Messaline (Alfred Jarry)  

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Messaline (English The Garden of Priapus in Louis Colman's translation) is a novel by the French writer Alfred Jarry first published in La Revue Blanche in 1900.

The novel's subject are the myths surrounding the subject, Messalina.

Full text

Messaline

DU MÊME AUTEUR :

LES MINUTES DE SABLE MÉMORIAL ,:puis/'. CÉSAR-ANTÉCHRIST I vol. UBU ROI . è/miS:'. PETIT ALMANACH DU PÈRE UBU I br. AI.MANACH DU PÈRE UBU POUR LE XX" SIÈCLE .... I hl'. LES JOURS ET LES NUITS, roman I vol. L'AMOUR EN VISITES, nouvelles I vol. L'AMOUR ABSOLU, roman I \'o) UBU ENCHAINE, précédé d'Ulm ROI ........ I vol.

Avec Ii musique de CLAUDE TERRASSE mm ROI.

CHANSON' DU DÉCERVELAGE.

ALFRED JARRY

Messaline roman de l'ancienne Rome

PARIS

ÉDITIONS DE LA REVUE BLANCHE

23, BOULEVARD DES ITALIENS, 23

igoi

Tous droits de reproduction et de traduction réservés pour tous les pays, même les scandinaves.

De ce /f';//M il il été lire

Cinq exemplaires sur papier du Japon, numérotes de 1 à 5. Dix exemplaires sur /'<//'/f;' de ¡loi/ill/de, numérotés fi, 6 à / v JUSTIFICATION DU TIRAC1K :

PREMIÈRE PARTIE

Le Priape du Jardin royal

1

LA MAISON DU BONHEUR

l'amen ultima cella m, Clausit, ad/wc ardens rigldœ lentiginc vulvœ, [Et lassa la viris nec dam satiala ,'ecessil.] D. lUN. IuVENALIS Sat. VI.

Cette nuit-là, comme beaucoup de nuits, elle descendit de son palais du Palatin à la recherche du Bonheur.

Est-ce véritablement l'impératrice Mes-saline qui vient de dérober son corps souple à la gloire de soie et de perles de la couche de Claude César, et qui rôde maintenant par la rue obscène de Suburre, à pas de louve ?

Il serait moins inouï que ce fût la Louve même de bronze, la basse et allongée statue étrusque au col tors, aïeule de la Ville, gardienne de la Ville, au pied du Palatin, en face du figuier ruminai où abordèrent Romulus et Rémus, qui ait secoué de sa tétine insensible la lèvre arrondie des jumeaux royaux, ainsi qu'on renonce à une couronne d'or, et qui, après

un hond du haut de son piédestal, choisisse un chemin à ses g'riiTes, hruissantes ainsi que la traîne d'une robe trop chamarrée, parmi les tas d'ordures du faubourg1.

Cette forme qui erre avec un froissis de traîne ou de grilles, c'est bien quelque chose comme une bêle en chasse, mais que n'accompag'ne point l'odeur abominable de la louve.

A-t-on jamais senti le rut d'une statue? Or c'est un monstre plus infâme et plus inassouvi et plus beau que la femelle de métal, qui retourne à sa tanière : la seule femme qui incarne absolument le mot que, bien avant la Ville fondée, dès la première parole latine, on jette à la face des prostituées dans un crachat ou dans un baiser : Lapa, et cette abstraction vivante est un

pire prodige que l'âme subitement infuse à une effigie sur un socle.

Le plus vieux mythe du Latium renaît dans cette chair de vingt-trois ans : la Louve, nourrice des jumeaux, n'est qu'une figure d'Acca Larentia, déesse tellurique, mère des Lares, la Terre qui enfante la vie, l'épouse de Pan qu'on adore sous l'espèce d'un loup, la prostitution qui a peuplé Rome.

Sur les monnaies antérieures à la louve, on retrouve une empreinte plus pure : les quadrans du ve siècle portent une truie.

Mais c'est bien toujours cette Louve, qui a fondé la Ville, qui règne sur la Ville.

Et voici Messaline qui s'avance vers la porte, où plus qu'en son palais du Palatin elle se sait impératrice, du lupanar, maison du Bonheur.

Le Bonheur gîte, dit-on, en l'un des

plus bas boug'es de Suburre., écrasé au rez-de-chaussée de six étages comme une partie honteuse se tapit sous la masse d'un corps. Il y a des baquets d'excréments devant le seuil, et à droite et à gauche se lézardent la maison du charcutier et celle du bourreau.

La boutique — car c'est une boutique — ne se distingue des voisines que par l'enseigne : à la fenêtre du bourreau sèche un fouet sanglant ; le charcutier, sur ses volets clos, a fait peindre un dragon, épouvantail des enfants compisseurs et des gueux dépendeurs de saucisses.

Entre ces courbes flottantes, du fouet qui harcèle la fuite de la brise nocturne, et des replis coloriés du serpent, quelque chose comme une hampe, qui semble plus droite par ces contrastes inconsistants, mais s'affirme un peu plus grosse qu'une

hampe, comme si un drapeau y était roulé, s'érig'e au-dessus de la porte du Bonheur.

Aux yeux d'un passant d'aujourd'hui, la façade présenterait l'aspect, sans plus, d'une gendarmerie provinciale, quand il n'est pas dimanche.

Mais la Chose est plus monstrueuse et insolite et attirante qu'un drapeau, parce qu'elle sig'nine quelque chose.

Le Bonheur, qui habite là, ainsi qu'une inscription en lettres rouges le précise, emplit-Il donc loute sa demeure, que son exubérance déborde et soit cette saillie au-dessus de sa porte?

L'emblème animal et divin, le grand Phallus en bois de figuier est cloué sur le linteau, comme un oiseau de nuit contre une grange ou un dieu au fronton d'un temple. Ses ailes sont deux lanternes de vessie jaune. Sa tête est fardée de vermil-

Ion comme la propre face-de Jupiter Capi-tolin.

Au-dessus,, lisible dans la clarté des lanternes, la banderole de l'enseigne de toile claquerait au vent si le dieu roide ne l'appliquait entre soi et la muraille qui est son ventre.

En face de Vanimal pendu, la catin Aug'uste, de la chair des empereurs divins, déguisée par un très vaste manteau de pourpre sombre dont chaque pli est une gouttière de ténèbres, dans le noir de son capuchon où sa perruque blonde (Messa-line est brune) allume une étoile, plus déesse que la Larentia, a l'air de la Nuit elle-même, évoquée du ciel au sifflant appel de son hibou qui agonise.

Or ce n'est qu'une femme qui s'est aperçue que son mari vient de s'endormir.

Claude César s'est assoupi à force de Vénus, mais...

Est-ce qu'il est permis au mari de Mes-saline de jamais dormir?

On est époux de Messaline pendant le moment d'amour, puis encore et toujours à cette condition que l'on puisse vivre une ininterruption de moments d'amour.

Son seul mari est celui qui ne dort pas, et Messaline est venue, dans le costume fauve des courtisanes, chaussée de leurs bottines écarlates comme elle foulerait, à gué sanglant, la vigueur épuisée de Claude, vers celui qui ne dort pas, la bête-dieu, l'Homme toujours debout à droite et à g'auche de qui veillent les deux- lanternes.

Elle n'a qu'une suivante, la prostituée professionnelle et insigne qui, dans une joute d'amour prolongée un jour et une

nuit, la surpassa d'un chiffre, essuyant le vingt-cinquième mâle.

L'impératrice a jugé faire assez humble hommage de gladiateur vaincu en octroyant à celle qui l'a domptée de porter sa traîne à titre d'esclave.

Elles pénètrent la porte basse du lupanar, chaude comme une vulve.

Dedans, c'est l'obscur tremblotement de lampes qui fument.

Bordure stricte d'un corridor, le longdes deux murailles, des cellules sont closes, habitées.

Le Bonheur dont la maison est comble, à croire l'enseig-ne extérieure, se débite, si les inscriptions qui étiquettent les cellules ne mentent point, dans chacune de ces cases par plus petites parcelles.

Il y en a une mesure, de ce bonheur, derrière chaque cloison, plein une femme,

ou un adolescent, ou un hermaphrodite, ou un âne, ou un eunuque, selon la proportion des doses dont est capable de jouir un simple homme.

Et il y a une foule d'hommes qui attendent; et de même qu'ils ont choisi entre les étiquettes, les prostituées examineront l'aloi de celle qu'ils portent, laquelle s'arrondit en la pièce d'argent, sesterce ou denier, par quoi ils justifient leur désir.

Le trésor de leurs sesterces et de leurs désirs est parqué dans un atrium circulaire, et par-delà le mur qui le délimile des loges, c'est l'active fournaise d'une ruche.

Une seule cellule est vide, qu'on réserve à la reine des abeilles, à quoi l'Augusta, inscrite ici Lycisca, ne ressemble pas mal, — pas un de ses cheveux noirs dénoncé hors du petit casque de

fausses tresses jaunes, couleur d'uniforme des courtisanes, toute nue maintenant, el, aux seins, de l'or.

Quelquefois, c'était un réseau d'or qui tissait sur ses seins sa caresse lourde ; cette nuit-là, ils palpitaient libres, les aréoles fardées d'un baume doré.

La cellule, plus exiguë que la plus inconfortable et moderne cabine de bains, est comparable plus qu'à n'importe quoi à l'aménagement d'un water-closet : pour tout meuble, un banc profond de pierre, moins long' qu'un corps étendu, el qui rampe de l'un à l'autre mur, sous un matelas roug'e.

Et là se posa Messaline, et il vint un homme d'abord, et elle se coucha sur le côté g'auche, les genoux unis et repliés, et les jambes velues de l'homme, lourdes de chaussures de fer, épousèrent le creux de

ses jarrets ; et comme il lai mordait la nuque, pour chercher sa langue entre ses dents elle tourna la te te à droite.

Alors seulement elle le regarda au visage et aux épaules.

C'était un soldat vêtu de cuir, el Mes-saline eut l'impression que s'épanchait en elle une outre en peau de bouc vivant.

Un peu grise, elle pressa le départ de be premier amant, car tout de suite la porte de la cellule battit, dernier écho du tambourin des bacchantes, la buée du lupanar vrombit dans le fumeux entrebêlillei-nent, et, comme un paon sanglant rouerait des yeux éblouis, un athlète, poli à la pierre ponce par une revanche du marbre qui veut se faire sculpteur, s'avouant moins beau, jaillit de l'envolcment jeté, d'un g'este habituel de rétiaire, de son endromidc de pourpre.

Mais il n'y eut que la lampe qui cligna, et les yeux noirs de la courtisane blonde survécurent, raisins incorruptibles, au pressoir du lit de pierre et de la poitrine de l'homme.

Et s'ils se fermèrent dans le plaisir, quand ses cuisses'dures firent une ceinture au lutteur accroupi sur elle, plus éternels les vrais yeux de la courtisane, les bouts dorés des seins veillèrent à leur tour de leur feu infatigable.

Puis vint se brûler à leur phare un cocher de la faction Grenouille ; Messaline heurta sa chevelure à la renverse contre la muraille ainsi que la borne du cirque, coiffée d'or, s'écroule sous une roue irrésistible, et la femme cria à l'écrasement profond de ses entrailles par le timon d'ivoire du quadrige.

Et il vint des hommes, des hommes et des hommes.

Jusqu'à l'aube, où le leno congédia ses vierg'es.

La dernière, après même sa suivante, elle ferma sa cellule, mais le désir la consumait encore.

Dehors, Messaline se retourne pour un regard d'adieu vers oit elle fut heureuse si peu de temps.

L'image en figuier du dieu g'enératcur, dieu suprême aux temps antiques et de qui dépendait même le Père des dieux, puisqu'il n'était père que par sa faveur : l'emblème de vie universelle, le dieu solaire fulg'ure encore au fronton de son temple.

Et Messaline, en face de l'idole, reconstitue l'éternel mythe de l'amoureux anta-

g'onismc de la louve et du fig uier ruminai, c'est-à-dire de l'arbre de fécondité.

Mais la maison est close, l'el'ngie grossière du Bonheur lui semble faire signe de dessus son seuil, indiquant une route vers ailleurs, et que son réel séjour n'est point là. Son œil de cyelope vers l'infinité des étoiles qui pâlissent comme d'un éloig'nc-ment croissant — vient-il de les darder de l'unité de sa bouche et de son rcg'ard? — le Bonheur, le chauve écarlate tend vers l'absolu.

Et on dirait d'un grand oiseau qui tend le cou avant de prendre son vol.

Messaline ne s'éloigna point jusqu'à ce que le ciel nocturne, ainsi qu'après un sacrifice en pourpre triomphale, reluit sa prétexte d'aube, et dans un crépitement de graisse de taureau s'éteignit la jumelle lanterne,

Un crépitement : Messaline perçut avec netteté la fuite du dieu dans un strident bruit d'ailes déployées. L'image en bois de figuier du roide dieu des Jardins, désertant sa prêtresse et son temple de Suburre_, s'était évanouie, disparue sans doute vers de plus hauts olyulj)csJ comme si cet Immortel, rougissant encore, et plus que par son vermillon olvccne et rituel, de s'être prouvé d'entre les dieux le plus homme, avait eu besoin de renouveler son apothéose.

Là où il redescendrait était assurément le séjour perpétuel du Bonheur.

Et de retour au lit de César, pour le réveil de qui, cette nuit-là, elle avait eu la prévoyance de ne point mander les servantes concubines, désireuse d'être possédée une fois de plus et par le seul homme qui eût le droit de l'aimer le plus nue,

Messaline jeta avec joie — non sans un regret de parure ôtée, mais ses joues étaient si éxquisement sales de toutes les puantes fumées du lupanar ! — le décorum de sa perruque d'or.

II

ENTRE VENUS ET LE CHIEN

fi Colitar nam sanguine et ipsa More d'cep, nomenqnc loci ceu nnmen habetur; Atque Urbis Venerisque pari se culmine tollunt Templa: simul geminis adolentur thura deabus. AUIIEL. PnUDENTIt contra Symmachum lib, I, 219.

Et dès que Messaline, enfin, dormit, Claude se leva, et dans la clarté d'aube de son cabinet de travail, quadrangulaire et vitré, au centre du toit en terrasse du palais — le belvédère d'Augusle-, ce personnage falot et si incompréhensible qu'on n'a jamais su si ce fut un homme de génie ou un idiot dicta à son secrétaire Narcisse, comme il lui avait dicté ses quarante-et-un livres d'histoire de Rome, la défense de Cicéron contre Asinius Gallus, et les vingt livres grecs d'annales tyrrhéniennes et les huit d'histoire de CarLhag'e :

LES LIVRES DES DÉS

MÉMOIRES DE CLAUDE TIBÈRE NÉRON DRUSUS GERMANICUS BRITANNICUS CÉSAR, SUR SA VII:

« Voici qui sera ïu, une fois l'an, à la façon

d'un cours public, dans le nouveau musée d'Alexandrie, mon musée, où l'on professe mes œuvres ; et plaise aux dieux et au nom d'Auguste que ce soit d'un plus profitable enseignement que mes livres sur Rome depuis la Ville fondée, tant ce fut folie de les écrire à qui débrouille mal, la tête branlant de droite et de gauche, les voies de son propre destin, et s'il lui est prédestiné d'être roi ou fou, Théogonius ou César !

« Et pourtant, on ne peut déchiffrer à la fois sur le guéridon où ils tombent, la face et l'envers des dés. VÉNUS, qui donne son nom au coup, le plus heureux, des deux six, se tapit toujours entre le cube d'ivoire et la table, plus polie que son miroir marin, et les deux as du CHIEN qui vous ruine dominent insatiablement.

« 0 maraîchers au pouce plus dur que les osselets! emplissez, le jour se lève, de jacinthes bleues... ah ! bien plutôt de soucis jaunes '— car si je suis né le premier jour d'auguste, mes yeux s'ouvrirent à la onzième heure, où s'épanouissent ces flambantes fleurs des calen-

des — vos petits paniers d'osier blanc et de tortil de jonc, vous qui chantez les louanges de Fors-Fortuna, à cause de vos poches chargées d'argent et en l'honneur d'Iacchus qui vous abreuva, devant le palais de votre empereur !

« Si le senes de Vénus ne surnage jamais sur les dés, n'est-ce qu'elle est plus femme que déesse, et trouve au plus profond des lits ses plus sûrs abîmes océans ?

« Plus femme ? Ce doit être Valéria JVlessal-lina ma femme. Car elle est très belle.

— Oui, dit Narcisse, qui savait, amant de Messaline de même que les affranchis el la plupart des amis (litre qui répondait à courtisans) de l'empereur, mais sans ralentir la grosse écriture, sur la cire, de son poinçon émoussé, et sans que Claude parût entendre.

« ... Et car surtout, depuis que je l'ai épou-

sée, elle ma troisième (j'ai répudié Paetina parce qu'elle était une femme comme toutes les femmes, qui ne commettait que des fautes légères, des crimes de simple mortelle ! mais Urgulanilla, qui suivit, connaissait le goût du meurtre humain, et je l'ai chassée aussi, en jetant après elle sa fille toute nue, Claudia !), depuis que j'ai épousé Messaline, je boite plus bas du pied droit: mari de Vénus, — <p:<LO" — ré? ! tous deux nous sommes nommés de syllabes impaires, qui, selon l'autorité de Pytlia-gore, désignent une tare à droite.

« Le dieu Vulcain ! mais le maître des Cy-clopes eut-il comme moi pour précepteur, je ne dis pas un affranchi soigneusement instruit dans la grammaire, mais UN CONDUCTEUR DE BÊTES DE SOMME ?

« Je ne lui fis pas oublier qu'il avait mené des boeufs ; et devant l'aiguillon de sa férule, je m'en allais les yeux fixes , et ma mère An-tonie Mineure m'appelait avorton et ébauche de la nature, et ma grand'mère l' Atig-usle ne daignait que me le notifier par lettres. Ha ha !

cette Livie si perspicace que Caius, son arrière-petit-fils, la traitait d'Ulysse en jupons, n'a jamais rien trouvé à me dire que des injures sur de petites tablettes.

« Pour réponse, j'ai sorti, mais quand elle fut morte, un peu de ma divinité d'empereur, et lui ai décerné l'apothéose.

« Et Tibère mon oncle, c'est moi seul qu'il a oublié, il son lit de mort, de recommander aux sénateurs pour sa succession à l'empire.

« Mais mon oncle oubliait volontiers les choses importantes. Fils adoptif des illustres Jules, il ne s'est point souvenu que la mère des Jules était Vénus, et il a laissé inachevé le temple de Vénus Erycine en Sicile.

« J'ai reconstruit et parachevé le temple. de la divine aïeule.

« Or, avant de pouvoir tout cela : timide, afl'ectant plus de sottise, je m'en allais, par les tavernes, avec la plus vile populace ; abandonné par mon père et les nerfs malades, je buvais avec les ivrognes et...

« Et ma mère Antonie ne connaissait pour personne de plus grave injure que :

« — Il est plus bête que mon fils Claude !

« Plus bête que Claude ! Elle aurait pu, et elle ne savait pas, comme le plus irréfragable axiome des philosophes, le clamer de toute la terre ! Il n'était aucun génie ni aucun roi qui ne fût une pauvre brute à côté de Claude, quand je m'endormais dans mes tavernes, indifférent au vol de mouches — ce n'était pas moi qui ronflais ! — des noyaux d'olives qu'on me jetait par dérision, après des nuits et des jours du seul soin vraiment impérial, à moi simple particulier, de tenir en main le sort des osselets !

« Et quand je frottais mes yeux éblouis, plus de mon rêve que de mon réveil, avec les bottines de femme dont on m'avait malicieusement chaussé les poings, et qu'on m'enfonçait une plume dans le gosier, je fermais mes dents comme sur la bouche saignante d'une maîtresse, et puis je criais au voleur il cause de la

chevelure de la Fortune que je rêvais qu'on me faisait vomir.

« Cette vie dura quarante-six ans. A quarante-six ans je n'étais pas encore sénateur. On ne m'avait jamais montré aux soldats. Je vis un soldat, puis beaucoup de soldats, plus tard.

« Et parce qu'il était évident à tout le monde que je n'étais bon à comprendre aucune des allaires présentes, on me fit augure : j'eus la charge de prévoir l'avenir.

« Maniant mon litllllS augurai d'Orient en Occident, afin de délimiter le templum consacré et de déterminer le point extrême de mon regard — je suis myope ! — je me faisais l'effet d'un aveugle tâtonnant de son bâton par toutes les ténèbres du ciel.

« C'est pourquoi, empereur, je n'ai pas demandé au Sénat de jurer l'inviolabilité de mes futurs actes, bien que ce soit l'usage depuis les triumvirs.

« Et pourtant, il m'a paru aussi naturel que de boiter du pied droit, la première fois que

je parus sur le forum, consul — OIL mon premier acte public fut de jouer aux échecs avec mon collègue Vitellius — qu'un aigle vint se percher sur mon épaule droite !

« Je ne renie plus la tare de Vulcain : Jupiter lui-même boiterait tl porter toujours l'aigle des foudres sur une seule épaule.

« Le destin boiteux toujours du même côté, c'est — la chance.

« Or, voici comment je fus l'élu de l'aigle impériale :

« Quand les conjurés tuèrent C. César Cali-g'ula. parla haute galerie voûtée, aux fenêtres obliques, qui joint le Cirque au Palais, devant la g'randc lumière du sang et des lames pleines de torches. j'ai fui, plus pâle que le Chien des osselets. Caché dans Y hertnœum, mes pieds de malheur (je crois que ma tête et mes pieds sont les deux pôles d'un dé 1) passaient sous une tapisserie, et à peine retentit la course du premier glaive, dont le fourreau vide sonnait sur la cuisse droite du soldat, je tombai il ses genoux pour lui demander la vie, et ma tête

vint trembler au-dessous de la tapisserie, comme une frange.

« Et il faut bien, de par le destin, qu'à ce soldat qui levait son fer sur le corps encore invisible au-dessus de deux pieds inégaux, ait agréé la tète aux cheveux blancs rares, au long nez, aux yeux incertains, comme elle avait paru digne de choix à l'aigle ! car le prétorien se prosterna et baisa mes genoux à moi, qui s'entrechoquaient, de peur sans doute mais un peu parce que j'avais cinquante ans ce jour-là, et me salua empereur.

« Il appela les autres et ils emportèrent leur empereur en triomphe dans leur camp par la porte décumane, la plus éloignée de l'ennemi, ils m'emportèrent au son des cornes courbes et des trompettes droites...parce que je tremblais -lt ne pouvoir marcher.

« Bon soldat ! Aussi est-ce moi le premier qui ai acheté tous les soldats à prix d'argent ! Plus de ces décorations bonnes à suspendre dans le temple de Mars et de l'Honneur : couronnes civiques, murales, vallaires, navales,

colliers, piques, pures (qui ne sont que des manches), plaques... j'ai imaginé la gloire en espèces, l' 01' décoratif!

« 0 que j'étais long, maigre et grand derrière cette tapisserie! Sais-je même si je me cachais derrière la tapisserie ? Plutôt, ne me voilais-je pas la tête — si grand ! — comme il est impie qu'un dieu laisse entrer dans ses yeux les yeux d'un mort ?

« Mais, par le nom d'Auguste ! ce n'est pas moi qui suis dieu : l'apothéose est une gloire vaine des ombres. Je vis ! Mes os agitent harmonieusement encore les nombres de toutes leurs'laces. C'est Auguste. Il est tout en bronze au bout de VEpine du Plus-Grand Cirque, et ontle voile, lui, à chaque égorgement des jeux. Je reste libre spectateur, du balcon de mon pulvinar, alors qu'il se tient, ou que sa divinité le tient éternellement plus raide que les cadavres, qu'on emporte encore chauds et souples parce qu'il ne faut pas laisser le temps à de simples corps de gladiateurs de singer le métal inflexible des images impériales. Mais,

comme je suis très bon, j'ai fait enlever tout à fait sa statue du Cirque. Je neveux pas faire pleurer le bronze. Et puis il fallait trop souvent lui remettre son voile.

« Je crois —oui — que je suis très bon. J'ai défendu qu'on recommençât plus d'une fois le même jour les jeux du Cirque quand il s'y serait commis quelque infraction à la loi du Cirque ! Chaque bestiaire sera sur de ne pas risquer plus de deux morts.

« Et j'ai fait tuer, malgré les supplications du peuple, le lion instruit à manger des hommes !

« Car je peux bien une fois avoir la dureté de refuser quelque chose au peuple ! Je suis très (loux et très humble ; j'ai monté, après un triomphe, les marches du Capitolc à genoux, mes vieux genoux qui m'ont fait empereur...

( Et puisque je montais !

« Or on dit que je suis maladroit dans l'action, et, dans le discours, bègue.

« Moi, je sais que je suis un grand orateur! »

— Mais qu'ai-je dit? Narcisse, dévoué Narcisse ! gardes-tu empreinte dans ta cire toute l'âme de Claude empereur?

Le secrétaire, impassiblement, relit, et il se pourrait que Claude, tout en rêvant, n'ait pas dicté autre chose :

« Le premier Claude, le Sabin Attus ou Atta Clausus, vint s'él(iblii, it Rome l'an 25o. Son nom s'altéra en Appius Claudius, Les clients qu'il avait amenés formèrent la tribu Claudia, ainsi que rapporte VergUe, En., VII, 706-709... »

Et pendant ce temps, au-dessous du belvédère, Messaline s'éveille.

Un peu après la quatrième heure, nous dirions dix heures du matin, ses femmes l'ont mise à sa toilette.

Le ":O-cabinet de toilette n'a de remar-h.

quable — panneaux de stuc entre des

colonnes, vides, sauf, au centre, des motifs divers et minuscules peints : lyre, corne d'abondance, corbeille, qui luisent sur la blancheur lisse comme un décor d'assiettes — qu'une haute glace étroite en verre de Sidon, d'un des côtés de la fenêtre, ouverte sur le panorama de la ville, en face du versant occidental de la Colline des Jardins ; et de l'autre côté, dans un pareil cadre d'or, le portrait, en pied, grandeur naturelle et nue, de Messaline, tout en perles, sauf quatre points où brasillent des rubis.

Un peu partout, sur des rayons et des consoles, à des flacons et des coffrets d'essences, de poudres, d'onguents et de fards président, ornant les couvercles de lascivetés immobiles, les statuettes, de matière diverse, des déesses de l'amour,

qui sont VENUS, COTTYTO) PERFICA) PREMA, PERTUNDA, LUBENTIA, VOLUPIA.

VENUS n'est pas sur les étagères : elle ne se commet point avec les six petites déesses. Et c'est sans doute le portrait en perles.

Les petits dieux mâles emmanchent des fers à friser, petits miroirs, épingles d'or et sonnettes d'appel des esclaves : PpïArE, BACCHUS, MERCURE et PHALLUS.

La chevelure de Bacchus enfant, si bouclée que chaque coque imite un grain de raisin, surmonte le calamistré en figure de pampres tordus. L'orbe des serpents du caducée, qui sertit un miroir d'or, y vérifie sa double symétrie, comme nag'eraicnt des anguilles, conformes à leur reflet, autour de la surface d'une mare.

PHALLUS manque. Ce devait être, protong'eant d'une gemme travaillée quelque

épingle) la précieuse miniature de la g'rande enseigne du lupanar de Suburrc. Mais sa maîtresse el très humble adoratrice l'a rag'euscmcnt piétiné et, jeté par la fenêtre, vers le panorama de verdure, dès son réveil, quand elle s'est souvenue, comme d'un cauchemar, de l'hallucination de la fuite de la monstrueuse image, à l'aube qui clôt les maisons du Bonheur, éteint leurs enseignes de lanternes et désanime spectres et larves.

PRIAPE est un joujou de corail, par quoi la petite main de Messaline peut mettre en danse un enfantin squelette d'argent, tel que ceux des festins, qui tintinnabule alors clairement de toutes ses jointures, mais est pendu pour l'instant à part des clochettes qui commandent aux habilleuses.

Messaline se détourne dLr vaste miroir,

le dernier et le premier et le plus voluptueux de ses bains, et remontée du fond de cette mer, après un regard sans jalousie sur l'autre Anadyomène, en perles, elle ôte les siennes, c'est-à-dire qu'on l'habille.

Le dos à la glace et à la fenêtre, dont la baie vaste comprend tout un des espaces entre les colonnes de stuc, elle surveille le fer de la coiffeuse par le jeu combiné de deux miroirs, et revoit encore, au fond du petit disque d'or poli qu'elle tient par les serpents accouplés en caducée qui l'encerclent, les boucles de] sa chevelure derrière sa nuque, et, rapetissées dans le cadre de la fenêtre,, les terrasses de Lu-cullus, au versant ouest de la Colline des Jardins,

La Ville et la Femme se parent.

Et voici que l'ornatrice lui a mis tous ses peignes dans le chignon, et qu'ainsi

deux têtes se comparent, toutes pareilles et de même taille, côte à côte dans le nilroir : la colline frisée de platanes et de lierre, à grand renfort de corail, d'écaillé et d'or émaillé ; et la toison aux reflets de cimes et d'abîmes de Valerie Messalinc, touffue par les esplanades, ou qui s'épand de vasques en vasques de porphyre roug'e, sur des colonnades polychromes.

Et au même moment que l'ornalrice couronne son travail de l'aigrette de dia111ants qui fulgure dans le soleil méridien, au plein et perpétuel midi du petit disque d'or mirant la ville et l'impératrice,, le jet d'eau de la suprême terrasse de Lucullus s'épanouit.

Il y a un camée de Messaline, reproduit et conservé dans l'œuvre de Rubens, qui représente, un peu de même sorte que cette tête de femme et cette vue de ville

géminées dans une petite glace, l'impératrice (derrière elle ses enfants Octavie et Britannicus) et Rome casquée se reg'ardant face à face. Le sardonyx est courbe et les deux bustes ont la posture de deux branches d'un candélabre.

D'après ce camée,, et un autre de Claude et Messaline gardés par deux dragons, l'impératrice est de visage exag'érément rond, rond comme un sein ou tout ce que gonfle une force ; la bouche, toute petite, mange pourtant ton Le la ligure, parce que les muscles des mâchoires sont énormes et faits pour servir un mufle de bête; les narines larges, le nez de Gléopâtre, héritage de Marc-Antoine, son bisaïeul (il arrive que l'amour impressionné d'un amant lègue les traits de la maîtresse aux enfants de l'épouse légÏLiIne). Pas belle en somme ; mais c'est que le feu des yeux

s'est éteint dans le sardonyx mort . Et la beauté n'est-elle pas une mode? Ou plutôt une forme dite belle est-elle auLre chose qu'un vase de passion à qui on ne demande même pas de n'être pas fêlé, car c'est la meilleure transparence!

Sous le fin épiderme, écume des veines couleur de mer, Claude découvrait Vénus Anadyomène ! é

Et il n était point étonné que l'impéra-trice se mît en balance avec la ville, puisqu'il y avait bien un culte parallèle de VENUS et de la Ville. Et même sans cela, Auguste n'avait-il point exprimé cette volonté, que le culte de Rome fût toujours associé à celui de l'empereur ? Smyrne éleva le premier temple à la Ville, Caton l'Ancien consul, l'an 559 ; vingt-quatre ans après, Alabanda, le second, sur le modèle des temples de Vénus,

et les premiers poètes chrétiens ont pu écrire :

Son culte est sanglant, à elle [Rome]

De même sorte qu'à une déesse, et le lieu est pris pour un (licit, ;

Et de la Ville et de Vénus s'élèvent d'une égale hauteur

Les temples, et c'- ,e ensemble que fument les encens vers les déesses jumelles.

Donc, ainsi que toute femme se mire avec complaisance, Messaline contemple dans sa glace à main les massifs, parterres de buis en tableaux, ifs taillés, chaumières, priapes du Jardin, moins nombreux que les épinglcs de sa coiffure et ses geiiimes.

... Et subitement elle éclate en sang-lots, et c'est tout à fait, dans le cabinet de toilette, comme si le grand cadre de verre de, Sidon s'était pulvérisé sur le pavé de mo-

saïque, créant une arène étincelante au poudroiement de sa pierre spéculaire ; ou si, les perles défilées, le portrait de Mes-saline, la beauté de Messaline s'écroulait en mille morceaux.

Quelque chose comme le cri :

— Le grand Pan est mort !

Elle est allée le voir dans son étable à boucs — Pan, Priape, Phallus, Phalès (qui est son nom divin), Amour,'Bonheur, le dieu de qui elle sait le plus d'invocations! S'il existe, c'est là, sûrement, son séjour, et non pas les statuettes dérisoires, bijoux de temples, frêles ustensiles de toilette.

Elle l'a vu.

Il est favorable aux hommes d'une faveur brève et il meurt dès qu'il touche une femme — ô le sanglot de la Vénus de

perles qui retourne en toute la poussière du sable de la mer, Katarfyomène !

Et s'il ressuscite c'est pour mourir encore, comme son image, le grand aigle nocturne, perché sur la porte de son temple, a éteint ses yeux de foudre, calmé l'envergure de ses pennes amoureuses, et a paru s'envoler — la mémoire de la nymphomane lui suggère une vision hallucinatoire de plus en plus précise — s'est véritablement envolé el l'aube, dans la même fuite que les dernières étoiles !

— Où es-tu,, Phalès, Priape, fils de Bac-chus et de Vénus? et de ton seul nom qui ne change point, où es-tu, dieu des Jardins? Ma contemplation est de toi si absolue, mon désir si certain, que je sais que tu existes quelque part ailleurs que dans le suint de l'étable ou la parure morte des femmes.

Jupiter, Père des dieux, habite l'Olympe et son temple du Capitole ; Auguste, le temple d'Auguste ; Livie, aïeule de mon mari, déesse, le temple d'Auguste et partout où nous autres femmes jurons par son nom...

Nous autres femmes... Nous autres dieux !

Car la femme d'un divin César est plus près que les autres humains d'un dieu ! Dieu, quoique Claude n'aiL permis d'élever qu'une seule statue de sa personne, et qu'en argent ! avec deux d'airain el, de pierre, et défende qu'on se prosterne devant lui, XImperator vainqueur de la ville de Cynobellinus, Camulodunum près de la Tamise, hors des limites du monde habitable, où les légions, fussent les Clau-diennes, Fidèles et Pieuses, ne l'auraient point suivi si les aigles femelles des hampes

sans drapeau n'avaient suivi à la trace le flambeau de feu dans le ciel, l'Aig-le foudroyant favorable !

Aigle de Rome et de Suburre, es-tu donc retourne t'étcindre dans les marais de Bretagne ?

Je suis toute ta Ville !

Je suis Ancfiista!

Mon mari sera dieu tout à l'ait, bientôt : il a déjà cinquante-huit ans.

Et moi...

Priape, mon frère dieu, ne m'en veux pas d'être encore si loin de l'apothéose : dieu d'amour, c'est parce que je suis jeune !

Dieu des jardins... —

(Le haut soleil de la sixième heure faisait étinccler les terrasses de Lucullus, les palliums des Grecs moutonnaient . aux arches du portique de la bibliothèque, les statues s'animaient parmi les xystes, la

vache sacrée de Diane persane, en argent, marquée d'une lampe, effigie de celle immolée sur l'Euphrate par le fondateur des Jardins aussi beaux que ceux des rois, se mit à luire, à travers les jets d'eau, de lumière et de foule, comme un grand poisson au fond d'un fleuve, et la figure de MiLhridate, toute d'or, de six pieds de haut, avec son pavois de pierres précieuses, miroir à alouettes, versa tout l'Orient sur les parterres.)

— ... DIEU DES JARDINS! Je comprends pour la première fois ton nom et ton nom m'indique ta demeure : tu habites le plus beau jardin ! Ce sont ces ombrages opaques, le toit de la Maison du Bonheur ! Si tu gardes les enclos des pauvres de ta pauvre image façonnée, par un sabotier et sa doloire, au hasard d'un vieux figuier, la plus belle de toutes tes idoles,

toi-même, Ô Phalès ! résides dans le plus divin jardin !

L'impératrice, penchée à la fenêtre de son palais, attend, que le voile du temple de verdure s'écarte et qu'en surgisse la Divinité Virile.

Mais les frondaisons de deux verts, platane et lierre, et les pelouses de liquide acanthe restent plus impénétrables qu'un masque qui saurait fermer les yeux ; ou plus simplement on dirait que la femme là-bas, de qui la tê te est grande comme la Ville, que Rome s'obstine à détourner la tête.

Et l'impératrice se détourne à son tour de la fenêtre, et la grande Ville est revenue s'étrécir et s'aplatir dans le cadre de serpents du miroir rond, comme une médaille.

Mais à peine, pour la seconde fois, les

yeux de Messaline eurent-ils rencontré le miroir, elle fondit encore en sanglots.

Avec la même netteté maladive qu'elle y avait lu d'abord la demeure de sa chimère envolée, elle y déchiffrait, en toutes lettres, pourquoi le dieu était parti.

Or c'était une vieille croyance religieuse latine, que Rome dût avoir plusieurs noms.

Le nom profane, RoMA, qui en grec signifie force, de même que le Tibre, en langue étrusque, était dit Rumon et que reverdissait chaque année le figuier ruminai, exprimait à peu près à quel dieu était vouée la Ville.

Messaline, enfant, avait appris des vestales le vocatif sacerdotal : FLORA.

Mais il existait un nom secret et terrible, qu'il était interdit de prononcer sous peine de mort (on leurrait le peuple du

soupçon que ce pouvait être VALENTiA OU ANGEROMA), qui était le nom môme du dieu de la Ville.

Et les prêtres "enseignaient que le jour où LE NOM -I)r-of"éré serait le jour du départ de la divinité tutélaire, qui s'en irait chercher ailleurs, selon la formule consacrée, plus ample culte.

C'est pourquoi, et bien que personne ne sût le nom, l'usage s'était établi, de peur d'un malheureux hasard, de dire :

— La Ville.

Et le mot profane ROMA. voilait, comme un masque, les frontons des monuments où une inscription avait besoin de nommer la Ville.

Or Messaline, en exerg'ue à cette médaille de la Ville dans le miroir d'or, venait de lire (nIais sa crise fut si soudaine que ses lèvres n'épelèrent pas) le nom sacré,

à peine soupçonné, jamais prononcé, comme nom de la Ville, du dieu de la Ville, du dieu parti : le dernier mot de la dédicace, au-dessus du portique, de la bibliothèque de Lucullus) retourné dans le miroir :

Mais quand l'impératrice eut pleuré., — comme d'une pluie sur les jardins, les jardins se firent si beaux qu'elle comprit bien que le dieu ne pouvait les avoir quittés. Et elle se regarda au miroir et sa face éclipsa la Ville, et elle cria de toute sa voix, en nommant sans peur le dieu par son nom :

— Merci, AMOR ! dieu de Rome, d'abandonner Rome et son puant Suburre) pour les jardins qui s'épanouissent devant la fenêtre de Messaline. Tu n'étais pas fait

pour être citadin ; pare-toi de fleurs, dieu agreste, éternel dieu des jardins! Tu ne trouveras pas ailleurs plus ample^ culte que dans ton nouvel empire, DIEU DE MES-SALINE !

Elle se remit joyeusement à sa fenêtre. — A qui ressemble-t-elle, cette ville, casquée d'une perruque verte, qui veut être une femme, ou cette femme qui veut être la Ville? comme si une autre que Messaline, de la petite bouche de son sexe, pouvait dévorer toute la Ville !

Jé, te reconnais, malgré que tu caches ton visage ! tu es Poppée Sabina, maîtresse de Valérius l'Asiatique, qui a payé les jardins de Lucullus à tes caprices, pour en faire la statue de ta nuque et de ta chevelure, aussi royalement qu'il paye ton mari Cornelius Scipion pour n'être qu'un simulacre de mari !

... Le jardin est très beau et Poppéc Sabina — pas si belle que moi ! — est une très belle femme. Elle a des robes talaircs d'une seule pièce de soie, brodées de figures d'oiseaux, sur la traîne desquelles se déroulerait à l'aise l'amble des cinq cents ânesses du lait journalier de ses bains. Il y a dans le jardin et j'ai vu — pendant que mon mari (il n'a pas vu le dieu, lui), avec sa méfiance habituelle faisait fouiller tous les bouquets d'arbres, — une merveilleuse boule en verre de Sidon, grosse comme une tête d'homme ! Je n'ai pas de miroir si parfait dans ce cabinet, sauf mon portraiL de perles. Et comme j'ai regardé déjà, au Plus-Grand-Cirque, à travers une émeraude de Scythie, les choses y paraissent exagérément plus grandes qui sont proches, et moindres les éloignées. Je crois qu'elle prédit l'avenir.

Je m'y suis découvert de toutes petites rides futures. J'ai eu beaucoup de plaisir à m'y savoir très laide.

« Et puis, le nez de César, renflé du bout, y fut une trogne. Si un homme nu se voyait homme dans cette boule,, il s'y verrait dieu ! le dieu que je cherche. Mais il n'y a rien dans la boule en verre de plus que dans une télé humaine, de vains songes.

... L'Asiatique a dû rapporter cette boule d'Asie pour offrir un miroir au dieu ! C'est l'image conservée de Phalès qui lui communique cette vertu, de réfléchir sous l'aspect de l'apothéose. L'Asiatique a certainement le dieu favorable., il est le prêtre de son temple. Le dieu solaire visite les premiers les hommes des contrées où le soleil se lève ! Je ne m'étonne plus que Poppée préfère l'Asiatique à son mari. Et

pourtant Cornélius est beau,, je sais bien, j'ai couché avec! L'Asiatique est chauve et gras, m'a-t-on rapporté, et a les sourcils de travers ! Je n'ai pas connu l'Asiatique... encore. Si je...? — Je connaîtrai le dieu qu'il garde dans son jardin — à moins qu'il ne soit lui-même le dieu des jardins. Et de même que j'ai mes bijoux dans un coffret fermé, j'aurai à moi la clé des jardins, la clé du dieu !

Et elle étendit la main vers une des images de Plialès (il n'y avait guère d'ustensile de toilette qui ne la portât sur le manche), et, ses idées rassérénées jusqu'au folâtre et au féroce, vers le plus puéril joujou, le hochet d'argent au son clair, dont la matière faisait impérieux et impérial le souvenir d'un cliquetis d'os, — et sonna son dénonciateur.

Ili

LE MAÎTRE ASIATIQUE DES ARBRES

Sed truncum forte dolaturn Arboris antiqnæ numen venerare Ithyphalli Terribilis membri, medio qui semper in horto Inguinibus puero, prasdoni falce minetur.

L. IUN. Mod. CoiiUMELL/E De Re rustica lib. X (De cultu hortorum).

Les accusateurs juridiques, lesquels déposaient leur réquisitoire entre les mains du préteur, en présence de l'accusé, après l'avoir signé et y avoir fait souscrire des adjoints, en étaient venus, sous Tibère, à transmettre secrètement à l'empereur leurs délations. Son despotisme inquiet s'accommodait d'eux et les appelait les gardiens des droits, parce qu'ils faisaient punir ceux qui y attentaient, ou par antiphrase, de même qu'on dit : les Eunlénides. Par de l'or ou par des promesses, il les tirait, selon ses besoins, hors de leurs retraites, comme un glaive du fourreau; et cette comparaison était devenue courante, par laquelle le dénonciateur le plus émérite était considéré comme un glaive nu et prêt à frapper. Le plus nu de tous, et le

plus cher à Messaline, et celui qu'elle avait appelé afin de supprimer légalement l'Asiatique, était un certain Publius Sui-lius, ancien quesLeur de Germanicus, jadis relég'ué, pour avoir vendu un jugement, par Tibère dans une île.

Quand le lendemain découvrit aux yeux de Messaline sa partie délicate, qui est l'aurore, l'impératrice, contre sa coutume, ne s'endormit point et retint Claude au lit.

Et dans le cubiculum impérial, où le lit, d'ivoire allait ng'urer le trône de justice, Publius Suilius le dénonciateur entra, à la tête de soldats en foule plutôt qu'en troupe tant ils se pressaient confusément pour entourer quelqu'un, et s'adressa ainsi. à l'empereur :

— Voici que j'ai les preuves et les témoins de tous les crimes de Valérius l'Asiatique, l'homme qui regrette publique-

ment de n'avoir point de son propre fer, ô César! tué César, et je l'amène entre tes mains !

Sur les draps moins exsangues qu'elles, les phalanges de Claude s'entrechoquèrent.

— Tous ceux-là qui les premiers t'ont salué empereur el. doivent être ton plus cher trésor, t'élanl acquis de les trésors, l'ont vu après la mort de Caius César ériger de toute sa hauteur sur un monticule ce cri : « Plût aux dieux qu'il n'eût péri que de mon bras ! » Et tous se déclarent prêts à jurer que Valérius ne peut, depuis ce jour-là, gravir une colline sans être pris de la frénésie du meurtre d'un empereur. Or il y a jusqu'à sept collines dans la Ville, et ta précieuse personne est unique, César.

— Il a essayé de nous corrompre par la profusion étrange de ses richesses, dit

un soldai; mais nous sommes loyaux et point à vendre, ni pour or ni pour débauches, maintenant que nous sommes à César.

— Il prépare un voyage, dit un autre, vers les armées de (j'ermanie ; il lui sera facile, né à Vienne et grâce il l'appui nombreux et puissant de sa parenté dans cette première frontière du Levant barbare, de soulever les peuples ses compatriotes.

— Il est l'amant de Poppée, je crois, susurra Messaline.

— Voilà bien assez de paroles, interrompit Claude ; le sort a jugé, du moment que l'accusation lut entendue avant la défense.

.- Enfin, reprit Suilius, et pour ne rien omettre, je l'ai vu se prostituer, au mépris de son sexe, en plein Cirque; ce qui est

licite chez un jeune homme devient monstrueux de la part, de ce vieillard chauve.

Et il Lendit l'index vers la foule.

— Eh ! quel vieillard chauve désignes-1u, Gardien des Droits? ricana Claude. C'est mon notaire sténographe !

El. les paupières de Messaline battirent, car le rang- irrég'ulier, mais compact, des soldats, lui cachait encore l'Asiatique.

— Interroge tes fils, Suilius, vibra une voix qui isolait toutes les syllabes, et qui écarta la foule ; et d'un seul pas, dont le feutre n'ajouta nul son à sa parole, Valé-rius parut. — Si tu ne m'as jamais vu, leur chair a eu toutes les preuves que je suis un homme !

— La justice, pour la première fois, va-t-elle balancer le sort? marmotta l'empereur, qui s'intéressa.

Puis il dit tout haut ;

— Reste où tu es, et parle,

Valerius l'Asiatique était de stature moyenne, grandie par de hauts patins sères au bout relevé ; dans la force de l'âge, et son crâne ne paraissait chauve que par la polissure du rasoir, sauf la longue iiat,te d'un noir de jais dont le fouet tombant caressait jusqu'aux reins sa robe de soie bleue ramagée d'or,— à la mode du pays plus loin que toute mémoire, excepte le livre d'Amomélus, jusqu'où il avait porté le nom romain et dont il adoptait sans restrielion les coutumes, après l'avoir fait aussi p.'oehc de Rome que la Tartarie et que l'Inde par le transport fluvial de soieries, fourrures, esclaves et g-emmes aux entrepôts de Dioseurias, où se rencontraient les marchands de soixante-dix peuples : — la Chine,

Et sa défense fut péremptoire (comment eût-il été l'amant de Poppée, puisqu'on avait surpris des rendez-vous de la femme de Cornelius avec le pantomime Mnester dans ses propres jardins? et ses richesses considérables, en usait-il que pour le service de l'empereur?) et pathétique, jusqu'à motiver d'émotion le tremblement de Claude, et arracher des larmes à Messa-line.

Elle sortit pour les essuyer, et pour recommander au consul Vitellius de ne pas laisser échapper l'accusé.

Claude se mit à parler grec, ce qui était chez lui une marque de préoccupation, aussi souvent compatissante ou sympathique que sanguinaire :

(Tibère) sous le consulat de Statilius Tau-

rus et Lucius Libon, a interdit aux hommes de porter des robes de soie !)

Il semblait ne retenir contre l'Asiatique aucune autre charge que celle promisclu'té des vêtements, étoffes de Cos et soie réservées aux femmes par les lois somp-tuaires (une livre de soie serique, à Home, équivalait il une livre d'or), eL se disposer à l'absoudre.

lVlessalirw, précédée de Vilellius, rentra. « Cette tresse velue sur sa tête est la même qui se rebrousse, moins longue, aux reins de Pan, réfléchit-elle. Il garde le dieu... Et ses ongles, qui sont de divines griffes... »

— Césae, s'ecria-t-eUe, il a l'ongle du petit doigt dans une gaine de roseau ! Rappelle-toi que depuis l'accident, dû au sLylet d'un accusé, dont ta joue L /oue le souvenir, tu as sagement interdit, même

aux scribes, de conserver en ta présence leur étui à poinçons...

— Peur, moi? disait Claude pour soi ; ne suis-je pas un enfant des dieux?

— Ecoule-moi, César, dit Messaline. Il garde le dieu, les jardins, la boule... César! je veux dire qu'il possède l'échiquier de Pompée après son troisième triomphe, en verre de Sidon... non! fait de deux seules pierres précieuses, de couleur différcnte, longues de quatre pieds, larges de trois, assez massives pour porter une lune d'or du poids de trentclivres, et accompagnées de toutes les pièces sculptées dans les tailles des deux mêmes pierres !

— Vénus?... radot aiL Claude.

— Luenllus jouait en empereur, et l'Asiatique conspire dans les mêmes jardins !

— Par le nom d'Aug-uste ! dit Claude

péniblement, Hercule, dieu de la force, devant le temple de qui je jug'e d'ordinaire, Ilercule-aux-Muses ! je ne suis pas arbitre, mais ministre du Destin : inspire-moi pour une grande justice !

— Il monte à cheval du côté hors mon-toir, insinua avec volubilité Suilius ; il a nourri son père malade de potages de chair humaine et s'est réjoui aux funérailles (c'est le seul de ses crimes dont je l'ose presque excuser, en comparaison de ses transports après le meurtre d'un César 1), il mange avec des doigts artificiels, il s'assied — regarde ! — au lieu de se tenir debout en ta présence impériale et a l'air, par Pollux ! de croire qu'il te rend tous les devoirs dûs ; il fait l'amour, dans son bain, avec des mouches et il a bâti sa bibliothèque et sa pinacothèque en commençant par le toit !

— Pliâtes C0J11IUCnee dans l'Olympe, pensa Messaline à liante voix.

Elle se reprit :

— L'Asiatique conspire assurément, César !

— Permets-lui, dit alors, dans un silence g'énéral, Vitellius, qui attendait et n'avait point encore parlé, — puisqu'il n'est pas sûr qu'il soit coupable, et celte circonstance de son crime mérite considération ; permets-lui — j'ai toujours été son ami et je connais ta clémence, César, — de choisir son genre de mort !

L'Asiatique dressait, pour 10ule péroraison de sa défense, son innocence en robe d'or, dans l'attitude d'une idole rare, exotique et incompréhensible.

— Ma clémence ! Une grande grâce, certes! dit Claude. — Je suis très clément. — Et sa bouche bava. — Il est in-

nocent, je crois, cet homme en soie puisque les témoins qui l'auraient vu n'ont reconnu que mon secrétaire. Mais le sort... Certes, voilà l'équité : par le nom d'Auguste et par Hercule, je veux qu'il choisisse son genre de mort! Mais il ne faut pas qu'il innove trop, ni qu'il importe des morts étrangères au lieu de la coutume des ancêtres ! Il est ton ami., Vitellius; je veux être le sien, moi ton collègue, par un conseil : tu es jeune, Asiatique ; tu dois avoir quarante ans, à peine, tu as donc désormais le droit de te raser la barbe au rasoir et laisser la tondeuse aux plus jeunes gens ! Et tu te fais déjà une couronne, blanche comme l'os, avec ce rasoir de véritable acier sérique ! Tu aimes jouer avec les choses qui coupent, et pour garder tes ongles affilés tu les remets dans un fourreau de bois. Prends ton bain ce soir et

gratte la vie du fond de ton cou, Asiatique, ce n'est pas très loin, je crois — un peu plus loin seulement que les racines de ta barbe. Je vomis bien, quand on veut, par la simple intercession d'une plume rèche, la Fortune déesse, moi César! Endors-toi dans un bain rouge, c'est bon, bon, meilleur que des plumes molles tournées dans les oreilles... je crois. Je suis ton bon, bon ami, Asiatique. Je t'aurai fait plaisir s'il est vrai ce que disent ceux qui mentent, que tu as plaisir, ô toi qui vas te teindre de toute cette pourpre césarine que tu cèles dans ta poitrine brodée, à égorger un empereur !

Ne suis-je pas un grand orateur?

Les soldats reprirent Valérius dans leur troupe : ce vers d'Homère à la fin du

discours de Claude était son congé habituel il ceux qu'il condamnait à mori.

Et Messaline cria à son tour, vers la sortie muette de l'Asiatique :

— Tu n'es pas le dieu, puisque lu meurs ! Mais heureux es-tu de t'évanouir pour toujours,, derrière les portes bien closes de tes jardins, que couvrirai, aux pieds du dieu des jardins ! Comme Lucullus, qui est mort du dieu, dans sa plus belle salle à manger, oit il soupait, en Apollon> avec Phalès ! Car je sais qu'il ne survécut point au philtre d'amour que Callisthène, son an'ranchi, lui fit boire afin de recouvrer le cœur de son maître, offert en sacrifice au dieu ! Puissé-je être dig'nc de la table du dieu (le dieu m'entende!), quand le temps de l'apothéose me sera venu, — en Atropos chez Lucullus!

Et, le soir suivant, à l'heure de ses cou-

lumières sorties, déguisée, vers SubiuTe^ mais fulgurante d'un grand 11utn(eun pourpre sous lequel elle cachait, (lêllls:un él ui de laque, la petite clé de bronze tortillée en dragon qui était la clé de la porte des jardins et le signe (pie ce don de leur maure avait le définitif d'un legs, elle congédia toute compagifli et oublia de mentir il Claude, dans son adieu, où elle allait.

1) s'endormait. épuisé de Vénus, sans plus penser à son arrêt de la veille, et, comprit tout juste qu'il :.;agissaiL d'une porte :

— Prends g'ardc ail chien, rêva l'empereur.

Mais Messaline était toute il s'imag'iner la vision incertaine d'un coin du parc de Lucullus) figurant, selon le luxe favori des plus raffinés architectes de jardins, après qu'ils avaient épuisé toutes les floraisons

de la sculpture et toutes les formes versi-colores des horticultures, un boni, de champ rustique et DU, lUI comme la nudité d'un I)OtU)ne, jusqu'à son !)t)yj)h.u)c en ili-b,-Iliiei-. Ainsi que d'hahilude, il ne manquait à la divinité végéhile, couronnée d'épis et le pied entoure de roquelle, ni l'un ni l'nuire des deux at))'u)u<s qui lui permellent, le premier par son vermillon de faire peur aux petils enfanls, le second par sa lame tranchante d'écarter les voleurs. La grande aile de sa faux i illi mémo-riale, demi-enveI'gul'e des infinis ciseaux d'Atropos — la tige cramoisie de l'amour en est-elle le fer jumeau? — en même temps que Vautre g'este du dieu qui féconde, semait la mort par tout le champ.

IV

L'iMCKKATmCli A LA CHASSE DU 1)11,11

Il n'est pas certain que Poppée, fille de Poppéus Sabinus et mère de Poppée qu'épousa Néron et à qui elle légua sa beauté et ses secrets de la conserver, fût la maîtresse de Valérius rAsiadque ; mais Messaline confondit dans la même vengeance le maître des Jardins et sa rivale au miroir. Il est constant d'autre part que les chevaliers Pétra, dénoncés bientôt par Suilius, le furent sous le prétexte d'avoir fourni à la femme de Cornélius Scipion un lieu de rendez-vous.

Mais il n'était point prouvé qu'elle y rencontrât l'Asiatique. Les manuscrits, suivant lesquels nous est parvenu le texte de Tacite expliquant cette cause de la mort des chevaliers Pétra, ne portent point : cc les rendez-vous de Poppée et de Valé-

rius », quoiqu'on les traduise généralement ainsi (Lallemand, Brolier, Oberlin, J3ureau de Lalnalle, Juste-Lipse, Ernesti, Bur-nont). Le nom (rhrxmuc qu'Us donnent est Neater on Nestor 011 Vester. Do)tcvi!)c conjecture : Mne&ter.

Si la suite de celle histoire, et ce que Dion nous apprend du mime, rendent invraisemblable une liaison de Mnesler et d'une femme, il est permis de supposer que l'acteur jouait, à prix d'or, l'alibi de l'Asiatique.

Or, après que des serviteurs g'ag'nes par l'impératrice eurent détermine Poppée, par l'épouvantail de la prison, au suicide,, une forme bizarre et capripède s'enfuit de la maison des Pétra, si bondissante qu'on ne distinguait point si elle était vêtue ou velue, dans la direction des Jardins.

Et cette année-là fut marquée par plu-

sieurs prodiges, et il sortit des flots un îlot près de l'ile de la Bête, et Messaline viola avec le petit dragon de bronze la serrure de fer du parc de Lucullus.

La nuit se tassait plus calme et plus dense entre les liants murs d'enceinte et les premiers bâtiments de la villa, et le cerbère traditionnel du portier, prédit par Claude, y mit une larve par sa blancheur.

Mais ce n'était qu'un chien de porcelaine, assis, une balle sous l'une de ses pattes de devant, colossale potiche sans décor, aux yeux de verre, si ajourée et frisée que les boucles de la toison longue frémissaient au vent mieux que des pétales de fleur.

A l'inverse du chien gardien, imitateur de l'efïeuillement d'une rose, des houx taillés se conformaient à des courbes animales, et à mesure que les pelouses s'aller-

i-i,,i,ent de celle aube pl us albe avant-cou mère du clair de lune, des découpures noires, simulant les ombres ncllesj] de combats dans le ciel de quadrupèdes néphélibates, s'affrontèrent selon les allures de cerfs, d'éléphants, de manlichores .--oLi-Ide licornes, au g-ré dompté des arabesques du buis.

Ce buis endormes de bêles, c'était l'esthétique ordinaire des jardins romains, mais, chez l'Asiatique," poussée, par des architectes aux yeux brides, jusqu'à ses limites même franchies, comme ils avaient transgressé jadis, vers le bénéfice de l'annexion à la famille de Lucullus, les rives fabuleuses de [leur Gambari et de leur La-nos.

Et le buis signait, sur les xystes, de haut en bas, leurs noms mystérieux.

Ça et là, dans une alternance régulière avec les plus belles statues grecques et les

idoles de l'Inde et de la Perse des plus riches matières et les dieux chinois au plus gros ventre, des ifs imitaient des amphores, et une file spirale d'arbustes nains, rabougris par une marâtre cisaille, recroquevillait le corridor d'un labyrinthe au cœur d'une muraille sèche masquée de l'éternel buis étage.

Mais nulle part Messaline ne reconnut, rubiconds sur le vert acanthe, les figuiers sacrés, tuteurs de tout jardin de Rome, desséchés et pourtant si mûrs — chez l'Asiatique ! — du plus pur vermillon d'Asie, qu'ils avaient rutilé toute cette journée-là au soleil jusqu'à éclabousser les fenêtres des Césars.

Et ni ni: au-dessus du taillis ingénieusement difforme, élag ué comme on tient des nabots en laisse, ni à travers la futaie de faux arbres, en carton-pâte ou en ciment

moute, tels que ceux qui encadrent aujour-< 111111i, autour de Paris, les bosquets des guinguettes et, parodient des statues d'arbres cetei))'es, elle ne retrouva ce PaI'Oxysme de la beauté d'un jardm, actuel ou romain, le miroir du dieu, la boule de Sidon, en verre !

A moins qu'il n'y en eut pas d'autre; que la lune, qui se leva comme ou hausse une lampe, et se mil, il l'aider dans sa <)uetc.

Elle en augura <p)'ii n'était point besoin d'idoles dans l'enceinte 01'[ cITait en personne le dieu : ptu" d'i mages {)ha)nqucs en présence de Plialès, plus de miroir ({util une sphère merveilleuse) quand allait paraître la forme resplendissante.

Au bout du parterre aboutissaient de toutes leurs valves les salles à manger de Lucullus.

Messalinc poussa une porte, si dissimu- ;

lée et massive qu'elle la jug'ea défendre le réduit le plus retiré, souterrain et voûte ; et à rintérieur" ce fut la stupeur d'une cour assez vaste, sans toit, arrosée de pleine lune, plus quadrangulaire de la symétrie de quatre platanes lamentant au miroir d'un bassin de marbre central, comme on en creuse dans tout al ri um, leur supplice de Marsyas.

Mais ce bassin, plein d'eau limpide, était la nappe toujours immaculée d'un capricieux service, où voguaient,'destinés aux mets lég'ers, des plats en figure de petits navires. Leur blanche vacuité leur prélait une mine obscène de scaphes) lesquels sont des vases de nuit de forme oblon-gue.

Plus loin, en pleine pièce de terre brute, sauf un pommier et une minuscule pyramide de rocaille, un autre triclinium ofïra

ses lits de jaspe, SoLis le dais de verdure artificielle d'un lierre en métal peint et verni.

Ensuite, un troisième retrait où une fenêtre vibrait perpétuellement d'un souffle automatique de bourrasque et d'une pluie feinte dont un aqueduc élevé jouait le nuage ; tandis qu'une lucarne, à l'op-posite, regardait le calme de la nuit, et glisser sans haleine la lune sur la piste de son repas de nuées.

Ensuite, une salle immense et ronde, analogue au Panthéon d'Ag'rippa, aérée par une ouverture circulaire du dôme, lequel, par son élévation, faisait l'intérieur si abrité des vents, qu'une brève pluie, réelle et céleste celle-là, étant venue à tomber, elle s'abattit verticalement, sans qu'une goutte décimât vers le pourtour de pavé sec, dans le bassin du milieu, préci-

sèment ég'al en diamètre à l'ouverture du dôme.

Et tant de portes, de ciels ouverts succédant soudain à dei cryptes, que Messa-line ne sut plus si une paroi ou l'air nocturne lui opposait son opaque mensonge d'ivoire.

Et la dernière tenture, végétale ou métallique, qu'elle souleva, entre deux troncs d'une avenue, rejoig'nit hermétiquement sur son entrée toutes ses écailles ; et il n'y eut plus aucune possibilité de retrouver d'issue, qu'un escalier vers une voûte.

V

LK DU PIŒMX

Paullo Fabio, L. Yitellio consulilms, post longlllH )('('1/ lUI'll/ll; j ambitum, :w'is Ijihamix in . FgyplunvycniL.. lit priinain adalio curain sepelic-ndi. Įlall'is...] snbil'c Ipatriuin corpus, iiujue solis a.rani}perferrc ptfyur. adolere.

C. C. TACIT I Annaliuin lib. YI, 28.

Cependant l'Asiatique, rentré chez lui, avant toutes choses, dicta, dans la langue des monosyllabes, son testament à un scribe, qui le consigna, sur du papier de riz, avec deux pinceaux, en écriture d'herbe, laquelle est presque tachygraphique, aussi vite que le vent du Levant couche des chaumes.

Et il dit hautement qu'il lui eût été plus honorable de périr par la cautèle d'un Tibère ou la violence d'un Caius César, que par la fraude d'une femme et la bouche éhontée d'un Vitellius.

Puis il fit une promenade à cheval dans une partie de l'enceinte de ses murailles, se divertit à tous ses exercices journaliers, eL dîna joyeusement parmi ses concubines, de qui les pieds étaient si petits qu'il eût

toujours cru les voir perdus dans le lointain et les aisselles odoraient le thé, à l'harmonie des cymbales.

Or, pendant le repas, les jardiniers travaillèrent à un bûcher, d'après son ordre ; et pour que son sang répandu n'entraînât aucune sève versée, il leur enjoignit de ne l'élever que de troncs morts.

Leur diligence y employa tous les figuiers taillés, à haute tige et non en cépée, et des mâts précieux et sculptés de cèdre et de santal, et des pieux massifs, avec une tète de racines, et incorruptibles, parce qu'on les avait plantés renversés et que le bois ne peut pourrir que dans le sens où la sève monte.

C'est pour cette raison que Messaline s'ébahit de ne retrouver aucun lingam ni ithyphalle profilant son pal au-dessus des bosquets du jardin,

Valérius approuva la struction de pou-tres rondes, aussi roug'es de laque déjà que d'un feu,, mais ordonna le transfert du bûcher ailleurs, de peur que l'épaisseur des voûles de verdure ne fut diminuée par l'air embrasé.

Il laissa à ses intendants le souci de découvrir, ainsi qu'il devait être facile, dans le prodigieux parc dont il n'avait jamais exploré tous les détours, un espace sans arbres.

Et sa recommandation finale et très calme fut qu'aussitôt son corps aux soins de la flamme, esclaves et femmes l'abandonnassent sans plus troubler le repos des bois, et que le dernier qui ferait désert le parc emportât le testament indéchiffrable, sauf à ses proches d'adoption, et son seul explicite codicille, la clé de la porte des jardins, qu'il offrirait à l'impératrice,

Alors, sur son lit de sieste, il enfonça obliquement le rasoir dans le côté de son cou et commença, soulevé sur son séant et la gorge raidie, de balancer de droite et de gauche la nudité de son crâne et la transparence de sa face qui laissait déjà voir au dedans la mort, imitant un ver qui monte pour filer. Et la soie ténue du sang de l'artère, par ce mouvement de navette, tissa sur le corps subitement sénile et les coussins blancs comme une barbe son linceul de pourpre.

Puis le corps, enseveli d'amiante, fut transporté dans l'espace sans arbres — sans autres arbres que les troncs morts du bûcher de santal dont les dryades exotiques avaient précédé leur maître aux enfers jaunes. La flamme ferma tous ses doigts sur le cadavre voilé, qui parut un œuf d'or, ainsi que le cocon se fonce jusqu'à ce que

son hôte, à bout de fil, s'endorme momie dans la salle la plus reculée, où il se sait arrivé, de son labyrinthe. Puis elle s'ouvrit el, s'épanouit haute et somptueuse comme le souffle exhalé, le souffle inhalé, le souffle dispersé,, le souffle élevé et le souffle réuni de tous les arbres, C'f ous les livres, de toutes les statues et des géminés et des étoffes, et se leva comme tout l'Orient capté sous le crâne jaune et le ventre gonflé de l'Asiatique.

Et son envergure apparut clairement celle du Phénix, qui est un oiseau véritable puisqu'on l'a pu voir en Egypte (le dernier oiseau phénix était né sous Tibère), et une allég'orie de la renaissance des arts selon des cycles astronomiques, puisque les savants supputent les périodes où il se brûle et ressuscite. Les long's on glesde la flamme hors de leur étui sec soulevèrent

sur un pavois — ainsi les pennes des. oiseaux se hérissent au temps de l'amour — le sac d'amiante gonflé de vide, de poussière d'os, el, d'âme, et l'éblouissement de plumes fab nie uses prit sur lui et porta là-haut, selon le rite, le corps de son père vers le soleil oriental.

VI

LE PRIAPE DU JARDIN ROYAL

Oriens murrhina miltit. Inveniuntur enitn ibi pliiribus locis, net: insignibus, maxime Parčliici regni : præcipna tamen in Carmania. Humorem putant sub terra densari.

C. PLINII SECUNDI Nat. IHslorice lib. XXXVII, 8.

L'escalier, dont la spire se déroulait connue vers une chambre encore plus secrète et close, se tronçonnait soudain au sommet d'une colline rase, où il sortit, ainsi qu'une langue, Messaline et son manteau de pourpre, hors d'une Irappé; parmi le désert du jardin.

Elle n'eut pas plus de surprise du changement (pt'a ses passages, lesquels n'avaient qu'une double porte à franchir, de sa chambre à coucher du Palatin, toute fraîche de sa sieste, au tumulte solaire du PI us-Grand-Cirq u e.

La colline s'échallcrait, sans prévenir les pas, d'une faille immense et que l'on découvrait — en en scrutant le pourtour bien loin, d'où il revenait au moment oit 011 croyait le perdre — concave et qui

aurait fait penser à un cratère, si ce cratère n'avait été plutôt ovale que circulaire, et de tout point semblable il un ampliitileâtre.

C'était l'hippodrome de Lucullus.

EL comme rac(piereur moderne, dans une banlieue, d'un tout petit parc, laisse dessécher, s'il a d'autres soucis, le bassin des poissons roug'cs, l'Asiatique n'avait point fait attention à cette mare derrière ses futaies, et par la même négligence qu'il aurait permis aux herbes folles d'y enchevêtrer leur paraphe, il avait abandonné l'arène à perte de vue au creux du cirque de cent mille places, au caprice ordonné des jardiniers.

Et des saisons et des saisons avaient renouvelé des courses de charrues t,i-iges et quadriges, avant qu'elles eussent fini de soulever l'ancien sable de cristal mêlé

il la terre noire de leurs sillons. Et selon l'ensctg'nemcnt d'Homère, en imag'es sur le bouclier d'Achille, après chaque virage aux traces parallèles autour des deuxbornes de porphyre vert surmontées par des œufs d'or, Ycnirige laboureur vidait une grande coupe, au fond de la grande coupe du cirque.

Et comme on nielle des danses de femmes et de déesses en bordure des coupes et cratères, Messalinc courait, à la recherche d'une descente sans ver tig'e, le long de la lisière des gradins supérieurs de l'escalier g'ig'antesque dont chaque marche circula ire était, à mesure de la chute du reg'ard plus loin dans l'abîme, une plus pet.ile couronne, la dernière cerclant encore le front prosterné de la nuit, trop bas pour que l'impératrice pût découvrir si elle était

aussi juste au sien qu'une perruque de courtisane.

La lune était dans son plein, mais elle ne montrait plus sa face au ciel, et c'étaient des nuages blancs, qui étaient gonflés du lait de la lune, de qui la lumière sous taie mouillait l'extrême marg-e de l'amphithéâtrc, lui donnant couleur d'ivoire ou d'os.

Et Messaline comprit avec une croissante certitude qu'elle devait descendre, et que le lieu le plus précieux du jardin ne pouvait être que celui-là, où convergeait, l'escalier centripète, vers les mystérieuses profondeurs sans doute du bûcher de l'Asiatique, assurément du temple du dieu !

Et UNE CHOSE lui signifia, plus impérieuse, sa route, mais la lui barra pour un temps d'une horreur splendide de prodige.

A toutes les places de l'amphithéâtre de cent mille places, dans l'imrnobilité fascinée de spectateurs indislrayables, selon la hiérarchie des ordres sur les sièges du peuple, des soldats, des chevaliers, des mag istrats et des vestales, des murrhins se dressaient dans la contemplation, au-dessous d'eux, de l'arène obscure.

Les murrhins, selon Pline, sont une humeur cuile de la terre comme le cristal en est une g'!acee.

Ce sont des pierres précieuses d'Orient (les plus beaux viennent de Carmanie) dont on fait des coupes ou des plateaux.

Leur couleur, c'est la pourpre et un blanc opaque, qui tordent leur sang'et leur lait, au milieu d'un feu.

Ils sont parfumés, et la tare le plus souvent les rehausse de grains et verrues sessiles, comme d'une peau humaine.

Quoique Properce (IV, v. 2O) parle (( des gobelets murrhins cuits dans les loyers pmthes », ce qui évoquerait des gros flammés ou des pales de verre, ou, selon l'hypothèse d'un historien contemporain, une sorte de porcelaine de Chine, il est constant que la matière des murrhins est l'œuvre de la terre et non des hommes ; ce sont, des coupes creusées il même une pierre, très semblable à l'agate,' que nous appelons aujourd'hui Hua te de chaux ou fluorure de calcium.

Ils comptent entre les plus estimées de toutes les g'enimes, car le seul, murrhin où buvait Claude avait coûte à l'empereur trois cents talents, soit uti million quatre cent soixante-seize mille franes.

El sans que l'Asiatique y eût pris g'ardc, sous la poussière cultivée des engrais secs et les,toiles d'araig'néc des fleurs rares, qui

leur faisaient des vêtements et des barbes, ils s'épanouissaient depuis que Lucullus (Néron renouvela sur le petit théâtre Irans-bt)<r!n de ses enfants imparfaitement ce faste) Il ' . batl toute l'étendue de son hippodrome que pour servir de dressoir à ses murrhins.

Leur tariie de feu, qui se déplace avec la lumière comme re)o!)e des saphirs etoi-les, était à cet instant i ni mobile, el. de leur masse trapue (plusieurs atteignent la largeur d'un petit guéridon) en équilibre sur un pied d'or, ils siégeaient et lorgnaient, compagnie d'oiseaux eyelopes sur une, patte.

El inlassablcnH'lll, vers le spectacle silencieux ou jouele rôle d u chœur la nuit noire, leur feu ouvre des yeux de convoitise ou des bouches avides de boire.

Alors Messaline, à qui la halte de sa

stupeur fut un élan vers ]a course terrible, bondit du haut des gradins comme une bele à travers les formes sans prix, accrochant le vol de son manteau aux g riffes d'or, culbutant ces autres bêtes qui étaient des g'emmes, et celles qui roulèrent raccompagnèrent de marche en marche, gémissant joyeusement de leur fêlure et d'arriver, comme l'impératrice, avec un sexe de femme en présence du dieu!

Le dernier gradin qu'elle franchit se limitait en avant par un podium qui était une haie de' genévriers des bords de l'Amour et du Psitaras ; de grandes marguerites bleues (couleur primitive de ces Heurs du pays des Sères), plus hautes que des hommes, plus drues que les chaumes d'un champ de blé, couvraient uniformément l'arène horizontale ; et, selon les branches d'une étoile en allées régulières gui-

dant les y01 ix de Messaline vers le ceutrC) tuais oit sou pied était supporté sans enfoncer par <l'élaslitjncs p(!tioles, des 1 Lllipes insondables d, des amarantes infinies imitaient des )))))t'rh!!)S, les unes la forme, les au 1res !'t))nnot'<a!t)/'.

Et au centre de rnr('nc., ou si l'on veut il J'IIII des foyers de sa surface elliptique, quelque chose comme un (eUr <n())'mc, plus immaculé qu'en son nuage de lait la 11111<', Ii!)ra!L nnpOi'<'<'j))tt)I<'n)<')U; et Messaline y démêla une té te qui reposait entre.les Heurs par sa nuque sur titi coussin de cheveux !)!onds, deux mains passées entre des cuisses et crispées sur des reins fauves, et deux pieds plus courts que des sabots de chèvre croises derrière cette tueoic nuque.

Les yeux de Messaline brillèrent de triomphe; et tout autour d'elle jusqu'au

sommet en corbeille de la colline de porphyre vert, et à ses pieds, au-dessous du défi de ses rcg'ards;, les étoiles de feu des , murrhins — quelques-uns fêlés et béants ça et là sur la pelouse de marguerites bleues, d'immortelles et de tulipes, les autres à leurs places, pareils à des champignons au parasol révulsé par un souffle des abîmes ou par trop vouloir s'épanouir — ouvrent des yeux de convoitise ou des bouches avides de boire.

Et elle vit le murrhin de la loge impériale.

Or Lucullus, las de toute substance potable, même l'or, avant qu'il eût osé le poison, préférait à boire mordre au vin plus épais de la précieuse pierre de Car-manie.

Les murrhins rong'es en deviennent plus inestimables,

Et maintenant c'était la basse et large coupe déchiquetée, ostcntatrice héritière des dents du maître de même qu'une cire s'atteste veuve du sceau, qui, par son ombre dont la projection du haut de la loge impériale amplifiait l'envergure de mordre^ mang'eait la confuse silhouette humaine fondue dans la boule blanche du baiser de Narcisse, de tout son profil de nain couronné de créneaux.

De ces morsures, celle de la propre bouche de l'homme nu lové parmi les fleurs fut la plus long'ue, mais Messaline l'interrompit, car elle commença d'étendre une main qui glissa sur la toison de son dos et en rapporta l'idée d'un toucher pareil aux plumes du jabot des oiseaux nocturnes. Il déplia sa poitrine, oit son menton bourru avait imprimé une tache rose, son ventre et ses jambes de Pan ;

et toute sa slature renversée se délira, les pieds joints en ir, les bras et la tête encore sur tout socle de Heurs. Puis ses pieds, paresseusemeu) redescendirent derrière sa tête et se posèrenl, et il fil, avec une douceur successive, craquer toutes ses jointures pour la seconde fois, mais debout dans une posture naturelle ; et des pétales de marguerite plurent de ses cheveux, en désordre sur son front, et de sa courte I )arbc.

L'iiiiperatrice reconnut dans la face du dieu les traits du pantomime Muester, ancien familier de Caligula, célèbre et qu'elle avait applaudi au Cirque.

Et, selon la rumeur publique, amant de Poppée plutôt que l'Asiatique.

Mais elle ne cessa pas de croire qu'elle fut bien en présence du dieu.

Et elle fut heureuse que le dieu fût

plus amoureux de son propre corps que de celui de Poppéc.

Le dieu debout fit quelques pas maladroits au hasard, comme chancellerait un homme qui, pour la première fois, essayerait de se tenir, à l'imitation de Mnester, la te te en bas ; ou peut-être comme ont fait. les dieux à leurs premiers pas sur la terre ; et Messaline étendit les mains, moins par curiosité ou désir que par geste de se garer d'un corps qui tombe.

El, comme Priape lui-même, ou un jong'Ieur acrobate, se fatigue à la fin de tenir en équilibre un grand arbre, — le sexe du dieu chut entre les mains de l'impératrice.

Ce fut si brutal et si lourd et si épouvan-tablernent la présence réelle de Phalès, que

Messalinc s 'f'" CI) 'lHt, a course empêtrée dans les fleurs, par la prairie de pétales bleus, cependant, que Mnester, son long' corps ondulant de la même reptation (n)'unc lamproie, cette sangsue assez monstrueuse pour être belle, plus pale que l'ivoire, allait se tapir au proche temple de nouvelles amarantes, avec lenteur, comme un demiurg'e roule un monde.

Et Messaline ne le revit pas, jUSf!U'all Cirque.

Il parut aussi impossible il l'impératrice de gravir avant le jour les gradins de l'hippodrome îlluminÓs de murrhins que de grimper à un firmament clouté de fer roug-e.

Et en errant, elle traversa un espace sans fleurs et sans arbres qui était le second

centre de l'art'IIC en ellipse,... qmen (Juad (;Ir; le y,ccotuI fai/er : car une petite chose craqua sous son talon, avec illi bruit infiniment moins perceptible que la felure des coupes nun'rhincs, lifte petite chose d ou s'epanctta, quand elle la prit, une ténue poussière d'ombre ; elle ne- sut pas si c'était le crâne d'lin pavot ou celle capsule d'ivoire dont le bûcher prec!('ux a\"ai\, mieux que des doigts de ciseleur sère, élabore la fragilité : la tête du Maure des Arbres,

Vil

IL DANSAIT QUELQUEFOIS LA NUIT

Salta bat autem nonnzmqaam etiam noctu.

C. SUETONII TRANQUILLI C.

C aliglllæ LIV.

Et le premier jour des calendes suivantes, celles d'auguste, dans la fêle qui célébra i'atunversan'e de la naissance de Claude, le clIHl'wnte-huitii'lI1e, au théâtre de Calcula ou plutôt sur une estrade au pied de l'obélisque cii granit rose deCaius, Iaillé par Nuncorée, fils de Sésosis; au milieu du cirque de Caius au Vatican, lequel devint le cirque de Néron; au son des Unies, de i'!)ydrau!e cI, des scabelles plleulllati(lues, rompant enfin le silence des flcul's, Mnester parul.

Il était velu d'une trame d'écaillés d'or, en figure de croissants qui avaient une pointe entre leurs deux cornes,, comme des crocs de haut en bas sur toutes les places de sa chair', ou des marques de baisers. Une plus grande demi-lunule d'or

pendait à son oreille gauclw, et scml)lau une boude de sa chevelure roussie par une faute du cilaiiiis[l,,,Iletii, ; une autre sur son front, y dessinant un froncement de sourcils; et une fort larg'c qui lui servait de sllblzflal' sexuel jouait le rôle d'un masque imitateur de la face qu'il orne.

Gomme le cliquetis d'une plus ample colle de mailles ou le ressac de l'armure de la mer, les applaudissements firent éruption autour des pas de son entrée, et de bas en haut des trois étages de gradins, depuis les bancs des sénateurs jusqu'à l'immense couronne faite de plèbe, remplirent le cirque jusqu'au bord.

Le peuple n'avait plus besoin de se sou- • venir qu'au temps oÙ. il battait des mains même mollement en présence du favori de Caius, la dextre brutale de l'empereur sur la joue du négligent amené par les g'ardcs

au pulvinar continuait ses hommages sonores tandis qu'il reposait sa paume g'auche.

Pour cette raison entre plusieurs, et sans qu'il nous ait été possible de découvrir si Mnester avait du génie, le peuple romain ne pouvait se passer de son mime.

Du haut de la log'e impériale, Claude ag itait la tête nerveusement, et ses mains se heurtaient avec tant d'action qu'un dé jaillit du cornet d'ivoire serti sur l'anneau de son médius. Et Messaline domina le tumulte d'un claquement de ses lèvres.

Mnester répondit à tous par un seul sourire de sa bouche, si carminée qu'elle en était noire ; et, pour une cause, un ourlet rose mourait ou naissait autour, comme la pénombre cerne l'ombre.

Il était; annoncé ce jour-là comme exo-

.(/l'aire, l'unique acteur de la farce licencieuse dite hors-d'teuvre, qu'il était d'usag'C de représenter à la suite d'une tragédie, plutôt d'une atellane, ou dans ses enlr'aetcs. El le cirque béait d'nne grande curiosité, car la danse lascive et bouffonne créée par le mime devait figurer le spasme douloureux du héros le pl us horriblement tragique,, Ores le entre les Furies.

Les derniers applaudissements s'espacèrent, sau)el('rcn) à des places diverses, jusqu'au calme, en même temps que la surface de la clinquante tunique recouvrait, son équilibre.. Mais, au centre (t'uu (tonuerueru, Mues-ter demeura immobile jusqu'à se confondre avec les dorures, où il s'adossait, du socle i-ose de l'obélisque de Gains, et si longtemps que le rythme ternaire des dûtes et le barrissement mouille des éolipyles de

l'))vdra(dc, qui pl'dudaicnL à sa danse, à i'unitation des battements de mains, s'atté-n uère 111. e t a t te ndire 111.

Or, comme le peuple attend mal quand il ne coin prend pas, un ronflement mug it de nouveau dans l'entonnoir du cirque, de murmures, de cris el, d'injures.

L'obélisque rose, avec la figure d'or de son socle, perçait implacablement tout cela.

Déferlant contre ce phare qui portait au pied sa lampe, les sifflets et les paroles se cadencèrent et prirent une forme, qui bondit en assauts successifs de bête par le cirque :

— Danse) Mneslcr !

Alors Mneslcr s'avança jusqu'au bord de l'I'stl'ade) et avec le geste fatigué d'un dor)neur au soleil qui s'étire hors d'un bourdOlluernen 1. de mouches :

— Excusez-nlOi) je ne puis : je viens de coucher avec Oreste.

Et il s'étendit de nouveau sur son lit vertical.

Dans un demi-silence de chuchotements, les médecins et philosophes, et Claude estimèrent que le mot du mime exprimait ingénieusement l'épuisement de la création d'un prodig ieux rôle ; le peuple et Messaline, trop passionnés pour chercher si loin, se levèrent, le peuple invectivant avec menaces César et désignant l'Ot-este que déjà croyait deviner la rumeur / publique : Messaline, l'enleveuse de portefaix, d'acteurs et de gladialeurs, qui opposait aux clameurs le bouclier froid de ses yeux impudents et impudiques.

— Messieurs, beg'aya Claude, selon sa coutume d'interpeller en ce terme les citoyens romains, il n'y a pas de ma faute ;

je n'ai pas de relations avec lui, moi je veux bien qu'il danse, Messieurs.

— Danse, Mnester ! reprit la foule revirant l'ordre de ses désirs vers le mime.

— Oreste, c'est tous ceux-là, je sais bien, mais danse, Mnester) ce que tu voudras, pour moi, je t'en supplie, roucoula Messaline.

— 11 plaît à ma femme et au Peuple et moi je t'ordonne que tu danses, dit Claude.

— Je danserai, dit Mnester lentement, César et femme de César, par peur de mille coups de fouet dont une morsure de bouche.

Et c'est ainsi (lue pour célébrer l'anniversaire de la naissance de Claude, le cinquante-huitième, au théâtre de Caligula ou plutôt sur une estrade au pied de l'obé-

hsquc de granit rose de Caius, au milieu du cirque de Gains,, au son des flûtes, de l'hydraule et des scabelles pneumatiques, Mnester dansa.

La tunique d'écaillés d'or frémit au soleil connue le vent hérisse l'Ú'hine d'un neuve.

Toutes les parties de son corps souple ont l'an' de jongler les unes avec les autres, eL chacune, où (p/elie aille, est suivie amoureusement d'un morceau de soleil.

El pour la première fois, depuis q Il(' des pantomimes avaient commence, sous Auguste, d'illuslrer par !e g'este une poésie chantée par un chœur ou par une seule voix, ce fut la voix même du mime — on eût dit un bruissement plus sourd des parures de sa danse — qui chanta.

Un bruissement plus sourd : sa voix

est moins une voix, tant elle est g-rave, que le son de trompe des scalwlll's, ces semelles creuses du danseur, d'où chaque bond expulse Fan' sur une noie unique; ou le gémissement des entrailles de la terre répondant à la vibration de riiislrument à plusieurs tètes, l'orgue hydraulique du cirque, nUI par la vapeur d'eau, inventé par la déesse Pallas, construit en forme d'autel par Pindare Ctésihios d'Alexandrie, décrit par Pindare le poète/ Héron, Glaudien et Vitruve ; imité, dit Cornélius Severus, par l'Etna, et sur quoi Néron fit vœu (te se faire entendre, un jour qu'il tomba en péril de mort.

Le mime chanta :

— An milieu de ton cirque, Caï, je danse.

< J-e danse au soleil.

Dans une splendeur pareille,

O ma belle idole peinte, tu parus sur un char rempli de tonnerre,

Et ta bouche buvait l'éclaii- De la barbe d'or du cocher roux !

Tel encore, tu te berças en soie pourpre sur ce pont qui fil de la mer la terre,

A Bailles,

Illuminant l'abîme de ta chlamj'de en pierreries de l'Inde.

Ont suivi plonger tes reflets les milliers d'hommes

Qui se pressèrent pour te voir.

Leur mort te fut libation plein la coupe Du lieu de falaises en croissant de lune.

Tu remportas le grand triomphe Sur le sable de la mer, ces innombrables légions,

Car pour le grand triomphe il suffit de quelque cinq mille ennemis restés sur place;

Et revêtis légitimement la toge palmée,

Et il bon droit tu élevas la Tour ardente de douze étages en ta mémoire,

A Boulogne,

Pour avoir fait prisonniers tous les coquillages du rivage

Par tes Gaulois de haute stature, aux cheveux rougis il la germanique,

Tes beaux Gaulois de taille triomphale.

l'ii poursuivis de ta juste colère Les Juifs alexandrins Qui t'ont préféré leur dieu sans nom.

0,', Dieu a un nom Puisqu'il s'appelle CAIUS.

0 comme ta main sur la joue de celui qui n'aurait pas applaudi ma danse,

Ta bouche sur ma bouche au milieu du spectacle interrompant ma danse !

— Il parle de Caius, grommela Claude. Je ne me rappelle plus bien si j'ai inter-

dit de renouveler la tnetuou'e de ce mOI'I... Ou i ; je me suis opposé à ce que le Sénat le nota) (rmtauue... niais j'ai ele-Ja nuit. raire disparaître toules ses si a Inés !

— C'est Apollon el c'est Orphée, direnL des voix dans le peuple. Si l'on oU\Tait les ca!-(-cres, les bêles, tachées par le c"'<juc, se couc!jera!ettt...

] eu pie, co)ichc-hH ! cria Messalme.

Kl lou jours Mnesler ondule el, se dis- loqLte) el, le bruit dc sa voix sourde est comme un roulenK.MiL el' eng'l'cnagcs prtcieux et [o-rihtes, el toujours charpie par-lic de son corps, 011 qu'elle s ' l'gare, , est suivie amoureusement d'un morceau de soleil.

Il jongle avec les débris du soleil. Claude, qui racole des bons mimes, à ce

point qu'il restait à rêver devant la scène vide pendant que le peuple allait dîner, a perdu tout souvenir même de Pubiius le Syrien, Il se penche pour applaudir au bord du pulvinar, el, la lumière de la chaude après-midi dessine son long'cou et sa tête qui, comme d'habitude, tremble un peu, d'une oscillai ion de canicule sur les verdures ou comme ces poupées, bal-manies aux. portes, qui avaient succède, depuis Hercule, aux crânes humains pendus en l'honneur de Saturne, sur le Capi-tolin, son mont dédicalaire.

--- C'est Orphée, par Auguste ! dit-il avec le peuple. Et c'est Amphion, et une Tlièbes va se bâtir autour de la lyre de son corps, oit les sept planètes vont descendre afin d'entrer par ses sept portes !

On ne comprend plus le chant, qui rampe au ras de terre, moins haut qu'un

râle de fauve : car le mime, après iiii saut et demi périlleux, est retombé sur les mains, en posture de cubiste, les écailles d'or, renversées, écartent leurs feuilles ; les lunules polies ne réfléchissent plus que l'ombre ; la lumière ct la vue baisent Mnes-ter tout nu par les entremailles, et le sublig'ar se rabat comme on hausse une visière.

Le murmure redevient chant, très distinct, d'autant que les scabelles se sont tues :

— Au milieu de ton cirque, Cal, je danse avec le soleil.

Ainsi, cher mort, sous MES PIEDS, LA-HAUT Quelqu'un joue aux osselets avec tes os.

Le mime saute sur un seul bras par bonds énormes sans interrompre ni saccader sa

sourde complainte ; et le voici qui tourne très vile et de plus en plus vite sur sa main, ouverte à terre, qui brille toute blanche dans l'ombre ronde de son corps vertical comme une étoile tombée.

11. n'est pas naturel qu'un homme tasse tant de choses avec ses os, sans se rompre les os.

Ni qu'il puisse démonter le soleil et l'éparpiller en des douzaines de petits miroirs sans finir par démolir le soleil et ne plus savoir comment le raccommoder.

Et, comme le vrombissement croissant d'une toupie d'airain, la voix se fait éclatante et énorme :

— Au, pied de ton sexe, Caï,

Je vais danser comme dansait C(iiiis !

Il dansait avec moi dans ce cirque, dans son cirque, au soleil;

Avec moi et le soleil.

Et aussi: ...

Il dansait quelquefois la nuit.

Caius l'idole d'or et de gemmes,

Caills ramant de la Lune,

Caius plus pâle il force d'amolli' que l'astre pâle,

Il dansait quelquefois la nuit !

Il faisait éteindre tous les flambeaux et lui-meme, parce que cela il était forcé, le pouvant seul, de le faire lui-même...

Mneslcr ne chaule plus, niais parle, pour soi, cl dans une altitude de méditation il a croise ses bras et, penché sa le le sur sa poil ri 110, ci c'est sur sa nuque main tenant qu'il gyre, connue Jes orbites inertes des astres sous ses pieds joints, lentement, comme depuis eterneHejnent.

- ... Il dépendait les astres dix ciel, il'

était assez souple pour s'étendre jusqu'aux astres du ciel, il éteignait les flambeaux du ciel, COMMIS CECI... et alors...

IL DANSAIT... QUELQUEFOIS... —

Et à cette minute on cessa de voir la danse.

Le cirque se remplit de nuit soudaine, de humilie et d'horreur.

Un disque noir mordait à même le soleil, jusqu'à n'en plus laisser qu'un croissant rouge, comme la pénombre des lèvres de Mnesler et les mille mailles, en croissant aussi, subitement pourpres de sa tunique, buveuses de la chair sidérale avec toute l'insondable gloutonnerie qu'ont les miroirs. L'astre charbonnait à la manière d'une lampe qui va s'éteindre.

— C'est l'anniversaire de César ! Ce César de mauvais aug'urc est cause du

prodige ! Et d'ailleurs, c'est lui qui a forcé de danser le mime ! Mort à César ! Mort à sa putain ! Caius est sorti des enfers !

Ces cris et mille autres cris se débattirent, après la longue minute de stupeur, dans les replis de l'ombre épouvantable.

La musique s'était étouffée avec le soleil, sauf un des joueurs de flÙtc, qui, devenu subitement fou, soufflait à perdre haleine la même note suraig'uc presque sans discontinuer ; et la trompette prodigieuse de l'orgue à vapeur qui pataugeait à pieds d'éléphant aveugle dans son autome tique, joyeux et insupportable rythme ternaire.

Au bord supérieur du cirque, juste en travers du pulvinar, clig'notait un dernier rayon roui qui faisait plus précipité encore le branlement habituel de la tête de Claude, comme il l'avait désigné, su-

preme épave des regards naufragés, au désespoir furieux de la multitude,

Les spectateurs ne pensaient plus au initne. le rideau de nuit déroulé.

Dans les restes de la lumière impériale, les yeux de Messanne, seuls, plus noirs que deux charbons éteints, étaient nxes, et sur rien anl i'C chose, sur l'olllbre indestru(')!h)e du fond du eh'quc, — oit s'achevait le dernier g'cst e, et le plus silencieux, de la danse de Mnester.

— Messieurs, commença le bredouille-ment de C!aude, et toutes ses dents (il en avait de fausses) claquèrent connue trente-deux dés dans un cornet sanglant ; niais par le paroxysme de sa peur son tremblement s'acceiera jus(ju'à la jectig'ation des sibylles, li ne bégaya plus, et, se dressant, désigna sa tète à la foule en coiffant réso-

lunient la dernière couronne du sang- du soleil :

— Écoutez, Messieurs ! clama-t-il d'un seul souffle. C'est moi, César, empereur, dieu, augure et versé dans toutes les sciences Inathématiques, jusqu'à la Inusique et l'astronomie, qui parc, l G'KST L'ÉCLIPSÉ ! La lune, Messieurs, qui comme vous savez fait son tour au-dessous du soleil, qu'elle le lasse immédiatement au-dessous ou que Mercure et Vénus soient entre deux, se meut en longitude comme cet astre... Aucun de vos fils, nobles sénateurs, n'est-il donc revenu d'Etrurie dignement instruit dans notre innnérnoriale et sacrée doctrine des aruspices, et ne sait-il déchiffrer, comme celles des victimes, les entrailles du ciel? 11 n'y a aucun dang-cr! Ce mime n'est pas un astrologue!.,. La lune se meut en long-i-

Inde,.. Ne m'approchez pas, et écoutez! Kl, d'aiHcurs Agrippa a citasse les ( llial-(Mens et astrologues de la Ville ! Mais la lune, faites attention à ceci, a en outre un mouvement en latitude, ce que ne peut le soleil !... Restez iranquilles, Messieurs!... El. ainsi elle passe devant et l'occulle avec son ombre ! (Test sous la questure de mon père Drusus (!u'Augnsle a fa il défense aux astrologues de prédire la mort de personne ! Reprenez vos places! L'éclipsé ne doit durer (lu'un donwptart, (rt)eure, il n'y a même pas besoin d'aMu)ncr des torches ! La lune va détacher son bandeau du soleil !

Claude retomba, dépossédé de l'auréole écarlate, sur les coussins de sa loge, et étanclia la petite écume de sa bouche avec le mouchoir de Messaline.

Le soleil reprit sa place, comme tout le monde, et se remira, comme l'impératrice,

pour voir s'il n'était plus trop rouge, à la fulg'urante poussière de l'arène sphingi-tique.

Mais quand les spectateurs s'entrc-reg-ardèrenl, ils venaient de si avidement fixer l'astre reparu, qu'à la place de chaque te l,e, les uns des autres, ils ne perçurent plus que des taches noires, et que tout le Cirque sembla peuple de neg'res.

Quelque chose avait rouie à bas de l'estrade du théâtre, et occultait encore la lumière par terre : une boule aussi parfaitement ronde que le disque d'une planète chue, le corps inextricablement pelotonné de Mnester il la fin de sa danse. Or pelo-tonnement est un terme astronomique, « g lomerrunen », — fit remarquer non sans pédanterie le médecin Veclius Valens quand, sur l'ordre dcMessalinc, on emporta

précieusement le mime au palais des Césars, au son, le peuple étant redevenu joyeux, des flûtes et de l'Itydraule, — (lui se dit de la libration de la lune.

Et ce soir-là, cinquante-huitième anniversaire de la naissance de Claude :

— Claudi, mon mari, empereur, dieu, dit Messaline au lit, se refusant comme elle aimait à faire jusqu'à la réponse favorable à quelque paradoxal caprice ; César, aug'ure, homme si versé dans la musique et surtout l'astronomie : Je veux LA LUNE.

SECONDE PARTIE

Les Adultères légitimes

1

SOI 'S LES LAMPES DE DIANE PERSANE

Siqnidem Lalinarum, ferii.t quadrigw cer-tant in Capilolio, victorqne absinthium bibit. C. PLINII SKCUNDI IS'at. llislorim lib. XXVII, 2R,

'— 11 n'est plus évanoui, mais il reste immobile et il ne parle pas, dit le médecin, rentrant dans la grotte.

Cette grotte était le plus frais triclinium de la maison d'été de Lucullus, la salle souterraine et sous-marine de la Diane persane Anaïtis, plus froid que la caverne, maison rustique de Tibère à Terracine, d'où il passa sans transition aux glaces du fer et de la mort. Elle était tendue de cuirs tout entiers des vaches de l'Euphrate, au flanc desquelles, à la place des lampes sacrées, flambait une vitre, claire des eaux salées du Tibre qui grondaient derrière les murs depuis l'art de Lucullus, architecte d'aqueducs au point d'avoir été proclamé le Xerxès romain.

— Plus que clans son temple de porphyre el. d'immortelles, rêva Messaline, le dieu ferme pour moi sur l'arcane de son cœur son poing'. — Claudi, dit-elle, le pantomime Mnesler refuse de Mi'oI)Cir en une chose !

Claude ne répondit pas d'abord, l'oreille au grincement des fenêtres de cristal : des fiasques de vin si centenaire qu'une carapace de coraux les laissait croire éven-trées, rampaient sur les pattes de crabes ou les douzaines d'ailettes ventrales, remuant un vertigineux dégoût, de limules dont le dos enduit de cire scellait leurs g'oulots. Puis le verre répercuta le g'rondement d'un tambour de Taprobane, et un plongeur, vêtu d'une pierre entre ses cuisses, descendit cueillir des huîtres de Bunligala, le sorcier musicien le protéB'eant, durant le même temps qu'il l'etc-

naît son souffle, de la vigilance du requin gardien du parc circulaire.

— Quelle chose ? dit Claude.

Mais la pensée de Messaline s'était interrompue de respirer avec le plongeur ; et l'échanson, qui était un soldat, prit ce loisir pour mettre fondre un nouveau fragment de Falerne dans l'eau chaude de la coupe de l'empereur.

Claude but, et sa joue s'empourpra, dessinant pâle la cicatrice du coup de poin-çon :

— C'est moi qui ai renouvelé la coutume désuète de choisir les acteurs parmi les esclaves! Et Auguste, s'il a restreint le droit de correction des esclaves, l'a maintenu pour les histrions ! Il faut que le mime t'obéisse, Valéria, en toutes choses !

Un cliquetis plus formidable prolongea le chevrotement de l'ordre de Claude : de

même que des peaux tannées étaient l'épiderme de la salle autour des fenêtres jusqu'à la voÙteJ — corroyé de casaques et de faces, étincelant d'yeux plus hébétés que la prunelle de jade des vaches et l'éclair des piques, le bas des murs était tendu de soldats.

Car, dès les premiers attentats, et les imaginaires, contre sa personne, l'empereur ne se couchait plus il un repas sans que l'armée fit partie de sa vaisselle plate.

Sur l'ordre de l'impératrice, avec l'assentiment de Claude, un licteur sortit vers Mnester et revint, tard, ses verges sanglantes et rompues.

— Il ne parle pas, s'affaisse et roule, rapporta le licteur. ;

— Il doit être paré maintenant d'un treillis de petits croissants de sang, comme

quand il éclipsait le soleil, tous deux dans le Cirque, dit Mesbaline.

Et sa langue fut dans sa mémoire une mille et unième lunule rouge.

— Il refuse, dit Veelius Valens, qui buvait sur le troisième lit, vis-à-vis de l'empereur.

— Et tu prétends l'avoir choisi parmi tes esclaves ! s'écria-t-elle.

Mais Claude venait de s'assoupir, sa joue balafrée sur son coude; et au-dessus de la petite table de thuya, dans son demi-réveil quand sa femme lui parla, tout ce que put son geste fut d'ag'iter et renverser sa grande coupe : des caillots d'écarlate roulèrent et tachèrent les trois lits et le passage des esclaves.

Messaline se tourna, sur sa couche, vers le médecin :

<— Un philtre serait-il plus efficace que

des verg'es et du sang' à contraindre à l'amour celui qui n'aime que soi-mêule): ainsi que la vierg'e Arlémis dédaigne tout le ciel pour recourber l'une vers l'autre ses deux cornes? Je suis sure à présent que c'est un dieu qui me possède et non un histrion esclave que j'ai l'ait I)ai,tt-e ! Sais-tu conjurer les dieux, médecin?

— Artémis, dis-tu? dit Valens, sans presque s'interrompre de boire. Artemisia, l'absinthe, est un philtre elle-même. Artémis, Luna, Phœbé, triple Hécate ! H y a trois absinthes : celle des Gaules, la san-tonique aux cheveux dorés ; la politique, du Pont et de plus outre vers l'Orient où les besLaux s'en engraissent, ce qui fait qu'on les trouve sans fiel, de même que: nous contemplons la lumière du fleuve à travers les foies de ces vaches, ouvertes comme celles, pleines, dont la grande ves-

tale brûle les fœtus le jour des Palilies, Valéria, et c'est la meilleure : celle d'Italie est plus arrière...

— Je ne te demande pas un hippomane pour un taureau, mais pour Priape, dieu ! dit Messaline.

— ... L'absinthe maritime, I e seriphium de Taposiris en Egypte, dont un rameau tenu à la main ou le breuvag'e avec l'huile et le sel initie aux mystères d'Isis ! Une livre de pontique bouillie dans quarante setiers de moût jusqu'à réduction d'un tiers, de même qu'on fait le vin d'hy-sopc...

— Ces vins d'aromates sont des parfums, dit Messaline, je n'en use qu'à ma toilette.

— Les parfums ont vertu de philtres, souviens-toi. Souviens-toi de mon phtho-rillllt de Thasos, où j'ai uni la scammonee

et l'helléborite d'hellébore noir, ces abortifs dont je t'ai parée plus somptueusement, ma maîtresse, que d'essences de fleurs ou de P;.et-reries, essences de la terre, t'en eusse-je acheté pour tous les quatre-vingts talents que me vaut un an consacré à guérir ou à t'obéir. J'ai créé le phtho-rium en semant la vertu des plantes autour de la racine des vignes ! Et j'ai macéré pour toi, avec l'artcluisia et le miel, des cmménagog'ues. Et je t'en combinerai un philtre, insoupçonnable et irrésistible, d'amour pour le dieu d'amour lui-même, si la faveur du dieu mûrit ma vendange !

— C'est bien long : la dieu sera mort, ou je serai devenue amoureuse d'un homme ou d'un âne, et mon amour à moi n'attend pas de saison, dit Messaline.

— Tu peux dissoudre l'artemisia, un

jour et une nuit, dans l'eau de pluie salée, et c'est cette même absinthe dont une coupe, en nos antiques fêtes du Latium, était le prix suprême des courses de quadriges au pied du Capitole, le prix au-dessus de la couronne d'or ! Car dans l'eau elle est santé souveraine et elle éclaircit la vue, quoique dans le vin, à vrai dire, elle g'uerisse des venins de la cig'uë, du dragon marin, de la musaraigne et du scorpion ! Et flairée elle provoque le sommeil, et tout aussi bien si tu la glisses sous le chevet de Mnester, à son insu!

L'impératrice, avec à peine le butin des dernières formules, avait fui la loquace présence du médecin ivre.

— Et je t'écrirai le reste des propriétés de l'absinthe, hoquetait-il parmi les ronflements de Claude, avec de l'encre d'absinthe, et si tu ne veux pas les lire la posté-

rite les lira, car l'encre d'absinthe est indemne des rats !

Après un jour et une nuit, 01'1 il plut une pluie chaude et dissolvante comme des pleurs de joie, sous laquelle Messaline fit cueillir la plante et en composer le philtre :

— A-t-il bu? demanda Veclius.

— Il a bu, dit Messaline, radieuse et furieuse d'une nouvelle volupté et d'un outrag'c inédit; — il a bu, docilement, à ce point que ce n'est pas Plialès, ni Mnester, mais un tout petit enfant dans son berceau, qui a oublié sa divinité, qui s'est oublié, en moi !

— L'absinthe infuse un jour et une nuit dans l'eau de pluie est en effet, emména-g-ogue aux femmes, mais aux hommes diu-

relique, scntencia gravement le médecin V eetins Val en s.

Or le peuple ne tarda pas à gronder de nouveau autour du palais des Césars, à cause de son mime séquestré. Et Messaline, comme elle eût jeté à l'émeute des poig'nécs d'or, avec les monnaies d'airain de Caius, dont le Sénat venait de voter la fonte, fit couler des statues de Mnester, à profusion par tout l'empire.

Et ces effigies, semblables el des œufs d'or, perpétuaient le g'estc du Narcisse des jardins et l'astre du théâtre de Caius.

Et les fouilles modernes ont exhumé un de ces cubistes de bronze à la piscine de Caprée.

Veclius Valens examina avec intérêt le portrait de métal :

— Alors, c'est là Phalès?

— 0 oui, dit Messaline, c'était un tout petit enfant, mais c'était bien la présence réelle de Phalès. Phalès, Priape, le dieu de l'amour, c'est un petit enfant pudique jouant à se cacher derrière un arbre, lequel il porte partout avec lui.

— Et pour un asile plus secret, il trouve la femme de plus tendre aubier, plaisanta Vectius.

— C'était bien Priape, je l'ai vu, répétait obstinément Messaline.

— Pour nous autres désormais, de par l'indiscutahilité d'un témoignage oculaire, conclut le médecin, Priape est un homme froid.

II

LE PLUS BEAU DES ROMAINS

C. Silizlln, jwcnliilis romanw pulchcrrimum.

C. COHNui.Ii TACITI Annalinm H)). XI, 12.

Sans doute pour avoir multiplie les ressemblances de Mnesler, Messaline s'aperçut un jour qu'elles n'avaient qu'un modèle; et il n'est du caractère d'aucune femme d'hésiter longtemps entre un dieu unique, fut-Il de l'amour, et un nombre pluriel d'hommes.

Elle s'éprit donc ardemment d'un jeune patricien, C. Silius Silanus, consul désigné, lequel, au cours du procès des chevaliers Pélra, après la mort de Poppée, l'avait émue de sa faconde à exalter l'honneur antique des orateurs (ce qui était à cette date le plus en vogue des lieux communs oratoircs), et sing'uliercmcnt de Corvin us Messalla, ancêtre de Messaline, et à flétrir ce délateur Suilius, qu'elle n'avait fait sien

qu'en le rappelant de la déportation dans une île.

Il l'éblouit en outre de son teint vermeil, sa barbe de bitume, des grands gestes de ses mains lourdes, dont le petit doigt gauche crevait l'anneau d'or, et de ses lèvres qui saillaient comme une langue de rechange.

L'impératrice et toute la bande de ses premiers amants, les affranchis (sauf Po-lybe, le lecteur, qu'elle avait fait périr à la suite d'une brouille amoureuse) : Cal-liste, qui prétendait avoir sauvé Claude du poison sous Caius, Narcisse, Evodus, Pallas, descendant des rois d'Arcadie, noble esclave, intendant de César; et le médecin Vectius Valens, — l'impératrice et les affranchis se mirent à vendre « comme des cabaretiers », rapporte Dion, le droit de cité même aux Bretons, et tous

les privilèges vendables, de sorte qu'en peu de temps, mais pas plus vite que ne palpitait son cœur, Messaline sentit se gonfler la bourse en pierreries qu'elle agrafait avec ostentation sur son sein gauche.

Cependant Claude, ministre inconscient de ses affranchis, envoyait au supplice, au fur et à mesure, ceux qui, lui semblait-il, usurpaient le titre de citoyen, et Messaline et Pallas revendaient ce titre, sitôt vacant, au plus offrant.

Messaline se procurait beaucoup d'or, car son expérience distinguait l'amant riche, personnage consulaire et notoirement intègre à ce signe, qu'il fallait l acheter noblement cher.

Or Silius était non seulement personnage consulaire, plein d'honneur et de biens, mais, récemment marié, faisait pa-

rade d'un grand amour pour sa jeune femme Junia.

En conséquence, furent portés en obla-tion au nouveau dieu des présents nomhreux., et, après que l'or fut épuisé en présents, toutes les richesses successives des Nérons et des Drusus, entassées au palais des Césars, et jusqu'à l'échiquier de Pompée, sous l'œil bovin de Claude dont la fixité ne voyait plus, faite agitation éperdue par le tremblement, qui s'accentuait, de sa face; les esclaves mêmes de l'empereur, dont il n'y avait aucun qui ne s'appelât Christ ou Chrest, à titre de certificat ,de leur excellence; et la seule d'or des statues de Mnester.

Le jour où le dernier trésor (réserve faite du lit impérial), qui était le panneau de perles, portrait de Messaline, descendit du Palatin sur ce qui restait d'épaules

d'esclaves femmes, alors seulement, derrière la dernière esclave, l'impératrice s'offrit à Caius Silius.

Silius la trouva impériale et belle, et surtout il se souvint de la mort d'Appius Silanus, beau-père de Messaline, lequel eut la tête tranchée pour conspiration, car n'était-ce pas conspirer que se refuser aux désirs de l'Auguste ? et de la mort par le poison de Vicinius Quartinus, consul, et de beaucoup de morts.

Impériale.

Et, de même qu'on devient amoureux par contage d'une femme belle qui est amoureuse, l'éloquent personnage consulaire, que la Ville unanime proclamait le plus beau des Romains, sentit la passion de l'impératrice, qui l'environnait, resserrer ses cercles jusqu'à lui ceindre les tempes d'une couronne d'empereur,

Et pour ces raisons, et pour sa béante, il l'aima.

Messalinc était venue toute nue, comme on se livre au choix d'un acheteur d'esclaves; et elle était enveloppée, en attendant les bras possesseurs du maître, du grand , manteau qui recelait, à ses sorties, la courtisane suburrane ou la chasseresse du dieu des Jardins dans ses jardins.

L'étoffe qui caressait son corps pouvait être dite en tous temps le manteau de Su-burre, car la perruque d'or était superflue à la faire courtisane.

Et devant son actuel amant, comme aux pieds du Phalès de qui la rue des prostituées traçait le sillage d'amour,elle avait toujours l'air, au cœur des plis d'ombre, de la Nuit elle-même abritant son frileux oiseau.

Pour une telle divinité des ténèbres, un rayon de soleil est une pluie qui glace,

comparé au voluptueux encens d'une lampe qui vient de s'éteindre dans un lupanar.

Or ce n'était pas (un détail le manifesta) le vêtement de la nuit <iu lupanar, mais du soir de l'hippodrome de l'Asiatique, que Messaline dévêtait chez Silius !

Mais il est logique et humain que l'on se trompe à l'extérieur des femmes, et c'est ainsi que Claude pariait absurdement qu'elle lui appartenait à lui seul, les jours précis où elle lui rentrait toute odorante de la cellule enfumée de Lycisca !

Ce soir-là donc, chez l'Asiatique, un murrhin mig'non, comme tombé du nid, s'était cramponné à sa traîne de toutes ses griffes un peu faussées ; et comme elle n'avait jamais remis ce manteau depuis, elle aperçut seulement la pierre rose éclaboussée de lait longtemps après qu'elle eut jeté le manteau, plus moelleux tapis, sur les

dalles fourrées du cubiculum de Si-lius.

Elle lui offrit ce dernier bijou — l'or de ses seins, la bouche de son amant venait de le cueillir —, et quand le couple en vint à se reposer sur sa couche, un jeune garçon fut appelé afin de verser du Cécube mousseux dans l'admirable gemme à boire.

Alors le plus beau des Romains, à plat-ventre, se souleva sur ses deux coudes et fronça le sourcil vers la main de Messaline qui lui tendait la coupe. C'était une des coupes que la course de l'impératrice avait traînées sur les gradins ; et, aussi patente que l'écartement des doig ts qui la présentaient, sa fêlure pleurait, telle la clepsydre des heures d'amc u'.

Souverainement^ du haut de l'hommage de tous les trésors, sans tare jusqu'à — dit

son regard méchant — la donatrice et le plus récent don, Silius cria :

— Tut n'es pas jalouse, Valéria, de me donner toutes ces choses femelles?

— Mon sexe est le plus pelit ! répondit-elle, avec un geste.

III

LES NOCES ADULTÈRES

Le l'it des Césars n'avait pas été apporté chez Silius comme y étaient venus les meubles et les esclaves et l'amour de Mes-saline, non que ce lit fut enraciné au sol du palais à l'imitation de la couche homérique d'Ulysse) ni parce qu'il est plus naturel qu'un homme marche vers un lit que le lit vers l'homme; mais parce que le lit des Césars n'est tel, dans la pensée de Messaline, qu'avec pour baldaquin tout le palais des Césars, depuis ses fondations, dont la plus profonde est celle de Rome, jusqu'à son faîte, qui est Claude César lui-môme, en train d'écrire l'histoire de cette Rome dans son transparent belvédère, sans en pourtant discerner encore, à ce point de sa lente érudition, cette ultime péripétie.

Ft il y eut une fois une aube oit la large couche nuptiale, aux pieds trapus d'ivoire cerclé d'argent, plaquée entièrement, du même vierge meta!, à la mode de Délos, et couverte d'une pourpre brodée de figures d'aigles, fléchit silencieusement sous le poids musculeux et nu de Silius, de qui la barbe noire fit plus éblouissante la soie candide du drap eL l'épaule de Messa-

line. t

Le contraste ras et blanc de Claude teignait naguère, dans celle même chambre, toutes choses de la couleur des cheveux g-ris.

Or cela ne l'attristait point, lui étant un rajeunissement, mais sans qu'il souhaitât d'être ramené à une trop première a d0.. lescence.

Quand il n'avait pas de cheveux gris, il n'était pas l'amant de Vénus.

De neige, ils lui tressèrent l'aube de sa couronne impériale.

Ouant à la candeur suprême, Claude ne la regardait pas en face, et son l)ranlement de tête s'expliquait sans doute par celui d'un cygne acculé (lui projette son cou il droile et, à g'(lIIclle, selon qu'il n'y a pas de chasseur, parce que la vie ne lui fut pas assez longue haleine pour le chant de l'apothéose.

El. comme Silius s'etendaiL dans ce lit, à peine -itix bras de Messahne, il lui signifia, ainsi qu'avant la coupe de leur premier i)a!ser, d'un rancuneux regard une si douloureuse angoisse, (lu'elle lui pardonna tout de suite et même se repentit de la faute qu'elle devinait avoir commise, quelle que fut celle faute.

Silius cherchait, tâtonnait précipitamment de ses deux mains, sous la vaste

nudité de sa carrure, captura l'objet — était-ce une bêle qui l'avait mordu? — de son horreur.

Livide, anguleux, cristallin, sévère, sénile, obscène,, nu jusqu'à l'os :

Un dé.

— Il fallait g-arder une esclave, dit Silius, debout sur le tapis, pour changer les draps de César.

— Mais je t'ai tout donné, Silius, sang-Iota Messaline; je ne pensais pas que tu ferais attention à... cette chose, je ne pensais pas que Lu trouverais cette chose ! Mais on a laissé les draps de Claude aussi naïvement que, si Claude n'avait pas débarrassé ce lit à ton entrée en costume héroïque... je t'aurais aimé sur le corps de Claude —

[En costume héroïque, c'est-à-dire tout

nu, avec quelque draperie derrière l'épaule gauche.]

— Mais je t'ai donné loule ma vie!

Mais je l'aime, Silius ! Mais mon corps, que tu ne repousses pas... Veux-tu donc aussi arracher ma peau, qui est à Claude? Je t'aime !

— Oui, Valéria, tu nous aimes bien tous les deux — je lIe compte pas la plèbe des autres — tous les deux, moi et Cesar.

... Levc-!<)i ! tu ne m'as rien donné, aucune parcelle d'amour puisqu'il me manque une parcelle de ton amour ! Ou si tu me donnes tout, si tu te donnes toute... Celui qui possède absolument la femme de •César est... Je suis César ! je suis ton mari légitime, et c'est peut-être de peur de déjuger tous mes aïeux Césars que je ne châtie pas, moi non plus, celui qui m'est, depuis tant d'années, si efïroyable-

ment adultère, dans mon propre palais, qu'il ne m'a laissé ma femme que cette dernière nuit, la première... C'est pour cela que je ne peux pas la répudier, je n'ai pas encore joui de nos jeunes noces, car pour moi, jusqu'à cette nuit... (Silius pleure) MESSALINE EST VIERGE !

— Tu as raison, ab-so-lu-mcnt, Silius, dit Messaline.

— Silius ! Mais oui : Silius ! je deviens fou, dit Silius; tout ce j'ai dit est ridicule, j'ai usurpé les trésors des Césars et volé sa femme à César, comme tout le monde, voilà tout. Je ne suis rien, que Silius, consul désigné, simple particulier, époux de Junia Silana. Ha ha ha ! mari de l'Au-glistp. ! Où est le contrat de nos noces, impératrice ? l'acte légal ?

— Tu es César absolument, ô César, dit, à genoux, Messaline.

IV

L'IMITATION DE BACCIIUS

Or Claude partit un jour pour Os Lie, à l'embouchure du Tibre, dont il avait achevé le môle et le phare, commencés par César, et creusé le port pour les blés d'Afrique et les fruits d'Espagne, de Gaule et d'Orient, afin d'y sacrifier — une tempête suffisant pour affamer Rome — dans le temple de Castor, fils de Tyndare, qui chasse les orages et les pirates.

Huit Liburniens l'emportaient en litière sur la route, douce et courte à cheval, mais peu praticable aux voitures parce que, tantôt resserrée entre des bois de figuiers et mûriers, tantôt qui s'épand au long de prairies plates, elle n'est pavée nulle part.

Erudit en toutes choses, sauf de son ménage, au fond recueilli de sa chaise cou-

verte, il se mit en tête de s'illustrer émule des Cadmos, des Cécrops, des Linos, des Palamède, des Simonide, des Damarate et des Evandre, et inventa trois lettres inédites d'alphabet, le d éolique [digamma], le ) ( [antisigma], et une diphtongue inouïe, laquelle prétendait à traduire l'onomatopée du baiser, ce double destin.

Cependant, au même loisir que l'amble humain de la litière octophore, la femme de César épousa lég'alement Silius.

A ROIne, le consentement des époux et de ceux dont ils dépendaient suffisait au mariage. Les cérémonies nuptiales étaient accessoires.

Mais une femme passait en la puissance paternelle de son marr, sous sa tutelle et devenait sa propriété comme un objet mobilier, de tro.is manières : usu, coemp-tione, farre.

Par Yusage : quand, mariée, elle était restée un an révolu chez son mari, elle lui était acquise par usucapion.

Par la coemption : le mari l'achetait, avec toutes les, formalités d'une mancipa-tion fictive, comme une chose.

Par la confarréation. Et c'est ce mode d'union que choisit Messaline, en présence de dix témoins, entre les mains du souverain pontife et du flamine de Jupiter, -/«Ta toùç Wpoù; Et l'on sacrifia aux dieux un gâteau du blé nommé Jar.

Pendant ce temps-là Claude priait Castor, protecteur des blés, que le Jar ne manquât point à Rome.

La confarréation était l'union indissoluble, sans divorce possible. C'était une longue cérémonie qu'un coup de tonnerre, présage néfaste, pouvait rompre, mais Claude était exaucé de Castor 1

Silius avait divorcé la veille avec Junia Silana.

Quant à Messaline, épouse pour la vie de Silius, elle n'abdiqua point l'union de César ni ne souhaita la mort de Claude César.

La maintes fois meurtrière laissait grâce dans son cœur, assez infini pour la générosité, à tous les amours passés, et ne reconnaissait au veuvage que cette commodité de calendrier, flétrie par Sénèque) de pouvoir dater des différents maris et non des consulats. Car si une femme, qui apprend par son sexe, est capable de se souvenir du nom de ses époux, elle n'est pas informée de tous les consuls : il y en a qui sont morts, ou loin, ou eunuques, et ils sont tous doubles.

Et elle se persuada en si absolue sincérité que l'amant de la minute présente était son légitime mari, qu'elle prit des

dispositions pour célébrer de même sorte, dans l'ordre de ses futurs amours, mais sans renoncer aux antérieurs époux, une pluralité de justes et indissolubles noces.

L'unpututc couronna la prcnncrc.

On était el la fin de l'automne. En conséquence, pour moquer le mesquin tour-dc-rôle des saisons, symbole de l'unité successive des maris selon le préjugé, elle n'imagina rien de mieux que de gonfler quand même la pulpe ridée des raisins feus, et de donner, sur la joue du palais impérial, un simulacre de vendanges en l'honneur de son mariage de ce jour-la et de Bacchus) pupiHe de Priape.

Au milieu d'ormeaux en caisses, arqués sous les grappes ensachées, et de la danse et du chant d'esclaves maquillées en Bacchantes, au gémissement, jusqu'au sang', des pressoirs et au bouillonnement des

cuves, le couple nuptial, en déshabillé de peaux de houes et Messaline cheveux epars et secouant un thyrse, sentit l'encens du vin baiser ses cothurnes, puis en fumer sa tê te jusqu'à ce que tout prit pour eux l'allure désordonnée d'une ronde, comme les dieux se réjouissent au tournoiement, des soleils.

Et cette gyratioi d'hommes., plus confuse que l'écrasement des raisins, c'était le monde de tous les anciens amants de la nouvelle mariée, depuis Mnester en Pan, vêtu d'une peau de loup, jusqu'au prostitué Césoninus, en Baechus couronné, imberbe, coiffé d'une calotte de lierre, et de qui Messaline avait jadis voulu se prouver le mâle...

Tous, sauf leur doyen, Narcisse, qui s'était abstenu par une jalousie tardive et subite, l'acte nuptial seulement alors

apparu réel, parce qu'écrit, à sa nature de secrétaire.

Vectius Valens, par une saillie d'ivrogne, feignit plaisamment de vouloir s'envoler pour rattraper la fui Le précieuse eL ascendante des vapeurs du vin, lesquelles, sous prétexte d'aller couronner les dieux, dénim-baient les fronts des buveurs; il se hissa sur le plus grand orme; et du ton d'un astrologue délimitant sa maison du ciel, il s'écria :

— Lole s'invilc à noire vendange : je vois une furieuse tempête qui s'approctie, venant d'Ostie !

Lit-dessus l'évohé redoubla, et l'hilarilé nombreuse du froissis de cuivre des tam-bourins.

Sagement, il se détourna du ciel, CI voici ce qu'il découvrit de spectacle terrestre, sur une scène Improvisée de sol

nu, où les dernières feuilles mortes des vig nes étaient balayées au vent de la danse, de même qu'avaient battu l'aire les talons, dont l'ivresse croyait continuer les gestes de vendange.

Il y eut un frémissement entre les pampres, comme un éléphant, se frayant passage au moyen de son proboscide noir, couche de gauche et de droite ses herbes d'Asie, qui sont de hauts arbres; et un nègre éthiopien, nu comme la poix, bondit en avant, à la suite et dans la direction de son geste d'égipan.

Ses mains étaient liées derrière sa tête, et ses coudes lui figuraient de monstrueuses oreilles percées plutôt que des cornes bouquines. Et ainsi il n'avait le libre usage que d'un membre, acrêté, comme l'ergot

d'un coq do combat, de l'acier d'un éperon.

Et selon une mode, favorile aux noirs d'Ethiopie, un grelot d'argent s'enkystait dans 1 ex 1, J'cm).e .1' de sa peau, jusqu'à la sourdine; ce qui ne l'empocha pas, aux oreilles de Messaline, de carillonner, quand le fanfaron galop du champion fil trois fois le tour de l'arène, mieux que les sonnailles des mules de tous les attelages réunis qui halent un bélier vers une ville.

Cependant le gladiateur blanc, adossé à un ormeau, devant la pourpre des raisins, d'une pâleur de perle qui déchirerait le lobe qu'elle orne, se mit en g'ardc avec une temporisation savante et comme à mesure d'une crucifixion.

Or parce que le blanc était beau et

rassure vainqueur, Mcssalinc se sentit tout amoureuse du nég'rc.

Aussi, pendant que la troupe des femmes, jusqu'à CésDîiinus ; el, Silius et les invités, encourageaient l'un ou l'autre antag'oniste par les évolié de leur rut ou de leur rire, elle s'appuya, sans une parole, à la lice de ceps, qui fil ventre à se rompre, et, ses ég-idcs souillées jusque sur s;'s chevilles par l'amour des raisins, derrière le nègre {I" i ne pouvait la voir, ses yeux convergèrent sur l'adversaire blanc les miroirs ardents de ses désirs.

Et parce qu'eue était une prostituée très experte el irrésistible, et que l'aul"e n'était qu'un nulle, le reg-ard de Messaline, ce ne fut pas l'Immédiate riposte d'un regard). mais d'une possession, et le don candide de toute une aine qui le croisa !

N'ayantplus à combattre qu'un désarmé, et parce que le sang- réjouit les mânes, il fut permis de le tuer au ncg're vainqueur.

Mais Messaline requit le glaive d'un professionnel bourreau, afin que l'exécution l'lit plus prompte.

- Elle a hâte, pensa Silius, la fête terminée, de notre lit nuptial.

Mais après que l'homme fut mort :

— Tue ! répéta l'impératrice.

— Bacchus t'aveugle,, dirent-ils tous, montrant la preuve encore gisante de l'ordre exécuté, et la mare d'un autre sang' que celui des pressoirs.

— Tue ! dit Messaline, sans plus accorder aucune attention à Silius et s'adressant au nègre plus langoureusement que les femmes de Tibère n'imploraient la caresse sans seconde de son ongle empoisonné; tout de suite ! ô tue-moi, indiqua-t-elle.

La brute noire, qui restait prête, comme une stupeur reste ahurie, se mettait en devoir de détacher l'éperon tranchant.

— C'est un bon neg-re, et qui sait vivre, essaya de rire Silius, pour laisser oublier un peu aux témoins de son mariage qu'il était mari, et méditant la destitution de Titius Proculus, officier à qui il avait confie la surveillance de sa femme, ou plus précisément l'emploi de chambellan du cœur de Messalinc.

— Non, ce serait trop long, soupirait Messaline; seul tu serais plus,, tu serais trop, ô mon unique amant!

v

LE PÉCHEUR DE MUGILS

Ceci se passait à Nîmes, le jour crû, à Rome, la ville des adultères depuis l'cxenlple de l'impératrice, celle-ci, derrière sa dernière esclave, se rendait chez Caius Silius.

Sur la grève que la Méditerranée possédait encore, le médecin Vectius Valens, sous l'ombre large d'un chapeau thessa-lique tel qu'en portent les spectateurs des théâtres et les pécheurs de la mer, s'intéressait à un panier de poisson.

Des dos gris de plomb luisaient, si épais qu'ils faisaient les bêles presque cylindriques; des ventres dormaient si mats que chaque forme semblait une coudée de défense d'ivoire, cuirassée partiellement de métal et rayée aux flancs de sept nielles grises.

Les têtes, au bout d'une collerette de quatre fortes épines et des ouïes en ardillons, étaient des prodig'es : déclives, coiffées d'écaillés polygonales ; les yeux à demi-couverts par le double auvent de besicles de graisse ; la bouche lourdement lippue, triangulaire et qui se fermait comme s'inculque un coin — Vectius en ouvrit une de l'ongle, et ce fut cette lèvre frétillante qui le regarda au lieu des yeux morts : car les dents ténues clig'naient exactement comme des cils.

Le pécheur se mit à vanter sa marchandise, selon ses variétés : les muges céphale) doré, sauteur, le tout petit muge labeo ; et comme le médecin s'absorbait dans son examen sans aboutir à un geste d'acheteur :

— Je n'attends plus que mes mug'es océaniques, dit-il ; mais voici précisément

les barques qui rentrent, vous allez assister à la fin de la pêche du chelo et du ramodo.

Une petite barque, un céloce, apparut seule, à voiles et à rames, se hâtant vers le point où se tenaient les interlocuteurs, le fond de la baie où s'ouvrait, communiquant avec la mer, le grand étang salé Latera.

— Ils traînent un muge mâle par la bouche et les ouïes avec une lig'ne depuis des jours depuis l'Atlantique, expliqua l'homme; et le banc des femelles suit aveugle, car le muge est salace et stu-pide !

— La nature rit des mugils, dit Vec-tius, car ils s'enfouissent la tète jusqu'aux nageoires couchées de leur ventre, et se croient en sûreté.

-- Vous êtes pêcheur ? s'étonna le pêcheur.

Vectius regardait vers la mer.

Les barques étaient toutes en vue, mais sans ordre et sans qu'elles parussent essayer de se ranger en croissant ni de manœuvrer des filets en travers de la baie.

Et plus blanches que les voiles, des crêtes de vagues les précédaient d'un bouillonnement.

Car une avant-garde de dauphins, visible à fleur d'eau, rabattait le banc des chelos avec la discipline d'une meute.

— Le muge se sauve devant les dauphins, tandis qu'il sauterait facilement pardessus un navire, enseignait le pêcheur.

Et une grande foule d'hommes et de femmes, qui avait envahi la grève et les rives de l'entrée étroite de l'étang-, capturait, au moyen de tridents et de filets à

main, le banc entier échoué dans 1 eau basse, sans inquiéter jusqu'à la fuite les folâtrcries onduleuses des dauphins.

— Ils attendent leur curée de poisson aujourd'hui, dit le pécheur, et demeureront toute la nuit et demain encore, jusqu'à leur salaire habituel de pain trempé de vin.

Puis il revint à ses nouveaux paniers ruisselants, et reprit :

— Tout cela est exquis el manger, car, de même que l'angle aigu de leur bouche ne leur permet de se nourrir que d'animaux mous, leur gosier en forme de filtre ne laisse arriver à leur estomac que des substances déliées.

— Tu pourrais ajouter, ami, que la coc-tion dans cet eslomac est infiniment subtile, car il se termine en g'ésier d'oiseau.

— Achetez-vous enfin, ou es-tu pécheur? grogna l'homme aux mug'ils.

— Je pêche, oui, mais autrement que toi, sans dépendre de chiens marins, et où il y a plus de poisson. J'extrais, à Rome, dit le médecin, assurant son chapeau ihessalique, les mug'ils du supplice légal des fondements des adultères.

VI

PAR L'ENTREMISE DES COURTISANES

Or Claude, instruit de tout à Ostie par les soins de Narcisse et la bouche de ses concubines favori l es Calpurnie ct, Cléo-patre, demandait avec égarement qui de lui ou de Silius était César ou simple particulier.

Cette perplexité démente laissait peu de place à un sentiment presque inconnu, senible-l-il, des Romains de ce temps-là et surtout de Claude, la jalousie, la haine du cocuage, quoique Flavios Joseph écrive qu'il fil. exécuter Mcssaline par jalousie.

— Tu veux rire, ma petite Cléopiltre, bégayait-il. Ne te moque pas de moi, je suis un pauvre homme dans une taverne. Tu veux me faire accroire que je ne suis plus César ! Mais on ne prend pas comme cela à César son palais et ses trésors et

son autorité et Vénus ! J'ai toute ma raison, Calpurnie) je suis bien sage, tu essayes encore de me mettre tes petits soulier3 pleins de boue aux mains (il y a des g'ens chez moi qui ne me reg'ardent pas comme leur maîure!), mais tu perds ton temps, je ne dors pas. Je n'ai pas les yeux éblouis ! Je n'ai jamais été César ! C'est une supposition trop absurde !

Il eut un sursaut. J

— Les torches ! le sang- ! Ami soldat, voici des pièces, beaucoup de pièces d'or. Tu as de bonnes épaules, soldat, pousse la roue, pousse! Io triumplze! Fors-For-luna !

— César, commença Narcisse, qui était venu.

— Ha lia ! César, dit Claude ; n'est-ce pas, Narcisse, que ce n'est pas moi?

— Mais non, acquiesça le familier. Cé-

sar est César chez la Fortune. Elle est là, son char attclé, prête à rouler. , Elle est lit.., Vénus ? trembla Claude de tous ses membres.

— Elle t'attend... FOl's-l?ul'lllllll, César. Et dans la même chaise qui l'avait amené à Ostie, entre Vitellius et Largus Cécina, sous l'œil de Narcisse, Claude César reprit la route sablonneuse de Rome.

Cependant Vénus, comme une ordure des jardins, dans le tombereau des excréments, n'ayant pu requérir d'autre velucule, — et pourtant, étant Augllsta, aussi bien que Livie déesse elle avait droit au cliar ! — s'avançait sans peur à la rencontre de César, sachant que pour fermer les yeux impériaux au plein tombereau de ses souillures, il lui suffisait d ouvrir l éventail voluptueux des siens.

Et comme le soldat imaginaire, ou toute créature qui porte une imag'e du prince est inviolable, elle prit avec elle ses enfants Octavie et Britannicus, lesquels, qu'il fût ou non leur père, ressemblaient à Claude.

Enfin, elle se fit précéder, avec le même cynisme qu'elle eût épilé ses nuits prostituées avec la lampe sacrée des vierges, par Vibidia, la plus ancienne vestale.

— 0 crime! alternaient méthodiquement Cécina et Vilellius à chaque vaste oreille de Claude, comme pour rythmer l'aliati des porteurs.

Narcisse, à demi-étendu en face de ',l'empereur, plus habile, parla au fond même de son âme en l'occupant d'un mémoire, lequel relatait tout le passé de Mos-saline.

— Un mémoire? dit Claude, qui, avidement, paperassa.

Dernière descendante de la noble fa-mille des Messalla et de siècles d'intégrité et de rostres, fille de Messalla le Barbu et de Domina Lépida la Dompteuse-Douce, Messaline, que Claude l'ait épousée souillée ou non et que Lépida lui ait donné l'exemple des débauches ou d'une vie de vertueuse matrone, avait refréné son infamie jusqu'à ce qu'elle pût avec certitude la cabrer au faîte de l'empire.

Dès lors, meurtres sur meurtres : Julie, nièce de Claude.

Julie, sœur de Claude.

Appius Silanus, second mari de Lepida, mère de Messaline et que sa fille fit veuve.

Le fils d'Appius, gendre espéré de Claude.

Le gendre de Claude, Pompée le Grand, et son père, et sa mère.

Calliste, compagnon d'études et affran-clii de Claude.

Vicinius Quartinus.

Pétus et Arria, célèbres. —

Claude, las d'assassinats, se mit à se distraire au déroulement d'exils :

Sénèque...

Du fond sanglant du rag'oût de ces ordures, il ne leva pas la tête vers la pestilence plus fade du tombereau.

VII

EN ATROPOS CHEZ LUCULLUS

EL vincula, et carcerem, et torrnsnla, et supplicia [miles] administrabit, nec suarain erit uilor injuriaruni ? Jain stationes aliis magis faciet quanl Chris-to?

Q. SEPT. FLOR. TERTULLIANI De Corona.

Ce lut la matrone veuve qui eut pitié, sûre maintenant que reniant coupable serait punie, el. qui vint bercer la Inalheureuse, réfugiée derrière les portes de fer de ses jardins, vainement opposées au fer prévu des soldais.

Quant aux complices, les ordres machinais de l'empereur les exécutèrent sans intérêt. Antiquaire amoureux des vieux usages, Claude avait dit seulement :

— Punissez à la manière des ancêtres. Gomme toute coutume archaïque du La-tium était sanglante, cet ordre signifiait : punissez de mort. Les morts traditionnelles s'énuméraicnt : ou battre de verges jusqu'à la mort ; ou battre de verges et achever en tranchant la tête ; ou précipiter de la roche Tarpéienne, quoique ce

supplice fût plus spécialement réservé aux parricides; mais l'empereur 1l'élait-il pas un père, et, en droit romain, l'époux de Messaline n'était-il pas son père? On pouvait ainsi étrangler dans le Tullianu/ll ou dans la Force.

Silius réclama le billot comme il convenait, avec d'héroïques rodomontades ; Veo tius Valens fut bavard, et Mnester s'enveloppa, comme d'un manteau de lâches supplications, de l'ostentation des cicatrices de verges infligées jadis, du fond de l'antre de Diane persane, par César.

— Cela n'a aucune importance, dit Claude ; j'ai fait trancher la télé à un consul désigné et el trop de nobles personnag'es pour excepter de leur sort un histrion ! Et puis il s'appelle mmistiip, le Galant ; et son nom me donnera le titre, renouvelé d'Homère, de mon chapitre sur

sa mort dans mon histoire de Rome : l\).rt¡rr'tl¡po:(O'!iC(, le Massacre des Galants de... Pénélope, lequel est l'argument du chant ving t-deux de l'Odyssée. Qu'il ne se dérobe point à l'exécution : il me volerait mon titre.

Or voici ce qui se passait non loin de la grotte de Diane :

— 'Tite, 't.ilc fille... elle a été une petite fille bien sage! Dis, maman, tu me donneras la petite lampe d'argent pour jouer à la vestale?

C'est Messaline qui parle. On vient d'enfoncer les pot-les du jardin. Sa terreur mortelle et soudaine, en travers des genoux de Domitia Lépida, anticipe le délire de son agonie.

— Bien sage ! Ellle ne cassera plus le y utile en jouant à la toupie avec !

Le futile était le vase sacré qui servait à

arroser le temple de Vesla, et dont le fond, pour qu'on fût forcé de n'y jamais laisser séjourner d'eau, était conique comme celui d'une bouteille à soda.

— Donne la lampe de la petite vestale ! Et voici, portant une torche, précédé d'un centurion en tenue de garde et moins fatal et inflexible de ses armes que de son mutisme militaire, l'am'anchi Evodus, qui inonde la pelouse de toute la lumière crue

1 de ses invectives d'esclave. l

Lépida ramené son voile de veuve sur sa te te.

— Chienne, louve, putain ! crie l'affranchi, et il ne s'interrompra, jusqu'à sa mission accomplie, de vociférer des injures que pour l'urgence d'ordres au soldat.

— Un soldat ! zézaye Messaline ; il y a un soldat. Quelqu'un m'a caressée avec

des paroles de soldai! Maman, laisse-moi aller avec les beaux soldats !

Dis?...

Elle hile la figure qui se fait taciturne de tout. son masque de bure blanche.

— ... Le voile ! Tiens, dieu Auguste est voile !

Joyeuse :

— Bon, bon ! le g-rand gladiateur va égorger le petit ! Lève-moi dans tes bras, maman, que les jeunes garçons à bulle d'or m'admirent joindre mes pouces !

L'atfranchi s'impatiente.

— Inutile de faire la folle, ô la plus abjecte des adultères ! Comédienne, tu n'es pas au Cirque ! Ton cocu de César s'est décidé à faire justice, enfin, et tu ne te sauveras pas ! Tribun de garde, avance.

Le tribun, ses décorations el phalères

clapotant sur sa poitrine, s'avance entre les yeux de Messaline.

C'étaient souvent les centurions el, les soldats qu'on chargeait des exécutions. Tertullien, décrivant les offices divers du soldat, s'écrie :

« Quoi ! il administrera les fers, et la prison, et les tortures, et les supplices, et il ne vengera pas ses propres injures ? Et la garde, la montera-t-il plus pour les autres que pour le Christ ? »

— Chéri, dit Messaline — elle le toise de bas en haut, toujours étendue sur les genoux de sa mère voilée —, je t'aime. J'étais si pressée de t'aimer que je n'ai pas perdu notre temps à me retourner vers ton visage. A présent, je suis contente de savoir que tu es soldat. Tu es beau, tu as l'air d'une outre en bouc, avec ta casaque de cuir! Sent bon. Je suis belle aussi, n'est-

ce pas? Le leno dit que je suis la plus belle. Moi, les hommes m'appellent Ly-cisca.

— Silence, ordure! clame l'an'ranclu; la bouche souille même le nom des prostituées du faubourg1.

Elle met un doigt dans sa bouche, pensive et mutine.

— Maman, puisque tu défends à ta petite fille d'aller promener à Suburre — nunuque Ilalolus dit pourtant que c'est très beau, il y a un grand baquet où font pipi les hommes, prête-moi ton petit 'thy-phalle de bracelet pour joujou.

La matrone se lève brusquement et impose à la main de sa fille, sans rompre son douloureux silence, un poig'nard, sur quoi ses ongles à elle étaient crispés dès avant l'entrée des exécuteurs.

La réalité du métal la rappelle à elle-même et ressuscite toute l'impératrice.

— Je rêvais ! j'étais folle ! Oui, mourir, laver toutes mes hontes... Mais, sotte petite servante, ce bain est trop (.,[.olcl, lui mérites que je te pique avec l'épingle d'or.O,'¡ suis-je? les jardins?

Elle tombe à genoux.

— Pliai ès ! il est parti ! il s'envole. Petit, petit... Je ne l'attraperai jamais! — Cottyto, tu seras récompensée pour m'avoir retrouvé mon bijou. Ma petite broche de corail et de sardoines, ma slola chamarrée ne s'en passait pas. 0 mon oiselet de retour au nid! murrhin joli, coupelle de mousse, Sili !

— Assez d'histoires, grommelle Evodus. Je pense qu'à cet te heure ton amant vomit ses crimes avec son sang. S'il était per- -mis à la bouche de boire son âme, il le fntl-

drail, de peur qu'elle ne fuie ailleurs, clore de tes doigts toutes ses plaies, ô plus vile que les haladines et les joueuses de flûte !

— Oh, ne lui faites pas de mal, à Silius. La mélodie de mes baisers sera la même, sans lui faire de mal, avec sept amants. 0 Pan ! ô syrinx !

Elle caresse mollement sa gorge avec le stylet.

— Elle divague de plus en plus. A genoux, câlin! Tribun, tire ton g'iaive!

Et lentement, le soldat commence d'amener au jour les premiers pouces de la lourde lame.

lVlessaline, au miroitement, laisse tomber son poignard et bat des mains.

— Oui, celui du soldai ! celui du soldat! Claudi, bien-aime, laisse, que ce soit moi qui te déshabille ! Tu es beau parce que tu es vieux, vieux, el. chauve, si

chauve qu'on ne peut pas plus nu ! ni plus laid, ô mon amant ! Où la laideur de l'homme, à son paroxysme, renonce, seulement commence la beauté de la fleur ! Viens, lis des jardins ! viens, mon empereur !

Elle a saisi le long'glaive à décapiter par tout ce qui est visible d'acier brillant et le tire jusqu'à son entière splendeur.

L'affranchi, maintenant, hésite.

— Arrête, tribun. Peut-être va-t-elle se tuer seule. Le secrétaire a dit qu'il valait mieux la faire se tuer.

Le tribun laisse son bras mort, mais sans abandonner l'épée. le seul doigt utile, c'est-à-dire l'injâme, du poing' militaire.

— 0 comme tu as froid ! dit-elle. Ne touche pas tout de suite le cœur île Mes-saline, il y fait si doux que tu t'y brûlerais au sortir d'un tel froid. Et puis, tu ne

m'aimerais pas si je n'étais pas un peu coquette ! Je veux te refuser encore un peu de temps de n'avoir plus froid. Laisse mes baisers te réchauffer tout doucement.

Elle appuie le fer sur sa joue, et on di... rait qu'elle dort sur son miroir.

— Femme, dit l'affranchi à Lépida, est-ce que Votre fille sait ce qu'elle dit?

Lépida baisse son voile et reg'arde, de l'œil de Junon.

Messaline a fébrilement déchiré la gaine légère du haut de sa robe, et son sein est nu comme une lame.

— Salope ! dit Evodus.

— Que me dis-tu, mon grand miroir? Pourquoi est-ce que je me mire toute nue ?

Souriant au glaive, qui brille comme ruissellent les poissons aux flancs niellés,

et qui attend que son maître le plonge :

— Et toi, est-ce que tu te baig nes tout habillé?

  • Le gros geste maladroit du tribun cherche à dégager son arme.

- - 0 ne t'en va pas! dit Messaline. Serre-toi contre moi. Pas si fort ! ne me repousse pas de tous tes bras. Laisse-moi me soulever vers ta bouche.

Elle se hausse vers le tribun.

— 0 comme tu es dieu, PHALÈS ! Phalès, je ne savais rien de l'Amour ; je connaissais tous les hommes, mais tu es le premier Immortel que j'aime ! Phalès, enfin, tard ! Je savais que tu étais dans le jardin ; méchant, qui ne m'avais envoyé qu'un histrion, avec ton masque ! Ton masque si lourd ! Mais à présent, c'est toi. Bonjour ! Vous vous êtes bien fait attendre, Maître. Allons-nous-en chez nous. Ma mère, ne

regarde pas, elle. Elle fait bien. Ce n'est que la veuve d'une très grande barbe. Elle ne comprendrait pas. C'est bien toi. Je n'avais pas rêvé, ou est-ce que je rêve, maintenant ?

Evodus, stupidement :

— Elle rêve, à moins qu'elle ne se moque.

Messaline, en extase, au glaive :

— Bonjour.

Et le monstre d'acier répond au baiser par une morsure, au-dessus de sa gorge, qui prélude à la prendre toute.

— Emporte-moi, Phalès ! L'apothéose ! Je la veux tout de suite, avant d'être vieille ! Ou fais-moi vieillir tout de suite^j jusqu'à la divinité. Emporte-moi chez nous, au plus haut ciel ! le plus haut ! le premier ! Tu es le premier, ô Immortel ! tu vois bien que je suis vierge ! Donne, donne la lampe

pour jouer à la petite vestale ! Si vierge ! Si tard! Bonheur, ô comme tu me fais mal! Tue-moi, Bonheur! La mort ! donne... la petite lampe de la mort. Je meurs,... je savais bien qu'on ne pouvait mourir que d'amour ! Je l'ai... maman !

L'homme au glaive écarte Messaline de son corps ainsi qu'une vipère.

Elle étend ses mains tâtonnantes vers Lépida, qui, sans hâte, se dérobe. La matrone a remis son voile et s'éloig'ne à reculons. :••••■

— Mais c'est un glaive, charog'ne, bave l'affr'anchi, ce n'est pas...

Or c'est lui qui éclate en sanglots et se prosterne comme sous le souffle d'un dieu ; et ses morsures vont se tapir parmi les fleurs, dont le parfum s'exalte de son cri :

— Mais je l'aime! je l'aime!

Et de dessous les fleurs il halète vers

l'espoir d'une figure de femme. Aucune. La veuve s'en va grave et impitoyable. Elle est si veuve et si pure et si impitoyable qu'il y a très long-temps qu'elle n'est plus IÙ. Et ce qui soulève et anime avec une tête son capuchon immaculé, ce ne peut être que l'Obscénité Divine qui se retire vers les secrets de son jardin. Il n'y a qu'un dieu ou un fantôme qui sache faire des plis si droits. Et une vraie femme aurait pleuré avant l'esclave, et ses larmes la dévoileraient sous la trame qu'elles auraient mouillée !

Le dieu est parti.

Il n'y a plus dans Ses jardins que le tribun et Messaline ; et la femme, à JllCsure que le fer se rétracte d'elle, s'abîme vers le néant des fleurs.

Le tribun a retiré tout son glaive ; au bout d'un temps, il conclut :

— Putain!

VIII

APOKOLOKYNTOSE

Inter cetera in eo mirati sunt homines et oblivionem, et inconsiderantiani, vel, ut grwce dicam, y.zxtMply.v et A6XE'.|NAV. Occisa Messallina, paulo post, quam in triclinio decubuit, « cur domina non veniret, » requisivit.

C. SUHTONII THAXQUILLI Tib.

Claud. XXXIX.

— Messaline est morte, dit Narcisse. Claude mangeait, demi endormi, sur son lit de table.

— Elle est belle, elle est amoureuse, elle est morte, elle est Vénus, répéta-t-il d'une voix atone. Va lui dire de venir se mettre à table. Elle est belle, je l'aime, je suis heureux.

— Elle est morte, dit Narcisse.

— Morte, je comprends bien. Elle m'est très fidèle. Je ne l'ai pas embrassée ce matin. Va lui dire qu'elle vienne, il est tard.

— On a avancé l'heure de ton repas, César.

— Avancé l'heure? On a eu raison ! Il faut toujours m'avancer l'heure. C'est pour cela que je suis joyeux, et de savoir

qu'elle n'est pas en retard. Elle n'est pas souffrante, je vois. Je suis très content. Appelle-la.

Narcisse touche l'épaule de Claude et jette sur son lit une tunique de dessous tachée de rouge.

— Elle est morte, enfin, comprends-tu?

A la vue du sang', les larges narines de l'empereur palpitèrent.

— La lune? J'avais oubli..., excuse-moi, Narcisse : mon esprit devient un peu... météorique et ablepsique ! Je vais bientôt être plus ignorant de ce qui se passe dans les planètes (lue les peuples de Taprobane, qui ne découvrent la lune au-dessus de la terre que la deuxième semaine de chaque mois ! Tu es un bon calendrier, Narcisse. J'ai compris. Mais je veux que in a femme me li(llr)llf" compagnie à

cette table tout de même, J'ai une faim pleine de bonheur.

— César ?

— Elle est morte, je sais. Les femmes jouent les assassinées à chaque nouvelle lune.

— Tu n'as plus de femme, César ! Tu n'as pas spécifié, hier, quand tu as dit de massacrer tout le monde, même l'histrion sans importance, qu'il ne fallait pas la tuer. On l'a poignardée et elle n'est plus là, et le Sénat vient de foire ôter son nom et ses images des lieux publics et particuliers et de ton palais tout à l'heure et de cette salle, César.

Alors... Vénus... n'est plus là?

Et d'un geste maniaque, il rue sur le plateau d'argent sonore qui couvre tout le guéridon le sens-dessus-dessous de sa coupe vide, et écoute choir le silence.

.......................

Il écoute, avec toute l'angoisse d'une Danaïde penchée sur son tourment. Et sans transition il éclate d'un rire inexting'uible, et, les yeux qui s'illuminent d'un espoir divin, il tend sa même coupe à l'échanson :

— A BOIRE !

Et c'est ainsi que Claude César, accoudé sur sa couche insatiable d'amour et de festins, pâle, la joue céruléenne de la récente assiduité de son barbier, prototype de Barbe-Bleue à mains de générations de distance que le cynocéphale aux fesses écarlates n'est l'aïeul de nos gloires guerrières, méditait sa quatrième femme :

Agrippine.

FIN

Table

PREMIÈRE PARTIE

Le Priape du Jardin royal

Pages I. LA MAISON DU BONHEUR .. 7 II. ENTRE VENUS ET LE CHIEN 25 III. LE MAITRE ASIATIQUE DES A RnnES. Cl IV. L'IMPÉRATRICE A LA CHASSE DU

DIEU 79 V. LE PÈRE DU PHÉNIX 91 VI. LE PRIAPE DU JARDIN ROYAL 99 VII. IL DANSAIT QUELQUEFOIS LA NUIT. 11 7

SECONDE PARTIE

Les Adultères légitimes

PAGES I. SOUS LES LAMPES DE DIANE PER-

SANE 145 JI, LE PLUS BEAU DES ROMAINS 159 Ill. LES NOCES ADULTÈRES 151 IV. L'IMITATION DE B\CC[!US 179 V. LE PÊCHEUR DE MUGILS 193 VI. PAR L'ENT!{EMISË DES COURTISA-

NES 201 YII. EN ATIIOPOS CIIEZ LUCULLUS nog VIII. APOKOLOKYNTOSE.. 227

Bibliothèque nationale de France 2001

Centre Joël Le Theule - Sablé sur Sarthe

Réd. :

17





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