Mademoiselle de Maupin (novel)  

From The Art and Popular Culture Encyclopedia

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"I wanted to study man thoroughly, to dissect him fibre by fibre with an inexorable scalpel, and to watch him, alive and palpitating, on my dissecting-table."--Mademoiselle de Maupin (1835) by Théophile Gautier


"Mademoiselle de Maupin was impudently pagan. It described with enthusiasm the amorous adventures of a not very specific, gay, cavalier tithe, in which was plain to be seen the nostalgia of the young nineteenth century for the aristocratic order that had gone. It made much of the piquant and ambiguous position of a young woman masquerading in man's clothes. Its hero, d' Albert, praised the vicious Caesars and irresponsible pleasure seekers of the ancient world. All ecstasies and all excesses were justified in the search for sensation and the delight in beauty which, the author implied, was a law unto itself." --The Aesthetic Adventure (1945) by William Gaunt


"Nothing is really beautiful but that which cannot be made use of; everything that is useful is ugly, for it is the expression of some need, and the needs of man are vile and disgusting, like his poor, weak nature.--The most useful part of a house is the privy."--Mademoiselle de Maupin (1835) by Théophile Gautier

{{Template}} Mademoiselle de Maupin (1835) is an epistolary novel by the French writer Théophile Gautier.

In September 1833, Gautier was solicited to write a historical romance based on the life of French opera star Mlle Maupin, who was a first-rate swordsman and often went about disguised as a man. Originally, the story was to be about the historical la Maupin, who set fire to a convent for the love of another woman, but later retired to a convent herself, shortly before dying in her thirties.

Gautier instead turned the plot into a simple love triangle between a man, d'Albert, and his mistress, Rosette, who both fall in love with Madelaine de Maupin, who is disguised as a man named Théodore. The message behind Gautier’s version of the infamous legend is the fundamental pessimism about the human identity, and perhaps the entire Romantic age.

The novel consists of seventeen chapters, most in the form of letters written by d'Albert or Madelaine. Most critics focus on the preface of the novel, which preached about Art for art's sake through its dictum that “everything useful is ugly.”

In Halsey v. New York (1922), it was cleared of obscenity in the United States, setting a precedent for The Well.

Contents

I wanted to study man thoroughly, to dissect him fibre by fibre with an inexorable scalpel, and to watch him, alive and palpitating, on my dissecting-table

"[J]e voulais étudier l'homme à fond, l'anatomiser fibre par fibre avec un scalpel inexorable et le tenir tout vif et tout palpitant sur ma table de dissection."

Extraits de la préface

Sur la vertu et l'immoralité dans la littérature 
Une des choses les plus burlesques de la joyeuse époque ou nous avons le bonheur de vivre est incontestablement la réhabilitation de la vertu entreprise par tous les journaux, de quelque couleur qu'ils soient, rouges, verts ou tricolores. La vertu est assurément quelque chose de fort respectable, et nous n'avons pas envie de lui manquer, Dieu nous en préserve ! La bonne et digne femme ! (...) mais il me semble naturel de lui préférer, surtout quand on a vingt ans, quelque petite immoralité bien pimpante, bien coquette (...) Les journalistes les plus monstrueusement vertueux ne sauraient être d'un avis différent, et, s'ils disent le contraire, il est très probable qu'ils ne le pensent pas. Penser une chose, en écrire une autre, cela arrive tous les jours, surtout aux gens vertueux.
Sur les critiques littéraires 
Le critique qui n'a rien produit est un lâche. C'est comme un abbé qui courtise la femme d'un laïque : celui-ci ne peut lui rendre la pareille.
Sur l'utilité du beau 
Rien de ce qui est beau n'est indispensable à la vie. - On supprimerait les fleurs, le monde n'en souffrirait pas matériellement ; qui voudrait cependant qu'il n'y eût plus de fleurs ? Je renoncerais plutôt aux pommes de terre qu'aux roses, et je crois qu'il n'y a qu'un utilitaire au monde capable d'arracher une plate-bande de tulipes pour y planter des choux. À quoi sert la beauté des femmes ? Pourvu qu'une femme soit médicalement bien conformée, en état de faire des enfants, elle sera toujours assez bonne pour des économistes. À quoi bon la musique ? à quoi bon la peinture ? Qui aurait la folie de préférer Mozart à M. Carrel, et Michel-Ange à l'inventeur de la moutarde blanche ? Il n'y a de vraiment beau que ce qui ne peut servir à rien ; tout ce qui est utile est laid, car c'est l'expression de quelque besoin, et ceux de l'homme sont ignobles et dégoûtants, comme sa pauvre et infirme nature.

Full text of preface

Préface : Une des choses les plus burlesques…

Une des choses les plus burlesques de la glorieuse époque où nous avons le bonheur de vivre est incontestablement la réhabilitation de la vertu entreprise par tous les journaux, de quelque couleur qu’ils soient, rouges, verts ou tricolores.

La vertu est assurément quelque chose de fort respectable, et nous n’avons pas envie de lui manquer, Dieu nous en préserve ! La bonne et digne femme ! — Nous trouvons que ses yeux ont assez de brillant à travers leurs bésicles, que son bas n’est pas trop mal tiré, qu’elle prend son tabac dans sa boîte d’or avec toute la grâce imaginable, que son petit chien fait la révérence comme un maître à danser. — Nous trouvons tout cela. — Nous conviendrons même que pour son âge elle n’est pas trop mal en point, et qu’elle porte ses années on ne peut mieux. — C’est une grand-mère très agréable, mais c’est une grand-mère… — Il me semble naturel de lui préférer, surtout quand on a vingt ans, quelque petite immoralité bien pimpante, bien coquette, bien bonne fille, les cheveux un peu défrisés, la jupe plutôt courte que longue, le pied et l’œil agaçants, la joue légèrement allumée, le rire à la bouche et le cœur sur la main. — Les journalistes les plus monstrueusement vertueux ne sauraient être d’un avis différent ; et, s’ils disent le contraire, il est très probable qu’ils ne le pensent pas. Penser une chose, en écrire une autre, cela arrive tous les jours, surtout aux gens vertueux.

Je me souviens des quolibets lancés avant la révolution (c’est de celle de juillet que je parle) contre ce malheureux et virginal vicomte Sosthène de La Rochefoucauld qui allongea les robes des danseuses de l’Opéra, et appliqua de ses mains patriciennes un pudique emplâtre sur le milieu de toutes les statues. — M. le vicomte Sosthène de La Rochefoucauld est dépassé de bien loin. — La pudeur a été très perfectionnée depuis ce temps, et l’on entre en des raffinements qu’il n’aurait pas imaginés.

Moi qui n’ai pas l’habitude de regarder les statues à de certains endroits, je trouvais, comme les autres, la feuille de vigne, découpée par les ciseaux de M. le chargé des beaux-arts, la chose la plus ridicule du monde. Il parait que j’avais tort, et que la feuille de vigne est une institution des plus méritoires.

On m’a dit, j’ai refusé d’y ajouter foi, tant cela me semblait singulier, qu’il existait des gens qui, devant la fresque du Jugement dernier de Michel-Ange, n’y avaient rien vu autre chose que l’épisode des prélats libertins, et s’étaient voilé la face en criant à l’abomination de la désolation !

Ces gens-là ne savent aussi de la romance de Rodrigue que le couplet de la couleuvre. — S’il y a quelque nudité dans un tableau ou dans un livre, ils y vont droit comme le porc à la fange, et ne s’inquiètent pas des fleurs épanouies ni des beaux fruits dorés qui pendent de toutes parts.

J’avoue que je ne suis pas assez vertueux pour cela. Dorine, la soubrette effrontée, peut très bien étaler devant moi sa gorge rebondie, certainement je ne tirerai pas mon mouchoir de ma poche pour couvrir ce sein que l’on ne saurait voir. — Je regarderai sa gorge comme sa figure, et, si elle l’a blanche et bien formée, j’y prendrai plaisir. — Mais je ne tâterai pas si la robe d’Elmire est moelleuse, et je ne la pousserai pas saintement sur le bord de la table, comme faisait ce pauvre homme de Tartuffe.

Cette grande affectation de morale qui règne maintenant serait fort risible, si elle n’était fort ennuyeuse. — Chaque feuilleton devient une chaire ; chaque journaliste, un prédicateur ; il n’y manque que la tonsure et le petit collet. Le temps est à la pluie et à l’homélie ; on se défend de l’une et de l’autre en ne sortant qu’en voiture et en relisant Pantagruel entre sa bouteille et sa pipe.

Mon doux Jésus ! quel déchaînement ! quelle furie ! — Qui vous a mordu ? qui vous a piqué ? que diable avez-vous donc pour crier si haut, et que vous a fait ce pauvre vice pour lui en tant vouloir, lui qui est si bon homme, si facile à vivre, et qui ne demande qu’à s’amuser lui-même et à ne pas ennuyer les autres, si faire se peut ? — Agissez avec le vice comme Serre avec le gendarme : embrassez-vous, et que tout cela finisse. — Croyez-m’en, vous vous en trouverez bien. — Eh ! mon Dieu ! messieurs les prédicateurs, que feriez-vous donc sans le vice ? — Vous seriez réduits, dès demain, à la mendicité, si l’on devenait vertueux aujourd’hui.

Les théâtres seraient fermés ce soir. — Sur quoi feriez-vous votre feuilleton ? — Plus de bals de l’Opéra pour remplir vos colonnes, — plus de romans à disséquer ; car bals, romans, comédies, sont les vraies pompes de Satan, si l’on en croit notre sainte Mère l’Église. — L’actrice renverrait son entreteneur, et ne pourrait plus vous payer son éloge. — On ne s’abonnerait plus à vos journaux ; on lirait saint Augustin, on irait à l’église, on dirait son rosaire. Cela serait peut-être très bien ; mais, à coup sûr, vous n’y gagneriez pas. — Si l’on était vertueux, où placeriez-vous vos articles sur l’immoralité du siècle ? Vous voyez bien que le vice est bon à quelque chose.

Mais c’est la mode maintenant d’être vertueux et chrétien, c’est une tournure qu’on se donne ; on se pose en saint Jérôme, comme autrefois en don Juan ; l’on est pâle et macéré, l’on porte les cheveux à l’apôtre, l’on marche les mains jointes et les yeux fichés en terre ; on prend un petit air confit en perfection ; on a une Bible ouverte sur sa cheminée, un crucifix et du buis bénit à son lit ; l’on ne jure plus, l’on fume peu, et l’on chique à peine. — Alors on est chrétien, l’on parle de la sainteté de l’art, de la haute mission de l’artiste, de la poésie du catholicisme, de M. de Lamennais, des peintres de l’école angélique, du concile de Trente, de l’humanité progressive et de mille autres belles choses. — Quelques-uns font infuser dans leur religion un peu de républicanisme ; ce ne sont pas les moins curieux. Ils accouplent Robespierre et Jésus-Christ de la façon la plus joviale, et amalgament avec un sérieux digne d’éloges les Actes des Apôtres et les décrets de la sainte convention, c’est l’épithète sacramentelle ; d’autres y ajoutent, pour dernier ingrédient, quelques idées saint-simoniennes. — Ceux-là sont complets et carrés par la base ; après eux, il faut tirer l’échelle. Il n’est pas donné au ridicule humain d’aller plus loin, — has ultra metas…, etc. Ce sont les colonnes d’Hercule du burlesque.

Le christianisme est tellement en vogue par la tartuferie qui court que le néo-christianisme lui-même jouit d’une certaine faveur. On dit qu’il compte jusqu’à un adepte, y compris M. Drouineau.

Une variété extrêmement curieuse du journaliste proprement dit moral, c’est le journaliste à famille féminine.

Celui-là pousse la susceptibilité pudique jusqu’à l’anthropophagie, ou peu s’en faut.

Sa manière de procéder, pour être simple et facile au premier coup d’œil, n’en est pas moins bouffonne et superlativement récréative, et je crois qu’elle vaut qu’on la conserve à la postérité, — à nos derniers neveux, comme disaient les perruques du prétendu grand siècle.

D’abord pour se poser en journaliste de cette espèce, il faut quelques petits ustensiles préparatoires, — tels que deux ou trois femmes légitimes, quelques mères, le plus de sœurs possible, un assortiment de filles complet et des cousines innombrablement. — Ensuite il faut une pièce de théâtre ou un roman quelconque, une plume, de l’encre, du papier et un imprimeur. Il faudrait peut-être bien une idée et plusieurs abonnés ; mais on s’en passe avec beaucoup de philosophie et l’argent des actionnaires.

Quand on a tout cela, l’on peut s’établir journaliste moral. Les deux recettes suivantes, convenablement variées, suffisent à la rédaction.

Modèles d’articles vertueux sur une première représentation.

« Après la littérature de sang, la littérature de fange ; après la Morgue et le bagne, l’alcôve et le lupanar ; après les guenilles tachées par le meurtre, les guenilles tachées par la débauche ; après, etc. (selon le besoin et l’espace, on peut continuer sur ce ton depuis six lignes jusqu’à cinquante et au-delà), — c’est justice. — Voilà où mènent l’oubli des saines doctrines et le dévergondage romantique : le théâtre est devenu une école de prostitution où l’on n’ose se hasarder qu’en tremblant avec une femme qu’on respecte. Vous venez sur la foi d’un nom illustre, et vous êtes obligé de vous retirer au troisième acte avec votre jeune fille toute troublée et toute décontenancée. Votre femme cache sa rougeur derrière son éventail ; votre sœur, votre cousine, etc. » (On peut diversifier les titres de parenté ; il suffit que ce soient des femelles.)

Nota. — Il y en a un qui a poussé la moralité jusqu’à dire : Je n’irai pas voir ce drame avec ma maîtresse. — Celui-là, je l’admire et je l’aime ; je le porte dans mon cœur, comme Louis XVIII portait toute la France dans le sien ; car il a eu l’idée la plus triomphante, la plus pyramidale, la plus ébouriffée, la plus luxorienne qui soit tombée dans une cervelle d’homme, en ce benoît dix-neuvième siècle où il en est tombé tant et de si drôles.

La méthode pour rendre compte d’un livre est très expéditive et à la portée de toutes les intelligences :

« Si vous voulez lire ce livre, enfermez-vous soigneusement chez vous ; ne le laissez pas traîner sur la table. Si votre femme et votre fille venaient à l’ouvrir, elles seraient perdues. — Ce livre est dangereux, ce livre conseille le vice. Il aurait peut-être eu un grand succès, au temps de Crébillon, dans les petites maisons, aux soupers fins des duchesses ; mais maintenant que les mœurs se sont épurées, maintenant que la main du peuple a fait crouler l’édifice vermoulu de l’aristocratie, etc., etc., que… que… que… — il faut, dans toute œuvre, une idée, une idée… là, une idée morale et religieuse qui… une vue haute et profonde répondant aux besoins de l’humanité ; car il est déplorable que de jeunes écrivains sacrifient au succès les choses les plus saintes, et usent un talent, estimable d’ailleurs, à des peintures lubriques qui feraient rougir des capitaines de dragons (la virginité du capitaine de dragons est, après la découverte de l’Amérique, la plus belle découverte que l’on ait faite depuis longtemps). — Le roman dont nous faisons la critique rappelle Thérèse philosophe, Félicia, le Compère Mathieu, les Contes de Grécourt. » — Le journaliste vertueux est d’une érudition immense en fait de romans orduriers ; — je serais curieux de savoir pourquoi.

Il est effrayant de songer qu’il y a, de par les journaux, beaucoup d’honnêtes industriels qui n’ont que ces deux recettes pour subsister, eux et la nombreuse famille qu’ils emploient.

Apparemment que je suis le personnage le plus énormément immoral qu’il se puisse trouver en Europe et ailleurs ; car je ne vois rien de plus licencieux dans les romans et les comédies de maintenant que dans les romans et les comédies d’autrefois, et je ne comprends guère pourquoi les oreilles de messieurs des journaux sont devenues tout à coup si janséniquement chatouilleuses.

Je ne pense pas que le journaliste le plus innocent ose dire que Pigault-Lebrun, Crébillon fils, Louvet, Voisenon, Marmontel et tous autres faiseurs de romans et de nouvelles ne dépassent en immoralité, puisque immoralité il y a, les productions les plus échevelées et les plus dévergondées de MM. tels et tels, que je ne nomme pas, par égard pour leur pudeur.

Il faudrait la plus insigne mauvaise foi pour n’en pas convenir.

Qu’on ne m’objecte pas que j’ai allégué ici des noms peu ou mal connus. Si je n’ai pas touché aux noms éclatants et monumentaux, ce n’est pas qu’ils ne puissent appuyer mon assertion de leur grande autorité.

Les Romans et les Contes de Voltaire ne sont assurément pas, à la différence de mérite près, beaucoup plus susceptibles d’être donnés en prix aux petites tartines des pensionnats que les Contes immoraux de notre ami le lycanthrope, ou même que les Contes moraux du doucereux Marmontel.

Que voit-on dans les comédies du grand Molière ? La sainte institution du mariage (style de catéchisme et de journaliste) bafouée et tournée en ridicule à chaque scène.

Le mari est vieux et laid et cacochyme ; il met sa perruque de travers ; son habit n’est plus à la mode ; il a une canne à bec-de-corbin, le nez barbouillé de tabac, les jambes courtes, l’abdomen gros comme un budget. — Il bredouille, et ne dit que des sottises ; il en fait autant qu’il en dit ; il ne voit rien, il n’entend rien ; on embrasse sa femme à sa barbe ; il ne sait pas de quoi il est question : cela dure ainsi jusqu’à ce qu’il soit bien et dûment constaté cocu à ses yeux et aux yeux de toute la salle on ne peut plus édifiée, et qui applaudit à tout rompre.

Ceux qui applaudissent le plus sont ceux qui sont le plus mariés.

Le mariage s’appelle, chez Molière, George Dandin ou Sganarelle.

L’adultère, Damis ou Clitandre ; il n’y a pas de nom assez doucereux et charmant pour lui.

L’adultère est toujours jeune, beau, bien fait et marquis pour le moins. Il entre en chantonnant à la cantonade la courante la plus nouvelle ; il fait un ou deux pas en scène de l’air le plus délibéré et le plus triomphant du monde ; il se gratte l’oreille avec l’ongle rose de son petit doigt coquettement écarquillé ; il peigne avec son peigne d’écaille sa belle chevelure blondine, et rajuste ses canons qui sont du grand volume. Son pourpoint et son haut-de-chausses disparaissent sous les aiguillettes et les nœuds de ruban, son rabat est de la bonne faiseuse ; ses gants flairent mieux que benjoin et civette ; ses plumes ont coûté un louis le brin.

Comme son œil est en feu et sa joue en fleur ! que sa bouche est souriante ! que ses dents sont blanches ! comme sa main est douce et bien lavée.

Il parle, ce ne sont que madrigaux, galanteries parfumées en beau style précieux et du meilleur air ; il a lu les romans et sait la poésie, il est vaillant et prompt à dégainer, il sème l’or à pleines mains. — Aussi Angélique, Agnès, Isabelle se peuvent à peine tenir de lui sauter au cou, si bien élevées et si grandes dames qu’elles soient ; aussi le mari est-il régulièrement trompé au cinquième acte, bien heureux quand ce n’est pas dès le premier.

Voilà comme le mariage est traité par Molière, l’un des plus hauts et des plus graves génies qui jamais aient été. — Croit-on qu’il y ait rien de plus fort dans les réquisitoires d’Indiana et de Valentine ?

La paternité est encore moins respectée, s’il est possible. Voyez Orgon, voyez Géronte, voyez-les tous.

Comme ils sont volés par leurs fils, battus par leurs valets ! Comme on met à nu, sans pitié pour leur âge, et leur avarice, et leur entêtement, et leur imbécillité ! — Quelles plaisanteries ! quelles mystifications ! — Comme on les pousse par les épaules hors de la vie, ces pauvres vieux qui sont longs à mourir, et qui ne veulent point donner leur argent ! comme on parle de l’éternité des parents ! quels plaidoyers contre l’hérédité, et comme cela est plus convaincant que toutes les déclamations saint-simoniennes !

Un père, c’est un ogre, c’est un Argus, c’est un geôlier, un tyran, quelque chose qui n’est bon tout au plus qu’à retarder un mariage pendant trois jusqu’à la reconnaissance finale. — Un père est le mari ridicule au grand complet. — Jamais un fils n’est ridicule dans Molière ; car Molière, comme tous les auteurs de tous les temps possibles, faisait sa cour à la jeune génération aux dépens de l’ancienne.

Et les Scapins, avec leur cape rayée à la napolitaine, et leur bonnet sur l’oreille, et leur plume balayant les bandes d’air, ne sont-ils pas des gens bien pieux, bien chastes et bien dignes d’être canonisés ? — Les bagnes sont pleins d’honnêtes gens qui n’ont pas fait le quart de ce qu’ils font. Les roueries de Trialph sont de pauvres roueries en comparaison des leurs. Et les Lisettes et les Martons, quelles gaillardes, tudieu ! — Les courtisanes des rues sont loin d’être aussi délurées, aussi promptes à la riposte grivoise. Comme elles s’entendent à remettre un billet ! comme elles font bien la garde pendant les rendez-vous ! — Ce sont, sur ma parole, de précieuses filles, serviables et de bon conseil.

C’est une charmante société qui s’agite et se promène à travers ces comédies et ces imbroglios. — Tuteurs dupés, maris cocus, suivantes libertines, valets aigrefins, demoiselles folles d’amour, fils débauchés, femmes adultères ; cela ne vaut-il pas bien les jeunes beaux mélancoliques et les pauvres faibles femmes opprimées et passionnées des drames et des romans de nos faiseurs en vogue ?

Et tout cela, moins le coup de dague final, moins la tasse de poison obligée : les dénouements sont aussi heureux que les dénouements des contes de fées, et tout le monde, jusqu’au mari, est on ne peut plus satisfait. Dans Molière, la vertu est toujours honnie et rossée ; c’est elle qui porte les cornes, et tend le dos à Mascarille ; à peine si la moralité apparaît une fois à la fin de la pièce sous la personnification un peu bourgeoise de l’exempt Loyal.

Tout ce que nous venons de dire ici n’est pas pour écorner le piédestal de Molière ; nous ne sommes pas assez fou pour aller secouer ce colosse de bronze avec nos petits bras ; nous voulions simplement démontrer aux pieux feuilletonistes, qu’effarouchent les ouvrages nouveaux et romantiques, que les classiques anciens, dont ils recommandent chaque jour la lecture et l’imitation, les surpassent de beaucoup en gaillardise et en immoralité.

À Molière nous pourrions aisément joindre et Marivaux et La Fontaine, ces deux expressions si opposées de l’esprit français, et Régnier, et Rabelais, et Marot, et bien d’autres. Mais notre intention n’est pas de faire ici, à propos de morale, un cours de littérature à l’usage des vierges du feuilleton.

Il me semble que l’on ne devrait pas faire tant de tapage à propos de si peu. Nous ne sommes heureusement plus au temps d’Ève la blonde, et nous ne pouvons, en bonne conscience, être aussi primitifs et aussi patriarcaux que l’on était dans l’arche. Nous ne sommes pas des petites filles se préparant à leur première communion ; et, quand nous jouons au corbillon, nous ne répondons pas tarte à la crème. Notre naïveté est assez passablement savante, et il y a longtemps que notre virginité court la ville ; ce sont là de ces choses que l’on n’a pas deux fois ; et, quoi que nous fassions, nous ne pouvons les rattraper, car il n’y a rien au monde qui coure plus vite qu’une virginité qui s’en va et qu’une illusion qui s’envole.

Après tout, il n’y a peut-être pas grand mal, et la science de toutes choses est-elle préférable à l’ignorance de toutes choses. C’est une question que je laisse à débattre à de plus savants que moi. Toujours est-il que le monde a passé l’âge où l’on peut jouer la modestie et la pudeur, et je le crois trop vieux barbon pour faire l’enfantin et le virginal sans se rendre ridicule.

Depuis son hymen avec la civilisation, la société a perdu le droit d’être ingénue et pudibonde. Il est de certaines rougeurs qui sont encore de mise au coucher de la mariée, et qui ne peuvent plus servir le lendemain ; car la jeune femme ne se souvient peut-être plus de la jeune fille, ou, si elle s’en souvient, c’est une chose très indécente, et qui compromet gravement la réputation du mari.

Quand je lis par hasard un de ces beaux sermons qui ont remplacé dans les feuilles publiques la critique littéraire, il me prend quelquefois de grands remords et de grandes appréhensions, à moi qui ai sur la conscience quelques menues gaudrioles un peu trop fortement épicées, comme un jeune homme qui a du feu et de l’entrain peut en avoir à se reprocher.

À côté de ces Bossuets du Café de Paris, de ces Bourdaloues du balcon de l’Opéra, de ces Catons à tant la ligne qui gourmandent le siècle d’une si belle façon, je me trouve en effet le plus épouvantable scélérat qui ait jamais souillé la face de la terre ; et pourtant, Dieu le sait, la nomenclature de mes péchés, tant capitaux que véniels, avec les blancs et interlignes de rigueur, pourrait à peine, entre les mains du plus habile libraire, former un ou deux volumes in-8 par jour, ce qui est peu de chose pour quelqu’un qui n’a pas la prétention d’aller en paradis dans l’autre monde, et de gagner le prix Monthyon ou d’être rosière en celui-ci.

Puis quand je pense que j’ai rencontré sous la table, et même ailleurs, un assez grand nombre de ces dragons de vertu, je reviens à une meilleure opinion de moi-même, et j’estime qu’avec tous les défauts que je puisse avoir ils en ont un autre qui est bien, à mes yeux, le plus grand et le pire de tous : — c’est l’hypocrisie que je veux dire.

En cherchant bien, on trouverait peut-être un autre petit vice à ajouter ; mais celui-ci est tellement hideux qu’en vérité je n’ose presque pas le nommer. Approchez-vous, et je m’en vais vous couler son nom dans l’oreille : — c’est l’envie.

L’envie, et pas autre chose.

C’est elle qui s’en va rampant et serpentant à travers toutes ces paternes homélies : quelque soin qu’elle prenne de se cacher, on voit briller de temps en temps, au-dessus des métaphores et des figures de rhétorique, sa petite tête plate de vipère ; on la surprend à lécher de sa langue fourchue ses lèvres toutes bleues de venin, on l’entend siffloter tout doucettement à l’ombre d’une épithète insidieuse.

Je sais bien que c’est une insupportable fatuité de prétendre qu’on vous envie, et que cela est presque aussi nauséabond qu’un merveilleux qui se vante d’une bonne fortune. — Je n’ai pas la forfanterie de me croire des ennemis et des envieux ; c’est un bonheur qui n’est pas donné à tout le monde, et je ne l’aurai probablement pas de longtemps : aussi je parlerai librement et sans arrière-pensée, comme quelqu’un de très désintéressé dans cette question.

Une chose certaine et facile à démontrer à ceux qui pourraient en douter, c’est l’antipathie naturelle du critique contre le poète, — de celui qui ne fait rien contre celui qui fait, — du frelon contre l’abeille — du cheval hongre contre l’étalon.

Vous ne vous faites critique qu’après qu’il est bien constaté à vos propres yeux que vous ne pouvez être poète. Avant de vous réduire au triste rôle de garder les manteaux et de noter les coups comme un garçon de billard ou un valet de jeu de paume, vous avez longtemps courtisé la Muse, vous avez essayé de la dévirginer ; mais vous n’avez pas assez de vigueur pour cela ; l’haleine vous a manqué, et vous êtes retombé pâle et efflanqué au pied de la sainte montagne.

Je conçois cette haine. Il est douloureux de voir un autre s’asseoir au banquet où l’on n’est pas invité, et coucher avec la femme qui n’a pas voulu de vous. Je plains de tout mon cœur le pauvre eunuque obligé d’assister aux ébats du Grand Seigneur.

Il est admis dans les profondeurs les plus secrètes de l’Oda ; il mène les sultanes au bain ; il voit luire sous l’eau d’argent des grands réservoirs ces beaux corps tout ruisselants de perles et plus polis que des agates ; les beautés les plus cachées lui apparaissent sans voiles. On ne se gêne pas devant lui. — C’est un eunuque. — Le sultan caresse sa favorite en sa présence, et la baise sur sa bouche de grenade. — En vérité, c’est une bien fausse situation que la sienne, et il doit être bien embarrassé de sa contenance.

Il en est de même pour le critique qui voit le poète se promener dans le jardin de poésie avec ses neuf belles odalisques, et s’ébattre paresseusement à l’ombre de grands lauriers verts. Il est bien difficile qu’il ne ramasse pas les pierres du grand chemin pour les lui jeter et le blesser derrière son mur, s’il est assez adroit pour cela.

Le critique qui n’a rien produit est un lâche ; c’est comme un abbé qui courtise la femme d’un laïque : celui-ci ne peut lui rendre la pareille ni se battre avec lui.

Je crois que ce serait une histoire au moins aussi curieuse que celle de Teglath-Phalasar ou de Gemmagog qui inventa les souliers à poulaine, que l’histoire des différentes manières de déprécier un ouvrage quelconque depuis un mois jusqu’à nos jours.

Il y a assez de matières pour quinze ou seize volumes in-folio ; mais nous aurons pitié du lecteur, et nous nous bornerons à quelques lignes, — bienfait pour lequel nous demandons une reconnaissance plus qu’éternelle. — À une époque très reculée, qui se perd dans la nuit des âges, il y a bien tantôt trois semaines de cela, le roman moyen âge florissait principalement à Paris et dans la banlieue. La cotte armoriée était en grand honneur ; on ne méprisait pas les coiffures à la hennin, on estimait fort le pantalon mi-parti ; la dague était hors de prix ; le soulier à poulaine était adoré comme un fétiche. — Ce n’étaient qu’ogives, tourelles, colonnettes, verrières coloriées, cathédrales et châteaux forts ; — ce n’étaient que demoiselles et damoiseaux, pages et varlets, truands et soudards, galants chevaliers et châtelains féroces ; — toutes choses certainement plus innocentes que les jeux innocents, et qui ne faisaient de mal à personne.

Le critique n’avait pas attendu au second roman pour commencer son œuvre de dépréciation ; dès le premier qui avait paru, il s’était enveloppé de son cilice de poil de chameau, et s’était répandu un boisseau de cendre sur la tête : puis, prenant sa grande voix dolente, il s’était mis à crier :

— Encore du moyen âge, toujours du moyen âge ! qui me délivrera du moyen âge, de ce moyen âge qui n’est pas le moyen âge ? — Moyen âge de carton et de terre cuite qui n’a du moyen âge que le nom. — Oh ! les barons de fer, dans leur armure de fer, avec leur cœur de fer, dans leur poitrine de fer ! — Oh ! les cathédrales avec leurs rosaces toujours épanouies et leurs verrières en fleurs, avec leurs dentelles de granit, avec leurs trèfles découpés à jour, leurs pignons tailladés en scie, avec leur chasuble de pierre brodée comme un voile de mariée, avec leurs cierges, avec leurs chants, avec leurs prêtres étincelants, avec leur peuple à genoux, avec leur orgue qui bourdonne et leurs anges planant et battant de l’aile sous les voûtes ! — comme ils m’ont gâté mon moyen âge, mon moyen âge si fin et si coloré ! comme ils l’ont fait disparaître sous une couche de grossier badigeon ! quelles criardes enluminures ! — Ah ! barbouilleurs ignorants, qui croyez avoir fait de la couleur pour avoir plaqué rouge sur bleu, blanc sur noir et vert sur jaune, vous n’avez vu du moyen âge que l’écorce, vous n’avez pas deviné l’âme du moyen âge, le sang ne circule pas dans la peau dont vous revêtez vos fantômes, il n’y a pas de cœur dans vos corselets d’acier, il n’y a pas de jambes dans vos pantalons de tricot, pas de ventre ni de gorge derrière vos jupes armoriées : ce sont des habits qui ont la forme d’hommes, et voilà tout. — Donc, à bas le moyen âge tel que nous l’ont fait les faiseurs (le grand mot est lâché ! les faiseurs) ! Le moyen âge ne répond à rien maintenant, nous voulons autre chose.

Et le public, voyant que les feuilletonistes aboyaient au moyen âge, se prit d’une belle passion pour ce pauvre moyen âge, qu’ils prétendaient avoir tué du coup. Le moyen âge envahit tout, aidé par l’empêchement des journaux : — drames, mélodrames, romances, nouvelles, poésies, il y eut jusqu’à des vaudevilles moyen âge, et Momus répéta des flonflons féodaux.

À côté du roman moyen âge verdissait le roman-charogne, genre de roman très agréable, et dont les petites-maîtresses nerveuses et les cuisinières blasées faisaient une très grande consommation.

Les feuilletonistes sont bien vite arrivés à l’odeur comme des corbeaux à la curée, et ils ont dépecé du bec de leurs plumes et méchamment mis à mort ce pauvre genre de roman qui ne demandait qu’à prospérer et à se putréfier paisiblement sur les rayons graisseux des cabinets de lecture. Que n’ont-ils pas dit ? que n’ont-ils pas écrit ? — Littérature de morgue ou de bagne, cauchemar de bourreau, hallucination de boucher ivre et d’argousin qui a la fièvre chaude ! Ils donnaient bénignement à entendre que les auteurs étaient des assassins et des vampires, qu’ils avaient contracté la vicieuse habitude de tuer leur père et leur mère, qu’ils buvaient du sang dans des crânes, qu’ils se servaient de tibias pour fourchette et coupaient leur pain avec une guillotine.

Et pourtant ils savaient mieux que personne, pour avoir souvent déjeuné avec eux, que les auteurs de ces charmantes tueries étaient de braves fils de famille, très débonnaires et de bonne société, gantés de blanc, fashionablement myopes, — se nourrissant plus volontiers de beefsteaks que de côtelettes d’homme, et buvant plus habituellement du vin de Bordeaux que du sang de jeune fille ou d’enfant nouveau-né. — Pour avoir vu et touché leurs manuscrits, ils savaient parfaitement qu’ils étaient écrits avec de l’encre de la grande vertu, sur du papier anglais, et non avec sang de guillotine sur peau de chrétien écorché vif.

Mais, quoi qu’ils dissent ou qu’ils fissent, le siècle était à la charogne, et le charnier lui plaisait mieux que le boudoir ; le lecteur ne se prenait qu’à un hameçon amorcé d’un petit cadavre déjà bleuissant. — Chose très concevable ; mettez une rose au bout de votre ligne, les araignées auront le temps de faire leur toile dans le pli de votre coude, vous ne prendrez pas le moindre petit fretin ; accrochez-y un ver ou un morceau de vieux fromage, carpes, barbillons, perches, anguilles sauteront à trois pieds hors de l’eau pour le happer. — Les hommes ne sont pas aussi différents des poissons qu’on a l’air de le croire généralement.

On aurait dit que les journalistes étaient devenus quakers, brahmes, ou pythagoriciens, ou taureaux, tant il leur avait pris une subite horreur du rouge et du sang. — Jamais on ne les avait vus si fondants, si émollients ; — c’était de la crème et du petit lait. — Ils n’admettaient que deux couleurs, le bleu de ciel ou le vert pomme. Le rose n’était que souffert, et, si le public les eût laissés faire, ils l’eussent mené paître des épinards sur les rives du Lignon, côte à côte avec les moutons d’Amaryllis. Ils avaient changé leur frac noir contre la veste tourterelle de Céladon ou de Silvandre, et entouré leurs plumes d’oie de roses pompons et de faveurs en manière de houlette pastorale. Ils laissaient flotter leurs cheveux à l’enfant, et s’étaient fait des virginités d’après la recette de Marion Delorme, à quoi ils avaient aussi bien réussi qu’elle.

Ils appliquaient à la littérature l’article du Décalogue :

Homicide point ne seras.

On ne pouvait plus se permettre le plus petit meurtre dramatique, et le cinquième acte était devenu impossible.

Ils trouvaient le poignard exorbitant, le poison monstrueux, la hache inqualifiable. Ils auraient voulu que les héros dramatiques vécussent jusqu’à l’âge de Melchisédech ; et cependant il est reconnu, depuis un temps immémorial, que le but de toute tragédie est de faire assommer à la dernière scène un pauvre diable de grand homme qui n’en peut mais, comme le but de toute comédie est de conjoindre matrimonialement deux imbéciles de jeunes premiers d’environ soixante ans chacun.

C’est vers ce temps que j’ai jeté au feu (après en avoir tiré un double, ainsi que cela se fait toujours) deux superbes et magnifiques drames moyen âge, l’un en vers et l’autre en prose, dont les héros étaient écartelés et bouillis en plein théâtre, ce qui eût été très jovial et assez inédit.

Pour me conformer à leurs idées, j’ai composé depuis une tragédie antique en cinq actes, nommée Héliogabale, dont le héros se jette dans les latrines, situation extrêmement neuve et qui a l’avantage d’amener une décoration non encore vue au théâtre. — J’ai fait aussi un drame moderne extrêmement supérieur à Antony, Arthur ou l’Homme fatal, où l’idée providentielle arrive sous la forme d’un pâté de foie gras de Strasbourg, que le héros mange jusqu’à la dernière miette après avoir consommé plusieurs viols, ce qui, joint à ses remords, lui donne une abominable indigestion dont il meurt. — Fin morale s’il en fut, qui prouve que Dieu est juste et que le vice est toujours puni et la vertu récompensée.

Quant au genre monstre, vous savez comme ils l’ont traité, comme ils ont arrangé Han d’Islande, ce mangeur d’hommes, Habibrah l’obi, Quasimodo le sonneur, et Triboulet, qui n’est que bossu, — toute cette famille si étrangement fourmillante, — toutes ces crapauderies gigantesques que mon cher voisin fait grouiller et sauteler à travers les forêts vierges et les cathédrales de ses romans. Ni les grands traits à la Michel-Ange, ni les curiosités dignes de Callot, ni les effets d’ombre et de clair à la façon de Goya, rien n’a pu trouver grâce devant eux ; ils l’ont renvoyé à ses odes, quand il a fait des romans ; à ses romans, quand il a fait des drames : tactique ordinaire des journalistes qui aiment toujours mieux ce qu’on a fait que ce qu’on fait. Heureux homme, toutefois, que celui qui est reconnu supérieur même par les feuilletonistes dans tous ses ouvrages, excepté, bien entendu, celui dont ils rendent compte, et qui n’aurait qu’à écrire un traité de théologie ou un manuel de cuisine pour faire trouver son théâtre admirable !

Pour le roman de cœur, le roman ardent et passionné, qui a pour père Werther l’Allemand, et pour mère Manon Lescaut la Française, nous avons touché, au commencement de cette préface, quelques mots de la teigne morale qui s’y est désespérément attachée sous prétexte de religion et de bonnes mœurs. Les poux critiques sont comme les poux de corps qui abandonnent les cadavres pour aller aux vivants. Du cadavre du roman moyen âge les critiques sont passés au corps de celui-ci, qui a la peau dure et vivace et leur pourrait bien ébrécher les dents.

Nous pensons, malgré tout le respect que nous avons pour les modernes apôtres, que les auteurs de ces romans appelés immoraux, sans être aussi mariés que les journalistes vertueux, ont assez généralement une mère, et que plusieurs d’entre eux ont des sœurs et sont pourvus d’une abondante famille féminine ; mais leurs mères et leurs sœurs ne lisent pas de romans, même de romans immoraux ; elles cousent, brodent et s’occupent des choses de la maison. — Leurs bas, comme dirait M. Planard, sont d’une entière blancheur : vous les pouvez regarder aux jambes, — elles ne sont pas bleues, et le bonhomme Chrysale, lui qui haïssait tant les femmes savantes, les proposerait pour exemple à la docte Philaminte.

Quant aux épouses de ces messieurs, puisqu’ils en ont tant, si virginaux que soient leurs maris, il me semble, à moi, qu’il est de certaines choses qu’elles doivent savoir. — Au fait, il se peut bien qu’ils ne leur aient rien montré. Alors je comprends qu’ils tiennent à les maintenir dans cette précieuse et benoîte ignorance. Dieu est grand et Mahomet est son prophète ! — Les femmes sont curieuses ; fassent le ciel et la morale qu’elles contentent leur curiosité d’une manière plus légitime qu’Ève, leur grand-mère, et n’aillent pas faire des questions au serpent !

Pour leurs filles, si elles ont été en pension, je ne vois pas ce que les livres pourraient leur apprendre.

Il est aussi absurde de dire qu’un homme est un ivrogne parce qu’il décrit une orgie, un débauché parce qu’il raconte une débauche que de prétendre qu’un homme est vertueux parce qu’il a fait un livre de morale ; tous les jours on voit le contraire. — C’est le personnage qui parle et non l’auteur ; son héros est athée, cela ne veut pas dire qu’il soit athée ; il fait agir et parler les brigands en brigands, il n’est pas pour cela un brigand. À ce compte, il faudrait guillotiner Shakespeare, Corneille et tous les tragiques ; ils ont plus commis de meurtres que Mandrin et Cartouche ; on ne l’a pas fait cependant, et je ne crois même pas qu’on le fasse de longtemps, si vertueuse et si morale que puisse devenir la critique. C’est une des manies de ces petits grimauds à cervelle étroite que de substituer toujours l’auteur à l’ouvrage et de recourir à la personnalité pour donner quelque pauvre intérêt de scandale à leurs misérables rapsodies, qu’ils savent bien que personne ne lirait si elles ne contenaient que leur opinion individuelle.

Nous ne concevons guère à quoi tendent toutes ces criailleries, à quoi bon toutes ces colères et tous ces abois, — et qui pousse messieurs les Geoffroy au petit pied à se faire les don Quichotte de la morale, et, vrais sergents de ville littéraires, à empoigner et à bâtonner, au nom de la vertu, toute idée qui se promène dans un livre la cornette posée de travers ou la jupe troussée un peu trop haut. — C’est fort singulier.

L’époque, quoi qu’ils en disent, est immorale (si ce mot-là signifie quelque chose, ce dont nous doutons fort), et nous n’en voulons pas d’autre preuve que la quantité de livres immoraux qu’elle produit et le succès qu’ils ont. — Les livres suivent les mœurs et les mœurs ne suivent pas les livres. — La Régence a fait Crébillon, ce n’est pas Crébillon qui a fait la Régence. Les petites bergères de Boucher étaient fardées et débraillées, parce que les petites marquises étaient fardées et débraillées. — Les tableaux se font d’après les modèles et non les modèles d’après les tableaux. Je ne sais qui a dit je ne sais où que la littérature et les arts influaient sur les mœurs. Qui que ce soit, c’est indubitablement un grand sot. — C’est comme si l’on disait : Les petits pois font pousser le printemps ; les petits pois poussent au contraire parce que c’est le printemps, et les cerises parce que c’est l’été. Les arbres portent les fruits, et ce ne sont pas les fruits qui portent les arbres assurément, loi éternelle et invariable dans sa variété ; les siècles se succèdent, et chacun porte son fruit qui n’est pas celui du siècle précédent ; les livres sont les fruits des mœurs.

À côté des journalistes moraux, sous cette pluie d’homélies comme sous une pluie d’été dans quelque parc, il a surgi, entre les planches du tréteau saint-simonien, une théorie de petits champignons d’une nouvelle espèce assez curieuse, dont nous allons faire l’histoire naturelle.

Ce sont les critiques utilitaires. Pauvres gens qui avaient le nez court à ne le pouvoir chausser de lunettes, et cependant n’y voyaient pas aussi loin que leur nez.

Quand un auteur jetait sur leur bureau un volume quelconque, roman ou poésie, — ces messieurs se renversaient nonchalamment sur leur fauteuil, le mettaient en équilibre sur ses pieds de derrière, et, se balançant d’un air capable, ils se rengorgeaient et disaient :

— À quoi sert ce livre ? Comment peut-on l’appliquer à la moralisation et au bien-être de la classe la plus nombreuse et la plus pauvre ? Quoi ! pas un mot des besoins de la société, rien de civilisant et de progressif ! Comment, au lieu de faire la grande synthèse de l’humanité, et de suivre, à travers les événements de l’histoire, les phases de l’idée régénératrice et providentielle, peut-on faire des poésies et des romans qui ne mènent à rien, et qui ne font pas avancer la génération dans le chemin de l’avenir ? Comment peut-on s’occuper de la forme, du style, de la rime en présence de si graves intérêts ? — Que nous font, à nous, et le style et la rime, et la forme ? c’est bien de cela qu’il s’agit (pauvres renards, ils sont trop verts) ! — La société souffre, elle est en proie à un grand déchirement intérieur (traduisez : personne ne veut s’abonner aux journaux utiles). C’est au poète à chercher la cause de ce malaise et à le guérir. Le moyen, il le trouvera en sympathisant de cœur et d’âme avec l’humanité (des poètes philanthropes ! ce serait quelque chose de rare et de charmant). Ce poète, nous l’attendons, nous l’appelons de tous nos vœux. Quand il paraîtra, à lui les acclamations de la foule, à lui les palmes, à lui les couronnes, à lui le Prytanée…

À la bonne heure ; mais, comme nous souhaitons que notre lecteur se tienne éveillé jusqu’à la fin de cette bienheureuse Préface, nous ne continuerons pas cette imitation très fidèle du style utilitaire, qui, de sa nature, est passablement soporifique, et pourrait remplacer, avec avantage, le laudanum et les discours d’académie.

Non, imbéciles, non, crétins et goitreux que vous êtes, un livre ne fait pas de la soupe à la gélatine ; — un roman n’est pas une paire de bottes sans couture ; un sonnet, une seringue à jet continu ; un drame n’est pas un chemin de fer, toutes choses essentiellement civilisantes, et faisant marcher l’humanité dans la voie du progrès.

De par les boyaux de tous les papes passés, présents et futurs, non et deux cent mille fois non.

On ne se fait pas un bonnet de coton d’une métonymie, on ne chausse pas une comparaison en guise de pantoufle ; on ne se peut servir d’une antithèse pour parapluie ; malheureusement, on ne saurait se plaquer sur le ventre quelques rimes bariolées en manière de gilet. J’ai la conviction intime qu’une ode est un vêtement trop léger pour l’hiver, et qu’on ne serait pas mieux habillé avec la strophe, l’antistrophe et l’épode que cette femme du cynique qui se contentait de sa seule vertu pour chemise, et allait nue comme la main, à ce que raconte l’histoire.

Cependant le célèbre M. de La Calprenède eut une fois un habit, et, comme on lui demandait quelle étoffe c’était, il répondit : Du Silvandre. — Silvandre était une pièce qu’il venait de faire représenter avec succès.

De pareils raisonnements font hausser les épaules par-dessus la tête, et plus haut que le duc de Glocester.

Des gens qui ont la prétention d’être des économistes, et qui veulent rebâtir la société de fond en comble, avancent sérieusement de semblables billevesées.

Un roman a deux utilités : — l’une matérielle, l’autre spirituelle, si l’on peut se servir d’une pareille expression à l’endroit d’un roman. — L’utilité matérielle, ce sont d’abord les quelques mille francs qui entrent dans la poche de l’auteur, et le lestent de façon que le diable ou le vent ne l’emportent ; pour le libraire, c’est un beau cheval de race qui piaffe et saute avec son cabriolet d’ébène et d’acier, comme dit Figaro ; pour le marchand de papier, une usine de plus sur un ruisseau quelconque, et souvent le moyen de gâter un beau site ; pour les imprimeurs, quelques tonnes de bois de campêche pour se mettre hebdomadairement le gosier en couleur ; pour le cabinet de lecture, des tas de gros sous très prolétairement vert-de-grisés, et une quantité de graisse, qui, si elle était convenablement recueillie et utilisée, rendrait superflue la pêche de la baleine. — L’utilité spirituelle est que, pendant qu’on lit des romans, on dort, et on ne lit pas de journaux utiles, vertueux et progressifs, ou telles autres drogues indigestes et abrutissantes.

Qu’on dise après cela que les romans ne contribuent pas à la civilisation. — Je ne parlerai pas des débitants de tabac, des épiciers et des marchands de pommes de terre frites, qui ont un intérêt très grand dans cette branche de littérature, le papier qu’elle emploie étant, en général, de qualité supérieure à celui des journaux.

En vérité, il y a de quoi rire d’un pied en carré, en entendant disserter messieurs les utilitaires républicains ou saint-simoniens. — Je voudrais bien savoir d’abord ce que veut dire précisément ce grand flandrin de substantif dont ils truffent quotidiennement le vide de leurs colonnes, et qui leur sert de schibroleth et de terme sacramentel. — Utilité : quel est ce mot, et à quoi s’applique-t-il ?

Il y a deux sortes d’utilité, et le sens de ce vocable n’est jamais que relatif. Ce qui est utile pour l’un ne l’est pas pour l’autre. Vous êtes savetier, je suis poète. — Il est utile pour moi que mon premier vers rime avec mon second. — Un dictionnaire de rimes m’est d’une grande utilité ; vous n’en avez que faire pour carreler une vieille paire de bottes, et il est juste de dire qu’un tranchet ne me servirait pas à grand’chose pour faire une ode. — Après cela, vous objecterez qu’un savetier est bien au-dessus d’un poète, et que l’on se passe mieux de l’un que de l’autre. Sans prétendre rabaisser l’illustre profession de savetier, que j’honore à l’égal de la profession de monarque constitutionnel, j’avouerai humblement que j’aimerais mieux avoir mon soulier décousu que mon vers mal rimé, et que je me passerais plus volontiers de bottes que de poèmes. Ne sortant presque jamais et marchant plus habilement par la tête que par les pieds, j’use moins de chaussures qu’un républicain vertueux qui ne fait que courir d’un ministère à l’autre pour se faire jeter quelque place.

Je sais qu’il y en a qui préfèrent les moulins aux églises, et le pain du corps à celui de l’âme. À ceux-là, je n’ai rien à leur dire. Ils méritent d’être économistes dans ce monde, et aussi dans l’autre.

Y a-t-il quelque chose d’absolument utile sur cette terre et dans cette vie où nous sommes ? D’abord, il est très peu utile que nous soyons sur terre et que nous vivions. Je défie le plus savant de la bande de dire à quoi nous servons, si ce n’est à ne pas nous abonner au Constitutionnel ni à aucune espèce de journal quelconque.

Ensuite, l’utilité de notre existence admise a priori, quelles sont les choses réellement utiles pour la soutenir ? De la soupe et un morceau de viande deux fois par jour, c’est tout ce qu’il faut pour se remplir le ventre, dans la stricte acception du mot. L’homme, à qui un cercueil de deux pieds de large sur six de long suffit et au-delà après sa mort, n’a pas besoin dans sa vie de beaucoup plus de place. Un cube creux de sept à huit pieds dans tous les sens, avec un trou pour respirer, une seule alvéole de la ruche, il n’en faut pas plus pour le loger et empêcher qu’il ne lui pleuve sur le dos. Une couverture, roulée convenablement autour du corps, le détendra aussi bien et mieux contre le froid que le frac de Staub le plus élégant et le mieux coupé.

Avec cela, il pourra subsister à la lettre. On dit bien qu’on peut vivre avec 25 sous par jour ; mais s’empêcher de mourir, ce n’est pas vivre ; et je ne vois pas en quoi une ville organisée utilitairement serait plus agréable à habiter que le Père-la-Chaise.

Rien de ce qui est beau n’est indispensable à la vie. — On supprimerait les fleurs, le monde n’en souffrirait pas matériellement ; qui voudrait cependant qu’il n’y eût plus de fleurs ? Je renoncerais plutôt aux pommes de terre qu’aux roses, et je crois qu’il n’y a qu’un utilitaire au monde capable d’arracher une plate-bande de tulipes pour y planter des choux.

À quoi sert la beauté des femmes ? Pourvu qu’une femme soit médicalement bien conformée, en état de faire des enfants, elle sera toujours assez bonne pour des économistes.

À quoi bon la musique ? à quoi bon la peinture ? Qui aurait la folie de préférer Mozart à M. Carrel, et Michel-Ange à l’inventeur de la moutarde blanche ?

Il n’y a de vraiment beau que ce qui ne peut servir à rien ; tout ce qui est utile est laid, car c’est l’expression de quelque besoin, et ceux de l’homme sont ignobles et dégoûtants, comme sa pauvre et infirme nature. — L’endroit le plus utile d’une maison, ce sont les latrines.

Moi, n’en déplaise à ces messieurs, je suis de ceux pour qui le superflu est le nécessaire, — et j’aime mieux les choses et les gens en raison inverse des services qu’ils me rendent. Je préfère à certain vase qui me sert un vase chinois, semé de dragons et de mandarins, qui ne me sert pas du tout, et celui de mes talents que j’estime le plus est de ne pas deviner les logogriphes et les charades. Je renoncerais très joyeusement à mes droits de Français et de citoyen pour voir un tableau authentique de Raphaël, ou une belle femme nue : — la princesse Borghèse, par exemple, quand elle a posé pour Canova, ou la Julia Grisi quand elle entre au bain. Je consentirais très volontiers, pour ma part, au retour de cet anthropophage de Charles X, s’il me rapportait, de son château de Bohême, un panier de Tokay ou de Johannisberg, et je trouverais les lois électorales assez larges, si quelques rues l’étaient plus, et d’autres choses moins. Quoique je ne sois pas un dilettante, j’aime mieux le bruit des crincrins et des tambours de basque que celui de la sonnette de M. le président. Je vendrais ma culotte pour avoir une bague, et mon pain pour avoir des confitures. — L’occupation la plus séante à un homme policé me paraît de ne rien faire, ou de fumer analytiquement sa pipe ou son cigare. J’estime aussi beaucoup ceux qui jouent aux quilles, et aussi ceux qui font bien les vers. Vous voyez que les principes utilitaires sont bien loin d’être les miens, et que je ne serai jamais rédacteur dans un journal vertueux, à moins que je ne me convertisse, ce qui serait assez drolatique.

Au lieu de faire un prix Monthyon pour la récompense de la vertu, j’aimerais mieux donner, comme Sardanapale, ce grand philosophe que l’on a si mal compris, une forte prime à celui qui inventerait un nouveau plaisir ; car la jouissance me paraît le but de la vie, et la seule chose utile au monde. Dieu l’a voulu ainsi, lui qui a fait les femmes, les parfums, la lumière, les belles fleurs, les bons vins, les chevaux fringants, les levrettes et les chats angoras ; lui qui n’a pas dit à ses anges : Ayez de la vertu, mais : Ayez de l’amour, et qui nous a donné une bouche plus sensible que le reste de la peau pour embrasser les femmes, des yeux levés en haut pour voir la lumière, un odorat subtil pour respirer l’âme des fleurs, des cuisses nerveuses pour serrer les flancs des étalons, et voler aussi vite que la pensée sans chemin de fer ni chaudière à vapeur, des mains délicates pour les passer sur la tête longue des levrettes, sur le dos velouté des chats, et sur l’épaule polie des créatures peu vertueuses, et qui, enfin, n’a accordé qu’à nous seuls ce triple et glorieux privilège de boire sans avoir soif, de battre le briquet, et de faire l’amour en toutes saisons, ce qui nous distingue de la brute beaucoup plus que l’usage de lire des journaux et de fabriquer des chartes.

Mon Dieu ! que c’est une sotte chose que cette prétendue perfectibilité du genre humain dont on nous rebat les oreilles ! On dirait en vérité que l’homme est une machine susceptible d’améliorations, et qu’un rouage mieux engrené, un contrepoids plus convenablement placé peuvent faire fonctionner d’une manière plus commode et plus facile. Quand on sera parvenu à donner un estomac double à l’homme, de façon à ce qu’il puisse ruminer comme un bœuf, des yeux de l’autre côté de la tête, afin qu’il puisse voir, comme Janus, ceux qui lui tirent la langue par-derrière, et contempler son indignité dans une position moins gênante que celle de la Vénus Callipyge d’Athènes, à lui planter des ailes sur les omoplates afin qu’il ne soit pas obligé de payer six sous pour aller en omnibus ; quand on lui aura créé un nouvel organe, à la bonne heure : le mot perfectibilité commencera à signifier quelque chose. Depuis tous ces beaux perfectionnements, qu’a-t-on fait qu’on ne fît aussi bien et mieux avant le déluge ?

Est-on parvenu à boire plus qu’on ne buvait au temps de l’ignorance et de la barbarie (vieux style) ? Alexandre, l’équivoque ami du bel Ephestion, ne buvait pas trop mal quoiqu’il n’y eût pas de son temps de Journal des Connaissances utiles, et je ne sais pas quel utilitaire serait capable de tarir, sans devenir oïnopique et plus enflé que Lepeintre jeune ou qu’un hippopotame, la grande coupe qu’il appelait la tasse d’Hercule. Le maréchal de Bassompierre, qui vida sa grande batte à entonnoir à la santé des treize cantons, me paraît singulièrement estimable dans son genre et très difficile à perfectionner.

Quel économiste nous élargira l’estomac de manière à contenir autant de beefsteaks que feu Milon le Crotoniate qui mangeait un bœuf ? La carte du Café Anglais, de Véfour, ou de telle autre célébrité culinaire que vous voudrez, me paraît bien maigre et bien œcuménique, comparée à la carte du dîner de Trimalcion. — À quelle table sert-on maintenant une truie et ses douze marcassins dans un seul plat ? Qui a mangé des murènes et des lamproies engraissées avec de l’homme ? Croyez-vous en vérité que Brillat-Savarin ait perfectionné Apicius ? — Est-ce chez Chevet que le gros tripier de Vitellius trouverait à remplir son fameux bouclier de Minerve de cervelles de faisans et de paons, de langues de phénicoptères et de foies de scarrus ? — Vos huîtres du Rocher de Cancale sont vraiment quelque chose de bien recherché à côté des huîtres de Lucrin, à qui l’on avait fait une mer tout exprès. — Les petites maisons dans les faubourgs des marquis de la Régence sont de misérables vide-bouteilles, si on les compare aux villas des patriciens romains, à Baïes, à Caprée et à Tibur. Les magnificences cyclopéennes de ces grands voluptueux qui bâtissaient des monuments éternels pour des plaisirs d’un jour ne devraient-elles pas nous faire tomber à plat ventre devant le génie antique, et rayer à tout jamais de nos dictionnaires le mot perfectibilité ?

A-t-on inventé un seul péché capital de plus ? Il n’y en a malheureusement que sept comme devant, le nombre de chutes du juste pour un jour, ce qui est bien médiocre. — Je ne pense même pas qu’après un siècle de progrès, au train dont nous y allons, aucun amoureux soit capable de renouveler le treizième travail d’Hercule. — Peut-on être agréable une seule fois de plus à sa divinité qu’au temps de Salomon ? Beaucoup de savants très illustres et de dames très respectables soutiennent l’opinion tout à fait contraire, et prétendent que l’amabilité va décroissant. Eh bien ! alors, que nous parlez-vous de progrès ? — Je sais bien que vous me direz que l’on a une chambre haute et une chambre basse, qu’on espère que bientôt tout le monde sera électeur, et le nombre des représentants doublé ou triplé. Est-ce que vous trouvez qu’il ne se commet pas assez de fautes de français comme cela à la tribune nationale, et qu’ils ne sont pas assez pour la méchante besogne qu’ils ont à brasser ? Je ne comprends guère l’utilité qu’il y a de parquer deux ou trois cents provinciaux dans une baraque de bois, avec un plafond peint par M. Fragonard, pour leur faire tripoter et gâcher je ne sais combien de petites lois absurdes ou atroces. — Qu’importe que ce soit un sabre, un goupillon ou un parapluie qui vous gouverne ! — C’est toujours un bâton, et je m’étonne que des hommes de progrès en soient à disputer sur le choix du gourdin qui leur doit chatouiller l’épaule, tandis qu’il serait beaucoup plus progressif et moins dispendieux de le casser et d’en jeter les morceaux à tous les diables.

Le seul de vous qui ait le sens commun, c’est un fou, un grand génie, un imbécile, un divin poète bien au-dessus de Lamartine, de Hugo et de Byron ; c’est Charles Fourier le phalanstérien qui est à lui seul tout cela : lui seul a eu de la logique, et a l’audace de pousser ses conséquences jusqu’au bout. — Il affirme, sans hésiter, que les hommes ne tarderaient pas à avoir une queue de quinze pieds de long avec un œil au bout ; ce qui, assurément, est un progrès, et permet de faire mille belles choses qu’on ne pouvait faire auparavant, telles que d’assommer les éléphants sans coup férir, de se balancer aux arbres sans escarpolettes, aussi commodément que le macaque le mieux conditionné, de se passer de parapluie ou d’ombrelle, en déployant la queue par-dessus sa tête en guise de panache, comme font les écureuils qui se privent de riflards très agréablement, et autres prérogatives qu’il serait trop long d’énumérer. Plusieurs phalanstériens prétendent même qu’ils en ont déjà une petite qui ne demande qu’à devenir plus grande, pour peu que Dieu leur prête vie.

Charles Fourier a inventé autant d’espèces d’animaux que Georges Cuvier, le grand naturaliste. Il a inventé des chevaux qui seront trois fois gros comme des éléphants, des chiens grands comme des tigres, des poissons capables de rassasier plus de monde que les trois poissons de Jésus-Christ que les incrédules voltairiens pensent être des poissons d’avril, et moi une magnifique parabole. Il a bâti des villes auprès de qui Rome, Babylone et Tyr ne sont que des taupinières ; il a entassé des Babels l’une sur l’autre, et fait monter dans les nues des spirales plus infinies que celles de toutes les gravures de John Martinn ; il a imaginé je ne sais combien d’ordres d’architecture et de nouveaux assaisonnements ; il a fait un projet de théâtre qui paraîtrait grandiose même à des Romains de l’empire, et dressé un menu de dîner que Lucius ou Nomentanus eussent peut-être trouvé suffisant pour un dîner d’amis ; il promet de créer des plaisirs nouveaux, et de développer les organes et les sens ; il doit rendre les femmes plus belles et plus voluptueuses, les hommes plus robustes et plus vigoureux ; il vous garantit des enfants, et se propose de réduire le nombre des habitants du monde de façon que chacun y soit à son aise ; ce qui est plus raisonnable que de pousser les prolétaires à en faire d’autres, sauf à les canonner ensuite dans les rues quand ils pullulent trop, et à leur envoyer des boulets au lieu de pain.

Le progrès est possible de cette façon seulement. — Tout le reste est une dérision amère, une pantalonnade sans esprit, qui n’est pas même bonne à duper des gobe-mouches idiots.

Le phalanstère est vraiment un progrès sur l’abbaye de Thélème, et relègue définitivement le paradis terrestre au nombre des choses tout à fait surannées et perruques. Les Mille et une Nuits et les Contes de madame d’Aulnoy peuvent seuls lutter avantageusement avec le phalanstère. Quelle fécondité ! quelle invention ! Il y a là de quoi défrayer de merveilleux trois mille charretées de poèmes romantiques ou classiques ; et nos versificateurs, académiciens ou non, sont de bien piètres trouveurs, si on les compare à M. Charles Fourier, l’inventeur des attractions passionnées. — Cette idée de se servir de mouvements que l’on a jusqu’ici cherché à réprimer est très assurément une haute et puissante idée.

Ah ! vous dites que nous sommes en progrès ! — Si, demain, un volcan ouvrait sa gueule à Montmartre, et faisait à Paris un linceul de cendre et un tombeau de lave, comme fit autrefois le Vésuve à Stabia, à Pompéi et à Herculanum, et que, dans quelque mille ans, les antiquaires de ce temps-là fissent des fouilles et exhumassent le cadavre de la ville morte, dites quel monument serait resté debout pour témoigner de la splendeur de la grande enterrée, Notre-Dame la gothique ? — On aurait vraiment une belle idée de nos arts en déblayant les Tuileries retouchées par M. Fontaine ! Les statues du pont Louis XV feraient un bel effet, transportées dans les musées d’alors ! Et, n’étaient les tableaux des anciennes écoles et les statues de l’antiquité ou de la Renaissance entassés dans la galerie du Louvre, ce long boyau informe ; n’était le plafond d’Ingres, qui empêcherait de croire que Paris ne fût qu’un campement de Barbares, un village de Welches ou de Topinamboux, ce qu’on retirerait des fouilles serait quelque chose de bien curieux. — Des briquets de gardes nationaux et des casques de sapeurs pompiers, des écus frappés d’un coin informe, voilà ce qu’on trouverait au lieu de ces belles armes, si curieusement ciselées, que le moyen âge laisse au fond de ses tours et de ses tombeaux en ruine, de ces médailles qui remplissent les vases étrusques et pavent les fondements de toutes les constructions romaines. Quant à nos misérables meubles de bois plaqué, à tous ces pauvres coffres si nus, si laids, si mesquins que l’on appelle commodes ou secrétaires, tous ces ustensiles informes et fragiles, j’espère que le temps en aurait assez pitié pour en détruire jusqu’au moindre vestige.

Une belle fois cette fantaisie nous a pris de faire un monument grandiose et magnifique. Nous avons d’abord été obligés d’en emprunter le plan aux vieux Romains ; et, avant même d’être achevé, notre Panthéon a fléchi sur ses jambes comme un enfant rachitique, et a titubé comme un invalide ivre-mort, si bien qu’il nous a fallu lui mettre des béquilles de pierre, sans quoi il serait chu piteusement tout de son long, devant tout le monde, et aurait apprêté aux nations à rire pour plus de cent ans. — Nous avons voulu planter un obélisque sur une de nos places ; il nous fallut l’aller filouter à Luxor, et nous avons été deux ans à l’amener chez nous. La vieille Égypte bordait ses routes d’obélisques, comme nous les nôtres de peupliers ; elle en portait des bottes sous ses bras, comme un maraîcher porte ses bottes d’asperges, et taillait un monolithe dans les flancs de ses montagnes de granit plus facilement que nous un cure-dents ou un cure-oreilles. Il y a quelques siècles, on avait Raphaël, on avait Michel-Ange ; maintenant l’on a M. Paul Delaroche, le tout parce que l’on est en progrès. — Vous vantez votre Opéra ; dix Opéras comme les vôtres danseraient la sarabande dans un cirque romain. M. Martin lui-même avec son tigre apprivoisé et son pauvre lion goutteux et endormi comme un abonné de la Gazette, est quelque chose de bien misérable à côté d’un gladiateur de l’antiquité. Vos représentations à bénéfice qui durent jusqu’à deux heures du matin, qu’est-ce que cela quand on pense à ces jeux qui duraient cent jours, à ces représentations où de véritables vaisseaux se battaient véritablement dans une véritable mer ; où des milliers d’hommes se taillaient consciencieusement en pièces ; — pâlis, ô héroïque Franconi ! — où, la mer retirée, le désert arrivait avec ses tigres et ses lions rugissants, terribles comparses qui ne servaient qu’une fois, où le premier rôle était rempli par quelque robuste athlète Dace ou Pannonien que l’on eût été bien souvent embarrassé de faire revenir à la fin de la pièce, dont l’amoureuse était quelque belle et friande lionne de Numidie à jeun depuis trois jours ? — L’éléphant funambule ne vous parait-il pas supérieur à mademoiselle Georges ? Croyez-vous que mademoiselle Taglioni danse mieux qu’Arbuscula, et Perrot mieux que Bathylle ? Je suis persuadé que Roscius eût rendu des points à Bocage, tout excellent qu’il soit. — Galéria Coppiola remplit un rôle d’ingénue à cent ans passés. Il est juste de dire que la plus vieille de nos jeunes premières n’a guère plus de soixante ans, et que mademoiselle Mars n’est pas même en progrès de ce côté-là : ils avaient trois ou quatre mille dieux auxquels ils croyaient, et nous n’en avons qu’un auquel nous ne croyons guère ; c’est progresser d’une étrange sorte. — Jupiter n’est-il pas plus fort que Don Juan, et un bien autre séducteur ? En vérité, je ne sais ce que nous avons inventé ou seulement perfectionné.

Après les journalistes progressifs, et comme pour leur servir d’antithèse, il y a les journalistes blasés, qui ont habituellement vingt ou vingt-deux ans, qui ne sont jamais sortis de leur quartier et n’ont encore couché qu’avec leur femme de ménage. Ceux-là, tout les ennuie, tout les excède, tout les assomme ; ils sont rassasiés, blasés, usés, inaccessibles. Ils connaissent d’avance ce que vous allez leur dire ; ils ont vu, senti, éprouvé, entendu tout ce qu’il est possible de voir, de sentir, d’éprouver et d’entendre ; le cœur humain n’a pas de recoin si inconnu qu’ils n’y aient porté la lanterne. Ils vous disent avec un aplomb merveilleux : Le cœur humain n’est pas comme cela ; les femmes ne sont pas faites ainsi ; ce caractère est faux ; — ou bien : — Eh quoi ! toujours des amours ou des haines ! toujours des hommes et des femmes ! Ne peut-on nous parler d’autre chose ? Mais l’homme est usé jusqu’à la corde, et la femme encore plus, depuis que M. de Balzac s’en mêle.

Qui nous délivrera des hommes et des femmes ?

— Vous croyez, monsieur, que votre fable est neuve ? elle est neuve à la façon du Pont-Neuf : rien au monde n’est plus commun ; j’ai lu cela je ne sais où, quand j’étais en nourrice ou ailleurs ; on m’en rebat les oreilles depuis dix ans. — Au reste, apprenez, monsieur, qu’il n’y a rien que je ne sache, que tout est usé pour moi, et que votre idée, fût-elle vierge comme la vierge Marie, je n’affirmerais pas moins l’avoir vue se prostituer sur les bornes aux moindres grimauds et aux plus minces cuistres.

Ces journalistes ont été cause de Jocko, du Monstre Vert, des Lions de Mysore et de mille autres belles inventions.

Ceux-là se plaignent continuellement d’être obligés de lire des livres et de voir des pièces de théâtre. À propos d’un méchant vaudeville, ils vous parlent des amandiers en fleurs, de tilleuls qui embaument, de la brise du printemps, de l’odeur du jeune feuillage ; ils se font amants de la nature à la façon du jeune Werther, et cependant n’ont jamais mis le pied hors de Paris, et ne distingueraient pas un chou d’avec une betterave. — Si c’est l’hiver, ils vous diront les agréments du foyer domestique, et le feu qui pétille et les chenets, et les pantoufles, et la rêverie, et le demi-sommeil ; ils ne manqueront pas de citer le fameux vers de Tibulle :

Quam juvat immites ventos audire cubantem :

moyennant quoi ils se donneront une petite tournure à la fois désillusionnée et naïve la plus charmante du monde. Ils se poseront en hommes sur qui l’œuvre des hommes ne peut plus rien, que les émotions dramatiques laissent aussi froids et aussi secs que le canif dont ils taillent leur plume, et qui crient cependant, comme J.-J. Rousseau : Voilà la pervenche ! Ceux-là professent une antipathie féroce pour les colonels du Gymnase, les oncles d’Amérique, les cousins, les cousines, les vieux grognards sensibles, les veuves romanesques, et tâchent de nous guérir du vaudeville en prouvant chaque jour, par leurs feuilletons, que tous les Français ne sont pas nés malins. — En vérité, nous ne trouvons pas grand mal à cela, bien au contraire, et nous nous plaisons à reconnaître que l’extinction du vaudeville ou de l’opéra-comique en France (genre national) serait un des plus grands bienfaits du ciel. — Mais je voudrais bien savoir quelle espèce de littérature ces messieurs laisseraient s’établir à la place de celle-là. Il est vrai que ce ne pourrait être pis.

D’autres prêchent contre le faux goût et traduisent Sénèque le tragique. Dernièrement, et pour clore la marche, il s’est formé un nouveau bataillon de critiques d’une espèce non encore vue.

Leur formule d’appréciation est la plus commode, la plus extensible, la plus malléable, la plus péremptoire, la plus superlative et la plus triomphante qu’un critique ait jamais pu imaginer. Zoïle n’y eût certainement pas perdu.

Jusqu’ici, lorsqu’on avait voulu déprécier un ouvrage quelconque, ou le déconsidérer aux yeux de l’abonné patriarcal et naïf, on avait fait des citations fausses ou perfidement isolées ; on avait tronqué des phrases et mutilé des vers, de façon que l’auteur lui-même se fût trouvé le plus ridicule du monde ; on lui avait intenté des plagiats imaginaires ; on rapprochait des passages de son livre avec des passages d’auteurs anciens ou modernes, qui n’y avaient pas le moindre rapport ; on l’accusait, en style de cuisinière, et avec force solécismes, de ne pas savoir sa langue, et de dénaturer le français de Racine et de Voltaire ; on assurait sérieusement que son ouvrage poussait à l’anthropophagie, et que les lecteurs devenaient immanquablement cannibales ou hydrophobes dans le courant de la semaine ; mais tout cela était pauvre, retardataire, faux toupet et fossile au possible. À force d’avoir traîné le long des feuilletons et des articles Variétés, l’accusation d’immoralité devenait insuffisante, et tellement hors de service qu’il n’y avait plus guère que le Constitutionnel, journal pudique et progressif, comme on sait, qui eût ce désespéré courage de l’employer encore.

L’on a donc inventé la critique d’avenir, la critique prospective. Concevez-vous, du premier coup, comme cela est charmant et provient d’une belle imagination ? La recette est simple, et l’on peut vous la dire. — Le livre qui sera beau et qu’on louera est le livre qui n’a pas encore paru. Celui qui paraît est infailliblement détestable. Celui de demain sera superbe ; mais c’est toujours aujourd’hui.

Il en est de cette critique comme de ce barbier qui avait pour enseigne ces mots écrits en gros caractères :

Ici l’on rasera gratis DEMAIN.

Tous les pauvres diables qui lisaient la pancarte se promettaient pour le lendemain cette douceur ineffable et souveraine d’être barbifiés une fois en leur vie sans bourse délier : et le poil en poussait d’aise d’un demi-pied au menton pendant la nuitée qui précédait ce bienheureux jour ; mais, quand ils avaient la serviette au cou, le frater leur demandait s’ils avaient de l’argent, et qu’ils se préparassent à cracher au bassin, sinon qu’il les accommoderait en abatteurs de noix ou en cueilleurs de pommes du Perche ; et il jurait son grand sacredieu qu’il leur trancherait la gorge avec son rasoir, à moins qu’ils ne le payassent, et les pauvres claquedents, tout marmiteux et piteux, d’alléguer la pancarte et la sacro-sainte inscription. — Hé ! hé ! mes petits bedons ! faisait le barbier, vous n’êtes pas grands clercs, et auriez bon besoin de retourner aux écoles ! La pancarte dit : Demain. Je ne suis pas si niais et fantastique d’humeur que de raser gratis aujourd’hui ; mes confrères diraient que je perds le métier. — Revenez l’autre fois ou la semaine des trois jeudis, vous vous en trouverez on ne peut mieux. Que je devienne ladre vert ou mézeau, si je ne vous le fais gratis, foi d’honnête barbier.

Les auteurs qui lisent un article prospectif, où l’on daube un ouvrage actuel, se flattent que le livre qu’ils font sera le livre de l’avenir. Ils tâchent de s’accommoder, autant que faire se peut, aux idées du critique, et se font sociaux, progressifs, moralisants, palingénésiques, mythiques, panthéistes, buchézistes, croyant par là échapper au formidable anathème ; mais il leur arrive ce qui arrivait aux pratiques du barbier : — aujourd’hui n’est pas la veille de demain. Le demain tant promis ne luira jamais sur le monde ; car cette formule est trop commode pour qu’on l’abandonne de sitôt. Tout en décriant ce livre dont on est jaloux, et qu’on voudrait anéantir, on se donne les gants de la plus généreuse impartialité. On a l’air de ne pas demander mieux que de trouver bien à louer, et cependant on ne le fait jamais. Cette recette est bien supérieure à celle que l’on pouvait appeler rétrospective et qui consiste à ne vanter que des ouvrages anciens, qu’on ne lit plus et qui ne gênent personne, aux dépens des livres modernes, dont on s’occupe et qui blessent plus directement les amours-propres.

Nous avons dit, avant de commencer cette revue de messieurs les critiques, que la matière pourrait fournir quinze ou seize mille volumes in-folio, mais que nous nous contenterions de quelques lignes ; je commence à craindre que ces quelques lignes ne soient des lignes de deux ou trois mille toises de longueur chacune, et ne ressemblent à ces grosses brochures épaisses à ne les pouvoir trouer d’un coup de canon, et qui portent perfidement pour titre : Un mot sur la révolution, un mot sur ceci ou cela. L’histoire des faits et gestes, des amours multiples de la diva Madeleine de Maupin courrait grand risque d’être éconduite, et on concevra que ce n’est pas trop d’un volume tout entier pour chanter dignement les aventures de cette belle Bradamante. — C’est pourquoi, quelque envie que nous ayons de continuer le blason des illustres Aristarques de l’époque, nous nous contenterons du crayon commencé que nous venons d’en tirer, en y ajoutant quelques réflexions sur la bonhomie de nos débonnaires confrères en Apollon qui, aussi stupides que le Cassandre des pantomimes, restent là à recevoir les coups de batte d’Arlequin et les coups de pied au cul de Paillasse, sans bouger non plus que des idoles.

Ils ressemblent à un maître d’armes qui, dans un assaut, croiserait ses bras derrière son dos, et recevrait dans sa poitrine découverte toutes les bottes de son adversaire, sans essayer une seule parade.

C’est comme un plaidoyer où le procureur du roi aurait seul la parole, ou comme un débat où la réplique ne serait pas permise.

Le critique avance ceci et cela. Il tranche du grand et taille en plein drap. Absurde, détestable, monstrueux : cela ne ressemble à rien, cela ressemble à tout. On donne un drame, le critique le va voir ; il se trouve qu’il ne répond en rien au drame qu’il avait forgé dans sa tête sur le titre ; alors, dans son feuilleton, il substitue son drame à lui au drame de l’auteur. Il fait de grandes tartines d’érudition ; il se débarrasse de toute la science qu’il a été se faire la veille dans quelque bibliothèque et traite de Turc à More des gens chez qui il devrait aller à l’école, et dont le moindre en remontrerait à de plus forts que lui.

Les auteurs endurent cela avec une magnanimité, une longanimité qui me paraît vraiment inconcevable. Quels sont donc, au bout du compte, ces critiques au ton si tranchant, à la parole si brève que l’on croirait les vrais fils des dieux ? ce sont tout bonnement des hommes avec qui nous avons été au collège, et à qui évidemment leurs études ont moins profité qu’à nous, puisqu’ils n’ont produit aucun ouvrage et ne peuvent faire autre chose que conchier et gâter ceux des autres comme de véritables stryges stymphalides.

Ne serait-ce pas quelque chose à faire que la critique des critiques ? car ces grands dégoûtés, qui font tant les superbes et les difficiles, sont loin d’avoir l’infaillibilité de notre saint père. Il y aurait de quoi remplir un journal quotidien et du plus grand format. Leurs bévues historiques ou autres, leurs citations controuvées, leurs fautes de français, leurs plagiats, leur radotage, leurs plaisanteries rebattues et de mauvais goût, leur pauvreté d’idées, leur manque d’intelligence et de tact, leur ignorance des choses les plus simples qui leur fait volontiers prendre le Pirée pour un homme et M. Delaroche pour un peintre fourniraient amplement aux auteurs de quoi prendre leur revanche, sans autre travail que de souligner les passages au crayon et de les reproduire textuellement ; car on ne reçoit pas avec le brevet de critique le brevet de grand écrivain, et il ne suffit pas de reprocher aux autres des fautes de langage ou de goût pour n’en point faire soi-même ; nos critiques le prouvent tous les jours. — Que si Chateaubriand, Lamartine et d’autres gens comme cela faisaient de la critique, je comprendrais qu’on se mît à genoux et qu’on adorât ; mais que MM. Z. K. Y. V. Q. X., ou telle autre lettre de l’alphabet entre Α et Ω, fassent les petits Quintiliens et vous gourmandent au nom de la morale et de la belle littérature, c’est ce qui me révolte toujours et me fait entrer en des fureurs nonpareilles. Je voudrais qu’on fît une ordonnance de police qui défendît à certains noms de se heurter à certains autres. Il est vrai qu’un chien peut regarder un évêque, et que Saint-Pierre de Rome, tout géant qu’il soit, ne peut empêcher que ces Transtévérins ne le salissent par en bas d’une étrange sorte ; mais je n’en crois pas moins qu’il serait fou d’écrire au long de certaines réputations monumentales :

défense de déposer des ordures ici.

Charles X avait seul bien compris la question. En ordonnant la suppression des journaux, il rendait un grand service aux arts et à la civilisation. Les journaux sont des espèces de courtiers ou de maquignons qui s’interposent entre les artistes et le public, entre le roi et le peuple. On sait les belles choses qui en sont résultées. Ces aboiements perpétuels assourdissent l’inspiration, et jettent une telle méfiance dans les cœurs et dans les esprits que l’on n’ose se fier ni à un poète, ni à un gouvernement ; ce qui fait que la royauté et la poésie, ces deux plus grandes choses du monde, deviennent impossibles, au grand malheur des peuples, qui sacrifient leur bien-être au pauvre plaisir de lire, tous les matins, quelques mauvaises feuilles de mauvais papier, barbouillées de mauvaise encre et de mauvais style. Il n’y avait point de critique d’art sous Jules II, et je ne connais pas de feuilleton sur Daniel de Volterre, Sébastien del Piombo, Michel-Ange, Raphaël, ni sur Ghiberti delle Porte, ni sur Benvenuto Cellini ; et cependant je pense que, pour des gens qui n’avaient point de journaux, qui ne connaissaient ni le mot art ni le mot artistique, ils avaient assez de talent comme cela, et ne s’acquittaient point trop mal de leur métier. La lecture des journaux empêche qu’il n’y ait de vrais savants et de vrais artistes ; c’est comme un excès quotidien qui vous fait arriver énervé et sans force sur la couche des Muses, ces filles dures et difficiles qui veulent des amants vigoureux et tout neufs. Le journal tue le livre, comme le livre a tué l’architecture, comme l’artillerie a tué le courage et la force musculaire. On ne se doute pas des plaisirs que nous enlèvent les journaux. Ils nous ôtent la virginité de tout ; ils font qu’on n’a rien en propre, et qu’on ne peut posséder un livre à soi seul ; ils vous ôtent la surprise du théâtre, et vous apprennent d’avance tous les dénouements ; ils vous privent du plaisir de papoter, de cancaner, de commérer et de médire, de faire une nouvelle ou d’en colporter une vraie pendant huit jours dans tous les salons du monde. Ils nous entonnent, malgré nous, des jugements tout faits, et nous préviennent contre des choses que nous aimerions ; ils font que les marchands de briquets phosphoriques, pour peu qu’ils aient de la mémoire, déraisonnent aussi impertinemment littérature que des académiciens de province ; ils font que, toute la journée, nous entendons, à la place d’idées naïves ou d’âneries individuelles, des lambeaux de journal mal digérés qui ressemblent à des omelettes crues d’un côté et brûlées de l’autre, et qu’on nous rassasie impitoyablement de nouvelles vieilles de trois ou quatre heures, et que les enfants à la mamelle savent déjà ; ils nous émoussent le goût, et nous rendent pareils à ces buveurs d’eau-de-vie poivrée, à ces avaleurs de limes et de râpes qui ne trouvent plus aucune saveur aux vins les plus généreux et n’en peuvent saisir le bouquet fleuri et parfumé. Si Louis-Philippe, une bonne fois pour toutes, supprimait tous les journaux littéraires et politiques je lui en saurais un gré infini, et je lui rimerais sur-le-champ un beau dithyrambe échevelé en vers libres et à rimes croisées ; signé : votre très humble et très fidèle sujet etc. Que l’on ne s’imagine pas que l’on ne s’occuperait plus de littérature ; au temps où il n’y avait pas de journaux, un quatrain occupait tout Paris huit jours, et une première représentation six mois.

Il est vrai que l’on perdrait à cela les annonces et les éloges à trente sous la ligne, et la notoriété serait moins prompte et moins foudroyante. Mais j’ai imaginé un moyen très ingénieux de remplacer les annonces. Si, d’ici à la mise en vente de ce glorieux roman, mon gracieux monarque a supprimé les journaux, je m’en servirai très assurément, et je m’en promets monts et merveilles. Le grand jour arrivé, vingt-quatre crieurs à cheval, aux livrées de l’éditeur, avec son adresse sur le dos et sur la poitrine, portant en main une bannière où serait brodé des deux côtés le titre du roman, précédés chacun d’un tambourineur et d’un timbalier, parcourront la ville, et, s’arrêtant aux places et aux carrefours, crieront à haute et intelligible voix : C’est aujourd’hui et non hier ou demain que l’on met en vente l’admirable, l’inimitable, le divin et plus que divin roman du très célèbre Théophile Gautier, Mademoiselle de Maupin, que l’Europe et même les autres parties du monde et la Polynésie attendent si impatiemment depuis un an et plus. Il s’en vend cinq cents à la minute, et les éditions se succèdent de demi-heure en demi-heure ; on est déjà à la dix-neuvième. Un piquet de gardes municipaux est à la porte du magasin, contient la foule et prévient tous les désordres. — Certes, cela vaudrait bien une annonce de trois lignes dans les Débats et le Courrier français, entre les ceintures élastiques, les cols en crinoline, les biberons en tétine incorruptible, la pâte de Regnault et les recettes contre le mal de dents.

Mai 1834.


Full French text of novel (including the preface), edition unidentified

· BIBLIOTECA : LVCCHESI PALLI. BIBLIOTECA LUCCHESI - PALLI III . SALA 28 VII 24

1 Т ) 23 11 24 臺 MADEMOISELLE DE MAUPIN " ] PARIS . -- IMP. SIMON RAÇON ET COMP . , KUE WERFURTH 1 . MADEMOISELLE DE MAUPIN PAR THÉOPHILE GAUTHIER NOUVELLE ÉDITION Hesional Intellige WAPON NS 3 PALLT 8 18 LE PARIS CHARPENTIER , LIBRAIRE-ÉDITEUR 28 , QUAL DE L'ÉCOLE 1866 Tous droits réservés ) ourréhadeL et nseryMEdisPejou MADEMOISELLE DE MAUPIN PRÉFACE Une des choses les plus burlesques de la glorieuse époque où nousavons le bonheur de vivre est incontestablement la réhabilitation de la vertu entreprise par tous les journaux, de quelque couleur qu'ils soient, rouges, verts ou tricolores . La vertu est assurément quelque chose de fort respectable, et nous n'avons pas envie de lui manquer, Dieu nous en pré serve ! la bonne et digne femme! Nous trouvons que ses yeux ont assez de brillant à travers leurs besicles, que son bas n'est pas trop mal tiré, qu'elle prend son tabac dans sa boîte d'or avec toute la grâce imaginable, que son petit chien fait la révérence comme un maître à danser . Nous trouvons tout cela . Nous conviendrons même que pour son âge elle n'est pas trop mal en point, et qu'elle porte ses années on ne peut mieux. C'est une grand mère très -agréable, mais c'est une grandmère... Il me semble naturel de lui préférer, surtout quand on a vingt ans, quelque petite immoralité bien pimpante, bien coquette, bien bonne fille, les cheveux un peu défrisés, la jupe plutôt courte que longue, le pied et l'oeil agaçants, la joue légèrement allumée, le rire à la bouche et le coeur sur la main . · Les journalistes les plus monstrueuse ment vertueux ne sauraient être d'un avis différent; et, s'ils disent le contraire, il est très -proballe qu'ils ne le pensent pas. Penser une chose, en écrire une autre, cela arrive tous les jours, surtout aux gens vertueux. Je me souviens des quolibets lancés avant la révolution - 2 MADEMOISELLE DE MAUPIN . > (c'est de celle de juillet que je parle) contre ce malheureux et virginal vicomte Sosthène de La Rochefoucauld qui allongea les robes des danseuses de l'Opéra , et appliqua de ses mains patriciennes un pudique emplâtre sur le milieu de toutes les statues . M. le vicomte Sosthène de La Rochefoucauld cst dépassé de bien loin . - La pudeur a été très-perfectionnée depuis ce temps, et l'on entre en des raffinements qu'il n'au rait pas imaginés. Moi qui n'ai pas l'habitude de regarder les statues à de cer tains endroits, je trouvais, comme les autres, la feuille de vigne, découpée par les ciseaux de M. le chargé des beaux arts, la chose la plus ridicule du monde. Il paraît que j'avais tort, et que la feuille de vigne est une institution des plus mé ritoires. On m'a dit, j'ai refusé d'y ajouter foi, tant cela me semblait singulier, qu'il existait des gens qui, devant la fresque du Jugement dernier de Michel-Ange, n'y avaient rien vụ autre chose que l'épisode des prélats libertins, et s'étaientvoilé la face en criant à l'abomination de la desolation ! Ces gens- là ne savent aussi de la romance de Rodrigue que le couplet de la couleuvre. S'il y a quelque nudité dans un tableau ou dans un livre, ils Y vont droit comme le porc à la fange, et ne s'inquiètent pas des fleurs épanouies ni des beaux fruits dorés qui pendent de toutes parts. J'avoue que je ne suis pas assez vertueux pour cela . Dorine, la soubrette effrontée, peut très- bien étaler devant moi sa gorge rebondie, certainement' je ne tirerai pas mon mouchoir de ma poche pour couvrir ce sein que l'on ne saurait voir. Je re garderai sa gorge comme sa figure, et, si elle l'a blanche et bien formée, j'y prendrai plaisir. — Mais je ne tâterai pas si la robe d'Elmire est moelleuse, et je ne la pousserai pas saintement sur le bord de la table, comme faisait ce pauvre homme de Tartuffe . Cette grande affectation de morale qui règne maintenant serait fort risible, si elle n'était fort ennuyeuse. Chaque leuilleton devient une chaire ; chaque journaliste, un prédica teur ; il n'y manque que la tonsure et le petit collet. Le temps est à la pluie et à l'homélie ;; on se défend de l'une et de l'autre en ne sortant qu'en voiture et en relisant Pantagruel entre sa boutcillc et sa pipe , - PRÉFACE, 3 - > - Mon doux Jésus! quel déchaînement ! quelle furie ! Qui vous a mordu ? qui vous a piqué ? que diable avez- vous donc pour crier si haut, et que vous a fait ce pauvre vice pour lui en tant vouloir, lui qui est si bon homme, si facile à vivre, et qui ne demande qu'à s'amuser lui-même et à ne pas ennuyer les autres, si faire se peut ? - Agissez avec le vice comme Serre avec le gendarme : embrassez-vous, et que tout cela finisse. Croyez -m'en , vous vous en trouverez bien . - Eh ! mon · Dieu ! messieurs les prédicateurs, que feriez -vous donc sans le vice ? Vous seriez réduits, des demain, à la mendicité, si l'on devenait vertueux aujourd'hui. Les théâtres seraient fermés ce soir. Sur quoi feriez - vous votre feuilleton ? Plus de bals de l'Opéra pour remplir vos colonnes, plus de romans à disséquer ; car bals, romans, comédies sont les vraies pompes de Satan, si l'on en croit notre sainte mère l'Église . L'actrice renverrait son entreteneur, et ne pourrait plus vous payer son éloge . -- On.ne s'abonnerait plus à vos journaux ; on lirait saint Augustin , on irait à l'église, on dirait son rosaire . Cela serait peut-être très-bien ; mais, à coup sûr, vous n'y gagneriez pas. Si l'on était vertueux, où placeriez- vous vos articles sur l'immoralité du siècle ? Vous voyez bien que le vice est bon à quelque chose. Mais c'est la mode maintenant d'être vertueux et chrétien, c'est une tournure qu'on se donnee ; on se pose en saint Jérôme comme autrefois en don Juan ; l'on est pâle et macéré, l'on porte les cheveux à l'apôtre, l'on marche les mains jointes et les yeuxfichés en terre ; on prend un petit air confit en per fection ; on a une Bible ouverte sur sa cheminée, un crucifix et du buis bénit à son lit ; l'on ne jure plus, l'on fume peu, et l'on chique à peine. — Alors on est chrétien, on parle de la sainteté de l'art, de la haute mission de l'artiste, de la poésie du catholicisme, de M. de Lamennais, des peintres de l'école angélique, du concile de Trente, de l'humanité progressive et de mille autres belles choses. Quelques-uns font infuser dans leur religion un peu de républicanisme ; ce ne sont pas les moins curieux. Ils accouplent Robespierre et Jésus- Christ de la façon la plus joviale, et amalgament avec un sérieux digne d'éloges les Actes des Apôtres et les décrets de la sainte convention, c'est l'épithète sacramentelle ; d'autres y ajoutent, pour dernier ingrédient, quelques idées saint- simoniennes. - C MADEMOISELLE DE MAUPIN . - Ceux-là sont complets et carrés par la base ; après eux, il faut tirer l'échelle. Il n'est pas donné au ridicule humain d'aller plus loin, — has ultra metas... , etc. Ce sont les colonnes d'Hercule du burlesque. Le christianismeest tellement en vogue par la tartuferie qui court, que le néo-christianisme lui-même jouit d'une certaine faveur. On dit qu'il compte jusqu'à un adepte, y compris M. Drouineau . Une variété extrêmement curieuse du journaliste proprement dit moral, c'est le journaliste à famille féminine. Celui- là pousse la susceptibilité pudique jusqu'à l'anthropo phagie, ou peu s'en faut. Sa manière de procéder, pour être simple et facile au pre mier coup d'ail, n'en est pas moins bouffonne et superlativé ment récréative, et je crois qu'elle vaut qu'on la conserve à la postérité, — à nos derniers neveux, comme disaient les perru ques du prétendu grand siècle . D'abord, pour se poser en journaliste de cette espèce, il faut quelques petits ustensiles préparatoires, - tels que deux ou trois femmes légitimes, quelques mères, le plus de sæurs pos sible, un assortiment de filles complet et des cousines innom brablement.-- Ensuite il faut une pièce de théâtre ou un roman quelconque, une plume, de l'encre, du papier et un impri meur. Il faudrait peut-être bien une idée et plusieurs abonnés ; mais on s'en passe avec beaucoup de philosophie et l'argent des actionnaires. Quand on a tout cela, l'on peut s'établir journaliste moral. Les deux recettes suivantes, convenablement variées, suffisent la rédaction . Modèles d'articles vertueux surtune première représentation . « Après la littérature de sang, la littérature de fange ; après la Morgue et le bagne, l'alcôve et le lupanar ; après les gue nilles tachées par le meurtre, les guenilles tachées par la dé bauche ; après, etc. ( selon le besoin et l'espace, on peut conti nuer sur ce ton depuis six lignes jusqu'à cinquante et au delà ), - c'est justice. -Voilà où mènent l'oubli des saines doctrines et le dévergondage romantique : le théâtre est devenu une -

PRÉFACE. 3 école de prostitution où l'on n'ose se hasarder qu'en tremblant avec une femme qu'on respecte. Vousvenez sur la foi d'un nom illustre, et vous êtes obligé de vous retirer au troisième acte avec votre jeune fille toute troublée et toute décontenancée. Votre femme cache sa rougeur derrière son éventail ; votre sæur, votre cousine, etc. » ( On peut diversifier les titres de parenté ; il suffit que ce soient des femelles.) Nota. — Il y en a un qui a poussé la moralité jusqu'à dire : Je n'irai pas voir ce drame avec ma maîtresse. Celui- là , je l'admire et je l'aime ; je le porte dans mon coeur, comme Louis XVIII portait toute la France dans le sien ; car il a eu l'idée la plus triomphante, la plus pyramidale, la plus ébou riffée, la plus luxorienne, qui soit tombée dans une cervelle d'homme, en ce benoît dix -neuvième siècle où il en est tombé tant et de si drôles . La méthode pour rendre compte d'un livre est très-expédi tive et à la portée de toutes les intelligences : « Si vous voulez lire ce livre, enfermez- vous soigneusement chez vous ; ne le laissez pas traîner sur la table. Si votre femme et votre fille venaient à l'ouvrir, elles seraient perdues. Ce livre est dangereux, ce livre conseille le vice. Il aurait peut- être eu un grand succès, au temps de Crébillon , dans les petites maisons, aux soupers fins des duchesses; mais mainte nant que les mours se sont épurées, maintenant que la main du peuple a fait crouler l'édifice vermoulu de l'aristocratie , etc. , etc. , que... que... que... — il faut, dans toute auvre, une idée, une idée ... là, une idée morale et religieuse qui ... une vue haute et profonde répondant aux besoins de l'humanité ; car il est déplorable que de jeunes écrivains sacrifient au succès les choses les plus saintes, et usent un talent, esti mable d'ailleurs , à des peintures lubriques qui feraient rougir des capitaines de dragons ( la virginité du capitaine de dra gons est, après la découverte de l'Amérique, la plus belle découverte que l'on ait faite depuis longtemps) . Le roman dont nous faisons la critique rappelle Thérèse philosophe, Félicia, le Compère Mathieu , les Contes de Grécourt. » — Le journaliste vertueux est d'une érudition immense en fait de romans orduriers ; –je serais curieux de savoir pourquoi. Il est effrayant de songer qu'il y a, de par les journaux, beau 1 . MADEMOISELLE DE MAUPIN . coup d'honnêtes industriels qui n'ont que ces deux recettes pour subsister, eux et la nombreuse famille qu'ils emploient. Apparemment que je suis le personnage le plus énormément immoral qui se puisse trouver en Europe et ailleurs ; car je ne vois rien de plus licencieux dans les romans et les comédies de maintenant que dans les romans et les comédies d'autrefois, et je ne comprends guère pourquoi les oreilles de messieurs des journaux sont devenues tout à coup si janseniquement chatouilleuses. Je ne pense pas que le journaliste le plus innocent ose dire que Pigault-Lebrun, Crébillon fils, Louvet, Voisenon, Mar montel et tous autres faiseurs de romans et de nouvelles nè dépassent en immoralité, puisque immoralité il y a, les pro ductions les plus échevelées et les plus dévergondées de MM. tels et tels, que je ne nomme pas par égard pour leur pu deur. Il faudrait la plus insigne mauvaise foi pour n'en pas con venir. Qu'on ne m'objecte pas que j'ai allégué ici des noms peu ou mal connus. Si je n'ai pas touché aux noms éclatants et mo numentaux, ce n'est pas qu'ils ne puissent appuyer mon asser tion de leur grande autorité . Les romans et les contes de Voltaire ne sont assurément pas, à la différence de mérite près, beaucoup plus suscepti bles d'être donnés en prix aux petites tartines des pensionnats que les contes immoraux de notre ami le lycanthrope, ou mêmeque les contes moraux du doucereux Marmontel. Que voit- on dans les comédies du grand Molière ? la sainte institution du mariage ( style de catéchisme et de journaliste) bafouée et tournée en ridicule à chaque scène. Le mari est vieux, laid et cacochyme ; il met sa perruque de travers ; son habit n'est plus à la mode ; il a une canne à bec -de-corbin , le nez barbouillé de tabac, les jambes courtes, l'abdomen gros comme un budget. Il bredouille et ne dit que des sottises, il en fait autant qu'il en dit ; il ne voit rien , il n'entend rien ; on embrasse sa femme à sa barbe, il ne sait pas de quoi il est question : cela dure ainsi jusqu'à ce qu'il soit bien et dûment constaté cocu à ses yeux et aux yeux de toute la salle on ne peut plus édifiée, et qui applaudit à tout : rompre PRÉFACE. 7 > Ceux qui applaudissent le plus sont ceux qui sont le plus mariés. Le mariage s'appelle, chez Molière, George Dandin ou Sga narelle . L'adultère, Damis ou Clitandre ; il n'y a pas de nom assez doucereux et charmant pour lui . L'adultère est toujours jeune, beau , bien fait et marquis pour le moins. Il entre en chantonnant à la cantonade la cou rante la plus nouvelle ; il fait un ou deux pas en scène de l'air le plus délibéré et le plus triomphant du monde ; il se gratte l'oreille avec l'ongle rose de son petit doigt coquettement écar quillé ; il peigne avec son peigne d'écaille sa belle chevelure blondine, et rajuste ses canons qui sont du grand volume. Son pourpoint et son haut- de - chausses disparaissent sous les aiguillettes et les næuds de ruban , son rabat est de la bonne faiseuse; ses gants flairent mieux que benjoin et civette ; ses plumes ont coûté un louis le brin. Comme son il est en feu et sa joue en fleur ! que sa bouche est souriante ! que ses dents sont blanches ! comme sa main est douce et bien lavée. Il parle, ce ne sont que madrigaux, galanteries parfumées en beau style précieux et du meilleur air ; il a lu les romans et sait la poésie, il est vaillant et prompt à dégainer, il sème l'or à pleines mains. – Aussi Angélique, Agnès, Isabelle se peuvent à peine tenir de lui sauter au cou, si bien élevées et si grandes dames qu'elles soient ; aussi le mari est - il réguliè rement trompé au cinquième acte, bien heureux quand ce n'est pas dès le premier. Voilà comme le mariage est traité par Molière, l'un des plus nauts et des plus graves génies qui jamais aient été . - Croit on qu'il Уy ait rien de plus fort dans les réquisitoires d'Indiana et de Valentine ? La paternité est encore moins respectée, s'il est possible. Voyez Orgon , voyez Géronte, voyez- les tous. Comme ils sont volés par leurs fils, battus par leurs valets ! Comme on met à nu, sans pitié pour leur âge, et leur avarice, ct leur entêtement, et leur imbécillité ! - Quelles plaisante ries : quelles mystifications! - Comme on les pousse par les épaules hors de la vie, ces pauvres vieux qui sont longs à mou rir , et qui ne veulent point donner leur argent ! comme on - MADEMOISELLE DE MAUPIN. - des gens - parle de l'éternité des parents! quels plaidoyers contre l'héré dité, et comme cela est plus convaincant que toutes les décla mations saint- simoniennes ! Un père, c'est un ogre, c'est un Argus, c'est un geôlier, un tyran ,quelque chose qui n'est bon tout au plus qu'à retarder un mariage pendant trois actes jusqu'à la reconnaissance finale. - Un père est le mari ridicule au grand complet. - Jamais un fils n'est ridicule dans Molière ; car Molière, comme tous les auteurs de tous les temps possibles, faisait sa cour à la jeune génération aux dépens de l'ancienne. Et les Scapins, avec leur cape rayée à la napolitaine, et leur bonnet sur l'oreille, et leur plume balayant les bandes d'air, ne sont- ils pas bien pieux, bien chastes et bien dignes d'être canonisés ? Les bagnes sont pleins d'honnêtes gens qui n'ont pas fait le quart de ce qu'ils font. Les roueries de Trialph sont de pauvres roueries en comparaison des leurs. Et les Lisettes, et les Martons, quelles gaillardes, tudieu ! — Les courtisanes des rues sont loin d'être aussi délurées, aussi promptes à la riposte grivoise. Comme elles s'entendent à re mettre un billet ! comme elles font bien la garde pendant les rendez -vous! - Ce sont, sur ma parole, de précieuses filles, serviables et de bon conseil . C'est une charmante société qui s'agite et se promène à tra vers ces comédies et ces imbroglios. Tuteurs dupés, maris cocus, suivantes libertines, valets aigrefins, demoiselles folles d'amour, fils débauchés, femmes adultères; cela ne vaut- il pas bien les jeunes beauxmélancoliques et les pauvres faibles femmes opprimées et passionnées des drames et des romans de nos faiseurs en vogue ? Et tout cela, moins le coup de dague final, moins la tasse de poison obligée, les dénoûments sont aussi heureux que les dénoûments des contes de fées, et tout le monde, jusqu'au mari, est on ne peut plus satisfait. Dans Molière, la vertu est toujours honnie et rossée ; c'est elle qui porte les cornes et tend le dos à Mascarille ; à peine si la moralité apparaît une fois à la fin de la pièce sous la personnification un peu bourgeoise de l'exempt Loyal. Tout ce que nous venons de dire ici n'est pas pour écorner le piédestal de Molière ; nous ne sommes pas assez fou pour aller secouer ce colosse de bronze avec nos petits bras ; nous . 1 > PRÉFACE. voulions simplement démontrer aux pieux feuilletonistes, qu'effarouchent les ouvrages nouveaux et romantiques, que les classiques anciens, dont ils recommandent chaque jour la lecture et l'imitation , les surpassent de beaucoup en gaillar dise et en immoralité. A Molière nous pourrions aisément joindre et Marivaux et La Fontaine, ces deux expressions si opposées de l'esprit français, et Regnier, et Rabelais, et Marot, et bien d'autres. Mais notre intention n'est pas de faire ici , à propos de morale, un cours de littérature à l'usage des vierges du feuilleton . Il me semble que l'on ne devrait pas faire tant de tapage à propos de si peu. Nous ne sommes heureusement plus au temps d'Ève la blonde, et nous ne pouvons, en bonne con science, être aussi primitifs et aussi patriarcaux que l'on était dans l'arche. Nous ne sommes pas des petites filles se préparant à leur première communion ; et, quand nous jouons au cor billon, nous ne répondons pas tarte à la crème . Notre naïveté est assez passablement savante, et il y a longtemps que notre virginité court la ville ; ce sont là de ces choses que l'on n'a pas deux fois, et, quoi que nous fassions, nous ne pouvons les rattraper, car il n'y a rien au monde qui coure plus vite qu'une virginité qui s'en va et qu'une illusion qui s'envole . Après tout, il n'y a peut-être pas grand mal, et la science de toutes choses est- elle préférable à l'ignorance de toutes choses. C'est une question que je laisse à débattre à de plus savants que moi. Toujours est-il que le monde a passé l'âge où l'on peut jouer la modestie et la pudeur , et je le crois trop vieux barbon pour faire l'enfantin et le virginal sans se rendre ridicule. Depuis son hymen avec la civilisation, la société a perdu le droit d'être ingénue et pudibonde. Il est de certaines rougeurs qui sont encore de mise au coucher de la mariée, et qui ne peuvent plus servir le lendemain ; car la jeune femme ne se souvient peut-être plus de la jeune fille, ou, si elle s'en sou vient, c'est une chose très-indécente, et qui compromet gra vement la réputation du mari. Quand je lis par hasard un de ces beaux sermons qui ont remplacé dans les feuilles publiques la critique littéraire, il me prend quelquefois de grands remords et de grandez ap préhensions, à moi qui ai sur la conscience quelques menues MADEMOISELLE DE MAUPIN. gaudrioles un peu trop fortement épicées, comme un jeune homme qui a du feu et de l'entrain peut en avoir à se re procher. A côté de ces Bossuets du Café de Paris, de ces Bourdaloucs du balcon de l'Opéra, de ces Catons à tant la ligne, qui gour mandent le siècle d'une si belle façon , je me trouve en effet le plus épouvantable scélérat qui ait jamais souillé la face de la terre; et pourtant, Dieu le sait, la nomenclature de mes pécnes, tant capitaux que véniels, avec les blancs et interlignes de rigueur, pourrait à peine, entre les mains du plus habile à Jihraire, former un ou deux volumes in- 8° par jour, ce qui est peu de chose pour quelqu'un qui n'a pas la prétention d'aller en paradis dans l'autre monde, et de gagner le prix Monthyon ou d'être rosière en celui-ci . Puis , quand je pense que j'ai rencontré sous la table, et même ailleurs, un assez grand nombre de ces dragons de vertu, je re viens à une meilleure opinion de moi-même, et j'estime qu'avec tous les défauts que je puisse avoir, ils en ont un autre qui est bien, છેà mes yeux, le plus grand et le pire de tous : — c'est l'hy pocrisie que je veux dire . En cherchant hien, on trouverait peut- être un autre petit vice à ajouter ; mais celui-ci est tellement hideux, qu'en vérité je n'ose presque pas le nommer. Approchez-vous, et je m'en vais vous couler son nom dans l'oreille : c'est l'envie . L'envie, et pas autre chose. C'est elle qui s'en va rampant et serpentant à travers toutes ces paternes homélies : quelque soin qu'elle prenne de se ca cher, on voit briller de temps en temps, au - dessus des méta phores et des figures de rhétorique, sa petite tête plate de vipère ; on la surprend à lécher de sa langue fourchue ses lèvres toutes bleues de venin, on l'entend sifflotter tout doucettement à l'om bre d'une épithète insidieuse. Je sais bien que c'est une insupportable fatuité de prétendre qu'on vous envie, et que cela est presque aussi nauséabond qu’un merveilleux qui se vante d'une bonne fortune. — Je n'ai pas la forfanterie de me croire des ennemis et des envicux ; c'est un bonheur qui n'est pas donné à tout le monde, et je ne l'aurai probablement pas de longtemps : aussi je parlerai libre ment et sans arrière- pensée, comme quelqu'un de très -désinje téressé dans cette question . . > PRÉFACE. 11 Une chose certaine et facile à démontrer à ceux qui pour raient en douter, c'est l'antipathie naturelle du critique contre le poëte, —de celui qui ne fait rien contre celui qui fait, du frelon contre l'abeille, du cheval hongre contre l'étalon . Vous ne vous faites critique qu'après qu'il est bien constaté à vos propres yeux que vous ne pouvez être poëte . Avant de vous réduire au triste rôle de garder les manteaux et de noter les coups comme un garçon de billard ou un valet de jeu de paume, vous avez longtemps courtisé la Muse, vous avez es sayé de la dévirginer ;; mais vous n'avez pas assez de vigueur pour cela ; l'haleine vous a manqué, et vous êtes retombé pâle et efflanqué au pied de la sainte montagne. Je conçois cette haine. Il est douloureux de voir un autre s'asseoir au banquet où l'on n'est pas invité, et coucher avec la femme qui n'a pas voulu de vous. Je plains de tout mon cæur le pauvre eunuque obligé d'assister aux ébats du Grand Seigneur. Il est admis dans les profondeurs les plus secrètes de l'Oda ; il mène les sultanes au bain ; il voit luire sous l'eau d'argent des grands réservoirs ces beaux corps tout ruisselants de perles et plus polis que des agates; les beautés les plus cachées lui apparaissent sans voiles . · On ne se gêne pas devant lui . C'est un eunuque. Le sultan caresse sa favorite en sa pré sence , et la baise sur sa bouche de grenade. En vérité, c'est ane bien fausse situation que la sienne, et il doit être bien embarrassé de sa contenance. Il en est de même pour le critique qui voit le poëte se pro mener dans le jardin de poésie avec ses neuf belles odalisques, et s’ébattre paresseusement à l'ombre de grands lauriers verts. Il est bien difficile qu'il ne ramasse pas les pierres du grand chernin pour les lui jeter et le blesser derrière son mur, s'il est assez adroit pour cela. Le critique qui n'a rien produit est un lâche ; c'est comme un abbé qui courtise la femme d'un laïque : celui -ci ne peut lui rendre la pareille ni se battre avec lui . Je crois que ce serait une histoire au moins aussi curieuse que celle de Teglath- Phalasar ou de Gemmagog qui inventa les souliers à poulaine, que l'histoire des différentes manières de déprécier un ouvrage quelconque depuis un mois jusqu'à nos jours. 1 12 MADEMOISELLE DE MAUPIN . Il y a assez de matières pour quinze ou seize volumes in folio ; mais nous aurons pitié du lecteur, et nous nous borne rons a quelques lignes , –- bienfait pour lequel nous deman .dons une reconnaissance plus qu'éternelle . — A une époque très-reculée, qui se perd dans la nuit des âges, il y a bien tantôt trois semaines de cela, le roman moyen âge florissait principalement à Paris et dans la banlieue. La cotte armoriée était en grand honneur ; on ne méprisait pas les coiffures à la Hennin, on estimait fort le pantalon mi-parti ; la dague était hors de prix ; le soulier à poulaine était adoré comme un féti che. — Ce n'étaient qu'ogives, tourelles, colonnettes, verrières coloriées, cathédrales et châteaux forts ; — ce n'étaient que da moiselles et damoiseaux, pages et varlets, truands et soudards, galants chevaliers et châtelains féroces ; toutes choses cer tainement plus innocentes que les jeux innocents, et qui ne faisaient de mal à personne. Le critique n'avait pas attendu au second roman pour com mencer son ouvre de dépréciation ; dès le premier qui avait paru , il s'était enveloppé de son cilice de poil de chameau, et s'était répandu un boisseau de cendre sur la tête ; puis, pre nant są, grande voix dolente, il s'était mis à crier : - Encore du moyen âge, toujours du moyen âge! qui me délivrera du moyen âge, de ce moyen âge qui n'est pas le moyen âge ? Moyen âge de carton et de terre cuite qui n'a du moyen âge que le nom. Oh ! les barons de fer, dans leur armure de fer, avec leur ræur de fer, dans leur poitrine de fer ! - Oh ! les cathédrales avec leurs rosaces toujours épa nouies et leurs verrières en fleurs, avec leurs dentelles de gra nit, avec leurs trèfles découpés à jour, leurs pignons tailladés en scie, avec leur chasuble de pierre brodée comme un voile de mariée, avec leurs cierges, avec leurs chants, avec leurs prêtres étincelants, avec leur peuple à genoux, avec leur or gue qui bourdonne et leurs anges planant et battant de l'aile sous les voûtes ! -comme ils m'ont gâté mon moyen âge, mon moyen âge si fin et si coloré ! comme ils l'ont fait disparaître sous une couche de grossier badigeon ! quelles criardes enlu minures ! — Ah ! barbouilleurs ignorants, qui croyez avoir fait de la couleur pour avoir plaqué rouge sur bleu, blanc sur noir et vert sur jaune, vous n'avez vu dư moyen âge que l'écorce, vous n'avez pas deviné l'âme du moyen âge, le sang ne circule - و PRÉFACE , 1.3 pas dans la - peau dont vous revêtez vos fantômes, il n'y a pas de cæur dans vos corselets d'acier, il n'y a pas de jambes dans vos pantalons de tricot, pas de ventre ni de gorge derrière vos ju pes armoriées ; ce sont des habits qui ont la forme d'hommes, et voilà tout. Donc , à bas le moyen âgé tel que nous l'ont fait les faiseurs (le grand mot est lâché ! les faiseurs )! Le moyen âge ne répond à rien maintenant, nous voulons autre chose. Et le public, voyant que les feuilletonistes aboyaient au moyen âge, se prit d'une belle passion pour ce pauvre moyen âge qu'ils prétendaient avoir tué du coup. Le moyen âge en vahit tout, aidé par l'empêchement des journaux : -- drames, mélodrames, romances, nouvelles, poésies, il y eut jusqu'à des vaudevilles moyen âge, et Momus répéta des flonflons féodaux . A côté du roman moyen âge verdissait le roman-charogne, genre de roman très -agréable, et dont les petites-maîtresses nerveuses et les cuisinières blasées faisaient une très- grande consommation . Les feuilletonistes sont bien vite arrivés à l'odeur comme des corbeaux à la curée, et ils ont dépecé du bec de leurs plu mes et méchamment mis à mort ce pauvre genre de roman qui ne demandait qu'à prospérer et à se putrefier paisitlement sur les rayons graisseux des cabinets de lecture . Que n'ont-ils pas dit ? que n'ont-ils pas écrit ? -Littérature de morgue ou de bagne, cauchemar de bourreau, hallucination de boucher ivre et d'argousin qui'a la fièvre chaude ! Us donnaient béni gnement à entendre que les auteurs étaient des assassins et des vampires, qu'ils avaient contracté la vicieuse habitude de tuer leur père et leur mère, qu'ils buvaient du sang dans des crânes, qu'ils se servaient de tibias pour fourchette et cou paient leur pain avec une guillotine . Et pourtant ils savaient mieux que personne, pour avoir souvent déjeuné avec eux, que les auteurs de ces charmantes tueries étaient de braves fils de famille, très -débonnaires et de bonne société, gantés de blanc, fashionablement myopes, se nourrissant plus volontiers de beefsteack que de côtelettes d'homme, et buvant plus habituellement du vin de Bordeaux que du sang de jeune fille ou d'enfant nouveau -né. Pour avoir vu et touché leurs inanuscrits, ils savaient parfaitement qu'ils étaient écrits avec de l'encre de la grande vertu , sur du MADEMOISELLE DE MAUPIN . - papier anglais, et non avec sang de guillotine sur peau de chré tien écorché vif. Mais, quoi qu'ils dissent ou qu'ils fissent, le siècle était à la charogne, et le charnier lui plaisait mieux que le boudoir ; le lecteur ne se prenait qu'à un hameçon amorcé d'un petit cada vre déjà bleuissant . Chose très -concevable ; mettez une rose au bout de votre ligne, les araignées auront le temps de faire leur toile dans le pli de votre coude, vous ne prendrez pas le moindre petit fretin ; accrochez- y un ver ou un morceau de vieux fromage, carpes, barbillons, perches, anguilles, saute ront a trois pieds hors de l'eau pour le happer. - Les hommes ne sont pas aussi différents des poissons qu'on a l'air de le croire généralement. On aurait dit que les journalistes étaient devenus quakers, brah mes, ou pythagoriciens, ou taureaux, tant il leur avait pris une subite horreur du rouge et du sang. - Jamais on ne les avait vus si fondants, si émollients ; - c'était de la crème et du petit.Jait. -Ils n'admettaient que deux couleurs, le bleu de cielou le vert pomme. Le rose n'était que souffert, et, si le public les eût laissés faire, ils l’eussent mené paître des épinards sur les rives du Li gnon, côte à côte avec les moutons d’Amaryllis. Ils avaient changé leur frac noir contre la veste tourterelle de Céladon ou de Silvandre, et entouré leurs plumes d'oie de roses pompon et de faveurs en manière de houlette pastorale. Ils laissaient flot ter leurs cheveux à l'enfant, et s'étaient fait des virginités d'a près la recette de Marion Delorme, à quoi ils avaient aussi bien réussi qu'elle. Ils appliquaient à la littérature l'article du Décalogue : Homicide point ne seras .. On ne pouvait plus se permettre le plus petit meurtre dra matique, et le cinquième acte était devenu impossible. Ils trouvaient le poignard exorbitant, le poison monstrueux , la nache inqualifiable. Ils auraient voulu que les Féros drama tiques vécussent jusqu'à l'âge de Melchisedech ; et cependant il est reconnu, depuis un temps immémorial, que le but de toute tragédie est de faire assommer à la dernière scènc un pauvre liable de grand homme qui n'en peut mais, comme le but de toute comédie est de conjoindre matrimonialement deux imbé cilcs de jeunes premiers d'environ soixante ans chacun. و PRÉFACE. - C'est vers ce temps que j'ai jeté au feu ( après en avoir tiré un double, ainsi que cela se fait toujours) deux superbes et magni fiques drames moyen âge, l'un en vers et l'autre en prose, dont les héros étaient écartelés et bouillis en plein théâtre, ce qui cût été très-jovial et assez inédit. Pour me conformer à leurs idées , j'ai composé depuis une tragédie antique en cinq actes, nommée Héliogabale, dont le héros se jette dans les latrines, situation extrêmement neuve et qui a l'avantage d'amener une décoration non encore vue au théâtre. - J'ai fait aussi un drame moderne extrêmement su périeur à Antony, Arthur ou l'Homme fatal, où l'idée provi dentielle arrive sous la forme d'un pâté de foie gras de Stras bourg, que le héros mange jusqu'àla dernière miette après avoir consommé plusieurs viols, ce qui, joint à ses remords, lui donne une abominable indigestion dont il meurt. —Finmorale s'il en fut, qui prouve que Dieu est juste et que le vice est toujours puni et la vertu récompensée. Quant au genre monstre, vous savez comme ils l'ont traité, comme ils ont arrangé Han d'Islande, ce mangeur d'hommes, Habibrah l'obi, Quasimodo le sonneur , et Triboulet , qui n'est que bossu,, — toute cette famille si étrangement fourmillante, - toutes ces crapauderies gigantesques que mon cher voisin fait grouiller et sauteler à travers les forêts vierges et les ca thédrales de ses romans. Ni les grands traits à la Michel-Ange, ni les curiosités dignes de Callot, ni les effets d'ombre et de clair à la façon de Goya, rien n'a pu trouver grâce devant eux , ils l'ont renvoyé à ses odes, quand il a fait des romans ; à ses ro છે mans, quand il a fait des drames : tactique ordinaire des jour nalistes qui aiment toujoursmieux ce qu'on a fait que ce qu'on fait. Heureux homme, toutefois, que celui qui est reconnu su périeur même par les feuilletonistes dans tous ses ouvrages, excepté , bien entendu, celui dont ils rendent compte, et qui n'au rait qu'à écrire un traité de théologie ou un manuel de cuisine pour faire trouver son théâtre admirable ! Pour le roman de cæur, le roman ardent et passionné, qui a pour père Werther l'Allemand, et pour mère Manon Lescaut la . Française, nous avons touché, au commencement de cette pré face, quelques mots de la teigne morale qui s'y est désespéré ment attachée sous prétexte de religion et de bonnes mæurs. Les poux critiques sont comme les poux de corps qui abandon 36 MADEMOISELLE DE MAUPIN . - nent les cadavres pour aller aux vivants. Du cadavre du roman moyen âge les critiques sont passés au corps de celui-ci, qui a la peau dure et vivace et leur pourrait bien ébrécher les dents . Nous pensons, malgré tout le respect que nous avons pour les modernes apôtres, que les auteurs de ces romans appelés immoraux, sans être aussi mariés que les journalistes ver tueux, ont assez généralement une mère, et que plusieurs d'entre eux ont des sæurs et sont pourvus d'une abondante fa mille féminine; mais leurs mères et leurs seurs ne lisent pas de romans, même de romansimmoraux ; elles cousent, brodent et s'occupent des choses de la maison. Leurs bas, comme dirait M. Planard, sont urs d'uneentière blancheur; vous les pouvez regarder aux jarnbes, elles ne sont pas bleues, et le bonhomme Chrysale, lui qui haïssait tant les femmes savantes, les proposerait pour exemple à la docte Philaminte. Quant aux épouses de ces messieurs, puisqu'ils en ont tant, si virginaux que soient leurs maris, il me semble, à moi, qu'il est de certaines choses qu'elles doivent savoir . - Au fait, il se peut bien qu'ils ne leur aient rien montré. Alors je com prends qu'ils tiennent à les maintenir dans cette précieuse et benoîte ignorance. Dieu est grand et Mahomet est son pro phète ! Les femmes sont curieuses ; fassent le ciel et la mo rale qu'elles contentent leur curiosité d'une manière plus légi time qu'Ève, leur grandmère, et n'aillent pas faire des questions au serpent ! Pour leurs filles, si elles ont été en pension , je ne vois pas ce que ces livres pourraient leur apprendre. Il est aussi absurde de dire qu'un homme est un ivrogne parce qu'il décrit une orgie, un débauché parce qu'il raconte une débauche, que de prétendre qu'un homme est vertueux parce qu'il a fait un livre de morale ; tous les jours on voit le contraire . — C'est le personnage qui parle et non l'auteur ; son héros est athée, cela ne veut pas dire qu'il soit athée ; il fait agir et parler les brigands en brigands, il n'est pas pour cela un brigand. A ce compte, il faudrait guillotiner Shakes peare, Corneille et tous les tragiques ; ils ont plus commis de meurtres que Mandr'in et Cartouche : on ne l'a pas fait cepen dant, et je ne ciois même pas qu'on le fasse de longtemps, si vertueuse et si morale que puisse devenir la critique . C'est une des manies de ces petits grimauds à cervelle étroite, que PRÉFACE . 17 et qui 9 - . - de substituer toujours l'auteur à l'ouvrage et de recourir à la personnalité, pour donner quelque pauvre intérêt de scandale à leurs misérables rapsodies, qu'ils savent bien que personne ne lirait si elles ne contenaient que leur opinion individuelle. Nous ne concevons guère à quoi tendent toutes ces criaille ries, à quoi bon toutes ces colères et tous ces abois, . pousse messieurs les Geoffroy au petit pied à se faire les don Quichotte de la morale, et, vrais sergents de ville littéraires, à empoigner et à bâtonner, au nom de la vertu, toute idée qui se promène dans un livre la cornette posée de travers ou la jupe troussée un peu trop haut. C'est fort singulier. L'époque, quoi qu'ils en disent, est immorale ( si ce mot- là signifie quelque chose, ce dont nous doutons fort), et nous n'en voulons pas d'autre preuve que la quantité de livres immoraux qu'elle produit et le succès qu'ils ont. Les livres suivent les meurs et les meurs ne suivent pas les livres. La Régence a fait Crébillon, ce n'est pas Crébillon quia fait la Ré gence. Les petites bergères de Boucher étaient fardées et dé braillées, parce que les petites marquises étaient fardées et dé braillées. Les tableaux se ſont d'après les modèles et non les modèles d'après les tableaux. Je ne sais qui a dit je ne sais où que la littérature et les arts influaient sur les meurs. Qui que ce soit, c'est indubitablement un grand sot . C'est comme si l'on disait : Les petits pois font pousser le printemps; les pe tits pois poussent au contraire parce que c'est le printemps, et les cerises parce que c'est l'été . Les arbres portent les fruits, et ce ne sont pas les fruits qui portent les arbres assurément, loi éternelle et invariable dans sa variété ; les siècles se succè dent, et chacun porte son fruit qui n'est pas celui du siècle précédent ; les livres sont les fruits des mæurs. A côté des journalistes moraux , sous cette pluie d'homélies comme sous une pluie d'été dans quelque parc, il a surgi, entre les planches du tréteau saint-simonien , une théorie de petits champignons d'une nouvelle espèce assez curieuse, dont nous allons faire l'histoire naturelle . Ce sont les critiques utilitaires.Pauvres gens qui avaient le néz court à ne le pouvoir chausser de lunettes, et cependant n'y voyaient pas aussi loin que leur nez . Quand un auteur jetait sur leur bureau un volume quelcon que, roman ou poésie, ces messieurs se renversaient non 2 . 18 MADEMOISELLE DE MAUPIN . - chalamment sur leur fauteuil, le mettaient en équilibre sur ses pieds de derrière, et, se balançant d'un air capable, ils se ren gorgeaient et disaient : - A quoi sert ce livre ? Comment peut-on l'appliquer à la moralisation et au bien-être de la classe la plus nombreuse et la plus pauvre ? Quoi ! pas un mot des besoins de la société, rien de civilisant et de progressif ! Comment, au lieu de faire la grande synthèse de l'humanité, et de suivre, à travers les événements de l'histoire, les phases de l'idée régénératrice et providentielle, peut-on faire des poésies et des romans qui ne mènent à rien, et qui ne font pas avancer la génération dans le chemin de l'avenir? Comment peut-on s'occuper de la forme, du style, de la rime, en présence de si graves intérêts ? -Que nous font, à nous, et le style et la rime, et la forme ? c'est bien de cela qu'il s'agit (pauvres renards, ils sont trop verts )! - La société souffre, elle est en proie à un grand déchirement inté rieur (traduisez : personne ne veut s'abonner aux journaux utiles ) . C'est au poëte à chercher la cause de ce malaise et à le guérir. Le moyen, il le trouvera en sympathisant de ceur et d'âme avec l'humanité ( des poëtes philanthropes ! ce serait quelque chose de rare et de charmant) . Ce poëte, nous l'atten dons, nous l'appelons de tous nos veux . Quand il paraîtra , à lui les acclamations de la foule, à lui les palmes, à lui les cou ronnes, à lui le Prytanée ... A la bonne heure ; mais, comme nous souhaitons que notre lecteur se tiennė éveillé jusqu'à la fin de cette bienheureuse préface, nous ne continuerons pas cette imitation très - fidèle du style utilitaire, qui, de sa nature, est passablement soporifique, et pourrait remplacer, avec avantage, le laudanum et les disa cours d'académie . Non, imbéciles, non, crétins et goîtreux que vous êtes, un livre ne fait pas de la soupe à la gélatine ; un roman n'est pas une paire de bottes sans couture ; un sonnet, une seringue à jet continu ; un drame n'est pas un chemin de fer , toutes cho ses essentiellement civilisantes, et faisant marcher l'humanité dans la voie du progrès. De par les boyaux de tous les papes passés , présents et futurs, non et deux cent mille fois non. On ne se fait pas un bonnet de coton d'une métonymie, on ne chausse pas une comparaison en guise de pantoufle ; on ne PRÉFACE. 19 - se peut servir d'une antithèse pour parapluie ; malheureuse ment, on ne saurait se plaquer sur le ventre quelques rimes bariolées en manière de gilet. J'ai la conviction intime qu'une ode est un vêtement trop léger pour l'hiver, et qu'on ne serait pas mieux habillé avec la strophe, l'antistrophe et l'épode , que cette femme du cynique qui se contentait de sa seule vertu pour chemise, et allait nue comme la main, à ce que raconte l'histoire. Cependant le célèbre M. de La Calprenède eut une fois un habit, et, comme on lui demandait quelle étoffe c'était , il ré pondit : Du Silvandre. · Sitvandre était une pièce qu'il venait de faire représenter avec succès. De pareils raisonnements font hausser les épaules par -des sus la tête, et plus haut que le duc de Glocester . Des gens qui ont la prétention d'être des économistes, et qui veulent rebâtir la société de fond en comble, avancent sérieu sement de semblables billevesées . Un roman a deux utilités : l'une matérielle, l'autre spi rituelle, si l'on peut se servir d'une pareille expression à l'en droit d'un roman . - L'utilité matérielle, ce sont d'abord les quelques mille francs qui entrent dans la poche de l'auteur, et le lestent de façon que le diable ou le vent ne l'emportent ; pour le libraire, c'est un beau cheval de race qui piaſie et saute avec son cabriolet d'ébène et d'acier, comme dit Figaro ; pour le marchand de papier, une usine de plus sur un ruisseau quel conque, et souvent le moyen de gâter un beau site ; pour les imprimeurs, quelques tonnes de bois de campêche, pour se mettre hebdomadairement le gosier en couleur ; pour le cabi net de lecture, des tas de gros sous très-prolétairement vert-de grisés, et une quantité de graisse, qui, si elle était convenable ment recueillie et utilisée, rendrait superflue la pêche de la baleine. — L'utilité spirituelle est que, pendant qu'on lit des romans, on dort, et on ne lit pas dejournaux utiles, vertueux et progressifs, ou telles autres drogues indigestes et abrutissantes. Qu'on dise après cela que les romans ne contribuent pas à la civilisation . Je ne parlerai pas des débitants de tabac, des épiciers et des marchands de pommes de terre frites, qui ont un intérêt très- grand dans cette branche de littérature, le papier qu'elle emploie étant, en général, de qualité supérieure à celui des journaux. > - 80 MADEMOISELLE DE MAUPIN . · - En vérité , il y a de quoi rire d'un pied en carré, en enten dant disserter messieurs les utilitaires républicains où saint sinoniens. Je voudrais bien savoir d'abord ce que veut dire précisément ce grand flandrin de substantif dont ils truffent quotidiennement le vide de leurs colonnes, et qui leur sert de schiboleth et de terme sacramentel. — Utilité : quel est ce mot, et à quoi s'applique-t-il ? Il y a deux sortesd'utilité , et le sens de ce vocable n'est jamais que relatif. Cequiestutile pour l'un nel'est pas pour l'autre. Vous êtes savetier, je suis poëte. —Il est utile pour moi que mon pre mier vers rime avec mon second . — Un dictionnaire de rimes m'est d'une grande utilité ; vous n'en avez que faire pour carreler une vieille paire de bottes, et il est juste de dire qu'un tranchet ne me servirait pas à grand’chose pour faire une ode. — Après cela, vous objecterez qu'un savetier est bien au -dessus d'un poëte, et que l'on se passe mieux de l'un que de l'autre . Sans prétendre rabaisser l'illustre profession de savetier, que j'ho nore à l'égal de la profession de monarque constitutionnel, j'a vouerai humblement que j'aimerais mieux avoir mon soulic? décousu que mon vers mal rimé, et que je me passerais plus von lontiers de bottes que de poëmes. Ne sortant presque jamais et marchant plus habilement par la tête que par les pieds, j'use moins de chaussures qu’un républicain vertueux qui ne fait que courir d'un ministère à l'autre pour se faire jeter quelque place. Je sais qu'il y en a qui préfèrent les moulins aux églises, et le pain du corps à celui de l'âme. A ceux-là, je n'ai rien à leur dire . Ils méritent d'être économistes dans ce monde, et aussi dans l'autre . Y a - t - il quelque chose d'absolument utile sur cette terre et dans cette vie où nous sommes ? D'abord, il est très-peu utile que nous soyons sur terre et que nous vivions . Je défie le plus savant de la bande de dire à quoi nous servons, si ce n'est à no pas nous abonner au Constitutionnel ni à aucune espèce de journal quelconque. Ensuite, l'utilité de notre existence admise à priori, quelles sont les choses réellement utiles pour la soutenir ? De la soupe et un morceau de viande deux fois par jour, c'est tout ce qu'il faut pour se remplir le ventre, dans la stricte acception du mot. L'homme, à qui un cercueil de deux pieds de large sur six de long suffit et au delà après sa mort, n'a pas besoin dans sa vie PRÉFACE. > . de beaucoup plus de place. Un cube creux de sept à huit pieds dans tous les sens, avec un trou pour respirer, une seule alvéole de la ruche, il n'en faut pas plus pour le loger et empêcher qu'il ne lui pleuve sur le dos . Une couverture, roulée convena blement autour du corps, le défendra aussi bien et mieux con tre le froid que le frac de Staub le plus élégant et le mieux coupé . Avec cela, il pourra subsister à la lettre . On dit bien qu'on peut vivre avec 25 sous par jour ; mais s'empêcher de mourir, ce n'est pas vivre; et je ne vois pas en quoi une ville organisée utilitairement serait plus agréable à habiter que le Père - la Chaise. Rien de ce qui est beau n'est indispensable à la vie . - On supprimerait les fleurs, le monde n'en souffrirait pas maté riellement; qui voudrait cependant qu'il n'y eût plus de fleurs ? Je renoncerais plutôt aux pommes de terre qu'aux roses, et je crois qu'il n'y a qu'un utilitaire au monde capable d'arracher une plate-bande de tulipes pour y planter des choux. A quoi sert la beauté des femmes ? Pourvu qu'une femme soit médicalement bien conformée, en état de faire des enfants, elle sera toujours assez bonne pour des économistes. A quoi bon la musique ? à quoi bon la peinture ? Qui aurait " la folie de préférer Mozart à M. Carrel, et Michel -Ange à l'in venteur de la moutarde blanche? Il n'y a de vraiment beau que ce qui ne peut servir à rien ; tout ce qui est utile est laid, car c'est l'expression de quelque besoin, et ceux de l'homme sont ignobles et dégoûtants,comme sa pauvre et infirme nature. - L'endroit le plus utile d'une maison, ce sont les latrines . Moi, n'en déplaise à ces messieurs, je suis de ceux pour qui le superflu est le nécessaire, - et j'aime mieuxles choses et les gens en raison inverse des services qu'ils me rendent. Je pré fère à certain vase qui me sert un vase chinois, semé de dra gons et de mandarins, qui ne me sert pas du tout, et celui de mes talents que j'estime le plus est de ne pas deviner les logo griphes et les charades. Je renoncerais très- joyeusement à mes droits de Français et de citoyen pour voir un tableau authenti que de Raphaël, ou une belle femme nue : la princesse Borghèse, par exemple, quand elle a posé pour Canova, ou la Julia Grisi quand elle entre au bain . Je consentirais très - 22 MADEMOISELLE DE MAUPIN . volontiers, pour ma part, au retour de cet anthropophage de Charles X, s'il me rapportait, de son château de Bohême, un panier de Tokay ou de Johannisberg, et je trouverais les lois électorales assez larges, si quelques rues l’étaient plus, et d'autres choses moins . Quoique je ne sois pas né dilettante , j'aime mieux le bruit des crincrins et des tambours de basque que celui de la sonnette de M. le président. Je vendrais ma culotte pour avoir une bague, et mon pain pour avoir des con fitures. - L'occupation la plus séante à un homme police me paraît de ne rien faire, ou de fumer analytiquement sa pipe ou son cigare . J'estime aussi beaucoup ceux qui jouent aux quilles, et aussi ceux qui font bien les vers. Vous voyez que les principes utilitaires sont bien loin d'être les miens, et que je ne serai jamais rédacteur dans un journal vertueux, à moins que je ne me convertisse , ce qui serait assez drôlatique. Au lieu de faire un prix Monthyon pour la récompense de la vertu, j'aimerais mieux donner, comme Sardanapale, ce grand philosophe que l'on a si mal compris, une forte prime à celui qui inventerait un nouveau plaisir; car la jouissance me paraît le but de la vie, et la seule chose utile au monde. Dieu l'a voulu ainsi, lui qui a fait les femmes, les parfums, la lumière, les belles fleurs, les bons vins, les chevaux fringants, les levrettes et les chats angoras ; lui qui n'a pas dit à ses anges : Ayez de la vertu, mais : Ayez de l'amour , et qui nous a donné une bouche plus sensible que le reste de la peau pour embrasser les femmes, des yeux levés en haut pour voir la lumière, un odorat subtil pour respirer l'âme des fleurs, des cuisses nerveuses pour serrer les flancs des étalons, et voler aussi vite que la pensée sans chemin de fer ni chaudière à vapeur, des mains délicates pour les passer sur la tête longue des levrettes, sur le dos velouté des chats, et sur l'épaule polie des créatures peu vertueuses, et qui, enfin , n'a accordé qu'à nous seuls ce triple et glorieux privilége de boire sans avoir soif, de battre le briquet, et de faire l'amour en toutes saisons, ce qui nous distingue de la brute beaucoup plus que l'usage de lire des journaux et de fabriquer des chartes . Mon Dieu ! que c'est une sotte chose que cette prétendue perfectibilité du genre humain dont on nous rebat les oreilles ! On dirait en vérité que l'homme est une machine susceptible d'améliorations, et qu'un rouage mieux engrené, un contre PRÉFACE . 23 poids plus convenablement placé, peuvent faire fonctionner d'une manière plus commode et plus facile. Quand on sera parvenu à donner un estomac double à l'homme, de façon à ce qu'il puisse ruminer comme un bæuf, des yeux de l'autre côté de la tête, afin qu'il puisse voir, comme Janus, ceux qui lui tirent la langue par derrière, et contempler son indignité dans une position moins gênante que celle de la Vénus Callipyge d'Athènes, à lui planter des ailes sur les omoplates afin qu'il ne soit pas obligé de payer six sous pour aller en omnibus; quand on lui aura créé un nouvel organe, à la bonne heure : le mot perfectibilité commencera à signifier quelque chose . Depuis tous ces beaux perfectionnements, qu'a- t- on fait qu'on ne fit aussi bien et mieux avant le déluge ? Est-on parvenu à boire plus qu'on ne buvait au temps de l'ignorance et de la barbarie (vieux style) ? Alexandre, l'équi voque ami du bel Ephestion, ne buvait pas trop ma!, quoiqu'il n'y eût pas* de son temps de Journal des Connaissances utiles, et je ne sais pas quel utilitaire serait capable d , tarir, sans de venir oïnopique et plus enflé que Lepeintre jeune ou qu'un hipoppotame, la grande coupe qu'il appelait la tasse d'Hercule. Le maréchal de Bassompierre, qui vida sa grande botte à entonnoir à la santé des treize cantons, me paraît singulière ment estimable dans son genre et très -difficile à perfectionner. Quel économiste nous élargira l'estomac de manière à con tenir autant de beefsteaks que feu Milon le Crotoniate qui mangeait un beuf ? La carte du Café Anglais, de Véfour, ou de telle autre célébrité culinaire que vous voudrez, me paraît bien maigre et bien ecuménique, comparée à la carte du diner de Trimalcion . — À quelle table sert - on maintenant une truie et ses douze marcassins dans un seul plat ? Qui a mangé des murènes et des lamproies engraissées avec de l'homme ? Croyez - vous en vérité que Brillat-Savarin ait perfectionné Api cius ? Est -ce chez Chevet que le gros tripier de Vitellius trouverait à remplir son fameux bouclier de Minerve de cer velles de faisans et de paons, de langues de phénicoptères et de foies de scarrus ? - Vos huitres du Rocher de Cancale sont vraiment quelque chose de bien recherché à côté des huîtres de Lucrin, à qui l'on avait fait une mer tout exprès. - Les petites maisons dans les faubourgs des marquis de la Régence sont de misérables vide-boutcillcs, si on les compare aux villas - 24 MADEMOISELLE DE MAUPIN . des patriciens romains, à Baïes, à Caprée et à Tibur. Les ma gnificences cyclopéennes de ces grands voluptueux qui bâtis. saient des monuments éternels pour des plaisirs d'un jour no devraient- elles pas nous faire tomber à plat ventre devant lu génie antique, et rayer à tout jamais de nos dictionnaires le mot perfectibilité ? A -t - on inventé un 'seul péché capital de plus ? Il n'y en a malheureusement que sept comme devant, le nombre de chutes du juste pour un jour, ce qui est bien médiocre. – Je ne pense même pas qu'après un siècle de progrès, au train dont nous y allons, aucun amoureux soit capablede renouveler le treizième travail d'Hercule . Peut- on être agréable une seule fois de plus à sa divinité qu'au temps de Salomon ? Beaucoup de savants très -illustres et de dames très-respecta bles soutiennent l'opinion tout à fait contraire, et prétendent que l'amabilité va décroissant . Eh bien ! alors, que nous par lez -vous de progrès ? Je sais bien que vous me direz que l'on a une chambre haute et une chambre basse , qu'on espère que bientôt tout le monde sera électeur, et le nombre des représentants doublé ou triplé . Est-ce que vous trouvez qu'il ne se commet pas assez de fautes de français comme cela à la tribune nationale, et qu'ils ne sont pas assez pour la méchante besogne qu'ils ont à brasser ? Je ne comprends guère l'utilité qu'il ya de parquer deux ou trois cents provinciaux dans une baraque de bois, avec un plafond peint par M. Fragonard , pour leur faire tripoter et gâcher je ne sais combien de petites lois absurdes ou atroces. Qu'importe que ce soit un sabre, un goupillon ou un parapluie qui vous gouverne ! C'est toujours un bâton, et je m'étonne que des hommes de progrès en soient à disputer sur le choix du gourdin qui leur doit chatouiller l'épaule, tandis qu'il serait beaucoup plus progres sif et moins dispendieux de le casser et d'en jeter les morceaux à tous les diables. Le seul de vous qui ait le sens commun , c'est un fou, un grand génie, un imbécile, un divin poëte bien au -dessus de Lamartine, de Hugo et de Byron ; c'est Charles Fourrier le phalanstérien qui est à lui seul tout cela : lui seul a eu de la logique, et a l'audace de pousser ses conséquences jusqu'au bout. Il 'affirme, sans hésiter, que les hommes ne tarde raient pas avoir une queue de quinze pieds de long arec un ai] 1 - - - PRÉFACE. 25 a au bout ; ce qui, assurément, est un progrès, et permet de faire mille belles choses qu'on ne pouvait faire auparavant, telles que d'assommer les éléphants sans coup férir, de se balancer aux arbres sans escarpolettes, aussi commodément que le ma caque le mieux conditionné, de se passer de parapluie ou d'ombrelle, en déployant la queue par -dessus sa tête en guise de panache, comme font les écureuils qui se privent de ri flards très -agréablement, et autres prérogatives qu'il serait trop long d'énumérer. Plusieurs phalanstériens prétendent même qu'ils en ont déjà une petite qui ne demande qu'à devenir plus grande, pour peu que Dieu leur prête vie . Charles Fourrier a inventé autant d'espèces d'animaux que Georges Cuvier, le grand naturaliste. Il a inventédes chevaux qui seront trois fois gros comme des éléphants, des chiens grands comme des tigres , des poissons capables de rassasier plus de monde que les trois poissons de Jésus-Christ que les incrédules voltairiens pensent être des poissons d'avril, et moi une magnifique parabole. Il a bâti des villes auprès de qui Rome, Babylone et Tyr ne sont que des taupinières ; il a en tassé des Babels l'une sur l'autre, et fait monter dans les nues des spirales plus infinies que celles de toutes les gravures de John Martinn ; il a imaginé je ne sais combien d'ordres d'ar chitecture et de nouveaux assaisonnements ; il a fait un projet de théâtre qui paraîtrait grandiose même à des Romains de l'empire, et dressé un menu de diner que Lucius ou Nomentanus eussent peut-être trouvé suffisant pour un dîner d'amis ; il pro met de créer des plaisirs nouveaux, et de développer les orga nes et les sens ; il doit rendre les femmes plus belles et plus voluptueuses, les hommes plus robustes et plus vigoureux ; il vous garantit des enfants, et se propose de réduire le nombre des habitants du monde de façon que chacun y soit à son aise ; ce qui est plus raisonnable que de pousser les prolétaires à en faire d'autres, sauf à les canonner ensuite dans les rues quand ils pullulent trop, et à leur envoyer des boulets au lieu de pain . Le progrès est possible de cette façon seulement. — Tout le reste est une dérision amère, une pantalonnade sans esprit, qui n'est pas même bonne à duper des gobe-mouches idiots . Le phalanstère est vraiment un progrès sur l'abbaye de Thélème, et relègue définitivement le paradis terrestre au nombre des choses tout à fait surannées, et perruques. Les - 96 MADEMOISELLE DE MAUPIN. > Mille et une Nuits et les Contes de madame d'Aulnoy peuvent seuls lutter avantageusement avec le phalanstère. Quelle fé condité ! quelle invention ! Il y a là de quoi défrayer de mer veilleux trois mille charretées de poëmes romantiques ou clas siques ; et nos versificateurs, académiciens ou non , sont de bien piètres trouveurs, si on les compare à M. Charles Four rier, l'inventeur des attractions passionnées . Cette idée de se servir de mouvements que l'on a jusqu'ici cherché à répri mer est très-assurément une haute et puissante idée . Ah ! vous dites que nous sommes en progrès ! — Si , demain, un volcan ouvrait sa gueule à Montmartre, et faisait à Paris un linceul de cendre et un tombeau de lave, comme fit autrefois le Vésuve à Stabia , à Pompéi et à Herculanum, et que, dans quel quc mille ans, les antiquaires de ce temps-là fissent des fouilles et exhumassent le cadavre de la ville morte, dites quel monu ment serait resté debout pour témoigner de la splendeur de la grande enterrée, Notre-Dame la gothique ? - On aurait vrai ment une belle idée de nos arts en déblayant les Tuileries retouchées par M. Fontaine ! Les statues du pont Louis XV fe raient un bel effet, transportées dans les musées d'alors ! Et, n'étaient les tableaux des anciennes écoles et les statues de l'antiquité ou de la renaissance entassés dans la galerie du Louvre, ce long boyau informe; n'était le plafond d'Ingres, qui empêcherait de croire que Paris ne fût qu'un campement de Barbares, un village de Welches ou de Topinamboux, ce qu'on retirerait des fouilles serait quelque chose de bien curieux . Des briquets de gardes nationaux et des casques de sapeurs . pompiers, des écus frappés d'un coin informe, voilà ce qu'on trouverait au lieu de ces belles armes, si curieusement ciselées, que le moyen âge laisse au fond de ses tours et de ses tom beaux en ruines, de ces médailles qui remplissent les vasės étrusques et pavent les fondements de toutes les constructions romaines. Quant à nos misérables meubles de bois plaqué, à tous ces pauvres coffres si nus, si laids, si mesquins, que l'on appelle commodes ou secrétaires, tous ces ustensiles informes et fragiles, j'espère que le temps en aurait assez pitié pour en détruire jusqu'au moindre vestige . Une belle fois cette fantaisie nous a pris de faire unmonu ment grandiose et magnifique. Nous avons d'abord été obligés d'en cmprunter le plan aux vicux Romains ; et, avant mêine PRÉFACE. 27. d'être achevé, notre Panthéon a fléchi sur ses jambes comme un enfant rachitique, et a titubé comme un invalide ivre-mort, si bien qu'il nous a fallu lui mettre des béquilles de pierre, sans quoi il serait chu piteusement tout de son long, devant tout le monde, et aurait apprêté aux nations à rire pour plus de cent ans. Nous avons voulu planter un obélisque sur une de nos places ; il nous fallut l'aller filouter à Luxor, et nous avons été deux ans à l'amener chez nous. La vieille Égypte bordait ses routes d'obélisques, comme nous les nôtres de peupliers ; elle en portait des bottes sous ses bras, comme un maraîcher porte ses bottes d'asperges, et taillait un monolithe dans les flancs de ses montagnes de granit plus facilement que nous un cure -dents ou un cure -oreilles. Il y a quelques siècles, on avait Raphaël, on avait Michel -Ange ; maintenant l'on a M. Paul Delaroche, le tout parce que l'on est en progrès. Vous vantez votre Opéra ; dix Opéras comme les vôtres danse raient la sarabande dans un cirque romain. M. Martin lui même, avec son tigre apprivoisé et son pauvre lion goutteux et endormi comme un abonné de la Gazette, est quelque chose de bien misérable à côté d'un gladiateur de l'antiquité . Vos représentations à bénéfice qui durent jusqu'à deux heures du matin , qu'est -ce que cela quand on pense à ces jeux qui du raient cent jouirs, à ces représentations où de véritables vais seaux se battaient véritablement dans une véritable mer ; où des milliers d'hommes se taillaient consciencieusement en pièces ; - pâlis, ô héroïque Franconi! - où, la mer retirée , le désert arrivait avec ses tigres et ses lions rugissants, terri bles comparses qui ne servaient qu'une fois, où le premier rôle était rempli parquelque robuste athlète Dace ou Pannonien que l'on eût été bien souvent embarrassé de faire revenir à la fin de la pièce, dont l'amoureuse était quelque belle et friande lionne de Numidie à jeun depuis trois jours ? - L'éléphant fu nambule ne vous paraît- il pas supérieur à mademoiselle Geor ges ? Croyez- vous que mademoiselle Taglioni danse mieux qu'Arbuscula, et Perrot mieux que Bathylle ? Je suis persuadé que Roscius eût rendu des points à Bocage, tout excellent qu'il soit. Galéria Coppiola remplit un rôle d'ingénue à cent ans passés. Il est juste de dire que la plus vieille de nos jeunes premières n'a guère plus de soixante ans, et que made moiselle Mars n'est pas même en progrès de ce côté - là : ils - 29 MADEMOISELLE DE MAUPIN . avaient trois ou quatre mille dieux auxquels ils croyaient , et nous n'en avons qu’un auquel nous ne croyons guère ; c'est progresser d'une étrange sorte . — Jupiter n'est- il pas plus fort que Don Juan, et un bien autre séducteur ? En vérité, je ne sais ce que nous avons inventé ou seulement perfectionné . Après les journalistes progressifs , et comme pour leur ser. vir d'antithèse, il y a les journalistes blasés, qui ont habituel lement vingt ou vingt-deux ans, qui ne sont jamais sortis de leur quartier et n'ont encore couché qu'avec leur femme de ménage. Ceux- là , tout les ennuie, tout les excède, tout les assomme; ils sont rassasiés, blasés, usés, inaccessibles. Ils connaissent d'avance ce que vous allez leur dire; ils ont vu , senti, éprouvé, entendu tout ce qu'il est possible de voir, de sentir, d'éprouver et d'entendre ; le cæur humain n'a pas de recoin si inconnu qu'ils n'y aient porté la lanterne. Ils vous disent avec un aplomb merveilleux : Le cæur humain n'est pas comme cela ; les femmes ne sont pas faites ainsi ; ce carac tère est faux ; ou bien : - Eh quoi ! toujours des amours ou des haines ! toujours des hommes et des femmes ! Ne peut-on nous parler d'autre chose ? Mais l'homme est usé jusqu'à la corde, et la femme encore plus, depuis que M. de Balzac s'en mêle. Qui nous délivrera des hommes et des femmes ? Vous croyez , monsieur, que votre fable est neuve ? elle est neuve à la façon du Pont-Neuf : rien au monde n'est plus commun ; j'ai lu cela je ne sais où, quand j'étais en nourrice ou ailleurs ; on m'en rebat les oreilles depuis dix ans . Au reste, apprenez, monsieur, qu'il n'y a rien que je ne sache, que tout est usé pour moi, et que votre idée, fût- elle vierge comme la vierge Marie, je n'affirmerais pas moins l'avoir vue se prostituer sur les boïnes aux moindres grimauds et aux plus minces cuistres. Ces journalistes ont été cause de Jocko, du Monstre vert, des Lions de Mysore et de mille autres belles inventions. Ceux-là se plaignent continuellement d'être obligés de lire des livres et de voir des pièces de théâtre. A propos d'un mé chant vaudeville, ils vous parlent des amandiers en fleurs, des tilleuls qui embaument, de la brise du printemps, de l'odeur du jeune feuillage ; ils se font amants de la nature à la façon PRÉFACE . 29 du jeune Werther, et cependant n'ont jamais mis le pied hors de Paris, et ne distingueraient pas un chou d'avec une bette Si c'est l'hiver , ils vous diront les agréments du foyer domestique, et le feu qui pétille, et les chenets, et les pantou fles, et la rêverie , et le demi-sommeil ; ils ne manqueront pas de citer le fameux vers de Tibulle : rave . Quam juvat immites ventos audire cubantem ; moyennant quoi ils se donneront une petite tournure à la fois désillusionnée et naïve la plus charmante du monde. Ils se poseront en hommes sur qui l'ouvre des hommes ne peut plus rien, que les émotions dramatiques laissent aussi froids et aussi secs que le canif dont ils taillent leur plume, et qui crient cependant, comme J. J. Rousseau : Voilà la pervenche ! Ceux - là professent une antipathie féroce pour les colonels du Gymnase, les oncles d'Amérique, les cousins, les cousines, les vieux grognards sensibles, les veuves romanesques, et tâchent de nous guérir du vaudeville en prouvant chaque jour, par leurs feuilletons, que tous les Français ne sont pas nés malins. En vérité , nous ne trouvons pas grand mal à cela, bien au contraire, et nous nous plaisons à reconnaître que l'extinction du vaudeville ou de l'opéra -comique en France (genre national) serait un des plus grands bienfaits du ciel. Mais je voudrais bien savoir quelle espèce de littéralure ces messieurs laisseraient s'établir à la place de celle- là . Il est vrai que ce ne pourrait être pis. D'autres prêchent contre le faux goût et traduisent Sénèque le tragique. Dernièrement, et pour clore la marche, il s'est formé un nouveau bataillon de critiques d'une espèce non en - core vue . Leur formule d'appréciation est la plus commode, la plus extensible, la plus malléable, la plus péremptoire, la plus super lative et la plus triomphante qu'un critique ait jamais pu imaa: giner. Zoğle n'y eût certainement pas perdu . Jusqu'ici, lorsqu'on avait voulu déprécier un ouvrage quel conque, ou le déconsidérer aux yeux de l'abonné patriarcal et naif, on avait fait des citations fausses ou perfidement isúlées ; on avait tronqué des phrases et mutilé des vers, de façon que l'auteur lui-même se fût trouvé le plus ridicule du monde ; on lui avait intenté des plagiats imaginaires ; on rapproclaii des > 3 . 30 MADEMOISELLE DE MAUPIN. 1 passages de son livre avec des passages d'auteurs anciens ou modernes, qui n'y avaient pas le moindre rappor: ; on l'accu- . sait, en style de cuisinière, et avec force solécismes, de ne pas sa voir sa langue, et de dénaturer le français de Racine et de Voltaire ; on assurait sérieusement que son ouvrage poussait à l'anthropophagie, et que les lecteurs devenaient immanquable ment cannibales ou hydrophobes dans le courant de la semaine ; mais tout cela était pauvre, retardataire, faux toupet et fossile au possible . A force d'avoir traîné le long des feuilletons et des articles Variétés, l'accusation d'immoralité devenait insuffi sante, et tellement hors de service, qu'il n'y avait plus guère que le Constitutionnel, journal pudique et progressif, comme on sait, qui eût ce désespéré courage de l'einployer encore . L'ona donc inventé la critique d'avenir , la critique pro spective. Concevez - vous, du premier coup , comme cela esi charmant et provient d'une belle imagination ? La recette est simple, d'on peut vous la dire.' Le livre qui sera beau et qu'on louera est le livre qui n'a pas encore paru. Celui qui pa raît est infailliblement détestable. Celui de demain sera su perbe; mais c'est toujours aujourd'hui. Il en est de cette critique comme de ce barbier qui avait pour enseigne ces mots écrits en gros caractères : > ICI L'ON RASERA GRATIS DEMAIN . 4 Tous les pauvres diables qui lisaient la pancarte se promet taient pour le lendemain cette douceur ineffable et souveraine d'être barbifiés une fois en leur vie sans bourse délier ; et le poil leur en poussait d'aise d'un demi-pied au menton pendant la nuitée qui précédait ce bienheureux jour ; mais, quand ils avaient la serviette au cou , le frater leur demandait s'ils avaient de l'argent , et qu'ils se préparassent à cracher au bas sin, sinon qu'il les accommoderait en abatteurs de noix ou en cueilleurs de pommesdu Perche ; et il jurait son grand sacre dieu qu'il leur trancherait la gorge avec son rasoir , à moins qu'ils ne le payassent , et les pauvres claque-dents, tout marmi teux etpiteux, d'alléguer la pancarte et la sacro- sainte inscrip tion -Hé ! hé ! mes petits bedons ! faisait le barbier , vousn'êtes pas grands clercs, et auriez bon besoin de retourner aux éco ' es ! :La pancarte dit : nemain. Je ne suis pas si niąis et fantas. > - PRÉFACE. - tique d'humeur que de raser gratis aujourd'hui; mes con frères diraient que je perds le métier. -Revenez l'autre fois ou la semaine des trois jeudis, vous vous en trouverez on ne peut mieux. Que je devienne ladre vert ou mezeau, si je ne vous le fais gratis, foi d'honnête barbier. Les auteurs qui lisent un article prospectif, où l'on daube un ouvrage actuel, se flattent toujours que le livre qu'ils font sera le livre de l'avenir. Ils tâchent de s'accommoder, autant que faire se peut, aux idées du critique, et se font sociaux, progressifs, moralisants, palingénésiques, mythiques, panthéistes, bu chézistes, croyant par là échapper au formidable anathème; mais il leur arrive ce quiarrivait aux pratiques du barbier : aujourd'hui n'est pas la veille de demain. Le demain tant promis ne luira jamais sur le monde ; car cette formule est trop commode pour qu'on l'abandonne de sitôt. Tout en dé criant ce livre dont on est jaloux, et qu'on voudrait anéantir, on se donne les gants de la plus généreuse impartialité. On a l'air de ne pas demander mieux que de trouver bien et à louer, et cependant on ne le fait jamais. Cette recette est bien supé rieure à celle que l'on pouvait appeler rétrospective et qui con siste à ne vanter que des ouvrages anciens, qu'on ne lit plus et qui ne gênent personne, aux dépens des livres modernes, dont on s'occupe et qui blessent plus directement les amours propres. Nous avons dit, avant de commencer cette revue de mes sieurs les critiques, que la matière pourrait fournir quinze ou seize volumes in - folio, mais que nous nous contenterions de quelques lignes ; je commence à craindre que ces quelques li gnes ne soient des lignes de deux ou trois mille toises de longueur chacune, et ne ressemblent à ces grosses brochures épaisses à ne les pouvoir trouer d'un coup de canon, et qui portent perfidement pour titre : Un mot sur la révolution, un mot sur ceci ou cela. L'histoire des faits et gestes, des amours multiples de la diva Madeleine de Maupin courrait grand risque d'être éconduite, et on concevra que ce n'est pas trop d'un vo lume tout entier pour chanter dignement les aventures de cette belle Bradamante. - C'est pourquoi, quelque envie que nous ayons de continuer le blason des illustres Aristarques de l'époque, nous nous contenterons du crayon commencé que nous venons d'en tirer, en y ajoutant quelques réflexions sur la - 32 MADEMOISELLE DE MAUPIN .

honhomie de nos débonnaires confrères en Apollon qui, aussi stupides que le Cassandre des pantomimes, restent là à rece voir les coups de latte d'Arlequin et les coups de pied au cul de Paillasse, sans bouger non plus que des idoles . Ils ressemblent à un maitre d'armes qui, dans un assaut, croiserait ses bras derrière son dos, et recevrait dans sa poitrine découverte toutes les bottes de son adversaire, sans essayer une seule parade. C'est comme unplaidoyer oùle procureur du roi aurait seul la parole, ou comme un débat où la réplique ne serait pas permise. Le critique avance ceci et cela . Il tranche du grand et taille cn plein drap. Absurde, détestable, monstrueux : cela ne res semble à rien, cela ressemble à tout . On donne un drame, le critique le va voir ; il se trouve qu'il ne répond en rien au drame qu'il avait forgé dans sa tête sur le titre; alors, dans son feuil leton , il substitue son drame à lui au drame de l'auteur. Il fait de grandes tartines d'érudition ; il se débarrasse de toute la science qu'il a été se faire la veille dans quelque bibliothèque et traite de Turc à More des gens chez qui il devrait aller à l'école, et dont le moindre en remontrerait à de plus forts que lui . Les auteurs endurent cela avec une magnanimité, une longanimité qui me paraît vraiment inconcevable. Quels sont donc, au bout du compte, ces critiques au ton si tranchant, à la parole si brève, que l'on croirait les vrais fils des dieux ? ce sont tout bonnement des hommes avec qui nous avons été au col lége, et à qui évidemment leurs études ont moins profité qu'à nous, puisqu'ils n'ont produit aucun ouvrage et ne peuvent faire autre chose que conchier et gâter ceux des autres comme de véritables stryges stymphalides. Ne serait-ce pas quelque chose à faire que la critique des cri tiques ? car ces grands dégoûtés, qui font tant les superbes et les difficiles, sont loin d'avoir l'infaillibilité de notre saint père. Il y aurait de quoi remplir un journal quotidien et du plus grand format. Leurs bévues historiques ou autres, leurs citations controuvées, leurs fautes de français, leurs plagiats, leur radotage, leurs plaisanteries rebattués et de mauvais goût, leur pauvreté d'idées, leur manque d'intelligence et de tact, leur ignorance des choses les plus simples qui leur fait volontiers prendre le Pirée pour un homme et M. Delaroche pour un peintre, fourniraient amplement aux auteurs de quoi > PRÉFACE. 33 - prendre leur revanche, sans autre travail que de souligner les passages au crayon et de les reproduire textuellement ; car on ne reçoit pas avec le brevet de critique le brevet de grand écri vain, et il ne suffit pas de reprocher aux autres des fautes de langage ou de goût pour n'en pointfaire soi-même ; nos criti ques le prouvent tous les jours . — Que si Châteaubriand , La martine et d'autres gens comme cela faisaient de la critique, je comprendrais qu'on se mît à genoux et qu'on adorât; mais que MM. Z. K. Y. V. Q. X. , ou telle autre lettre de l'alphabet entre A et 2, fassent les petits Quintiliens et vous gourmandent au nom de la morale et de la belle littérature, c'est ce qui' me révolte toujours et me fait entrer en des fureurs non pareilles, Je voudrais qu'on fît une ordonnance de police qui défendit à certains noms de se heurter à certains autres. Il est vrai qu'un chien peut regarder un évêque, et que Saint - Pierre de Rome, tout géant qu'il soit, ne peut empêcher que les Transté vérins ne le salissent par en bas d'une étrange sorte ; mais je n'en crois pas moins qu'il serait fou d'écrire au long de cer. taines réputations monumentales : DÉFENSE DE DÉPOSER DES ORDURES ICI . Charles X avait seul bien compris la question . En ordonnant la suppression des journaux, il rendait un grand service aux arts et à la civilisation . Les journaux sont des espèces de cour tiers ou de maquignons qui s'interposent entre les artistes et le public , aentre le roi et le peuple. On sait les belles choses qui en sont résultées. Ces aboiements perpétuels assourdissent l'inspiration , et jettent une telle méfiance dans les cours et dans les esprits, que l'on n'ose se fier ni à un poëte, ni à un gouvernement ; ce qui fait que la royauté et la poésie, ces deux plus grandes choses du monde, deviennent impossibles, au grand malheur des peuples, qui sacrifient leur bien - être au pauvre plaisir de lire, tous les matins, quelques mauvaises feuilles de mauvais papier, barbouillées de mauvaise encre et de mauvais style . Il n'y avait point de critique d’art sous Jules II , et je ne connais pas de feuilleton sur Daniel de Vol terre, Sébastien del Piombo, Michel- Ange, Raphaël, ni sur Ghiberti delle Porte, ni sur Benvenuto Cellini ; et cependant je pense que, pour des gens qui n'avaient point de journaux, qui . 34 MADEMOISELLE DE MAUPIN. a ne connaissaient ni le mot art ni le mot artistique, ils avaient assez de talent comme cela, et ne s'acquittaient point trop mal de leur métier . La lecture des journaux empêche qu'il n'y ait de vrais savants et de vrais artistes ; c'est comme un excès quotidien qui vous fait arriver énervé et sans force sur la cour che des Muses, ces filles dures et difficiles qui veulent des amants vigoureux et tout neufs. Le journal tue le livre, comme le livre a tué l'architecture, comme l'artillerie a tué le cou rage et la force musculaire. On ne se doute pas des plaisirs que nous enlèvent les journaux. Ils nous ôtent la virginité de tout ; ils font qu'on n'a rien en propre, et qu'on ne peut possé der un livre à soi seul ; ils vous ôtent la surprise du théâtre, et vous apprennent d'avance tous les dénoûments ; ils vous privent du plaisir de papoter, de cancaner, de commérer et de médire, de faire une nouvelle ou d'en colporter une vraie pendant huit jours dans tous les salons du monde . Ils nous entonnent, malgré nous, des jugements tout faits, et nous préviennent contre des choses que nous aimerions ; ils font que les marchands de briquets phosphoriques, pour peu qu'ils aient de la mémoire, déraisonnent aussi impertinemment lit des académiciens de province ; ils font que, toute la journée, nous entendons, à la place d'idées naïves ou d'â . neries individuelles, des lambeaux de journal mal digérés qui ressemblent à des omelettes crues d'un côté et brûlées de l'au tre , et qu'on nous rassasie impitoyablement de nouvelles vieilles de trois ou quatre heures, et que les enfants à la ma melle savent déjà ; ils nous émoussent le goût, et nous ren dent pareils à ces buveurs d'eau -de-vie poivrée, à ces avaleurs de limes et de râpes, qui ne trouvent plus aucune saveur aux vins les plus généreux et n'en peuvent saisir le bouquet fleuri et parfumé. Si Louis-Philipne, une bonne fois pour toutes, sup primait tous les journaux littéraires et politiques, je lui en sau rais un gré infini, et je lui rimerais sur-le -champ un beau dithyrambe échevelé en vers libres et à rimes croisées ; signé : vatre très -humble et très - fidèle sujet, etc. Que l'on ne s'ima ging pas que l'on ne s'occuperait plus delittérature ; au temps où il n'y avait pas de journaux, un quatrain occupait tout Paris huit jours, et une première représentation six mois. Il est vrai ( pi ! e l'on perdrait à cela les annonces et les éloges à trente sous la ligne, et la notoriété serait moins prompte et térature que PRÉFACE. 35 moins foudroyante. Mais j'ai imaginé un moyen très- ingénieux de remplacer les annonces. Si, d'ici à la mise en vente de ce glorieux roman , mon gracieux monarque a supprimé les jour naux, je m'en servirai très -assurément, et je m'en promets monts et merveilles. Le grand jour arrivé, vingt-quatre crieurs à cheval, aux livrées de l'éditeur, avec son adresse sur le dos et sur la poitrine, portant en main une bannière où serait brodé des deux côtés le titre du roman, précédés chacun d'un tambourineur et d'un timbalier, parcourront la ville, et, s'ar rêtant aux places et aux carrefours, crieront à haute et intelli gible voix : C'est aujourd'hui et non hier ou demain que l'on met en vente l'admirable , l'inimitable, le divin et plus que divin roman du très - célèbre Théophile Gautier, Made moiselle de Maupin , que l'Europe et même les autres par ties du monde et la Polynésie attendent si impatiemment de puis un an et plus . Il s'en vend cing cents à la minute, et les éditions se succèdent de demi-heure en demi-heure ; on est déjà à la dix -neuvième. Un piquet de gardes municipaux est à la porte du magasin, contient la foule et prévient tous les désordres. Certes, cela vaudrait bien une annonce de trois lignes dans les Débats et le Courrier français, entre les cein tures élastiques, les cols en crinoline, les biberons en tétine incorruptible, la pâte de Regnault et les recettes contro le mal de dents. > Mai 1834 S. 1 ) 1 MADEMOISELLE DE MAUPIN I - a - - Tu te plains, mon cher ami, de la rareté de mes lettres. Que veux - tu que je t'écrive, sinon que je me porte bien et que j'ai toujours la même affection pour toi ? — Ce sont choses que tu sais parfaitement, et qui sont si natu relles à l'âge que j'ai et avec les belles qualités qu'on te voit, qu'il y a presque du ridicule à faire parcourir cent lieues à une misérable feuille de papier pour ne rien dire de plus. – J'ai beau chercher, je n'ai rien qui vaille la peine d'être rapporté ; - ma vie est la plus unie du monde, et rien n'en vient couper la monotonie. Aujour d'hui amène demain comme hier avait amené aujourd'hui; et, sans avoir la fatuité d'être prophète, je puis prédire hardiment le matin ce qui m'arrivera le soir . Voici la disposition de ma journée : - je me lève, cela va sans dire , et c'est assez le commencement de toute journée ; je déjeune, je fais des armes, je sors, je rentre, je dîne, fais quelques visites ou m'occupe de quelque lec ture : puis je me couche précisément comme j'avais fait la veille ; je m'endors, et mon imagination, n'étant pas excitée par des objets nouveaux, ne me fournit que des songes usés et rebattus, aussi monotones que mavie réelle : cela n'est pas fort récréatif, comme tu vois. — Cependant je m’accommode mieux de cette existence que je n'aurais fait il y a six mois. - Je m'ennuie, il est vrai, mais d'une manière tranquille et résignée, qui ne manque pas d'une . 38 MADEMOISELLE DE MAUPIN . certaine douceur que je comparerais assez volontiers à ces jours d'automne pâles et tièdes auxquels on trouve un charme secret après les ardeurs excessives de l'été. Cette existence - là , quoique je l'aie acceptée en appa rence , n'est guère faite pour moi cependant, ou du moins clle ressemble fort peu à celle que je me rêve et à laquelle je me crois propre . Peut- être me trompé-je, et ne suis -je fait effectivement que pour ce genre de vie ; mais j'ai peine à le croire, car, si c'était ma vraie destinée, je m'y serais plus aisément emboîté, et je n'aurais pas été meurtri par ses angles à tant d'endroits et si douloureu sement. Tu sais comme les aventures étranges ont un attait tout puissant sur moi, comme j'adore tout ce qui est singulier, excessif et périlleux, et avec quelle avidité je dévore les romans et les histoires de voyages ; il n'y a peut-être pas sur la terre de fantaisie plus folle et plus vagabonde que la mienne : eh bien ! je ne sais par quelle fatalité cela s'ar range, je n'ai jamais eu une aventure, je n'ai jamais fait un voyage. Pour moi, le tour du monde est le tour de la ville où je suis ; je touche mon horizon de tous les côtés ; je me coudoie avec le réel . Ma vie est celle du coquil lage sur le banc de sable, du lierre autour de l'arbre, du grillon dans la cheminée. - En vérité, je suis étonné que mes pieds n'aient pas encore pris racine . On peint l'Amour avec un bandeau sur les yeux; c'est le Destin qu'on devrait peindre ainsi . J'ai pour valet une espèce de manant assez lourd et stu pide, qui a autant couru que le vent de bise, qui a été au diable, je ne sais où, qui a vu de ses yeux tout ce dont je me forme de si belles idées et s'en soucie comme d'un verre d'eau ; il s'est trouvé dans les situations les plus bizarres ; il a eu les plus étonnantes aventures qu'on puisse avoir . Je le fais parler quelquefois, et j'enrage en pensant que toutes ces belles choses sont arrivées à un butor qui n'est capable ni de sentiment ni de réflexion, et qui n'est - MADEMOISELLE DE MAUPIN . 89 - bon qu'à faire ce qu'il fait, c'est- à -dire à battre des habits et à décrotter des bottes. Il est évident que la vie de ce maraud devait être la mienne. – Pour lui, il me trouve fort" heureux et entre en de grands étonnements de me voir triste comme je suis . Tout cela n'est pas fort intéressant, mon pauvre ami, et ne vaut guère la peine d'être écrit, n'est-ce pas ? Mais, puisque tu veux absolument que je t'écrive, il faut bien que je te raconte ce que je pense et ce que je sens, et que je te fasse l'histoire de mes idées, à défaut d'événements et d'actions.. — Il n'y aura peut--être pas grand ordre ni grande nouveauté dans ce que j'aurai à te dire ; mais il ne faudra t'en prendre qu'à toi. Tu l'auras voulu . Tu es mon ami d'enfance, j'ai été élevé avec toi ; notre vie a été commune bien longtemps, et nous sommes accou tumés à échanger nos plus intimes pensées . Je puis donc te conter, sans rougir, toutes les niaiseries qui traversent ma cervelle inoccupée ; je n'ajouterai pas un mot, je ne retrancherai pas un mot, je n'ai pas d'amour-propre avec toi. Aussi je serai exactement vrai, même dans les choses petites et honteuses ; ce n'est pas devant toi, à coup sûr, que je me draperai. Sous ce linceul d'ennui nonchalant et affaissé dont je t'ai parlé tout à l'heure remue parfois une pensée plutôt en gourdie que morte, et je n'ai pas toujours le calme Joux et triste que donne la mélancolie. -J'ai des rechutes et je re tombe dans mes anciennes agitations . Rien n'est fatigant au monde comme ces tourbillons sans motif et ces élans sans bụt. -Ces jours- là , quoique je n'aie rien à faire non plus que les autres, je me lève de très -grand matin , avant le soleil, tant il me semble que je suis pressé et que je n'au rai jamais le temps qu'il faut ; je m'habille en toute hâte , comme si le feu était à la maison, mettant mes vêtements au hasard et me lamentant pour une minute perdue. Quelqu'un qui me verrait croirait que je vais à un rendez - - 40 MADEMOISELLE DE MAUPIN . vous d'amour ou chercher de l'argent. Point du tout. - Je ne sais pas seulement où j'irai ; mais il faut que j'aille , et je croirais mon salut compromis si je restais . — Il me semble que l'on m'appelle du dehors, que mon des tin passe à cet instant-là dans la rue,, et que la question de ma vie va se décider. Je descends, l'air effaré et surpris, les habits en désor dre, les cheveux mal peignés ; les gens se retournent et rient à ma rencontre, et pensent que c'est un jeune dé bauché qui a passé la nuit à la taverne ou ailleurs . Je suis ivre en effet, quoique je n'aie pas bu, et j'ai d'un ivrogne jusqu'à la démarche incertaine , tantôt lente , tantôt rapide . Je vais de rue en rue comme un chien qui a perdu son maitre, cherchant à tout hasard, très-inquiet, très en éveil, me retournant au moindre bruit, me glissant dans chaque groupe sans prendre souci des rebuffades des gens que je · heurte, et regardant partout avec une netteté de vision que je n'ai pas dans d'autres moments. Puis il m'est démontré tout d'un coup que je me trompe, que ce n'est pas là assurément, qu'il faut aller plus loin, à l'autre bout de la ville, que sais -je ? - Et je prends ma course comme si le diable m'emportait. — Je ne touche le sol que du bout des pieds, et ne pèse pas une once . Je dois en vé rité avoir l'air bien singulier avec ma mine affairée et fu rieuse, mes bras gesticulants et les cris inarticulés que je pousse . -Quand j'y songe de sang-froid , je me ris au nez à moi-même de tout mon coeur, ce qui ne m'empêche pas, je te prie de le croire, de recommencer à la prochaine occasion . Si l'on me demandait pourquoi je cours ainsi, je serais certainement fort embarrassé de répondre. Je n'ai pas de hâte d'arriver, puisque je ne vais nulle part. Je ne crains pas d'être en retard , puisque je n'ai pas d'heure. — Per sonne ne m'attend, et je n'ai aucune raison de me . - presser ici . Est- ce une occasion d'aimer,9 une aventure , .une femme, MADEMOISELLE DE MAUPIN. 41 une idée ou une fortune, quelque chose qui manque à ma vie et que je cherche sans m'en rendre compte, et poussé par un instinct confus ? est- ce mon existence qui se veut compléter ? est-ce l'envie de sortir de chez moi et de moi-même, l'ennui de ma situation et le désir d'une autre ? C'est quelque chose de cela, et peut- être tout cela ensemble . — Toujours est -il que c'est un état fort déplai sant, une irritation fébrile à laquelle succède ordinaire ment la plus plate atonie . Souvent j'ai cette idée que, si j'étais parti une heure plus tôt, ou si j'avais doublé le pas, je serais arrivé à temps ; que, pendant que je passais par cette rue , ce que je cherche passait parl'autre, et qu'il a suffi d'un embar ras de voitures pour me faire manquer ce que je poursuis à tout hasard depuis si longtemps. — Tu ne peux t’ima giner les grandes tristesses et les profonds désespoirs où je tombe quand je vois que tout cela n'aboutit à rien, et que ma jeunesse se passe et qu'aucune perspective ne s'ouvre devant moi ; alors toutes mes passions inoccupées grondent sourdement dans mon coeur, et se dévorent entre elles faute d'autre aliment, comme les bêtes d'une ména gerie auxquelles le gardien a oublié de donner leur nour riture. Malgré les désappointements étouffés et souterrains de tous les jours, il y a quelque chose en moi qui résiste et ne veut pas mourir. Je n'ai pas d'espérance, car, pour espérer, il faut un désir, une certaine propension à sou haiter que les choses tournent d'une manière plutôt que d'une autre. Je ne désire rien, car je désire tout. Je n'es père pas, ou plutôt je n'espère plus ; cela est trop niais,, — et il m'est profondément égal qu'une chose soit ou ne soit pas. - J'attends, -quoi ? Je ne sais, mais j'attends. C'est une attente frémissante , pleine d'impatience, coupée de soubresauts et de mouvements nerveux, comme doit l'être celle d'un amant qui attend sa maîtresse . Rien ne yient ; - j’entre en furie ou mr : mets à pleurer. 9 > 42 MADEMOISELLE DE MAUPIN. . - - - J'attends que le ciel s'ouvre et qu'il en descende un ange qui me fasse une révélation , qu'une révolution éclate et qu'on me donne un trône, qu'une vierge de Raphaël se détache de sa toile, et me vienne embrasser, que des parents que je n'ai pas meurent et me laissent de quoi faire voguer ma fantaisie sur un fleuve d'or, qu’un hippo griffe me prenne et m'emporte dans des régions incon nues. — Mais, quoi que j'attende, ce n'est à coup sûr rien d'ordinaire et de médiocre . Cela est poussé au point que, lorsque je rentre chez moi, je ne manque jamais à dire : - Il n'est venu personne ? il n'y a pas de lettre pour moi ? rien de nouveau ? Je sais parfaitement qu'il n'y a rien , qu'il ne peut rien y avoir . C'est égal ; je suis toujours fort surpris et fort désappointé quand on me fait la réponse habituelle : - Non, monsieur, -absolument rien . Quelquefois, - cependant cela est rare, – l'idée se précise davantage . - Ce sera quelque belle femme que je ne connais pas et qui ne me connaît pas, avec qui je me serai rencontré au théâtre ou à l'église et qui n'aura pas pris garde à moi le moins du monde. — Je parcours toute la maison , et jusqu'à ce que j'aie ouvert la porte de la dernière chambre, j'ose à peine le dire, tant cela est fou, j'espère qu'elle est venue et qu'elle est là . —Ce n'est pas fatuité de ma part. — Je suis si peu fat que plusieurs femmes se sont préoccupées fort doucement de moi, à ce que d'autres personnes m'ont dit, que je croyais très-in différentes à mon égard, et n'avoir jamais rien pensé de particulier sur mon propos . — Cela vient d'autre part. Quand je ne suis pas hébété par l'ennui et le découra gement, mon âme se réveille et reprend toute son ancienne vigueur. J'espère, j'aime, je désire, et mes désirs sont tel lement violents, que je m'imagine qu'ils feront tout venir à eux comme un aimant doué d'une grande puissance attire à lui des parcelles de fer, encore qu'elles en soient fort éloignées. - C'est pourquoi j'attends les choses que MADEMOISELLE DE MAUPIN . 43 - je souhaite, au lieu d'aller à elles, et je néglige assez sou vent les facilités qui s'ouvrent le plus favorablement de vant mes espérances. — Un autre écrirait un billet le plus amoureux du monde à la divinité de son cour, ou cher cherait l'occasion de s'en rapprocher .--- Moi, je demande au messager la réponse à une lettre que je n'ai pas écrite, et passe mon temps à bâtir dans ma têté les situations les plus merveilleuses pour me faire voir à celle que j'aime sous le jour le plus inattendu et le plus favorable. - On ferait un livre plus gros et plus ingénieux que les Stra tagèmes de Polybe, de tous les stratagèmes que j'imagine pour m'introduire auprès d'elle et lui découvrir ma pas sion. Il suffirait le plus souvent de dire à un de mes amis : Présentez -moi chez madame une telle , et d'un compliment mythologique convenablement ponctué de soupirs. A entendre tout cela, on me croirait propre à mettre aux Petites-Maisons; je suis cependant un assez raisonna ble garçon, et je n'ai pas mis beaucoup de folies en ac tion . Tout cela se passe dans les caves de mon âme, et toutes ces idées saugrenues sont ensevelies très-soigneuse ment au fond de moi; du dehors on ne voit rien, et j'ai la réputation d'un jeune homme tranquille et froid , peu sensible aux femmes et indifférent aux choses de son âge ; ce qui est aussi loin de la vérité que le sont habituelle ment les jugements du monde . Cependant, malgré toutes les choses qui m'ont rebuté, quelques -uns de mes désirs se sont réalisés, et, par le peu de joie que leur accomplissement m'a causé, j'en suis venu à craindre l'accomplissement des autres. Tu te sou viens de l'ardeur enfantine avec laquelle je désirais avoir un cheval à moi ; ma mère m'en a donné un tout derniè rement ; il est noir d'ébène, une petite étoile blanche au front, à tous crins, le poil luisant, la jambe fine, préci sément comme je le voulais . Quand on me l'a amené, cela mi'a fait un tel saisissement, que je suis resté un grand MADEMOISELLE DE MAUPIN . quart d'heure tout påle, sans me pouvoir remettre ; puis j'ai monté dessus, et, sans dire un seul mot, je suis parti au grand galop, et j'ai couru plus d'une heure de vant moi à travers champs dans un ravissement difficile à concevoir : j'en ai fait tous les jours autant pendant, plus d'une semaine, et je ne sais pas, en vérité, comment je ne l'ai pas fait crever ou rendu tout au moins poussif. Peu à peu toute cette grande ardeur s'est apaisée . J'ai mis mon cheval au trot, puis au pas , puis j'en suis venu à le monter si nonchalamment, que souvent il s'arrête et que je ne n'en aperçois pas : le plaisir s'est tourné en habitude beaucoup plus promptement que je ne l'aurais cru . — Quant à Ferragus, c'est ainsi que je l'ai nommé, c'est bien la plus charmante bête que l'on puisse voir. Il a des barbes aux pieds comme du duvet d'aigle ; il est vif comme une chèvre et doux comme un agneau. Tu auras le plus grand plaisir à galoper dessus quand tu viendras ici ; et, quoique ma fureur d'équitation soit bien tombée, je l'aime toujours beaucoup, car il a un très-estimable caractère de cheval, et je le préfère sincèrement à beau coup de personnes. Si tu entendais comme il hennit joyeusement quand je vais le voir à son écurie, et avec quels yeux intelligents il me regarde ! J'avoue que je suis touché de ces témoignages d'affection, que je lui prends le cou et que je l'embrasse aussi tendrement, ma foi, que si c'était une belle fille . J'avais aussi un autre désir, plus vif, plus ardent, plus perpétuellement éveillé, plus chèrement caressé, et au quel j'avais bâti dans mon âme un ravissant château de cartes, un palais de chimères, détruit bien souvent et re levé avec une constance désespérée : - c'était d'avoir une maîtresse, une maîtresse tout à fait à moi, -comme le cheval . Je ne sais pas si la réalisation de ce rêve m’au rait aussi promptement trouvé froid que la réalisation de l'autre ; —j'en doute . Mais peut- être ai -je tort, et en se rai- je aussi vite lassé. -- Par une disposition spéciale , je MADEMOISELLE DE MAUPIN. 45 C de cour, désire si frénétiquement ce que je désire, sans toutefois rien faire pour me le procurer, que si par hasard , ou autrement, j'arrive à l'objet de mon væu, j'ai une cour bature morale si forte, et suis tellement harassé, qu'il me prend des défaillances, et que je n'ai plus assez de vigueur pour en jouir : aussi des choses qui me viennent sans que je les aie souhaitées me font-elles ordinairement plus de plaisir que celles que j'ai le plus ardemment con voitées. J'ai vingt-deux ans ; je ne suis pas vierge . - Hélas ! on ne l'est plus à cet âge- là, maintenant, ni de corps, - ni ce qui est bien pis . Outre celles qui font plaisir aux gens pour la somme et qui ne doivent pas plus compter qu'un rêve lascif, j'ai bien eu par-ci par-là, dans quelque coin obscur, quelques femmes honnêtes ou à peu près, ni belles, ni laides, ni jeunes, ni vieilles, comme il s'en offre aux jeunes gens qui n'ont point d'affaire réglée, et dont le coeur est dans le désoeuvrement. Avec un peu de bonne volonté et une assez forte dose d'illusions romanesques, on appelle cela une maîtresse , si l'on veut. - Quant à moi, ce m'est une chose impossible, et j'en aurais mille de cette espèce que je n'en croirais pas moins mon désir aussi inaccompli que jamais. Je n'ai donc pas encore eu de maîtresse, et tout mon désir est d'en avoir une . C'est une idée qui me tracasse singulièrement; ce n'est pas effervescence de tempéra ment, bouillon du sang, premier épanouissement de pu berté. Ce n'est pas la femme que je veux , c'est une femme, une maîtresse ; je la veux , je l'aurai, et d'ici à peu ; si je ne réussissais pas, je t'avoue que je ne me relèverais pas de là , et que j'en garderais devant moi- même une timidité intérieure, un découragement sourd qui influerait grave ment sur le reste de ma vie . Je me croirais manqué sous de certains rapports, inharmonique ou dépareillé, — con trefait d'esprit ou de cæur ; car enfin ce que je demande est juste,et la nature le doit à tout homme. Tant que je ne - 46 MADEMOISELLE DE MAUPIN. serai pas parvenu à mon but, je ne me regarderai moi même que comme un enfant, et je n'aurai pas en moi la confiance que j'y dois avoir. — Une maitresse pour moi, c'est la robe virile pour un jeune Romain. Je vois tant d'hommes, ignobles sous tous les rapports, avoir de belles femmes dont ils sont à peine dignes d'être les laquais, que la rougeur m'en monte au front pour elles - et pour moi ., — Cela me fait prendre une pitoyable opinion des femmes de les voir s'enticher de tels goujats qui les méprisent et les trompent, plutôt que de se don ner à quelque jeune homme loyal et sincère qui s'estime rait fort heureux, et les adorerait છેà genoux; à moi, par exemple. Il est vrai que ces espèces encombrent les salons, font la roue devant tous les soleils et sont toujours cou chées au dos de quelque fauteuil, tandis que moi je reste à la maison , le front appuyé contre la vitre, à regarder fumer la rivière et monter le brouillard, tout en élevant silencieusement dans mon coeur le sanctuaire parfumé, le temple merveilleux où je dois loger l'idole future de mon âme. - Chaste et poétique occupation, dont les femmes vous savent aussi peu gré que possible. Les femmes ont fort peu de goût pour les contempla teurs et prisent singulièrement ceux qui mettent leurs idées en action . Après tout, elles n'ont pas tort . Obligées par leur éducation et leur position sociale à se taire et à attendre, elles préfèrent naturellement ceux qui viennent à elles et parlent, ils les tirent d'une situation fausse et en nuyeuse : je sens tout cela ; mais jamais de ma vie je ne pourrai prendre sur moi, comme j'en vois beaucoup qui le font, de me lever de ma place, de traverser un salon, et d'aller dire inopinément à une femme : - Votre robe vous va comme un ange, ou : Vous avez ce soir les yeux d'un lumineux particulier. Tout cela n'empêche pas qu'il ne me faille absolument une maîtresse . Je ne sais pas qui ce sera, mais je ne vois personne dans les femmes que je connais qui puisse conve MADEMOISELLE DE MAUPIN . 47 a blement remplir cette importante dignité . Je ne leur trouve que très-peu des qualités qu'il me faut. Celles qui auraient assez de jeunesse n'ont pas assez de beauté ou d'a gréments dans l'esprit ; celles qui sont belles et jeunes sont d'une vertu ignoble et rebutante, ou manquent de la li .berté nécessaire ; et puis il y a toujours par là quelque mari, quelque frère, quelque mère ou quelque tante, je ne sais quoi, qui a de gros yeux et de grandes oreilles, et qu'il faut amadouer ou jeter par la fenêtre. Toute rose a son puceron , toute femme a des tas de parents dont il faut l'écheniller soigneusement, si l'on veut cueillir un jour le fruit de sa beauté. Il n'y a pas jusqu'aux arrière petits -cousins de la province , et qu'on n'a jamais vus, qui ne veuillent maintenir dans toute sa blancheur la pu reté immaculée de la chère cousine . Cela est nauséabond, et je n'aurai jamais la patience qu'il faut pour arracher toutes les mauvaises herbes et élaguer toutes les ronces qui obstruent fatalement les avenues d'une jolie femme. Je n'aime pas beaucoup les mamans, et j'aime encore moins les petites filles. Je dois avouer aussi que les fem mes mariées n'ont qu'un très -médiocre attrait pour moi. Il y a là dedans une confusion et un mélange qui me révoltent ; je ne puis souffrir cette idée de partage. La femme qui a un mari et un amant est une prostituée pour l'un des deux et souvent pour tous deux, et puis je ne saurais consentir à céder la place à un autre . Ma fierté naturelle ne saurait se plier à un tel abaissement. Jamais je ne m'en irai parce qu'un autre homme arrive . Dût la femme être compromise et perdue, dussions-nous nous hattre à coups de couteau, chacun un pied sur son corps, je resterai. — Les escaliers dérobés, les armoires, les cabinets et toutes les machines de l'adultère seraient de pauvre ressource avec moi . Je suis un peu épris de ce qu'on appelle candeur vir ginale , innocence du bel âge, pureté de cœur, et autres charmantes choses qui sont du plus bel effet en vers ; j'ap MADEMOISELLE DE MAUPIN. pelle tout bonnement cela niaiserie , ignorance, imbécillité ou hypocrisie. — Cette candeur virginale, qui consiste à s'asseoir tout au bord du fauteuil, les bras serrés contre le corps, l'oeil sur la pointe du corset, et à ne parler que sur an permis des grands- parents, cette innocence qui a le monopole des cheveux sans frisure et des robes blanches, cette pureté de coeur qui porte des corsages colletés, parce qu'elle n'a pas encore de gorge ni d'épaules, ne me pa raissent pas, en vérité, un fort merveilleux ragoût. Je me soucie assez peu de faire épeler l'alphabet d'a mour à de petites niaises . Je ne suis ni assez vieux ni assez corrompu pour prendre grand plaisir à cela : j'y réussirais mal d'ailleurs, car je n'ai jamais rien su mon trer à personne, même ce que je savais le mieux . Je pré fère les femmes qui lisent couramment, on est plus tôt arrivé à la fin du chapitre ; et en toutes choses, et surtout en amour, ce qu'il faut considérer, c'est la fin . Je ressem ble assez, de ce côté- là , à ces gens qui prennent le roman par la queue, et en lisent tout d'abord le dénoûment, sauf à rétrograder ensuite jusqu'à la première page. Cette ma nière de lire et d'aimer a son charme. On savoure mieux les détails quand on est tranquille sur la fin , et le ren versement amène l'imprévu. Voilà donc les petites filles et les femmes mariées ex clues de la catégorie . Ce sera donc parmi les veuves que nous choisirons notre divinité . – Hélas ! j'ai bien peur, quoiqu'il ne reste plus que cela, que nous n'y trou vions pas encore ce que nous voulons. Si je venais à aimer un de ces pâles narcisses tout bai gnés d'une tiède rosée de pleurs, et se penchant avec une grâce mélancolique sur le tombeau de marbre neuf de quelque mari heureusement et fraîchement décédé, je se rais certainement, et au bout de peu de temps, aussi mal heureux que l'époux défunt en son vivant. Les veuves, si jeunes et si charmantes qu'elles soient, ont un terrible inconvénient que n'ont pas les autres femmes : pour peu MADEMOISELLE DE MAUPIN . 49 . que l'on ne soit pas au mieux avec elles et qu'il passe un nuage dans le ciel d'amour, elles vous disent tout de suite avec un petit air superlatif et méprisant : - Ah ! comme vous êtes aụjourd’hui! C'est absolument comme mon sieur : - quand nous nous querellions, il n'avait pas av tre chose à me dire ; c'est singulier, vous avez le même son de voix et le même regard ; quand vous prenez de l'humeur, vous ne sauriez vous imaginer combien vous ressemblez à mon mari ; - c'est à faire peur. Cela est agréable de s'entendre dire de ces choses- là en face et à bout portant ! Il y en a même qui poussent l'impudence jusqu'à louer le défunt comme une épitaphe et à exalter son coeur et sa jambe aux dépens de votre jambe et de votre coeur. Au moins, avec les femmes qui n'ont qu’un ou plusieurs amants, on a cet ineffable avantage de ne s'entendre jamais parler de son prédécesseur, ce qui n'est pas une considération d'un médiocre intérêt . Les femmes ont un trop grand amour du convenable et du légitime pour ne pas se taire soigneusement en pareille occurrence , et toutes ces choses sont mises le plus tôt possible au rang des olim. -- Il est bien entendu qu'on est toujours le premier amant d'une femme. Je ne pense pas qu'il y ait quelque chose de sérieux à répondre à une aversion aussi bien fondée . Ce n'est pas que je trouve les veuves tout à fait sans agrément, quand elles sont jeunes et jolies et n'ont point encore quitté le deuil. Ce sont de petits airs languissants, de petites façons de laisser tomber les bras, de ployer le cou et de se ren gorger comme une tourterelle dépareillée ; un tas de char mantes minauderies doucement voilées sous la transpa rence du crêpe, une coquetterie de désespoir si bien entendue, des soupirs si adroitement ménagés, des larmes qui tombent si à propos et donnent aux yeux tant de brillant ! Certes, après le vin , si ce n'est avant, la li queur que j'aime le mieux à boire est une belle larme bien limpide et bien claire qui tremble au bout d'un cil - 50 MADEMOISELLE DE MAUPIN . - brun ou blond Le moyen qu’on résiste à cela ! - On n'y résiste pas ; - et puis le noir va si bien aux femmes ! - La peau blanche, poésie à part, tourne à l'ivoire, à la à neige, au lait, à l'albâtre, à tout ce qu'il y a de candide au monde à l'usage des faiseurs de madrigaux : la peau bise n'a plus qu'une pointe de brun pleine de vivacité et de feu . Un deuil est une bonne fortune pour une femme, et la raison pourquoi je ne me marierai jamais, c'est de peur que ma femme ne se défasse de moi pour porter mon deuil. Il y a cependant des femmes qui ne savent point tirer parti de leur douleur et pleurent de façon à se rendre le nez rouge et à se décomposer la figure comme les mascarons qu'on voit aux fontaines : c'est un grand écueil . Il faut beaucoup de charmes et d'art pour pleurer agréablement ; faute de cela, l'on court risque de n'être pas consolée de longtemps. – Si grand néanmoins que soit le plaisir de rendre quelque Artémise infidèle à l'om bre de son Mausole, je ne veux pas décidément choisir, parmi cet essaim gémissant, celle à qui je demanderai son cæur en échange du mien . Je t'entends dire d'ici : - Qui prendras-tu donc ? – Tu ne veux ni des jeunes personnes, ni des femmes mariées, ni des veuves. Tu n’aimes pas les mamans ; je ne pré sume pas que tu aimes mieux les grandmères. Que diable aimes- tu donc ? C'est le mot de la charade, et si je le savais, je ne me tourmenterais pas tant. Jusqu'ici, je n'ai aimé aucune femme, mais j'ai aimé et j'aimel'amour. Quoique je n'aie pas eu de maîtresse et que les femmes que j'ai eues ne m'aient inspiré que du désir, j'ai éprouvé et je connais l'amour même : je n'aimais pas celle - ci ou celle-là, l'une plutôt que l'autre, mais quelqu'une que je n'ai jamais vue et qui doit exister quelque part, et que je trouverai, s'il plait à Dieu. Je sais bien comme elle est, et, quand je la rencontrerai, je la reconnaîtrai . Je me suis figuré bien souvent l'endroit qu'elle habite, le costume qu'elle porte, les yeux et les cheveux qu'elle a. - Co MADEMOISELLE DE MAUPIN . 51 - > - – J'entends sa voix ; je reconnaîtrais son pas entre mille autres, et si , par hasard, quelqu'un prononçait son nom, je me retournerais; il est impossible qu'elle n'ait pas un des cinq ou six noms que je lui ai assignés dans ma tête. Elle a vingt-six ans, - pas plus, ni moins non plus. Elle n'est plus ignorante, et n'est pas encore blasée. C'est un âge charmant pour faire l'amour comme il faut, sans puérilité et sans libertinage. Elle est d'une taille moyenne . Je n'aime pas une géante, ni une naine . Je veux pouvoir porter tout seul ma déité du sofa au lit ; mais il me déplairait de l'y chercher. Il faut que, se haussant un peu sur la pointe du pied, sa bouche soit à la hauteur de mon baiser . C'est la bonne taille . Quant à son embonpoint, elle est plutôt grasse que maigre . Je suis un peu Turc sur ce point, et il ne me plairait guère de rencontrer une arête où je cherche un contour ; il faut que la peau d'une femme soit bien remplie, sa chair dure et ferme comme la pulpe d'une pêche un peu verte : c'est exactement ainsi qu'est faite la maîtresse que j'aurai . Elle est blonde avec des yeux noirs, blanche comme une blonde, colorée comme une brune, quelque chose de rouge et de scintil lant dans le sourire . La lèvre inférieure un peu large, la prunelle nageant dans un flot d'humide radical, la gorge ronde et petite, et en arrêt, les poignets minces, les mains longues et potelées, la démarche onduleuse comme une couleuvre debout sur sa queue, les hanches étoffées et mouvantes, l'épaule large, le derrière du cou couvert de duvet : un caractère de beauté fin et ferme à la fois, élégant et vivace, poétique et réel ; un motifde Giorgione exécuté par Rubens. Voici son costume : elle porte une robe de velours écar late ou noir avec des crevés de satin blanc ou de toile d'argent, un corsage ouvert, une grande fraise à la Mé dicis, un chapeau de feutre capricieusement rompu comme celui d'Héléna Systerman , et de longues plumes blanches frisées et crespelées, une chaine d'or ou une 52 MADEMOISELLE DE MAUPIN . civière de diamants au cou, et quantité de grosses bagues de différents émaux à tous les doigts des mains. Je ne lui ferais pas grâce d'un anneau ou d'un bracelet. Il faut que la robe soit littéralement en velours ou en bro cart ; c'est tout au plus si je lui permettrais de descendre jusqu'au satin . J'aime nieux chiffonner une jupe de soie qu’une jupe de toile, et faire tomber d’une tête des perles ou des plumes que des fleurs naturelles ou un simple næud : je sais que la doublure de la jupe de toile est sou vent aussi appétissante au moins que la doublure de la jupe de soie ; mais je préfère la jupe de soie. - Aussi, dans mes rêveries, je me suis donné pour maîtresse bien des reines, bien des impératrices, bien des princesses, bien des sultanes, bien des courtisanes célèbres, mais ja mais des bourgeoises ou des bergères ; et dans mes désirs les plus vagabonds, je n'ai abusé de personne sur un tapis de gazon ou dans un lit de serge d’Aumale . Je trouve que la beauté est un diamant qui doit être monté et enchâssé dans l'or. Je ne conçois pas une belle femme qui n'ait pas voiture, chevaux, laquais et tout ce qu'on a avec cent mille francs de rente : il y a une harmonie entre la beauté et la richesse. L'une demande l'autre : un joli pied ap pelle un joli soulier, un joli soulier appelle des tapis et une voiture, et ce qui s'ensuit. Une balle femme avec de pauvres habits dans une vilaine maison est, selon moi, le spectacle le plus pénible qu'on puisse voir, et je ne sau rais avoir d'amour pour elle . Il n'y a que les beaux et les riches qui puissent être amoureux sans être ridicules ou à plaindre . –A ce compte, peu de gens auraient le droit d'être amoureux : moi-même, tout le premier, je serais exclu ; cependant c'est là mon opinion . Ce sera le soir que nous nous rencontrerons pour la pre mière fois, — par un beau coucher de soleil ; le ciel aura de ces tons orangés jaune clair et vert påle que l'on voit dans quelques tableaux des grands maîtres d'autre fois : il y aura une grande allée de châtaigniers en fleurs -

MADEMOISELLE DE MAUPIN. 53 ou d'orines séculaires tout couverts de ramiers, de beaux arbres d'un vert frais et sombre, des ombrages pleins de mystère et de moiteur ; çà et là quelques statues, quelques vases de marbre se détachant sur le fond de ver dure avec leur blancheur de neige, une pièce d'eau où se joue le cygne familier, - et tout au fond un château de briques et de pierres comme du temps de Henri IV, toit d'ardoises pointu , hautes cheminées, girouettes à tous les pignons, fenêtres étroites et longues. A une de ces fe . nêtres, mélancoliquement appuyée sur le balcon, la reine de mon âme dans l'équipage que je t'ai décrit tout à l'heure ; - derrière elle un petit nègre tenant son éven tail et sa perruche. — Tu vois qu'il n'y manque rien, et que tout cela est parfaitement absurde . -La belle laisse tomber son gant ; -je le ramasse, le baise et le rapporte. La conversation s'engage ; je montre tout l'esprit que je n'ai pas ; je dis des choses charmantes ; on m'en répond, je réplique, c'est un feu d'artifice, une pluie lumineuse de mots éblouissants . -Bref, je suis adorable - et adoré. -· Vient l'heure du souper , 'on me convie ; - j'accepte . Quel souper, mon cher ami, et quelle cuisinière que mon imagination ! ---- Le vin rit dans le cristal, le faisan doré et blond fume dans un plat armorié : le festin se pro longe bien avant dans la nuit, et tu penses bien que ce n'est pas chez moi que je la termine. - Ne voilà - t- il pas quelque chose de bien imaginé ?? - Rien au monde n'est plus simple, et, en vérité, il est bien étonnant que cela ne soit pas arrivé plutôt dix fois qu'une. Quelquefois c'est dans une grande forêt. Voilà la chasse qui passe ; le cor sonne, la meute aboie et traverse le chemin avec la rapidité de l'éclair ; la belle en amazone monte un cheval turc, blanc comme le lait, fringant et vif au possible . Bien qu'elle soit excellente écuyère, il piaffe, il caracole, il se cabre, et elle a toutes les peines du monde à le contenir ; il prend le mors aux dents et la mène droit à un précipice. Je tombe là du ciel tout exprès, 5 . 54 MADEMOISELLE DE MAUPIN. au je retiens le cheval, je prends dans mes bras la princesse évanouie, je la fais revenir à elle et la reconduis à son château . Quelle est la femme bien née qui refuserait son cæur à un homme qui a exposé sa vie pour elle ? cune ; - et la reconnaissance est un chemin de traverse qui mène bien vite à l'amour . – Tu conviendras au moins que lorsque je donne dans le romanesque, ce n'est pas à demi, et que je suis aussi fou qu'il est possible de l'être . C'est toujours cela, car rien au monde n'est plus maussade qu’une folie raisonna ble . Tu conviendras aussi que, lorsque j'écris des lettres, ce sont plutôt des volumes que de simples billets . En tout j'aime ce qui dépasse les bornes ordinaires. - C'est pourquoi je t'aime. Ne te moque pas trop de toutes les niaiseries que je t'ai griffonnées : je quitte la plume pour les mettre en action ; car j'en reviens toujours à mon re frain : -je veux avoir une maîtresse . J'ignore si ce sera la dame du parc, la beauté du balcon, mais je te dis adieu pour me mettre en quête. Ma résolution est prise. Dût celle que je cherche se cacher au fond du royaume de Cathay ou de Samarcande, je la saurai bien dénicher. Je te ferai savoir le succès de mon entreprise ou sa non -réussite. J'espère que ce sera le succès : fais des væux pour moi, mon cher ami. Quant à moi, je m'habille de mon plus bel habit, et sors de la maison bien décidé à n'y rentrer qu'avec une maîtresse selon mes idées. J'ai assez rêvé ; à l'action maintenant. P, S. Donne -moi donc des nouvelles du petit D*** ; qu'est-il devenu ? personne ici n'en sait rien ; et fais bien mes compliments à ton digne frère et à toute la famille. 1 II Eh bien ! mon ami, je suis rentré à la maison, je n'ai pas été au Cathay, à Cachemire ni à Samarcande ; - mais MADEMOISELLE DE MAUPIN . 58 il est juste de dire que je n'ai pas plus de maîtressc que jamais. — Je m'étais pourtant pris la main à moi-même, et juré mon grand jurement que j'irais au bout du monde : je n'ai pas été seulement au bout de la ville . Je ne sais comment je m'y prends, je n'ai jamais pu tenir parole àà personne, pas même à moi : il faut que le diable s'en mêle . Si je dis : J'irai là demain , il est sûr que je res terai; si je me propose d'aller au cabaret, je vais à l'é glise ; si je veux aller à l'église, les chemins s'embrouil lent sous mes pieds comme des écheveaux de fil, et je me trouve dans un endroit tout différent. Je jeûne quand j'ai décidé de faire une orgie, et ainsi de suite. Aussi je crois que ce qui m'empêche d'avoir une maîtresse, c'est que j'ai résolu d'en avoir une . Il faut que je te raconte mon expédition de point en point : cela vaut bien les honneurs de la narration . J'avais passé ce jour-là deux grandes heures au moins à ma toi lette. J'avais fait peigner et friser mes cheveux, retrousser et cirer le peu que j'ai de moustaches, et, l'émotion du désir animant un peu la pâleur ordinaire de ma figure, je n'étais réellement pas trop mal . Enfin , après m'être at tentivement regardé au miroir sous des jours différents pour voir si j'étais assez beau et si j'avais la mine assez galante, je suis sorti résolument de la maison le front haut, le menton relevé, le regard direct, une main sur la hanche, faisant sonner les talons de mes boites comme un anspessade, coudoyant les bourgeois et ayant l’air par faitement vainqueur et triomphal. J'étais comme un autre Jason allant à la conquête de la toison d'or. - Mais, hélas ! Jason a été plus heureux que moi : outre la conquête de la toison, il a fait en même temps la conquête d'une belle princesse, et moi, je n'ai ni princesse ni toison . Je m'en allais donc par les rues, avisant toutes les femmes, et courant à elles et les regardant au plus près quand elles me semblaient valoir la peine d'être examinées. a 36 MADEMOISELLE DE MAUPIN . - Les unes prenaient leur grand air vertueux et passaient sans lever l'oeil. Les autres s'étonnaient d'abord, et puis souriaient quand elles avaient les dents belles . — Quelques -unes se retournaient au bout de quelque temps pour me voir lorsqu'elles croyaient que je ne les regardais plus, et rougissaient comme des cerises en se trouvant nez à nez avec moi.- Le temps était beau ; il y avait foule à la promenade.- Etcependant, je dois l'avouer, malgré tout le respect que je porte à cette intéressante moitié du genre humain , ce qu'on est convenu d'appeler le beau sexe est diablement laid : sur cent femmes, il y en avait à peine une de passable. Celle - ci avait de la moustache ; celle-là avait le nez bleu ; d'autres avaient des taches rouges en place de sourcils ; une n'était pas mal faite, mais elle avait le visage couperosé. La tête d'une seconde était charmante, mais elle pouvait se gratter l’oreille avec l'épaule ;; la troi sième eùt fait honte à Praxitèle pour la rondeur et le moel leux de certains contours, mais elle patinait sur des pieds pareils à des étriers turcs. Une autre faisait montre des plus magnifiques épaules qu’on pût voir ; en revanche, ses mains ressemblaient, pour la forme et la dimension, à ces énormes gants écarlates qui servent d'enseignes aux mer cières . — En général, que de fatigue sur ces figures ! comme elles sont flétries, étiolées, usées ignoblement par de petites passions et de petits vices ! Quelle expression d'envie, de curiosité méchante, d’avidité, de coquetterie effrontée ! et qu'une femme qui n'est pas belle est plus laide qu'un homme qui n'est pas beau ! Je n'ai rien vu de bien , - excepté quelques grisettes ; - mais il y a là plus de toile à chiffonner que de soie, et ce n'est pas mon affaire. -En vérité, je crois quel'homme, et par l'homme j'entends aussi la femme, est le plus vi lain animal qui soit sur la terre . Ce quadrupède qui marche sur ses pieds de derrière me paraît singulièrement pré somptueux de se donner de son plein droit le premier rang dans la création . Un lion, un tigre, sont plus beaux que - MADEMOISELLE DE MAUPIN. 57 - les hommes, et dans leur espèce beaucoup d'individus at. teignent à toute la beauté qui lui est propre . Cela est extrê mement rare chez l'homme. Que d'avortons pour un Antinoüs ! que de Gothons pour une Philis ! J'ai bien peur, mon cher ami, de ne pouvoir jamais em brasser mon idéal, et cependant il n'a rien d'extravagant et de hors nature . Ce n'est pas l'idéal d'un écolier de troisième. Je ne demande ni des globes d'ivoire, ni des colonnes d'albâtre, ni des réseaux d'azur ; je n'ai employé dans sa composition ni lis, ni neige, ni rose, ni jais, ni ébène, ni corail, ni ambroisie, ni perles, ni diamants ; j'ai laissé les étoiles du ciel en repos, et je n'ai pas décroché le soleil hors de saison . C'est un idéal presque bourgeois, tant il est simple, et il me semble qu'avec un sac ou deux de piastres je le trouverais tout fait et tout réalisé dans le premier bazar venu de Constantinople ou de Smyrne ; il me coûterait probablement moins qu'un cheval ou qu'un chien de race : et dire que je n'arriverai pas à cela, car je છે sens que je n'y arriverai pas ! il y a de quoi en enrager, et j'entre contre le sort dans les plus belles colères du monde. Toi, - tu n'es pas aussi fou que moi , tu es heureux, toi ; - tu t'es laissé aller tout bonnement à ta vie sans te tour menter à la faire, et tu as pris les choses comme elles se présentaient. Tu n'as pas cherché le bonheur, et il est venu te chercher ; tu es aimé, et tu aimes. —- Je ne t'envie pas; ne va pas croire eela au moins : mais je me trouve moins joyeux en pensant à ta félicité que je ne devrais l'e tre, et je me dis, en soupirant, que je voudrais bien jouir d'une félicité pareille. Peut- être mon bonheur a-t-il passé à côté de moi, et je ne l'aurai pas vu, aveugle que j'étais ; peut- être la voix a - t-elle parlé, et le bruit de mes tempêtes m'aura empê ché de l'entendre . Peut-être ai-je été aiméobscurémentpar un humble coeur que j'aurai méconnu ou brisé ; peut- être ai-je été moi même l'idéal d'un autre , le pôle d'une âme en souffrance, - > ___ > 58 MADEMOISELLE DE MAUPIN . - - le rêve d'une nuit et la pensée d'un jour. - Si j'avais regardé à mes pieds, peut- être y aurais-je vu quelque helle Madeleine avec son urne de parfums et sa cheve lure éplorée. J'allais levant les bras au ciel , désireux de cueillir les étoiles qui me fuyaient, et dédaignant de ramas ser la petite pâquerette qui m'ouvrait son cour d'or dans dla rosée et le gazon . J'ai commis une grande faute : j'ai demandé à l'amour autre chose que l'amour et ce qu'il ne pouvait pas donner . J'ai oublié que l'amour était nu , je n'ai pas compris le sens de ce magnifique symbole. - Je lui ai demandé des robes de brocart, des plumes, des diamants, un esprit sublime, la science, la poésie, la beauté, la jeunesse, la puissance suprême, – tout ce qui n'est pas lui ; l'amour ne peut offrir que lui -même, et qui en veut tirer autre chose n'est pas digne d'être aimé. Je me suis sans doute trop hâté : mon heure n'est pas venue ; Dieu qui m'a prêté la vie ne me la reprendra pas sans que j'aie vécu . A quoi bon donner au poëte une lyre sans cordes, à l'homme une vie sans amour ? Dieu ne peut pas commettre une pareille inconséquence; et sans doute, au moment voulu, il mettra sur mon chemin celle que je dois aimer et dont je dois être aimé. - Mais pourquoi l'amour m'est- il venu avant la maitresse ! pourquoi ai -je soif sans avoir de fontaine où m'étancher ? ou pourquoi ne sais -je pas voler, comme ces oiseaux du désert, à l'endroit où est l'eau ? Le monde est pour moi un Sahara sans puits et sans dattiers . Je n'ai pas dans ma vie un seul coin d'om bre où m’abriter du soleil : je souffre toutes les ardeurs de la passion sans en avoir les extases et les délices ineflables ; j'en connais les tourments, et n'en ai pas les plaisirs . Je suis jaloux de ce qui n'existe pas ; je m'inquiète pour l'om bre d’une ombre ; je pousse des soupirs qui n'ont point de but ; j'ai des insomnies que ne vient pas embellir un fan tôme adoré ; je verse des larmes qui coulent jusqu'à terre sans être essuyées ; je donne au vent des baisers qui ne me sont point rendus ; j’use mes yeux à vouloir saisir dans le MADEMOISELLE DE MAUPIN. 59 > 1 lointain une forme incertaine et trompeuse ; j'attends co qui ne doit point venir, et je compte les heures avec anxiété, comme si j'avais un rendez-vous. Qui que tu sois, ange ou démon, vierge ou courtisane, bergère ou princesse, que tu viennes du nord ou du midi, toi que je ne connais pas et que j'aime ! oh ! ne te fais pas attendre plus longtemps, ou la flamme brûlera l'autel, et tu ne trouveras plus à la place de mon coeurqu'un mon ceau de cendre froide. Descends de la sphère où tu es ; quitte le ciel de cristal, esprit consolateur, et viens jeter sur mon âme l'ombre de tes grandes ailes . Toi, femme que j'aimerai, viens, que je ferme sur toi mes bras ouverts depuis si longtemps. Portes d'or du palais qu'elle habite, roulez sur vos gonds ; humble loquet de sa cabane, lève toi ; rameaux des bois, ronces des chemins, décroisez-vous ; enchantements de la tourelle, charmes des magiciens, soyez rompus ; ouvrez-vous, rangs de la foule , et la laissez passer. Si tu viens trop tard, ô mon idéal ! je n'aurai plus la force de t'aimer : mon âme est comme un colombier tout plein de colombes. A toute heure du jour, il s'en en vole quelque désir . Les colombes reviennent au colombier, mais les désirs ne reviennent point au cœur. L'azur du ciel blanchit sous leurs innombrables essaims ;; ils s'en vont, à travers l'espace , de monde en monde, de ciel en ciel, chercher quelque amour pour s'y poser et y passer la nuit : presse le pas, ô mon rêve ! ou tu ne trouveras plus dans le nid vide que les coquilles des oiseaux en volés . Mon ami, mon compagnon d'enfance, tu es le seul à qui je puisse conter de pareilles choses. Écris-moi que tu me plains, et que tu ne me trouves pas hypocondriaque ; console-moi, je n'en ai jamais eu plus besoin : que ceux qui ont une passion qu'ils peuvent satisfaire sont dignes d'envie ! L'ivrogne ne rencontre de cruauté dans aucune bouteille ; il tombe du cabaret au ruisseau, et se trouve > 60 MADEMOISELLE DE MAUPIN. plus heureux sur son tas'd'ordures qu’un roi sur son trône, Le sensuel va chez les courtisanes chercher de faciles amours ,, ou des raffinements impudiques: une joue fardée , une jupe courte, une gorge débraillée, un propos libertin , il est heureux ; son vil blanchit, sa lèvre se trempe ; il at teint au dernier degré de son bonheur, il a l'extase de sa grossière volupté. Le joueur n'a besoin que d'un tapis vert et d'un jeu de cartes gras et usé pour se procurer les an goisses poignantes, les spasmes nerveux et les diaboliques jouissances de son horrible passion . Ces gens-là peuvent s'assouvir ou se distraire ; - moi, cela m'est impossible . Cette idée s'est tellement emparée de moi, que je n'aime presque plus les arts, et que la poésie n'a plus pour moi aucun charme ; ce qui me ravissait autrefois ne me fait pas la moindre impression. Je commence à le croire, je suis dans'mon tort, je demande à la nature et à la société plus qu'elles ne peuvent donner. Ce que je cherche n'existe point, et je ne dois pas me plaindre de ne pas le trouver. Cependant, si la femme que nous rêvons n'est pas dans les conditions de la nature humaine, qui fait donc que nous n'aimons que celle - là et point les autres, puisque nous sommes des hommes, et que notre instinct devrait nous y porter d'une invincible manière ? Qui nous a donné l'idée de cette femme imagi naire ? de quelle argile avons-nous pétri cette statue invi sible ? où avons- nous pris les plumes que nous avons atta chées au dos de cette chimère ? quel oiseau mystique a déposé dans un voin obscur de notre âme l'oeuf inaperçu dont notre rêve est éclos ? quelle est donc cette beauté abstraite que nous sentons, et que nous ne pouvons définir ? pourquoi, devant une femme souvent charmante, disons nous quelquefois qu'elle est belle, – tandis que nous la trourous fort laide ? Où est donc le modèle, le type, le patron intérieur qui nous sert de point de comparaison? car la beauté n'est pas une idée absolue, et ne peut s'ap précier que par le contraste . Est - ce au ciel que nous MADEMOISELLE DE MAUPIN . 61 l'avons vue , - - dans une étoile, au bal, à l'ombre d'une mère, frais bouton d'une rose effeuillée ? -est-ce en Italie ou en Espagne ? est - ce ici ou là-bas, hier ou il y a long temps ? était- ce la courtisane adorée, la cantatrice en vo gue, la fille du prince ? une tête fière etnoble ployant sous un lourd diadème de perles et de rubis ? un visage jeune et en fantin se penchant entre les capucines et les volubilis de la fenêtre ? — A quelle école appartenait le tableau où cette beauté ressortait blanche et rayonnante au milieu des noires ombres ? Est - ce Raphaël qui a caressé le contour qui vous plaît ? est- ce Cléomène qui a poli le marbre que vous ado rez ?-êtes- vous amoureux d'une madone ou d'une Diane ? votre idéal est-il un ange, une sylphide ou une femme ? Hélas ! c'est un peu de tout cela, et ce n'est pas cela . Cette transparence de ton, cette fraîcheur charmante et pleine d'éclat, ces chairs où courent tant de sang et tant de vie, ces belles chevelures blondes se déroulant comme des manteaux d'or, ces rires étincelants, ces fossettes amou reuses, ces formes ondoyantes comme des flammes, cette force, cette souplesse, ces luisants de satin , ces lignes si bien nourries, ces bras potelés, ces dos charnus et polis, toute cette belle santé appartient à Rubens. — Raphaël lui seul a pu remplir de cette couleur d’ambre pâle un aussi chaste linéament. Quel autre que lui a courbé ces longs sourcils si fins et si noirs, et effilé les franges de ces paupières si modestement baissées ? - Croyez-vous qu’Al qu'Al legri ne soit pour rien dans votre idéal ? C'est à lui que la dame de vos pensées a volé cette blancheur mate et chaude qui vous ravit. Elle s'est arrêtée bien longtemps devant ses toiles pour surprendre le secret de cet angélique sourire toujours épanoui ; elle a modelé l'ovale de son visage sur l'ovale d'une nymphe ou d'une sainte . Cette ligne de la hanche qui serpente si voluptueusement est de l'Antiope endormie . — Ces mains grasses et fines peuvent être ré clamées par Danaé ou Madeleine. – La poudreuse anti quité elle -même a fourni bien des matériaux pour la com a a 62 MADEMOISELLE DE MAUPIN. a - > position de votre jeune chimère ; ces reins souples et forts que vous enlacez de vos bras avec tant de passion ont été sculptés par Praxitèle. Cette divinité a laissé tout exprès passer le petit bout de son pied charmant hors des cendres d'Herculanum , pour que votre idole ne fût pas boiteuse . La nature a aussi contribué pour sa part. Vous avez vu au prisme du désir, çà et là, un bel oil sous une jalousie, un front d'ivoire appuyé contre une vitre, une bouche souriant derrière un éventail. — Vous avez deviné un bras d'après la main, un genou d'après une cheville . Ce que vous voyiez était parfait : - vous supposiez le reste comme ce que vous voyiez, et vous l'acheviez avec les morceaux d'autres beautés enlevés ailleurs. - La beauté idéale , réalisée par les peintres, ne vous a pas même suffi, et vous êtes allé demander aux poëtes des contours encore plus arrondis, des formes plus éthérées, des grâces plus divines, des re cherches plus exquises ; vous les aviez priés de donner le souffle et la parole à votre fantôme, tout leur amour, toute leur rêverie, toute leur joie et leur tristesse, leur mélan colie et leur morbidesse, tous leurs souvenirs et toutes leurs espérances, leur science et leur passion, leur esprit et leur cour ; vous leur avez pris tout cela, et vous avez ajouté, pour mettre le comble à l'impossible, votre passion à vous, à votre esprit à vous, votre rêve et votre pensée. L'étoile a prêté son rayon , -la fleur son parfum, la palette sa cou leur, le poëte son harmonie, le marbre sa forme, vous votre désir. - Le moyen qu’une femme réelle , mangeant et buvant, se levant le matin et se couchant le soir, si ado rable et si pétrie de grâces qu'elle soit d'ailleurs, puisse soutenir la comparaison avec une pareille créature ! on ne peut raisonnablement l'espérer, et cependant on l'espère , on cherche.- Quel singulier aveuglement ! cela estsublime ou absurde. Que je plains et que j'admire ceux qui pour suivent à travers toute la réalité de leur rêve, et qui meu. rent contents, pourvu qu'ils aient baisé une fois leur chi mère à la houche ! Mais quel sort affreux que celui des MADEMOISELLE DE MAUPIN. 63 Colombs qui n'ont pas trouvé leur monde, ct des'amants qui n'ont pas trouvé leur maîtresse ! Ah ! si j'étais poëte, c'est à ceux dont l'existence est manquée ; dont les flèches n'ont pas été au but, qui sont morts avec le mot qu'ils avaient à dire et sans presser la main qui leur était destinée ; c'est à tout ce qui a avorté et à tout ce qui a passé sans être aperçu, au feu étouffé, au génie sans issue, à la perle inconnue au fond des mers, à tout ce qui a aimé sans être aimé, à tout ce qui a souffert et que l'on n'a pas plaint, que je consacrerais mes chants ; ce serait une noble tâche . Que Platon avait bien raison de vouloir vous bannir de sa république, et quel mal vous nous avez fait, ô poëtes ! Que votre ambroisie nous a rendu notre absinthe encore plus amère ; et comme nous avons trouvé notre vie encore plus aride et plus dévastée après avoir plongé nos yeuxdans les perspectives que vous nous ouvrez sur l'infini! que vos rêves ont amené une lutte terrible contre nos réalités ! et comme, durant le combat, notre cour a été piétiné et foulé par ces rudes athlètes ! Nous nous sommes assis comme Adam au pied des murs du paradis terrestre, sur les marches de l'escalier qui mène au monde que vous avez créé, voyant étinceler à travers les fentes de la porte une lumière plus vive que le soleil, entendant confusément quelques notes éparses d'une harmonie séraphique. Toutes les fois qu'un élu entre ou sort au milieu d'un flot de splendeur, nous ten dons le cou pour tâcher de voir quelque chose par le bat tant ouvert. C'est une architecture féerique qui n'a son égale que dans les contes arabes . Des entassements de colonnes , des arcades superposées, des piliers tordus en spirale , des feuillages merveilleusement découpés, des trèfles évidés, du porphyre, du jaspe, du lapis -lazuli, que sais- je, moi ! des transparences et des reflets éblouissants. Jes profusions de pierreries étranges, des sardoines, du chrysobéril, des aigues-marines, des opales irisées, de . 9 MADEMOISELLE DE MAUPIN . et vos l'azerodrach, des jets de cristal, des flambeaux à faire pâlir les étoiles, une vapeur splendide pleine de bruit et de vertige, - un luxe tout assyrien ! Le battant retombe ; vous ne voyez plus rien, yeux se baissent, pleins de larmes corrosives, sur cette pauvre terre décharnée et pâle, sur ces masures en ruines, sur ce peuple en haillons, sur votre âme, rocher aride où rien ne germe, sur toutes les misères et toutes les infor tunes de la réalité. Ah ! du moins, si nous pouvions voler jusque - là , si les degrés de cet escalier de feu ne nous brû laient pas les pieds ; mais, hélas ! l'échelle de Jacob ne peut être montée que par les anges ! Quel sort que celui du pauvre à la porte du riche ! quelle ironie sanglante qu’un palais en face d'une cabane, que l'idéal en face du réel, que la poésie en face de la prose ! quelle haine enracinée doit tordre les næuds au , fond du cœur des misérables ! quels grincements de dents doivent retentir la nuit sur leur grabat, tandis que le vent apporte jusqu'à leur oreille les soupirs des téorbes et des violes d'amour! Poëtes, peintres, sculpteurs, musiciens, pourquoi nous avez-vous menti ? Poëtes, pourquoi nous avez-vous raconté vos rêves ? Peintres, pourquoi avez - vous fixé sur la toile ce fantôme insaisissable qui montait et descendait de votre cour à votre tête avec les bouillons de votre sang, et nous avez-vous dit : Ceci est une femme ? Sculpteurs, pourquoi avez- vous tiré le marbre des pro fondeurs de Carrare pour lui faire exprimer éternelle ment, et aux yeux de tous, votre plus secret et plus fugitif désir ? Musiciens, pourquoi avez-vous écouté, pen dant la nuit, le chant des étoiles et des fleurs, et l'avez vous noté ? Pourquoi avez - vous fait de si belles chansons, que la voix la plus douce qui nous dit : t'aime ! nous paraît rauque comme le grincement d'une scie ou le croassement d'un corbeau ? - Soyez maudits, impos teurs ! ... et puisse le feu du ciel brûler et détruire tous les tableaux, tous les poëmes, toutes les statues et toutes les MADEMOISELLE DE MAUPIN . 65 . partitions ... Ouf ! voilà une tirade d'une longueur inter minable, et qui sort un peu du style épistolaire. - Quelle tartine ! Je me suis joliment laissé aller au lyrisme, mon très cher ami, et voilà déjà bien du temps que je pindarise assez ridiculement. Tout ceci est fort loin de notre sujet, qui est, si je m'en souviens bien, l'histoire glorieuse et triomphante du chevalier d'Albert au pourchas de Da raïde, la plus belle princesse du monde, comme disent les vieux romans. Mais en vérité, l'histoire est si pauvre, queje suis forcé d'avoir recours aux digressions et aux réflexions. J'espère qu'il n'en sera pas toujours ainsi , et qu'avant peu le roman de ma vie sera plus entortillé et plus compliqué qu'un imbroglio espagnol. Après avoir erré de rue en rue, je me décidai à aller trouver un de mes amis qui devait me présenter dans une maison, où, à ce qu'il m'a dit, on voyait un monde de jo à lies femmes, - une collection d'idéalités réelles, de quoi satisfaire une vingtaine de poëtes. — Il y en a pour tous les goûts : - des beautés aristocratiques avec des regards d'aigle , des yeux vert de mer, des nez droits , des mentons orgueilleusement relevés, des mains royales et des démarches de déesse ; des lis d'argent montés sur des tiges d’or ; - de simples violettes aux pâles couleurs, au doux parfum , vil humide et baissé, cou frêle, chair diaphane ; - des beautés vives et piquantes ; des beautés précieuses, des beautés de tous les genres; - car c'est un vrai sérail que cette maison-là, — moins les eunuques et le kislar aga. Mon ami me dit qu'il y a déjà fait cinq ou six passions, tout autant ; - cela me paraît extrême ment prodigieux, et j'ai bien peur de ne pas avoir un pareil succès ; de C*** prétend que si, et que je réussirai bien tôt plus que je ne le voudrai. Je n'ai, suivant lui, qu’un défaut dont je me corrigerai avec l'âge et en prenant du monde, c'est de faire trop de cas de la femme, et pas assez des femmes . — Il pourrait bien y avoir quelque chose de - 6 . 66 MADEMOISELLE DE MAUPIN. vrai là dedans. - Il dit que je serai parfaitement aimable quand je me serai défait de ce petit travers. Dieu le veuille ! Il faut que les femmes sentent que je les méprise ; car un compliment, qu'elles trouveraient adorable et du dernier charmant dans la bouche d'un autre, les met en colère et leur déplaît dans la mienne, autant que l'épigramme la plus sanglante . Cela tient probablement à ce que de C*** me reproche. Le cœur me battait un peu en montant l'escalier, et j'étais à peine remis de mon émotion, que de C***, me poussant par le coude, me mit face à face avec une femme d'une trentaine d'années environ,, assez belle , - parée avec un luxe sourd et une prétention extrême de simpli cité enfantine, -ce qui ne l'empêchait pas d'être plaquée de rouge comme une roue de carrosse : - c'était la dame du lieu . De C ***, prenant cette voix grêle et moqueuse si diffé rente de sa voix habituelle, et dont il se sert dans le monde quand il veut faire le charmant, lui dit avec force démon strations de respect ironique, où perçait visiblement le plus profond mépris, moitié bas, moitié haut : C'est ce jeune homme dont je vous ai parlé l'autre jour, - un homme d'un mérite très -distingué; -il est on ne peut mieux né, et je pense qu'il ne pourra que vous être agréable de le recevoir ; c'est pourquoi j'ai pris la li berté de vous le présenter. Assurément, monsieur, vous avez très-bien fait, ré pliqua la dame en minaudant de la manière la plus ou trée . Puis elle se retourna vers moi, et après m'avoir dé taillé du coin de l'ail en connaisseuse habile, et d'une façon qui me fit rougir par-dessus les oreilles : - Vous pouvez vous regarder comme invité une fois pour toutes, et venir aussi souvent que vous aurez une soirée à perdre. Je m'inclinai assez gauchement, et balbutiai quelques mots sans suite qui ne durent pas lui donner une haute idée de mes moyens ; d'autres personnes entrèrent, ce - MADEMOISELLE DE MAUPIN. 67 qui me délivra des ennuis inséparables de la présentation . De C*** me tira dans un coin de fenêtre, et se mit à me sermonner d'importance . Que diable ! tu vas me compromettre ; je t’ai an noncé comme un phénix d'esprit, un homme à imagina tion effrénée, un poëte lyrique , tout ce qu'il y a de plus transcendant et de plus passionné, et tu restes là comme une souche, sans sonnermot! Quelle pauvre imaginative ! Je te croyais la veine plus féconde; allons donc, lâche la bride à ta langue, babille à tort et à travers ; tu n'as pas besoin de dire des choses sensées et judicieuses, au con traire , cela pourrait t'être nuisible ; parle, voilà l'essentiel ; parle beaucoup, parle longtemps ; attire l'attention sur toi ; jette -moi de côté toute crainte et toute modestie ; mets-toi bien dans la tête que tous ceux qui sont ici sont des sots, ou à peu près, et n'oublie pas qu’un orateur qui veut réussir ne peut mépriser assez son auditoire . Que te semble de la maîtresse de la maison ? - Elle me déplait déjà considérablement ; et, quoique je lui aie parlé à peine trois minutes, je m'ennuyais autant que si j'eusse été son mari . Ah ! voilà ce que tu en penses ? Mais oui . Ta répugnance pour elle est donc tout à fait insur montable ? - Tant pis ; il aurait été décent pour toi de l'avoir, ne fût- ce qu'un mois, cela est du bon air, et un jeune homme un peu bien ne peut être mis dans le monde que par elle . - Eh bien ! je l'aurai , fis -je d'un air assez piteux, puisqu'il le faut ; mais cela est- il aussi nécessaire que tu as l'air de le croire ? - Hélas ! oui, cela est du dernier indispensable , et je m'en vais t'en expliquer les raisons. Madame de Thémines est à la mode maintenant ; elle a tous les ridicules du jour d'une manière supérieure, quelquefois ceux de demain , mais jamais ceux d'hier : elle est parfaitement au courant. 68 MADEMOISELLE DE MAUPIN . - . On portera ce qu'elle porte, et elle ne porte pas ce qu'on a porté. Elle est riche d'ailleurs, et ses équipages sont du meilleur goût. - Elle n'a pas d'esprit, mais beaucoup de jargon ; elle a des goûts fort vifs et peu de passion . On lui plait, mais on ne la touche pas ; c'est un coeur froid et une tête libertine. Quant à son âme, si elle en a une, ce qui est douteux , elle est des plus noires , et il n'y a pas de méchancetés et de bassesses dont elle ne soit capable ; mais elle est extrêmement adroite et conserve les dehors, juste ce qu'il est nécessaire pour qu'on ne puisse rien. prouver contre elle . Ainsi, elle couchera très-bien avec un homme et ne lui écrira pas le billet le plus simple . Aussi ses ennemies les plus intimes ne trouvent rien à dire sur elle , sinon qu'elle met son rouge trop haut, et que cer taines portions de sa personne n'ont pas, en vérité, toute la rondeur qu'elles paraissent avoir, — ce qui est faux . Comment le sais-tu ? La question est bonne ! comme on sait ces sortes de choses, en m'en assurant par moi-même. - Tu as donc eu aussi madame de Thémines ! - Certainement! Pourquoi donc ne l'aurais -je pas eue! Il eût été de la dernière inconvenance que je ne l'eusse pas. — Elle m'a rendu de grands services, et je lui en suis fort reconnaissant. -Je ne comprends pas le genre de services qu'elle peut t'avoir rendus ... Serais-tu réellement un sot ? me dit alors de C*** en me regardant avec la mine la plus comique du monde. Ma foi, j'en ai bien peur ; - et faut- il donc tout te dire ? Madame de Thémines passe, et à juste titre, pour avoir des lumières spéciales à de certains endroits , et un jeune homme qu'elle a pris et gardé pendant quelque temps peut hardiment se présenter partout, et être sûr qu'il ne restera pas longtemps sans avoir une affaire, et deux plutôt qu’une . Outre cet ineffable avantage, il y en a un autre qui n'est pas moindre, - c'est que, dès que les femmes - - . - MADEMOISELLE DE MAUPIN. 69 de cette société te verront l'amant en titre de madame de Thémines, n'eussent-elles pas le plus léger goût pour toi , elles se feront un plaisir et un devoir de t'enlever à une femme à la mode comme est celle -ci; et, au lieu des avances etdes démarches que tu aurais à faire, tu n'auras que l'embarras du choix, et tu deviendras nécessairement le point de mire de toutes les agaceries et de toutes les mi nauderies possibles. Cependant, si elle t'inspire une répugnance trop forte, ne la prends pas. Tu n'y es pas précisément obligé, quoique cela eût été dans la politesse et les convenances . Mais fais vite un choix et attaque-toi à celle qui te plaira le mieux ou qui semblera offrir le plus de facilités, car tu perdrais, en différant, le bénéfice de la nouveauté et l'avantage qu'elle te donne pendant quelques jours sur tous les ca valiers qui sont ici . Toutes ces dames ne conçoivent rien à ces passions qui naissent dans l'intimité et se développent lentement dans le respect et dans le silence : elles sont pour les coups de foudre et les sympathies occultes ; - chose merveilleusement bien imaginée pour épargner les ennuis de la résistance et toutes ces longueurs et ces re dites que le sentiment entremêle au roman de l'amour, et qui ne font qu'en différer inutilement la conclusion . - Ces dames sont très- économes de leur temps, et il leur pa rait tellement précieux, qu'elles seraient au désespoir d'en laisser une seule minute inemployée . Elles ont une ens vie d'obliger le genre humain qu'on ne saurait trop louer, et elles aiment leur prochain comme elles-mêmes, - ce qui est parfaitement évangélique et méritoire ; ce sont de très-charitables créatures, qui ne voudraient, pour rien au monde, faire mourir un homme de désespoir. Il doit déjà y en avoir trois ou quatre de frappées en la faveur, et je te conseillerais amicalement de pousser ta pointe avec vivacité de ce côté-là, au lieu de t'amuser à bavarder avec moi dans l'embrasure d'une fenêtre, ce qui ne t'avancera pas à grand'chose . 70 MADEMOISELLE DE MAUPIN. Mais, mon cher C***>, je suis tout à fait neuf sur ces matières - là . Je n'ai point ce qu'il faut du monde pour distinguer au premier coup d'oeil une femme frappée d’avec une qui ne l'est point ; et je pourrais commettre d'étranges bévues, si tu ne m'aidais de ton expérience. - En vérité, tu es d'un primitif qui n'a pas de nom, et je ne croyais pas qu'il fût possible d'être aussi pastoral et aussi bucolique que cela dans le bienheureux siècle où nous sommes ! Que diable fais - tu donc de cette grande paire d'yeux noirs que tu as là, et qui serait de l'effet le plus vainqueur,, si tu savais t'en servir ? - Regarde-moi là-bas un peu, dans ce coin auprès de la cheminée, cette petite femme en rose qui joue avec son éventail : elle te lorgne depuis un quart d'heure avec une assiduité et une fixité tout à fait significatives : il n'y a qu'elle au monde pour être indécente d'une manière aussi supérieure, et déployer une aussi noble effronterie . Elle déplaît beaucoup aux femmes, qui désespèrent de parvenir jamais à cette hauteur d’impudence, mais, en revanche, elle plaît beau coup aux hommes, qui lui trouvent tout le piquant d'une courtisane. - Il est vrai qu'elle est d'une dépravation charmante, pleine d'esprit, de verve et de caprice. -- C'est une excellente maitresse pour un jeune homme qui a des préjugés. En huit jours elle vous débarrasse une conscience de tout scrupule, et vous corrompt le coeur de manière à ce que vous ne soyez jamais ridicule ni élé giaque . Elle a sur toutes choses des idées d’un positif inexprimable ; elle va au fond de tout avec une rapidité et une sûreté qui étonnent. C'est l'algèbre incarné que cette petite femme-là ; c'est précisément ce qu'il faut à un rêveur et à un enthousiaste. Elle t'aura bientôt corrigé de ton vaporeux idéalisme : c'est un grand service qu'elle te rendra. Elle le fera du reste avec le plus grand plaisir, car son instinct est de désenchanter des poëtes. Ma curiosité étant éveillée par la description de de C***, je sortis de ma retraite , et, me glissant entre les groupes, - - MADEMOISELLE DE MAUPIN. il je m'approchai de la dame et je la regardai fort attentive ment : -elle pouvait avoir vingt-cinq ou vingt- six ans. Sa taille était petite , mais assez bien prise, quoique un peu chargée d'embonpoint ; elle avait le bras blanc et potelé, la main assez noble, le pied joli et même trop mignon, les épaules grasses et lustrées, peu de gorge, mais ce qu'il y en avait fort satisfaisant et ne 'donnant pas mauvaise idée du reste ; pour les cheveux, ils étaient extrêmement brillants et d'un noir bleu comme des ailes de geai ; le coin de l'oeil troussé assez haut vers la tempe, le nez mince et les narines fort ouvertes , la bouche humide et seli suelle, une petite raie à la lèvre inférieure, et un duvet presque imperceptible aux commissures. Et dans tout cela une vie, une animation , une santé, une force, et je ne sais quelle expression de luxure adroitement tempérée par la coquetterie et le manége, qui en faisaient en somme une très -désirable créature et justifiaient et au delà les goûts très- vifs qu'elle avait inspirés et qu'elle inspirait tous les jours. Je la désirai ; mais je compris néanmoins que ce ne serait pas cette femme, tout agréable qu'elle fût, qui réa liserait mon vou et me ferait dire : -Enfin j'ai unemai. tresse ! Je revins à de. C***, et je lui dis : La dame me plaît assez, et je m'arrangerai peut- être avec elle . Mais, avant de rien dire de précis et qui m'engage, je voudrais bien que tu eusses la bonté de me faire voir celles des indul gentes beautés qui ont eu l'obligeance de se frapper pour moi, afin que je puisse choisir.. -- Tu me ferais plaisir aussi, puisque tu me sers ici de démonstrateur, d'y ajou ter une petite notice et la nomenclature de leurs défauts et qualités ; la manière dont il faut les attaquer et le ton qu'on doit employer avec elles pour que je n'aie pas trop l'air d'un provincial ou d'un littérateur. Je veux bien, dit de C*** , – Vois-tu ce beau cygne mélancolique qui déploie son cou si harmonieusement et > 72 MADEMOISELLE DE MAUPIN . moi un peu fait remuer ses manches comme des ailes ; c'est la mo destie même, tout ce qu'il y a de plus chaste et de plus virginal au monde ; c'est un front de neige, un caur de glace, des regards de madone, un sourire d’Agnès, elle a une robe blanche et l'âme pareille ; elle ne met dans ses cheveux que des fleurs d'oranger ou des feuilles de nenu far, et ne tient à la terre que par un fil. Elle n'a jamais eu une mauvaise pensée et ignore profondément en quoi un homme diffère d'une femme. La sainte Vierge est une . bacchante à côté d'elle , ce qui d'ailleurs ne l'empêche pas d'avoir eu plus d'amants qu'aucune femme que je connaisse, et assurément ce n'est pas peu dire. Examine la gorge de cette discrète personne ; - c'est un petit chef- d'ouvre, et réellement il est difficile de montrer autant en cachant davantage ; dis -moi si, avec toutes ses restrictions et toute sa pruderie, elle n'est pas dix fois plus indécente que cette bonne dame qui est à sa gauche et qui étale bravement deux hémisphères qui, s'ils étaient réunis, formeraient une mappemonde d'une gran deur naturelle, ou que cette autre qui est à sa droite, dé colletée jusqu'au ventre et qui fait parade de son néant avec une intrépidité charmante ? —Cette virginale créa ture, ou je me trompe fort, a déjà supputé dans sa tête ce que les promesses de ta pâleur et de tes yeux noirs pouvaient tenir d'amour et de passion ; et ce qui me fait dire cela, c'est qu'elle n'a pas regardé une seule fois de ton côté, du moins en apparence ; car elle sait faire jouer sa prunelle avec tant d'art et la faire couler si adroitement dans le coin de ses yeux, que rien ne lui échappe ; on croirait qu'elle y voit par le derrière de la tête, car elle sait parfaitement ce qui se passe derrière elle . -- C'est un Janus fémirin . – Si tu veux réussir auprès d'elle, il faut laisser là les manières débraillées et victorieuses . Il faut lui parler sans la regarder, sans faire de mouvement, dans une attitude contrite, et d'un ton de voix étouffé et respectueux ; de cette facon, tu pourras lui dire tout ce MADEMOISELLE DE MAUPIN . 73 > que tu voudras, pourvu que cela soit convenablement gazé, et elle te permettra les choses les plus libres en pa roles d'abord, et ensuite en action . Aie soin seulement de rouler tendrement les yeux quand elle aura les siens bais sés, et parle- lui des douceurs de l'amour platonique et du commerce des âmes, tout en employant avec elle la pan tomime la moins platonique et la moins idéale du monde ! Elle est fort sensuelle et très-susceptible; embrasse - la tant que tu voudras ; mais, dans l'abandon le plus intime, n'oublie pas de l'appeler madame au moins trois fois par phrase : elle s'est brouillée avec moi, parce qu'étant cou ché dans son lit , je lui ai dit je ne sais plus quoi en la tutoyant. Que diable ! on n'est pas honnête femme pour rien . - Je n'ai pas grande envie, d'après ce que tu me dis, de risquer l'aventure : une Messaline prude ! l'alliance est monstrueuse et nouvelle . -Vieille comme le monde, mon cher ! cela se voit tous les jours, et rien n'est plus commun . —Tu as tort de ne pas te fixer à celle-là :: - elle a un grand agrément,, c'est qu'avec elle on a toujours l'air de commettre un péché mortel, et le moindre baiser paraît tout à fait damnable ; tandis qu'avec les autres on croit à peine faire un péché véniel, et souvent même on ne croit rien faire du tout . C'est la raison pourquoi je l'ai gardée plus longtemps qu'aucune maîtresse . — Je l'aurais encore, si elle ne m'avait pas quitté elle-même ; c'est la seule femme qui m'ait devancé, et je lui porte un certain respect à cause de cela . —Elle a de petits raffinements de volupté on ne peut plus délicats, et ce grand art de paraitre se faire extorquer ce qu'elle accorde très- librement : ce qui donne à chacune de ses faveurs le charme d'un viol . Tu trouve ras dans le monde dix de ses amants qui te jureront sur leur honneur que c'est la plus vertueuse créature qui soit . - Elle est précisément le contraire . -C'est une curieuse étude que d'anatomiser cette vertu-là sur un oreiller . . - . 74 MADEMOISELLE DE MAUPIN. > > C'est un corps Étant prévenu, tu ne cours aucun risque, et tu n'auras pas la maladresse d’en devenir sincèrement amoureux. Quel âge a dor.c cette adorable personne ? deman cai- je à de C***, car il m'était impossible de le déterminer en l'examinant avec l'attention la plus scrupuleuse. - Ah ! voilà, quel âge a-t- elle ? c'est le mystère, et Dieu seul le sait . Pour m. i , qui me pique d’assigner leur âge aux femmes à une minute près, je n'ai jamais pu trouver le sien . Seulement, d'une manière approximative, j'estime qu'elle peut avoir de dix -huit à trente -six ans. — Je l'ai vue en grande toilette, en déshabillé, sous le linge, et je ne puis rien t'apprendre à cet égard : ma science est en dé faut; l'âge qu'elle semble le plus avoir, c'est dix -huit ans, et cependant ce ne peut être son âge . - de vierge et une âme de fille de joie, et, pour se corrom pre aussi profondément et aussi spécieusement, il faut beaucoup de temps ou de génie ; il faut un caur de bronze dans une poitrine d'acier : elle n'a nil'un ni l'ar tre ; alors je pense qu'elle a trente- six ans, mais au fond je ne sais rien . - Est -ce qu'elle n'a pas d'amie intime qui te pourrait Conner des lumières à ce sujet ? Non ; elle est arrivée dans cette ville il y a deux ans. Elle venait de la province ou de l'étranger, je ne sais plus lequel ; -c'est une admirable position pour une femme qui sait en profiter. Avec une figure comme elle en a une, elle peut se donner l'âge qu'elle veut et ne dater que du jour où elle est arrivée ici . Voilà qui est on ne peut plus agréable, surtout quand quelque ride impertinente ne vient pas vous démentir, et que le temps, ce grand destructeur, a la bonté de se prêter à cette falsification de l'extrait de baptême. Il m'en fit voir encore quelques-unes qui, selon lui, re cevraient favorablement toutes les requêtes qu'il me plai rait de leur adresser et me traiteraient avec une philan thropic toute particulière . Mais la femme en rose du coin MADEMOISELLE DE MAUPIN . 75 - de la cheminée et la modeste colombe qui lui servait d'an tithèse étaient incomparablement mieux que toutes les autres ; et, si elles n'avaient pas toutes les qualités que je demande, elles en avaient quelques-unes, du moins en apparence. Je parlai toute la soirée avec elles, surtout avec la der nière, et j'eus soin de jeter mes idées dans le moule le plus respectueux ; - quoiqu'elle me regardât à peine, je crus voir quelquefois luire ses prunelles sous leur rideau de cils, et à quelques galanteries assez vives, mais habil lées de la gaze la plus pudique, que je hasardai, passer à deux ou trois lignes sous sa chair une petite rougeur con tenue et étouffée, assez pareille à celle que produit une liqueur rose versée dans une tasse à moitié opaque. Ses réponses, en général, étaient sobres, mesurées, mais pour tant aiguës et pleines de trait, et donnaient à penser beau coup plus qu'elles n'exprimaient. Tout cela était entre mêlé de réticences, de demi-mots, d'allusions détournées, chaque syllabe avait son intention, chaque silence sa por tée ; rien au monde n'était plus diplomatique et plus charmant. — Et pourtant, quelque plaisir que j'y aie pris momentanément, je ne pourrais supporter longtemps une pareille conversation . Il faut être perpétuellement en éveil et sur ses gardes, et ce que j'aime le mieux dans une cau serie, c'est l'abandon et la familiarité. Nous avons parlé d'abord de musique, ce qui nous a conduits tout naturel lement à parler de l'Opéra, et ensuite des femmes, puis de l'amour, sujet dans lequel il est plus facile que dans tout autre de trouver des transitions pour passer de la généralité à la spécialité. — Nous avons fait du veau caur à qui mieux mieux ; - tu aurais ri de m'entendre . -EN vérité, Amadis sur la Roche pauvre n'était qu'un cuistre sans flamme auprès de moi . C'étaient des générosités, des abnégations, des dévouements à faire rougir de honte feu le Romain Curtius. Je ne me croyais sincèrement pas capable d'un galimatias et d'un pathos aussi transcendants, - 76 MADEMOISELLE DE MAUPIN . - Moi, faisant du platonisme le plus quintessencié, cela ne te paraît- il pas une des choses les plus bouffonnes, - la meilleure scène de comédie qu'il se puisse voir ? Et puis cet air confit en perfection, ces petites façons papelardes et chattemites que je vous avais ! tubleu ! Je n'avais pas la mine d'y toucher, et toute mère qui m'aurait en tendu raisonner n'aurait pas hésité à me laisser coucher avec sa fille, tout mari m'aurait confié sa femme. C'est la soirée de ma vie où j'ai eu le plus l'air vertueux et où je l'ai été le moins. —- Je pensais qu'il fût plus difficile que cela d'être hypocrite et de dire des choses que l'on ne croyait point . Il faut que ce soit assez aisé ou que j'aie de fort belles dispositions pour avoir aussi agréablement réussi du premier coup . J'ai en vérité de fort beaux moments . Quant à la dame, elle a dit beaucoup de choses très finement détaillées, et qui, malgré l'air de candeur qu'elle y mettait, prouvent une expérience des plus consommées; on ne peut se faire une idée de la subtilité de ses distinc tions . Cette femme- là scierait un cheveu en trois dans sa longueur, et elle ferait quinauds tous les docteurs angéli ques et séraphiques . Au reste, à la manière dont elle parle, il est impossible de croire qu'elle ait même l'ombre d'un corps. - C'est d'un immatériel, d'un vaporeux, d'un idéal à vous casser les bras ; et, si de C*** ne m'avait prévenu des allures de la bête, j'aurais assurément désespéré du succès de mes affaires, et je me serais tenu piteusement à l'écart. Comment diable aussi , lorsqu'une femme vous dit pendant deux heures, de l'air le plus détaché du monde, que l'amour ne vit que de privations et de sacrifices et au tres belles choses.de ce genre, peut- on décemment espérer de lui persuader un jour de se mettre entre deux draps avec vous, pour vous fomenter la complexion et voir si vous êtes faits l'un comme l'autre ? Bref, nous nous sommes séparés très- amis, et nous féli citant réciproquement de l'élévation, de la pureté de nos sentiments, MADEMOISELLE DE MAUPIN . 77 La conversation avec l'autre a été, comme tu l'imagines, d'un genre tout à fait opposé . Nous avons ri autant que parlé. Nous nous sommes moqués, et fort spirituellement, de toutes les femmes qui étaient là ; quand je dis : Nous nous sommes moqués et fort spirituellement, je me trompe ; je devais dire : Elle s'est moquée ; un homme ne se moque jamais bien d'une femme . Moi, j'écoutais et j'ap prouvais, car il est impossible de crayonner un trait plus vif, et de le colorer plus ardemment ; c'est la plus curieuse galerie de caricatures que j'aie jamais vue . Malgré l'exa gération, on sentait la vérité là-dessous; de C*** avait bien raison : la mission de cette femme est de désenchan ter des poëtes. Il y a autour d'elle une atmosphère de prose dans laquelle une idée poétique ne peut vivre. Elle est charmante et pétillante d'esprit, et cependant, à côté d'elle, on ne pense qu'à des choses ignobles et vulgaires ; tout en lui parlant, je me sentais une foule d'envies incon grues et impraticables dans le lieu où je me trouvais, commé de me faire apporter du vin et de me soûler, de la camper sur un de mes genoux et de lui baiser la gorge, de relever le bord de sa jupe et de voir si sa jarretière était au -dessus ou au-dessous du genou, de chanter à tue tête un refrain ordurier, de fumer une pipe ou de casser les carreaux : que sais- je ? – Toute la partie animale, toute la brute se soulevait en moi ; j'aurais très-volontiers craché sur l'Iliade d'Homère et je me serais mis à genoux devant un jambon . - Je comprends parfaitement aujour d'hui l'allégorie des compagnons d'Ulysse changés en pourceaux par Circé. Circé était probablement quelquu égrillarde comme ma petite femme en rose . Chose honteuse à dire , j'éprouvais un grand délice à me sentir gagné par l'abrutissement ; je ne m'y opposais pas, j'y aidais de toutes mes forces, tant la corruption est natu relle à l'homme, et tant il y a de boue dans l'argile dont il est pétri. Cependant j'eus une minute peur de cette gangrène qui 7 . 78 MADEMOISELLE DE MAUPIN . - me gagnait, et je voulus quitter la corruptrice ; mais le parquet semblait avoir monté jusqu'à mes genoux, et j'é tais comme enchâssé à ma place. A la fin je pris sur moi de la quitter, et , la soirée étant fort avancée, je m'en retournai chez moi très-perplexe, très-troublé et ne sachant trop ce que je devais faire. J'hésitais entre la prude et la galante. - Je trouvais de la volupté dans l'une et du piquant dans l'autre ; et, après un examen de conscience très - détaillé et très-approfondi, je m'aperçus non que je les aimais toutes les deux , mais que je les désirais toutes les deux, l'une autant que l'autre, avec assez de vivacité pour en prendre de la rêverie et de la préoccupation. Selon toute apparence, ò mon ami ! j'aurai une de ces deux femmes, je les aurai peut- être toutes les deux, et pourtant je t'avoue que leur possession ne me satisfait qu'à moitié : ce n'est pas qu'elles ne soient fort jolies, mais à leur vue rien n'a crié dans moi, rien n'a palpité, rien n'a dit : C'est elles ; je ne les ai pas reconnues. Ce pendant je ne crois pas que je rencontrerai beaucoup mieux du côté de la naissance et de la beauté, et de C*** me conseille de m'en tenir là . Assurément je le ferai, et l'une ou l'autre sera ma maîtresse, ou le diable m'empor tera avant qu'il soit bien longtemps ; mais, au fond de mon cour, une secrète voix me reproche de mentir à mon amour, et de m'arrêter ainsi au premier sourire d'une femmeque je n'aime point, au lieu de chercher in fatigablement à travers le monde, dans les cloitres et dans les mauvais lieux , dans les palais et dans les auberges, celle qui a été faite pour moi et que Dieu me destino, princesse ou servante, religieuse ou femme galante. Puis je me dis que je me fais des chimères, qu'il est bien égal après tout que je couche avec cette femme ou avec une autre, avec toutes ou avec aucune ; que la terre non déviera pas d'une ligne dans sa marche, et que les quatre saisons n'intervertiront pas leur ordre pour cela ; MADEMOISELLE DE MAUPIN . 79 que rien au monde n'est plus indifférent, et que je suis bien bon de me tourmenter de pareilles billevesées : voilà ce que je me dis . Mais j'ai beau dire, je n'en suis ni plus tranquille ni plus résolu . Cela tient peut-être à ce que je vis beaucoup avec moi même, et que les plus petits détails dans une vie aussi monotone que la mienne prennent une trop grande im portance. Je m'écoute trop vivre et penser : j'entends le battement de mes artères, les pulsations de mon coeur ; je dégage, à force d'attention, mes idées les plus insaisissa bles de la vapeur trouble où elles flottaient, et je leur donne un corps. - Si j'agissais davantage, je n'aperce vrais pas toutes ces petites choses, et je n'aurais pas le temps de regarder mon âme au microscope, comme je le fais toute la journée. Le bruit de l'action ferait envoler cet essaim de pensées oisives qui voltigent dans ma tête et m'étourdissent du bourdonnement de leurs ailes : au lieu de poursuivre des fantômes, je me colletterais avec des réalités ; je ne demanderais aux' femmes que ce qu'elles peuvent donner : —- du plaisir, et je ne cher · cherais pas à embrasser je ne sais quelle fantastique idéa lité parée de nuageuses perfections . — Cette tension acharnée de l'oeil de mon âme vers un objet invisible ni'a faussé la vue . Je ne sais pas voir ce qui est, à force d'avoir regardé ce qui n'est pas, et mon vil si subtil pour l'idéal est tout à fait myope dans la réalité ; ainsi , j'ai connu des femmes que tout le monde assure être ravissantes, et qui ne me paraissent rien moins que cela. — J'ai beau coup admiré des peintures généralement jugées mau vaises, et des vers bizarres ou inintelligibles m'ont fait plus de plaisir que les plus galantes productions. —Je ne serais pas étonné qu'après avoir tant adressé de soupirs à la lune et regardé les étoiles entre les deux yeux, après avoir tant fait d'élégies et d'apostrophes sentimentales, je ne devienne amoureux de quelque fille de joie bien igno ble ou de quelque femme laide et vieille ; - ce serait une > 80 MADEMOISELLE DE MAUPIN. belle chute. — La réalité se vengera peut-être ainsi du peu de soin que j'ai mis à lui faire la cour : – cela ne serait-il pas bien fait, si j'allais m'éprendre d'une belle passion romanesque pour quelque maritorne ou quelque abominable gaupe ? Me vois-tu jouant de la guitare sous la fenêtre d'une cuisine et supplanté par un marmiton , ou portant le roquet d'une vieille douairière crachant sa der nière dent ? Peut- être aussi que, ne trouvant rien en ce monde qui soit digne de mon amour, je finirai par 'm’y adorer moi-même, comme feu Narcisse d'égoïste mé moire. - Pour me garantir d'un aussi grand malheur, je me regarde dans tous les miroirs et dans tous les ruisseaux que je rencontre . Au vrai, à force de rêveries et d'aberra tions, j'ai une peur énorme de tomber dans le monstrueux et le hors nature. Cela est sérieux, et il y faut prendre garde. — Adieu, mon ami ; – je vais de ce pas chez la dame rose, de peur de me laisser aller à mes contempla tions habituelles . - Je ne pense pas que nous nous occu pions beaucoup de l'entéléchie, et je crois que, si nous faisons quelque chose , ce ne sera pas à coup sûr du spiri tualisme, bien que la créature soit fort spirituelle : je roule · soigneusement et serre dans un tiroir le patron de ma maîtresse idéale pour ne pas l'essayer sur celle-ci . Je veux jouir tranquillement des beautés et des mérites qu'elle a. Je veux la laisser habillée d'une robe à sa taille, sans tå cher de lui adapter le vêtement que j'ai taillé d'avance et à tout événement pour la dame de mes pensées . Ce sont de fort sages résolutions, je ne sais pas si je les tien drai. Encore une fois, adieu. III Je suis l'amant en pied de la dame rose ; c'est presque un état, une charge, et cela donne de la consistance dans le monde. Je n'ai plus l'air d'un écolier qui cherche une bonne fortune parmi les aïcules et qui n'ose débiter un MADEMOISELLE DE MAUPIN 81 - madrigalà unefemme, à moins qu'elle ne soit centenaire : je m'aperçois, depuis mon installation , que l'on me consi dère beaucoup plus, que toutes les femmes me parlent avec une coquetterie jalouse et font de grands frais pour moi . - Les hommes, au contraire, y mettent plus de froi deur, et, dans le peu de mots que nous échangeons, il y a quelque chose d'hostile et de contraint ; ils sentent qu'ils ont en moi un rival déjà redoutable et qui peut le devenir davantage . — Il m'est revenu que beaucoup d'entre eux avaient amèrement critiqué ma façon de me mettre, et avaient dit que je m'habillais d'une manière trop effémi née ; que mes cheveux étaient bouclés et lustrés avec plus de soin qu'il ne convenait ; que cela, joint à ma figure imberbe, me donnait un air damoiseau on ne peut plus ridicule ; que j'affectais pour mes vêtements des étoffes riches et brillantes qui sentaient leur théâtre, et que je ressemblais plus àà un comédien qu'à un homme : - toutes - les banalités qu'on dit pour se donner le droit d'être sale et de porter des habits pauvres et mal coupés . —- Mais tout cela ne fait que blanchir, et toutes les dames trouvent que mes cheveux sont les plus beaux du monde, que mes re cherches sont du meilleur goût, et semblent fort disposées à me dédommager des frais que je fais pour elles, car elles ne sont point assez sottes pour croire que toute cette élégance n'ait pour but que mon embellissement parti culier . La dame du logis a d'abord paru un peu piquée de mon choix, qu'elle croyait devoir nécessairement tomber sur elle, et pendant quelques jours elle en a gardé une cer taine aigreur (envers sa rivale seulement; car, pour moi, elle m'a toujours parlé de même) , qui se manifestait par quelques petits : - Ma chère,, - dits avec cette manière sèche et découpée que les femmes ont seules, et par quel ques avis désobligeants sur sa toilette donnés à aussi haute voix que possible, comme : - Vous êtes coiffée beaucoup trop haut et pas du tout à l'air de votre visage ; ou : 82 MADEMOISELLE DE MAUPIN . Votre corsage poche sous les bras; qui vous a donc fait cette robe ? ou : - Vous avez les yeux bien battus ; je vous trouve toute changée; — et mille autres menues observa. tions à quoi l'autre ne manquait pas de riposter avec toute la méchanceté désirable quand l'occasion s'en pré sentait ; et, si l'occasion tardait trop, elle s'en faisait elle même une pour son usage , et rendait, et ' au delà , ce qu'on lui avait donné. Mais bientôt, un autre objet ayant détourné l'attention de l'infante dédaignée, cette petite guerre de mots cessa et tout rentra dans l'ordre habituel . Je t'ai dit sommairement que j'étais l'amant en pied de la dame rose ; cela ne suffit pas pour un homme aussi ponctuel que tu l’es . Tu me demanderas sans doute coin ment elle s'appelle : quant à son nom, je ne te le dirai pas ; mais si tu veux, pour la facilité du récit, et en mé moire de la couleur de la robe avec laquelle je l'ai vue pour la première fois, - nous l'appellerons Rosette ; - c'est un joli nom : ma petite chienne s'appelait comme cela . Tu voudras savoir de point' en point, car tu aimes la précision dans ces sortes de choses, l'histoire de nos amours avec cette belle Bradamante, et par quelles gra dations successives j'ai passé du général au particulier, et de l'état de simple spectateur à celui d'acteur ; com ment, de public que j'étais, je suis devenu amant. Je con tenterai ton envie avec le plus grand plaisir . Il n'y a rien de sinistre dans notre romanl ; il est couleur de rose, et l'on n'y verse d'autres larmes que celles du plaisir ; on n'y rencontre ni longueurs ni redites, et tcut y marche vers la fin avec cette hâte et cette rapidité si recommandées par Horace ; c'est un véritable roman français. Toute fois ne va pas t'imaginer que j'aie emporté la place au premier assaut .. —- La princesse , quoique fort humaine pour ses sujets, n'est pas aussi prodigue de ses faveurs qu'on pourrait le croire d'abord ; elle en connaît trop le prix pour ne pas vous les faire acheter ; elle sait trop MADEMOISELLE DE MAUPIN. 83 - bien aussi ce qu'un juste retard donne de vivacité au dé sir, et le ragoût qu'une demi-résistance ajoute au plaisir, pour se livrer à vous tout d'abord, si vif que soit le goût que vous lui ayez inspiré . Pour te conter la chose tout au long, il faut remonter un peu plus haut. Je t'ai fait un récit assez circonstancié de notre première entrevue . J'en ai eu encore une ou deux autres dans la même maison ou même trois, puis elle m'a invité à aller chez elle ; je ne me suis pas fait prier, comme tu peux bien le croire : j'y suis allé avec discrétion d’a bord, puis un peu plus souvent, puis encore plus souvent, puis enfin toutes les fois que l'envie m'en prenait, et je dois avouer qu'elle me prenait au moins trois ou quatre fois par jour. — La dame, après quelques heures d'ab sence, me recevait toujours comme si je fusse revenu des Indes orientales ;ce à quoi j'étais on ne peut plus sensible, et ce qui m'obligeait à montrer ma reconnaissance d'une manière marquée par les choses les plus galantes et les plus tendres du monde, auxquelles elle répondait de son mieux. Rosette, puisque nous sommes convenus de l'appeler ainsi; est une femme d'un grand esprit et qui comprend l'homme de la manière la plus admirable ; quoiqu'elle ait retardé quelque temps la conclusion du chapitre, je n'ai pas pris une seule fois de l'humeur contre elle : ce qui est vraiment merveilleux ; car tu sais les belles fureurs où j'entre lorsque je n'ai pas sur-le-champ ce que je dé sire, et qu'une femme dépasse le temps que je lui ai assi gné dans ma tête pour se rendre . Je ne sais pas com ment elle a fait ; dès la première entrevue, elle m'a fait comprendre que je l'aurais, et j'en étais plus sûr que si j'en eusse tenu la promesse écrite et signée de sa main. On dira peut-être que la hardiesse et la facilité de ses ma nières laissaient le champ libre à la témérité des espé rancès. Je ne pense pas que ce soit là le véritable motif : j'ai vu quelques femmes dont la prodigieuse, liberté 84 MADEMOISELLE DE MAUPIN. excluait, en quelque sorte, jusqu'à l'ombre d'un doute, qui ne m'ont pas produit cet effet, et auprès desquelles j'avais des timidités et des inquiétudes pour le moins dé placées . Ce qui fait qu'en général je suis bien moins aimable avec les femmes que je veux avoir qu'avec celles qui me sont indifférentes, c'est l'attente passionnée de l'occasion et l'incertitude où je suis de la réussite de mon projet : cela me donne du sombre et me jette dans une rêverie qui m'ôte beaucoup de mes moyens et de ma présence d'esprit . Quand je vois s'échapper une à une les heures que j'avais destinées à un autre emploi, la colère me gagne malgré moi, et je ne puis m'empêcher de dire des choses fort sèches et fort aigres, qui vont quelquefois jus qu'à la brutalité et qui reculent mes affaires à cent lieues . Avec Rosette, je n'ai rien senti de tout cela ; jamais, même au moment où elle me résistait le plus, je n'ai eu cette idée qu'elle voulût échapper à mon amour. Je lui ai laissé déployer tranquillement toutes ses petites coquet teries, et j'ai pris en patience les délais assez longs qu'il lui a plu d'apporter à mon ardeur : sa rigueur avait quel que chose de souriant qui vous en consolait autant que possible , et dans ses cruautés les plus hyrcaniennes on entrevoyait un fond d'humanité qui ne vous permettait guère d'avoir une peur bien sérieuse. Les honnêtes femmes, même lorsqu'elles le sont le moins, ont une façon rechignée et dédaigneuse qui m'est parfaitement insupportable. Elles vous ont l'air toujours prêtes à sonner et à vous faire jeter à la porte par leurs laquais ; – et il me semble, en vérité, qu'un homme qui prend la peine de faire la cour à une femme ( ce qui n'est pas déjà aussi agréable qu'on veut le croire) ne mérite pas d'être regardé de cette manière -là . La chère Rosette n'a pas de ces regards- là , elle ; - et je t'assure qu'elle y trouve son profit ; c'est la seule femme avec qui j'aie été moi, et j'ai la fatuité de dire que - MADEMOISELLE DE MAUPIN . 85 je n'ai jamais été aussi bien . — Mon esprit s'est déployé librement ; et, par l'adresse et le feu de ses répliques, elle m'en a fait trouver plus que je ne m'en croyais et plus que je n'en ai peut -être réellement. —- Il est vrai que j'ai été assez peu lyrique, - cela n'est guère possible avec elle ; - ce n'est pas cependant qu'elle n'ait son côté poétique, mal gré ce que de C*** en a dit ; mais elle est si pleine de vie et de force et de mouvement, elle a l'air d'être si bien dans le milieu où elle est, qu'on n'a pas envie d'en sortir pour monter dans les nuages. Elle remplit la vie réelle si agréablement et en fait une chose si amusante pour elle et pour les autres, que la rêverie n'a rien à vous offrir de mieux. Chose miraculeuse ! voilà près de deux mois que je la connais, et depuis ce temps je ne me suis ennuyé que lorsque je n'étais pas avec elle . Tu conviendras que cela n'est pas d'une femme médiocre de produire un pareil effet, car habituellement les femmes produisent sur moi l'effet précisément inverse , et me plaisent beaucoup plus de loin que de près. Rosette a le meilleur caractère du monde , avec les hommes s'entend, car avec les femmes elle est méchante comme un diable ; elle est gaie, vive, alerte, prête à tout, très- originale dans sa manière de parler, et a toujours à vous dire quelques charmantes drôleries auxquelles on ne s'attend pas c'est un délicieux compagnon, un joli camarade avec lequel on couche, plutôt qu'une mai tresse ; et, si j'avais quelques années de plus et quelques idées romanesques de moins, cela me serait parfaitement égal, et même je m'estimerais le plus fortuné mortel qui soit. Mais ... mais ... — voilà une particule qui n'annonce rien de bon, et ce diable de petit mot restrictif est malheu reusement celui de toutes les langues humaines qui est le plus employé ; — mais je suis un imbécile, un idiot, un véritable oison , qui ne sais me contenter de rien et qui vais toujours chercher midi à quatorze heures ; et, au lieu . 86 MADEMOISELLE DE MAUPIN. - d'être tout à fait heureux, je ne le suis qu'à moitié ; -- à moitié, c'est déjà beaucoup pour ce monde- ci, et cepen dant je trouve que ce n'est pas assez . Aux yeux de tout le monde, j'ai une maîtresse que plu sieurs désirent et m'envient, et que personne ne dédaigne rait. Mon désir est donc rempli en apparence, et je n'ai plus le droit de chercher des querelles au sort. Cependant il ne me semble pas avoir une maîtresse ; je le comprends par raisonnement, mais je ne le sens pas ; et, si quel qu’un me demandait inopinément si j'en ai une, je crois que je répondrais que non . – Pourtant la possession d'une femme qui a de la beauté, de la jeunesse et de l'es prit, constitue ce que, dans tous les temps et dans tous les pays, on a appelé et appelle avoir une maîtresse , et je ne pense pas qu'il y ait une autre manière. Cela n'empêche pas que je n'aie les plus étranges doutes à cet égard, et cela est poussé au point que, si plusieurs personnes s’en tendaient pour me soutenir que je ne suis pas l'amant fa vorisé de Rosette, malgré l'évidence palpable de la chose, je finirais par les croire. Ne va pas imaginer, d'après ce que je te dis, que je ne l'aime pas, ou qu'elle me déplaise en quelque chose : je l'aime au contraire beaucoup et je la trouve ce que tout le monde la trouvera : une jolie et piquante créature. Sim plement je ne me sens pas l'avoir, voilà tout . Et pourtant aucune femme ne m'a donné autant de plaisir, et si jamais j'ai compris la volupté, c'est dans ses bras. - Un seul de ses baisers, la plus chaste de ses caresses, me fait fris sonner jusqu'à la plante des pieds et fait refluer toutmon sang au cour. Arrangez tout cela. La chose est pourtant comme je te la conte . Mais le cæur de l'homme est plein de ces absurdités-là ; et, s'il fallait concilier toutes les con tradictions qu'il renferme, on aurait fort à faire. D'où cela peut- il venir ? En vérité, je ne sais . Je la vois toute la journée, et même toute la nuit, si je veux . Je lui fais toutes les caresses qu'il me plaît de lui - MADEMOISELLE DE MAUPIN . 87 - faire ; je l'ai nue ou habillée , à la ville ou à la campagne . Elle est d'une complaisance inépuisable, et entre parfai tement dans tous mes caprices, si bizarres qu'ils soient : un soir, il m'a pris cette fantaisie de la posséder au milieu du salon, le lustre et les bougies allumées, le feu dans la cheminée, les fauteuils rangés en cercle comme pour une grande soirée de réception, elle en toilette de bal avec son bouquet et son éventail, tous ses diamants aux doigts et au cou, des plumes sur la tête, le costume le plus splen dide possible, et moi habillé en ours ; elle y a consenti. - Quand tout fut prêt, les domestiques furent très- sur pris de recevoir l'ordre de fermer les portes et de ne laisser monter personne ; ils n'avaient pas l'air de com prendre le moins du monde, et s'en allèrent avec une mine hébétée qui nous fit bien rire. A coup sûr, ils pen sèrent que leur maîtresse était décidément folle ; mais ce qu'ils pensaient ou ne pensaient pas ne nous importait guère. Cette soirée est la plus bouffonne de ma vie . Te figures tu l'air que je devais avoir avec mon chapeau à plumes sous la patte, des bagues à toutes les griffes, une petite épée àà garde d'argent et un ruban bleu de ciel à la poi gnée ? Je me suis approché de la belle ; et, après lui avoir fait la plus gracieuse révérence, je m'assis à côté d'elle et je l'assiégeai dans toutes les formes. Les madrigaux mus qués, les galanteries exagérées que je lui adressais, tout le jargon de la circonstance prenait un relief singalier en passant par mon mufle d'ours ; car j'avais une superbe tête en carton peint que je fus bientôt obligé de jeter sous la table tellement ma déité était adorable ce soir-là et tant j'avais envie de lui baiser la main et mieux que la main. La peau suivit la tête à peu de distance ; car , n'ayant pas l'habitude d'être ours, j'y étouffais très-bien et plus qu'il n'était nécessaire . Alors la toilette de bal eut beau jeu , comme tu peux le croire ; les plumes tombaient comme une neige autour de ma beauté, les épaules sor 88 MADEMOISELLE DE MAUPIN. a - de ne pas tirent bientôt des manches, les seins du corset, les pieds des souliers, et les jambes des baş : les colliers « léfilés roulèrent sur le plancher, et je crois que jamais role plus fraîche n'a été plus impitoyablement fripée et chiffolnéc ; la robe était de gaze d'argent, et la doublure de satin blanc. Rosette a déployé dans cette occasion un hérvisme iout à fait au-dessus de son sexe, et qui m'a donné d'elle la plus haute opinion . Elle a assisté au sac de sa t. vilette comme un témoin désintéressé, et n'a pas montré un seul instant le moindre regret pour sa robe et ses dentelles; elle était au contraire de la gaieté la plus folle, et hidait elle-même à déchirer et à rompre ce qui ne se dénouait pas ou ne se dégrafait pas assez vite à mon gré et au sien . - Ne trouves-tu pas cela d'un beau à consigner dans l'histoire à côté des plus éclatantes actions des héros de l'antiquité ? C'est la plus grande preuve d'amour qu'une femme puisse donner à son amant que lui dire : Prenez garde de me chiffonner ou de me faire des taches, surtout si sa robe est neuve . Une robe neuve est un plus grand motif de sécurité pour un mari qu'on ne le croit com funément. — Il faut que Rosette m'adore, ou qu'elle ait une philosophie supérieure à celle d'Épictète. Toujours est-il que je crois bien avoir payé à Rosette la ( valeur de sa robe et au delà en une monnaie qui , pour n'avoir pas cours chez les marchands, n'en est pas moins estimée et prisée . Tant d'héroïsme méritait bien une pareille récompense. Au reste, en femme généreuse, elle m’a bien rendu ce que je lui ai donné. J'ai eu un plaisir fou, presque convulsif et comme je ne me croyais pas ca pable d'en éprouver. Ces baisers sonores mêlés de rires éclatants, ces caresses frémissantes et pleines d'impa tience, toutes ces voluptés âcres et irritantes, ce plaisir goûté incomplètement à cause du costume et de la si tuation, mais plus vif cent fois que s'il eût été sans en traves, me donnèrent tellement sur les nerfs, qu'il me prit des spasmes dont j'eus quelque peine à me remettre . - . MADEMOISELLE DE MAUPIN. 89 Tu ne saurais t'imaginer l'air tendre et fier dont Ro sette me regardait tout en cherchant à me faire revenir, et la manière pleine de joie et d'inquiétude dont elle s'em pressait autour de moi : sa figure rayonnait encore du plaisir qu'elle ressentait de produire sur moi un effet sem blable en même temps que ses yeux, tout trempés de douces larmes, témoignaient de la peur qu'elle avait de me voir malade et de l'intérêt qu'elle prenait à ma santé. – Jamais elle ne m'a paru aussi belle qu'à ce moment-là . JI y avait quelque chose de si maternel et de si chaste dans son regard, que j'oubliai totalement la scène plus qu'ana créontique qui venait de se passer, et me mis à genoux devant elle en lui demandant la permission de baiser sa main ; ce qu'elle m'accorda avec une gravité et une di gnité singulières . Assurément, cette femme-là n'est pas aussi dépravée que de C*** le prétend, et qu'elle me l'a paru bien sou vent à moi-même; sa corruption est dans son esprit et dans son cour. Je t'ai cité cette scène entre vingt autres : il me semble qu'après cela on peut, sans fatuité excessive, se croire l'amant d'une femme. Eh bien ! c'est ce que je ne fais pas. – J'étais à peine de retour chez moi que cette pensée me reprit et se mit à me travailler comme d'habitude . Je me souvenais parfaitement de tout ce que j'avais dit et entendu, de tout' ce que j'avais fait et vu faire. Les moindres gestes, les moindres poses, tous les plus petits détails se dessinaient très- nettement dans ma mémoire; je me rappelais tout, jusqu'aux plus légères inflexions de voix , jusqu'aux plus insaisissables nuances de la volupté : seulement il ne me paraissait pas que ce fût à moi plutôt qu'à un autre que toutes ces choses fussent arrivées . Je n'étais pas sûr que ce ne fût une illusion , une fantasma gorie, un rêve, ou que je n'eusse lu cela quelque part, ou même que ce ne fût une histoire composée par moi, comme je m'en suis fait bien souvent. Je craignais d'être non pas - 8 . 00 MADEMOISELLE DE MAUPIN . la dupe de ma crédulité et le jouet de quelque mystifica tion ; et, malgré le témoignage de ma lassitude et les preuves matérielles que j'avais couché dehors, j'aurais cru volontiers que je m'étais mis dans mes couvertures à mon heure ordinaire, et que j'avais dormi jusqu'au matin . Je suis très -malheureux de ne pouvoir acquérir la certi tude morale d'une chose dont j'ai la certitude physique . - C'est ordinairement l'inverse qui a lieu, et c'est le fait qui prouve l'idée . Je voudrais me prouver le fait par l'i dée ; je ne le puis ; quoique la chose soit assez singulière , elle est . Il dépend de moi, jusqu'à un certain point, d'a voir une maîtresse ; mais je ne puis me forcer à croire que j'en aia une tout en l'ayant. Si je n'ai pas en moi la foi nécessaire, même pour une chose aussi évidente, il m'est aussi impossible de croire à un fait aussi simple qu'à un autre de croire à la Trinité . La foi ne s'acquiert pas, et c'est un pur don, une grâce spéciale du ciel . Jamais personne autant que moi n'a désiré vivre de la vie des autres, et s'assimiler une autre nature ; -ja mais personne n'y a moins réussi. - Quoi que je fasse, les autres hommes ne sont guère pour moi que des fan tômes, et je ne sens pas leur existence ; ce n'est- pour tant pas le désir de reconnaitre leur vie et d'y participer qui me manque . - C'est la puissance ou le défaut de sympathie réelle pour quoi que ce soit . L'existence ou la non-existence d'une chose ou d'une personne ne m'inté resse pas assez pour que j'en sois affecté d'une manière sensible et convaincante . -La vie d'une femme ou d'un homme qui m'apparaît dans la réalité ne laisse pas sur mon âme des traces plus fortes que la vision fantastique du rêve : il s'agite autour de moi ur, pâle monde d'om bres et de semblants faux ou vrais qui bourdonnent sour dement, au milieu daquel je me trouve aussi parfaitement seul que possible, car aucun n'agit sur moi en bien ou en mal, et ils me paraissent d'une nature tout à fait diffé rente . - Si je leur parle et qu'ils me répondent quelque . - - - C MADEMOISELLE DE MAUPIN. 91 chose qui ait à peu près le sens commun , je suis aussi surpris que si mon chien ou mon chat prenait tout à coup la parole et se mêlait à la conversation : le son de leur voix m'étonne toujours, et je croirais très-volontiers qu'ils ne sont que de fugitives apparences dont je suis le miroir objectif. Inférieur ou supérieur, à coup sûr je ne suis pas de leur espèce . Il y a des moments où je ne reconnais que Dieu au-dessus de moi, et d'autres où je me juge à peine l'égal du cloporte sous sa pierre ou du mollusque sur son banc de sable ; mais dans quelque situation d'es prit que je me trouve, haut ou bas, je n'ai jamais pu me persuader que les hommes étaient vraiment mes sembla bles . Quand on m'appelle monsieur, ou qu'en parlant de moi on dit : - Cet homme, - cela me paraît fort singu lier. Mon nom même me semble un nom en l'air et qui n'est pas mon véritable nom ; cependant, si bas qu'il soit prononcé au milieu du bruit le plus fort, je me retourne subitement avec une vivacité convulsive et fébrile dont je n'ai jamais bien pu me rendre compte. -Est-ce la crainte de trouver dans cet homme qui sait mon nom et pour qui je ne suis plus la foule un antagoniste ou un ennemi ? C'est suriout lorsque j'ai vécu avec une femme, que j'ai le mieux senti combien ma nature repoussait invincible ment toute alliance et toute mixtion . Je suis comme une goutte d'huile dans un verre d'eau . Vous aurez beau tour ner et remuer, jamais l'huile ne se pourra lier avec elle ; elle se divisera en cent mille petits globules qui se réuni ront et remonteront à la surface, au premier moment de calme : la goutte d'huile et le verre d'eau voilà mon his toire . La volupté même, cette chaîne de diamant qui lie tous les êtres, ce feu dévorant qui fond les rochers et les métaux de l'âme et les fait retomber en pleurs, comme le feu matériel fait fondre le fer et le granit, toute puissante qu'elle est, n'a jamais pu me dompter ou m'attendrir. Cependant j'ai les sens très -vifs ; mais mon âme est pour mon corps une suur enneinie, et le malheureux couple, 92 MADEMOISELLE DE MAUPIN. comme tout couple possible , légal ou illégal, vit dans un état de guerre perpétuel. — Les bras d'une femme, ce qui lie le mieux sur la terre , à ce qu'on dit, sont pour moi de bien faibles attaches, et je n'ai jamais été plus loin de ma maîtresse que lorsqu'elle me serrait sur son cæur. J'é tou fais, voilà tout. Que de fois je me suis coléré contre moi-même ! que d'efforts j'ai faits pour ne pas être ainsi ! Comme je me suis exhorté à être tendre, amoureux, passionné ! que souvent j'ai pris mon âme par les cheveux et l'ai traînée jusque sur mes lèvres au beau milieu d'un baiser ! Quoi que j'aie fait, elle s'est toujours reculée en s'essuyant, aussitôt que je l'ai lâchée. Quel supplice pour cette pau vre åme d'assister aux débauches de mon corps et de s'as seoir perpétuellement à des festins où elle n'a rien à manger ! C'est avec Rosette que j'ai résolu , une fois pour toutes, d'éprouver si je ne suis pas décidément insociable, et si je puis prendre assez d'intérêt dans l'existence d'une autre pour y croire . J'ai poussé les expériences jusqu'à l'épuise ment, et je ne me suis pas beaucoup éclairci dans mes doutes. Avec elle, le plaisir est si vif que l'âme se trouve assez souvent, sinon touchée, au moins distraite, ce qui nuit un peu à l'exactitude des observations. Après tout, j'ai reconnu que cela ne passait pas la peau , et que je n'avais qu'une jouissance d'épiderme à laquelle l'âme ne participait que par curiosité. J'ai du plaisir, parce que je suis jeune et ardent ; mais ce plaisir me vient de moi et non d'un autre . La cause est dans moi-même plutôt que dans Rosette . J'ai beau faire, je n'ai pu sortir de moi une minute . -- Je suis toujours ce que j'étais, c'est-à-dire quelque chose de très- ennuyé et de très - ennuyeux, qui me déplaît fort. Je n'ai pu venir à bout de faire entrer dans ma cervelle l'idée d'un autre, dans mon âme le sentiment d'un autre, dans mon corps la douleur ou la jouissance d'un autre. > MADEMOISELLE DE MAUPIN. 93 Je suis prisonnier dans moi- même, et toute invasion est impossible : le prisonnier veut s'échapper, les murs ne demandent pas mieux que de crouler, les portes que de s'ouvrir pour lui livrer passage ; je ne sais quelle fatalité retient invinciblement chaque pierre à sa place, et chaque verrou dans ses ferrures ; il m'est aussi impossible d'ad mettre quelqu'un chez moi que d'aller moi-même chez les autres ; je ne saurais ni faire ni recevoir de visites, et je vis dans le plus triste isolement au milieu de la foule : mon lit peut n'être pas veuf , mais mon cour l'est toujours. Ah ! ne pouvoir s'augmenter d'une seule parcelle, d'un seul atome ; ne pouvoir faire couler le sang des autres dans ses veines ; voir toujours de ses yeux, ni plus clair, ni plus loin, ni autrement ; entendre les sons avec les mêmes oreilles et la même émotion ; toucher avec les mêmes doigts ; percevoir des choses variées avec un or gane invariable ; être condaniné au même timbre de voix , au retour des mêmes tons, des mêmes phrases et des mêmes paroles, et ne pouvoir s'en aller, se dérober à soi même, se réfugier dans quelque coin où l'on ne se suive pas ; être forcé de se garder toujours, de dîner et de cou cher avec soi, d'être le même homme pour vingt femmes nouvelles ; trainer, au milieu des situations les plus étranges du drame de notre vie , un personnage obligé et dont vous savez le rôle par cœur ; penser les mêmes choses, avoir les mêmes rêves : - quel supplice, quel ennui ! J'ai désiré le cor des frères Tangut, le chapeau de For tunatus, le bâton d’Abaris, l'anneau de Gygès ; j'aurais vendu mon âme pour arracher la baguette magique de la main d'une fée, mais je n'ai jamais rien tant souhaité que de rencontrer sur la montagne, comme Tirésias le devin, ces serpents qui font changer de sexe ; et ce que j'envie le plus aux dieux monstrueux et bizarres de l'Inde , ce sont leurs perpétuels avatars et leurs transformations in nombrables. ? 94 MADEMOISELLE DE MAUPIN . . J'ai commencé par avoir envie d'être un autre homma ; puis, faisant réflexion que je pouvais, par l'analogić, prévoir à peu près ce que je sentirais, et alors ne pas. à éprouver la surprise et le changement attendus, j'aurais préféré d'être femme; cette idée m'est toujours venue, lorsque j'avais une maîtresse qui n'était pas laide; car une femme laide est un homme pour moi, et aux instants de plaisir j'aurais volontiers changé de rôle, car il est bien impatientant de ne pas avoir la conscience de l'effet qu'on produit et de ne juger de la jouissance des autres que par la sienne. Ces pensées et beaucoup d'autres m'ont souvent donné, dans les moments où il était le plus déplacé, un air méditatif et rêveur qui m'a fait accuser bien à tort vrai ment de froideur et d'infidélité. Rosette, qui ne sait pas tout cela, fort heureusement, me croit l'homme le plus amoureux de la terre ; elle prend cette impuissante fureur pour une fureur de pas sion, et elle se prête de son mieux à tous les caprices expérimentaux qui me passent par la tête . J'ai fait tout ce que j'ai pu pour me convaincre de sa possession : j'ai tâché de descendre dans son cœur, mais je me suis toujours arrêté à la première marche de l'esca lier, à sa peau ou sur sa bouche. Malgré l'intimité de nos relations corporelles, je sens bien qu'il n'y a rien de com mun'entre nous . Jamais une idée pareille aux miennes n'a ouvert ses ailes dans cette tête jeune et souriante ; jamais, ce cour plein de vie et de feu, qui soulève palpitant une gorge si ferme et si pure, n'a battu à l'unisson de mon coeur. Mon âme ne s'est jamais unie avec cette âme. Cupi don, le dieu aux ailes d'épervier, n'a pas embrassé Psyché sur son beau front d'ivoire . Non ! cette femme n'est pas ma maîtresse . 1. Si tu savais tout ce que j'ai fait pour forcer mon âme à partager l'amour de mon corps ! avec quelle furie j'ai plongé ma bouche dans sa bouche, trempé mes bras dans ses cheveux, et comme j'ai serré étroitement sa taille ronde - MADEMOISELLE DE MAUPIN. 95 et souple ! Comme l'antique Salmacis, l'amoureuse du jeune Hermaphrodite, je tâchais de fondre son corps avec le mien ; je buvais son haleine et les tièdes larmes que la volupté faisait déborder du calice trop plein de ses yeux . Plus nos corps s’enlaçaient et plus nos étreintes étaient in times, moins je l'aimais. Mon âme, assise tristement, re gardait d'un air de pitié ce déplorable hymen où elle n'était pas invitée, ou se voilait le front de dégoût et pleurait si lencieusement sous le pan de son manteau. Tout cela tient peut-être à ce que réellement je n'aime pas Rosette, toute digne d'être aimée qu'elle soit, et quelque envie que j'en aie . Pour me débarrasser de l'idée que j'étais moi, je me suis composé des milie ix très-étranges, où il était tout à fait improbable que je ne rencontrasse, et j'ai tâché, ne pou vant jeter mon ind ' vidualité aux orties, de la dépayser de façon qu'elle ne se reconnût plus. J'y ai assez médiocre ment réussi, et ce diable de moi me suit obstinément; il n'y a pas moyen de s'en défaire ; je n'ai pas la res source de lui faire dire, comme aux autres importuns. que je suis sorti ou que je suis allé à la campagne. J'ai eu ma maîtresse au bain, et j'aifait le Triton de mon mieux. La mer était une fort grande cuve de marbre . -Quant à la Néréide, ce qu'elle faisait voir accrisait l'eau , toute transparente qu'elle fût, de ne pas l'être encore assez pour l'exquise beauté des choses qu'elle cachait. - Je l'ai eue la nuit, au clair de lune, dans une gondole avec de la musique. Cela serait fort commun à Venise, mais ici cela l’est fort peu . — Dans sa voiture lancée au grand galop, au milieu du bruit des roues, des sauts et des cahots, tantôt illuminés par les lanternes, tantôt plongés dans la plus profonde obscurité ... C'est une manière qui'ne manque pas d'un certain piquant, et je te conseille d'en user : mais j'oubliais que tu es un vénérable patriarche, et que tu ne donnes point dans de pareils raffinements. Je suis entré chez elle - 96 MADEMOISELLE DE MAUPIN. par la fenêtre, ayant la clef de la porte dans ma poche. - Je l'ai fait venir chez moi en plein jour, et enfin je l'ai compromise de telle façon que personne maintenant (ex cepté moi, bien entendu) ne doute qu'elle ne soit ma maî tresse . A cause de toutes ces inventions qui, si je n'étais aussi jeune, auraient l'air des ressources d’un libertin blasé, Rosette m'adore principalement et par-dessus tous autres . Elle y voit l'ardeur d'un amour petulant que rien ne peut contenir, et qui est le même malgré la diversité des temps et des lieux . Elle y voit l'effet sans cesse renaissant de ses charmes et le triomphe de sa beauté, et , en vérité, je vou drais qu'elle eût raison, et ce n'est point ma faute ni la sienne non plus, il faut être juste, si elle ne l'a pas. Le seul tort que j'aie envers elle, c'est d'être moi. Si je lui disais cela, l'enfant répondrait bien vite que c'est pré cisément mon plus grand mérite à ses yeux; ce qui serait plus obligeant que sensé . Une fois, c'était dans les commencements de notre liaison, -j'ai cru être arrivé à mon but, une minute j'ai cru avoir aimé ; –j'ai aimé . —0 mon ami ! je n'ai vécu que cette minute-là, et, si cette minute eût été une heure, je fusse devenu un dieu . Nous étions sortis tous les deux à cheval, moi sur mon cher Ferragus, elle sur une jument couleur de neige qui a l'air d'une licorne, tant elle a les pieds déliés et l'encolure svelte. Nous suivions une grande allée d’ormes d'une hauteur prodigieuse ; le soleil des cendait sur nous tiède et blond, tamisé par les déchique tures du feuillage ; - des losanges d'outre -mer scintillaient par places dans des nuages pommelés, de grandes lignes d'un bleu pâle jonchaient les bords de l'horizon et se chan geaient en un vert-pomme extrêmement tendre, lorsqu'el les se rencontraient avec les tons orangés du couchant. L'aspect du ciel était charmant et singulier ; la brise nous apportait je ne sais quelle odeur de fleurs sauvages on ne peut plus ravissante.:- De temps en temps un oiseau par . > MADEMOISELLE DE MAUPIN . 97 - tait devant nous et traversait l'allée en chantant. - Laclo che d'un village que l'on ne voyait pas sonnait doucement l'Angelus, et les sons argentins, qui ne nous arrivaient qu'atténués par l'éloignement, avaient une douceur infinie . Nos bêtes ailaient le pas et marchaient côte à côte d'une manière si égale, que l'une ne dépassait pas l'autre . - Mon cœur se dilatait, et mon âme débordait sur mon corps. - Je n'avais jamais été si heureux . — Je ne disais rien, ni Rosette non plus, et pourtant nous ne nous étions ja mais aussi bien entendus. Nous étions si près l'un de l'autre, que ma jambe touchait le ventre du cheval de Ro sette . Je me penchai vers elle et passai mon bras autour de sa taille ; elle fit le même mouvement de son côté, et renversa sa tête sur mon épaule. Nos bouches se prirent ; Ô quel chaste et délicieux baiser ! Nos chevaux már chaient toujours avec leur bride flottante sur le cou . - Je sentais le bras de Rosette se relâcher et ses reins ployer de plus en plus. — Moi-même je faiblissais et j'étais près de m'évanouir. Ah ! je t'assure que dans ce moment- là je ne songeais guère si j'étais moi ou un autre. Nous allâmes ainsi jusqu'au bout de l'allée, où un bruit de pas nous fit reprendre brusquement notre position ; c'étaient des gens de connaissance aussi à cheval qui vinrent à nous et nous parlèrent. Si j'avais eu des pistolets, je crois que j'aurais tiré sur eux. Je les regardais d'un air sombre et furieux, qui aura dû leur paraitre bien singulier. - Après tout, j'avais tort de me mettre si fort en colère contre eux, car ils m'avaient rendu, sans le vouloir, le service de couper mon plaisir à point, au moment où, par son intensité même, il allait de venir une douleur ou s'affaisser sous sa violence . C'est une science que l'on ne regarde pas avec tout le respect qu’or . lui doit, que celle de s'arrêter à temps. — Quelque fois, en étant couché avec une femme, on lui passe le bras sous la taille : c'est d'abord une grande volupté de sentir la tiède chaleur de son corps, la chair douce et veloutée 98. MADEMOISELLE DE MAUPIN . - de ses reins, l'ivoire poli de ses flancs et de refermer sa main sur sa gorge qui se dresse et frissonne . La belle s'endort dans cette position amoureuse et charmante ; la cambrure de ses reins devient moins prononcée ; sa gorge s'apaise; son flanc est soulevé par la respiration plus large et plus régulière du sommeil ; ses muscles se dénouent, sa tête roule dans ses cheveux . Cependant votre bras est plus pressé, vous commencez à vous apercevoir que c'est une femme et non pas une sylphide : - mais vous n'ôteriez votre bras pour rien au monde, il y a beaucoup de raisons pour cela : la première, c'est qu'il est assez dangereux de réveiller une femme avec qui l'on est cou ché; il faut être en état de substituer au rêve délicieux qu'elle fait sans doute une réalité encore plus délicieuse ; la seconde, c'est qu'en la priant de se soulever pour retirer votre bras, vous lui dites d'une manière indirecte qu'elle est lourde et qu'elle vous gêne, ce qui n'est pas honnête, ou bien vous lui faites entendre que vous êtes faible ou fatigué, chose extrêmement humiliante pour vous et qui vous nuira infiniment dans son esprit ; la troisième est que, comme l'on a eu du plaisir dans cette position, l'on croit qu'en la gardant on pourra en éprouver encore , en quoi l'on se trompe. — Le pauvre bras se trouve pris sous la masse qui l'opprime, le sang s'arrête, les nerfs sont ti raillés, et l'engourdissement vous picote avec ses millions d'aiguilles : vous êtes une manière de petit Milon Croto niate, et le matelas de votre lit et le dos de votre divinité représentent assez exactement les deux parties de l'arbre qui se sont rejointes. - Le jour vient enfin , qui vous déli vre de ce martyre, et vous sautez à bas de ce chevalet ave: plus d'empressement qu'aucun mari n'en met à descendre de l'échafaud nuptial. Ceci est l'histoire de bien des passions. C'est celle de tous les plaisirs . Quoi qu'il en soit ,, - malgré l'interruption ou à cause de l'interruption, jamais volupté pareille n'a passé sur ma MADEMOISELLE DE MAUPIN. 99 - > > Les anges tête : je me sentais réellement un autre . L'âme de Rosette était entrée tout entière dans mon corps. Mon âme m'avait quitté et remplissait son cæur comme son âme à elle remplissait le mien . –Sans doute, elles s'étaient ren contrées au passage dans ce long baiser équestre, comme Rosette l'a appelé depuis ( ce qui m'a fâché par paren thèse) , et s'étaient traversées et confondues aussi intime ment que le peuvent faire les âmes de deux créatures mor telles sur un grain de boue périssable . doivent assurément s'embrasser ainsi, et le vrai paradis n'est pas au ciel, mais sur la bouche d'une personne aimée . J'ai attendu vainement une minute pareille , et j'en ai sans succès provoqué le retour. Nous avons été bien sou vent nous promener à cheval dans l'allée du bois, par de beaux couchers de soleil ; les arbres avaient la même ver dure, les oiseaux chantaient la même chanson, mais nous trouvions le soleil terne, le feuillage jauni : le chant des oiseaux nous paraissait aigre et discordant, l'harmonie n'était plus en nous. Nous avons mis nos chevaux au pas, et nous avons essayé le même baiser. — Hélas! nos lèvres seules se joignaient, et ce n'était que le spectre de l'ancien baiser . - Le beau, le sublime, le divin , le seul vrai baiser que j'aie donné et reçu en ma vie était envolé à tout jamais. – Depuis ce jour- là je suis toujours revenu du bois avec un fond de tristesse inexprimable . - Rosette, toute gaie et folâtre qu'elle soit habituellement , ne peut échapper à cette impression, et sa rêverie se trahit par une petite moue délicatement plissée qui vaut au moins son sourire. Il n'y a guère que la fumée du vin et le grand éciat des bougies qui me puissent faire revenir de ces mélancolies-là. Nous buvons tous les deux comme des condamnés à mort, silencieusement et coup sur coup, jusqu'à ce que nous ayons atteint la dose qu'il nous faut; alors nous commen çons à rire et à nous moquer du meilleur cæur de ce que nous appelons notre sentimentalité. 100 MADEMOISELLE DE MAUPIN . Nous S rions , -- parce que nous ne pouvons pleurer. Ah ! qui pourra faire germer une larme au fond de mon wil tari ? Pourquoi ai-je eu tant de plaisir ce soir -là ? Il me serait bien difficile de le dire . J'étais pourtant le même homme, Rosette la même femme. Ce n'était pas la première fois que je me promenais à cheval, ni elle non plus. Nous avions déjà vu se coucher le soleil, et ce spectacle ne nous a pirs autrement touchés que la vue d'un tableau que l'on admire, selon que les couleurs en sont plus ou moins bril lantes. Il y a plus d'une allée d'ormes et de marronniers dans le monde, et celle - là n'était pas la première que nous parcourions; qui donc nous y a fait trouver un charme si souverain, qui métamorphosait les feuilles mortes en to pazes, les feuilles vertes en émeraudes, qui avait doré tous ces atomes voltigeants, et changé en perles toutes ces gouttes d'eau égrenées sur la pelouse, qui donnait une har monie si douce aux sons d'une cloche habituellement discordante, et aux piaillements de je ne sais quels oi sillons ? - Il fallait qu'il y eût dans l'air une poésie bien pénétrante, puisque nos chevaux mêmes paraissaient la sentir. Rien au monde cependant n'était plus pastoral et plus simple : quelques arbres, quelques nuages, cinq ou six brins de serpolet, une femme et un rayon de soleil brochant sur le tout comme un chevron d'or sur un blason . -Il n'y avait d'ailleurs, dans ma sensation , ni surprise ni étonne . ment. Je me reconnaissais bien. Je n'étais jamais venu dans cet endroit, mais je me rappelais parfaitement et la forme des feuilles et la position des nuées , cette colombe blanche qui traversait le ciel, s'envolait dans la même direction ; cette petite cloche argentine, que j'entendais pour la pre mière fois, avait bien souvent tinté à mon oreille, et sa voix me semblait une voix amie ; j'avais, sans y être jamais passé, parcouru cette allée bien des fois avec des prin cesses montées sur des licornes ; les plus voluptueux de mes - MADEMOISELLE DE MAUPIN . 102 rêves s'y allaient promener tous les soirs, et mes désirs s'y étaient donné des baisers absolument pareils à celui échangé par moi et Posette . – Ce baiser n'avait rien de nouveau pour moi : mais il était tel que j'avais pensé qu'il serait. C'est peut-être la seule fois de ma vie que je n'ai pas été désappointé, et que la réalité m'a paru aussi belle que l'idéal . – Si je pouvais trouver une femme, un paysage, une architecture, quelque chose qui répondit à mon désir intime aussi parfaitement que cette minute- là a répondu à la minute que j'avais rêvée, je n'aurais rien à envier aux dieux, et je renoncerais très -volontiers à ma stalle du paradis. — Mais, en vérité, je ne crois pas qu'un homme de chair pût résister une heure à des voluptés si pénétrantes; deux baisers comme cela pomperaient une existence entière , et feraient vide complet dans une âme et dans un corps. Ce n'est pas cette considération - là qui m'arrêterait ; car, ne pouvant prolonger ma vie indéfini ment, il m'est égal de mourir, et j'aimerais mieux mou rir de plaisir que de vieillesse ou d'ennui. Mais cette femme n'existe pas. —Si , elle existe ; -- je n'en suis peut-être séparé que par une cloison . — Je l'ai peut-être coudoyée hier ou aujourd'hui. Que manque - t-il à Rosette pour être cette femme- là ! -- 1] lui manque que je le croie . Quelle fatalité me fait donc avoir toujours pour maîtresses des femmes que je n'aime pas. Son cou est assez poli pour y suspendre les colliers les mieux ouvrés ; ses doigts sont assez effilés pour faire hon neur aux plus belles et { ux plus riches bagues; le rubis rou girait de plaisir de briller au bout vermeil de son oreille délicate ; sa taille pourrait ceindre le ceste de Vénus ; mais c'est l'amour seul qui sait nouer l'écharpe de sa mère . Tout le mérite qu’a Rosette est en elle, je ne lui ai rien prêté . Je n'ai pas jeté sur sa beauté ce voile de perfection dont l'amour enveloppe la personne aimée ; – le voile d'Isis est un voile transparent à côté de celui - là , -- Il n'y a que la satiété qui er nuisse lever le coin . - - 102 MADEMOISELLE DE MAUPIN. . - Je n'aime pas Rosette ; du moins l'amour que j'ai pour elle, si j'en ai, neressemble pas à l'idée que je me suis faite de l'amour. - Après cela mon idée n'est peut-être, pas juste . Je n'ose rien décider. Toujours est-il qu'elle me rend tout à fait insensible au mérite des autres femmes, et je n'ai désiré personne avec un peu de suite depuis que je la possède. - Si elle a à être jalouse, ce n'est que de fantômes, ce dont elle s'inquiète assez peu, et pourtant mon imagination est sa plus redoutable rivale ; c'est une chose dont, avec toute sa finesse, elle ne s'apercevra pro bablement jamais. Si les femmes savaient cela ! —Que d'infidélités l'amant le moins volage fait à la maîtresse la plus adorée ! -Il est à présumer que les femmes nous le rendent et au delà ; mais elles font comme nous, et n'en disent rien . Une maîtresse est un thème obligé qui disparaît ordinairement sous les fioritures et les broderies. — Bien souvent les bai sers qu'on lui donne ne sont pas pour elle ; c'est l'idée d'une autre femme que l'on embrasse dans sa personne, et elle profîte plus d'une fois (si cela peut s'appeler un profit) des désirs inspirés par une autre . Ah ! que de fois, pauvre Rosette, tu as servi de corps à mes rêves et donné une réalité à tes rivales; que d'infidélités dont tu as été involon tairement la complice ! Si tu avais pu penser, aux moments où mes bras te serraient avec tant de force, où ma bouche s'unissait le plus étroitement à la tienne, que ta beauté et ton amour n'y étaient pour rien, que ton idée était à mille lieues de moi ; si l'on t'avait dit que ces yeux, voilés d’a moureuses langueurs, ne s'abaissaient que pour ne pas te voir et ne pas dissiper l'illusion que tu ne servais qu'à compléter, et qu'au lieu d'être une maîtresse, tu n'étais qu'un instrument de volupté, un moyen de tromper un ' ésir impossible à réaliser ! O célestes créatures, belles vierges frèles et diaphanes qui penchez vos yeux de pervenche et joignez vos mains de lis sur les tableaux à fond d'or des vieux maîtres alle, 1 MADEMOISELLE DE MAUPIN . 103 . mands, saintes des vitraux, martyres des missels qui soul riez si doucement au milieu des enroulements des arabes. ques, et qui sortez si blondes et si fraîches de la cloche des fleurs ! Ô vous, belles courtisanes couchées toutes nues dans vos cheveux sur des lits semés de roses, sous de lar ges rideaux pourpres avec vos bracelets et vos colliers de grosses perles, votre éventail et vos miroirs où le couchant accroche dans l'ombre une flamboyante paillette !-brunes filles du Titien, qui nous étalez si voluptueusement vos hanches ondoyantes, vos cuisses fermes et dures. vos ven tres polis et vos reins souples et musculeux ! - antiques déesses, qui dressez votre blanc fantôme sous les ombrages du jardin ! vous faites partie de mon sérail ; je vous ai possédées tour à tour . - Sainte Ursule, j'ai baisé tes mains sur les belles mains de Rosette ; - j'ai joué avec les noirs cheveux de la Muranèse, et jamais Rosette n'a eu tant de peine à se recoiffer; virginale Diane, j'ai été avec toi plus qu'Actéon, etje n'ai pas été changé en cerf : c'est moi qui ai remplacé ton bel Endymion ! - Que de rivales dont on ne se défie pas, et dont on ne peut se venger ! encore ne sont- elles pas toujours peintes ou sculptées ! Femmes, quand vous voyez votre amant devenir plus tendre que de coutume, vous étreindre dans ses bras avec une émotion extraordinaire ; quand il plongera sa tête dans vos genoux et la relèvera pour vous regarder avec des yeux humides, et errants ; quand la jouissance ne fera qu'augmenter son désir, et qu'il éteindra votre voix sous ses baisers, comme s'il craignait de l'entendre, soyez cer taines qu'il ne sait seulement pas si vous êtes là ; qu'il a , en ce moment, rendez -vous avec une chimère que vous rendez palpable, et dont vous jouez le rôle . - Bien des chambrières ont profité de l'amour qu'inspiraient des rei nes. – Bien des femmes ont profité de l'amour qu'inspi raient des déesses, et une réalité assez vulgaire a souvent servi de socle à l'idole idéale. C'est pourquoi les poëtes prennent habituellement d'assez siles guenipes pour mai - . 104 MADEMOISELLE DE MAUPIN . tresses . On peut coucher dix ans avec une femme sans l'avoir jamais vue; -- c'est l'histoire de beaucoup de grands génies et dont les relations ignobles ou obscures ont fait l'étonnement du monde . Je n'ai fait à Rosette que des infidélités de ce genre- là . Je ne l'ai trahie que pour des tableaux et des statues, et elle a été de moitié dans la trahison . Je n'ai pas sur la con science le plus petit péché matériel à me reprocher. Je suis, de ce côté, aussi blanc que la neige Yung -Frau, et pourtant, sans être amoureux de personne, je désirerais l’être de quelqu'un.- Je ne cherche pas l'occasion , et je ne serais pas fâché qu'elle vînt; si elle venait, je ne m'en ser virais peut-être pas, car j'ai la conviction intime qu'il en serait de même avec une autre, et j'aime mieux qu'il en soit ainsi avec Rosette qu'avec toute autre ; - car , la femme ôtée, il me reste du moins un joli compagnon, plein d'es prit, et très agréablement démoralisé ; et cette considéra tion n'est pas une des moindres qui me retiennent, car, en perdant la maîtresse, je serais désolé de perdre l'amic . IV 1 i1 Sais-tu que voilà tantôt cinq mois, - oui, cinq mois, tout autart, cinq éternités que je suis le Céladon en pied de madame Rosette ? Cela est du dernier beau . Je ne me serais pas cru aussi constant, ni elle non plus, je gage . Nous sommes en vérité un couple de pigeons plumés, car il n'y a que des tourterelles pour avoir de ces tendresses- là Avons-nous roucoulé ! nous sommes -nous becquetés ! quels enlacenients de lierre ! quelle existence à deux ! Rien au monde n'était plus touchant, et nos deux pauvres petits cæurs auraient pu se mettre sur un cartel, enfilés par la même broche, avec une flamme en coup de vent. Cinq inois en tête - à - tête, pour ainsi dire, car nous nous voyons tous les jours et presque toutes les nuits, -la porte . MADEMOISELLE DE MAUPIN . 105 . - toujours fermée à tout le monde ; –- n'y a - t -il pas de quoi avoir la peau de poule rien que d'y songer ! Eh bien ! c'est une chose qu'il faut dire à la gloire de l'incomparable Rosette, je ne me suis pas par trop ennuyé, et ce temps-là sera sans doute le plus agréablement passé de ma vie . Je ne crois pas qu'il soit possible d’occuper d'une manière plus soutenue et plus amusante un homme qui n'a point de passion , et Dieu sait quel terrible désoeuvrement est celui qui provient d'un cæur vide ! On ne peut se faire une idée des ressources de cette femme.- Elle a commencé à les tirer de son esprit, puis de son cour, car elle m'aime à l'adoralion . · Avec quel art elle profite de la moindre étincelle, et comme elle sait en faire un incendie ! comme elle dirige habilement les plus petits mouvements de l'âme ! comme elle fait tourner la langueur en rêverie tendre ! et par combien de chemins détournés fait -elle revenir à elle l'esprit qui s'en éloigne ! - C'est merveilleux ! - Et je l'admire comme un des plus hauts génies qui soient. Je suis venu chez elle fort maussade, de fort mauvaise humeur et cherchant une querelle. Je ne sais comment la sorcière faisait, au bout de quelques minutes, elle m'avait forcé à lui dire des choses galantes, quoique je n'en eusse pas la moindre envie, à lui baiser les mains et à rire de tout mon cæur, quoique je fusse d'une colère épouvanta ble . A-t- on une idée d'une tyrannie pareille ? - Cepen dant, si habile qu'elle soit, le tête- à- tête ne peut se prolon ger plus longtemps, et, dans cette dernière quinzaine, il m'est arrivé assez souvent, ce que je n'avais jamais fait jusque-là, d'ouvrir les livres qui sont sur la table, et d'en lire quelques lignes dans les interstices de la conversation . Rosette l'a remarqué et en a conçu un effroi qu'elle a eu peine à dissimuler, et elle a fait emporter tous les livres de son cabinet. J'avoue que je les regrette, quoique je n'ose pas les redemander. L'autre jour, symptôme effrayant ! - quelqu'un est venu pendant que nous étions ensemble, et, au lieu d'enrager comme je faisais dans les - - 106 MADEMOISELLE DE MAUPIN . - - commencements, j'en ai éprouvé une espèce de joie . J'ai presque été aimable : j'ai soutenu la conversation que Rosette tâchait de laisser tomber afin que le monsieur s'en allât, et, quand il fut parti , je me mis à dire qu'il ne man quait pas d'esprit et que sa société était assez agréable . Rosette me fit souvenir qu'il y avait deux mois que je l'avais précisément trouvé stupide et le plus sot fâcheux qui fût sur la terre, ce à quoi je n'eus rien à répondre, car en vérité, je l'avais dit ; et j'avais cependant raison , malgré ma contradiction apparente : car la première fois il dé rangeait un tête -à -tête charmant, et la seconde fois il ve nait au secours d'une conversation épuisée et languissante ( d'un côté du moins) , et m'évitait, pour ce jour- là, une scène de tendresse assez fatigante à jouer. Voilà où nous en sommes ; la position est grave, surtout quand il y en a un des deux qui est encore épris et qui s'attache désespérément aux restes de l'amour de l'autre. Je suis dans une perplexité grande. - Quoique je ne sois pas amoureux de Rosette, j'ai pour elle une très grande affection , et je ne voudrais rien faire qui lui causât de la peine. -Je veux qu'elle croie , aussi longtemps que possible, que je l'aime . En reconnaissance de toutes ces heures qu'elle a ren dues ailées, en reconnaissance de l'amour qu'elle m'a donné pour du plaisir, je le veux. — Je la tromperai; mais une tromperie agréable ne vaut- elle pas mieux qu'une vérité affligeante ? -car jamais je n'aurai le cæur de lui dire que je ne l'aime pas. La vaine ombre d'a mour dont elle se repait lui paraît si adorable et si chère, elle embrasse ce pâle spectre avec tant d'ivresse et d'effu sion que je n'ose le faire évanouir ; cependant j'ai peur qu'elle ne s'aperçoive à la fin que ce n'est après tout qu’un fantôme. Ce matin nous avons eu ensemble un en tretien que je vais rapporter sous sa forme dramatique pour plus de fidélité, et qui me fait craindre de ne pou voir prolonger notre liaison bien longtemps. - - - MADEMOISELLE DE MAUPIN . 107 La scène représente le lit de Rosette. Un rayon de soleil plonge à travers les rideaux : il est dix heures. Rosette a un bras sous mon cou et ne remue pas, de peur de m'è veiller. De temps en temps elle se soulève un peu sur le coude et penche sa figure sur la mienne en retenant son souffle. Je vois tout cela à travers le grilläge de mes cils, car il y a une heure que je ne dors plus. La chemise de Ro sette a un tour de gorge de malines toute déchirée : la nuit a été orageuse ; ses cheveux s'échappent confusément de son petit bonnet. Elle est aussi jolie que peut l'être une femme que l'on n'aime point et avec qui l'on est couché. ROSETTE, voyant que je ne dors plus. O le vilain dormeur ! a MOI, bâillant. Haaa ! ROSETTE . / Ne bâillez donc pas comme cela, ou je ne vous embras serai pas de huit jours . . MOI. Ouf ! ROSETTE. Il paraît, monsieur, que vous ne tenez pas beaucoup à ce que je vous embrasse ? MOI. Si fait. ROSETTE . Comme vous dites cela d'une manière dégagée ! C'est bon ; vous pouvez compter que, d'ici à huit jours, je ne vous toucherai du bɔut des lèvres. d'hui mardi : ainsi à mardi prochain . moi. Bah ! ROSETTE. Comment, bah ! C'est aujour 1 108 MADEMOISELLE DE MAUPIN . MOI . Oui, bah ! tu m'embrasseras avant ce soir, ou je meure. ROSETTE. Vous mourrez ! Est-il fat ? -Je vous ai gâté, monsieur. 1 MOI . Je vivrai. Je ne suis pas fat et tu ne in'as pas gâté, au contraire. — D'abord, je demande la suppression du monsieur ; je suis assez de tes connaissances pour que tu m'appelles par mon nom et que tu me tutoies. ROSETTE . Je t’ai gâté, d'Albert ! MOI . Bien . — Maintenant approche ta bouche. - ROSETTE . Non , mardi prochain . MOI. Allons donc ! est-ce que nous ne nous caresserons plus maintenant que le calendrier à la main ? nous sommes un peu trop jeunes tous les deux pour cela . - Çà, votre bouche, món infante, ou je m'en vais attraper un tor ticolis . ROSETTE. Point. MOI. Ah ! vous voulez qu'on vous viole, mignonne; par dieu ! l'on vous violera.- La chose est faisable,, quoique peut- être elle n'ait pas encore été faite. ROSETTE . Impertinent ! MOI. Remarque, ma toute belle, que je t'ai fait la galanterie d'un peut- être ; c'est fort honnête de ma part. — Mais MADEMOISELLE DE MAUPIN. 109 nous nous éloignons du sujet. Penche ta tête . Voyons : qu'est-ce que cela, ma sultane favorite ? et quelle mine maussade nous avons ! Nous voulons baiser un sourire et non une moue. ROSETTE, se baissant pour m'embrasser. Comment veux- tu que je rie ? tu me dis des choses si dures ! MOI. Mon intention est de t'en dire de fort tendres. Pour quoi veux - tu que je te dise des choses dures ? ROSETTE. Je ne sais ; — mais vous m'en dites . - MOI. Tu prends pour des duretés des plaisanteries sans con Béquence. ROSETTE . Sans conséquence ! Vous appelez cela sans consé quence ? tout en a en amour. Tenez, j'aimerais mieux que vous me battissiez que de rire comme vous faites. . MOI. Tu voudrais donc me voir pleurer ! ROSETTE . Vous allez toujours d'une extrémité à l'autre. On ne vous demande pas de pleurer, mais de parler raisonnable ment et de quitter ce petit ton persifleur qui vous va fort mal. MOI . Il m'est impossible de parler raisonnablement et de ne pas persifler ; alors je te vais battre, puisque c'est dans tes goûts . ROSETTE Faites. 10 . do MADEMOISELLE DE MAUPIN. MOI, lui donnant quelques petites tapes sur les épaules . J'aimerais mieux me couper la tête moi-même que de me gâter ton adorable petit corps et de marbrer de bleu la blancheur de ce dos charmant. — Ma déesse, quel que soit le plaisir qu'une femme ait à être battue, en vérité, vousnele serez point. ROSETTE . Vous ne m’aimez plus. MOI . Voici qui'ne découle pas très -directement de ce qui pré cède ; cela est à peu près aussi logique que de dire : —Il pleut, donc ne me donnez pas mon parapluie ; ou : Il fait froid, ouvrez la fenêtre. ROSETTE . Vous ne m'aimez pas, vous ne m'avez jamais aimée . MOI . Ah ! la chose se complique : vous ne m’aimez plus et vous ne m'avez jamais aimée. Ceci est passablement con tradictoire : comment puis- je cesser de faire une chose que je n'ai jamais commencée ? -- Tu vois bien, petite reine, que tu ne sais ce que tu dis et que tu es très -par faitement absurde. ROSETTE . J'avais tant envie d'être aimée de vous que j'ai aidé moi-même à me faire illusion . On croit aisément ce que l'on désire ; mais maintenant je vois bien que je me suis trompée. -- Vous vous êtes trompé vous-même; vous avez pris un goût pour de l'amour, et du désir pour de la passion . La chose arrive tous les jours . Je ne vous en veux pas : il n'a pas dépendu de vous que vous ne soyez amoureux ;; c'est à mon peu de charmes que je dois m'en prendre. J'aurais dû être plus belle, plus enjouée, plus co quette ; j'aurais dû tâcher de monter jusqu'à toi , ô mon poëte ! au lieu le vouloir te faire descendre jusqu'à moi; MADEMOISELLE DE MAUPIN . áni j'ai eu peur de te perdre dans les nuages, et j'ai craint que, ta tête ne me dérobât ton cour. Je t’ai emprisonné dans mon amour, et j'ai cru, en me donnant à toi tout entière, que tu en garderais quelque chose ... MOI. Rosette, recule - toi un peu ; ta cuisse me brûle, -- til tu es comme un charbon ardent. ROSETTE . Si je vous gêne, je vais me - lever. Ah ! coeur de ro cher, les gouttes d'eau percent la pierre, et mes larmes ne te peuvent pénétrer. ( Elle pleure. ) MOI. Si vous pleurez comme cela, vous allez assurément changer notre lit en baignoire . Que dis -je , en bai gnoire ? en océan . Savez - vous nager, Rosette ? > ROSETTE. Scélérat ! MOI . . Allons, voilà que je suis un scélérat ! Vous me flattez, Rosette, je n'ai point cet honneur : je suis un bourgeois débonnaire, hélas ! et je n'ai pas commis le plus petit crime ; j'ai peut- être fait une sottise, qui est de vous avoir aimée éperdument: voilà tout . —- Voulez -vous donc àà toute force m'en faire repentir ? Je vous ai aimée, et je vous aime le plus que je peux. Depuis queje suis votre amant, j'ai toujours marché dans votre ombre : je vous ai donné tout mon temps, mes jours et mes nuits. Je n'ai point fait de grandes phrases avec vous, parce que je ne les aime qu'écrites ; mais je vous ai donné mille preuves de ma tendresse. Je ne vous parlerai pas de la fidélité la plus exacte, cela va sans dire ; enfin je suis maigri de sept quarterons depuis que vous êtes ma maîtresse . Que vou lez-vous de plus ? Me voilà dans votre lit ; j'y étais hier, j'y serai demain . Est-ce ainsi que l'on se conduit avec les 112 MADEMOISELLE DE MAUPIN . - gens que l'on n'aime pas ? Je fais tout ce que tu veux ; tu dis : Allons, je vais ; restors, je reste ; je suis le plus admirable amoureux du monde, ce me semble . ROSETTE . C'est précisément ce dont je me plains, - le plus par fait amoureux du monde en effet. MOI. Qu'avez- vous à me reprocher ? ROSETTE . Rien , et j'aimerais mieux avoir à me plaindre de vous, MOI. Voici une étrange querelle . ROSETTE. C'est bien pis. Vous ne m'aimez pas. – Je n'y puis rien, ni vous non plus. Que voulez - vous qu'on fasse à cela ? Assurément, je préférerais avoir quelque faute à vous pardonner. Je vous gronderais; vous vous excu seriez tant bien que mal, et nous nous raccommoderions. - MOI. Ce serait tout bénéfice pour toi. Plus le crime serait grand, plus la réparation serait éclatante . ROSETTE. Vous savez bien , monsieur, que je ne suis pas encore réduite à employer cette ressource , et que si je voulais tout à l'heure, quoique vous ne m'aimiez pas, et que nous nous querellions... MOI. Oui, je conviens que c'est un pur effet de ta clémence... Veuille donc un peu ; cela vaudrait mieux que de syllo giser à perte de vue comme nous faisons. ROSETTE . Vous voulez couper court à une conversation qui vous MADEMOISELLE DE MAUPIN. - Oh çà, embarrasse ; mais, s'il vous plaît, mon bel ami, nous nous contenterons de parler. MOI. C'est un régal peu cher. Je t'assure que tu as tort ; car tu es jolie à ravir, et je sens pour toi des choses... ROSETTE. Que vous m'exprimerez une autre fois. MOI. mon adorable, vous êtes donc une petite ti gresse d'Hyrcanie ? vous êtes aujourd'hui d'une cruauté nonpareille ! - Est -ce que cette démangeaison vous est venue,, de vous faire vestale ?? -Le caprice serait original. ROSETTE. Pourquoi pas ? l'on en a vu de plus bizarres ; mais, à coup sûr, je serai vestale pour vous. Apprenez, mon sieur, que je ne me livre qu'aux gens qui m'aiment ou dont je crois être aimée. Vous n'êtes dans aucun de ces - Permettez que je me lève. MOI. Si tu te lèves, je me lèverai aussi. Tu auras la peine de te recoucher : voilà tout. deux cas: C ROSETTE. Laissez-moi ! MOI . Pardieu non ! ROSETTE, se débattant. Oh ! vous me lâcherez ! MOI. J'ose, madame, vous assurer le contraire. ROSETTE, voyant qu'elle n'est pas la plus forte . Eh bien ! je reste ; vous me serrez le brasd'une force ! ... Que voulez- vous de moi ? > 10. 114 MADEMOISELLE DE MAUPIN. MOI. Je pense que vous le savez. Je ne me permettrais pas de dire ce que je me permets de faire; je respecte trop ! décence . ROSETTE , déjà dans l'impossibilité de se défendre. A condition que tu m'aimeras beaucoup... Je me rends. MOI. Il est un peu tard pour capituler, lorsque l'ennemi est déjà dans la place . . ROSETTE, me jetant les bras autour du cou, à moitié påmée. Sans condition ... Je m'en remets à ta générosité. MOI. Tu fais bien . Ici, mon cher ami, je pense qu'il ne serait pas hors dle propos de mettre une ligne de points, car le reste de ce dialogue ne se pourrait guère traduire que par des ono matopées. Le rayon de soleil, depuis le commencement de cette scène, a eu le temps de faire le tour de la chambre. Une odeur de tilleul arrive du jardin , suave et pénétrante. Le temps est le plus beau qui se puisse voir ; le ciel est bleu comme la prunelle d'une Anglaise. Nous nous levons, et , après avoir déjeuné de grand appétit, nous allons faire une ongue promenade champêtre. La transparence de l'air, la splendeur de la campagne et l'aspect de cette nature en joie m'ont jeté dans l'âme assez de sentimentalité et de tendresse pour faire convenir Rosette qu'au bout du compte j'avais une manière de cœur tout comme un autre. N'as-tu jamais remarqué comme l'ombre des bois, le murmure des fontaines, le chant des oiseaux, les riantes perspectives, l'odeur du feuillage et des fleurs, tout ce bagage de l'églogue etde la description , dont nous sommes MADEMOISELLE DE MAUPIN. 415 convenus de nous moquer, n'en conserve pas moins sur nous, si dép, avés que nous soyons; une puissance occulte à laquelle il est impossible de résister ? Je te confierai, sous le sceau du plus grand secret, que je me suis surpris tout récemment encore dans l'attendrissement le plus pro vincial à l'endroit d'un rossignol qui chantait. - C'était dans le jardin de *** ; le ciel, quoiqu'il fit tout à fait nuit, avait une clarté presque égale à celle du plus beau jour ; il était si profond et si transparent que le regard pénétrait aisément jusqu'à Dieu . Il me semblait voir flotter les der niers plis de la robe des anges sur les blanches sinuosités du chemin de saint Jacques. La lune était levée, mais un grand arbre la cachait entièrement ; elle criblait son noir feuillage d'un million de petits trous lumineux, et yy atta ' chait plus de paillettes que n'en eut jamais l'éventail d'une marquise. Un silence plein de bruits et de soupirs étouffés se faisait entendre par tout le jardin ( ceci ressemble peut être à du pathos, mais ce n'est pas ma faute ) ; quoique je ne visse rien que la lueur bleue de la lune, il me semblait être entouré d'une population de fantômes inconnus et adorés, et je ne me sentais pas seul, bien qu'il n'y eût plus que moi sur la terrasse . - Je ne pensais pas, je ne rêvais pas, j'étais confondu avec la nature qui m'environnait, je me sentais frissonner avec le feuillage, miroiter avec l'eau , reluire avec le rayon , m'épanouir avec la fleur ;; je n'étais pas plus moi que l'arbre, l'eau ou la belle-de-nuit. J'étais tout cela, et je ne crois pas qu'il soit possible d'être plus absent de soi-même que je l'étais à cet instant- là . Tout à coup , comme s'il allait arriver quelque chose d'ex traordinaire, la feuille s'arrêta au bout de la branche, la goutte d'eau de la fontaine resta suspendue en l'air et n'a cheva pas de tomber. Le filet d'argent, parti du bord de la lune, demeura en chemin : mon cæur seul battait avec une telle sonorité qu'il me semblait remplir de bruit tout ce grand espace . Mon cøur cessa de battre, et il se fit un tel silence que l'on eût entendu pousser l'herbe et pro 116 MADEMOISELLE DE MAUPIN. 1 noncer un mot tout bas à deux cents lieues . Alors le ros signol , qui probablement n'attendait que cet instant pour commencer à chanter, fit jaillir de son petit gosier une note tellement aiguë et éclatante, que je l'entendis par la poitrine autant que par les oreilles. Le son se répandit subitement dans ce ciel cristallin , vide de bruits, et y fit une atmosphère harmonieuse, où les autres notes qui le suivirent voltigeaient en battant des ailes . -- Je compre nais parfaitement ce qu'il disait, comme si j'eusse eu le secret du langage des oiseaux. C'était l'histoire des amours que je n'ai pas eues que chantait ce rossignol. Jamais histoire n'a été plus exacte et plus vraie . Il n'omettait pas le plus petit détail, la plus imperceptible nuance. Il me disait ce que je n'avais pas pu me dire, il m'expliquait ce que je n'avais pu comprendre ; il donnait une voix à ma rêverie, et faisait répondre le fantôme jusqu'alors muet. Je savais que j'étais aimé, et la roulade la plus lan goureusement filée m'apprenait que je serais heureux bientôt. Il me semblait voir à travers les trilles de son chant et sous la pluie de notes s'étendre vers moi, dans un rayon de lune, les bras blancs de ma bien-aimée . Elle s'élevait lentement avec le parfum du coeur d'une large rose à cent feuilles. Je n'essayerai pas de te décrire sa beauté . Il est des choses auxquelles les mots se refusent. Comment dire l'indicible ? comment peindre ce qui n'a ni forme, ni couleur ? comment noter une voix sans timbre et sans paroles ? Jamais je n'ai eu tant d'amour dans le cour ; j'aurais pressé la nature sur mon sein, je serrais le vide entre mes bras comme si je les eusse refermés sur une taille de vierge ; je donnais des baisers à l'air qui passait sur mes lèvres, je nageais dans les effluves qui sor taient de mon corps rayonnant. Ah ! si Rosette se fût trouvée là ! quel adorable galimatias je lui eusse débité ! Mais les femmes ne savent jamais arriver à propos. -- Le rossignol cessa de chanter ; la lune, qui n'en pouvait plus de sommeil, tira sur ses yeux son bonnet de nuages, et - MADEMOISELLÉ DE MAUPIN . 117 . moi je quittai le jardin ; car le froid de la nuit commençait à me gagner. Comme j'avais froid , je pensai tout naturellement que j'aurais plus chaud dans le lit de Rosette que dans le mien, et je fus coucher avec elle . J'entrai avec inon passe partout, car tout le monde dormait dans la maison . Rosette elle -mêmeétait endormie, et j'eus la satisfaction de voir que c'était sur un volume, non coupé, de mes derniè res poésies . Elle avait les deux bras au -dessus de la tête, la bouche souriante et entr'ouverte, une jambe étendue et l'autre un peu repliée, dans une pose pleine de grâce et d'abandon ; elle était si bien ainsi que je sentis un regret mortel de n'en pas être plus amoureux. En la regardant, je songeai à cela, que j'étais aussi stu pide qu'une autruche. J'avais ce que je désirais depuis si longtemps, une maîtresse à moi commemon cheval et mon épée, jeune, jolie , amoureuse et spirituelle ; - sans mère à grands principes, sans père décoré, sans tante revêche, sans frère spadassin, avec cet agrément ineffable d'un mari dûment scellé et cloué dans un beau cercueil de chêne doublé de plomb, le tout recouvert d’un gros quartier de pierre de taille, ce qui n'est pas à dédaigner ; car, après tout, c'est un mince divertissement que d'être appréhendé au milieu d’un spasme voluptueux, et d'aller compléter sa sensation sur le pavé après avoir décrit un arc de 40 à 45 degrés, selon l'étage où l'on se trouve; une maîtresse libre comme l'air des montagnes, et assez riche pour entrer dans les raffinements et les élégances les plus exquises, n'ayant d'ailleurs aucune espèce d'idée morale, ne vous parlant jamais de sa vertu tout en essayant une nouvelle posture, ni de sa réputation non plus que si elle n'en avait jamais eu, ne voyant intimement aucune femme,'et les méprisant toutes presque autant que si elle était un homme, faisant fort peu de cas du platonisme et, ne s'en cachant point, et toutefois mettant toujours le cieur de la partie ; une femme qui, si elle avait été posée dans une autre 118 MADEMOISELLÉ DE MAUPIN. - . - sphère, serait indubitablement devenue la plus admirable courtisane du monde, et aurait fait pâlir la gloire des As pasies et des Impérias! Or, cette femme ainsi faite était à moi. —J'en faisais ce que je voulais ; j'avais la clef de sa chambre et de son tiroir ; je décachetais ses lettres ; je lui avais ôté son nom et je lui en avais donné un autre. C'était ma chose, ma propriété. Sa jeunesse, sa beauté, son amour, tout cela m'apparte nait, j'en usais, j'en abusais. Je la faisais coucher dans le jour et se lever la nuit, si la fantaisie m'en prenait, et elle obéissait simplement et sans avoir l'air de me faire un sa crifice, et sans prendre de petits airs de victime résignée. - Elle était attentive, caressante , et, chose monstrueuse , exactement fidèle ; - c'est- à - dire que si, il y a six mois, au temps où je me dolentais de ne pas avoir de maitresse, on m'avait fait entrevoir, même lointainement, un pareil bonheur, j'en serais devenu fou de joie, et j'eusse envoyé mon chapeau cogner le ciel en signe de réjouissance. Eh bien ! maintenant que je l'ai, ce bonheur me laisse froid ; je le sens à peine ,je ne le senspas, et la situation où je suis prend si peu sur moi, que je doute souvent que j'en aie changé. —Je quitterais Rosette , j'en ai la conviction intime, qu'au bout d'un mois, peut-être de moins, je l'au rais si parfaitement et si soigneusement oubliée, que je ne saurais plus si je l'ai connue ou non ! En fera - t - elle au tant de son côté ? Je crois que non . Je réfléchissais donc à toutes ces choses, et, par une es pèce de sentiment de repentir, je déposai sur le front de la belle dormeuse le baiser le plus chaste et le plus mélan colique que jamais jeune homme ait donné à une jeune femme, sur le coup de minuit. — Elle fit un petit inouve ment ; le sourire de sa bouche se prononça un peu plus, mais elle ne se réveilla pas.- Je me déshabillai lentement, et, me glissant sous les couvertures, je m'étendis tout au long d'elle comme une couleuvre.- La fraîcheur de mon corps la surprit; elle ouvrit ses yeux et, sans me parler, - - MADEMOISELLE DE MAUPIN. 119 elle colla sa bouche à ma bouche, et s'entortilla si bien au tour de moi que je fus réchauffé en moins de rien . Tout le lyrisme de la soirée se tourna en prose, mais en prose poétique du moins . — Cette nuit est une des plus belles nuits blanches que j'aie passées : je ne puis plus en espé rer de pareilles . Nous avons encore des moments agréables, mais il faut qu'ils aient été amenés et préparés par quelque circons tance extérieure comme celle- ci, et, dans les commence ments, je n'avais pas besoin de m'être monté l'imagination en regardant la lune et en écoutant chanter le rossignol, pour avoir tout le plaisir qu'on peut avoir quand on n'est pas réellement amoureux. Il n'y a pas encore de fils cassés dans notre trame, mais il y a çà et là des næuds, et la chaîne n'est pas à beaucoup près aussi unie . Rosette, qui est encore amoureuse, fait ce qu'elle peut pour parer à tous ces inconvénients. Malheureusement il y a deux choses au monde qui ne se peuvent commander : l'amour et l'ennui. Je fais de mon côté des efforts sur humains pour vaincre cette somnolence qui me gagne malgré moi, et, comme ces provinciaux qui s'endorment à dix heures dans les salons des villes, je tiens mes yeux le plus écarquillés possible, et je relève mes paupières avec mes doigts : rien n'y fait, et je prends un laisser aller conjugal on ne peut plus déplaisant. La chère enfant, qui s'est bien trouvée l'autre jour du système champêtre, m'a emmené hier à sa campagne . Il ne serait peut-être pas hors de propos queje te fisse une petite description de la susdite campagne, qui est assez jolie ; cela égayerait un peu toute cette métaphysique, et d'ailleurs il faut bien un fond pour les personnages, et les figures ne peuvent pas se détacher sur le vide ou sur cette teinte brune et vague dont les peintres remplissent le champ de leur toile . Les abords en sont très - pittoresques. - On arrive, par une grande route bordée de vieux arbres, une étoile dont . છે. 120 MADEMOISELLE DE MAUPIN. . - le milieu est marqué par un obélisque de pierre surmonté d'une boule de cuivre doré : cinq chemins font les pointes ; -puis le terrain se creuse tout à coup .-- La route plonge dans une vallée assez étroite, dont le fond est occupé par une petite rivière qu'elle enjambe, par un pont d'une seule arche, puis remonte à grands pas le revers opposé, où est assis le village dont on voit poindre le clocher d'ardoises entre les toits de chaume et les têtes rondes des pommiers. -L'horizon n'est pas très-vaste , car il est borné, des deux côtés, par la crête du coteau , mais il est riant, et repose l'oeil. - A côté du pont, il y a un moulin et une fabrique en pierres rouges en forme de tour ; des aboiements pres que perpétuels, quelques braques et quelques jeunes bas sets à jambes torses qui se chauffent au soleil devant la porte vous apprendraient que c'est là que demeure le garde chasse, si les buses et les fouines, clouées aux volets, pou vaient vous laisser un moment dans l'incertitude . - A cet endroit commence une avenue de sorbiers dont les fruits écarlates attirent des nuées d'oiseaux; comme on n'y passe pas fort souvent, il n'y a au milieu qu'une bande de cou leur blanche; tout le reste est recouvert d’une mousse courte et fine, et, dans la double ornière tracée par les roues des voitures, bourdonnent et sautillent de petites gre. nouilles vertes comme des chrysoprases. - Après avoir cheminé quelque temps, on se trouve devant une grille en fer qui a été dorée et peinte, et dont les côtés sont garnis d'artichauts et de chevaux de frise . Puis le chemin se di rige vers le château que l'on ne voit pas encore, car il est enfoui dans la verdure comme un nid d'oiseau, sans trop se presser toutefois et se détournant assez souvent pour aller visiter un ruisseau et une fontaine, un kiosque élé gant ou un beau point de vue, passant et repassant la ri vière sur des ponts chinois ou rustiques. L'inégalité du terrain et les batardeaux élevés pour le service du moulin font qu'en plusieurs endroits la rivière a des chutes de qua tre à cinq pieds de hauteur, et rien n'est plus agréable que MADEMOISELLE DE MAUPIN . 121 d'entendre gazouiller toutes ces cascatelles à côté de soi, le plus souvent sans les voir, car les osiers et les sureaux qui bordent le rivage y forment un rideau presque impé nétrable ; mais toute cette portion du parc n'est en quelque sorte que l'antichambre de l'autre partie : une grande route qui passe au travers de cette propriété la coupe mal heureusement en deux, inconvénient auquel on a remédié d'une manière fort ingénieuse. Deux grands murs créne lés, remplis de barbacanes et de meurtrières imitant une forteresse ruinée, se dressent de chaque côté de la route ; une tour où s'accrochent des lierres gigantesques, et qui est du côté du château, laisse tomber sur le bastion opposé un véritable pont-levis avec des chaînes de fer qu'on baisse tous les matins. On passe par une belle arcade ogive dans l'intérieur du donjon , et de là dans la seconde en ceinte, où les arbres, qui n'ont pas été coupés depuis plus d'un siècle, sont d'une hauteur extraordinaire, avec des troncs noueux emmaillottés de plantes parasites, et les plus beaux et les plus singuliers que j'aie jamais vus . Quelques-uns n'ont de feuilles qu'au sommet, et se termi nent en larges ombrelles ; d'autres s'effilent en panaches : d'autres, au contraire, ont près de leur tige une large touffe, d'où le tronc dépouillé s'élance vers le ciel comme un second arbre planté dans le premier; on dirait des plans de devant d'un paysage composé ou des coulisses d'une dé coration de théâtre, tellement ils sont d’une difformité curieuse ; — des lierres, qui vont de l'un à l'autre et les embrassent à les étouffer, mêlent leurs cours noirs aux feuilles vertes, et semblent en être l'ombre . Rien au monde n'est plus pittoresque. —La rivière s'élargit, à cet endroit, de manière à former un petit lac, et le peu de profondeur permet de distinguer, sous la transparence de l'eau , les belles plantes aquatiques qui en tapissent le lit. Ce sont des nymphæas et des lotus qui nagent noncha lamment dans le plus pur cristal avec les reflets des nuées et des saules pleureurs qui se penchent sur la rive : le 11 . 122 MADEMOISELLE DE MAUPIN. . château est de l'autre côté, et ce petit batelet peint de vert pomme et de rouge vif vous évitera de faire un assez long détour pour aller chercher le pont. — C'est un as semblage de bâtiments construits à différentes époques, avec des pignons inégaux et une foule de petits clochetons. Ce pavillon est en brique avec des coins de pierre; ce corps de logis est d'un ordre rustique, plein de bossages et de vermiculages. Cet autre pavillon est tout moderne; il a un toit plat à l'italienne avec des vases et une balustrade de tuiles et un vestibule de coutil en forme de tente : les fenêtres sont toutes de grandeurs différentes, et ne se cor respondent pas; il y en a de toutes les façons : on y trouve jusqu'au trèfle et à l'ogive, car la chapelle est gothique . Certaines portions sont treillissées, comme les maisons chinoises, de treillis peints de différentes couleurs, où grimpent des chèvrefeuilles, des jasmins, des capucines et de la vigne vierge dont les brindilles entrent familière ment dans les chambres, et semblent vous tendre la main en vous disant bonjour. Malgré ce manque de régularité, ou plutôt à cause de ce manque de régularité, l'aspect de l'édifice est charmant : au moins, l'on n'a pas tout vu d'un seul coup ; il y a de quoi choisir, et l'on s'avise toujours de quelque chose dont on ne s'était pas aperçu. Cette habitation que je ne con naissais pas, car elle est à une vingtaine de lieues, me plut tout d'abord , et je sus à Rosette le plus grand gré d'avoir eu cette idée triomphante de choisir un pareil nid à nos amours. Nous y arrivâmes à la tombée du jour ; et, comme nous étions las, après avoir soupe de grand appétit, nous n'eû mes rien de plus pressé que de nous aller coucher (séparé ment bien entendu) , car nous avions l'intention de dormir sérieusement. Je faisais je ne sais quel rêve couleur de rose, plein de fleurs, de parfums et d'oiseaux , quand je sentis une tiède haleine effleurer mon front, et un baiser y descendre en MADEMOISELLE DE MAUPIN. 123 - palpitant des ailes . Un mignard clapement de lèvres et une douce moiteur à la place effleurée me firent juger que je ne rêvais pas : j'ouvris les yeux, et la première chose que j'aperçus, ce fut le cou frais et blanc de Rosette qui se pen chait sur le lit pour m'embrasser. Je lui jetai les bras autour de la taille, et lui rendis son baiser plus amoureu sement que je ne l'avais fait depuis longtemps. Elle s'en fut tirer le rideau et ouvrir la fenêtre, puis re vint s'asseoir sur le bord de mon lit, tenant ma main entre les deux siennes et jouant avec mes bagues . Son habil lement était de la simplicité la plus coquette. - Elle était sans corset, sans jupon, et n'avait absolument sur elle qu'un grand peignoir de batiste blanc comme le lait, fort ample et largement plissé ; ses cheveux étaient relevés sur le haut de sa tête avec une petite rose blanche de l'espèce de celles qui n'ont que trois ou quatre feuilles ; ses pieds d'ivoire jouaient dans des pantoufles de tapisserie de cou leurs éclatantes et bigarrées, mignonnes au possible, quoi qu'elles fussent encore trop grandes, etsans quartier comme celles des jeunes Romaines.. - Je regrettai, en la voyant ainsi, d'être son amant et de n'avoir pas à le devenir. Le rêve que je faisais au moment où elle est venuem'é veiller d'une aussi agréable manière n'était pas fort éloigné de la réalité. — Ma chambre donnait sur le petit lac que j'ai décrit tout à l'heure .. -Un jasmin encadrait la fenêtre, et secouait ses étoiles en pluie d'argent sur mon parquet : de larges fleurs étrangères balançaient leurs urnes sous mon balcon comme pour m'encenser ; une odeur suave et indécise, formée de mille parfums différents, pénétrait jusqu'à mon lit, d'où je voyais l'eau miroiter et s'écailler en millions de paillettes ; les oiseaux jargonnaient, gazouil laient, pépiaient et sifflaient : - c'était un bruit harmo nieux et confus comme le bourdonnement d'une fête. En face, sur un coteau éclairé par le soleil , se déployait une pelouse d'un vert doré, où paissaient, sous la conduite d'un petit garçon , quelques grands bæufs dispersés çà et là. 124 MADEMOISELLE DE MAUPIN . 1 . - –Tout en haut et plus dans le lointain , on apercevait d'im menses carrés de bois d'un vert plus noir, d'où montait, en se contournant en spirales, la bleuatre fumée des char bonnières . Tout, dans ce tableau, était calme, frais et souriant, et, où que je portasse les yeux, je ne voyais rien que de beau et de jeune . Ma chambre était tendue de perse avec des nattes sur le parquet, des pots bleus du Japon aux ventres arrondis et aux cols effilés, tout pleins de fleurs singulières, artistement arrangés sur les étagères et sur la cheminée de marbre turquin aussi remplie de fleurs ; des dessus de por tes, représentant des scènes de nature champêtre ou pas torale d'une couleur gaie et d'un dessin mignard, des sofas et des divans à toutes les encoignures ; —puis une belle et jeune femme tout en blanc, dont la chair rosait délicate ment la robe transparente aux endroits où elle la touchait : on ne pouvait rien imaginer de mieux entendu pour le plaisir de l'âme, ainsi que pour celui des yeux . Aussi mon regard satisfait et nonchalant allait, avec un plaisir égal, d'un magnifique pot tout semé de dragons et de mandarins, à la pantoufle de Rosette, et de là au coin de son épaule qui luisait sous la batiste ; il se suspendait aux tremblantes étoiles du jasmin et aux blonds cheveux des saules du rivage, passait l'eau et se promenait sur la colline, et puis revenait dans la chambre se fixer aux neuds couleur de rose du long corset de quelque bergère. A travers les déchiquetures du feuillage, le ciel ouvrait des milliers d'yeux bleus ; l'eau gazouillait tout doucement, et moi, je me laissais faire à toute cette joie, plongé dans une extase tranquille, ne parlant pas, et ma main toujours entre les deux petites mains de Rosette. On a beau faire : le bonheur est blanc et rose ; on ne peut guère le représenter autrement. Les couleurs tendres lui reviennent de droit. — Il n'a sur sa palette que du vert d'eau, du bleu de ciel et du jaune paille : ses tableaux sont tout dans le clair comme ceux des peintres chinois. - Des - MADEMOISELLE DE MAUPIN . 125 fleurs, de la lumière, des parfums, une peau soyeuse et douce qui touche là vôtre, une harmonie voilée et qui vient on ne sait d'où, on est parfaitement heureux avec cela ; il n'y a pas moyen d'être heureux différemment. Moi-même, qui ai le commun en horreur, qui ne rêve qu'aventures étranges, passions fortes , extases délirantes, situations bi zarres et difficiles, il faut que je sois tout bêtement heu reux de cette manière-là, et, quoi que j'aie fait, je n'ai pu en trouver d'autre . Je te prie de croire que je ne faisais aucune de ces ré flexions; c'est après coup et en t'écrivant qu'elles me sont venues ; à cet instant-là, je n'étais occupé qu'à jouir, la seule occupation d'un homme raisonnable. Je ne te décrirai pas la vie que nous menons ici, elle est facile à imaginer . Ce sont des promenades dansles grands bois, des violettes et des fraises, des baisers et de petites fleurs bleues, des goûters sur l'herbe, des lectures et des livres oubliés sous les arbres ; - des parties sur l'eau avec un bout d'écharpe ou une main blanche qui trempe au courant, de longues chansons et de longs rires redits par l'écho de la rive ; - la vie la plus arcadique qu'il se puisse imaginer ! Rosette me comble de caresses et de prévenances ; elle , plus roucoulante qu'une colombe au mois de mai, elle se roule autour de moi et m'entoure de ses replis ; elle tâche que je n'aie d'autre atmosphère que son souffle et d'autre horizon que yeux ; elle fait mon blocus très- exactement et ne laisse rien entrer ni sortir sans permission ; elle s'est bâti un petit corps de garde à côté de mon cour, d'où elle le surveille nuit et jour. Elle me dit des choses ravis santes ; elle me fait des madrigaux fort galants ; elle s'as soit à mes genoux et se conduit tout à fait devant moi comme une humble esclave devant son seigneur etmaître : ce qui me convient assez, car j'aime ces petites façons sou mises et j'ai de la pente au despotisme oriental. -Elle ne fait pas la plus petite chose sans prendre mon avis, et ses 11 . 126 MADEMOISELLE DE MÀUPIN . - semble avoir fait abnégation complète de sa fantaisie et de sa volonté ; elle cherche à deviner ma pensée et à la pré venir ; elle est assommante d'esprit, de tendresse et de complaisance ; elle est d'une perfection à jeter par les fenê tres. — Comment diable pourrai- je quitter une femme aussi adorable, sans avoir l'air d'un monstre ? —· Il y a de quoi décréditer mon cæur à tout jamais. Oh ! que je souhaiterais la prendre en faute, lui trouver un tort ! comme j'attends avec impatience une occasion de dispute ! mais il n'y a pas de danger que la scélérate ine la fournisse ! Quand, pour amener une altercation , je lui parle brusquement et d'un ton dur, elle me répond des choses si douces, avec une voix si argentine, des yeux si trempés, d'un air si triste et și amoureux, que je me fais à moi-même l'effet d'un plus que tigre ou tout au moins d'un crocodile, et que, tout en enrageant, je suis forcé de lui demander pardon. A la lettre, elle m'assassine d'amour ; elle me donne la question , et chaque jour elle resserre d'un cran les ais entre lesquels je suis pris.. —- Elle veut probablement m'a mener à lui dire que je la déteste, qu'elle m'ennuie à la mort,, et que, si elle ne me laisse en repos, je lui couperai la figure à coups de cravache. -Pardieu ! elle y arrivera, et, si elle continue à être aussi aimable, ce será avant peu, ou le diable m'emportera. Malgré toutes ces belles apparences, Rosette est soule de moi comme je suis soul d’elle ; mais, comme elle a fait d'éclatantes folies pour moi, elle ne veut pas se donner aux yeux de l'honnête corporation des femmes sensibles le tort d'une rupture. - Toute grande passion a la pré tention d'être éternelle, et il est fort commode de se don ner les bénéfices de cette éternité sans en supporter les in convénients. Rosette raisonne ainsi : -Voici un jeune homme qui n'a plus qu'un reste de goût pour moi, et, comme il est assez naif et débonnaire, il n'ose pas le té moigner ouvertement, et ne sait de quel bois faire flèche; > MADEMOISELLE DE MAUPIN. 127 - il est évident que je l'ennuie, mais il crèvera plutôt à la peine que de prendre sur lui de me quitter . Comme c'est une manière de poëte, il a'la tête pleine de belles phrases a sur l'amour et la passion, et se croit obligé, en conscience, d'être un Tristan ou un Amadis. Or, comme rien au monde n'est plus insupportable que les caresses d'une per sonne que l'on commence à n’aimer plus ( et n'aimer plus une femme, c'est la haïr violemment) , je m'en vais les lui prodiguer de manière à l'indigestionner, et, de toutes les façons, il faudra qu'il m'envoie à tous les diables ou qu'il se remette à m'aimer comme au premier jours ce qu'il se gardera soigneusement de faire. Rien n'est mieux imaginé. — N'est -il pas charmant de faire l'Ariane délaissée ? L'on vous plaint, l'on vous admire, l'on n'a pas assez d'imprécations pour l'infâme qui a eu la monstruosité d'abandonner une créature aussi adorable ; on prend des airs résignés et douloureux, on se met la main sous le menton et le coude sur le genou, de façon à faire ressortir les jolies veines bleues de son poignet. On porte des cheveux plus éplorés, et l'on met, pendant quelque temps, des robes d'une couleur plus sombre. On évite de prononcer le nom de l'ingrat, mais on y fait des állusions détournées, tout en poussant de petits soupirs admirablement modulés. Une femme si bonne, si belle, si passionnée, qui a fait de si grands sacrifices, à qui l'on n'a pas à reprocher la moindre chose, un vase d'élection , une perle d'amour, un miroir sans taches, une goutte de lait, une rose blanche, une essence idéale à parfumer une vie ; une femme qu'on aurait dû adorer à genoux, et qu'il faudra couper en petits morceaux, après sa mort, afin d'en faire des re liques : la laisser là iniquement, frauduleusement, scélé ratement! Mais un corsaire ne ferait pas pis ! Lui donner le coup de la mort ! car elle en mourra assurément. — Il faut avoir un pavé dans le ventre, au lieu de coeur , pour se conduire de la sorte . 9 > - - 128 MADEMOISELLE DE MAUPIN. 1 O hommes ! hommes ! Je me dis cela ; mais peut- être n'est- ce pas vrai. Si grandes comédiennes que soient naturellement les femmes, j'ai peine à croire qu'elles le soient à ce point-là ; et, au bout du compte, toutes les démonstrations de Ro sette ne sont- elles que l'expression exacte de ses sentiments pour moi ? -- Quoi qu'il en soit, la continuation du tête -à tête n'est plus possible, et la belle châtelaine vient d'en voyer enfin des invitations à ses connaissances du voisi nage . Nous sommes occupés à faire des préparatifs pour recevoir ces dignes provinciaux et provinciales . -- Adieu, cher. V . - Je m'étais trompé. - Mon mauvais cour, incapable d'amour, s'était donné cette raison pour se délivrer du poids d'une reconnaissance qu'il ne veut pas supporter ; j'avais saisi avec joie cette idée pour m'excuser devant moi-même; je m'y étais attaché, mais rien au monde n'est plus faux. Rosette ne jouait pas de rôle, et si jamais femme fut vraie, c'est elle . Ehbien ! je lui en veux presque de la sincérité de sa passion qui est un lien de plus et qui rend une rupture plus difficile ou moins excusable ; je la préférerais fausse et volage. — Queiie singulière position que celle - là ! - On voudrait s'en aller, et l'on reste ; on voudrait dire : Je te hais, et l'on dit : Je t'aime ; – votre passé vous pousse en avant et vous empêche de vous retour nér ou de vous arrêter . L'on est fidèle avec des regrets de l'être . Je ne sais quelle espèce de honte vous empêche de vous livrer tout à fait à d'autres connaissances et vous fait entrer en composition avec vous-même. On donne à l’un tout ce que l'on peut dérober à l'autre en sauvant les apparences ; le temps et les occasions de se voir qui se présentaient autrefois si naturellement ne se trouvent plus aujourd'hui que difficilement. -L'on commence à se - 1 MADEMOISELLE DE MAUPIN. 129 - souvenir que l'on a des affaires qui sont d'importance . Cette situation pleine de tiraillements est des plus pénibles, mais elle ne l'est pas encore autant que celle où je me trouve.- Quand c'est une nouvelle amitié qui vous enlève à l'ancienne, il est plus facile de se dégager.— L'espérance vous sourit doucement du seuil de la maison qui renferme vos jeunes amours. -Une illusion plus blonde et plus ro sée voltige avec ses blanches ailes sur le tombeau , à peine fermé, de sa sæur qui vient de mourir ; une autre fleur plus épanouie et plus embaumée, où tremble une larme céleste, a poussé subitement du milieu des calices flétris du vieux bouquet ; de belles perspectives azurées s'ouvrent devant vous; des allées de charmilles discrètes et humides se prolongent jusqu'à l'horizon ; ce sont des jardins avec quelques pâles statues ou quelque banc adossé à un mur tapissé de lierre, des pelouses étoilées de marguerites, des balcons étroits où l'on va s'accouder et regarder la lune, des ombrages coupés de lueurs furtives, - - des salons avec des jours étouffés sous d'amples rideaux ; – toutes ces ob scurités et cet isolement que recherche l'amour qui n'ose se produire. C'est comme une nouvelle jeunesse qui vous vient . L'on a en outre le changement de lieux, d'habitudes et de personnes ; l'on sent bien une espèce de remords ; mais le désir qui voltige et bourdonne autour de votre tête, comme une abeille du printemps, vous empêche d'en en tendre la voix ; le vide de votre cour est comblé, et vos souvenirs s'effacent sous les impressions. Mais ici ce n'est pas la même chose : je n'aime personne, et ce n'est que par lassitude et par ennui plutôt de moi que d'elle que je voudrais pouvoir rompre avec Rosette . Mesanciennesidées,quis'étaient un peu assoupies, se ré veillent plus folles que jamais .-- Je suis, comme autrefois, tourmenté du désir d'avoir une maîtresse, et, comme au trefois, dans les bras mêmes de Rosette, je doute si j'en ai jamais eu . Je revois la belle dame à sa fenêtre, dans son parc du temps de Louis XIII, et la chasseresse, sur son - > 130 MADEMOISELLE DE MAUPIN . - cheval blanc, traverse au galop l'avenue de la forêt. Ma beauté idéale me sourit du haut de son hamac de rua ges, je crois reconnaître sa voix dans le chant des oiseaux, dans le murmure des feuillages; il me semble qu'on m'ap pelle de tous les côtés, et que les filles de l'air m'effleurent le visage avec la frange de leurs écharpes invisibles. Comme au temps de mes agitations, je me figure que, si je par tais en poste sur-le- champ et que j'allasse quelque part, très loin et très vite, j'arriverais dans quelque endroit où il se fait des choses qui me regardent et où mes destinées se décident. — Je me sens impatiemment attendu dans un coin de la terre, je ne sais lequel. Une âme souarante m'appelle ardemment et merêve qui ne peut venir à moi ; c'est la raison de mes inquiétudes et ce qui m'empêche de pouvoir rester en place ; je suis attiré violemment hors de mon centre . - Ma nature n'est pas une de celles où les autres aboutissent, une de ces étoiles fixes autour des quelles gravitent les autres lueurs ; il faut que j'erre à tra vers les champs du ciel, comme un météore déréglé, jus qu'à ce que j'aie fait la rencontre de la planète dont je dois être le satellite, le Saturne à qui je dois mettre mon anneau. Oh ! quand donc se fera cet hymen ? - Jusque là je ne peux pas espérer de repos ni d'assiette, et je serai comme l'aiguille éperdue et vacillante d'une boussole qui cherche son pôle . Je me suis laissé prendre l'aile à cette glu perfide, espé rant n'y laisser qu’une plume et croyant pouvoir m'envo ler quand bon me semblerait : rien n'est plus difficile ; je me trouve couvert d'un filet imperceptible, plus malaisé à rompre que celui forgé par Vulcain , et le tissu des mailles est si fin et si serré, qu'il n'y a point jour à se pouvoir échapper. Le filet, du reste , est large, et l'on peut se re muer dedans avec une apparence de liberté ; il ne se fait guère sentir que lorsqu'on essaye à le rompre ; mais alors il résiste et se fait solide comme une muraille d'airain . Que de temps j'ai perdu, ô mon idéal ! sans faire le MADEMOISELLE DE MAUPIN . 131 moindre effort pour te réaliser ! Comme je me suis laissé aller lâchement à cette volupté d'une nuit ! et combien je mérite peu de te rencontrer ! Quelquefois je songe à former une autre liaison1 ; mais je n'ai personne en vue : plus souvent je me propose, si je parviens à rompre, de ne me jamais rengager en de tels liens, et pourtant rien ne justifie cette résolution ; car cette affaire a été en apparence fort heureuse, et je n'ai pas le moins du mondeà me plaindre de Rosette. —Elle a toujours été bonne pour moi, et s'est conduite on ne peut mieux ; elle m'a été d'une fidélité exemplaire, et n'a pas même donné jour au soupçon : la jalousie la plus éveillée et la plus inquiète n'aurait rien trouve à dire sur son compte, et aurait été obligée de s'endormir. -- Un jaloux n'aurait pu l'être que des choses passées; il est vrai qu'a lors il aurait eu de quoi l'être largement. Mais c'est une délicatesse heureusement assez rare qu’une jalousie de cette sorte, et il y a bien assez du présent sans aller fouiller en arrière sous les décombres des vieilles passions pour en extraire des fioles de poison et des calices de fiel. — Quel les femmes pourrait -on aimer, si l'on pensait à tout cela ? -On sait bien confusément qu'une femme a eu plusieurs amants avant vous ; mais on se dit, tant l'orgueil de l'homme a de retours et de replis tortueux ! que l'on est le premier qu'elle ait véritablement aimé, et que c'est par un concours de circonstances fatales qu'elle s'est trouvée liée à des gens indignes d'elle, ou bien que c'était un va gue désir d'un cæur qui cherchait à se satisfaire, et qui changeait parce qu'il n'avait pas rencontré. Peut- être ne peut- on aimer réellement qu'une vierge, vierge de corps et d'esprit, un frêle bouton qui n'ait encore été caressé d'aucun zephyr et dont le sein fermé n'ait reçu ni la goutte de pluie ni la perle de rosée , une chaste fleur qui ne déploie sa blanche robe que pour vous seul, un beau lis à l'urne d'argent où ne se soit abreuvé aucun désir, et qui n'ait été doré que par votre soleil, ba - a 132 MADEMOISELLE DE MAUPIN . - lancé que par votre souffle, arrosé que par votre main . - Le rayonnement du midi ne vaut pas les divines pâleurs de l'aube, et toute l'ardeur d’une âme éprouvée et qui sait la vie le cède aux célestes ignorances d'un jeune cour qui s'éveille à l'amour. — Ah ! quelle pensée amère et hon teuse que celle qu'on essuie les baisers d'un autre, qu'il n'y a peut-être pas une seule place sur ce front, sur ces lèvres, sur cette gorge, sur ces épaules, sur tout ce corps qui est à vous maintenant, qui n'ait été rougie et marquée par des lèvres étrangères; que ces murmures divins qui viennent au secours de la langue qui n'a plus de mots ont déjà été entendus ; que ces sens si émus n'ont pas appris de vous leur extase et leur délire, et que tout là -bas, bien loin, bien à l'écart dans un de ces recoins de l'âme où l'on ne va jamais, veille un souvenir inexorable qui com pare les plaisirs d'autrefois aux plaisirs d'aujourd'hui ! Quoique ma nonchalance naturelle me porte à préfé rer les grands chemins aux sentiers non frayés et l'abreu voir public à la source de la montagne, il faudra absolu ment que je tâche d’aimer quelque virginale créature aussi candide que la neige, aussi tremblante que la sen sitive, qui ne sache que rougir et baisser les yeux : peut être, sous ce flot limpide où nul plongeur n'est encore descendu, pêcherai-je une perle de la plus belle eau et digne de faire le pendant de celle de Cléopâtre; mais, pour cela, il faudrait dénouer le lien qui m'attache à Rosette, car ce n'est pas probablement avěc elle que je réaliserai cette envie, et en vérité je ne m'en sens pas la force. Et puis, s'il faut l'avouer, il y a au fond de moi un mo tif sourd et honteux qui n'ose se produire au grand jour, et qu'il faut pourtant bien que je te dise, puisque je t'ai promis de ne rien cacher, et que, pour qu'une confession soit méritoire, il faut qu'elle soit complète ; - ce motif est pour beaucoup dans toutes ces incertitudes. - Si je romps avec Rosette, il se passera nécessairemeut quelque . > > MADEMOISELLE DE MAUPIN . 133 - temps avant qu'elle ne soit remplacée, si facile que soit le genre de femme où je lui chercherai un successeur, et j'ai pris avec elle une habitude de plaisir qu'il me sera pénible de suspendre. Il est vrai que l'on a la ressource des courtisanes; - je les aimais assez autrefois, et je ne m'en faisais point faute en pareille occurrence ; -- mais aujourd'hui elles me dégoûtent horriblement, et me don nent la nausée.. — Ainsi, il n'y faut pas penser, et je suis tellement amolli par la volupté, le poison s'est insinué si profondément dans mes os, que je ne puis supporter l'idée d'être un ou deux mois sans femme. - Voilà de l'égoïsme, et du plus sale ; mais je crois que, s'ils voulaient être francs, les plus vertueux pourraient confesser des choses assez analogues. C'est par là que je suis le plus fortement englué, et, n'était cette raison, il y aurait longtemps que Rosette et moi nous serions brouillés sans retour. Et puis, en vérité, c'est une chose si mortellement ennuyeuse que de faire la cour à une femme, que je ne m'en sens pas le cæur. Re commencer à dire toutes les sottises charmantes que j'ai déjà dites tant de fois, refaire l'adorable, écrire des billets et y répondre ; reconduire des beautés, le soir, à deux lieues de chez soi ; attraper du froid aux pieds et des rhumes devant la fenêtre, en épiant une ombre chérie ; calculer sur un sofa combien de tissus superposés vous séparent de votre déesse ; porter des bouquets et courir les bals pour arriver où j'en suis, c'est bien la peine ! - Autant vaut rester dans son ornière . En sortir pour re tomber dans une autre exactement pareille, après s'être beaucoup agité et donné bien du mal, - à quoi bon ? Si j'étais amoureux, la chose irait d'elle-même, et tout cela me paraîtrait ravissant ; mais je ne le suis point, quoique j'aie la plus forte envie de l'être ; car, après tout, il n'y a que l'amour au monde ; et, si le plaisir qui n'en est que l'ornbre a tant d'amorces pour nous, que doit donc être la réalité ? Dans quel flot d’ineffables extases, dans quels } a 12 4 34 MADEMOISELLE DE MAUPIN. lacs de pures délices doivent nager ceux qu'il a atteints au cæur d'une de ses flèches à pointe d'or, et qui brûlent des aimables ardeurs d'une flamme mutuelle ! J'éprouve à côté de Rosette ce calme plat et cette espèce de bien - être paresseux qui résulte de la satisfaction des sens, mais rien de plus ; et ce n'est pas assez. Souvent cet engourdissement voluptueux tourne en torpeur, et cette tranquillité en ennui ; je tombe alors en des distractions sans objet et en je ne sais quelles fades rêvasseries qui me fatiguent et m'excèdent ; - c'est un état dont il faut que je sorte à tout prix. Oh ! si je pouvais être comme certains de mes amis qui baisent un vieux gant avec ivresse, qui se trouvent tout heureux d'un serrement de main, qui ne changeraient pas contre l'écrin d'une sultane quelques méchantes fleurs à demi séchées par la sueur du bal, qui couvrent de larmes ct cousent dans leur chemise, à l'endroit de leur cæur, un billet écrit en pauvre style, et stupide à le croire copié du Parfait Secrétaire, qui adorent des femmes avec de gros pieds, et qui s'en excusent sur ce qu'elles ont l'âme belle ! Si je pouvais suivre, en frémissant, les der niers fiis d'une robe, attendre qu'une porte s’quvrît pour voir passer dans un flot de lumière une chère et blanche apparition ; si un mot dit tout bas me faisait changer de couleur; si j'avais cette vertu de ne pas dîner pour arriver plus tôt à un rendez-vous; si j'étais capable de poignarder un rival ou de me battre en duel avec un mari ; si, par une grâce particulière du ciel, il m'était donné de trouver spi rituelles les femmes qui sont laides, et bonnes celles qui sont laides et bêtes; si je pouvais me résoudre à danser le menuet et à écouter les sonates que jouent les jeunes per sonnes sur le clavecin ou sur la harpe; si ma capacité se haussait jusqu'à apprendre l'hombre et le reversi ; enfin , si j'étais un homme et non pas un poëte, je serais cer tainement beaucoup plus heureux que je ne suis ; - je m'ennuierais moins et serais moins ennuyeux. MADEMOISELLE DE MAUPIN . 135 - Je n'ai jamais demandé aux femmes qu'une seule chose, c'est la beauté ; je me passe très-volontiers d'esprit et d'âme. — Pour moi, une femme qui est belle a toujours de l'esprit ; - elle a l'esprit d'être belle, et je ne sais pas lequel vaut celui -là . Il faut bien des phrases brillantes et des traits scintillants pour valoir les éclairs d'un bel ceil. Je préfère une jolie bouche à un joli mot, et une épaule bien modelée à une vertu , même théologale; je donnerais cin quante ames pour un pied mignon , et toute la poésie et tous les poëtes pour la main de Jeanne d'Aragon ou le front de la vierge de Foligno. - J'adore sur toutes choses la beauté de la forme; -- la beauté pour moi, c'est la Di vinité visible, c'est le bonheur palpable, c'est le ciel des: cendu sur la terre . —Il y a certaines ondulations de con tours, certaines finesses de lèvres, certaines coupes de paupières, certaines inclinaisons de tête, certains allonge ments d'ovales qui meravissent au delà de toute expression et m'attachent pendant des heures entières. La beauté, seule chose qu'on ne puisse acquérir, inac cessible à tout jamais à ceux qui ne l'ont pas d'abord ; fleur éphémère et fragile qui croît sans être semée, pur don du ciel ! ô beauté ! le plus radieux diadème dont le hasard puisse couronner un front, tu es admirable et précieuse comme tout ce qui est hors de la portée de l'homme, comme l'azur du firmament, comme l'or de l'étoile , comme le parfum du lis séraphique! - On peut changer son escabeau pour un trône; on peut conquérir le monde, beaucoup l'ont fait ; mais qui pourrait ne pas s'agenouiller devant toi, pure personnification de la pensée de Dieu ? Je ne demande que la beauté, il est vrai; mais il me la faut si parfaite, que je ne la rencontrerai probablement ja mais. J'ai bien vu çà et là, dans quelques femmes, des por tions admirables médiocrement accompagnées, et je les ai aimées pour ce qu'elles avaient de choisi, en faisant abs traction du reste ; c'est toutefois un travail assez pénible - C 136 MADEMOISELLE DE MAUPIN. 11 . 1et une operation douloureuse que de supprimer ainsi la moitié de sa maîtresse, et de faire l'amputation mentale de ce qu'elle a de laid ou de commun, en circonscrivant ses yeux sur ce qu'elle peut avoir de bien . - La beauté, c'est l'harmonie, et une personne également laide partout est souvent moins désagréable à regarder qu'une femme inégalement belle . Rien ne me fait peine à voir comme un chef-d'oeuvre inachevé et comme une beauté à qui il manque quelque chose ; - une tache d'huile choque moins sur une bure grossière que sur une riche étoffe. Rosette n'est point mal ; elle peut passer pour belle, mais elle est loin de réaliser ce que je rêve ; c'est une sta tue dont plusieurs morceaux sont amenés à point. Les. autres ne sont pas si nettement dégagés du bloc ; il y a des endroits accusés avec beaucoup de finesse et de charme, et quelques- uns d'une manière pius lâche et plus négligée. Aux yeux vulgaires, la statue paraît entièrement finie et d'une beauté complète ; mais un observateur plus atten tif y découvre bientôt des places où le travail n'est pas assez serré, et des contours qui , pour atteindre à la pureté qui leur est propre, ont besoin que l'ongle de l'ouvrier y passe et y repasse encore bien des fois ; - c'est à l'amour à polir ce marbre et à l'achever, c'est dire assez que ce ne sera pas moi qui le finirai. Au reste, je ne circonscris point la beauté dans telle ou telle sinuosité de lignes. -L'air, le geste, la démarche, le souffle, la couleur, le son, le parfum , tout ce qui est la vie entre pour moi dans la composition de la beauté ; tout ce qui embaume, chante ou rayonne y revient de droit . - J'aime les riches brocarts, les splendides étoffes avec leurs plis amples et puissants ; j'aime les larges fleurs et les cas solettes, la transparence des eaux vives et l'éclat miroitant des belles armes, les chevaux de race et ces grands chiens blancs comme on en voit dans les tableaux de Paul Véro nèse.— Je suis un vrai païen de ce côté, et je n'adore point les dieux qui sont mal faits : - quoiqu'au fond je ne sois - 1 1 1 1 MADEMOISELLE DE MAUPIN . 137 pas précisément ce qu'on appelle irréligieux , personne n'est de fait plus mauvais chrétien que moi.- Je ne comprends pas cette mortification de la matière qui fait l'essence du christianisme ; je trouve que c'est une action sacrilége que de frapper sur l'oeuvre de Dieu, et je ne puis croire que la chair soit mauvaise, puisqu'il l'a pétrie lui-même de ses doigts et à son image. -J'approuve peu les longs sarraux de couleur sombre d'où il ne sort qu'une tête et deux mains, et ces toiles où tout est noyé d'ombre, excepté quelque front qui rayonne. — Je veux que le coleil entre partout, qu'il y ait le plus de lumière et le moins d'ombre possible, que la couleur étincelle, que la ligne serpente, que la nudité s'étale fièrement, et que la matière ne se cache point d'être, puisque, aussi bien que l'esprit, elle est un hymne éternel à la louange de Dieu . Je conçois parfaitement le fol enthousiasme des Grecs pour la beauté ; et, pour mon compte, je ne trouve rien d'absurde à cette loi qui obligeait les juges à n'entendre plaider les avocats que dans un lieu obscur, de peur que leur bonne mine, la grâce de leurs gestes et de leurs atti tudes ne les prévinssent favorablement et ne fissent pen cher la balance . Je n'achèterais rien d'une marchande qui serait laide; je donne plus volontiers aux mendiants dont les haillons et la maigreur sont pittoresques. —· Il yy a un petit Italien fiévreux, vert comme un citron , avec de grands yeux noirs et blancs qui lui tiennent la moitié de la figure ;-on dirait un Murillo ou un Espagnolet sans cadre qu'un brocanteur aurait exposé contre la borne : - celui- là a toujours deux sous de plus que les autres. —Je ne battrais jamais un beau cheval ou un beau chien, et je ne voudrais pas d'un ami ou d'un domestique qui ne serait point d'un extérieur agréable. -C'est un véritable supplice pour moi que de voir de vilaines choses ou de vilaines personnes. Une architecture de mauvais goût, un meuble d'une mauvaise forme, m'empêchent de me plaire dans une maison, si - 12 . 139 MADEMOISELLE DE MAUPIN . - - - confortable et attrayante qu'elle soit d'ailleurs . Le meilleur vin me paraît presque de la piquette dans un verre mal tourné, et j'avoue que je préférerais de brouet le plus la cédémonien sur un émail de Bernard de Palissy au plus fin gibier sur une assiette de terre. L'extérieur m'a tou jours pris violemment, et c'est pourquoi j'évite la compa gnie des vieillards ; cela me contriste et m'affecte désa gréablement, parce qu'ils sont ridés et déformés , quoique cependant quelques-uns aient une beauté spéciale ; et, dans la pitié que j'ai d'eux, il y a beaucoup de dégoût : de toutes les ruines du monde, la ruine de l'homme est assurément la plus triste à contempler . Si j'étais peintre (et j'ai toujours regretté de ne pas l'être) , je ne voudrais peupler mes toiles que de déesses, de nymphes, de madones, de chérubins et d’amours. Consacrer ses pinceaux à faire des portraits, à moins que ce ne soit de belles personnes, me paraît un crime de lèse peinture; et, loin de vouloir doubler ces figures laïdes ou ignobles, ces têtes insignifiantes ou vulgaires, je penche rais plutôt à les faire couper sur l'original. -- La férocité de Caligula, détournée en ce sens, me semblerait presque louable . La seule chose au monde que j'aie enviée avec quelque suite, c'est d'être beau . - Par beau j'entends aussi beau que Paris ou Apollon. N'être point difforme, avoir des traits à peu près réguliers, c'est - à - dire avoir le nez au milieu de la figure, ni camard , ni crochu , des yeux qui ne soient ni rouges ni éraillés, une bouche convenablement fendue, rcela n'est pas être beau : à ce compte, je le serais, et je me trouve aussi éloigné de l'idée que je me forme de la beauté virile que si j'étais un de ces jaquemarts qui frappent l'heure sur les clochers; j'aurais une montagne sur chaque épaule, les jambes torses d’un basset, le nez et le museau d'un singe, que j'y ressemblerais autant. --Bien des fois je me regarde, des heures entières, dans le miroir avec une fixité et une attention inimaginables, pour voir s'il n'est pas . - MADEMOISELLE DE MAUPIN . 139 survenu quelque amélioration dans ma figure; j'attends que les lignes fassent- un mouvement et se redressent ou s'arrondissent avec plus de finesse et de pureté, que mon seil s'illumine et nage dans un fluide plus vivace, que la sinuosité qui sépare mon front de mon nez se comble, et que mon profil prenne ainsi le calme et la simplicité du profil grec , et je suis toujours très-surpris que cela n'ar rive pas. J'espère toujours qu’un printemps ou l'autre je me dépouillerai de cette forme que j'ai, comme un serpent qui laisse sa vieille peau . - Dire qu'il faudrait si peu de chose pour que je sois beau , et que je ne le serai jamais ! Quoi donc ! une demi-ligne, un centième, un millième de ligne de plus ou de moins dans un endroit ou dans un autre, un peu moins de chair sur cet os, un peu plus sur celui-ci, un peintre, un statuaire auraient rajusté cela en une demi-heure. Qu'est-ce que cela faisait aux atomes qui me composent de se cristalliser de telle ou telle façon ? En quoi importait -il à ce contour de sortir ici et de rentrer là , et où était la nécessité que je fusse ainsi et pas autrement ? En vérité, si je tenais le hasard à la gorge, je crois que je l'étranglerais. —Parce qu'il a plu à une misérable par celle de je ne sais quoi de tomber je ne sais où et de se coaguler bêtement en la gauche figure qu'on me voit, je serai éternellement malheureux ! N'est- ce pas la plus sotte et la plus misérable chose du monde ? Comment se fait- il que mon âme, avec l'ardent désir qu'elle en a, ne puisse laisser tomber à plat la pauvre charogne qu'elle fait tenir debout, et aller animer une de ces statues dont l'exquise beauté l'attriste et la ravit ? Il y a deux ou trois personnes quej'assassinerais avec délices, en ayant soin toutefois de ne pas les meurtrir ni les gâter, si je possédais le mot qui fait transmigrer les âmes d'un corps à l'autre. -- Il m'a tou jours semblé que, pour faire ce que je veux (et je ne sais pas ce que je veux) , j'avais besoin d'une très - grande et très parfaite beauté, et je m'imagine que, si je l'avais , ma vie , qui est si enchevêtrée et si tiraillée, aurait été d'elle -même. 140 MADEMOISELLE DE MAUPIN . tant de On voit tant de belles figures dans les tableaux !--pour quoi aucune de celles-là n'est-elle la mienne ? têtes charmantes qui disparaissent sous la poussière et la fumée du temps au fond des vieilles galeries ! Ne vaudrait il pas mieux qu'elles quittassent leurs cadres et vinssent s'épanouir sur mes épaules ? La réputation de Raphaël souffrirait-elle beaucoup, si un de ces anges qu'il fait vo ler par essaims dans l'outremer de ses toiles m'abandon- . nait son masque pour trente ans ? Il y a tant d'endroits et des plus beaux de ses fresques qui se sont écaillés et sont tombés de vétusté ! On n'y prendrait pas garde. Que font autour de ces murs ces beautés silencieuses que le vul gaire des hommes regarde à peine d'un regard distrait ? et pourquoi Dieu ou le hasard n'a-t-il pas l'esprit de faire ce dont un homme vient à bout avec quelques poils em manchés d'un bâton et quelques pâtes de différentes cou leurs délayées sur une planche ? Ma première sensation devant une de ces têtes merveil leuses dont le regard peint semble vous traverser et se pro longer à l'infini, est le saisissement et une admiration qui n'est pas sans quelque terreur : mes yeux se trempent, . mon coeur bat ; puis, quand je suis un peu familiarisé avec elle, et que je suis entré plus avant dans le secret de sa . beauté, je fais une comparaison tacite d'elle à moi ; la ja lousie se tord au fond de mon âme en næuds plus entor tillés qu'une vipère, et j'ai toutes les peines du monde à ne pas me jeter sur la toile et à ne pas la déchirer en mor ceaux . Ètre beau, c'est-à-dire avoir en soi un charme qui fait que tout vous sourit et vous accueille ; qu'avant que vous ayez parlé tout le monde est déjà prévenu en votre faveur et disposé à être dé votre avis ; que vous n'avez qu'à passer par une rue, ou vous montrer à un balcon pour vous créer, dans la foule, des amis ou des maîtresses. N'avoir pas be soin d'être aimable pour être aimé, être dispensé de . tous ces frais d'esprit et de complaisance auxquels la laideur MADEMOISELLE DE MAUPIN. 941 vous obligé, et de ces mille qualités morales qu'il faut arcir pour suppléer la beauté du corps ; quel don splendide et magnifique ! Et celui qui joindrait à la beauté suprême la force su prême, qui, sous la peau d'Antinoüs, aurait les muscles d'Hercule, que pourrait- il désirer de plus ? Je vis sûr qu'avec ces deux choses et l'âme que j'ai, avant trois ans, je serais empereur du monde ! — Une autre chose que j'ai désirée presque autant que la beauté et que la force, c'est le don de me transporter aussi vite que la pensée d'un en droit à un autre . —La beauté de l'ange, la force du tigre et les ailes de l'aigle, et je commencerais à trouver que le monde n'est pas aussi mal organisé que je le croyais d'abord , -- Un beau masque pour séduire et fasciner sa proie, des ailes pour fondre dessus et l'enlever, des ongles pour la déchirer : —tant que je n'aurai pas cela, je serai malheu reux . Toutes les passions et tous les goûts que j'ai eus n'ont été que des déguisements de ces trois désirs . J'ai aimé les armes, les chevaux et les femmes : les armes, pour remplacer les nerfs que je n'avais pas ; les chevaux, pour me servir d'ailes ; les femmes, pour posséder au moins dans quelqu'une la beauté qui me manquait à moi-même. Je recherchais de préférence les armes les plus ingé nieusement meurtrières, et celles dont les blessures étaient inguérissables . Je n'ai jamais eu l'occasion de me servir d'aucun de ces kriss ou de ces yatagans : néanmoins j'aime à les avoir autour de moi ; je les tire du fourreau avec un sentiment de sécurité et de force inexprimable, je m'en escrime à tort et à travers très- énergiquement, et , si par hasard je viens à voir la réflexion de ma figure dans une glace, je suis étonné de son expression féroce . - Quant aux chevaux, je les surmène tellement, qu'il faut qu'ils crèvent ou qu'ils disent pourquoi. - Si je n'avais pas renoncé à monter Ferragus, il y a longtemps qu'il serait mort, et ce serait dommage, car c'est un brave animal. MADEMOISELLE DE MAUPIN. a - Quel cheval arabe pourrait avoir les jambes aussi promptes et aussi déliées que mon désir ? Dans les femmes je n'ai cherché que l'extérieur, et, comme jusqu'à présent celles que j'ai vues sont loin de répondre à l'idée que je me suis faite de la beauté, je me suis rejeté sur les ta bleaux et les statues ; ce qui, après tout, est une assez pitoyable ressource quand on a des sens aussi allumés que les miens. — Cependant il y a quelque chose de grand et de beau à aimer une statue, c'est que l'amour est parfaite mentésintéressé, qu'on n'a à craindre ni la satiété ni le dégoût de la victoire, et qu'on ne peut espérer raisonnable ment un second prodige pareil à l'histoire de Pygmalion . -L'impossible m'a toujours plu . N'est -il pas singulier que moi, qui suis encore aux mois les plus blonds de l'adolescence, qui, loin d'avoir abusé de tout, n'ai pas même usé des choses les plus simples, j'en sois venu à ce degré de blasement de n'être plus chatouillé que par le bizarre ou le difficile ? -La satiété suit le plaisir c'est une loi naturelle et qui se conçoit. Qu'un homme qui a mangé à un festin de tous les plats et en grande quan tité n'ait plus faim et cherche à réveiller son palais endormi par les mille flèches des épices ou des vins irritants, rien n'est plus facile à expliquer ; mais qu'un homme qui ne ait que s'asseoir à table, et qui .à peine a goûté des pre miers mets, soit pris déjà de ce dégoût superbe, nº puisse toucher sans vomir qu'aux plats d'une saveur extrême et n'aime que les viandes faisandées, les fromages jaspés de bleu, les truffes et les vins qui sentent la pierre à fusil, c'est un phénomène qui ne peut résult que d'une organisation particulière ; c'est co nme un infant de six mois qui trou verait le ļait de sa nourrice fade et qui ne voudrait téter que de l'eau-de--vie . - Je suis aussi las que si j'avais exé cuté toutes les prodigiosités de Sardanapale, et cependant ma vie a été fort chaste et tranquille en apparence : c'est une erreur de croire que la possession soit la seule route qui mène à la satiété . On y arrive aussi par le désir , et - MADEMOISELLE DE MAUPIN. 143 - . l'abstinence use plus que l'excès . - Un désir tel que le mien est quelque chose d'autrement fatigant que la pos session . Son regard parcourt et pénètre l'objet qu'il veut avoir et qui rayonne au -dessus de lui , plus promptement et plus profondément que s'il y touchait : qu'est-ce que l'usage lui apprendrait de plus ? quelle expérience peut équivaloir à cette contemplation constante et passionnée ! J'ai traversé tant de choses, quoique j'aie fait le tour de bien peu, qu'il n'y a plus que les sommets les plus escarpés qui me tentent. Je suis attaqué de cette maladie qui prend aux peuples et aux hommes puissants dans leur vieillesse : l'impossible . - Tout ce que je peux faire n'a pas le moindre attrait pour moi. — Tibère, Caligula, Néron , grands Romains de l'empire, ô vous que l'on a si mal compris, et que la meute des rhéteurs poursuit de ses aboiements, je souffre de votre mal et je vous plains de tout ce qui me reste de pitié ! Moi aussi, je voudrais bâtir un pont sur la mer et paver les flots ; j'ai rêvé de brûler des villes pour illuminer mes fêtes; j'ai souhaité d'être femme pour connaître de nouvelles voluptés. -Ta maison dorée, Ô Néron ! n'est qu'une étable fangeuse à côté du palais que je me suis élevé ; ma garde-robe est mieux montée que la tienne, Héliogabale, et bien autrement splendide. - Mes cirques sont plus rugissants et plus sanglants que les vôtres, mes parfums plus âcres et plus pénétrants, mes esclaves plus nombreux et mieux faits ; j'ai aussi attelé à monchar des courtisanes nues,j'aimarché sur les hommes d'un talon aussi dédaigneux que vous. - Colosses du monde antique, il bat sous mes faibles côtes un cæur aussi grand que le vôtre, et, à votre place, ce que vous avez fait je l'aurais fait et peut- être davantage. Que de Babels j'ai entassées les unes sur les autres pour at teindre le ciel, souffleter les étoiles et cracher de là sur la création ! Pourquoi donc ne suis - je pas Dieu, – puisque je ne puis être homme ? Oh ! je crois qu'il faudra cent mille siècles de néantpour . 1 4 4 MADEMOISELLE DE MAUPIN. me reposer de la fatigue de ces vingt années de vie . - Dieu du ciel, quelle pierre roulerez-vous sur moi ? dans quelle ombre me plongerez - vous ? à quel Léthé me ferez vous boire ? sous quelle montagne enterrerez-vous le Titan ? Suis- je destiné à souffler un volcan par ma bouche et à faire des tremblements de terre en me changeant de côté ? Quand je pense à cela, que je suis né d'une mère si douce, si résignée, de goûts et de mours si simples, je suis toạt surpris de ne pas avoir fait éclater son ventre quand elle me portait . Comment se fait- il qu'aucune de ses pen sées, calmes et pures, n'ait passé dans mon corps avec le sang qu'elle m'a transmis ? et pourquoi faut-il que je nę sois fils que de sa chair et non de son esprit ? La colombe'a fait un tigre qui voudrait pour proie à ses griffes la créa tion tout entière . J'ai vécu dans le milieu le plus calme et le plus chaste. Il est difficile de rêver une existence enchâssée aussi pure ment que la mienne . Mes années se sont écoulées, à l'ombre du fauteuil maternel, avec les petites soeurs et le chien de la maison . Je n'ai vu autour de moi que de bonnes têtes douces et tranquilles de vieux domestiques blanchis à notre service et en quelque sorte héréditaires, de parents ou d'amis graves et sentencieux, vêtus de noir, qui posaient leurs gants l'un après l'autre sur le bord de leur chapeau ; quelques tantes d'un certain âge, grassouillettes, pro prettes, discrètes, avec du linge éblouissant, des jupes grises, des mitaines de filet, et les mains sur la ceinture comme des personnes qui sont de religion! ; des meubles sévères jusqu'à la tristesse, des boiseries de chêne nu, des tentures de cuir, tout un intérieur d'une couleur sobre et étouffée, comme en ont fait certains maîtres flamands. Le jardin était humide et sombre ; le buis qui en dessinait les compartiments, le lierre qui recouvrait les murs et quelques sapins aux bras pelés étaient chargés d'y repré senter de la verdure et y réussissaient assez mal; la maison MADEMOISELLE DE MAUPIN . de briques, avec un toit très -haut, quoique spacieuse et en bon état, avait quelque chose de morne et d'assoupi. - Certes, rien n'était propre à une vie séparée, austère etmé lancolique, comme une pareille habitation . Il semblait im possible que tous les enfants élevés dans une telle maison ne finissent pas par se faire prêtres ou religieuses : eh bien ! dans cette atmosphère de, pureté et de repos, sous cette ombre et ce recueillement, je me pourrissais petit à petit, et sans qu'il en parût rien , comme une nèfle sur la paille . Au sein de cette famille honnête, pieuse, sainte , j'étais parvenu à un degré de dépravation horrible . — Ce n'était pas le contact du monde, puisque je ne l'avais pas vu ; ni le feu des passions,puisqueje transissais sous la sueurglacée qui suintạit de ces braves murailles. Le ver ne s'était pas traîné du coeur d'un autre fruit à mon coeur . Il était éclos de lui-même au plus plein de ma pulpe qu'il avait rongée et sillonnée en tous sens : en dehors rien ne parais sait et ne m'avertissait que je fusse gâté. Je n'avais ni tache nipiqûre; mais j'étais tout creux par dedans, et il ne me restait qu'une mince pellicule, brillamment colorée, que le moindre choc eût crevée. inexplicable qu’un enfant né de parents vertueux, élevé avec soin et discrétion, tenu loin de toute chose mauvaise, se pervertisse tout seul à un tel point, et arrive où j'en suis arrivé ? Je suis sûr qu'en remontant jusqu'à la sixième gé nération, on ne retrouverait pas parmi mes ancêtres un seul atome pareil à ceux dont je suis formé. Je ne suis pas de ma famille ; je ne suis pas une branche de ce noble tronc, mais un champignon vénéneux poussé par quelque lourde nuit d'orage entre ses racines moussues ; et pour tant personne n'a eu plus d'aspirations et d'élans vers le beau que moi, personne n'a essayé plus opiniâtrement de déployér ses ailes ; mais chaque tentative a rendu ma chute plus profonde, et ce qui devait me sauver m'a perdu. La solitude m'est plus mauvaise que le monde, quoique N'est - ce pas là une chose > 13 146 MADEMOISELLE DE MAUPIN . je désire plus la première que le second . — Tout ce qui m'enlève à moi-même m'est salutaire : la société m'en nuie, mais m'arrache forcément à cette rêverie creuse dont je monte et je descends la spirale, le front penché et les bras en croix . -Aussi, depuis que le tête- à -tête est rompu , et qu'il y a du monde ici avec lequel je suis forcé de me contraindre un peu, je suis moins sujet à me lạisser al ler å mes humeurs noires, et je suis moins travaillé de ces : désirs démesurés qui me fondent sur le cæur commeune nuée de vautours, dès que je reste un moment inoccupé . Il y a quelques femmes assez jolies et un ou deux jeunes gens assez aimables et fort gais ; mais, dans tout cet es saim provincial, ce qui me charme le plus est un jeune cavalier qui est arrivé depuis deux ou trois jours ; - il m'a plu tout d'abord, et je l'ai pris en affection, rien qu'à le voir descendre de son cheval. Il est impossible d'avoir meilleure grâce ; il n'est pas très -grand, mais il est svelte et bien pris dans sa taille ; il a quelque chose de moelleux et d'onduleux dans la démarche et dans les gestes, qui est on ne peut plus agréable; bien des femmes lui envieraient sa main et son pied . Le seul défaut qu'il ait, c'est d'être trop beau et d'avoir des traits trop délicats pour un homme. Il est muni d'une paire d'yeux les plus beaux et les plus noirs du monde, qui ont une expression indéfinissable et dont il est difficile de soutenir le regard ; mais, comme il est fort jeune et n'a pas apparence de barbe, la mollesse et la perfection du bas de sa figure tempèrent un peu la vivacité de ses prunelles d'aigle ; ses cheveux bruns et lustrés flottentsur son cou en grosses boucles, et donnent à sa tête un caractère particulier. - Voilà donc enfin un des types de beauté que je rêvais réalisé et marchant de vant moi ! Quel dommage que ce soit un homme, ou quel dommage que je ne sois pas une femme ! Cet Adonis, qui, à sa belle figure, joint un esprit très - vif et très- étendu , jouit encore de ce privilége d'avoir à mettre au service de ses bons mots et de ses plaisanteries une voix d'un timbre MADEMOISELLE DE MAUPIN . 147 - A argentin et mordant qu'il est difficile d'entendre sans être ému. Il est vraiment parfait, — Il paraît qu'il partage mes goûts pour les belles choses, car ses habits sont très riches et très-recherchés, son cheval très-fringantetde race ; et, pour que tout fût complet et assorti, il avait derrière lui, monté sur un petit cheval, un page de quatorze à quinze ans, blond, rose, joli comme un séraphin, qui dormait à moitié, et était si fatigué de la course qu'il venait de faire, que son maître a été obligé de l'enlever de sa selle et de l'emporter dans ses bras jusqu'à sa chambré. Rosette lui a fait beaucoup d'accueil, et je pense qu'elle a formé le dessein de s'en servir pour éveiller ma jalousie et faire sortir ainsi le peu de flamme qui dort sous les cendres de ma passion éteinté . —- Tout redoutable cependant que soit un pareil rival, je suis peu disposé à en - être jaloux, et je me sens tellement entraîné vers lúi , que je me désisterais assez volontiers de mon amour pour avoir son amitié . - VI En cet endroit, si le débonnaire lecteur veut bien nous le permettre, nous allons pour quelque temps abandonner à ses rêveries le digne personnage qui, jusqu'ici, a occupé la scène à lui tout seul et parlé pour son propre compte, et rentrer dans la forme ordinaire du roman, sans toute fois nous interdire de prendre par la suite la forme dra matique, s'il en est besoin, et en nous réservant le droit de puiser encore dans cette espèce de confession épisto laire que le susdit jeune homme adressait à son ami, per suadé que, si pénétrant et si plein de sagacité que nous soyons, nous devons assurément en savoir là -dessus moins long que lui-même. Le petit page était tellement harassé, qu'il dormait sur les bras de son maître, et que sa petite tête toute dé chevelée allait et venait comme s'il eût été mort. Il y avait assez loin du perron à la chambre que l'on avait désignée 148 MADEMOISELLE DE MAUPIN . و pour être celle du nouvel arrivant, et le domestique qui le précédait s'offrit à porter l'enfant à son tour ; mais le jeune cavalier, pour qui, du reste, ce fardeau semblait n'être qu'une plume, le remercia et ne voulut pas s'en dessaisir : il le déposa sur le canapé.tout doucement et en prenant mille précautions pour ne pas le réveiller ; une mère n'eût pas mieux fait. Quand le domestique se fut retiré et que la porte fut fermée , il se mit à genoux de vant lui, et essaya de lui tirer ses bottines; mais ses petits pieds gonflés et endoloris rendaient cette opération assez difficile, et le joli dormeur poussait de temps en temps quelques soupirs vagues et inarticulés, comme une per sonne qui va se réveiller ; alors le jeune cavalier s'arrêtait, et attendait que le sommeil l'eût repris. Les bottines cé dèrent enfin , c'était le plus important ; les bas firent peu de résistance . — Cette opération achevée, le maître prit les deux pieds de l'enfant, et les posa l'un à côté de l'autre sur le velours du sofa ; c'étaient bien les deux plus adora bles pieds du monde, pas plus grands que cela , blancs comme de l'ivoire neuf et un peu rosés par la pression de la chaussure où ils étaient en prison depuis dix -sept heu res, des pieds trop petits pour une femme, et qui sem blaient n'avoir jamais marché ; ce qu'on voyait de la jambe était rond, potelé, poli, transparent et veiné, et de la plus exquise délicatesse ; - une jambe digne du pied . Le jeurie homme, toujours à genoux, contemplait ces deux petits pieds avec une attention amoureusement ad mirative ; il se pencha, prit le gauche et le baisa, et puis le droit et le baisa aussi ;; et puis, de baisers en baisers, il remonta le long de la jambe jusqu'à l'endroit où l'étoffe commençait. —Le page souleva un peu sa longue pau pière, et laissa tomber sur son inaitre un regard bienveil lant et assoupi, où ne perçait aucune surprise. -- Macein ture me gêne, dit - il en passant son doigt sous le ruban, et il se rendormit. - Le maître déboucla la ceinture, releva la tête du page avec un coussin , et touchant ses pieds qui MADEMOISELLE DE MAUPIN, 1 49 - étaient devenus un peu froids, de brûlants qu'ils étaient, il les enveloppa soigneusement dans son manteau , prit un fauteuil, et s'assit au plus près du sofa. Deux heures se passèrent ainsi, le jeune homme regardant dormir l'enfant et suivant sur son front les ombres de ses rêves. Le seul bruit qu'on entendit par la chambre était sa respiration ré gulière et le tic tac de la pendule . C'était un tableau assurément fortgracieux . —Il yy avait dans l'opposition de ces deux genres de beauté un moyen d'effet dont un peintre habile eût tiré bon parti . —Le mai tre était beau comme une femme, - le page beau comme une jeune fille. — Cette tête ronde et rose, ainsi posée dans ses cheveux, avait l'air d'une pêche sous ses feuilles; elle en avait la fraicheur et le velouté, quoique la fatigue de la route lui eût enlevé quelque peu de son éclat habi tuel ; la bouche mi-ouverte laissait apercevoir de petites dents d'un blanc laiteux, et sous ses tempes pleines et lui santes s'entre - croisait un réseau de veines azurées ; les cils de ses yeux, pareils à ces fils d'or qui s'épanouissent dans les missels autour de la tête des vierges, lui venaient pres que au milieu des joues ; ses cheveux longs et soyeux te naient à la fois de l'or et de l'argent, - or dans l'ombre, argent dans la lumière; son cou était en même temps gras et frêle, et n'avait rien du sexe indiqué par ses habits ; deux ou trois boutons du justaucorps, défaits pour faciliter la respiration, permettaient d'entrevoir, par l'hiatus d'une chemise de fine toile de Hollande, un losange de chair potelée et rebondie d'une admirable blancheur, et le com mencement d'une certaine ligne ronde difficile à expliquer sur la poitrine d'un jeune garçon ; en y regardant bien, on eût peut-être trouvé aussi que ses hanches étaient un peu trop développées.- Le lecteur en pensera ce qu'il voudra ; ce sont de simplesconjecturesque nous lui proposons : nous n'en savons pas là-dessus plus que lui, mais nous espérons en apprendre davantage dans quelque temps, et nous lui promettons de le tenir fidèlement au courant de nos dé 13 , 50 MADEMOISELLE DE MAUPIN . a couvertes. - Que le lecteur, s'il a la vue moins basse que nous, enfonce son regard sous la dentelle de cette chemise et décide en conscience si ce contour est trop ou trop peu saillant ; mais nous l'avertissons que les rideaux soni tirés, et qu'il règne dans la chambre un demi- jour peu favorable à ces sortes d'investigations. Le cavalier était pâle, mais d'une pâleur dorée, pleine de force et de vie ; ses prunelles nageaient sur un cristallin humide et bleu ; son nez droit et mince donnait à son pró fil une fierté et une vigueur merveilleuses, et la chair en était si fine que, sur le bord du contour, elle laissait trans percer la lumière ; sa bouche avait le sourire le plus doux à de certains moments, mais d'ordinaire elle était arquée à ses coins, comme quelques-unes de ces têtes qu’on voit dans les tableaux des vieux maîtres italiens, plutôt en de dans qu'en dehors ; ce qui lui donnait quelque chose d'a dorablement dédaigneux, une smorfia on ne peut plus pi quante, un air de bouderie enfantine et de mauvaise hu meur très -singulier et très -charmant. Quels étaient les liens qui unissaient le maître au page et le page au maître ? Assurément il y avait entre eux plus que l'affection qui peut exister entre le maître et le domes tique. Étaient-ce deux amis ou deux frères? -Alors, pour quoi ce travestissement ? — Il eût été cependant difficile de croire à quiconque eût vu la scène que nous venons de décrire, que ces deux personnages n'étaient en vérité que ce qu'ils paraissaient être . Ce cher ange, comme il dort ! dit à voix basse le jeune homme ; je crois qu'il n'avait jamais tant fait de chemin de sa vie . Vingt lieues à cheval, lui qui est si dé licat ! j'ai peur qu'il ne soit malade de fatigue. Mais non, cela ne sera rien ; demain il n'y paraîtra plus ; il aura re pris ses belles couleurs, et sera plus frais qu'une rose après la pluie . - Est- il beau comme cela ! Si je ne craignais de l'éveiller, je le mangerais de caresses. Quelle adorable fossette il a au menton ! quelle finesse et quelle blancheur - - MADEMOISELLE DE MAUPIN . 151 de peau ! Dors bien, cher trésor. - Ah ! je suis vrai ment jaloux de ta mère et je voudrais t'avoir fait. Il n'est pas malade ? Non ; - sa respiration est réglée, et il ne bouge pas . - Mais je crois qu'on a frappé... En effet, on avait frappé deux petits coups aussi douce ment que possible sur le panneau de la porte . Le jeune homme se leva, et, craignant de s'être trompé, attendit, pour ouvrir, que l'on heurtâtdenouveau.- Deux autres coups, un peu plus accentués, se firent entendre de nouveau, et une douce voix de femme dit sur un ton très bas : - C'est moi, Théodore. Théodore ouvrit, mais avec moins de vivacité qu'un jeune homme n'en met à ouvrir à une femme dont la voix est douce, et qui est venue gratter mystérieusement à votre huis vers la tombée du jour. Le battant entre -bâillé donna passage, devinez à qui? à la maîtresse du perplexe d'Albert, à la princesse Rosette en personne , plus rose que son nom, et les seins aussi émus que les eut jamais femme qui soit entrée le soir dans la chambre d'un beau cavalier. Théodore ! dit Rosette .' Théodore leva le doigt et le posa sur sa lèvre de ma nière à figurer la statue du silence, et, lui montrant l'en fant qui dormait, il la fit passer dans la pièce voisine . Théodore, reprit Rosette qui semblait trouver des douceurs singulières à répéter ce nom, et chercher en même temps à rallier ses, idées, — Théodore, continua t -elle sans quitter la main que le jeune homme lui avait présentée pour la conduire à son fauteuil, êtes donc entin revenu ? Qu'avez -vous fait tout ce temps ? où êtes - vous allé ? — Savez-vous qu'il y a six mois que je ne vous ai vu? Ah ! Théodore, cela n'est pas bien ; on doit aux gens qui nous aiment, même quand on ne les aime pas, quelques égards et quelque pitié . THÉODORE . Ce que j'ai fait ? — Je ne sais. —J'ai été et je suis vena, - Vous nous - , 152 MADEMOISELLE DE MAUPIN. j'ai dormi et j'ai veillé, j'ai chanté et j'ai pleuré, j'ai eu fain et soif, j'ai eu trop chaud et trop froid , je me suis ennuyé, j'ai de l'argent de moins et six mois de plus, j'ai vécu ; voilà tout. —- Et vous, qu'avez -vous fait ? ROSETTE. Je vous ai aimé. THÉODORE. Vous n'avez fait que cela ? ROSETTE . > . Oui, absolument. —J'ai mal employé mon temps, n'est ce pas ? THÉODORE. Vous auriez pu l'employer mieux, ma pauvre Rosette ; par exemple, à aimer quelqu'un qui pût vous rendre votre amour. ROSETTE . Je suis désintéressée en amour comme en tout. — Je ne prète pas de l'amour à usure ; c'est un pur don que je fais. THÉODORE. Vous avez là une vertu bien rare, et qui ne peut naître que dans une âme choisie. J'ai désiré bien souvent pou voir vous aimer, du moins comme vous le voudriez ; mais il y a entre nous un obstacle insurmontable, et que je ne puis vous dire . Avez-vous eu un autre amant depuis que je vous ai quittée ? ROSETTE. J'en ai eu un que j'ai encore . THÉODORE. Quelle espèce d'homme est-ce ? ROSETTE . Un poëte. THÉODORE . Diable ! quel est ce poëte, et qu'a-t-il fait ? MADEMOISELLE DE MAUPIN . 153 ROSETTE . Je ne sais trop, une manière de volumeque personne ne connait, et que j'ai essayé de lire un soir . THÉODORE . Ainsi donc vous avez pour amant un poëte inédit . Ceia doit être curieux . A-t-il des trous au coude, du linge sale et des bas en vis de pressoir ? ROSETTE . Non ; il se met assez bien , se lave les mains, et n'a pas de taches d'encre au bout du nez. C'est un ami de C*** ; je l'ai rencontré chez madame de Thémines, vous savez, une grande femme qui fait l'enfant et se donne de petits airs d'innocence . THÉODORE. Et peut-on savoir le nom de ce glorieux personnage ? ROSETTE . Oh ! mon Dieu , oui ! il se nomme le chevalier d’Albert. THÉODORE. Le chevalier d'Albert ! il me semble que c'est un jeune homme qui était sur le balcon quand je suis descendu de cheval . ROSETTE . Précisément. THÉODORE . Et qui m'a regardé avec tant d'attention . ROSETTE . Lui-même. THÉODORE. Il est assez bien . Et il ne m'a pas fait oublier ? ROSETTE. Non. Vous n'êtes pas malheureusement de ceux qu'on oublie. 154 MADEMOISELLE DE MAUPIN. THÉODORE. Il vous aime fort sans doute ? ROSETTE . Je ne sais trop . Il y a des moments où l'on croirait qu'il m'aime beaucoup ; mais au fond il ne m'aime pas, et il n'est pas loin de me haïr, car il m'en veut de ce qu'il ne peut m'aimer. — Il a fait comme plusieurs autres plus expérimentés que lui ; il a pris un goûtvif pour de la pas sion, et s'est trouvé tout surpris et tout désappointé quand son désir a été assouvi . C'est une erreur que l'on a communément de penser que, parce que l'on a couché ensemble, on se doit réciproquement adorer. THÉODORE . Et que comptez-vous faire de ce susdit amoureux qui ne l'est pas ? ROSETTE. Ce qu'on fait des anciens quartiers de lune ou des modes de l'an passé. Il n'est pas assez fort pour me quitter le premier, et, quoiqu'il ne m'aime pas dans le sens véritable du mot, il tient à moi par une habitude de plaisir, et ce sont celles- là qui sont les plus difficiles à rompre . - Si je ne l'aide pas, il est capable de s'ennuyer consciencieuse ment avec moi jusqu'au jour du jugement dernier, et même au delà ; car il a en lui le germe de toutes les nobles qua lités ; et les fleurs de son âme ne demandent qu'à s'épa nouir au soleil de l'éternel amour. — Réellement, je suis fâchée de n'avoir pas été le rayon pour lui . - De tous mes amants que je n'ai pas aimés, c'est celui que j'aime le plus ; - et, si je n'étais aussi bonne que je le suis, je ne lui rendrais pas sa liberté, et je le garderais encore. — C'est ce que je ne ferai pas ; – j'achève en ce moment- ci de l’user . THÉODORE. Combien cela durera - t- il ? MADEMOISELLE DE MAUFIN . 155 que je ROSETTE . Quinze jours, trois semaines, mais à coup sûr moins que cela n'eût đuré si vous n'étiez pas venu . Je sais ne serai jamais votre maîtresse . — Il y a, dites-vous, pour cela une raison inconnue à laquelle je me rendrais s'il vous était permis de me la révéler. Ainsi donc toute espé rance de ce côté me doit être interdite, et cependant je ne puis me résoudre à être la maîtresse d'un autre quand vous êtes là : il me semble que c'est une profanation, et que je n'ai plus le droit de vous aimer. THÉODORE . Gardez celui- ci pour l'amour de moi. ROSETTE Si cela vous fait plaisir, je le ferai. - Ah ! si vous aviez - pu être à moi, combien ma vie eût été différente de ce qu'elle a été ! -- Le monde a une bien fausse idée de moi, et j'aurai passé sans que nul se soit douté de ce que j'étais, -excepté vous, Théodore, le seul qui m'ayez comprise, et qui m'ayez été cruel. Je n'ai jamais désiré que vouspour amant, et je ne vous ai pas eu. Si vous m'aviez aimée, ô Théodore ! j'aurais été vertueuse et chaste , j'aurais été digne de vous : au lieu de cela, je laisserai ( si quelqu'un se souvient de moi) la réputation d'une femme galante, d'une espèce de courtisane, qui n'avait de différent de celle du ruisseau que le rang et la fortune. J'étais née avec les plus hautes inclinations ; mais rien ne déprave comme de ne pas être aimée . - Beaucoup me méprisent qui ne sa vent pas ce qu'il m'a fallu souffrir pour arriver oùj'en suis . Étant sûre de ne jamais appartenir à celui que je pré férais entre tous, je me suis laissée aller au courant, je n'ai pas pris la peine de défendre un corps qui ne pouvait être à vous. Pour mon coeur, personne ne l'a eu et ne l'aura jamais. — Il est à vous, quoique vous l'ayez brisé ; et, différente de la plupart des femmes qui se croient honnêtes, pourvu qu'elles n'aient pas passé d'un lit dans - 156 MADEMOISELLE DE MAUPIN . un autre, quoique j'aie prostitué ma chair, j'ai toujours été fidèle d'âme et de coeur à votre pensée. -Au moins, j'au rai fait quelques heureux, j'aurai envoyé danser autour de quelques chevets de blanches illusions . J'ai trompé inno cemment plus d'un roble cour ; j'ai été si misérable d'être rebutée par vous, que j'ai toujours été épouvantée à l'idée de faire subir un pareil supplice à quelqu'un. - C'est le seul motif de bien des aventures qu’on a attribuées à un pur esprit de libertinage ! – Moi ! du libertinage! 0 monde ! Si vous saviez, Théodore, combien il est pro fondément douloureux de sentir qu'on a manqué sa vie, que l'on a passé à côté de son bonheur, de voir que tout le monde se méprend sur votre compte et qu'il est impossible de faire changer l'opinion qu'on a de vous, que vos plus belles qualités sont tournées en défauts , vos plus pures essences en noirs poisons, qu'il n'a transpiré de vous que ce que vous aviez de mauvais ; d'avoir trouvé les portes toujours ouvertes pour vos vices et toujours fermées pour vos vertus, et de n'avoir pu amener à bien , parmi tant de ciguës et d'aconits, un seul lis ou une seule rose ! vous ne savez pas cela, Théodore . THÉODORE. Hélas ! hélas ! ce que vous dites là , Rosette, est l'histoire de tout le monde ; la meilleure partie de nous est celle qui reste en nous, et que nous ne pouvons produire . Les poëtes sont ainsi. - Leur plus beau poëme est celui qu'ils n'ont pas écrit ; ils emportent plus de poëmes dans la bière qu'ils n'en laissent dans leur bibliothèque, ROSETTE . J'emporterai mon poëme avec moi. TIIÉODORE . Et moi, le mien. Qui n'en a fait un dans sa vie ? qui est assez heureux ou assez inalheureux pour n'avoir pas composé le sien dans sa tête ou dans son caur ? Des > MADEMOISELLE DE MAUPIN . 157 bourreaux en ont peut-être fait qui sont tout humides des pleursdela plus douce sensibilité ; des poëtes en ont peut être fait aussi qui eussent convenu à des bourreaux , tant ils sont rouges et monstrueux. ROSETTE . - - Oui. On pourrait mettre des roses blanches sur ma tombe. J'ai eu dix amants, mais je suis vierge, et mourrai vierge . Bien des vierges, sur les fosses desquelles il neige à perpétuité du jasmin et des fleurs d'oranger, étaient de véritables Messalines . THÉODORE. Je sais ce que vous valez, Rosette. ROSETTE . Vous seul au monde avez vu ce que je suis ; car vous m'avez vue sous le coup d'un amour bien vrai et bien pro fond, puisqu'il est sans espoir ; et qui n'a pas vu une femme amoureuse ne peut pas dire ce qu'elle est : c'est ce qui me console dansmes amertumes. THÉODORE . Et que pense de vous ce jeune homme qui, aux yeux du monde, est aujourd'hui votre amant ? ROSETTE . La pensée d'un amant est un gouffre plus profond que la baie de Portugal, et il est bien difficile de dire ce qu'il y a au fond d'un homme ; la sonde serait attachée à une corde de cent mille toises de longueur, et on la déviderait jusqu'au bout, qu'elle filerait toujours sans rien rencon trer qui l'arrêtåt. Cependant j'ai touché quelquefois le fond de celui-ci en quelques endroits, et le plomb a rap porté tantôt de la boue, tantôt de beaux coquillages, mais le plus souvent de la boue et des débris de coraux mêlés ensemble . - Quant à son opinion sur moi, elle a beaucoup varié : il a commencé d'abord par où les autres finissent, il m'a méprisée ; les jeunes gens qui ont l'imagi . 158 MADEMOISELLE DE MAUPIN. - nation vive sont sujets à cela . — Il y a toujours une chute énorme dans le premier pas qu'ils font, et le pas sage de leur chimère à la réalité ne peut se faire sans se cousse. -Il me méprisait, et je l'amusais ; maintenant il m'estime, et je l'ennuie . - Aux premiers jours de notre liaison , il n'a vu dans moi que le côté banal, et je pense que la certitude de ne pas éprouver de résistance était pour beaucoup dans sa détermination. Il paraissait extrême ment empressé d'avoir une affaire, et je crus d'abord que c'était une de ces plénitudes de coeur qui ne cherchent qu'à déborder, un de ces amours vagues que l'on a dans le mois de mai de la jeunesse, et qui font qu'à dé faut de femmes, on entourerait les troncs d’arbre avec ses bras, et qu'on embrasserait les fleurs et le gazon des prairies. -— Mais ce n'était pas cela ; - il ne passait à tra vers moi que pour arriver à autre chose . J'étais un chemin pour lui, et non un but. Sous les fraîches apparences de ses vingt ans, sous le premier duvet de l'adolescence, il cachait une corruption profonde. Il était piqué au cæur ; — c'était un fruit qui ne renfermait que de la cen dre . Dans ce corps jeune et vigoureux s'agitait une âme aussi vieille Saturne, une âme aussi incurablement malheureuse qu'il en fut jamais. - Je vous avoue, Théo dore, que je fus effrayée et que le vertige faillit me pren dre en me penchant sur les noires profondeurs de cette existence . Vos douleurs et les miennes ne sont rien, comparées à celles-là . —- Si je l'avais plus aimé, je l'aurais tué. - Quelque chose l'attire et l'appelle invinciblement qui n'est pas de ce monde nien ce monde, et il ne peut avoir de repos ni jour ni nuit ; et, comme l'héliotrope dans une cave , il se tord pour se tourner vers le soleil qu'il ne voit pas . -C'est un de ces hommes dont l'âme n'a pas été trem pée assez complétement dans les eaux du Léthé avant d'être liée à son corps, et qui garde du ciel dont elle vient des réminiscences d’éternelle beauté qui la travaillent et la tourmentent, qui se souvient qu'elle a eu des ailes, et qui que - MADEMOISELLE DE MAUPIN. 159 - > - n'a plus que des pieds . -Si j'étais Dieu, je priverais de poé. sie pendant deux éternités l'ange coupable d'une pareille négligence . — Au lieu d'avoir à bâtir un château de cartes brillamment coloriées pour abriter pendant un prin temps une blonde et jeune fantaisie, il fallait élever une tour plus haute que les huit temples superposés de Bélus. -Je n'étais pas de force , je fis semblant de ne pas l'avoir compris, et je le laissai ramper sur ses ailes et chercher un sommet d'où il pût s'élancer dans l'espace immense. - Il croit que je n'ai rien aperçu de tout cela, parce que je mesuis prêtée à tous ses caprices sans avoir l'air d'en soup çonner le but. —· J'ai voulu , ne pouvant le guérir, et j'espère qu'il m'en sera un jour tenu compte devant Dieu, lui donner au moins ce bonheur de croire qu'il avait été passionnément aimé. — Il m'inspirait assez de pitié et d'intérêt pour aisément pouvoir prendre avec lui un ton et des manières assez tendres pour lui faire illusion . J'ai joué mon rôle en comédienne consommée ; j'ai été enjouée et mélancolique, sensible et voluptueuse ; j'ai feint des inquiétudes et des jalousies ; j'ai versé de fausses larmes, et j'ai appelé sur mes lèvres des essaims de sou rires composés. - J'ai paré ce mannequin d'amour des plus brillantes étoffes; je l'ai fait promener dans les allées de mes parcs ; j'ai invité tous mes oiseaux à chanter sur son passage, et toutes mes fleurs dahlias et daturas à le sa luer en inclinant la tête ; je lui ai fait traverser mon lac sur le dos argenté de mon cygne chéri ; je me suis cachée dedans, etje lui ai prêté ma voix, mon esprit, ma beauté, ma jeunesse, et je lui ai donné une apparence si séduisante, que la réalité ne valait pas mon mensonge. Quand le temps sera venu de briser en éclats cette creuse statue, je le ferai de manière à ce qu'il croie que tout le tort est de inon côté et à lui en épargner le remords. C'est moi qui donnerai le coup d'épingle par où doit s'échapper le vent dont ce ballon est plein. - N'est-ce pas là une sainte pro stitution et une honorable tromperie ? J'ai dans une 160 MADEMOISELLE DE MAUPIN. urne de cristal quelques larmes que j'ai recueillies au mo ment où elles allaient tomber. - Voilà mon écrin et mes diamants, et je les présenterai à l'ange qui'me viendra prendre pour m'emmener à Dieu . THÉODORE. Ce sont les plus beaux qui puissent briller au cou d'une femme. Les parures d'une reine ne valent pas celles-là . Pour moi, je pense que la liqueur que Madeleine versa sur les pieds du Christ était faite des anciens pleurs de ceux qu'elle avait consolés, et je pense aussi que c'est de pareilles larmes qu’est semé le chemin de saint Jacques, et non, comme on l'a prétendu, des gouttes de lait de Junon . - Qui fera donc pour vous ce que vous avez fait pour lui ? ROSETTE . Personne, hélas ! puisque vous ne le pouvez. THÉODORE. O chère âme ! que ne le puis-je ! Mais ne perdez pas l'espoir . Vous êtes belle et bien jeune encore . Vous avez bien des allées de tilleuls et d'acacias en fleurs à par courir avant d'arriver à cette route humide, bordée de buis et d'arbres sans feuilles, qui conduit du tombeau de por phyre où l'on enterrera vos belles années mortes, au tom beau de pierre brute et couverte de mousse où l'on se hâtera de pousser le reste de ce qui fut vous et les spectres ridés et branlants des jours de votre vieillesse . Il vous reste beaucoup à gravir de la montagne de la vie, et de long temps vous ne parviendrez à la zone où se trouve la neige. Vous n'en êtes qu'à la région des plantes aromatiques, des cascades limpides où l'iris suspend ses arches tricolo res, des beaux chênes verts et des mélèzes parfumés. Montez encore quelque peu, et de là, dans l'horizon plus large qui se déploiera à vos pieds, vous verrez peut-être s'élever la fumée bleuâtre du toit où dort celui qui vous aimera . Il ne faut pas, dès l'abord, désespérer de sa vie ; MADEMOISELLE DE MAUPIN . 161 il s'ouvre , comme cela, dans notre destinée, des perspec tives à quoi nous ne nous attendions plus. - L'homme, dans la vie, m'a souvent fait penser à un pèlerin qui suit l'escalier en colimaçon d'une tour gothique. Le long serpent de granit tord dans l'obscurité ses anneaux dont chaque écaille est une marche. Après quelques circonvolutions, le peu de jour qui venait de la porte s'est éteint. L'ombre des maisons qu'on n'a pas encore dépassées ne permet pas aux soupiraux de laisser entrer le soleil : les murs sont noirs, suintants ; on a plutôt l'air de descendre dans un ca chot d'où l'on ne doit jamais sortir, que de monter à cette tourelle qui, d'en bas, vous paraissait si svelte et si élan cée, et couverte de dentelles et de broderies, comme si elle allait partir pour le bal . — On hésite si l'on doit aller plus haut, tant ces moites ténèbres pèsent lourdement sur votre front. L'escalier tourne encore quelquefois, et des lucarnes plus fréquentes découpent leurs trèfles d'or sur le mur opposé . On commence à voir les pignons den telés des maisons, les sculptures des entablements, les formes bizarres des cheminées ; - quelques pas de plus, et l'ail plane sur la ville entière; c'est une forêt d'aiguilles, de flèches et de tours qui se hérissent de toutes parts, dentelées, tailladées, évidées, frappées à l'emporte-pièce et laissant transparaitre le jour par leŭrs mille découpures. Les dômes et les coupoles s'arrondissent comme les ma nelles de quelque géante ou des crânes de Titans. Les îlots de maisons et de palais se détachent par tranches ombrées ou lumineuses. Quelques marches encore , et vous serez sur la plate- forme; et alors vous verrez, au delà de l'enceinte de la ville, verdoyer les cultures, bleuir les collines et blanchir les voiles sur le ruban moiré du fleuve. Un jour éblouissant vous inonde, et les hirondelles passent et repassent auprès de vous en poussant de petits cris joyeux . Le son lointain de la cité vous arrive comme un murmure amical ou le bourdonnement d'une ruche d'abeilies ; tous les clochers égrènent dans les airs leurs C 14 . 162 MADEMOISELLE DE MAUPIN. colliers de perles sonores ; les vents vous apportent les senteurs de la forêt voisine et des fleurs de la montagne : ce n'est que lumière, harmonie et parfum . Si vos pieds s'étaient lassés, ou que le découragement vous eût prise et que vous fussiez restée assise sur une marche inférieure, ou que vous fussiez tout à fait redescendue, ce spectacl eût été perdu pour vous. - Quelquefois cependant la tour n'a qu'une seule ouverture au milieu ou en haut. La tour de votre vie est ainsi construite ; alors il faut un courage plus obstiné, une persévérance armée d'ongles plus crochus, pour s'accrocher, dans l'ombre, aux saillies des pierres, et parvenir au trèfle resplendissant par où la vue s'échappe sur la campagne ; ou bien les meurtrières ont été remplies, ou l'on a oublié d'en percer, et alors il faut aller jusqu'au faîte ; mais plus on s'est élevé sans voir, plus l'horizon semble immense, plus le plaisir et la surprise sont grands. ROSETTE. 0 Théodore, Dieu veuille que je parvienne bientôt à l'endroit où est la fenêtre ! Voilà bien assez longtemps que je suis la spirale à travers la nuit la plus profonde; mais j'ai peur que l'ouverture n'ait été maçonnée et qu'il ne faille gravir jusqu'au sommet ; et si cet escalier aux mar ches innombrables n'aboutissait qu'à une porte murée ou à une voûte de pierres de taille ? THÉODORE. Ne dites pas cela, Rosette ; ne le pensez pas. Quel architecte construirait un escalier qui n'aboutirait à rien ? Pourquoi supposer le paisible architecte du monde plus stupide et plus imprévoyant qu'un architecte ordinaire ? -Dieu ne se trompe pas, et n'oublie rien . On ne peut pas croire qu'il se soit amusé, pour vous faire pièce, à vous enfermer dans un long tube de pierre sans issue et sans ou verture. Pourquoi voulez-vous qu'il dispute à de pauvres fourmis comme nous sommes leur misérable bonheur MADEMOISELLE DE MAUPIN. 163 - d'une minute, et l'imperceptible grain de mil qui leur re vient dans cette large création ? - Il faudrait pour cela qu'il eut la férocité d'un tigre ou d'un juge ; et, si nous lui déplaisions tant, il n'aurait qu'à dire à une comète de se détourner un peu de sa route et à nous étrangler tous avec un crin de sa queue . Comment diable voulez-vous que Dieu se divertisse à nous enfiler un à un dans une épingle d'or, comme faisait des mouches l'empereur Do mitien ? - Dieu n'est pas une portière ni un marguillier, et, quoiqu'il soit vieux, il n'est pas encore tombé en en fance. Toutes ces petites méchancetés sont au - dessous de lui, et il n'est pas assez niais pour faire de l'esprit avec nous et nous jouer des tours. — Courage, Rosette, cou rage ! Si vous êtes essoufflée , arrêtez- vous un peu et re prenez haleine, et puis continuez votre ascension : vous n'avez peut- être plus qu'une vingtaine de marches à gravir pour arriver à l'embrasure d’où vous verrez votre bonheur. ROSETTE . Jamais ! oh ! jamais ! et si- je parviens au sommet de la tour, ce ne sera que pour m'en précipiter . THÉODORE . Chasse, ma pauvre affligée, ces idées sinistres qui volti gent autour de toi comme des chauves-souris, et jettent sur ton beau front l'ombre opaque de leurs ailes . Si tu veux que je t'aime, sois heureuse , et ne pleure pas. ( Il l'at tire doucement contre lui et l'embrasse sur les yeux. ) ROSETTE. Quel malheur pour moi de vous avoir connu ! et pour tant, si la chose était à refaire, je voudrais encore vol avoir connu . — Vos rigueurs m'ont été plus douces qu la passion des autres; et, quoique vous m'ayez beaucout fait souffrir, tout ce que j'ai eu de plaisir m'est venu de vous; par yous, j'ai entrevu ce que j'aurais pu être . Vous avez été un éclair de ma nuit, et vous avez illuminé bien 5 164 MADEMOISELLE DE MAUPIN . . des endroits sombres de mon âme ; vous avez ouvert dans ma vie des perspectives toutes nouvelles. -- Je vous dois de connaitre l'amour, l'amour malheureux, il est vrai; mais il y a à aimer şans être aimé un charme mélancoli que et profond , et il est beau de se ressouvenir de ceux qui nous oublient . C'est déjà un bonheur que de pou voir aimer même quand on est seul à aimer, et beaucoup meurent sans l'avoir eu, et souvent les plus à plaindre ne sont pas ceux qui aiment. THÉODORE. Ceux-là souffrent et sentent leurs plaies, mais du moins ils vivent . Ils tiennent à quelque chose ; ils ont un astre autour duquel ils gravitent, un pôle auquel ils tendent ardemment. Ils ont quelque chose à souhaiter ; ils se peu vent dire : Si je parviens là, si j'ai cela, je serai heureux . Ils ont d'effroyables agonies, mais en mourant ils peuvent au moins se dire : Je meurs pour lui .. Mourir ainsi, c'est renaître. —· Les vrais , les seuls irréparablement mal heureux sont ceux dont la folle étreinte embrasse, l'univers entier, ceux qui veulent tout et ne veulent rien, et que l'ange ou la fée qui descendrait et leur dirait subitement : Sonhaitez une chose, et vous l'aurez, trouverait em barrassés et muets . > ROSETTE . > Si la fée venait, je sais bien ce que je lui demanderais. THÉODORE . Vous le savez, Rosette , et voilà en quoi vous êtes plus heureuse que moi, car je ne le sais pas. Il s'agite en moi beaucoup de désirs vagues qui se confondent ensemble, et en enfantent d'autres qui les dévorent ensuite. Mes désirs sont une nuée d'oiseaux qui tourbillonnent et voltigent sans but; le votre est un aigle qui a les yeux sur le soleil, et que le manque d'air empêche de se soulever sur ses ailes déployées. - Ah ! si je pouvais savoir ce que je veux ; si l'idée qui me poursuit se dégageait nette et pré MADEMOISELLE DE MAUPIN . 165 C cise du brouillard qui l'entoure ; si l'étoile favorable ou fatale apparaissait au fond de mon ciel ; si la lueur que je dois suivre venait à rayonner dans la nuit, feu follet per fide ou phare hospitalier ; si ma colonne de feu marchait devant moi, fût-ce à travers un désert sans manne et sans fontaines ; si je savais où je vais, dussé-je n'aboutiz qu'à un précipice ! j'aimerais mieux ces courses insensées de chasseurs maudits, par les fondrières et les halliers, que ce piétinement absurde et monotone. Vivre ainsi, c'est faire un métier pareil à celui de ces chevaux qui, les yeux bandés, tournent la roue de quelque puits, et font des milliers de lieues sans rien voir et sans changer de place. Il y a assez longtemps que je tourne, et le seau devrait bien être remonté. ROSETTE. Vous avez avec d'Albert beaucoup de points de ressem blance, et, quand vous parlez, il me semble quelquefois que ce soit lui qui parle. - Je ne doute pas que, lorsque vous le connaîtrez plus, vous ne vous attachiez beaucoup à lui ; vous ne pouvez manquer de vous convenir . Il est travaillé, comme vous, de ces élans sans but ; il aime immensément sans savoir quoi, il voudrait monter au ciel, car la terre lui paraît un escabeau bon à peine pour un de ses pieds, et il a plus d'orgueil que Lucifer avant sa chute. THÉODORE. J'avais d'abord eu peur que ce ne fût un de ces poētes comme il y en a tant, et qui ont chassé la poésie de la terre, un de ces enfileurs de perles fausses qui ne voient au monde que la dernière syllabe des mots, et qui, lors qu'ils ont fait rimer ombre avec sombre, flamme avec âme, et Dieu avec lieu, se croisent consciencieusement les bras et les jambes, et permettent aux sphères d'accomplir leur révolution . ROSETTE . Il n'est point de ceux-là . Ses vers sont au -dessous de lui, - 166 MADEMOISELLE DE MAUPIN . tré . - et ne le contiennent pas . On prendrait, d'après ce qu'il a fait, une idée très - fausse de sa personne ; son véritable poëme, c'est lui , et je ne sais pas s'il en fera jamais d'au Il a au fond de son âme un sérail de belles idées qu'il entoure d'un triple mur, et dont il est plus jaloux que jamais sultan ne le fut de ses odalisques. — Il ne met dans ses vers que celles dont il ne se soucie pas ou dont il est rebuté ; c'est la porte par où il les chasse, et le monde n'a que ce dont il ne veut plus. THÉODORE. Je conçois cette jalousie et cette pudeur.. — De même bien des gens ne conviennent de l'amour qu'ils ont eu que lorsqu'ils ne l'ont plus, et de leurs maîtresses que lors qu'elles sont mortes. ROSETTE. L'on a tant de peine .à posséder quelque chose en pro pre dans ce monde ! tout flambeau attire tant de papillons, tout trésor attire tant de voleurs ! J'aime ces silencieux qui emportent leur idée dans leur ton.be et ne la veulent point livrer aux sales baisers et aux impudiques attouche ments de la foule . Ces amoureux me plaisent qui n'écrivent le nom de leur maîtresse sur aucune écorce, qui ne le confient à aucun écho, et qui , en dormant, sont poursui vis de cette crainte qu’un rêve ne le leur fasse prononcer. Je suis de ce nombre ; je n'ai pas dit ma pensée, et nul ne saura mon amour... Mais voici qu'il est bientôt onze heu res, mon cher Théodore, et je vous empêche de prendre un repos dont vous devez avoir besoin . Quand il faut que je vous quitte, j'éprouve toujours un serrement de caur , et il me semble que c'est la dernière fois que je vous verrai. Je retarde le plus que je peux ; mais il faut bien s'en aller à la fin . Allons, adieu, car j'ai peur que d’Albert ne me cherche ; adieu, ami . Théodore lui mit le bras autour de la taille, et la con duisit ainsi jusqu'à la porte : là il s'arrêta, et la suivit long MADEMOISELLE DE MAUPIN . 167 temps de l'oeil ;زا le corridor était percé de loin en loin de petites fenêtres à carreaux étroits, éclairées par la lune, et qui faisaient une alternative d'ombre etde lumière très fantastique. A chaque fenêtre, la forme blanche et pure de Rosette étincelait comme un fantôme d'argent, puis elle s'éteignait pour reparaître plus brillante un peu plus loin ; enfin elle disparut entièrement. Théodore, comme abimé dans de profondes réflexions, resta quelques minutes immobile et les bras croisés, puis il passa sa main sur son front, et rejeta ses cheveux en ar rière par un mouvement de tête, rentra dans la chambre, et fut se coucher après avoir embrassé au front le page qui dormait toujours.

2 VII Dès qu'il fit jour chez Rosette, d’Albert se fit annoncer avec un empressement qui ne lui était pas habituel . - Vous voilà, fit Rosette, je dirais de bien bonne heure, si vous pouviez jamais arriver de bonne heure . - Aussi, pour vous récompenser de votre galanterie, je vous octroie ma main à baiser. Et elle tira de dessous le drap de toile de Flandre garni de dentelles la plus jolie petite main que l'on ait jamais vue au bout d'un bras rond et potelé . D'Albert la baisa avec componction : - Et l'autre,, la petite saur, est-ce que nous ne la baiserons pas aussi ? - Mon Dieu si ! rien n'est plus faisable . Je suis aujour d'hui dans mon humeur des dimanches ; tenez. Et elle sortit du lit son autre main dont elle lui frappa légèrement la bouche. – Est- ce que je ne suis pas la femme la plus accommodante du monde ? Vous êtes la grâce même, et l'on vous devrait élever des temples de marbre blanc dans des bosquets de myrtes. En vérité, j'ai bien peur qu'il ne vous arrive ce qui est arrivé à Psyché, et que Vénus ne devienne jalouse de vous, - 168 MADEMOISELLE DE MAUPIN. ! - - dit d'Albert en joignant les deux mains de la belle et en les portant ensemble à ses lèvres. Comme vous débitez tout cela d’une haleine ! on di rait que c'est une phrase apprise par cour, dit Rosette avec une délicieuse petite moue. Point: vous valez bien que la phrase soit tournée exprès pour vous, et vous êtes faite à cueillir des virginités de madrigaux, répliqua d'Albert. - Oh ça ! décidément, qui vous a piqué aujourd'hui ? est - ce que vous êtes malade que vous êtes și galant ? Je crains que vous ne mouriez. Savez-vous que, lorsque quel qu’un change tout à coup de caractère, et sans raison ap parente, cela est de mauvais augure ? Or, il est constaté, aux yeux de toutes les femmes qui ont pris la peine de vous aimer, que vous êtes habituellement on ne peut plus maussade, et il est non moins sûr que vous êtes on ne peut plus charmant en ce moment-ci et d'une amabilité tout à fait inexplicable . - Là, vraiment, je vous trouve pâle, mon pauvre d’Albert; donnez -moi le bras, que je vous tâte le pouls ; et elle lui releva la manche, et compta les pulsations avec une gravité comique . - Non... Vous êtes au mieux, et vous n'avez pas le plus léger symptôme de fièvre. Alors il faut que je sois furieusement jolie ce ma tin ! Allez donc me chercher mon miroir, que je voie jus qu'à quel point votre galanterie a tort ou raison . D’Albert fut prendre un petit miroir qui était sur la toi lette, et le posa sur le lit. Au fait, dit Rosette, vous n'avez pas tout à fait tort. Pourquoi ne faites -vous pas un sonnet sur mes yeux, mon sieur le poëte ? - Vous n'avez aucune raison pour n'en pas faire. — Voyez donc, que je suis malheureuse ! avoir des yeux comme cela et un poëte comme ceci, et man quer de sonnets, comme si l'on était borgne et que l'on eût un porteur d'eau pour amant! Vous ne m'aimez pas, monsieur ; vous ne m'avez pas même fait un sonnet acro stiche . - Etma bouche, comment la trouvez -voliu ? Je vous - - MADEMOISELLE DE MAUPIN . 169 > - ai pourtant embrassé avec cette bouche-là, et je vous em brasserai peut- être encore, mon beau ténébreux; et en vérité c'est une faveur dont vous n'êtes guère digne (ce que je dis n'est pas pour aujourd'hui, car vous êtes digne de tout) ; mais, pour ne pas parler toujours de moi , vous êtes, ce matin, d'une beauté et d'une fraîcheur nonpa reilles, vous avez l'air d'un frère de l'Aurore ; et, quoi qu'il fasse à peine jour, vous êtes déjà paré et godronné comme pour un bal . D'aventure, est-ce que vous avez des desseins à mon endroit ? et auriez-vous monté un coup de Jarnac à ma vertu ? voudriez-vous faire ma conquête ? Mais j'oubliais que c'était déjà fait et de l'histoire ancienne. Rosette, ne plaisantez pas comme cela ; vous savez bien que je vous aime . Mais c'est selon . Je ne le sais pas bien ; et vous ? - Très-parfaitement, et à telles enseignes que, si vous ayiez la bonté de faire défendre votre porte, j'essayerais de vous le démontrer, et, j'ose m'en flatter, d'une manière victorieuse . · Pour cela, non : quelque envie que j'aie d'être con vaincue, ma porte restera ouverte ; je suis trop jolie pour l'être à huis clos ; le soleil luit pour tout le monde, ct ma beauté fera aujourd'hui comme le soleil, si vous le trouvez bon. - D'honneur, je le trouve fort mauvais ; mais faites comme si je le trouvais excellent. Je suis votre très -humble esclave , et je dépose mes volontés à vos pieds. - Voilà qui est on ne peut mieux ;; restez en de pareils sentiments, et laissez, ce soir, la clef à la porte de votre chambre. M. le chevalier Théodore de Sérannes, —dit une grosse tête de nègre souriante et joufflue qui se fit voir entre les deux battants de la porte, demande à vous rendre ses hom mages et vous supplie que vous daigniez le recevoir. Faites entrer M. le chevalier, dit Rosette en remon tant le drap jusqu'à son menton. > 15 170 MADEMOISELLE DE MAUPIN. - Théodore fut tout d'abord au lit de Rosette, à laquelle il fit le salut le plus profond et le plus gracieux, qu'elle lui rendit d’un signe de tête amical, et ensuite il se tourna vers d'Albert qu'il salua aussi d'un air libre et courtois. Où en étiez- vous ? dit Théodore . J'ai peut- être interrompu une conversation intéressante : continuez, de grâce, et mettez -moi au fait en quelques mots. - Oh non ! répondit Rosette avec un sourire malicieux ; nous parlions d'affaires. Théodore s’assit au pied du lit de Rosette, car d’Albert avait pris place du côté du chevet, par droit de premier arrivé ; la conversation flotta quelque temps de sujet en sujet, très-spirituelle, très - gaie et très - vive, et c'est pour quoi nous n'en rendrons pas compte ; nous craindrions qu'elle ne perdît trop à être transcrite . L'air, le ton, le feu des paroles et des gestes, les mille manières de prononcer un mot, tout cet esprit, semblable à de la mousse de vin de Champagne qui petille et s'évapore sur-le-champ, sont des choses qu'il est impossible de fixer et de reproduire. C'est une lacune que nous laissons à remplir au lecteur, et dont il s'acquittera assurément mieux que nous ; qu'il imagine à cette place cinq ou six pages remplies de tout ce qu'il y a de plus fin , de plus capricieux, de plus curieusement fan tasque, de plus élégant et de plus pailleté. Nous savons bien que nous usons ici d'un artifice qụi rappelle un peu celui de Timanthe qui, désespérant de pouvoir bien rendre la figure d'Agamemnon, lui jeta une draperie sur la tête ; mais nous aimons mieux être timide qu’imprudent. Il ne serait peut- être pas hors de propos de chercher les motifs pour lesquels d'Albert s'était levé si matin , et quel aiguillon l'avait poussé à venir chez Rosette d'aussi bonne heure que s'il en eût encore été amoureux . Il y a appa rence que c'était un petit mouvement de jalousie sourde et inavouée . Assurément il ne tenait pas beaucoup à Ro sette , et il eût même été fort aise d'en être débarrassé, MADEMOISELLE DE MAUPIN. 171 a > mais au moins il voulait la quitter lui-même et ne pas en être quitté, chose qui blesse toujours profondément l'or gueil d'un homme, si bien éteinte d'ailleurs que soit sa première flamme. — Théodore était un si beau cavalier, qu'il était difficile de le voir survenir dans une liaison sans appréhender ce qui en effet était déjà arrivé bien des fois, c'est- à-dire que tous lesyeux ne se tournassent de son côté et que les cæurs ne suivissent les yeux ; et chose singulière, quoiqu'il eût enlevé bien des femmes , aucun amant n'avait gardé contre lui ce long ressentiment que l'on a d'ordinaire pour les personnes qui vous ont supplanté . Il y avait dans toutes ses façons un charme si vainqueur, une grâce si naturelle, quelque chose de si doux et de si fier, que les hommes mêmes y étaient sensibles. D'Albert, qui était venu chez Rosette avec l'envie de parler fort sèche ment à Théodore, s'il l'y rencontrait, fut tout surpris de ne pas se sentir en sa présence le moindre mouvement de colère, et de se laisser aller avec autant de facilité aux avances qu'il lui fit. Au bout d'une demi-heure, vous eussiez dit de deux amis d'enfance, et pourtant d'Albert était intimement convaincu que, si jamais Rosette devait aimer, ce serait cet homme, et il avait tout lieu d'être jaloux, pour l'avenir du moins, car pour le présent il ne supposait rien encore ; qu'eût-ce été, s'il avait vu la belle en peignoir blanc se glisser comme un papillon de nuit sur un rayon de lune dans la chambre du beau jeune homme, et n'en sortir que trois ou quatre heures après avec des précautions mystérieuses ? Il eût pu, en vérité, se croire plus malheureux qu'il ne l'était, car ce sont de ces choses que l'on ne voit guère, qu'une jolie femme amou reuse qui sort de la chambre d'un cavalier non moins joli exactement comme elle y était entrée . Rosette écoutait Théodore avec beaucoup d'attention et comme on écoute quelqu'un qu'on aime ; mais ce qu'il disait était si amusant et si varié, que cette attention n'avait rien que de naturel et s'expliquait facilement. - 172 MADEMOISELLE DE MAUPIN . - Aussi d'Albert n'en prit - il pas autrement d'ombrage . Le ton de Théodore envers Rosette était poli, amical, mais rien de plus. -Que ferons- nous aujourd'hui, Théodore ? dit Rosette : - si nous allions nous promener en bateau ? que vous en semble ? ou si nous allions à la chasse ? -- Allons à la chasse, cela est moins mélancolique que de glisser sur l’eau côte à côte avec quelque cygne ennuyé et de plier les feuilles de nénuphar å droite et à gauche, n'est-ce pas votre avis, d'Albert ? - J'aimerais peut-être autant me laisser couler dans le batelet au fil de la rivière que de galoper éperdunient à la poursuite d'une pauvre bête ; mais où que vous alliez, j'irai ; il ne s'agit maintenant que de laisser madame Ro sette se lever, et d'aller prendre un costume convenable. - Rosette fit un signe d'assenti nent, et sonna pour qu'on la vînt lever . Les deux jeunes gens s'en allèrent bras des sus bras dessous, et il était facile de conjecturer, à les voir si bien ensemble, que l'un était l'amant en pied et l'autre l'amant aimé de la même personne . Tout le monde fut bientôt prêt . D’Albert et Théodore étaient déjà à cheval dans la première cour , quand Ro sette, en habit d’amazone, parut sur les premières marches du perron . Elle avait sous ce costume un petit air allègre et délibéré qui lui allait on ne peut pas mieux : elle sauta sur la selle avec sa prestesse ordinaire, et donna un coup de houssine à son cheval qui partit comme un trait. D’Albert piqua des deux et l'eut bientôt rejointe . – Théodore les laissa prendre quelque avance, étant sûr de les rattraper dès qu'il le voudrait . — Il semblait attendre quelque chose, et se retournait souvent du côté du château . Théodore ! Théodore ! arrivez donc ! est-ce que vous êtes monté sur un cheval de bois ? lui cria Rosette . Théodore fit prendre un temps de galop à sa bête et di minua la distance qui le séparait de Rosette , sans toutefois la faire disparaitre . > - MADEMOISELLE DE MAUPIN . 173 . Il regarda encore du côté du château qu'on commençait à perdre de vue ; un petit tourbillon de poussière, dans lequel s'agitait très -vivement quelque chose qu'on ne pou vait encore discerner, parut au bout du chemin . En quelques instants le tourbillon fut à côté de Théodore, et laissa voir, en s'entr'ouvrant comme les nuées classiques de l'Iliade, la figure rose et fraiche du page mystérieux. Théodore, allons donc ! cria une seconde fois Ro sette, donnez donc de l'éperon à votre tortue et venez à côté de nous. Théodore lâcha la bride à son cheval qui piaffait et se cabrait d'impatience, et en quelques secondes il eut dé passé de plusieurs têtes d'Albert et Rosette . Qui m'aime me suive, dit Théodore en sautant une barrière de quatre pieds de haut . Eh bien ! monsieur le poëte, dit- il quand il fut de l'autre côté, vous ne sautez pas ? votre monture est pourtant ailée , à ce qu'on dit . - Ma foi, j'aime mieux faire le tour ; je n'ai qu'une tête à casser , après tout ; si j'en avais plusieurs, j'essaye rais, répondit d'Albert en souriant. Personne ne m'aime donc, puisque personne ne me suit, dit Théodore en faisant descendre encore plus que de coutume les coins arqués de sa bouche . Le petit page leva sur lui ses grands yeux bleus d'un air de reproche, et rapprocha les deux talons du ventre de son cheval. Le cheval fit un bond prodigieux. - Si ! quelqu'un, - lui dit- il, de l'autre côté de la bar rière . Rosette jeta sur l'enfant un regard singulier et rougit jusqu'aux yeux ; puis, appliquant un furieux coup de cra rache sur le cou de sa jument, elle franchit la traverse de bois vert- pomme qui barrait l'allée . – Et moi, Théodore, croyez-vous que je ne vous aime pas ? L'enfant lui lança une villade oblique et en dessous, et s'approcha de Théodore. 15 . 174 MADEMOISELLE DE MAUPIN . - · D'Albert était déjà au milieu de l'allée , - et ne vit rien de tout cela ; car, depuis un temps immémorial, les pères, les maris et les amants sont en possession du privi lége de ne rien voir. Isnabel, dit Théodore, vous êtes un fou, et vous, Rosette, une folle ! Isnabel, vous n'avez pas pris assez de champ pour sauter, et vous, Rosette, vous avez manqué d'accrocher votre robe dans les poteaux. Vous auriez PU vous tuer. - Qu'importe ? répliqua Rosette avec un son de voix si triste et si mélancolique, qu'Isnabel lui pardonna d'avoir sauté aussi la barrière . On chemina encore quelque temps, et l'on arriva au rond-point où se devaient trouver la meute et les piqueurs. Six arches, coupées à travers l'épaisseur de la forêt, abou tissaient à une petite tour de pierre à six pans sur chacun desquels était gravé le nom de la route qui venait s'y ter miner . Les arbres s'élevaient si haut, qu'ils semblaient vouloir carder les nuages laineux et floconneux qu'une brise assez vive faisait flotter sur leurs cimes, une herbe haute et drue, des buissons impénétrables offraient des retraites et des forts au gibier, et la chasse promettait d'être heureuse . C'était une vraie forêt d'autrefois, avec de vieux chênes plus que séculaires et comme on n'en voit plus maintenant que l'on ne plante plus d'arbres, et qu'on n'a pas la patience d'attendre que ceux qui le sont soient poussés ; une forêt héréditaire, plantée par les arrière -grands- pères pour les pères, par les pères pour les petits - fils, avec des allées d'une largeur prodigieuse, l'obé lisque surmonté d'une boule, la fontaine de rocaille, la mare de rigueur, et les gardes poudrés à blanc, en culotte de peau jaune et en habit bleu de ciel; une de ces forêts touffues et sombres où se détachent admirablement les croupes satinées et blanches des gros chevaux de Wouvermans et les larges pavillons de ces trompes à la Dampierre, que le Parrocel aime à faire rayonner au dos MADEMOISELLE DE MAUPIN. 175 - des piqueurs . Unè multitude de queues de chiens pa. reilles à des croissants ou à des serpes s'arrondissaient en frétillant dans un nuage poussiéreux. - On donna le si gnal, on découpla les chiens qui tendaient leur corde à s'é trangler, et la chasse commença. —· Nous ne décrirons pas très -exactement les détours et les crochets du cerf à travers la forêt; nous ne savons même pas très au juste si c'était un cerf dix cors, et, quelques recherches que nous ayons faites, nous n'avons pu nous en assurer, ce qui est véri tablement affligeant. - Néanmoins, nous pensons que dans une telle forêt, si antique, si ombreuse, si seigneu riale, il ne devait se trouver que des cerfs dix cors, et nous ne voyons pas pourquoi celui après lequel galopaient, sur des chevaux de différentes couleurs et non passibus æquis, les quatre principaux personnages de cet ilļustre roman, n'en eût pas été un. Le cerf courait comme un vrai cerf qu'il était, et une cin quantaine de chiens qu'il avait aux trousses n'étaient pas un médiocre éperon à sa vélocité naturelle. La course était si rapide, qu'on n'entendait que quelques rares abois. Théodore , comme le mieux monté et le meilleur écuyer, talonnait la meute avec une ardeur incroyable . D'Albert le suivait de près. Rosette et le petit page Isnabel suivaient, séparés par un intervalle qui s'augmentait de minute en minute . L'intervalle fut bientôt assez grand pour ne pouvoir plus espérer de rétablir l'équilibre. Si nous nous arrêtions un peu, dit Rosette, pour lais ser scuffler les chevaux ? La chasse va du côté de l'étang, et je sais un chemin de traverse par lequel nous pourrons arriver en même temps qu'eux. Isnabel tira la bride de son petit cheval des montagnes, qui baissa la tête en secouant sur ses yeux les mèches pen dantes de sa crinière, et se mit à creuser le sable avec ses ongles . Ce petit cheval formait avec celui de Rosette ,le con 176 MADEMOISELLE DE MAUPIN . traste le plus parfait; il était noir comme la nuit, l'autre d'un blanc de satin ; il était tout hérissé et tout échevelé ; l'autre avait la crinière nattée de bleu , la queue peignée et frisée . Le second avait l'air d'une licorne et le premier d'un barbet. La même différence antithétique se faisait remarquer dans les maîtres et dans les montures. · Rosette,avait les cheveux aussi noirs qu'Isnabel les avait blonds ; ses sour cils étaient dessinés très-nettement et d'une manière très apparente ; ceux du page n'avaient guère plus de vigueur que sa peau et ressemblaient aụ duvet de la pêche. - La couleur de l'une était éclatante et solide comme la lumière du midi ; le teint de l'autre avait les transparences et les rougeurs de l'aube naissante . - Si nous tâchions maintenant de rattraper la chasse ? dit Isnabel à Rosette ; les chevaux ont eu le temps de re prendre haleine. - Allons ! répondit la jolie amazone, et ils se lancèrent au galop dans une allée transversale assez étroite qui con duisait à la mare ; les deux bêtes couraient de front et en occupaient presque toute la largeur. Du côté d'Isnabel, un arbre entortillé et noueux avançait une grosse branche comme un bras et semblait montrer le poing aux chevaucheurs. - L'enfant ne la vit pas. Prenez garde, cria Rosette, couchez-vous sur la selle ! vous allez être désarçonné. L'avis était donné trop tård ; la branche frappa Isnabel au milieu du corps. La violence du coup lui fit perdre les étriers, et, son cheval continuant son galop et la branche étant trop forte pour ployer, il se trouva enlevé de la selle et tomba rudenient en arrière. L'enfant resta évanoui sur le coup. Rosette, fort ef. frayée, se jeta à bas de sa bête et fut au page qui ne don nait pas signe de vie . Sa toque s'était détachée, et ses beaux cheveux blonds ruisselaient de toutes parts éparpillés sur le sable . - Ses > MADEMOISELLE DE MAUPIN. 177 - . petites mains ouvertes avaient l'air de mains de cire, tant elles étaient pâles : Rosette s'agenouilla auprès de lui et tâcha de le faire revenir. Elle n'avait sur elle ni sels, ni flacon, et son embarras était grand. Enfin elle avisa une ornière assez profonde où l'eau de pluie s'était amas sée et clarifiée ; elle y trempa ses doigts, au grand effroi d'une petite grenouille qui était la naïade de cette onde, et elle en secoua quelques gouttes sur les tempes bleuâtres du jeune page . — Il ne parut pas les sentir , et les perles d'eau roulaient au long de ses joues blanches comme les larmes d'une sylphide au long d'une feuille de lis . Rosette, pensant que ses habits le pouvaient gêner, déboucla sa ceinture, défit les boutons de son justaucorps et ouvrit sa chemise pour que sa poitrine pût jouer plus librement. - Rosette vit alors quelque chose qui aurait été pour un homme la plus agréable ues surprises du monde, mais qui ne parut pas à beaucoup près lui faire plaisir, — car ses sourcils se rapprochèrent, et sa lèvre supérieure trembla légèrement, —c'est-à-dire une gorge très- blanche, encore peu formée, mais qui faisait les plus admirables pro messes, et tenait déjà beaucoup ; une gorge ronde, polie, ivoirine, pour parler comme les ronsardisants, délicieuse à voir, plus délicieuse à baiser. Une femme ! dit-elle , une femme ! ah ! Théo dore ! Isnabel, car nous lui conservons ce nom, quoique ce ne soit pas le sien, commença à respirer un peu, et souleva languissamment ses longues paupières ; il n'était blessé en aucune sorte, mais seulement étourdi. Il se mitbientôt sur son séant, et, avec l'aide de Rosette, il put se dresser vur ses pieds et remonter sur son cheval qui s'était arrêté - dès qu'il n'avait plus senti son cavalier . Ils s'en furent à petits pas jusqu'à la mare, où en effet ils, ou plutôt elles, retrouvèrent le reste de la chasse . Ro sette raconta en peu de mots à Théodore ce qui venait de se passer. – Celui-ci changea plusieurs fois de couleur > . 178 MADEMOISELLE DE MAUPIN . pendant le récit de Rosette, et tout le reste de la route tint son cheval à côté de celui d'Isnabel .. On rentra au château de très -bonne heure; cette jour née, commencée si joyeusement, se termina d'une ma nière assez triste . Rosette était rêveuse, et d'Albert semblait aussi plongé dans de profondes réflexions. - Le lecteur saura bientôt ce qui y avait donné lieu . 5 VIII - Non, mon cher Silvio, non, je ne t'ai pas oublié ; je ne suis pas de ceux qui marchent dans la vie sans jamais jeter un regard en arrière ; mon passé me suit et empiète sur mon présent, et presque sur mon avenir ; ton amitié est une des places frappées du soleil qui se détachent le plus nettement à l'horizon déjà tout bleu de mes dernières an nées ; - souvent, du faite où je suis, je me retourne pour la contempler avec un sentiment d'ineffable mélancolie . Oh ! quel beau temps c'était ! - que nous étions ange liquement purs! - Nos pieds touchaient à peine la terre ; nous avions comme des ailes aux épaules, nos désirs nous enlevaient, et la brise du printemps faisait trembler autour de nos fronts la blonde auréole de l'adolescence . Te souviens- tu de cette petite ile plantée de peupliers à cet endroit où la rivière forme un bras ? aller passer sur une planche assez longue, très- étroite et qui ployait étrangement par le milieu ; – un vrai pont pour des chèvres, et qui en effet ne servait guère qu'à elles : – c'était délicieux. -Un gazon court et fourni, où le sou viens- toi de moi ouvrait en clignotant ses jolies petites pru nelle 3 bleues, un sentier jaune comme du nankin qui fai sait une ceinture à la robe verte de l'ile et lui serrait la taille , une ombre toujours émue de trembles et de peu pliers, n'étaient pas les moindres agréments de ce paradis : il y avait de grandes pièces de toile que les Il fallait pour y MADEMOISELLE DE MAUPIN. 1.79 है í femmes venaient étendre pour les bianchir à la rosée ; on eût dit des carrés de neige ; - et cette petite fille, toute brune et toute hâlée , dont les grands yeux sauvages bril laient d'un éclat si yif sous les longues mèches de ses che veux, et qui courait après les chèvres en les menaçant et en agitant sa baguette d'osier, quand elles faisaient mine de vouloir marcher sur les toiles dont elle avait la garde, - te la rappelles- tu ? - Et les papillons couleur de soufre, au vol inégal et tremblotánt, et le martin - pêcheur qué nous avons tant de fois essayé d'attraper et qui avait son nid dans ce fourré d'aunes ? et ces descentes à la rivière avec leurs marches grossièrement taillées, leurs poteaux et leurs pieux tout verdispar le bas et presque toujours fer mées par une claire-voie de plantes et de branchages? Que cette eau était limpide et miroitante ! comme elle laissait voir un fond de gravier doré ! et quel plaisir c'était, assis sur la rive , d'y laisser pendre le bout de ses pieds ! Les né nuphars à fleurs d'or, qui s'y déroulaient gracieusement, avaient l'air de verts cheveux flottant sur le dos d'agate de quelque nymphe au bain. - Le ciel sé regardait à ce miroir avec des sourires azurés et des transparences d'un gris de perle on ne peut plus ravissant, et, à toutes les heures de la journée, c'étaient des turquoises, des pail lettes, des ouates et des moires d'une variété inépuisable. - Que j'aimais ces escadres de petits canards à cous d'éme raude, qui naviguaient incessamment d'un bord à l'autre et formaient quelques rides sur cette pure glace ! Que nous étions bien faits pour être les figures de ce paysage ! --- comme nous allions à cette nature si douce et si reposéé, et comme nous nous harmonisions facilement avec elle ! Printemps au dehors, jeunesse au dedans, so leil sur le gazon , sourire sur les lèvres, neige de fleurs à tous les buissons, blanches illusions épanouies dans nos âmes, pudique rougeur sur nos joues et sur l'églantine, poé sie chantant dans notre cour, oiseaux cachés gazouillant dans les arbres, lunière, roucoulements, parfums, mille 180 MADEMOISELLE DE MAUPIN. - - car . - + - rumeurs confuses, le cæur qui bat, l'eau qui remue uri caillou, un brin d'herbe ou une pensée qui pousse , une goutte d'eau qui roule au long d'un calice, une larme qui déborde au long d'une paupière, un soupir d'amour, un bruissement de feuille ... quelles soirées nous avons passées là à nous promener à pas lents, si près du bord que souvent nous marchions un pied dans l'eau et l'autre sur terre . Hélas ! cela a peu duré, chez moi du moins ; toi, en acquérant la science de l'homme, tu as su garder la candeur de l'enfant. -- Le germe de corruption qui était en moi s'est développé bien vite, et la gangrène a dévoré impitoyablement tout ce que j'avais de pur et de saint. - Il ne m'est resté de bon que mon amitié pour toi. J'ai l'habitude de ne te rien cacher, ni actions ni pensées. - J'ai mis à nu devant toi les plus secrètes fi bres de mon cæur ; si bizarres, si ridicules, si excentriques que soient les mouvements de mon âme, il faut que je te les décrive ; mais, en vérité, ce que j'éprouve depuis quel que temps est d'une telle étrangeté, que j'ose à peine en convenir devant moi-même. Je t'ai dit quelque part que j'avais peur, à force de chercher le beau et de m’agiter pour y parvenir, de tomber à la fin dans l'impossible ou dans le monstrueux . J'en suis presque arrivé là ; quand donc sortiral-je de tous ces courants qui se con trarient et m'entraînent à gauche et à droite ; quand le pont de mon vaisseau cessera- t- il de trembler sous mes pieds et d'être balayé par les vagues de toutes ces tem pêtes ? où trouverai-je un port où je puisse jeter l'ancre et un rocher inébranlable et hors de la portée des flots où je puisse me sécher et tordre l'écume de mes cheveux . Tu sais avec quelle ardeur j'ai recherché la beauté physique, quelle importance j'attache à la forme exté rieure, et de quel amour je me suis pris pour le monde visible : cela doit être , je suis trop corrompu et trop MADEIVISELLE DE MAUPIN. 181 - blasé pour croire à la beauté morale, et la poursuivre avec quelque suite. -J'ai perdu complètement la science du bien et du mal, et, à force de dépravation , je suis presque revenu à l'ignorance du sauvage et de l'enfant. En vérité, rien ne me paraît louable ou blâmable, et les plus étran ges actions ne m'étonnent que peu. -Ma conscience est une sourde et muette. L'adultère meparaît la chose la plus innocente du monde ; je trouve tout simple qu'une jeune fille se prostitue; il me semble que je trahirais mes amis sans le moindre remords, et je ne me ferais pas le plus léger scrupule de pousser du pied dans un précipice les gens qui me gênent, si je marchais sur le bord avec eux. Je verrais de sang-froid les scènes les plus atroces , et il y a dans les souffrances et dans les malheurs de l'humanité quelque chose qui ne me déplaît pas . — J'éprouve à voir quelque calamité tomber sur le monde le même sentiment de volupté acre et amère que l'on éprouve quand on se venge enfin d'une vieille insulte. O monde, que m’as-tu fait pour que je te haïsse ainsi ? Qui m'a donc enfiellé de la sorte contre toi ? qu'attendais je donc de toi pour te conserver tant de rancoeur de m'a voir trompé ? à quelle haute espérance as-tu menti ? quel les ailes d'aiglon as-tu coupées? — quelles portes devais tu ouvrir qui sont restées fermées, et lequel de nous deux a manqué à l'autre ? Rien ne metouche, rien ne m'émeut; -je ne sens plus, à entendre le récit des actions héroïques, ces sublimes fré missements qui me couraient autrefois de la tête aux pieds. - Tout cela me paraît même quelque peu niais . - Au cun accent n'est assez profond pour mordre les fibres dé tendues de mon coeur et les faire vibrer : - je vois couler les larmes de mes semblables du même vil que la pluie, à moins qu'elles ne soient d'une belle eau, que la lumière ne s'y reflète d'une inanière pittoresque et qu'elles ne cou lent sur une belle joue. -- Il n'y a guère plus que les ani maux pour qui j'aie un faible reste de pitié . Je laisserais - 183 MADEMOISELLE DE MAUPIN. bien rouer de coups un paysan ou un domestique, et je ne supporterais pas patiemment qu'on en fit autant d'un cheval ou d'un chien en ma présence ; et pourtant jene suis pas méchant, je n'ai jamais fait de malà qui que ce soit au monde, et n'en ferai probablement jamais ; mais cela tient plutôt à ma nonchalance et au mépris souverain que j'ai pour toutes les personnes qui me déplaisent, et qui ne me permet pas de m'en occuper , même pour leur nuire. — J'abhorre tout le monde en masse, et, parmi tout ce tas, j'en juge à peine un ou deux dignes d'être haïs spéciale ment. - Haïr quelqu'un, c'est s'en inquiéter autant que si on l'aimait;; - c'est le distinguer , l'isoler de la foule ; c'est être dans un état violent à cause de lui ; c'est y penser le jour et y rêver la nuit ; c'est mordre son oreiller et grincer des dents en songeant qu'il existe; que fait-on de plus pour quelqu'un qu'on aime ? Les peines et les mouvements qu'on se donne pour perdre un ennemi, se les donnerait-on pour plaire à une maîtresse ? J'en doute : - pour haïr bien quelqu'un, il faut en aimer un autre. Toute grande haine sert de contre-poids à un grand amour; et qui pourrais - je haïr, moi qui n'aime rien ? Ma haine est comme mon amour un sentiment confus et général qui cherche à se prendre à quelque chose et qui ne le peut ; j'ai en moi un trésor de haine et d'amour dont je ne sais que faire et qui me pèse horriblement. Si je ne trouve à les répandre l'un ou l'autre ou tous les deux, je crèverai, et je me romprai comme ces sacs trop bourrés d'argent qui s'éventrent et se décousent. - Oh ! si je pouvais abhorrer quelqu'un, si l'un de ces hommes stupides avec qui je vis pouvait m'insulter de façon à faire bouillonner dans mes veines glacées mon vieux sang de vipère, et me faire sortir de cette morne somnolence cù je croupis ; si tu me mordais à la joue avec tes dents de rat et que tu me communiquasses ton venin et ta rage, vicille sorcière au chef branlant: si la mort de quelqu'un pou - MADEMOISELLE DE MAUPIN: 183 vait être ma vie ; si le dernier battement du coeur d'un ennemi se tordant sous mon pied pouvait faire passer dans ma chevelure des frissons délicieux, et si l'odeur de son sang devenait plus douce à mes narines altérées que l'arome des fleurs, oh ! que volontiers je renoncerais à l'amour, et que je m'estimerais heureux ! Étreintes mortelles, morsures de tigre, enlacements de boa, pieds d'éléphant posés sur une poitrine qui craque et s’aplatit, queue acérée du scorpion, jus laiteux de l'eu phorbe, kriss ondulés du Javan , lames qui brillez la nuit, et vous éteignez dans le sang, c'est vous maintenant que j'invoque, c'est vous qui remplacerez pour moi les roses effeuillées , les baisers humides et les enlacements de l'amour ! Je n'aime rien, ai-je dit ; hélas ! j'ai peur maintenant d'aimer quelque chose. – Il vaudrait cent mille fois mieux haïr que d'aimer comme cela ! Le type de beauté que je rêvais depuis si longtemps, je l'ai rencontré. J'ai trouvé le corps de mon fantôme ; je l'ai vu, il m'a parlé, je lui ai touché la main , il existe ; ce n'est pas une chimère. Je savais bien que je ne pouvais me tromper, et que mes pressentiments ne mentaient jamais, — Oui , Silvio , je suis à côté du rêve de ma vie ; ma chambre est ici , la sienne est là ; je vois trembler d'ici le rideau de sa fenêtre et la lumière de sa lampe . Son ombre vient de passer sur le rideau : dans une heure nous allons souper ensemble . Ces belles paupières turques, ce regard limpide et pro fond, cette chaude couleur d'ambre pâle, ces longs che veux noirs lustrés, ce nez d'une coupe fine et fière, ces emmanchements et ces extrémités déliées et sveltes à la manière du Parmeginiano, ces délicates sinuosités, cette pureté d'ovale, qui donnent tant d'élégance et d'aristo cratie à une tête, tout ce que je voulais, ce que j'aurais été heureux de trouver disséminé dans cinq ou six per sunnies, j'ai tout cela réuni dans une seule personne ! - . 184 MADEMOISELLE DE MAUPIN . - - ___ Ce que j'adore le plus entre toutes les choses du monde, -- c'est une belle main . —Si tu voyais la sienne ! quelle perfection ! comme elle est d'une blancheur vi vace ! quelle mollesse de peau ! quelle pénétrante moi teur ! comme le bout de ses doigts est admirablement effilé ! comme l'oeil de ses ongles se dessine nettement ! quel poli et quel éclat ! on dirait des feuilles intérieures d'une rose , - les mains d'Anne d'Autriche, si vantées, si célébrées, ne sont, à côté de celles-là, que des mains de gardeuse de dindons ou de laveuse de vaisselle . -Et puis quelle grâce, quel art dans les moindres mouvements de cette main ! comme ce petit doigt se replie gracieuse ment et se tient un peu écarté de ses grands frères ! - La pensée de cette main me rend fou , et fait frémir et brûler mes lèvres. — Je ferme les yeux pour ne la plus voir ; mais du bout de ses doigts délicats elle me prend les cils et m'ouvre les paupières, et fait passer devant moi mille visions d'ivoire et de neige. Ah ! sans doute, c'est la griffe de Satan qui s'est gantée de cette peau de satin ; — c'est quelque démon railleur qui se joue de moi ; - il y a ici du sortilége. - C'est trop monstrueusement impossible . Cette main... Je m'en vais partir en Italie voir les ta bleaux des grands maîtres, étudier, comparer, dessiner, devenir un peintre enfin , pour la pouvoir rendre comme elle est, comme je la vois, comme je la sens ; ce sera peut-être un moyen de me débarrasser de cette espèce d'obsession. J'ai désiré la beauté ; je ne savais pas ce que je deman dais. C'est vouloir regarder le soleil sans paupières, c'est vouloir toucher la flamme. Je souffre horrible ment. - Ne pouvoir s'assimiler cette perfection, ne pou voir passer dans elle et la faire passer en soi, n'avoir aucun moyen de la rendre et de la faire sentir ! Quand je vois quelque chose de beau, je voudrais le toucher de tout moi-même, partout et en même temps. . MADEMOISELLE DE MAUPIN . 185 - que . je dis là . - - - Je voudrais le chanter et le peindre, le sculpter et l’é. crire, en être aimé comme je l'aime ; je voudrais ce qui ne se peut pas et ce qui ne se pourra jamais. Ta lettre m'a fait mal, —bien mal, -pardonne-moi ce Tout ce bonheur calme et pur dont tu jouis, ces promenades dans les bois rougissants, – ces longues causeries, si tendres et si intimes, qui se termi nent par un chaste baiser sur le front ; cette vie séparée et sereine ; ces jours, si vite passés que la nuit vous sem ble avancer , me font encore trouver plus tempêtueuses les agitations intérieures où je vis . - Ainsi donc vous devez vous marier dans deux mois ; tous les obstacles sont levés, vous êtes sûrs maintenant de vous appartenir à tout jamais. Votre félicité présente s'augmente de toute votre félicité future. Vous êtes heureux, et vous avez la certitude d'être plus heureux bientôt . Quel sort que le vôtre ! — Ton amie est belle, mais ce que tu as aimé en elle, ce n'est pas la beauté morte et palpable, la beauté matérielle , c'est la beauté invisible et éternelle, la beauté qui ne vieillit point, la beauté de l'âme. - Elle est pleine de grâce et de candeur ; elle t'aime comme savent aimer ces âmes - là . Tu n'as pas cherché si l'or de ses cheveux se rapprochait pour le ton des chevelures de Rubens et du Giorgione ; mais ils t'ont plu, parce que c'é. taient ses cheveux . Je parie bien, heureux amant que tu es, que tu ne sais seulement pas si le type de ta maîtresse est grec ou asiatique, anglais ou italien. – 0 Silvio ! combien sont rares les cours qui se contentent de l'a mour pur et simple et qui ne souhaitent ni ermitage dans les forêts, ni jardin dans une île du lac Majeur. Si j'avais le courage de m'arracher d'ici, j'irais passer un mois avec vous ; peut-être me purifierais -je à l'air que vous respirez, peut-être l'ombre de vos allées jette rait-elle un peu de fraîcheur à mon front brûlant ; mais non, c'est un paradis où je ne dois pas mettre le pied. - A peine doit- il m'être permis de regarder de loin , et par - - 16 . 186 MADEMOISELLE DE MAUPIN. dessus le mur, les deux beaux anges qui s'y promènent la main dans la main , les yeux sur les yeux . Le démon ne peut entrer dans l'Eden que sous la forme d'un serpent, et, cher Adam, pour tout le bonheur du ciel, je ne vou drais pas être le serpent de ton Ève. Quel effroyable travail s'est- il donc fait dans mon âme depuis ces derniers temps ? qui a donc fait tourner mon sang et l'a changé en venin ? Monstrueuse pensée, qui dé ploie tes rameaux d'un vert påle et tes ombelles de ciguë dans l'ombre glaciale de mon cæur, quel vent empoisonné y a déposé le germe dont tu es éclose ! C'était donc là ce qui m'était réservé, voilà donc où devaient aboutir tous ces chemins si désespérément tentés ! — ( sort, comme tu te joues de nous !—Tous ces élans d'aigle vers le soleil, ces pures flammes aspirantes du ciel, cette divine mélan colie, cet amour profond et contenu, cette religion de la beauté, cette fantaisie si curieuse et si élégante, ce flot in. tarissable et toujours montant de la fontaine intérieure, cette extase aux ailes toujours ouvertes, cette rêverie plus en fleur que l'aubépine de mai, toute cette poésie de ma jeunesse, tous ces dons si beaux et si rares ne me de vaient servir qu'à me mettre au-dessous du dernier des hommes ! Je voulais aimer. -J'allais comme un forcené appelant et invoquant l'amour ; -je me tordais de rage sous le sen timent de mon impuissance ; j'allumais mon sang, je trai nais mon corps aux bourbiers des plaisirs ; j'ai serré à l'étouffer contre mon caur aride une femme et belle et jeune et qui m'aimait ; – j'ai couru après la passion qui me fuyait. Je me suis prostitué, et j'ai fait comme une vierge qui s'en irait dans un mauvais lieu espérant trouver un amant parmi ceux que la débauche y pousse, au lieu . d'attendre patiemment, dans une ombre discrète et silen cieuse, que l'ange que Dieu me réserve m'apparût dans une pénombre rayonnante, une fleur du ciel à la main. Toutes ces années que j'ai perdues à m'agiter puérilement, MADEMOISELLE DE MAUPIN. 187 à courir çà et là, à vouloir forcer la nature et le temps, j'au rais dû les passer dans la solitude et la méditation , à tå cher de me rendre digne d'être aimé; - c'eût été sage. ment fait ; mais j'avais des écailles sur les yeux et je marchais droit au précipice. J'ai déjà un pied suspendu sur le vide, et je crois que je m'en vais bientôt lever l'au tre . J'ai beau résister, je le sens, il faut que je roule jus qu'au fond de ce nouveau gouffre qui vient de s'ouvrir en moi . Oui, c'est bien ainsi que je m'étais figuré l'amour. Je sens maintenant ce quej'avais rêvé.- Oui, voilà bien les insom nies charmantes et terribles où les roses sont des chardons et où les chardons sont des roses ; voilà bien la douce peine et le bonheur misérable, ce trouble ineffable qui vous en toure d’un nuage doré et fait trembler devant vous la forme des objets ainsi que fait. l'ivresse, ces bourdonnements d'oreille où tinte toujours la dernière syllabe du nom bien aimé, ces pâleurs, ces rougeurs, ces frémissements subits, cette sueur brûlante et glacée : c'est bien cela ; les poëtes ne mentent pas. Quand je suis au moment d'entrer au salon où nous avons l'habitude de nous trouver, mon caur bat avec une telle violence, qu'on le pourrait voir à travers mes habits, et je suis obligé de le comprimer avec mes deux mains, de peur qu'il ne s'échappe . —Si je l'aperçois au bout d'une allée, dans le parc, la distance s'efface sur-le -champ, et je pas où le chemin passe : il faut que le diable l’em porte ou que j'aie des ailes . -Rien ne peut m'en distraire : je lis, son image s'interpose entre le livre et mes yeux ; je monte à cheval, je cours au grand galop, et je crois tou jours sentir dans le tourbillon ses longs cheveux qui se mêlent aux miens, et entendre sa respiration précipitée et son souffle tiède qui m'effleure la joue. Cette image m'ob sède et me suit partout, et je ne la vois jamais plus que lorsque je ne la vois pas . Tu m'as plaint de ne pas aimer, - plains-moi mainte ne sais 188 MADEMOISELLE DE MAUPIN. nant d'airner, et surtout d'aimer quij'aime . Quel malheur, quel coup de hache sur ma vie déjà si tronçonnée ! - quelle passion insensée, coupable et odieuse s'est emparée de moi ! — C'est une honte dont la rougeur ne s'éteindra jamais sur mon front. —C'est la plus déplorable de toutes mes aberrations, je n'y conçois rien, je n'y comprends Fien , tout en moi est brouillé et renversé ; je ne sais plus qui je suis ni ce que sont les autres, je doute si je suis un homme ou une femme, j'ai horreur de moi-même, j'é prouve des mouvements singuliers et inexplicables, et ily a des moments où il me semble que ma raison s'en va, et où le sentiment de mon existence m'abandonne tout à fait. Longtemps je n'ai pu croire à ce qui était ; je me suis écouté et observé attentivement. J'ai tâché de démêler cet écheveau confus qui s'enchevétrait dans mon âme . Enfin , à travers tous les voiles dont elle s'enveloppait, j'ai décou vert l'affreuse vérité ... Silvio , j'aime ... oh ! non, je ne pourrai jamais te le dire ... j'aime un homme ! IX Cela est ainsi. - J'aime un homme, Silvio.- J'ai cher ché longtemps à me faire illusion ; j'ai donné un nom dif férent au sentiment que j'éprouvais, je l'ai vêtu de l'habit d'une amitié pure et désintéressée ; j'ai cru que cela n'était que l'admiration que j'ai pour toutes les belles personnes et les belles choses; je me suis promené plusieurs jours dans les sentiers perfides et riants qui errent autour de toute passion naissante ; mais je reconnais maintenant dans quelle profonde et terrible voie je me suis engagé. Il n'y a pas à se le cacher : je me suis bien examiné, j'ai pesé froidement toutes les circonstances; je me suis rendu rai son du plus mince détail ; j'ai fouillé mon âme dans tous les sens avec cette sûreté que donne l'habitude d'étudier sur soi-même; je rougis d'y penser et de l'écrire ; mais la MADEMOISELLE DE MAUPIN. 189 chose, hélas ! n'est que trop certaine, j'aime ce jeune homme, non d'amitié, mais d'amour ; - oui, d'amour. Toi, que j'ai tant aimé, ô Silvio, mon bon, mon seul camarade, tu ne m'as jamais rien fait éprouver de sem blable, et cependant, s'il y eut jamais sous le ciel amitié étroite et vive, si jamais deux âmes, quoique différentes, .se sont parfaitement comprises, ce fut notre amitié et ce sont nos deux âmes. Quelles heures ailées nous avons pas sées ensemble ! quelles causeries sans fin et toujours trop tôt terminées ! que de choses nous nous sommes dites, que l'on ne s'est jamais dites ! Nousavions au cour l'un pour l'autre cette fenêtre que Momus aurait voulu ouvrir au flanc de l'homme. — Que j'étais fier d'être ton ami, moi, plus jeune que toi, moi si fou, toi si raisonnable ! Ce que je sens pour ce jeune homme est vraiment in croyable; jamais aucune femme ne m'a troublé aussi sin gulièrement. Le son de sa voix si argentin et si clair me donne sur les nerfs et m'agite d'une manière étrange ; mon áme se suspend à ses lèvres, comme une abeille à une. fleur, pour y boire le miel de ses paroles . — Je ne puis l'ef fleurer en passant sans frissonner de la tête aux pieds, et le soir, quand au moment de nous quitter il me tend son adorable main si douce et si satinée, toute ma vie se porte à la place qu'il a touchée, et une heure après je sens en core la pression de ses doigts. Ce matin , je l'ai regardé très-longtemps sans qu'il me vit. — J'étais caché derrière mon rideau. Lui était à sa fenêtre, qui est précisément en face de la mienne . - Cette partie du château a été bâtie à la fin du règne de Henri IV ; elle est moitié briques, moitié moellons, selon l'usage du temps; la fenêtre est longue, étroite, avec un linteau et un balcon de pierre. Théodore, car tu as déjà sans doute deviné que c'est lui dont il s'agit, -était - accoudé mélancoliquement sur la rampe et paraissait rêver profondément. —Une draperie de damas rouge à grandes છે ileurs, à demi relevée, tombait à larges plis derrière lui et 190 MADEMOISELLE DE MAUPIN. lui servait de fond . — Qu'il était beau, et que sa tête brune et pâle ressortait merveilleusement sur cette teinte pour pre ! Deux grosses touffes de cheveux, noires, lustrées, pareilles aux grappes de raisin de l'Erigone antique, lui pendaient gracieusement le long des joues et encadraient d'une manière charmante l'ovale fin et correct de sa belle figure. Son cou rond et potelé était entièrement nu, et il avait une espèce de robe de chambre à larges manches qui ressemblait assez à une robe de femme. -Il tenait en main une tulipe jaune qu'il déchiquetait impitoyablement dans sa rêverie, et dont il jetait les morceaux au vent. Un des angles lumineux que le soleil dessinait sur le mur se vint projeter contre la fenêtre, et le tableau se dora d'un ton chaud et transparent à faire envie à la toile la plus cha toyante du Giorgione. Avec ces longs cheveux que la brise remuait doucement, ce cou de marbre ainsi découvert, cette grande robe serrée autour de la taille, ces belles mains sortant de leurs man chettes comme les pistils d'une fleur du milieu de leurs pé tales, - il avait l'air non du plus beau des hommes, mais de la plus belle des femmes, et je me disais dans mon cour : C'est une femme, oh ! c'est une femme ! - Puis je me souviens tout à coup d'une folie que je t'ai écrite il y a longtemps, tu sais, à l'endroit de inon idéal et de la manière dont je le devais assurément rencontrer : la belle dame du parc de Louis XIII, le château rouge et blanc, la grande terrasse , les allées de vieux marronniers et l'entre vue à la fenêtre ; je t'ai fait autrefois tout ce détail . —C'était bien cela, - ce que je voyais était la réalisation précise de mon rêve. - C'était bien le style d'architecture, l'effet de lumière, le genre de beauté, la couleur et le caractère que j'avais souhaités; - il n'y manquait rien, seulement la dame était un homme; - mais je t'avoue qu'en ce moment là je l'avais entièrement oublié. Il faut que Théodore soit une femme déguisée ; la chose est impossible autrement. - Cette beauté excessive, même - . - MADEMOISELLE DE MAUPIN . 191 pour une femme, n'est pas la beauté d'un homme, fût- il Antinoüs, l'ami d’Adrien ; fût-il Alexis , l'ami de Virgile . C'est une femme, parbleu, et je suis bien fou de m'être ainsi tourmenté . De la sorte tout s'explique le plus natų rellement du monde, et je ne suis pas aussi monstre que je le croyais . Est -ce que Dieu mettrait ainsi des franges de soie si lon gues et si brunes à de sales paupières d'homme ? Est-ce qu'il teindrait de ce carmin si vif et si tendre nos vilaines bouches lippues et hérissées de poils ? Nos os taillés à coups de serpe et grossièrement emmanchés ne valent point qu'on les em maillotte d'une chair aussi blanche et aussi délicate ; nos crânes bossues ne sont point faits pour être baignés des flots d’une si admirable chevelure . 0 beauté ! nous ne sommes créés que pour t'aimer et t'adorer à genoux, si nous t'avons trouvée, pour te chercher éternellement à travers le monde, si ce bonheur ne nous a pas été donné ; mais te posséder, mais être nous-mêmes toi , cela n'est possible qu'aux anges et aux femmes . Amants, poëtes , peintres et sculpteurs , nous cherchons tous à t'élever un autel, l'amant dans sa maîtresse, le poëte dans son chant, le peintre dans sa toile, le sculpteur dans son marbre ; mais l'éternel désespoir, c'est de ne pouvoir faire palpable la beauté que l'on sent et d'être enveloppé d'un corps qui ne réalise point l'idée du corps que vous com prenez être le vôtre . J'ai vu autrefois un jeune homme qui m'avait volé la forme que j'aurais dû avoir . Ce scélérat était juste comme j'aurais voulu être. Il avait la beauté de ma laideur, et à côté de lui j'avais l'air de son ébauche. Il était de ma taille , mais plus svelte et plus fort ; sa tournure ressemblaità la mienne, mais avec une élégance et une noblesse que je n'ai pas . Ses yeux n'étaient pas d'une couleur autre que mes propres yeux, mais ils avaient un regard et un éclat que les miens n'auront jamais. Son nez avait été jeté au même moule que le mien seulement il semblait avoir été retouché par le 192 MADEMOISELLE DE MAUPIN , moi un peu ciseau d'un statuaire habile ; les narines en étaient plus ou vertes et plus passionnées, les méplats plus netternent accusés, et il avait quelque chose d'héroïque dont cette res pectable partie de mon individu est totalement dénuée : on eût dit que la nature se fût essayée en ma personne à faire ce moi-même perfectionné. -J'avais l'aird'être le brouil lon raturé et informe de la pensée dont il était la copie en belle écrituremoulée . Quand je le voyais marcher, s'arrêter, saluer les dames, s'asseoir et se coucher avec cette grâce parfaite qui résulte de la beauté des proportions, il me prenait des tristesses et des jalousies affreuses, et telles qu'en doit ressentir le modèle de terre glaise qui se sèche et se fendille obscurément dans un coin de l'atelier, tandis que l'orgueilleuse statue de marbre, qui sans lui n'existerait pas, se dresse fièrement sur son socle sculpté et attire l'at tention et les éloges des visiteurs . Car enfin ce drôle, ce n'est que mieux réussi et coulé avec unbronze moins rebelle et qui s'est insinué plus exactement dans les creux du moule. Je le trouve bien hardi de se pavaner ainsi avec ma forme et de faire l'insolent comme s'il était un type ori ginal : il n'est, au bout du compte, que mon plagiaire, car je suis né avant lui, et sans moi la nature n'eût point eu l'idée de le faire ainsi . — Quand les femmes louaient ses bonnes façons et les agréments de sa personne, j'avais toutes les envies du monde de me lever et de leur dire : Sottes que vous êtes, louez-moi donc directement, car ce monsieur est moi, et c'est un détour inutile que de lui envoyer ce qui merevient. D'autres fois j'avais d'horribles démangeaisons de l'étrangler et de mettre son âme à la porte de ce corps qui m'appartenait, et je rôdais autour de lui les lèvres ser rées, les poings crispés comme un seigneur qui rôdé au tour de son palais où une famille de gueux s'est établie en son absence et qui ne sait comment les jeter dehors. Ce jeune homme, au reste , est stupide, et il réussit d'au tant plus . —Et quelquefois j'envie sa stupidité plus que sa beauté. — Le mot de l'Évangile sur les pauvres d'esprit - MADEMOISELLE DE MAUPIN. 193 - n'est pas complet : ils auront le royaume du ciel ; je n'en sais rien, et cela m'est bien égal ; mais à coup sûr ils ont le royaume de la terre ,, - ils ont l'argent etc les belles femmes, c'est- à-dire les deux seules choses désirables qui soient au monde. — Connais- tu un homme d'esprit qui soit riche, et un garçon de ceur et de quelque mérite qui . ait une maîtresse passable ?.- Quoique Théodore soit très-beau, je n'ai cependant pas désiré sa beauté, et j'aime mieux qu'il l'ait que moi. -Ces amours étranges dont sont pleines les élégies des poëtes anciens, qui nous surprenaient tant et que nous ne pouvions concevoir, sont donc vraisemblables et possibles. Dans les traductions que nous en faisions, nous mettions des noms de femmes à la place de ceux qui y étaient . Juventius se terminait en Juventia, Alexis se changeait en Ianthé . Les beaux garçons devenaient de belles filles, nous recomposions ainsi le sérail monstrueux de Catulle, de Tibulle, de Martial et du doux Virgile . C'était une fort galante occupation qui prouvait seulement combien peu nous avions compris le génie antique . Je suis un homme des temps homériques ; -- le monde où je vis n'est pas le mien, et je ne comprends rien à la société qui m'entoure . Le Christ n'est pas venu pour moi ; je suis aussi païen qu'Alcibiade et Phidias. — Je n'ai ja mais été cueillir sur le Golgotha les fleurs de la passion , et le fleuve profond qui coule du flanc du crucifié et fait une ceinture rouge au monde, ne m'a pas baigné de ses flots : - mon corps rebelle ne veut point reconnaître la suprématie de l'âme, et ma chair n'entend point qu'on la mortifie . Je trouve la terre aussi belle que le ciel, et je pense que la correction de la forme est la vertu . La spi ritualité n'est pas mon fait, j'aime mieux une statue qu'un fantôme, et le plein midi que le crépuscule. Trois choses me plaisent : l'or, le marbre et la pourpre, éclat, soli dité, couleur. Mes rêves sont faits de cela, et tous les pa lais que je bâtis à mes chimères sont construits de ces 17 194 MADEMOISELLE DE MAUPIN. - de matériaux.. -· Quelquefois j'ai d'autres songes, –ce sont de longues cavalcades de chevaux tout blancs, sans har nais et sans bride, montés par de beaux jeunes gens nus qui défilent sur une bande de couleur bleue foncée comme sur les frises du Parthenon , ou des théories de jeunes filles couronnées de bandelettes avec des tuniques à plis droits et des sistres d'ivoire qui semblent tourner autour d'un vase immense. – Jamais ni brouillard ni vapeur, · jamais rien d'incertain et de flottant. Mon ciel n'a pas nuage, ou, s'il en a, ce sont des nuages solides et taillés au ciseau , faits avec les éclats de marbre tombés de la statue de Jupiter. Des montagnes aux arêtes vives et tranchées le dentellent brusquement par les bords, et le soleil accoudé sur une des plus hautes cimes ouvre tout grand son wil jaune de lion aux paupières dorées. --· La cigale crie et chante, l'épi craque ; l'ombre vaincue et n'en pouvant plus de chaleur, se pelotonne et se ramasse au pied des arbres : tout rayonne, tout reluit , tout resplen dit . Le moindre detail prend de la fermeté et s'accentue hardiment; chaque objet revêt une forme et une couleur robustes. Il n'y a pas là de place pour la mollesse et la rêvasserie de l'art chrétien . Ce monde -là est le mien -Les ruisseaux de mes paysages tombent à flots sculptés d'une urne sculptée ; entre ces grands roseaux verts et sonores comme ceux de l'Eurotas, on voit luire la hanche ronde et argentée de quelque naïade aux cheveux glau ques . Dans cette sombre forêt de chênes, voici Diana qui passe la trousse au dos avec son écharpe volante et ses brodequins aux bandes entrelacées. Elle est suivie de sa meute et de ses nymphes aux noms harmonieux. Mes tableaux sont peints avec quatre tons, comme les tableaux des peintres primitifs, et souvent ce ne sont que des bas reliefs coloriés ; car j'aime à toucher du doigt ce que j'ai vu et à poursuivre la rondeur des contours jusque dans ses replis les plus fuyants; je considère chaque chose sous tous les profils et je tourne à l'entour une lumière à la MADEMOISELLE DE MAUPIN . 195 - - main . , - J'ai regardé l'amour à la lumière antique et comme un morceau de sculpture plus ou moins parfait . Comment est le bras ? Assez bien . Les mains ne man quent pas de délicatesse . — Que pensez - vous de ce pied ? je pense que la cheville n'a pas de noblesse, et que le talon est conimun . Mais la gorge est bien placée et d'une bonne forme, la ligne serpentine est assez ondoyante, les épaules sont grasses et d'un beau caractère . Cette femme serait un modèle passable, et l'on en pourrait mouler plusieurs portions. — Aimons-la . J'ai toujours été ainsi. J'ai pour les femmes le regard d'un sculpteur et non celui d'un amant. Je me suis toute ma vie inquiété de la forme du flacon , jamais de la qua lité du contenu . J'aurais eu la boîte de Pandore entre les mains, je crois que je ne l'eusse pas ouverte . Tout à l'heure je disais que le Christ n'était pas venu pour moi ; Marie, l'étoile du ciel moderne, la douce mère du glorieux bambin, n'est pas venue non plus. Bien longtemps et bien souvent je me suis arrêté sous le feuillage de pierre des cathédrales, aux tremblantes clartés des vitraux, à l'heure où l'orgue gémissait de lui même, quand un doigt invisible se posait sur les touches et que le vent soufflait dans les tuyaux, et j'ai plongé profondément mes yeux dans l'azur pâle des longs yeux de la Madone . J'ai suivi avec piété l'ovale amaigri de sa figure, l'arc à peine indiqué de ses sourcils, j'ai admiré son front uni et lumineux, ses tempes chastement trans parentes, les pommettes de ses joues nuancées d'une cou leur sobre et virginale, plus tendre que la fleur du pêcher ; j'ai compté un à un les beaux cils dorés qui y jettent leur ombre palpitante ; j'ai démêlé, dans la demi- teinte qui la baigne, les lignes fuyantes de son cou frêle et modeste ment penché; j'ai même, d'une main téméraire, soulevé les plis de sa tunique et contemplé sans voile ce sein vierge et gonflé de lait qui n'a jamais été pressé que par les lèvres divires ; j'en ai poursuivi les minces veines - 196 MADEMOISELLE DE MAUPIN . - bleues jusque dans leurs plus imperceptibles ramifications, j'y ai posé le doigt pour faire jaillir en blancs filets le breuvage céleste ; j'ai effleuré de ma bouche le bouton de la rose mystique. -Eh bien ! je l'avoue, toute cette beauté immatérielle, si ailée et si vaporeuse qu'on sent bien qu'elle va prendre son vol, ne m'a touché que médiocrement. J'aime mieux la Vénus Anadvomène, mille fois mieux. Ces yeux antiques retroussés par les coins, cette lèvre si pure et si fermement coupée, si amoureuse et qui convie si bien au baiser, ce front bas et plein, ces cheveux ondulés comme la mer et noués négligemment derrière la tête, ces épaules fermes et lustrées, ce dos aux mille sinuosités charmantes, cette gorge petite et peu détachée, toutes ces formes rondes et tendues, cette largeur de hanche, cette force délicate, ce caractère de vigueur surhumaine dans un corps aussi adorablement féminin, me ravissent et m'enchantent à un point dont tu ne peux te faire une idée, toi le chrétien et le sage. Marie, malgré l'air humble qu'elle affecte , est beaucoup trop fière pour moi , c'est à peine si le bout de son pied, entouré de blanches bandelettes, effleure le globe déjà. bleu ssant où se tord l'antique dragon . - Ses yeux sont les plus beaux du monde, mais ils sont toujours tournés vers le ciel, ou baissés ; jamais ils ne regardent en face, - jamais ils n'ont servi de miroir à une forme humaine. - Et puis, je n'aime pas ces nimbes de chérubins sou riants, qui s'arrondissent autour de sa tête dans une blonde vapeur. Je suis jaloux de ces grands anges éphè bes avec des chevelures et des robes flottantes qui s'em pressent si amoureusement dans ses assomptions ; ces mains qui s'enlacent pour la soutenir, ces ailes qui s'agi tent pour l'éventer, me déplaisent et me contrarient. Ces petits-maîtres du ciel, si coquets et si triomphants, en tunique de lumière, en perruque de fils d'or, avec leurs belles plumes bleues et vertes, me semblent beaucoup - MADEMOISELLE DE MAUPIN .. 197 - a e trop galants, et, si j'étais Dieu, je me garderais de donner de tels pages à ma maîtresse. La Vénus sort de la mer pour aborder au monde, comme il convient à unedivinité qui aime les hommes, toute nue et toute seule. - Elle préfère la terre à l'O lympe, et a pour amants plus d'hommes que de dieux : elle ne s'enveloppe pas des voiles langoureux de la mysti cité ; elle se tient debout, son dauphin derrière elle , le pied sur sa conque de nacre ; le soleil frappe sur son ven tre poli, et de sa blanche main elle soutient en l'air les flots de ses beaux cheveux où le vieux père Océan a semé ses perles les plus parfaites. — On la peut voir : elle ne cache rien, car la pudeur n'est faite que pour les laides, et c'est une invention moderne, fille du mépris chrétien de la forme et de la matière . O vieux monde ! tout ce que tu as révéré est donc mé prisé ; tes idoles sont donc renversées dans la poussière ; de maigres anachorètes vêtus de lambeaux troués, des martyrs tout sanglants et les épaules lacérées par les ti gres de tes cirques, se sont juchés sur les piédestaux de tes dieux si beaux et si charmants : le Christ a enve loppé le monde dans son linceul . Il faut que la beauté rougisse d'elle -même et prenne un suaire . - Beaux jeunes gens aux membres frottés d'huile qui luttez dans le lycée ou le gymnase, sous le ciel éclatant, au plein soleil de l’Attique, devant la foule émerveillée ; jeunes filles de Sparte qui dansez la bibase, et qui courez nues jusqu'au sommet du Taygète, reprenez vos tuniques et vos chla mydes: -- votre règne est passé. Et vous , pétrisseurs de marbre, Prométhées du bronze, brisez vos ciseaux : - il n'y aura plus de sculpteurs. — Le monde palpable est mort. Une pensée ténébreuse et lugubre remplit seule l'immensité du vide . Cléomène ya voir chez les tisse rands quels plis fait le drap ou la toile . Virginité, plante amère, née sur un sol trempé de sang, et dont la fleur étiolée et maladive s'ouvre péniblement à - 17 . 198 MADEMOISELLE DE MAUPIN . - l'ombre humide des cloitres, sous une froide pluie lustrale ; rose sans parfum et toute hérissée d'épines, tu as rem placé pour nous les belles et joyeuses roses baignées de nard et de falerne des danseuses de Sybaris ! Le monde antique ne te connaissait pas , fleur inféconde; jamais tu n'es entrée dans ses couronnes aux odeurs en ivrantes; - dans cette société vigoureuse et bien portante , on t'eût dédaigneusement foulée aux pieds. - Virginité, mysticisme, mélancolie, — trois mots inconnus, – trois maladies nouvelles apportées par le Christ. –Påles spec tres qui inondez notre monde de vos larmes glacées , et qui, le coude sur un nuage, la main dans la poitrine, dites pour toute parole : 0 mort ! ô mort ! vous n'auriez pu met tre le pied sur cette terre si bien peuplée de dieux indul gents et folâtres ! Je considère la femme, à la manière antique, comme une belle esclave destinée à nos plaisirs . —Le christia nisme ne l'a pas réhabilitée à mes yeux. C'est toujours pour moi quelque chose de dissemblable et d'inférieur que l'on adore et dont on joue, un hochet plus intelligent que s'il était d'ivoire ou d'or, et qui se relève lui-même si on le laisse tomber à terre . On m'a dit, à cause de cela, que je pensais mal des femmes ; je trouve, au contraire, que c'est en penser fort bien . Je ne sais pas, en vérité, pourquoi les femmes tiennent tant à être regardées comme des hommes. Je conçois que l'on ait envie d'être serpent boa, lion ou éléphant ; mais que l'on ait envie d'être homme, c'est ce qui me passe tout à fait. Si j'avais été au concile de Trente quand s'y agita cette importante question , à savoir si la femme est un homme, j'aurais assurément opiné pour la négative . J'ai fait en ma vie quelques vers amoureux ou du moins qui avaient la prétention de passer pour tels . — Je viens d'en relire une partie. Le sentiment de l'amour moderne yy manque totaleinent . - Si cela était écrit en distiques latins au lieu d'être en rimes françaises, on le pourrait - - MADEMOISELLE DE MAUPIN . 199 prendre pour l'ouvre d'un mauvais poëte du temps d'Au . guste. Et je m'étonne que les femmes, pour qui ils étaient faits, au lieu d'en être fort charmées, ne s'en soient pas fâchées sérieusement. Il est vrai que les femmes ne s'entendent pas plus en poésie que les choux et les roses, ce qui est très-naturel et très- simple, étant elles- mêmes la poésie ou tout au moins les meilleurs instruments de poésie : la flûte n'entend ni ne comprend l'air que l'on joue sur elle . Dans ces vers, il n'est parlé que de l'or ou de • l'ébène des cheveux, de la finesse miraculeuse de la peau, de la Pondeur du bras, de la petitesse des pieds et de la forme slélicate de la main, et le tout se termine par une humbie supplique à la divinité d'octroyer au plus vite la jouissance de toutes ces belles choses . — Aux endroits triomphants, ce ne sont que guirlandes suspendues au seuil, pluies de fleurs, parfums brûlés, addition de baisers catullienne, nuits blanches et charmantes, querelles à l'Aurore, avec injonctions à la sasdite Aurore de retourner se cacher der rière les rideaux de safran du vieux Tithon ; - c'est un éclat sans chaleur, une sonorité sansvibration . Cela est exact, poli , fait avec une égale curiosité ; mais, à travers tous les raffinements et les voiles de l'expression , on de vine la voix brève et dure du maître qui tâche de s'adoucir en parlant à l'esclave . Ce n'est point, comme dans les poésies érotiques faites depuis l'ère chrétienne, une âme qui demande à une autre âme de l'aimer, parce qu'elle aime; ce n'est point un lac azuré et souriant qui invite un ruisseau à se fondre dans son sein pour refléter ensemble les étoiles du ciel ; — ce n'est point un couple de colom bes ouvrant les ailes en même temps pour voler au même nid . Cinthia, vous êtes belle ; hâtez -vous. Qui sait si vous vi vrez demain ? - Votre chevelure est plus noire que la peau lustrée d'une vierge éthiopienne. Hâtez-vous ; dans quel ques années d'ici , de minces fils d'argent se glisseront - - > > - 1 200 MADEMOISELLE DE MAUPIN. dans ses touffes épaisses ; ces roses sentent bon au jourd'hui, demain elles auront l'odeur de la mort et ne se ront plus que des cadavres de roses. Respirons tes roses tant qu'elles ressemblent à tes joues ; embrassons tes joues tant qu'elles ressemblent à tes roses. - Lorsque vous serez vieille, Cinthia, personne ne voudra plus de vous, pas même les valets du licteur quand vous les paye riez, et vous courrez après moi que vous rebutez mainte nant. Attendez que Saturne ait rayé de son ongle ce front pur et luisant, et vous verrez comme votre seuil si assiégé, si supplié, si tiède de larmes et si fleuri, sera évité, mau dit, couvert d'herbes et de ronces . Håtez-vous, Cin thia ; la plus petite ride peut servir de fosse au plus grand amour. C'est dans cette formule brutale et impérieuse que se résume toute l'élégie antique : elle en revient toujours là; c'est sa plus grande raison, c'est le plus fort, c'est l'Achille de ses arguments . Après cela elle n'a plus grand chose à dire, et, quand elle a promis une robe de byssus teint deux fois et une union de perles d'égale grosseur, elle est au bout de son rouleau . C'est aussi à peu près tout ce que je trouve de plus concluant en pareille occurrence . Je ne m'en tiens cependant pas toujours à ce programme assez cxigu, et je brode mon maigre canevas avec quel ques fils de soie de différentes couleurs arrachés çà et là . Mais ces brins sont courts ou renoués vingt fois et tien nent mal au fond de la trame. Je parle assez élégamnient d'amour, parce que j'ai lu beaucoup de belles choses là dessus. Il ne faut pour cela que le talent d'un acteur. Avec beaucoup de femmes, cette apparence suffit ; l'habitude d'écrire et d'imaginer fait que je ne reste pas à court sur ces matières, et tout esprit un peu exercé, en s'appliquant, parviendra aisément à ce résultat ; mais je ne sens pas un mot de ce que je dis, et je répète tout bas comme le poëte antique: —Cinthia, hâtez -vous. On m'a accusé souvent d'être fourbe et dissimulé. C. MADEMOISELLE DE MAUPIN. 301 - - Personne au monde n'aimerait autant que moi à parler franchement et à vider son cour ; mais, comme je n'ai pas une idée et un sentiment pareils à ceux des gens qui m'entourent, -comme, au premier mot vrai que je lâcherais, ce serait un hurrah et un tollé général, j'ai pré féré garder le silence , ou, si je parle, ne dégorger que des sottises reçues et ayant droit de bourgeoisie . - Je serais bien venu, si je disais aux dames ce que je viens de t'écrire ! je ne pense pas qu'elles goûteraient beaucoup ma manière de voir et mes façons d'envisager l'amour. Pour les hommes, je ne peux pas non plus leur dire en face qu'ils ont tort de ne pas aller à quatre pattes ; et, en vérité, c'est ce que je pense de plus favorable à leur égard. - Je n'ai pas envie de me faire une querelle à chaque mot. Qu'importe, au bout du compte, ce que je pense ou ce que je ne pense pas ; que je sois triste lorsque je sem ble gai, joyeux quand j'ai l'air mélancolique ? On ne trouve pas à redire à ce que je n'aille pas nu : ne puis-je habiller ma figure comme mon corps ? Pourquoi un masque se rait-il plus répréhensible qu'une culotte, et un mensonge qu'un corset ? Hélas ! la terre tourne autour du soleil , rôtie d'un côté et gelée de l'autre . Il y a une bataille où six cent mille hommes se déchiquettent ; il fait le plus beau temps du monde ; les fleurs sont d'une coquetterie sans pareille, et elles ouvrent effrontément leur gorge luxuriante jusque sous le pied des chevaux. Aujourd'hui il s'est commis un nombre fabuleux de bonnes actions ; il pleut à verse, neige et tonnerre, éclairs et grêles ; on dirait que le monde va finir. Les bienfaiteurs de l'humanité ont de la boue jus qu'au ventre et sont crottés ' comme des chiens, à moins qu'ils n'aient voiture . La création se moque impitoyable ment de la créature et lui décoche à toute minute des sar casmes sanglants. Tout est indifférent à tout, et chaque chose vit ou végète par sa propre loi . Que je fasse ceci ou cela, que je vive ou que je meure, que je souffre ou que 202 MADEMOISELLE DE MAUPIN . а je jouisse, que je dissimule ou que je sois franc, qu'est ce que cela fait au soleil et aux betteraves et même aux hommes? Un fétu de paille est tombé sur une fourmi et lui a cassé la troisième patte à la deuxième articulation ; un rocher est tombé sur un village et l'a écrasé : je ne crois pas que l'un de ces malheurs arrache plus de larmes que l'autre aux yeux d'or des étoiles . Tu es mon meilleur ami, si ce mot- là n'est pas aussi creux qu'un grelot; je mourrais, il est bien évident, si éploré que tu sois, que tu ne te passeras pas de diner seulement deux jours, et que, malgré cette épouvantable catastrophe, tu n'en continue ras pas moins à jouer fort agréablement au trictrac. Quel est celui de mes amis, quelle est celle de mes mai tresses qui saura mes nom et prénoms dans vingt ans d'ici, et qui me reconnaîtrait dans la rue, si je venais à y passer avec un habit percé au coude ? Oubli et néant, c'est tout l'homme . Je me sens aussi parfaitement seul que possible, et tous les fils qui allaient de moi aux choses et des choses à moi se sont rompusun à un . Il y a peu d'exemples d'un homme qui , ayant conservé l'intelligence des mouvements qui se font en lui , soit parvenu à un degré d'abrutissement pa reil . Je ressemble à ces flacons de liqueurs qu'on a laissés débouchés et dont l'esprit s'est évapore complétement. Le breuvage a la même apparence et la même couleur ; goûtez -le, vous n'y trouverez que l'insipidité de l'eau . Quand j'y songe, je suis effrayé de la rapidité de cette décomposition ; si cela continue, il faudra que je me sale, ouje pourrirai inévitablement, et les vers se mettront après moi, puisque je n'ai plus d'âme, et que cela seul fait la différence du corps au cadavre . · Il y a un an, pas plus, j'avais encore quelque chose d'humain ; - je m'agitais, je cherchais . J'avais une pensée caressée entre toutes, une espèce de but, un idéal ; je voulais être aimé, je faisais les rêves que l'on fait à cet âge, -moins vaporeux, moins chastes, il est vrai, que ceux des jeunes gens ordinaires, MADEMOISELLE DE MAUPIN . 203 . - mais contenus cependant en de justes bornes. Peu à peu ce qu'il y avait d'incorporel s'est dégagé et s'est dissipé, et il n'est resté au fond de moi qu'une épaisse couche de grossier limon . Le rêve est devenu un cauchemar, et la chimère un succube; le monde de l'âme a fermé ses portes d'ivoire devant moi : je ne comprends plus que ce que je touche avec les mains ; j'ai des songes de pierre ; tout se condense et se durcit autour de moi, rien ne flotte, rien ne vacille, il n'y a pas d'air ni de souffle ; la matière me presse, m'envahit et m'écrase ; je suis comme un pè lerin qui se serait endormi un jour d’été les pieds dans l'eau et qui se réveillerait en hiver les jambes prises et emboîtées dans la glace . Je ne souhaite plus ni l'amour ni l'amitié de personne ; la gloire même, cette auréole éclatante que j'avais tant désirée pour mon front, ne me fait plus la moindre envie . Il n'y a plus, hélas ! qu'une chose qui palpite en moi, c'est l'horrible désir qui me porte vers Théodore . Voilà où se réduisent toutes mes notions morales. Ce qui est beau physiquement est bien , tout ce qui est laid est mal. —Je verrais une belle femme, que je saurais avoir l'âme la plus scélérate du monde, qui serait adultère et empoisonneuse, j'avoue que cela meserait parfaitement égal et ne m'empêcherait nullement de m'y complaire, si je trouvais la forme de son nez convenable . Voici comme je me représente le bonheur suprême : - c'est un grand bâtiment carré sans fenêtre au dehors : une grande cour entourée d'une colonnade de marbre blanc, au milieu une fontaine de cristal avec un jet de vif argent à la manière arabe, des caisses d'orangers et de grenadiers posées alternativement ; par là - dessus un ciel très -bleu et un soleil très- jaune ; - de grands lévriers au museau de brochet dormiraient çà et là ; de temps en temps des nègres pieds nus avec des cercles d'or aux jam bes, de belles servantes blanches et sveltes, habillées de vêtements riches et capricieux, passeraient entre les ar cades évidées, quelque corbeille au bras, ou quelque am - 204 MADEMOISELLE DE MAUPIN. un 4 1 . . -- phore sur la tête . Moi, je serais là, immobile, silencieux, sous un dais magnifique, entouré de piles de carreaux, grand lion privé sous mon coude, la gorge nue d'une jeune esclave sous mon pied en manière d'escabeau, et fumant de l'opium dans une grande pipe de jade. Je ne me figure pas le paradis autrement ; et, si Dieu veut bien que j'y aille après ma mort, il me fera bâtir dans le coin de quelque étoile un petit kiosque sur ce plan- là . -Le paradis tel qu'on le dit être me parait beau coup trop musical, et je confesse en toute humilité que je suis parfaitement incapable de supporter une sonate qui durerait seulement dix mille ans. Tu vois quel est mon Eldorado, ma terre promise : c'est un rêve comme un autre ; mais il a cela de spécial, que je n'y introduis jamais aucune figure connue; que pas un de mes amis n'a franchi le seuil de ce palais ima ginaire ; qu'aucune des femmes que j'ai eues ne s'est as sise à côté de moi sur le velours des coussins : j'y suis se !!! au milieu d'apparences. Toutes ces figures de femma, toutes ces ombres gracieuses de jeunes filles dontje le peu. ple, je n'ai jamais eu l'idée de les aimer ; je n'en ai jamais supposé une amoureuse de moi. - Dans ce sérail fan tastique, je ne me suis pas créé de sultane favorite . Il y a . des négresses, des mulâtresses, des juives à peau bleue à et à cheveux rouges, des Grecques et des Circassiennes, des Espagnoles et des Anglaises ; mais ce ne sont pour moi que des symboles de couleur et de linéament, ct je les ai comme l'on a toute sorte de vins dans sa cave, et toutes les espèces de colibris dans sa collection . Ce sont des machines à plaisir, des tableaux qui n'ont pas besoin de cadre, des statues qui viennent à vous quand on les appelle et que l'envie vous prend de les considérer de près. Une femme a sur une statue cet incontestable avan tage, qu'elle se tourne toute seule du côté où l'on veut, et qu'il faut faire soi-même le tour de la statue et se placer au point de vue ; - ce qui est fatigant. . ya 1 MADEMOISELLE DE MAUPIN . 205 Tu vois bien qu'avec des idées semblables, je ne puis rester ni dans ce temps ni dans ce monde-ci ; car on ne peut subsister ainsi à côté du temps et de l'espace . Il faut que je trouve autre chose. En pensant ainsi, il est simple et logique que l'on abou tisse à une pareille conclusion . Comme on ne cherche que la satisfaction de l'oeil, le poli de la forme et la pu reté du linéament, on les accepte partout où on les ren contre. C'est ce qui explique les singulières aberrations de l'amour antique. Depuis le Christ on n'a plus fait une seule statue d'homme où la beauté adolescente fût idéalisée et rendue avec ce soin qui caractérise les anciens sculpteurs . - La femme est devenue le symbole de la beauté morale et physique : l'homme est réellement déchu du jour où le petit enfant est né à Bethléem . La femme est la reine de la création2 ; les étoiles se joignent en couronne sur sa tête, le croissant de la lune se fait une gloire de s'arron dir sous son pied, le soleil cède son or le plus pur pour lui en faire des joyaux, les peintres qui veulent flatter les anges leur donnent des figures de femmes, et certes ce n'est pas moi qui les en blâmerai. Avant le doux et galant conteur de paraboles, c'était tout le contraire ; on ne féminisait pas les dieux ou les héros que l'on voulait faire séduisants ; ils avaient leur type, vigoureux et déli cat en même temps, mais toujours måle, si amoureux que fussent leurs contours, si polis et si dénués de muscles et de veines que l'ouvrier eût fait leurs jambes et leurs bras divins . On faisait plus volontiers revenir à ce caractère la beauté spéciale de la femme. On élargissait les épaules, on atténuait les hanches, on donnait plus de saillie à la gorge ; on accentuait plus robustement les attaches des bras el des cuisses . · Il n'y a presque pas de différence entre Paris et Hélène. Aussi l'hermaphrodite est -il une des chi mères les plus ardemment caressées de l'antiquité ido lâtre. - 18 306 MADEMOISELLE DE MAUPIN. . C'est en effet une des plus suaves créations du génie païen que ce fils d'Hermès et d’Aphrodite . Il ne se peut rien imaginer de plus ravissant au monde que ces deux corps tous deux parfaits, harmonieusement fondus en semble, que ces deux beautés si égales et si différentes qui n'en forment plus qu'une supérieure à toutes deux, parce qu'elles se tempèrent et se font valoir réciproque ment : pour un adorateur exclusif de la forme, y a-t-il une incertitude plus aimable que celle où vous jette la vue de ce dos, de ces reins douteux , et de ces jambes si fines et si fortes, que l'on ne sait si l'on doit les attribuer à Mercure prêt à s'envoler ou à Diane sortant du bain ? Le torse est un composé des monstruosités les plus charman tes : sur la poitrine potelée et pleine de l'éphèbe s'arron dit avec une grâce étrange la gorge d'une jeune vierge . Sous les flancs bien enveloppés et d'une mollesse toute féminine, on devine les dentelés et les côtes, comme aux flancs d'un jeune garçon ; le ventre est un peu plat pour une femme, un peu rond pour un homme, et toute l'ha bitude du corps a quelque chose de nuageux et d'indécis qu'il est impossible de rendre, et dont l'attrait est tout particulier. — Théodore serait à coup sûr un excellent modèle de ce genre de beauté ; cependant je trouve que la portion féminine l'emporte chez lui , et qu'il lui est plus resté de Salmacis qu'à l'Hermaphrodite des Métamorphoses. Ce qu'il y a de singulier, c'est que je ne pense presque plus à son sexe et que je l'aime avec une sécurité parfaite. . Quelquefois je cherche à me persuader que cet amour est abominable, et je me le dis à moi-même le plus sé yèrement possible ; mais cela ne vient que des lèvres, c'est un raisonnement que je me fais et que je ne sens pas : il me semble réellement que c'est la chose la plus simple du moude et quetout autre à ma place en ferait autant. Je le vois, je l'écoute parler ou chanter, car il chante admirablement, et j'y prends un indicible plaisir . -D me fait tellement l'effet d'une femme, qu'un jour, dans la MADEMOISELLE DE MAUPIN . 907 chaleur de la conversation , il m'est échappé de l'appeler madame, ce qui l'a fait rire d'un rire assez forcé, à ce qu'il m'a paru . Si c'était une femme cependant, quels seraient ses mo tifs pour se travestir ainsi ? Je ne puis me les expliquer d'aucune manière . Qu’un cavalier très- jeune, très-beau et parfaitement imberbe, se déguise en femme, cela se conçoit ; il s'ouvre ainsi mille portes qui lui seraient res tées obstinément fermées, et le quiproquo peut le jeter dans une complication d'aventures tout à fait dédalienne et réjouissante . On peut arriver de cette façon jusqu'à une femme étroitement gardée, ou brusquer quelque bonne fortune à la faveur de la surprise. Mais je ne sais pas trop les avantages qu'il y a pour une belle et jeune femme à courir le .pays en habits d'homme : elle ne peut qu'y perdre . Une femme ne doit pas renoncer ainsi au plaisir d'être courtisée, madrigalisée et adorée ; elle renoncerait plutôt à la vie, et elle aurait raison, car qu'est-ce que la vie d'une femme sans tout cela ? ou quelque chose de pis que la mort. Et je m'étonne toujours que les femmes qui ont trente ans ou la petite vérole, ne se jettent pas du haut d'un clocher en bas. Malgré tout cela, quelque chose de plus fort que tous les raisonnements me crie que c'est une femme, et que c'est elle que j'ai rêvée, elle que je dois aimer unique ment, et qui m'aimera uniquement : -- oui , c'est elle, la déesse aux regards d'aigle, aux belles mains royales, qui me souriait avec condescendance du haut de son trône de nuées . Elle s'est présentée à moi sous ce déguisenient pour m'éprouver, pour voir si je la reconnaîtrais, si mon regard amoureux pénétrerait les voiles dont elle s'était enveloppée, comme dans ces contes merveilleux où les fées apparaissent d'abord sous des figures de mendiantes, puis se relèvent tout à coup resplendissantes d’or et de pierreries. Je t'ai reconnue , ô mon amour ! A ton aspect, mon caur Rien , - 208 MADEMC:SELLE DE MAUPIN. a sauté dans ma poitrine comme saint Jean dans le ventre de sainte Anne, lorsqu'elle fut visitée par la Vierge ; une lueur flamboyante s'est répandue dans l'air ; j'ai senti comme une odeur de divine ambroisie; j'ai vu à tes pieds la traînée de feu, et j'ai compris sur-le-champ que tu n'é tais pas une simple mortelle . Les sons mélodieux de la viole de sainte Cécile, que les anges écoutent avec ravissement, sont rauques et discor dants en comparaison des cadences perlées qui s'envolent de ta bouche de rubis; les Grâces jeunes et souriantes dansent autour de toi une ronde perpétuelle ; les oiseaux, lorsque tu passes dans les bois, inclinent en gazouillant leur petite tête panachée pour te mieux voir, et te sifflent leurs plus jolis refrains ; la lune amoureuse se lève de. meilleure heure pour te baiser de ses pâles lèvres d'ar gent, car elle a abandonné son berger pour toi ; le ventse garde d'effacer sur le sable la délicate empreinte de ton adorable pied ; la fontaine, quand tu t'y penches, se fait plus unie que le cristal, de peur de rider et de déformer la réflexion de ton visage céleste ; les . pudiques violettes elles-mêmes t'ouvrent leur petit coeur et font mille coquet teries devant toi; la fraise jalouse se pique d'émulation et tâche d'égaler le divin incarnat de ta bouche; l'imper ceptible moucheron bourdonne joyeusement et t'applaudit en battant des ailes : toute la nature t'aime et t'ad mire, o toi, sa plus belle ceuvre ! Ah ! je vis maintenant; -jusqu'à présent je n'avais été qu’un mort : me voilà débarrassé du linceul, et je tends hors de la fosse mesdeux maigres mains vers le soleil ; ma couleur bleue de spectre m’a quitté. Mon sang circule ra pidement dans mes veines. L'effrayant silence qui régnait autour de moi est rompu à la fin . La voûte opaque et noire qui me pesait sur le front s'est illuminée . Mille voix mys-, térieuses me chuchotent à l'oreille ; de charmantes étoiles scintillent au-dessus de moi, et sablent de leurs paillettes d'or les sinuosités de mon chemin ; les marguerites me 1 1 MADEMOISELLE DE MAUPIN . 209 > a rient doucement, et les clochettes murmurent mon nom avec leur petite langue tortillée : je comprends une multi tude de choses que je ne comprenais pas, je découvre des affinités et des sympathies merveilleuses, j'entends la langue des roses et des rossignols, et je lis couramment le livre que je ne pouvais pas même épeler. J'ai reconriu que j'avais um ami dans ce vieux chêne respectable tout couvert de gui et de plantes parasites, et que cette per venche si langoureuse et si fréle , dont le grand oil bleu déborde toujours de larmes, nourrissait depuis longtemps pour moi une passion discrète et contenue : c'est l'amour, c'est l'amour qui m'a dessillé les yeux et donné le mot de l'énigme . —L'amour est descendu au fond du caveau où transissait mon âme accroupie et somnolente ; il l'a prise par le bout de la main et lui a fait monter l'escalier roide et étroit qui menait au dehors. Toutes les portes de la prison étaient crochetées, et pour la première fois cette pauvre Psyché est sortie du moi où elle était enfermée . Une autre vie est devenue la mienne. Je respire par la poitrine d'un autre, et le coup qui le blesserait me tue rait . Avant cet heureux jour, j'étais semblable à ces mornes idoles japonaises qui se regardent perpétuelle ment le ventre . J'étais le spectateur de moi-même, le parterre de la comédie que je jouais ; je me regardais vivre, et j'écoutais les oscillations de mon coeur comme le battement d'une pendule . Voilà tout. Les images se pei gnaient dans mes yeux distraits ; les sons frappaient mon oreille inattentive , mais rien du monde extérieur n'arri vait jusqu'à mon âme. L'existence de qui que ce soit ne m'était nécessaire ; je doutais même de toute autre exis tence que de la mienne, dont encore je n'étais guère sûr. Il me semblait que j'étais seul au milieu de l'univers, et que tout le reste n'était que fumées, images, vaines illu sions, apparences fugitives destinées à peupler ce néant. - Quelle différence ! Et pourtant, si món pressentiment me trompait, si Théo 18 . 210 MADEMOISELLE DE MAUPIN . dore était réellement un homme, ainsi que tout le monde le croit ! On a vu quelquefois de ces merveilleuses beautés ; - la grande jeunesse prête à cette illusion . C'est une chose à laquelle je ne veux pas penser et qui me rendrait fou ; cette graine tombée d'hier dans le rocher stérile de mon cour la déjà pénétré en tout sens de ses mille fila ments ; elle s'y est cramponnée robustement, et il serait impossible de l'arracher . C'est déjà un arbre qui fleurit et verdoie, et tord ses racines musculeuses.- Si je venais à savoir avec certitude que Théodore n'est pas une femme, hélas ! je ne sais point si je ne l'aimerais pas encore. X Ma belle amie, tu avais bien raison de me détourner du projet que j'avais conçu de voir les hommes, -- et de les étudier à fond, avant de donner mon coeur à aucun d'eux . - J'ai à tout jamais éteint en moi l'amour et jus qu'à la possibilité de l'amour. Pauvres jeunes filles que nous sommes ; élevées avec tant de soin, si virginalement entourées d'un triple mur de précautions et de réticences, – nous, à qui on ne laisse rien entendre, rien soupçonner , et dont la princi pale science est de ne rien savoir, dans quelles étranges erreurs nous vivons, et quelles perfides chimères nous bercent entre leurs bras ! Ah ! Graciosa, trois fois maudite soit la minute où m'est venue l'idée de ce travestissement ; que d'horreurs, que d’inſamies et que de grossièretés dont j'ai été forcée d'être témoin ou auditeur ! quel trésor de chaste et précieuse ignorance j'ai dissipé en peu de temps ! C'était par un beau clair de lune, t'en souviens- tu ? nous nous promenions ensemble tout au fond du jardin , dans cette allée triste et peu fréquentée, terminée d'un côté par une statue de Faune jouant de la flûle , qui n'a 1 MADEMOISELLE DE MAUPIN . 211 > - plus de nez et dont tout le corps est couvert d'une lépre épaisse de mousse noirâtre, et de l'autre côté par une perspective feinte, dessinée sur le mur et à moitié effacée par la pluie . - A travers le feuillage encore rare de la charmille, on voyait par places les étoiles étinceler et s'ar rondir la serpe d'argent. Une odeur de jeunes pousses et de plantes nouvelles nous arrivait du parterre avec les souffles languissants d'une petite brise ; un oiseau caché sifflait un air langoureux et bizarre; nous, comme de vraies jeunes filles, nous causions d'amour, de galants, de mariage, du beau cavalier que nous avions vu à la messe ; nous mettions en commun le peu de notions du monde et des choses que nous pouvions avoir ; nous retournions de cent manières une phrase que nous avions entendue par hasard et dont la signification nous semblait obscure et singulière ; nous nous faisions mille de ces questions sau grenues que la plus parfaite innocence peut seule imagi ner. — Que de poésie primitive, que d'adorables sottises dans ces furtifs entretiens de deux petites niaises sorties la veille de pension ! Toi, tu voulais pour amant un jeune homme hardi et fier, avec des moustaches et des cheveux noirs, de grands éperons, de grandes plumes, une grande épée, une espèce de matamore amoureux, et tu donnais en plein dans l'hé roïque et le triomphant : tu ne rêvais que duels et esca lades, dévoûment miraculeux, et tu aurais volontiers jeté ton gant dans la fosse aux lions pour que ton Esplandian l'y allât chercher : cela était fort comique de voir une petite fille comme tu l'étais alors, toute blonde, toute rougissante, ployant au moindre souffle, vous débiter ces généreuses tirades d'une seule haleine et de l'air le plus martial du monde. Moi, quoique je n'eusse que six mois de plus que toi, j'étais de six ans moins romanesque : une chose m'inquié tait principalement, c'était de savoir ce que les hommes se disaient entre eux et ce qu'ils faisaient lorsqu'ils étaient 2 212 MADEMOISELLE DE MAUPIN. sortis des salons et des théâtres : je pressentais dans leur vie beaucoup de côtés défectueux et obscurs, soigneuse ment voilés à nos regards, et qu'il nous importait beau coup de connaitre ; quelquefois, cachée derrière un rideau, j'épiais de loin les cavaliers qui venaient à la maison, et il me semblait alors démêler dans leur allure quelque chose d'ignoble et de cynique, une insouciance grossière ou une préoccupation farouche que je ne leur retrouvais plus dès qu'ils étaient entrés, et qu'ils semblaient dépouil ler comme par enchantement sur le seuil de la chambre. Tous, les jeunes comme les vieux, me paraissaient avoir adopté uniformément un masque de convention , des sen timents de convention et un parler de convention, lors, qu'ils étaient devant les femmes. - De l'angle du salon où je me tenais droite comme une poupée et sans ap puyer le dos à mon fauteuil, tout en roulant mon bouquet entre mes doigts, j'écoutais, je regardais ; mes yeux étaient baissés cependant, et je voyais tout à droite, à gauche, devant et derrière moi : comme les yeux fabuleux du . lynx, mes yeux perçaient les murailles, et j'aurais dit ce qui se passait dans la pièce à côté. Je m'étais aussi aperçue d'une notable différence dans la manière dont on parlait aux femmes mariées ; ce n'é taient plus les phrases discrètes et polies, enjolivées puéri lement comme on en adressait à moi ou à mes compa gnes, c'était un enjouement plus libre, des façons moins sobres et plus dégagées, les claires réticences et les détours aboutissant vite d'une corruption qui sait qu'elle a devant elle une corruption semblable : je sentais bien qu'il y avait entre eux un élément commun qui n'existait pas entre nous, et j'aurais tout donné pour savoir quel était cet élément. Avec quelle anxiété et quelle furie curieuse je suivais de l'ail et de l'oreille les groupes bourdonnants et rieurs de jeunes gens qui, après s'être abattus sur quelques points du cercle, reprenaient leur promenade tout en cau sant et en jetant au passage des oeillades ambiguës. Sur MADEMOISELLE DE MAUPIN. 213 leurs touches dédaigneusement bouffies voltigeaient des ricanements incrédules; ils avaient l'air de se moquer de ce qu'ils venaient de dire, et de rétracter les compliments et les adorations dont ils nous avaient comblées. Je n'en tendais pas leurs paroles ; mais je comprenais, au mouve. ment de leurs lèvres, qu'ils prononçaient des mots d'une langue qui m'était inconnue et dont personne ne s'était servi devant moi. Ceux mêmes qui avaient l'air le plus humble et le plus soumis redressaient la tête avec une nuance très-sensible de révolte et d'ennui : un soupir d'essoufflement, pareil au soupir d’un acteur qui est ar rivé au bout d'un long couplet, s'échappait malgré eux de leur poitrine, et ils faisaient en nous quittant un demi tour sur les talons d'une manière vive et pressée qui dé nonçait une espèce de satisfaction intérieure d'être déli vrés de la rude corvée d'être honnêtes et galants. J'aurais donné un an de mavie pour entendre, sans être vue, une heure de leur conversation . Souvent je compre nais, à de certaines attitudes, à quelques gestes détournés, à à des coups d'oeil lancés obliquement, qu'il était question de moi et que l'on parlait ou de mon âge ou de ma figure. Alors j'étais sur des charbons ardents ; les quelques mots étouffés, les demi-lambeaux de phrase qui m'arrivaient par intervalles irritaient au plus haut point ma curiosité sans pouvoir la satisfaire, et j'entrais en des doutes et des perplexités étranges. Le plus souvent ce qu'on disait avait une apparence favorable, et ce n'était pas ce qui m'inquiétait : je me sou ciais assez peu que l'onmetrouvåtbelle ; mais les menues observations coulées dans le tuyau de l'oreille et presque toujours suivies de longs ricanements et de singuliers clignements d'yeux, - voilà ce que j'aurais voulu savoir ; et, pour une de ces phrases dites tout bas derrière un rideau ou dans l'encoignure d'une porte, j'aurais quitté sans re gret l'entretien le plus fleuri et le plus parfumé du monde. Si j'avais eu un amant, i'aurais beaucoup aimé connai MADEMOISELLE DE MAUPIN. tre la manière dont il eût parlé de moià un autre homme, et en quels termes il se serait vanté de sa bonne fortune à ses camarades d'orgie avec un peu de vin dans la tête et les deux coudes sur la nappe. Je le sais maintenant, et en vérité je suis fâchée de le savoir . - C'est toujours ainsi. Mon idée était folle, mais ce qui est fait est fait, et l'on ne peut désapprendre ce qu'on a appris. Je ne t'ai pas écoutée, ma chère Graciosa, jem'en repens ; mais on n'é coute pas toujours la raison, surtout quand elle sort d'une aussi jolie bouche que la tienne, car je ne sais pourquoi on ne se peut figurer qu'un conseil soit sage, à moins qu'il ne soit donné par quelque vieille tête toute chenue et toute grise, comme si avoir été bête soixante ans pouvait vous rendre spirituel. Mais tout cela me tourmentait trop, et je n'y pouvais tenir, je grillais dans ma petite peau comme une châtai gne sur la poêle . La pomme fatale s'arrondissait dans le feuillage au-dessus de ma tête, et il fallait bien finir par y donner un coup de dent, sauf à la jeter après, si la saveur m'en paraissait amère. J'ai fait comme Eve la blonde, matrès- chère grand mère, - j'ai mordu. La mort de mon oncle, le seul parent qui me restât, me laissant libre de mes actions, j'exécutai ce que je rêvais depuis si longtemps . Mes précautions étaient prises avec le plus grand soin pour que nul ne se doutât de mon sexe : j'avais appris à tirer l'épée et le pistolet ; je mon tais parfaitement à cheval et avec une hardiesse dont peu d'écuyers eussent été capables ; j'étudiai bien la manière de porter le manteau et de faire siffler la cravache, et, en quelques mois, je parvins à faire d'une fille qu'on trouvait assez jolie, un cavalier beaucoup plus joli , et à qui il ne manquait guère que la moustache. — Je réalisai ce que j'avais de bien, et je sortis de la ville, décidée à n'y reve nir qu'avec l'expérience la plus complète. - MADEMOISELLE DE MAUPIN. 215 U > - C'était le seul moyen d'éclaircir mes doutes : avoir des amants ne m'aurait rien appris, ou du moins cela ne In'eût donné que des lueurs incomplètes, et je voulais étu dier l'homme à fond, l'anatomiser fibre par fibre aves un scalpel inexorable et le tenir tout vif et tout palpi tant sur ma table de dissection ; pour cela il fallait le voir seul à seul chez lui, en déshabillé, le suivre à la prome nade, à la taverne et ailleurs. -Avec mon déguisement je pouvais aller partout sans être remarquée ; on ne se cachait pas devant moi, on jetait de côté toute réserve et toute contrainte, je recevais des confidences et j'en fai sais de fausses pour en provoquer de vraies . Hélas ! les femmes n'ont lu que le roman de l'homme et jamais son histoire . C'est une chose effrayante à penser et à laquelle on ne pense pas, combien nous ignorons profondément la vie et la conduite de ceux qui paraissent nous aimer et que nous épouserons. Leur existence réelle nous est aussi parfaite ment inconnue que s'ils étaient des habitants de Saturne ou de quelque autre planète à cent millions de lieues de notre boule sublunaire : on dirait qu'ils sont d'une autre espèce, et il n'y a pas le moindre lien intellectuel entre les deux sexes ; les vertus de l'un font les vices de l'au tre, et ce qui fait admirer l'homme fait honnir la femme. Nous autres, notre vie est claire et se peut pénétrer d'un regard. Il est facile de nous suivre de la maison au pensionnat, du pensionnat àà la maison ; - ce que nous faisons n'est un mystère pour personne ; chacun peut voir nos mauvais dessins à l'estompe, nos bouquets à l'a quarelle composés d'une pensée et d'une rose grosse comme un chou, et galamment noués par la queue avec un ruban de couleur tendre : les pantoufles que nous brodons pour la fête de nos pères ou de nos grands- pères n'ont rien en soi de bien occulte et de bien inquiétant. - Nos sonates et nos romances sont exécutées avec la plus Hésirable froideur. Nous sommes bien et dûment cousues 216 MADEMOISELLE DE MAUPIN. à la jupe de nos mères, et, à neuf ou dix heures au plus, nous rentrons dans nos petits lits tout blancs, au fond de nos cellules proprettes et discrètes, où nous sommes ver tueusementverrouillées et cadenassées jusqu'au lendemain matin . La susceptibilité la plus éveillée et la plus jalouse ne trouverait rien à cela . Le cristal le plus limpide n'a pas la transparence d'une pareille vie . Celui qui nous prend sait ce que nous avons fait à par.. tir de la minute où nous avons été sevrées et même avant, s'il veut pousser ses recherches jusque - là . Notre vie n'est pas une vie, c'est une espèce de végétation comme celle de la mousse et des fleurs ; l'ombre glaciale de la tige maternelle flotte autour de nous, pauvres boutons de roseétouffés qui n'osons pas nous ouvrir. Notre affaire principale, c'est de nous tenir bien droites, bien corsées, bien busquées, l'oeil convenablement baissé, et de sur passer en immobilité et en roideur les mannequins et les poupées à ressorts . Il nous est défendu de prendre la parole, de nous mêler à la conversation autrement que pour répondre oui et non, si l'on nous interrogė. Aussitôt que l'on veut dire quelque chose d'intéressant, l'on nous renvoie étudier notre harpe ou notre clavecin, et nos maitres de musique ont tous soixante ans pour le moins et prennent horrible ment de tabac. Les modèles suspendus dans nos chambres sont d'une anatomie très-vague et très-esquivée. Les dieux de la Grèce, pour se présenter dans un pensionnat de de moiselles, ont soin préalablement d'acheter à la friperie de très -amples carricks et de se faire graver au pointillé, ce qui leur donne l'air de portiers ou de cochers de fiacre, et les rend peu propres à nous enflammer l'imagination. A force de vouloir nous empêcher d'être romanesques, i'on nous rend idiotes . Le temps de notre éducation se passe non pas à nous apprendre quelque chose , mais à nous empêcher d'apprendre quelque chose. HADEMOISELLE DE MAUPIN . 911 Nous sommes réellement prisonnières de corps et d'es prit ; mais un jeune homme, libre de ses actions, qui sort le matin pour ne rentrer que le matin , qui a de l'argent, qui peut en gagner et en disposer comme il lui plait, com ment pourrait- il justifier l'emploi de son temps ? -- quel est l'homme qui voudrait dire à la personne aimée ce qu'il a fait pendant sa journée et pendant sa nuit? - Aucun, même de ceux qui sont réputés les plus purs. J'avais envoyé mon cheval et mes vêtements à une pe · tite métairie que j'ai à quelque distance de la ville . Je m'ha billai , je montai en selle et je partis, non sans un singu lier serrement de cour.- Je ne regrettai rien, je ne laissai rien en arrière , ni parents, ni amis, pas un chien, pas un chat, et cependant j'étais triste, j'avais presque les larmes aux yeux ; cette ferme où je n'avais été que cinq ou six Sois n'avait pour moi rien de particulier et de cher, et ce n'était pas la complaišance que l'on prend à de certains endroits et qui vous attendrit lorsqu'il les faut quitter, mais je meretournai deux ou trois fois pour voir encore de loin monter entre les arbres sa vrille de fumée bleuâtre. C'était là où, avec mes robes et mes jupes, j'avais laissé mon titre de femme; dans la chambre où j'avais fait ma toilette étaient serrées vingt années de ma vie qui ne de vaient plus compter et qui ne meregardaient plus. Sur la porte on eût pu écrire : - Ci-git Madelaine de Maupin ; car en effet je n'étais plus Madelaine de Maupin, mais bien Théodore de Sérannes, - et personne ne devait plus m'appeler de ce doux nom de Madelaine . Le tiroir où étaient renfermées mes robes, désormais inutiles, me parut comme le cercueil de mes blanches il fusions ; - j'étais un homme, ou du moins j'en avais l'apparence : la jeune fille était morte . Quand j'eus totalement perdu de vue la cime des châ taigniers qui entourent la métairie, il me sembla que je n'étais plus moi, mais un autre, et je me souvenais de mes actions anciennes comme des actions d'une personne - 19 918 MADEMOISELLE DE MAUPIN . étrangère auxquelles j'aurais assisté , ou comme du début d’un roman dont je n'aurais pas achevé la lecture . Je me rappelais complaisamment mille petits détails dont l'enfantine naïveté me faisait venir sur les lèvres un sou rire d'indulgence un peu moqueuse quelquefois, comme celui d'un jeune libertin qui écouterait les confidences arcadiques et pastorales d'un écolier de troisième ; et, au moment où je m'en détachais pour toujours, toutes mes puérilités de petite fille et de jeune fille accouraient sur le bord du chemin en me faisant mille signes d'amitié et m'envoyant des baisers du bout de leurs doigts blancs et effilés. Je piquai mon cheval, pour me dérober à ces éner vantes émotions ; les arbres filaient rapidement à droite et à gauche , mais l'essaim folâtre, plus bourdonnant qu'une ruche d'abeilles, se mit à courir dans les allées latérales et à m'appeler : - Madelaine ! - Madelaine ! Je donnai sur le cou de ma bête un grand coup de cra vache qui la fit redoubler de vitesse . Mes cheveux se te naient presque droits derrière ma tête, mon manteau était horizontal, comme si des plis eussent été sculptés dans la pierre, tant ma course était rapide , je regardai une fois en arrière, et je vis, comme un petit nuage blanc bien loin à l'horizon, la poussière que les pieds de mon cheval avaient soulevée . Je m'arrêtai un peu. Dans un buisson d'églantier, sur le bord de la route, je vis remuer quelque chose de blanc, et une petite voix claire et douce comme l'argent me vint frapper l'oreille : - Madelaine, Madelaine, où allez - vous si loin , Made laine ? Je suis votre virginité, ma chère enfant ; c'est pour quoi j'ai une robe blanche,, une couronne blanche et une peau blanche. Mais vous, pourquoi avez- vous des bottes, Madelaine ? Il me semblait que vous aviez le pied fort joli . Des bottes et un haut-de-chausses, et un grand chapeau à plume comme un cavalier qui va à la guerre ! Pourquoi MADEMOISELLE DE MAUPIN. 819 - donc cette longue épée qui bat et meurtrit votre cuisse ? Vous avez un singulier équipage, Madelaine, et je ne sais trop si je dois vous accompagner. - Si tu as peur, ma chère, retourne à la maison , va arroser mes fleurs et soigner mes colombes. Mais en ve rité tu as tort , tu serais plus en sûreté sous ces vêtements de bon drap que sous ta gaze et ton lin . Mes bottes em pêchent qu'on ne voie si j'ai un joli pied ; cette épée, c'est pour me défendre, et la plume qui s'agite à mon cha peau est pour effaroucher tous les rossignols qui me vien draient chanter à l'oreille de fausses chansons d'amour. Je continuai ma route : dans les soupirs du vent je crus reconnaitre la dernière phrase de la sonate que j'avais ap prise pour la fête de mon oncle, et, dans une large rose qui levait sa tête épanouie au -dessus d'un petit mur, le modèle de la grosse rose d'après quoi j'avais fait tant d'a quarelles ; en passant devant une maison , je vis flotter à une fenêtre le fantôme de mes rideaux Tout mon passé semblait se cramponner après moi pour m'empêcher d'aller en avant et d'arriver à un nouvel avenir . J'hésitai deux ou trois fois, et je tournai la tête de mon cheval de l'autre côté. Mais la petite couleuvre bleue de la curiosité me sifflait tout doucement des paroles insidieuses, et me disait : - Marche, marche, Théodore ; l'occasion est bonne pour t'instruire ; si tu n'apprends pas aujourd'hui, tu ne sauras jamais. Et ton noble cæur, tu le donneras donc au hasard, àla première apparence honnête et passionnée ! Les hommes nous cachent des secrets bien extraordi. naires, Théodore ! Je repris le galop . Le haut-de- chausses était bien sur mon corps et non dans mon esprit ; j'éprouvai un certain malaise et comme un frisson de peur, pour nommer la chose par son nom , à un endroit sombre de la forêt ; un coup de fusil tiré par un braconnier manqua ine faire évanouir. Si c'eût été un 220 MADEMOISELLE DE MAUPIN. voleur, les pistolets placés dans mes fontes et ma formi dable épée ne m'eussent pas été à coup sûr d'un grand secours . Mais peu છેà peu je m'aguerris, et je n'y fis plus attention . Le soleil descendait lentement sous l'horizon comme le lustre d'un théâtre qu'on abaisse quand la représentation est finie. Des lapins et des faisans traversaient la route de temps à autre ; les ombres s'allongeaint, et tous les lointains se nuançaient de rougeurs. Certaines portions du ciel étaient d'un lilas très -doux et très -fondu, d'autres tenaient du citron et de l'orange ; les oiseaux de nuit com mençaient à chanter, et il se dégageait du bois une foule de bruits singuliers: le peu de lumière qu'il y avait encore s'éteignit, et l'obscurité devint complète, augmentée qu'elle était par l'ombre portée des arbres. Moi, qui n'étais jamais sortie seule de nuit, me trouver à huit heures du soir dans une grande forêt ! Conçois-tu cela, ma Graciosa, moi qui me mourais déjà de peur au bout du jardin ? L'ef froi me reprit de plus belle , et le cour me battit terrible ment ; ce fut, je t'avoue, avec une grande satisfaction que je vis poindre et scintiller au revers d'un coteau les lu mières de la ville où j'allais . Dès que je vis cès points brillants semblables à de petites étoiles terrestres, ma frayeur se passa complétement. Il me semblait que ces lueurs indifférentes étaient les yeux ouverts d'autant d'amis qui veillaient pour moi, Mon cheval n'était pas moins content que moi, et, hu mant un doux parfum d'écurie plus agréable pour lui que toutes les odeurs des marguerites et des fraises des bois, il courut tout droit à l'hôtel du Lion-Rouge. Une blonde lueur rayonnait à travers le vitrage de plomb de l'auberge, dont l'enseigne de fer -blanc se balançait à droite et à gauche, et geignait comme une vieille femme, car la bise commençait àà fraichir .. -- Je remis mon cheval aux mains d'un palefrenier, et j'entrai dans la cuisine. Une énorme cheminée, ouvrant au fond sa gueule rouge MADEMOISELLE DE MAUPIN. , 221 vain que, pour - et noire, avalait un fagot à chaque bouchée, et de chaque côté des chenets, deux chiens, assis sur leur derrière et presque aussi grands que des hommes, se faisaient cuire avec le plus grand flegme du monde, se contentant de lever un peu leurs pattes et de pousser une espèce de soupir quand la chaleur devenait plus intense; mais, à coup sûr, ils eussent mieux aimé être réduits en charbon que de reculer d’un pas. Mon arrivée ne parut pas leur faire plaisir, et ce fut en faire connaissance avec eux, je leur passai, à plusieurs reprises, la main sur la tête : ils me jetaient des regards en dessous qui ne signifiaient rien de bon . - Cela m'étonna, car les animaux viennent à moi volontiers. L'hôtelier s'approcha pour me demander ce que je voulais à souper . C'était un homme pansu , avec un nez rouge, des yeux vairons et un sourire qui lui faisait le tour de la tête . A chaque mot qu'il disait, il montrait une double rangée de dents pointues et séparées comme celles des ogres. Le grand couteau de cuisine qui pendait à son côté avait un air douteux et semblait pouvoir servir à plusieurs usages. Quand je lui eus dit ce que je désirais, il alla à un des chiens, et lui donna un coup de pied quelque part. Le chien se leva, et se dirigea vers une espèce de roue où il entra avec un air piteux et rechigné, et en me lançant un regard de reproche. Enfin, voyant qu'il n'y avait pas de grâce à espérer, il se mit à faire tourner sa roue, et par contre- coup la broche où était enfilé le poulet dont je de vais souper. Je me promis de lui en jeter les reliefs pour le payer de sa peine, et je me mis à considérer la cuisine en attendant qu'il fut prêt. De larges solives de chêne rayaient le plafond, toutes bistrées et noircies par la fumée du foyer et des chan delles. Sur les dressoirs brillaient dans l'ombre des plats d'étain plus clairs que l'argent et des poteries de faïence blanche à bouquets bleus. Au long des murs, de nom 19 . 222 MADEMOISELLE DE MAUPIN breuses files de casseroles bien récurées ne ressemblaient pas mal aux boucliers antiques que l'on voit suspendus en rang au long des trirèmes grecques ou romaines (pardonne moi, Graciosa, la magnificence épique de cette compa raison) . Une ou deux grosses servantes s'agitaient autour d'une grande table , et remuaient de la vaisselle et desfour chettes, plus agréable musique que toute autre quand on a faim , car l'ouïe du ventre devient alors plus fine que celle de l'oreille . Somme toute, en dépit de la bouche de lire lire et des dents de scie de l'hôtelier, l'auberge avait une mine assez honnête et réjouissante ; et le sourire de l'hô telier eût-il eu une toise de plus, et ses dents eussent-elles été trois fois plus longues et plus blanches, la pluie com mençait à tinter sur les carreaux, et le vent à hurler de façon à vous ôter l'envie de vous en aller, car je ne sais rien qui soit plus lugubre que ces gémissements par une nuit obscure et pluvieuse . Une idée me vint qui me fit sourire, c'est que personne au monde ne serait venu me chercher où j'étais . En effet, qui eût pensé que la petite Madelaine, au lieu d'être couchée dans son lit bien chaud, avec sa veilleuse d'al bâtre à côté d'elle, un roman sous son oreiller, sa femme de chambre dans le cabinet voisin , prête à accourir à ia moindre terreur nocturne, se balançait sur une chaise de paille, dans une auberge de campagne, છેà vingt lieues de sa maison, ses pieds bottés posés sur les chenets, et ses petites mains crânement enfoncées dans ses goussets ? Oui, Madelinette n'est pas restée , comme ses compa gnes, le coude paresseusement appuyé au rebord du bal con , entre le volubilis et les jasmins de la fenêtre, à sui vre, au bout de la plaine, les franges violettes de l'horizon , ou quelque petit nuage couleur de rose, arrondi par la brise de mai. Elle n'a pas tapissé, avec la feuille des lis, des polais de nacre de perle pour y loger ses chimères ; elle n'a pas, comme vous, les belles rêveuses, habillé quel que fantôme creux de toutes les perfections imaginables ; MADEMOISELLE DE MAUPIN . 223 > elle a voulu connaître les hommes avant de se donner à un homme ; elle a tout quitté, ses belles robes de velours et de soie aux couleurs éclatantes, ses colliers, ses bra celets, ses oiseaux et ses fleurs ; elle a renoncé volontaire ment aux adorations, aux galanteries prosternées, aux bou quets et aux madriganx, au plaisir d'être trouvée plus belle et mieux parée que vous, à son doux nom de femnte , à tout ce qui fut elle, et elle s'en est allée , la courageuse fille, toute seule, apprendre à travers le monde la grande science de la vie . Si l'on savait cela, l'on dirait que Madelaine est folle. Tu l'as dit toi-même,ma chère Graciosa ; -mais les vé ritables folles sont celles qui jettent leur âme au vent, et sément leur amour au hasard sur la pierre et le rocher, sans savoir si un seul épi germera . O Graciosa ! c'est une pensée que je n'ai jamais eue sans terreur : avoir aimé quelqu'un qui n'en était pas digne! avoir montré son âme toute nue à des yeux impurs, et laissé pénétrer un profane dansle sanctuaire de son cour! avoir roulé quelque temps ses flots limpides avec une onde bourbeuse ! — Si parfaitement que l'on se soit séparé, il reste toujours quelque chose de ce limon , et le ruisseau ne peut reprendre sa transparence première. Penser qu'un homme vous a embrassée et touchée ; qu'il a vu votre corps ; qu'il peut dire : Elle est comme ceci ou comme cela ; elle a tel signe à tel endroit ; elle a telle nuance dans l'âme ; elle rit pour cette chose, et pleure pour celle -ci ; son rêve est ainsi fait ; voici dans mon portefeuille une plume des ailes de sa chimère ; cette bague est tressée avec ses cheveux ; un morceau de son ceur est plié dans cette lettre ; elle me caressait de cette " façon, et voici son mot de tendresse habituel ! Ah ! Cléopâtre, je comprends maintenant pourquoi tu faisais tuer, le matin , l'amant avec qui tu avais passé la nuit. — Sublime cruauté, pour qui, autrefois, je n'avais pas assez d'imprécations ! Grande voluptueuse, comme tu 924 MADEMOISELLE DE MAUPIN. - connaissais la nature humaine, et qu'il y a de profondeur dans cette barbarie ! Tu ne voulais pas que nul vivant pût divulguer les mystères de ta couche ; ces mots d'amour, envolés de tes lèvres, ne devaient pas être répétés. - Tu gardais ainsi ta pure illusion . L'expérience ne venait pas dépouiller pièce à pièce ce fantôme charmant que tu avais bercé entre tes bras. Tu aimais mieux être séparée de lui par un brusque coup de hache que par un lent dégoût. - Quel supplice, en effet, de voir l'homme que l'on avait choisi mentir à chaque minute à l'idée qu'on s'était faite de lui; de découvrir dans son caractère mille petitesses qu'on n'y soupçonnait pas ; de s'apercevoir que ce qui vous avait paru si beau à travers le prisme de l'amour est réellement fort laid, et que ce qu'on avait pris pour un vrai héros de roman n'est, au bout du compte, qu'un bourgeois prosaique qui met des pantoufles et une robe de chambre ! Je n'ai pas le pouvoir de Cléopâtre, et, si je le possédais, je n'aurais pas assurément la force de m'en servir . Aussi, ne pouvant ni ne voulant faire couper la tête à mes amants au sortir de mon lit, et n'étant pas non plus d'humeur à supporter ce que les autres femmes supportent, il faut que j'y regarde à deux fois avant d'en prendre un ; c'est ce que je ferai plutôt trois fois que deux, si l'envie m’en prend, ce dont je doute fort, après ce que j'ai vu et en tendu ; à moins cependant que je ne rencontre dans quelque bienheureuse contrée inconnue un coeur pareil au mien, comme disent les romans, un caur vierge et pur qui n'eût jamais aimé et qui en lût capable, dans le vrai sens du mot ; ce qui n'est pas, àà beaucoup près, une chose facile. Plusieurs cavaliers entrèrent dans l'auberge ; l'orage et la nuit les avaient empêchés de continuer leur route . Ils étaient tous jeunes, et le plus âgé n'avait assurément pas plus de trente ans : leurs vêtements annonçaient qu'ils appartenaient à la classe supérieure, et, à défaut de leurs vêtements, la facilité insolente de leurs manières l'eut fait MADEMOISELLE DE MAUPIN . 295 assez comprendre. Il y en avait un ou deux qui avaient des figures intéressantes ; les autres avaient tous, à un degré plus ou moins fort, cette espèce de jovialité brutale et d'insouciante bonhomie que les hommes ont entre eux, et dont ils se dépouillent complétement lorsqu'ils sont en notre présence. S'ils avaient pu se douter que ce jeune homme frêle et à moitié endormi sur sa chaise, à l'angle de la cheminée, n'était rien moins que ce qu'il paraissait être, mais bien une jeune fille , un morceau de roi, comme ils disent, certes ils eussent bien vite changé de ton, vous les auriez vus aussitôt se rengorger et faire la roue. Ils se seraient approchés avec force révérences, les jambes cambrées, les coudes en dehors, le sourire dans les yeux, dans la bou che, dans le nez, dans les cheveux , dans toute l'habitude de leur corps ; ils auraient désossé les mots dont ils se se raient servis, et n'auraient parlé qu'avec des phrases de velours et de satin ; au moindre de mes mouvements, ils auraient eu l'air de s'étendre sur le plancher en manière de tapis, de peur que la délicatesse de mes pieds ne fût offensée par ses inégalités ; toutes les mains se fussent avancées pour me soutenir ; le siége le plus moelleux eût été disposé à la meilleure place ; - mais j'avais l'air d'un joli garçon , et non d'une jolie fille . J'avoue que je fus presque sur le point de regretter męs jupes, en voyant le peu d'attention qu'ils faisaient à moi. - J'en fus une minute toute mortifiée ; car, de temps en temps, il m'arrivait de ne plus songer que j'avais des habits d'homme, et j'eus besoin d'y penser pour ne pag prendre de mauvaise humeur. J'étais là, ne disant mot, les bras croisés et regardant avec un air en apparence fort attentif le poulet qui se nuançait de teintes de plus en plus vermeilles, et le mal heureux chien que j'avais si malencontreusement dé rangé, et qui se démenait dans sa roue comme plusieurs diables dans le même bénitier . - 226 MADEMOISELLE DE MAUPIN . . Le plus jeune de la troupe me vint frapper sur l'épaule un coup qui, ma foi, me fit beaucoup de mal, et m'arra cha un petit cri involontaire, et il me demanda si je n'ai merais pas mieux souper avec eux que tout seul, attendu qu’on qu'on buvait mieux étant plusieurs . -Je lui répondis que c'était un plaisir que je n'aurais pas osé espérer, et que je le ferais très- volontiers . On mit notre couvert ensemble, et nous prîmes place à la table . Le chien, tout haletant, après avoir happé en trois tours de langue une énorme écuellée d'eau; reprit son poste vis - à -vis de l'autre chien qui n'avait pas bougé non plus que s'il eût été de porcrlaine, les nouveaux venus n'ayant pas demandé de poulet par une gråce du ciel toute spé ciale . J'appris, par quelques phrases qui leur échappèrent, qu'ils se rendaient à la cour, qui était alors à ***, et où ils devaient rejoindre d'autres de leurs amis. Je leur dis que j'étais un jeune fils de famille qui sortait de l'université, et qui se rendait chez des parents qu'il avait en province par le vrai chemin des écoliers, c'est-à-dire par le plus long qu'il pût trouver . Cela les fit rire, et, après quelques propos sur mon air innocent et candide, iis me demande rent si j'avais une maitresse . Je leur répondis que je n'en savais rien, et eux de rire encore plus. Les flacons se suc cédaient avec rapidité ; quoique j'eusse soin de laisser mon verre presque toujours plein , j'avais la tête un peu échauffée , et, ne perdant pas de vue mon idée, je fis en sorte que la conversation tournât sur les femmes. Cela ne me fut pas difficile ;; car c'est, après la théologie et l'es thétique, la chose dont les hommes parlent le plus volon tiers quand ils sont ivres. Les compagnons n'étaient pas précisément ivres, ils portaient trop bien leur vin pour cela ; mais ils commen çaient à entrer dans des discussions morales à perte de vue et à mettre sans façon leurs coudes sur la table . L'un d'eux même avait passé son bras utour de la taille épaisse 1> MADEMOISELLE DE MAUPIN . १११ d'une des servantes, et dodelinait sa tête fort amoureuse ment : un autre jura qu'il crèverait sur l'heure comme un crapaud à qui l'on fait prendre du tabac , si Jeannette ne lui laissait pas prendre un baiser sur chacune des grosses pommes rouges qui lui servaient de joues. Et Jeannette, ne voulant pas qu'il crevât comme un crapaud, les lui octroya de très-bonne grâce, et n'arrêta pas même une main qui s'insinuait audacieusement entre les plis de son fichu, dans la moite vallée de sa gorge très-mal gardée par une petite croix d'or, et ce ne fut qu'après un court pourparler à voix basse qu'il la laissa libre d'enlever le plat. C C'étaient pourtant des gens de la cour et de mours élé gantes, et assurément, à moins de l'avoir vu, je n'aurais jamais pensé à les accuser de pareilles familiarités avec des servantes d'auberge. - Il est probable qu'ils venaient de quitter des maîtresses charmantes, à qui ils avaient fait les plus beaux serments du monde : en vérité, je n'aurais jamais songé à recommander à mon amant de ne pas salir, au long des joues de Maritorne, des lèvres où j'au rais posé les miennes. Le drôle parut prendre un grand plaisir à ce baiser ni plus ni moins que s'il eût embrassé Philis ou Oriane : c'était un gros baiser solidement et franchement appliqué, qui laissa deux petites marques blanches sur la joué en feu de la donzelle, et dont elle essuya la trace avec le re vers de sa main qui venait de laver la vaisselle . crois pas qu'il en eùt jamais donné d'aussi naturellement tendre à la pure déité de son cæur. Ce fut apparem ment sa pensée, car il dit à demi-voix et avec un mouvę. ment de coude tout à fait dédaigneux : - Au diable les femmes maigres et les grands senti ments ! Cette morale parut du goût de l'assemblée, et tous hochèrent la tête en signe d'assentiment. Ma foi, dit l'autre en continuant son idée, j'ai du - Je ne 228 MADEMOISELLE DE MAUPIN. - malheur en tout. Messieurs, il faut que je vous confie sous le sceau du plus grand secret que moi qui vous parle, j'ai en ce moment- ci une passion . Oh ! oh ! firent les autres. Une passion ! cela est du dernier lugubre . Et que fais - tu d'une passion ? - C'est une femme honnête, messieurs; il ne faut pas rire, messieurs ; car enfin pourquoi n'aurais -je pas une femme honnête ? Est-ce que j'ai dit quelque chose de ridi cule ? ... Tiens, toi là-bas, je vais te jeter la maison à la tête, si tu ne finis pas . Eh bien ! après ? Elle est folle de moi : c'est bien la plus belle âme du monde; en fait d'âmes, je m'y connais, je m'y connais aussi bien qu'en chevaux pour le moins, et je vous ga rantis que celle-là est une âme première qualité . Ce sont des élévations, des extases, des dévoûments, des sacri fices, des raffinements de tendresse, tout ce que l'on peut imaginer de plus transcendant; mais elle n'a presque pas de gorge, elle n'en a même pas du tout, comme une petite fille de quinze ans au plus. - Elle est assez jolie du reste ; sa main est fine, et son pied petit ; elle a trop d'esprit, et pas assez de chair, et il me prend des envies de la planter là . Que diable ! on ne couche pas avec les esprits . Je suis bien malheureux ; plaignez-moi, mes chers amis . Et, Ettendri par le vin qu'il avait bu, il se mit à pleurer à chaudes larmes . Jeannette te consolera du malheur de coucher avec des sylphides, lui dit son voisin en lui versant une rasade ; son âme est tellement épaisse, qu'on en pourrait bien faire des corps pour les autres, et elle a assez de chair pour ha biller la carcasse de trois éléphants. O pure et noble femme! si tu savais ce que ditde toi, dans un cabaret, à tout hasard, devant des personnes qu'il ne connait pas, l'homme que tu aimes le mieux au monde, et à qui tu as tout sacrifié ! comme il te déshabille sans pu deur, et te livre effrontément toute nue aux regards avinés a - MADEMOISELLE DE MAUPIN . ' 239 1 de ses camarades, pendant que tu es là , triste, le menton dans la main, l'ail tourné vers le chemin par où il doit revenir! Si quelqu'un était venu te dire que ton amant, vingt quatre heures peut- être après t'avoir quittée, courtisait une ignoble servante et qu'il s'était arrangé pour passer la nuit avec elle, tu aurais soutenu que cela n'était pas possible, et tu n'aurais pas voulu le croire

à peine aurais- tu ajouté foi à tes yeux et à tes oreilles : cela était pourtant . La conversation dura encore quelque temps , la plus folle et la plus dévergondée du monde; mais, à travers toutes les exagérations bouffonnes, les plaisanteries souvent ordurières, perçait un sentiment vrai et profond de parfait mépris pour la femme, et j'en appris plus dans cettesoirée qu'en lisant vingt charretées de moralistes. Les choses énormes et inouïes que j'entendais don naient à ma figure une teinte de tristesse et de sévérité dont le reste des convives s'aperçut et dont on me fit obli geamment la guerre ; mais ma gaieté ne put revenir. - J'avais bien soupçonné que les hommes n'étaient pas tels qu'ils apparaissaient devant nous , mais je ne les croyais pas encore aussi différents de leurs masques, et ma surprise égalait mon dégoût . Je ne voudrais , pour corriger à tout jamais une jeune fille romanesque, qu'une demi-heure d'une pareille con versation

cela lui vaudrait mieux que toutes les re

montrances maternelles . Les uns se vantaient d'avoir autant de femmes qu'il leur plaisait, et que pour cela ils n'avaient qu'un mot à dire ; les autres se communiquaient des recettes pour se procurer des maîtresses ou dissertaient sur la tactique à suivre dans lc siége d'une vertu ; quelques-uns tournaient en ridicule les femmes dont ils étaient les amants, et se proclamaient les plus francs imbéciles de la terre de s'être ainsi aco quinés auprès de semblables guenipes. — Tous faisaient très -bon marché de l'amour . - 30 MADEMOISELLÉ DÉ MAUPIN . Voilà donc la pensée qu'ils nous cachent sous tant de beaux semblants ! Qui le dirait jamais à les voir si hum bles , si rampants, si prêts à tout ? — Ah ! qu'après la vic toire ils relèvent la tête hardiment et mettent insolemment le talon de leurs bottes sur le front qu'ils adoraient de loin et à genoux ! comme ils se vengent de leur abaissement passager ! comme ils font chèrement payer leurs politesses ! et par combien d'injures ils se reposent des madrigaux qu'ils ont faits ! Quelle brutalité forcenée de langage et de pensée ! quelle inélégance de manières et de tenue ! - C'est un changement complet et qui n'est certes pas à leur avan tage . Si loin qu'eussent été mes prévisions, elles étaient bien au-dessous de la réalité . Idéal, fleur bleue au cæur d'or, qui t'épanouis tout em perlée de rosée sous le ciel du printemps, au souffle par fumé molles rêveries, et dont les racines fibreuses, mille fois plus déliées que les tresses de soie des fées, plon gent au profond de notre âme avec leurs mille têtes che velues pour en boire la plus pure substance ; fleursi douce et si amère, on ne te peut arracher sans faire saigner le cour à tous ses recoins, et de la tige brisée suintent des gouttes rouges, qui, tombant une à une dans le lac de nos larmes, nous servent à mesurer les heures boiteuses de notre veille mortuaire près du lit de l'Amour agonisant. Ah ! fleur maudite, comme tu avais poussé dans mon âme ! tes rameaux s'y étaient plus multipliés que les orties dans une ruine . Les jeunes rossignols venaient boire à ton calice et chanter sous ton ombre ; des papillons de dia mant, avec des ailes d'émeraude et des yeux de rubis, vol tigeaient et dansaient autour de tes frêles pistils couverts de poudre d'or; des essaims de blondes abeilles suçaient sans défiance ton miel empoisonné ; les chimères re ployaient leurs ailes de cygne et croisaient leurs grilles de lion sous leur belle gorge, pour se reposer auprès de toi. L'arbre desHespéridesn'était pas mieux gardé ; les sylphides recueillaient les larmes des étoiles dans les urnesdes lis, MADEMOISELLE DE MAUPIN . 931 et l'arrosaient chaque nuit avec leurs magiques arro soirs . –Plante de l'idéal, plus vénéneuse que le mance nillier ou l'arbre upas, qu'il m'en coûte, malgré tes fleurs trompeuses et le poison que l'on respire avec ton parfum , pour te déraciner de mon âme ! Ni le cèdre du Liban, ni le baobab gigantesquie, ni le palmier haut de cent coudées, n'y pourraient remplir ensemble la place que tu y occu pais toute seule, petite fleur bleue au cour d'or ! Le souper se termina enfin, et il fut question de s’aller coucher ; mais, comme le nombre des coucheurs était double de celui des lits , il s'ensuivit naturellement qu'il fallait se coucher les uns après les autres ou coucher deux ensemble. La chose était fort simple pour le reste de la compagnie, mais elle ne l'était pas àà beaucoup près autant pour moi, - eu égard à certaines protubérances que la soubreveste et le pourpoint dissiinulaient assez convena blement, mais qu'une simple chemise eût laissé voir dans toute leur damnable rondeur ; et certes je n'étais guère disposée à trahir mon incognito en faveur d'aucun de ces messieurs, qui en ce moment- là me paraissaient de vrais at naïfs monstres, et que depuis j'ai reconnus pour de fort ons diables, et valant au moins autant que tous ceux de eur espèce . Celui dont je devais partager le lit était raisonnablernent ivre . Il se jeta sur les matelas une jambe et un bras pen dants à terre , et s'endormit sur- le -champ, non pas du sommeil des justes, mais d'un sommeil si profond, que l'ange du jugement dernier s'en fût venu lui souffier à l'oreille avec son clairon qu'il ne se serait pas éveillé pour cela. — Ce sommeil simplifiait de beaucoup la difficulté ; je n'otai que mon pourpoint et mes bottes, j'enjambai le corps du dormeur, et je m'étendis sur les draps du côté de la ruelle. J'étais donc couchée avec un homme ! Cela n'était pas mal débuter ! - J'avoue que, malgré toute mon assurance , j'étais singulièrement émue et troublée . La situation était 239 MADEMOISELLE DE MAUPIN . si étrange, si nouvelle, que je pouvais à peine admettre que ce ne fût pas un rêve. - L'autre dormait deson mieux, moi je ne pus fermer l'ail de la nuit. C'était un jeune homme de vingt- quatre ans à peu près, d'une assez belle figure, les cils noirs et la moustache presque blonde ; ses longs cheveux roulaient autour de sa tête comme des flots de l'urne renversée d'un fleuve, une légère rougeur passait sous ses joues pâles comme un nuage sous l'eau , ses lèvres étaient à demi entr'ouvertes et souriaient d'un sourire, vague et languissant. Je me soulevai sur mon coude, et je restai longtemps à le regarder à la vacillante lueur d'une chandelle dont presque tout le suif avait coulé par larges nappes, et dont la mèche était toute chargée de noirs champignons. Un intervalle assez grand nous séparait . Il occupait un bord extrême du lit ; moi, je m'étais jetée, par surcroît de précaution, tout à fait à l'autre bord . Assurément ce que j'avais entendu n'était pas de nature à me prédisposer à la tendresse et à la volupté : -- j'avais les hommes en horreur.. - Cependant j'étais plus inquiète et plus agitée que je n'aurais dû l’être : mon corps ne partageait pas la répugnance de mon esprit autant qu'il l'aurait fallu . — Mon coeur battait fort, j'avais chaud, et, de quelque côté que je metournasse , je ne pouvais trouver - le repos. . Le silence le plus profond régnait dans l'auberge ; on entendait seulement de loin en loin le bruit sourd que faisait le pied de quelque cheval en frappant le pavé de l'écurie, ou le sond'une goutte d'eau qui tombait sur la cendre par le tuyau de la cheminée . La chandelle, arrivée au bout de la mèche, s'éteignit en fumant. Les ténèbres les plus épaisses s'abaissèrent entre nous deux comme des rideaux . Tu ne peux t'imaginer l'effet que fit sur moi la disparition subite de la lumière . Il me sembla que tout était fini, et que je ne devais plus y voir clair de ma vie. J'eus envie un instant de me MADEMOISELLE DE MAUPIN. 333 - lever ; mais qu'aurais-je fait ? il n'était que deux heures du matin, toutes les lumières étaient éteintes, et je ne pou vais errer comme un fantôme dans une maison inconnue. Force me fut de rester en place et d'attendre le jour. J'étais là, sur le dos, les deux mains croisées, tâchant de penser à quelque chose et retombant toujours sur ceci , à savoir : que j'étais couchée avec un homme. J'allais jus qu'à désirer qu'il s'éveillât et s'aperçut que j'étais une femme.. - Sans doute, le vin que j'avais bu, quoique en petite quantité, était pour quelque chose dans cette idée extravagante, mais je ne pouvais m'empêcher d'y revenir. Je fus sur le point d'allonger la main de son côté, de l'éveiller et de lui dire ce que j'étais . — Un pli de la cou verture qui m'arrêta le bras fut la cause qui m'empêcha de pousser la chose jusqu'au bout : cela me donna le temps de la réflexion ; et, pendant que je dégageais mon bras, le sens que j'avais totalement perdu me revint, sinon entièrement, du moins assez pour me contenir. N'eût -il pas été fort curieux qu'une belle dédaigneuse comme je l'étais, que moi, qui aurais voulu connaître dix ans de la vie d'un homme avant de lui donner ma main à baiser, je me fusse livrée, dans une auberge, sur un gra bat, au premier venu ! et, ma foi, cela n'a pas tenu à grand chose . Une effervescence subite, un bouillon de sang peut-il à ce point mater les résolutions les plus superbes ? et la voix du corps parle-t-elle plus haut que la voix de l'esprit? Toutes les fois que mon orgueil envoie trop de bouffées vers le ciel, pour le ramener à terre, je lui mets le souve nir de cette nuit devant les yeux . Je commence à être de l'avis des hommes : quelle pauvre chose que la vertu des femmes ! et de quoi dépend- elle, mon Dieu ! Ah ! c'est en vain que l'on veut déployer des ailes, trop de limon les charge ; le corps est une ancre qui retient l'âme à la terre : elle a beau ouvrir ses voiles au vent des plus hautes idées, le vaisseau reste immobile, comme si 2 234 MADEMOISELLÉ DE MAUPIN . . tous les rémoras de l'Océan se fussent suspendus àà sa quille. La nature se plait à nous faire de ces sarcasmes-là . Quand elle voit une pensée debout sur son orgueil comme sur une haute colonne toucher presque le ciel de la tête , elle dit tout bas à la liqueur rouge de hâter le pas et de se presser àà la porte des artères ; elle commande auxtempes de siffler, aux oreilles de tinter et voilà que le vertige prend à l'idée altière : toutes les images se confondent et se brouillent, la terre semble onduler comme le pont d'une barque dans la teinpête, le ciel tourne en rond et les étoiles dansent la sarabande ; ces lèvres, qui ne débitaient que maximes austères, se plissent et s'avancent comme pour des baisers ; ces bras, si fermes à repousser, s'amol lissent et se font plus souples et plus enlaçants que des écharpes . Ajoutez à cela le contact d'un épiderme, le souffle d'une haleine à travers vos cheveux, et tout est perdu. Souvent même il ne faut pas une odeur de feuillage qui vous arrive des champs par votre fenêtre entr'ouverte, la vue de deux oiseaux qui sé becquettent, une marguerite qui s'épanouit, une ancienne chanson d'amour qui vous revient malgré vous et que vous répétez sans en comprendre le sens, un vent tiède qui vous trouble et vous enivre, la mollesse de votre lit ou de votre divan, il suffit d'une de ces circonstances ; la solitude même de votre chambre vous fait penser que l'on y serait bien deux et que l'on ne saurait trouver un nid plus charmant pour une couvée de plaisirs. Ces rideaux tirés, ce demi- jour, ce silence , tout vous ramène à l'idée fatale qui vous effleure de ses perfides ailes de colombe, et qui roucoule tout dou cement autour de vous. Les tissus qui vous touchent sem blent vous caresser et collent amoureusement leurs plis au long de votre corps. Alors la jeune fille ouvre ses bras an premier laquais avec qui elle se trouve seule ; le phi losophe laisse sa page inachevée, et, la tête dans son manteau , court en toute hâte chez la plus voisine cour tisane . tant : MADEMOISELLE DE MAUPIN. 935 - Je n'aimais certainement pas l'homme qui me causait des agitations si étranges . -Il n'avait d'autre charme que de ne pas être une femme, et, dans l'état où je me trou vais, c'était assez ! Un homme ! cette chuse si mystérieuse qu'on nous dérobe avec tant de soin, cet animal étrange dont nous savons si peu l'histoire, ce démon ou ce dieu qui peut seul réaliser tous les rêves de volupté indécise dont le printemps berce notre sommeil, la seule pensée que l'on ait depuis l'âge de quinze ans ! Un homme ! L'idée confuse du plaisir flottait dans ma tête alourdie . Le peu que j'en savais allumait encore mon désir . Une ardente curiosité me poussait d'éclaircir une bonne fois les doutes qui m'embarrassaient et se re présentaient sans cesse à mon esprit. La solution du pro blème était derrière la page : il n'y avait qu'à la tourner, le livre était à côté de moi. Un chevalier assez beau, un lit assez étroit, une nuit assez noire ! une jeune fille avec quelques verres de vin de Champagne dans le cer veau ! — quel assemblage suspect ! – Eh bien ! de tout cela il n'est résulté qu’un très-honnête néant. Sur le mur où je tenais les yeux fixés, à la faveur d'une obscurité moins épaisse, je commençais à distinguer la place de la croisée ; les carreaux devenaient moins opa ques, et la lueur grise du matin , qui glissait derrière, leur rendait la transparence ; le ciel s'éclaira peu à peu : il était -jour. - Tu ne peux t'imaginer quel plaisir me fit ce påle rayon sur la tenture verte de serge d'Aumale qui entourait le glorieux champ de bataille où ma vertu avait triomphé de mes désirs ! Il me sembla que c'était ma couronne de victoire . Quant au compagnon, il était tout à fait tombé par terre. Je me levai, je merajustai au plus vite et je courus à la fenêtre ; je l'ouvris, la brise matinale me fit du bien . Pour me peigner je me mis devant le miroir, et je fus étonnée de la påleur de ma figure que je croyais pourpre. Les autres entrèrent pour voir si nous étions encore en 936 MADEMOISELLE DE - MAUPIN. . dormis, et poussèrent du pied leur ami qui ne parut pas ' très-surpris de se trouver où il était. On sella les chevaux, et nous nous remîmes en route . Mais en voici assez pour aujourd'hui : ma plume ne marque plus, et je n'ai pas envie de la tailler ; je te dirai une autre fois le reste de mes aventures ; en atten dant, aime- moi comme je t'aime, Graciosa, la bien nom mée, et, d'après ce que je viens de te conter, ne va pas avoir une trop mauvaise opinion de ma vertu . > XI Beaucoup de choses sont ennuyeuses : il est ennuyeux de rendre l'argent qu'on avait emprunté, et qu'on s'était accoutumé à regarder comme à soi; il est ennuyeux de caresser aujourd'hui la femme qu'on aimait hier ; il est en nuyeux d'aller dans une maison à l'heure du dîner, et de trouver que les maitres sont partis pour la campagne de puis un mois ; il est ennuyeux de faire un roman, et plus ennuyeux de le lire ; il est ennuyeux d'avoir un bouton sur le nez et les lèvres gercées le jour où l'on va rendre visite à l'idole de son cour ; il est ennuyeux d'être chaussé de bottes facétieuses, souriant au pavé par toutes leurs cou tures, et surtout de loger le vide derrière les toiles d'arai gnée de son gousset ; il est ennuyeux d'être portier ; il est ennuyeux d'être empereur ; il est ennuyeux l'être soi, et même d'être un autre ; il est ennuyeux d'aller à pied parce que l'on se fait mal à ses cors, à cheval parce que I'on s'écorche l'antithèse du devant, en voiture parce qu'un gros homme se fait immanquablement un oreiller de votre épaule, sur le paquebot parce que l'oni a le mal de mer et qu'on se vomit tout entier ; il est ennuyeux d'être en hiver parce que l'on grelotte, et en été parce qu'on sue ;; mais ce qu'il y a de plus ennuyeux sur terre, en enfer et au ciel, c'est assurément une tragédie, à moins que ce ne soit un drame ou une comédie . a MADEMOISELLE DE MAUPIN . 237 Cela me fait réellement mal au cæur. - Qu'y a-t-il de plus niais et de plus stupide ? Ces gros tyrans à voix de taureau, qui arpentent le théâtre d'une coulisse à l'autre, en faisant aller comme des ailes de moulin leurs brasvelus , emprisonnés dans des bas couleur de chair, ne sont-ils pas de piètres contrefaçons de Barbe - Bleue ou de Croquemi taine ? Leurs rodomontades feraient pouffer de rire qui conque se pourrait tenir éveillé. Les amantes infortunées ne sont pas moins ridicules . C'est quelque chose de divertissant que de les voir s'a vancer, vêtues de noir ou de blanc, avec des cheveux qui pleurent sur leurs épaules, des manches qui pleurent sur leurs mains, et le corps prêt à saillir de leur corset comme un noyau qu'on presse entre les doigts ; ayant l'air de trainer le plancher à la semelle de leurs souliers de satin , et, dans les grands mouvements de passion, repoussant leur queue en arrière avec un petit coup de talon . - Le dialogue, exclusivement composé de oh ! et de ah ! qu'elles gloussent en faisant la roue, est vraiment une agréable påture et de facile digestion . - Leurs princes sont aussi fort charmants; ils sont seulement un peu ténébreux et mélancoliques, ce qui ne les empêche pas d'être les meil leurs compagnons qui soient au monde et ailleurs . Quant à la comédie qui doit corriger les mœurs, et qui s'acquitte heureusement assez mal de son devoir, je trouve que les sermons des pères et les rabâcheries des oncles sont aussi assommants sur le théâtre que dans la réalité . — Je ne suis pas d'avis que l'on double le nombre des sots en les représentant; il y en a déjà bien assez comme cela, Dieu merci, et la race n'est pas près de finir. — Où est la nécessité que l'on fasse le portrait de quelqu'un qui a un groin de porc ou un mufie de beuf, et qu’on recueille les billevesées d’un manant que l'on jetterait par la fenêtre s'il venait chez vous ? L'image d'un cuistre est aussi peu intéressante que ce cuistre lui-même et, pour être vu au miroir, ce n'en est pas moins un cuistre. – Un acteur qui - 238 MADEMOISELLE DE MAUPIN . parviendrait à imiter parfaitement les poses et les ma nières des savetiers ne m'amuserait pas beaucoup plus qu’un savetier réel . Mais il est un théâtre que j'aime, c'est le théâtre fantas tique, extravagant, impossible, où l'honnête public siffle rait impitoyablement dès la première scène, faute d'y comprendre un mot. C'est un singulier théâtre que celui-là . - Des vers lui sants y tiennent lieu de quinquets ; un scarabée, battant la mesure avec ses antennes, est placé au pupitre . Le grillon y fait sa partie ; le rossignol est première flûte ; de petits sylphes, sortis de la fleur de pois, tiennent des basses d'é corce de citron entre leurs jolies jambes plus blanches que l'ivoire, et font aller à grand renfort de bras des archets faits avec un cil de Titania sur des cordes de fil d'arai gnée ; la petite perruque à trois marteaux dont est coiffé le scarabée, chef d'orchestre, frissonne de plaisir , et répand autour d'elle une poussière lumineuse, tant l'harmonie est douce et l'ouverture bien exécutée ! Un rideau d'ailes de papillon, plus mince que la pelli cule intérieure d'un ouf , se lève lentement après les trois coups de rigueur. La salle est pleine d'âmes de poëtes as sises dans des stalles de nacre de perle, et qui regardent le spectacle à travers des gouttes de rosée montées sur le pistil d'or des lis . — Ce sont leurs lorgnettes. Les décorations ne ressemblent à aucune décoration connue ; le pays qu'elles représentent'est plus ignoré que l'Amérique avant sa découverte. - La palette du peintre le plus riche n'a pas la moitié des tons dont elles sont dia prées : tout y est peint de couleurs bizarres et singulières : la cendre verte, la cendre bleue, l'outremer , les laques jaunes et rouges, y sont prodigués. Le ciel, d'un bleu verdissant, est zébré de larges bandes blondes et fauves ; de petits arbres fluets et grêles baian cent sur le second plan leur feuillage clair-semé, couleur de rose sèche ; les lointains , au lieu de se noyer dans leur MADEMOISELLE DE MAUPIN. 239 - - و 3 vapeur azurée, sont du plus beau vert- pomme, et il s'en échappe çà et là des spirales de fumée dorée. - Un rayon égaré se suspend au fronton d'un temple ruiné ou à la flèche d'une tour. — Des villes, pleines de clochetons, de pyramides, de dômes, d'arcades et de rampes, sont as sises sur les collines et se réfléchissent dans des lacs de cristal ; de grands arbres aux larges feuilles, profondé ment découpées par les ciseaux des fées, enlacent inextri cablement leurs troncs et leurs branches pour faire les coulisses. Les nuages du ciel s’amassent sur leurs têtes comme des flocons de neige, et l'on voit scintiller dans leurs interstices les yeux des nains et des gnomes , leurs racines tortueuses se plongent dans le sol comme le doigt d'une main de géant. Le pivert les frappe en mesure avec son bec de corne, et des lézards d'émeraude se chauffent au soleil sur la mousse de leurs pieds. Le champignon regarde la comédie son chapeau sur la tête, comme un insolent qu'il est : la violette mignonne se dresse sur la pointe de ses petits pieds entre deux brins d'herbe, et ouvre toutes grandes ses prunelles bleues, afin de voir passer le héros. Le bouvreuil et la linotte se penchent au bout des ra meaux pour souffler les rôles aux acteurs. A travers les grandes herbes, les hauts chardons pour prés et les bardanes aux feuilles de velours, serpentent, comme des couleuvres d'argent, des ruisseaux faits avec les larmes des cerfs aux abois : de loin en loin , on voit briller sur le gazon les anémones pareilles à des gouttes de sang, et se rengorger les marguerites la tête chargée d'une couronne de perles comme de véritables duchesses. Les personnages ne sontd'aucun temps ni d'aucun pays ; ils vont et viennent sans que l'on sache pourquoi ni com ment ; ils ne mangent ni ne boivent, ils ne demeurent nulle part et n'ont aucun métier ; ils ne possèdent ni terres, ni rentes, ni maisons ; quelquefois seulement ils portent sous les bras une petite caisse pleine de diamants gros 2 4 0 MADEMOISELLE DE MAUPIN. comme des aufs de pigeon ; en marchant, ils ne font pas tomber une seule goutte de pluie de la pointe des fleurs et ne soulèvent pas un seul grain de la poussière des chemins. Leurs habits sont les plus extravagants et les plus fan tasques du monde. Des chapeaux pointus comme des clo chers avec des bords aussi larges qu'un parasol chinois et des plumes démesurées arrachées à la queue de l'oiseau de paradis et du phénix ; des capes rayées de couleurs éclatantes, des pourpoints de velours et de brocart, lais sant voir leur doublure de satin ou de toile d'argent par leurs crevés galonnés d'or ; des hauts -de -chausses bouf fants et gonflés comme des ballons; des bas écarlates à coins brodés, des souliers à talons hauts et à larges ro settes ; de petites épées fluettes, la pointe en l'air, la poi gnée en bas, toutes pleines de ganses et de rubans ; - voilà pour les hommes. Les femmes ne sont pas moins curieusement accoutrées . Les dessins de Della Bella et de Romain de Hooge peuvent servir à se représenter le caractère de leur ajus tement : ce sont des robes étoffées, ondoyantes, avec de grands plis qui chatoient comme des gorges de tourte relles et reflètent toutes les teintes changeantes de l'iris , de grandes manches d'où sortent d'autres manches, des fraises de dentelles déchiquetées à jour, qui montent plus haut que la tête à laquelle elles servent de cadre, des cor sets chargés de næuds et de broderies, des aiguillettes, des joyaux bizarres, des aigrettes de plumes de héron , des colliers de grosses perles, des éventails de queue de paon avec des miroirs au milieu, de petites mules et des patins, des guirlandes de fleurs artificielles, des paillettes , des gazes lamées, du fard, des mouches, et tout ce qui peut ajouter du ragoût et du piquant à une toilette de théâtre. C'est un goût qui n'est précisément ni anglais, ni alle inand , ni français, ni turc, ni espagnol, ni tartare, quoi qu'il tienne un peu de tout cela, et qu'il ait pris à chaque MADEMOISELLE DE MAUPIN . 241 - pays ce qu'il avait de plus gracieux et de plus caractéris tique. — Des acteurs ainsi habillés peuvent dire tout ce qu'ils veulent sans choquer la vraisemblance. La fantaisie peut courir de tous côtés, le style dérouler à son aise ses anneaux diaprés, comme une couleuvre qui se chauffe au soleil ; les concetti les plus exotiques épanouir sans crainte leurs calices singuliers et répandre autour d'eux leur par fum d'ambre et de musc . Rien ne s'y oppose, ni les lieux, ni les noms, ni le costume . Comme ce qu'ils débitent est amusant et charmant ! Ce ne sont pas eux, les beaux acteurs, qui iraient, comme ces hurleurs de drame, se tordre la bouche et se sortir les yeux de la tête, pour dépêcher la tirade à effet; – au moins ils n'ont pas l'air d'ouvriers à la tâche, de bæufs attelés à l'action et pressés d'en finir ; ils ne sont pas plâ - trés de craie et de rouge d'un demi- pouce d'épaisseur; ils ne portent pas des poignards de fer -blanc, et ils ne tiennent pas en réserve sous leur casaque une vessie de porc rem plie de sang de poulet; ils ne traînent pas le même lam beau taché d'huile pendant des actes entiers . Ils parlent sans se presser, sans crier, comme des gens de bonne compagnie qui n'attachent pas grande impor tance à ce qu'ils font : l'amoureux fait à l'amoureuse sa déclaration de l'air le plus détaché du monde ; tout en causant, il frappe sa cuisse du bout de son gant blanc, ou rajuste ses canons. La dame secoue nonchalamment la rosée de son bouquet, et fait des pointes avec sa suivante ; l'amoureux se soucie très-peu d'attendrir sa cruelle : sa principale affaire est de laisser tomber de sa bouche des grappes de perles, des touffes de roses, et de semer en vraie prodigue les pierres précieuses poétiques ; - S011 vent même il s'efface tout à fait, et laisse l'auteur courtise : sa maîtresse pour lui . La jalousie n'est pas son défaut, et son humeur est des plus accommodantes. Les yeux levés vers les bandes d'air et les frises du ' théâtre, il attend complaisamment que le poëte ait achevé de dire ce qui 21 242 MADEMOISELLE DE MAUPIN . - lui passait par la fantaisie pour reprendre son rôle et se remettre à genoux. Tout se noue et se dénoue avec une insouciance admi rable : les effets n'ont point de cause, et les causes n'ont point d'effet; le personnage le plus spirituel est celui qui dit le plus de sottises; le plus sot dit les choses les plus spi rituelles ; les jeunes filles tiennent des discours qui feraient rougir des courtisanes; les courtisanes débitent des maximes de morale . Les aventures les plus inouïes se succèdent coup sur coup sans qu'elles soient expliquées ; le père noble arrive tout exprès de la Chine dans une jonque de bambou pour reconnaître une petite fille en levée ; les dieux et les fées ne font que monter et des cendre dans leurs machines. L'action plonge dans la mer sous le dôme de topaze des flots, et se promène au fond de l'Océan, à travers les forêts de coraux et de madrépores, ou elle s'élève au ciel sur les ailes de l'alouette et du griffon . - Le dialogue est très -universel; le lion y con tribue par un oh ! oh ! vigoureusement poussé ; la mu raille parle par ses crevasses, et, pourvu qu'il ait une pointe, un rébus ou un calembour à y jeter, chacun est libre d'interrompre la scène la plus intéressante : la tête d'âne de Bottom est aussi bien venue que la tête blonde d'Ariel; - l'esprit de l'auteur s'y fait voir sous toutes les formes; et toutes ces contradictions sont comme autant de facettes qui en réfléchissent les différents aspects, en y ajoutant les couleurs du prisme . Ce pêle-mêle et ce désordre apparents se trouvent, au bout du compte, rendre plus exactement la vie réelle sous ses allures fantasques que le drame de meurs le plus mi nutieusement étudié. Tout homme renferme en soi l'hu manité entière, et, en écrivant ce qui lui vient à la tête, il réussit mieux qu'en copiant à la loupe les objets placés en dehors de lui . O la belle famille ! jeunes amoureux romanesques, demoiselles vagabondes, serviables suivantes , houffons MADEMOISELLE DE MAUPIN. 243 caustiques, valets et paysans najfs, rois débonnaires, dont le nom est ignoré de l'historien , et le royaume du géo graphe ; graciosos bariolés, clowns aux reparties aiguës et aux miraculeuses cabrioles ; Ô vous qui laissez parter le libre caprice par votre bouche souriante, je vous aime et vous adore entre tous et sur tous : - Perdita, Rosalinde, Célie, Pandarus, Parolles, Silvio, Léandre et les autres, tous ces types charmants, si faux et si vrais, qui, sur les ailes bigarrées de la folie, s'élèvent au-dessus de la gros sière réalité, et dans qui le poëte personnifie sa joie, sa mélancolie, son amour et son rêve le plus intime sous les apparences les plus frivoles et les plus dégagées. Dans ce théâtre, écrit pour les fées, et qui doit être joué au clair de lune, il est une pièce qui me ravit principale ment ; - c'est une pièce si errante, si vagabonde, dont l'intrigue est si vaporeuse et les caractères si singuliers, que l'auteur lui-même, ne sachant quel titre lui donner, l'a appelée Comme il vous plaira, nom élastique, et qui répond à tout. En lisant cette pièce étrange, on se sent transporté dans un monde inconnu , dont on a pourtant quelque vague ré miniscence : on ne sait plus si l'on est mort ou vivant, si l'on rêve ou si l'on veille ; de gracieuses figures vous sou rient doucement, et vous jettent, en passant, un bonjour amical ; vous vous sentez ému et troublé à leur vue, si, au détour d'un chemin , vous rencontriez tout à coup votre idéal, ou que le fantôme oublié de votre première maîtresse se dressât subitement devant vous. Des sources coulent en murmurant des plaintes à demi étouffées; le vent remue les vieux arbres de l'antique forêt sur la tête du vieux duc exilé, avec des soupirs compatissants; et, lorsque James le mélancolique laisse aller au fil de l'eau , avec les feuilles du saule, ses philosophiques doléances, il vous semble que c'est vous- même qui parlez, et que la pensée la plus secrète et la plus obscure de votre coeur se révèle et s'illumine . comme 244 MADEMOISELLE DE MAUPIN . > O jeune fils du brave chevalier Rowland-des-Bois, tant maltraité du sort ! je ne puis m'empêcher d'être jaloux de toi ; tu as encore un serviteur fidèle, le bon Adam, dont la vieillesse est si verte sous la neige de ses cheveux . Tu es banni, mais au moins tu l'es après avoir lutté et triomphé; ton méchant frère t'enlève tout ton bien, mais Rosalinde te donne la chaîne de son cou ; tu es pauvre, mais tu es aimé ; tu quittes ta patrie, mais la fille de ton persécuteur te suit au delà des mers. Les noires Ardennes ouvrent, pour te recevoir et te ca cher, lenrs grands bras de feuillage ; la bonne forêt, pour te coucher, amasse au fond de ses grottes sa mouss , la plus soyeuse ; elle incline ses arceaux sur ton front, afin de te garantir de la pluie et du soleil ; elle te plaintavec les, lar mes de ses sources et les soupirs de ses faons et de ses daims qui brament; elle fait de ses rochers de complai sants pupitres pour tes épitres amoureuses, elle te prête les épines de ses buissons pour les suspendre, et ordonne à l'écorce de satin de ses trembles de céder à la pointe de ton stylet quand tu veux y graver le chiffre de Rosalinde . Si l'on pouvait, jeune Orlando, avoir comme toi une grande forêt ombreuse pour se retirer et s'isoler dans sa peine, et si , au détour d'une allée , on rencontrait celle que l'on cherche, reconnaissable, quoique déguisée ! - Mais, hélas ! le monde de l'âme n'a pas d'Ardennes ver doyantes, et ce n'est que dans le parterre de poésie que s'épanouissent ces petites fleurs capricieuses et sauvages dont le parfum fait tout oublier . Nous avons beau verser des larmes, elles ne forment pas de ces belles casca des argentines ; nous avons beau soupirer, aucun écho complaisant ne se donne la peine de nous renvoyer nos plaintes ornées d'assonances et de concetti. C'est en vain que nous accrochons des sonnets aux piquants de toutes les ronces, jamais Rosalinde ne les ramasse, et c'est gratuitement que nous entaillons l'écorce des arbres de chiffres amoureux . > MADEMOISELLE DE MAUPIN. 245 > Oiseaux du ciel, prêtez-moi chacun une plume, l'hiron delle comme l'aigle, le colibri comme l'oiseau roc, afin que je m'en fasse une paire d'ailes pour voler haut et vite par des régions inconnues, où je ne retrouve rien qui rappelle à mon souvenir la cité des vivants, où je puisse oublier que je suis moi, et vivre d'une vie étrange et nou velle, plus loin que l'Amérique, plus loin que l’Afrique, plus loin que l'Asie, plus loin que la dernière île du monde, par l'océan de glace, au delà du pôle où tremble l'aurore boréale , dans l'impalpable royaume où s'envo lent les divines créations des poëtes et les types de la su prême beauté. Comment supporter les conversations ordinaires dans les cercles et les salons, quand on t'a entendu parler, étincelant Mercutio, dont chaque phrase éclate en pluie d'or et d'argent, comme une bombe d'artifices sous un ciel semé d'étoiles ? Pale Desdémona, quel plaisir veux - tu que l'on prenne, après la romance du Saule, à aucune musique terrestre ? Quelles femmes ne semblent pas laides à côté de vos Vénus, sculpteurs antiques, poëtes aux stro phes de marbre ? Ah ! malgré l'étreinte furieuse dont j'ai voulu enlacer le monde matériel au défaut de l'autre, je sens que je suis mal né, que la vie n'est pas faite pour moi, et qu'elle me repousse ; je ne puis me mêler à rien ; quelque chemin que je suive, je me fourvoie ; l'allée unie, le sentier rocailleux me conduisent également à l'abîme. Si je veux prendre mon essor, l'air se condense autour de moi, et je reste pris, les ailes étendues sans les pouvoir refermer. Je ne puis ni marcher ni voler ; le ciel m'attire quand je suis sur terre , la terre quand je suis au ciel ; en haut, la quilon m'arrache les plumes ; en bas, les cailloux m'offen sent les pieds. J'ai les plantes trop tendres pour cheminer sur les tessons de verre de la réalité ; l'envergure trop étroite pour planer au-dessus des choses, et m'élever, de cercle en cercle, dans l'azur profond du mysticisme, jus 21 . 2 46 MADEMOISELLE DE MAUPIN . qu'aux sommets inaccessibles de l'éternel amour ; je suis le plus malheureux hippogriffe, le plus miserable ramas sis de morceaux hétérogènes qui ait jamais existé, depuis que l'Océan aime la lune , et que les femmes trompent les hommes : la monstrueuse Chimère, mise à mort par Bellérophon, avec sa tête de vierge, ses pattes de lion , son corps de chèvre et sa queue de dragon, était un ani mal d'une composition simple auprès de moi . Dans ma frêle poitrine habitent ensemble les revêries semées de violettes de la jeune fille pudique et les ardeurs insensées des courtisanes en orgie : mes désirs vont, comme les lions, aiguisant leurs griffes dans l'ombre et cherchant quelque chose à dévorer ; mes pensées, plus fiévreuses et plus inquiètes que les chèvres, se suspendent aux crêtes les plus menaçantes ; ma haine, toute bouffie de poison, entortille en noeuds inextricables ses replis écaillés, et se traine longuement dans les ornières et les ravins. C'est un étrange pays que mon âme, un pays florissant et splendide en apparence, mais plus saturé de miasmes putrides et délétères que le pays de Batavia : le moindre rayon de soleil sur la vase y fait éclore les reptiles et pul Juler, les moustiques; les larges tulipes jaunes, les nagassaris et les fleurs d'angsoka y voilent pompeuse ment d'immondes charognés. La rose amoureuse ouvre ses lèvres écarlates, et fait voir en souriant ses petites dents de rosée aux galants rossignols qui lui récitent des madrigaux et des sonnets : rien n'est plus charmant ; mais il y a cent à parier contre un que , dans l’herbe, au bas du buisson , un crapaud hyclropique rampe sur des pattes boiteuses, et argente son chemin avec sa bave. Voilà des sources plus claires et plus limpides que le diamant le plus pur ; mais il vaudrait mieux pour vous pui ser l'eau stagnante du marais sous son manteau de joncs pourris et de chiens noyés, que de tremper votre coupe à cette onde. - Un serpent est caché au fond, et tourne MADEMOISELLE DE MAUPIN . 247 et que sur lui -même avec une effrayante rapidité en dégorgeant son venin. Vous avez planté du blé ; il pousse de l'asphodèle, de la jusquiame, de l'ivraie et de pâles ciguës aux rameaux vert-de- grisés. Au lieu de la racine que vous aviez enfouie , vous êtes tout surpris de voir sortir de terre les jambes velues et tortillées de la noire mandragore. Si vous y laissez un souvenir, et que vous veniez le re prendre quelque temps après, vous le retrouverez plus verdi de mousse et plus fourmillant de cloportes et d'in sectes dégoûtants qu'une pierre posée sur le terrain hu mide d'une cave . N'essayez pas d'en franchir les ténébreuses forêts ; elles sont plus impraticables que les forêts vierges d'Amérique les jongles de Java : des lianes fortes comme des câbles courent d'un arbre à l'autre ; des plantes, hérissées et pointues comme des fers de lance, obstruent tous les passages ; le gazon lui - même est couvert d'un duvet brû lant comme celui de l'ortie . Aux arceaux du feuillage se suspendent par les ongles de gigantesques chauves - souris du genre vampire ; des scarabées d'une grosseur énorme agitent leurs cornes menaçantes, et fouettent l'air de leurs quadruples ailes ; des animaux monstrueux et fantasti ques, comme ceux que l'on voit passer dans les cauche mars, s'avancent péniblement en cassant les roseaux de vant eux . Ce sontdes troupeaux d'éléphants qui écrasent les mouches entre les rides de leur peau desséchée ou qui se frottent les flancs au long des pierres et des arbres, des rhinocéros à la carapace rugueuse , des hippopotaines au mufle bouffi et hérissé de poils, qui vont pétrissant la boue et le détritus de la forêt avec leurs larges pieds . Dans les clairières, là où le soleil enfonce comme un coin d'or un rayon lumineux, à travers la moite humidité, à l'endroit où vous auriez voulu vous asseoir, vous trou verez toujours quelque famille de tigres nonchalamment couchés, humant l'air par les naseaux, clignant leurs yeux 2 4 8 MADEMOISELLE DE MAUPIN. verts de mer et lustrant leurs fourrures de velours avec leur langue rouge de sang et couverte de papilles ; ou bien c'est quelque noud de serpents boas à moitié endor mis et digérant le dernier taureau avalé. Redoutez tout : l'herbe, le fruit, l’eau, l'air, l'ombre, le soleil, tout est mortel . Fermez l'oreille au babil des petites perruches au bec d'or et au cou d'émeraude qui descendent des arbres et viennent se poser sur vos doigts en palpitant des ailes ; car, avec leur joli bec d'or, les petites perruches au cou d'émeraude finiront par vous crever gentiment les yeux au moment où vous vous abaisserez pour les embrasser . C'est ainsi ! Le monde ne veut pas de moi ; il me repousse comme un spectre échappé des tombeaux ; j'en ai presque la på leur : mon sang se refuse à croire que je vis, et ne veut pas colorer ma peau1 ; il se traîne lentement dans mes veines, comme une eau croupie dans des canaux engor gés. Mon coeur ne bat pour rien de ce qui fait battre le coeur de l'homme . Mes douleurs et mes joies ne sont pas celles de mes semblables. J'ai violemment désiré ce que personne ne désire ; j'ai dédaigné des choses que l'on souhaite éperdument. — J'ai aimé des femmes quand. elles ne m'aimaient pas, et j'ai été aimé quand j'aurais voulu être haï : toujours trop tôt ou trop tard , plus ou moins , en deçà ou au delà ; jamais ce qu'il aurait fallu ; ou je ne suis pas arrivé, ou j'ai été trop loin . - J'ai jeté ma vie par les fenêtres, ou je l'ai concentrée à l'excès sur un seul point, et de l'activité inquiète de l'ardélion, j'en suis venu à la morne somnolence du tériaki et du stylite sur sa colonne . Ce que je fais a toujours l'apparence d'un rêve ; mes actions semblent plutôt le résultat du somnambulisme que elui d'une libre volonté ; quelque chose est en moi, que je sens obscurément à une grande profondeur, qui me fait agir sans ma participation et toujours en dehors des lois - - MADEMOISELLE DE MAUPIN. 249 > . - conimunes ; le côté simple et naturel des choses ne se ré vèle à moi qu'après tous les autres, et je saisirai tout d'a bord l'excentrique et le bizarre : pour peu que la ligne biaise, j'en ferai bientôt une spirale plus entortillée qu'un serpent ; les contours, s'ils ne sont pas arrêtés de la ma nière la plus précise, se troublent et se déforment. Les figures prennent un air surnaturel et vous regardent avec des yeux effrayants. Aussi, par une espèce de réaction instinctive, je me suis toujours désespérément cramponné à la matière, à la silhouette extérieure des choses, et j'ai donné dans l'art une très- grande place à la plastique . Je comprends parfaitement une statue, je ne comprends pas un homme; où la vie commence, je m'arrête et recule effrayé comme si j'avais vu la tête de Méduse. Le phénomène de la vie me cause un étonnement dont je ne puis revenir. —Je ferai sans doute un excellent mort, car je suis un assez pauvre vivant, et le sens de mon existence m'échappe complétement. Le son de ma voix me surprend à un point inimaginable, et je serais tenté quelquefois de la prendre pour la voix d'un autre. Lorsque je veux étendre mon bras et que mon bras m'obéit, cela me paraît tout à fait prodigieux, et je tombe dans la plus profonde stupé faction . En revanche, Silvio, je comprends parfaitement l'inin telligible ; les données les plus extravagantes me semblent fort naturelles, et j'y entre avec une facilité singulière . Je trouve aisément la suite du cauchemar le plus capricieux et le plus échevelé. — C'est la raison pourquoi le genre de pièces dont je te parlais tout à l'heure me plaît par. dessus tous les autres. Nous avons avec Théodore et Rosette de grandes dis cussions à ce sujet : Rosette goûte peu mon système, elle est pour la vérité vraie ; Théodore donne au poète plus de latitude, et admet une vérité de convention et d'opti que. - Moi, je soutiens qu'il faut laisser le champ tout à 250 MADEMOISELLE DE MAUPIN . fait libre à l'auteur et que la.fantaisie doit régner en sou veraine. Beaucoup de personnes de la compagnie se fondaient principalement sur ce que ces pièces étaient en général hors des conditions théâtrales et ne pouvaient pas se jouer ; je leur ai répondu que cela était vrai dans un sens et faux dans l'autre, à peu près comme tout ce que l'on dit, et que les idées que l'on avait sur les possibilités et les impossibilités de la scène me paraissaient manquer de justesse et tenir à des préjugés plutôt qu'à des raisons, et je dis, entre autres choses, que la pièce de Comme il vous plaira était assurément très-exécutable, surtout pour des gens du monde qui n'auraient pas l'habitude d'autres rôles. Cela fit venir l'idée de la jouer. La saison s'avance, et l'on a épuisé tous les genres d'amusements ; l'on est las de la chasse, des parties à cheval et sur l'eau ; les chances du boston , toutes variées qu'elles soient, n'ont pas assez de piquant pour occuper la soirée, et la proposition fut reçue avec un enthousiasme universel . Un jeune homme qui savait peindre s'offrit pour faire les décorations ; il y travaille maintenant avec beaucoup d'ardeur, et dans quelques jours elles seront achevées. - Le théâtre est dressé dans l'orangerie, qui est la plus grande salle du château , et je pense que tout ira bien . C'est moi qui fais Orlando ; Rosette devait jouer Rosa linde, cela était de toute justice : comme ma maîtresse et " comme maîtresse de la maison, le rôle lui revenait de droit ; mais elle n'a pas voulu se travestir en homme par un caprice assez singulier pour elle , dont assurément la pruderie n'est pas le défaut. Si je n'avais pas été sûr du contraire, j'aurais cru qu'elle avait les jambes mal faites. Actuellement aucune des dames de la société n'a voulu se montrer moins scrupuleuse que Rosette, et cela a failli faire manquer la pièce ; mais Théodore, qui avait pris le rôle de James le mélancolique, s'est offert pour la rem MADEMOISELLE DE MAUPIN. 251 . - placer, attendu que Rosalinde est presque toujours en cavalier, excepté au premier acte, où elle est en femme, et qu'avec du fard , un corset et une robe, il pourra faire suffisamment illusion, n'ayant point encore de barbe et étant fort mince de taille . Nous sommes en train d'apprendre nos rôles, et c'est quelque chose de curieux que de nous voir. -Dans tous les recoins solitaires du parc, vous êtes sûr de trouver quelqu'un avec un papier à la main, marmotant des phra ses tout bas, levant les yeux au ciel, les baissant tout à coup, et refaisant sept à huit fois le même gestę. Si l'on ne savait pas que nous devons jouer la comédie, assuré ment l'on nous prendrait pour une maisonnée de fous ou de poëtes (ce qui est presque un pléonasme) . Je pense que nous saurons bientôt assez pour faire une répétition. - Je m'attends à quelque chose de très-singu lier . Peut- être ai- je tort . - J'ai eu peur un instant qu'au lieu de jouer d'inspiration, nos acteurs ne s'attachassent à reproduire les poses et les inflexions de voix de quelque comédien en vogue; mais ils n'ont heureusement pas suivi le théâtre avec assez d'exactitude pour tomber dans cet inconvénient, et il est à croire qu'ils auront, à travers la gaucherie de gens qui n'ont jamais monté sur les plan ches, de précieux éclairs de naturel et de ces charmantes naïvetés que le talent le plus consommé ne saurait repro duire . Notre jeune peintre a vraiment fait des merveilles : il est impossible de donner une tournure plus étrange aux vieux troncs d'arbres et aux lierres qui les enlacent ; il. a pris modèle sur ceux du parc en les accentuant et les exa gérant, ainsi que cela doit être pour une décoration . Tout est touché avec une fierté et un caprice admirables; les pierres, les rochers, les nuages sont d'une forme mysté rieusement grimaçante ; des reflets miroitants jouent sur les eaux tremblantes et plus émues que le vif -argent, et la froideur ordinaire des ieuillages est merveilleusement 259 MADEMOISELLE DE MAUPIN. relevée par des teintes de safran qu’y jette le pinceau de l'automne ; la forêt varié depuis le vert de l'émeraude jus qu'à la pourpre de la cornaline; les tons les plus chauds et les plus frais se heurtent harmonieusement, et le ciel lui-même passe du bleu le plus tendre aux couleurs les plus ardentes. il a dessiné tous les costumes sur mes indications ; ils sont du plus beau caractère. On a d'abord crié qu'ils ne pourraient pas se traduire en soie et en velours, ni en aucune étoffe connue, et j'ai presque vu le moment où le costume troubadour allait être généralement adopté. Les dames disaient que ces couleurs tranchantes éteindraient leurs yeux. A quoi nous avons répondu que leurs yeux étaient des astres très-parfaitement inextinguibles, et que c'étaient, au contraire, leurs yeux qui éteindraient les couleurs, et même les quinquets, le lustre et le soleil , s'il y avait lieu . —Elles n'eurent rien à répondre à cela ; mais c'étaient d'autres objections qui repoussaient en foule et se hérissaient, pareilles à l'hydre de Lerne ; on n'avait pas plutôt coupé la tête à l'une que l'autre se dressait plus en têtée et plus stupide. Comment voulez-vous que cela tienne ? Tout va sur le papier, mais c'est autre chose sur le dos ; je n'en trerai jamais là dedans ! Mon jupon est trop court au moins de quatre dcigts ; je n'oserai jamais me présenter ainsi ! -- Cette fraise est trop haute ; j'ai l'air d'être bossue et de n'avoir pas de cou . Cette coiffure me vieillit intolé rablement. Avec de l'empois, des épingles et de la bonne vo lonté, tout tient . Vous voulez rire ! ' une taille comme la vôtre, plus frèle qu'une taille de guêpe, et qui passerait dans la bague de mon petit doigt ! je gage vingt-cinq louis contre un baiser qu'il faudra rétrécir ce corsage . - Votre jupe est bien loin d'être trop courte, et, si vous pouviez voir quelle adorable jambe vous avez, vous seriez assuré inent de mon avis . Au contraire, votre cou se détache MADEMOISELLE DE MAUPIN. 258 - et se dessine admirablement bien dans son auréole de den telles ; - cette coiffure ne vous vieillit point du tout, et, uand même vous paraîtriez quelques années de plus, vous êtes d'une si excessive jeunesse , que cela vous doit être on ne peut plus indifférent; en vérité, vous nous donneriez d'étranges soupçons, si nous ne savions pas où sont les morceaux de votre dernière poupée... et cætera . Tu ne te figures pas la prodigieuse quantité de madri gaux que nous avons été obligés de dépenser pour con traindre nos dames à mettre des costumes charmants, et qui leur allaient le mieux du monde. Nous avons eu aussi beaucoup de peine à leur faire po ser congrûment leurs assassines. Quel diable de goût ont les femmes ! et de quel titanique entêtement est possédée une petite-maîtresse vaporeuse qui croit que le jaune-paille glacé lui va mieux que le jonquille ou le rose vif. Je suis sûr que, si j'avais appliqué aux affaires publiques la moitié des ruses et des intrigues que j'ai employées pour faire mettre une plume rouge à gauche et non à droite, je serais à ministre d'État ou empereur pour le moins. Quel pandémonium ! quelle cohue énorme et inextrica ble doit être un théâtre véritable ! Depuis que l'on a parlé de jouer la comédie, tout es ici dans le désordre le plus complet. Tous les tiroirs son ouverts, toutes les armoires vidées; c'est un vrai pillage . Les tables, les fauteuils, les consoles, tout est encombré, on ne sait où poser le pied : il traîne par la maison des quantités prodigieuses de robes, de mantelets, de voiles . de jupes, de capes, de toques, de chapeaux; et, quand on pense que cela doit tenir sur le corps de sept à huit per sonnes, on se rappelle involontairement ces bateleurs de la foire qui ont huit ou dix habits les uns sur les autres, et l'on ne peut se figurer que, de tout cet amas, il ne sortira qu'un costume pour chacun. Les domestiques ne font qu'aller et venir ; il y en a 22 254 MADEMOISELLE DE MAUPIN . toujours deux ou trois sur le chemin du château à la ville, et, si cela continue, tous les chevaux deviendront pous sifs. Un directeur de théâtre n'a pas le temps d'être mélan colique, et je ne l'ai guère été depuis quelque temps. Je suis tellement assourdi et assommé, que je commence à ne plus rien comprendre à la pièce . Comme c'est moi qui remplis le rôle de l'impresario outre mon rôle d'Orlando, ma besogne est double. Quand il se présente quelque difficulté, c'est à moi qu'on a recours, et mes décisions n'étant pas toujours écoutées comme des oracles, cela dé génère en des discussions interminables. Si ce qu'on appelle vivre est d'être toujours sur ses jam bes, de répondre à vingt personnes, de monter et de des cendre des escaliers, de ne pas penser une minute dans une journée , je n'ai jamais tant vécu que cette semaine ; je ne prends pourtant pas autant de part à ce mouvement que l'on pourrait le croire . - L'agitation est très-peu pro fonde, et à quelques brasses on retrouverait l'eau morte et sans courant ; la vie ne me pénètre pas si facilement que cela ; et c'est même alors que je vis le moins, quoi que j'aie l'air d'agir et de me mêler à ce qui se fait; l'ac tion m'hébète et me fatigue à un point dont on ne peut se faire une idée ; – quand je n'agis pas, je pense ou au moins je rêve, et c'est une façon d'existence ; -je ne l'ai plus dès que je sors de mon repos d'idole de porcelaine . Jusqu'à présent, je n'ai rien fait, et j'ignore si je ferai jamais rien . Je ne sais pas arrêter mon cerveau, ce qui est toute la différence de l'homme de talent à l'homme de génie ; c'est un bouillonnement sans fin, le flot pousse le flot ; je ne puis maîtriser cette espèce de jet intérieur qui monte de mon coeur à ma tête, et qui noie toutes mes pensées faute d'issues. - Je ne puis rien produire, non par stérilité, mais par surabondance; mes idées poussent si drues et si serrées, qu'elles s'étouffent et ne peuvent mûrir . - Jamais l'exécution, si rapide et si fougueuse MADEMOISELLE DE MAUPIN. 255 - - que je qu'elle soit, n'atteindra à une pareille vélocité : - quand j'écris une phrase, la pensée qu'elle rend est déjà aussi loin de moi que si un siècle se fut écoulé au lieu d'une seconde, et souvent il m'arrive d'y mêler, 'malgré moi, quelque chose de la pensée qui l'a remplacée dans ma tête . Voilà pourquoi je ne saurais vivre , -ni comme poëte, ni comme amant.— Je ne puis rendre que les idées n'ai plus ; -je n'ai les femmes que lorsque je les ai ou bliées et que j'en aime d'autres ; — homme, comment pourrai- je produire ma volonté au jour, puisque, si fort que je me håte, je n'ai plus le sentiment de ce que je fais, et que je n'agis que d'après une faible reminiscence ? Prendre une pensée dans un filon de son cerveau, l'en sortir brute d'abord comme un bloc de marbre qu'on ex trait de la carrière, la poser devant soi , et du matin au soir, un ciseau d'une main, un marteau de l'autre , cogner, tailler, gratter, et emporter à la nuit une pincée de poudre pour jeter sur son écriture ; voilà ce que je ne pourrai ja mais faire. Je dégage bien en idée la svelte figure du bloc grossier, et j'en ai la vision très-nette ; mais il y a tant d'angles à abattre, tant d'éclats à faire sauter, tant de coups de râpe et de marteau à donner pour approcher de la forme et saisir la juste sinuosité du contour, que les ampoules me viennent aux mains, et que je laisse tomber le ciseau par terre. Si je persiste, la fatigue prend un degré d'intensité tel, que ma vue intime s'obscurcit totalement, et que je ne saisis plus à travers le nuage du marbre la blanche divinité cachée dans son épaisseur. Alors je la poursuis au hasard et comme à tâtons; je mords trop dans un endroit, je ne vais pas assez avant dans l'autre ; j'enlève ce qui devait être la jambe ou le bras, et je laisse une masse compacte où devait se trouver un vide ; au lieu d'une déesse, je fais un magot, quelquefois moins qu’un magot, et le magnifique bloctiréà si granus frais et avectant de labeur des entrailles 256 MADEMOISELLE DE MAUPIN. de la terre , martelé,> tailladé, fouillé en tous les sens, a plutôt l'air d'avoir été rongé et percé à jour par les poly pes pour en faire une ruche, que façonné par un statuaire d'après un plan donné. Comment fais -tu , Michel- Ange, pour couper le marbre par tranches, ainsi qu'un enfant qui sculpte un marron ! de quel acier étaient faits tes ciseaux invaincus ? et quels robustes flancs vous ont portés, vous tous, artistes féconds et travailleurs, à qui nulle matière ne résiste, et qui faites couler votre rêve tout entier dans la couleur et dans le bronze ? C'est une vanité innocente et permise, en quelque sorte, après ce que je viens de dire de cruel sur mon compte, et ce n'est pas toi qui m'en blåmeras, o Silvio !-mais, quoi que l'univers ne doive jamais en rien savoir, et que mon nom soit d'avance voué à l'oubli, je suis un poëte et un peintre ! — J'ai eu d'aussi belles idées que nul poëte du monde; j'ai créé des types aussi purs, aussi divins que ce que l'on admire le plus dans les maîtres. - Je les vois, là devant moi, aussi nets, aussi distincts que s'ils étaient peints réellement, et, si je pouvais ouvrir un trou dans ma tête et y mettre un verre pour qu'on y regardât, ce serait la plus merveilleuse galerie de tableaux que l'ont eût jamais vue . Aucun roi de la terre ne peut se vanter d’en posséder une pareille . —Il y a des Rubens aussi flamboyants, aussi allumés que les plus purs qui soient à Anvers ; mes Ra phaëls sont de la plus belle conservation, et ses madones n'ont pas de plus gracieux sourires ; Buonarotti ne tord pas un muscle d'une façon plus fière et plus terrible ; le soleil de Venise brille sur cette toile comme si elle était signée Paulus Cagliari; les ténèbres de Rembrandt lui-même s'entassent au fond de ce cadre où tremble dans le loin tain une pâle étoile de lumière ; les tableaux qui sont dans la manière qui m'est propre ne seraient assurément dé dzignés de qui que ce soit . Je sais bien que j'ai l'air étrange à dire cela, et que je - a MADEMOISELLE DE MAUPIN. 257 paraitrai entêté de l'ivresse grossière du plus sot orgueil ; mais cela est ainsi, et rien n'ébranlera ma conviction là -dessus. Personne sans doute ne la partagera ;, qu’y faire ? Chacun nait marqué d'un sceau noir ou blanc. Ap paremment le mien est noir. J'ai même quelquefois peine à voiler suffisamment ma pensée à cet endroit ; il m'est arrivé souvent de parler trop familièrement de ces hauts génies dont on doit adorer la trace et contempler la statue de loin et à genoux. Une fois, je me suis oublié jusqu'à dire : Nous autres. -· Heureuse ment c'était devant une personne qui n'y prit pas garde, sans quoi j'eusse infailliblement passé pour le plus énorme fat qui fut jamais. N'est- ce pas, Silvio, que je suis un poëte et un peintre ? C'est une erreur de croire que tous les gens qui ont passé pour avoir du génie étaient réellement de plus grands hommes que d'autres. On ne sait pas combien les élèves et les peintres obscurs que Raphaël employait dans ses ou vrages ont contribué à sa réputation ; il a donné sa signa ture à l'esprit et aux talents de plusieurs ; — voilà tout. Un grand peintre, un grand écrivain occupent et rem plissent à eux seuls tout un siècle : ils n'ont rien de plus pressé que d'entamer à la fois tous les genres, afin que, s'il leur survient quelques rivaux, ils puissent les accuser tout d'abord de plagiat, et les arrêter dès leur premier pas dans la carrière ; c'est une tactique connue et qui, pour ne pas être nouvelle, n'en réussit pas moins tous les jours. Il se peut qu'un homme déjà célèbre ait précisément le même genre de talent que vous auriez eu ; sous peine de passer pour son imitateur, vous êtes obligé de détourner votre inspiration naturelle et de la faire couler ailleurs . Vous étiez né pour souffler à pleine bouche dans le clairon héroïque, ou pour évoquer les påles fantômes des temps qui ne sont plus ; il faut que vous promeniez vos doigts sur la flûte à sept trous, ou que vous fassiez des næuds sur un 22 . 258 MADEMOISELLE DE MAUPIN. sofa dans le fond de quelque boudoir, le tout, parce que monsieur votre père ne s'est pas donné la peine de vous jeter en moule huit ou dix ans plus tôt, et que le monde ne conçoit pas que deux hommes cultivent le même champ. C'est ainsi que beaucoup de nobles intelligences sont forcées de prendre sciemment une route qui n'est pas la leur, et de côtoyer continuellement leur propre domaine dont elles sont bannies, heureuses encore de jeter un coup d'oeil à la dérobée par-dessus la haie, et de voir de l'autre côté s'épanouir au soleil les belles fleurs diaprées qu'elles possèdent en graines et ne peuvent semer faute de terrain . Pour ce qui est de moi, à part le plus ou moins d'oppor tunité des circonstances, le plus ou moins d'air et de soleil, une porte qui est restée fermée et qui aurait dû être ou verte, une rencontre manquée, quelqu'un que j'aurais dû connaître et que je n'ai pas connu, je ne sais pas si je se rais jamais parvenu à quelque chose . à Je n'ai pas le degré de stupidité nécessaire pour devenir ce que l'on appelle absolument un génie, ni l'entêtement énorme que l'on divinise ensuite sous le beau nom de vo lonté, quand le grand homme est arrivé au sommet rayon nant de la montagne, et qui est indispensable pour y atteindre ; - je sais trop bien comme toutes choses sont creuses et ne contiennent que pourriture, pour m'attacher pendant bien longtemps à aucune et la poursuivre à travers tout ardemment et uniquement. Les hommes de génie sont très -bornés, et c'est pour cela qu'ils sont hommes de génie. Le manque d'intelligence les empêche d'apercevoir les obstacles qui les séparent de l'objet auquel ils veulent arriver ; ils vont, et, en deux ou trois enjambées, ils dévorent les espaces intermédiaires. Comme leur esprit reste obstinément fermé à certains cou rants, et qu'ils ne perçoivent que les choses qui sont les plus immédiates à leurs projets, ils font une bien moindre dépcnsc de pensée et d'action : rien ne les distrait, rien ne MADEMOISELLE DE MAUPIN . 259 - les détourné, ils agissent plutôt par instinct qu'autrement, et plusieurs, tirés de leur sphère spéciale, sont d'une nul lité que l'on a peine à comprendre. Assurément, c'est un don rare et charmant que de bien faire les vers ; peu de gens se plaisent plus que moi aux choses de la poésie ; - mais cependant je ne veux pas borner et circonscrire ma vie dans les douze pieds d'un alexandrin ; il y a mille choses qui m'inquiètent autant qu'un hémistiche : -ce n'est pas l'étatde la société et les réformes qu'il faudrait faire ; je me soucie assez peu que les paysans sachent lire ou non, et que les hommes man gent du pain ou broutent de l'herbe ; mais il me passe par la tête, en une beure , plus de cent mille visions qui n'ont pas le moindre rapport avec la cesure ou la rime, et c'est ce qui fait que j'exécute si peu, tout en ayant plus d'idées que certains poëtes que l'on pourrait brûler avec leurs propres cuvres. J'adore la beauté et je la sens ; je puis la dire aussi bien que peuvent la comprendre les plus amoureux statuaires, - et je ne fais cependant pas de sculptures. La laideur et l'imperfection de l'ébauche me révoltent ; je ne puis atten dre que l'oeuvre vienne à bien à force de la polir et de la repolir ; si je pouvais me résoudre à laisser certaines choses dans ce que je fais, soit en vers, soit en peinture, je fini rais peut-être par faire un poëme ou un tableau qui me rendrait célèbre, et ceux qui m'aiment (s'il y a quelqu'un au monde qui se donne cette peine) ne seraient pas forcés de me croire sur parole, et auraient une réponse victo rieuse aux ricanements sardoniques des détracteurs de ce grand génie ignoré qui est moi. J'en vois beaucoup qui prennent une palette, des pin ceaux et couvrent leur toile, sans se soucier autrement de ce que le caprice fait naître au bout de leur brosse, et d'autres qui écrivent cent vers de suite sans faire une ra ture et sans lever une seule fois les yeux au plafond. Je les admire toujours cux -mêmes, si quelquefois je n'ad > 260 MADEMOISELLE DE MAUPIN . mire pas leurs productions ; j'envie de tout mon coeur cette charmante intrépidité et cet heureux aveuglement qui les empêchent de voir leurs défauts, même les plus palpables. Aussitôt que j'ai dessiné quelque chose de tra vers, je le vois sur-le - champ et je m'en préoccupe outreme sure ; et, comme je suis beaucoup plus savant en théorie qu'en pratique, il arrive très-souvent que je ne puis cor riger une faute dont j'ai la conscience ; alors je tourne la toile le nez contre le mur et je n'y reviens jamais. J'ai si présente l'idée de la perfection, que le dégoût de mon cuvre me prend tout d'abord et m'empêche de con tinuer. Ah ! lorsque je compare aux doux sourires de mapensée la laide moue qu'elle fait sur la toile ou le papier, lorsque je vois passer uneaffreuse chauve- souris à la place du beau rêve qui ouvrait au sein de mes nuits ses longues ailes de lumière, un chardon pousser sur l'idée d'une rose, et que * j'entends braire un âne où j'attendais les plus suaves mélo dies du rossignol, je suis si horriblement désappointe, si en colère contre moi-même, si furieux de mon impuis sance, qu'il me prend des résolutions de ne plus écrire ni dire un seul mot de ma vie plutôt que de commettre ainsi des crimes de haute trahison contre mes pensées. Je ne puis même pas parvenir à écrire une lettre comme je le voudrais : je dis souvent toute autre chose ; certaines portions prennent un développement démesuré, d'autres se rapetissent à devenir imperceptibles, et très souvent l'idée que j'avais à rendre ne s'y trouve pas ou n'y est qu'en post-scriptum . En commençant à t'écrire, je n'avais certainement pas l'intention de te dire la moitié de ce que j'ai dit . Je voulais simplement te faire savoir que nous allions jouer . la comédie ; mais un mot amène une phrase ; les paren thèses sont grosses d'autres petites parenthèses qui, elles mêmes, en ont d'autres dans le ventre toutes prêtes à accoucher . Il n'y a pas de raison pour que cela finisse et MADEMOISELLE DE MAUPIN. 261 n’aille jusqu'à deux cents volumes in - folio , ce qui serait trop assurément. Dès que je prends la plume, il se fait dans mon cerveau un bourdonnement et un bruissement d'ailes, comme si l'on y lâchait des multitudes de hannetons. Cela se cogne aux parois de mon crâne, et tourne, et descend, et monte avec un tapage horrible ; ce sont mes pensées qui veulent s'envoler et qui cherchent une issue ; toutes s'efforcent de sortir à la fois ; plus d'une s'y casse les pattes et y dé chire le crêpe de son aile : quelquefois la porte est telle ment obstruée, que pas une ne peut en franchir le seuil et arriver jusque sur le papier. Voilà comme je suis fait : ce n'est pas être bien fait sans doute, mais que voulez -vous? la faute en est aux dieux, et non à moi, pauvre diable qui n'en peux mais. Je n'ai pas besoin de réclamer ton indulgence, mon cher Silvio ; elle m'est acquise d'avance, et tu as la bonté de lire jusqu'au bout mes indéchiffrables barbouillages, mes rêvasseries sans queue ni tête : si décousues et si absurdes qu'elles soient, elles t'offrent toujours de l'intérêt, parce qu'elles viennent de moi, et tout ce qui est moi, même quand cela est mauvais, n'est pas sans quelque prix pour toi . Je puis te laisser voir ce qui révolte le plus le commun des hommes : un orgueil sincère . Mais faisons un peu trêve à toutes ces belles choses, et, puisque je t'écris à propos de la pièce que nous devons jouer, revenons-y et parlons- en un peu. La répétition a eu lieu aujourd'hui; — jamais de ma vie je n'ai été aussi bouleversé , non pas à cause de l'embarras qu'il y a toujours à réciter quelque chose devant beaucoup de personnes, mais pour un autre motif. Nous étions en costume, et prêts à commencer ; Théodore seul n'était pas encore arrivé : on envoya à sa chambre voir ce qui le retardait ; il fit dire qu'il avait tantôt fini, et qu'il allait descendre . Il vint en effet ; j'entendis son pas dans le corridor bien - 262 MADEMOISELLE DE MAUPIN . . avant qu'il parût, et cependant personne au monde n'a la démarche plus légère que Théodore ; mais la sympa thie que j'éprouve pour lui est si forte , que je devine en quelque sorte ses mouvements à travers les murailles, et, quand je compris qu'il allait poser la main sur le bouton de la porte , il me prit comme un tremblement, et le coeur me battit d'une force horrible . Il me sembla que quelque chose d'important dans ma vie allait se décider, et que j'étais arrivé à un moment solennel et attendu depuis longtemps . Le battant s'ouvrit lentement et retomba de même. Ce fut un cri général d'admiration . - Les hommes ap plaudirent, les femmes devinrent écarlates . Rosette seule pålit extrêmement et s'appuya au mur, comme si une ré vélation soudaine lui traversait le cerveau : elle fit en sens inverse le même mouvement que moi . - Je l'ai toujours soupçonnée d'aimer Théodore. Sans doute, en ce moment- là, elle crut comme moi que la feinte Rosalinde n'était effectivement rien moins qu'une jeune et belle femme, et le frèle château de cartes de son espoir s'affaissa tout d'un coup, tandis que le mien se relevait sur ses ruines; du moins voilà ce que j'ai pensé : je me trompe peut- être, car je n'étais guère en état de faire des observations exactes. Il y avait là , sans compter Rosette, trois ou quatre jolies femmes ; elles parurent d'une laideur révoltante. -- ΑA côté de ce soleil, l'étoile de leur beauté s'était éclipsée subitement, et chacun se demandait comment on avait pu les trouver seulement passables. Des gens qui, avant cela, se fussent estimés tout heureux de les avoir pour maîtresses, en eussent à peine voulu pour servantes. L'image qui jusqu'alors ne s'était dessinée que faible ment et avec des contours vagues, le fantôme adoré et vainement poursuivi, était là, devant mes yeux, palpable, non plus dans le demi-jour et la vapeur, mais inondé des flots d'une blanche lumière ; non pas sous un - MADEMOISELLE DE MAUPIN . 263 - vain déguisement, mais sous son costume réel : non plus avec la forme dérisoire d'un jeune homme, mais avec les traits de la plus charmante femme. J'éprouvais une sensation de bien- être énorme, comrne si l'on m'eût ôté une montagne ou deux de dessus la poi trine . —Je sentis s'évanouir l'horreur que j'avais de moi même, et je fus délivré de l'ennui de me regarder comme un monstre . Je revins à concevoir de moi une opinion tout à fait pastorale, et toutes les violettes du printemps refleurirent dans mon coeur . Il, ou plutôt elle (car je ne veux plus me souvenir que j'ai eu cette stupidité de la prendre pour un homme) , resta une minute immobile sur le seuil de la porte, comme pour donner le temps à l'assemblée de jeter sa première exclamation . Un vif rayon l'éclairait de la tête aux pieds, et sur le fond sombre du corridor qui s'allongeait au loin par derrière , le chambranle sculpté lui servant de cadre, elle étincelait comme si la lumière fût émanée d'elle au lieu d'être simplement réfléchie , et on l'eût plutôt prise pour une production merveilleuse du pinceau que pour une créature humaine faite de chair et d’os . Ses grands cheveux bruns, entremêlés de cordons de grosses perles, tombaient en boucles naturelles au long de ses belles joues ; ses épaules et sa poitrine étaient dé couvertes, et jamais je n'ai rien vu de si beau au monde : le marbre le plus achevé n'approche pas de cette exquise perfection . Comme on voit la vie courir sous cette transparence d'ombre ! comme cette chair est blanche et colorée à la fois ! et que ces teintes harmonieusement blondissantes ménagent avec bonheur la transition de la peau aux cheveux ! quels ravissants poëmes dans les moelleuses ondulations de ces contours plus souples et plus veloutés que le cou des cygnes ! - S'il y avait des mots pour rendre ce que je sens, je te ferais une descrip tion de cinquante pages; mais les langues ont été faites par je ne sais quels goujats qui n'avaient jamais regardé 264 MADEMOISELLE DE MAUPIN . avec attention le dos ou le sein d'une femme, et l'on n'a pas la moitié des termes les plus indispensables. Je crois décidément qu'il faut que je me fasse sculp teur ; car avoir vu une telle beauté et ne pouvoir la rendre d'une manière ou de l'autre, il y a de quoi devenir fou et enragé . J'ai fait vingt sonnets sur ces épaules-là, mais ce n'est point assez : je voudrais quelque chose que je pusse toucher du doigt et qui fût exactement pareil ; les vers ne rendent que le fantôme de la beauté et non la beauté elle-même. Le peintre arrive à une apparence plus exacte, mais ce n'est qu'une apparence. La sculpture a toute la réalité que peut avoir une chose complétement fausse ; elle a l'aspect multiple, porte ombre, et se laisse toucher . Votre maîtresse sculptée ne diffère de la véritable qu'en ce qu'elle est un peu plus dure et ne parle pas, deux défauts très -légers ! Sa robe était faite d'une étoffe de couleur changeante, azur dans la lumière, or dans l'ombre ; un brodequin très- juste et très-serré chaussait un pied qui n'avait pas besoin de cela pour être trop petit, et des bas de soie écarlate se collaient amoureusement autour de la jambe la mieux tournée et la plus agaçante ; ses bras étaient nus juqu'aux coudes, et ils sortaient d'une touffe de dentelles ronds, potelés et blancs, splendides comme de l'argent poli et d'une délicatesse de linéamert inimaginable ; ses mains, chargées de bagues et d'anneaux , balançaient mollement un grand éventail de plumes bigarrées de teintes singulières et qui semblait comme un petit arc- en ciel de poche. Elle s'avança dans la chambre, la joue légèrement allu mée d'un rouge qui n'était pas du fard , et chacun de s'extasier, et de se récrier, et de se demander s'il était bien possible que ce fût lui, Théodore de Sérannes, le hardi écuyer, le damné duelliste, le chasseur déterminé, et s'il était parfaitement sûr qu'il ne fût pas sa sąur jumelle . Mais on dirait qu'il n'a jamais porté d'autre costume de MADEMOISELLE DE MAUPIN. 265 - - sa vie ! il n'est pas gêné le moins du monde dans ses mouvements, il marche très -bien et ne s'embarrasse pas dans sa queue ; il joue de la prunelle et de l'éventail à ravir ;; et comme il a la taille fine! on le tiendrait entre les quatre doigts ! -C'est prodigieux ! - c'est inconcevable ! - L'illusion est aussi complète que possible : on dirait presque qu'il a de la gorge, tant sa poitrine est grasse et · bien remplie, et puis pas un seul poil de barbe, mais pas un ; et sa voix qui est douce ! Oh ! la belle Rosalinde ! et qui ne voudrait être son Orlando ? Oui, qui ne voudrait être l'Orlando de cette Rosa linde, même au prix des tourments que j'ai soufferts ? - Aimer comme j'aimais d'un amour monstrueux, inavoua ble, et que pourtant l'on ne peut déraciner de son coeur ; être condamné à garder le silence le plus profond, et n'oser se permettre ce que l'amant le plus discret et le plus respectueux dirait sans crainte à la femme la plus prude et la plus sévère ; se sentir dévoré d'ardeurs insen sées et sans excuses, même aux yeux des plus damnés li bertins; que sont les passions ordinaires à côté de celle là, une passion honteuse d'elle -mênte, sans espérance, et dont le succès improbable serait un crime et vous ferait mourir de honte ? Être réduit à souhaiter de ne pas réus sir, à craindre les chances et les occasions favorables, et à les éviter comme un autre les chercherait, voilà quel était mon sort. Le découragement le plus profond s'était emparé de moi; je me regardais avec une horreur'mélangée de sur prise et de curiosité . Ce qui me révoltait le plus, c'était de penser que je n'avais jamais aimé auparavant, et que c'était chez moi la première effervescence de jeunesse, la première pâquerette de mon printemps d'amour, Cette monstruosité remplaçait pour moi les fraiches et pudiques illusions du bel âge; mes rêves de tendresse si doucement caressés, le soir , à la lisière des bois, par les 1" tits sentiers rougissants, ou le long des blanches terrasses 23 266 MADEMOISELLE DE MAUPIN. > de marbre, près de la pièce d'eau du parc, devaient donc se métamorphoser en ce sphinx perfide, au sourire dou teux, à la voix ambiguë, et devant lequel je me tenais de bout sans oser entreprendre d'expliquer l'énigme ! L'in terpréter à faux eût causé ma mort ; car, hélas! c'est le seul lien qui me rattache au monde ; quand il sera brisé, tout sera dit . Otez-moi cette étincelle , je serai plus morne et plus inanimé que la momie emprisonnée de bandelettes du plus antique pharaon . Aux moments où je me sentais entraîné avec le plus de violence vers Théodore, je me rejetais avec effroi dans les bras de Rosette, quoiqu'elle me déplût infiniment; je tâ chais de l'interposer entre lui et moi comme une barrière et un bouclier, - et j'éprouvais une secrète satisfaction , lorsque j'étais couché auprès d'elle , à penser qu'au moins c'était une femme bien avérée, et que , si je ne l'aimais plus, j'en étais encore assez aimé pour que cette liaison ne dégénérât pas en intrigue et en débauche. Cependant je sentais au fond de moi , à travers tout cela, une espèce de regret d'être ainsi infidèle à l'idée de ma passion impossible ; je m'en voulais comme d'une trahi son, et, quoique je susse bien que je ne posséderais jamais l'objet de mon amour, j'étais mécontent de moi, et je re prenais avec Rosette ma froideur habituelle . La répétition a été beaucoup mieux que je ne l'espé rais ; Théodore surtout s'est montré admirable ; on a aussi trouvé que je jouais supérieurement bien . – Ce n'est pas cependant que j'aie les qualités qu'il faut pour être bon acteur, et l'on se tromperait fort en me croyant capable de remplir d'autres rôles de la même manière ; mais, par un hasard assez singulier, les paroles que j'avais à pro noncer répondaient si bien à ma situation , qu'elles me semblaient plutôt inventées par moi qu'apprises par cour dans un livre . La mémoire m'aurait manqué dans cer tains endroits, qu'à coup sûr je n'eusse pas hésité une minute pour remplir le vide avec une phrase improvisée. - MADEMOISELLE DE MAUPIN . 267 Orlando était moi au moins autant que j'étais Orlando, et il est impossible de rencontrer une plus merveilleuse coïncidence. A la scène du lutteur, lorsque Théodore détacha la chaîne de son cou et m'en fit présent, ainsi que cela est dans le rôle, il me jeta un regard si doucement langou reux , si rempli de promesses, et il prononça avec tant de grâce et de noblesse la phrase : « Brave cavalier, portez ceci en souvenir de moi, d'une jeune fille qui vous donne rait plus si elle avait plus àà vous offrir, » que j'en fus réellement troublé, et que ce fut à peine si je pus conti nuer : « Quelle passion appesantit donc ma langue et lui donne ainsi des fers ? je ne puis lui parler, et cependant elle désirerait m'entretenir. O pauvre Orlando ! » Au troisième acte, Rosalinde, habillée en homme et sous le nom de Ganymède, reparaît avec sa cousine Célie qui a changé son nom pour celui d'Aliéna. Cela me fit une impression désagréable : - je m'étais si bien accoutumé déjà à ce costume de femme qui permet tait à mes désirs quelques espérances, et qui m'entretenait dans une erreur perfide, mais séduisante ! On s'habitue bien vite à regarder ses souhaits comme des réalités sur la foi des plus fugitives apparences, et je devins tout som bre quand Théodore reparut sous son costume d'homme, plus sombre que je ne l'étais auparavant ; car la joie ne sert qu'à mieux faire sentir la douleur, le soleil ne brille que pour mieux faire comprendre l'horreur des ténèbres, et la gaieté du blanc n'a pour but que de faire ressortir toute la tristesse du noir . Son habit était le plus galant et le plus coquet du monde, d'une coupe élégante et capricieuse, tout orné de passe-quilles et de rubans, à peu près dans le goût des raffinés de la cour de Louis XIII ; un chapeau de feutre pointu, avec une longue plume frisée, ombrageait les bou cles de ses beaux cheveux, et une épée damasquinée rele vait le bas de son manteau de voyage . 268 MADEMOISELLE DE MAUPIN. Cependant il était ajusté de manière à faire pressentir que ces habits virils avaient une doublure féminine; quel que chose de plus large dans les hanches et de plus rem pli à la poitrine, je ne sais quoi d'ondoyant que les étoffes ne présentent pas sur le corps d'un homme, ne laissaient que de faibles doutes sur le sexe du personnage . Il avait une tournure moitié délibérée, moitié timide, on ne peut plus divertissante, et, avec un art infini, il se donnait l'air aussi gêné dans un costume qui lui était ordi naire, qu'il avait eu l'air à son aise dans des vêtements qui n'étaient pas les siens . La sérénité me revint un peu, et je me persuadai de nouveau que c'était bien effectivement une femme. Je repris assez de sang-froid pour remplir convenablement mon rôle . Connais- tu cette pièce ? peut- être que non. Depuis quinze jours que je ne fais que la lire et la déclamer, je la sais entièrement par cour, et je ne puis m'imaginer que tout le monde ne soit pas aussi au courant que moi du noeud et de l'intrigue ; c'est une erreur où je tombe assez communément, de croire que, lorsque je suis ivre, toute la création est soule et bat les murailles, et, si je sa vais l'hébreu, il est sûr que je demanderais en hébreu ma robe de chambre et mes pantoufles à mon domestique, et que je serais fort étonné qu'il ne me comprit pas . - Tu la liras si tu veux ; je fais comme si tu l'avais lue, et je ne touche qu'aux endroits qui se rapportent à ma situation. Rosalinde, en se promenant dans la forêt avec sa cou sine, est très- étonnée que les buissons portent, au lieu de mures et de prunelles, des madrigaux à sa louange : fruits singuliers qui heureusement ne sont pas habitués àછે . pous ser sur des ronces ; car il vaut mieux, quand on a soif, trouver de bonnes mûres sur les branches que de méchants sonnets . Elle s'inquiète fort pour savoir qui a ainsi gåté l'écorce desjeunesarbres en y taillantson chiffre. -Célie, qui a déjà rencontré Orlando , lui dit, après s'être fait long MADEMOISELLE DE MAUPIN . 269 - . temps prier, que ce rimeur n'est autre que le jeune homme qui a vaincu à la lutte Charles, l'athlète du duc. Bientôt paraît Orlando lui- même, et Rosalinde engage la conversation en lui demandant l'heure . - Certes, voilà un début de la plus extrême simplicité ; — il ne se peut rien voir au monde de plus bourgeois. — Mais n'ayez pas peur : de cette phrase banale et vulgaire vous allez voir lever sur- le -champ une moisson de concetti inattendus, toute pleine de fleurs et de comparaisons bizarres, comme de la terre la plus forte et la mieux fumée. Après quelques lignes d'un dialogue étincelant , où chaque mot, en tombant sur la phrase, fait sauter à droite et à gauche des millions de folles paillettes, comme un marteau d'une barre de fer rouge, Rosalinde demande à Orlando si d'aventure il connaîtrait cet homme qui suspend des odes sur l'aubépine et des élégies sur les ronces, et qui paraît attaqué du mal d'amour quotidien, mal qu'elle sait parfaitement guérir. Orlando lui avoue que c'est lui qui est cet homme si tourmenté par l'amour, et que, puis qu'il s'est vanté d'avoir plusieurs recettes infaillibles pour guérir cette maladie , il lui fasse la grâce de lui en indi quer une . — Vous, amoureux ? réplique Rosalinde ; vous n'avez aucun des symptômes auxquels on reconnait un amoureux , vous n'avez ni les joues maigres ni les yeux cernés ; vos bas ne traînent pas sur vos talons, vos man ches ne sont pas déboutonnées, et la rosette de vos souliers est nouée avec beaucoup de grâce ; si vous êtes amoureux de quelqu'un, c'est assurément de votre propre personne, et vous n'avez que faire de mes remèdes. Ce ne fut pas sans une véritable émotion que je lui don rai la réplique dont voici les mots textuels : « Beau jeune homme, je voudrais pouvoir te faire croire que je t'aime. » Cette réponse si imprévue, si étrange, qui n'est amenée par rien, et qui semblait écrite exprès pour moi comme par une espèce de prévision du poëte, me fit beaucoup . 23 . 270 MADEMOISELLE DE MAUPIN , d'effet quand je la prononçai devant Théodore, dont les lèvres divines étaient encore légèrement gonflées par l'ex pression ironique de la phrase qu'il venait de dire, tandis que ses yeux souriaient avec une inexprimable douceur, et qu'un clair rayon de bienveillance dorait tout le haut de sa jeune et belle figure. « Moi le croire ? il vous est aussi aisé de le persuader à celle qui vous aime, et cependant elle ne conviendra pas aisément qu'elle vous aime, et c'est une des choses sur les quelles les femmes donnent toujours un démenti à leur conscience ; - mais, bien sincèrement, est -ce vous qui accrochez aux arbres tous ces beaux éloges de Rosalinde, et auriez-vous en effet besoin de remèdes pour votre fo lie ? » Quand elle est bien assurée que c'est lui, Orlando, et non pas un autre, qui a rimé ces admirables vers qui mar chent sur tant de pieds, la belle Rosalinde consent à lui dire quelle est sa recette . Voici en quoi elle consiste : elle a fait semblant d'être la bien-aimée du malade d'amour, qui était obligé de lui faire la cour comme à sa maîtresse véritable, et, pour le dégoûter de sa passion, elle donnait dans les caprices les plus extravagants; tantôt elle pleurait, tantôt elle riait ; un jour elle l'accueillait bien, l'autre mal ; elle l'égratignait, elle lui crachait au visage ; elle n'était pas une seule minute pareille à elle -même: minaudière , volage, prude, langoureuse, elle était cela tour à tour, et tout ce que l'ennui, les vapeurs et les diables bleus peu vent faire naître de fantaisies désordonnées dans la tête creuse d'une petite -maîtresse, il fallait que le pauvre dia ble le supportåt ou l'exécutât . - Un lutin , un singe et un procureur réunis n'eussent pas inventé plus de malices. Ce traitement miraculeux n'avait pas manqué de pro duire son effet;; -- le malade, d'un accès d'amour était tombé dans un accès de folie, qui lui avait fait prendre tout le monde en horr, ur, et il avait été finir ses jours uans un réduit vraiment monastique; résultat on ne peut MADEMOISELLE DE MAUPIN. 271 - plus satisfaisant, et auquel, du reste, il n'était pas difficile de s'attendre . Orlando, comme on peut bien le croire, ne se soucie guère de revenir à la santé par un pareil moyen ; mais Rosalinde insiste et veut entreprendre cette cure . —- Et elle prononça cette phrase : « Je vous guérirais si vous vouliez seulement consentir à m'appeler Rosalinde et à venir tous les jours me rendre vos soins dans ma cabane, » avec une intention si marquée et si visible, et en mejetant un regard si étrange, qu'il me fût impossible de ne pas y attacher un sens plus étendu que celui des mots, et de n'y pas voir comme un avertissement indirect de déclarer mes véritables sentiments . - Et quand Orlando lui répondit : « Bien volontiers, aimable jeune homme, » elle prononça d'une manière encore plus significative, et comme avecune pspèce de dépit de ne pas se faire comprendre, la répli que : « Non, non, il faut que vous m'appeliez Rosalinde . » Peut-être me suis - je trompé, et ai- je cru voir ce qui n'existait point en effet, mais il m'a semblé que Théodore s'était aperçu de mon amour, quoique assurément je ne lui en eusse jamais dit un seul mot, et qu'à travers le voile de ces expressions empruntées, sous ce masque de théâ tre, avec ces paroles hermaphrodites, il faisait ahusion à son sexe réel et å notre situation réciproque . Il est bien impossible qu'une femme aussi spirituelle qu'elle l'est, et qui a autant de monde qu'elle en a, n'ait pas, dès les com mencements, démêlé ce qui se passait dans mon âme: à défaut de ma langue, mes yeux et mon trouble par laient suffisamment et le voile d'ardente amitié que j'avais jeté sur mon amour n'était pas impénétrable à ce point qu’un observateur attentif et intéressé ne le put facilement traverser . – La fille la plus innocente et la moins usagée ne s'y fût pas arrêtée une minute . Quelque raison importante, et que je ne puis savoir, force sans doute la belle à ce déguisement maudit, qui a été la cause de tous mes tourments, et qui a failli faire de - 27 % MADEMOISELLE DE MAUPIN . moi un étrange amoureux : sans cela tout aurait été uni ment, facilement, comme une voiture dont les roues sont bien graissées sur une route bien plane et sablée avec du sable fin ; j'aurais pu me laisser aller avec une douce sć curité aux rêveries les plus amoureusement vagabondes, et prendre entre mes mains la petite main blanche et soyeuse de ma divinité, sans frissons d'horreur, et sans reculer à vingt pas, comme si j'eusse touché un fer rouge, ou senti les griffes de Belzébuth en personne . Au lieu de me désespérer et de m’agiter comme un vrai maniaque, de me battre les flancs pour avoir des remords, et de me dolenter de n'en pas avoir, tous les matins, en étendant les bras, je me serais dit avec un sentiment de devoir rempli et de conscience satisfaite : -Je suis amou reux ; - phrase aussi agréable à se dire le matin , la tête sur un oreiller bien doux, sousune couverture bien chaude, que toute autre phrase de trois mots que l'on pourrait imaginer, — excepté toutefois celle-ci : J'ai de l'argent. Après m'être levé, j'aurais été me planter devant ma glace, et là, me regardant avec une sorte de respect, je me serais attendri , tout en peignant mes cheveux, sur ma poétique pâleur, en me promettant bien d'en tirer bon parti, et de la faire convenablement valoir, car rien n'est ignoble comme de faire l'amour avec une trogne écar late ; et, quand on a le malheur d'être rouge et amoureux, choses qui peuyent se rencontrer, je suis d'avis qu'il se faut quotidiennement enfariner la physionomie, ou re noncer à être du bel air et s'en tenir aux Margots et aux Toinons. Puis j'eusse déjeuné avec componction et gravité pour nourrir ce cher corps, cette précieuse boite de passion, lui composer du suc des viandes et du gibier de bon chyle amoureux, de bon sang vif et chaud, et le maintenir dans un état à faire plaisir aux âmes charitables . Le déjeuner fini, tout en me curant les dents, j'eusse entrelacé quelques rimes hétéroclites en manière de son. MADEMOISELLE DĘ MAUPIN. 273 net, le tout en l'honneur de ma princesse ; j'aurais trouvé mille petites comparaisons plus inédites les unes que les autres, et infiniment galantes : dans le premier quatrain, il y aurait eu une danse de soleils, et, dans le second, un menuet de vertus theologales ; les deux tercets n'eussent pas été d'un goût inférieur; Hélène y eût été traitée de ser vante d'auberge, et Päris d'idiot ; l'Orient n'eût rien eu à envier pour la magnificence des métaphores ; le dernier vers surtout eût été particulièrement admirable et eût renfermé deux concetti au moins par syllabe ; car le venin du scorpion est dans sa queue, et le mérite du sonnet dans son dernier vers. Le sonnet parachevé et bien et dù ment transcrit sur papier glacé et parfumé, je serais sorti de chez moi hautde cent coudées et baissant la tête de peur de me cogner au ciel et d'accrocher les nuages ( sage pré caution) , et j'aurais été débiter ma nouvelle production à tous mes amis et à tous mes ennemis, puis aux enfants à la mamelle et à leurs nourrices, puis aux chevaux et aux anes, puis aux murailles et aux arbres, pour savoir un peu l'avis de la création sur ce dernier produit de ma veine . Dans les cercles, j'aurais parlé avec les femmes d'un air doctoral, et soutenu des thèses de sentiment d'un ton de voix grave et mesuré, comme un homme qui en sait beau coup plus qu'il n'en veut dire sur la matière qu'il traite, et qui n'a pas appris ce qu'il sait dans les livres ; - ce qui ne manque pas de produire un effet on ne peut plus pro digieux, et de faire pâmer comme des carpes sur le sable toutes les femmes de l'assemblée qui ne disent plus leur åge, et les quelques petites filles que l'on n'a pas invitées à danser , J'aurais pu mener la plus heureuse vie du monde, mar cher sur la queue du carlin sans trop faire crier sa mai tresse, renverser les guéridons chargés de porcelaine, man ger à table le meilleur morceau sans en laisser pour le reste de la compagnie ; tout cela eût été excusé en faveur 274 MADEMOISELLE DE MAUPIN . - de la distraction bien connue des amoureux ; et, en me voyant ainsi tout avaler avec une mine effarée , tout le monde eût dit en joignant les mains : - Pauvre garçon ! Et puis cet air rêveur et dolent, ces cheveux en pleurs, ces bas mal tirés, cette cravate lâche, ces grands bras pendants que je vous aurais eus ! comme j'aurais par- · couru les allées du parc, tantôt à grands pas, tantôt à petits pas, à la façon d'un homme dont la raison est com plétement égarée ! comme j'aurais regardé la lune entre les deux yeux, et fait des ronds dans l'eau avec une pro fonde tranquillité ! Mais les dieux en ont ordonné autrement. Je me suis épris d'une beauté en pourpoint et en bottes, d'une fière Bradamante qui dédaigne les habits de son sexe, et qui vous laisse par moments flotter dans les plus inquiétantes perplexités ; - ses traits et son corps sont bien des traits et un corps de femmie , mais son esprit est incontestablement celui d'un homme. Ma maîtresse est de première force à l'épée, et en re montrerait au prévôt de salle le plus expérimenté ; elle a eu je ne sais combien de duels, et tué ou blessé trois ou quatre personnes ; elle franchit à cheval des fossés de dix pieds de large, et chasse comme un vieux gentillâtre de province : singulières qualités pour une maîtresse ! il n'y a qu'à moi que ces choses- là arrivent . Je ris, mais certainement il n'y a pas de quoi, car je n'ai jamais tant souffert, et ces deux derniers mois m'ont semblé deux années ou plutôt deux siècles. C'était dans ma tête un flux et reflux d'incertitudes à hébéter le plus fort cerveau ; j'étais si violemment agité et tiraillé en tous sens, j'avais des élans si furieux, de si plates atonies, des espoirs si extravagants et des désespoirs si profonds, que je ne sais réellement pas comment je ne suis pas mort à la peine. Cette idée m'occupait et me remplissait tellement, que je m'étonnais qu'on ne la vît pas clairement à travers mon corps comme une bougie dans une lanterne, et j'é NIADEMOISELLE DE MAUPIN. 275 - tais dans des transes mortelles que quelqu'un ne vînt à dé couvrir quel était l'objet de cet amour insensé. -Du reste, Rosette, étant la personne du monde qui avait le plus d'inté rêt à surveiller les mouvements de mon coeur, n'a point paru s'apercevoir de rien ; je crois qu'elle était elle -même trop occupée à aimer Théodore, pour faire attention à mon refroidissement pour elle ; ou bien il faut que je sois passé maître en fait de dissimulation, et je n'ai pas cette fatuité. — Théodore lui-même n'a point montré jusqu'à ce jour qu'il eût le plus léger soupçon de l'état de mon âme, et il m'a toujours parlé familièrement et amicalement, comme un jeune homme bien élevé parle à un jeune homme de son âge, mais rien de plus. -Sa conversation avec moi roulait indifféremment sur toute sorte de sujets, sur les arts, sur la poésie et autres matières pareilles ; mais rien d’intime et de précis qui eût trait à lui ou à moi. Peut- être les motifs qui l'obligeaient à ce travestisse ment n'existent -ils plus, et va - t -il bientôt reprendre le vêtement qui lui convient :c'est ce que j'ignore ; toujours est-il que la Rosalinde a prono: icé certains mots avec des inflexions particulières, et qu'elle a appuyé d'une manière très- marquée sur tous les passages du rôle qui avaient une signification ambiguë et qui se pouvaient détourner dans ce sens-là. Dans la scène du rendez -vous, depuis l'instant où elle reproche à Orlando de n'être pas arrivé deux heures avant, comme il sied à un véritable amoureux, mais bien deux heures après, jusqu'au douloureux soupir qu'ef frayée de l'étendue de sa passion, elle pousse en se jetant dans les bras d'Aliéna : « O cousine ! cousine ! ma jolie petite cousine ! si tu savais à quelle profondeur je suis enfoncée dans l'abîme de l'amour ! » elle a déployé un talent miraculeux . C'était un mélange de tendresse, de mélancolie et d'amour irrésistible ; sa voix avait quelque chose de tremblant et d'ému, et derrière le rire on sentait l'amour le plus violent prêt à faire explosion ; ajoutez à 276 MADEMOISELLE DE MAUPIN. cela tout le piquant et la singularité de la transposition et ' ce qu'il y a de nouveau à voir un jeune homme faire la cour à sa maîtresse qu'il prend pour un homme et qui en a toutes les apparences. Des expressions qui eussent paru ordinaires et commu nes dans d'autres situations, prenaient dans celle -ci un relief particulier, et toute cette menue monnaie de com paraisons et de protestations amoureuses, qui a cours sur le théâtre, semblait refrappée avec un coin tout neuf ; d'ailleurs, les pensées, aulieu d'être rares et charmantes comme elles le sont, eussent-elles été plus usées que la soutane d’un juge ou la croupière d'un âne de louage, la façon dont elles étaient débitées les eût fait trouver de la plus merveilleuse finesse et du meilleur goût du monde. J'ai oublié de te dire que Rosette, après avoir refusé le rôle de Rosalinde, s'était complaisamment chargée du rôle secondaire de Phæbé ; Phoebé est une bergère de la forêt des Ardennes, éperdument aimée du berger Sylvius, qu'elle ne peut souffrir et qu'elle accable des plus con stantes rigueurs . Phoebé est froide comme la lune dont elle porte le nom ; elle a un cæur de neige qui ne fond point au feu des plus ardents soupirs, mais dont la croûte glacée s'épaissit de plus en plus et devient dure comme le diamant ; mais à peine a -t -elle vu Rosalinde sous les ha bits du beau page Ganymède, que toute cette glace se résout en pleurs et que le diamant devient plus mou que de la cire . L'orgueilleuse Phæbé, qui se riait de l'amour, est amoureuse elle-même ; elle souffre maintenant les tourments qu'elle faisait endurer aux autres . Sa fierté s'a bat jusqu'à faire toutes les avances, et elle fait porter à Rosalinde, par le pauvre Sylvius, une lettre brûlante qui contient l'aveu de sa passion dans les termes les plus humbles et les plus suppliants. Rosalinde, touchée de pitié pour Sylvius, et ayant d'ailleurs les plus excellentes raisons du monde pour ne pas répondre à l'amour de Phæbé, lui fait essuyer les traitements les plus durs et se MADEMOISELLE DE MAUPIN. 277 - moque d'elle avec une cruauté et un acharnement sans pareils . Phoebé préfère cependant ces injures aux plus délicats et plus passionnés madrigaux de son malheureux berger ; elle suit partout le bel inconnu, et à force d'im portunités, ce qu'elle en peut tirer de plus doux est cette promesse que, si jamais il épouse une femme, à coup sûr ce sera elle ; en attendant, il l'engage à bien traiter Sylvius et à ne pas se bercer d'une trop flatteuse espérance. Rosette s'est acquittée de son rôle avec une grâce triste et caressante, un ton douloureux et résigné qui allait au cour ; -- et lorsque Rosalinde lui dit : « Je vous aimerais, si je pouvais, » les larmes furent au moment de déborder de ses yeux, et elle eut peine à les contenir, car l'histoire de Phæbé est la sienne, comme celle d'Orlando est la inienne, à cette différence près que tout se dénoue heu reusement pour Orlando, et que Phæbé , trompée dans son amour, au lieu du charınant idéa '. qu'elle voulait embrasser, en est réduite à épouser Sylvius. La vie est ainsi disposée : ce qui fait le bonheur de l'un fait néces sairement le malheur de l'autre . Il est très-heureux pour moi que Théodore soit une femme; il est très -malheu reux pour Rosette que ce ne soit pas un homme, et elle se trouve jetée maintenant dans les impossibilités amou reuses où j'étais naguère égaré. A la fin de la pièce, Rosalinde quitte pour des vête ments de son sexe le pourpoint du page Ganymède, et se fait reconnaitre par le duc pour sa fille , par Orlando pour sa maîtresse ; le dieu Hymenæus arrive avec sa livrée de safran et ses torches légitimes. – Trois mariages ont lieu . - Orlando épouse Rosalinde, Phoebé Sylvius , et le bouffon Touchstone la naïve Audrey, - Puis l'épilogue vient faire sa salutation , et le rideau tombe ... Tout cela nous a extrêmement intéressés et occupés : c'était en quelque sorte une autre pièce dans la pièce, un drame invisible et inconnu aux autres spectateurs que nous jouions pour nous seuls, et qui, sous des paroles - 278 MADEMOISELLE DE MAUPIN. C - symboliques, résumait notre vie complète et exprimait nos plus cachés désirs. — Sans la singulière recette de Rosa linde, je serais plus malade que jamais, n'ayant pas même un espoir de lointaine guérison, et j'aurais continué à errer tristement dans les sentiers obliques de l'obscure forêt. Cependant je n'ai qu'une certitude morale ; les preuves me manquent, et je ne puis rester plus longtemps dans cet état d'incertitude ; il faut absolument que je parle à Théo dore d'une manière plus précise . Je me suis approché vingt fois de lui avec une phrase préparée, sans pouvoir venir à bout de la dire, - je n'ose pas ; j'ai bien des occasions de lui parler seul ou dans le parc, ou dans ma chambre, ou dans la sienne, car il vient me voir et je vais le voir, mais je les laisse passer sans m'en servir, bien que l'instant d'après j'en éprouve un regret mortel, et que j'entre contre moi-même en des colères horribles. J'ouvre la bouche, et mélgré moi d'autres mots se substituent aux mots que je voudrais dire ; au lieu de déclarer mon amour, je disserie sur la pluie et le beau temps ou telle autre stupidité pareille . Cependant la saison va finir , et bientôt l'on retournera à la ville ; les facilités qui s'ou vrent ici favorablement devant mes désirs ne se retrouve ront nulle part : nous nous perdrons peut- être de vue , et un courant opposé nous emportera sans doute . La liberté de la campagne est une chose si charmante et si commode ! -les arbres même un peu effeuilles de l'au tomne offrent de si délicieux ombrages aux rêveries du naissant amour ! il est si difficile de résister au milieu de la belle nature ! les oiseaux ont des chansons si langoureuses, les fleurs des parfums si enivrants, le revers des collines des gazons si dorés et si soyeux ! La solitude vous inspire mille voluptueuses pensées, que le tourbillon du monde eût dispersées ou fait envoler çà et là , et le mouvement instinctif de deux êtres qui entendent battre leur ceur dans le silence d'une campagne déserte , est d'enlacer leurs - MADEMOISELLE DE MAUPIN . 279 bras plus étroitement et de se replier l'un sur l'autre, comme si effectivement il n'y avait plus qu'eux de vivants au monde . J'ai été me promener ce matin ; le temps était doux et humide, le ciel ne laissait pas entrevoir le moindre lo sange d'azur ; cependant il n'était ni sombre ni menaçant. Deux ou trois tons de gris de perle, harmonieusement fondus, le noyaient d'un bout à l'autre, et sur ce fond va poreux passaient lentement des nuages cotonneux sem blables à de grands morceaux d'ouate ; ils étaient pous sés par le souffle mourant d'une petite brise, à peine assez . forte pour agiter les sommités des trembles les plus in quiets : des flocons de brouillards montaient entre les grands marronniers et indiquaient de loin le cours de la rivière. Quand la brise reprenait haleine, quelques feuilles rougies et grillées s'éparpillaient tout émues, et couraient devant moi le long du sentier comme des essaims de moi neaux peureux ; puis, le souffle cessant, elles s'abattaient quelques pas plus loin : vraie image de ces esprits qu'on prend pour des oiseaux volant librement avec leurs ailes, et qui ne sont, au bout du compte, que des feuilles desséchées par la gelée du matin , et dont le moindre vent qui passe fait son jouet et sa risée . Les lointains étaient tellement estompés de vapeurs, et les franges de l'horizon tellement effilées sur le bord, qu'il n'était guère possible de savoir le point précis où commençait le ciel et où finissait la terre : un gris un peu plus opaque, une brume un peu plus épaisse, indiquaient d'une manière vague l'éloignement et la différence des plans. A travers ce rideau, les saules, avec leurs têtes cen drées, avaient plutôt l'air de spectres d'arbres que d'arbres véritables ; les sinuosités des collines ressemblaient plutôt aux ondulations d'un entassementde nuées qu'au gisement d'un terrain solide. Les contours des objets tremblaient à . l'oeil, et une espèce de trame grise d'une finesse inexpri mable, pareille à une toile d'araignée, s'étendait entre les à 280 MADEMOISELLE DE MAUPIN. devants du paysage et les fuyantes profondeurs ; aux endroits ombrés, les hachures se dessinaient en clair beau coup plus nettement, et laissaient voir les mailles du ré seau ; aux places plus éclairées, ce filetdebrume était insen sible, et se confondait dans une lueur diffuse . Il y avait dans l'air quelque chose d'assoupi, d'humidement tiède et de doucementterne qui prédisposait singulièrement à la mélancolie . Tout en allant, je pensais que l'automne était venu aussi pour moi, et que l'été rayonnant était passé sans retour ; Tarbre de mon âme était peut- être encore plus effeuillé que les arbres desforêts ; à peine restait -il à la plus haute branche une seule petite feuille verte qui se balançait en frissonnant, toute triste de voir ses scurs la quitter une à une. Reste sur l'arbre, o petite feuille couleur d'espérance, retiens-toi à la branche de toute la force de tes nervures et de tes fibres ; ne te laisse pas effrayer par les sifflements du vent, o bonne petite feuille ! car, lorsque tu m'auras quitté, qui pourra distinguer si je suis un arbre mort ou vivant, et quiempêchera le bûcheron de m'entailler le pied à coups de hache et de faire des fagots avec mes bran ches ? - Il n'est pas encore le temps où les arbres n'ont plus de feuilles, et le soleil peut encore se débarrasser des langes de brouillard qui l'environnent. Ce spectacle de la saison mourante me fit beaucoup d'impression . Je pensais que le temps fuyait vite, et que je pourrais mourir sans avoir serré mon idéal sur mon - coeur . En rentrant chez moi, j'ai pris une résolution . -· Puis que je ne pouvais me décider à parler, j'ai écrit toute ina destinée sur un carré de papier. — Il est peut- être ridi cule d’écrire à quelqu'un qui demeure dans la même maison que vous, et que l'on peut voir tous les jours, à toute heure ; mais je n'en suis plus à regarder ce qui est ridicule ou non. MADEMOISELLE DE MAUPIN . 281 J'ai cacheté ma lettre non sans trembler et sans changer de couleur ; puis, choisissant le moment où Théodore était sorti, je l'ai posée sur le milieu de la table, et je me suis enfui aussi troublé que si j'avais commis la plus abo minable action du monde. XII Je t'ai promis la suite de mes aventures ; mais en vérité je suis si paresseuse à écrire, qu'il faut que je t'aime comme la prunelle de mon oil, et que je te sache plus cu rieuse qu'Ève ou Psyché, pour me mettre devant une table avec une grande feuille de papier toute blanche qu'il faut rendre toute noire, et un encrier plus profond que la mer , dont chaque goutte se doit tourner en pensées, ou du moins en quelque chose qui y ressemble, sans prendre la résolution subite de monter à cheval et de faire, à bride abattue, les quatre -vingts énormes lieues qui nous sépa rent, pour t'aller conter de vive voix ce que je vais t'ali gner en pieds de mouche imperceptibles, afin de ne pas être effrayée moi-même du volume prodigieux de mon odyssée picaresque. Quatre- vingts lieues ! songer qu'il y a tout cet espace entre moi et la personne que j'aime le mieux au monde ! - J'ai bien envie de déchirer ma lettre et de faire seller mon cheval . - Mais je n'y pensais plus, avec l'habit que je porte, je ne pourrais approcher de toi , et reprendre la vie fainilière que nous menions ensemble lorsque nous étions de petites filles bien naïves et bien innocentes : si jamais je reprends des jupes, ce sera assurément pour ce motif. Je t'ai laissée, je crois, au départ de l'auberge où j'ai passé une si drôle de nuit et où ma vertu a pensé faire naufrage en sortant du port . — Nous partimes tous en semble, allant du même côté. Mes compagnons s'exta sièrent beaucoup sur la beauté de mon cheval, qui effec 24 . 282 MADEMOISELLE DE MAUPIN . tivement est de race et l'un des meilleurs coureurs qui soient ; - cela me grandit d'une demi- coudée au moins dans leur estime, et ils ajoutèrent à mon propre mérite tout le mérite de ma monture. —Cependant ils parurent craindre qu'elle ne fût trop fringante et trop fougueuse pour moi. —Je leur dis qu'ils eussent à calmer leur crainte, et, pour leur montrer qu'il n'y avait point de danger, je lui fis faire plusieurs voltes et plusieurs courbettes, - puis je franchis une barrière assez élevée , et je pris le galop. La troupe essaya vainement de me suivre ; je tournai bride quand je fus assez loin, et je revins à leur rencontre ventre à terre; quand je fus tout près d’eux, je retins mon cheval lancé sur ses quatre pieds et je l'arrêtai court : ce qui est, comme tu le sais ou comme tu ne le sais pas, un vrai tour de force en équitation. De l'estime ils passèrent sans transition au plus profond respect. Ils ne se doutaient pas qu'un jeune écolier, tout récemment sorti de l'université, était aussi bon écuyer que cela . Cette découverte qu'ils firent me servit plus que s'ils avaient reconnu en moi toutes les vertus théologales et car dinales ; - au lieu de me traiter en petit jeune homme, ils me parlèrent sur un ton de familiarité obséquieuse qui me fit plaisir. En quittant mes habits, je n'avais pas quitté mon or gueil : -n'étant plus femme, je voulais être homme tout à fait et ne pas me contenter d'en avoir seulement l'exté rieur . —J'étais décidée à avoir comme cavalier les succès auxquels je ne pouvais plus prétendre en qualité de femme. Ce qui m'inquiétait le plus, c'était de savoir com ment je m'y prendrais pour avoir du courage ; car le cou rage et l'adresse aux exercices du corps sont les moyens par lesquels un homme fonde le plus aisément sa répu tation . Ce n'est pas que je sois timide pour une femme, et je n'ai pas ces pusillanimités imbéciles que l'on voit à plusieurs; mais de là à cette brutalité insouciante et féroce MADEMOISELLE DE MAUPIN . 283 qui fait la gloire des hommes il y a loin encore, et mon intention était de devenir un petit fier - à -bras, un tranche montagne comme messieurs du bel air , afin de me mettre sur un bon pied dans le mondeet de jouir de tous les avan tages de ma métamorphose. Mais je vis par la suite que rien n'était plus facile et que la recette en était fort simple. Je ne te conterai pas, selon l'usage des voyageurs, que j'ai fait tant de lieues tel jour, que j'ai été de cet endroit à cet autre, que le rôti que j'ai mangé dans l'auberge du Cheval-Blanc ou de la Croix-de-Fer était cru ou brulé ; que le vip était aigre et que le lit où j'ai couché avait des rideaux à personnages ou à fleurs : ce sont des détails très-importants et qu'il est bon de conserver à la postérité ; mais il faudra que la postérité s'en passe pour cette fois et que tu te résignes à ne pas savoir de combien de plats mon dîner était composé, et si j'ai bien ou mal dormi pen dant le cours de mes voyages. Je ne te donnerai pas non plus une description exacte des différents paysages, des champs de blés et des forêts, des cultures variées et des collines chargées de hameaux qui ont successivement passé devant mes yeux : cela est facile à supposer ; prends un peu de terre, plantes -y quelques arbres et quelques brins d'herbe, barbouille derrière cela un petit bout de ciel ou grisâtre ou bleu pâle, et tu auras une idée très -suffisante du fond mouvant sur lequel se détachait notre petite caravane. —· Si, dans ma première lettre,, je suis entrée en quelques détails de ce genre, veuille bien m'excuser, je n'y retomberai plus : comme je n'étais ja mais sortie, la moindre chose me semblait d'une impor tance énorme . Un des cavaliers, mon compagnon de lit, celui que j'a vais été près de tirer par la manche dans la mémorable nuit dont je t'ai décrit tout au long les angoisses, se prit d'une belle passion pour moi et tint tout le temps son cheval à côté du mien . 284 MADEMOISELLE DE MAUPIN . A cette exception près , que je n'eusse pas voulu le prendre pour amant quand il m'eût apporté la plus belle couronne du monde, il ne me déplaisait pas autrement ; il était instruit , et ne manquait ni d'esprit ni de bonne hu meur : seulement , quand il parlait des femmes, c'était avec un ton de mépris et d'ironie pour lequel je lui eusse très -volontiers arraché les deux yeux de la tête , d'autant plus que, sous l'exagération , il y avait dans ce qu'il disait beaucoup de choses d'une vérité cruelle et dont mon habit d'homme me forcait de reconnaître la justice . Il m'invita d'une manière si pressante et à tant de re prises à venir voir avec lui une de ses sæurs sur la fin de son veuvage, et qui habitait en ce moment- là un vieux château avec une de ses tantes , que je ne pus le lui re fuser . - Je fis quelques objections pour la forme, car au fond il m'était aussi égal d'aller là qu'autre part, et je pou vais tout aussi bien atteindre à mon but de cette façon que d'une autre ; et , comme il me dit que je le désobligerais assurément beaucoup si je ne lui accordais au moins quinze jours, je lui répondis que je voulais bien et que c'était une chose convenue. A un embranchement du chemin , - le compagnon , en montrant le jambage droit de cet Y naturel, me dit : - C'est par là . Les autres nous donnèrent une poignée de main et s'en furent de l'autre côté. Après quelques heures de marche, nous arrivâmes au lieu de notre destination . Un fossé assez large, mais qui, au lieu d'eau, était rempli d'une végétation abondante et touffue, séparait le parc du grand chemin ; le revêtement était en pierre de taille ; et , dans les angles, se hérissaient de gigantesques artichauts et des chardons de fer qui semblaient avoir poussé comme des plantes naturelles entre les blocs dis joints de la muraille : un petit pont d'une arche traversait de canal à sec et permettait d'arriver à la grille. Une laute alléc d'ormes, arrondie en berceau et taillée MADEMOISELLE DE MAUPIN. 283 à la vieille mode, se présentait d'abord à vous ; et, après l'avoir suivie quelque temps, on débouchait dans une es pèce de rond-point. Ces arbres avaient plutôt l'air surannés que vieux ; ils paraissaient avoir des perruques et être poudrés à blanc; on ne leur avait réservé qu'une petite houppe de feuillage au sommet de la tête ; tout le reste était soigneusement émondé, en sorte qu'on les eût pris pour des pluinets dé mesurés plantés en terre de distance en distance. Après avoir traversé le rond -point, couvert d'une herbe fine soigneusement foulée au rouleau, il fallait encore pas ser sous une curieuse architecture de feuillage ornée de pots-à - feu, de pyramides et de colonnes d'ordre rustique, le tout pratiqué à grand renfort de ciseaux et de serpes dans un énorme massif de buis. — Par différentes échap pées on apercevait, à droite et à gauche, tantôt un châ teau de rocaille à demi ruiné, tantôt l'escalier rongé de mousse d'une cascade tarie, ou bien un vase ou une statue de nymphe et de berger le nez et les doigts cassés, avec quelques pigeons perchés sur les épaules et sur la tête. Un grand parterre , dessiné à la française, s'étendait de vant le château ; tous les compartiments étaient tracés avec du buis et du houx dans la plus rigoureuse symétrie ; cela avait bien autant l'air d'un tapis que d'un jardin : de grandes fleurs en parure de bal, le port majestueux et la mine sereine, comme des duchesses qui s'apprêtent à danser le menuet, vous faisaient au passage une légère inclination de tête . D'autres, moins polies apparemment, se tenaient roides et immobiles, pareilles à des douairières qui font tapisserie . Des arbustes de toutes les formes pos sibles, si l'on en excepte toutefois leur forme naturelle , ronds, carrés , pointus, triangulaires, avec des caisses vertes et grises, semblaient marcher processionnellement au long de la grande allée, et vous conduire par la main jusqu'aux premières marches du perron . 286 MADEMOISELLE DE MAUPIN. Quelques tourelles, à demi engagées dans des construc tions plus récentes, dépassaient la ligne de l'édifice de toute la hauteur de leur éteignoir d'ardoises, et leurs gi rouettes de tôle taillées en queue d'aronde témoignaient d'une assez honorable antiquité. Les fenêtres du pavillon du milieu donnaient toutes sur un balcon commun orné d'une balustrade de fer extrêmement travaillée et d'une grande richesse, et les autres étaient entourées de cadres de pierre avec des chiffres et des noeuds sculptés . Quatre à cinq grands chiens accoururent en aboyant à pleine gueule et en faisant des cabrioles prodigieuses. Ils gambadaient autour des chevaux et leur sautaient au nez : ils firent surtout fête au cheval de mon camarade, àછે qui probablement ils allaient souvent rendre visite dans l'é curie, ou qu'ils accompagnaient à la promenade . A tout ce tapage, arriva enfin une espèce de valet, l'air moitié laboureur, moitié palefernier, qui prit nos bêtes par la bride et les emmena. Je n'avais pas encore vu âme qui vive, si ce n'est une petite paysanne effarée et sauvage comme un daim, qui s'était sauvée à notre aspect et tapie dans un sillon , derrière du chanvre, quoique nous l'eus sions appelée à plusieurs reprises, et que nous eussions fait notre possible pour la rassurer . Personne ne paraissait aux fenêtres ; on eût dit que le château était inhabité, ou du moins ne l'était que par des esprits; car le moindre bruit ne transpirait pas au dehors . Nous commencions à monter les premières marches du perron , en faisant sonner nos éperons, car nous avions les jambes un peu alourdies, lorsque nous entendimes à l'in térieur un bruit de portes ouvertes et fermées, comme si quelqu'un se hâtait à notre rencontre . En effet, une jeune femme parutsur le haut de la rampe , franchit, en un bond l'espace qui la séparait de mon com pagnon, et se jeta à son cou. Celui- ci l'embrassa très-af fectueusement, et, lui mettant le bras autour de la taille, il l'enleva presque et la porta ainsi jusqu'au palier . > MADEMOISELLE DE MAUPIN. $ 87 - Savez-vous que vous êtes bien aimable et bien galant pour un frère, mon cher Alcibiade ? N'est- ce pas, mon sieur, qu'il n'est pas tout à fait inutile que je vous aver tisse que c'est mon frère, car en vérité il n'en a pas trop les façons ? dit la jeune belle en se retournant de mon côté. A quoi je répondis qu'on s'y pouvait méprendre, et que c'était en quelque sorte un malheur que d'être son frère et de se trouver ainsi exclu de la catégorie de ses adora teurs ; que pour moi, si je l'étais, je deviendrais à la fois le plus malheureuxet le plus heureux cavalier de la terre. - Ce qui la fit doucement sourire . Tout en causant ainsi, nous entrâmes dans une salle basse dont les murs étaient décorés d'une tapisserie de haute lisse. de Flandre . — De grands arbres à feuilles aiguës y soute naient des essaimsd'oiseaux fantastiques; les couleurs al térées parle temps produisaient de bizarres transposition de nuances ; le ciel était vert, les arbres bleu de roi avec des lumières jaunes, et dans les draperies des personnages l'ombre était souvent d'une couleur opposée au fond de l'étoffe ; - les chairs ressemblaient à du bois , et les nym phes qui se promenaient sous les ombrages déteints de la forêt avaient l'air de momies démaillotées ; leur bouche seule, dont la pourpre avait conservé sa teinte primitive, souriait avec une apparence de vie . Sur le devant, se hé rissaient de hautes plantes d'un vert singulier avec de larges fleurs panachées dont les pistils ressemblaient à des aigrettes de paon. Des hérons à la mine sérieuse et pensive, la tête enfoncée dans les épaules, leur long bec reposant sur leur jabot rebondi, se tenaient philosophiquement debout sur une de leurs maigres pattes, dans une eau dormante et noire, rayée de fils d’argent ternis ; par les échappées du feuillage, on voyait dans le lointain de petits châteaux avec des tourelles pareilles à des poivrières et des balcons chargés de belles dames en grands atours qui regardaient passer des cortéges ou des chasses. Des rocailles capricieusement dentelées, d'où tombaient - 288 MADEMOISELLE DE MAUPIN . - des torrents de laine blanche, se confondaient au bord de l'horizon avec des nuages pommelés. Une des choses qui me frappèrent le plus, ce fut une chasseresse qui tirait un oiseau . Ses doigts ouverts ve naientde lâcher la corde, et la flèche était partie ; mais, comme cet endroit de la tapisserie se trouvait à une encoi gnure, la flèche était de l'autre côté de la muraille et avait décrit un grand crochet; pour l'oiseau, il s'envolait sur ses ailes immobiles et semblait vouloir gagner une branche voisine . Cette flèche empennée et armée d'une pointe d’or, tou jours en l'air et n'arrivant jamais au but, faisait l'effet le plus singulier, était comme un triste et douloureux sym bole de la destinée humaine, et plus je la regardais, plus j'y découvrais de sens mystérieux et sinistres.- La chas seresse était là, debout, le pied tendu en avant, le jarret plié ; son oeil aux paupières de soie tout grand ouvert et ne pouvant plus voir sa flèche déviée de son chemin : elle semblait chercher avec anxiété le phénicoptère aux plumes bigarrées qu'elle voulait abattre et qu'elle s'attendait à voir tomber devant elle percé de part en part. - Je ne sais si c'est une erreur de mon imagination, mais je trouvais à cette figure une expression aussi morne et aussi désespérée que celle d'un poëte qui meurt sans avoir écrit l'ouvrage sur lequel il comptait pour fonder sa réputation , et que le râle impitoyable saisit au moment où il essaye de le dicter. Je te parle longuement decette tapisserie, plus longue ment à coup sûr que cela n'en vaut la peine ; - mais c'est une chose qui m'a toujours étrangement préoccupée , que ce monde fantastique créé par les ouvriers de haute lisse . J'aime passionnément cette végétation imaginaire, ces fleurs et ces plantes qui n'existent pas dans la réalité, ces forêts d'arbres inconnus ou errent des licornes , des capri mules et des cerfs couleur de neige, avec un crucifix d'or MADEMOISELLE DE MAUPIN. 289 entre leurs rameaux, habituellement poursuivis par des chasseurs à barbe rouge et en habits de Sarrasins . Lorsque j'étais petite, je n'entrais guère dans une cham bre tapissée sans éprouver une espèce de frisson , et j'osais à peine m'y remuer. Toutes ces figures debout contre la muraille , et aux quelles l'ondulation de l'étoffe et le jeu de la lumière pre tent une espèce de vie fantasmatique, me semblaient au tant d'espions occupés à surveiller mes actions pour en rendre compte en temps et lieu, et je n'eusse pas mangé une pomme ou un gâteau volé en leur présence . Qué de choses ces graves personnages auraientà dire, s'ils pouvaient ouvrir leurs lèvres de fil rouge, et si les sons pouvaient pénétrer dans la conque de leur oreille brodée . De combien de meurtres, de trahisons, d'adultères infâmes et de monstruosités de toutes sortes ne sont-ils pas les silencieux et impassibles témoins ! ... Mais laissons la tapisserie et revenons à notre histoire . Alcibiade, je vais faire avertir ma tante de votre arrivée. Oh ! cela n'est pas fort pressé, ma seur ; asséyons ngus d'abord et causons un peu. Je vous présente un cavalier qui a nom Théodore de Sérannes et qui passera quelque temps ici . Je n'ai pas besoin de vous recom mander de lui faire bon accueil ; il se recommande assez lui -même. ( Je dis ce qu'il a dit ; ne va pas intempes tivement in’accuser de fatuité.) , La belle fit un petit mouvement de tête, comme pour donner son assentiment, et l'on parla d'autre chose. Tout en faisant la conversation, je la regardais en dé tail et je l'examinais plus attentivement que je n'avais pu le faire jusqu'alors. Elle pouvait avoir vingt-trois ou vingt-quatre ans, et son deuil lui allait on ne peut mieux ; à vrai dire, elle n'avait pas l'air fort lugubre ni fort désolée, et je doute qu'elle eût mangé dans sa soupe les cendres de son Mauso ! en ma 290 MADEMOISELLE DE MAUPIN. D1.00nière de rhubarbe. -- Je ne sais si elle avait pleuré abon damment son époux défunt ; si elle l'avait fait, en tout cas , il n'y paraissait guère, et le joli mouchoir de batiste qu'elle tenait à sa mainétait aussi parfaitement sec que possible . Ses yeux n'étaient pas rouges, mais au contraire les plus clairs et les plus brillants du monde, et ton eût en vain cherché sur ses joues le sillon par où avaient passé les larmes ; – il n'y avait en vérité que deux petites fossettes creusées par l'habitude de sourire, et , pour une veuve, il est juste de dire qu'on lui voyait très- fréquemment les dents : ce qui n'était certainement pas un spectacle dés agréable, car elle les avait petites et bien rangées. Je l’es timai tout d'abord de ne s'être pas crue obligée, parce qu'il lui était mort quelque mari, de se pocher les yeux et de se rendre le nez violet : je lui sus bon gré aussi de ne prendre aucune petite mine dolente et de parler naturellement avec sa voix sonore et argentine, sans traîner les mots et entre couper ses phrases de vertueux soupirs. Cela me parut de fort bon goût ; je la jugeai tout d'a bord une femme d'esprit, ce qu'elle est en effet. Elle était bien faite, le pied et la main très - convenables; son costume noir était arrangé avec toute la coquetterie possible et si gaiement que le lugubre de la couleur dispa raissait complétement, et qu'elle eût pu aller au bal ainsi habillée, sans que personne le trouvât étrange . Si jamais je me marie et que je devienne veuve, je lui demanderai un patron de sa robe, car elle lui va comme un ange. Après quelques propos, nous montâmes chez la vieille tante . Nous la trouvâmes assise dans un grand fauteuil à dos renversé, avec un petit tabouret sous son pied, et à côté d'elle un vieux chien tout chassieux et tout renfrogne, qui leva son museau noir à notre arrivée, et nous accucillit par un grognenient très-peu amical. Je n'ai jamais envisagé une vieille femme qu'avec hor reur . Ma mère est morte toute jeune ; sans doute , si je Cle20 MADEMOISELLE DE MAUPIN . 291 - 1 l'avais vue lentement vieillir et que j'eusse vu ses traits se déformer dans une progression imperceptible, je m'y fusse paisiblement habituée.- Dans mon enfance , je n'ai été entourée que de figures jeunes et riantes , en sorte que j'ai gardé une antipathie insurmontable pour les vieilles gens . Aussi je frissonnai quand la belle veuve toucha de sės lèvres pures et vermeilles le front jaune de la douai rière . C'est une chose que je ne saurais prendre sur moi . Je sais bien que , lorsque j'aurai soixante ans , je serai ainsi

—c'est égal , je n'y puis rien faire , et je prie Dieu qu'il me fasse mourir jeune comme ma mère . Cependant cette vieille avait conservé de son ancienne beauté quelques linéaments simples et majestueux qui l'empêchaient de tomber dans cette laideur de pomme cuite , qui est le partage des femmes qui n'ont été que jolies ou simplement fraîches; ses yeux, quoique terminés à leurs angles par une patte de plis et recouverts d'une paupière large et molle , avaient encore quelques étincel les de leur feu primitif, et l'on voyait qu'ils avaient dû, sous le règne de l'autre roi , lancer des éclairs de passion à éblouir . Son nez mince et maigre , un peu recourbé en bec d'oiseau de proie , donnait à son profil une sorte de grandeur sérieuse que tempérait le sourire indulgent de sa lèvre autrichienne peinte de carmin , selon la mode du siècle passé. Son costume était antique sans être ridicule , et s’har monisait parfaitement avec sa figure ; elle avait pour coiffure une simple cornette blanche avec une petite den telle ; ses mains, longues et amaigries, qu'on devinait avoir été fort belles , flottaient dans des mitaines sans pouce et sans doigts, une robe feuille -morte, brochée de ramages d'une couleur plus foncée, une mante noire et un tablier de pou - de-soie gorge-de-pigeon complétaient son ajuste ment. Les vieilles femmes devraient toujours s'habiller ainsi et respecter assez leur mort prochaine pour ne point se 299 MADEMOISELLE DE MAUPIN. barnacher de plumes, de guirlandes de fleurs, de rubans de couleurs tendres et de mille affiquets qui ne vont qu'à l'extrême jeunesse. Elles ont beau faire des avances à la vie , la vie n'en veut plus; -elles en sont pour leurs frais, comme ces courtisanes susannées qui se plâtrent de rouge et de blanc, et que les muletiers ivres repoussent sur la borne avec des injures et des coups de pied . La vieille dame nous reçut avec cette aisance et cette politesse exquise qui est le partage des gens qui ont suivi l'ancienne cour, et dont le secret semble se perdre de jour en jour, comme tant d'autres beaux secrets , et d'une voix qui, bien que cassée et chevrotante, avait encore une grande douceur. Je parus lui plaire beaucoup, et elle me regarda très longtemps et très attentivement avec un air fort touché. Une larme se forma dans le coin de son meil et descendit lentement dans une de ses grandes rides, où elle se per dit et se sécha. Elle me pria de l'excuser et me dit que je ressemblais fort à un fils qu'elle avait autrefois et qui avait été tué à l'armée. Tout le temps que je demeurai au château , je fus, à cause de cette ressemblance, réelle ou imaginaire, traitée par la bonne dame avec une bienveillance extraordinaire et toute maternelle. J'y trouvais plus de charmes que je ne l'aurais cru d'abord, car le plus grand plaisir que les per sonnes qui sont d'âge me puissent faire, c'est de ne me parler jamais et de s'en aller quand j'arrive . Je ne te conterai pas en détail et jour par jour ce que j'ai fait à R ***. Si je me suis un peu étendue sur tout ce commencement, et si je tai esquissé avec quelque soin ces deux ou trois physionomies, soit de personnes, soit de lieux , c'est qu'il m'arriva là des choses très -singulières et pourtant fort naturelles, et que j'aurais dû prévoir en pre nant des habits d'homme. Ma légèreté naturelle me fit faire une imprudence dont je me repens cruellement, car elle a porté dans une bonne MADEMOISELLE DE MAUPIN. 29 3 - et belle ame un trouble que je ne puis apaiser sans décou- . vrir ce que je suis et me compromettre gravement. · Pour avoir parfaitement l'air d'un homme et me diver tir un peu, je ne trouvai rien de mieux que de faire la cour à la seur de mon ami. Cela me paraissait très-drôle de me précipiter à quatre pattes lorsqu'elle laissait tomber son gant et de le lui rendre en faisant des révérences pro stérnées, de me pencher au dos de son fauteuil avec un petit air adorablement langoureux , et de lui couler dans le tuyau de l'oreille mille et un madrigaux on ne saurait plus charmants. Dès qu'elle voulait passer d'une chambre à une autre, je lui présentais gracieusement la main ; si elle montait à cheval, je lui tenais l'étrier, et, à la prome nade, je marchais toujours à côté d'elle ; le soir, je lui faisais la lecture et je chantais avec elle ; - bref, je m'ac quittais avec une scrupuleuse exactitude de tous les de voirs d'un cavalier servant. Je faisais toutes les mines que j'avais vu faire aux amou reux, ce qui m'amusait et me faisait rire comme une vraie folle que je suis, lorsque je me trouvais seule dans ma chambre et que je réfléchissais à toutes les imperti nences que je venais de débiter du ton le plus sérieux du monde. Alcibiade et la vieille marquise paraissaient voir cette intimité avec plaisir et nous laissaient fort souvent tête à tête. Je regrettais quelquefois de n'être pas véritablement un homme pour en mieux profiter ; si je l'avais été, il n'aurait tenu qu'à moi, car notre charmante veuve sem blait avoir parfaitement oublié le défunt, ou, si elle s'en souvenait, elle eût été fort volontiers infidèle à sa mé moire. Ayant commencé sur ce ton , je ne pouvais guère hon nêtement reculer, et il était fort difficile de faire une re traite avec armes et bagages ; je ne pouvais cependant pas non plus dépasser une certaine limite et je ne savais guère être aimable qu'en paroles : - j'espérais attraper ainsi la 95 . 294 MADEMOISELLE DE MAUPIN. . fin du mois que je devais passer à R*** et me retirer avec promesse de revenir, sauf à n'en rien faire . —Je croyais qu'à mon départ la belle se consolerait, et, en ne me voyant plus, m'aurait bientôt oubliée. Mais, en me jouant, j'avais éveillé,une passion sérieuse , et les choses tournèrent autrement : -ce qui vous retrace une vérité très - connue depuis longtemps, à savoir qu'il ne faut jamais jouer ni avec le feu ni avec l'amour. Avant de m'avoir vue, Rosette ne connaissait pas encore l'amour. Mariée fort jeune à un homme beaucoup plus vieux qu'elle , elle n'avait pu sentir pour lui qu'une es pèce d'amitié filiale ; - sans doute, elle avait été courti sée, mais elle n'avait pas eu d'amant, tout extraordinaire que la chose puisse paraître : ou les galants qui lui avaient rendu des soins étaient de minces séducteurs, ou, ce qui est plus probable, son heure n'était pas encore sonnée . - Les hobereaux et les gentillâtres de province par lant toujours de fumées et de laisses, de ragots et d'an douillers, d’hallali et de cerfs dix cors, et entremêlant le tout de charades d'almanach et de madrigaux moisis de vétusté, n'étaient assurément guère faits pour lui conve nir, et sa vertu n'avait pas eu beaucoup à se débattre pour ne leur point céder . — D'ailleurs, la gaieté et l'enjouement naturel de son caractère la défendaient suffisamment con tre l'amour, cette molle passion qui a tant de prise sur les rêveurs et les mélancoliques; l'idée que son vieux Tithon avait pu lui donner de la volupté devait être assez médio cre pour ne la point jeter en de grandes tentations d'en essayer encore, et elle jouissait doucement du plaisir d'être veuve de si bonne heure et d'avoir encore tant d'années à être jolie. Mais, à mon arrivée, tout cela changea bien . - Je crus d'abord que, si je me fusse tenue avec elle entre les bornes étroites d’une froide et exacte politesse, elle n'aurait pas fait autrement attention à moi ; mais, en vérité, je fus obligée de reconnaître par la suite qu'il n'en eût été ni > MADEMOISELLE DE MAUPIN. 295 pius ni moins, et que cette supposition , quoique fort mo deste, était purement gratuite . - Hélas ! rien ne peut détourner l'ascendant fatal, et nul ne saurait éviter l'in fluence bienfaisante'ou maligne de son étoile . La destinée de Rosette était de n'aimer qu'une fois dans sa vie et d'un amour impossible ; il faut qu'elle la remplisse, et elle la remplira. J'ai été aimée, ô Graciosa ! et c'est une douce chose, quoique je ne l'aie été que par une femme, et que, dans un amour ainsi détourné, il y eût quelque chose de pé nible qui ne se doit pas trouver dans l'autre ; oh ! une bien douce chose ! Quand on s'éveille la nuit et qu'on se relève sur son coude, se dire : Quelqu'un pense ou rêve à moi ; on s'occupe de ma vie ; un mouvement de mes yeux ou de ma bouche fait la joie ou la tristesse d'une autre créature ; une parole que j'ai laissée tomber au hasard est recueillie avec soin , commentée et re tournée des heures entières ; je suis le pôle où se dirige un aimant inquiet ; ma prunelle est un ciel, ma bouche est un paradis plus souhaité que le véritable; je mourrais, une pluie tiède de larmes réchaufferait ma cendre, mon tombeau serait plus fleuri qu'une corbeille de noce ; si j'étais en danger, quelqu'un se jetterait entre la pointe de l'épée et ma poitrine; on se sacrifierait pour moi ! - c'est beau ; et je ne sais pas ce que l'on peut souhaiter de plus au monde. Cette pensée me faisait un plaisir que je me reprochais, car pour tout cela je n'avais rien à donner, et j'étais dans la position d'une personne pauvre qui accepte des pré sents d'un ami riche et généreux, sans espoir de pouvoir jamais lui en faire à son tour. Cela me charmait d'être adorée ainsi , et par instants je melaissais faire avec une singulière complaisance . A force d'entendre tout le monde m'appeler monsieur, et de me voir traiter comme si j'étais un homme, j'oubliais insensiblement que j'étais femme; mon déguisement me semblaitinon habit na - C 296 MADEMOISELLE DE MAUPIN . turc !, et il ne me souvenait pas d'en avoir jamais porté d'autre ; je ne songeais plus que je n'étais au bout du compte qu'une petite évaporée qui s'était fait une épée de son aiguille, et une paire de culottes en coupant une de ses jupes. Beaucoup d'hommes sont plus femmes que moi. -- Je n'ai guère d'une femme que la gorge, quelques lignes plus rondes, et des mains plus délicates ; la jupe est sur mes hanches et non dans mon esprit. Il arrive souvent que le sexe de l'âme ne soit point pareil à celui du corps, et c'est une contradiction qui ne peut manquer de produire beaucoup de désordre.. - Moi, par exemple, si je n'avais pas pris cette résolution , folle en apparence, mais très sage au fond, de renoncer aux habits d’un sexe qui n'est le mien que matériellement et par hasard , j'eusse été fort malheureuse : j'aime les chevaux, l'escrime, tous les exer cices violents, je me plais à grimper et à courir çà et là comme un jeune garçon ; il m'ennuie de me tenir assise les deux pieds joints , les coudes collés au flanc , de baisser modestement les yeux, de parler d'une petite voix flûtée et mielleuse, et de faire passer dix millions de fois un bout de laine dans les trous d'un canevas ; –je n'aime pas à obéir le moins du monde, et le mot que je dis le plus souvent est : Je veux. Sous mon front poli et mes cheveux de soie remuent de fortes et viriles pensées ; toutes les précieuses niaiseries qui séduisent principale ment les femmes ne m'ont jamais que médiocrement tou chée, et, comme Achille déguisé en jeune fille , je lais serais volontiers le miroir pour une épée. La seule chose qui me plaise des femmes, c'est leur beauté ; - malgré les inconvénients qui en résultent, je ne renon cerais pas volontiers à ma forme, quoique mal assortie à l'esprit qu'elle enveloppe . C'était quelque chose de neuf et de piquant qu'une pa reille intrigue, et je m'en serais fort amusée, si elle n'avait pas été prise au sérieux par la pauvre Rosette . Elle se mit - - MADEMOISELLE DE MAI'PIN . 297 à m’aimer avec une naïveté et une conscience admirables, de toute la force de sa belle et bonne âme, de cet amour que les hommes ne comprennent pas et dont ils ne sau raient se faire même une lointaine idée, délicatement et ardemment, commeje souhaiterais d’être aimée, et comme j'aimerais, si je rencontrais la réalité de mon rêve . Quel beau trésor perdu, quelles perles blanches et transpa rentes comme jamais les plongeurs n'en trouveront dans l'écrin de la mer ! quelles suaves haleines, quels doux soupirs dispersés dans les airs, et qui auraient pu être re cueillis par des lèvres amoureuses et pures ! Cette passion aurait pu rendre un jeune homme si heu reux ! tant d'infortunés, beaux, charmants, bien doués, pleins de coeur et d'esprit, ont vainement supplié à genoux d'insensibles et mornes idoles ! tant d'âmes tendres et bonnes se sont jetées de désespoir dans les bras des courtisanes, ou se sont éteintes silencieusement comme des lampes dans des tombeaux, et qui auraient été sau vées de la débauche et de la mort par un sincère amour ! Quelle bizarrerie dans la destinée humaine ! et que le ! hasard est un grand railleur ! Ce que tant d'autres avaient désiré ardeminent me venait, à moi qui n'en voulais pas et ne pouvais pas en vouloir . Il prend fantaisie à une jeune fille capricieuse de courir le pays en habits d'homme pour savoir un peu à quoi s'en tenir sur le compte de ses amants futurs ; elle couche dans une auberge avec un digne frère qui l'a mène par le bout du doigt devant sa scur, qui n'a rien de plus pressé que d'en devenir amoureuse comme une chætte, comme une colombe, comme tout ce qu'il y a d'amoureux et de langoureux au monde . — Il est bien évident que, si j'eusse été un jeune homme et que cela eût pu me servir à quelque chose, il en eût été tout autre ment, et que la dame m'eût prise en horreur. · La fortune aime assez à donner des pantoufles àà ceux qui ont des jambes de bois, et des gants à ceux qui n'ont pas 298 MADEMOISELLE DE MAUPIN , de mains ;; - l'héritage qui aurait pu vous faire vivre à votre aise vous vient ordinairement le jour de votre nort. J'allais quelquefois, non pas aussi souvent qu'elle aurait voulu, voir Rosette dans sa ruelle ; quoique habituelle ment elle ne reçut que debout, cependant, en ma faveur, on passait par là -dessus. - On eût passé par-dessus bien d'autres choses, si j'eusse voulu ; - mais, comme on dit, la plus belle fille ne peut donner que ce qu'elle a, et ce que j'avais n'eût pas été d'une grande utilité à Rosette . Elle me tendait sa petite main àà baiser; - j'avoue que je ne la baisais pas sans quelque plaisir, car elle est fort douce; très-blanche, exquisement parfumée, et moelleu sement attendrie par une naissante moiteur ; je la sentais frissonner et se contracter sous mes lèvres, dont je pro longeais malicieusement la pression . – Alors Rosette, tout émue et d'un air suppliant, tournait vers moi sés longs yeux chargés de volupté et inondés d'une lueur humide et transparente, puis elle laissait retomber sur son oreiller sa jolie tête, qu'elle avait un peu soulevée pour me mieux recevoir. - Je voyais sous le drap onder sa gorge in quiète et tout son corps s'agiter brusquement. - Certes, quelqu'un qui eût été en état d'oser eût pu oser beaucoup, et à coup sûr l'on eût été reconnaissant de ses témérités, et on lui eût su gré d'avoir sauté quelques chapitres du roman . Je restais là une heure ou deux avec elle, ne quittant pas sa main que j'avais reposée sur la couverture ; nous faisions des causeries interminables et charmantes ; car, bien que Rosette fût très - préoccupée de son amour, elle se croyait trop sûre du succès pour ne pas garder presque toute sa liberté et son enjouement d'esprit. - De temps à autre seulement, sa passion jetait sur sa gaieté un voile transparent de douce mélancolie , qui la rendait encore plus piquante. En effet, il eût été inouï qu'un jeune débutant, comme j'en avais les apparences, ne se trouvât pas fort heureux - - - MADEMOISELLE DE MAUPIN . 299 - - a d'une telle bonne fortune et n'en profitat pas de son mieux. Rosette , effectivement, n'était point faite de façon à rencontrer de grandes cruautés, - et, n'en sachant pas davantage à mon endroit, elle comptait sur ses charmes et sur ma jeunesse à défaut de mon amour. Cependant, comme cette situation commençait à se pro longer un peu au delà des bornes naturelles, elle en prit de l'inquiétude, et c'était à peine si un redoublement de phrases flatteuses et de belles protestations lui pouvait redonner sa première sécurité. Deux choses l’étonnaient en moi, et elle remarquait dans ma conduite des contra dictions qu'elle ne pouvait concilier : -- c'était ma cha leur de paroles et ma froideur d'action . Tu le sais mieux que personne, ma chère Graciosa, mon amitié a tous les caractères d'une passion ; elle est subite, ardente, vive, exclusive, elle a de l'amour jusqu'à la jalousie, et j'avais pour Rosette une amitié presque pa reille à celle que j'ai pour .toi . - On pouvait se tromper à moins. - Rosette s'y trompa d'autant plus compléte ment que l'habit que je portais ne lui permettait guère d'avoir une autre idée . Comme je n'ai encore aimé aucun homme, l'excès de ma tendresse s'est en quelque sorte épanché dans mes amitiés avec les jeunes filles et les jeunes femmes; j'y ai mis le même emportement et la même exaltation que je mets à tout ce que je fais, car il m'est impossible d'être modérée en quelque chose, et surtout dans ce qui re garde le cour. Il n'y a à mes yeux que deux classes de gens, les gens que j'adore et ceux que j'exècre ; les autres sont pour moi comme s'ils n'étaient pas, et je pousserais mon cheval sur eux comme sur le grand chemin : ils ne diffèrent pas dans mon esprit des pavés et des bornes . Je suis naturellement expansive, et j'ai des manières très- caressantes. Quelquefois, oubliant la portée qu'a vaient de telles démonstrations, tout en me promenant avec Rosette, je lui passais le bras autour du corps, commo . 309 MADEMOISELLE DE MAUPIN. je le faisais lorsque nous nous promenions ensemble dans l'allée solitaire au bout du jardin de mon oncle ; ou bien, penchée au dos de son fauteuil pendant qu'elle brodait, je roulais sur mes doigts les petits poils follets qui blon dissaient sur sa nuque ronde et potelée, ou je polissais du revers de la main ses beaux cheveux tendus par le peigne, et je leur redonnais du lustre, - ou bien c'était quelque autre de ces mignardises que tu sais m'être habituelles avec mes chères amies. Elle se donnait bien de garde d'attribuer ces caresses à une simple amitié . L'amitié, comme on la conçoit ordinai rement, ne va pas jusque-là ; mais, voyant que je n'allais pas plus loin, elle s'étonnait intérieurement et ne savait trop que penser ; elle s'arrêta à ceci : que c'était une trop grande timidité de ma part, provenant de mon extrême jeunesse et du manque d'habitude dans les commerces amoureux, et qu'il me fallait encourager par toutes sortes d'avances et de bontés. En conséquence, elle avait soin de me ménager une foule d'occasions de tête - à -tête dans des endroits propres à m'enhardir par leur solitude et leur éloignement de tout bruit et de tout importun ; elle me fit faire plusieurs pro menades dans les grands bois, pour essayer si la rêverie voluptueuse et les désirs amoureux qu'inspire aux âmes tendres l'ombre touffue et propice des forêts ne pourrait pas se détourner à son profit. Un jour, après m'avoir fait errer longtemps à travers un parc très -pittoresque qui s'étendait au loin derrière le château, et dont je ne connaissais que les parties qui avoi sinaient les bâtiments, elle m'amena, par un petit sentier capricicusement contourné et bordé de sureaux et de noi setiers, jusqu'à une cabane rustique, une espèce de char bonnière, bâtie en rondins posés transversalement, avec un toit de roseaux, et une porte grossièrement faite de cinq ou six pièces de bois à peine rabotées, dont les in terstices étaient étoupés de mousses et de plantes siluva MADEMOISELLE DE MAUPIN . 301 - - ges ; tout à côté, entre les racines verdies de grands frênes à l'écorce d'argent, tachetés çà et là de plaques noires, jaillissait une forte source, qui, à quelques pas plus loin , tombait par deux gradins de marbre dans un bassin tout rempli de cresson plus vert que l'émeraude. Aux en droits où il n'y avait pas de cresson, on apercevait un sable fin et blanc comme la neige ; cette eau était d'une transparence de cristal et d'une froideur de glace ; sortant de terre tout à coup, et n'étant jamais effleurée par le plus faible rayon de soleil, sous ces ombrages impénétra bles, elle n'avait pas le temps de s'attiédir ni de se trou bler. — Malgré leur crudité, j'aime ces eaux de source, et, voyant celle-là si limpide, je ne pus résister au désir d'en boire ; je me penchai et j'en puisai à plusieurs re prises dans le creux de la main, n'ayant pas d'autre vase à ma disposition . Rosette témoigna, pour apaiser sa soif, le désir de boire aussi de cette eau, et me pria de lui en apporter quelques gouttes, n'osant pas, disait-elle, se pencher autant qu'il le fallait pour y atteindre. —Je plongeai mes deux mains aussi exactement jointes que possible dans la claire fon taine, ensuite je les haussai comme une coupe jusqu'aux lèvres de Rosette, et je les tins ainsi jusqu'à ce qu'elle eût tari l'eau qu'elles renfermaient, ce qui ne fut pas long, y en avait fort peu, et ce peu dégouttait à travers mes doigts, si serrés que je les tinsse ; cela faisait un fost joli groupe, et il eût été à désirer qu'un sculpteur se fut trouvé là pour en tirer le crayon . Quand elle eut presque achevé, ayant ma main près de ses lèvres, elle ne put s'empêcher de la baiser, de manière cependant à ce que je pusse croire que c'était une aspira tion pour épuiser la dernière perle d'eau amassée dans ma paume ; mais je ne m'y trompai pas, et la charmante rougeur qui lui couvrit subitement le visage la dénonçait car il assez . Elle reprit nion bras et nous nous dirigeâmes du côté 36 302 MADEMOISELLE DE MAUPIN. - de la cabane . La belle marchait aussi près de noi que possible, et se penchait en me parlant de façon à ce que sa gorge portât entièrement sur ma manche ; position extrêmement savante, et capable de troubler tout autre que moi ; j'en sentais parfaitement le contour ferme et pur et la douce chaleur ; de plus, j'y pouvais remarquer une ondulation précipitée qui , fût- elle affectée ou vraie, n'en était pas moins flatteuse et engageante. Nous arrivâmes ainsi à la porte de la cabane, que j'ou vris d'un coup de pied ; je ne m'attendais assurément pas au spectacle qui s'offrit à mes yeux. - Je croyais que la hutte était tapissée de joncs avec une natte par terre et quelques escabeaux pour se reposer : -point du tout. C'était un boudoir moublé avec toute l'élégance imagi nable. - Les dessus de portes et de glaces représentaient les scènes les plus galantes des Métamorphoses d'Ovide : Salmacis et Hermaphrodite, Vénus et Adonis, Apollon et Daphné, et autres amours mythologiques en camaïeu lilas clair ; les trumeaux étaient faits de roses pompons, sculptées fort mignonnement, et de petites marguerites dont, par un raffinement de luxe, les cæurs seulement étaient dorés et les feuilles argentées. Une ganse d'argent bordait tous les meubles et relevait une tenture du bleu le plus doux qui se puisse trouver, et merveilleusement pro pre à faire ressortir la blancheur et l'éclat de la peau ; mille charmantes curiosités chargeaient la cheminée , les consoles et les étagères, et il y avait un luxe de duchesses, de chaises longues et de sofas, qui montrait suffisamment que ce réduit n'était pas destiné à des occupations bien austères, et qu'assurément l'on ne s'y macérait pas. Une belle pendule rocaille , posée sur un piédouche ri chement incrusté, faisait face à un grand miroir de Venise et s'y répétait avec des brillants et des reflets singuliers. Du reste, elle était arrêtée, comme si c'eût été une chose superflue que de marquer les heures dans un lieu destiné à les oublier . MADEMOISELLE DE MAUPIN . 303 Je dis à Rosette que ce raffinement de luxe me plaisait, que je trouvais qu'il était de fort bon goût de cacher la plus grande recherche sous une apparence de simplicité, et que j'approuvais fort qu'une femme eût des jupons brodés et des chemises garnies de malines avec un par dessus de simple toile ; c'était une attention délicate pour l'amant qu'elle avait ou qu'elle pouvait avoir, dont on ne saurait être assez reconnaissant, et qu'à coup sûr il valait mieux mettre un diamant dans une noix qu'une noix dans une boîte d'or. Rosette, pour me prouver qu'elle était de mon avis, re leva un peu sa robe, et me fit voir le bord d'un jupon très richement brodé de grandes fleurs et de feuillages ; il n'aurait tenu qu'à moi d'être admise au secret de plus grandes magnificences intérieures; mais je ne demandais pas à voir si la splendeur de la chemise répondait à celle de la jupe : il est probable que le luxe n'en était pas moin dre . - Rosette laissa retomber le pli de sa robe, fâchée de n'avoir pas montré davantage. – Cependant cette exhibition lui avait servi à faire voir le commencement d'un mollet parfaitement tourné et donnant les meilleures idées ascensionnelles . — Cette jambe, qu'elle tendait en avant pour mieux étaler sa jupe, était vraiment d'une finesse et d'une grâce miraculeuses dans son bas de soie gris de perle bien juste et bien tiré, et la petite mule à talon ornée d'une touffe de rubans qui la terminait res semblait à la pantoufle de verre chaussée par Cendrillon. Je lui en fis de très- sincères compliments, et je lui dis que je ne connaissais guère de plus jolie jambe et de plus petit pied, et que je ne pensais pas qu'il fût possible de les avoir mieux faits . — A quoi elle répondit avec une fran chise et une ingénuité toute charmante et toute spirituelle : C'est vrai. Puis elle fut à un panneau pratiqué dans le mur, elle en tira un ou deux flacons de liqueurs et quelques assiettes de confitures et de gâteaux, posa le tout sur un petit gué - - 304 MADEMOISELLE DE MAUPIN. > - E ridon , et se vint asseoir près de moi dans une dormeuse assez étroite, de sorte que je fus obligée, pour n'être point trop gênée, de lui passer le bras derrière la taille . Comme elle avait les deux mains libres, et que je n'avais préci sément que la gauche dont je me pusse servir, elle me ver sait elle-même à boire , et mettait des fruits et des sucreries sur mon assiette ; bientôt même, voyant que je m'y pre nais assez maladroitement, elle me dit : - Allons,, laissez cela ; je m'en vais vous donner la becquée, petit enfant, puisque vous ne savez pas manger tout seul. Et elle me portait elle-même les morceaux à la bouche, et me forçait à les avaler plus vite que je ne le voulais, en les poussant avec ses jolis doigts, absolument comme on fait aux oi seaux que l'on empate, ce qui la faisait beaucoup rire . - Je ne pus guère me dispenser de rendre à ses doigts le baiser qu'elle avait donné tout à l'heure à la paume de mes mains, et comme pour m'en empêcher, mais au fond pour me fournir l'occasion de mieux appuyer mon baiser, elle me frappa la bouche à deux ou trois reprises avec le revers de sa main. Elle avait bu deux ou trois doigts de crème des Barbades avec un verre de vin des Canaries, et moi à peu près au tant . Ce n'était pas beaucoup assurément; mais il y en avait assez pour égayer deux femmes habituées à ne boire que de l'eau à peine trempée. Rosette se laissait aller en arrière et se renversait sur mon bras très- amoureuse ment. - Elle avait jeté son mantelet, et l'on voyait le commencement de sa gorge tendue et mise en arrêt par cette position cambrée; – le ton en était d'une délica tesse et d'une transparence ravissantes ; la forme, d'une finesse et en même temps d'une solidité merveilleuses. Je la contemplai quelque temps avec une émotion et un plaisir indéfinissables, et cette réflexion me vint, que les hommes étaient plus favorisés que nous dans leurs amours, que nous leur ' donnions à posséder les plus charmants trésors , et qu'ils n'avaient rien de pareil à nous offrir . - - MADEMOISELLE DE MAUPIN. 303 . Quel plaisir ce doit être de parcourir de ses lèvres cette peau si fine et si polie, et ces contours si bien arrondis, qui semblent aller au-devant du baiser et le provoquer ! ces chairs satinées, ces lignes ondoyantes et qui s'envelop pent les unes dans les autres, cette chevelure soyeuse et si douce à toucher ; quels motifs inépuisables de délicates voluptés que nous n'avons pas avec les hommes ! Nos caresses, à nous, ne peuvent guère être que passives, et cependant il y a plus de plaisir à donner qu'à recevoir. Voilà des remarques que je n'eusse assurément pas faites l'année passée, et j'aurais bien pu voir toutes les gorges et toutes les épaules du monde, sans m'inquiéter si elles étaient d'une bonne ou mauvaise forme; mais, depuis que j'ai quitté les habits de mon sexe et que je vis avec les jeunes gens, il s'est développé en moi un senti ment qui m'était inconnu : - le sentiment de la beauté . Les femmes en sont habituellement privées, je ne sais trop pourquoi, car elles sembleraient d'abord plus à même d'en juger que les hommes ; — mais, comme ce sont elles qui la possèdent, et que la connaissance de soi même est la plus difficile de toutes, il n'est pas étonnant qu'elles n'y entendent rien . – Ordinairement, si une femme trouve une autre femme jolie, on peut être sûr que cette dernière est fort laide, et que pas un homme n'y fera attention . - En revanche, toutes les femmes dont les hommes vantent la beauté et la grâce sont trouvées una nimement abominables et minaudières par tout le trou peau enjuponné; ce sont des cris et des clameurs à n'en plus finir . Si j'étais ce que je parais être, je ne prendrais pas d'autre guide dans mes choix, et la désapprobation des fernmes me serait un certificat de beauté suffisant. Maintenant j'aime et je connais la beauté ; les habits que je porte me séparent de mon sexe, et m’ôtent toute espèce de rivalité ; je suis à même d'en juger mieux qu'un autre . Je ne suis plus une femme, mais je ne suis pas encore un homme, et le désir ne m'aveuglera pas jusqu'à - - 1 26 . 306 MADEMOISELLE DE MAUPIN. prendre des mannequins pour des idoles ; je vois froide ment et sans prévention ni pour ni contre, et ma position est aussi parfaitement désintéressée que possible. La longueur et la finesse des cils, la transparence des tempes, la limpidité du cristallin , les enroulements de l'oreille, le ton et la qualité des cheveux, l'aristocratie des pieds et des mains, l'emmanchement plus ou moins délié des jambes et des poignets , mille choses à quoi je ne pre nais pas garde qui constituent la réelle beauté et prouvent la pureté de race, me guident dans mes appréciations, et, ne me permettent guère de me tromper. -Je crois qu'on pourrait accepter, les yeux fermés, une femme dont j'au rais dit : - En vérité, elle n'est pas mal. Far une conséquence toute naturelle, je me connais beaucoup mieux en tableaux qu'auparavant, et quoique je n'aie des maîtres qu'une teinture fort superficielle, il serait difficile de me faire passer un mauvais ouvrage pour bon; je trouve à cette étude un charme singulier et profond ; car , comme toute chose au monde, la beauté morale ou physique veut être étudiée, et ne se laisse pas pénétrer tout d'abord. Mais revenons à Rosette ; de ce sujet à elle, la transition n'est pas difficile, et ce sont deux idées qui s'appellent l'une l'autre. Comme je l'ai dit, la belle était renversée sur mon bras, et sa tête portait contre mon épaule ; l'émotion nuançait ses belles joues d'une tendre couleur rose, que rehaussait admirablement le noir foncé d'une petite mouche très -co quettement posée ; ses dents luisaient à travers son sourire comme des gouttes de pluie au fond d’un pavot, et ses cils, abaissés à demi, augmentaient encore l'éclat humide de ses grands yeux ; - un rayon de jour faisait jouer mille brillants métalliques sur sa chevelure soyeuse et moirée, dont quelques boucles s'étaient échappées et roulaient, en forme de repentirs, au long de son cou rond et potelé, dont elles faisaient valoir la chaude blancheur ; quelques petits MADEMOISELLE DE MAUPIN. 307 . on eût - cheveux follets, plus mutins que les autres, se détachaient de la masse , et se contournaient en spirales capricieuses, dorées de reflets singuliers, et qui, traversées par la lu mière, prenaient toutes les nuances du prisme : dit de ces fils d’or qui entourent la tête des vierges dans les anciens tableaux. —· Nous gardions toutes les deux le silence, et je m'amusais à suivre, sous la transparence nacrée de ses tempes, ses petites veines bleu d'azur et la molle et insensible dégradation du duvet à l'extrémité de ses sourcils . La belle semblait se recueillir en elle-même et se bercer dans des rêves de volupté infinie ; ses bras pendaient au long de son corps aussi ondoyants et aussi moelleux que des écharpes dénouées ; sa tête s'inclinait de plus en plus en arrière, comme si les muscles qui la soutenaient eus sent été coupés ou trop faibles pour la soutenir. Elle avait ramené ses deux petits pieds sous son jupon, et était par venue à se blottir entièrement dans l'angle de la cau seuse que j'occupais, en sorte que, bien que ce meuble fût trop étroit, il y avait un grand espace vide de l'autre côté. Son corps, facile et souple, se modelait sur le mien comme de la cire, et en prenait tout le contour extérieur aussi exactement que possible : - l'eau ne se fût pas in sinuée plus précisément dans toutes les sinuosités de la ligne. — Ainsi appliquée à mon flanc, elle avait l'air de ce double trait que les peintres ajoutent à leur dessin du côté de l'ombre, afin de le rendre plus gras et plus nourri. Il n'y a qu'une femme amoureuse pour avoir de ces ondulations et de ces enlacements. Les lierres et les saules sont bie · loin de là. La douce chaleur de son corps me pénétrait à travers ses habits et les miens ; mille ruisseaux magnétiques rayon naient autour d'elle ; sa vie tout entière semblait avoir passé en moi et l'avoir abandonnée complétement. De mi nute en minute, elle languissait et mourait et ployait de - 308 MADEMOISELLE DE MAUPIN . - - plus en plus : une légère sueur perlait sur son front lustré : ses yeux se trempaient, et deux ou trois fois elle fit le mouvement de lever ses mains comme pour les ca cher; mais, à moitié chemin , ses bras lassés retombèrent sur ses genoux, et elle ne put y parvenir ; une grosse larme déborda de sa paupière et roula sur sa joue brûlante , où elle fut bientôt séchée . Ma situation devenait fort embarrassante et passable ment ridicule ; - je sentais que je devais avoir l'air énor mément stupide, et cela me contrariait au dernier point, quoiqu'il ne fût pas en mon pouvoir de prendre un autre air que celui-là . — Les façons entreprenantes m'étaient interdites, et c'étaient les seules qui eussent été convena bles. J'étais trop sûre de ne pas éprouver de résistance pour m'y risquer, et, en vérité, je ne savais pas de quel bois faire flèche. Dire des galanteries et débiter des ma drigaux, cela eût été bon dans le commencement, mais rien n'eût paru plus fade au point où nous en étions arri vées ; - me lever et sortir eût été de la dernière grossiè reté ; et d'ailleurs, je ne réponds pasque Rosette n'eût pas fait la Putiphar et ne m'eût retenu par le coin de mon manteau . Je n'aurais eu aucun motif vertueux à lui donner de ma résistance ; et puis, je l'avouerai à ma honte, cette scène, tout équivoque que le caractère en fût pour moi, ne manquait pas d'un certain charme qui me retenait plus qu'il n'eût fallu ; cet ardent désir m'échauf fait de sa flamme, et j'étais réellement fâchée de ne le · pouvoir satisfaire : je souhaitai même d'être un homme, comme effectivement je le paraissais, afin de couronner cet amour, et je regrettai fort que Rosette se trompât. Ma respiration se précipitait, je sentais des rougeurs me mon ter à la figure , et je n'étais guère moins troublée que ma pauvre amoureuse. L'idée de la similitude de sexe s'ef façait peu à peu pour ne laisser subsister qu'une vague idée de plaisir ; mes regards se voilaient, mes lèvres tren blaient, et, si Rosette, eût été un cavalier au lieu d'être ce . MADEMOISELLE DE MAUPIN . 309 qu'elle était, elle aurait eu, à coup sûr, très -bon marché de moi. A la fin , n'y pouvant tenir , elle se leva brusquement en faisant une espèce de mouvement spasmodique, et se mit à marcher dans la chambre avec une grande activité; puis elle s'arrêta devant le miroir, et rajusta quelques inèches de ses cheveux qui avaient perdu leur pli . Pendant cette promenade, je faisais une pauvre figure, et je ne savais guère quelle contenance tenir . Elle s'arrêta devant moi et parut réfléchir. Elle pensa qu'une timidité enragée me retenait seule, et que j'étais plus écolier qu'elle ne l'avait cru d’abord. Hors d'elle -même et montée au plus haut degré d'exaspé ration amoureuse , elle voulut tenter un suprême effort et jouer le tout pour le tout, au risque de perdre la partie . Elle vint à moi, s'assit sur mes genoux plus prompte que l'éclair, me passa les bras autour du cou, croisa ses mains derrière ma tête, et sa bouche se prit à la mienne avec une étreinte furieuse ; je sentais sa gorge, demi-nue et révoltée, bondir contre ma poitrine, et ses doigts enlacés se crisper dans mes cheveux . - Un frisson me courut tout le long du corps, et les pointes de mes seins se dressèrent. Rosette ne quittait pas ma bouche ; ses lèvres envelop paient mes lèvres, ses dents choquaient mes dents, nos souffles se mêlaient. Je me reculai un instant, et je tour nai deux ou trois fois la tête pour éviter ce baiser ; mais un attrait invincible me fit revenir en avant, et je le lui rendis presque aussi ardent qu'elle mel'avait donné. Je ne sais pas trop ce que tout cela fût devenu, si de grands abois ne se fussent fait entendre au dehors de la porte avec un bruit comme de pieds qui grattaient. La porte céda, et un beau lévrier blanc entra dans la cabane en jappant et en gam badant. Rosette se releva subitement, et d'un bond elle s'élança à l'extrémité de la chambre : le beau lévrier blanc sautait autour d'elle allègrement et joyeusement, et tâchait d'at 310 MADEMOISELLE DE MAUPIN. - teindre ses mains pour les lécher : elle était si troublée, qu'elle eut bien de la peine à rajuster son mantelet sur ses épaules. Ce lévrier était le chien favori de son frère Alcibiade ; il ne le quittait jamais, et, quand on le voyait arriver, l'on pouvait être sûr que le maître n'était pas loin ; — c'est ce qui avait si fort effrayé la pauvre Rosette. Effectivement, Alcibiade lui-même entra une minute après tout boité et tout éperonné, avec son fouet à la main : - Ah ! vous voilà, dit- il ; je vous cherche depuis une heure, et je ne vous eusse assurément pas trouvés, si mon brave lévrier Snug ne vous eût déterrés dans votre cachette . Et il jetà sur sa sæur un regard moitié sérieux, moitié enjoué, qui la fit rougir jusqu'au blanc des yeux, Vous aviez apparemment des sujets bien épineux à traiter, que vous étiez retirés dans une aussi profonde so litude ? — vous parliez sans doute de théologie et de la double nature de l'âme ? Oh ! mon Dieu, non : nos occupations n'étaient pas, à beaucoup près, si sublimes ; nous mangions des gâteaux, et nous parlions de modes ; - voilà tout. - Je n'en crois rien ; vous m'aviez l'air profondément enfoncés dans quelque dissertation sentimentale ; - mais, pour vous distraire de vos conversations vaporeuses, je crois qu'il ne serait pas mauvais que vous vinssiez faire un tour à cheval avec moi. J'ai une nouvelle jument que je veux essayer . -- Vous la monterez aussi, Théodore, et nous verrons ce qu'on en peut faire. Nous sortîmes tous les trois ensemble, lui me donnant le bras, moi le donnant à Rosette : les expressions de nos figures étaient singulièrement variées. — Alcibiade avait l'air pensif, moi tout à fait à l'aise, Rosette excessivement contrariée. Alcibiade était arrivé fort à propos pour moi, fort mal à propos pour Rosette, qui perdit ainsi ou crut perdre tout le fruit de ses savantes attaques et de son ingénieuse tac tique . C'était à recommencer ; un quart d'heure MADEMOISELLE DE MAUPIN. 311 - - plus tard , le diable m'emporte si je sais le dénoûment qu'aurait pu avoir cette aventure, - je n'y en vois pas de possible. — Peut- être eût-il mieux valu qu'Alcibiade n'intervînt pas précisément au moment scabreux , comme un dieu dans sa machine : il aurait bien fallu que cela finit d'une manière ou de l'autre. Pendant cette scène, je fus deux ou trois fois sur le point d'avouer qui j'étais à Rosette ; mais la crainte de passer pour une aventurière et de voir mon secret divulgué retint sur mes lèvres les paroles prêtes à s'envoler. Un pareil état de choses ne pouvait durer. , - Mon dé part était le seul moyen de couper court à cette intrigue sans issue ; aussi , au dîner, j'annonçai officiellement que je partirais le lendemain même. -· Rosette, qui était assise à côté de moi, faillit presque se trouver mal en entendant cette nouvelle, et laissa tomber son verre. Une pâleur su bite couvrit sa belle figure ; elle me jeta un regard dou loureux et plein de reproches, qui m'émut et me troubla presque autant qu'elle . La tante leva ses vieilles mains ridées avec un mouve ment de surprise pénible, et, de sa voix grêle et tremblante qui chevrotait encore plus qu'à l'ordinaire, elle me dit : « Ah ! mon cher monsieur Théodore, vous nous quittez comme cela ? Ce n'est pas bien ; hier, vous n'aviez pas le moins du monde l'air disposé à partir. — Le courrier n'est pas venu : ainsi vous n'avez pas reçu de lettres et vous n'avez aucun motif. Vous nous aviez accordé encore quinze jours, et vous nous les reprenez ; vous n'en avez vraiment pas le droit : chose donnée ne peut se reprendre. Vous voyez quelle mine Rosette vous fait, etcomme ello vous en veut; je vous avertis que je vous en voudrai au moins autant qu'elle, et que je vous ferai une mine aussi terrible, et une mine de soixante-huit ans est un peu plus effroyable qu'une mine de vingt- trois. Voyez à quoi vous vous exposez volontairement : à la colère de la tante et à celle dela nièce, et tout cela pour je ne sais quel caprice 312 MADEMOISELLE DE MAUPIN. qui vous a pris subitement entre la poire et le fromage. » Alcibiade jura, en frappant un grand coup de poing sur la table, qu'il barricaderait les portes du château et cou perait les jarrets à mon cheval. plutôt que de me laisser partir. Rosette me lança un autre regard , si triste et si sup pliant, qu'il eut fallu toute la férocité d'un tigre à jeun depuis huit jours pour n'en pas être touché. —Je n'y ré sistai pas, et, quoique cela me contrariât singulièrement, je fis la promesse solennelle de rester . · La chère Ro sette m'eût volontiers sauté au cou et embrassé sur la bouche pour cette complaisance ; Alcibiade m'enferma la main dans sa grande main, et me secoua le bras si vio lemment, qu'il faillit m'arracher l'épaule, rendit mes ba gues ovales de rondes qu'elles étaient, et me coupa trois doigts assez profondément. La vieille, en réjouissance, huma une immense prise de tabac. CependantRosette ne reprit pas complétement sa gaieté ; - l'idée que je pouvais m'en aller et que j'en avais le désir, idée qui ne s'était pas encore présentée nettement à son esprit, la jeta dans une profonde rêverie. Les cou leurs que l'annonce de mon départ avait chassées de ses joues n'y revinrent pas aussi vives qu'auparavant ; - il lui resta de la pâleur sur la joue et de l'inquiétude au fond de l'âme. - Ma conduite à son égard la surprenait de plus en plus. — Après les avances marquées qu'elle m'avait faites, elle ne comprenait pas les motifs qui me faisaient mettre tant de retenue dans mes rapports avec elle : ce qu'elle voulait c'était de m'amener avant mon départ à un engagement tout à fait décisif, ne doutant pas qu'après cela il ne lui fût extrêmement facile de me rete nir aussi longtemps qu'elle le voudrait. En cela elle avait raison, et, si je n'eusse pas été une femme, son calcul se fût trouvé juste ; car, quoi que l'on ait dit de la satiété du plaisir et du dégoût qui suit ordi 9 MADEMOISELLE DE MAUPIN . 313 nairement la possession, tout homme qui a l'âme un peu bien située, et qui n'est pas blasé misérablement et sans ressource, sent son amour s'augmenter de son bonheur, et très - souvent le meilleur moyen de retenir un amant prêt à s'éloigner, c'est de se livrer à lui avec un entier abandon . Rosette avait le dessein de m'amener à quelque chose de décisif avant mon départ. Sachant combien il est diffi cile de reprendre plus tard une liaison au point où on l'a vait laissée, et, d'ailleurs, n'étant nullement sûre de me pouvoir retrouver jamais dans des circonstances aussi fa vorables, elle ne négligeait aucune des occasions qui se pouvaient présenter de me mettre dansune position à me prononcer nettement et à quitter ces manières évasives derrière lesquelles je me retranchais. Comme j'avais, de mon côté, l'intention excessivement formelle d'éviter toute espèce de rencontre pareille à celle du pavillon rus tique, et que je ne pouvais cependant pas, sans afficher un ridicule, affecter trop de froideur pour Rosette et met tre dans nos rapports une pruderie de petite fille , je ne savais trop quelle contenance faire, et je tâchais qu'il y eût toujours une personne tierce avec nous . Rosette, au contraire, faisait tout son possible pour se trouver seule avec moi, et elle y réussissait assez souvent, le château étant éloigné de la ville et peu fréquenté de la noblesse des environs . Cette résistance sourde l'attristait et la surprenait ; - par instants il lui survenait des doutes et des hésitations sur le pouvoir de ses charmes, et, se voyant si peu aimée, elle n'était quelquefois pas loin de croire qu'elle était laide . — Alors elle redoublait de soins et de coquetterie, et quoique son deuil ne lui permît pas d'employer toutes les ressources de la toilette , elle savait cependant l'orner et le varier de manière à être cha que jour deux ou trois fois plus charmante, - ce qui n'est pas peu dire. Elle essaya de tout : elle fut en jouée, mélancolique, tendre, passionnée, prévenante, co > - > 27 314 MADEMOISELLE DE MAUPIN . - quette, minaudière même; elle mit, les uns après les autres, tous ces adorables masques qui vont si bien aux femmes, qu'on ne sait plus si ce sont de véritables mas ques ou leurs figures réelles ; elle revêtit successive ment huit ou dix individualités contrastées entre elles, pour voir laquelle me plairait et s'y fixer . A elle seule, elle me fit un sérail complet où je n'avais qu'à jeter le mou choir ; mais rien ne lui réussit, bien entendu . Le peu de succès de tous ces stratagèmes la fit tomber dans une stupeur profonde. En effet, elle aurait fait tour ner la cervelle de Nestor et fait fondre la glace du chaste Hippolyte lui-même,, - et je ne paraissais rien noins que Nestor et Hippolyte : je suis jeune et j'avais la mine hautaine et décidée, le propos hardi, et partout ailleurs qu'en tête -à -tête, la contenance fort délibérée. Elle dut croire que toutes les sorcières de la Thrace et et de la Thessalie m'avaient jeté leurs charmes sur le corps, ou que, tout au moins, j'avais l'aiguillette nouée, et pren dre une fort détestable opinion de ma virilité , qui est ef feetivement assez mince. - Cependant il parait que cette idée ne lui vint point, et qu'elle n'attribuait qu'à mon dé faut d'amour pour elle cette singulière réserve. Les jours s'écoulaient, et ses affaires n'avançaient pas : - elle en était visiblement affectée : une expression de tristesse inquiète avait remplacé le sourire toujours frais épanoui de ses lèvres; les coins de sa bouche, si joyeuse ment arqués, s'étaient abaissés sensiblement, et formaient une ligne ferme et sérieuse ; quelques petites veines se dessinaient d'une manière plus marquée àà ses paupières attendries ; ses joues, naguère si semblables à la pêche, n'en avaient conservé que l'imperceptible velouté. Sou vent de ma fenêtre, je la voyais traverser le parterre en peignoir du matin1 ; elle marchait, levant à peine les pieds, comme si elle eût glissé, les deux bras mollement croisés sur la poitrine, la tête inclinée , plus ployée qu'une bran che de saule qui trempe dans l'eau, avec quelque chose - MADEMOISELLE DE MAUPIN. 313 d'onduleux et d'affaissé, comme une draperie trop longue dont le bout touche à terre . En ces instants-là, elle avait l'air d'une de ces amoureuses antiques en proie au courroux de Vénus, et sur qui l'impitoyable déesse s'a charne tout entière ; c'est ainsi que je me figure que Psyché devait être quand elle eut perdu Cupidon . Les jours où elle ne s'efforçait pas pour vaincre ma froi deur et mes hésitations, son amour avait une allure simple et primitive qui m'eût charmée ; c'était un abandon silencieux et confiant, une chaste facilité de caresses, une abondance et une plénitude de cæur inépuisable, tous les trésors d'une belle nature répandus sans réserve. Elle n'avait point de ces petitesses et de ces mesquineries que l'on voit à presque toutes les femmes, même les mieux douées ; elle ne cherchait pas de déguisement, et me lais sait voir tranquillement toute l'étendue de sa passion . Son amour-propre ne se révolta pas un instant de ce que je ne répondais pas à tant d'avances, car l'orgueil sort du coeur le jour où l'amour y entre ; et si jamais quelqu'un a été vérita blementaimé, c'est moi par Rosette. -Elle souffrait, mais sans plainte et sans aigreur, et elle n'attribuait qu'à elle le peu de succès de ses tentatives. --Cependant sa pâleur aug mentait chaque jour, et les lis avaient livré aux roses, sur le champ de bataille de ses joues, un grand combat où ces dernières avaient été définitivement mises en déroute ; cela me désolait, mais, en bonne conscience, j'y pouvais moins que personne. - Plus je lui parlais avec douceur et affection , plus j'avais avec elle des manières caressan tes, plus j'enfonçais dans son coeur la flèche barbelée de l'amour impossible. — Pour la consoler aujourd'hui, je lui préparais un désespoir futur bien plus grand ; mes, remèdes empoisonnaient sa plaie tout en paraissant l'as soupir. - Je me repentais en quelque sorte de toutes les choses agréables que j'avais pu lui dire, et j'aurais voulu, à cause de l'extrême amitié que j'avais pour elle, trouver les moyens de m'en faire haïr. On ne peut porter le désin a . 316 MADEMOISEL E DE MAUPIN. téressement plus loin, car j'en eusse été à coup sûr très fâchée ; – mais cela eût mieux valu . J'ai essayé, à deux ou trois reprises, de lui dire quel ques duretés, je me suis bien vite remise au madrigal, car je crains moins encore son sourire que ses larmes . En ces occasions-là , quoique la loyauté de l'intention m'ab solve pleinement dans ma conscience, je suis plus touchée qu'il ne le faudrait, et j'éprouve quelque chose qui n'est pas loin d'être un remords. Une larme ne peut guère être séchée que par un baiser, et l'on ne peut laisser dé cemment cet office à un mouchoir, fût-il de la plus fine batiste du monde ; - je défais ce que j'ai fait, la larme est bien vite oubliée, plus vite que le baiser, et il s'ensuit tou jours pour moi quelque redoublement d'embarras. Rosette, qui voit que je vais lui échapper, se rattache obstinément et misérablement aux restes de son espérance, et ma position se complique de plus en plus. —- La sensa tion étrange que j'avais éprouvée dans le petit ermitage, et le désordre inconcevable où m'avait jetée l'ardeur des caresses de ma belle amoureuse, se sont renouvelés plu sieurs fois pour moi, quoique moins violents ; et souvent, assise auprès de Rosette, sa main dans ma main, l'enten dant me parler avec son doux roucoulement, je m'imagine que je suis un homme, comme elle le croit, et que, si je ne réponds pas à son amour, c'est pure cruauté de ma part. Un soir, je ne sais par quel hasard, je me trouvai seule dans la chambre verte avec la vieille dame; elle avait en main quelque ouvrage de tapisserie, car, malgré ses soixante-huit ans, elle ne restait jamais oisive, voulant, comme elle le disait, achever, avant de mourir, un meuble qu'elle avait commencé et auquel elle travaillait depuis déjà fort longtemps. Se sentant un peu fatiguée, elle posa son ouvrage et se renversa dans son grand fauteuil : elle me regardait très- attentivement, et ses yeux gris petillaient à travers ses lunettes avec une vivacité étrange ; clle passa - MADEMOISELLE DE MAUPIN . 817 -- - - - - deux ou trois fois sa main sèche sur son front ridé, et pa rut profondément réfléchir. - Le souvenir des temps qui n'étaient plus et qu'elle regrettait donnait à sa figure une mélancolique expression d'attendrissement. - Je me taisais, de peur de la troubler dans ses pensées, et le si lence dura quelques minutes : elle le rompit enfin . Ce sont les vrais yeux de Henri, de mon cher Henri, le même regard humide et brillant, le même port de tête , la même physionomie douce et fière ; - on dirait que c'est lui . — Vous ne pouvez vous imaginer à quel point va cette ressemblance, monsieur Théodore; quand je vous vois, je ne puis plus croire que Henri est mort; je pense qu'il a été seulement faire un long voyage dont le voici enfin revenu. Vous m'avez fait bien du plaisir et bien de la peine, Théodore : - plaisir, en me rappelant mon pauvre Henri ; peine en me montrant com bien grande est la perte que j'ai faite ; quelquefois je vous ai pris pour son fantôme. Je ne puis me faire à cette idée que vous nous allez quitter ; il me semble que je perds mon Henri encore une fois. Je lui dis que, s'il m'était réellement possible de rester plus longtemps, je le ferais avec plaisir, mais que mon séjour s'était déjà prolongé bien au delà des bornes qu'il aurait dû avoir ; que, du reste, je me proposais bien de revenir, et que le château me laissait de trop agréables souvenirs pour l'oublier aussi vite . Si fâchée que je sois de votre départ, monsieur Théodore, reprit-elle poursuivant son idée, il y a ici quel qu'un qui le sera plus que moi. —· Vous comprenez bien de qui je veux parler sans que je le dise. Je ne sais pas ce que nous ferons de Rosette quand vous serez parti ; mais ce vieux château est bien triste . Alcibiade est tou jours à la chasse, et, pour une jeune femme comme elle, la société d'une pauvre impotente comme moi n'est pas très - récréative . Si quelqu'un doit avoir des regrets, ce n'est ni vous, > - 97 . 318 MADEMOISELLE DE MAUPIN . madame, ni Rosette, mais bien moi; vous perdez peu, moi beaucoup ; vous retrouverez aisément une société plus charmante que la mienne, et il est plus que douteux que je puisse jamais remplacer celle de Rosette et la vôtre. Je ne veux pas me faire une querelle avec votre mo destie, mon chermonsieur, mais je sais ce que je sais, et je dis ce qui est : il est probable que de longtemps nous ne reverrons madame Rosette de bonne humeur, car c'est vous maintenant qui faites la pluie et le beau temps sur ses joues. Son deuil va finir, et il serait yraiment fâcheux qu'elle déposât sa gaieté avec sa dernière robe noire ; cela serait de fort mauvais exemple et tout à fait contraire aux lois ordinaires. C'est une chose que vous pouvez empê cher sans vous donner beaucoup de peine, et que vous em pêcherez sans doute, dit la vieille en appuyant beaucoup sur les derniers mots . Assurément, je ferai tout mon possible pour que votre chère nièce conserve sa belle gaieté, puisque vous me supposez une telle influence sur elle . Cependant je ne vois guère comment je m'y pourrai prendre . Oh ! vraiment vous ne voyez guère ! A quoi vous ser vent vos beaux yeux ? - Je ne savais pas que vous eussiez la vue si courte. Rosette est libre ; elle a quatre -vingt mille livres de rente où personne n'a rien à voir, et l'on trouve fort jolies des femmes deux fois plus laides qu'elle . Vous êtes jeune, bien fait, et, à ce que je pense , non marié ; la chose me parait la plus simple du monde, à moins que vous n'ayez pour Rosette une insurmontable horreur : ce qui est difficile à croire ... Ce qui n'est pas et ne peut pas être ; car son âme vaut son corps, et elle est de celles qui pourraient être laides sans qu'on s'en aperçût ou qu'on les désirât au trement... - Elle pourrait être laide impunément, et elle est char mante . C'est avoir doublement raison ; je ne doute pas MADEMOISELLÉ DE MAUPIN. 819 de ce que vous dites, mais elle a pris le plus sage parti. — Pour ce qui est d'elle, je répondrais volontiers qu'il y a mille personnes qu'elle hait plus que vous, et que , si on le lui demandait plusieurs fois, elle finirait peut-être par avouer que vous ne lui déplaisez pas précisément. Vous avez au doigt une bague qui lui irait parfaitement, car vous avez la main presque aussi petite qu'elle, et je suis presque sûre qu'elle l'accepterait avec plaisir. La bonne dame s'arrêta quelques instants pour voir l'effet que ses paroles produiraient sur moi, et je ne sais si elle dut être satisfaite de l'expression de ma figure. — J'étais cruellement embarrassée et je ne savais que répon dre . Dès le commencement de cet entretien , j'avais vu ou tendaient toutes ses insinuations ; et, quoique je m'atten disse presque àà ce qu'elle venait de dire, j'en restais toute surprise etinterdite ; je ne pouvais que refuser ; mais quels motifs valables donner d’un pareil refus ? Je n'en avais aucun, si ce n'est que j'étais femme ; c'était, il est vrai, un excellent motif, mais précisément le seul que je ne voulusse pas alléguer. Je ne pouvais guére me rejeter sur des parents féroces et ridicules ; tous les parents du monde eussent accepté une pareille union avec ivresse. Rosette n'eût-elle pas été ce qu'elle était, bonne et belle, et de naissance, les quatre vingt mille livres de rente eussent levé toute difficulté . - Dire que je ne l'aimais pas, ce n'eût été ni vrai ni hon nête, car je l'aimais réellement beaucoup, et plus qu'une femme n'aime une femme. J'étais trop jeune pour prétendre être engagée ailleurs : ce que je trouvais de mieux à faire, c'était de donner à entendre qu'étant cadet de famille , les intérêts de la maison exigeaient que j'en trasse dans l'ordre de Malte, et ne me permettaient pas de songer an mariage : ce qui me faisait le plus grand cha grin du monde depuis que j'avais vu Rosette Cette réponse ne valait pas le diable, et je le sentais par faitement. La vieille dame n'en fut pas dupe et ne la re 320 MADEMOISELLE DE MAUPIN. - . . > . garda point comme définitive ; elle pensa que j'avais parlé ainsi pour me donner le temps de réfléchir et de consulter mes parents.. - En effet, une pareille union était telle ment avantageuse et inespérée pour moi, qu'il n'était pas possible que je la refusasse, même quand je n'eusse que peu or' 'point aiméRosette ; —c'était une bonne fortune à ne point négliger. Je ne sais pas si la tante me fit cette ouverture à l'insti gation de la nièce, cependant je penche à croire que Rosette n'y était pour rien : elle m'aimait trop simplement et trop ardemment pour penser à autre chose que ma pos session immédiate, et le mariage eût été assurément le der nier des moyens qu'elle eût employés. -· La douairière, qui n'avait pas été sans remarquer notre intimité, qu'elle croyait sans doute beaucoup plus grande qu'elle ne l'était, avait arrangé tout ce plan dans sa tête pour me faire rester auprès d'elle, et remplacer, autant que possible, son cher fils Henri, tué à l'armée, avec lequel elle me trouvait une si frappante ressemblance . Elle s'était co :nplu dans cette idée et avait profité de ce moment de solitude pour s'expli quer avec moi. Je vis à son air qu'elle ne se regardait pas comme battue, et qu'elle se proposait de revenir bientôt à la charge, ce qui me contraria au dernier point. Rosette, de son côté, fit la nuit du même jour, une der nière tentative qui eut des résultats si graves, qu'il faut que je t'en fasse un récit à part, et que je ne puis te la ra conter dans cette lettre déjà démesurément enflée . Tu verras à quelles singulières aventures j'étais prédestinée, et comme le ciel m'avait taillée d'avance pour être une hé roïne de roman ; je ne sais pas trop, par exemple, quelle moralité on pourra tirer de tout cela, mais les existen ces ne sont pas comme les fábles, chaque chapitre n'a pas à la queue une sentence rimée. Bien souvent le sens de la vie est que ce n'est pas la mort. Voilà tout. Adieu, ma chère, je t'embrasse sur tes beaux yeux . Tu receyras incessarnment la suite de ma triomphante biographie. - - . MADEMOISELLE DE MAUPIN. 321 XIII - Théodore, — Rosalinde, - car je ne sais de quel nom cous appeler, — je viens de vous voir tout à l'heure, et je vous écris.- Que je voudrais savoir votre nom de femme ! I doit être doux comme le miel et voltiger sur les lèvres plus suave et plus harmonieux que de la poésie ! Jamais je n'eussť osé vous dire cela, et cependant je serais mort de ne pas le dire. —Ce que j'ai souffert, nul ne le sait, nul ne peut le savoir, moi-même je ne pourrais en donner qu’une faible idée ; les mots ne rendent pas de telles an goisses ; je paraîtrais avoir contourné ma phrase à plaisir, m’être battu les flancs pour dire des choses neuves et sin gulières, et donner dans les plus extravagantes exagéra tions, quand je ne peindrais que ce que j'ai éprouvé avec des images à peine suffisantes . O Rosalinde ! je vous aime, je vous adore ; que n'est-il un mot plus fort que celui-là ! Je n'ai jamais aimé, je n'ai jamais adoré personne que vous ; - je me prosterne, je m'anéantis devant vous, et je voudrais forcer toute la création à plier le genou devant mon idole ; vous êtes pour moi plus que toute la nature, plus que moi, plus que Dieu ; il me semble même étrange que Dieu ne des . cende pas du ciel pour se faire votre esclave. Où vous n'êtes pas tout est désert, tout est mort, tout est noir ; vous seule peuplez le monde pour moi ; vous êtes la vie, le soleil; vous êtes tout . - Votre sourire fait le jour, votre tristesse fait la nuit ; les sphères suivent les mouvements de votre corps, et les célestes harmonies se règlent sur vous, Ô ma reinechérie !8 mon beau rêve réel ! Vous êtes vêtue de splendeur, et vous nagez sans cesse dans des ef fluves rayonnantes. Il n'y a guère que trois mois que je vous connais, mais je vous aime depuis bien longtemps. - Avant de vous avoir vue, je languissais déjà d'amour pour vous ; je vous ap 322 MADEMOISELLE DE MAUPIN . - . - pelais, je vous cherchais, et je me désespérais de ne point vous rencontrer dans mon chemin, car je savais que je ne pourrais jamais aimer une autre femme.. -- Que de fois vous m'êtes apparue, - à la fenêtre du château mysté rieux, accoudée mélancoliquement au balcon, et jetant au vent les pétales de quelque fleur, ou bien, petulante ama zone, sur votre cheval turc, plus blanc que neige, traver sant au galop les sombres allées de la forêt ! - C'étaient bien vos yeux fiers et doux, vos mains diaphanes, vos beaux cheveux ondoyants et votre demi-sourire, si adora blement dédaigneux. - Seulement vous étiez moins belle, car l’imagination la plus ardente et la plus effrénée, l'ima gination d'un peintre et d'un poëte ne peut atteindre à cette poésie sublime de la réalité . Il y a en vous unesource inépuisable de grâces, une fontaine toujours jaillissante de séductions irrésistibles : vous êtes un écrin toujours ou vert des perles les plus précieuses, et, dans vos moindres mouvements, dans vos gestes les plus oublieux, dans vos poses les plus abandonnées, vous jetez à chaque instant, avec une profusion royale, d'inestimables trésors de beauté. Si les molles ondulations de contour, si les lignes fugitives d'une attitude pouvaient se fixer et se conserver dans un miroir, les glaces devant lesquelles vous auriez passé fe raient mépriser et regarder comme des enseignes de ca barets les plus divines toiles de Raphaël . Chaque geste, chaque air de tête, chaque aspect diffé rent de votre beauté, se gravent sur le miroir de mon âme avec une pointe de diamant, et rien au monde n'en pour rait effacer la profonde empreinte ; je sais à quelle place était l'ombre, à quelle placeétait la lumière, le méplat que lustrait le rayon du jour, et l'endroit où le reflet errant se fondait avec les teintes plus assouplies du cou et de la joue . Je vous dessinerais absente ; votre idée pose toujours devant moi . Tout enfant, je restais des heures entières debout devant les vieux tableaux des maîtres, et j'en fouillais avidement - MADEMOISELLE DE MAUPIN. 323 les noires profondeurs. -- Je regardais ces belles figures de saintes et de déesses dont les chairs d'une blancheur d'ivoire ou de cire se détachent si merveilleusement des fonds obscurs, carbonisés par la décomposition des cou leurs ; j'admirais la simplicité et la magnificence de leur tournure, la grâce étrange de leurs mains et de leurs pieds, la fierté et le beau caractère de leurs traits, à la fois si fins ' et si fermes, le grandiose des draperies qui voltigeaient autour de leurs formes divines, et dont les plis purpurins semblaient s'allonger comme des lèvres pour embrasser ces beaux corps.- A force de plonger opiniâtrément mes yeux sous le voile de fumée épaissi par les siècles, ma vue se troublait, les contours des objets perdaient leur préci sion, et une espèce de vie immobile et morte animait tous ces pâles fantômes des beautés évanouies ; je finissais par trouver que ces figures avaient une vague ressemblance avec la belle inconnue que j'adorais au fond de mon coeur ; je soupirais en pensant que celle que je devais aimer était peut- être une de celles-là, et qu'elle était morte depuis trois cents ans. Cette idée m'affectait souvent au point de me faire verser des larmes, et j'entrais contre moi en de grandes colères de n'être pas né au seizième siècle, où toutes ces belles avaient vécu . - Je trouvais que c'étaient de ma part une maladresse et une gaucherie impardon pables. Lorsque j'avançai en age, le doux fantôme m'obséda encore plus étroitement. Je le voyais toujours entre moi et les femmes que j'avais pour maîtresses, souriant d'un air ironique et raillant leur beauté humaine de toute la per féction de sa beauté divine . Il me faisait trouverlaidesdes femmes réellement charmantes et faites pour rendre heu reux quiconque n'aurait pas été épris de cette ombre ado rable dont je ne croyais pas que le corps existåt et qui n'était que le pressentiment de votre propre. beauté, O Rosalinde ! que j'ai été malheureux à cause de vous, avant de vous connaître ! Ô Théodore ! que j'ai été malheureux 894 MADEMOISELLE DE MAUPIN . - - - à cause de vous, après vous avoir connu ! Si vous vou lez, vous pouvez m'ouvrir le paradis de mes rêves. Vous êtes debout sur le seuil, comme un ange gardien enveloppé dans ses ailes, et vous en tenez la clef d'or entre vos be!les mains. - Dites, Rosalinde, dites, le voulez- vous ? Je n'attends qu’un mot de vous pour vivre ou pourmou rir : - le prononcerez-vous ? Etes- vous Apollon chassé du ciel, ou la blanche Aphro dite sortant du sein de la mer? où avez - vous laissé votre char de pierreries attelé de quatre chevaux de flamme ? Qu'avez-vous fait de votre conque de nacre et de vos dau phins à la queue azurée ? quelle nymphe amoureuse a fondu son corps dans le vôtre au milieu d'un baiser, ô beau jeune homme, plus charmant que Cyparisse et.qu’Adonis, plus adorable que toutes les femmes ! Mais vous êtes une femme, nous ne sommes plus au temps des métamorphoses ; — Adonis et Hermaphrodite sont morts, -et ce n'est plus par un homme qu’un pareil degré de beauté pourrait être atteint; - car, depuis que les héros et les dieux ne sont plus, vous seules conservez dans vos corps de marbre, comme dans un temple grec, le précieux don de la forme anathématisée par Christ, et faites voir que la terre n'a rien à envier au ciel ; vous re présentez dignement la première divinité du monde, la plus pure symbolisation de l'essence éternelle , - la beauté . Dès que je vous ai vue, quelque chose s'est déchiré en moi, un voile est tombé, une porte s'est ouverte, je me suis senti intérieurement inondé par des vagues de lu mière ; j'ai compris que ma vie était devant moi, et que j'étais enfin arrivé au carrefour décisif. -- Les parties ob scures et perdues de la figure à moitié rayonnante que je cherchais à démêler dans l'ombre se sont illuminées subi tement ; les teintes rembrunies qui noyaient le fond du tableau se sont doucement éclairées ; une tendre lueur ro sée a glissé sur l'outremer un peu verdi des lointains ; les arbres qui ne formaient que des silhouettes confuses - - MADEMOISELLE DE MAUPIN . 398 - ont commencé à se découper d'une manière plus nette ; les fleurs chargées de rosée ont piqué de points brillants la sourde verdure du gazon . J'ai vu le bouvreuil avec sa poi trine écarlate au bout d'une branche de sureau, le petit lapin blanc aux yeux roses et aux oreilles droites, qui sort sa tête entre deux brins de serpolet et passe sa patte sur son museau, et le cerf craintif qui vient boire à la source et mirer sa ramure dans l'eau . Du matin où le soleil de l'amour s'est levé sur ma vie, tout a changé; là où vacillaient dans l'ombre des formes à peine indiquées que leur incertitude rendait terribles ou monstrueuses, se dessinent avec élégance des groupes d'arbres en fleur, des collines s'arrondissent en gracieux amphithéâtres, des pa lais d'argent avec leurs terrasses chargées de vases et de statues baignent leurs pieds dans des lacs d'azur et sem blent nager entre deux ciels ; ce que je prenais dans l'ob scurité pour un dragon gigantesque aux ailes armées d'on gles et rampant sur la nuit avecses pattes écaillées, n'est qu’une felouque à la voile de soie, aux avirons peints et dorés, pleine de femmes et de musiciens, et cet effroyable crabe que je croyais voir agiter au-dessus de ma tête ses crochets et ses pinces, n'est qu'un palmier à éventail dont la brise nocturne remuait les feuilles étroites et longues. Mes chimères et mes erreurs se sont évanouies : j'aime. Désespérant de vous trouver jamais, j'accusais mon rêve de mensonge et je faisais des querelles furieuses au sort : - je me disais que j'étais bien fou de chercher un pareil type, ou que la nature était bien féconde et le Créateur bien inhabile de'ne pouvoir réaliser la simple pensée de Prométhée avait eu ce noble orgueil de vouloir faire un homme et de rivaliser avec Dieu ; moi, j'avais créé une femme, et je croyais qu'en punition de mon audace un désir toujours inassouvi me rongerait le foie comme un autre vautour; je m'attendais à être en chainé avec des fers de dianiant sur une roche chenue au - mon coeur . - 28 326 MADEMOISELLE DE MAUPIN. bord du sauvage Océan ; - mais les belles nymphes ma rines aux longs cheveux verts, élevant au -dessus des flots leur gorge blanche et pointue, et montrant au soleil leur corps de nacre de perle tout ruisselant des pleurs de la mer, ne seraient point venues s'accouder sur le rivage pour me faire la conversation et me consoler dans mapeine, comme dans la pièce du vieil Eschyle . Il n'en a point été ainsi . Vous êtes venue, et j'ai dû reprocher son impuissance à mon imagination . — Mon tourment n'a pas été celui que je craignais, d'être perpétuellement en proie à une idée sur une roche stérile : mais je n'en ai pas moins souffert. J'avais vu qu'en effet vous existiez , que mes pressenti ments ne m'avaient pas menti sur ce point ; mais vous vous êtes présentée à moi avec la beauté ambiguë et terri ble du sphinx . Comme Isis, la mystérieuse déesse, vous étiez enveloppée d'un voile que je n'osais soulever de peur de tomber mort. Si vous saviez, sous mes apparences distraites, avec quelle attention haletante et inquiète je vous observais et vous suivais jusque dans vos moindres mouvements ! Rien ne m'échappait; comme je regardais ardemment le peu qui paraissait de votre chair au cou et aux poignets pour tâcher de constater votre sexe ! Vos mains ont été pour moi le sujet d'études profondes, et je puis dire que j'en con nais les moindres sinuosités, les plus imperceptibles vei nes, la plus légère fossette ; vous seriez cachée des pieds à la tête sous le plus impénétrable domino, que je vous reconnaitrais à voir seulement un de vos doigts. J'analy sais les ondulations de votre marche, la manière dont vous posiez les pieds, dont vous releviez vos cheveux ; je cher chais à surprendre votre secret dans l'habitude de votre corps. Je vous épiais surtout à ces heures de mollesse où les os semblent retirés du corps et où les membres s'affaissent et ploient comme s'ils étaient dénoués, pour voir si la ligneféminine se prononcerait plus hardirnent و MADEMOISELLE DE MAUPIN . 827 - dans cet oubli et cette nonchalance . Jamais personne n'a été couvé du regard aussi ardemment que vous. Je m'oubliais dans cette contemplation pendant des heures entières . Retiré dans quelque coin du salon , ayant en main un livre que je ne lisais point, ou tapi derrière le rideau de ma chambre, lorsque vous étiez dans la vôtre et que les jalousies de votre fenêtre étaient levées, alors, bien pénétré de la beauté merveilleuse qui se répand autour de vous et vous fait comme une atmosphère lumineuse, je ne disais : Assurément c'est une femme; – puis tout à coup unmouvement brusque et hardi, un accent viril ou quel que façon cavalière détruisait dans une minute mon frèle édifice de probabilités, et me rejetait dans mes irrésolu tions premières. Je voguais à pleines voiles sur l'océan sans bornes de la rêverie amoureuse, et vous veniez me chercher pour faire des armes ou jouer à la paume avec vous ; la jeune fille , transformée en jeune cavalier, me donnait de terribles coups de bâton et me faisait sauter le fleuret des mains aussi prestement et aussi lestement que le spadassin le mieux rompu à l'escrime ; à chaque instant de la journée, e'était quelque désappointement pareil. J'allais m'approcher de vous pour vous dire : - Ma chère belle, c'est vous que j'adore, et je vous voyais vous pencher tendrement à l'oreille d'une dame et lui souffler à travers ses cheveux des bouffées de madrigaux et de compliments. – Jugez de ma situation . -Ou bien quel que femme, que, dans ma jalousie étrange, j'eusse écor chée vive avec la plus grande volupté du monde, se pen dait à votre bras, vous tirait à part pour vous confier je ne sais quels puérils secrets , et vous tenait des heures en tières dans une embrasure de la croisée . J'enrageais de voir les femmes vous parler, car cela me faisait croire que vous étiez un homme, et, l’eussiez-vous été , je ne l'aurais souffert qu'avec une peine extrême. - Quand les hommes approchaient librement et familière . - 328 MADEMOISELLE DE MAUPIN . ment, j'étais encore plus jaloux, parce que je songeais à cela, que vous étiez une femme et qu'ils en avaient peut être le soupçon comme moi ; j'étais en proie aux passions les plus contraires, et je ne savais à quoi me fixer. Je me colérais contre moi-même, je m'adressais les plus durs reproches d'être ainsi tourmenté par un sem blable amour, et de n'avoir pas la force d'arracher de vion caur cette plante vénéneuse qui y était poussée en une nuit comme un champignon empoisonné; je vous mau dissais, je vous appelais mon mauvais génie ; j'ai cru même un instant que vous étiez Belzébuth en personne, car je ne pouvais m'expliquer la sensation que j'éprouvais devant vous. Quand j'étais bien persuadé que vous n'étiez en effet rien autre chose qu'une femme déguisée, l'invraisem blance des motifs dont je cherchais à justifier un pareil caprice me replongeait dans mon incertitude, et je me remettais de nouveau à déplorer que la forme que j'avais rêvée pour l'amour de mon âme se trouvât appartenir à quelqu'un du même sexe que moi ; – j’accusais le bą. sard qui avait habillé un homme d'apparences si char mantes, et, pour mon malheur éternel, me l'avait fait rencontrer au moment où je n'espérais plus voir se réali ser l'idée absolue de pure beauté que je caressais depuis si longtemps dans mon caur. Maintenant, Rosalinde, j'ai la certitude profonde que vous êtes la plus belle des femmes; je vous ai vue dans le costume de votre sexe, j'ai vu vos épaules et vos bras si purs et si correctement arrondis . Le commencement de votre poitrine que votre gorgerette laissait entrevoir ne peut appartenir qu'à une jeune fille : ni Méléagre le beau chasseur, ni Bacchus l'efféminé, avec leurs formes dou teuses, n'ont jamais eu une pareille suavité de lignes ni une si grande finesse de peau, quoiqu'ils soient tous les deux de marbre de Paros et polis par les baisers amou reux de vingt siècles . Je ne suis plus tourmenté de ce MADEMOISELLE DE MAUPIN. 329 - . > côté - là . Mais ce n'est pas tout : vous êtes femme, et mon amour n'est plus répréhensible , je puis m'y livrer sans remords et m'abandonner au flot qui m'emporte vers vous ; si grande, si effrénée que soit la passion que j'é prouve, elle est permise et je la puis avouer ; mais vous, Rosalinde, pour qui je brûlais en silence et qui ignoriez l'immensité de mon amour, vous que cette révélation tar dive ne fera peut- être que surprendre, ne me haïssez vous pas, m’aimez-vous, pourrez-vous m'aimer ? Je ne sais, - et je tremble, et je suis plus malheureux encore qu'auparavant. Par instants, il me semble que vous ne me haïssez pas ; quand nous avons joué Comme il vous plaira, vous avez donné à certaines parties de votre rôle un accent par ticulier qui en augmentait le sers, et m'engageait, en quel que sorte, à me déclarer. J'ai cru voir dans vos yeux et dans votre sourire de gracieuses promesses d'indulgence et sentir votre main répondre à la pression de la mienne. -Si je m'étais trompé, o Dieu ! c'est une chose à quoi je n'ose pas réfléchir. - Encouragé par tout cela et poussé par mon amour, je vous ai écrit, car l'habit que vous por tez se prête mal à de tels aveux , et mille fois la parole s'est arrêtée sur mes lèvres ; bien que j'eusse l'idée et la ferme conviction que je parlais à une femme, ce costume viril effarouchait toutes mes tendres pensées amoureuses, et les empêchait de prendre leur vol vers vous. Je vous en supplie, Rosalinde, si vous ne m'aimez pas encore, tâchez de m'aimer, moi qui vous ai aimée malgré tout, sous le voile dont vous vous enveloppez, par pitié pour nous sans doute ; ne vouez pas le reste de ma vie au plus affreux désespoir et au plus morne découragement; songez que je vous adore depuis que le premier rayon de la pensée a lui dans ma tête, que vous m'étiez révélée d'avance , et que, lorsque j'étais tout petit, vous m'appa raissiez en songe avec une couronne de gouttes de rosée, deux ailes prismatiques et la petite fleur bleue à la main ; - 28 . 330 MADEMOISELLE DE MAUPIN. que vous êtes le but, le moyen et le sens de ma vie ; que, sans vous, je ne suis rien qu'une vaine apparence, et que, si vous soufflez sur cette flamme que vous avez allumée, il ne restera au fond de moi qu'une pincée de poussière plus fine et plus impalpable que celle qui saupoudre les propres ailes de la mort. Rosalinde, vous qui avez tant de recettes pour guérir le mal d'amour, guérissez-moi, car je suis bien malade ; jouez votre rôle jusqu'au bout, jetez les habits du beau page Ganymede, et tendez votre blanche main au plus jeune fils du brave chevalier Row land-des-Bois. - XIV J'étais à ma fenêtre occupée à regarder les étoiles qui છે s'épanouissaient joyeusement aux parterres du ciel, et à respirer le parfum des belles-de- nuit que m'apportait une brise mourante . - Le vent de la croisée ouverte avait éteint ma lampe, la dernière qui restât allumée dans le château. Ma pensée dégénérait en vague rêverie, et une espèce de somnolence commençait à me prendre ; cependant je res tais toujours accoudée sur la balustrade de pierre, soit que je fusse fascinée par le charme de la nuit, soit par noncha lance et par oubli . — Rosette, ne voyant plus briller ma tampe et ne pouvant me distinguer à cause d'un grand angle d'ombre qui tombait précisément sur la fenêtre, avait cru sans doute que j'étais couchée, et c'était ce qu'elle attendait pour risquer une dernière et désespérée tentative . - Elle poussa si doucement la porte, que je ne l'entendis - pas entrer, et qu'elle était à deux pas de moi avant que je m'en fusse aperçue . Elle fut très-étonnée de me voir en core levée ; mais, se remettant bientôt de sa surprise, elle vint à moi et me prit le bras en m'appelant deux fois par mon nom : -- Théodore, Théodore ! - Quoi ! vous, Rosette, ici , à cette heure, toute seule, sans lumière, dans un déshabillé aussi complet ! MADEMOISELLE DE MAUPIN . 831 - Il faut te dire que la belle n'avait sur elle qu'une mante de nuit en batiste excessivement fine, et la triomphante chemise bordée de dentelles que je n'avais pas voulu voir le jour de la fameuse scène dans le petit kiosque du parc. Ses bras, polis et froids comme le marbre, étaient entière ment nus, et la toile qui couvrait son corps était si souple et si diaphane, qu'elle laissait voir les boutons des seins, comme à ces statues de baigneuses couvertes d'une dra perie mouillée. - Est-ce un reproche, Théodore, que vous me faites là ? ou n'est -ce qu'une simple phrase purement exclama tive ? Oui, moi, Rosette, la belle dame, ici, dans votre chambre à vous, non dans la mienne où je devrais être, à onze heures du soir et peut- être minuit, sans duègne ni chaperon, ni soubrette, presque nue, en simple peignoir, de nuit ; -- cela est bien étonnant, n'est-ce pas ? -- J'en suis aussi surprise que vous, et je ne sais trop quelle expli cation vous en donner. En disant cela, elle me passa un de ses bras autour du corps, et se laissa tomber sur le pied de mon lit de façon à m'entraîner avec elle . Rosette, lui dis - je en m'efforçant de me dégager, je m'en vais tâcher de rallumer la lumière ; rien n'est triste comme l'obscurité dans une chambre ; et puis, c'est vrai ment un meurtre de ne pas y voir clair quand vous êtes là et de se priver du spectacle de vos beautés . -Permettez qu'au moyen d'un morceau d'amadou et d'une allumette, je ine fasse un petit soleil portatif qui mette en relief tout ce que la nuit jalouse efface sous ses ombres. Ce n'est pas la peine ; j'aime autant que vous ne voyiez pas ma rougeur; je me sens les joues toutes brû lantes , car c'est à mourir de honte . Elle se jeta la figure contre ma poitrine ; elle resta quelques minutes ainsi , comme suffoquée par son émotion . Moi, pendant ce temps -là, je passais machinalement mes doigts dans les longues boucles de ses cheveux déroulés; . 332 MADEMOISELLE DE MAUPIN. - je cherchais dans ma cervelle quelque honnête échappa toire pour me tirer d'embarras, et je n'en trouvais point, car j'étais acculée dans mes derniers retranchements, et Rosette paraissait parfaitement décidée à ne pas sortir de la chambre comme elle y était entrée . - Son habillement avait une désinvolture formidable, et qui ne promettait rien de bon . Je n'avais moi- même qu'une robe de chambre ouverte et qui eût fort mal défendu mon incognito, en sorte que j'étais on ne peut plus inquiète de l'issue de la bataille . Théodore, écoutez- moi, dit Rosette en se relevant et en rejetant ses cheveux des deux côtés de sa figure, autant que je pus le discerner à la faible lueur que les étoiles et un croissant de lune très-mince, qui commençait à se lever, · jetaient dans la chambre dont la croisée était restée ou verte ; la démarche que je fais est étrange ; tout le monde me blâmerait de l'avoir faite . - Mais vous allez partir bientôt, et je vous aime ! Je ne puis vous laisser ainsi sans m'être expliquée avec vous . Peut- êtrene re viendrez-vous jamais ; peut-être est-ce la première et la dernière fois que je dois vous voir . Qui sait où vous irez ? Mais où que vous alliez, vous emporterez mon âme et ma vie avec vous. Si vous étiez resté , je n'en serais pas venue à cette extrémité. Le bonheur de vous contempler, de vous entendre, de vivre à côté de vous m'eût suffi: je n'eusse rien demandé de plus. J'aurais renfermé mon 'amour dans mon cour ; vous auriez cru n'avoir en moi qu’une bonne et sincère amie ; -mais cela ne peut pas être. Vous dites qu'il faut absolument que vous partiez. Cela vous ennuie, Théodore, de me voir ainsi attachée à vos pas comme une ombre amoureuse qui ne peut que vous suivre et qui voudrait se fondre à votre corps ; il doit vous déplaire de retrouver toujours derrière vous des yeux suppliants et des mains tendues pour saisir le bord de votre manteau . - Je le sais, mais je ne puis m'empêcher de le faire . Au reste , vous ne pouvez pas vous en - MADEMOISELLE DE MAUPIN. 333 - - plaindre ; c'est votre faute . - J'étais calme, tranquille, presque heureuse avant de vous connaître . Vous ar-' rivez beau, jeune, souriant, pareil à Phicebus le dieu char mant. — Vous avez pour moi les soins les plus empressés, les plus délicates attentions ; jamais cavalier ne fut plus spirituel et plus galant. Vos lèvres chaque minute laissaient tomber des roses et des rubis ; tout devenait pour vous une occasion de madrigal, et vous savez détourner les phrases les plus insignifiantes pour en faire d'adorables compliments. — Une femme qui vous aurait d'abord mor tellement haſ aurait fini par vous aimer, et moi, je vous aimais dès l'instant où je vous avais vu . Pourquoi pa raissiez - vous donc surpris, ayant été si aimable, d'être tant aimé ? N'est- ce pas une conséquence toute naturelle ? Je ne suis ni une folle, ni une évaporée, ni une petite fille roma nesque qui s'éprend de la première épée qu'elle voit. J'ai du monde, et je sais ce que c'est que la vie . Ce que je fais, toute femme, même la plus vertueuse ou la plus prude, en eût fait autant. - Quelle idée et quelle intention aviez vous ? celle de me plaire, j'imagine, car je n'en puis sup poser d'autre. Comment se fait- il donc que vous avez, en quelque sorte, l'air fâché d'y avoir si bien réussi ? Ai-je fait, sans le vouloir, quelque chose qui vous ait déplu ? - Je vous en demande pardon . Est-ce que vous nemetrouvez plus belle, ou avez -vous découvert en moi quelque défaut qui vous rebute ? Vous avez le droit d'être difficile en beauté, mais ou vous avez menti étrangement, ou je suis belle aussi, moi ! Je suis jeune comme vous, et je vous aime ; pourquoi maintenant me dédaignez -vous ? Vousvous empressiez tant autour de moi, vous souteniez mon bras avec une sollicitude si constante, vous pressiez si tendre mentla main que je vous abandonnais, vous leviez versmoi des paupières si langoureuses : si vous ne m'aimiez pas, à quoi bon tout ce manége ? Auriez-vous eu par hasard cette cruauté d'allumer l'amour dans un coeur pour vous en faire ensuite un sujet de risée ? Ah ! ce serait une horrible rail - - - 334 MADEMOISELLE DE MAUPIN . lerie, une impiété et un sacrilége ! ce ne pourrait être que l'amusement d'une âme affreuse, et je ne puis croire cela de vous, tout inexplicable que soit votre conduite envers moi. Quelle est donc la cause de ce revirement subit ? Quant à moi, je n'y en vois point. - Quel mystère cache une pareille froideur ? - Je ne puis croire que vous ayez de la répugnance pour moi ; ce que vous avez fait prouve que non, car on ne courtise pas aussi vivement une femme pour qui l'on a du dégoût, fût-on le plus grand fourbe de la terre . O Théodore, qu'avez-vous contre moi ? qui vous a changé ainsi ? que vous ai- je fait ? – Si l'amour que vous paraissiez avoir pour moi s'est envolé, le mien , hélas ! est resté, et je ne puis l'arracher de mon coeur. - Ayez pitié de moi, Théodore, car je suis bien malheureuse. - Faites du moins semblant de m’aimer un peu, et dites- moi quelques douces paroles ; cela ne vous coûtera pas beau coup, à moins que vous n'ayez pour moi une insurmon table horreur... En cet endroit pathétique de son discours, ses sanglots étouffèrent complétement sa voix ; elle croisa ses deux mains sur mon épaule et s'y appuya le front dans une attitude tout à fait désespérée . Tout ce qu'elle disait était on ne peut plus juste, et je n'avais rien de bon à répondre . Je ne pouvais prendre la chose sur le ton du persiflage. Cela n'eût pas été convenable . Rosette n'était pas de ces créatures que l'on pût traiter aussi légèrement; — j'é tais d'ailleurs trop touchée pour le pouvoir faire . —Je me sentais coupable de m'être jouée ainsi du caur d'une femme charmante, et j'en éprouvais le plus vif et le plus sincère remords du monde. Voyant que je ne répondais rien, la chère enfant poussa un long soupir et fit un mouvement comme pour se lever, mais elle retomba affaissée sous son émotion ; - puis elle m'entoura de ses bras dont la fraicheur périétrait mon pourpoint, posa sa figure sur la mienne et se mit à pleurer silencieusement. - - - MADEMOISELLE DE MAUPIN . 335 Cela me fit un effet singulier de sentir ainsi ruisseler sur ma joue cet intarissable courant de larmes qui ne par tait pas de mes yeux . Je ne tardai pas à y mêler les miennes, et ce fut une véritable pluie amère à causer un nouveau déluge, si elle eût duré seulement quarante jours. La lune en cet instant-là vint donner précisément sur la fenêtre ; un pâle rayon plongea dans la chambre et éclaira d'une lueur bleuâtre notre groupe taciturne . Avec son peignoir blanc, ses bras nus, sa poitrine et sa gorge découvertes, presque de la même couleur que son linge, ses cheveux épars et son air douloureux, Rosette avait l'air d'une figure d'albâtre de la Mélancolie assise sur un tombeau. Quant à moi, je ne sais trop quelle figure je pouvais avoir, attendu que je ne me voyais pas et qu'il n'y avait point de glace qui pût réfléchir mon image, mais je pense que j'aurais très-bien pu poser pour une statue de I'Incertitude personnifiée. J'étais émue , et je fis à Rosette quelques caresses plus tendres qu'à l'ordinaire ; de ses cheveux ma main était descendue à son cou velouté, et de là à son épaule ronde et polie que je flattais doucement et dont je suivais la ligne frémissante . L'enfant vibrait sous mon toucher comme un clavier sous les doigts d'un musicien ; sa chair tressaillait et sautait brusquement, et d'amoureux frissons couraient le long de son corps. Moi-même j'éprouvais une espèce de désir ,vague et confus dont je ne pouvais démêler le but, et je sentais une grande volupté à parcourir ces formes pures et délicates . Je quittai son épaule, et, profitant de l'hiatus d’un pli , j'enfermai subitement dans ma main sa petite gorge ef farée, qui palpitait éperdument comme une tourterelle surprise au nid ; - de l'extrême contour de sa joue, que j'effleurais d'un baiser à peine sensible, j'arrivai à sa bouche mi-ouverte : nous restâmes ainsi quelque temps. - Je ne sais pas, par exemple, si ce fut deux minutes, - 336 MADEMOISELLE DE MAUPIN, ou un quart d'heure, ou une heure ; car j'avais totalement perdu la notion du temps, et je ne savais pas si j'étais au ciel ou sur la terre, ici ou ailleurs, morte ou vivante. Le vin capiteux de la volupté m'avait tellement enivrée à la première gorgée que j'avais bue, que tout ce que j'avais de raison s'en était allé . -Rosette me nouait de plus en plus avec ses bras et m'enveloppait de son corps ; - elle se penchait sur moi convulsivement et me pressait sur sa poi trine nue et haletante ; à chaque baiser , sa vie semblait accourir tout entière à la place touchée , et abandonner le reste de sa personne.- Des idées singulières me passaient par la tête ; j'aurais, si je n'avais craint de trahir mon in cognito, laissé un champ libre aux élans passionnés de Ro sette, et peut-être aurais-je fait quelque vaine et folle ten tative pour donner un semblant de réalité à cette ombre de plaisir que ma belle amoureuse embrassait avec tant d'ar deur ; je n'avais pas encore eu d'amant; et ces vives at taques, ces caresses réitérées, le contact de ce beau corps, ces doux noms perdus dans des baisers me troublaient au dernier point, - quoiqu'ils fussent d'une femme; et puis cette visite nocturne, cette passion romanesque, ce clair de lune, tout cela avait pour moi une fraîcheur et un charme de nouveauté qui me faisaient oublier qu'au bout du compte je n'étais pas un homme. Pourtant, faisant un grand effort sur moi-même, je dis à Rosette qu'elle se compromettait horriblement en venant dans ma chambre à une pareille heure et y restant aussi longtemps, que ses femmes pourraient s'apercevoir de son absence et voir qu'elle n'avait pas passé la nuit dans son appartement. Je dis cela si mollement, que Rosette, pour toute ré ponse, laissa tomber sa mante de batiste et ses pantoufles, et se glissa dans mon lit comme une couleuvre dans une jatte de lait ; car elle imaginait que mes habits m'empê chaient seuls d'en venir à des démonstrations plus préci ses, et que c'était l'unique obstacle qui me retenait. MADEMOISELLE DE MAUPIN . 337 Elle croyait, la pauvre enfant, que l'heure du berger, si laborieusement amenée, allait enfin sonner pour elle ; mais il ne sonna que deux heures du matin . Ma situa tion était on ne peut plus critique, lorsque la porte tourna sur ses gonds et donna passage au même chevalier Alci biade en personne ; il tenait un bougeoir d'une main et son épée de l'autre . Il alla droit au lit, dont il rejeta la couverture, et, met. tant la lumière sous le nez de Rosette confondue, il lui dit d'un ton goguenard : - Bonjour, ma sœur. — La petite Rosette n'eut pas la force de trouver une parole pour ré pondre. - Il paraît donc, ma très - chère et très- vertueuse soeur, qu'ayant jugé dans votre sagesse que le lit du seigneur Théodore était plus douillet que le vôtre, vous êtes verue vous y coucher ? ou peut-être revient- il des esprits dans votre chambre, et avez-vous pensé que vous seriez plus en sûreté dans celle-ci, sous la garde du susdit seigneur ? C'est fort bien yu. Ah ! monsieur le chevalier de Sérannes, vous avez fait les doux yeux à madame notre saur, et vous croyez qu'il n'en sera que cela. — J'estime qu'il ne serait pas malsain de nous couper un peu la gorge, et, si vous aviez cette complaisance, je vous serais infiniment obligé. —Théodore , vous avez abusé de l'ami tié que j'avais pour vous, et vous me faites repentir de la bonne opinion que j'avais tout d'abord formée sur la loyauté de votre caractère : c'est mal, très -mal. Je ne pouvais me défendre d'une manière valable : les apparences étaient contre moi. Qui m'aurait crue, si j'avais dit, comme cela était en effet, que Rosette n'était venue dans ma chambre que malgré moi, et que, loin de cher cher à lui plaire, je faisais tout mon possible pour la dé tourner de moi ? — Je n'avais qu'une chose à dire, je la dis . – Seigneur Alcibiade, nous nous couperons tout ce que vous voudrez . Pendant ce colloque, Rosette n'avait pas manqué de - -- 29 338 MADEMOISELLE DE MAUPIN . s'évanouir selon les plus saines règles du pathétique ; j'allai à une coupe de cristal pleine d'eau, où plongeait la queue d'une grosse rose blanche à moitié effeuillée , et je lui jetai quelques gouttes à la figure, ce qui la fit revenir à elle promptement. Ne sachant trop quelle contenance tenir , elle se blottit dans la ruelle et fourra sa jolie tête sous la couverture, comme un oiseau qui s'arrange pour dormir. Elle avait tellement ramassé les draps et les coussins autour d'elle , qu'il eût été fort difficile de discerner ce qu'il y avait sous ce monceau ; -quelques petits soupirs flûtés, qui en sor taient de temps à autre , pouvaient seuls faire deviner que c'était une jeune pécheresse repentante, ou du moins excessivement fâchée de n'être pécheresse que d'intention et non de fait : ce qui était le cas de l'infortunée Rosette . Monsieur le frère, n'ayant plus d'inquiétude sur sa sæur, reprit le dialogue, et me dit d'un ton un peu plus doux : -Il n'est pas absolument indispensable de nous cou per la gorge sur-le -champ, c'est un moyen extrême qu'on est toujours à temps d'employer. - Écoutez : -- la partie n'est pas égale entre nous . Vous êtes de la première jeu nesse et beaucoup moins vigoureux que moi ; si nous nous battions, je vous tuerais ou je vous estropierais assurément, - et je ne voudrais ni vous tuer ni vous dé figurer, — ce serait dommage ; Rosette, qui est là-bas sous la couverture et qui ne dit mot, m'en voudrait toute sa vie ; car elle est rancunière et mauvaise comme une ti gresse quand elle s'y met, cette chère petite colombe. Vous ne savez pas cela, vous qui êtes son prince Galaor, et qui n'en recevez que de charmantes douceurs ; mais il n'y fait pas bon . Rosette est libre, vous aussi ; il paraît que vous n'êtes pas irréconciliablement ennemis ; son veuvage va finir , et la chose se trouve le mieux du monde, Épousez-laj elle n'aura pas besoin de retourner cou cher chez elle, et moi, de cette façon -là , je serai dispensé de vous prendre pour fourreau de mon épée, ce qui ne > MADEMOISELLE DE MAUPIN. 339 - serait agréable ni pour vous ni pour moi ; que vous en semble ? Je dus faire une horrible grimace, car ce qu'il me pro posait était de toutes les choses du monde la plus inexécu table pour moi : j'aurais plutôt marché à quatre pattes contre le plafond comme les mouches, et décroché le so leil sans prendre de marchepied pour me hausser, que de faire ce qu'il me demandait, et cependant la dernière proposition était plus agréable incontestablement que la première. Il parut surpris que je n'acceptasse pas avec transport, et il répéta ce qu'il avait dit comme pour me donner le temps de répliquer . Votre alliance est on ne peut plus honorable pour moi, et je n'eusse jamais osé y prétendre : je sais que c'est une fortune inouïe pour un jeune homme qui n'a point encore de rang ni de consistance dans le monde, et que les plus illustres s'en estimeraient tout heureux ; - mais cependant je ne puis que persister dans mon refus, et, puisque j'ai la liberté du choix entre le duel et le mariage, je préfère le duel. -· C'est un goût singulier, peu de gens auraient, - mais c'est le mien. Ici Rosette souffla le plus douloureux sanglot du monde, sortit sa tête de dessous l'oreiller, et l'y rentra aussitôt comme un limaçon dont on frappe les cornes, en voyani ma contenance impassible et délibérée. Ce n'est pas que je n'aime point madame Rosette, je l'aime infiniment; mais j'ai des raisons de ne point . me marier, que vous-même trouveriez excellentes, s'il m'était possible de vous les dire . - Au reste, les choses n'ont pas été aussi loin que l'on pourrait le croire d'après les apparences ; hors quelques baisers qu'une amitié un peu vive suffit à expliquer et à justifier, il n'y a rien entre nous dont on ne puisse convenir, et la vertu de votre soeur est assurément la plus intacte et la plus nette du monde. - Je lui devais ce témoignage. — Maintenant, à quelle et que - 340 MADEMOISELLE DE MAUPIN . chers ; heure nous battons- nous, monsieur Alcibiade, et à quel endroit ? - Ici , sur- le-champ, cria Alcibiade ivre de fureur. - Y pensez -vous ? devant Rosette ! – Dégaine, misérable, ou je t'assassine, continua-t-il en brandissant son épée et en l'agitant autour de sa tête . Sortons au moinsde la chambre. Si tu ne te mets pas en garde, je vais te clouer con tre le mur comme une chauve-souris, mon beau Céladon, et tu auras beau battre de l'aile, tu ne te décrocheras pas, je t'en avertis . -· Et il fondit sur moi l'épée haute. Je tirai ma rapière, car il l'aurait fait comme il le disait, et je me contentai d'abord de parer les bottes qu'il me portait. Rosette fit un effort surhumain pour venir se jeter entre nos épées, car les deux combattants lui étaient également mais ses forces la trahirent, et elle roula sans con naissance sur le pied du lit. Nos fers étincelaient et faisaient le bruit d'une enclume, car le peu d'espace que nous avions nous forçait à enga à ger nos épées de très -près. Alcibiade manqua deux ou trois fois de m'atteindre, ,et, si je n'eusse pas eu un excellent maître en fait d'armes, ' ma vie aurait couru le plus grand danger ; car il était d'une adresse étonnante et d'une force prodigieuse. Il épuisa toutes les ruses et les feintes de l'escrime pour me toucher . Enragé de ne pouvoir y parvenir, il se découvrit deux ou trois fois ; je n'en voulus pas profiter ; mais il revenait à la charge avec un emportement si acharné et si sauvage, que je fus forcée de saisir les jours qu'il me laissait ; et puis ce bruit et ces éclairs tourbillonnants de l'acier m'enivraient et m'éblouissaient. Je ne pensais pas à la mort, je n'avais pas la moindre peur ; cette pointe aiguë et mortelle qui me venait devant les yeux àછે chaque seconde ne me faisait pas plus d'effet que si je me fusse battue avec des fleurets boutonnés ; seulement j'étais MADEMOISELLE DE MAUPIN . 341 1 indignée de la brutalité d’Alcibiade, et le sentiment de mon innocence parfaite augmentait encore cette indi gnation . Je voulais seulement lui piquer le bras ou l'épaule pour lui faire tomber son épée des mains , car j'avais essayé vainement de la lui faire sauter. —- Il avait un poi gnet de fer, et le diable ne le lui eût pas fait bouger. Enfin il me porta une botte si vive et si à fond , que je ne pus la parer qu'à demi ; ma manche fut traversée, et je sentis le froid du fer sur mon bras ; mais je ne fus pas blessée . A cette vue, la colère me prit, et, au lieu de me défendre, j'attaquai à mon tour ; - je ne songeai plus que c'était le frère de Rosette, et je fondis sur lui comme si c'eût été mon ennemi mortel. Profitant d'une fausse position de son épée, je lui poussai une flanconade si bien liée, que je l'atteignis au côté : il fit ho ! et tomba en arrière. Je le crus mort, mais il n'était réellement que blessé, et sa chute provenait d'un faux pas qu'il avait fait en essayant de rompre . - Je ne puis t'exprimer, Graciosa, . la sensation que j'éprouvai ; certes, ce n'est pas une ré. flexion difficile à faire, qu'en frappant de la chair avec une pointe fine et tranchante on y percera un trou, et qu'il en jaillira du sang. Cependant je tombai dans une stupeur profonde en voyant ruisseler des filets rouges sur le pourpoint d’Alcibiade. — Je n'imaginais pas sans doute qu'il en sortirait du son, comme du ventre crevé d'un poupard; mais je sais que jamais de ma vie je n'éprouvai une aussi grande surprise, et il me sembla qu'il venait de m'arriver quelque chose d'inouï . Ce qui était inouï, ce n'était pas, ainsi qu'il me parais sait, que du sang coulât d'une blessure, mais c'était que cette blessure eût été ouverte par moi, et qu'une jeune fille de mon âge (j'allais écrire un jeune homme, tant je suis bien entrée dans l'esprit de mon rôle) eût jeté sur le carreau un capitaine vigoureux, rompu à l'escrime conime l'était le seigneu: Alcibiade ; - le tout pour crime de sé - 29 . 342 MADEMOISELLE DE MAUPIN . - ܪܐ duction et refus de mariage avec une femme fort riche et fort charmante, qui plus est ! J'étais véritablement dans un embarras cruel avec la sour évanouie, le frère que je croyais mort, et moi-même qui n'étais pas très - loin d'être évanouie ou morte, comme l'un ou commel'autre . Je me pendis au cordon de la sonnette, et je carillonnai à réveiller des morts, tant que le ruban me resta à la main ; et, laissant à Rosette påmée et à Alcibiade éventré le soin d'expliquer les choses aux domestiques et à la vieille tante, j'allai droit à l'écurie . - L'air me remit sur-le-champ ; je fis sortir mon cheval, je le sellai et je le bridai moi-même; je m'assurai si la crou pière tenait bien, si la gourmette était en bon état ; je mis les étriers de la même longueur, je resserrai la sangle d'un cran ; bref, je le harnachai complétement avec une atten tion au moins singulière dans un moment pareil,etun calme tout à fait inconcevable après un combat ainsi terininé. Je montai sur ma bête, et je traversai le parc par un sentier que je connaissais. Les branches d'arbres, toutes chargées de rosée, me fouettaient et nie mouillaient la figure : on eût dit que les vieux arbres étendaient les bras pour me retenir et me garder à l'amour de leur châtelaine. - Si j'avais été dans une autre disposition d'esprit, ou quelque peu superstitieuse, il n'aurait tenu qu'à moi de croire que c'étaient autant de fantômes qui voulaient me saisir et qui me montraient le poing. Mais réellement je n'avais aucune idée, ni celle-là ni une autre ; une stupeur de plomb si forte, que j'en avais à peine la conscience, me pesait sur la cervelle, comme un casque trop étroit ; seulement il me semblait bien que j'avais tué quelqu'un par là et que c'était pour cela que je m'en allais . — J'avais, au reste, horriblement envie de dormir, soit à cause de l'heure avancée, soit que la violence des émotions de cette soirée eût eu une réaction physique et m'eût fatiguée corporellement. J'arrivai à une petite poterne qui s'ouvrait sur les MADEMOISELLE DE MAUPIN. 34 3 champs par un secret que Rosette m’avait montré dans nos promenades . Je descendis de cheval, je touchai le bouton et je poussai la porte : je me remis en selle après avoir fait passer mon cheval , et je lui fis prendre le galop jusqu'à ce que j'eusse rejoint la grand'route de C***, où j'arrivai à la petite pointe du jour. Ceci est l'histoire très - fidèle et très-circonstanciée de ma première bonne fortune et de mon premier duel. XV Il était cinq heures du matin lorsque j'entrai dans la ville . Les maisons commençaient à mettre le nez aux fenêtres ; les braves indigènes montraient derrière leur carreau leur bénigne figure, surmontée d'un pyramidal bonnet de nuit . Au pas de mon cheval, dont les fers sonnaient sur le pavé inégal et caillouteux, sortaient de chaque lucarne la grosse figure curieusement rouge et la gorge matinalement débraillée des Vénus de l'endroit, qui s'épuisaient en conjectures sur cette apparition inso lite d'un voyageur dans C***, à une pareille heure et en pareil équipage, car j'étais très-succinctement habillée et dans une tenue au moins suspecte . Je me fis indiquer une auberge par un petit polisson qui avait des cheveux jus que sur les yeux, et qui éleva en l'air son museau de barbet pour me considérer plus à son aise ; je lui donnai quelques sous pour sa peine, et un consciencieux coup de cravache, qui le fit fuir en glapissant comme un gcai plumé tout vif. Je me jetai sur un lit et je m'endorinis profondément. Quand je me réveillai, il était trois heures après midi ; ce qui suffit à peine pour me reposer com plétement. En effet, ce n'était pas trop pour une nuit blanche, une bonne fortune, un duel, et une fuite très rapide, quoique très -victorieuse. J'étais fort inquiète de la blessure d'Alcibiade ; mais, $ 44 - MADEMOISELLE DE MAUPIN . quelques jours après, je fus complétemeut rassurée, car j'appris qu'elle n'avait pas eu de suites dangereuses, et qu'il était en pleine convalescence . Cela me soulagea d'un poids singulier, car cette idée d'avoir tué un homme me tourmentait étrangement, quoique ce fùt en légitime dé fense et contre ma propre volonté . Je n'étais pas encore arrivée à cette sublime indifférence pour la vie des hommes où je suis parvenue depuis. Je retrouvai à C *** plusieurs des jeunes gens avec qui nous avions fait route : cela me fit plaisir ; je me liai avec eux plus intimement, et ils me donnèrent accès dans plusieurs maisons agréables. —- J'étais parfaitement habi tuée à mes habits, et la vie plus rude et plus active que j'avais menée, les exercices violents auxquels je m'étais livrée, m'avaient rendue deux fois plus robuste que je n'étais. Je suivais partout ces jeunes écervelés : je montais à cheval, je chassais , je faisais des orgies avec eux, car, petit à petit, je m'étais formée à boire ; sans atteindre à la capacité tout allemande de certains d'entre eux, je vidais bien deux ou trois bouteilles pour ma part, et je n'étais pas trop grise, progrès fort satisfaisant. Je rimais on Dieu avec une excessive richesse, et j'embrassais assez délibérément les filles d'auberge. - Bref, j'étais un jeune cavalier accompli et tout à fait conforme au dernier pa tron de la mode . Je me défis de certaines idées pro vinciales que j'avais sur la vertu et autres fadaises sem blables ; en revanche , je devins d'une si prodigieuse délicatesse sur le point d'honneur, que je me battais en duel presque tous les jours : cela même était devenu une nécessité pour moi, une espèce d'exercice indispensable et sans lequel je me serais mal portée toute la journée. Aussi, quand personne ne m'avait regardée ou marché sur le pied, que je n'avais aucun motif pour me battre, plutôt que de rester oisive et ne point mener des mains, je servais de second à mes camarades ou même à des gens que je ne connaissais que de nom . MADEMOISELLE DE MAUPIN . 345 J'eus bientôt une colossale renommée de bravoure, et il ne fallait rien moins que cela pour arrêter les plaisan teries qu’eussent immanquablement fait naître ma figure imberbe et mon air efféminé. Mais trois ou quatre bou tonnières de surplus que j'ouvris à des pourpoints, quel ques aiguillettes que je levai fort délicatement sur quel ques peaux récalcitrantes, me firent généralement trouver l'air plus viril qu'à Mars en personne, ou à Priape lui même, et vous eussiez rencontré des gens qui eussent juré avoir tenu de mes bâtards sur les fonts de baptême . A travers toute cette dissipation apparente, dans cette vie gaspillée et jetée par les fenêtres, je ne laissais pas que de suivre mon idée primitive, c'est- à -dire cette conscien cieuse étude de l'homme et la solution du grand pro blème d'un amoureux parfait, problème un peu plus dif ficile à résoudre que celui de la pierre philosophale . Il en est de certaines idées comme de l'horizon qui existe bien certainement, puisqu'on le voit en face de soi de quelque côté que l'on se tourne, mais qui fuit obstiné ment devant vous et qui, soit que vous alliez au pas, soit que vous couriez au galop, se tient toujours à la même distance ; car il ne peut se manifester qu'avec une condi tion d'éloignement déterminée;; il se détruit à mesure que l'on avance, pour se former plus loin avec son azur fuyard et insaisissable, et c'est en vain que l'on essaye de l'ar rêter par le bord de son manteau flottant. Plus j'avançais dans la connaissance de l'animal, plus je voyais à quel point la réalisation de mon désir était impossible, et combien ce que je demandais pour aimer heureusement était hors des conditions de sa nature . me convainquis que l'homme qui serait le plus sincère ment amoureux de moi trouverait le moyen, avec la meil leure volonté du monde, de me rendre la plus misérable des femmes, et pourtant j'avais déjà abandonné beaucoup de mes exigences de jeune fille. -- J'étais descendue des sublimes nuages, non pas tout à fait dans la rue et dans - Je 346 MADEMOISELLE DE MAUPIN. - le ruisseau, mais sur une colline de moyenne hauteur, accessible, quoiqu’un peu escarpée. La montée, il est vrai, était assez rude ; mais j'avais l'orgueil de croire que je valais bien la peine que l'on fît cet effort, et que je serais un dédommagement suffisant de la peine qu'on aurait prise.. — Je n'aurais jamais pu me résoudre à faire un pas au-devant ; j'attendais , patiėm ment perchée sur mon sommet. Voici quel était mon plan : sous mes habits virils j'aurais fait connaissance avec quelque jeune homme dont l'extérieur m'aurait plu ; j'aurais vécu familièrement avec lui ; par des questions adroites et de fausses confidences qui en auraient provoqué de vraies, je serais parvenue bientôt à une connaissance complète de ses sentiments et de ses pensées ; et, si je l'avais trouvé tel que je le souhai tais, j'aurais prétexte quelque voyage, je me serais tenue éloignée de lui trois ou quatre mois pour lui donner un peu le temps d'oublier mes traits; puis je serais revenue avec mon costume de femme, j'aurais arrangé dans un faubourg retiré une voluptueuse petite maison, enfouie dans les arbres et les fleurs ; puis j'aurais disposé les choses de manière à ce qu'il me rencontrât et me fît la cour ; et, s'il avait montré un amour vrai et fidèle, je me serais donnée à lui sans restriction et sans précaution : le titre de sa maîtresse m'eût paru honorable, et je ne lui en aurais pas demandé d'autre . Mais assurément ce plan - là ne sera pas mis à exécution, car c'est le propre des plans que l'on a de n'être point exécutés, et c'est là que paraissent principalement la fra gilité de la volonté et le pur néant de l'homme. Le pro verbe, - ce que femme veut, Dieu le veut, - n'est pas plus vrai que tout autre proverbe, ce qui veut dire qu'il ne l'est guère . Tant que je ne les avais vus que de loin et à travers mon désir, les hommes m'avaient paru beaux, et l'optique m'avait fait illusion . Maintenant je les trouve du der . - MADEMOISELLE DE MAUPIN . 347 2 nier effroyable, et je ne comprends pas comment une femme peut admettre cela dans son lit. Quant à moi, le cour me lèverait, et je ne pourrais m'y résoudre. Comme leurs traits sont grossiers, ignobles, sans fi nesse, sans élégance ! quelles lignes heurtées et disgracieu ses ! quelle peau dure, noire et sillonnée ! Les uns sont hâlés comme des pendus de six mois, hâves, osseux, poi lus, avec des cordes à violon sur les mains, de grands pieds à pont- levis, une sale moustache toujours pleine de victuaille et retroussée en croc sur les oreilles, les cheveux rudes comme des crins de balai, un menton terminé en hure de sanglier, des lèvres gercées et cuites par les li queurs fortes, des yeux entourés de quatre ou cinq orbes noirs, un cou plein de veines tordues, de gros muscles et de cartilages saillants . -- Les autres sont matelassés de viande rouge, et poussent devant eux un ventre cerclé à grand peine par leur ceinturon ; ils ouvrent en clignotant leur petit vil vert de mer enflammé de luxure, et ressem blent plutôt à des hippopotames en culotte qu'à des créa tures humaines. Cela sent toujours ou le vin , ou l'eau -de vie, ou le tabac, ou son odeur naturelle, qui est bien la pire de toutes. Quant à ceux dont la forme est un peu moins dégoûtante, ils ressemblent à des femmes mal réussies. Voilà tout. Je n'avais pas remarqué tout cela . J'étais dans la vie comme dans un nuage, et mes pieds touchaient à peine la terre . - L'odeur des roses et des lilas du printemps me portait à la tête comme un parfum trop fort.. Je ne rêvais que héros accomplis, amants fidèles et respectueux , flammes dignes de l'autel, dévoûments et sacrifices mer veilleux, et j'aurais cru trouver tout cela dans le premier gredin qui m'aurait dit bonjour, —- Cependant ce premier et grossier enivrement ne dura guère ; d'étranges soup çons me prirent, et je n'eus pas de repos que je ne les èusse éclaircis. Dans les premiers temps, l'horreur oue j'avais pour les 348 MADEMOISELLE DE MAUPIN. hommes était poussée au dernier degré d'exagération, et je 1 les regardais comme d'épouvantablesmonstruosités. Leurs façons de penser, leurs allures et leur langage Légligem ment cynique, leurs brutalités et leur dédain des femmes me choquaient et me révoltaient au dernier point, tant l'idée que je m'en étais faite répondait peu à la réalité. — Ce ne sont pas des monstres, si l'on veut, mais bien pis que cela, ma foi! ce sont d'excellents garçons de très joviale humeur, qui boivent et mangent bien, qui vous rendront toutes sortes de services, spirituels et braves, bons peintres et bons musiciens, qui sont propres àà mille choses, excepté cependant à une seule pour laquelle ils ont été créés, qui est de servir de mâle à l'animal appelé femme, avec qui ils n'ont pas le plus léger rapport, ni physique ni moral. J'avais peine d'abord à déguiser le mépris qu'ils m’in spiraient, mais peu à peu je m'accoutumai à leur manière de vivre . Je ne me sentais pas plus piquée des railleries qu'ils décochaient sur les femmes que si j'eusse moi-même été de leur sexe. - J'en faisais au contraire de fort bon nes et dont le succès flattait étrangement mon orgueil ; assurément aucun de mes camarades n'allait aussi loin que moi en fait de sarcasmes et de plaisanteries sur cet objet. La parfaite connaissance du terrain me donnait un grand avantage, et, outre le tour piquant qu'elles pouvaient avoir, mes épigrammes brillaient par un mérite d'exacti tude qui manquait souvent aux leurs . — Car, bien que tout le mal que l'on dit des femmes soit toujours fondé par quelque point, il est néanmoins difficile aux hommes de garder le sang -froid nécessaire pour les bien railler, et il y a souvent bien de l'amour dans leurs invectives . J'ai remarqué que ce sont les plus tendres et ceux qui avaient le plus le sentiment de la femme, qui les traitaient plus mal que tous les autres et qui revenaient à ce sujet avec un acharnement tout particulier, comme s'ils leur eussent gardé une mortelle rancune de n'être point telles - MADEMOISELLE DE MAUPIN . 349 - qu'ils les souhaitaient, en faisant mentir la bonne opinion qu'ils en avaient conçue d'abord. Ce que je demandais avant tout, ce n'était pas la beauté physique, c'était la beauté de l'âme, c'était de l'amour ; mais l'amour comme je le sens n'est peut-être pas dans les possibilités humaines. -- Et pourtant il me semble que j'aimerais ainsi et que je donnerais plus que je n'exige. Quelle magnifique folie ! quelle prodigalité sublime! Se livrer tout entier sans rien garder de soi, renoncer à sa possession et à son libre arbitre, remettre sa voli nté entre les bras d'un autre, ne plus voir par ses yeux, ne plus entendre avec ses oreilles, n'être qu'un en deux corps, fondre et mēler ses âmes de façon à ne plus savoir si vous êtes vous ou l'autre, absorber et rayonner continuelle ment, être tantôt la lune et tantôt le soleil, voir tout le monde et toute la création dans un seul être, déplacer le centre de vie, être prêt, à toute heure, aux plus grands sacrifices et à l'abnégation la plus absolue ; souffrir à la poitrine de la personne aimée, comme si c'était la vôtre ; ô prodige ! se doubler en se donnant : voilà l'amour tel que je le conçois. Fidélité de lierre, enlacements de jeune vigne, roucou lements de tourterelle , cela va sans dire, et ce sont les premières et les plus simples conditions . Si j'étais restée chez moi, sous les habits de mon sexe, à tourner mélancoliquement mon rojet ou à faire de la tapisserie derrière un carreau , dans l'embrasure d'une fe nêtre, ce que j'ai cherché à travers le monde serait peut être venu me trouver tout seul. L'amour est comme la fortune, il n'aime pas que l'on coure après lui . Il visite de préférence ceux qui dorment au bord des puits, et sou vent les baisers des reines et des dieux descendent sur des yeux fermés. C'est une chose qui vous leurre et vous trompe que de penser que toutes les aventures et tous les bonheurs n'existent qu'aux endroits où vous n'êtes pas, et c'est un mauvais calcul que de faire seller son cheval et 30 350 MADEMOISELLE DE MAUPIN. de prendre la poste pour aller à la quête de son idéal . Beaucoup de gens font cette faute, bien d'autres encore la feront. -L'horizon est toujours du plus charmant azur , quoique, lorsque l'on y est arrivé, les collines qui le com posent ne soient'ordinairement que des glaises déchernées et fendues, ou des ocres lavés par la pluie. Je me figurais que le monde était plein de jeunes gens adorables, et que sur les chemins on rencontrait des po pulations d’Esplandian, d'Amadis et de Lancelot du Lac au pourchas de leur Dulcinée, et je fus fort étonnée que le monde s'occupât très -peu de cette sublime recherche et se contentât de coucher avec la première catin venue . Je suis très-punie de ma curiosité et de ma défiance. Je me suis blasée de la plus horrible manière possible , sans avoir joui. Chez moi, la connaissance a devancé l'usage ; il n'est rien de pis que ces expériences hâtives, qui ne sont point le fruit de l'action . - L'ignorance la plus complète vaudrait cent mille fois mieux, elle vous ferait au moins commettre beaucoup de sottises qui serviraient à vous ins truire et à rectifier vos idées ; car, sous ce dégoût dont je parlais tout à l'heure, il y a toujours un élément vivace et rebelle qui produit les plus étranges désordres : l'esprit est convaincu, le corps ne l'est pas, et ne veut point sous crire à ce dédain superbe. Le corps jeune et robuste s'a gite et rue sous l'esprit comme un étalon vigoureux monté par un vieillard débile et que cependant il ne peut dés arçonner, car le caveçon lui maintient la tête et le mors lui déchire la bouche . Depuis que je vis avec les hommes, j'ai vu tant de femmes indignement trahies, tant de liaisons secrètes impudemment divulguées, les plus purs amours traînés avec insouciance dans la boue, des jeunes gens cou rant chez d'affreuses courtisanes en sortant des bras des plus charmantes maîtresses, les intrigues les mieux établies rompues subitement et sans motif plausible, qu'il ne m'est plus possible de me décider à prendre un amant. . MADEMOISELLE DE MAUPIN. 351 - - - pas aimée : - 1 - Ce serait se jeter en plein jour les yeux ouverts dans un abîme sans fond. Cependant le vou secret de mon coeur est toujours d'en avoir un . La voix de la na. ture étouffe la voix de la raison . Je sens bien que je ne serai jamais heureuse si je n'aime pas et si je ne suis mais le malheur est que l'on ne peut avoir qu'un homme pour amant, et les hommes, s'ils ne sont pas des diables tout à fait, sont bien loin d'être des anges. Ils auraient beau se coller des plumes à l'omoplate et se mettre sur la tête une gloire de papier doré, je les connais trop pour m'y laisser tromper. – Tous les beaux discours qu'ils me pourraient débiter n'y feraient rien. Je sais d'avance ce qu'ils vont dire, et j'achèverais toute seule . Je les ai vus étudier leurs rôles et les repasser avant d'entrer en scène ; je connais leurs principales tirades à effet et les endroits sur lesquels ils comptent. - Ni la pâ leur de la figure ni l'altération des traits ne me convain craient. Je sais que cela ne prouve rien . Une nuit d'orgie, quelques bouteilles de vin et deux ou trois filles suffisent pour se grimer très -convenablement. J'ai vu pra tiquer cette belle rubrique à un jeune marquis, très-rose et très-frais de sa nature, qui s'en est trouvé on ne peut mieux, et qui n'a dû qu'à cette touchante pâleur, si bien gagnée, de voir couronner sa flamme . Je sais aussi comment les plus langoureux Céladons se consolent des rigueurs de leurs Astrées, et trouvent le moyen de pa tienter, en attendantl'heure du berger. - J'ai vu les souil lons qui servaient de doublures aux pudibondes Arianes. En vérité, après cela, l'homme ne me tente pas beau coup ; car il n'a pas la beauté comme la femme, la beauté, ce vêtement splendide qui dissimule si bien les imperfec tions de l'âme, cette divine draperie jetée par Dieu sur la nudité du monde, et qui fait qu'on est en quelque sorte excusable d'aimer la plus vile courtisane du ruisseau , si elle possède ce don magnifique et royal. A défaut des vertus de l'âme, je voudrais au moins la 352 MADEMOISELLE DE MAUPIN. - par perfection exquise de la forme, le satiné des chairs, la rondeur des contours, la suavité de lignes, la finesse de peau, tout ce qui fait le charme des femmes. - Puisque je ne puis avoir l'amour, je voudrais la volupté, remplacer tant bien que mal le frère la scur. Mais tous les hommes que j'ai vus me semblent affreusement laids . Mon cheval est cent fois plus beau, et j'aurais moins de répu gnance à l'embrasser que certains merveilleux qui se croient fort charmants . - Certes, ce ne serait pas pour moi un brillant thème à broder des variations de plaisir, qu'un qu’un petit- maitre comme j'en connais. -Un homme d'épée ne me conviendrait non plus guère; les militaires ont quelque chose de mécanique dans la démarche et de bestial dans la face, qui fait que je les considère à peine comme des créatures humaines; les hommes de robe ne me ravissent pas davantage, ils sont sales, huileux, hé rissés, râpés, l'oeil glauque et la bouche sans lèvres ; ils sentent exorbitamment le rance et le moisi, et je n'aurais nulle envie de poser ma figure contre leur mufle de loup cervier ou de blaireau . Quant aux poëtes, ils ne considè rent dans le monde que la fin des mots, et ne remontent pas plus loin que la pénultième, et il est vrai de dire qu'ils sont difficiles à utiliser convenablement ; ils sont plus en nuyeux que les autres, mais ils sont aussi laids et n'ont pas la moindre distinction ni la moindre élégance dans leur tournure et leurs habits , ce qui est vraiment singu lier : - des gens qui s'occupenttoute la journée de forme et de beauté ne s'aperçoivent pas que leurs bottes sont mal faites et leur chapeau ridicule ! Ils ont l'air d'apothi caires de province ou de répétiteurs de chiens savants sans ouvrage, et vous dégoûteraient de poésie et de vers pour plusieurs éternités . Pour les peintres, ils sont aussi d'une assez énorme stu pidité ; ils ne voient rien hors des sept couleurs. - L'un d'eux, avec qui j'avais passé quelques jours à R***, et à qui l'on demandait ce qu'il pensait de moi, fit cette ingé > MADEMOISELLE DE MAUPIN. 353 - nieuse réponse : « Il est d'un ton assez chaud, et dans les ombres il faudrait employer, au lieu de blanc, du jaune de Naples pur avec un peu de terre de Cassel et de brun rouge. ) - C'était son opinion, et, de plus, il avait le nez de travers et les yeux comme le nez ; ce qui ne rendait pas son affaire meilleure. - Qui prendrai- je ? un militaire à jabot bombé, un robin aux épaules convexes, un poēte ou un peintre à la mine effarée, un petit freluquet efflan qué et sans consistance ? Quelle cage choisirai -je dans cette ménagerie ? Je l'ignore complétement, et je ne me sens pas plus de penchant d'un côté que de l'autre, car ils sont aussi parfaitement égaux que possible en bêtise et en laideur. Après cela, il me resterait encore quelque chose à faire, ce 'serait de prendre quelqu'un que j'aimasse, fût-ce un portefaix ou un maquignon , mais je n'aime même pas un portefaix . O malheureuse héroïne que je suis ! tourterelle dépariée et condamnée à pousser éternellement des rou coulements élégiaques ! Oh ! que de fois j'ai souhaité être véritablement un homme comme je le paraissais ! Que de femmes avec qui je me serais entendue, et dont le coeur aurait compris mon coeur ! comme ces délicatessesd'amour,ces nobles élans de pure passion auxquels j'aurais pu répondre, m'eussent rendue parfaitement heureuse ! Quelle suavité, quelles délices ! comme toutes les sensitives de mon âme se seraient librement épanouies sans être obligées de se contracter et de se refermer à toute minute sous des at touchements grossiers ! Quelle charmante floraison d'in visibles fleurs qui ne s'ouvriront jamais, et dont le mysté rieux parfum eût doucement embaumé l'âme fraternelle ! Il me semble que c'eût été une vie enchanteresse , une extase infinie aux ailes toujours ouvertes ; des prome nades, les mains enlacées sans se quitter jamais, sous des allées de sable d'or, à travers des bosquets de roses éter nellement souriantes, dans des parcs pleins de viviers où ve - 30 . 354 MADEMOISELLE DE MAUPIN . 1 glissent des cygnes, avec des vases d'albâtre se détachang sur le feuillage. Si j'avais été un jeune homme, comme j'eusse aimé Rosette ! quelle adoration c'eût été ! Nos âmes étaient vraiment faites l'une pour l'autre, deux perles destinées à se fondre ensemble et n'en plus faire qu'une seule ! Comme j'eusse parfaitement réalisé les idées qu'elle s'é tait faites de l'amour! Son caractère me convenait on ne peut plus, et son genre de beauté me plaisait . Il est dom mage que notre amour fût totalement condamné à un pla tonisme indispensable ! Il m'est arrivé dernièrement une aventure . J'allais dans une maison où se trouvait une charmante petite fille de quinze ans tout au plus : je n'ai jamais vu de plus adorable miniature. -- Elle était blonde, mais d'un blond si délicat et si transparent, que les blondes ordinaires eussent paru auprès d'elle excessivement brunes et noires comme des taupes; on eût dit qu'elle avait des cheveux d'or poudrés d'argent; ses sourcils étaient d'une teinte si douce et si fondue, qu'ils se dessinaient à peine visible ment; ses yeux, d'un bleu pâle, avaient le regard le plus velouté et les paupières les plus soyeuses qu'il soit pos sible d'imaginer ; sa bouche, petite à n'y pàs fourrer le bout du doigt, ajoutait encore au caractère enfantin et mignard de sa beauté, et les molles rondeurs et les fos settes de ses joues avaient un charme d'ingénuité inexpri mable Toute sa chère petite personne me ravissait au delà de toute expression ; j'aimais ses petites mains blan ches et frêles qui se laissaient traverser par le jour, son pied d'oiseau qui se posait à peine par terre, sa taille qu'un souffle eût brisée, et ses épaules de nacre, encore peu formées, que son écharpe, mise de travers, trahissait heureusement. Son babil, où la naïveté donnait un nouveau piquant à l'esprit qu'elle a naturellement, me retenait des heures entières, et je me plaisais singulière ment à la faire causer ; elle disait mille délicieuses dro MADEMOISELLE DE MAUPIN. 355 - leries, tantôt avec une finesse d'intention extraordinaire, tantôt sans avoir l'air d'en comprendre la portée le moins du monde, ce qui en faisait quelque chose de mille fois plus attrayant. Je lui donnais des bonbons et des pastilles que je réservais exprès pour elle dans une boîte d'écaille blonde, ce qui lui plaisait beaucoup, car elle était friande comme une vraie chatte qu'elle est . Aussitôt que j'ar rivais, elle courait à moi et tâtait mes poches pour voir si la bienheureuse bonbonnière s'y trouvait; je la faisais courir d'une main à l'autre, et cela faisait une petite ba taille où elle finissait nécessairement par avoir le dessus et me dévaliser complétement. Un jour cependant elle se contenta de me saluer d'un air très -grave et ne vint pas, comme à son ordinaire, voir si la fontaine de sucreries coulait toujours dans ma poche ; elle restait fièrement sur sa chaise toute droite et les coudes en arrière . · Eh bien ! Ninon, lui dis-je, est -ce que vous aimez le sel maintenant, ou avez-vous peur que les bonbons ne vous fassent tomber les dents ?—Et, en disant cela, je frap pai contre la boîte , qui rendait, sous ma veste, le son le plus mielleux et le plus sucré du monde. Elle avança à demi sa petite langue sur le bord de sa bouche, comme pour savourer la douceur idéale du bon bon absent, mais elle ne bougea pas. Alors, je tirai la boîte de ma poche, je l'ouvris et je me mis à avaler religieusement les pralines, qu'elle aimait par -dessus tout : l'instinct de la gourmandise fut un in stant plus fort que sa résolution ; elle avança la main pour en prendre et la retira aussitôt en disant : - Je suis trop grande pour manger des bonbons ! Et elle fit un soupir. Je ne m'étais pas aperçu que vous fussiez beaucoup grandie depuis la semaine passée ; vous êtes donc comme les champignons qui poussent en une nuit ? Venez que je vous mesure . Riez tant que vous voudrez, reprit-elle avec une char - 356 MADEMOISELLE DE MAUPIN. mante moue ; je ne suis plus une petite fille ; et je veux devenir très-grande . Voilà d'excellentes résolutions dans lesquelles il faut persévérer; -et pourrait-on, ma chère demoiselle , savoir à propos de quoi ces triomphantes idées vous sont tombées ans la tête ? Car, il y a huit jours, vous paraissiez vous trouver fort bien d'être petite, et vous croquiez les pra lines sans vous soucier autrement de compromettre votre dignité. La petite personne me regarda avec un air singulier, promena ses yeux autour d'elle, et, quand elle se fut bien assurée que l'on ne pouvait nous entendre, se pencha vers moi d'une façon mystérieuse, et me dit : - J'ai un amoureux . -Diable ! je ne m'étonne plus si vous ne voulez plus de pastilles ; vous avez cependant eu tort de n'en pas pren dre, vous auriez joué à la dînette avec lui, ou vous les au riez troquées contre un volant. L'enfant fit un dédaigneux mouvement d'épaules et eut l'air de me prendre en parfaite pitié . - Comme elle gar dait toujours son attitude de reine offensée, je continuai : Quel est le nom de ce glorieux personnage ? Arthur, je suppose, ou bien Henri. - C'étaient deux petits gar çons avec lesquels elle avait l'habitude de jouer, et qu'elle appelait ses maris. -Non, ni Arthur ni Henri, dit- elle en fixant sur moi son cil clair et transparent, un monsieur . Elle leva sa main au-dessus de sa tête pour me donner une idée de hauteur. - Aussi haut que cela ? Mais ceci devient grave.- Quel est donc cet amoureux si grand ? -Monsieur Théodore, je veux bien vous le dire, mais il ne faudra en parler à personne, ni à maman , ni à Polly ( sa gouvernante), ni à vos amis qui trouvent que je suis une enfant et qui se moqueraient de moi . Je lui promis le plus inviolable secret, car j'étais fort - MADEMOISELLE DE MAUPIN . 357 - - curieuse de savoir quel était ce galant personnage, et la petite, voyant que je tournais la chose en plaisanterie , hé sitait à me faire la confidence entière . Rassurée par la parole d'honneur que je lui donnai de m'en taire soigneusement, elle quitta son fauteuil, vint se pencher au dos du mien , et me souffla très-bas à l'oreille le nom du prince chéri . Je restai confondue : c'était le chevalier de G***, un animal fangeux et indécrottable, avec un moral de maitre d'école et un physique de tambour-major, l'homme le plus crapuleusement débauché qu'il fût possible de voir, —un vrai satyre, moins les pieds de bouc et les oreilles pointues . Cela m'inspira des craintes sérieuses pour la chère Ninon, et je me promis d'y mettre bon ordre . Des personnes entrèrent, et la conversation en resta là . Je me retirai dans un coin, et je cherchai dans ma tête les moyens d'empêcher que les choses n'allassent plus loin , car c'eût été un véritable meurtre qu'une aussi déli cieuse créature échût à un drôle aussi fieffé . La mère de la petite était une espèce de femme galante qui donnait à jouer et tenait un bureau d'esprit. On lisait chez elle de mauvais vers et l'on y perdait de bons écus; ce qui était une compensation. — Elle aimait peu sa fille, qui était pour elle une manière d'extrait de baptême vivant qui la gênait dans la falsification de sa chronologie.-- D’ail leurs, elle se faisait grandelette, et ses charmes naissants donnaient lieu à des comparaisons qui n'étaient pas à l'a vantage du prototype déjà rendu un peu fruste par le frot tement des années et des hommes. L'enfant était donc assez négligée et laissée sans défense aux entreprises des gredins familiers de la maison . — Si sa mère se fût occu pée d'elle, ce n'eût été probablement que pour tirer bon parti de sa jeunesse et se faire une ferme de sa beauté et de son innocence. D'une façon ou de l'autre, le sort qui l'attendait n'était pas douteux . Cela me faisait de la peine, car c'était une charmante petite créature qui mé - 358 MADEMOISELLE DE MAUPIN . - } ritait assurément mieux, une perle de la plus belle eau perdue dans ce bourbier infect; cette idée me toucha au point que je résolus de la tirer à tout prix de cette affreuse maison . La première chose à faire, c'était d’empêcher le cheva lier de poursuivre sa pointe . —Ce que je trouvai de mieux et de plus simple, ce fut de lui chercher querelle et de le faire battre avec moi, et j'eus toutes les peines du monde, car il est poltron au possible et craint les coups plus que qui que ce soit au monde . Enfin je lui en dis tant etde si piquantes, qu'il fallut bien qu'il se décidât à venir sur le pré, quoique fort à contre-cæur. — Je le menaçai même de le faire rosser de coups de bâton par mon laquais, s'il ne faisait meilleure contenance . - Il savait pourtant assez bien tirer l'épée, mais la peur le troublait tellement, qu'à peine les fers croisés, je trouvai le moyen de lui adminis trer un joli petit coup de pointe qui le mit pour quinze jours au lit. - Cela me suffisait ; je n'avais pas envie de le tuer, et j'aimais autant le laisser vivre pour qu'il fût pendu plus tard ; soin touchant dont il aurait dû mesa voir plus de gré! — Mon drôle étendu entre deux draps et dûment ficelé de bandelettes, il n'y avait plus qu'à dé cider la petite à quitter la maison, ce qui n'était pas ex cessivement difficile .' Je lui fis un conte sur la disparition de son amoureux, lont elle s'inquiétait extraordinairement. Je lui dis qu'il s'en était allé avec une comédienne de la troupe qui était alors à C *** : ce qui l'indigna, comme tu peux croire . – Mais je la consolai en lui disant toute sorte de mal du che valier, qui était laid, ivrogne et déjà vieux, et je finis par lui demander si elle n'aimerait pas mieux que je fusse son galant. - Elle répondit qu'elle le voulait bien, parce que j'étais plus beau, et que mes habits étaient neufs. Cette naïveté, dite avec un sérieux énorme, me fit rire jusqu'aux larmes . —Jė montai la tête de la petite, et fis si bien que je la décidai à quitter la maison . — Quelques - MADEMOISELLE DE MAUPIN . 359 - bouquets, à peu près autant de baisers, et un collier de perles que je lui donnai, la charmèrent à un point difficile à décrire, et elle prenait devant ses petites amies un air important on ne peut plus risible . Je fis faire un costume de page très-élégant et très -riche, à peu près à sa taille, car je ne pouvais l'emmener dans ses habits de fille, à moins de me remettre moi-même en femme, ce que je ne voulais pas faire. —J'achetai un pe tit cheval doux et facile à monter, et pourtant assez bon coureur pour suivre mon barbe quand il me plaisait d'aller vite . Puis je dis à la belle de tâcher de descendre à la brune sur la porte, et que je l'y prendrais : ce qu'elle exé cuta très-ponctuellement. -Je la trouvai qui se tenait en faction derrière le battant entre-bâillé. —- Je passai fort près de la maison ; elle sortit, je lui tendis la main, elle appuya son pied sur la pointe du mien, et sauta fort les tement en croupe, car elle était d'une agilité merveilleuse. Je piquai mon cheval, et, par sept ou huit ruelles détour nées et désertes, je trouvai moyen de revenir chez moi sans que personne nous vît. Je lui fis quitter ses habits pour mettre son travestisse ment, et je lui servis moi-même de femme de chambre ; elle fit d'abord quelques façons, et voulait s'habiller toute seule ; mais je lui fis comprendre que cela perdrait beau coup de temps, et que, d'ailleurs, étant ma maîtresse, il n'y avait pas le moindre inconvénient, et que cela se pra tiquait ainsi entre amants. —Il n'en fallait pas tant pour la convaincre, et elle se prêta à la circonstance de la meil leure gràoe du monde . Son corps était une petite merveille de délicatesse. Ses bras, un peu maigres comme ceux de toute jeune fille , étaient d'une suavité de linéaments inexprimable, et sa gorge naissante faisait de si charmantes promesses, qu'aucune gorge plus formée n'eût pu soutenir la com paraison . -- Elle avait encore toutes les grâces de l'enfant et déjà tout le charme de la femme; elle était dans cette - > 360 MADEMOISELLE DE MAUPIN. nuance adorable de transition de la petite fille à la jeune fille : nuance fugitive, insaisissable, époque délicieuse où la beauté est pleine d'espérance, et où chaque jour, au lieu d'enlever quelque chose à vos amours, y ajoute de nou velles perfections. Son costume lui allait on ne peut mieux . Il lui donnait un petit air mutin très -curieux et très- récréatif, et qui la fit rire aux éclats quand je lui présentai le miroir pour qu'elle jugeat de l'effet de sa toilette . Je lui fis ensuite manger quelques biscuits trempés dans du vin d'Espagne, afin de lui donner du courage et de lui faire mieux sup porter la fatigue de la route . Les chevaux nous attendaient tout sellés dans la cour ; elle monta assez délibérément sur le sien, j'enfourchai l'autre, et nous partîmes . — La nuit était complétement tombée, et de rares lumières, qui s'éteignaient d'instant en instant, faisaient voir que l'honnête ville de C*** était oc cupée vertueusement comme doit le faire toute ville de province au coup de neuf heures . Nous ne pouvions pas aller très-vite , car Ninon n'était pas meilleure écuyère qu'il ne le fallait, et quand son che val prenait le trot, elle se cramponnait de toutes ses forces après la crinière . — Cependant, le lendemain matin, nous étions assez loin pour que l'on ne pût nous rattraper, à moins de faire une diligence extrême ; mais l'on ne nous poursuivit pas, ou du moins, si on le fit, ce fut dans une direction opposée à celle que nous avions suivie . Je m'attachai singulièrement à la petite belle . — Je ne t'avais plus avec moi, ma chère Graciosa, et j'éprouvais un besoin immense d'aimer quelqu'un ou quelque chose, d’a voir avec moi soit un chien , soit un enfant à caresser fami lièrement. Ninon était cela pour moi; elle couchait dans mon lit, et passait pour dormir ses petits bras autour de mon corps ; elle se croyait très-sérieusement ma maîtressse, et ne doutait pas que je ne fusse un homme; sa grande jeunesse et son extrême innocence l'entretenaient - - - MADEMOISELLE DE MAUPIN , 361 - dans cette erreur que j'avais garde de dissiper. -- Les bai sers que je lui donnais complétaient parfaitement son illu sion, car son idée n'allait pas encore au delà, et ses désirs ne parlaient pas assez haut pour lui faire soupçonner autre chose. Au reste , elle ne se trompait qu'à demi. Et, réellement, il y avait entre elle et moi la même dir férence qu'il y a entre moi et les hommes. - Elle était si diaphane, si svelte, si légère, d'une nature si délicate et si choisie, qu'elle est une femme même pour moi qui suis femme, et qui ai l'air d'un Hercule à côté d'elle . Je suis grande et brune, elle est petite et blonde ; ses traits sont tellement doux, qu'ils font paraître les miens presque durs et austères, et sa voix est un gazouillement si mélo dieux, que ma voix semble dure près de la sienne . Un homme qui l'aurait la briserait en morceaux, et j'ai tou jours peur que le vent ne l'emporte quelque beau matin . Je la voudrais enfermer dans une boîte de coton et la porter suspendue à mon cou . -- Tu ne te figures pas, ma bonne amie, combien elle a de grâce et d'esprit, de chat teries délicieuses, de mignardises enfantines, de petites façons et de gentilles manières. C'est bien la plus ado rable créature qui soit, et il eût été vraiment dommage qu'elle fût restée avec son indigne mère. Je mettais une joie maligne à dérober ainsi ce trésor à la rapacité des hommes. J'étais le griffon qui empêchait d'en approcher, et, si je n'en jouissais pas moi-même, au moins personne n'en jouissait : idée toujours consolante, quoi qu'en puissent dire tous les sots détracteurs de l'é goïsme. Je me proposais de la conserver aussi longtemps que possible dans l'ignorance où elle était, et de la garder auprès de moi jusqu'à ce qu'elle ne voulut plus y rester ou que j'eusse trouvé à lui assurer un sort . Sous son costume de petit garçon , je l'emmenais dans tous mes voyages , à droite et à gauche ; ce genre de vie lui plaisait singulièrement, et l'agrément qu'elle y prenait 31 362 MADEMOISELLE DE NAUPIN . l'aidait à en supporter les fatigues . Partout on mecome plimentait sur l’exquise beauté de mon page, et je ne doute pas qu'il n'ait fait naître à beaucoup de monde l'idée précisément inverse de ce qui était . Plusieurs même cherchèrent à s'en éclaircir ; mais je ne laissais la petite parler à personne, et les curieux furent tout à fait désap pointés. Tous les jours je découvrais dans cette aimable enfant quelque nouvelle qualité qui me la faisait chérir davan tage et m'applaudir de la résolution que j'avais prise . — Assurément les hommes n'étaient pas dignes de la possé der, et il eût été déplorable que tant de charmes du corps et de l'âme eussent été livrés à leurs appétits brutaux et à leur cynique dépravation . Une femme seule pouvait l’aimer assez délicatement et assez tendrement. - Un côté de mon caractère, qui n'eût pu se développer dans une autre liaison et qui se mit tout à fait au jour dans celle -ci, c'est le besoin et l'envie de protéger, ce qui est habituellement l'affaire des hommes. Il m'eût extrêmement déplu, si j'eusse pris un amant, qu'il se donnât des airs de me défendre, par la raison que c'est un soin que j'aime à prendre avec les gens qui me plaisent, et que mon orgueil se trouve beaucoup mieux du premier rôle que du second, quoique le second soit plus agréable. Aussi je me sentais contente de rendre à ma chère petite tous les soins que j'eusse dû aimer à recevoir, comme de l'aider dans les chemins difficiles, de lui tenir la bride et l'étrier, de la servir à table, de la déshabiller et de la mettre au lit, de la défendre si quelqu'un l'insul .it, enfin de faire pour elle tout ce que l'amant le plus passionné et le plus attentif fait pour une maîtresse adorée . Je perdais insensiblement l'idée de mon sexe, et je me souvenais à peine, de loin en loin , que j'étais femme ; dans les commencements, il m'échappait souventde dire : Je suis lasse, quelque chose comme cela qui n'était pas MADEMOISELLE DE MAITIX . 3e3 . congruant avec l'habit que je portais. Maintenant cela ne m'arrive plus, et même, lorsque je t'écris, à toi qui es dans la confidence de mon secret, je garde quelquefois dans les adjectifs une virilité inutile . S'il me reprend ja mais fantaisie d'aller chercher mes jupes dans le tiroir où je les ai laissées, ce dont je doute fort, à moins que je ne devienne amoureuse de quelque jeune beau, j'aurai de la peine à perdre cette habitude, et, au lieu d'une femme déguisée en homme, j'aurai l'air d'un homme déguisé en femme. En vérité, ni l'un ni l'autre de ces deux sexes n'est le mien ; je n'ai ni la soumission imbécile, ni la timi dité, ni les petitesses de la fenime ; je n'ai pas les vices des hommes, leur dégoûtante crapule et leurs penchants prutaux : je suis d'un troisième sexe à part qui n'a pas à encore de nom : au- dessus ou au - dessous, plus défectueux ou supérieur ; j'ai le corps et l'âme d'une femme, l'esprit et la force d'un homme, et j'ai trop ou pas assez de l'un et de l'autre pour me pouvoir accoupler avec l'un d'eux. O Graciosa ! je ne pourrai jamais aimer complétement personne, ni homme ni femme; quelque chose d'inas souvi gronde toujours en moi, et l'amant ou. l'amie ne répond qu'à une seule face de mon caractère . Si j'avais un amant, ce qu'il y a de féminin en moi dominerait sans doute pour quelque temps ce qu'il y a de viril, mais cela durerait peu , et je sens que je ne serais contentée qu'à demi ; si j'ai une amie, l'idée de la volupté corporelle m'empêche de goûter entièrement la pure volupté de l'âme; en sorte que je ne sais où m'arrêter, et que je flotte perpétuellement de l'un à l'autre. Ma chimère serait d'avoir tour à tour les deux sexes pour satisfaire à cette double nature : homme aujour d'hui, femme demain, je réserverais pour mes amants nies tendresses langoureuses, mes façons soumises et dé vonées, mes plus molles caresses, mes petits soupirs mé. lancoliquement filés, tout ce qui tient dans mon caractère du chat et de la femme; puis, avec mes maitresses, je se. 264 MADEMOISELLE DE MAUPIN. - rais entreprenant, hardi, passionné, avec les manières triomphantes, le chapeau sur l'oreille , une tournure de capitan et d'aventurier. Ma nature se produirait ainsi tout entière au jour, et je serais parfaitement heureuse, car le vrai bonheur est de se pouvoir développer librement en tous sens et d'être tout ce qu'on peut être . Mais ce sont là des choses impossibles, et il n'y faut pas songer. J'avais enlevé la petite dans l'idée de donner le change à mes penchants et de détourner sur quelqu'un toute cette vague tendresse qui flotte dans mon âme et l'inonde ; je l'avais prise comme une espèce d'échappement à mes fa cultés aimantes ; mais je reconnus bientôt, malgré toute l'affection que je lui portais, quel vide immense, quel abime sans fond elle laissait dans mon coeur, combien ses plus tendres caresses me satisfaisaient peu ! ... Je résa lus d'essayer d'un amant, mais il se passa longtemps sans que je rencontrasse quelqu'un qui ne me déplût pas. J'ai oublié de te dire que Rosette, ayant découvert où j'étais allée, m'avait écrit la lettre la plus suppliante pour que je l'allasse voir ; je ne pus le lui refuser, et j'allai la rejoin dre à une campagne où elle était . J'y suis retournée plusieurs fois depuis et même tout dernièrement. - Ro sette, désespérée de ne pas m'avoir eue pour amant, s'é tait jetée dans le tourbillon du monde et dans la dissipa tion, comme toutes les âmes tendres qui ne sont pas religieuses et qui ont été froissées dans leur premier amour ; elle avait eu beaucoup d'aventures en peu de temps, et la liste de ses conquêtes était déjà fort nom breuse, car tout le monde n'avait pas pour lui résister les mêmes raisons que moi. Elle avait avec elle un jeune homme nommé d'Albert, qui était pour lors son galant en pied . — Je parus lui faire une impression toute particulière, et il se prit tout d'abord pour moi d'une amitié fort vive. Quoiqu'il la traitât avec beaucoup d'égards, et qu'il - MADEMOISELLE DE MAUPIN . 363 eût avec elle des manières assez tendres au fond, il n'ai mait pas Rosette, – non par satiété ni par dégoût, mais plutôt parce qu'elle ne répondait pas à certaines idées, vraies ou fausses, qu'il s'était faites de l'amour et de la beauté . Un nuage idéal s’interposait entre elle et lui, et l'empêchait d'être heureux comme il aurait dû l'être sans cela .. -- Évidemment son rêve n'était pas accompli, et il soupirait après autre chose. — Mais il ne cherchait pas et restait fidèle à des liens qui lui pesaient; car il a dans l'âme un peu plus de délicatesse et d'honneur que n'en ont la plupart des hommes, et son coeur est bien loin d'ê tre aussi corrompu que son esprit . Ne sachant pas que Rosette n'avait jamais été amoureuse que de moi, et l'était encore, à travers toutes ses intrigues et ses folies, il crai gnait de l'affliger en lui laissant voir qu'il ne l'aimait pas : cette considération le retenait, et il se sacrifiait le plus généreusement du monde. Le caractère de mes traits lui plut extraordinairement, car il attache une importance extrême à la forme exté rieure, tant et si bien qu'il devint amoureux de moi, mal gré mes habits d'homme et la formidable rapière que je porte au côté. -J'avoue que je lui sus bon gré de la finesse de son instinct, et que j'eus pour lui quelque estime de m'avoir distinguée sous ces trompeuses apparences. - Dans le commencement, il se crut pourvu d'un gout beau coup plus dépravé qu'il ne l'était en effet, et je riais inté rieurement de le voir se tourmenter ainsi. Il avait quelquefois, en m’abordant, des mines effarouchées qui me divertissaient on ne peut plus, et le penchant bien na turel qui l'entraînait vers moi lui paraissait une impulsion diabolique à laquelle on n'eût trop su résister. –En ces occasions, il se rejetait sur Rosette avec furie, et s'effor çait de reprendre des habitudes d'amour plus orthodoxes ; puis il revenait à moi comme de raison plus enflammé qu'auparavant. Puis cette lumineuse idée que je pouvais bien être une femme se glissa dans son esprit . Pour s'en > 31 . 366 MADENOISELLE DE MAUPIN . - mon sexe . . convaincre, il se mit à m'observer et à m'étudier avec l'at tention la plus minutieuse ; il doit connaître particulière ment chacun de mes cheveux et savoir au juste combien j'ai de cils aux paupières ; mes pieds, mes mains, mon cou, mes joues, le moindre duvet au coin de ma lèvre, il a tout examiné, tout comparé, tout analysé, et de cette investigation où l'artiste aidait l'amant, il est ressorti , clair comme le jour (quand il est clair) , que j'étais bien et dùment une femme, et de plus son idéal, le type de sa beauté, la réalité de son rêve ; merveilleuse décou verte ! Il ne restait plus qu'à m'attendrir et à se faire octroyer le don d’amoureuse merci, — pour constater tout à fait Une comédie que nous jouâmes et dans la quelle je parus en femme le décida complétement. Je lui fis quelques villades équivoques, et je me servis de quel ques passages de mon rôle, analogues à notre situation , pour l'enhardir et le pousser à se déclarer. - Car, si je ne l'aimais pas avec passion , il me plaisait assez pour ne point le laisser sécher d’amour sur pied ; et, comme depuis ma transformation il avait le premier soupçonné que j'étais femme, il était bien juste que je l'éclairasse sur ce point important, et j'étais résolue à ne pas lui laisser l'ombre du doute . Il vint plusieurs fois dans ma chambre avec sa déclara tion sur les lèvres, mais il n'osa pas la débiter ; - car, ef fectivement, il est difficile de parler d'amour à quelqu'un qui a les mêmes habits que vous et qui essaye des bottes à l'écuyère. Enfin , ne pouvant prendre cela sur lui, il m'écrivit une longue lettre, très-pindarique, où il m'ex pliquait fort au long ce que je savais mieux que lui . Je ne sais trop ce que je dois faire . Admettre sa re quête ou la rejeter, - ce serait immodérément vertueux ; - d'ailleurs, il aurait un trop grand chagrin de se voir re fuser : si nous rendons malheureux les gens qui nous aiment, que ferons-nous donc à ceux qui nous haïssent? > . - MADEMOISELLE DE MAUPIN. 367 C -- Peut- être serait -il plus strictement convenable de faire la cruelle quelque temps et d'attendre au moins un mois avant de dégrafer la peau de tigresse pour se mettre hu mainement en chemise . - Mais, puisque je suis résolue à · lui céder, autant vaut tout de suite que plus tard ; — je ne conçois pas trop ces belles résistances mathématique ment graduées qui abandonnent une main aujourd'hui, demain l'autre, puis le pied, puis la jambe et le genou jusqu'à la jarretière exclusivement, et ces vertus intraita bles toujours prêtes à se pendre à la sonnette, si l'on dé passe d'une ligne le terrain qu'elles ont résolu de laisser prendre ce jour -là . — Cela me fait rire de voir ces Lu crèces méthodiques qui marchent à reculons avec les si gnes du plus virginal effroi, et jettent de temps en temps un regardfurtif par-dessus leur épaulepour s'assurer si le sofa où elles doivent tomber est bien directement derrière elles . - C'est un soin que je ne saurais prendre. Je n'aime pas d’Albert, du moins dans le sens que je donne à ce mot, mais j'ai certainement du goût et du penchant pour lui ; - son esprit me plaît et sa personne ne me rebute pas : il n'est pas beaucoup de gens dont je puisse en dire autant. Il n'a pas tout, mais il a quelque chose; - ce qui me plaît en lui, c'est qu'il ne cherche pas à s'as souvir brutalement comme les autres hommes; il a une perpétuelle aspiration et un souffle toujours soutenu vers le beau, – vers le beau matériel seulement, il est vrai, mais c'est encore un noble penchant, et qui suffit à le maintenir dans les pures régions. —Sa conduite avec Ro sette prouve de l'honnêteté de cæur, honnêteté plus rare que l'autre, s'il est possible. Et puis, s'il faut que je te le dise, je suis possédée des plus violents désirs, – je languis et je meurs de volupté ; --car l'habit que je porte, en m'engageant dans toute sorte d'aventures avec les femmes, me protége trop parfaite ment contre les entreprises des hommes ; une idée de plaisir qui ne se réalise jamais flotte vaguement dans ma - > 368 MADEMOISELLE DE MAUPIN. . > tête, et ce rêve plat et sans couleur me fatigue et m'en nuie . -Tant de femmes posées dans le plus chaste milieu mènent une vie de prostituées ! et moi, par un contraste assez bouffon, je reste chaste et vierge comme la froide Diane elle-même, au sein de la dissipation la plus épar pillée et entourée des plus grands débauchés du siècle . Cette ignorance du corps que n'accompagne pas l'igno rance de l'esprit est la plus miserable chose qui soit. Pour que ma chair n'ait pas à faire la fière devant mon âme, je veux la souiller également, si toutefois c'est une souil lure plus que de boire et de manger, - ce dont je doute . - En un mot, je veux savoir ce que c'est qu'un homme, et le plaisir qu'il donne. Puisque d'Albert m'a reconnue sous mon travestissement, il est bien juste qu'il soit ré compensé de sa pénétration ; il est le premier qui ait de viné que j'étais une femme, et je lui prouverai de mon mieux que ses soupçons étaient fondés. Il serait peu charitable de lui laisser croire qu'il n'a eu qu'un goût monstrueux. C'est donc d'Albert qui résoudra mes doutes et me don nera ma première leçon d'amour : il ne s'agit plus main tenant que d'amener la chose d'une façon toute poétique. J'ai envie de ne pas répondre à sa lettre et de lui faire froit'e mine pendant quelques jours. Quand je le verrai bien triste et bien désespéré, invectivant les dieux, mon trant le poing à la création, et regardant les puits pour voir s'ils ne sont pas trop profonds pour s'y jeter, - je me retirerai comme Peau-d'Ane au fond du corridor, et je mettrai ma robe couleur du temps, - c'est -à - dire mon costume de Rosalinde ; car ma garde- robe féminine est très-restreinte . Puis j'irai chez lui, radieuse comme un paon qui fait la roue, montrant avec ostentation ce que je dissimule ordinairement avec le plus grand soin , et n'ayant qu’un petit tour de gorge en dentelles très-bas et très-dégagé, et je lui dirai du ton le plus pathétique que je pourrai prendre : . MADEMOISELLE DE MAUPIN. 369 « 0 très- élégiaque et très-perspicace jeune homme ! je suis bien véritablement une jeune et pudique beauté, qui vous adore par-dessus le marché, et qui ne demande qu'à vous faire plaisir et à elle aussi . Voyez si cela vous convient, et, s'il vous reste encore quelque scrupule, tou chez ceci, allez en paix , et péchez le plus que vous pourrez. ) Ce beau discours achevé, je me laisserai tomber à demi påmée dans ses bras, et, tout en poussant de mélancoli ques soupirs, je ferai sauter adroitement l'agrafe de ma robe de façon à me trouver dans le costume de rigueur, c'est-à- dire à moitié nue. D’Albert fera le reste, et j'es père que, le lendemain matin, je saurai à quoi m'en tenir sur toutes ces belles choses qui me troublent la cervelle depuis si longtemps. — En contentant ma curiosité , j'aurai de plus le plaisir d'avoir fait un heureux. Je me propose aussi d'aller rendre à Rosette une visite dans le même costume, et de lui faire voir que, si je n'ai pas répondu à son amour, ce n'était ni par froideur ni par dégoût. —Je ne veux pas qu'elle garde de moi cette mau vaise opinion, et elle mérite ". aussi bien que d’Albert, que je trahisse mon incognito en sa faveur. Quelle mine fera - t-elle à cette révélation ? - Son orgueil en sera con solé, mais son amour en gémira. Adieu, toute belle et toute bonne ; prie le bon Dieu que le plaisir ne me paraisse pas aussi peu de chose que ceux qui le dispensent. J'ai plaisanté tout le long de cette lettre, et cependant ce que je vais essayer est une chose grave et dont le reste de ma vie se peut ressentir. - - XVI Il y avait déjà plus de quinze jours que d'Albert avait déposé son épître amoureuse sur la table de Théodore, et cependant rien ne semblait changé dans les manières 370 MADEMOISELLE DE MAUPIN. de celui-ci . D'Albert ne savait à quoi attribuer ce si lence ; on eût dit que Théodore n'avait pas eu connais sance de la lettre ; le déplorable d'Albert pensa qu'elle avait été détournée ou perdue ; cependant la chose était difficile à expliquer, car Théodore était rentré un instant après dans la chambre, et il eût été bien extraordinaire qu'il n'aperçût pas un grand papier posé tout seul aụ mi lieu d'une table , de façon à attirer les regards les plus dis traits . Ou bien est-ce que Théodore était réellement un homme et non point une femme, comme d'Albert se l'était ima giné ? - ou, dans le cas qu'elle fût femme, avait-elle pour lui un sentiment d’aversion si prononcé, un mépris tel, qu'elle ne daignât pas même prendre la peine de lui faire une réponse ? — Le pauvre jeune homme, qui n'avait pas eu, comme nous, l'avantage de fouiller dans le porte feuille de Graciosa, la confidente de la belle Maupin, n'était en état de décider affirmativement ou négative ment aucune de ces importantes questions, et il flottait tristement dans les plus misérables irrésolutions. Un soir , il était dans sa chambre, le front mélancoli quement appuyé contre la vitre, et il regardait, sans les voir, les marronniers du pare déjà tout effeuillés et tout rougis . Une vapeur épaisse, noyait les lointains, la nuit descendait plutôt grise que noire, et posait avec précau tion ses pieds de velours sur la cime des arbres : —un grand cygne plongeait et replongeait amoureusement son cou et ses épaules dans l'eau fumante de la rivière, et så blancheur le faisait paraitre dans l'ombre comme une large étoile de neige. —C'était le seul être vivant qui ani mât un peu ce morne paysage . D'Albert songeait aussi tristement que peut songer à cinq heures du soir , en automne, par un temps de brume, un homme désappointé ayant pour musique une bise assez aigre et pour perspective le squelette d'une forêt sans per ruque, - SADEMOISELLE DE MAUPIN . 371 - - Il songeait à se jeter dans la rivière , mais l'eau lui semblait bien noire et bien froide, et l'exemple du cygne ne le persuadait qu'à demi; à se brûler la cervelle , mais il n'avait ni pistolet ni poudre, et il eût été fâché d'en avoir ; — à prendre une nouvelle maîtresse et même à en prendre deux , résolution sinistre ! mais il ne connais sait personne qui lui convint ou même qui ne lui convint pas .. — Il poussa le désespoir jusqu'à vouloir renouer avec des femmes qui lui étaient parfaitement insupporta bles et qu'il avait fait meltre, à coups de cravache, hors de chez lui par son laquais. Il finit par s'arrêter à quelque chose de beaucoup plus affreux... à écrire une seconde lettre . O sextuple butor ! Il en était là de sa méditation, lorsqu'il sentit se poser sur son épaule - une main pareille à une petite co lombe qui descend sur un palmier. — La comparaison cloche un peu en ce que l'épaule de d’Albert ressemble assez légèrement à un palmier ; c'est égal, nous la conser vons par pur orientalisme . Lamain était emmanchée åu bout d'un bras qui répon dait à une épaule faisant partie d'un corps, lequel n'était autre chose que Théodore- Rosalinde, mademoiselle d'Au bigny, ou Madelaine de Maupin , pour l'appeler de son véritable noin. Qui fut étonné ? Ce n'est ni moi ni vous, car vous et moi nous étions préparés de longue main à cette visite ; ce fut d’Albert qui ne s'y attendait pas le moins du monde. Il fit un petit cri de surprise tenant le milieu entre oh ! et ah ! - Cependant j'ai les meilleures raisons de croire qu'il tenait plus de ah ! que de oh ! C'était bien Rosalinde, si belle et si radieuse qu'elle éclairait toute la chambre, avec ses cordons de perles dans les cheveux, sa robe prismatique, ses grands sabots de dentelles, ses souliers à talons rouges, son bel éventail de plumes de paon, telle enfin qu'elle était le jour de la - 37 % MADEMOISELLE DE MAUPIN. > - représentation . Seulement, différence importante et déci sive, elle n'avait ni gorgerette, ni guimpe, ni fraise , ni quoi que ce soit qui dérobât aux yeux ces deux char mants frères ennemis, - qui, hélas ! ne tendent trop sou vent qu'à se réconcilier. Une gorge entièrement nue , blanche, transparente, comme un marbre antique, de la coupe la plus pure et la plus exquise, saillait hardiment hors d'un corsage très échancré, et semblait porter des défis aux baisers . -- C'é tait une vue fort rassurante ; aussi d'Albert se rassura - t - il bien vite , et se laissa- t - il aller en toute confiance à ses émotions les plus échevelées. Eh bien ! Orlando, est-ce que vous ne reconnaissez pas votre Rosalinde ? dit la belle avec le plus charmant sourire ; ou bien avez-vous laissé votre amour accroché avec vos sonnets à quelques buissons de la forêt des Ar dennes ? Seriez -vous réellement guéri du mal pour lequel vous me demandiez un remède avec tant d'instance ? J'en ai bien peur. Oh non ! Rosalinde, je suis plus malade que jamais.. - J'agonise, je suis mort, ou peu s'en faut ! - Vous n'avez point trop mauvaise façon pour un mort, et beaucoup de vivants n'ont pas si bonne mine. - Quelle semaine j'ai passée .! -Vous ne pouvez vous le figurer, Rosalinde . J'espère qu'elle me vaudra mille ans de purgatoire de moins dans l'autre monde. -- Mais, si j'osais vous le demander, pourquoi ne m'avez -vous pas répondu plus tôt ? - Pourquoi ? —Je ne sais pas trop, à moins que ce ne soit parce que . - Si ce motif cependant ne vous paraît pas valable, en voici trois autres beaucoup moins bons ; vous choisirez : d'abord parce que, entraîné par votre passion, vous avez oublié d'écrire lisiblement, et qu'il m'a fallu plus de huit jours pour deviner de quoi il était ques lion dans votre lettre ; ensuite parce que má pudeur ne pouvait se faire en moins de temps à une idée aussi - - MADEMOISELLE DE MAUPIN . 373 . C - saugrenue que celle de prendre un poëte dithyrambique pour amant ; et puis parce que je n'étais pas fâchée de voir si vous vous brûleriez la cervelle ou si vous vous em poisonneriez avec de l'opium , ou si vous vous pendriez à votre jarretière. - Voilà . La méchante persifleuse ! Je vous assure que vous avez bien fait de venir aujourd'hui, vous ne m'auriez peut être pas trouvé demain . Vraiment ! pauvre garçon ! Ne prenez pas un air aussi éploré, car je m'attendrirais aussi, et cela me ren drait plus bête à moi seule que tous les animaux qui étaient dans l'arche avec feu Noé. Si je lâche une fois la bonde à ma sensibilité, vous serez submergé, je vous en avertis. - Tout à l'heure je vous ai donné trois mauvaises raisons, je vous offre maintenant trois bons baisers ;acceptez -vous, à cette condition que vous oublierez les raisons pour les baisers ? Je vous dois bien cela et plus. En disant ces mots, la belle infante s'avança vers le dolent amoureux, et lui jeta ses beaux bras nus autour du cou . - D’Albert l'embrassa avec effusion sur les deux joues et sur la bouche. Ce dernier baiser dura plus longtemps que les autres, et aurait pu compter pour qua tre .. - Rosalinde vit que tout ce qu'elle avait fait jusqu'a lors n'était que pur enfantillage . - Sa dette acquittée, elle s'assit sur les genoux de d'Albert encore tout émue, et, passant ses doigts dans ses cheveux, elle lui dit : Toutes mes cruautés sont épuisées, mon doux ami ; j'avais pris ces quinze jours pour satisfaire à ma férocité naturelle ; je vous avouerai que je les ai trouvés longs. N'allez pas devenir fat parce queje suis franche, mais cela est vrai . Je me remets entre vos mains , vengez- vous de mes rigueurs passées. Si vous étiez un sot, je ne vous dirais pas cela , et même je ne vous dirais pas autre chose, car je n'aime pas les sots . Il m'aurait été bien facile de vous faire croire que j'étais prodigieusement choquée de votre hardiesse, et que vous n'auriez pas assez > 32 3764 MADEMOISELLE DE MAUPIN. - . > de tous vos platoniques soupirs et de votre plus quintes sencié galimatias pour vous faire pardonner une chose dont j'étais fort aise ; j'aurais pu, comme une autre, vous marchander longtemps et vous donner en détail ce que je vous accorde librement et en une fois ; mais je ne pense pas que vous m'en eussiez aimée l'épaisseur d'un seul cheveu de plus. Je ne vous demande ni serment d’a mour éternel, ni protestation exagérée. - Aimez -moi tant que le bon Dieu voudra . - J'en ferai autant de mon côté. - Je ne vous appellerai pas perfide et misérable, quand vous ne m'aimerez plus. Vousaurez aussi la bonté de m'épargner les titres odieux correspondants, s'il m'arrive de vous quitter. -- Je ne serai qu'une femme qui aura cessé de vous aimer, rien de plus. Il n'est pas né cessaire de se haïr toute la vie, à cause que l'on a couché une nuit ou deux ensemble . Quoi qu'il arrive, et où que la destinée me pousse, je vous jure, et ceci est une promesse que l'on peut tenir, de garder toujours un char mant souvenir de vous, et, si je ne suis plus votre mai tresse, d’être votre amie comme j'ai été votre camarade . J'ai quitté pour vous cette nuit mes habits d'homme ; —- je les reprendrai demain matin pour tous. — Songez que je ne suis Rosalinde que la nuit, et que tout le jour je ne suis et ne peux être que Théodore de Sérannes... La phrase qu'elle allait prononcer s'éteignit dans un baiser auquel en succédèrent beaucoup d'autres, que l'on ne comptait plus et dont nous ne ferons pas le catalogue exact, parce que cela serait assurément un peu long et peut-être fort immoral — pour certaines gens, car pour nous, nous ne trouvons rien de plus moral et de plus sacré sous le ciel que les caresses de l'homme et de la femme, quand tous deux sont beaux et jeunes. Comme les instances de d'Albert devenaient plus ten dres et plus vives, au lieu de s'épanouir et de rayonner , la belle figure de Théodore prit une expression de fière mélancolie qui donna quelque inquiétude à son amant. - MADEMOISELLE DE MAUPIN . 375 . - - Pourquoi, ma chère souveraine , avez- vous l'air chaste et sérieux d'une Diane antique, là où il fau drait plutôt les lèvres souriantes de Vénus sortant de la mer ! Voyez-vous, d’Albert, c'est que je ressemble plus à Diane chasseresse qu’à toute autre chose . — J'ai pris fort jeune cet habit d'homme pour des raisons qu'il serait long et inutile de vous dire . Vous avez seul deviné mon sexe, - et, si j'ai fait des conquêtes, ce n'a été que de femmes, conquêtes fort superflues et dont j'ai été plus d'une fois embarrassée. – En un mot, quoique ce soit une chose incroyable et ridicule, je suis vierge, - vierge comme la neige de l'Himalaya, comme la Lune avant qu'elle n'eût couché avec Endymion, comme Marie avant d'avoir fait connaissance avec le pigeon divin, et je suis grave ainsi que toute personne qui va faire une chose sur laquelle on ne peut revenir. — C'est une métamorphose, une transformation que je vais subir. Changer le nom de fille en nom de femme, n'avoir plus à donner demain ce que j'avais hier ; quelque chose que je ne savais pas et que je vais apprendre, une page importante tournée au livre de la vie . —Voilà pourquoi j'ai l'air triste, mon ami, et non pour rien qui soit de votre faute. En disant cela, elle sépara de ses deux belles mains les longs cheveux du jeune homme, et posa sur son front påle ses lèvres molle ment plissées . D'Albert, singulièrement ému par le ton doux et solen nel dont elle débita toute cette tirade, lui prit les mains et en baisa tous les doigts, les uns après les autres, – puis rompit fort délicatement le lacet de sa robe, en sorte que le corsage s'ouvrit et que les deux blancs trésors apparu rent dans toute leur splendeur : sur cette gorge étince lante et claire comme l'argent s'épanouissaient les deux belles roses du paradis. Il en serra légèrement les pointes vermeilles dans sa bouche, et en parcourut ainsi tout le contour. Rosalinde se laissait faire avec une complaisance - 376 MADEMOISELLE DE MAUPIN. - . inépuisable, et tâchait de lui rendre ses caresses aussi exactement que possible . Vous devez me trouver bien gauche et bien froide, mon pauvre d'Albert ; mais je ne sais guère comment l'on s'y prend : vous aurez beaucoup à faire pour m'in struire, et réellement je vous charge là d'une occupation très- pénible . D'Albert fit la réponse la plus simple, il ne répondit pas, et, l'étreignant dans ses bras avec une nouvelle passion , il couvrit de baisers ses épaules et sa poitrine nues . Les cheveux de l'infante à demi påmée se dénouè rent, et sa robe tomba sur ses pieds comme par enchante ment. Elle demeura tout debout comme une blanche ap parition avec une simple chemise de la toile la plus transparente. Le bienheureux amant s'agenouilla, et eut bientôt jeté chacun dans un coin opposé de l'appartement les deux jolis petits souliers à talons rouges ; - les bas à coins brodés les suivirent de près. La chemise, douée d'un heureux esprit d'imitation, ne resta pas en arrière de la robe : elle glissa d'abord des épaules sans qu'on songeat à la retenir ; puis, profitant d'un moment où les bras étaient perpendiculaires, elle en sortit avec beaucoup d'adresse et roula jusqu'aux hanches dont le contour ondoyant l'arrêta à demi. Rosalinde s'aperçut alors de la perfidie de son dernier vêtement, et leva un peu son genou pour l'empêcher de tomber tout à fait. Ainsi posée, elle ressemblait parfaitement à ces statues de marbre des déesses, dont la draperie intelligente, fâchée de recouvrir tant de charmes, enveloppe à regret les belles cuisses, et par une heureuse trahison s'arrête précisément au-dessous de l'endroit qu'elle est destinée à cacher. — Mais, comme la chemise n'était pas de marbre et que ses plis ne la soutenaient pas, elle continua sa triomphale descente, s'affaissa tout à fait sur la robe, et se coucha en rond autour des pieds de sa maîtresse comme un grand lévrier blanc. - . MADEMOISELLE DE MAUPIN . 377 > - - Il y avait assurément un moyen fort simple d'empêcher tout ce désordre , celui de retenir la fuyarde avec la main : cette idée, toute naturelle qu'elle fût, ne vint pas à notre pudique héroïne. Elle resta donc sans aucun voile, ses vêtements tombés lui faisant une espèce de socle, dans tout l'éclat diaphane de sa belle nudité, aux douces lueurs d'une lampe d'al båtre que d'Albert avait allumée . D'Albert, ébloui, la contemplait avec ravissement. –J'ai froid, dit-elle en croisant ses deux mains sur ses épaules. Oh ! de grâce ! une minute encore ! Rosalinde décroisa ses mains, appuya le bout de son doigt sur le dos d'un fauteuil et se tint immobile ; elle hanchait légèrement de manière à faire ressortir toute la richesse de la ligne ondoyante ; - elle ne paraissait nul lement embarrassée, et l'imperceptible rose de ses joues n'avait pas une nuance de plus : seulement le battement un peu précipité de son coeur faisait trembler le contour de son sein gauche. Le jeune enthousiaste de la beauté ne pouvait rassasier ses yeux d'un pareil spectacle : nous devons dire, à la louange immense de Rosalinde, que cette fois la réalité fut au -dessus de son rêve, et qu'il n'éprouva pas la plus lé gère déception . Tout était réuni dans le beau corps qui posait devant lui: - délicatesse et force, forme et couleur, les lignes d'une statue grecque du meilleur temps et le ton d'un Ti tien . — Il voyait là, palpable et cristallisée, la nuageuse chimère qu'il avait tant de fois vainement essayé d'arrêter dans son vol : - il n'était pas forcé, comme il s'en plai gnait si amèrement à son ami Silvio , de circonscrire ses regards sur une certaine portion assez bien faite , et de ne la point dépasser, sous peine de voir quelque chose d'effroyable, et son oil amoureux descendait de la tête aux pieds et remontait des pieds à la tête,> toujours dou 32 . 378 MADEMOISELLE DE MAUPIN. . cement caressé par une forme harmonieuse et correcte . Les genoux étaient admirablement purs, les chevilles élégantes et fines, les jambes et les cuisses d'un tour fier et superbe, le ventre lustré comme une agate, les hanches souples et puissantes, la gorge à faire descendre les dieux du ciel pour la baiser, les bras et les épaules du plus ma gnifique caractère ; - un torrent de beaux cheveux bruns légèrement crêpelés, comme on en voit aux têtes des an ciens maîtres, descendait à petites vagues au long d’un dos d'ivoire dont il rehaussait merveilleusement la blancheur. Le peintre satisfait, l'amant reprit le dessus ; car, quel que amour de l'art qu'on ait, il est des choses qu'on ne peut pas longtemps se contenter de regarder. Il enleva la belle dans ses bras et la porta au lit ; en un tour de main il fut déshabillé lui-même et s'élança à côté d'elle. L'enfant se serra contre lui et l'enlaça étroitement, car ses deux seins étaient aussi froids que la neige dont ils avaient la couleur. Cette fraicheur de peau faisait brûler d'Albert encore davantage et l'excitait au plus haut degré. Bientôt la belle eut aussi chaud que lui. Il lui faisait les plus folles et les plus ardentes caresses. C'étaient la gorge, les épaules, le cou , la bouche, les bras, les pieds ; il eût voulu couvrir d'un seul baiser tout ce beau corps, qui se fondait presque au sien, tant leur étreinte était in time. — Dans cette profusion de charmants trésors, il ne savait auquel atteindre. Ils ne séparaient plus leurs baisers, et les lèvres parfu mées de la Rosalinde ne faisaient plus qu'une seule bouche avec celle de d'Albert; -leurs poitrines se gonflaient, leurs yeux se fermaientà demi; -leurs bras, morts de volupté, n'avaient plus la force de serrer leurs corps. Le divin moment approchait : -un dernier obstacle fut surmonté, un spasme suprême agita convulsivement les deux amants, -et la curieuse Rosalinde fut aussi éclairée que possible sur ce point obscur qui l'inquiétait si fort. Cependant, comme une seule leçon, si intelligent qu'or. . C MADEMOISELLE DE MAUPIN, 379 soit, ne peut pas suffire, d'Albert lui en donna une se conde, puis une troisième... Par égard pour le lecteur, que nous ne voulons pas humilier et désespérer, nous ne porterons pas notre relation plus loin ... Notre belle lectrice bouderait à coup sûr son amant, si nous lui révélions le chiffre formidable où monta l'amour de d'Albert, aidé de la curiosité de Rosalinde. Qu'elle se souvienne de la mieux remplie et de la plus charmante de ses nuits, de cette nuit où... de cette nuit de laquelle l'on se souviendrait pendant plus de cent mille jours, si l'on n'était mort depuis longtemps ; qu'elle pose le livre à côté d'elle , et suppute sur le bout de ses jolis doigts blancs com bien de fois l'a aimée celui qui l'a le plus aimée, et comble ainsi la lacune que nous laissons danscette glorieuse histoire. Rosalinde avait de prodigieuses dispositions, et fit en cette nuit seule des progrès énormes. Cette naïveté de corps qui s'étonnait de tout et cette rouerie d'esprit qui ne s'étonnait de rien, formaient le plus piquant et le plus adorable contraste . D'Albert était ravi, éperdu, trans porté, et aurait voulu que cette nuit durât quarante-huit heures, comme celle où fut conçu Hercule. -Cependant, vers le matin , malgré une infinité de baisers, de caresses, de mignardises les plus amoureuses du monde et bien fai tes pour tenir éveillé, après un effort surhumain , il fut obligé de prendre un peu de repos . Un doux et voluptueux sommeil lui toucha les yeux du bout de l'aile, sa tête s’af .. faissa, et il s'endormit entre les deux seins de sa belle mai tresse . Celle-ci le considera quelque temps avec un air de mélancolique et profonde réflexion ; puis, comme l'aube jetait ses rayons blanchâtres à travers les rideaux, elle le souleva doucement, le reposa à côté d'elle, se dressa, et passa légèrement sur son corps. Elle fut à ses habits et se rajusta à la hâte, puis revint au lit, se pencha sur d’Albert qui dormait encore , et baisa ses deux yeux sur leurs cils soyeux et longs. Cela fait, elle se retira à reculons et le regardant toujours . - 380 MADEMOISELLE DE MAUPIN . - - - Au lieu de retourner dans sa chambre, elle entra chez Rosette. - Ce qu'elle y dit , ce qu'elle y fit, je n'ai jamais pu le savoir, quoique j'aie fait les plus consciencieuses recherches . - Je n'ai trouvé ni dans les papiers de Gra. ciosa, ni dans ceux de d’Albert ou de Silvio, rien qui eût rapport à cette visite . Seulement une femme de chambre de Rosette m'apprit cette circonstance singulière : bien que sa maîtresse n'eût pas couché cette nuit-là avec son amant, le lit était rompu et défait, et portait l'empreinte de deux corps. De plus, elle me montra deux perles, parfai tement semblables à celles que Théodore portait dans ses cheveux en jouant le rôle de Rosalinde . Elle les avait trou vées dans le lit en le faisant. Je livre cette remarque à la sagacité du lecteur, et je le laisse libre d'en tirer toutes les inductions qu'il voudra ; quant à moi, j'ai fait là -dessus mille conjectures, toutes plus déraisonnables les unes que les autres, et si saugrenues, que je n'ose véritablement les écrire , même dans le style le plus honnêtement péri phrasé. Il était bien midi lorsque Théodore sortit de la chambre de Rosette . Il ne parut pas au dîner ni au souper. D'Albert et Rosette n'en semblèrent point surpris. —Il se coucha de fort bonne heure, et le lendemain matin, dès qu'il fit jour, sans prévenir personne, il sella son cheval et celui de son page, et sortit du château en disant à un la quais qu'on ne l'attendît pas au dîner, et qu'il ne revien- 1 drait peut-être point de quelques jours. D'Albert et Rosette étaient on ne peut plus étonnés, et ne savaient à quoi attribuer cette étrange disparition, d'Al bert surtout qui, par les prouesses de sa première nuit, croyait bien en avoir mérité une seconde . Sur la fin de la semaine, le malheureux amant désappointé reçut une lettre de Théodore, que nous allons transcrire. J'ai bien peur qu'elle ne satisfasse ni mes lecteurs ni mes lectrices ; mais, en vérité, la lettre était ainsi et pas autrement, et ce gloricux roman n'aura pas d'autre conclusion . MADEMOISELLE DE MAUPIN. 381 XVII - - - . Vous êtes sans doute très- surpris, mon cher d'Albert, de ce que je viens de faire après ce que j'ai fait. — Je vous le permets, il y a de quoi . - Parions que vous m'avez déjà donné au moins vingt de ces épithètes que nous étions convenus de rayer de notre vocabulaire : perfide, in constante, scélérate, - n'est- ce pas ? - Au moins, vous ne m'appellerez pas cruelle ou vertueuse , c'est toujours cela de gagné. Vous me maudissez, et vous avez tort. - Vous aviez envie de moi, vous m'aimiez, j'étais votre idéal ; fort bien . Je vous ai accordé sur-le-champ ce que vous demandiez ; il n'a tenu qu'à vous de l'avoir plus tôt . J'ai servi de corps à votre rêve le plus complai à samment du monde. Je vous ai donné ce que je ne donnerai assurément plus à personne, surprise sur la quelle vous ne comptiez guère et dont vous devriez me savoir plus de gré. Maintenant que je vous ai satis fait, il me plaît de m'en aller . -Qu'y a - t - il de si mons trueux ? «« Vous m'avez eue entièrement et sans réserve toute une nuit ; que voulez -vous de plus ? Une autre nuit, et puis encore une autre ; vous vous accommoderiez même des jours au besoin . - Vous continueriez ainsi jusqu'à ce que vous fussiez dégoûté de moi . - Je vous entends d'ici vous écrier très- galamment que je ne suis pas de celles dont on se dégoûte. Mon Dieu si ! de moi comme des autres. « Cela durerait six mois, deux ans, dix ans même, si vous voulez, mais il faut toujours que tout finisse. — Vous me garderiez par une espèce de sentiment de convenance, ou parce que vous n'auriez pas le courage de me signifier mon congé. A quoi bon attendre d'en venir là ? « Et puis, ce serait peut-être moi qui cesserais de vous . - . 382 MADEMOISELLE DE MAUPIN. > aimer. Je vous ai trouvé charmant; peut-être, à force de vous voir, vous eussé- je trouvé détestable. - Pardonnez moi cette supposition . En vivant avec vous dans une grande intimité, j'aurais sans doute eu l'occasion de vous voir en bonnet de coton ou dans quelque situation do mestique ridicule ou bouffonne.- Vous auriez nécessai rement perdu ce côté romanesque et mystérieux qui me séduit sur toutes choses, et votre caractère, mieux compris, ne m'eût plus paru si étrange. Je me serais moins occupée de vous en vous ayant auprès de moi, à peu près comme on fait de ces livres qu'on n'ouvre jamais parce qu'on les a dans sa bibliothèque. Votre nez ou votre esprit ne m'aurait plus semblé à beaucoup près aussi bien tourné ; je me serais aperçue que votre habit vous allait mal et que vos bas étaient mal tirés ; j'aurais eu mille déceptions de ce genre qui m'auraient singulièrement fait souffrir , et à la fin je me serais arrêtée à ceci : que décidément vous n'aviez ni caur ni âme, et que j'étais destinée à n'être pas comprise en amour. « Vous m'adorez et je vous le rends. Vous n'avez pas le plus léger reproche àà me faire, et je n'ai pas le moins du monde à me plaindre de vous. Je vous ai été parfaite ment fidèle tout le temps de nos amours. Je ne vous ai trompé en rien . - Je n'avais ni fausse gorge ni fausse vertu ; vous avez eu cette extrême bonté de dire que j'é tais encore plus belle que vous ne l'imaginiez. · Pour la beauté que je vous donnais, vous m'avez rendu beaucoup de plaisir ; nous sommes quittes : — je vais de mon côté et vous du vôtre, et peut- être que nousnous retrouverons aux antipodes. — Vivez dans cet espoir. Vous croyez peut-être que je ne vous aime pas parce que je vous quitte. Vous reconnaitrez plus tard la vérité de ceci.- Si j'avais moins faitde cas de vous, je serais restée, et je vous aurais versé le fade breuvage jusqu'à la lie . Votre amour eûtété bientôt mort d'ennui;- au bout de quelque temps, vous m'auriez parfaitement oubliée, et , en relisant MADEMOISELLE DE MAUPN . 18 - > C mon nom sur la liste de vos conquêtes, vous vous seriez demandé : Qui diable était donc celle - ci? J'ai au moins celte satisfaction de penser que vous vous souviendrez de moi plutôt que d'une autre . — Votre désir inassouvi ou vrira encore ses ailes pour voler à moi ; je serai toujours pour vous quelque chose de désirable où votre fantaisie ai . mera à revenir, et j'espère que dans le lit des maîtresses que vous pourrez avoir, vous songerez quelquefois à cette nuit unique que vous avez passée avec moi . a Jamais vous ne serez plus aimable que vous l'a vez été dans cette soirée bienheureuse, et, quand même vous le seriez autant, ce serait déjà l'être moins ; car, en amour comme en poésie, rester au même point, c'est re culer. Tenez -vous- en à cette impression , - vous ferez bien. « Vous avez rendu difficile la tâche des amants que j'au rai ( si j'ai d'autres amants) , et personne ne pourra effacer votre souvenir ; - ce seront les héritiers d'Alexandre. « Si cela vous désole trop de me perdre, brûlez cette lettre, qui est la seule preuve que vous m'ayez eue, et vous croirez avoir fait un beau rêve. Qui vous en empêche ? La vision s'est évanouie avant le jour, à l'heure où les songes rentrent chez eux par la porte de corne ou d'ivoire . Conchien sont morts qui , moins heureux que vous , n'ont pas même donné un seul baiser à leur chimère ! « Je ne suis ni capricieuse, ni folle, ni bégueule. - Ce que je fais est le résultat d'une conviction profonde. — Ce n'est point pour vous enflammer devantage et par un cal cul de coquetterie, que je me suis éloignée de C *** ; n'es sayez pas de me suivre ou de me retrouver : vous n'y réussirez pas . Mes précautions pour vous dérober mes traces sont trop bien prises ; vous serez toujours pour moi l'homme qui n'a ouvert un monde de sensations nouvelles. Ce sont là de ces choses qu'une femme n'oublie pas faci lement. Quoique absente, je penserai souvent à vous , plus souvent que si vous étiez avec moi. 384 MADEMOISELLE DE MAUPIN . vous mon « Consolez au mieux que vous pourrez la pauvre Ro sette , qui doit être au moins aussi lâchée que de départ. - Aimez -vous bien tous deux en souvenir de moi, que vous avez aimée l'un et l'autre , et dites - vous quelque fois mon nom dans un baiser. » FIN , 88887




Full text of English translation[1][2]

MADEMOISELLE DE MAUPIN

_VOLUME ONE_

BY

THÉOPHILE GAUTIER


THE REALISTS


PRINTED BY

GEORGE BARRIE & SONS, PHILADELPHIA

1897


[Illustration: Mlle. de Maupin]


THIS EDITION OF

MADEMOISELLE DE MAUPIN

HAS BEEN COMPLETELY TRANSLATED

BY

I. G. BURNHAM

THE ETCHINGS ARE BY

FRANÇOIS-XAVIER LE SUEUR

AND DRAWINGS BY

ÉDOUARD TOUDOUZE


LIST OF ILLUSTRATIONS

MADEMOISELLE DE MAUPIN--VOLUME I

MADEMOISELLE DE MAUPIN Front. THE IMAGINARY MISTRESS FIRST MEETING WITH ROSETTE EPISODE OF THE "TOILETTE DE BAL" D'ALBERT AND ROSETTE THE ARRIVAL OF THÉODORE THÉODORE AND THE PAGE ROSETTE'S MORNING AUDIENCE THE ACCIDENTAL DISCOVERY


BIBLIOGRAPHICAL NOTICE


This celebrated novel, the celebrity of which has not been lessened by the very numerous editions that have been published, had a very modest beginning which in no way foreshadowed the great success which it was to obtain later.

The title: _Mademoiselle de Maupin--Double Love_ appeared, we believe, for the first time in Renduel's catalogue in connection with _The Life of Hoffman_, by Lœve-Weimars, which appeared in October, 1833, announcing the new work of Théophile Gautier as being in press. Renduel had made the acquaintance of the author at Victor Hugo's; he had published in August, 1833, his first volume of prose, _Young France_, and now it was a question of launching a work in two volumes, a truly daring undertaking for a publisher of that day; especially in the case of the work of an author but little known and only twenty-two years old.

_Mademoiselle de Maupin_ was not, however, destined to see the light so soon. For two years Théophile Gautier, more enamored of freedom than of work, or preferring the task of making two harmonious rhymes to all the beauties of his learned and rhythmic prose, incessantly abandoned and resumed the promised work. A tradition preserved in the family of the poet tells how his father often shut him up in his room at that time, forbidding him to leave it until he had completed a certain number of pages of the _Grotesques_ or of _Mademoiselle de Maupin._ When the maternal kindness did not come to his aid, the frolicsome author, who then lived with his parents on Place Royale, often found the means of getting away by the window and so escaping a paternal task. Such escapades being frequently renewed, it may well be believed that the novel made but little progress; 1834 was drawing to a close; only the first of the two volumes was finished; the publisher complained, and the author tried to pacify him by notes similar to the following:

"I have just discovered at a bric-à-brac dealer's a charming picture of Boucher in a splendid state of preservation; it is an opportunity that I do not wish to miss, and not having money enough, I take the liberty of asking you for my balance.[1] You will confer on me a real pleasure in sending it to me.

"I am harnessed to _La Maupin_, and that prevents me from prowling about and calling on you.

"With cordial wishes, I am, yours,

"THÉOPHILE GAUTIER."

Finally, in 1835, the second volume was written in six weeks on Rue du Doyenné, where the poet, having left the paternal nest, had installed himself; the manuscript was delivered to Renduel and we read the following note in _Le Monde Dramatique_, of September 20th, concerning the biography of the strange person who really bore the name of Maupin, a biography signed by Rochefort and published in that number under the title: _Mademoiselle d'Aubigny-Maupin_: "One of our collaborators, Monsieur Théophile Gautier, has been busy for a long time on a romance entitled: _Mademoiselle (de) Maupin._"

The work was now soon to appear; it was issued in November, 1835, in two octavo volumes, printed by Madame Poussin under the title: _Mademoiselle de Maupin--Double Love._ The first volume bears the date 1835, the second 1836, while the preface is dated May, 1834.

The work produced no very great sensation. A few journals spoke of it, but publicity was not then systematized as it is to-day, and except by some few literary men and the small romantic group of the author's friends, _Mademoiselle de Maupin_ was soon forgotten. Let us remark, nevertheless, that immediately the book appeared, Honoré de Balzac wrote Renduel a note, asking for a copy, this note we have seen ourselves; from this moment dates the admiration that he always professed thereafter for Théophile Gautier. We learn from Monsieur Arsène Houssaye, the old and faithful friend of the poet, that owing to the failure to sell the work, Renduel determined not to publish anything more for his author; _La Comédie de la Mort_, already announced upon the covers of the work (as well as _Capitaine Fracasse)_, was, in fact, returned to the author, and only appeared in 1838, when it was published by Desessart, at that time one of Arsène Houssaye's publishers; it was the author of _La Couronne de Bleuets_, who introduced his friend to him and secured a favorable consideration for his collection of verses.

How strange to us and unlikely, even, all this seems, when one recalls the exorbitant prices obtained for some years past for rare, stitched copies in good condition of the first edition of the work that we are now considering. Many have realized one thousand five hundred francs, that is to say, the total sums received by the author as royalty on the first issue of his work. This sum is verified by his receipts to Renduel, which are in our hands.

A curious incident occurred as to _Mademoiselle de Maupin._ After its appearance, all the opening of the eleventh chapter was inserted in _Le Monde Dramatique_ of January 4, 1836, without mentioning its source, under the title of: _La Comédie Romanesque._ Since that time, those pages have been frequently reprinted, but not a single one of these reproductions gives any indication of their origin. It must be admitted that Théophile Gautier himself gave rise to this error in _La Presse_ of December 17, 1838, in again quoting these lines, inserted in an unpublished commentary, as an isolated article which had come under his notice by chance. He had forgotten this extract, and believed in good faith to have found in _La Monde Dramatique_ only a newspaper improvisation. This first mistake was the starting-point of all that succeeded, the most striking of which is the insertion in 1858 of this fragment from _Mademoiselle de Maupin_ in the first volume of Théophile Gautier's work: _Histoire de l'Art Dramatique in France._ It is useless to add that no one noticed this fact.

Time, however, rolled on, and the renown of the poet continued to increase; his appearance in _La Presse_ in 1836, and his critical work, had made a circle of new readers. Then, _Fortunio, La Comédie de la Mort, Une Larme du Diable, Tra Los Montès, Les Grotesques_, etc., etc., had considerably increased his literary _impedimenta._ So, when Monsieur Charpentier, the father of the present publisher of Théophile Gautier's complete works, had founded the collection to which he gave his name, he soon thought of reprinting our author's principal works. Monsieur Charpentier, who succeeded in grouping in his catalogue the most select of the remarkable works of his age, was of refined literary taste and held among the publishers of his day a place similar to that then held by Monsieur Buloz in his capacity of director of _La Revue des Deux Mondes_: it was difficult to obtain an interview with either, and to appear in print in their collections was regarded as a kind of consecration.

It was in 1845 when four of Théophile Gautier's volumes appeared in the Charpentier catalogue; they were _Poésies Complètes, Nouvelles, Voyage en Espagne_, and _Mademoiselle de Maupin._ For this reprint, the first since the original edition[2], the author modified, but very slightly, some phrases of his work, the text of which, from that time, has never been changed.

Here ends, in reality, the history of this work. Since 1845, the number of editions has continued to increase; we will only quote two that appeared in 1878: one in two volumes, 24mo, illustrated with four designs by Eugèn Giraud, and another in a large 12mo volume, upon Holland paper, embellished with a portrait of the heroine by Théophile Gautier himself, the portrait dated 1834. Finally, in 1880, there was added to a reprint of this edition, a reproduction of the medallion of the author by David d'Anger; this reproduction is erroneously dated 1834, instead of 1835, which is the actual year of its execution.

Is it possible, as has often been asserted, that this work, whose incomparable style should have warranted the opening of the doors of the Académie Française to the author, was in part the cause of their remaining stubbornly closed against him?--We do not know; but from another tradition preserved in the poet's family, it would appear that the father himself, when he knew of the completion of the work (only the first volume, as we have seen, was written under his eyes), could not have been without apprehension as to the part which the book would play in the life of his son, and, notwithstanding his admiration for the style of the work, he would often have expressed the fear that the second volume would at times influence the future of the author.

In any case, the renown of Théophile Gautier, like that of his illustrious friend, Honoré de Balzac, who, likewise, was never a member of the Académie, has only increased since his death, and the names of these two rare talents are in truth missed among those of the members of that illustrious body. For Théophile Gautier at least, the Académie itself expressed one day, by the mouth of one of its members, its regret at not having received him. On October 25, 1872, at its public session and at the very hour of the obsequies of the great writer, Monsieur Camille Doucet pronounced the following words which do honor to their author, and we are happy to reproduce them here: "Permit me to digress a moment. When I speak of the fraternity of Letters, I should fail, messieurs, if I appeared longer to forget that at this very hour, upon the threshold of a tomb, which I have left only with regret to come here to fulfil another duty, Letters mourning, weep for a true poet dear to all, a brilliant writer whose wit was thoroughly French and whose heart was still more French. Very many votes have proved to him that his place was indicated among us, and so we deplore the more the sudden stroke to which Théophile Gautier succumbs."

We will add nothing to these touching lines and will close this notice by saying a few words as to the present edition of _Mademoiselle de Maupin._ It is the first reprint, absolutely conforming to the original text. The work appears in two volumes, divided like those of 1835, and the publishers have exerted every effort to satisfy bibliophiles desirous of possessing as perfect an edition as possible, both as regards the exactness of the text and the technical execution of the work.

Finally, let us say that the designs of E. Toudouze, made especially for this work, will render this edition still more complete. It will rank, we hope, among the most treasured editions of the book.

CHARLES DE LOVENJOUL.


NOTES

[Footnote 1: Of his royalties as author of _Young France._]

[Footnote 2: _Figaro_, of May 26, 1837, and some other journals, announced the sale, at Renduel's, of a second edition of this book. It was only the first edition that the publisher was trying to get rid of by this means.]



PREFACE


One of the most burlesque incidents of the glorious epoch in which we have the good fortune to live side by side with Deutz and General Bugeaud, is, beyond question, the rehabilitation of virtue undertaken by all the newspapers, of whatever color they may be, red, green, or tri-colored.

Virtue is most assuredly a very respectable thing, and we have no wish to fail in our devotion to the excellent, worthy creature--God forbid!--We consider that her eyes shine with sufficient brilliancy through her spectacles, that her stockings are reasonably well put on, that she takes snuff from her gold snuff-box with all imaginable grace, that her little dog courtesies like a dancing-master.--We agree to all that.--We are even willing to admit that her figure is not bad for her age, and that she carries her years as well as any one could. She is a very agreeable grandmother, but she is a grandmother. It seems to me to be natural to prefer to her, especially when one is twenty years old, some little immorality, very pert, very coquettish, very wanton, with the hair a little out of curl, the skirt rather short than long, the foot and eye alluring, the cheek slightly flushed, a smile on the lips and the heart in the hand.--The most horribly virtuous journalists can hardly be of a different opinion; and, if they say the contrary, it is very probable that they do not think it. To think one thing and write another is something that happens every day, especially among virtuous folk.

I remember the epigrams uttered before the Revolution--I refer to the Revolution of July--against the ill-fated and virginal Vicomte Sosthène de la Rochefoucauld, who lengthened the skirts of the dancers at the Opéra and applied with his own patrician hands a chaste plaster around the middle of all the statues.--Monsieur le Vicomte Sosthène de la Rochefoucauld is far surpassed.--Modesty has been greatly perfected since his day, and we go into refinements that he would never have imagined.

I, who am not accustomed to look at statues in certain places, considered, as others did, the vine-leaf cut by the scissors of Monsieur le Chargé des Beaux-Arts, the most absurd thing in the world. It seems that I was wrong, and that the vine-leaf is one of the most meritorious of institutions.

I have been told, but I refused to believe it, it seemed to me so extraordinary, that there were people who, when looking at Michael Angelo's fresco of the _Last Judgment_, had seen nothing therein but the episode of the lewd priests, and had veiled their faces, crying out at the abomination of desolation!

Such people know nothing of the romance of Rodrigue except the couplet of the snake.--If there is any nudity in a book or a picture, they go straight to it as the swine to the mire, and pay no attention to the blooming flowers or the golden fruit that hang within reach on all sides.

I confess that I am not virtuous enough for that. Dorine, the brazen-faced soubrette, may display before me her swelling bosom, I certainly will not draw my handkerchief to cover it so that it cannot be seen.--I will look at her bosom as at her face, and if it is fair and well-shaped I will take pleasure in it.--But I will not touch Elmire's dress to see if it is soft, nor will I push her reverently upon the table as that poor devil of a Tartuffe did.

This great affectation of morality that reigns to-day would be very laughable if it were not very tiresome.--Every _feuilleton_ becomes a pulpit; every journalist a preacher; only the tonsure and the little neckband are wanting. The weather is rainy and homiletic; one can defend one's self against both by going out only in a carriage and reading Pantagruel between one's bottle and one's pipe.

Blessed Jesus! what an outcry! what a frenzy!--Who bit you? who pricked you? what the devil's the matter with you that you cry so loud, and what has poor vice done to you that you should bear him such a grudge, he is such a good fellow, so easy to live with, and asks nothing except to be allowed to amuse himself and not bore others, if such a thing can be? Act with vice like Serre with the gendarme: embrace and have done with it all.--Believe me, you will be the better for it.--Eh! _Mon Dieu_! my worthy preachers, what would you do without vice? You would be reduced to beggary to-morrow, if the world should become virtuous to-day.

The theatres would be closed to-night.--What would you take for the subject of your _feuilleton_?--No more Opéra balls to fill your columns,--no more novels to dissect; for balls, novels, plays, are the real pomps of Satan, if we are to believe our holy Mother Church.--The actress would dismiss her protector and could no longer pay you for puffing her.--Nobody would subscribe to your newspapers; people would read Saint Augustine, they would go to church, they would tell their beads. That would be very praiseworthy, perhaps, but you would gain nothing by it. If people were virtuous, what would you do with your articles on the immorality of the age? You see plainly that vice is good for something.

But it is the fashion nowadays to be virtuous and Christ-like, it is an attitude people affect; they pose as Saint Jeromes just as they used to pose as Don Juans; they are pale and wasted, they wear their hair as the apostles did, they walk with folded hands and eyes glued to the ground, they assume an expression sugared to perfection; they have an open Bible on the mantel, a crucifix and consecrated box-wood above their beds; they never swear, they smoke but little, and they chew almost not at all.--With that they become Christians, they talk about the sanctity of art, the lofty mission of the artist, the poesy of Catholicism, about Monsieur de La Mennais, about the painters of the angelic school, about the Council of Trent, about progressive humanity, and about a thousand other fine things.--Some infuse a little republicanism into their religion, they are not the least interesting. They couple Robespierre and Jesus Christ in the most cheerful way and amalgamate with praiseworthy gravity the Acts of the Apostles and the decrees of the _Holy_ Convention--that is the sacramental title; others add, for a final ingredient, some Saint-Simonian ideas.--These latter are complete, they rest upon a square foundation; after them we can look for nothing better. Human absurdity can go no farther,--_has ultra metas_--etc. They are the Hercules Pillars of Burlesque.

Christianity is so in vogue by reason of the prevailing hypocrisy, that even Neo-Christianity enjoys a certain amount of favor. They say that it can boast thus far one recruit, Monsieur Drouineau included.

An extremely interesting variety of the moral journalist, properly so-called, is the journalist with a female family.

He carries his modest sensitiveness to the point of anthropophagy, or very nearly that.

His mode of procedure, although it seems at the first glance simple and easy, is none the less clownish and superlatively entertaining, and in my opinion it deserves to be handed down to posterity--to our last nephews, as the old fogies of the so-called _Grand Siècle_ used to say.

In the first place, to pose as a journalist of this variety, you need some few preliminary utensils--such as two or three legitimate wives, a few mothers, as many sisters as possible, a full assortment of daughters, and cousins innumerable.--The second requisite is a play or novel of some sort, a pen, ink, paper, and a printer. Perhaps it would be as well to have an idea or two and several subscribers; but you can do without them, if you have a large stock of philosophy and the shareholders' money.

When you have all these things you can set up as a moral journalist. The two following recipes, varied to suit the occasion, will suffice for the editorial part.


_Models of Virtuous Articles Concerning a First Performance._

"After the literature of blood, the literature of mud; after the morgue and the galleys, the alcove and the brothel; after the rags stained by murder, the rags stained by debauchery; after," etc. (according to the necessity of the occasion and the available space, you can continue in this vein from six lines to fifty or more),--"this is as it should be.--This is where neglect of sacred doctrines and romantic licentiousness lead: the stage has become a school of prostitution where one dares not venture, save with fear and trembling, with a woman one respects. You come upon the faith of an illustrious name, and you are obliged to retire at the third act with your young daughter all confused and abashed. Your wife hides her blushes behind her fan; your sister, your cousin," etc. (The degrees of relationship may be diversified at pleasure; it is enough that they be all females.)

NOTE.--There is one man who has carried morality so far as to say: "I will not go to see that play with my mistress."--That man I admire and love; I carry him in my heart, as Louis XVIII. carried all France in his; for he has conceived the most triumphant, the most monumental, the most insane, the most extravagant idea that has passed through the brain of man in this blessed nineteenth century, which has seen the birth of so many and such amusing ideas.

The method of dealing with a book is very expeditious and within the range of every intellect:

"If you choose to read this book, lock yourself securely into your own room; do not leave it lying on the table. If your wife and your daughter should open it, they would be lost.--This is a dangerous book, it advises vicious habits. It would have made a great success, perhaps, in the time of Crébillon, in the houses of kept mistresses, at a duchess's select supper-parties; but now that morals are purified, now that the hand of the people has razed the rotten edifice of aristocracy, and that,--etc., etc.--there must be in every work an idea--an idea--yes, a moral and religious idea which--an exalted and profound aim, answering to the needs of humanity; for it is a deplorable thing that young writers should sacrifice the most sacred things to success, and should expend their talent--a notable talent by the way--in lewd descriptions that would make a captain of dragoons blush."--(The virginity of the captain of dragoons is, after the discovery of America, the most delightful discovery that has been made for a long while.)--"The novel we are considering recalls Justine, the philosophic Thérèse, Félicia, Compère Matthieu, the Contes de Grécourt, the Priapées of the Marquis de Sade." The virtuous journalist is immensely erudite in the matter of filthy novels;--I am very curious to know why.

It may be obtained at Eugène Renduel's, Rue des Grands-Augustins, No. 22. A handsome volume in 8vo. with vignette. Price 7 francs 50 centimes.

_Eccò_,--_ecce_,--see it.

It is frightful to think that, through the fault of the newspapers, there are many honest manufacturers who have only these two recipes to live upon, they and the numerous families they employ.

Apparently I am the most monumentally immoral personage to be found in Europe or elsewhere; for I can see nothing more licentious in the novels and plays of the present day than in the novels and plays of an earlier time, and I find it difficult to understand why the ears of the gentlemen of the journals have suddenly become so Jansenically ticklish.

I do not believe that the most innocent newspaper man will dare to say that Pigault-Lebrun, Crébillon Fils, Louvet, Voisenon, Marmontel, and all other writers of novels and tales do not surpass in immorality, since there is such a thing as immorality, the most dissolute and licentious productions of Messieurs Such-an-one and So-and-so, whom I do not name out of regard for their modesty.

One must be most notoriously false to his convictions not to agree to that.

Let not the objection be made that I have cited names little known or unfavorably known. If I have not mentioned the brilliant, imperishable names, it is not because they will not support my assertion with the weight of their great authority.

The novels and tales of Voltaire, aside from the question of merit, are most assuredly no more suitable to be given as prizes to little slips of boarding-school misses than are the immoral tales of our friend the lycanthropist, or even the moral tales of the insipid Marmontel.

What do we find in the comedies of the great Molière? the sacred institution of marriage--as the catechism and the newspapers call it--scoffed at and ridiculed in every scene.

The husband is old, ugly, and peevish; he wears his wig awry; his coat is out of fashion; he has a bill-headed cane, a nose smeared with snuff, short legs, and a paunch as fat as a budget.--He stammers, says nothing but foolish things, and does as many as he says; he sees nothing, he hears nothing; his wife is kissed before his face, and he has no idea what is going on; that state of things lasts until he is well and duly proved a cuckold in his own eyes and in the eyes of the whole audience, who are mightily edified and applaud in a way to bring the walls down.

They who applaud the loudest are they who are the most married.

In Molière, marriage is named George Dandin or Sganarelle.

Adultery is Damis or Clitandre; there is no name sweet and charming enough for it.

The adulterer is always young, handsome, well-made, and a marquis at the very least. He enters from the wings humming the very latest waltz; he takes one or two steps on the stage with the most deliberate, all-conquering air imaginable; he scratches his ear with the pink nail of his deftly spread little finger; he combs his lovely fair hair with his tortoise-shell comb, and arranges his ruffles, which are of great volume. His doublet and his hose are almost covered with bows and knots of ribbon; his neckband is from the best maker; his gloves smell sweeter than balsam and civet; his plumes cost a louis apiece.

How his eye sparkles and his cheek glows! how smiling his mouth! how white his teeth! how soft and well cared for his hand!

He speaks, naught issues from his lips save poesy, perfumed gallantries in the most refined style and with the most charming manner; he has read the latest novels and knows all about poetry, he is brave, and quick to draw his sword, he scatters gold with lavish hand.--And so Angélique, Agnès, Isabelle, can hardly refrain from leaping on his neck, well-bred and great ladies though they be; and so the husband is regularly betrayed in the fifth act, and is very lucky that he was not in the first.

That is how marriage is treated by Molière, one of the loftiest and most serious geniuses who ever lived.--Do you think there is anything stronger in the suits of _Indiana_ and of _Valentine_?

Paternity is even less respected, if that be possible. Witness Orgon, Géronte, and all the rest of them.

How they are robbed by their sons, cheated by their valets! How their avarice, their obstinacy, their idiocy are laid bare, without mercy for their age!--What practical jokes! what mystifications.--How they are taken by the shoulder and pushed out of life, poor old fellows, who take a long time to die and refuse to give up their money! how much is said about the immortality of parents! what arguments against heredity, and how much more convincing they are than all this Saint-Simonian declamation!

A father is an ogre, an Argus, a jailer, a tyrant, something that at the best is good for nothing but to delay a marriage for three acts until the final reconciliation.--A father is the ridiculous husband perfected.--A son is never ridiculous in Molière; for Molière, like all authors at all possible epochs, paid his court to the young generation at the expense of the old.

And what of the Scapins, with their striped cloaks _à la Napolitaine_, their caps tilted over their ears, their plumes sweeping the layers of air,--are not they very pious, very chaste individuals, most worthy of canonization?--The galleys are filled with honest folk who have not done the fourth part of what they do. The knavery of Trialph is paltry knavery compared with theirs. And the Lisettes, the Martons, _tudieu_! what hussies!--The girls of the street are far from being as sharp, as quick at prurient retort as they. How well they understand how to deliver a note! what good watch they keep during assignations!--On my word, they are invaluable girls, serviceable and shrewd advisers.

It is a charming company that walks and fidgets through those comedies and imbroglios.--Duped guardians, cuckold husbands, lewd maids, keen-witted valets, young ladies mad with love, dissolute sons, adulterous wives; are not these quite as bad as the melancholy young beaux and poor, weak women, oppressed and impassioned, of the dramas and novels of the writers in vogue to-day?

And yet the denouements, minus the final blow of the dagger, minus the regulation cup of poison, are as happy as the time-honored ending of a fairy tale, and everybody, even the husband, is perfectly satisfied. In Molière, virtue is always in disgrace, always being pummelled; it is virtue that wears horns and turns her back to Mascarille; morality barely shows its face once at the end of the play, in the somewhat commonplace person of the gendarme Loyal.

All this that we have said is not intended to knock a chip off Molière's pedestal; we are not mad enough to attempt to shake that bronze colossus with our weak arms; we desired simply to show the pious _feuilletonistes_, who are terrified by recent works and by those of the romantic school, that the old classics, whom they urge us every day to read and imitate, far surpass them in looseness and immorality.

To Molière we might easily add Marivaux and La Fontaine, those two strongly-contrasted exponents of the French mind, and Regnier and Rabelais and Marot, and many others. But it is not our purpose in this place to prepare, from the standpoint of morality, a course in literature for the benefit of the virgin minds of the _feuilleton_.

It seems to me that we should not raise such a hubbub for so small a matter. Luckily we are not living in the days of the fair Eve, and we cannot, in good conscience, be as primitive and patriarchal as people were in the days of the ark. We are not little girls preparing for our first communion; and when we play crambo, we do not answer _cream-pie_. We are passably knowing in our innocence, and our virginity has been on the town for a long while; those are things that one does not have twice, and, whatever we may do, we cannot recover them, for there is nothing in the world that runs faster than a fleeing virginity and a vanishing illusion.

After all, perhaps there is no great harm in that, and knowledge of everything is preferable to ignorance of everything. That is a question that I leave for those who know more than I, to discuss. The fact remains that the world has passed the age when one can feign modesty and chastity, and I consider it too old a greybeard to play the child and the virgin without making itself ridiculous.

Since its marriage to civilization, society has lost the right to be artless and bashful. There are certain blushes that are all right for the bridal bed, but can serve no further purpose the next day; for the young wife thinks no more of the maiden, it may be, or if she does think of her, it is a most improper thing and gravely endangers her husband's reputation.

When I chance to read one of the fine sermons that have taken the place of literary criticism in the public sheets, I sometimes feel great remorse and dire apprehension, having on my conscience some paltry equivocal stories, a little too highly spiced, such as a young man of spirit and animation may have to reproach himself for.

Beside these Bossuets of the Café de Paris, these Bourdaloues of the balcony at the Opéra, these Catos at so much a line, who berate the present age in such fine fashion, I esteem myself the most infamous villain that ever marred the face of the earth; and yet, God knows, the list of my sins, capital as well as venial, with the usual blank spaces and leads, would barely, even in the hands of the most skilful publisher, make one or two octavo volumes a day, which is a small matter for one who does not claim to be bound for paradise in the other world and to win the Monthyon prize or be rose-maiden in this.

And then, when I think that I have met under the table, and elsewhere, too, a considerable number of these dragons of virtue, I return to a better opinion of myself, and I consider that, whatever faults I may have, they have another which is, in my eyes, the greatest and worst of all:--I refer to hypocrisy.

By looking carefully one might perhaps find another little vice to add; but this is so hideous that I really hardly dare to name it. Come nearer and I will breathe its name into your ear:--it is envy.

Envy, and nothing else.

It is envy that crawls and wriggles through all these paternal homilies; however careful it may be to hide itself, you can see its flat little viper's head from time to time gleaming above the metaphors and rhetorical figures; you surprise it licking with its forked tongue its lips blue with venom, you hear it hissing softly in the shadow of an insidious epithet.

I am well aware that it is insufferably conceited to say that any one envies you, and that a dandy who boasts of a conquest is almost as nauseating.--I am not so boastful as to believe that I have enemies or envious detractors; that is a piece of good fortune that is not given to everybody, and I probably shall not enjoy it for a long time; so I will speak freely and without reservation as one who is perfectly disinterested in the matter.

An unquestionable fact, and easy of demonstration to those who may doubt it, is the natural antipathy of the critic to the poet--of him who does nothing to him who does something--of the drone to the bee--of the gelding to the stallion.

You do not become a critic until the fact is established to your own satisfaction that you cannot be a poet. Before descending to the pitiful rôle of watching cloaks and counting strokes like a billiard-marker or a tennis-court attendant, you have long courted the Muse, you have tried to seduce her; but you have not sufficient vigor for that; your breath has failed you and you have fallen back, pale and broken-winded, to the foot of the sacred mountain.

I can conceive that antipathy. It is painful to see another take his seat at the banquet to which you are not invited and lie with the woman who would have none of you. I pity with all my heart the poor eunuch who is compelled to assist at the delights of the Great Turk.

He is admitted to the most secret recesses of the Oda; he escorts the sultanas to the bath; he sees their lovely bodies gleaming in the silvery water of the great reservoirs, shedding streams of pearls and smoother than agate; the most hidden charms are disclosed to him unveiled. No one is embarrassed by his presence.--He is a eunuch.--The sultan caresses his favorite before him and kisses her on her pomegranate mouth.--In very truth his is a terribly false position and he must be sadly embarrassed to keep himself in countenance.

It is the same with the critic who sees the poet walking in the garden of poesy with its nine fair odalisques, and disporting himself indolently in the shade of tall green laurels. It is very hard for him not to pick up stones in the road to throw at him and wound him over the wall, if he is skilful enough to do it.

The critic who has produced nothing of his own is a coward; he is like an abbé paying court to a layman's wife: the layman cannot pay him back in his own coin or fight with him.

I think that an account of the different methods of depreciating any sort of work, resorted to during the last month, would be at least as interesting as the story of Tiglath-Pileser, or of Gemmagog, who invented peaked shoes.

There would be enough matter to fill fifteen or sixteen folio volumes, but we will have pity on the reader and confine ourselves to a few lines--a favor for which we demand more than everlasting gratitude.--In a very remote age, lost in the darkness of time--it was fully three weeks ago--the romance of the Middle Ages flourished principally in Paris and the suburbs. The coat of arms was held in high esteem; _coiffures à la Hennin_ were not despised and party-colored trousers were thought well of; the dagger was priceless; the peaked shoe was adored as a fetich.--There was nothing but ogive windows, turrets, colonnettes, stained glass, cathedrals, and fortified châteaux;--the characters were all _damoiselles_ and _damoiseaux_, pages and varlets, beggars and swash-bucklers, gallant knights and ferocious castellans;--all of which were more innocent certainly than innocent games, and did absolutely no harm to anybody.

The critic did not wait for the second romance before beginning his work of depreciation: as soon as the first appeared, he enveloped himself in his robe of camel's hair, and sprinkled a bushel of ashes on his head; then, in his loud, wailing voice, he began to cry:

"More Middle Ages, nothing but the Middle Ages! who will deliver me from the Middle Ages, from the Middle Ages which are not the Middle Ages?--Paste-board and terra-cotta Middle Ages, which have nothing of the Middle Ages save the name!--Oh! these iron barons, in their iron armor, with iron hearts in their iron breasts! Oh! the cathedrals with their rose-work always in bloom and their stained glass in flower, with their lace-work of granite, with their open-work trefoils, their toothed gables, their chasubles of stone embroidered like a bride's veil, with their tapers, their psalms, their glittering priests, with their people on their knees, their rumbling organ, and their angels soaring aloft and flapping their wings under the arches!--how they have spoiled my Middle Ages, my refined, brightly-colored Middle Ages!--how they have blotted it from sight under a layer of coarse plaster!--what discordant colors!--Ah! ignorant daubers, who fancy you have created an effect by splashing red upon blue, white upon black, and green upon yellow, you have seen only the outer shell of the Middle Ages, you have not divined the true meaning of the Middle Ages, the blood does not circulate beneath the skin in which you have clothed your phantoms, there is no heart in your steel corselets, there are no legs in your tricot trousers, no stomach or breast behind your emblazoned skirts; they are clothes that have the shape of men and that is all.--So, down with the Middle Ages as they are presented to us by the _fabricators_"--the great word is out, the _fabricators_!--"The Middle Ages meet no need of the present day, we must have something else."

And the public, seeing how the _feuilletonistes_ snarled at the Middle Ages, was seized with an ardent passion for the Middle Ages, which they claim to have killed at a single blow. The Middle Ages invaded everything, assisted by the obstruction of the newspapers:--dramas, melodramas, novels, tales, poetry--there were even Middle-Age vaudevilles, and Momus recited feudal mummeries.

Beside the romance of the Middle Ages flourished the carrion romance, a very pleasing variety, which nervous _petites-maîtresses_ and blasé cooks consumed in great numbers.

The _feuilletonistes_ speedily came flocking to the stench, like crows to the carrion, and they tore with the beaks of their pens and inhumanly put to death that poor species of novel, which asked nothing more than to be allowed to prosper and putrefy in peace on the greasy shelves of the book-stalls. What did they not say? what did they not write?--Literature of the morgue or the galleys, an executioner's nightmare, hallucination of a drunken butcher, or a convict-keeper with the jail-fever! They benignly gave us to understand that the authors were assassins and vampires, that they had contracted the vicious habit of killing their fathers and mothers, that they drank blood from human skulls, that they used the bones of the legs for forks and cut their bread with a guillotine.

And yet they knew better than any one, from having frequently breakfasted with them, that the authors of those charming slaughters were excellent young men of family, very easy-going and in the best society, white-gloved and fashionably near-sighted,--with a decided preference for beefsteak over human cutlets, and more accustomed to drink Bordeaux wine than the blood of young girls or new-born children.--From having seen and touched their manuscripts, they knew perfectly well that they were written with ink of great virtue upon English paper, and not with blood from the guillotine upon the skin of a Christian flayed alive.

But whatever they might say or do, the age was after carrion, and the charnel-house suited them better than the boudoir; the reader would bite at no hook that was not baited with a little body already turning blue.--A state of things easily conceived; put a rose at the end of your line and the spiders will have time to spin their webs in the crook of your elbow before you catch the tiniest minnow; put on a worm or a piece of rank cheese, and carp, barbel, perch, eels, will all leap three feet out of water to snap at it.--Men are not so different from fish as people generally seem to believe.

One would have said that the newspaper men had become Quakers, Brahmins, or Pythagoreans, or bulls, they had been suddenly seized with such a horror of red and of blood.--Never had they been known to be in such a soft and melting mood;--it was cream and buttermilk.--They admitted the existence of only two colors, sky-blue and apple-green. Pink was only tolerated, and if the public would have allowed them to do as they chose, they would have led it to the banks of the Lignon to feed on spinach beside the sheep of Amaryllis. They had changed their black frock-coats for the dove-colored jacket of Celadon or Silvander, and surrounded their goose-feathers with clusters of roses and ribbons after the style of a shepherd's crook. They let their hair float in the wind like a child's, and had made themselves virgins according to the recipe of Marion Delorme, and about as successfully as she.

They applied to literature the article in the Decalogue:


_Thou shalt not kill._


The least little dramatic murder was no longer permissible, and the fifth act had become an impossibility.

They considered the poniard extravagant, poison monstrous, the axe horrible beyond words. They would have liked dramatic heroes to live to the age of Melchisedec; and yet it has been a recognized fact, from time immemorial, that the object of every tragedy is to have a poor devil of a great man, who cannot help himself, murdered in the last act, just as the object of every comedy is to join in matrimony two idiots of _jeunes premiers_ of about sixty years each.

It was about this time that I threw into the fire--after having taken a duplicate, as almost always happens--two superb and magnificent Middle-Age dramas, one in verse, the other in prose, in which the heroes were quartered and boiled on the stage, which would have been very entertaining and decidedly unusual.

To conform to their ideas, I have since composed an antique tragedy in five acts called _Héliogabale_, the hero of which throws himself into the privy, an extremely novel situation and one that has the merit of introducing a bit of scenery not yet seen on the stage.--I have also written a modern drama, very much superior to _Antoni,--Arthur,_ or _L'Homme Fatal,_ where the providential idea arrives in the shape of a Strasbourg pâté de foie gras, which the hero eats to the last crumb after committing various rapes, and that, combined with his remorse, brings on a frightful attack of indigestion of which he dies.--A moral ending, if ever there was one, which proves that _God is just_, and that vice is always punished and virtue rewarded.

As for the monstrosity species, you know how they have dealt with that, how they have abused Han d'Islande the cannibal, Habibrah the obi, Quasimodo the bell-ringer, and Triboulet, who is only a hunch-back--all that family so strangely swarming--all those gigantic deformities whom my dear neighbor sends crawling and leaping through the virgin forests and the cathedrals of his romances. Neither the great strokes _à la_ Michael Angelo, nor the curiosities worthy of Callot, nor the effects of light and shade after the fashion of Goya, could find favor before them; they sent him back to his odes when he wrote novels, to his novels when he wrote dramas: the ordinary tactics of journalists who always praise what you have done at the expense of what you are doing. A fortunate man, however, is he who is acknowledged to be superior, even by the _feuilletonistes_, in all his works,--except, of course, the particular one with whom they are dealing,--and who need only write a theological treatise or a manual of cooking to have his plays admired.

Concerning the romance of the heart, the ardent, impassioned romance, whose father is Werther the German, and its mother Manon Lescaut the French-woman, we had a few words to say, at the beginning of this preface, of the moral scurf that has fastened itself upon it in desperation, on the pretext of religion and good morals. The critical louse is like the body-louse that deserts the dead body for the living. From the corpse of the Middle Ages the critics have passed on to the living body of this age, whose skin is tough and hard and might well break their teeth.

We think, notwithstanding a deep respect for the modern apostles, that the authors of these so-called immoral novels, without being so thoroughly married as the virtuous journalist, generally have a mother, and that several of them have sisters and are provided with an abundance of female relations; but their mothers and sisters do not read novels, even immoral novels; they sew and embroider and look after the house-keeping.--Their stockings, as Monsieur Planard would say, are--entirely white: you can look at them on their legs--they are not _blue_, and excellent Chrysale, who hated learned women so, would suggest them as models to the skilled Philaminte.

As for these gentlemen's _wives_, as they have so many of them, however spotless their husbands may be, it seems to my simple mind that there are certain things they ought to know.--Indeed, it may well be that their husbands have never shown them anything. In that case I understand that they are bent upon keeping them in that useful state of blessed ignorance. God is great and Mohammed is his prophet!--Women are inquisitive creatures; may Heaven and morality grant that they gratify their curiosity in a more legitimate way than that adopted by their grandmother Eve, and do not go putting questions to the serpent!

As for their daughters, if they have been at boarding-school, I fail to see what they can learn from these books.

It is as absurd to say that a man is a drunkard because he describes an orgy, or a debauchee because he narrates a debauch, as to claim that a man is virtuous because he has written a book on morals; we see the contrary every day. It is the character that speaks, not the author; his hero may be an atheist, that does not mean that he is an atheist; he represents brigands as acting and talking like brigands, but that does not make him a brigand. On that theory we should have to guillotine Shakespeare, Corneille, and all the writers of tragedy; they have committed more murders than Mandrin and Cartouche; we have not done it, however, and, indeed, I do not believe that we shall do it for a long time to come, however virtuous and moral criticism may become. It is one of the manias of these little shallow-brained scribblers always to substitute the author for the work, and to resort to personalities, in order to give some paltry scandalous interest to their miserable rhapsodies, which they are well aware that nobody would read if they contained only their individual opinions.

We can hardly imagine the tendency of all this wailing, or what good purpose all this indignation and snarling can serve--or who impels these Messieurs Geoffroy on a small scale to set themselves up as the Don Quixotes of morality, and, like genuine literary policemen, to lay hands upon and club, in the name of virtue, every idea that appears in a book with its mob-cap awry or its petticoats raised a little too high.--It is very strange.

Whatever they may say, the present age is immoral,--if the word means anything, which we much doubt,--and we require no other proof of it than the quantity of immoral books it produces and the success they meet with.--Books follow morals, morals do not follow books.--The Regency produced Crébillon, not Crébillon the Regency. Boucher's little shepherdesses were painted and immodest because the little marchionesses of the day were painted and immodest.--Pictures are painted after models, not models after pictures. Somebody or other has said somewhere or other that literature and the arts have a great influence on morals. Whoever he is, he is unquestionably a great fool.--It is as if some one should say: "Green peas make the springtime grow;" on the other hand, green peas grow because it is spring, and cherries because it is summer. The trees bear fruit, the fruit assuredly does not bear the trees--the law is everlasting and invariable in its variations; the centuries succeed one another and each bears its fruit, which differs from that of the preceding century; books are the fruit of morals.

Beside the moral journalists, under this shower of homilies, as if it were a summer shower in a park, there has arisen, between the boards of the Saint-Simonian stage, a school of little mushrooms of a curious new variety, of which we propose to give the natural history.

They are the utilitarian critics,--poor fellows whose noses were so short that they would not hold spectacles, and who could not see to the end of their noses.

When an author tossed upon their desk a volume of any sort,--novel or poetry,--these gentry would lean back nonchalantly in their chairs, balance them on their hind legs, sway back and forth, puffing themselves out with a knowing air, and say:

"What purpose does this book serve? How can it be applied to securing the moral and spiritual well-being of the most numerous and poorest class? What! not a word of the needs of society, nothing civilizing and progressive! How, instead of dealing synthetically with the great problems of humanity, and following, through the events of history, the phases of the regenerating, providential idea, can you waste time writing poetry and novels which lead to nothing, and which do nothing to help the generation forward in the pathway of the future? How can you concern yourself about form and style and rhythm, in presence of such grave interests?--What do we care for rhythm and style and form? that is all right in its place!" (Poor foxes, they are too green!)--"Society is suffering, it has a terrible gnawing at the vitals;" (translate: no one will subscribe to the utilitarian papers.) "It is for the poet to seek the cause of the trouble and cure it. He will find a way by sympathizing heart and soul with humanity;" (philanthropic poets! that would be something rare and charming.) "We await the coming of that poet, we pray for his coming with all our hearts. When he appears, his will be the acclamations of the multitude, his the palm-leaves, his the wreaths, his the Prytaneum."

Very fine; but as we desire the reader to stay awake to the end of this blessed preface, we will not continue this very close imitation of the utilitarian style, which, by its nature, is unusually soporific, and might advantageously replace laudanum and the discourses of the Academy.

No, fools, no, cretins and goitrous creatures that you are, a book does not make gelatine soup;--a novel is not a pair of seamless boots; a sonnet is not a syringe with a continuous stream; a drama is not a railroad,--all essentially civilizing things and tending to assist humanity along the pathway of progress.

By the bowels of all the popes, past, present, and to come, no, two hundred thousand times no.

You cannot make a nightcap out of a metonymy, or wear comparisons by way of slippers; you cannot use antithesis as an umbrella; unluckily we have not the secret of clapping a few variegated rhymes upon the stomach as we put on a waistcoat. I have a firm conviction that the ode is a garment too light for winter, and that one would be no more warmly clad with the strophe, the antistrophe, and the epode, than the wife of the cynic who was contented to have only her virtue as a chemise and went about as naked as your hand, as history tells us.

The famous Monsieur de la Calprenède once had a coat, and when some one asked what kind of cloth it was made of, he answered: Silvandre.--_Silvandre_ was a play of his that had just been produced with success.

Such arguments make one raise his shoulders above his head, higher than the Duke of Gloucester's.

People who claim to be economists and who wish to rebuild society from top to bottom, seriously put forward such trash.

A novel may be useful in two ways:--one material, the other spiritual, if we may use such an expression with reference to a novel.--Its material utility consists, first, of the few thousand francs that go into the author's pocket, and ballast him so that neither the devil nor the wind can whisk him away; to the publisher it is a noble race-horse who stamps and rears with his cabriolet of ebony and steel, as Figaro says; to the paper manufacturer, one more factory on some stream and often the means of spoiling a fine site; to the printers, divers hogsheads of logwood to put their windpipes in shape once a week; to the circulating libraries, piles of big sous covered with proletariat verdigris and a quantity of grease, which if it were carefully collected and utilized would render the whale-fishery useless.--The spiritual utility consists in this: that, while you are reading novels, you fall asleep, and you are not reading utilitarian, virtuous, and progressive newspapers, or other similar indigestible, stupefying drugs.

Let any one say after this that novels do not assist civilization.--I will say nothing of the tobacco agents, grocers, and dealers in fried potatoes, who have a very great interest in this branch of literature, the paper used therein being, as a general rule, of a superior quality to that used by the newspapers.

Verily it is enough to make one split one's sides with laughter to hear messieurs the republican or Saint-Simonian utilitarians hold forth.--In the first place, I should be glad to know the exact meaning of that great lubberly substantive with which they daily lard the empty void of their columns, and which serves them as a sort of shibboleth and sacramental term:--Utility; what is the word, and to what is it applied?

There are two kinds of utilities, and the meaning of the word is always relative. What is useful for one is not for another. You are a cobbler, I am a poet.--It is useful for me to have my first line rhyme with my second.--A dictionary of rhymes is of great utility to me; you have no use for it in cobbling an old pair of boots, and it is fair to say that a cobbler's knife would be of no great use to me in writing an ode.--Now, you will remark that a cobbler is much above a poet, and that we could get along better without the latter than without the former. Without undertaking to cry down the illustrious profession of cobbler, which I honor equally with the profession of constitutional monarch, I will humbly confess that I should prefer to have my shoe down at heel rather than to have my lines haltingly rhymed, and that I should be more willing to go without boots than without poems. As I rarely go out, and walk more readily on my head than on my feet, I wear out fewer shoes than a virtuous republican who does nothing but run from one government department to another trying to induce somebody to toss him an office.

I know that there are those who prefer windmills to churches, and the bread that feeds the body to that that feeds the soul. To them I have nothing to say. They deserve to be economists in this world and also in the other.

Is there anything absolutely useful on this earth and in this life that we live? In the first place, there is very little use in one being on the earth and living. I challenge the most erudite of the band to say of what use we are, unless it be to subscribe neither to the _Constitutionnel_ nor to a journal of any sort.

Secondly, the utility of our existence being admitted _a priori_, what are the really useful things to maintain it? A plate of soup and a bit of bread twice a day are all that we need to fill the stomach, in the strict acceptation of the word. The man for whom a coffin six feet by two will be enough and more than enough after his death, does not need much more space during his life. A hollow cube, seven or eight feet broad, long and deep, with a hole to breathe through, a single cell in the hive, is all that he needs to lodge him and to keep the rain from falling on his back. A quilt, rolled properly about his body, will protect him from the cold as well as, yes, better than, Staub's most stylish and elegant frock-coat.

With that a man can exist, theoretically. They say that one can live on twenty-five sous a day; but to keep from dying is not living; and I cannot see wherein a city organized on utilitarian principles would be more agreeable to live in than Père La Chaise.

Nothing beautiful is indispensable to life.--If flowers should be suppressed, the world would not suffer materially; and yet who could wish that there were no flowers? I would rather give up potatoes than roses, and I do not believe there is more than one utilitarian in the world capable of digging up a bed of tulips to make room for cabbages.

What good purpose does female beauty serve? Provided that a woman is well-developed physically, in a condition to receive a man and to produce children, she will always be good enough for the economist.

What is the use of music? or painting? Who would be foolish enough to prefer Mozart to Monsieur Carrel, Michael Angelo to the inventor of white mustard?

Nothing is really beautiful but that which cannot be made use of; everything that is useful is ugly, for it is the expression of some need, and the needs of man are vile and disgusting, like his poor, weak nature.--The most useful part of a house is the privy.

I myself, with due respect to those gentlemen, am one of those to whom superfluities are necessaries--and my liking for people and things is in inverse ratio to the services they render me. I prefer a Chinese vase, covered with dragons and mandarins, which is of no use to me at all, to a certain other vase, which is useful to me; and that one of my talents which I prize most highly is my inability to guess riddles and charades. I would very willingly renounce my privileges as a Frenchman and a citizen to see an authentic painting by Raphael, or a beautiful nude woman: the Princess Borghese, for instance, when she posed for Canova, or Julia Grisi when she was in her bath. For my part I would gladly consent to the return of that cannibal of a Charles X., if he would bring me, from his castle in Bohemia, a hamper of Tokay or Johannisberg, and I would agree that the suffrage laws were broad enough, if some of the streets were more so and other things less so.--Although I am not a born _dilettante,_ I prefer the noise of squeaking fiddles and bass drums to that of Monsieur le Président's bell. I would sell my trousers to buy a ring and my daily bread for sweetmeats.--The most becoming occupation for a polished man is, it seems to me, to do nothing, or to smoke his pipe or his cigar analytically. I also have a high regard for those who play at skittles and for those who write good poetry. You see that my principles are very far from being utilitarian, and that I shall never become editor of a virtuous newspaper unless I am converted, which would be droll enough.

Instead of awarding a Monthyon prize as a reward of virtue, I would prefer to give, like Sardanapalus, that great philosopher who has been so misunderstood, a handsome premium to the man who should invent a new form of pleasure; for enjoyment seems to me the true aim of life and the only useful thing in the world. God has so willed it, for it was He who made women, perfumes, light, lovely flowers, good wines, prancing horses, greyhounds, and Angora cats; nor did he say to his angels: "Be virtuous," but: "Love;" and he gave us a mouth, more sensitive than the rest of the skin, with which to kiss women, eyes uplifted to see the light, a subtle sense of smell to inhale the soul of flowers, well-knit thighs to press the sides of stallions and fly swifter than thought without railroad or steamboat, delicate hands with which to caress the long head of the greyhound, the velvety back of the cat, and the gleaming shoulders of creatures of doubtful virtue; in a word, he bestowed only upon us the threefold, glorious privilege of drinking without being thirsty, of striking a light, and of making love at all seasons, which distinguishes us from the brute much more than the custom of reading newspapers and drawing maps.

_Mon Dieu_! what an idiotic thing is this alleged perfectibility of the human race that is being dinned into our ears! One would say in truth that man is a machine susceptible of improvements, and that the more careful adjustment of a wheel, a counterpoise more conveniently placed, might make it work more smoothly and more handily. When they have succeeded in giving man a double stomach, so that he can chew his cud like an ox, and eyes in the back of his head, like Janus, so that he can see those who stick out their tongues at him behind his back, and contemplate his _unworthiness_ in a less uncomfortable position than that of the Venus Callipyges at Athens, and in planting wings on his shoulder blades so that he will not be obliged to pay six sous to ride in an omnibus; when they have given him a new organ, well and good: then the word _perfectibility_ will begin to mean something.

Since all these fine ameliorations, what has been done that was not done as well and better before the deluge?

Have we succeeded in drinking more than they drank in the days of ignorance and barbarism--old style? Alexander, the doubtful friend of the fair Hephæstion, was no small drinker, although there was no _Journal des Connaissances Utiles_ in his day, and I am unable to conceive how any utilitarian, unless he should become oïnopic and more puffed out than the younger Lepeintre or a hippopotamus, could drain the great beaker which he called Hercules' cup. The Maréchal de Bassompierre, who emptied his long boot to the health of the Thirteen Cantons, seems to me a singularly estimable personage in his way and very hard to improve upon. What economist will enlarge our stomachs so that they will hold as many beefsteaks as the late Milo of Crotona, who ate an ox? The bill of fare at Véfour's Café Anglais, or at any other culinary celebrity's that you choose, seems to me very ill-supplied and commonplace compared to the menu of Trimalcion's dinner.--At whose table in these days are a sow and her twelve shoats served on a single platter? Who has eaten muræna and lampreys fattened on man? Do you really think that Brillat-Savarin has improved upon Apicius? Could Vitellius's big tripe-man find at Chevet's the wherewithal to fill his famous Minerva's shield with pheasants' and peacocks' brains, tongues of flamingoes and scarus livers?--The oysters you eat at the Rocher de Cancale are such a great delicacy compared with the oysters of Lucrin, for which a lake was made expressly.--The little establishments in the suburbs kept by the marquises of the Regency were wretched little boxes, if we compare them with the villas of the Roman patricians at Baiæ, Capri, and Tibur. The Cyclopean splendor of the great voluptuaries who erected everlasting monuments for a day's pleasure should cause us to fall flat on our faces before the genius of antiquity and erase forever from our dictionaries the word _perfectibility._

Has a new capital crime been invented? Unfortunately there are only seven of them as before, the number of the just man's backslidings for one day, which is very moderate.--Indeed, I do not think that after a century of progress, at the rate we are travelling, any lover would be capable of renewing the thirteenth labor of Hercules.--Can a man be agreeable to his divinity a single time oftener than in the days of Solomon? Many very illustrious scholars and very respectable ladies answer that question in the negative, and aver that amiability is on the wane. Very good! if that is so, why do you talk of progress?--I know that you will tell me that there is an Upper Chamber and a Lower Chamber, that you hope that everybody will soon be an elector and the number of representatives doubled or trebled. Do you think that there are not enough mistakes in grammar made in the national tribune as it is, and that the deputies are not numerous enough for the vile work they have to do? I can hardly understand the utility of quartering two or three hundred provincials in a wooden barrack, with a ceiling painted by Monsieur Fragonard, there to botch and bungle nobody knows how many absurd or atrocious little laws.--What difference does it make whether it is a sabre, a holy-water sprinkler, or an umbrella that governs us?--It is a club all the same, and I am amazed that progressive men should dispute as to the kind of club that is to make their shoulders tingle, when it would be much more progressive and less expensive to break it and throw the pieces to all the devils.

The only one of you who has any common sense is a madman, a great genius, an imbecile, a divine poet far above Lamartine, Hugo, and Byron; it is Charles Fourrier, the phalansterian, who is all that in his single person: he alone is logical and has the courage to carry his theory through to its inevitable consequence.--He asserts, without hesitation, that man will soon have a tail fifteen feet long with an eye at the end of it; that surely is progress and will permit us to do a thousand fine things we could not do before, such as killing elephants without striking a blow, balancing ourselves on trees without swings, as handily as the most expert ape, doing without sunshade or umbrella by raising the tail above the head like a plume, as squirrels do, who get along very well without umbrellas; and other prerogatives too numerous to mention. Several phalansterians claim that they already have a little tail that asks nothing better than to grow longer, if only God gives them length of days.

Charles Fourrier has invented as many species of animals as George Cuvier, the great naturalist. He invented horses that will be thrice the size of elephants, dogs as large as tigers, fish capable of feeding more people than the three small fishes of the Saviour, which the incredulous Voltaireans believe were _poissons d'Avril_,[1] and I the text of a noble parable. He has built cities beside which Rome, Tyre, and Babylon are simply mole-hills; he has piled Babels one upon another and built spiral stairways ascending among the clouds to a greater height than all those in John Martinn's engravings; he has conceived I cannot say how many orders of architecture and new sauces; he has drawn a plan for a theatre which would seem immense even to Romans of the Empire, and prepared a dinner menu that Lucius or Nomentanus might have deemed sufficient for a dinner to their friends; he promises to create new forms of pleasure and to develop the organs and the senses; he is to make women fairer and more voluptuous, men more robust and sturdy; he guarantees you children and proposes to reduce the population of the world so that every one will be in easy circumstances; which is more reasonable than to urge paupers to make other paupers, with the idea of shooting them down in the streets when they breed too fast and sending them bullets instead of bread.

Progress is possible in no other way.--All the rest is bitter mockery, buffoonery without wit, which is not even calculated to deceive gullible fools.

The phalanstery is really a step in advance of the abbey of Thélème, and definitely relegates the earthly paradise to the ranks of those things that are altogether superannuated and old-fashioned. The Thousand and One Nights and Madame d'Aulnay's Tales alone can contend successfully with the phalanstery. What fertility! what invention! There is material there from which to supply marvels for three thousand cartloads of romantic or classic poems; and our versifiers, whether academicians or not, are paltry inventors compared to Monsieur Charles Fourrier, the inventor of startling attractions.--This idea of making use of impulses which people have hitherto sought to repress, is most assuredly a lofty and powerful idea.

Ah! you say that we are making progress!--Suppose that a volcano should open its maw to-morrow at Montmartre, and should make a winding-sheet of ashes and a tomb of lava for Paris, as Vesuvius once did for Stabia, Pompeii, and Herculaneum, and that, some thousand years hence, the antiquaries of that day should make excavations and exhume the corpse of the dead city, tell me what monument would remain standing to bear witness to the splendor of the mighty entombed, the Gothic Notre-Dame?--They would form truly a fine idea of our artistic development when they cleared away the rubbish from the Tuileries, redecorated by Monsieur Fontaine! The statues on Pont Louis XV. would look splendid in the museums of those days. And were it not for the pictures of the ancient schools and the statues of antiquity or the Renaissance crowded together in the gallery of the Louvre, that long shapeless conduit; were it not for the ceiling by Ingres, which would show that Paris was not a Barbary camp or a village of Welches or Topinamboux, the things that would be unearthed from the ruins would be very interesting.--Short swords carried by National Guardsmen, firemen's helmets, coins struck from pyriform dies, that is the kind of thing they would find instead of the beautiful, curiously-carved weapons that the Middle Ages left in the recesses of their towers and ruined tombs, the medallions that fill the Etruscan vases and pave the cellars of all Roman buildings. As for our wretched veneered furniture, all the cheap boxes, naked and ugly and shabby, that we call commodes or secretaries, and all our shapeless, fragile utensils,--I trust that time would have been compassionate enough to destroy the last vestige of them.

Once, this whim of erecting a magnificent, pretentious monument took possession of us. In the first place we were obliged to borrow the plan from the old Romans; and even before it was finished, our Panthéon tottered on its legs like a child with the rickets and staggered like a drunken man, so that we had to give it crutches of stone, otherwise it would have measured its shameful length on the ground, in sight of all the world, and would have given the nations something to laugh at for more than a hundred francs.--We thought it better to set up an obelisk on one of our squares; we had to go and filch it at Luxor, and we were two years bringing it home. Old Egypt lined its roads with obelisks as we line ours with poplars; it carried bundles of them under its arm as the market-gardener carries bunches of asparagus, and carved a monolith from the sides of its mountains of granite more easily than we make tooth-picks or ear-picks. A few centuries ago Raphael was living and Michael Angelo; now we have Monsieur Paul Delaroche, all because we are progressing.--You boast of your Opéra; ten Opéras like yours could dance a saraband in a Roman circus. Monsieur Martin, himself, with his tame tiger and his poor gouty lion, sound asleep like a subscriber to the _Gazette_, makes a very poor showing beside the gladiator of antiquity. Take your benefit performances that last till two o'clock in the morning--what do they amount to when you think of the games that lasted a hundred days, of the plays in which real ships really fought in real water; in which thousands of men conscientiously cut one another in pieces;--aye, turn pale O heroic Franconi!--in which, when the sea retired, the desert arrived with its roaring tigers and lions, awe-inspiring supernumeraries who did duty but once; in which the leading rôle was taken by some robust, athletic Dacian or Pannonian whom they would very often have found it embarrassing to produce at the end of the play, his sweetheart being a lovely and dainty Numidian lioness who had fasted for three days?--Does it not seem to you that the rope-dancing elephant was superior to Mademoiselle Georges? Do you suppose Mademoiselle Taglioni is a better dancer than Arbuscula, and Perrot better than Bathyllus? I am convinced that Roscius could have given points to Bocage, excellent actor though he is,--Galeria Coppiola played _ingénue_ rôles when she was more than a hundred years old. It is fair to say that the oldest of our _jeunes premières_ is but little more than sixty, and that Mademoiselle Mars shows no sign of progress in that direction: they had three or four thousand gods in whom they believed, and we have only one and we hardly believe in him; that is a strange kind of progress.--Was not Jupiter a better man than Don Juan and a much more successful seducer? Verily, I cannot see what we have discovered or even improved.

After the progressive journalists, as if to serve as a foil to them, come the blasé journalists, who are usually twenty or twenty-two years old, who have never left their quarter and have as yet lain only with their housekeeper. Everything bores them, tires them out; they are sated, blasé, used up, inaccessible. They know beforehand what you are going to say to them; they have seen, felt, heard, experienced everything that it is possible to see, feel, hear, and experience; the human heart has no corner so dark that they have not held a lantern to it. They say to you with marvellous self-possession: "The human heart is not like that; women are not made so; that character is falsely drawn;"--or else: "What's this! always love or hatred! always men and women! Can't you talk about something else? Why, man is worn threadbare, and woman, more so, since Monsieur de Balzac took a hand.

"'Who will deliver us from men and women?'

"Do you think your fable is new, monsieur? it is new after the fashion of the Pont-Neuf:[2] nothing in the world could be more common; I read it somewhere or other;--when I was out at nurse or somewhere else; it's been dinned into my ears for ten years.--By the way, monsieur, understand that there's nothing I don't know, that everything is worn threadbare for me, and that even if your idea were as virginal as the Virgin Mary, I would swear, none the less, that I had seen it prostituting itself on street corners to the vilest scribblers and the most contemptible pedants."

Journalists of that stamp are responsible for Jocko, Le Monstre Vert, Les Lions de Mysore, and a thousand other charming conceits.

They are constantly complaining of being obliged to read books and see plays. Apropos of a paltry vaudeville, they will talk about flowering almond-trees, limes that perfume the air, the breezes of spring, the odor of the young foliage; they set up for lovers of nature after the style of young Werther, and yet they have never set foot outside of Paris and could not tell a cabbage from a beet.--If it is winter, they prate about the joys of the domestic fireside, and the crackling fire, and the andirons, and the slippers, and the reverie and the state between sleeping and waking; they never fail to quote Tibullus's famous line:

    Quam juvat immites ventos audire cubantem,

by the aid of which they assume a knowing and at the same time ingenuous air, the most fascinating thing imaginable. They pose as men upon whom the work of men can no longer make any impression, whom the emotions aroused by the drama leave as cold and hard as the knife with which they cut their quills, but who exclaim, nevertheless, with Jean Jacques Rousseau: "Ah! there's the periwinkle!" They profess fierce antipathy to the colonels at the Gymnase, the American uncles, the cousins, male and female, the sensitive old grumblers, the romantic widows, and try to cure us of the vaudeville by proving every day by the _feuilletons_ that all Frenchmen are not born wicked.--In truth, we see no great harm in that, but the contrary, and we are glad to acknowledge that the extinction of the vaudeville or the opera-comique in France--national style--would be one of the greatest benefactions that the press and Heaven could bestow.--But I should be very glad to know what species of literature these gentlemen would allow to be established in its place. To be sure, it could be no worse.

Others preach against false taste and translate Seneca the tragedian. Lastly, and to close the procession, a new battalion of critics has been formed, of a species never before seen.

Their formula for estimating a work is the most convenient, the most elastic, the most malleable, the most peremptory, the most superlative, and the most successful that a critic ever could have conceived. Zoilus would certainly have lost nothing thereby.

Hitherto, when it has seemed desirable to depreciate a work of any sort or to cast odium upon it in the eyes of the patriarchal and simple-minded subscriber, the ordinary method has been to make false or cunningly isolated quotations; to maim sentences and mutilate lines in such a way that the author himself would have considered himself the most ridiculous creature on earth; to bring accusations of imaginary plagiarisms; to place passages from his book side by side with passages from ancient or modern authors, which had not the least connection therewith; to accuse him, after the style of a cook and with innumerable solecisms, of not knowing his own language and of degrading the French of Racine and Voltaire; to assert in all seriousness that his book tended toward anthropophagy, and that readers would infallibly become cannibals or have hydrophobia in the course of the week; but all that was paltry, out of date, false and fossilized to the last degree. By dint of having dragged along through _feuilletons_ and _Variétés_ articles, the charge of immorality became insufficient, and so unfit for service that the _Constitutionnel_, a bashful and progressive journal, as we know, was almost the only one that had the desperate courage to continue to use it.

So they invented the criticism of the future, the Prospective criticism. Can you imagine, at first thought, what a charming thing it is and what a prolific imagination it indicates? The recipe is simple and I can tell you what it is. The book that will be considered fine and will be praised is the book that has not yet appeared. The one that has just appeared is infallibly detestable. The one to appear to-morrow will be superb; but it is always to-day. It is the same with this sort of criticism as with the barber who had these words in huge letters for his sign:

        SHAVING FREE HERE TO-MORROW.

All the poor devils who read the placard promised themselves for the next day the ineffable, sovereign sweetness of being barbered once in their lives without unloosing their purse-strings: and the hair on their chins easily grew half a foot during the night that preceded that blessed day; but when they had the napkin around their necks, the barber asked them if they had any money and bade them pay up, or he would treat them like nut-pickers or apple-gatherers of Le Perche; and he swore a mighty _sacre dieu_ that he would cut their throats with his razor unless they paid him; and when the poor devils, whining and whimpering, talked about the sign and the sacrosanct inscription:--"Ha! ha! my little fatties!" said the barber, "you don't know so much after all, and you'd much better go back to school! The sign says: 'To-morrow!' I'm no such whimsical fool as to shave for nothing to-day; my confrères would say I was throwing away my trade.--Come another time, come the week that has two Sundays together, and you'll find everything all right. May I be called a niggardly fellow and a flat, if I don't shave you for nothing, on the word of an honest barber."

Authors who read a prospective article in which an existing work is attacked always flatter themselves that the book they are writing will be the book of the future. They try to accommodate themselves, as much as possible, to the ideas of the critic, and become socialists, progressives, moralizers, palingenetics, mystics, pantheists, buchezists, thinking in that way to escape the anathema; but the same thing happens to them that happened to the barber's customers:--to-day is not the eve of to-morrow. The to-morrow that we hear so much about will never shine upon the world; for the formula is too convenient to be abandoned so soon. Even while decrying the book of which they are jealous and which they would be glad to annihilate, they put on the gloves of the most generous impartiality. They apparently ask nothing better than to approve and praise it, and yet they never do it. This recipe is very superior to the one that we might call retrospective, which consists in vaunting ancient works only--works which no one reads and no one cares about--at the expense of modern books, which people do think about and which wound their self-esteem more directly.

We said, before beginning this review of messieurs the critics, that the material would fill fifteen or sixteen folio volumes, but that we would content ourselves with a few lines; I am beginning to fear that those lines will prove to be each two or three thousand fathoms long and will resemble those thick, bulky pamphlets that a cannon-ball would not make a hole through, which bear the perfidious title: "A word concerning the Revolution," a word concerning this or that. The history of the doings of the manifold loves of the goddess Madeleine de Maupin, would run great risk of being elbowed out of the first book, and you will understand that two whole volumes are not too much to sing worthily the adventures of that lovely Bradamante.--That is why, however much we may desire to continue the blazonry of the illustrious Aristarchuses of the age, we will content ourselves with the partial sketch we have drawn, adding a few reflections concerning the good-nature of our easy-going confrères in Apollo, who, as stupid as the Cassander of pantomime, stand still to receive the blows from Harlequin's lath and the clown's kicks in the stern, without budging any more than an idol.

They resemble a fencing-master, who should fold his arms behind his back during a bout, and receive all his opponent's thrusts in his unprotected breast without attempting a single parry.

It is like the trial of a cause in which the king's attorney only is allowed to speak, or a debate in which no reply is permitted.

The critic puts forward this or that theory. He makes a great dash and ostentatious display. Absurd, detestable, monstrous; it resembles nothing, it resembles everything. A drama is produced, the critic goes to see it; he finds that it bears no resemblance to the drama he had constructed in his head on the strength of the title; thereupon he substitutes, in his _feuilleton_, his own drama for the author's. He interlards it with his erudite phrases; he relieves himself of all the knowledge he has collected the day before in some library, and belabors people to whom he ought to go to school, and the least of whom could teach greater men than he.

Authors endure this with a magnanimity, a long-suffering which seems to me truly inconceivable. After all is said and done, who are these critics whose tone is so cutting, whose words are so peremptory, that one would say they were veritable sons of the gods? they are simply men who were our school-fellows, and who have evidently profited less by their studies than we, since they have produced nothing and can do nothing but befoul and spoil the work of others like genuine Stymphalian vampires.

Would it not be worth while to criticise the critics? for those disgruntled great men, who are so fond of playing the magnificent and the fastidious, are far from being infallible like the Holy Father. There would be matter enough to fill a daily newspaper of the largest size. Their errors, historical or otherwise, their distorted quotations, their mistakes in grammar, their plagiarism, their drivel, their oft-repeated, ill-bred jests, their paucity of ideas, their lack of intelligence and tact, their ignorance of the simplest things which leads them to mistake the Piræus for a man and Monsieur Delaroche for a painter, would furnish authors with ample material for vengeance, without other labor than that of drawing a line under the passages and reproducing them word for word; for one does not receive a commission as a great writer with a commission as critic, and to reproach others for errors in language or taste is not enough to ensure one against making them himself; our critics prove it every day.--If Chateaubriand, Lamartine, and other men of that stamp should become critics, I could understand that people might go down on their knees and worship them; but that Messieurs Z. K. Y. V. Q. X., or any other letter of the alphabet between Alpha and Omega, should set themselves up as little Quintilians and scold you in the name of morality and good literature--that is what always disgusts me and sends me into an unparalleled rage. I would like to have a police ordinance issued prohibiting certain names from attacking certain others. To be sure, a cat may look at a king, and Saint-Peter's at Rome, giant that it is, cannot prevent the Transteverins from defiling its base in strange fashion; but I do not believe, nevertheless, that it would be a bad idea to inscribe upon certain monumental reputations:

             NO FILTH DEPOSITED HERE.

Charles X. alone understood the question. By ordering the suppression of newspapers he conferred a great service upon the arts and civilization. Newspapers are in a certain sense courtiers or jobbers, who interpose between artists and public, between king and people. We know the fine things that resulted therefrom. This perpetual barking and snarling benumbs inspiration and causes such a feeling of distrust in the heart and mind, that no one dares place his confidence either in a poet or in a government; the result being that royalty and poesy, the two greatest things in the world, become impossible, to the great detriment of the people, who sacrifice their well-being to the paltry pleasure of reading every morning a few vile sheets printed on vile paper, besmeared with vile ink, and filled with vile stuff. There was no criticism of art under Julius II., and I never heard of any _feuilleton_ on the subject of Daniel de Volterra, Sebastiano del Piombo, Michael Angelo, Raphael, Ghiberti della Porta, or Benvenuto Cellini; and yet I think that, for people who had no newspapers, who did not know the word _art_ or the word _artistic_, they had a fair share of talent and acquitted themselves reasonably well at their trade. The reading of newspapers hinders the growth of genuine scholars and genuine artists; it is like daily dissipation that brings you, enervated and weak, to the bed of the Muses, those harsh, exacting damsels who will have none but fresh and lusty lovers. The newspaper kills the book, as the book has killed architecture, as artillery has killed physical courage and muscular strength. No one realizes the pleasures that the newspapers deprive us of. They strip everything of its virginity; they prevent us from having anything of our own, even from owning a book all by ourselves; they deprive us of the pleasure of being surprised at the theatre by telling us beforehand how every play ends; they deprive us of the pleasure of spreading idle gossip and tittle-tattle and slander, of inventing false news or peddling genuine news for a whole week through every salon in society. They drone ready-made opinions to us, do what we will, and warn us against things we might like; by their means, dealers in phosphorous matches, although they have poor memories, discuss literature as impertinently as provincial academicians; by their means we hear, all day long, in place of artless opinions or individual nonsense, ill-digested fragments of newspapers, which resemble omelets half cooked on one side and burned on the other,--and we are pitilessly stuffed with news three or four hours old, which children at the breast already know; they deaden our taste, they make us like those people who drink spiced brandy, and those who swallow lemons and grape-stalks, and lose the flavor of the most generous wines and cannot appreciate their delicate, perfumed bouquet. If Louis-Philippe should suppress all literary and political journals once for all, I should be infinitely grateful to him and I would dash off on the spot a fine, rambling dithyramb, in soaring verse with alternate rhymes; signed: "Your most humble and loyal subject," etc. Pray do not imagine that there would be no further interest in literature; in the days when there were no newspapers, a quatrain engrossed all Paris for a week, and a first performance for six months.

It is true that this step would result in the loss of advertisements and puffs at thirty sous a line, and notoriety would be less sudden and less overwhelming. But I have thought out a very ingenious way of replacing advertisements. If, between now and the day when this magnificent novel is placed on sale, my gracious sovereign shall have suppressed the newspapers, I shall most assuredly make use of it, and I anticipate wonders therefrom. When the great day arrives, twenty-four mounted criers, in the livery of Renduel, with his address on their backs and breasts, carrying banners in their hands with the title of the novel embroidered on both sides, each preceded by a drummer and kettle-drummer, will ride through the city, and, halting on all the squares and corners, will shout in a loud, distinct voice: "To-day, not yesterday or to-morrow, is placed on sale the admirable, the inimitable, the divine and more than divine novel by the most illustrious Théophile Gautier, _Mademoiselle de Maupin_, which Europe, not to mention other parts of the world and Polynesia, has been awaiting so impatiently for a year and more. It is selling at the rate of five hundred a minute, and editions follow one another from half-hour to half-hour; the nineteenth is already on sale. A detachment of municipal guards is stationed at the door of the shop, holding back the crowd and preventing all confusion." Surely that would be worth as much as three lines in the _Débats_ or the _Courrier Français_, between advertisements of elastic belts, hoop-skirts, nursing-bottles with indestructible teats, Regnault paste, and remedies for fluor albus.

_May, 1834._


[Footnote 1: April fools--literally, April fishes.]

[Footnote 2: New Bridge.]



MADEMOISELLE DE MAUPIN


I


You complain, my dear friend, of the infrequency of my letters.--What would you have me write you except that I am well and that my affection for you never changes?--Those are facts that you know perfectly well, and that are so natural to my age and to the noble qualities that every one recognizes in you, that it is almost absurd to send a paltry sheet of paper a hundred leagues to say nothing more.--In vain do I cudgel my brains, I know of nothing that is worth the trouble of repeating; mine is the most monotonous life imaginable and nothing happens to break the monotony. To-day leads up to to-morrow as yesterday led up to to-day; and without claiming to be a prophet, I can boldly prophesy in the morning what will happen to me in the afternoon.

This is how I arrange my day:--I rise, that goes without saying, and that is the beginning of every day; I breakfast, I fence, I go out to walk, I come home, I dine, make a few calls or amuse myself reading: then I go to bed precisely as I did the day before; I go to sleep, and as my imagination is not excited by unfamiliar objects, it supplies me with none but threadbare, often repeated dreams, as monotonous as my actual life: all this is not very entertaining, as you see. However, I reconcile myself to this existence better than I should have done six months ago.--I am bored, to be sure, but in a tranquil, resigned fashion, which does not lack a certain agreeableness, which might well be compared to those gray, mild autumn days in which one finds a secret charm after the excessive heat of summer.

This sort of existence, although I have apparently accepted it, is hardly suited to me, however, or, at all events, it bears but little resemblance to the existence I dream of and consider myself well adapted for.--Perhaps I am mistaken and am in reality adapted for no other kind of life than this; but I can hardly believe it, for, if it were my real destiny, I should more readily have adapted myself to it and should not be so painfully bruised by its sharp corners in so many places.

You know what a powerful attraction strange adventures have for me, how I adore everything out of the common course, extravagant and dangerous, and with what avidity I devour novels and tales of travel; I doubt if there is on this earth a madder, more vagabond fancy than mine; and yet, by some curious fatality or other, I have never had an adventure, I have never made a journey. So far as I am concerned, the tour of the world means the tour of the town in which I live; I touch my horizon on every side; I am elbow to elbow with reality. My life is that of the shell on the sand-bank, of the ivy clinging to the tree, of the cricket on the hearth.--Verily, I am surprised that my feet have never taken root.

Cupid is represented with a bandage over his eyes; Destiny should be represented in the same condition.

I have for a valet a sort of rustic boor, loutish and stupid enough, who has travelled as much as the north wind, who has been to the devil, to every conceivable place, who has seen with his eyes all the things of which I conceive charming ideas, and cares as little about them as about a glass of water; he has been in the most extraordinary situations; he has had the most amazing adventures that a man can have. I make him talk sometimes, and I rage inwardly when I think that all those fine things have happened to a clown who is capable neither of sentiment nor reflection, and who is good for nothing but to do what he does, that is to say, brush clothes and clean boots.

It is clear that that knave's life should have been mine.--For his part, he considers me very fortunate, and his surprise is unbounded when he sees how melancholy I am.

All this is not very interesting, my poor friend, and hardly worth the trouble of writing, is it? But as you insist upon it that I must write to you, I must tell you what I think and what I feel, and must give you the history of my ideas, in default of events and acts.--It may be that there will be little order and little novelty in what I shall have to say to you; but you must blame nobody but yourself for it. You would have it.

You are the friend of my childhood, I was brought up with you; we lived our lives in common for a long, long while, and we are accustomed to exchange our most secret thoughts. I can tell you, therefore, without blushing, all the absurd things that pass through my unoccupied brain; I will not add a word, I will not cut out a word, I have no self-love with you. So I will be absolutely frank--even in petty, shameful things; not before you, certainly, will I cover my nakedness.

Beneath the shroud of indifferent, depressed ennui to which I have referred just now, there stirs sometimes a thought that is benumbed rather than dead, and I have not always the sad and gentle tranquillity that melancholy gives.--I have relapses and fall back into my old attacks of agitation. Nothing in the world is so fatiguing as those motiveless paroxysms, those aimless impulses.--On those days, although I have no more to do than on any others, I rise very early in the morning, before sunrise, I have such a feeling of being in a hurry, of not having all the time I need; I dress in hot haste, as if the house were on fire, tossing on my clothes at random and bewailing a wasted minute.--Any one who happened to see me would think that I was going to keep an assignation or to hunt for money.--Not at all.--I have no idea where I shall go; but go I must, and I should think my salvation endangered if I remained at home.--It seems to me as if somebody were calling me outside, as if my destiny were passing through the street at the moment and the question of my life or death were on the point of being decided.

I go down with an air of surprise and alarm, clothes in disorder, hair uncombed: people turn to look and laugh when they meet me, and take me for a young rake who has passed the night at the ale-house or elsewhere. I am drunk to all intent, although I have drunk nothing, and I have the aspect of a drunken man even to the uncertain gait, now slow, now fast. I go from street to street like a dog that has lost his master, looking in every direction, ill at ease, on the alert, turning at the slightest sound, gliding into the centre of every group, heedless of the rebuffs of the people I jostle against, and scrutinizing everything with a clear-sightedness that I do not possess at other times.--Then all of a sudden it is made clear to me that I am mistaken, that that surely is not the place, that I must go on farther, to the other end of the town, Heaven knows where.--And I rush off as if the devil were after me.--I touch the ground only with the tips of my toes and I don't weigh an ounce.--Really I must be a strange sight with my terrified, frantic manner, my waving arms and the inarticulate cries I utter.--When I think it over in cold blood, I laugh at myself with all my heart, which doesn't prevent me, I beg you to believe, from doing it all over again on the first occasion.

If any one should ask me why I rush about so, I certainly should be much embarrassed to answer. I am in no hurry to arrive, as I am going nowhere. I am not afraid of being late, as I have no appointment.--No one is waiting for me--and I have no possible reason for hurrying so.

Is it because an opportunity to love, an adventure, a woman, an idea, a fortune, or anything else is missing in my life, and I am seeking it unconsciously, impelled by a vague instinct? is my existence struggling to complete itself? is it a longing to get away from myself and my surroundings, the tiresomeness of my life and the wish for something different? It is one of these, or perhaps all of them together.--At all events, it is a very unpleasant experience, a feverish irritation ordinarily succeeded by the most complete collapse.

I often have the idea that, if I had started an hour earlier, or if I had quickened my gait, I should have arrived in time; that, while I was passing through one street, the thing I was looking for passed through another, and that a block of carriages was enough to make me miss what I have been pursuing, regardless of everything else, for so long a time.--You cannot imagine the intense melancholy and profound despair into which I fall when I see that all this comes to nothing and that my youth is passing and no prospect opening before me; thereupon all my idle passions mutter in my heart and devour each other for lack of better food, like the wild beasts in a menagerie whom the keeper has forgotten to feed. Despite the stifled, unacknowledged disappointments of every day, there is something within me that resists and will not die. I have no hope, for, in order to hope, one must have a desire, a certain propensity to wish that things should turn out in one way rather than another. I desire nothing, for I desire everything. I do not hope, or rather I have ceased to hope;--this is too absurd--and it is absolutely one to me whether a thing is or is not.--I am waiting--for what? I don't know, but I am waiting.

It is a shuddering sort of expectation, overflowing with impatience, broken with somersaults and nervous movements, like the suspense of a lover waiting for his mistress.--Nothing comes;--I fly into a passion or begin to weep.--I am waiting for heaven to open and an angel to descend and make some revelation to me, for a revolution to break out and the people to give me a throne, for one of Raphaël's virgins to step out of its canvas and come and embrace me, for relations that I don't possess to die and leave me the wherewithal to set my fancy afloat upon a sea of gold, for a hippogriff to snatch me up and bear me away into unknown regions.--But whatever I am waiting for, it certainly is nothing commonplace and ordinary.

It has gone so far that, when I return home, I never fail to ask: "Has no one been here? is there no letter for me? nothing new?"--I know perfectly well that there is nothing, that there can be nothing. That makes no difference; I am always much surprised and much disappointed when I receive the regular reply:--"No, monsieur--nothing at all."

Sometimes--very rarely, however--the idea takes a more definite form.--It will be some lovely woman whom I don't know and who doesn't know me, whom I have met at church or at the theatre and who has not taken the slightest notice of me.--I rush all over the house, and until I have opened the door of the last room--I hardly dare confess it, it is so utterly absurd--I hope that she has come and is there.--It is not conceit on my part.--I am so far from being conceited that several women have taken a most affectionate interest in me--at least so others have told me--when I had supposed them to be entirely indifferent to me and never to have thought much about me.--That comes from another source.

When I am not stupefied by ennui and discouragement my mind awakes and recovers all its former vigor. I hope, I love, I desire, and my desires are so violent that I imagine they will force everything to come to them, as a powerful magnet attracts bits of iron although they are at a great distance.--That is why I wait for the things I desire, instead of going to them, and I often neglect opportunities that open most favorably before my hopes.--Another than I would write the most amorous note you can imagine to his heart's divinity, or would seek an opportunity to approach her.--But I ask the messenger for the reply to a letter I have not written, and pass my time constructing in my brain situations most marvellously adapted to exhibit me to the woman I love in the most unlooked-for and most favorable light.--I could make a book thicker and more ingenious than the Stratagems of Polybius of all the stratagems I invent to make my way to her presence and reveal my passion to her. Generally it would be enough to say to one of my friends: "Present me to Madame So-and-So," and to indulge in a mythological compliment suitably punctuated with sighs.

After listening to all this, one would naturally think me a fit subject for the Petites-Maisons; I am a sensible fellow enough, however, and I haven't carried many mad ideas into execution. All this takes place in the cellar of my brain, and all these ridiculous ideas are very carefully buried in my lowest depths; no one notices anything on the outside, and I am reputed to be a calm, cold young man, by no means susceptible to female charms and indifferent to things affected by most young men of my age; all of which is as far from the truth as society's judgments usually are.

However, in spite of all the things that have happened to dishearten me, some of my longings have been gratified, and from the small amount of pleasure their gratification has afforded me, I have come to dread the realization of the others. You remember the childish ardor of my longing to have a horse of my own? my mother gave me one very recently; he is as black as ebony, with a little white star on his face, flowing mane and tail, glossy coat, slender legs, just exactly the horse I wanted. When they brought him to me, it gave me such a shock, that I was as pale as death, and unable to recover myself, for a good quarter of an hour; then I mounted him, and started off at a gallop without saying a word; I rode straight ahead through the fields for more than an hour, in a state of ecstasy hard to conceive; I did the same every day for more than a week, and, upon my word, I don't know why I didn't founder him, or at least break his wind.--Gradually my intense zeal slackened. I rode my horse at a trot, then at a walk, then I began to ride so indifferently that he would frequently stop without my noticing it: the pleasure was transformed to a habit much more quickly than I supposed.--As for Ferragus--that is the name I gave him--he is really the most beautiful creature you can imagine. The hair on his feet is like the down on a young eagle; he is as active as a goat and as gentle as a lamb. You will enjoy above all things taking a gallop on him when you come here; and, although my passion for equestrianism has grown decidedly cool, I am still very fond of him, for he has a very estimable equine character and I very much prefer him to many human beings. If you could hear his neigh of delight when I go to see him in his stable, and how intelligent his eyes are when he looks at me! I confess that I am touched by those marks of affection, and I put my arm around his neck and kiss him as affectionately, on my word, as if he were a lovely girl.

I had another longing also, more intense, more ardent, more constantly awake, more dearly cherished, upon which I had built a fascinating house of cards in my mind, a palace of chimeras, very often demolished, and reared again with desperate constancy;--it was to have a mistress--a mistress all my own--like the horse.--I cannot say whether the realization of that dream would have cooled my ardor as speedily as the realization of the other; I doubt it. But perhaps I am wrong, perhaps I should have grown weary as quickly.--It is a peculiarity of my disposition that I crave so frantically what I desire, although I never do anything to procure it, that if by chance, or by any other means, I attain the object of my desire, I am so afflicted with moral weakness and confused to such an extent, that I feel faint and ill, and have no strength left to enjoy it: so it is that the things that come to me without my having wished for them ordinarily afford me more pleasure than those I have most eagerly coveted.

I am twenty-two years old; I am not virgin.--Alas! nowadays nobody is so at that age,--either in body--or in heart--which is much worse.--Aside from those who afford pleasure to men for money, and who ought not to count any more than a bad dream, I have had, here and there, in some dark corner, divers virtuous, or almost virtuous women, neither lovely nor ugly, neither young nor old, such as fall in the way of a young man who has no settled attachment and whose heart is disengaged.--With a little good will and a considerable dose of romantic illusion, you can call that having a mistress, if you choose.--So far as I am concerned, it is impossible, and if I should have a thousand of that sort I should still consider my longing as far from accomplishment as ever.

I have had no mistress, therefore, and my sole desire is to have one.--It is a matter that disturbs me strangely; it isn't an effervescent temperament, a boiling of the blood, the first glow of virility. It is not woman that I want, it is a woman, a mistress; I want her, I will have her, and before long; if I don't succeed, I admit that I shall never get over it and that I shall retain an inward timidity, a secret discouragement that will have a serious influence on the rest of my life.--I shall consider myself lacking in certain respects, inharmonious, incomplete--deformed in mind or heart; for, after all, what I ask is no more than fair, and nature owes it to every man. So long as I fail to gain my end, I shall look upon myself as nothing more than a child, and I shall not have the confidence in myself that I ought to have.--A mistress for myself, that is the _toga virilis_ for a young Roman.

I see so many men, despicable in every respect, with lovely women whose lackeys they are hardly worthy to be, that a blush rises to my cheeks for the women--and for myself.--It gives me a pitiable opinion of women to see them sully themselves with such blackguards who despise and deceive them, rather than bestow themselves upon some loyal, sincere young man who would deem himself very fortunate and would adore them on bended knees; myself, for example. To be sure, that sort of creature frequents salons, struts about in all weathers, and is always sprawling over the back of some easy-chair, while I stay at home, with my face against the window-pane, watching the river steam and the mist rise, while rearing silently in my heart the perfumed sanctuary, the marvellous temple in which I am to set up the future idol of my soul.--A chaste and poetical occupation which makes women feel as little kindly toward you as possible.

Women have very little liking for contemplative men and take strangely to those who put their ideas into action. After all, they are not wrong. Compelled by their education and social position to hold their tongues and to wait, they naturally prefer those men who come to them and talk, for they relieve them from an unnatural and wearisome silence: I realize all that; but never as long as I live shall I be able to make up my mind, as I see many men do, to leave my seat, walk across a salon and say unexpectedly to a woman: "Your dress makes you look like an angel," or: "Your eyes are particularly bright to-night."

All this does not make it any less essential for me to have a mistress. I don't know who it will be, but I see no one among the women I know who can fill that dignified and important position properly. I find in them but very few of the qualities I must have. Those who are young enough haven't sufficient beauty or charm of mind; those who are young and beautiful are disgracefully and repulsively virtuous or lack the necessary freedom of action; and then there is always some husband or brother about, or a mother or an aunt, or I don't know what, who has big eyes and long ears, and whom one must cajole or throw out of the window.--Every rose has its grub, every woman has heaps of relations whom you must get rid of like the caterpillars on a tree, if you want to pluck the fruit of her beauty some day. There is not one of them, even to the third cousins in the provinces, whom no one has ever seen, who is not determined to maintain his or her dear cousin's immaculate purity in all its snowy whiteness. That is nauseating, and I shall never have the necessary patience to tear up all the rank weeds and lop off the thorns that fatally obstruct the approaches to a pretty woman.

I don't care much for mammas and I care still less for little girls. I must confess, too, that married women have very moderate attractions for me.--There is a confusion and mixture in the latter case that disgust me; I cannot endure the idea of going shares. The woman who has a husband and a lover is a prostitute to one of them, often to both, and then I could never consent to give place to another. My natural pride would be incapable of stooping to such degradation. Never will I go away because another man is coming. Though the woman should be compromised and ruined, though we should fight with knives, each with one foot on her body--I would remain.--Secret staircases, closets, wardrobes, and all the machinery of adultery would be poor expedients with me.

I am but little enamored of what is known as virgin purity, the innocence of the flower of life, purity of heart, and other charming things which sound most beautiful in verse; I call it all pure nonsense, ignorance, imbecility, or hypocrisy.--Virgin purity, which consists in sitting on the edge of a chair, with the arms pressed close against the body, the eye on the point of the corset, and in speaking only after permission from its grandparents, the innocence which has a monopoly of uncurled hair and white dresses, the purity of heart which wears the corsage high in the neck, because it has as yet no breast or shoulders, do not seem to me, in very truth, a marvellously tempting pleasure.

I am not at all anxious to teach little fools to say the alphabet of love.--I am not old enough or corrupt enough to take any great pleasure in that. I should have but ill-success, too, for I have never had the knack of teaching anybody, even the things that I knew best. I prefer women who can read freely, you get to the end of the chapter sooner; and in all things, but especially in love, what one must consider, is the end. In that respect I am much like those people who take a novel by the tail and read the conclusion first, being prepared then to go backward to the first page. That method of reading and loving has its charm. One relishes the details better when one's mind is at ease concerning the end, and reversing the natural order of things brings the unexpected to pass.

So young girls and married women are excluded from the category. Therefore we must select our divinity from among the widows.--Alas! I am very much afraid that although we have nothing left but them, we shall still fail to find what we want.

If I should fall in love with one of those pale narcissuses bathed in a warm dew of tears and stooping with melancholy grace over the brand-new marble gravestone of some husband happily and recently deceased, I should certainly be, and in a very short time, as unhappy as the defunct spouse in his lifetime. Widows, however young and charming they may be, have one terrible inconvenience that other women have not; the instant that everything does not go well with them and the slightest cloud floats across the sky of love, they say at once, with a high and mighty, contemptuous manner: "Oh! how you act to-day! You are exactly like monsieur: when we quarrelled he never said anything but that; it's very strange, you have the same tone and the same expression; when you are angry, you can't imagine how much you resemble my husband:--it's enough to make one shudder."--It's very pleasant to have such things thrown in your face point-blank! There are some who carry their impudence to the point of praising the departed like an epitaph and extolling his heart and his leg at the expense of your leg and your--heart.--With women who have only one or several lovers, one has, at all events, the inestimable advantage of never hearing of one's predecessor, which is no trifling consideration. Women have too great an affection for what is proper and legitimate not to be very careful to keep quiet under such circumstances, and all those matters are relegated as speedily as possible to the old records.--It is always understood that one is always a woman's first lover.

I do not consider that there is any serious answer to be made to such a well-founded aversion. It is not that I look upon widows as altogether unpleasing, when they are young and pretty and haven't put off their mourning. There are the little languishing airs, the little tricks of letting the arms fall, bending the neck and puffing up like a half-fledged turtle-dove; a multitude of charming mannerisms prettily veiled behind the transparent mask of crêpe, a coquetry of despair so skilfully managed, sighs so adroitly husbanded, tears that fall so in the nick of time and make the eyes so bright!--Certainly, after my wine, if not before, the liqueur I love best to drink is a lovely, clear, limpid tear trembling at the end of a dark or light eyelash.--How is a man to resist that!--We don't resist it;--and then black is so becoming to women!--The fair skin, poetry aside, turns to ivory, snow, milk, alabaster, to everything pure and white on earth that madrigal-makers can use: the dark skin has only a dash of brown, full of animation and fire.--Mourning is good fortune for a woman, and the reason why I shall never marry is that I am afraid my wife would get rid of me in order to wear mourning for me.--There are women, however, who do not know how to make the most of their affliction and who weep in such a way as to make their noses red and to distort their features so that they look like the grotesque figures we see on fountains: that's a great stumbling-block. A woman must have many charms and much art to weep agreeably; lacking those, she runs the risk of not being consoled for a long time.--Nevertheless, great as the pleasure may be of making some Artemisia unfaithful to the shade of her Mausolus, I do not intend to choose definitely, from among the lamenting swarm, the one whom I will ask to give me her heart in exchange for mine.

I hear you say at that: "Whom will you take, then?--You won't have unmarried girls nor married women, nor widows.--You don't love mammas; I don't imagine that you love grandmammas any better.--Whom in the devil do you love?"--That is the key to the charade, and if I knew it I should not torment myself so. Thus far I have never loved any woman, but I have loved and I do love _love._ Although I have had no mistresses and the women I have had have aroused in me nothing but desire, I have felt and I know the sensation of love itself: I do not love this one or that one, one rather than another, but some one I have never seen, who must exist somewhere, and whom I shall find, God willing. I know what she looks like, and when I meet her I shall know her.

I have very often imagined the place she lives in, the dress she wears, the color of her eyes and her hair.--I can hear her voice; I should know her step among a thousand others, and if, by chance, any one should mention her name, I should turn to look; it is impossible that she should not have one of five or six names I have assigned to her in my head.

She is twenty-six years old--no more, neither less nor more.--She is not ignorant and she has not yet become _blasé._ It is a charming age at which to make love as it should be made, without puerile nonsense and without libertinage.--She is of medium height. I don't like a giant or a dwarf. I want to be able to carry my deity from the sofa to the bed without assistance; but it would be unpleasant to me to have to hunt for her there. She must be just tall enough to put her mouth to mine for a kiss by standing on tiptoe. That is the proper height. As for her size, she is rather plump than thin. I am a little of a Turk on that point, and it would be very disagreeable to me to find an angle where I was looking for a rounded outline; a woman's skin should be well filled out, her flesh hard and firm as the pulp of an almost ripe peach: the mistress I shall have is made in just that way. She is a blonde with black eyes, the fair skin of a blonde and the rich coloring of a brunette, something red and sparkling in her smile. The lower lip a little thick, the pupil of the eye swimming in a sea of aqueous humor, the throat well-rounded and small, the wrists slender, the hands long and plump, the gait undulating like a snake rearing on its tail, the hips full and flexible, the shoulders broad, the back of the neck covered with down;--a refined and yet healthy style of beauty, animated and graceful, poetic and human; a sketch by Giorgione executed by Rubens.

This is her costume! she wears a dress of scarlet or black velvet slashed with white satin or cloth of silver, an open corsage, a huge ruff _à la_ Medici, a felt hat, capriciously dented like Helena Systerman's, and long white feathers crisp and curled, a gold chain or a stream of diamonds around her neck, and on all her fingers a number of large rings of various enamels.

I would not waive a single ring or bracelet. The dress must be of velvet or brocade; if I should allow her to descend to satin, it would be the utmost concession I would make. I would rather rumple a silk skirt than a cotton one, and pull pearls or feathers from a head than natural flowers or a simple knot of ribbon; I am aware that the lining of the cotton skirt is often at least as appetizing as that of the silk skirt; but I prefer the latter.--And so, in my dreams, I have taken for my mistress many queens, many empresses, many princesses, many sultanas, many famous courtesans, but never middle-class women or shepherdesses; and in my most vagabond desires, I have never taken advantage of any one on a carpet of turf or in a bed of Aumale serge. I consider that beauty is a diamond which should be mounted and set in solid gold. I cannot imagine a lovely woman who has not a carriage, horses, servants, and everything that one has with a hundred thousand francs a year: there is a certain harmony between beauty and wealth. One demands the other; a pretty foot calls for a pretty shoe, a pretty shoe calls for carpets and a carriage, and so on. A lovely woman with mean clothes in a wretched house is, to my mind, the most painful spectacle one can see, and I could never fall in love with her. Only the comely and the rich can fall in love without making themselves ridiculous or pitiable.--On that principle few people have the right to fall in love: I myself should be shut out first of all; however, that's my opinion.

It will be evening when we meet for the first time--during a lovely sunset;--the sky will have the bright orange-yellow and pale-green tints that we see in some pictures by the great masters of the old days: there will be a broad avenue of chestnuts in flower and venerable elms all covered with ringdoves,--lovely trees clothed in cool dark green, shadows full of mystery and moisture; here and there a statue or two, some marble vases, standing out in their snowy whiteness against the background of verdure, and a sheet of water in which the familiar swan disports itself,--and in the background a château of brick and stone as in the days of Henri IV., pointed, slate-covered roof, tall chimneys, weather-cocks on every gable, long, narrow windows.--At one of the windows, leaning in melancholy mood upon the balcony rail, stands the queen of my heart in the costume I described to you a moment ago; behind her is a little negro carrying her fan and her parrot.--You see that nothing is lacking and that it is all utterly absurd.--The fair one drops her glove;--I pick it up, kiss it and return it. We engage in conversation; I display all the wit that I do not possess; I say some charming things; she answers me, I retort; it is a display of fireworks, a luminous shower of dazzling repartee.--In short, I am adorable--and adored.--The supper hour arrives, she invites me to join her;--I accept.--What a supper, my dear friend, and what a cook my imagination is!--The wine laughs in the crystal goblet, the white and gold pheasant smokes in a platter bearing her crest: the feast is prolonged far into the night and you can imagine that I don't finish up the night at home.--Isn't that a fine bit of imaginative work?--Nothing in the world could be simpler, and upon my word it's very surprising that it doesn't happen ten times rather than once.

[Illustration: Chapter I--_What a supper----The wine laughs in the crystal goblet, the white and gold pheasant smokes in a platter bearing her crest: the feast is prolonged far into the night and you can imagine that I don't finish up the night at home._]

Sometimes it is in a great forest.--The hunt sweeps by; the horn rings out, the pack gives tongue and crosses the path with the swiftness of lightning; the fair one in a riding habit is mounted on a Turkish horse, white as milk, spirited and swift beyond words. Although she is an excellent horsewoman, he paws and curvets and rears, and she has all the difficulty in the world in holding him; he takes the bit in his teeth and rushes straight toward a precipice with her. I fall from heaven for the express purpose of saving her, I stop the horse, I catch the swooning princess in my arms, I bring her to herself and escort her to her château. What well-born woman would refuse her heart to a man who has risked his life for her?--None;--and gratitude is a cross-cut that leads very quickly to love.

You will agree, at all events, that when I go into romance, I don't stop half-way, and that I am as mad as it is possible for a man to be. That is as it should be, for nothing in the world is more sickening than rational madness. You will agree also that, when I write letters, they are volumes rather than simple notes. I love whatever goes beyond ordinary bounds in everything.--That is why I love you. Don't laugh too much at all the nonsense I have scribbled; I lay aside my pen to carry some of it into execution; for I recur always to my refrain! I mean to have a mistress. I cannot say whether it will be the lady of the park or the lady of the balcony, but I bid you farewell to go in quest of her. My mind is made up. Though she whom I seek should hide herself in the heart of the kingdom of Cathay or Samarcand, I shall find a way to dislodge her. I will let you know of the success or non-success of my undertaking. I hope that it will be success: give me your prayers, my dear friend. As for myself, I dress up in my best coat, and go out of the house determined not to return except with such a mistress as I have in my mind.--I have dreamed long enough; now to work.

P.S.--Tell me something about little D----; what has become of him? no one here knows anything about him; and give my compliments to your good brother and all the family.



II


Well, my friend, I have come home again, I have not been to Cathay or Cashmere or Samarcand;--but it is fair to say that I am no nearer having a mistress than ever.--And yet I took myself by the hand, I swore a mighty oath that I would go to the end of the world. I have not even been to the end of the town. I don't know what the matter is with me, but I have never been able to keep my word to anybody, even to myself: it must be that the devil takes a hand in it. If I say: "I will go there to-morrow," it is certain that I shall stay at home; if I propose to go to the wine-shop, I go to church; if I start to go to church, the roads get tangled under my feet like skeins of thread, and I find myself in an entirely different place. I fast when I have determined to have a debauch, and so it goes. Therefore I am inclined to believe that what prevents me from having a mistress is that I have determined to have one.

I must tell you about my expedition, step by step: it is well worth the honors of narration. I had passed at least two full hours at my toilet that day. I had had my hair combed and curled and my moustaches, such as they are, twisted and waxed a little; and as the excitement of longing imparted some slight animation to my ordinarily pale face, really I was not so bad. At last, after scrutinizing myself attentively in the mirror in different lights, to see if I was fine enough and if my bearing was sufficiently gallant, I went resolutely forth with head erect, chin well raised, eyes front, one hand on the hip, making the heels of my boots ring like an _anspessade_, elbowing the bourgeois, and with a flawlessly triumphant and all-conquering air.

I was like another Jason setting out to conquer the Golden Fleece.--But, alas! Jason was more fortunate than I: besides the conquest of the fleece, he made, at the same time, the conquest of a beautiful princess, and I--I have neither fleece nor princess.

I walked through the streets, eying all the women, and hurrying toward them and gazing at them at closer quarters when they seemed to me to be worth the trouble of examining.--Some assumed their high and mighty virtuous air and passed without raising their eyes.--Others were surprised at first, then smiled if they had white teeth.--Some turned after a little time, to look at me when they thought I was not looking at them, and blushed like cherries when they found themselves face to face with me.--It was a lovely day; there were quantities of people out walking.--And yet I must confess, notwithstanding all the respect I feel for that interesting half of the human race, which is called by common consent the fair sex, it is, as a whole, devilishly ugly: out of a hundred women there is hardly one who is passably good-looking. This one had a moustache; that one had a blue nose; others had red spots in place of eyebrows; one was not badly built, but she had a pimply face. The head of another was charming, but she could scratch her ear with her shoulder; a third would have put Praxiteles to shame with the graceful roundness of certain outlines, but she stumbled along on feet like Turkish stirrups. Another exhibited the most magnificent shoulders imaginable; in revenge, her hands resembled in shape and size those immense scarlet gloves that haberdashers use for signs.--Generally speaking, what tired-looking faces! how worn and streaked they were, withered by degrading petty passions and petty vices! What expressions of envy, of malevolent curiosity, of avarice, of brazen coquetry! and how much uglier is a woman who is not beautiful, than a man who is not handsome!

I saw nobody worth looking at--except a few grisettes;--but they have more cotton than silk to rumple, and they don't interest me.--In very truth, I believe that man, and when I say man I include woman, is the vilest animal on the face of the earth. That quadruped who walks on his hind feet seems to me extraordinarily presumptuous to claim the first place in creation as his undoubted right. A lion, a tiger, are finer animals than men, and in their species many individuals attain all the beauty that belongs to it. But such a thing rarely happens among human beings.--How many abortions for one Antinous! how many Goths for one Phyllis!

I am very much afraid, my dear friend, that I shall never be able to embrace my ideal, and yet there is nothing extraordinary or unnatural about it.--It is not the ideal of a third-form school-boy. I do not ask for ivory globes or alabaster pillars, or azure veins; I have not used in its composition either lilies, or snow, or roses, or jet, or ebony, or coral, or ambrosia, or pearls or diamonds; I have left the stars of heaven at rest, and I have not unhung the sun unseasonably. It is almost a bourgeois ideal, it is so simple, and it seems to me that with a bag or two of piastres I could find it all ready-made and realized in the first bazaar I might happen upon at Constantinople or Smyrna; it would probably cost me less than a blooded horse or dog; and to think that I shall not get what I want, for I have a feeling that I shall not! It is enough to drive a man mad, and I fly into the hottest sort of a rage against fate.

You are not such a mad fool as I, you are fortunate;--you have simply taken your life as it came, without tormenting yourself trying to shape it, and you have dealt with things as they turned up. You haven't sought for happiness, it has come in search of you; you love and are loved.--I don't envy you;--for Heaven's sake, don't think that! but I am not so happy as I ought to be when I think of your felicity, and I say to myself, with a sigh, that I would like to enjoy felicity of the same sort.

Perhaps my happiness passed by my side and I did not see it, blind that I was; perhaps a voice spoke, and the uproar of my internal tempests prevented me from hearing it.

Perhaps I have been loved in secret by some humble heart that I have neglected or broken; perhaps I have myself been the ideal of another, the pole-star of a suffering heart,--the dream of a night and the thought of a day.--If I had looked at my feet, perhaps I should have seen there some fair Magdalene with her box of ointment and her dishevelled hair. I walked along with my arms raised to heaven, longing to pluck the stars that fled from me, and scorning to pick the little daisy that opened its golden heart in the dewy grass. I have made a great mistake: I have asked love for something other than love, something that it could not give. I forgot that love was naked, I failed to grasp the meaning of that magnificent symbol.--I asked him for brocade dresses, feathers, diamonds, sublime intellect, learning, poesy, beauty, youth, supreme power--everything that is not love;--love can offer naught but love, and he who seeks to extort anything else from him is unworthy to be loved.

I have been in too much of a hurry, of course: my hour has not yet come; God who lent me my life will not take it back without letting me live. What's the use of giving a poet a lyre without strings, or man a life without love? God cannot be guilty of such inconsistency; and I have no doubt that when the allotted moment comes, He will place in my path the woman I am to love and by whom I am to be loved.--But why has love come to me before a mistress? Why am I thirsty when I have no fountain at which to quench my thirst? or why can I not fly, like the birds of the desert, to the spot where water is to be found? The world to me is a Sahara without wells or date-trees. I have not in my whole life a single shady nook to give me shelter from the sun: I suffer all the ardors of passion without its ineffable ecstasy and delight; I know its torments and have not its pleasures. I am jealous of something that does not exist; I am ill at ease for the shadow of a shade; I heave sighs that mean nothing; I have sleepless nights embellished by no adored vision; I shed tears that flow to the ground without being wiped away; I give the wind kisses that are not returned to me; I wear out my eyes trying to distinguish a vague, deceitful shape in the distance; I await what cannot come, and I count the hours with feverish anxiety as if I had an appointment.

Whoever you be, angel or demon, virgin or courtesan, shepherdess or princess, whether you come from north or south, you whom I do not know but whom I love! oh! do not force me to wait longer, or the flame will consume the altar, and you will find only a heap of cold ashes in place of my heart. Descend from the sphere where you now are; leave the crystal sky, O comforting spirit, and cast upon my heart the shadow of your great wings. Come, woman that I love, come, and let me clasp about you the arms that have been open so long. Ye golden doors of the palace where she dwells, turn on your hinges; raise yourself, latch of her humble cottage; untwine yourselves, ye branches of trees and thorns by the road-side; be broken, ye enchantments of the turret, ye spells of magicians; open, ranks of the common herd, and let her pass.

If you come too late, O my ideal! I shall not have the strength to love you:--my heart is like a dovecote full of doves. Every hour of the day some desire takes flight. The doves return to the dovecote, but my desires do not return to my heart.--The azure sky is whitened by their countless swarms; they wing their way through space, from world to world, from sky to sky, seeking some love to light upon and pass the night: haste, O my dream! or you will find naught in the empty nest save the shells of the birds that have flown.

My friend, my childhood's companion, you are the only one to whom I can say such things. Write me that you pity me and that you don't look upon me as a hypochondriac; comfort me, I never was in greater need of it; how greatly to be envied are they who have a passion they can satisfy! The drunkard finds no cruelty in any sort of a bottle; he falls from the wine-shop to the gutter and is happier on his dung-heap than a king on his throne. The sensual man resorts to courtesans in search of ready loves or shameless refinements of indecency: a painted cheek, a short skirt, an exposed bosom, an obscene jest, he is happy; his eye turns white, his lip is moist; he attains the height of his happiness, he enjoys the ecstasy of his vulgar lust. The gambler needs only a green cloth and a worn and greasy pack of cards to procure the poignant excitement, the nervous spasms and the diabolical joy of his ghastly passion. Such people can satisfy their cravings or find distraction;--to me it is impossible.

This idea has taken such thorough possession of me that I no longer care for the arts, and poetry has now no charm for me; the things that used to be my delight do not make the least impression on me. I begin to believe that I am wrong, I demand more of nature and society than they can give. What I seek does not exist and I ought not to complain because I cannot find it. However, if the woman we dream of does not come within the conditions of human nature, how is it that we love only her and not others, since we are men and our instinct should draw us irresistibly toward them? What puts this imaginary woman into our head? with what clay do we mould this invisible statue? where do we get the feathers we fasten to the back of this chimera? what mystic bird laid in a dark corner of our soul the unseen egg from which our dream was hatched? what is this abstract beauty that we feel but cannot define? why, before a woman who may be charming, do we sometimes say that she is beautiful,--whereas we find her very ugly? Where is the model, the type, the interior pattern that serves us as a point of comparison? for beauty is always comparative and can be appreciated only by contrast.--Was it in the sky that we saw her--in a star--at a ball in the shadow of a mother, fresh bud of a leafless rose?--was it in Italy or in Spain? was it here or there, yesterday or long ago? was it the admired courtesan, the popular cantatrice, the prince's daughter? a proud and noble head bending under a heavy diadem of pearls and rubies? a young and childish face stooping over the nasturtiums and volubilis in the window?--Of what school was the picture from which that beauty looked forth, fair and beaming amid dark shadows? Was it Raphael who caressed the contour that has caught your fancy? Was it Cleomenes who polished the marble that you adore?--are you in love with a Madonna or a Diana?--is your ideal an angel, a sylph, or a woman?

Alas! it is a little of all of these and it is none of them.

That transparent tint, that charming, blooming freshness, that flesh wherein the blood and the life flow in abundance, that lovely fair hair falling over the shoulders like a cloak of gold, that sparkling laughter, those amorous dimples, that figure undulating like a flame, that strength, that suppleness, that glistening satin, those rounded outlines, those plump arms, that full, smooth back, that whole appearance of blooming health belongs to Rubens.--Raphael alone could have given that pale tinge of amber to such pure features. What other than he drew the curves of those long, fine black eyebrows, and spread out the lashes of those modestly lowered lids?--Do you think that Allegri had no part in your ideal? From him the lady of your thoughts stole the warm, ivory whiteness of complexion that fascinates you. She stood long before his canvas to catch the secret of the angelic smile that is always on her lips; she modelled her oval features upon those of a nymph or a saint. That line of the hip that undulates so voluptuously is taken from the sleeping Antiope.--Those plump, well-shaped hands might be claimed by Danaë or Magdalen. Dusty antiquity itself supplied much material for the composition of your young chimera; those strong and supple loins, about which you twine your arms so passionately, were carved by Praxiteles. The divinity left everything for the express purpose of putting the toes of her charming foot outside the ruins of Herculaneum, so that your idol should not be lame. Nature also has contributed its share. You have seen here and there, in the prismatic rays of desire, a beautiful eye behind a blind, an ivory forehead pressed against a window, a mouth smiling behind a fan.--You have divined the quality of the arm from the hand, of the knee from the ankle. What you saw was perfect; you assumed that the rest was like what you saw and you finished it out with bits of other beauties gathered elsewhere.--Not even ideal beauty, as realized by painters, is sufficient for you, and you must go and ask the poets for outlines even more gracefully rounded, shapes more ethereal, charms more divine, refinement more exquisite; you begged them to give breath and speech to your phantom, all their love, all their musings, all their joy and their sadness, their melancholy and their morbid fancies, all their memories and all their hopes, their knowledge and their passion, their mind and their heart; you took all these from them and you added, to cap the climax of the impossible, your own passion, your own mind, your dreams and your thoughts. The star lent its beams, the flower its perfume, the palette its colors, the poet his harmony, the marble its shape, and you, your longing.--How could a real woman, who eats and drinks, who goes to bed at night and gets up in the morning--however adorable and instinct with charm she may be--sustain comparison with such a creature! We cannot reasonably hope for such a thing, and yet we do hope for it and seek it.--What extraordinary blindness! it is sublime or absurd. How I pity and admire those who pursue the reality of their dream through everything and die content, if only they have once kissed their chimera on the lips! But what a frightful fate is that of the Columbuses who have not discovered their world, and of lovers who have not found their mistress.

Ah! if I were a poet, I would consecrate my verses to those whose existence is a failure, whose arrows have not reached the target, who have died with the word they had to say still unsaid and without pressing the hand that was destined for them; to all who have been unsuccessful or have passed by unnoticed, to genius without issue, stifled fire, the undiscovered pearl at the bottom of the sea, to all who have loved without being loved, to all who have suffered and not been pitied;--it would be a noble task.

How wise it was of Plato to wish to banish you from his republic, and what harm you have done us, O poets! Your ambrosia has made our absinthe more bitter than ever; and we have found our lives more arid and more devastated after plunging our eyes into the vistas leading to eternity that you open to us! What a terrible struggle your dreams have brought upon our realities! and how our hearts have been stamped upon and trampled under foot by those rude athletes!

We have seated ourselves like Adam at the foot of the walls of the terrestrial paradise, on the steps of the staircase that leads to the world you have created, seeing a light brighter than the sunlight gleam through the chinks of the door, hearing vaguely some few scattered notes of a seraphic harmony. Whenever one of the elect enters or comes out amid a flood of glory, we stretch our necks trying to see something through the open door. It is fairy-like architecture equalled nowhere save in Arabian tales. Great numbers of pillars, superimposed arches, fluted spiral columns, leaf-work marvellously carved, trefoils hollowed out of the stone, porphyry, jasper, lapis-lazuli and Heaven knows what! transparencies and dazzling reflections, a profusion of strange stones, sardonyx, chrysoberyl, aquamarines, rainbow-hued opals, azerodrach, jets of crystal, torches to make the stars turn pale, a gorgeous vapor filled with noise and vertigo--genuine Assyrian magnificence!

The door closes: you see no more--and you cast down your eyes, filled with burning tears, to the poor, bare, lifeless earth, to the ruined hovels, to the people in rags, to your own soul, an arid rock upon which nothing grows, to all the woes and misfortunes of reality. Ah! if we could only fly as far as that, if the steps of that fiery staircase did not burn our feet; but alas! none but angels can climb Jacob's ladder!

What a fate is that of the poor man at the rich man's door! what ghastly irony in a palace opposite a hovel, the ideal opposite the real, poetry opposite prose! what deep-rooted hatred must tighten the knots at the bottom of the poor wretches' hearts! what a gnashing of teeth there must be at night on their poor beds, when the wind brings to their ears the sighing notes of the lutes and viols of love! Poets, painters, sculptors, musicians, why have you lied to us? Poets, why did you tell us your dreams? Painters, why did you place upon your canvas the intangible phantom that ascended and descended between your heart and your brain with the throbbing of your blood, and say to us: "This is a woman." Sculptors, why did you procure marble from the bowels of Carrara to make it express for all time, in the eyes of all men, your most secret and most fleeting desire? Musicians, why did you listen to the song of the stars and the flowers during the night, and note it down? Why do you write such lovely ballads that the softest voice that says to us: "I love you!" seems to us as hoarse as the rasping of a saw or the cawing of a crow?--My curse on you, impostors!--and may the fire from heaven burn and destroy all pictures, poems, statues, and concerted pieces.--Ouf! there's a tirade of interminable length and a little out of the ordinary epistolary style.--What a harangue!

I just gave full swing to the lyric impulse, my dear friend, and I have been talking on stilts for a long, long time. All this is very far from our subject, which is, if I remember rightly, the glorious and triumphant history of the Chevalier d'Albert in pursuit of Daraïde, the loveliest princess in the world, as the old romances say. But in truth the story is so poor that I am compelled to have recourse to digressions and reflections. I hope that it will not always be so, and that, before long, the romance of my life will be more involved and complicated than a Spanish imbroglio.

After wandering about from street to street, I decided to call on one of my friends who was to present me at a house where, according to what he told me, I should see a world of pretty women--a collection of flesh and blood idealities--the wherewithal to satisfy a score of poets.--There are some there to suit all tastes:--aristocratic beauties with eagle glances, sea-green eyes, straight noses, chins haughtily elevated, queenly hands, and the gait of a goddess; silver lilies mounted upon golden stalks;--modest violets, pale of hue, sweet of perfume, with melting, downcast eyes, slender neck, transparent flesh;--animated, piquant beauties; devout beauties, beauties of all sorts;--for the house is a genuine seraglio, minus the eunuchs and the Kislar aga.--My friend tells me that he has already had five or six affairs there--quite as many as that;--that seemed to me a prodigious record and I am very much afraid that I shall not have the like success; De C---- says yes, and that I shall succeed much better than I shall care to. According to him I have only one fault, which I am certain to correct as I grow older and go more into society--he says I think too much of woman and not enough of women.--It may well be that there's some truth in that.--He says that I will be perfectly lovable when I rid myself of that little failing. God grant it! It must be that women feel that I despise them; for a compliment, which they would consider adorable and delightful to the last degree in the mouth of another, in mine displeases them and makes them angry, as if it were the most savage epigram. That probably has something to do with the fault De C---- refers to.

My heart beat a little faster as I went up the stairs, and I had barely recovered from my emotion when De C----, taking me by the elbow, brought me face to face with a woman of about thirty--not ill-looking--dressed with dissembled magnificence and extreme affectation of childlike simplicity--which did not prevent her being daubed with rouge like a carriage-wheel:--it was the lady of the house.

De C----, assuming the shrill, mocking voice which is so different from his ordinary voice, and which he uses in society when he wants to be fascinating, said to her, half aloud, with abundant demonstrations of ironical respect, in which the most profound contempt could plainly be detected:

"This is the young man of whom I spoke to you the other day--a man of very distinguished merit; he is of unexceptionable birth and I think that it cannot be otherwise than agreeable to you to receive him; that is why I have taken the liberty to present him to you."

"Assuredly, monsieur, you have done well," rejoined the lady, with a most outrageously affected manner. Then she turned to me, and after looking me over out of the corner of her eye, like a clever connoisseur, and in a way that made me blush to my ears, she said: "You may consider yourself invited once for all, and come as often as you have an evening to waste."

I bowed awkwardly enough, and stammered a few disconnected words which could not have given her a very exalted opinion of my talents; other persons came in and I was delivered from the ennui inseparable from an introduction. De C---- led me to a window recess and began to lecture me vigorously.

"What the devil! you will get me into a scrape; I announced you as a perfect phœnix of wit, a man of unbridled imagination, a lyric poet, everything that is most transcendent and impassioned, and you stand there like a ninny without lisping a word. What a wretched imagination! I thought your vein was more fruitful; come, come, give your tongue the rein, chatter away through thick and thin; you don't need to say sensible, judicious things, on the contrary, they might injure your chances; talk, that's the main thing; talk fast, talk all the time; attract attention to yourself; throw aside all fear and all modesty; fix it firmly in your head that all who are here are fools, or almost that, and don't forget that an orator who wants to succeed cannot despise his audience enough.--What do you think of the mistress of the house?"

"I dislike her very much already; and although I talked with her hardly three minutes, I was as bored as if I were her husband."

"Aha! that's what you think of her, eh?"

"Why, yes."

"Is your repugnance for her altogether insurmountable?--So much the worse; it would have been decent for you to have her, if only for a month; it's good form, and a young man with a little money can't get into society except through her."

"Very good! I'll have her," I said piteously, "since it must be; but is it as necessary as you seem to think?"

"Alas! yes, it is absolutely indispensable, and I will tell you why. Madame de Thémines is the fashion now; she has all the absurd foibles of the day in a superior way,--sometimes those of to-morrow, but never yesterday's: she is thoroughly posted. People will wear what she wears, and she never wears what any one else has worn. She is rich, too, and her carriages are in the best taste.--She has no wit, but much small-talk; she has very keen fancies and little passion. People amuse her but do not move her; she has a cold heart and a dissolute head. As for her soul--if she has one, which is doubtful--it is of the blackest, and there is no malice and baseness of which she is not capable; but she is extremely adroit and keeps up appearances, just what is necessary to prevent anything being proved against her. For instance, she will lie with a man, but she will never write him the simplest kind of a note. Thus her most intimate enemies can find nothing to say against her except that she applies too much rouge and that certain parts of her person are not, in fact, so well rounded as they seem to be--which is false."

"How do you know?"

"What a question!--how does one know that sort of thing except by finding out for himself?"

"Then you have had Madame de Thémines?"

"Certainly I have! Why shouldn't I have had her? It would have been most unseemly of me not to have her.--She has done me some very great favors, and I am very grateful to her for them."

"I don't understand what kind of favors she can have done you."

"Are you really a fool?" said De C----, gazing at me with the most comical expression imaginable.--"Faith, I am much afraid of it; must I tell you everything? Madame de Thémines is considered, and justly, to have special information in certain directions, and a young man whom she has taken and kept for some time can present himself boldly anywhere, and be sure that he won't be long without having an affair--more likely two than one.--Aside from that ineffable advantage, there is another hardly less great; and that is that, as soon as the female members of this circle see that you are Madame de Thémines' official lover, even though they have not the slightest taste for you, they will consider it a pleasure and a duty to take you away from a fashionable woman like her; and, instead of the advances and manœuvres you would otherwise have to make, you will have an embarrassment of riches, and you will necessarily become the focus of all imaginable cajoleries and blandishments.

"However, if she arouses too strong a repugnance in you, don't take her. You are not exactly obliged to do it, although that would be courteous and proper. But make your choice quickly and attack the one who pleases you best or seems to offer the most facilities, for by delaying you will lose the benefit of novelty, and the advantage it gives you over all the men here for a few days. All these ladies have no conception of the passions that are born in private intercourse and develop gradually in respect and silence; they are all for lightning strokes and occult sympathies; a wonderfully well-conceived scheme to avoid the ennui of resistance and all the long and wearisome repetitions that sentiment mingles with the romance of love, and which serve only to defer the conclusion to no purpose.--These ladies are very saving of their time, and it seems so valuable to them that they would be in despair at the thought of leaving a single moment unemployed.--They have a craving to oblige the human race which one cannot praise too highly, and they love their neighbor as themselves--which is most meritorious and perfectly angelic; they are very charitable creatures who would not, for anything in the world, drive a man to die of despair.

"There must be three or four of them already who are _impressed_ in your favor, and I advise you as a friend to press your advantage warmly in that direction, instead of amusing yourself prattling with me in a window-recess, which will not materially assist your prospects."

"But, my dear C----, I am altogether green in such matters, I haven't the necessary experience of society to distinguish at first glance a woman who is impressed from one who isn't; and I might make some strange blunders unless you will assist me with your experience."

"Upon my word, you are a primitive creature without a name, and I didn't suppose it was possible to be so pastoral and bucolic in the blessed age we live in!--What the devil are you doing with that pair of great black eyes of yours, which would produce a most stunning effect if you knew how to use them?

"Just look over yonder, in the corner by the fire-place, at that little woman in pink playing with her fan: she has been staring at you for a quarter of an hour with most significant assiduity and fixity; no one in the world but she can be indecent in so superior a fashion and display such noble insolence. The women don't like her at all, for they despair of ever reaching that height of impudence, but, on the other hand, she is very popular with the men who find in her all the piquant flavor of the courtesan.--To be sure, her depravity is of a fascinating sort, she is full of wit and impulse and caprice.--She's an excellent mistress for a young man who has prejudices.--Within a week she will rid your conscience of all scruples and corrupt your heart to such an extent that you will never make yourself ridiculous or indulge in elegiacs. She has incredibly positive ideas on every subject; she goes to the bottom of everything with astonishing rapidity and accuracy of insight. The little woman is the incarnation of algebra; she is precisely what a dreamer and an enthusiast needs. She will soon cure you of your misty idealism: therein she will render you a great service. She will do it with the greatest pleasure, however, for her instinct leads her to disenchant poets."

My curiosity being aroused by De C----'s description, I emerged from my retreat, and, gliding from group to group, approached the lady in question and observed her closely,--she may have been twenty-five or twenty-six years old. She was small, but well shaped, although a little inclined to be stout; she had round, white arms, well-formed hands and pretty feet, almost too small,--plump, polished shoulders, breast but little exposed, but what there was, very satisfactory and affording a favorable idea of the rest; her hair was extremely glossy and of a blue-black shade like a jay's wing; the corner of the eye was turned well up toward the temple, nose thin, nostrils very open, mouth moist and sensuous, a little crease on the lower lip and an almost imperceptible down at the corners. And with it all, vivacity, animation, health, and an indefinable suggestion of wantonness adroitly tempered by coquetry and tact, which made her a very desirable creature and more than justified the very lively passions she had inspired and continued to inspire every day.

I desired her; but yet I understood that that woman, agreeable as she might be, was not my ideal, or could make me say: "At last I have a mistress!"

I returned to De C---- and said: "I like her looks, and perhaps I may come to an understanding with her. But, before saying anything definite which will bind me, I would be very glad if you would have the kindness to point out those indulgent beauties who are so condescending as to be impressed with me, so that I may make my choice.--You will also oblige me, as you are acting as showman on this occasion, by adding a little descriptive notice and a list of their good and bad qualities; how I must attack them and the tone I must adopt with them in order not to seem too much like a provincial or a literary man."

"I most certainly will," said De C----. "Do you see that lovely, melancholy swan who manages her neck so gracefully and makes her sleeves move like wings? she is modesty itself, the most chaste and virginal creature in the world; she has a snow-white brow, a heart of ice, the expression of a madonna, the smile of an Agnes; she has a white dress and a soul of the same color; she wears nothing but orange-blossoms or water-lily leaves in her hair, and is attached to earth only by a thread. She has never had an evil thought and has no idea wherein man differs from woman. The Blessed Virgin is a Bacchante beside her, all of which does not prevent her having had more lovers than any woman I know, and that is certainly saying a good deal. Just cast your eye on that discreet person's throat; it is a little masterpiece, and really it is very difficult to show so much without showing more; tell me if, with all her reserve and all her prudery, she isn't ten times more indecent than that good lady at her left, who bravely displays two hemispheres which, if they were united, would form a life-size globe,--or the other one at her right, _décolletée_ to the navel, who parades her nothingness with fascinating intrepidity?--That virginal creature, unless I am very much mistaken, has already figured out in her head how much love and passion your pallor and your black eyes may be taken to promise; and my reason for saying so is that she hasn't once looked in your direction, visibly at least; for she can manage her pupils with such art and roll them into the corner of her eyes so cleverly that nothing escapes her; one would think that she looked through the back of her head, for she knows perfectly well what is going on behind her.--She's a female Janus.--If you want to succeed with her, you must lay aside anything like a free-and-easy, victorious manner. You must talk to her without looking at her, without moving, in a contrite attitude and in a subdued, respectful voice; in that way you can say whatever you choose to her, provided that it is suitably glossed over, and she will allow you to take the greatest liberties, at first in words; afterward in deeds. Simply take care to roll your eyes tenderly when hers are cast down, and talk to her about the joys of platonic love and the communion of souls, while you employ with her the least platonic and least ideal pantomime imaginable! She is very sensual and very sensitive; kiss her as often as you choose, but don't forget, even in the most intimate intercourse, to call her _madame_ at least three times per sentence: she fell out with me, because, when I was in her bed, I said something or other to her and called her _thou_. What the devil! a woman is not virtuous for nothing!"

"After what you tell me I have no great desire to try my luck. A prudish Messalina! an entirely novel and monstrous combination."

"Old as the world, my dear boy! it is seen every day and nothing is more common.--You are wrong not to try your hand with her.--She has one great charm, which is that with her you always seem to be committing a deadly sin, and the least kiss seems altogether damnable; while with others you think of it as nothing more than a venial sin, and often you don't think you're doing anything wrong at all.--That is why I kept her longer than any other mistress.--I should have her still if she had not left me herself; she's the only woman who ever got ahead of me, and I look upon her with a certain amount of respect on that account.--She has the most delicate little refinements of pleasure and the great art of appearing to be forced to grant what she grants very freely; which gives to each of her favors the fascination of rape. You will find in society ten of her lovers who will swear to you that she is one of the most virtuous creatures on earth.--She is precisely the contrary.--It is an interesting study to analyze that virtue of hers on a pillow. Being forewarned, you run no risk, and you won't make the blunder of falling in love with her in earnest."

"How old is this adorable creature?" I asked De C----, for it was impossible to decide, even after examining her with the most careful attention.

"Ah! there you are! how old is she? that's a mystery and God only knows the clue. For my own part, and I pride myself on telling a woman's age almost to a minute, I have never succeeded in finding out hers. I can only estimate approximately that she is somewhere between eighteen and thirty-six.--I have seen her in full dress, in déshabille, in her linen, and I can tell you nothing in that connection: my knowledge is at fault; the age that you would generally take her to be is eighteen, and yet that can't be her age.--She is a combination of a virgin body and the soul of a harlot, and she must have had much time or much genius to corrupt herself so thoroughly and so speciously; she must have a heart of brass in a breast of steel; but she has neither; that makes me think that she is thirty-six, but in reality I know nothing about it."

"Hasn't she any intimate friend who could enlighten you on the subject?"

"No; she arrived here two years ago. She came from the provinces or from abroad, I don't know which--that is an admirable position for a woman who knows how to make the most of it. With such a face as she has, she can make herself any age she chooses and date only from the day she arrived here."

"That certainly is a most agreeable state of things, especially when some impertinent wrinkle doesn't give you the lie, and Time, the great destroyer, is kind enough to connive at that falsification of the certificate of baptism."

He pointed out several others, who, he said, would receive favorably whatever requests it might please me to prefer to them, and would treat me with peculiar philanthropy. But the woman in pink in the chimney-corner and the modest dove who was her antithesis were incomparably superior to all the others; and, if they had not all the qualities I require, they had some of them, at least in appearance.

I talked all the evening with them, especially with the last, and I took pains to cast my ideas in the most respectful mould;--although she hardly looked at me, I fancied sometimes that I could see her eyes gleaming behind the curtain of their lashes, and at some compliments that I ventured to address to her, decidedly broad but shrouded in the most modest gauze, I noticed just below the skin a tiny blush, held back and stifled, not unlike the effect produced by pouring a red liqueur into a glass that is half opaque.--Her replies were, in general, sedate and well-weighed, but keen and bright, and they implied much more than they expressed. The whole conversation was interspersed with pauses, unfinished phrases; veiled allusions, every syllable had its meaning, every pause its bearing; nothing could be more diplomatic or more charming.--And yet, however great my pleasure in it for the moment, I could not endure such a conversation very long. One must be forever on the alert and on his guard, and what I like best in conversation is ease, familiarity.--We talked first of music, which led us naturally to speak of the Opera, then of women, and then of love, a subject in which it is easier than in any other to find excuses for transition from general principles to special instances.--We vied with each other in amatory talk; you would have laughed to hear me. Verily, Amadis on poor La Roche was no better than a dull pedant beside me. It was generosity, abnegation, self-sacrifice enough to put the late Curtius of Rome to the blush.--Really I didn't believe myself capable of such transcendent humbug and bathos. Can you imagine anything more ridiculous, a more perfect scene for a comedy, than myself indulging in the quintessence of platonism? And then my sugary manner, my demure, hypocritical little ways! _tubleu_! I looked as if I could never touch anything, and any mother who had heard me argue wouldn't have hesitated to let me lie with her daughter, any husband would have trusted his wife with me. It was the one evening in all my life when I seemed to be most virtuous and was least so. I thought it was more difficult than that to be a hypocrite and say things one doesn't believe. It must be very easy or else I must be strongly predisposed that way, to have succeeded so satisfactorily at the first trial.--Really I have some inspired moments.

As for the lady, she made many remarks, very shrewdly worded, which, notwithstanding the innocent air with which she made them, denoted a very extensive experience; you can't conceive the subtlety of her distinctions. The woman would split a hair in three pieces lengthwise, and make fools of all the angelic and seraphic pundits that ever were. Indeed, from her way of talking, it was impossible to believe that she has the shadow of a body.--It is all immaterial, vaporous, ideal enough to break your arms; and if De C---- had not warned me beforehand of the creature's manœuvring, I should certainly have despaired of the success of my undertaking, and stood shamefacedly aside. How in the devil, when a woman tells you for two hours, with the most indifferent air you can imagine, that love lives only on privation and sacrifice and other fine things of that sort, can you decently hope to persuade her to get between two sheets with you some day to stir your blood and see if you are made alike?

In short, we parted the best of friends, mutually congratulating each other on the elevation and purity of our sentiments.

My conversation with the other was, as you will imagine, of a very different tenor. We laughed as much as we talked. We made fun, and very wittily too, of all the women there. When I say: "We made fun, and very wittily too," I am wrong; I ought to say: "She made fun;" a man never makes fun of a woman. I listened and approved, for it is impossible to draw with more telling strokes or to apply colors more brilliantly; it was the most interesting gallery of caricatures that I have ever seen. In spite of the exaggeration, you felt the truth underneath; De C---- was quite right; that woman's mission is to destroy the illusions of poets. There is an atmosphere of prose about her in which a poetic idea cannot live. She is charming, sparkling with wit, and yet when you are with her you think only of base, vulgar things; as I talked to her I felt a crowd of desires, incongruous and impracticable in that place; I felt like ordering wine and getting tipsy, taking her on my knee and kissing her neck--like lifting up her skirt to see if her garter was above or below the knee, like singing an obscene song at the top of my voice, smoking a pipe or smashing the windows: the devil knows what.--All the animal, all the brute rose in me; I would willingly have spat on Homer's Iliad and thrown myself on my knees before a ham.--I understand perfectly to-day the allegory of Circe changing the companions of Ulysses to swine. Circe was probably a wanton like my little woman in pink.

It is a shameful thing to say, but I felt a keen delight in the consciousness that the brute nature was gaining the upper hand; I did not resist it, I assisted it with all my strength, corruption is so natural to man and there is so much mud in the clay of which he is made.

[Illustration: Chapter II--_My conversation with the other was, as you will imagine, of a very different tenor. We laughed as much as we talked. We made fun, and very wittily too, of all the women there._]

And yet I was afraid for a minute of the gangrene that was gaining upon me, and I tried to leave my corrupter; but the floor seemed to have risen to my knees, and I was as if riveted to my place.

At last I made a determined effort and left her, and, it being then very late, I returned home in dire perplexity, very much disturbed in mind and with none too clear an idea what I ought to do.--I wavered between the prude and the wanton.--I found piquancy in the one, sensuousness in the other; and after a very close and very thorough examination of my conscience I discovered, not that I loved them both, but that I desired them both, one as much as the other, with sufficient eagerness to indulge in reverie and preoccupation.

According to all appearances, O my friend! I shall have one of those two women, perhaps I shall have them both, and yet I confess that I am only half satisfied by possessing them; it isn't that they're not very pretty, but at sight of them nothing cried out within me, nothing throbbed, nothing said: "It is they;"--I did not recognize them.--And yet I don't imagine that I shall find any one much better off in the way of birth and beauty, and De C---- advises me to try my hand with them. Most certainly I shall do it, and one or the other shall be my mistress before long or may the devil fly away with me; but way down in my heart a still small voice reproaches me for lying to my love and for pausing thus at the first smile of a woman I do not love, instead of seeking untiringly through the world, in cloisters and all sorts of bad places, in palaces and taverns, the woman who was made for me and whom God destines for me, be she princess or serving-maid, nun or courtesan.

Then I say to myself that I am indulging in chimeras, and that it's very much the same after all, whether I lie with that woman or another, that the earth will not swerve a hair's breadth from its course, and that the seasons will not change their order on that account; that nothing in the world is more indifferent to me, and that I am very simple to torment myself about such trifles: that is what I say to myself.--But it's of no use for me to talk, I am not a whit more easy in my mind or more decided.

It may be because I live much alone and the smallest details take on too much importance in a life so monotonous as mine. I give too much heed to my living and thinking: I hear the throbbing of my arteries, the beating of my heart; by dint of close attention I disengage my most intangible ideas from the confused haze in which they float, and give them a body.--If I had more to do I should not notice all these trivial things and should not have time to look at my heart under a microscope, as I do all day long. The din of action would drive away this swarm of indolent thoughts that are flying about in my head and deafening me with the buzzing of their wings: instead of pursuing phantoms I should come to blows with realities; I should ask women for nothing beyond what they can give--pleasure--and I should not try to embrace some fanciful ideal decked out in hazy perfections.--This desperate tension of the eye of my heart toward an invisible object has impaired my sight. I am unable to see what is, from having stared at what is not, and my eye, so keen for the ideal, is terribly short-sighted for the real; so that I have known women whom everybody declared to be most ravishing creatures, but who seemed to me very far from that. I have greatly admired pictures generally considered to be daubs, and fantastic or unintelligible verses have given me more pleasure than the most courtly productions.--I should not be at all astonished if, after addressing so many sighs to the moon and looking at the stars with strained gaze, after perpetrating so many elegies and sentimental apostrophes, I should fall in love with some vile girl from the street, or some ugly old woman; that would be a great come-down!--Reality will perhaps take its revenge thus for the little care I have taken to pay court to it:--wouldn't it be a fine thing if I should conceive a romantic passion for a scullery wench or a low, dirty trollop? Can you imagine me playing a guitar under a kitchen window and supplanted by a lackey carrying an old toothless dowager's pet cur?--Or perhaps, finding nothing in this world worthy of my love, I shall end by adoring myself, like the late Narcissus of selfish memory. To protect myself from such a great disaster, I look at myself in every mirror and in all the streams I pass. To tell the truth, as a result of musing and mental wandering I am terribly afraid of being led into something monstrous and unnatural. That is a serious matter and I must be on my guard.--Adieu, my friend;--I am going at once to call on the pink lady, for fear of relapsing into my usual state of meditation. I do not think that we shall trouble ourselves very much about actualities, and if we do anything it surely won't be in a spiritual direction, although she is very spirituelle. I carefully roll up and put away in a drawer the pattern of my ideal mistress in order not to try it upon this one. I propose to enjoy tranquilly such good qualities and merits as she has. I propose to leave her in a dress adapted to her figure, and not to try to fit clothes to her that I have cut out, in case of emergency, for the lady of my thoughts.--Those are very prudent resolutions, but I don't know whether I shall keep to them.--Once more, adieu.



III


I am the titular lover of the pink lady; that is almost a profession, an office, and it gives a man a firm footing in society. I no longer look like a scholar seeking a mistress among a parcel of grandmothers and afraid to sing a love-song to a woman unless she's a hundred years old; I notice, since my installation, that I receive much more consideration, that all the women talk to me with jealous coquetry and go out of their way to smile on me.--The men, on the other hand, are colder, and in the few words we exchange there is a touch of hostility and constraint; they feel that they have in me an enemy already formidable, who may become much more so.--I have heard that many of them had bitterly criticised my way of carrying myself and said that my style of dress was too effeminate; that my hair was curled and anointed with more care than beseemed me; that that fact, taken in connection with my beardless face, gave me a most absurd girlish appearance; that I affected rich materials that smelt of the stage, and that I looked more like an actor than a man: a parcel of trite, sneering remarks, intended to justify themselves in being dirty and wearing wretched, ill-fitting clothes. But all this serves only to make me the whiter, and all the ladies consider that my hair is the finest in the world, and that the niceties of my toilet are in the best taste, and they seem strongly disposed to make up to me for all that I spend for their benefit, for they are not fools enough to believe that all that elegance has no other aim than my own private embellishment.

The lady of the house seemed at first a little offended at my choice, which she thought must inevitably fall upon herself, and for some days she was decidedly sour--to her rival only, for there was no change in her manner to me--her spleen manifesting itself in divers little "My dears," uttered in that dry, abrupt tone that women alone can master, and in certain uncomplimentary remarks concerning her costume, made in as loud a voice as possible, such as: "Your hair is done too high and not at all to correspond with your face," or: "Your waist bags under the arms; who in the world made that dress?" or: "You have black rings under your eyes; it seems to me you are much changed;" and a thousand other trivial observations to which the other did not fail to retort with all desirable malignity when opportunity offered; and if the opportunity was too slow in offering she made one for her own use and returned, with interest, what she had received. But soon, another object having distracted the attention of the slighted princess, the little war of words ceased and everything resumed its usual order.

I said baldly that I was the pink lady's titular lover; that is not enough for so accurate a man as you are. You will undoubtedly ask me what her name is: as for that, I shall not tell you; but, if you choose, to shorten the story and in memory of the color of the dress in which I first saw her, we will call her Rosette; it's a pretty name; my little dog has the same name.

You would like to know from point to point, for you love exactness in all things, the story of our love-affairs with this fair Bradamante, and by what successive steps I passed from the general to the particular and from the condition of simple spectator to that of actor; how, after being one of the audience, I became the lover. I will gratify your desire with the very greatest pleasure. There is nothing unpleasant in our romance; it is all rose-colored, and no tears are shed except tears of pleasure; you will find no long descriptions or repetitions, and everything moves on toward the end with the haste and speed so urgently recommended by Horace;--it is a genuine French romance.--Do not imagine, however, that I carried the citadel at the first assault. The princess, although very humane to her subjects, is not as lavish of her favors at first, as you might think; she knows their value too well not to make you purchase them; she also knows too well how a judicious delay sharpens the appetite and what relish a semi-resistance adds to the pleasure, to abandon herself to you at first, however keen the inclination you have aroused in her.

To tell the whole story at length, I must go back a little. I gave you a very circumstantial account of our first interview. I had one or two, perhaps three others in the same house, and then she invited me to call on her; I did not make her repeat the invitation, as you can believe; I went there at discreet intervals at first, then a little more frequently, then still more so, and finally whenever the fancy seized me, and I must confess that it seized me at least three or four times a day.--The lady, after we had been parted a few hours, always received me as if I had just returned from the East Indies; which fact touched me as much as anything could and impelled me to show my gratitude in a marked manner by the most gallant and tenderest words you can imagine, to which she replied as best she could.

Rosette--as we have agreed to call her that--is a very bright woman and has a most admirable appreciation of man; although she postponed the end of the chapter for some time, I did not once lose my temper with her: which is really marvellous, for you know how I fly into a passion when I don't get what I want on the instant, and when a woman goes beyond the time I have mentally allowed her in which to surrender.--I have no idea how she did it at the first interview; she gave me to understand that I should have her, and I was surer of her than if I had had her written promise signed by her hand. You will say perhaps that her bold and free-and-easy manners left the field free to rash hopes. I do not think that that is the real motive: I have seen some women whose prodigious freedom of manner excluded the last vestige of doubt, who did not produce that effect upon me, and in whose presence I was conscious of a timidity and uneasiness that were, to say the least, misplaced.

The result is, generally speaking, that I am less amiable with the woman I long to possess than with those who are indifferent to me; it is because of the excitement of waiting for an opportunity and my uncertainty as to the success of my project; that makes me gloomy and casts me into a fit of musing which takes away much of my power of pleasing and my presence of mind. When I see the hours I had set aside for another purpose passing one by one, I am filled with anger in spite of myself, and I cannot keep from saying very sharp, harsh things, which sometimes go as far as brutality and put my affair back a hundred leagues.

With Rosette I had no such feeling; never, even at the moment when she resisted me most stubbornly, did I have the idea that she wanted to escape from my love. I calmly allowed her to display all her little coquetries, and I endured in patience the overlong delays to which it pleased her to subject my ardor; there was something smiling in her harshness that consoled you for it as much as possible, and in her most Hyrcanian cruelties you could distinguish a background of humanity that made it impossible for you to have any very serious fear.--Virtuous women, even when they are not really virtuous at all, have a crabbed, disdainful way which is perfectly unendurable to me. They have the air of being always ready to ring and order their footmen to put you out; and it seems to me, really, that a man who takes the trouble to pay court to a woman--and it isn't always as agreeable as you may think--doesn't deserve to be looked at in that way.

Dear Rosette has no such glances as that, not she; and I assure you that she doesn't lose anything by it; she is the only woman with whom I have ever been myself, and I am conceited enough to say that I have never been so agreeable. My wit has displayed itself freely; and, by the skill and fire of her retorts, she has led me to discover more than I had any idea that I possessed, and more perhaps than I really do possess.--To be sure, I haven't done much in the way of lyrics--that is hardly possible with her; it is not that she has no poetic side, notwithstanding what De C---- said of her; but she is so full of life and strength and movement, she seems to be so well placed in her present surroundings, that one has no desire to leave them for a flight among the clouds. She fills one's real life so pleasantly and makes of it something so entertaining to herself and others, that reverie has nothing better to offer you.

A miraculous thing! I have known her nearly two months, and in those two months the only times I have been bored have been when I was not with her. You will agree that she can be no inferior woman to produce such a result, for women usually produce exactly the opposite effect on me and are much more agreeable to me at a distance than near at hand.

Rosette has the best disposition in the world, with men I mean, for with women she's as wicked as a devil; she is bright, lively, alert, ready for anything, very original in her way of speaking, and has always some charming nonsense to tell you that you don't expect; she is a delightful companion, a jolly comrade with whom you sleep, rather than a mistress; and if I were a few years older and had fewer romantic ideas, I should be perfectly satisfied, indeed I should deem myself the most fortunate mortal on earth. But--but--that conjunction implies nothing good, and unfortunately that little devil of a restrictive word is the one most frequently employed in all human tongues;--but I am an imbecile, an idiot, a downright booby, never content with anything and always hunting mares' nests; and, instead of being altogether happy, I am only half so;--half, that is a good deal for this world, and yet I find it not enough.

In the eyes of the world I have a mistress whom several desire and envy me, and whom no one would disdain. My desire is gratified, therefore, in appearance, and I no longer have the right to pick a quarrel with fate. However, it seems to me that I have no mistress; I can convince myself that I have by arguing it out, but I do not feel it, and if anybody should ask me unexpectedly if I had one, I think I should answer no.--However, the possession of a woman who has beauty, youth, and wit, constitutes what, in all times and in all countries, has been and still is called having a mistress, and I think there is no other way. That doesn't prevent my having the strangest doubts in that connection, and it has gone so far that if several people should unite to convince me that I am not Rosette's favored lover, I should end by believing them in the face of the palpable evidence to the contrary.

Do not think from what I say that I do not love her or that she is displeasing to me in any way; on the contrary, I am very fond of her and I see in her what everybody else would see in her: a pretty, alluring creature. I simply do not feel that I possess her, that is all. And yet no woman ever gave me so much pleasure, and if I have ever known bliss, it has been in her arms.--A single one of her kisses, the most chaste of her caresses makes me shiver to the soles of my feet and sends all my blood back to my heart. Explain it all if you can. The facts, however, are as I tell them to you. But the human heart is full of such absurdities; and if we were obliged to reconcile all the contradictions it exhibits, we should have a heavy task on our hands.

How does it happen? Verily, I have no idea.

I see her all day, and all night too, if I choose. I bestow as many caresses on her as I please; I have her naked or dressed, in town or in the country. Her good humor is inexhaustible, and she enters heart and soul into my whims however eccentric they may be; one evening the fancy seized me to possess her in the middle of the salon, with all the candles lighted, the fire blazing on the hearth, the chairs arranged in a circle as if for a grand evening reception, she, in a _toilette de bal_ with her bouquet and her fan, all her diamonds on her fingers and her neck, feathers in her hair--the most magnificent costume imaginable--and I dressed like a bear; she consented.--When everything was ready, the servants were greatly surprised to receive orders to close the doors and admit no one; they acted as if they had not the slightest comprehension of what it all meant, and went away with a dazed look that made us laugh heartily. They certainly thought that their mistress was stark mad; but what they thought or did not think mattered little to us.

That was the most burlesque evening of my whole life. Can you imagine the appearance I must have presented with my hat and feather under my paw, rings on every claw, a little silver-hilted sword and a sky-blue ribbon on its hilt? I approached the fair one, and, having made her a most graceful reverence, sat down beside her and besieged her in due form. The flattering madrigals, the exaggerated compliments I addressed to her, all the jargon suited to the occasion assumed a strange significance in passing through my bear's muzzle; for I had a superb head of painted cardboard which I was soon obliged to throw under the table, my deity was so adorable that evening, and I longed so to kiss her hand and something better than her hand. The skin soon followed the head; for not being accustomed to play the bear, I was stifled in it, more so than was necessary. Thereupon the ball-dress had a fine time as you can imagine; the feathers fell like snow around my beauty, the shoulders soon came out of the sleeves, the bosom from the corset, the feet from the shoes, the legs from the stockings; the unstrung necklaces rolled on the floor, and I believe that fresher dress was never more pitilessly rumpled and torn; the dress was of silver gauze and the lining of white satin. Rosette displayed on that occasion a heroism altogether unusual to her sex, which gave me a most exalted opinion of her. She looked on at the sack of her costume like an uninterested witness, and did not for a single instant show the slightest regret for her dress and her lace; on the contrary, she was wildly gay, and assisted with her own hands in tearing and breaking anything that wouldn't untie or unclasp quickly enough to suit my taste and hers.--Doesn't this strike you as worthy to be handed down in history beside the most brilliant deeds of the heroes of antiquity? The greatest proof of love a woman can give her lover is to refrain from saying to him: "Take care and not rumple me or spot my dress," especially if the dress be new.--A new dress is a greater source of security to a husband than is commonly supposed. It must be that Rosette adores me or else she is blessed with a philosophy superior to that of Epictetus.

[Illustration: Chapter III--_Thereupon the ball-dress had a fine time as you can imagine; * * * and I believe that fresher dress was never more pitilessly rumpled and torn; the dress was of silver gauze and the lining of white satin. Rosette displayed on that occasion a heroism altogether unusual to her sex._]

Nevertheless I think that I paid Rosette the full value of her dress and more, in coin which is none the less esteemed and valued because it does not pass current with tradesmen. Such unexampled heroism surely deserved such a recompense. However, like the generous creature she is, she repaid what I gave her. I had a wild, almost convulsive sort of pleasure, such as I did not believe myself capable of enjoying. The resounding kisses mingled with bursts of laughter, the shuddering, impatient caresses, all the piquant, tantalizing sensations, the pleasure imperfectly enjoyed because of the costume and the situation, but a hundred times keener than if there had been no obstacles, produced such an effect on my nerves that I was seized with paroxysms which I had some difficulty in overcoming.--You cannot conceive the proud, affectionate way in which Rosette gazed at me as she tried to soothe me, and the joyful yet anxious manner with which she lavished attentions upon me: her face glowed with the pleasure that she felt in producing such an effect upon me, while her eyes, swimming in sweet tears, bore witness to her alarm at my apparent illness and the interest she took in my health.--She had never seemed so beautiful to me as at that moment. There was something so maternal and so chaste in her glance that I entirely forgot the more than anacreontic scene that had just taken place, and threw myself on my knees at her feet, asking permission to kiss her hand; which permission she granted with extraordinary dignity and gravity.

That woman certainly isn't as depraved as De C---- claims and as she has often seemed to me to be; her corruption is in her mind and not in her heart.

I have cited this scene from among twenty others: it seems to me that after such an experience one can, without overweening conceit, believe himself a woman's lover.--And yet I have not that feeling.--I had no sooner returned home than that thought took possession of me and began to work upon me as usual.--I remembered perfectly all that I had said and heard, all that I had done and seen. The slightest gestures, the most insignificant attitudes, all the most trivial details stood out clearly in my memory: I remembered everything, even to the slightest inflections of the voice, the most indescribable shades of enjoyment; but it did not seem to me that all those things had happened to me rather than to some one else. I was not sure that it was not all an illusion, a phantasmagoria, a dream, or that I had not read it somewhere or other, or even that it was not a story invented by myself as I had invented many others. I dreaded being the dupe of my own credulity or the plaything of some deception; and notwithstanding the evidence of my weariness and the material proofs that I had not slept at home, I could easily have believed that I had gone to bed at my usual hour and slept till morning.

I am very unfortunate in my inability to acquire the moral certainty of something of which I am physically certain. In ordinary cases the contrary is the case and the fact proves the idea. I would like well to prove the fact by the idea; I cannot do it; although it is a strange thing, it is so. It rests with myself, to a certain extent, to have a mistress; but I cannot force myself to believe that I have one, even though that is the fact. If I have not the necessary faith in me, even for a thing so palpable as that, it is just as impossible for me to believe in so simple a fact as for another to believe in the Trinity. Faith is not to be acquired, it is a pure gift, a special grace from Heaven.

No one ever longed as I do to live the life of others and to assimilate another nature to my own; no one ever had less success. Whatever I may do, other men are little more than phantoms to me and I do not feel their existence; but it is not the desire to understand their lives and share in them that I lack. It is the power or the want of real sympathy with anything on earth. The existence or non-existence of a person or thing does not interest me enough to affect me in a perceptible and convincing way. The sight of a man or a woman who appears before me in flesh and blood leaves on my mind no more definite trace than the fanciful vision of a dream: a pale world of shadows and of apparitions, false or true, hovers about me, murmuring low, and in the midst of them I feel as utterly alone as possible, for not one of them has any effect upon me for good or evil, and they seem to me to be of a nature altogether different from mine. If I speak to them and they make what seems a sensible reply, I am as surprised as if my dog or my cat should suddenly open his mouth and take part in the conversation: the sound of their voices always astonishes me and I could easily believe that they are only fleeting apparitions and I the mirror in which they are reflected. Inferior or superior, I certainly am not of their kind. There are moments when I recognize none but God above me, and others when I deem myself hardly the equal of the earthworm under its stone or the mollusk on its sand-bank; but whatever my frame of mind, exalted or humble, I have never been able to persuade myself that men were really my fellows. When any one calls me _monsieur_, or, in speaking of me, refers to me as _that man_, it always seems strange to me. My very name seems to me but an empty one and not my real name; and yet, no matter how low it may be uttered, amid the loudest noise, I turn suddenly with a convulsive and peevish eagerness which I have never been able to explain.--Is it the dread of finding in the man who knows my name, and to whom I am no longer simply one of the common herd, an antagonist or an enemy?

It is when I have been living with a woman that I feel most strongly how utterly my nature repels every sort of alliance and mixture. I am like a drop of oil in a glass of water. No matter how much you turn it and shake it, the oil will never mix with the water; it will separate into a hundred thousand little globules which will unite again and rise to the surface the instant it becomes calm: the drop of oil and the glass of water epitomize my history. Even lust--that diamond chain that binds all human beings together, that consuming fire that melts the stone and metal of the heart and causes them to fall in tears as material fire melts iron and granite--all powerful as it is, has never been able to subdue or move me. And yet my senses are very sharp; but my heart is a hostile sister to my body, and the ill-mated couple, like every possible couple, lawfully or unlawfully united, lives in a state of constant warfare.--A woman's arms, the strongest of all earthly bonds, so it is said, are to me very weak fetters, and I have never been farther from my mistress than when she was straining me to her heart.--I was stifled, that's the whole story.

How many times have I been angry with myself! What superhuman efforts have I made to be different! How I have exhorted myself to be affectionate, lover-like, passionate! how often I have taken my heart by the hair and dragged it to my lips in the middle of a kiss! Whatever I do, it always recoils, wiping the kiss away, as soon as I release my hold. What torture for that poor heart to look on at the orgies of my body and to be constantly compelled to sit through banquets at which it has nothing to eat!

It was when I was with Rosette that I determined, once for all, to ascertain if I am not hopelessly unsociable, and if I can take enough interest in another person's existence to believe in it. I exhausted the whole category of experiments, and I have not succeeded in solving my doubts to any great extent. With her my pleasure is so keen that my heart often finds itself diverted at least, if not touched, a state of things that impairs the accuracy of observations. After all, I have discovered that it didn't go below the skin and that my enjoyment was confined to the epidermis, the heart participating only through curiosity. I have pleasure because I am young and ardent; but the pleasures came from myself and not from another. Its source was in myself rather than in Rosette.

It is of no use for me to struggle, I cannot go out of myself for a single moment. I am still what I was, that is to say, a very tired, very tiresome creature, who disgusts me exceedingly. I have failed utterly to introduce into my brain the idea of another human being, into my heart, another's emotion, into my body, another's pain or pleasure. I am a prisoner in myself and all escape is impossible: the prisoner longs to escape, the walls ask nothing better than to crumble, and the doors to open before him; but some inexplicable fatality keeps every stone immovable in its place, every bolt in its groove; it is as impossible for me to admit any one to my quarters as to go myself to others; I cannot make or receive calls, and I live in the most absolute solitude amid the multitude: my bed may not be widowed, but my heart always is.

Ah! to be unable to increase one's size by a single line, by a single atom; to be unable to admit others' blood into one's veins; to see always with one's own eyes, never clearer, never farther, never otherwise; to hear sounds with the same ears and the same sensation; to touch with the same fingers; to perceive changing objects with an unchangeable organ; to be doomed to the same tone of voice, the repetition of the same sounds, the same phrases, the same words, and not to be able to fly, to escape one's self, to take refuge in some corner where no one can follow; to be compelled to keep always to one's self, to dine and lie alone--to be the same man to twenty different women; to play, throughout the most complicated situations of the drama of your life, a part that is forced upon you, whose lines you know by heart; to think the same things, to have the same dreams:--what torture, what ennui!

I have longed for the horn of the Tangut brothers, for Fortunatus's hat, Abaris's bâton, Gygès's ring; I would have sold my soul to snatch the magic wand from a fairy's hand, but I have never longed so intensely for anything as to meet on the mountain, like Tiresias the soothsayer, those serpents who can change the sex of mortals, and what I most envy in the strange, monstrous gods of the Indies are their constant incarnations and innumerable transformations.

I began by longing to be another man; then, as I reflected that I could, by analogy, foresee almost exactly what I should feel and therefore not experience the change and the surprise I expected, I concluded that I would prefer to be a woman; that idea always occurred to me when I had a mistress who was not ugly; for an ugly woman is like a man to me, and in my moments of enjoyment I would gladly have changed my rôle, for it is very annoying to know nothing about the effect one produces and to judge of others' pleasure only by one's own. Such reflections and many others have often given me, at moments when it was most inappropriate, a meditative, dreamy air, which has caused me to be accused most unjustly of coldness and infidelity.

Rosette, who, very luckily, doesn't know all this, believes me to be the most amorous man on earth; she takes that impotent _frenzy_ for a frenzy of passion, and she does her utmost to humor all the experimental caprices that pass through my brain.

I have done all that I possibly could to convince myself that she belongs to me. I have tried to go down into her heart, but I have always stopped on the first step of the staircase, at her flesh or her mouth. Despite the intimacy of our corporeal relations, I feel that we have nothing in common. Never has an idea of the same tenor as mine spread its wings in that youthful, smiling head; never has that heart, overflowing with life and fire, whose palpitations cause that firm, white breast to rise and fall, beaten in unison with my heart. My soul has never coalesced with hers. Cupid, the god with the hawk's wings, has not kissed Psyche on her fair ivory brow. No!--that woman is not my mistress.

If you know all that I have done to compel my heart to share the love of my body! with what frenzy I have glued my mouth to hers and wound my arms in her hair, and how tightly I have embraced her rounded, supple figure. Like Salmacis of old, enamored of the young Hermaphrodite, I have tried to melt her body and mine together; I have drunk her breath and her warm tears that bliss forced from the brimming chalice of her eyes. The more inextricably our bodies were intertwined, the closer our embrace, the less I loved her. My heart, sitting sadly by, looked on with a pitying air at that deplorable union to which it was not bidden, or veiled its face in disgust and wept silently behind the skirt of its cloak. All this is attributable perhaps to the fact that I do not really love Rosette, worthy to be loved though she be, and anxious as I am to love her.

To rid myself of the idea that I was myself, I transported myself to most unusual surroundings, where it was altogether unlikely that I should meet myself, and being unable to cast my individuality to the dogs, I tried to expatriate it so that it would no longer recognize itself. I have had but moderate success therein, for that devil of a myself follows me persistently; there is no way of getting rid of him; I haven't the resource of sending word to him, as I do to other uncomfortable callers, that I am not at home or that I have gone into the country.

I have had my mistress in the bath and I have played the Triton as best I could.--The sea was a huge marble tub. As for the Nereid, what she showed accused the water, transparent though it was, of not being sufficiently so for the exquisite beauty of what it concealed.--I have had her at night, by moonlight, in a gondola with music.

That would be very commonplace at Venice, but here it is anything but that.--In her carriage, with the horses going at a gallop, amid the rattling of the wheels, the leaping and jolting, sometimes by the light of lanterns, sometimes in the densest darkness.--That doesn't lack a certain stimulating interest and I advise you to try it: but I forget that you are a venerable patriarch, and that you don't indulge in such refinements.--I have climbed in at her window when I had the key to the door in my pocket.--I have made her come to my apartments in broad daylight, in fact, I have compromised her so thoroughly that no one--myself excepted, be it understood--now doubts that she is my mistress.

By reason of all these inventions which, if I were not so young, would resemble the expedients of a blasé old rake, Rosette adores me far and away above all others. She sees therein the ardor of a teasing passion that nothing can restrain, and that is always the same despite the changes of time and place. She sees therein the constantly renewed effect of her charms and the triumph of her beauty, and, in truth, I would that she were right, and it is neither my fault nor hers--I must be just--that she is not.

The only wrong I have done her consists in being myself. If I told her that, the child would reply at once that that is my greatest merit in her eyes; which would be more courteous than sensible.

Once--it was in the beginning of our liaison--I believed that I had gained my end, for a moment I believed that I loved her--I did love her.--O my friend, I have never lived except during that moment, and if it had lasted an hour I should have become a god. We had ridden out together in the saddle, I on my dear Ferragus, she on a snow-white mare that looks like a unicorn, her feet are so delicate and her body so slender. We rode along a broad avenue of elms of prodigious height; the sun poured down upon us, bright and warm, sifting through the serrated foliage; ultra-marine patches showed here and there amid the fleecy clouds, broad bands of pale blue lay along the horizon, changing to a most delicate apple-green when they encountered the golden rays of the setting sun. The appearance of the sky was unusual and fascinating; the breeze wafted to our nostrils an indefinable perfume of wild flowers delicious beyond words. From time to time a bird rose in front of us and flew singing along the avenue. The church-bell of an invisible village softly rang the Angelus, and the silvery notes, which came but faintly to our ears because of the distance, were inexpressibly sweet. Our horses were going at a foot pace, and they walked side by side in such perfect step that neither of them was an inch ahead of the other.--My heart dilated and my soul overflowed upon my body. I had never been so happy. I did not speak, nor did Rosette, and yet we never understood each other so perfectly. We were so close together that my leg touched her horse's side. I leaned toward her and put my arm about her waist; she made a similar movement and rested her head against my shoulder. Our mouths met; O such a chaste, delicious kiss! Our horses walked on, the reins lying on their necks. I felt Rosette's arms relax and her body yield more and more. I knew that my own strength was failing me, and I was near fainting.--Ah! I promise you that at that moment I cared but little whether I was myself or somebody else. We rode in that way to the end of the avenue, where the sound of footsteps caused us abruptly to resume our natural positions; some of our acquaintances, also in the saddle, rode up and spoke to us. If I had had my pistols, I believe I should have fired at them.

I glared at them with a fierce, lowering expression that must have seemed very strange to them. After all, I was wrong to be so angry with them, for they had unwittingly done me the service of cutting my pleasure short at the moment when, by its very intensity, it was certain to become pain or to sink under its violence. The science of stopping in time is not regarded with all the respect it deserves.--Sometimes, as you lie with a woman, you put your arm under her waist: at first it is a most blissful sensation to feel the pleasant warmth of her body, the soft, velvety flesh of her sides, the polished ivory of her hips, and to press your hand against her breast which throbs and quivers. The fair one falls asleep in that voluptuous, charming posture; the curve of her loins becomes less pronounced, the agitation of her bosom is calmed, her sides rise and fall with the freer, more regular respiration of sleep, her muscles relax, her face is hidden by her hair.--Meanwhile the weight upon your arm grows heavier, you begin to observe that she is a woman, not a sylph; but you would not remove your arm for anything on earth. There are many reasons for that: the first is that it is dangerous to wake a woman with whom one is lying; one must be prepared to substitute for the blissful dream she is probably dreaming, a more blissful reality; the second is that, if you ask her to raise herself so that you can take away your arm, you tell her indirectly that she is heavy and discommodes you--which is not polite--or else you give her to understand that you are feeble and overdone--an extremely humiliating admission for you and likely to lower you greatly in her mind; the third is that, as you have had pleasure in that position, you think that if you retain the position the pleasure may be renewed, wherein you are mistaken. The poor arm is caught under the mass that crushes it, the blood is checked, the nerves are distended and numbness pricks you with its countless needles: you are a sort of Milo of Crotona on a small scale, and the mattress and the back of your divinity are a sufficiently accurate representation of the two parts of the tree that have reunited. Day comes at last to deliver you from your martyrdom and you leap out of that instrument of torture more eagerly than ever husband descended from the nuptial scaffold.

That is the history of many passions. It is the history of all pleasures.

However that may be--despite the interruption or because of the interruption--never had such a blissful sensation fallen to my lot: I felt that I was really somebody else. Rosette's soul in its entirety had entered into my body. My soul had left me and filled her heart as hers had filled mine. They had met, no doubt, during that long equestrian kiss, as Rosette dubbed it afterward--to my annoyance by the way--and had penetrated and mingled as inextricably as the souls of two mortal creatures can upon a morsel of perishable clay.

Angels surely must kiss like that, and the real paradise is not in heaven but on the lips of the woman we love.

I have waited in vain for such a moment and have tried unsuccessfully to lead up to a repetition of it. We have often ridden together through the avenue of elms at sunset on lovely evenings; the trees had the same verdure, the birds sang the same song, but to us the sun seemed dull, the foliage withered: the song of the birds had a harsh, discordant sound, we were no longer in harmony with it all. We brought our horses to a walk and we tried the same kiss.--Alas! only our lips met and it was only the spectre of the former kiss.--The beautiful, the sublime, the divine, the only real kiss I have given and received in my whole life had flown away forever. Since that day I have always had an inexpressibly sad feeling on returning from the forest. Rosette, light-hearted madcap that she naturally is, cannot avoid the feeling and her reverie betrays itself by a sweet little pout, which is at least as attractive as a smile.

Scarcely anything but the fumes of wine and a great blaze of candles enable me to shake off these fits of depression. We both drink like men condemned to death, silently and glass after glass, until we have swallowed the necessary amount; then we begin to laugh and mock most heartily at what we call our sentimentality.

We laugh--because we cannot weep. Ah! who will succeed in sowing a tear in my parched eye?

Why did I enjoy that evening so? It would be very hard for me to say. I was the same man, Rosette the same woman. It was not my first experience on horse-back, nor hers; we had already watched the sun set and the spectacle had touched us no more than a picture, which one admires or not according as the colors are more or less brilliant. There is more than one avenue of elms and chestnuts in the world, and that was not the first one we had ridden through; what then caused us to find such a sovereign fascination there, what metamorphosed the dead leaves into topazes, the green leaves into emeralds, gilded all those whirling atoms and changed into pearls all the drops of water scattered over the greensward, what imparted such sweet melody to the tones of a bell that was usually discordant and to the twittering of countless young birds?--There must have been a very penetrating flavor of poesy in the air, as even our horses seemed to catch the scent of it.

And yet nothing in the world could be more pastoral and more simple: a few trees, a few clouds, five or six clumps of wild thyme, a woman, and a sunbeam over all like a gold chevron on a coat of arms.--There was neither surprise nor bewilderment in my sensations. I knew perfectly well where I was. I had never been to that precise spot, but I remembered perfectly the shape of the trees and the position of the clouds, the white dove that flew across the sky I had seen flying in the same direction; the little silvery bell, which I then heard for the first time, had often tinkled in my ears, and its voice seemed to me like the voice of a friend; although I had never been there, I had many times passed through that avenue with princesses mounted on unicorns; my most voluptuous dreams rode there every evening and my desires had exchanged kisses absolutely like the one exchanged by myself and Rosette.--There was nothing new to me in that kiss; but it was as I had thought it would be. It was perhaps the only time in my life that I have not been disappointed and that the real has seemed to me as beautiful as the ideal.--If I could find a woman, a landscape, a building, anything that corresponded as closely to my desires as that moment corresponded to the moment I had dreamed of, I should have no reason to envy the gods, and I would gladly renounce my box in paradise.--But, in truth, I do not believe that any man of flesh and blood could have an hour of such exquisite enjoyment; two kisses like that would pump a whole life dry and leave a complete void in a heart and a body.--But no such consideration as that would stop me; for, not being able to prolong my life indefinitely, I am ready to die, and I should prefer to die of pleasure rather than of old age or ennui.

But that woman doesn't exist.--Yes, she does exist; it may be that only a wall separates us.--Perhaps I jostled her in the street yesterday or to-day.

In what does Rosette fall short of being that woman? In this, that I do not believe she is. By what fatality do I always have for mistresses, women that I do not love? Her neck is smooth enough to set off the most beautifully-wrought necklaces; her fingers are taper enough to do honor to the loveliest and richest rings; the ruby would blush with pleasure to gleam on the pink lobe of her delicate ear; the cestus of Venus would fit her waist; but Love alone has the secret of tying his mother's scarf.

All Rosette's merit is in herself, I have attributed nothing to her that she has not. I have not cast over her beauty the veil of perfection with which love envelops the loved one;--the veil of Isis is transparent beside that veil. Naught but satiety can raise the corner of it.

I do not love Rosette; at least my love for her, if I have any, does not resemble the ideal I have formed of love. It may be that my ideal is not a just one, I do not dare to say. Certain it is that it makes me insensible to the merits of other women, and I have desired no other with any consistency since I have had her. If she has any reason to be jealous, it is of phantoms only, about which she worries very little, and yet her most formidable rival is my imagination; that is something which, with all her shrewdness, she will probably never discover.

If women only knew!--How many infidelities the least fickle lover is guilty of to the most adored mistress!--It is to be presumed that they pay us back in full and more; but they do as we do and say nothing. A mistress is a necessary subject, who ordinarily disappears under flourishes and embroidery. Very often the kisses you give her are not for her; you embrace the idea of another woman in her person, and she profits not infrequently--if it can be called profiting--by the desires aroused by another. Ah! my poor Rosette, how many times you have served as a body to my dreams and given reality to your rivals; to how many infidelities have you unwittingly been accessory! If you could have imagined, at times when my arms clasped you so tightly, when my mouth was most closely united to yours, that your beauty and your love had nothing to do with my passion, that the thought of you was a hundred leagues from my mind; what if some one had told you that those eyes, veiled with amorous languor, were cast down simply in order not to look at you and not to banish the illusion that you served only to complete, and that, instead of being a mistress, you were simply an instrument of lust, a means of assuaging a desire impossible of realization!

O divine creatures, ye lovely virgins, slender and diaphanous, who lower your periwinkle eyes and clasp your lily hand in the pictures with golden backgrounds of the old German masters, ye stained-glass saints, ye missal martyrs who smile so sweetly amid the convolutions of the arabesques, and come forth so fresh and fair from the flower-bells!--O ye lovely courtesans lying all naked in your hair on beds strewn with roses, beneath great purple curtains, with your bracelets and necklaces of huge pearls, your fan and your mirrors, gleaming in the shadow in the fiery rays of the setting sun!--ye dark-skinned maidens of Titian, who display so wantonly your undulating hips, your firm, round thighs, your polished breasts and your supple and muscular loins!--ye antique goddesses, who rear your white phantoms in the shady corners of gardens!--ye are a part of my seraglio; I have possessed you all in turn.--Sainte Ursule, I have kissed your hands on the fair hands of Rosette; I have toyed with the black hair of the Muranese and Rosette never had such a hard task to rearrange her hair: I have been with you more than Acteon was, O virgin Diana, and I have not been changed to a stag: it was I who replaced your handsome Endymion!--What a multitude of rivals whom she does not suspect and upon whom she cannot be revenged! yet they are not all painted or carved!

Women, when you notice that your lover is more affectionate than usual, that he presses you in his arms with unwonted emotion; when he rests his head upon your knees and raises it to look at you with moist and wandering eyes; when enjoyment serves only to augment his desire and he stifles your voice with his kisses as if he dreaded to hear it, be sure that he simply does not know that you are there; that he has, at that moment, an assignation with a chimera which you make palpable, and whose part you play.--Many chamber-maids have profited by the love that queens inspire.--Many women have profited by the love that goddesses inspire, and a commonplace reality has often served as the pedestal for an ideal idol. That is why poets habitually take dirty trollops for mistresses.--You can lie ten years with a woman without ever seeing her; that is the history of many great geniuses, whose ignoble or obscure connections have caused the world to wonder.

I have been unfaithful to Rosette in no other way than that. I have been false to her only for pictures and statues and she has been equally concerned in the treachery. I have not the slightest material sin upon my conscience with which to reproach myself. I am, in that respect, as white as the snow-capped Jungfrau, and yet, while not in love with anybody, I would like to be with some one. I do not seek the opportunity, but I shall not be sorry if it comes; if it should come, I might not use it, perhaps, for I have an innate conviction that it would be the same with another, and I prefer that it should be so with Rosette than with any other; for, take away the woman, I still have a jolly companion, witty, and very agreeably depraved; and that consideration is not one of the least of those that restrain me, for, in losing the mistress, I might be distressed to find that I had lost the friend.



IV


Do you know that it will soon be five months, yes, fully five months, five eternities that I have been the titular Celadon of Madame Rosette? That is admirable to the last degree. I would not have believed myself to be so constant, nor would she, I will wager. We are in very truth a couple of plucked pigeons, for only turtle-doves are capable of such affection. How we have cooed! how we have pecked at each other! what pictures of clinging ivy! what a charming existence _à deux!_ Nothing could be more touching, and our two poor little hearts might have been placed on a dial pierced by the same spit, and as though trembling in a gust of wind.

Five months' tête-à-tête, so to speak, for we see each other every day and almost every night--the door being always closed to visitors; doesn't it make your flesh creep simply to think of it? Well! to the glory of the incomparable Rosette be it said, I am not greatly bored, and those months will doubtless prove to be the most agreeable in my life. I do not think it would be possible to entertain more constantly and more successfully a man who has no passion in his heart, and God knows what pitiable idleness it is that is attributable to an empty heart! You cannot imagine that woman's expedients. She began by taking them from her mind, then from her heart, for she loves me to adoration.--With what skill she makes the most of the slightest spark and how well she knows how to fan it into a conflagration! how adroitly she guides the slightest impulses of the heart! how she transforms languor into tender reverie! and by what roundabout roads does she bring back to her the mind that is slipping away!--It is marvellous!--And I admire her as one of the greatest geniuses imaginable.

I have been to her house in very bad humor, sulky, looking for a quarrel. I have no idea how the witch did it, but in a very few minutes she had compelled me to say flattering things to her, although I hadn't the slightest desire to do it, to kiss her hands and laugh with all my heart, although I was horribly angry. Can you conceive of such tyranny as that?--However, adroit as she is, the tête-à-tête cannot last much longer, and in the course of the last fortnight I have frequently done what I never did before--open the books on the chimney and on the table and read a few lines during the pauses in the conversation. Rosette has noticed it, it has alarmed her so that she has had hard work to dissemble her feelings, and she has taken all the books out of her room. I confess that I regret them, although I dare not ask for them.--The other day--an alarming symptom!--some one called while we were together, and instead of flying into a rage as I used to do at the beginning, I was conscious of a sort of pleasure. I was almost affable: I kept up the conversation when Rosette tried to let it languish so that monsieur would take his leave, and when he had gone I ventured to say that he didn't lack wit and that he was a very agreeable fellow. Rosette reminded me that only two months before I had found the same man intensely stupid and the most annoying idiot on earth, to which I had no reply to make, for I did actually say it; and I was right, too, despite the apparent contradiction: for the first time he disturbed a charming tête-à-tête, and the second he came to the assistance of a conversation that was exhausted and running dry--on one side at least--and spared me for that day a tender scene that I was tired of acting.

That is the point at which we now are; it is a serious state of things, especially when one of the two is still in love and is clinging desperately to the remains of the other's love. I am in great perplexity. Although I am not in love with Rosette, I am very, very fond of her, and I should hate to do anything to cause her pain. I wish her to believe, as long as possible, that I love her.

In gratitude for all the hours to which she has lent wings, in gratitude for the love she has given me for pleasure, I wish it.--I shall deceive her; but is not pleasurable deceit preferable to painful truth?--for I shall never have the heart to tell her that I do not love her. The empty shadow of love on which she is feeding seems to her so adorable and so dear, she embraces the pale spectre with such rapture and effusion that I do not dare cause it to vanish; and, yet I am afraid that she will discover at last that it is only a phantom. This morning we had an interview which I propose to repeat in dramatic form for greater accuracy, and which makes me fear that I cannot prolong our liaison very long.

The scene is Rosette's bed. A sunbeam streams through the curtains: it is ten o'clock. Rosette has one arm under my neck and lies perfectly still for fear of waking me. From time to time she rises a little on her elbow and leans over my face, holding her breath. I see all this through my eyelashes, for I have been awake an hour. Rosette's night-dress has a neck ruffle of Malines lace which is all torn: it has been a stormy night; her hair protrudes in disorder from under her little cap. She is as pretty as a woman can be, when one doesn't love her and is lying in bed with her.

     ROSETTE (_seeing that I am awake)._
     Oh! sleepyhead!
     I (_yawning_).
     Ah-h-h!
     ROSETTE.
     Don't yawn like that or I won't kiss you for a week.
     I.
     Oh!
     ROSETTE.
     It seems, monsieur, that you don't care much whether I
     kiss you or not.
     I.
     Yes, I do.
     ROSETTE.
     How indifferently you say it!--All right; you can depend
     upon it that I won't touch you with the end of my lips for
     a week to come.--To-day is Tuesday: not till next Tuesday.
     I.
     Nonsense!
     ROSETTE.
     What's that? nonsense?
     I.
     Yes, nonsense! you'll kiss me before night, or I shall die.
     ROSETTE.
     You die! What a silly fellow!--I have spoiled you,
     monsieur.
     I.
     I shall live.--I am not silly and you have not spoiled
     me--quite the contrary. In the first place I demand the
     instant suppression of _monsieur;_ I know you well enough
     for you to call me by my name and speak in the language of
     intimates.
     ROSETTE.
     I have spoiled you, D'Albert.
     I.
     Very good.--Now put your mouth over here.
     ROSETTE.
     No, next Tuesday.
     I.
     Well, well! has it come to this, that we exchange
     caresses, calendar in hand? We are both a little too young
     for that.--Come, your mouth, my child, or I shall get a
     crick in my neck.
     ROSETTE.
     No.
     I.
     Ah! you want me to force you, mignonne; _pardieu_! then I
     will force you. The thing is feasible, although perhaps it
     has never been done.
     ROSETTE.
     Impertinent!
     I.
     Notice, my lovely one, that I was courteous enough to say
     _perhaps;_ that was very good of me.--But we are getting
     away from the subject. Put down your head. Hoity-toity!
     what is all this, my favorite sultana? and what means the
     sulky expression on your face? It is a pleasure to kiss a
     smile and not a pout.
     ROSETTE. (_stooping to kiss me)._
     How do you expect me to laugh? you say such harsh things
     to me!
     I.
     My purpose is to say very tender things to you. Why should
     I say harsh things?
     ROSETTE.
     I don't know; but you do say them.
     I.
     You mistake meaningless jests for harshness.
     ROSETTE.
     Meaningless! You call it meaningless, do you? everything
     has a meaning in love. I tell you I would rather have you
     beat me than laugh as you do.
     I.
     Then you would like to see me weep?
     ROSETTE.
     You always go from one extreme to the other. No one asks
     you to weep, but to talk reasonably and drop that tone of
     persiflage that becomes you so ill.
     I.
     It is impossible for me to talk reasonably and not joke;
     I'll beat you, if that's what you want!
     ROSETTE.
     Do it.
     I (_giving her a little tap or two on the shoulder)._
     I would rather cut off my own head than mar your adorable
     little body and make blue stripes on that lovely white
     back.--However much a woman may enjoy being beaten, my
     goddess, I swear that you shan't be.
     ROSETTE.
     You don't love me any more.
     I.
     That doesn't follow very logically from what precedes;
     it's almost as logical as to say: "It rains, so don't give
     me my umbrella;" or: "It's cold, open the window."
     ROSETTE.
     You don't love me, you have never loved me.
     I.
     Aha! the plot thickens; you don't love me any more and you
     have never loved me. That is rather contradictory; how can
     I cease to do a thing which I never began to do?--You see,
     my little queen, you don't know what you are saying and
     you are perfectly ridiculous.
     ROSETTE.
     I longed so to have you love me that I helped to deceive
     myself. It is easy to believe what one desires; but now
     I see that I am mistaken. You made a mistake yourself;
     you mistook liking for love and desire for passion. It's
     something that happens every day. I bear you no ill will
     for it: it wasn't your fault that you weren't in love with
     me; my own lack of charm is all that I have to blame.
     I ought to have been prettier, more playful, more of a
     flirt; I ought to have tried to rise to your level, O my
     poet! instead of trying to pull you down to mine: I was
     afraid of losing you among the clouds, and I dreaded lest
     your head should steal your heart from me. I imprisoned
     you in my love and I thought that, if I gave myself to you
     utterly, you would keep a little something of me--
     I.
     Move away a little, Rosette; your leg burns me--you're
     like a hot coal.
     ROSETTE.
     If I annoy you, I'll get up.--Ah! stony heart, drops of
     water pierce the stone, but my tears have no effect on
     you. (_She weeps_).
     I.
     If you weep like that, you will certainly make a bathtub
     of our bed.--A bathtub, did I say? an ocean.--Can you
     swim, Rosette?
     ROSETTE.
     Villain!
     I.
     Oho! now I am a villain! You flatter me, Rosette, I
     haven't that honor. I am a blithesome bourgeois, alas!
     and I have never committed the least crime; I have done a
     foolish thing, perhaps, in loving you to distraction; that
     is all.--Are you absolutely determined to make me repent
     that?--I have loved you and I love you now as much as I
     can. Since I have been your lover I have always walked
     in your shadow: I have given you all my time, my days
     and my nights. I have indulged in no high-flown phrases
     with you because I don't care for them except when they
     are written; but I have given you a thousand proofs of my
     affection. I won't speak of the most scrupulous fidelity,
     for that goes without saying; but I have lost a pound and
     three-quarters since you have been my mistress. What more
     do you want? Here I am in your bed; I was here yesterday,
     I shall be here to-morrow. Is that the way a man acts
     with a woman he doesn't love? I do whatever you want; you
     say: "Go," and I go; "stay," and I stay; I am the most
     admirable lover in the world, it seems to me.
     ROSETTE.
     That is just what I complain of--you are the most perfect
     lover in the world.
     I.
     What have you to reproach me for?
     ROSETTE.
     Nothing; and I would prefer to have some reason to
     complain of you.
     I.
     This is an extraordinary quarrel.
     ROSETTE.
     It's much worse than that.--You don't love me.--I can
     do nothing about it, nor can you.--What remedy have I
     for that? Certainly I would prefer to have something to
     forgive you for.--I would scold you; you would apologize
     as best you could and we should make up.
     I.
     That would be all clear gain for you. The greater the
     crime, the more imposing the reparation.
     ROSETTE.
     You know very well, monsieur, that I am not yet reduced to
     that, and that if I chose, at this moment, although you
     don't love me and we are quarrelling--
     I.
     Yes, I agree that it is purely the result of your kindness
     of heart.--Be a little kind now; that would be better than
     syllogizing over our heads as we are doing.
     ROSETTE.
     You want to cut short a conversation that embarrasses you;
     but by your leave, my good friend, we will be content with
     talking.
     I.
     That's a cheap repast.--I assure you that you are making
     a mistake, for you are distractingly pretty, and I have
     sensations.
     ROSETTE.
     Which you can describe some other time.
     I.
     Aha! my adorable, you have become a little Hyrcanian
     tigress, have you? your cruelty to-day is beyond
     words!--Have you been taken with the fever to set yourself
     up as a vestal? It would be an amusing whim.
     ROSETTE.
     Why not? stranger whims have been known; but this
     much is sure, I shall be a vestal so far as you are
     concerned.--Understand, monsieur, that I give myself only
     to people who love me or who I think love me.--You are in
     neither position.--Allow me to rise.
     I.
     If you rise, I shall rise too.--You will have the trouble
     of going back to bed, that's all.
     ROSETTE.
     Let me go!
     I.
     _Pardieu_, no!
     Rosette (_struggling)._
     Oh! you shall let me go!
     I.
     I venture, madame, to assure you of the contrary.
     ROSETTE (_seeing that she is not the stronger)._
     All right! I will stay! you squeeze my arms so
     tight!--What do you want of me?
     I.
     I think you know.--I would not allow myself to put in
     words what I allow myself to do; I have too much respect
     for decency.
     ROSETTE (_already beyond the power to defend herself_).
     On condition that you will love me dearly--I surrender.
     I.
     It's a little late to strike your flag, when the enemy is
     already in the citadel.
     ROSETTE (_half swooning, throwing her arms around my
     neck_).
     Unconditionally. I rely on your generosity.
     I.
     You do well.

At this point, my dear friend, I think it would not be amiss to place a line of asterisks, for the rest of the dialogue could hardly be translated except by onomatopœia.

      *       *       *       *       *

The sunbeam has had time, since the opening of the scene, to make the tour of the bedroom. A pleasant, penetrating odor of linden-trees comes up from the garden. It is as beautiful a day as can be imagined; the sky is as blue as an Englishwoman's eye. We rise, and, after breakfasting with a good appetite, we take a long drive in the country. The clear air, the beauty of the landscape and the aspect of nature in her joyous mood instilled enough sentimentality and tenderness into my soul to make Rosette agree that, after all, I have something in the shape of a heart like other men.

Have you never noticed how the shade of the woods, the plashing of fountains, the singing of birds, a bright and laughing landscape, the odor of the leaves and flowers, all the paraphernalia of eclogues and descriptive poems which we have agreed to despise, none the less retain a secret influence over us, however depraved we may be, which it is impossible for us to resist? I will tell you in confidence, under seal of the most profound secrecy, that I surprised myself very recently in a most provincial state of emotion in connection with a nightingale's song. It was in D----'s garden; the sky, although it was night, was almost as bright as at noonday; it was so measureless and so transparent that one's glance easily penetrated to God. It seemed to me as if I could see the folds of the angels' robes on the white windings of the Milky Way. The moon had risen, but a great tree hid it completely; it riddled the dark foliage with a million little luminous holes and showered more spangles about than ever glittered upon a marchioness's fan. A silence laden with faint sounds and sighs filled the garden--perhaps this resembles pathos, but it is not my fault;--although I saw nothing save the bluish gleam of the moon, it seemed to me as if I were surrounded by a whole population of phantoms, unknown yet adored, and I had no feeling of loneliness, although there was no one but myself on the terrace.--I was not thinking, I was not dreaming, I was blended with my surroundings and I felt myself shiver with the foliage, glisten with the water, gleam with the moonbeams, bloom with the flowers; I was no more myself than the tree, the streamlet, or the four-o'clock. I was all of them at once, and I do not think it possible to be more thoroughly removed from one's self than I was at that moment. Suddenly, as if something extraordinary had happened, the leaf ceased to flutter at the end of the branch, the drop of water from the fountain remained suspended in the air and did not fall. The silvery thread, starting from the edge of the moon, stopped on the way; my heart alone beat with such resonance that it seemed to fill the whole vast space with clamor.--My heart ceased to beat and there was such a profound silence that you could have heard the grass grow, and a word spoken in an undertone two hundred leagues away. And then the nightingale, who probably was awaiting that moment to begin his song, emitted from his little throat a note so shrill and piercing that I heard it with my breast no less than with my ears. The sound spread quickly through the crystalline expanse, until that moment as still as death, and created a harmonious atmosphere, wherein the other notes that followed it flew to and fro, flapping their wings.--I understood what he said as perfectly as if I had known the secret of the bird language. The story of the loves I have not found was what the nightingale sang. Never was a truer story told or told with greater fulness. He did not omit the smallest detail, the most imperceptible shade. He told me what I had not been able to tell myself, he explained what I had not been able to understand; he gave voice to my reverie and compelled the phantom, hitherto dumb, to reply. I knew that I was beloved, and a thrill most languorously drawn out informed me that I should soon be happy. It seemed to me that I could see the white arms of my beloved extended toward me through the trills and quavers of his song and beneath the shower of notes, in a moonbeam.

She rose slowly before me with the perfume of the heart of a hundred-petalled rose.--I will not try to describe her beauty. It is one of those things that words decline to attempt. How describe the indescribable? how paint that which has neither form nor color? how note down a voice without quality and speechless?--I have never had so much love in my heart; I would have pressed nature to my bosom, I embraced the empty void as if my arms were clasped about a virgin form; I kissed the air that blew upon my lips, I swam in the magnetic fluids that exhaled from my glowing body. Ah! if Rosette had been there, what adorable rhapsodies I would have indulged in! But women never know enough to arrive at the opportune moment.--The nightingale ceased to sing; the moon, who could keep awake no longer, pulled her cap of clouds over her eyes, and I left the garden; for the cool night air was beginning to make itself felt.

As I was cold, I naturally thought that I should be warmer in Rosette's bed than my own, and I went to lie with her.--I let myself in with my pass-key, for everybody in the house was asleep.--Rosette herself had fallen asleep, and I had the satisfaction of seeing that it was over a volume uncut, of my latest poems. She had both arms under her head, her mouth half open and smiling, one leg stretched out and the other partly curled up, in an attitude instinct with ease and grace; she was so lovely that I mortally regretted that I was no longer in love with her.

As I looked at her I reflected that I was as stupid as an ostrich. I had what I had so long desired, a mistress as entirely my own as my horse and my sword, young, pretty, amorous and clever; with no stern-principled mother, no father with a decoration, no cross-grained aunt, no swaggering brother, and with the priceless advantage of a husband duly sealed and nailed up in a fine oaken casket lined with lead, the whole covered over with a large block of hewn granite, which is not to be despised; for, after all, it is a very doubtful pleasure to be caught in the act in the middle of a blissful paroxysm, and to complete one's sensations on the pavement, after describing an arc of 40 to 45 degrees, according to the floor on which you happen to be;--a mistress as free as the mountain air and rich enough to indulge in the most exquisite refinements and luxuries, and, moreover, free from anything like moral ideas, never talking about her virtue as she tries a new posture, nor of her reputation, any more than if she had never had one; with no intimate female friends, and despising all women almost as much as if she were a man, entertaining a very low opinion of platonic affection and making no secret of it, and always playing with her heart in the game; a woman who, if her lines had fallen in another sphere, would indubitably have become the most admirable courtesan on earth and dimmed the glory of the Aspasias and Imperias!

Now, that woman, so made, was mine. I did what I chose with her; I had the key to her room and her drawer; I broke the seals of her letters; I had taken away her name and given her another. She was my chattel, my property. Her youth, her beauty, her love, all belonged to me; I used them, I abused them. I made her go to bed in the daytime and sit up at night, if the whim seized me, and she obeyed simply, without any affectation of making a sacrifice, and without assuming the air of a resigned victim.--She was attentive, caressing, and--a most extraordinary thing!--absolutely faithful; that is to say, if in the days when I was lamenting that I had no mistress, six months ago, any one had given me a glimpse of such happiness, even in the distant future, I should have gone mad with joy and tossed my hat up to knock at the gates of heaven, in token of my delight. And now that I have that happiness, I am cold; I am hardly conscious that I have it, I am _not_ conscious of it, and my present position makes so little impression upon me that I often doubt if I have changed my position at all. If I should leave Rosette, I am convinced in my inmost soul that, at the end of a month, perhaps less, I should have so thoroughly and carefully forgotten her, that I shouldn't know whether I had ever known her or not! Would she do the same? I think not.

I reflected, as I say, upon all these things, and impelled by a sort of repentant feeling, I deposited on the fair sleeper's brow that most chaste and melancholy kiss that ever young man bestowed upon young woman--just on the stroke of midnight. She moved slightly, the smile about her mouth became a little more pronounced, but she did not wake. I undressed slowly, and, creeping under the clothes, stretched myself out by her side like a snake. The coolness of my body startled her; she opened her eyes, and, without speaking, put her mouth to mine and twined herself about me so completely that I was warmed in less than no time at all. All the poetry of the evening changed to prose, but to poetic prose at all events. That night was one of the sweetest sleepless nights I ever passed. I can hope for no more such.

We still have pleasurable moments, but they must be led up to and prepared for by some outside incident like this, and in the beginning I did not need to have my imagination excited by gazing at the moon and listening to the nightingale, in order to have all the pleasure one can have when one is not really in love. There are as yet no broken threads in our woof, but there are knots here and there, and the chain is not nearly so smooth as it was.

Rosette, who is still in love, does what she can to avert all these inconveniences. Unfortunately there are two things in the world that cannot be guided: love and ennui.--For my own part I make superhuman efforts to conquer the drowsiness that steals over me in spite of myself, and like the provincials who fall asleep at ten o'clock in Parisian salons, I keep my eyes as wide open as possible and hold up my eyelids with my fingers!--nothing serves the purpose and I take conjugal liberties that are most unpalatable.

The dear child, who found the rural expedition so successful the other day, took me off to her country estate yesterday.

It would not be out of place, perhaps, to give you a little description of the aforesaid estate, which is very attractive; it will lighten up all this metaphysics a little, and then, too, we must have a background for the characters, and figures will not stand out in relief against an empty void, or against the vague shade of brown with which painters fill up the field of their canvas.

The approach is very picturesque.--Driving through a broad avenue, lined with venerable trees, you come to a star, the centre of which is marked by a stone obelisk surmounted by a sphere of gilded copper: five roads form the points of the star. Then the land suddenly descends. The road plunges down into a narrow valley, with a small stream flowing at the bottom, which is crossed by a bridge of a single span; then, ascends the opposite slope, where the village lies, whose slated church-tower can be seen among the thatched roofs and the rounded tops of the apple-trees. The view is not very extensive, for it is limited on both sides by the crest of the hill, but it is bright and pleasant and rests the eye.--Beside the bridge there is a mill and a tower-shaped structure built of red stone: almost incessant barking and the sight of a brach-hound or two and some young terriers with crooked legs warming themselves in the sun before the door, would inform you that it was the head-keeper's abode, if the buzzards and martens nailed to the shutters could leave you for a moment in doubt. At that point an avenue of sorb-trees begins; the red berries attract clouds of birds; as there is little passing, there is only a band of white in the middle of the road; all the rest is covered with short, fine moss, and, in the double rut made by carriage wheels, little grasshoppers, as green as emeralds, buzz and hop about.

After driving some little distance along this avenue you come to a painted iron fence, with gilt trimmings, and bristling with spikes and _chevaux de frise._ Thence the road leads to the château--which is still invisible, for it is buried in verdure like a bird in its nest--but its progress is leisurely and it frequently turns aside to visit a brook and a fountain, a dainty summer-house or a point from which a fine view can be had, crossing and recrossing the stream over Chinese or rustic bridges. The inequality of the land and the dams built for the purposes of the mill cause several waterfalls some four or five feet in height, and you can imagine nothing more delightful than to hear the splashing of all these cascades close beside you, but generally out of sight, for the osiers and elders that line the bank form an almost impenetrable curtain. But all that part of the park is, so to speak, only the antechamber of the other part: unfortunately, a public highway passes through the estate and cuts it in two, a drawback for which a very ingenious remedy has been devised. Two high crenelated walls, provided with barbicans and loopholes in imitation of a ruined fortress, stand on each side of the road; connected with a tower on the château side, completely covered by gigantic ivy plants, is a genuine drawbridge which is lowered every morning, by iron chains, upon the opposite bastion. You drive through a lovely ogive archway inside the tower, and thence into the second enclosure, where the trees, which have not been cut for more than a century, are of extraordinary height, with gnarled trunks swathed in parasitic plants--the handsomest and most curious trees I have ever seen. Some have leaves only at the very top like broad umbrellas; others taper toward the top like plumes; others, on the contrary, have a large tuft of foliage near the bottom, from which the naked trunk rises toward the sky like a second tree planted in the first; you would say it was the foreground of a landscape painting or flies painted for a scene on the stage, the trees are so curiously misshapen;--ivies that reach from one to another and hug them so tight as to choke them, mingle their dark hearts with the green leaves and seem like their shadow. Nothing can be more picturesque. The stream widens at that spot, so as to form a little lake, and it is so shallow that you can see, through the transparent water, the lovely aquatic plants that carpet its bed. There are nymphæas and lotuses swimming nonchalantly in the purest crystal with the reflection of the clouds and the weeping-willows that lean over the bank: the château is on the other side, and yonder little skiff, painted apple-green and bright red, will save you a long detour to the bridge. The château is a collection of buildings built at different periods with gables of unequal heights and a multitude of little turrets. One ell is of brick with stone trimmings; another portion is in the rustic style, with quantities of excrescences and vermiculated work. Another ell is entirely modern; it has a flat Italian roof with vases and a tile balustrade, and a canvas porch in the shape of a tent. The windows are all of different sizes and do not correspond; there are some of all styles, even the trefoil and ogive, for the chapel is Gothic. Certain parts are trellised, like Chinese houses, with trellises painted different colors, covered with climbing honeysuckle, jasmin, nasturtiums, and virgin's bower, whose tendrils look familiarly in at the chamber windows and seem to put out their hands to you as they say good-morning.

Despite this lack of regularity, or rather because of it, it is a fascinating structure; at least, one does not see it all at a single glance; there is an opportunity for choice and one is always on the lookout for something one has not seen.

This château, with which I was not familiar, for it is twenty leagues from town, pleased me immensely at first sight, and I was extremely grateful to Rosette for conceiving the admirable idea of selecting such a nest for our love.

We arrived just at nightfall; and, as we were tired, after eating a hearty supper there was nothing we were so anxious to do as to go to bed--in separate rooms, mind you, for we intended to sleep in good earnest.

I was dreaming some rose-colored dream, full of flowers and sweet perfumes and birds, when I felt a warm breath on my forehead and a kiss descend upon it with quivering wings. A slight smacking of the lips and a pleasant moisture on the spot breathed upon led me to think that I was not dreaming: I opened my eyes and the first thing I saw was Rosette's cool, white neck, as she leaned over the bed to kiss me. I threw my arms around her waist and returned her kiss more passionately than I had done for a long while.

She went and drew the curtain and opened the window, then returned and sat on the edge of my bed, holding my hand in hers and playing with my rings. Her costume was marked by the most coquettish simplicity. She was without corsets or skirt, and had absolutely nothing on save a lawn _peignoir_ as white as milk, very ample and full; her hair was held in place on top of her head by a little white rose of the sort that has only three or four petals; her ivory feet were encased in embroidered slippers of brilliant, diversified colors, as small as they possibly could be, although they were too large for her, and without quarterings like those of the young Roman dames. I regretted, when I saw her so, that I was already her lover and hadn't the prospect still before me.

[Illustration: Chapter IV--_She went and drew the curtain and opened the window, then returned and sat on the edge of my bed, holding my hand in hers and playing with my rings. Her costume was marked by the most coquettish simplicity._]

The dream I was dreaming at the moment that she waked me in such pleasant fashion was not very far removed from the reality.--My chamber looked on the little lake I described just now. The window was surrounded by jasmin, which shook its stars over my floor in a silvery shower: large, exotic flowers swayed in the wind under my balcony as if to waft incense up to me; a vague, sweet perfume, composed of a thousand different perfumes, penetrated to my bed, from which I could see the water gleaming and flashing with millions of spangles; the birds chattered and warbled and whistled and chirped; it was a confusion of harmonious sounds like the hum and buzz of a fête.--Opposite, on a hill-side lying in the sunlight, was a smooth field of a golden green, with fat cattle feeding here and there, under the care of a small boy.--Higher up the hill and farther away were great patches of forest of a darker green, above which the bluish smoke of charcoal-kilns rose in spiral columns.

Every detail of the picture was calm and fresh and smiling, and wherever I turned my eyes, I saw only what was young and fair. My chamber was hung with chintz, with mats on the floor, and blue Japanese jars with rounded bodies and tapering necks, filled with strange flowers, artistically arranged on étagères and on the dark-blue marble chimney-piece; the fire-place also was filled with flowers. Panels above the doors, representing rural or pastoral scenes, bright-colored and daintily executed, sofas and divans in every nook and corner--and a lovely young woman, all in white, whose flesh gave a delicate pink tinge to the transparent dress where it came in contact with it: one can conceive nothing better calculated to give pleasure to the soul as well as to the eyes.

And so my gratified, careless glance wandered, with equal pleasure, from a magnificent jar thickly strewn with dragons and mandarins, to Rosette's slipper, and thence to the corner of her shoulder that glistened under the lawn; it rested on the fluttering stars of the jasmin and the white hairs of the willows on the bank, crossed the water and sauntered over the hill-side, then returned to the chamber to fix itself on the rose-colored ribbons of some shepherdess's long corset.

Through the openings in the foliage the sky showed millions of blue eyes; the water rippled gently and I gave myself up to the enjoyment of the moment, plunged in blissful tranquillity, saying nothing, with my hand still in Rosette's tiny hands.

It is of no use to talk: happiness is white and pink; it can hardly be represented otherwise. Delicate colors belong to it as of right. It has on its palette only sea-green, sky-blue and light yellow: its pictures are all light like those of the Chinese painters. Flowers, bright light, perfumes, a soft and velvety skin touching yours, a veiled melody coming from you know not where,--with those one can be perfectly happy; there is no way of being happy otherwise. I myself, who have a horror of the commonplace, who dream only of strange adventures, violent passions, frenzied bliss, unusual and difficult situations, I must be happy like an animal in that way, and, whatever I may do, I can find no other.

I beg you to believe that I made none of these reflections at the time; they have come to me since as I sat here writing to you; at that moment I thought of nothing but enjoying myself--the only occupation of a reasonable man.

I will not describe the life we lead here, it is easily imagined. There are walks under the great trees, violets and strawberries, kisses and little blue flowers, luncheons on the grass, readings and books forgotten under the trees; water parties with the end of a scarf or a white hand dipping in the stream, long ballads and long laughter repeated by the echoes of the bank;--the most Arcadian life imaginable!

Rosette overwhelms me with caresses and little attentions; more amorous than the dove in May, she twines about me and envelops me in her folds; she tries to let me breathe no other atmosphere than her breath and see no other horizon than her eyes; she maintains a very strict blockade and allows nothing to go in or out without permission; she has built a little guard-house beside my heart, from which she keeps watch on it night and day.--She says delightful things to me; she makes very complimentary speeches; she sits on my knee and acts in my presence exactly like a submissive slave before her lord and master; all of which suits me very well, for I like such little humble ways and I have a leaning toward Oriental despotism; she doesn't do the smallest thing without asking my opinion, and seems to have completely laid aside her own fancy and her will; she tries to divine my thought and anticipate it; she crushes me with her wit, her affection and her submission; she is perfect enough to throw out of the window.--How in the devil can I leave a woman so adorable without seeming to be a monster? It would be enough to discredit my heart forever.

Oh! how I would like to catch her tripping, to find some grievance against her! how impatiently I await an opportunity for a quarrel! but there is no danger that the hussy will give me one! When I speak sharply to her, in a harsh tone, to bring about a quarrel, she answers me so sweetly, in such a silvery voice, with her eyes swimming in tears, and such a sad, loving expression, that I seem to myself to be more than a tiger, or at least a crocodile, and, inwardly raging, I am forced to ask her pardon.

She is literally murdering me with love; she puts me to the question and every day she draws closer the planks between which I am caught. She probably wants to drive me to tell her that I detest her, that she bores me to death, and that, if she doesn't leave me in peace, I will slash her face with my hunting crop. Pardieu! she will succeed, and if she continues to be as amiable, it will be before long or may the devil carry me off!

Notwithstanding all this fine show, Rosette is surfeited with me as I am with her; but as she has done some notoriously foolish things for me, she doesn't want to take to herself the discredit of a rupture in the eyes of the excellent corporation of sensible women. Every great passion claims to be everlasting, and it is very convenient to assume the credit of that everlastingness without suffering its disadvantages.--Rosette reasons thus:--"Here is a young man who has hardly a vestige of fondness left for me, and, as he is simple-minded and easy-going, he doesn't dare show it openly and doesn't know which way to turn: it is plain that I bore him, but he will wear his life out in the toils rather than take it on himself to leave me. As he is a poet after a fashion, he has his head full of fine phrases about love and passion, and considers himself bound in conscience to be a Tristan or an Amadis. Now, as nothing in the world is more insupportable than the caresses of a person one is beginning not to love--and to cease to love a woman is to hate her intensely--I propose to lavish them on him in a way to sicken him, and the result will be either that he will send me to the devil or will begin to love me again as he did on the first day, which he will take very good care not to do."

No reasoning could be better.--Isn't it charming to play the part of the abandoned Ariadne?--People pity you and admire you, and there are no imprecations strong enough for the infamous wretch who has been so inhuman as to abandon such an adorable creature; you assume an air of grieved resignation, you put your hand under your chin and your elbow on your knee so as to show off the pretty blue veins in your wrist. You wear your hair more dishevelled, and your dresses for some little time are of soberer hue. You avoid mentioning the ingrate's name, but you make roundabout allusions to him, at the same time heaving beautifully modulated little sighs.

A woman so good, so beautiful, so passionate, who has made such great sacrifices, who has done nothing worthy of blame, a chosen vessel, a pearl of love, a spotless mirror, a drop of milk, a white rose, an ideal essence to perfume a life;--a woman whom you should have adored on your knees, and who will have to be cut in little pieces after her death, to make relics:--such a woman to be abandoned iniquitously, villainously, fraudulently! Why a pirate would do no worse! To give her her death-blow!--for she certainly will die of it.--One must have a paving-stone in his breast, instead of a heart, to act so.

O men! men!

I say this to myself, but perhaps it's not true.

However great actresses women naturally are, I find it hard to believe that they carry it as far as that; and, when all is said, are all Rosette's demonstrations simply the exact expression of her sentiments for me?--However it may be, the continuation of the tête-à-tête is impossible, and the fair chatelaine has at last issued invitations to her acquaintances in the neighborhood. We are busily engaged making preparations to receive the worthy provincials.--Adieu, my dear fellow.



V


I was mistaken.--My evil heart, incapable of love, seized upon that reason to deliver itself from the burden of a gratitude it did not wish to bear; I joyfully grasped that idea to excuse myself to my own conscience; I clung fast to it, but nothing could be farther from the truth. Rosette was not playing a part, and if ever woman was true, she is the woman.--Ah! well! I am almost angry with her for the sincerity of her passion, which is an additional bond and makes a rupture more difficult or less excusable; I would prefer her to be false and fickle.

What an extraordinary position! You long to go, but you stay; you long to say: "I hate you," but you say: "I love you;"--your past urges you forward and prevents you from turning back or stopping. You are faithful and you regret it. An indefinable sense of shame prevents your abandoning yourself altogether to other acquaintances and leads you to compromise with yourself. You give to one all you can steal from the other and at the same time keep up appearances; the opportunities for meeting which formerly came about so naturally are very hard to find to-day.--You begin to remember that you have business of importance.--Such a perplexing situation as that is very painful, but it is much less so than my present situation.--When it is a new friendship that steals you from the old, it is easier to extricate yourself. Hope smiles sweetly upon you from the threshold of the house that contains your new-born love.--A fairer and rosier illusion hovers on its white wings over the scarce-closed tomb of its sister who has died; another flower, blooming more radiantly and of sweeter perfume, upon whose petals trembles a celestial tear, has suddenly sprung forth from among the withered calyxes of the old bouquet;--lovely, azure-hued perspectives open before you; avenues of fresh and unpretentious beeches stretch away to the horizon; there are gardens with white statues here and there, or a bench against an ivy-covered wall, lawns dotted with marguerites, narrow balconies, on whose rails you lean and gaze at the moon, and shadows cut by fleeting rays of light;--salons from which the daylight is excluded by heavy curtains;--all the darkness and isolation that the passion craves which dares not avow itself. It is as if your youth had come again. You have, moreover, a complete change of haunts and habits and persons; you feel a sort of remorse, to be sure; but the desire that flutters and hums about your head, like a bee in spring, prevents your hearing its voice; the void in your heart is filled and your memories are effaced by present impressions,--But in my case it is different: I love no one and it is from weariness and disgust with myself rather than with her that I wish I were able to break with Rosette.

My former ideas, which had become a little indistinct in my mind, are coming to the front again, more foolish than ever.--I am, as formerly, tortured by the longing to have a mistress, and, as formerly, even in Rosette's arms I doubt whether I have ever had one.--I see once more the lovely lady at her window, in her park of the time of Louis XIII., and the huntress on her white horse gallops along the forest path.--My ideal beauty smiles upon me from her hammock of clouds, I fancy that I recognize her voice in the song of the birds, in the rustling of the foliage; it seems to me that some one is calling me from every direction, and that the daughters of the air brush my face with the fringe of their invisible scarfs. As in the days of my agitation, I imagine that, if I should set out instantly and go somewhere very far away at great speed, I should reach some place where things that concern me are taking place and where my destiny is being decided.--I feel that somebody is impatiently awaiting my coming in some corner of the earth, I don't know where. Some suffering soul who cannot come to me is calling eagerly to me and dreaming of me; that is the reason of my uneasiness and of my inability to remain in one place; I am being violently drawn away from my centre. Mine is not one of those natures to which others flock, one of those fixed stars about which other radiant bodies gravitate; I must needs wander through the expanse of heaven like an erratic meteor, until I have fallen in with the planet whose satellite I am to be, the Saturn about whom I am to pass my ring. Oh! when will that union take place? Until then I cannot hope for rest or peace of mind, but I shall be like the bewildered, vacillating needle of a compass, seeking its pole.

I allowed my wing to be caught in the deceitful snare, hoping to leave only a feather there and to retain the power to fly away when it seemed good to me: nothing could be more difficult; I find myself covered by an invisible net, harder to break than the one forged by Vulcan, and the mesh is so fine and close that there are no openings through which I can escape. The net is large and roomy, however, and I can move about in it with an appearance of freedom; it is hardly perceptible except when you try to break it; but then it resists and becomes as firm as a wall of brass.

How much time I have lost, O my ideal! without the slightest effort to realize thee! How basely I have yielded to the temptation of a night's pleasure! and how little I deserve to meet thee!

Sometimes I think of forming another liaison; but I have no one in view; more frequently I make up my mind that, if I succeed in bringing about a rupture, I will never again involve myself in such bonds, and yet there is nothing to justify that resolution, for the present connection has been, to all appearance, a very happy one and I have no reason in the world for complaining of Rosette.--She has always been kind to me, and has behaved as well as any one could; she has been exemplarily faithful to me and has not given an opening for suspicion; the most alert and most anxious jealousy could have had no word of blame for her and must have slept in security.--A jealous man could have been jealous only of the past; in that direction, it is true, there was ample ground for jealousy. But luckily, jealousy of that sort is a very rare article, and one has quite enough to do to look after the present without going back to fumble under the ashes of extinct passion for phials of poison and cups of gall.--What woman could a man love, if he thought of all that?--You may have a sort of vague idea that a woman has had several lovers before you; but you say to yourself--a man's pride has so many tortuous folds and counterfolds!--that you are the first she has really loved, and that it was through a combination of fatal circumstances that she became connected with men unworthy of her, or else through a vague craving of a heart that sought to satisfy itself and changed because it had not met its affinity.

Perhaps one can really love none but a virgin--a virgin in body and in mind--a fragile bud that has never been caressed as yet by any zephyr and whose carefully hidden breast has neither received the drop of rain nor the pearl of dew; a chaste flower that displays its white robe for you alone, a beautiful lily with a silver urn at which no desire has slaked its thirst and which has been gilded only by your sun, swayed by no breath but yours, watered by no hand but yours.--The glare of the noonday sun is less agreeable than the divine pallor of the dawn, and all the ardor of an experienced heart that knows what life is, yields the palm to the celestial ignorance of a youthful heart just awaking to love.--Ah! what a bitter, degrading thought it is that you are wiping away another's kisses, that there may not be a single spot upon that brow, those lips, that bosom, those shoulders, that whole body which is yours now, that has not been reddened and branded by other lips; that those divine murmurs which come to the relief of the tongue that can find no more words of love, have been heard before; that those excited senses did not learn their ecstasy and their delirium from you, and that away, away down in one of those recesses of the heart which are never visited, there lives an inexorable memory which compares the joys of an earlier day to the joys of to-day!

Although my natural nonchalance leads me to prefer the high roads to unbroken paths, and the public watering-trough to the mountain spring, I absolutely must try to love some virginal creature as spotless as the snow, as timid as the sensitive plant, who can only blush and look down; it may be that, from that limpid stream, which no diver has as yet investigated, I shall fish up a pearl of the fairest water, worthy to be a pendant to Cleopatra's; but, in order to do that, I should have to cast off the bond that binds me to Rosette,--for I am not likely to realize that longing with her,--and to tell the truth, I do not feel strong enough to do it.

And then, too, if I must make the confession, there is at the bottom of my heart a secret, shameful motive, which dares not show itself in broad daylight, but which I must tell you of, since I have promised to conceal nothing from you, and a confession, to be deserving of credit, must be complete;--the motive I speak of has much to do with all this uncertainty.--If I break with Rosette, some time must necessarily pass before her place is filled, however easy of access the class of women may be among whom I shall seek her successor; and I have fallen into a habit of enjoying myself with her which it will be hard for me to break off. To be sure I have the resource of courtesans; I liked them well enough in the old days and I did not hesitate to resort to them under such circumstances;--but to-day they disgust me beyond measure and make me ill.--So I must not think of them, and I am so softened by indulgence, the poison has penetrated so deep into my bones that I cannot bear the idea of being one or two months without a woman.--That is pure egoism of the basest kind; but it is my opinion that the most virtuous men, if they would be perfectly frank, would have to make nearly a similar confession.

That is the true secret of my captivity and, if it weren't for that, Rosette and I would long ago have fallen out for good and all. Indeed it is such a deathly bore to pay court to a woman, that I haven't the heart to attempt it. To begin again the charming idiocies I have already said so many times, to play the adorable once more, to write notes and reply to them; to escort the charmer, in the evening, to some place two leagues away; to catch cold in your feet and your head standing in front of the window watching a beloved shadow; to sit upon a sofa calculating how many thicknesses of tissue separate you from your goddess; to carry bouquets and go the round of the ball-rooms to reach the point where I now am, is a vast deal of trouble!--It's about as well to remain in one's rut.--What is the use of leaving it, only to fall into another exactly like it, after much unnecessary agitation and untold trouble? If I were in love, the thing would go of itself and it would all seem perfectly delightful to me; but I am not, although I have the most earnest desire to be; for, after all, there is nothing but love in the world; and if pleasure, which is only its shadow, has so many allurements for us, what must the reality be? In what an ocean of ineffable bliss, in what seas of pure, unalloyed delight must they swim whose hearts Love has pierced with one of his gold-tipped arrows, and who burn with the delicious warmth of a mutual flame!

Beside Rosette I feel that insipid tranquillity, that sort of slothful well-being which results from the satisfaction of the senses, but nothing more; and that is not enough. Often that voluptuous indolence turns to torpor, and that tranquillity to ennui; thereupon I fall into aimless meditation and dull, spiritless reveries that weary and harass me;--it is a state of things that I must put an end to at any price.

Oh! if I could only be like some of my friends, who kiss an old glove with ecstasy; who are made perfectly happy by a clasp of the hand; who would not exchange for a sultana's jewel-case a few wretched flowers half-withered by the heat of the ball-room; who cover with tears and sew into their shirt, where it will rest against the heart, a note written in an inelegant style and so stupid that you would think it was copied from the _Parfait Secrétaire_; who adore women with large feet and apologize for them on the ground that they have noble souls! If I could follow tremblingly the vanishing folds of a dress, or wait for a door to open in order to see a cherished white apparition pass in a blaze of light; if a word spoken beneath the breath would make me change color; if I had the virtue to go without my dinner so as to arrive sooner at a rendezvous; if I were capable of killing a rival or fighting a duel with a husband; if by a special dispensation of Providence, I were endowed with the power of considering ugly women clever, and those who are ugly and stupid as well, pleasant and agreeable; if I could make up my mind to dance the minuet and to listen to sonatas played by young ladies on the harpsichord or harp; if my capacity should rise to the height of learning ombre and _reversis_; in short, if I were a man and not a poet--I certainly should be much happier than I am; I should be less bored myself and should bore others less.

I have never asked but one thing of women--beauty; I am very willing to go without intellect and soul.--In my eyes a beautiful woman is always intellectual;--she knows enough to be beautiful, and I know no other knowledge as valuable as that.--It takes many sparkling sentences and keen shafts of wit to equal the value of the flash of a lovely eye. I prefer a pretty mouth to a pretty speech, and a well-modeled shoulder to a virtue, even one of the theological sort; I would give fifty souls for a dainty foot, and all poetry and all the poets for the hand of Joanna of Aragon, or the brow of Foligno's virgin.--Above all things I adore a beautiful figure; to my mind beauty is manifest Divinity, palpable happiness, heaven come down to earth.--There are certain undulations of outline, certain turns of the lip, a certain droop of the eyelids, certain inclinations of the head, certain elongations of the profile which enchant me beyond all expression and fix my attention for whole hours.

Beauty, the only thing that cannot be acquired, inaccessible forever to those who haven't it at first; an ephemeral and fragile flower that grows without being sown, a pure gift from heaven!--O beauty, the most radiant diadem with which chance can crown the human brow--thou art admirable and precious like everything that is beyond man's reach, like the azure of the firmament, like the gold of the star, like the perfume of the seraphic lily!--Man may change his stool for a throne, may conquer the world; many have done it; but who could fail to kneel before thee, thou pure personification of God's thoughts?

I ask only beauty, it is true; but I must have beauty so perfect that I probably shall never find it. I have seen here and there women who were admirably beautiful in some respects but only mediocre in others, and I have loved them for what was best in them, ignoring the rest; it is a difficult task, however, and painful, to suppress thus the half of one's mistress, and to amputate mentally the ugly or commonplace portions of her anatomy, limiting one's glances to what points of beauty she may have.--Beauty is harmony, and a woman who is equally ugly in all parts is often less disagreeable to look at than one who is unevenly beautiful. Nothing offends my sight so much as an unfinished masterpiece, or beauty in which something is lacking; a grease-spot is less offensive upon coarse sackcloth than upon rich silk.

Rosette is not ill-favored; she might be considered beautiful, but she is far from realizing the ideal of my dreams; she is a statue, several portions of which have been completed. The others are not so sharply cut from the block; there are some parts brought out with much skill and charm, and others more carelessly and hurriedly. To ordinary eyes the statue seems entirely completed and perfectly beautiful; but a more careful observer soon discovers places where the work is not close enough, and outlines which need to be touched and retouched many times by the workman's nail before attaining the purity that belongs to them;--it is for love to polish the marble and complete it, which is equivalent to saying that I shall not be the one to do it.

However, I do not confine beauty to this or that particular form or contour.--The manner, the gesture, the gait, the breath, the coloring, the voice, the perfume, everything that is a part of life enters into the composition of beauty in my estimation; everything that sings or shines or perfumes the air is rightfully a part of beauty.--I love rich brocades, gorgeous stuffs with their ample and stately folds; I love great flowers and jars of perfume, transparent running water and the gleaming surface of fine weapons, blooded horses and the great white dogs that we see in Paul Veronese's pictures. I am a genuine heathen in that respect, and I do not adore misshapen gods;--although I am not at heart exactly what is called irreligious, there are few who are in fact worse Christians than myself. I do not understand the mortification of the flesh that forms the essence of Christianity, I consider it a sacrilegious act to lay hands upon God's work, and I do not believe that the flesh is wicked, since He Himself moulded it with His own fingers and in His own image. I think but little of the long sober-hued frocks from which only a head and two hands emerge, or of the pictures in which everything is drowned in shadow except some one radiant brow. I want the sun to shine everywhere, to have as much light and as little shadow as possible, the bright colors to gleam, the lines to undulate, the nude body to exhibit itself proudly and the flesh not to lie hidden, since it, as well as the spirit, is a never-ending hymn to the praise of God.

I can understand perfectly the wild enthusiasm of the Greeks for beauty; and for my part I can see nothing absurd in the law that compelled the judges to listen to the arguments of the lawyers in some dark place, lest their noble bearing, the grace of their gestures and attitudes should prejudice the judges in their favor and throw undue weight into the scales.

I would buy nothing of an ugly shopwoman; I give alms more freely to beggars whose rags and emaciation have a touch of the picturesque. There is a little fever-ridden Italian, as green as an unripe lemon, with great black and white eyes that take up half of his face;--you would say he was an unframed Murillo or Espagnolet exposed for sale on the sidewalk by a second-hand dealer:--he always gets two sous more than the others. I would never whip a handsome horse or a handsome dog, and I would not care for a friend or a servant who is not pleasant to look at.--It is downright torture to me to look at ugly things or ugly people.--Bad taste in architecture, a piece of furniture of ugly shape, prevent my enjoying myself in a house, however comfortable and attractive it may otherwise be. The best wine seems to me almost sour in an ungraceful glass, and I confess that I would prefer the most unsubstantial broth on one of Bernard of Palissy's enamelled plates to the most toothsome game on an earthen platter.--The exterior of things has always exerted a powerful influence upon me, and that is why I avoid the society of old men; they irritate me and affect me disagreeably because they are wrinkled and deformed, although some of them have some special beauty; and in the pity that I feel for them there is much disgust;--of all earthly ruins, the ruin of man is assuredly the saddest to contemplate.

If I were a painter--and I have always regretted that I am not--I should people my canvases with none but goddesses, madonnas, nymphs, cherubim, and loves. To devote one's brush to painting portraits, unless of beautiful people, seems to me a crime against the majesty of the art; and, far from seeking to duplicate those mean or ugly faces, those insignificant or vulgar heads, I should incline toward ordering the originals to be cut off. The ferocity of Caligula, if diverted in that direction, would seem to me almost praiseworthy.

The only thing on earth that I have desired with any constancy, is to be beautiful.--By beautiful, I mean as beautiful as Paris or Apollo. To have no deformity, to have features almost regular, that is to say, to have the nose in the centre of the face and neither flat nor hooked, eyes that are neither red nor bloodshot, a mouth of suitable dimensions, is not to be beautiful: on that theory I should be, and I consider myself as far removed from my ideal of virile beauty as if I were one of the puppets that strike the hour on church-bells; if I had a mountain on each shoulder, the crooked legs of a terrier and the muzzle of a monkey, I should resemble it as closely. Often and often I sit and look at myself in the mirror, for hours at a time, with incredible fixity and close scrutiny, to see if my face has not improved in some degree; I wait for the outlines to make a movement and straighten out or take on a more graceful and purer curve, for my eye to brighten and swim in a more sparkling fluid, for the hollow that separates my forehead from my nose to fill up, and for my profile thus to become as simple and regular as the Greek profile; and I am always greatly surprised that it does not happen. I am always in hopes that some spring or autumn I shall cast off my present shape as a serpent casts his old skin.--To think that I need so little to be handsome and that I never shall be! What! half a hair's breadth, the hundredth or the thousandth part of a hair's breadth more or less in one place or another, a little less flesh on this bone, a little more on that--a painter or sculptor would have it all arranged in half an hour. What was it that made the atoms of which I am composed crystallize in this way or that? Why need that outline bulge out here and sink in there, and why was it necessary that I should be thus and not otherwise?--Upon my word if I had chance by the throat, I believe I would strangle him.--Because it pleased a vile mass of I don't know what to fall from I don't know where and coagulate stupidly into the awkward creature that I visibly am, I shall be miserable forever! Isn't it the most absurd and pitiful thing in the world? How is it that my soul, although eagerly longing to do so, cannot let the poor carcass that it now holds erect, fall prostrate, and enter into and animate one of those statues whose exquisite beauty saddens and ravishes it? There are two or three people whom it would give me the greatest pleasure to assassinate, taking care, however, not to bruise or mar them, if I knew the word by which souls are made to pass from one to another.--It has always seemed to me that, in order to do what I wish--and I don't know what I do wish--I needed very great and perfect beauty, and I fancy that if I had had it, my life, which is so entangled and harassed, would have been just the same.

We see so many lovely faces in pictures!--why is not one of them mine?--so many charming faces disappearing under the dust and decay of time in the recesses of old galleries! Would it not be better for them to leave their frames and bloom anew on my shoulders? Would Raphaël's reputation suffer greatly if one of the angels whom he drew in swarms flying about in the deep blue of his pictures, should turn his mask over to me for thirty years? There are so many parts of his frescoes, and among them some of the most beautiful, that have scaled off and fallen because of their age! No one would notice. What have the silent beauties to do that hang around those walls, and at whom men scarcely cast an absent-minded glance? and why has not God or chance the wit to do what a man does with a few hairs stuck in the end of a stick and pigments of different colors mixed together on a board?

My first sensation before one of those marvellous faces whose painted glance seems to look through you and into infinite space beyond, is profound amazement and admiration not unmixed with terror: tears fill my eyes, my heart beats fast; then, when I have become a little accustomed to it and have penetrated farther into the secret of its beauty, I mentally draw a comparison between it and myself; deep down in my soul jealousy writhes in knots more intricate than a viper's, and it is with the utmost difficulty that I refrain from throwing myself upon the canvas and tearing it in pieces.

To be beautiful, that is to say, to have in yourself such a charm that every one smiles upon you and welcomes you; that every one is prepossessed in your favor and inclined to be of your opinion, even before you have spoken; that you have only to pass through a street or show yourself on a balcony to raise up friends or mistresses for yourself in the crowd. To have no need to be lovable in order to be loved, to be exempt from all the expenditure of wit and complaisance which ugliness makes incumbent upon you, and to be excused from having the thousand and one moral qualities that one must have to supplement physical beauty--what a superb, magnificent gift!

And he who should combine supreme strength with supreme beauty, who, beneath Antinous's skin, should have the muscles of Hercules,--what more could he desire? I am sure that with those two things and the mind that I now have I should be emperor of the world within three years!--Another thing that I have longed for almost as much as beauty and strength is the gift of transporting myself from one place to another with the swiftness of thought. Angelic beauty, the strength of the tiger and the wings of the eagle, and I should begin to conclude that the world is not so badly organized as I used to think.--A beautiful mask to charm and fascinate the prey, wings to pounce down upon it and carry it off, nails to tear it to pieces;--so long as I have not those I shall be unhappy.

All the passions and all the tastes I have had have been simply disguised forms of those three desires. I have loved weapons, horses, women: weapons to replace the muscles I had not; horses to serve as wings; women, so that I might possess in some one the beauty that I lacked myself. I sought in preference the most ingeniously deadly weapons, and those whose wounds were incurable. I have never had occasion to use any of the krises or yataghans, yet I like to have them around me; I take them from their scabbards with an indescribable sense of security and power, I lay about me in every direction with the greatest energy, and if by chance I see the reflection of my face in a mirror, I am astonished at its ferocious expression.--As for my horses, I override them so that they must either founder or say why.--If I hadn't given up riding Ferragus he would have died long ago, and it would be a pity, for he's a fine beast. What Arabian steed ever had limbs so fleet as my desire? In women I have not looked below the exterior, and as those whom I have seen thus far are a long way from fulfilling my ideal of beauty, I have fallen back upon pictures and statues; which, after all, is a pitiful expedient when one's senses are so inflammable as mine. However, there is something grand and noble about loving a statue, for it is a perfectly disinterested love, you have to dread neither satiety nor distaste with your triumph, and you cannot reasonably hope for a second miracle like the story of Pygmalion.--The impossible always had a charm for me.

Is it not strange that I, who am still in the fairest months of youth, who have not even used the simplest things, much less abused anything, have reached such a degree of satiety that I am tempted only by what is unusual or difficult of accomplishment?--That satiety follows enjoyment is a natural law and easily understood. Nothing is more easily explained than that a man who has eaten heartily of every dish at a banquet should no longer be hungry and should try to stimulate his benumbed palate by the thousand stings of condiments or dry wines; but that a man who has just taken his seat at the table and has hardly tasted the first course, should already be assailed with that superb disgust, should be unable to touch without vomiting any except highly-seasoned dishes, and should like only gamey meats, cheese with blue streaks running through it, truffles and wine that smells of the flint, is a phenomenon that can result only from a peculiar constitution; it is as if a child of six months should deem his nurse's milk insipid and refuse to suck anything but brandy. I am as exhausted as if I had performed all the prodigious feats of Sardanapalus and yet my life has been apparently very chaste and peaceful; it is a mistake to think that possession is the only road leading to satiety. We arrive there also through desire, and abstinence is more exhausting than excess.--Such a desire as mine is more fatiguing than possession. Its glance envelops and penetrates the object which it longs to have and which gleams above it, more swiftly and more deeply than if it were in contact with it. What more could use teach it? what experience can equal that constant, passionate contemplation?

I have gone through so much, although I have travelled very little, that only the steepest peaks tempt me now. I am attacked by the disease that fastens upon nations and powerful men in their old age--the impossible. Anything that I can do has not the slightest attraction for me. Tiberius, Caligula, Nero, ye great Romans of the Empire, whom posterity has so ill understood, and whom the pack of ranters pursues with its yelping, I suffer with your disease and I pity you with all the pity I have left in my heart! I, too, would like to bridge the sea and pave its waves; I have dreamed of burning cities to illuminate my fêtes; I have longed to be a woman to learn new forms of pleasure. Thy golden palace, O Nero, is only a filthy stable beside the palace I have built; my wardrobe is better furnished than thine, Heliogabalus, and much more magnificent.--My circuses are noisier and bloodier than yours, my perfumes more acrid and more penetrating, my slaves more numerous and of better figure; I also have nude courtesans harnessed to my chariot, I have walked over men's bodies with as disdainful heel as you. Colossi of the ancient world, there beats behind my feeble ribs a heart as great as yours, and if I had been in your places I would have done all that you have done and perhaps more. How many Babels have I piled one upon another to reach the sky, to cudgel the stars and spit upon all creation! Why am I not God--as I cannot be man?

Oh! I believe that I shall need a hundred thousand centuries of nothingness to rest from the fatigue of these twenty years of life.--God in heaven, what stone will You roll down upon me? into what darkness will You plunge me? from what Lethe will You make me drink? beneath what mountain will You entomb the Titan? Am I destined to breathe a volcano through my mouth and to cause earthquakes when I turn from side to side?

When I think of this, that I was born of a gentle, resigned mother, simple in her tastes and manners, I am surprised that I did not burst her womb when she was carrying me. How does it happen that none of her calm, pure thoughts passed into my body with the blood she transmitted to me? and why must it be that I am the son of her flesh only, not of her mind? The dove begat a tiger who would like to have all creation fall a prey to his claws.

I grew up amid the most chaste and tranquil surroundings. It is difficult to imagine an existence in a setting so pure as mine. My years were passed in the shadow of my mother's easy-chair, with my little sisters and the house-dog. I saw about me only the kindly, placid faces of old servants who had grown gray in our service and were in a certain sense hereditary, of grave, sententious relations or friends, dressed in black, who placed their gloves one after another in their hat brims; a few aunts of uncertain age, plump and neat and sedate, with dazzling linen, gray skirts, thread mitts, and hands upon their waist-bands like people of a religious turn of mind; furniture severely simple to the point of melancholy, bare oak wainscoting, leather hangings--a gloomy, sober-hued interior such as some Flemish masters have painted. The garden was damp and dark; the box that marked the divisions, the ivy that covered the walls, and a few firs with bare branches were entrusted with the duty of representing verdure there and had but ill success; the brick house, with its very high roof, although roomy and in good condition, had something dull and drowsy about it. Certainly nothing could be better adapted to prepare one for a secluded, austere, melancholy life than such a place of abode. It seemed as if all the children brought up in such a house must inevitably end by becoming priests or nuns: ah well! in that atmosphere of purity and repose, amid that gloom and meditation, I rotted away little by little, without any outward sign, like a medlar on the straw. In the bosom of that upright, pious, saintly family I reached a horrible depth of depravity.--It was not contact with the world, for I had never seen it; nor the fire of passion, for I was benumbed in the icy sweat that oozed from those stout walls.--The worm did not crawl from the heart of another fruit to my heart. It came to life of itself where my pulp was thickest and gnawed and furrowed it in every direction: but nothing appeared outside and warned me that I was tainted at the core. I had neither spot nor worm-hole; but I was all hollow inside and nothing remained but a thin bright-colored pellicle, which the slightest blow would have broken.--Is it not an inexplicable thing that a child born of virtuous parents, brought up with care and judgment, kept at a distance from everything bad, should become perverted all by himself to such an extent, and reach the point I have reached? I am sure that, even if you should go back to the sixth generation, you would not find among my ancestors a single atom like those of which I am made. I do not belong to my own family; I am not an offshoot of that noble trunk, but a poisonous toadstool planted among its mossy roots on some dark, stormy night; and yet no one ever had more aspirations, more impulses towards the beautiful than I, no one ever tried more obstinately to spread his wings; but every attempt has made my fall the greater and the things that should have saved me have been my ruin.

Solitude has a worse effect upon me than society, although I desire the first more than the second. Whatever takes me out of myself is salutary; society bores me, but it tears me by force from the vain reverie whose winding staircase I ascend and descend, with bent head and folded arms. And so, since one tête-à-tête came to an end and there have been people here with whom I am compelled to put some constraint upon myself, I am less subject to my black moods and am less tormented by those immeasurable longings that pounce upon my heart like a swarm of vultures, as soon as I am left for a moment without occupation. There are some very pretty women and one or two young men who are very pleasant and jovial; but of all this swarm of provincials, the one who has the most charm for me is a young cavalier who arrived two or three days ago. He took my fancy at the very first, and I became fond of him simply from seeing him alight from his horse. It is impossible to be more graceful; he is not very tall, but slender and well set-up; there is something supple and undulating in his gait and his movements, which is pleasing beyond expression; many women would envy him his hand and foot. His only defect is that he is too beautiful and has too delicate features for a man. He is blessed with a pair of the loveliest and blackest eyes in the world, which have an expression impossible to define and a glance that it is not easy to sustain; but, as he is very young and has no sign of a beard, the softness and perfection of the lower part of his face temper somewhat the vivacity of those eagle eyes; his glossy, brown hair falls over his neck in great curls and gives his head a character of its own.--Here then at last is one of the types of beauty I have dreamed of, made flesh, and actually before my eyes! What a pity that it's a man, or what a pity that I am not a woman! This Adonis, who, in addition to his lovely face, has a very keen intellect of very wide range, still enjoys the privilege of having at the service of his bright remarks and his jests, a voice of a silvery and penetrating quality which it is difficult to hear without emotion.--He is really perfect.--It seems that he shares my taste for beautiful things, for his clothes are very rich and well chosen, his horse very spirited and a thoroughbred; and, in order that everything might be complete and well assorted, he had behind him, riding a pony, a page of some fourteen or fifteen years, fair-haired, pink-cheeked, pretty as a seraph, who was half asleep, and so exhausted by his long ride that his master was obliged to lift him from his saddle and carry him to his room in his arms.

Rosette welcomed him very warmly and I think she has formed a plan to use him to arouse my jealousy and thus kindle the tiny flame that is sleeping under the ashes of my passion. However redoubtable such a rival may be, I am little inclined to be jealous of him, and I am so attracted to him that I would gladly abandon my love to secure his friendship.

[Illustration: Chapter V--_A page of some fourteen or fifteen years, fair-haired, pink-cheeked, pretty as a seraph, who was half asleep, and so exhausted by his long ride that his master was obliged to lift him from his saddle and carry him to his room in his arms._]



VI


At this point, with the permission of the indulgent reader, we propose to abandon for some little time to his meditations, the worthy personage who has thus far occupied the stage all by himself and has spoken in his own behalf, and to adopt the ordinary form of the novel, reserving the right, however, to resume the dramatic form hereafter, if occasion should arise, and to draw still farther upon the species of epistolary confession that the aforesaid young man addressed to his friend, being fully persuaded that, however penetrating and sagacious we may be, we certainly cannot know so much about him as he knows about himself.

The little page was so overdone that he slept in his master's arms, and his little head, with its hair all in disorder, rolled from side to side as if he were dead. It was some distance from the stoop to the apartment set aside for the new arrival, and the servant who escorted him offered to take his turn at carrying the child; but the young gentleman, to whom the burden seemed no more than a feather-weight, thanked him and declined to relinquish it; he laid him gently on the couch, taking the utmost care to avoid waking him; a mother could have done no better. When the servant had retired and the door was closed, he knelt beside him and tried to remove his boots; but his little feet were so swollen and painful that the operation was a difficult one, and the pretty sleeper uttered from time to time vague, inarticulate exclamations, like a person who is on the point of waking; thereupon the young gentleman would stop and wait until he was sound asleep again. The boots yielded at last and the most important point was gained; the stockings made little resistance.--This operation at an end, the master took the child's feet and placed them side by side on the velvet covering of the sofa; surely they were the two loveliest feet in the world, no larger than that, white as new ivory, and reddened a little by the pressure of the boots in which they had been imprisoned seventeen hours--feet that were too small for a woman and looked as if they had never walked; the part of the leg that could be seen was round, plump, smooth, transparent, delicately veined, and of the most exquisitely graceful shape--a leg worthy of the foot.

[Illustration: Chapter VI--_The pretty sleeper uttered from time to time vague, inarticulate exclamations, like a person who is on the point of waking; thereupon the young gentleman would stop and wait until he was sound asleep again. The boots yielded at last and the most important point was gained; the stockings made little resistance._]

The young man, still on his knees, gazed at the two little feet with amorous, admiring intentness; he stooped, raised the left one and kissed it, then the right one and kissed that; then, from kiss to kiss, he ascended the leg to the place where the clothes began.--The page raised his long lashes slightly and cast an affectionate, sleepy glance at his master, in which there was no trace of surprise.--"My belt hurts me," he said, passing his finger under the ribbon; and he fell asleep again.--The master loosened the belt, placed a cushion beneath the page's head, and finding that his feet, which had been burning hot, were a little cold, he wrapped them carefully in his cloak, drew an arm-chair close to the sofa and sat down. Two hours passed thus, the young man watching the sleeping child and following the shadow of his dreams on his brow. The only sounds to be heard in the room were his regular breathing and the ticking of the clock.

It was certainly a very lovely picture. In the contrast between the two types of beauty there was an opportunity for effect, of which a skilful painter might have made good use.--The master was as beautiful as a woman--the page as lovely as a young girl. The round, rosy face, set in its frame of hair, resembled a peach among its leaves; it had the same fresh and velvety look, although the fatigue of the journey had lessened somewhat its usual brilliancy; the half-open mouth disclosed two rows of small teeth of a milky whiteness, and beneath the full, gleaming temples a network of blue veins crossed and recrossed; his eyelashes, like the golden threads around the heads of virgins in missals, reached almost to the middle of his cheeks; his long, silky hair resembled both gold and silver--gold in the shadow, silver in the light; his neck was at the same time plump and slender, and gave no sign of the sex indicated by his clothes; two or three buttons of his doublet were unbuttoned to enable him to breathe more freely and as the fine shirt of Dutch lawn beneath was open, a glimpse was afforded of an inch or two of firm rounded flesh of admirable whiteness, and the beginning of a certain curved line difficult to account for on a young boy's breast; upon looking closely one might have discovered also that his hips were a little too fully developed.--The reader will form what opinion he chooses; these are simple conjectures that we put forward; we have no better information on the subject than he, but we hope to learn something more in a short time, and we promise to keep him fully informed of our discoveries.--Let the reader, if his sight is keener than ours, bury his eyes under the lace of that shirt and decide conscientiously whether the contour is too swelling or not; but we warn him that the curtains are drawn and that there is a sort of half-light in the room, ill-adapted to that sort of investigation.

The young gentleman was pale, but his was a golden pallor, full of strength and vitality; his eyes swam in a crystalline blue fluid; his straight, thin nose imparted a wonderful air of pride and energy to his profile, and the flesh was of so fine a texture that it allowed the light to pass through it on the edge; his mouth wore the sweetest smile at certain moments, but ordinarily it was arched at the corners, curving in rather than out, as in some of the faces we see in the pictures of the old Italian masters; a detail that gave a charmingly disdainful expression to his face, a _smorfia_ alluring beyond words, an air of childish sulkiness and ill humor, very unusual and very fascinating.

What were the bonds that united the master to the page and the page to the master? Assuredly there was something more between them than any conceivable affection between master and servant. Were they friends or brothers?--In that case, why this masquerading?--It would have been difficult for any one witnessing the scene we have just described to believe that those two individuals were just what they seemed to be and nothing more.

"Dear angel, how he sleeps!" murmured the young man; "I don't believe he ever travelled so far in his life. Twenty leagues in the saddle, and he so delicate! I'm afraid that he will be sick with fatigue. But no, it will amount to nothing; to-morrow there will be no sign of it; he will have recovered his brilliant color and will be fresher than a rose after the rain.--How handsome he is like that! If I weren't afraid of waking him I would eat him up with kisses. What a fascinating dimple he has in his chin! what fine, white skin!--Sleep soundly, sweet treasure.--Ah! I am downright jealous of your mother, and I wish I had brought you into the world.--He can't be sick? No, his breathing is regular and he doesn't stir.--But I believe some one knocked."

In fact, some one had knocked twice, as gently as possible, on the panel of the door.

The young man rose, but, fearing that he might be mistaken, waited for a repetition of the knocking before opening the door.--Two more taps followed, a little more pronounced, and a soft female voice said, in a very low tone:--"It is I, Théodore."

Théodore opened the door, but with less eagerness than a young man naturally exhibits about admitting a woman whose voice is soft and who knocks mysteriously at his door at nightfall.--The open door gave passage to--whom do you suppose?--to the mistress of the perplexed D'Albert, to the Princess Rosette in person, rosier than her name, and her bosom as deeply moved as ever woman was upon entering a handsome youth's room in the evening.

"Théodore!" said Rosette.

Théodore lifted his finger and placed it on his lips so as to represent a statue of silence, and, pointing to the sleeping child, led her into the adjoining room.

"Théodore," continued Rosette, who seemed to take strange pleasure in repeating the name, and at the same time to be collecting her thoughts,--"Théodore," she continued, retaining the hand the young man had offered her to lead her to her chair, "so you have returned at last? What have you been doing all the time? where have you been?--Do you know that it is six months since I saw you! Ah! Théodore, that is not right; we owe some consideration, some pity to those who love us, even if we do not love them."

     THÉODORE.
     What have I been doing.--I have no idea.--I have gone
     away and come home, I have waked and slept, I have sung
     and wept, I have been hungry and thirsty, I have been too
     warm and too cold, I have been bored, I have less money
     and am six months older--I have lived, that's the whole of
     it.--And how about yourself, what have you been doing?
     ROSETTE.
     I have loved you.
     THÉODORE.
     Have you done nothing but that?
     ROSETTE.
     Absolutely nothing.--I have made a bad use of my time,
     haven't I?
     THÉODORE.
     You might have made a better use of it, my poor Rosette;
     for example, you might have loved some one who could
     return your love.
     ROSETTE.
     I am unselfish in love as in everything.--I don't lend
     love at interest; it is a pure gift on my part.
     THÉODORE.
     That is a very rare virtue and one that can exist only
     in a noble heart. I have often wished that I could
     love you, especially as you desire it; but there is an
     insurmountable obstacle between us which I cannot tell
     you.--Have you had any other lover since I left you?
     ROSETTE.
     I have had one whom I still have.
     THÉODORE.
     What sort of a man is he?
     ROSETTE.
     A poet.
     THÉODORE.
     The devil! who is this poet, and what has he written?
     ROSETTE.
     I haven't a very clear idea--a volume that nobody knows
     anything about, and that I tried to read one evening.
     THÉODORE.
     So you have an unpublished poet for a lover?--That must
     be interesting.--Is he out at elbows, does he wear dirty
     linen and rumpled stockings?
     ROSETTE.
     No; he dresses very well, washes his hands and has no
     ink-spots on the end of his nose. He's a friend of C----;
     I met him at Madame de Thémines',--you know, that tall
     woman, who plays the child and puts on such innocent airs.
     THÉODORE.
     And might one know the name of this eminent personage?
     ROSETTE.
     Oh! _Mon Dieu_, yes! he is the Chevalier d'Albert.
     THÉODORE.
     Chevalier d'Albert! I think that was the young man who was
     on the balcony when I alighted from my horse.
     ROSETTE.
     Precisely.
     THÉODORE.
     And who examined me so closely.
     ROSETTE.
     Himself.
     THÉODORE.
     He's a very good-looking fellow.--And he has not made you
     forget me?
     ROSETTE.
     No. Unfortunately you are not one of those whom one
     forgets.
     THÉODORE.
     He loves you dearly no doubt?
     ROSETTE.
     I am not so sure of that.--There are moments when you
     would think he loved me very dearly; but at heart he
     doesn't love me, and he is not far from hating me, for
     he is angry with me because he can't love me.--He did as
     many others before him have done; he developed a very
     keen taste for passion, and was greatly surprised and
     disappointed when his desire was surfeited.--It is a
     mistake to think that two people must mutually adore each
     other because they have lain together.
     THÉODORE.
     And what do you propose to do with this lover who is not a
     lover?
     ROSETTE.
     What we do with bygone quarters of the moon or with last
     year's fashions.--He hasn't courage enough to leave me
     the first, and although he does not love me in the true
     sense of the word, he is bound to me by the habit of
     enjoyment, and those are the habits it is hardest to
     break. If I don't assist him, he is quite capable of
     conscientiously submitting to be bored with me till the
     last judgment and beyond; for he has within him the germ
     of all noble qualities; and the flowers of his soul ask
     naught but an opportunity to bloom in the sunshine of
     everlasting love.--Really I am very sorry that I did not
     prove to be the sunbeam for him. Of all my lovers whom I
     have not loved, I love him the most; and, if I were not
     as kind-hearted as I am, I would not give him back his
     liberty, but I would still keep him.--But that is what I
     will not do; I am finishing with him at this moment.
     THÉODORE.
     How long will it last?
     ROSETTE.
     A fortnight, three weeks, but at all events not so long
     as if you had not come.--I know that I shall never be
     your mistress.--There is, you say, an unknown reason for
     that, to which I would bow if it were possible for you to
     disclose it to me. Thus I am forbidden to entertain any
     hope in that direction, and yet I cannot make up my mind
     to be another man's mistress when you are here; it seems
     to me like a profanation, and as if I should not have the
     right to love you.
     THÉODORE.
     Keep this lover for love of me.
     ROSETTE.
     If it will give you pleasure I will do it.--Ah! if you
     could have been mine, how different my life might have
     been from what it has been!--The world has a very false
     idea of me, and I should have lived and died without
     any one suspecting what I am--except you, Théodore,
     the only one who has understood me and been cruel to
     me.--I have never wanted any one but you for a lover,
     and I have never had you. O Théodore, if you had loved
     me, I should have been virtuous and chaste, I should
     have been worthy of you; instead of that, I shall leave
     behind me--if any one remembers me--the reputation of a
     dissolute woman, a sort of courtesan, who differed from
     her of the gutter only in rank and fortune.--I was born
     with the highest aspirations; but nothing depraves one
     so much as being unloved.--Many people despise me who
     have no idea what I have had to suffer before reaching my
     present position.--Being sure that I shall never belong to
     the man I would prefer above all others, I have allowed
     myself to float with the current, I have not taken the
     trouble to defend a body that could not be yours.--As for
     my heart, no one has had it and no one ever will. It is
     yours, although you have broken it;--and I am different
     from the majority of women who believe themselves virtuous
     provided they have not passed from one bed to another,
     in this respect--although I have prostituted my flesh, I
     have been faithful in heart and soul to the thought of
     you.--At all events I shall have made some few people
     happy, I shall have caused white-robed illusions to dance
     about some pillows. I have innocently deceived more than
     one noble heart. I have been so miserable at being spurned
     by you, that I have always been horrified at the thought
     of compelling any one else to undergo such torture. That
     is the sole worthy motive of adventures which are commonly
     attributed to a spirit of libertinage pure and simple!--I,
     a libertine! O society!--If you knew, Théodore, how
     intensely painful it is to feel that your life is a
     failure, that you have let slip your chance of happiness,
     to see that everybody misunderstands you and that it is
     impossible to make people change their opinion of you,
     that your most estimable qualities are tortured into
     defects, your purest essences into deadly poisons, that
     nothing except the evil in you has transpired; to have
     found doors always open to your vices and always closed
     to your virtues, and to have been unable to bring to
     perfection, amid such a wilderness of hemlock and aconite,
     a single lily or a single rose! you know nothing of that,
     Théodore.
     THÉODORE.
     Alas! alas! Rosette, what you have just said includes the
     history of the whole world; the best part of us is that
     which remains within us and which we cannot display.--It
     is the same with poets.--Their noblest poem is the one
     they have not written; they carry more poems to the grave
     than they leave in their library.
     ROSETTE.
     I shall carry my poem to the grave with me.
     THÉODORE.
     And I mine.--Who has not written one at some time in his
     life? who is so fortunate, or so unfortunate, as not to
     have composed his in his head or in his heart?--Even
     headsmen may have composed poems, all moist with tears of
     the tenderest sensibility; poets perhaps have composed
     some that would be suited to headsmen, so bloody and
     monstrous they are.
     ROSETTE.
     Yes.--White roses can fitly be placed on my grave. I have
     had ten lovers, but I am a virgin, and I shall die a
     virgin. Many virgins, on whose graves there is a constant
     snow of jasmine and orange blossoms, were veritable
     Messalinas.
     THÉODORE.
     I know what a noble creature you are, Rosette.
     ROSETTE.
     You only in all the world have seen what I am; for you
     have seen me under the influence of a love that is
     perfectly genuine and very deep-rooted, as it is hopeless;
     and no one who has not seen a woman in love can say what
     she is; that is the one thing that consoles me in my
     bitterness of spirit.
     THÉODORE.
     And what does this young man think of you, who is your
     lover to-day in the eyes of the world?
     ROSETTE.
     The mind of a lover is a gulf deeper than the Bay of
     Portugal, and it is very difficult to say what there is
     in the depths of a man; if the lead were attached to a
     line a hundred fathoms long and every fathom unreeled, it
     would still sink without meeting anything to stop it. Yet
     I have touched bottom several times with this man, and
     the lead has sometimes brought up mud, sometimes lovely
     shells, but most frequently mud and fragments of coral
     mixed together.--As to his opinion of me, it has varied
     greatly; he began where others leave off, he despised me;
     young men with vivid imaginations are likely to do that.
     There is always a tremendous fall in the first step they
     take, and the passage from their chimera to reality cannot
     be made without a shock.--He despised me and I entertained
     him; now he esteems me and I bore him. In the early days
     of our liaison he saw only the commonplace side of me, and
     I think that the certainty of meeting with no resistance
     had much to do with his determination. He seemed in great
     haste to have an affair, and I thought at first that it
     was a case of a full heart seeking only an opportunity to
     overflow, one of those vague passions that a man has in
     the May of youth and that impel him, in default of women,
     to throw his arms around the trunks of trees, and to
     kiss the flowers and grass in the fields.--But it wasn't
     that;--he simply passed through me to reach something
     else. I was a means to him, and not an end.--Beneath the
     fresh exterior of his twenty years, beneath the first down
     of adolescence, he concealed profound corruption. He was
     tainted to the core; he was a fruit containing nothing
     but ashes. In that young and lusty body was a heart as
     old as Saturn--a heart as incurably wretched as heart
     ever was.--I confess, Théodore, that I was frightened and
     that I was almost taken with vertigo as I looked into
     the black depths of that existence. Your sorrows and
     mine are nothing compared to those. If I had loved him
     more I should have killed him. Something irresistibly
     attracts and summons him--something that is not of this
     world or in this world, and he cannot rest day or night;
     and like the heliotrope in a cellar, he twists about to
     turn toward the sun which he cannot see.--He is one of
     those men whose mind was not completely dipped in the
     waters of Lethe before being attached to his body, but
     retains memories of the eternal beauty of the heaven from
     which it comes--memories that work upon it and torment
     it--and remembers that it once had wings and now has feet
     only.--If I were God, I would deprive of poetry for two
     eternities, the angel guilty of such negligence.--Instead
     of being under the necessity of building a castle of
     bright-colored cards in which to shelter a fair, youthful
     fancy for a single spring, it was necessary to erect a
     tower higher than the eight temples of Belus piled one
     upon another. I had not the strength, I pretended not
     to have understood him, and I let him flutter about on
     his wings in search of a peak from which he could take
     flight into boundless space.--He thinks I have noticed
     nothing of all this, because I have fallen in with all his
     caprices without seeming to suspect their object. Being
     unable to cure him, I determined--and I hope that I shall
     receive credit for it some day before God--to give him at
     least the happiness of believing that he was passionately
     loved.--He aroused in me so much pity and interest that I
     was easily able to assume a tone and manner sufficiently
     affectionate to deceive him. I have played my part like a
     consummate actress; I have been playful and melancholy,
     sensible and voluptuous; I have feigned anxiety and
     jealousy; I have shed false tears, and I have summoned
     flocks of ready-made smiles to my lips. I have arrayed
     this counterfeit of love in the richest stuffs; I have
     taken him to drive through the avenues of my parks; I have
     requested all my birds to sing as he passed, and all my
     dahlias and daturas to bend their heads in salutation; I
     have sent him across my lake on the silvery back of my
     darling swan; I have concealed myself inside the manikin
     and bestowed my voice, my wit, my youth and beauty upon it
     and given it such a seductive appearance that the reality
     fell far short of my deception. When the time comes to
     shatter this hollow statue, I shall do it in such a way
     that he will think the wrong is all on my side and so will
     have no remorse. I shall be the one to make the pinhole
     through which the air with which the balloon is filled
     will make its escape.--Is not that sanctified prostitution
     and honorable deception? I have in a glass jar some
     tears that I have collected just as they were about to
     fall.--They are my jewel-case and my diamonds, and I shall
     present them to the angel who comes for me to lead me
     before God.
     THÉODORE.
     They are the loveliest that can glisten on a woman's
     neck. A queen's jewels are less precious than they. For
     my own part, I believe that the ointment Magdalen poured
     on Christ's feet was made of the tears of those she had
     comforted, and I believe, too, that the Milky Way is
     strewn with such tears, and not, as has been said, with
     drops of Juno's milk.--Who will do for you what you have
     done for him?
     ROSETTE.
     No one, alas! since you cannot.
     THÉODORE.
     O dear heart! would that I could!--But do not lose hope.
     You are lovely and still very young. You have many avenues
     of lindens and flowering acacias to pass through before
     reaching the damp road lined with box and leafless trees,
     which leads from the tomb of porphyry in which your happy
     dead years will be buried, to the tomb of rough and
     moss-covered stone where they will hasten to bestow the
     remains of what once was you, and the wrinkled, tottering
     spectres of the days of your old age. You still have much
     of the mountain of life to climb and it will be long
     before you reach the zone where the snow begins. You
     are now only at the level of aromatic plants, of limpid
     cascades over which the iris suspends its tri-colored
     arches, of stately green oaks and sweet-smelling larches.
     Mount a little higher and from that point, with the
     broader horizon spread out before you, perhaps you will
     see the blue smoke rising above the roof beneath which
     he who will love you sleeps. You must not, in the very
     beginning, despair of life, for vistas open in our destiny
     which we had ceased to expect. Man, in his life, has
     often made me think of a pilgrim toiling up the winding
     stairway of a Gothic tower. The long granite serpent winds
     upward in the darkness, every coil a stair. After a few
     circumvolutions the little light that came from the door
     dies out. The shadow of the houses, which are not yet
     passed, does not allow the loopholes to admit the sun:
     the walls are black and moisture oozes from them; you
     seem rather to be going down into a dungeon from which
     you are never to come forth, than ascending to the turret
     which, from below, seemed to you so slender and graceful,
     covered with lace-work and embroidery as if it were about
     starting for the ball.--You hesitate whether you ought
     to go higher, the damp shadows weigh so heavily upon
     your forehead.--A few more turns of the staircase and
     more frequent openings cast their golden trefoils on the
     opposite wall. You begin to see the notched gables of the
     houses, the carving of the entablatures, the strange forms
     of the chimneys; a few steps more and your eye overlooks
     the whole city; it is a forest of steeples, of spires and
     towers, bristling upon all sides, toothed and slashed and
     hollowed, stamped as with dies, and allowing the light to
     shine through their numberless apertures. The domes and
     cupolas raise their rounded forms like a giant's breasts
     or the skulls of Titans. The islets formed by houses and
     palaces appear through shadowy or luminous openings. A
     few steps more and you will be on the platform; and then
     you will see, beyond the walls of the city, the green
     fields, the blue hill-sides and the white sails on the
     changing ribbon of the stream. A dazzling light bursts
     upon you, and the swallows fly hither and thither, close
     at hand, with their joyous twitter. The distant sounds
     reach your eyes like a soothing murmur or the hum of a
     swarm of bees; all the bells scatter their necklaces of
     pearls of sound through the air; the breezes bring you
     the odors of the neighboring forest and of the mountain
     flowers: it is all light and melody and perfume. If your
     feet had been weary or discouragement had seized upon
     you, and you had remained on a lower step or had turned
     back and gone down again, that spectacle would have been
     lost to you.--Sometimes, however, the tower has only a
     single opening, in the centre or at the top.--The tower of
     your life is built so.--In that case you must have more
     obstinate courage, perseverance armed with sharper nails,
     to cling, in the darkness, to the protruding stones, and
     to reach the opening, resplendent with light, through
     which the eye embraces the surrounding country; or it
     may be that the loopholes have been filled up, or no one
     has thought to cut them, and then you must go on to the
     summit; but the higher one goes without looking out, the
     more extended the horizon seems, and the greater the
     surprise and pleasure.
     ROSETTE.
     O Théodore, God grant that I may soon reach the point
     where the window is! For a long, long time I have been
     following the winding staircase in the most profound
     darkness; but I am afraid the opening has never been
     cut and I must climb to the very top; and suppose this
     staircase with the countless stairs should end at a
     walled-up doorway, or an arch closed by blocks of stone?
     THÉODORE.
     Do not say that, Rosette, do not think it.--What architect
     would build a stairway that led nowhere? Why imagine that
     the placid Architect of the world was stupider and less
     far-sighted than an ordinary architect? God makes no
     mistakes and forgets nothing. It is incredible that He
     should have amused Himself by playing a trick upon you
     and shutting you up in a long stone tunnel without exit
     or opening. Why should you suppose that He would haggle
     with such poor ants as we are over our paltry momentary
     happiness and the imperceptible grain of millet that falls
     to each of us in this immeasurable universe?--In order to
     do that He must be as savage as a tiger or a judge; and if
     we were so obnoxious to Him, He would simply have to bid
     a comet turn aside a little from its path and annihilate
     us all with a hair of its tail. How the devil can you
     think that God diverts Himself by spitting us all on a
     gold pin as the Emperor Domitian did with flies?--God
     isn't a concierge or a church-warden, and although He is
     old, He is not yet in His dotage. All such petty malice
     is beneath Him and He is not foolish enough to show off
     His smartness to us and play tricks on us.--Courage,
     Rosette, courage! If you are out of breath, stop a bit and
     take breath and then continue your upward course; perhaps
     you have only a score more steps to climb to reach the
     embrasure from which you will see your happiness.
     ROSETTE.
     Never! oh never! and if I reach the top of the tower, it
     will only be to hurl myself from it.
     THÉODORE.
     Banish these gloomy thoughts that flutter about you like
     bats, and cast the opaque shadow of their wings on your
     fair brow, my poor afflicted one. If you want me to love
     you, be happy, and do not weep. (_He draws her gently to
     his side and kisses her on the eyes_).
     ROSETTE.
     What a misfortune for me that I ever knew you! and yet, if
     I could live my life over, I would still prefer to have
     known you.--Your harshness has been sweeter to me than
     the passion of other men; and, although you have made me
     suffer intensely, all the pleasure I have ever had has
     come to me from you; through you I have caught a glimpse
     of what I might have been. You have been a flash of
     light in my darkness, and you have illuminated many dark
     places in my soul; you have opened new perspectives in my
     life.--I owe it to you that I know what love is,--unhappy
     love, it is true; but there is a melancholy and profound
     fascination in loving without being loved, and it is
     pleasant to remember those who forget us. It is a joy
     simply to be able to love, even when one loves alone, and
     many die without having had it, and often they who love
     are not the most to be pitied.
     THÉODORE.
     They suffer and feel their wounds, but at all events
     they live. They have some interest in life; they have
     a star about which they gravitate, a pole toward which
     they ardently extend their hands. They have something to
     long for; they can say to themselves: "If I reach that
     point, if I obtain that, I shall be happy."--They suffer
     frightful agony, but when they die, they can at least say
     to themselves: "I am dying for him."--To die thus is to
     be born again. The really unhappy, the only ones who are
     irreparably so, are they whose wild embrace takes in the
     whole universe, they who want everything and nothing, and
     who would be embarrassed and speechless if an angel or
     fairy should descend to earth and say suddenly to them:
     "Express one wish and it shall be gratified."
     ROSETTE.
     If a fairy should come I know what I would ask her.
     THÉODORE.
     You know, Rosette, and therein you are happier than I, for
     I do not know. There are in my heart many vague longings,
     which become confounded with one another and give birth
     to others which eventually consume them. My desires are a
     cloud of birds that fly aimlessly this way and that; yours
     is an eagle that has its eyes on the sun and is prevented
     by lack of air from soaring upward on its outspread wings.
     Ah! if I could only know what I want; if the idea that
     haunts me would stand out clear and well-defined from
     the mist that envelops it; if the lucky or unlucky star
     would appear in the depths of my sky; if the light I am to
     follow would shine out through the darkness, a deceitful
     will-o'-the-wisp or a friendly beacon; if my column of
     fire would go on before me, even though it were through
     a desert without manna and without springs of water; if
     I knew where I am going, even though my path ends at a
     precipice!--I would prefer the wild flights of accursed
     huntsmen through bogs and thickets, to this absurd and
     monotonous stamping and pawing. To live thus is to follow
     a trade like that of the horses with bandages over their
     eyes, who turn the wheel of a well, and travel thousands
     of leagues without seeing anything or changing their
     position.--I have been turning a long while, and the
     bucket ought to be at the top.
     ROSETTE.
     You resemble D'Albert in many ways, and, when you speak,
     it seems to me sometimes as if he were speaking.--I
     have no doubt that, when you know him better, you will
     become much attached to him; you cannot fail to suit each
     other.--He is tormented as you are, by these same aimless
     impulses; he is head over ears in love but does not know
     with what; he would like to ascend to Heaven, for the
     earth seems to him like a stool hardly fit for one of his
     feet to rest upon, and he has more pride than Lucifer
     before his fall.
     THÉODORE.
     I was afraid at first that he was one of those poets, of
     whom there are so many, who have driven poetry off the
     face of the earth, one of those stringers of false pearls
     who see nothing in the world but the last syllables of
     words, and who, when they have made _ombre_ rhyme with
     _sombre, flame_ with _âme_, and _Dieu_ with _lieu_, fold
     their arms and legs conscientiously and permit the spheres
     to accomplish their revolutions.
     ROSETTE.
     He is not one of that kind. His verses are beneath him and
     do not contain his thought. You would form a very mistaken
     idea of his nature from what he has written; his real
     poem is himself, and I don't know if he will ever produce
     another. He has, in the depths of his mind, a seraglio of
     choice ideas which he surrounds with a triple wall, and
     of which he is more jealous than ever sultan was of his
     odalisques.--He puts in his poetry only those ideas that
     he holds in light esteem, or with which he has become
     disgusted; he makes his verse the door through which he
     expels them and the world receives only those for which he
     has no further use.
     THÉODORE.
     I can understand his jealousy and his modesty.--Just as
     many men do not care for the love they have had until they
     no longer have it, or for their mistresses until they are
     dead.
     ROSETTE.
     It is so hard for one to have anything to one's self in
     this world! every candle attracts so many moths, every
     treasure attracts so many thieves!--I love the silent men
     who carry their ideas to the grave and do not choose to
     abandon them to the filthy kisses and shameless handling
     of the vulgar crowd. Those lovers please me best who do
     not carve their mistress's name on the bark of any tree,
     who confide it to no echo, and who, while they sleep, are
     haunted by the fear that they may utter it in a dream. I
     am one of that number; I have not divulged my thoughts
     and no one shall know my love.--But it is almost eleven
     o'clock, my dear Théodore, and I am preventing your taking
     rest that you must sadly need. When I am obliged to leave
     you I always have a feeling of oppression at my heart, and
     it seems to me as if it were the last time I should ever
     see you. I postpone it as long as I can; but I always have
     to go at last. Good-night, for I am afraid D'Albert may
     be looking for me; good-night, my dear friend.

Théodore put his arm around her waist and thus escorted her to the door; there he stopped and followed her a long time with his glance; the corridor was lighted at intervals by small windows with narrow panes, through which the moon shone, making alternate light and dark patches of fantastic shape. At each window Rosette's pure, white form gleamed like a silvery phantom; then it vanished to appear, even more brilliant, a little farther away; at last it disappeared altogether.

Théodore stood for some moments motionless, with folded arms, as if buried in profound meditation; then he passed his hand over his forehead and threw back his hair with a jerk of his head, returned to his room, and went to bed after kissing the brow of the page, who was still asleep.



VII


As soon as the daylight entered Rosette's room, D'Albert made his appearance, with an eagerness that was not usual with him.

"Here you are," said Rosette, "I would say very early, if you could ever arrive early.--To reward you for your gallantry I present you my hand to kiss."

And she drew from beneath the sheet of Flemish linen trimmed with lace the prettiest little hand that was ever seen at the end of a plump, well-shaped arm.

D'Albert kissed it with compunction:--"And the other, little sister, are we not to kiss that too?"

_"Mon Dieu_, yes! nothing is easier. I am in my Sunday humor to-day; here."--And she extended her other hand with which she tapped him lightly on the lips.--"Am I not the most obliging woman on earth?"

"You are grace itself, and temples of white marble should be erected to you in thickets of myrtle.--Really, I am very much afraid that the same thing will happen to you that happened to Psyche, and that Venus will be jealous of you," said D'Albert, taking the fair one's hands in one of his and raising them together to his lips.

"How you say all that without taking breath! any one would think it was something you had learned by heart," said Rosette, with a delicious little pout.

"No; you deserve to have the phrase turned expressly for you, and you were made to pluck the virgin bloom from compliments," rejoined D'Albert.

"Oho! whatever is the matter with you to-day? are you ill that you are so gallant? I fear you are dying. Do you know that when one's character suddenly changes, and without any apparent reason, it is an evil omen? Now it is a well-known fact, to all the women who have taken the pains to love you, that you are usually as morose as a man can be, and it is no less certain that at this moment you are as charming as a man can be, and inexplicably amiable.--Really, I think you are pale, my poor D'Albert: give me your arm and let me feel your pulse;" and she pushed back his sleeve and counted the pulsations with mock gravity.--"No, you are perfectly well and you haven't the slightest symptom of fever. In that case I must be furiously pretty this morning! Go and find my mirror so that I can see how far your gallantry is justified."

D'Albert brought a small mirror from the toilet-table and placed it on the bed.

"In truth," said Rosette, "you are not altogether wrong. Why don't you write a sonnet on my eyes, _Monsieur le Poète._ You have no excuse for not doing it. Just see how unfortunate I am! to have eyes like these and a poet like this, and to be left without sonnets just as if I were one-eyed and had a water-carrier for a lover! You don't love me, monsieur; you have never written so much as an acrostic sonnet for me.--And my mouth, what do you think of that? I have kissed you with that mouth and perhaps I will kiss you with it again, my dark-browed beauty; and upon my word, it is a favor that you hardly deserve--I am not speaking of to-day, for to-day you deserve anything;--but, to talk about something beside myself, you are incomparably fresh and comely this morning, you look like a brother of Aurora, and, although it is hardly daylight, you are already arrayed in your best clothes as if for a ball. Can it be that you have designs upon me? and do you meditate dealing an unexpected and final blow to my virtue? do you propose to make a conquest of me? But I forget that you have already done that, and that it's ancient history."

"Don't joke like that, Rosette; you know that I love you."

"Why, that depends. I don't know it; and you?"

"I know it perfectly well, and from such symptoms that, if you should have the kindness to forbid me your door, I should try to prove it to you, and I venture to flatter myself that I should do it most triumphantly."

"Not that way: however anxious I may be to be convinced, my door will remain open; I am too pretty to be shut up behind closed doors; the sun shines for one and all, and my beauty shall be like the sun to-day, if you approve."

"Upon my honor I strongly disapprove; but act as if I approved as strongly. I am your very humble slave, and I lay my wishes at your feet."

"That is as jolly as can be; continue to entertain such sentiments and leave your key in your door to-night."

"Monsieur le Chevalier Théodore de Sérannes,"--said a huge negro, putting his round, good-humored face between the wings of the folding-door, "desires to pay his respects to you and begs that you will deign to receive him."

"Admit Monsieur le Chevalier," said Rosette, pulling the sheet up to her chin.

Théodore went first to Rosette's bed and made a very low and graceful courtesy, which she returned with a friendly nod; then he turned to D'Albert, whom he also saluted in an off-hand, courteous manner.

"What were you talking about?" said Théodore. "It may be that I interrupted an interesting conversation: go on, I beg, and tell me in a few words what it is all about."

"Oh, no!" Rosette replied with a mischievous smile; "we were talking business."

[Illustration: Chapter VII--_"Admit Monsieur le Chevalier," said Rosette, pulling the sheet up to her chin._

_Théodore went first to Rosette's bed and made a very low and graceful courtesy, which she returned with a friendly nod; then he turned to D'Albert, whom he also saluted in an off-hand, courteous manner._]


Théodore seated himself at the foot of Rosette's bed, for D'Albert had taken his place at her pillow, by right of having arrived first. The conversation wandered for some time from subject to subject, very bright and gay and animated, and that is why we do not report it; we should be afraid that it would lose too much in being transcribed. The manner, the tone, the vivacity of speech and gesture, the countless ways of uttering a word, the effervescent wit, like the foam of champagne which sparkles and evaporates at once, are details that it is impossible to note down and reproduce. We leave that hiatus for the reader to fill, and he will certainly acquit himself of the task better than we could do. Let him imagine here five or six pages filled with whatever is most capricious, most refined, most curiously original, most ingenious and most sparkling in the way of conversation.

We are well aware that we are resorting to an artifice which reminds one a little of that resorted to by Timanthes, who, in despair of ever being able to reproduce Agamemnon's face, threw some drapery over his head; but we prefer to be timid rather than imprudent.

It would not perhaps be amiss to inquire into the motives that had led D'Albert to rise so early, and what spur had impelled him to call upon Rosette at as unseasonable an hour as if he had still been in love.--It would appear as if it were a slight attack of secret, unconfessed jealousy. To be sure he cared but little for Rosette, indeed he would have been very glad to be rid of her,--but he preferred to leave her voluntarily and not to be left by her, a thing which always inflicts a deep wound on a man's pride, although his first flame may be utterly extinct.--Théodore was such a well-favored cavalier that it was difficult to view his appearance on the scene while a liaison was in progress without apprehending what had in fact happened many times, that is to say, that all eyes would turn in his direction and the hearts follow the eyes; and, strangely enough, although he had taken away many women, no lover had harbored the enduring resentment that men usually feel for those who have supplanted them. There was in his whole behavior such winning charm, such unaffected grace, a something so gentle and so dignified, that even men were touched by it. D'Albert, who had come to Rosette's room, intending to speak very sharply to Théodore, if he should meet him there, was greatly surprised to find that he did not feel the slightest sensation of anger in his presence, and that he was inclined to receive with warmth the advances he made. In half an hour's time, you would have said that they had been friends from boyhood, and yet D'Albert felt in his inmost heart, that if Rosette was destined ever to love, she would love that man, and he had every reason to be jealous, for the future at least, for he did not suspect anything at present. What would he have thought, had he seen the fair creature in a white _peignoir_ gliding like a night-moth on a moonbeam into the handsome youth's room, and coming out three or four hours later with mysterious precautions? He might well, in very truth, have deemed himself more unfortunate than he really was, for it is a thing rarely seen that a pretty, lovelorn young woman comes forth from the bedroom of a no less attractive young man, exactly the same as when she went in.

Rosette listened to Théodore with much attention and as one listens to a person one loves; but what he said was so entertaining and upon so many different subjects, that her attention was perfectly natural and easily explained. And so D'Albert took no offence at it. Théodore's manner toward Rosette was courteous and friendly, but nothing more.

"What shall we do to-day, Théodore?" said Rosette, "suppose we go for a row on the river? what do you think? or shall we hunt?"

"To hunt is less depressing than to glide over the water side by side with some tired swan and thrust the water-lily leaves aside to right and left,--don't you think so, D'Albert?"

"I think perhaps I should enjoy gliding down the river in the skiff quite as much as racing madly in the trail of some poor beast; but wherever you go, I will go; what we have to do now is to allow Madame Rosette to rise and don a suitable costume."

Rosette made a sign of assent and rang for her maid to come and dress her. The two young men left the room arm in arm, and it was easy to guess, from seeing them on such good terms, that one was the titular lover and the other the loved lover of the same person.

Soon everybody was ready. D'Albert and Théodore were already mounted in the first court-yard, when Rosette, in a riding-habit, appeared at the top of the steps. She had assumed with the costume, a sprightly, resolute air that was immensely becoming to her; she leaped into the saddle with her ordinary agility and gave her horse a smart blow with her crop, so that he darted away like an arrow. D'Albert spurred after her and soon overtook her. Théodore allowed them some little start, being sure of catching them up whenever he chose. He seemed to be waiting for something and turned back frequently toward the château.

"Théodore! Théodore! come on! are you riding a wooden horse?" cried Rosette.

Théodore urged his horse to a gallop and diminished the distance between him and Rosette, but did not join her.

He continued to look back at the château, which they were beginning to lose sight of; a little cloud of dust, in the centre of which something that they could not as yet distinguish was moving very rapidly, appeared at the end of the road. In a few moments the cloud reached Théodore's side, and, opening like the classic clouds of the Iliad, disclosed the fresh and rosy face of the mysterious page.

"Come, Théodore, come!" cried Rosette again; "give your tortoise the spur and join us."

Théodore gave his horse the rein, and in a second, the animal, who was pawing and rearing impatiently, had passed D'Albert and Rosette by several lengths.

"Who loves me follows me," said Théodore, leaping a fence four feet high. "Well, well, _Monsieur le Poète_," he said, when he was on the other side, "you don't jump? but they say your steed has wings."

"Faith, I prefer to ride around; I have only one head to break after all; if I had several I would try," D'Albert replied with a smile.

"No one loves me then, as no one follows me," said Théodore, bringing the arched corners of his mouth even lower than usual. The little page looked up at him reproachfully with his great blue eyes, and drove his heels into his horse's sides.

The horse gave a tremendous leap.

"Yes! some one," said the child from the other side of the fence.

Rosette cast a strange glance at the boy and blushed up to her eyes; then, with a furious blow of the crop on the mare's neck, she leaped the barrier of green apple wood that barred the path.

"Do you think that I don't love you, Théodore?"

The child darted an oblique, stealthy glance at her and rode up to Théodore.

D'Albert was in the middle of the path--and saw nothing of all this; for, from time immemorial, it has been the privilege of fathers, husbands and lovers to see nothing.

"Isnabel," said Théodore, "you are mad, and so are you, Rosette! You didn't take enough start for your jump, Isnabel, and you, Rosette, just missed catching your dress on the posts.--You might have killed yourself."

"What difference would it make?" rejoined Rosette, in such a melancholy, despairing tone that Isnabel forgave her for having leaped the barrier.

They rode on for some distance and reached the crossroads where the huntsmen and the pack were to meet them. Six arched paths, cut through the dense forest, met at a little stone tower with six sides, on each of which was carved the name of the road that ended there. The trees rose so high that they seemed to be trying to spin the woolly, fleecy clouds that a brisk breeze carried hither and thither over their towering tops; tall, thick grass and impenetrable thickets provided hiding-places and strongholds for the game, and the hunt promised to be a successful one. It was a true forest of an earlier age, with oaks more than a hundred years old, such trees as we never see, now that we no longer plant trees and have not the patience to wait for those that are planted to grow;--a hereditary forest, planted by great-grandfathers for fathers, by fathers for grandsons, with paths of enormous width, the obelisk surmounted by a ball, the rock-work fountain, the inevitable pool, and the keepers with powdered wigs, yellow leather breeches and sky-blue coats;--one of those dense, dark forests in which the white, glossy coats of Wouvermans' great horses stand out in bold relief, and the flaring mouths of the hunting horns _à la Dampierre_ that Parrocel loves to paint on the backs of his huntsmen.--A multitude of dogs' tails, shaped like crescents or reaping-hooks, waved frantically about in a dusty cloud. The signal was given, the dogs, straining at their leashes, were uncoupled, and the hunt began.--We shall not undertake to describe with precision the detours and doublings of the stag through the forest;--we do not even feel sure whether it was a stag seven years old, and, despite our investigations on that point, we have not been able to satisfy ourselves--which is really distressing.--Nevertheless we can but think that in such a forest, so venerable, so dark, so seignorial, there could be none but seven-year stags, and we do not see why the one after which the four principal characters in this romance were galloping on horses of different colors, and _non passibus æquis_, should not have been such a one.

The stag ran, like the true stag that he was, and some fifty dogs or more that followed at his heels were no slight spur to his natural swiftness of foot. The pace was so fleet that only an occasional bark could be heard.

Théodore, being the best mounted and the best rider, kept on the heels of the pack with incredible zeal. D'Albert was close behind him. Rosette and the little page Isnabel followed, falling farther and farther behind.

The interval was soon so great that they could not hope to join their companions.

"Suppose we stop for a moment and let our horses take breath," said Rosette. "The hunt is going toward the pond and I know a crossroad by which we can reach there as soon as they do."

Isnabel drew in his little mountain pony, who put down his head, shook his forelock down over his eyes and began to paw the gravel with his hoofs.

The little creature presented a most striking contrast to Rosette's mare; he was as black as night, she as white as white satin; his mane and tail were bristly and unkempt; her mane was tied with blue ribbons and her tail combed and curled. She looked like a unicorn, he like a spaniel.

There was the same marked difference between the riders as between their steeds.--Rosette's hair was as black as Isnabel's was fair; her eyebrows were very clearly marked and very prominent; those of the page were hardly darker than his skin and resembled the down on a peach.--The coloring of the one was as brilliant and enduring as the light at noonday; the other had the transparent blushing hue of early dawn.

"Suppose we try now to overtake the hunt?" said Isnabel; "the horses have had time to recover their breath."

"Come on!" replied the pretty Amazon, and they galloped away through a narrow transverse path leading to the pool; the two horses ran neck and neck and filled the whole path.

On Isnabel's side, a gnarled and twisted tree stretched out a huge branch like an arm, and seemed to shake its fist at the riders.--The child did not see it.

"Look out!" cried Rosette, "lean forward on your saddle! you will be unhorsed."

The warning came too late; the branch struck Isnabel in the middle of the body. The violence of the blow caused him to lose his stirrups, and, as his horse galloped on and the branch was too stout to bend, he was brushed from his saddle and thrown rudely back.

The child fainted on the spot.--Rosette, terribly frightened, leaped from her horse and knelt beside the page, who gave no sign of life.

His cap had fallen off and his lovely, rippling fair hair lay spread about over the gravel in every direction.--His little open palms looked as if they were made of wax, they were so devoid of color. Rosette knelt beside him and tried to restore him to consciousness.--She had no salts or flask with her and her embarrassment was great. At last she discovered a deep rut in which the rain-water had collected and clarified; she dipped her fingers in it, to the great alarm of a little toad that was the naiad of that stream, and shook a few drops on the young page's blue-veined temples.--He did not seem to feel them, and the pearls of water rolled down his white cheeks as a sylph's tears roll down the leaf of a lily. Rosette, thinking that his clothes might distress him, unbuckled his belt, unbuttoned his doublet and opened his shirt to give his lungs freer play.--Thereupon Rosette saw something that would have been the most agreeable of surprises to a man, but that seemed very far from affording her any pleasure--for her brows contracted and her upper lip trembled slightly;--she saw a snowy white breast, which was as yet undeveloped, but which made the fairest promises and already fulfilled many of them; a smooth and rounded breast, as white as ivory, and in the language of the Ronsardists, delicious to look at, more delicious to kiss.

[Illustration: Chapter VII--_Rosette, thinking that his clothes might distress him, unbuckled his belt, unbuttoned his doublet and opened his shirt to give his lungs freer play.--Thereupon Rosette saw something that would have been the most agreeable of surprises to a man, but that seemed very far from affording her any pleasure_----]

"A woman!" she exclaimed, "a woman! ah! Théodore!"

Isnabel--for we will continue to call him by that name, although it was not his--began to show some signs of life and languidly raised his long eyelashes; he was not wounded in any way, he was simply stunned.--He soon sat up and, with Rosette's assistance, was able to stand and remount his horse, which had stopped as soon as he felt that his rider was gone.

They rode slowly to the pool, where they found the remainder of the hunting party. Rosette in a few words told Théodore what had happened.--He changed color several times during her recital, and throughout the rest of the ride he kept his horse close beside Isnabel's.

They returned to the château betimes; the day that had begun so joyously, had a decidedly melancholy ending.

Rosette was in a meditative mood and D'Albert seemed as deeply engrossed in his reflections. The reader will soon learn what had given rise to them.



VIII


No, my dear Silvio, I have not forgotten you; I am not one of those who go through life without a backward glance; my past follows me and encroaches upon my present, and almost upon my future; your friendship is one of the sunlit spots that stand out most clearly on the blue horizon of my later years; often, from the peak on which I stand, I turn to gaze upon it with a feeling of ineffable melancholy.

Oh! what lovely weather it was!--how angelically pure we were!--Our feet hardly touched the ground, we had wings on our shoulders, as it were, our desires carried us away and the fair halo of youth around our foreheads trembled in the breeze of spring.

Do you remember the little island covered with poplars at the spot where the river forms a little arm?--To reach it we had to cross a long, very narrow plank that bent in the middle, with a strange sensation; an excellent bridge for goats and little used, in fact, except by them: it was a delightful spot.--Short, thick grass where the forget-me-not opened its pretty little blue twinkling eye, a path, as yellow as nankeen, that served as a belt for the green robe of the islet and encircled its waist, the constantly moving shadow of aspens and poplars, were not the least charms of that paradise;--there were great pieces of linen that the women stretched out to whiten in the dew;--one would have said they were square patches of snow.--And the little dark, sun-burned girl whose great wild eyes sparkled so brightly under her long locks, and who ran after the goats, threatening them with her osier switch when they were on the point of walking on the linen she was watching--do you remember her?--And the sulphur-colored butterflies, with their irregular, hesitating flight, and the kingfisher we tried so many times to catch, that had its nest in the clump of alders; and the banks sloping to the river, with the steps roughly hewn in the rock, with their posts and stakes, all green at the bottom and almost always closed by a hedge of plants and branches? How smooth and clear the water was! how the golden gravel glistened at the bottom! and how pleasant it was to sit on the bank and dabble our toes in the stream! The water-lily, with its golden flowers unfolding gracefully, seemed like green hairs floating on the gleaming back of some nymph in the bath.--The sky gazed at its reflection in that mirror with azure smiles and transparent rifts of pearl-gray of most bewitching beauty, and at every hour in the day there were turquoise blues, golden yellows, fleecy whites and flickering shades in inexhaustible variety.--How I loved those flocks of ducks with the emerald necks that sailed incessantly from bank to bank and caused an occasional wrinkle on that glassy surface!

And how well adapted we were to be the figures in that landscape!--how attached we became to those sweet, restful scenes, and how easily we harmonized ourselves with them! Springtime without, youth within, the sun on the turf, a smile on the lips, snow-white blossoms on all the bushes, fair illusions blooming in our minds, a modest flush upon our cheeks and on the eglantine, poetry singing in our hearts, invisible birds humming among the trees, bright light, cooing doves, perfumes, a thousand confused murmurs, the beating of the heart, the water stirring a pebble, a wisp of grass or a thought springing up, a drop of water rolling down the side of a flower, a tear flowing from beneath an eyelid, a sigh of love, the rustling of a leaf;--what evenings we have passed there, walking slowly, so near the edge that we often had one foot in the water and the other on land!

Alas!--that lasted a very short time, in my case at least; for you, while acquiring the knowledge of a man, were able to retain the innocence of a child.--The seed of corruption that was within me developed very rapidly, and the gangrene pitilessly devoured all that was pure and saintlike about me. The only good that remained was my friendship for you.

I am accustomed to conceal nothing from you--neither acts nor thoughts. I have laid bare before you the most secret fibres of my heart; however strange, absurd, eccentric the movements of my mind, I must needs describe them to you; but, in truth, my sensations for some time past have been so strange that I hardly dare confess them to myself. I told you at some time that I was afraid that by dint of seeking the beautiful and straining every nerve to attain it, I should fall into the impossible or the horrible.--I have almost reached that point; when, then, shall I get clear of all these currents that cross and recross one another and drag me to right and left; when will the deck of my vessel cease to tremble under my feet and to be swept by the waves of every storm? where shall I find a haven in which I can cast anchor, and an immovable rock out of reach of the waves, whereon I can dry myself and wring the spray from my hair?

You know how ardently I have sought physical beauty, what importance I attach to physical form, and what affection I have conceived for the visible world; it must be because I am too corrupt and too _blasé_ to believe in moral beauty, and to pursue it with any constancy.--I have completely lost the power to distinguish between good and evil, and, by force of depravity, I have almost reverted to the ignorance of the savage and the child. In fact, nothing seems praiseworthy or blameworthy to me, and the most extraordinary actions surprise me but little. My conscience is a deaf mute. Adultery seems to me the most innocent thing in the world; I find it quite natural that a girl should prostitute her person; it seems to me that I would betray my friends without the slightest remorse, and I should not have the slightest scruple in kicking over a precipice people who annoyed me, if I were walking on the brink with them.--I could witness the most atrocious scenes with indifference, and there is something that is not unpleasant to me in the sufferings and woes of humanity.--I have the same sensation of acrimonious, bitter joy when some great disaster falls on the world, that one feels when one takes revenge for an old insult.

O world, what hast thou done to me that I should hate thee so? Who has so filled me with gall against thee? what did I expect from thee that I should bear thee such rancor for having deceived me? what high hope didst thou disappoint? what eaglet's wings didst thou clip?--What doors shouldst thou have opened that have remained closed, and which of us two has failed the other?

Nothing touches me, nothing moves me;--I no longer feel, when I hear the story of a heroic action, the sublime shudder that used to run over me from head to foot.--Indeed, it all seems to me a little foolish.--No accent is deep enough to tighten the relaxed fibres of my heart and make them vibrate:--I look upon the tears of my fellow-mortals with the same eye that I look upon the rain, unless they are of a particularly beautiful water and the light is reflected prettily in them and they are flowing down a lovely cheek.--Dumb animals are almost the only creatures for which I have a slight remnant of compassion. I would allow a peasant or a servant to be soundly whipped, but I could not stand by and see the same treatment inflicted on a horse or dog in my presence; and yet I am not evil-minded, I have never injured anybody on earth and I probably never shall; but that is due rather to my nonchalance and my sovereign contempt for all those people whom I do not like, which does not permit me to interest myself even to the extent of injuring them.--I abhor the whole world in bulk, and there are only one or two in the whole lot whom I deem worthy to be hated specially.--To hate a person is to be as much disturbed about him as if you loved him;--it is to set him apart, to distinguish him from the common herd; it is to be in a state of violent excitement because of him; it is to think of him by day and dream of him by night; it is to bite at your pillow and gnash your teeth as you think that he exists; what more do you do for any one you love? Would you take the same amount of trouble to please a mistress that you take to ruin an enemy?--I doubt it--in order to hate one person intensely, one must be in love with some other person. Every great hatred serves as a counterpoise to a great love: and whom could I hate, when I love nobody?

My hatred is, like my love, a confused, general sentiment that seeks to apply itself to some object and cannot; I have within me a treasure of hatred and love which I don't know what to do with, and which weighs horribly upon me. If I can find no place to bestow one or the other or both of them, I shall burst and break apart, like a bag filled too full of money, which rips at the seams and spills its contents.--Oh! if I could detest some one, if one of the stupid men with whom I live would insult me in such a way as to make my old viper's blood boil in my frozen veins, and force me out of this dull drowsiness in which I am stagnating; if thou, old witch with the palsied head, wouldst bite me in the cheek with thy rat's teeth and infect me with thy venom and thy madness; if some one's death could be my life;--if the last heart-beat of an enemy writhing under my foot could send a delicious thrill through my hair, and the odor of his blood smell sweeter to my thirsty nostrils than the aroma of flowers, oh! how gladly would I renounce love, and how happy I would deem myself!

Deadly embraces, tiger-bites, the hug of a boa-constrictor, an elephant's foot placed upon a breast that is crushed and flattened beneath it, the poisoned tail of the scorpion, the milky juice of the Euphorbia, the curved kris of the Javanese, blades that gleam at night and extinguish their gleam in blood--I call upon you now, it is you who shall replace for me the leafless roses, the moist kisses and the warm embrace of love!

I love nothing, as I have said, but alas! I am afraid of loving something.--It would be a hundred thousand times better to hate than to have such a love!--I have found the type of beauty that I have so long dreamed of.--I have found the body of my phantom; I have seen it, it has spoken to me, I have touched its hand, it exists; it is not a chimera. I knew that I could not be mistaken and that my presentiments never lied.--Yes, Silvio, lam living beside the dream of my life;--my chamber is here, its chamber is there; I can see from here the curtain trembling at its window, and the light of its lamp. Its shadow has just passed across the curtain: in an hour we shall sup together.

Those lovely Turkish eyelashes, that clear, profound gaze, that warm hue of pale amber, that long glossy black hair, that nose, of proud and delicate shape, those joints and extremities, supple and slender after the manner of Palmegiani, the graceful curves and the pure oval contour that give such an air of aristocratic refinement to a face--all that I longed for and would have been overjoyed to find distributed among five or six persons, I have found united in a single person!

The thing that I adore most fervently among all earthly things is a lovely hand.--If you could see the hand of my dream! such perfection! such dazzling whiteness! such soft skin! such penetrating moisture! the ends of the fingers so admirably tapered! the half-moon of the nails so clearly marked! such polish and such brilliant color! you would say they were the inner petals of a rose;--Anne of Austria's hands, so vaunted and famous, were no more than the hands of a turkey-keeper or scullery-maid compared with these.--And then what grace, what art in the slightest movements of the hand! how gracefully the little finger bends and stays a little apart from its tall brothers!--The thought of that hand drives me mad and makes my lips quiver and burn.--I close my eyes to avoid looking at it; but with its delicate fingers it seizes my eyelashes and raises the lids, causing countless visions of ivory and snow to pass before me.

Ah! doubtless it is Satan's claw gloved in that satin skin; it is some mocking demon making sport of me; there is witchcraft in it.--It is too monstrously impossible.

That hand--I propose to go to Italy, to see the pictures of the great masters, to study, compare, draw, become a painter in short, in order to be able to reproduce it as it is, as I see it, as I feel it; it will perhaps serve the purpose of ridding me of this sort of obsession.

I longed for beauty; I did not know what I asked for.--It is like trying to look at the sun without eyelids, it is like trying to handle flames.--I suffer horribly.--To be unable to assimilate this perfection, to be unable to pass into it and to cause it to pass into me, to have no means of reproducing it and of making it feel!--When I see anything beautiful, I want to touch it with my whole self, everywhere and at the same time. I want to sing of it and paint it, to carve it and write of it, to be loved by it as I love it; I want what cannot be and never can be.

Your letter made me ill--very ill--forgive me for saying it.--All the pure, tranquil happiness that you enjoy, the walks in the reddening woods,--the long conversations, so affectionate and tender, that end with a chaste kiss on the forehead; the serene, isolated life; the days that pass so quickly that night seems to come before its time, make the constant internal agitation in which I live seem even more tempestuous.--So you are to be married in two months; all the obstacles are removed, you are sure now of belonging to each other forever. Your present felicity is augmented by all the happiness in store for you. You are happy and you are certain of being happier soon.--What a destiny is yours!--Your beloved is beautiful, but what you have loved in her is not the mortal, palpable beauty, material beauty, but the invisible, immortal beauty, the beauty that does not grow old, the beauty of the soul.--She is full of charm and innocence; she loves you as such souls know how to love.--You never looked to see if the golden shade of her hair resembled the golden hair painted by Rubens or Giorgione; but it pleased you because it was her hair. I will wager, happy lover that you are, that you have no idea whether your mistress is of the Grecian or Asiatic type, English or Italian.--O Silvio! how rare are the hearts that are content with pure and simple love and desire neither a hermitage in the forest nor a garden on an island in Lago Maggiore.

If I had the courage to tear myself away from here, I would go and pass a month with you; perhaps I should become purified in the air that you breathe, perhaps the shade of your avenues would bring a little coolness to my burning brow; but no, it is a paradise in which I must not set foot.--Hardly ought I to be allowed to gaze from afar, over the wall, at the two fair angels who are walking there, hand in hand, eyes fixed upon eyes. The devil can enter Eden only in the shape of a serpent, and, dear Adam, for all the happiness on earth, I would not be the serpent of your Eve.

What frightful upheaval has taken place in my soul of late! who has transformed my blood and changed it to venom? O monstrous thought, that puttest forth thy pale green twigs and umbels of hemlock in the glacial shadow of my heart, what poisoned wind deposited there the seed from which thou didst spring? This, then, was what was in store for me, this is the end of all the roads that I so desperately attempted!--O fate, how thou dost mock at me!--All those upward flights of the eagle toward the sun, those pure flames aspiring to reach the sky, that divine melancholy, that profound, restrained passion, that worship of beauty, that refined and curious fancy, that unquenchable and ever-rising flood from the interior fountain, that ecstasy borne upon wings always spread, that reverie blooming brighter than the hawthorn in May--all the poesy of my youth, all those beautiful and rare gifts were destined to serve no other purpose than to place me beneath the lowest of mankind.

I longed to love.--I went about like a madman, calling and invoking love;--I writhed in frenzy because of my feeling of helplessness; I set my blood on fire, I dragged my body about in the gutters of debauchery;--I strained to my arid heart until I almost stifled her, a woman, young and beautiful, who loved me.--I ran after the passion that avoided me. I prostituted myself, and I acted like a virgin who should venture into an evil place, hoping to find a lover among those whom depravity led thither, instead of waiting patiently, in dignified, silent retirement, until the angel whom God has set aside for me should appear in a radiant penumbra, a heavenly flower in her hand. All these years that I have wasted in puerile agitation, in running hither and thither, in seeking to force nature and time, I should have passed in silence and meditation, in trying to make myself worthy to be loved;--that would have been wisely done;--but I had scales over my eyes and I marched straight to the precipice. I already have one foot suspended over the void, and I believe that I shall soon lift the other. It is useless for me to resist, I feel that I must roll to the bottom of this new abyss that has opened within me.

Yes, it was thus that I imagined love. I feel now what I had dreamed.--Yes, there are the delightful yet terrible sleepless nights when the roses were thistles and the thistles roses; there are the sweet misery and the miserable joy, the ineffable trouble that encompasses you in a golden cloud and makes objects waver before your eyes as drunkenness does, the ringing in the ears in which you always hear the last syllable of the loved one's name, the pallor, the flushes, the sudden shivering, the burning and freezing perspiration;--all those are there; the poets do not lie.

When I am about to enter the salon where we usually meet, my heart beats so violently that you can see it through my clothes and I am obliged to hold it back with both hands for fear it will escape me.--If I see my dream at the end of a path and in the park, the distance vanishes at once and I have no idea what becomes of the road: it must be that the devil takes me or that I have wings.--Nothing can distract my thoughts: if I read, her image comes between the book and my eyes;--I mount my horse, I gallop over the country, and it always seems to me that I feel its long hair mingling with mine in the wind, hear its hurried respiration, and feel its warm breath upon my cheek. The image possesses me and follows me everywhere, and I never see it more clearly than when it is not before my eyes.

You pitied me for not being in love--pity me now because I am in love; and above all because I love what I love. What a misfortune, what a crushing blow upon my already blasted life!--what an insensate, guilty, hateful passion has taken possession of me!--It is a shameful thing for which I shall never cease to blush. It is the most deplorable of all my aberrations, I cannot imagine it, I cannot understand it, everything within me is in confusion and bewilderment; I have no idea who I am nor who others are, I doubt whether I am a man or a woman, I have a horror of myself, I feel strange, inexplicable impulses, and there are moments when it seems to me that my reason is going, and when the idea of my existence abandons me altogether. For a long time I have been unable to believe in anything; I have listened to myself and watched myself closely. I have tried to disentangle the skein that has become entangled in my soul. At last, through all the veils in which it was enveloped, I have discovered the ghastly truth--Silvio, I love--Oh! no, I can never tell you--I love a man!



IX


That is the fact.--I love a man, Silvio.--I tried for a long while to deceive myself; I gave a different name to the sentiment I felt, I clothed it in the guise of pure, disinterested friendship; I believed that it was nothing more than the admiration I have for all beautiful persons and all beautiful things; I walked for several days through the deceitful, laughing paths that wander about every new-born passion; but I realize now in what a deep and terrible slough I have become involved. There is no way of concealing the truth from myself longer; I have examined myself carefully, I have coolly considered all the circumstances; I have gone to the bottom of the most trivial details; I have searched every corner of my heart with the assurance due to the habit of studying one's self; I blush to think it and to write it; but the fact, alas! is only too certain.--I love this young man, not with the affection of a friend, but with love;--yes, with love.

You, whom I have loved so dearly, Silvio, my dear, my only friend and companion, have never made me feel anything of the sort, and yet, if there ever was under heaven a close, warm friendship, if ever two hearts, although utterly different, understood each other perfectly, ours was that friendship and ours those two hearts. How many swiftly-flying hours have we passed together! what endless conversations, always too soon ended! how many things we have said to each other that no one ever said before!--We had, each in the other's heart, the window that Momus would have opened in man's side. How proud I was to be your friend, although younger than you--I so foolish, you so sensible!

My feeling for this young man is really incredible; no woman ever disturbed my peace of mind so strangely. The sound of his clear, silvery voice acts upon my nerves and excites me in a most peculiar way; my soul hangs upon his lips, like a bee upon a flower, to drink the honey of his words.--I cannot brush against him as we pass without shivering from head to foot, and in the evening, when the time comes to say good-night and he gives me his soft, satiny hand, my whole life rushes to the place he has touched and I can feel the pressure of his fingers an hour after.

This morning I looked at him for a long while without his seeing me.--I was hidden behind my curtain.--He was at his window which is exactly opposite mine.--This part of the chateau was built toward the close of the reign of Henri IV.; it is half of brick, half of unhewn stone, according to the custom of the time; the window is long and narrow, with stone lintel and a stone balcony.--Théodore--for you have already guessed of course that he is the young man in question--was leaning in a melancholy attitude on the rail, and seemed to be deep in meditation.--Draperies of red damask with large flowers, half drawn aside, fell in broad folds behind him and served as a background.--How beautiful he was, and what a marvellous effect his dark, sallow face produced against the dark red! Two great bunches of hair, black and glossy, like the grape clusters of Erigone of old, fell gracefully along his cheeks and made a charming frame for the pure and delicate oval of his beautiful face. His round, plump neck was entirely bare and he wore a sort of dressing-gown with flowing sleeves not unlike a woman's robe. He held in his hand a yellow tulip, at which he plucked pitilessly in his reverie, throwing the pieces to the wind.

[Illustration: Chapter IX--_This morning I looked at him for a long while without his seeing me.--I was hidden behind my curtain.--He was at his window which is exactly opposite mine.--* * *Théodore--for you have already guessed of course that he is the young man in question--was leaning in a melancholy attitude on the rail, and seemed to be deep in meditation. One of the shafts of light that the sun projected on the wall cast its reflection on the window, and the picture took on a warm golden tone that the most chatoyant of Giorgione's canvases might have envied._]

With that long hair waving gently in the wind, that marble neck thus uncovered, that ample robe enveloping the form, those lovely hands protruding from the sleeves like the pistils of a flower peeping from among their petals, he seemed not the handsomest of men but the loveliest of women,--and I said to myself in my heart: "He is a woman, oh! he is a woman!"--Then I suddenly remembered an absurd thing I wrote to you long ago, you know, about my ideal and the way in which I was surely destined to meet her; the beautiful dame in the Louis XIII. park, the red and white chateau, the terrace, the avenues of old chestnuts and the interview at the window; I gave you all the details before.--And there it was--what I saw was the exact realization of my dream.--There was the style of architecture, the effect of light, the type of beauty, the coloring and the character I had longed for;--nothing was lacking, except that the lady was a man;--but I confess that at that moment I had entirely forgotten that.

It must be that Théodore is a woman in disguise; it cannot be otherwise. His excessive beauty, excessive even for a woman, is not the beauty of a man, were he Antinous, the friend of Adrian, or Alexis, the friend of Virgil.--He is a woman, _parbleu_! and I am a fool to have tormented myself so. In that way everything is explained as naturally as possible, and I am not such a monster as I thought.

Does God put such long, dark, silky fringes upon a man's coarse eyelids? Would he tinge our vile, thick-lipped, hairy mouths with that bright, delicate carmine? Our bones, hewn with reaping-hooks and roughly jointed, do not deserve to be swathed in flesh so white and delicate; our battered skulls were not made to be bathed in waves of such lovely hair.

O beauty! we are made only to love thee and adore thee on our knees, if we have found thee--to seek thee incessantly throughout the world, if that happiness has not been vouchsafed us; but to possess thee, to be thou ourselves, is possible only for angels and women. Lovers, poets, painters and sculptors, we all seek to erect an altar to thee, the lover in his mistress, the poet in his song, the painter in his canvas, the sculptor in his marble; but the source of everlasting despair is the inability to give tangible form to the beauty one feels, and to be enveloped by a body which does not realize the idea of the body you understand to be yours.

I once saw a young man who had stolen the bodily form I ought to have had. The villain was just what I would have liked to be. He had the beauty of my ugliness, and beside him I looked like a rough drawing of him. He was of my height, but stronger and more slender; his figure resembled mine, but possessed a refinement and dignity that I have not. His eyes were of the same shade as mine, but they had a sparkle and an animation that mine will never have. His nose had been cast in the same mould as mine, but it seemed to have been retouched by the chisel of a skilful sculptor; the nostrils were more open and more passionate, the flat surfaces more sharply defined, and it had a heroic cast of which that respectable part of my countenance is entirely devoid. You would have said that nature had tried first to make that perfected myself in my person.--I seemed to be the blotted and unsightly rough draft of the thought of which he was the copy in fine type. When I saw him walk, stop, salute the ladies, sit down and lie down with the perfect grace that results from beautiful proportions, I was seized with such horrible melancholy and jealousy as the clay model must feel as it dries up and cracks in obscurity in a corner of the studio, while the haughty marble statue, which would not exist but for it, stands proudly erect on its carved pedestal and attracts the notice and the enthusiastic praise of visitors. For after all that rascal was simply myself cast a little more successfully and with less unruly bronze that worked itself more carefully into the hollow places of the mould.--I consider him very insolent to strut about thus with my form, and to play the braggart as if he were an original type; at the best, he is simply a plagiarist from me, for I was born before him, and except for me nature would never have had the idea of making him as he is.--When women lauded his good manners and the charms of his person, I had a most intense longing to rise and say to them: "Fools that you are, praise me directly, for this gentleman is myself, and it is a useless circumlocution to send him what comes back to me."--At other times my fingers itched to strangle him and to turn his soul out of that body that belonged to me, and I hovered about him with clenched fists and compressed lips, like a nobleman hovering around his palace, in which a family of beggars have taken up their abode during his absence, perplexed as to the best means of casting them out.--The young man is a stupid creature, by the way, and succeeds so much the better on that account.--And sometimes I envy him his stupidity more than his beauty.--The dictum of the Gospel as to the poor in spirit is not complete: they shall inherit the kingdom of Heaven; I know nothing about that, nor do I care; but there is no doubt that they inherit the kingdom of earth--they have money and fair women, that is to say, the only two desirable things in the world.--Do you know a man of spirit who is rich, or a youth of courage and of any sort of merit who has a passable mistress?--Although Théodore is very beautiful, I have never desired his beauty, and I prefer that he should have it, rather than I.

Those strange passions of which the elegies of the ancient poets are full, which used to surprise us so and which we could not conceive, are therefore possible, nay, probable. In the translations we made of them, we used to substitute names of women for the names we found. Juventius was changed to Juventia, Alexis became Ianthe. The comely youths became lovely maidens, and thus we reconstituted the unnatural seraglio of Catullus, Tibullus, Martial, and the gentle Virgil. It was a very gallant occupation, which proved simply how little we understood the genius of the ancients.

I am a man of the Homeric days;--the world in which I live is not mine, and I have no comprehension of the society that surrounds me. Christ did not come to earth for me; I am as great a pagan as Alcibiades and Phidias.--I have never been to Golgotha to pluck the passion-flowers, and the deep stream that flows from the side of the Crucified One and forms a red girdle around the world has not bathed me in its waves;--my rebellious body refuses to recognize the supremacy of the soul, and my flesh does not understand why it should be mortified.--To me the earth is as fair as heaven, and I think that the correction of physical form is virtue. Spiritual matters are not my forte, I like a statue better than a phantom and high noon better than twilight. Three things delight my soul: gold, marble, and purple,--brilliancy, solidity, color. My dreams are made of those, and all the palaces I build for my chimeras are constructed with those materials.--Sometimes I have other dreams--of long cavalcades of snow-white horses, without saddle or bridle, ridden by handsome, naked young men, who pass upon a band of deep blue as on the friezes of the Parthenon; or deputations of maidens crowned with fillets, with tunics with straight folds and ivory citterns, who seem to wind about an enormous vase.--There is never any mist or haze, anything indistinct or uncertain. My sky has no clouds, or, if it has any, they are solid clouds, carved with the sculptor's chisel, made from blocks of marble that have fallen from the statue of Jupiter. Mountains with sharply-outlined peaks rise abruptly along its edges, and the sun, leaning on one of the highest summits, opens wide its yellow lion's eye with the golden eyelids.--The grasshopper chirps and sings, and the corn bursts its sheath; the vanquished shadow, unable to withstand the heat, musters its platoons and takes refuge at the foot of the trees; everything is radiant and glowing and resplendent. The slightest detail acquires substance and becomes boldly accentuated; every object assumes robust shape and color. There is no place for the tameness and reverie of Christian art.--That world is mine.--The brooks in my landscapes fall in carved streams from a carved urn; between those tall, green reeds, as resonant as those of Eurotas, you see the gleam of the rounded, silvery hip of some naiad with sea-green hair. In yonder dark oak forest Diana passes, her quiver on her back, with her flying scarf and her buskins with interlaced bands. She is followed by her pack and her nymphs with the melodious names.--My pictures are painted in four tones like those of the primitive painters, and often they are only colored bas-reliefs; for I love to put my finger on what I have seen and to follow the curve of the contours into its deepest recesses; I consider everything from every point of view and walk around it with a light in my hand.--I have contemplated love in the old-fashioned light, as a bit of sculpture more or less perfect. How is the arm? Not bad.--The hands do not lack delicacy.--What think you of that foot? I think that the ankle has no nobility, and that the heel is commonplace. But the neck is well placed and well shaped, the curved lines are wavy enough, the shoulders are plump and well modelled.--The woman would make a passable model and several portions of her would bear to be cast.--Let us love her.

I have always been like this. For women I have the glance of a sculptor, not that of a lover. I have been anxious all my life about the shape of the decanter, never about the quality of its contents. If I had had Pandora's box in my hands, I believe I never should have opened it. I said just now that Christ did not come to earth for me; nor did Mary, the star of the modern Heaven, the gentle mother of the glorious Babe.

Often and long have I stood beneath the stone foliage of cathedrals, in the uncertain light from the stained-glass windows, at the hour when the organ moaned of itself, when an invisible finger was placed upon the keys and the wind blew through the pipes,--and I have buried my eyes deep in the pale azure of the Madonna's sorrowful eyes. I have followed piously the emaciated outline of her face, the faintly-marked arch of her eyebrows; I have admired her smooth, luminous forehead, her chastely transparent temples, her cheek bones tinged with a dark, maidenly flush, more delicate than the peach bloom; I have counted one by one the lovely golden lashes that cast their trembling shadow on her cheeks; I have distinguished, in the half-light in which she is bathed, the fleeting outlines of her slender, modestly bent neck; I have even, with audacious hand, raised the folds of her tunic and seen without a veil that virgin bosom, swollen with milk, that was never pressed by any save divine lips; I have followed the tiny blue veins in their most imperceptible ramifications, I have placed my finger upon them to force the celestial fluid to gush forth in white threads; I have brushed with my lips the bud of the mystic rose.

Ah well! I confess that all that immaterial beauty, so fleet-winged and so vaporous that one feels that it will soon take flight, made a very slight impression on me.--I like the Venus Anadyomene better, a thousand times better.--The antique eyes, turned up at the comers, the pure, sharply-cut lip, so amorous and so well adapted to be kissed, the full, low forehead, the hair, wavy as the sea, and knotted carelessly behind the head, the firm, lustrous shoulders, the back with its thousand charming sinuosities, the small, closely-united breasts, all the rounded, tense outlines, the broad hips, the delicate strength, the evident superhuman vigor in a body so adorably feminine, delight me and enchant me to a degree of which you, the Christian and the virtuous man, can form no idea.

Mary, despite the humble air that she affects, is much too haughty for me; the tip of her toes, swathed in white bands, hardly rests upon the globe, already turning blue in the distance, on which the ancient dragon writhes.--Her eyes are the loveliest on earth, but they are always looking up toward the sky or down at her feet; they never look you in the face,--they have never served as a mirror to a human form.--And then, I do not like the clouds of smiling cherubs who circle about her head in a light vapor. I am jealous of those tall virile angels, with floating hair and robes, who so amorously crowd about her in the pictures of the Assumption; the hands clasped together to support her, the wings fluttering to fan her, displease and annoy me. Those dandies of heaven, coquettish, over-bearing youngsters, in tunics of light and wigs of gold thread, with their beautiful blue and green feathers, seem to me too gallant by far, and if I were God, I would be careful how I gave my mistress such pages.

Venus comes forth from the sea to visit the world--as befits a divinity who loves men--alone and naked.--She prefers the earth to Olympus, and has more men than gods for lovers; she does not envelop herself in the languorous veils of mysticism; she stands, her dauphin behind her, her foot upon her shell of mother-of-pearl; the sun strikes upon her gleaming breast, and with her white hand, she holds in the air the wavy masses of her lovely hair, in which old father Ocean has scattered his most perfect pearls.--You can see her; she conceals nothing, for modesty was invented only for the ugly, it is a modern invention, the offspring of Christian contempt for form and matter.

O old world! all that thou didst revere is despised; thy idols are overthrown in the dust; emaciated anchorites, dressed in rags and tatters, bleeding martyrs, their shoulders torn by the tigers of thy circuses, have perched upon the pedestals of thy beautiful, charming gods;--Christ has enveloped the world in His shroud. Beauty must needs blush for itself and put on a winding-sheet.--Ye comely youths with your limbs rubbed in oil, who struggle in the lyceum or the gymnasium, under the brilliant sky, in the sunlight of Attica, before the marvelling crowd; ye maidens of Sparta who dance the _bibase_, and who run naked to the summit of Taygetus, resume your tunics and chlamydes;--your reign is past. And ye, moulders of marble, Prometheuses in bronze, break your chisels:--there will be no more sculptors.--The palpable world is dead. A dark, lugubrious thought alone fills the immense void.--Cleomenes is going to the weavers' shops to see what folds the cloth or linen takes.

Virginity, thou bitter weed, born in soil drenched with blood, whose blanched and sickly flower blossoms painfully in the damp shade of cloisters, beneath a cold shower of lustral water;--thou rose without perfume, bristling with thorns, thou hast replaced for us the lovely, joyous roses, bathed in spikenard and Falernian, of the dancing girls of Sybaris!

The ancient world knew naught of thee, unfruitful flower; thou didst never form a part of its wreaths whose perfume intoxicated;--in that lusty, healthy society thou wouldst have been disdainfully trodden under foot.--Virginity, mysticism, melancholy--three unknown words--three new diseases, brought to earth by Christ.--Ye pallid spectres, who inundate our world with your frozen tears, and who, with your elbows on a cloud and your hands on your breasts, can say nothing but "O death! O death!" ye could never have stepped foot upon that earth, peopled with indulgent, madcap gods!

I look upon woman, after the ancient fashion, as a beautiful slave destined to minister to our pleasures.--Christianity has not rehabilitated her in my eyes. To me she is still something dissimilar and inferior to us, whom we adore and with whom we toy, a plaything more intelligent than if it were made of ivory or gold, and having the power to pick itself up if it is dropped on the ground.--I have been told, because of that, that I have a low opinion of women; it seems to me, on the contrary, to show that I have a very high opinion of them.

Upon my word I cannot see why women are so eager to be looked upon as men.--I can understand that they might long to be boa-constrictors, lions or elephants, but that they should long to be men passes my comprehension. If I had been at the Council of Trent when this important question was discussed, namely, whether woman is a man, I should most certainly have given my opinion in the negative.

I have in the course of my life written some amorous verses, or at all events some that claimed to be so considered.--I have just read over a part of them. The modern idea of love is absolutely lacking.--If they were written in Latin distiches instead of in French rhymes, they might be taken for the work of a wretched poet of Augustus's time. And I am amazed that the women, for whom they were written, did not take serious offence at them instead of being charmed with them.--To be sure, women understand no more about poetry than cabbages and roses, which is very natural and simple, they being themselves poetry, or at least the best instruments of poetry: the flute does not hear or understand the tune that you play upon it.

In these poems I speak of nothing but golden or ebon locks, the miraculous fineness of the skin, the roundness of the arm, the small size of the feet and the refined shape of the hand, and they all end with an humble entreaty to the divinity to accord as speedily as possible the enjoyment of all those beautiful things.--In the finest passages, there is naught but garlands suspended at the door, showers of roses, incense, a succession of Catullian kisses, delicious, sleepless nights, quarrels with Aurora coupled with injunctions to the aforesaid Aurora to withdraw behind old Tithonus's saffron-colored curtains;--there is splendor without heat, resonance without vibration.--They are rhythmical, polished, written with sustained interest; but, through all the refinements and veils of expression, you can feel the sharp, stern voice of the master trying to assume a softer tone in speaking to the slave.--Not, as in the erotic poems written since the Christian era, does a heart ask another heart to love it, because it loves; there is no smiling, azure lake inviting a brook to plunge into its bosom that they may reflect together the stars of heaven; no pair of doves spreading their wings at the same time to fly to the same nest.

Cynthia, you are fair; make haste. Who knows if you will be alive to-morrow?--Your hair is blacker than the lustrous flesh of an Ethiopian maiden. Make haste; in a few years slender silvery threads will glide in among its dense masses;--these roses smell sweet to-day, to-morrow they will have the odor of death and will be only the dead bodies of roses.--Let us inhale your roses so long as they resemble your cheeks; let us kiss your cheeks so long as they resemble your roses.--When you are old, Cynthia, no one will care aught for you, not even the lictor's assistants if you should pay them, and you will run after me whom you repulse to-day. Wait until Saturn has furrowed with his nail that pure and gleaming brow, and you will see how your threshold, now so besieged, so implored, so covered with flowers and so wet with tears, will be avoided, accursed and covered with weeds and nettles.--Make haste, Cynthia; the smallest wrinkle may serve as a grave for the greatest love.

That brutal, imperious formula summarizes the ancient elegy; it constantly comes back to that; that is its main argument, the strongest, the Achilles of its arguments. After that it hasn't very much to say, and when it has promised a robe of byssus of two colors and a string of pearls of equal size, it is at the end of its tether.--It also includes almost all of what I find most conclusive under such circumstances.--I do not, however, always confine myself to this somewhat restricted programme, and I embroider my poor canvas with a few threads of silk of different colors, picked up here and there. But these threads are short or knotted together twenty times and do not cling firmly to the woof. I speak politely of love because I have read many beautiful things on the subject. Only an actor's talent is needed for that. With many women this external appearance is enough; the habit of writing and using the imagination prevents me from falling short in such matters, and every mind at all experienced, by applying itself to the task, can readily attain that result; but I do not feel a word of what I say, and I keep repeating, in an undertone, with the poet of old: "Cynthia, make haste."

I have often been accused of being a knave and a pretender.--No one on earth would like so well as I to speak freely and to empty his heart!--but as I have no idea or sentiment in common with the people about me,--as there would be a hurrah and a general hue and cry at the first true word I spoke, I have preferred to keep silent, or, if I speak, to give utterance only to idiotic remarks that are received everywhere and entitled to privilege of citizenship.--I should receive a warm welcome if I said to women such things as I have just written to you! I fancy that they wouldn't much relish my way of looking at things or the view I take of love.--As for the men, I cannot tell them to their faces that they are wrong not to walk on four legs; and in truth I have a more favorable opinion of them.--I have no desire to quarrel at every word. What difference does it make after all what I think or what I don't think? that I am sad when I seem cheerful, cheerful when I have an air of melancholy! No-body is inclined to cry out at me because I don't go about naked; may I not dress my face as well as my body? Why should a mask be more reprehensible than a pair of breeches, and a lie than a corset?

Alas! the earth revolves about the sun, roasted on one side, frozen on the other. There is a battle in which six hundred thousand men cut and slash at one another; it is the loveliest day imaginable; the flowers are coquettish beyond words and boldly throw open their gorgeous breasts even under the horses' feet. To-day a fabulous number of worthy deeds are done; it rains in torrents, there is snow and thunder and lightning and hail; one would say that the world was coming to an end. The benefactors of humanity are covered with mud up to their middle like dogs, unless they have a carriage. Creation mocks pitilessly at the creature and lets fly stinging sarcasms at every turn. Everybody is indifferent to everybody else, and everything lives or vegetates according to its own law. Whether I do this or that, whether I live or die, whether I suffer or enjoy, whether I dissemble or speak frankly, what matters it to the sun or the turnips or even to mankind? A wisp of straw fell on an ant and broke his third leg at the second joint; a rock fell upon a village and crushed it; I do not believe that one of those disasters brings more tears than the other to the golden eyes of the stars. You are my best friend, if that word is not as hollow as a bell; if I should die, it is perfectly certain that, however distressed you might be, you wouldn't go without your dinner even for two days, and that, notwithstanding that terrible catastrophe, you would continue to enjoy your game of backgammon.--Who of my friends, who of my mistresses will remember my names and baptismal names twenty years hence, and who would recognize me in the street, if I should pass by with a coat that was out at the elbows?--Oblivion and annihilation, that is the end of man.

I feel as utterly alone as possible, and all the threads that lead from me to external things and from them to me have broken one by one. There have been few instances where a man who has retained the power to judge his impulses has reached such a degree of brutishness. I resemble a decanter of liquor which has been left uncorked and from which the spirit has evaporated completely. The liquid has the same appearance and the same color; taste it, you will find it as insipid as water.

When I think of it I stand aghast at the rapidity of this decomposition; if this continues I must pickle myself or I shall inevitably rot, and the worms will attack me, as I no longer have a soul, and that alone marks the distinction between a body and a corpse.--Not more than a year ago I still had something human about me;--I moved about and sought enlightenment. I had one thought that I cherished more than all the rest, a sort of goal, an ideal; I longed to be loved, I dreamed the dreams common to youths of that age,--less vague, less chaste, to be sure, than those of ordinary young men, but contained nevertheless within reasonable bounds. Gradually all the incorporeal part of me became detached and faded away and naught remained at the bottom but a thick layer of coarse slime. The dream became a nightmare and the chimera a succubus;--the world of the soul closed its ivory doors in my face; I no longer understand anything except what I touch with my hands; I have dreams of stone; everything condenses and hardens about me, nothing wavers, nothing vacillates, there is no air or breath; matter weighs me down, takes possession of me, crushes me; I am like a pilgrim who should fall asleep on a summer's day with his feet in the water, and wake in winter with his legs caught and embedded in the ice. I no longer desire the love or friendship of any one; even glory, that resplendent halo that I so craved for my brow, no longer arouses the slightest desire in my mind. There is but one thing, alas! that stirs my pulses now, and that is the horrible desire that draws me toward Théodore.--This is the sum of all my moral notions. Whatever is physically beautiful is good, whatever is ugly is bad.--If I should see a lovely woman whom I knew to be the wickedest creature on earth, adulteress and poisoner, I confess that it would make no difference to me and would in no wise interfere with my taking delight in her, if I found the shape of her nose what it should be.

This is my idea of supreme happiness:--A large square building with no outside windows: a large court-yard, surrounded by a colonnade of white marble, a crystal fountain in the centre with a jet of quicksilver after the Arabian fashion, orange-trees and pomegranates in boxes, arranged alternately; overhead a deep blue sky and a bright yellow sun;--tall greyhounds with pointed muzzles would lie sleeping here and there; from time to time barefooted negroes with gold ringlets about their legs, and beautiful, slender white maid-servants, dressed in rich and fanciful costumes, would pass in and out under the arches, baskets on their arms or jugs on their heads. And I should be seated, silent and motionless, beneath a magnificent canopy, surrounded by piles of cushions, a great tame lion under my elbow, the bare breast of a young female slave under my foot by way of hassock, and smoking opium in a long jade pipe.

I cannot imagine paradise in any other form; and if God wills that I shall go there after my death, he will build me a little kiosk on that plan in the corner of some star.--Paradise as it is commonly described seems to me far too musical, and I confess in all humility that I am absolutely incapable of sitting through a sonata that should last only ten thousand years.

You see what my Eldorado is, my promised land; it is as good a dream as another; but it has this special peculiarity, that I never introduce any known face into it; that no one of my friends ever crossed the threshold of that imaginary palace; that no one of the women I have had has ever been seated beside me on the velvet cushions: I am always alone there in the midst of apparitions. I have never had an idea of loving all the female figures, all the lovely shades of young girls with which I people it; I have never fancied one of them in love with me.--In that seraglio of my fantasy, I have created no favorite sultana. There are negresses there, mulattresses, Jewesses with blue skin and red hair, Greeks and Circassians, Spaniards and Englishwomen; but they are to me simply symbols of coloring and feature, and I have them as one has all sorts of wine in his cellar and all species of humming-birds in his collection. They are pleasure machines, pictures that need no frame, statues that come to you when you have a fancy to look at them nearer at hand and call them. A woman has this incontestable advantage over a statue, that she turns of herself in whatever direction you choose, whereas you must make the circuit of the statue and station yourself where the best view is to be had--which is tiresome.

You must see that with such ideas I cannot remain in these times or in this world; for one cannot exist thus without regard to time and space. I must find something else.

Such a conclusion is the simple and logical result of such thoughts.--When one seeks only the gratification of the eye, symmetry of figure and purity of feature, one accepts them wherever he finds them. This explains the extraordinary aberrations of love among the ancients.

Since the days of Christ there has not been a single statue of man in which youthful beauty was idealized and reproduced with the care that characterizes the ancient sculptors.--Woman has become the symbol of moral and physical beauty: man has really been dethroned since the day the child was born at Bethlehem. Woman is the queen of creation; the stars join to form a crown for her head, the crescent moon deems it an honor to form a cradle for her foot, the sun gives her his purest gold to make trinkets, painters who wish to flatter the angels give them the features of women, and far be it from me to blame them for it.--Before the coming of the sweet-tempered, courteous dealer in parables, it was very different; men did not feminize the gods or heroes whom they wished to make seductive; they had their type, at once sturdy and delicate, but always masculine, however amorous the outlines, however smooth and devoid of muscles and veins the workmen may have made their divine legs and arms. They readily made the special beauties of women consistent with this type. They broadened the shoulders, they lessened the size of the hips, they gave more prominence to the breast, they accentuated more strongly the joints of the arms and thighs.--There is almost no difference between Paris and Helen. Wherefore the hermaphrodite was one of the most ardently-cherished chimeras of the ancient idolatry.

That son of Hermes and Aphrodite is, in very truth, one of the most attractive creations of pagan genius. It is impossible to imagine anything more ravishingly beautiful than those two bodies, both perfect, harmoniously melted together, those two types of beauty, so equal yet so different, which unite to form one that is superior to either, because they mutually soften each other and bring out each the other's good points: to one who adores form exclusively, can there be a more pleasing uncertainty than that due to the sight of that back, those doubtful loins, those legs, so strong and slender that you are in doubt whether they should be attributed to Mercury on the point of taking flight or Diana coming from the bath? The trunk is a combination of the most charming singularities; above the full round chest of the lusty youth rises with strange grace the swelling breast of a young virgin. Beneath the sides, well wrapped in flesh and feminine in their softness, you divine the muscles and the ribs, as in the sides of a young man; the stomach is a little flat for a woman, a little round for a man, and there is something vague and indecisive about the whole character of the body, which it is impossible to describe and which has a charm all its own.--Théodore would surely be a most excellent model of that kind of beauty; it seems to me, however, that in him the feminine element carries the day and that he has retained more of Salmacis than the Hermaphrodite of the Metamorphoses.

The strange part of it all is that I hardly think of his sex now, and that I love him with a sense of perfect security. Sometimes I try to persuade myself that this love is an abomination, and I tell myself so in the harshest possible way; but it comes only from the lips, it is an argument that I urge upon myself and fail to appreciate; it really seems to me that it is the simplest thing in the world and that any other in my place would do the same.

I look at him, I listen to him talk or sing--for he sings admirably--and I take an indescribable pleasure in it.--He seems to me so much like a woman that one day, in the heat of conversation, I called him madame inadvertently, whereat he laughed, and it seemed to me a decidedly forced laugh.

But if he is a woman, what can be his motive for masquerading thus? I cannot answer the question in any way. That a very young, very handsome and perfectly beardless youth should disguise himself as a woman might be conceived; in that way he would open a thousand doors that would otherwise remain obstinately closed to him, and the jest might lead him into a complication of adventures thoroughly Dædalian and enjoyable. In that way one can gain access to a woman who is closely guarded or carry a citadel by storm under cover of a surprise. But I cannot understand what advantage can accrue to a young and beautiful woman from travelling around the country in male attire: she can only lose by it. A woman is not likely to renounce thus the pleasure of being courted, flattered and adored; she would renounce life rather, and she would do wisely, for what is a woman's life without all that?--Nothing--or something worse than death. And I always wonder that women who are thirty years old, or have the small-pox, don't jump from the top of a steeple.

Notwithstanding all that, something stronger than all arguments cries out to me that he is a woman, and that she is the woman I have dreamed of, whom alone I am to love, and who is to love me alone;--yes, it is she, the goddess with the eagle glance, with the fair royal hands, who smiled condescendingly upon me from her seat on her throne of clouds. She has presented herself to me in this disguise to put me to the test, to see if I would recognize her, if my amorous gaze would penetrate the veils in which she has enveloped herself, as in the marvellous tales where fairies appear at first in the guise of beggars, then suddenly stand forth resplendent in gold and jewels.

I have recognized you, oh! my love! At sight of you my heart leaped in my breast as Saint-Jean leaped in the breast of Sainte-Anne, when she was visited by the Virgin; the air was filled with a blaze of light; I smelt the odor of divine ambrosia; I saw the train of fire at your feet, and I understood at once that you were not an ordinary mortal.

The melodious notes of Sainte-Cecilia's viol, to which the angels listened with delight, are hoarse and discordant compared with the pearly cadences that issue from your ruby lips; the youthful, smiling Graces dance incessantly about you; the birds, when you pass through the woods, murmur as they bend their little feathered heads in order to see you more clearly, and whistle their sweetest refrains to you; the amorous moon rises earlier to kiss you with her pale silver lips, for she has abandoned her shepherd for you; the wind is careful not to efface the delicate print of your dainty foot upon the sand; the fountain, when you lean over it, becomes smoother than crystal, for fear of wrinkling and disturbing the reflection of your celestial face; even the modest violets open their little hearts to you, and play countless little coquettish tricks from before you; the jealous strawberry is stung to emulation and strives to equal the divine carnation of your lips; the infinitesimal gnat hums joyously and applauds you by flapping his wings;--all nature loves and admires you, its loveliest work!

Ah! now I live!--hitherto I had been no better than a dead man: now I have thrown off my shroud, and I stretch out my two thin hands from the grave toward the sun; my blue spectre-like color has left me. My blood flows swiftly through my veins. The ghastly silence that reigned about me is broken at last. The black, opaque arch that weighed upon my brow is lighted up. A thousand mysterious voices whisper in my ear; lovely stars sparkle above me and carpet the windings of my path with their gold spangles; the marguerites smile sweetly on me and the bells tinkle my name with their little twisted tongues. I understand a multitude of things that I used not to understand, I discover marvellous affinities and sympathies, I know the language of the roses and the nightingales, and I can read fluently the book I could not even spell. I have discovered that I have a friend in yonder respectable old oak, covered with mistletoe and parasitic plants, and that the frail and languorous periwinkle, whose great blue eye is always overflowing with tears, has long cherished a secret, discreet passion for me:--it is love, it is love that has unsealed my eyes and given me the key to the enigma.--Love descended into the depths of the cavern where my cowering, drowsy soul was freezing to death; he took it by the hand and led it up the steep and narrow stairway to the outer world. All the doors of the prison were burst open and for the first time the poor Psyche came forth from the me in which she was confined.

Another life has become mine. I breathe through another's lungs, and the blow that should wound him would kill me.--Before this happy day I was like those stupid Japanese idols who are forever looking at their stomach. I was the spectator of myself, the pit at the comedy. I was acting; I watched myself live and listened to the beating of my heart as to the oscillations of a pendulum. That is the whole story. Images were reproduced in my distraught eyes; sounds fell upon my unheeding ear, but nothing from the outer world reached my soul. Nobody's existence was essential to me; indeed I doubted if there were any other existence than mine, nor was I quite sure even of that. It seemed to me that I was alone in the midst of the universe, and that all the rest was only smoke, images, vain illusions, fleeting apparitions destined to people that void.--What a difference!

And yet, what if my presentiment had misled me, if Théodore should prove to be in truth a man, as everybody believes him to be! Such marvellous beauty has sometimes been seen in man; extreme youth may assist the illusion.--It is something I will not think about, for it would drive me mad; the grain that fell yesterday into my sterile heart has already penetrated it, in every direction, with its thousand filaments; it has taken a strong hold there and it would be impossible for me to tear it out. It has already become a green and flourishing tree and its knotted roots have struck deep.--If I should be convinced beyond a doubt that Théodore is not a woman, alas! I cannot say that I should not love him still.



X


You were very wise, my sweet friend, to try and dissuade me from the plan I had conceived of seeing men near at hand, of studying them closely, before giving my heart to any one of them.--I have extinguished love, yes, even the possibility of love, within me forever.

What poor creatures we girls are; brought up with so much care, surrounded by a triple wall of virginal precautions and reticence;--allowed to hear nothing, to suspect nothing, our principal knowledge being to know nothing, in what strange misconceptions do we pass our lives and what deceitful chimeras lull us to sleep in their arms!

Ah! Graciosa, thrice accursed be the moment when the idea of this travesty first occurred to me; what horrors, what infamous vulgarity I have been compelled to witness or to listen to! what a treasure of chaste and priceless ignorance I have squandered in a short time!

It was a lovely moonlight night, do you remember? when we walked together at the foot of the garden, in that gloomy, unfrequented path, terminated at one end by a statue of a Faun playing the flute, a Faun without a nose and covered with a thick leprosy of greenish-black moss--and at the other end by an imitation vista drawn on the wall and half washed away by the rain.--Through the still sparse foliage of the elms we could see the twinkling stars and the curve of the silver sickle. The odor of young shoots and fresh flowers came to our nostrils from the flower-beds, borne upon the languid breath of a faint breeze; an invisible bird warbled a strange, languorous tune; we, like true girls, talked of love and lovers, of the handsome cavalier we had seen at mass; we shared the few notions of the world and of things that we had in our heads; we twisted and turned in a hundred ways a phrase we had heard by chance, the meaning of which seemed to us obscure and strange; we asked each other a thousand of the silly questions that the most perfect innocence alone can imagine.--What primitive poesy, what adorable nonsense in those furtive interviews of two little fools fresh from boarding-school!

You wanted for your lover a gallant, proud young man, with black hair and moustaches, long spurs, long plumes, and a long sword--a sort of amorous Hector--and you were all for the heroic and triumphant; you dreamed of nothing but duels and escalades, and marvellous devotion, and you would readily have thrown your glove in among the lions so that your Esplandian might go and pick it up. It was very comical to see a little girl as you were then, fair-haired and blushing, bending in the slightest breeze, declaim those noble tirades without taking breath, and with the most martial air imaginable.

I, although I was only six months older than you, was six years less romantic; the thing that interested me most was to know what men said among themselves and what they did when they went away from salons and theatres:--I felt that there were many dark, unsavory corners in their lives, carefully concealed from our eyes, which it was most important for us to know about. Sometimes, hiding behind a curtain, I watched from a distance the young gentlemen who came to the house, and it seemed to me at such times that I could detect something cynical and mean in their bearing, vulgar indifference or discourteous preoccupation which I no longer noticed when they had been admitted, and which they seemed to lay aside as if by enchantment at the threshold of the salon. All of them, young and old alike, seemed to me to have adopted a uniform conventional mask, conventional sentiments, and a conventional mode of speech, when they were in the presence of women.--From the corner of the salon where I sat up straight as a doll, my back not touching the back of my chair, pulling my bouquet to pieces in my fingers, I looked and listened; my eyes were cast down, and yet I saw everything to right and left, before and behind me:--like the fabulous eyes of the lynx, my eyes looked through walls, and I could have told what was taking place in the adjoining room.

I had also noticed a notable difference in the way they spoke to married women; there were none of the discreet, polite, playfully-childish sentences such as they addressed to me or my companions, but a more flippant sportiveness, less grave and more familiar manners, the significant reticence and circumlocutions that follow quickly from a corrupt nature that knows it has one similarly corrupt before it; I felt that there was an element of union between them that did not exist between us, and I would have given everything to know what that element was.

With what anxiety and frenzied curiosity did I follow with eye and ear the buzzing, laughing groups of young men who, after breaking through the circle at a few points, resumed their promenade, talking together and casting ambiguous glances as they passed. Incredulous sneering smiles flickered about their full lips; they had the appearance of laughing at what they had said and of retracting the compliments and words of adoration with which they had overwhelmed us. I did not hear their words; but I understood, from the movement of their lips, that they were talking a language that was unknown to me and that no one had ever used before me. Even those who had the most humble and submissive manner tossed their heads with very perceptible indications of ennui and rebellion;--a panting sound, like that made by an actor when he reaches the end of a long speech, escaped from their lungs in spite of them, and they would half turn on their heels as they left us, in an eager, hurried way that denoted inward satisfaction at being relieved from the severe task of being courteous and gallant.

I would have given a year of my life to listen, unseen, to one hour of their conversation. I frequently understood from certain attitudes, from an occasional gesture or an oblique glance in my direction, that I was the subject of conversation among them and that they were discussing either my age or my face. At such times I was on burning coals; the few indistinct words, the fragments of phrases that reached my ears at intervals, excited my curiosity to the highest pitch but could not satisfy it, and I fell into strange doubts and perplexities.

Generally what they said seemed to be favorable, and it was not that that disturbed me: I cared very little whether they thought I was beautiful; but the brief remarks whispered in the ear and almost always followed by long laughter and significant winks--those were what I would have liked to know about; and for one of those sentences spoken in an undertone behind a curtain or in the angle of a door, I would without regret have interrupted the sweetest and most delightful conversation in the world.

If I had had a lover, I would have liked much to know how he would have spoken of me to another man, and in what terms he would have boasted of his good fortune to his boon companions, with a little wine in his head and both elbows on the table.

I know now and in truth I am very sorry to know.--It is always so.

My idea was a mad one, but what is done is done and one cannot unlearn what one has learned. I did not listen to you, my dear Graciosa, and I am sorry for it; but one doesn't always listen to reason, especially when it issues from such a pretty mouth as yours, for, I don't know why it is, but one cannot believe that advice is good unless it is given by some old bald or gray head, as if having been a fool for sixty years could make you wise.

But all this tormented me too much, and I couldn't stand it; I was broiling in my little skin like a chestnut on the stove. The fatal apple was ripening in the foliage above my head, and I must needs bite into it at last, being at liberty to throw it away afterwards, if it seemed to me to have a bitter taste.

I did like fair-haired Eve, my dearest grandmother--I bit.

The death of my uncle, my only remaining kinsman, leaving me in control of my actions, I carried out the plan I had so long dreamed of.--My precautions were taken with the greatest care so that no one should suspect my sex: I had learned to use the sword and pistol; I was a perfect horsewoman and daring to a point that few equerries could equal; I made a careful study of the proper way of wearing a cloak and brandishing a crop, and in the course of a few months I succeeded in transforming a girl who was considered very pretty, into a youth who was much prettier and who lacked almost nothing except a moustache,--I turned what property I had into cash, and left the town, resolved not to return until I had acquired thorough experience.

It was the only way of solving my doubts: to have lovers would have taught me nothing, or at least it would only have afforded me incomplete information, and I wanted to study man thoroughly, to dissect him fibre by fibre with an inexorable scalpel, and to watch him, alive and palpitating, on my dissecting-table; for that, it was necessary to see him alone in his own house, off his guard, to go with him to walk, to the tavern and elsewhere.--With my disguise I could go everywhere without being noticed; no one would conceal his true character before me, all constraint and reserve would be laid aside, I should receive confidences--I would make false ones in order to receive true ones in return. Alas! women have read only the romance of man, never his history.

It is a terrifying thing to think of--a thing we do not think of--how profoundly ignorant we are of the life and conduct of those who seem to love us and whom we marry. Their real existence is as absolutely unknown to us as if they were inhabitants of Saturn or some other planet a hundred million leagues from our sublunary ball; you would say that they were of another species, and that there is not the least intellectual bond between the two sexes;--the virtues of one make the vices of the other, and the things that a man admires make a woman blush.

Our lives are transparent and may be penetrated at a glance.--It is easy to follow us from the house to the boarding-school, from the boarding-school back to the house;--what we do is a mystery to no one; every one can see our wretched crayon drawings, our bouquets in water-color, consisting of a pansy and a rose of the size of a cabbage, sweetly tied together by the stems with a bow of delicate-hued ribbon; the slippers we embroider for our father's or grandfather's birthday have nothing in themselves very occult or very disquieting.--Our sonatas and our romanzas are executed with all desirable lack of warmth. We are well and duly tied to our mother's apron-strings, and at nine o'clock, or ten at the latest, we go to our little white beds in our clean and virtuous little cells, where we are scrupulously bolted and padlocked in until the next morning. The most alert and most jealous sensitiveness could find nothing objectionable in that.

The clearest crystal is not so transparent as such a life.

The man who takes us knows what we have done from the moment we were weaned and even before, if he cares to carry his investigations so far.--Our life is not life, it is a sort of vegetating existence like that of moss and flowers; the freezing shadow of the maternal stalk hovers around us, poor, dwarfed rose-buds, who dare not open. Our principal business is to sit very straight, tightly laced and whaleboned, with our eyes properly downcast, and to outdo, in immobility and stiffness, mannikins and dolls on springs.

We are forbidden to speak, to join in the conversation farther than to answer yes and no if we are questioned. As soon as anything interesting is to be said we are sent away to practise on the harp or spinet, and our music masters are always at least sixty years old and take snuff disgustingly. The models hung in our rooms are anatomically very vague and evasive. The Greek gods, before making their appearance in young ladies' boarding-schools, take care to purchase very full box-coats at a second-hand clothing shop, and to be engraved in stipple, which makes them look like porters or cab-drivers and renders them but ill-adapted to excite our imaginations.

By dint of seeking to prevent us from becoming romantic, they make us idiots. The time when we are being educated is passed, not in teaching us something, but in preventing us from learning anything.

We are really prisoners, in body and mind; but a young man, free to do what he will, who goes out in the morning not to return until the next morning, who has money, who can earn money and dispose of it as he pleases--how could he justify his method of employing his time?--who is the man who would be willing to tell his beloved what he has done during the day and night?--Not one, even of those who are reputed the purest.

I sent my horse and my clothes to a little farm that I own at some distance from the town. I dressed myself, mounted and rode away, not without a strange oppression at the heart.--I regretted nothing, I left nothing behind, neither relatives nor friends, not a dog, not a cat, and yet I was sad, I almost had tears in my eyes; the farm, which I had never visited more than five or six times, had no sentimental attraction for me, and there was none of the fondness you sometimes feel for certain spots, which saddens you when you are obliged to leave them; but I turned two or three times to watch the spiral column of bluish smoke rising among the trees.

There I had left my title of woman, with my skirts and petticoats; in the chamber in which I had dressed were confined twenty years of my life, which were no longer to count and no longer concerned me. On the door might have been written:--"Here lies Madelaine de Maupin;"--for I was no longer Madelaine de Maupin, but Théodore de Sérannes,--and no one was to call me again by the sweet name of Madelaine.

The drawer in which my dresses, useless thenceforth, were placed, seemed to me like the coffin of my maidenly illusions;--I was a man, or at least I had the appearance of one; the maiden was dead.

When I had altogether lost sight of the tops of the chestnut-trees that surrounded the farm, it seemed to me that I was no longer myself but another, and I remembered my former acts as those of a stranger whom I had watched, or as the beginning of a novel which I had not finished reading.

I recalled complacently a thousand little details, whose childish innocence brought to my lips an indulgent smile, sometimes a little mocking, like that of a young rake listening to the Arcadian, pastoral confidences of a school-boy of thirteen; and, at the moment I was parting from them forever, all my girlish and young-womanish follies flocked to the roadside, making friendly gestures to me and sending me kisses with the tips of their white, tapering fingers.

I put spurs to my horse to fly from this enervating emotion; the trees flew swiftly by on the right hand and the left; but the madcap swarm, buzzing louder than a swarm of bees, rushed along the paths beside the road, calling: "Madelaine! Madelaine!"

I struck my horse a sharp blow on the neck which made him double his speed. My hair stood out almost straight behind my head, my cloak was in a horizontal position, as if the folds had been carved out of stone, our pace was so swift; I looked back once and saw, like a tiny white cloud far away on the horizon, the dust that my horse's feet had raised.

I stopped a moment.

In an eglantine bush, on the edge of the road, I saw something white moving, and a voice, clear and soft as silver, struck my ear:--"Madelaine, Madelaine, where are you going so far from home, Madelaine? I am your virginity, my dear child; that is why I have a white dress, a white crown and a white skin. But why do you wear boots, Madelaine? I thought that you had a very pretty foot. Boots and short-clothes and a great plumed hat like a cavalier going to the war! Why that long sword that strikes and bruises your thigh? You have a strange outfit, Madelaine, and I am not sure if I ought to accompany you."

"If you are afraid, my dear, go back to the house, water my flowers and take care of my doves. But really you are wrong, you would be safer in these garments of stout cloth than in your gauze and fine linen. My boots prevent any one from seeing if I have a pretty foot; this sword is to defend myself and the plume waving in my hat is to frighten away the nightingales that come to sing false songs of love in my ear."

I continued my journey; in the sighs of the wind I thought I could recognize the last bar of the sonata I had learned for my uncle's birthday, and in a great rose that showed its full-blown head above a low wall, the model of the rose I had painted so often in water-colors; as I rode by a house I saw the phantoms of my curtains waving at a window. My whole past seemed to be clinging to me to prevent my going forward and arriving at a new future.

I hesitated two or three times, and I turned my horse's head the other way.

But the little blue snake, curiosity, softly hissed insidious words into my ear, and said to me:--"Go on, go on, Théodore; it is a good opportunity to learn; if you don't learn to-day, you will never know.--And will you bestow your noble heart, at random, on the first honest and passionate exterior?--Men conceal some very extraordinary secrets from us, Théodore!"

I started off at a gallop.

The short-clothes were on my body and not in my mind; I had a very unpleasant feeling, a sort of shiver of fear, to call it by its right name, at a dark place in the forest; a gunshot, fired by a poacher, almost made me faint. If it had been a highwayman, the pistols in my holsters and my long sword would certainly have been of small use to me. But gradually I recovered and paid no farther attention to it.

The sun sank slowly beneath the horizon like the lights in a theatre which are turned down when the performance is at an end. Rabbits and pheasants crossed the road from time to time; the shadows lengthened and all distant objects were tinged with red. Certain parts of the sky were of a most soft, deep lilac, others of a pale lemon or orange; the birds of night began to sing, and a multitude of curious sounds arose from the woods: the little remaining light faded away, and it became quite dark,--darker because of the shadow cast by the trees. And I, who had never been out alone at night, was in the midst of a great forest at eight o'clock! Can you imagine it, my Graciosa,--I who used almost to die of fear at the foot of the garden? My fright returned with ten-fold force and my heart beat terribly fast; it was with great satisfaction, I confess, that I saw the lights of the town for which I was bound gleaming and twinkling on a hillside. As soon as I saw those bright specks--like little earthly stars they were--my fright passed away completely. It seemed to me that those unthinking lights were the open eyes of so many friends watching for me.

My horse was no less content than I, and, scenting the sweet odors of a stable, more agreeable to him than the perfume of all the marguerites and wood strawberries on earth, he trotted straight to the Hôtel du Lion-Rouge.

An enormous fire-place at the end of the room swallowed in its black and red maw a bundle of fagots at every mouthful, and on each side of the andirons, two dogs, almost as large as men, sat on their hind-quarters, roasting themselves with all imaginable phlegm, content to raise their paws a little and heave a sort of sigh when the heat became more intense; but they certainly would have preferred to be reduced to charcoal rather than move back an inch.

My arrival did not seem to please them, and I tried in vain to make their acquaintance by patting them on the head several times; they cast stealthy glances at me that boded no good.--That astonished me, for animals generally take to me.

The inn-keeper approached to ask me what I wanted for supper.

He was a pot-bellied man, with a red nose, wall-eyes, and a smile that made the circuit of his head. At every word he uttered he showed a double row of pointed teeth with spaces between, like an ogre's. The huge kitchen-knife that hung at his side had a doubtful look, as if it might serve several different purposes. When I had told him what I wanted, he went up to one of the dogs and kicked him. The dog got up and walked toward a sort of wheel and went inside with a piteous, complaining air and a reproachful glance at me. At last, seeing that there was no hope for him, he began to turn the wheel and thereby the spit on which the chicken was impaled that was to furnish my supper.--I resolved to throw him the scraps as a reward for his trouble, and looked about the kitchen while the repast was preparing.

[Illustration: Chapter X--_The inn-keeper approached to ask me what I wanted for supper. He was a pot-bellied man, with a red nose, wall-eyes, and a smile that made the circuit of his head. At every word he uttered he showed a double row of pointed teeth with spaces between, like an ogre's. A bright light shone through the leaded windows of the hotel, whose tin sign swung from right to left and moaned like an old woman, for the north wind was beginning to freshen.--I turned my horse over to a groom and entered the kitchen._]

The ceiling was formed of huge oaken beams, all discolored and blackened by the smoke from the fire-place and the candles. On the sideboards pewter plates more highly polished than silver shone in the darkness, and white crockery with blue flowers.--The numerous rows of well-scoured saucepans along the walls reminded one not a little of the antique bucklers that we see hung in rows along the sides of Greek or Roman triremes--forgive me, Graciosa, the epic magnificence of that simile. One or two buxom servant-maids were moving around a great table, arranging plates and forks, music more agreeable than any other when one is hungry, for the hearing of the stomach then becomes keener than that of the ear. Take it for all in all, despite the landlord's Christmas-box mouth and saw teeth, the inn had a very honest and pleasing appearance; and even had his smile extended a fathom farther and his teeth been three times as long and white, the rain began to patter against the window-panes and the wind to howl in a fashion to take away all desire to depart, for I know nothing more depressing than the groaning of the wind on a dark and rainy night.

An idea came to me that made me smile--it was that no one in the world would have come to look for me where I was.

Indeed, who would have dreamed that little Madelaine, instead of being tucked away in her warm little bed, with her alabaster night-light beside her, a novel under her pillow, her maid in the adjoining closet, ready to run to her at the least nocturnal fright, was rocking to and fro in a straw chair in a country inn twenty leagues from her home, her booted feet resting on the andirons and her little hands buried jauntily in her pockets?

Yes, Madelinette has not remained like her companions, her elbows lazily resting on the balcony rail, between the window jasmine and volubilis, watching the violet fringe of the horizon across the plain or some little rose-colored cloud moving gently in the May breeze. She has not carpeted mother-of-pearl palaces with lily leaves, to furnish quarters for her chimeras; she has not, like you, lovely dreamers, arrayed some hollow phantom in all imaginable perfections; she has sought to compare the illusions of her heart with the reality; she has chosen to know men before giving herself to a man; she has left everything, her lovely dresses of bright-colored silks and velvets, her necklaces, her bracelets, her birds and her flowers; she has voluntarily renounced humble adoration, gallant speeches, bouquets and madrigals, the pleasure of being considered lovelier and better adorned than you, the sweet name of woman, everything that was part of her, and has started all alone, the brave girl, to travel the world over to learn the great science of life.

If people knew that, they would say that Madelaine was mad.--You said so yourself, my dear Graciosa;--but the real mad women are they who toss their hearts to the wind and sow their love at random on the stones and on the rocks, without knowing if a single seed will germinate.

O Graciosa! that is a thought I have never had without dismay: to have loved some one who was not worthy! to have shown one's heart all naked to impure eyes and allowed a profane creature to enter its sanctuary! to have mingled its limpid stream for some time with a muddy stream!--However perfectly they may be separated, some trace of the slime always remains, and the stream can never recover its original transparency.

To think that a man has kissed you and touched you; that he has seen your body; that he can say: "She is thus and so; she has such a mark in such a place; her mind runs upon this or that theme; she laughs for this thing and weeps for that; her dreams are like this; I have in my portfolio a feather from the wings of her chimera; this ring is made from her hair; a bit of her heart is folded into this letter; she caressed me so, and these are her usual words of endearment."

Ah! Cleopatra, I understand now why you always had the lover with whom you had passed the night killed in the morning.--Sublime cruelty, for which, formerly, I could find no imprecations strong enough! Great voluptuary, how well you understood human nature, and what deep purpose there was in that savagery! You did not choose that any living man should divulge the mysteries of your bed; the words of love that flew from your lips were not to be repeated.--Thus you retained your pure illusion. Experience did not tear away, bit by bit, the charming phantom you had cradled in your arms. You chose to be separated from him by a sudden blow of the axe rather than by slow distaste.--What torture, in very truth, to see the man one has chosen belying every moment the idea one has conceived of him; to discover in his character a thousand pettinesses you did not suspect; to discover that what had seemed to you so beautiful through the prism of love is really very ugly, and that he whom you had taken for a true hero of romance is, after all, only a prosaic bourgeois, who wears slippers and a dressing-gown!

I have not Cleopatra's power, and if I had it, I certainly should not have the strength to use it. And so, being neither able nor desirous to cut off my lovers' heads upon getting up in the morning, and being no more inclined to endure what other women endure, I must needs look twice before taking a lover; and that is what I propose to do three times rather than twice, if I should have any desire for one, which I very much doubt after what I have seen and heard; unless, however, I should meet in some blessed unknown country a heart like my own, as the novels say--a pure, virgin heart which has never loved and which is capable of loving, in the true sense of the word; which is not, by any manner of means, an easy thing to find.

Several cavaliers entered the inn; the storm and the darkness had prevented them from continuing their journey.--They were all young, the oldest certainly not more than thirty; their clothes indicated that they belonged to the upper classes, and, even without their clothes, their insolent familiarity and their manners would have made it sufficiently evident. There were one or two who had interesting faces; all the others had, in a greater or less degree, that sort of jovial brutality and careless good-humor which men display among themselves, and which they lay aside completely when they are in our presence.

If they could have suspected that the slender youth half-asleep on his chair in the chimney-corner was by no means what he appeared to be, but a young girl, a morsel for a king, as they say, certainly they would very soon have changed their tone, and you would have seen them swell out and spread their feathers on the instant. They would have approached me with repeated reverences, legs straight, elbows out, a smile in their eyes and mouth and nose and hair and their whole attitude; they would have emasculated the words they used and would have spoken only in velvet and satin phrases; at my slightest movement they would have acted as if they were going to stretch themselves out on the floor by way of carpet, for fear that my tender feet might be bruised by its inequalities; every hand would have been held out to support me; the softest chair would have been placed in the most desirable position;--but I had the outward appearance of a pretty boy and not of a pretty girl.

I confess that I was almost on the point of regretting my petticoats, when I saw how little attention they paid me.--I was deeply mortified for a moment; for from time to time I forgot that I was now wearing man's clothes, and I had to remind myself of it in order to avoid an attack of bad temper.

I sat there, not saying a word, with folded arms, apparently watching with close attention the chicken on the spit, which was turning browner and browner, and the unfortunate dog whose rest I had so unluckily disturbed, who was struggling away in his wheel like several devils in the same holy-water vessel.

The youngest of the party brought his hand down on my shoulder with a force that made me wince, on my word, and extorted from me a little involuntary shriek, and asked me if I would not prefer to sup with them rather than all alone, as several could drink better than one.--I answered that it was a pleasure I should not have dared to hope for, and that I would be very glad to do it. Our places were laid together and we took our seats at the table.

The panting dog, after swallowing an enormous dipperful of water with three laps of his tongue, resumed his post opposite the other dog, who had not stirred any more than if he had been made of porcelain,--the new-comers, by a special dispensation of Providence, not having ordered chicken.

I learned, from some sentences that escaped them, that they were on their way to the court, which was then at--, where they expected to meet other friends. I told them that I was a young gentleman just from the University, on my way to visit my kins-men in the provinces by the true student's road, that is to say the longest he can find. That made them laugh, and after some comments on my innocent and artless appearance, they asked me if I had a mistress. I answered that I knew nothing about mistresses, whereat they laughed still louder. Bottle succeeded bottle with great rapidity; although I was careful almost always to leave my glass full, my head was a little heated, and, not losing sight of my idea, I managed to turn the conversation upon women. It was no difficult task; for, after theology and æsthetics, it is the subject upon which men talk most freely when they are drunk.

My companions were not exactly drunk, they carried their wine too well for that; but they began to enter upon moral discussions that had no end and to rest their elbows unceremoniously on the table.--One of them had gone so far as to put his arm about the extensive waist of one of the maid-servants, and was nodding his head most amorously; another swore that he should burst on the spot, like a toad that has been made to take snuff, unless Jeannette would let him give her a kiss on each of the great red apples that served her as cheeks. And Jeannette, not wishing that he should burst like a toad, gave him permission with very good grace and did not even check a hand that stole audaciously between the folds of her neckerchief into the moist valley of her breast, very insecurely guarded by a little golden cross, and not until he had exchanged some words with her in an undertone did he allow her to remove the dishes.

And yet they were habitués of the court and young men of refined manners, and unless I had seen it myself I should never have thought of accusing them of such familiarity with servants at an inn.--It is probable that they had just left charming mistresses, to whom they had sworn the mightiest oaths known to man: upon my word, it would never have occurred to me to request my lover not to sully lips on which I had placed mine, by contact with the cheeks of a clumsy wench.

The rascal seemed to take as much pleasure in that kiss as if he had kissed Phyllis or Oriana; it was a loud kiss, solidly and honestly bestowed, and left two little white marks on the fiery cheek of the damsel, who wiped them away with the back of the hand that had just been washing the dishes.--I do not believe that he had ever bestowed one so naturally affectionate on the chaste deity of his heart.--That was his thought apparently, for he said in an undertone and with a disdainful shrug:

"To the devil with thin women and high-flown sentiments!"

That moral maxim seemed to suit the party, and all nodded their heads approvingly.

"Faith," said another, following out the same line of thought, "I am unlucky in everything. Messieurs, allow me to inform you, under seal of the most profound secrecy, that I, who speak to you, have a passion at this moment."

"Oho!" exclaimed the others. "A passion! That is depressing to the last degree. What are you doing with a passion?"

"She's a virtuous woman, messieurs; you must not laugh, messieurs; for, after all, why shouldn't I have a virtuous woman? Have I said anything ridiculous?--I say, you over there, I'll throw the house at your head, if you don't have done."

"Well! what then?"

"She is mad over me:--she's the dearest soul in the world; speaking of souls, I know what I'm talking about, I know at least as much about 'em as I do about horses, and I give you my word that hers is the first quality. She is all exaltation, ecstasy, devotion, self-sacrifice, refinements of tenderness, everything that you can imagine that is most transcendent; but she has hardly any breast, indeed she has none at all, like a girl of fifteen at the outside.--She's pretty enough; has a well-shaped hand and pretty foot; she has too much mind and not enough flesh, and sometimes I long to drop her. Damnation! a man doesn't lie with a mind. I'm very unlucky; pity me, my dear friends."--And, made maudlin by the wine he had drunk, he began to weep hot tears.

"Jeannette will console you for the misfortune of lying with sylphs," said his neighbor, pouring him out a bumper; "her soul's so thick that you could make other women's bodies out of it, and she has flesh enough to cover the carcasses of three elephants."

O pure and noble woman! if you knew what is said of you, in wine-shops, regardless of everything, before people he does not know, by the man you love best in the world and for whom you have sacrificed everything! how shamelessly he undresses you, and with base effrontery abandons you all naked to the vinous gaze of his companions, while you sit sadly at your window, your chin resting in your hand, watching the road by which he should return to you!

If any one had told you that your lover, less than twenty-four hours perhaps after leaving you, was making love to a low-born servant, and that he had made arrangements to pass the night with her, you would have insisted that it was not possible, and you would have refused to believe it; you would hardly have trusted your own eyes and ears; but it was so, nevertheless.

The conversation lasted some time longer, extravagant and coarse to the last degree; but through all the exaggerated buffoonery and the jests, which were often obscene, one could distinguish a deep and genuine feeling of profound contempt for woman, and I learned more that evening than by reading twenty cart-loads of moral essays.

The monstrous, incredible things I heard gave to my features a tinge of melancholy and sternness which the other guests noticed and upon which they good-naturedly rallied me; but my cheerfulness refused to return.--I had shrewdly suspected that men were not as they appeared to be before us, but I did not think that they were so entirely different from their masks, and my surprise equalled my disgust.

I would ask no more than half an hour of such conversation to cure a romantic girl forever; it would be more effective than all the maternal remonstrances.

Some boasted of having as many women as they pleased, and that they had only to say a word to procure them; others exchanged receipts for procuring mistresses or lectured upon the tactics to be followed in laying siege to virtue; some ridiculed the women whose lovers they were and proclaimed themselves the most simple fools on earth for trifling away their time with such hussies.--All of them held love very cheap.

Such, then, are the thoughts they conceal from us under such attractive exteriors! Who would dream of it to see them so humble and cringing, so ready for everything?--Ah! after the victory how boldly they raise their heads and how insolently place their heels on the brow they adored from afar and on their knees! how they avenge themselves for their temporary abasement! how dearly they make us pay for their courtesies! and with what bitter insults do they seek a change from the compliments they have paid us! What fierce brutality of language and thought! what boorish manners and bearing!--It is a complete change and certainly not to their advantage. Far as my previsions had gone, they fell a long way short of the reality.

O ideal, thou blue flower with the golden heart, that bloomest, dew-empearled, beneath the spring sky, in the perfumed breath of sweet reveries, and whose fibrous roots, a thousand times finer than the silken tresses of the fairies, burrow to the depths of our soul with their countless hairy heads, to drink its purest substance; thou flower, so sweet and yet so bitter, we cannot uproot thee without making the heart bleed at every pore, and from thy broken stalk ooze great red drops, which, falling one by one into the lake of our tears, serve to measure the halting hours of our death-watch beside the bed of moribund Love!

Ah! accursed flower, how thou hast taken root in my soul! thy branches have multiplied faster than nettles in a ruin. The young nightingales came to drink from thy cup and to sing in thy shade; diamond butterflies, with emerald wings and ruby eyes, fluttered and danced around thy slender pistils, covered with golden dust; swarms of white bees sucked unsuspiciously thy poisoned honey; chimeras folded their swan wings and crossed their lion paws beneath their lovely breasts to rest beside thee. The tree of the Hesperides was no better guarded; sylphs collected the tears of the stars in lily urns, and watered thee every night with their magic watering-pots.--O plant of the ideal, more poisonous than the manchineel or the deadly upas-tree, how bitter the pang, despite thy treacherous flowers and the poison one inhales with thy perfume, of uprooting thee from my soul! Neither the cedar of Lebanon, nor the gigantic baobab, nor the palm-tree a hundred cubits high, could together fill the place thou alone dost occupy, thou little blue flower with the heart of gold!

The supper came to an end at last, and the subject of going to bed was broached; but as the number of guests was twice the number of beds, it naturally followed that it was necessary either to go to bed by detachments or for two to sleep together. It was a very simple matter for the rest of the party, but it was much less simple for me--having in view certain protuberances which the waistcoat and doublet concealed well enough, but which a simple shirt would have revealed in all their damning roundness; and certainly I was little inclined to betray my _incognito_ in favor of any one of these gentlemen, who at that moment seemed to me genuine, self-confessed monsters, but whom I have since recognized as very good fellows and at least as estimable as the rest of their sex.

He whose bed I was to share was comfortably drunk. He threw himself on the mattress with one leg and one arm hanging out, and fell asleep instantly, not as the just man sleeps, but so soundly that, if the angel of the last judgment had come and blown his trumpet in his ear, he would not have waked for that.--That sleep of his simplified the difficulty very much; I took off nothing but my doublet and my boots, climbed over the sleeper's body and lay down outside the clothes on the side next the wall.

So there I was in bed with a man! It was not a bad beginning!--I confess that, despite all my assurance, I was strangely moved and disturbed. It was so extraordinary, so novel a situation, that I could hardly convince myself that it was not a dream.--The other slept on and on, but I could not close an eye all night.

He was a young man of about twenty-four, with a by no means ugly face, black eyelashes and light moustache; his long hair flowed about his head like waves from the overturned urn of a river, a slight flush passed over his pale cheeks like a cloud under the surface of the water, his lips were partly open and smiling a vague, languid smile.

I raised myself upon my elbow and so remained a long while gazing at him by the flickering light of a candle, of which almost all the tallow had rolled down in great drops and the wick was all covered with black thieves.

We lay some distance apart. He was on the extreme edge of the bed; I, with superabundant precaution, had taken my place on the other edge.

Assuredly what I had heard was not calculated to dispose me to tenderness and the lusts of the flesh;--I held men in horror.--And yet I was more restless and agitated than I should have been: my body did not share the repugnance of my mind as fully as it ought.--My heart beat fast, I was very warm, and, twist and turn as I would, I could find no rest.

The most profound silence reigned in the inn; there was not a sound to be heard save now and then the dull thud made by a horse's foot on the stable floor, or the dropping of the rain down the chimney upon the ashes on the hearth. The candle, having reached the end of the wick, smoked and went out.

Black darkness came down between us like a curtain.--You cannot imagine the effect produced upon me by the sudden disappearance of the light.--It seemed to me that it was all at an end, and that I could no longer see my way clearly.--For an instant I was inclined to leave the bed; but what could I have done? It was only two o'clock, all the lights were out, and I could not wander about like a phantom in a strange house. I had no choice but to remain where I was and wait for daylight.

I lay there on my back; with my hands folded on my breast, trying to fix my thoughts upon something and always falling back on this, namely, that I was in bed with a man. I went so far as to wish he would wake up and find out that I was a woman.--Doubtless the wine I had taken, although it was a very small quantity, had something to do with that extravagant idea, but I could not help returning to it.--I was on the point of putting out my hand to wake him and tell him what I was.--A fold in the bedclothes, which caught my arm, was all that withheld me from carrying out my plan: it gave me time for reflection; and while I was extricating my arm, my reason, which I had totally lost, returned, if not entirely, at least enough to keep me within bounds.

Wouldn't it have been very curious if a disdainful charmer like myself, who had resolved to try a man's life ten years before giving him my hand to kiss, had surrendered to the first comer on a wretched bed in an inn! and, upon my word, I was not far from it.

Can a sudden effervescence, a sudden boiling of the blood, checkmate so effectually the most superb resolutions? and does the voice of the body speak louder than the voice of the mind?--Whenever my pride soars too high, I place the memory of that night before its eyes in order to recall it to earth.--I am beginning to share the opinion of most men: what a poor weak thing is female virtue! and upon how small a thing does it depend, _Mon Dieu!_

Ah! we seek in vain to spread our wings; there is too much slime upon them; the body is an anchor that holds the soul fast to earth; in vain does it spread its sails to the breeze of the loftiest ideas, the vessel remains immovable, as if all the sucking-fishes in the ocean were clinging to its keel. Nature takes delight in hurling such sarcasms at us. When she sees a mind standing on its pride as upon a high pillar and almost touching the sky with its head, she whispers to the red fluid to make haste and hurry to the doors of the arteries; she orders the temples to throb, the ears to ring, and lo, the lofty idea is attacked with vertigo: all its images become confused and indistinguishable, the earth seems to rise and fall like a ship's deck in a storm, the sky goes round and the stars dance a saraband; the lips which emitted naught but austere moral maxims, close and put themselves forward as if for a kiss; the arms, so strong to repel, relax and become more supple and entwining than scarfs. Add to this the contact of an epidermis, a breath blowing through your hair, and all is lost.--Often, indeed, so much is not needed;--the odor of fresh foliage coming from the fields through your open window, the sight of two birds pecking at each other, a marguerite blooming, an old love-song which persists in coming to your mind, do what you will, and which you repeat without understanding its meaning, a warm breeze that disturbs and excites you, the wooing softness of your bed or your couch--any one of these circumstances is enough; even the solitude of your chamber makes you think that two might be very comfortable there, and that no one could find a more delightful nest for a brood of pleasures. The drawn curtains, the half-light, the silence, everything brings you back to the fatal thought that brushes you with its insidious, dovelike wings, and coos softly about your head. The soft stuffs that touch you seem to caress you and their folds cling amorously to your body.--Thereupon the maiden opens her arms to the first footman with whom she happens to be left alone; the philosopher leaves his page unfinished, and, with his head in his cloak, rushes away in hot haste to the nearest courtesan.

I certainly was not in love with the man who caused me such strange agitation.--He had no other charm than that he was not a woman, and in the state in which I then was, that was enough! A man! that mysterious creature who is concealed from us so carefully, the strange animal of whose history we know so little, the demon or the god who alone can realize all the vague dreams of pleasure whose springtime cradles our sleep, the only thought that we have from the time we are fifteen years old.

A man!--The idea of pleasure floated confusedly in my heavy head. The little that I knew of it made my desire burn the brighter. Ardent curiosity urged me to solve once for all the doubts that troubled me and recurred incessantly to my mind. The solution of the problem was on the other side of the leaf; I had but to turn it, the book was beside me.--Such a comely youth, such a narrow bed, such a dark night!--a girl with a few glasses of champagne in her brain! what a suspicious gathering!--Ah well! the result of it all was a most virtuous void.

I began to be able to distinguish the position of the window in the wall on which my eyes were fixed, by favor of the lessening darkness; the panes of glass became less opaque and the gray light of the morning, slipping behind them, restored their transparency; the sky lighted up little by little: it was day.--You cannot conceive the pleasure it gave me to see that pale gleam on the green hangings of Aumale serge which surrounded the glorious battlefield whereon my virtue had triumphed over my desires! It seemed to me that it was my crown of victory.

As for my bedfellow, he had fallen out onto the floor.

I rose, made my toilet rapidly, ran to the window and threw it open; the morning air did me good. I stood in front of the mirror to comb my hair, and I was amazed at the pallor of my face which I imagined was purple.

The others came in to see if we were still asleep, and kicked their friend, who did not seem greatly surprised to find where he was.

The horses were saddled and we resumed our journey.

But this is enough for to-day: my quill refuses to make a mark and I am disinclined to mend it; another time I will tell you the rest of my adventures; meanwhile love me as I love you, Graciosa the well-named, and do not form too poor an opinion of my virtue from what I have just told you.



XI


Many things are bores: it is a bore to return the money you have borrowed and have become accustomed to look upon as your own; it is a bore to-day to caress the woman you loved yesterday; it is a bore to call at a friend's house about dinner-time and find that the master and mistress have been in the country a month; it is a bore to write a novel and even more so to read one; it is a bore to have a pimple on your nose and chapped lips on the day you go to call on the idol of your heart; it is a bore to have to wear jocose boots that smile at the pavement through all their seams, and above all things to have an empty void behind the spider's web in your pocket; it is a bore to be a concierge; it is a bore to be an emperor; it is a bore to be one's self or even to be somebody else; it is a bore to go on foot because it hurts your corns, to ride because it rubs the skin off the antithesis of your front, to drive because some fat man inevitably makes a pillow of your shoulder, or to travel on a packet-boat because you are seasick and turn yourself inside out;--it is a bore to live in winter because you shiver and in summer because you perspire; but the greatest bore on earth, in hell, or in heaven, is beyond all question a tragedy, unless it be a melodrama or a comedy.

It really makes me sick at heart.--What can be more idiotic and more stupid? The great tyrants with voices like bulls, who pace across the stage from wing to wing, waving their hairy arms like the sails of a windmill, imprisoned in flesh-colored tights, are nothing more than wretched counterfeits of Bluebeard or the Bogey. Their rodomontades would make any one who could keep awake burst with laughter.

The unfortunate lovers are no less ridiculous.--It is a most diverting thing to see them come forward, dressed in black or white, with hair weeping on their shoulders, sleeves weeping on their hands, and their bodies ready to burst from their corsets like a nut when you squeeze it between your fingers; walking as if they meant to sweep the boards with the soles of their satin shoes, and in great outbursts of passion throwing back their trains with a little twist of the heel.--The dialogue, being exclusively composed of _oh_! and _ah_! which they roll about under their tongues as they spread their plumage, is pleasant pasturage surely and readily digested.--Their princes are very charming, too; only they are a bit gloomy and melancholy, which does not prevent their being the best companions in the world or elsewhere.

As for the comedy which is intended to correct our morals, and which luckily performs its duty with only moderate success, I consider that the fathers' sermons and the uncles' everlasting repetitions of the same things are as crushing on the stage as in real life.--I am not of the opinion that you double the number of fools by representing them on the stage; there are already quite enough of them, thank God, and the race is not nearly extinct.--What is the necessity of drawing the portrait of a man with a pig's snout or the muzzle of an ox and collecting the foolish talk of a clown whom you would throw out of the window if he came to your house? The image of a pedant is as uninteresting as the pedant himself, and he is no less a pedant because you look at him in a mirror.--An actor who should succeed in imitating perfectly the manner and attitudes of a cobbler would not be much more entertaining than a real cobbler.

But there is a stage that I love, the fanciful, extravagant, impossible stage, where the virtuous public would hiss pitilessly from the first scene, for lack of understanding a word.

That is a strange stage indeed.--Glow-worms instead of lamps; a beetle beating time with its antennæ is stationed in the conductor's box. The cricket plays in the orchestra; the nightingale is first flute; little sylphs, coming from sweet-pea blossoms, hold bass-viols made of lemon peel between their pretty ivory-white legs, and with an ample supply of arms draw bows made from Titania's eyelashes over spider's web strings; the little wig with three horns worn by the beetle who leads the orchestra trembles with pleasures, and showers a luminous dust about; the harmony is sweet and the overture so well executed!

A curtain of butterflies' wings, thinner than the interior pellicle of an egg, rises slowly after the regulation three blows. The hall is filled with the souls of poets sitting in stalls of mother-of-pearl, and watching the play through drops of dew mounted upon the golden pistils of lilies.--They are their opera-glasses.

The scenery resembles no known scenery; the country it represents is more unknown than America before its discovery.--The palette of the richest painter has not the half of the colors in which it is painted: the tones are all striking and unusual: ash-green, ash-blue, ultramarine, red and yellow lacquer are used lavishly.

The sky, of a greenish blue, is striped with broad light and faun-colored bands; little slender trees wave in the middle distance their sparse foliage of the color of dried rose-leaves; the background, instead of swimming in azure vapor, is of the most beautiful apple-green, and spiral columns of golden smoke float up-ward here and there. A stray beam catches upon the pediment of a ruined temple or the spire of a tower.--Cities full of steeples, pyramids, domes, arches, and balustrades are perched on hillsides and reflected in crystal lakes; tall trees with great leaves, cut deep on the edges by fairy scissors, entwine their trunks and branches inextricably to form the wings. The clouds in the sky pile up above their heads like snow-balls, you see the eyes of dwarfs and gnomes shining through their interstices and their tortuous roots bury themselves in the ground like the fingers of a giant hand. The woodpecker taps rhythmically on them with its beak of horn, and emerald-green lizards warm themselves in the sun on the moss about their feet.

The mushroom watches the play with his hat on his head, like the insolent rascal he is: the delicate violet stands on the tips of its tiny toes between two wisps of grass, and opens its blue eyes wide to see the hero pass. The bullfinch and the linnet swing on the ends of twigs to prompt the actors in their parts.

Amid the tall grass, the purple thistles and the burdocks with velvet leaves, brooks made by the tears of stags at bay wander like silver snakes; here and there anemones gleam on the turf like drops of blood and marguerites swell with pride, their heads laden with wreaths of pearls like veritable duchesses.

The characters are of no time and no country; they come and go no one knows how or why; they neither eat nor drink, they live nowhere and have no trade; they possess neither estates nor houses nor consols; sometimes they carry under their arms a little casket full of diamonds as large as pigeons' eggs; when they walk they do not brush a single drop of dew from the petals of the flowers or raise a single atom of dust from the roads.

Their clothes are the most fantastic and extravagant clothes imaginable. Pointed, steeple-shaped hats with brims as broad as a Chinese parasol and plumes of inordinate length taken from the tail of the bird of paradise and the phoenix: striped capes of brilliant colors, velvet and brocade doublets, showing their lining of satin or cloth of silver through their gold-laced slashes; full short-clothes, swelling like balloons; scarlet stockings with embroidered clocks, shoes with high heels and broad rosettes; fragile swords, point up, hilt down, all covered with cords and ribands;--so much for the men.

The women are no less curiously apparelled.--The drawings of Della Bella and Romain de Hooge may serve to indicate the general character of their attire; dresses of heavy, undulating stuffs, with broad folds which change color like the breasts of pigeons, and display all the varying hues of the iris, ample sleeves from which other sleeves issue, ruffs of open-slashed lace that rise higher than the heads for which they serve as frames, corsages covered with bows and embroidery, brooches,--strange trinkets, tufts of heron's feathers, necklaces of huge pearls, peacock's tail fans with mirrors in the centre, little slippers and pattens, wreaths of artificial flowers, spangles, striped gauze, paint, patches and everything that can add zest and piquancy to a stage costume.

It is a style that is not precisely English or German or French or Turkish or Spanish or Tartar, although it partakes a little of them all and has taken from each country, its most graceful and characteristic features.--Actors thus arrayed can say whatever they choose without offending one's ideas of probability. The fancy can run in all directions, style uncoil its variegated rings at its pleasure, like a snake warming itself in the sun; the most exotic conceits open fearlessly their strangely-shaped calyxes and spread their perfume of amber and musk around.--There is nothing to offer any obstacle, either places or names or costumes.

How fascinating and entertaining what they say! Fine actors that they are, they do not strut about, like our howlers of melodrama, twisting their mouths and forcing the eyes out of their heads to deliver their tirades with effect;--at all events they haven't the appearance of workmen at a task, of oxen harnessed to the plot and in a hurry to have done with it; they are not plastered with chalk and rouge half an inch thick; they don't wear tin daggers and keep in reserve under their waistcoats a pig's bladder filled with chicken's blood; they don't drag the same oil-spotted rag about through whole acts.

They speak without hurry, without shrieking, like people of good breeding who attach no great importance to what they are doing; the lover makes his declaration to his sweetheart in the most nonchalant manner imaginable; as he speaks he taps his thigh with the ends of his gloved fingers or adjusts the leg of his trousers. The lady carelessly shakes the dew from her bouquet and jokes with her maid; the lover cares but little about touching his cruel enslaver's heart: his principal business is to let fall bunches of pearls from his mouth and clusters of roses, and to sow poetic precious stones like a true prodigal;--often he effaces himself altogether and allows the author to pay court to his mistress for him. Jealousy is not one of his defects and his disposition is most accommodating. With his eyes raised toward the sky, and the frieze of the theatre, he waits patiently for the poet to finish saying what passed through his mind, before resuming his rôle and returning to his knees.

The whole plot is tangled and untangled with admirable indifference; effects have no cause and causes have no effect: the brightest character is he who says the greatest number of foolish things; the greatest fool says the brightest things; the maidens make speeches that would make harlots blush; harlots declaim moral maxims. The most incredible adventures follow one another in rapid succession and are never explained; the noble father arrives post-haste from China in a little bamboo junk to identify a little kidnapped girl; the gods and fairies do nothing but ascend and descend in their machines. The plot plunges into the sea under the topaz dome of the waves and walks on the bottom of the ocean, through the forests of coral and madrepore, or rises skyward on the wings of the skylark or the griffin.--The dialogue is shared by all; the lion contributes to it with an _oh! oh_! in a vigorous roar; the wall speaks through its fissures and every one is at liberty to interrupt the most amusing scene provided that he has an epigram, a rebus or a pun to interject: Bottom's ass's head is as welcome among them as Ariel's blond locks;--the author's wit is displayed in every conceivable form; and all the contradictions are like so many facets, as it were, which reflect its different aspects, adding the colors of the prism thereto.

This apparent pell-mell and confusion are found, when all is said, to render real life more accurately under their fantastic guise than the most painstaking drama of manners.--Every man embodies all humanity in himself, and by writing what comes into his head, he succeeds better than by copying outside objects by means of a magnifying-glass.

O what a fine family!--romantic young lovers, wandering damsels, accommodating ladies' maids, sarcastic clowns, valets and innocent peasants, free-and-easy kings, whose names are unknown to the historian, and the kingdom of the geographer; parti-colored clowns with miraculous capers and biting repartees; oh! ye, who give free speech to caprice through your smiling mouths, I love you and adore you above all the world!--Perdita, Rosalind, Celia, Pandarus, Parolles, Silvio, Leander and the rest, all the charming types, so false and yet so true, who rise above vulgar reality on the bespangled wings of folly, and in whom the poet personifies his joy, his melancholy, his love and his most secret dreams under the most frivolous and most unconventional appearances.

There is one play, written for the fairies and properly to be played by moonlight, that delights me more than any other in the repertory of this theatre;--it is such a vagabond, wandering play, with such a vague plot and such strange characters, that the author himself, not knowing what title to give it, called it _Comme il vous plaira_,[1] an elastic name, which answers all purposes.

While reading that strange play, you seem to be transported into an unfamiliar world of which you have nevertheless some vague reminiscence; you are not sure whether you are dead or alive, awake or dreaming; gracious faces smile sweetly upon you and toss you an affable greeting as they pass; you feel strangely moved and disturbed at sight of them as if you should suddenly meet your ideal at an angle in the road, or the forgotten phantom of your first mistress should rise suddenly before you. Springs bubble up from the ground, murmuring half-stifled plaints; the wind stirs the foliage of the venerable trees over the exiled duke's head with compassionate sighs; and when the melancholy Jaques confides his philosophic lamentations to the stream, with the leaves of the willow, it seems to you that you yourself are speaking and that the most secret and most obscure thoughts of your heart come forth into the light.

O youthful son of the gallant Sir Rowland de Bois, so maltreated by fate! I cannot help being jealous of you; you still have a faithful servant, honest Adam, whose old age is still green under his snow-white locks.--You are banished, but not until you have at least struggled and triumphed; your wicked brother takes all your property from you, but Rosalind gives you the chain from her neck; you are poor, but you are beloved; you leave your country, but your persecutor's daughter follows you beyond the sea.

The dark forest of Arden opens wide its great arms of foliage to welcome and conceal you; the kindly forest heaps up its silkiest moss in the depths of its grottoes for your bed; it bends its leafy arches over your brow to protect you from the rain and sun; it pities you with the tears of its springs and the sighs of its bleating fawns and deer; its rocks afford convenient desks on which to write your amorous epistles; it lends you the brambles from its bushes with which to attach them, and orders the satiny bark of its aspens to yield to the point of your stiletto when you wish to carve Rosalind's initials thereon.

If only I could have, like you, young Orlando, a vast cool forest to which to retire and live alone in my sorrow, and if, at a turning in a path, I could meet her whom I seek, recognizable, although disguised!--But, alas! the world of the soul has no verdant Arden, and only in the garden of poesy do the capricious little wild-flowers bloom whose perfumes make one oblivious of everything. In vain do we shed tears, they do not form those lovely silvery cascades; in vain do we sigh, no obliging echo takes the trouble to send back our lamentations embellished with imperfect rhymes and gay conceits.--In vain do we hang sonnets to the sharp points of all the brambles, Rosalind never picks them off, and we carve amorous ciphers on the bark of trees gratuitously.

Birds of heaven, lend me each a feather, swallow and eagle, humming-bird and roc, that I may make of them a pair of wings to soar aloft and swiftly through unknown regions, where I shall find nothing to recall to my mind the city of the living, where I can forget that I am myself and live a strange, new life, farther than America, farther than Africa, farther than Asia, farther than the farthest island in the world, through the ocean of ice, beyond the pole where the Aurora Borealis flickers, in the impalpable kingdom to which the divine creations of poets and the types of supreme beauty take flight.

How can one endure the ordinary conversation at clubs and salons when one has heard you speak, sparkling Mercutio, whose every sentence bursts in a shower of gold and silver, like a pyrotechnic bomb beneath a star-studded sky? Pale Desdemona, what pleasure, think you, one can take in any earthly music, after the ballad of the Willow? What women do not seem ugly beside your Venuses, ye ancient sculptors, poets who wrote strophes in marble?

Ah! despite the fierce embrace with which I have sought to enlace the material world in default of the other, I feel that my birth was a mistake, that life was not made for me and that it spurns me; I can no longer take part in anything; whatever road I follow, I go astray; the smooth avenue, the stony path, alike lead me to the abyss. If I attempt to take my flight, the air condenses around me and I am caught, with out-stretched wings, unable to close them.--I can neither walk nor fly; the sky attracts me when I am on the earth, the earth when I am in the sky; aloft, the north wind pulls out my feathers; below, the stones wound my feet. My soles are too tender to walk on the broken glass of reality; the spread of my wings is too narrow to enable me to soar above earthly things, and to rise from circle to circle to the deep azure of mysticism, to the inaccessible summits of everlasting love; I am the most wretched hippogriff, the most miserable collection of heterogeneous odds and ends that has ever existed since the ocean first loved the moon and women deceived men: the monstrous Chimera put to death by Bellerophon, with his maiden's head, his lion's claws, his goat's body and his dragon's tail, was an animal of a simple make-up beside me.

In my frail breast the violet-strewn reveries of the modest maiden and the insensate ardor of courtesans on a debauch live side by side; my desires go about like lions, sharpening their claws in the dark and seeking something to devour; my thoughts, more restless and uneasy than goats, cling to the most dangerous peaks; my hatred, swollen with poison, twists its scaly folds into inextricable knots, and crawls along in ruts and ravines.

My soul is a strange country, in appearance flourishing and splendid, but more reeking with fetid, deleterious miasmas than Batavia itself; the faintest sunbeam on the slime causes reptiles and venomous insects to breed;--the great yellow tulips, the _nagassaris_ and _angsoka_ with their gorgeous flowers conceal the heaps of disgusting carrion. The amorous rose opens her scarlet lips in a smile and discloses her tiny dew-drop teeth to the gallant nightingales who sing sonnets and madrigals to her: nothing can be more charming; but it is a hundred to one that a dropsical toad is crawling along on her clumsy feet in the grass at the foot of the bush, whitening his path with his slaver.

There are springs clearer and more transparent than the purest diamond; but it would be better for you to drink the stagnant water of the swamp under its cloak of rotting shrubs and drowned dogs than to dip your cup in that basin.--A serpent lies hidden at the bottom, and twists and turns with frightful rapidity, disgorging his venom.

You have planted wheat; your crop is asphodel, henbane, tares and pale hemlock with twigs covered with verdigris. Instead of the root you set out, you are surprised to see the hairy, twisted limbs of the black mandragora coming up out of the earth.

If you leave a memory there and go to take it up again some time after, you will find it more covered with moss and more swarming with palmer-worms and vile insects than a stone laid on the damp floor of a cavern.

Do not try to pass through its dark forests; they are more impassable than the virgin forests of America and the jungles of Java; creepers strong as cables run from tree to tree; all the paths are obstructed by bristling plants as sharp as lance-heads; the very turf is covered with a stinging down like that of the nettle. From the arches of the foliage, gigantic bats of the vampire species hang by their nails; beetles of enormous size wave their horns threateningly, and thrash the air with their four-footed wings; monstrous, fantastic beasts, like those we see in nightmares, come clumsily forward, crushing the reeds before them. There are troops of elephants, who crush flies in the wrinkles of their flabby skin and rub their sides against the rocks and trees, rhinoceroses with their rough, uneven hides, hippopotami with their swollen snouts bristling with hair, who knead the mud and the débris of the forest with their huge feet.

In the clearings, where the sun insinuates a luminous beam like a wedge of gold through the damp atmosphere, you will always find, on the spot where you propose to sit, a family of tigers lying at their ease, sniffing the air, winking their sea-green eyes, and polishing their velvet coats with their blood-red, papilæ-covered tongues; or else it is a tangled knot of boas, half asleep, digesting the last bull they have devoured.

Be suspicious of everything; grass, fruit, water, air, shade, sunlight, all are deadly.

Close your ears to the chattering of the little paroquets with golden beaks and emerald necks, that fly down from the trees and perch on your finger, with fluttering wings; for the little paroquets with the emerald necks will end by gently pecking your eyes out with their pretty golden beaks, just as you bend to kiss them.--So it is.

The world will have none of me; it spurns me like a spectre escaped from the tombs; I am almost as pale as one; my blood refuses to believe that I am alive and will not tinge my flesh; it crawls sluggishly through my veins like stagnant water in obstructed canals.--My heart beats for none of those things that make men's hearts beat.--My sorrows and my joys are not those of my fellow-creatures.--I have fiercely desired what no one desires; I have disdained what others wildly long for.--I have loved women who did not love me, and I have been loved when I would have liked to be hated; always too soon or too late, too much or too little, too far or not far enough; never just what was needed; either I have not arrived or I have gone beyond.--I have thrown my life out of the window, or I have concentrated it too exclusively upon a single point, and from the restless activity of the busybody I have passed to the deathlike somnolence of the _teriaki_ or the Stylite on his pillar.

What I do seems always to be done in a dream; my actions seem rather the result of somnambulism than of free will; there is something within me, which I feel vaguely at a great depth, which makes me act without my own initiative, and always outside of ordinary laws; the simple and natural side of things is never revealed to me until after all the others, and I lay hold first of all that is eccentric and unusual; however straight the line, I will soon make it more winding and tortuous than a serpent; contours, unless they are marked in the most precise way, become confused and distorted. Faces take on a supernatural expression and gaze at me with awe-inspiring eyes.

Thus, by virtue of a sort of instinctive reaction, I have always clung desperately to matter, to the exterior outline of things, and I have awarded a great share of my esteem to the plastic in art.--I understand a statue perfectly, I do not understand a man; where life begins, I stop and recoil in dismay as if I had seen the head of Medusa. The phenomenon of life causes me an astonishment from which I cannot recover.--I shall make an excellent corpse, I doubt not, for I am an extremely poor living man, and the meaning of my existence escapes me completely. The sound of my voice surprises me beyond measure, and I am tempted sometimes to take it for somebody else's voice. When I choose to put out my arm and my arm obeys me, it seems to me a most prodigious thing, and I fall into the most profound stupefaction.

By way of compensation, Silvio, I perfectly understand the unintelligible; the most extravagant _motifs_ seem perfectly natural to me and I enter into them with extraordinary facility. I readily find the sequel of the most capricious and most incomprehensible nightmare.--That is why the class of plays I described to you just now pleases me above all others.

Théodore and Rosette and I have great discussions on this subject: Rosette has but little relish for my system, she is for _true_ truth; Théodore would give the poet more latitude, and would not exclude conventional, optical truth.--For my part, I maintain that the field must be left absolutely free for the author and that the imagination must hold sovereign sway.

Many of the guests based their arguments on the ground that plays of this sort were as a general rule outside of the ordinary stage conditions and could not be acted; I answered that that was true in one sense and false in another, just like everything else that people say, and that their ideas as to the possibilities and impossibilities of the stage seemed to me to lack exactness and to be based upon prejudices rather than arguments; and I said among other things that the play of _As You Like It_ was certainly capable of being performed, especially for society people who were not accustomed to other parts.

That suggested the idea of acting it. The season is drawing on and all other forms of amusement are exhausted; we are weary of hunting, of riding and boating parties; the chances of boston, varied though they be, are not exciting enough to fill up the evening, and the proposition was received with universal enthusiasm.

A young man who knows how to paint offered his services to paint the scenery; he is working at it now with much zeal, and in a few days it will be finished.--The stage is erected in the orangery, which is the largest apartment in the chateau, and I think everything will go off well. I am to play _Orlando_; Rosette was to be the _Rosalind_, as it was proper that she should be; as my mistress and the mistress of the house, the rôle was hers as of right; but she has refused to masquerade as a man, through some whim most extraordinary for her, for prudery certainly is not one of her faults. If I had not been sure of the contrary, I should have thought that her legs are not well formed. Actually not one of the ladies in the party would consent to seem less scrupulous than Rosette, and the play was very near falling through; but Théodore, who was to take the part of the melancholy _Jaques_, offered to take her place, inasmuch as _Rosalind_ is a man, almost all the time, except in the first act, when she is a woman, and with a little paint, a pair of corsets and a dress, he could carry out the deception well enough, having no beard as yet and being very slender in figure.

We are now learning our parts and it is a curious thing to see us.--In every solitary nook in the park you are sure of finding some one, with a roll of paper in his hand, mumbling to himself, looking up at the sky, then suddenly lowering his eyes, and making the same gesture seven or eight times. Any one who didn't know that we were going to give a play would certainly take us for inmates of a lunatic asylum, or poets--which is almost a pleonasm.

I think we shall soon know our parts well enough to have a rehearsal.--I expect something very interesting. Perhaps I am wrong.--I was afraid for a moment that our actors, instead of acting by inspiration, would strive to reproduce the gestures and intonation of some fashionable comedian; but luckily they have not followed the stage closely enough to make that mistake, and it is to be hoped that, amid the natural awkwardness of people who have never stood on the boards, they will show some precious gleams of nature and a charming _naïveté_ that the most consummate talent cannot equal.

Our young painter has really done marvels:--it is impossible to give a stranger look to the old tree-trunks and the ivies that enlace them; he has taken the trees in the park for his models, accentuating and exaggerating them, as should properly be done for stage scenery. The whole thing is done with admirable spirit and fancy; the rocks, the cliffs, the clouds are of mysterious, fantastic shapes; reflections play upon the surface of the water, more trembling and shimmering than quicksilver, and the ordinary coldness of the foliage is wonderfully relieved by the saffron tints laid on by the brush of autumn; the forest varies from emerald green to purple; the warmest and coldest tints blend harmoniously and the very sky changes from a delicate blue to the most glowing colors.

He has designed all the costumes in accordance with my suggestions; they are of the most beautiful type. There was an outcry at first that they could not be translated in silk and velvet or any known material, and there was a moment when the troubadour costume was on the point of being generally adopted. The ladies said that the brilliant colors would put out their eyes. To which we replied that their eyes were inextinguishable stars, and that they, on the other hand, would put out the colors, as well as the Argand lamps, the candles and the sun, if they had the chance.--They had no reply to make to that; but there were other objections that sprung up in crowds and bristled with heads like the Lernean hydra; no sooner was one head cut off than two others appeared even more stupid and obstinate.

"How do you suppose that can be done?--Everything looks all right on paper, but it's a different matter on your back; I can never get into that!--My skirt's at least four inches too short; I shall never dare to appear that way!--That ruff is too high; I look as if I were hunchbacked and hadn't any neck.--That wig ages me intolerably."

"With starch and pins and good-will anything can be done.--You're joking! a figure like yours, slenderer than a wasp's waist and quite capable of going through the ring on my little finger! I will bet twenty-five louis against a kiss that that waist will have to be pulled in.--Your skirt is very far from being too short, and if you could see what an adorable leg you have you would certainly be of my opinion.--On the contrary, your neck stands out admirably in its halo of lace.--That wig doesn't make you look a day older, and even if it should seem to add a few years, you look so exceedingly young that it ought to be a matter of perfect indifference to you; really, you would arouse strange suspicions in our minds if we didn't know where the pieces of your last doll are,"--_et cetera._

You cannot imagine the prodigious quantity of compliments we have been obliged to squander, to compel our ladies to don charming costumes which are becoming to them beyond words.

We have also had much trouble to make them adjust their patches properly. What devilish taste women have! and of what titanic obstinacy a capricious dainty creature is capable, who thinks that straw-yellow is more becoming to her than jonquil-yellow or bright pink! I am sure that if I had applied to public affairs one-half the ruses and scheming I have employed to induce a woman to wear a red feather on the left side and not on the right, I should be Minister of State or Emperor at the very least.

What a pandemonium! what a vast, inextricable tangle a real theatre must be!

Since the suggestion of giving a play was first made, everything here has been in the most complete disorder. All the drawers are open, all the wardrobes emptied; it is a genuine case of pillage. Tables, chairs, consoles, all are covered, and we have no place to put our feet; enormous quantities of dresses, mantles, veils, petticoats, capes, caps, hats, are scattered about the house; and when you reflect that they are all to go on the bodies of seven or eight people, you involuntarily think of the jugglers at a fair who wear eight or ten coats one over the other, and you cannot realize that from all that mass only one costume for each will emerge.

The servants are constantly coming and going;--there are always two or three on the road between the chateau and the town, and if this goes on all the horses will be broken-winded.

A theatrical manager has no time to be melancholy, and I have been in that condition hardly at all for some days. I am so benumbed and bewildered that I am beginning to lose all comprehension of the play. As I play the part of _impresario_ in addition to the part of _Orlando_, my task is twofold. When any difficulty arises, I am the one to whom they all run, and as my decisions are not listened to like oracles, interminable disputes are the result.

If what is called living is to be always on one's legs, to answer twenty people at once, to go up and down stairs, not to think for a minute during the day, I have never lived so hard as I have this week; and yet _I_ do not take so much part in this constant movement as you might think.--The excitement extends a very short distance below the surface, and a few fathoms down you would find dead water, without any current; life does not penetrate me so easily as that; indeed, at such times I am least alive, although I seem to act and to mingle in what is going on; action stupefies and tires me to an inconceivable degree;--when I am not acting, I am thinking or dreaming, and that is one manner of living;--I have it no longer since I have laid aside my porcelain-image repose.

Thus far I have done nothing, and I doubt if I ever shall do anything. I do not know how to stop my brain, therein lies all the difference between a man of talent and a man of genius; there is a constant effervescence, wave pushing wave; I cannot master this sort of waterspout that rises from my heart to my head, and drowns all my thoughts because they have no means of exit.--I can produce nothing, not from sterility but from superabundance; my ideas sprout in such dense, serried masses that they choke one another and cannot ripen.--However swift and impetuous the execution, it can never attain such velocity:--when I write a sentence the thought that it expresses is already as far from me as if a century had passed instead of a second, and it often happens, in spite of myself, that some part of the thought that succeeded it in my brain is mingled with it.

That is why I cannot live,--either as poet or as lover.--I can express only the ideas that I no longer have;--I have women only when I have forgotten them and love others;--how can I, a man, make my will known, when, however much I hasten, I no longer feel what I am doing and act only in accordance with a faint memory.

To take a thought from some one of my brain-cells, in the rough, like a block of marble just from the quarry, to place it before me, and from morning to night, a chisel in one hand and a hammer in the other, hew and pound and chip, and carry away a pinch of dust at night to dry my writing,--that is what I never shall be able to do.

I can distinguish clearly enough in my mind the slender figure from the unhewn block, and I have a very distinct idea of it; but there are so many angles to smooth, so many protuberances to hew away, so many blows of rasp and hammer to be given to approximate the shape and catch the true curve of the outline, that my hands blister and the chisel drops to the ground.

If I persist, my fatigue reaches such a point that my sight is totally obscured and I can no longer see through the marble cloud the white divinity concealed within it. Thereupon I follow it at random, feeling my way; I bite too deep in one place, I do not go far enough in another; I hack away what should be a leg or an arm, and I leave a compact mass where there should be a hollow; instead of a goddess I make a monkey, sometimes less than a monkey, and the magnificent block, taken at such great expense of money and labor from the bowels of the earth, hammered and hewn on every side, has rather the appearance of having been gnawed and bored by polypi to make a bee-hive, than fashioned by a sculptor according to a preconceived plan.

How were you able, Michael Angelo, to cut marble in slices as a child carves a chestnut? of what steel were your unconquerable chisels made? and from whose robust loins did ye come forth, ye fruitful, hard-working artists, whom no form of matter can resist, and who describe your dream from beginning to end in color and in bronze?

It is innocent and justifiable vanity in a certain sense, after the cruel remarks I have made concerning myself--and you surely will not blame me for it, O Silvio!--but, although the world is unlikely ever to know it, and my name is predestined to oblivion, I am a poet and a painter!--I have as beautiful ideas as any poet on earth; I have created types as pure, as divine as those that are most admired among the masters.--I see them before me as clear, as distinct as if they were really painted, and if I could open a hole in my head and put a window in so that people could look, there would be the most marvellous gallery of pictures the world has ever seen. No king on earth can boast of possessing such a one.--There are Rubenses as flaring, as brilliantly lighted as the purest examples at Antwerp; my Raphaels are in a most excellent state of preservation and his Madonnas have no more winning smiles; Buonarotti does not twist a muscle with more spirit and more appalling force; the sun of Venice shines upon yonder canvas as if it were signed: _Paulus Cagliari_; the shadows of Rembrandt himself are heaped up in this picture, with a pale star of light glimmering in the distance; the pictures that are in my own manner would certainly not be despised by any one.

I am well aware that it seems strange for me to say this and that I shall seem to be suffering from the vulgar intoxication of the most idiotic pride;--but it is a fact and nothing will shake my conviction in that respect. No one will share it probably; but what am I to do? Every one is born marked with a black or white stamp. Apparently mine is black.

Sometimes I have difficulty in concealing my thoughts on this subject; it has happened not unfrequently that I have spoken too familiarly of the exalted geniuses whose footprints we should adore and upon whose statues we should gaze from afar on our knees. Once, I forgot myself so far as to say: _We._--Luckily it was in the presence of a person who took no notice of it, otherwise I should undoubtedly have been looked upon as the most conceited puppy that ever was.

Am I not a poet and a painter, Silvio?

It is a mistake to think that all people who have been supposed to possess genius were really greater men than others. No one knows how much the pupils and obscure artists employed by Raphael contributed to his reputation; he gave his signature to the product of the mind and talent of several,--that is all.

A great writer and a great painter are in themselves enough to people a whole epoch: they must first of all attack all styles of work at once, so that, if any rivals should rise up, they can instantly accuse them of plagiarism and check them at the first step in their career; those are familiar tactics and succeed none the less every day, even though they are not new.

It may be that a man already famous has precisely the same sort of talent that you have; under penalty of being considered an imitator of him, you are obliged to divert your natural inspiration and make it flow in another channel. You were born to blow with all your lungs into the heroic clarion, or to evoke pale phantoms of the times that are no more; but you must move your fingers up and down the flute with seven holes, or tie knots on a sofa in some boudoir, all because monsieur your father did not take the trouble to throw you into the mould eight or ten years earlier, and because the world cannot conceive of such a thing as two men tilling the same field.

Thus it is that many noble intellects are compelled knowingly to take a road that is not theirs, and constantly to skirt their own domain from which they are banished, happy to cast a stealthy glance over the hedge, and to see on the other side, blooming in the sunlight, the lovely bright-colored flowers which they possess in the form of seed, but cannot sow for lack of soil.

For my own part, except for the greater or less opportunity afforded by circumstances, the difference in air and light, a door which has remained closed and should have been thrown open, a meeting missed, some one I ought to have known but have not known,--I cannot say whether I should ever have succeeded in anything.

I have not the necessary degree of stupidity to become what is called a _genius_ pure and simple, nor the prodigious obstinacy which is eventually deified under the high-sounding name of _will_, when the great man has reached the radiant summit of the mountain, and which is indispensable to attain that height;--I know too well how hollow all things are and that they contain only putrefying matter, to attach myself for very long to anything and follow it ardently and exclusively through everything.

Men of genius are very shallow, and that is why they are men of genius. Lack of intelligence prevents them from perceiving the obstacles that separate them from the end they wish to attain; they go ahead, and in two or three strides devour the intervening spaces.--As their mind remains obstinately closed to certain currents, and as they see only the things that are most closely connected with their ends, they expend much less thought and action; nothing diverts them, nothing turns them aside, they act more by instinct than otherwise, and some of them, when removed from their special sphere, exhibit a nullity hard to understand.

Assuredly it is a rare and charming gift to write poetry well; few people take more pleasure than I in poetical matters;--but I do not choose to limit and circumscribe my life within the twelve feet of an alexandrine; there are a thousand things that interest me as much as a hemistich:--the state of society and the reforms that must be undertaken are not among those things; I care extremely little whether the peasants know how to read and write or whether men eat bread or browse on grass; but there pass through my brain, in an hour, more than a hundred thousand visions which have not the slightest connection with rhyme or the cæsura, and that is why I actually do so little, although I have more ideas than some poets who could be burned alive with their own works.

I adore beauty and I feel it; I can describe it as well as the most amorous sculptors can understand it,--and yet I am no sculptor. The ugliness and imperfections of the rough sketch disgust me; I cannot wait until the work reaches perfection by dint of polishing and repolishing; if I could make up my mind to omit certain things in what I do, whether in versifying or in painting, I should end perhaps by writing a poem or painting a picture which would make me famous, and they who love me--if there be any one on earth who takes that trouble--would not be compelled to believe me on my word alone and would have a triumphant retort for the sardonic sneers of the detractors of that great unknown genius, myself.

I see many who take a palette and brushes and cover their canvas, paying no further attention to what caprice produces at the end of the bristles, and others who write a hundred lines at a time without an erasure and without once stopping to look up at the ceiling.--I always admire them, even if sometimes I do not admire their productions; I envy with all my heart the fascinating intrepidity and fortunate blindness that prevent them from seeing even their most palpable defects. As soon as I have drawn anything out of line I notice it instantly and am concerned beyond measure by it; and, as I am much more learned in theory than in practice, it often happens that I cannot correct an error of which I am conscious; thereupon I turn the canvas with its face to the wall and never go back to it.

I have my ideal of perfection so constantly present in my mind, that disgust with my work seizes me at once and prevents me from continuing.

Ah! when I compare with the sweet smile of my thought the ugly pout it makes on the canvas or the paper, when I see a hideous bat fly by in place of the lovely dream that opened its long wings of light in the bosom of my nights; a thistle spring up in response to the idea of a rose; and when I hear a donkey bray as I am expecting the sweetest melodies of the nightingale, I am so horribly disappointed, so angry with myself, so furious at my impotence, that I resolve never to write again or say a single word of my life, rather than commit thus the crime of high treason against my thoughts.

I cannot succeed even in writing a letter as I would like to do; I often say something entirely different; certain portions develop immeasurably, others dwindle away till they become imperceptible, and very often the idea I had it in my mind to express is not there at all, or is in a postscript.

When I began to write you I certainly did not intend to say the half of what I have said.--I simply intended to inform you that we were going to give a play; but one word leads to a sentence; parentheses are big with other little parentheses, which in their turn have others in their wombs all ready to be born. There is no reason why this should end, why it should not go on to two hundred folio volumes--which would certainly be too much.

As soon as I take up a pen, there is a great humming and rustling of wings in my brain, as if millions of June-bugs had been let loose inside. They bump against the walls of my skull and turn and fly up and down with a horrible uproar; they are my thoughts, trying to fly away and seeking an outlet;--all of them struggle to get free at once; more than one of them breaks his paws and tears the down from his wings; sometimes the door is so blocked that not one succeeds in crossing the threshold and reaching the paper.

That is the way I am made: it is not what can be called well made, I agree, but what would you have? the fault is with the gods and not with me, a poor devil who cannot help himself. I do not need to ask your indulgence, my dear Silvio; it is accorded me in advance, and you are kind enough to read my undecipherable scrawls to the end, my headless and tailless musings; however disjointed and absurd they may be, they always interest you, because they come from me, and anything that is a part of me, even when it is worthless, is not without some value to you.

I can let you see the thing that most offends the common herd: honest pride.--But let us cry truce for a while to all these exalted topics, and as I am writing on the subject of the play we are to give, let us return to it and talk about it a little.

The rehearsal took place to-day:--never in my life have I been so upset,--not because of the embarrassment that one always feels in reciting anything before a number of people, but from an entirely different cause. We were in costume and ready to begin; Théodore alone had not appeared; we sent to his room to see what delayed him; he replied that he was almost ready and would come down in a moment.

He came; I heard his step in the corridor long before he appeared, and yet no one on earth has a lighter step than Théodore; but my feeling of sympathy for him is so strong that I divine his movements through the walls, and when I felt that he was about to put his hand on the door-knob, I began to tremble and my heart beat with horrible force. It seemed to me that something of importance in my life was about to be decided, and that I had reached a solemn, long-expected moment.

The folding-doors slowly opened and closed.

There was a general cry of admiration.--The men applauded, the women turned scarlet. Rosette alone became extremely pale and leaned against the wall, as if a sudden revelation were passing through her brain; she went through the same experience as myself in the opposite direction.--I have always suspected her of loving Théodore.

I have no doubt that, at that moment, she believed as I did that the pretended Rosalind was nothing less than a young and lovely woman, and the fragile card-house of her hope suddenly collapsed, while mine rose on its ruins; at least that is what I thought; I may be mistaken, for I was hardly in a condition to make accurate observations.

Aside from Rosette, there were three or four pretty women present; they looked disgustingly ugly.--Beside that sun, the star of their beauty was suddenly eclipsed, and every one wondered how he could ever have thought them passable. Men who, before that moment, would have deemed themselves very fortunate to have them for mistresses, would hardly have taken them for servants.

The image which hitherto had been drawn only faintly and with vague outlines, the adored, vainly-pursued phantom was there, before my eyes, living, palpable, no longer in half light and haze, but bathed in floods of white light; not in a fruitless disguise, but in her true costume; not in the mocking guise of a young man, but with the features of the loveliest of women.

I experienced a sensation of unbounded well-being, as if a mountain or two had been lifted off my chest.--I felt my horror of myself vanish and I was delivered from the tiresome duty of regarding myself as a monster. I began to form an altogether pastoral opinion of myself and all the violets of spring bloomed anew in my heart.

He, or rather she--for I wish to forget that I was stupid enough to take her for a man--remained a moment motionless on the threshold, as if to give the assemblage time to utter its first exclamation. A brilliant light shone upon her from head to foot, and against the dark background of the corridor that stretched away behind her, the carved doorway serving as a frame, she glowed as if the light emanated from herself instead of being reflected simply, and you would have taken her for a marvellous product of the brush rather than a human creature made of flesh and blood.

[Illustration: Chapter XI--_The folding-doors slowly opened and closed. There was a general cry of admiration.--The men applauded, the women turned scarlet. Rosette alone became extremely pale and leaned against the wall, as if a sudden revelation were passing through her brain;

* * * I have always suspected her of loving Théodore._]

Her long dark hair, mingled with ropes of huge pearls, fell in natural ringlets beside her lovely cheeks! her shoulders and her breast were bare, and I never saw anything so beautiful in the world; the finest marble would not compare with that exquisite perfection.--How the life rushes beneath that dark transparent skin! how white the flesh and at the same time how richly colored! and how happily the changing golden tints soften the transition from the skin to the hair! what a fascinating poem in the graceful undulations of those contours, more supple and velvety than a swan's neck!--If there were words to express what I feel, I would write you a description fifty pages long; but languages were made by some donkeys or other who had never looked closely at a woman's back or breast, and we haven't half enough of the most indispensable terms.

I really think that I must become a sculptor; for to have seen such beauty and to be unable to reproduce it in one form or another is enough to make one a raving maniac. I have written twenty sonnets on those shoulders, but that is not enough: I would like something exactly similar which I could touch with my finger; verses reproduce only the phantom of beauty and not beauty itself. The painter produces a more exact likeness, but it is only a likeness. Sculpture has all the reality that a thing absolutely false can have; it can be looked at on every side, it casts a shadow, and you can touch it. Your carved mistress differs from the genuine only in that she is a little harder and cannot speak, two very trifling drawbacks.

Her dress was made of some material of changing color, azure in the light, golden in the shadow; a close-fitting buskin was tightly laced about a foot that needed not that to make it too small, and scarlet silk stockings clung amorously about the most perfectly moulded and most tempting of legs; her arms were bare to the elbows, where they emerged from a mass of lace, round and plump and white, gleaming like polished silver and of unimaginable fineness of texture; her hands, laden with rings, languorously waved a great fan of fantastically-colored feathers, like a little pocket rainbow.

She walked into the room, her cheeks slightly flushed with a color that was not paint, and every one went into ecstasies and exclaimed and wondered if it was possible that it was really he, Théodore de Sérannes, the daring horseman, the consummate duellist, the determined hunter, and if they could be perfectly sure that it was not his twin sister.

"Why, you would have said he had never worn any other costume in his life! he is not in the least embarrassed in his movements, he walks very well and doesn't stumble over his train; he plays with his eyes and fan to perfection; and such a slender figure he has!--you could clasp it with your fingers!--It's a most extraordinary thing! it's unconceivable!--The illusion is as complete as possible: one would almost say that he has a bosom, his neck is so fat and well filled out; and not a single hair of beard, not one; and how soft his voice is! Oh! what a lovely Rosalind! who would not be her Orlando?"

Aye--who would not be Orlando to such a Rosalind, even at the price of the torments I suffered?--To love as I loved with a monstrous, unavowable passion, which, however, one cannot uproot from his heart; to be condemned to maintain the most profound silence and not to dare to say what the most prudent and respectful lover would say without fear to the most prudish and rigid of women; to feel one's self consumed by an insensate flame, unjustifiable even in the eyes of the most confirmed libertines;--what are ordinary passions beside that--a passion which is shameful in itself and hopeless, and, which, even in the improbable event of its success, would be a crime and would kill you with shame? To be reduced to hope for failure, to dread favorable chances and opportunities, and to avoid them as another would seek them--such was my fate.

The most profound discouragement had taken possession of me; I viewed myself with horror mingled with surprise and curiosity. The thing that shocked me most was the thought that I had never loved before, and that this was the first effervescence of my youth, the first daisy of my springtime of love.

In my case this monstrosity replaced the refreshing, modest illusions of adolescence; my dreams of tender affection, so fondly cherished as I walked at evening on the edge of the woods, through the narrow blushing paths, or along the white marble terraces beside the lake in the park, were to be metamorphosed into this deceitful sphinx with the equivocal smile, the ambiguous voice, before whom I stood speechless, afraid to undertake the solution of the enigma! To interpret it falsely would have caused my death; for alas! it is the only bond that attaches me to the world; when it is broken, all will be over. Take that gleam of light away from me and I shall be more silent and inanimate than the embalmed mummy of the first of the Pharaohs. At the moments when I felt most violently drawn toward Théodore, I threw myself back in dismay into Rosette's arms, although I had an indescribable feeling of repulsion for her; I tried to place her between Théodore and myself as a shield and barrier--and when I lay beside her, I felt a secret satisfaction in the thought that she at all events was unquestionably a woman, and that, even if I did not love her, she still loved me enough to prevent our liaison from degenerating into intrigue and debauchery.

I felt in my heart, however, through it all, a sort of regret at being thus unfaithful to the idea of my impossible passion; I blamed myself for it as for an act of treachery, and although I was well aware that I should never possess the object of my love, I was displeased with myself, and was cold to Rosette once more.

The rehearsal was much more successful than I hoped; Théodore, especially, was admirable; the others thought that I, too, acted extremely well.--It is not that I have the essential qualities of a good actor, and it would be a very great mistake to think that I am capable of taking other parts in the same way; but, by a strange chance, the words I had to say fitted in so well with my situation, that it seemed to me as if I had written them rather than learned them by heart from a book.--If my memory had failed me for a moment, I certainly should not have hesitated before filling the void with an improvised phrase. Orlando was myself quite as much as I was Orlando, and it is impossible to imagine a more extraordinary coincidence.

In the scene with the wrestler, when Théodore took the chain from his neck and gave it to me, as the play requires, he bestowed a glance on me so soft and languorous, so full of promise, and he pronounced with such grace and nobility of utterance the phrase: "Gentleman, wear this for me; one out of suits with fortune; that could give more but that her hand lacks means,"--that I was really confused, and was hardly able to say: "What passion hangs these weights upon my tongue? I cannot speak to her, yet she urged conference. O poor Orlando!"

In the third act Rosalind, dressed as a man, reappeared under the name of Ganymede, with her cousin Celia, who has changed her name to Aliena.

That disguise made an unpleasant impression on me;--I was so accustomed already to the female costume which allowed my desires to hope, and which encouraged me, in a treacherous but seductive error! One becomes accustomed very quickly to regard his desires as realities on the strength of the most fleeting appearances, and I became very sombre when Théodore appeared in his male costume, more sombre than I had been before; for joy serves only to make grief more bitter, the sun shines only to make us more fully appreciate the horrors of darkness, and the cheerful aspect of white has no other object than to bring out all the melancholy of black.

His coat was the most coquettish and fascinating garment in the world, of a dainty, fanciful cut, all decked out with knots and ribbons, very much in the style reflected by the dandies of the court of Louis XIII.; a pointed hat, with a long curled feather, shaded the curls of his beautiful hair, and a damascened sword raised the hem of his travelling cloak.

He was dressed, however, in a way to make one feel that the virile garments had a feminine lining; something broader at the hips and fuller at the breast, an indefinable undulation that we do not see in cloth fitted to a man's body, left but faint doubts as to the sex of the individual.

His demeanor was half deliberate, half timid, and entertaining to the last degree, and with infinite skill he made himself appear as ill at ease in a costume to which he was accustomed, as he had seemed to be at home in clothes that were not his.

My serenity gradually returned, and I convinced myself anew that he was really a woman.--I recovered sufficient self-possession to carry out my rôle properly.

Do you know the play? perhaps not. As I have done nothing but read and declaim it for a fortnight I know it by heart from beginning to end, and I cannot realize that everybody is not as familiar as myself with the plot and the intrigue; it is an error into which I am very apt to fall, to think that, when I am drunk, everybody else is drunk and trying to knock down the walls, and if I knew Hebrew, I certainly should ask my valet for my dressing-gown and slippers in that tongue, and should be very much surprised if he did not understand me.--You can read it if you choose; I assume that you have read it and touch only on those passages that have some connection with my position.

Rosalind, walking in the forest with her cousin, is greatly surprised to find that the bushes bear, instead of blackberries and wild plums, madrigals in her praise; strange fruits which luckily are not accustomed to grow on bramble bushes; for when one is thirsty it is more satisfactory to find good berries on the branches than bad sonnets. She is much disturbed to know who has spoiled the bark of the young trees by carving her initials on them.--Celia, who has already met Orlando, tells her, after long urging, that the rhymer is no other than the young man who vanquished Charles the wrestler, the duke's athlete.

Soon Orlando himself appears and Rosalind enters into conversation with him by asking him the time.--Surely an extremely simple beginning; one can imagine nothing more commonplace.--But have no fear; from that trite, commonplace phrase you will see an unlooked-for crop spring up of witty conceits, overflowing with curious flowers and comparisons, as if from the richest and most thoroughly fertilized soil.

After a few lines of sparkling dialogue in which each word, as it falls upon the phrase, sends out to right and left millions of dancing sparks, like a hammer falling upon a red hot bar of iron, Rosalind asks Orlando if by chance he knows the man who hangs odes on hawthorn bushes and elegies on brambles, and who seems to be afflicted with the quotidian of love, which she knows how to cure. Orlando confesses that he is the man who is tortured by love, and as she has boasted of having several infallible remedies for that disease, begs her to do him the favor of telling him one.--"You in love?" replies Rosalind, "you have none of the marks whereby a lover is recognized; you have neither a lean cheek nor a sunken eye, your hose is not ungartered nor your sleeve unbuttoned, and your shoe is tied with much grace; if you are in love with any one, it is certainly with yourself, and you have need of none of my remedies."

It was not without genuine emotion that I replied in these exact words:

"Fair youth, I would I could make thee believe I love thee."[2]

This reply, so unexpected, so strange, to which nothing leads up and which seemed to have been written expressly for me as if by a sort of prevision on the part of the poet, produced a great effect upon me when I repeated it before Théodore, whose divine lips were still slightly curled with the ironical expression of the passage he had just repeated, while his eyes smiled with inexpressible sweetness, and a bright beam of kindliness gilded all the upper part of his young and lovely face.

"Me believe it! you may as soon make her that you love believe it; which, I warrant, she is apter to do than to confess she does; that is one of the points in which women still give the lie to their consciences. But, in good sooth, are you he that hangs the verses on the trees, wherein Rosalind is so admired, and do you truly need remedies for your madness?"

When she is fully persuaded that it is Orlando himself and no other who has written the beautiful lines that walk upon so many feet, the fair Rosalind consents to tell him her remedy. This is the gist of it: she has pretended to be the lovesick swain's beloved, and compelled him to pay court to her as to his own mistress; and, to sicken him of his passion, she gave full sway to the most extravagant caprices; sometimes she laughed, sometimes she wept; one day she received him kindly, another day cruelly; she scratched him, she spat in his face; she was not herself for a single moment; affected, inconstant, prudish, languorous, she was everything by turns, and whatever ennui, the vapors and the blue devils can instil in the way of extraordinary whims in the hollow head of a silly woman, the poor devil must needs endure and carry out.--An imp, a monkey, and an attorney in conjunction could have invented no more mischievous tricks.--This miraculous treatment did not fail to produce its effect;--the patient was driven from his "mad humor of love to a living humor of madness; which was, to forswear the full stream of the world, and to live in a nook merely monastic;" a most satisfactory result and one which might readily be anticipated, by the way.

Orlando, as you may believe, is little disposed to recover his health by such means; but Rosalind insists and wishes to undertake the cure.--And she uttered these words: "I would cure you, if you would but call me Rosalind, and come every day to my cote and woo me," with such significant, palpable meaning, and accompanied with such a strange glance, that it was impossible for me not to attach to them a more extended significance than that of the words themselves and not to see therein an indirect warning to declare my real sentiments.--And when Orlando replied: "With all my heart, good youth," she exclaimed, with even more significance, and as if annoyed at her failure to make herself understood: "Nay, you must call me Rosalind."

Perhaps I was mistaken and imagined that I saw what did not really exist, but it seemed to me that Théodore had noticed my passion, although you may be sure I have never lisped a word of it, and that, through the veil of those borrowed expressions, behind that stage-mask, in those hermaphroditic words, he was alluding to his real sex and to our reciprocal positions. It is impossible that so bright a woman as she is, who knows so much of the world as she, should not have detected from the very first what was going on in my heart:--in default of my tongue, my eyes and my mental disturbance have spoken loud enough, and the veil of warm friendship which I had thrown over my love was not so impenetrable that a watchful and interested observer could not easily look through it.--The most innocent and least experienced girl on earth would not have been deceived by it for one moment.

Some important motive, doubtless, which I may not know, compels the beauty to adopt this infernal disguise, which has been the cause of all my suffering and has been on the verge of making me a strange sort of lover: except for that, everything would have run as smoothly and easily as a carriage whose wheels are well greased, over a level road covered with fine gravel; I could have abandoned myself in sweet security to the most amorously vagabond reveries and have taken my divinity's little soft white hand in mine without shuddering with horror and recoiling twenty paces as if I had been touched with a red-hot iron, or felt the claws of Beelzebub in person.

Instead of falling into despair and raging inwardly like a genuine maniac, of beating my breast because I could not escape remorse, and lamenting because I had none, I should have said to myself with a feeling of duty well done and conscience satisfied:--"I am in love!"--a sentence as agreeable to say to one's self in the morning, under nice warm bedclothes with your head on a soft pillow, as any other conceivable sentence of the same length--always excepting this: "I have money."

After leaving my bed I could have taken my place in front of my mirror, and there, looking at myself with a sort of respect, I should have been touched, as I combed my hair, by my poetic pallor, promising myself that I would turn it to good advantage and make the most of it, for nothing is so low as to make love with a scarlet face; and when one has the ill-luck to be red-faced and in love, as may happen, I am of the opinion that he should have his face powdered every day or else renounce all idea of gentility in his appearance and turn his attention to the Margots and Toinons.

Then I could have breakfasted with suitable gravity, in order to nourish this dear body, this precious casket of passion, to manufacture with the juice of meats and game, good, amorous chyle and warm, quick blood, and to maintain it in a condition to give pleasure to charitable souls.

And after breakfast, as I picked my teeth, I would have tossed together a few irregular rhymes, by way of sonnet, all in honor of my mistress; I would have invented a thousand similes, each more novel than the last, and infinitely gallant; in the first quatrain there would have been a dance of suns, and in the second a minuet of the cardinal virtues; the two triplets would have been in equally good taste; Helen would have been treated as a bar-maid and Paris as an idiot; the magnificence of the metaphors would have left the Orient nothing to desire; the last line would have been particularly admirable and would have contained at least two witty conceits per syllable; for the poison of the scorpion is in his tail and the merit of the sonnet is in its last line.--The sonnet completed and well and duly transcribed upon laid and perfumed paper, I would have gone forth from my house a hundred cubits tall, bending my head for fear of striking against the sky and catching on the clouds--a wise precaution--and I would have declaimed my new production to all my friends and all my enemies, then to children at the breast and their nurses, then to the horses and donkeys, then to the walls and trees, to ascertain the opinion of all creation as to this last product of my vein.

In society I would have talked with women with a dogmatic air, and upheld sentimental theories in a solemn, measured voice, like a man who knows much more than he cares to say about the subject in hand, and who did not learn what he knows from books;--which inevitably produces a most prodigious effect, and makes all the women in the company who don't tell their ages and the few young girls who haven't been asked to dance, gasp for breath like carp stranded on the beach.

I might have led the happiest life imaginable, trodden on the poodle's tail without too great an outcry from his mistress, overturned small tables covered with porcelain, and eaten the best bits at table, leaving none for the rest of the company; it would all have been forgiven in view of the well-known absentmindedness of lovers; and when they saw me thus swallowing everything with a terrified mien, everybody would have clasped his hands and said; "Poor fellow!"

And then, the dreaming, mournful air, the hair in tears, the untidy stockings, the loose cravat, the long hanging arms I should have had! how I should have walked about the avenues in the park, now with great strides, now with short steps, after the manner of a man whose reason has gone completely astray! How I should have gazed at the moon between her two eyes, and made circles in the water with the utmost tranquillity!

But the gods ordered otherwise.

I have fallen in love with a beauty in doublet and boots, a haughty Bradamante who disdains the garments of her sex and leaves you at times in the most disquieting uncertainty and perplexity;--her features and body are the features and body of a woman, but her mind is incontestably the mind of a man.

My mistress is most expert with the sword and could give lessons to the most experienced fencing-master; she has fought I know not how many duels, and killed or wounded three or four persons; in the saddle she leaps ditches ten feet wide and hunts like an old country squire:--strange qualities for a mistress! such things never happen to anybody but me.

I jest, but there certainly is no reason for it, for I have never suffered so much, and these last two months have seemed to me like two years, two centuries rather. There has been an inflow and outflow of uncertainties in my head, well adapted to confuse the strongest brain; I have been so violently agitated and pulled in every direction, I have had such frenzied impulses, such deathly prostration, such extravagant hopes, and such profound despair that I really do not know why it has not killed me. That idea has engrossed me and filled my thoughts so completely that I have wondered that it could not be seen clearly through my body, like a candle in a lantern, and I have been in mortal fear that some one would discover who was the object of this insensate passion.--However, Rosette, who is the one person in the world who has the most interest in watching the movements of my heart, has not seemed to notice anything; I think that she has been too much absorbed herself in her love for Théodore to observe my coldness to her; or else I must be a past-master in the art of dissimulation and I am not conceited enough to think that.--Théodore himself has never shown until to-day that he had the slightest suspicion of the state of my mind, and he has always talked with me in a friendly, familiar way, as a well-bred young man talks with a young man of his own age--nothing more.--His conversation with me has touched indifferently upon all sorts of subjects, art, poetry and other kindred matters; but nothing private or with a direct reference to him or myself.

Perhaps the motives that forced him to adopt this disguise no longer exist and he proposes soon to resume his proper attire: that I cannot say; it is a fact, however, that Rosalind delivered certain sentences with a significant intonation and emphasized in a very marked way all those passages in her part which were of ambiguous meaning and could be twisted in that direction.

In the scene of the rendezvous, from the moment when she reproaches Orlando for not having arrived two hours earlier, as becomes a genuine lover, but two hours after, to the dolorous sigh she utters, terrified at the extent of her passion, as she throws herself into Aliena's arms: "O coz, coz, coz, my pretty little coz, that thou didst know how many fathoms deep I am in love!" she displayed miraculous talent. There was an irresistible mixture of tenderness, melancholy, and love; her voice trembled with emotion, and behind the laugh one could feel that the most violent love was ready to explode; add to this all the piquancy and peculiarity of the transposition, and the novelty of seeing a young man pay court to his mistress, whom he takes for a man and who has every appearance of being one.

Expressions which would have seemed ordinary and commonplace enough under other circumstances, assumed peculiar significance then, and all the small change of similes and amorous protestations, which is current on the stage, seemed to have been recoined with new dies; indeed if the thoughts, instead of being unique and charming as they are, had been as threadbare as a judge's gown or the saddle-cloth of a hired donkey, the way in which they were expressed would have made them seem wonderfully keen and bright and in the best possible taste.

I have forgotten to tell you that Rosette, after declining the rôle of Rosalind, had good-humoredly undertaken the secondary rôle of Phœbe; Phœbe is a shepherdess in the forest of Arden, madly loved by the shepherd Sylvius, whom she cannot endure and whom she treats with consistent and crushing cruelty. Phœbe is as cold as the moon for whom she is named; she has a heart of snow that does not melt in the fire of the most ardent sighs, but whose frozen crust grows thicker and thicker and becomes as hard as the diamond; but she has no sooner seen Rosalind in the costume of the comely page, Ganymede, than all that ice dissolves in tears and the diamond becomes softer than wax. The haughty Phœbe, who laughed at love, is in love herself; she suffers now the torments she had inflicted on others. Her pride humbles itself so far as to make all the advances, and she sends to Rosalind, by poor Sylvius, a burning letter which contains a declaration of her passion in most humble and suppliant terms. Rosalind, moved to pity for Sylvius, and having, moreover, most excellent reasons for not responding to Phœbe's love, subjects her to the most cruel treatment and makes sport of her with unparalleled mercilessness and ferocity. Phœbe prefers these insults, however, to the most touching and most passionate flattery of her unhappy shepherd; she follows the fair stranger everywhere and with all her importunity succeeds in extorting from him nothing but the promise that if he ever marries a woman she shall surely be the one; meanwhile he urges her to treat Sylvius kindly and not depend upon a too flattering hope.

Rosette acted her part with a melancholy and caressing grace, a sorrowful, resigned tone that went to the heart;--and when Rosalind said to her: "I would love you, if I could," the tears were ready to overflow, and she could hardly hold them back, for Phœbe's story is her own, as Orlando's is mine, with this difference, that everything turns out happily for Orlando, and that Phœbe, disappointed in her love, is compelled to marry Sylvius instead of the charming ideal she longed to embrace. Such is life: that which affords happiness to one necessarily causes another unhappiness. It is very fortunate for me that Théodore is a woman, it is very unfortunate for Rosette that he is not a man, and she is now wallowing in the slough of amorous impossibilities in which I recently went astray.

At the end of the play Rosalind lays aside the doublet of the page Ganymede for the garments of her own sex, is recognized by her father as his daughter, by Orlando as his mistress: the god Hymen arrives with his saffron-colored livery and his legitimate torches.--Three weddings take place.--Orlando marries Rosalind, Phœbe Sylvius, and the clown Touchstone the artless Audrey.--Then the epilogue has its say and the curtain falls.

All this has interested us exceedingly and engrossed our minds; there was, in a certain sense, a play within the play, a drama invisible to the other spectators and unsuspected by them, which we played for ourselves alone, and which, in symbolic phrases, summed up our whole lives and expressed our most secret desires.--Except for Rosalind's strange prescription I should be sicker than ever, having not even a distant hope of cure, and I should have continued to wander sadly through the winding paths of the dark forest.

And yet I have only a moral certainty; I lack proofs and I can remain no longer in this state of uncertainty; I absolutely must speak to Théodore in more definite terms. I have approached him twenty times with a sentence ready on my lips, but have not succeeded in saying it to him--I dare not; I have many opportunities to speak to him alone, either in the park or in my room, or in his, for he comes to see me and I go to see him, but I let them pass without profiting by them, although the next moment I feel a mortal regret and fly into a terrible rage with myself. I open my mouth, and in spite of all I can do, other words take the places of the words I intended to say; instead of declaring my love, I discourse upon the rain, the fine weather or some other similarly stupid subject. And the season is drawing to a close and soon we shall return to the town; the facilities which present themselves according to my wishes here will be renewed nowhere else:--perhaps we shall lose sight of each other and opposite currents will carry us in opposite directions, I doubt not.

The free and easy life of the country is such a delightful and convenient thing! the trees, even though the foliage is not quite so dense in the autumn, afford such delicious shade for the reveries of nascent love! it is difficult to resist the lovely natural surroundings! the birds sing so languorously, the flowers give forth such intoxicating odors, the turf is so soft and so golden on the hillsides! Solitude inspires countless voluptuous thoughts which the hurly-burly of the world would have scattered here and there, and the instinctive impulse of two creatures who hear their hearts beat in the silence of a deserted country-side, is to entwine their arms more tightly and to cleave to each other as if they were in truth the only living creatures in the world.

I took a walk this morning; the air was soft and damp, not the slightest particle of blue sky could be seen, and yet it was neither dark nor threatening. Two or three different shades of pearl-gray, harmoniously blended, enveloped the sky from horizon to horizon, and against that vaporous background fleecy clouds floated slowly like great pieces of wadding; they were impelled by the dying breath of a light breeze, hardly strong enough to move the tops of the most restless aspens: patches of mist rose between the tall chestnuts and indicated the course of the stream in the distance. When the breeze took breath once more, a few dry red leaves blew excitedly about and ran along the path before me like swarms of timid sparrows; then as the breeze fell, they subsided a few steps farther on: a true image of those winds that one mistakes for birds flying freely with wings outspread, but which are, after all, naught but leaves withered by the morning frost, which the slightest passing breeze takes for its plaything and its sport.

Distant points were so blurred by vapors, and the fringes of the horizon tapered away so on the edges, that it was hardly possible to tell where the sky began and the earth ended: a little darker gray, a little denser haze, indicated vaguely the separation and dividing line between the two. Through that curtain, the willows with their ashen heads seemed more like spectral trees than real trees; the irregularities of the hills resembled rather the undulations of a mass of heaped-up clouds than the lay of solid ground. The outlines of objects trembled as you looked at them, and a sort of gray woof of indescribable fineness, like a spider's web, stretched between the foreground of the landscape and the receding depths of the atmosphere; in shaded places the lines stood out much more clearly, and allowed the meshes of the net to be seen; where the light was brighter, the streak of mist was imperceptible and lost itself in a diffused light. There was in the air something drowsy, something warm and soft and dull that predisposed one strangely to melancholy.

As I walked I reflected that autumn had come for me also, and that the radiant summer had passed, never to return; the tree of my mind was even more stripped of its leaves perhaps than the trees in the forest; hardly one tiny green leaf remained on the topmost branch, swaying to and fro and trembling, all sad to see its sisters leave it one by one.

Remain upon the tree, O little leaf of the color of hope, cling to the branch with all the strength of thy nerves and fibres; be not alarmed by the whistling of the wind, O dear little leaf! for when thou hast left me, who will be able to distinguish whether I am a dead or living tree, and who will prevent the wood-cutter from cutting through my foot with his axe and making firewood of my branches?--It is not yet the time when the trees shed all their leaves, and the sun may still throw off the swaddling-clothes of mist that surround it.

The spectacles of the dying season made a deep impression upon me. I reflected that time was passing swiftly and that I might die without having pressed my ideal to my heart.

When I returned to my room I had formed a resolution.--As I cannot make up my mind to speak, I wrote my whole destiny upon a slip of paper.--It is absurd perhaps to write to a person who is living in the same house with yourself, whom you can see every day, at any hour; but I am beyond caring whether it is absurd or not.

I sealed my letter, not without trembling and changing color; then, selecting a moment when Théodore had gone out, I placed it in the middle of his table and fled, as disturbed as if I had committed a most outrageous act.


[Footnote 1: _As You Like It._]

[Footnote 2: The last word in this quotation, which justifies the succeeding epithets, is not in the English version of the play.]



XII


I promised you the sequel of my adventures; but really I am so sluggish about writing that I must love you as the apple of my eye and know you to be more curious than Eve or Psyche, to place myself in front of a table with a huge sheet of white paper which I must make black, and an inkstand deeper than the sea, each drop in which is destined to turn into thoughts, or at least into something resembling thoughts, without forming a sudden resolution to mount my horse and ride at full speed the eighty endless leagues that lie between us, in order to tell you _viva voce_ what I propose to write in imperceptible fly-tracks, so that I may not be dismayed myself by the prodigious volume of my _picaresque_ odyssey.

Eighty leagues! to think that there is all that space between myself and the person I love best in the world!--I have an intense longing to tear up my letter and order my horse to be saddled.--But I will think no more of it--with the clothes I am wearing, I could not approach you and resume the familiar life we led together when we were very artless and innocent little girls; if ever I go back to my petticoats it will certainly be for that purpose.

I left you, I believe, as we were leaving the inn where I passed such an amusing night and where my virtue thought it was going to be shipwrecked upon leaving the harbor.--We rode away together, going in the same direction.--My companions went into ecstasies over the beauty of my horse, which is a thoroughbred and one of the fastest horses in the world;--that fact increased my stature at least half a cubit in their estimation, and they added the merits of my steed to my own merits.--They seemed to be afraid, however, that he was too frisky and high-spirited for me.--I told them they need have no fear, and to show them that there was no danger I made him prance and curvet--then I jumped a wall of considerable height and put him at a gallop.

The party tried in vain to overtake me; I turned when I was some distance ahead of them and rode back at full speed; just before I met them, I checked my horse when all four feet were in the air and stopped him short: which is, as you may or may not know, a genuine feat.

From esteem they passed without transition to the most profound respect. They did not suspect that a young student, recently graduated from the University, was so accomplished a horseman as that. That discovery served me better than if they had discovered in me all the cardinal virtues; instead of treating me as a boy, they addressed in a tone of obsequious familiarity that pleased me.

In laying aside my clothing, I had not laid aside my pride:--being a woman no longer, I determined to be a thorough man and not to be content to have simply the external appearance of one.--I had determined to achieve as a cavalier, the triumphs I could no longer aspire to as a woman. What disturbed me most was to ascertain how I should set about procuring a stock of courage; for courage and skill in bodily exercises are the means by which a man most easily establishes a reputation. It is not that I am timid for a woman, and I have not the idiotic pusillanimity that we see in some women; but it is a long distance to the reckless, fierce brutality that is the glory of the men, and it was my intention to become a young blood, a swash-buckler, like my gentlemen of the upper circles, in order to secure a good footing in society and to enjoy all the advantages of my metamorphosis.

But I saw in the sequel that nothing was easier and that the receipt was of the simplest.

I will not tell you, according to the custom of travellers, that I made so many leagues on such a day, that I went from this place to another place, that the roast meat I ate at the Cheval-Blanc or Croix-de-Fer inn was raw or burned; that the wine was sour and the bed I slept in had curtains with flowered or figured designs: those are very important details which should be preserved for posterity; but posterity will have to do without them this time, and you must resign yourself to be left in ignorance of the number of dishes of which my dinner was composed, and whether I slept well or ill during my wanderings. Nor shall I give you an accurate description of the different landscapes, the fields of grain, the forests, the various crops and the hillsides covered with villages which have passed successively before my eyes; those things are easily imagined; take a little earth, plant a few trees and a few blades of grass, daub behind it all a bit of gray or pale-blue sky, and you will have a very adequate idea of the changing background against which our little caravan moved on.--If I went into some details of this nature in my first letter, pray excuse me, I will not fall into the same error again: as I had never been abroad before, the most trivial things seemed to me of vast importance.

One of the party, my bedfellow, he whose sleeve I came so near pulling on the memorable night whose agonies I have described to you at length, conceived an ardent passion for me and kept his horse beside mine all the time.

With the exception that I would not have taken him for a lover even if he had brought me the fairest crown on earth, I did not find him particularly disagreeable; he was well-informed and lacked neither wit nor good-humor: but, when he spoke of women, it was in a disdainful, ironical tone, for which I could readily have torn the eyes out of his head, especially as there were many things in what he said that were cruelly true, although exaggerated, and my male costume compelled me to acknowledge their accuracy.

He asked me so urgently and so persistently to go with him to see one of his sisters, who was just at the end of her mourning for her husband, and was at that moment living with an aunt in an old chateau, that I could not refuse.--I made some objections for form's sake, for in reality I was as ready to go there as anywhere, and I could attain my object in that way as well as any other; and as he told me that he should take it very ill of me if I did not give him at least a fortnight, I answered that I would gladly do so, and that it was a bargain.

At a fork in the road, my friend said to me, pointing to the right arm of the natural Y: "That is our road."--The others shook hands with us and went in the other direction.

After riding for some hours we reached our destination.

A ditch of considerable width, but filled with dense and abundant vegetation instead of water, separated the park from the high road; the walls were of a hewn stone and, at the angles, bristled with gigantic iron artichokes and thistles which seemed to have grown like natural plants between the disjointed blocks of the wall; a small bridge of a single arch crossed this dry canal and led to the park gate.

An avenue of tall elms, rounded like a cradle-top and trimmed in the old style, was the first thing I saw; and after following it for some time, we came to a sort of circular clearing.

The trees had the appearance of being old-fashioned rather than old; they seemed to wear wigs and to be powdered; only a little circle of foliage had been preserved at the top of their heads; all the rest was carefully pruned, so that you might have taken them for plumes of abnormal size stuck in the ground at regular intervals.

Having crossed the clearing, which was covered with fine grass carefully rolled, we had to pass under another curious arrangement of foliage adorned with pots of fire, pyramids, and columns of a rustic order, all done by skilful handling of scissors and sickles in a great clump of boxwood.--Through different vistas you could see, at the right and left, a half-ruined chateau, the moss-covered stairway of a dry cascade, or it might be a vase or a statue of a nymph or a shepherd with nose and fingers broken and with doves perching on the head and shoulders.

A large flower-garden on the French plan was laid out in front of the chateau; all the squares were marked out with holly and box with absolute symmetry; it had quite as much the appearance of a carpet as of a garden: huge flowers in ball-dresses with majestic carriage and serene expression, like duchesses preparing to dance a minuet, bent their heads slightly as you passed. Others, apparently less courteous, stood straight and stiff, like dowagers embroidering. Shrubs of all possible shapes, excepting always their natural shape, round, square, pointed, triangular, in green and gray boxes, seemed to march in procession along the broad avenue and to lead you by the hand to the first steps of the entrance.

A few turrets, half surrounded by more recent buildings, towered above the roof-line of the main structure to the height of their slate-covered, extinguisher-like peaks, and their zinc vanes, cut in the shape of swallows' tails, bore witness to an honorable antiquity. The windows of the central building all opened upon a common balcony with an iron balustrade of elaborate workmanship and great beauty, and the other windows were set in stone frames with carved ciphers and figures.

Four or five huge dogs ran out, barking at the top of their lungs and leaping wildly about. They gambolled around the horses and jumped at their noses: they paid especial attention to my companion's horse, which they probably visited frequently in the stable or accompanied on the road.

All this uproar finally called out a sort of valet, half laborer, half groom, who took our horses by the reins and led them away.--I had not as yet seen a living being except a little peasant girl, timid and wild as a deer, who ran away at sight of us and crouched in a furrow behind some hemp, although we called her several times and did everything in our power to reassure her.

No one appeared at the windows; you would have said the chateau was uninhabited, or that its only occupants were spirits; for not the slightest sound could be heard outside.

We were beginning to ascend the steps, making considerable noise with our spurs, for our legs were a little tired, when we heard a sound as of doors opening and shutting within, as if some one were hurrying to meet us.

In a moment a young woman appeared at the top of the steps, rushed down to my companion and threw herself on his neck. He kissed her very affectionately and, putting his arm about her waist, lifted her up and carried her so to the landing.

"Do you know that you are very amiable and gallant for a brother, my dear Alcibiades?--Surely, monsieur, it is altogether useless for me to tell you that he's my brother, for he really does not stand on ceremony?" said the young woman, turning to me.

To which I replied that it was possible to misinterpret his actions, and that it was in a certain sense a misfortune to be her brother and thus to be excluded from the category of her adorers; that, as for myself, if I were her brother, I should be at once the unhappiest and the happiest cavalier on earth."--Whereat she smiled sweetly.

Conversing thus we entered a hall, the walls of which were hung with high warp Flemish tapestry.--Tall trees with pointed leaves were covered with flocks of fanciful birds; the colors, faded by time, presented strange transpositions of shades; the sky was green, the trees royal blue with yellow streaks, and in the draperies of the figures the shadow was often of a directly opposite color to that of the background of the material;--the flesh resembled wood, and the nymphs walking under the faded shadows of the forest looked like unswathed mummies; their mouths alone, which had retained their original purple tint, smiled with an appearance of life. In the foreground were tall plants of a strange shade of green with great striped flowers, whose pistils resembled a peacock's crest. Sober-faced, pensive herons, their heads buried in their shoulders, their long beaks resting on their swollen crops, stood philosophically on one of their slim legs, in stagnant, black water, streaked with lines of tarnished silver; through the vistas in the foliage, one could see in the distance small chateaux with turrets like pepper-boxes and balconies crowded with lovely women in grand attire, watching processions or hunting-parties pass.

Fantastically-jagged rocks, over which foamed torrents of white wool, blended insensibly with fleecy clouds at the horizon line.

One of the things that impressed me most was the figure of a huntress shooting a bird.--Her open fingers had just released the string, and the arrow had flown; but as that part of the tapestry was in a corner, the arrow was on the other wall, having described a great curve; as for the bird, he was flying away on motionless wings and seemed to be headed for a neighboring branch.

That feathered arrow, armed with a golden tip, always in the air and never reaching its destination, had a most curious effect; it was like a melancholy, sorrowful symbol of human destiny, and the more I looked at it the more mysterious and sinister meanings I discovered in it.--The huntress stood there, her foot put forward, her leg bent, her eye with its silken lid wide open, and yet unable to see her arrow which had deviated from its path; she seemed to be looking anxiously for the flamingo with the gorgeous plumage, that she desired to bring down and expected to see fall at her feet, pierced through and through.--I do not know whether it is an error on the part of my imagination, but I detected upon that face an expression as forlorn and desperate as that of a poet who dies without having written the work upon which he expected to found his reputation, and who is seized with the pitiless death-rattle just as he is trying to dictate it.

I have written at great length about this tapestry, at greater length certainly than it deserves;--but the fanciful world created by those who work on the high warp has always had a strange fascination for me.

I am passionately fond of the imaginary vegetation, the flowers and plants that have no real existence, the forests of strange trees peopled with unicorns, _caprimulgæ_. and snow-white stags with a golden crucifix between their horns, generally pursued by red-bearded huntsmen in the costumes of Saracens.

When I was small I hardly ever entered a room hung with tapestry without a sort of shudder, and I hardly dared move.

All those figures standing against the wall, to which the undulation of the material and the play of the light imparted a sort of fantastic life, seemed to me like so many spies watching my actions in order to report them at the proper time and place, and I would not have eaten a stolen apple or cake in their presence.

What tales those solemn creatures would have to tell if they could open their red silk lips, and if sounds could penetrate the drum of their embroidered ears. Of how many murders, treasons, infamous adulteries and monstrous deeds of all sorts have they been silent, impassive witnesses!--

But let us leave the tapestry and return to our story.

"Alcibiades, I will go and tell my aunt of your arrival."

"Oh! there's no hurry about that, sister; let us sit down and talk a little while first. Allow me to introduce my young friend Théodore de Sérannes, who will pass some time here. I do not need to urge you to make him welcome;--he is his own sufficient recommendation."--I tell you what he said; do not be in a hurry to accuse me of self-conceit.--

The young lady nodded slightly as if in assent, and we talked of other things.

As we talked I made a more detailed and more careful examination of her than I had been able to do before.

She seemed to be some twenty-three or twenty-four years old and her mourning was most becoming to her; to tell the truth, her manner was not very lugubrious or desolate and I suspect that she had eaten the ashes of her Mausolus in her soup by way of rhubarb.--I do not know whether she had grieved overmuch for her defunct spouse; if she had done it, she hardly showed it now, at all events, and the pretty cambric handkerchief she had in her hand was as perfectly dry as possible.

Her eyes were not red, on the contrary they were the clearest and brightest eyes in the world, and you would have sought in vain on her cheeks the furrow through which tears had flowed; indeed, there was nothing there save two little dimples formed by the habit of smiling, and it is fair to say that, for a widow, she displayed her teeth very frequently; and it was certainly not an unpleasant spectacle, for they were small and even. I esteemed her, first of all, for not having felt obliged, just because some poor devil of a husband had died, to blacken her eyes and make her nose red: I was grateful to her also for not affecting any little mournful airs and for talking naturally with her silvery, ringing voice, without dragging out her words and interlarding her sentences with virtuous sighs.

It seemed to me in extremely good taste; I set her down at once as a woman of intelligence, which she is in fact.

She was well built, with a foot and hand well suited to her figure; her black dress was arranged with all possible coquetry and so daintily that you entirely forgot the lugubriousness of the color, and she might have gone to a ball in that costume without causing any remark. If I ever marry and am left a widow, I shall ask her for a pattern of her dress, for she looks like an angel in it.

After some little talk, we went up to the old aunt's room.

We found her sitting in a great easy-chair with a sloping back, a little stool under her feet and beside her an old blear-eyed, ugly-looking dog, who raised his black muzzle when we appeared and welcomed us with a far from amiable growl.

I have always looked upon old women with horror. My mother died very young; doubtless, if I had seen her grow old slowly, and her features change imperceptibly, I should have become accustomed to it without a shock.--In my childhood I was surrounded by none but youthful, laughing faces, so that I have retained an insurmountable antipathy for old people. So it was that I shuddered when the lovely widow touched the dowager's yellow brow with her pure vermilion lips.--It was something I wouldn't have taken upon myself to do. I know that I shall look like that when I am sixty; but I can do nothing to prevent it, and I pray God that I may die young like my mother.

However, the old lady had retained some simple and majestic features of her former beauty which prevented her from attaining the baked-apple stage of ugliness that is the lot of women who have been simply pretty or fresh and healthy: her eyes, although they had crow's feet at the corners and were covered by great, flabby lids, still retained some sparks of their former fire, and you could see that, under the reign of the late king, they might have emitted dazzling flashes of passion. Her fine and thin nose, slightly hooked like the beak of a bird of prey, gave to her profile a sort of solemn grandeur, tempered by the indulgent smile upon her protruding Austrian lip, which was touched with carmine according to the fashion of the last generation.

Her costume was old-fashioned without being absurd, and was in perfect harmony with her face; her head-dress was a simple white cap with a narrow lace border; her long, emaciated hands, which you could see had once been beautiful, were encased in mittens with no fingers or thumbs; a dress of the color of dead leaves, with flowered work of a deeper shade, a black mantle and a paduasoy apron of changing color completed her toilet.

Old women ought always to dress in that way and respect their approaching death sufficiently to avoid decking themselves out with feathers and wreaths of flowers, ribbons of delicate shades and the countless gewgaws that are suited only to extreme youth. It is of no use for them to make advances to life; life will have nothing to do with them; they have their pains for their trouble, like the superannuated courtesans who plaster themselves with red and white paint and whom drunken mule-drivers repulse with insults and kicks.

The old lady welcomed us with the ease of manner and exquisite courtesy characteristic of those people who were of the old court, the secret of which we seem to be losing from day to day, like so many other valuable secrets--and in a voice which, though broken and trembling, was still extremely sweet.

She seemed much pleased with me and looked at me very attentively for a long while, apparently much moved.--A tear gathered in the corner of her eye and rolled slowly down one of the deep wrinkles, where it dried up and disappeared. She begged me to excuse her and said that I greatly resembled a son who was killed in the army.

All the time that I remained at the chateau, I was treated by the dear old lady with extraordinary, altogether motherly kindness because of that resemblance, real or imaginary. I found more charm in that condition of things than I anticipated at first, for the greatest favor that elderly people can confer upon me is never to speak to me and to leave the room when I enter it.

I will not tell you in detail what I did each day at R--. If I have lingered a little over all this preliminary matter and have drawn with some care these two or three physiognomies of persons and of places, it is because I had there some very strange adventures, albeit very natural and just what I ought to have foreseen when I donned the garb of a man.

My natural light-headedness led me into an imprudence which I bitterly repent, for it has brought trouble to a kind and loving heart, trouble which I cannot allay without disclosing what I am and compromising myself seriously.

In order to acquire masculine manners perfectly and to divert myself a little, I could think of nothing better than to pay court to my friend's sister.--It seemed very amusing to me to fall upon all fours when she dropped her glove and to return it to her with humble reverences, to lean over the back of her chair with an adorably languorous expression, to whisper in her ear a thousand and one flattering speeches of the most seductive description. Whenever she passed from one room to another I gracefully offered my hand; if she rode, I held her stirrup, and in walking I was always at her side; in the evening I read to her and sang with her;--in short, I performed with scrupulous accuracy all the functions of a cicisbeo.

I did everything that I had seen young men in love do, which amused me and made me laugh like the genuine madcap that I am, when I was alone in my chamber and reflected on all the impertinent remarks I had made in the most serious tone imaginable.

Alcibiades and the old marchioness seemed to look upon the intimacy with pleasure and left us together very often. I sometimes regretted that I was not a man in order to take advantage of the tête-à-tête; if I had been, it would have depended entirely upon me, for our charming widow seemed to have forgotten the defunct entirely, or, if she remembered him, she would readily have been unfaithful to his memory.

Having begun upon that line I could hardly draw back with honor, and it was very difficult to effect a retreat with arms and stores; I could not go beyond a certain limit, however, and I could hardly be affectionate except in words:--I hoped to reach without mishap the end of the month I was to pass at R--, and to retire with a promise to return, intending to do nothing of the kind.--I thought that when I had gone the fair widow would readily be consoled, and would soon forget me when I was out of her sight.

But, while seeking only my own amusement, I had aroused a serious passion, and things turned out differently:--which goes to prove a truth that has long been well known, to wit, that one must never play with fire or with love.

Before she fell in with me, Rosette had not known what love is. Married very young to a man many years her senior, she had felt only a sort of filial affection for him;--courted she had been, I doubt not, but she had had no lover, incredible as it may appear: either the gallants who had hitherto shown her attention were but moderately attractive, or else, which is more probable, her hour had not yet come.--The petty aristocrats and country squires who talked of nothing but fertilizers and fumets, young boars and seven-year stags, hunting cries and antlers, with an admixture of charades out of the almanac and compliments moss-grown with age, were certainly not made to commend themselves to her, and her virtue had not had to exert itself overmuch in order not to yield to them.--Moreover, the natural gaiety and playfulness of her disposition were a sufficient defence against love, that sentimental passion that takes such strong hold of dreamers and melancholy folk; the idea of sensual pleasure that her old Tithonus had been able to give her was probably not sufficient to arouse any great temptation to try it again, and she enjoyed in a mild way the pleasure of being left a widow so early in life and of having so many years to be pretty.

But on my arrival, there was a great change.--I thought at first that if I had kept strictly within the limits of cold and scrupulous courtesy, she would not have taken any notice of me; but really I was obliged to admit afterward that it would have made no difference at all, and that that supposition, although very modest, was entirely without foundation.--Alas! nothing can turn aside the fatal horoscope, and no one can avoid the influence, whether benignant or malignant, of his star.

It was Rosette's destiny to love but once in her life, and with an impossible passion; she must and she will accomplish her destiny.

I have been loved, O Graciosa, and it is a sweet experience, although I have been loved only by a woman, and in such an unnatural love there is something painful that there certainly cannot be in the other;--oh! it is a very sweet experience!--When you wake in the night and rest upon your elbow, to say to yourself: "Some one is thinking or dreaming of me; my life is of interest to somebody; a movement of my eyes or my mouth causes joy or sadness to another creature; a word I have let fall at random is carefully treasured up, commented upon and dissected for hours at a time; I am the pole toward which a restless magnet tends; my eye is a heaven, my mouth a paradise more ardently longed for than the real; if I should die, a warm shower of tears would keep my ashes warm, my grave would be brighter with flowers than a wedding-feast; if I were in danger, some one would throw himself between the point of the sword and my breast and sacrifice himself for me!"--it is lovely, and I cannot think what more one can desire in this world.

This thought caused me a feeling of pleasure for which I blamed myself, for I had nothing to give in exchange for it all, and I was in the position of a poor person who accepts presents from a rich and generous friend, with no hope of ever being able to repay them. It delighted me to be so adored and at times I gave myself up to it with strange complaisance. By dint of hearing everybody call me _monsieur_ and of being treated as if I were a man, I gradually forgot that I was a woman; my disguise seemed to be my natural attire, and I forgot that I had ever worn any other; I ceased to reflect that I was, after all, only a little empty-headed creature who had made a sword of her needle and a pair of breeches out of one of her petticoats.

Many men are more like women than I am.--There is little of the woman about me except the breast, some more rounded outlines and more delicate hands; the petticoat is on my hips, not in my mind. It often happens that the sex of the mind is different from that of the body, and that is a contradiction that cannot fail to produce much confusion.--For example, if I myself had not made this resolution, insane in appearance but very wise in reality, to renounce the costume of a sex which is mine only materially and by accident, I should have been very unhappy: I love horses, fencing, all violent exercises, I like to climb and run about like a young boy; it tires me to sit with my feet close together, my elbows glued to my sides, to lower my eyes modestly, to speak in a little soft, sweet voice, and to pass worsted through the holes in a piece of canvas ten million times;--I do not like to obey the laws of society, and the words that are most frequently on my tongue are: "I will."--Behind my smooth brow and beneath my silky hair, strong and virile thoughts are constantly in motion; all the precious nonsense that generally is most attractive to women has never produced any but the slightest effect upon me, and, like Achilles disguised as a girl, I would gladly lay aside my mirror for a sword.--The only thing about women that attracts me is their beauty;--notwithstanding the inconveniences that result from it, I would not willingly give up my figure, although it is ill-sorted with the spirit it encloses.

Such an intrigue was something novel and alluring, and I should have been greatly entertained by it if it had not been taken so seriously by poor Rosette. She set about loving me with admirable _naïveté_ and earnestness, with all the force of her dear, loving heart--with a love of the sort that men do not understand, of which they cannot form even a remote idea, a refined, ardent love; she loved me as I would like to be loved if I should ever meet the reality of my dream. What a priceless treasure wasted, what white, transparent pearls, such as divers will never find in the jewel-chest of the sea! what sweet breath, what soft sighs scattered through the air, which might have been gathered by pure, loving lips!

That passion might have made a young man so happy! so many unfortunate youths, handsome, charming, well endowed, full of heart and spirit, have pleaded vainly on their knees with insensible, lifeless idols! so many loving, tender souls have thrown themselves in despair into the arms of prostitutes, or have burned out silently like a lamp in a tomb, who might have been saved from debauchery and death by a sincere passion!

What a strange thing is human destiny! and what an inveterate joker is chance.

The thing that so many others had ardently desired came to me, who did not, could not, want it. A whimsical young woman takes a fancy to travel about the country in a man's clothes in order to find out a little something as to what she is to expect on the part of her future lovers; she sleeps at an inn with an excellent brother who leads her by the end of the finger to his sister, who has nothing better to do than to fall in love with her like a cat, like a dove, like whatever is most amorous and languorous on earth.--It is very clear that, if I had been a young man, and this condition of things could have been of any service to me, it would have turned out very differently and the lady would have taken a violent dislike to me.--Fortune loves to give slippers to those who have wooden legs and gloves to those who have no hands;--the inheritance that would have enabled you to live at your ease, ordinarily falls in on the day of your death.

I went sometimes, not as often as she would have liked, to see Rosette in her bed; although she does not usually receive until she is dressed, an exception is made in my favor.--An exception would have been made in my favor in many other respects, if I had wished;--but, as the saying is, the most beautiful woman can give only what she has, and what I had would have been of little service to Rosette.

She would give me her little hand to kiss;--I confess that it afforded me some pleasure to kiss it, for it is very smooth, very white, exquisitely perfumed, and made softer by a nascent moisture; I felt it shiver and contract under my lips, whose pressure I maliciously prolonged.--Thereupon Rosette, deeply moved and with a supplicating air, would look up at me with her great eyes laden with desire and flooded with a humid, transparent light, then she would let her pretty head, which she had raised a little, the better to receive me, fall back upon the pillow.--I could see her restless bosom rise and fall under the sheet and her whole body suddenly begin to tremble.--Certainly any one who was in a condition to dare might have dared much, and it is equally certain that she would have been grateful to him for his daring and would have thanked him for skipping a few chapters of the novel.

I remained an hour or two with her, not releasing her hand which I had rested on the coverlid; we had interminable, fascinating conversations; for, although Rosette was much engrossed by her love, she believed herself to be too sure of success, not to retain almost all her freedom and playfulness of mind.--From time to time, however, her passion cast a transparent veil of gentle melancholy over her gaiety, which made her even more seductive.

Indeed, it might well have seemed an incredible thing that a young beginner, as I seemed to be, should not be overjoyed at such good fortune and profit by it to the utmost. Rosette was not so made that she was likely to meet with very cruel rebuffs, and knowing no more than she did about me, she relied upon her charms and upon my youth, in default of my love.

However, as the situation was beginning to be prolonged a little beyond the natural limits, she became anxious, and I had difficulty in restoring her former feeling of security by redoubling my flattering phrases and fine protestations. Two things about me surprised her, and she noticed contradictions in my conduct which she could not reconcile:--those two things were the warmth of my words and the coldness of my actions.

You know better than any one, my dear Graciosa, that my friendship has all the characteristics of a passion; it is sudden, ardent, intense, exclusive, it has almost everything of love even to jealousy, and I had for Rosette a friendship almost equal to my friendship for you.--One might easily misunderstand it.--Rosette misunderstood it the more completely because the coat I wore made it impossible for her to have any other idea.

As I have never loved any man, the overflow of my affection has in some sort spread through my friendships with girls and young men; I plunge into them with the same earnestness and exaltation that I put into everything I do, for it is impossible for me to be moderate in anything, especially in anything touching the heart. In my eyes there are only two classes of people, those I adore and those I abhor; all others are to me as if they did not exist, and I would drive my horse over them as I drive him over the high road; in my mind they stand on the same footing with pavements and milestones.

I am naturally expansive and I have a very caressing manner.--Sometimes, forgetting all that such demonstrations might seem to mean, when I went to walk with Rosette I would put my arm about her waist, as I used to do when you and I walked together in the deserted path at the foot of my uncle's garden; or, as I leaned over the back of her chair while she embroidered, I would twine around my fingers the little stray hairs that grew upon her plump, round neck, or stroke with the back of my hand her lovely hair held in place by the comb, and increase its lustre--or indulge in some other of the endearments to which, as you know, I am much addicted with my dear friends.

She was very far from attributing these caresses to simple friendship. Friendship, as it is usually understood, does not go so far as that; but, seeing that I went no farther, she was inwardly surprised and did not know what to think; she decided finally that it was too great timidity on my part, due to my extreme youth and lack of practice in amorous intrigue, and that I must be encouraged by all sorts of advances and proofs of good-will.

Consequently she took pains to arrange a multitude of opportunities for tête-à-tête interviews in places well adapted to embolden me by their solitude and seclusion from all noise and all interruption; she took me to walk several times in the forest, to see if the voluptuous musings and amorous desires ordinarily aroused in impressionable hearts by the dense and propitious shade of the woods, could not be turned to her advantage.

One day, after we had wandered a long while through a very picturesque park that lay behind the chateau, and of which I knew only the portions near the buildings, she led me through a narrow path that wound capriciously among elder-bushes and hazels, to a little rustic cabin, a sort of charcoal-kiln, built of round timbers laid transversely, with a thatched roof and a door roughly made of five or six pieces of wood almost unplaned, the interstices being stuffed with moss and wild plants; close beside it, between the green roots of tall ash-trees with silvery bark, marred by black spots here and there, was an abundant spring, which, a few steps away, flowed down over two marble steps into a basin filled with water-cresses greener than the emerald.--In the spots where there were no cresses, you could see at the bottom fine sand as white as snow; the water was as clear as crystal and as cold as ice; coming suddenly from the earth and never receiving the faintest ray of sunlight in that impenetrable shade, it had not time to become warm or disturbed.--Despite its crudity, I love fresh spring water, and seeing how clear that was, I could not resist the impulse to drink some of it; I leaned over and drank several times from the hollow of my hand, having no other vessel at my disposal.

Rosette expressed a desire to drink some of the water, too, to appease her thirst, and asked me to bring her a few drops, being afraid, she said, to lean over far enough to reach it.--I dipped my two hands, joined as closely as possible, into the clear fountain, then put them like a cup to Rosette's lips and held them there until she had exhausted the water they contained, which was not long, for there was very little of it, and much of that little dropped through my fingers, although I held them close together; we made a very pretty group, and it's a pity that a sculptor was not there to make a sketch of it.

When she had almost finished, having my hand so near her lips, she could not refrain from kissing it, but in such a way that I might think she was drawing in her breath to exhaust the last pearl of water collected in my palm; but I was not deceived, and the charming blush that covered her face betrayed her plainly enough.

She took my arm again and we walked on toward the cabin. The fair widow walked as close to me as possible, and leaned toward me as she spoke so that her breast was pressed against my sleeve; an extremely shrewd position and certain to disturb the equanimity of any other than myself; I could feel distinctly the pure, firm contour and the gentle warmth; furthermore I could detect a hurried undulation, which, whether it was genuine or affected, was none the less flattering and seductive.

We arrived thus at the door of the cabin, which I opened by pushing with my foot; I certainly did not expect the spectacle that was presented to my eyes.--I supposed that the hut was carpeted with rushes, with possibly a mat on the ground and a stool or two to sit on. Nothing of the sort.

It was a boudoir furnished with all imaginable luxury.--The spaces above the doors and mirrors represented the most amorous scenes from Ovid's Metamorphoses: Salmaces and Hermaphrodite, Venus and Adonis, and Apollo and Daphne, and other mythological loves on plain lilac cameo; the pier-glasses were covered with pompon roses carved with great delicacy, and little marguerites, of which, by a refinement of luxury, only the hearts were gilded, the leaves being silvered. All the furniture was trimmed with silk cord, which was also used to relieve hangings of the most delicate blue imaginable, marvellously well adapted to bring out the whiteness and brilliancy of the skin; the mantel was crowded with a thousand charming and curious things, as were the consoles and _étagères_, and there was an abundant supply of easy-chairs, reclining-chairs and sofas, which proved conclusively that the retreat was not destined for the most austere avocations, and that mortification of the flesh was not in vogue there.

A lovely clock in rock-work stood on a richly-incrusted bracket opposite a large Venetian mirror, in which it was reflected with strikingly brilliant effect. It had stopped, however, as if it were a superfluous thing to mark the hours in a place where they were destined to be forgotten.

I told Rosette that that refinement of luxury pleased me, that I considered it extremely good taste to conceal the greatest elegance under an appearance of simplicity, and that I strongly approved of a woman wearing embroidered petticoats and chemises trimmed with lace, with an outer garment of simple cloth; it was a delicate attention for the lover that she had or might have, for which he would be grateful beyond words, and that it certainly was better to put a diamond in a walnut than a walnut in a gold box.

Rosette, to prove that she agreed with me, raised her dress slightly and showed me the edge of a petticoat very richly embroidered with great flowers and leaves; it rested entirely with me to be admitted to the secret of greater interior splendors; but I did not ask to see if the magnificence of the chemise equalled that of the petticoat; it is probable that it did not fall short of it.--Rosette dropped the skirt of her dress, sorry not to have shown more.--However, even that exhibition had served to disclose the beginning of a perfectly-turned calf, giving a most favorable idea of what was above.--The leg, which she put forward, the better to show off her petticoat, was in very truth miraculously graceful and shapely in its neat, tight-fitting pearl-gray silk stocking, and the little heeled slipper, terminating in a rosette of ribbon resembled the glass slipper worn by Cinderella. I complimented her most sincerely upon it and told her that I could hardly imagine a prettier leg or tinier foot.--To which she replied with a frankness and ingenuousness altogether charming and very clever, too:--

"That is true."

Then she went to a cupboard in the wall, took out several bottles of liquors and some plates of cakes and sweetmeats, placed them all upon a small table and sat down beside me in a narrow chair, so that I was obliged to put my arm behind her to avoid being too crowded. As both her hands were free, while I could use only my left, she filled my glass with her own hands and placed fruit and sugar-plums on my plate; seeing that I was helping myself rather awkwardly, she said: "Oh! don't try to do it; I'll feed you, you child, as you don't know how to feed yourself." And she put the pieces in my mouth and compelled me to swallow them faster than I wanted to do, pushing them in with her pretty fingers, just as they do to chickens when they are fattening them--which made her laugh heartily.--I could hardly avoid returning upon her fingers the kiss she had just now bestowed upon the palm of my hand, and, as if to prevent me, but really to give me a more solid support for my kiss, she struck my mouth two or three times with the back of her hand.

She had drunk two or three fingers of Crême des Barbades and a glass of Canary, and I almost as much. That assuredly was not a great quantity; but it was enough to enliven two women who were accustomed to drink nothing but water barely colored with wine.--Rosette threw herself back and pressed against my arm very amorously.--She had thrown aside her mantle, and I could see the beginning of her breast, which was distended and thrown forward by that position; the tone of the flesh was ravishingly delicate and transparent; the shape marvellously graceful and solid at the same time. I gazed at her for some time with indefinable emotion and pleasure, and the thought came to my mind that men are more favored than we in their passions, that we give the most priceless treasures into their possession and that they have nothing similar to offer us.--What a delight it must be to run one's lips over that fine, smooth skin, those swelling contours which seem to go out to meet the kiss and provoke it! that satiny flesh, those waving lines which melt into one another, the silky hair that is so soft to the touch; what inexhaustible stores of delicious pleasure that we have not with men!--Our caresses can be only-passive, and yet there is more pleasure in giving than in receiving.

These remarks I certainly should not have made last year, and I could have looked at all the bosoms and shoulders in the world without worrying as to whether they were well or ill shaped; but since I have laid aside the garments of my sex and have lived among young men, a sentiment has developed in me that was entirely unfamiliar to me before:--the sentiment of beauty. Women are usually devoid of that sentiment, I don't quite see why, for they would seem at first glance better fitted to judge beauty than men;--but as they are the ones who possess beauty, and as knowledge of one's self is the most difficult knowledge to acquire, it is not surprising that they know nothing about it.--Ordinarily, if one woman considers another woman pretty, you can be sure that the latter is hideously ugly, and that no man would look twice at her.--On the other hand, all the women whose beauty and grace are vaunted by men, are unanimously voted unsightly and affected by the whole petticoated swarm; there is no end to the outcries and clamor. If I were what I seem to be, I would take no other guide in making my selection, and the disapprobation of the women would be a sufficient certificate of beauty.

Now I know beauty and love it; the clothes I wear separate me from my sex and take away anything like rivalry; I am in a better position to judge than anybody else.--I am no longer a woman, but I am not yet a man, and passion will not blind me so far as to take manikins for idols; I look on coolly, without prejudice for or against, and my position is as completely disinterested as possible.

The length and fineness of the eyelashes, the transparency of the temples, the limpidity of the crystalline lens, the curves of the ear, the color and quality of the hair, the aristocratic shape of the feet and hands, the slenderness of the ankle and wrist, a thousand and one things which I used not to notice and which constitute real beauty and prove purity of breeding, guide me now in my judgments, and make it almost impossible for me to go astray.--I think that one could accept with eyes closed a woman of whom I had said: "Really, she is not bad."

By a natural consequence I am a much better judge of pictures than formerly, and, although I have only a very superficial knowledge of the masters, it would be difficult to pass off a poor work on me for a good one; I find that this study possesses a strange and profound fascination; for, like everything in the world, beauty, moral or physical, requires to be studied and cannot be understood at once.

But let us return to Rosette; the transition from this subject to her is not a difficult one; they are two ideas that attract each other.

As I said, the fair widow had thrown herself back against my arm and her head rested against my shoulder; emotion tinged her cheeks with a delicate pink flush, admirably heightened by a coquettish little black patch; her teeth glistened through her smile like rain-drops in the heart of a poppy, and her lashes, half-lowered, enhanced the moist brilliancy of her great eyes;--a sunbeam caused a thousand metallic gleams to play upon her silken, glossy hair, a few locks of which had escaped from the comb and fell in natural curls along her plump, round neck, showing off the warm whiteness of the skin; some tiny stray hairs, more rebellious than the others, held aloof from the mass and flew hither and thither in capricious spirals, gleaming like gold, and taking on all the shades of the prism as the light passed through them:--you would have said they were some of the golden threads that surround the heads of virgins in the old pictures.--Neither of us spoke and I amused myself by following the little sky-blue veins under the transparent pearly skin of her temples, and the gradual, insensible disappearance of the down at the extremity of her eyebrows.

She seemed to be absorbed in thought and to be cradled in dreams of infinite pleasure; her arms hung beside her body, as soft and flexible as loosened scarfs; her head fell back farther and farther, as if the muscles that held it had been cut or were too weak to hold it longer. She had drawn her little feet under her skirt, and had succeeded in forcing herself well into my corner of the chair, so that, although it was a very narrow affair, there was a considerable vacant space on the other side.

Her supple, yielding body shaped itself to mine like wax and took its whole exterior outline as exactly as possible:--water would not have found its way more scrupulously into every irregularity in the line.--Thus glued to my side, she produced the effect of the double stroke that painters give to the shadow side of their picture in laying on their color.--Only an amorous woman can manage such undulations and entwining.--The ivies and willows are nowhere.

The gentle warmth of her body penetrated through her clothes and mine; a thousand magnetic currents played about her; her whole life seemed to have passed into me and to have abandoned her completely. From moment to moment she languished and sank and yielded more and more: a slight perspiration stood on her lustrous brow: her eyes were swimming in moisture and two or three times she made a movement as if to put up her hands to hide them; but her wearied arms stopped half-way and fell back upon her knees, and she could not do it;--a great tear overflowed and rolled down her burning cheek where it was soon dried.

My situation was becoming very embarrassing and decidedly ridiculous;--I felt that I must seem tremendously stupid and that feeling annoyed me to the last degree, although it was not in my power to change my behavior.--Enterprising conduct on my part was out of the question, and it was the only sort that would have been suited to the occasion. I was too sure of meeting with no resistance, to take the risk, and in truth I did not know which way to turn. To pay compliments and make gallant speeches would have been very well in the beginning, but nothing would have seemed more insipid at the point at which we had arrived;--to rise and go out would have been unspeakably rude; and, indeed, I am not sure that Rosette wouldn't have played the part of Potiphar and held me by the corner of my cloak.--I should have had no virtuous reason to give her for my resistance; and then, I confess it to my shame, this scene, equivocal as it was in respect to myself, did not lack a certain fascination to which I yielded more than I should have done; that ardent passion warmed me with its flame and I was really grieved at my inability to satisfy it; I even longed to be a man, as I seemed to be, in order to crown Rosette's love, and I deeply regretted her mistake. My respiration quickened, I felt a flush rising to my cheeks, and I was hardly less agitated than my poor lovelorn companion.--The idea of the identity of sex gradually faded away, leaving behind only a vague idea of pleasure; a mist came before my eyes, my lips trembled, and if Rosette had been a young man instead of what she was, she would have gained an easy victory over me beyond question.

At last, unable to endure it, she sprang suddenly to her feet with a sort of spasmodic movement and began to walk hurriedly up and down the room; then she stopped before the mirror and adjusted a few locks of hair that were out of place. During that walk of hers I cut but a sorry figure and I hardly knew what face to put upon the matter.

She paused in front of me and seemed to reflect.

She believed that inordinate bashfulness alone held me back, that I was more of a school-boy than she had at first supposed.--Being quite beside herself and stirred to the highest pitch of amorous excitement, she determined to make a supreme effort and to stake all to win all, at the risk of losing the game.

She came to me, seated herself on my knees with lightning-like rapidity, threw her arms around my neck, clasped her hands behind my head, and her mouth clung to mine in a fierce embrace; I felt her breast, half-uncovered, throbbing against mine, and her interlaced fingers moving convulsively in my hair. A shudder ran all over my body and the nipples of my bosom stood erect.

Rosette's mouth did not leave mine; her lips enveloped my lips, her teeth touched my teeth, our breaths mingled.--I recoiled for an instant, and I turned my head away two or three times to avoid the kiss; but an invincible attraction drew me forward again, and I returned it almost as ardently as she had given it to me. I have no very clear idea what would have been the end of it all, had it not been for a tremendous barking out of doors followed by a sound as of feet scratching. The door yielded and a beautiful white greyhound came yelping and bounding into the cabin.

[Illustration: Chapter XII--_She came to me, seated herself on my knees with lightning-like rapidity, threw her arms around my neck, clasped her hands behind my head, and her mouth clung to mine in a fierce embrace; I felt her breast, half-uncovered, throbbing against mine, and her interlaced fingers moving convulsively in my hair._]

Rosette rose abruptly and rushed to the further end of the room: the beautiful white hound leaped joyously around her and tried to reach her hands to lick them; she was so confused that she could hardly arrange her mantle over her shoulders.

The greyhound was her brother Alcibiades's favorite dog; he never left him, and when you saw him you could be sure that his master was not far away;--that was what caused poor Rosette's alarm.

Alcibiades did, in fact, appear a moment later, all booted and spurred, with his whip in his hand:--"Ah! here you are," he said; "I have been looking for you for an hour and I certainly shouldn't have found you if my good old Snug hadn't driven you to earth in your hiding-place."

And he glanced at his sister with a half-serious, half-playful expression that made her blush to the whites of her eyes.

"You apparently had some very knotty subjects to discuss to induce you to seek this profound solitude?--you were talking about theology, I suppose, and the twofold nature of the soul?"

"Oh! _Mon Dieu_, no; our minds were engrossed by subjects much less sublime; we were eating cake and talking fashions--that's all."

"I don't believe a word of it; you looked to me as if you were buried deep in some sentimental discussion;--but, to divert your minds from your vaporish conversation, I think it would be a good idea for you to take a turn on horseback with me.--I have a new mare I want to try.--You shall ride her too, Théodore, and we'll see what we can make of her."

We went out together, I on his arm and Rosette on mine; the expressions on our faces were curiously different.--Alcibiades was pensive, I was altogether content, and Rosette excessively annoyed.

Alcibiades had arrived most opportunely for me, most inopportunely for Rosette, who thus lost, or thought that she lost, all the fruit of her shrewd attacks and her ingenious tactics.--She had it all to do over again;--a quarter of an hour later, deuce take me if I know what might have been the conclusion of that incident--I can imagine no possible outcome.--Perhaps it would have been better that Alcibiades should not intervene just at the decisive moment like a _deux ex machina_;--then the thing would have had to come to a climax in one way or another.--Two or three times during that scene I was on the point of telling Rosette who I was; but the fear of being taken for an adventuress and of having my secret revealed retained upon my lips the words that were already to take flight.

Such a condition of things could not last.--My departure was the only method of cutting short that issue-less intrigue; and so, at dinner, I formally announced that I must take my leave the very next day.--Rosette, who was sitting beside me, almost fainted at the news, and dropped her glass. A sudden pallor overspread her lovely face; she bestowed upon me a grieved, reproachful glance which made my emotion and trouble almost as great as her own.

The aunt raised her old wrinkled hands with a gesture of painful surprise, and in her shrill, trembling voice, which wavered even more than usual, she said: "Oh! my dear Monsieur Théodore, are you going to leave us like this? That's not right; yesterday you did not show the slightest disposition to go.--The postman has not arrived, so you have received no letters and you have no reason to go. You gave us another fortnight and now you take it back; really you have no right to do it: a thing given cannot be taken back.--You see how Rosette looks at you, and how displeased she is; I warn you that I shall be as displeased as she, and that I will glare at you as fiercely, and the glare of sixty-eight years is a little more terrible than the glare of twenty-three. See to what you voluntarily expose yourself; to the wrath of the aunt and the niece, and all this on account of some whim that has suddenly taken possession of you between the fruit and the cheese."

Alcibiades, bringing his fist down on the table, swore that he would barricade the doors of the chateau and hamstring my horse rather than let me go.

Rosette gave me another glance, so sad and so supplicating, that one must have been as ferocious as a tiger who has eaten nothing for eight days not to have been touched by it.--I did not resist, and although I was exceedingly loth to do it, I made a solemn promise to remain.--Dear Rosette would gladly have leaped on my neck and kissed my mouth for my complaisance; Alcibiades took my hand in his great hand and shook my arm so violently that he almost tore it out at the shoulder, changed the shape of my rings from round to oval and drove them deep into three of my fingers.

The old lady in her joy took an immense pinch of snuff.

Rosette, however, did not completely recover her cheerfulness;--the idea that I might go and that I was inclined to do so, an idea that had not before presented itself clearly to her mind, threw her into a profound reverie. The color that my announcement of my departure had driven from her cheeks did not return with the same brilliancy as before;--there was still some trace of pallor on her cheeks, and of anxiety deep in her heart.--My conduct toward her surprised her more and more.--After the marked advances she had made, she could not understand my motives for showing so much restraint in my relations with her: what she wanted was to bring me to a decisive engagement before my departure, having no doubt that after that it would be extremely easy to keep me as long as she chose.

Therein she was right, and, if I had not been a woman, her reckoning would have been accurate; for, however satiated one may be with pleasure and filled with the disgust that ordinarily follows possession, every man who has a heart situated at all as it should be and who is not wretchedly _blasé_ and beyond redemption, feels his love increase with his good-fortune, and very often the best way to retain a lover who is ready to take flight is to give one's self up to him with entire _abandon._

Rosette designed to bring me to something decisive before my departure. Knowing how difficult it is to take up a liaison later at the point at which you left it, and, furthermore, being in no wise sure of ever being thrown with me again under such favorable auspices, she would neglect none of the opportunities that might present themselves to place me in a position where I must declare myself in precise terms and abandon the evasive manœuvres behind which I was in the habit of entrenching myself. As I, for my part, had a very decided purpose to avoid any such meeting as that in the rustic pavilion, and as I could not, without making myself ridiculous, treat Rosette too coldly and import a childish prudery into our relations, I did not know just how to behave, and I tried to arrange it so that there would always be a third person with us.--Rosette, on the contrary, did her utmost to be left alone with me, and she succeeded very often, the chateau being at some distance from the town and little frequented by the neighboring nobility.--This sullen resistance saddened and surprised her;--at times she was assailed by doubts and hesitation as to the power of her charms, and, seeing that she made so little impression upon me, she was sometimes not far from believing that she was ugly.--Thereupon she redoubled her attentions and her coquetry, and although her mourning did not permit her to resort to all the devices of the toilet, she knew how to embellish it and vary it in such a way as to be every day two or three times more charming than the day before--which is no small thing to say.--She tried everything: she was playful, melancholy, tender, passionate, gracious, coquettish, even affected; one after another she put on all the fascinating masks that sit so well upon women that we cannot say whether they are real masks or their real faces;--she assumed successively eight or ten different, strongly-contrasted individualities, to see which pleased me best and settle upon that. She constituted a whole seraglio in herself alone, and I had only to throw down the handkerchief; but, of course, nothing succeeded.

The failure of all these stratagems caused her to fall into a state of profound stupefaction.--Indeed, she would have made old Nestor's brain whirl and melted the ice in chaste Hippolytus himself,--and I resembled no one less than Hippolytus or Nestor: I am young and I had a haughty, resolute mien, was bold in speech and, everywhere except in a tête-à-tête, very self-possessed.

She might well have thought that all the witches of Thrace and Thessaly had cast their charms upon my body, or that, at all events, I had some physical impediment, and so have formed a very contemptuous opinion of my virility, which does not amount to much in truth. However, it seems that that idea did not occur to her and that she attributed my strange reserve solely to my lack of love for her.

The days passed and her affairs made no progress.--She was visibly affected by that fact: an expression of anxious melancholy replaced the bright smile that always played about her lips; the corners of her mouth, once so joyously arched, drooped sensibly and formed a straight, serious line; the small veins in her eyelids stood out more clearly; her cheeks, formerly so like the peach, had retained nothing of that appearance except the imperceptible velvety down. Often I saw her from my window in the morning walking in the flower-garden in her _peignoir_; she hardly lifted her feet, as if she were gliding rather than walking, her arms folded across her breast, her head bent forward, doubled over like a willow branch dragging in the water, and with a swaying, uncertain motion like a drapery that is too long and touches the floor.--At such moments she resembled one of the amorous maidens of old, victims of the anger of Venus, upon whom the pitiless goddess empties all the vials of her wrath:--thus I imagine Psyche must have appeared when she lost Cupid.

On the days when she did not exert herself to overcome my coldness and my hesitation her love appeared in a simple, primitive guise that would have fascinated me; there was a silent, confiding unconstraint, a chaste prodigality of caresses, an inexhaustible abundance and plenitude of affection, all the treasures of a lovely nature displayed without reserve. She had none of the petty meannesses that we see in almost all women, even the most generously endowed; she sought no disguise, but calmly allowed me to see the full extent of her passion. Her self-esteem did not rebel for an instant at my failure to respond to such persistent advances, for pride leaves the heart on the day that love enters; and if ever any one was truly loved, I have been and by Rosette.--She suffered, but without complaint and without bitterness, and she attributed the ill-success of her endeavors to herself alone.--Meanwhile her pallor was increasing every day, and the lilies and roses had fought a pitched battle on the battlefield of her cheeks, resulting in the definitive rout of the latter; that grieved me deeply, but in all conscience I could do less to remedy it than any one.--The more gently and affectionately I spoke to her, the more caressing my manner was to her, the deeper in her heart I buried the barbed arrow of impossible love.--To console her to-day, I exposed her to much greater sorrow in the future; my remedies poisoned her wound while seeming to allay the pain.--I was sorry in a certain sense for all the pleasant things I had succeeded in saying to her, and I would have been glad, on account of my very warm friendship for her, to find a way to make her hate me. Unselfishness can go no farther than that, for I most certainly should have been sorry;--but it would have been better so.

I tried two or three times to say something harsh to her, but I very soon returned to incense, for I dread her smile less than her tears.--On such occasions, although the purity of my purpose absolves me fully in my conscience, I am more touched than I ought to be, and I feel something which is not far from being remorse.--A tear can hardly be dried except by a kiss, and one cannot decently leave that duty to a handkerchief, though it be of the finest lawn imaginable;--I simply undo what I have done, the tear is very soon forgotten, much sooner than the kiss, and the result so far as I am concerned is always increased embarrassment.

Rosette, who sees that I am going to escape her, clings obstinately and wretchedly to the remains of her hope, and my position becomes more and more complicated.--The strange sensation that I felt in the little hermitage, and the inconceivable excitement into which I was thrown by the ardor of my beautiful lover, have been repeated several times, although in a less violent form; and often, as I sit beside Rosette, with her hand in mine, listening to her as she talks to me in her soft, cooing voice, I imagine that I am a man as she believes, and that my failure to respond to her love is pure cruelty on my part.

One evening by some chance I found myself alone with the old lady in the green room;--she had in her hand a piece of embroidery, for, notwithstanding her sixty-eight years, she was never idle, being desirous, as she said, to finish before her death a piece of furniture on which she had been at work for a very long time. Feeling a little tired she put aside her work and leaned back in her great easy-chair; she looked at me very attentively and her gray eyes gleamed through her spectacles with strange vivacity; two or three times she passed her thin hand across her wrinkled forehead and seemed to be in deep thought.--The memory of a time that was no more and which she regretted gave to her face an expression of melancholy emotion.--I said nothing for fear of disturbing her thoughts, and the silence lasted some minutes; at last she broke it.

"They are Henri's eyes,--my dear Henri's,--the same bright, melting glance, the same way of carrying the head, the same sweet, proud face;--one would say it was he.--You cannot imagine how striking the resemblance is, Monsieur Théodore;--when I see you, I can no longer believe that Henri is dead; I think that he has been on a long journey from which he has at last returned.--You have given me much pleasure and much pain, Théodore!--pleasure by reminding me of my poor Henri, pain by showing me how great a loss I have suffered; sometimes I have taken you for his phantom.--I cannot get used to the idea that you are going to leave us; it seems to me that I am losing my Henri once more."

I told her that if it were possible for me to remain longer I would do it with pleasure, but that my stay had already been prolonged far beyond what it should have been; that I looked forward to returning, however, and that my memories of the chateau would be too pleasant to allow me to forget it so quickly.

"Sorry as I am to have you leave us, Monsieur Théodore," she continued, pursuing her thought, "there is some one here who will be more so than I.--You understand whom I refer to, without my telling you. I don't know what we shall do with Rosette when you have gone; but the old chateau is a very dull place. Alcibiades is always hunting, and for a young woman like her the society of a poor helpless old creature like myself is not very entertaining."

"If any one should feel regret, madame, it is neither you nor Rosette, but myself; you lose little, I lose much; you will readily find society more agreeable than mine, but it is more than doubtful if I can ever find any to replace yours and Rosette's."

"I have no wish to quarrel with your modesty, my dear monsieur, but I know what I am saying, and I say what is true: it is probable that we shall not see Madame Rosette in good humor for a long while, for you are the one who makes rain or fair weather on her cheeks now. Her period of mourning is drawing to an end and it would be truly a deplorable thing that she should lay aside her cheerfulness with her last black dress; that would be a very bad example and altogether opposed to ordinary laws. It is something that you can prevent without much trouble, and that you will prevent, I have no doubt," said the old lady, dwelling on the last words.

"Most assuredly I will do my utmost to have your dear niece preserve her cheerfulness, as you credit me with so much influence over her. But I can hardly see how I am to set about it."

"Oh! really, you can hardly see! What are your bright eyes good for?--I didn't know that you were so near-sighted. Rosette is free; she has eighty thousand francs a year absolutely at her own disposal, and some women twice as ugly as she are considered very pretty. You are young, well-favored, and, so far as I know, unmarried; it seems to me the simplest thing in the world, unless you have an insurmountable horror for Rosette, which is difficult to believe."--

"And which is not and cannot be the fact; for her mind is as attractive as her body, and she is one of those who might be ugly without any one noticing it or wishing her otherwise."--

"She might be ugly with impunity and she is charming.--That is what I call being right twice over; I do not doubt what you say, but she has taken the wisest course.--So far as she is concerned, I can readily assure you that there are a thousand people whom she hates worse than you, and that, if she were to be asked the question several times, she would finally confess perhaps that you are not exactly indifferent to her. You have on your finger a ring that would fit her perfectly, for your hand is almost as small as hers, and I am almost sure that she would accept it with pleasure."

The good lady paused for a few seconds to see what effect her words produced on me, and I cannot say whether she was likely to be satisfied with the expression of my face.--I was cruelly embarrassed, and I didn't know what to reply. From the beginning of the interview I had seen whither all her hints were tending; and although I almost expected what she had just said, I was surprised and dumfounded; I had no choice but to refuse; but what plausible reasons could I give for such a refusal? I had none except that I was a woman; that was an excellent reason, I agree, but it was precisely the one that I did not choose to give.

I could hardly throw the blame upon intractable, ridiculous relations; all the relations in the world would have welcomed such a match with delirious joy. Even if Rosette had not been what she was, sweet and lovely, and of gentle birth, the eighty thousand francs a year would have removed every obstacle.--To say that I did not love her would have been neither true nor honorable, for I really loved her dearly, more dearly than one woman loves another.

I was too young to pretend to be engaged to somebody else: the best expedient I could invent was to give her to understand that, as I was a younger son, family interests required that I should enter the Order of Malta, and thus made it impossible for me to think of marriage: which fact caused me the greatest sorrow imaginable since I had seen Rosette.

That answer was not worth the breath required to put it into words and I was perfectly conscious of it. The old lady was not deceived by it and did not look upon it as definitive; she thought that I had spoken thus in order to have time to reflect and consult my relations.--In truth, such a marriage was so advantageous and so far beyond my hopes that it was not possible that I should refuse it, even if I had loved Rosette only a little or none at all; it was an opportunity not to be neglected.

I am unable to say whether the aunt opened the subject to me at her niece's instigation, but I am inclined to think that Rosette was not a party to it; she loved me too simple-mindedly and ardently to think of anything else than immediate possession of me, and marriage would certainly have been the last method she would have employed.--The dowager, who had not failed to notice our intimacy, which she probably believed to be much greater than it was, had arranged this plan in her head, in order to keep me with her, and to replace, as far as possible, her dear son Henri, killed in the army, to whom she discovered such a striking resemblance in me. She had taken great pleasure in the idea and had taken advantage of that brief tête-à-tête to come to an understanding with me. I saw by her manner that she did not consider herself defeated, and that she proposed to return soon to the charge, which vexed me to the last degree.

Rosette, for her part, in the evening of that same day, took a step which had such serious results, that I must tell you the story by itself and not in this letter, which has already exceeded all bounds.--You will see to what extraordinary adventures I am predestined, and that Heaven plainly cut me out for a hero of romance; upon my word, I don't know just what moral can be drawn from all this,--but lives are not like fables, each chapter hasn't a rhymed sentence for a tailpiece.--Very often the meaning of life is that it is not death. Nothing more. Adieu, my dear, I kiss your lovely eyes. You will soon receive the sequel of my triumphant biography.



XIII


Théodore--Rosalind--for I know not by what name to call you--I saw you a moment ago and now I am writing to you.--How I wish I might know your woman's name! it must be as sweet as honey and float about the lips softer and more melodious than poetry! I should never have dared to tell you that, and yet I should die not to tell you.--No one knows what I have suffered, no one can know, I myself could give only a faint idea of it; words do not express such agony; I should seem to have twisted my phrases at will, to have made mighty efforts to say strange and novel things and to indulge in the most extravagant exaggeration even if I should describe my feelings in far from adequate terms.

O Rosalind, I love you, I adore you, would that there were a word stronger than that! I have never loved, I have never adored any woman but you;--I prostrate myself, I annihilate myself before you, and I would like to compel all creation to bend the knee before my idol; to me you are more than all nature, more than myself, more than God;--indeed, it seems strange to me that God does not come down from heaven to be your slave. Where you are not, everything is a desert, everything is dead, everything is black; you alone people the world for me; you are my life, my sun;--you are everything.--Your smile makes the day, your sadness makes the night; the spheres follow the movements of your body and the celestial harmonies govern themselves by you, O my beloved queen! O my beautiful real dream! You are arrayed in splendor and you swim always in a flood of radiant beams.

It is hardly three months that I have known you, but I have loved you a long, long time.--Before I ever saw you, I was languishing with love of you; I called you, I sought you, and I was in despair at not meeting you on my road, for I knew that I could never love another woman.--How many times you have appeared to me--at the window of the mysterious chateau, leaning in melancholy mood on the balcony and throwing to the wind the petals of some flower, or galloping through the dark paths of the forest, an impetuous Amazon, on your Turkish horse, whiter than the snow!--There were your proud yet gentle eyes, your transparent hands, your lovely, waving hair and your adorably disdainful half-smile.--But you were less beautiful, for the most ardent, unbridled imagination, the imagination of painter or poet, could not attain the sublime poesy of the original. There is within you an inexhaustible spring of charms, an ever-gushing fountain of irresistible seductions; you are a casket, always open, of the most precious pearls, and in your slightest movements, in your most careless gestures, in your most unstudied poses, you scatter to right and left inestimable treasures of beauty, with royal profusion. If the graceful undulations of a contour, the fleeting outlines of an attitude, could be fixed and preserved in a mirror, the mirrors before which you pass would cause the divinest canvases of Raphael to be despised and looked upon as tavern signs.

[Illustration: Chapter XIII--_How many times you have appeared to me--at the window of the mysterious château, leaning in melancholy mood on the balcony and throwing to the wind the petals of some flower. * * * There were your proud yet gentle eyes, your transparent hands, your lovely, waving hair and your adorably disdainful half smile._]

Every gesture, every motion of the head, every different aspect of your beauty, was engraved on the mirror of my mind with a diamond-point, and nothing in the world could efface its deep impression; I know where the shadow was and where the light, the flat surface illumined by the sunbeam, and the spot where the wandering reflection blended with the softer tints of the neck and cheek.--I could draw you absent; your image is always posing before me.

When I was a child, I stood for whole hours before the pictures of the old masters and gazed eagerly into their dark depths.--I scanned the lovely faces of saints and goddesses whose flesh, of the whiteness of ivory or wax, stood out so marvellously against the dark backgrounds, blackened by the decomposition of the colors; I admired the simplicity and magnificence of their carriage, the strange grace of their hands and feet, the nobility and beauty of their features, at once so delicate and so strong; the magnificence of the draperies which enveloped their divine forms, and whose purple folds seemed to thrust themselves forward like lips to kiss those lovely bodies.--By dint of persistently plunging my eyes beneath the veil of haze thickened by centuries, my sight would become confused, the outlines of objects would lose their precision, and a sort of motionless, inanimate life would seem to inspire all those pale phantoms of vanished beauties; I always ended by discovering that the faces bore a vague resemblance to the fair stranger whom I adored with all my heart; I sighed as I thought that she whom I was destined to love was perhaps one of them and had been dead three hundred years. That thought often affected me so deeply as to make me shed tears, and I would fly into a fierce passion against myself for not having been born in the sixteenth century, when all those beauties lived. I considered that it was unpardonable stupidity and folly on my part.

When I grew older, the pleasing phantom possessed me even more completely. I saw it always between me and the women I had for mistresses, smiling ironically and mocking at their human beauty with all the perfection of its divine beauty. It made women who were really charming seem ugly to me--women well adapted to make any man happy who was not in love with the adorable shadow, whose body I did not believe to be in existence, but which was only the premonition of your beauty. O Rosalind! how wretched I have been because of you before I knew you! O Théodore! what wretchedness I have endured because of you since I have known you!--If you wish, you can throw open to me the paradise of my dreams. You are standing on the threshold, like a guardian angel enveloped in her wings, and you hold the golden key in your fair hands.--Tell me, Rosalind, tell me, will you do it?

I await only a word from you to live or die;--will you say it?

Are you Apollo driven forth from heaven, or the fair Aphrodite coming from the bosom of the sea? Where did you leave your chariot of precious stones drawn by four fiery steeds? what have you done with your shell of mother-of-pearl, and your dolphins with the sky-blue tails?--what amorous nymph has blended her body with yours in the midst of a kiss, O thou comely youth, more charming than Cyparissus or Adonis, more adorable than all women in the world?

But you are a woman; we are no longer living in the days of the Metamorphoses;--Adonis and Hermaphroditus are dead,--and such a degree of beauty cannot now be attained by a man;--for, since heroes and gods are no more, women alone retain in their marble bodies, as in a Grecian temple, the priceless gift of shape anathematized by Christ, and prove that earth has no reason to envy heaven; you worthily represent the first divinity in the world, the purest symbol of the eternal essence--beauty.

As soon as I saw you, something was torn away within me, a veil fell, a door opened, I felt that I was flooded inwardly with waves of light; I realized that my life was before me, and that I had finally reached the decisive crossroads.--The obscure, lost portions of the half-radiant face I was seeking to distinguish in the shadow were suddenly illuminated; the dark tints in which the background of the picture was enveloped were flooded with a soft light; a delicate rosy flush stole over the ultramarine, slightly tinged with green, of the middle distances; the trees, which formed only confused silhouettes, began to stand out more clearly; the dew-laden flowers made bright spots on the dull green of the turf. I saw the scarlet-breasted bullfinch at the end of an elder branch; the little white rabbit, pink-eyed and with ears erect, putting out his head between two wisps of wild thyme and passing his paw over his nose, and the timid stag coming to drink at the spring and gaze at his branching antlers in the water.--On the morning when the sun of love rose upon my life, everything was changed; where shapes barely outlined and rendered terrible or unnatural by their uncertainty, once vacillated before my eyes, were now graceful groups of trees in blossom, hillsides forming charming amphitheatres, silver palaces, with their terraces covered with urns and statues, bathing their feet in the azure lakes and apparently swimming between two skies; the shape that I took in the obscurity for a gigantic dragon with wings armed with talons, crawling on the darkness with his scaly paws, was simply a felucca with silken sails and oars painted and gilded, filled with women and musicians; and the horrible crab which I fancied that I saw waving his claws and nippers over my head was only a fan-shaped palm whose long, narrow leaves moved gently in the night wind.--My chimeras and my errors have vanished:--I love.

Despairing of ever finding you, I accused my dream of falsehood, and reviled fate bitterly;--I said to myself that I was very foolish to seek such a type, or that nature was very unfruitful and the Creator very unskilful, not to be able to realize the simple thought of my heart.--Prometheus had the noble aspiration to make a man and enter into rivalry with God; I had created a woman, and I believed that, to punish me for my audacity, a longing always unsatisfied would gnaw at my liver like another vulture; I expected to be bound with diamond chains upon a hoary rock on the shore of the wild ocean,--but the lovely sea-nymphs with long green hair, lifting their snow-white, swelling breasts above the waves and showing the sun their mother-of-pearl bodies all dripping with the tears of the sea, would not have come and reclined upon the bank to converse with me and comfort me in my agony, as they do in old Æschylus's play.

It did not turn out so.

You came and I was fain to reproach my imagination with its impotence.--I have not suffered the torture that I dreaded, of being chained forever upon a sterile rock, the victim of an idea; but I have suffered none the less. I had seen that you did, in fact, exist; that my presentiments had not lied to me in that respect; but you appeared to me with the ambiguous, and terrifying beauty of the sphinx. Like Isis, the mysterious goddess, you were enveloped in a veil which I dared not raise for fear of falling dead.

If you knew with what panting, anxious scrutiny, under my apparent indifference, I watched you and followed your slightest movements! Nothing escaped me; how earnestly I gazed at the little flesh that appeared at your neck or your wrists, trying to determine your sex! Your hands were the subject of profound study on my part, and I can fairly say that I know every detail of their shape, every imperceptible vein, and the tiniest dimple; you might be enveloped from head to foot in the most impenetrable domino, and I would recognize you simply by looking at one of your fingers. I analyzed the undulations of your gait, the way in which you put your foot to the ground, your manner of pushing back your hair; I tried to surprise your secret in the management of your body.--I watched you particularly in your hours of relaxation when the bones seem to be removed from the body, and when the limbs relax and bend as if they were unstrung, to see if the feminine lines would declare themselves more boldly in that careless, forgetful attitude. No one was ever the object of such ardent scrutiny as you.

I forgot myself in contemplating you for hours at a time. Withdrawing to some corner of the salon, with a book that I did not read in my hand, or crouching behind the curtains in my bedroom, when you were in yours and the blinds at your window were raised,--at such times, deeply penetrated by the marvellous beauty that emanates from you and creates a luminous atmosphere about you, I said to myself: "Surely it is a woman;"--then suddenly an abrupt, decided gesture, a virile tone, or some cavalierish action would destroy in a moment my frail edifice of probabilities, and throw me back into my former irresolution.

I would be sailing before the wind over the boundless ocean of amorous reverie, and you would come to ask me to fence or to play tennis with you; the young woman, transformed into a young gallant, would deal me terrific truncheon-like blows and send the foil flying out of my hands as deftly and quickly as the most expert bravo in the trade; every minute in the day I had some such disappointment.

I would be on the point of approaching you, to say: "My dear lady, I adore you," and I would see you lean over and whisper tenderly to some fair dame, and blow madrigals and compliments through her hair in puffs.--Judge of my position.--Or else some woman, whom, in my mad jealousy, I would have flayed alive with the greatest pleasure on earth, would hang upon your arm, would lead you aside to confide her paltry secrets to you, and detain you for whole hours in a window recess.

It made me furious to see women speak to you, for that forced me to believe that you were a man, and, even if you had been, I could not have endured it without intense suffering.--When the men approached you and addressed you freely and familiarly, I was even more jealous, because I thought this--that you were a woman, and perhaps they suspected it as I did; I was tortured by the most contrary passions, and I did not know what to believe.

I became angry with myself, I reproached myself most bitterly for being so tormented by such a love, and for not having the strength to tear from my heart the noxious plant that had sprung up there in one night like a poisonous mushroom; I cursed you, I called you my evil genius; I believed for an instant that you were Beelzebub in person, for I could not explain the sensation to which I was a prey when in your presence.

When I was thoroughly convinced that you were in reality nothing else than a woman in disguise, the improbability of the motives with which I sought to justify such a whim plunged me into my uncertainty once more, and I began anew to deplore that the figure I had dreamed of for the love of my soul, should prove to belong to a person of the same sex as myself;--I blamed the chance that had arrayed a man in such a charming exterior, and, to my everlasting misery, had thrown him in my way when I had ceased to hope for the realization of the ideal of pure beauty which I cherished so long in my heart.

But now, Rosalind, I am profoundly certain that you are the loveliest of women; I have seen you in the costume of your sex, I have seen your pure, perfectly-rounded shoulders and arms. The upper part of your breast, which your neckerchief disclosed, can belong only to a young woman; neither Meleager, the beautiful huntsman, nor the effeminate Bacchus, with their uncertain figures, had such purity of outline or such fineness of skin, although they were both made of Parian marble and polished by the amorous kisses of twenty centuries.--I am no longer worried in that direction--But that is not all: you are a woman, and my love is no longer reprehensible; I can give myself up to it without remorse, and abandon myself to the current that draws me toward you; however ardent and unruly my passion, it is legitimate and I can avow it; but you, Rosalind, for whom I have burned in silence and who knew nothing of the immensity of my love, you in whom this tardy disclosure will perhaps arouse no sentiment but surprise--do you hate me, do you love me, can you love me? I do not know--and I tremble and am unhappier than before.

At times it seems to me that you do not hate me;--when we played _As You Like It_, you gave to certain passages in your part a special intonation that emphasized their meaning, and urged me, in some sense, to declare myself.--I fancied that I could see in your eyes and your smile gracious promises of indulgent treatment, and could feel your hand respond to the pressure of mine.--If I am mistaken--O God! that is a contingency on which I dare not reflect.--Encouraged by all that, and impelled by my love, I have written to you, for the garb you wear is not propitious to such avowals in words, and a thousand times my voice has died upon my lips; although I believe, yes, was firmly convinced that I was speaking to a woman, that masculine costume frightened away all my tender, amorous thoughts, and prevented them from winging their way to you.

I implore you, Rosalind, if you do not love me yet, try to love me, who have loved you in spite of everything, beneath the veil in which you enveloped yourself, through pity for us, I doubt not; do not condemn me for the rest of my life to the most frightful despair and hopeless discouragement; consider that I have adored you since the first ray of thought shone in upon my brain, that you were revealed to me before I saw you, and that, when I was a little fellow, you appeared to me in a dream with a crown of dew-drops, two rain-bow-like wings, and the tiny blue flower in your hand; that you are the end, the means and the meaning of my life; that, without you, I am nothing but a vain shadow, and that, if you breathe upon the flame you have kindled, naught will remain of me but a pinch of dust, finer and more impalpable than that which is sprinkled upon the wings of Death itself.--Rosalind, do you, who have so many receipts for the cure of love, cure me, for I am very sick; play your part to the end, lay aside the garb of the fair page Ganymede, and extend your white hand to the youngest son of the gallant knight, Sir Rowland des Bois.



XIV


I was at my window busily watching the stars that bloomed joyously in the garden of the sky, and inhaling the sweet perfume of the mirabilis wafted to my nostrils by a dying breeze.--The wind blowing through the open window had extinguished my lamp, the last that remained lighted in the chateau. My thoughts degenerated into vague musing, and a sort of drowsiness began to steal over me; I remained, however, with my elbows resting on the stone balustrade, either because I was fascinated by the charm of the night, or through indifference and forgetfulness.--Rosette, seeing that my lamp was out, and being unable to distinguish my form because of a great wedge of shadow that fell exactly upon the window, had concluded, I presume, that I had gone to bed, and that was what she was waiting for, to risk one last, desperate attempt.--She opened the door so softly that I did not hear her come in, and she was within two steps of me before I discovered her. She was tremendously surprised to find me still up; but she soon recovered from her astonishment, came to me and grasped my arm, calling me twice by my name:--"Théodore, Théodore!"

"What! you, Rosette, here, at this hour, all alone, without a light, in such complete _déshabillé!_"

I must tell you that she had nothing on but a _peignoir_ of the finest linen, and the glorious lace-trimmed chemise which I did not choose to see on the day of the famous scene in the little kiosk in the park. Her arms, as cold and smooth as marble, were entirely bare, and the garment that covered her body was so clinging and transparent that you could see her nipples through it, as in the statues of bathers covered with damp drapery.

"Do you mean that for a reproach, Théodore? or is it simply an exclamation? Yes, I, Rosette, _la belle dame_, here in your bedroom, not in my own where I should be, at eleven o'clock at night, perhaps midnight, without duenna or chaperone or maid, almost naked, in a simple night _peignoir_;--that is very surprising, is it not?--I am as surprised as you, and I hardly know what explanation to give you."

As she spoke, she put one arm around my body and sank down on the foot of my bed in such a way as to drag me with her.

"Rosette," I said to her, struggling to release myself, "I will try to light the lamp; nothing is so depressing as a dark room; and then, it is downright murder not to be able to see when you are here, and so be deprived of the sight of your charms.--Allow me, with the help of a bit of tinder and a match, to make a little portable sun which will put in relief all that the jealous darkness blots out beneath its shadow."

"It isn't worthwhile; I prefer that you should not see my blushes; I feel that my cheeks are burning hot, for it is quite enough to make me die of shame."

She put her face against my breast and remained some moments so, as if suffocated by her emotion.

Meanwhile, I was mechanically running my fingers through the long floating curls of her hair; I was cudgelling my brain in search of some honorable means of extricating myself from the scrape, but I could find none, for I was driven into my last entrenchments, and Rosette seemed firmly resolved not to leave the room as she had entered it.--There was a formidable negligence about her dress which promised nothing good. I had on an open _robe-de-chambre_ myself, which would have defended my _incognito_ but feebly, so that I was disturbed beyond measure concerning the result of the battle.

"Listen to me, Théodore," said Rosette, standing up and throwing the hair back from both sides of her face, as well as I could judge by the feeble light which the stars and a very slender crescent moon, just appearing above the horizon, cast into the room, the window being still open;--"this is a strange step I have taken; everybody would blame me for it.--But you are going away soon, and I love you! I cannot let you go thus without having an explanation with you.--Perhaps you will never come back; perhaps this is the first and last time that I am to see you.--Who knows where you will go? But wherever you go you will carry my heart and my life with you.--If you had remained, I should not have resorted to this extreme measure. The happiness I felt on seeing you, of listening to your voice, of living beside you, would have been enough for me; I would have asked for nothing more. I would have confined my love in my heart; you would have thought that you had simply a kind and affectionate friend in me; but that cannot be. You say that you absolutely must go.--It bores you, Théodore, to see me clinging to your footsteps like an amorous shadow which can only follow you, but would like to be blended with your body; it must annoy you always to find behind you imploring eyes and hands stretched out to grasp the hem of your cloak.--I know it, but I cannot refrain from doing it.--You cannot complain, however; it is your fault.--I was calm, peaceful, almost happy before I knew you.--You appeared, handsome, young, and smiling, like Phœbus, the charming god.--You paid me most marked, most gallant attention; never was cavalier more courteous and clever. Rubies and roses fell from your lips every moment; everything became for you an opportunity to turn a compliment, and you knew how to transform the most insignificant words into charming flattery.--A woman who had hated you mortally at first, would have ended by loving you, and for my part, I loved you the moment I saw you. Why, having made yourself so agreeable, do you seem surprised to be so loved? Isn't it a perfectly natural consequence? I am neither mad nor empty-headed, nor a romantic child who falls in love with the first sword she sees. I have seen society, and I know what life is. Any woman, even the most virtuous or the most prudish, would have done as much as I am doing.--What was your idea or your purpose? to please me, I imagine, for I cannot attribute any other to you. How does it happen, then, that you seem in some measure sorry because you have succeeded so well? Have I unintentionally done anything to displease you?--I ask your pardon.--Do you no longer think me beautiful, or have you discovered in me some defect that repels you?--You have the right to be exacting in the matter of beauty, but either you have lied outrageously, or I am beautiful!--I am young like yourself and I love you; why do you disdain me now? You used to be so attentive to me, you held my arm with such unfailing solicitude, you pressed so tenderly the hand I abandoned to you, your eyes were so languorous when you raised them to mine: if you did not love me, why all that manœuvring? Can it be that you are cruel enough to kindle love in a heart in order to laugh at it afterward? Ah! that would be a ghastly joke, impious and sacrilegious! only a wicked soul could be amused by it, and I cannot believe it of you, however inexplicable your conduct toward me. What is the cause, then, of this sudden change? As for me, I can imagine none.--What mystery is hidden by such coldness?--I cannot believe that you feel repugnance for me; what you have done proves that you do not, for a man does not pay court so earnestly to a woman for whom he has a feeling of disgust, though he were the greatest scoundrel on earth. O Théodore, what have you against me? what has changed you so? what have I done to you?--If the love you seemed to have for me has vanished, mine, alas! has remained, and I cannot tear it from my heart.--Have pity on me, Théodore, for I am very unhappy.--At least pretend to love me a little, and say a few kind words to me; they will not cost you much, unless you have an insurmountable horror of me."

At that pathetic point in her discourse, sobs completely choked her voice; she clasped her hands on my shoulder and rested her forehead upon them in an attitude of utter despair. All that she said was absolutely true, and I had nothing to say in reply.--I could not treat the matter as a jest. That would not have been decent.--Rosette was not one of the creatures one can treat so lightly; besides, I was too deeply touched to be able to do it. I felt guilty for having thus made a plaything of a charming woman's heart, and I was seized with the deepest and most sincere remorse.

Seeing that I made no reply, the dear child drew a long breath and made a movement as if to rise, but she fell back, crushed by her emotion; then she threw her arms about me--I could feel their cool touch through my doublet--laid her face against mine and began to weep silently.

It produced a strange effect upon me to feel that exhaustless current of tears that did not flow from my own eyes, rolling down my cheeks.--Mine were soon mingling with them, and there was a veritable rain of bitter tears, violent enough to cause another deluge, if it had lasted forty days.

At that instant the moon shone fairly on the window; a pale beam shot into the room and cast a bluish gleam upon our silent group.

With her white _peignoir_, her bare arms, her uncovered throat and breast, of almost the same color as the linen, her dishevelled hair and her sorrowful expression, Rosette had the aspect of an alabaster figure of Melancholy sitting on a tomb. As for myself, I have no very clear idea what I may have looked like, as I could not see myself and there was no mirror to reflect my image, but I fancy that I might very well have posed for a statue of Uncertainty personified.

I was moved, and I bestowed upon Rosette a caress or two rather more affectionate than usual; from her hair my hand descended to her velvety neck and thence to her round, smooth shoulder which I patted softly as I followed its shivering contour. The child quivered under my touch like a harpsichord under a musician's fingers; her flesh shuddered and leaped, and amorous thrills ran all over her body.

I myself was conscious of a sort of vague, confused desire, the object of which I could not make out, and I took a keen delight in running my hand over those pure, delicate lines.--I left her shoulder, and, taking advantage of an opening in the folds of her _peignoir_, I suddenly closed my hand upon her little, frightened breast, which palpitated madly like a turtle-dove surprised in its nest;--from the extreme edge of her cheek, upon which I breathed a hardly perceptible kiss, I arrived at her half-open mouth: we remained in that position for some time.--Upon my word, I have no idea whether it was two minutes or a quarter of an hour or an hour; for I had lost all idea of time, and I did not know whether I was in heaven or on earth, here or elsewhere, dead or alive. The heady wine of lust had so intoxicated me at the first mouthful I swallowed, that all the reason I possessed had fled.--Rosette wound her arms more and more tightly about me and enveloped me with her body; she leaned convulsively toward me and pressed me against her bare, palpitating breast; at every kiss all her life seemed to rush to the spot kissed and to abandon the rest of her person.--Strange ideas passed through my head; if I had not feared to betray my _incognito_, I would have given full scope to Rosette's passionate impulses, and perhaps I should have made some vain, mad attempt to impart a semblance of reality to the shadow of pleasure which my beautiful lover embraced so ardently; I had not yet had a lover; and those fierce attacks, those reiterated caresses, the touch of that lovely body, those sweet names drowned in kisses, excited me to the last degree--although they proceeded from a woman;--and then that nocturnal visit, that romantic passion, the moonlight, all had for me the refreshing charm of novelty, and made me forget that, after all, I was not a man.

However, making a great effort to control myself, I told Rosette that she was compromising herself terribly by coming to my room at such an hour and remaining there so long, that her women might notice her absence and see that she had not passed the night in her own room.

I said this in such a mild tone that Rosette's only reply was to let her _peignoir_ and slippers fall to the floor and glide into my bed like a snake into a bowl of milk; for she fancied that my clothes alone prevented me from coming to more definite demonstrations, and that they were the only obstacle that held me back.

She believed, poor child, that the happy hour, so laboriously led up to, was about to strike for her; but the clock struck two instead.--I was in a most critical position, when suddenly the door turned on its hinges and gave passage to the Chevalier Alcibiades in person; he held a candlestick in one hand and his sword in the other.

He went straight to the bed and threw back the clothes, and, putting the light under poor, speechless Rosette's nose, said to her in a bantering tone:--"Good-morning, sister." Little Rosette had not the strength to say a word in reply.

"So it seems, my very dear and most virtuous sister, that, having considered in your wisdom that Seigneur Théodore's bed was more downy than your own, you came here to sleep in it? or perhaps there are ghosts in your room and you thought that you would be safer here, under the protection of the aforesaid seigneur?--It is very well thought of.--Aha! Monsieur le Chevalier de Sérannes, you have made soft eyes at Madame our sister, and you think that will be the end of it.--In my opinion, it would not be unhealthy for us to slash at each other a little, and if you would oblige me to that extent I should be infinitely grateful to you.--Théodore, you have abused my friendship for you, and you make me repent the good opinion I formed at first of the loyalty of your character; this is bad, very bad."

I could not defend myself in any valid way; appearances were against me. Who would have believed me if I had said, as the fact was, that Rosette had come to my room against my will, and that, far from trying to attract her, I was doing all I possibly could to turn her away from me.--There was but one thing for me to say, and I said it:--"Seigneur Alcibiades, we will slash at each other all you wish."

During this colloquy, Rosette had not failed to faint according to the most approved rules of the pathetic;--I went to a goblet filled with water which contained a great white rose, half withered, and I threw a few drops on her face, which restored her to consciousness at once.

Not knowing just what to do, she vanished in the passage beside the bed and buried her pretty head in the bedclothes, like a bird preparing to sleep.--She had piled cushions and clothes about her so that it would have been very hard to discover what was under the heap; a musical sigh that issued therefrom, now and then, was the only thing that denoted that it was naught but a repentant young sinner, or rather one who was excessively annoyed to be a sinner in intention only, not in fact: which was the unfortunate Rosette's plight.

Monsieur the brother, having no further anxiety concerning his sister, resumed the dialogue, and said to me in the sweetest of tones:--"It is not absolutely indispensable for us to cut each other's throats on the spot; that is an extreme method to which there is always time to resort.--Listen:--The game is not equal between us. You are very young and much less strong than I; if we should fight, I should kill you or maim you at the very least--and I am not anxious either to kill or disfigure you--it would be a great pity; Rosette, who is down there under the clothes and hasn't a word to say, would bear me a grudge for it all her life; for she is as unforgiving and wicked as a tigress when she puts her mind to it, the dear little dove. You, who are her Prince Galaor and receive only sweet words from her, know nothing about that; but it isn't pleasant. Rosette is free, so are you; it seems that you are not irreconcilable enemies; her widowhood is at an end and the thing turns out as well as possible. Marry her; she will not need to go back to her own room to sleep, and in that way, you see, I shall be relieved of the necessity of taking you for a sheath for my sword, which would be agreeable to neither of us;--what do you say?"

I must have made a horrible grimace, for what he proposed was of all things in the world the most impossible of execution by me; I would rather have crawled on all fours on the ceiling like the flies, or have unhooked the sun from the sky without taking anything to stand on, than do what he asked me, and yet the last proposition was incontestably more agreeable than the first.

He seemed surprised that I did not accept with transports of delight, and he repeated what he had said, as if to give me time to reply.

"An alliance with you would be most honorable for me, and I should never have dared to aspire to it; I know that it is an unheard-of good fortune for a young man who has as yet no position or footing in society, and that the most illustrious men would esteem themselves very fortunate;--but I can only persist in my refusal, and as I am free to choose between marriage and a duel, I prefer the duel.--It is a strange choice, and one which few people would make--but it is mine."

At that point Rosette uttered the most heart-broken sigh you can imagine, put her head out from behind the pillow, and instantly drew it back again, like a snail when you strike its horns, when she saw my impassive and determined countenance.

"It is not that I do not love Madame Rosette, I love her very dearly; but I have reasons for not marrying, reasons which you would consider satisfactory if it were possible for me to tell you what they are.--By the way, matters have not gone as far as you might judge from appearances; beyond a kiss or two which a very warm friendship is sufficient to explain and justify, there is nothing between us to which exception can be taken, and your sister's virtue is as pure and unsullied as virtue can be.--I owe her that testimony.--Now, when shall we fight, Monsieur Alcibiades, and where?"

"Here, and instantly!" cried Alcibiades, drunk with rage.

"Can you think of such a thing? before Rosette!"

"Draw your sword, villain, or I will murder you," he continued, brandishing his sword and whirling it around his head.

"At least, let us go out of the room."

"If you don't stand on guard, I will nail you to the wall like a bat, my handsome Celadon, and you will flap your wings in vain, for you won't release yourself, I warn you."--And he rushed at me with his sword in the air.

[Illustration: Chapter XIV--_Rosette made a superhuman effort to throw herself between our swords, for both combatants were equally dear to her; but her strength failed her and she fell unconscious across the foot of the bed. Our blades struck fire, and made a noise like a hammer striking an anvil, for the small space we had at our disposals compelled us to fight at very close quarters._]

I drew my rapier, for he would have done as he said, and contented myself at first with parrying the thrusts he aimed at me.

Rosette made a superhuman effort to throw herself between our swords, for both combatants were equally dear to her; but her strength failed her and she fell unconscious across the foot of the bed.

Our blades struck fire, and made a noise like a hammer striking an anvil, for the small space we had at our disposals compelled us to fight at very close quarters.

Alcibiades came very near wounding me two or three times, and if I had not been a most expert fencer, my life would have been in the greatest danger; for his address was quite astonishing and his strength prodigious. He exhausted all the ruses and feints of the trade trying to touch me. Furious at his failure, he uncovered himself two or three times; I declined to take advantage of the opportunity; but he returned to the charge with such desperate, savage fury that I was forced to make the most of such openings as he gave me; and then the clashing of the steel and the whirl of sparks excited and dazzled me. I did not think of death, I was not in the least afraid; that keen, deadly blade that flashed in front of my eyes every second had no more effect on me than if we had been fighting with buttoned foils; but I was, however, indignant at Alcibiades's brutality, and my consciousness of perfect innocence increased my indignation. I determined just to prick him in the arm or shoulder so as to make him drop his sword, for I had tried in vain to knock it out of his hand.--He had a wrist of iron, and the devil himself could not have turned it.

At last he came at me with such a sharp, well-directed thrust that I could only half parry it; it passed through my sleeve, and I felt the cold steel against my arm; but I was not wounded. At that I became really angry, and instead of defending myself I assumed the offensive in my turn;--I forgot that he was Rosette's brother, and I rushed at him as if he were my mortal enemy. Taking advantage of a false position of his sword, I delivered a thrust in _quarte_ so well directed that I pierced his side; he made an exclamation and fell back.

I thought that he was dead, but he was really only wounded, and his fall was caused by a misstep which he made in trying to parry.--I cannot describe the sensation I felt, Graciosa; certainly it is not difficult to understand that, if you stick a fine, sharp point into the flesh, you will make a hole and blood will flow from it. And yet I was stupefied when I saw the red stream trickling down Alcibiades's doublet.--Of course I did not imagine that bran would come out, as it does when you burst open a doll; but I know that I never was so surprised in my life, and it seemed to me as if something incredible had happened to me.

The incredible thing was not, as it seemed to me, that blood should flow from a wound, but that the wound should have been made by me, and that a girl of my age--I was going to write a young man, I have entered so fully into the spirit of my part--should have laid low a lusty captain, an expert in fencing, like Seigneur Alcibiades;--and all for the crime of seduction and refusing to marry a very rich woman, and a very charming one too!

I was really in a state of cruel embarrassment with the fainting sister, the wounded brother whom I believed to be dead, and I myself, who was not far from being dead or fainting, like one or the other of them.--I seized the bell-rope and I jangled the bell in a way to wake the dead, so long as the rope remained in my hand; and leaving to the unconscious Rosette and the disemboweled Alcibiades the duty of explaining matters to the servants and the old aunt, I went straight to the stable.--The air restored my self-possession instantly; I led out my horse, saddled and bridled him myself, made sure that the straps were all right, the curb in good condition, and the stirrup leathers of the same length, and took up a hole in the girth; in short, I harnessed him completely, with a care that was at least remarkable at such a moment, and a tranquillity that was almost inconceivable after a combat with such an ending.

I mounted my steed and rode away through the park by a bridle-path that I was familiar with. The branches of the trees, all laden with dew, lashed me and wet my face; you would have said that the old trees were putting out their arms to detain me and keep me for love of their chatelaine.--If I had been in any other frame of mind, or in the least degree superstitious, it would have been easy for me to believe that they were ghosts trying to seize me and shaking their fists at me.

But the truth is that I had no idea at all, neither that nor any other; a leaden stupor, so heavy that I was hardly conscious of it, was pressing on my brain, like a helmet that was too small; but I had a vague feeling that I had killed some one and that that was why I was going away. I had an intense longing to sleep, whether because it was so late or because the violent emotions of the night had reacted on me physically and wearied my body.

I reached a small postern gate, which opened into the fields by a secret spring that Rosette had shown me during our rides. I dismounted, touched the button and opened the gate: after leading, my horse through, I remounted and galloped as far as the high road to C----, where I arrived at daybreak.

This is a true and circumstantial account of my first love-affair and my first duel.



XV


It was five o'clock in the morning when I rode into the town.--The houses were beginning to put their noses out of the window; the worthy natives showed their benignant faces behind the glass, surmounted by pyramidal nightcaps.--At the clatter of my horse's shoes ringing on the uneven, stony pavement, the curiously red faces and the matutinally uncovered breasts of the Venuses of the town issued from their respective casements, while their owners exhausted themselves in conjectures concerning the unusual apparition of a traveller in C---- at such an hour and in such a rig, for I was very scantily dressed, and in a costume that was suspicious, to say the least. I inquired the way to an inn, of a little rascal with hair over his eyes, who cocked up his little spaniel's nose to look at me at his ease; I gave him a few sous for his trouble, and a conscientious rap with my crop which sent him away squeaking like a jay plucked alive. I threw myself on a bed and fell into a sound sleep. When I awoke, it was three o'clock in the afternoon, and even that was hardly enough to rest me completely. Indeed, it was none too much for a sleepless night, an intrigue, a duel, and a very rapid, although triumphant, flight.

I was very anxious about Alcibiades's wound; but a few days later my mind was set at rest, for I learned that it had had no serious consequences and that he was convalescent. That knowledge relieved me of a heavy weight, for the idea that I had killed a man troubled me strangely, although it was strictly in self-defence and against my own wish. I had not yet attained that sublime indifference to the life of my fellow-men at which I have since arrived.

[Illustration: Chapter XV--_It was five o'clock in the morning when I rode into the town.--The houses were beginning to put their noses out of the window--* * * I inquired the way to an inn, of a little rascal with hair over his eyes, who cocked up his little spaniel's nose to look at me at his ease; I gave him a few sous for his trouble._]

I found at C---- several of the young men with whom we had previously journeyed, and I was very glad; I became very intimate with them, and they introduced me into several pleasant houses.--I was perfectly accustomed to my clothes, and the rough, active life I had led, the violent exercises to which I had devoted much time, had made me twice as robust as I was before. I went everywhere with those young scatterbrains: I rode and hunted and drank with them, for I had gradually accustomed myself to the bottle; without attaining the genuine Teutonic capacity of some of them, I could empty two or three bottles for my share without getting too tipsy--very satisfactory progress. I made verse in great abundance like a god and kissed all the maid-servants in due form.--In short, I became an accomplished young gentleman, conforming in every respect to the latest fashionable pattern.--I cast off certain provincial ideas that I had concerning virtue and other nonsense of that kind; on the other hand, I became so prodigiously punctilious on points of honor, that I fought a duel almost every day: indeed, it became a necessity to me, a sort of indispensable exercise, without which I should have felt ill all day. And so, when no one had stared at me or trodden on my foot, when I had no excuse for fighting, rather than remain idle and fold my hands, I acted as second for my comrades, or even for people whom I did not know by name.

I soon had a tremendous reputation for courage, and nothing less than that would have sufficed to check the jocose remarks which my beardless face and effeminate manner would infallibly have called forth. But by dint of opening three or four extra buttonholes in doublets, and very delicately puncturing some recalcitrant skins, I came to be generally considered as having a more virile air than Mars himself or Priapus, and you might have found men who would have sworn that they had been godfathers to my bastards.

Throughout all this apparent dissipation, in this reckless, disorderly life, I did not cease to follow out my original idea,--that is to say, the conscientious study of man and the solution of the great problem of a perfect lover, a problem rather more difficult of solution than that of the philosopher's stone.

It is the same with certain ideas as with the horizon, which certainly exists because you see it in front of you in whatever direction you turn, but which obstinately eludes you and is always just so far away, whether you walk or gallop toward it; for a certain fixed distance is an indispensable condition of its manifestation; it vanishes as you go toward it to take shape again farther away with its fleeting, intangible azure, and you try in vain to stop it by grasping at the hem of its waving cloak.

The farther I advanced in knowledge of the animal, the more plainly I saw how impossible was the realization of my desire and how certain it was that what I sought in order to love happily was outside the conditions of its nature.--I became convinced that the man who was most sincerely in love with me would find a way, although with the best will in the world, to make me the most miserable of women, and yet I had already laid aside many of the requirements that as a girl I had thought essential.--I had descended from the sublime clouds, not exactly into the street and the gutter, but to the top of a hill of moderate height, accessible, although a little steep.

The ascent was decidedly rough, it is true; but I was conceited enough to believe that I was worth the trouble of making the effort, and that I should be a sufficient reward for the labor of reaching me.--I could never have made up my mind to take a step forward; I waited patiently, perched upon my hilltop.

This was my plan:--in my masculine attire I would make the acquaintance of some young man whose exterior attracted me; I would live on familiar terms with him; by shrewd questions and false confidences which would call forth true ones, I would soon obtain full knowledge of his thoughts and his sentiments; and if I found him to be the kind of man I wanted, I would pretend that I had to make a journey, and would remain away from him three or four months to give him a little time to forget my features; then I would return dressed as a woman, I would furnish luxuriously a little house in some retired suburb, buried among trees and flowers; I would arrange matters so that he would meet me and pay court to me; and if he showed that he loved me truly and faithfully, I would give myself to him without reserve and without precaution--the title of his mistress would seem to me an honorable one and I would ask for no other.

But that plan is certain never to be carried out, for it is a peculiarity of the plans we make that they are not carried out, and therein the weakness of man's will and his pure nullity are principally apparent.--The proverb--what woman wills, God wills--is no truer than any other proverb, which is equivalent to saying that it is not true at all.

So long as I saw them only at a distance and through the veil of my desire, men seemed noble creatures to me, and my eyes created an illusion.--Now I find that they are horrible to the last degree, and I do not understand how a woman can take one of them into her bed.

As for myself, my gorge would rise and I could not make up my mind to it.

How coarse and mean and unrefined their features are! what broken, ungraceful curves! what rough, black, furrowed skin!--Some are as dark as if they had been hanged six months ago, sallow, bony, hairy, with violin-strings on their hands, great sprawling feet, a filthy moustache always full of food and turned up toward the ears like hooks, hair as coarse as a horse's tail, a chin ending in a wild-boar's jowl, lips chapped and hardened by strong liquors, eyes surrounded by four or five black circles, a neck all twisted veins, huge muscles and protruding cartilage.--Others are enveloped in red flesh, and carry in front of them paunches that their belts will hardly go around; they wink their little sea-green eyes inflamed with lust and look more like hippopotami in breeches than human beings. They always smell of wine or brandy or tobacco or their own natural odor, which is far worse than all the others.--As for those whose exterior is a little less disgusting, they resemble ill-made women.--That's the whole story.

I had not noticed all this. I was living in a cloud, as it were, and my feet hardly touched the ground.--The smell of the roses and lilacs in the spring went to my head like a too powerful perfume. I dreamed only of accomplished heroes, faithful and respectful lovers, passions worthy of the altar, marvellous devotion and self-sacrifice, and I should have expected to find them all in the first blackguard who bade me good-morning.--However, that first, vulgar intoxication lasted only a short time; strange suspicions entered my mind, and I had no rest until I had investigated them.

In the beginning, my horror of men was carried to the last degree of exaggeration and I looked upon them as horrible monstrosities. Their ways of thinking, their bearing, and their carelessly cynical language, their brutal manners and their contempt for women, offended and revolted me beyond endurance, the idea that I had conceived of them corresponded so little with the reality.--They are not monsters, if you choose, but far worse than that, on my word! they are excellent fellows of most jovial disposition, who drink and eat heartily, who will do you all sorts of favors, clever and brave, good painters and good musicians, adapted for a thousand things, but not for the one for which they were created, which is to serve as male to the animal called woman, with whom they have not the slightest connection, moral or physical.

I had difficulty at first in concealing the contempt they inspired in me, but gradually I became accustomed to their manner of life. I felt no more annoyed at the mocking remarks they made concerning women than if I had myself been of their sex.--On the contrary, I made some very amusing ones myself, and their success greatly flattered my pride; indeed, none of my comrades went so far as I in the matter of sarcasm and jests upon that subject. My perfect familiarity with the ground gave me a great advantage, and aside from such piquant meaning as they might have, my epigrams excelled in the matter of accuracy, which theirs often lacked.--For, although all the evil things they say of women have some foundation in fact, it is difficult, nevertheless, for men to preserve the necessary self-possession to make sport of them successfully, for there is often much love in their invectives.

I noticed that the most tenderly-inclined men and those who thought most of women were the ones who abused them worse than all the others and who returned to the subject with particular persistency, as if they were mortally aggrieved with them for not being such as they would like them to be, and thus falsifying the good opinion they had formed of them at first.

What I wanted before everything was not physical beauty, but beauty of the heart, love; but love as I understand it may not be within the bounds of human possibilities.--And yet it seems to me that I could love so and that I would give more than I demand.

What magnificent folly! what sublime prodigality!

To deliver yourself absolutely, keeping nothing at all of yourself, to renounce control of yourself and your free-will, to place your will in another's hands, to see only with his eyes, to hear only with his ears, to be but one in two bodies, to mingle and blend your hearts in such a way that you do not know whether you are yourself or the other, to absorb and radiate continually, to be now the moon and now the sun, to see the whole world and all creation in a single being, to displace the centre of life, to be ready, at any moment, for the greatest sacrifices and the most absolute self-abnegation; to suffer the pangs of your beloved as if they were your own; O prodigy! to make yourself double by giving yourself away;--that is love as I understand it.

The fidelity of ivy, the twining of a young vine, the cooing of the turtle-dove, all those go without saying, they are the first and simplest conditions.

If I had remained at home, in the costume of my own sex, listlessly turning my spinning-wheel or making tapestry in a window recess behind the glass, this thing that I have sought the world over would perhaps have found me out unaided. Love is like fortune, it does not like to be run after. It visits by preference those who sleep on well-curbs, and the kisses of queens and goddesses often descend upon closed eyes.--It blinds and deceives you to think that all adventures and all good fortune exist only in the places where you are not, and it is a bad plan to order your horse saddled or to post off in search of your ideal. Many people have made that mistake, many more will make it.--The horizon is always of the loveliest azure, although, when you arrive there, the hills that compose it are usually only bare, seamed, rain-swept fields of yellow clay.

I fancied that the world was full of adorable young men, and that I should meet on the roads whole tribes of Esplandians, Amadises and Launcelots of the Lake in search of their Dulcineas, and I was greatly amazed to find that the world paid but little heed to that sublime search and was content to lie with the first strumpet that came to hand; I am severely punished for my curiosity and my suspicion. I am the most horribly _blasé_ creature in the world without ever having enjoyed anything. In my case, knowledge has gone before experience; there is nothing worse than such premature knowledge which is not the fruit of action.--The most absolute ignorance would be a hundred thousand times better, it would at least make you do many foolish things which would serve to instruct you and rectify your ideas; for, under this disgust of which I spoke just now, there is always an active, rebellious element which produces the most extraordinary confusion; the mind is convinced, the body is not, and will not subscribe to this superb disdain. The young and robust body plunges and rears under the mind like a lusty stallion ridden by a feeble old man whom he cannot unseat, for the nose-band holds his head and the bit tears his mouth.

Since I have lived with men, I have seen so many women shamefully betrayed, so many secret _liaisons_ imprudently divulged, the purest passions recklessly dragged in the wind, young men hurrying off to vile harlots from the arms of the most charming mistresses, the most firmly-established intrigues broken off suddenly and for no plausible reason, that it is no longer possible for me to make up my mind to take a lover.--It would be like throwing myself into a bottomless abyss in broad daylight with my eyes open.--However, it is still the secret longing of my heart to have one. The voice of nature stifles the voice of reason.--I feel sure that I shall never be happy if I do not love and am not loved; but the unfortunate part of it is that I can have none but a man for a lover, and if men are not devils altogether, they are certainly very far from being angels. It would not avail them to glue wings to their shoulder-blades and put crowns of gold paper on their heads; I know them too well to allow myself to be deceived.--All the fine speeches they might make me would do no good. I know in advance what they will say and I could finish them by myself. I have seen them study their rôles and read them over before going on the stage; I know all their principal harangues for effect and the passages they rely upon.--Neither the pallor of the face nor the distortion of the features would convince me. I know that those things prove nothing.--A night's debauch, a few bottles of wine and two or three girls are enough to make up the face very nicely. I have seen that cunning trick played by a young marquis, naturally very fresh and rosy, with whom it worked exceedingly well, and who owed to that touching pallor, so worthily earned, the crowning of his flame.--I also know how the most lackadaisical Celadons console themselves for the cruelty of their Astreas and find a way to possess their souls in patience, awaiting their hour of bliss.--I have seen the drabs who acted as understudies for modest Ariadnes.

In truth, after that, man does not tempt me much; for he hasn't beauty like woman--beauty, that magnificent garment which so well conceals the imperfections of the soul, that divine drapery which God has cast over the nudity of the world, and which in some sort makes one excusable for loving the vilest courtesan in the gutter, if she possesses that royal, magnificent gift.

In default of mental virtues, I would like to have at least the exquisite perfection of form, the satiny flesh, the roundness of outline, the graceful curves, the fine texture of the skin, everything that tends to make women charming.--Since I cannot have love, I would at least have sensual pleasure, and fill the brother's place with the sister as far as possible.--But all the men I have seen seem to me horribly ugly. My horse is a hundred times handsomer, and I could kiss him with less repugnance than some dandies who deem themselves extremely fascinating. Certain it is that the genus fop, as I know it, would be by no means a brilliant theme for me to embroider with variations of pleasure.--A man of the sword would suit me no better; soldiers have something mechanical in their gait, and bestial in their faces, which causes me to consider them as something less than human beings; nor do men of the robe attract me much more, for they are dirty, greasy, unkempt, threadbare creatures, with a green eye and a mouth without lips; they smell terribly of must and mould, and I should not enjoy putting my face against their wolf's or badger's muzzle. As for poets, they have no thought for anything on earth except the ends of words, they go back no farther than the penultimate, and it is no exaggeration to say that it is hard to put them to any suitable use; they are greater bores than the others, and they are quite as ugly too, and have not the least distinction or refinement in their manners or their clothes, which is really strange enough:--people who think all day of nothing but form and beauty do not notice that their boots are ill-made and their hats absurd! They look like country apothecaries or exhibitors of trained dogs out of work, and would disgust you with poesy and poetry for several eternities.

As for painters, they are tremendously stupid; they see nothing outside of the seven colors.--One of them, with whom I passed several days at R--, when he was asked what he thought of me, made this ingenious reply: "He's of a decidedly warm tone, and in the shaded parts, I should have to use, instead of white, pure Naples yellow with a little Cassel earth and some red-brown."--That was his opinion, and, furthermore, his nose was crooked and his eyes were like his nose, which did not improve his case.--Whom shall I take? a soldier with swelling chest, a round-shouldered limb of the law, a poet or painter who looks frightened to death, or a little thin-flanked, hollow-chested popinjay? Which cage shall I choose in that menagerie? I have no idea at all, and I feel no more inclined in one direction than another, for they are as equal as possible in stupidity and ugliness.

After that, if there still remained anything for me to do, it would be to take some one I loved, whether it were a porter or a horse-jockey; but I do not love even a porter. O wretched heroine that I am! an unmated turtle-dove, condemned to coo forever in elegiacs!

Oh! how many times I have longed to be really a man as I seemed to be! How many women there are with whom I could have come to an understanding, whose hearts would have understood my heart!--how perfectly happy the refined pleasures of love, the noble outbursts of pure passion to which I could have responded, would have made me! What bliss, what ecstasy! how freely all the sensitive chords of my heart could have relaxed without being constantly obliged to contract and close under coarse handling! What a charming harvest of invisible flowers that will never open, whose mysterious fragrance would have filled the fraternal union of our hearts with sweet perfume! It seems to me that that would have been a life of enchantment, of infinite ecstasy on wings always open; walking with hands inseparably clasped, through avenues of golden gravel, through thickets of ever-smiling rose-bushes, through parks with many ponds over which swans glide gently, with alabaster urns standing out in sharp relief against the foliage.

If I had been a young man, how I would have loved Rosette! what adoration I would have poured out upon her! Our hearts were really made for each other, two pearls destined to be melted together and to make but a single one! How perfectly I would have realized the ideas she had formed of love! Her disposition suited me exactly, and her type of beauty pleased me. It is a pity that our love was absolutely condemned to inevitable platonism!

I had an adventure recently.

I frequented a house where there was a fascinating little girl, fifteen years old at most: I had never seen a more adorable miniature.--She was fair, but her complexion was so delicate and transparent that ordinary blondes would have seemed like brunettes, black as moles, beside her; one would have said that she had golden hair powdered with silver; her eyebrows were of such a delicate shade, and so blended with the flesh, that they could hardly be distinguished; her light-blue eyes had the softest expression and the silkiest lashes it is possible to imagine; her tiny mouth, so small that you could hardly put the end of your finger in it, added to the childish, dainty character of her beauty, and the soft curves and dimples in her cheeks had an indescribable charm of artless innocence.--Her whole dear little person delighted me beyond expression; I loved her little slender white hands through which the light shone, her bird's foot which hardly touched the ground, her waist which a breath would have snapped, and her pearly shoulders, hardly formed as yet, which her scarf, placed awry, happily disclosed.--Her childish prattle, whose _naïveté_ added a new charm to her naturally gay manner, kept me absorbed for hours at a time, and I took a singular pleasure in making her talk; she said a thousand deliciously amusing things, sometimes with an extraordinary shrewdness of purpose, sometimes as if she had not the slightest idea of their meaning, which made her infinitely more attractive. I gave her bonbons and pastilles, which I kept expressly for her in a box of light tortoise-shell, which pleased her extremely, for she is a dainty creature like the genuine kitten she is. As soon as I arrived, she would run to meet me and feel my pockets to see if the blessed bonbonnière was there; I would pass it from one hand to the other, and that would lead to a little battle in which she necessarily ended by gaining the upper hand and stripping me completely.

One day, however, she contented herself by saluting me very gravely, and did not come as usual to see if the fountain of sweetmeats was still playing in my pocket; she sat haughtily upright in her chair, her elbows back.

"Well, Ninon," I said, "are you fond of salt now or are you afraid that bonbons will make your teeth fall out?"--And, as I spoke, I tapped my box, which gave forth, under my waistcoat, the sweetest and most sugary sound in the world.

She put her little tongue to her lips, as if to enjoy the sweet ideal of the absent bonbon, but she did not budge.

Thereupon I took the box from my pocket, opened it and began religiously to devour the almonds, which she loved above everything: the instinct of gluttony was, for an instant, stronger than her resolution; she put out her hand to take some, but instantly drew it back, saying: "I am too big to eat bonbons!" And she sighed.

"I hadn't noticed that you have grown much since last week; are you like the mushrooms that grow in one night? Come and let me measure you."

"Laugh as much as you please," she continued with a charming pout; "I am not a little girl any longer; and I am going to be very big."

"Those are excellent resolutions, in which you must persevere;--and might I know, my dear young lady, what has put these noble ideas into your head? For, a week ago, you seemed to be very well pleased to be a little girl, and you crunched almonds without a thought of compromising your dignity."

The little lady looked at me with a curious expression, cast her eyes around the room, and, when she had made certain that no one could overhear us, leaned toward me with a mysterious air and said:

"I have a lover."

"The devil! I no longer wonder that you don't want pastilles; but you were unwise not to take some; you could have played at having dinner with him, or you could have exchanged them for a shuttlecock."

The child shrugged her shoulders disdainfully and seemed to be profoundly sorry for me.--As she retained the attitude of an offended queen, I continued:

"What is this victorious person's name? Arthur, I suppose, or Henri."--They were two little boys with whom she was in the habit of playing, and whom she called her husbands.

"No, not Arthur or Henri," she said, fixing her bright, clear eye on me--"a gentleman."--She put her hand above her head to give me an idea of his height.

"As tall as that? Why, this is becoming serious.--Pray, who is this tall lover?"

"Monsieur Théodore, I would like to tell you, but you mustn't mention it to anybody, not to mamma or to Polly"--her governess--"or to your friends who think I'm a child and would make fun of me."

I promised inviolable secrecy, for I was very curious to know who this gallant gentleman might be, and the little one, seeing that I was inclined to treat the affair as a joke, hesitated to give me her full confidence.

Reassured by my solemn undertaking to hold my peace scrupulously, she left her chair, leaned over the back of mine, and whispered very softly in my ear the name of the cherished prince.

I was confounded: it was the Chevalier de G--, a filthy, uncivilized animal, with the morals of a school-master and the physique of a drum-major, the most sottish, debauched creature imaginable--a veritable satyr, minus the cloven foot and pointed ears. That aroused serious apprehensions for my dear Ninon in my mind, and I promised myself that I would straighten matters out.

Somebody came in and the conversation dropped.

I withdrew into a corner and cudgelled my brains for the means of preventing the affair from going any farther, for it would have been downright murder for such a sweet creature to fall to such an arrant knave.

The little one's mother was a rather dissolute woman, who gave card-parties and kept a sort of bureau of wit. People read wretched verses at her house and lost good crowns, which was a compensation.--She cared little for her daughter, who was a living certificate of baptism, so to speak, and embarrassed her in the matter of falsifying her chronology.--Besides, she was growing apace and her nascent charms occasioned comparisons which were not to the advantage of her prototype, who was already a little defaced by the action of years and men. The child was rather neglected, therefore, and left defenceless against the blackguardly habitués of the house.--If her mother had bestowed any attention upon her, it would have been for no other purpose probably than to sell her youth at a good bargain and farm out her beauty and her innocence.--In one way or another the fate in store for her was not doubtful.--That grieved me, for she was a fascinating little thing, deserving surely of something better, a pearl of the fairest water lost in that noxious pest-hole; the idea affected me so strongly that I determined to rescue her from the horrible place at any price.

The first thing to do was to prevent the chevalier from pursuing his design.--What seemed to me the best and simplest way was to pick a quarrel with him and make him fight me, and I had the utmost difficulty in arranging it, for he is the most arrant poltroon and fears blows more than any other man on earth.--At last I said so many and such cutting things to him, that he had to make up his mind to go out with me, although decidedly against his inclination.--I even threatened to have him horse-whipped by my servants, if he did not show himself more of a man.--He knew how to handle a sword very well, by the way, but fright disturbed him so that our blades had no sooner crossed than I found a way to administer a pretty little thrust that put him to bed for a fortnight.--That was enough for me; I had no wish to kill him, and I much preferred to let him live so that he might be hanged later; a touching attention for which he ought to be most grateful to me!--My rascal stretched out between two sheets and duly trussed and bandaged, it only remained to persuade the little one to leave the house, which was not a very difficult matter.

I told her a tale about her lover's disappearance, as she was tremendously concerned about him. I told her that he had gone with an actress of the troupe then playing at C----; which angered her, as you can imagine.--But I consoled her, telling her all sorts of evil of the chevalier, who was ugly, besotted, and old, and I ended by asking her if she would not prefer to have me for her sweetheart.--She answered that she would indeed, because I was handsomer and my clothes were new.--This naïve remark, uttered with perfect seriousness, made me laugh until the tears came.--I excited the little one's imagination and worked to such good purpose that I persuaded her to leave the house.--A bouquet or two, as many kisses, and a pearl necklace which I gave her, delighted her to a point difficult to describe, and she assumed an air of importance before her little friends that was as laughable as you can imagine.

I ordered a very rich and elegant page's costume made to fit her, for I could not take her away in her girl's clothes, unless I dressed as a woman myself, which I did not choose to do.--I purchased a small horse of a gentle disposition and easy gait, and yet with speed enough to follow my horse when I chose to ride fast. Then I told the little beauty to try and come down to the door just at dusk and that I would be there to meet her; which she did most punctually.--I found her doing sentry duty in front of the half-open door.--I rode very close to the house; she came out, I gave her my hand, she placed her foot on my toe and leaped quickly to a seat behind me, for she was wonderfully agile in her movements. I spurred my horse and succeeded in returning unnoticed to my own quarters through seven or eight deserted, winding lanes.

I made her take off her clothes and put on her disguise and I myself acted as her maid; she made some objections at first and wanted to dress alone; but I made her understand that that would waste much time, and that, being my mistress, there was not the slightest impropriety, and that it was the way lovers always did.--Less than that would have convinced her, and she bowed to circumstances with the best grace in the world.

Her body was a little marvel of delicacy.--Her arms, which were rather thin, like those of every young girl, had an indescribable smoothness of outline, and her immature bosom gave such charming promise for the future, that no fully-developed bosom could have sustained a comparison with it.--She had all the graces of the child and all the charm of the woman; she was in the adorable period of transition from girl to young woman; a fleeting, intangible, delicious period when beauty is full of hope, and each succeeding day, instead of taking anything away from your love, adds new elements of perfection.

Her costume could not have been more becoming. It gave her a saucy air, very curious and very amusing, which made her roar with laughter when I handed her the mirror so that she could judge of the effect of her toilet. Then I made her eat some biscuit dipped in Spanish wine, in order to give her courage and enable her better to endure the fatigue of the journey.

The horses were waiting, all saddled, in the court-yard;--she coolly mounted hers, I leaped upon the other, and we set off.--It was quite dark, and a few lights, which went out one after another, showed that the good town of C---- was virtuously occupied in sleeping, as every provincial town should be on the stroke of nine.

We could not go very fast, for Ninon was not the best horsewoman that ever was, and when her horse trotted she clung with all her strength to the mane.--However, when morning came we were so far away that no one could overtake us except by using great diligence; but we were not pursued, or, if we were, our pursuers took the opposite direction from that which we had taken.

I became singularly attached to the little beauty.--I no longer had you with me, my dear Graciosa, and I felt a pressing need of loving some one or something, of having with me a dog or a child to caress familiarly.--Ninon was just that to me;--she lay in my bed and slept with her little arms around my body;--she believed herself my mistress in all seriousness, and did not suspect that I was not a man; her extreme youth and her absolute innocence confirmed her in that error, which I was very careful not to correct.--The kisses I gave her rounded out her illusion perfectly, for her ideas did not yet go beyond kisses, and her desires did not speak loud enough to make her suspect anything else. However, she was only half deceived.

Really there was the same difference between her and myself as between myself and men.--She was so transparent, so slender, so light and airy, and her nature was so refined and exceptional, that she seemed like a woman even to me, who am myself a woman, but who look like a Hercules beside her. I am tall and dark, she is small and fair; her features are so soft that they make mine seem almost hard and stern, and her voice is such a melodious hum that my voice seems harsh beside it. Any man who had her would break her in pieces, and I am always afraid that the wind will blow her away some fine morning.--I would like to shut her up in a box of cotton wool and wear it around my neck.--You can't imagine, my dear friend, how graceful and bright she is, what fascinating, cajoling, dainty little childish ways she has. She is the most adorable creature that ever was, and it really would have been a pity for her to stay with her unworthy mother.

I took malicious delight in thus rescuing that treasure from the rapacity of men. I was the griffin who prevented them from approaching it, and if I did not enjoy it myself, at all events no one else enjoyed it: an idea that never fails to console one, whatever all the absurd decriers of selfishness may say.

I proposed to keep her as long as possible in the same ignorance, and to keep her with me until she was unwilling to stay any longer or until I had found some way of assuring her future.

I took her with me in her boy's costume on all my journeys, east and west; that kind of life pleased her immensely, and the delight she took in it helped her to endure the fatigue.--I was complimented on all sides on the exquisite beauty of my page, and I doubt not that it caused a great many people to form an idea exactly contrary to the truth. Indeed, several persons tried to solve the problem; I did not allow the little one to speak to any one, and the inquisitive ones were altogether disappointed.

Every day I discovered in the dear child some new quality which made her dearer to me than ever, and caused me to congratulate myself on the resolution I had taken.--Most assuredly no man was worthy to possess her, and it would have been a deplorable thing that such charms of body and mind should have been abandoned to their brutal appetites and their cynical depravity.

Only a woman could love her with proper delicacy and tender affection.--One side of my character, which might not have been developed in a _liaison_ of another sort, but which suddenly manifested itself in this, is the imperative longing to have some one under my protection, which is usually characteristic of men. If I had taken a lover, it would have annoyed me intensely to have him assume to defend me, for the reason that that is something I love to do myself for people whom I am fond of, and my pride is much better suited with the first rôle than the second, although the second may be more agreeable.--So I was very well content to bestow upon my dear little girl all the attentions I ought to have wanted to receive, such as assisting her over difficult places in the road, holding her rein and her stirrup, waiting on her at table, undressing her and putting her to bed, defending her if any one insulted her, in short, doing everything for her that the most passionate and attentive lover does for an adored mistress.

I gradually lost all idea of my sex, and I barely remembered, now and then, that I was a woman. In the beginning I often let slip, unthinkingly, "I am tired," or some remark that did not accord with the coat I wore. Now that never happens, and even when I am writing to you, who are in my confidence, I sometimes retain an unnecessary amount of virility in my adjectives. If I ever take a fancy to go and look for my skirts in the drawer where I left them, which I very much doubt unless I fall in love with some fine young man, I shall have difficulty in accustoming myself to them, and I shall look like a man disguised as a woman, instead of a woman disguised as a man. The truth is, that I belong to neither sex; I have not the idiotic resignation, the timidity nor the pettiness of the woman; I have not men's vices, their disgusting sottishness and their brutal inclinations:--I am of a third distinct sex which has no name as yet: above or below the others, more imperfect or superior; I have the body and soul of a woman, the mind and strength of a man, and I have too much or not enough of either to enable me to mate with one or the other.

O Graciosa, I shall never love any one, either man or woman, with all my heart; there is always something unsatisfied grumbling within me, and the lover or the friend fills the need of only one side of my character. If I had a lover, such feminine qualities as I have would dominate the virile part of me, I doubt not, but that would last but a short time, and I feel that I should be only half content; if I have a friend of my own sex, the thought of sensual pleasure prevents me from enjoying to the full the pure pleasure of the mind; so that I do not know where to stop, and am forever hesitating between the two.

My ideal of happiness would be to have the two sexes turn and turn about to satisfy this twofold nature:--a man to-day, a woman to-morrow, I would reserve for my lovers my languishing tenderness, my submissive, devoted manners, my softest caresses, my little melancholy, long-drawn sighs, whatever there is of the cat and the woman in my character; then, with my mistresses, I would be froward, enterprising, impassioned, with victorious manners, my hat cocked over my ear and the bearing of a swash-buckling adventurer. Thus my whole nature would come to light, and I should be perfectly happy, for true happiness consists in the ability to develop one's nature freely in every direction, and to be everything that one can be.

But these are impossibilities and I mustn't think about them.

I had kidnapped the little one with the idea of fooling my inclinations, and diverting upon some one all the vague affection that was floating about in my heart, and inundating it; I had taken her as a sort of safety-valve for my faculty of loving; but I soon realized, notwithstanding all my affection for her, what an immense void, what a bottomless abyss, she left in my heart, how little her fondest caresses satisfied me!--I resolved to try a lover, but a long time passed, and still I met no one who was not disagreeable to me. I have forgotten to tell you that Rosette, having discovered where I had gone, had written me a most imploring letter, begging me to come and see her; I could not refuse, and I visited her at a country estate she has.--I have been there several times since, very recently in fact.--Rosette, in despair at her inability to have me for her lover, had plunged into the whirlpool of society and into dissipation, like all loving souls who are not religious and who have been disappointed in their first love;--she had had many adventures in a short time, and the list of her conquests was already very long, for not everybody had the same reasons for resisting her that I had.

She had with her a young man named D'Albert, who was for the moment her titular lover.--I seemed to make a deep impression on him, and he conceived a very warm friendship for me at once.

Although he treated her with much consideration and his manner toward her was affectionate enough, he did not love Rosette,--not because he was satiated or disgusted with women, but because she did not respond to certain conceptions, true or false, which he had formed of love and beauty. An ideal cloud floated between her and him, and prevented him from being happy as he would have been but for that.--Evidently his dream was not fulfilled and he was sighing for something else.--But he was not seeking it, and remained faithful to bonds that were irksome to him; for he has in his soul a little more delicacy and honor than most men have, and his heart is very far from being as corrupt as his mind.--Not being aware that Rosette had never been in love with any one but me, and was still, through all her love-affairs and follies, he feared to give her pain by letting her see that he did not love her; that consideration restrained him, and he sacrificed himself in the most generous way imaginable.

The character of my features pleased him extraordinarily,--for he attaches undue importance to exterior form--to such a point, in fact, that he fell in love with me, notwithstanding my male attire and the formidable rapier I wear at my side.--I confess that I am obliged to him for the shrewdness of his instinct, and that I esteem him somewhat for having detected me under those deceptive appearances.--In the beginning he fancied that he was blessed with a much more depraved taste than he really was, and I laughed in my sleeve to see him torment himself so.--Sometimes when he approached me he had a frightened look that diverted me beyond measure, and the very natural inclination that drew him toward me seemed to him a diabolical impulsion which one could not resist too sturdily.--At such times he fell back on Rosette in a frenzy, and strove to resume more orthodox methods of love; then he would come back to me, naturally more inflamed than before. At last the illuminating idea that I might be a woman stole into his mind. To convince himself of it, he set about watching and studying me with the most minute attention; he must have an intimate acquaintance with each hair on my head and know just how many lashes I have on my eyelids; my feet, my hands, my neck, my cheeks, the suspicion of down at the corner of my mouth,--he examined them all, compared and analyzed them, and the result of that investigation, in which the artist aided the lover, was the conviction, clear as the day--when it is clear--that I was in very truth a woman, and, what was more, his ideal, his type of beauty, the realization of his dream;--a marvellous discovery!

Nothing remained except to make an impression on me and to induce me to grant him the lover's gift of gratitude, to establish my sex beyond doubt.--A comedy that we acted, and in which I appeared as a woman, convinced him completely. I bestowed some equivocal glances upon him, and used certain passages in my part that bore some analogy to our situation to embolden him and induce him to declare himself.--For, even if I did not love him passionately, I was sufficiently attracted by him not to let him pine away with love where he stood; and as he was the first one since my transformation to suspect that I was a woman, it was no more than fair that I should enlighten him on that important point, and I determined not to leave a shadow of doubt in his mind.

He came to my room several times with his declaration on his lips, but he dared not put it in words; for after all it is hard to talk of love to some one who wears the same kind of clothes that you do, and affects top-boots. At last, being unable to bring himself to the point, he wrote me a long letter, a most Pindaric production, in which he explained at great length what I knew better than he.

I don't quite know what I had better do.--Grant his request, or reject it,--that would be immoderately virtuous;--moreover, it would grieve him too much to be refused; if we make those who love us unhappy, what shall we do to those who hate us?--Perhaps it would be more in accordance with strict propriety to play the cruel for some time, and to wait at least a month before unclasping the tigress's skin to don the civilized chemise.--But, as I am determined to yield to him, it is quite as well to do it at once as later;--I don't think very much of the noble resistance, mathematically graduated, which abandons one hand to-day, the other to-morrow, then the foot, then the leg and the knee as far as the garter only,--or the intractable virtue that is always ready to clutch the bell-rope if you go a hair's breadth beyond the limit of the territory they have decided to surrender on that day.--It makes me laugh to see these methodical Lucreces walking backward with signs of the most maidenly terror, and casting a furtive glance over their shoulder from time to time to see if the sofa on which they are to fall is directly behind them.--I could not take so much trouble.

I do not love D'Albert, at least in the sense in which I understand the word, but I certainly have a liking and inclination for him;--his wit pleases me and his person does not repel me; there are not many people of whom I can say as much. He hasn't everything, but he has something;--what pleases me, in him is that he does not try to slake his thirst brutally, like other men; he has a constant aspiration and a sustained impulse toward the beautiful--toward material beauty only, it is true, but that is a noble tendency, and sufficient to keep him within the limits of the pure.--His behavior to Rosette proves honesty of heart,--honesty, that is more rare than the other kind, if that be possible.

And then, if I must tell you, I am possessed by the most violent desires,--I am languishing and dying with lust;--for the coat I wear, while it leads me into all sorts of adventures with women, protects me too perfectly against the enterprises of men; an idea of pleasure that is never realized floats vaguely in my brain, and the dull, colorless dream fatigues and bores me.--So many women lead the life of prostitutes amid the most chaste surroundings! and I, in most ridiculous contrast to them, remain as chaste and unspotted as the cold Diana herself, in the midst of the most reckless dissipation and surrounded by the greatest rakes of the age.--This ignorance of the body, unaccompanied by ignorance of the mind, is the most wretched thing imaginable. In order that my flesh may not put on airs before my mind, I propose to inflict an equal stain upon it--if indeed it is any more of a stain than eating and drinking, which I doubt.--In a word, I propose to know what a man is, and what sort of pleasure he affords. As D'Albert recognized me through my disguise, it is no more than fair that he should be rewarded for his penetration; he was the first person to guess that I was a woman, and I will do my best to prove to him that his suspicions were well founded.--It would be most uncharitable to let him believe that he has developed an unnatural taste.

D'Albert then will solve my doubts, and give me my first lesson in love; it only remains now to bring the thing about in poetic fashion. I am inclined not to answer his letter, and to be cold to him for a few days. When I see that he is very depressed and desperate, cursing the gods, shaking his fist at all creation, and looking into wells to see if they are too deep to throw himself into--then I will withdraw, like Peau d'Ane, to the end of the corridor, and will don my multi-colored dress--that is to say, my Rosalind costume, for my feminine wardrobe is decidedly limited. Then I will go to him, as radiant as a peacock spreading his feathers, showing ostentatiously what I generally conceal with the greatest care, and wearing only a little lace tucker, very low and very coquettish, and I will say to him in the most pathetic tone I can command:

"O most poetic and most perspicacious of young men, I am in very truth naught but a young and modest beauty, who, over and above all, adores you, and whose only wish is to give pleasure to you and to herself.--Tell me if that is agreeable to you, and if you still retain any scruple, touch this, go in peace, and sin all you can."

That eloquent harangue concluded, I will sink, half-fainting, into his arms, and while I heave a melancholy sigh or two, I will adroitly unfasten the clasp of my dress and appear in the conventional costume, that is to say, half naked.--D'Albert will do the rest, and I hope that, on the following morning, I shall know what to believe about all the fine things that have been troubling my brain so long.--While gratifying my curiosity, I shall have the additional pleasure of making a fellow-creature happy.

I propose also to pay Rosette a visit in the same costume, and to prove to her that my failure to respond to her love was due neither to coldness nor dislike.--I do not want her to retain that bad opinion of me, and she deserves, no less than D'Albert, that I should betray my _incognito_ in her favor.--How will she take that disclosure?--Her pride will be comforted, but her love will groan.

Adieu, my loveliest and best; pray God that pleasure may not seem to me so small a matter as they who dispense it. I have written flippantly throughout this letter, and yet this that I am going to do is a serious thing, and all the rest of my life may feel its effects.



XVI


More than a fortnight had passed since D'Albert placed his amorous epistle on Théodore's table, and yet there was no perceptible change in the latter's demeanor.--D'Albert did not know to what to attribute that silence;--it seemed as if Théodore had no knowledge of the letter; the pitiable D'Albert believed that it had been destroyed or lost; and yet it was difficult to see how that could be, for Théodore had returned to the room a moment after, and it would have been a most extraordinary thing if he had failed to notice a large paper lying by itself in the middle of the table, in such a way as to attract the most absent-minded glance.

Or was it that Théodore was really a man and not a woman, as D'Albert had imagined--or, in case she was a woman, had she such a pronounced aversion for him, such contempt, that she would not even deign to take the trouble to reply to him?--The poor fellow, who had not had, like ourselves, the privilege of looking through the portfolio of _la belle_ Maupin's confidante, Graciosa, was not in a condition to decide affirmatively or negatively any of these important questions, and he wavered sadly in the most wretched irresolution.

One evening he was in his room, with his forehead pressed against the window, gazing gloomily, without seeing them, at the chestnut-trees in the park, already partly bare of leaves and bright red in spots. The horizon was swimming in a thick haze, night was already descending, rather gray than black, and cautiously placing its velvet feet on the tree-tops;--a large swan amorously dipped her neck and shoulders again and again in the steaming water of the stream, and her white body resembled in the shadow a large star of snow.--She was the only living creature that gave life to that dull landscape.

D'Albert was musing as sadly as a disappointed man can muse at five o'clock on a cloudy autumn afternoon, with no music but the whistling of a shrill north wind and no other outlook than the skeleton of a leafless forest.

He was thinking of throwing himself into the river, but the water seemed very black and cold, and the swan's example only half persuaded him; of blowing out his brains, but he had neither pistol nor powder, and he would have been sorry if he had; of taking a new mistress, or even two--an ominous resolution! but he knew nobody who suited him, or, for that matter, who did not suit him.--He carried his despair so far as to think of renewing his relations with women who were perfectly unendurable to him and whom he had had his lackeys drive out of his house with horse-whips. He ended by deciding upon something even more ghastly--writing a second letter.

O sextuple idiot!

He was at that point in his meditations when he felt upon his shoulder--a hand--like a little dove alighting on a palm-tree.--The simile halts a little in that D'Albert's shoulder bore but slight resemblance to a palm; no matter, we retain it from a sentiment of pure Orientalism.

The hand was attached to the end of an arm which corresponded with a shoulder forming part of a body, which body was nothing more nor less than Théodore-Rosalind, Mademoiselle d'Aubigny, or Madelaine de Maupin, to give her her true name.

Who was surprised?--Neither you nor I, for you and I were fully prepared for this visit; but D'Albert, who had not the slightest expectation of it.--He gave a little cry of surprise half-way between oh! and ah! However, I have the best of reasons for thinking that it was nearer an ah! than an oh!

[Illustration: Chapter XVI--_He was at that point in his meditations when he felt upon his shoulder--a hand--like a little dove alighting on a palm-tree.--* * * The hand was attached to the end of an arm which corresponded with a shoulder forming part of a body, which body was nothing more nor less than Théodore-Rosalind, Mademoiselle d'Aubigny, or Madelaine de Maupin, to give her her true name._]

It was Rosalind herself, so fair and radiant that she lighted up the whole room,--with the strings of pearls in her hair, her prismatic dress, her ample lace sleeves, her red-heeled shoes, her lovely peacock's-feather fan,--in a word, just as she was on the day of the play. But there was this important and decisive difference, that she had neither neckerchief nor wimple nor ruff nor anything at all to conceal from his eyes those two charming hostile twin brothers,--who, alas! are only too often inclined to be reconciled.

A breast entirely bare, as white and transparent as antique marble, of the purest and most exquisite form, protruded boldly from a very scanty corsage and seemed to challenge kisses. It was a very reassuring sight; and D'Albert was quickly reassured, and gave way in all confidence to his wildest emotions.

"Well, Orlando, do you not recognize your Rosalind?" said the fair one, with the most charming smile; "or have you left your love hanging with your sonnets on the bushes in the forest of Arden? Are you really cured of the disease for which you asked me so persistently for a remedy? I am very much afraid so."

"Oh, no! Rosalind, I am sicker than ever. I am in the death-agony; I am dead, or nearly so."

"You look very well for a corpse, and many living men have not so good a color as you."

"What a week I have passed!--You can't imagine it, Rosalind. I hope that it will be worth at least a thousand years of purgatory to me in the other world.--But, if I may venture to ask you, why did you not answer sooner?"

"Why?--I am not quite sure, unless it was just because.--If that reason doesn't strike you as satisfactory, here are three others not so good; you can take your choice: first, because, in the excitement of your passion, you forgot to write legibly and it took me more than a week to guess what your letter was about;--secondly, because my modesty could not accustom itself in less time to the ridiculous idea of taking a dithyrambic poet for a lover; and thirdly, because I was not sorry to find out if you would blow out your brains, poison yourself with opium, or hang yourself with your garter.--There you are."

"You wicked jester!--You did well to come to-day, I assure you, for you might not have found me to-morrow."

"Really! poor boy!--Don't put on such a disconsolate expression, for I shall be touched too, and that would make me stupider in my single person than all the animals that were in the ark with the late Noah.--If I once open the flood-gates of my sentimentality, you will be submerged, I warn you.--Just now I gave you three bad reasons, I offer you now three good kisses; will you accept, on condition that you are to forget the reasons for the kisses?--I owe you that much, and more."

As she spoke, the lovely girl stepped up to the doleful lover and threw her beautiful bare arms around his neck.--D'Albert kissed her effusively on both cheeks and on the mouth.--The last kiss lasted longer than the others and might well have counted for four.--Rosalind saw that all that she had done hitherto was mere child's play. Her debt paid, she sat on D'Albert's knee, still deeply moved, and said, passing her hands through his hair:

"All my cruelty is exhausted, my sweet friend; I took this fortnight to satisfy my natural ferocity; I will confess that it seemed very long to me. Don't be conceited because I speak frankly, but that is the truth.--I put myself in your hands, take your revenge for my past rigor.--If you were a fool, I would not say this to you, nor indeed would I say anything else, for I don't care for fools.--It would have been very easy for me to make you believe that I was tremendously incensed by your boldness and that you would not have a sufficient store of platonic sighs and highly concentrated rhapsodies to obtain forgiveness for an offence with which I was well pleased; I might, like other women, have haggled with you for a long while and given you in instalments what I give you freely and all at once; but I do not think you would have loved me a single hair's breadth more.--I do not ask you for an oath of everlasting love nor for any extravagant protestations.--Love me as much as God pleases.--I will do the same for my part.--I will not call you a perfidious villain when you cease to love me.--You will have the kindness also to spare me the odious corresponding titles, if I should happen to leave you.--I shall simply be a woman who has ceased to love you--nothing more.--It isn't necessary for us to hate each other all our lives because we have lain together for a night or two.--Whatever happens, and wherever my destiny may guide me, I swear to you, and this is an oath one can keep, that I will always retain a delightful memory of you, and, even if I am no longer your mistress, that I will always be your friend as I have been your comrade.--For you I have laid aside my man's clothes for to-night; to-morrow morning I shall resume them again for all.--Remember that I am Rosalind only at night, and that through the day I am and can be only plain Théodore de Sérannes--"

The conclusion of the sentence was stifled by a kiss, succeeded by many others, which they ceased to count and of which we will not undertake to furnish an exact reckoning, because it would certainly be a little long and perhaps very immoral--in the eyes of some people--for, so far as we are concerned, we know of nothing more moral and more sacred under heaven than the caresses of a man and a woman, when both are young and beautiful.

As D'Albert's solicitations became more passionate and more earnest, Théodore's lovely face, instead of expanding and beaming, assumed an expression of dignified melancholy which caused her lover some anxiety.

"Why, my dear sovereign, have you the chaste and solemn air of an antique Diana, when you should display the smiling lips of Venus rising from the sea?"

"You see, D'Albert, I resemble the huntress, Diana, more than anything else on earth.--When I was very young, I assumed this masculine costume for reasons which it would be tedious and useless to tell you.--You alone have divined my sex--and if I have made conquests, they have been of women only, superfluous conquests by which I have more than once been embarrassed.--In a word, although it may seem absurd and incredible, I am a virgin--as spotless as the snow of the Himalayas, as the Moon before she had lain with Endymion, as Mary before she made the acquaintance of the heavenly dove, and I am serious like everybody who is about to do something that can never be undone.--I am about to undergo a metamorphosis, a transformation.--To change the name of maiden for the name of woman, to have not that to give to-morrow which I had yesterday; something that I do not know and am going to learn; an important leaf turned in the book of life.--That is why I am sad, my friend, and not because of anything for which you are to blame."

As she spoke, she put aside the young man's long hair with her two lovely hands, and pressed her softly clinging lips to his pale forehead.

D'Albert, deeply moved by the gentle, solemn tone in which she delivered her speech, took her hands and kissed all the fingers, one after another,--then gently broke the fastenings of her dress so that the corsage opened and the two white treasures appeared in all their splendor: upon that gleaming bosom, as pure as silver, bloomed the two loveliest roses in paradise. He softly pressed his mouth to the blushing points and so ran over the whole surface. Rosalind, with inexhaustible good nature, allowed him to do as he pleased, and tried to return his caresses as exactly as possible.

"You must find me very awkward and very cold, my poor D'Albert; but I hardly know what I am to do;--you will have much trouble to teach me, and really I am putting a very hard task upon you."

D'Albert made the simplest of all replies, he did not reply at all,--and embracing her with increased passion, he covered her bare shoulders and breast with kisses. The half-fainting girl's hair became unfastened, and her dress fell to her feet as if by enchantment. She stood like a white phantom with a simple chemise of the most transparent linen. The happy lover knelt and had soon tossed the two pretty little red-heeled shoes into opposite corners of the room;--the stockings with embroidered clocks followed them close.

The chemise, endowed with a happy spirit of emulation, did not lag behind the dress: first it slipped from the shoulders before she thought of preventing it; then, taking advantage of a moment when the arms were perpendicular, it escaped from them with much address and fell as far as the hips, whose waving contour half stopped it.--Thereupon Rosalind noticed the perfidy of her last garment and raised her knee a little to prevent it from falling altogether.--In that pose she was a perfect copy of the marble statues of goddesses, whose intelligent drapery, grieved to conceal so many charms, regretfully envelops the shapely thighs, and by well-planned treachery stops just below the place it is intended to hide.--But as the chemise was not of marble, and its folds did not sustain it, it continued its triumphal descent, fell upon the dress and lay in a circle at its mistress's feet like a great white greyhound.

[Illustration: Chapter XVI--_The chemise, endowed with a happy spirit of emulation, did not lag behind the dress: first it slipped from the shoulders before she thought of preventing it; then, taking advantage of a moment when the arms were perpendicular, it escaped from them with much address and fell as far as the hips, whose waving contour half stopped it._]

Of course, there was a very simple means of avoiding all this confusion; namely, by holding the fleeing garment with the hand; but that idea, natural as it was, did not occur to our modest heroine.

She was left, therefore, without any veil, her fallen clothing forming a sort of pedestal, in all the transparent splendor of her lovely nudity, in the soft light of an alabaster lamp that D'Albert had lighted.

D'Albert, fairly dazzled, gazed at her in ecstasy.

"I am cold," she said, folding her arms across her breast.

"Oh! one moment more! I pray you!"

Rosalind unfolded her arms, rested the tip of her finger on the back of a chair, and stood perfectly still; she leaned slightly to one side in order to bring out all the grace of the undulating line;--she seemed in no wise embarrassed, and the imperceptible flush on her cheek did not deepen a single shade: but the somewhat hurried beating of her heart made the contour of her left bosom tremble.

The young enthusiast in beauty could not feast his eyes enough on such a spectacle: we must say, to the unbounded praise of Rosalind, that this time the reality surpassed his dream, and that he was not conscious of the slightest disillusionment.

Everything was combined in the lovely body posing before him;--delicacy and strength, form and coloring, the outlines of a Grecian statue of the most glorious days of the art, and the tones of a Titian.--He saw there, palpable and crystallized, the misty chimera he had tried so many times to check in its flight--he was not compelled, as he had complained so bitterly to his friend Silvio, to confine his glances to some special well-formed portion of the body, and not to look beyond it, under penalty of seeing something horrible, and his amorous eyes descended from the head to the feet and ascended from the feet to the head, always softly caressed by a harmonious, correctly proportioned line.

The knees were wonderfully pure, the ankles slender and shapely, the legs and thighs built upon a noble, superb model, the belly as lustrous as agate, the hips supple and strong, a bosom that might well tempt the gods to come down from heaven to kiss it, arms and shoulders of the most magnificent shape;--a torrent of beautiful brown hair, curling slightly, as in the heads drawn by the old masters, fell in tiny waves along a back of polished ivory, marvellously heightening the effect of its whiteness.

The painter satisfied, the lover gained the upper hand; for, however great one's love of art, there are things which one cannot long remain contented in looking at.

He took the fair one in his arms and carried her to the bed; in a twinkling he had undressed himself and jumped in beside her.

Our fair reader of the gentler sex would surely look askance at her lover if we should disclose the formidable figure attained by D'Albert's love, assisted by Rosalind's curiosity. Let her remember the most completely filled and the most delightful of her own nights, the night when--the night she would remember a hundred thousand days if she did not die long before; let her put the book beside her and count upon her pretty white fingers how many times he who loved her best loved her that night, and thus fill the gap which we leave in this glorious history.

Rosalind was extremely well disposed, and made astonishing progress in that one night.--The artlessness of body which wondered at everything, and the finesse of mind which wondered at nothing, formed a most alluring and fascinating contrast.--D'Albert was enchanted, bewildered, transported, and would have liked the night to last forty-eight hours, like that in which Hercules was conceived.--Toward morning, however, despite an infinity of the most amorous kisses, and caresses, and endearments, well adapted to keep a man awake, he was obliged, after a superhuman effort, to take a little rest. Sweet, luxurious slumber touched his eyelids with the end of its wing, his head sank and he fell asleep between his fair mistress's bosoms.--She gazed at him for some time with an air of profound and melancholy meditation; then, as the dawn cast its first rays through the curtains, she raised him gently, laid him beside her, rose and passed lightly over his body.

She seized her clothes and dressed in haste, then, returning to the bed, leaned over D'Albert, who was still sleeping, and kissed both his eyes on their long silky lashes.--That done, she left the room, walking backward and still looking at him.

Instead of returning to her room, she went to Rosette's.--What she said there, what she did there, I have never been able to learn, although I have striven most conscientiously to do so.--I have not found among Graciosa's papers or D'Albert's or Silvio's anything relating to that visit. But one of Rosette's maids told me of this singular circumstance: although her mistress did not lay with her lover that night, her bed was rumpled and tossed about and bore the impressions of two bodies.--Furthermore, she showed me two pearls exactly like those Théodore wore in his hair when he played Rosalind. She had found them in the bed when she made it. I state the fact and leave the reader to draw whatever deductions he may choose therefrom; for my own part I have made a thousand conjectures each more unreasonable than the last, and so ridiculous that I really do not dare to write them even in the most virtuously periphrastic style.

It was quite noon when Théodore left Rosette's chamber.--He did not appear at dinner or supper.--D'Albert and Rosette did not seem surprised.--He went to bed early, and the next morning, at daybreak, without a word to any one, he saddled his horse and his page's and left the chateau, telling a servant not to expect him at dinner, and that he might not return for some days.

D'Albert and Rosette were greatly astonished, and did not know how to account for this sudden disappearance--especially D'Albert, who, by the prowess he displayed the first night, thought he had well earned a second. Toward the end of the week, the unhappy, disappointed lover received a letter from Théodore which we propose to transcribe. I am afraid it will not satisfy my readers of either sex; but the letter was written so and not otherwise, and this glorious romance shall have no other conclusion.



XVII


Doubtless, my dear D'Albert, you are greatly surprised by what I now do after what I have done.--I permit you to be, there is good reason for it.--I will wager that you have already applied to me at least twenty of the epithets we agreed to strike out of our vocabulary: perfidious, inconstant, vile creature--is it not so?--At all events, you will not call me cruel or virtuous, which is so much gained.--You curse me and you are wrong.--You desired me, you loved me, I was your ideal:--very good. I granted you on the spot what you wanted; it was nobody's fault but your own that you hadn't it sooner. I served as body to your dream in the most accommodating way.--I gave you what I certainly shall never again give any one--a surprise upon which you hardly reckoned and for which you certainly ought to be most grateful to me.--Now that I have satisfied you, it pleases me to go away.--What is there so monstrous in that?

You had me absolutely and without reserve a whole night; what more do you want? Another night and then still another; you would even put up with a few days at need.--And so you would go on until you were disgusted with me.--I can hear you from here crying most politely that I am not one of those with whom men become disgusted. _Mon Dieu_! yes, with me as with others.

It would last six months, two years, even ten years, if you choose, but it must end at some time or other.--You would keep me through a sort of feeling of duty, or because you had not the courage to give me my dismissal. What is the use of waiting until it comes to that?

And then perhaps I should be the one to cease to love you. I have found you charming; perhaps, by virtue of seeing you often, I should have found you detestable.--Forgive that supposition.--By living with you on terms of close intimacy, I should have occasion, I doubt not, to see you in a cotton night-cap or in some absurd or grotesque domestic situation.--You would necessarily have lost the romantic and mysterious side that charms me above all things, and your character, being better understood, would no longer have seemed so unique to me. I should be less engrossed with you, having you near me, just as it happens with books that one never opens because one has them in his library.--Your nose or your mind would no longer seem to me nearly as well turned; I should notice that your coat didn't fit you, or that your stockings weren't drawn tight; I should have a thousand disillusionments of that sort which would have made me very unhappy, and I should have come at last to this conclusion!--that you certainly had neither heart nor soul, and that I was destined not to be understood in the matter of love.

You adore me and I reciprocate the feeling. You have not the slightest reason to reproach me, and I have not the slightest complaint to make of you. I have been perfectly faithful to you throughout our whole _liaison._ I have deceived you in nothing.--I had neither a false bosom nor false virtue; you had the extreme kindness to tell me that I was even more beautiful than you imagined.--In return for the beauty I gave you, you gave me much pleasure; we are quits;--I go my way and you yours, and perhaps we shall meet again at the Antipodes.--Live in that hope.

You think perhaps that I do not love because I leave you. Later you will realize how far that is true.--If I had cared less for you, I would have remained and poured out the insipid draught for you to the dregs. Your love would soon have been dead of ennui; after some time you would have entirely forgotten me, and as you read my name on the list of your conquests, you would have asked yourself: "Who the devil was she?"--I have at least the satisfaction of thinking that you will remember me more than some others.--Your unsatisfied desire will still spread its wings to fly to me; I shall always be to you something desirable to which your fancy will love to return, and I hope that in the bed of the mistresses you may have hereafter, you will think sometimes of the single night you passed with me.

You will never be more lovable than you were on that blessed evening, and even if you should be as much so, that would show a falling-off; for in love, as in poetry, to remain at the same point is to retrograde. Cling to that impression--you will do well.

You have made the task of such lovers as I may have--if I have other lovers--a difficult one, and no one will ever be able to efface my memory of you;--they will be the heirs of Alexander.

If it grieves you too deeply to lose me, burn this letter, which is the only proof that you have had me, and you will think you have had a pleasant dream. What is there to prevent that? The vision vanished before dawn, just at the hour when dreams return home through the doors of horn or ivory.--How many men have died, less fortunate than you, without giving so much as a single kiss to their chimera!

I am neither whimsical nor mad nor prudish.--What I do is the result of profound conviction.--It was not to inflame your passion or from any deep design of coquetry that I left C----; do not try to follow me or to find me: you will not succeed. My precautions to conceal my tracks from you are too well taken; you will always be, in my mind, the man who opened to me a world of novel sensations. Those are things a woman doesn't readily forget. Although absent, I shall think of you often, more often than if you were with me.

Do your best to console poor Rosette, who is likely to be at least as grieved as you at my departure. Love each other well in memory of me, whom you have both loved, and mention my name sometimes in a kiss.

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