Mon Salon  

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"Mon Salon" (1866) by Émile Zola.

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Full text[1]

EMILE ZOLA


MON SALON


AUGMENTE


D'UNE DÉDICACE ET D'UN APPENDICE


Ce que je cherche avant tout dans un tableau, c'est un ho.nme, et non pas un tableau.



PARIS

LIBRAIRIE CENTRALE 24 , BOULEVARD DES ITALIENS

1866



I 4579. Zola (Emile). Mon Salon, augmen-

1 to d'uiiô iié Ucaoe et (i'ua appeliclice.

I Paris. Librairie centrale, 18J6, 1 val .

^ in-1-2, br. 8 fr.

EJiiioii oi'^iagle. Raje.

1607. Zola (Emile). Mon Salon. Aug- ^

menlé d'une Dédicace et d'un Ap- .^

pendice. P., 186(3, in-12, cart., non ■';

rogné. (Couv. conservée). 10 fr. ^

Edition originale. nP'


J71. Zola (Emile). Mon salon, aug- menlé d'une dédicace et d'un appen- 'Vj dice. Paris, 1866, iu-i2, br. 8 fr.

Rare.


EMILE ZOLA


MON SALON


PARIS. — IMPREMERIE GAITTET

RUE DU JARDINET, 1


EMILE ZOLA\i^


MON SALON


AUGMENTE


D'UNE DÉDICACE ET D'UN APPENDICE


Ce que je cherche avant tout dans un tableau, c'est un homme, et non pas un tableau.



PARIS

LIBRAIRIE CENTRALE

24, BOULEVARD DES ITALIENS


1866




A/ . 14.


MON AMI PAUL CEZANNE


MON AMI PAUL CÉZANNE


' J'éprouve une joie profonde, mon ami, à m'entretenir seul à seul avec toi. Tu ne sau- rais croire combien j'ai souffert pendant cette querelle que je viens d'avoir avec la foule, avec des inconnus; je me sentais si peu com- pris, je devinais une telle haine autour de moi, que souvent le découragement me faisait tom- ber la plume de la main.

Je puis aujourd'hui me donner la volupté intime d'une de ces bonnes causeries que nous avons depuis dix ans ensemble. C'est pour toi seul que j'écris ces quelques pages, je sais que tu les liras avec ton cœur, et que, demain, tu m'aimeras plus affectueusement.


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Imagine-toi que nous sommes seuls, dans quelque coin perdu, en dehors de toute lutte, et que nous causons en vieux amis qui se con- naissent jusqu'au cœur et qui se comprennent sur un simple regard.

Il y a dix ans que nous parlons arts et litté- rature. Nous avons souvent habité ensemble, — te souviens-tu? — et souvent le jour nous a surpris, discutant encore, fouillant le passé, interrogeant le présent, tâchant de trouver la vérité et de nous créer une religion infaillible et complète. Nous avons remué des tas ef- froyables d'idées, nous avons examiné et re- jeté tous les systèmes, et, après un si rude labeur, nous nous sommes dit qu'en dehors de la vie puissante et individuelle, il n'y avait que mensonge et sottise.

Heureux ceux qui ont des souvenirs ! Je te vois dans ma vie comme ce pâle jeune homme dont parle Musset. Tu es toute ma jeunesse ; je te retrouve mêlé à chacune de mes joies, à chacune de mes souffrances. Nos esprits, dans leur fraternité, se sont développés côte à côte, et, aujourd'hui, au jour du début, nous avons foi en nous, parce que nous avons pénétré nos cœurs et nos chairs.

Nous vivions dans notre ombre, isolés, peu


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sociables, nous plaisant dans nos pensées. Nous nous sentions perdus au milieu de la foule complaisante et légère. Nous chercliions des hommes en toutes choses, nous ^t)ulions dans chaque œuvre, tableau ou poëme, trouver un accent personnel. Nous affirmions que les maî- tres, les génies, sont des créateurs qui, chacun, ont créé un monde de toutes pièces, et nous refusions les disciples, les impuissants, ceux dont le métier est de voler çà et là quelques bribes d^'originalité.

Sais-tu que nous étions des révolutionnaires sans le savoir. Je viens de pouvoir dire tout haut ce que nous avons dit tout bas pendant dix ans. Le bruit de la querelle est allé jusqu'à toi, n^est-ce pas? et tu as vu le bel accueil que Ton a fait à nos pauvres chères pensées. Ah ! les malheureux enfants, qui vivaient saine- ment en pleine Provence, sous le large soleil, et qui couvaient une telle folie et une telle mauvaise foi !

Car, — tu ignorais sans doute, — je suis un homme de mauvaise foi. Le public a déjà commandé plusieurs douzaines de camisoles de force pour me conduire à Gharenton. Je ne loue que mes parents et mes amis, je suis un idiot et un méchant, je cherche le scandale.


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Lis lés quelques lettres qui terminent ce petit volume.

mes pauvres chères pensées, cjue ne vous ai-je toujours cachées ! Nous étions heureux là-bas, je n'avais que faire de vous montrer ainsi dans votre sainte et belle nudité. Vous voilà souillées de la boue qu'on a jetée sur vous.

Gela fait pitié, mon ami, et cela est fort triste. L'histoire sera donc toujours la même? Il faudra donctoujours parler comme les autres, ou se taire? Te rappelles-tu nos longues con- versations? Nous disions que la moindre véri- té nouvelle ne pouvait se montrer sans exciter des colères et des huées. Et voilà qu'on me siffle et qu'on m'injurie à mon tour.

Vous autres peintres, vous êtes bien plus ir- ritables que nous autres écrivains. J'ai dit fran- chement mon avis sur les médiocres et les mauvais li^nres, et le monde littéraire a accepté mes arrêts sans trop se fâcher. Mais les artistes ont la peau plus tendre. Je n'ai puposer le doigt sur eux sans qu'ils se mettent à crier de dou- leur. Il y a eu émeute. Certains bons garçons me plaignent et s'inquiètent des haines que je me suis attirées; ils craignent, je crois, qu'on ne m'égorge dans quelque carrefour.


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Et pourtant je n'ai dit que mon opinion, tout naïvement. Je crois avoir été bien moins révo- lutionnaire qu'un critique d'art de ma connais- sance qui affirmait dernièrement à ses trois cent mille lecteurs que M. Baudry était le pre- mier peintre de l'époque. Jamais je n'ai for- mulé une pareille monstruosité. Un instant, j'ai craint pour ce critique d'art, j'ai tremblé qu'on n'allât l'assassiner dans son lit pour le punir d'un tel excès de zèle. On m'apprend qu'il se porte à ravir. Moi, je suis plongé dans le plus profond étonnement.

Il paraît qu'il -y a des ser^dces qu'on peut rendre et des vérités qu'on ne peut dire.

Nous avons tous deux, mon ami, des remer- ciements à faire à l'homme courageux et intel- ligent qui a hébergé pendant quelques joius nos pauvres chères pensées. Je veux parler de M. de Villemessant. Je ne trouverais sans doute jamais à Paris un second journal qui tolère ma façon de voir en matière artistique. M. de Vil- lemessant seul a osé permettre ma liberté de paroles et d'allures. Il m'a maintenu tant qu'il Ta pu, contre la colère toute puissante du peu- ple, et, au dernier instant, lorsqu'on demandait mon abdication à grands cris, il a voulu que mon honneur fût sauf et il m'a encore accordé


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trois articles. Je vieillis, et j'éprouve le besoin de remercier M. de Villemessant de sa conduite digne et toute naturelle.

Donc, la campagne est finie, et, pour le pu- blic, je suis vaincu. On applaudit et on fait des gorges-cbaudes.

Je n^ai pas voulu enlever son jouet à la fou- le, et je publie ce petit volume, Dans quinze jours, le bruit sera apaisé, il ne restera aux plus ardents qu\ine idée vague de mes arti- cles. C'est alors que, dans les esprits, je gran- dirai encore en ridicule et en mauvaise foi. Les pièces ne seront plus sous les yeux des rieurs, le vent aura emporté les feuilles volantes de V Événement, et on me fera dire ce que je n'ai pas dit, on racontera de grosses bêtises que je n'ai jamais formulées. Je ne veux pas que cela soit, et c'est pourquoi je réunis dans cette bro- chure les articles que j'ai donnés à YÉvéne- me7it sous le pseudonyme de Claude. Je sou- haite que « Mon Salon » demeure ce qu'il est, ce que le public lui-même a voulu ce qu'il fût.

Ce sont là les pages maculées et déchirées d'une étude que je n'ai pu compléter. Je les donne pour ce qu'elles sont, des lambeaux d'a- nalyse et de critique. Ce n'est pas une œuvre


-la- que je livre aux lecteurs, c'est en quelque sorte les pièces d'un procès.

L'histoire est excellente, mon ami. Pom' rien au monde je ne voudrais anéantir ces feuillets; ils ne valent pas grand chose en eux-mêmes, mais ils ont été, pom- ainsi dire, lapierre de tou- che contre laquelle j'ai essayé le public. Nous savons maintenant combien nos pauvres chères pensées sont impopulaires.

Puis, il me plaît d'étaler une seconde fois mes idées. J'ai foi en elles, je sais que dans quelques années j'am-ai raison poui' tout le monde. Je ne crains pas qu'on mêles jette à la face plus tard. Elles sont à moi, bien à moi, — et je le crie de toutes mes forces.

Et maintenant, mon ami, ne lis pas les pages qui suivent, car tu les connais : pendant dix ans nous les avons discutées ensemble. Le mieux, vois-tu, serait peut-être de retourner là-bas, sous le large ciel, et de vivre seul à seul, en compagnie de nos pauvres chères pen- sées.

EMILE ZOLA. 20 mai 1866.


MON SALON


MON SALON.


LE JURY.


27 avril.


Le Salon de -1866 n'ouvrira que !e ^^r ^lai, et ce jour-là seulement il me sera permis de juger mes justiciables.

Mais, avant de juger les artistes admis, il me semble bon de juger les juges. Vous savez qu'en France nous sommes pleins de prudence; nous ne hasardons point un pas sans un passeport dûment signé et contresigné, et, lorsque nous permettons à un homme de faire la culbute en public, il faut auparavant qu'il ait été examiné tout au long par des hommes autorisés.

Donc, comme les libres manifestations de l'art pour- raient occasionner des malheurs imprévus et irréparables, on place, à la porte du sanctuaire, un corps de garde, un sorte d'octroi de l'idéal, chargé de sonder les paquets

2.


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et d'expulser toute marchandise frauduleuse qui tenterait de s'introduire dans le temple.

Qu'on me permette une comparaison, un peu hasardée peut-être. Imaginez que le Salon est un immense ragoût artistique, qui nous est servi tous les ans. Chaque peintre, chaque sculpteur envoie son morceau. Or, comme nous avons l'estomac délicat, on a cru prudent de nommer toute une troupe de cuisiniers pour accommoder ces vic- tuailles de goûts et d'aspects si divers. On a craint les indigestions, et on a dit aux gardiens de la santé pu- blique :

« Voici les éléments d'un mets excellent; ménagez le poivre, car le poivre échauffe; mettez de Teau dans le vin, car la France est une grande nation qui ne peut perdre la tête. »

Il me semble, dès lors, que les cuisiniers jouent le grand rôle. Puisqu'on nous assaisonne notre admiration et qu'on nous mâche nos opinions, nous avons le droit de nous occuper avant tout de ces hommes complaisants qui veulent bien veiller à ce que nous ne nous gorgions pas comme des gloutons d'une nourriture de mauvaise qualité. Quand vous mangez un beefsteack, est-ce que vous vous inquiétez du bœuf? Vous ne songez qu'à re- mercier ou à maudire le marmiton qui vous le sert trop ou pas assez saignant.

Il est donc bien entendu que le Salon n'est pas l'ex- pression entière et complète de l'art français en l'an de grâce ^866, mais qu'il est à coup sûr une sorte de ragoût préparé et fricassé par vingt-huit cuisiniers nommés tout exprès pour cette besogne délicate.

Un salon, de nos jours, n'est pas l'œuvre des artistes, il est l'œuvre d'un jury. Donc, je m'occupe avant tout du


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jUfy, l'auteur de ces longues salles froides et blafardes dans lesquelles s'étalent, sous la lumière crue, toutes les médiocrités timides et toutes les réputations volées.

Naguère, c'était TAcadémie des beaux-arts qui passait le tablier blanc et qui mettait la main à la pâle. A cette époque, le Salon étatt Un mets gras et solide, toujours le même. On savait à l'avance quel courage il fallait ap- porter pour avaler ces morceaux classiques, tout ronds, sans uû malheureux petit angle, et qui vous étouffaient lentement et sûrènient.

La vieille Académie, cuisinière de fondation, avait ses recettes à elle, dont elle ne s'écartait jamais ; elle s'ar- rangeait de façon, quels que fussent les tempéraments et les époques, à servir le même plat au public. Le bon pu- blic, qui étouffait, finit par se plaindre ; il demanda grâce et voulut qu'on lui servît des mets plus relevés, plus lé- gers, plus appétissants au goût et à la vue.

Vous vous rappelez les lamentations de celle vieille cuisinière d'Académie. On lui enlevait la casserole dans laquelle elle avait fait sauter deux ou trois générations d'artistes. On la laissa geindre et on confia la queue de la poêle à d'autres gâte-sauce.

C'est ici qu'éclate le sens pratique que nous avons de la liberté et de la justice. Les artistes se plaignant de la coterie académique, il fut décidé qu'ils choisiraient leur jury eux-mêmes. Dés-lors, ils n'auraient plus à fâcher, s'ils se donnaient des juges sévères et personnels. Telle fut la décision prise.

Mais vous vous imaginez peut-être que tous les peintres et tous les sculpteurs, tous les graveurs et tous les archi-


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tectes furent appelés à voler. On voit bien que vous aimez votre pays d'un amour aveugle. Hélas! la vérité est triste, mais je dois avouer que ceux-là seuls nomment le jury, qui justement n'ont pas besoin du jury. Vous et moi, qui avons dans notre poche une ou deux médailles, il nous est permis d'aller élire un tel ou un tel, dont nous nous soucions peu d'ailleurs, car il n'a pas le droit de regarder nos toiles, reçues à l'avance.

Mais ce pauvre hère, jeté à la porte du Salon pendant cinq ou six années consécutives, n'a pas même la per- mission de choisir ses juges, et est obligé de subir ceux que nous lui imposons par indifférence ou par camara- derie.

Je désire insister sur ce point. Le jury n'est pas nommé par le suffrage universel, mais par un vole restreint au* quel peuvent seulement prendre part les artistes exemptés de tout jugement, à la suite de certaines récompenses. Quelles sont donc les garanties pour ceux qui n'ont pas de médailles à montrer? Comment! on crée un jury ayant charge d'examiner cl d'accepter les œuvres des jeunes artistes, et on fait nommer ce jury par ceux qui n'en ont plus besoin! Ceux qu'il faut appeler au vote, ce sont les inconnus, les travailleurs cachés, pour qu'ils puissent tenter de constituer un tribunal qui les com- prendra et qui les admettra enfin aux regards de la foule.

C'est toujours une misérable histoire, je vous assure, que Ihisloire d'un vote. L'art n'a rien à faire ici; nous sommes en pleine misère et en pleine sottise humaines. Vous devinez déjà ce qui arrive et ce qui arrivera chaque année. Tantôt ce sera la coterie de ce monsieur, et tantôt


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la colerie de cet autre monsieur, qui réussiront. Nous n'avons plus un corps stable, comme rAcadémic ; nous avons un grand nombre d'artistes qui peuvent être re'unis de mille façons, de manière à former des tribunaux fé- roces, ayant les opinions les plus contraires et les plus implacables.

Une année, le Salon sera tout en vert; une autre an- née, tout en bleu; et dans trois ans, nous le verrons peut-être tout en rose. Le public qui n'est pas à l'office, qui n'assiste pas à la cuisson, acceptera ces divers Salons, comme les expressions exactes des moments artistiques. 11 ne saura pas que c'est uniquement tel peintre qui a fait l'Exposition entière ; il ira là de bonne foi et avalera la bouchée, croyant s'ingurgiter tout l'art de Tannée.

Il faut rétablir énergîquement les choses dans leur réa- lité. Il faut dire à ces juges, qui vont au palais de l'In- dustrie défendre parfois une idée mesquine et person- nelle, que les Expositions ont été créées pour donner largement de la publicité aux travailleurs sérieux. Tous les contribuables paient, et les questions d'écoles et de systèmes ne doivent pas ouvrir la porte pour les uns et la fermer pour les autres.

Je ne sais comment ces au contraire, l'homme, est varia- ble à l'infini: autant d'œuvres et autant d'esprits diffé- rents; si le tempérament n'existait pas, tous les tableaux devraient être forcément de simples photographies.

Donc, une œuvre d'art n'est jamais que la combinai- son d'un homme, élément variable, et de la nature, élément fixe. Le mot réaliste ne signifie rien pour moi, qui déclare subordonner le réel au tempérament. Faites vrai, j'applaudis; mais surtoui faites individuel et vivant, et j'applaudis plus fort. Si vous sortez de ce raisonne- ment, vous êtes forcé de nier le passé et de créer des dé- finitions que vous serez forcé d'élargir chaque année.

Car c'est une autre bonne plaisanterie de croire qu'il y a, en fait de beauté artistique, une vérité absolue et éter- nelle. La vérité une et complète n'est pasfaite pour nous qui confectionnons chaque malin une vérité que nous usons chaque soir. Comme toute chose, l'art est un pro- duit humain, une sécrétion humaine ; c'est notre corps qui sue la beauté de nos œuvres. Notre corps change selon les climats et selon les mœurs, et la sécrétion change donc également. C'est dire que l'œuvre de demain ne saurait être celle


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d'aujourd'hui ; vous ne pouvez formuler aucune règle n donner aucun précepte ; il faut tous abandonner brave- ment à votre nature et ne pas chercher à vous mentir. Est-ce que vous avez peur de parler votre langue , que vous cherchez à épeler péniblement des langues mortes! Ma volonté énergique est celle-ci : — Je ne veux pas des œuvres d'écoliers faites sur des modèles fournis par les maîtres. Ces œuvres me rappellent les pages d'écri- ture que je traçais étant enfant, d'après les pages litho- graphiées ouvertes devant moi. Je ne veux pas des retours au passé, des prétendues résurrections, des tableaux peints suivant un idéal formé de morceaux d'idéal qu'on a ramassés dans tous les temps. Je ne veux pas de tout ce qui n'est point vie, tempérament, réalité !

Et, maintenant, je vous en supplie, ajez pitié de moi Songez à tout ce qu'a dû souffrir hier un tempérament bâti comme le mien, égaré dans la vaste et morne nullité du Salon. Franchement, j ai eu un moment la pensée de lâcher la besogne, prévoyant trop de sévérité.

Mais ce n'est point les artistes que je vais blesser dans leurs goûts, ce sont eux qui viennent de me blesser bien plus vivement dans mes sympathies ! Mes lecteurs com- prennent-ils ma position, se disent-ils : « Voilà un pauvre diable qui est tout écœuré, et qui retient ses nausées pour garder la décence qu'il doit au public ? »

Jamais je n'ai vu un tel amas de médiocrités. Il y a là deux mille tableaux, et il n'y a pas dix hommes. Sur ces deux mille toiles, douze ou quinze vous parlent un lan- gage humain; les autres vous content des niaiseries de parfumeurs. Suis-je trop sévère? Je ne fais pourtant que ' dire tout haut ce que les autres pensent tout bas.

Je ne nie pas notre époque, au moins. J'ai foi en elle,


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je sais qu'elle cherche et qu'elle travaille. Nous sommes dans un temps de luttes et de fièvres, nous avons nos ta- lents et nos génies. Mais je ne veux pas qu'on confonde les médiocres et les puissants, je crois qu'il est bon de ne point avoir cette indulgence indifférente qui donne un mot d'éloge à tout le monde, et qui, par là même, ne loue personne.

Notre époque est celle-ci. Nous sommes civilisés, nous avons des boudoirs et des salons; le badigeon est bon pour les petites gens, il faut des peintures sur les murs des riches. Et alors a été créée toute une corporation d'ouvriers qui achèvent la besogne commencée par les maçons. Il faut beaucoup de peintres, comme vous pen- sez, et on est obligé de les élever à la brochette, en mas- se. On leur donne, d'ailleurs, les meilleurs conseils pour plaire et ne pas blesser les goûls du temps.

Ajoutez à cela l'esprit de l'art moderne. En présence de l'envahissement delà science et de Tinduslrie, les artis- tes, par réaction, se sont jetés dans le rêve, dans un ciel de pacotille, tout de clinquant et de papier de soie.

Allez donc voir si les maîtres de la Renaissance son- geaient aux adorables petits riens devant lesquels nous nous pâmons; ils étaient de puissantes natures qui pei- gnaient en pleine vie. Nous autres, nous sommes nerveux et inquiets-, il y a beaucoup de la femme en nous, et nous nous sentons si faibles et si usés que la santé plantureuse nous déplaît. Parlez-moi des sentimentalités et des miè-


vreries


Nos artistes sont des poètes. C'est là une grave injure pour des gens qui n'ont pas même charge de penser, mais je la maintiens. Voyez le Salon : ce ne sont que strophes et madrigaux. Celui-ci rime un ode à la Pologne^


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cet autre une ode à Cléopâlre;ily en a un qui chante sur le mode de Tibulle et un autre qui tâche de soufller dans la grande trompette de Lucrèce. Je ne parle pas des hymnes guerriers, ni des élégies, ni des chansons gri- voises, ni des fables.

Quel charivari!

Par grâce, peignez, puisque vous êtes peintres, ne chantez pas. Voici de la chair, \oici de la lumière : fai- tes un Adam qui soit votre création. Vous devez être des faiseurs d'hommes et non pas des faiseurs d'ombres. Mais je sais que dans un boudoir un homme tout nu est peu convenable. C'est pour cela que vous peignez de grands pantins grotesques qui ne sont pas plus indécents et pas plus vivants que les poupées en peau rose des petites filles.

Le talent procède autrement, voyez-vous. Regardez les quelques toiles remarquables du Salon. Elles font un trou dans la muraille, elles sont presque déplaisantes, elles crient dans le murmure adouci de leurs voisines. Les peintres qui commettent de pareilles œuvres sont en de- hors de la corporation des badigeonneurs élégants dont j'ai parlé. Ils sont peu nombreux, ils vivent d'eux mêmes, en dehors de toute école.

Je l'ai déjà dit, on ne peut accuser le jury de la mé- diocrité de nos peintres. Mais, puisqu'il croit avoir charge d'être sévère, pourquoi ne nous épargne-t-il pas la vue de toutes ces niaiseries. Si vous n'admettez que les ta- lents, une salle de trois mètres carrés suffira.

Ai-je été si révolutionnaire, en regrettant les quelques tempéraments qui ne figurent pas au Salon? Nous ne sommes pas si riches en individualités, pour refuser celles qui se produisent. D'ailleurs, je le sais, les tempe-


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ramenls ne meurent pas d'un refus. Je défends leur cause, parce qu'elle me semble juste; mais, au fond, je suis bien tranquille sur l'état de santé du talent. Nos pères ont ri de Courbet, et Yoilà que nous nous exta- sions devant lui; nous rions de Manet, et ce seront nos fils qui s'extasieront en face de ses toiles. Je ne tiens pas du tout à faire concurrence à Nostradamus, mais j'ai bien envie d'annoncer ce fait étrange pour un temps très-prochain.


M. MANET


7 mai.

Si nous aimon«; - ^ire. «"n France, nous avons, à Toc- casion, une exquise courtoisie et un tact parfait. Nous respectons les persécutés, nous défendons de toute notre puissance la cause des hommes qui luttent seuls contre une foule.

Je Tiens, aujourd'hui, tendre une main sympathique à l'artiste qu'un groupe de ses confrères a mis à la porte du Salon. Si je n'avais pour le louer sans réserve la grande admiration que fait naître en moi son talent, j'au- rais encore la position qu'on lui a créée de paria, de peintre impopulaire et grotesque.

Avant de parler de ceux que tout le monde peut voir, de ceux qui étalent leur médiocrité en pleine lumière, je me fais un devoir de consacrer la plus large place pos- sible à celui dont on a volontairement écarté les œuvres, et que l'on n'a pas jugé digne de figurer parmi quinze cents à deux mille impuissants qui ont été reçus à bras ouverts.

Et je lui dis : « Consolez-vous. On vous a mis à part, et vous méritez de vivre à part. Vous ne pensez pas


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comme tous ces gens-là, vous peignez selon votre cœur et selon votre chair, vous êtes une personnalité qui s'af- firme carrément. Vos toiles sont mal à l'aise parmi les niaiseries et les sentimentalités du temps. Restez dans votre atelier. C'est là que je vais vous chercher et vous admirer. »

Je m'expliquerai le plus nettement possible sur M. Ma- net. Je ne veux point qu'il y ait de malentendu entre le public et moi. Je n'admets pas et je n'admettrai jamais qu'un jury ait eu le pouvoir de défendre à la foule la- vue d'une des individualités les plus vivantes de notre époque. Comme mes sympathies sont en dehors du Sa- lon, je n'y entrerai que lorsque j'aurai contenté ailleurs mes besoins d'admiration.

11 paraît que je suis le premier à louer sans restric- tion M. Manet. C'est que je me soucie peu de toutes ces peintures de boudoir, de ces images coloriées, de ces misérables toiles où je ne trouve rien de vivant. J'ai déjà déclaré que le tempérament seul m'intéressait.

On m'aborde dans les rues, et on me dit : « Ce n est pas sérieux, n'est-ce pas? Vous débutez à peine, vous voulez couper la queue de votre chien. Mais, puisqu'on ne vous voit pas. rions un peu ensemble du haut co- mique du Dîner sur Vherbe^ de V Olympia^ du Joueur de fifre. »

Ainsi nous en sommes à ce point en art, nous n'avons plus même la liberté de nos admirations. Voilà que je pa;se pour un garçon qui se ment à lui-même par calcul. Et mon crime est de vouloir enfin dire la vérité sur un artiste qu'on feint de ne pas comprendre et qu'on chasse comme un lépreux du petit monde des peintres.


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L'opinion de la majorilé sur M. Manel est celle-ci : M. Manet est un jeune rapin qui s'enferme pour fumer et boire avec des galopins de son Age. Alors, lorsqu'on a vidé des tonnes de bière, le rapin décide qu'il va peindre des caricatures et les exposer pour que la foule se moque de lui et retienne son nom. Il se met à l'œuvre, il fait des choses inouïes, il se tient lui-même les côtes devant son tableau, il ne rêve que de se moquer du public et de se faire une réputation d'homme gro- tesque.

Bonnes gens !

Je puis placer ici une anecdote qui rend admirable- ment le sentiment de la foule. Un jour, M. Manet et un littérateur très-connu étaient assis devant un café des boulevards. Arriv-e un journaliste auquel le littérateur présente le jeune maître. « M. Manet, » dit-il. Le jour- naliste se hausse sur ses pieds, cherche à droite, cherche à gauche; puis il finit par apercevoir devant lui l'artiste, modestement assis et tenant une toute petite place. « Ah ! pardon, s'écrie-t-il, je vous croyais colossal, et je cher- chais partout un visage grimaçant et patibulaire. »

Voilà tout le public.

Les artistes eux-mêmes, les confrères, ceux qui de- vraient voir clair dans la question, n'osent se décider. Les uns, je parle des sols, rient sans regarder, font des gorges chaudes sur ces toiles fortes et convaincues. Les autres parlent de talent incomplet, de brutalités voulues, de violences systématiques. En somme, ils laissent plai- santer le public, sans songer seulement à lui dire : « Ne nez pas si fort, vous ne voulez passer pour des imbéciles. Il n'y a pas le plus petit mot pour rire dans tout ceci. Il

4.


-- 45> —

n'y a qu'un artisle sincère, qui obéit à sa nature, qui cherche le vrai avec fièvre, qui se donne entier et qui n'a aucune de nos lâchetés, o

Puisque personne ne dit cela, je vais le dire, moi, je vais le crier. Je suis tellement certain que M. Manet sera un des maîtres de demain, que je croirais conclure une bonne affaire, si j'avais de la fortune, en achetant au- jourd'hui toutes ses toiles. Dans dix ans, elles se ven- dront quinze et vingt fois plus cher, et c'est alors que certains tableaux de quarante mille francs ne vaudront pas quarante francs.

Il ne faut pourtant pas avoir beaucoup d'intelligence pour prophétiser de pareils événements.

On a d'un côté des succès de mode, des succès de sa- lons et de coteries; on a des- artistes qui se créent une petite spécialité, qui exploitent un des goûts passagers du public; on a des messieurs rêveurs et élégants qui, du bout de leurs pinceaux, peignent des images mauvais teint que quelques gouttes de pluie effaceraient.

D'un autre côté, au contraire, on a un bomme s'at- taquant directement à la nature , ayant remis en ques- tion l'art entier, cherchant à créer de lui-même et à ne rien cacher de sa personnalité. Est-ce que vous croyez que des tableaux peints d'une main puissante et convain- cue ne sont pas plus solides que de ridicules gravures d'Epinal?

Nous irons rire, si vous le voulez, devant les gens qui se moquent d'eux-mêmes et du public, en exposant sans honte des toiles qui ont perdu leur valeur première de- puis qu'elles sont barbouillées de jaune et de rouge. Si la foule avait reçu une forte éducalion artistique, si elle savait admirer seulement les lalents individuels et non-


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veaux, je yous assure que le Salon serait un lieu de ré- jouissance publique, car les visiteurs ne pourraient par- courir deux salles sans se rendre malades de gaîté. Ce qu'il y a de prodigieusement comique à l'Exposition, ce sont toutes ces œuvres banales et impudentes qui s'étalent, montrant leur misère et leur sottise.

Pour un observateur désintéressé, c'était un spectacle navrant que ces attroupements bétes devant les toiles de M. Manet. J'ai entendu là bien des platitudes. Je me di- sais : ce Serons-nous donc toujours si enfants, et nous croirons-nous donc toujours obligés de tenir boutique d'esprit? Voilà des individus qui rient, la bouche ouverte, sans savoir pourquoi, parce qu'ils sont blessés dans leurs habitudes et dans leurs croyances. Ils trouvent cela drôle, et ils rient. Ils rient comme un bossu rirait d'un autre homme, parce que cet homme n'aurait pas de bosse. »

Je ne suis allé qu'une fois dans l'atelier de M. Manet; L'artiste est de taille moyenne, plutôt petite que grande ; blond de cheveux et de visage légèrement coloré, il pa- rait avoir une trentaine d'années; l'œil est "vif et intelli- gent, la bouche mobile, un peu railleuse par instants ; la face entière, irrégulière et expressive, a je ne sais quelle expression de finesse et d'énergie. Au demeurant, l'homme, dans ses gestes et dans sa voix, a la plus grande modestie et la plus grande douceur.

Celui que la foule traite de rapin gouailleur vil retiré, en famille. 11 est marié et a l'existence réglée d'un bour- geois. Il travaille d'ailleurs avec acharnement, cherchant toujours, étudiant la nature, s'interrogeant et marchant dans sa voie.

Nous avons causé ensemble de l'altitude (]u public à


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son égard. Il n'en plaisante pas, mais il n'en paraît pas non plus découragé. Il a foi en lui, il laisse passer tran- quillement sur sa tête la tempête des rires, certain que les applaudissements viendront.

J'étais enfin en face d'un lutteur conyaincu, en face d'un homme impopulaire qui ne tremblait pas devant le public, qui ne cherchait pas à apprivoiser la béte, mais qui s'essayait plutôt à la dompter, à lui imposer son tem- pérament.

C'est dans cet atelier que j ai compris complètement M. Manet. Je l'avais aimé d'inslinct ; dés lors, j'ai pénétré son talent, ce talent que je vais tâcher d'analyser. Au Salon, ses toiles criaient sous la lumière crue, au milieu des images à un sou qu'on avait collées au mur autour d'elles. Je les voyais enfin à part, ainsi que tout tableau doit être vu, dans le lieu même oîi elles avaient été peintes.

Le talent de M. Manet est fait de simplicité et de jus- tesse. Sans doute, devant la nature incroyable de cer- tains de ses confrères, il se sera décidé à interroger la réalité, seul à seule -, il aura refusé toute la science ac- quise, toute l'expérience ancienne, il aura voulu prendre l'art au commencement, c'est-à-dire à l'observation exacte des objets.

Il s'est donc mis courageusement en face d'un sujet, il a vu ce sujet par larges taches, par oppositions vigou- reuses, et il a peint àpremcnt chaque chose telle qu'il la voyait. Qui ose parler ici de calcul mesquin, qui ose accu- ser un artiste consciencieux de se moquer de lart et de lui-même? 11 faudrait punir les railleurs, car ils insultent un homme qui sera une de nos gloires, et ils l'insultent misérablement, riant de lui qui ne daigne même pas rire


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d'eux. Je vous assure que vos grimaces et que vos rica- nements l'inquiètent peu.

J'ai revu le Dî?ier sur l'herbe^ ce chef-d'œuvre exposé au Salon des Refusés, et je défie nos peintres en vogue de nous donner un horizon plus large et plus empli d'air et de lumière. Oui, vous riez encore, parce que les ciels violets de M. Nazon vous ont gâtés. Il y a ici une nature bien bâtie qui doit vous déplaire. Puis nous n'avons ni la Cléopâtre en marbre de M. Gérôme, ni les jolies personnes roses et blanches de M. Dubufle. Nous ne trouvons malheureusement là que des personnages de tous les jours, qui ont le tort d'avoir des muscles et des os, comme tout le monde. Je comprends votre désappointe- ment et votre gaieté, en face de cette toile ; il aurait fallu chatouiller votre regard avec des images de boîtes à gants.

J'ai revu également Y Olympia, qui a le défaut grave de ressemblera beaucoup de demoiselles que vous connais- sez. Puis, n'est-ce pas? quelle étrange manie que de peindre autrement que les autres I Si, au moins, M. Ma- net avait emprunté la houppe à poudre de riz de M. Ca- banel et s'il avait un peu fardé les joues et les seins d'Olympia, la jeune fille aurait été présentable. Il y a là aussi un chat qui a bien ajnusé Je public. Il est vrai que ce chat est d'un haut comique, n'est-ce pas? et qu'il faut être insensé pour avoir mis un chat dans ce tableau. Un chat, vous imaginez-vous cela. Un chat noir, qui plus est. C'est très-drôle... mes pauvres concitoyens, avouez que vous avez l'esprit facile. Le chat légendaire d'Olympia est un indice certain du but que vous vous proposez en vous rendant au Salon. Vous allez y chercher des ehals.


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avouez-le, et vous n'avez pas perdu votre journée lors- que vous trouvez un chat noir qui vous égayé.

Mais l'œuvre que je préfère est certainement le Joueur de fifre, toile refusée cette année. Sur un fond gris et lu- mineux, se détache le jeune musicien, en petite tenue, pantalon rouge et bonnet de police. Il souffle dans son instrument, se présentant de face. J'ai dit plus haut que le talent de M. Manet était fait do justesse et de simpli- cité, me souvenant surtout de l'impression que m'a laissée cette toile. Je ne crois pas qu'il soit possible d'ob- tenir un effet plus puissant avec des moyens moins com- pliques.

Le tempérament de M. Manet est un tempérament sec, emportant le morceau. Il arrête puissamment ses figures, il ne recule pas devant les brusqueries de la nature; il passe du blanc au noir sans hésiter, il rend dans leur vigueur les différents objets se détachant les uns sur les autres. Tout son être le porte à voir par taches, par mor- ceaux simples et énergiques. On peut dire de lui qu'il se contente de chercher des tons justes et de les juxtaposer ensuite sur une toile. Il arrive que la toile se couvre ainsi d'une peinture solide et forte. Je retrouve dans le tableau un homme qui a la curiosité du vrai et qui tire de lui un monde vivant d'une vie_ particulière et puis- sante.

Vous savez quel effet produisent les toiles de M. Manet au Salon. Elles crèvent le mur, tout simplement. Tout autour d'elles s'étalent les douceurs des confiseurs artis^ tiques à la mode, les arbres en sucre candi et les mai- sons en croûte de pâté, les bons hommes en pain d'épi- ces et les bonnes femmes faites de crème à la vanille. La boutique de bonbons devient plus rose et plus douce, et


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les loiles vivantes de Tailisle semblent prendre une cer- taine amertume au milieu de ce fleuve de lait. Aussi, faut- il voir les grimaces des grands enfants qui passent dans la salle. Jamais vous ne leur ferez avaler pour deux sous de véritable mnde crue; mais ils se gorgent comme des malheureux de toutes les sucreries écœurantes qu'on leur sert.

Ne regardez plus les tableaux voisins. Regardez les personnes vivantes qui sont dans la salle. Eludiez les op- positions de leurs corps sur le parquet et sur les murs. Puis, regardez les toilesdeM. Manet : vous verrez que là est la vérité et la puissance. Regardez maintenant les au- tres toiles, celles qui sourient bêtement autour de vous : vous éclatez de rire, n'est-ce pas?

La place de M. Manet est marquée au Louvre, comme celle de Courbet, comme celle de tout artiste d'un tem- pérament fort et implacable. D'ailleurs, il n'y a pas la moindre ressemblance entre Courbet et M. Manet, et ces artistes, s'ils sont logiques, doivent se nier l'un l'autre. C'est justement parce qu'ils n'ont rien de semblable, qu'ils peuvent vivre chacun d'une vie particulière.

Je n'ai pas de parallèle à établir entre eux, j'obéis à ma façon de voir en ne mesurant pas les artistes d'après un idéal absolu et en n'acceptant que les individualités uniques, celles qui s'affirment dans la vérité et dans la puissance.

Je connais la réponse : « Vous prenez l'étrangeté pour l'originalité, vous admettez donc qu'il suffit de faire au- trement que les autres pour faire bien. » Allez dans l'ate- lier de M. Manet, messieurs; puis revenez dans le vôtre et tâchez de faire ce qu'il fait, amusèz-vous à imiter ce peintre qui, selon vous, a pris en fermage l'hilarilé pu-


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blique. Vous verrez alors qu'il n'est pas si facile de faire rire le monde.

J'ai tâché de rendre à M. Manetla place qui lui appar- tient, une des premières. On rira peut-être du panégy- riste comme on a ri du peintre. Un jour, nous serons ven- gés tous deux. Il y H une vérité éternelle qui me soutient en critique : c'est que les tempéraments seuls vivent et dominent les âges. Il est impossible,— impossible, enten- dez-vous,— que M. Manet n'ait pas son jour de triomphe, et qu'il n'écrase pas les médiocrités timides qui l'entou- rent.

Ceux qui doivent trembler, ce sont les faiseurs, les hommes qui ont volé un semblant d'originalité aux maî- tres du passé; ce sont ceux qui calligraphient des arbres et des personnages, qui ne savent ni ce qu'ils sont ni ce que sont ceux dont ils rient. Ceux-là seront les morts de demain; il yen a qui sont morts depuis dix ans, lorsqu'on les enterre, et qui se survivent en criant qu'on offense la dignité de l'art si l'on introduit une toile vivante dans celte grande fosse commune du Salon.


LES RÉALISTES DU SALON


11 mai.

Je serais désespéré si mes lecteurs croyaient un ins- tant que je suis ici le porle-drapeau d'une école. Ce se- rait bien mal me comprendre que de faire de moi un réaliste quand même, un homme enrégimenté dans un parti.

Je suis de mon parti, du parti de la vie et de la vérité, voilà tout. J'ai quelque ressemblance avec Dio- gène, qui cherchait un homme ; moi , en art, je cherche aussi des hommes, des tempéraments nouveaux et puis- sants.

Je me moque du réalisme, en ce sens que ce mol ne représente rien de bien précis pour moi. Si vous entendez par ce terme la nécessité oîi sont les peintres d'étudier et de rendre la nature vraie, il est hors de doute que tous les artistes doivent être des réalistes. Peindre des rêves est un jeu d'enfant et de femme ; les hommes ont charge de peindre des réalités.

Ils prennent la nature et ils la rendent, ils la rendent vue à travers leurs tempéraments particuliers. Chaque artiste va nous donner ainsi un monde différent, et j'ac-

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ceplerai volontiers tous ces divers mondes, pourvu que chacun d'eux soit l'expression vivante d'an cœur. J'ad- mire les mondes de Delacroix etide Courbet. Devant cette déclaration, on ne saurait, je crois, me parquer dans au- cune école.

Seulement, voici ce qu'il arrive en nos temps d'analyse psychologique et physiologique. Le vent est à la science ; nous sommes poussés malgré nous vers l'étude exacte des faits et des choses. Aussi, toutes les fortes individualités qui se révèlent, s'aflirment-elles dans le sens de la vérité. Le mouvement de l'époque est certainement réaliste, ou plutôt positiviste. Je suis donc forcé d'admirer des hom- mes qui paraissent avoir quelque parenté entre eux, la parenté de l'heure à laquelle ils vivent.

Mais qu'il naisse demain un génie autre, un esprit qui réagira, qui nous donnera avec puissance une terre nou- velle, la sienne, je lui promets mes applaudissements. Je ne saurais trop le répéter, je cherche des hommes et non pas des mannequins, des hommes de chair et d'os, se con- fessant à nous, et non pas des menteurs qui n'ont que du son dans le ventre.

On m'écrit que je loue « la peinture de Tavenir. » Je ne sais ce que peut signifier celte expression. Je crois que chaque génie nait indépendant et qu'il ne laisse pas de disciples. La peinture de l'avenir m'inquiète peu; elle sera ce que la feront les artistes et les sociétés de de- main.

Le grand épouvantail, croyez-le, ce n'est pas le réa- lisme, c'est le tempérament. Tout homme qui ne res- semble pas aux autres, devient par là même un objet de défiance. Dès que la foule ne comprend plus, elle rit. Il


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faut toute une éducation pour faire accepter le génie. L'histoire de la littérature et de Fart est une sorte de martyrologe qui conte les huées dont on a couvert chacune des manifestations nouvelles de l'esprit hu- main.

Il y a des réalistes au Salon,— je ne dis plus des tem- péraments,--il y a des artistes qui prétendent donner la nature vraie, avec toutes ses crudités et toutes ses vio- lences.

Pour bien établir que je me moque de Tobservation plus ou moins exacte, lorsqu'il n'y a pas une individua- lité puissante qui fasse vivre le tableau, je vais d'abord dire mon opinion toute nue sur MM. Monet, Ribot, Yol- lon, Bonvin et Roybet.

Je mets MM. Courbet et Millet à part, désirant leur consacrer une étude parliculicre.

' J'avoue que la toile qui m'a le plus longtemps arrêté est la Camille, de M. Monet. C'est là une peinture éner- gique et vivante. Je venais de parcourir ces salles si froides et si vides, las de ne rencontrer aucun talent nou- veau, lorsque j'ai aperçu cette jeune femme, traînant sa longue robe et s'enfonçant dans le mur, comme s'il y avait eu un trou. Vous ne sauriez croire combien il est bon d'admirer un peu, lorsqu'on est fatigué de rire et de hausser les épaules.

Je ne connais pas M. Monet, je crois même que jamais auparavant je n'avais regardé attentivement une de ses toiles. Il me semble cependant quejesuisun de ses vieux amis. Et cela parce que son tableau me conte toute une histoire d'énergie et de vérité.

Eh oui ! voilà un tempérament, voilà un homme dans


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la foule de ces ennuques. Regardez les toiles voisines, et voyez quelle piteuse mine elles font à côté de cette fe- nêtre ouverte sur la nature. Ici, il y a plus qu'un réaliste, il y a un interprète délicat et fort qui a su rendre chaque détail sans tomber dans la sécheresse.

Voyez la robe. Elle est souple et solide. Elle traîne mol- lement, elle vit, elle dit tout haut qui €st cette femme. Ce n'est pas là une robe de poupée , un de ces chiffons de mousseline dont on habille les rêves; c'est de la bonne soie, point usée du tout et qui serait trop lourde sur les crèmes fouettées de M. Dubuffe.

Vous voulez des réalistes, des tempéraments, m'a-t-on écrit, prenez M. Ribot. Je nie que M. Ribot ait un tempé- rament qui lui apparlienne, et je nie qu'il rende la na- ture dans sa vérité.

La vérité d'abord. Regardez cette grande toile : Jésus est au milieu des docleurs, dans un coin du temple^ il y a de larges ombres; des lumières s'étalent par plaques blafardes. Où est le sang, où est la vie? Ça, de la réalité ! Mais les têtes de cet enfant et de ces hommes sont creuses ; il n'y a pas un os dans ces chairs flasques et bouffies. Ce n'est pas parce que les types sont vulgaires, n'esi-ce pas, que vous voulez me donner ce tableau pour une œuvre réelle? J'appelle réelle, une oeuvre qui vit, une œuvr^ dont les personnages puissent se mouvoir et parler. Ici, je ne vois que des créatures mortes, toutes pâles et toutes dissoutes.

Qu'importe la vérité! ai-je dit, si le mensonge est commis par un tempérament particulier et puissant. Alors, M. Ribot doit avoir tout ce qu'il faut pour me plaire. Ces lumières blanchâtres, ces ombres sales sont


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de simplos partis pris; l'arlisle a imposé sou indivi- dualité à la nature, et il a créé de toutes pièces ce monde blafard. Le malheur est qu'il n'a rien créé du tout; son monde existe depuis bien longtemps. C'est Ln monde espagnol à peine francisé. Non-seulement l'œuYre n'est pas vraie, ne -vit pas, mais de plus c'est qu'elle n'est pas une expression nouvelle du génie hu- irain.

M. Ribot n'a rien ajouté à l'art, il n'a pas dit son mot propre, il ne nous a pas révélé un cœur et une chair. C est ici un tempérament inutile, une rencontre mal- heureuse, si Ton veut. Certes, je préfère cette puissance fausse, cette individualité de contrebande, aux déso- lantes gentillesses dont j'aurai à parler. Mais, tout au fond de moi, j'entends une voix qui me crîe : « Prends garde! celui-là est perfide; il paraît énergique et vrai ; ya. jusqu'aux moelles, tu trouveras le mensonge et le néant, r

Le réalisme, pour bien des personnes, — pour M. Yol- lon, par exemple, — consiste dans le choix d'un sujet Yulgaire. Cette année, M. VoUon a été réaliste, en représentant une servante dans sa cuisine. La bonne grosse fille revient du marché, et a déposé à terre ses provisions. Elle est vêtue d'une jupe rouge et s'appuie au mur, montrant ses bras baies et sa ligure épaisse.

Moi, je ne vois rien de réel là^dedans, car cette ser- vante est en bois, et elle est si bien collée au mur que rien ne pourrait l'en détacher. Les objets se comportent autrement dans la nature, sous la large lumière. Les cui- sines sont pleines d'air, d'habitude, et chaque chose n'y

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prend pas ainsi une couleur cuite et rissolée. Puis, clans les intérieurs, les oppositions, les taches sont vi- goureuses, bien qu'adoucies ; tout ne s'en Tient pas sur un même plan. La vérité est plus brutale, plus éner- gique que cela.

Peignez des roses, mais peignez-les vivantes, si vous vous dites réaliste.

M. Bonvin me paraît être également un amant plato- nique de la vérité. Ses sujets sont pris dans la vie réelle, mais la façon dont il Iraile les réalités pourrait tout aussi bien êU'C employée pour traiter les rêves de cer- tains peintres en vogue. Il y a je ne sais quelle séche- resse et quelle petitesse dans l'exécution qui ôte toute vie au personnage.

La Grand' maman que M. Bonvin expose, est une bonne vieille tenant une bible sur ses genoux et humant son café, qu'on lui apporte. La face m'a paru tendue et grimaçante; elle est trop détaillée; le regard se perd dans ces rides rendues avec amour, et préférerait un visage d'un seul morceau, bâti solidement. L'effet s'éparpille, la tête ne s'enlève pas puissamment sur le fond.

Avant l'ouverture du Salon, on a fait quelque bruit autour de la toile de M. Roybet, Un Fou sous Henri III. On parlait d'une personnalité fortement accusée, d'un réalisme large. J'ai vu la toile, et je n'ai pas compris ces applaudissements donnés à l'avance. C'est là de la pein- ture honnêle, plus solide assurément que celle de M. Ha- mon, mais d'une énergie fort modérée.

La personnalité annoncée ne s'est pas révélée à mes regards.


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Le fou, tout de rouge habillé, lient en laisse deux dogues qui ont Tair de deux bons enfants; il rit, mon- trant les dents, et on dirait, à le Toir, un satyre ha- billé.

Le sujet importe peu d'ailleurs, et le pis est que je trouve ces chiens, surtout cet homme, traités d'une façon petite. Ici, encore, les détails dominent l'ensem- ble ; les étoffes manquent de souplesse, les mains du per- sonnage ressemblent à deux palettes de bois, et la face paraît ciselée avec soin.

Je ne sens pas la chair, dans tout ceci, et si j'éprouve quelque sympathie, c'est pour les deux dogues qui sont plantés beaucoup plus carrément que leur maître.

Voilà donc les quelques réalistes du Salon. Je puis en omettre; mais, en tous cas, j'ai nommé et étudié les principaux. J'ai voulu simplement, je le répète, faire comprendre que je ne me parque dans aucune école, et que je demande uniquement à l'artiste d'être personnel et puissant.

J'ai tenu à être d'autant plus sévère que je crai- gnais d'avoir été mal compris. Je n'ai aucune sympathie pour la charge du tempérament, -- qu'on me passe ce mot, — et je n'accepte que les individualités vraiment individuelles et nettement accusées. Toute école me déplaît, car une école est la négation même de la li- berté de création humaine. Dans une école, il y a un homme, le maître ; les disciples sont forcément des imita- teurs.

Donc pas plus de réalisme que d'autre chose. De la vérité, si l'on veut, de la vie, mais surtout des chairs et de* cœurs différents interprétant différemment la na-


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ture. La définition d'une œuvre d'art ne saurait être autre que celle-ci : Une œuvre d'art est un coin de la créatien vu à travers un tempérament (-1).

(1) Ici le peuple proteste, les abonnés se fâchent. Le panégy- rique (le M. Manet a porté tous ses fruits : un critique qui admire un tel peintre ne peut être toléré. On demande violemment mon abdication (voir les lettres de l'Appendice). M. de Villemessant, pour lequel je me sens la plus vive reconnaissance, — je ne saurais trop le répéter, — est obligé de céder au public. 11 est convenu, entre lui et moi, qu'il va faire droit aux réclamations, en m'adjoignant un de mes honorables confrères, M. Théodore Pelloquet, et en nous accordant trois articles à chacun. L'Évé^ nement contiendra ainsi des jugements pour tous les goûts; le public n'aura plus à se plaindre que de la diversité des mets.


LES CHUTES


15 mai.

Il y a, en ce moment, une excellente comédie qui se joue, au Salon, en face des tableaux de Courbet. Ce que je trouve de plus curieux à étudier, même au point de vue de Tart, ce ne sont pas toujours les artistes, ce sont souvent Tes visiteurs qui par un seul mot, par un simple geste , avouent naïvement où nous en sommes en ma- tière artistique. Il est bon parfois d'interroger la foule.

Cette année, il est admis que les toiles de Courbet sont charmantes. On trouve son paysage exquis et son étude de femme très-convenable. J'ai vu s'extasier des personnes qui, jusqu'ici, s'étaient montrées très dures pour le maître d'Ornans. Voilà qui m'a mis en défiance. J'aime à m'ex- pliquer les choses, et je n'ai pas compris tout de suite ce brusque saut de l'opinion publique.

Mais tout a été expliqué, lorsque j'ai regardé les toiles déplus près. Je l'ai dit, la grande ennemie, c'est la per- sonnalité, l'impression étrange d'une nature individuelle. Un tableau est d'autant plus goûté qu'il est moins per- sonnel. Courbet, cette année, a arrondi les angles trop rudes de son génie; il a fait patte de velours, e( voilà la


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foule charmée qui le trouve semblable à tout le monde et qui applaudit, satisfaite de voir enfin le maître à ses pieds.

Je ne le cache pas, j'éprouve une intime volupté à pé- nétrer les secrets ressorts d'une organisation quelconque. J'ai plus souci de la vie que de l'art. Je m'amuse énormé- ment a étudier les grands courants humains qui traver- sent les foules et qui les jettent hors de leurs lits. Rien ne m'a paru plus curieux que ce fait d'un esprit puissant, admiré justement le jour où il a perdu quelque chose de sa puissance.

J'admire Courbet, et je le prouverai tout à l'heure. Mais, je vous prie, reportez-vous à cette époque où il pei- gnait la Baigneuse et le Convoi d'Ornans^ et dites-moi si ces deux toiles magistrales ne sont pas autrement fortes que les deux délicieuses choses de cette année. Et pour- tant, au temps de la Baigneuse et du Convoi d'Ornans, Courbet prêtait à rire, Courbet était lapidé par le public scandalisé. Aujourdluii, personne ne rit, personne ne jette des pierres. Courbet a rentré ses serres d'aigle, il ne s'est pas livré entier, et tout le monde bat des mains, tout le monde lui décerne des couronnes.

Je n'ose formuler une règle qui s'impose forcément à moi : c'est que l'admiration de la foule est toujours en raison indirecte du génie individuel. Vous êtes d'autant plus admiré et compris, que vous êtes plus ordinaire.

C'est là un aveu grave que me fait la foule. J'ai le plus grand respect pour le public; mais si je n'ai pas la prétention de le conduire, j'ai au moins le droit de l'étu- dier.

Puisque je le vois aller aux tempéraments affadis, aux


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esprits complaisants, je mets en doute ses jugements, et je songe que je n'ai pas eu un tort aussi grand qu'on veul bien le dire, en admirant un paria, un lépreux de Tart.

Et comme je ne veux pas qu'on se méprenne sur les sentiments d'admiration profonde que j'éprouve pour Courbet, je dis ici ce que j'ai déjà dit ailleurs, il y a un an. lors de l'apparition du livre de Proudhon.

Mon Courbet, à moi, est simplement une personnalité. Le peintre a commencé par imiter les Flamands et cer- tains maîtres de la Renaissance; mais sa nature se révol- tait, et il se sentait entraîné par toute sa chair, — par toute sa chair, entendez-vous? — vers le monde ma- tériel qui l'entourait, les femmes grasses et les hommes puissants, les campagnes plantureuses et largement fé- condes. Trapu et vigoureux, il avait 1 âpre désir de serrer entre ses bras la nature vraie 5 il voulait peindre en pleine viande et en plein terreau.

La jeune génération, je parle des jeunes gens de vingt à vingt-cinq ans, ne connaît presque pas Courbet. Il m"a été donné de voir rue Hautefeuille, dans latelier du maître, pendant une de ses absences, certains de ses pre- miers tableaux. Je me suis étonné, et je n'ai pas trouvé le plus petit mot pour rire dans ces toiles graves et fortes dont on m'avait fait des monstres. Je m'attendais à des caricatures, à une fantaisie folle et grotesque, et j'étais devant une peinture serrée et large, d'un fini et d'une franchise extrêmes.

Les types étaient vrais, sans être vulgaires; les chairs, fermes et souples, vivaient puissamment 5 les fonds s'emplissaient d^air et donnaient aux figures une vigueur étonnante. La coloration, un peu sourde, a une harmonie presque douce, tandis que la justesse des tons et l'am-


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pleur du métier établissent les plans et font que chaque détail a un relief étrange. En fermant les yeux, je revois ces toiles énergiques, d'une seule masse, bâties à chaux et à sable, réelles jusqu'à la vie et belles jusqu'à la vérité. Courbet appartient à la famille des faiseurs de chair.

Certes, je ne puis être accusé de mesurer l'éloge au maître. Je l'aime dans sa puissance et sa person- nalité.

Il m'est permis de lui montrer la foule qui se groupe autour de ses toiles et de lui dire :

— Prenez garde, voilà que vous passez dans l'admi- ration publique. Je sais bien qu'un jour votre apothéose viendra. Mais, à votre place, je me fâcherais de me voir accepté juste à l'heure où ma main aurait faibli, où je n'aurais pas fouillé au fond de moi pour me donner dans ma nature, sans ménagements ni concessions.

Je ne nie point que la Femme au perroquet ne soit ivie solide peinture, très-travaillée et très-nette; je ne nie point que la Remise des chevreuils n'ait un grand charm.o, beaucoup d'air et beaucoup de vie; mais il manque à c^s toiles le je ne sais quoi de puissant et de voulu qui est Courbet tout entier. Il y a douceur et sourire; CourbL-t, pour l'écraser d'un mot, a fait du joli !

On parle de la grande médaille. Si j'étais Courbet, je ne voudrais pas, pour la Femme au perroquet, d'une ré- compense suprême qu'on a refusée à la Curée et aux Casseurs de pierre. J'exigerais qu'il fût bien dit qu'on m'accepte dans mon génie et non dans mes gentillesses. Il y aurait pour moi je ne sais quelle pensée triste dans cette consécration donnée à deux de mes œuvres que je


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ne reconnaîtrais pas comme les filles saines el fortes de mon esprit.

Il y a encore deux autres artistes au Salon sur lesquels j'ai pleuré. MM. Millet et Théodore Rousseau. Tous deux ont été et seront encore, je me plais à le croire, des individualités pour lesquelles je me sens la plus vive sympathie. Et je les retrouve, ayant perdu la fermeté de leurs mains et l'excellence de leurs yeux.

Je ne sais ce qu'il est arrivé, voilà deux de mes admi- rations qui s'en vont.

Je me souviens des premières peintures que j'ai vues de M. Millet. Les horizons s'étendaient larges et libres-, il y avait sur la toile comme un souffle de la terre. Une, deux figures au plus, puis quelques grandes lignes de terrain, et voilà qu'on avait la campagne ouverte devant soi, dans sa poésie vraie, dans sa poésie qui n'est faite que de réalité.

Mais je parle en poète, el les peintres, je le sais, n'ai- ment pas cela.

S'il faut parler métier, j'ajouterai que la peinture de M. Millet était grasse et solide, que les différentes taches avaient une grande vigueur et une grande justesse. L'ar- tiste procédait par oppositions vives, par morceaux sim- ples, comme tous les peintres vraiment peintres.

Celte année je me suis trouvé devant une peinture molle et indécise. On dirait que l'artiste a peint sur papier buvard et que l'huile s'esl étendue. Les objets semblent s'écraser dans les fonds.

C'est là une peinture à la cire qu'on a chauffée et dont les diverses couleurs se sont fondues les unes dans les autres.

Je ne sens pas la réalité dans ce paysage. Nous sommes

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au bout d'un hameau, et, brusquement, l'horizon s'élar- git. Un arbre se dresse seul dans cette immensité. On devine derrière cet arbre tout le ciel. Eh bienl je le ré- pète, la peinture manque de vigueur et de simplicité, les tons s'effacent ^t se mêlent et du coup le ciel devient petit et l'arbre paraît collé aux nuages.

Hélas! l'histoire est la même pour M. Théodore Rous- seau, peut-être même est-elle plus triste encore.

En sortant du Salon, j'ai voulu retourner voir le pay- sage que l'artiste a au Musée du Luxembourg. Vous rappelez-vous cet arbre puissamment tordu, se détachant en noir sur le rouge sombre d'un coucher de soleil. Il y a des vaches dans l'herbe. L'œuvre est profonde et tour- mentée. Ce n'est peut-être pas là une nature bien vraie, mais ce sont des arbres, des vaches et des cieux inter- prétés par un esprit vigoureux qui nous a communiqué en un langage étrange les sensations poignantes que la campagne faisait naître en lui.

Et je me suis demandé comment M. Théodore Rous- seau pouvait en être arrivé au travail de patience dans lequel il se complaît aujourd'hui. Voyez ses paysages du Salon. Les feuilles et les cailloux sont comptés, les tableaux paraissent peints avec de petits bâtons qui auraient collé la couleur goutte à goutte sur la toile.

L'interprétation n'a plus aucune largeur. Tout devient forcément petit. Le tempérament disparaît devant cette lente minutie ; l'œil du peintre ne saisit pas l'horizon dans sa largeur, et la main ne peut rendre l'impression reçue et traduite par le tempérament. C'est pourquoi je ne sens rien de vivant dans cette peinture; lorsque je demande à M. Théodore Rousseau de saisir en sa main,


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comme il l'a fait jadis, un morceau de la campagne et de me donner ce morceau dans son tout, il s'amuse à émietter la campagne et à me la présenter en pous- sière.

Tout son passé lui crie : Faites large, faites puissant^ faites vivant.

Avant de signer, il me prend un scrupule. Le titre de cet article est bien dur. Je suis obligé de juger aujour- d'hui, peut-elre un peu sévèrement, des artistes que j'aime et que j'admire. Un simple fait me servira d'ex- cuse.

Après la publication de mon article sur M. Manet, j'ai rencontré un de mes amis auquel je communiquai mon impression toute franche sur les toiles dont je viens de parler.

— Ne dites jamais cela, s'est-il écrié, vous frappez sur vos frères 5 il faut se constituer en bande, en coterie, et défendre quand même son parti. Vous levez le drapeau de la personnalité. Louez tous les gens personnels, dus- siez-vous mentir.

C'est pourquoi je me suis hâté d'écrire ces lignes.


ADIEUX D'UN CRITIQUE D'ART


20 mai,


J'ai encore droil à deux articles. Je préfère D'en faire qu'un. Dans mon idée première, Mon Salon devait com- prendre seize à dix-huit articles. Puisque, d'après la vo- lonté toute puissante du peuple, je n'ai pas l'espace né- cessaire pour développer nettement mes pensées, je crois bon de terminer brusquement et de tirer ma révérence au public.

Au fond, je suis enchanté. Imaginez un médecin qui ignore où est la plaie et qui , posant çà et là ses doigts sur le corps du moribond , Tentend tout fi coup crier de terreur et d'angoisse. Je m'avoue tout bas que j ai tou- ché juste, puisqu'on se fâche. Peu m'imporle si vous ne voulez pas guérir. Je sais uiainlcnaul où est la bles- sure.

Je ne prenais qu'un médiocre plaisir à lourmenlcr les gens. Je sentais toute ma dureté envers dts artistes qui travaillent et qui ont acquis, à grand'peine, une réputa-

6.


— 66 —

lion fragile que le moindre heurt briserait. Lorsque je faisais mon examen de conscience, je m'accusais verte- ment de troubler dans leur quiétude d'excellents hom- mes qui paraissent s'être imposé le labeur pénible de con- tenter tout le monde.

J'abandonne volontiers les notes que je suis allé prendre sur M. Fromentin et sur M. Nazon, sur M. Du- bufîe et sur M. Gérome. J'avais toute une campagne en tête , je m'étais plu à aiguiser mes armes pour les rendre plus tranchantes. Et je vous jure que c'est avec une volupté intime que je jette là toute ma fer- raille.

Je ne parlerai point de M. Fromentin et de la sauce épicée dont il assaisonne la peinture. Ce peintre nous a donné un Orient qui, par un rare prodige, a de la cou- leur sans avoir de la lumière. Je sais d'ailleurs que M. Fromentin est le dieu du jour; je m'évite la peine de lui demander des arbres et des cieuxplus vivants, et sur- tout de réclamer de lui une saine et forte originalité, au lieu de ce faux tempérament de coloriste qui rappelle Delacroix comme les devants de cheminée rappellent les toiles de Véronèse.

Je n'aurai aucune querelle à chercher à M. Nazon et aux décors en carton qu'il nous donne pour de vraies campagnes; ne vous senible-t-il pas, — entre nous, — que c'est ici une apolliéose de féerie, lorsque les feux de bengnle sont allumés, et que des lueurs jaunes et rouges donnent à chaque objet une apparence morte.

Quant à MM. Gérùme et Dubuffe, je suis excessivement satisfait de ne pas avoir à parler de leur talent. Je le ré- pète, je suis fort sensible au fond, et je n'aime pas à faire


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du chagrin aux gens. La mode de M. Gérôme baisse; M. Dubuffe a dû prendre une peine terrible, dont il sera peu récompensé. Je suis heureux ne n'avoir pas le temps dédire tout cela.

Je regrette une chose : c'est de ne pouvoir accorder une large place à trois paysagistes que j'aime : MM. Corot, Daubigny et Pissarro. Mais il m'est permis de leur don- ner une bonne poignée de main, — la poignée de main de l'adieu.

Si M. Corot consenlait à tuer une fois pour toutes les nymphes dont il peuple ses l)ois, et à les remplacer par des paysannes, je l'aimerais outre mesure.

Je sais qu'à ces feuillages légers, à cette aurore hu- mide et souriante, il faut des créatures diaphanes, des rôves habillés de vapeurs. Aussi suis-je tenté parfois de demander au maître une nature plus humaine, plus vi- goureuse. Celte année il a exposé des éludes peintes sans doute dans l'atelier. Je préfère mille fois une pochade, une esquisse faite par lui en pleins champs, face à face avec la réalité puissante.

Demandez à M. Daubigny quels sont les tableaux qu'il vend le mieux. Il vous répondra que ce sont justement ceux qu'il estime le moins. On veut de la vérité adou- cie, de la nature propre et lavée avec soin, des horizons fuyants et rêveurs. Mais que le maître peigne avec vi- gueur la terre forte, le ciel profond, les arbres et les flots puissants, et le public trouve cela bien laid, bien gros- sier. Celte année M. Daubigny a contenté la foule sans trop se mentir à lui-même. Je crois savoir d'ailleurs que ce sont là d'anciennes toiles.

M. Pissarro est un inconnu, dont personne ne parlera sans doute. Je me fais un devoir de lui serrer vigoureu-


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sèment la main, avant de parlir. Merci, monsieur, votre paysage m'a reposé une bonne demi-heure, lors de mon voyage dans le grand désert du Salon. Je sais que vous avez été admis à grand'peine, et je vous en fais mon sincère compliment. D'ailleurs, vous devez savoir que vous ne plaisez à personne, et qu'on trouve votre tableau trop trop nu, trop noir. Aussi pourquoi diable avez-vcus l'insigne maladresse de peindre solidement et d'étudier franchement la nature!

Voyez donc, vous choisissez un temps d'hiver, vous avez là un simple bout d'avenue, puis un coteau au fond, et des champs vides jusqu'à l'horizon. Pas le moindre régal pour les yeux. Une peinture austère et grave, un souci extrême de la vérité et de la justesse, une volonté âpre et forte. Vous êtes un grand maladroit, monsieur, — vous êtes un artiste que j'aime.

Donc, je n'ai plus le loisir de louer ceux-ci et de blâ- mer ceux-là. Je fais mes paquets à la hâte, sans regarder si je n'oublie pas quelque chose. Les artistes que j'aurais attaqués n'ont pas besoin de me remercier, et je fais mes excuses à ceux dont j'aurais dit du bien.

Savez-vous que ma besogne commençait à devenir fatigante. On mettait tant de bonne foi à ne pas me comprendre, on discuîait mes opinions avec une naï- veté si aveugle, que je devais, dans chacun de mes ar- ticles, rétablir mon point de départ et faire voir que j'obéissais logiquement à une idée première et invin- cible.

J'ai dit : « Ce que je cherche surtout dans un tableau, c'est un homme el non pas un tableau. » Et encore : « L'art est composé de deux cléments : la nature, qui est


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l'élément fixe, et Thomme, qui est réléraent variable; faîtes vrai, j'applaudis; faites individuel, j'applaudis plus fort. » Et encore : « J'ai plus souci de la vie que de l'art. »

Devant de telles déclarations, je croyais qu'on allait comprendre mon attitude. J'affirmais que la personnalité seule faisait vivre une œuvre, je cherchais des hommes, persuadé que toute toile qui ne contient pas un tempé- rament, est une toile morte. Ne vous êtes-vous jamais demandé dans quels galetas allaient dormir ces milliers de tableaux qui passent par le Palais de l'Industrie ?

Je me moque bien de l'Ecole française! Je n'ai pas de traditions, moi; je ne discute pas un pan de draperie, l'attitude d'un membre, l'expression d'une physionomie. Je ne saisis pas ce qu'on entend par un défaut ou par une qualité. Je crois qu'une œuvre de maître est un tout qui se tient, une expression d'un cœur et d'une chair. Vous ne pouvez rien changer ; vous ne pouvez que constater, étudier une face du génie humain, une ex- pression humaine.

Mon éloge de M. Manet a tout gâté. On prétend que je suis le prêtre d'une nouvelle religion. De quelle religion, je vous prie? De celle qui a pour dieux tous les talents indépendants et personnels? Oui, je suis de la religion des libres manifestations de l'homme; oui, je ne m'em- barrasse pas des milles restrictions de la science, et je vais droit à la vie et à la vérité; oui, je donnerais mille œuvres habiles et médiocres, pour une œuvre même mauvaise, dans laquelle je croirais reconnaître un accent nouveau et puissant.

J'ai défendu M. Manet, comme je défendrai dans ma vie toute individualité franche qui sera attaquée. Je serai


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toujours du parti des vaincus. ^11 y a une lutte évidente entre les tempéraments indomptables et la foule. Je suis pour les tempéraments, et j'attaque la foule.

Ainsi mon procès est jugé et je suis condamné.

J'ai commis Ténormité de ne pas admirer M. Dubuffe après avoir admiré Courbet, l'énormité d'obéir à une logique implacable.

J'ai eu la naïveté coupable de ne pouvoir avaler sans écœurement les fadeurs de Tépoque, el d'exiger de la puissance et de Toriginalilé dans une œuvre.

J'ai blasphémé en affirmant que toute l'histoire artisti- que est là pour prouver que les tempéraments seuls do- minent les âges, et que les toiles qui nous restent sont des toiles vécues et senties.

J'ai commis l'horrible sacrilège de toucher d'une façon peu respectueuse aux petites réputations du jour et de leur prédire ime mort prochaine, un néant vaste et éternel.

J'ai été hérétique en démolissant toutes les maigres religions des coteries et en posant fermement la grande religion artistique, celle qui dit à chaque peintre : «Ou- vre tes yeux, voici la nature ; ouvre ton cœur, voici la vie. »

J'ai montré une ignorance crasse, parce que je n'ai pas partagé les opinions des critiques assermentés et que j'ai négligé de parler du raccourci de ce torse, du mo- delé de ce ventre, du dessin et de la couleur, des écoles et des préceptes.

Je me suis conduit *en malhonnête homme, en mar- chant droit au but, sans songer aux pauvres diables que je pouvais écraser en chemin. Je voulais la vérité, et j'ai eu tort de blesserJes gens pour aller jusqu'à elle.


En un mot, j'ai fait preuve de cruaule, de sollise, d'ignorance, je me suis rendu coupable de sacrilège el d'hérésie, parce que, las de mensonge el de médiocrité, j'ai cherché des hommes dans la foule de ces enuuques.

Et voilà pourquoi je suis condamné !


APPENDICE


APPENDICE,


Je publie ici trois lettres prises au hasard parmi celles que M. de Villemessant a reçues, au sujet de mes articles. Je tiens à constater quelle a été Tattitude de certains lecteurs à mon égard, et devant quelles protestatioministration se chargera très- bien de ce soin. On leur demande simplement d'éloigner de l'Exposition les tableaux ou sculptures qui, par leur trop grande infériorité, compromettraient la dignité du Salon. Aussitôt qu'un artiste est arrivé à la position de membre du jury, il n'y voit qu'une occasion de satisfaire ses antipathies et ses rancunes. Le réaliste exclue le fan- taisiste., qui exclue le primitifs qui exclue le coloriste, etc. Les membres du jury ne doivent pas perdre de vue qu'il leur faut faire abstraction complète de leurs goûts et de leurs systèmes personnels. Comme le jury de cour d'as- sises, ils doivent se prononcer sans haine et sans crainte. Le président devrait, avant d'exclure une œuvre, dire : « Messieurs, en votre âme et conscience, ce tableau est-il assez mauvais, assez ridicule pour compromettre la dignité de l'Exposition^ » et les jurés répondre avec conscience et gravité, car c'est peut-être un arrêt de mo^t qu'ils pronon- cent.


— 95 —

Troisièmement : Que font les amateurs dahs le jury du salon? Ils n'y font qu'user de leur influence en faveur des idées étroites et bourgeoises. N'aimant que deux ou trois maîtres anciens ou modernes, ils sont hostiles à toutes les nouveautés et tentatives hardies ou originales. Leur pouvoir sur leurs collègues-artistes est considérable. Les sommités artistiques, impitoyables entre elles, sont très-souples vis à vis des grands seigneurs. On me par- iait d'un noble et riche amateur faisant partie du jury, qui, à chaque tableau un peu étrange qu'on lui présen- tait, disait : « En voilà encore un que je n'achèterai jamais pour ma galerie! » Les collègues-artistes qui avaient, eux, la prétention d'orner la galerie de monseigneur, di- saient: « Certainement \ certainement] » et le tableau était exclu.

A. un point de vue élevé, l'exposition des Beaux arts est une exhibition faite pour montrer le niveau de l'art et les nouvelles voies que les chercheurs ont découvertes. Les amateurs n'y comprennent rien. Ils ne se risquent à couvrir un tableau de billets de banque, que lorsque le monde artiste a fait les réputations ; car l'amateur riche, ne s'y connaissant pas, n'ose risquer son argent sur une signature inconnue. Il veut montrer avec orgueil un De- camps ou un Marilhat, lorsqu'on se les arrache dans les ventes publiques; mais il n'aurait pas donné cent sous de ces mêmes tableaux avant la réputation de leurs au- teurs.

C'est pourquoi je suis pour les expositions libres^ car le jury, consciencieux, conciliant, bienveillant, juste, mais pas sévère, est impossible à former avec des artistes. Je dis plus, je ne comprendrai jamais que des artistes qui, eux aussi, ont mangé de la vache enragée^ puissent ac-


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cepter ce rôle de bourreaux, et jeter leurs confrères, sou- vent leurs anciens camarades, dans la misère et le dé- couragement.

Antoine Timok.


^ 97 —


20 mai,


Monsieur,

Je lis à l'instant l'article de VÊvénement par lequel vous terminez la revue du Salon de celte année, et je vous écris sous Timpression de rémolion ressentie. C'est mon excuse.

Ah monsieur! quelle lâche vous vous êtes donnéel Montrer à chacun ses verrues, placer Tart au-dessus des considérations de colorie, d'écoles et de personnes, fron- der les préjugés établis, les idées reçues, parler avec sa conscience et jeter le cri d'alarme I... Vous passeriez votre existence à le chercher que vous ne trouveriez pas de moyen plus simple et plus prompt pour vous faire un vaste corlége d'ennemis!

D'où sortez-vous donc, monsieur? Par ces temps de critique bénigne, par ces temps de tolérance apathique, il est curieux vraiment de voir un homme assez auda- cieux pour s'opposer, tout seul, à l'irruption profane du médiocre et du maniéré dans l'enceinte sacrée du beau et du vrai.

C'est curieux, mais c'est un beau spectacle. Encore meurtri par les coups reçus dans la lutte, vous vous écriez : « Je suis condamné! » Oui sans doute, vous sé- rie? condamné si vous aviez pour juge celte foule de Pn-

9


— 98 —

nurge pour qui tout est beau, pour qui tout est bien, et que la moindre secousse imprimée à sa torpeur plonge dans des terreurs paniques; mais vous avez pour vous les gens qui pensent qu'il nous faut sortir à tout prix du marasme littéraire et artistique dans lequel nous végétons. Monsieur, je ne suis encore qu'un inconnu, mais je sers la même cause que vous et je regrette l'obscurité qui m'empêche de vous serrer la main.

Maurice C.


TABLE DES MATIERES.


Pages.

A mon ami Paul Cézanne 7

Mon Salon. — Le Jury 17

Le Jury (Suite) 25

Le moment artistique 31

M. Manet 39

Les Réalistes du Salon 49

Les Chutes 57

Adieux d'un Critique d'Art 65

Appendice 75


EXTRAIT

DU CATALOGUE

DE LA

LIBRAIRIE CENTRALE

24, boulevard des Italiens


L AMIE DE LA REINE, parJcLEs de Saint-Félix, ^ vol. j<r. ia-^8 Jésus 3

L'AMOUR BOSSU, par He>ri de Kock. \ vol. grand in-'fS Jésus, orné d'une eau-forle par L. Flameng. 3

L'AMOUR EST UN ENFANT, opérette en un acte de Bernard Lopez. Grand in-18 jésus ^

L'AN 5865, ou Paris dans quatre riiiÇle ons, parle docteur H. Mettais. ^ vol. grand in-18 Jésus. . , 3

L'ANNUAIRE DE LA CHARITÉ, contenant un précis de Thistoireet du rr-gleraent de tous les établisse- ments de bienfaisance et des Sociétés de secours de Paris, et plus de six raille noms et adresses des fondateurs, administrateurs et sociétaires, par M. ILD. Koepflln. 1 vol. grand in-i8 Jésus .... 3

L'ANTI-PAPE ET L'ANTI-GUIZOT, protestation de l'esprit moderne contre l'Encyclique et contre les Méditations de M. Guizot , par un solitaire de Montmartre. ^ vol. in-8 3

9-


AVEZ-YOUS BESOIN ù'ARGElNT? par Pjerre Vérox. i Tol. grand in-i 8 Jésus 3 »

LA BELLE FERONMERE , par Albert BlAxNqbet. ^ voL gr. in-18 jésus, orné d'un portrait de la Fé- ronuière 3 w

BIVOUACS DE VERA-CRUZ A MEXICO, par un ZorAYE. ^ YoL grand 18 jésus, précédé d'une pré- face, par Aurélien Scholl 3 )>

LA BOUGIE ROSE, par Ch. Joliet. ^ yoI. grand in-^8 jésus 4 50

LES BRACONNIERS DU NOUVEAU MONDE, par Henry Gaillard, rédacteur du Journaf des chas- seurs. ■{ Yol. grand in-18 jésus 3 »

LES BUVEURS D'ABSINTHE, par Octave Féré et Jules Cabvakn. I vol. grand in-18 jésus 3 »

CAMPAGNES ET STATIONS SUR LES COTES DE L'AMERIQUE DU NORD, par E. du Hailly. I vol. grflnd in-18 jésus 3 »

CES PETITES DAMES DE THEATRE. I yoI. gr. in-32 jésus, orné d'une phoîograpijie ^ 50

CE QUR JE PENSE D'HENRIETTE MARECHAL, de

sa préface cl du théâtre de mon temps, par Pipe- en-Bois. Broch. grand in-8 -I »

LA CHAMBRE DES AMOURS, par Paul Féyal. ^ yoI. grand in-18 jésus 3 »

LES CHASSES SAUVAGES DE LTNDE, récits pleins d intérêt et de vérité, pui GERMAirs de LAG^y. j yoI. grand iii-18 jCôUs (2® êcit/iO/() 3 »

LES COCOTTES. \ Yok grand in-32 jésus, orné

dune photographie » . . . 1 50

LES COMEDIENNES ADOREES, par Emile Gaboriau ; études anecdotiques sur les actrices françaises les plus célèbres, i vol. gr. in-i8 jésus, orné dun portrait de Sophie Ari>oijld. gravé uur acier ... 3 »


- 3 -

CONTES ET CHRONIQUES DLS EAUX ET DES BAINS DE WER, par Jdles CAïïVAm. << v. gr. in-18 Jésus 2

LES COTILLONS CÉLÈBRES , par Emile Gaboriatj ; études historiques, satiriques et anecdotiques sur les maîtresses des rois de France, depuis les épo- ques légendaires jusqu'à la fin du règne de Louis XY. 2 Yolumes grand in-^8 jésus, ornés de deux portraits gravés sur acier (4^ édition 6

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LE COUP DU .LAPIN, par A. de Lustières et Yizen- TiM. Vaudeville en -i acte -1

LES COUSINES DE SATAN, par Jules de SAI^T- FÉLix. ^ vol. gr. in--18jésus (2^ édition) . . . , , 3

LES DAMES DE RISQUENMLLE, par Aurélien ScHOLL. 'I vol. gr. in-'IS Jésus 3

LA DERNIÈRE NUIT D'UNE VEUVE, comédie en ^ acte, par de Najac \

LES DRAMES DU MARIAGE, par Be.nj. Gastineau. ^ vol. gr. in-18 Jésus 2

UN DRAME ÉLECTORAL, parL. M. Gag>eur. ^ vol. ^ vol. gr. in-18 Jésus 3

L'ÉCOLE DES LOUPS, par Octave Féré et Jules

Catjvain. -I fort volume grand in-18 Jésus 3

L'ÉGLISE UNIE A L'ÉTAT, revue d'antiques, par Achille Delobme. ^ vol. in-8 o

L'ETE d'UN FANTAISISTE, coméd.-vaudev. en un acte, par Ed. Brisebarre. -1 vol. gr. in--! 8 Jésus. . . ^

U^E FANTASIA, opérette en -1 acte, jouée au théâtre des Variétés, paroles de M. Nijitter, musique de M. Hervé i


LES FAUCHEURS POLONAIS, par Hemu Augu.

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UNE FEMME DE COEUR, par Aug. M\rc Bayetjx.

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LA FOIRE AUX GROTESQUES, YaudeYille en 3 ta- bleaux, par H. RocHEFORT et Pierre Véron. ... ^

LA FOIRE AUX GROTESQUES, par Pierre Véro>.

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FOUT. ^ Yol. grand in--] 8 Jésus 3

LA GAMME DES AMOURS, par Oscar Comettaxt.

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LES PLAIES LÉGALES, par Alex. Laya, ^ vol. in-8. 5 »

LES PROSCRITS DE SICILE, par Emmanuel Gonzalès. i vol. gr. in-^8 jésus 3 »

LA PUDEUR, par Paul Perret, ^ vol. gr. inH8 jésus 3 »

LES QUATRE COINS DE PARIS, par Leo Lespès (Ti- mothée Trimm). 4 vol. gr. in-^8 jésus (2^ édition.), 3 »

LA RÉVOLUTION DU JOURNALISME, par Arnould Fremy. ^ vol. in-8. . 3 »

DES RÉVOLUTIONS DU MEXIQUE, par Gabriel Ferry. 4 vol. gr. in-18 jésus, précédé d'une pré- face, par George Sand 3 »

LE ROI VICTOR-EMMANUEL, par Ch. de la Varekne. ^ vol. gr. in-^8 jésus, orné d'un beau portrait du roi dltalie, photographié par Caiuat. 3 50

LE ROMAN DE LA FEMME A RARBE, par Pierre Vé- ron. i vol. gr. in-18 (3® édition). 3 n


- 8 -

LE ROMAN DU MARI, par Amédée Achard. 4 vol. gr. in-^8 Jésus (2« edifîon) 2 »

ROMANS ENFANTINS, par Paul Féval. \ vol. grand in-18 Jésus, illustré de gravures sur bois et orné de ^13 eaux-fortes de L. Flameng et d'un beau por- trait de l'auteur, photographié par Franck, broché. i5 »

SAUVÉ I MON DIEU! vaudeville en 4 acte de H. Ro- CHEFORT et Pierre Véron. ^ vol. in-^8 -1 »

SEPT ANS A L'OPÉRA, souvenirs anecdotiques d'un secrétaire particulier, par Nérée Desarbres. \ joli volume in-^ 8, orné de nombreuses vignettes. . . 3 »

LA SOEUR AÎNÉE, par Aug. Marc-Bayeux. ^ vol. gr. inH8jésus 3 »

SOUVENIRS D'UN MÉDECIN DE PARIS, par le doc- teur Mettais. ^ vol. gr. in-18 Jésus . 3 »

LES TABLEAUX VIVANTS, par Léo Lespès (Timothée Trimm). 1 vol. gr. in-18 jésus 3 »

TARTUFE SPIRITE, par Alfred de Gaston ; roman de mœurs contemporaines. 1 vol. in-8 5 »

LE TREIZIÈME HUSSARDS, par Emile Gaboriau. 4 v. gr. in-^8 Jésus (-12^ édition) 3 »

LA VACHE ENRAGÉE, pièce en 3 actes et 8 tableaux, par Ed. Brisebarre. Brochure in-8 » 50

LES VENDEURS DE BONNE AVENTURE, par Alfred DE Gaston. -1 vol. gr. in-18 jésus 3 »>

LA VEUVE DE SOLOGNE. -Histoire d'un couteau de chasse^ par le vicomte Ponson du Terrail. ^ vol. gr. in-18 jésus 3 »

LA VISITE DU MATIN, com. en ] acte, par Ed. Bri- sebarre 4 »

VOYAGE AUTOUR D'UNE VOLIÈRE, par A. Lacombe, contenant les précédés les meilleurs pour l'élève et la reproduction des oiseaux. 1 vol. gr. in-18, orné de 5 eaux-fortes 5 »

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COC ZOLA, EMILE.

ACC# 1171361


MON SALON



It is impossible to omit mention of Zola's two studies in which Manet is considered: "Mon Salon" 1866, and "Manet, a biographical and critical study," 1867.


Full text

also published in Mes Haines

MON SALON

L'Evénement, le 7 mai 1866

M. MANET

Si nous aimons à rire, en France, nous avons, à l'occasion, une exquise courtoisie et un tact parfait. Nous respectons les persécutés, nous défendons de toute notre puissance la cause des hommes qui luttent seuls contre une foule.

Je viens, aujourd'hui, tendre une main sympathique à l'artiste qu'un groupe de ses confrères a mis à la porte du Salon. Si je n'avais pour le louer sans réserve la grande admiration que fait naître en moi son talent, j'aurais encore la position qu'on lui a créée de paria, de peintre impopulaire et grotesque.

Avant de parler de ceux que tout le monde peut voir, de ceux qui étalent leur médiocrité en pleine lumière, je me fais un devoir de consacrer la plus large place possible à celui dont on a volontairement écarté les œuvres, et que l'on n'a pas jugé digne de figurer parmi quinze cents à deux mille impuissants qui ont été reçus à bras ouverts.

Et je lui dis : " Consolez-vous. On vous a mis à part, et vous méritez de vivre à part. Vous ne pensez pas comme tous ces gens-là, vous peignez selon votre coeur et selon votre chair, vous êtes une personnalité qui s'affirme carrément. Vos toiles sont mal à l'aise parmi les niaiseries et les sentimentalités du temps. Restez dans votre atelier. C'est là que je vais vous chercher et vous admirer. " Je m'expliquerai le plus nettement possible sur M. Manet. Je ne veux point qu'il y ait de malentendu entre le public et moi. Je n'admets pas et je n'admettrai jamais qu'un jury ait eu le pouvoir de défendre à la foule la vue d'une des individualités les plus vivantes de notre époque. Comme mes sympathies sont en dehors du Salon, je n'y entrerai que lorsque j'aurai contenté ailleurs mes besoins d'admiration.

Il paraît que je suis le premier à louer sans restriction M. Manet. C'est que je me soucie peu de toutes ces peintures de boudoir, de ces images coloriées, de ces misérables toiles où je ne trouve rien de vivant. J'ai déjà déclaré que le tempérament seul m'intéressait.

On m'aborde dans les rues, et on me dit : " Ce n'est pas sérieux, n'est-ce pas ? Vous débutez à peine, vous voulez couper la queue de votre chien. Mais, puisqu'on ne vous voit pas, rions un peu ensemble du haut comique du Dîner sur l'herbe*, de l'Olympia*, du Joueur de fifre*."

Ainsi nous en sommes à ce point en art, nous n'avons plus même la liberté de nos admirations. Voilà que je passe pour un garçon qui se ment à lui-même par calcul. Et mon crime est de vouloir enfin dire la vérité sur un artiste qu'on feint de ne pas comprendre et qu'on chasse comme un lépreux du petit monde des peintres.

L'opinion de la majorité sur M. Manet est celle-ci : M. Manet est un jeune rapin qui s'enferme pour fumer et boire avec des galopins de son âge. Alors, lorsqu'on a vidé des tonnes de bière, le rapin décide qu'il va peindre des caricatures et les exposer pour que la foule se moque de lui et retienne son nom. Il se met à l'œuvre, il fait des choses inouïes, il se tient lui-même les côtes devant son tableau, il ne rêve que de se moquer du public et de se faire une réputation d'homme grotesque.

Bonnes gens !

Je puis placer ici une anecdote qui rend admirablement le sentiment de la foule. Un jour, M. Manet et un littérateur très connu étaient assis devant un café des boulevards. Arrive un journaliste auquel le littérateur présente le jeune maître. "M. Manet", dit-il. Le journaliste se hausse sur ses pieds, cherche à droite, cherche à gauche ; puis il finit par apercevoir devant lui l'artiste, modestement assis et tenant une toute petite place. " Ah ! pardon, s'écrie-t-il, je vous croyais colossal, et je cherchais partout un visage grimaçant et patibulaire. "

Voilà tout le public.

Les artistes eux-mêmes, les confrères, ceux qui devraient voir clair dans la question, n'osent se décider. Les uns, je parle des sots, rient sans regarder, font des gorges chaudes sur ces toiles fortes et convaincues. Les autres parlent de talent incomplet, de brutalités voulues, de violences systématiques. En somme, ils laissent plaisanter le public, sans songer seulement à lui dire : " Ne riez pas si fort, vous ne voulez passer pour des imbéciles. Il n'y a pas le plus petit mot pour rire dans tout ceci. Il n'y a qu'un artiste sincère, qui obéit à sa nature, qui cherche le vrai avec fièvre, qui se donne entier et qui n'a aucune de nos lâchetés. "

Puisque personne ne dit cela, je vais le dire, moi, je vais le crier. Je suis tellement certain que M. Manet sera un des maîtres de demain, que je croirais conclure une bonne affaire, si j'avais de la fortune, en achetant aujourd'hui toutes ses toiles. Dans cinquante ans, elles se vendront quinze et vingt fois plus cher, et c'est alors que certains tableaux de quarante mille francs ne vaudront pas quarante francs.

Il ne faut pourtant pas avoir beaucoup d'intelligence pour prophétiser de pareils événements.

On a d'un côté des succès de mode, des succès de salons et de coteries ; on a des artistes qui se créent une petite spécialité, qui exploitent un des goûts passagers du public ; on a des messieurs rêveurs et élégants qui, du bout de leurs pinceaux, peignent des images mauvais teint que quelques gouttes de pluie effaceraient.

D'un autre côté, au contraire, on a un homme s'attaquant directement à la nature, ayant remis en question l'art entier, cherchant à créer de lui-même et à ne rien cacher de sa personnalité. Est-ce que vous croyez que des tableaux peints d'une main puissante et convaincue ne sont pas plus solides que de ridicules gravures d'Épinal ?

Nous irons rire, si vous le voulez, devant les gens qui se moquent d'eux-mêmes et du public, en exposant sans honte des toiles qui ont perdu leur valeur première depuis qu'elles sont barbouillées de jaune et de rouge. Si la foule avait reçu une forte éducation artistique, si elle savait admirer seulement les talents individuels et nouveaux, je vous assure que le Salon serait un lieu de réjouissance publique, car les visiteurs ne pourraient parcourir deux salles sans se rendre malades de gaieté. Ce qu'il y a de prodigieusement comique à l'Exposition, ce sont toutes ces œuvres banales et impudentes qui s'étalent, montrant leur misère et leur sottise.

Pour un observateur désintéressé, c'était un spectacle navrant que ces attroupements bêtes devant les toiles de M. Manet. J'ai entendu là bien des platitudes. Je me disais : " Serons-nous donc toujours si enfants, et nous croirons-nous donc toujours obligés de tenir boutique d'esprit ? Voilà des individus qui rient, la bouche ouverte, sans savoir pourquoi, parce qu'ils sont blessés dans leurs habitudes et dans leurs croyances. Ils trouvent cela drôle, et ils rient. Ils rient comme un bossu rirait d'un autre homme, parce que cet homme n'aurait pas de bosse. "

Je ne suis allé qu'une fois dans l'atelier de M. Manet. L'artiste est de taille moyenne, plutôt petite que grande ; blond de cheveux et de visage légèrement coloré, il paraît avoir une trentaine d'années ; l'œil vif et intelligent, la bouche mobile, un peu railleuse par instants ; la face entière, irrégulière et expressive, a je ne sais quelle expression de finesse et d'énergie. Au demeurant, l'homme, dans ses gestes et dans sa voix, a la plus grande modestie et la plus grande douceur.

Celui que la foule traite de rapin gouailleur vit retiré, en famille. Il est marié et a l'existence réglée d'un bourgeois. Il travaille d'ailleurs avec acharnement, cherchant toujours, étudiant la nature, s'interrogeant et marchant dans sa voie.

Nous avons causé ensemble de l'attitude du public à son égard. Il n'en plaisante pas, mais il n'en paraît pas non plus découragé. Il a foi en lui, il laisse passer tranquillement sur sa tête la tempête des rires, certain que les applaudissements viendront.

J'étais enfin en face d'un lutteur convaincu, en face d'un homme impopulaire qui ne tremblait pas devant le public, qui ne cherchait pas à apprivoiser la bête, mais qui s'essayait plutôt à la dompter, à lui imposer son tempérament.

C'est dans cet atelier que j'ai compris complètement M. Manet. Je l'avais aimé d'instinct ; dès lors, j'ai pénétré son talent, ce talent que je vais tâcher d'analyser. Au Salon, ses toiles criaient sous la lumière crue, au milieu des images à un sou qu'on avait collées au mur autour d'elles. Je les voyais enfin à part, ainsi que tout tableau doit être vu, dans le lieu même où elles avaient été peintes.

Le talent de M. Manet est fait de simplicité et de justesse. Sans doute, devant la nature incroyable de certains de ses confrères, il se sera décidé à interroger la réalité, seul à seule ; il aura refusé toute la science acquise, toute l'expérience ancienne, il aura voulu prendre l'art au commencement, c'est-à-dire à l'observation exacte des objets.

Il s'est donc mis courageusement en face d'un sujet, il a vu ce sujet par larges taches, par oppositions vigoureuses, et il a peint chaque chose telle qu'il la voyait. Qui ose parler ici de calcul mesquin, qui ose accuser un artiste consciencieux de se moquer de l'art et de lui-même ? Il faudrait punir les railleurs, car ils insultent un homme qui sera une de nos gloires, et ils l'insultent misérablement, riant de lui qui ne daigne même pas rire d'eux. Je vous assure que vos grimaces et que vos ricanements l'inquiètent peu.

J'ai revu Le Déjeuner sur l'herbe*, ce chef-d'œuvre exposé au Salon des Refusés, et je défie nos peintres en vogue de nous donner un horizon plus large et plus empli d'air et de lumière. Oui, vous riez encore, parce que les ciels violets de M. Nazon vous ont gâtés. Il y a ici une nature bien bâtie qui doit vous déplaire. Puis nous n'avons ni la Cléopâtre* en plâtre de M. Gérome, ni les jolies personnes roses et blanches de M. Dubufe*. Nous ne trouvons malheureusement là que des personnages de tous les jours, qui ont le tort d'avoir des muscles et des os, comme tout le monde. Je comprends votre désappointement et votre gaieté, en face de cette toile ; il aurait fallu chatouiller votre regard avec des images de boîtes à gants.

J'ai revu également l'Olympia*, qui a le défaut grave de ressembler à beaucoup de demoiselles que vous connaissez. Puis, n'est-ce pas ? quelle étrange manie que de peindre autrement que les autres ! Si, au moins, M. Manet avait emprunté la houppe à poudre de riz de M. Cabanel* et s'il avait un peu fardé les joues et les seins d'Olympia, la jeune fille aurait été présentable. Il y a là aussi un chat qui a bien amusé le public. Il est vrai que ce chat est d'un haut comique, n'est-ce pas ? et qu'il faut être insensé pour avoir mis un chat dans ce tableau. Un chat, vous imaginez-vous cela. Un chat noir, qui plus est. C'est très drôle... Ô mes pauvres concitoyens, avouez que vous avez l'esprit facile. Le chat légendaire d'Olympia est un indice certain du but que vous vous proposez en vous rendant au Salon. Vous allez y chercher des chats, avouez-le, et vous n'avez pas perdu votre journée lorsque vous trouvez un chat noir qui vous égaye.

Mais l'œuvre que je préfère est certainement Joueur de fifre*, toile refusée cette année. Sur un fond gris et lumineux, se détache le jeune musicien, en petite tenue, pantalon rouge et bonnet de police. Il souffle dans son instrument, se présentant de face. J'ai dit plus haut que le talent de M. Manet était fait de justesse et de simplicité, me souvenant surtout de l'impression que m'a laissée cette toile. Je ne crois pas qu'il soit possible d'obtenir un effet plus puissant avec des moyens moins compliqués.

Le tempérament de M. Manet est un tempérament sec, emportant le morceau. Il arrête vivement ses figures, il ne recule pas devant les brusqueries de la nature, il rend dans leur vigueur les différents objets se détachant les uns sur les autres. Tout son être le porte à voir par taches, par morceaux simples et énergiques. On peut dire de lui qu'il se contente de chercher des tons justes et de les juxtaposer ensuite sur une toile. Il arrive que la toile se couvre ainsi d'une peinture solide et forte. Je retrouve dans le tableau un homme qui a la curiosité du vrai et qui tire de lui un monde vivant d'une vie particulière et puissante.

Vous savez quel effet produisent les toiles de M. Manet au Salon. Elles crèvent le mur, tout simplement. Tout autour d'elles s'étalent les douceurs des confiseurs artistiques à la mode, les arbres en sucre candi et les maisons en croûte de pâté, les bonshommes en pain d'épices et les bonnes femmes faites de crème à la vanille. La boutique de bonbons devient plus rose et plus douce, et les toiles vivantes de l'artiste semblent prendre une certaine amertume au milieu de ce fleuve de lait. Aussi faut-il voir les grimaces des grands enfants qui passent dans la salle. Jamais vous ne leur ferez avaler pour deux sous de véritable chair, ayant la réalité de la vie ; mais ils se gorgent comme des malheureux de toutes les sucreries écoeurantes qu'on leur sert.

Ne regardez plus les tableaux voisins. Regardez les personnes vivantes qui sont dans la salle. Étudiez les oppositions de leurs corps sur le parquet et sur les murs. Puis, regardez les toiles de M. Manet : vous verrez que là est la vérité et la puissance. Regardez maintenant les autres toiles, celles qui sourient bêtement autour de vous, vous éclatez de rire, n'est-ce pas ?

La place de M. Manet est marquée au Louvre comme celle de Courbet*, comme celle de tout artiste d'un tempérament original et fort. D'ailleurs, il n'y a pas la moindre ressemblance entre Courbet et M. Manet, et ces artistes, s'ils sont logiques, doivent se nier l'un l'autre. C'est justement parce qu'ils n'ont rien de semblable, qu'ils peuvent vivre chacun d'une vie particulière.

Je n'ai pas de parallèle à établir entre eux, j'obéis à ma façon de voir en ne mesurant pas les artistes d'après un idéal absolu et en n'acceptant que les individualités uniques, celles qui s'affirment dans la vérité et dans la puissance.

Je connais la réponse : " Vous prenez l'étrangeté pour l'originalité, vous admettez donc qu'il suffit de faire autrement que les autres pour faire bien." Allez dans l'atelier de M. Manet, messieurs ; puis revenez dans le vôtre et tâchez de faire ce qu'il fait, amusez-vous à imiter ce peintre qui, selon vous, a pris en fermage l'hilarité publique. Vous verrez alors qu'il n'est pas si facile de faire rire le monde.

J'ai tâché de rendre à M. Manet la place qui lui appartient, une des premières. On rira peut-être du panégyriste comme on a ri du peintre. Un jour, nous serons vengés tous deux. Il y a une vérité éternelle qui me soutient en critique : c'est que les tempéraments seuls vivent et dominent les âges. Il est impossible, - impossible, entendez-vous -, que M. Manet n'ait pas son jour de triomphe, et qu'il n'écrase pas les médiocrités timides qui l'entourent.

Ceux qui doivent trembler, ce sont les faiseurs, les hommes qui ont volé un semblant d'originalité aux maîtres du passé ; ce sont ceux qui calligraphient des arbres et des personnages, qui ne savent ni ce qu'ils sont ni ce que sont ceux dont ils rient. Ceux-là seront les morts de demain ; il y en a qui sont morts depuis dix ans, lorsqu'on les enterre, et qui se survivent en criant qu'on offense la dignité de l'art si l'on introduit une toile vivante dans cette grande fosse commune du Salon.

Emile Zola

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