Parallèle des Anciens et des Modernes  

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Parallèle des Anciens et des Modernes is a text by Perrault. See ancients and moderns.

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PARALELLE DES ANCIENS DES MODERNES EN CE QUI REGARDE LES ARTS ET LES SCIENCES. DIALOGUES. Avec le Poëme du Siecle de LOUIS LE GRAND Et une Epiftre en Vers fur le Genie. ParM. PERRAULT de l'Académie Françoiſe. TOME PREMIER. DE BIBLIOTH i Xxx2x3 1833 C.PRUNELLE LICS Chez ག E T SECONDE EDITION. Alphare ct pus OmeG " ST A PARIS , La Veuve de JEAN BAPT. COIGNARD, Imprimeur du Roy, & de l'Académie Françoiſe. ET JEAN BAPTISTE COIGNARD Fils , Imprimeur du Roy, & de l'Académie Françoiſe , rue S. Jacques à la Bible d'or. MDCLXXX X I I. PLAT AVEC PRIVILEGE DE SA MAJESTE'. Suga PREFACE. R Ien n'eft plus naturel ny plus raiſonnable que d'a voir beaucoup de veneration pour toutes les choſes qui ayant un vray merite en elles - mefmes, yjoignent encore celuy d'eſtre anciennes. C'eft ce fentiment fi jufte & fi univerfel qui re double l'amour & le refpect que nous avons pour nos An ceftres ; & c'eft par là que les Loix & les Couftumes fe ren dent encore plus authentiques & plus inviolables . Mais com me ç'a tousjours efté le deftin des meilleures chofes de deve nir mauvaiſes par leur excez & de le devenir à proportion de leur excellence. Souvent > á ij PREFACE. Cette veneration fi loüable dans ſes commencemens , s'eft chan gée dans la ſuite en une ſuperſ tition criminelle & a paffé mefme quelquefois jufqu'à l'I dolatrie. Des Princes extraor dinaires par leurs vertus firent le bonheur de leurs Peuples , & remplirent la Terre du bruit de leurs grandes actions : Ils furent benis pendant leur vie , & leur memoire fut reverée de la pof terité , mais dans la fuitte des temps on oublia qu'ils eftoient hommes , & l'on leur offrit de l'encens & des facrifices. La mefme chofe eft arrivée aux hommes qui ont excellé les pre miers dans les Arts & dans les Sciences. L'honneur que leur fiecle en receut , & l'utilité qu'ils PREFACE. y apporterent leur acquirent pendant leur vie beaucoup de gloire & de reputation,leurs ou vrages furent admirez de la pof terité qui en fit fes plus cheres delices , & qui les honnora de mille louanges fans bornes & fans mefure. Le reſpect qu'on eut pour leur memoire s'aug menta tellement , qu'on nevou lut plus rien voir en eux qui fe reffentit de la foibleffe humai ne , & l'on en confacra tout jufqu'à leurs deffauts . Ce fut affez qu'une choſe euſt eſté fai te ou dite par ces grands Hom mes pour eftre incomparable , & c'eft mefme encore aujour d'huy une espece de Religion parmy quelques Sçavans de preferer la moindre produc ǎ iij PREFAC E. tion des Anciens aux plus beaux Ouvrages de tous les Modernes. J'avoue que j'ay efté bleffé d'u ne telle injuftice , il m'a paru tant d'aveuglement dans cette prevention & tant d'ingratitu de à ne pas vouloir ouvrir les yeux fur la beauté de noſtre Siecle , à qui le Ciel a départi mille lumieres qu'il a refuſées à toute l'Antiquité, que je n'ay pû m'empefcher d'en eſtre émû d'une veritable indignation : C'a efté cette indignation qui a produit le petit Poëme du fiecle de LOUIS LE GRAND', qui fut lû à l'Académie Fran çoife le jour qu'elle s'affembla pour rendre graces au Ciel de la parfaite guerifon de ſon au gufte Protecteur. Tous ceux qui 1 PREFACE. compofoient cette illuftre af femblée parurent en eſtre aſſez contents , hors deux ou trois Amateurs outrez de l'Antiquité, qui tefmoignerent en eftre fort offenfez. On efperoit que leur chagrin produiroit quelque cri tique qui defabuſeroit le Pu blic ; mais ce chagrin s'eſt éva poré en proteftations contre monattentat , &en paroles vai nes & vagues. Il eft vray qu'un celebre Commentateur m'a fou droyé dans la Preface de fes Notes , où ne me jugeant pas digne d'eftre feul l'objet de fon indignation , il s'adreſſe à tous les profanes qui fe contentent comme moy de reverer les An ciens fans les adorer , & là du haut de fa fcience il nous , áiiij PREFACE. tude d'un égouft qu'à deffendre la caufe du Roy Dejotarus. J'ay dit tout le contraire , & je me fuis plaint de ce que nos Avo cats au lieu d'avoir l'avantage comme Ciceron de plaider pour des Rois ; ou comme Demof thene , pour la deffenſe de la liberté publique : matieres où l'Eloquence peut déployer fes grandes voiles , ils ne font mi ferablement occupez qu'à re vendiquer trois fillons ufurpez fur un heritage , ou à prouver la fervitude d'un égouft , fujets extremement diſgraciez pour la grande Eloquence : Cette for te de negligence ou ce peu de bonne foy, m'a autant déplû , que de bonnes raiſons contre mon opinion , m'auroient fait PREFACE. plaifir à entendre ; mais l'Au teur n'a pas fongé à en dire une feule , & s'eft contenté de deci der de tout à faſa fantaiſie par la bouche de fon Apollon. Com me chacun a le fien , on luy fournira un auffi grand nombre de decifions toutes contraires quand on voudra s'en donner la peine. Il ne reste plus qu'à répondre à l'hommeaux Factums qui m'a donné un coup de dent felon fes forces. Il m'a fait fouvenir de ce petit diable dont parle Rabelais , qui ne fçavoit grefler quefur le perfil ; car n'ayant pû trouver rien à reprendre dans le corps de mon Poëme, il s'eft jet té fur la marge , où j'ay dit en parlant du Meandre , que c'eſt á vj PREFACE. un Fleuve de la Grece , qui re tourne plufieurs fois fur luy mefme. Il m'accufe d'avoir ig noré que le Meandre eft un fleuve de l'Afie mineure , &que jay fait en cela une beveuë épouventable ; mais il n'a pas veu qu'il en a fait luy- mefme une bien plus grande , en nous montrant qu'il ne fçait pas que cette partie de l'Afie mineure où paſſe le Meandre , s'appelle la Grece Afiatique . Pour s'inf truire de ce point de Geogra phie , il n'avoit qu'à lire Člu verius , où l'on apprend les pre miers élémens de cette Scien » ce. Le nom de Grece , dit cet Auteur , fe donna premiere » ment à deux Païs enſemble dont l'un s'eft depuis appellé la "" >> PREFAC E. " CG Ce Theffalie & l'autre la Grece proprement dite . Il s'eft enfui te eftendu à l'Epire , à la Ma- « cedoine , à l'Ile de Crete & à tout ce qu'il y a d'Iſles aux en- « virons. On la donné encore à la Sicile & àune partie de l'Ita- " lie qui furent appellées la grande Grece ; & enfin il paffa dans l'A fie dont une partie fut nom- " mée la Grece Asiatique. Il euſt encore trouvé dans un autre endroit du mefme Auteur , que la Grece Afiatique comprend la Myfie , la Phrygie , l'Eolie , « l'Ionie , la Doride , la Lydie &« la Carie. Puifque le Meandre « arrofe prefque toutes ces Pro vinces , ay-je eutort de l'appel ler un Fleuve de la Grece. Si j'avois dit que le Meandre eft CG69 · PREFACE. aurois données : J'aurois enco re eu le plaifir de dire mon Perfe , mon Juvenal , mon Ho race ; car on peut s'approprier tout Auteur qu'on fait reim primer avec des Notes , quel ques inutiles que foient les Notes qu'on y ajouſte, J'ay encore moins pretendu convertir cette nation de Sça vans. Quand ils feroient en ef tat de goufter mes raiſons , ce qui n'arrivera jamais , ils per droient trop à changer d'avis , & la demande qu'on leur en feroit feroit incivile. Ce feroit la mefme choſe que fi on pro pofoitun décri general des mon noyes à des gens qui auroient tout leur bien en argent comp tant , & rien en fond : que de PREFACE. viendroient leurs trefors de lieux communs & de remarques ?Tou tes ces richeffes n'auroient plus de cours en l'eftat qu'elles font , il faudroit les refondre , & leur donner une nouvelle forme & une nouvelle empreinte ce qu'il n'y a que le genie feul qui puiffe faire , & ce genie-là ils ne l'ont pas. Cela ne feroit pas raiſonnable , il faut que tout homme qui peut dire à propos & mefme hors de propos , un vers de Pindare ou d'Anacreon , ait quelque rang diftingué dans le monde : quelle confuſion ſi cette forte de merite venoit à s'aneantir ? Le moindre homme d'efprit & de bon fens feroit comparable à ces Sçavans illuf tres & mefme leur paſſeroit PREFACE. fur le ventre malgré tout le La tin & tout le Grec dont ils font heriffez. Comme ce font gens incapables pour la plufpart d'an cun autre employ dans le mon de , & que leur travail épargne quelquefois bien de la peine à ceux qui eftudient , il eft bon qu'ils ayent une haute idée de leur condition , & qu'ils en vi vent fatisfaits. Si j'ay le malheur de déplaire à cette espece de Sçavans , il y en a d'un ordre fuperieur qui joignant la force & la beauté de l'efprit à une profonde éru dition ne feront pas faichez qu'on attaque une erreur fi in jurieuſe à leur fiecle , & qu'on taſche à lever des preventions qui mettant le moindre des An > PREFACE. ciens au deſſus du plus habile des Modernes , empefche qu'on ne rende à leur merite la juftice qui luy eft dûë. Ils ne doivent pas me blaſmer de vouloir faire honneur à noftre fiecle , puif que c'eſt fur eux-mefmes que doit rejallir une partie de cet honneur , & je ne puis bleffer que certains efprits jaloux qui aiment mieux ne point égaler les Anciens , ny mefme les fur paffer , que de reconnoiftre que cet avantage leur eft commun avec des perfonnes qui vivent encore. Si je ſuis blafmable en quel. que chofe , c'eft de m'eftre en gagé dans une entrepriſe au deffus de mes forces ; car il s'a git d'examiner en détail tous les PREFACE. d les beaux Arts & toutes les Sciences de voir à quel degré de perfection ils ſont parvenus dans les plus beaux jours de l'antiquité , & de remarquer en mefme temps ce que le raiſon nement & l'experience y ont depuis ajouté , & particuliere ment dans le Siecle où nous fommes. Cependant quoyque ce deffein n'ait prefque point de bornes , & qu'il s'en faille beaucoup que je puiffe y fuffi re , je fuis feur que j'en diray affez pour convaincre quicon que ofera fe mettre au def fus de la Prevention , & fe fervir de fes propres lumieres. Qui fçait d'ailleurs , fi quand j'auray rompu la glace , fi lorſque j'au ray effuyé le chagrin des plus ĕ PREFACE. emportez , & qu'une infinité de gens d'efprit &de bon ſens qui n'avoient peut- eftre encore ja mais fait de reflexion ferieuſe là- deffus , fe declareront pour le parti que je tiens , il ne s'é levera pas d'excellens hommes qui trouvant le terrain preparé , viendront mettre la derniere main à mon entrepriſe , & trai, ter à fonds cette matiere dans toute fon eftenduë. Quel avan tage ne ſera- ce point alors de voir par exemple un homme parfaitement inftruit de ce qui regarde l'Art militaire , nous di re toutes les manieres dont les hommes ſe font fait la guerre depuis le commencement du monde , les differentes metho des que les Anciens ont tenuës PREFACE. dans leurs marches , dans leurs campemens , dans les attaques & les défénfes des Places , dans leurs combats & dans leurs ba tailles ; de luy voir expliquer comment l'invention de l'ar tillerie a changé infenfible ment toute la face de la guer re , par quels degrez cet Art s'eft perfectionné au point où nous le voyons prefentement , & comment on s'en eft fait des regles fi certaines & fi préciſes , qu'au lieu que les plus vaillans & les plus adroits peuples du monde paffoient autrefois dix années au fiege fie d'une Ville qu'ils croyoient aller prendre en y arrivant ; aujourd'huy un General d'Armée fe croiroit prefque deshonnoré , fi ayant é ij PREFACE. inveſti une Place , qui fuivant le calcul qu'il en a fait , ne doit refifter que vingt jours , il en mettoit vingt- cinq ou vingt - fix à s'en rendre le maiftre. Quel plaifir de voir d'un autre part un excellent Philofophe nous donner une Hiftoire exacte du progrés que les hommes ont fait dans la connoiffance des chofes naturelles ; nous rappor ter toutes les differentes opi nions qu'ils en ont euës dans la fuite des temps , & combien cette connoiffance s'eft aug mentée depuis le commence ment de noftre fiecle , & prin. cipalement depuis l'établiffe ment des Académies de France & d'Angleterre , où par le fe cours des Teleſcopes & des Mi PREFACE. croſcopes , on a découvert une efpece d'immenfité dans les grands corps & dans les petits , qui donne une eftenduë prefque infinie à la Science qui les a pour objets. Il en fera de mefme de ceux qui feront voir la differen ce de la Navigation des Anciens, qui n'ofoient prefque abandon ner les rivages de la Mediter ranée , avec celle de nos jours , qui s'eft tracé des routes fur l'Ocean auffi droites & auffi certaines que nos grands che mins pour paffer dans tous les lieux du monde. Il n'y a point d'Art ny de Science où non feulement ceux qui en ont une connoiffance parfaite mais ceux qui n'en ont qu'une lege re teinture ne puiffent demon J e iij PREFAC E. trer qu'ils ont receu , depuis le temps des Anciens , une infinité d'accroiffemens confiderables. . Le premier des Dialogues que je donne prefentement traite de la prevention trop fa vorable où on eft pour les An ciens , parce que j'ay crû de voir commencer par détruire autant qu'il me feroit poffible , ce qui empefchera tousjours de porter un jugement équitable fur la queſtion dont il s'agit. . Le fecond Dialogue parle de l'Architecture & de fes deux Compagnes infeparables la Sculpture & la Peinture : L'Ar chitecture eft un des premiers Arts que le beſoin a enſeigné aux hommes , & il eftoit pref que impoffible que ceux que PREFAC E. j'introduis dans mes Dialogues , habiles , au point que je le fup pofe, dans tous les beaux Arts puffent voir les Baſtimens de Verfailles fans parler de l'Ar chitecture. Les Dialogues fuivans trai teront de l'Aftronomie , de la Geographie , de la Navigation , de la Phyfique , de la Chymie , des Mechaniques & de toutes les autres connoiffances , où il eft inconteſtable que nous l'em portons fur les Anciens , pour de là venir à l'Eloquence & à la Poëfie , où non feulement on nous diſpute la préſeance , mais où l'on pretend que nous fommes beaucoup inferieurs. Cette methode fournira une induction très – naturelle , que - é iiij. PREFACE. fi nous avons un avantage vi fible dans les Arts dont les fe crets fe peuvent calculer & me furer , il n'y a que la feule im poffibilité de convaincre les gens dans les chofes de goust & de fantaiſie comme font les beautez de la Poefie & de l'Eloquence qui empefche que nous ne foyons reconnus les Maiftres dans ces deux Arts comme dans tous les autres. J'ay crû que je devois joindre à ces deux premiers Dialogues le Poëme du fiecle de LOUIS LE GRAND , non ſeulement par ce qu'il en eft la cauſe , mais parce que la lecture en eſt en quelque forte neceffaire pour bien entendre l'eftat de la quef tion. J'y ay encore fait ajoufter PREFACE. l'Epiſtre qui traite du Genie , parce qu'il y entre par occafion diverfes chofes fur le mefme fu jet. J'avois envie de retrancher quatre vers de cette Epiftre. C'eft fur la fin où je parle ainfi à M. de Fontenelle. De l'Eglogue , en tes vers , éclatele merite, Sans qu'il encoufte rien aufameux Theocrite Quijamaisnefit plaindre un amoureux deftin, D'un tonfi delicat , ft galant & ſi fin. Quoy que je fois perſuadé que ces Vers ne difent rien que de tres - veritable , neanmoins comme le nom de Theocrite porte dans l'efprit de ceux qui ne le connoiffent que de reputa tion , une idée de perfection en tiere en fait d'Eglogues , je crai gnois d'attirer fur moy l'indi gnation du Public ; mais il vient PREFAC Ë, de paroiſtre * une traduction en vers françois de ce fameux Poëte qui m'a bien mis l'efprit en repos là-deffus. Quand le Public aura vû par luy- meſme ce que c'eft que Theocrite , je fuis feur qu'il trouvera que ma loüange n'eft guere outrée , & qu'il ne faut pas eftre fort deli cat, fort galant & fort fin pour l'eftre plus que cet Auteur. Il fuffit qu'on life la quatorziéme de fes Eglogues , & qu'on voye de quelle forte l'Amour y eft traité. Il introduit un jeune Amant qui fait recit d'un re gale qu'il a donné dans ſon jar din àla Maiftreffe & à trois ou quatre de ſes amis. Cet Amant dit fur la fin du repas la que compagnie s'eſtant miſe à boire

  • De M. de L

PREFACE. des fantez , à condition qu'on nommeroitfincerement les per fonnes à qui on les beuvoit , fa Maiſtreffe ne voulut jamais rien dire ; qu'un des Conviez luy ayant dit en plaiſantant qu'elle avoit veu le Loup & que c'eftoit ce qui l'empefchoit de parler ( plaifanterie qu'il faifoit mali cieuſement , parce qu'elle avoit un Amant qui fe nommoit le Loup) elle devint rouge &parut avoir tant de feu dans les yeux qu'on y auroit allumé un flam beau. Il ajoute que la raillerie ayant continué quelque temps , elle fe mit à pleurer comme un enfant qu'on arrache d'entre les bras de fa mere , & que là-deffus tranſporté de rage & de jalouſie il luy avoit donné deux grands PREFACE. foufflets , & que comme elle ga gnoit la porte en trouffant fes habits pour mieux courir , il luy avoit reproché qu'elle faifoit part à un autre de fes plus ten dres careffes. Voicy de quelle forte la Traduction Françoife exprime cette derniere circon ftance.

  • Pourmoi que tu connoisfaifi foudain de rage,

Dedeuxpefansfoufflets je couvrisfon vifage ; Etcommepourmieuxfuir retrouffantfeshabits Ellegagnoit laporte & quittoit le logis. Ah!je te déplais donc m'écriay-je,Traiſtreſſe, Unautre dans tes brasjouit de ta tendreſſe. On dira que c'eſtoient les mœurs de ce temps- là. Voila de vilaines mœurs , & par con fequent un vilain fiecle bien different du noftre. Ondira en

  • Egl. 14. pag. 39 5.

PREFACE. 1 core que cela exprime bien la Nature , .oüy, une vilaine Na ture qui ne doit point eſtre expri mée. Mais outre que ces excufes font tres- mauvaiſes , je fouftiens que ce n'ajamais efté les mœurs d'aucune nation, non pas mefme des Iroquois , de donner des ſouf flets àuneMaiſtreffe qu'onrega le chez foy , & qu'un tel outrage eft bien moins naturel qu'il n'eft contre Nature : En tout cas cet emportement n'eft point de na ture à eftre mis dans unEglogue. Je ne comprens pas comment ceux qui font à la tefte du parti des Anciens , fouffrent qu'on donne au Public de femblables traductions : Le moyen de les fouftenir bonnes , & de foufte nir en meſme temps les Origi مل PREFACE. naux. Tout ce qu'a dit &que fçauroitjamais dire M. de Fon tenelle contre Theocrite ne luy fera jamais tant de tort que cette traduction. La prudence vouloit qu'on tint cachez les agrémens inexprimables de cet Auteur, & fur tout qu'on neles expófaſt pas à unfiecle comme le noftre dont le goust eftgasté malade , &dont il eft fi difficile de redreffer les travers. Ces traduc tions de Poëtes grecs font con tre la bonne Politique. b C Ils devoient ces Auteurs demeurer dans leur Etfe contenter du respec [grec , Dela Gent qui porte ferule : D'unfçavantTraducteur on a beaufaire choix C'eft les traduire en ridicule Quedeles traduire en François, Preface de la traduction de Theocrite de Mr. de L. pag. 1. b pag. 2. & 4. pag. 6 . e EXTRAIT DU PRIVILEGE e e e es t 'S du Roy. AR Lettres Patentes de Sa Majefté , Pdonnées à Versailles , le 23. jour de Septembre 1688. fignées par le Roy en fonConfeil , BOUCHER. Il eft permis au fieur JEAN BAPTISTE COIGNARD, Imprimeur ordinaire du Roy à Paris, d'im primer , vendre & debiter pendant le temps de huit années , un Livre intitulé Paralelle des Anciens & des Modernes , ence qui re garde les Arts & les Sciences , Dialogues compofez par le fieur PERRAULT de l'Académie Françoife : Avec défenſes à tous autres d'imprimer , vendre & debiter ledit Livre , fur les peines portées à l'Ori ginal dudit Privilege. Regiftré fur le Livre de la Communauté des Im primeurs& Libraires de Paris , le 5. jour d'Octobre 1688. Signé J. B. COIGNARD Syndic, Achevé d'imprimer le 30. Octobre 1688. PARALELLE PARALELLE DES ANCIENS ET DES MODERNES EN CE QUI REGARDE LES ARTS ET LES SCIENCES. DIALOGUES. DE LA PREVENTION en faveur des Anciens. PREMIER DIALOGUE. P ENDANT les beaux jours de ce dernier Printemps le Prefident ..... l'Abbé …….. & le Chevalier.....refolùrent de fe donner le plaifir de voir exactement toutes les beautés de Verfailles , & d'y mettre le temps que demande une auffi grande & auffi vaſte entre prife. L'abfence du Roy qui eftoit allé vifiter Luxembourg & fes au tres dernieres conqueftes , leur fem bla favorable pour leur deffein , & quoyqu'ils n'ignoraffent pas qu'elle Tome I. A SILLE DELYUN Biblioth. du Palais des Arts 2 Paralelle 2 ofteroit à ce Palais la plus grande partie de fon éclat ; elle les deter mina neanmoins à ne pas differer parce qu'elle leur donneroit les moyens de tout voir avec plus de facilité & moins d'interruption, Ce font trois hommes d'un merite fin gulier chacun en leur efpece , mais d'un caractere d'efprit fort different. Le Preſident est un de ces fçavans hommes qui femblent avoir vefcu dans tous les fiecles , tant il eft bien inftruit de tout ce qui s'y eft fait , & de tout ce qui s'y eft dit. L'amour extréme qu'il a eu des fa jeuneffe pour toutes les belles connoiffances, luy a fait concevoir une telle eſti me pour les Ouvrages des Anciens où il les a puifees , qu'il ne croit pas que les Modernes ayent jamais rien fait , ny puiffent jamais rien fai re qui en approche. La fcience n'eſt pas la feule chofe qui le rende re commandable, il a auffi beaucoup de génie contre l'ordinaire des grands amateurs de l'Antiquité, qui , faute difi cruelle:Dieler. ferile , qu Yatre&Usee pze an font atéume , s'en spremeres chote Adafrebelles , & emper, fontres Courdigne de le in conforme agron leur a propoiz 4treregarde comm a avant, mais plus Yprespenfeesque de Safcience eft une & digeréeparla cofesqu'ilditviennetfoudeleslectures; mais element appropriées qu originales,& ont todelanouveauté. Ila Carerfon proprefond mecefonds eltfertile ,il defrequentesreflexion des Anciens & des Modernes. 3 · " de fçavoir inventer , travaillent con tinuellement à remplir par la lec ture le vuide de leur imagination fterile , qui n'ayant point reçû de la Nature l'idée du beau qu'elle im prime au fonds de l'ame de ceux qu'elle aime , s'en font fait une fur les premieres chofes qu'on leur a af feuré eftre belles , & qui , de peur de fe tromper, font refolus de ne rien trouver digne de leur eftime que ce qui fera conforme aux modeles qu'onleur a propofez L'Abbé peut auffi eftre regardé comme un hom me fçavant , mais plus riche de fes propres pensées que de celles des autres. Sa fcience eft une ſcience re Alechie & digerée par la meditation, les chofes qu'il dit viennent quelque fois de fes lectures ; mais il fe les eft tellement appropriées qu'elles fem blent originales, & ont toute la gra. ce de la nouveauté. Il a pris foin de cultiver fon propre fonds , & com me cefonds eft fertile , il en tire par de frequentes reflexions mille pen A ij 4 Paralelle fées nouvelles, qui quelquefois fem blent d'abord un peu paradoxes , mais qui eftant examinées fe trou vent pleines de fens & de verité. Il juge du merite de chaque chofe en elle - même fans avoir égard ny aux temps , ny aux lieux , ny aux perfonnes , & s'il eftime beaucoup les Ouvrages excellens qui nous ref tent de l'antiquité , il rend la meſme juftice à ceux de noftre fiecle ; per fuadé que les Modernes vont auffi loin que les Anciens , & quelquefois au delà , foit par les mefmes routes , foit par des chemins nouveaux & differens, Le Chevalier tient com me le milieu entre le Preſident & l'Abbé. Il a de la fcience & du ge. nie , non à la verité dans le mefme degré , mais il y joint beaucoup de vivacité d'efprit & d'enjouement. Le different caractere d'efprit de ces trois hommes les rend de diffe rent avis prefque fur toutes cho fes , ce qui forme entr'eux une in. finité de conteftations fort agrea des Anciens & des Modernes. 5 bles. Ils avoient desja difputé plu fieurs fois à l'occafion du Poëme du Siecle de LOUIS LE GRAND , fur le merite des Anciens . Le Prefi dent avoit toujours fouftenu qu'en quelque Art & en quelque Science que ce foit ils l'emportoient infini ment fur les Modernes. L'Abbé a voit fouftenu le contraire fort vi. goureuſement , & le Chevalier ſe fouciant peu de ce qui en peut eftre, n'avoit fongé qu'à dire là-deffus des plaifanteries qui le divertiffent. Mais dans le voyage qu'ils firent à Ver failles , ils épuiferent en quelque for te la matiere , excitez qu'ils eftoient par les beaux ouvrages tant anciens que modernes dont ce Palais eft or né. Apeine furent-ils hors de la ville que la converfation commença à peu prés en cette maniere. L'ABBE'. Je vous avoue , M. le Prefident queje ne puis m'empefcher de vous envier le plaifir que vous allez avoir A iij 6 Paralelle dans la veuë d'un Palais où il y a pour vous tant de beautez toutes nouvelles. LE PRESIDENT. Vous me direz tout ce qu'il vous plaira , mais je doute que Verſailles vaille jamais Tivoli ni Freſcati. L'ABBE'. J'admire vostre prevention. Il y a plus de vingt ans que vous n'a vez efté à Verfailles , & vous pro noncez hardiment en faveur des belles Maifons d'Italie , attendez que vous l'ayez vû. Mais fay tort. Quoyque Verfailles renferme feul plus de beautez que cinquante Ti voli & autant de Frefcati mis en femble , il perdra toujours fa cauſe dans vostre efprit. LE PRESIDENT. Pourquoy m'eftimez-vous ſi in jufte ? des Anciens & des Modernes. 7 2 L'ABB E'. C'eft que je connois voſtre paf fion demefurée pour tout ce qui eft eftranger & efloigné , car vous eſtes parfaitementFrançois de ce cofté- là. LE PRESIDENT. Il eft vray que noftre Nation a tousjours efté accufée d'aimer les Eſtrangers jufqu'à la manie. L'ABBE'. Ce n'eft pas encore tant l'amour des Eftrangers qui vous rend injuſte, que l'amour des Anciens. LE PRESIDENT. Comment , l'amour des Anciens ? L'ABB E'. Ouy , l'amour des Anciens. Quand vous avez vû Tivoli , ce n'a point eſte la beauté de fes fontaines , de fes caſcades , de fes ftatues & de Les peintures qui vous ont charmé , A iiij 8 Paralelle ç'a efté la feule penfée que Mece nas s'y eftoit promené plufieurs fois avec Augufte ; vous vous eftes ima giné les voir enſemble dans les mef mes endroits où vous vous repofiez, Vous y avez joint Horace qui leur recitoit quelqu'une de fes Odes , & peut eftre avez- vous recité cette Ode pour vous repreſenter mieux ce que vous eftiez bien aife de vous imaginer , toutes ces idées agreables fe font jointes à celles des jardins & des fontaines , & comme elles fe font formées en mefme temps dans voftre efprit , elles n'y reviennent jamais l'une fans l'autre , de forte que c'eft bien moins Tivoli que vous aimez , que le fouvenir de Mecenas , d'Augufte & d'Horace. La mefme chole eft arrivée à Frefcati ; vous y avez vû Ciceron au milieu de fes Amis , agitant ces queſtions fçavan tes dont la lecture fait encore au jourd'huy nos delices , & je fuis feur qu'à votre égard l'éloquence de Ci ceron entre pour une plus grande des Anciens & des Modernes. , part dans la beauté de Frefcati que tous fes jets d'eau & toutes les caf cades. LE CHEVALIER. Le ſouvenir d'avoir paffé le temps agreablement avec mes Amis dans une maiſon de campagne pourroit me la faire aimer plus qu'une autre ; mais je ne m'aviferois jamais de la trouver plus belle que Verfailles parce que Mecenas ou Ciceron s'y feroient promenez. ? L'ABBE. C'eft que la tendreffe que vous avez pour vos Amis n'approche point de celle que M. le Prefident a pour les Anciens. LE CHEVALIER. Jevoy bien que le voyage ne fe fera pas fans en venir aux mains plus d'une fois fur noftre grande queftion de la preference des Anciens fur les Modernes , ou des Modernes fur les Anciens, Av 10 Paralelle L'A B BE'. Le lieu oùnous allons ne me fera pas defavantageux , il me fournira tant de preuves par les beaux ou vrages dontil eft rempli , de la fuffi fance des hommes de noftre fiecle , que je n'auray pas de peine à en pla cer quelques-uns au deffus ou du moins à coté des plus grands hom mes d'entre les Anciens. LE PRESIDENT. Et moy je le prens auffi volontiers pour le champ de bataille qui ne peut que m'eftre favorable & à l'honneur de l'Antiquité queje def fens , puifque fes plus grandes beau tez confiftent dans l'amas precieux des figures antiques & des tableaux anciens qu'on y a portez & que le furplus de ce Palais ne peut eftre confiderable qu'autant que les Ou vriers qui y ont travaillé ont eu l'a dreffe de bien imiter dans leurs ou vrages la grande & noble maniere des Anciens. des Anciens & des Modernes. II L' A BB E' . Nous verrons tout cela fur les lieux , mais je fouftiens par avance qu'on fait tous les jours des choſes tres-excellentes fans le fecours de l'imitation , & que comme il y a en core quelque diſtance entre l'idée de la perfection & les plus beaux ouvrages des Anciens , il n'eft pas impoffible que quelques ouvrages des Modernes ne fe mettent entre deux , & n'approchent plus prés de cette idée. LE CHEVALIER. Voulez- vous bien queje vous dife la verité , il y a de la prevention de part & d'autre, L'ABBE'. Il peuty en avoir un peu de mon cofté. Je connois tant d'excellens hommes en toute forte d'Arts & de Sciences , & j'ay contracté une ami fié fiétroite avec eux , qu'il fe peut Avj 12 Paralelle faire que je ne fuis pas tout à fait équitable , & que pour les voir d'un peu trop prés , & les Anciens d'un peu trop loin , je ne juge pas faine. ment de la veritable grandeur de leur merite , mais quelle comparai fon peut- il y avoir de la prevention où je puis eftre avec celle où l'on eft pour les Anciens. Car enfin quel que eſtime que je faffe des ouvrages de noftre fiecle , j'y trouve des def. fauts & mefme dans quelques-uns des deffauts tres- confiderables , mais. les vrais amateurs des Anciens affeu rent qu'ils ont atteint à la derniere perfection , que c'eſt une temerité d'y vouloir rien trouver qui fe reffen. te de lafoibleffe humaine , que tout y eft divin , que tout y eft adorable. LE PRESIDENT. Quand on dit adorable , on veut dire tres-beau , tres.bon , tres-ex cellent. L'ABBET. Quand on dit adorable , on veut des Anciens & des Modernes. 13 dire adorable , car enfin en quoy confifte l'adoration finon à recon noiftre une perfection infinie dans ce qu'on adore , & à s'y foumettre tel lement que , contre le témoignage de fes fens & de fa raiſon on y trouve tout admirable , & mefme d'autant plus admirable que l'on ne le comprend pas. N'eft - ce pas là cette difpofition refpectueufe où font presque tous les Sçavans & tous les Partiſans zelez de l'Anti quité. Pour en eftre convaincu , il ne faut que voir ce nombre infini d'Interpretes qui tous l'encenfoir à la main s'épanchent en loüan ges immoderées fur le merite de leurs Auteurs , & regardent com me des oracles les endroits obfcurs qu'ils n'entendent pas. Il n'eft point de torture qu'ils ne donnent à leur efprit pour en trouver l'explica tion , point de fuppofitions qu'ils ne faffent pour y faire entrer quelque fens raifonnable , & tout cela pour ne pas avouer que quelquefois leug 14. Paralelle Autheur ne s'eft pas expliqué heu reuſement ; car c'eſt un blaſphéme qu'ils n'ofent proferer. LE CHEVALIER. Ce n'eft pas fans en avoir quel quefois bonne envie. Torrentius ex pliquant cet endroit d'Horace , où il dit que Memphis eft exempte des neiges de la Scytie , & trouvant que ce n'eft pas une chofe fort remar. quable que les neiges de Scytie ne tombent pas à Memphis ; je repren drois cecy volontiers , dit.il , fi un autre que noftre Horace s'eftoit avi. fé de le dire. L'ABBE. Torrentius n'a pas raifon dans le fond , car on pourroit fort bien dire que nous n'avons point en France ni les grandes chaleurs de l'Afrique ni les grands froids de la Norvege. Mais on n'en découvre pas moins cette veneration demefurée qu'il a pour les Anciens , & qui luy eft com des Anciens &des Modernes. 15 mune avec tous les autres Interpre tes. C'eſt un plaifir de voir à quelles Allegories ces Interpretes ont re cours quand ils perdent la tramon tane cela va quelquefois jufqu'à dire que le fecret de la pierre philo fophale eft caché fous les tenebres fçavantes & myfterieufes de leurs Allegories. LE PRESIDENT. Cependant les Commentateurs dont vous parlez fuivent le confeil de Quintilien , homme d'un fi grand fens dans ces matieres , qu'il n'eft pas poffible de fe tromper en le fui vant *. Il vaut mieux , dit- il , trou- « ver tout bon dans les Ecrits des An... ciens , que d'y reprendre beaucoup . de choſes. L'ABBE'. N'en déplaife à Quintilien , on ne doit point trouver tout bon dans un Auteur quand tout n'y eſt pas bon , j'aime mieux en croire

  • Quint. lib. x. 6. 2x

" 16 Paralelle " Ciceron , & me regler fur fes avis touchant l'eftime que je dois faire » des Anciens. Mon fentiment a tous »jours efté , dit ce grand * Orateur que nousfommes plus fages dans les chofes que nous inventons de nous » mefines que n'ont efté les Grecs , & » qu'à l'égard de celles que nous avons prifes d'eux , nous les avons rendu meilleures qu'elles n'eftoient , lorſ que nous les avons jugé dignes d'ef » tre l'objet de noftre travail. Cefen. timent de Ciceron eft un peu con traire à celuy de Quintilien , & 10 rateur n'a pas pour les Anciens la mefme veneration que le Rheteur , mais il eſt aisé de voir que cette di verſité d'avis dans ces deux grands hommes vient de la diverfité de leurs conditions & de leurs emplois . Ci ceron eftoit un Conful qui n'ayant aucun intereft à louer les anciens Auteurs , en parloit en galand hom me, & comme il le penfoit. Qin tilien eftoit un Rheteur & un Peda

  • Cic. de Orat,

07 "3 33 22 des Anciens & des Modernes. 17 5 S K 1 1 3

gogue obligé par fa profeffion de fai re valoir les Anciens, & d'imprimer dans l'efprit de fes Ecoliers un pro fond refpect pour les Auteurs qu'il leur propofoit comme des modéles. Mais pour vous montrer que le re proche d'adorer les Anciens n'eft pas une chofe nouvelle , Horace,voſtre cher Horace s'en eft plaint forte ment dans l'epiftre qu'il adreffe àAu. gufte Les Romains, dit- il , ont tres grande raiſon de preferer leur Em pereur à tous les Heros dela Grece & de l'Italie,mais ils ont tort de n'ef timer les autres hommes qu'autant qu'ils font efloignez ou de leur païs ou de leur fiecle , & de regarder les Ouvrages des Poëtes anciens avec la mefme veneration qu'ils regar dent les Loix des douze tables & les Livres des grands Pontifes. LE PRESIDENT. Horace femocquoit , & tout cela ne doit eftre regardé que comme une raillerie ingenieufe & agreable ,

  • 8 Paralelle

29. "3 » 23 Il fe mocquoit affûrément, Ecou tons le parler *. Un Auteur , dit-il qui eft mort il y a cent ans , doit il eftre mis entre les Auteurs anciens & pa faits , ou entre les Auteurs mo. drnes & méprifables ? Un Auteur » eft ancien & excellent quand il a » cent ans. Mais s'il s'en manque un » mois ou deux , faut il le mettre au » nombre des Anciens venerables , ou parmi les nouveaux dont on fe moc que prefentement , & dont toute la pofterité fe mocquera ? Un mois ou » deux & mefme toute une année ne " อง .33 99 رد " >> doit pasempefcher qu'on ne le place honorablement parmi les Anciens. Cela m'eftant accordé j'ofteray une année & puis une autre année » comme qui arracheroit poil à poil » la queuë d'un cheval , & confon dray , en diminuant tousjours ce grand amas de temps ; celuy qui n'eſ time les Auteurs que quand ils font morts , & n'en mefure le merite que

  • Her. lib. 2. epift. 1.

" د. "" " L'ABBE. → → de Anciens & des Modernes. 19 = 1 par le nombre des années qu'il y a „ qu'ils ne font plus au monde. Voilà .. ce que penfoit Horace fur ce fujer , & de quelle forte fon indignation s'eft expliquée. LE CHEVALIER. Cette indignation luy eft commu ne avec bien des gens qui n'eftoient point dupes non plus que luy. Mar tial entr'autres l'a exprimée agrea blement en plufieurs de fes Epi grammes. J'en ay traduit une qu'il faut que je vous dife.

Pourquoyfi peufouvent l'homme tant qu'il respire Trouve-t'il qui le lonë ou qui daigne le lire ? C'est l'humeur de l'Envie , ômon cher Regulus, D'aimer moins les vivans que ceux qui ne font plus. Ainfi dugrand Pompée on vante leportique ; Et des vieux baftimens laftructure rustique. Enface de Virgile Enniusfut loüé , Des Rieurs de fon temps Homerefut joüé z

  • Lib. V. Epig. X.

10 Paralelle Rarement le Theatre applaudit à Menandre s Afa Corinnefeule Ovide parui tendre. Qu'avez vous donc mon Livre à vous hafter fifort ? Si la gloire aux Auteurs ne vient qu'après leur mort. L'A B BE'. > Les Poëtes ne font pas les feuls qui ont eu du chagrin de cette in juftice , & qui l'ont témoignée. Les Orateurs les Peintres , les Mufi ciens & les Philofophes mefme en ont donné des marques en mille rencontres. Mais rien n'eft plus plai fant fur ce fujet que le tour quejoua Miche - Ange aux Curieux de fon temps, amateurs trop zelez de l'An tique. LE CHEVALIER. Queltour? L'A B BE. Vous m'étonnez , c'eſt une his des Anciens & des Modernes. 21 > toire qui eft fçûë de tout le monde mais puifque vous l'ignorez , il faut vous la conter, Michel Ange Archi tecte , Peintre & Sculpteur , mais fur tout Sculpteur excellent , ne pou vant digerer la preference conti nuelle que les pretendus connoif feurs de fon temps donnoient aux Ouvrages des anciens Sculpteurs fur tous ceux des Modernes & d'ail leurs indigné de ce que quelques uns d'entr'eux avoient olé luy dire en face que la moindre des figures antiques étoit cent fois plus bel le que tout ce qu'il avoit fait & fe roit jamais en fa vie , imagina un moyen feur de les confondre. Il fit fecretement une figure de mar bre où il épuifa tout fon Art & tout fon genie. Après l'avoir conduite à fa derniere perfection , il luy caffa un bras qu'il cacha & donnant au refte de la figure par le moyen de certaines tein. tures rouffes qu'il fçavoit faire , la couleur venerable des ftatuës an " 22 Paralelle tiques , il alla luy- mefmela nuit l'en foüir dans un endroit où l'on de voit bien- toft jetter les fondemens d'un édifice. Le temps venu , & les Ouvriers ayant trouvé cette figure en fouillant la terre , il fe fit un concours de Curieux pour admi. rer cette merveille incomparable. Voilà la plus belle chofe qui fe foit jamais vûe , s'écrioit on de tous coftés. Elle eft de Phidias , difoient les uns , elle eft de Policlete,difoient les autres ; qu'on eſt éloigné , di foient-ils tous , de rien faire qui en approche ; mais quel dommage qu'il luy manque un bras , car enfin nous n'avons perfonne qui puiffe reftiu rer dignement cette figure. Michel Ange qui étoit accouru comme les autres , eut le plaifir d'entendre les folles éxagerations des Curieux , & plus content mille fois de leurs in fultes qu'il ne l'auroit efté de leurs louanges , dit qu'il avoit chez loy un bras de marbre qui peut eftre pourroit fervir en la place de celuy des Anciens & des Modernes. 23 5 2 3 S I 1 qui manquoit. On ſe mit à rire de cette propofition , mais on fut bien furpris lorique Michel- Ange ayant apporté ce bras , & l'ayant pre fenté à l'épaule de la figure il s'y joi gnit parfaitement , & fit voir que le Sculpteur qu'ils eftimoient fi infe rieur aux anciens , étoit le Phidias &le Policlete de ce chef-d'œuvre, LE CHEVALIER. L'hiftoire femble faite exprés mais on ne guerira jamais l'entefte. mentoù l'on eft pour l'Antique. L'ABB E'. De toutes les preventions , il n'y en a point qui faffe plus de plaifir , & dont on s'applaudiſſe davantage , dans la penfée , qu'on voit , ou du moins qu'on eft eftimé voir ce que le commun du monde ne voit pas, auſſi n'oublie t'on rien de tout ce qui peut augmenter la veneration pour l'an tiquité , ou empeſcher qu'elle ne di minuë. Vous n'avez peut-eftre pas 24 Paralelle remarqué une rufe dont les Gram mairiens fe font avifez pour couvrir les défauts des anciens Auteurs , qui eft d'avoir donné le nom honorable de Figure à toutes les incongruitez & à toutes les extravagances du Dif cours. Quandun Auteur dit le con traire de ce qu'il falloit dire , on nomme cela une antiphrafe ; quand il fe donne la licence de mettre un cas pour un autre ; c'eft une antip tole , & on appelle hyperbate une parentheſe infupportable de dix ou douze lignes , de forte que quand de jeunes Ecoliers s'étonnent de voir un Ancien qui extravague ou qui fait quelque incongruité , on leur dit qu'ils fe donnent bien de garde de le blafmer , & que ce qui les choque n'eft pas une faute , mais une figure des plus nobles & des plus hardies. Ce qui eft de plaifant , c'cft qu'en mefme temps on les aver tit de ne s'en pas fervir , que c'eſt un privilege reſervé pour les grands hommes, & quefi ces nobles hardief fes des Anciens & des Modernes. 25 ez LE PRESIDENT. Il eft vray que les figures dont vous parlez eftant mal employees font des fautes confiderables ; mais combien de fois Demofthene , Ci ceron & les autres grands Orateurs fe font-ils fervis heureuſement de quelques unes de ces figures. L'AB BE'. > 0 J'en conviens mais ce qui me OU fafche c'eft que quand on rencontre de pareilles choſes dans des Auteurs modernes , on ne dit point que ce font des figures , on dit nettement que ce font des fottifes , des incọn gruitez , & on leur donne le nom qui leur convient naturellement peut- on s'imaginer une plus grande marque de prévention ? Quand on S trouve dans les Anciens , des en

t Tome I. B 11. 10 10 De Ou fes font fort admirées dans leurs Ouvrages , elles feroient fort blaf mées dans les livres des Ecrivains ordinaires. 22 26 Paralelle droits plats & communs , voila dit on , la pure nature , voila ce facile fi difficile & cette precieuſe mediocri té qui ne peut eftre trouvée ny ad mirée fuffifamment que par les Ef prits du premier ordre fi on ; que tombe fur des endroits obfcurs & intelligibles , on les regarde comme les derniers efforts de l'efprit hu main & comme des chofes divines que la profondeur des myfteres qu'elles renferment , & noftre foi bleffe nous rendent impenetrables : Sur le fait des Modernes on prend le contre - pied , ce qui s'y trouve de naturel & de facile paffe pour bas , foible & rampant , & ce qu'on y rencontre de noble & de fubli me eft traité de Phoebus & de ga limatias infupportable. Il n'eft pas jufqu'à la prononciation où cette prédilection outrée pour les An ciens ne paroiffe viſiblement, C'eſt d'une voix fonnante & eflevée qu'on prononce tout ce que l'on cite des Anciens , commefi c'eftoit des cho des Anciens & des Modernes. 27 1 E Le If 11 1. 2. as te 1. -t 1 es fes d'une espece toute differente de celles que l'on écrit aujourd'huy > & c'eft d'un ton foible & ordinaire qu'on recite ce qui vient des Mo dernes. LE CHEVALIER. Le Preſident Morinet difcourant il y a quelques jours, de Pindare avec un de fes Amis, &ne pouvant s'épui fer fur les louanges de ce Poëte ini mitable , fe mit à prononcer les cinq ou fix premiers vers de la premiere de fes Odes avec tant de force & tant d'emphaſe que fa femme qui eftoit prefente, & qui eft femme d'ef prit , ne put s'empefcher de luy de mander l'explication de ce qu'il tef moignoit prendre tant de plaifir à prononcer. Madame , luy dit- il, cela perd toute fa grace en paffant du Grec dans le François. N'importe , luy dit-elle , j'en verray du moins le fens , qui doit eftre admirable. C'eſt le commencement , luy dit- il , de la premiere Ode du plus fublime de " B ij 28 Paralelle

" 39 "" que tous les Poëtes. Voicy commeil par » le. L'eau eft tres-bonne à la verité, » & l'or qui brille comme le feu durant la nuit éclate merveilleuſement par my les richeffes qui rendent l'hom » me fuperbe. Mais mon eſprit , ſi tu defire chanter les combats ne con temple point d'autre aftre plus lumi » neux que le Soleil pendant le jour dans le vague de l'air , car nous ne fçaurions chanter de combats plus illuftres les combats Olympi ques. Vous vous mocquez de moy, luy dit la Prefidente, Voila un gali matias que vous venez de faire pour vous divertir ; je ne donne pas fi ai fement dans le panneau. Je ne me mocque point , luy dit le Prefident, & c'eft voftre faute fi vous n'eftes pas charmée de tant de belles cho fes. Il eft vray , reprit la Prefiden te , que de l'eau bien claire , de l'or bien luifant & le Soleil en plein midy , font de fort belles chofes ; mais parce que l'eau eſt tres-bonne,

  • Pind. Od. 1.

رد د. " " " >; des Anciens &des Modernes. 29

& que l'or brille commele feu pen dant la nuit , eft ce une raiſon de contempler ou de ne contempler pas unautre Aftre que le Soleil pendant le jour ? De chanter ou de ne chan ter pas les combats des jeux Olym piques ?Je vous avoue que je n'y com prens rien. Je ne m'en eftonne pas , Madame , dit le Prefident , une infinité de tres fçavans hommes n'y ont rien compris non plus que vous. Faut-il trouver cela eftrange. C'eſt un Poëte emporté par fon enthou fiafme, qui fouftenu par la grandeur de fes penſées & de fes expreffions s'efleve au deffus de la raiſon ordi. naire des hommes, & qui en cet eftat profere avec tranſport tout ce que fa fureur luy infpire. Cet endroit eft divin , & l'on est bien efloigné de rien faire aujourd'huy de femblable. Affurément , dit la Prefidente , & l'on s'en donne bien de garde. Mais je voy bien que vous ne voulez pas m'expliquer cet endroit de Pindare,

  • Joan. Bened. Epift. ad 10. Her,

- B iij 30 Paralelle cependant , s'il n'y a rien qui ne ſe puiffe dire devant des femmes , je ne voy pas où eft la plaifanterie de m'en faire un myftere. Il n'y a point de plaifanterie ny de myftere , luy dit le Prefident. Pardonnez- moy , luy dit- elle , fi je vous dis que je n'en croy rien , les Anciens eftoient gens fages qui ne difoient pas des chofes où il n'y a ny fens ny raiſon. Quoy que pût dire le Prefident elle perfifta dans fa penſée , elle a tous jours crû qu'il avoit pris plaiſir à ſe mocquer d'elle. LE PRESIDENT. Je ne pense pas que ce foit un grand reproche à un Poëte comme Pindare de n'eftre pas entendu par Madame la Prefidente Morinet , ny qu'en general le gouft des Dames doive decider noftre conteſtation . L'ABBE'.. S'il ne l'a decide pas entierement il eft du moins d'un grand prejugé des Anciens &des Modernes. 31 I S e 1 e T Y t pour noftre caufe. On fçait la juf teffe de leur difcernement pour les chofes fines & delicates. Lafenfibi lité qu'elles ont pour ce qui eft clair, vif, naturel & de bon fens ; & le def goutfubit qu'elles tefmoignent à l'a bord de tout ce qui eft obfcur , lan guiffant , contraint & embarraffé. Quoy qu'il en foit , le jugement des Dames a paru d'une fi grande con fequence à ceux de voftre parti , qu'ils n'ont rien obmis pour le met tre de leur cofté , tesmoin cette tra duction fine & délicate des trois plus agreables Dialogues de Platon qui n'ont efté mis en noftre langue que pour leur faire aimer les Ån ciens , en leur faifant voir ce qu'il y a de plus beau dans leurs Ouvra ges. Malheureuſement cela n'a pas réüffi & de cent femmes qui ont commencé à lire ces Dialogues , il n'y en a peut- eftre pas quatre qui ayenteula force de les achever. B iiij 32 Paralelle LE PRESIDENT. Tant pis pour elles , & tant pis pour le Traducteur. L'AB BE'. A l'égard du Traducteur , il n'y a point de fa faute , jamais perfonne n'a mieux pris ny mieux rendu le fens d'un Auteur , il luy conferve toutes fes graces , & il fait parler Platon comme il euft fait s'il euft écrit en noftre langue. Mais fuppo fons que par une neceffité inévita ble il y ait tousjours du dechet à une traduction , cela peut-il aller à ren dre ce qui eft agreable & divertiſ fant dans une langue , defagreable & ennuyeux dans l'autre. Quand les Dialogues deLucien ont été traduits & donnez au public , mefme dans les premieres traductions qui ef toient peu correctes , les Dames Y ont pris du plaifir. Quand on leur a donné ceux de Platon tres-bien traduits, elles s'y font ennuyées, quel. > des Anciens & des Modernes. 33 S a 11 3 le raifon en peut-on rendre , finon que les Dialogues de Platon font ennuyeux , & que ceux de Lucien font divertiffans & agreables. LE PRESIDENT. La raison qu'on en peut rendre c'eft que Platon traite des questions de Philofophie fort abſtruſes & fort épineufes , matiere qui n'eſt pas à l'ufage de tout le monde , &moins encore des Dames que des hom mes , & que Lucien fait des contes pour rire dont tout le monde eft tres.capable. LE CHEVALIER. Vous ne fçavez donc pas que les trois Dialogues qui ont efté traduits font l'Euthyphron , le grand Hyp pias , & l'Euthydemus , & qu'ils ont efté choifis comme les plus propres pour plaire aux Dames & à toute la Cour. Les Sçavans qui en firent le choix crurent que files Lettres Pro vinciales , qu'ils prétendent n'eftre B v 34 Paralelle .. que des copies tres-imparfaites de ces divins Originaux , ont eu tant de fuccez dans le monde , rien ne ſe roit mieux receu que ces trois Dia logues. Je ne fçay pas ce qu'en a penſé Madame.. pour qui cette traduction a efté particulie rement faite , mais je fçay qu'ils ont fort ennuyé la plus grande part des autres Dames. Ce n'eſt point la ma tiere qui a rebuté pour eftre trop re levée , ou trop abftrufe , il n'y a rien de plus familier que ces trois Dia logues. Platon fait voir danslegrand Hyppias que la beauté ne confifte pas dans une belle fille , dans une belle cavale , dans une belle lyre , dans une belle marmite , dans une belle cuillier à pot , quoy qu'elle foit de figuier , ny dans aucune au tre belle choſe en particulier , aprés quoy il finit tout court , fans dire en quoy le beau confifte ; ce qu'on croit neanmoins aller apprendre. Dans les deux autres Dialogues il fait voir les mauvais raiſonnemens • · > des Anciens& des Modernes. 35 E 1 S 3. . 2 des Sophiftes , dont l'abfurdité n'eft que trop claire & trop évidente , & il en rapporte un fi grand nombre qu'on s'ennuye à mourir , pendant une heure & davantage que durent les impertinences de ces Sophiftes , toutes de la mefme efpece & fur le mefme ton. LE PRESIDENT. Je vous le repete encore une fois , malheur aux Dames qui s'ennuyent dans la lecture des plus beaux Ou vrages qu'il y ait au monde. LE CHEVALIER. Vous pouvez dire auffi malheur aux hommes , car je ne m'yfuis pas moins ennuyé qu'une Dame. Mais pour vous montrer que quand la prévention ne s'en mefle point , & que le bon fens agit tout feul , on peut n'admirer pas plufieurs Ouvra ges des Anciens. Dites- moy , s'il vous plaift , Monfieur de Racan n'eftoit -il pas homme de bon fens B vj 36 Paralelle & de bon gouft , il a fait des Ou vrages qui ont efté trop eſtimez , mefme des plus fçavans , pour en difconvenir. Un de fes amis luy ayant expliqué un jour un grand nombre des Epigrammes de l'An tologie , car Monfieur de Racan ne fçavoit ny Grec ny Latin , il fut furpris de voir qu'à la reſerve de cinq ou fix de ces Epigrammes où il ya beaucoup d'efprit , & de quelques-unes qui font pleines d'or. dures , toutes les autres font d'une froideur & d'une infipidité incon cevables. Comme il en tefmoignoit ſon eſtonnement , on luy dit qu'el . les avoient une grace merveilleufe en leur langue , qu'à la verité elles n'avoient rien qui piquaft le gouft , mais que c'eftoit le genie de ces for tes d'Ouvrages parmy les Grecs, en un mot que c'eſtoient des Epigram mes à la Grecque dont la fimpli cité & la naïveté eftoient mille fois preferables à tout le fel & à toutes les pointes des autres Epigrammes. 1 des Anciens& des Modernes. 37 0 5 S " > Monfieur de Racan baiffa la tefte & crut devoir ſe rendre à un hom me qui en fçavoit plus que luy. A quelques jours de là ils furent in vitez à un repas où l'on fervit une fouppe fort maigre , fort peu falée , & qui n'eftoit , à la bien deffinir que du pain, trempé dans de l'eau chaude. Le deffenfeur de l'Antolo gie qui avoit tafté de la fouppe , demanda à Monfieur de Racan ce qu'il luy en fembloit. Je ne la trou. ve pas à mon gré , luy répondit-il , mais je n'ofe pas dire qu'elle eſt mauvaiſe, car peut- eftre eft- ce une fouppe à la Grecque. Cela fut trou vé plaifant de toute la compagnie , & il fallut que les plus zelez pour l'Antiquité en riffent comme les autres. LE PRESIDENT. Monfieur de Racan avoit fans doute de l'efprit & faifoit de beaux vers , mais ce n'eftoit pas un hom me qui fe fuft formé le gouft par la 38 Paralelle lecture des bons livres , ny par le commerce des plus fçavans hommes de fon fiecle. L'ABBE'. C'est pour cela que fon tefmoi. gnage , de mefme que celuy des Dames , doit avoir plus de force. En pareille rencontre il faut voir ce que penſent naturellement les per fonnes de bon gouft & de bon ef prit , & ce que penferoient auffi tous les fçavans qui ont du gouft fi la prevention ne les avoit pas gaf tez , car entre Monfieurde Racan & le plus profond des Critiques , fup pofé que ce Critique ait du fens , je n'y trouveautre difference,lors qu'il s'agit du jugement d'une Epigram. me,finon que ce Critique peut eftre prevenu, & que Monfieur de Racan ne l'eftoit pas. Mais parce que vous m'objecterez toujours que Monfieur de Racan n'avoit aucune érudition , je vais vous donner un homme qui en avoit autant que perfonne du monde , c'eft Jules Cefar Scaliger. 'des Anciens & des Modernes. 39 2 1. e S I LE PRESIDENT. Je recufe Jules Cefar Scaliger en core plus que Monfieur de Řacan il eft vray qu'il eftoit fçavant, & qu'il avoit habitude avec les plus grands hommes de fon fiecle , j'ajoufteray mefme que c'eſtoit un tres-bel Ef prit , qu'il a écrit de tres bonnes chofes fort ingenieuſes , fort fpiri tuelles & qui ont plû extreme ment , mais c'eftoit un homme qui n'avoit pas de gouft. > · L'ABB E'. Il n'avoit pas de gouft , & vous dites qu'il a écrit des chofes qui ont plû extremement , comment cela fe peut- il faire ? LE PRESIDENT. Pourvous convaincre de ma pro pofition qui vous eftonne ; je n'ay qu'une chofe à vous dire. Ce bon homme a fouftenu que Mufée eft Scalig. Poët. lib. S.c.11. 40 Paralelle meilleur Poëte qu'Homere, quefon ftile eft plus poli , plus agreable , plus chaftié , & qu'il ferme fes vers d'une maniere plus noble & plus nombreuſe , mais ce qui eft de plai fant c'eft que ce Mufée l'Auteur de la fable de Leandre & d'Hero , dont il fait tant de cas , n'eſt pas le Mufée qui a precedé Homere , com. meil le croyoit , mais un Poëte du temps des Empereurs Romains, A prés cela , voyez quel fondement on peut faire fur le jugement d'un tel critique. L'AB BE... Et qu'importe en quel temps ait vefcu ce Mufée. Mais je commen-` ce à comprendre ce que vous vou lez dire pour n'avoir pas de gouft ; c'eft de n'eftimer pas les Auteurs felon l'ordre des temps , ou felon le rang qu'ils font en poffeffion d'a voir , mais felon la force & le ge nie que l'on y trouve. Cependant , j'appellerois pluftoft cela avoir du des Anciens & des Modernes. 41 W יין 1. 1 gouft que de n'en avoir en faut davantage , pour juger par foy-mefme & avec connoillance 9 pas ; car il que pour ſe conformer aveuglement au jugement des autres. LE CHEVALIER. Vous verrez que Scaliger eftoit un homme qui s'avifoit de trouver un Auteur beau , parce qu'il en ef toit charmé, ou de le trouver agrea ble parce qu'il prenoit grand plaifir à le lire , au lieu de confulter foi. gneufement ce que les fages Criti ques en avoient dit & de regler par là ce qu'il luy en ſembloit. " LE PRESIDENT. de Vous pensez vous mocquer, mais il n'ya rien de plus perilleux que vouloir decider de fon chef en pa reilles matieres. L'ABBE'. Il femble que vous parliez de l'E. criture fainte, ou des Conciles > & 42 Paralelle " A. quel peril court un homme tel que Scaliger en jugeant du merite de Mufée & d'Homere. Je ne fuis pas Scaliger , il s'en faut beaucoup ; cependant je ferois bien faſché de m'abstenir de dire ce qu'il m'en fem ble. A l'égard des Livres facrez j'ay une retenuë , un refpect & une veneration qui n'ont point de bor nes , & de là vient fans doute que j'en ay moins pour les anciens Au teurs profanes. La grande foumif fion où je tiens mon efprit pour des ouvrages infpirez de Dieu , le foin que j'ay de le faire renoncer fans ceffe à fes propres lumieres, & de le ranger fous le joug de la Foy, font que je luy donne enfuite toute liber té de penfer & de juger ce qu'il luy plaift de ces grands Auteurs dont vous dites qu'il eft fi dangereux d'o fer decider par foy. mefme. LE PRESIDENT. Vous direz ce qu'il vous plaira , mais ces Anciens profanes que vous des Anciens & des Modernes. 43 194 1. T. le D S traitez fi cavalierement font vos Maiſtres malgré que vous en ayez , & les Maiftres en tout païs & en tout temps ont eſté eſtimez en ſça voir plus que leurs diſciples. L'ABB E'. > Je fuis bien aife , que vous ayez avancé cette maxime car c'eſt ce qu'on nous oppoſe tous les jours , ce font nos Maiftres , dit-on , en parlant des Anciens , & l'on croit par là fermer la bouche à tous les Modernes. Il eft vray que tant qu'un Maiftre enfeigne fon difci ple , il en fçait plus que luy , mais quand il eft au bout de fa fcience , & que le difciple non ſeulement la épuiſée , mais s'eft enrichi de mille autres connoiffances fur la meſme matiere , foit par la lecture , foit par la meditation , y a-t-il quel que inconvenient qu'il furpaffe ce Maistre. Suivant voftre principe vous ne sçauriez pas plus de latin que ce bon homme chez qui vous 44 Paralelle demeuriez , dont la fcience n'a ja mais efté au delà du Rudiment & de la Syntaxe de Defpautere. Ce n'eft point des Pedagogues que vient aux jeunes gens l'habileté qui les diftingue de leurs compagnons , & qui en fait de grands perfonnages, Și la curiofité nous portoit à vou loir connoiftre ceux qui ont enfei gné les hommes extraordinaires que nous avons aujourd'huy parmy nous, Orateurs , Poëtes , Peintres , Scul pteurs , Muficiens , aprés avoir bien travaillé à deterrer les Maiſtres obf curs chez qui ces grandes lumieres ont commencé d'éclore , nous fe. rions eftonnez de la diſtance pref que infinie qui fepare les uns des autres. Nous trouverions peut- eſtre encore qu'une des plus grandes louanges de ces excellens hommes eft de s'eftre garantis ou de s'eftre deffaits des faux principes & des affectations vitieufes de ceux qui les ont enfeignez. des Anciens & des Modernes. 45 LE PRESIDENT C Vous voyez cependant le foin qu'a eu l'Antiquité de nous marquer les maiftres que les grands Perfon nages ont eûs dans leurs eftudes parce qu'elle a confideré la fcience comme une lumiere & une lampe qu'ils fe font donnez les uns aux ay, tres de main en main, Di L'ABBE. > J'ay remarqué cette genealogie de fçavans , mais je l'ay confiderée comme une recherche hiftorique qui conduit la memoire , & non pas comme un arrangement qui reglaſt le merite de ces grands hommes. Je n'ay pas crû non plus que leur doctrine fuft tousjours la mefme lu miere & la meſme lampe qui euſt paffé de main en main. Qu'on exa mine Platon & Ariftote dont l'un eft le maiſtre & l'autre le diſciple , peut-on dire que leur doctrine & leurs fentimens foient la mefme cho 5 46 Paralelle fe ? Il n'eſt rien de plus different. Platon eft un genie tres - vafte & qui fouvent a des faillies admirables au delà , ce femble , des forces de l'efprit humain , mais diffus en pa roles , inégal , fans ordre & fans methode. Ariftote , au contraire , non moins fort de genie , eft fuc cint , précis & methodique , en for te que le difciple bien loin d'avoir imitéfon maiſtre, & marché fur fes traces , femble s'eſtre appliqué à fuivre une autre route & à pren dre le contrepied de fes manières il s'eſt donné autant de peine à def cendre dans le détail & dans l'exac te connoiffance des moindres cho

fes de la Nature fans pompe & fans ornement de paroles , que l'au tre a pris plaifir à s'eflever par des difcours fublimes & Aeuris , au def fus de ces mefmes chofes , & de n'en regarder de loin que les premieres idées , & les proprietez metaphy fiques. Vous ne verrez point deux grandsPhilofophesde fuite qui ayent des Anciens & des Modernes. 47 0 D S C 8 P J C > enſeigné la meſme doctrine ou du moins fur les mefmes principes , la raiſon n'en est pas difficile à trou ver c'est que l'idée d'excellent homme & l'idée de copiſte ſont deux idées incompatibles. J'eftime infiniment Monfieur Defcartes, mais il s'en faut beaucoup que j'aye la mefme veneration pour les meil leurs de fes difciples , qui charmez de quelques apparences de veritez tres- bien imaginées par Mr. Deſcar tes , croyent voir clairement & dif tinctement la maniere ineffable d'o perer de la nature que les hommes ne comprendront jamais en cette vie. Car le Seigneur a livré le mon de à leur diſpute , à condition qu'ils ne devineront jamais les veritables refforts qui le meuvent, & c'eft peut eftre dans cette perfuafion que Mon fieur Deſcartes à donné fi agréable. ment & fi fagement le nom de Ro man philofophique , à fes plus fubli mes & plus profondes meditations, a

  • Ecclef. cap. 3. V. 1 ,

48 Paralelle LE PRESIDENT. Ce que vous avancez là eft tres propre pour autorifer une infinité de jeunes gens à quitter l'eftude des bons livres & l'imitation des bons modeles , pour s'abandonner à leurs refveries , afin de devenir par là des originaux finguliers & inimitables, L'ABBE. Ne ? craignez point cela cette tentation ne prendra point à ceux qui naiffent fans genie , & qui n'a yant rien chez eux , trouvent fi bien leur compte à piller les autres, A l'égard de ceux qui ont le don de refver & de mediter , il ne leur ar rivera jamais de mal d'avoir digeré par la meditation , foit les penſées qui naiffent de leur propre fond , foit celles qui leur viennent de de. hors , par la converſation ou par la lecture. LE PRESIDENT des Anciens & des Modernes. 49 LE PRESIDENT. Vous en direz ce qu'il vous plai ra , mais il faut qu'un jeune hom me fe propofe quelque modele ex cellent dans fes eftudes , & il ne le peut trouver que dans les beaux Ouvrages des Anciens. LE CHEVALIER. Je fçay un moyen bien facile & = bien feur pour vous mettre d'ac cord , c'eſt de convenir , comme il eft tres-vray , que c'eſt nous qui 1 fommes les Anciens. ( * LE PRESIDENT, L'expedient feroit merveilleux fi l'on pouvoit en mefme temps eftre Ancien & Moderne , c'eft- à- dire , eftre & avoir efté tout enſemble. LE CHEVALIER. Il faut que je m'explique , n'eſt il pas vray que la durée du monde eft ordinairement regardée comme Tome I. с 50 Paralelle celle de la vie d'un homme , qu'elle a eu fon enfance , fa jeuneffe & fon âge parfait , & qu'elle eft prefente ment dans fa vieilleffe. Figurons nous de mefme que la Nature hu maine n'eſt qu'un ſeul homme , il eſt certain que cet homme auroit eſté enfant dans l'enfance du monde adolefcent dans fon adoleſcence homme parfait dans la force de fon âge , & que prefentement le monde & luy feroient dans leur vieilleffe, Cela fuppofé nos premiers peres ne doivent-ils pas eftre regardez com. me les enfans & nous comme les vieillards & les veritables Anciens du monde ? > L'AB BE'. C Cette idée eft tres jufte , mais l'u fage en a difpofé autrement. A l'é. gard de la prevention , prefque uni verſelle où on eft , que ceux qu'on nomme Anciens font plus habiles que leurs fucceffeurs , elle vient de ce que les Enfans voyant ordinaire des Anciens & des Modernes. 5I $ 20 es D 15 DI ment queleurs Peres & leurs grands Peres ont plus de ſcience qu'eux , & s'imaginant que leurs bifayeuls en avoient beaucoup plus encore , ils ont infenfiblement attaché à l'âge uneidée de fuffifance & de capacité qu'ils fe forment d'autant plus gran de qu'elle s'enfonce de plus en plus dans les temps efloignez. Cependant s'il eft vray que l'avantage des Peres fur les enfans & de tous les vieillards fur ceux qui font jeunes, conſiſte uni quement dans l'experience , on ne peut pas nier que celle des hommes qui viennent les derniers au monde, ne foit plus grande & plus confom mée que celle des hommes qui les ont devancez ; puifque les derniers venus ont comme recueilli la fuccef fion de leurs predeceffeurs , & y ont ajouté un grand nombre de nou velles acquifitions qu'ils ont faites par leur travail & par leur cftude. LE PRESIDENT. Vous fçavez que ce qui prouve Cij Paralelle ン 52trop ne prouve rien. Selon voſtrẹ raifonnement les hommes du neu viéme & du dixiéme fiecle au roient efté plus habiles que tous ceux de l'antiquité , quoyque l'i gnorance & la barbarie n'ayent pas moins regné dans ces deux fiecles , que la fcience & la politeſſe dans celuy dA'ugufte, L'ABBE'. Il n'eſt pas malaiſé de refpondre à cette objection. Quand on dit que les derniers temps doivent l'empor ter fur ceux qui les precedent , cela fe doit entendre quand d'ailleurs toutes choſes font pareilles , car lors qu'il furvient de grandes & longues guerres qui ravagent un païs, que les hommes font obligez d'abandonner toutes fortes d'eftudes pour fe ren fermer dans le foin preffant de def fendre leur vie ; lorfque ceux qui ont vûcommencer la guerre font morts & qu'il vient une nouvelle genera tion qui n'a efté eflevée que dans le des Anciens & des Modernes. 53 ( maniement des armes , il n'eft pas eftrange que les Arts & les Sciences s'évanouiffent pour un temps & qu'on voye regner en leur place l'i gnorance & la barbarie. On peut comparer alors les fciences & les arts à ces fleuves qui viennent à ren contrer un gouffre où ils s'abifment tout à coup ; mais qui aprés avoir coulé fous terre , dans l'eſtenduë de quelques Provinces trouvent enfin une ouverture , par où on les en voit reffortir avec la meſme abon dance qu'ils y eftoient entrez. Les ouvertures par où les Sciences & les Arts reviennent fur la Terre font les regnes heureux des grands Monarques , qui en reftabliffant le calme & le repos dans leurs Etats Y font refleurir toutes les belles connoiffances. Ainfi ce n'eft pas affez qu'un fiecle foit pofterieur à un autre pour eftre plus excellent il faut qu'il foit dans la profperité & dans le calme , ou s'il y a quelque guerre qu'elle ne fe faffe qu'au de C iij 54 Paralelle hors. Il faut encore que ce calme & cette profperité durent long- temps afin que le fiecle ait le loifir de mon ter comme par degrez à fa derniere perfection. Nous avons dit quedans la durée generale des temps depuis lacreation du mondejufqu'à cejour, on diftingue differens âges , on les diftingue de mefme dans chaque fie cle en particulier , lors qu'à l'iffuë de quelque grande guerre on commen ce tout de nouveau à s'inftruire & à fe polir. Prenons pour exemple le fiecle où nous vivons. On peut regarder comme fon enfance le temps qui s'eft paffé depuis la fin des guerres de la ligue jufqu'au com. mencement du Miniftere du Cardi nal de Richelieu , l'Adolefcence eft venuë enfuite & a vû naiftre l'Aca démie Françoife ; l'âge viril a fucce dé, &peut- eftre commençons-nous à entrer dans la vieilleffe , comme femblent le donner à connoiſtre le dégouft qu'on a ſouvent pour les meilleures chofes. On peut fe con des Anciens & des Modernes. $$55 2 1 S vaincre de cette verité fenfiblement par les ouvrages de Sculpture , ceux qui ont efté faits immediatement aprés les guerres de la Ligue ne peu vent prefque fe fouffrir tant ils font informes , ceux qui ont fuivi meri tent quelque loüange , & fi l'on n'y trouve pas encore beaucoup de cor rection , onon y voit du feu & de la hardieffe. Mais ce qui s'eft fait pour le Roy fous les ordres de Monfieur Colbert, a du feu & de la correction tout enſemble , & marque que le fiecle eftoit deflors dans fa force pour les beaux Arts. La Sculpture s'eft encore perfectionnée depuis , mais peu confiderablement , parce qu'elle eftoit desja arrivée à peu prés oùelle peut aller. Si nous vou lonsexaminer l'Eloquence & la Poë fie , nous trouverons qu'elles ont monté par les mefmes degrez. Au commencement du fiecle tout ef toit plein de jeux d'efprit & dans les vers & dans la profe. C'eftoit une abondance de pointes d'An C iiij 56 Paralelle tithefes, de Rebus , d'Anagrammes, d'Acroftiches , & de cent autres ba dineries pueriles. Il ne faut que lire les Juliettes , les Nervefes & les Def cuteaux , oùil y a mille chofes qu'on ne pardonneroit pas aujourd'huy à des enfans. Quelque temps aprés on fe degoufta de toutes ces gentilef fes , & felon la couftume des jeunes gens qui ont bien eftudié , on voulut faire voir qu'on eftoit fçavant & qu'on avoit lû les bons livres. Ce ne furent plus que citations dans les Sermons , dans les Playdoiers & dans tous les livres qu'on donnoit au Public. Quand on ouvre un li vre de ce temps- là on a de la peine àjuger s'il eft Latin , Grec , ou Fran çois , & laquelle de ces trois langues eft le fond de l'ouvrage , que l'on a brodé des deux aurtes. LE CHEVALIER. Ils eftoient fi aifes d'inferer du Latin dans leur François que lorf qu'ils n'avoient pas en main de des Anciens & des Modernes. 57 1 3 beaux paffages , ils y mettoient au moins de petites particules latines qu'ils regardoient comme des perles & des diamans , qui femez ça & là dans le diſcours , luy donnoient à leur gré un éclat & un prix ineſti mable. Voicy comment un Avocat commençafon playdoier en parlant pourfa fille. Cette fille mienne,Mef fieurs , eft heureufe & malheureuſe tout enſemble , heureufe , quidem , d'avoir épousé le fieur de la Hunau diere Gentilhomme des plus quali fiez de la Province ; malheureuſe autem d'avoir pour mary le plus grand chicaneur du Royaume , qui s'eſt ruiné en procez & qui a réduit cette pauvre femme à aller de porte en porte demander fon pain que les Grecs appellent ton arton. L'AB BE”. Ils ne fongeoient qu'à paroistre Sçavans & dans cette envie ils fai. foient fouvent leurs difcours moitié François & moitié Latin . Ciceron , Cy 58 Paralelle dans une de fes Epiftres , ad Atticum, difoit un autre Avocat , demande fi vir bonus peut demeurer in civitate qui porte les armes contra patriam. La mode des citations a duré long temps & leur épanchement immo. deré fur tous les difcours a efté tel que le grand genie & le bon fens de Monfieur le Maiftre n'ont pû em pefcher qu'elles n'ayent inondé fes plus excellens playdoiers. Le fiecle devenu un peu plus fage, & les Avo cats faifant reflexion que du Latin ainfi entre- meflé dans du François ne rendoit pas une caufe meilleure ; qu'un beau paffage de Ciceron, ou un vers élegant d'Horace n'eftoient pas une raifon de leur adjuger leur demande, fe dégoufterent des cita tions inutiles & fe retranchérent dans leur fujet : les autres Orateurs & tous les Écrivains firent la mefme chofe , mais parce qu'on n'arrive pas d'abord à la perfection qu'onfeſe pro pofe, les penfées brillantes & peù fo. lides , marques du feu de la Jeuneſſe des Anciens & des Modernes. 59 > continuerent d'éclater avec excez & on faifoit encore mal pour vou loir trop bien faire. Avec le temps on a connu que le bon fens eftoit la partie principale du difcours , qu'il falloit fe renfermer dans les bornes de fa matiere, n'appuyer que fur les raifons & les confequences qui en naiffent naturellement , & n'y ajou ſter des ornemens qu'avec beaucoup deretenue& de moderation ; parcè qu'ils ceffent d'eftre ornemens dez qu'on les met en abondance. Il en eſt arrivé de meſme dans la Poëfie , où les pointes trop recherchées ont i fait place aubon fens , & qui eft par venue à fatisfaire la raifon la plus fevere , & la plus exacte , aprés quoy il n'y a rien à faire davantage. Ainfi comme noſtre fiecle eſt poſterieur à tous les autres , & par confequent le plus ancien de tous , que quatre vingt ans de repos dans la France ( car les guerres eftrangeres ne trou blent point le repos des Arts & des Sciences ) luy ont donné cette ma U 0. 10 Cvj .60 Paralelle turité & cette perfection oùje viens de faire voir qu'il eft parvenu , pour quoy s'eftonner fi on le prefere à tous les autres fiecles ? LE PRESIDENT. Ce raisonnement eft fort inge nieux , mais je vous feray voir que plufieurs fçavans Auteurs de ce fie cle ont déclaré qu'il ne pouvoit y avoir de comparaifon entre les An ciens & les Modernes. L'ABBE'. Il faut fçavoir en quel temps ces Auteurs ont efcrit , s'il y a feulement cinquante ou foixante ans qu'ils ſe font expliquez de la forte ils ont eu raifon &je me range de leurs avis. Si les Pafferats , les Lambins & les Tur nebes ont plus eftimé les ouvrages des Grecs & des Latins , que les ou vrages François de leurs temps ,je les louë de leur bon gouft , mais ce qui eftoit vrayalors ne l'eft plus aujour d'huy.Il eftoit vrai du temps d'Ennius 5 des Anciens & des Modernes. Gr 1 SE S 5 &de Pacuve que les Romains n'ap. prochoient pas des anciens Grecs , mais cela a ceffé d'être vrai du temps de Ciceron. Il fe peut donc fort bien faire que les auteurs François du temps de Lambin & de Pafferat le cedaffent de beaucoup aux Grecs & auxLatins, & que ceux d'aujourd'huy non feulement les égalent , mais les furpaffent en bien des chofes, LE PRESIDENT. Je m'eftonne qu'ayant entrepris la caufe des Modernes contre les An. ciens , vous vous foyez retranché dans noftre fiecle,& que vous n'ayez pas voulu fortifier voftre parti des grands perfonnages du fiecle prece dent , par exemple , du Taffe & de l'Ariofte pour la Poëfie, de Raphaël, du Titien &de Paul Veronneſe pour la Peinture , & particulierement des deux Scaligers , de Turnebe , & de Cafaubon pour la connoiffance des belles lettres , & la vafte eftenduë dufçavoir ; vû mefme que quelques 62 Paralelle uns de ces grands perfonnages vi voient encore au commencement de noftre fiecle car affurément vous ; ferez foible de ce cofté là , & bien loin de trouver aujourd'huy quel. qu'un que vous puiffiez oppofer à Varron , qui a tousjours efté regar dé comme un prodige de Science , vous ne trouverez perfonne qui éga. le mefme les mediocres Sçavans du dernier fiecle. L'AB BE'. Je pourrois faire ce que vous dites, mais je n'ay pas befoin de ce fe cours , parce queje prétens que nous avons aujourd'huy une plus parfaite connoiffance de tous les Arts & de toutes les Sciences , qu'on ne l'a ja mais euë. Je me pafferay fort bien du Taffe & de l'Ariofte quand il s'a gira de la Poëfie ; de mefine que de Raphaël,du Titien , & de Paul Ve ronnefe , quand il fera queſtion de la Peinture. Pour ce qui eft de l'éru. dition , nous avons des Sçavans par des Anciens&des Modernes. 63 > my nous qui m'empefcheront d'a voir befoin des Scaligers , des Tur nebes , & des Cafaubons pour l'em porter fur les Anciens. Il eft vray que les hommes queje viens de nom. mer eftoient de tres- grands perfon nages , mais on peut dire qu'ils doi vent une grande partie de leur repu tation à la profonde ignorance du commun du monde de leur fiecle laquelle n'a pas moins fervi à les faire briller que la fcience dont ils eftoient ornez ; Ils ont paru com me de grands arbres au milieu d'une terre labourée au lieu qu'en ce temps- cy où la Science eft commune & triviale , les Sçavans ne font plus regardez parmy la foule , ou ne le font que comme de grands chefnes C dans une foreft. C'eſt un effet de l'Impreffion & de l'abondance des

livres , qu'elle nous a donnée : ce

qu'on peut dire avoir en quelque forte changé la face de la litteratu re. Lors qu'il n'y avoit que des ma nufcrits ou peu de livres imprimez , › 1 3 64 Paralelle ceux qui eftudioient , apprenoient par cœur prefque tout ce qu'ils li foient , parce qu'il falloit rendre les manufcrits & mefme les livres qu'on leur avoit preſtez. Une Bible eftoit un heritage que peu de gens pou voient avoir , les Peres de l'Eglife ne fe trouvoient, & encorefeparement , que dans quelques grandes Biblio theques , & il en eftoit de mefme de tous les Auteurs un peu confidera bles. Cette obligation d'apprendre par cœur les faifoit paroiftre beau coup fçavans , mais nuifoit au fonds de l'eftude en leur oftant une partie de leur temps qu'ils auroient plus uti lement employé à la reflexion & à la meditation. C'eft aujourd'huy tout le contraire , on n'apprend prefque plus rien par cœur , parce qu'on a or. dinairement à foy les livres que l'on lit , où l'on peut avoir recours dans le befoin , & dont l'on cite plus feu rement les paffages en les copiant , que fur la foy de fa memoire , com me on faifoit autrefois , ce qui eſt des Anciens &des Modernes. by | ว 1. s 1. S cauſe qu'on voit fouvent le mefme paffage cité en plufieurs façons dif ferentes. On fe contente de lire les Auteurs avec beaucoup de foin & de reflexion , & mefme on ne s'amuſe plus gueres à en faire de longs ex traits comme nous faifions encore dans noftre jeuneffe , couftume ve nuë du temps où les livres eftoient rares. L'abondance des livres a ap porté encore un autre changement dans la Republique des lettres , qui eft qu'autrefois il n'y avoit Sçavans de profeffion qui ofaffent porter leur jugement fur les ouvra ges des Auteurs , à qui ils donnoient ordinairement beaucoup de loüan ges à la charge d'autant , & qu'au. jourd'huy tout le monde s'en mefle. On a vû par le moyen des traduc tions ce que c'eftoit que les Grecs & les Romains , & d'eftre fçavant n'eftoit pas une chofe qui rendiſt un homme d'un autre efpece que les au tres. De-là il eft arrivé qu'il n'y a prefqueplus de Dames nyde Courti que les que 66 Paralelle fans qui nejugent des ouvrages d'Ef prit & qui n'en jugent plus cruelle ment que les Sçavans , ne craignant point que l'on leur rende la pareil le ; & de-là vient qu'on admire tres, peu de chofes , & que l'approbation publique eft fi difficile à obtenir. Ronfardfeul me peutfervir de preu. ve. Quand il commença à donner fes Poëfies Jean d'Aurat Poëte Royal , Baif , Belleau Jodéle & quelques autres crierent miracle à caufe de l'érudition qui paroiffoit dans les ouvrages. " LE CHEVALIER. Je m'en eftonne & de ce qu'ils n'avoient pas pluftoft horreur de l'inhumanité avec laquelle ce Poëte écorchoit tous leurs bons amis Grecs & Latins. L'ABB E'. Vous avez raiſon , cependant leur approbation emporta les fuffrages de la Cour , de la Ville , & de tou e des Anciens & des Modernes. 67 te la France , juſques.là qu'il paffa en commun Proverbe que de faire une incongruité dans la langue , c'ef toit donner un foufflet à Ronfard. Il eft vray que les chofes ont bien. changé depuis ; car dez que le com i mun du monde a commencé à fça ! voir quelque chofe la Poëfie de Ronfard à paru fi eftrange , quoy-. que ce Poëte euft de l'efprit & du genie infiniment , que du comble de l'honneur où elle eftoit , elle eft tombée dans le dernier mépris. " 3 $ LE CHEVALIER. Quand Ronfard a commencé à briller dans le monde il n'y avoit peut- eftre pas à Paris , douze carof fes , douze tapifferies , ny douze fça vans hommes , aujourd'huy toutes les maifonsfont tapiffées , toutes les ruës font pleines d'embarras , & on auroit peine à trouver une perfonne 1 qui n'en fçuſt pas affez pour juger raiſonnablement d'un ouvrage d'Ef prit. S PJ 68 Paralelle L'ABBE'. Tout a changé en mefme temps , mais j'oubliois à reſpondre fur le fait de Varron, Dites- moy ,je vous prie , quelle pouvoit eftre lafcience de ce Romain , en comparaifon de celle de nos Sçavans? Avez- vous bien fait reflexion qu'il ne penetroit peut eftre pas dans l'eftenduë de mille années au deffus de luy,qu'il ne con. noiffoit pas la centième partie du globe de la Terre, & qu'il n'y a pref que point d'Art ny de Science dont les bornes ne fuffent dix fois plus mrefferrées qu'elles ne le font aujour d'huy. Il eſt vray que Varron fça voit tout ce qu'on peut fçavoir ; c'eft le tefmoignage qu'en rend l'Anti quité ; mais tout ce qu'on pouvoit fçavoir en cetemps-là , peut-il avoir quelque proportion avec ce qu'on fçait en nosjours , où dix- fept fiecles & davantage , qui fe font écoulez depuis , ont ajouté tant de chofes à apprendre , en ont tant éclairci qui C des Anciens &des Modernes. 69 eftoient obfcures , ou ignorées , & où l'on n'a pas moins fait de nou velles découvertes dans les Sciences & dans les Arts , que dans toutes les parties de l'Univers, faites- y bien reflexion & jugez par- là quelle eft voltre prevention pour les Anciens, LE PRESIDENT. Je n'ay rien dit de Varron , que ce qu'en difent tous les Sçavans Hommes qui en ont parlé. L'ABB E'. Comme la pluſpart de ces Sça vans Hommes eftoient du nombre des Anciens , ils ont pû parler de la forte ; car de leur temps il pou voit eftre vray que Varron fuit le plus fçavant Homme qui euſt ja mais efté , mais ceux d'entre les Modernes qui ont tenu le mefme langage ont eu tort , cette propo fition ayant ceffe d'eftre vraye avec le temps. Voila peut- eftre la princi pale cauſe & la plus excufable en 70 Paralelle > mefme temps de la prévention trop favorable où l'on eft non feulement pour ce qui eft antique , mais pour tout ce qui commence à devenir an. cien , car le tefmoignage authenti que de nos Anceſtres qui eftoit vray quand ils l'ont rendu demeure tousjours vivement gravé dans nof tre imagination & y fait une im. preffion beaucoup plus forte que le progrez des Arts & des Sciences qui ne nous frappe pas de mefine quoy que tres confiderable , parce qu'il ne fe fait que peu à peu & d'une maniere imperceptible. → LE CHEVALIER. Il y a bien des gens qui affurent encore que la Fontaine faint Inno cent eft le plus beau morceau d'Ar chitecture & de Sculpture qu'il y ait en France. Cela eftoit vray quand ils l'ont ouy dire à leurs Peres. Mais les beaux ouvrages qui ont parû de puis , le Val- de- Grace , la Façade du Louvre , l'Arc de Triomphe , & PSLYS des Anciens & des Modernes. 71 les merveilles de Verfailles ont ren du cette propofition non feulement fauffe , mais ridicule. L'ABBE' .

Combien y a-t'il de tableaux , de figures , de buftes & d'autres chofes femblables dans chaque ville , dans chaque Eglife , dans chaque Com munauté & mefme dans chaque fa mille , qui par tradition , & de main en main font venuës jufqu'à nous avec la reputation de chef-d'oeuvres merveilleux, qui prefentement n'ont plus rien de recommandable que leur ancienneté. Il y a eu un temps où cette reputation eftoit jufte & bien fondée , mais il s'eft fait depuis tant de chofes excellentes de la mefme nature que quand on nous montre ces anciens ouvrages nous fommes bien moins furpris de leur beauté que de l'estime qu'on en a faite. Je veux bien que ceux à qui il n'eft pas donné de juger par eux mefmes s'en tiennent à ce qu'ils ont L 72 Paralelle d'autant ouy dire à leurs peres , mais je ne puis fouffrir que des gens fins , ou qui prétendent l'eftre , parlent le mefine langage, & ne fe foient pas apperçeus du progrez prodigieux des Arts & des Sciences depuis cin. quante ou foixante ans , plus qu'il n'eft pas moins naturel aux Sciences & aux Arts de s'aug menter & de fe perfectionner par l'eftude , par les reflexions , par les experiences & par les nouvelles dé. couvertes qui s'y ajouſtent tous les jours , qu'il eft naturel aux fleuves de s'accroiftre & de s'eflargir par les fources & les ruiffeaux qui s'y joignent à mesure qu'ils coulent. LECHEVALIER. Ceferoitun plaifir de voir la pre. miere montre qui a efté faite , je ne croy pas qu'on la puft voir fans rire , car je fuis affuré qu'elle reffem bloit plus à un tourne-broche qu'à une montre, LE PRESIDENT. des Anciens & des Modernes. 73 LE PRESIDENT. J'en demeure d'accord , mais avec tout cela voudriez-vous comparer le plus habile de vos Horlogers 1. avec le premier Inventeur de la EX montre. TR OU20 L'ABBE'. J'avoue que c'eſt une grande loüange & un grand merite aux Anciens d'avoir efté les Inventeurs des Arts , & qu'en cette qualité ils nepeuvent eſtre regardez avec trop de refpect . Les Inventeurs, comme dit Platon , ou comme il l'a pû dire, car cela eft de fon ftile , font d'une nature moyenne entre les Dieux & les hommes , & fouvent mefme ont eſté mis au nombre des Dieux pour avoir inventé des chofes extréme ment utiles. Cependant il eft bon d'examiner fi les Anciens ont plus de part que les Modernesà la gloire de l'invention . Il fut loüable aux premiers hommes d'avoir conftruit Tome I. D 1 les es 。 74 Paralelle cesToits ruftiques dontparle Vitru ve , qui compofez de troncs d'arbres eſpacez en rond par embas & affem blez en pointe par enhaut eftoient couverts de joncs & de gazon ; com meil eftoit prefque impoffible de ne pas s'imaginer quelque chofe defem blable dans la preffante neceffité de fe deffendre des injures de l'air , ces premiers édifices & l'induſtrie avec laquelle ils eftoient conftruits ne peuvent gueres eftre comparez avec les Ralais magnifiques des ficcles fui vans , &avec l'art merveilleux qui a ordonné de leur ſtructure. Celuy qui le premier s'avifa de creufer le tronç d'un arbre & de s'en faire un bat teau , pour traverser une riviere , merite affurément quelque loüan ge , mais ce batteau & la maniere dont il fut creufe ont-ils rien qui approche des grands Vaiffeaux qui voguent fur l'Ocean , ny de leur fa brique admirable. Si l'on vouloir mefme examiner de prés ces pre miersToits ruftiques & ces premiers des Anciens & des Modernes. 75 Batteaux ontrouveroit que ceux qui les ont faits n'en font pas , à le bien prendre , les premiers Inventeurs qu'ils doivent leur apprentiffage en fait d'Architecture à divers animaux, dont les tanieres &particulierement celles des Caſtors font d'une ſtruc. ture mille fois plus folide & plus in genieufe que les premieres habita. tions des hommes ; & qu'une co quille de noix nageant fur l'eau peut leur avoir donné l'invention & le modele de la premiere barque. Il en eft de mefine de la tiffure des toiles & des eftoffes où ils ont eû l'Araignée pour Maiftreffe ; de la chaffe dont les Loups & les Renards leur ont enfeigné toutes les adreffes & toutes les rufes ; en forte nean. moins que ce n'a efté qu'aprés un fort long- temps que les hommes ont eſté auffi habiles qu'eux à ménager leur courſe & à fe relayer les uns les autres. On voit par là que cette gloire de la premiere invention n'eſt pas fi grande qu'on fe l'imagine. Dij 76 Paralelle Mais quelle proportion peut - il y avoir entre ces inventions premie res qui ne pouvoient échapper à l'in duftrie naturelle du befoin & celles que les réflexions ingenieufes des hommes des derniers temps ont fi heureuſement trouvées. Prenons pour exemple la machine à faire des bas de foye. Ceux qui ont af fez de genie , non pas pour inven ter de femblables chofes , mais pour les comprendre , tombent dans un profond eftonnement à la veuë des refforts prefque infinis dont elle eſt compofée & du grand nombre de fes divers & extraordinaires mou vemens. Quand on voit tricoter des bas on admire la foupleſſe & la dexterité des mains de l'Ouvrier quoy qu'il ne faffe qu'une feule mail le à la fois , qu'est - ce donc quand on voit une machine qui forme cent mailles tout d'un coup , c'eſt- à- dire, qui fait en un moment tous les di vers mouvemens que font les mains en un quart d'heure. Combien de 1 > 13r des Anciens & des Modernes. 77 petits refforts tirent la foye à eux puis la laiffent aller pour la repren dre enfuite & la faire paffer d'une maille dans l'autre , d'une maniere inexplicable , & tout cela fans que l'Ouvrier qui remuë la machine y comprenne rien , en fçache rien , & mefme y fonge feulement ; en quoy on la peut comparer à la plus excellente machine que Dieu ait faite , je veux dire à l'homme dans lequel mille operations differentes ſe font pour le nourrir & pour le conferver fans qu'il les comprenne , fans qu'il les connoiffe & mefme 0. fans qu'il y fonge. Confiderons en core cette machine qui a efté in ventée pour faire quinze ou vingt pieces de ruban tout à la fois. Tout en eft agreable & ſurprenant. On voit vingt petites navettes chargées de foye de couleurs differentes qui paffent & repaffent d'elles mefmes , comme fi quelque efprit les ani moit entre les trames du ruban lefquelles de leur cofté fe croiſent ', D iij -8 Paralelle > & fe recroifent à chaque fois que paffent les navettes. On eft furpris en mefme temps de voir les ru que bans fe tournent fur leur rouleau à mefure qu'ils fe font , pour ne pas venir interrompre , en montanttrop haut , le mouvement reglé des na vettes. Quand on confidere la fa geffe de tous ces mouvemens on ne peut trop admirer celle de l'In venteur qui a donné la vie à toutes les pieces de cette machine , par une feule rouë que tourne un en fant , & que du vent ou de l'eau tourneroient auffi - bien & avec moins de peine. Il eſt bien faſcheux & bien injufte qu'on ne fçache point le nom de ceux qui ont imaginé des machines fi merveilleufes ; pendant qu'on nous force d'apprendre celuy des Inventeurs de mille autres ma chines qui fe prefentent fi naturelle ment à l'efprit , qu'il fuffifoit d'eftre venu des premiers au monde pour les inventer. des Anciens & des Modernes. 79 CD te en e20 L'ABBE'. Pancirole a composé un traitté fur cette matiere qu'il a intitulé ; Des antiquitez perdues , & des chofes de nouvellement trouvées. J'ay pris plai fir à examiner quelles eftoient ces Antiquitez perduës , j'en ay trouvé de trois fortes. Les unes font cho fes qui la pluſpart ne font preſque plus en ufage , comme les Cirques , les Amphitheatres , les Bafiliques les Arcs de Triomphe , les Obelif ques , les Bains publics , & divers Tec eur LE PRESIDENT. J'avoue que noftre fiecle eft fe cond en inventions & en fecrets mais combien penfez-vous qu'il s'en eft perdu d'admirables dans la fuite des temps ; deforte que faifant com penfation de ce qui fe trouve avec ce qui feperd , les Anciens l'empor teront tousjours fur nous par l'in vention premiere de tous les Arts que nous leur devons. O D iiij 80 Paralelle autres baftimens ſemblables , les au tres font chofes que l'on a negligées pour en avoir recouvré de meilleu res de mefme efpece , telles que font les Beliers , les Catapultes , les Tri remes , la Pourpre & le Papier fait d'écorce d'arbres. Les autres enfin font chofes purement fabuleufes comme le verre malleable , & les miroirs ardens d'Archimede , qui brufloient des Vaiffeaux fur mer , à quarante ou cinquante pas de dif. tance. A l'égard de la premiere ef pece de ces Antiquitez je conviens qu'elles ont donné beaucoup d'é, clat & de grandeur à leurs fiecles , mais il ne tient qu'à nous d'en faire defemblables , & mefme de plus ma gnifiques ; tefmoin l'Arc de Triom phe qu'on a commencé & lequel , fi Ï'on l'acheve fur le modelle que nous en voyons , furpaffera tous ceux des Anciens , puifque celuy de Conftan tin, le plus grand de tous , pafferoit, ou peu s'en faut , par deffous fa prin cipale arcade. Il ne tient auffi qu'à KaywwRK MADryW des Anciens & des Modernes. 813 j › nous de faire de grands Bains , mais la propreté de noftre linge & l'a bondance que nous en avons , qui nous diſpenſent de la fervitude in. fupportable de fe baigner à tous mo mens vallent mieux que tous les bains du monde. Pour la feconde ef pece d'Antiquitez perduës , les An ciens ne peuvent pas en tirer beau coup de gloire , puifqu'elles ont efté obligées de ceder la place à de plus belles & de meilleures inventions ; ainfi l'on a ceffé de fe fervir de Be liers & de Catapultes , pour fe fer vir de Bombes & de Canons , & l'on n'a plus fabriqué de Triremes , par ce que nos Galeres font d'un meil leur ufage. Il y a quelques années que le celebre Meibomius vint à Paris pour propoſer au Roy le reta bliffement de ces Triremes , qu'il pretendoit avoir retrouvées. Mon. fieur le Marquis de Seignelay écou ta fa propofition. Aprés diverfes conferences où Meibomius expli qua fes penfées autant qu'il le vou. Dv 82 Paralelle lut , on le convainquit que nos Ga leres en la maniere qu'elles font con ftruites & équippées, font infiniment plus propres pour la navigation & pour la guerre que les Triremes des Anciens, & qu'on n'a quitté tout cet embarras de rames & de rameurs les uns au deffus des autres , que parce que des rames pofées toutes fur la mefme ligne & appuyant toutes fur l'endroit qui leur eft le plus avan. tageux , ontincomparablement plus de force & de facilité à fe mouvoir qu'en quelqu'autre fituation que ce puiffe eftre. On a ceffé de fe tour menter aprés la pefche de ces poif. fons dont les Anciens tiroient leur pourpre , parce qu'on a trouvé le fecret de preparer la cochenille & d'en faire noſtre écarlate mille fois plus vive & plus brillante que tou tes les pourpres anciennes , dont la plus belle n'eftoit qu'une espece de violet rougeaftre & enfoncé. De la mefme façon le papier des Anciens qui fe fabriquoit avec de certaines des Anciens &des Modernes. 83 1 écorces d'arbres qui venoient d'E gypte , a fait place à noftre papier ordinaire , beaucoup plus beau & dont l'abondance eft d'une utilité inconcevable. Ce n'a efté que l'ex cellence des chofes nouvellement découvertes qui a aboli l'ufage des anciennes qui leur eftoient fembla. bles. Si le fucre a chaffé le miel de deffus toutes les tables un peu deli cates , & l'a condamné à ne plus fer vir que dans la Medecine , ce n'eſt pas que le miel d'aujourd'huy ne foit auffi doux que celuy d'autrefois & qu'il n'ait encore les mefmes qualitez qui luy ont attiré tant de louanges , mais c'eft que le fucre eft encore plus doux , plus agreable & d'une pro. preté beaucoup plus grande. Quant aux chofes imaginaires &fabuleufes qui n'ont jamais fubfifté que dans la creance du peuple & dans les livres de quelques Hiftoriens qui ont re cueilli indifferemment ce qu'ils ont oüy dire , telles que font le fecret du verre malleable & les machines D vj 84 Paralelle > d'Archimede on n'en peut tirer d'autre confequence finon que les Anciens n'avoient pas moins le don de mentir que les Modernes. LE PRESIDENT. Cela eft bien aifé à dire , & voila un moyen admirable de rejetter tout ce qu'on voudra. L'ABBE Quandil y a demonſtration qu'u ne chofe eft impoffible , a- t-on tort de la rejetter comme fauffe &fabu leuſe ? On demonftrera fans peine que le verre ne peut fouffrir la pene tration de fes parties les unes dans les autres , ce qu'il faudroit qu'il luy arrivaft fous les coups de marteau pour eftre malleable. Comme il eft compofé de corpufcules extreme ment fiers & rangez en ligne droite pour faciliter la tranfparence , il eſt certain qu'il ne peut endurer cette compreffion fans fe caffer , ou fans perdre la tranſparence qui fait tout " الیبات13th des Anciens & des Modernes. 85 21 les fon prix & fans laquelle le fecret ne feroit plus d'aucune utilité ny d'au cun merite. Monfieur Deſcartes a demonftré que les pretendus mi roirs d'Archimede font impoffibles , &il n'eft pas moins aifé de demonf trer l'impoffibilité morale d'enle ver de deffus les murs d'une ville de grands vaiffeaux de guerre qui font en mer. ร LE PRESIDENT. Vous me permettrez d'en douter, mais combien de fecrets fe font per dus entierement , fans qu'il en foit demeuré aucune trace. L'A B BE'. C'eſt mauvais figne pour ces fe. crets-là , & il ne faut accufer de leur perte que leur peu d'utilité ou leur peu d'agrément. LE PRESIDENT: Il ne vous refte plus qu'à dire que ce font les Modernes qui ont appris 86 Paralelle aux Anciens tous les Arts & toutes les Sciences. L'ABBE'. J'avoue que les Anciens auront tousjours l'avantage d'avoir inventé les premiers beaucoup de chofes , maisje ſouſtiendray que les Moder nes en ont inventé de plus fpiri tuelles & de plus merveilleufes. Je demeureray d'accord que les An ciens ont efté de grands hommes & meſme fi vous le voulez , qu'ils ont eu plus de genie que les Modernes, quoy qu'il n'y ait aucun fondement ny aucune raifon de le croire ainsi , mais je diray tousjours qu'il ne s'en fuivroit pas que leurs ouvrages fuf fent plus excellens que ceux qui ſe font aujourd'huy. Je veux bien par exemple , que l'inventeur de la premiere montre dont nous avons parlé , ait eu plus de genie & qu'il merite plus de louanges , que tous les Horlogers qui font venus de puis ; mais je prétens que d'y avoir " MyA2A3Rii"WA des Anciens & des Modernes. 87 } ajouté la Pendule , & d'avoir en. fuite rendu cette Pendule portati ve, inventions admirables , que nous devons à l'illuftre Monfieur Hu guens , font quelque chofe de plus fpirituel & de plus ingenieux que l'invention toute nuë de la premiere montre. Je fouftiendray encore plus fortement, & fans que perfonne ofe s'y oppofer, que ces premieres mon tres n'approchoient nullement de la jufteffe & de la propreté de celles qui fe font par les moindres de nos Horlogers. Car il faut diftinguer l'Ouvrier de l'ouvrage , & fuppofé que les Inventeurs euffent eu plus de genie que ceux qui ont ajouté à leurs inventions , cela n'empefche pas que les ouvrages derniers faits ne foient plus beaux & plus accom plis que les ouvrages de ceux qui ont commencé , parce que ceux cy ne fe faifoient qu'en effayant & en taftonnant , & ceux-là avec une pleine connoiffance & une longue habitude à les bien faire. C'eſt faute 88 Paralelle d'avoir fait cette diftinction que plu fieurs fçavans fe font eflevez mal à propos contre l'Auteur du Poëme de LOUIS LE GRAND, & l'ont accuſé d'avoir manqué de refpect en vers les Anciens. Il loue les Anciens , mais il ne louë pas tous leurs ouvra ges &il ufe mefme d'un tel ménage ment pour eux , que quand il ofe par exemple , trouver quelque chofe à redire dans les Poëmes d'Homere, il ne s'en prend qu'àfon fiecle qui ne luy permettoit pas de faire mieux & non pas à fon genie qu'il traite de vafte , d'immenfe & d'inimitable. Ils n'ont pas compris affurément le Syfteme qu'il eftablit , quoy qu'il foit tres- clair. Il pofe pour fonde ment que la Nature eft immuable & tousjours la meſme dansfes produc tions, & que comme elle donne tous les ans une certaine quantité d'ex cellens vins , parmi un tres-grand nombre de vins mediocres & de vins foibles , elle forme auffi dans tous les temps un certain nombre Min des Anciens & des Modernes. 89. d'excellens genies parmy la foule des efprits communs & ordinaires. Je croy que nous convenons tous de ce principe , car rien n'eft plus déraisonnable , ny mefme plus ridi cule que de s'imaginer que la Natu re n'ait plus la force de produire d'auffi grands hommes que ceux des premiers fiecles. Les Lions & les Tigres qui fe promenent prefente ment dans les deferts de l'Afrique , font conftamment auffi fiers & auffi cruels que ceux du temps d'Alexan dre ou d'Augufte , nos roſes ont le mefme incarnat que celles du fiecle d'or , pourquoy les hommes feroient ils exceptez de cette regle genera le. Ainfi quand nous faisons la com paraifon des Anciens & des Moder nes , ce n'eft point fur l'excellence de leurs talens purement naturels , qui ont efté les mefmes & de la mefme force dans les excellens hommes de tous les temps , mais feulement fur la beauté de leurs ou vrages &fur la connoiffance qu'ils 90 Paralelle ont eue des Arts & des Sciences, ou il fe trouve , felon les differens fie cles, beaucoup de difference & d'in égalité. Car comme les Sciences & les Arts ne font autre chofe qu'un amas de reflexions , de regles & de preceptes , l'Auteur du Poëme ſouf tient avec raifon , & je le fouftiens fortement avec luy , que cet amas , qui s'augmente neceffairement de jour enjour , eft plus grand plus on avance dans les temps ; fur tout lorfque le Ciel donne à la Terre quelque grand Monarque qui les aime , qui les protege & qui les fa voriſe. LE PRESIDENT. Cela eft le mieux du monde , ce pendant voftre homme, du Poëme de LOUIS LE GRAND a trouvé à qui parler , & on luy a donné ſon fait en deux paroles. L'ABBE. Vous avez raiſon de dire qu'on J2n3 འ des Anciens&desModernes. 91 8 luy a donné fon fait en deux paro les , car on a dit feulement que luy & fes femblables eftoient gens fans gouft &fans autorité. Cela eft bien fuccint , & ne refpond gueres à ce quel'on faifoit efperer au public. De ces deux paroles il y en a une qui ne dit rien , ou du moins qui n'eft autre chofe que l'énonciation du fait dont il s'agit ; car la queftion eft de fça voir fi ceux qui eftiment beaucoup les Modernes & qui n'adorent pas les Anciens , ont du gouft ou s'ils n'en ont pas , là-deffus , on fe con. tente de dire que ce font des gens fans gouft , c'eft redire la propofi tion & non pas la prouver. LE CHEVALIER. C'eſt la prouver , mais à la ma niere de celuy qui prouvoit qu'une Comedie eftoit deteftable , parce qu'elle eftoit deteſtable. L'ABBE'. C'eft le mefme raiſonnement & 92 Paralelle J la mefme Logique. Pour l'autre pa role que ce font gens fans autorité on ne voit pas bien ce que cela fi gnifie , apparemment on a voulu di re que ce ne font pas des perfonnes d'affez grands poids parmyles gens de lettres , ou qui ayent compofé des ouvrages affez confiderables pour en eftre crûs fur leur parole. Mais d'où vient- on pour s'imaginer qu'un homme quel qu'il foit doive aujourd'huy en eftre crû ſur fa parole. Il y a long-temps qu'on ne fe paye plus de cette forte d'au torité , & que la raiſon , eft la feule monnoyequi ait cours dans le com merce des Arts & des Sciences. L'au torité n'a de force prefentement & n'en doit avoir que dans la Theolo. gie & laJurifprudence. Quand Dieu parle dans les faintes Ecritures , ou par la bouche de fon Eglife , il faut baiffer la tefte. & fe foumettre. Quand le Prince donne fes loix il faut obeïr & reverer l'autorité dont elles partent , comme une portion + JTWBA" 01Hille164A. des Anciens& des Modernes, 93 S PC , 12 de celle de Dieu mefme. Par tout ailleurs la Raiſon peut agir en fou. veraine & ufer de fes droits. Quoy donc , il nous fera deffendu de por ter noftre jugement fur les Ouvra ges d'Homere & de Virgile , de De mofthene & de Ciceron , & d'enju ger comme il nous plaira ; parce que d'autres avant nous en ont ju gé à leur fantaiſie ? Rien au monde n'eſt plus déraisonnable. LE PRESIDENT. Rien au monde n'eſt plus raiſon? nable , que de s'en tenir aux cho fes jugées. Toute l'Antiquité a con facré des livres par fon approbation , il ne nous reste qu'à nous rendre affez habiles , pour voir les beautez admirables dont ils font remplis & qui leur ont merité les fuffrages de tous les fiecles. L'ABBE'. Et moy je fuis perfuadé que la liberté louable qu'on fe donne 94 Paralelle aujourd'huy de raifonner fur tout ce qui eft du reffort de la Raiſon , eſt une des chofes dont il y a plus de fujet de feliciter noftrefiecle. Autre. fois il fuffifoit de citer Ariftote pour fermer la bouche à quiconque au roit ofé fouftenir une propofition contraire aux fentimens de ce Phi. lofophe. Prefentement on écoute ce Philofophe comme une autre ha bile homme , & fa voix n'a de credit qu'autant qu'il y a de raifon dans ce qu'il avance. On croyoit encore autrefois que pour bien fçavoir la Phyfique il n'eftoit point neceffai re d'eftudier la Nature ny fa ma niere d'operer , que les experien ces eftoient chofes frivoles , & qu'il fuffifoit de bien entendre Ariftote & fes Interpretes ; que la Medecine ne s'apprenoit point à voir des ma lades , à faire des diffections, à exa miner les caufes & les effets des maladies , ny les vertus & les pro prietez des remedes, maisfeulement à lire &à bien apprendre par cœur des Anciens & des Modernes. 25 les plus beaux endroits d'Hippocra te & de Galien , que pour eſtre habile Aftronome , c'eftoit affez de fçavoir bienfon Ptolomée, fans qu'il fuft befoin d'obſerver les Aftres , en un mot que ce n'eftoit point les Sciences qu'il falloit eſtudier en el les- mefmes , mais feulement les Au teurs qui en avoient écrit, Je n'au rois pas de peine à vous citer plu fieurs grands perfonnages du temps paflé qui ont affeuré formellement , qu'il eftoit inutile de confulter la Nature , foit pour la Phyfique , foir pour la Medecine , qu'elle avoit re velé tous fes fecrets au fçavant Arif tote &au divin Hippocrate , & que toute noftre eftude fe devoit renfer mer à puiſer dans les écrits de ces grands Hommes les veritez que nous cherchons. Ils croyoient que le temps de trouver , d'imaginer & de penfer quelque chofe de nou yeau ou d'une maniere qui fuft nouvelle , eftoit paffé , que c'avoit efté un privilege accordéfeulement " ? 96 Paralelle 1 of àces grands Genies, & qu'il ne nous reftoit plus pour noftre partage, que la gloire de penetrer dans leurs penfées & de nous enrichir des pre cieux trefors dont la Nature leur avoit efté fi liberale . Mais les chofes ont bien changé de face. L'orgueil leux defir de paroiftre Sçavant par des citations , a fait place au defir fage de l'eftre eneffet par la connoif fance immediate des ouvrages de la Nature. On a eftudié la Nature mefe a me pour la connoiftre , & comme fi elle euft efté bien aiſe qu'on fuſt re venu à elle aprés l'avoir quittée & arenegligée fi longtemps pour écouter ceux qui en parloient fans l'avoir bien connue , il n'eſt pas croyable quel plaifir elle a pris à fe commu niquer à ceux qui l'ont recherchée & qui luy ont donné tous leurs foins , elle leur a ouvert mille tre fors & revelé un nombre infini de myfteres qu'elle avoit tenus cachez aux plus fages des Anciens. Il ne faut que lire les Journaux de France - & $5.00Dentthes20re des Anciens & des Modernes. 97 QU OW! fur & d'Angleterre les beaux ouvrages & jetterdeslesAcadé yeux mies de ces deux grands Royaumes pour eftre convaincu que depuis vingt ou trente ans , il s'eft fait plus de découvertes dans la fcience des chofes naturelles , que dans toute l'eftenduë de la fçavante Antiquité. Je ne fuis pas furpris que de vieilles gens hors d'âge à recevoir de nou de velles idées , perfiftent dans leurs anciennes preventions , & aiment mieux s'en tenir à ce qu'ils ont lû dans Ariftote , qu'à ce qu'on veut leur faire comprendrefur leurs vieux jours. Je ne m'eftonne pas non plus que la plufpart des Maiſtres és Arts tiennent de toute leur force pour les Anciens qui les font vivre. Mais jene puis comprendre comment des hommes qui ne font point encore dans un âge trop avancé , & à qui il ne revient rien de cette preven tion ne veüillent ouvrir les yeux fur des veritez inconteſtables ; que les uns nient encore la circulation pas E Bo me me Itre 28 ute avo נר che Cur trol 1 he 10 nce 98 Paralelle du fang dans les Animaux & celle de la féve dans les Plantes ; que les autres fe rangent encore du cofté de Ptolomée contre Galilée & Co. pernic; & tout cela de peur d'avouer qu'on en fçait plus que n'en fça voient les Anciens. N'eft - ce pas preferer les veftemens tout uſez de fes ancestres à des habits tout neufs beaucoup mieux faits & mille fois plus magnifiques , ou fi vous me per mettez de le prendre d'un ton plus haut , aimer mieux regretter les oignons d'Egypte , que de fe nour rir de la Manne nouvellement tom bée du Ciel . Pour moy , je vous avoue que je m'eftime heureux de connoiftre le bonheur dont nous joüiffons , & que je me fais un tres grand plaifir de jetter les yeux tous les fiecles précedens , oùje voy la naiffance & le progrés de toutes chofes , mais où je ne voy rien qui n'ait reçû un nouvel accroiffement & un nouveau luftre dans le temps où nous ſommes. Je me réjouis de fur volutlorte auEtcomeprole coupimpercencore-fembLETous youre caldalt qutreseantcoSy AnciSuns des Anciens & des Modernes. 99 DOW HOL FOL Ꭿ . 100 tres 74 De S voir noftre fiecle parvenu en quel que forte au fommet de la perfec tion. Et comme depuis quelques an nées le progrez marche d'un pas beaucoup plus lent , & paroiſt preſ que imperceptible , de meſme que les jours femblent ne croiſtre plus lors qu'ils approchent du Solſtice ; j'ay encore la joye de penfer que vray -femblablement nous n'avons pas beaucoup de chofes à envier à ceux qui viendront aprés nous. LE PRESIDENT. Vousvous trompez beaucoup dans voftre calcul , fi vous croyez qu'il n'y ait que les vieilles gens & les Maiftres és Arts qui foient d'un fen timent contraire au voftre. L'ABBE': Je fçay qu'il y a encore une infi nité de gens qui fe déclarent pour les Anciens contre les Modernes. Les uns fuivent en cela l'impreffion E i 7028 78 NAFA Pri AQA 151 1P P 100 Paralelle ages" qu'ils ont reçuë de leurs Regens & demeurent Ecoliers jufqu'à la mort fans s'en appercevoir. Les autres confervent un amour pour les Au teurs qu'ils ont lûs eftant jeunes comme pour les lieux où ils ont depaffé les premieres années de leur vie ; parce que ces lieux & ces Au teurs leur remettent dans l'efprit les fonidées agréables de leur jeuneffe ; Quelques uns ayant ouy dire qu'on aime les Ouvrages des Anciens à proportion de l'efprit & du goufſt que l'on a , fe tuent de dire qu'ils font charmez de leurs Ouvrages. Plufieurs tafchent de mettre par là à plus haut prix l'avantage qu'ils pretendent avoir d'entendre partal qute,eMafiemreteTousaeqoù tement > ces excellens Auteurs ils s'imaginent puifer les bonnes chofes dans leur vraye fource , & les voir dans le centre de la lumie. re pendant que le refte des hommes eft dans la fange & dans l'obfcurité, – AreD'autres enfin plus politiques en core ayant confideré qu'il eft ne dogneSelti des Anciens & des Modernes. TOI ceffaire de louer quelque chofe en ce monde , pour n'eftre pas accufez de n'eftimer qu'eux mefines & leurs ouvrages , donnent toute forte de loüanges aux Anciens pour fe dif penfer d'en donner aux Modernes. LE CHEVALIER. La raison en eft toute prefte , Enmerite , en efprit , en bonnes qualitez ; Onfouffre mieux cent morts an deffus de tefte , Qu'unfeul vivant àfes costez. L'ABB E'. Vous avez mis le doigt deffus , & c'est ce qui m'irrite , car je ne doute point que beaucoup de ceux qui tef moignent eftimer tant les Anciens ne s'eftiment encore plus eux-mef mes. LE CHEVALIER. Il n'eſt rien de plus vray & je me fuis donné le plaifir plus d'une fois de m'en affeurer par moy- mefme, E iij 102 Paralelle Vos Comedies , difois - je , à l'un , vallent mieux que toutes celles de l'Antiquité. Vos Epigrammes , di fois-je , à l'autre me femblent plus vives & plus piquantes que celles de Martial & de Catule. Qu'on nous vante tant que l'on voudra , difois je encoreà un autre , Juvenal & Ho race , ce que vous compofez a un fel , une force & un agrément qu'on netrouve point dans leurs ouvrages. Vousvous mocquez , me repondoit on. Je ne me mocque point , repli quois- je , il y a dans vos écrits une facilité , une correction & une juf teffe que les Anciens n'ont jamais attrapées. Je vous avouë , me difoit on, que j'y ay pris de la peine & que cela m'a coufté. Là-deffus je pouf. fois ma pointe & à la troifiéme batterie de mes loüanges on ne manquoit point de fe rendre & de m'en donner plus que je n'en de mandois. > ¿ des Anciens & des Modernes. 103 LE PRESIDENT. Avoſtre compte , ce fera defor mais une honte à un galant homme d'avoir quelque eftime pour les Anciens. L'ABB E'. } 1 Je ne dis pas cela , j'eftime autant que perfonne les Anciens & leurs Ouvrages ; mais je ne les adore pas , & je ne fuis point perfuadé qu'on ne faffe plus rien qui en approche. Le mépris qu'on auroit pour leurs ouvrages feroit injufte , il y en a de tres-excellens & qu'on ne peut pas ne point admirer fans eftre ftupide ou infenfible. Ce mépris feroit enco re d'une confequence tres perilleuſe pour laJeuneffe à qui on ne sçauroit imprimer trop de refpect pour les Auteurs qu'on leur enfeigne , mais je voudrois qu'on gardaſt quelque moderation dans les éloges qu'on leur donne , & qu'on euft un peu moins de mépris pour les Modernes. ፡ E iiij 104 Paralelle Al'égard des jeunes gens qui eftus dient , je fouhaiterois qu'aprés les avoir eflevez jufqu'aux dernieres Claffes , dans une profonde vene ration pour les Anciens , on com mençaft lorfque leur jugement fe roit formé , à leur en faire voir & lé fort & le foible , & qu'on leur infinuaſt qu'il n'eft pas impoffible , non feulement de les égaler , mais d'aller quelquefois au delà en évi tant les mauvais pas où ils font tom bez , car s'il eft dangereux de don ner de la prefomption aux jeunes gens , il eft plus dangereux encore de leur abbatre le courage , en leur difant qu'ils n'approcheront jamais des Anciens , & que ce qu'ils feront de plus beau fera tousjours au def fous de ce qu'il y a de plus mediocre dans les ouvrages de ces grandshom mes. Quoy qu'il en foit,je croy avoir fait voir que cettegrande preference qu'on donne aux Anciens fur les Modernes , n'eft autre chofe que l'effet d'une aveugle & injufte pré · des Anciens & des Modernes. 105 Dit ce es3210 vention ; nous defcendrons quand vous voudrez dans le détail , & j'ef pere faire voir qu'il n'y a aucun Art nyaucune Science où mefme les An ciens ayent excellé , que les Moder nes n'ayent portez à un plus haut point de perfection. C'eſt un pro blefme que je m'offre de fouftenir quand il vous plaira. LE PRESIDENT. J'accepte cette offre tres-volon tiers , quoy que je fois convaincu du contraire , car l'examen de ce pro blefme ne peut eſtre que tres.diver tiffant & tres- utile ; ainfi quand.... LE CHEVALIER. Nous voicy dans la grande ave nuë de Verſailles. Il faut avouer que l'abord de ce Chasteau eft agreable, &quel'or de ces combles qui brille de tous coftez a quelque chofe de bien riant, E v 106 Paralelle L'ABB E'. Quelque agreable que foit cette façade que nous voyons , celle qui regarde les jardins eft d'une beauté toute autrement noble & magni fique. 2 LE PRESIDENT. Cela eft dans les regles de toute bonne compofition , où il faut que les chofes aillent tousjours en aug mentant & en encheriffant les unes fur les autres. L'ABBE'. Verſailles eft fort regulier en ce point , non feulement les baſtimens fe furpaffent en beauté à meſure qu'on les découvre , mais ces mef mes baſtimens , quelques beaux & fuperbes qu'ils foient , le cedent en fuite aux merveilles incroyables des jardins , à qui rien n'eft comparable dans le reste du monde. nellmateur des Anciens & des Modernes. 107 HEP2 Cl J نهه en es LE CHEVALIER. Cela eft tres-vray , mais je ferois d'avis de nous munir de quelque ra fraifchiffement avant que de nous embarquer dans noftre longue & laborieufe entrepriſe. Je croy que l'avis n'eft pas à méprifer , & que l'amateur zélé des Anciens n'en de meurera pas moins d'accord que le jufte deffenfeur des Modernes. E vj 108 Paralelle EPIGRAMME DE MARTIAL, dont la Traduction eſt au com mencement du precedent Dia logue. Effe quid hoc dicam , vivis quod fama ne gatur , Etfua, quod rarus tempora Lector amat ? Hifuntinvidia nimirum , Regule , mores , Semper ut Antiquos præferat illa Novis. Sic veterem , ingrati Pompeii quærimus um bram , Sic laudant, Catuli vilia templa , fenes. Ennius eft lectus falvo tibi , Roma , Marone, Etfua riferuntfæcula Moonidem. Raracoronato plaufere Theatra Menandro è Norat Nafonemfola Corinna fuum. Vostamen, ô noftri nefeftinate libelli , Sipoftfata venit gloria , non propero. Mart.Epigram. X. lib.v. ad Regulum, PARALELLE Fog DES ANCIENS ET DES MODERNES EN CE QUI REGARDE L'ARCHITECTURE , LA SCULPTURE, ET LA PEINTURE. SECOND DIALOGUE. L'ABBE'. "Avouë que je ne comprens point comment des gens d'efprit fe donnent tant de peine pour fçavoir exactement de quelle maniere le Palais d'Auguſte eltoit conftruit , en quoy confiftoit la beautédes jardins de Lucullus , & quelle eftoit la magnificence de ceux de Semiramis ; & que ces mefmes gens d'efprit n'ayent prefque pas de curiofité pour Verfailles. 110 Paralelle LE PRESIDENT EN. Je voy bien que ce reproche tom be fur moy. Mais les affaires que j'ay trouvées en arrivant de la Pro vince m'ont empeſché d'avoir pluf toft le plaifir que je me donne au jourd'huy. L'ABBE'. Point du tout. Verſailles n'eft ny ancien ny efloigné , pourquoy fe preffer de le voir ? Puifque vous eftes donc un Eftranger en ce païs-cy & qu'il y a vingt- deux ans quevous n'y eftes venu , je vais faire le meftier du Concierge & vous dire le nom & P'ufage de chaque piece que nous verrons. Cette premiere Cour eft fort vafte , comme vous voyez , ce pendant tous les baſtimens qui font aux deux coſtez , ne font que pour les quatre Secretaires d'Etat. La feconde Cour où nous allons entrer , & que fepare cette grille dorée , dont le deffein & l'execution meri des Anciens & des Modernes. Ili tent qu'on la regarde n'eſt pas fi grande , mais ces deux Portiques de colonnes Doriques , l'Architecture du mefme ordre qui regne par tout, & la richeffe des toits dorez la ren dent beaucoup plus belle. Là font les Officiers principaux que leurs charges & la nature de leurs em plois obligent d'eftre plus proches de la perfonne du Roy. Cette troi fiéme Cour où l'on monte par qua tre ou cinq marches , & qui eft tou te pavée de marbre, eft encore, com mevous voyez, moins grande & plus magnifique que les deux autres , les baftimens qui l'environnent ornez d'Architecture & de Buftes antiques, comprennent une partie du petir appartement du Roy paffe à ces grands & fuperbes ap partemens dont vous avez tant oüy parler dans le monde. d'où l'on T LE CHEVALIER. Puifqu'il nous eft permis de com mencer par où nous voudrons , 112 Paralelle commençons , je vous prie , par le grand efcalier , auffi bien eft - ce par là qu'on fait entrer les Etran gers un peu confiderables qui vien nent la premiere fois à Verſailles. Cet Escalier eft fingulier en fon efpece. LE PRESIDENT. Vous avez raiſon , cecy eft tres. magnifique. L'ABBE. La richeffe des marbres & l'é. clat de cette balustrade de bronze dorée qui vous furprend , ne font rien en comparaifon de la Peinture du plafond. LE PRESIDENT. Ce plafond frappe agreablement la veuë & me fait fouvenir de ces beaux morceaux de Frefque que j'ay vus en Italie. des Anciens & des Modernes. 113 L'A BB E'. Je fuis feur que vous n'avez rien vû de plus beau en ce genre -là. Vous voyez bien que ce font les neuf Mules diverſement occupées à confacrer à l'Immortalité le nom du Monarque qu'elles aiment & qui fait deformais Funique objet de leur ad miration. LE CHEVALIER. J'aime à voir dans ces Galleries , où l'oeil eft trompé, tant la Perfpec tive y eft bien obfervée , les diver fes Nations des quatre parties du Monde qui viennent contempler les merveilles de ce Palais,& fur tout y admirer la puiffance & la grandeur du Maiſtre. La fierté de cet Efpagnol un peu mortifiée de ce qu'il voit mefait plaifir , je n'aime pas moins la furpriſe du Hollandois , mais les lunettes de ce Monfeignor eftonné de voir quelles gens nous fommes prefentement dans tous les Arts me réjouiffent extremement. 114 Paralelle EL'ABB E'. Entrons dans la premiere piece du grand appartement , & avant que de l'examiner , avançons un peu pour voir l'enfilade. 41 0יT oresCon&fVaInfensLE PRESIDENT. entiCecy eft grand , & furpaffe ce que usje m'en eftois imaginé. Quelle pro fufion de marbres , que ces plan chers , ces lambris & ces revefte. roumens de croifées font magnifiques. manרוופח L'ABB E'. 15HIl faut remarquer que les marbres pde toutes les pieces de cet apparte ment font differens les uns des au tres , & vont tousjours en augmen tant de prix & de beauté. Ceux de la piece où nous fommes & des deux qui fuivent , font marbres tirez du Bourbonnois & du Brabant ; enfuite font les marbres du Langue doc & des Pyrenées , puis ceux d'I talie , & enfin ceux d'Egypte qui DOHale des Anciens & des Modernes. 115 COM ret Je devroient moins eftre appellez des marbres que des Agates. Vous re gardez cette figure avec grande at tention , il eft vray qu'elle eft anti que & fort belle , c'eft Cincinnatus qu'on va prendre à la charuë , pour commander l'armée Romaine. Je confens que vous l'admiriez , mais je vous demande en grace que le plaifir de la voir ne vous dégoufte pas entierement du Moderne , & que vous daignez jetter les yeux fur les peintures de ce plafond. LE PRESIDENT. > Ces peintures font jolies. Cette Venus au milieu des trois Graces n'eſt pas mal deffignée. Les Heros & les Heroïnes de ces quatre coins qui liez de chaifnes de fleurs , re gardent la Deeffe avec reſpect & en pofture fuppliante , font affez bien leur effet , & il y a quelque en tente dans la compofition de ce plafond. 116 Paralelle L'ABB E'. Encore eft- ce beaucoup que vous ne le trouviez pas deteftable. L'ap partement où nous fommes & celuy qu'occupe Madame la Dauphine , eftoient originairement de fept pie ces chacun , mais l'admirable Gal lerie que nous allons voir en a em porté quelques -unes. Le nombre de fept donna la penſée de confacrer chacune de ces pieces à une des fept Planettes. La Salle des Gardes fut deſtinée à Mars , l'Antichambre à Mercure , la Chambre au Soleil , le Cabinet à Saturne , & ainfi des autres. Le Dieu de la Planette eft repreſenté au milieu du plafond dans un char tiré par les animaux qui luy conviennent , & eft environ né des attributs , des influences & des genies qui luy font propres. Dans les tableaux des quatre faces des coftez font reprefentées les actions des plus grands hommes de l'Antiquité qui ont du rapport à la > "."1" des Anciens & des Modernes. 117 Planette qu'ils accompagnent , & qui font auffi tellement femblables à celles de Sa Majeſté , que l'on voit en quelque forte toute l'hiftoire de fon regne , fans que fa Perfonne y foit reprefentée. y LE PRESIDENT. Je voy ce que vous dites. Voila Augufte qui reçoit cette celebre Ambaffade des Indiens , où on luy prefenta des animanx qu'on n'avoit point encore vûs à Rome. Je voy là deffous les celebres Ambaffades que le Roy a reçues des Regions les plus efloignées. Ptolomée que voila au milieu des Sçavans , & Alexandre qui ordonne icy à Ariftote d'écrire l'hiſtoire naturelle , font penfer aux graces que Sa Majeſté répand fur les gens de lettres , & à tout ce qu'elle a fait pour l'avancement des Sciences. L'AB BE'. Vous avez pû voir dans la Salle 118 Paralelle des Gardes , où nous venons de paf fer , des Heros qui deffont leurs en nemis,d'autres qui prennent des Vil les, & d'autres qui reviennent triom phans. Il eſt encore plus aifé d'en faire l'application. LE CHEVALIER. Voicy des Vafes d'orfevrerie qui meritent affurément d'eftre regar dez , & qui le meritent encore plus la beauté de l'ouvrage que par par la richeffe de la matiere. LE PRESIDENT.

  • Calatum divini Alcimedontis.

opus LE CHEVALIER. Point du tout , ces vafes font d'un maiſtre Orfévre à Paris , & à Dieu ne plaife qu'on aille comparer les ouvrages du fieur Baflin avec ceux du divin Alcimedon.

  • Ouvrage cifelé du divin Alcimedon. Virgil,

Eclog. 3. +4 des Anciens & des Modernes. 119. er LE PRESIDENT. Je n'ay pas crû leur faire tort. Mais voila un beau Paul Veroneſe , ce font les Pelerins d'Emaüs. L'ABBE'. Ce tableau eft tres- beau & d'une grande reputation ; mais je vous prie de ne regarder pas moins celuy qui luy eft oppofé en fymmetrie , c'eſt la famille de Darius de Monfieur le Brun , car nous aurons à parler de ces deux Tableaux. LE PRESIDENT. Je les connois tous deux , nous n'avons qu'à pourfuivre. Voila le faint Michel & la fainte famille qu'en dites- vous ? L'ABBE'. Ce font deux pieces incompara bles , & toute l'Italie n'a prefque rien qu'elle leur puiffe oppofer. > 120 Paralelle LE PRESIDENT. Voicy un beau Sallon & un beau point de vûë ! D'un cofté le fuperbe appartement que nous venons de traverfer , de l'autre une gallerie qui me femble enchantée & des deux autres coftez une vûë admi rable , & qui donne fur les plus beauxjardins du monde. 2 L'ABB E'. Ce Sallon-cy eft le Sallon de la Guerre , celuy que nous trouverons à l'autre bout de la gallerie eft le Sallon de la Paix. Confiderez bien je vousprie , le mouvement , le trou ble & l'agitation qui fe trouvent dans toutes les figures de ce Tableau, afin que vous ayez plus de plaifir à contempler le repos , la douceur , & la tranquillité des perfonnages de celuy de la Paix. Entrons dans la Gallerie & appliquons- nous à y dé couvrir les principales actions de LOUIS LE GRAND à demi cachées , fous fait des Anciens& des Modernes. 121 fous le voile agreable d'une inge-' nieuſe allegorie. LE CHEVALIER. Il ya prés d'une heure entiere que nous fommes à regarder les diffe." rentes beautez de cette gallerie , & je fuis feur qu'il nous en eft échappé plus de la moitié , ces beautez font inépuifables , & on ne peut les voir toutes dés la premiere fois . Pafſons dans le grand appartement de Ma dame la Dauphine. L'ABBE'. Cet appartement eft compofé des mefmes pieces que celuy du Roy, toute la difference qu'on y peut re marquer , c'eft que dans l'un on a reprefenté les hauts faits des Heros , & dans l'autre , les belles actions des Heroïnes. 1 LE PRESIDENT. Je voy que ces Heroïnes font auffi rangées fous les Planettes qui prefi Tome I. F 122 Paralelle dent aux qualitez & aux actions qui les ont rendu celebres dans le mon de.Nous envenons de voir de Sages de Magnifiques & de Sçavantes; en voicy qui fe font fait admirer par la valeur. Ce deffein ne me déplaift pas. L'ABBE'. Tournons à droite. LE PRESIDENT. f Quelle prodigieufe fuite d'appar temens ! L'A BB E'. Je doute qu'on en ait jamais vû dẹ pareille. C'eft une des aifles du grand corps de logis que nous venons de voir , on acheve de baftir l'autre qui luy fait fymmetrię. 8100 " D LE CHEVALIER. Nous pourrions retourner fur nos pas avec plaifir dans toutes les pieces de ces appartemens ; mais il vaut 32 des Anciens& des Modernes. 123 mieux , pour voir tousjours chofes nouvelles , paffer par le grand cor ridor pavé de marbre qui leur fert de dégagement. 小 L'ABBE . Ce corridor nous menera au petit appartement du Roy. C'eſt là que yous aurez contentement , vous qui aimez les beaux Tableaux, vous n'en avez peut- eftrejamais tant vû , ny de fi beaux dans tous vos voyages. LE PRESIDENT. Vous me tenez parole , voicy affu rement un grand nombre d'origi naux excellens, & qui meritent tous d'eftre regardez avec grande atten tion. L'A BBE. Si vous voulez bien jètter les yeux fur le plafond de cette gallerie peut eſtre en ferez vous content. Fij 124 Paralelle LE PRESIDENT. Cette Peinture eft gracieuſe & fe deffend contre la foule de ces Ta bleaux admirables 2 qui femblent avoir entrepris de l'effacer. L'ABBE'. Defcendons dans les apparte mens bas. LE PRESIDENT. Voicy encore une étrange profu fion de marbres , il ne fe peut rien de mieux entendu pour un appar tement destiné à des bains. Cette cuve de jafpe a pour le moins dou ze pieds de diametre , & vingt per fonnes s'y pourroient baigner à la fois. 200Voly ol LABB E'. Sortons ,je vous prie , un moment fur le parterre pour vous faire voir la face des baſtimens de ce côté là . des Anciens & des Modernes. 125 T i LE PRESIDENT. Voila une grande étenduë de baſ timens ! L'ABBE'. Elle eft de deux cens toifes & da vantage. LE PRESIDENT. La Sculpture qui orne ces bafti mens meplaiſt auſſi beaucoup. L' A B B E'. > > Vous remarquez bien fans doute , qu'on a eu foin que toutes les figures , tous les bas reliefs , & tous les autres ornemens euffent rapport au Soleil qui fait le corps de la deviſe de ſa Majefté , jufques là que comme le cours du Soleil qui fait l'année , eft une image de la vie de l'homme on a obſervé que les mafques qui font dans les clefs des arcades , en reprefentaffent tous les âges. Le premier mafque eft d'un enfant de cinq ans ou environ , 3. Fiij 126 Paralelle le ſecond d'une fille de dix ans ; le troifiéme d'un garçon de quinze ; & ainfi des autres en avançant tous jours de cinq ans en cinq ans , hom me & femme alternativement juf qu'au dernier , qui eft un vieillard de cent ans accomplis. LE CHEVALIER. Je remarque fort bien tout cela , mais je remarque encore mieux que le Soleil eft fort ardent , & que nous ferions bien de rentrer dans ce beau cabinet des bains , pour y attendre commodement l'heure de la prome nade. • L'ABBE Entrons , nous ne fçaurions trou ver un réduit plus agréable. Et bien que vousfemble de tout cecy. LE PRESIDENT. 3 J'avoue, que les beaux morceaux d'Architecture , que nous venons de voir , font beaucoup d'honneur des Anciens & des Modernes. 127 à noftre fiecle , mais je foutiens qu'ils en font encore davantage aux fie cles anciens parce que s'ils ont quelque chofe de recommandable , ce n'eſt que pour avoir efté bien copiez fur les baftimens qui nous reftent de l'Antiquité , & que quel ques beaux qu'ils foient , ils le font encore moins que ces mefmes baſti. mens qui leur ont fervi de modelle. L'ABBE'.

C'eſt dequoy je ne demeure nul lement d'accord , je foutiens que le veritable merite de nos ouvrages d'Architecture ne leur vient point d'eſtre bien imitez fur l'Antique & je fouftiens encore que bien loin d'eftre inferieurs aux baftimens an. ciens , ils ont für eux toutes fortés d'avantages. > LE PRESIDENT. Cela fe peut- il dire , fans une ef froyable ingratitude envers les In venteurs de l'Architecture fi un VILLE DE LYON Biblioth. duPalais des Arts " F iiij 128 Paralelle baſtiment n'avoit ny colonnes , ny pilaftres , ny architraves , ny frifes, ny corniches ; & qu'il fuft tout uni, pourroit- on dire que ce fuft un beau morceau d'Architecture. L'ABBE. Non affurément. LE PRESIDENT. C'eſt donc à ceux qui ont inventé ces ornemens , qu'on eft redevable de la beauté des édifices. LA BB E. 4 Cela ne conclud pas. Si dans un difcours il n'y avoit ny metaphores, nyapoftrophes , ny hyperboles , ny aucune autre figure de Rhetorique , ce difcours ne pourroit pas eftre re gardé comme un ouvrage d'Ela quence , s'enfuit- il que ceux qui ont donné des regles pour faire ces figu res de Rhetorique , foient prefera bles aux grands Orateurs , qui s'en font fervis dans leurs Ouvrages. Car des Anciens & des Modernes. 129 ha - de mefme que les figures de Rheto rique fe prefentent à tout le mon de , & que c'eft un ouvrage égal à tous ceux qui veulent parler ; il en eſt de meſme des cinq Ordres d'Ar chitecture qui font également dans les mains de tous les Architectes. Et comme le merite des Orateurs n'eſt pas de fe fervir de figures , mais de s'en bien fervir : La loüange d'un Architecte n'eft pas auffi d'employer des colonnes , des pilaftres & des corniches , mais de les placer avec jugement " & d'en compofer de beaux Edifices. LE PRESIDENT. Off Il n'en eft pas des ornemens de l'Architecture comme des ornemens du difcours. Il eft naturel à l'homme de faire des figures de Rhetorique , les Iroquois en font , & plus abon damment que les meilleurs Orateurs de l'Europe. Mais ces mefmes Iro quois n'employent pas des colonnes , des architraves & des corniches dans leurs baftimens. Fv 130 Paralelle L'ABBE. Il eft vray qu'ils n'employent pas des colonnes & des corniches d'or dre Ionique ou Corinthien , dans leurs habitations , mais ils y em ployent des troncs d'arbres qui font les premieres colonnes dont les hommes fe font fervis , & ils don. nent à leurs toits une faillie au delà du mur qui forme une efpece de cor niche femblable à celle qui dans les premiers temps ont fervi de modelle à toutes les autres qu'on a depuis enjolivées. LE PRESIDENT. Ce que vous dites eft vray , tous les membres d'Architecture ont efté formez fur la reffemblance des pie ces de Charpenterie , dont les pre mieres maiſons ont efté conftruites. Les colonnes ont efté faites fur les troncs d'arbres qui ſouſtenoient les toirs , leur piedeftail fur le billot qu'on mettoit deffous , & leur cha des Anciens & des Modernes. 131 nt s piteau fur les feuillages dont ils or noient le haut de ces troncs d'ar bres. L'Architrave repreſente cette premiere poutre , qui pofoit fur les colonnes ruftiques dont je viens de parler. La Frife reprefente l'épaif uif feur des poutres , comme on le voit diſtinctement dans l'ordre Dorique, doù les triglyfes marquent l'extremité des poutres , & les metopes la diftan ce qu'il y a d'une poutre à l'autre. La Corniche reprefente l'épaiffeur du plancher , la faillie du toit & tou res les pieces qui la compofent , car il eft aifé de voir que les modil lons ne font autre chofé que les bouts des chevrons de la couver ture. Mais il y a la forme agreable & les juftes proportions qui ont efté données à tous ces ornemens d'Ar chitecture, dont on ne peut trop ad mirer la beauté , & pour lefquelles on ne peut auffi trop louer les grands hommes qui les ont inventées. 2 bat -nt s Ude deco odel tek spl Lite rle cle Sha کی anamlaya 8101 Ateers. F vj 132 Paralelle LABBE'. Ce n'a efté qu'avec bien dutemps & peu à peu , que ces Ornemens ont pris la forme que nous leur voyons. Ainfi on ne peut pas dire que cer tains hommes en particulier enfoient veritablement les premiers inven teurs. D'ailleurs fi la forme de ces ornemens nous femble belle , ce n'eſt que parce qu'il y a long temps qu'el le eft reçue , & il eft certain qu'elle pourroit eftre toute differente de ce qu'elle eft , & ne nous plaire pas moins , fi nos yeux y eftoient égale ment accouftumez. tot en t 241 LE PRESIDENT. Si la figure de ces ornemens eftoit purement arbitraire , ce que vous di tes pourroit eftre écouté , mais tou tes les proportions des baſtimens ayant efté prifes , comme le dit Vi truve , fur la proportion du corps humain , on ne peut pas dire que elles eftoient autres qu'elles ne font, elles plairoient également. f a. des Anciens &des Modernes. 133 L'ABBE. • Il eſt vray que * Vitruve dit quel. que part , que comme la Nature a eu ungrand foin de garder de juftes proportions pour la formation du corps de l'homme , il faut de mefme que l'Architecte s'eftudie beaucoup à bien proportionner toutes les par ties de fon baftiment , mais il ne dit point là qu'il en doive regler les proportions fur celles du corps de l'homme. C'eft prefque fur cette feule propofition mal entenduë que font fondez tous les myfteres des proportions des membres d'Archi tecture. Quoy qu'il en foit , je ne voy que la colonne qui puiffe avoir quelque rapport au corps humain , mais encore quel rapport ? La plus courte des colonnes , qui eft la Tof cane; afeptfois fa groffeur & davan tage , & l'homme leplus grand & le plus menu qu'il y ait , ne l'a pas qua tre fois.co COP Vir.. 3 d . 1, 3è nome) sanoo is 134 Paralelle LA PRESIDENT. Cela eft vray , mais comme le diametre ou lagroffeur de la colon ne fe prend au pied de la colonne , la groffeur ou le diametre de l'homme fe prend auffi en Architecture , furla mefure de fon pied. L'ABBE 7:2 Cela n'a aucune raifon , car bien loin que la longueur du pied d'un homme foit la mesure de fa grof ſeur , elle n'en est au plus que la moitié. LE PRESIDENT. Cependant , les colonnes Dori ques ont efté proportionnées fur la taille de l'homme , les Ioniques fur la taille des femmes, & les Corin thiennes fur celle des jeunes filles. De là vient mefme que les Temples des Dieux eftoient ordinairement d'Ordre Dorique , ceux des Deef fes commeJunon & Vefta ,× d'ordre 031 des Anciens &des Modernes. 135 Dik Cela eft tres-bien penſé , & a eſté dit en beau Grec & en beau Latin mais ce nefont que des reflexions de gens qui ont raifonné fur les orne mens de l'Architecture, aprés qu'ils ont eſté faits , mais ce n'eſt point ce qui en a determiné les mefures. Ce O n'a efté d'abord que le fimple fens commun, qui en faifant des colon nes a rejetté celles qui eftoient ex ceffivement longues ou exceffive ment courtes les unes,parce qu'el les n'avoient pas une force fuffifante pour le fardeau qu'on leur deftinoit , les autres , parce qu'elles avoient une abondance de matiere & un excez de force inutiles , & qu'elles occu poient trop de place. Mais comme entre ces deux extrémitez , ikỷ a un grand nombre de proportions dont le bon fens s'accommode éga or es of Ionique , & ceux des Deeffes vier ges , comme Minerve & Diane d'ordre Corinthien. - | L'ABBE . 136 Paralelle lement , & dont pas une ne bleffe les yeux , ce n'a efté autre choſe que le choix fortuit des premiers baftiffeurs qui a achevé de les de terminer l'accouftumance de les voir en de beaux Edifices , leur a donné enfuite cette grande beauté qu'on admire.

LE PRESIDENT. Nullement. Ce qui leur donne cette beauté parfaite , dont les yeux un peu inftruits dans l'Architecture font charmez , c'eft d'avoir attrapé uncertain point que la Nature leur a preferit , de mefme que nous voyons dans la Mufique qu'une octave ou une quinte frappe agreablement l'o reille , quand l'un ou l'autre de ces accords a rencontré la jufte diſtance des tons qui le compoſent. 1 L'ABBE'. La comparaifon des ornemens de l'Architecture , avec les accords de la Mufique n'eft nullement receva, des Anciens & des Modernes. 137 פיו . Cur 25 ble c'eft independamment de la convention des hommes & de l'ac couftumance de l'oreille , qu'une octave ou une quinte doivent eſtre précisément compofées d'une cer taine diſtance de tons , en forte que pour peu que cette diſtance foit trop grande ou trop petite , l'oreille en eft choquée en quelque pays du monde que ce foit , & dans quelque ignorance qu'on puiffe eftre de la Mufique. Il n'en eſt pas ainfi des or nemens d'Architecture, qui peuvent eſtre un peu plus grands ou un peu plus petits , les uns à l'égard des autres & plaire également , com me on le peut voir dans les ouvrages merveilleux des grands Architectes de l'Antiquité qui plaifent tous quoy que leurs proportions foient tres- differentes les unes des autres. On peut encore remarquer qu'en quelque mode qu'une piece de Mu fique foit compoſée , Lydien , Phry gien ou Dorien , l'octave , la quinte & les autres accords font tousjours › 138 Paralelle de la mefme étenduë. Il n'en eft pas ainfi des colonnes ; ny de tous les autres ornemens de l'Architec. ture , qui changent de proportion felon l'ordre où ils font employez ; car ils font plus delicats & plus fe veltes dans l'ordre Ionique que dans le Dorique , & plus encore dans le Corinthienque dans l'Ionique. Cer te diverfité de proportions affignée à chaque ordre marque bien qu'el les font arbitraires , & que leur beau té n'eft fondée que fur la convention des hommes & fur l'accouftumance. Pour mieux expliquer ma penfée je dis qu'il y a de deux fortes de beau tez dans les Edifices ; des beautez naturelles & pofitives qui plaifent tousjours , & indépendamment de l'ufage & de la mode ; de cette forte font , d'eftre fort élevez & d'une vafte étendue , d'eftre baftis de grandes pierres bien lices & bien unies , dont les joints foient prefque imperceptibles , que ce qui doit eftre perpendiculaire le foit parfaitement, des Anciens & des Modernes. 139 ta LIC tre ་ que ce qui doit eſtre horizontal le foit de mefme , que le fort porte le foible , que les figures carrées foient bien carrées , les rondes bien ron des , & que le tout foit taillé pro prement , avec des arreſtes bien vi ves & bien nettes. Ces fortes de beautez font de tous les goufts , de tous les pays & de tous les temps. 11 y a d'autres beautez qui ne ſont qu'arbitraires , qui plaifent parce que les yeux s'y font accouftumez , & qui n'ont d'autre avantage que d'avoir efté preferées à d'autres qui les valoient bien , & qui auroient plû également , fi on les euft choi fies. De cette efpece font les figures & les proportions qu'on a données aux colonnes ; aux architraves , fri fes , corniches & autres membres de l'Architecture. Les premieres de ces beautez font aimables par elles mefmes , les fecondes ne le font que par le choix qu'on en a fait , & pour avoir efté jointes à ces premieres , dont elles ont reçû, comme par une " 140 Paralelle heureuſe contagion un tel don de plaire , que non feulement elles plai fent en leur compagnie , mais lors mefme qu'elles en font feparées. LE CHEVALIER. Il en est donc de ces ornemens d'Architecture , comme de nos ha bits , dont toutes les formes & les figures font prefque également bel les en elles-mefmes ; mais qui ont un agrément extraordinaire , lorſ. qu'elles font à la mode , c'eſt à dire, lorfque les perfonnes de la Cour viennent à s'en fervir ; car alors la bonne mine , l'agrément &la beau té de ces perſonnes femblent pafler dans leurs habits , & de leurs habits dans tous ceux qui en portent de femblables. L'ABBE'. Juftement , rien ne peut mieux ex pliquer mapensée. ? des Anciens &des Modernes. 141 LE PRESIDENT. Si cela eftoit ainfi , comme les modes des habits changent de temps en temps , les ornemens d'Archi tecture devroient changer de meſ me; cependant depuis qu'ils ont eſté inventez par les Grecs , on ne voit pas qu'ils ayent changé de for me. Ils font tousjours en poffeffion de plaire , & bien loin que le temps ait diminué quelque chofe de leur beauté & de leur agrément , comme il arrive dans tout ce qui n'eſt beau que par la mode , on peut dire qu'il en a redoublé la grace & la beauté. L'ABBE, ? Cette difference vient de ce que les habits ne durent pas autant que les Edifices & particulierement ceux où l'Architecture employe fes ornemens les plus confiderables. Si les chapeaux, par exemple, duroient fept à huit cens ans , ils ne chan geroient pas plus fouvent de figure 8 $42 Paralelle 1 que les chapiteaux des colonnes. Ce qui fait que nous les voyons tan toft plats & tantoft pointus , c'eft qu'on en change trois ou quatre fois par an , & que pour & que pour faire voir qu'on ne porte pas tousjours le mef me , on luy donne une forme nou velle ; car delà vient la fubite revo lution des modes ; mais les bafti. mens tiennent ferme , & lorfqu'on en conſtruit de nouveaux , on les rend les plus femblables que l'on fpeut à ceux qu'on trouve faits & qui plaifent , afin qu'ils ayent le 30meſme don de plaire , & voila ce qui perpetuë la mode des ornemens dont ils font parez. Avec tout cela cette mode ne laiffe pas de changer avec le temps. Le chapiteau Corin. thien n'eftoit dans fon origine que d'un module, c'eft à- dire , qu'il n'ef toit pas plus haut que large. On y a ajouſté inſenſiblement jufqu'à un fixiéme de module , & cette forme plus égayée a tellement contenté les yeux , fuivant le privilege ordi www des Anciens & des Modernes. 143 naire des modes , qu'on ne peut plus fouffrir la forme plate & écrasée du vieux chapiteau Corinthien . Lamef mechofe eft arrivée au chapiteau Io nique qui a plû tres long- temps avec fes deux rouleaux en forme de baluf tres , mais qui n'oferoit plus paroiſtre avec cette coëffure antique , & qui eft obligé d'avoir prefentement fes quatre coftez femblables en quel quecompofition d'Architecture qu'il ait à fe trouver. Je pourrois vous faire voir que prefque tous les au, tres ornemens des Edifices ont eu le mefme fort , ce qui montre bien que leur beauté principale n'eft fon dée que fur l'ufage & fur l'accouf, OD tumance, ones OsCa Qua re len et ere Je arts ED oil Dem utC arg Con LE PRESIDENT. On! Il est pourtant fi vray qu'il y a une certaine proportion determinée dans tous ces ornemens qui en fait la fouveraine beauté , qui les Ar chitectes ne s'occupent nuit & jour qu'à la recherche de ces juftes & e q Or ten Orc 4 144 Paralelle précifes proportions ; & que quand ils font affez heureux pour les ren contrer leurs ouvrages donnent aux vrais connoiffeurs un plaifir & une fatisfaction inconcevable. L'ABBE'. ConnotticesforOn pretend qu'entre les colon nes qui font au Palais des Thuille ries , il y en a une qui a cette pro portion tant defirée , & qu'on va voir par admiration , commela feule où l'Architecte a rencontré le point infinimperceptible de la perfection. On dit mefme qu'il n'y a pas long- temps qu'un vieil Architecte s'y faifoit con duire tous les jours,& paffoit là deux heures entieres affis dans fa chaiſe à contempler ce chef- d'œuvre. rectilrellesemerbilep nefeles refeLivreS LE CHEVALIER left. Jene m'en eftonne pas , il fe repons foit dautant, & dans un lieu tres agreable. Il s'acqueroit d'ailleurs unegrande reputation àpeu de frais, car moins on voyoit ce qui pouvoir 4 le r diffuregrann'aat vaTon des Anciens& des Modernes. 145 ONES 2 L'A B BE'. Si ces fortes de proportions dans cell'Architecture avoient des beautez naturelles , on les connoiftroit na turellement , & il ne faudroit point d'eftude pour en juger. D'ailleurs , elles ne feroient pas differentes juſ qu'à l'infini comme elles le font dans les plus beaux Ouvrages qui nous reftent de l'antiquité & dans les Livres des plus excellens Archi-, > tectes. Cro ray le charmer dans cette colonne ; & plus onfuppofoit en luy une profon de connoiffance des mysteres de PArchitecture. JVG LE PRESIDENT. Il eft vray que les proportions font differentes & dans les Baftimens anciens & dans les Livres d'Archi tecture,mais c'eft en cela que paroiſt la grande fuffifance des Architectes. Cen'a pas efté à l'avanture qu'ils les ont variées , mais par des raifons & Tome I. G Q 146 Paralelle T: des regles d'optique qui les ont obli gez d'en ufer ainfi. Quand un Baſti mentfe conftruifoit au devant d'une grande place , & qu'il pouvoit par confequent eltre vû de fort loin , ils donnoient beaucoup de faillie à leurs Corniches, parce que l'efloignement les rapetiffoit à la veuë ; &lorfqu'un Edifice ne pouvoit eftre regardéque de prés , ils donnoient peu de faillie à ces mefmes Corniches , parce qu' eftant veuës en deffous , elles ne paroiffoient que trop faillantes pour peu qu'elles le fuffent. Ainfi bien loin que les Architectes, lorfqu'ils en ont ufé de la forte , fe foient depar tis des veritables proportions , ils n'ont au contraire fait autre chofe que de s'y conformer en reparant par leur induftrie ce qui fe perdoit par la differente fituation des lieux , en quoy on ne peut trop admirer & le foin qu'ils ont eu de conſerver à l'œil les veritables proportions , & l'adreffe finguliere dont ils ſe font fervis pour y parvenir. > 10010audY qbQBER colo33,8esBes onftvinme1mero3334ice des Anciens & des Modernes. 147 " L'ABBE'. olt 014, lles fine , Que direz-vous fi je vous prouve demonſtrativement que les anciens Architectes n'ont jamais eu la moin eldre de ces belles penfées que vous neme leur attribuez . Ils devroient ſuivant rique ces principes avoir donné plus de deg diminutions aux petites colonnes fail fa qu'aux grandes , parce que ces der ce q nieres fe diminuent davantage à le l'oeil par leur hauteur , cependant ples colonnes du Temple de Fauſti ne , celles des Thermes de Diocle tien , & celles du Temple de la Con de corde qui ont trente & quarante 5 , pieds de hauteur , font plus dimi nuées à proportion que celles des Arcs de Titus , de Septimius & de erd Conftantin , qui n'ont que quinze ou vingt pieds tout au plus. Suivant ces mefmes regles d'optique, les Sof erfites , ou pour parler plus intelligi blement , les deffous des Corniches fo devroient eftre relevez lorfque l'E difice ſe peut voir de loin , & ne l'ef tobil Ba d'u cho arag ieus ire 15, " Gij 148 Paralelle tre pas lorsqu'il ne fe peut voir que de fort prés ; neantmoins au Porti que du Pantheon, dont l'afpect peut eſtre affez efloigné , le deffous des Corniches n'eft point relevé , & il l'eſt dans le dedans du Temple , où l'aspect eſt neceffairement fort pro che. Les Anciens eftoient trop fages & trop habiles pour donner là- de dans , car fi la faillie exceffive d'une Corniche fait un bon effet quand le Baſtiment eſt veu de loin , elle doit faire un effet defagreable quand il eft veu de prés. Quel avantage y a- il à faire qu'un Edifice paroiffe beau quand on en eft efloigné, s'il paroift laid quand on en approche ? Il ne faut jamais fe mefler d'aider l'œil en pareilles rencontres , il eſt fi jufte & fi fin dans fes jugemens , il fçait fi precifement par une lon gue habitude ce qu'il doit ajouſter ou deduire à la grandeur d'un objet fuivant le lieu & la diſtance dont il le voit , que c'eft luy nuire au lieu de luy aider que de changer la 1 - des Anciens & des Modernes. 149 moindre choſe aux proportions foit dans les Ouvrages d'Architec ture , foit dans ceux de Sculpture. > ་ ༄་ ། LE CHEVALIER. し LE C Je ne comprens pas ce que vous dites. Quoy , vous voudriez par exemple que le Cheval qu'on a mis fur le haut de l'Arc de Triomphe , ne fuft pas plus grand qu'un Che val naturel & à l'ordinaire. L'ABBE'. Je n'ay garde de dire rien de fem blable , ce feroit manquer contre les regles de la proportion de ne pas mettre un fort grand Cheval fur un auffi grand piedeftail que l'eft l'Arc de Triomphe , quand je dis qu'il ne faut pas changer les proportions , je n'entends pas par ler de la proportion qu'un tout doit avoir avec un autre tout , un Che val avec fon piedeftail , une figure avec fa niche , une colonne avec les membres d'Architecture dont elle G iij 150 Paralelle eft couronnée , mais de la propor tion des parties d'un tout entr'el. les- mefmes , d'un bras avec un bras, ou d'unejambe avec unejambe dans la mefme figure. Je dis , par exem ple , qu'il ne faut pas faire un des bras plus long que l'autre , parce que ce bras eft tellement difpofé que l'on le voit en racourci , ou pour quelqu'autre raison que ce puiffe eftre. Il y a des Curieux fi enteftez de ces beaux fecrets d'op tique , & fi aiſes de les debiter , que je leur ay oüy fouftenir qu'une des jambes de la Venus , celle qui eft un peu pliée eftoit plus longue que tcelle qui eft droite & fur laquelle la figure ſe ſouſtient , parce , difent ils , qu'elle fuit à l'œil , & que Sculpteur judicieux luy a rendu ce qu'elle perd poureftre veuë de cette forte. Je les ay meſurées toutes deux fort exactement , & les ay trouvées telles qu'elles m'ont tousjours paru, je veux dire parfaitement égales & en longueur & en groffeur. Je t le A14 Con des Anciens &des Modernes. 15t et voy encore tous les jours d'autres Curieux qui affurent que les bas- re liefs du haut de la colonne Traja ne font plus grands que ceux du bas de la mefme colonne , parce que cela devroit eftre ainfi , fuivant les beaux preceptes qu'ils debitent ; cependant on peut voir au Palais Royal où font tous ces bas reliefs , qu'il n'y a aucune difference des uns aux autres pour la hauteur. L'œil n'a pas besoin d'eftre fecouru en pareilles rencontres ; de quelque loin qu'on voye un homme on juge de fa taille. Un Charpentier qui voit d'embas une poutre au faiſte d'un Baſtiment , dit fans fe trom per combien elle a de pouces en quarre , & un enfant mefme ne ſe trompe point à la groffeur d'une pomme ou d'une poire qu'il voit au haut d'un arbre. LE CHEVALIER. Je comprens prefentement ce que vous dites , je trouve comme vous G iiij 152 Paralelle que le fecours qu'on veut donner à l'œil quand il n'en a que faire , eft ce qui le fait tomber en erreur au lieu de l'en tirer. L'ABBE. Je pourrois confirmer cette ve rité par une infinité d'autres exem ples , mais j'aime mieux vous ren voyer à la Preface & au dernier Chapitre de l'Ordonnance des cinq efpeces de colonnes , qui trai te amplement de l'abus du chan gement des proportions , & qui répond parfaitement à l'Hiftoire des deux Minerves qu'on allegue ordinairement fur ce fujet , & que je voy que vous vous preparez de me dire. LE CHEVALIER. Quelle est l'Hiftoire des deux Minerves ? LE PRESIDENT. " Je vay vous la conter. Il y avoit

  • Liv, d' Architecture , ainfi intitulé.

It des Anciens & des Modernes. 153

à Athenes un Sculpteur nommé Al. camene fi eftimé pour fes Ouvra ges , que Phidias qui vivoit dans le mefme temps , penfa en mourir de jaloufie : Mais ce Sculpteur tout habile qu'il eftoit , ne fçavoit ny Geometrie ny Perſpective , fciences que Phidias poffedoit tres-parfaitę ment. Il arriva que les Atheniens eurent befoin de deux figures de Minerve qu'ils vouloient pofers fur deux colonnes extremement haute; ils en chargerent Phidias & Alca mene comme les deux plus habi les Sculpteurs de leur fiecle. Alca mene, fit une Minerve delicate & fevelte , avec un vifage doux & agreable , tel qu'une belle femme le doit avoir , & n'oublia rien pour bien terminer & bien polir fon Ou vrage. Phidias qui fçavoit que les objets elevez rappetiffent beaucoup à la veuë , ficune grande bouche & fort ouverte à fa figure & un nez fort gros & fort large , donnant à toutes les autres parties des propor Gy Paralelle 154 tions convenables par rapport à la hauteur de la colonne. Quand les deux figures furent apportées dans la place , Alcamene eut mille louan ges & Phidias penſa eſtre lapidé par les Atheniens pour avoir fait leur Deeffe fi laide & fi épouventable' ; mais quand les figures furent efle vées toutes deux fur leurs colonnes on ne connut plus rien à la figure d'Alcamene , & celle de Phidias parut d'une beauté incomparable, ainfi le Peuple changea bien de lan gage , il ne pouvoit trop loüer Phi dias , qui acquit dez ce jour- là une reputation immortelle , & il n'y eut point de railleries qu'on ne fit d'Al camene , qui fut regardé commeun homme qui ſe meſſoit d'un métier qu'il ne fçavoit pas. L'ABBE. Il peut y avoir quelque chofe de vray dans cette hiftoire , mais il eft impoffible que toutes les circonftan ces en foient veritables. * Thetzes

  • Thetzes 1. 8. bift. 192.

des Anciens & des Modernes. 155 qui la raporte en la maniere que vous venez de la conter , montre bien qu'il eſtoit un ignorant en per ſpective avec ce nez large qu'il fait donner à Minerve , car un nez peut bien paroiftre plus court eftant vâ de bas en haut & dans un lieu fort eſlevé , mais non pas en paroiſtre moins large. LE PRESIDENT. Pourquoy ne voulez - vous pas qu'il diminuë auſſi bien en largeur qu'en longueur. L'ABB E'. Je ne le veux pas , par des raifons qui feroient trop longues à dire , & dont ceux qui comme vous fçavent la perſpective , n'ont pas beſoin. Je Croy doncbien que Phidias qui eftoit fort habile ne fe donna pas la peine d'achever & de polir fa figure , par. ce que la grande diftance n'adoucit que trop les objets , mais il n'en changea point les proportions ; il G vj 156 Paralelle ne fit point la bouche de fa Miner ve plus grande ny plus ouverte que fi elle euſt dû eftre vûë de dix pas & il ne luy fit point le nez plus large qu'une belle Deeffe le doit avoir , car malgré l'efloignement & la bouche & le nez auroient paru avoir la proportion qu'il leur au roit donnée. Ceux qui ont écrit cette hiftoire ont cru faire merveil le d'exagerer la laideur de la Mi nerve vûë de prés , & la beauté de cette Minerve vûe de loin , pour faire valoir la grande habilité de Phidias. LE CHEVALIER. J'ay ouy conter de femblables hiftoires à des gens fort habiles en Architecture & en Sculpture , mais je m'en fuis tousjours défié , j'ay tousjours crû qu'ils ne rapportoient toutes ces merveilles que pour mon trer qu'ils avoient lû les bons Li vres , & pour faire honneur à leur Art , en étalant les profonds my des Anciens & des Modernes. 157 Ateres dont ils pretendent qu'il eft capable , mais je n'ay j'amais penfé qu'ils vouluffent imiter ces exem ples. L'ABBE. Cela eſt ainſi n'en doutez point , Girardon a fait la Minerve qui eft fur le fronton du Chafteau de Seaux, je l'ay vûë dans fon attelier , & je l'ay vûë en place , elle ne m'a point paru avoir la bouche plus ouverte ny le nez plus large dans l'attélier que fur le fronton. Comme cette figure eſt affiſe , il devoit ſuivant les principes qu'on attribue fauffement aux Anciens , allonger le corps de fa figure de la ceinture en haut parce que les genoux en cachent une partie plus ou moins felon qu'on s'approche ou qu'on fe recu le ; mais il s'eft bien donné de gar de de rien changer aux proportions. Il a pris un expedient tres- ingenieux & tres-fage. Au lieu de faire fa Mi nerve affife a l'ordinaire , il l'a te " 158 Paralelle nuë affife fort haute & à demy de bout , de forte que de quelque en droit qu'on la regarde on la voit tousjours prefque toute entiere. Un Sculpteur peut faire fa figure affife en la maniere qu'il luy plaift , mais non pas la rendre monftrueuſe & dif forme par des regles d'optique mal entenduës. Quoyqu'il en foit , je fuis perfuadé que les Anciens n'ont jamais penſé à la moitié des finef fes qu'on leur attribuë , & que le hazard a fait plus des trois quarts des beautez qu'on s'imagine voir dans leurs Ouvrages , ce n'a efté pour l'ordinaire que la fantaifie ou la negligence de l'Architecte qui ont caufé du changement dans les pro portions. Cependant ceux qui font venus long-temps depuis , ont trou vé du myftere à ces changemens , ils en ont marqué foigneufement tou tes les differences , & les ont fait apprendre par cœur à leurs difci ples. Il ne faut donc point que l'in vention des ornemens d'Architectu h14+14 des Anciens & des Modernes. 159 VO OB OL re tourne à fi grand honneur aux Anciens , puifque ces ornemens ſe font comme introduits d'eux-mef mes & infenfiblement ; que s'ils font beaux , d'autres l'auroient eſté éga lement , s'ils avoient eu le bonheur d'eftre choifis & employez dans des Ouvrages magnifiques, & fi le temps les avoit confacrez. Il ne faut pas non plus tenir beaucoup de compte à un Architecte de ce qu'il obferve bien les proportions que les Anciens nous ont laiffées,puifqu'il n'y a point de proportions fi bizarres , qu'on n'en trouve des exemples dans d'ex cellens Auteurs : D'ailleurs , les cinq ordres d'Architecture bien meſurez & bien deffignez font dans les mains de tout lemonde, & il eft moins diffi cile de les prendre dans les Livres où ils fontgravez , que les mots d'une langue dans un Dictionnaire, Mais le veritable merite d'un Architecte eft de fçavoir faire en obſervant les ordres d'Architecture, des baſtimens qui foient tout enſemble , folides 160 Paralelle commodes & magnifiques. C'eft de fçavoir donnerà la magnificence ce qu'elle demande , fans que la folidi té d'une part & la commodité de l'autre en fouffrent le moins du monde ; car ces trois chofes fe com battent prefque tousjours. C'eſt de fçavoir rendre les dehors auffi regu liers & auffi agreables que fi l'on n'avoit eu aucun égard à la diftri bution & à la commodité des de dans , & que les dedans foient auffi commodes & auffi bien diftribuez que fi l'on n'avoit pas fongé à la regularité des faces exterieures. LE CHEVALIER. C'est donc comme dans la Poë fie où les rimes & la meſure des Vers doivent eſtre gardées , comme fi le fens & la raifon ne contrai gnoient en rien , & où il faut que les chofes qu'on dit foient auffi ſen fées & auffi naturelles que s'il n'y avoit ny rime ny mefure à obſerver.

  • .

< V des Anciens & des Modernes. 161 L'ABB E': C'eſt la mefme chofe ; mais par ce qu'il ne nous refte aucun bafti ment antique qui ait fervi d'habita tion à quelque Prince , ou du moins qui foit affez entier pour juger de l'habileté des Architectes dans la di ftribution des appartemens, nous ne pouvons pas en faire la comparai. fon avec nos baftimens modernes. Cependant à voir le rafinement où on a porté cette partie de l'Archi tecture depuis le commencement de ce ficcle , & particulierement depuis vingt ou trente ans , on peut juger combien nous l'emportons de ce cofté-là fur les Anciens. Il y en a qui prétendent qu'Augufte mefme n'avoit pas de vitres aux feneftres de fon Palais. LE PRESIDENT. Voila une belle chofe à remar quer ; c'est comme qui diroit qu'Au gufte n'avoit pas de chemiſe. Cefont 16 2 Paralelle de petites commoditez dont ils man. quoient à la verité , mais qui ne font rien ny à la magnificence ny à la beauté d'un fiecle. LE CHEVALIER. C'eftoient là deplaifans Heros Den'avoirpas , mefme au mois de Decembre› Devitres dans leur chambre 3 Ny de chemifefur leur dos. LE PRESIDENT. Vous vous réjoüiffez , mais cela ne fait rien à noftre queſtion. L'ABB E'. Le manque de ces petites com moditez donne à juger qu'il leur en manquoit beaucoup d'autres ; mais revenons à la partie principa le de l'Architecture qui eft la deco ration des faces exterieures , je pre tens que nous l'emportons fur eux de ce cofté- là. Il ne faut qu'exami ner le Pantheon, le plus magnifique, & le plus regulier des anciens bafti mens & regardé comme tel par tous les Architectes , il n'y a peut " Pu des Anciens & des Modernes. 163 난 광산 eftre pas dans le portique de ce Temple deux colonnes d'une meſ me groffeur. LE PRESIDENT. Il eft vray que celles des enco gneures font plus groffes que les au tres , mais cela eft conforme aux bonnes regles de l'Architecture. L'ABBE'. Celle qui eft à droite en entrant , eſt comme vous le dites plus groffe que les autres , mais celle qui eft à la gauche & qui luy fait fymmetrie non feulement ne luy eft point pa reille , mais eft plus petite que celle qui eſt enſuite du mefme coſté. > LE PRESIDENT. Ignorez - vous que ces deux co lonnes ont efté changées de place ? L'ABBE. Je l'ay lû dans la nouvelle defcri ption qu'on nous a donnée des an 164 Paralelle

ciens baftimens de Rome , maisje ne l'ay jamais compris. On y lit que ces deux colonnes ayant efté tranf portées dans un autre endroit , le Pape Urbain VIII. ordonna qu'on les remift, & leur fiſt faire à chacune un chapiteau neuf; que l'Architecte les changea de place , ou par inad vertance ou par ignorance , & mit la moins groffe dans l'encogneure , & la plus groffe enfuite , tout à re bours de ce qu'il falloit faire . Il eſt vray que le Pape Urbain a donné des Chapiteaux neufs à ces deux colonnes en la place de ceux que le temps avoit ruinez , mais je ne croy rien de tout le refte : quelle apparen ce qu'on ait ofté deux colonnes d'un Portique & particulierement dans une encogneure , & qu'on ait pû en venir à bout fans que la partie de l'Edifice portée par ces colonnes ne foit tombée. Palladio & Serlio qui nous ont donné la defcription de ce Temple plus de quatre- vingt

  • Defgodets dans la defcription du Pantheon,

des Anciens & des Modernes. 165 ans avant le Pontificat du Pape Ur bain ne marquent point qu'il man quaft deux colonnes à ce Portique & c'est une circonftance trop me morable pour avoir eſté oubliée par de tels Architectes. L'hiftoire du tranfport de ces deux colonnes qu'on a imaginée à l'occafion des deux chapiteaux neufs , n'a eſté in ventée que pourne pas tomber dans Pinconvenient d'avouer que les An ciens ont fait des fautes. Quoy qu'il en foit , je vous accorde le miracle d'un gros entablement d'encogneu re qui fe fouftint en l'air pendant plufieurs années , car il faut fauver l'honneur des Anciens à quelque prix que ce foit ; mais vous trouve. rez que les autres colonnes de ce pi portique font prefque toutes d'une groffeur inégale. Les bandeaux de on la voute du Temple ne tombent point à plomb fur les colonnes du grand ordre ny fur les pilaftres de l'attique , & pofent la plufpart fur le vuide des efpeces de feneftres 122 pany Ser DOY 1. 166 Paralelle qui font au deffous , ou moitié fur le vuide & moitié fur le plein. Cet ordre attique a un ſoubaſſement & un couronnement d'une grandeur exorbitante , & eft coupé mal à pro pos par deux grandes arcades dont les bandeaux fouftiennent le mieux qu'ils peuvent les reftes inégaux de ces pilaftres cruellement eftropiez. Les naiffances de l'une de ces deux Arcades au lieu de tomber à plomb fur la grande corniche qui leur fert d'impoftes , font courbées , fuivant le trait du compas qui a formé l'Arcade , & viennent poſer à faux fur la faillie de la grande corniche. Les modillons de cette corniche ne font point à plomb fur le milieu des chapiteaux des colonnes ; & dans le fronton du Portique il y a un modil lon de plus à un cofté qu'à l'autre ; car on en compte vingt-trois au cof té droit , & vingt- quatre au cofté gauche ; je ne croy pas qu'il y ait exemple d'une pareille negligence. des Anciens & des Modernes. 167 LE PRESIDENT. Ce font bagatelles que vous re marquez.là. Il faudroit mieux ob ferver que l'Architecte judicieux & fçavant dans les Mathematiques , a eu foin de donner à l'épaiffeur des murs de ce Temple la feptiéme par. tie de fon diamettre. L'ABB E'. Vous vous mocquez , cela fait-il quelque chofe à la beauté de ce Temple cette proportion ne peut regarder que la folidité qui auroit eſté encore plus grande fi l'Archi tecte luy euft donné quelque cho fe de plus que la feptiéme partie , & qui auroit fuffi s'il leur euſt donné quelque chofe de moins. Mais à propos d'épaiffeur , avez - vous re marqué l'épaiffeur horrible que les Anciens donnoient à leurs planchers qui eftoit le double de celle des murs , au lieu que nos planchers n'en ont ordinairement que la moitié ; 168 Paralelle ainfi leurs planchers eftoient quatre fois plus épais que les noftres ; c'ef toit un fardeau épouventable dont on ne voit point la neceffité. Ils a voient encore une tres.mauvaiſe ma niere de conſtruction qui eftoit de poferles pierres en forme de lofange ou de refeau ; * car chaque pierre ainfi placée eftoit comme un coin qui tendoit à écarter les deux pier res fur lefquelles elle eftoit pofée . Je ne dois pas obmettre icy qu'ils igno roient ce qu'il y a de plus fin & de plus artifte dans l'Architecture , je veux dire le Trait où la Coupe des pierres de là vient que prefque toutes leurs voutes eftoient de bri que recouverte de ftuc , & que leurs architraves n'eftoient ordinairement que de bois ou d'une feule pièrre. LE PRESIDENT. que Ces architraves n'en eftoient plus belles d'eftre d'une feule pierre.

  • Reticulatum , Vitr.

L'ABBE'. des Anciens & des Modernes. 169 L'ABBE'. Cela eft vray , mais comme une pierre un peu trop longue & qui a trop de portée , fe cafferoit infail liblement , ils eftoient obligez de mettre les colonnes fi proches les unes des autres , que les Dames ef toient contrainte de fe quitter la main comme le remarque Vitru ve , lorfqu'elles vouloient entrer fous les portiques qui entouroient les Temples. > LE PRESIDENT. L'architrave qui portoit fur les colonnes de la porte du Temple d'Epheſe , avoit pourtant plus de quinze pieds. Il eft vray que l'Ar chitecte effrayé par la grandeur & par la pefanteur de cette pierre , defefperoit de pouvoir l'eflever , & Pline ajoute que s'eftant endormi aprés avoir fait fa priere à Diane , il trouva à fon reveil l'architrave pofée en place : Ce qui fait voir Tome I. H 170 Paralelle qu'on regardoit comme une choſe miraculeuſe l'adreffe qu'il avoit euë de l'eflever & de la poſer. L'ABBE' . Si cet Architecte avoit fçu la cou pe des pierres , il n'auroit pas efté embaraffé , il auroit fait fon archi trave de plufieurs pieces taillées fe lon le trait qu'il leur faut donner , & elle auroit efté beaucoup plus fo lide. Mais qu'auroit fait cet Archi tecte de Diane s'il avoit eu à efle. ver deux pierres comme celles du fronton du Louvre de cinquante quatre pieds de long chacune , fur huit pieds de largeur , & de quinze pouces d'épaiffeur feulement, ce qui les rendoit tres - aifées à ſe caffer , ny luy ny fa Deeffe n'en feroient jamais venus à bout. L'impoffibilité de faire de larges entrecolonne mens , parce qu'ils ne faifoient l'ar chitrave que d'une feule piece , les a auffi empefché d'accoupler les colonnes & d'élargir par ce moyen ܃ 1 des Anciens & des Modernes. 171 les intervales , maniere d'arranger des colonnes qui donne beaucoup de grace & beaucoup de force à un édifice. Il n'y a peut-eftre rien de plus ingenieux dans tous les Arts , ny où les Mathematiques ayent plus travaillé que le trait & la coupe des pierres. De là font venues ces trompes eftonnantes où on voit un édifice fe porter de luy- mefme par la force de fa figure & par la taille des pierres dont il eft conftruit ; Ces voutes furbaiffées & prefque toutes plates , ces rampes d'efcalier , qui fans aucuns pilliers qui les fouftien nent , tournent en l'air le long des murs qui les enferment , & vont fe rendre à des palliers également fuf pendus , fans autre appuy que celuy des murs & de la coupe ingenieufe de leurs pierres . Voila où paroiſt l'induſtrie d'un Architecte , qui fçait ſe ſervir de la pefanteur de la pierre contr'elle mefme , & la faire foufte nir en l'air par le mefine poids qui la fait tomber. Voila ce que n'ont Hij 172 Paralelle jamais connu les Anciens , qui bien loin de fçavoir faire tenir les pierres ainfi fufpenduës , n'ont fçu inven ter aucune bonne machine pour les eflever. Si les pierres eftoient peti tes ils les portoient fur leurs épaules au haut de l'édifice ; fi elles eftoient d'une groffeur confiderable , ils les rouloient fur la pente des terres qu'ils apportoient contre leur baf timent à mesure qu'il s'eflevoit , & qu'ils remportoient enfuite à mefu re qu'ils en faifoient le ravalement. Cela eftoit à la verité bien naturel mais peu ingenieux , & n'appro. choit gueres des machines qu'on a inventées dans ces derniers temps , qui n'eflevent pas feulement les pierres à la hauteur que l'on defire , mais qui les vont pofer préciſement à l'endroit qui leur eſt deſtiné. Il eft vray qu'ils avoient quelques ma chines pour eflever des pierres , qui font décrites dans Vitruve : mais ceux qui fe connoiffent en machi nes , conviennent qu'elles ne sçau <A7 des Anciens & des Modernes. 173 roient eftre d'aucun ufage , ou que d'un ufage tres- peu commode. LE PRESIDENT. Tout cela eft le plus beau du monde , mais où nous montrerez vous des baſtimens modernes qui puiffent eftre comparez au Pan theon dont vous parlez fi mal , au Collifée, au Theatre de Marcellus , à l'Arc de Conftantin , & à une in finité d'autres ſemblables édifices. L'ABBE'. Il y a deux chofes à confiderer dans un baſtiment , la grandeur de fa maffe , & la beauté de fa ſtructu re ; la grandeur de la maffe peut faire honneur aux Princes ou aux Peuples qui en ont fait la dépenfe. Mais il n'y a que la beauté du def fein & la propreté de l'execution dont il faille veritablement tenir compte à l'Architecte , autrement il faudroit eftimer davantage celuy qui a donné le deffein de la moin H iij 174 Paralelle dre des Pyramides d'Egypte , qui ne confifte qu'en un fimple triangle que tous les Architectes Grecs & Romains , puifque cette Pyramide a plus confommé de pierres & plus occupé d'Ouvriers que le Pantheon ny le Collifée. Pour mieux conce voir ce que je dis , fuppofons qu'un Prince veuille faire baſtir une Galle rie de cinq ou fix cens toifes de lon gueur , n'eft- il pas vray que lorf que l'Architecte,aprés en avoir bien imaginé & bien digeré le deffein , en aura eflevé & achevé quinze ou vingt toifes , il fera auffi loüable , entant qu'Architecte, que s'il l'avoit conftruite toute entiere ? Il ne faut donc point appuyer fur la grandeur ny fur l'eftendue des baftimens , quoyque peut-eftre y trouverions nous noftre compte , car où voit- on chez les Anciens un Palais de deux cens toifes de face comme celuy où nous fommes! Mais encore une fois la maffe & l'eftendue des édifices ne roulent point ſur l'Architecte. "" des Anciens & des Modernes. 175 A Cela ne pouvant recevoir de diffi culté , je fouftiens que dans la feule face du devant du Louvre , il y a plus de beautéd'Architecture qu'en pas un des édifices des Anciens. Quand on prefenta le deffein de cette façade , il plut extremement. Ces Portiques majestueux dont les colonnes portent des Architraves de douze pieds de long , & des pla fonds quarrez d'une pareille largeur, furprirent les yeux les plus accouftu mez aux belles chofes , mais on crut que l'execution en eftoit impoffible, & que ce deffein eftoit plus propre pour eftre peint dans un Tableau parce que c'eftoit encore feulement en peinture qu'on en avoit vû de femblables , que pour fervir de mo dele au frontispice d'un Palais veri table. Cependant il a efté executé entierement , & il ſe maintient fans qu'une feule pierre de ce large pla fond tout plat & fufpendu en l'air fe foit démentie le moins du monde. Toute cette façade a eſté d'ailleurs H iiij 176 Paralelle conftruite avec une propreté & une magnificence fans égale. Ce font toutes pierres d'une grandeur de mefurée , dont les joints font pref que imperceptibles , & tout le der riere des portiques a efté appareillé avec un tel foin , qu'on ne voit au cun joint montant dans toute l'ef tenduëde cette façade ; On a eu la precaution de les faire rencontrer contre les coftez des pilaftres & contre les bandeaux des niches qui les cachent par leur faillie , en forte que chaque affife femble eftre toute d'une piece d'un bout à l'autre de chaque Portique ; beauté de conf truction qui ne fe trouvera point dans aucun baſtiment ny des An. ciens ny des Modernes. LE PRESIDENT. Ainfi nous voila , felon vous , au deffus des Anciens du cofté de l'Ar chitecture , je ne l'aurois jamais cru & ne le croy pas encore ; mais voyons je vous fupplie comment il T 3 des Anciens & des Modernes. 177 fe peut faire que nous les furpaffions du cofté de la Sculpture ? Cet arti cle ne fera pas moins curieux à en tendre , & fera peut-eftre plus diffi. cile à prouver. L'ABBE'. Nous avons , je l'avoue , des figu res antiques d'une beauté incompa rable & qui font grand honneur aux Anciens. LE CHEVALIER. Je vous confeille , vous le deffen feur de l'Antique , de vous retran cher derriere ces figures. Mettez autour de vous l'Hercule , l'Apol lon , la Diane , le Gladiateur , les Lutteurs , le Bacchus , le Laocoon & deux ou trois encore de la meſme force , aprés cela laiſſez - le faire. L'ABBE. L'avis eft bon , maisil ne faut pas y en appeller d'autres , car parexem ple , fi vous y mettiez la Flore dont Hv 178 Paralelle la plufpart des Curieux font tant de cas , il feroit aifé de vous forcer de ce cofté- là. LE PRESIDENT. Pourquoy la Flore est un des plus beaux ouvrages de Sculpture que nous ayons. L'ABB E'. C'eft une figure veſtuë , ainfi il en faut regarder la Draperie comme une partie principale. Cependant cette Draperie n'eft pas agreable , & il femble que la Deefle foit vef tuë d'un drap moüillé. LE PRESIDENT. Auffi eft elle , & le Sculpteur l'a voulu ainsi , pour faire mieux pa roiſtre le nud de fa figure. L'ABBE': Si c'eftoit une Nymphe des eaux , à la bonne heure , encore cela fe roit-il bizarre ; car il faut fuppofer C406 des Anciens & des Modernes. 179 Pr ܝܘ ܢ que les veftemens de ces fortes de Divinitez font. de la mefme nature que le plumage des oiſeaux aquati ques , qui demeurent dans l'eau fans fe moüiller. Le Sculpteur n'y a pas fait affeurement de reflexion , il a moüillé la draperie de fon mo dele pour luy faire garder les plis qu'il avoit arrangez avec foin , & enfuite il les a deffignez fidelement. Rien n'eftonne davantage que de voir un morceau d'étoffe , qui au lieu de prendre à plomb felon l'in clination naturelle de tous les corps pefans , fe tient collé le long d'une jambe pliée & retirée en deffous. La mefme chofe fe voit encore à l'en droit du fein où la draperie fuic exactement la rondeur des mam melles. Il y a d'autres manieres plus ingenieufes que celles- là pour mar quer le nud des figures , & faire voir leurs juftes proportions. Il fe LE PRESIDENT. peut faire que les Anciens H vj 180 Paralelle n'ont pas efté quelquefois fort exacts dans leurs draperies. C'eft une cho fe qu'ils ont negligée & qu'ils ont mefmeaffecté de negligerpour don nerpar là plus de beauté au nud de leurs figures. L'AB BE". Je fuis perfuadé que les Anciens auffi bien que nous faifoient de leur mieux en tout ce qu'ils entrepre noient , & où eft la fineffe de faire mal une choſe capitale comme l'eft la Draperie dans une figure qui eft vestuë ? Il ne faut pas d'ailleurs s'imaginer que de bien draper foit un talent peu confiderable dans un Sculpteur , le beau choix des plis , la grande & noble maniere de les jetter font des fecrets qui ont leur merite , & peut- eftre n'eft. il rien de plus difficile que de donner de la legereté à des veftemens, Car fi les plis ne font bien naturels & ne mar. quent adroitement le peu d'épaif feur de l'étoffe , la figure femble des Anciens & des Modernes. 181 eftouffée & comme captive fous la maffe & l'immobilité de fa matiere. La plufpart des Anciens n'y trou voient point d'autre fineſſe que de ferrer les draperies contre le nud & de faire un grand nombre de pe tits plis les uns auprés des autres. Aujourd'huy fans cet expedient on fait paroiftre la draperie auffi min ce que l'on veut , en donnant peu d'épaiffeur aux naiffances des plis & aux endroits où ces mefmes plis font interrompus. LE CHEVALIER. A voir les petits plis de certaines draperies antiques , efpacez égale. ment , & tirez en lignes paralelles , il femble qu'on les ait fait avec un peigne ou avec un rateau. LE PRESIDENT. Ces fortes de plis fe trouvent dans quelques figures de Dames Romai nes ou de Veftales , dont les Robes eſtoient ainfi pliffées avec des eaux 182 Paralelle gommées , de forte que les Sculp teurs ne pouvoient pas les repre. fenter d'une autre maniere que vous leur reprochez. que celle L'ABB E'. Ala bonne heure , fi cela eft ain fi, mais je crains bien que ce nefoit là une erudition fuppofée pour leur fervir d'excufe. Quoy qu'il en foit , les Anciens n'ont pas excellé de ce cofté- là, & il en faut demeurer d'ac cord comme il faut convenir qu'ils eftoient admirables pour le nud des figures. Car j'avouë que dans l'A pollon , la Diane , la Venus , l'Her cule ,le Laocoon& quelques autres encore , il me femble voir quelque chofe d'augufte & de divin , que je ne trouve pas dans nos figures mo dernes mais je diray en meſme temps que j'ay de la peine à démeſ ler fi les mouvemens d'admiration & de refpect qui me faififfent en les voyant , naiffent uniquement de l'excez de leur beauté & de leur > 1 "ני་ཆ།10 des Anciens & des Modernes. 183 ampl www DITA perfection , ou s'ils ne viennent point en partie de cette inclination natu relle que nous avons tous à eſtimer demefurément , les chofes qu'une longue fuite de temps à comme con facrées & miſes au deffus du juge ment des hommes. Car quoy que je fois tousjours en garde contre ces fortes de preventions , elles font fi fortes , & elles agiſſent ſur noftre ef prit d'une maniere fi cachée , que je ne fçay fi je m'en deffends bien. Maisjefuis tres bien perfuadé que fi jamais deux mille ans paffent fur le grouppe d'Apollon , qui a efté fait pour la grotte du Palais où nous fommes , & fur quelques autres ou vrages à peu prés de la mefme force , ils feront regardez avec la meſme veneration , & peut- eftre plus gran de encore. LE CHEVALIER. Sans attendre deux mille ans , il feroit aifé de s'en éclaircir dans peu de jours , on fçait faire de certaines 184 Paralelle " eaux rouffes qui donnent fi bien au marbre la couleur des Antiques qu'il n'y a perfonne qui n'y foit trompé ; ce feroit un plaifir d'en tendre les acclamations des Cu rieux qui ne fçauroient pas la trom perie , & de voir de combien de pi ques ils les mettroient au deffus de tous les Ouvrages de noftre fiecle. L'ABB E'. Nous fçavons le Commerce qui s'eft fait de ces fortes d'Antiques , & qu'un galand homme que nous con noiffons tous , en a peuplé tous les cabinets des Curieux novices. Un jour que je mepromenois dans fon jardin , on m'affeura quejemarchois fur une infinité de Buftes enfoüis dans terre qui achevoient là de fe faire Antiques en beuvant du jus de fumier. J'ay vû plufieurs de ces Buf tes , je vous jure qu'il eft difficile de n'y eltre pas trompé. " des Anciens & des Modernes. 185 LE CHEVALIER. Pour moy je n'y voy pas de dif ference , fi ce n'eft que les faux An tiques meplaiſent davantage que les veritables , qui la plufpart ont l'air melancolique , & font de certaines grimaces oùj'ay de la peine à m'ac couftumer. L'ABBE'. Si le titre d'Ancien, eft d'un grand poids & d'un grand merite pour un ouvrage de Sculpture , la circonf. tance d'eftre dans un Païs efloigné , & qu'il en coufte pour le voir un voyage de trois ou quatre cens lieuës , ne contribuë pas moins à luy donner du prix & de la reputation. Quand il falloit aller à Rome pour voir le Marc Aurele , rien n'eftoit égal à cette fameufe figure equef tre , & on ne pouvoit trop envier le bonheur de ceux qui l'avoient veuë. Aujourd'huy que nous l'a vons à Paris , il n'eft pas croyable > 186 Paralelle combien on la neglige , quoyqu'elle foitmoulée tres exactement , & que dans une des Cours du Palais Royal où on l'a placée elle ait la mefme beauté & la mefme grace que l'O riginal. Cette figure eft affurément belle , il y a de l'action , il y a de la vie , mais toutes chofes y font ou trées. Le Cheval leve la jambe de devant beaucoup plus haut qu'il ne le peut , il ſe ramene de telle forte , qu'il femble avoir l'encoleure demi fe & la corne de fes pieds excede en longueur celle de tous les mulets d'Auvergne. LE CHEVALIER. La premiere fois que je vis cette figure , je crus que l'Empereur Marc Aurele montoit une Jument pouli niere , tant fon Cheval a les Alancs larges & enflez , ce qui oblige ce bon Empereur à avoir les jambes horriblement équarquillées. L des Anciens &des Modernes. 187 00 LE PRESIDENT. Plufieurs croyent que l'original s'eft ainfi eflargi par le ventre pour avoir efté accablé fous la ruine d'un baftiment. L'ABB E'. Comment cela peut-il avoir eſté penfé ? &qui nefçait que de la bron ze fondue ſe cafferoit cent fois pluſ toft que de plier. LE PRESIDENT. Vous ne fongez pas qu'on tient que cette figure equeftre eft de cuivre corinthien , que l'or & l'ar gent qui y font meflez comme vous fçavez rendent doux & pliable. L'A B BE'. Bien loin que ce meflange préten du d'or & d'argent puft rendre du cuivre plus pliable , il ne ferviroit qu'à le rendreencore plusfier &plus inflexible ; c'eſt l'effet neceffaire du

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188 Paralelle meflange dans tous les métaux, mais il n'y a rien qu'on ne cherche pour excufer les Anciens , ny rien de fi incroyable qu'on n'aime mieux croi re que de s'imaginer qu'ils ayent fait la moindre faute. LE PRESIDENT. Ce n'eft pas fans raison qu'on a pour eux une veneration extraor dinaire. Vous avoüez vous. mefme qu'il eft forti de leurs mains un cer tain nombre de figures qui font in. comparables. L'ABBE'. J'en demeure d'accord , & cela ne m'eftonne point. La Sculpture eft à la verité un des plus beaux Arts qui occupent l'efprit & l'in duftrie des hommes , mais on peut dire auffi que c'eft le plus fimple & le plus borné de tous , particuliere ment lorsqu'il ne s'agit que de fi gures de ronde boffe. Il n'y a qu'à choisir un beau modele , le poſer 2412736N.2" des Anciens& des Modernes. 189 dans une attitude agreable , & le copier enfuite fidellement. Il n'eſt point neceffaire que le temps ait donné lieu à plufieurs & diverſes reflexions , & qu'il fe foit fait un amas de preceptes pour fe condui re. Il a fuffi que des hommes foient nez avec du genie , & qu'ils ayent travaillé avec application. Il eſt en core à remarquer qu'il y avoit des recompenfes extraordinaires -atta chées à la reüffite de ces fortes d'ouvrages , qu'il y alloit de don. ner des Dieux à des Nations entie res & aux Princes mefmes de ces Nations ; & enfin que quand le Scul pteur avoit reüffi , il n'eftoit gueres moins honoré que le Dieu qui for toit de fes mains. Les Anciens ont donc pû exceller dans les figures de ronde boffe , & n'avoir pas eu le mefme avantage dans les ouvrages des autres Arts beaucoup plus com pofez & qui demandent un plus grand nombre de reflexions & de preceptes, Cela eſt ſi vray , que 190 Paralelle 1 dans les parties de la Sculpture , mefme où il entre plus de raifonne ment & de reflexion , comme dans les bas- reliefs ils y ont efté beau coup plus foibles. Ils ignoroient une infinité de fecrets de cette par tie de la Sculpture dans le temps mefme qu'ils ont fait la colonne Trajane où il n'y a aucune perfpec tive ny aucune degradation. Dans cette colonne les figures font pref que toutes fur la meſme ligne ; s'il у en a quelques- unes fur le derriere elles font auffi grandes & auffi mar quées que celles qui font fur lede vant ; en forte qu'elles femblent eftre montées fur des Gradins pour fe faire voir les unes au deffus des autres, LE CHEVALIER. Si la colonne Trajane n'eftoir pas un morceau d'une beauté fin guliere , Monfieur Colbert dontje vous ay ouy louer plus d'une fois le gouft exquis pour tous les beaux C1** des Anciens & des Modernes. 191 امس Arts , n'auroit pas envoyé à Rome mouler cette colonne & n'en auroit pas fait apporter en France tous les moules , & tous les bas- reliefs mou lez chacun deux fois , ce qui n'a pû ſe faire fans une dépenfe confide rable. L'ABBE'. Il paroift à la verité que Mon fieur Colbert a donné en cela une grande marque de fon eftime pour la Sculpture des Anciens ; mais qui peut affeurer que la politique n'y euft pas quelque part . Penfez-vous que de voir dans une Place où ſe promenent fans ceffe des Etrangers de toutes les Nations du monde une conftruction immenfe d'efchaf fauts les uns fur les autres autour d'une colonne de fix. vingt pieds de haut , & d'yvoirfourmiller un nom. bre infini d'Ouvriers , pendant que le Prince qui les fait travailler eſt à la tefte de cent mille hommes , & foufmet à fes loix toutes les Places 192 Paralelle qu'il attaque ou qu'il menace feu lement. Penfez- vous , dis -je , que ce fpectacle tout agreable qu'il eftoit , ne fuft pas en mefme temps terrible pour la plufpart de ces Etrangers, & ne leur fift pas faire des refle xions plus honorables cent fois à la France , que la reputation de fe bien connoiftre aux beaux ouvra ges de Sculpture. LE CHEVALIER. Il arriva dans le mefme temps , une choſe à peu prés de la meſme nature qui me fit bien du plaifir. Le Courier qui portoit le paquet de Monfieur Colbert pour lors en Flan. dres auprés du Roy , fut arrefté par les Ennemis 3 entre plufieurs Ór donnances pour les baſtimens du Roy , qui montoient à de grandes fommes , il s'en trouva une pour le payement du fecond quartier des gages des Comediens Efpagnols. Quelle mine faifoit , je vous prie , le General de l'Armée ennemie , en voyant W des Anciens & des Modernes. 193 C tem jf.. S 05 DUT voyant fes Soldats preſque tout nuds , pendant que le Prince qu'il avoit à combattre faifoit payer des Comediens Eſpagnols , qu'il n'avoit retenus que pour la fatisfaction de la Reine & à condition de ne leur voir jamais jouer la Comedie. , L'ABBE. Jeveux bien que le feul amour des beaux Arts ait fait mouler & venir icy la Colonne Trajane , voyons en lefuccez. Lorfque les bas reliefs fu rent debalez & arrangez dans le Magafin du Palais Royal , on cou rut les voir avec impatience ; mais comme fi ces bas - reliefs euffent perdu la moitié de leur beauté , par les chemins , on s'entreregardoit les uns les autres , furpris qu'ils répon diffent fi peu à la haute opinion qu'on en avoit conçue. On y remar qua à la verité de tres- beaux airs de tefte & quelques attitudes affez heureuſes , mais prefque point d'Art dans la compofition , nulle degra Tome I. I ཧིཏྟཀནདེཧཾཏི༧༦མཧེམཱ ………… བྷི དྭེ Paralelle 194 dation dans les reliefs , & une pro fonde ignorance de la perſpective. Deux outrois Curieux pleins encore de ce qu'ils en avoient ouy dire à Rome , s'épanchoient en loüanges immoderées fur l'excellence de ces Ouvrages, le reste de la Compagnie s'efforçoit d'eftre de leur avis ; car il y a de l'honneur à eſtre charmé de ce qui eft antique , mais ce fut in utilement & chacun s'en retourną peu fatisfait. Les bas- reliefs font de meurez-là où ils occupent beaucoup de place , où perfonne ne les va co pier , & où peu de gens s'aviſent de les aller voir. LE CHEVALIER. Je me fouviens qu'un de ces Cu rieux zelez pour l'Antique , voulanţ faire valoir quelques-uns de ces bas. reliefs , paffoit & tournoit la main deffus en écartant les doigts , & di foit , voila qui a du grand , voila qui a du beau ; on le pria d'arreſter fa main fur quelque endroit qui me des Anciens& des Modernes 195 ritaft particulierement d'eſtre admi ré , il ne rencontra jamais heureuſe ment. D'abord ce fut fur une teſte qui eftoit beaucoup trop groffe , & ilen demeura d'accord ; enfuite fur un Cheval qui eftoit beaucoup trop petit : Cependant il perfifta tous jours à fouftenir que le tout enfem ble en eftoit admirable. L'A BB E'. Si l'on examine bien la pluſpart des bas-reliefs antiques ,on trouvera que ce ne font point de vrais bas reliefs , mais des reliefs de ronde boffe , fciez en deux de haut en bas , dont la principale moitié a efté ap pliquée & collée fur un fond tout uni. Il ne faut que voir le bas-relief. des danfeuſes , les figures en font affeurement d'une beauté extraor dinaire , & rien n'eſt plus noble plus fevelte & plus galant que l'air , la taille & la demarche de ces jeu nes filles qui danfent ; mais ce font des figures de ronde boffe , fciées I ij 196 Paralelle en deux , comme je viens de dire , ou enfoncées de la moitié de leur corps dans le champ qui les fouf tient. Par là on connoift clairement que le Sculpteur qui les a faites manquoit encore , quelque excel lent qu'il fuft , de cette adreffe que le temps & la meditation ont enfeignée depuis , & qui eſt arrivée de nos jours à fa derniere perfec tion ; je veux dire cette adreffe par laquelle un Sculpteur avec deux ou trois pouces de relief , fait des fi. gures , qui non feulement paroiffent de ronde boffe & detachées de leur fonds , mais qui femblent s'enfon cer les unes plus , les autres moins dans le lointain du bas- relief. Je remarqueray en paffant que ce qu'il y a de plus beau au bas relief des danfeufes , a efté fait par un Scul pteur de noftre temps ; car lorfque le Pouffin l'apporta de Rome en France , ce n'eftoit prefque qu'une ébauche affez informe , & ç'a efté l'aifné des Anguiers qui luy a don, Y des Anciens & des Modernes. 197 né cette élegance merveilleufe que nous y admirons. LE PRESIDENT. Si la Sculpture moderne l'empor te fi fort fur la Sculpture antique par cet endroit que vous marquez , il faut que la Peinture d'aujourd'huy foit bien fuperieure à celle des An ciens , puifqu'enfin c'eft d'elle que la Sculpture a appris tous fes fecrets de degradation & de perſpective. L'ABBE'. J'en demeure d'accord , & la con fequence en eft tres-jufte ; mais puif qu'il s'agit prefentement de la Pein ture , il faut commencer par la dif tinguer fuivant les divers temps où elle a fleuri , & en faire trois claffes : Celledu temps d'Appelle, de Zeuxis, de Timante , & de tous ces grands Peintres dont les Livres rapportent tant des merveilles ; Celle du temps de Raphaël , du Titien , de Paul Ve roneſe , & de plufieurs autres ex I iij 198 Paralelle cellens Maistres d'Italie , & celle du fiecle où nous vivons. Si nous vou lons fuivre l'opinion commune qui regle prefque tousjours le merite fe lon l'ancienneté , nous mettrons le fiecle d'Appelle beaucoup au deffus de celuy de Raphaël , & celuy de Raphaël beaucoup au deffus du nof tre ; mais je ne fuis nullement d'ac cord de cet arrangement , particu lierement à l'égard de la preference qu'on donneau fiecle d'Appelle fur celuy de Raphaël. LE PRESIDENT. Comment pouvez vous ne pas convenir d'un jugement fi univerfel &fi raifonnable, fur tout aprés eftre demeuré d'accord de l'excellence de la Sculpture de Phidias & de Pra xitele ; car fi la Sculpture de ces temps-là l'emporte fur celle de tous les fiecles qui ont fuivi , à plus forte raifon la Peinture , fi nous confide rons qu'elle eft fufceptible de mille beautez & de mille agrémens dont · des Anciens & des Modernes. 199 la Sculpture n'eft point capable. L'A B BE'. C'eſt par cette raiſon là meſme que la confequence que vous tirez n'eſt pas recevable. Si la Peinture eftoit un Art auffi fimple & auffi borné que l'eft la Sculpture en fait d'Ouvrages de ronde boffe , car c'eſt en cela feul qu'elle a excellé parmi les Anciens , je me rendrois à voſtre advis , mais la Peinture eft un Art fi vafte & d'une fi grande eſtendue , qu'il n'a pas moins fallu que la durée de tous les fiecles pour en découvrir tous les fecrets & tous les myſteres. Pour vous convaincre du peu de beauté des Peintures anti ques , & de combien elles doivent eftre miſes au deffous de celles de Raphaël , du Titien & de Paul Ve ronefe , & de celles qui fe font au jourd'huy , je ne veux me ſervir que des louanges mefmes qu'on leur a données. On dit que Zeuxis repre fenta fi naïvement des raifins que I iiij 200 Paralelle des Oiseaux les vinrent becqueter : Quelle grande merveille y a-il à ce là? Une infinité d'Oifeaux fe font tuez 'contre le Ciel de la perſpecti ve de Rüel , en voulant paffer ou tre fans qu'on en ait efté furpris , & cela mefme n'eft pas beaucoup entré dans la loüange de cette per. ſpective. LE CHEVALIER. Il y a quelque temps que paffant fur le Foffé des Religieufes An gloifes , je vis une chofe auffi hono rable à la Peinture que l'Hiftoire des raifins de Zeuxis , & beaucoup plus divertiffante. On avoit mis fe cher dans la cour de Mr. le Brun, dont la porte eftoit ouverte , un ta bleau nouvellement peint , où il y avoit fur le devant un grand char don parfaitement bien repreſenté. Une bonne femme vint à paffer avec fon afne , qui ayant vû le chardon entre brufquement dans la cour renverſe la femme qui tafchoit de le " C des Anciens & des Modernes. 201 retenir par fon licou , & fans deux forts garçons qui luy donnerent cha cun quinze ou vingt coups de baf ton pour le faire retirer , il auroit mangé le chardon , je dis mangé , parce qu'eftant nouvellement fait il auroit emporté toute la peinture avec fa langue. L'ABBE'. Ce chardon vaut bien les raifins de Zeuxis dont Pline fait tant de cas. Le mefme Pline raconte en core que Parrhafius avoit contrefait fi naïvement un rideau , que Zeu xis mefme y fut trompé. De fem. blables tromperies fe font tous les jours pardes Ouvrages dont on ne fait aucune eſtime. Cent fois des Cuifiniers ont mis la main fur des Perdrix & fur des Chappons naïve ment reprefentez pour les mettre à la broche ; qu'en eft.il arrivé ? on en a ri , & le tableau eft demeuré à la cuifine. Le mefme Auteur rap porte comme une merveille de ce I v 202 Paralelle qu'un Peintre de ces temps- là en peignant un Pigeon , en avoit re prefenté l'ombre fur le bord de l'au ge où il beuvoit. Cela montre feu lement qu'on n'avoit point encore repreſenté l'ombre qu'un corps fait fur un autre quand il le cache à la lumiere. Il louë un autre Peintre d'avoir fait une Minerve dont les yeux eftoient tournez vers tous ceux qui la regardoient. Qui nefçait que quand un Peintre fe fait regarder de la perfonne qu'il peint , le Por trait tourne auffi les yeux fur tous ceux qui le regardent en quelque endroit qu'ils foient placez. Il dit qu'Appelle fit un Hercule , qui ef tant veu par le dos ne laiffoit pas de montrer le vifage ; l'eftonnement avec lequel il dit qu'on regarda cet Hercule , eft une preuve que juf ques- là les Peintres avoient fait leurs figures toute d'une piece &fans leur donner aucune attitude qui mar quaft du mouvement & de la vie. Qui ne voit combien de tellesloüan,

  1. daUbTAT

des Anciens&des Modernes. 203 ges fuppofent d'ignorance en fait de Peinture & en celuy qui les donne & en ceux à qui elles font données Mais que dirons- nous de ce coup de Maiftre du mefme Appelle qui luy acquit le renom du plus grand Peintre de fon fiecle de cette adreffe admirable avec laquelle, il fendit un trait fort delié par untrait plus delié encore. 2 LE PRESIDENT. Je voy que vous n'entendez pas quel fut le combat d'Appelle & de Protogene. Vous eftes dans l'er reur du commun du monde , qui croit qu'Appelle ayant fait un trait fort delié fur une toile , pour faire connoistre à Protogene que ce ne pouvoit pas eftre un autre Peintre qu'Appelle qui l'eftoit venu deman der , Protogene avoit fait un trait d'une autre couleur qui fendoit en deux celuy d'Appelle , & qu'Ap pelle eftant revenu il avoit refendu celuy de Protogene d'un trait enco I vj 204 Paralelle re beaucoup plus mince. Mais ce n'eft point là la verité de l'Hiſtoi re , le combat fut fur la nuance des couleurs , digne fujet de difpute & d'émulation entre des Peintres , & non pas fur l'adreffe de tirer des lignes . Appelle prit un pinceau & fit une nuance fi délicate , fi douce & fi parfaite , qu'à peine pouvoit on voir le paffage d'une couleur à l'autre. Protogene fit fur cette nuan се une autre nuance encore plus fine & plus adoucie. Appelle vint qui encherit tellement fur Proto gene par une troifiéme nuance qu'il fit fur les deux autres , que Proto gene confeffa qu'il ne s'y pouvoit rien ajouſter. > L'ABBE Vous me permettrez de vous di re que vous avez pris ce galimatias dansle Livre de Ludovicus Demon tiofius, Comment pouvez-vous con cevoir qu'on peigne des nuances de couleurs les unes fur les autres, & des Anciens & des Modernes. 295 qu'on ne laiffe pas de voir. que la derniere des trois eft la plus delica te ? Je ne m'eſtonne pas que cet Au theur ne fçache ce qu'il dit , rien n'eft plus ordinaire à la pluſpart des Sçavans quand ils parlent des Arts ; mais ce qui m'eftonne , c'eſt la ma niere dont il traite Pline fur la def cription qu'il nous a laiffée de ce Tableau. Pline affeure qu'il l'a veu & mefme qu'il le regarda avec avi dité peu de temps avant qu'il perit dans l'embraſement du Palais de l'Empereur. Il ajoufte que ce Ta bleau ne contenoit autre choſe dans toute fon eſtenduë qui eftoit fort grande , que des lignes prefque im perceptibles ; ce qui fembloit le de voir rendre peu confiderable par mi les beaux Tableaux dont il eftoit environné , mais que cependant il attiroit davantage la curiofité que tous les autres Ouvrages des plus grands Peintres. Montiofius ofe fou ſtenir que Pline n'a jamais veu au cunes lignes fur ce Tableau & qu'il 206 Paralelle n'y en avoit point , que le bon hom me s'eft imaginé les voir , parce qu'il avoit oüy dire qu'il y en avoit , ou qu'il l'avoit bien voulu dire , pour ne pas s'attirer le reproche de ne voir goutte. N'eft- ce pas là une te merité infupportable ; mais afin que vous ne m'accufiez pas de maltraiter un homme qui peut- eftre a fait de gros livres , je ne parle qu'aprés Monfieur de Saumaiſe qui en dit beaucoup davantage , & qui pa roift avoir efté plus bleffé que moy de cette infolence. Il eſt donc vray qu'il s'agiffoit entre Protogene & Appelle d'une adreffe de main , & de voir à qui feroit un trait plus delié. Cette forte d'adreffe a long temps tenu lieu d'un grand merite parmi les Peintres. L'O de Giotto en eſt une preuve , le Pape Benoiſt IX. faifoit chercher par tout d'ex cellens Peintres , & fe faifoit appor ter de leurs Ouvrages pour connoif tre leur fuffifance. Giotto nevoulut point donner de Tableau , mais pre des Anciens & des Modernes. 207 MAS mity of bed -A nant une feuille de papier en pre fence de l'envoyé du Pape , il fie d'un feul trait de crayon ou de plu me , un O auffi rond que s'il l'euft fait avec le compas. Cet O le fit preferer par le Pape à tous les au tres Peintres , & donna lieu à un Proverbe qui fe dit encore dans toute l'Italie ou quand on veut faire entendre qu'un homme eft fort ftupide , on dit qu'il eft auffi rond que l'O de Giotto . Mais il y a desja long-temps que ces fortes d'adreffes ne font plus d'aucun merite parmy les Peintres. Monfieur Menage m'a dit avoir connu un Religieux qui non feulement faifoit d'un feul trait de plume un O parfaitement rond mais qui en mefme temps y mettoit un point juſtement dans le centre. Ce Religieux ne s'eft jamais aviſé de vouloir paffer pour Peintre , & s'eft contenté d'eftre loüé de fon petit talent. Le Pouffin lorfque la main luy trembloit , & qu'à peine il pouvoit placer fon pinceau &fa 208 Paralelle couleur où il vouloit , a fait des Ta. bleaux d'une beauté ineftimable pendant que mille Peintres qui au roient fendu en dix le trait le plus delicat du Pouffin , n'ont fait que des Tableaux tres- mediocres. Ces fortes de proüeffes font des fignes évidens de l'enfance de la Peinture. Quelques années avant Raphaël & le Titien, il s'eft fait des Tableaux, & nous les avons encore , dont la beau té principale confifte dans cette fi neffe de lineamens , on y conte tous les poils de la barbe & tous les che veux de la tefte de chaque figure. Les Chinois , quoyque tres-anciens dans les Arts , en font encore là . Ils parviendront peut- eftre bien- toft à defigner correctement , à donner de belles attitudes à leurs figures , & mefme des expreffions naïves de tou tes les paffions , mais ce ne fera de long- temps qu'ils arriveront à l'in telligence parfaite du clair obſcur , de la degradation des lumieres , des fecrets de la Perſpective &de la ju des Anciens & des Modernes. 209 dicieuſe ordonnance d'une grande compofition. Pour bien me faire entendre , il faut que je diftingue trois chofes dans la Peinture. La repreſentation des figures , l'expreſ fion des paffions , & la compofition du tout enſemble. Dans la repre fentation des figures je comprens non feulement la jufte delineation de leurs contours , mais auffi l'ap plication des vrayes couleurs qui leur conviennent. Par l'expreffion des paffions , j'entens les differens caracteres des vifages & les diver fes attitudes des figures qui mar quent ce qu'elles veulent faire , ce qu'elles penfent , en un mot ce qui fe paffe dans le fond de leur ame, Par la compofition du tout enfem. ble , j'entens l'affemblage judicieux de toutes ces figures , placées avec entente ; & degradées de couleur felon l'endroit du plan où elles font pofées. Ce que je dis icy d'un Ta bleau où il y a plufieurs figures , fe doit entendre auffi d'un Tableau où 210 Paralelle les il n'y en a qu'une , parce que differentes parties de cette figure font entr'elles ce que plufieurs fi gures font les unes à l'égard des au tres. Comme ceux qui apprennent à peindre commencent par appren dre à defigner le contour des figu. res , & à le remplir de leurs couleurs naturelles , qu'enfuite ils s'eftudient à donner de belles attitudes à leurs figures & à bien exprimer les paf fions dont ils veulent qu'elles pa roiffent animées , mais que ce n'eft qu'aprés un long-temps qu'ils fça vent ce qu'on doit obferver pour bien difpofer la compofition d'un Tableau , pour bien diftribuer le clair obfcur , & pour bien mettre toutes chofes dans les regles de la Perſpective , tant pour le trait que pour l'affoibliffement des ombres & des lumieres. De mefme ceux qui les premiers dans le monde ont commencé à peindre , ne fe font appliquez d'abord qu'à repreſenter naïvement le trait & la couleur des des Anciens & des Modernes. 2FX 1 objets,fans deſirer autre chofe,finon que ceux qui verroient leurs Ou vrages peuffent dire , voila un Hom me, voila un Cheval , voila un Ar bre,encore bienſouvent mettoient ils un écriteau pour épargner la pei ne qu'on auroit euë à le deviner. Enfuite ils ont paffé à donner de belles attitudes à leurs figures , & à les animer vivement de toutes les paffions imaginables : Et voila les deux feules parties de la Peinture , où nous fommes obligez de croire que foient parvenus les Apelles & les Zeuxis , fi nous en jugeons par la vray-femblance du progrez que leur Art a pû faire , & par ce que les Auteurs nous rapportent de leurs Ouvrages , fans qu'ils ayent jamais connu , fi ce n'eft tres-imparfaite ment , cette troifiéme partie de la Peinture qui regarde la compofition d'un Tableau , fuivant les regles & les égards que je viens d'expliquer. 212 Paralelle LE PRESIDEN T. Comment cela peut- il s'accorder avec les merveilles qu'on nous ra conte des Ouvrages de ces grands hommes , pour lefquels on donnoit des boiffeaux pleins d'or , & qu'on ne croyoit pas encore payer fuffi famment , ces Tableaux qui fufpen doient la fureur des Ennemis , & moderoient l'avidité des Conque rans moins touchez du defir de prendre les plus celebres Villes que de la crainte d'expofer au feu de fi beaux Ouvrages. L'ABBE. Tous ces effets merveilleux de la Peinture antique , n'empefchent pas que je ne perfifte dans ma propofition ; car ce n'eft point la belle ordonnance d'un Tableau " la jufte difpenfation des lumieres la judicieufe degradation des ob jets , ny tout ce qui compofe cet. te troifiéme partie de la Peinture des Anciens & des Modernes. 213 dont j'ay parlé , qui touche , qui charme & qui enleve. Ce n'eſt que la jufte delineation des objets revef tus de leurs vrayes couleurs , & fur tout l'expreffion vive & naturelle des mouvemens de l'ame , qui font de fortes impreffions fur ceux qui les regardent. Car il faut remarquer que comme la Peinture a trois par ties qui la compoſent , il y a auffi trois parties dans l'homme par où il en eſt touché, les fens , le cœur & la raiſon. La jufte delineation des objets , accompagnée de leur couleur , frappe agreablement les yeux , la naïve expreffion des mou vemens de l'ame va droit au cœur. & imprimant fur luy les mefmes paffions qu'il voit reprefentées , luy donne un plaifir tres-fenfible. Et enfin l'entente qui paroift dans la jufte diftribution des ombres & des lumieres, dans la degradation des fi gures felon leur plan , & dans le bel ordre d'une compofition judicieu fement ordonnée , plaiſt à la raiſon ? 214 Paralelle & luy fait reffentir une joye moins vive à la verité , mais plus fpirituel le & plus digne d'un homme. Il en eft de mefme des Ouvrages de tous les autres Arts : Dans la Mufi que le beau fon & la jufteffe de la voix charment l'oreille , les mou vemens gais ou languiffans de cet te mefme voix felon les differentes patfions qu'ils expriment , touchent le cœur, & l'harmonie de diverſes parties qui fe meſlent avec un or dre & une œconomie admirable font le plaifir de la raiſon. Dans l'E loquence la prononciation & le gef te frappent les fens , les figures pa thetiques gagnent le cœur , & la " belle œconomie du difcours s'efleve jufqu'à la partie fuperieure de l'ame pour luy donner une certaine joye toute fpirituelle , qu'elle feule eft capable de reffentir.Je dis donc qu'il a fuffi aux Appelles & aux Zeuxis pour fe faire admirer de toute la terre d'avoir charmé les yeux & tou ché le cœur , fans qu'il leur ait efté des Anciens & des Modernes. 215 neceffaire de poffeder cette troifié me partie de la Peinture , qui ne va qu'à fatisfaire la raifon; car bien loin que cette partie ferve à charmer le commun du monde , elle y nuit fort fouvent , & n'aboutit qu'à luy de plaire. En effet , combien y a-t'il de perfonnes qui voudroient qu'on fift les perſonnages efloignez auffi forts & auffi marquez que ceux qui font proches , afin de les mieux voir qui de bon cœur quitteroient le Peintre de toute la peine qu'il fe donne à compofer fon Tableau & à degrader les figures felon leur plan ; mais fur tout qui feroient bien aiſes qu'on ne fift point d'ombres dans les vifages & particulierement dans les portraits des perfonnes qu'ils aiment. LE CHEVALIER. Il faut queje vous diſe ſur ce fu jet la naïveté d'une Dame qui plaignoit à moy d'un Peintre que je je luy avois donné , parce qu'il luy 216 Paralelle

avoit fait dans fon portrait une ta che noire fous le nez : Je le mon tray hier , me dit-elle , à toute ma famille qui foupoit chez moy , il n'y eut perfonne qui n'en fût fcandali fe , je pris moy mefme deux flam beaux dans mes mains pour voir au miroir fi j'avois effectivement fous le nez la tache noire qu'il y a mife nous eufmes beau regarder, ny moy, ny perfonne de la compagnie ne pufmes jamais voir cette tache. Je ne veux point que l'on me flate leur difois -je , mais je ne veux pas auffi qu'on me faffe des défauts que je n'ay pas ; ils furent tous de mon avis , & hauffoient les épaules fur la fantaiſie qu'ont tous les Peintres de barbouiller les vifages avec leurs om bres ridicules &impertinentes.Je ne fçaurois m'empefcher de vous faire encore un conte fur le mefine fujet. Quand on porta à faint Eftienne du Mont la piece de tapifferie où le martyre de ce Saint eft reprefenté , les Connoiffeurs en furent affez contens des Anciens & des Modernes. 217 contens , mais le menu peuple de la Paroiffe ne le fut point du tout. Je me trouvay auprés d'un bon Bour geois qui avoit dans fes Heures une petite Image de faint Etienne fur du Velin. Le Saint eftoit planté bien droit fur fes deux genoux avec une Dalmatique rouge cramoifi , bordée tout alentour d'un filet d'or , il avoit les bras étendus , & tenoit dans l'u ne de ſes mains une grande palme d'un beau verd d'Emeraude. Voila un faint Eſtienne , difoit-il , en par lant à deux de fes voisines , il n'y a pas d'enfant qui ne le reconnoiſſe. Et , mon Dieu , que Meffieurs les Peintres ne peignent-ils comme cela. L'ABBE'. B Il y a bien de pretendus Connoif feurs à Paris , qui s'expliqueroient comme ce bon Bourgeois s'ils ne craignoient d'eftre raillez. Genera lement ce qui eft de plus fin & de plus fpirituel dans tous les Arts , a le don de déplaire au commun du Tome I. Κ 218 Paralelle monde. Cela fe remarque particu lierement dans la Muſique, les Igno. rans n'aiment point l'harmonie de plufieurs parties meflées enſemble ; ils trouvent que tous ces grands ac cords & toutes ces fugues qu'on leur fait faire , enquoy confifte pourtant ce qu'il y a de plus charmant & de plus divin dans ce bel Art , ne font qu'une confufion defagreable & en nuyeuſe,enun mot ils aiment mieux, & ils le difent franchement , une bel le voix toute feule. LE CHEVALIER. Affeurement , fur tout fi cette belle voix fort d'une bouche bien vermeille & paffe entre des dents bien blanches , bien nettes & bien rangées, L'ABBE'. Cela s'entend, onpeut juger par là combien ils aiment la Mufique , & à quel point ils s'y connoiffent, Mais revenons à la Peinture, Je puis des Anciens & des Modernes. 219 encore prouver le peu de fuffifance des Peintres anciens par quelques morceaux de Peinture antique qu' on voit à Rome en deux ou trois endroits;car quoy que ces ouvrages ne foient pas tout à fait du temps d'Appelle & de Zeuxis , ils font ap paremment dans la mefme maniere; & tout ce qu'il peut y avoir de dif ference , c'est que les Maiftres qui les ont faits eftant un peu moins anciens , pourroient avoir fçû quel que chofe davantage dans la Pein ture. J'ay vû celuy des Nopces qui eft dans la Vigne Aldobrandine , & celuy qu'on appelle le Tombeau d'Ovide. Les figures en font bien deffinées , les attitudes fages & na. turelles , & il y a beaucoup de no bleffe & de dignité dans les airs de tefte , mais il y a tres-peu d'en tente dans le meflange des couleurs ; & point du tout dans la perſpective ny dans l'ordonnance. Toutes les teintes font auffi fortes les unes que les autres , rien n'avance , rien ne Kij 220 Paralelle > recule dans le Tableau , & toutes les figures font prefque fur la mefme li gne , en forte que c'eſt bien moins un Tableau qu'un bas relief antique coloré , tout y eft fec & immobile fans union , fans liaiſon , & fans cet te molleffe des corps vivans qui les diſtingue du marbre & de la bronze qui les reprefentent. Ainfi la grande difficulté n'eft pas de prouver qu'on l'emporte aujourd'huy fur les Zeu, xis,fur les Timantes & fur les Appel les , mais de faire voir qu'on a encore quelque avantage fur les Raphaëls, fur les Titiens , fur les Pauls Vero nefes , & fur les autres grands Pein tres du dernier fiecle. Cependant j'ofe avancer qu'à regarder l'Art en luy.mefme , entant qu'il eft un amas & une collection de preceptes , on trouvera qu'il eft plus accompli & plus parfait prefentement qu'il ne l'eftoit du temps de ces grands Maif tres. Comparons,je vous prie,le Ta bleau des Pelerins d'Emmaüs de Paul Veroneſe , avec celuy de la fa G des Anciens & des Modernes. 221 mille de Darius , de Monfieur le Brun , auffi bien venons- nous de les voir tous deux dans l'antichambre du grand appartement du Roy , où il femble qu'on les ait mis vis- à- vis l'un de l'autre pour en faire la com paraiſon. LE PRESIDENT. On ne sçauroit mieux parler fur ces deux Tableaux qu'a fait un Pre lat d'Italie. Le Tableau de Monfieur le Brun , dit- il , eft tres-beau & tres excellent , mais il a le malheur d'a voir un méchant voifin , voulant fai re entendre que quelque beau qu'il fuft , il ne l'eftoit gueres dés qu'on venoit à le comparer avec celuy de Paul Veronefe. L'ABBÉ. Comme les François ne font pas moins portez naturellement à me prifer les ouvrages de leur Païs , que les Italiens font foigneux de relever à toute rencontre le merite de ceux K iij 222 Paralelle de leurs Compatriotes. Je ne doute pas que ce bon mot n'ait eſté receu avec applaudiffement , & que plu fieurs perfonnes ne fe faffent hon neur de le redire , pour faire enten dre qu'ils ont un gouft exquis & un genie au deffus de leur Nation , mais cela ne m'émeut point. J'ay veu fai re à un autre Prelat d'Italie quel que chofe encore de plus defobli geant pour le Tableau de la famille de Darius. Il paffa devant, non feu lement fans attacher fes yeux , y mais fans les lever de terre , comme fi ce Tableau euft deu luy bleffer la veuë. Cette affectation me mit d'a bord en colere , mais elle me fit rire un moment aprés , & me donna de la joye. Quoyqu'il en foit , je demeu. re d'accord que le Tableau des Pel lerins eft un des plus beaux qu'il ſe voye , les perſonnages y font vivans, & l'on croit ne voir pas moins ce qui fe paffe dans leur penfée que l'action qu'ils font au dehors ; mais comme un Tableau eſt un poëme des Anciens& des Modernes. 223: muet , où l'unité de lieu , de temps & d'action doit eftre encore plus religieufement obfervée que dans un Poëme veritable , parce que le lieu Y eft immuable , le temps in diviſible , & l'action momentanée ; Voyons comment cette regle eft obfervée dans ce Tableau. Tous les perfonnages font à la verité dans la mefme chambre , mais ils y font auffi peu enſemble que s'ils eftoient en des lieux feparez : Icy eſt noſ. tre Seigneur qui rompt le pain au milieu des deux Difciples , la font des Venitiens & des Venitiennes qui n'ont prefque aucune attention au myftere dont il s'agit ; & dans le milieu font des petits enfans qui ba dinent avec un gros chien. Seroit.il pas plus raisonnable que ces trois fujets formaffent trois Tableaux dif ferens que de n'en compoſer qu'un feul qu'ils ne compoſent point. LE PRESIDENT. Vous m'avouerez qu'on croit en K iiij 224 Paralelle tendre parler les perſonnages de ce Tableau ; & que la gorge de cette femme qui eft fur le devant eft de la vraye chair. L'ABBE'. J'en conviens , mais quelle necef fité & quelle bienfeance y a- t'il que ces perfonnages parlent , & que cette femme vienne montrer là fa chair ? LE PRESIDENT. C'eſt un ufage fi receu de mettre dans des Tableaux de pieté ceux qui les font faire , & d'y mettre auffi toute leur famille , que cet affem blage de perfonnes de differens temps & de differens lieux , ne de vroit pas vous eftonner. L'A BBE. Je connois cet uſage & je ne le blaſme point , quoyque les Peintres n'ayent pas ſujet d'en eftre fort con tens. On voit tous les jours dans des Anciens & des Modernes. 225 des Nativitez > ceux qui ont fait faire le Tableau , mais à genoux & dans l'adoration comme les Bergers. On en voit auffi dans des Tableaux de Crucifix , mais profternez & les yeux levez vers le Sauveur , en for. te que leur action particuliere eft liée à l'action principale , & con court à la mefine fin. Icy les per fonnages ne femblent pas fe voir les uns les autres , & il n'y a que la feule volonté du Peintre qui les ait fait trouver dans le mefme lieu. LE PRESIDENT. Tous ces pretendus défauts ne re gardent point le Peintre comme Peintre , mais feulement comme Hiſtorien. L'ABBE. Cela eft vray , fi vous renfermez la qualité de Peintre à reprefenter naïvement quelque objet , fans ſe mettre en peine s'il y a de la vray femblance , de la bien-feance & du Kv 226 Paralelle bonfens dans fa compofition ; mais je ne croy pas que les Peintres vueil lent renoncer à l'obligation d'ob ſerver des conditions fi juftes & fi neceffaires dans tout un ouvrage. Quoyqu'il enfoit , je fouftiens qu'en qualité de Peintre il n'a pas mieux gardé l'unité qui doit eftre dans la compofition d'un fujet , qu'il l'a fait en qualité d'Hiftorien , puifqu'il a mis deux points de veuë dans fon Tableau , l'un pour le Païfage , & l'autre pour la Chambre , où le Sauveur eft affis à table avec fes Difciples ; car l'horifon du Païfage eft plus bas que cette table dont on voit le deffus qui tend à un autre point de veuë beaucoup plus efle vé , faute de perfpective qu'on ne pardonneroit pas aujourd'huy à un Ecolier de quinze jours. Je ne croy pas que nous ayons aucun de ces reproches à faire au Tableau de la famille de Darius. C'eſt un verita ble poëme où toutes les regles font obfervées. L'unité d'action,c'eſt Ale des Anciens & des Modernes. 227 xandre qui entre dans la tente de Darius. L'unité de lieu , c'eſt cette tente où il n'y a que les perfonnes qui s'y doivent trouver. L'unité de temps c'est le moment où Alexan dre dit qu'on ne s'eft pas beaucoup trompé en prenant Epheſtion pour luy , parce que Epheſtion eft un autre luy - meſme. Si l'on regarde» avec quel foin on a fait tendre tou tes choſes à un feul but , rien n'eft de plus lié , de plus reüni , & de plus un, fi cela fe peut dire › que la repreſentation de cette Hiftoire , & rien en mefme temps n'eft pus divers & plus varié ſi l'on conſidere les differentes attitudes des perfon nages , & les expreffions particulie res de leurs paffions. Tout ne va qu'à reprefenter l'eftonnement, l'ad miration , la furpriſe & la crainte que cauſe l'arrivée du plus celebre Conquerant de la Terre , & ces paffions qui n'ont toutes qu'un mefme objet fe trouvent differem ment exprimées dans les diverfes " K vj 228 Paralelle perfonnes qui les reffentent. La Mere de Darius abbatuë fous le poids de fa douleur & de fon âge , adore le Vainqueur , & profternée à fes pieds qu'elle embraffe , tafche de l'émouvoir par l'excez de fon accablement , la femme de Darius non moins touchée mais ayant plus de force , regarde les yeux en larmes celuy dont elle craint & at tend toutes chofes. Statira dont la beauté devient encore plus tou chante par les pleurs qu'elle ré pand , paroift n'avoir pris d'autre parti que celuy de pleurer. Pariſa tis plus jeune & par confequent moins touchée de fon malheur fait voir dans les yeux la curiofité de celles de fon fexe , & en meſme temps le plaifir qu'elle prend à contempler le Heros dont elle a oüy dire tant de merveilles. Le jeu ne fils de Darius que fa Mere pre fente à Alexandre paroift furpris mais plein d'une noble affeurance que luy donne le fang dont ileft né, 9. des Anciens & des Modernes. 229 &l'accouftumance de voir des hom mes armez comme Alexandre. Les autres perfonnages ont tous auffi leur caractere fi bien marqué , que non feulement on voit leurs paf fions en general , mais la nature & le degré de ces paffions felon leur âge , leur condition & leur païs. Les Efclaves y font profternez la teſte contre terre dans une profon de adoration , les Eunuques foibles & timides femblent encore plus faifis de crainte que d'eftonnement, & les femmes paroiffent mefler à leur crainte un peu de cette con fiance qu'elles ont dans l'honnefteté qui eft dûe à leur fexe. D'ailleurs , quelle beauté & quelle diverfité dans les airs de tefte de ce Tableau ; ils font tous grands , tous nobles & fi cela fe peut dire , tous heroi ques en leur maniere , de meſme que les veftemens , que le Peintre a recherchez avec un foin & une eftude inconcevable. Dans le Ta bleau des Pelerins toutes les teftes , 230 Paralelle & toutes les draperies , hors celles du Chrift & des deux Difciples qui ont quelque nobleffe , font prifes fur des hommes & des femmes de la connoiffance du Peintre , ce qui avilit extremement la compofition de ce Tableau , & fait un mellan ge auffi mal afforti , que fi dans une Tragedie des plus fublimes on mef loit quelques Scenes d'un ftile bas & comique. Si nous voulons pre fentement entrer dans ce qui eſt du pur Art de la Peinture , nous trou verons que non feulement la Perf pective y eft par tout bien obfervée, mais que rien ne ſe peut ajouter à la belle œconomie du tout enfem → ble; les figures qui femblent parti . ciper prefque également à la meſme lumiere ,font neantmoins tellement degradées, que fion les vouloit chan ger de place , elles ne pourroient s'accorder enſemble , à caufe de la difference de leur teinte , qui fem ble la meſme dans la fituation où ellesfont, mais qui paroiftroit alors des Anciens &des Modernes. 2Ft tres-differente. Voila ce qui ne ſe peut pas dire fi pofitivement duTa bleau des Pelerins de Paul Vero nefe, ny de la plufpart des Tableaux de fon temps. Ainfi je compare les ouvrages de nos excellens Moder nes à des corps animez , dont les parties font tellement liées les unes avec les autres , qu'elles ne peuvent pas eftre mifes ailleurs qu'au lieu où elles font ; & je compare la pluſ part des Tableaux anciens à un amas de pierres ou d'autres choſes jettées enſemble au hazard , & qui pour roient fe ranger autrement qu'elles ne font fans qu'on s'en apperçuft. LE CHEVALIER. Je vous avoue que le Tableau de Ja famille de Darius m'a tousjours femblé le chef- d'œuvre de Mr.le Brun ; & peut-eftre que l'honneur qu'il a eu de le peindre fous les yeux du Roy , eft caufe qu'il s'y eft furpaffé luy- mefme ; car il le fit à Fontaine- bleau , où Sa Majesté pre 232 Paralelle noit uneextreme plaifir tous lesjours à le voir travailler. LE PRESIDENT. Quoy donc le faint Michel & la fainte famille que nous venons de voir ne feront pas comparables aux Tableaux de Monfieur le Brun. > L'ABBE'. Je ferois bien fafché d'avoir avan cé une telle propofition , ce font deux chef- d'œuvres incomparables, & qui furpaffent comme je l'ay dé ja dit , tout ce que l'Italie a de plus beau. Il y a quelque chofe de fi grand & de fi noble dans l'attitude & dans l'air de tefte du faint Mi. chel , la correction du deffein y eſt fi jufte , & le meflange des couleurs fi parfait , que ce qui peut y eftre defiré comme un peu moins de for ce dans l'extremité des parties om brées , n'empefche pas qu'il ne foit le premier Tableau du monde à moins qu'on ne luy faffe difputer > des Anciens & des Modernes. 233 ce rang par le Tableau de la fainte Famille. LE PRESIDENT. Vous paffez donc condamnation pour ces deux Tableaux ; & voila le fiecle de Raphaël au deffus du noftre. L'ABBE'. Cela ne conclut pas. Je demeure d'accord que ces deux Tableaux , & plufieurs autres Maiftres anciens excellent tellement dans les parties principales de la Peinture , qu'à tout prendre ils peuvent eftre preferez à ceux d'aujourd'huy, mais jefouftiens que ces grands hommes ont tous manqué en de certaines parties , où nos excellens Maiftres ne manquent plus. Raphaël par exemple a fi peu connu la degradation des lumieres , & cet affoibliffement des couleurs que caufe l'interpofition de l'air en un mot ce qu'on appelle la Perf pective Aërienne , que les figures du T 234 Paralelle fond du Tableau font prefque auffi marquées que celles du devant , que les feuilles des arbres efloignez fe voyent auffi diftinctement que cel les qui font proches , & que l'on n'a pas moins de peine à compter les feneftres d'un baftiment qui eft à quatre lieuës , que s'il n'eftoit qu'à vingt pas de diſtance. Ainfi à re garder la Peinture en elle- mefme & entant qu'elle eft un amas de preceptes pour bien peindre , elle eft aujourd'huy plus parfaite & plus accomplie qu'elle nel'a jamais efté dans tous les autres fiecles. Je diray mefme que je nefuis pas bien ferme dans le jugement que je fais en fa veur des Tableaux de ces anciens Maiftres , non feulement à cauſe du refpect dont je fuis prevenu pour leur ancienneté , mais auffi à cauſe de la beauté réelle & effective que cette ancienneté leur donne. Čar il y a dans les ouvrages de Peinture comme dans les viandes nouvelle ment tuées , ou dans les fruits fraif des Anciens & des Modernes. 135 chement cueillis , une certaine cru dité & une certaine âpreté , que le temps feul peut cuire & adoucir en amortiffant ce qui eft trop vif, en affoibliffant ce qui eft trop fort, & en noyant les extremitez des cou leurs les unes dans les autres : Qui fçait le degré de beauté qu'aquerre ra la Famille de Darius , le Triom phe d'Alexandre , la deffaite de Po rus &les autres grands Tableaux de cette force , quand le temps aura achevé de les peindre , & y aura mis les mefmes beautez dont il a enrichi le faint Michel & la fainte Famille. Car je remarque que ces grands Tableaux de Monfieur le Brun fe peignent & s'embeliffent tous les jours, & que le Temps en у adouciffant ce que le pinceau ju dicieux luy a donné pour eftre a douci & pour amufer fon activité qui fans cela s'attaqueroit à la fub ftance de l'ouvrage , y ajouſte mille nouvelles graces, qu'il n'y a que luy feul qui puiffe donner. > 236 Paralelle LE CHEVALIER. Ce que vous dites- là me fait fou venir d'une espece d'Emblefme que j'ay vûë quelque part dans une Poë fie qui traite de la Peinture. Le Temps y eft reprefenté fous la figu re d'un Vieillard , qui d'une main tient un pinceau dont il retouche & embellit les ouvrages des excel lens Maiftres , & de l'autre une ef ponge dont il efface les Tableaux des méchans Peintres. Je me fuis tousjours fouvenu des Vers que je vais vous dire. Sur les uns le Vieillard à qui tout eft pof fible, Paffoit defonpinceau la trace imperceptible ; D'une couche legere alloit les bruniffant , T mettoit des beaute mefme en les effa Sant ; Adouciffoit lesjours , fortifioit les ombres , Et les rendant plus beaux en les rendant plus fombres , des Anciens & des Modernes. 239 Leur donnoit ce teint brun qui les fait ref pecter, Et qu'un pinceau mortel ne sçauroit imiter. Sur les autres Tableaux d'un mépris in croyable , Il paffoit fans les voir l'éponge impitoyable Et loin de les garder auxfiecles à venir , Il en effaçoit tout jufques aú fouvenir, L'ABBE . Cela eft tres- vray , & il y aura tousjours de la peine à comparer un Tableau ancien avec un moderne , parce qu'on ne fçait ce que fera le Temps & quelles beautez il doit ajouter au Tableau nouveau fait. Ainfi je fouftiens tousjours que la Peinture en elle mefme eft aujour d'huy plus accomplie que dans le fiecle inefme de Raphaël , parce que du cofté du clair obfcur , de la degradation des lumieres & des di verfes bienfeances de la compofi tion , on eft plus inftruit & plus de licat qu'on ne l'a jamais eſté, 1 238 Paralelle LE PRESIDENT. Cependant , ce n'eft pas là le fentiment commun ; & fi l'on en croit les Connoiffeurs , les moindres Tableaux des Anciens vont devant les plus beaux des Modernes. L'ABBE'. Vous croyez fans doute que cela vient du peu d'habileté de nos Pein tres & de la grande capacité de ceux qui en jugent , je vous declare que c'est tout le contraire. Si nos Peintres vouloient bien prendre moins de peine à leurs Tableaux en faire la compofition plus fimple & fans Art, marquer le proche & le loin prefque également , & ne s'attacher qu'à la belle couleur , en un mot faire des efpeces d'enlumi neures pluftoft que de vrais Ta bleaux , nos pretendus Connoiffeurs en feroient mille fois plus contens ; mais les Peintres aiment mieux ne plaire qu'à un petit nombre de gens des Anciens & des Modernes, 239 qui s'y connoiffent , qu'à une mul titude peu éclairée. Un feul homme du métier qu'ils eftiment ou qu'ils craignent , les anime plus & les fair plus fuer que tout le reſte du mon de enſemble. LE CHEVALIER. Je trouve qu'ils ont raiſon , & qu'il feroit plus à propos de nous inftrui re dans la Peinture pour en bien ju ger , que de vouloir qu'ils peignent malpour nous fatisfaire, LE PRESIDEN T. Eft-ce que tant de gens d'efprit , dont le fiecle eft rempli ne fe con, noiffent pas en Peinture, L'ABBE. Il y en a beaucoup qui s'y con noiffent , mais il y en a encore da vantage qui n'eftant point nez pour les Arts , & n'en ayant fait aucune eftude n'y entendent rien du tour, 240 Paralelle LE CHEVALIE R. Cela eft fi vray , que quand ces gens d'efprit qui n'ont pas le genie des Arts , font quelque comparaiſon tirée de la Peinture , on ne peut les Louffrir pour peu qu'on s'y con noiffe, ་ L'ABBE. mes , C'eſt une verité que je n'aurois pas de peine à leur dire à eux- mef puifque Appelle qui n'eftoit pas moins bon Courtisan que bon Peintre n'en fit pas de fineffe à Alexandre tour Alexandre qu'il ef toit , car un jour que ce Conque rant de l'Afie , & dire quelque > pour choſe de plus dans la choſe dont il s'agit , que cet excellent difciple d'Ariftote , raiſonnoit avec luy fur unde fes Tableaux , & en raiſonnoit fort mal. Si vous m'en croyez , luy dit Appelle , vous parlerez un peu plus bas, de peur que ce jeune Ap prentif qui broye là des couleurs ne > des Anciens & des Modernes. 241 mocque de vous ; Tant il elt vray qu'on peut eftre de tres- gran de qualité , avoir de l'efprit infini ment , & ne fe connoiftre pas en Peinture.. 2 ne ſe LE PRESIDENT. Mais que direz -vous des Curieux qui font du mefme avis ? Vous ne pouvez pas les traiter d'ignorans en Peinture, eux qui en decident fou xerainement.. L'ABBE. Il y a quelques Curieux qui ont le gouft tres-fin ; mais il y en a beau coup qui ne fe connoiffent en Ta bleaux que comme les Libraires fe connoiffent en Livres. Ils fça vent le prix , la rareté & la genea logie d'un Tableau fans en connoif tre le vray merite , comme les Li braires fçavent parfaitement ce qu'un. Livre doit eſtre vendu , l'a bondance ou le peu d'exemplaires qu'il y en a , & l'hiftoire de fes édi . Tome I. L Paralelle 242 tions fans rien fçavoir de ce qui est contenu dans le Livre. LE CHEVALIER. Je fuis perfuadé que les Curieux dont vous parlez font plus habiles que vous ne dites , mais qu'ils font bien aifes d'entretenir la paffion des vieux Tableaux , & pour cauſe. L'ABBE' . Il y a un peuple entier que cette manie fait fubfifter , & je ne doute point que la manufacture des vieux Tableaux ne foit encore d'un plus grand profit que celle des Buftes antiques dont nous avons parlé. LE PRESIDENT. Vous direz tout ce qu'il vous plai ra , mais je maintiendray tousjours que les Zeuxis & les Appelles en fçavoient plus que les Raphaëls & les Titiens , & que ces derniers ont efté de beaucoup plus habiles que tous les Peintres de noftre temps , quQu국내ceACG des Anciens & des Modernes. 243 qui ne feront jamais que de foibles diſciples de ces grands hommes. LE CHEVALIER. Je voy bien que vous ne vous per fuaderez pas l'un l'autre. Je ferois d'avis maintenant que la plus gran de chaleur eft paffée , de commen cer noftre promenade. L'ABBE' . Tres volontiers , allons voir les jardins , & ne faifons autre choſe que de les bien voir. Ce n'eſt pas qu'en confiderant les Jets d'eau de ce Parterre , qu'on peut appeller des Fleuves jaliffans , je n'aye bien de la peine à ne pas demander fi les Anciens ont eu rien de femblable. · LE PRESIDENT. Nous nelifons pas qu'ils ayent eu des fontaines auffi magnifiques que celles-cy , ils aimoient mieux pour l'ordinaire voir tomber l'eau de haut en bas felon fon inclination Lij 244 Paralelle naturelle , ce qui peut- eftre n'a pas moins de grace que ces jets violens & forcez , qui fatiguent les yeux & l'imagination par leur contrainte continuelle, 19 13. L'ABBE. Quand on a des eaux qui jallif fent , il eft aifé d'en avoir qui tom bent de haut en bas. LE PRESIDENT. Cependant on ne peut pas dire que les Anciens ayent cfte moins, magnifiques qu'on ne l'eft aujour d'huy fur le fait des Fontaines , fi l'on confidere feulement la gran deur immenfe de leurs Aqueducs, L'ABBE. Si vous pouviez voir le nombre infini d'Aqueducs qui ferpentent icy fous terre de tous coftez , vous ver riez que la difference n'eſt pas fi grande que vous vous l'imaginez , Je fouftiens d'ailleurs que la feule / A des Anciens & des Modernes. 245 machine qui efleve l'eau de la Seine pour eftre amenée dans ce parc , a quelque chofe de plus eftonnant & de plus merveilleux que tous les Aqueducs des Romains. Quoy qu'il en foit , s'il eft vray que l'eau foit Pame des jardins , quels jardins nè paroiftront morts ou languiffans auprés de ceux- cy ? Je fuis feur que fi en nous en retournant nous trou vions ceux de Semiramis ou ceux de Lucullus , ils nous fembleroient bien mornes & bien melancholiques. LE CHEVALIER. V • Je croy meſme que les Jardins du Roy Alcinous , auroient peine à fe fouftenir malgré la beauté de leurs eaux qu'on dit avoir efté incompa rables & dont Homere , à ce que j'ay ouy dire à un fort habille hom me a fait une deſcription fi belle & fi naïve , que tous les Poëtes qui Juy ont fuccedé , & tous ceux qui viendront jufqu'à la fin du monde , n'en feront jamais de ſemblable. › Liij 246 Paralelle L'ABBE. Je n'ay point veu cette defcrip tion , Homere * dit fimplement que dans les jardins d'Alcinoüs,il y avoit deux Fontaines , dont l'une ſe ré pandoit dans tout le jardin ; & l'au tre paffant fous le feuil de la porte , alloit fe rendre dans un grand re fervoir , pour fournir de l'eau aux Habitans de la Ville . Cet habille Homme dont vous parlez s'eft mal adreffé pour loüer Homere , qui en cet endroit ne merite ny blafme ny loüange. > LE CHEVALIER. Il mefemble que ces piedeftaux , 'ces focles & ces efcaliers de mar. bre n'eftoient que de pierre il y a quelques années. < L'ABBE'. Cela eft vray , & l'on peut dire de Verſailles ce qu'on difoit de Ro

  • Odiff. liv. 7.

des Anciens & des Modernes. 247 > me, que de brique qu'elle eftoit , Augufte l'avoit renduë toute de marbre. Il eſt raisonnable que tout augmente dans ce Palais , & fe proportionne de jour en jour à la grandeur du Maistre. Confiderons, je vous prie , ces trois fontaines celle du milieu fe nomme la fon taine de la Pyramide , & celle des coftez les fontaines des Couronnes , ce font des morceaux d'Ouvrages qui meriteront long- temps d'eftre regardez. Mais que dites - vous de cette nappe d'eau & du grand bas relief qu'elle couvre entierement fans le cacher , ne vous femble-t'il pas que le mouvement de l'eau don ne auffi du mouvement aux figures , & que ces Nymphes qui fe bai gnent , fe baignent dans de l'eau veritable. Voila un bas- relief dans toutes fes regles , il eft du fameux Girardon. Non feulement les figu res y paroiffent de ronde boffe & detachées de leur fond mais é loignées les unes des > autres ; & L iiij 248 Paralelle s'enfoncer les unes plus , les autres moins dans le lointain du Païfage Voila Padreſſe du Sculpteur de fça voir , comme nous l'avons déja dir , avec deux ou trois pouces de re lief , feindre toutes fortes d'efloi gnemens. Defcendons par cette al . Jée qu'on nomme l'allée d'eau. Ces Gueridons de part & d'autre , qui portent des Flambeaux de Crif tal , mais d'un Criſtal mouvant & animé , vous plaiſent affeurément : & ce Dragon d'où fort une mon tagne d'eau , a quelque chofe de terrible qui ne vous plaift pas moins ; c'eſt le Serpent Pithon qu'Apollon a bleffé à mort & qui femble vomir fa rage avec fon fang. Je prevoy que cette Fontaine & la magnifique piece d'eau qui termine le Parc de ce cofté - là + vous arreſteront long- temps fi vous voulez en remarquer toutes les beautez. > des Anciens &des Modernes. 249 LE CHEVALIER. C'eſt une tentation dont il faut bien fe donner de garde quand on veut parvenir à voir tout Verfailles on n'en viendroit jamais à bout allons donc à l'Arc de Triomphe dont on ouvre la porte. L'ABBE': C'eft icy où il feroit mal-aifé de voir bien exactement tout ce qu'il ya de beau , de fingulier & de re marquable. LE PRESIDENT. Ce meflange d'or &8 de marbre de differentes couleurs fous cette eau qui redouble leur éclat naturel , & parmi cette verdure qui leur fert de fond , forment je ne fçay quoy de fi charmant & de fi fabuleux tout enfemble , qu'on ſe croit tranfporté dans ces Palais enchantez dont par lent les Poëtes , & qui ne fubfiftent que dans leur imagination. 24LE Lv 250 Paralelle L'ABBE'. Je ne fçay fi l'imagination des Poëtes a esté auffi loin , nous avons les fonges de Poliphile , où celuy qui en eſt l'Autheur , homme tres ingenieux , & qui s'eſt plû à for mer dans fon efprit tout ce qui peut rendre des Jardins agreables & ma gnifiques , n'a rien penfé qui en ap proche. Nous allons paffer dans un endroit tout different de celuy- cy qui cependant ne vous plaira pas moins , on l'appelle les Trois fon taines. Il femble que l'Art ne s'en foit pas meflé , & que la Nature feule en ait pris le foin point de marbre , point d'or , point de bron ze , ce n'eſt de l'eau & du ga que zon au milieu d'un bois , mais cet. te eau & ce gazon font fi bien dif pofez , & le terrain qui s'efleve in fenfiblement par une douce pente & par des degrez heureuſement placez , fe prefentent fi agreable. ment à la veuë , qu'elle ne peut fe 3 des Anciens & des Modernes. 251 t laffer d'un objet fi naturel & fi ai mable. Cette piece eft une de celles où l'excellent Monfieur le Noftre, qui a donné & fait executer tous les deffeins des Jardinages , a autant bien réüffi. Paffons dans la piece du Marais qui nous attend , ne trou vez-vous pas que ces Buffets & ces grandes Tables de marbre blanc font bien fuperbes , que ces Jets d'eau qui fortent de ces joncs & de ces branches d'arbres font bien ruftiques , & que ce meflange du Riche & duChampeftre donne du plaifir à l'imagination . Il faut re marquer que dans les Jardins de ce Palais tout s'y reffemble pour eftre beau , magnifique & agreable , & que rien ne s'y reffemble nean moins , parce que toutes les cho. fes qu'on y voit , ont chacune un different caractere de beauté , de magnificence & d'agrément. Le nombre infini de merveilles dontfont remplis les autres endroits qu'ils vifiterent , les Bofquets , l'E L vj 252 Paralelle , &c. toille , l'Encelade , la Salle des Fef tins , la Gallerie des Antiques , la Colonnade , le Labyrinthe , & la Salle du Bal , les convainquirent de cette verité. Las de marcher à n'en pouvoir plus , ils ne fe pouvoient laffer de voir tant de chef- d'œuvres & de l'Art & de la Nature. La nuit feule mit fin à leur promenade , & les obligea de fe retirer pour pren dre du repos. FIN. VILLE DE LYON list . du Palais des Arts E Ex20EtD'Et LE SIECLE DE LOUIS LE GRAND. POEM E. LAbelle Antiquité fut toujours venerable , Maisje ne crus jamais qu'ellefuſt adorable. Fe voy les Anciens,fans plier les genoux » Ils font grands, il eft vray, mais hommes commenouss Et l'onpeut comparerfans craindre d'eftre injufte , Le Siecle deLouisau beauSiecle d' Augufte. En queltems feut-onmieux le dur métier de Mars? Quand d'unplus vifaffautforça-t'on des rempars ? Et quand' vit-on monter ausommet de lagloire, D'unplus rapide cours le char dela Victoire? Sinous voulions ofter le voile fpecieux , Que la Prevention nous met devant lesyeux`s Etlaffez d'applaudir à mille erreurs groffieres , Nousfervir quelquefois de nospropres lumieres LE SIECLE Nous verrions clairement quefans temerité Onpeut n'adorerpas toute l'Antiquité , Et qu'enfin dans nos jours , fans trop de confiance On luy peut difputer le prix de la ſcience. Platon quifut divin du temps de nos ayeux , Commence àdevenir quelquefois ennuyeux : En vain fon Traducteur partifan de l'Antique ; Enconferve la grace & tout lefel attique , Du lecteurle plus afpre & le plus refolu , Undialogue entier ne sçauroit eftre lû. Chacun fçait le decri du fameux Ariftote, EnPhifique moins feur qu'en Hiftoire Herodote s Ses écrits qui charmoient les plus intelligens. < Sont à peine reçûs de nos moindres Regens. Pourquoy s'en étonner ? Dans cette nuit obfcure Où fe cache à nosyeux la fecrette Nature Quoique le plusfçavant d'entre tous les humains , Il ne voyoit alors que des phantofmes vains. Chez luy,fans nul égard des veritables caufes , Defimples qualitez operoient toutes chofes, Et fon fyfteme offcur rouloit tout fur cepoint ; Qu'une chofe fefait de ce qu'elle n'eft point,

  • M. l'Abbé de Maucroix,

J . J' DE LOUIS LE GRAND. D'une épaiffe vapeur feformoit la Comete , Surunfolide Ciel rouloit chaque Planette , Et tous les autresfeux dans leurs vafes dorez, Pendoient du riche fond des lambris aZurez. Ociel ! depuis le jour qu'un art incomparable , Trouva l'heureux fecret de ce verre admirable Parqui rienfur laTerre & dans le haut des Cieux, Quelque éloigné qu'ilfoit , n'eft trop loin de nosyeux. De quel nombre d'objets d'une grandeur immenſe, S'eft accrue en nosjours l'humaine connoiſſance, Dansl'enclos incertain de ce vafte Univers , € Mille Mondes nouveaux ont efté découverts , Et denouveaux Soleils,quand la nuit tendfes voiles, Ľ Egalent deformais le nombre des eftoiles. Par des Verres encor non moins ingenieux , L'œil voit croiſtre fous luy mille objets curieux Il voit , lors qu'en un point ſaforce eft reünie , De l'Atome auNeant la diftance infinie ; Il entre dans le fein des moindres petits corps, De lafage Nature il y voit les refforts , Etportantfes regards juſqu'enfon Sanctuaire ; Admire avec quel art en fecret elle opere.

LE SIECLE L'homme de mille erreurs autrefois prevenú, Et malgrẻſonſçavoir à foy-même inconnu, Ignoroit enreposjufqu'aux routes certaines , Du * Meandre vivant qui coule dans fès veinės Des utiles vaiffeaux où defes alimens Sefont pourle nourrir les heureux changemens. Il ignoroit encor laſtructure & l'uſage , Et defon propre corps le divin affemblage. Nonnonfurlagrandeur des miracles divers ; Dont lefouverain Maiftre a rempli l'Univers , La docte Antiquité dans toute fa durée , Al'égat de nos jours nefut point éclairée. Maisfi pour la Nature elle eut de vains Auteurs , Fe la voy s'applaudir defes grands Orateurs , Fe voy les Cicerons , je voy les Demofthenes', Ornemens éternels & de Rome & d'Athenes , Dont le foudre éloquent mefait déjatrembler , Et qui de leurs grands Noms viennent nous accabler. Qu'ils viennent je le veux , mais quefans avantage Entre les combattans le terrain fe partage; Quedans noftre Barreau l'on les voye occupez A défendre d'un champ troisfillons ufurpez s Fleuve qui retourne plufieurs fois fur luy-mefme, C ESI DE LOUIS LE GRAND. A Qu'inftruitsdans la Couftume, ils mettent leur eftude prouver d'un égouft la juftefervitude s Ou qu'en riche appareil la force deleur Art Eclatte àfouftenir les droits deJean Maillart. Si leur baute éloquence , en fes demarches fieres Refufe de defcendre à ces viles matieres Quenos grands Orateursfoient affezfortunez Pour défendre comme eux des * Cliens couronne Ou qu'ungrand Peuple enfoule accoure les entendre Pour declarer la guerre au Pere* d'Alexandre , Plus qu'eux peut-eftre alors diferts & vebemens , Ils donneroient l'effor au plus grands mouvemens Etfi pendant le cours d'une longue Audience Malgréles traits hardis de leur vive éloquence . On voit nos vieux Catons fur leurs riches Tapis Tranquilles auditeurs & fouvent affoupis , Onpourrait voir alors au milieu d'une place, S'émouvoir , s'écrier l'ardente Populace. 3 Ainfiquandfous l'effort des Autans irritez . Lespaifibles Eftangs font à peine agitez , Lesmoindres Aquilons fur les plainesfalées , Elevent jufqu'aux Cieux les vagues ébranlées. Ciceron plaida pour le Roy Dejotarus. ་

  • Demofthene haranguoit contre Philippe pere d'Alexandre

LE SIECLE Pere de tous les Arts , à qui du Dieu des vers Les Myfteresprofonds ont efté découverts ; Vafte & puiffant Genie , inimitable Homere, D'un refpect infini ma Mufe te revere : Non ce n'eft pas à tort que tes inventions , En tout temps ont charmé toutes les Nations ; Que detes deux Heros les hautes avantures , Sont le noblefujet des plus doctes peintures , Et que des grands Palais les murs & les lambris Prennent leurs ornemens de tes divins écrits , Cependantfi le Ciel favorable à la France , Au Siecle où nous vivons euft remis ta naiſſance , Centdéfauts qu'on impute aufiecle où tu naquis Neprophaneroient pas tes ouvrages exquis. Tesfuperbes Guerriers prodiges de vaillance , Prefts des'entrepercer du longfer de leurlance ; N'auroientpas fi long-temps tenu le bras levé ; Et lorsquele combat devrait eftre achevé , Ennuyé les Lecteurs , d'une longue Preface , Surles faits éclatans des Heros de leur Race. Ta verve auroitformé ces vaillans demy-Dieux ; Moins brutaux ,moins cruels & moins capricieux. › D'ChSa0E( DE LOUIS LE GRAND. 7 D'une plusfine entente && d'un art plus habile , Auroit efteforgé le bouclier d'Achille , Chef-d'œuvrede Vulcan , oùfonfçavant burin , Sur lefront lumineux d'un refonnant airain , Avoit gravé le Ciel , les Airs,l'Onde & la Terre ; Et tout ce qu' Amphitrite enfes deux bras enferre , Oùl'on voit éclater lebel Aftre dujour, Et la Lune , au milieu defa brillante Cour. Où l'on voit deux Citez parlant diverſes langues , Où de deux Orateurs on entendles harangues , Où dejeunes Bergersfur la rive d'un bois , Danfent l'un aprés l'autre , &puis tous à lafois , Où mugituntaureau qu'un fier lion devore , Oùfont dedoux concerts ; & cent chofes encore Quejamaisd'unburin quoy qu'en la main desDieux, Lelangagemuet ne sçauroit dire aux yeux : Cefameux bouclier dans un Siecle plusfage, Eût efteplus correct & moins chargé d'ouvrage. Ton genie abondant enfes deſcriptions Net'auroitpaspermis tant de digreffions, Et moderant l'excez, de tes allegories , Eûtencor retranché cent doctes rêveries > LE STECLI Outon efprit s'égare &prenddetel's effors; Qu'Horacetefait grace en disant que tu dors. Menandre , j'enconviens eut un rare genie, Et pour plaire au Theatreune adreffe infinie. Virgile j'y confens merite des Autels Qvide eft digne encor des honneur s'immortels : Mais ces rares Auteurs qu'aujourd'huy l'on adore , Eftoient-ils adorez quand ils vivoient encore? Ecoutons * Martial , Menandre efprit charmant Fut du Theatre grec applaudi rarement : Virgile vit les vers d'Ennius le bon-homme , Lûs, cheris , eftimez des Connoiffeurs de Rome , Pendant qu'aveclangueur on écoutoit lesfien's Tant oneft amoureux des Auteurs anciens Etmalgré ladouceur defa veine divine, Ovide eftoit connu de fa feule Corinne , Ce n'estqu'avec le Temsque leur nom s'accroiffant, Ettoujoursplus fameux d'âge en âgepaffant, Alafin s'eft acquis cette gloire éclatante , Qui de tant dedegrez a paffè leur attente , Tel à flots épandus un fleuve impetueux , En abordant la mer coule majestueux ;

  • Liv. 5. Epigr.10. cette epig. eft cy-devant p. 108μ

. > DE LOUIS LE GRAND. 9. Quifortant defon rocfurl'herbe de fes rives ,, Trouloit inconnufes, ondesfugitives. [tenir Donc quel haut rangd'honneur ne devront point Danslesfafies facrez des Siecles avenir, [herbes Les Regniers, lesMaynards,les Gombauds, lesMal Les Godeaux , les Racans , dont les écritsfuperbes s Enfortant deleur veine &dez qu'ilsfureut nez , D'un laurierimmortel fe virent couronnez. Combienferont cheris par les Races futures, Les galans Sarrafins , & les tendresVoitures , Les Molieres naifs , les Rotrous , les Triftans , Etcent autres encor delices de leur Temps :: Mais quel fera lefort du celebre Corneille DuTheatrefrançois l'honneur & la merveille Quifçût fi bien mêler aux grands évenemens L'heroique beauté des nobles fentimens ? Qui des Peuples preffez vit centfois l'affluence, Parde longs cris de joye honorer faprefence , Et lesplusfages Rois defa veine charmez, Ecouterles Heros qu'il avoit animez. Deces rares Auteurs, au Temple de memoire, On nepeutconcevoir quellefera la gloire , ? "S 10 LE SIECLE Lors qu'infenfiblement confacrant leurs écrits , · LeTemps aurapour eux gagné tous les efprits ; Et par ce haut relief qu'il donne à toute chofe , Amené le moment de leur Apotheofe. Maintenant à loifirfur les autres beaux Arts , Pour en voirle fuccez , promenons nos regards. Amantedes appas de la belle Nature , Venez & dites-nous , agreable Peinture : Ces Peintres fifameux des Siecles plus âgez ; De talens inouisfurent-ils partage ; Et le doit-onjugerparles rares merveilles Dontleurs adorateurs rempliffent nos oreilles ; Faut-il unfi grand art pour tromper un oyfeau , UnPeintre eft-ilparfait pourbienpeindre un rideau? Etfut-ce un coup de l'art fi digne qu'on l'honore Defendre un mince trait, d'un trait plus mince enco Apeinemaintenant ces exploits finguliers [re. Seroient le coup d'effai des moindres écoliers. CesPeintrescommençans dans le peu qu'ils apprirent, N'enfçurent gueres plus que ceux qui les admirent Dansle Siecle paffé , des hommes excellens Poffedoient , il eft vray , vos plus riches talens ; DE LOUIS LE GRAND, II L'illuftre Raphaël , cet immenſe Genie , Pour peindre , eut uneforce , une grace infinie , Et tout ce queforma l'adreffe de fa main Porte un air noble & grand, qui femble plus qu'hu Après luy s'élevafon écolefçavante , [main, Et celle des Lombards à l'envy triomphante. De ces Maiftres de l'Art les Tableaux precieux Seront dans tous les temps le doux charme des yeux, De voftre Art cependant le fecret le plus rare , Ne leurfut départy que d'une main avare , Leplus docte d'entre eux ne fçût que foiblement , Duclair & de l'obfcur l'heureux menagement, Onne rencontre point dans leur fimple maniere Lemerveilleux effet de ce point de lumiere , Quifur unfeul endroit vif & refplendiffant , Vade tous les coftez toûjours s'affoibliſſant , Qui de divers objets que lesujet aßemble , Parle noeuddes couleurs nefait qu'un tout ensemble. Etprefente ànos yeux l'exacte verité Dans toute la douceur defa naïveté. Souvent fans nul égard du changementfenfible Quefait , de l'air épais, la maſſe imperceptible, 12 LE SIECLE. Lesplusfoibles lointains & les plus effacez Sont comme les devans diftinctement tracez , Nefçachantpas encor qu'un Peintre enfes ouvrages Des objets éloignez doit former les images Lorfque confufementfon œil les apperçoit , Non telles qu'elles font , mais telles qu'il les voit C'est parlà quele Brun toûjours inimitable , Donne à tout ce qu'ilfait un air fi veritable, Et que dans l'avenirfes ouvrages fameux· Seront l'étonnement de nos derniers neveux.. Non loin du beau fejour de l'aimable Peinture . Habitepourjamais la tardive Sculpture 3: Prés d'elle est la Venus , l'Hèrcule , l'Apollon , Le Bacchus , le Lantin & le Laocoon , Chef-d'œuvres de fon Art , choifis entre dix milles Leurs divines beautez, merendent immobile , Etfouvent interdit il me femble les voir Refpirer comme nous , parler & ſe mouvoir, C'eft icy , je l'avoue, où l'audace eft extréme , Defoûtenir encor monfurprenant Probléme ; Maisfil Art qui jamais nefe peut contenter; Decouvre des défautsqu'on leurpeut imputer, Si DE LOUIS LE GRAND. 13 Si du Laocoon la taille venerable, Decelle defesfils eft par trop diffemblable , Et fi les moites corps des ferpens inhumains Au lieu de deux enfans enveloppent deux nains ; Si lefameux Hercule a diverses parties , Pardes muscles tropforts un peu trop reffenties , Quoique tous les fçavans de l'Antique enteſtez Erigent ces défauts en de grandes beautez , Doivent-ils nousforcer à ne voir rien de rare , Auxchefs-d'œuvre nouveauxdont Versailles fe pare, Que tout hommeéclairé qui n'en croit queses yeux, Netrouve pas moins beaux pour n'eftre pasfi vieux? Quifefont admirer , &femblent pleins de vie, Tout expofexqu'ils fontaux regards de l'Envie. Mais que?n'en diront point les fiecles éloignez , Lors qu'il leurmanquera quelque bras, quelque nez ? Ces ouvrages divins où tout eft admirable , Sont dutemps de Louisce Prince incomparable Dirontles Curieux. Cet augufte Apollon Sort delafage main dufameux Girardon , Ces Chevaux du Soleil qui marchent, qui bondiffent ; Et qu'au rapportdes yeux on croiroit qu'ils haniffent, M 74 LE SIECLE Sont l'ouvrage immortel des deuxfreres Gafpards ; Etcet aimable Acis qui charme vos regards , Où tout eft naturel autant qu'il eft artifte , Nâquitfous le cifeau du gracieux Baptifte. Cettejeune Diane où l'œil à tout moment , Defon gefte leger , croit voir le mouvement , Quiplacée à fon gré le long de ces bocages , Semble vouloirfans ceße entrerfous leurs feuillages , Sedoit à l'Ouvrier dont lafçavante main , Sous les traits animez d'un Coloffe d'airain Secondant d'Aubuffon dans l'ardeur defon zele Du Herosimmortel fit l'image immortelle, Allons fans differer dans ces aimables lieux Detantde grands objets raffafier nos yeux. Ce n'eftpas un Palais , c'eſt une Ville entiere¸ Superbe enfa grandeur , Superbe enfa matiere ; Non, c'eft pluftoft un Monde, où dugrand Univers Setrouvent raffemblez les miracles divers. FeJe voy detoutes parts des fleuves qui falliffent Et quiforment des Mers des ondes qu'ils vomiffent , Par un Art incroyable ils ont eftéforcez Demonter aufommet de ces lieux exhaucez, R * Desjardins, DE LOUIS LE GRAND. IS Et leur eau qui deſcend aux jardins qu'elle arrofe , Dans cent riches Palais en paffant fe repoſe. Que leurpeut oppofer toute l' Antiquité , Pour égalerleur pompe & leur varieté ? Nagueres dansfa Chaire, un maistre enRhetorique. Pleinde cefol amour qu'ils ont tous pour l'Antique , Louant ces beauxJardins qu'il diſoit avoir vûs , Onlesprendroit , dit-il , pour ceux d'Alcinous. LeJardin de ce Roy , fil'on en croit Homere , Quife plut àformer une belle chimere , Utilement rempli de bons arbresfruitiers , Renfermoit dansfes murs quatre arpens tous entiers. Làfe cueilloit la poire , & la figue , & l'orange , Icy dans unrecoinfefouloit la vandange, Et là de beaux raifinsfur la terre épanchez , S'étalloient au Soleil pour en eſtre ſechez. Dans le Royal enclos on voyoit deuxfontaines , Non s'élever en l'air fuperbes & hautaines , Maisformer à l'envy deux paifibles ruiffeaux ; Dont l'un mouilloit le pied de tous les arbriſſeaux ; Et l'autre s'échapant duFardin magnifique Abruvoit les paffans dans laplace publique. . Mij 16 LE SIECLE Telsfont dans les hameaux des prochains environs Les ruftiques jardins de nos bons vignerons. Que j'aime lafraifcheur de ces boccagesfombres, Oùfefont retirez le repos & les ombres , Oùfansceffe on entend le murmure des eaux Quifert defymphonie au concert des oyfeaux : Maisce concert fi doux où leur amour s'explique , M'accufe d'oublier la charmante Musique. La Grece toûjours vaine eft encorfur ce point , Fabuleuse à l'excez & ne fe dement point , Si l'onofe l'en croire , un Chantre de la Thrace, Forçoit les animaux de le fuivre à la trace , Et mêmelesforefts , jufqu'aux moindres buiffons Tant le charme étoitfort de fes douces chanfons. Unautre plus expert , non content quefalyre Fift marcherfurfes pas les rochers qu'elle attire , Vit ces mefmesrochers defa lyre enchantez , Se pofer l'unfurl'autre &former des citez. Cesfables , il eft vray , fagement inventées , Parla Grece avec art ont efté racontées , Mais comment l'écouterquand d'un tonferieux Et mettant à l'écart toutfens myfterieux DE LOUIS LEGRAND. 17 Elle dit qu'à tel point dans le cœur le plus fage , Sesjoueurs d'Inftrumensfaifoient entrer la rage Enfonnant les accords du mode Phrygien , Que les meilleurs amis & les plus gens de bien ; Crioient , fe querelloient ,faifoient mille vacarmes ; Et pour s'entretuer couroient prendre des armes : Que quandces enragez écumant de couroux , Se tenoient aux cheveux & s'affommoient de coups Lesjoueurs d'inftrumens pour adoucir leur bile , Touchoient le Dorien modefage & tranquille , Et qu'alors ces mutins à defi doux accens , S'appaisant tout àcoup rentroient dans leur bonfens. Elle fe vante encor qu'elle eut une Muſique Utile au dernier point dans une Republique , Qui de toutfol amour amortiffoit l'ardeur , Et dufexe charmant confervoit la pudeur ; Qu'une * Reine autrefois pour l'avoir écoutée , Futprés d'unluftre entier en vain follicitée ; Mais qu'ellefuccomba dés quefon feducteur Eut chaffe d'auprés d'elle un excellent fluteur , Dons , pendant tout ce temps la hauteſuffiſance , Avoit de cent perils gardé fon innocence.... M iij 6x

  • Clytemnestre,

3 18 LE SIECLE: Avec toutefapompe &fon riche appareil , La Mufique en nosjours ne fait rien de pareil, Ce bel Art tout divin par fes douces merveilles, Nefe contentepas de charmer les oreilles , N'y d'allerjusqu'au cœur par fes expreffions Emouvoir àfon gré toutes les paffions : Il va , paffant plus loin , parfa beauté fupréme , Au plus haut de l'efprit charmer la raison même. Là cet ordre , ce choix et cesjuftes rapports Des divers mouvemens & des divers accords, Le choc harmonieux descontraires parties, Dans leurs tons oppofez fagement aſſorties , Dont l'unefuit les pas de l'autre qui s'enfuit Le mélange diferet dufilence & du bruit Etde mille refforts la conduite admirable Enchante la Raifon d'un plaifir ineffable. Ainfipendant la nuit quandon leve les yeux Vers les aftres brillans de la vonte des cieux , Plein d'une doucejoye on contemple , on admire Cet éclat vif& pur dont on les voit reluire , Et d'un refpect profond on fent toucher fon cœur Par leur nombre étonnant & leur vaftegrandeur: 1A DE LOUIS LE GRAND. 19 Mais fi de ces beaux feux les courſes mesurées, De celuy qui les voit ne font pas ignorées , S'il connoift leurs aspects & leurs declinaisons , Leur chûte & leur retour qui forment lesfaifons , Combienadore-t'illa Sageffe infinie , Qui de cette nombreuse & celeste harmonie , D'un ordrecompaffejufqu'aux moindres momens ? Regle les grands accords & les grands mouvemens ? La Grece , je le veux , eut des voixfans pareilles, Dont l'extreme douceur enchantoit les oreilles , Ses Maiftres pleins d'esprit compoferent des chants , Tels que ceux de Lulli , naturels & touchans ; Mais n'ayant point connu la douceur incroyable Queproduit des accords la rencontre agreable , Malgré tout le grand bruit que la Grece en afait , Chez elle ce bel art fut un art imparfait : Que fidefa Mufique on la vit enchantée , C'est qu'elle fe flata de l'avoir inventée , Etfon raviffementfut l'effet de l'amour Dont on eft enyvré pour ce qu'on met aujour. Ainfi lors qu'un enfant dont la langue s'effaye Commence à prononcer , fait du bruit & begaye ,

  • LesAnciens n'ont point connula Mufique à plufieurs parties.

10 LE SIECLE La mere qui le tient afes fens plus charmez De trois ou quatre mats qu'àpeine il aformez , Que de tous les difcours pleins d'art & defcience, Quedeclame enpublic la plus haute éloquence. Quene puis-je évoquer le celebre Arion , L'incomparable Orphée & lefage Amphion , Pour les rendre témoins de nos rares merveilles , [les. Quidansleur fiecle heureux n'eurentpoint de pareil Quandla toilefe leve * & que les fons charmans D'uninnombrable amas de divers inftrumens , Forment cette éclatante & grave symphonie, . Quiravit tous J lesfensparfa noble harmonie , que Et par qui le moins tendre en ce premier moment , Sent toutfon corps ému d'un douxfremiffement . Ou quand d'aimables voix la Scene raffemble , Mélent leurs divers chants &leur plaintes enſemble, Et parles longs accords de leur trifte langueur , Penetrent jufqu'au fond le moinsfenfible cœur ; Sur des Maiftres de l'art , fur des amesfi belles , Quelpouvoir n'auroient pas tant de graces nouvelles? Tout Art n'eft compofe que des fecrets divers Qu'aux hommescurieux l'ufage a découverts

L'Opera. DE LOUIS LE GRAND. 21 Et cet utile amas des chofes qu'on invente Sans ceffe chaque jour , ou s'épureon s'augmente : Ainfi les humbles toits de nos premiers ayeux » Couvertsnegligemment de joncs & de glayeux , N'eurent rien de pareil en leur architecture , Anos riches Palais d'éternelle ftructure : Ainfi le jeune chefne en fon âge naiffant , Nepeut fe comparer au chefne vieilliffant , Quijettantfurla terre unspacieux ombrage Avoifine le Ciel defon vafte branchage. Mais c'est peu, dira-t'on, quepar un long progreż, LeTemps de tous les Arts découvre lesfecrets , La Nature affoiblie en ce Siecle où nous sommes , Nepeutplus enfanter de cesmerveilleux hommes Dontavec abondance , en mille endroits divers , Elle ornoit les beauxjours dunaiſſant Univers , Et quetous pleins d'ardeur , de force & de lumiere ; Elle donnoit au monde en fa vigueur premiere. Aformer les efprits comme à former les corps , La Nature entout tempsfait les mefmes efforts , Son eftre eft immuable, & cetteforce aifée Dont elle produit tout , ne s'eft point épuisée : Mv 22 LE SIECLE t Famais l'Aftre dujour qu'aujourd'huy nous voyons; N'eutlefront couronné de plus brillans rayons , Famais dans le Printemps les rofes empourprées , D'unplus vifincarnat nefurent colorées : Non moins blanc qu'autrefois brille dans nos jardins L'éblouiffant émail des lis & desjafmins , C $ Et dans le fiecle d'or la tendre Philomele , Quicharmoit nos ayeux defa chanfon nouvelle N'avoitriende plus doux que celle dont la voix Réveille les échos qui dorment dans nos bois : Decette mefme main les forces infinies Produisent en tout temps defemblables genies. Les Siecles , il eft vray , font entre eux differens, C Il en fut d'éclairez , il enfut d'ignorans, Maisfi le regne heureux d'un excellent Monarque Fut toujours deleur prix & la caufe & la marque, Quel Siecle pourfes Roys , des hommes réveré , Au Siecle de Louispeut eftre preferé ? De Louis qu'environne une gloire immortelle , DeLouis des grands Rois le plus parfait modele, Le Ciel en leformant épuiſaſes tresors , Et le combla des dons de l'Efprit & du Corps': t DE LOUIS LE GRAND. 23. Par l'ordre des Deftins la Victoire affervie Afuivre tous les pas de fon illuftre vie, Animant les efforts defes vaillans Guerriers , Dés qu'ilregna fur nous le couvrit de lauriers ; Maislorsqu'il entreprit de mouvoir par luy-meſme, Lespenibles refforts de la grandeur fupréme s De quelle majefté , de quel nouvel éclat, Ne vit-on pas briller laface de l'Eftat ? Lapureté des loix par tout eftreftablie Desfuneftes duels la rage eft abolie ; Sa valeur en tous lieux foûtientfes alliez, Sous Elle , les ingrats tombent humiliez , Et l'on voit tout à couples fiers peuples de l'Ebre, Du rang qu'il tientfur ſ eux rendre un aveu celebre. Son brasfe fignalant par cent divers exploits , Desplaces qu'il attaque enprend quatre à lafois ; Auffi loin qu'il le veut il eftend fes frontieres , En dixjours il foûmet des Provinces entieres , Son Armée à fesyeux paffe un fleuve profond, Que Cefar ne paffa qu'avec l'aide d'un pont. De trois vaftes Eftats les haines declarées Tournent contre luyfeul leurs armes conjurées ; L 11 7 M vj 24 LE SIECLE ` Il abbat leur orgueil , il confond leursprojets, Etpour tout chaftiment leur impofe la paix. Inftruit d'où vient en luy cet excez de puiffance , Il s'enfert plein de zele & de reconnoiffance , Arendre à leur bercail les troupeaux égarez , Qu'une mortelle erreur en avoitfeparez , Ett parfespieux foins l'Herefie étouffée Fournit à fes vertus un immortel trophée. Peut-eftre qu'éblouis partant d'heureux progrez, Nous n'enjugeonspas bien pour en eftre trop prés » Confultons zu dehors & formons nos fuffrages -Augré des Nations desplus lointaines plages , Deces Peuples heureux où plus grand, plus vermeil, Surun char de rubis fe leve le Soleil , Où la Terre , entout temps , d'une main liberale, Prodiguefes trefors qu'avecpompe elle eftale , Dont les fuperbes Roysfontfi vains de leurfort Qu'unfeul regardfür eux eft fuivi de la mort. L'invincible Lau isfans flotte , fans armée , Laiffe agir en ces lieuxfafeule renommée. Et ces Peuples charmez.de fes exploits divers Traverſentfans repos le vaſteſein des mers, 3

DE LOUIS LE GRAND. 25 Pourvenir àfes pieds luy rendre un humble homma Pour fe remplir lesyeux defon auguste image , [ge Etgcufter le plaifir de voir tout à la fois , Deshommes le plus fage , & leplus grand des Rois. Ciel à qui nous devons cette fplendeur immenſe , Dont on voit éclatter noftre Siecle & la France , Pourfuis de tes bontez lefavorable cours, Et d'unfi digne Royconferve les beauxjours, D'un Roy qui degagé des travaux de la Guerre, Aimé defes Sujets , craint de toute la Terre , Neva plus occuper tousfes foins genereux , Qu'à nous regir en paix , & qu'à nous rendre hea reux. FIN. 1 27 EPISTRE AURO Y, AL'OCCASION DU POEME precedent. ET SUR L'EXCEZ DE JOYE que Paris tefmoigna de la convalefcence de Sa Majeſté. Ur, tonfiecle , GrandRoy, ton fiecle plein de gloire Sur lesficcles paffez remporte la victoire , Et dufameux combat qui l'efleve fur eux , Il5 nedoit qu'à Toyfeul tout lefuccez heureux : Il vient donc à tes pieds remettre la Couronne , Que defesfiers Rivaux la défaitte luy donne, Etreverer en Toy cette augufte Grandeur, Quifait toutefaforce & toutefa fplendeur, 28 EPISTRE Lorfquedes plus Sçavans ardemmentfouhaittée , Lapalme des beaux Artsfut entr'eux diſputée : Quandl'art de difcourir nos modernes Auteurs Oferent s'attaquer aux plus vieux Orateurs , Qu'aux Homeres divins , qu'aux Virgiles ſuperbes » On vitfe mesurer nos Racans , nos Malherbes. Qu'aux Chantresde la Grece en diversesfaçons , Noscelebres Lullis difputerent desfons ;. Que nos Sçavans le Bruns firent tefie aux Apelles, Nosfameux Girardons aux fameux Praxiteles ; D'uneaifle irrefoluë on vit volerlong-temps, La victoire d'auteuſe entre les combattans ; Maisquandpourreparer la honte qu'ils en eurent , Desfiecles efloignez les Monarques parurent , Fiers d'avoir en leurs jours parleurs exploits divers, Rempli d'eftonnement les yeux de l'Univers , A l'éclat fans pareil de ta folide gloire , Quidoit les vaincre encor dans le champ de l'Hiftoire , Onles vit fe troubler & tomber abbatus , Sousle nombre & le poids detes hautes vertus ; D'abordparfa valeur l'invincible Alexandre Auprix quit'attendoitfemblapouvoir pretendre AURO Y. 29 Maisdefon vafte orgueil le projet odieux , Ce defir infenfe d'eftre au nombre des Dieux ; Ses noirs emportemens , fon cœur de fang avide ; Et defon vin brutal lafureur homicide Ternirentpourjamais l'éclat deſa valeur ; Etfonfiecle confus en gemit de douleur. Dufecond des Cefars , la fageffe profonde Quifous dejuftes loixfceut regir tout le monde, Tele rendoit égal en pompe , en majesté , Quand des Profcriptions l'indigne cruauté , Obscurciffant les noms & dejufte & defage: Le força deceder & de terendre hommage. De ces nobles combats les témoins attentifs Nepurent fe refoudre à demeurer oififs ; L'Amourdes Anciens , cette aveugle manie` Qui des Actes guerriers, des Arts & du Genie , Ne mesureleprix qu'au feul nombre des ans, Pour les fiecles paẞez fit mille partifans 5 Mais ce brulant Amour de ta gloire immortelle Qui regne dans le cœur de ton Peuple fidelle : Peuplefi renommépar l'amour defes Rois De la Preventionfut l'heureux contrepoids. 4 . 30 EPISTRE Si cette noble ardeur pour Toyfans retenuě Avoitpeu jufque icy ne t'eftrepas connuë , Affez tu l'aspû voir dansnos vœux empreſſez Al'effroyable aspect de tes jours menace , Et lors qu'à la douleur tu ceffas d'eftre en proye, Affez t'en a parlé l'excez de noftre joye, Quipardefaintstranfports s'eflevantjufqu'auxCieux Eut encor le bonheur d'éclater à tes yeux. Quandfous les feux tonnans de tafoudre irritée , Par de rudes aßants une Ville emportée T'ouvroit fon triftefein , qu'abbatus à tes pieds Ses plus fiers habitans rampoient humiliez , Quefes murs démolis &fumans de carnage , Publioient du Vainqueur là force & le courage, De ces objets affreux s'élevoit un encens , Quipour toncœurguerrier eut mille attraits puiffans'; Maisconfeffe , grand Roy, qu'en cejourplein de char Oupourbenir le Ciel d'avoir tary nos larmes , [mes, Tuvins , ne confultant que tafeul bonté , Dansles murs bienheureux de ta vafte cité , Où tu vis à quel point , de fon Peuple fidelle , S'allumoientfous tes yeux l'allegreffe & le Zele 1 1 AU ROY. 30Où ce Peuple charmé cherchoit de toutes parts Leprecieux tresor d'un feul de tes regards , Et tafchant d'exprimer lefond defa penfee Parfes cris éclatans , &fafoule empreffèe, Tedifoit , enyvré de l'amour qui t'eft deu, Qu'iltiendroit tout fonfang dignement répandu S'ilpouvoit adjouſter , en dépit de l'Envie , Unrayon à tagloire , un moment à ta vie; Ouy, confeffe , Grand Roy , que peu d'autresplaifirs, D'une douceur pareille ont rempli tes defirs ; Ainfi puifque du Ciel la bontéfinguliere Rouvreà tesjours heureux une longue carriere D'unfointousjours tranquille & tousjours agiſſant s Rend , s'il fe peut tonfiecle encor plus floriſſant , Qu'à l'aspect des beautez qu'auraſeul ton Empire; Ainfi que le Paffe , l'Avenir enfoupire, Par l'honneurprecieux de tesfeconds regards Pouffe encore plus loin l'excellence des Arts , Force plus quejamais l'agreable Abondance , A verferfes trefors dans le fein de la France ; Et par l'épanchement de fes biens les plus doux ; Redouble le chagrin de nos voiſins jaloux : 30 EPISTRE Si cette noble ardeur pour Toyfans retenuě Avoitpeu jufque icy ne t'eftrepas connuë , Affez tul'aspû voir dans nos vœux empreſſez Al'effroyable aspect de tes jours menaceŻ, Et lors qu'à la douleur tu ceffas d'eftre en proye, Affez t'en aparlé l'excez de noftre joye, Quipardefaints tranfports s'eflevantjufqu'auxCieux Eut encorle bonheur d'éclater à tes yeux. Quandfous lesfeux tonnans de tafoudre irritée Par de rudes aẞants une Ville emportée T'ouvroit fon trifte fein , qu'abbatus à tes pieds Ses plus fiers habitans rampoient humiliez , Quefes murs démolis &fumans de carnage, Publioient du Vainqueur la force & le courage , De ces objets affreux s'élevoit un encens , Quipour toncœurguerrier eut mille attraits puiffans'; Maisconfeffe , grand Roy, qu'en cejourplein de char Ou pourbenir le Ciel d'avoir tary nos larmes , [mes, Tuvins , ne confultant que tafeul bonté , Dans les murs bienheureux de ta vafte cité , Où tuvis à quel point , de fon Peuple fidelle, S'allumoientfous tesyeux l'allegreffe & le Zele 1 1 AU ROY. 3 Où ce Peuple charmé cherchoit de toutes parts Leprecieux trefor d'unfeul de tes regards, Et tafchant d'exprimer lefond defa penſée Parfes cris éclatans , &fafoule empreffèe Tedifoit , enyvré de l'amour qui t'eft deu, Qu'iltiendroit tout fonfang dignement répandu S'ilpouvoit adjouſter , en dépit de l'Envie , Unrayon à tagloire , un moment à ta vie ; Ouy, confeffe , Grand Roy , quepeu d'autresplaifirs D'unedouceur pareille ont rempli tes defirs ; Ainfipuifque du Ciel la bontéfinguliere Rouvreà tesjours heureux une longue carriere D'unfointousjours tranquille & tousjours agiſfant ; Rend , s'il fe peut ton fiecle encor plus floriſſant , Qu'à l'aspect des beautez qu'aura feul ton Empire; Ainfi que le Paffe , l'Avenir enfoupire , Par l'honneurprecieux de tesfeconds regards Pouffe encore plus loin l'excellence des Arts , Force plus que jamais l'agreable Abondance, A verferfes trefors dans le fein de la France ; Et par l'épanchement defes biens les plus doux ; Redouble le chagrin de nos voiſins jaloux : 32 EPISTRE AU ROY. Seur quefi dans l'enclos desfiecles & du monde Ates hautes vertus il eft rien qui réponde , C'eftde ton Peuplefeul l'inébranlablefoy , Etl'amour infini dont il brufle pour toy. Fin de l'Epiftre.

. . LE GENIE EPIST RE 27 A MONSIEUR DE FONTENELLE OMMEonvoit des beautez fans grace &fans appas, Quifurprennent les yeux , mais qui ne touchentpas. Où brille vainement fur unjeune visage Dela rofe & dutys te pompeux affemblage ; Oùfous unfrontferein de beauxyeuxsefont voir Commedes Rois captifs , fansforce & fans pouvoir ? Tels on voit des Efprits au deffus du vulgaire , ` Quiparmicent talens n'ont point celuy de plaire. 28 LE GENIE. Envain, cher Fontenelle, ilsfavent prudemment Employerdans leursversjuſqu'au moindre ornemetà Prodiguer les grands mots , les figuresfublimes , Et porter à l'excez la richeffe des rimes ; On bâille , on s'affoupit , & tout cet appareil Aprés unlong ennuy cause enfinlefommeil. Ilfaut qu'une chaleur dans l'ame répanduë , Pour agir au dehors l'éleve & la remue , Luy fourniffeun difcours qui dans chaque auditeur On deforce ou de gre trouve un approbateur , Quifaififfe l'efprit , le convainque &le pique . Quidéride le frontdu plus fombre Critique , Et qui parla beauté defes expreffions Allume dans le cœur toutes les paffions. J' C'est ce feu qu'autrefois , d'une audace nouvelle Promethée enleva de la voute éternelle 5 Et que le Ciel répand , fans jamais s'épuifer Dans l'ame des Mortels qu'il veutfavorifer. L'Homme , fans ce beaufeu qui l'éclaire &l'épure N'eft que l'ombre de l'Homme & fa vaine figure , Il demeure infenfible à mille doux appas Que d'un œil languiffant il voit & nevoitpas. 1 LE GENIE. 29 Des plus tendres accords les fçavantes merveilles Frappentfans le charmerfes ftupides oreilles , Et les plus beaux objets quipaſſent parfes fens, N'ont tous pourfa raifon, que des traits impuiffans Il luy manque ce feu , cette divineflamme. L'Esprit defon Efprit & l'Amedefon Ame..! Queceluy qui poffede undon fi precieux , D'un encens éternel en rendegrace aux Cieux Eclairé parluy-mefme & fans eftude , habile , Il trouve à tous les Arts une route facile ; Lefçavoir le previent & femble luy venir Bien moinsdefon travail que de fonfouvenir. Sanspeine il fe fait jour dans cette nuit obfcure Oùfecache ànosyeux lafecrette Nature , Il voit tous les refforts qui meuvent l'Univers; Etfilefort l'engage au doux meftier des vers , Par luymille beautez à toute heurefont veuës , Que les autres Mortels n'ont jamais appercenës ; Quelque part qu'au matin il découvre des fleurs. Il voit lajeune Aurore y répandre des pleurs ; S'il jettefes regards fur les plaines humides, Ily voitfe jouer les vertesNereydes , د 30 LE GENIE. Etfon oreille entend tous les differens tons Quepouffent dans les airs les conques des Tritons. S'ilpromenefes pas dans uneforeftfombre, . Ily voit des Silvains & des Nymphesfans nombre , Qui toutes l'arc en main , le carquoisfur le dos De leurs corsenrouez réveillent les échos ; Etchaffant àgrandbruit dont terminer leur courfe Au bord desclaires eaux d'unebruyantefource. Tantoft il les verrafans arc &fans carquois Danfer durant la nuit au filence des bois , Etfous les pas nombreux de leur danfe legere Faire à peine plierla mouſſe & lafougère , Pendant qu'aux mefmes lieux le refte des Humains, Nevoit quedes chevreuils , des biches & des daims. C'est dans cefeufacré quegerme l'Eloquence Qu'elle yforgefes traits , fa noble vehemence , Qu'elleyrendfes difcours fi brillans & fi clairs : C'est cefeu quiformoit lafoudre & les éclairs Dont le fils de Xantippe & le grand Demofthenes Effrayoient à leurgré tout le peuple d' Athenes. C'est cette mefme ardeur qui donne aux autres Arts Ce qui merite eneux d'attirer nos regards.

  • Pericles

LE GENIE. 31 , 1 Quifeconde , produit parfes vertus fecrettes . Les Peintres,les Sculpteurs, les Chantres, les Poëtes, Tous ces hommes enfin en qui l'on voit regner Unmerveilleux fçavoir qu'on nepeut enfeigner , Unefaintefureur , unefage manie ,. Et tousles autres dons qui forment le Genie- . Au deffus des beautez , au deßus des appas Dont on voit fe parer la Natureicy bas , Sontdans ungrandPalais foigneusement gardées Del'immuable Beau les brillantes idées ; Modelles éternels des travaux plus qu'humains Qu'enfantent les efprits ou que forment les mains, Ceux qu'anime & conduit cette flamme divine Qui du flambeau des Cieux tire fon origine , Seuls y trouvent accés , &par d'heureux efforts rviennent enlever mille riches trefors ; Les celebres Mirons , les illuftres Apelles . Y prirent à l'envy mille graces nouvelles Ces charmantes Venus , cesfupiters tonnans Où l'on vit éclater tant de traits eftonnans , 3 Quela Nature mefme enfes plusbeaux ouvrages Nepeut nous en donner que de foibles images. 132 LE GENTE. Cefut-là qu'autrefoisfans l'usage des yeux 7 Du fiege d'Ilion le Chantre glorieux Découvrit de fon Art les plus facrez myſteres , Et prit defes Heros les divins caracteres ; Cefut là qu'ilforma la vaillance d'Hector. Lecourage d'Ajax , le bon fens de Neftor , Dufier Agamemnon la conduitefevere , Et du fils de Thetis l'implacable colere ; Ulyffe yfut conçu toûjoursfage & prudent Therfite toujours lache & toûjours impudent. Dans ce mêmefejour tout brillant de lumieres Où l'on voit des objets les images premieres , Il fçût trouver encor tant de varietez , Tant defaits merveilleux fagement inventez , Que malgré defontemps l'ignorance profonde , Defon temps trop voifin de l'enfance du monde Malgré de tous fes Dieux les difcours indecens , Ses redites fans fin , fes contes languiffans Dontl'harmonieux fon ne flatte que l'oreille , Et qu'illaiffe échapper quandfa Mufefommeille , En touslieux on l'adore , en tous lieuxfés écrits D'un charme inévitable enchantent les efprits. A 45353 +40% LE GENIE. 35 C'est là que s'élevoit le Heros de ta race , Corneille , dont tu fuis la glorieufe trace , C'est là qu'en centfaçonsfous desfantômes vains Sapparoiffoit à luy la vertu des Romains , Qu'babile il en tira ces vivantes images. Qui donnent tant de pompe à fes divins ouvrages ; Et qu'ilreleve encor par l'éclat de ces vers , Delices de la France & de tout l'Univers, Envain quelques Auteurs dont la Mufe fterile N'eûtjamais rien chanté fans Homere & Virgile, Pretendent qu'en nos jours on fe doit contenter De voir les Anciens & de les imiter, Et Qu'en leurs doctes travauxfont toutes les idées Que nous donnele Ciel pour être regardées, que c'est un orgueil aux plus ingenieux, Deporter autrepart leur efprit & leurs yeux Combienfans le fecours de ces rares modelles Envoit-on s'éleverpar des routes nouvelles ? Combiendetraits charmans femez dans tes écrits , Ne doivent qu'à toyſeul & leur eſtre &leurprix § Na-t'onpas vû des Morts aux rives infernales Briller de cent beautez toutes originales , 34 LE GENIE, Etplaire aux plus chagrinsfans redire enfrançois Cequ'un aimable Grec leur fit dire autrefois ? De l'Eglogue , en tes vers , éclate le merite , Sans qu'il encoufte rien aufameux Theocrite Quijamais nefit plaindre un amoureux deftin , D'un tonfidelicat fi galant & fi fin. Pourtoy,n'endoutons pas trop heureux Fontenelle , Des nobles fictions lafource est éternelle ; Pourtoy , pour tes égaux , d'un immuable cours Elle coulefans ceffe & coulera toûjours,

  • Lucien, que

Kange VON FIN.

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3






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