encore point de barbe au menton, qui, se meslant de chanter et de jouer des instrumens, et par ainsi, passant par cette monstre, eut loisir de faire avec sa maistresse ce qu'il voulut; mais, estant cogneu, il fut chassé et accusé; et par moyen d'argent et de faveur il fut absous, et n'en fut autre chose. Ciceron y perdit son latin par une belle oraison qu'il fit contre luy. Il est vray que César, voulant faire à croire au monde qui luy persuadoit sa


PREMIER DISCOURS 23

femme innocente, il respondit qu'il ne vouloit pas que seulement son lict fust taché de ce crime, mais exempt de toute suspicion. Cela estoit bon pour en abbreuver ainsi le monde; mais, dans son ame,il sçavoit bien que vouloit dire cela : sa femme avoir esté ainsi trouvée avec son amant; si que, possible, luy avoit-elle donné cette assignation et cette commodité : car, en cela , quand la femme veut et désire, il ne faut point que l'amant se sou- cie d'excogiter des commoditez, car elle en trou- vera plus en une heure que tous nous autres sçau- rions faire en cent ans; ainsi que dit une dame de par le monde, que je sçay qui dit à son amant : « Trouvez moyen seulement de m'en faire venir l'envie, car, d'ailleurs, j'en trouverai prou pour en venir là. »

César aussi sçavoit bien combien vaut l'aune de ces choses là, car il estoit un fort grand ruffian, et Pappelloit-on le coq à toutes poules ; et en fit force cocus en sa ville, tesmoing le sobriquet que luy donnoyent ses soldats à son triumphe : Romani, servate uxores ; mcechum adducimus calvum. « Ro- mains, serrez bien vos femmes, car nous vous amenons ce grand paillard et adultère de César le chauve, qui vous les repassera toutes. »

Voilà donc comme César, par cette sage res- ponse qu'il fit ainsi de sa femme, il s'exemta de porter le nom de cocu qu'il faisoit porter aux autres; mais, dans son ame, il se sentoit bien touché.


26 PREMIER DISCOURS

5 Octavie César répudia aussi Scribonia pour l'amour de sa paillardise, sans autre chose, et jne luy fit autre mal, bien qu'elle eust raison de le faire cocu, à cause d'une infinité de dames qu'il entretenoit; et devant leurs marys publiquement les prenoit à table aux festins qu'il leur faisoit, et les emmenoit en sa chambre, et, après en avoir fait, les renvoyoit, les cheveux défaits un peu et destortiilez, avec les oreilles rouges, grand signe qu'elles en venoyent ! lequel je n'avois ouy dire propre pour descouvrir que l'on en vient, ouy bien le visage, mais non l'oreille. Aussi lui donna-on la réputation d'estre fort paillard; mesmes Marc- Anthoine luy reprocha ; mais il s'excusoit qu'il n'en- tretenoit point tant les dames pour la paillardise que pour descouvrir plus facilement les secrets de leurs maris, desquels il se meffioit.

J'ay cogneu plusieurs grands et autres qui en ont fait de mesmes et en ont recherché les dames pour ce mesme sujet, dont s'en sont bien trouvez; j'en nommerois bien aucuns; ce qui est une bonne finesse, car il en sort double plaisir. La conjuration de Catilina fut ainsi descouverte par une dame de joye.

Ce mesme Octavie à sa fille Julia, femme d'A- grippa, pour avoir esté une très-grande putain, et qui luy faisoit grande honte (car quelquesfois les filles font à leurs pères plus de deshonneur que les femmes ne font à leurs marys), fut une fois en dé- libération de la faire mourir; mais il ne la fit que


PREMIER DISCOURS 27

bannir, luy oster le vin et l'usage desbeauxhabille- mens, et d'user de pauvres, pour très-grande punition, et la fréquentation des hommes : grande punition pourtant pour les femmes de cette con- dition, de les priver de ces deux derniers points !

I César Caligula, qui estoit un fort cruel tyran, ayant eu opinion que sa femme Livia Hostilia luy avoit dérobé quelques coups en robe et donné à son premier mary C. Piso, duquel il l'avoit ostée par force, et à luy, encore vivant, luy faisoit quel- que plaisir et gracieuseté de son gentil corps, cependant qu'il estoit absent en quelque voyage, n'usa point en son endroit de sa cruauté accoustu- mée, ains la bannit de soy seulement, au bout de deux ans qu'il l'eut ostée à son mary Piso et espousée.

II en fit de mesme à Tullia Paulina, qu'il avoit ostée à son mary C. Memmius : il ne la fit que chasser, mais avec défense expresse de n'user nullement de ce mestier doux, non pas seulement à son mary : rigueur cruelle pourtant de n'en donner à son mary!

JJ'ay ouy parler d'un grand prince chrestien qui fit cette deffence à une dame qu'il entretenoit, et à son mary de n'y toucher, tant il en estoit jaloux.

f Claudius, fils de DrususGermanicus, répudia tant seulement sa femme Plantia Herculalina pour avoir esté une signalée putain, et, qui pis est, pour avoir entendu qu'elle avoit attenté sur sa vie;


28 PREMIER DISCOURS

et, tout cruel qu'il estoit, encor que ces deux rai- sons fussent assez bastantes pour la faire mourir, il se contenta du divorce.

D'avantage, combien de temps porta-il les fre- daines et sales bourdeleries de Valleria Messalina, son autre femme, laquelle ne se contentoit pas de le faire avec l'un et l'autre dissolument et indiscrè- tement, mais faisoit profession d'aller aux bour- deaux s'en faire donner, comme la plus grande bagasse de la ville; jusques là, comme dit Juve- nal, qu'ainsi que son mary estoit couché avec elle, se deroboit tout bellement d'auprès de luj le voyant bien endormy, et se deguisoit le mieux qu'elle pouvoit, et s'en alloit en plain bourdeau, et là s'en faisoit donner si très-tant et jusques qu'elle en partoit plustost lasse que saoule et ras- sasiée. Et faisoit encor pis : pour mieux se satis- faire et avoir cette réputation et contentement en soy d'estre une grande putain et bagasse, se faisoit payer et taxoit ses coups et ses chevauchées, comme un commissaire qui va par pais, jusques à la dernière maille.

J J'ay ouy parler d'une dame de par le monde, d'assez chère estoffe, qui quelque temps fit cette vie, et alla ainsi aux bourdeaux déguisée, pour en essayer la vie et s'en faire donner; si que le guet de la ville, en faisant la ronde, l'y surprit une nuict. Il y en a d'autres qui font ces coups que l'on sçait bien.

Bocace, en son livre des Illustres malheureux,


PREMIER DISCOURS 29

parle de cette Messaline gentiment, et la fait allé- guant ses excuses en cela, d'autant qu'elle estoit du tout née à cela, si que le jour qu'elle nasquit ce fut en certains signes du ciel qui l'embrasèrent et elle et autres. Son mary le sçavoit et l'endura longtemps, jusqu'à ce qu'il sceut qu'elle s'estoit mariée sous bourre avec un Caius Silius, l'un des beaux gentilshommes de Rome. Voyant que c'es- toit une assignation sur sa vie, la fit mourir sur ce sujet, mais nullement pour sa paillardise, car il y estoit tout accoustumé à la voir, la sçavoir et l'en- durer.

Qui a veu la statue de ladite Messaline trouvée ces jours passez en la ville de Bourdeaux advouera qu'elle avoit bien la vraye mine de faire une telle vie. C'est une médaille antique, trouvée parmy aucunes ruines, qui est très-belle, et digne de la garder pour la voir et bien contempler. C'estoit une fort grande femme, de très-belle haute taille, les beaux traits de son visage, et sa coiffure tant gentille à l'antique romaine, et sa taille très-haute, demonstrant bien qu'elle estoit ce qu'on a dit : car, à ce que je tiens de plusieurs philosophes, médecins et physionomistes, les grandes femmes sont à cela volontiers inclinées, d'autant qu'elles sont hommasses; et, estant ainsi, participent des chaleurs de l'homme et de la femme; et, jointes ensemble en un seul corps et sujet, sont plus vio- lentes et ont plus de force qu'une seule : aussi qu'à un grand navire, dit-on, il faut une grande eau


3o PREMIER DISCOURS

pour le soustenir, davantage, à ce que disent les grands docteurs en l'art de Venus, une grand'femme y est plus propre et plus gente qu'une petite.

5 Sur quoy il me souvient d'un très-grand prince que j'ay cogneu : voulant louer une femme de la- quelle il avoit eu jouissance, il dit ces mots : « C'est une très-belle putain, grande comme madame ma mère. » Dont ayant esté surpris sur la promptitude de sa parole, il dit qu'il ne vouloit pas dire qu'elle fust une grande putain comme madame sa mère, mais qu'elle fust de la taille et grande comme ma- dame sa mère. Quelquesfois on dit des choses qu'on ne pense pas dire, quelquefois aussi sans y penser l'on dit bien la vérité.

Voilà donc comme il fait meilleur avec les gran- des et hautes femmes, quand ceneseroit que pour la belle grâce, la majesté qui est en elles : car, en ces choses, elle y est aussi requise et autant aima- ble qu'en d'autres actions et exercices ; ny plus ny moins que le manegge d'un beau et grand coursier du règne est bien cent fois plus agréable et plai- sant que d'un petit bidet, et donne bien plus de plaisir à son escuyer; mais aussi il faut bien que cet escuyer soit bon et se tienne bien, et monstre bien plus de force et adresse. De mesme se faut-il porter à l'endroit des grandes et hautes femmes : car, de cette taille, elles sont sujettes d'aller d'un air plus haut que les autres; et bien souvent font perdre l'estrieu, voire l'arçon, si l'on n'a bonne tenue; comme j'ay ouy conter à aucuns cavalcadours qui


PREMIER DISCOURS 3 I

les ont montées et lesquelles font gloire et grand mocquerie quand elles les font sauter et tomber tout aplat, ainsi que j'en ay ouy parler d'une de cette ville, laquelle, la première fois que son serviteur coucha avec elle, Iuy dit franchement : « Embras- sez-moy bien et me liez à vous de bras et de jambes le mieux que vous pourrez, et tenez-vous bien har- diement, car je vays haut, et gardez bien de tom- ber. Aussi, d'un costé, ne m'espargnez pas : je suis assez forte et habile pour soustenirvos coups, tant rudes soyent-ils ; et si vous m'espargnez je ne vous espargneray point. C'est pourquoy à beau jeu beau retour. » Mais la femme le gaigna.

Voila donc comme il faut bien adviser à se gou- verner avec telles femmes hardies, joyeuses, renfor- cées, charnues et proportionnées, et, bien que la chaleur surabondante en elles donne beaucoup de contentement, quelquesfois aussi sont-elles trop pressantes pour estre si challeureuses. Toutesfois, comme l'on dit : De toutes tailles bons lévriers, aussi y a-il de petites femmes nabottes qui ont le geste, la grâce, la façon en ces choses un peu approchante des autres, ou les veulent imiter, et si sont aussi chaudes et aspres à la curée, voire plus (je m'en rapporte aux maistres en ces arts), ainsi qu'un petit cheval se remue aussi prestement qu'un grand ; et, comme disoit un honneste homme, que la femme ressembloit à plusieurs animaux, et principalement à un singe, quand dans le lict elle ne fait que se mouvoir et remuer.


32 PREMIER DISCOURS

J'ay fait cette digression en m'en souvenant; il faut retourner à nostre premier texte.

J Et ce cruel Néron ne fit aussi que répudier sa femme Octavia, fille de Claudius et Massalina, pour adultère, et sa cruauté s'abstint jusques-là.

J Domitian fit encore mieux, lequel répudia sa femme Domitia Longina parce qu'elle estoit si amoureuse d'un certain comediant et basteleur nommé Paris, et ne faisoit tout le jour que paillar- der avec lui, sans tenir compagnie à son mary ; mais, au bout de peu de temps, il la reprit encores et se repentit de sa séparation : pensez que ce basteleur luy avoit appris des tours de souplesse et de manie- ment dont il croyoit qu'il se trouveroit bien.

J Pertinax en fît de mesme à sa femme Flavia Sulpitiana; non qu'il la repudiast ny qu'il la reprît, mais, la sçachant faire l'amour à un chantre et joueur d'instrumens et s'adonner du tout à luy, n'en fit autre conte sinon la laisser faire, et luy faire l'amour de son costé à une Cornificia estant sa cousine ger- maine ; suivant en cela l'opinion d'Eliogabale, qui disoit qu'il n'y avoit rien au monde plus beau que la conversation de ses parents et parentes. Il y en a force qui ont fait tels eschanges que je sçay, se fondans sur ces opinions.

5 Aussi l'empereur Severu"s non plus se soucia de l'honneur de sa femme, laquelle estoit putain pu- blique, sans qu'il se souciast jamais de l'en corriger, disant qu'elle se nommoit Jullia, et, pour ce, qu'il la falloit excuser, d'autant que toutes celles qui


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portoyent ce nom, de toute ancienneté estoyent sujettes d'estre très-grandes putains et faire leurs marys cocus : ainsi que je connois beaucoup de dames portans certains noms de nostre christia- nisme, que je ne veux dire, pour la révérence que je dois à nostre sainte religion, qui sont cous- tumierement sujettes à estre puttes et à hausser le devant plus que d'autres portans autres noms, et n'en a-on veu guieres qui s'en soient eschappées.

Or je n'aurois jamais fait si je voulois alléguer une infinité d'autres grandes dames et emperieres romaines de jadis, à l'endroit desquelles leurs marys cocus, et tres-cruels, n'ont usé de leurs cruautez, autoritez et privilèges, encor qu'elles fussent tres- debordées ; et croy qu'il y en a eu peu de prudes de ce vieux temps, comme la description de leur vie le manifeste ; mesmes, que l'on regarde bien leurs effi- gies et médailles antiques, on y verra tout à plain, dans leur beau visage, la mesme lubricité toute gra- vée et peinte. Et pourtant leurs marys cruels la leur pardonnoyent, et ne les faisoyent mourir, au moins aucuns. Et qu'il faille qu'eux payens, ne recon- naissans Dieu, ayent esté si doux et benings à l'en- droit de leurs femmes et du genre humain, et la pluspart de nos rois, princes, seigneurs et autres chrestiens, soyent si cruels envers elles par un tel forfait !

5 Encores faut-il louer ce brave Philippe Auguste, nostre roy de France, lequel, ayant répudié sa femme Angerberge, sœur de Canut, roy de Dannemarck, Brantôme. I. 5


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qui estoit sa seconde femme, sous prétexte qu'elle estoit sa cousine en troisiesme degré du costé de sa première femme Ysabel (autres disent qu'il la soub- çonnoit de faire l'amour), neantmoins ce roy, forcé par censures ecclésiastiques, quoy qu'il fust remarié d'ailleurs, la reprit, et l'emmena derrière luy tout à cheval, sans le sceu de l'assemblée de Soissons faite pour cet effet, et trop séjournant pour en dé- cider.

Aujourd'huy aucuns de nos grands n'en font de mesme ; mais la moindre punition qu'ilz font à leurs femmes, c'est les mettre en chartre perpé- tuelle, au pain et à l'eau, et là les faire mourir, les empoisonnent, les tuent, soit de leur main ou de la justice. Et, s'ilz ont tant d'envie de s'en défaire et espouser d'autres, comme cela advient souvent, que ne les repudient-ilz et s'en séparent honneste- ment, sans autre mal, et demandent puissance au pape d'en espouser une autre, encorque ce qui est conjoint l'homme ne le doit séparer? Toutesfois, nous en avons eu des exemples de frais, et du roy Charles VIII et Louis XII e , nos roys.

Sur quoy j'ay ouy discourir un grand théologien, et c'estoit sur le feu roy d'Espagne Philippe, qui avoit espousé sa niepce, mère du roy d'aujourd'huy, et ce par dispense, qui disoit : « Ou du tout il faut advouer le Pape pour lieutenant gênerai de Dieu en terre, et absolu ou non : s'il l'est, comme nous autres catholiques le devons croire, il faut du tout confesser sa puissance bien absolue et infinie en


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terre, et sans borne, et qu'il peut nouer et dénouer comme il luy plaist; mais, si nous ne le tenons tel, je le quitte pour ceux qui sont en telle erreur, non pour les bons catholiques. Et par ainsi nostre Père Saint peut remédier à ces dissolutions de mariage, et à de grands inconvénients qui arrivent pour cela entre le mary et la femme, quand ils font tels mau- vais ménages. »

Certainement les femmes sont fort blasmables de traitter ainsi leurs marys par leur foy violée, que Dieu leur a tant recommandée ; mais pourtant, de l'autre costé, il a bien défendu le meurtre, et luy est grandement odieux de quelque costé que ce soit; et jamais guieres n'ay-je veu gens sanguinaires et meurtriers, mesmes de leurs femmes, qui n'en ayent payé le debte ; et peu de gens aymans le sang ont bien finy : car plusieurs femmes pécheresses ont obtenu et gaigné miséricorde de Dieu, comme la Madelaine.

Enfin, ces pauvres femmes sont créatures plus ressemblantes à la divinité que nous autres, à cause de leur beauté : car ce qui est beau est plus approchant de Dieu, qui est tout beau, que le laid, qui appartient au diable.

J Ce grand Alfonse, roy de Naples, disoit que la beauté estoit une vraye signifiance de bonnes et douces moeurs, ainsi comme est la belle fleur d'un bon et beau fruit : comme de vray, en ma vie, j'ay veu force belles femmes toutes bonnes ; et, bien qu'elles fissent l'amour, ne faisoyent


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point de mal, ny autre qu'à songer à ce plaisir, et y mettoyent tout leur soucy sans l'appliquer ailleurs.

J D'autres aussi en ay-je veu très-mauvaises, pernicieuses, dangereuses, crueles et fort mali- cieuses, nonobstant à songer à l'amour et au mal tout ensemble.

Sera-il doncques dit qu'estans ainsi sujettes à l'humeur voilage et ombrageuse de leurs marys, qui méritent plus de punition cent fois envers Dieu, qu'elles soyent ainsi punies? Or, de telles gens la complexion est autant fascheuse comme est la peine d'en escrire.

5 J'en parle maintenant encor d'un autre, qui estoit un seigneur de Dalmatie, lequel, ayant tué le paillard de sa femme, la contraignit de coucher ordinairement avec son tronc mort, charogneux et puant; de telle sorte que la pauvre femme fut suf- foquée de la mauvaise senteur qu'elle endura par plusieurs jours.

5 Vous avez dans les Cent Nouvelles de la reine de Navarre la plus belle et triste histoire que l'on sçauroit voir pour ce sujet, de cette belle dame d'Allemagne que son mary contraignoit à boire ordinairement dans le test delà teste de son amy qu'il y avoit tué ; dont le seigneur Bernage, lors ambassadeur en ce pays pour le roy Charles huic- tiesme, en vit le pitoyable spectacle et en fît l'ac- cord.

5 La première fois que je fus jamais en Italie,


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passant par Venise, il me fut fait un compte pour vray, d'un certain chevallier albanois, lequel, ayant surpris sa femme en adultère, tua l'amoureux. Et, de despit qu'il eut que sa femme ne s'estoit con- tentée de luy (car il estoit un gallant cavallier, et des propres pour Venus, jusques à entrer en jouxte dix ou douze fois pour une nuict), pour punition, il fut curieux de rechercher partout une douzaine de bons compagnons et fort ribauts, qui avoyent la réputation d'estre bien et grandement proportionnez de leurs membres et fort adroits et chauds à l'exé- cution ; et les prit, les gagea et loua pour argent ; et les serra dans la chambre de sa femme, qui estoit très-belle, et la leur abandonna, les priant tous d'y faire bien leur devoir, avec double paye s'ilz s'en acquittoyent bien : et se mirent tous après elle, les uns après les autres, et la menèrent de telle façon qu'ils la rendirent morte avec un très-grand con- tentement du mary; à laquelle il luy reprocha, tendante à la mort, que puisqu'elle avoit tant aymé cette douce liqueur, qu'elle s'en saoullast ; à mode que dit Semiramis à Cyrus, luy mettant sa teste dans un vase plein de sang. Voylàun terrible genre de mort !

Cette pauvre dame ne fust ainsi morte si elle eust esté de la robuste complexion d'une garce qui fut au camp de César en la Gaule, sur laquelle on dit que deux légions passèrent par dessus en peu de temps; et au partir de là fit la gambade, ne s'en trouvant point mal.


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J J'ay ouy parler d'une femme françoise, de ville, et damoiselle, et belle : en nos guerres civiles ayant esté forcée, dans une ville prise d'assaut, par une infinité de soldats, et en estant eschappée, elle demanda à un beau père si elle avoit péché grandement , après luy avoir conté son histoire ; il luy dit que non, puisqu'elle avoit ainsi esté prise par force, et violée sans sa volonté, mais y répu- gnant du tout. Elle respondit : « Dieu donc soit loué, que je m'en suis une fois en ma vie saoulée, sans pécher ni offencer Dieu ! »

J Une dame de bonne part, au massacre de la Sainct-Barthelemy, ayant esté ainsy forcée, et son mary mort, elle demanda à un homme de sçavoir et de conscience si elle avoit offensé Dieu, et si elle n'en seroit point punie de sa rigueur, et si elle n' avoit point fait tort aux mânes de son mary qui ne venoit que d'estre frais tué. Il luy respondit que, quand elle estoit en ceste besogne, que, si elle y avoit pris plaisir, certainement elle avoit péché; mais, si elle y avoit eu du desgoust, c'es- toit tout un. Voilà une bonne sentence!

J J'ay bien cogneu une dame qui estoit diffé- rente de cette opinion, qui disoit qu'il n'y avoit si grand plaisir en ceste affaire que quand elle estoit à demy forcée et abattue, et mesmes d'un grand; d'autant que tant plus on fait de la rebelle et de la refusante , d'autant plus on y prend d'ardeur et s'efforce-on : car, ayant une fois faussé sa brèche, il jouit de sa victoire plus furieusement et rude-


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ment, et d'autant plus on donne d'appétit à sa dame, qui contrefait pour tel plaisir la demye-morte et pasmée, comme il semble , mais c'est de l'ex- trême plaisir qu'elle y prend. Mesmes ce disoit ceste dame que bien souvent elle donnoit de ces venues et altères à son mary, et faisoit de la fa- rouche, de la bizarre et desdaigneuse, le mettant plus en rut; et, quand il venoit là, luy et elle s'en trouvoyent cent fois mieux: car, comme plusieurs ont escrit, une dame plaist plus, qui fait un peu de la difficile et résiste, que quand elle se laisse sitost porter par terre. Aussi en guerre une victoire obte- nue de force est plus signalée, plus ardente et plaisante, que par la gratuité, et en triomphe-il mieux. Mais aussi ne faut que la dame fasse tant en cela de la revesche ny terrible, car on la tien- droit plustost pour une putain rusée qui voudroit faire de la prude ; dont bien souvent elle seroit escandalisée ; ainsi que j'ay ouy dire à des plus sa- vantes et habiles en ce fait, auxquelles je m'en rapporte, ne voulant estre si presumptueux de leur en donner des préceptes qu'elles sçavent mieux que moy.

J Or j'ay veu plusieurs blasmer grandement au- cuns de ces marys jaloux et meurtriers, d'une chose, que, si leurs femmes sont putains, eux- mesmes en sont cause. Car, comme dit sainct Augustin, c'est une grande folie à un mary de re- quérir chasteté à sa femme, luy estant plongé au bourbier de paillardise; et en tel estât doit estre


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le mary qu'il veut trouver sa femme. Mesmes nous trouvons en nostre sainte Escriture qu'il n'est pas besoin que le mary et la femme s'entrayment si fort : cela se veut entendre par des amours lascifs et paillards ; d'autant que, mettant et occupant du tout leur cœur en ces plaisirs lubriques, y songent si fort et s'y adonnent si très-tant qu'ils en laissent l'amour qu'ils doivent à Dieu; ainsi que moy- mesme j'ay veu beaucoup de femmes qui aymoient si très-tant leurs marys, et eux elles, et en brus- loyent de telle ardeur, qu'elles et eux en ou- blioient du tout le service de Dieu ; si que, le temps qu'il y falloit mettre, le mettoyent et con- sommoyent après leurs paillardises.

De plus, ces marys, qui, pis est, apprennent à leurs femmes, dans leur lict propre, mille lubrici- tez, mille paillardises, mille tours, contours, façons nouvelles, et leur pratiquent ces figures énormes de l'Aretin ; de telle sorte que, pour un tison de feu qu'elles ont dans le corps, elles y en engendrent cent, et les rendent ainsi paillardes; si bien qu'es- tans de telle façon dressées, elles ne se peuvent engarder qu'elles ne quittent leurs marys et aillent trouver autres chevalliers. Et, sur ce, leurs marys en désespèrent et punissent leurs pauvres femmes; en quoy ilz ont grand tort : car, puisqu'elles sentent leur cœur pour estre si bien dressées, elles veulent monstrer à d'autres ce qu'elles sçavent faire ; et leurs marys voudroyent qu'elles cachassent leur sçavoir; en quoy il n'y a apparence ny raison,


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non plus que si un bon escuyer avoit un cheval bien dressé, allant de tous airs, et qu'il ne voulust permettre qu'on le vist aller, ny qu'on montast dessus, mais qu'on le creust à sa simple parole, et qu'on l'acheptast ainsi.

J J'ay ouy conter à un honneste gentilhomme de par le monde, lequel estant devenu fort amou- reux d'une belle dame, il luy fut dit par un sien amy qu'il y perdroit son temps, car elle aimoit trop son mary; il se va adviser une fois de faire un trou qui arregardoit droit dans leur lict ; si bien qu'es- tans couchez ensemble, il ne faillit de les espier par ce trou, d'où il vit les plus grandes lubricitez, paillardises , postures salles , monstrueuses et énormes, autant de la femme, voire plus que du mary, et avec des ardeurs tres-extresmes ; si bien que le lendemain il vint à trouver son compagnon et luy raconter la belle vision qu'il avoit eue, et luy dit : « Cette femme est à moy aussitost que son mary sera party pour tel voyage : car elle ne se pourra tenir longuement en sa chaleur que la nature et l'art luy ont donné, et faut qu'elle la passe ; et par ainsi par ma persévérance je l'auray. »

5 Je cognois un autre honneste gentilhomme qui, estant bien amoureux d'une belle et honneste dame, sçachant qu'elle avoit un Aretin en figure dans son cabinet, que son mary sçavoit et l'avoit veu et permis, augura aussitost par-là qu'il l'atrap- peroit; et, sans perdre espérance, il la servit si bien et continua qu'enfin il l'emporta : et cognut


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en elle qu'elle y avoit appris de bonnes leçons et pratiques, ou fust de son mary ou d'autres, niant pourtant que ny les uns ny les autres n'en avoyent point esté les premiers maistres, mais la dame na- ture, qui en estoit meilleure maistresse que tous les arts. Si est-ce que le livre et la pratique luy avoyent beaucoup servy en cela, comme elle luy confessa puis après.

Il se lit d'une grande courtisanne et maque-

relle insigne du temps de l'ancienne Rome, qui s'appelloit Elefantina , qui fit et composa de telles figures de l'Aretin, encore pires, auxquelles les dames grandes et princesses faisant estât de puta- nisme estudioyent comme un très-beau livre. Et cette bonne dame putain cyreniene , laquelle estoit surnommée « aux douze inventions » , parce qu'elle avoit trouvé douze manières pour rendre le plaisir plus voluptueux et lubrique !

J Heliogabale gaigeoit et entretenoit , par grand argent et dons, ceux et celles qui luy inven- toyent et produisoyent nouvelles et telles inven- tions pour mieux esveiller sa paillardise. J'en ay ouy parler d'autres pareils de par le monde.

J Un de ces ans le pape Sixte fit pendre à Rome un secrétaire qui avoit esté au cardinal d'Est et s'appelloit Capella, pour beaucoup de forfaits, mais entre autres qu'il avoit composé un livre de ces belles figures, lesquelles estoyent re- présentées par un grand, que je ne nommeray point pour l'amour de sa robe, et par une grande,


PREMIER DISCOURS 43

l'une des belles dames de Rome, et tous repré- sentez au vif et peints au naturel.

J J'ay cogneu un prince de par le monde qui fit bien mieux, car il achepta d'un orfèvre une très-belle coupe d'argent doré, comme pour un chef-d'œuvre et grand speciauté, la mieux elabou- rée, gravée et sigillée qu'il estoit possible de voir, où estoyent taillées bien gentiment et subtillement au burin plusieurs figures de l'Aretin, de l'homme et de la femme, et ce au bas estage de la coupe, et au dessus et au haut plusieurs aussi de diverses manières de cohabitations de bestes, là où j'appris la première fois (car j'ay veu souvent la dicte coupe et beu dedans, non sans rire) celle du lion et de la lionne, qui est tout contraire à celle des autres animaux, que n'avois jamais sceu, dont je m'en rapporte à ceux qui le sçavent sans que je le die. Cette coupe estoit l'honneur du buffet de ce prince : car, comme j'ay dit, elle estoit très-belle et riche d'art, et agréable à voir au dedans et au dehors.

Quand ce prince festinoit les dames et filles de la cour, comme souvent il les convioit, ses som- melliers ne failloyent jamais, par son commande- ment, de leur bailler à boire dedans ; et celles qui ne l'avoyent jamais veue, ou en beuvant ou après, les unes demeuroyent estonnées et ne sça- voient que dire là-dessus ; aucunes demeuroyent honteuses, et la couleur leur sautoit au visage; aucunes s'entre-disoyent entr'elles : « Qu'est-ce


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que cela qui est gravé là dedans? Je croy que ce sont des sallauderies. Je n'y boys plus. J'aurois bien grand soif avant que j'y retournasse boire. » Mais il falloit qu'elles beussent là, ou bien qu'elles esclatassent de soif; et, pour ce, aucunes fer- moyent les yeux en beuvant, les autres, moins vergogneuses, point. Qui en avoyent ouy parler du mestier, tant dames que filles, se mettoyent à rire sous bourre; les autres en crevoyent tout à trac.

Les unes disoyent, quand on leur demandoit qu'elles avoyent à rire et ce qu'elles avoyent veu, qu'elles n'avoyent rien veu que des peintures, et que pour cela elles n'y lairroyent à boire une autre fois. Les autres disoyent : « Quant à moy, je n'y songe point à mal; la veue et la peinture ne souille point l'âme. » Les unes disoyent : « Le bon vin est aussi bon leans qu'ailleurs. » Les autres affermoyent qu'il y faisoit aussi bon boire qu'en une autre coupe, et que la soif s'y passoit aussi bien. Aux unes on faisoit la guerre pourquoy elles ne fermoyent les yeux en beuvant; elles res- pondoyent qu'elles vouloyent voir ce qu'elles beuvoyent, craignant que ce ne fust du vin, mais quelque médecine ou poison. Aux autres on de- mandoit à quoy elles prenoyent plus de plaisir, ou à voir, ou à boire; elles respondoyent : « A tout. » Les unes disoyent : « Voilà de belles cro- tesques! » Les autres : « Voylà de plaisantes mom- meries ! » Les unes disoyent : « Voylà de beaux


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images! » Les autres : « Voylà de beaux miroirs! » Les unes disoyent : « L'orfèvre estoit bien à loisir de s'amuser à faire ces fadezes ! » Les autres di- soyent : « Et vous, Monsieur, encor plus d'avoir achepté ce beau hanap. » Aux unes on demandoit si elles sentoyent rien qui les picquast au mitant du corps pour cela; elles respondoyent que nulle de ces drolleries y avoit eu pouvoir pour les pic- quer. Aux autres on demandoit si elles n'avoyent point senty le vin chaut, et qu'il les eust eschauffées, encor que ce fust en hyver ; elles respondoyent qu'elles n'avoyent garde, car elles avoyent beu bien froid, qui les avoit bien rafraischies. Aux unes on demandoit quelles images de toutes celles elles voudroyent tenir en leur lict; elles respon- doient qu'elles ne se pouvoyent oster de là pour les y transporter.

Bref, cent mille brocards et sornettes sur ce su- jet s'entredonnoyent les gentilshommes et dames ainsi à table, comme j'ay veu, que c'estoit une tres-plaisante gausserie, et chose à voir et ouïr; mais surtout, à mon gré, le plus et le meilleur estoit à contempler ces filles innocentes, ou qui feignoyent l'estre , et autres dames nouvellement venues, à tenir leur mine froide, riante du bout du nez et des lèvres, ou à se contraindre et faire des hypocrites, comme plusieurs damesen faisoyent de mesme. Et notez que, quand elles eussent deu mourir de soif, les sommelliers n'eussent osé leur donner à boire en une autre coupe ny verre. Et,


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qui plus est, juroyent aucunes, pour faire bon minois, qu'elles ne tourneroyent jamais à ces fes- tins; mais elles ne laissoyent pour cela à y tourner souvent, car ce prince estoit tres-splendide et friand. D'autres disoyent, quand on les convioit : « J'iray, mais en protestation qu'on ne nous bail- lera point à boire dans la coupe » ; et, quand elles y estoient, elles y beuvoient plus que jamais. Enfin elles s'y avezarent si bien qu'elles ne firent plus de scrupule d'y boire; et si firent bien mieux aucunes, qu'elles se servirent de telles visions en temps et lieu ; et, qui plus est, aucunes s'en desbaucherent pour en faire l'essay : car toute personne d'esprit veut essayer tout.

Voilà les effets de cette belle coupe si bien histo- riée. A quoy se faut imaginer les autres discours, les songes, les mines et les paroles que telles dames disoyent et faisoyent entre elles, à part ou en com- pagnie.

Je pense que telle couppe estoit bien différente à celle dont parle M. de Ronsard en l'une de ses premières odes, desdiée au feu roy Henry, qui se commence ainsi :

Comme un qui prend une couppe, Seul honneur de son trésor, Et de rang verse à la troupe Du vin qui rit dedans l'or.

Mais en cette coupe le vin ne rioit pas aux per- sonnes, mais les personnes au vin : car les unes beuvoyent en riant, et les autres beuvoyent en se


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ravissant ; les unes se compissoyent en beuvant, et les autres beuvoyent en se compissant ; je dis, d'autre chose que de pissat.

Bief, cette coupe faisoit de terribles effets, tant y estoyent pénétrantes ces images, visions et per- spectives : dont je me souviens qu'une fois, en une gallerie du comte de Chasteau-Vilain, dit le sei- gneur Adjacet, une trouppe de dames avec leurs serviteurs estant allé voir cette belle maison, leur veue s'addressa sur de beaux et rares tableaux qui estoyent en ladite gallerie. A elles se présenta un tableau fort beau, où estoyent représentées force belles dames nues qui estoyent au bain, qui s'entre- touchoient, se palpoyent, se manioyent et frot- toyent, s'entremesloyent, se tastonnoyent, et, qui plus est, se faisoyent le poil tant gentiment et si pro- prement, en monstrant tout, qu'une froide recluse ou hermitte s'en fust eschauffée et esmeue; et c'est pourquoy une darne grande, dont j'ay ouy parler, et cogneue avec, se perdant en ce tableau, dit à son serviteur, en se tournant vers luy comme enra- gée de cette rage d'amour : « C'est trop demeuré icy : montons en carosse promptement et allons en mon logis, car je ne puis plus contenir cette ardeur ; il la faut aller esteindre : c'est trop bruslé. » Et ainsi partit, et alla avec son serviteur prendre de cette bonne eau qui est si douce sans sucre, et que son serviteur luy donna de sa petite burette.

Telles peintures et tableaux portent plus de nui- sance à une ame fragile qu'on ne pense ; comme en


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estoit un là mesme, d'une Venus toute nue, cou- chée et regardée de son filsCupidon; l'autre, d'un Mars couché avec sa Venus; l'autre, d'une Laeda couchée avec son signe. Tant d'autres y a-il et là et ailleurs, qui sont un peu plus modestement peints et voilez mieux que les figures de PAretin ; mais quasy tout vient à un, et en aprochent de nostre coupe dont je viens de parler, laquelle avoit quasi quelque simpatie, par antinomie, de la couppe que trouva Renault de Montauban en ce chasteau dont parle l'Arioste, laquelle à plein descouvroit les pauvres cocus, et cette-cy les faisoit ; mais l'une portoit un peu trop de scandale aux cocus et leurs femmes infidèles, et cette-cy point.

Aujourd'huy n'en est besoin de ces livres ny de ces peintures, car les marys leur en apprennent prou : et voilà que servent telles escholes de marys !

J J'ay cogneu un bon imprimeur venetien à Paris, qui s'appeloit messer Bernardo, parent de ce grand Aldus Manutius de Venise, qui tenoit sa boutique en la rue deSainct-Jacques, qui me dit et jura une fois qu'en moins d'un an il avoit vendu plus de cinquante paires de livres de PAretin à force gens mariés et non mariés, et à des femmes, dont il m'en nomma trois de parle monde, gran- des, que je ne nommeray point, et les leur bailla à elles mesmes et très-bien reliez, sous serment preste qu'il n'en sonneroit mot, mais pourtant il me le dist ; et me dist davantage qu'une autre


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dame luy en ayant demandé, au bout de quelque temps, s'il en avoit point un pareil comme un qu'elle avoit veu entre les mains d'une de ces trois, il luy respondit : S'ignora, si, e peggio ; et soudain argent en campagne, les acheptant tous au poids de l'or. Voilà une folle curiosité pour envoyer son mary faire un voyage à Cornette prés de Civita- Vecchia.

Toutes ces formes et postures sont odieuses à Dieu, si bien que sainct Hierosme dit : « Qui se monstre plustost desbordé amoureux de sa femme que mary est adultère et pèche. » Et, parce qu'au- cuns docteurs ecclésiastiques en ont parlé, je diray ce mot briefvement en mots latins, d'autant qu'eux- mesmes ne l'ont voulu dire en françois : Excessus, disent-ils, conjugum fit quando uxor cognosciturante, rétro stando, sedendo in latere, et mulier super virum ; comme un petit colibet que j'ay leu d'au- tresfois, qui dit :

In prato viridi monialtm ludere vidi •

Cum monacho [éviter, Me sub, Ma super.

D'autres disent, quand ilz s'accommodent autre- ment, que la femme ne puisse concevoir. Toutes- fois il y a aucunes femmes qui disent qu'elles con- çoivent mieux par les postures monstrueuses et surnaturelles et estranges que naturelles et com- munes, d'autant qu'elles y prennent plaisir davan- tage, et, comme dit le poëte, quand elles s'accom- modent more canino, ce qui est odieux ; toutesfois Brantôme. I, 7


5o PREMIER DISCOURS

les femmes grosses, au moins aucunes, en usent ainsi, de peur de se gaster par le devant.

D'autres docteurs disent que quelque forme que ce soit est bonne, mais que semen ejaculetur inma- tricem mulieris, et quomodocunque uxor cognoscatur, si vir ejaculetur semen in matricem, non est peccatum mortelle.

Vous trouverez ces disputes dans Summa Bene- dicti, qui est un cordelier docteur qui a très-bien escrit de tous les péchez et monstre qu'il a beaucoup veu et leu. Qui voudra lire ce passage y verra beau- coup d'abus que commettent les marys à l'endroit de leurs femmes. Aussi dit-il que , quando millier est ita pinguis ut non possit aliter coïre que par telles postures, non est peccatum mortale, modo vir ejacu- letur semen in vas naturelle. Dont disent aucuns qu'il vaudroit mieux que les marys s'abstinssent de leurs femmes quand elles sont pleines, comme font les animaux, que de souiller le mariage par de telles vilainies.

J J'ay cogneu une fameuse courtisanne à Rome, dicte la Grecque, qu'un grand seigneur de France avoit là entretenue. Au bout de quelque temps, il luy prit envie de venir voir la France, parle moyen du seigneur Bonvisi, banquier de Lion, Lucquois tres-riche, de laquelle il estoit amoureux ; où estant, elle s'enquit fort de ce seigneur et de sa femme, et, entr'autres choses, si elle ne le faisoit point cocu, « d'autant, disoit-elle, que j'ay dressé son mary de si bel air, et luy ay appris de si bonnes


PREMIER DISCOURS 5l

leçons, que, luy les ayant montrées et pratiquées avec sa femme, il n'est possible qu'elle ne les ait voulu monstrer à d'autres : car nostre mestier est si chaud, quand il est bien appris, qu'on prend cent fois plus de plaisir de le monstrer et pratiquer avec plusieurs qu'avec un. » Et disoit bien plus que cette dame lui devoit faire un beau présent et con- digne de sa peine et de son sallaire, parce que, quand son mary vint à son escholle premièrement, il n'y sçavoit rien, et estoit en cela le plus sot, neuf et apprentif qu'elle vist jamais ; mais elle l'avoit si bien dressé et façonné que sa femme s'en devoit trouver cent fois mieux. Et, de fait, cette dame, la voulant voir, alla chez elle en habit dissimulé ; dont la courtisanne s'en douta et lui tint tous les propos que je viens de dire, et pires encor et plus desbordez, car elle estoit courtizanne fort débor- dée. Et voilà comment les marys se forgent les couteaux pour se couper la gorge ; cela s'entend des cornes. Par ainsi, abusant du saint mariage, Dieu les punit ; et puis veulent avoir leurs revan- ches sur leurs femmes, en quoy ilz sont cent fois plus punissables. Aussi ne m'estonnè-je pas si ce saint docteur disoit que le maryage estoit quasi une vraye espèce d'adultère : cela vouloit-il enten- dre quand on en abusoit de cette sorte que je viens de dire.

Aussi a-on défendu le mariage à nos prestres : car, venant de coucher avec leurs femmes, ets'estre bien souillez avec elles, il n'y a point de propos


52 PREMIER DISCOURS

de venir à un sacré autel. Car, ma foy, ainsy que j'ay ouy dire, aucuns bourdellent plus avec leurs femmes que non pas les ruffiens avec les putains des bourdeaux, qui, craignans prendre mal, ne s'achar- nent et ne s'eschauffent avec elles comme les marys avec leurs femmes, qui sont nettes et ne peuvent donner mal, au moins aucunes et non pas toutes : car j'en ay bien cogneu qui leur en donnent, aussi bien que leurs marys à elles.

Les marys abusants de leurs femmes sont fort punissables, comme j'ay ouy dire à de grands doc- teurs, que les marys, ne se gouvernants avec leurs femmes modestement dans leur lict comme ils doi- vent, paillardent avec elles comme avec concu- bines, n'estant le mariage introduit que pour la nécessité et procréation, et non pour le plaisir desordonné et paillardise. Ce que très-bien nous sceut représenter l'empereur Sejanus Commodus, dit autrement Anchus Verus, lorsqu'il dit à sa femme Domitia Calvilla, qui se plaignoit à luy de quoy il portoit à des putains et courtisannes et autres ce qu'à elle appartenoit en son lict, et luy ostoit ses menues et petites pratiques : « Supportez, ma femme, luy dit-il, qu'avec les autres je saoule mes désirs, d'autant que le nom de femme et de consorte est un nom de dignité et d'honneur, et non de plaisir et paillardise. » Je n'ay point encor leu ny trouvé la response que luy fit là dessus madame sa femme l'impératrice ; mais il ne faut douter que, ne se contentant de ceste sentence


PREMIER DISCOURS 53

dorée, elle ne luy respondist de bon cœur, et par la voix de la pluspart, voire de toutes les femmes mariées : « Fy de cet honneur, et vive le plaisir ! nous vivons mieux de l'un que de l'autre. »

Il ne faut non plus douter aussi que la pluspart de nos mariés aujourd'huy et de tout temps, qui ont de belles femmes, ne disent pas ainsi : car ilz ne se maryent et lient , ny ne prennent leurs femmes, sinon pour bien passer leur temps et bien paillarder en toutes façons, et leur enseigner des préceptes et pour le mouvement de leur corps et pour les débordées et lascives paroles de leurs bouches, afin que leur dormante Venus en soit mieux esveillée et excitée; et, après les avoir bien ainsi instruites et debauschées, si elles vont ailleurs, ilz les punissent, les battent, les assomment et les font mourir.

Il y a aussi un peu de raison en cela, comme si quelqu'un avoit debausché une pauvre fille d'entre les bras de sa mère, et luy eust faict perdre l'hon- neur et sa virginité, et puis, après en avoir fait sa volonté, la battre et la contraindre à vivre autre- ment, en toute chasteté : vrayement ! car il en est bien temps, et bien à propos ! Qui est celuy qui ne le condamne pour homme sans raison et digne d'estre chastié? L'on en deust dire de mesmes de plusieurs marys , lesquels, quand tout est dit, debauschent plus leurs femmes, et leur apprennent plus de pré- ceptes pour tomber en paillardise, que ne font leurs propres amoureux : car ilz en ont plus de


>4 PREMIER DISCOURS

temps et loisir que les amants ; et, venants à dis- continuer leurs exercices, elles changent de main et de maistre, à mode d'un bon cavalcadour, qui prend plus de plaisir cent fois de monter à cheval qu'un qui n'y entend rien. « Et de malheur, ce disoit cette courtizanne, il n'y a nul mestier au monde qui soit plus coquin ny qui désire tant de continue que celui de Venus. » En quoy ces marys doivent estre advertis de ne faire tels enseigne- mens à leurs femmes, car ils leur sont par trop pré- judiciables ; ou bien, s'ils voyent leurs femmes leur jouer un faux-bon, qu'ils ne les punissent point, puisque s'ont esté eux qui leur en ont ouvert le chemin.

J Si faut-il que je face cette digression d'une femme mariée, belle et honneste et d'estoffe, que je sçay, qui s'abandonna à un honneste gentil- homme, aussi plus par jalousie qu'elle portoit à une honneste dame que ce gentilhomme aimoit et entretenoit, que par amour. Parquoy, ainsi qu'il en jouissoit, la dame luy dit : « A cette heure, à mon grand contentement, triomphè-je de vous et de l'amour que portez à une telle. » Le gentil- homme luy respondit : « Une personne abattue, subjuguée et foulée, ne sauroit bien triompher. » Elle prend pied à cette response, comme touchant à son honneur, et luy réplique aussitost : « Vous avez raison. » Et tout à coup s'advise de désar- çonner subitement son homme, et se desrober de dessous luy; et, changeant de forme, prestement


PREMIER DISCOURS 55

et agilement monte sur luy et le met sous soy. Jamais jadis chevallier ou gendarme romain ne fut si prompt et adextre de monter et remonter sur ses chevaux desultoires, comme fut ce coup cette dame avec son homme; et le manie de mesme en luy disant : « A st'heure donc puis-je bien dire qu'à bon escient je triomphe de vous, puisque je vous tiens abattu sous moy. » Voilà une dame d'une plaisante et paillarde ambition, et d'une fa- çon estrange, comment elle la traitta !

J J'ay ouy parler d'une fort belle et honneste dame de par le monde, sujette fort à l'amour et à la lubricité, qui pourtant fut si arrogante et si fiere et si brave de cœur que, quand ce venoit là, ne vouloit jamais souffrir que son homme la montast et la mit sous soy et l'abattit, pensant faire un grand tort à la générosité de son cœur, et attri- buant à une grande lascheté d'estre ainsi subjuguée et sousmise, en mode d'une triomphante conqueste ou esclavitude , mais vouloit tousjours garder le dessus et la prééminence. Et ce qui faisoit bon pour elle en cela, c'est que jamais ne voulut s'a- donner à un plus grand que soy, de peur qu'usant de son autorité et puissance, luy pust donner la loy, et la pust tourner, virer et fouler, ainsi qu'il luy eust pieu ; mais, en cela, choisissoit ses égaux et inférieurs, auxquels elle ordonnoit leur rang, leur assiete, leur ordre et forme de combat amou- reux, ne plus ne moins qu'un sergent majour à ses gens le jour d'une bataille ; et leur commandoit


56 PREMIER DISCOURS

de ne l'outrepasser, sur peine de perdre leurs pra- tiques, aux uns son amour, et aux autres la vie; si que debout ou assis, ou couchez, jamais ne se purent prévaloir sur elle de la moindre humilia- tion, ny submission, ny inclination, qu'elle leur eust rendu et preste. Je m'en rapporte au dire et au songer de ceux et celles qui ont traitté telles amours, telles postures, assietes et formes.

Cette dame pouvoit ordonner ainsi sans qu'il y allast rien de son honneur prétendu, ny de son cœur généreux offensé : car, à ce que j'ay ouy dire à aucuns praticqs, il y avoit assez de moyens pour faire telles ordonnances et pratiques.

Voilà une terrible et plaisante humeur de femme, et bizarre scrupule de conscience généreuse. Si avoit-elle raison pourtant ; car c'est une fascheuse souffrance que d'estre subjuguée, ployée, foullée, et mesmes quand l'on pense quelquefois à part soy, et qu'on dit : « Un tel m'a mis sous luy et foulé », par manière de dire, sinon aux pieds, mais autrement : cela vaut autant à dire.

Cette dame aussi ne voulut jamais permettre que ses inférieurs la baisassent jamais à la bouche, « d'autant, disoit-elle, que le toucher et le tact de bouche à bouche est le plus sensible et précieux de tous les autres touchers, fust de la main et autres membres », et, pour ce, ne vouloit estre alleinée, ny sentir à la sienne une bouche salle, orde et nompareille à la sienne.

Or, sur cecy, c'est une autre question que j'ay


PREMIER DISCOURS !>7

veu traitter à aucuns : quel advantage de gloire a plus grand sur son compagnon, ou l'homme ou la femme, quand ils sont en ces escarmouches ou vic- toires vénériennes ?

L'homme allègue pour soy la raison précédente : que la victoire est bien plus grande quand l'on tient sa douce ennemie abattue sous soy, et qu'il la subjugue, la supedite et la dompte à son aise et comme il luy plaist ; car il n'y a si grande prin- cesse ou dame, que, quand elle est là, fust-ce avec son inférieur ou inégal, qu'elle n'en souffre la loy et la domination qu'en a ordonné Venus parmi ses statuts ; et, pour ce, la gloire et l'honneur en de- meure très-grande à l'homme.

La femme dit : « Ouy, je le confesse, que vous vous devez sentir glorieux quand vous me tenez sous vous et me suppeditez ; mais aussi, quand il me plaist, s'il ne tient qu'à tenir le dessus, je le tiens par gayeté et une gentille volonté qui m'en prend, et non pour une contrainte. D'avantage, quand ce dessus me deplaist, je me fais servir à vous comme d'un esclave ou forçat de gallere, ou, pour 'mieux dire, vous fais tirer au collier comme un vray cheval de charrette, et vous, travaillant, peinant, suant, halletant , efforçant à faire les courvées et efforts que je veux tirer de vous. Ce- pendant, moy, je suis couchée à mon aise, je vois venir vos coups; quelquesfois j'en ris et en tire mon plaisir à vous voir en telles altères ; quelques- fois aussi je vous plains, selon ce qui me plaist ou


58 PREMIER DISCOURS

que j'en ay de volonté ou pitié; et, après en avoir en cela très-bien passé ma fantaisie, je laisse là mon gallant, las, recreu, débilité, énervé, qu'il n'en peut plus, et n'a besoin que d'un bon repos et de quelque bon repas, d'un coulis, d'un restau- rent ou de quelque bon bouillon confortatif. Moy, pour telles courvées et tels efforts, je ne m'en sens nullement, sinon que très-bien servie à vos des- pens, monsieur le gallant, et n'ay autre mal sinon de souhaiter quelque autre qui m'en donnast au- tant, à peine de le faire rendre comme vous ; et, par ainsi, ne me rendant jamais, mais faisant rendre mon doux ennemy, je rapporte la vraye victoire et la vraye gloire, d'autant qu'en un duel celuy qui se rend est deshonnoré, et non pas celuy qui combat jusques au dernier poinct de la mort. »

Ainsi que j'ay ouy conter d'une belle et hon- neste femme, qui une fois, son mary l'ayant es- veillée d'un profond sommeil et repos qu'elle pre- noit, pour faire cela, après qu'il eut fait elle luy dit : « Vous avez fait et moy non. » Et, parce qu'elle estoit dessus luy, elle le lia si bien de bras, de mains, de pieds et de ses jambes entrelassées : « Je vous apprendray à ne m'esveiller une autre fois » ; et, le démenant, secouant et remuant à toute outrance, son mary qui estoit dessous, qui ne s'en pouvoit défaire et qui suoit, ahannoit et se lassoit, et crioyt mercy, elle le luy fît faire une autre fois en dépit de luy, et le rendit si las, si


PREMIER DISCOURS 5o,

atenué et flac, qu'il en devint hors d'aleine et luy jura un bon coup qu'une autre fois il la prendroit à son heure, à son humeur et apetit. Ce conte est meilleur à se l'imaginer et représenter qu'à l'es- crire.

Voilà donc les raisons de la dame avec plusieurs autres qu'elle put alléguer.

Encore l'homme replicque là-dessus : « Je n'ay point aucun vaisseau ni baschot comme vous avez le vostre, dans lequel je jette un gassouil de pol- lution et d'ordure (si ordure se doit appeler la semence humaine jettée par mariage et paillardise), qui vous salit et vous y pisse comme dans un pot. — Ouy, dit la dame; mais aussitost ce beau sperme, que vous autres dites estre le sang le plus pur et net que vous avez, je le vous vais pisser incontinent et jetter, ou dans un pot ou bassin, ou en un retrait, et le mesler avecques une autre or- dure tres-puante et salle et vilaine : car de cinq cens coups que l'on nous touchera, de mille, deux mille, trois mille, voire d'une infinité, voire de nul, nous n'engroissons que d'un coup, et la ma- trice ne retient qu'une fois : car, si le sperme y entre bien et y est bien retenu, celuy-là est bien logé, mais les autres fort sallaudement nous les logeons comme je viens de dire. Voilà pourquoi il ne faut se vanter de nous gazouiller de vos or- dures de sperme: car, outre celuy-là que nous concevons, nous le jettons et rendons pour n'en faire plus de cas aussitost que l'avons receu et


OO PREMIER DISCOURS

qu'il ne nous donne plus de plaisir, et en sommes quittes en disant : « Monsieur le potagier, voilà « vostre brouet que je vous rends, et le vous « claque là ; il a perdu le bon goust que vous c< m'en avez donné premièrement. » Et notez que la moindre bagasse en peut dire autant à un grand roy ou prince, s'il l'a repassée ; qui est un grand mespris, d'autant que l'on tient le sang royal pour le plus précieux qui soit point. Vrayment il est bien gardé et logé bien précieusement plus que d'un autre ! »

Voilà le dire des femmes ; qui est un grand cas pourtant qu'un sang si précieux se pollue et se contamine ainsi si sallaudement et vilainement; ce qui estoit défendu en la loy de Moyse, de ne le nullement prostituer en terre; mais on fait bien pis quand on le mesle avecques de l'ordure tres- orde et salle.

Encor si elles faisoyent comme un grand sei- gneur dont j'ay ouy parler, qui, en songeant la nuict, s'estant corrompu parmy ses linceuls, les fît enterrer, tant il estoit scrupuleux, disant que c'es- toit un petit enfant provenu de là qui estoit mort, et que c'estoit dommage et une très-grande perte que ce sang n'eust esté mis dans la matrice de sa femme, dont possible l'enfant fust esté en vie.

Il se pouvoit bien tromper par là, d'autant que de mille habitations que le mary fait avec la femme l'année, possible, comme j'ay dit, n'en devient- elle grosse, non pas une fois en la vie, voire ja-


PREMIER DISCOURS 6l

mais, pour aucunes femmes qui sont brehaignes et stériles, et ne conçoivent jamais ; d'où est venu l'erreur d'aucuns mescreans, que le mariage n'avoit esté institué tant pour la procréation que pour le plaisir : ce qui est mal creu et mal parlé, car, encor qu'une femme n'engroisse toutes les fois qu'on l'entreprend, c'est pour quelque volonté de Dieu à nous occulte, et qu'il en veut punir et mary et femme, d'autant que la plus grande bénédiction que Dieu nous puisse envoyer en mariage, c'est une bonne lignée, et non par concubinage; dont il y a plusieurs femmes qui prennent un grand plai- sir d'en avoir de leurs amants, et d'autres non; les- quelles ne veulent permettre qu'on leur lasche rien dedans, tant pour ne supposer des enfans à leurs marys qui ne sont à eux, que pour leur sembler ne faire tort et ne les faire cocus si la rosée ne leur est entrée dedans, ny plus ny moins qu'un esto- mach débile et mauvais ne peut estre offensé de sa personne pour prendre de mauvais et indigestifs morceaux, pour les mettre dans la bouche, les mas- cher et puis les cracher en terre.

Aussi, par le mot de cocu, porté par les oyseaux d'avril, qui sont ainsi appeliez pour aller pondre au nid des autres, les hommes s'appellent cocus par antinomie quand les autres viennent pondre dans leur nid, qui est dans le cas de leurs femmes, qui est autant à dire leur jetter leur semence et leur faire des enfans..

Voilà comme plusieurs femmes ne pensent faire


b2 PREMIER DISCOURS

faute à leurs marys pour mettre dedans et s'esbau- dir leur saoul, mais qu'elles ne reçoivent point de leur semence ; ainsi sont-elles conscientieuses de bonne façon : comme d'une grande dont j'ay ouy parler, qui disoit à son serviteur : « Esbattez-vous tant que vous voudrez, et donnez-moy du plaisir ; mais, sur vostre vie, 'donnez-vous garde de ne m'arrouser rien là dedans, non d'une seule goutte, autrement il vous y va de la vie. » Si bien qu'il falloit bien que l'autre fust sage, et qu'il espiat le temps du mascaret quand il devoit venir.

J J'ay ouy faire un pareil compte au chevallier de Sanzay de Bretagne, un tres-honneste et brave gentilhomme, lequel, si la mort n'eust entrepris sur son jeune aage, fust esté un grand homme de mer, comme il avoit un tres-bon commencement : aussi en portoit-il les marques et enseignes, car il avoit eu un bras emporté d'un coup de canon en un combat qu'il fit sur mer. Le malheur pour luy fut qu'il fut pris des corsaires', et mené en Alger. Son maistre, qui le tenoit esclave, estoit le grand prestre de la mosquée de là, qui avoit une très- belle femme qui vint à s'amouracher si fort dudict Sanzay, qu'elle luy commanda de venir en amou- reux plaisir avec elle, et qu'elle luy feroit tres-bon traittement, meilleur qu'à aucun de ses autres es- claves ; mais surtout elle luy commanda tres-ex- pressement, et sur la vie, ou une prison tres-rigou- reuse, de ne lancer en son corps une seule goutte de sa semence , d'autant , disoit-elle , qu'elle ne


PREMIER DISCOURS 63

vouloit nullement estre pollue et contaminée du sang chrestien, dont elle penseroit offenser gran- dement et sa loy et son grand prophète Mahom- met; et, de plus, luy commanda qu'encor qu'elle fust en ses chauds plaisirs, quand bien elle luy commanderoit cent fois d'hazarder le paquet tout à trac, qu'il n'en fit rien, d'autant que ce seroit le grand plaisir duquel elle estoit ravie qui le luy fe- roit dire, et non pas la volonté de l'âme.

Ledict Sanzay, pour avoir bon traittement et plus grande liberté, encor qu'il fust chrestien, ferma les yeux pour ce coup à sa loy : car un pauvre esclave rudement traitté et misérablement enchaisné peut s'oublier bien quelques fois. Il obéit à la dame, et fut si sage et si abstraint à son commandement qu'il commanda fort bien à son plaisir ; et moul- loit au moulin de sa dame tousjours très-bien, sans y faire couller d'eau : car, quand l'escluse de l'eau vouloit se rompre et se déborder, aussitost il la retiroit, la resserroit et la faisoit escouler où il pou- voit ; dont cette femme l'en ayma davantage, pour estre si abstraint à son estroit commandement, en- cor qu'elle lui criast : « Laschez, je vous en donne toute permission ! » mais il ne voulut onc, car il craignoit d'estre battu à la turque , comme il voyoit ses autres compagnons devant soy.

Voilà une terrible humeur de femme; et pour ce il semble qu'elle faisoit beaucoup, et pour son ame qui estoit turque, et pour l'autre qui estoit chrestien, puisqu'il ne se deschargeoit nullement


64 PREMIER DISCOURS

avec elle : si me jura-il qu'en sa vie il ne fut en telle peine.

Il m'en fit un autre compte, le plus plaisant qu'il est possible, d'un trait qu'elle luy fit; mais, d'autant qu'il est trop sallaud, je m'en tairay, de peur d'offenser les oreilles chastes.

Du depuis ledict Chanzay fut rachepté par les siens, qui sont gens d'honneur et de bonne maison en Bretagne, et qui appartiennent à beaucoup de grands, comme à M. le Connestable qui aimoit fort son frère aisné, et qui luy ayda beaucoup à cette délivrance, laquelle ayant eue, il vint à la cour, et nous en conta fort à M. d'Estrozze et à moy de plusieurs choses, et entre autres il nous fit ces comptes.

Que dirons-nous maintenant d'aucuns marys qui ne se contentent de se donner du contente- ment et du plaisir paillard de leurs femmes, mais en donnent de l'appétit, soit à leurs compagnons et amys, soit à d'autres? Ainsi que j'en ay cogneu plusieurs qui leur louent leurs femmes, leur disent leurs beautez, leur figurent leurs membres et par- tyes du corps, leur représentent leurs plaisirs qu'ils ont avec elles, et leurs follatreries dont elles usent envers eux, les leur font baiser, toucher, taster, voire voir nues.

Que meritent-ils ceux-là? sinon 'qu'on les face cocus bien à point, ainsi que fît Gigés, par le moyen de sa bague, au roy Candaule, roy des Lidiens, lequel, sot qu'il estoit, luy ayant loué la


PREMIER DISCOURS 65

rare beauté de sa femme, comme si le silence luy faisoit tort et dommage, et puis la luy ayant mon- strée toute nue, en devint si amoureux qu'il en jouit à son gré, et le fit mourir, et s'impatronisa de son royaume. On dit que la femme en fut si désespérée, pour avoir esté représentée ainsi, qu'elle força Gigés à ce mauvais tour, en luy di- sant : « Ou celuy qui t'a pressé et conseillé de telle chose, faut qu'il meure de ta main, ou toy, qui m'as regardée toute nue, que tu meures de la main d'un autre. » Certes, ce roy estoit bien de loisir de donner ainsi appétit d'une viande nou- velle, si belle et bonne, qu'il devoit tenir si chère. J Louis, duc d'Orléans, tué à la porte Barbette, à Paris, fit bien au contraire (grand debauscheur des dames de la cour, et tousjours des plus grandes) : car, ayant avec luy couché une fort belle et grande dame, ainsi que son mary vint en sa chambre pour luy donner le bonjour, il alla couvrir la teste de sa dame, femme de l'autre, du linceul, et luy des- couvrit tout le corps, luy faisant voir tout nud et toucher à son bel aise, avec défense expresse sur la vie de n'oster le linge du visage, ny la descou- vrir aucunement, à quoy il n'osa contrevenir, luy demandant par plusieurs fois ce qui luy sembloit de ce beau corps tout nud : l'autre en demeura tout esperdu et grandement satisfait. Le duc luy bailla congé de sortir de la chambre, ce qu'il fit sans avoir jamais pu cognoistre que ce fust sa femme.

Brantôme. I. 9


66 PREMIER DISCOURS

S'il l'eust bien veue et recogneue toute nue, comme plusieurs que j'ay veu, il l'eust cogneue à plusieurs sis, possible; dont il fait bon les visiter quelquesfois par le corps.

Elle, après son mary party, fut interrogée de M. d'Orléans si elle avoit eu l'allarme et peur. Je vous laisse à penser ce qu'elle en dist, et la peine et l'altère en laquelle elle fut l'espace d'un quart d'heure : car il ne falloit qu'une petite indiscré- tion, ou la moindre désobéissance que son mary eust commis pour lever le linceul; il est vray, ce dist M. d'Orléans, mais qu'il l'eust tué aussitost pour l'empescher du mal qu'il eust faict à la femme.

Et le bon fut de ce mary, qu'estant la nuict d'amprés couché avec sa femme, il luy dit que M. d'Orléans luy avoit fait voir la plus belle femme nue qu'il vit jamais, mais, quant au visage, qu'il n'en sçavoit que rapporter, d'autant qu'il luy avoit in- terdit. Je vous laisse à penser ce qu'en pouvoit dire sa femme dans sa pensée. Et, de cette dame tant grande et de M. d'Orléans, on dit que sortit ce brave et vaillant bastard d'Orléans, le soustien de la France et le fléau de l'Angleterre, et duquel est venue ceste noble et généreuse race des comtes de Dunois.

J Or, pour retourner encor à nos marys pro- digues de la veue de leurs femmes nues, j'en sçay un qui, pour un matin, un sien compaignon l'es- tant allé voir dans sa chambre ainsi qu'il s'habilloit,


PREMIER DISCOURS 67

luy monstra sa femme toute nue, esiendue tout de son long toute endormie, et s'estant elle-mesme osté ses linceuls de dessus elle, d'autant qu'il faisoit grand chaud, luy tira le rideau à demy, si bien que, le soleil levant donnant dessus elle, il eut loisir de la bien contempler à son aise, où il ne vid rien que tout beau en perfection ; et y put paistre ses yeux, non tant qu'il eust voulu, mais tant qu'il put ; et puis le mary et luy s'en allèrent chez le roy.

Le lendemain, le gentilhomme, qui estoit fort serviteur de ceste dame honneste, luy racconta ceste vision, et mesme luy figura beaucoup de choses qu'il avoit remarquées en ses beaux membres, jusques aux plus cachez ; et si le mary le luy confirma, et que c'estoit Iuy-mesme qui en avoit tiré le rideau. La dame, de despit qu'elle conceut contre son mary, se laissa aller et s'oc- troya à son amy par ce seul sujet; ce que tout son service n' avoit sceu gaigner.

J J'ay cogneu un très-grand seigneur qui, un matin, voulant aller à la chasse, et ses gentils- hommes l'estant venu trouver à son lever, ainsi qu'on le chaussoit, et avoit sa femme couchée prés de luy, et qui luy tenoit son cas en pleine main, il leva si promptement la couverture qu'elle n'eut loisir de lever la main où elle estoit posée, que l'on l'y vit à l'aise et la moitié de son corps ; et, en se riant, il dit à ces messieurs qui estoyent pré- sents : « Et bien, Messieurs, ne vous ai-je pas fait


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voir choses et autres de ma femme ? » Laquelle fut si dépite de ce trait qu'elle luy en voulut un mal extresme, et mesme pour la surprise de cette main; et, possible, depuis elle le luy rendit bien.

J J'en sçay un autre d'un grand seigneur, le- quel, connoissant qu'un sien amy et parent estoit amoureux de sa femme, fust ou pour luy en faire venir l'envie davantage, ou du dépit et desespoir qu'il pouvoit concevoir de quoy il avoit eu une si belle femme et luy n'en tastoit point, la luy mon- stra un matin, l'estant allé voir, dans le lict tous deux couchez ensemble, à demye nue; et si fit bien pis, car il luy fit cela devant luy-mesme, et la mit en besogne comme si elle eust été à part; encor prioit-il cet amy de bien voir le tout, et qu'il faisoit tout cela à sa bonne grâce. Je vous laisse à penser si la dame, par une telle privauté de son mary, n'avoit pas occasion de faire à son amy l'autre toute entière, et à bon escient, et s'il n'estoit pas bien employé qu'il en portast les cornes.

5 J'ay ouy parler d'un autre et grand seigneur, qui le faisoit ainsi à sa femme devant un grand prince, son maistre, mais c'estoit par sa prière et commandement, qui se delectoit à tel' plaisir. Ne sont-ils pas donc ceux-là coulpables, puisqu'ayant esté leurs propres maquereaux , en veulent estre les bourreaux ?

Il ne faut jamais monstrer sa femme nue, ny


PREMIER DISCOURS 69

ses terres, pays et places, comme je tiens d'un grand capitaine, à propos de feu M. de Savoye, qui desconseilla et dissuada nostre roy Henry der- nier, quand, à son retour de Pologne, il passa par la Lombardie, de n'aller ny entrer dans la ville de Milan, luy alléguant que le roy d'Espagne en pourroit prendre quelque ombre; mais ce ne fut pas cela : il craignoit que le roy y estant, et la vi- sitant bien à point, et contemplant sa beauté, ri- chesse et grandeur, qu'il ne fust tenté d'une ex- tresme envie de la ravoir et reconquérir par bon et juste droit, comme avoyent fait ses prédécesseurs. Et voylà la vraye cause, comme dit un grand prince qui le tenoit du feu roy, qui cognoissoit ceste encloueure. Mais, pour complaire à M. de Savoye et ne rien altérer du costé du roy d'Es- pagne, il prit son chemin à costé, bien qu'il eust toutes les envies du monde d'y aller, à ce qu'il me fit cet honneur, quand il fut de retour à Lion, de me le dire : en quoy ne faut douter que M. de Savoye ne fust plus Espagnol que François.

J'estime les marys aussi condamnables, lesquels, après avoir receu la vie par la faveur de leurs femmes, en demeurent tellement ingrats que, pour le soupçon qu'ils ont de leurs amours avec d'au- tres, les traittent tres-rudement,jusques à attenter sur leurs vies. J'ay ouy parler d'un seigneur sur la vie duquel aucuns conjurateurs ayant conjuré et conspiré, sa femme, par supplication, les en destourna, et le garantit d'estre massacré; dont


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depuis elle en a esté tres-mal recogneueet traittée tres-rigoureusement.

J J'ay veu aussi un gentilhomme, lequel ayant esté accusé et mis en justice, pour avoir fait tres- mal son devoir à secourir son gênerai en une bat- taille, si bien qu'il le laissa tuer sans aucune assis- tance ny secours, estant prés d'estre sentencié et d'estre condamné d'avoir la teste tranchée, no- nobstant vingt mille escus qu'il présenta pour avoir la vie sauve, sa femme ayant parlé à un grand seigneur de par le monde et couché avec luy par la permission et supplication dudit mary, ce que l'argent n'avoit pu faire, sa beauté et son corps l'exécuta; et luy sauva la vie et la liberté. Du des- puis il la traitta si mal que rien plus. Certes, tels marys, cruels et enragez, sont tres-miserables.

J D'autres en ay-je cogneu qui n'ont pas fait de mesme, car ilz ont bien sceu recognoistre le bien d'où il venoit, et honoroyent ce bon trou toute leur vie, qui les avoit sauvez de mort.

5 II y a encor une autre sorte de cocus, qui ne se sont contentez d'avoir esté ombrageux en leur vie, mais allans mourir et sur le poinct du trespasle sont encores ; comme j'en ay cogneu un qui avoit une fort belle et honneste femme, mais pourtant qui ne s'estoit point tousjours estudiée à luy seul; ainsi qu'il vouloit mourir, il luy disoit : « Ah! ma mye, je m'en vais mourir! Et plust à Dieu que vous me tinssiez compagnie, et que vous et moy allassions ensemble en l'autre monde ! Ma


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mort ne m'en seroit si odieuse, et la prendrois plus en gré. » Mais la femme, qui estoit encor très-belle et jeune de trente-sept ans, ne le voulut point suivre ny croire pour ce coup là, et ne voulut faire la sotte, comme nous lisons de Evadné, fille de Mars et de Thebé, femme de Capanée, laquelle l'ayma si ardemment que,luy estant mort, aussitost que son corps fut jette dans le feu, elle s'y jetta après toute vive, et se brusla et se consuma avec luy par une grande constance et force, et ainsi l'accompaigna à sa mort.

J Alceste fit bien mieux, car, ayant sceu par l'oracle que son mary Admette, roi de Thessalie, devoit mourir bientost si sa vie n'estoit racheptée par la mort de quelque] autre de ses amis, elle soudain se précipita à la mort, et ainsy sauva son mary.

Il n'y a plus meshuy de ces femmes si charita- bles, qui veulent aller de leur gré dans la fosse avant leurs marys, ny les suivre. Non, il ne s'en trouve plus : les mères en sont mortes, comme di- sent les maquignons de Paris des chevaux, quand on n'en trouve plus de bons.

Et voylà pourquoy j'estimois ce mary, que je viens d'alléguer, malhabile de tenir ces propos à sa femme si fascheux, pour la convier à la mort, comme si ce fust esté quelque beau festin pour l'y convier. C'estoit une belle jalousie qui luy faisoit parler ainsy, qu'il concevoit en soy du desplaisir qu'il pouvoit avoir aux enfers là-bas, quand il ver-


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roit sa femme, qu'il avoit si bien dressée, entre les bras d'un sien amoureux ou de quelque autre mary nouveau.

Quelle forme de jalousie voilà, qu'il fallust que son mary en fust saisy alors, et qu'à tous les coups il luy disoit que, s'il en reschappoit, il n'endure- roit plus d'elle ce qu'il avoit enduré! et, tant qu'il a vescu, il n'en avoit point esté atteint, et luy laissoit faire à son bon plaisir.

J Ce brave Tancrede n'en fit pas de mesme, luy qui d'autrefois se fit jadis tant signaler en la guerre sainte. Estant sur le point de la mort, et sa femme prés de luy dolente, avec le comte de Tri- poly, il les pria tous deux après sa mort de s'es- pouser l'un l'autre, et le commanda à sa femme; ce qu'ils firent.

Pensez qu'il en avoit veu quelques approches d'amour en son vivant : car elle pouvoit estre aussi bonne vesse que sa mère, la comtesse d'An- gou, laquelle, après que le comte de Bretagne l'eut entretenue longuement, elle vint trouver le roy de France Philippes, qui la mena de mesmes, et lui fit cette fille bastarde qui s'appella Cicile, et puis la donna en mariage à ce valeureux Tan- crede, qui certes, par ses beaux exploicts, ne me- ritoit d'estre cocu.

J Un Albanois, ayant esté condamné de-là les monts d'estre pendu pour quelque forfait, estant au service du roy de France, ainsi qu'on le vouloit mener au supplice, il demanda à voir sa femme et


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luy dire adieu, qui estoit une très-belle femme et tres-agreable. Ainsi donc qu'il luy disoit adieu, en la baisant il luy tronçonna tout le nez avec belles dents, et le luy arracha de son beau visage. En quoy la justice l'ayant interrogé pourquoy il avoit fait cette villainie à sa femme, il respondit qu'il l'avoit fait de belle jalousie, « d'autant, ce disoit-il, qu'elle est très-belle; et, pour ce, après ma mort je sçay qu'elle sera aussitost recherchée et aussitost abandonnée à un autre de mes compa- gnons, car je la cognois fort paillarde, et qu'elle m'oublieroit incontinent. Je veux donc qu'après ma mort elle ait de moy souvenance, qu'elle pleure et qu'elle soit affligée; si elle ne l'est par ma mort, au moins qu'elle le soit pour estre défigu- rée, et qu'aucun de mes compagnons n'en aye le plaisir que j'ay eu avec elle. » Voilà un terrible jaloux !

J J'en ay ouy parler d'autres qui, se sentans vieux, caducs, blessez, atténuez et proches de la mort, de beau dépit et de jalousie secrètement ont advancé les jours à leurs moitiez, mesmes quand elles ont esté belles.

Or, sur ces bizarres humeurs de ces marys ty- rans et cruels, qui font mourir ainsi leurs femmes, j'ai ouy faire une dispute, sçavoir-mon s'il est per- mis aux femmes, quand elles s'apperçoivent ou se doutent de la cruauté et massacre que leurs marys veulent exercer envers elles, de gaigner le devant et de jouer à la prime, et, pour se sauver, les faire


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jouer les premiers et les envoyer devant faire les logis en l'autre monde.

J'ay oùy maintenir qu'ouy, et qu'elles le peu- vent faire, non selon Dieu, car tout meurtre est défendu, ainsi que j'ay dit, mais, selon le monde, prou; et se fondent sur ce mot, qu'il vaut mieux prévenir que d'être prévenu : car enfin chacun doit être curieux de sa vie; et, puisque Dieu nous l'a donnée, la faut garder jusques à ce qu'il nous ap- pelle par nostre mort. Autrement, sçachant bien leur mort, et s'y aller précipiter, et ne la fuir quand elles peuvent, c'est se tuer soy-mesme, chose que Dieu abhore fort; parquoy c'est le meilleur de les envoyer en ambassade devant, et en parer le coup, ainsi que fit Blanche d'Auverbruckt à son mary le sieur de Flavy, capitaine de Compiegne et gou- verneur, qui trahit et fut cause de la perte et de la mort de la Pucelle d'Orléans. Et cette dame Blan- che, ayant sceu que son mary la vouloit faire noyer, le prévint, et, avec l'ayde de son barbier, Pestouffa et l'estrangla, dont le roy Charles septiesme luy en donna aussitost sa grâce ; à quoy aussi ayda bien la trahison du mary pour l'obtenir, possible, plus que toute autre chose. Cela se trouve aux Annales de France, et principalement celles de Guyenne.

De mesme en fît une madame de la Borne, du règne du roy François premier, qui accusa et def- fera son mary à la justice, de quelques follies faites et crimes, possible énormes, qu'il avoit fait avec


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elle et autres, le fit constituer prisonnier, sollicita contre luy et luy fit trancher la teste. J'ay ouy faire ce compte à ma grand-mere, qui la disoit de bonne maison et belle femme. Celle-là gaigna bien le devant.

5 La reine Jeanne de Naples première en fit de mesmes à l'endroit de l'infant de Majorque, son tiers mary, à qui elle fit trancher la teste pour la raison que j'ay dit en son Discours; mais ilpouvoit bien estre qu'elle se craignoit de luy et le vouloit depescher le premier : à quoy elle avoit raison, et toutes ses semblables, de faire de mesme quand elles se doutent de leurs gallants.

J'ay ouy parler de beaucoup de dames qui bravement se sont acquittées de ce bon office et sont eschappées par ceste façon ; et mesmes j'en ay cogneu une, laquelle, ayant esté trouvée avec son amy par son mary, il n'en dit rien ny à l'un ny à l'autre, mais s'en alla courroucé et la laissa là-dedans avec son amy, fort panthoise et désolée et en grand altération. Mais la dame fut résolue jusques là de dire : « Il ne m'a rien dit ny fait pour ce coup, je crains qu'il me la garde bonne et sous mine; mais, si j'estois asseurée qu'il me deust faire mourir, j'adviserois à lui faire sentir la mort le premier. » La fortune fut si bonne pour elle, au bout de quelque temps, qu'il mourut de soy-mesme; dont bien luy en prit, car oncques puis il ne luy avoit pas fait bonne chère, quelque recherche qu'elle luy fit.


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J II y a encores une autre dispute et question sur ces fous enragez et marys dangereux, cocus, à sçavoir sur lesquels des deux ilz se doivent prendre et vanger, ou sur leurs femmes, ou sur leurs amants.

Il y en a qui ont dit seulement sur la femme, se fondant sur ce proverbe italien qui dit que morta la bestia, morta la rabbia o veneno ; pensans, ce leur semble, estre bien allégez de leur mal quand ilz ont tué celle qui fait la douleur, ny plus ny moins que font ceux qui sont mordus ou piquez de l'escorpion : le plus souverain remède qu'ils ont, c'est de le prendre, tuer ou l'escarbouiller, et l'ap- plicquer sur la morsure ou playe qu'il a faite; et disent volontiers et coustumierement que ce sont les femmes qui sont plus punissables. J'entends des grandes dames et de haute guise, et non des petites, communes et de basse marche; car ce sont elles, par leurs beaux attraits, privautez, comman- dements et paroles, qui attacquent les escarmouches, et que leshommes ne les font que soustenir; et que plus sont punissables ceux qui demandent et lèvent guerre que ceux qui la défendent ; et que bien souvent les hommes ne se jettent en tels lieux pé- rilleux et hauts sans l'appel des dames, qui leur signifient en plusieurs façons leurs amours; ainsi qu'on voit qu'en une grande, bonne et forte ville de frontière, il est fort malaisé d'y faire entreprise ny surprise, s'il n'y a quelque intelligence sourde parmy aucuns de ceux du dedans, ou qui ne vous y poussent, attirent, ou leur tiennent la main.


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Or, puisque les femmes sont un peu plus fragiles que les hommes, il leur faut pardonner et croire que, quand elles se sont mises une fois à aymer et mettre l'amour dans l'ame, qu'elles l'exé- cutent à quelque prix que ce soit, ne se contentans (non pas toutes) de le couver là-dedans, et se consumer peu à peu , et en devenir seiches et allanguies, et pour ce en effacer leur beauté , qui est cause qu'elles désirent en guérir et en tirer du plaisir, et ne mourir du mal de la furette, comme on dit.

Certes, j'ay cogneu plusieurs belles dames de ce naturel, lesquelles les premières ont plustost recher- ché leur androgine que les hommes, et sur divers sujets : les unes pour les voir beaux, braves, vaillants et agréables; les autres pour en escroquer quelque somme de dinari • d'autres pour en tirer des perles, des pierreries, des robes de toille d'or et d'argent, ainsi que j'en ay veu qu'elles en faisoyent autant de difficulté d'en tirer comme un marchand de sa denrée (aussi dit-on que femme qui prend se vend) ; d'autres pour avoir de la faveur de la cour ; autres des gens de justice, comme plusieurs belles que j'ay cogneu qui, n'ayans pas bon droit, le faisoyent bien venir par leur cas et par leurs beautez ; et d'autres pour en tirer la suave substance de leur corps.

J J'ay veu plusieurs femmes si amoureuses de leurs amants que quasi elles les suivoyent ou couroient à force, et dont le monde en portoit la honte pour elles.


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J J'ay cogneu une fort belle dame si amoureuse d'un seigneur de par le monde, qu'au lieu que les serviteurs ordinairement portent les couleurs de leurs dames, cette-cy au contraire les portoit de son serviteur. J'en nommerois bien les couleurs, mais elles feroyent une trop grande descouverte.

J J'en ay cogneu une autre, de laquelle le mary ayant fait un affront à son serviteur en un tournoy qui fut fait à la cour, cependant qu'il estoit en la salle du bal et en faisoit son triomphe, elle s'habilla, de dépit, en homme, et alla trouver son amant, et luy porter par un momon son cas, tant elle en estoit si amoureuse qu'elle en mouroit.

5 J'ay cogneu un honneste gentilhomme, et des moins deschirez de la cour, lequel ayant envie un jour de servir une fort belle et honneste dame s'il en fut onc, parce qu'elle luy en donnoit beaucoup de sujets de son costé, et de l'autre il faisoit du retenu pour beaucoup de raisons et respects, cette dame pourtant y ayant mis son amour, et à quelque hazard que ce fust elle en avoit jette le dé, ce disoit-elle, elle ne cessa jamais de l'attirer tout à soy par les plus belles parolles de l'amour qu'elle peut dire ; dont entr'autres estoit celle-cy : « Per- mettez au moins que je vous ayme si vous ne me voulez aymer, et n'arregardez à mes mérites, mais à mes affections et passions » , encor certes qu'elle emportast le gentilhomme au poids en perfections. Là-dessus qu'eust pu faire le gentil- homme ? sinon aimer, puisqu'elle l'aimoit, et la


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servir, puis demander le sallaire et recompense de son service, qu'il eut, comme la raison veut que quiconque sert faut qu'on le paye.

J'alleguerois une infinité de telles daines plustost recherchantes que recherchées. Voilà donc pourquoy elles ont plus de coulpe que leurs amans : car, si elles ont une fois entrepris leur homme, elles ne cessent jamais qu'elles n'en viennent au bout et ne l'attirent par leurs regards attirans, par leurs beautez, par leurs gentilles grâces qu'elles s'es- tudient à façonner en cent mille façons, par leurs fards subtillementapplicquez sur leur visage si elles ne l'ont beau, par leurs beaux attiffets, leurs riches et gentilles coiffures et tant bien accommodées, et leurs pompeuses et superbes robes, et surtout par leurs paroles friandes et à demy lascives, et puis par leurs gentils et follastres gestes et privautez, et par presens et dons. Et voilà comment ilz sont pris ; et, estans ainsi pris, il faut qu'ils les prennent; et par ainsi dit-on que leurs marys se doivent vanger sur elles.

D'autres disent qu'il se faut prendre qui peut sur les hommes, ny plus ny moins que sur ceux qui assiègent une ville : car ce sont eux qui pre- miers font faire les chamades, les somment, qui premiers recognoissent, premiers font les approches, premiers dressent gabionnades et cavalliers et font les tranchées, premiers font les batteries ou premiers vont à l'assaut, premiers parlementent ; ainsi dit-ondes amants : car, comme les plus hardis,


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vaillants et résolus, assaillent le fort de pudicité des dames, lesquelles, après toutes les formes d'as- saillemens observées par grandes importunitez , sont contraintes de faire le signal et recevoir leurs doux ennemis dans leurs forteresses. En quoy me semble qu'elles ne sont si coulpables qu'on diroit bien : car se défaire d'un importun est bien malaisé sans y laisser du sien ; aussi que j'en ay veu plusieurs qui, par longs services et persévérances, ont jouy de leurs maistresses , qui dez le com- mencement ne leur eussent donné (pour manière de dire) leur cul à baiser; les contraignant jusques- là, au moins aucunes, que la larme à l'œil leur donnoyent de cela, ny plus ny moins comme l'on donne à Paris bien souvent l'aumosne aux gueux de l'hostiere, plus par leur importunité que de dévotion ny pour l'amour de Dieu : ainsi font plusieurs femmes, plustost pour estre trop impor- tunées que pour estre amoureuses, et mesmes à l'endroit d'aucuns grands, lesquels elles craignent et n'osent leur refuser à cause de leur autorité, de peur de leur desplaire et en recevoir puis après de l'escandale, ou un affront signalé ou plus grand descriement de leur honneur, comme j'en ay veu arriver de grands inconveniens sur ces sujets.

Voilà pourquoy les mauvais marys, qui se plaisent tant au sang et au meurtre et mauvais traittemens de leurs femmes, n'y doivent être si prompts, mais premièrement faire une enqueste sourde de toutes choses, encor que telle connois-


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sance leur soit fort fascheuse et fort sujette à s'en gratter la teste qui leur en démange, et mesmes qu'aucuns, misérables qu'ilz sont, leur en donnent toutes les occasions du monde.

J Ainsi que j'ay cogneu un grand prince estranger qui avoit espousé une fort belle et honneste femme; il en quitta l'entretien pour le mettre à une autre femme qu'on tenoit pour courtisane de réputation, d'autres que c'estoit une dame d'honneur qu'il avoit debauschée; et, ne se contentant de cela, quand il la faisoit coucher avec luy, c'estoit en une chambre basse par dessous celle de sa femme et dessous son lict ; et, lorsqu'il vouloit monter sur sa maistresse, ne se contentant du tort qu'il luy faisoit, mais, par une risée et moquerie, avec une demye pique, il frappoit deux ou trois coups sur le plancher, et s'escrioit à sa femme : « Brindes, ma femme ! » Ce desdain et mespris dura quelques jours et fascha fort à sa femme, qui, de desespoir et de vengeance, s'accosta d'un fort honneste gentilhomme à qui elle dit un jour privement : « Un tel, je veux que vous jouissiez de moy, autrement je sçay un moyen pour vous ruiner. » L'autre, bien content d'une si belle adventure, ne la refusa pas. Parquoy, ainsi que son mary avoit s'amye entre les bras, et elle aussi son amy, ainsi qu'il luy crioit : « Brindes ! » elle luy respondoitde mesmes : « Et moy à vous »; ou bien : « Je m'en vois vous pleiger ! » Ces brindes et ces paroles et responses, de telle façon Brantôme. I. 1 1


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et mode qu'ils s'accommodoient en leurs montures, durèrent assez longtemps, jusques à ce que ce prince, fin et douteux, se douta de quelque chose; et, y faisant faire le guet, trouva que sa femme le faisoit gentiment cocu, et faisoit blindes aussi bien que luy par revange et vengeance. Ce qu'ayant bien au vray cogneu, tourna et changeasacommedie en tragédie ; et l'ayant pour la dernière fois conviée à son blindes, et elle luy ayant rendu sa réponse et son change, monta soudain en haut, et, ouvrant et faussant la porte, entre dedans et luy remonstre son tort ; et elle de son costé luy dit : « Je sçay bien que je suis morte : tue-moy hardiement; je ne crains point la mort, et la prens en gré, puisque je me suis vangée de toy, et que je t'ay fait cocu et bec cornu, toy m'en ayant donné occasion, sans laquelle je ne me fusse jamais forfaitte : car je t'avois voué toute fidélité, et je ne l'eusse jamais violée pour tous les beaux sujets du monde; tu n'estois pas digne d'une si honneste femme que moy. Or, tue-moi donc à st'heure, et, si tu as quelque pitié en ta main, pardonne, je te prie, à ce pauvre gentilhomme, qui de soy n'en peut mais, car je l'ay appelle et pressé à mon ayde pour ma vengeance. » Le prince, par trop cruel, sans aucun respect les tue tous deux. Qu'eust fait là dessus cette pauvre princesse sur ces indignitez et mespris de mary, sinon, à la deses- perade pour le monde, faire ce qu'elle fit? D'aucuns l'excuseront , d'autres l'accuseront ; il y a beau-


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coup de pièces et raisons à rapporter là-dessus.

J Dans les Cent Nouvelles de la reine de Navarre y a celle et très-belle de la reine de Naples, quasi pareille à celle-cy, qui de mesmes se vengea du roy son mary ; mais la fin n'en fut si tragique.

J Or laissons là ces diables et fols enragez co- cus, et n'en parlons plus, car ils sont odieux et mal plaisants, d'autant que je n'aurois jamais fait si je les voulois tous descrire, aussi que le sujet n'en est beau ny plaisant. Parlons un peu des gentils cocus, et qui sont bons compagnons, de douce humeur, d'agréable fréquentation et de sainte patience, débonnaires, traittables, fermans les yeux, et bons hommenas.

Or, de ces cocus, il y en a qui le sont en herbe, il y en a qui le sçavent avant se marier, c'est-à- dire que leurs dames, veufves et damoiselles, ont fait le sault ; et d'autres n'en sçavent rien, mais les espousent sur leur foy, et de leurs pères et mères, et de leurs parents et amis.

J J'en ay cogneu plusieurs qui ont espousé beaucoup de femmes et de filles qu'ils sçavoyent bien avoir esté repassées en la monstre d'aucuns rois, princes, seigneurs, gentilshommes et plusieurs autres ; et pourtant, ravis de leurs amours, de leurs biens, de leurs joyaux, de leur argent qu'elles avoyent gaigné au mestier amoureux, n'ont fait aucun scrupule de les épouser. Je ne parleray point à st'heure que des filles.

J J'ay ouy parler d'une fille d'un très-grand et


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souverain, laquelle, estant amoureuse d'un gentil- homme, se laissant aller à luy de telle façon qu'ayant recueilly les premiers fruits de son amour, en fut si friande qu'elle le tint un mois entier dans son cabinet, le nourrissant de restaurens, de bouil- lons friands, de viandes délicates et rescaldatives, pour l'allambiquer mieux et en tirer sa substance ; et, ayant fait sous luy son premier apprentissage, continua ses leçons sous luy tant qu'il vesquit, et sous d'autres ; et puis elle se maria en l'âge de quarante-cinq ans à un seigneur, qui n'y trouva rien à dire, encor bien aise pour le beau mariage qu'elle luy porta.

3 Boccace dit un proverbe qui couroit de son temps, que bouche baisée (d'autres disent fille f.) ne perd jamais sa fortune, mais bien la renouvelle, ainsi que fait la lune. Et ce proverbe allegue-t-il sur un conte qu'il fait de cette fille si belle du sultan d'Egypte, laquelle passa et repassa par les piques de neuf divers amoureux, les uns après les autres, pour le moins plus de trois mille fois. Enfin elle fut rendue au roy de Garbe toute vierge, cela s'en- tend prétendue, aussi bien que quand elle lui fut du commencement compromise, et n'y trouva rien à dire, encor bien aise : le conte en est très-beau.

3 J'ay ouy dire à un grand qu'entre aucuns grands, non pas tous volontiers, on n'arregarde à ces filles là, bien que trois ou quatre les ayent passé par les mains et par les piques avant leur estre marys ; et disoit cela sur un propos d'un sei-


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gneur qui estoit grandement amoureux d'une grand dame et un peu plus qualifiée que luy, et elle l'aimoit aussi ; mais il survint empeschement qu'ils ne s'espouserent comme ilz pensoyent l'un et l'autre ; sur quoy ce gentilhomme grand, que je viens de dire, demanda aussitôt : « A-il monté au moins sur la petite beste ? » Et, ainsi qu'il luy fut respondu que non, à son advis, encor qu'on le tînt : « Tant pis, replicqua-il, car au moins et l'un et l'autre eussent eu ce contentement, et n'en fust esté autre chose. » Car parmy les grands on n'arre- garde à ces reigles et scrupules de pucellage, d'au- tant que pour ces grandesalliances il faut que tout passe. Encores trop heureux sont-ils les bons marys et gentils cocus en herbe.

J Lorsque le roy Charles fit le tour de son royaume, il fut laissé, en une bonne ville que je nommerois, une fille dont venoit accoucher une fille de très-bonne maison; si fut donnée en garde à une pauvre femme de ville pour la nourrir et avoir soin d'elle, et luy fut avancé deux cens escus pour la nourriture. La pauvre femme la nourrit et la gouverna si bien que dans quinze ans elle devint très-belle et s'abandonna : car sa mère onques puis n'en fit cas, qui dans quatre mois se maria avec un très-grand. Ah! que j'en aycogneu de tels et de telles où l'on n'y a advisé en rien !

J J'ouys une fois, estant en Espagne, conter qu'un grand seigneur d'Andalousie ayant marié une sienne sœur avec un autre fort grand seigneur


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aussi, au bout de trois jours que le mariage fut consommé il luy dit : Seiior hermano, agora que soys casado con my hermana, y l'haveys bien go- dida solo, yo le hago saber que siendo hija, tal y tal gozaron d'ella. De lo passado no tenga cuydado, que poca cosa es. Del futuro guardate, que mas y mucho a vos toca. Comme voulant dire que ce qui est fait est fait, il n'en faut plus parler, mais qu'il se faut garder de l'advenir, car il touche plus l'honneur que le passé.

Il y en a qui sont de cet humeur, ne pensans estre si bien cocus par herbe comme par la gerbe, en quoy il y a de l'apparence.

J J'ay ouy aussi parler d'un grand seigneur es- tranger, lequel ayant une fille des plus belles du monde, et estant recherchée en mariage d'un autre grand seigneur qui la meiïtoit bien, luy fut accor- dée par le père; mais, avant qu'il la laissât jamais sortir de la maison, il en voulut taster, disant qu'il ne vouloit laisser si aisément une si belle monture qu'il avoit si curieusement élevée, que première- ment il n'eust monté dessus et sceu ce qu'elle sçau- roit faire à l'advenir. Je ne sçay s'il est vray, mais je l'ay ouy dire, et que non seulement luy en fit la preuve, mais bien un autre beau et brave gentil- homme ; et pourtant le mary par après n'y trouva rien amer, sinon que tout sucre. Il eust esté bien degousté s'il eust faict autrement, car elle estoit des belles du monde.

J J'ay ouy parler de mesme de force autres


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pères, et surtout d'un très-grand, à l'endroit de leurs filles, n'en faisant non plus de conscience que le cocq de la fable d'Esope, qui, ayant esté rencontré par le renard et menacé qu'il le vouloit faire mourir, dont sur ce le cocq, rapportant tous les biens qu'il faisoit au monde, et surtout de la belle et bonne poulaille qui sortoit de luy : « Ah ! dit le renard, c'est là où je vous veux, monsieur le gallant ; car vous estes si paillard que vous ne faites difficulté de monter sur vos filles comme sur d'autres poulies » ; et pour ce le fit mourir. Voilà un grand justicier et politiq.

Je vous laisse donc à penser que peuvent faire aucunes filles avec leurs amants, car il n'y eut ja- mais fille sans avoir ou désirer un amy, et qu'il y en a que les pères, frères, cousins et parents ont fait de mesme.

J De nos temps, Ferdinand, roy de Naples, cogneut ainsi par mariage sa tante, fille du roy de Castille, en l'aage de treize à quatorze ans, mais ce fut par dispense du pape. On faisoit lors diffi- culté si elle se devoit ou pouvoit donner. Cela ressent pourtant son empereur Caligula, qui de- bauscha et repassa toutes ses sœurs les unes après les autres, pardessus lesquelles et sur toutes il aima extresmement la plus jeune, nommée Drusille, qu'estant petit garçon il avoit depucellée ; et puis, estant mariée avec un Lucius Cassius Longinus, homme consulaire, il la luy enleva et l'entretint publiquement, comme si ce fust esté sa femme le-


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gitime ; tellement qu'estant une fois tombé malade, il la fit héritière de tous ses biens, voire de l'em- pire. Mais elle vint à mourir, qu'il regretta si très- tant qu'il en fit crier les vacations de la justice et cessation de tous autres oeuvres, pour induire le peuple d'en faire avec luy un dueil public; et en porta longtemps longs cheveux et longue barbe ; et, quand il haranguoit le sénat, le peuple et ses gens de guerre, ne juroit jamais que par le nom de Drusille.

Pour quant à ses autres soeurs, après qu'il en fut saoul, il les prostitua et abandonna à de grands pages qu'il avoit nourris et cogneus fort vilaine- ment : encor s'il ne leur eust fait autre mal , passe, puisqu'elles l'avoyent accoustumé et que c'estoit un mal plaisant, ainsi que je l'ay veu appeler tel à aucunes filles estans devirginées et à aucunes femmes prises à force ; mais il leur fit mille indignitez : il les envoya en exil, il leur osta toutes leurs bagues et joyaux pour en faire de l'ar- gent, ayant brouillé et dépendu fort mal à propos tout le grand que Tybere luy avoit laissé ; encor les pauvrettes, estans après sa mort retournées d'exil, voyant le corps de leur frère mal et fort pauvrement enterré sous quelques mottes, elles le firent desenterrer, le brusler et enterrer le plus honnestement qu'elles purent: bonté certes grande de sœurs à un frère si ingrat et dénaturé !

L'Italien, pourexcuserl'amour illicite de ses pro- ches, dit que, quando messer Bernardo il bucieco


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sta in colera et in sua rabbia, non riceve legge, et non perdona a nissuna dama.

5 Nous avons force exemples des anciens qui ont fait de mesme. Mais, pour revenir à nostre discours, j'ay ouy conter d'un qui, ayant marié une belle et honneste damoiselle à un sien amy, et se vantant qu'il luy avoit donné une belle et hon- neste monture, saine, nette, sans surost et sans mallandre, comme il dist, et d'autant plus luy es- toit obligé, il luy fut respondu par un de la com- pagnie, qui dit à part à un de ses compagnons : « Tout cela est bon et vray, si elle ne fust esté montée et chevauchée si jeune et trop tost ; dont pour cela elle est un peu foulée sur le devant. »

Mais aussi je voudrois bien sçavoir à ces mes- sieurs de maris que, si telles montures bien souvent n'avoyent un si, ou à dire quelque chose en elles, ou quelque deffectuosité ou deffaut ou tare, s'ils en auroyent si bon marché, et si elles ne leur couste- royent davantage? Ou bien, si ce n'estoit pour eux, on en accommoderoit bien d'autres qui le méritent mieux qu'eux, comme ces maquignons qui se défont de leurs chevaux tarez, ainsi qu'ils peuvent; mais ceux qui en sçavent les sys, ne s'en pouvant défaire autrement, les donnent à ces messieurs qui n'en sçavent rien ; d'autant (ainsi que j'ay ouy dire à plusieurs pères) que c'est une fort belle defaitte que d'une fille tarée, ou qui le commence à l'estre, ou a envie en apparence de l'estre.


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Que je connois de filles de par le monde qui n'ont pas porté leur pucelage au lict hymenean, mais pourtant qui sont bien instruites de leurs mères, ou autres de leurs parentes et amyes, tres- sçavantes maquerelles, de faire bonne mine à ce premier assaut; et s'aydent de divers moyens et inventions avec des subtilitez, pour le faire trouver bon à leurs marys et leur monstrer que jamais il n'y avoit esté fait brèche. La plus grand part s'aydent à faire une grande résistance et deffense à cette pointe d'assaut, et à faire des opiniastres jusques à l'extré- mité : dont il y a aucuns marys qui en sont tres- contents, et croyent fermement qu'ils en ont eu tout l'honneur et fait la première pointe, comme braves et déterminez soldats; et en font leurs con- tes, l'endemain matin (qu'ils sont crestez comme petits cocqs ou joletz qui ont mangé force millet le soir), à leurs compagnons et amis, et mesmes, possible, à ceux qui ont les premiers entré en la forteresse sans leur sceu, qui en rient à part eux leur saoul et avec les femmes leurs maistresses, qui se vantent d'avoir bien joué leur jeu et leur avoir donné belle.

Il y a pourtant aucuns marys ombrageux qui prennent mauvais augure de ces résistances, et ne se contentent point de les voir si rebelles; comme un que je sçay, qui, demandant à sa femme pourquoy elle faisoit ainsi de la farousche et de la difficultueuse , et si elle le desdaignoit jusques-là , elle, luy pensant faire son excuse et ne donner la


PREMIER DISCOURS


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faute à aucun desdain, luy dit qu'elle avoit peur qu'il luy fît mal. Il luy respondit : « Vous l'avez donc esprouvé, car nul mal ne se peut connoistre sans l'avoir enduré? » Mais elle, subtile, le niant, replicqua qu'elle l' avoit ainsi ouy dire à aucunes de ses compagnes qui avoient esté mariées, et l'en avoyent ainsi advisée. « Voilà de beaux advis et entretiens », dit-il.

J II y a un autre remède dont ces femmes s'ad- visent, qui est de monstrer le lendemain de leurs nopces leur linge teint de gouttes de sang qu'es- pandent ces pauvres filles à la charge dure de leur despucellement, ainsi que l'on fait en Espagne, qui en monstrent publiquement par la fenestre ledict linge, en criant tout haut : Virgen la tenemos. « Nous la tenons pour vierge. »

Certes, encor ay-je ouy dire, dans Viterbe cette coustume s'y observe tout de mesme. Et, d'autant que celles qui ont passé premièrement par les pi- ques ne peuvent faire cette monstre par leur propre sang, elles se sont advisées (ainsi que j'ay ouy dire, et que plusieurs courtisannes jeunes à Rome me l'ont asseuré elles-mesmes), pour mieux vendre leur virginité, de teindre ledict linge de gouttes de sang de pigeon, qui est le plus propre de tous; et le lendemain le mary le voit, qui en reçoit un extresme contentement, et croit fermement que ce soit du sang virginal de sa femme ; et luy semble bien que c'est un gallant, mais il est bien trompé.

Sur quoy je feray ce plaisant conte d'un gentil-


92 PREMIER DISCOURS

homme, lequel ayant eu l'esguillette nouée la pre- mière nuict de ses nopces,et la mariée, qui n'estoit pas de ces pucelles très-belles et de bonne part, se doutant bien qu'il deust faire rage, ne faillit, par l'advis de ses bonnes compagnes, matrosnes, pa- rentes et bonnes amies, d'avoir le petit linge teint; mais le malheur fut tel pour elle, que le mary fut tellement noué qu'il ne put rien faire, encor qu'il ne tint pas à elle à luy en faire la monstre la plus belle et se parer au montoir le mieux qu'elle pou- voit, et au coucher beau jeu, sans faire de la fa- rouche ny nullement de la diablesse (ainsi que les spectateurs, cachez à la mode accoustumée, rap- portoyent) , afin de cacher mieux son pucellage dérobé d'ailleurs; mais il n'y eut rien d'exécuté.

Le soir, à la mode accoustumée, le resveillon ayant esté porté, il y eut un quidam qui s'advisa, en faisant la guerre aux nopces, comme on fait communément, de dérober le linge, qu'on trouva joliment teint de sang; lequel fut monstre soudain, et crié haut en l'assistance qu'elle n'estoit plus vierge, et que c'estoit ce coup que sa membrane virginale avoit esté forcée et rompue : le mary, qui estoit asseuré qu'il n'avoit rien fait , mais pourtant qui faisoit du gallant et vaillant cham- pion, demeura fort estonné et ne sceut ce que vouloit dire ce linge teint, sinon qu'après avoir songé assez, se douta de quelque fourbe et astuce putanesque, mais pourtant n'en sonna jamais mot.

La mariée et ses confidentes furent aussi bien


PREMIER DISCOURS û3

faschées et estonnées de quoy le mary avoit fait faux feu, et que leur affaire ne s'en portoit pas mieux. De rien pourtant n'en fut fait aucun sem- blant jusques au bout de huict jours, que le mary vint à avoir l'esguillette dénouée, et fit rage et feu, dont d'aise ne se souvenant de rien, alla publier à toute la compagnie que c'estoit à bon escient qu'il avoit fait preuve de sa vaillance et fait sa femme vraye femme et bien damée; et confessa que jusques alors il avoit esté saisy de toute im- puissance : de quoy l'assistance sur ce sujet en fit divers discours, et jetta diverses sentences sur la mariée qu'on pensoit estre femme par son linge teinture; et s'escandalisa ainsi d'elle-mesme, non qu'elle en fust bien cause proprement, mais son mary, qui par sa debolesse, flasquesse et mollitude, se gasta luy-mesme.

5 II y a aucuns marys qui cognoissent aussi à leur première nuict le pucellage de leurs femmes, s'ils l'ont conquis ouy ou non, par la trace qu'ilz y trouvent; comme un que je connois, lequel, ayant espousé une femme en secondes nopces et luy ayant fait acroire que son premier mary n'y avoit jamais touché par son impuissance, et qu'elle estoit vierge et pucelle aussi bien qu'auparavant estre mariée, néanmoins il la trouva si vaste et si co- pieuse en amplitude qu'il se mit à dire : « Hé comment! estes-vous cette pucelle de Marolle, si serrée et si estroitle qu'on me disoit? Hé! vous en avez un grand empand; et le chemin y est telle-


94 PREMIER DISCOURS

ment grand et battu que n'ay garde de m'esga- rer. » Si fallut-il qu'il passât par là et le beust doux comme laict : car, si son premier mary n'y avoit point touché, comme il estoit vray, il y en avoit bien eu d'autres.

Que dirons-nous d'aucunes mères qui, voyant l'impuissance de leurs gendres, ou qui ont l'esguil- lette nouée ou autre deffectuosité, sont les maque- relles de leurs filles ; et que, pour gaigner leur douaire, s'en font donner à d'autres, et bien sou- vent engroisser, afin d'avoir les enfants héritiers après la mort du père?

J'en cognois une qui conseilla bien cela à sa fille, et de fait n'y espargna rien, mais le malheur pour elle fut que jamais n'en put avoir. Aussi je cognois un qui, ne pouvant rien faire à sa femme, attiltra un grand laquais qu'il avoit, beau fils, pour coucher et dépuceler sa femme en dormant, et sauver son honneur par-là ; mais elle s'en apper- ceut et le laquais n'y fit rien, qui fut cause qu'ils plaidèrent longtemps : finalement ilz se dema- rierent.

J Le roy Henry de Castille en fit de mesmes, le- quel, ainsi que raconte Baptista Fulguosius, voyant qu'il ne pouvoit faire d'enfans à sa femme, il s'ayda d'un beau et jeune gentilhomme de sa cour pour luy en faire, ce qu'il fit; dont pour la peine il luy fit de grands biens, et l'advança en des honneurs, grandeurs et dignitez : ne faut douter si la femme ne l'en ayma et s'en trouva bien. Voylà un bon cocu.


PREMIER DISCOURS 95

5 Pour ces esguillettes nouées, en fut derniè- rement un procez, en la cour de Parlement de Paris, entre le sieur de Bray, thresorier, et sa femme, à qui il ne pouvoit rien faire, ayant eu l'esguillette nouée ou autre défaut, dont la femme, bien marrie, l'en appella en jugement. Il fut or- donné par la cour qu'ils seroyent visitez eux deux par grands médecins experts. Le mary choi- sit les siens, et la femme les siens; dont en fut fait un fort plaisant sonnet à la cour, qu'une grand dame me list elle-même et me donna, ainsi que je disnois avec elle. On disoit qu'une dame l'avoit fait, d'autres un homme. Le sonnet est tel :

SONNET

Entre les médecins renommés à Paris En sçavoir, en espreuve, en science, en doctrine, Pour juger l'imparfait de la couple androgine, Par de Bray et sa femme ont esté sept choisis.

De Bray a eu pour luy les trois de moindre prix : Le Court, l'Endormy, Piètre ; et sa femme, plus fine, Les quatre plus experts en l'art de médecine : Le Grand, le Gros, Duret et Vigoureux a pris.

On peut par-là juger qui des deux gaignera, Et si le Grand du Court victorieux sera, Vigoureux d'Endormy, le Gros, Duret, de Piètre.

Et de Bray, n'ayant point ces deux de son costé, Estant tant imparfait que mary le peut estre, A faute de bon droit en sera débouté.

J J'ay ouy parler d'un autre mary, lequel la première nuict, tenant embrassée sa nouvelle


96 PREMIER DISCOURS

espouse, elle se ravit en telle joye et plaisir que, s'oubliant en elle-mesme, ne se put engarder de faire un petit mobile tordion de remuement, non accoustumé de faire aux nouvelles mariées; il ne dit autre chose sinon ; « Ah! j'en ay!» et continua sa route. Et voylà nos cocus en herbe, dont j'en sçay une milliasse de contes, mais je n'aurois ja- mais fait. Et le pis que je vois en eux, c'est quand ilz espousent la vache et le veau, comme on dit, et qu'ils les prennent toutes grosses. Comme un que je sçay, qui, s'étant marié avec une fort belle et honneste damoiselle, par la faveur et volonté de leur prince et seigneur, qui aymoit fort ce gentil- homme et la luy avoit fait espouser, au bout de huict jours elle vint à estre cogneue grosse, aussi elle le publia pour mieux couvrir son jeu. Le prince, qui s'estoit tousjours bien douté de quelques amours entre elle et un autre, luy dit : « Une telle, j'ay bien mis dans mes tablettes le jour et l'heure de vos nopces; quand on les affrontera à celuy et celle de vostre accouchement, vous aurez de la honte. » Mais elle, pour ce dire, n'en fit que rougir un peu; et n'en fut autre chose, sinon qu'elle tenoit tous- jours mine de dona da ben.

Or il y a d'aucunes filles qui craignent si fort leur père et mère qu'on leur arracheroit plustost la vie du corps que le boucon puceau, les craignant cent fois plus que leurs marys.

J J'ay ouy parler d'une fort belle et honneste damoiselle, laquelle, estant fort pourchassée du


PREMIER DISCOURS oy

plaisir d'amour de son serviteur, elle luy respondit : « Attendez un peu que je sois mariée, et vous verrez comme, sous cette courtine de mariage qui cache tout, et ventre enflé et descouvert, nous y ferons à bon escient. »

5 Une autre, estant fort recherchée d'un grand, elle luy dit : « Sollicitez un peu nostre prince qu'il me marie bientost avec celuy qui me pourchasse, et me face vistement payer mon mariage qu'il m'a promis : le lendemain de mes nopces, si nous ne nous rencontrons, marché nul. »

J Je sçay une dame qui n'ayant esté recherchée d'amours que quatre jours avant ses nopces par un gentilhomme, parent de son mary, dans six après il en jouit; pour le moins il s'en vanta. Et estoit aisé de le croire : car ils se monstroyent telle privauté qu'on eust dit que toute leur vie ils avoyent esté nourris ensemble; mesmes il en dist des signes et marques qu'elle portoit sur son corps, et aussi qu'ils continuèrent leur jeu long-temps après. Le gentilhomme disoit que la privauté qui leur donna occasion de venir là, ce fut que, pour porter une mascarade, s'entrechangerent leurs habillemens : car il prit celuy de sa maistresse, et elle celuy de son amy, dont le mary n'en fit que rire, et aucuns piindrent sujet d'y redire et penser mal.

Il fut fait une chanson à la cour d'un mary qui fut marié le mardy et fut cocu le jeudy : c'est bien avancer le temps.

f Que dirons-nous d'une fille ayant esté solli-

Brantàme. ). i 3


98 PREMIER DISCOURS

citée longuement d'un gentilhomme de bonne mai- son et riche, mais pourtant nigaud et non digne d'elle, et, par l'advis de ses parents, pressée de l'espouser? Elle fît response qu'elle aimoit mieux mourir que de l'espouser, et qu'il se deportast de son amour, qu'on ne luy en parlast plus ny à ses parents, car, s'ils la forçoyent de l'espouser, elle le feroit plustost cocu. Mais pourtant fallut qu'elle passât par-là, car la sentence luy fut donnée ainsi par ceux et celles des plus grands qui avoyent sur elle puissance, et mesmes de ses parents.

La vigille des nopces, ainsi que son mary la voyoit triste et pensive, luy demanda ce qu'elle avoit; elle luy respondit toute en colère: « Vous ne m'avez voulu jamais croire à vous oster de me poursuivre; vous sçavez ce que je vous ay toujours dit, que si je venois par malheur à estre vostre femme, que je vous ferois cocu; et je vous jure que je le feray et vous tiendray parole. » Elle n'en faisoit point la petite bouchedevant aucunes de ses compagnes et aucuns de ses serviteurs. Asseurez- vous que despuis elle n'y a pasfailly ; etluymonstra qu'elle estoit bien gentille femme, car elle tint bien sa parole.

Je vous laisse à penser si elle en devoit avoir blasme, puisqu'un averty en vaut deux, et qu'elle l'advisoit de l'inconvénient où il tomberoit. Et pourquoy ne s'en donnoit-il garde? Mais pour cela il ne s'en soucia pas beaucoup.

J Ces filles qui s'abandonnent ainsi sitost après


PREMIER DISCOURS 99

estre mariées font comme dit l'Italien : Che la vacca, che è stata molto tempo ligata, corre più che quella che ha havuto sempre piena liberté; ainsi que fit la première femme de Baudouin, roy de Jérusalem, que j'ay dit cy-devant, laquelle, ayant esté mise en religion de force par son mary, après avoir rompu le cloistre et en estre sortie, et tirant vers Constantinople, mena telle paillardise qu'elle en donnoit à tous passants, allans et venans, tant gens d'armes que pellerins vers Jérusalem, sans esgard de sa royale condition; mais le grand jeusne qu'elle en avoit fait durant sa prison en estoit cause. J'en nommerois bien d'autres.

Or, voylà donc de bonnes gens de cocus ceux- là, comme sont aussi ceux-là qui [le] permettent à leurs femmes, quand elles sont belles et recherchées de leur beauté, et les abandonnent, pour s'en res- sentir et tirer de la faveur, du bien et des moyens. Il s'en void fort de ceux-là aux cours des grands rois et princes, lesquels s'en trouvent très-bien : car, de pauvres qu'ils auront esté, ou pour engagemens de leurs biens, ou pour procès, ou bien pour voyages de guerre sont au tapis, les voylà remontez et aggran- dis en grandes charges parle trou de leurs femmes, où ilz n'y trouvent nulle diminution, mais plustost augmentation; fors en une belle dame que j'ay ouy dire, dont elle en avoit perdu la moitié par acci- dent, qu'on disoit que son mary luy avoit donné la vérole ou quelques chancres qui la luy avoyent mangée. Certes les faveurs et bienfaits des grands


PREMIER DISCOURS


esbranslent fort un cœur chaste et engendrent bien des cocus. J'ay ouy dire et raconter d'un prince estranger, lequel, ayant esté fait gênerai de son prince souverain et maistre en une grande expédi- tion d'un voyage de guerre qu'il luy avoit com- mandé, et ayant laissé en la cour de son maistre sa femme l'une des belles de la chrestienté, se mit à luy faire si bien l'amour qu'il l'esbransla, la ter- rassa et l'abatit si beau qu'il l'engraissa.

Le mary, tournant au bout de treize ou quatorze mois, la trouva en tel estât, bien marry 'et fasché contr'elle, ne faut point demander comment. Ce fut à elle, qui es toit fort habile, à faire sesexcuses, et à un sien beau-frere. Enfin elles furent telles qu'elle luy dit : « Monsieur, l'événement de vostre voyage en est cause, qui a esté si mal receu de votre maistre (car il n'y fit pas bien certes ses af- faires), et en vostre absence l'on vous a tant preste de charitez pour n'y avoir point fait ses besognes que, sans que vostre seigneur se mît à m'aymer, vous estiez perdu; et, pour ne vous laisser perdre, je me suis perdue. Il y va autant et plus de mon honneur que du vostre; pour vostre avancement je ne me suis espargnée la plus précieuse chose de moy : jugez donc si j'ay tant failly comme vous diriez bien; car, autrement, vostre vie, vostre honneur et faveur y fustestéen bransle.Vous estes mieux que jamais : la chose n'est si divulguée que la tache vous en demeure trop apparente. Sur cela, excusez-moy et me pardonnez. »


PREMIER DISCOURS 101

Le beau-frere, qui sçavoit dire des mieux, et qui, possible, avoit part à la groisse, y en adjousta autres belles paroles et preignantes ; si bien que tout servit. Et par ainsi l'accord fut fait; et furent ensemble mieux que devant, vivans en toute fran- chise et bonne amitié, dont pourtant le prince leur maistre, qui avoit fait la debausche et le débat, ne l'estima jamais plus (ainsi que j'ay ouy dire) comme il en avoit fait, pour en avoir tenu si peu de compte à l'endroit de sa femme et pour l'avoir beu si doux, tellement qu'il ne l'estima depuis de si grand cœur comme il l'avoit tenu auparavant, encores que, dans son ame, il estoit bien aise que la pauvre dame ne pastist point pour luy avoit fait plaisir. J'ay veu aucuns et aucunes excuser cette dame, et trouver qu'elle avoit bien fait de se perdre pour sauver son mary et le remettre en fa- veur.

O ! qu'il y a de pareils exemples à celluy-cy, et encores à un d'une grande dame qui sauva la vie à son mary qui avoit esté jugé à mort en pleine cour, ayant esté convaincu de grandes concussions et malles versations en son gouvernement et en sa charge, dont le mary l'en ayma après toute sa vie.

J J'ay ouy parler d'un grand seigneur aussi, qui, ayant esté jugé d'avoir la teste tranchée, si qu'estant desjà sur l'eschaffault sa grâce survint, que sa fille, qui estoit des plus belles, avoit obte- nue; et, descendant de l'eschaffault, il ne dit autre


102 PREMIER DISCOURS

chose sinon : « Dieu sauve le bon c. de ma fille, qui m'a si bien sauvé ! »

J Saint Augustin est en doute si un cytoien chrestien d'Antioche pécha quand, pour se déli- vrer d'une grosse somme d'argent pour laquelle il estoit estroittement prisonnier, permit à sa femme de coucher avec un gentilhomme fort riche, qui luy promit de l'acquitter de son debte.

Si saint Augustin est de cette opinion, que peut-il donc permettre à plusieurs femmes, veufves et filles, qui, pour rachepter leurs pères, parens, et maris voire mesmes, abandonnent leur gentil corps sur forces inconvénients qui leur surviennent, comme de prison, d'esclavitude, de la vie, des assauts et prise de ville, bref une infinité d'autres, jusques à gaigner quelquefois des capitaines et soldats, pour les faire bien combattre et tenir leurs partys, ou pour soustenir un long siège et reprendre une place (j'en conterois cent sujets), pour ne craindre, pour eux, à prostituer leur chasteté ; et quel mal en peut-il arriver ny escandale pour cela ? mais un grand bien.

Qui dira donc le contraire, qu'il ne face bon estre quelquesfois cocu, puisque l'on en tire telles commoditez du salut de vies et de rembarquement défaveurs, grandeurs, et dignitez et biens? Que j'en cognois beaucoup, et en ay ouy parler de plusieurs, qui se sont bien avancez par la beauté et par le devant de leurs femmes!

Je ne veux offenser personne, mais j'oserois


PREMIER DISCOURS Io3

bien dire que je tiens d'aucuns et d'aucunes que les dames leur ont bien servy, et que certes les valeurs d'aucuns ne les ont tant fait valoir qu'elles. 5 Je cognois une grande et habile dame, qui fit bailler l'Ordre à son mary ; et l'eut luy seul avec les deux plus grands princes de la chrestienté. Elle luy disoit souvent, et devant tout le monde (car elle estoit de plaisante compagnie et rencon- troit très-bien): « Ha! mon amy, que tu eusses couru longtemps fauvette avant que tu eusses eu ce diable que tu portes au col ! »

J J'ay ouy parler d'un grand, du temps du roy François, lequel ayant receu l'Ordre, et s'en vou- lant prévaloir un jour devant feu M. de la Chas- tigneraye mon oncle, et luy dit : « Ah ! que vous voudriez avoir cet ordre pendu au col aussi bien comme moy ! » Mon oncle, qui estoit prompt, haut à la main, et scalabroux s'il en fut onc, luy respondit : « J'aymerois mieux estre mort que de l'avoir par le moyen du trou que vous l'avez eu. » L'autre ne luy dit rien, car il sçavoit bien à qui il avoit à faire.

J J'ay ouy conter d'un grand seigneur, à qui sa femme ayant sollicité et porté en sa maison la patente d'une des grandes charges du païs où il estoit, que son prince luy avoit octroyée par la fa- veur de sa femme, il ne la voulut accepter nulle- ment, d'autant qu'il avoit sceu que sa femme avoit demeuré trois mois avec le prince, fort favorisée, et non sans soupçon. Il monstra bien par là sa gène-


104 PREMIER DISCOURS

rosité qu'il avoit toute sa vie manifestée ; toutes- fois il l'accepta, après avoir fait chose que je ne veux dire.

Et voilà comme les dames ont bien fait autant ou plus de chevalliers que les batailles, que je nommerois, les connoissant aussi bien qu'un autre, n'estoit que je ne veux médire ny faire escandale ; et, si elles leur ont donné des honneurs, elles leur donnent bien des richesses.

J'en connois un qui estoit pauvre haire lorsqu'il amena sa femme à la cour, qui estoit très-belle ; et, en moins de deux ans, ils se remirent et de- vindrent fort riches.

Encor faut-il estimer ces dames qui eslevent ainsi leurs marys en biens, et ne les rendent co- quins et cocus tout ensemble ; ainsi que l'on dit de Marguerite de Namur, laquelle fut si sotte de s'en- gager et de donner tout ce qu'elle pouvoit à Loys duc d'Orléans, luy qui estoit si grand et si puis- sant seigneur, et frère du roy, et tirer de son mary tout ce qu'elle pouvoit, si bien qu'il en devint pauvre et fut contraint de vendre sa comté de Bloys audit M. d'Orléans; lequel, pensez qu'il la luy paya de l'argent et de la substance mesme que sa sotte femme luy avoit donné. Sotte bien estoit- elle, puisqu'elle donnoit à plus grand que soy! Et pensez qu'après il se mocqua et de l'une et de l'autre : car il estoit bien homme pour le faire, tant il estoit voilage et peu constant en amours.

J Je cognois une grand dame, laquelle estant


PREMIER DISCOURS Io5

venue fort amoureuse d'un gentilhomme de la cour, et luy par conséquent jouissant d'elle, ne luy pouvant donner d'argent , d'autant que son mary lui tenoit son trésor caché comme unprestre, luy donna la plus grand part de ses pierreries, qui montoyent à plus de trente mille escus; si bien qu'à la cour on disoit qu'il pouvoit bien bastir, puisqu'il avoit force pierres amassées et accumu- lées ; et puis après, estant venue et escheue à elle une grande succession, et ayant mis la main sur quelques vingt mille escus, elle ne les garda guieres que son gallant n'en eust sa bonne part. Et disoit-on que, si cette succession ne luy fust escheue, ne sçachant que luy pouvoir plus donner, luy eust donné jusques à sa robe et chemise. En quoy tels escrocqueurs et escornifleurs sont gran- dement à blasmer d'aller ainsi allambiquer et tirer toute la substance de ces pauvres diablesses mar- tellées et encapriciées : car la bourse, estant si sou- vent revisitée, ne peut demeurer toujours en son enfleure ny en son estre, comme la bourse de de- vant, qui est toujours en son mesme estât, et preste à y pescher qui veut, sans y trouver à dire les pri- sonniers qui y sont entrés et sortis. Ce bon gen- tilhomme, que je dis si bien empierré, vint quel- ques temps après à mourir ; et toutes ses hardes, à la mode de Paris, vindrent à estre criées et ven- dues à l'encan, qui furent appréciées à cela et recogneues pour les avoir vues à la dame, par plu- sieurs personnes, non sans grand honte de la dame.

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106 PREMIER DISCOURS

J II y eut un grand prince qui, aymant une fort honneste dame, fit achepter une douzaine de bou- tons de diamants tres-brillants et proprement mis en œuvre, avec leurs lettres égyptiennes et hiero- glyfiques, qui contenoyent leur sens caché, dont il en fit un présent à sadite maistresse, qui, après les avoir regardés fixement, luy dit qu'il n'en estoit meshuy plus besoin à elle de lettres hieroglifiques, puisque les escritures estoyent desjà accomplies entre eux deux, ainsi qu'elles avoyent esté entre le gentilhomme et cette dame de cy-dessus.

J J'ay cogneu une dame qui disoit souvent à son mary qu'elle le rendroit plustost coquin que cocu; mais, ces deux noms tenans de l'équivoque, un peu de l'un de l'autre assemblèrent en elle et son mary ces deux belles qualitez.

J J'ay bien cogneu pourtant beaucoup et une infinité de dames qui n'ont pas ainsi fait : car elles ont plus tenu serrée la bourse de leurs escus que de leur gentil corps; car, encor qu'elles fussent très-grandes dames, elles ne vouloyent donner que quelques bagues, quelques faveurs, et quelques autres petites gentillesses, manchons ou escharpes, pour porter pour l'amour d'elles et les faire valoir.

J J'en ay cogneu une grande qui a esté fort copieuse et libérale en cela, car la moindre de ses escharpes et faveurs qu'elle donnoit à ses serviteurs estoit de cinq cens escus, de mille et de trois mille, où il y avoit plus de broderies, plus de perles, plus d'enrichissements, de chiffres, de lettres hierogli-


PREMIER DISCOURS 107

fiques et belles inventions, que rien au monde n'estoit plus beau. Elle avoit raison, afin que ses présents, après les avoir faits, ne fussent cachez dans des coffres ny dans des bourses, comme ceux de plusieurs autres dames , mais qu'ils parussent devant tout le monde, et que son amy les fit valoir en les contemplant sur sa belle commémoration, et que tels présents en argent sentoyent plustost leurs femmes communes qui donnent à leurs ruffians, que non pas leurs grandes et honnestes dames. Quelquefois aussi elle donnoit bien quelques belles bagues de riches pierreries : car ces faveurs et escharpes ne se portent pas communément, sinon en un beau et bon affaire; au lieu que la bague au doigt tient bien mieux et plus ordinairement com- pagnie à celuy qui la porte.

J Certes un gentil cavallier et de noble cœur doit estre de cette généreuse complexion, de plus- tost bien servir sa dame pour les beautez qui la font reluire que pour tout l'or et l'argent qui re- luisent en elle.

Quant à moy, je me puis vanter d'avoir servy en ma vie d'honnestes dames, et non des moindres ; mais, si j'eusse voulu prendre d'elles ce qu'elles m'ont présenté et en arracher ce que j'eusse pu, je serois riche aujourd'huy, ou en bien, ou en argent, ou en meubles, de plus de trente mille escus que je ne suis; mais je me suis tousjours contenté de faire parestre mes affections plus par ma générosité que par mon avarice.


108 PREMIER DISCOURS

Certainement il est bien raison que, puisque l'homme donne du sien dans la bourse du devant de la femme, que la femme de mesme donne du sien aussi dans celle de l'homme ; mais il faut en cela peser tout : car, tout ainsi que l'homme ne peut tant jetter et donner du sien dans la bourse de la femme comme elle voudroit, il faut aussi que l'homme soit si discret de ne tirer de la bourse de la femme tant comme il voudroit; et faut que la loy en soit esgale et mesurée en cela.

J J'ay bien veu aussi beaucoup de gentils- hommes perdre l'amour de leurs maistresses par l'importunité de leurs demandes et avarices, et que, les voyans si grands demandeurs et si impor- tuns d'en vouloir avoir, s'en desfaisoyent genti- ment et les plantoyent-là, ainsi qu'il estoit très- bien employé.

Voilà pourquoy tout noble amoureux doit plus- tost estre tenté de convoitise charnelle que pécu- niaire : car, quand la dame seroit par trop libérale de son bien, le mary, le trouvant se diminuer, en est plus marry cent fois que de dix mille liberalitez qu'elle feroit de son corps.

Or, il y a des cocus qui se font par vengeance : cela s'entend que plusieurs qui haïssent quelques seigneurs ou gentilshommes ou autres, desquels en ont receu quelques desplaisirs et affronts, se vangent d'eux en faisant l'amour à leurs fem- mes , et les corrompent en les rendans gallants cocus.


PREMIER DISCOURS I 09

J J'ay cogneu un grand prince, lequel, ayant receu quelques traits de rébellion par un sien sujet grand seigneur et ne se pouvant vanger de luy, d'au- tant qu'il le fuyoit tant qu'il pouvoit, de sorte qu'il ne le pouvoit aucunement atraper, sa femme estant un jour venue à sa cour pour solliciter l'accord et les affaires de son mary, le prince luy donna une assignation pour en conférer un jour dans un jardin et une chambre là auprès; mais ce fut pour luy parler d'amours, desquelles il jouit fort facilement sur l'heure, sans grande résistance, car elle estoit de fort bonne composition ; et ne se contenta de la repasser, mais à d'autres la prostitua, jusques aux vallets de chambre. Et par ainsi disoit le prince qu'il se sentoit bien vangé de son sujet, pour luy avoir ainsi repassé sa femme et couronné sa teste d'une belle couronne de cornes, puisqu'il vouloit faire du petit roy et du souverain ; au lieu qu'il vouloit porter couronne de fleurs de lys, il luy en falloit bailler une belle de cornes.

Ce mesme prince en fit de mesme par la suasion de sa mère, qui jouit d'une fille et princesse, sça- chant qu'elle devoit espouser un prince qui luy avoit fait desplaisir et troublé Testât de son frère bien fort, la depucella et en jouit bravement, et puis dans deux mois fut livrée audict prince pour pucelle prétendue et pour femme, dont la ven- geance en fut fort douce, en attendant une autre plus rude, qui vint puis après.

J J'ay cogneu un fort honneste gentilhomme


IIO PREMIER DISCOURS

qui, servant une belle dame et de bon lieu, luy demandant la recompense de ses services etamours, elle luy respondit franchement qu'elle ne luy en donneroitpasun double, d'autantqu'elle estoit tres- asseurée qu'il ne l'aimoit tant pour cela, et ne luy portoit point tant d'affectionpoursa beauté, comme il disoit, sinon qu'en jouissant d'elle il se vouloit vanger de son mary qui luy avoit fait quelque des- plaisir, et pour ce il en vouloit avoir ce contente- ment dans son ame et s'en prévaloir puis après ; mais le gentilhomme, luy asseurant du contraire, continua à la servir plus de deux ans si fidèlement et de si ardent amour qu'elle en prit cognoissance ample et si certaine qu'elle luy octroya ce qu'elle luy avoit tousjours refusé, l' asseurant que si, du commencement de leurs amours, elle n'eust eu opi- nion de quelque vengeance projettée en luy par ce moyen, elle l'eust rendu aussi bien content comme elle fit à la fin : car son naturel estoit de l'aymer et favoriser. Voyez comme cette dame se sceut sage- ment commander, que l'amour ne la transporta point à faire ce qu'elle desiroit le plus, sans qu'elle vouloit qu'on l'aymast pour ses mérites;, et non pour le seul sujet de vindicte.

J Feu M. de Gua, un des gallants et parfaits gentilshommes du monde en tout, me convia à la cour un jour d'aller disner avec luy. Il avoit assem- blé une douzaine des plus sçavants de la cour, entr'autres M. l'evesque de Dol, de la maison d'Espinay en Bretagne, MM. de Ronsard, de Baïf ,


PREMIER DISCOURS III

Des Portes, d'Aubigny (ces deux sont encor en vie, qui m'en pourroyent démentir), et d'autres des- quels ne me souvient; et n'y avoit homme d'épée que M. du Gua et moy. En devisant, durant le disner, de l'amour, et des commoditez et incom- moditez, plaisirs et desplaisirs, du bien et du mal qu'il apportoit en sa jouissance, après que chacun eut dit son opinion et de l'un et de l'autre, il con- clud que le souverain bien de cette jouissance gisoit en cette vengeance, et pria un chacun de tous ces grands personnages d'en faire un quatrain im- promptu; ce qu'ils firent. Je lesvoudrois avoir poul- ies insérer icy, sur lesquels M. de Dol (qui disoit et escrivoit d'or) emporta le prix.

Et, certes, M. de Gua avoit occasion de tenir cette proposition contre deux grands seigneurs que je sçay, leur faisant porter les cornes pour la hayne qu'ils luy portoyent : car leurs femmes estoyent très-belles ; mais en cela il en tiroit double plaisir : la vengeance et le contentement. J'aycogneu force genz qui se sont revangez et délectez en cela, et si ont eu cette opinion.

J J'ay cogneu aussi de belles et honnestes dames, disant et affermant que , quand leurs marys les avoyent maltraitées et rudoyées, et tansées ou cen- surées, ou battues ou fait autres mauvais tours et outrages, leur plus grande délectation estoit de les faire cornards, et, en les faisant, songer en eux, les brocarder, se mocquer et rire d'eux avec leurs amys, jusques-là de dire qu'elles en entroyent da-


1 12 PREMIER DISCOURS

vantage en appétit et certain ravissement de plaisir qui ne se pouvoit dire.

5 J'ay ouy parler d'une belle et honneste femme, à laquelle estant demandé une fois si elle avoit jamais fait son mary cocu, elle respondit : « Et pour- quoy l'aurois-je fait, puisqu'il ne m'a jamais battue ny menacée? » Comme voulant dire que, s'il eust fait l'un des deux, son champion de devant en eust tost fait la vengeance.

5 Et, quant à la mocquerie, j'ay cogneu une fort honneste et belle dame, laquelle estant en ces doux altères de plaisir et en ces doux bains de délices et d'aise avec son amy, il luy advint qu'ayant un pen- dant d'oreille d'une corne d'abondance qui n'estoit que de verre noir, comme on les portoit alors, il vint, par force de se remuer et entrelasser et follastrer, à se rompre. Elle dit à son amy soudain : « Voyez comme nature est très-bien prévoyante, car, pour une corne que j'ay rompue, j'en fais icy une dou- zaine d'autres à mon pauvre cornard de mary, pour s'en parer un jour d'une bonne feste, s'il veut. »

J Une autre, ayant laissé son mary couché et endormy dans le lict, vint voir son amy avant se coucher; et, ainsi qu'il luy eut demandé où estoit son mary, elle luy respondit : « Il garde le lict et le nid du cocu, de peur qu'un autre n'y vienne pondre; mais ce n'est pas à son lict, ny à ses linceux, ny à son nid que vous en voulez, c'est à moy qui vous suis venue voir; et l'ay laissé là en sentinelle, encor qu'il soit bien endormy. »


PREMIER DISCOURS Il3

J A propos de sentinelle, j'ay ouy faire un conte d'un gentilhomme de valeur, que j'ay cogneu, lequel un jour venant en question avec une fort honneste dame que j'ay aussi cogneue, il luy de- manda, par manière d'injure, si elle avoit jamais fait de voyage à Sainct-Mathurin. « Ouy, dit-elle; mais je ne pus jamais entrer dans l'église, car elle estoit si plaine et si bien gardée de cocus qu'ilz ne m'y laissèrent jamais entrer, et vous, qui estiez des principaux, vous estiez au clocher pour faire la sentinelle et advertir les autres. »

J'en conterois mille autres risées, mais je n'aurois jamais fait : si esperè-je d'en dire pourtant en quel- que coin de ce livre.

5 II y a des cocus qui sont débonnaires, qui d'eux-mesmes se convient à cette feste decocuage; comme j'en ay cogneu aucuns qui disoyent à leurs femmes : « Un tel est amoureux de vous, je le co- gnois bien; il nous vient souvent visiter, mais c'est pour l'amour de vous, ma mie. Faites-luy bonne chère; il nous peut faire beaucoup de plaisir; son accointance nous peut beaucoup servir. »

D'autres disent à aucuns : « Ma femme estamou- reuse de vous, elle vous ayme: venez la voir, vous luy ferez plaisir; vous causerez et deviserez ensem- ble, et passerez le temps. » Ainsi convient-ils les gens à leurs despens; comme fit l'empereur Adrian, lequel, estant un jour en Angleterre (ce dit sa vie) menant la guerre, eut plusieurs advis comme sa femme, l'imperatrix Sabine, faisoit l'amour à tou- Brantôme. I i 5


I 14 PREMIER DISCOURS

tes restes à Rome avec force gallants gentilshommes romains. De cas de fortune, elle ayant escrit une lettre de Rome en hors à un jeune gentilhomme romain qui estoit avec l'empereur en Angleterre, se complaignant qu'il l'avoit oubliée et qu'il nefaisoit plus conte d'elle, et qu'il n'estoit pas possible qu'il n'eust quelques amourettes par delà, et que quel- que mignonne affettée ne l'eust espris dans les lacs de sa beauté, cette lettre d'adventure tomba entre les mains d'Adrian; et, comme ce gentilhomme, quelques jours après, demanda congé à l'empereur sous couleur de vouloir aller jusques à Rome promp- tement pour les affaires de sa [maison, Adrian luy dit en se jouant : « Et bien! jeune homme, allez-y hardiment, car l'impératrice ma femme vous y at- tend en bonne dévotion. » Quoy voyant le Ro- main, et que l'empereur avoit descouvert le secret et luy en pourroit faire mauvais tour, sans dire adieu ny gare, partit la nuict après et s'enfuit en Irlande.

Il ne devoit pas avoir grand peur pour cela ; comme l'empereur disoit luy-mesme souvent, estant abreuvé à toute heure des amours débordées de sa femme : « Certainement, si je n'estois empereur, je me serois bientost défait de ma femme; mais je ne veux monstrer mauvais exemple. » Comme voulant dire que n'importe aux grands qu'ils soyent là logez, aussi qu'ils ne se divulguent. Quelle sen- tence pourtant pour les grands, laquelle aucuns d'eux ont pratiquée, mais non pour ces raisons !


PREMIER DISCOURS I I D

Voilà comme ce bon empereur assistoit joliment à se faire cocu.

J Le bon Marc Aurelle, ayant sa femme Faus- tine, une bonne vesse, et luy estant conseillé de la chasser, il respondit : « Si nous la quittons, il faut aussi quitter son douaire, qui est l'empire. » Et qui ne voudroit estre cocu de mesme pour un tel morceau, voire moindre?

Son fils Antonius Verus dit Comodus, encor qu'il devint fort cruel, en dit de mesmes à ceux qui luy conseilloyent de faire mourir ladite Faustine sa mère, qui fut tant amoureuse et chaude après un gladiateur qu'on ne la put jamais guerirdece chaud mal jusques à ce qu'on advisa de faire mourir ce maraut gladiateur et luy faire boire son sang.

J Force marys ont fait et font de mesmes que ce bon Marc Aurelle, qui craignent de faire mou- rir leurs femmes putains, de peur d'en perdre les grands biens qui en procèdent, et aiment mieux es- tre riches cocus à si bon marché qu'estre coquins.

J Mon Dieu ! que j'ay cogneu plusieurs cocus qui ne cessoyent jamais de convier leurs parents, leurs amys, leurs compagnons, de venir voir leurs femmes, jusques à leur faire festins pour mieux les y attirer, et, y estans, les laisser seuls avec elles dans leurs chambres, leurs cabinets, et puis s'en aller et leur dire : « Je vous laisse ma femme en garde. »

J J'en ay cogneu un de par le monde, que vous eussiez dit que toute sa félicité et contentement


I I 6 PREMIER DISCOURS

gisoit à estre cocu ; et s'estudioit d'en trouver les occasions, et surtout n'oublioit ce premier mot : « Ma femme est amoureuse de vous; l'aymez-vous autant qu'elle vous ayme ? » Et, quand il voyoitsa femme avec son serviteur, bien souvent il emmenoit la compagnie hors de la chambre pour s'aller pro- mener, les laissant tous deux ensemble, leur don- nant beau loisir de traitter leurs amours. Et, si par cas il avoit à faire à tourner prestement en la chambre, dés le bas du degré il crioit haut, il de- mandoit quelqu'un, il crachoit ou il toussoit, afin qu'il ne trouvast les amants sur le fait : car volon- tiers, encor qu'on le sçache et qu'on s'en doute, ces veues et surprises ne sont guieres agréables ny aux uns ny aux autres.

Aussi ce seigneur faisant un jour bastir un beau logis, et le maistre masson luy ayant demandé s'il ne le vouloit pas illustrer de cornices, il respondit : « Je ne sçay que c'est que cornices; demandez- le à ma femme qui le sçait et qui sçait l'art de géométrie ; et ce qu'elle dira, faittes-le. »

J Bien fit pis un que je sçay, qui, vendant un jour une de ses terres à un autre pour cinquante mille escus, il en prit quarante-cinq mille en or et argent, et, pour les cinq restans, il prit une corne de licorne. Grande risée pour ceux qui le sceurent : « Comme, disoyent-ils, s'il n' avoit assez de cornes chez soy, sans y adjouster celle-là. »

5 J'ay cogneu un très-grand seigneur, brave et vaillant, lequel vint à dire à un honneste gentil-


PREMIER DISCOURS i i y

homme qu'il estoit fort son serviteur, en riant pourtant : « Monsieur un tel, je ne sçay ce que vous avez fait à ma femme, mais elle est si amou- reuse de vous que jour et nuict elle ne me fait que parler de vous, et sans cesse me dit vos louanges. Pour toute response je luy dis que je vous connois plus tost qu'elle, et sçay vos valeurs et vos mérites, qui sont grands. » Qui fut estonné? Ce fut le gentilhomme : car il ne venoit que de mener cette dame sous le bras àvespres,où la reine alloit. Toutefois ce gentilhomme s'asseura tout à coup et luy dit : « Monsieur, je suis tres-humblc serviteur de madame vostre femme, et fort rede- vable de la bonne opinion qu'elle a de moy, et l'honnore beaucoup ; mais je ne luy fais pas l'amour (disoit-il en bouffonnant) ; mais je luy fais bien la cour par votre bon advis que vous me donnastes dernièrement, d'autant qu'elle peut beaucoup à l'endroit de ma maistresse, que je puis espouser par son moyen, et par ainsi j'espère qu'elle m'y sera aydante. »

Ce prince n'en fit plus autre semblant, sinon que rire et admonester le gentilhomme de courtiser sa femme plus que jamais ; ce qu'il fît, estant bien aise, sous ce prétexte, de servir une si belle dame et princesse, laquelle luy faisoit bien oublier son autre maistresse qu'il vouloit espouser, et ne s'en soucier guieres, sinon que ce masque bouchoit et deguisoit tout. Si ne put-il faire tant qu'il n'entrast un jour en jalousie, que voyant ce gentilhomme


I 10 PREMIER DISCOURS

dans la chambre de la reine porter au bras un ruban incarnadin d'Espagne, qu'on avoit apporté par belle nouveauté à la cour, et l'ayant tasté et manié en causant avec luy, alla trouver sa femme qui estoit prés du lict de la reine, qui en avoit un tout pareil, lequel il mania et toucha tout de mesme, et trouva qu'il estoit tout semblable et de la mesme pièce que l'autre : si n'en sonna-il pourtant jamais mot et n'en fut autre chose. Et de telles amours il en faut couvrir si bien les feux par telles cendres de discrétion, et de bons advis, qu'elles ne se puissent descouvrir : car bien souvent Pescandale ainsi descouvert dépite plus les marys contre leurs femmes que quand tout se fait à cachettes, pratiquant en cela le proverbe : Si non caste, tamen caute.

J Que j'ay veu en mon temps de grands escandales et de grands inconvénients pour les indiscrétions et des dames et de leurs servi- teurs! Que leurs marys s'en soucioyent aussi peu que rien, mais qu'ils fissent bien leurs faits sofro coperte, comme on dit, et ne fust point di- vulgué.

J J'en ay cogneu une qui tout à 'trac faisoit parestre ses amours et ses faveurs, qu'elle departoit comme si elle n'eust eu de mary et ne fust esté sous aucune puissance, n'en voulant rien croire l'advis de ses serviteurs et amys qui luy en remon- stroyent les inconvénients : aussi bien mal luy en a-il pris.


PREMIER DISCOURS llû

Cette dame n'a jamais fait ce que plusieurs autres dames ont fait : car elles ont gentiment traitté l'amour et se sont donnés du bon temps sans en avoir donné grand connoissance au monde, sinon par quelques soupçons légers, qui n'eussent jamais pu monstrer la vérité aux plus clairvoyans ; car elles accostoyent leurs serviteurs devant le monde si dextrement , et les entretenoyent si excortement, que ny leurs marys ny les espions, de leur vie, n'y eussent sceu que mordre. Et, quand ils alloyent en quelque voyage, ou qu'ils vinssent à mourir, elles couvroyent et cachoient leur douleur si sagement qu'on n'y connoissoit rien.

J J'ay cogneu une dame belle et honneste, laquelle, le jour qu'un grand seigneur son serviteur mourut, elle parut en la chambre de la reine avec un visage aussi gay et riant que le jour paravant. D'aucuns l'en estimoyent de cette discrétion, et qu'elle le faisoit de peur de desplaire et irriter le roy, qui n'aymoit pas le trespassé. D'aucuns la blasmoyent , attribuans ce geste plutost à man- quement d'amour, comme l'on disoit qu'elle n'en estoit guieres bien garnie, ainsi que toutes celles qui se meslent de cette vie.

5 J'ay cogneu deux belles et honnestes dames, lesquelles, ayant perdu leurs serviteurs en une fortune de guerre, firent de tels regrets et lamen- tations, et monstrerent leur dueil par leurs habits bruns, plus d'eau-benistiers, d'aspergez d'or engravez, plus de testes de morts, et de toutes


120 PREMIER DISCOURS

sortes de trophées de la mort en leurs affiquets, joyaux et bracelets qu'elles portoyent ; qui les escandaliserent fort, et cela leur nuict grandement; mais leurs marys ne s'en soucioyent autrement.

Voilà en quoy ces dames se transportent en la publication de leurs amours, lesquelles pourtant on doit louer et priser en leur constance, mais non en leur discrétion : car pour cela il leur en fait très- mal. Et, si telles dames sont blasmables en cela, il y a beaucoup de leurs serviteurs qui en méritent bien la reprimende aussi bien qu'elles : car ils contrefont des transis comme une chèvre qui est en gesine, et des langoureux ; ils jettent leurs yeux sur elles et les envoyent en ambassade ; ils font des gestes passionnez, des souspirs devant le monde ; ils se parent des couleurs de leurs dames si appa- remment; bref, ils se laissent aller à tant de sottes indiscrétions que les aveugles s'en appercevroyent; les uns aussi bien pour le faux que pour le vray, afin de donner à entendre à toute une cour qu'ils sont amoureux en bon lieu et qu'ils ont bonne fortune. Et Dieu sçait! possible, on ne leur en donneroit pas l'aumosne pour un liard , quand bien on en devroit perdre les œuvres de charité. 5 Je cognois un gentilhomme et seigneur, lequel, voulant abrever le monde qu'il estoit venu amoureux d'une belle et honneste dame que je sçay, fit un jour tenir son petit mulet avec deux de ses laquais et pages au devant sa porte. Par cas, M. d'Estrozze et moy passâmes par là et vismes


PREMIER DISCOURS I 21

ce mystère de ce mulet, ses pages et laquais. Il leur demanda soudain où estoit leur maistre; ilz firent response qu'il estoit dans le logis de cette dame ; à quoy M. d'Estrozze se mit à rire et me dire que, sur sa vie, il gaigeroit qu'il n'y estoit point. Et soudain posa son page en sentinelle pour voir si ce faux amant sortiroit ; et de là nous en allasmes soudain en la chambre de la reine, où nous le trouvasmes, et non sans rire luy et moy. Et sur le soir nous le vinsmes accoster, et, en feignant de luy faire la guerre, nous luy deman- dasmes où il estoit à telle heure après midy, et qu'il ne s'en sçauroit laver, car nous y avions veu le mulet et ses pages devant la porte de cette dame. Luy, faisant la mine d'estre fasché que nous avions veu cela, et de quoy nous luy en faisions la guerre de faire l'amour en ce bon lieu, il nous confessa vrayment qu'il y estoit ; mais il nous pria de n'en sonner mot, autrement que nous le met- trions en peine, et cette pauvre dame qui en seroit escandalisée et mal venue de son mary ; ce que nous luy promismes (rians tousjours à pleine gorge et nous moquans de luy, encor qu'il fust assez grand seigneur et qualifié), de n'en parler jamais et que cela ne sortiroit de nostre bouche. Si est-ce qu'au bout de quelques jours qu'il continuoit ces coups faux avec son mulet trop souvent, nous luy descouvrismes la fourbe et luy en fismes la guerre à bon escient et en bonne compagnie ; dont de honte s'en désista, car la dame le sceut par nostre

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122 PREMIER DISCOURS

moyen, qui fit guetter un jour le mulet et les pages, les faisant chasser de devant sa porte comme gueux de l'hostiere. Et si fismes bien mieux, car nous le dismes à son mary, et luy en fismes le conte si plaisamment qu'il le trouva si bon qu'il en rit luy- mesmes à son aise ; et dist qu'il n'avoit pas peur que cet homme le fist jamais cocu; et que, s'il ne trouvoit ledict mulet et ses pages bien logez à la porte, qu'il la leur feroit ouvrir et entrer dedans, pour les mettre mieux à couvert et à leur aise, et se garder du chaud, ou du froid, ou de la pluye. D'autres pourtant le faisoyent bien cocu. Et voilà comme ce bon seigneur, aux despens de cette honneste dame, se vouloit prévaloir sans avoir respect d'aucun scandale.

J J'ay cogneu un gentilhomme qui escandalisa par ses façons de faire une fort belle et honneste dame, de laquelle en estant devenu amoureux quelque temps, et la pressant d'en obtenir ce bon petit morceau gardé pour la bouche du mary, elle luy refusa tout à plat ; et, après plusieurs refus, il luy dit comme désespéré : « Et bien ! vous ne le voulez pas, et je vous jure que je vous ruineray de l'honneur. » Et, pour ce faire, s'advisa de faire tant d'allées et venues à cachettes, mais pourtant non si secrètes qu'il ne se montrast à plusieurs yeux exprés et donnast moyen de s'en apercevoir de nuict et de jour, à la maison où elle se tenoit ; braver et se vanter sous main de ses bonnes fausses fortunes, et devant le monde rechercher la dame


PREMIER DISCOURS 123

avec plus de privauté qu'il n'avoit occasion de le faire, et parmy ses compagnons faire du gallant plus pour le faux que pour le vray ; si bien qu'estant venu un soir fort tard en la chambre de cette dame tout bousché de son manteau, et se cachant de ceux de la maison, après avoir joué plusieurs de ces tours, fut soubçonné par le maistre d'hostel de la maison, qui fit faire le guet ; et, ne l'ayant pu trouver, le mary pourtant battit sa femme et luy donna quelques soufflets ; mais, poussé après du maistre d'hostel, qui luy dit que ce n'estoit assez, la tua et la dagua, et en eut du roy fort aisément sa grâce. Ce fut grand dommage de cette dame, car elle estoit très-belle. Depuis, ce gentilhomme qui en avoit esté cause ne le porta guieres loin et fut tué en une rencontre de guerre, par permission de Dieu, pour avoir si injustement osté l'honneur à cette honneste dame et la vie.

Pour dire la vérité sur cet exemple et sur une infinité d'autres que j'ay veu, il y a aucunes dames qui ont grand tort d'elles-mesmes, et qui sont les vrayes causes de leurs escandales et deshonneur : car elles-mesmes vont attacquer les escarmouches, et attirent les galants à elles ; et du commencement . leur font les plus belles caresses du monde, des privautez, des familiaritez, leur donnent par leurs doux attraits et belles parolles des espérances ; mais, quand il faut venir à ce point, elles le desnient tout à plat ; de sorte que les honnestes hommes qui s'estcient proposez force choses


I 24 PREMIER DISCOU RS

plaisantes de leur corps se désespèrent et se dé- pitent en prenant un congé rude d'elles, les vont déshonorant et les publient pour les plus grandes vesses du monde, et en content cent fois plus qu'il n'y en a.

Donc voilà pourquoy il ne faut jamais qu'une dame honneste se mesle d'attirer à soy un gallant p-entilhomme, et se laisse servir àluy, si elle ne le contente à la fin selon ses mérites et ses services.

II faut qu'elle se propose cela si elle ne veut estre perdue, mesme si elle a à faire à un honneste et gallant homme; autrement, dez le commencement, s'il la vient accoster, et qu'elle voye que ce soit pour ce point tant désiré à qui il addresse ses vœux, et qu'elle n'aye point d'envie de luy en donner, il faut qu'elle luy donne son congé dez l'entrée du logis : car, pour en parler franchement, toutes dames qui se laissent aimer et servir s'o- bligent tellement qu'elles ne se peuvent desdire du combat ; il faut qu'elles y viennent tost ou tard, quoy qu'il tarde.

Mais il y a des dames qui se plaisent à se faire servir pour rien, sinon pour leurs beaux yeux; et disent qu'elles désirent estre servies, que c'est leur félicité , mais non de venir là ; et disent qu'elles prennent plaisir à désirer et non à exé- cuter. J'en ay veu aucunes qui me l'ont dit; toutes- fois il ne faut pourtant qu'elles le prennent là, car, si elles se mettent une fois à désirer, sans point de doute il faut qu'elles viennent à l'execu-


PREMIER DISCOURS 125

tion : car ainsi la loy d'amour le veut, et que toute dame qui désire, ou souhaitte, ou songe de vou- loir désirer à soy un homme , cela est fait. Si l'homme le connoist et qu'il poursuive fermement celle qui l'attaque, il en aura ou pied ou aisle, ou plume ou poil, comme on dit.

f Voilà donc comme les pauvres marys se font cocus par telles opinions de dames qui veulent dé- sirer et non pas exécuter; mais, sans y penser, elles se vont brusler à la chandelle, ou bien au feu qu'elles ont basty d'elles-mesmes , ainsi que font ces pauvres simplettes bergères, lesquelles, pour se chauffer parmy les champs en gardant leurs moutons et brebis, allument un petit feu, sans songer à aucun mal ou inconvénient; mais elles ne se donnent de garde que ce petit feu s'en vient quelques fois à allumer un si grand qu'il brusle tout un païs de landes et de taillis.

Il faudroit que telles dames prissent l'exemple, pour les faire sages, de la comtesse d'Escaldasor, demeurant à Pavie, à laquelle M. de l'Escu, qui depuis fut appelle le mareschal de Foix, estudiant à Pavie (et pour lors le nommoit-on le proteno- taire de Foix, d'autant qu'il estoit dédié à l'Eglise; mais depuis il quitta la robbe longue pour prendre les armes), faisant l'amour à cette belle dame, d'autant que pour lors elle emportoit le prix de la beauté sur les belles de Lombardie, et s'en voyant pressée, et ne le voulant rudement mécontenter ny donner son congé, car il estoit proche parent


PREMIER DISCOURS


de ce grand Gaston de Foix, M. de Nemours, sous le grand renom duquel alors toute l'Italie trembloit; et, un jour d'une grand magnificence et de feste qui se faisoit à Pavie, où toutes les grandes dames, et mesmes les plus belles de la ville et d'alentour se trouvèrent, ensemble les hon- nestes gentilhommes, cette comtesse 'parut , belle entre toutes les autres, pompeusement habillée d'une robbe de satin bleu céleste, toute couverte et semée, autant pleine que vuide , de flambeaux et papillons volletans à l'entour et s'y bruslans, le tout en broderie d'or et d'argent , ainsi que de tout temps les bons brodeurs de Milan ont sceu bien faire pardessus les autres; si bien qu'elle em- porta l'estime d'estre le mieux en point de toute la troupe et compagnie.

M. le protenotaire de Foix, la menant dancer, fut curieux de luy demander la signification des devises de sa robbe, se doutant bien qu'il y avoit là dessous quelque sens caché qui ne luy plaisoit pas. Elle luy respondit : « Monsieur, j'ay fait faire ma robbe de la façon que les gens d'armes et ca- valliers font à leurs chevaux rioteux et vitieux, qui ruent et qui tirent du pied ; ils leur mettent sur leur croupe une grosse sonnette d'argent, afin que, par ce signal, leurs compagnons, quand ils sont en compagnie et en foulle, soyent advertis de se donner garde de ce meschant cheval qui rue, de peur qu'il ne les frappe. Pareillement, par les pa- pillons volletans et se bruslans dans ces flambeaux,


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j'advertis les honnestes hommes qui me font ce bien de m'aymer et admirer ma beauté, de n'en approcher trop prés, ny en désirer d'avantage autre chose que la veue : car ils n'y gaigneront rien, non plus que les papillons, sinon désirer et brusler, et n'en avoir rien plus. » Cette histoire est escrite dans les Devises de Paolo Jovio. Par ainsi, cette dame advertissoit son serviteur de prendre garde à soy de bonne heure. Je ne sçay s'il s'en approcha de plus prés, ou comme il en fit; mais pourtant, luy, ayant esté blessé à mort à la battaille de Pavie et pris prisonnier , il pria d'estre porté chez cette comtesse, à son logis dans Pavie, où il fut très-bien receu et traitté d'elle. Au bout de trois jours il y mourut, avec le grand regret de la dame, ainsi que j'ay ouy conter à M. de Montluc, une fois que nous estions dans la tranchée à la Rochelle, de nuict, qu'il estoit en ses causeries et que je luy fis le conte de cette de- vise, qui m'asseura avoir veu cette comtesse très- belle et qui aimoit fort ledit mareschal, et fut bien honnorablement traitté d'elle : du reste, il n'en sçavoit rien si d'autres fois ils avoyent passé plus outre. Cet exemple devroit suffire pour plusieurs et aucunes dames que j'ay allégué.

5 Or, y a des cocus qui sont si bons qu'ils font prescher et admonester leurs femmes par gens de bien et religieux, sur leur conversion et correc- tions ; lesquelles, par larmes feintes et paroles dissimulées , font de grands vœux , promettans


120 PREMIER DISCOURS

monts et merveilles de repentance et de n'y re- tourner jamais plus ; mais leur serment ne dure guieres , car les vœux et larmes de telles dames valent autant que jurements et reniements d'amou- reux, comme j'en ay veu et cogneu une dame à laquelle un grand prince, son souverain, fit cette escorne d'introduire et apposter un cordellier d'aller trouver son mary qui estoit en une pro- vince pour son service, comme de soy-mesme et venant de la cour, Fadvertir des amours folles de sa femme et du mauvais bruit qui couroit du tort qu'elle luy faisoit ; et que, pour son devoir de son estât et vacation, il l'en advertissoit de bonne heure, afin qu'il mît ordre à cette ame pécheresse. Le mary fut bien esbahy d'une telle ambassade et doux office de charité : il n'en fit autre semblant pourtant, sinon de l'en remercier et luy donner espérance d'y pourvoir; mais il n'en traitta point plus mal sa femme à son retour : car qu'y eust-il gaigné ? Quand une femme une fois s'est mise à ce train, elle ne s'en détraque, non plus qu'un cheval de poste qui a accoustumé si fort le gallop qu'il ne le sçauroit changer en autre train d'aller.

Hé ! combien s'est-il veu d'honnestes dames qui, ayant esté surprises sur ce fait, tancées, bat- tues, persuadées et remonstrées, tant par force que par douceur, de n'y tourner jamais plus, elles promettent, jurent et protestent de se faire chastes, que puis après pratiquent ce proverbe : Passato il periglio, gabbato il santo, et retournent encor plus


PREMIER DISCOURS I 29

que jamais en l'amoureuse guerre ; voire qu'il s'en est veu plusieurs d'elles, se sentant dans l'âme quelque ver rongeant, qui d'elles-mesmes faisoyent des vœux bien saints et fort sollenels, mais ne les gardoyent guieres, et se repentoyent d'estre re- penties, ainsi que dit M. du Bellay des courtisanes repenties. Et telles femmes afferment qu'il est bien malaisé de se défaire pour tout jamais d'une si douce habitude et coustume, puisqu'elles sont si peu en leur courte demeure qu'elles font en ce monde.

Je m'en rapporterois volontiers à aucunes belles filles, jeunes repenties, qui se sont voilées et re- cluses, si on leur demandoit et en foy et en con- science ce qu'elles en respondroyent, et comme elles desireroyent bien souvent leurs hautes mu- railles abattues pour s'en sortir aussitost.

Voilà pourquoy ne faut point que les marys pensent autrement réduire leurs femmes, après qu'elles ont fait la première fausse pointe de leur honneur, sinon de leur lascher la bride, et leur recommander seulement la discrétion et tout gua- riment d'escandale : car on a beau porter tous les remèdes d'amour qu'Ovide a jamais appris, et une infinité qui se sont encor inventez sublins,' ny mesmes les autentiques de maistre François Rabe- lais qu'il apprit au vénérable Panurge, n'y servi- ront jamais rien ; ou bien, pour le meilleur, prati- quer un refrain d'une vieille chanson qui fut faite du temps du roy François I er , qui dit :

Brantôme. I. 1 7


]3o PREMIER DISCOURS

Qui voudroit garder qu'une femme N'aille du tout à l'abandon, Il faudroit la fermer dans une pipe, Et en jouir par le bondon.

5 Du temps du roy Henry, il y eut un certain quinquailleur qui apporta une douzaine de certains engins à la foire de Sainct-Germain pour brider le cas des femmes, qui estoyent faits de fer, et ceintu- royent comme une ceinture, et venoyent à prendre par le bas et se fermer en clef; si subtilement faits qu'il n'estoit pas possible que la femme, en estant bridée une fois, s'en pust jamais prévaloir pour ce doux plaisir, n'ayant que quelques petits trous menus pour servir à pisser.

On dit qu'il y eut quelque cinq ou six maris ja- loux fascheux qui en achepterent et en bridèrent leurs femmes de telle façon qu'elles purent bien dire : « Adieu, bon temps! » Si en y eut-il une qui s'advisa de s'accoster d'un serrurier fort subtil en son art, à qui ayant monstre ledit engin, et le sien et tout, son mary estant allé dehors aux champs, il y applicqua si bien son esprit qu'il luy forgea une fausse clef, que la dame l'ouvroit et le fermoit à toute heure et quand elle vouloit. Le mary n'y trouva jamais rien à dire. Et se donna son saoul de ce bon plaisir, en dépit du fat jaloux cocu de mary, pensant vivre tousjours en franchise de cocuage. Mais ce meschant serrurier qui fit la fausse clef gasta tout; et si fit mieux, à ce qu'on dit, car ce fut le premier qui en tasta et le fit cornard : aussi


PREMIER DISCOURS


i3i


n'y avoit-il danger, car Venus, qui fut la plus belle femme et putain du monde, avoit Vulcan, forgeron et serrurier, pour mary, lequel estoit un fort vi- lain, salle, boiteux et tres-laid.

On dit bien plus : qu'il y eut beaucoup de gallants honnestes gentilshommes de la cour qui menacèrent de telle façon le quinquaillier que, s'il se mesloit jamais de porter telles ravauderies, qu'on le tueroit, et qu'il n'y retournast plus et jettast tous les autres qui estoyent restez dans le retrait: ce qu'il fit; et depuis onc n'en fut parlé. Dont il fut bien sage, car c'estoit assez pour faire perdre la moitié du monde, à faute de ne le peu- pler, par tels brindemens, serrures et fermoirs de nature, abominables et détestables ennemis de la multiplication humaine.

5 II y en a qui baillent leurs femmes à garder à des enuques, que l'empereur Alexandre Severus rejetta fort, avec rude commandement de ne pra- tiquer jamais les dames romaines ; mais ilz y sont esté attrapés ; non qu'ils engendrassent et les femmes conceussent d'eux, mais en recevoyent quelques sentimens et superficies de plaisirs légers, quasi approchans du grand parfait : dont aucuns ne s'en soucient point, disans que leur principal marrisson de l'adultère de leurs femmes ne proce- doit pas de ce qu'elles s'en faisoyent donner, mais qu'il leur faschoit grandement de nourrir et élever et tenir pour enfans ceux qu'ils n'avoyent pas faits. Car sans cela ce fust esté le moindre de


I 3 2 PREMIER DISCOURS

leurs soucis, ainsi que j'en ay cogneu aucuns et plusieurs, lesquels, quand ilz trouvoyent bons et faciles ceux qui les avoyent faits à leurs femmes, à donner un bon revenu , à les entretenir, ne s'en donnoyent aucunement soucy, ainsi qu'ils con- seillent à leurs femmes de leur demander et les prier de quelque pension pour nourrir et entrete- nir le petit qu'elles ont eu d'eux. Comme j'ay ouy conter d'une grand dame , laquelle eut Ville- connin, enfant du roy François I er . Elle le pria de luy donner ou assigner quelque peu de bien, avant qu'il mourust, pour l'enfant qu'il luy avoit fait : ce qu'il fit. Et luy assigna deux cens mille escus en banque, qui luy profitèrent et coururent tousjours d'interests, et de change en change ; de telle sorte qu'estant venu grand, il despensoit si magnifique- ment et paroissoit en si belle despense et en jeux à la cour qu'un chascun s'en estonnoit; et presu- moit-on qu'il jouissoit de quelque dame qu'on n'eusse point pensé; et ne croyoit-on sa mère nullement; mais, d'autant qu'il ne bougeoit d'avec elle, un chacun jugeoit que la grande despense qu'il faisoit procedoit de la jouissance d'elle; et pourtant c'estoit le contraire, car elle estoit sa mère ; et peu de gens le sçavoyent, encor qu'on ne sceust bien sa lignée ny procréation, si ce n'est qu'il vint à mourir en Constantinople, et son au- bene (comme bastard) fut donnée au mareschal de Retz, qui estoit fin et sublin à descouvrir tel pot aux roses, mesmes pour son proffit, qu'il eust pris


PREMIER DISCOURS I 3 3

sur la glace, et vérifia la bastardise qui avoit esté si longtemps cachée ; et emporta le don d'aubene pardessus M. de Teligny, qui avoit esté constitué héritier dudict Villeconnin.

D'autres disoyent pourtant que cette dame avoit eu cet enfant d'autres que du roy , et qu'elle l'avoit ainsi enrichy du sien propre; mais M. de Retz esplucha et chercha tant parmy les banques qu'il y trouva l'argent et les obligations du roy François ; les uns disoyent pourtant d'un autre prince non si grand que le roy , ou d'un autre moindre; mais, pour couvrir et cacher tout et nourrir l'enfant, il n'estoit pas mauvais de sup- poser tout à la Majesté, comme cela se void en d'autres.

Je croy qu'il y a plusieurs femmes parmy le monde, et mesmes en France, que si elles pen- soyent produire des enfants à tel prix, que les roys et les grands aisément monteroyent sur leurs ventres; mais bien souvent ilz y montent et [elles] n'en ont de grandes lippées; dont en ce elles sont bien trompées , car à tels grands volontiers ne s'addonnent-elles, sinon pour avoir le galardon, comme dit l'Espagnol.

Il y a une fort belle question sur ces enfants putatifs et incertains: à sçavoir s'ilz doivent suc- céder aux biens paternels et maternels , et que c'est un grand péché aux femmes de les y faire succéder; dont aucuns docteurs ont dit que la femme le doit révéler au mary, et en dire la vérité.


I 34 PREMIER DISCOURS

Ainsi le réfère le docteur Subtil. Mais cette opi- nion n'est pas bonne, disent autres, parce que la femme se diffameroit soy-mesmes en le révélant, et pour autant elle n'y est tenue : car la bonne re- nommée est plus grand bien que les biens tempo- rels, dit Salomon.

Il vaut donc mieux que les biens soyent occu- pez par l'enfant que la bonne renommée se perde : car, comme dit un ancien proverbe, mieux vaut bonne renommée que ceinture dorée. De là les théo- logiens tirent une maxime qui dit que, quand deux préceptes et commandemens nous obligent, le moindre doit céder au plus grand. Or est-il que le commandement de garder sa bonne renommée est plus grand que celuy qui concède de rendre le bien d'autruy : il faut donc qu'il soit préféré à ce- luy-là.

De plus, si la femme révèle cela à son mary, elle se met en danger d'estre tuée du mary mesme, ce qui est fort défendu de se pourchasser la mort; non pas mesmes est permis à une femme de se tuer de peur d'estre violée, ou après l'avoir esté, autre- ment elle pecheroit mortellement; si bien qu'il vaut mieux permettre d'estre viollée (si on n'y peut, en fuyant ou criant, remédier) que se tuer soy-mesme: car le violement du corps n'est point péché, sinon du consentement de l'esprit. C'est la response que fit sainte Luce au tyran qui la menaçoit de la faire mener au bourdeau. « Si vous me faittes, dit-elle, forcer, ma chasteté recevra double couronne. »


PREMIER DISCOURS i35

Pour ceste raison, Lucresse est taxée d'aucuns. Il est vray que sainte Sabine et sainte Sophoniene , avec d'autres pucelles chrestienes, lesquelles se sont privées de vie afin de ne tomber entre les mains des barbares, sont excusées de nos Pères et docteurs, disant qu'elles ont fait cela pour certain mouvement du Sainct-Esprit; par lequel Sainct- Esprit, après la prise de Cypre , une damoi- selle cypriotte nouvellement, se voyant emmener esclave avec plusieurs autres pareilles dames, pour estre la proye des Turcs, mit le feu secrètement dans les poudres de la gallere, si bien qu'en un moment tout fut embrazé et consumé avec elle, disant : « Ja à Dieu ne plaise que nos corps soyent poilus et cogneus par ces vilains Turcs et Sarrasins ! » Et Dieu sçait, possible qu'il avoit esté déjà poilu, et en voulut ainsi faire la pénitence; si ce n'est que son maistre ne l'avoit voulue tou- cher, afin d'en tirer plus d'argent la vendant vierge, comme l'on est friand de taster en ces païs, voire en tous autres, un morceau intacte.

Or, pour retourner encor à la garde noble de ces pauvres femmes, comme j'ay dit, les enuques ne laissent à commettre adultère avec elles, et faire leurs marys cocus, réservé la procréation à part.

5 J'ay cogneu deux femmes en France qui se mirent à aymer deux chastrez gentilshommes afin de n'engroisser point; et pourtant en avoyent plai- sir, et si ne s'escandalisoyent. Mais il y a eu des marys si jaloux en Turquie et en Barbarie, lesquels,


I 36 PREMIER DISCOURS

s'estans apperceus de cette fraude , ilz se sont ad- visez de faire chastrer tout à trac leurs pauvres es- claves, et le leur coupper tout net. Dont, à ce que disent et escrivent ceux qui ont pratiqué la Tur- quie, il n'en reschappe deux de douze auxquels ils exercent cette cruauté, qu'ils ne meurent; et ceux qui en eschappent, ils les ayment et adorent comme vrays, seurs, et chastes gardiens de la chasteté de leurs femmes, et garantisseurs de leur honneur.

Nous autres chrestiens n'usons point de ces villaines rigueurs et par trop horribles; mais, au lieu de ces chastrez, nous leur donnons des vieillards sexagénaires, comme l'on fait en Espagne, et mes- mes à la cour des reines de là, lesquels j'ay veu gardiens des filles de leur cour et de leur suitte. Et, Dieu sçait! il y a des vieillards cent fois plus dangereux à perdre filles et femmes que les jeunes, et cent fois plus chaleureux, plus inventifs et in- dustrieux à les gaigner et corrompre.

Je croy que telles gardes , pour estre chenus et à la teste et au menton, ne sont pas plus seures que les jeunes, ny les vieilles femmes non plus; ainsi comme une vieille gouvernante espagnole condui- sant ses filles , et passant par une grande salle et voyant des membres naturels peints à l'advantage et fort gros et demesurez , contre la muraille , se prit à dire : Mira que tan bravos no los pintan estos nombres, como quicn no los conociesse. Et ses filles se tournèrent vers elle, et y prindrent avis, fors une que j'ay cogneu, qui, contrefaisant de la simple,


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De Beaumont. pinx Jouaust.éd-

LES OISEAUX DE BARBARIE

les Galantes Discours. I. )


PREMIER DISCOURS 1J7

demanda à une de ses compagnes quelz oyseaux estoyent ceux-là : car il y en avoit aucuns peints avec des aisles. Elle luy respondit que c'estoyent oyseaux de Barbarie, plus beaux en leur naturel qu'en peinture. Et Dieu sçait si elle n'en avoit point veu jamais; mais il falloit qu'elle en fist la mine.

Beaucoup de marys se trompent bien souvent en ces gardes : car il leur semble que, pourveu que leurs femmes soyent entre les mains des vieilles (que les unes et les autres appellent leurs mères pour tiltre d'honneur), qu'elles sont très-bien gar- dées sur le devant; et de belles il n'y en a point de plus aisées à suborner et gaigner qu'elles : car, de leur nature estant avaricieuses comme elles sont, en prennent de toutes mains pour vendre leurs prisonnières.

D'autres ne peuvent veiller tousjours ces jeunes femmes, qui sont tousjours en bonne cervelle, et mesmes quand elles sont en amours, que la plus- part du temps elles dorment en un coin de chemi- née, qu'en leur présence les cocus se forgent sans qu'elles y prennent garde ny n'en sçachent rien.

5 J'ay cogneu une dame qui le fit une fois devant sa gouvernante, si subtilement qu'elle ne s'en apperceut jamais. Une autre en fit de mesme devant son mary, quasi visiblement, ainsi qu'il jouoit à la prime.

D'autres vieilles ont mauvaises jambes, qui ne peuvent pas suivre au grand trot leurs dames,

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I 3 8 PREMIER DISCOURS

qu'avant qu'elles arrivent au bout d'une allée ou d'un bois ou d'un cabinet, leurs dames ont derobbé leur coup en robbe sans qu'elles s'en soyent ap- perceues, n'y ayant rien veu, débiles de jambes et basses de la veue. D'autres vieilles et gouvernantes y a-il qui, ayant pratiqué le mestier, ont pitié de voir jusner les jeunes et leur sont si débonnaires que d'elles-mesmes elles leur en Couvrent le chemin et les en persuadent de l'ensuivre, et leur assistent de leur pouvoir. Aussi l'Aretin disoit que le plus grand plaisir d'une dame qui a passé parla, et tout son plus grand contentement, est d'y faire passer une autre de mesmes.

Voylà pourquoy, quand on se veut bien ayder d'un bon ministre pour l'amour, on prend et s'ad- dresse-on plustost à une vieille maquerelle qu'à une jeune femme. Aussi tiens -je d'un fort gallant homme qu'il ne prenoit nul plaisir, et le defendoit à sa femme expressément, de ne hanter jamais compagnies de vieilles, pour estre trop dangereuses, mais avec des jeunes tant qu'elle voudroit; et en alleguoit beaucoup de bonnes raisons que je laisse aux mieux discourans discourir.

Et c'est pourquoy un seigneur de par le monde, que je sçay, confia sa femme (de laquelle il étoit jaloux) à une sienne cousine, fille pourtant, pour luy servir de surveillante; ce qu'elle fit très-bien, encor que de son costé elle retînt moitié du natu- rel du chien de l'ortollan , d'autant qu'il ne mange jamais des choux du jardin de son maistre, et si


PREMIER DISCOURS 1 3cj

n'en veut laisser manger aux autres; mais celle-cy en mangeoit, et n'en vouloit point faire manger à sa cousine : si est-ce que l'autre pourtant luy dero- boit tousjours quelque coup en cotte, dont elle ne s'en appercevoil, quelque fine qu'elle fust, ou fei- gnoit ne s'en appercevoir.

J J'alleguerois une infinité de remèdes dont usent les pauvres jaloux cocus pour brider, sarrer, gesner et tenir de court leurs femmes, qu'elles ne facent le saut; mais ils ont beau pratiquer tous ces vieux moyens qu'ilz ont ouy dire et d'en excogiter de nouveaux, car ilz y perdent leur escrime : car, quand une fois les femmes ont mis ce ver coquin amoureux dans leurs testes, les envoyent à toute heure chez Guillot le Songeur, ainsi que j'espère d'en discourir en un chapitre que j'ay à demy fait, des ruses et astuces des femmes sur ce point, que je confère avec les stratagesmes et astuces militaires des hommes de guerre. Et le plus beau remède , seure et douce garde que le mary jaloux peut donner à sa femme , c'est de la laisser aller en son plein pouvoir, ainsi que j'ay ouy dire à un gallant homme marié, estant le naturel de la femme que, tant plus on luy défend une chose, tant plus elle désire le faire, et surtout en amours, où l'ap- pétit s'eschauffe plus en le défendant qu'au laisser courre.

J Voicy une autre sorte de cocus, dont pour- tant il y a question : à sçavoir-mon_, si l'on a jouy d'une femme à plein plaisir durant [la vie de] son


140 PREMIER DISCOURS

mary cocu, et que le mary vienne à décéder, et que ce serviteur après vienne à espouser cette femme veufve, si, l'ayant espousée en secondes nopces, il doit porter le nom et tiltre de cocu, ainsi que j'ay cogneu et ouy parler de plusieurs, et des grands.

Il y en a qui disent qu'il ne peut estre cocu, puisque c'est luy-mesme qui en a fait la faction, et qu'il n'y aye aucun qui l'aye fait cocu que luy- raesme, et que ses cornes sont faites de soy-mesme. Toutesfois, il y a bien des armuriers qui font des espées desquelles ilz sont tués ou s'entretuent eux- mêmes.

Il y en a d'autres qui disent l'estre réellement cocu, et de fait, en herbe pourtant. Hz en allèguent force raisons; mais, d'autant que le procez en est indécis, je le laisse à vuider à la première audience qu'on voudra donner pour cette cause.

Si diray-je encor cettui-cy d'une bien grande, ma- riée encor, laquelle s'est compromise, encor en ma- riage, à celuy qui l'entretient encor, il y a quatorze ans, et depuis ce temps a toujours attendu et sou- haitté que son mary mourust. Au diable s'il a jamais pu mourir encor à son souhait ! si bien qu'elle pou- voit bien dire : « Maudit soit le mary et le compa- gnon, qui a plus vescu que je ne voulois ! » De ma- ladies et indispositions de son corps il en a eu prou, mais de mort point; si bien que le roy Henry der- nier, ayant donné la survivance de Testât beau et grand qu'avoit ledict mary cocu à un fort honneste


PREMIER DISCOURS 141

et brave gentilhomme, disoit souvent : « Il y a deux personnes en ma cour auxquelles moult tarde qu'un tel ne meure bientost, à l'une pour avoir son estât, et à l'autre pour espouser son amoureux. » Mais l'un et l'autre sont esté trompez jusques icy.

Voilà comme Dieu est sage et provident, de n'envoyer point ce que l'on souhaitte de mauvais; toutesfois l'on m'a dit que depuis peu sont .en mauvais ménage, et ont bruslé leur promesse de mariage de futur et rompu le contract, par grand dépit de la femme et joye du maryé prétendu, d'autant qu'il se vouloit pourvoir ailleurs et ne vouloit plus tant attendre la mort de l'autre mary, qui, se mocquant des gens, donnoit assez souvent des allarmes qu'il s'en allait mourir, mais enfin il a survescu le mary prétendu. Punition de Dieu, certes, car il ne s'ouït jamais guieres parler d'un mariage ainsi fait, qui est un grand cas et énorme de faire et accorder un second mariage estant le premier encor en son entier.

J'aymerois autant d'une, qui est grande, mais non tant que l'autre que viens de dire , laquelle estant pourchassée d'un gentilhomme par mariage, elle l'espousa, non pour l'amour qu'elle luy por- toit, mais parce qu'elle le voyoit maladif, atténué et allanguy, et mal disposé ordinairement, et que les médecins luy disoyent qu'il ne vivroit pas un an, et mesmes après avoir cogneu cette belle femme par plusieurs fois dans son lict; et, pour ce, elle en esperoit bientost la mort, et s'accommoderoit


142 PREMIER DISCOURS

tost apiés sa mort de ses biens et moyens, beaux meubles et grands advantages qu'il luy donnoit par mariage : car il estoit tres-riche et bien aisé gentil- homme. Elle fut bien trompée, car il vit encores, gaillard et mieux disposé cent fois qu'avant qu'il l'espousât; depuis elle est morte. On dit que ledict gentilhomme contrefaisoit ainsi du maladif et marmiteux, afin que, connoissant cette femme tres- avare, fust esmeue à l'espouser sous espérance d'avoir tels grands biens ; mais Dieu là dessus disposa tout au contraire, et fît brouster la chèvre là où elle estoit attachée, en dépit d'elle.

Que dirons-nous d'aucuns qui espousent des putains et courtisanes qui ont esté tres-fameuses, comme l'on fait assez coustumierement en France, mais surtout en Espagne et en Italie, lesquels se persuadent de gaigner les œuvres de miséricorde, por librar un' anima christiana del inferno, comme ils disent, et la mettre en la sainte voye.

Certainement, j'ay veu aucuns tenir cette opinion et maxime que, s'ilz les espousoyent pour ce saint et bon sujet, qu'ilz ne doivent tenir rang de cocus: car ce qui se fait pour l'honneur de Dieu ne doit estre converty en opprobre; moyennant aussi que leurs femmes, estant remises en la bonne voye, ne s'en ostent et retournent à l'autre, comme j'en ay veu aucunes en ces deux païs, qui ne se rendoyent plus pécheresses après estre mariées, d'autres qui ne s'en pouvoyent corriger, mais retournoyent broncher dans la première fosse.


PREMIER DISCOURS 1 ^3

J La première fois que fus en Italie , je devins amoureux d'une fort belle courtisane à Rome, qui s'appelloit Faustine. Et, d'autant que je n'avois pas grand argent et qu'elle estoit en trop haut prix, de dix ou douze escus pour nuict, fallut que je me contentasse de la parole et du regard. Au bout de quelque temps, j'y retourne pour la seconde fois, et, mieux garny d'argent, je l'allay voir en son logis par le moyen d'une seconde , et la trouvé mariée avec un homme de justice, en son mesme logis, qui me recueillit de bon amour, et me con- tant la bonne fortune de son mariage, et me rejet- tant bien loin ses follies du temps passé, auxquelles elle avoit dit adieu pour jamais. Je luy monstray de beaux escus françois, mourant pour l'amour d'elle plus que jamais. Elle en fut tentée et m'ac- corda ce que voulus, me disant qu'en mariage faisant elle avoit arresté et concerté avec son mary sa liberté entière, mais sans escandale pourtant ny déguisement, moyennant une grande somme, afin que tous deux se pussent entretenir en grandeur; et qu'elle estoit pour les grandes sommes, et s'y laissoit aller volontiers , mais non point pour les petites. Celuy-là estoit bien cocu en herbe et gerbe.

J J'ay ouy parler d'une dame de parmy le monde qui, en mariage faisant, voulut et arresta que son mary la laissât à la cour pour faire l'amour, se reservant l'usage de sa forest de mort-bois ou bois-mort, comme luy plairoit ; aussi, en recom- pense, elle luy donnoit tous les mois mille francs


144 PREMIER DISCOURS

pour ses menus plaisirs , et ne se soucia d'autre chose qu'à se donner du bon temps.

Par ainsi, telles femmes qui ont esté libres, vo- lontiers ne se peuvent garder qu'elles ne rompent les serrures estroites de leurs portes, quelque con- trainte qu'il y ait, mesmes où l'or sonne et reluit : tesmoin cette belle fille du roy Acrise, qui, toute resserrée et renfermée dans sa grosse tour, se laissa à un doux aller de ces belles gouttes d'or de Jupiter.

« Ha ! que mal aisément se peut garder, disoit un gallant homme, une femme qui est belle, am- bitieuse, avare , convoiteuse d'estre brave, bien habillée, bien diaprée et bien en point, qu'elle ne donne non du nez, mais du cul en terre, quoyqu'elle porte son cas armé, comme l'on dit, et que son mary soit brave, vaillant, et qui porte bonne espée pour le défendre. »

J J'en ay tant cogneu de ces braves et vaillants qui ont passé par là , dont certes estoit grand dommage de voir ces honnestes et vaillants hommes en venir là, et qu'après tant de belles victoires gaignées par eux, tant de remarquables conquestes sur leurs ennemis , et beaux combats demeslez par leur valeur, qu'il faille que, parmy les belles fleurs et fueilles de leurs chappeaux triomphans qu'ils portent sur la teste, l'on y trouve des cornes entre- meslées, qui les deshonnorent du tout; lesquels neantmoins s'amusent plus à leurs belles ambitions par leurs beaux combats, honnorables charges,


PREMIER DISCOURS 1^5

vaillances et exploicts, qu'à surveiller leurs femmes et esclairer leur antre obscur. Et par ainsi arri- vent, sans y penser, à la cité et conqueste de Cor- nuaille , dont c'est grand dommage pourtant; comme j'en ay bien cogneu un brave et vaillant, qui portoit le tiltre d'un fort grand, lequel un jour se plaisant à raconter ses vaillances et conquestes , il y eut un fort honneste gentilhomme et grand, son allié et familier, qui dit à un autre : « Il nous raconte icy ses conquestes, dont je m'en estonne, car le cas de sa femme est plus grand que toutes celles qu'il a jamais fait ny ne fera oncques. »

J J'en ay bien cogneu plusieurs autres, lesquels, quelque belle grâce, majesté et apparence qu'ils pussent monstrer, si avoyent-ilz pourtant cette encolure de cocu qui les effaçoit du tout : car telle encolure et encloueure ne se peut cacher et feindre; quelque bonne mine et bon geste qu'on vueille faire, elle se connoist et s'apperçoit à clair. Et, quant à moy, je n'en ay jamais veu en ma vie au- cun de ceux-là qui n'en eust ses marques, gestes, postures et encolures ^et encloueures , fors seule- ment un que j'ay cogneu, que le plus clairvoyant n'y eust sceu rien voir ny mordre sans connoistre sa femme, tant il avoit bonne grâce, belle façon et apparence honnorable et grave.

Je prierois volontiers les dames qui ont de ces

marys si parfaits [qu'elles] ne leur fissent de tels

tours et affronts ; mais elles me pourront dire aussi :

«Et où sont-ilz ces parfaits, comme vous dites

Brantôme. I. 19


146 PREMIER DISCOURS

qu'estoit celuy-Ià que vous nous venez d'allé- guer ? »

Certes, Mesdames, vous avez raison, car tous ne peuvent estre des Scipions et des Caesars, et ne s'en trouve plus. Je suis d'advis doncques que vous ensuiviez en cela vos fantaisies : car, puisque nous parlons des Csesars, les plus gallants y ont bien passé, et les plus vertueux et parfaits, comme j'ay dit, et comme nous lisons de cet accomply empe- reur Trajan, les perfections duquel ne purent en- garder sa femme Plotine qu'elle ne s'abandonnast du tout au bon plaisir d'Adrian, qui fut empereur après; de laquelle il tira de grandes commoditez, proffits et grandeurs, tellement qu'elle fut cause de son avancement : aussi n'en fut-il ingrat estant parvenu à sa grandeur, car il l'ayma et honnora tousjours si bien qu'elle estant morte, il en démena si grand dueil et en conceut une telle tristesse qu'enfin il en perdit pour un temps le boire et le manger, et fut contraint de séjourner en la Gaule Narbonnoise, où il sceut ces tristes nouvelles, trois ou quatre mois, pendant lesquels escrivit au sénat de colloquer Plotine au nombre des déesses, et commanda qu'en ses obsèques on luy offrist des sacrifices tres-riches et tres-sumptueux; et cependant il employa le temps à faire bastir et édifier à son honneur et mémoire un très-beau temple prés Nemuse , ditte maintenant Nismes, orné de très-beaux et riches marbres et porfires avec autres joyaux.


PREMIER DISCOURS 147

Voilà donc comment, en matière d'amours et de ses contentemens, il ne faut aviser à rien: aussi Cupidon leur dieu est aveugle, comme il paroist en aucunes, lesquelles ont des marys des plus beaux, des plus honnestes et des plus accomplis qu'on sçauroit voir, et neantmoins se mettent à en aymer d'autres si laids et si salles qu'il n'est possible de plus.

J J'en ay veu force desquelles on faisoit une question: «Qui est la dame la plus putain, ou celle qui a un fort beau et honneste mary et fait un amy laid, maussade et fort dissemblable à son mary, ou celle qui a un laid et fascheux mary et fait un bel amy bien avenant, et ne laisse pourtant à bien aymer et caresser son mary, comme si c'estoit la beauté des hommes, ainsi que j'ay veu faire à beaucoup de femmes? »

Certainement, la commune voix veut que celle qui a un beau mary et le laisse pour aymer un amy laid est bien une grande putain, ny plus ni moins qu'une personne est bien gourmande qui laisse une bonne viande pour en manger une meschante. Aussi, cette femme quittant une beauté pour aymer une laideur, il y a bien de l'apparence qu'elle le fait pour la seule paillardise, d'autant qu'il n'y a rien plus paillard ny plus propre pour satisfaire à la paillardise qu'un homme laid, sentant mieux son bouc puant, ord et lascif que son homme. Et volontiers les beaux et honnestes hommes sont un peu plus délicats et moins habilles à rassasier une


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luxure excessive et effrénée qu'un grand et gros ribaut barbu, ruraud et satyre.

D'autres disent que la femme qui ayme un bel amy et un laid mary, et les caresse tous deux, est bien autant putain , pour ce qu'elle ne veut rien perdre de son ordinaire et pension.

Telles femmes ressemblent à ceux qui vont par païs, et mesmes en France, qui, estans arrivez le soir à la souppée du logis, n'oublient jamais de demander à l'hoste la mesure du mallier, et faut qu'il l'aye, quand il seroit saoul à plein jusques à la gorge.

Ces femmes de mesme veulent tousjours avoir à leur couchée, quoy qui soit la mesure de leur mallier (comme j'en ay cogneu une qui avoit un mary tres-bon embourreur de bas); encores la veulent-elles croistre et redoubler en quelque façon que ce soit, voulant que l'amy soit pour le jour qui esclaire sa beauté, et d'autant plus en fait venir l'envie à la dame, et s'en donne plus de plaisir et contentement par l'ayde de la belle lueur du jour; et monsieur le mary laid est pour la nuict : car, comme on dit que tous chats sont gris de nuict, et pourveu que cette dame rassasie ses appétits, elle ne songe point si son homme de mary est laid ou beau. Car, comme je tiens de plusieurs, quand on est en ces extases de plaisirs, l'homme ny la femme ne songent point à autre sujet ny imagination, sinon à celuy qu'ils traitent pour l'heure présente; encore que je tienne de bon lieu que plusieurs


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dames ont fait à croire à leurs amys que, quand elles estoyent là avec leurs marys, elles addon- noyent leurs pensées à leurs amys, et ne songeoyent à leurs marys afin d'y prendre plus de plaisir; et à des marys ay-je ouy dire ainsi, qu'estans avec leurs femmes songeoient à leurs maistresses pour cette mesme occasion; mais ce sont abus.

Les philosophes naturels m'ont dit qu'il n'y a que le seul objet présent qui les domine alors, et nullement l'absent, et en alleguoyent force raisons; mais je ne suis assez bon philosophe ny sçavant pour les déduire, et aussi qu'il y en a d'aucunes salles. Je veux observer la verecondie, comme on dit; mais, pour parler de ces élections d'amours laides, j'en ay veu force en ma vie, dont je m'en suis estonné cent fois.

5 Retournant une fois d'un voyage de quelque province estrangere, que ne nommeray point de peur qu'on connoisse le sujet duquel je veux parler, et discourant avec une grand dame de par le monde, parlant d'une autre grand dame et princesse que j'avois veue là, elle me demanda comment elle faisoit l'amour. Je luy nommay le personnage lequel elle tenoit pour son favory, qui n'estoit ny beau ny de bonne grâce, et de fort basse qualité. Elle me fit response : « Vrayement elle se fait fort grand tort , et à l'amour un très-mauvais tour, puisqu'elle est si belle et si honneste comme on la tient. »

Cette dame avoit raison de me tenir ces propos,


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puisqu'elle n'y contrarient point, et ne les dissimu- loit par effet : car elle avoit un honneste amy et bien favory d'elle. Et, quand tout est bien dit, une dame ne se fera jamais de reproche quand elle voudra aymer et faire élection d'un bel objet , ny de tort au mary non plus, quand ce ne seroit autre raison que pour l'amour de leur lignée; d'autant qu'il y a des marys qui sont si laids, si fats, si sots, si badauts, de si mauvaise grâce, si poltrons, si coyons et de si peu de valeur, que, leurs femmes venans à avoir des enfants d'eux et les ressem- blants, autant vaudroit n'en avoir point du tout ; ainsi que j'ay cogneu plusieurs dames, lesquelles ayant eu des enfants de tels marys, ilz sont esté tous tels que leurs pères; mais, en ayant emprunté aucuns de leurs amys, ont surpassé leurs pères, frères et sœurs, en toutes choses.

Aucuns aussi des philosophes qui ont traitté de ce sujet ont tenu tousjours que les enfants ainsi empruntez ou derobbés, ou faits à cachettes et à l'improviste, sont bien plus gallants et tiennent bien plus de la façon gentille dont on use à les faire prestement et habillement que non pas ceux qui se font dans un lict lourdement, fadement, pe- samment, à loisir, et quasi à demy endormis, ne songeans qu'à ce plaisir en forme brutalle.

Aussi ay-je ouy dire à ceux qui ont charge des haras des rois et grands seigneurs, qu'ilz ont veu souvent sortir de meilleurs chevaux derobbez par leurs mères, que d'autres faits par la curiosité des


PREMIER DISCOURS l5 I

maistres du haras et estallons donnez et appostez : ainsi est-il des personnes.

Combien en ay-je veu de dames avoir produit des plus beaux et honnestes et braves enfants, que, si leurs pères putatifs les eussent faits, ils fussent esté vrays veaux et vrayes bestes !

Voylà pourquoy les femmes sont bien advisées de s'ayder et accommoder de beaux et bons estal- lons, pour faire de bonnes races. Mais aussi en ay-je bien veu qui avoyent de beaux marys, qui s'aydoyent de quelques amys laids et villains estal- lons, qui procreoyent d'hydeuses et mauvaises lignées.

Voilà une des signalées commoditez et incom- moditez du cocuage.

  • J'ay cogneu une dame de par le monde qui

avoit un mary fort laid et fort impertinent; mais, de quatre filles et deux enfants qu'elle eut, il n'y eut que deux qui vallussent, estans venus et faits de son amy; et les autres, venus de son chalant de mary (je dirois volontiers chat-huant , car il en avoit la mine), furent fort maussades.

Les dames en cela y doivent estre bien advisées et habiles, car coustumierement les enfants ressem- blent à leurs pères, et touchent fort à leur honneur quand ils ne leur ressemblent , ainsi que j'ay veu par expérience beaucoup de dames avoir cette cu- riosité de faire dire et accroire à tout le monde que leurs enfants ressemblent du tout à leur père, et non à elles, encor qu'ilz n'en tiennent rien : car


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c'est le plus grand plaisir qu'on leur sçauroit faire, d'autant qu'il y a apparence qu'elles ne l'ont em- prunté d'autruy, encores qu'il soit le contraire.

Je me suis trouvé une fois en une grande com- pagnie de cour où l'on advisoit le pourtrait de deux filles d'une très-grande reine. Chacun se mit à dire son advis à qui elles ressembloyent, de sorte que tous et toutes dirent qu'elles tenoyent du tout de la mère; mais moy, qui estois tres-humble serviteur da la mère, je pris l'affirmative, et dis qu'elles te- noyent du tout du père, et que, si l'on eust cogneu et veu le père comme moy, l'on me condescen- droit. Sur quoy la sœur de cette mère m'en re- mercia et m'en sceut tres-bon gré, et bien fort, d'autant qu'il y avoit aucunes personnes qui le di- soyent à dessein, pour ce qu'on la soupçonnoit de faire l'amour, et qu'il y avoit quelque poussière dans sa fleute (comme l'on dit) ; et par ainsi mon opinion sur cette ressemblance du père rabillatout. Dont sur ce point, qui aymera quelque dame, et qu'on verra enfans de son sang et de ses os, qu'il die tousjours qu'ils tiennent du père du tout, bien que non.

Il est vray qu'en disant qu'ils ont de la mère un peu il n'y aura pas de mal, ainsi que dit un gentil- homme de la cour, mon grand amy, parlant en compagnie de deux gentilshommes frères assez favoris du roy, auquel on demandoit à qui ilz res- sembloyent, au père ou à la mère, il respondit que celui qui estoit froid ressembloit au père, et


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l'autre, qui estoit chaud, ressemblent à la mère; par ce brocard le donnant bon à la mère, qui estoit chaudasse; et de fait ces deux enfans participoyent de ces deux humeurs, froide et chaude.

J II y a une autre sorte de cocus qui se forment par le desdain qu'ils portent à leurs femmes, ainsi que j'en ay cogneu plusieurs qui, ayant de très- belles et honnestes femmes, n'en faisoyent cas, les mesprisoyent et desdaignoyent. Celles qui estoyent habilles et pleines de courage, et de bonne maison, se sentans ainsi dédaignées, se revangeoient à leur en faire de mesme ; et soudain après bel amour, et de là à l'effet : car, comme dit le refrain italien et napo- litain, amor non si vince con altro che con sdegno.

Car ainsi une femme belle et honneste, et qui se sente telle et se plaise, voyant que son mary la desdaigne, quand elle luy porteroit le plus grand amour marital du monde , mesmes quand on la prescheroit et proposeroit les commandemens de la loy pour l'aymer, si elle a le moindre cœur du monde, elle le plante là tout à plat et fait un amy ailleurs pour la secourir en ses petites néces- sitez, et eslit son contentement.

J J'ay cogneu deux dames de la cour, toutes deux belles-sœurs; l'une avoit espousé un mary favory, courtisan et fort habille , et qui pourtant ne faisoit cas de sa femme comme il devoit, veu le lieu d'où elle estoit; et parloit à elle devant le monde comme à une sauvage, et la rudoyoit fort. Elle, patiente, l'endura pour quelque temps, jus-


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ques à ce que son mary vint un peu défavorisé ; elle , espiant et prenant l'occasion au poil et à propos, la luy ayant gardée bonne, luy rendit aus- sitost le desdain passé qu'il luy avoit donné, en le faisant gentil cocu : comme fit aussi sa belle-sœur, prenant exemple à elle, qui, ayant esté mariée fort jeune et en tendre aage, son mary n'en faisant cas comme d'une petite fillaude , ne l'aymoit comme il devoit; mais elle, se venant advancer sur l'aage et à sentir son cœur en reconnoissant sa beauté, le paya de mesme monnoye, et luy fit un présent de belles cornes pour l'interest du passé.

J D'autres fois ay-je cogneu un grand seigneur qui, ayant pris deux courtisanes, dont il y en avoit une more, pour ses plus grandes délices et amyes, ne faisant cas de sa femme, encores qu'elle le recherchast avec tous les honneurs, amitiez et révérences conjugales qu'elle pouvoit ; mais il ne la pouvoit jamais voir de bon œil ny embrasser de bon cœur, et de cent nuicts il ne luy en departoit pas deux. Qu'eust-elle fait, la pauvrette, là-dessus, après tant d'indignitez, sinon de faire ce qu'elle fit, de choisir un autre lict vaccant, et s'accoupler avec une autre moitié et prendre ce qu'elle en vouloit?

5 Au moins, si ce mary eust fait comme un au- re que je sçay, qui estoit de telle humeur, qui, pressé de sa femme, qui estoit très-belle, et pre- nant plaisir ailleurs, luy dit franchement : « Prenez vos contentements ailleurs; je vous en donne congé. Faittes de vostre costé ce que vous voudrez


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faire avec un autre : je vous laisse en vostre liberté; et ne vous donnez peine de mes amours, et laissez- moi faire ce qu'il me plaira. Je n'empescheray point vos aises et plaisirs : aussi ne m'empeschez les miens. » Ainsi, chascun quitte de là, tous deux mirent la plume au vent : l'un alla à dextre et l'autre à senextre, sans se soucier l'un de l'autre ; et voilà bonne vie.

J J'aymerois autant de quelque vieillard impo- tent, maladif, goutteux, que j'ay cogneu, qui dist à sa femme ( qui estoit très-belle et ne la pouvant contenter comme elle le desiroit) un jour : « Je sçaybien, m'amye , que mon impuissance n'est bastante pour vostre gaillard aage; pour ce, je vous puis estre beaucoup odieux, et qu'il n'est possible que vous me puissiez estre affectionnée femme, comme si je vous faisois les offices ordi- naires d'un mary fort et robuste. Mais j'ay advisé de vous permettre et vous donner totale liberté de faire l'amour, et d'emprunter quelque autre qui vous puisse mieux contenter quemoy; mais surtout que vous en élisiez un qui soit discret, modeste, et qui ne vous escandalize point, et moy et tout, et qu'il vous puisse faire une couple de beaux enfans, lesquels j'aymeray et tiendray comme les miens propres : tellement que tout le monde pourra croire qu'ils sont nos vrays et légitimes enfans, veu qu'encores j'ay en moy quelques forces assez vi- goureuses, et les apparences de mon corps suffi- santes pour faire paroir qu'ils sont miens. »


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Je vous laisse à penser si cette belle jeune femme fut aise d'avoir cette agréable jolie petite remons- trance et licence de jouir de cette plaisante liberté, qu'elle pratiqua si bien qu'en un rien elle peupla la maison de deux ou trois beaux petits enfants, où le mary, parce qu'il la touchoit quelquefois et couchoit avec elle, y pensoit avoir part, et le croyoit, et le monde et tout; et, par ainsi, le mary et la femme furent tres-contents et eurent belle famille.

5 Voicy une autre sorte de cocus qui se fait par une plaisante opinion qu'ont aucunes femmes : c'est à sçavoir qu'il n'y a rien plus beau , ny plus licite, ny plus recommandable que la charité, di- sant qu'elle ne s'estend pas seulement à donner aux pauvres qui ont besoin d'estre secourus et as- sistez des biens et moyens des riches, mais aussi d'ayder à esteindre le feu aux pauvres amans langou- reux que l'on voit brusler d'un feu d'amour ardent : « car, disent-elles, quelle chose peut-il estre plus charitable que de rendre la vie à un que l'on voit se mourir, et raffraischir du tout celuy qu'on void se brusler ainsi? » Comme dit ce brave palladin, le seigneur de Montauban, soustenant la belle Ge- nièvre dans l'Arioste, que celle justement doit mourir qui oste la vie à son serviteur, et non celle qui la luy donne.

S'il disoit cela d'une fille, à plus forte raison telles charitez sont plus recommandées à l'endroit des femmes que des filles, d'autant qu'elles n'ont


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point leurs bourses déliées ny ouvertes encor, comme les femmes, qui les ont, au moins aucunes, tres-amples et propres pour en eslargir leurs cha- ntez.

J Sur quoy je me souviens d'un conte d'une fort belle dame de la cour, laquelle pour un jour de Chandelleur s'estant habillée d'une robbe de damas blanc , et avec toute la suitte de blanc , si bien que ce jour rien ne parut de plus beau et de plus blanc, son serviteur ayant gaigné une sienne compagne qui estoit belle dame aussi, mais un peu plus aagée et mieux parlante, et propre à intercé- der pour luy, ainsi que tous trois regardoyent un fort beau tableau où estoit peinte une Charité toute en candeur et voile blanc, icelle dit à sa compagne : « Vous portez aujourd'huy le mesme habit de cette Charité; mais, puisque la représentez en cela, il faut aussi la représenter en effet à l'endroit de vostre serviteur, n'estant rien si recommandable qu'une miséricorde et une charité, en quelque fa- çon qu'elle se face, pourveu que ce soit en bonne intention pour secourir son prochain. Usez en donc; et, si vous avez la crainte de vostre mary et du mariage devant les yeux, c'est une vaine su- perstition que nous autres ne devons avoir, puisque nature nous a donné des biens en plusieurs sortes, non pour s'en servir en espargne, comme une salle avare de son trésor, mais pour les distribuer honno- rablement aux pauvres souffreteux et nécessiteux. Bien est-il vray que nostre chasteté est semblable


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à un trésor, lequel on doit espargner en choses basses; mais, pour choses hautes et grandes, il le faut despenser à largesse, et sans espargne. Tout de mesmes faut-il faire part de nostre chasteté , laquelle on doit eslargir aux personnes de mé- rite et vertu, et de souffrance, et la denier à ceux qui sont viles, de nulle valeur et de peu de besoin. Quant à nos marys , ce sont vraye- ment de belles idoles, pour ne donner qu'à eux seuls nos vœux et nos chandelles, et n'en départir point aux autres belles images : car c'est à Dieu seul à qui on doit un vœu unique , et non à d'autres. »

Ce discours ne déplut point à la dame et ne nuisit non plus nullement au serviteur, qui, par un peu de persévérance, s'en ressentit. Telz presches de charité pourtant sont dangereux pour les pauvres marys. J'ay ouy conter (je ne sçay s'il est vray, aussi ne le veux-je affirmer) qu'au commencement que les huguenots plantèrent leur religion, faisoyent leurs presches la nuict et en cachettes, de peur d'estre surpris, recherchez et mis en peine, ainsi qu'ils furent un jour en la rue de Sainct-Jacques, à Paris, du temps du roy Henry deuxiesme, où des grandes dames que je sçay, y allans pour recevoir cette charité, y cuiderent estre surprises. Après que le ministre avoit fait son presche, sur la fin leur recommandoit la charité; et incontinent après on tuoit leurs chandelles, et là un chacun et cha- cune l'exerçoit envers sa sœur et son frère chrestien,


PREMIER DISCOURS l5cj

se la departans l'un à l'autre selon leur volonté et pouvoir : ce que je n'oserois bonnement asseurer, encore qu'on m'asseurast qu'il estoit vray; mais possible que cela est pur mensonge et imposture.

Toutesfois je sçay bien qu'à Poictiers pour lors il y avoit une femme d'un advocat, qu'on nommoit la belle Gotterelle, que j'ay veue , qui estoit des plus belles femmes, ayant la plus belle grâce et façon, et des plus désirables qui fussent en la ville pour lors; et pour ce chacun luy jettoit les yeux et le cœur. Elle fut repassée au sortir du presche par les mains de douze escolliers, l'un après l'autre, tant au lieu du Consistoire que sous un auvent , encore ay-je ouy dire sous une potence du Marché- Vieux, sans qu'elle en fit un seul bruit ny autre refus; mais, demandant seulement le mot du presche, les recevoit les uns après les autres cour- toisement, comme ses vrays frères en Christ. Elle continua envers eux cette aumosne longtemps, et jamais n'en voulut prester pour un double à un papiste. Si en eut-il neantmoins plusieurs papistes qui, empruntans de leurs compagnons huguenots le mot et le jargon de leur assemblée, en jouirent. D'autres alloyent au presche exprés, et contrefai- soyent les reformez pour l'apprendre, afin de jouir de cette belle femme. J'estois alors à Poictiers jeune garçon estudiant, que plusieurs bons compa- gnons, qui en avoyent leur part, me le dirent et me le jurèrent; mesmes le bruit étoit tel en la ville. Voilà une plaisante chanté, et conscientieuse


l6o PREMIER DISCOURS

femme, faire ainsi choix de son semblable en la religion !

J II y a une autre forme de charité qui se pra- tique, et s'est pratiquée souvent, à l'endroit des pauvres prisonniers qui sont es prisons et privez des plaisirs des dames, desquels les geollieres et les femmes qui en ont la garde, ou les castellanes qui ont dans les chasteaux des prisonniers de guerre, en ayant pitié, leur font part de leur amour et leur donnent de cela par charité et miséricorde, ainsi que dit une fois une courtisanne romaine à sa fille, de laquelle un gallant estoit extresmement amoureux, et ne luy en vouloit pas donner pour un double. Elle luy dit : E dagli, al manco per misericordia!

Ainsi ces geollieres, castellanes et autres, traittent leurs prisonniers, lesquels, bien qu'ils soyent captifs et misérables, ne laissent à sentir les picqueures de la chair comme au meilleur temps qu'ils pourroyent avoir. Aussi dit-on en vieil proverbe : « L'envie en vient de pauvreté » ; et aussi bien sur la paille et sur la dure, messer Priape hausse la teste, comme dans le plus doux et le meilleur lict du monde.

Voilà pourquoy les gueux et les prisonniers , parmy leurs hospitaux et prisons, sont aussi paillards que les rois, les princes et les grands dans leurs beaux pallais et licts royaux et délicats.

5 Pour en confirmer mon dire, j'allegueray un conte que me fit un jour le capitaine Beaulieu , capitaine de galleres, duquel j'ay parlé quelques


PREMIER DISCOURS ibl

fois. Il estoit à feu M. le grand prieur de France, de la maison de Lorraine, et estoit fort aymé de luy. L'allant un jour trouver à Malthe dans une fregatte, il fut pris des galleres de Sicile, et mené prisonnier au Castel-à-mare de Palerme , où il fut resserré en une prison fort estroitte, obscure et misérable, et tres-mal traitté l'espace de trois mois. Par cas, le castellan, qui estoit Espagnol, avoit deux fort belles filles, qui , l'oyans plaindre et attrister, de- mandèrent un jour congé au père pour le visiter, pour l'honneur de Dieu , qui leur permit librement. Et, d'autant que le capitaine Beaulieu estoit fort gallant homme certes, et disoit des mieux, il les sceut si bien gaigner dez l'abord de cette première visite, qu'elles obtindrent du père qu'il sortît de cette meschante prison, et fut mis en une chambre assez honneste, et receut meilleur traittement. Ce ne fut pas tout , car elles obtindrent congé de l'aller voir librement tous les jours une fois et causer avec luy.

Tout cela se démena si bien que toutes deux en furent amoureuses, bien qu'il ne fust pas beau, et elles très-belles; que, sans respect aucun, ny de prison plus rigoureuse, ny d'hazard de mort, mais tenté de privautez, il se mit à jouir de toutes deux bien et beau à son aise; et dura ce plaisir sans escandale; et fut si heureux en cette conqueste l'espace de huict mois qu'il n'en arriva nul escan- dale, mal, inconvénient ny de ventre enflé, ny d'aucune surprise ny descouverte : car ces deux Brantôme. I. 21


Ib2 PREMIER DISCOURS

sœurs s'entendoyent et s'entredonnoyent si bien la main, et se relevoient si gentiment de sentinelle, qu'il n'en fut jamais autre chose. Et me jura (car il estoit fort mon amy) qu'en sa plus grande liberté il n'eut jamais si bon temps, ny plus grande ardeur ny appétit à cela qu'en cette prison, qui luy estoit très-belle, bien qu'on die n'y en avoir jamais au- cunes belles. Et luy dura tout ce bon temps l'espace de huict mois, que la trefve fut entre l'empereur et le roy Henry II, que tous les prisonniers sor- tirent et furent relaschez. Et me jura que jamais il ne se fascha tant que de sortir de cette si bonne prison, mais bien gasté de laisser ces belles filles, tant favorisé d'elles, qui au départir en firent tous les regrets du monde.

Je luy demanday si jamais il appréhenda incon- vénient s'il fust esté descouvert. Il me dit bien qu'ouy, mais non qu'il le craignît : car, au pis aller, on l'eust fait mourir, et il eust autant aymé mourir que rentrer en sa première prison. De plus, il craignoit que, s'il n'eust contenté ces honnestes filles, puisqu'elles le recherchoient tant, qu'elles en eussent conceu un tel despit et desdaing qu'il en eust eu quelque pire traittement encore; et, pour ce, bandant les yeux à tout, il se hazarda à cette belle fortune.

Certes, on ne sçauroit assez louer ces bonnes filles espagnoles si charitables; ce ne sont pas les premières ny les dernières.

J On a dit d'autres fois, en nostre France, que


PREMIER DISCOURS I 63

le duc d'Ascot, prisonnier au bois de Vincennes, se sauva de prison par le moyen d'une honneste dame, qui toutesfois s'en cuida trouver mal, car il y alloit du service du roy. Et telles charitez sont reprouvables qui touchent le party du gênerai, mais fort bonnes et louables quand il n'y va que du particulier, et que le seul joly corps s'y expose : peu de mal pour cela.

J'alleguerois force braves exemples faisant à ce sujet, si j'en voulois faire un discours à part, qui n'en seroit pas trop mal plaisant. Je ne diray que cettui-cy, et puis nul autre, pour estre plaisant et anticque.

5 Nous trouvons dans Tite-Live que les Romains, après qu'ils eurent mis la ville de Capoue à totale destruction, aucuns des habitants vindrent à Rome pour représenter au sénat leur misère, le prièrent d'avoir pitié d'eux. La chose fut mise au conseil : entre autres qui opinèrent fut M. Atilius Regulus, qui tint qu'il ne leur falloit faire aucune grâce, « car il ne se sçauroit trouver en tout, disoit-il, aucun Capuan , depuis la révolte de leur ville , qu'on pust dire avoir porté le moindre brin d'amitié et d'affection à la chose publique romaine, que deux honnestes femmes: l'une Vesta Opia, Atel- lane (de la ville d'Atelle), demeurant à Capoue pour lors; et l'autre Faucula Cluvia » , qui toutes deux avoient esté autresfois filles de joye et cour- tisanes, en faisant le mestier publiquement. L'une n'avoit laissé passer un seul jour sans faire prières


164 PREMIER DISCOURS

et sacrifices pour le salut et victoire du peuple romain; et l'autre pour avoir secouru à cachettes de vivres les pauvres prisonniers de guerre mourans de faim et pauvreté.

Certes, voilà des charitez et pietez très-belles ; dont sur ce un gentil cavalier, une honneste dame et moy, lisans un jour ce passage, nous nous en- tredismes soudain que, puisque ces deux honnestes dames s'estoyent desja avancées et estudiées à de si bons et pies offices qu'elles avoyent bien passé à d'autres, et à leur départir les chantez de leurs corps : car elles en avoyent distribué d'autres fois à d'autres, estans courtisanes, ou possible qu'elles l'estoyent encor; mais le livre ne le dit pas, et a laissé le doute là : car il se peut présumer. Mais, quand bien elles eussent continué le mestier et quitté pour quelque temps, elles le purent repren- dre ce coup là (n'estant rien si aisé et si facile à faire); et peut-estre aussi qu'elles y cogneurent et receurent encor quelques-uns de leurs bons amou- reux de leur vieille connoissance, qui leur avoyent autres fois sauté sur le corps, et leur en voulurent encor donner sur quelques vieilles erres; ou du tout aussi que, parmy les prisonniers, elles y en purent voir aucuns incogneus qu'elles n'avoyent jamais veus que cette fois, et les trouvoyent beaux, braves et vaillants de belle façon , qui meritoyent bien la charité toute entière, et pour ce ne leur espargnant la belle jouissance de leur corps; il ne se peut faire autrement. Ainsi, en quelque façon que ce fust,


PREMIER DISCOURS I 65

ces honnestes dames meritoyent bien la courtoisie que la republique romaine leur fit et recogneut, car elle le fit rentrer en tous leurs biens, et en jouirent aussi paisiblement que jamais. Encor plus, leur firent à sçavoir qu'elles demandassent ce qu'elles voudroyent, elles l'auroyent. Et, pour en parler au vray, siTite-Live ne fust esté si abstraint, comme il ne devoit, à la verecondie et modestie, il devoit franchir le mot tout à trac d'elles, et dire qu'elles ne leur avoyent espargné leur gent corps; et ainsi ce passage d'histoire fust esté plus beau et plaisant à lire, sans l'aller abbreger et laisser au bout de la plume le plus beau de l'histoire. Voilà ce que nous en discourusmes pour lors.

J Le roy Jean, prisonnier en Angleterre, receut de mesme plusieurs faveurs de la comtesse de Sals- beriq, et si bonnes que, ne la pouvant oublier, et les bons morceaux qu'elle luy avoit donné, qu'il s'en retourna la revoir, ainsi qu'elle luy fit jurer et promettre.

J D'autres dames y a-il qui sont plaisantes en cela pour certain poinct de conscientieuse charité; comme une qui ne vouloit permettre à son amant, tant qu'il couchoit avec elle , qu'il la baisât le moins du monde à la bouche, alléguant par ses raisons que sa bouche avoit fait le serment de foy et de fidélité à son mary, et ne la vouloit point souiller par la bouche qui l'avoit fait et preste ; mais, quant à celle du ventre, qui n'en avoit point parlé ny rien promis, luy laissoit faire à son bon


l66 PREMIER DISCOURS

plaisir; et ne faisoit point de scrupule de la prester, n'estant en puissance [de la bouche du haut de s'obliger pour celle du bas, ny celle du bas pour celle du haut non plus; puisque la coustume du droit ordonnoit de ne s'obliger pour autruy sans consentement et parole de l'une et de l'autre, ny un seul pour le tout en cela.

3 Une autre conscientieuse et scrupuleuse, don- nant à son amy jouissance de son corps, elle vouloit tousjours faire le dessus et sousmettre à soi son homme, sans passer d'un seul iota cette règle ; et , l'observant estroitement et ordinaire- ment, disoit-elle que, si son mary ou autre luy demandoit si un tel luy avoit fait cela, qu'elle pust jurer et renier, et seurement protester sans offenser Dieu, que jamais il ne luy avoit fait ny monté sur elle. Ce serment sceut-elle si bien pratiquer qu'elle contenta son mary et autres par ses jurements serrez en leurs demandes; et la creurent , vu ce qu'elle disoit, « mais n'eurent jamais l'advis de demander, ce disoit-elle, si jamais elle avoit fait le dessus; sur quoy m'eussent bien mespris et donné à songer. »

Je pense en avoir encor parlé cy-dessus; mais on ne se peut pas tousjours souvenir de tout; et aussi il y a en cettui-cy plus qu'en l'autre, s'il me semble.

3 Coustumierement, les dames de ce mestier sont grandes menteuses, et ne disent mot de vé- rité : car elles ont tant appris et accoustumé à mentir (ou si elles font autrement sont des sottes,


PREMIER DISCOURS 167

et mal leur en prend) à leurs marys et amans sur ces sujets et changements d'amour, et à jurer qu'elles ne s'adonnent à autres qu'à eux, que, quand elles viennent à tomber sur autres sujets de conséquence, ou d'affaires, ou discours, jamais ne font que mentir, et ne leur peut-on croire.

D'autres femmes ay-je cogneu et ouy parler, qui ne donnoyent à leur amant leur jouissance, sinon quand elles estoyent grosses, afin de n'en- groisser de leur semence ; en quoy elles faisoyent grande conscience de supposer aux marys un fruit qui n'estoit pas à eux, et le nourrir, allimenter et élever comme le leur propre. J'en ay encore parlé cy-dessus. Mais, estans grosses une fois, elles ne pensoyent point offenser le mary ny le faire cocu en se prostituant.

Possible aucunes le faisoyent pour les mesmes raisons que faisoit Julia , fille d'Auguste et femme d' Agrippa, qui fut en son temps une insigne putain, dont son père en enrageoit plus que le mary. Luy estant demandé une fois si elle n'avoit point de crainte d'engroisser de ses amis, et que son mary s'en apperceust et ne l'affolast, elle respondit : « J'y mets ordre, car je ne reçois jamais personne ny passager dans mon navire, sinon quand il est chargé et plein. »

J Voicy encor une autre sorte de cocus ; mais ceux-là sont vrays martyrs, qui ont des femmes laides comme diables d'enfer, qui se veulent mesler de taster de ce doux plaisir aussi bien que les belles,


l68 PREMIER DISCOURS

auxquelles ce seul privilège est deu, comme dit le proverbe : « Les beaux hommes au gibet et les belles femmes au bourdeau ; » et toutesfois ces laides charbonnières font la folie comme les autres, lesquelles il faut excuser, car elles sont femmes comme les autres, et ont pareille nature, mais non si belle. Toutesfois j'ay veu des laides, au moins en leur jeunesse , qui s'apprécient tant pourtant comme les belles, ayant opinion que femme ne vaut autant sinon ce qu'elle se veut faire valloir et se vendre; aussi qu'en un bon marché toutes denrées se vendent et se depositent, les unes plus, les au- tres moins, selon ce qu'on en a à faire, et selon l'heure tardive que l'on vient au marché après les autres, et selon le bon prix que l'on y trouve : car, comme l'on dit, l'on court tousjours au meil- leur marché, encore que l'estoffe ne soit la meil- leure, mais selon la faculté du marchand et de la marchande.

Ainsi est-il des femmes laides, dont j'en ay veu aucunes qui, ma foy, estoient si chaudes et lu- briques et duites à l'amour aussi bien que les plus belles, et semettoyent en place marchande, et vou- loyent s'avancer et se faire valloir tout de mesmes.

Mais le pis que je vois en elles, c'est qu'au lieu que les marchands prient les plus belles, celles-cy laides prient les marchands de prendre etd'achepter de leurs denrées, qu'elles leur laissent pour rien et à vil prix. Mesmes font-elles mieux : car le plus souvent leur donnent de l'argent pour s'accoster


PREMIER DISCOURS 169

de leurs chalanderies et se faire fourbir à eux; dont voilà la pitié : car, pour telle fourbissure, il n'y faut petite somme d'argent; si bien que la four- bissure couste plus que ne vaut la personne et la lexive que l'on y met pour la bien fourbir; et ce- pendant monsieur le mary demeure coquin et cocu tout ensemble d'une laide , dont le morceau est bien plus difficile à digérer que d'une belle; outre que c'est une misère extresme d'avoir à ses costés un diable d'enfer couché au lieu d'un ange.

Sur quoy j'ay ouy souhaitter à plusieurs gallants hommes une femme belle et un peu putain , plus- tost qu'une femme laide et la plus chaste du monde : car en une laideur n'y loge que toute mi- sère et desplaisir, et nul brin de félicité; en une belle, tout plaisir et félicité y abonde, et bien peu de misère, selon aucuns. Je m'en rapporte à ceux qui ont battu cette sente et chemin.

A aucuns 'j'ay ouy dire que quelquesfois, pour les marys, il n'est si besoin aussi qu'ils ayent leurs femmes si chastes : car elles en sont si glorieuses, je dis celles qui ont ce don très-rare , que quasi vous diriez qu'elles veulent dominer non leurs marys seulement, mais le ciel et les astres; voire qu'il leur semble, par telle orgueilleuse chasteté, que Dieu leur doive du retour. Mais elles sont bien trompées : car j'ay ouy dire à de grands doc- teurs que Dieu ayme plus une pauvre pécheresse, humiliante et contrite (comme il fit la Magdelaine), que non pas une orgueilleuse et superbe qui pense


170 PREMIER DISCOURS

avoir gaigné paradis, sans autrement vouloir mi- séricorde ny sentence de Dieu.

J J'ay ouy parler d'une dame si glorieuse pour sa chasteté qu'elle vint à mespriser tellement son mary que, quand on luy demandoit si elle avoit couché avec son mary. « Non, disoit-elle, mais il a bien couché avec moy. » Quelle gloire ! Je vous laisse donc à penser comme ces glorieuses sottes femmes chastes gourmandent leurs pauvres marys, d'ailleurs qui ne leur sçauroyent rien reprocher, et comme font aussi celles 'qui sont chastes et riches, d'autant que cette-cy, chaste et riche du sien, fait de l'olimbrieuse, de l'altiere, de la superbe et de l'audacieuse à l'endroit de son mary : tellement que, pour la trop grande présomption qu'elle a de sa chasteté et de son devant tant bien gardé, ne la peut retenir qu'elle ne face de la femme emperiere et qu'elle ne gourmande son mary sur la moindre faute qu'il fera, comme j'en ay veu aucunes, et surtout sur son mauvais mesnage. S'il joue, s'il despend ou s'il dissipe, elle crie plus, elle tem- peste, fait que sa maison paroist plus un enfer qu'une noble famille ; et, s'il faut vendre de son bien pour survenir à un voyage de cour ou de guerre, ou à ses procez, nécessitez, ou à ses petites folies et despenses frivolles, il n'en faut point par- ler : car la femme a pris telle imperiosité sur luy, s'appuyant et se fortifiant sur sa pudicité, qu'il faut que le mary passe par sa sentence, ainsi que dit fort bien Juvenal en ses satyres :


PREMIER DISCOURS iyl

Animas uxoris si deditus uni,

Nil unquam invita donabis conjuge; vendes, Hacobstante,nihil; nilhxc, sinolit, emetur.

Il note bien par ces vers que telles humeurs des anciennes Romaines correspondoient à aucunes de nostre temps quant à ce poinct; mais, quand une femme est un peu putain, elle se rend bien plus aisée, plus sujette, plus docille, craintive, de plus douce et agréable humeur, plus humble et plus prompte à faire tout ce que lemary veut, etluy con- descend en tout ; comme j'en ay veu plusieurs telles, qui n'osent gronder ny crier, ny faire des acarias- tres, de peur que le mary ne les menace de leur faute, et ne leur mette audevant leur adultère, et leur fasse sentir aux despens de leur vie; et, si le gallant veut vendre quelque bien du leur, les voylà plustost signées au contract que le mary ne l'a dit. J'en ay veu de celles-là force : bref, elles font ce que leurs marys veulent.

Sont-ilz bien gastez ceux-là donc d'estre cocus de si belles femmes, et d'en tirer de si belles den- rées et commoditez que celles-là, outre le beau et délicieux plaisir qu'ils ont de paillarder avec de si belles femmes, et nager avec elles comme dans un beau et clair courant d'eau, et non dans un salle et laid bourbier? Et, puisqu'il faut mourir, comme disoit un grand capitaine que je sçay, ne vaut-il pas mieux que ce soit par une belle jeune espée, claire, nette, luysante et bien tranchante, que par une lame vieille, rouillée et mal fourbie, là où il


172


PREMIER DISCOURS


y faut plus d'emeric que tous les fourbisseurs de la ville de Paris ne sçauroyent fournir?

Et ce que je dys des jeunes laides, j'en dys au- tant d'aucunes vieilles femmes qui veulent estre fourbies et se faire tenir nettes et claires comme les plus belles du monde ( j'en fais ailleurs un dis- cours à part de cela), et voylà le mal : car, quand leurs marys n'y peuvent vacquer, les maraudes ap- pellent des suppleements, et comme estans aussi chaudes, ou plus, que les jeunes; comme j'en ay veu qui ne sont pas sur le commencement et mitan prestes d'enrager, mais sur la fin. Et volontiers l'on dit que la fin en ces mestiers est plus enragée que les deux autres, le commencement et le mitan, pour le vouloir : car la force et la disposition leur manque, dont la douleur leur est tres-griefve , d'autant que le vieil proverbe dit que c'est une grande douleur et dommage quand un cul a très- bonne volonté et que la force luy défaut.

Siyen a-il toujours quelques-unes de ces pauvres vieilles haires qui passent par bardot, et départent leurs largesses aux despens de leurs deux bourses; mais celle de l'argent fait trouver bonne et estroite l'autre de leur corps. Aussi dit-on que la libéralité en toutes choses est plus à estimer que l'avarice et la chicheté, fors aux femmes, lesquelles, tant plus sont libérales de leurs cas, tant moins sont esti- mées, et les avares et chiches tant plus.

Cela disoit une fois un grand seigneur de deux grandes dames sœurs que je sçay, dont l'une estoit


PREMIER DISCOURS 1 7 3

chiche de son honneur et libérale de la bourse et despense, et l'autre fort escarce de sa bourse et despense et tres-liberale de son devant.

J Or, voicy encores une autre race de cocus, qui est certes par trop abominable et exécrable devant Dieu et les hommes, qui, amourachez de quelque bel Adonis, leur abandonnent leurs fem- mes pour jouir d'eux.

La première fois que je fus jamais en Italie, j'en ouys un exemple à Ferrare, par un compte qui m'y fut fait d'un, qui, espris d'un jeune homme beau, persuada à sa femme d'octroyer sa jouissance audit jeune homme qui estoit amoureux d'elle, et qu'elle luy assignast jour, et qu'elle fist ce qu'il luy com- manderoit. La dame le voulut très-bien, car elle ne desiroit manger autre venaison que de celle-là. Enfin le jour fut assigné, et, l'heure estant venue que le jeune homme et la femme estoyent en ces doux affaires et altères, le mary, qui s' estoit caché, selon le concert d'entre luy et sa femme, voicy qu'il entra; et, les prenant sur le fait, approcha la dague à la gorge du jeune homme, le jugeant digne de mort sur tel forfait, selon les loix d'Italie, qui sont un peu plus rigoureuses qu'en France. Il fut con- traint d'accorder au mary ce qu'il voulut, et firent eschange l'un de l'autre : le jeune homme se pros- titua au mary, et le mary abandonna sa femme au jeune homme; et, par ainsi, voylà un mary cocu d'une vilaine façon.

5 J'ay ouy conter qu'en quelque endroit du


174 PREMIER DISCOURS

monde (je ne le veux pas nommer), il y eut un mary, et de qualité grande, qui estoit vilainement espris d'un jeune homme qui aymoit fort sa femme, et elle aussi luy : soit, ou que le mary eust gaigné sa femme, ou que ce fust une surprise à l'impro- viste, les prenant tous deux couchez et accouplez ensemble, menaçant le jeune homme s'il ne luy complaisoit, l'envestit tout couché, et joint et collé sur sa femme, et en jouit ; dont sortit le problesme, comme trois amants furent jouissans et contents tout à un mesme coup ensemble.

5 J'ay ouy conter d'une dame, laquelle esper- dument amoureuse d'un honneste gentilhomme qu'elle avoit pris pour amy et favory, luy se crai- gnant que le mary luy feroit et à elle quelque mauvais tour, elle le consola, luy disant : « Nayez pas peur, car il n'oseroit rien faire, craignant que je l'accuse de m'avoir voulu user de l'arriere-Venus, dont il en pourroit mourir si j'en disois le moindre mot et le declarois à la justice. Mais je le tiens ainsi en eschec et en allarme; si bien que, craignant mon accusation, il ne m'ose pas rien dire. »

Certes, telle accusation n'eust pas porté moins de préjudice à ce pauvre mary que de la vie : car les légistes disent que la sodomie se punit pour la volonté; mais, possible, la dame ne voulut pas franchir le mot tout à trac, et qu'il n'eust passé plus avant sans s'arrester à la volonté.

5 Je me suis laissé conter qu'un de ces ans un jeune gentilhomme françois, l'un des beaux qui


PREMIER DISCOURS I 7 5

fust esté veu à la cour longtemps avoit, estant allé à Rome pour y apprendre des exercices, comme autres ses pareils, fut arregardé de si bon œil et par si grande admiration de sa beauté, tant des hommes que des femmes, que quasi on l'eust couru à force; et là où ils le sçavoyent aller à la messe ou autre lieu public et de congrégation, ne fal- loyent,ny les uns ny les autres, de s'y trouver poul- ie voir; si bien que plusieurs marys permirent à leurs femmes de luy donner assignation d'amours en leurs maisons, afin qu'y estant venu et surpris, fissent eschange l'un de sa femme et l'autre de luy : dont luy en fut donné advis de ne se laisser aller aux amours et volontez de ces dames, d'autant que le tout avoit esté fait et apposté pour l'attrapper; en quoy il se fit sage, et préféra son honneur et sa conscience à tous les plaisirs détestables , dont il en acquist une louange tres-digne. Enfin, pour- tant son escuyer le tua. On en parle diversement pourquoy; dont ce fut très-grand dommage, car c'estoit un fort honneste jeune homme, de bon lieu, et qui promettoit beaucoup de luy, autant de sa fisyonomie, pour ses actions nobles, que pour ce beau et noble trait : car, ainsi que j'ay ouy dire à un fort gallant homme de mon temps, et qu'il est aussi vray, nul jamais bougre ny bardasche ne fut brave , vaillant et généreux que le grand Jules César; aussi que par la grand permission divine telles gens abominables sont rédigez et mis à sens réprouvé. En quoy je m'estonne que plusieurs,


76


PREMIER DISCOURS


que l'on a veu tachez de ce meschant vice, sont esté continuez du Ciel en grand prospérité; mais Dieu les attend, et à la fin on en voit ce qui doit estre d'eux.

Certes, de telle abomination, j'en ay ouy parler que plusieurs marys en sont esté atteints bien au vif : car, malheureux qu'ils sont et abominables , ils se sont accommodez de leurs femmes plus par le derrière que par le devant, et ne s'en sont servis du devant que pour avoir des enfans; et traittent ainsi leurs pauvres femmes, qui ont toute leur cha- leur en leurs belles parties de la devantiere. Sont- elles pas excusables si elles font leurs marys cocus, qui ayment leurs ordes et salles parties de derrière?

Combien y a-il de femmes au monde que, si elles estoient visitées par des sages-femmes et mé- decins et chirurgiens experts , ne se trouveroyent non plus pucelles par le derrière que par le devant, et qui feroyent le procez à leurs marys à l'instant; lesquelles le dissimulent et ne l'osent descouvrir, de peur d'escandaliser et elles et leurs marys, ou, possible , qu'elles y prennent quelque plaisir plus grand que nous ne pouvons penser; ou bien, pour le dessein que je viens de dire, pour tenir leurs marys en telle sujection, si elles font l'amour d'ail- leurs; mesmes qu'aucuns marys leur permettent; mais pourtant tout cela ne vaut rien.

Sumtna Benedicti dit que, si le mary veut recon- noistre sa partie ainsi contre l'ordre de nature, qu'il offense mortellement; et, s'il veut maintenir


PREMIER DISCOURS


177


qu'il peut disposer de sa femme comme il luy plaist, il tombe en détestable et vilaine hérésie d'aucuns juifs et mauvais rabins , dont on dit que, duabus mulieribus apud synagogam conquestis se fuisse a viris suis cognitu sodomico cognitas } responsum est ab illis rabinis : virum esse uxoris dominum, proinde posse uti ejus utcumque libuerit, non aliter quam is qui piscem émit : ille enim tam anterioribus quam posterioribus partibus ad arbitrium vesci potest.

J'ay mis cecy en latin sans le traduire en françois, car il sonne tres-mal à des oreilles bien honnestes et chastes. Abominables qu'ilz sont ! laisser une belle, pure et concédée partie, pour en prendre unevillaine, salle, orde et défendue, et mise en sens reprouvé !

Et, si l'homme veut ainsi prendre la femme, il est permis à elle se séparer de luy, s'il n'y a autre moyen de le corriger; et pourtant, dit-il encor, celles qui craignent Dieu n'y doivent jamais con- sentir, ains plustost doivent crier à la force, no- nobstant l'escandale qui en pourroit arriver en cela, et le deshonneur ny la crainte de mort : car il vaut mieux mourir, dit la loy, que de consentir au mal. Et dit encor ledit livre une chose que je trouve fort estrange : qu'en quelque mode que le mary cognoisse sa femme, mais qu'elle en puisse concevoir, ce n'est point péché mortel, combien qu'il puisse estre véniel; si y a-il pourtant des méthodes pour cela fort sales et vilaines, selon que l'Aretin les représente en ses figures; et ne ressen- Brantôme. I. 2 3


'7


8 PREMIER DISCOURS


tent rien la chasteté maritale, bien que, comme j'ay dit , il soit permis à l'endroit des femmes grosses, et aussi de celles qui ont l'haleine forte et puante, tant de la bouche que du nez : comme j'en ay cogneu et ouy parler de plusieurs femmes, lesquelles baiser et alleiner autant vaudroit qu'un anneau de retrait; ou bien, comme j'ay ouy parler d'une très-grande dame, mais je dis très-grande, qu'une de ses dames dit un jour que son halleine sentoit plus qu'un pot-à-pisser d'airain; ainsi m'usa-elle de ces mots. Un de ses amys fort privé, et qui s'approchoit prés d'elle , me le confirma aussi, si est-il vray qu'elle estoit un peu sur l'aage.

Là-dessus que peut faire un mary ou un amant, s'il n'a recours à quelque forme extravagante? Mais surtout qu'elle n'aille point à l'arriére- Venus.

J'en dirois davantage, mais j'ay horreur d'en parler : encor m'a-il fasché d'en avoir tant dit , mais si faut-il quelquesfois descouvrir les vices du monde pour s'en corriger.

J Or il faut que je die une mauvaise opinion que plusieurs ont eu et ont encores de la cour de nos rois : que les filles et femmes y bronchent fort, voire coustumierement ; en quoy bien souvent sont-ils trompez, car il y en a de tres-chastes , honnestes et vertueuses, voire plus qu'ailleurs; et la vertu y habite aussi bien, voire mieux, qu'en tous autres lieux, que l'on doit fort priser pour estre bien à preuve.

Je n'allegueray que ce seul exemple de madame


PREMIER DISCOURS I 79

la grand duchesse de Florence d'aujourd'huy, de la maison de Lorraine, laquelle estant arrivée à Florence le soir que le grand duc l'espousa, et qu'il voulut aller coucher avec elle pour la dépu- celer, il la fît avant pisser dans un beau urinai de cristal, le plus beau et le plus clair qu'il put, et, en ayant veu l'urine, il la consulta avec son médecin, qui estoit un très-grand et tres-sçavant et expert personnage, pour sçavoir de luy par cette inspec- tion si elle estoit pucelle, ouy ou non. Le médecin l'ayant bien fixement et doctement inspicée, il trouva qu'elle estoit telle comme quand sortit du ventre de sa mère, et qu'il y allast hardiement, et qu'il n'y trouveroit point de chemin nullement ouvert, frayé ny battu : ce qu'il fit; et en trouva la vérité telle; et puis, l'endemain en admiration, dit : «Voilà un grand miracle, que cette fille soit ainsi sortie pucelle de cette cour de France ! » Quelle curiosité et quelle opinion ! Je ne sçay s'il est vray, mais il me l'a ainsi esté asseuré pour véritable.

Voilà une belle opinion de nos courts; mais ce n'est d'aujourd'huy, ains de long-temps, qu'on tenoit que toutes les dames de la cour et de Paris n'estoyent si sages de leurs corps comme celles du plat pais et qui ne bougeoient de leurs maisons. Et il y a eu des hommes qui estoyent si conscientieux de n'espouser des filles et femmes qui eussent fort paysé et veu le monde tant soit peu. Si bien qu'en nostre Guyenne, du temps de mon jeune aage ,


PREMIER DISCOURS


j'ay ouy dire à plusieurs gallants hommes et veu

jurer qu'ils n'espouseroyent jamais fille ou femme

qui auroit passé le Port de Pille , pour tirer de

longue vers la France. Pauvres fats qu'ils estoyent

en cela, encor qu'ils fussent fort habiles et gallants

en autres choses, de croire que le cocuage ne se

logeast dans leurs maisons, dans leurs foyers, dans

leurs chambres, dans leurs cabinets, aussi bien ou

possible mieux, selon la commodité, qu'aux palais

royaux et grandes villes royales ! car on leur alloit

Suborner, gaigner, abattre et rechercher leurs

femmes, ou quand ils alloyent eux-mesmes à la

cour, à la guerre, à la chasse, à leurs procez ou à

leurs promenoirs, si bien qu'ils ne s'en apperce-

voyent et estoyent si simples de penser qu'on ne

leur osoit entamer aucun propos d'amours, sinon

que de mesnageries, de leurs jardinages, de leurs

chasses et oyseaux; et, sous cette opinion et légère

créance, se faisoyent mieux cocus qu'ailleurs : car,

partout, toute femme belle et habile, et aussi tout

homme honneste et gallant, sçait faire l'amour et

se sçait accommoder. Pauvres fatz et idiots qu'ilz

estoyent ! Et ne pouvoyent-ils pas penser que

Venus n'a nulle demeure prefisse, comme jadis en

Cypre, en Pafos et Amatonte, et qu'elle habite

partout, jusques dans les cabanes des pastres et

girons des bergères, voire des plus simplettes ?

Depuis quelque temps en çà, ils ont commencé à perdre ces sottes opinions : car, s'estans apper- ceus que partout y avoit du danger pour ce triste


PREMIER DISCOURS ICI

cocuage, ilz ont pris femmes partout où il leur a plu et ont pu; et si ont mieux fait: ils les ont envoyées ou menées à la cour, pour les faire valoir ou parestre en leurs beautez, pour en faire venir l'envie aux uns ou aux autres , afin de s'engendrer des cornes.

D'autres les ont envoyées et menées playder et soliciter leurs procez, dont aucuns n'en avoyent nullement, mais faisoyent à croire qu'ilz en avoyent ; ou bien, s'ilz en avoyent, les allongeoient le plus qu'ils pouvoyent, pour allonger mieux leurs amours. Voire quelquesfois les marys laissoyent leurs femmes à la garde du palais, et à la gallerie et salle, puis s'en alloyent en leurs maisons , ayans opinion qu'elles feroyent mieux leurs besognes, et en gai- gneroyent mieux leurs causes: comme, de vray, j'en sçay plusieurs qui les ont gaignées, mieux par la dextérité et beauté de leur devant que par leur bon droit; dont bien souvent en devenoyent en- ceintes; et, pour n'estre escandalisées (si les dro- gues avoyent failly de leur vertu pour les en gar- der) , s'en couroyent vistement en leurs maisons à leurs marys, feignans qu'elles alloyent quérir des tiltres et pièces qui leur faisoyent besoin, ou al- loyent faire quelque enqueste, ou que c'estoit pour attendre la Saint-Martin, et que, durant les vaca- tions, n'y pouvant rien servir, alloyent au bouc, et voir leurs mesnages et leurs marys. Elles y alloyent de vray, mais bien enceintes.

Je m'en rapporte à plusieurs conseillers rappor-


152 PREMIER DISCOURS

teurs et présidents, pour les bons morceaux qu'ils en ont tastez des femmes des gentilshommes.

J N'y a pas long-temps qu'une très-belle, hon- neste et grande dame, que j'ay cogneu , allant ainsi solliciter son procez à Paris, il y eut quelqu'un qui dit : « Qu'y va-elle faire? Elle le perdra; elle n'a pas grand droit. » Et ne porte-elle pas son droit sur la beauté de son devant, comme César portoit le sien sur le pommeau et la pointe de son espée?

Ainsi se font les gentilshommes cocus aux palais, en recompense de ceux que messieurs les gentils- hommes font sur mesdames les présidentes et con- seillères. Dont aussi aucunes de celles-là ay-je veu , qui ont bien vallu sur la monstre autant que plusieurs dames, damoiselles et femmes de seigneurs, chevalliers et grands gentilshommes de la cour et autres.

J J'ay cogneu une dame grande, qui avoit esté très-belle, mais la vieillesse l'avoit effacée. Ayant un procez à Paris, et voyant que sa beauté n'estoit plus pour ayder à solliciter et gaigner sa cause, elle mena avec elle une sienne voisine , jeune et belle dame; et pour ce l'appointa d'une bonne somme d'argent, jusques à dix mille escus; et, ce qu'elle ne put ou eust bien voulu faire elle-mesme, elle se servit de cette dame; dont elle s'en trouva très-bien, et la jeune dame, et tout, en deux bonnes façons.

N'y a pas longtemps que j'ay veu une dame


PREMIER DISCOURS i 83

mère y mener une de ses filles, bien qu'elle fust mariée, pour luy ayder à solliciter son procez, n'y ayant autre affaire; et de fait elle est très-belle, et vaut bien la sollicitation.

J II est temps que je m'arreste dans ce grand discours de cocuage : car enfin mes longues paro- les, tournoyées dans ces profondes eaux et ces grands torrents, seroyent noyées; et n'aurois jamais fait , ny n'en sçaurois jamais sortir, non plus que d'un grand labyrinthe qui fut autresfois, encor que j'eusse le plus long et le plus fort fillet du monde pour guide et sage conduite.

Pour fin je conclurray que, si nous faisons des maux, donnons des tourmens, des martyres et des mauvais tours, à ces pauvres cocus, nous en portons bien la folle enchère, comme l'on dit, et en payons les triples interests : car la pluspart de leurs persé- cuteurs et faiseurs d'amours, et de ces dameretz, en endurent bien autant de maux; car ils sont plus sujets à jalousies, mesmes qu'ils en ont des marys aussi bien que de leurs corrivals : ils portent des martels, des capriches , se mettent aux hazards en danger de mort, d'estropiemens , deplayes, d'af- fronts, d'offenses, de querelles, de craintes, peines et morts; endurent froidures, pluyes, vents et cha- leurs. Je ne conte pas la verolle, les chancres, les maux et maladies qu'ilz y gaignent, aussi bien avec les grandes que les petites; de sorte que bien souvent ils acheptent bien cher ce que l'on leur donne; et la chandelle n'en vaut pas le jeu.


184 PREMIER DISCOURS

Tels y en avons-nous veu misérablement mourir, qu'ils estoyent bastants pour conquérir tout un royaume; tesmoin M. de Bussi, le nompair de son temps, et force autres.

J'en alleguerois une infinité d'autres que je laisse en arrière, pour finir et dire, et admonester ces amoureux, qu'ils pratiquent le proverbe de l'Italien qui dit : Che molto guadagna chi putana perde !

5 Le comte Amé de Savoye II disoit souvent :

En jeu d'armes et d'amours, Pour une joye cent doulours,

usant ainsi de ce mot anticq pour mieux faire sa rime. Disoit-il encor que la colère et l'amour avoyent cela en soy fort dissemblable, que la colère passe tost et se défait fort aisément de sa personne quand elle y est entrée, mais malaisément l'amour.

Voilà comment il se faut garder de cet amour, car elle nous couste bien autant qu'elle nous vaut, et bien souvent en arrive beaucoup de malheurs. Et, pour parler au vray, la pluspart des cocus pa- tients ont cent fois meilleur temps, s'ils se sça- voyent cognoistre et bien s'entendre avec leurs femmes, que les agents; et plusieurs en ay-je veu qu'encor qu'il y allast de leurs cornes, se moc- quoyent de nous et se ryoient de toutes les hu- meurs et façons de faire de nous autres qui trait- tons l'amour avec leurs femmes; et mesmes quand


PREMIER DISCOURS l85

nous avions à faire à des femmes rusées, qui s'en- tendent avec leurs marys et nous vendent : comme j'ay cogneu un fort brave et honneste gentilhomme qui, ayant longuement aymé une belle et honneste dame, et eu d'elle la jouissance^qu'il en desiroit [y avoit] longtemps, s'estant un jour apperceu que le mary et elle se mocquoyent de luy sur quelque trait, il en prit un si grand dépit qu'il la quitta, et fit bien; et, faisant un voyage lointain pour en divertir sa fantaisie, ne l'accosta jamais plus, ainsi qu'il me dist. Et de telles femmes rusées, fines et changeantes, s'en faut donner garde comme d'une beste sauvage : car, pour contenter et appaiser leurs marys, quittent leurs anciens serviteurs, et en prennent puis après d'autres, car elles ne s'en peu- vent passer.

J Si ay-je cogneu une fort honneste et grande dame, qui a eu cela en elle de malheur que, de cinq ou six serviteurs que je luy ay veu de mon temps avoir, se sont morts tous les uns après les autres, non sans un grand regret qu'elle en por- toit; de sorte qu'on eust dit d'elle que c'estoit le cheval de Sejan, d'autant que tous ceux qui mon- toyent sur elle mouroyent et ne vivoyent guieres; mais elle avoit cela de bon en soy et cette vertu que, quoy qui ayt esté, n'a jamais changé ny aban- donné aucun de ses amys vivants pour en prendre d'autres; mais, eux venans à mourir, elle s'est voulu tousjours remonter de nouveau pour n'aller à pied; et aussi, comme disent les légistes, qu'il

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l86 PREMIER DISCOURS

est permis de faire valloir ses lieux et sa terre par quiconque soit, quand elle est deguerpie de son premier maistre. Telle constance a esté fort en cette dame recommandable ; mais, si celle-là a esté jusques-là ferme, il y en a eu une infinité qui ont bien branslé.

Aussi, pour en parler franchement, il ne se faut jamais envieillir dans un seul trou, et jamais homme de cœur ne le fit; il faut estre aussi bien adven- turier deçà et delà, en amours comme en guerre, et en autres choses : car, si l'on ne s'asseure que d'une seule anchre en son navire, venant à se dé- crocher, aisément on le perd, et mesmes quand l'on est en pleine mer et en une tempeste, qui est plus sujette aux orages et vagues tempestueuses que non en une calme ou en un port.

Et dans quelle plus grande et haute mer se sçauroit-on mieux mettre et naviguer que de faire l'amour à une seule dame? Que si de soy elle n'a esté rusée au commencement, nous autres l'addres- sons et l'affinons par tant de pratiques que nous menons avec elle, dont bien souvent il nous en prend mal, en la rendant telle pour nous faire la guerre, l'ayant façonnée et aguerrie. Tant y a (comme disoit quelque gallant homme) qu'il vaut mieux se marier avec quelque belle femme et hon- neste, encor qu'on soit en danger d'estre un peu touché de la corne et de ce mal de cocuage commun à plusieurs, que d'endurer tant de tra- verses et faire les autres cocus; contre l'opinion


PREMIER DISCOURS I 87

de M. du Gua pourtant, auquel moy ayant tenu propos un jour de la part d'une grand dame qui m'en avoit prié, pour le marier, me fit cette res- ponse seulement, qu'il me pen'soit de ses plus grands amis, et que je luy en faisois perdre la créance par tel propos, pour luy pourchasser la chose qu'il haïssoit le plus, que le marier et le faire cocu, au lieu qu'il faisoit les autres; et qu'il espousoit assez de femmes l'année, appellant le mariage un putanisme secret de réputation et de liberté, ordonné par une belle loy ; et que le pis en cela, ainsi que je voy et ay noté, c'est que la pluspart, voire tous, de ceux qui se sont ainsi dé- lectez à faire les autres cocus, quand ilz vienent à se marier, infailliblement ilz tombent en mariage, je dis en cocuage; et n'en ay jamais veu arriver autrement, selon le proverbe : Ce que tu feras à autruy, il te sera fait.

J Avant que finir, je diray encores ce mot, que j'ay veu faire une dispute qui est encores indécise : en quelles provinces et régions de nostre chres- tienté et de nostre Europe il y a plus de cocus et de putains? L'on dit qu'en Italie les dames sont fort chaudes, et, par ce, fort putains, ainsi que dit M. de Beze en une epigramme, d'autant qu'où le soleil, qui est chaud et donne le plus, y es- chauffe davantage les femmes, en usant de ce vers :

Credibile est ignés multiplicare suos.

L'Espagne en est de mesme, encor qu'elle soit


158 PREMIER DISCOURS

sur l'occident; mais le soleil y eschauffe bien les dames autant qu'en orient.

Les Flamendes, les Suisses, les Allemandes, An- gloises et Escossoises, encor qu'elles tirent sur le midy et septentrion, et soyent régions froides, n'en participent pas moins de cette chaleur naturelle, comme je les ay cogneues aussi chaudes que toutes les autres nations.

Les Grecques ont raison de l'estre, car elles sont fort sur le levant. Ainsi souhaite-on en Italie Greca in letto; comme de vray elles ont beaucoup de choses et vertus attrayantes en elles, que, non sans cause, le temps passé elles sont estées les délices du monde, et en ont beaucoup appris aux dames italienes et espagnoles, depuis le vieux temps jusques à ce nouveau; si bien qu'elles en surpas- sent quasi leurs anciennes et modernes maistresses : aussi la reine et imperiere des putains, qui estoit Venus, estoit Grecque.

Quant à nos belles Françoises, on les a veu le temps passé fort grossières, et qui se contentoyent de le faire à la grosse mode ; mais, depuis cinquante ans en çà, elles ont emprunté et appris des autres nations tant de gentillesses, de mignardises, d'at- traits et de vertus, d'habits, de belles grâces, las- civetez, ou d'elles-mesmes se sont si bien estudiées à se façonner, que maintenant il faut dire qu'elles surpassent toutes les autres en toutes façons; et, ainsi que j'ay ouy dire, mesmes aux estrangers, elles valent beaucoup plus que les autres, outre que


PREMIER DISCOURS 109

les mots de paillardise françois en la bouche sont plus paillards, mieux sonnants et esmouvans que les autres.

De plus, cette belle liberté françoise, qui est plus à estimer que tout, rend bien nos dames plus désirables, aymables, accostables et plus passables que toutes les autres; et aussi que tous les adul- tères n'y sont si communément punis comme aux autres provinces, par la providence de nos grands sénats et législateurs françois, qui, voyans les abus en provenir par telles punitions, les ont un peu bridées, et un peu corrigé les loix rigoureuses du temps passé des hommes, qui s'estoyent donnez en cela toute liberté de s'esbattre et l'ont ostée aux femmes; si bien qu'il n'estoit permis à la femme innocente d'accuser son mary d'adultère, par aucunes loix impériales et canon (ce dit Ca- jetan). Mais les hommes fins firent cette loy pour les raisons que dit cette stance italiene, qui est

telle :

Perche, di quel che Natura concède Cel' vieti tu, dura legge d'honoré. Ella a noi libéral largo ne diede Coin' agli altri animai legge d'amore. Ma l'uomo fraudulento, e senza fede, Che fu legislator di quest' errore, Vedendo nostre forze e buona schiena, Copri la sua debolezza con la pena.

Pour fin, en France il fait bon faire l'amour. Je m'en rapporte à nos autentiques docteurs d'amours, et mesmes à nos courtisans, qui sçauront mieux so-


190 PREMIER DISCOURS

phistiquer là dessus que moy. Et, pour en parler bien au vray, putains partout, et cocus partout, ainsi que je le puis bien tester, pour avoir veu toutes ces régions que j'ay nommées, et autres; et la chasteté n'habite pas en une région plus qu'en l'autre.

Si feray-je encor cette question, et puis plus, qui, possible, n'a point esté recherchée de tout le monde, ny, possible, songée : à sçavoir-mon si deux dames amoureuses l'une de l'autre, comme il s'est veu et se void souvent aujourd'huy, couchées ensemble, et faisant ce qu'on dit donna con donna (en imitant la docte Saphos lesbienne), peuvent com- mettre adultère, et entre elles faire leurs marys cocus.

Certainement, si l'on veut croire Martial en son premier livre, épigramme cxix, elles commettent adultère; où il introduit et parle à une femme nommée Bassa, tribade, luy faisant fort la guerre de ce qu'on ne voyoit jamais entrer d'hommes chez elle, de sorte que l'on la tenoit pour une seconde Lucresse ; mais elle vint à estre descou- verte, en ce que l'on y voyoit aborder ordinaire- ment force belles femmes et filles; et fut trouvé qu'elle-mesme leur servoit et contrefaisoit d'homme et d'adultère, et se conjoignoit avec elles ; et use de ces mots geminos committere cunnos. Et puis, s'escriant, il dit et donne à songer et deviner cette énigme par ce vers latin :

Hic, ubi vir non est, ut sit adultmum.


PREMIER DISCOURS


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« Voilà un grand cas, dit-il, que, là où il n'y a point d'homme, qu'il y ait de l'adultère. »

J'ay cogneu une courtisanne à Rome, vieille et rusée s'il en fut oncq, qui s'appelloit Isabelle de Lune, Espagnole, laquelle prit en telle amitié une courtisanne qui s'appelloit la Pandore, l'une des belles pour lors de tout Rome, laquelle vint à estre mariée avec un sommeiller de M. le cardinal d'Ar- maignac, sans pourtant se distraire de son premier mestier ; mais cette Isabelle Pentretenoit, et cou- choit ordinairement avec elle; et, comme débordée et desordonnée en paroles qu'elle estoit, je luy ay ouy souvent dire qu'elle la rendoit plus putain, et luy faisoit faire des cornes à son mary plus que tous les rufians que jamais elle avoit eu. Je ne sçay comment elle entendoit cela, si ce n'est qu'elle se fondast sur cette epigramme de Martial.

On dit que Sapho de Lesbos a été une fort bonne maistresse en ce mestier, voire , dit-on , qu'elle l'a inventé, et que depuis les dames les- biennes l'ont imitée en cela, et continué jusques aujourd'huy; ainsi que dit Lucian : que telles fem- mes sont les femmes de Lesbos, qui ne veulent pas souffrir les hommes, mais s'approchent des autres femmes ainsi que les hommes mesmes. Et telles femmes qui ayment cet exercice ne veulent souffrir les hommes, mais s'adonnent à d'autres femmes ainsi que les hommes mesmes, s'appellent tribades, mot grec dérivé, ainsi que j'ay appris des Grecs, de Tfiêw, rpiSecv, qu'est autant à dire que fricare,


«9-


PREMIER DISCOURS


freyer ou friquer, ou s'entrefrotter; et tribades se disent fricatrices , en françois fricatrices, ou qui font la friquarelle en mestier de [donne con donne, comme l'on l'a trouvé ainsi aujourd'huy.

Juvenal parle aussi de ces femmes quand il dit :


friction Grissantis adoiat,


parlant d'une pareille tribade qui adoroit et aimoit la fricarelle d'une Glissante.

Le bon compagnon Lucian en fait un chapitre, et dit ainsi que les femmes viennent mutuellement à conjoindre, comme les hommes conjoignants, des instruments lascifs, obscurs et monstrueux, faits d'une forme stérile. Et ce nom, qui rarement s'en- tend dire de ces fricarelles, vacque librement par- tout, et qu'il faille que le sexe femenin soit Filenes, qui faisoit l'action de certaines amours hommasses. Toutesfois il adjouste qu'il est bien meilleur qu'une femme soit adonnée à une libidineuse affection de faire le masle, que n'est à l'homme de s'effeminer; tant il se monstre peu courageux et noble. La femme donc , selon cela , qui contrefait ainsi l'homme, peut avoir réputation d'estre plus valeu- reuse et courageuse qu'une autre, ainsi que j'en ay cogneu aucunes, tant pour leur corps que pour l'âme.

En un autre endroit , Lucian introduit deux dames devisantes de cet amour; et une demande à l'autre si une telle avoit esté amoureuse d'elle, et si elle avoit couché avec elle, et ce qu'elle luy


PREMIER DISCOURS 1^3

avoit fait. L'autre luy respondit librement: « Pre- mièrement, elle me baisa ainsi que font les hom- mes, non pas seulement en joignant les lèvres, mais en ouvrant aussi la bouche (cela s'entend en pigeonne, la langue en bouche); et, encor qu'elle n'eust point le membre viril et qu'elle fust semblable à nous autres, si est-ce qu'elle disoit avoir le cœur, l'affection et tout le reste viril; et puis je l'embrassay comme un homme, et elle me le faisoit, me baisoit et allantoit (je n'entends point bien ce mot); et me sembloit qu'elle y prist plaisir outre mesure; et cohabita d'une certaine façon beaucoup plus agréable que d'un homme. » Voilà ce qu'en dit Lucian.

Or, à ce que j'ay ouy dire, il y a en plusieurs endroits et régions force telles dames et lesbiennes, en France, en Italie et en Espagne, Turquie, Grèce et autres lieux. Et où les femmes sont re- cluses, et n'ont leur entière liberté, cet exercice s'y continue fort : car, telles femmes bruslantes dans le corps, il faut bien, disent-elles, qu'elles s'aydent de ce remède, pour se raffraischir un peu, ou du tout qu'elles bruslent.

Les Turques vont aux bains plus pour cette paillardise que pour autre chose, et s'y adonnent fort; mesme les courtisannes, qui ont les hommes à commandement et à toutes heures, encor usent- elles de ces fricarelles, s'entrecherchent et s'entr'ay- ment les unes les autres, comme je l'ay ouy dire à aucunes en Italie et en Espagne. En nostre France, Brantôme. I. 2 5


194 PREMIER DISCOURS

telles femmes sont assez communes; et si dit-on pourtant qu'il n'y a pas longtemps qu'elles s'en sont meslées, mesmes que la façon en a esté portée d'Italie par une dame de qualité que je ne nom- meray point.

J J'ay ouy contera feu M. de Clermont-Tallard le jeune, qui mourut à La Rochelle, qu'estant petit garçon , et ayant l'honneur d'accompagner M. d'Anjou, despuis nostre roy Henry III, en son estude, et estudier avec luy ordinairement, duquel M. de Gournay estoit précepteur, un jour, estant àThoulouze, estudiant avec sondit maistre dans son cabinet, et estant assis dans un coin à part, il vid, par une petite fente (d'autant que les cabinets et chambres estoyent de bois, et avoyent esté faits à l'improviste et à la haste par la curiosité de M. le cardinal d'Armaignac, archevesque de là, pour mieux recevoir et accommoder le roy et toute sa cour), dans un autre cabinet, deux fort grandes dames, toutes retroussées et leurs callesons bas, se coucher l'une sur l'autre, s'entrebaiser en forme de colombes, se frotter, s'entrefriquer, bref se remuer fort, paillarder et imiter les hommes; et dura leur esbattement prés d'une bonne heure, s'estans si très-fort eschauffées et lassées qu'elles en demeu- rèrent si rouges et si en eau, bien qu'il fît grand froid, qu'elles n'en purent plus et furent contraintes de se reposer autant. Et disoit qu'il vit jouer ce jeu quelques autres jours, tant que la cour fut là, de mesme façon; et oncques plus n'eut-il la com-


PREMIER DISCOURS IO,5

modité de voir cet esbattement, d'autant que ce lieu le favorisoit en cela, et aux autres il ne put.

Il m'en contoit encor plus que je n'en ose es- crire, et me nommoit les dames. Je ne sçay s'il est vray; mais il me l'a juré et affirmé cent fois par bons sermens. Et, de fait , cela est bien vraysem- blable : car telles deux dames ont bien eu tousjours cette réputation de faire et continuer l'amour de cette façon, et de passer ainsi leur temps.

J'en ay cogneu plusieurs autres qui ont traitté de mesmes amours, entre lesquelles j'en ay ouy conter d'une de par le monde qui a esté fort su- perlative en cela, et qui aymoit aucunes dames, les honnoroit et les servoit plus que les hommes, et leurfaisoit l'amour comme un homme à sa mais- tresse; et si les prenoit avec elle, les entretenoit à pot et à feu, et leur donnoit ce qu'elles vou- loyent. Son mary en estoit tres-aise et fort con- tent, ainsi que beaucoup d'autres marys que j'ay veu, qui estoyent fort aises que leurs femmes me- nassent ces amours plustost que celles des hom- mes n'en pensant leurs femmes si folles ny pu- tains. Mais je crois qu'ilz sont bien trompez : car, à ce que j'ay ouy dire, ce petit exercice n'est qu'un apprentissage pour venir à celuy grand des hommes ; car, après qu'elles se sont eschauffées et mises bien en rut les unes et les autres, leur cha- leur ne se diminuant pour cela, faut qu'elles se baignent par une eau vive et courante, qui raffrais- chit bien mieux qu'une eau dormante; aussi que je


Iq6 PREMIER DISCOURS

tiens de bons chirurgiens, et veu que qui veut bien penser et guérir une playe, il ne faut qu'il s'amuse à la medicamenter et nettoyer à l'entour ou sur le bord ; mais il la faut sonder jusques au fonds, et y mettre une sonde et une tente bien avant.

Que j'en ay veu de ces lesbiennes qui, pour toutes leurs fricarelles et entre-frottemens , n'en laissent d'aller aux hommes! Mesmes Sapho, qui en a esté la maistresse, ne se mit-elle pas à aymer son grand amy Faon, après lequel elle mouroit? Car, enfin , comme j'ay ouy raconter à plusieurs dames, il n'y a que les hommes; et que de tout ce qu'elles prennent avec les autres femmes, ce ne sont que des tirouers pour s'aller paistre de gorges- chaudes avec les hommes; et ces fricarelles ne leur servent qu'à faute des hommes. Que si elles les trouvent à propos et sans escandale, elles lairroyent bien leurs compagnes pour aller à eux et leur sau- ter au collet.

J'ay cogneu de mon temps deux belles et hon- nestes damoiselles de bonne maison, toutes deux cousines, lesquelles ayant couché ensemble dans un mesme lict l'espace de trois ans, s'accoustu- merent si fort à cette fricarelle qu'après s'estre imaginées que le plaisir estoit assez maigre et im- parfait au prix de celuy des hommes, se mirent à le taster avec eux, et en devindrent très-bonnes pu- tains; et confessèrent après à leurs amoureux que rien neles avait tant desbauchées et esbranlées à cela que cette fricarelle, la détestant pour en avoir esté


PREMIER DISCOURS 197

la seule cause de leur débauche. Et, nonobstant, quand elles se rencontroyent , ou avec d'autres, elles prenoyent tousjours quelque repas de cette fricarelle, pour y prendre tousjours plus grand ap- pétit de l'autre avec les hommes. Et c'est ce que dit une fois une honneste damoiselle que j'ay cogneu , à laquelle son serviteur demandoit un jour si elle ne faisoit point cette fricarelle avec sa compagne, avec qui elle couchoit ordinairement. « Ah! non, dit-elle en riant, j'ayme trop les hom- mes. » Mais pourtant elle faisoit l'un et l'autre.

Je sçay un honneste gentilhomme, lequel, dési- rant un jour à la cour pourchasser en mariage une fort honneste damoiselle, en demanda l'advis à une sienne parente. Elle luy dit franchement qu'il y perdroit son temps; d'autant, me dit-elle, qu'une telle dame (qu'elle me nomma, et de qui j'en sçavois des nouvelles), ne permettra jamais qu'elle se marie. J'en cogneus soudain Pencloueure, parce que je sçavois bien qu'elle tenoit cette da- moiselle en ses délices à pot et à feu, et la gardoit précieusement pour sa bouche. Le gentilhomme en remercia sadite cousine de ce bon advis, non sans luy faire la guerre en riant, qu'elle parloit aussi en cela pour elle comme pour l'autre : car elle en ti- roit quelques petits coups en robbe quelquesfois; ce qu'elle me nia pourtant.

Ce trait me fait ressouvenir d'aucuns qui ont ainsi des putains à eux, mesmes qu'ilz ayment tant qu'ils n'en feroyent part pour tous les biens du


I()8 PREMIER DISCOURS

monde, fust à un prince, à un grand, fust à leur compagnon ny à leur amy, tant ilz en sont jaloux, comme un ladre de son barillet; encor le presente- il à boire à qui en veut. Mais cette dame vouloit garder cette damoiselle toute pour soy, sans en départir à d'autres; pourtant si la faisoit-elle cocue à la dérobade avec aucunes de ses compa- gnes.

On dit que les belettes sont touchées de cet amour, et se plaisent de femelles à femelles à s'en- tre-conjoindre et habiter ensemble; si que, par lettres hierogliphiques, les femmes s'entre-aymantes de cet amour estoyent jadis représentées par des belettes. J'ay ouy parler d'une dame qui en nour- rissoit tousjours, et qui se mesloit de cet amour, et prenoit plaisir de voir ainsi ces petites bestioles s'entre-habiter.

Voicy un autre poinct : c'est que ces amours fe- menines se traittent en deux façons, les unes par fricarelles, et par (comme dit ce poète) geminos committere cunnos. Cette façon n'apporte point de dommage, ce disent aucuns, comme quand on

s'ayde d'instrumens façonnez de , mais qu'on a

voulu appeler des godemichi.

J'ay ouy conter qu'un grand prince, se doutant deux dames de sa cour qui s'en aydoient, leur fit faire le guet si bien qu'il les surprit, tellement que l'une se trouva saisie et accommodée d'un gros entre les jambes, gentiment attaché avec de petites bandelettes à l'entour du corps, qu'il sembloit un


PREMIER DISCOURS I 99

membre naturel. Elle en fut si surprise qu'elle n'eut loisir de l'oster; tellement que ce prince la con- traignit de luy monstrer comment elles deux se le faisoyent.

On dit que plusieurs femmes en sont mortes, pour engendrer en leurs matrices des apostumes faites par mouvemens et frottemens point naturels. J'en sçay bien quelques-unes de ce nombre, dont c'a esté grand dommage, car c'estoyent de très- belles et honnestes dames et damoiselles, qu'il eust bien mieux vallu qu'elles eussent eu compagnie de quelques honnestes gentilshommes, qui pour cela ne les font mourir, mais vivre et resusciter, ainsi que j'espère le dire ailleurs; et mesmes que, pour la guerison de tel mal, comme j'ay ouy conter à au- cuns chirurgiens, qu'il n'y a rien plus propre que de les faire bien nettoyer là-dedans par ces mem- bres naturels des hommes, qui sont meilleurs que des pesseres qu'usent les médecins et chirurgiens, avec des eaux à ce composées; et toutesfois il y a plusieurs femmes, nonobstant les inconveniens qu'elles en voyent arriver souvent, si faut-il qu'elles en ayent de ces engins contrefaits.

J J'ay ouy faire un conte , moy estant lors à la cour, que, la reine mère ayant fait commandement de visiter un jour les chambres et coffres de tous ceux qui estoyent logez dans le Louvre , sans espargner dames et filles, pour voir s'il n'y avoit point d'armes cachées et mesmes des pistolets, durant nos troubles, il y en eut une qui fut trouvée


200 PREMIER DISCOURS

saisie dans son coffre par le capitaine des gardes , non point de pistolets, mais de quatre gros gode- michis gentiment façonnez, qui donnèrent bien de la risée au monde, et à elle bien de l'estonnement. Je cognois la damoiselle ; je croy qu'elle vit encores ; mais elle n'eut jamais bon visage. Tels instrumens enfin sont tres-dangereux.

J Je feray encor ce conte de deux dames de la cour qui s'entr'aymoient si fort, et estoyent si chaudes à leur mestier, qu'en quelque endroit qu'elles fussent, ne s'en pouvoyent garder ni abste- nir que pour le moins ne fissent quelques signes d'amourettes ou de baiser; qui les escandalisoyent si fort et donnoyent à penser beaucoup aux hom- mes. Il y en avoit une veufve, et l'autre mariée; et, comme la mariée, un jour d'une grand magni- ficence , se fust fort bien parée et habillée d'une robbe de toille d'argent, ainsi que leur maistresse es- toit allée à vespres, elles entrèrent dans son cabinet, et sur sa chaise percée se mirent à faire leur fricarelle si rudement et si impétueusement qu'elle en rompit sous elles, et la dame mariée, qui faisoit le dessous, tomba avec sa belle robbe de toille d'argent à la renverse, tout à plat sur l'ordure du bassin, si bien qu'elle se gasta et souilla si fort qu'elle ne sceut que faire que s'essuyer le mieux qu'elle put, se trousser, et s'en aller à grand haste changer de robbe dans sa chambre, non sans pourtant avoir esté apperceue et bien sentie à la trace, tant elle puoit : dont il en fut rit assez par aucuns qui en


PREMIER DISCOURS


sceurent le conte; mesmes leur maistresse le sceut, qui s'en aydoit comme elles, en rist son saoul. Aussi il falloit bien que cette ardeur les maistrisât fort, que de n'attendre un lieu et un temps à pro- pos, sans s'escandaliser. Encor excuse-on les filles et femmes veufves pour aymer ces plaisirs frivols et vains, aymans bien mieux s'y adonner et en passer leurs chaleurs que d'aller aux hommes et se faire engroisser et se deshonnorer, ou de faire perdre leur fruict, comme plusieurs ont faict et font; et ont opinion qu'elles n'en offensent pas tant Dieu, et n'en sont pas tant putains comme avec les hom- mes : aussi y a-il bien de la différence de jetter de l'eau dans un vase, ou de l'arrouser seulement à l'entour et au bord. Je m'en rapporte à elles. Je ne suis pas leur censeur ny leur mary; s'ils le trou- vent mauvais, encor que je n'en aye point veu qui ne fussent tres-aises que leurs femmes s'amou- rachassent de leurs compagnes, et qu'ilz voudroyent qu'elles ne fussent jamais plus adultères qu'en cette façon; comme de vray, telle cohabitation est bien diferente de celle d'avec les hommes, et, quoy que die Martial, ilz n'en sont pas cocus pour cela. Ce n'est pas texte d'évangile, que celuy d'un poète fol. Dont , comme dit Lucian , il est bien beau qu'une femme soit virile ou vraye amazone, ou soit ainsi lubrique, que non pas un homme soit femenin , comme un Sardanapale ou Heliogabale, ou autres force leurs pareils : car d'autant plus qu'elle tient de l'homme , d'autant plus elle est

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202 PREMIER DISCOURS

courageuse; et de tout cecy je m'en rapporte à la décision du procez.

M. du Gua et moi lisions une fois un petit livre en italien, qui s'intitule de la Beauté, fait en dia- logue par le seigneur Angelo Fiorenzolle, Floren- tin , et tombasmes sur un passage où il dit qu'au- cunes femelles qui furent faites par Jupiter au commencement furent créées de cette nature , qu'aucunes se mirent à aymer les hommes, et les autres la beauté de l'une et de l'autre; mais au- cunes purement et saintement, comme de ce genre s'est trouvée de nostre temps, comme dit l'auteur, la tres-illustre Marguerite d'Austriche , qui ayma la belle Laodomie Forteguerre ; les autres lasci- vement et paillardement, comme Sapho lesbienne, et de nostre temps à Rome la grande courtisanne Cécile venetienne; et icelles de nature haïssent à se marier, et fuyent la conversation des hommes tant qu'elles peuvent.

Là-dessus M. de Gua reprit l'auteur, disant que cela estoit faux que cette belle Marguerite aymast cette belle dame de pur et saint amour : car, puis- qu'elle l'avoit mise plustost sur elle que sur d'autres qui pouvoyent estre aussi belles et vertueuses qu'elle, il estoit à présumer que c'estoit pour s'en servir en délices, ne plus ne moins comme d'autres; et, pour en couvrir sa lasciveté, elle disoit et pu- blioit qu'elle l'aymoit saintement, ainsi que nous en voyons plusieurs ses semblables, qui ombragent leurs amours par pareils mots.


PREMIER DISCOURS 2o3

Voilà ce qu'en disoit M. du Gua; et qui en vou- dra outre plus en discourir là-dessus, faire se peut.

Cette belle Marguerite fut la plus belle princesse qui fust de son temps en la chrestienté. Ainsi beautez et beautez s'entr'ayment de quelque amour que ce soit, mais du lascif plus que de l'autre. Elle fut remariée en tierces nopces , ayant en première espousé le roy Charles VIII , en seconde Jean, fils du roy d'Arragon , et la troisiesme avec le duc de Savoye, qu'on appeloit le Beau; si que, de son temps, on les disoit le plus beau pair et le plus beau couple du monde; mais la princesse n'en jouit guieres de cette copulation , car il mourut fort jeune, et en sa plus grande beauté, dont elle en porta les regrets tres-extresmes, et pour ce ne se remaria jamais.

Elle fit faire bastir cette belle église qui est vers Bourg en Bresse, l'un des plus beaux et plus su- perbes bastimens de la chrestienté. Elle estoit tante de l'empereur Charles, et assista bien à son nepveu : car elle vouloit tout appaiser; ainsi qu'elle et ma- dame la régente au traitté de Cambray firent, où toutes deux se virent et s'assemblèrent là, où j'ay ouy dire aux anciens et anciennes qu'il faisoit beau voir ces deux grandes princesses.

Corneille Agripa a fait un petit traitté de la vertu des femmes, et tout en la louange de cette Marguerite. Le livre en est très-beau, qui ne peut estre autre pour le beau sujet, et pour l'auteur, qui a esté un très-grand personnage.


204 PREMIER DISCOURS

J J'ay ouy parler d'une grand dame princesse, laquelle, parmy les filles de sa suitte, elle en aymoit une par-dessus toutes et plus que les autres; en quoy on s'estonnoit , car il y en avoit d'autres qui la surpassoyent en tout; mais enfin il fut trouvé et descouvert qu'elle estoit hermafrodite , qui luy donnoit du passe-temps sans aucun inconvénient ny escandale. C'estoit bien autre chose qu'à ces tribades : le plaisir penetroit un peu mieux.

J'ay ouy nommer une grande qui est aussi her- mafrodite, et qui a ainsi un membre viril, mais fort petit, tenant pourtant plus de la femme, car je l'ay veue très-belle. J'ay entendu d'aucuns grands médecins qui en ont vu assez de telles, et surtout tres-lascives.

Voilà enfin ce que je diray du sujet de ce cha- pitre, lequel j'eusse pu allonger mille fois plus que je n'ay fait, ayant eu matière si ample et si longue que, si tous les cocus et leurs femmes qui les font se tenoyent tous par la main, et qu'il s'en pust faire un cerne, je croy qu'il seroit assez bastant pour enfourner et circuir la moitié de la terre.

5 Du temps du roy François fut une vieille chanson, que j'ay ouy conter à une fort honneste ancienne dame, qui disoit :

Mais, quand viendra la saison

Que les cocus s'assembleront, Le mien ira devant, qui portera la bannière; Les autres suivront après, le vostresera au darriere.

La procession en sera grande,

L'on y verra une très-longue bande.


PREMIER DISCOURS 2o5

Je ne veux pourtant taxer beaucoup d'honnestes et sages femmes mariées, qui se sont comportées vertueusement et constamment en la foy sainte- ment promise à leurs marys; et en espère faire un chapitre à part à leur louange, et faire mentir maistre Jean de Mun , qui, en son Komant de la Rose, dit ces mots : « Toutes vous autres femmes...

Estes ou fustes, D'effet ou de volonté, putes »,

dont il encourut une telle inimitié des dames de la cour pour lors, qu'elles, par une arrestée conju- ration et advis de la reine, entreprindrent un jour de le fouetter, et le despouillerent tout nud ; et, estans prestes à donner le coup, il les pria qu'au moins celle qui estoit la plus grand putain de toutes commençast la première : chacune, de honte, n'osa commencer; et par ainsi il évita le fouet. J'en ay veu l'histoire représentée dans une vieille tapisserie des vieux meubles du Louvre.

J'aymerois autant un prescheur qui, preschant un jour en une bonne compagnie, ainsi qu'il re- prenoit les mœurs d'aucunes femmes et leurs marys qui enduroyent estre cocus d'elles , il se mit à crier: « Ouy, je les cognois, je les voy, et m'en vois jetter ces deux pierres à la teste des plus grands cocus de la compagnie » ; et , faisant semblant de les jetter, il n'y eut homme du sermon qui ne baissât la teste, ou mit son manteau, ou sa cappe, ou son bras au-devant, pour se garder du coup.


PREMIER DISCOURS


Mais luy, les retenant, leur dit : « Ne vous di-je pas? je pensois qu'il n'y eust que deux ou trois cocus en mon sermon; mais, à ce que je vois, il n'y en a pas un qui ne le soit. »

Or, quoy que disent ces fols, il y a de fort sages et honnestes femmes, auxquelles, s'il falloit livrer battailles à leurs dissemblables, elles l'emporte- royent , non pour le nombre, mais par la vertu, qui combat et abat son contraire aisément.

Et, si ledict maistre Jean de Mun blasme celles qui sont de volonté putes, je trouve qu'il les faut plustost louer et exalter jusques au ciel, d'autant que si elles bruslent si ardamment dans le corps et dans l'âme, et, ne venant point aux effets, font pa- restre leur vertu, leur constance et la générosité de leur cœur, aymant plustost brusler et se consu- mer dans leurs propres feux et fiâmes, comme un phénix rare , que de forfaire ny souiller leur hon- neur, et comme la blanche hermine, qui ayme mieux mourir que se souiller (devise d'une très-grande dame que j'ay cogneu , mais mal d'elle pratiquée pourtant), puisqu' estant en leur puissance d'y pouvoir remédier, se commandent si généreuse- ment, et puisqu'il n'y a plus belle vertu ny victoire que de se commander et vaincre soy-mesme. Nous en avons une histoire très-belle dans les Cent Nouvelles de la reine de Navarre, de cette honneste dame de Pampelune , qui, estant dans son ame et volonté pute, et bruslant de l'amour de M. d'A- vannes, si beau prince, elle ayma mieux mourir


PREMIER DISCOURS 207

dans son feu que de chercher son remède, ainsi qu'elle luy sceut bien dire en ses derniers propos de sa mort.

Cette honneste et belle dame se donnoit bien la mort tres-iniquement et injustement; et, comme j'ouïs dire sur ce passage à un honneste homme et honneste dame, cela ne fut point sans offenser Dieu, puisqu'elle se pouvoit délivrer de la mort. Et se la pourchasser et avancer ainsi, cela s'appelle proprement se tuer soy-mesme; ainsi qu'il y a plu- sieurs de ses pareilles qui, par ces grandes conti- nences et abstinences de ce plaisir, se procurent la mort, et pour l'âme et pour le corps.

J Je tiens d'un très-grand médecin (et pense qu'il en a donné telle leçon et instruction à plu- sieurs honnestes dames) que les corps humains ne se peuvent jamais guieres bien porter si tous leurs membres et parties, depuis les plus grandes jusques aux plus petites, ne font ensemblement leurs exer- cices et fonctions que la sage nature leur a or- donné pour leur santé, et n'en facent une commune accordance , comme d'un concert de musique, n'estant raison qu'aucunes desdites parties et membres travaillent, et les autres chaument; ainsi qu'en une republique faut que tous officiers, ar- tisans, manouvriers et autres facent leur besogne unanimement, sans se reposer ny se remettre les uns sur les autres, si l'on veut qu'elle aille bien et que son corps demeure sain et entier : de mesmes est le corps humain.


PREMIER DISCOURS


Telles belles dames, putes dans l'ame et chastes du corps, méritent d'éternelles louanges; mais non pas celles qui sont froides comme marbre, molles, lasches et immobiles plus qu'un rocher, et ne tien- nent de la chair, n'ayant aucuns sentiments (il n'y en a guieres pourtant), qui ne sont point ny belles ny recherchées, et, comme dit le poète,

Casta quain nemo rogavit.

« Chaste qui n'a jamais esté priée. » Sur quoy je cognois une grand dame qui disoit à aucunes de ses compagnes qui estoyent belles : « Dieu m'a fait une grand grâce de quoy il ne m'a fait belle comme vous autres, Mesdames : car aussi bien que vous j'eusse fait l'amour, et fusse estée pute comme vous. » A cause de quoy peut-on louer ces belles ainsi chastes, puisqu'elles sont de telle nature.

Bien souvent aussi sommes-nous trompez en telles dames : car aucunes y en a qu'à les voir mi- neuses, piteuses, marmiteuses, froides, discrètes, serrées et modestes en leurs paroles et en leurs habits reformez, qu'on les prendroit pour des saintes et tres-prudes femmes, qui sont au dedans et par volonté, et au dehors par bons effets, bonnes putains.

D'autres en voyons-nous qui, par leur gentillesse et leurs paroles follastres, leurs gestes gays et leurs habits mondains et affectez, on les prendroit pour fort debauschées et prestes pour s'adonner aussi- tost, mais pourtant de leur corps sont fort femmes


PREMIER DISCOURS


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de bien devant le monde : en cachette, il s'en faut rapporter à la vérité aussi cachée.

J'en alleguerois force exemples que j'ay veu et sceu; mais je me contenteray d'alléguer cettui-cy, que Tite-Live allègue, et Bocace encor mieux, d'une gentille dame romaine nommée Claudie Quintienne, laquelle, paroissant dans Rome par- dessus toutes les autres en ses habits pompeux et peu modestes, et en ses façons gayes et libres, mondaine plus qu'il ne falloit, acquist très-mauvais bruit touchant son honneur; mais, le jour venu de la réception de la déesse Cybelle, elle l'esteignit du tout : car elle eut l'honneur et la gloire, par- dessus toutes les autres, de la recevoir hors du batteau, la toucher et la transportera la ville, dont tout le monde en demeura estonné : car il avoit esté dit que le plus homme de bien et la plus femme de bien estoyent dignes de cette charge. Voilà comme le monde est fort trompé en plusieurs de nos dames. L'on doit premièrement fort les connoistre et examiner avant que les juger, tant d'une que de l'autre sorte.

J Si faut-il, avant que fermer ce pas, que je die une autre belle vertu et propriété que porte le cocuage, que je tiens d'une fort honneste et belle dame de bonne part, au cabinet de laquelle estant un jour entré, je la trouvé sur le point qu'elle venoit d'achever d'escrire un conte de sa propre main, qu'elle me monstra fort librement, car j'es- tois de ses bons amis, et ne se cachoit point de Brantôme. I. 27


PREMIER DISCOURS


moy : elle estoit fort spirituelle et bien disante, et fort bien duite à l'amour; et le commencement du conte estoit tel :

« Il semble, dit-elle, qu'entre autres belles pro- prietez que le cocuage peut apporter, c'est ce beau et bon sujet par lequel on peut bien con- noistre combien gentiment l'esprit s'exerce pour le plaisir et contentement de la nature humaine, d'autant que c'est luy qui veille, et qui invente et façonne l'artifice nécessaire à y pouvoir, sans que la nature y fournisse que le désir et l'appétit sen- suel, comme l'on peut cacher, par tant de ruses et astuces qui se pratiquent au mestier de l'amour, qui est celuy qui imprime les cornes : car il faut tromper un mary jaloux, soupçonneux et colère; il faut tromper et voiler les yeux des plus prompts à recevoir du mal, et pervertir les plus curieux de la connoissance de la vérité; faire croire de la fidélité là où il n'y a que toute déception; plus de franchise là où il n'y a que dissimulation et crainte, et plus de crainte là où iljy a plus de licence : bref, par toutes ces difficultez, et pour venir dessus ces discours, ce ne sont pas actes à quoy la vertu natu- relle puisse parvenir; il en faut donner l'advantage à l'esprit, lequel fournit le plaisir et bastit plus de cornes que le corps qui les plante et cheville. »

Voilà les propres mots du discours de cette dame, sans les changer aucunement, qu'elle fait au com- mencement de son compte, qui se faisoit d'elle- mesme; mais elle l'adombroit par d'autres noms;


PREMIER DISCOURS 211

et puis, poursuivant les amours de la dame et du seigneur avec qui elle avoit à faire, et pour venir là et à la perfection, elle allègue que l'apparence de l'amour n'est qu'une apparence de contentement. Il est du tout sans forme jusques à son entière jouissance et possession, et bien souvent l'on croit qu'elle soit venue à cette extrémité, que l'on est bien loin de son compte; et, pour recompense, il ne reste rien que le temps perdu, duquel l'on porte un extresme regret. (Il faut bien noter et peser ces dernières paroles, car elles portent coup, et de quoy à blasonner.) Pourtant il n'y a que la jouissance en amour et pour l'homme et pour la femme, pour ne regretter rien du temps passé. Et, pour [ce], cette honneste dame qui escrivoit ce conte donna un rendez-vous à son serviteur dans un bois, où souvent s'alloit pourmener en une fort belle allée, à l'entrée de laquelle elle laissa ses femmes, et le va trouver sous un beau et large chesne ombrageux : car c'estoit en esté. « Là où », dit la dame en son conte par ces propres mots, « ne faut point douter la vie qu'ils déme- nèrent pour un peu, et le bel autel qu'ils dressèrent au pauvre mary au temple de Creaton, bien qu'ilz ne fussent en Delos », qui estoit fait tout de cor- nes : pensez que quelque bon compagnon l'avoit fondé.

Voilà comment cette dame se mocquoit de son mary, aussi bien en ses escrits comme en ses délices et effets. Et qu'on note tous ses


212 PREMIER DISCOURS

mots, ilz portent de l'efficace, estans prononcez mesmes et escrits d'une si habile et honneste femme.

Le conte en est très-beau, que j'eusse icy vo- lontiers mis et inséré ; mais il est trop long, car les pourparlers, avant que venir là, sont beaux et longs aussi, reprochant à son serviteur , qui la louoit extresmement, qu'il y avoit en luy plus d'œuvre de naturelle et nouvelle passion qu'aucun bien qui fust en elle, bien qu'elle fust des belles et hon- nestes; et, pour vaincre cette opinion, il fallut au serviteur faire de grandes preuves de son amour, qui sont fort bien spécifiées en ce conte; et puis, estant d'accord, l'on y void des ruses, des finesses et tromperies d'amour en toutes sortes, et contre le mary et contre le monde, qui sont certes fort belles et très-fines.

Je priay cette honneste dame de me donner le double de ce conte; ce qu'elle fit tres-volontiers, et ne voulut qu'autre le doublast qu'elle, de peur de surprise.

Cette dame avoit raison de donner cette vertu et propriété au cocuage : car, avant que se mettre à l'amour, elle estoit fort peu habile; mais, l'ayant traitté, elle devint l'une des spirituelles et habiles femmes de France, tant pour ce sujet que pour d'au- tres. Et, de fait, ce n'est pas la seule que j'ay^veue qui s'est habilitée pour avoir traitté l'amour, car j'en ay veu une infinité tres-sottes et mal-habiles à leur commencement; mais elles n'avoyent demeuré


PREMIER DISCOURS 2 I 3

un an à l'académie de Cupidon et de Venus ma- dame sa mère, qu'elles en sortoyent tres-habiles et tres-honnestes femmes en tout; et, quant à moy, je n'ay veu jamais putain qui ne fust tres-habile et qui ne levast la paille.

J Si feray-je encor cette question : en quelle saison de l'année se fait plus de cocus, et laquelle est plus propre à l'amour, et à esbransler une femme, une veufve ou une fille? Certainement la plus commune voix est qu'il n'y a pour cela que le printemps, qui esveille les corps et les esprits en- dormis de l'hyver fascheux et melancholiq; et, puisque tous les oyseaux et animaux s'en resjouis- sent et entrent tous en amours, les personnes qui ont autre sens et sentiment s'en ressentent bien davantage, et surtout les femmes, selon l'opinion de plusieurs philosophes et médecins, qui entrent lors en plus grande ardeur et amour qu'en tout autre temps, ainsi que je l'ay ouy dire à aucunes honnestes et belles dames, et mesmes à une grande qui ne falloit jamais, le printemps venu, en estre plus touchée et piquée qu'en autre saison; et di- soit qu'elle sentoit la pointe de l'herbe, et hannis- soit après comme les juments et chevaux, et qu'il falloit qu'elle en tastast, autrement elle s'amai- griroit : ce qu'elle faisoit, je vous en asseure, et devenoit lors plus lubrique. Aussi trois ou quatre amours nouvelles que je luy ay veu faire en sa vie, elle les a faites au printemps, et non sans cause : car, de tous les mois de l'an, avril et may sont les


214 PREMIER DISCOURS

plus consacrez et dédiez à Venus, où lors les belles dames s'accommencent, plus que devant, à s'ac- commoder, dorloter et se parer gentiment, se coiffer follastrement, se vestir légèrement; qu'on diroit que tous ces nouveaux changements et d'habits et de façons tendent tous à la lubricité, et à peupler la terre de cocus marchant dessus, aussi bien que le ciel et l'air en produit de volants en avril et en may.

De plus, ne pensez pas que les belles femmes, filles et veufves, quand elles voyent de toutes parts en leurs pourmenades de leurs bois, de leurs forests, garennes, parcs, prairies, jardins, bocages et autres lieux récréatifs, les animaux et les oyseaux s'entre- faire l'amour et lascivement paillarder, n'en res- sentent d'estranges piqueures en leur chair, et n'y veulent soudain rapporter leurs remèdes. Et c'est l'une des persuasives remonstrances qu'aucuns amants et aucunes amantes s'entrefont, s'entre- voyans sans chaleur ny flame, ny amour, en leur remonstrant les animaux et oyseaux, tant des champs que des maisons, comme les passereaux et pigeons domestiques et lascifs, ne faire que pail- larder, germer, engendrer, et foisonner, jusques aux arbres et plantes. Et c'est ce que sceut dire un jour une gente dame espagnole à un cavallier froid ou trop respectueux : Ea, gentil cavallero, mira cotno los amores de todas suertes se tratan y triunfan en este verano, y V. S. quedaflacoy abatido. C'est- à-dire : « Voicy, gentil cavallier, comme toutes


PREMIER DISCOURS 2 1 5

sortes d'amours se mènent et triomphent en ceste prime; et vous demeurez flac et abattu. »

Le printemps passé fait place à l'esté, qui vient après et porte avec soy ses chaleurs; et, ainsi qu'une chaleur amené l'autre, la dame, par conséquent, double la sienne; et nul rafraischissement ne la luy peut oster si bien qu'un bain chaud et trouble de sperme veneriq. Ce n'est pas contraire par son con- traire se guarir, ains semblable par son semblable : car, bien que tous les jours elle se baignast et plon- geast dans la plus claire et fraische fontaine de tout un pais, cela n'y sert, ny quelques légers habillemens qu'elle puisse porter, pour s'en donner fraischeur, et qu'elle les retrousse tant qu'elle voudra, jusques à laisser les callessons, ou mettre le vertugadin dessus eux, sans les mettre sur le cottillon, comme plusieurs le font. Et là c'est le pis, car, en tel estât, elles s'arregardent, se ravissent, se contemplent à la belle clarté du soleil, que, se voyant ainsi belles, blanches, caillées, poupines et en bon point, entrent soudain en rut et tentation; et, sur ce, faut aller au masle ou du tout brusler toutes vives, dont on en a veu fort peu : aussi seroyent-elles bien sottes. Et, si elles sont couchées dans leurs beaux licts, ne pouvants endurer ny couvertes ny linceux, se mettent en leurs chemises retroussées à demy nues; et, le matin, le soleil levant donnant sur elles, et venans à se regarder encor mieux à leur aise de tous costez et toutes parts, souhaittent leurs amys et les attendent. Que si par cas ilz arrivent


21b PREMIER DISCOURS

sur ce poinct, sont aussitost les bien venus, pris et embrassez : car lors, disent-elles, c'est la meil- leure embrassade et jouissance d'aucune heure du jour. « D'autant (disoit un jour une grande) que le c. est bien confît, à cause du doux chaud et feu de la nuict, qui l'a ainsi cuit et confit, et qu'il en est beaucoup meilleur et savoureux. »

L'on dit pourtant par un proverbe ancien : « Juin et juillet, la bouche mouillée et le v.. sec » ; encor met-on le mois d'aoust : cela s'entend pour les hommes, qui sont en danger quand ils s'eschauffent par trop en ces temps, et mesmes quand la chaude canicule domine, à quoy ilzy doivent aviser; mais, s'ils se veulent brûler à leur chandelle, à leur dam. Les femmes ne courent jamais cette fortune, car tous mois, toutes saisons, tous temps, tous signes, leur sont bons.

Or, les bons fruits de l'été surviennent, qui sem- blent devoir rafraischir ces honnestes et chaleureuses dames. A aucunes j'en ay veu manger peu, et à d'autres prou. Mais pourtant on n'y a guieres veu de changement de leur chaleur, ny aux unes ny aux autres, pour s'en abstenir ny pour en manger : car le pis est que, s'il y a aucuns fruits qui puissent ra- fraischir, il y a bien force autres qui reschauffent bien autant, auxquels les dames courent le plus sou- vent, comme à plusieurs simples qui sont en leur vertu et bons et plaisants à manger en leurs potages et salades, et comme aux asperges, aux artichaux, aux morilles, aux truffes, aux mousserons et poti-


PREMIER DISCOURS 217

rons, et aux viandes nouvelles, que leurs cuisiniers, par leurs ordonnances, sçavent très-bien accoustrei et accommoder à la friandise et lubricité, et que les médecins aussi leur sçavent bien ordonner. Que si quelqu'un bien expert et gallant entreprenoit à des- duire ce passage, il s'en acquitteroit bien mieux que moy.

Au partir de ces bons mangers, donnez-vous garde, pauvres amants et marys ! Que si vous n'estes bien préparez, vous voilà deshonnorez, et bien souvent on vous quitte pour aller au change.

Ce n'est pas tout : car il faut avec ces fruits nouveaux, et fruits des jardins et des champs, y adjouster de bons grands pastez, que l'on a in- ventez depuis quelque temps, avec force pistaches, pignons et autres drogues d'apoticaires scaldatives,

mais surtout des crestes et c de cocq, que

l'esté produit et donne plus en abondance que l'hyver et autres saisons; et se fait aussi plus grand massacre et gênerai de ces joletz et petits cocqs qu'en l'hyver des grands cocqs, n'estans si bons et si propres que les petits, qui sont chauds, ardants et plus gaillards que les autres. Voilà une, entr'au- tres, des bons plaisirs et commoditez que l'esté rapporte pour l'amour.

Et de ces pastez ainsi composez de menusailles de ces petits cocqs et culs d'artichaux et trufles, ou autres friandises chaudes, en usent souvent quel- ques dames que j'ay ouy dire; lesquelles, quand elles en mangent et y peschent, mettant la main

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PREMIER DISCOU RS


dedans ou avec les fourchettes, et en rapportant et remettant en la bouche ou l'artichault, ou la trufle, ou la pistache, ou la creste de cocq, ou autre mor- ceau, elles disent avec une tristesse morne : Man- que; et, quand elles rencontrent les gentils c

de cocq, et les mettent sous la dent, elles disent d'une allégresse : bénéfice, ainsi qu'on fait à la blanque en Italie, et comme si elles avoyent rencon- tré et gaigné quelque joyau tres-precieux et riche. Elles en ont cette obligation à messieurs les petits cocqs et jollets, que l'esté produit avec la moitié de l'automne, pourtant que j'entremesle avec l'esté, qui nous donnent force autres fruits et petites volatilles, qui sont cent fois plus chaudes que celles de l'hyver et de l'autre moitié de l'au- tomne prochaine et voisine de l'hyver, qui, bien qu'on les puisse et doive joindre ensemble, si n'y peut-on recueillir si bien tous ces bons simples en leur vigueur, ny autres choses comme en la saison chaude, encore que l'hyver s'efforce de produire ce qu'il peut, comme les bonnes cardes qui en- gendrent bien de la bonne chaleur et de la concu- piscence, soyent crues ou cuites, jusques aux pe- tits chardons chauds, dont les asnes vivent et en baudouinent mieux, que l'esté rend durs, et l'hyver les rend tendres et délicats, dont l'on en fait de fort bonnes salades nouvellement inventées. Et, outre tout cela, l'on fait tant d'autres recherches de bonnes drogues chez les apoticaires, drogueurs et parfumeurs, que rien n'y est oublié, soit pour


PREMIER DISCOURS


ces pastez, soit pour les bouillons. Et ne trouve- l'on à dire guieres de leur chaleur en l'hyver par ce moyen et entretenement, tant qu'elles peuvent: « car, disent-elles, puisque nous sommes curieuses de tenir chaud l'extérieur de nostre corps par des habits pesants et bonnes fourrures, pourquoy n'en ferons-nous de mesmesà l'intérieur?» Les hommes disent aussi : « Et de quoy leur sert-il d'adjouster chaleur sur chaleur, comme soye sur soye, contre la Pragmatique, et que d'elles-mesmes elles sont assez chaleureuses, et qu'à toute heure qu'on les veut assaillir elles sont tousjours prestes de leur na- turel, sans y apporter aucun artifice? Qu'y feriez- vous ? Possible qu'elles craignent que leur sang chaud et bouillant se perde et se resserre dans les veines, et deviene froid et glacé si on ne l'entre- tient, ny plus ny moins que celuy d'un hermite qui ne vit que de racines. »

Or, laissons-les faire; cela est bon pour les bons compagnons : car, elles estant en si fréquente ar- deur , le moindre assault d'amour qu'on leur donne, les voilà prises, et messieurs les pauvres marys cocus et cornus comme satyres. Encor font- elles mieux, les honnestes dames ! Elles font quel- quesfois part de leurs bons pastez, bouillons et potages, à leurs amants, par miséricorde, afin d'estre plus braves et n'estre atténués par trop, quand ce vient à la besogne, et pour s'en ressentir mieux et prévaloir plus abondamment; et leur en donnent aussi des receptes pour en faire faire en


PREMIER DISCOURS


leur cuisine à part : dont aucuns y sont bien trom- pez, ainsi que j'ay ouy parler d'un gallant gentil- homme qui, ayant ainsi pris son bouillon et venant tout gaillard aborder sa maistresse,la menaça qu'il la meneroit beau et qu'il avoit pris son bouillon et mangé son pasté. Elle lui respondit : « Vous ne me ferez que la raison; encor ne sçay-je. » Et, s'estans embrassez et investis, ces friandises ne luy servirent que pour deux opérations de deux coups seule- ment. Sur quoy elle luy dit, ou que son cuisinier l'avoit mal servy, ou y avoit espargné des drogues et compositions qu'il y falloit, ou qu'il n'avoit pas pris tous ses préparatifs pour la grand médecine, ou que son corps pour lors estoit mal disposé pour la prendre et la rendre : et ainsi elle se mocqua de luy.

Tous simples pourtant, toutes drogues, toutes viandes et médecines, ne sont propres à tous : aux uns elles opèrent, aux autres, Manque. Encor ay- je veu des femmes qui , mangeant ces viandes chaudes, et qu'on leur en faisoit la guerre que par ce moyen il pourroit avoir du desbordement ou de l'extraordinaire, ou avec le mary ou l'amant, ou avec quelque pollution nocturne, elles disoyent , juroyent, et affermoyent que, pour tel manger, la tentation ne leur en survenoit en aucune manière. Et Dieu sçait ! il falloit qu'elles fissent ainsi des rusées.

Or les dames qui tiennent le party de l'hyver disent que, pour les bouillons et mangers chauds,


PREMIER DISCOURS 221

elles en sçavent assez de receptes d'en faire d'aussi bons l'hyver qu'aux autres saisons. Elles en font assez d'expériences; et pour faire l'amour le disent aussi très-propre : car, tout ainsi que l'hyver est sombre, ténébreux, quiète, coy, retiré de compa- gnies et caché, ainsi faut que soit l'amour, et qu'il soit fait en cachette, en lieu retiré et obscur, soit en un cabinet à part, ou en un coin de cheminée prés d'un bon feu, qui engendre bien, s'y tenant de prés et longtemps, autant de chaleur venericq que le soleil d'esté.

Comme aussi fait-il bon en la ruelle d'un lict sombre, que les yeux des autres personnes, cepen- dant qu'elles sont prés du feu à se chaufer, pénè- trent fort malaisément, ou assises sur des coffres et licts à l'escart, faisant aussi l'amour, ou les voyant se tenir prests les unes des autres, et pensant que ce soit à cause du froid, et se tenir plus chaude- ment, cependant font de bonnes choses, les flam- beaux à part bien loin reculez, ou sur la table, ou sur le buffet.

De plus, qui est meilleur quand l'on est dans le lict? C'est tous les plaisirs du monde aux amants et amantes de s'entr'embrasser et s' entre-j oindre, s'entre-serrer et se baiser, s'entre-trousser l'un sur l'autre de peur du froid, non pour un peu, mais pour un longtemps, jet s'entre-chauffer douce- ment sans se sentir nullement du chaud démesuré que produit l'esté, et d'une sueur extresme qui in- commode grandement le déduit de l'amour : car,


222 PREMIER DISCOURS

au lieu de s'entretenir prés, et se resserrer et se mettre à l'estroit, il se faut tenir au large et fort à l'escart, et qui est le meilleur, disent les dames, par l'advis des médecins; les hommes sont plus propres, aidants et déduits à cela l'hyver qu'en l'esté.

J J'ay cogneu d'autres fois une très-grande princesse, qui avoit un très-grand esprit et parloit et escrivoit des mieux. Elle se mit un jour à faire des stances à la faveur et louange de l'hyver, et sa propriété pour l'amour. Pensez qu'elle l'avoit trouvé pour elle tres-favorable et traitable en cela. Elles estoyent très-bien faites, et les ay tenues long-temps en mon cabinet ; et voudrois avoir donné beaucoup et les tenir pour les insérer icy : l'on y verroit et remarqueroit-on de grandes vertus de l'hyver, proprietez et singularitez pour l'amour.

5 J'ay cogneu une tre^-grande dame , et des belles du monde, laquelle veufve de frais, faisant semblant ne vouloir, pour son nouveau habit et estât, aller les après soupées voir la cour, ny le bal, ny le coucher de la reine, et n'estre estimée trop mondaine, ne bougeoit de la chambre, lais- soit aller ou renvoyoit un chacun ou une chacune à la danse, et son fils et tout, et se retiroit en une ruelle; et là son amant, d'autres fois bien traitté, aymé et favorisé d'elle estant en mariage, arrivoit; ou bien, ayant soupe avec elle, ne bougeoit, don- nant le bonsoir à un sien beau-frere, qui estoit de grand garde; et là traittoit et renouvelloit ses


PREMIER DISCOURS 223

amours anciennes, et en pratiquoit de nouvelles pour secondes nopces, qui furent accomplies en l'esté après. Ainsi que j'ay considéré depuis toutes ces circonstances, je croy que les autres saisons ne fussent esté si propres que cet hyver, et comme je l'ouy dire à une de ses darioletes.

Or, pour faire fin, je dis et affirme que toutes saisons sont propres pour l'amour, quand elles sont prises à propos, et selon les caprices des hom- mes et des femmes qui les surprennent : car, tout ainsi que la guerre de Mars se fait en toutes sai- sons et en tout temps, et qu'il donne ses victoires comme il luy plaist et comme aussi il trouve ses gendarmes bien appareillez et encouragez de don- ner leur bataille, Venus en fait de mesme, selon qu'elle trouve ses troupes d'amants et d'amantes bien disposez à leurs combats; et les saisons n'y font guieres rien , ny leur acception ny élection n'y a pas grand lieu ; non plus ne servent guieres leurs simples, ny leurs fruits, ny leurs drogues, ny drogueurs, ny quelque artifice que facent ny les unes ny les autres, soit pour augmenter leur chaleur, soit pour la rafraischir. Car, pour le dernier exem- ple, je connois une grand dame à qui sa mère, dez son petit aage , la voyant d'un sang chaud et bouillant qui la menoit un jour tout droit au che- min du bourdeau, luy fit user par l'espace de trente ans, ordinairement en tous ses repas, du jus de vinette, qu'on appelle en France ozeille, fust en ses viandes, fust en ses potages et avec bouillons,


224 PREMIER DISCOURS

fust pour en boire de grandes escuelles à oreilles sans autres choses entremeslées ; bref, toutes ses sausses estoyent jus de vinette. Elle eut beau faire tous ces mystères refrigeratifs , qu'enfin c'a esté une illustrissime et grandissime putain, et qui n'avoit point besoin de ces pastez que j'ay dit pour luy donner de la chaleur, car elle en a assez; et si pourtant elle est aussi goulue à les manger que toute autre.

Or je fais fin, bien que j'en eusse dit davantage et eusse rapporté davantage de raisons et exem- ples; mais il ne faut pas tant s'amuser à ronger un mesme os; et aussi que je donne la plume à un autre meilleur discoureur que moy, qui sçaura soustenir le party des unes et des autres saisons : me rapportant à un souhait et désir que faisoit une fois une honneste dame espagnole, qui sou- haittoit et desiroit de devenir hyver quand sa sai- son seroit, et son amy un feu, afin, quand elle viendroit s'eschauffer à luy par le grand froid qu'elle auroit, qu'il eust ce plaisir de la chauffer, et elle de prendre sa chaleur quand elle s'y chaufferoit , et de plus se présenter et se faire voir à luy souvent et à son aise , en se chauffant retroussée, esquarquillée, et élargie de cuisses et de jambes, pour participer à la veue de ses beaux membres cachez sous son linge et habillements d'auparavant, aussi pour la reschauffer encor mieux et luy entretenir son autre feu du dedans et sa chaleur paillarde.


PREMIER DISCOURS 225

Puis desiroit venir printemps , et son amy un jardin tout en fleurs, desquelles elle s'en ornast sa teste, sa belle gorge, son beau sein, voire s'y veautrant parmy elles son beau corps tout nud entre les draps.

De mesmes après desiroit devenir esté, et par conséquent son amy une claire fontaine ou relui- sant ruisseau , pour la recevoir en ses belles et fraisches eaux quand elle iroit s'y baigner et es- gayer, et bien à plein se faire voir à luy, toucher, retoucher et manier, tous ses membres beaux et lascifs.

Et puis, pour la fin, desiroit pour son automne retourner en sa première forme et devenir femme et son amy homme, pour puis après tous deux avoir l'esprit, le sens et la raison, à contempler et remémorer tout le contentement passé, et vivre en ces belles imaginations et contemplations passées , et pour sçavoir et discourir entre eux quelle saison leur avoit esté plus propre et déli- cieuse.

Voilà comment cette honneste dame departoit et compassoit les saisons; en quoy je me remets au jugement des mieux discourans, quelles des quatre en ces formes pouvoyent estre à l'un et à l'autre plus douces et agréables.

J Ast' heure à bon escient me departs-je de ce discours. Qui en voudra sçavoir davantage et des diverses humeurs des cocus, qu'il fasse une recher- che d'une vieille chanson qui fut faite à la cour, Brantôme. I. 29


PREMIER DISCOURS


il y a quinze ou seize ans, des cocus, dont le re- frain est :


Un cocu meine l'autre, et tousjours sont en peine; Un cocu l'autre meine.


Je prie toutes les honnestes dames qui liront dans ce chapitre aucuns contes, si par cas elles y passent dessus, me pardonner s'ilz sont un peu gras en saupiquets, d'autant que je ne les eusse sceu plus modestement déguiser, veu la sauce qu'il leur faut. Et diray bien plus, que j'en eusse allégué d'autres encor plus saugreneux et meilleurs, n'es- toit que, ne les pouvant ombrager bien d'une belle modestie, j'eusse eu crainte d'offenser les honnestes dames qui prendront cette peine et me feront cet honneur de lire mes livres. Et si vous diray de plus que ces contes que j'ay fait icy ne sont point contes menus de villes ne villages, mais vienent de bons et hauts lieux, et si ne sont de viles et basses personnes , ne m'estant voulu mesler que de coucher les grands et hauts sujets, encor que j'aye le dire bas; et, en ne nommant rien, je ne pense escandaliser rien aussi.

Femmes, qui transformez vos marys en oyseaux, Ne vous en lassez point, la forme en est très-belle. Car, si vous les laissez en leurs premières peaux, Hz voudront vous tenir tousjours en curatelle, Et comme hommes voudront user de leur puissance ; Au lieu qu'estans oyseaux, ne vous feront d'offense.


PREMIER DISCOURS


AUTRE.


Ceux qui voudront blasmer les femmes amiables Qui font secrètement leurs bons marys cornards, Les blasment à grand tort, et ne sont que bavards. Car elles font l'aumosne et sont fort charitables. En gardant bien la loy à l'aumosne donner, Ne faut en hypocrit la trompette sonner.

VIEILLE RIME DU JEU D'AMOURS, QUE j'AY TROUVÉE DANS DES VIEUX PAPIERS.

Le jeu d'amours, où jeunesse s'esbat,

A un tablier se peut accomparer.

Sur un tablier les dames on abat,

Puis il convient le trictrac préparer,

Et en celuy ne faut que se parer.

Plusieurs font Jean. N'est-ce pas jeu honneste,

Qui par nature un joueur admoneste

Passer le temps de cœur joyeusement?

Mais, en défaut de trouver là raye nette,

Il s'en ensuit un grand jeu de torment.

Ce mot de raye nette s'entend en deux façons; l'une pour le jeu de la raynette du trictrac, et l'au- tre, que, pour ne trouver la raye nette de la dame avec qui l'on s'esbat, on y gaigne bonne verolle, de bon mal et du torment.


NOTES


Page i . Le duc d'Alençon fut appelé plus tard le duc d'Anjou. Il mourut à Château-Thierry, le dimanche 10 juin 1584, d'un flux de sang, qui l'avait réduit à n'être plus qu'une ombre. Nevers, dans ses Mémoires (t. I, p. 91), pré- tend qu'il fut empoisonné par une dame de ses maîtresses. On lui fit à Paris de magnifiques funérailles, d'après ce que rapporte L'Estoile. Ce prince n'était point beau; son nez dif- forme et bourgeonné lui mérita une épigramme lors de l'ex- pédition des Flandres :

Flamands ne soyez estonnez Si à François voyez deux nez : Car par droit, raison et usage, Faut deux nez à double visage.

4. Le mot popularisé par Molière ne date pas de ces épo- ques; on l'employait très anciennement, et dès le XIII siècle nous voyons un homme payer une amende de vingt onces d'or pour avoir appelé coucou un mari malheureux. (Usa- tica regni Majorici, anno 1248). Au milieu du XV siècle, dans une lettre de rémission accordée à un coupable, on trouve cette singulière mention : « Cogul, qui vault autant à dire, selon le langage du païs, comme coulz ou couppault, et est l'une des greigneurs injures que l'en puist dire a homme marié. » Quelquefois même on disait tout simple- ment coux :

Suis-je mis en la confrairie

Saint Arnoul le seigneur des Coux.


23o NOTES

Mais ce ne fut guère que vers le XV e siècle qu'apparut la confusion entre ce mot et l'oiseau d'avril; on expliqua par une fable le nom de ce coucou, dont le nom n'imitait que le cri, tandis que le mot cocu venait, lui, d'un primitif bas latin cugus. « Couquou, ainsi nommé de son chant, et pour ce que ce bel oiseau si renommé va pondre au nid des autres oiseaux... par antithèse et contrariété, on appelle ce- luy là cocu, au nid duquel on vient pondre. »(Bouchet, Serées.) Il y a d'ailleurs une pièce de Passerat sur la métamorphose du coucou qui mérite d'être signalée. (Bib. Nat., manuscrit français, 2 2 565, f° 24 v°.)

P. 6, 1. 4. Voyez la XVIII nouvelle. « Une belle jeune dame expérimente la foy d'un jeune escolier avant que luy permettre davantage sur son honneur. »

7, i5. Le protonotaire Baraud était de ces hommes d'é- glise dont Brantôme parle ailleurs : « C'estoit la coutume de ce temps là des protonotaires, et même de ceux de bonne maison, de n'estre guères sçavans, mais de se donner du bon temps » , etc.

10, i5. Bussy d'Amboise fut tué le 19 août 1579, par Montsoreau, qui avait forcé sa femme à donner un rendez- vous à son amant. Le piquant de cette triste histoire était que le « messager d'amours » des amoureux se trouvait être un magistrat, lieutenant-criminel de Saumur. Bussy d'Am- boise touchait les bénéfices d'une abbaye de Touraine, Bourgueil.

10, 2 5. Cosme I er de Médicis, qui fit empoisonner sa femme Éléonore de Tolède. La fille dont parle Brantôme était Isabelle, qu'il avait mariée à Paolo Orsini, duc de Bracciano. Mais Cosme avait pour cette fille une affection trop marquée : bien que mariée, il voulait qu'elle habitât toujours Florence et ne le quittât point. Vasari, qui peignait pour les Médicis une des voûtes du Palais-Vieux, surprit un jour le père et la fille, et raconte l'aventure étrange dont il fut témoin. A la mort de Cosme, Paolo Orsini appela Isabelle dans son appartement et là, dit Litta : « Freddamente con una corda al collo nella notte del 16 juglio 1576, nelï atto di consumare il matrimonio la soffocà ». (Medici, t. IV,


NOTES 23 1

tavola xiv.) Cette malheureuse femme était l'une des mer- veilles de ce temps : belle, lettrée, musicienne, elle avait tous les brillants avantages de l'esprit et du corps. Entre temps, elle avait eu pour amant Troïle Orsini , attaché comme garde du corps à son mari, et qui fut assassiné en France, où il s'était retiré.

P. 12,1. i . René de Villequier tua Françoise de La Marck, sa femme, fille naturelle du sieur de Montbason, en pleine cour, à Poitiers, où se trouvait le roi, le I er septembre 1577. Du même coup, il égorgea une servante « qui luy tenoit un miroir, et luy aidoit à se pimplocher ». Le Jour- nal de Henri III laisse entendre que le roi avait ordonné cette mort au mari complaisant pour se venger d'un refus. Le fait est que Villequier connaissait de longue date la conduite de sa femme. Des vers satiriques font justice de ce complaisant, dont la colère s'était si étrangement éveillée. S'adressant au passant, qui est censé fouler le tombeau de la victime, l'au- teur dit :

Va, passant, car elle a justement le sallaire

Que mérite à bon droit toute femme adultère.

Et luy (Villequier), soit pour jamais dit l'infâme bourreau

De celle dont il fut autrefois maquereau.

12, 18. Sampietro (Voyez Brantôme, édit. Lalanne, t. VI, p. 214, note 3). Il avait épousé Vanina d'Ornano. Devant la cour, où on l'appela, il répondit simplement : « Qu'importe à la France la bonne ou la mauvaise intelli- gence de Pierre avec sa femme ? » Et il fut absous.

i3, 5. C'est encore ici une allusion à Paolo Orsini, duc de Bracciano, qui ne put rejoindre Troïle Orsini, et ne tua Isabelle que pour épouser Victoire Accoramboni, dont il avait fait massacrer le mari. (Litta, Orsini, t. VII, tav.

XXIX.)

i3, 16. Paul de Caussade de Saint-Mégrin, mignon du roi, fut tué, au sortir du Louvre, par une bande d'assassins conduits par Mayenne. Il était l'amant de Catherine de Clè- ves, duchesse de Guise. Henri IV, alors roi de Navarre, qui n'aimait pas les mignons, et pour cause, dit à ce propos : « Je sçay bon gré au duc de Guise de n'avoir pu souffrir


232 NOTES

qu'un mignon de couchette comme Sainct-Maigrin le fist cocu. C'est ainsi qu'il faudrait accoustrer tous les autres pe- tits galands de cour qui se meslent d'approcher les prin- cesses pour les muguetter. »

P. 14, 1. 4. La famille d'Avalos était originaire d'Espagne, et donna à l'Italie le marquis de Pescaïre, l'un des plus grands capitaines du XVI e siècle. C'est de lui que parle Brantôme sous le nom de vice-roy. Marie d'Avalos était mariée à Char- les Gesualdo, prince de Venouse, et était nièce de ce marquis de Pescaïre et de del Guasto, dont Brantôme dit qu'il était si « dameret » qu'il parfumait jusqu'aux selles de ses che- vaux. Ce fut ce dernier qui perdit la bataille de Cérisoles, en 1544.

16, 19. Iliade, chant III, vers 120 et suiv. — ligne 26. Françoise de Daillon, mariée à Jacques de Rohan. Elle fut sauvée par miracle, dit la chronique de Jean Bourdigné, en 1 5a6.

17, 22. Brantôme veut-il parler de Françoise de Foix, dame de Chateaubriant, dont un vieux factum de 1606 dit cette phrase bien vraie : a Elle pouvoit ce qu'elle vouloit, et vouloit beaucoup de choses qu'elle ne devoit nullement. Tant qu'elle a vescu, son mary a esté des plus affligez et des plus tourmentez de son corps. » (Factum pour M. le connestabie contre Madame de Guise, 1606, in-4 .) C'est là d'ailleurs l'avis de Gaillard dans son Histoire de Fran- çois L' r , t. VII, p. 179, édit. de 1769, qui voit dans ce passage une allusion à M mc de Chateaubriant.

19, 3. A rapprocher de cette historiette insérée dans la Confession de Sancy, dans laquelle l'auteur parle d'un brave catholique marié à 60 ans avec un tendron de 20, et qui pratiquait le précepte d'Hans Carvel, accusant les hu- guenots d'être cause de toutes ses misères, ce qui était au moins une prétention bizarre.

21, 3o. Philippe II fit empoisonner sa femme Elisabeth de Valois, qu'il soupçonnait d'adultère avec l'infant don Carlos, son propre fils à lui.

22, 20. Louis le Hutin fit étrangler sa femme Margue-


NOTES 233

rite de Bourgogne, au Château-Gaillard. Elle y avait été enfermée dès i3 14. Quant à Gaston II de Foix, outré de la vie de débauche de Jeanne d'Artois sa mère, il obtint de Philippe de Valois un ordre d'internement en i33i.

P. 2 3,1. 5 et suiv. Anne de Boulen, qui fut cause du schisme dit anglican. Le roi ayant eu des preuves de son infidélité, la fit décapiter et la remplaça par Jeanne Seymour. Quant au change dont parle Brantôme, Henry VIII le poussait si loin qu'il fit décapiter Catherine Howard, dont la virginité ne lui parut point suffisamment démontrée, — ligne 16. Bran- tôme fait ici confusion. Baudoin II avait épousé Morphie, fille du prince de Mélitine, mais ne paraît pas avoir été marié auparavant. Veut-il parler de Baudoin I er , qui répudia la fille du prince d'Arménie, et ensuite Adèle de Monfer- rat? [Cf. Guillaume de Tyr, liv. II, c. xv.)

2 3, 26. Ce divorce fut très sensible à Louis le Jeune, parce qu'il fallut du même coup se séparer du duché d'A- quitaine, et mettre au rebut le beau sceau équestre qu'il s'é- tait fait graver en qualité de duc.

24, i5. Suétone, César, c. vi. C'est de Clodius que veut parler Brantôme ; mais Cicéron n'a jamais prononcé le discours en question.

2 5, 12. Brantôme (édit. Lalanne, t. VIII, p. 198) rap- porte encore cette histoire, mais sans donner plus de dé- tails.

26, 22. Fulvia. (Salluste, c. xxm.)

27, 6 et suiv. Brantôme ne paraît pas connaître très bien les personnages dont il parle ici. Hostilla, c'est Orestilla; Tullia, c'est Lollia; Herculalinaj c'est Urgulanilla.

28, 2 3. Serait-ce de la même personne que parle la chanson ?

On voici Simonne Proumener aux bordeaux Matin, soir, nonne, Avec ses macquereaux.

(Bib. Nat., ms. français 225 65, f° 41V .)

3o


234 NOTES

P. 29, 1.12. C'est évidemment ici l'un des passages les plus curieux de ce livre des Dames, et je suis heureux de lever un des doutes de M. Lalanne. C'est bien d'une statue qu'il s'a- git, et cette pièce antique fut trouvée en 1594, le 21 juil- let, dans un champ, près du prieuré de Saint-Martin. Elle était dans un état de conservation admirable. Malheureuse- ment Louis XIV, ayant plus tard réclamé la statue, on la char- gea sur un chaland qui coula en pleine Garonne, et depuis elle fut perdue. (O'Reilly, Hist. complète de Bordeaux, i863, in-8°, t. II.) Dans la description de la statue, il est dit qu'elle avait un sein découvert et les cheveux frisés, ce qui ne répond qu'à moitié au type de Visconti (Iconographie romaine, t. II, planche 28), dans lequel Messaline n'est point décolletée et porte son fils. La statue de Bordeaux était-elle bien une Messaline? M. Lalanne, qui a depuis re- trouvé des documents, prépare un article à ce sujet.

3 2, 3. Brantôme se trompe : Néron fit tuer Octavia. (Voyez Suétone, Nero, cap. xxxv.)

3 3, 28. Philippe-Auguste répudia Ingeburge après vingt- huit jours de mariage, et épousa Agnès de Méranie. Plus tard, il la reprit (1201). Ingeburge passait pour avoir un vice secret dont le roi se montra fort courroucé.

34, 20. Charles VIII, fiancé à Marguerite, fille de l'ar- chiduc Maximilien, qu'il renvoya pour épouser Anne de Bretagne en 1 49 1 . Louis XII répudia Jeanne pour épouser la veuve de Charles VIII.

3 5, 2 5. Alphonse V, roi d'Aragon, qui laissa des sen- tences recueillies par Antoine de Palerme.

36, 20. XXII nouvelle. M. de Bernage était écuyer d'écurie du roi Charles VIII, et seigneur de Civray, près Chenonceaux.

37, 20. C'est non pas Sémiramis, mais Thomyris, qui, selon Justin (liv. I) et Hérodote (liv. II), plongea la tête de Cyrus dans une cuve de sang. Xénophon dit, au contraire, que Cyrus mourut de sa belle mort.

40, 14. Albert de Gondy, duc de Retz, était réputé mettre en pratique les préceptes de l'Arétin. Sa femme, Claudine Catherine de Clermont, mérita, peut-être à tort,


NOTES


35


de prendre place dans le pamphlet intitulé : « Bibliothè- que de M me de Montpensier. »

P. 42,1. 8. D'après M. Lalanne, c'est d'Elephantis qu'il s'agit dans ce passage ; son ouvrage portait le titre peu équi- voque de xoLTaxlinsiç. Cyrène, elle, était la Awîsxa/HÎxavos d'Aristophane.

43, 2 et suiv. Je pense avec M. Lalanne que ce prince n'était autre que le duc d'Alençon. Quant à la fable de l'accouplement des lions, elle venait encore d'une erreur d'Aristote, répétée jusqu'au XVIII siècle par la plupart des naturalistes.

46, 24. Livre II, ode 11.

47, 6. C'était un Florentin, nommé Louis di Ghiaceti, en français Adjacet , qui s'était enrichi en traitant d'impôts avec le roi. Il épousa la belle M lle d'Atri, et pour lui plaire il avait acheté, moyennant 400,000 1., la terre de Chateauvilain. M me de Chateauvilain était un modèle de vertus, à en croire Brantôme ; seulement nous nous deman- derions volontiers, avec l'auteur des notes au Journal de Henri III, où cette dame avait pu apprendre la vertu , à la cour ou chez son mari? Indépendamment de cette galerie de tableaux obscènes dont il est ici fait mention, Louis Adjacet avait des maîtresses dont il s'amusait avec le mauvais goût des riches parvenus. Un soir, il avait fait broder des robes à trois d'entre elles à son chiffre sans les en prévenir, et, pendant toute une soirée, il les exposa à la risée et aux mau- vaises langues, sans qu'elles s'en doutassent le moins du monde. Le comte de Chateauvilain fut tué en 1593 par un officier, et sa femme se retira à Langres, où elle vécut avec ses enfants.

48, 9. Arioste, Orlando furioso, chant XLII, strophe 98. Ecco un donzello a chi l'ufficio tocca

Pon su la mensa un bel nappo d'or fino... 48, 19. Sans doute Bernardin Turissan? Peut-être Bran- tôme parle-t-il ici du Ragionamento délia Nanna, imprimé à Paris en 1 5 34, sans nom de libraire. Le peggio devait être quelqu'un de ces livres infâmes venus d'Italie, et que les seigneurs de la cour se disputaient. La Nanna était d'ail-


236 NOTES

leurs bien connue à la cour de France. (Voy. le Divorce saty- rique, au t. I du Journal de Henri III, édit. de 1720, p. 190.)

P. 5o, 1. 20. Ce Bonvisi, banquier à Lyon, avait eu comme garçon de recettes le maréchal de Retz, fils d'un Gondi, le- quel avait fait banqueroute à Lyon. (Notes de la Confession de Sancy, édit. 1 720, t. II, p. 244.)

62/1 2. Les Sanzay étaient une famille de Poitou établie en Bretagne. René de Sanzay, chef de la famille au mo- ment dont il est question, eut quatre fils : René, Christo- phe, Claude et Charles. René continua la lignée. Claude fut son lieutenant en 1569, comme colonel du ban. Charles fut marié et ne mourut qu'en iÔ46(?). Christophe le second était protonotaire apostolique. Il faut croire que Brantôme parlait de Claude. De plus, le connétable de Montmorency étant mort en 1 568, et Claude ayant été lieutenant de son frère en 1569, il est à supposer que l'aventure dont il est fait mention lui était arrivée antérieurement , puisque le connétable s'emploie à sa rançon. (Bib. Nat., Cabinet des titres, art. Sanzay.)

64, 27. Cicéron, De officiis, liv. III, cap. ix.

65, 14. C'était le deuxième fils de Charles V : il fut as- sassiné à la porte Barbette, au bout de la rue Vieille-du- Temple, en 1407, par les ordres de Jean Sans peur. Il avait longtemps entretenu des relations adultères avec Isabeau de Bavière, sa belle-sœur. La dame dont il est question ici était Marie d'Enghien, femme d'Aubert de Cany, et mère du Bâtard d'Orléans. Depuis, cette historiette a inspiré plu- sieurs conteurs, tels que Bandello , Strapparda, Males- pini, etc. Voyez aussi la première des Cent Nouvelles nou- velles.

69, 2. Emmanuel Philibert, duc de Savoie, surnommé Tête de fer. Il avait épousé Marguerite, sœur de Henri II. C'est pendant ce voyage que la duchesse Marguerite tenta d'obtenir de son neveu Henri III la rétrocession de quelques places restées à la France. (Litta, t. VI, tav. xiv.)

70, 2. Sainte-Soline abandonna Strozzi au combat des îles Tercères. (Voyez ci-après la note de la page 120.)


NOTES 23


P. J 1,1. 5. Nous avons corrigé le manuscrit de Dupuy qui porte ici Devanne. C'est bien Évadné qu'a voulu dire Bran- tôme. Évadné était fille deMars, — d'autres disent Iphis, — et de Thébé. Voici les vers d'Ovide sur cet acte de désespoir conjugal.

Accipe me Capaneu, cineres miscebimus, inquil, Iphias ! In medios insiluitque rogos,

Alceste, elle, se dévoua pour son mari : Hercule la ra- mena des enfers. (Voy. Claudien, xxix, 12.)

72, 10. Voyez Guillaume de Tyr, liv. XI, qui raconte cette anecdote sur Tancrède. — Bertrade d'Anjou, femme de Foulques, fut enlevée par Philippe I er , à qui elle donna, en- tre autres enfants, Cécile, mariée à Tancrède.

72, 26. Rapprochez cette sauvagerie albanaise de l'his- toire du conseiller Jean Lavoix, lequel vivait avec une femme de procureur nommé Boulanger. Celle-ci ayant résolu de rom- pre cette liaison, le conseiller en prit un tel dépit qu'il la fit taillader et défigurer, bien que cependant il n'eût pu lui faire arracher le nez. Il fut absous après avoir payé ses ju- ges. On fit sur lui cette chanson :

Chasteauvillain, Poisle et Levois Seront jugez tous d'une voix Par un arrest aussi léger Que fust celluy de Saint-Léger. Car le malheur est tel en France Que tout se juge par finance.

(Bib. Nat., ms. français, 22563, f° 101.)

74, 27. Voyez les Annales d'Aquitaine, f° 140 v°. — Jeanne de Montai, mariée à Charles d'Aubusson, sieur de La Borne. Ce Charles avait eu des relations avec la prieure de Blessac et en avait eu quatre enfants. Il fut jugé pour faits de brigandage et de vol à main armée dans les cou- vents de son voisinage, et pendu le 2 3 février 1 5 3 3 (An- selme, t. V, p. 3 3 5). Une généalogie de Pierre Robert dit précisément ce que rapporte ici Brantôme.

75,6. Voyez Brantôme, édit. Lalanne, t. VIII, p. 148.


238 NOTES

Il doit y avoir ici confusion. Jacques d'Aragon, roi titulaire de Majorque, mourut dans une expédition en ii~jS, d'a- près VArt de vérifier les dates.

P. 77,1. 10. Cette opinion que la femelle du furet mourait au temps des amours si elle ne trouvait un mâle pour la sa- tisfaire était encore accréditée chez les naturalistes du com- mencement du XIX e siècle. M. Lalanne se trompe en par- lant ici de l'hermine, qui, elle, meurt au contraire de la moindre souillure :

Et moi je suis si délicate Qu'une tache me fait mourir.

(Florian, fables, liv. III, fab. xin.)

81, 18. Brindes ! expression espagnole, comme nous di- rions aujourd'hui en langage vulgaire : A la vôtre.

83, 2. Nouvelle III.

83,6. On classifiait les maris malheureux ainsi qu'il suit, d'après une pièce de vers latins :

Celluy qui, marié, par sa femme est coqu

Et [qui] pas ne le sçait, d'une corne est cornu.

Deux en a cestuy-là qui peut dissimuler;

Qui le voit et le souffre, icelluy trois en porte;

Et quatre cestui-là qui meine pour culler

Chez luy des poursuivants. Cil qui en toute sorte

Dit qu'il n'est de ceux-là, et en sa femme croid,

Cinq cornes pour certain sur le front on luy void.

(Bib. Nat., ms. français 22565, f° 41.)

83, 3o. C'est Marguerite de France, duchesse de Savoie, qui fit tant murmurer l'armée lors de son mariage avec Em- manuel Philibert, duc de Savoie.

84, 14. Boccace, VII e nouvelle de la seconde journée.

85, 16. M Uo de Limeuil était la maîtresse du prince de Condé. Pendant le voyage de la cour à Lyon, en


NOTES 239

juillet 1 564 , elle accoucha dans la garde-robe de la reine mère, qui, furieuse, la fit enfermer aux Cordeliers d'Auxonne. Mais la Confession de Sancy et plusieurs auteurs du temps diffèrent de Brantôme en ce qu'ils disent que l'enfant, un fils et non une fille, mourut aussitôt. Les huguenots firent des vers sur l'aventure ; mais la demoiselle n'en épousa pas moins un Italien, Scipion Sardini, pour lequel elle ou- blia vite le prince de Condé. M Ue de Limeuil s'appelait Isabelle de La Tour de Turenne, et était dame de Limeuil.

P. 86, 1. 14. Cosme I er , duc de Toscane. (Voyez la note de la page 10, ligne 2 5). D'ailleurs, le pape Alexandre VI était aussi un peu dans ce cas. — La dernière phrase du pa- ragraphe, à partir de // eust esté... est omise dans le manu- scrit 608.

87, 18. Ferdinand II, marié à la sœur de son père, fille du roi de Naples et non de Castille. — Ligne 22. Il y a une fort belle pierre gravée d'après les ordres de Caligula , sur la- quelle sont représentées les trois sœurs (Voyez : Visconti, Icon. Rom., t. II.)

91, 17. La Nanna de PArétin, dans son chapitre des Femmes mariées, rapporte de semblables pratiques pour trom- per sur la vertu des jeunes épousées.

94, 23. Henri IV, frère d'Isabelle de Castille. Le jeune homme choisi n'était pas un gentilhomme, mais simplement un Antinous de mince origine que le roi créa duc d'Albu- querque. Un enfant naquit de cette complaisance, Jeanne, mais elle ne régna point. La Castille lui préféra Isabelle, sœur de Henri IV.

96, 29. Il y a peut-être ici une allusion discrète à la pas- sion inspirée à Henri IV par M Ue de Tignonville, qui fut intraitable jusqu'à ce qu'elle fût mariée. (Voy. la Confession de Sancy, au tome II, p. 128 du Journal de Henri III.)

101, 26. M. de Saint- Vallier, père de Diane de Poitiers. Je ne sais s'il prononça le mot, mais sa grâce lui vint à temps. Le bourreau lui avait déjà demandé pardon de le tuer, selon l'usage, et s'apprêtait à lui trancher la tête


240 NOTES

quand un clerc du greffe criminel, Mathieu Dolet, se leva et lut la lettre royale qui commuait la peine capitale en une étroite prison : la lettre était du 1 7 février 1 5 a 3. (Ms. Saint- Germain, i5 56,f° 74). — Ligne 28. Toute la phrase, à par- tir de desja sur ïeschaffault, jusqu'à il ne dit autre chose, a été omise dans le manuscrit de Dupuy.

P. 10 3,1. ii.« Le diable que tu portes au col «.Allusion au démon que terrassait l'archange saint Michel, et qui se trouvait représenté sur le collier de l'ordre. Il est assez difficile de savoir de quelle dame Brantôme parle ici : le collier de Saint-Michel s'était donné à tant de gens qu'on l'appelait « le'collier à toutes bestes ». (Castelnau, Mémoires, I, p. 363.)

io3, 12. Le duc d'Étampes, chevalier de l'ordre et gou- verneur de Bretagne, mari complaisant et bénévole.— Fran- çois de Vivonne, sieur de la Chasteigneraie, était des moins endurants de la cour. La princesse de la Roche-sur- Yon ayant un jour assez sottement réclamé de lui un service domesti- que, il la traita de « petite princesse crottée », ce qui fit beaucoup rire le roi François I er . Il fut tué par Jarnac dans un duel célèbre.

104, 17. D'où Brantôme tire-t-il cette histoire? Gui de Châtillon avait dépensé en festins la majeure partie de sa fortune, et vendit lui-même son comté à Louis d'Orléans. D'ailleurs, celui-ci n'avait guère que dix-sept ans à cette époque; il semble difficile d'admettre qu'il eût entretenu des relations suivies avec une femme d'un âge mûr. Après la mort de Gui, Marguerite se remaria avec un officier du duc d'Orléans.

106, 17. La reine Marguerite de Valois apparemment. « Avez-vous jamais veu ses amans, excepté quelques-uns, enrichis de ces mains , vous qui Jvoyez les prisons pleines de ceux qu'elle appauvrit ». [Divorce satyrique, t. I, p. 198. — ligne 2 5. C'est de la même princesse qu'il s'agit ici. Martigues, un de ses amants, avait reçu d'elle une écharpe et un petit chien qu'il portait aux escarmouches. Ce fut sur cette manie de broder les écharpes que Ronsard fit ces vers, en comparant Marguerite à la Muse :


NOTES 241

Vous d'un pareil exercice Mariez par artifice, Desur la toile en maint trai: , L'or et la soye en portrait.

[La Charité.)

P. 109, 1. 1. Henri III, qui eut des relations passagères avec Catherine Charlotte de La Tremoille, femme du prince ■de Condé. Mais sa victoire fut trop facile, la princesse était corrompue à l'excès. Dans la suite, le roi la prostitua à l'un de ses pages, avec lequel elle tenta d'empoisonner le prince son mari. Le coup avorta. Déférée à la Cour, elle fut gra- ciée; mais un malheureux domestique nommé Brilland fut tiré à quatre chevaux. Il, est assez curieux de citer ici les vers mis au bas du portrait de cette princesse par le graveur Jas- pai" Isaac :

Graveur, tu monstres avoir trop de presumption, Voulant portraire ici cette auguste princesse; Veux tu la peindre au vrai d'une gentille adresse, Peins au vif la Vertu et la Religion. — 21. C'est encore Henri III qui avait débauché Marie de Clèves, première femme du même prince de Condé.

no, 25. Louis de Béranger du Guast, l'un des favoris d'Henri III, assassiné en 1 5 7 5 par M. de Viteaux. Son épi- taphe est au manuscrit français 2 2 56 5, f° 90 r°, de la Bi- bliothèque Nationale. Brantôme, qui se vante d'être homme d'épée, oublie d'Aubigné, qui l'était aussi.

11 5, 6. Faire un voyage à Saint-Mathurin était une ex- pression proverbiale pour signifier que quelqu'un était fou. Henri Estienne prétend que ce saint est de pure fantaisie; quoi qu'il en soit, il passait pour guérir les fous, et les chansons satiriques du temps sont pleines d'allusions à cette vertu curative. (Voyez Journal de Henri 111, édit. de 1720, •t. II, p. 307 et 3o8.)

27. M. Lalanne prouve par un texte de Spartien

que cette anecdote est apocryphe, ou que tout au moins Brantôme l'a embellie pour ses propres besoins. (Dames, lom. IX, p. 1 16.)

Brantôme. I. 3 1


242 NOTES

P. 1 1 5, 1. 9. Encore un passage embelli. Faustine mourut avant qu'Antoninus Commodus fût empereur. De plus, on ne fit que la laver (sublevare, dit le texte) avec le sang du gladiateur. (J. Capitolin, Marc-Antoine le Philosophe, chap. xix.)

119, 25. Allusion discrète et voilée aux amours de Mar- guerite de Valois et de la duchesse de Nevers avec La Môle et Coconas. Compromis dans l'affaire des maréchaux de Cossé et de Montmorency, La Môle, gentilhomme provençal, et Coconas, Piémontais, furent décapités en place de Grève sur la fin d'avril 1^74, et non tués à l'ennemi, comme essaye de l'insinuer Brantôme. Les deux princesses, folles de douleur, transportèrent les corps dans leurs carrosses au lieu de leur sépulture, à Montmartre, et firent embaumer les têtes, qu'el- les conservèrent. (Mémoires de Nevers, I, p. 75, et le Di- vorce satirique.)

120, 3o. C'est Philippe Strozzi, maréchal de France, né à Venise. Créé lieutenant de l'armée navale en 1579 pour aller soutenir les prétentions d'Antoine de Portugal, il fut défait le 28 juillet i583, et mis froidement à mort par Santa Cruz, son rival. (Vie et mort... de Philippe Strozzi. Paris, Guil. Lenoir, in-8°, 1608.)

12 5, 21. Thomas de Foix, seigneur de L'Escu ou Lescun, était frère de M m0 de Chateaubriant , maîtresse de Fran- çois I er . Il fut pris à Pavie et porté blessé à mort chez cette dame dont parle Brantôme. C'est lui qui, par la capitulation de Crémone, en 1 52 2, fit perdre l'Italie à la France. (Guic- ciardini, t. III, p. 473, édit. in-4 de Fribourg, 1775.)

127, 7. Paul Jove , Dialogo délie imprese militari ed amorose, 1559, in-4 , P a § e

— 17. Biaise de Montluc, auteur des Commentaires, Gascon endiablé, créé maréchal de France en 1 574. Le siège de La Rochelle, dont il est ici fait mention, est celui de 1573. Pour les détails sur ce personnage, voy. de Ruble, édit. des Commentaires, 1854-74, 5 vol. in-8°.

129, 6. Joachim du Bellay, Œuvres françoises, 1 5 7 3, in-8°, folio 464 au verso.


NOTES 243

P. 1 3 o , 1 . 2 S . Il y a aux Estampes de la Bibliothèque Natio- nale, collection Hennin, t. III, f° 64, une planche satirique représentant ce que Brantôme dit là. Une dame remet à son mari la clef de sa ceinture; mais derrière le lit, l'amant, ca- ché par une duègne, reçoit de celle-ci une clef semblable à celle du mari. Cet instrument de jalousie était le cingulum pudicitix des Romains, le cadenas florentin du XVI e siècle. Henri Aldegraver a aussi gravé sur une gaine de dague une dame affublée de ce cadenas. (Bartsch, peintre-graveur, VIII, p. 437.) Ces raffinements de jalousie étaient italiens, comme d'ailleurs les raffinements de débauche dont Bran- tôme va parler page 190. (Voyez à ce sujet la Description de l'Ile des Hermaphrodites. Cologne, 1724, in-8°, p. 43.)

i3i, 17. Lampride, Alexandre Sévère, chap. xxn. Bran- tôme puise son appréciation dans quelque note que je n'ai pu retrouver; mais elle est un parfait contresens : Alexandre Sévère, au contraire, reléguail les eunuques aux gynécées.

i32, 9. Nicolas d'Estouteville, seigneur de Villeconnin, et non Villecouvin, gentilhomme de la Chambre, mort à Constantinople en février 1567. Il était allé en Turquie ca- cher quelque chagrin d'amour ou de politique. Voici son épitaphe :

Le preux Villeconin en la fleur de ses ans, Hélas! a délaissé nos esbatz si plaisans, Laissant au temple sainct de la digne Mémoire Son labeur, son renom, son honneur et sa gloire.

La pièce d'où nous tirons ces renseignements a été signa- lée par M. Lalanne, mais non analysée par lui. Elle est dédiée à Charles de Téligny, gendre de Coligny, gentil- homme calviniste , comme d'ailleurs l'était Villeconnin, si j'en juge par la confession que lui fait faire l'auteur. La pièce se trouve au manuscrit français 2 2 56i de la Biblio- thèque Nationale, f° 3 2 v° de la seconde foliotation. On ne trouve aucune autre mention détaillée de ce personnage, et l'anecdote de Brantôme a ceci de curieux qu'elle explique la subite fortune du fameux de Retz. (Voyez aussi Bran- tôme, édit. Lalanne, t. IV, p. 3o8.)

134, 1. Le docteur Subtil, surnom de J. Scott ou Duns.


244 NOTES

P. i 35,1. 2. Sainte Sopbronie. — Ligne 8. Voyezde Thou, liv. XL1X. Il y avait à la cour de France d'autres dames échappées de Chypre, qui étaient loin de ressembler à cette héroïne. Témoin la Dayelle, dont Brantôme parle dans ses Dames illustres, au chapitre de Catherine de Médicis, et qui servit à amuser le roi de Navarre. (Journal de Henri III, édit. de i 720, t. II, p. 142.)

i3ç, 16. Nous avons vainement cherché partout le cha- pitre dont parle Brantôme; il n'en est rien resté, du moins à notre connaissance. — Guillot le Songeur est, dit M. La- lanne, Don Guilan el Cuidador de VAmadis de Gaule.

144, 7. Danaé, fille d'Acrisius, roi d'Argos, enfermée par son père dans une tour d'airain, où Jupiter pénétra en pluie d'or. — ligne 1 1. On disait ceci en vers de la belle M me de Simiers :

Je sçay une beauté qui sçaura bien lier

Le cœur de ses amants qui ont bonne escarcelle ;

Vous les connoissez bien, madame de Cimier...

(Cité par Niel , Portraits de personnages illustresj article de M mc de Simiers.)

145, 5. C'est une allusion au duc Henri de Guise. Sans compter « les amants de couchette », la princesse Catherine de Clèves, sa femme, avait eu beaucoup d'autres intrigues. (Voy. La Confession de Sancyj chap. vin, aux notes.)

1 48, 10. Cette allusion un peu obscure doit s'entendre de ce que nous appellerions aujourd'hui le courrier, qui, si chargé qu'il soit, doit prendre encore le nouveau voyageur qui arrive.

149, 17. En procédant par élimination, on arrive à pen- ser avec M. Lalanne que le voyage dont Brantôme parle ici était celui d'Ecosse. Il avait accompagné la reine Marie Stuart en août i56i, lors de son départ de France. Riccio, qui était ce favori de « basse qualité », était arrivé un an plus tard; mais Brantôme, qui raconte un fait passé depuis longtemps, ne précise rien : il répond à une demande de la reine Catherine, sans doute.

1 5 1 , 20. Il y a nonchalant clans les anciennes éditions.


NOTES 24S

Chalant, donné par le manuscrit 608, est une lecture pré- férable en ce sens qu'elle favorise le jeu de mots.

P. 1 5 2 , I.4. Il s'agit dans ce passage, où Brantôme avoue si ingénument ses ruses de courtisan, de la reine d'Espagne Elisabeth, femme de Philippe II. La sœur de la princesse était Marguerite, reine de Navarre. Les deux jeunes infantes dont on examinait les portraits en détail étaient : la première, Isa- belle-Claire-Eugénie, mariée depuis à Albert d'Autriche, et qui prit l'habit monastique sur la fin de sa vie; l'autre, Ca- therine, qui épousa Charles-Emmanuel de Savoie en 1 58 5 . Il est aujourd'hui difficile de chercher la ressemblance des jeunes princesses avec leur père, malgré la multiplicité des portraits de tous ces personnages; pour être dans le vrai, on peut dire qu'elles n'étaient guère plus belles que leur mère. (Voyez le beau crayon de la reine Elisabeth à la Bibliothè- que Nationale, Estampes Na 2 1 , f ° 69). — ligne 27. Les deux Joyeuse : M. du Bouchage, le second, était un gai com- pagnon.

1 5 3 , 24. Marguerite de Lorraine, mariée à Anne de Joyeuse, le favori de Henri III. La belle-sœur dont parle Brantôme ne pouvait être ni M me de Mercceur, ni M me du Bouchage, que les plus cruels pamphlétaires ont épargnées; mais c'était sans aucun doute Henriette de Joyeuse, duchesse de Montpensier.

154, 12. François de Vendôme, vidame de Chartres? (Voyez Fxneste, édit. de 1 72g, p. 345.)

— 2 5. N'est-ce point là une anecdote greffée sur l'his- toire rapportée page 94, ligne 2 3 ? Il est vrai que la reine n'eut qu'une fille, et que Brantôme parle ici de trois en- fants.

1 56, 23. Arioste, Orlando furioso , chant v e , stro- phe 5 7.

Io non credo, signor, che ti sia nova La kgge nostra...

1 5 8, 18. Comment Brantôme peut-il raconter de sang- froid ces absurdes histoires, lui qui avait des amis dans le camp huguenot?


246 NOTES

P. 160, 1. 28. Plusieurs personnes portaient à ce moment ce nom de Beaulieu. Celui dont parle Brantôme n'est-il pas le capitaine Beaulieu qui tenait Vincennes pour la Ligue en 1 594 ? (Chron. Novenn. III, liv. VII.) — Le grand prieur était Charles de Lorraine, fils du duc de Guise et général des galères.

i63, 24. Selon son habitude, Brantôme défigure ce qu'il cite. Vesta Oppia a seule ici droit au nom « d'honneste femme » ; Cluvia, elle, avait été courtisane de profession. (Voy. Tite-Live, XXVI, cap. xxxm.)

1 6 5 , i5. Cette raison, plus humaine, est probablement plus vraie que ne l'était celle, généralement admise, de la chevaleresque conduite de Jean eu égard à la parole donnée.

166, 8. Voyez page 5 5.

171, 1. Brantôme fait un premier vers faux. (Cf. Juvé- nal, satire vi e , vers 206.)

173, 4. On disait de ces infamies italiennes : « In Spa- gna, gli preti; in Francia, i grandi; in Italia, tutti quanti. » ■ — Ligne 3o. Pourquoi ne pas laisser à Boccace la responsabi- lité de cette turpitude? (Décaméron, V e journée, X e nou- velle.)

178, 3o. Christine de Lorraine, fille du duc Charles, mariée à Ferdinand I er de Médicis. Cette jeune princesse était arrivée en Italie parée de ses riches habits à la fran- çaise, qu'elle laissa bientôt pour prendre la mode italienne. Cette concession lui concilia vite les bonnes grâces. Ce fut aux noces de Christine que se jouèrent les premiers opéras italiens. (Litta, Medici di Firenze, IV, tav. xv.)

182, 3. Je ne serais pas éloigné de penser que Bran- tôme eût ici en vue la princesse de Condé, que Pisani amena devant le Parlement, qui l'acquitta. (Voyez ci-devant p. 109, ligne 1.)

i85, 17. Je crois voir ici une allusion à M ,ne de Si- miers, et non à Marguerite de Valois, comme M. Lalanne. Plus tenace, sinon plus constante que la princesse, Louise de


NOTES 247

Vitry, dame de Simiers, perdit successivement Charles d'Hu- mières à Ham , l'amiral de Villars à Dourlens, et le duc de Guise, qu'elle aima tant et qui le lui rendit si peu; sans compter le comte de Randan, mort à Issoire. J'en passe de moindres. Arrivée à la vieillesse, il ne lui restait que le vieux Desportes, son premier amant, un poète, qu'elle avait oublié auprès des gens de guerre; mais il était bien tard pour l'un et pour l'autre. — ligne 2 3. Nouvelle erreur de Brantôme, démontrée par M. Lalanne : c'est Seius et non Séjan.

P. 187, 1. 28. Théodore de Bèze, Poemata, Paris, 1578, in-8 J , p. 97.

188, 20. Tous les auteurs satiriques s'accordent à accu- ser Catherine de Médicis de cette réforme radicale dans les vieilles mœurs françaises. Il serait plus juste de songer aussi aux guerres d'Italie, qui ne furent pas sans influence sur le relâchement des armées et, partant, de la France entière.

190, 16. Nouvelle erreur, c'est la 91 e épig. du livre I.

191, 3. Isabella de Luna, courtisane célèbre dont parle Bandello. — Ligne 8. Le cardinal d'Armagnac était Georges, né en i5o2, et qui fut successivement ambassadeur en Italie, archevêque de Toulouse (voyez page 194, ligne 17), et en- fin archevêque d'Avignon.

192, 6. Citation mal comprise. Crissantis, du vers latin, est un participe et non un nom propre. (Voy. Juvénal , sat. iv.) — Ligne 1 5 . Filènes, de Philenis, courtisane de Lucien.

194, 6. Henry de Clermont, vicomte de Tallard, tué en avril 1573, à La Rochelle.

197, 12. Il y a dans ce passage une ambiguïté. Je crois que Brantôme parle de lui, et c'est l'avis de M. Lalanne; néanmoins il pourrait bien n'avoir joué que le rôle effacé de confident de la comédie.

198, 23. Façonnez de... Le manuscrit laisse un blanc.

202, 3. C'est du Dialogue de la beauté des dames que Brantôme parle. (Voyez Brunet, à Firenzuola.) — Marguerite d'Autriche n'est pas, comme il va le dire, la duchesse de


Savoie, qui mourut en i5 3o, mais bien la fille naturelle de l'Empereur, mariée à Alexandre de Médicis,et à Octave Farnèse en secondes noces. (Voyez la savante note de M. La- lanne, t. IX, p. 206.)

P. 206, 1. 3o. Nouvelle XXVle. C'est le seigneur d'Aves- nes, Gabriel d'Albret.

209, 6. Claudia Quinta (Tite-Live, XXIX, 1 4). — Ligne 2 2 . Les rapports littéraires entre Brantôme et Marguerite de Va- lois permettent d'attribuer à cette dernière le passage diffus qui va suivie.

211, 24. Plutarque, Œuvres mêlées, LXXVII, tome II, page 167 de l'édit. de 1808.

21 5, 14. Ce passage n'est pas très clair. La mode des caleçons datait de 1577 environ; trois ans plus tard, la ver- tugade est en grande faveur et sert à relever le cotillon. Brantôme veut probablement dire que la dame laisse son caleçon, c'est-à-dire ne le met pas, ou bien met simplement le vertugadin sur le caleçon sans cotillon, le cotillon étant lourd et chaud. Il faudrait lire alors: « sans le mettre sur le cotillon », car les est un contresens. Tout reviendrait donc à ceci, que la dame restait eu caleçon et vertugadin ■seulement. Voyez, sur cette idée de s'habiller à la légère, l'auteur des remarques sur ['Inventaire des livres de M. Guil- laume, à la suite du Fseneste, édit. de 1729, page 357.

218, 4. Blanque. Terme de jeu comme capot.





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