Paris, ses organes, ses fonctions, sa vie dans la seconde moitié du XIX siècle  

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"Paris, tel qu'il était au lendemain de la révolution de 1848, allait devenir inhabitable ; sa population, singulièrement accrue et remuée par le mouvement incessant des chemins de fer, dont le rayon s'étendait chaque jour davantage et se reliait aux voies ferrées des nations voisines, sa population étouffait dans les ruelles putrides, étroites, enchevêtrées où elle était forcément parquée."--Paris, ses organes, ses fonctions, sa vie dans la seconde moitié du XIX siècle (1869-1875) by Maxime Du Camp

"Paris, as we find it in the period following the Revolution of 1848, was about to become uninhabitable. Its population had been greatly enlarged and unsettled ... and now this population was suffocating in the narrow, tangled, putrid alleyways in which it was forcibly confined."

--Paris, ses organes, ses fonctions, sa vie dans la seconde moitié du XIX siècle (1870s) by Maxime du Camp, quoted in the English translation of The Arcades Project by Benjamin

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Paris, ses organes, ses fonctions, sa vie dans la seconde moitié du XIX siècle (1869-1875) is a six volume book on daily life in Paris by Maxime Du Camp.

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PARIS SES ORGANES, SES FONCTIONS ET SA VIE DANS LA SECONDE MOITIÉ DU XIX SIECLE PARIS. -- IMP. SIMON RAÇON ET COMP . , RUE D'ERFURTH, 1 . PARIS SES ORGANES SES FONCTIONS ET SA VIE DANS LA SECONDE MOITIÉ DU XIX . SIÈCLE PAR MAXIME DU CAMP Paris n'est pas une ville, c'est un monde ; FRANÇOIS A CHARLES-QUINT. TROISIÈME ÉDITION TOME SIXIÈME PARIS LIBRAIRIE HACHETTE ET CH BOULEVARD SAINT - GERMAIN, N° 79 - Droits de reproduction et de traduction réservés. •1876

1 1. — L'OCTROI. - La source La ferme généralo . -— Le mur L'incendie des barrières . - Les travaux indispensa Administration abstraite . — La tâche de Paris. bles. Catégories d'opérations . Les recettes de la ville. principale. Comment une taxe devient obliga Origine de l'octroi . toire . Acte de naissance de l'octroi. d'enceinte. L'architecte Ledoux. · L'Assemblée nationale main Augeard. Les barrières sont relevées. - Joie du peuple. tient l'octroi. Émeute. Abolition de l'octroi. Délabrement de la Produit de l'octroi en 1790.- Espérances déçues. ville. Intervention de l'État . - Octroi municipal et de bienfaisance. Loi du 27 vendémiaire an VII. - Recettes de la première année. Les adver veillance illusoire . Les fraudes. La taxe d'octroi est l'impôt sur le re saires théoriques de l'octroi. venu. -Progression des produits de l'octroi . - Influence des révolutions. - -Sur - Galerie souterraine. 100 millions d'augmentation . —- La population de Paris à diverses épo « Le vin à quatre sous ! » ques. La moins-value de l'argent. L'armée de l'octroi : 2,995 hommes. - -- - LA FORTUNE DE PARIS --- - - - CHAPITRE XXXI - - - - - - - - - - - - 25965-46 - - - - Dans les volumes précédents, nous avons essayé de faire comprendre le mécanisme des organes à l'aide desquels fonctionne le grand corps de Paris . Nous nous sommes limité aux services publics , qui relè 1 VI. put to 2 LA FORTUNE DE PARIS. vent directement de la municipalité ou de l'État , et nous avons rejeté avec soin hors de notre cadre tout ce qui était administration particulière, ne voulant sous aucun prétexte avoir à nous prononcer sur la valeur des exploitations privées qui , tout en servant l'intérêt général, n'ont été établies qu'en vue d'in térêts personnels . C'est l'historique des administra tions abstraites , pour ainsi dire, que nous avons cherché à tracer, de celles qui, agissant en vertu d'un but supérieur, ont pour mission de subvenir aux besoins moraux, intellectuels et physiques de deux millions d'hommes. On a pu voir que Paris ne manque pas à sa tâche , que chaque jour il s'efforce d'améliorer , sous toutes les formes, les conditions qui assurent l'existence de son peuple. Une telle œuvre, si compliquée, si multiple, si énorme, dont les exigences s'accentuent et se renou vellent sans cesse, nécessite de lourdes dépenses et implique des ressources inépuisables . Paris a-t- il donc une fortune qui lui permet de rémunérer les agents qu'il emploie et de donner l'impulsion à tous ses engrenages administratifs ? Non, Paris est pauvre, et il mourrait de faim s'il ne s'assurait l'argent qui lui est indispensable, en le demandant au peuple même qu'il a charge de surveiller et de secourir. Ce qu'il lui prend d'une main il le lui rend de l'autre ; les centimes qu'il reçoit de l'homme individuel de L'OCTROI. 3 viennent les millions dont profite l'homme collectif ; c'est peut-être parce qu'il entre beaucoup de bétail aux abattoirs que nous avons un excellent système hospitalier. Les ressources de Paris sont importantes , mais elles ne suffisent qu'aux besoins ordinaires, à ce que les Allemands appelleraient la normalité. Si l'on n'avait eu recours à des emprunts qui s'élèvent main tenant au chiffre de près de 1,800 millions ' , Paris, comme au siècle dernier, serait un cloaque sans eau, sans lumière, sans salubrité, sans sécurité et sans voies de communication . Sous peine de voir la capitale de la France étouffer sur elle - même et périr de résorption , il a fallu accomplir ces gigantesques travaux d'assainissement, d'aération , malheureuse ment interrompus aujourd'hui , et qui s'étaient im posés avec une inéluctable nécessité . C'était là pour notre ville un surcroît de charges auxquelles on n'a pu faire face que par des sacrifices qui souvent ont été douloureux, mais qu'il était impossible de ré pudier. Ce qui reste du vieux Paris est là pour l'attester ; certains quartiers anciens avoisinés par les quartiers nouveaux prouvent que la transformation commencée fut une œuvre d'utilité absolue, et qu'il faudra la La dette municipale résultant des emprunts s'élève exactement au jourd'hui à 1,794,930,796 francs. LA FORTUNE DE PARIS. reprendre dès que les circonstances le permettront ; il suffit de s'égarer dans les ruelles qui séparent les deux tronçons du boulevard Saint- Germain pour en être convaincu . Quelque indispensables que fussent ces travaux, ils n'ont pu être mis en œuvre sans peser singulièrement sur le budget de la ville, qui est obligée de payer les intérêts des dettes contractées et d'amortir celles-ci par des annuités stipulées . Il faut donc à cette heure solder le passé, assurer le présent et préparer l'avenir ; c'est là une triple tâche, féconde en difficultés, et il faut avouer que Paris s'en tire à son honneur. Le budget normal de 1873 a mis 197,815,582 fr . 66 centimes de recettes ordinaires à la disposition de la ville . Ces ressources sont tirées de dix-sept caté gories d'opérations fiscales différentes, qu'il est bon d'énumérer rapidement : ce sont les centimes com munaux, l'octroi , les halles et marchés , le poids pu blic et le mesurage, les droits de voirie , les établisse ments hydrauliques, les abattoirs , les entrepôts , la location d'emplacements sur la voie publique et dans les promenades publiques, les loyers de propriétés communales et les redevances immobilières, le pro duit des ventes d'immeubles et de matériaux, les expéditions des actes, les taxes funéraires, les con cessions de terrain dans les cimetières, l'exploitation des voiries, les contributions, legs et donations pour L'OCTROI. 5 travaux et services divers, enfin les recettes diverses . De chacun de ces chefs sort un revenu régulier qui constitue à la ville une sorte de rente viagère inces sible, sur laquelle les événements exercent une in fluence appréciable et que les besoins à satisfaire augmentent d'année en année. En un mot, c'est la fortune de Paris. Mais parmi ces dix - sept sources de la richesse municipale il en est une qui est bien plus abondante que les autres , qui coule jour et nuit sans interruption , car elle s'alimente aux nécessités les plus impérieuses de la vie : c'est l'octroi ; il est la base la plus sérieuse , le produit le plus ample du budget ; il représente une caisse toujours ouverte où l'on peut aller puiser à toute heure. Dans l'administration de la préfecture de la Seine, l'octroi forme une administration à part, presque indépendante ; il a des attaches intimes avec le minis tère des finances , pour le compte duquel il opère la perception de certains droits afférents au trésor ; dans ce personnel financier, qui travaille sans relâche à fournir des moyens d'action à la ville de Paris , il est le personnage principal, car ses recettes constatées en 1869 ont été de 110,189,680 francs, et les recettes prévues pour 1873 sont de 109,745,000. C'est donc l'octroi qu'il convient d'étudier , si l'on veut connaître l'origine des revenus les plus sûrs de Paris , de ce que l'on nommait jadis les rentes de la ville. 6 LA FORTUNE DE PARIS. Ottroium est licentia vassalo data, dit Ducange ; l'octroi est l'autorisation accordée à un vassal . En effet les rois permettaient aux communes d'imposer certains objets de consommation, afin de se procurer les ressources dont elles avaient besoin . Les mots ont changé, le fait est resté le même. Aujourd'hui encore, l'imposition de nouvelles taxes municipales est en tourée de garanties qui équivalent à la sanction sou veraine et la remplacent . Sur le rapport de l'admi nistration de l'octroi , le préfet de la Seine propose une taxe au conseil municipal ; celui- ci l'approuve après examen et discussion ; le conseil d'État l'étudie et la règle ; le chef du pouvoir exécutif la rend obliga toire par un décret qui a force de loi . On le voit, sous d'autres formes c'est toujours la faculté de frapper impôt à son profit qui est octroyée à la ville. Tel qu'il fonctionne aujourd'hui , l'octroi est relati vement moderne ; son acte de naissance est la loi du 27 vendémiaire an VII ( 18 octobre 1798) . Il existait néanmoins autrefois et ressortissait à la ferme géné rale, qui pour le rendre plus efficace et empêcher les fraudes avait fait construire le mur d'enceinte com mencé en 1782 , terminé seulement sous le consulat, que nous avons connu, et qui est tombé après le 1er janvier 1860 , lorsque les communes de Passy, Auteuil, Batignolles-Monceaux, Montmartre, La Cha pelle, la Villette , Belleville, Charonne, Bercy, Vau L'OCTROI. 7 girard et Grenelle ont été annexées à Paris . Cette taxe n'était point populaire ; les philosophes, les écono mistes du temps, les mécontents et les frondeurs, qui n'ont jamais fait défaut dans notre population , ne se gênaient guère pour en médire. Il est juste d'ajouter qu'à cette époque les deux tiers du produit apparte naient au roi , mesure excessive dont on pourrait retrouver l'origine dans un édit de 1323 rendu par Charles le Bel . Parlant des barrières, Mercier dit : <« Elles sont communément de sapin et rarement de fer ; mais elles pourraient être d'or massif, si ce qu'elles rapportent avait été employé à les faire de ce métal. » La ferme générale avait singulièrement modifié l'aspect du vieux Paris en l'enfermant de toutes parts, et en faisant construire à chacune des issues ces pavillons plus bizarres les uns que les autres, et dont quelques-uns encore debout sont attribués à divers services municipaux. L'architecte Ledoux, qui fut chargé de ce travail, avait une imagination aussi déréglée que stérile ; il s'épuisait à trouver des formes nouvelles, et ne les obtenait le plus souvent qu'au détriment des règles les plus élémentaires du bon goût ' . Ledoux préconisait ce qu'il appelait « l'archi ¹ J'excepte l'hôtel d'Uzès , qui était fort beau, et dont la porte était surtout remarquable ; la spéculation l'a détruit récemment et a percé une rue sur le terrain qu'il occupait rue Montmartre. 8 LA FORTUNE DE PARIS. tecture parlante » , et trouvait tout simple que la maison d'un vigneron eût l'apparence d'un ton neau. L'archevêque de Brienne, en arrivant aux affaires, fit interrompre les constructions commencées ; on les reprit plus tard, on les arrêta de nouveau ; Ledoux ne ménagea pas ses plaintes, et dans une lettre pleine de doléances, où il raconte les caprices dont il eut à souffrir, il écrit cette phrase, qui mérite d'être ré pétée aujourd'hui : « Il semble que celle nation ne soit pas susceptible d'une pensée durable et qu'elle ne puisse atteindre au delà du provisoire . » Il acheva pourtant d'élever ces lourds bâtiments qui, malgré les formes variées qu'il leur avait infligées, prou vaient par une laideur égale qu'ils sortaient tous de la même main. Le premier acte de la révolution ne fut point la prise de la Bastille , ce fut la destruction et l'incendie des barrières. Dès le 12 juillet, aussitôt que l'on eut appris le renvoi de Necker, le peuple, avant de songer à attaquer la royauté, se rua avec ensemble sur les bureaux où se tenaient les commis de la ferme géné rale, ceux qu'il nommait les gabelous , les agents de la maltôte. Dussaulx , dans l'Euvre des sept jours, dit, à la date du 13 : « Nous apprenons que plusieurs barrières ont été brûlées la veille et ce jour même, que les commis à la perception des droits d'entrée L'OCTROI. .9 sont dispersés . » C'était la ruine de la ville ; tout entrait en franchise , et la municipalité se voyait subi tement dépouillée de son revenu le plus clair au mo ment même où les charges qui lui incombaient aug mentaient dans des proportions extraordinaires. De son côté, la ferme, dont le traité subsistait , car un tel cas de force majeure n'avait pas été prévu , la ferme n'attendait pas que les esprits fussent calmés pour ressaisir le gage auquel elle avait droit et qu'on venait de lui arracher. Augeard , dans ses Mémoires secrets , donne une date précise et un détail impor tant. « La ferme générale, dit- il , me choisit ce jour là ( 16 juillet 1789) pour aller à l'Hôtel de Ville repré senter à la commune combien il était intéressant pour le service des rentes de la ville que l'on rétablit sur- le-champ les barrières ; presque toutes avaient été brûlées, excepté les deux seules qui étaient ap puyées sur les murs des jardins de Monceaux. » In cauda venenum ; sous une apparence de simplicité, cette dernière phrase accuse nettement le duc d'Or léans d'avoir fomenté le mouvement, car les seules barrières épargnées sont celles qui touchent à l'une de ses propriétés de plaisance. Le fait est-il vrai ? Il est impossible de le vérifier aujourd'hui ; mais avant de l'apprécier il faut se souvenir qu'Augeard était secrétaire des commandements de la reine. Les barrières furent reconstruites , barrières en 10 LA FORTUNE DE PARIS. bois, peu solides, qu'on eût facilement jetées bas d'un coup d'épaule et où la surveillance, en ces temps troublés , n'était point rigoureuse ; elle l'était trop encore cependant au gré de la population, qui croyait sincèrement que la suppression des impôts faisait partie du régime de la liberté . L'Assemblée nationale s'occupait de la question et lui donnait sagement une solution à laquelle les mécontents ne pensaient guère: le 28 janvier 1790 , elle décida que les droits d'octroi , aussi bien que les autres impôts, seraient acquittés par tous les citoyens, quels qu'ils fussent . Le peuple regimba ; il y eut , sinon des émeutes, du moins des collisions graves . L'assemblée tint bon ; par la loi du 15 mars 1790, elle abolit tous les droits féodaux, mais elle excepte les droits perçus à l'entrée des villes sur les objets de consommation au profit du trésor public ; le 11 avril 1790 , elle con firme cette décision ; le 4 août, elle ordonne qu'elle soit exécutée. Les murmures s'accentuent et devien nent menaçants ; l'assemblée louvoie et cherche à gagner du temps pour calmer les esprits surexcités, et le 22 décembre elle rend un décret qui prescrit la perception des droits d'entrée jusqu'à ce que l'assem blée ait statué sur les dépenses des villes et des hôpitaux. C'était promettre implicitement l'abolition de l'oc troi, et, comme on sentait que les législateurs étaient 1• L'OCTROI. 11 dans une vive perplexité à cet égard, on s'arrangea de façon à leur forcer la main. A la barrière de La Chapelle , les préposés et les forains qui appor taient les approvisionnements se livrèrent une ba taille en règle ; il y eut des blessés et des morts. L'assemblée essaya de sauver au moins le principe de l'octroi ; elle proposa de ne taxer que les denrées consommées par les riches ; elle imagina une sorte d'échelle des droits variant de 1 livre à 18 par tête d'habitant ; tout fut inutile, et la loi du 19 fé vrier 1791 décréta qu'à partir du 1er mai suivant tout droit d'entrée était supprimé. Le 1er mai fut un jour de fête ; la musique de la garde nationale fit le tour des murs de Paris en jouant des airs patriotiques ; toutes les barrières furent en levées et les bureaux de perception détruits ; un peu plier enguirlandé de rubans tricolores fut planté dans le jardin des Tuileries, sous les fenêtres de l'apparte ment du roi ; le canon des Invalides et celui du pont Neuf tonnèrent comme pour une victoire ; le soir Paris illumina, et le lendemain il était ivre . Au moment où l'octroi disparaît, où la pression populaire force les représentants à tarir , malgré leur résistance, la res source indispensable aux multiples besoins d'une capitale habitée par 700,000 âmes, il est intéressant de voir ce que produisaient les droits d'entrée : le total général pour 1790 accuse 55,910,859 livres , 12 LA FORTUNE DE PARIS. dont 25,059,446 pour le roi et 10,851,413 pour la ville ' . On essaya d'établir des taxes nouvelles pour rem placer celle qui venait d'être supprimée, non-seule ment pour Paris , mais pour toutes les communes du royaume, et l'on n'y réussit pas. Puisqu'il n'était question à cette époque que des droits, et non pas des devoirs d'un peuple libre , on aurait pu se rappeler la juste opinion émise par Montesquieu : « L'impôt par tête est plus naturel à la servitude , l'impôt sur les marchandises est plus naturel à la liberté . » Mais on vivait au jour le jour ; l'Assemblée était bien moins souveraine qu'elle n'aimait à le dire , et les sections organisées par la loi du 2 juin 1790 avaient une in fluence qui ressemblait bien au pouvoir absolu. La suppression de l'octroi ne répondit à aucune des espérances préconçues ; la vie matérielle n'en fut pas moins dispendieuse à Paris ; les arrivages se fai saient mal par des routes que l'on n'entretenait plus, la plupart des denrées manquaient, et le prix aug mentait en raison de la rareté du numéraire; en revanche, les inconvénients que des esprits prévoyants avaient redoutés ne tardèrent pas à se manifester ; ↑ Dans cette année il entra à Paris 280,000 muids de vin qui rappor tèrent 16,975,000 livres ; le muid de 36 veltes ( 272 litres) acquittait un droit de 60 livres 12 sols 8 deniers, ce qui équivaut à 22 fr. 30 c. par hectolitre. L'OCTROI. 13 comme les caisses de la municipalité étaient vides , on ne pouvait subvenir aux exigences même les plus élémentaires d'une grande ville. On éteignit la moitié des réverbères, parce que l'on n'avait pas de quoi payer l'huile ; les rues, presque dépavées et qu'on ne balayait guère, étaient d'infects bourbiers ; fait plus grave pour un peuple qui avait inscrit le mot de fra ternité dans sa devise nationale , on était obligé de fermer les hospices et de clore les hôpitaux , parce que l'on ne pouvait plus y nourrir les indigents, les infirmes et les malades. Cet état de choses dura sept ans, et finit par pren dre des proportions qui créaient une sorte de danger public ; lorsque l'on chercha sérieusement le remède , on n'en trouva qu'un seul le rétablissement de l'oc troi . Toutes les villes, Paris même, le demandaient ; l'expérience avait été dure, mais elle n'avait pas été inutile ; en présence de la mendicité encombrant nos voies publiques devenues impraticables ' , on alla demander des ressources à ce qui en a toujours pro duit, à la taxation des denrées alimentaires . C'était 1 « Les rues sont de la plus grande malpropreté ; celle que l'on appe lait Sainte-Anne est encombrée de fumier ; dans la partie qui avoisine la rue de Louvois, il y en a des tas le long des murs qui y séjournent depuis quinze jours . Malgré l'arrêté du département concernant les mendiants , les pauvres fourmillent dans les rues, dans les promenades et sur les boulevards . » Extrait des rapports de police du 27 fé vrier 1794, cité par C.-A. Dauban : Paris en 1794 et en 1795 , p. 120 . 14 LA FORTUNE DE PARIS. les villes restassent à la le seul moyen d'éviter que charge de l'État, qui avait déjà grand'peine à subvenir à ses propres exigences. L'État était intervenu , mais selon ses moyens et non pas selon les besoins qu'il fallait satisfaire . Le 2 fructidor an VI, le rapporteur de la commis sion des finances reconnaît que Paris est dans une situation intolérable : les services de voirie, déjà si singulièrement négligés, vont cesser tout à fait ; depuis longtemps on ne paye plus personne ; les entrepreneurs menacent d'arrêter tout travail ; on doit 410,000 li vres pour l'enlèvement des boues, 450,000 pour le pavage, 420,000 pour l'éclairage ; enfin la ville ne peut même pas solder une misérable somme de 16,000 livres qui est due aux balayeurs . Il n'était que temps d'aviser, on se hâta . Le 24 vendémiaire an VII , le conseil des Cinq- Cents déclara l'urgence sur le rétablissement d'une taxe d'octroi municipal et de bienfaisance, dont le produit intégral appartien drait à la ville de Paris ; le 27 du même mois ( 18 oc tobre 1798) , la loi est votée. La première année, du 22 octobre 1798 au 23 octobre 1799 , -les percep tions fournirent la somme de 7,613,232 fr. 84 c . ' . Si l'établissement des taxes d'octroi soulageait Comme aujourd'hui, les vins apportent le contingent le plus impor tant : 859,692 hectolitres 87 centilitres, frappés d'un droit de 5 fr. 50 c. par hectolitre, donnent à la caisse municipale 4,728,310 fr . 78 c. + L'OCTROI. 15 l'État, enfin débarrassé de la ville de Paris, si celle- ci y trouvait les ressources qui lui manquaient et la liberté d'action qui lui était nécessaire , une telle me sure ne faisait point l'affaire des cabaretiers et des débitants de liqueurs , dont elle aggravait les charges. Ce fut parmi ces âpres industriels une indignation générale, et promptement ils s'organisèrent pour éluder les prescriptions nouvelles. Ce n'était point difficile en ce temps où la police vénale laissait vo lontiers toute liberté d'allure à ceux qui la sou doyaient ; de plus , la surveillance du périmètre de Paris et des barrières était confiée, en vertu de l'arrêté du 29 frimaire an VII , à un nombre d'agents déri soire : 393 préposés devaient suffire à tout ; c'était là une économie fort mal entendue, et le trésor muni cipal put s'en apercevoir. Dès que la nuit était tombée, la ville était littéra lement prise d'assaut ; les cabaretiers des villages de la banlieue dressaient leurs échelles contre le mur d'enceinte, et les barils de vin, les bouteilles d'eau de-vie, la viande, la charcuterie, le vinaigre, étaient descendus, à l'aide de cordes, aux complices qui at tendaient dans le chemin de ronde. Si quelque com mis malavisé s'aventurait à vouloir réprimer cette fraude violente , on le rouait de coups, on le bâil lonnait, et l'on continuait sans gêne l'introduction des denrées prohibées . On fit plus : on creusa des tunnels 16 LA FORTUNE DE PARIS. qui, passant sous les boulevards extérieurs , sous le mur d'enceinte, sous le chemin de ronde, mettaient en communication les cabarets de la banlieue et ceux de la ville ; c'était un pillage, l'octroi était à sac. C'est sans doute de cette époque que date une galerie à demi comblée qui , partant d'une maisonnette située dans l'ancien cimetière de la Salpêtrière, et traver sant le boulevard de l'Hôpital au nord de la barrière des Deux-Moulins , aboutissait à la rue du Marché- aux Chevaux, et qui fut retrouvée lorsque M. Eug. de Fourcy fit faire les travaux destinés à reconnaître le Paris souterrain ¹ . Il fallut le Premier Consul à la tête du gouvernement et Frochot à la préfecture de la Seine pour mettre fin à ces abus. Depuis la loi de vendémiaire, les octrois n'ont pas cessé de fonctionner régulièrement à Paris, avec des fortunes diverses qui oscillaient au gré des vicissi tudes de la prospérité publique. Dans plus d'une cir constance, des théoriciens animés de fort bonnes intentions ont cherché à détruire ce mode de percep tion ; plus d'une commission législative ou extra parlementaire s'est réunie pour étudier la question ; on a dit là contre l'octroi tout ce que l'on pouvai 1 Voyez l'Atlas souterrain de la ville de Paris, par Eug. de Fourcy, 1859 région N.-E. , planches 1 et 2. Le triangle qui a le sommet à l'ancienne barrière d'Italie , les côtés aux boulevards de l'Hôpital et d'Ivry, la base à la Seine, n'a été réuni à Paris qu'en 1818. - . i T L'OCTROI. 17 dire, - et ce que l'on dit contre l'octroi on peut le dire contre n'importe quel impôt, mais , lorsqu'il s'est agi d'indiquer comment on remplacerait cette source de la fortune municipale, nulle solution ra tionnelle n'a été proposée. Les plus hardis ont parlé d'un impôt sur le revenu, sans voir que l'octroi n'est pas autre chose, puisque chacun paye en raison directe de sa propre consom mation, c'est-à- dire de la dépense que sa situation personnelle lui permet de faire. C'est là, au con traire, ce qui rend cet impôt excellent, car il est acquitté le plus ordinairement par l'achat même de la denrée . Il est désagréable et ennuyeux, on doit l'avouer, lorsqu'il contraint un voiturier à faire halte aux barrières , un bateau à s'arrêter pour attendre le canot de la patache, lorsqu'il ouvre les voitures et fait perdre le temps qu'il met à libeller ses papiers ; mais il compense ces inconvénients par tant d'avan tages, qu'il serait puéril d'y trop insister. La marche ascendante du produit de l'octroi ne s'est pas arrêtée depuis la création de cette taxe : c'est ici qu'on peut dire Vires acquirit eundo. Au début du Consulat, ce produit atteint près de 11 millions , et dès 1805 il dépasse 20 millions ; il ne s'éloigne guère de ce chiffre pendant tout l'Empire, retombe à 18 en 1815, après nos désastres, se relève à 20 en 1816, et s'abaisse de nouveau à 18 en 1817. Cette fois , la ――― VI. 2 18 LA FORTUNE DE PARIS. politique et la guerre n'y sont pour rien ; la récolte avait fait défaut en France, et la disette fut telle à Paris, que la ville fut obligée de contracter un em prunt de 53 millions , le 16 mai, pour porter secours aux nécessiteux . L'accroissement s'accentue pendant la Restauration , dépasse 30 millions en 1825 et en 1826, et tombe tout à coup à moins de 20 en 1831 , à cause de la révolution de Juillet.

Il faut reconnaître que les bouleversements violents ne favorisent pas précisément les affaires publiques : au moment où la dynastie d'Orléans va prendre à son tour la route de l'exil , l'octroi de Paris a encaissé 34,511,389 francs en 1847, et 1848 ne perçoit que 26 millions 1/2 . La période du second Empire débute avec 39 millions, et en 1859 arrive à 54. L'année suivante, en 1860 , on constate 19 millions de béné fice ; c'est le plus gros total que l'on ait encore vu 73,187,156 francs . C'est parce que le décret du 16 juin 1859 a reçu exécution et que la banlieue, comprise dans l'enceinte des fortifications, a été réu nie à Paris. Le dernier produit régulier de l'Empire est imposant 107,557,565 francs en 1869. La guerre se déchaîne, 1870 amène encore 80 millions . La Commune brûle Paris, 1871 s'affaisse jusqu'à 68 millions 1/2. L'apaisement extérieur se fait , les transactions tendent à reprendre un cours à peu près normal, et le compte d'octroi de 1872 se ferme sur L'OCTROI. 19 100,436,630 francs . De 1798 à 1869, le produit de l'octroi a donc augmenté de 100 millions ¹ . Est- ce un chiffre énorme, et faut-il s'en étonner comme d'une merveille , faut- il gémir sur la dureté des temps et crier à l'oppression ? Nullement ; cet ac croissement est facile à comprendre, si l'on veut tenir compte des modifications qu'ont subies la population parisienne et la valeur de l'argent . En 1801 , la popu lation recensée de Paris est de 545,856 habitants ; en 1831 , de 713,966 ; en 1841 , de 935,261 ; en 1851 , de 1,033,262 ; aujourd'hui , elle est de 1,851,792 individus, y compris la population mi litaire, qui consomme aussi bien que la population civile. A ce total il faut ajouter une masse flottante d'au moins 150,000 étrangers , qui acquittent les taxes comme les Parisiens, puisque, comme eux, ils se nourrissent ; deux millions de personnes concou rent donc à former ce budget de recette qui frappe chacun d'une contribution d'autant plus insignifiante qu'elle est quotidienne et se solde , jusqu'à un certain point, sans que l'on s'en aperçoive. Les denrées coûtent-elles aujourd'hui plus cher qu'autrefois ? J'en doute ; mais il est certain que les espèces métalliques et la monnaie fiduciaire qui les représente, ont singulièrement diminué de valeur . La 1 Voir Pièces justificatives, nº 1. 20 LA FORTUNE DE PARIS. prodigieuse quantité de métaux précieux jetée sur le monde depuis une trentaine d'années a bouleversé les rapports qui existaient entre la valeur nominale et la valeur réelle . Le métal trouve un principe d'avi lissement dans l'abondance même ; ce qui nous coûte 10 francs aujourd'hui valait un petit écu il y a soixante ans ; le prix de l'objet n'a pas varié , seule ment notre pièce de 10 francs vaut précisément le petit écu de nos pères . Ce fait seul suffit à expliquer l'énormité de nos budgets et l'augmentation appa rente de nos dépenses¹ . L'hectolitre de vin acquittait en 1790 un droit de 22 fr . 30 cent.; aujourd'hui , l'octroi , le trésor , les décimes et doubles décimes le frappent d'une taxe de 22 fr . 87 cent. 5 mill . En réalité, le vin paye au jourd'hui moitié moins qu'au moment où la mo narchie allait disparaître. Cela du reste importe fort peu à la partie véreuse de la population, qui fait la fortune des cabaretiers et où se recrutent toutes les insurrections ; le 25 février 1848, je me rappelle avoir vu sur les murs du ministère des affaires étran gères , situé alors au coin du boulevard et de la rue des Capucines , l'inscription suivante : « Le peuple ne Je rappelle que pendant la durée du dix-huitième siècle toutes les monnaies de France n'ont point frappé trois milliards, et qu'à notre épo que, en 1 espace de seize ans , du 1er janvier 1853 au 31 décembre 1868, nous avons émis 6,167,642,283 fr . 50 c. de monnaie métallique. L'OCTROI. 21 posera les armes que lorsque le vin sera à quatre sous. >>> L'octroi a résisté à nos révolutions, il a même résisté à la Commune ; on peut en augurer qu'il a la vie dure ; aux services qu'il rend , on l'a jugé indis pensable. Il est peu connu , son mécanisme est pres que ignoré en dehors des sphères administratives. Pour la plupart d'entre nous l'octroi est représenté par un homme vêtu d'une tunique verte à boutons argentés, qui, lorsque nous franchissons le guichet de sortie d'une gare de chemin de fer, ou lorsque nous rentrons à Paris en voiture , nous dit : N'avez- vous rien à déclarer ? Si sa mission consistait en cela , on pourrait l'abolir sans nuire aux finances municipales, car le produit fourni par ce qu'on appelle le voyageur est très-mi nime ; il tire ses vraies et abondantes ressources des perceptions faites aux barrières sur les objets soumis aux droits, de son intervention aux halles , aux gares de marchandises, aux entrepôts du quai Saint- Ber nard et de Bercy, aux entrepôts fictifs , aux ports de notre Seine urbaine ; il surveille tous les points, toutes les portes , toutes les poternes qui donnent entrée à Paris ; il rôde sur le chemin militaire qui longe nos fortifications . Il ouvre l'œil et regarde au loin , vers la banlieue, dans l'intérieur de la ville, pour découvrir les fraudeurs sans scrupule ; il est à 22 LA FORTUNE DE PARIS. la fois percepteur et gendarme ; il remplit les coffres de la municipalité et déploie souvent une sagacité extraordinaire, afin d'empêcher que les lois fiscales ne soient violées . Pour être partout à la fois, pour voir et prévoir, pour ne se laisser tromper que le moins possible, pour répondre aux exigences d'un service qui embrasse la quantité inconcevable d'indi vidus et d'objets dont Paris fourmille, ce n'est pas trop d'un petit corps d'armée et il suffit à peine aux néces sités de son labeur avec les 2,871 agents du service actif que mettent en mouvement les 124 fonction naires et employés de l'administration . Tout le monde est soumis à l'octroi. Dérogation courtoise. nistration. Les cinq divisions. -310 postes. voitures suspendues. Rixes. La loi du 29 mars 1832. La roulette. - L'admi Les Jaugeurs -- Le pavé. Le contrôle. Les facteurs. Tolérance . Les vigies. Les rondes. La marchandise d'eau. -- Les billets Troupeaux. Viande à la main. Le vin. Les entrepôts. Bercy. Entrepôt défectueux. Surveillance illusoire. - Entrepôts fic tifs. Situation des industriels de la banlieue après l'annexion . Procès. Réduction de la taxe sur les combustibles. Entrée provi soire ou franchise. Surcroît de travail. Les comptes sont brûlés en mai 1871. Chaos à débrouiller. Reconstitution des comptes détruits. -- Nouveau système pour les entrepôts fictifs . Conditions imposées aux entrepositaires. Produit indirect des entrepôts fictifs . - Produit gé néral de l'octroi en 1872. Ce que rapporte une maison en construc tion . - Service actif. Mouvement aux barrières. - Le personnel. Le neveu d'un maréchal de France. - - Les préposés de l'octroi pendant le - - 1 - - II. mesureurs . -Recette. Les clefs . - Permis de sortie . - Le patache. Le marinier. à ordre . Le marché aux bestiaux. Le crédit sous caution. - La tare. -- - - - LES RECETTES. - → - -- — - - - - - ――― -- - - - -- - - - - - - - - - - - - - LES RECETTES. 23 siége de Paris. Collectes. tive. - Le conseil de guerre. O Caisse de retraite. - Justico administra Le principe d'égalité, sur lequel s'appuient nos institutions, ne fait point faute à l'octroi tout le monde y est soumis . L'article 105 de l'ordonnance royale du 9 décembre 1814 , qui règle la matière, dit : << Nulle personne, quels que soient ses fonctions, ses dignités ou son emploi , ne pourra prétendre, sous aucun prétexte, à la franchise des droits d'octroi . » Il y a cependant une dérogation courtoise à la loi commune en faveur des membres du corps diploma tique, qui n'acquittent aucune taxe pour les boissons. C'est donc sur la population tout entière que s'exerce l'action de l'octroi , ce qui n'est point une mince affaire, car les objets imposés sont au nombre de 79 , Comme la plupart de nos administrations françaises , il est divisé en deux parties distinctes, dont l'une représente la tête et l'autre le bras. La première, qui est plus spécialement nommée la direction, avait son siége autrefois place de l'Hôtel- de Ville, en face du palais où Paris tenait ses grandes assises municipales. Le bâtiment qu'elle occupait fai sait pendant à celui où l'Assistance publique s'est réorganisée . Le 26 mai 1871 , on badigeonna les murs avec de l'huile de pétrole et l'on alluma. Mis sur le pavé et réduit à chercher un gîte aux environs du Luxembourg, l'octroi s'est installé dans une mai 24 LA FORTUNE DE PARIS. son qui fait l'angle de la rue de Tournon et de la rue Saint-Sulpice. Les bureaux n'ont rien de curieux ; qui a vu un bureau administratif les a vus tous . C'est de là que partent les ordres de service, et c'est là qu'arrivent les rapports envoyés par les employés supérieurs, les chefs de poste et les services ambu lants ; le mouvement est perpétuel , le va-et- vient ne s'arrête pas . De même que la Banque de France peut à chaque minute dire ce qu'elle a dans ses caisses en métal, en billets, à l'escompte, en dépôt , de même l'octroi sait combien il vient d'entrer à Paris d'hectolitres de vin, de bouteilles d'eau- de-vie, de bœufs sur pied, de bottes de paille, de pâtés, d'œufs ou de pierres de taille . Il n'a pas de caisse chez lui , il ne garde que l'argent strictement nécessaire aux besoins journaliers. Au matin, les voitures de la Banque font leur tournée aux barrières et ramassent les sommes encaissées la veille. La direction centralise les paperasses , les con trôle, examine si ses ordres ont été exécutés, prend toute décision qu'elle croit utile, et donne l'impulsion à la machine entière ; elle pense, réfléchit et fait agir les instruments de sa volonté, qui sont les agents du service actif. Le Paris de l'octroi est distribué en cinq divisions , une pour chacun des quatre points cardinaux, la cin quième pour l'intérieur, qui comprend la Seine depuis LES RECETTES. 25 le pont Napoléon jusqu'au viaduc d'Auteuil ; ces cinq divisions sont gardées par 310 postes, occupés au point de vue de la surveillance et de la perception , et où le service dure réglementairement pendant vingt quatre heures ; plus de 2,000 agents sont chaque jour sur pied pour remplir leur mission . C'est aux barrières qu'il faut aller d'abord pour prendre sur le fait le mécanisme de l'octroi . De cha que côté de la grille qui clôt la route ouverte au milieu du massif des fortifications s'élève une construction en pierre de taille, basse , trapue et couverte d'un toit abaissé c'est le bureau, en terme technique la rou lette. La maison a beau être en fort appareil et ap puyée sur des fondations profondes, elle a gardé le nom d'autrefois lorsque les commis de la ferme géné rale se tenaient, aux portes de Paris, dans des bara ques de bois peintes en rouge , montées sur roues , que l'on transportait facilement d'un point à un autre, que l'on fermait le soir à l'aide de volets mobiles, que protégeait la présence d'un factionnaire et qui semblent avoir servi de modèle aux cahutes étroites dont les marchands de vin font encore usage à l'en trepôt du quai Saint- Bernard . L'une de ces roulettes renferme les chambres séparées où le contrôleur et le receveur font leurs écritures : c'est la roulette admi nistrative ; devant l'autre, un râtelier où sont sus pendues des sondes et des jauges indique assez qu'elle 26 LA FORTUNE DE PARIS. sert de corps de garde aux préposés du service actif. Tout individu qui franchit la barrière peut être interrogé; toute voiture, calèche ou camion doit être Visité. Autrefois les voitures suspendues, dites voi tures de maître, n'étaient point soumises aux investi gations de l'octroi ; il naissait de là un abus fort pré judiciable à la ville . On peut admettre que les maîtres se soient fait quelque scrupule d'échapper par la fraude aux taxes municipales ; mais les domestiques remplissaient volontiers les coffres de denrées prohi bées . D'un autre côté, s'il était interdit aux préposés de visiter ces voitures, il leur était prescrit de les sai sir lorsqu'elles faisaient la fraude. Quand les commis avaient acquis la certitude qu'une voiture servait habituellement à l'introduction d'objets taxés , ils se jetaient donc à la tête du cheval et tâchaient de l'ar rêter malgré les coups de fouet que le cocher ne se faisait pas faute de leur cingler à travers le visage ; parfois ils étaient renversés et les roues leur passaient sur le corps. Pour éviter si mauvaise aventure, ils tenaient leur couteau ouvert à la main et coupaient les rênes afin de maîtriser plus facilement l'élan du cheval . La loi du 29 mars 1852 mit fin à ces colli sions déplorables en prescrivant que toute voiture, quelle qu'elle fût, serait visitée aux barrières . La visite n'est pas longue, une interrogation, un coup d'œil, et c'est tout. LES RECETTES. 27 Il n'en est pas de même lorsqu'une charrette, un haquet, un fardier, un camion chargé d'objets soumis aux droits veut entrer dans Paris. Le conducteur se rend d'abord à la roulette administrative , et, s'adres sant aux employés du contrôle qui sont les jaugeurs mesureurs, il fait la déclaration de son chargement, bois , vin, alcool , plâtre, viande, ardoises ou vitres , peu importe. Les employés vont sur place jauger ou mesurer ; leur déclaration est inscrite sur un registre et reportée sur un bulletin qui est remis au char retier. Celui-ci traverse le vestibule et donne le bul letin à un des écrivains de la recette qui fait le compte de la somme exigée par les taxes municipales , par les impôts généraux, par les centimes addition nels ; le total est écrit sur un registre ; l'introducteur paye, et, en échange de la somme exigée, est muni d'un reçu qui lui sert de décharge. Ce reçu, il le garde, mais il doit remettre au bri gadier commandant la roulette active le bulletin libellé par l'agent du contrôle. Le brigadier désigne alors deux préposés, deux hommes du pavé, comme on les nomme, pour visiter la voiture et vérifier le chargement. Si la déclaration est reconnue exacte, le chemin est libre ; si elle est soupçonnée d'être vi cieuse, la voiture est déchargée, les sacs, ou les ardoises, ou les vitres, sont comptés, la viande est pesée, le bois est mesuré, et parfois il y a lieu à pro 28 LA FORTUNE DE PARIS. cès-verbal . Si la voiture contient des tonneaux de vin, chaque tonneau reçoit un coup de foret et l'un des préposés goûte le liquide afin de voir s'il ne contient pas plus d'alcool que de raison ; si l'on a affaire à des trois-six , on les pèse à l'excellent alcoomètre de Gay-Lussac. Les opérations de visite sont terminées, la lourde voiture s'ébranle et franchit la barrière . Alors le brigadier jette le bulletin des jaugeurs dans une boîte de fer fermée à clef qui est accrochée à la muraille extérieure de la roulette . Donc la jauge reçoit la déclaration ; la recette encaisse la somme due ; le pavé vérifie la matière. C'est là un excellent contrôle ; mais il ne suffit pas. Toutes précautions sont prises cependant ; les em ployés de la déclaration et ceux de la recette sont dans des pièces séparées : ils ne se communiquent point leurs écritures, qui doivent concorder ; deux préposés, désignés au hasard par le brigadier, exa minent le chargement, le brigadier lui- même y donne le coup d'œil rapide et sûr d'un homme qui , comme on le dit vulgairement, a le compas dans l'œil ; mais , toutes les fois qu'il est question de la fortune publi que, on ne saurait s'entourer de trop de garanties. Celle que l'administration de l'octroi a imaginée pour déjouer toute tentative de fraude de la part de ses employés est vraiment ingénieuse . Chaque matin, douze facteurs font le tour de toutes. LES RECETTES. 29 les barrières et de tous les postes . Ils ouvrent la boîte de fer où nous avons vu jeter le bulletin de déclara tion, boîte dont eux seuls ont la clef ; ils doivent réunir et attacher d'une corde les papiers qu'ils y trouvent , et les renfermer immédiatement dans le sac dont ils sont porteurs. La clef de ce sac est entre les mains du brigadier- chef de poste ; de plus la boîte est fixée à l'extérieur du bureau, par conséquent sur la voie publique; le transbordement des bulletins se fait donc sous les yeux mêmes des employés du pavé, et exige le concours de deux hommes, dont chacun est chargé d'une responsabilité spéciale . Les sacs fermés sont transportés au siége de l'administration . Chaque jour, le contrôle envoie à la direction une feuille de service relatant les opérations faites la veille : c'est le compte-matière ; chaque jour aussi la recette expédie le détail des sommes qu'elle a perçues c'est le compte-finances . Tout article, faut- il le dire? est muni d'un numéro d'ordre, qu'il soit au petit comp tant ou au grand comptant . Il suffit donc de com parer les états du contrôle, ceux de la recette et les bulletins, pour s'assurer que les opérations ont été irréprochables. Lorsque la marchandise n'est pas destinée à Paris, qu'elle ne fait que traverser, si , par exemple, elle vient On appelle le petit comptant les recettes qui, ne dépassant pas 1 franc, n'exigent pas l'emploi du timbre d'acquit. 30 LA FORTUNE DE PARIS. de Vincennes pour être conduite à Saint- Cloud, le conducteur de la voiture fait sa déclaration à la bar rière du Trône, acquitte la taxe et part avec un per mis de sortie ; arrivé à la porte d'Auteuil, il fait vérifier son chargement et rentre dans les droits qu'il a payés, s'ils ne sont pas trop élevés ; si , au contraire, ceux- ci dépassent une certaine somme, 50 francs par exem ple, il sera obligé d'aller les reprendre à la barrière du Trône, où il les a déposés. Ce genre d'opérations est très-fréquent, et entre pour près d'un tiers dans le total des actes de l'octroi. Malgré la rigidité des prescriptions fiscales , il y a une tolérance qui est fort utile aux pauvres gens et ne fait pas grand mal à nos finances . Il est d'usage qu'on permette aux particuliers d'entrer en franchise quel ques denrées qui peuvent être considérées comme objets de consommation personnelle , à la condition toutefois que ce soit dans des proportions très-res treintes ; l'alcool seul ne profite point de ce bénéfice . On ne tient pas note de ces entrées tolérées ; cepen dant on a voulu se rendre compte du préjudice qu'ils pouvaient porter à la ville, et un jour on en a fait le relevé. Le 19 mai 1873 , on a constaté aux barrières et aux gares de Paris que l'on avait introduit 10 hec tolitres 94 de vin , 14 litres de vinaigre , 13 litres 1/2 de bière, 41 litres 1/2 d'huile , 74 kilogrammes 1/2 de viande, 24 kilogrammes 1/2 de beurre, 112 kilo LES RECETTES. 31 grammes 1/2 d'œufs, 10 stères de cotrets, 15 hecto litres 45 de charbon de bois, et 162 kilogrammes de houille . En admettant que ce soit là une introduction normale, et qu'elle se reproduise tous les jours, au bout de l'année elle coûterait à la caisse municipale la somme de 100,457 francs . Ce sont les miettes de la table, et la bonne ville de Paris fait bien de les laisser ramasser. Les préposés du service actif n'ont pas seulement à garder tous les points par où l'on peut pénétrer dans Paris, ils ont aussi à surveiller l'enceinte des fortifi cations. Dès que la nuit tombe, on place des vigies à certains endroits déterminés, et l'on envoie des senti nelles ambulantes, qui parcourent la route militaire , montent sur les talus et tâchent d'empêcher toute fraude de se commettre. Pour ces expéditions noc turnes, les hommes du pavé sont toujours armés d'un sabre assez inoffensif et dont, hâtons-nous de le dire , ils n'ont jamais à faire usage des différents postes qu'ils occupent, on les dirige de façon à être rencon trés par les rondes de la roulette voisine, afin qu'ils puissent se prêter main-forte en cas de besoin ; à chaque bureau d'octroi devant lequel ils passent , ils doivent entrer et signer sur un registre ; en regard de leur nom, le brigadier inscrit l'heure exacte. Ces noms et l'indication du moment précis sont transmis sur les feuilles de service quotidiennes expédiées par 32 LA FORTUNE DE PARIS. chaque poste à la direction , qui , en les comparant les unes aux autres, reconnaît si la tournée a été faite dans un laps de temps convenable. On n'a que bien peu de contraventions à relever ; l'employé de l'octroi est, en général , très- soumis, très-régulier ; sa situation n'est pas mauvaise, et il y tient. Au premier signe de son brigadier, il boucle le ceinturon de son sabre ; s'il fait froid ou s'il pleut, il revêt une sorte de longue capote en très-mauvais drap que l'on nomme une criméenne ; il jette peut être un regard d'envie sur ses camarades assis autour du poêle, mais il part sans murmurer et commence sa ronde. Lentement, comme un homme accoutumé à cette besogne mélancolique, il va le long des rem parts, marchant dans la zone d'ombre qui le dissi mule, s'arrêtant parfois à un angle, afin d'embrasser du regard toute l'étendue de la route, sifflotant entre ses dents et échangeant un bonsoir, rien de nou veau? avec la sentinelle qu'il rencontre . Il est entré dans tous les postes ouverts sur son parcours , il re vient à sa roulette , fait son rapport en deux mots, se couche sur son petit lit de camp et s'endort jusqu'à ce qu'on le réveille pour aller visiter les voitures ma raîchères qui commencent à défiler vers les Halles. A l'octroi de rivière, les vigies sont de véritables factionnaires en amont de la Seine, au delà du pont Napoléon, où les mouches ont leur gare , une forte pa LES RECETTES. 33 tache est amarrée près du quai de la rive droite . Elle est la gardienne du fleuve , qu'elle fait surveiller , quand la nuit vient, par trois vigies ; l'une est placée à l'arrière même de ce poste aquatique, la seconde est sur la rive droite, la troisième sur la rive gauche. Pour s'avertir et prouver qu'ils ne dorment pas, les préposés appellent les heures, les demies, et doivent se répondre ; cela rappelle le cri des matelots en mer : bonsoir à bâbord ! ― bonsoir à tribord ! ouvre l'œil au bossoir ! - Par un ciel brumeux noyant le vague scintillement des becs de gaz, à travers le cla potement de l'eau et les bourrasques de vent engouf frées sous les arches du pont, on éprouve une impres sion assez lugubre lorsqu'on entend ces voix invisibles pousser une sorte de plainte prolongée et traînante, -demi-heure! qui affirme leur vigilance. A la patache, on ne fait qu'une vérification som maire; un bateau, fruits, bois ou charbon, - - se présente, deux préposés montent en canot et vont le reconnaître, ils acceptent la déclaration , en donnent bulletin : elle sera constatée au point de débarquement où les opérations régulières auront lieu . Pour con duire son canot, la patache a un marinier qui mérite d'être présenté au lecteur c'est un gars solide et bien râblé, des épaules d'Atlas, un bras d'Hercule, un visage d'une extrême douceur ; il est jeune et porte allégrement la vareuse du marin . Il passe son ――――――― - VI. 3 34 LA FORTUNE DE PARIS. temps à repêcher les noyés ; il a tant de médailles d'argent, tant de médailles d'or, que, ne sachant plus que lui offrir pour récompenser sa belle conduite au combat de Buzenval, on lui a donné la croix de la Légion d'honneur , et l'on a bien fait . La patache est très-fière de son marinier, et elle n'est pas éloignée de croire que c'est elle - même que l'on a décorée . La marchandise d'eau, comme disaient nos pères au temps où Lutèce commençait à devenir Paris, jouit, pour les bois et les charbons, d'un privilége que n'ont point les articles passant aux barrières, et qui sont considérés comme objets de consommation ou d'utilisation immédiate. On admet que les bois et les charbons ne doivent acquitter les droits dont ils sont frappés qu'au bout d'un temps moyen, calculé de façon que la vente soit effectuée. Les opérations de contrôle ne diffèrent pas de celles dont j'ai parlé ; seulement, au lieu de payer à la recette la somme qui est due, le négociant prend livraison de la marchan dise en échange d'un billet à ordre, à six mois, por tant deux avals de garantie. Pendant les six mois stipulés, le billet dort dans les caisses de l'octroi , qui fait directement toucher à l'échéance . La rivière et son affluent , le canal Saint-Martin , entrent pour une part imposante dans les revenus de la ville ; en 1872 , elle lui a rapporté 8,775,587 francs ; à sa façon , la Seine est un Pactole . LES RECETTES. 35 Le marché aux bestiaux de la Villette ' , qui a défi nitivement pris la place des marchés de Sceaux et de Poissy, n'exige qu'une surveillance attentive, car depuis le 1er janvier 1847 le droit fixe par tête de bétail a été converti en une taxe sur la viande prove nant des animaux qui sortent des abattoirs . Si l'on n'y fait point d'opérations directes, on n'en est pas moins fort occupé, car il faut compter les longs troupeaux destinés à notre nourriture, et qu'on force à défiler lentement par les méandres d'un chemin serti de bar reaux en bois. Le beuglement des bœufs , le bêlement des moutons, le grognement suraigu des porcs , les abois des chiens de berger, font un charivari d'enfer , et les pauvres employés ont souvent bien de la peine. à ne point perdre le fil de leur numération . Des chif fres montreront sur quelle masse énorme de bestiaux leur sagacité doit s'exercer . En 1872, les grilles du marché de la Villette ont été franchies par 160,414 bœufs, 47,986 vaches , 160,455 veaux, 1,356,008 moutons , 154,800 porcs ; au total 1,879,663 animaux. On les a comptés un à un lorsqu'ils ont pénétré dans les vastes préaux, on les a comptés lorsqu'ils sont sortis des étables munici pales pour être conduits à l'abattoir central , qui com munique maintenant avec le marché par un pont jeté Voir chap. vu , t. II , p. 88. 30 LA FORTUNE DE PARIS. sur le canal . Mis à mort, dépecés, parés, prêts à être vendus au détail sur les étaux , ces deux millions d'animaux ont produit 95,808,050 kilogrammes de viande, et 16,228,509 kilogrammes d'abats de veau, de viande, de graisse et d'issues de porc. Les droits sont en proportion de cette gigantesque consomma tion ; les abattoirs ont , en 1872 , rapporté à l'octroi la somme de 10,769,288 francs . Est-ce donc là tout ce que Paris absorbe annuellement de nourriture ani male? Non pas il faut y ajouter la viande , les abats, les issues, la charcuterie, importés directement de l'extérieur, et acquittant les droits d'entrée soit aux barrières, soit aux pavillons des Halles ; ce genre d'in troduction , qu'on appelle la viande à la main, a été représenté en 1872 par 25,229,048 kilogr . 1/2 , qui ont produit 5,082,855 francs. La perception à la sortie des abattoirs est spéciale ; elle n'a lieu que tous les huit jours , le samedi ; comme aux marchands de bois , on donne aux bou chers le temps d'écouler leur marchandise avant d'en réclamer la taxe : cela se nomme le crédit sous cau tion . Les voitures qui font le service des abattoirs aux étaux sont tarées, c'est-à-dire qu'elles ont été pesées ; le poids exact inscrit sur un registre est repro duit en lettres peintes à une place très- apparente du véhicule . Dès lors le mécanisme est fort simple : la voiture chargée passe sur une bascule, la différence LES RECETTES. 37 entre la tare constatée et le poids actuel est égale à la quantité de viande exportée des abattoirs . Quelque fois il y a discussion entre les préposés et les bouchers ; le chargement est alors versé sur une balance sur veillée par les agents du poids public : c'est un instru ment précis, dont les décisions ont force de loi . La viande de toute espèce est donc un des bons produits de l'octroi ; mais sa ressource par excellence est le vin, qui, en 1872, a donné 43,078,185 francs à la ville de Paris , car on y a entré et consommé 3,900,527 hectolitres de toutes provenances, venus en cercles et en bouteilles ' . Aussi les entrepôts sont surveillés avec un soin jaloux : c'est le trésor ; sous forme de préposés, des dragons le gardent jour et nuit' . Celui du quai Saint-Bernard est disposé de telle sorte que la fraude y est presque impossible ; son iso lement, ses grilles, ses hautes murailles le défendent ; il n'a que trois portes battantes : l'une , l'entrée , par où l'on introduit « la marchandise » , l'autre, la porte de Paris, qui donne issue aux tonneaux destinés à notre ville , la troisième , l'extérieure, par où sortent les vins réservés à être expédiés en province. Là tout est combiné pour faciliter le travail des employés. Je n'en dirai pas autant de l'entrepôt ou - ―――― I 1 Le vin en bouteilles n'entre dans le total que pour la proportion minime de 18,376 hectolitres. Voir chap. vii, t. II , p. 122. 38 LA FORTUNE DE PARIS. vert, c'est le vrai mot, à Bercy depuis le 1er janvier 1870. On l'eût imaginé pour rendre le contrôle illusoire et pour inviter aux fraudes impunies, on n'aurait pas mieux réussi . C'est l'ancien village tout entier, depuis le pont qui s'élève au bout du quai de la Râpée jusqu'au pont Napoléon ; onze rues s'ouvrent sur la rue de Bercy, neuf débouchent sur le port . Il faut fixer les yeux sur toutes ces issues ; mais les maisons ne sont séparées que par des murs mitoyens, et il suffit de deux coups de pioche pour les mettre en communication ; c'est en réalité une suite de cours qui forment une série de petits entrepôts distincts, mais ce n'est point un entrepôt. Dans une de ces rues , la plus importante peut-être, car elle abrite des caves nombreuses et bien fournies, un restaurant a une porte toujours ouverte, servitude que l'on est obligé de subir et que l'on neutralise autant que possible en mettant un préposé de planton devant cette issue, par laquelle il est si commode d'établir un va-et - vient de bouteilles pleines . Il serait temps de remédier à cela ; la somme que l'on em ploierait à installer un entrepôt réel et sérieux sur ces terrains morcelés par des propriétés particulières ne serait point un placement désavantageux, tant s'en faut ; elle rendrait de gros intérêts en mettant fin à des fraudes trop tentantes pour n'être pas inévitables. J'en aurais fini avec les diverses opérations de - - LES RECETTES. 39 l'octroi, si depuis le 1er janvier 1860 on n'avait auto risé, dans l'intérieur de Paris , ce que l'on nomme administrativement les entrepôts fictifs ou les entre pôts à domicile. Lorsque le décret d'annexion eut rattaché la banlieue à la ville mère, on se trouva en présence d'une difficulté grave qui fut libéralement résolue . Beaucoup d'industriels, ayant une partie de leurs débouchés et de leurs intérêts à Paris et voulant éviter de payer les taxes d'entrée dont les matériaux qu'ils employaient sont chargés, s'étaient fixés entre le mur d'enceinte et les fortifications ; l'annexion , les reliant à la ville, les mettait sous le droit commun et abolissait, à leur grand préjudice, la franchise sur laquelle ils avaient eu droit de compter. Il y avait là des situations acquises respectables , de plus un intérêt majeur pour la population ou vrière, enfin une considération de premier ordre dont il convenait de tenir compte. Si vaste , si absorbant que soit le marché de Paris , il ne suffit pas à l'écou lement des objets fabriqués dans les usines dont je parle ; l'expédition en province et à l'étranger entrait pour une part très-notable dans leurs opérations régu lières. Il était donc juste, pour ne pas les déplacer, pour compenser la réexportation des matières fabri quées à l'aide des matières premières taxées , d'autoriser les commerçants en gros et les usiniers de la zone suburbaine à introduire les quantités de houille et 40 LA FORTUNE DE PARIS. de matériaux dont ils avaient besoin pour continuer à exercer leur industrie . C'est ce que l'on a fait . La loi du 16 juin 1859 et le décret d'administra tion publique rendu le 19 décembre de la même année ont déterminé dans quelles conditions l'octroi agirait à l'égard de ces divers industriels : les négo ciants en gros des communes annexées jouiront pen dant dix ans, à compter du 1er janvier 1860 , de la faculté d'entrer en franchise les articles qui leur sont nécessaires et d'installer un entrepôt à leur domicile ; ces articles acquittent les droits fixés, s'ils sont intro duits dans Paris ; ils ne les acquittent pas, s'ils sont dirigés vers la province ou l'étranger . Les usiniers des mêmes communes sont affranchis pendant sept an nées des droits de Paris sur la houille servant aux usages industriels et sur les matières premières em ployées à la fabrication de leurs produits . C'étaient là de très-précieux priviléges ; la loi prévoit qu'ils pour ront être continués, mais sous la réserve expresse que, dans ce cas, ils seront étendus à tout Paris. Les choses marchèrent régulièrement ainsi jusqu'en 1867 ; à cette époque les usiniers élevèrent la pré tention d'être assimilés aux commerçants en gros et de jouir, pendant trois ans encore, de l'immunité qui leur avait été concédée. Un procès s'ensuivit qui fut gagné haut la main par l'administration de l'octroi . La ville, ayant fait ainsi juridiquement constater LES RECETTES. 41 son bon droit , se montra généreuse ; une délibération du conseil municipal , en date du 20 décembre 1867, accorda, à titre courtois, aux usiniers une réduction d'environ moitié sur les taxes dont les combustibles étaient frappés . On attendait une loi promise et des tinée à mettre fin à un provisoire qui créait une situa tion irrégulière ; mais des difficultés soulevées par les usiniers eux-mêmes la firent ajourner, et cette ques tion très-délicate, propre à faire naître des discussions fréquentes, fut réglée par un arrêté préfectoral du 3 février 1870. L'entrée en franchise du combustible et des ma tières premières était accordée aux usiniers . C'était imposer un surcroît de travail excessif à l'octroi , qui l'accepta sans se plaindre. En effet , il fallait , pour sauvegarder les intérêts financiers de la ville, con stater l'entrée de la houille et des matériaux ; constater dans quelle proportion le combustible avait servi à la fabrication d'objets réservés à l'importation dans Paris et à l'exportation en province ; taxer les uns, affran chir les autres, surveiller sans méfiance, reconnaître les matières premières dans les matières modifiées , et apprécier presque scientifiquement le rapport qui existe entre le combustible employé et la quantité de produits obtenue. L'octroi vint à bout de résoudre ces différents problèmes, mais on ne peut imaginer à quel labeur il fut soumis pour tenir avec une régu 42 LA FORTUNE DE PARIS . larité irréprochable une telle masse de comptes mi nutieux, compliqués et nominatifs, dont chacun pou vait donner lieu à une contestation . Ces comptes qui étaient une fortune, car ils fai saient foi et prouvaient quelle somme les personnes jouissant de la faculté d'entrepôt fictif devaient à la ville, furent détruits dans les incendies du mois de mai 1871. Les bureaux administratifs de l'octroi, l'Hôtel de Ville , le ministère des finances ayant été brûlés, nulle trace ne subsistait ; on se trouvait en face du chaos, on sut le débrouiller. Plusieurs grands fabricants dont l'octroi était créancier vinrent eux mêmes offrir le payement immédiat de leurs dettes ; d'autres, comme l'on dit, se firent un peu tirer l'oreille ; quelques- uns, spéculant sur l'anéantisse ment de tous les registres de l'administration centrale, osèrent-ils répondre : je ne vous dois rien , car rien n'est écrit ! je ne me permettrais pas de l'affirmer ; j'ai cependant entendu raconter quelques histoires de cette nature, mais ma mémoire infidèle n'en a point conservé le détail . Il fallait, coûte que coûte, rétablir ces comptes ; une délibération du conseil municipal , des 30 mars et 23 juillet 1872 , donna une base posi tive de travail de reconstitution ; il fut admis que l'on aurait égard aux événements qui avaient si lourdement pesé sur l'industrie parisienne pendant les années 1870 et 1871 , et que l'on ne réclamerait aux usiniers LES RECETTES. 43 ce que douze mois d'arriéré au lieu de vingt-quatre. L'octroi se mit à l'œuvre ; c'était une besogne spé ciale qui exigeait des connaissances appropriées , on ne put donc pas s'adjoindre d'employés supplémen taires ; de plus les opérations de chaque jour, que l'on nomme le courant, - ne pouvaient pas chômer ; tout le monde s'y consacra avec un zèle admirable ; jour et nuit on fut au devoir , et, je le dis à la louange de l'octroi , nul ne fit défaut à la tâche imposée . Tous les registres , ils sont au nombre de 35 dans chaque roulette, -de tous les postes de Paris qui, eux du moins , n'avaient point été détruits, furent compulsés ; on y releva les entrées quotidiennes in scrites au nom des entrepositaires depuis le 1er jan vier 1870 jusqu'au 17 mars 1871 ; on refit ainsi bribe à bribe, bulletin par bulletin , toute cette comp tabilité que les flammes de la Commune avaient dévorée. ―― - Chaque compte nominatif fut reconstitué, fut colla tionné avec les livres de l'industriel auquel il appar tenait, fut reconnu exact, au grand étonnement de quelques-uns et devint preuve irrécusable des créances de la ville. Or ces comptes réunis produisaient, en chiffres ronds, une somme de 7,500,000 francs , sur laquelle plus de 7 millions sont encaissés aujour d'hui ; 400,000 francs seront rentrés avant peu, et de cette créance, qui paraissait si douteuse que l'on 44 LA FORTUNE DE PARIS. aurait pu la croire compromise à jamais, il résultera peut-être une perte de 100,000 francs sur le paye ment desquels on semble ne pas conserver une espé rance bien tenace. C'est là un tour de force qui fait le plus grand honneur à l'administration de l'octroi, car on n'a pu l'obtenir qu'en déployant une énergie, une sagacité et un dévouement sans pareils . Le système qui a prévalu pour les gros commer çants et les usiniers depuis le 1er janvier 1860 a pris fin aujourd'hui ; un décret du 10 janvier 1875 a résolu la question en établissant un mode de com pensation et d'abonnement fixe , variant de 200 à 500 francs, qui fonctionne depuis le 21 août 1873 . L'expérience prolongée peut seule permettre de porter un jugement sérieux en semblable matière : nous de vons donc nous abstenir de toute appréciation ; mais dès à présent on peut dire l'octroi n'aura pas à y que gagner. On a eu pour but de protéger l'industrie pari sienne si cruellement éprouvée depuis quelque temps, et l'on n'a pas eu tort. N'est pas admis qui veut aux bénéfices de l'entre pôt à domicile ; il faut offrir quelque surface, et n'être point le premier venu. L'administration de l'octroi a sagement imposé des conditions qui mettent sa responsabilité à l'abri . Elle a fixé un minimum pour l'introduction des combustibles et des matières à fabriquer ; en outre, le minimum de la réexporta LES RECETTES. 45 tion doit être des deux cinquièmes ; grâce à ces dispo sitions très-conciliantes, 1,313 chefs d'établissements n'ont pas été forcés d'aller chercher fortune ailleurs. Par cette tolérance , l'octroi profite de la présence des ouvriers et des chevaux que l'organisation des entre pôts fictifs permet de maintenir à Paris. Un très- intéressant calcul a été fait à cet égard. En divisant le total de la population de Paris par le pro duit de l'octroi, on voit que chaque habitant paye dans l'espace d'une année la somme de 57 fr. 29 cent . Or les 1,313 usiniers entrepositaires occupent actuelle ment 64,003 employés, ouvriers ou gens de peine ; c'est donc un groupe de 65,316 individus qu'il faut nourrir, et qui par ce fait acquittent chaque jour les taxes des denrées alimentaires . Mais ce calcul est encore bien au-dessous de la réalité en effet, la moyenne de la famille bourgeoise à Paris est de qua tre personnes, celle de la famille ouvrière est de trois ; en tenant compte de cette proportion , nous arrivons au chiffre de 197,261 individus , dont l'apport direct à l'octroi est de 11,301,082 fr. 69 cent . , auxquels il convient d'ajouter 207,636 fr . 64 cent . , représen tant les taxes afférentes à la nourriture de 2,895 che vaux qui font le service dans ces usines ; c'est donc 11 millions 1/2 que les entrepôts fictifs versent indi rectement à l'octroi. Toutes les opérations que j'ai rapidement énumé 46 LA FORTUNE DE PARIS. rées forment un total considérable, car en 1872 l'octroi a manipulé 5,962,927 articles , qui ont chacun exigé un acte du contrôle et un acte de la recette ; la perception définitive a été de 150,959,848 fr . 43 c. , dont 50,505,155 fr . 48 cent. pour le Trésor : le reste a servi aux besoins de la ville . L'octroi rapporte d'au tant plus que la prospérité de la cité est plus grande ; il n'est pas nécessaire dans ce cas de forcer les taxes et de surcharger les denrées : l'argent vient de lui même et n'exige pas qu'on aille le chercher. Le fait seul du temps d'arrêt que subissent les amé liorations de Paris est très-préjudiciable à nos finances : avant qu'un locataire ait pu prendre possession d'un appartement dans une maison nouvellement construite , celle- ci a déjà rapporté 5 pour 100 de sa valeur à l'octroi (exactement 4,915 fr. 22 cent . pour une bâtisse de 100,000 francs) . Ceci est à considérer, et la ville, dans l'intérêt mêmede ses propres ressources, fera peut- être bien de reprendre quelques- uns des tra vaux interrompus depuis les premiers mois de 1870. On s'est plaint jadis que l'on en faisait trop, on se plaint aujourd'hui que l'on n'en fait plus du tout ; entre ces deux extrêmes, il me semble que l'on pour rait déterminer une moyenne raisonnable ¹ . L'épithète d'actif appliquée au personnel le plus nombreux de l'octroi est très- méritée, car l'action y Voir Piècesjustificatives , nº 2. LES RECETTES. 47 est incessante . On ne se doute guère de la quantité extraordinaire de voitures de toute sorte qui , passant aux barrières, nécessitent son intervention . Pour satis faire la curiosité du lecteur , j'ai fait relever le nombre des voitures, des trains de chemins de fer, des ba teaux soumis à la visite des préposés , qui ont pénétré à Paris, du 6 au 7 janvier 1874, pendant l'espace de vingt-quatre heures ; 468 trains sont entrés en gare, 128 bateaux ont eu affaire aux employés de la pata che, 5,989 voitures ont exigé des formalités de sortie , et 32,554 voitures entrant se sont arrêtées devant les roulettes 58,949 voitures en une seule journée . Ce personnel est bon ; il est généralement trié avec soin parmi les sous-officiers de l'armée aussi , fa çonné dès longtemps à la discipline, il ne laisse rien à désirer sous ce rapport. Quelques déclassés sont venus échouer à la roulette des barrières et, la sonde à la main, ont recommencé un nouvel apprentissage de la vie. J'ai vu là des étudiants pour qui les examens n'avaient pas été miséricordieux , des clercs d'huissier qui ne trouvaient point de charme au papier timbré. Sous l'uniforme vert, ils n'ont point mauvaise tour nure; et, comme dans l'administration tout grade, toute situation même, est accessible à ceux qui mon trent du bon vouloir et font preuve d'intelligence, ils pourront arriver aux premiers postes, si la chance ne leur est pas trop contraire. 48 LA FORTUNE DE PARIS. On a gardé souvenir, parmi les hommes du pavé, d'un préposé de troisième classe qui fit parler de lui jadis . Il était neveu d'un maréchal de France, et , de fredaine en fredaine, il était arrivé à bout de voie ; l'octroi le ramassa, eut pour lui des indulgences de grand' mère, et finit cependant par s'en séparer, car le mauvais exemple devenait contagieux . Il dégustait le vin jusqu'à la lie , et, sous prétexte de mieux compter les œufs frais, il les mettait dans ses poches ; il quittait la roulette pour aller surveiller les frau deurs dans les bals des barrières, et, afin d'être moins reconnu par eux, il s'habillait en polichinelle quand venait le carnaval . Malgré le très- beau nom qu'il por tait, on le pria d'aller jauger ailleurs ; il se le tint pour dit, traversa les mers comme matelot, et entra en qualité de garçon chez un de ses anciens cama rades de collége qui, après être sorti de l'École poly technique, s'était fait épicier en Californie. Pendant la guerre, les employés de l'octroi n'ont point failli au devoir ; il n'y a pas eu besoin de con trainte, les volontaires seuls ont formé le 226° ba taillon , qui a fourni trois compagnies de marche ; ils se sont bravement battus ; les Allemands placés aux avant-postes de la Marne en ont su quelque chose. Tous n'avaient pas repris le fusil et n'étaient point au combat ; les barrières étaient plus que fermées, qui ne le sait ? mais leur concours n'en était pas moins LES RECETTES. 49 indispensable , car il fallait surveiller les quatre vingt-cinq entrepôts où l'on avait entassé des appro visionnements qui ont prolongé la défense sans la rendre plus efficace , et les trente-six usines particu lières où l'on faisait la mouture des grains . Leur dévouement a été exemplaire, nulle fatigue ne les a rebutés ; le ministre de l'agriculture et du commerce a écrit plusieurs fois au directeur de l'octroi pour le féliciter du personnel qu'il avait mis à sa disposition . Ces braves gens ont le cœur bon et compatissant comme la plupart des vieux troupiers , qui , ayant souffert et ayant vu souffrir, savent venir en aide aux malheureux. Il ne se passe pas de mois que les em ployés ne fassent entre eux une collecte pour secourir la veuve, l'enfant, le père d'un camarade mort j'ai plusieurs de ces listes de souscription sous les yeux : 10 centimes, 20 centimes ; les plus riches en don nent cinquante; mais nul ne refuse, chacun apporte son obole, et le total arrive toujours à un chiffre de 800 à 900 francs. - L'administration, qui est fort économe et qui, en parvenant à faire ses énormes perceptions avec 5,80 pour 100 de frais, donne un exemple qu'on n'imite pas assez , ne regarde jamais à délier les cordons de sa bourse dès qu'il s'agit de soulager ses agents dé nués, ou de récompenser leurs actes de dévouement . La caisse de retraite reçoit de grosses sommes tous les ۔ .VI 50 LA FORTUNE DE PARIS. ans, - 544,792 francs en 1875 , - ――― - et les hommes de peine ou leurs veuves ne sont pas plus oubliés que les autres employés. La direction est fort paternelle ; elle ne punit jamais sans avoir préalablement averti, et, lors qu'elle se décide à sévir, elle ne le fait qu'après avoir interrogé les coupables . Tous les jeudis , la commis sion se réunit sous la présidence du directeur ; les régisseurs sont près de lui, ainsi que le chef du per sonnel, le secrétaire et les inspecteurs . Les rapports des inspecteurs relatant les infractions au règlement reprochées aux employés et proposant la punition encourue sont réunis entre les mains du président, ainsi que le dossier spécial de chaque incriminé. Les délinquants sont dans une salle voisine, assez penauds et l'oreille basse, car c'est toujours pour eux une rude émotion d'affronter l'interrogatoire et peut-être les reproches du directeur lui-même. Un rapport est lu ; le dossier de celui qui en est l'objet est consulté : que disent les notes sur la mora lité , l'instruction , l'esprit de discipline , la santé , le caractère? On fait entrer le coupable ; il salue tout le monde, tourne son képi entre ses doigts , tousse vo lontiers , et ne sait sur quelle jambe s'appuyer. J'ai assisté à l'une de ces séances ; sauf une affaire spé ciale qui n'était pas un acte d'octroi , les griefs que l'on peut reprocher à ces pauvres diables sont bien LES FRAUDES. 51 minimes ; aussi les punitions ne sont pas graves ; un jour de retenue des appointements, deux jours après récidive ; mais, comme le produit de ces amendes est réservé à la caisse de retraite, c'est toujours l'employé qui finit par en profiter. En résumé, d'une part je n'ai vu que des peccadilles, et de l'autre j'ai reconnu une sérieuse indulgence mêlée à un grand esprit de jus tice. Les préposés redoutent beaucoup d'être appelés devant la commission : c'est le conseil de guerre, disent-ils ; ils se trompent : c'est le conseil de famille. - - III. - Le contrôle général. - Les animaux parasites. - Le fraudeur. Brigade de 33 hommes. Le bataillon sacré. Les blocs de granit. Service organisé en 1824. L'ancienne fraude. L'alcool . — Droits léonins. — 400 pour 100. L'absinthe. Ce qu'elle coûte, ce qu'elle rapporte. Résultats de la surtaxe. L'alcool dénaturé. Immoralité. Le musée des engins de fraude. Camisole. Toiles et nouveautés. Les divers moyens de frauder. Un truc nouveau. Puits et pompes. Préju dice causé par la fraude. - Expédition . — Distillerie clandestine . — Pro duit des saisies. Transactions. Les voyageurs. Chacun cherche à éluder la loi . — En temps de chasse. Fraude ou vol c'est tout un. — Ceux qui volent l'octroi volent les pauvres. La ville et le trésor. Temps prospère, grosse recette. Taxes ou emprunts. L'octroi est pour Paris un instrument de bien-être et de sécurité. - - -- - - - - -LES FRAUDES. - - - -- - - -- - - - ―― ― - - - -- - ―――― -- indian - L'histoire naturelle nous apprend que chaque ani mal a un parasite qui vit de lui et se nourrit de sa substance ; au cours de ces études nous avons vu qu'il en est de même pour les administrations : chacune d'elles a un ennemi particulier. La Banque de France 52 LA FORTUNE DE PARIS. a le toupinier ; l'Assistance publique a le faux indi gent; le Mont-de-Piété a le chineur ; l'octroi n'échappe point à cette loi commune : il a son adversaire spécial , qui est le fraudeur et qui n'a heureusement rien de com mun avec son grand parent le contrebandier ; celui- ci fait volontiers le coup de feu , marche en troupe et ne se gêne pas pour jeter le douanier au ravin ou à la mer ; le fraudeur est moins dramatique ; comme Pa nurge, « il n'aime «< il pas les coups , lesquels il craint naturellement, » et pour éviter d'en recevoir , il n'en donne jamais. Il est humble d'allure, d'aspect tran quille ; à le voir, on lui donnerait le bon Dieu sans confession ; mais il ne faut pas s'y fier : s'il n'a ni le courage ni l'audace, il a la ruse et la persistance. A ce point de vue il est dangereux ; une filouterie per manente est plus préjudiciable qu'un seul vol avec effraction . Réprimer la fraude, découvrir les frau deurs, dérouter leurs machinations, lutter d'imagina tion , de patience avec eux et s'en rendre maître, c'est pour l'octroi un intérêt de premier ordre. Un service spécial , le contrôle général , est particu lièrement chargé de cette surveillance ; il est composé d'un peloton d'élite , choisi homme à homme parmi les préposés les plus intelligents, les plus actifs et les plus sagaces. Trente-trois employés commandés par un inspecteur pour tenir en respect tous les fraudeurs qui pullulent à Paris, c'est bien peu , et ce n'est pas LES FRAUDES. 53 tout ce qu'ils ont à faire ; ils ont à s'occuper de l'octroi de banlieue, du marché aux bestiaux ; ils ont à regar der du côté des carrières , c'est- à-dire des catacombes qui ont des issues hors de l'enceinte ; ils ont à s'assu rer si tout marche à souhait dans les différents postes ; quinze employés sont constamment sur pied pour ces différents services . Il n'en reste donc que dix - huit réservés à la constatation des fraudes : c'est le batail lon sacré. Il leur importe avant tout de n'être point remar qués : ils ne revêtent donc jamais d'uniforme et chan gent souvent de costume ; ils n'ignorent aucun des coins mystérieux de Paris et connaissent tous les dé tours de la banlieue. Ils sont sceptiques et ne s'en fient guère aux apparences. Lorsqu'ils voient dans une gare de marchandises deux énormes blocs de granit arrivant de Suisse, ils comprennent qu'un Parisien les a fait venir à grands frais pour quelque construction future ; cependant ils tournent autour, remarquent une dépression de forme singulière, y regardent de plus près, y découvrent la tête d'un boulon qu'ils dévissent avec précaution, et s'aperçoi vent sans étonnement que ces deux rochers sont creux à l'intérieur et renferment pour plusieurs milliers de francs de contrebande. Il n'y a pas très-longtemps que le fait s'est produit. Ce service est assez récent et ne date que de 1824, 54 LA FORTUNE DE PARIS. quoiqu'on ait tenté de l'organiser déjà vers 1814 ; il a reçu une nouvelle impulsion à partir du 1er fé vrier 1871 , et il fonctionne maintenant avec une activité extraordinaire ; comme la surveillance indis pensable embrasse en réalité Paris et tout le dépar tement de la Seine, les employés ont fort à faire pour n'être pas débordés, d'autant plus qu'il y va de leur honneur et de la responsabilité de l'administration de n'agir jamais qu'à coup sûr ; la fraude est comme l'occasion , il faut la saisir aux cheveux, sans cela elle échappe. Aussi sont-ils très-prudents, et il y a des affaires qu'ils ont suivies pendant plus d'une année avant de pouvoir avec certitude constater le flagrant délit. La grande fraude se faisait autrefois par galeries souterraines ; dans quelques rapports échappés, on ne sait comme, aux incendies de 1871 , je lis qu'au mois de janvier 1816 on découvrit deux souterrains à la barrière de la Santé et à celle des Bonshommes ; l'af faire était importante sans doute, car elle valut une gratification de 1,500 francs aux employés qui avaient éventé la mèche. Aujourd'hui comment traverser le massif des fortifications et les profondes fondations en pierres meulières ? Tout au plus pourrait-on à l'aide d'une corde hisser un baril préalablement déposé dans le fossé ; mais on y court de tels risques qu'il est fort probable que ce moyen de fraude n'est guère utilisé. LES FRAUDES. 55 Tous les efforts de la fraude paraissent être con centrés à cette heure sur une seule denrée, sur l'al cool ; cet article est en effet écrasé par des droits d'entrée et des taxes d'octroi qui peuvent paraître excessifs , mais qui ont leur raison d'être . La loi du 26 décembre 1871 , qui accable les eaux-de-vie et les liqueurs, a le caractère d'une loi de salut public ; elle a un côté financier qui n'est pas sans importance, mais le but qu'elle poursuit sans l'atteindre est évi demment moral. L'assemblée, émue des résultats que le mode de gouvernement adopté par la défense natio nale avait eus sur la population urbaine , reconnais sant que ces résultats avaient été singulièrement ag gravés par l'orgie permanente qui avait régné pen dant les deux mois de la Commune, voulut réagir avec violence, arracher Paris à l'alcoolisme envahis sant et diminuer, autant que possible, la consomma tion des liqueurs fortes. Agissant comme pouvoir législatif et comme société de tempérance, elle frappe les alcools d'un impôt qui en représente quatre fois la valeur, soit 400 pour 100. Ainsi 1 hectolitre d'al cool qui, pris en fabrique, coûte 80 ou 85 francs, ne franchit la barrière qu'après avoir acquitté le droit du trésor, qui est de 199 francs, la taxe d'octroi qui est de 66 francs 50 cent. , plus le double décime et le demi-décime ; il paye au total 328 francs 55 cent. Certes un tel impôt est léonin, et l'on pourrait croire 56 LA FORTUNE DE PARIS. que l'industrie qu'il atteint en reste anéantie à jamais ; erreur ! Il faut aller au fond des choses , cela en vaut la peine. Ce que l'Assemblée nationale a surtout visé, c'est l'absinthe. Or voici un calcul puisé aux sources les plus sûres : l'hectolitre d'absinthe acheté en province coûte 105 francs, le transport jusqu'à Paris 5 francs, le droit 328 fr . 55 cent. : total , 438 fr. 55 cent.; ce qui met le litre à 4 fr. 40 cent . , chiffre rond, entre les mains du marchand en gros , qui le revend 6 francs au marchand en détail . Un litre mesuré à l'éprouvette contient précisément 47 petits verres. Dans les cabarets, le petit verre d'absinthe coûte 4 sous ; dans les cafés élégants du boulevard , 8 sous ; donc le litre est vendu 9 fr. 40 par les uns, 18 fr. 80 par les autres : 50 pour 100 de bénéfice aux premiers, 200 pour 100 aux seconds . Le bourgeois gentil homme méprisait le commerce, il avait tort. Il y a aujourd'hui à Par s vingt-cinq mille établissements où l'on débite de l'absinthe ; on y en boit au moins un demi-litre par jour, 4,575,000 litres au bout de l'année . Produit financier, un gain de plusieurs millions pour les cabaretiers, cafetiers et autres in dustriels ; - produit moral , abrutissement, violence , folie pour la population ' . ――― Je ne parle ici que de l'absinthe venue de province ; pour éviter de payer les droits, on la fabrique aujourd'hui à Paris en quantité considé LES FRAUDES. 57 Le résultat de la surtaxe sur les alcools s'est immé diatement fait sentir l'apport a diminué dans des proportions extraordinaires ; en 1871 , 168,597 hec tolitres entrent à Paris , qui n'en reçoit que 60,148 en 1872. Toutefois une sorte de compensation, - très faible à la vérité, s'établit instantanément , et dé nonce la fraude : 6,714 hectolitres d'alcool dénaturé de première classe sont inscrits en 1872, et les relevés d'octroi n'en accusent que 1,525 en 1871. Or l'alcool dénaturé, c'est-à- dire l'alcool qui contient trois ou quatre dixièmes d'huile essentielle, térébenthine, vernis , méthylène (esprit de bois) , n'est frappé que d'un droit de 7 francs par hectolitre , car on admet qu'il ne peut être employé qu'à des usages exclusi vement industriels . Mais le diable est bien malin lors que l'intérêt des commerçants est en jeu . Quelques gouttes d'eau dans une barrique d'alcool dénaturé font remonter l'huile essentielle à la surface, on écrème, ou, pour mieux dire, on écume, et la liqueur rable ; l'hectolitre n'en revient, toutes taxes acquittées , qu'à 291 francs , soit 2 fr. 91 cent. le litre ; dans ce cas, qui est presque général, le bénéfice du débitant dépasse toute mesure. L'action directe de l'absinthe sur le système cérébro-spinal est aujourd'hui démontrée. Les belles expériences que M. Magnan, médecin à l'asile Sainte-Anne, a faites en présence de M. Claude Bernard, semblent concluantes . L'alcool injecté dans les veines d'un chien donne à celui-ci un accès de stupeur et uneivresse caractérisée qui n'a qu'une durée relative; l'essence aqueuse d'absinthe, administrée de la même façon, produit chez l'animal des convulsions graves et amène des attaques d'épilepsie spontanée . - - 58 LA FORTUNE DE PARIS. corrosive qui reste au fond du tonneau , désinfectée tant bien que mal , devient du bitter , de l'absinthe, du genièvre. Et voilà comment on introduit des li queurs dans Paris pour 7 francs, au lieu de 328 fr. 25. Les efforts pour frauder l'octroi et le trésor sont incessants ; rien de plus triste qu'une pareille étude , car elle jette un jour très- douloureux sur la moralité générale . Sous le gouvernement de Juillet, pendant que l'on discutait une loi de douane, un député dit à la tribune « Le seul moyen de tuer la contrebande, c'est de proclamer le libre échange . » Cela est vrai , mais n'est point à l'honneur de l'espèce humaine. La petite fraude, celle qui se fait aux barrières, revêt les formes les plus baroques pour n'être point découverte. Une chambre placée sous les combles de l'administration , et que l'on nomme le musée, con tient un spécimen de tous les ustensiles saisis , fausses poitrines de nourrice, fausses apparences de « situa tion intéressante » , chapeaux d'homme à double fond, colliers de harnachement creux, bancs de voi ture évidés , tabourets rembourrés d'un récipient en zinc, camisoles en caoutchouc qui peuvent facilement contenir 25 ou 30 litres. Dans un accident de chemin de fer récent, le mécanicien pris sous la locomotive eut les deux cuisses broyées et fut tué ; lorsqu'on lui enleva ses vêtements avant de l'ensevelir, on le trouva enveloppé d'un gilet gonflé d'alcool. LES FRAUDES. 59 Quand j'ai visité le musée, j'y ai vu une vingtaine de rouleaux de toile semblables à ceux que les mar chands de blanc réunissent sur l'impériale de leur voiture de transport et maintiennent à l'aide d'une forte courroie. Ce truc était nouveau et réellement ingénieux . L'affaire fut très-habilement menée par les agents du contrôle général, qui se méfiaient d'une tapissière sur laquelle était écrit en très-grosses lettres : TOILES ET NOUVEAUTÉS . L'enseigne était trop éclatante ; ils « filèrent » la voiture, dont les allures leur sem blaient suspectes . Les premiers soupçons avaient été éveillés le 23 mai 1872 ; dès le lendemain, la tapis sière de si bonnasse apparence était entourée et arrê tée au moment où elle venait de franchir la porte des Ternes . On y trouva 17 rouleaux de toile faits pour tromper les yeux les mieux exercés ; en réalité , elle contenait 17 cylindres de zinc, revêtus d'une belle chemise de coton blanc plissé, et desquels on versa 4 hectolitres d'alcool à 94 degrés qui , équivalant à 3 hectolitres à 100 degrés (alcool pur) , représentaient 1,255 fr. 58 c. de droits. On fraude à l'aide de cabriolets en fer-blanc peint et qui ne sont qu'une vaste cuve ; on fraude en expé diant à Paris des piles d'assiettes qui sont entassées les unes sur les autres , par quatre douzaines , ratta chées avec des liens de paille : les deux douzaines du milieu perforées cachent un bidon rempli d'alcool ; 60 LA FORTUNE DE PARIS. on fraude avec tout et pour tout . Parfois , lorsqu'on se trouve en présence de gens qui ne reculent devant rien pour satisfaire leur cupidité, on reste surpris de la hardiesse des moyens employés. Une affaire de cet ordre a laissé de profonds souve nirs chez les agents du contrôle général ; elle mérite d'être rapportée. A la fin d'octobre 1864, on apprit avec certitude que des marchands de vin du quartier de l'Hôtel-de- Ville achetaient des alcools à 10 francs au-dessous du cours . On ordonna une surveillance qui amena la découverte de deux magasins situés dans deux quartiers différents ; ces magasins étaient ali mentés par une tapissière chargée de fûts de petite dimension et qui partait du n° 11 de la rue de Jussieu ; la maison était bâtie en face du mur d'enceinte de l'entrepôt des vins et presque vis-à- vis du corps de garde des préposés de l'octroi . On crut à une distil lerie clandestine ; mais nulle fumée accusatrice ne s'échappait des cheminées, nulle eau ne s'écoulait dans la rue. Trois semaines se passèrent à examiner le local , les habitudes de ceux qui le fréquentaient, et le 26 novembre au matin le sous-inspecteur, le brigadier, deux commis ambulants, accompagnés d'un commis saire de police, firent irruption dans la maison ; cc fut une véritable découverte et à laquelle on ne s'at tendait guère. Deux pompes se dégorgeant au- dessus LES FRAUDES. 61 de deux tonneaux furent manœuvrées et donnèrent l'une de l'alcool à 96 degrés, l'autre du vin . D'où provenaient ces liquides ? En fouillant dans une écu rie, on démolit à coups de fourche un tas de fumier qui était posé sur des planches ; celles-ci furent enle vées , et l'on vit un puits de sept mètres de profon deur ; on y descendit, et l'on pénétra dans un souter rain qui, franchissant la rue de Jussieu , s'arrêtait aux fondations de l'entrepôt ; mais trois tuyaux de caout chouc traversant la muraille ne laissaient aucun doute sur la façon de procéder. L'un de ces tuyaux aboutis sant dans l'entrepôt général , à la cave située rue de la Côte- d'Or, nº 19, amenait du vin ; l'autre parvenait au nº 6 de la butte de la Gironde, dans la partie réser vée aux eaux-de-vie, et recevait l'alcool ; le troisième servait aux communications acoustiques . C'était fort bien imaginé; on emmagasinait dans l'entrepôt, où les droits ne sont jamais acquittés qu'à la sortie , et l'on « dépotait » à coups de pompe, rue de Jussieu , hors de l'action des préposés de l'octroi ; mais l'on avait compté sans la perspicacité du service du con trôle , et l'on fut mauvais marchand de cette aventure . La perte que cette fraude faisait supporter aux per ceptions s'élevait à 2,250 francs par jour. A quelle somme peut se monter le préjudice que la fraude inflige à la caisse du ministère des finances et à celle de la préfecture de la Seine ? Il est impos 62 LA FORTUNE DE PARIS. sible de répondre par un chiffre exact . 1 million , 1,500,000 francs, disent les plus modérés , 10 ou 12 millions, disent les excessifs ; pour ma part, je ne sais . Il faut que ces fraudes sur les alcools soient bien considérables et bien multipliées pour que le conseil municipal ait voté 45,000 francs destinés à en favoriser la répression . J'ai fait avec les agents du contrôle une petite expédition dont le résultat pourra peut-être permettre d'arriver à un chiffre approxi matif raisonnable. - Un jour du mois de décembre 1873, un commis saire de police, le sous- inspecteur du contrôle, un agent et moi , nous sommes partis de l'administration et nous avons pris route vers un des anciens boule vards extérieurs de Paris. Nous pénétrâmes dans une grande cour, cantonnée sur quatre côtés par des bâ tisses légères, composées de tous les matériaux ima ginables provenant de démolitions . Dans un coin, un vaste hangar en planches , surmonté d'un tuyau sans fumée ; fenêtres d'atelier, très-haut placées et que l'on ne pouvait atteindre ; porte close ; de l'intérieur , nul bruit perceptible. L'agent se retourna vers le commissaire de police et lui fit un clignement d'yeux qui signifiait c'est là ; on frappa deux petits coups à la porte , qui s'ou vrit; à peine fut-elle entre-baillée, que l'agent y glissa son pied pour qu'il fût impossible de la refermer. On LES FRAUDES. 63 entra ; le sous-inspecteur nomma le commissaire et dit : « Eh bien, nous distillons donc clandestinement de l'alcool ? » L'ouvrier auquel on s'adressait, un colosse qui avait l'air d'un tambour-major en retraite et qui n'était qu'un ancien garçon boulanger, répon dit : « Moi, je ne sais pas ; je fais ce que mon patron me dit de faire . » C'était complet deux fourneaux allumés, deux alambics en beau cuivre rouge, appareil pour brûler la fumée, afin qu'on ne la vît pas ; branchement sur l'égout pour l'écoulement de l'eau ; des fûts pleins de mélasse et des touries d'acide d'un côté ; de l'autre, des tonneaux remplis d'excellent alcool à 49 degrés (la mélasse contient 20 pour 100 d'alcool ; il suffit de la mettre en fermentation et de distiller pour obtenir de très-bons produits) . Nous n'étions pas entrés que nous étions rejoints par six employés du contrôle , qui sortirent je ne sais d'où . On demanda le patron , il était absent ; on demanda le propriétaire, il n'y était pas. Sa femme vint à sa place, une petite femme rousse qui se mit à braire si fort que l'on n'en put rien tirer. On vérifia la contenance des barriques, puis un agent, ayant pris quelques seaux d'eau , les jeta sur la houille ardente, l'éteignit et se mit à dé monter les appareils. Il connaissait son métier, ce lui-là ; en une heure, il avait méthodiquement déboulonné les deux alambics et en avait rangé les 64 LA FORTUNE DE PARIS. pièces de façon que le commissaire de police pût y mettre les scellés . A 500 ou 600 mètres de là , on alla faire ouvrir un magasin secret dont le contenu , futailles et mélasse , fut apporté dans la distillerie. L'examen fait , séance tenante, sur la capacité des chaudières et la qualité des produits, a démontré que la fraude quotidienne pouvait être facilement de 750 francs ; en admettant que ce prudent industriel n'ait travaillé que la moitié de l'année, il bénéficiait de 136,500 francs par an. S'il y a cinquante distilleries clandestines de cette importance à Paris, et elles y sont certainement, -nous dépassons déjà 6 millions 1/2. Je n'ai pas à dire comment les agents , si peu nom breux, du contrôle général, parviennent à leurs fins avec une sorte de sûreté diabolique : la perspicacité, l'amour de la chasse y sont certainement pour beau coup; mais une disposition du préfet de la Seine répartit le produit de saisie en trois parts égales : pour le trésor, pour la caisse de retraite des em ployés, pour les dénonciateurs ; en style administratif, on appelle ceux-ci les indicateurs , et l'on prétend que quelques-uns se font un revenu assez agréable à l'oc troi . Tous les fraudeurs ne sont pas traduits devant les tribunaux, car la loi , par une disposition fort sage, a autorisé l'administration de l'octroi à transiger avec les coupables. Si ceux- ci évitent la honte d'un débat ―― LES FRAUDES. 65 public, ils payent assez cher cet avantage ; la transac tion consentie exige le plus souvent une somme supé rieure à l'amende que la police correctionnelle eût infligée . Que des industriels de bas étage , chez lesquels l'â preté du gain immodéré a oblitéré le sens moral, aient recours à de pareils moyens, cela se comprend, et tôt ou tard du reste ils finissent par être pris la main dans le sac et par rendre gorge ; mais avec quelle sévérité ne devons- nous pas juger ces hommes riches, honorés, qui ne se font aucun scrupule de frauder l'octroi ? C'est là, il faut le reconnaître, une des plaies de notre société : elle s'ingénie à éluder la loi et cher che à frauder le fisc, comme au mauvais temps des gabelles. La fraude faite par les voyageurs qui débarquent à Paris dans les gares de chemins de fer dépasse toute proportion ; ceux-ci abusent, d'une façon indécente, des ordres que l'administration transmet à ses pré posés ; elle recommande une extrême discrétion, d'éviter tout ce qui peut amener un retard ; au milieu des deux cents colis jetés sur les tables des salles de bagages, on n'en visite très-sommairement que deux ou trois à peine. Aux guichets de sortie, la foule se tasse, et les préposés impuissants la laissent passer . Une telle conduite, qui devrait développer dans le public une probité scrupuleuse, produit le résultat VI. 5 66 LA FORTUNE DE PARIS. opposé ; chacun se dit : Ah bah ! il y a trop de monde, on n'y verra rien ; et alors, sans vergogne, des hom mes bien élevés, des femmes du monde qui exigent chez les autres des principes de délicatesse dont ils font bon marché pour eux-mêmes, cachent dans leur paletot ou sous leur mantelet toute sorte d'articles sujets aux droits. Lorsqu'on leur fait une observation amicale à cet égard, ils répondent invariablement : C'est si ennuyeux d'attendre ! Pendant la durée de la chasse, c'est un véritable scandale ; chacun cherche à dissimuler le perdreau ou le faisan qu'il rapporte. Bien souvent le hasard m'a fait voyager avec des chasseurs qui rentraient à Paris ; dès que le wagon pénétrait en gare, tous cachaient leur gibier , et nul ne le déclarait . J'ai connu un avo cat qui emportait toujours à la chasse la serviette de maroquin dans laquelle il mettait ses dossiers pour aller au palais ; elle lui servait à passer son gibier en franchise . Tout cela est fort blâmable , et je regrette que l'octroi ne fasse pas de temps en temps un bon exemple ; s'il veut frapper sur des gens que leur situation sociale met à l'abri du soupçon , il n'aura que l'embarras du choix. Ce que l'euphémisme administratif appelle une fraude est bel et bien un vol , pas autre chose. Voler 20 sous en ne faisant pas une déclaration exigée , ou voler 20 sous dans la caisse de l'État, c'est tout un. LES FRAUDES. 67 Je sais que, selon beaucoup d'individus qui passent pour fort honnêtes, voler l'État , ce n'est pas voler ; c'est là une morale de police correctionnelle qui ne mérite même pas réfutation . Dans l'espèce, ce n'est ni à la ville de Paris, ni au ministère des finances que l'on fait tort, c'est aux indigents, aux infirmes, aux malades, aux enfants abandonnés . Ceci n'est point un lieu commun sentimental débité pour les besoins d'une cause qu'il est vraiment pénible d'avoir à dé fendre, c'est la vérité. La ville de Paris, en 1873 , a transmis 14,474,977 francs à l'Assistance publique, afin que celle- ci pût soulager toutes les infortunes qui crient vers elle ; à l'enseignement gratuit elle a donné 9,916,448 francs ; elle a employé une somme de 3,520,370 francs à payer la cote personnelle de 180,000 individus dont le loyer est inférieur à 400 francs . Pour faire exé cuter dans notre cité des travaux d'utilité publique dont tout le monde profite , et qui sont une sorte de prime d'encouragement au labeur des ouvriers, elle a dépensé 34,068,890 francs. Enfin dans l'entretien de la garde municipale, des pompiers, des gardiens de la paix qui , on peut en convenir, rendent des ser vices appréciables au point de vue de la sécurité générale, sa part a été de 4,416,570 francs. La ville a donc consacré une somme de 66,597,255 francs à des œuvres dont les malheureux ont le premier et le 68 LA FORTUNE DE PARIS. plus sûr bénéfice ; ce gros budget, à qui va-t-elle le demander pour être certaine de l'obtenir sans diffi culté? à l'octroi « municipal et de bienfaisance » , comme dit la loi de vendémiaire an VII. C'est là ce que l'on ne devrait jamais oublier lorsqu'on est solli cité par quelque mauvaise pensée de fraude ; cela n'arrêtera pas les âmes malsaines, mais cela fera réfléchir les gens qui, par enfantillage ou pour s'éviter un mince ennui, oublient volontairement d'être hon nêtes et ne font pas les déclarations obligées. Pour les ressources municipales, pour les fonds de bienfaisance spécifiée ou déguisée , l'octroi de Paris est donc le produit le plus constant et le moins aléa toire. Frappant des objets de première nécessité, et surtout des denrées de consommation, il ne peut tarir; chaque bouchée de nourriture l'alimente et il est éparpillé à l'infini . Il s'acquitte par quantités telle ment minimes qu'il peut, jusqu'à un certain point , passer inaperçu ; pour chacun des 1,851,792 habi tants de Paris, il représente une dépense quotidienne de 15 cent. 69. Les négociants qui , recevant un arri vage de marchandises, ont à payer d'un seul coup une somme importante, ne font qu'une avance qui leur est remboursée avec intérêts par leurs clients . Bien des gens le maudissent cependant et le trou vent excessif, sans réfléchir que, de toutes les sommes qu'il a encaissées, il en a versé précisément un tiers LES FRAUDES. 69 au bout de l'année au ministère des finances . On l'ac cuse d'avoir outrageusement chargé les vins et li queurs mais sur les 22 fr. 87 que payent les pre miers, le trésor ne lui en a laissé que 11 , et sur les 318 fr. 60 que payent les secondes, il donne 258 fr. 80 aux finances : en cette matière du moins la part du lion n'est pas à lui. C'est la poule aux œufs d'or ; il est bon de l'en tourer de soins, de la ménager et de n'en point exiger une production démesurée ; pour accroître son revenu, il est inutile d'en surcharger les taxes ; on peut s'en rapporter à l'attraction que Paris exerce sur les pro vinciaux et sur les étrangers : plus les hôtes venus de l'extérieur sont nombreux dans notre ville, plus les consommations augmentent et plus on voit grossir les produits de l'octroi ; c'est pourquoi les temps de calme et de prospérité se révèlent, au premier coup d'œil , sur les tables récapitulatives, car le total prend tout de suite des proportions respectables. Je crains que l'on n'ait actuellement une certaine tendance à exiger de l'octroi plus qu'il ne comporte, et à le mêler à des opérations qu'il doit ignorer . Les finances municipales, si considérables qu'elles soient , ne sont pas en rapport avec les besoins de Paris, d'un Paris commencé, qu'il faut continuer, sinon finir. Comment parviendra-t- on à se procurer les ressources nécessaires? par des taxes ou par des emprunts ? On 70 LA FORTUNE DE PARIS. agite volontiers ce problème , qui me semble pouvoir être résolu facilement . Tout ce qui offre un caractère d'utilité immédiate et normale, tout ce qui est destiné à mouvoir le mécanisme régulier des organes mêmes de la vie urbaine, ressortit aux taxes et naturellement à l'octroi ; nous payons pour qu'on pave nos rues , pour qu'on les balaye , pour qu'on les éclaire ; nous payons pour qu'on soigne nos malades, pour qu'on recueille nos enfants perdus et nos infirmes ; nous payons pour qu'on nous garde et qu'on nous protége : rien n'est plus juste ; mais dès qu'il s'agit de travaux dont nos descendants profiteront et dont, soit dit en passant, nous n'avons que tous les ennuis, lorsqu'on amène des rivières à Paris, que l'on canalise son sous sol , que l'on ouvre des boulevards, lorsque l'on fait pour nos enfants une ville plus saine, plus belle , mieux ordonnée que la nôtre, c'est à l'emprunt que l'on doit s'adresser, car il est équitable de faire payer à l'avenir les bienfaits que nous lui léguerons et que nous n'aurons qu'imparfaitement connus. Quoi qu'il en soit de cette question , qui ne se rat tache qu'incidemment à notre sujet , l'octroi , malgré les fraudes qui l'attaquent et le mauvais vouloir qu'il excite parfois, est entré dans nos mœurs ; il fonctionne avec régularité. Exclusivement payé par les habitants de Paris, il est employé exclusivement à leur profit : ce que la population donne en gros sous lui est rendu LES FRAUDes. 71 en bien-être. En le supprimant, on n'enrichirait per sonne et l'on appauvrirait tout le monde ; l'impôt que les pauvres, les estropiés, les enfants trouvés , les aliénés, les malades lèveraient alors sur nous, en nous poursuivant dans nos rues et jusque dans nos maisons, serait bien plus lourd, plus onéreux, plus vexatoire, que la taxe à peine sensible récoltée par les préposés de l'octroi , dans un dessein déterminé, où le soulagement de la souffrance , l'instruction de l'enfant et l'humanité ont la meilleure part.

-- ― - - - - - - Nulle preuve de - Lenteur de Dans les églises . Renouvellement de la population. l'état civil . Registres curiaux. Memento. Guise. Assassinat de Henri III. - Rédaction incomplète des registres curiaux. Intervention de la royauté. · Les bénéfices. Prêtres salés et embaumés. - Ordonnance de Villers - Cotterets. On ne tient compte des prescriptions royales. Déclaration du 7 avril 1736. - Constitution civile du clergé . Désarroi. Baptêmes clandestins. naissance . Danger signalé par la municipalité de Paris . l'action législative. Motion de François de Neufchâteau. Vivre libre ou mourir. Incidents. La loi est votée le 20 septembre 1792. — Les deux dépôts. — Hôtel de Ville et Palais de Justice. — Tout est brûlé. Lois de reconstitution. - Le service de la Bourse. Insouciance du pu blic. Prolongation du délai légal. · Le service de l'archevêché. Service ambulant. Réserve des protestants et des israélites. Instal lation déplorable. Ce service devrait être étendu et agir d'office. - Le greffe du tribunal de première instance . - M. Rathelot . —Les palimpsestes . Initiative du département de l'Ardèche. Les niaiseries de Gohier. --- Registres carbonisés. Drogue. Noir sur noir. sauvés. - - Festina lente. druple expédition. - - 1. L'ÉTAT CIVIL - ――― - CHAPITRE XXXII -- -LES REGISTRES, - - ――― ――― - - - L'Arc de Triomphe. Importance de Assassinat du duc de - - - - - - ――― 70,000 actes L'expérience nous servira-t-elle ? - Qua - Nous venons de voir à quelle source la ville de Pa ris puise les sommes considérables qui lui sont néces 74 L'ETAT CIVIL. saires pour maintenir le bien-être et la sécurité de sa population ; il est temps de dire comment celle - ci se renouvelle et quelles précautions sont prises afin d'as surer à chacun de ses membres une identité irrécu sable. Lorsque l'on veut apprécier d'un seul coup d'œil l'énorme mouvement qui modifie sans cesse les éléments individuels dont se compose cette population, il faut un matin, de dix heures à midi, se rendre dans une de nos paroisses les plus fréquentées, Saint Roch, la Madeleine, Saint- Sulpice ; c'est l'image même de la vie ; près des fonts baptismaux , des vagis sements indiquent qu'un nouveau- né vient apporter sa part de travail et demander sa part de soleil ; les orgues retentissantes célèbrent le joyeux épithalame de deux époux que le prêtre bénit au milieu des lu mières et des parfums, tandis que les chants redouta bles du Dies iræ annoncent qu'une âme, rejetant son enveloppe, s'est élancée vers les régions inconnues où surnage toute espérance . On naît, on se marie, on meurt à toute minute dans cette vaste ville où, pen dant que l'homme poursuit le labeur forcé , l'impassi ble nature ne se soucie que de son œuvre, qui est la propagation de l'espèce et l'élimination des faibles. Quoique les vieillards ne manquent pas à Paris et qu'on puisse même y découvrir aujourd'hui quelque centenaire qui venait au monde lorsque mourait Louis XV, on peut affirmer que la population pari - ―――――― LES REGISTRES. 75 sienne est certainement renouvelée en l'espace de cinquante ans. On sait avec une certitude mathéma tique dans quelles proportions se produisent les nais sances, les mariages et les décès ; mais on ne saura jamais dire d'où sont partis, quelles routes ont par courues, quel but ont atteint, de quelle manière ont fini ceux dont on a enregistré l'apparition au jour et dont on a constaté la mort. Ce serait là une recherche intéressante entre toutes, mais qu'il est impossible d'entreprendre ; les documents n'existent pas , et nulle administration n'est assez puissante , assez riche, assez nombreuse pour tenter même de les re cueillir. les A défaut de cette statistique morale, la statistique matérielle abonde en renseignements qui ont du prix et peuvent éclairer bien des points obscurs de la vie parisienne. Sous ce rapport, nous n'avons rien à dési rer ; les gouvernements, qui se succèdent rapidement en France, ont tous attaché une importance excep tionnelle à la bonne tenue de ce que l'on nomme les registres de l'état civil. Au fur et à mesure que relations sociales ont pris une assiette régulière, que la justice s'est dégagée des formules obscures dont le moyen âge l'avait enveloppée, que la religion a vu une garantie pour elle-même dans la constitution légale de la famille, on a cherché à établir et à conserver les preuves testimoniales des trois grands actes de la vie 76 L'ETAT CIVIL. humaine. En constatant par des pièces authentiques la naissance, le mariage et le décès des individus , on confirmait le passé des familles, et l'on en assurait l'avenir ; la preuve légitime de la filiation et des al liances consacrait le droit à la possession ; l'état civil a donc été dans les pays coutumiers, dans les pays de droit romain et même dans les pays saisis par la con quête, la base la plus sérieuse de la propriété et de la société; il éclaire la justice, détermine les relations. des hommes entre eux et préside à leurs transactions. Ce rôle multiple et bienfaisant n'a pas toujours été compris, mais aujourd'hui notre état civil offre toute garantie désirable et rend d'inappréciables services à La population parisienne, pour laquelle il représente le cartulaire des papiers de famille ; aussi devons- nous en tracer un rapide historique . Notre état civil , tel que nous le voyons fonctionner maintenant, est très- moderne ; il date de 1792. Avant cette époque, il était exclusivement confié au clergé, qui, dans chaque paroisse, devait tenir des registres appelés registres curiaux, sur lesquels on inscrivait les baptêmes, les bénédictions nuptiales et les servi ces funèbres. L'extrait, certifié conforme, de ces re gistres servait d'acte authentique et faisait foi . Ces ca hiers, tous détruits aujourd'hui , mais que nous avons vus jadis, étaient rédigés assez régulièrement ; pour tant il n'en avait pas toujours été ainsi , et il fallut LES REGISTRES. 77 bien des ordonnances royales pour que les curés y missent quelques soins. Dans le principe, le registre déposé à la sacristie était une sorte de memento sur lequel on relatait, à côté de certains actes accomplis dans l'église , toute sorte de choses qui très-souvent n'avaient aucun ca ractère officiel ou sacré . M. Berriat-Saint-Prix relève d'étranges annotations dans un des registres de l'église Saint- Paul, rédigé par un vicaire qui inscrit les étren nes qu'il a reçues, entre autres : une bouteille d'hypo cras, une talmouse , un lapin de garenne, une pistole d'Espagne ; à la suite d'un service funèbre fait le 29 oc tobre 1650 , il ajoute : « M. de Saint- Paul (le curé) me commanda d'aller dîner avec lui, où de sa grâce je fis bonne chère Vivat ad multos annos ! » Le lende main , la bonne chère avait porté fruit , car, — je de mande pardon au lecteur de cette citation incongrue, -il écrit : « Je pris un lavement pour apaiser mes coliques. Les faits inscrits à la date où ils se sont produits ne sont pas tous de si triviale nature, et parfois ils offrent quelque importance historique, car ils peignent nette ment l'état des esprits en présence d'événements con sidérables ; sur le registre de Saint-André des Arts, à la suite d'un acte de baptême du 23 décembre 1588, on lit « En ce même jour du samedi 24 décem bre 1588 est venu un courrier de la ville de Blois qui 78 L'ÉTAT CIVIL a apporté nouvelle que M. le duc de Guise avoit été tué el massacré le vendredi précédent au cabinet du roi , lui estant présent, lequel sieur estoit allé à son ser vice à l'assemblée des estats , faict trop exécrable et qui ne demeurera pas impuni. Anima ejus requiescat in pace, amen ! Et encore non content, comme estant possédé du diable, comme il est vraisemblable, a depuys faict massacrer M. le cardinal de Guise et non pour autre cause sinon qu'ilz s'opposoient aux entre prises du Béarnoys qui se dict roy de Navarre, héréti que, excommunié, que le dit roy, jadis roy de France, nommé Henry de Valoys, vouloit instaler après lui à la couronne de France contre la volonté de notre saint père le pape, Sixte cinquième, qui l'en avoit jugé índigne par sa mauldite hérésie et pour avoir été re laps. » Après avoir constaté un mariage célébré le 31 juillet 1589 , le prêtre raconte l'assassinat de Henri III : « estant à Saint-Cloud ... ayant juré la mort de toutes sortes de gens de bien, permestant seulement de sauver les hérétiques et leurs adhérens, pour puys après ruiner l'église et notre Seigneur et planter l'hérésie au beau milieu de la France. » Il nomme Jac ques Clément « religieux de l'ordre des Jacobins »>, et il écrit : Anima illius requiescat in pace. Le plus ancien registre d'état civil appartenant à Paris est celui de la petite paroisse de Saint-Jean en Grève ; il remonte à 1515 : il ne relève les maria que LES REGISTRES. 79 ges ; on trouve un registre de baptême à Saint-André des Arts et à Saint-Jacques la Boucherie à la date de 1525 ; en 1527 les décès sont inscrits à Saint-Josse et à Saint-Landry. Les actes que l'on rappelait sur ces cahiers ne ressemblent en rien à ceux que les employés de nos mairies libellent aujourd'hui avec tant de soin et de précautions ; l'orthographe des noms était rare ment respectée, bien souvent même ceux- ci étaient omis : «< le 29 août 1574 furent baptisées deux filles gemelles et de la même ventrée. » (Saint-André des Arts.) Pour les enfants ou les domestiques, on ne prend pas grand'peine : « J'ai inhumé l'enfant de M... » ( Saint-Paul , 1640. ) « A été inhumé le domes tique de M... » ( Saint-Eustache, 1657. ) Sur le regis tre des mariages de Saint-Jean en Grève pour l'an née 1603 , on lit : Hic desunt multa matrimonia . On voit par ces exemples, qu'il serait facile de multiplier à l'infini , que des actes d'état civil tenus de cette sorte ne sont que des curiosités historiques où l'on peut parfois découvrir quelques renseignements pré cieux, mais qu'ils n'offrent aucune sécurité et qu'ils ne devaient être que d'un secours douteux pour les familles . La royauté intervint et , à propos d'une question in cidente et toute spéciale, imposa aux curés l'obliga tion de mettre quelque régularité dans certains des actes portés sur les registres curiaux . Ce n'est pas la 80 L'ETAT CIVIL. première fois que, voulant faire disparaître un abus très-circonscrit, on a produit un bien général. Lors qu'un ecclésiastique en possession d'un bénéfice mou rait , il y avait un intérêt majeur pour ceux qui am bitionnaient sa succession à cacher sa mort, et , comme on le disait à cette époque, à prendre date à Rome, car le pape jouissait alors d'un droit de prévention qui lui permettait de nommer à un bénéfice vacant lorsque le roi n'y avait pas pourvu . Il y eut des prê tres qui furent embaumés, salés , dissimulés dans des caves par la complicité de quelques inférieurs , pen dant que le postulant « courait le bénéfice » . C'est pour faire cesser ce scandale, qui portait pré judice aux prérogatives souveraines, que fut rendue en août 1559 la célèbre ordonnance de Villers- Cotte rets, qui fut enregistrée le 6 septembre de la même année. On ne peut douter du motif qui la détermine , lorsqu'on voit, à l'article 56 , qu'elle défend, sous peine de confiscation de corps et de biens , de garder les cadavres des ecclésiastiques ' . Elle visait d'autres points : elle exige ( art. 51 ) que l'on constate l'heure et le jour de la nativité ; elle recommande de faire contre 1 Voyez, pour les origines de l'état civil , Berriat-Saint- Prix , Recherches sur la législation et la tenue des actes de l'état civil; Mémoires des an tiquaires de France, 1852, t . IX ; - Notice historique sur les anciens registres de l'état civil à Paris, A. Taillandier, 1817 ; - Recherches sur les actes de l'état civil au quatorzième et au quinzième siècle, par llarold de Fontenay, Bibliothèque de l'École des chartes, 1869. LES REGISTRES. 81 signer les registres par un notaire , et enfin , très-pré voyante et devançant l'avenir , elle veut (art . 54) que les registres soient déposés tous les ans dans les greffes des bailliages et des sénéchaussées Par les extraits d'actes postérieurs à l'ordonnance que nous avons ci tée, on peut voir que le clergé ne fit pas grand cas des prescriptions royales ' . Ce ne fut point une petite affaire d'amener les ecclésiastiques à donner aux registres curiaux une tenue à peu près régulière ; par paresse, par insou ciance, par ignorance des suites qu'un acte incomplet pouvait entraîner, ils ne se préoccupaient guère de la rédaction des pièces indispensables : ils regardaient sans doute ce travail comme superflu ou comme indigne d'eux ; ils en laissaient le soin à des prêtres inférieurs, parfois même à des bedeaux illettrés , et ils échappaient ainsi à la lettre et à l'esprit de l'or donnance de Villers-Cotterets. En vain différents édits de 1579, de 1595, de 1629, de 1667 , les rap pelèrent à l'accomplissement du devoir imposé ; ils n'en tinrent compte, et les choses restèrent en cet état, plus que défectueux, jusqu'à la déclaration 1 Antérieurement à l'ordonnance de Villers-Cotterets , certains évê ques avaient compris l'importance des registres curiaux . J'en trouve la preuve dans les archives du département de l'Yonne ; en 1491 , le curé de Videlis ( Sens) est condamné à payer une amende de 10 sols pour n'a voir pas tenu registre des mariages faits dans sa paroisse. VI. 82 L'ÉTAT CIVIL. royale du 7 avril 1756 , qui fut enregistrée le 13 juil let au parlement , et que d'Aguesseau avait rédi gée. Au nom de l'intérêt commun des familles et du bon ordre de la société, il est ordonné aux curés de tenir régulièrement les actes de l'état civil concernant les naissances, les mariages, les décès, de se confor mer aux prescriptions des lettres royales de 1667 , et de déposer chaque année dans les greffes un double de leurs registres. Cette fois il fallut obéir, ne fût- ce que pour échapper à l'action des parlements , qui se plaignaient du désordre apporté dans les œuvres de la justice par les irrégularités nombreuses dont des pièces prétendues authentiques, émanant des paroisses, four millaient à chaque ligne . La déclaration de d'Agues seau est irréprochable ; elle prévoit tout et ne laisse rien au hasard ; plus tard on n'aura qu'à la reprendre et à lui donner une forme législative pour qu'elle devienne la loi qui régit la matière aujourd'hui . Les choses marchèrent régulièrement jusqu'à la Révolution, et le clergé resta en possession des actes de l'état civil ; mais, lorsque le décret des 12 juillet et 24 août 1790 eut jeté dans l'Église de France une perturbation profonde, on se trouva en présence d'une difficulté qu'il fallut résoudre sous peine de voir les relations de famille se compliquer d'une étrange façon. Beaucoup de gens, animés par des scrupules LES REGISTRES. 83 religieux très-respectables , regardaient les prêtres assermentés comme des renégats , déchus, par le scul fait du serment prêté, de tout pouvoir pour admi nistrer les sacrements. Qu'arrivait- il alors ? Ces per sonnes pieuses, lorsqu'un enfant leur naissait, le portaient à des prêtres restés fidèles ; on procédait à un baptême clandestin ; mais nul acte sérieux ne prou vait la naissance, car les prêtres insermentés ne te naient point de registres. Ce fait, qui n'était grave que par les conséquences possibles, fut dénoncé à l'Assemblée nationale dans la séance du 15 mai 1791. C'était une députation de la municipalité de Paris qui venait signaler le danger, et Bailly portait la parole ; il demande, en présence des opinions religieuses qui semblent séparer la na tion en deux camps adverses , que dorénavant les offi ciers municipaux soient seuls chargés de la rédaction des actes de l'état civil . Le président Treilhard et le député Lanjuinais approuvent l'orateur et estiment qu'il sera bon de se hâter. Le 19 mai , la question , portée à la tribune, est ajournée ; elle y revient le 27 août, et l'on vote que « le pouvoir législatif éta blira pour tous les citoyens sans distinction le mode par lequel les naissances, mariages et décès seront constatés, et il désignera les officiers publics qui en recevront et conserveront les actes. » Les discussions des lois les plus importantes étaient déjà fort lentes à 84 L'ÉTAT CIVIL. cette époque, et l'on devait attendre plus d'une année avant de voir résoudre ce facile problème. L'initiative pratique de la réforme ne vint ni de Paris ni de l'assemblée : ce fut la ville de Privas qui paya d'audace et donna l'exemple ; Boissy-d'Anglas , procureur-général-syndic du directoire du départe ment de l'Ardèche , arrête le 2 novembre 1791 « que l'Assemblée nationale sera suppliée de porter une loi qui prescrive les formes civiles nécessaires pour con stater la naissance et le décès des citoyens, » et il ordonne « qu'en attendant les municipalités du dépar tement tiendront un registre où elles constateront l'époque de la naissance des enfants dont elles sauront que l'enregistrement sur les registres curiaux aura été différé. » Les considérants de l'arrêté de Boissy d'Anglas prouvent que le nombre des baptêmes clan destins tend à constituer une sorte de péril social . L'assemblée ne désapprouva pas le directoire du département de l'Ardèche, mais elle ne hâta point ses travaux . La discussion continue le 15 février 1792 ; le 17 mars on fait un effort pour obtenir un ajourne ment indéfini de la question ; François de Neufchâ teau est très-affirmatif : « J'ose dire que la France ne supportera pas en ce moment une innovation qui pa raîtrait toucher aux dogmes religieux ; quoique nous soyons dans le siècle de la philosophie, le peuple n'est pas encore philosophe. >> L'assemblée fut plus LES REGISTRES. 85 sage que le futur ministre . Elle comprit que l'état civil et les dogmes religieux n'avaient aucun point de contact, et elle rejeta la motion « comme inju rieuse au peuple français » . Le 18 juin, on revient à l'élaboration de cette loi qui semblait hésiter à se formuler. Pastoret avait parlé avec beaucoup de sagesse en faveur des muni cipalités, lorsque Gohier, le même qui devait être un des chefs du directoire au 18 brumaire, fit un dis cours qui mérite de ne point être oublié, car il prouve à quel degré d'aberration l'influence des milieux peut entraîner les esprits les plus calmes. La simple trans cription des actes de la vie civile semble à l'orateur manquer de dignité, il veut un peu plus de cérémonie ; on constatera la naissance en déposant l'enfant sur l'autel de la patrie, et les parents s'engageront pour le nouveau-né « à vivre libre ou mourir » . Pour les mariages, la formule est la même : « Que les deux époux, dans ce moment intéressant, annoncent eux mêmes que les plus doux sentiments de la nature ne leur font point oublier qu'avant d'être l'un à l'autre ils appartiennent à la patrie, et que le vœu matri monial soit scellé du cri : vivre libre ou mourir ! » On ne pouvait de bonne foi constater un décès par de telles acclamations ; mais Gohier tourne facilement la difficulté , et il exige « que le grand homme soit placé au Panthéon, tandis que le traître sera traîné 86 L'ÉTAT CIVIL. à la fange et livré à l'exécration publique . » Quoique l'assemblée , électrisée par cette niaise rhétorique, ait voté l'impression du discours , elle adopta des moyens plus simples et surtout plus pratiques pour la constatation des naissances , des mariages et des décès . Deux fois la discussion de la loi fut interrompue dans des circonstances que l'histoire n'a pas oubliées . Le 28 juin, sur la proposition de Vergniaud, on reprit la question des mariages, et Lagrevol parlait lorsque e général Lafayette, se présentant devant l'assemblée pour lui demander compte de la journée du 20 juin, s'attira la dure apostrophe de Guadet : « Nous n'avons donc plus d'ennemis extérieurs ? » Le 3 septembre, pendant que les massacreurs, régulièrement payés comme des ouvriers à la tâche , faisaient leur horrible besogne dans les prisons de Paris et que les députés affolés ne savaient à quel parti se résoudre, on réglait le mode de constatation des décès . Après tant d'ajour nements et de fortunes diverses, la loi fut enfin adop tée le 20 septembre 1792. Les municipalités restent seules chargées de la rédaction des actes authentiques assurant la légitimité de la filiation , du mariage, et la date précise du décès ; tous les registres doivent être tenus en double, afin qu'une copic soit déposée dans les greffes ; les registres des paroisses seront portés aux archives des maisons communes, à partir LES REGISTRES. 87 du 1er janvier 1793 ; des répertoires alphabétiques seront dressés tous les ans, et tous les dix ans on re lèvera les tables décennales . Tel fut l'état civil établi par les législateurs de la Révolution, tel il est encore. Toutes les prescriptions édictées étaient fort sages et nulle ne fut élulée. En ce qui concerne Paris, deux vastes dépôts existaient. où régulièrement et conformément à la loi on réu nissait les précieux registres qui contenaient les actes nominatifs prouvant l'authenticité individuelle de chaque membre de la grande association pari sienne, l'un aux archives de la préfecture de la Seine , placé dans une maison faisant face à l'Hôtel de Ville , l'autre au Palais de Justice , dans le greffe du tri bunal de première instance. Toute mauvaise chance de destruction semblait ainsi évitée ; si l'un de ces dépôts venait à être anéanti, l'autre fournirait immé diatement, au moyen des doubles, les documents né cessaires à une reconstitution. Les hommes de 1792 n'avaient point deviné les hommes de 1871 . Tous les registres des paroisses, des consistoires protestants et israélites, les archives des ambassades de Suède, de Danemark , de Hollande, qui enregistrè rent l'état civil des protestants entre la révocation de l'édit de Nantes et l'édit réparateur de novembre 1787 ; tous les registres municipaux des mairies depuis le 1er janvier 1793 jusqu'au 1er janvier 1860 , des 88 L'ETAT CIVIL. liasses énormes de documents de toute espèce et de toute provenance étaient méthodiquement accumulés, rangés, et formaient un trésor historique d'une incal culable richesse . Il existerait encore à l'heure où nous sommes, ce livre d'or de notre population , si Paris n'avait subi la Commune. Les légères feuilles de papier où chacun pouvait trouver la preuve de sa propre légitimité, dévorées par les flammes et em portées au vent, n'ont plus été qu'un peu de cendres noires . L'Hôtel de Ville, la maison du peuple même, n'a pas été épargné plus que le Palais de Justice ; tout est brûlé. En présence d'un tel sinistre, où la bêtise le dispute. à la férocité, on put croire que tout était perdu ; sur quelles pièces dorénavant établir la réalité des rela tions des familles ? Nul ne pouvait faire preuve d'as cendance, ni de filiation , ni de mariage ; il n'y a plus que des pères putatifs, des enfants naturels, des unions illégitimes, des successions contestables ; la justice civile se trouble ; nulle certitude en ces déli cates matières, à peine reste-t-il quelques présomp tions ; c'est la nuit. On essaye d'en sortir, et l'on en sortira . Ce ne ne sera pas facile, car les deux dépôts contenaient en moyenne 10 millions d'actes, et il faut en reconsti tuer au moins 3 ou 4 millions pour faire face aux exigences prévues . Des lois votées par l'Assemblée LES REGISTRES. 89 nationale le 10 et le 19 juillet, le 23 août 1871 , le 12 février 1872 , ont prescrit dans quelle forme et dans quel délai cette œuvre essentielle , importante entre toutes, devait être accomplie. On n'a pas compté avec l'insouciance parisienne ; le terme fixé primiti vement par la loi est dépassé, on travaille toujours sans relâche, et l'on n'est pas près d'avoir fini . La préfecture de la Seine, à laquelle incombait la besogne principale , a établi deux services chargés de réunir tous les documents authentiques à l'aide des quels il est possible de rétablir sérieusement les actes détruits l'un fonctionne à la Bourse, dans les salles de l'ancien tribunal de commerce ; l'autre grelotte à l'archevêché, dans une antichambre coupée en deux et dans une moitié de remise. Le service de la Bourse est très-vaste, il occupe un nombre considérable d'employés, et il a centralisé entre ses mains tous les actes que l'élément civil a pu lui fournir. Les ministères, les grandes administra tions , les facultés , les greffes de justice de paix, les greffes des tribunaux dépositaires d'actes annexés à des preuves matrimoniales, ont envoyé les pièces qu'on leur demandait ; la chambre des notaires s'est signalée par un zèle exceptionnel et a remis la meil leure part des actes que l'on utilise aujourd'hui . Quant au public lui- même, à l'individu , il est resté indifférent toutes les fois que son intérêt direct n'a 90 L'ÉTAT CIVIL. pas été compromis ; il est venu réclamer avec instance tous les actes dont il avait besoin , mais il a mis , il met une nonchalance inexcusable à apporter les ren seignements que la loi exige de lui. Le terme expirait légalement le 31 décembre 1875 ; ce jour- là , les salles de la Bourse regorgeaient de monde et les galeries supérieures ne suffisaient pas à contenir la foule qui les encombrait . On prévint tous les retardataires qu'un nouveau délai était accordé ; depuis ce moment l'on ne voit plus personne. Le tra vail de reconstitution en souffre plus que l'on ne peut croire ; tout devait être terminé le 1er janvier 1874 ; à cette date, on n'avait reconstitué que 708,107 actes ; la population de Paris est de 1,800,000 habitants, 147,020 seulement s'étaient présentés aux bureaux de la Bourse. Le service de l'archevêché a dû rassembler tous les documents provenant de l'élément religieux , qui sont les registres des paroisses que le clergé tient comme avant la loi de 1792, et les registres des cultes dissi dents . Il s'en faut que tous ces registres aient été con fiés aux employés de la ville, et il est difficile de dé couvrir pourquoi la mesure prescrite n'a été exécutée qu'avec une certaine restriction . A l'heure qu'il est , il existe dans les églises de Paris 5,283 volumes qui, du 1er janvier 1793 jusqu'à ce jour , contiennent l'énu mération des baptêmes, des bénédictions nuptiales et LES REGISTRES. 91 des services funèbres que chacune d'elles a célébrés , et cependant les registres déposés dans les bureaux de l'archevêché, qui sont en terre ecclésiastique, comme l'on eût dit jadis, ne sont qu'au nombre de 2,621 . Il en est donc resté 2,662 dans les sacristies, ce qui a nécessité la création d'un service d'employés ambu lants qui vont relever dans les paroisses mêmes les actes qui leur sont demandés. Les consistoires protestants et israélites n'ont rien. livré ; ils ne refusent pas de laisser prendre copie de leurs documents, c'est à peu près tout ce que l'on peut dire. Il y a là une sorte de méfiance de la part des dissidents , qui du reste a toujours été constatée lors des recensements généraux de la population ; elle s'explique naturellement et ne doit point surprendre dans un pays où les juifs ont subi les persécutions que l'on sait, et où l'édit de Nantes a été suivi des dragonnades : les protestants et les israélites semblent toujours craindre de se dénoncer eux-mêmes. L'œuvre des bureaux de l'archevêché, malgré les difficultés qui ne lui ont pas toujours été épargnées, n'a point été stérile ; au 1er janvier 1874 , sur 46,495 actes demandés par 50,608 personnes, 41,945 ont été expédiés , et 4,520 n'ont pu être retrouvés sur les registres curiaux . Jamais on n'avait réduit des employés à travailler dans des conditions extérieures aussi déplorables : la 92 L'ÉTAT CIVIL. préfecture de la Seine s'est ingéniée à rendre habi table le local qu'on lui livrait , et malgré les dépenses qu'elle a faites, elle n'y est guère parvenue. Le public, s'il est nombreux, peut attendre en plein air, dans une cour pavée ; les employés expéditionnaires sont dans une vieille remise, où l'on a tant bien que mal agencé un plancher en bois pour leur éviter le con tact glacial des pierres ou de la terre nue ; le bureau du chef de service a une fenêtre en guise de porte : grâce à un double escabeau, on peut y pénétrer ; à peine trouve- t - on la place nécessaire pour ranger les volumes ; l'espace laissé aux employés est plus qu'in suffisant. Puisque le pouvoir ecclésiastique ne consen tait pas à se dessaisir momentanément de ses registres, au profit de la ville qui les lui aurait fidèlement ren dus, pourquoi n'a-t-il pas offert aux reconstituteurs des actes de l'état civil quelque salon inutilisé, quel que salle de billard inoccupée ? Le travail eût été plus facilement fait et le public n'aurait pas eu à formuler des plaintes légitimes . Ne pouvait-on déléguer un prêtre à la surveillance de ces volumes et installer le service à l'hôtel des Invalides, où du moins la place ne manque pas et où l'on aurait pu mettre à la dispo sition des agents de l'Hôtel de Ville un local conve nable et à l'abri du froid? Le bureau de l'archevêché ne relève sur les re gistres des paroisses que les actes dont les particuliers LES REGISTRES. 93 lui demandent une expédition . A mon sens, c'est là un tort, et ce service gagnerait à être étendu. Tous les actes devraient être copiés d'office et transmis au bureau central de la Bourse ; là on les rangerait par ordre de date et de catégorie ; quant aux doubles, qui seraient nombreux et feraient emploi superflu avec les actes que l'on aurait déjà reconstitués , on les li vrerait au greffe du tribunal de première instance, qui, aux termes de la loi du 20 septembre 1792, doit posséder et garder une copie de tous les registres de l'état civil . Le greffe n'est pas resté oisif ; il a fait preuve de bon vouloir, car c'est la préfecture de la Seine qui doit exécuter la copie à laquelle il a droit. Les salles du Palais de Justice où il avait enfermé les registres étaient situées au rez-de- chaussée ; les forts volumes reliés, pressés les uns contre les autres , se sont carbo nisés et n'ont point été dispersés par le vent ou par l'effondrement des planchers, comme ceux de l'Hôtel de Ville, qui étaient fort sottement placés dans les combles ¹ . Dans la reconstruction des annexes de l'Hôtel de Ville destinées à contenir les archives et par conséquent les pièces de l'état civil , on re tombe dans la même faute, et c'est encore dans les combles qu'on ju chera les registres . Il est cependant élémentaire de réserver au rez-de chaussée les salles où le public vient incessamment faire des recherches, et il est puéril de les mettre à un cinquième étage ; on croit conjurer tous les inconvénients inévitables en remplaçant l'escalier par un ascen 7 94 L'ÉTAT CIVIL. Tous ces registres qu'on a pu sauver, qu'on a pu arracher à l'inintelligente brutalité des ouvriers char gés de déblayer les ruines du Palais de Justice , ont été pieusement recueillis par M. Rathelot, chef du bureau de l'état civil au tribunal de première instance. Or entre les mains d'un homme perspicace et dévoué les épaves de l'incendie ont été un véritable trésor ; il s'est dit que, puisque l'on restituait les palimpsestes d'Herculanum , il serait peut-être possible de restituer aussi les actes dont toute trace n'avait pas été détruite. Une difficulté se présentait les registres, quoique ayant conservé la forme primitive, avaient si long temps séjourné au milieu du bras: er, que chacun d'eux faisait un tout homogène et que, dès que l'on essayait de détacher une feuille, celle- ci tombait en poussière . Des savants vinrent voir ces débris noircis qui contenaient tant de secrets ; ils les regardèrent longtemps et promirent de chercher un moyen de les utiliser. Ce moyen, qu'ils cherchent encore , M. Rathe lot le trouva par inspiration : il enleva d'un coup de tranchet le dos du registre de façon à n'avoir plus qu'un amas de feuilles isolées que l'incendie avait rendues adhérentes l'une à l'autre ; il fit tremper dans l'eau ce paquet, qu'on eût volontiers pris pour une planche en charbon, puis il l'exposa tout humide à la seur : il serait humain et prévoyant de s'opposer à un tel projet ; il n'est que temps de le modifier . LES REGISTRES. 95 bouche d'un calorifère ; l'eau , en se vaporisant à la chaleur, souleva une à une toutes les feuilles, qu'on put alors séparer, à la condition de les manier avec des précautions extraordinaires. On déchiffra les actes qu'elle contenait, on les transcrivit, et le greffier en certifia l'expédition conforme en y ajoutant la mention : <« Copie faite et collationnée sur une minute carbo nisée . » Quoi ! lire sur une feuille de papier brûlé une écri ture que le feu a dû effacer à jamais ! Certes ! et cha cun peut en faire l'expérience. Le feuillet si habile ment sauvé ressemble à un lambeau d'une étoffe que les femmes connaissent bien et qui fut fort à la mode au temps de nos grand' mères ; je parle du droguet, qui a une trame en soie brillante et des dessins en velours mat , couleur sur couleur. La feuille de papier, c'est la trame ; l'écriture, c'est le dessin ; l'une est luisante, l'autre est veloutée ; noir sur noir, ça se lit très-bien. L'ingénieux chef de bureau sauvera- t- il beaucoup d'actes ? environ 70,000 . C'est là , on le pense bien, une partie infime des actes qui doivent légalement être déposés au greffe ; au 1er janvier 1874, le service central de la Bourse avait envoyé au Palais de Justice 62,400 copies et 2,100 extraits authen tiques qu'il avait en double. Festina lente, ont dit les sages . L'expérience faite au mois de mai 1871 nous éclai 96 L'ÉTAT CIVIL. 1 rera-t-elle? Je l'espère, mais j'en doute ; nous excel lons à ne pas nous souvenir et nous aimons paresseu sement à nous persuader que les faits accomplis sont un accident qui ne se renouvellera pas. C'est le con traire qui est vrai . Par cela même qu'un fait s'est pro duit, il y a toutes chances pour qu'il se reproduise , car la médiocrité humaine, douce ou féroce , tourne invariablement dans le même cercle. Puisque les do cuments de l'état civil ont été brûlés , ils peuvent l'être encore ; la précaution de séparer les originaux et les copies, de garder les uns à l'Hôtel de Ville et les autres au Palais de Justice , a été superflue, et l'on n'a rien sauvé. Au lieu de posséder ces actes précieux en double, il faut les avoir en quadruple expédition . Rien n'est plus facile il suffit d'ajouter à la loi de 1792 un ar ticle qui obligera le clergé à faire un travail analogue à celui des officiers municipaux ; les registres des paroisses seront tenus en double, et, pour éviter une erreur de déclaration que les parents commettent sou vent dans les sacristies, l'acte de baptême des enfants légitimes devra relater qu'un extrait de l'acte de ma riage des ascendants a été présenté . L'original des registres restera en la possession des paroisses, et la copie sera remise au ministère de la justice , qui saura bien lui trouver un refuge à l'abri de l'incendie. L'hôtel des Invalides ne se refuserait pas à donner LES NAISSANCES. 97 l'hospitalité à ces volumes, où l'histoire de Paris est écrite au jour le jour ; au besoin, on pourrait les dis poser méthodiquement dans les salles intérieures que l'Arc de Triomphe abrite dans ses flancs ; c'est là un monument en pierre de taille qui défie les torches et l'huile de pétrole ; en cas de cataclysme possible, nous éviterions ainsi la perte totale de documents qui sont indispensables aux hommes vivant en société¹ . - - Dénombrement de 1328. Documents irrécusables de la statistique mo derne. Recensement de 1872. - Célibataires et gens mariés. - Dimi nution des naissances. Surprise douloureuse. Notre population di minue dans des proportions inquiétantes. -Vice et péril social. - S'accroître ou périr. Natalité à Paris. Enfants légitimes, enfants naturels. — Inconduite et misère . Les mois féconds. Influence des événements - sur la natalité . - 1870, 1871. - Formalités prescrites par la loi . Constatations à domicile. - Mode de procéder. — Inconvénients. — Or thographe des noms. —- Négligence d'autrefois. — Jugements en rectifica tion. Reconnaissances d'enfants naturels. Les enfants abandonnés. Age approximatif. - L'Assistance publique. - II. - -LES NAISSANCES. - - - - - - - Un document de 1328 dit que les villes de Paris et de Saint-Marcel renferment 35 paroisses et 61,091 L'Arc de Triomphe contient au niveau de l'imposte du grand arc deux salles de 10 mètres sur 8,79 chacune ; au-dessus de celles-ci , deux salles de même dimension ; entre ces deux salles , une autre, faisant le dessus du grand arc, de 19,84 sur 8,79 ; sous la plate-forte, une salle de 40,08 sur 9,34. Placer là le double registre des paroisses, ce se rait constituer une sorte de réserve in extremis, à laquelle on n'aurait recours que si les autres dépôts étaient encore détruits. VI. 7 98 L ÉTAT CIVIL. feux ; à 5 personnes par feu , la population de la capi tale de la France était alors de 305,455 habitants . Cette méthode vicieuse de compter par paroisses et par feux fut longtemps usitée ; la statistique est une science très-moderne ; tous les calculs sur lesquels on basait autrefois les chiffres de dénombrement étaient approximatifs et très- souvent conventionnels ; il n'en est plus ainsi aujourd'hui , et depuis le recen sement de 1817 , qui nous apprend que Paris comp tait alors 713,966 âmes, on marche à coup sûr , appuyé sur des documents d'une exactitude irrépro chable. C'est d'abord la Statistique générale de la France, publiée par le ministère de l'agriculture et du com merce, et c'est surtout le Bulletin de statistique mu nicipale, publié par les ordres du préfet de la Seine. Ce dernier recueil , qui paraît tous les mois et donne à la fin de chaque année un tableau récapitulatif, est une œuvre consciencieuse , très-bien conçue, claire, et qui fournit des renseignements du plus haut intérêt. L'ensemble de ces cahiers formera plus tard des ar chives spéciales, détaillées , quotidiennes, où les histo riens de l'avenir trouveront sans peine les éléments qui leur permettront de reconstituer notre vie actuelle ; l'économie politique, la philosophie, la science ab straite, y découvriront des renseignements dont elles profiteront au grand bénéfice des populations futures, LES NAISSANCES. 99 el que malheureusement le passé ne nous a pas légués. Le dernier recensement date de 1872 ; nous avons donc des chiffres, pour ainsi dire contemporains, qui nous permettent de parler avec précision du nombre d'habitants répandus dans notre ville . Elle est repré sentée par un groupe de 1,851,792 individus , parmi lesquels il faut compter la garnison, qui s'élève à 34,454 hommes. C'est là la population de Paris, mais ce n'est point là la population parisienne ; celle- ci n'est en réalité que de 642,718 personnes, qui sont comme noyées au milieu de 1,031,865 provinciaux et de 177,209 étrangers établis à demeure parmi nous. Ces chiffres sont très- importants, il est bon de les retenir ; ils contiennent des révélations que nous aurons à faire valoir lorsque nous nous occuperons spécialement du Parisien , être peu connu et trop sou vent calomnié par ceux qui en parlent sans l'avoir étudié. Comme dans beaucoup d'autres grandes villes, le nombre des hommes dépasse légèrement celui des femmes¹ ; si à Paris chacun cherchait et trouvait <« sa compagne », 2,656 resteraient dépourvus. Ceci n'est pas à craindre, car la population semble se diviser en deux parties à peu près égales, 948,877 célibataires Le contraire a lieu pour Londres, Vienne, Bruxelles, Naples , Lyon , Bordeaux, etc. Pour Lyon, le recensement de 1872 donne 156,700 hom mes et 166,717 femmes. 100 L'ÉTAT CIVIL. des deux sexes, et 902,915 mariés ou veufs . Il n'y a donc que la plus faible moitié du groupe parisien qui concourt légitimement à l'accroissement de la popu lation ; aussi les naissances ne sont point en rapport avec la totalité des habitants ; c'est là un danger grave qui peut compromettre l'avenir et qui n'existe pas seulement pour Paris, car il est commun à toute la France. Les économistes se sont souvent préoccupés de cette question, et ils ont poussé plusieurs fois des cris d'alarme qui n'ont point été entendus. L'intérêt per sonnel domine et fait oublier l'intérêt général . On sait que l'Angleterre double sa population en cin quante-deux ans, la Prusse en cinquante-quatre , et que pour obtenir les mêmes résultats la France em ploie cent quatre-vingt-dix-huit ans. A propos du dernier dénombrement, M. le docteur Lagneau a lu à l'Académie de médecine un mémoire qui est fait pour effrayer, et devrait donner à réfléchir ; le recen sement quinquennal précédent, clos en 1866 , avait établi que dans une période de cinq ans la population de la France avait augmenté de 38 habitants pour 10,000 , ce qui est une proportion très-faible ; mais le recensement de 1872 nous réservait une surprise singulièrement douloureuse ; notre population a di minué de 16 pour 10,000¹. La statistique officielle fournit des chiffres bien plus inquiétants LES NAISSANCES. 101 Quant à la cause de cette natalité inférieure, M. Lagneau n'hésite pas à l'attribuer au sentiment de prévoyance égoïste des parents . Dieu bénit les fa milles nombreuses, dit un vieux proverbe, et le vieux proverbe a raison . C'est l'accroissement de la popu lation , c'est la confiance dans la destinée , qui ont grandi la fortune de l'Angleterre et lui ont permis de coloniser le monde ; ce sont les mêmes causes qui ont établi la puissance de l'Allemagne et qui , sans l'appauvrir, lui laissent peupler l'Amérique, où plus tard elle trouvera peut-être des alliés redoutables pour l'Europe.

Ce vice - au point de vue social, il n'en est pas de plus coupable paraît être essentiellement catho lique et latin les protestants y échappent plus que nous, les Juifs le condamnaient dès la Genèse, les musulmans l'ignorent. Il a toujours régné chez nous, il a été dans bien des cas l'auxiliaire des grandes for tunes , et dans les lettres de madame de Sévigné on peut voir avec quelle insistance on le préconise. Mais les résultats qu'il a produits sont de nature à nous éclairer. Nous lui devons notre incapacité coloniale. et la stérilité, sinon la perte, de nos possessions - d'après les documents qu'elle publie , la diminution totale de la popula tion occupant le territoire actuel de la France est de 491,905 âmes, ce qui donne l'énorme proportion de 129 pour 10,000 . La diminution ab solue est de 2,089,143 âmes ; c'est-à- dire que la conquête de l'Alsace Lorraine nous a enlevé 1,591,238 compatriotes. 102 L'ÉTAT CIVIL. d'outre- mer. Nous semblons prendre à tâche de nous amoindrir chaque jour en présence de la fécondité imposante et normale de la race saxonne. L'existence matérielle est très-onéreuse en France, on peut en convenir, mais notre vanité l'est encore plus, et le besoin de vivre ou, pour mieux dire, de paraître vivre dans un luxe supérieur à la situation réelle, a amené une réserve telle dans les naissances qu'il y a péril en la demeure. Les théories néfastes de Malthus sont devenues une sorte de doctrine secrète qui a pour adhérents tous ceux qui redoutent l'avenir et veulent laisser à leur enfant une propriété non morcelée ; d'autre part, la population doit être en rapport avec l'étendue et sur tout avec la fécondité du sol qu'elle habite ; défrichez , et vous peuplerez ; il n'y a que trop de landes , que trop de marécages en France ; les groupes qui en sont voisins augmenteront au lieu de diminuer le jour où l'on y mettrait sérieusement la main . Vauban a dit : << C'est par le nombre de leurs sujets que la grandeur des rois se mesure ; » soit, c'est par le nombre des habitants que les nations affirment leur richesse et leur puissance. En matière de population, on ne peut rester stationnaire : il faut s'accroître ou périr. Les calculs établis par le docteur Ély ' , d'après les ↑ Paris, étude démographique et médicale, 1872. LES NAISSANCES. 105 tables de recensement de la période 1863-1869 , prou vent que la natalité moyenne à Paris a été de 59,293 enfants par année, y compris 4,408 mort- nés, ce qui donne le chiffre minimum de 324 naissances par 10,000 habitants . Les bulletins statistiques de 1872 accusent une nouvelle diminution : le total des nais sances a été de 56,894 , ce qui réduit la proportion à 316 pour 10,000. 41,478 enfants légitimes et 15,416 enfants naturels ont été inscrits sur les regis tres de l'état civil . Un détail prouvera que l'inconduite et la misère s'engendrent mutuellement ; 5,805 nais sances ont été constatées hors du domicile, c'est-à dire dans les prisons , les hôpitaux et les hospices ; 1,172 de ces pauvres petits, nés sur les grabats hos pitaliers ou pénitentiaires, étaient issus d'unions régu lières, 4,633 étaient le fruit de la débauche ; parmi ceux-ci , combien ont été reconnus et ont pu porter le nom de leur père ? Quatre . Les deux mois qui produisent le plus de naissances sont mars (5,065) , qui correspond aux longs jours d'été, aux sollicitations de la nature, aux longues pro menades du dimanche dans les bois voisins de Paris, et juillet (5,259) , qui, se rapportant à novembre, rap pelle qu'à ce moment tous les gens qui ont passé l'été å la campagne, maîtres et domestiques, rentrent ordi nairement à la ville. Le Xe et le XIe arrondissement sont les plus féconds, et fournissent l'un 5,694 , l'autre - 104 L'ÉTAT CIVIL. 5,596 naissances ; le plus stérile est le XVI , qui n'en compte que 984. La natalité urbaine est bien peu élevée, comme on vient de le voir, mais elle tombe au- dessous de toute moyenne lorsque des causes extérieures lui font ob stacle et troublent la vie organique de Paris. En 1871 , les naissances ont diminué dans des proportions dou blement douloureuses , car pendant que la mort frap pait sur la cité, les lois de l'existence y semblaient suspendues : 37,410 pour l'année tout entière. Là l'influence des événements se dénonce par des chiffres et se passe de tout commentaire. Le mois de mai 1870 trouve le pays calme et en prospérité : janvier 1871 nous apporte 5,378 nouveau-nés ; au mois de juillet, un vent de folie passe sur toutes les têtes ; à propos d'un incident grave, mais dont les conséquences pou vaient être conjurées, on saisit la passion publique avant même d'essayer des ressources multiples de la diplomatie. La guerre éclate, les esprits s'inquiètent , tous les cœurs sont écrasés par l'angoisse d'une telle aventure : mars 1871 ne nous donne déjà plus qu'un contingent de 3,606 naissances. Nos premières ren contres avec l'Allemagne ne laissent aucun doute sur le sort misérable qui nous attend , c'est l'invasion qui entre en France ; le désespoir du mois d'août se lit dans les tables d'avril 1871 , qui descendent à 5,299 ; au milieu de septembre, la ville est fermée, la vie de LES NAISSANCES. 105 vient difficile ; à mesure que les jours passeront, les forces de la population iront s'affaiblissant ; on dirait que les pauvres petits êtres se refusent à venir dans ce monde fait de perturbation et de violence ; octobre fournit 2,965 à juin 1871 ; novembre va jusqu'à 3,001 , qu'on inscrit à juillet . Décembre, qui fut le mois des grands froids et des durs combats, s'arrête pour août à 2,429 ; janvier 1871 , où l'on souffrit tant, où tout manqua, le pain et l'espérance, tombe au misérable chiffre de 1,729, qui s'inscrit au mois de septembre ; octobre est bien bas encore, on n'y compte que 1,875 naissances ; novembre et décembre se relèvent un peu ; pour trouver un chiffre régulier , il faut attendre janvier 1872 , qui déclare 4,238 en fants correspondant au mois de mai , pendant lequel disparut la Commune. Malgré l'absence de police dans Paris, malgré une liberté dégénérée en licence, la proportion des enfants naturels ne dépasse guère la moyenne ordinaire, car sur les 37,410 naissances on n'en trouve que 9,715 qui soient illégitimes. Tout enfant doit être déclaré à la mairie de l'arron dissement sur lequel il est né ; la loi accorde un délai de trois jours pour remplir les formalités prescrites. Si on le laisse écouler, un jugement du tribunal de première instance peut seul constituer un état civil régulier pour le petit retardataire ; ce cas se produit assez rarement, grâce aux employés qui talonnent 106 L'ETAT CIVIL. l'insouciance des parents . Autrefois l'enfant était ap porté à la mairie, escorté de deux témoins qui certi . fiaient son origine ; on a prétendu que cette sorte de promenade était préjudiciable aux nouveau-nés , et maintenant les constatations se font à domicile par un médecin relevant de l'administration municipale. Je crois que l'on a dépassé le but et que les promo teurs de cette mesure pleine d'humanité ne se sont pas rendu compte des inconvénients qu'elle comporte, que l'expérience a démontrés et que l'on peut remar quer en étudiant le mode adopté pour la constatation des naissances . Un enfant naît ; son père vient, accompagné d'un voisin ou d'un ami, en faire la déclaration à la mairie ; on prend son nom et son adresse ; on le prévient que le médecin délégué ira s'assurer de la réalité du fait et lui remettra un certificat qu'il devra rapporter à l'em ployé de l'état civil , en ayant soin , cette fois, d'ame ner deux témoins avec lui . Le médecin est avisé par une note ; il sait que la loi lui accorde un délai de trois jours ; il ira donc au domicile du nouveau- né selon l'itinéraire de ses courses, le jour même peut être, le lendemain sans doute, quelquefois seulement le surlendemain . Sur uneformule imprimée, dont il n'a plus à remplir les blancs et sur laquelle un employé a déjà relaté la date de la naissance, la profession et la demeure du que 111I1I·118I·1111 LES NAISSANCES. 107 père, il certifie le sexe de l'enfant , écrit le nom de la mère et signe. Ce certificat, qui tient lieu de l'an cienne présentation , est laissé entre les mains du père ; celui -ci le rapportera à l'employé de l'état civil , qui alors rédigera l'acte de naissance. Donc actuel lement trois opérations au lieu d'une ; la présentation était plus rapide, plus simple, et évitait deux sortes de complications qui se présentent aujourd'hui. Pour beaucoup de parents pauvres ou seulement d'une aisance restreinte , et c'est le cas presque géné ral , la présence de l'enfant à la maison est un embarras considérable : on a déjà fait prix avec une nourrice qui , si elle est venue chercher son nourrisson , est une cause de gêne excessive dans un domicile trop étroit ; mais il faut bien qu'elle y reste jusqu'à ce que le mé decin ait fait la constatation légale , un jour au moins, trois au plus. Si au contraire on doit envoyer l'enfant à la nourrice par une amie complaisante ou par une femme que l'on paye en conséquence, la mère fort dolente, qui ne veut ou ne peut nourrir , reste en tête-à-tête , seule , avec un nourrisson qui crie , souffre et se démène ; le père est au travail , il n'y a pas de domestique, la portière monte de temps. en temps, mais n'est pas d'un grand secours , il faut toujours attendre le médecin , et tout le monde en pâtit. En outre, bien souvent, lorsque le certificat est remis au père , qui peut très-bien être un illettré 108 L'ÉTAT CIVIL. et n'avoir jamais entendu parler des articles 55 et 56 du code civil et 346 du code pénal , le pauvre homme s'imagine que tout est bien , que cette paperasse est l'acte de naissance même de son enfant et qu'il n'y a plus aucune formalité à remplir. Les trois jours s'écou lent ; on est passible d'une amende, d'un emprison nement même, et il faut aller devant le tribunal faire régulariser une situation que l'on croyait régulière. La constatation à domicile, qui a été imaginée pour plaire aux gens pauvres qui n'ont point de voiture pour transporter leur enfant à la mairie, leur est au con traire préjudiciable, et ce serait peut-être leur rendre service que de rétablir la présentation directe, telle qu'elle était pratiquée avant 1869 . Les registres sont tenus en double : l'employé prin cipal dicte l'acte en même temps qu'il l'écrit , et un employé subalterne transcrit les paroles qu'il entend ; l'un de ces registres reste à la mairie jusqu'à ce qu'il soit transmis aux archives de l'Hôtel de Ville, l'autre est destiné au greffe du tribunal de première instance. On fait la plus scrupuleuse attention pour donner aux noms une orthographe régulière, car une lettre de plus ou de moins peut amener des complications nom breuses et faire naître des doutes sur l'identité d'un individu . Autrefois il n'en était pas ainsi , on se préoccupait fort peu d'exactitude en si importantes matières, et LES NAISSANCES. 109 les noms patronymiques étaient des vocables qui va riaient suivant la fantaisie des scribes ; Sevigny ou Sévigné, c'est tout un pour les écrivains du dix- sep tième siècle, Kernevenoy se dissimule sous Carna valet, et dans Piquelin on doit savoir reconnaître ce cadet de Gascogne, Puyguilhem, qui devint duc de Lauzun et faillit épouser Mademoiselle. Il ne faut rien moins aujourd'hui qu'un jugement solennel pour rec tifier un nom dont l'orthographe n'est pas irrépro chable ; chaque jour les tribunaux ont à se prononcer sur des réclamations de cette nature ; dans certains cas les irrégularités sont presque inévitables : trois enfants nés du même père s'appellent De La Palme ; les actes d'état civil donnent trois noms différents : de Lapalme, de la Palme, Delapalme. La justice seule peut déterminer l'orthographe qui doit être irrévoca blement adoptée . La rectification est alors transcrite en marge des actes de naissance. Il en est de même de toute pièce légale qui modifie la condition civile d'un enfant. Lorsqu'un enfant na turel, quel que soit son âge, est reconnu par ses pa rents , père ou mère, l'acte de reconnaissance est écrit. sur le registre en regard de l'acte de naissance, à la marge blanche qui est toujours ménagée intentionnel lement à côté du libellé ; parfois le jugement ne peut être reproduit par extrait , il faut, pour que toute va leur lui soit assurée, qu'il soit transcrit en entier : j'en 110 L'ÉTAT CIVIL. ai vu qui ne tenaient pas moins de cinquante pages ; une note indique alors à quelle date , à quel nom, à quel registre, à quel feuillet il se rapporte . Chaque feuille est numérotée et signée ; toute intercalation est interdite ; nul acte, nulle rectification ne peut trouver place sur une feuille volante ; l'article 192 du code pénal a prévu le cas : il s'agit d'un mois à trois mois d'emprisonnement, sans compter une amende de 16 à 200 francs. Les reconnaissances d'enfants sont assez nombreuses sur les registres de l'état civil , mais il est de pauvres petits êtres qui jamais ne jouiront de ce triste et tardit bénéfice ce sont ceux que l'on trouve au coin des bornes , sur l'escalier des maisons, sous le bénitier des églises ; on les porte au commissaire de police , qui fait d'autorité les déclarations nécessaires . Il est le parrain du misérable abandonné ; avec une intelligence prévoyante, parmi le nombre des prénoms il en choi sit un qui ressemble à un nom patronymique, Lazare, Martin, Denys; sur l'acte on indique l'endroit précis où le nouveau-né a été découvert ; on n'omet pas les signes d'identité que les langes peuvent contenir ; mais la date reste inconnue, l'âge est approximatif : <« un enfant qui nous a paru être âgé de quinze jours, de trois semaines . >> Ces malheureux sont rarement plus jeunes : il faut que la mère ait pu se lever, sortir, faire une course LES MARIAGES. 111 assez longue pour dépister les recherches possibles, et ce n'est pas le lendemain du jour où l'enfant est venu au monde qu'elle est en état d'affronter tant de fati gues. La police qui fait aujourd'hui œuvre de saint Vincent de Paul et qui recueille les enfants abandon nés, les remet à la mère adoptive de tous ces êtres anonymes, à la ville de Paris ; comment l'Assistance publique les reçoit , les nourrit, les élève, leur apprend un métier, nous l'avons dit autrefois¹ . - - III. La ma - Répugnance du Parisien pour le mariage. Les lieux communs. — ladie du célibat. Es uxorium. Les degrés de parenté prohibés. Les dispenses. Les interdictions de l'Église. - Opinion de Grégoire le Grand. — L'Église est forcée de céder . — Dangers des mariages consan guins. Les cas pathologiques. Fraudes en matière de mariage. Influence des événements sur les mariages. 1870, 1871 , 1872.- Degré d'instruction . Le nombre des mariages est en rapport avec le chiffre de la population . - A quel àge on se marie. Formalités . - Le ma riage civil. Le samedi. Faire la noce. - M. le maire. « Tester. >> Fait-on bon ménage? - Nombre - N'oubliez pas les pauvres S. V. P. des séparations pour 1872. - - LES MARIAGES. - ― - - - - - - Déjà en son temps Mercier constatait la répugnance du Parisien pour le mariage , et , dans le style à la fois emphatique et obscur qui lui était familier, il dit : « Effrayé des charges qu'entraîne le titre de mari, l'homme ne veut plus payer le tribut à une patrie ingrate ou abusée, » et il ajoute : « la beauté et la 1 Voir chapitre xx1; t . IV, p. 247. 112 L'ÉTAT CIVIL vertu n'ont parmi nous aucune valeur , si une dot ne vient à leur appui . » C'est l'éternel refrain de toutes les chansons, le nœud de toutes les comédies, la trame de tous les romans; on a fait de gros livres sur ce sujet, l'Académie des sciences morales et poli tiques en a mentionné honorablement quelques- uns ; chacun y perd ses raisonnements et tous les lieux com muns du monde n'y front rien ; nous souffrons du mal social qui envahit les vieux peuples agglomérés dans des villes trop étroites et dévorés par des besoins matériels qui vont augmentant de jour en jour ; c'est la maladie du célibat. Quel remède à cela ? Un seul : la colonisation de vastes espaces ; or nos possessions d'outre-mer sont nulles, et le Français, le Parisien surtout, est réfrac taire à l'émigration . On aurait beau proclamer parmi nous la loi Papia Poppæa, qui frappait à Rome un impôt æs uxorium - sur les célibataires, on n'obtiendrait pas un mariage de plus. Nos mœurs in clinent de plus en plus vers une sorte de solitude rela tive, vers la répudiation de ce qu'on peut appeler les devoirs naturels ; la morale, l'économie politique, la religion, font de vains efforts ; à chaque recensement quinquennal, on constate que le nombre des mariages tend à diminuer. On pourrait dire aujourd'hui aux Parisiens ce que, du temps des Gracques , le censeur Metellus disait aux Romains : « Citoyens, si nous pou ―― LES MARIAGES. 113 vions vivre sans femmes, nous nous passerions tous de cet embarras (ea molestia careremus) ; mais, puis que la nature a voulu qu'il fût aussi impossible de s'en passer qu'il est désagréable de vivre avec elles, sachons sacrifier les agréments d'une vie si courte aux intérêts de la république qui doit durer tou jours¹. >> La loi française, quoiqu'on l'ait souvent sollicitée , n'est jamais intervenue dans cette question qui touche aux prérogatives les plus intimes de la liberté indivi duelle ; elle n'atteint le célibataire ni d'une peine, ni d'une réprimande ; elle ne le conseille même pas, elle se contente d'apporter quelques restrictions aux al liances contractées dans certains cas de parenté prévus par le code civil et pour lesquels il faut obtenir du chef de l'État des dispenses qui jamais ne sont refusées. En ligne directe, le mariage est prohibé entre ascen dants et descendants légitimes ou naturels ; en ligne collatérale, le mariage est prohibé entre le frère et la sœur et les alliés au même degré, entre l'oncle et la nièce, la tante et le neveu ; cependant l'article 164 autorise le souverain à lever les prohibitions dont les mariages entre beaux-frères et belles- sœurs , oncles et nièces, neveux et tantes sont frappés. 1 Cinq maisons véritables administrations ne s'occupent que de fabriquer des mariages ( célérité, discrétion) . Si l'on ne se marie pas plus à Paris, ce n'est pas leur faute. - - VI. 8 114 L'ETAT CIVIL. En résumé, l'union n'est réellement interdite d'une façon formelle qu'entre parents du second degré, frères et sœurs ; au troisième, il est toléré , sinon admis ; mais nul officier de l'état civil ne peut procé der à un mariage dans de telles conditions si les époux ne lui présentent pas des dispenses qui, comme tout acte souverain, sont écrites sur parchemin , signées par le chef du pouvoir exécutif lui-même et scellées du grand sceau de la chancellerie . C'est l'écho des In stitutes de Justinien , qui ne permettent le mariage qu'à partir du quatrième degré, c'est-à- dire entre cousins germains : Duorum autem fratrum vel soro rum liberi, vel fratris et sororis , jungi possunt. L'Église , qui en cette matière a toujours été d'une perspicacité remarquable, va plus loin que la loi fran çaise ; elle a été forcée de céder sur bien des points pour ne pas voir les époux échapper absolument à son action , car aujourd'hui elle ne fait que consacrer par scs prières l'acte que seul l'état civil a pouvoir de rendre indissoluble ; elle accorde donc les dispenses qu'on lui demande, mais les formalités mêmes qu'elle exige sont une sorte de protestation qui semble mettre sa responsabilité à l'abri . Elle interdit les unions au quatrième degré canonique ' , elle les trouve dange reuses pour la pureté des relations de famille, et dans Le quatrième degré canonique correspond au sixième degré civil ct comprend les cousins issus de germains. LES MARIAGES. 115 un ordre exclusivement physiologique, elle estime qu'elles ne sont pas sans inconvénients. Ce n'est pas d'hier qu'elle pense ainsi et qu'elle avoue nettement que l'intérêt de la propagation de la race la préoccupe vivement. En effet, le pape Grégoire le Grand écrit au moine Augustin, le convertisseur de l'Angleterre, à propos de mariages entre cousins issus de germains, cette phrase, qui mérite d'être retenue et prouve des connaissances très- avancées pour l'épo que: Experimento didicimus ex tali conjugio sobolem non posse succrescere . Un professeur de physiologie expérimentale ne dirait pas mieux . L'Église avait re pris certaines prescriptions des lois de Moïse et des épîtres de saint Paul et avait d'abord poussé les choses à l'extrême, car elle défendait les unions aussi loin que la parenté pouvait être constatée ; c'était , à peu de chose près, mettre obstacle à tout mariage dans certaines contrées isolées : on revint à des idées moins exclusives, et l'opinion de saint Grégoire paraît avoir dominé au quatrième concile de Latran , en 1215 , lorsque l'on régla définitivement ce point longtemps controversé de discipline ecclésiastique. Au courant des siècles , selon les exigences com plexes de la politique, la cour de Rome, qui si souvent avait besoin d'être protégée par les petits souverains L'expérience montre que par de telles unions la lignée ne peut pas s'accroitre. 116 L'ÉTAT CIVIL. dont elle était entourée, céda sur plus d'une alliance que ses principes interdisaient ; tous les hommes étant égaux devant Dieu , on ne put refuser aux sei gneurs, aux bourgeois, aux artisans , ce que l'on avait bénévolement accordé à des princes ; les dispenses se multiplièrent et les prescriptions du concile de Latran ne furent plus réservées que par les formalités dont on en entourait l'abandon . Est-ce la société civile, est- ce l'Église qui a eu le plus de perspicacité en ceci ? Grave question qui par tage les esprits sérieux , que la science a effleurée plu sieurs fois , mais qu'elle n'a point définitivement réso lue . Selon quelques savants, les mariages consanguins constituent un véritable péril pour la race , qu'ils abâ tardissent et détruisent avec certitude. Le produit qui en résulte se distribue entre les sourds- muets , les aveugles -nés, les épileptiques, les idiots, les imbéciles et ces demi- monstres qui offrent des conformations singulières, telles que l'hydrocéphalie ou la polydac tylie ; si les malheureux issus de ces mariages échap pent aux terribles infirmités dont on les menace, ils sont faibles, étiolés , d'une intelligence douteuse, et arrivent souvent à une incohérence de pensées qui ressemble bien à l'aliénation mentale. Tous ces faits sont vrais , et des observations approfondies les affir ment ; mais sont-ils le résultat exclusif des mariages consanguins, ou sont-ils la preuve que les ascendants, LES MARIAGES. 117 atteints eux-mêmes aux sources essentielles de la vie, appauvris par une constitution défectueuse , n'ont pu léguer à leurs enfants qu'une des formes multiples de la débilité congénitale ? C'est ce que nul physiologiste n'a pu nous dire . Tant que la science n'aura pas pro noncé un verdict positif, il sera bon d'écouter les prescriptions de l'Église, qui sont très-sages, très-pru dentes, et que l'expérience générale semble confirmer. Si la loi est restrictive à propos de certains degrés de consanguinité, elle est muette dans les cas patho logiques où le mariage est un danger manifeste que la moindre prévoyance suffirait à conjurer . M. le docteur Trélat , dans son livre sur la Folie lucide, demande que le pouvoir législatif intervienne pour empêcher les unions avec les familles atteintes de certaines affec tions nerveuses et mentales. Il y a là en effet un péril grave qui mériterait qu'on s'en préoccupât ; mais com ment résoudre ces difficultés, et sur quelles données établir une règle pour des matières si délicates ? La ruse et l'intérêt déjoueraient bien vite toutes précau tions, car il n'y a pas de fait humain qui engendre plus de fraudes, plus de mensonges que le mariage. Des gens fort scrupuleux pour tout le reste n'hési teront pas à marier une fille scrofuleuse, qu'on accou plera peut-être avec un garçon imbécile et ruiné. Les mères, qui considèrent le célibat comme une honte pour leurs filles , ne reculent devant rien pour leur 118 L'ÉTAT CIVIL. trouver un mari : faux renseignements sur la fortune, sur la santé, sur la filiation , sur ce que l'hypocrite langage du monde appelle des espérances, fausses appréciations des mœurs, du caractère, rien n'est ou blié, tout est mis en œuvre pour parvenir à un ma riage qui sera malheureux et d'où sortiront des avor tons rachitiques. Les seules considérations dont on tienne compte sont d'un ordre médiocre ; l'union entre deux êtres également jeunes, sains, intelligents , est un spectacle fort rare et que l'on ne voit guère à Paris ; c'est peut-être à cela qu'il faut attribuer la faible proportion que nous avons remarquée dans les naissances et les décès précoces qui frappent si bruta lement les enfants en bas âge. Les événements qui amènent une perturbation dans la vie des peuples, exercent une influence plus directe encore sur les mariages que sur les naissances . Les ma riages, qui en 1872 ont été au nombre de 21,373 , n'avaient été que de 14,657 en 1870 et étaient descendus à 12,928 en 1871. Il y a même augmen tation en 1872 sur les années qui ont précédé la guerre, car 1869, qui dans les calculs actuels de la statistique reste l'année normale par excellence , ne fournit qu'un total assez médiocre de 18,948 , ce qui est à peine 1 pour 100. En décomposant ce chiffre de 21,373, on obtient certains éclaircissements qui ne manquent point d'intérêt : ainsi les unions entre filles LES MARIAGES. 119 et garçons sont dans une proportion considérable, 16,839 ; les garçons et les veuves s'arrêtent à 1,476 ; les veufs et les filles vont un peu plus haut, à 2,029 ; quant aux veufs et aux veuves qui se remarient en semble, on voit que l'expérience n'a pas été perdue, car le total est faible : 1,029 . Les mariages consanguins aux degrés interdits par l'État et par l'Église sont sin gulièrement rares : on n'en compte que 409 ; le degré d'instruction n'a pas été oublié ; sans être irrépro chable, il prouve que de sérieux progrès ont été accom plis depuis une vingtaine d'années, car, sur 42,746 conjoints, 1,939 seulement n'ont pu signer leur nom . La proportion des mariages suit exactement celle de la population ; ainsi le XI arrondissement, qui ren ferme l'agglomération des quartiers Folie- Méricourt, Saint- Ambroise, la Roquette , Sainte- Marguerite , et qui, contenant 149,641 habitants, est le plus dense de Paris, fournit 2,090 mariages , tandis que le XVIe, qui dans les vastes terrains d'Auteuil , de la Muette, de la Porte-Dauphine, des Bassins, n'abrite que 42,187 âmes, apporte seulement 432 unions au contingent matrimonial. On est marié à tout âge à Paris : sur 373,163 hommes vivant en ménage légitime que relè vent les tables statistiques de 1872 , on en rencontre deux âgés de dix- sept à dix-huit ans, qui font pour ainsi dire pendant à deux centenaires ; c'est dans la force même de la vie, entre trente-cinq et quarante 120 L'ÉTAT CIVIL. ans, que l'on trouve la plus grande quantité d'hommes mariés, 61,080 ; pour les femmes, le maximum se présente un peu plus tôt, entre trente et trente- cinq , 60,880 ; les plus vieilles épouses, âgées de quatre vingt-dix à quatre-vingt-quinze ans , sont au nombre de cinq, et la plus jeune a quatorze ans. D'après la loi de septembre 1792 , on ne peut être « uni en mariage » que par le maire ou l'un de ses ad joints , c'est-à-dire par un officier de l'état civil . C'est plus qu'une formalité, c'est une petite cérémonie, bien sèche, il est vrai , bien froide, mais qui risque rait fort de devenir puérile ou théâtrale , si on voulait lui donner un caractère plus accentué. Le fonction naire municipal, délégué du pouvoir, représentant l'ensemble des citoyens , reçoit, non pas le serment, mais la réponse affirmative des deux fiancés qui veu lent vivre légitimement l'un près de l'autre , et au nom de la loi , qui est la sauvegarde et le contrat de la société dont ils font partie , les déclare unis ; cela est suffisant. La pompe grandiose et émouvante appar tient à l'Église, qui invoquera d'autres idées , mais n'imposera pas d'autres devoirs. Les <« bans » ont été publiés et deux fois affichés pendant quinze jours à la porte de la mairie, on s'est muni du consentement légalisé des ascendants, s'ils sont absents , de leur acte de décès , s'ils ne sont plus ; - on a prouvé que l'on n'était parent à aucun ――――― LES MARIAGES. 121 des degrés prohibés par le code, on a produit les actes. de naissance ; on a , en vertu de la loi excellente du 10 juillet 1850 , déclaré, en fournissant des pièces à l'appui , que l'on se mariait avec ou sans contrat ; les employés ont d'avance libellé les actes dont tous les éléments sont entre leurs mains, tout est prêt ; le maire a indiqué son jour et son heure, on n'attend plus que les « futurs ». C'est un samedi qu'il faut aller à la mairie lorsque l'on veut suivre les faciles péripéties d'un mariage ; ce jour-là, que les gens du monde ne choisissent jamais, semble réservé spécialement à la classe qui travaille, vit de son labeur et n'a point de temps à perdre ; on a le dimanche pour « faire la noce » , — le mot n'est que trop souvent exact dans toute son ac ception, et le lundi on se remet à la besogne. Vers onze heures généralement , les fiancés , leurs parents, leurs témoins, sont réunis ; on a amené les enfants de la famille vêtus de neuf, frisés, pommadés, débar bouillés pour la circonstance. Les garçons de noce sont flambants, les mariées sont dévisagées par tous les assistants ; elles essayent de prendre un air modeste et n'y réussissent pas toujours . M. le maire ou l'adjoint est prévenu ; il met en sau toir l'écharpe tricolore qui, aux yeux du vulgaire pro fane, lui confère seule le pouvoir de prononcer les pa roles sacramentelles dont nulle puissance humaine n'a - 122 L'ÉTAT CIVIL. le droit de briser l'effet , il prend à la main un petit livre relié en maroquin rouge, il donne un coup d'œil à la glace pour s'assurer que sa cravate ne fait pas de faux plis , et il se dirige vers le prétoire , où une estrade de deux marches soutenant un bureau d'acajou représente le tribunal des unions indisso lubles . Un domestique faisant fonction d'huissier l'an nonce ; il entre ; tout le monde se lève ; il s'assoit, tout le monde en fait autant. Quelle que soit la saison, quelque froid qu'il fasse, les portes de la salle restent ouvertes à deux battants, car l'acte du mariage est essentiellement public. Cependant un greffier s'est assis devant un pupitre chargé d'un gros registre qui ressemble de loin à un grand-livre » de commerce ; on appelle un nom ; un certain nombre de personnes s'avancent vers l'estrade ; voici les fiancés, les parents, les témoins ; ils s'instal lent précisément devant le maire, dans des fauteuils en velours de laine rouge qui évoquent l'idée des stafles d'orchestre de nos théâtres. Le greffier lit le commencement de l'acte, puis il s'interrompt ; « la noce » se lève ; appelant les fiancés l'un après l'autre par leur nom et leurs prénoms, le maire leur demande individuellement s'ils consentent à se prendre pour époux. La réponse doit être nettement formulée, à claire et haute voix , de façon à pouvoir être entendue par toute l'assistance ; s'il y a des ascendants, le maire ( LES MARIAGES. 123 leur demande s'ils donnent leur consentement au mariage de leurs enfants ; puis, ouvrant le petit livre rouge, ilil yy lit les articles 212 , 213 , 214 du code civil , relatifs aux droits et aux devoirs respectifs des époux; il termine par le 226° , qui est ainsi conçu : « La femme peut tester sans l'autorisation de son mari. » Le plus souvent « tester » est de l'hébreu , surtout le samedi. Aucune des prescriptions de la loi n'a été négligée, le maire déclare les époux « unis en mariage » ; le gref fier reprend la lecture, l'achève ; les témoins, les pa rents et les mariés sont invités à aller signer l'acte rédigé sur les doubles registres de l'état civil. Le gar çon de bureau crie : N'oubliez pas les pauvres, s'il vous plaît ! et chacun en passant met une piécette dans une bourse déposée sur la table. J'ai assisté un samedi à ces cérémonies municipales dans la mairie d'un des principaux arrondissements de Paris ; j'ai vu huit « noces » défiler successivement devant moi ; lorsque tout fut fini , je pris la bourse : elle contenait 3 fr . 90. Il n'en faut pas rire ; les gens qui venaient d'être mariés appartenaient tous à la ca tégorie la moins riche de notre population : c'étaient des domestiques, de petits employés , des artisans ; selon leur possibilité, ils avaient fait l'aumône, et, tenant compte de la recommandation, ils n'avaient point oublié les pauvres ; ils avaient fait acte de bon cœur, et c'était bien là le denier dont parle l'Évangile, 124 L'ÉTAT CIVIL. Mais que faut-il penser de ce financier opulent qui obtient d'être marié à une heure exceptionnelle, qui arrive dans la cour de la mairie avec grand fracas de voiture, de livrées, et qui ferme l'oreille lorsque l'on invoque sa charité, passe devant la bourse béante sans y déposer un sou et s'en va léger comme un cerf, n'imaginant pas que, dans certains cas et pour cer taines personnes, c'est commettre une mauvaise action que de n'en point faire une bonne. Tous les gens qui se marîent font-ils bon ménage? C'est là une question bien indiscrète ; la statistique serait fort embarrassée pour y répondre, et cependant elle a des chiffres dont il est possible de tirer quelques renseignements. L'union prononcée par le pouvoir civil , consacrée par l'Église , semble réellement indis soluble, et ceux qui l'ont contractée vivent côte à côte pendant les longs jours de la vie, malgré toutes les causes de désagrégation dont elle peut être atteinte ; 682,110 individus vivaient en ménage à Paris en 1872 , et, pendant le cours de la même année, le tri bunal de première instance n'a reçu que 482 demandes en séparation de corps et 554 en séparation de biens. Quel plus bel éloge de nos mœurs conjugales ou de la longanimité des époux ? 1 Le nombre des gens mariés est plus considérable : 373,163 hommes ; 379,317 femmes ; mais il faut tenir compte des séparations légales , des séparations amiables et surtout des absences, qui parfois se prolongent indéfiniment. LES DECÈS. 125 - - - - EV. Les morts vont vite. » L'investissement. Recensement général . Moyenne normale. Les mois du siége . Accé La famine et le froid. L'alcoolisme. -Aug Obituaire de 1870.- Janvier 1871 : 19,233 décès. ――― 254,219 réfugiés. lération de la mort. mentation des décès. Les premiers mois de 1871. — Retour aux moyennes normales. Les faits de guerre. Les morts de la Commune. Inhumations sans mandat. - Décès anonymes. - 6,650 cadavres. Un procès-verbal . Les enfants mort- nés. Proportion des décès pour les hommes et pour les femmes. Paris ville de guerre. L'espace manque à Paris. Entassement inhumain. Les Buttes-Chaumont. Maladies des voies respiratoires. Les suicides et les meurtres. Les décès selon les sai sons. Selon les âges. - Formalités. · Le vérificateur des décès. - Mandat d'inhumation. - Rapport d'enquête. - - - - - LES DÉCÈS. - - - - - - - - - - Paris semble être le pays de la ballade de Bürger ; on y peut dire aussi : « Les morts vont vite ! >> La moyenne des décès constatés de 1865 à 1869 a été de 46,831 par année ; en 1872, la totalité a légère ment fléchi, et s'est arrêtée à 45,780 . Mais entre 1869 et 1872 Paris a traversé une période d'an goisses et de misères qui a élevé la mortalité à des chiffres extraordinairement douloureux ; il est bon de les étudier avec quelque détail , on se convaincra alors que la guerre dépasse le but qu'on lui assigne ordi nairement, car non-seulement elle tue, mais elle fait mourir et empêche de vivre. Sur les listes mortuaires qui s'allongent de plus en plus, il est facile de voir les progrès homicides que fait l'influence de la faim, du froid , des tourments de 126 L'ÉTAT CIVIL. toute sorte dont la population est harcclée . La vie se retire peu à peu de la cité dolente ; on peut en con clure qu'un investissement prolongé, suivi d'une in surrection , équivaut à l'un de ces grands fléaux mor bides que le moyen âge appelait invariablement une peste et que nous nommons une épidémie . Notre obi tuaire de 1870-1871 est plus chargé que ceux qui nous ont été légués par les choléras de 1832 et de 1849. La guerre proprement dite, le combat, n'y a qu'une part relativement très-faible ; ce qui tue mieux et plus sûrement que la balle et le boulet, c'est la fièvre, le typhus, l'anémie ' . Un recensement général de la population de Paris fut ordonné dès les premiers jours du siége ; il avait un intérêt majeur à savoir avec exactitude à quel nombre d'individus devaient suffire les ressources alimentaires qu'on s'était hâté d'accumuler ; en con naissant le chiffre réel des assiégés, en calculant le rationnement des vivres, on pouvait déterminer à un jour près la date à laquelle la famine ouvrirait nos portes et subirait la paix. On évaluait à 75,000 envi ron la quantité de gens qui avaient quitté Paris, soit Ce fait a été prouvé d'une façon magistrale par M. le docteur Chenu dans son Rapport au conseil de santé des armées sur les résultats du service mélico-chirurgical aux ambulances de Crimée et aux hôpitaux militaires français en Turquie. Pendant la durée de la campagne, l'ar mée française a fourni 7,272,201 journées d'hôpital , dont 1,934,315 pour blessures , et 5,337,888 pour maladies. LES DÉCÈS. 127 pour fuir le danger, soit pour aller le chercher ail leurs, ou tout simplement parce qu'ils se rangeaient dans la catégorie des « bouches inutiles » dont les proclamations avaient parlé ; mais le vide laissé par ce nombre restreint d'émigrants, qui comprenait les étrangers et les Allemands expulsés, avait été prompte ment comblé et au delà par la masse de paysans, d'habitants des petites villes voisines qui s'étaient hâtés de venir s'abriter derrière l'enceinte de nos for tifications aussitôt qu'ils avaient entendu retentir la marche de l'armée prussienne. Au mois de décembre 1870, le travail de dénombrement fut complet : Paris avait alors une population de 2,020,017 habitants , dont 234,219 réfugiés . C'est donc sur ce chiffre que portent les observations relatives à la période d'inves lissement. Le dernier mois normal de Paris, c'est août 1870 : les décès sont de 4,942 , c'est une moyenne ordinaire ; dès le mois de septembre, la proportion tend à s'ac croître, cependant rien encore n'a manqué aux exi gences de la vie matérielle : on a des bestiaux vivants, la température est douce, la nourriture d'aucune sorte n'est rationnée, on a plus d'espérances qu'il n'est rai sonnable, mais l'inquiétude vague qui plane partout fait déjà son œuvre et l'état civil enregistre 5,222 dé cès. En octobre , la progression est très-vive, elle peut faire comprendre vers quelle destinée l'on s'avance ; 128 L'ETAT CIVIL. un mal nouveau va envahir la population et la ravager, car il rendra mortelles des maladies qu'il eût été pos sible de guérir ; 7,543 décès sont inscrits ; novembre n'est pas beaucoup plus meurtrier, malgré les brumes et le premier refroidissement de l'atmosphère : il four nit un total de 8,238. Mais voici décembre avec ses longues nuits éner vantes, avec le froid qui sur trente et un jours descend au-dessous de zéro pendant vingt- deux, et atteint son maximum d'intensité le 24 et le 25 par 11 degrés ; le mal dont j'ai parlé se développe d'une façon redou table, c'est l'alcoolisme : on n'a plus à manger que des salaisons , de la viande de cheval débilitante; un pain que les chiens auraient refusé en temps ordi naire ; plus de bois pour se chauffer, pour faire cuire les rares aliments que l'on pouvait se procurer en attendant des heures entières à la porte des marchands, les pieds sur le pavé glacé , le corps baigné par d'insup portables courants d'air : à peine quelques bûches en levées aux arbres de nos promenades, bûches vertes , humides, baveuses, brûlant mal, ne produisant que de la fumée et ne développant aucune chaleur. Pour résister à tant de causes d'affaiblissement , pour combattre ces deux grands ennemis de la vie , le froid et la faim, la population se mit à boire ; en ceci le gouvernement fut son complice. Il avait l'air de dire : Buvez et taisez-vous ; à ceux qui demandaient de la LES DÉCÈS. 129 farine, il envoyait du vin et noyait dans des flots d'eau de- vie l'ardeur d'un peuple qui après tout demandait à se battre et se serait battu si l'on n'eût réservé ses forces pour des œuvres néfastes ; est- il surprenant, après cela, que le mois de décembre se ferme sur 12,885 décès ? Le contingent excessif des trois der niers mois modifie tout rapport avec les moyennes des années précédentes : Paris en 1870 a perdu 73,563 habitants . L'année qui va s'ouvrir sera -t- elle meil leure et nous consolera- t-elle de toutes ces hécatombes humaines sacrifiées aux dieux de la violence et de la déraison ? Elle sera plus mauvaise encore . Dès le début, elle annonce ce qu'elle doit être , cette année maudite qui vit la chute de Paris et les flam boiements de la révolte ; janvier donne un chiffre de décès fait pour épouvanter : 19,233¹ . C'est le plus haut total que nous ayons atteint ; les effets engendrés par les causes multiples que produisit ce cruel hiver ne cessent pas subitement ; Paris a été ouvert, les vivres sont apportés en abondance, les réfugiés nous quittent et beaucoup d'autres avec eux, la population tombe au-dessous de la moyenne normale, et cepen dant le mois de février marque 16,592 à ce que l'on pourrait nommer le nécromètre . Mars commence la période décroissante , qui ne s'arrêtera qu'au moment 1 Nulle compensation aux pertes de ce sinistre mois : 2,487 naissances et 770 mariages. VI. 0 130 L'ETAT CIVIL. où la mortalité débordée sera rentrée dans sa fosse ; on y compte encore 11,289 décès ; avril descend à 7,026 , et si le mois de mai semble reprendre une marche ascensionnelle par 7,639 , c'est que c'est le mois où la bataille des Sept Jours ensanglanta Paris qu'elle sauvait . Dès ce jour on revient au point de départ ; entre août 1870 et juin 1871 , il n'y a qu'une différence de 307 au bénéfice de celui - ci ; le total de 1871 n'en est pas moins supérieur à celui de 1870 , car il ac cuse 86,760 décès ; donc en deux années 160,323 individus sont morts à Paris. On va invoquer, je n'en doute pas, les actions de guerre livrées contre les armées allemandes et contre les armées rouges de la Commune ; les décès par suite de blessures mili taires ne figurent que pour une proportion bien mé diocre dans ce douloureux nécrologe ; en tout 6,083 , dont 2,625 pour la période de l'investissement et 3,448 pour celle de la Commune. Ce dernier chiffre cependant n'est pas exact ; la sta tistique n'a pu se servir que des documents qui étaient mis à sa disposition , et elle ne les a pas eus tous. Les décès survenus par suite de faits de guerre pendant l'investissement ont été régulièrement enregistrés ; le total accusé touche la vérité d'aussi près que possible ; mais il n'en est plus ainsi pour les journées de mai ; on tuait partout, on enterrait au hasard , - sur les LES DÉCÈS. 131 quais, -sur les bastions, dans les terrains vagues. On ne se préoccupait guère de constatation ; un cadavre gênait, on l'enfouissait quelque part. La statistique n'a pu donc compulser des bulletins de décès qui n'existaient pas, car la salubrité publique, compro mise par tant de foyers d'infection dispersés dans la ville, eut des exigences auxquelles il fallut se sou mettre. Tous ces morts furent inhumés sans mandats, c'est-à-dire sans une seule des formalités justificatives qu'impose l'état civil . Ces décès , anonymes pour la plupart, n'ont donc point été recueillis et ils ne figurent point sur nos tables mortuaires. J'en dirai le nombre ; il est considérable et grossit le total officiel dans des proportions douloureuses. M. Alfred Feydeau, inspecteur général des cime tières, fonctionnaire actif, intelligent et dont la tâche est souvent bien lourde, -fut chargé du pé nible labeur d'arracher à leur sépulture provisoire ceux que l'on avait cachés sous quelques pieds de terre dans nos squares, dans les caves des maisons en con struction et ailleurs ; il eut à les réunir aux morts que des fourgons, des charrettes , des tapissières , avaient été verser en tas dans nos champs de repos, et il fit creuser pour tous, vaincus ou vainqueurs, - une tombe convenable et respectée . 5,322 cadavres portés dans les cimetières aux dernières heures de la bataille et 1,528 corps exhumés à travers Pa ―――― ―――― ――― 132 L'ÉTAT CIVIL. ris ' élèvent le total de l'année 1871 jusqu'au chiffre probable de 93,410¹ . Le démon des révoltes impies doit être satisfait l'oblation a été magnifique. La séche resse de certains procès-verbaux donne le frisson : <« rue Haxo, exhumé 57 corps : 11 prêtres, 46 gen darmes. >> Tout le monde a souffert pendant ces implacables mois qui vont de septembre à juin, mais surtout les enfants : les pauvres petits, chétifs , grelottant, n'ayant nulle nourriture pour se refaire, n'ont pu résister aux causes de destruction qui les assaillaient, et ils ont succombé en nombre prodigieux ; beaucoup ne sont pas arrivés à la lumière : 4,921 mort- nés en 1870, 3,465 en 1871 , sont entrés dans les limbes sans pas ser par le dur chemin de la vie ; la proportion entre les sexes est restée la même, car il est à remarquer qu'il meurt toujours plus d'hommes que de femmes, ce qui tient sans doute aux occupations masculines et à l'esprit d'aventure qui, principalement dans les moments de trouble, travaille le cerveau des mâles ; Le chiffre des morts de la Commune ne sera jamais exactement connu. Nulle exhumation n'a été faite dans le bois de Boulogne ni dans les terrains bordant la route qui va des fortifications à Versailles . Le pé rimètre de Paris même n'a pas été complétement fouillé . Des fédérés morts, évalués à 700 ou 800, ont été enterrés dans un ancien puits d'extraction des carrières d'Amérique. L'excavation a été comblée, ni velée, et ces tristes épaves de nos discordes n'ont point reçu d'autre sépulture. • Voir Piècesjustificatives, n° 3. LES DÉCÈS. 133 ainsi sur le total des deux années que j'ai citées plus haut, les femmes ne figurent que pour 70,387 , tandis que les hommes ont atteint le chiffre de 89,936 . Un fait tout moral et qui prend racine dans les sentiments les plus généreux du cœur humain a aug menté la mortalité dans d'importantes proportions : bien des femmes, bien des vieillards, ont tenu à hon neur de ne point abandonner leur ville assiégée ; sans réfléchir que la seule obligation de pourvoir à leur subsistance créait une difficulté considérable et abré geait le temps possible de la résistance, ils ont voulu souffrir avec ceux qu'ils aimaient , ne point avoir l'air de déserter à l'heure du péril ; peut-être avaient-ils rêvé quelque grande tentative héroïque qui nous délivre rait ; quoi qu'il en soit du mobile spécial qui les a déterminés, ils sont restés, et ont en partie succombé aux misères qui les ont accablés . Si jamais la destinée sévère inflige encore à Paris la nécessité de se défendre contre une armée assiégeante, il faudra avoir le cou rage de ne garder que le nombre d'hommes néces saire, de faire sortir de nos murs les femmes, les vieil lards , les enfants et de devenir réellement place de guerre ; ce sera le seul moyen de neutraliser les chances de mortalité et d'être libre de prolonger la lutte à outrance. En reprenant les conditions de vie auxquelles il est accoutumé, Paris a fait retour vers sa mortalité ordi 154 L'ÉTAT CIVIL. naire : nous avons donné le chiffre de 1872, année favorable qui n'a vu ni guerre, ni insurrection , ni épidémie . Les décès se répartissent dans des propor tions presque mathématiques, selon la population de nos vingt arrondissements ; les plus peuplés sont na turellement les plus éprouvés , et ce sont ceux aussi dans lesquels les lois de l'hygiène sont le moins obser vées. A Paris , en effet , dans cette ville qui paraît im mense au premier coup d'œil , ce qui manque c'est l'espace ; jamais fourmilière ne vit agglomération pareille ; le kilomètre carré, villes et campagnes, qui en France ne renferme que 70 habitants , en contient , - en comprime, 23,400 à Paris ; c'est là une moyenne obtenue par le rapport qui existe entre la population et la superficie ; mais dans certains arron dissements cette moyenne est singulièrement renver sée ; le II° (la Bourse) a 82,200 , le IIIª ( le Temple) 79,900 , le IV (l'Hôtel de Ville) 63,000 individus par kilomètre carré . La vie a-t- elle toute facilité de se développer, de s'affirmer, de se prolonger dans de semblables conditions d'entassement ? Il est permis d'en douter. -- ― On a fait quelques efforts pour purifier ces quartiers populeux, pour y ouvrir des squares, y planter des arbres, y amener de l'eau vive, mais il reste encore bien des améliorations à tenter avant d'avoir donné à certains quartiers la part d'air et de soleil qui leur LES DÉCÈS. 135 est due. L'espèce de jardin prétentieux sous lequel on a caché les anciennes buttes Chaumont peut étonner les amateurs de curiosités aussi médiocres que dispen dieuses ; cela vaut mieux , sans contredit , que les col lines lépreuses que l'on voyait autrefois ; mais au lieu d'improviser tant de verdure égayée de souvenirs archéologiques, au milieu d'un arrondissement où d'énormes voies de communication et de très-nom breux terrains vagues laissent facilement circuler un air toujours renouvelé , n'était-il pas plus humain d'in staller un jardinet quelconque, un lieu de repos pour les femmes et les enfants dans le II arrondissement , qui est le plus encombré, le plus laborieux , le plus chargé d'impôts de Paris ? Est-ce à cet entassement dans des ruelles malsai nes, dans des maisons où les logements sont loin d'a voir toute la salubrité désirable, qu'il faut attribuer les ravages que les maladies des voies respiratoires. exercent sur notre population, à laquelle , en 1872 , elles ont enlevé 14,987 individus, dont 7,436 ont succombé à la phthisie pulmonaire ? Les autres affec tions semblent indulgentes à côté de celles- ci , et quoi qu'il y ait 1,966 cas de méningite, 2,131 apoplexies sanguines et 2,018 entérites, on peut affirmer que la poitrine et tout ce qu'elle contient est le côté faible de l'habitant de Paris . Le bon résultat des gestations doit être souvent 136 L'ETAT CIVIL. compromis, car les registres ont eu à tenir compte de 4,443 enfants mort-nés. Dans cette ville où toutes les déceptions succèdent à toutes les espérances, les âmes sont assez bien trempées et résistent avant de sombrer tout à fait. Je ne compte que 577 suicides , ce qui est bien peu lorsqu'on réfléchit au nombre d'aliénés qui se promènent dans nos rues, et à la quantité prodi gieuse de projets avortés que chaque heure du jour anéantit ; à voir que l'on n'a constaté que dix décès par suite de meurtre dans tout le cours d'une année , on croirait volontiers que notre population est un modèle de douceur ; on ne se tromperait guère lorsqu'elle n'est pas grisée par de la rhétorique et du vin sophis tiqués, elle est de composition fort débonnaire ; les voleurs et les filous pullulent à Paris, mais les assas sins y sont rares. Les deux époques favorites de la mortalité, à Paris et ailleurs, c'est le printemps et l'automne ; à ce mo ment de l'année où la nature tressaille, la mort sem ble s'éveiller chez certains malades, tandis que la vie s'endort chez certains autres lorsque la création se prépare au repos de l'hivernage ; les mois de mars et d'avril , de septembre et d'octobre dépassent quelque peu les autres moyennes mensuelles ; juin, au con traire, le mois de la lumière, de la chaleur et des longs jours, apporte avec lui les effluves d'existence qui diminuent les chances mauvaises et rendent les LES DÉCÈS. 137 décès moins nombreux. Les premières années de la vie sont dures à passer : de un à trois ans la propor tion est considérable, 3,755 décès ; lorsqu'on a fran chi heureusement les premières années de l'adoles cence et de la jeunesse , il faut doubler un âge assez difficile, qui va de vingt-huit à trente-deux ans ; jus qu'à cinquante-trois ans la moyenne varie entre 318 et 470 , puis elle s'abaisse progressivement ; les extinc tions se font petit à petit, mais d'une façon invincible ; au-dessus de quatre-vingt-six ans, il n'y a plus que deux chiffres à la colonne ; après quatre-vingt- onze il n'en reste plus qu'un ; on trouve encore un cen tenaire ; après cent ans on voit un zéro . Aquelque âge, de quelque maladie que l'on meure, l'état civil apparaît avec ses registres ; il a noté la naissance , il a relaté le mariage ; pour achever son œuvre, il lui reste à constater le décès . Lorsqu'une créature humaine a passé de vie à trépas , on doit venir dans le plus bref délai en donner avis à la mairie de l'arrondissement que le défunt habitait. Un «< mandat de visite » est immédiatement adressé à l'un des mé decins vérificateurs des décès ; celui -ci se rend au do micile indiqué et s'assure par lui- même que la personne désignée est morte; il laisse alors entre les mains des parents ou des ayants droit un certificat dont la formule imprimée a tout prévu ; lorsque les blancs sont remplis , on peut y lire les nom et prénoms 138 L'ÉTAT CIVIL. du décédé, son âge, son lieu de naissance, le jour et l'heure du décès , son adresse, l'étage de son ap partement, et à quel point cardinal celui- ci était ex posé; on y voit en outre de quelle maladie il était atteint, quel est le médecin qui l'a soigné, chez quel pharmacien on a pris les médicaments ; de plus , si le logement était insalubre, on doit l'indiquer ; en un mot, c'est un véritable rapport d'enquête si ingénieu sement disposé qu'il tient sur le verso d'une seule feuille de papier. Ces renseignements sont extrême ment utiles ; ils permettent de rédiger un bulletin statistique des plus intéressants et de remonter, en cas de besoin, à des responsabilités qu'il est bon de con naître. Ce certificat est apporté par deux témoins à l'employé de l'état civil qui , en leur présence, libelle l'acte de décès qu'il leur fait signer. La mairie délivre alors le mandat d'inhumation, dernière formalité qui clôt toutes celles dont on a fait autant de garanties pour notre sécurité. Par ce man dat, l'ordonnateur des pompes funèbres particulier de l'arrondissement reçoit ordre de faire transporter et inhumer le corps au cimetière désigné, à jour et à heure déterminés . C'est ici que s'arrête l'action de l'état civil . Il a recueilli et précieusement conservé les documents qui assurent à l'individu les prérogati ves dont on jouit dans les sociétés civilisées ; ces docu ments, il les communiquera aux enfants, aux arrière LES DÉCÈS. 139 petits-enfants de ceux qui ont été , et de cette façon il maintiendra intacts les droits de la famille , de la jus tice et de l'État . Il est le gardien des relations socia les ; lorsque l'homme est mort, il n'a plus à s'en occuper. Mais la grande vigilante ne s'est point endormie ; la ville de Paris est toujours là , l'œil aux aguets et sur le qui-vive. C'est elle qui écoute et recueille le premier vagissement des nouveau-nés ; c'est elle qui, lorsque l'homme a traversé les affres de la vie et qu'il n'a plus laissé parmi nous qu'une dépouille périssa ble, prend ces pauvres restes, les entoure de respect et les conduit dans les nécropoles qu'elle a disposées pour servir de dernière demeure à ses enfants.

- LES CIMETIÈRES 1. LES SERVICES FUNÈBRES, Les clo - Lettres de faire part. Usages différents. Le cri des corps. cheteurs des trépassés. Contestations avec le clergé. Règlements de Chamvallon. Aumôniers à cheval . Le semonneur. Les corbil lards. Les ouvriers. —La révolution. - Taxe d'inhumation. Fro chot. — Retour à la décence. — Décret du 23 prairial an XII. — Les six classes. L'entreprise des pompes funèbres. Impôt somptuaire. Conditions imposées aux pompes funèbres. Inhumations gratuites. - Le matériel et La régie. Les constructions de la L'ordonnateur. Jargon des - Les pourboires. Vanité. Les neuf classes. Remise aux fabriques. - l'outillage des pompes funèbres. rue Curial. Bénéfices considérables. croque-morts. Figurants et danseurs. légal. Le délai CHAPITRE XXXIII - - - - - - --- - - - - - - - - - Lorsqu'une personne est décédée à Paris, on envoie à ses amis une lettre d'invitation pour les prier d'assis ter à son convoi ; quelque temps après , on expédie des lettres de faire part à toutes ses connaissances pour leur donner avis de sa mort. A la seule inspection d'une lettre d'invitation annonçant le décès d'un 142 LES CIMETIÈRES. homme marié, on peut reconnaître à quelle catégorie sociale il appartenait parmi les gens du monde, la veuve n'invite jamais, car elle est censée dans les six semaines de retraite qui doivent inaugurer son deuil ; chez les gens de la bourgeoisie et de la classe ou vrière, la veuve invite toujours, tenant à faire acte de présence au moment où elle perd celui dont elle a porté le nom et à affirmer ainsi que le lien qui l'u nissait à lui était public et légitime . Affaire d'usage qui n'a pas grande importance, mais qui dénonce ce pendant des divergences profondes entre les diverses castes dont se compose notre société. Jadis c'était plus simple : on faisait « le cry des corps » . A toute heure du jour ou de nuit «< les crieurs jurés » s'en allaient par les rues, agitant leur clo chette : Réveillez-vous, gens qui dormez, Priez Dieu pour les trépassés ! Ils glapissaient le nom du mort, le lieu du décès, l'heure des funérailles . Vêtus d'une dalmatique blan che semée de larmes noires, ornée de têtes de sque lette posées sur des ossements entre-croisés , ils épou vantaient les enfants , et , si l'on en croit Saint-Amant, faisaient hurler les chiens. Leur costume, à force de vouloir être lugubre, fut trouvé ridicule, et on le rem plaça par la longue robe noire des avocats . Lorsqu'ils LES SERVICES FUNEBRES. 143 suivaient le convoi funèbre d'une personne de qua lité , ils portaient sur la poitrine cet écusson de car ton peint représentant les armoiries du défunt que l'on applique aujourd'hui sur les faces latérales du corbillard .

Leur nombre n'était pas considérable : ils furent douze au début, dans le treizième siècle, vingt- quatre sous Louis XIV ; on en compte trente au moment de la Révolution . Ils ne criaient pas que les corps ils criaient le vin à vendre, les enfants égarés , les chiens perdus ils criaient « les choses estranges » , dit la grande ordonnance de 1415. Petit métier, mais bon métier : cinq sous parisis par cri ; en ce temps- là c'é tait presque une somme. Cependant ils avaient d'au tres ressources plus amples et plus certaines ; spéculer sur la douleur et sur la vanité des gens , c'est un sûr moyen de faire fortune ; tous ceux qui l'ont employé en savent quelque chose. Depuis le treizième siècle , les crieurs-jurés, que le peuple de Paris appelait fami lièrement les clocheteurs des trépassés , étaient en possession de fournir ce que l'on jugeait nécessaire aux funérailles des particuliers, des seigneurs et des rois . Charles V affirme leurs priviléges , qui furent maintenus par Charles VI, par Henri II , par Louis XIII et par Louis XIV. L'ordonnance de 1672 détermina leurs attributions, spécifia leurs devoirs et leur im posa un tarif. 144 LES CIMETIÈRES. Ils eurent souvent de vives contestations avec le clergé, qui, propriétaire des cimetières et maître d'ac corder la sépulture dans les églises, revendiquait le droit de subvenir à tout ce qui concernait les cérémo nies funèbres . C'était là un sujet de conflits renais sants qu'on ne parvint pas toujours à éteindre ; la part du clergé avait cependant été faite par un règlement très-sage que Chamvallon , archevêque de Paris, pu blia le 30 mai 1693, et que le Parlement homologua le 10 juin de la même année . Les crieurs-jurés rele vaient directement de la prévôté des marchands, comme aujourd'hui l'administration des pompes funèbres , qui leur a succédé, relève du préfet de la Seine ; mais nul des employés de celle-ci n'est forcé d'assister aux obsèques des personnes royales, en robe drapée et une sonnette d'argent à la main , ainsi que cela était impérieusement prescrit aux clocheteurs des tré passés . De même les allures du clergé ne sont plus à cette heure, aux enterrements, ce qu'elles étaient jadis ; actuellement, quelle que soit la qualité du personnage porté au cimetière, le clergé l'accompagne en voiture , dans de rares circonstances, à pied , en psal modiant les hymnes sacrés. Autrefois, pour faire hon neur à certains morts, les prêtres se transformaient en cavaliers ; on lit dans le Journal de Barbier, à la date du 10 février 1740 : « Le corps de M. le duc (de Bourbon) était dans un chariot à huit chevaux avec ou, - ― LES SERVICES FUNEBRES. 145 quatre aumôniers à cheval , qui portaient le poêle. » Jusqu'au commencement de notre siècle , la plupart des corps, placés sur des brancards , étaient transpor tés à la main, comme nous voyons faire aujourd'hui pour les petits enfants ; parfois même le cercueil, soutenu sur l'épaule d'un vigoureux semonneur¹, s'en allait ainsi chercher la demeure suprême. C'était là ordinairement toute la cérémonie que l'on faisait pour les petits bourgeois et les artisans ; il n'en était plus ainsi dès qu'il s'agissait des gros financiers et des gens de la noblesse . On se servait en ce cas d'un cor billard surmonté d'un catafalque et traîné par un nombre de chevaux en rapport avec la fortune ou la qualité du défunt. Il se produisait alors un fait singu lier auquel il serait assez difficile d'ajouter foi , si l'on n'avait le témoignage des écrivains contemporains. La machine funèbre était si lourde , les rues étaient d'un parcours tellement difficile que l'on redoutait toujours un accident, et que, pour y parer, les crieurs jurés emmenaient avec eux une escouade d'ou vriers selliers , bourreliers et charrons munis d'alênes , de pinces, de marteaux, de clous et d'enclume. Il fal lait les avoir sous la main et cependant ne pas les mêler, en costume de travail, à la foule des invités ; ¹ Du latin submonere. C'était le nom que l'on donnait aux employés des crieurs-jurés chargés d'aller inviter, semondre, à domicile ; ils faisaient aussi fonctions de porteurs. - - VI. 10 146 LES CIMETIÈRES. le moyen employé pour arriver à ce double résultat était assez ingénieux : on les faisait monter dans le corbillard, sur le cercueil même, et ils étaient dissi mulés par les amples draperies qui tombaient de l'im périale jusqu'aux plats-bords du char. Pendant le tra jet, ils jouaient aux dés sur la bière , buvaient un coup s'ils avaient eu la précaution d'emporter quel que bouteille de vin , et parfois même entr'ouvraient les rideaux noirs , passaient la tête et faisaient la gri mace aux aumôniers à cheval , qui en perdaient la tra montane. Les crieurs-jurés de corps furent dépouillés de leurs priviléges pendant la Révolution , mais ils possédaient un matériel funéraire qui leur assurait le service de presque tous les enterrements ; ils continuèrent done, par la force même des choses et comme par le passé, à pourvoir à ce premier besoin de la salubrité et de la décence urbaines ; ils ne criaient plus, ils ne cloche taient plus, mais ils tendaient, drapaient et portaient toujours, jusqu'aux heures douloureuses où toute mar que de supériorité sociale devint un motif à délation ; les gens riches s'habillaient de carmagnole, et , pour n'éveiller aucun soupçon , l'on se faisait enterrer très humblement . Les municipalités de Paris se chargè rent alors des inhumations, qui furent faites à prix débattu jusqu'à ce qu'un arrêté du 18 thermidor an IV fixât à dix francs la taxe des morts âgés de moins de LES SERVICES FUNEBRES. 147 sept ans et à vingt francs celle des adultes. Ce que fu rent les convois, on peut se le figurer . Tous les corps étaient portés à bras, et plus d'une fois les brancards stationnèrent à la porte des cabarets . Cela dura jusqu'à l'avénement de Frochot à la pré fecture de la Seine. Il remit d'abord le soin des céré monies funèbres à un entrepreneur désigné dans cha que arrondissement ; puis bientôt , dès l'an IX, à un entrepreneur général qui devait centraliser le service. Le décret du 23 prairial an XII ( 12 juin 1804) , qui reconnaissait aux fabriques des églises catholiques, aux consistoires protestants et israélites le droit de faire « les fournitures d'enterrement », amena un conflit entre le clergé et l'entrepreneur . De gros inté rêts étaient en jeu , la querelle menaçait de s'aggra ver; un homme qui aimait à être obéi , intervint et mit fin à toute dispute. L'empereur accepta un entre preneur unique, privilégié, responsable , mais il lui imposa un cahier des charges qui l'obligeait à remettre aux représentants des cultes reconnus une part consi dérable, plus de la moitié, de l'argent qu'il aurait à recevoir. L'affaire restait exceptionnellement fructueuse pour tous les ayants droit, et chacun eut le bon esprit de se montrer satisfait . Cette affaire tenait au cœur de Napoléon, car il y revint plus tard , et la régla minutieusement lui-même par le décret du 18 août 1811 : Tous les services funèbres étaient - ―――― 148 LES CIMETIÈRES. divisés en six classes ; la première coûtait 4,282 francs, la sixième coûtait 16 francs ' . L'organisation imaginée par Frochot, adoptée par Napoléon Ier , et qui n'était, sous une forme plus mo derne et surtout plus démocratique, qu'un retour à la vicille institution des crieurs-jurés, subsiste encore. Tavernier raconte naïvement dans ses voyages qu'ayant été obligé de faire enterrer son frère, mort aux Indes, il s'était promis de bien soigner sa santé, parce que cela coûtait fort cher d'être inhumé dans ces pays-là . Que dirait-il donc aujourd'hui à Paris ? L'en treprise des pompes funèbres a tous les inconvénients des monopoles, mais elle compense ceux- ci par des avantages sérieux, où la ville , les cultes et les gens pauvres trouvent leur bénéfice . A y bien regarder, le service funèbre, constitué tel qu'il l'est aujourd'hui , est un impôt somptuaire très onéreux, mais levé seulement sur ceux qui s'y soumet tent, beaucoup sans doute par respect pour les morts qu'ils regrettent, et un peu aussi, avouons- le , par vanité. Écoutez les curieux qui regardent passer un 1 Ce décret est inséré au Bulletin des lois sous le n° 386, Iv sé rie L. J'ai eu entre les mains l'exemplaire qui avait appartenu à l'abbé Grégoire ; sur la marge celui-ci avait écrit : « Scandale de divisions en classes pour des êtres qui, devant Dieu, arrivent seulement avec leurs bonnes et leurs mauvaises actions. » Certes il ne devinait pas alors que le corbillard qui porterait sa dépouille serait dételé et traîné à bras jusqu'au cimetière Montparnasse. 1 LES SERVICES FUNEBRES. 149 corbillard drapé, empanaché de plumes d'autruche , traîné par quatre chevaux caparaçonnés, tenus aux mains de valets de pied , suivi par des maîtres de cérémonies qui portent « les honneurs » sur des cous sins de velours ; que disent-ils ? « C'est un bel enter rement ! » Il est permis aux riches d'étonner les foules, de faire brûler des lampadaires à alcool sous la nef des églises, et d'avoir des cercueils capitonnés de satin blanc ; ce n'est qu'une affaire d'argent. Tout sc paye, jusqu'à la rosette en crêpe que l'on peut attacher au fouet du cocher ; mais, ce qu'il faut considérer, c'est que le pauvre ne paye rien . La dernière adjudication pour l'entreprise des pompes funèbres a eu lieu le 1er janvier 1860. Par le cahier des charges , le service est divisé en neuf classes : la première coûte 7,184 francs, et la neuvième 18 fr. 75 cent .; entre ces deux extrêmes, il n'est si grosse vanité ou si mince situation qui ne trouve ce qui lui convient. Mais si l'on permet à l'entreprise de faire des bénéfices excessifs , c'est à des conditions qu'il est bon de faire connaître la Ville , en vertu de ce contrat, paye à l'entrepreneur cinq francs par corps inhumé dans les cimetières de Paris ; de ce seul chef, l'administration des pompes funèbres a touché en 1873 la somme de 217,990 francs , représentant 43,578 inhumations ; mais l'entrepreneur doit faire remise, aux représentants des cultes reconnus, de 150 LES CIMETIÈRES. 56 pour 100 sur toute somme encaissée par lui ; or , pour 1873 , cette somme équivaut à 1,709,350 fr . 38 c. , dont 1,620,715 fr. 23 c. ont été versés au seul culte catholique. En outre, les pompes funèbres sont tenues de faire gratuitement le convoi de tout individu indigent, dont la famille ou la succession ne peut acquitter les frais. portés au tarif d'une des neuf classes désignées . C'est là une charge extrêmement pesante, car le nombre des inhumations gratuites est singulièrement plus élevé que l'on n'imagine ; en 1873 il a été de 25,017, tandis que celui des inhumations payantes n'a été que de 18,561 . Dans le système adopté, les riches payent pour les pauvres, et l'impôt funèbre fournit aux be soins du culte dans les églises, les temples et les syna gogues. Pour subvenir d'une façon régulière aux exigences. d'un service incessant qui représente plus de cent en terrements par jour, les pompes funèbres possèdent un matériel important et un nombreux personnel . On doit avoir en provision prévue les tentures , les cheva lets , les candélabres, les coussins, les bénitiers , en un mot tous les objets nécessaires à l'appareil usité ; en outre, 6,000 voliges, bières en sapin, réserve à l'administration centrale, sans compter le dépôt obligatoire dans chacune des mairies de nos vingt arrondissements, et le magasin de chênes ou — - sont en LES SERVICES FUNEBRES. 151 cercueils de luxe qui peuvent être demandés pour des inhumations de classes supérieures ; 585 agents de toute sorte, 570 voitures- corbillards , chars , berlines de deuil, fourgons à tenture, 270 chevaux suffisent à parer aux éventualités d'une mortalité normale ; si par hasard or manque de chevaux, on en loue à la Com pagnie générale des petites voitures . Cet outillage général est combiné de telle sorte que l'on a pu faire face aux nécessités exceptionnelles amenées par des épidémies ; en 1854, chaque mort eut son cercueil, son corbillard, son convoi , et l'on ne vit plus « rouler les tapissières >>> comme pendant les choléras de 1832 et de 1849 . L'adjudication des pompes funèbres a pris fin le 1er janvier 1871 ; l'heure était mal choisie pour la renouveler, personne ne s'en souciait, ni l'entrepre neur, ni la préfecture de la Seine . On revint alors à la lettre des décrets impériaux ; les fabriques, les consis toires, prirent l'affaire à leur compte et la confièrent en régie à l'adjudicataire sortant . En somme il n'y eut rien de changé : la ville paye toujours cinq francs par inhumation, les cultes reçoivent toujours 56 pour 100, et les enterrements gratuits restent à la charge de l'entreprise . Seulement la situation n'est plus très régulière ; les responsabilités sont déplacées, et au jourd'hui le chef de ce service, qui a une importance municipale sur laquelle il serait puéril d'insister, 152 LES CIMETIÈRES. semble dépendre beaucoup plus des fabriques que de la préfecture de la Seine. C'est là un fait anormal, auquel il serait bon de mettre fin . Une difficulté se présentera peut-être lors de la future adjudication : la ville a construit à ses frais, rue Curial, un vaste établissement destiné à loger l'administration des pompes funèbres et toutes les dépendances qu'elle comporte ; les dépenses ont été considérables et le bail sera élevé ; mais cet incon vénient disparaîtra devant des avantages fort impor tants ; aussi le premier article du prochain cahier des charges devra exiger du preneur un loyer rémunéra teur représentant l'intérêt normal des sommes em ployées ; cette condition ne peut même pas donner lieu à un débat, car, malgré les servitudes financières sa gement imposées à l'entreprise, celle- ci fait de tels bénéfices , qu'ils sont de nature à éveiller de très sérieuses concurrences. Dans les convois, le principal personnage n'est pas le maître des cérémonies , qui, l'air grave et même légèrement attristé, comme il convient à la circon stance, prie « la famille et messieurs les invités » de le suivre ; celui-là, il est vrai, mène le chœur funèbre des porteurs et indique avec précision, pendant le ser vice religieux, à quelle minute il faut se lever, s'age nouiller ou s'asseoir ; mais l'homme important, c'est l'ordonnateur, agent direct de la préfecture de la LES SERVICES FUNEBRES. 153 Seine, employé de l'état civil et représentant personnel du maire de l'arrondissement que le défunt habitait . Il figure la municipalité prenant le corps d'un de ses administrés à la maison mortuaire , l'accompagnant à l'église, veillant à ce qu'on lui fasse place à travers nos rues encombrées, l'introduisant au cimetière et ne le quittant qu'après avoir vu tomber sur lui la dernière pelletée jetée par le fossoyeur. Il est reconnaissable à la cocarde tricolore mainte nue par la ganse de son tricorne et à la canneà pomme d'ivoire qu'il lui suffit de lever, sans avoir besoin d'invoquer l'ordonnance de police du 10 février 1848 , pour arrêter toute voiture qui, dans le trajet de la maison au cimetière, pourrait couper et interrompre le convoi. Il est l'autorité et le contrôle ; c'est lui qui s'assure que toutes les prescriptions émanées de l'en treprise des pompes funèbres ont reçu exécution , qui interdit , œuvre difficile , aux porteurs , aux plombiers, aux tapissiers, de demander des pourboi res ; qui recommande la bonne tenue aux divers agents de ces tristes choses et donne à tous l'exemple du respect dû à la douleur. Il a vécu trop mêlé au per sonnel qui fait le service des inhumations pour ne pas savoir que, là aussi , comme dans tous les corps d'état , il y a un jargon particulier légué par les corporations du passé et auquel il ne faut point attacher d'impor tance ; il connaît les termes en usage, mais il les re - ― 154 LES CIMETIÈRES. garde comme indignes de lui et ne les emploie ja mais. Les porteurs ne se gênent guère entre eux, malgré les mines piteuses qu'ils prennent volontiers lorsqu'ils se sentent sous les yeux des assistants . Très-suscepti bles pour eux-mêmes, ils le sont moins pour les autres . C'est les insulter gravement que de les appeler croque-morts, mais ils trouvent fort naturel de dire : J'ai fait un saumon, un hareng ou un éperlan ; ce qui signifie : « J'ai porté le corps d'un riche , d'un pauvre ou d'un enfant ; » cela ne les empêche pas d'être de fort braves gens et très- dévoués à leur lugubre be sogne. On pourrait penser que de vivre toujours au milieu des tentures noires et d'avoir pour fonctions spéciales de manier des cercueils dispose à la mélan colie ; ce serait une erreur. La plupart de ces hommes sont gais, si gais que plusieurs figurent , le soir, dans les ballets-pantomimes de certains théâtres et que l'un d'eux obtint, sous le sobriquet de Clodoche, une cer taine notoriété aux bals masqués de l'Opéra . Ils ont un défaut qu'il est vraiment superflu de signaler, car chacun le connaît : ils aiment le pour boire, ils l'aiment jusqu'à la fureur ; l'administration fait ce qu'elle peut pour les empêcher de harceler les familles, mais elle n'y parvient pas . A la maison mor tuaire, ils redoutent l'ordonnateur , dont le rapport peut les faire mettre à pied, et ils se contiennent ; au LES SERVICES FUNÈBRES. 155 cimetière, ils sont attentivement surveillés par les gardes, qui reçoivent à cet égard des ordres spéciaux et souvent renouvelés. Ils en sont réduits à attendre. les familles sur les boulevards qui avoisinent nos champs de repos ; là ils sont hors de l'atteinte , j'al lais dire de la juridiction des gardes ; l'ordonnateur est parti, nul ne les gêne ; alors commencent des quémanderies sans fin qui ont parfois donné lieu à des plaintes dont la préfecture de police a dû s'émouvoir. La loi a déterminé le délai qui doit exister entre le décès et l'inhumation ; l'article 77 du code civil dit expressément : « Aucune inhumation ne sera faite que... vingt-quatre heures après le décès, hors les cas prévus par les règlements de police . » Ce laps de temps a paru nécessaire et permet de ne point confondre la mort apparente avec la mort réelle. Jadis on était moins prudent, et parfois on était enterré peu d'heu res après avoir expiré . On trouve la preuve de ce fait dans l'acte de décès d'un homme dont madame de Sé vigné a déploré la mort : « Le 3 juillet 1690, à trois. heures du matin, Michel Lasnier, maistre d'hostel de madame la marquise de Sévigny, est décédé rue Couture- Sainte- Catherine, duquel le corps a été in humé dans le cimetière de l'église Saint- Paul , sa pa roisse, le même jour ' . » Il faut des cas absolument ■ Voyez Lettres de madame de Sévigné . IX , p. 531 , édit. Ha chette. 156 LES CIMETIÈRES. exceptionnels pour que l'on abrége aujourd'hui le dé lai légal , et la préfecture de police, gardienne de la santé publique , a seule le droit , sous sa responsabi lité, de prendre des mesures en conséquence. En com prenant le temps employé au service religieux et au trajet fort long et fort lent à travers Paris, on peut compter que le délai a toujours été dépassé lorsqu'un corps arrive au cimetière, où l'attendent une fosse préparée et les fossoyeurs chargés de l'inhumer. - - - - Les victimes du Le cimetière Réclamations Le chantier du Le pourris - - Danse ma L'endroit où l'on dort. La sépulture dans les églises . Sur le plan de Gomboust. Pêle-mêle des morts et des vivants. Ossements sur la voie publique. L'ossuaire de l'Ouest . La duchesse de Guise , le car dinal Dubois. La légende. Niaiserie et crédulité . · fanatisme. - Notre-Dame des Victoires. Mise en scène . des protestants. Cimetières secrets . — Dénonciations. diplomatiques. Cimetière des protestants étrangers. port au Plâtre. Cimetière israélite . Les Innocents. soir. Les Champeaux. — Les galetas . — Nicolas Flamel. cabre. La logette. Les enfouissements. Le typhus. La science intervient inutilement. Amour du Parisien pour le cimetière des Inno cents. Marchandes de modes et écrivains publics. - Sotte tradition. Intervention du Parlement. — Arrêt du 25 mai 1765. - Accident. — Fer meture et destruction du cimetière. Les catacombes. Le rapport de Thouret. Le marché aux légumes. On y trouve encore des ossements. Projet d'une nécropole unique. Le chartrier. Précaution de la loi du 15 mai 1791. - Deux cimetières supplémentaires. - Picpus. - La Madeleine. Les Errancis. Louis XVII. Cimetière Vaugirard. Clamart. Confusion. Sainte Catherine. Mirabeau ; Bichat ; Pi chegru. - Achat de terrains. Quatre cimetières extra muros. vingt-deux cimetières. -- - - - - Nos - - - - - II. - - - - - LES CHARNIERS, - - -


- - - - - - - - - - - - - - - - - - Cimetière , en grec, c'est nounτnpov, l'endroit où l'on dort. Le vieux Paris ne les avait pas ménagés ; LES CHARNIERS. 157 on enterrait partout dans les églises d'abord, lieu d'honneur où l'on accordait sépulture en échange de quelque rente perpétuelle ; le donataire qui avait fait construire ou orner une chapelle à ses frais avait droit à s'y faire inhumer et parfois même d'y admettre quelques amis, témoin cette chapelle dédiée à saint Vincent de Paul, dans l'église Saint-Paul de la rue Saint-Antoine, où les La Meilleraye avaient un tom beau qui reçut le corps de Georges Cadoudal en 1804 et le garda jusqu'en 1814 . Nos églises actuelles sont pleines encore de monu ments funéraires , datant des siècles passés et indi quant avec quelle ardeur on se portait vers les lieux saints pour y reposer près des reliques sacrées, dont on espérait que le contact ne serait pas inutile´au salut éternel , et dans la foi touchante que l'âme participerait au bénéfice des prières récitées chaque jour. Il n'y avait guère que les gros personnages de la noblesse, du clergé, de la robe, de la finance, qui fussent assez riches pour atteindre à ces grandeurs posthumes ; le menu fretin des trois ordres et toute la population s'en allaient simplement en terre, comme de petites gens qu'ils étaient. Aussi s cimetières abondaient ; le plan de Gom boust es, parsemé de groupes de croix cernés d'un trait qui l'indiquent : cimetière Saint-Nicolas, proche la rue Troussenonnain ; cimetière Saint-Paul, où Ra 158 LES CIMETIÈRES. belais fut enterré sous un noyer ; cimetière Saint- Sé verin, d'où s'élevait une buée malsaine quand souf flaient les vents d'ouest ; cimetière Saint- Joseph, où fut Molière et dont nous avons fait un marché ; cime tière de la Trinité, près de la rue Grenéta, d'où l'on enleva plus de quarante tombereaux d'ossements en 1858 ; cimetière Verd, près la rue de la Verrerie ; ci metière Saint-Médard , où les convulsionnaires frétil laient sur le tombeau du diacre Pâris ; cimetière aux Carmes, aux Capucins, aux Chartreux ; cimetière aux Incurables, à la Charité, aux Petites- Maisons ; cime tière à tous les hospices , cimetière à tous les cou vents. Les bourgades des morts étaient disséminées à travers la ville des vivants ' . Aussi lorsque l'on entreprit sous le second Empire les travaux de Paris , on fut étonné de l'énorme quantité de sépultures que l'on mettait au jour ; chaque coup de pioche pour ainsi dire faisait jaillir des ossements. On les portait dans l'ancien cimetière de l'Ouest, fermé depuis 1825 et que l'on avait converti en un vaste ossuaire ; on s'aperçut un jour qu'il contenait 1,110 mètres cubes d'ossements trouvés en fouillant la voie publique ; l'entassement devenait une gêne ; un ar 1 On ne se préoccupait guère alors de la salubrité sur le plan de Deharme ( 1765) on voit que le cimetière Saint- Roch, situé au coin du boulevard et du chemin de la Grand'Pinte, qui est la rue de la Chaussée d'Antin, est placé à côté d'un des puits de la ville. LES CHARNIERS . 159 rêté préfectoral pris en 1859 fit porter tous ces débris aux catacombes. Quelques- uns de ces restes éveillèrent l'attention et prouvèrent que, comme les vivants, les morts ont leur destinée . Au mois d'octobre 1864, en creusant un branchement d'égout pour la maison portant le n° 4 de la rue de la Paix, maison qui prenait la place de la caserne des pompiers, on trouva un cercueil en plomb contenant le corps de la duchesse de Guise , princesse de Joinville, veuve en premières noces du prince de Bourbon , et décédée en 1656. Elle avait été certainement inhumée au couvent des Capucines, à travers les dépendances duquel la rue de la Paix avait été tracée . Quelques années auparavant, on avait dé truit les derniers vestiges de la collégiale Saint- Ho noré ; on y chercha avec soin le caveau où le cardinal Dubois avait été inhumé en grande pompe mais, comme ce caveau avait été converti en fosse d'aisan ces, on eut quelque peine à le découvrir . Si les terrains des anciens cimetières ont rendu les morts qu'ils cachaient, il n'en est pas de même des églises, dont les cryptes et les caveaux conservent des amas d'ossements , débris des corps qui jadis leur ont été confiés. Lorsqu'on répare quelque ancienne cha pelle sépulcrale , on y découvre naturellement des restes humains ; invariablement le même fait se pro duit et donne une assez piteuse idée de la crédulité 160 LES CIMETIÈRES. parisienne . C'est toujours la même légende . Le sque lette trouvé et qui a au moins cent cinquante ans de date devient une jeune fille morte récemment, hier, ce matin peut- être ; un peu plus tôt, on aurait pu la sau ver. Où l'a-t-on découverte ? Dans une cellule secrète dont les prêtres seuls connaissent l'entrée , « C'est l'innocente victime d'un délire hypocrite , fanatisé par le feu des passions comprimées. » Les journaux en parlent ; on publie des lithographies représentant l'horrible mystère . Des nigauds s'en mêlent, qui som ment l'autorité d'avoir à faire son devoir . Pour l'é glise Saint-Laurent, qui donnait sépulture et qui est voisine d'un ancien cimetière, on renouvelle cette histoire tous les douze ou quinze ans¹ . Sous la Commune, on en voulut tirer parti et l'on fit quelques frais de mise en scène . On tira des ca veaux tous ces pauvres ossements, et, sur le parvis même des églises, on les exposa aux yeux du peuple ; le peuple regardait, levait les épaules et passait . On fit une grande exhibition sur les marches de Notre Dame- des-Victoires et on l'annonça solennellement dans les journaux ; j'eus la curiosité d'aller la voir. ་ Les gens de la Commune n'en démordent pas dans un livre où sont glorifiés tous les faits insurrectionnels de 1871 , je lis : « Dans l'é glise Saint-Laurent, on trouva des cadavres de jeunes femmes et d'en fants nouveau-nés, sans doute victimes des vertueux prêtres céliba taires. » (Paris pendant la Commune révolutionnaire de 1871 , Neu châtel. ) LES CHARNIERS. 161 C'était misérable. Derrière les grilles fermées, sur le palier qui donne entrée à l'église , on avait disposé avec un certain ordre tous les cranes, tous les tibias, tous les fémurs que l'on avait pu ramasser dans les cryptes ; ça ressemblait au déménagement d'un musée d'ostéologie mal entretenu ; deux fédérés montaient la garde en fumant gravement leur pipe à côté de ces «< cadavres, qui dénonçaient les crimes des jésuites . » Quelques commères revenant du marché s'arrêtaient, jetaient un coup d'œil et disaient : Sont- ils bêtes ! Les différents cimetières que j'ai indiqués étaient réservés aux catholiques ; avant la révocation de l'édit de Nantes, les protestants en possédaient un qui leur était officiellement consacré ; il était situé rue des Saints-Pères , sur l'emplacement occupé aujourd'hui par l'École des ponts et chaussées ; mais après le 22 octobre 1685, rejetés hors du droit commun, ils du rent pourvoir à leur sépulture et cherchèrent dans Paris des lieux secrets, ignorés sinon inconnus, où ils pussent inhumer leurs morts ; les enterrements se fai saient la nuit ; on ne savait quelles précautions ima giner pour déjouer la surveillance ; il y allait de la vie ou tout au moins des galères à perpétuité. De deux rapports que j'ai sous les yeux, l'un daté du 17 mai 1694 et adressé à La Reynie, l'autre du 7 mai 1696 et transmis au procureur général, il résulte que l'on portait ces malheureux dans des jardins de VI. 11 162 LES CIMETIÈRES. propriétés particulières, dans des terrains vagues, où l'on pouvait. On recommande à la police , à la prévôté de Paris, aux juges du Châtelet, d'être attentifs à ré primer de tels scandales . Les plus grands personnages se mêlèrent de ce genre d'espionnage, et Monsieur, « frère du roy, » dénonce à Louis XIV « qu'il vit , il y a quelque temps , passer dans la rue Saint- Honoré pendant la nuit un chariot couvert de blanc, dans lequel on prétend qu'estoient les corps de ceux de la R. P. R. , lesquels on va enterrer dans un cimetière près du Roulle. » Une autre dénonciation apprend qu'on les inhume aussi dans un jardin près les Gobe lins. La Hollande, le Danemark, l'Angleterre réclamè rent diplomatiquement un lieu de sépulture pour les protestants de ces nations qui mouraient à Paris . On accorda 276 toises, dont 31 occupées par les bâti ments, rue de la Voirie , dans le haut du faubourg Saint-Martin. Pendant le dix-huitième siècle on était plus tolérant, et les protestants régnicoles purent être inhumés auprès des protestants étrangers ; mais une certaine crainte ou le besoin de mystère naturel à l'homme şubsistait encore, car les réformés avaient un champ de sépulture secret au port au Plâtre, qui est devenu le quai de la Râpée . C'était un chantier dont l'emplacement est délimité aujourd'hui par le quai de la Râpée, la rue de Bercy, la rue Traversière et la LES CHARNIERS. 163 rue Villiot . Ce cimetière semble avoir été réservé de préférence aux personnages importants et riches du protestantisme installés ou tolérés à Paris . Parmi les noms de ceux qui furent conduits au port au Plâtre, il s'en trouve qui ne sont ni oubliés ni éteints de La Boulaye, Soubeyran, de Brissac, Say, Delessert, Mal let, Perrégaux, Necker, de Witt , Thelusson, Tron chin, de La Baumelle. Toutes ces distinctions entre communions hostiles n'ont heureusement plus aucune raison d'être aujour d'hui ; les catholiques et les protestants, saint Pierre et saint Paul, dorment fraternellement côte à côte dans les mêmes enclos . Aussi tous les petits cimetiè res, dispersés autrefois , cachés dans des jardins, dans des chantiers, dans des bosquets perdus au milieu des parcs , ont-ils disparu . Tous ? non. Il en existe en core un. Celui- là du moins n'a jamais reçu aucun protestant, car il appartient à la race exclusive qui, se considérant comme le peuple spécial de Dieu , ne fraye pas avec les autres religions et conserve imper turbablement ses usages au milieu des nations étran gères ; il appartient aux israélites , a été fondé en 1780, et renferme une quinzaine de tombes. En le cherchant bien, on pourrait le découvrir du côté de La Villette. - Ces cimetières israélites , protestants , catholiques, n'ont point laissé trace dans les souvenirs de la popu 164 LES CIMETIÈRES. - lation parisienne ; un seul est resté légendaire et mé ritait de l'être : c'est le cimetière, le charnier, - des Innocents . Longtemps il fut lieu de sépulture ho norable : c'était quelque chose pour une famille bour geoise d'avoir ses ancêtres aux Saints- Innocents ; puis il devint la fosse commune, le pourrissoir, comme l'on disait, où vingt-deux paroisses, où l'Hôtel- Dieu , où la basse geôle du Châtelet versaient leurs morts. Il fut, pendant des siècles , au milieu même de la cité, dans l'endroit le plus peuplé, le plus fréquenté, un foyer d'infection toujours entretenu , toujours ali menté, et auquel on doit plus d'une des « pestes >> qui ont ravagé la ville . Dans l'origine , il appartenait à ce vaste terrain nommé les Champeaux, sur lequel on a construit les halles, et qui s'étendait jusqu'où finissent aujourd'hui les rues Croix et Neuve- des-Petits-Champs. Une tradi tion prétend qu'on y enterrait déjà à l'époque de l'oc cupation romaine ; le fait n'a rien d'improbable, car les Champeaux étaient traversés par la route qui al lait de Lutèce vers les provinces du Nord . Ce fut Phi lippe-Auguste qui en 1186 le fit enclore de murs ; auparavant c'était un lieu vague, chacun y passait, et , à certains jours de l'année , on y vendait des chevaux . Une église dédiée aux saints Innocents fut édifiée , et peu après on éleva autour du cimetière des arcades supportant des greniers, des galetas, c'était le mot, -- ――― LES CHARNIERS, 165 qui servirent de charnier, c'est- à-dire d'ossuaire . On tenait à honneur d'augmenter et d'embellir le ci metière parisien par excellence ; c'était là œuvre pie qui appelait l'indulgence de Dieu . Nicolas Flamel y fit construire deux arcades, l'une en 1389 , l'autre en 1404. ― Guillebert de Metz, qui visita Paris sous Charles VI, dit : << Illec sont painctures notables de la danse ma cabre et aultres, avec escriptures pour esmouvoir les gens à dévotion . » Par le Journal d'un Bourgeois de Paris , on sait exactement à quelle époque furent faites ces compositions à la fois naïves et terribles, dont il restait trace encore à la fin du dix-septième siècle commencées en août 1424 , elles furent termi nées pendant le carême de l'année suivante. Il y avait là une logette où l'on emmurait certains coupables , qui n'avaient plus pour subsister que l'aumône des passants ; la porte, solide et armée de fer , s'ouvrait à deux clefs, dont l'une était gardée par le marguillier de l'église des Saints-Innocents , et l'autre déposée au greffe du parlement ; c'est là qu'en 1485 fut enfer mée à toujours Renée de Vendomois , qui avait assas siné son mari. Les caveaux de l'église étaient si pleins de cadavres que, dès le seizième siècle , il n'était pas rare de voir des cercueils rangés le long des murs et attendant qu'on eût trouvé place pour les caser ; dans le cime 166 LES CIMETIÈRES. tière s'élevaient quelques sépultures particulières ; mais le mode d'inhumation pour les simples particu liers était atroce on creusait de grandes fosses dans lesquelles on enfouissait pêle-mêle, les uns par- dessus les autres, 1,200 et parfois 1,500 corps . Lorsque le terrain était comblé, ce qui arrivait souvent, on dé terrait les plus anciens morts et on jetait leurs osse ments dans les galetas qui surmontaient les arcades. La moyenne des inhumations était , dit-on , de 2,000 par an. L'espace était fort restreint ; tout l'emplacement, y compris l'église , - enfermé par la rue de la Lin gerie, la rue Saint-Denis, la rue de la Ferronnerie et la rue aux Fers, contenait 1,700 toises carrées . Le typhus régnait en permanence dans les maisons voi sines appuyées contre les murs mêmes du cimetière , qui, enveloppé de toutes parts de hautes construc tions, ressemblait à un vaste puits dont le fonds n'était en quelque sorte que de la pourriture humaine. Dès 1554 on s'émut de ce danger permanent. Deux très savants médecins de l'époque, Fernel et Houillier, furent chargés d'étudier la question et d'en faire un rapport. Ils conclurent à la suppression immédiate et ne furent point écoutés . Le temps passe, le péril aug mente, les habitants voisins poussent des cris de dé - La contenance exacte du cimetière était de 7,160 mètres carrés ; celle de l'église, 1,798 mètres : total , 8,958 mètres carrés. LES CHARNIERS. 167 tresse ; l'Académie des sciences délègue en 1737 trois de ses membres, Lemery, Geoffroy, Hunauld ; leurs conclusions sont conformes à celles de Fernel et ont le même sort. Il faut dire pour expliquer, sinon excuser de tels ménagements envers ce lieu de putridité, que le peuple de Paris aimait son cimetière : on lui donnait là le spectacle de belles processions, avec encens et psal modies, à certains jours de fêtes carillonnées ; il y venait volontiers , non pour évoquer les âmes des aïeux, mais pour faire sa prière en l'église des Saints Innocents, populaire entre toutes, pour admirer les monuments funéraires, les chapelles d'Orgemont, de Villeroy, de Pommereux, la tombe Morin, le squelette d'albâtre¹ , qu'il attribuait faussement à Germain Pilon , l'ancien prêchoir, où pendant la ligue on débita de si belles harangues, la croix des Bureaux, la croix Gla tine, la statue du Christ , que l'on nommait le Dieu de la Cité, et la tour de Notre-Dame des Bois, où chaque soir on allumait une veilleuse qui servait de fanal à ce champ des morts. On y faisait le commerce ; dans les galeries, les marchandes de modes et de lingerie vendaient leurs chiffons ; contre les piliers des arcades, sous les gre niers qui pliaient au poids des ossements, les écrivains 1 Actuellement au Louvre, dans les salles des sculptures de la re naissance . 168 LES CIMETIÈRES. publics avaient installé leurs tables et fournissaient de la littérature épistolaire à prix fixe . En effet , les MM. de Villiers , qui visitèrent les charniers en janvier 1657 , disent « Si c'est du haut stile, la lettre vaut 10, 12 ou 20 sols ; si c'est du bas stile , elle n'est que de 5 ou 6 sols . » La foule y circulait sans cesse ; c'était un lieu de promenade, une sorte de contrefaçon des fa meuses galeries du Palais . La nuit , les filles vagues le fréquentaient, comme les larves de l'amour vénal ' . Tous les Parisiens s'étaient fourré une singulière idée dans la tête ils étaient persuadés, sur la foi d'une légende ridicule, que la terre du cimetière des In nocents avait la propriété de dévorer les corps en vingt- quatre heures. C'était une croyance enraci née contre laquelle rien ne pouvait prévaloir. Les MM. de Villiers rapportent cette tradition , et ils ajou tent naïvement : « mais nous n'en avons pas veu l'effet . » Voyant que l'autorité civile restait désarmée et que l'église, à laquelle tous les lieux de sépulture ont ap partenu en France jusqu'à la loi du 15 mai 1791 , ne Voyez le manuscrit attribué à Sauval. Bibl . nat . , manuscrits fr.: 13,635. 2 Evelyn avait déjà signalé le fait en 1644 « De là, je suis allé faire un tour au cimetière des Innocents, où je passai pas mal de temps à ouïr les récits qu'on me fit de la rapidité avec laquelle ce terrain dévore les corps qu'on y enterre ; vingt- quatre heures suffisent, me disait-on. Voyage de Lister à Paris, supplément, p. 257. LES CHARNIERS. 169 voulait pas fermer ce cloaque pestilentiel, le parle ment intervint. Par un arrêt du 12 mars 1763 , il avait demandé aux paroisses de Paris , aux commis saires et aux officiers du Châtelet des mémoires con cernant le nombre des décès et les inconvénients des modes de sépulture en usage. Cette question fort dé licate, qui touchait à des habitudes invétérées et à des sentiments religieux très-respectables, fut appro fondie avec soin, et le parlement rendit le célèbre arrêt du 25 mai 1765. « La cour ordonne : 1° qu'au cunes inhumations ne seront plus faites à l'avenir dans les cimetières actuellement existants dans cette ville , sous aucun prétexte que ce puisse être ; ... 3° qu'aucunes sépultures ne seront faites à l'avenir ou accordées dans les églises ; ... 4° qu'il sera fait choix de sept à huit terrains différents, propres à recevoir et consommer les corps et situés hors de la ville '... >> L'arrêt portait que toutes ces prescriptions étaient exé cutoires à compter du 1er janvier 1766. C'était net et clair ; s'empressa-t- on d'obéir? Nullement ; les sépul tures dans les églises ne furent point interrompues , et l'on continua à « fossoyer » aux Innocents comme par le passé. Au commencement de 1780 , le cimetière durait toujours, et peut-être durerait-il encore, si un acci 1 Voir Pièces justificatives, nº 4. 170 LES CIMETIÈRES. dent n'était venu épouvanter tout le monde et con vaincre les plus récalcitrants . La terre, bourrée de corps sur une profondeur de 26 pieds, ne les contenait plus ; elle avait beau se soulever , chercher des points d'appui contre les piliers des arcades, s'exhausser de telle sorte qu'il fallait descendre pour entrer dans l'église , où l'on pénétrait jadis de plain- pied , elle était gorgée et vomissait sa putréfaction . Au mois de février 1780 , un habitant de la rue de la Lingerie, ouvrant sa cave, fut repoussé par une odeur tellement insupportable qu'il se sauva et alla cher cher ses voisins . On revint en nombre, on s'enhardit, on se mit sous le nez des mouchoirs imbibés de vi naigre, et l'on se trouva en présence d'un spectacle horrible. La terre, gonflée par des pluies récentes , avait fait ce que l'on nomme une poussée contre les murs mitoyens ; elle y avait ouvert une large brèche par où s'était effondré un éboulement de cadavres . La police essaya de tenir l'aventure cachée ; il fut inter dit aux journaux d'en parler ; mais garder un secret dans le quartier des Halles n'est point chose facile, et tout Paris sut bientôt à quoi s'en tenir sur l'état de son cimetière favori . Ce fut un cri qu'il fallut bien entendre cette fois ; l'autorité civile se montra très ferme et adopta une décision péremptoire ; elle y mit cependant le temps de la réflexion , car cet enclos consacré à la peste, comme disait Voltaire, ne fut LES CHARNIERS. 171 définivement fermé et pour toujours que le 1er dé cembre 1780¹. Ce n'était pas tout de l'avoir interdit , il fallait le supprimer, et ce fut seulement au commencement de 1786 que l'archevêque accorda son autorisation . On ne l'avait pas attendue ; de Crosne, récemment nommé lieutenant général de police, avait voulu payer sa bienvenue au peuple de Paris en lui donnant un marché aux légumes, qui manquait, et , avec un dis cernement où l'on peut trouver quelque habileté po litique, il avait choisi l'emplacement du cimetière des Innocents. Mais il fallait l'approprier à sa nouvelle destination, abattre l'église, enlever les monuments funéraires, jeter bas les cent soixante- cinq arcades et les charniers qu'elles supportaient , déplacer les osse ments, enlever les terres pourries et fouir le sol assez profondément pour éviter tout danger futur. Il s'a dressa à la Société royale de médecine , qui délégua une commission où se trouvent les noms de Vicq d'Azyr et de Fourcroy, et dont Thouret fut le rappor teur. Celui-ci fut chargé de surveiller et au besoin de diriger l'opération . On ne perdit pas de temps la commission, nommée en octobre 1785 , était à l'œuvre dès le mois de décembre. Il y eut trois périodes de travail : de décembre 1785 1 Il convient d'ajouter que le cimetière était entouré d'un ruisseau profond où les riverains jetaient leurs immodices. 172 LES CIMETIÈRES. à mai 1786 , de décembre 1786 à février 1787 , et d'août à octobre de la même année. Les escouades d'ouvriers se relayaient, car on était à la besogne jour et nuit . Cependant il avait fallu trouver une nouvelle sépulture pour les ossements qu'on allait exhumer. On imagina de créer ce que l'on nomma alors un cime tière souterrain ; on utilisa pour cet objet les longues galeries où jadis on exploitait la pierre et d'où sont sorties la plupart des constructions du vieux Paris. Une sorte d'entrée fut préparée à la Tombe-Issoire ; cette nouvelle nécropole fut consacrée par le clergé dans la journée du 7 avril 1786 ; ce sont les cata combes. C'est là que l'on transporta tout ce que l'on ramassa alors aux Innocents ; les prêtres accompa gnaient les chariots funéraires, qui partaient ordinai rement du quartier des Halles vers la fin du jour et arrivaient, la nuit tombée, à l'emplacement indiqué. Le rapport de Thouret nous dit dans une phrase un peu prétentieuse comment on procédait pour installer les morts dans la demeure qu'on leur avait choisie au milieu de nos anciennes carrières. « L'aspect de ce lieu souterrain , ses voûtes épaisses qui semblent le séparer du séjour des vivants, le recueillement des as sistants , la sombre clarté du lieu , son silence pro fond, l'épouvantable fracas des ossements précipités et roulant avec un bruit que répétaient au loin les voûtes, tout retraçait dans ce moment l'image de la mort et LES CHARNIERS. 173 semblait offrir aux yeux l'emblème de la destruc tion . » Cela signifie que l'on versait les ossements comme l'on verse un chargement de sable en faisant basculer le tombereau. L'emplacement du vieux cimetière nettoyé, pavé, orné de la fontaine de Pierre Lescot et de Jean Goujon, devint le marché aux légumes que nous avons connu. Les ouvriers qui travaillèrent sous la direction de Thouret n'ont pas enlevé, tant s'en faut , tous les dé bris humains que la terre recélait. Diverses construc tions faites en 1808 , en 1809 , en 1811 , sur le marché nécessitèrent des fouilles qui amenèrent la découverte d'une quantité considérable d'os dénudés ; en 1830 , pendant la révolution de juillet , il y eut aux Halles un combat assez meurtrier. Le peuple, mû par la tradi tion des anciens jours et voulant inhumer les morts, creusa les terrains voisins de la fontaine ; au premier coup de pioche , des fragments de squelette apparurent ; lorsque , au début du second empire, on reconstruisit sur un nouveau modèle les pavillons des Halles, on retrouva des ossements ; on peut fouiller encore , on en extraira toujours . Six siècles consécutifs de sépulture laissent des traces qui ne disparaissent pas facilement. La suppression du cimetière des Innocents fit naître un projet qui ne reçut pas son exécution , mais qui mérite de n'être point passé sous silence , car nous l'avons vu reparaître de nos jours . Un architecte du 174 LES CIMETIÈRES. comte d'Artois, nommé Labrière, proposa d'établir un champ de sépulture unique pour Paris ; son mé moire, adressé à Calonne, fixe par cela même la date entre 1783 et 1787 ; 90 arpens, pris entre La Villette et Aubervilliers, auraient été convertis en nécropole ; on y eût construit un temple pour les tombeaux des rois, une galerie pour ceux des princes du sang et des principaux seigneurs du royaume, une enceinte ré servée aux hommes illustres ; on y eût trouvé en outre six pyramides, deux mille chapelles pour des conces sions à perpétuité, treize fosses publiques et un ter rain << en forme de champs élysées » où l'on aurait pu faire élever des tombes « pittoresques » . Labrière offrait aussi d'édifier auprès de ce cimetière « un chartrier considérable , voûté, bâti en pierre de taille et en briques, précédé de trois portes de fer de dis tance en distance pour empêcher que le feu , quelque terrible qu'il pût être, n'y pénétrât jamais . » C'est dans cette construction incombustible que l'on eût réuni les papiers de famille et les actes de l'état civil : singulière prévision , que les incendies du mois de mai 1871 ont justifiée. Le projet de Labrière fut re poussé, et , quand bien même il eût été adopté , la chute de la royauté l'aurait mis à néant¹ . La Révolution en dépossédant l'Église lui enleva les ¹ Mémoire sur la nécessité de mettre les sépultures hors de la ville de Paris, par le sieur Labrière, architecte de Monseigneur le comte LES CHARNIERS. 175 cimetières, dont la propriété fut transférée à l'auto rité municipale. Les cimetières, considérés comme biens du clergé, furent décrétés bien nationaux et mis en vente ; mais la loi du 15 mai 1791 prend à cet égard des précautions indiquées par les plus simples notions d'hygiène et, avec une expression brutale, elle dit « les cimetières ne pourront être mis dans le commerce qu'après dix années à compter des der nières inhumations . >> On arrivait pourtant à cette heure de fièvre chaude où la guillotine, en permanence sur nos places pu bliques, allait exiger pour elle seule la création de cimetières supplémentaires , dont un , devenu pro priété individuelle, reçoit encore les corps de certaines familles . Les exécutions avaient lieu à l'est et à l'ouest de la ville . La Commune, prévoyante et voulant éviter un trop long trajet aux suppliciés, fit ouvrir deux ci metières, l'un , au levant, près de la place du Trône (renversé) , hors des murs, derrière les jardins de l'an cienne maison des dames chanoinesses de Picpus ; l'autre , au couchant, près de la place de la Concorde, qui était devenue la place de la Révolution , dans un grand terrain dépendant de l'ancienne paroisse de la Madeleine et servant de potager aux religieuses béné dictines de la Ville- l'Évêque. d'Artois . S. L. N. D. Brochure de huit pages et deux planches gravées. -- 176 LES CIMETIÈRES. Le cimetière de Picpus n'est point fermé ; il est situé au bout du jardin des dames de l'Adoration per pétuelle ; c'est là que fut enterré le général Lafayette. Ce terrain a été acheté par des familles qui ont désiré être réunies à ceux de leurs parents que la révo lution avait inhumés là après les avoir mis à mort ' . La partie du cimetière de la Madeleine où l'on a cru retrouver les restes de Louis XVI et de Marie-Antoi nette est recouverte par la chapelle expiatoire entourée d'un square ; des constructions occupent les terrains qui, prenant façade sur la rue de la Ville- l'Évêque, longeaient toute la rue de l'Arcade, et étaient séparés de la rue d'Anjou par une suite de maisons non in terrompue. On a dit que l'on avait été obligé d'aban donner ce cimetière parce qu'il était gorgé de morts. C'est inexact ; la place n'y manquait pas ; mais il était fort mal situé, au milieu d'un quartier peu peuplé, mais riche ; il était en outre « le sujet des diatribes des aristocrates et des contre-révolutionnaires » ; on . résolut de le déplacer. On fit choix d'une sorte de désert qui , s'appuyant contre les murs mêmes de la Folie- Chartres, c'est- à dire du parc Monceau, était bordé par le mur d'en ceinte, la rue de Valois et la rue du Rocher, qui à cet 1 Voyez, dans Anne-Paule-Dominique de Noailles, marquise de Montaigu, in-8°, Rouen, Péron, 1859, le chapitre intitulé l' OEuvre de Picpus, p. 208 et seq. C'est l'histoire de la création de ce cimetière. LES CHARNIERS. 177 . endroit s'appelait la rue des Errancis. Ce fut le cime tière de Mousseaux, comme l'on disait administrative ment ; mais pour tout le peuple de la Petite Pologne le vieux mot avait persisté , et ce fut toujours le cime tière des Errancis . Il dominait et pouvait regarder la voirie établie au bas de la butte , sur les lieux où la place Delaborde s'étale actuellement . Il dut être <« inau guré » en juillet 1793, car le corps de Charlotte Cor day fut un des premiers que l'on y transporta . Il reçut toutes les fournées de thermidor : ces durs hommes de la montagne y furent rejoints plus tard par Bourbotte, Romme, Goujon, Duquesnoy, Duroy et Soubrany. Le cimetière a été promptement clos et mis hors d'usage ; avant le 18 brumaire on n'y enterrait plus, et l'existence en semblait ignorée . J'y ai connu un cabaret à musique ; on y buvait, on y dansait, on y chantait. L'annexion de la banlieue a fait disparaître ce « petit Tivoli » . Le boulevard Malesherbes, le prolongement de la rue Miroménil, ont morcelé l'ancien cimetière ; les ossements trouvés , -ils furent nombreux, — ont été versés aux cata combes. Ce qui en reste aujourd'hui est clos de murs, et quelques joueurs de boule s'y réunissent pour viser le cochonnet. Picpus, la Madeleine et les Errancis fu rent donc les trois dépôts de la guillotine . Dans certains cas de mort naturelle frappant des prisonniers importants, on avait recours aux anciens VI. 12 178 LES CIMETIÈRES. cimetières de paroisse . Le 10 juin 1795, à la nuit tombante, le corps de Louis XVII fut conduit et in humé au vieux cimetière Sainte-Marguerite Saint Antoine. Aux premiers jours de la Restauration , on bouleversa le terrain sans pouvoir découvrir le corps ; celui- ci , déterré furtivement par suite d'ordres supé rieurs , dans la nuit qui suivit l'inhumation, avait été transporté à Sainte- Catherine. L'état dans lequel on retrouva le sol où l'on chercha les restes de Louis XVI à la Madeleine, fait supposer que, là aussi , le ca davre avait été enlevé ou tout au moins changé de place. Deux cimetières, - ou peu s'en faut, suffisaient à tout Paris ; l'un, que l'on nommait indifféremment le cimetière de l'Ouest ou de Vaugirard, occupait extra muros l'espace compris entre les barrières de Vaugi rard et de Sèvres, non loin de la barrière de la Voi rie , qui fut plus tard la barrière des Fourneaux ; La Harpe y fut inhumé en 1805. Après avoir servi d'os suaire, comme je l'ai dit, et avoir reçu momentané ment les ossements mis à découvert par les fouilles de la voie publique, il a été coupé en partie par le prolongement de l'ancien boulevard extérieur ; ce qui en subsiste fait actuellement office de dépôt pour les pavés de la ville . ― L'autre cimetière a une double histoire qui se mêle et se confond si bien , qu'il est parfois difficile de la LES CHARNIERS. 179 débrouiller ; plus d'un écrivain s'y est laissé prendre. Il avait un renom assez sinistre dans la population parisienne, car longtemps on y porta le corps des sup pliciés . L'Hôtel- Dieu et l'hôpital de la Trinité possé daient dans le faubourg Saint-Marcel un terrain com posé de deux lopins achetés l'un le 16 mars 1672, devant Mes Saint-Jean et Leroi , notaires, l'autre le 3 juin de la même année par l'entremise de Mes Pillaut et Lemaire. Cet enclos s'appelait Clamart et prenait ce nom de l'hôtel de Crouy-Clamart, qui avait subsisté auprès de la maison Scipion jusqu'en 1646. Ce terrain était situé sur la ruelle de la Muette, qui servait de point de jonction à la rue Poliveau et à la rue du Fer à-Moulin. La Trinité , dont le cimetière particulier était trop étroit, l'Hôtel - Dieu , qui renonçait à déposer ses morts aux Innocents, ouvrirent là une sorte de ci metière supplémentaire vers le milieu du dix-huitième siècle. La petite nécropole était déjà presque comblée aux premiers jours de la Révolution, et c'est tout au plus si l'on y trouva place pour les victimes des mas sacres de septembre. A la fin de 1793, le cimetière fut définitivement fermé. Cependant tous les histo riens jusqu'en 1814 parlent du cimetière Clamart. Confusion facile à comprendre et facile à expliquer. L'hôpital Sainte-Catherine avait, le 31 mai 1783 , acheté trois jardins contigus à Clamart, dont ils n'é taient séparés que par un mur, pour y créer un ci ―――――――- 180 LES CIMETIÈRES. metière, qui fut bénit le 2 octobre de la même année par le curé de Saint-Gervais . Lorsque Clamart fut fermé, Sainte- Catherine continua à rester ouvert . Le peuple n'y regarda pas de si près, le nom auquel on était habitué se substitua naturellement à un nom plus nouveau , et pour tout le monde le cimetière Sainte-Catherine fut le cimetière Clamart . C'est à Sainte-Catherine que Mirabeau entra en sortant du Panthéon ; enfoui à deux mètres de profondeur, son cercueil y est encore, et l'on pourra le reconnaître à la plaque de cuivre rouge sur laquelle sont inscrits les noms et titres du grand tribun ; c'est à Sainte-Ca therine que les suppliciés de nivôse furent inhumés ; une grille de fer placée dans la fosse même, autour de leurs corps , permettra de les retrouver ; Bichat y fut porté en 1802 ; le 16 novembre 1845 , on l'en retira pour le conduire au Père-Lachaise ; le 5 avril 1804, on y plaça le général Pichegru , dont les restes , ex humés en 1861 , reposent maintenant à Arbois. Clamart a complétement disparu aujourd'hui sous les vastes constructions de l'École d'anatomie de l'As sistance publique ; un réservoir a été élevé sur le tu mulus qui couvrait les massacrés de septembre. Le cimetière Sainte-Catherine, coupé par le boulevard Saint-Marcel, garde encore quelques tombes qui pen chent et s'effritent à l'ombre des sureaux et de quel ques cyprès survivants d'un autre âge. Bientôt sans LES CHARNIERS. 181 doute il sera envahi par une école communale qu'il faut agrandir. Ce ne fut qu'aux premières années du dix- neuvième siècle que Paris fut doté d'un système de nécropoles digne de la capitale d'un grand pays , système qui parut très-ample dans le principe et qui est devenu absolument insuffisant aujourd'hui. Le véritable créa teur des cimetières parisiens fut Frochot. Lorsqu'il arriva à la préfecture de la Seine, tout était à faire en cette matière , car ce qui existait était un objet d'horreur et de dégoût. Dès le 2 ventôse an IX ( 12 mars 1801 ) , il arrête que « trois grands enclos de sépulture seront établis hors de la ville de Paris : le premier au nord, le second à l'est , le troisième au sud . » Des fonds nécessaires aux acquisitions furent votés dans la session du conseil général de l'an X, et la loi du 17 floréal an XI ( 7 mai 1803) autorisa l'a chat de jardins situés près du boulevard d'Aulnay et que l'on nommait le Mont- Louis . Le décret impérial du 25 prairial an XII ( 12 juin 1804) , qui règle la matière et qui a encore force de loi aujourd'hui, épousait et complétait libéralement les idées de Frochot : il renouvelait l'interdiction de faire des sépultures dans les églises, les hospices et les hôpi taux ; il décidait qu'à l'avenir tout cimetière serait placé hors de l'enceinte des villes , et il mettait à la disposition de Paris quatre cimetières : deux anciens , 182 LES CIMETIÈRES. celui du Sud-Est, Sainte- Catherine , celui de l'Ouest , Vaugirard ; et deux nouveaux , celui du Nord , Mont martre , celui de l'Est, le Père-Lachaise ou Mont Louis. Sainte-Catherine et Vaugirard ont été remplacés par le cimetière du Sud, qui est Montparnasse ; celui-ci , Montmartre et le Père-Lachaise ont été pendant long temps les seuls champs des morts réservés à Paris ; mais au 1er janvier 1860 l'annexion de la banlieue a fait entrer quinze cimetières dans Paris ; de plus, les nécessités ont été si pressantes, qu'il a fallu en ouvrir deux nouveaux pour éviter un encombrement qui de venait un danger public ' . Paris est donc desservi par vingt nécropoles, auxquelles il faut ajouter Picpus et le cimetière spécial des hôpitaux, qui a gardé parmi la population parisienne son vieux nom de Champ des-Navets; j'ai eu occasion d'en parler dans une étude précédente ?! 1 Ces vingt cimetières sont : Est, Nord, Sud, Auteuil, Batignolles, Belleville , Bercy, Charonne, La Chapelle , Grenelle, Ivry (ancien) , Ivry (nouveau) , La Chapelle (Marcadet) , Montmartre (Calvaire) , Montmartre Saint-Ouen ( ancien) , Montmartre- Saint -Ouen (nouveau) , Montmartre Saint-Vincent, Passy, La Villette, Vaugirard. Voir chapitre xvi ; t. III , p. 389. ! LES INHUMATIONS. 185 --- - Erreur de Frochot. ― - Concessions temporaires. Juxtaposition. Cinq ans -- - - Concessions perpétuelles. - La tranchée gratuite. - Superposition . de repos. Les trois principaux cimetières. Mont- l'Évêque. L'épicier Regnault. Le bosquet De lille. L'œuvre du temps. Vanité. Inscriptions. La Lisette de Béranger. Ney. Les révolutions donnent le repos à - Le Père-Lachaise. Mont-Louis. - Lallemand. - - - - Un - La vieille jardinière. — certains morts. Héloïse et Abeilard. · La tombe de Rachel. - Une carte de visite . Matérialisme. Lesurques. Un rapport adminis tratif. Chappe. Fauteuil de bureau. Parmentier. Cimetière musulman. Le pays de l'égalité. Le cimetière Montmartre. - Entrée défectueuse. - Ferme-cabaret. Le ravin. Godefroy Cavaignac. tombeau politique. - La tranchée des fédérés. Le cimetière Montparnasse. - Fontis . - Les sergents de la Rochelle. Une tombe anonyme. Les gardiens. Rumeur. Le vampire. Ma chine infernale. Le sous-officier Bertrand. Monomanie. Guérison. -Les inhumations gratuites. — La foule. Aumôniers des dernières prières. Libres- penseurs. - Une leçon d'histoire. 5 pour 100.- Le visa des épitaphes. - Les épitaphes refusées. Curiosité du public. Un verset des lois de Manou. - - - Banalité. ― - --- 11. - LES INHUMATIONS, - -- - - - - - ― - - - - - - - - - - - ― - ――― - - - - - ― La ville de Paris est propriétaire des terrains con sacrés aux sépultures ; elle les vend , les loue, les prête c'est ce qui constitue les concessions perpé tuelles , les concessions temporaires, les inhumations gratuites. Moyennant une somme déterminée , elle aliène à toujours un certain nombre de mètres à ceux qui veulent creuser un caveau , élever un monument et donner aux choses de la mort un caractère de per pétuité que tout condamne, la fragilité de la postérité humaine aussi bien que la fragilité des sentiments humains. Ce fut là une erreur de Frochot, erreur qui 184 LES CIMETIERES. causera dans l'avenir de sérieux embarras à la muni cipalité parisienne , car le contrat survivra aux ayants droit certains terrains, immobilisés par le fait même de l'acte de vente , ne pourront jamais être repris et resteront sans cesse inutilisés, parce qu'ils contien dront la dépouille de familles éteintes depuis long temps. Une emphytéose de quatre-vingt- dix-neuf ans, renouvelable , suffisait amplement à tous les besoins et aurait permis à la ville de rentrer dans une propriété qui, un jour donné, peut devenir fort importante . Du reste, le nombre des concessions perpétuelles n'est pas élevé à Paris, car au 1er janvier 1874 il n'attei gnait que le chiffre de 67,216 , pour tous nos cime tières¹. Les concessions temporaires donnent droit d'occu per, pendant cinq ans, une fosse isolée de toute tombe voisine « de trois ou quatre décimètres sur les côtés, et de trois à cinq décimètres à la tête et aux pieds , » selon les termes du décret du 23 prairial an XII . Il est inutile d'en dire le nombre, qui varie incessamment, puisque la ville ressaisit les terrains à l'expiration du bail et les approprie à d'autres sépultures . Les morts se pressent tellement dans nos cimetières, que l'on n'a pas le temps d'attendre ; il faut se hâter de faire place aux survivants, qui, à chaque heure du jour, frap pent à la porte funèbre. 1 Voir Pièces justificatives, nº 5. LES INHUMATIONS. 185 pas Les inhumations gratuites ont lieu dans ce que l'on nommait jadis la fosse commune, et dans ce que l'on appelle aujourd'hui la tranchée gratuite ; ce n'est un simple euphémisme administratif comme on pour rait le croire, ce sont deux opérations absolument dif férentes. Autrefois l'insuffisance des terrains avait fait adopter une mesure dont tout avait à souffrir l'hy giène publique, qui était compromise, et le respect dû aux morts, que l'on mettait forcément en oubli. Les bières, entassées les unes par- dessus les autres et pressées côte à côte, formaient un vaste foyer d'infec tion que l'on recouvrait de 50 centimètres de terre environ ; cette promiscuité de cadavres révoltait tous. les cœurs, et les pauvres gens avaient quelque raison de dire : On nous traite comme des chiens que l'on jette à la voirie. Des achats de terrain successifs ont permis d'agrandir les cimetières, sinon de leur don ner l'ampleur indispensable, et l'on a pu alors procé der avec plus d'humanité. Un règlement du 14 décembre 1850 a déterminé le mode actuel des inhumations gratuites. Dans les lon gues tranchées ouvertes à 1,50 de profondeur, les cercueils sont placés à une distance de 20 centimètres les uns des autres, mesurés à la plus large saillie, c'est-à-dire aux épaules. Si chacun n'est pas absolu ment chez soi , comme dans le caveau des concessions perpétuelles ou dans la fosse des concessions tempo 186 LES CIMETIÈRES. raires, on est du moins à peu près isolé, et l'on peut être retrouvé avec certitude en cas d'exhumation ; l'on a au- dessus de sa dépouille une croix qui ne s'égare pas sur un autre, et le ci-git qu'on y inscrit n'est plus menteur comme au temps de la fosse commune. On comble la tranchée gratuite à mesure qu'elle reçoit sa sinistre pâture ; lorsqu'elle est pleine , on la laisse reposer pendant cinq ans au moins ; c'est le laps de temps que l'on juge nécessaire pour qu'un corps soit réduit à l'état inoffensif de squelette ; puis on la retourne, on l'ouvre de nouveau, on la creuse dans les dimensions réglementaires, et elle recommence à être ce que les Grecs appelaient sarcophage , la mangeuse de chairs . Les tranchées gratuites doivent être toujours prêtes, attendant la proie qui ne leur manque pas , car on a calculé que, sur 100 inhu mations, 10 ont lieu dans les concessions perpétuel les, 27 dans les concessions temporaires , et 63 dans ce que la tradition du peuple nomme encore la fosse ― commune. Paris a beau avoir de nouveaux cimetières à Ivry et à Saint-Ouen, il a beau s'être approprié ceux des communes qui jadis composaient sa banlieue, il croit toujours qu'il n'a que trois cimetières , l'Est , le Sud et le Nord ; ces termes administratifs lui sont peu fami liers , et souvent ils n'éveillent aucun écho dans sa pensée ; mais parlez-lui du Père-Lachaise, de Mont LES INHUMATIONS. 187 martre ou de Montparnasse, il saura tout de suite à quoi s'en tenir. Le Père-Lachaise surtout a grand re nom, et il est aussi populaire aujourd'hui que le cime tière des Innocents le fut jadis . Il domine notre ville, il a reçu nos grands hommes, il est ombragé par de vieux arbres magnifiques, il est un lieu de promenade et de pèlerinage ; Paris en est fier et le montre avec orgueil aux étrangers. Il n'a pas toujours eu l'ampleur qu'on lui voit au jourd'hui . Les premières acquisitions, faites par Fro chot en l'an XI, comprenaient 17 hectares et avaient coûté 160,000 francs ; les terrains , on le voit , étaient moins chers qu'à présent. A peine fut- il livré au pu blic, le 21 mars 1804, qu'on sentit la nécessité de le rendre plus vaste, et la contenance en fut portée à 26 hectares 50 ; des agrandissements faits en 1849 et en 1850 lui donnent actuellement une superficie de 45 hectares 95 ares 56 centiares. C'est le plus grand cimetière de Paris . L'origine en est intéressante. Toute cette colline, autrefois couverte de vignes et de cultures, était une propriété de l'évêché de Paris, et s'appelait le Mont- l'Évêque . Un épicier enrichi en acheta une partie et y fit construire en 1547 une mai son de plaisance admirablement située pour découvrir Paris, et que l'on nomma la Folie-Regnault ; une rue voisine en garde le souvenir. Les jésuites de la rue Saint-Antoine en firent l'acquisition en 1615, ety éta 1 188 LES CIMETIÈRES. blirent une « maison des champs » , où ils allaient faire retraite à certaines époques de l'année . On dit que, le 2 juillet 1652 , Louis XIV enfant assista d'une fenêtre de cette maison au combat dont Mademoiselle décida l'issue en faisant tirer le canon de la Bastille. La flatterie ne manqua pas une si belle occasion de s'affirmer, et de ce jour ce fut le Mont- Louis . En 1676 , le roi en fit don au père Lachaise , son confesseur ; la Folie-Regnault fut démolie, et remplacée par une maison qui subsista jusqu'en 1820 ; celle-ci était assez laide et composée de deux étages de style commun, surmontés d'un belvédère à trois fenêtres qui pre naient vue sur la ville. Elle occupait l'emplacement de la lourde chapelle centrale qui fut inaugurée en 1854¹ . Le nom du confesseur seul a subsisté, et Mont Louis n'est plus connu. La partic ancienne du cimetière , c'est-à-dire celle qui est antérieure aux agrandissements de 1849 et de 1850, est admirable. Il faut la voir au printemps, lorsque les arbres verdissants sont couverts d'oiseaux , que les primevères, les violettes, les ciguës , frisson nent aux premiers rayons du soleil ; c'est là une anti 1 « De la butte du Jardin (du Roi) , j'ai vu de l'autre côté de la ri vière, sur la pente d'une chaîne de collines , le palais ou la maison de campagne du père de Lachaise, confesseur du roi. Elle est dans une belle exposition au midi et bien boisée à droite et à gauche. C'est une demeure fort convenable pour un esprit contemplatif. » Voyage de Lister à Paris en 1698, p. 168 . Il LES INHUMATIONS. 189 thèse dont il est difficile de n'être pas frappé entre ces sépulcres recouvrant des êtres immobiles à tou jours et cette nature insouciante qui verse la vie à pleins flots . Il y a surtout une sorte d'allée courte et large, assez ignorée des curieux et qui forme le bos quet Delille, car dans cette ville des morts chaque bou levard, chaque rue, chaque ruelle, a son nom. Le tombeau du poëte aveugle , lézardé par l'âge, dévoré de mousses qui lui font des taches joyeuses, regarde la sépulture de Talma ; entre eux s'allonge une rangée de tombes timbrées de noms qui eurent leur minute de célébrité ; des buissons, des arbres, enveloppent d'une verdure mouvante cet «< endroit où l'on dort » ; nul bruit ; c'est à peine si le murmure de la grande ville pénètre jusqu'à ces demeures silencieuses ; cela est si calme, si doux, si profondément assoupi , que l'on pense involontairement au mot de Luther dans le cimetière de Worms : Invideo quia quiescunt ! « Je les envie, parce qu'ils reposent. »

Tout n'est point ainsi au Père-Lachaise le temps, qui sème les folles herbes, épaissit les feuillages, grandit les arbres, revêt les pierres de sa sombre patine, le temps seul fait les beaux cimetières ; il leur donne je ne sais quel recueillement mystérieux dont l'âme la plus sceptique est atteinte , et qui saisit le voyageur d'une émotion profonde dans les champs des morts de Constantinople et de Scutari . Mais, lorsqu'il ? 190 LES CIMETIÈRES. n'a pas fait son œuvre, le cimetière apparaît dans sa laideur et dans son insupportable vanité. La partie nouvelle du Père-Lachaise, où les tombes emphatiques affectent toutes sortes de formes préten tieuses et stériles, ressemble à une ville improvisée dont les habitants ne sont point encore arrivés . C'est déplaisant à voir . Il n'y a là que des pierres blan ches que des ouvriers sculptent en sifflotant ; tout est neuf, les monuments, les épitaphes, les grilles, les couronnes , les noms même que nul n'a en tendu prononcer ; on dirait les petits palais d'un peuple de parvenus. Éternité de l'amour de soi- même qui veut se prolonger au delà du néant. Qui est- ce qui fait le plus d'efforts pour échapper à l'oubli ? Est- ce la gloire ? Est-ce la noblesse ? Est-ce l'argent ? C'est l'argent. Trois monuments semblent au Père Lachaise vouloir écraser les autres à leur profit ; tous les trois recouvrent les dépouilles d'hommes qui ont fait fortune dans l'industrie . Les curieux les regardent et s'en vont ailleurs en quête de tombes plus humbles, mais qui sont restées populaires comme le nom de ceux qu'elles renferment. Il en est pour les moris comme pour les vivants, la célébrité les abandonne et toute popularité s'en éloigne . Qui s'occupe aujourd'hui de la tombe du jeune Lalle mand, tué le 3 juin 1820 dans une échauffourée de libéraux, comme l'on disait alors ? Ce fut un lieu de LES INIUMATIONS. 191 pèlerinage pendant bien des années ; les gardes du cimetière , les hommes de police , étaient sur les dents et suffisaient à peine à la surveillance ordonnée ; ils avaient beau ouvrir les yeux, ils ne parvenaient pas à empêcher les dévots à la politique d'opposition de tracer sur la pierre des inscriptions menaçantes. J'ai lu les rapports relatifs à cette affaire : les agents in téressés perdent la tête ; ils ne peuvent saisir les cou pables sur le fait, et chaque jour « on sape le trône et l'autel ». Les inscriptions, j'en conviens, n'étaient point positivement bienveillantes : « Nous te venge rons. Mort au tyran. Tout Bourbon doit finir comme Capet. » Et celle- ci , qui avait exaspéré le con servateur du cimetière , et dont je renonce à pénétrer le sens : « Puisque le Mexique est une terre fertile , il faut saigner les gendarmes. >>


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Le tombeau de Manuel, dont l'enterrement causa tant d'émotion au pouvoir, est visité encore avec quel que curiosité parce que Béranger y a été inhumé, non loin de Judith Lepère, sa Lisette, dont la pierre tumu laire fléchit déjà . On passe avec indifférence devant la statue du général Foy, on ne demande plus où est La Bédoyère, et si l'on rencontre un jardinet carré entouré d'une grille, planté de pensées et de violettes , sans qu'il y ait là un nom , un emblème, pour indi.. quer quel est celui qui dort sous celte terre anonyme, on ne se doute guère que l'on est devant la sépulture 192 LES CIMETIÈRES. de Michel Ney, duc d'Elchingen et prince de la Mos kova. Les passions qui poussaient les foules vers les cime tières se sont éteintes et ont été remplacées par d'au tres ; la politique n'est pas immuable ; elle change souvent d'objets et de principes . La chute d'un gouver nement donne le repos à bien des tombes depuis la révolution de Juillet on ne pense plus à Lallemand ; depuis la révolution de Février on ne pense plus à Godefroy Cavaignac ; depuis la révolution de Sep tembre on ne pense plus à Baudin . Un tombeau, un seul , attire toujours les curieux et les remplit d'émotion : c'est celui d'Héloïse et d'Abei lard ; la grande construction gothique, la prétendue statue des deux amants, le petit parterre très- bien entretenu par l'administration , sont entourés de gens réellement impressionnés, qui ouvrent de grands yeux, se racontent la légende et déposent des fleurs . Les jeunes mariés y viennent et les amants aussi : se tenant par la main, ils font serment de s'aimer toujours et la couronne qu'ils jettent au pied du mausolée est une oblation à ces deux victimes de l'amour sincère. Le tombeau est isolé du public par une grille sage précaution que l'on a été obligé de prendre, car la pierre était tailladée de noms inscrits au couteau . On sera peut-être forcé d'en faire autant pour la tombe de Rachel , qui est debout à l'entrée du cime 4 LES INHUMATIONS. 193 tière exclusif réservé aux israélites. C'est une sorte de monument rappelant l'entrée des spéos égyptiens ; les pieds-droits et le linteau de la porte, les parois exté rieures disparaissent littéralement sous les inscrip tions ; tous les admirateurs, tous les amoureux pos thumes de celle qui galvanisa un moment la tragédie française, sont venus et ont voulu laisser trace de leur passage ; ils se sont écrits, ils s'écrivent à la porte, comme l'on fait chez les malades. Bien plus, à travers les barreaux de fonte , j'ai aperçu au fond de la crypte un grand nombre de couronnes fraîchement déposées sur une sorte de tablette qui forme autel ; l'une de ces guirlandes, en verroterie noire et blanche, supportait une carte de visite cornée où j'ai lu le nom d'un homme connu dans le commerce parisien ! La croyance à l'immortalité de l'âme se matérialise singulière ment c'est le corps, la dépouille désagrégée, dispa rue, qui devient l'objet du culte réel ; déposer sa carte sur un tombeau, la corner pour bien indiquer que le visiteur est venu lui-même et n'a trouvé personne, c'est faire un acte étrange et passablement ridicule. Il est encore au cimetière de l'Est une tombe qui excite un vif intérêt c'est celle de la famille Lesur ques ; un garde-brigadier, auquel je faisais part de mon étonnement, m'a répondu un mot de haute por tée : «C'est à cause du Courrier de Lyon. » Le corps de Lesurques n'a jamais été exhumé de Sainte-Cathe VI. 13 194 LES CIMETIÈRES rine, où il a été porté ; mais le tombeau élevé par sa famille dans ce que l'on nomme le quartier de l'Oran gerie lui a été dédié : « A la mémoire de Joseph Le surques, victime de la plus déplorable des erreurs humaines 31 octobre 1796 ; sa veuve et ses en fants. » Sur le marbre blanc, bien des noms sont écrits au crayon ; ils furent si nombreux pendant un moment et accompagnés de phrases si étranges, que l'on s'en émut ; on agita la question de savoir si cette sorte d'épitaphe commémorative d'un fait très- dou loureux, mais que la justice n'a pas encore reconnu, ne constituait pas une attaque directe à la chose jugée. Un rapport sur ce fait fut demandé à un haut fonc tionnaire. Ce rapport, je le copie ; il est bref et d'une brutalité administrative singulière. « La loi répond elle-même à la question qui est posée. Ordonnance royale du 6 décembre 1845, titre III , article 6 : Au cune inscription ne pourra être placée sur les pierres tumulaires ou monuments funèbres sans avoir été préalablement soumise à l'approbation du maire. Code pénal, livre I , art . 14 : Les corps des suppliciés seront délivrés à leurs familles, si elles les réclament, à la charge par elles de les faire inhumer sans aucun appareil. - Il résulte de ces deux articles que l'in scription désignée ne peut subsister . » Elle subsiste cependant, et on a bien fait de ne point l'effacer, Si ―――――――― LES INHUMATIONS. 195 excellente que soit l'institution du jury, il est bon de lui rappeler parfois qu'elle peut n'être pas infaillible. Quelques tombeaux appartiennent à cette « archi tecture parlante » dont Ledoux fut l'apôtre fervent. Celui de Chappe est un amoncellement de rochers minuscules surmontés d'un télégraphe aérien ; une des ailes de celui- ci a été enlevée par un coup de vent ; il serait bon de la réparer, car l'inventeur des com munications à longue distance est un de nos grands hommes et nous devons prendre soin de sa sépulture. Une autre tombe « parlante » est celle d'un orateur de l'opposition qui eut du renom sous le règne de Louis Philippe; mais, à force de vouloir être expres sive, elle me paraît un tantinet ridicule : elle repré sente une tribune sur laquelle on a déposé une cou ronne d'immortelles ; le tout est en marbre blanc et ressemble à un fauteuil de bureau dont le « rond >>> s'est dérangé. En telle matière, comme en tant d'autres, le plus simple est encore le meilleur : une pierre inclinée , ou le tombeau de Scipion qui a servi de modèle à celui d'Eugène Delacroix . Le sépulcre de Parmentier est charmant, d'un style un peu grêle, mais très- fin ; je l'ai visité pendant une journée d'avril , tiède et lumineuse ; le printemps soulevait toute la nature, les bourgeons éclataient et les oiseaux étaient fous ; je suis resté longtemps à re garder une fourmilière qui s'était établie sous l'enta 196 LES CIMETIÈRES. blement et qui travaillait , abritée, sous la tombe de cet homme de bien ; mais puisque sur les parois funé raires on a sculpté des alambics , des seigles, des maïs, pourquoi n'a-t-on pas gravé le sphinx atropos, qui est un emblème de mort et qui a traversé les océans pour suivre la pomme de terre, dont il se nourrit ? Au Père-Lachaise, comme à tous les autres cime tières, les israélites ont un champ de sépulture, enclos de murailles, absolument isolé, précédé d'une salle où l'on fait les purifications prescrites et où tous les rites religieux peuvent être accomplis loin des yeux profanes. Mais c'est seulement au Père-Lachaise que l'on trouve un cimetière musulman. Sur la demande de l'ambassadeur de la Sublime-Porte, le préfet de la Seine prit un arrêté, en date du 29 novembre 1856 , qui fixait l'ouverture au 1er janvier 1857. Ce lieu est triste, envahi par les herbes , déshabité . Une prétendue mosquée, qui n'est qu'une chambre d'ablutions , quel ques stèles couronnées de turbans, rappellent seules que c'est un lieu funèbre. La pauvre reine d'Oude y repose sous ce climat froid qui l'a tuée ; sa tombe, d'énorme dimension , est un quadrilatère aplati formé de dalles juxtaposées ; mais dans les interstices la poussière s'est accumulée, les graines semées par le vent y ont pris racine, les herbes y poussent ; l'invin cible force de la végétation disjoint les pierres et dis loque ce vaste sépulcre LES INHUMATIONS. 197 Le Père-Lachaise est le cimetière favori de notre population ; il contient 29,371 concessions perpé tuelles , et du 21 mars 1804 jusqu'au 1er janvier 1874 il a reçu 688,477 corps ; malgré son renom aristo cratique, c'est le vrai pays de l'égalité ; la mort ne de mande pas le mot de passe, elle accueille tout le monde et donne à chacun sa place dans la nuit . Voilà, dans l'avenue centrale, le monument que l'on dresse aux généraux Lecomte et Clément Thomas ; plus loin , vers la droite, voici la tranchée où dorment 878 fé dérés ; soldats bleus ou rouges, héros du devoir ou fanatiques du pétrole, tous ont eu les six pieds de terre auxquels ils avaient droit. Qu'ils reposent en paix ! Le cimetière le plus important après le Père-La chaise est celui du Nord , Montmartre, qu'on a long temps appelé le Champ du repos. Il existait avant 1804 et fut utilisé par Frochot. Des agrandissements néces saires en ont augmenté la superficie en 1819, 1824, 1849, 1850 , et lui ont donné une contenance de 19 hectares 47 ares 82 centiares . L'entrée en est hi deuse, et il est impossible de comprendre que les dif férents administrateurs qui se sont succédé à la pré fecture de la Seine depuis soixante- dix ans n'aient pas donné un aspect convenable aux abords d'un cime tière où l'on compte 20,100 concessions perpétuelles et où, jusqu'au 1er janvier 1874, on a fait 382,937 inhumations. 198 LES CIMETIÈRES. Jadis, au temps où bruissaient les Porcherons, il y avait là une sorte de ferme doublée d'un cabaret ; les ouvriers venaient s'y amuser le dimanche ; on n'était pas difficile alors sur les constructions de plaisance : on buvait du lait dans une masure, on buvait du vin dans une autre. Ces deux baraques existent encore : l'une sert de loge au concierge , l'autre est le bureau du conservateur . Ces deux chaumières, qui dépare raient le dernier village des Abruzzes, sont à jeter bas et à remplacer immédiatement. Le prix des conces sions à perpétuité et des concessions temporaires est assez élevé pour que l'entrée d'un de nos grands ci metières , de celui qui dessert des arrondissements payant de très-lourdes contributions, ne ressemble past à une guinguette de joueurs de quilles. Autrefois, dès que l'on avait franchi la porte du cimetière, on trouvait à droite une sorte de précipice, semblable à un petit cratère éteint et rempli d'une végétation magnifique ; je me le rappelle très-nette ment, car je l'ai admiré maintes fois lorsque, tout en fant, j'allais visiter « mes pauvres morts », comme disent les Italiens . Des cyprès énormes montaient au dessus des mélèzes et des saules pâlissants ; les tombes renversées gisaient sur le sol avec des attitudes déses pérées ; des clématites, des aubépines, des chèvre feuilles, des rosiers qu'on n'avait jamais taillés s'al longcaient sur les pierres disjointes ; des ramiers • F' LES INHUMATIONS. 199 roucoulaient sur les branches, des lézards couraient à travers les racines. La nature avait repris possession de ce coin abandonné et en avait fait une sorte de bosquet vierge mêlé à des ruines. Une concession per pétuelle, dont on ne parvenait pas à retrouver le titu laire, empêchait que l'on ne comblât ce ravin magni fique. Le propriétaire fut malheureusement découvert en Amérique ; il autorisa l'exhumation qu'on lui de mandait, et la ville redevint maîtresse de ce lieu char mant. Vers 1839 ou 1840 , on déracina les arbres ; dans le trou on versa quelques charretées de gravois , et maintenant c'est un terrain attristé de tombeaux uniformément laids . Le cimetière est assez beau, froid d'aspect, coupé par de grandes allées ombreuses ; près de la croix , le tombeau de Godefroy Cavaignac montre l'admirable statue qui fut modelée par Rude et par Christophe ; l'eau des pluies s'accumule dans les plis de la dra perie en bronze, et les petits oiseaux y vont boire. Il y a là aussi, plus loin, au milieu d'un dédale de tom bes, une autre statue couchée et si élevée sur le pié destal qu'il est difficile de la voir. On l'a inaugurée en grande pompe, et elle a entendu plus d'un dis cours. C'est là un mauvais reste de nos haines et un appel à des sentiments néfastes. Si l'oubli du mal et cette fraternité dont on a volontiers le mot à la bouche doivent être prêchés, c'est sur les tombeaux. Les mo 200 LES CIMETIÈRES. numents expiatoires, les sépulcres commémoratifs ne sont bons qu'à raviver des souvenirs qu'il faut laisser éteindre . Ne savons-nous pas, du reste, que dans l'his toire le 18 fructidor donne la main au 18 brumaire et que le 15 mai précède le 2 Décembre? Dans nos temps troublés, quel est l'homme politique qui peut se glorifier de n'avoir jamais rêvé l'appel à la vio lence ? Le culte des morts n'est sacré qu'à la condition de rester abstrait¹ . Après la grande bataille de mai 1871, l'on a porté au cimetière du Nord 783 fédérés , qui ont été inhumés côte à côte, dans leurs vêtements sanglants, au fond d'une tranchée longue de près de 100 mètres. La folle avoine a poussé sur leurs corps et a nivelé le terrain ; mais un jour, une vieille femme vint qui se mit à ar racher les herbes, à préparer la terre et à planter quelques fleurs sur un coin de cette vaste fosse . Il semble qu'elle se soit donné une tâche à laquelle elle ne veut faillir. Chaque matin, elle arrive dès que les portes du cimetière sont ouvertes , et tout le jour elle est là, agenouillée, fouissant la terre avec ses mains et la rendant plus meuble ; elle apporte des plantes ↑ Le droit est un, la légalité est une ; ni l'un ni l'autre ne se dédou blent au gré des passions politiques ; si Alphonse Baudin est mort , le 3 décembre 1851 , en défendant la loi , que faisait- il donc, le 15 mai 1848, à la suite de Blanqui, mêlé aux bandes qui, violant l'Assemblée na tionale, en proclamaient la dissolution? Voir Compte rendu des séances de l'Assemblée nationale, t. I", p. 231 . LES INHUMATIONS. 201 dont quelques-unes sont rares et belles . Les gardes ne la dérangent jamais ; elle s'entend au jardinage et y met une vive ardeur. Dans peu de temps , si elle con tinue, elle aura changé ce terrain désolé en une plate bande ruisselante de fleurs . A-t-elle fait un vou? est elle payée pour cette rude besogne? Je me suis bien gardé de le demander. Le cimetière du Sud, Montparnasse, n'a été ouvert que le 25 juillet 1824 ; destiné d'abord aux hôpitaux , établi dans des terrains vagues que l'on nommait le Champ d'asile , il fut agrandi en 1846, et contient ac tuellement 18 hectares 44 ares 53 centiares . On com prend bien difficilement que l'on ait eu l'idée d'établir un cimetière dans un endroit pareil , précisément au dessus des catacombes. Ce terrain est une écumoire, il n'y a que des fontis : les arbres descendent tout seuls dans les carrières et parfois les tombes aussi ; quel ques-uns des monuments couvrant les 12,800 con cessions perpétuelles qu'il renferme ont exigé de sé rieux travaux pour s'appuyer sur des fondations so lides ' ; il n'en est pas moins très-peuplé, et, depuis l'inauguration , a reçu 422,506 cercueils . ▲ Il est absolument indispensable d'asseoir les cimetières sur des ter rains placés loin de toute excavation ; l'accident qui s'est produit récem ment au Père-Lachaise en est la preuve . Dans la nuit du 7 au 8 fé vrier 1874, la voûte du tunnel du chemin de fer de Ceinture s'est effondrée dans la partie qui passe sous le cimetière. Malgré le zèle extraordinaire que l'inspection générale des cimetières et l'administration du chemin 202 LES CIMETIÈRES C'est là que dort Dumont d'Urville, sous une sorte de colonne dont la forme étrange évoque le souvenir des cultes phéniciens . Au sommet d'un tertre , se dresse une colonnette brisée ; la pierre, engravée d'in scriptions, usée par les couteaux, laisse à peine lire des noms et une date : Bories, Goubin, Pommier, Raoulx, 21 septembre 1822. Ce sont les quatre sergents de La Rochelle , retrouvés après 1830 dans la partie du cimetière des hôpitaux réservée aux suppli ciés . On leur a élevé ce tombeau, qui paraît entretenu encore avec quelque soin. Sous un fouillis d'arbres, à côté de tombes nom breuses, on aperçoit une pierre, - une borne plate ; -pas un nom, pas une date, pas un mot. Dans la nuit du 24 août 1847, à une heure et demie du matin , on apporta un cadavre mystérieux , qui fut enterré là ; nul ne l'avait suivi , si ce n'est un des plus hauts person nages du temps . Un prêtre récita les prières , à la clarté douteuse des lanternes , et donna l'absoute à ce corps, dont les gardiens mêmes ignoraient le nom. On combla la fosse et l'on refoula la terre sur celui que l'on eût qualifié jadis de très-haut et très- puissant seigneur, mais qui n'était en réalité qu'un criminel vulgaire et maladroit le duc de Choiseul-Praslin . Cette tombe - de Ceinture ont déployé, dix-neuf corps ont disparu ; il faudra attendre pour les retrouver que les travaux de reconstruction du tunnel soient fort avancés. LES INHUMATIONS. 203 inspire grand'pitié ; elle est plus qu'abandonnée, elle est maudite, il n'y pousse même pas les vertes herbes que je vois sur les immenses tranchées où l'on a en foui 1,654 fédérés après la défaite de la Commune. Nos cimetières sont bien tranquilles et très-res pectés. Des gardiens, qui sont tous d'anciens militaires, s'y promènent jour et nuit, surveillent les promeneurs et savent bien voir. A peine, par- ci par- là, signale- t-on quelques vols de couronnes ; bien souvent celles- ci sont enlevées par de pauvres gens qui veulent honorer la tombe de leur enfant, de leur femme, et qui n'ont pas de quoi acheter ce que leur langage prétentieux ap pelle « un emblème de douleur ». Cependant, il y a vingt-six ans, tous les cimetières de Paris furent en rumeur, et les gardes armés faisaient des rondes noc turnes pour saisir un être insaisissable, que l'on n'a percevait jamais, et de l'existence duquel on ne pouvait douter, car son passage laissait des traces aussi épou vantables qu'extraordinaires . Des sépultures étaient violées et des cadavres étrangement lacérés gisaient au milieu des avenues. Des faits effroyables et que l'on ne peut raconter firent reculer d'horreur les gardes du cimetière du Sud, dans les matinées du 16 novembre et du 12 décembre 1848 . L'aventure n'avait pu rester secrète ; les bruits les plus invraisemblables se répandaient dans Paris ; la légende grossissait : les cimetières étaient visités par 204 LES CIMETIÈRES. un vampire invisible qui déterrait les morts et les mangeait. On avait beau redoubler de vigilance , ren forcer les gardiens par des agents de police, lâcher des chiens formidables ; les hommes n'apercevaient personne, les chiens n'aboyaient pas ; cependant, un matin, on trouva onze corps exhumés, dépecés, ré pandus par morceaux sur une large surface, et jusque parmi les branches des arbres . Ces monstruosités semblaient s'être concentrées dans le cimetière Mont parnasse. On y prépara une façon de machine infer nale composée d'un petit mortier chargé de toute sorte de projectiles et à la détente duquel aboutissaient de nombreux fils de fer, tendus vers plusieurs directions . Dans la nuit du 15 au 16 mars 1849 , la machine fit explosion, et l'on apprit que le lendemain un sergent major d'infanterie, nommé François Bertrand , était entré à l'hôpital du Val- de- Grâce pour se faire soigner de blessures singulières qu'il avait reçues dans la ré gion dorsale : c'était le vampire . Il eût dû répondre à un tribunal d'aliénistes, et il comparut devant un conseil de guerre, le 10 juillet 1849. C'était un fort bon sujet, très- doux, excellent soldat, ayant fait de suffisantes études dans un sémi naire. Loin d'essayer de nier, il avoua avec une fran chise et une humilité très- sincères. Lorsque « sa fré nésie -c'est son mot, le prenait, il s'échappait de la caserne, sautait d'un bond par-dessus les murs >>" ―――― LES INHUMATIONS. 205 du cimetière ; il savait qu'on avait installé une ma chine infernale ; il Ꭹ courait et « la démantibulait d'un coup de pied » ; les chiens s'élançaient vers lui , il marchait contre eux et les chiens se sauvaient. Il parvenait à cette inexplicable puissance surhumaine qui n'est pas très-rare dans certains cas d'affection nervoso-mentale. repos - Sa force dépassait tout ce qu'on peut imaginer : à l'aide de ses seules mains, il enlevait la terre qui re couvrait le cercueil , brisait celui-ci et déchirait le cada vre, qu'il hachait aussi quelquefois à coups de sabre. Était-ce tout ? Non ; mais il est des atrocités qu'il faut taire. Ce possédé se sauvait ensuite des lieux de qu'il avait souillés, puis se couchait n'importe où, dans un fossé, au bord d'une rivière , sous la neige, sous la pluie, -et pendant deux heures dormait d'un sommeil cataleptique qui lui permettait de percevoir tout ce qui se faisait autour de lui. A la suite de ces accès il se sentait « brisé et comme moulu pendant plusieurs jours ». C'était un monomane emporté par des impulsions irrésistibles et fort probablement at teint d'épilepsie larvée. Il fut condamné à un an d'em prisonnement, maximum de la peine édictée par l'ar ticle 360 du code pénal . Cet homme vit toujours ; il est guéri, et c'est un modèle de bonne conduite. - Ce n'était pas, on le pense bien , aux concessions perpétuelles qu'il s'adressait, car elles sont envelop 206 LES CIMETIÈRES. pées de monuments en pierre qu'il n'aurait pu des celler, malgré la vigueur morbide dont il était animé ; son aberration ne lui ôtait pas toute lucidité d'esprit , et il allait fouir les concessions temporaires ou les in humations gratuites . Celles- ci , en effet, sont couvertes par une terre si souvent remuée, qu'il est relative ment facile de les atteindre . Le lieu qui leur est ré servé est d'un aspect étrange ; les immenses terrains séparés par de petites barrières en bois , piqués de croix noires, disparaissent sous la masse des emblè mes funèbres qui les couvrent. Quoique nul bruit ne s'y agite, cela donne l'idée d'une foule énorme, dont tous les individus seraient enfermés dans un cachot cellulaire . Là on voit bien la puissance de la mort, et l'on comprend que sa force de production est incessante. On entend tinter une cloche, c'est le signal qu'un mort vient prendre possession de sa demeure ; le cor billard, longeant les avenues, s'approche le plus près possible du terrain désigné ; le corps est descendu , porté jusqu'au bord de la tranchée et remis aux fos soyeurs ; l'aumônier des dernières prières, dont l'in stitution démocratique et généreuse , remontant au 21 mars 1852 , est due à M. Berger, vient réciter les paroles consacrées et jeter l'eau bénite ; les assistants , le chapeau à la main, très-recueillis, s'associent à la cérémonie lugubre ; les femmes, qui depuis quelques LES INHUMATIONS. 207 années suivent les convois, surtout dans les classes po pulaires, restent à l'écart, pleurant et tenant quelques couronnes d'immortelles. La première pelletée de terre jetée par le prêtre retentit sur le cercueil sonore ; la fosse est comblée, et chacun s'éloigne. Le prêtre n'apparaît pas toujours aux inhumations ; et, pour éviter tout scandale, il est bien recommandé aux aumôniers des dernières prières de ne venir que s'ils sont appelés. Quelques-uns, mus par un zèle trop ardent, se sont trouvés en présence de « libres pen seurs », et des paroles regrettables ont été échan gées. On fait quelque bruit, depuis un an ou deux, autour de ces enterrements où la libre pensée s'affirme par un appel au néant . Ce mode de manifestation po litique n'aura d'autre importance que celle qu'on lui accordera il prendra fin tout naturellement si l'on n'y fait pas attention . Il ne date pas d'hier : déjà , à la fin du second empire, on faisait acte d'opposition au gouvernement en éloignant le prêtre des abords. d'une tombe ; déjà cela s'appelait « un enterrement civil » . On prononçait de violents discours, et comme bien souvent les assistants avaient fait au mort des libations intérieures, la parole trahissait la pensée des

orateurs . Au mois de septembre 1869, sur la tombe d'un libre. penseur, il a été donné la leçon d'histoire que voici : << Notre ami avait été capitaine de la garde nationale, 208 LES CIMETIÈRES. il refusa cépendant de dîner chez Louis-Philippe, car il eût été obligé de se courber devant un tyran ; cet acte si naturel à une âme généreuse le fit condamner à cinq ans d'exil et à la surveillance à vie . >> Les enter rements exclusivement civils sont actuellement dans la proportion de 4 à 5 pour 100 , ce qui ne semble pas excessif lorsque l'on se rappelle la propagande qui a été entreprise à cet égard . Quel emblème place-t-on sur la tombe d'un libre penseur pour la reconnaître ? Invariablement une croix . Bien souvent on voudrait se rattraper sur l'épitaphe et en faire une déclaration de principes ; mais cela n'est pas facile. L'ordonnance de 1843 est péremptoire : toute inscription est soumise au visa de l'autorité mu nicipale. Au premier abord cela paraît intempestif, et l'on doit croire que chacun a le droit d'honorer à sa guise la mémoire des morts. C'est là une opinion dont on revient promptement lorsque l'on a entre les mains a copie des épitaphes refusées. Il est impossible de se figurer un tel ramassis de niaiseries et de sottiscs . Je laisse de côté celles qui cachent un sens répréhensible au point de vue moral . A ne s'occuper que des phra ses qui donneraient à rire au public dans un lieu con sacré par le respect de tous, que doit-on penser de ccci : «< Ici repose le deuil de la couronne de Henri IV et le deuil de la couronne de Louis XVIII ; gloire au vieux soldat et au jeune ! » « C'était un LES INHUMATIONS. 209 ange sur la terre, qu'est- ce que ce sera dans le ciel ? >> - « Elle aurait donné pour son mari ce que le péli can donne à ses petits . » — « X, décédé à l'âge de trois mois ; sa vie ne fut qu'abnégation et sacrifice . »> C'est à l'infini que je pourrais multiplier de telles citations . De braves gens, mus par un sentiment sé rieux, ne se doutent pas qu'ils font une chose ridicule en voulant écrire sur la tombe d'un homme âgé de soixante-quatorze ans : « Le ciel compte un ange de plus ! » On a grand'peine à leur faire comprendre que leur intérêt même exige qu'on ne se moque pas de l'expression de leurs regrets ; ils regimbent, ils mau gréent, et accusent l'autorité de despotisme. Les épitaphes qui sont tant soit peu singulières ex citent une curiosité excessive . Dans un de nos trois grands cimetières , sur une tombe fort modeste, on a gravé une inscription qui relate un fait pathologique rare, mais non point sans exemple. Lorsque la foule envahit les cimetières au jour des Trépassés, on est obligé de placer des agents près de ce tombeau, parce qu'il est tellement entouré par les curieux, que les sé pultures mitoyennes ont à en souffrir ; on se presse , on s'entasse pour mieux voir, et, sans y prendre garde, on brise les grilles ou les clôtures voisines . Les inscriptions qu'on lit sur les dalles tumulaires sont bien peu variées ; elles sont le plus souvent d'une vulgarité désespérante . Il y a longtemps que l'on a VI. 14 21C LES CIMETIÈRES. dit : menteur comme une épitaphe. Regrets éternels, éloges de toute vertu , espérance de bientôt se rejoin dre on tourne toujours dans le même cercle de phra ses toutes faites et de sentimentalité banale. Chez les gens d'éducation médiocre, l'épitaphe n'est plus l'ex pression de regrets éprouvés ; elle semble n'être qu'un acte de politesse pour les survivants . On tâche de n'oublier personne, afin de ne point faire de mécon tents : « regretté de son père, de sa mère, de sa tante Ursule, de sa cousine Anna , des amis et de toutes les connaissances en général de sa famille . » On peut lire cela sur le tombeau d'un enfant, dans un des ci metières de notre ancienne banlieue. Cela semble de rigueur dans un certain monde et se renouvelle à cha que tombeau, surtout aux tranchées gratuites et aux concessions temporaires . Cette vieille rhétorique funé raire est bien entrée dans nos mœurs et elle y régnera longtemps encore. Un nom, une date, pourraient suf fire ; des hommes de génie s'en sont contentés, Cuvier entre autres. L'épitaphe remarquable est ce qu'il y a de plus rare ; parmi toutes celles que j'ai lues dans nos cime tières, laquelle pourrais-je citer? Celle de Boufflers peut-être « Mes amis, croyez que je dors. » Au temps de mes voyages, j'ai trouvé dans le champ des morts d'une ville de la Colé- Syrie le tombeau d'un homme qui était né sur les bords du Gange ; j'ai relevé l'in MERY-SUR- OISE. 211 scription qui se déroulait sur le cippe funéraire ; la voici « Soumise à la vieillesse et aux chagrins, affli gée par les maladies, en proie aux souffrances de toute nature, unie à la passion , destinée à périr, que cette demeure humaine soit abandonnée avec joie. » C'est un verset des lois de Manou. - - Les guin - - Saturation. Cimetière d'Ivry. Cailloux. Saint-Ouen. guettes. - A ta santé, Morbus ! > Paris n'a pas de cimetières. En contradiction avec la loi. Envahissement des avenues . -- 34 hec tares pour tout Paris. Ce qui serait nécessaire . — La saponification . — Méphitisme. La nappe d'eau. Sources sulfureuses. - La crémation. - Opposition de l'Église . d'éloigner les cimetières. Le projet de M. Haussmann. Suppression de la tranchée . — Trente ans. 514 hec tares. Le provisoire est ruineux. Il faut revenir au projet Hauss mann. Le trajet. - La difficulté . - Foule. Les visites dans les ci Le jour des Morts. Le point de vue. Casta Diva. — Les offrandes funèbres. Nécrolâtrie. Respect des vieilles traditions. Opposition et résistance . - - metières. Le jardinet. - IV. - - - MÉRY-SUR-OISE. - - - -- - - - - - - - - - - Nécessité - Tous les cimetières contenus dans l'enceinte de Paris sont actuellement fermés, c'est-à- dire que l'on n'y permet plus les inhumations que dans les conces sions perpétuelles ; les concessions temporaires et les tranchées gratuites sont closes ; les morts ont saturé la terre et la place manque pour en recevoir de nou veaux ; on n'en sera pas surpris en se rappelant que le Père-Lachaise, Montparnasse et Montmartre ont seuls reçu 1,495,920 morts depuis qu'on les a ou 212 LES CIMETIÈRES. verts. L'hygiène publique aussi bien que le respect dû aux trépassés ne s'accommode guère d'un tel entasse ment ; par cette accumulation de matières en décom position, nous avons jeté un défi à la peste ; c'est mi racle qu'elle n'y ait point répondu . Pour faire face à des exigences que chaque jour renouvelle et rend plus poignantes, la Ville a été obli gée d'établir deux nouveaux cimetières hors de Paris , l'un à Ivry , l'autre à Montmartre- Saint- Ouen. Le pre mier, situé en face de Bicêtre, qui le regarde du haut de sa laide colline, a été ouvert le 1er janvier 1874 ; il côtoie la route de Choisy, déjà bordée de petites mai sons où s'installent les marbriers, les fabricants de croix et les marchands de couronnes. Le pays qui l'en toure est désolé et sent fort mauvais ; des fabriques de colle animale, de chandelles, de poudrette, le domi nent aux quatre points cardinaux ; de quelque côté que souffle le vent, il est empesté.

Près de là verdoient les cyprès de l'ancien cimetière d'Ivry et se dressent les clôtures en planches qui en vironnent le Champ-des-Navets. Il a une étendue su perficielle qui atteint presque 14 hectares dans trois ans, il sera plein et il faudra le fermer. Au milieu bâille une vaste excavation , qui est une carrière ; on en tire des moellons pour construire l'enceinte, dont la solidité apparente n'a rien de rassurant. Le terrain sablonneux est propice aux inhumations, mais il est MERY-SUR- OISE. 215 mêlé de gros silex qui sonnent sinistrement sur les bières. Pourquoi M. le directeur des travaux de Paris , qui a charge d'aménager la surface des cimetières et d'y ordonner les plantations, ne fait-il pas enlever ces cailloux ? Il pourrait s'en servir avantageusement pour réparer le macadam de nos grandes voies publiques, qui en tant d'endroits est singulièrement défectueux . Le cimetière de Saint-Ouen, que les gens du mé tier ont surnommé Cayenne, est un peu plus grand qu'Ivry 14 hectares 1/2 ; il fonctionne depuis le 1er septembre 1872 et l'on calcule qu'il pourra durer encore trois ans. Il est, lui aussi , placé à côté d'un vieux cimetière devenu insuffisant ; on y arrive par la route départementale n° 20, qui prend naissance à la porte de Clignancourt. Tout ce large chemin est em barrassé des deux côtés par des constructions en bois , en pisé, en feuilles de zinc provenant des démolitions , embryon d'un village qui se fonde : cabarets, guin guettes, tonnelles, jeux de boules , jeux de siam, jeux de quilles, balançoires ; c'est d'une gaieté étourdis sante ; les gens qui se rassemblent là sont bien vivants et ne se dérangent guère lorsque passent les cor billards ; peut-être, en temps d'épidémie, feraient- ils comme ces ouvriers dont parle Chateaubriand et qui, en 1832, assis aux barrières, regardant défiler les convois, levaient leurs verres pleins et s'écriaient : « Ata santé, Morbus! >> 214 LES CIMETIÈRES. Un peu plus haut que ces masures à ivresse , le ci metière étale ses tombes nouvelles ; elles se pressent , elles dévorent l'emplacement, et bientôt il faudra laisser reposer la terre . Saint- Ouen, Ivry, les 28 hec tares qu'ils représentent , ce n'est que de l'empirisme qui coûte fort cher, ne remédie à rien et ne touche même pas au problème. En réalité, Paris n'a pas de cimetière ; ceux où il a versé ses morts depuis soixante ans, épuisés à cette heure, ne sont plus qu'une cause d'insalubrité. On a acheté les terrains d'Ivry et de Saint- Ouen pour inhumer les corps , ceci n'est point douteux, mais surtout pour gagner du temps, pouvoir raisonner à loisir sur un parti à prendre et qui aurait dû être pris depuis plusieurs années, car le péril ne date pas d'aujourd'hui . Il faut d'abord faire remarquer que, d'après le décret de prairial , il est rigoureusement interdit d'établir un cimetière dans l'intérieur des villes ; or Paris en renferme actuellement quatorze ¹ ; je sais que la loi d'annexion a réservé la question , mais tout com mande de la résoudre au plus tôt. La totalité de la superficie des champs de sépulture réservés exclusi vement à Paris est d'un peu moins de 140 hectares. Dans cette étendue , l'on a donné aux tombes tout l'es pace qu'on pouvait leur accorder ; on a même été 1 Quatorze cimetières intérieurs, rix extérieurs. MERY- SUR- OISE. 215 forcé de ne plus tenir compte des règlements et d'er vahir les avenues . En effet, pendant la période d'in vestissement, la mortalité s'est accrue dans des propor tions que nous avons fait connaître ; il n'était pas pos sible alors d'aller chercher un nouvel asile pour les morts au delà des fortifications ; faute de mieux, on a pris les allées dans plus d'un cimetière, les sépul tures se sont étendues jusque sur les chemins. En retirant de ces 140 hectares ce qui est occupé par les bâtiments d'administration , les routes indis pensables, les concessions perpétuelles , les concessions temporaires , les tranchées gratuites qu'on ne peut rouvrir sans danger, on s'aperçoit avec stupeur que l'on reste en présence d'une superficie disponible équivalant à 34 hectares 1/2 . Or, pour satisfaire aux besoins normaux de Paris pendant sept ans et en ad mettant qu'aucune cause fortuite ne vienne modifier la moyenne de notre mortalité ordinaire, si l'on veut supprimer l'insupportable fosse commune et accorder une durée double aux concessions temporaires, il faut 143 hectares au moins ; mais en réalité il en faudrait 170, car on doit toujours se mettre en mesure de parer à des éventualités possibles, et encore n'aurait- on aucun emplacement réservé les concessions per pétuelles, dont les exigences représentent un hectare par année. Il nous manque donc quatre fois ce que nous avons. Si l'on n'avise pas, il sera nécessaire de pour 216 LES CIMETIÈRES. , rendre aux sépultures banales des terrains saturés outre mesure et qui , si cela continue, rappelleront le pourrissoir des Innocents. On demande à la terre un travail qu'elle ne peut produire on veut que les tranchées gratuites, où 20 centimètres seulement séparent les bières , dé vorent une énorme masse de corps en cinq ans. Cela est normal pour la première période ; pour la seconde , c'est déjà difficile ; à la troisième, c'est impossible : la terre, repue de matières animales, refuse de faire son œuvre. Lorsqu'une fosse commune est retournée pour la troisième fois , on est presque certain d'y retrouver les corps entiers : « Ils se sont saponifiés, » disent les savants. « Ils ont tourné au gras, » disent les fos soyeurs. En 1851 , on fit des fouilles dans la partie. du cimetière du Sud abandonnée aux hôpitaux ; les fosses, qui avaient sept mètres de profondeur, renfer maient des corps superposés ; les cadavres des couches supérieures étaient des squelettes, ceux des couches inférieures étaient conservés : Thouret avait constaté le même fait lors de la translation des restes recueillis aux Innocents. ― ――― Le vent passant sur ces terres imprégnées de gaz méphitiques ne nous apporte pas précisément la santé. Rien n'est plus redoutable que les exhalaisons qui parfois s'échappent des tombeaux. Le 27 septembre 1852, trois fossoyeurs faisant une exhumation et 1 MERY-SUR-OISE. 217 ――――― n'ayant, selon l'usage invariable des ouvriers, pris aucune précaution , crèvent d'un coup de pioche un caveau voisin et tombent morts foudroyés. Si l'air que nous respirons nous arrive chargé de miasmes impurs, que dirai -je de la nappe d'eau souter raine qui alimente bien des puits encore et se mêle à la Seine ? La pluie qui tombe sur la surface des cimetières pénètre le sol, rencontre les corps , aide à leur désa grégation , se charge de molécules innommables, glisse sur les couches d'argile ou de marne et va empoison ner les puits. Bien plus, parfois elle se fraye une route invisible et aboutit subitement au jour. C'est une source. On y goûte ; elle a une saveur singulière qui rappelle le soufre ; si on l'analyse, on y rencontre le sulfure de calcium, invariablement produit par la décomposition des matières organiques. Il y en a plus de dix actuellement à Paris qui proviennent tout sim plement de l'écoulement des eaux pluviales filtrées à travers les cimetières . Une de ces sources est exploitée ; j'en ai le prospectus sous les yeux : « Eau sulfhydratée , hydrosulfurique calcaire . » Elle guérit toute sorte de maladies ; à deux sous le verre, on peut aller boire cette putréfaction liquide : c'est pour rien. Le moyen le plus simple de remédier à tous ces inconvénients, à l'entassement irrespectueux des corps, à l'air vicié, à l'eau putride, ce serait de retourner aux usages des Romains de l'antiquité et d'élever des 218 LES CIMETIÈRES. bûchers au lieu de creuser des fosses. On a entrepris une longue campagne en faveur de la crémation , elle a échoué devant l'indifférence publique et la résistance de beaucoup de fonctionnaires . On a fait des tenta tives individuelles qui n'ont point été heureuses. Le 31 mai 1857 , une personne demanda l'autorisation d'exhumer le corps de son père mort depuis neuf ans et de l'incinérer ; il lui fut répondu que la loi de prairial s'opposait à ce que l'on condescendît à son désir. L'idée est dans l'air cependant ; elle finira par se formuler d'une façon pratique. L'Autriche, dit- on , ne refuse pas d'y accéder . Il ne s'agit pas d'imposer la crémation, il suffira de la laisser facultative . L'Église s'y oppose et ne s'appuie cependant sur aucun décret ecclésiastique . Nul texte en effet n'interdit l'incinéra tion des corps, qui concorde au contraire avec le : et in pulverem reverteris des Livres saints . Elle obéit sans doute à la tradition de ses propres origines . Les premiers chrétiens furent des Juifs convertis par les apôtres et des Grecs convertis par saint Paul. Or les Grecs ne brûlaient les cadavres qu'en temps de peste ou après les batailles , et la vallée de Josaphat nous prouve que les Hébreux enterraient leurs morts. L'Église a respecté et consacré par l'usage les cou tumes de ses premiers enfants, coutumes auxquelles ceux-ci devaient d'autant plus tenir qu'elles étaient en 1IT MERY-SUR- OISE. 219 contradiction avec celles des Romains, qui les ont si durement persécutés ; et puis saint Paul a dit que nos corps sont les membres de Jésus- Christ et les temples saints de l'Esprit de Dieu . Cela fait comprendre l'oppo sition de l'Église, comme les nécessités des investiga tions pour faits criminels expliquent celle de la magis trature . Ce serait cependant un mode de disparaître supérieur à celui qui nous est imposé . Il vaut mieux s'en aller en fumée, devenir un peu de cendres , que de se désagréger lentement, de se vaporiser, de se saponifier et de finir par être cette chose sans nom que la science elle- même ne sait comment désigner. Puisque l'incinération est interdite, et que nos ci metières gorgés, trop étroits , mal situés , en contradic tion flagrante avec la loi , sont devenus insuffisants , il faut courir au plus pressé et se débarrasser de nos morts, qui vont devenir un danger public, si l'on ne se hâte pas de leur créer l'ample nécropole dont nous avons besoin. Si, au commencement du siècle, des moyens de transport et de locomotion imparfaits ont contraint l'administration municipale à ouvrir les cimetières à la porte même de Paris, il n'en est plus ainsi actuellement un chemin de fer fait dix lieues pendant qu'un corbillard franchit la distance qui sé pare la Madeleine de Saint-Ouen . En outre, Paris n'a pas de territoire ; il ne possède que lui- même ; les terrains qui l'entourent sont, pour la plupart, couverts "F 220 LES CIMETIÈRES. de maisons de campagne et ont une valeur excessive C'est donc au loin et à l'aide d'un railway qu'il faut aller chercher notre cimetière futur. Cette idée a déjà été émise ; elle a fait du bruit en son temps ; M. Haussmann avait voulu la mettre à exécution , mais les modifications survenues dans le gouvernement l'empêchèrent de suivre son projet jus qu'au bout, et les administrateurs qui ont passé à la préfecture de la Seine ont été empêchés de le repren dre par suite des circonstances douloureuses que l'on sait . La résistance soulevée par la translation de nos cimetières fut excessive. Sur cette question, où il est si facile de faire de la sentimentalité, on cria au sacri lége, et, sous prétexte de respecter les morts, on s'inquiéta fort peu du salut des vivants . L'opposition saisit l'occasion avec empressement , et beaucoup de provinciaux dont les parents étaient inhumés dans les départements déclarèrent solennellement qu'en tou chant au Père-Lachaise, à Montparnasse, à Mont martre, on allait violer la sépulture de leurs fa milles¹. L'ancien préfet de la Seine avait conçu un projet 1 Bien des brochures ont été écrites à ce sujet ; une seule mérite d'ê tre citée, car elle résume habilement et fait valoir toutes les objections élevées contre le projet de M. Haussmann ; elle est due à un esprit de bonne trempe dont je regrette de ne pouvoir partager les opinions en cette circonstance. Voir La déportation des morts par Victor Fournel ; Paris, 1870 ; extrait du Correspondant du 10 et du 25 avril 1869. 1 MERY- SUR-OISE. 221 grandiose. Il voulait doter Paris d'un champ de sépul ture très-ample, placé parmi des terres sablonneuses propres au rapide anéantissement des corps , et exposé au vent du nord, qui est celui dont nous recevons le moins les atteintes ; la ville aurait été reliée à sa né cropole par un chemin de fer spécial qui , pour ne point déranger les habitudes de notre population , aurait eu trois gares, une dans chacun de nos trois grands cimetières. La tranchée gratuite, la fosse com mune, - cette horreur du pauvre, - était supprimée à jamais. Au lieu de ces inhumations dont 20 centi mètres de terre ne dissimulent qu'imparfaitement l'humiliante promiscuité, il donnait à chacun sa sé pulture individuelle, isolée, semblable à celles que l'on trouve aujourd'hui dans les concessions tempo raires, et il ne la reprenait qu'au bout de trente ans. Pour bien des gens, c'était la perpétuité . Il vendait aux gens riches, à beaux deniers comptants, autant de mètres de terrain qu'ils en auraient voulu pour dresser des mausolées, mais aux pauvres il accordait gratuitement la place fixe , déterminée, nominative, qui constitue l'authenticité du tombeau . Vraiment un tel projet ne méritait pas tant d'anathèmes . Après des études approfondies et très-sérieusement conduites par un ingénieur tel que M. Belgrand, il fit des acqui sitions près de la vallée de Montmorency, au territoire de Méry-sur-Oise, et la ville possède actuellement sur 222 LES CIMETIÈRES. ce plateau exceptionnellement bien situé 514 hectares de terrain . La mort sans répit nous pousse à prendre une dé termination définitive . Le provisoire actuel est rui neux on a acheté des champs à Ivry, des champs à Saint-Ouen, on sait quand ils seront saturés ; en pré vision de nécessités inéluctables , dans la crainte que le projet de la grande nécropole centrale de Méry-sur Oise ne soit abandonné, on a fait des études sur diffé rents points pour y établir encore des cimetières tran sitoires. Ce serait aggraver le mal au lieu de le dé truire, ce serait reculer la solution d'un problème qui s'impose comme un devoir aux soucis de l'administra tion. I1 y aurait une généreuse hardiesse à exécuter le plan de M. Haussmann , et à doter notre futur cime tière d'une ampleur suffisante aux besoins d'une po pulation qui tend toujours à s'accroître , et qui dépas sera trois millions d'habitants lorsque les espaces vides subsistants entre nos anciens boulevards exté rieurs et les fortifications seront bâtis . De travaux exécutés par des géomètres, de calculs faits par des gens compétents, il résulte que, pour ne point léguer à l'avenir les difficultés qui nous assaillent , la nécro pole unique d'une ville comme Paris doit couvrir 827 hectares, dont 277 absorbés par les construc tions administratives et religieuses, par les avenues , MERY- SUR- OISE. 223 par la gare d'arrivée , et 550 réservés aux sépul tures. En se conformant au projet original et en ne faisant les reprises des terrains employés qu'au bout de trente années, la durée du cimetière serait de cent quarante et un ans ; elle serait au contraire de quatre siècles si les tombes étaient rouvertes au bout de dix ans . Pour parvenir à ce résultat, qui fonderait une ville des morts en proportion avec notre ville des vivants , il manque 313 hectares ; il est facile de les acheter . Mais on ne saurait trop se hâter ; en se mettant à l'œuvre aujourd'hui même, il faudra au moins trois ans pour approprier les terrains de Méry-sur-Oise, y établir les bâtiments, les plantations indispensables, construire le chemin de fer, et nous savons que dans trois ans nos cimetières ne pourront recevoir un mort de plus. Le trajet de Paris à Méry-sur-Oise ne durera pas une heure, et l'administration aura à décider si elle fera elle - même son chemin de fer rigoureusement ré servé aux convois funèbres , ou si elle aura avantage à prendre des arrangements avec une compagnie déjà existante. On ira plus loin qu'aujourd'hui , mais les dé placements seront moins longs, et les « services » gra tuits seront gratuitement transportés . La population s'accoutumera à ce déplacement que la force des choses rend nécessaire ; le texte de la loi , la salubrité de 224 LES CIMETIÈRES. Paris , le respect des morts l'exigent ; toute autre me sure ne sera qu'un expédient. Cependant on se heurtera à une difficulté ; il est bon de la prévoir et d'aviser aux moyens de la vaincre . Comment transportera-t- on à 22 kilomètres de Paris et ramènera-t- on ici dans la même journée la foule qui visite pieusement nos cimetières ? Les diverses ad ministrations de nos voies ferrées nous ont souvent accoutumés à des tours de force, et nous ne devons pas douter qu'en cette circonstance elles ne satisfas sent à l'une des coutumes les plus respectables et les plus touchantes de notre population . Elle aime ses morts et va les voir ; si elle ne trouve pas toute facilité à cet égard, elle sera mécontente , et aura raison de l'être . On a fait des relevés très - instruc tifs . Du 1er au 7 décembre 1875, on a compté le nombre des convois et des individus qui sont entrés dans les cimetières parisiens : 752 convois escortés par 21,418 personnes en ont franchi les portes , et 46,617 visiteurs isolés sont venus près de la tombe de ceux qu'ils ont perdus . Les cinq premiers jours ont été brumeux ; le lundi cependant accuse 6,857 visi teurs ; le temps se met au beau le samedi, se main tient le dimanche, et ce dernier jour donne un total de 24,320 . Il faut compter qu'en moyenne le nombre des visiteurs quotidiens est de 8,964 en hiver et de 11,245 en été ; mais cette moyenne est dépassée dans d'énor MERY-SUR-OISE. 225 mes proportions à certaines époques solennelles : à la fête de la Toussaint, par exemple, et au jour des Tré passés, qui la suit . Dans la même année 1873 , il plut pendant ces deux journées, et le chiffre des personnes qui visitèrent les morts de nos cimetières a dépassé 370,000. Le danger d'un tel encombrement d'individus s'en tassant dans une gare à la même heure, voulant tous partir par le même train , a de quoi effrayer les em ployés les plus actifs ; ce danger ne se produira pas immédiatement, car le nombre des visiteurs est en rapport avec celui des morts enclos dans les cimetières, et Méry-sur-Oise ne « se peuplera » que lentement ; mais le meilleur moyen de n'être pas pris au dé pourvu en présence d'une telle foule possible, c'est de savoir dès à présent comment on pourra lui faire place dans les wagons , la conduire jusqu'à la nécropole et l'en ramener. Ce respect pour les morts, cette sorte de culte que l'on rend à leur mémoire, est un des caractères dis tinctifs du peuple de Paris : coutume léguée par l'an tiquité, croyance religieuse, souvenir de tendresse pour des êtres chéris ! Tout cela sans doute se réunit pour former ce sentiment qu'il est impossible de ne pas remarquer lorsque l'on parcourt nos cimetières, où les tombes délaissées sont si rares qu'on pourrait les compter. On dirait que la mort n'est pas comprise VI. 15 226 LES CIMETIÈRES et que nul ne veut admettre l'idée de l'anéantissement matériel. On veut plaire à un mort, comme l'on plai rait à un vivant. Cela apparaît surtout très- nettement dans les cime tières où il existe un point de vue, au Père- Lachaise par exemple, dont certaines parties découvrent la cein ture de collines qui entoure Paris . Là les sépultures, ornées de petites terrasses, sont disposées de telle sorte que, si le mort se levait tout à coup du fond de son tombeau, il verrait un paysage magnifique se dé rouler sous ses yeux . Ce n'est pas l'effet du hasard, et souvent l'architecte a été forcé à des combinaisons sin gulières pour donner au monument l'orientation vou lue. On place sur les tombes les fleurs que les morts ont aimées, comme si le parfum pouvait en descendre jusqu'à eux. Un jour, il y a longtemps, au cimetière Mont martre, j'ai été très-ému. A quelque distance d'une tombe que j'allais visiter, j'aperçus une jeune femme agenouillée , les deux mains posées sur une dalle sé pulcrale et la tête appuyée sur les mains. Elle chantait d'une voix très-pure et mouillée de larmes l'air de la Casta diva. Je m'arrêtai , croyant être en présence d'une folle et ne devinant guère ce qu'une invo cation à la lune signifiait en pareil lieu . La femine se releva , essuya ses paupières, m'aperçut et comprit sans doute mon étonnement à l'expression de mon vi ― ▬▬▬▬▬▬▬▬▬▬▬▬▬▬ MERY-SUR-OISE. 227 sage ; alors elle me montra d'un signe de tête la tom.be où elle s'était inclinée, me dit : « C'est maman ; elle aimait cet air-là , » et s'éloigna en sanglotant . Lorsque l'on visite les cimetières parisiens , on ne croirait pas être dans le pays où Montesquieu a écrit : « Je voudrais bannir les pompes funèbres ; il faut pleurer les hommes à leur naissance et non pas à leur mort. >> Les familles propriétaires de concessions à perpé tuité et même de concessions temporaires prennent << un abonnement » chez un marbrier qui, moyennant une somme fixe, fait «< entretenir » la sépulture par un jardinier. Les pauvres gens, ceux de la tranchée gratuite, qui ne peuvent se passer un tel luxe, soignent eux- mêmes les quelques pieds de terrain en touré d'une barrière où dorment leurs morts. Ils viennent le dimanche, apportant des fleurs achetées à bas prix, tenant en main un petit arrosoir rempli à la borne- fontaine, et ils restent des heures entières à cultiver le jardinet funèbre. Parfois, au pied de la croix de bois, ils mettent des choses étranges : des statuettes de plâtre qui n'ont au cune signification allégorique, de gros coquillages , des fragments de pierres meulières qui figurent un rocher factice ; dirai-je que j'ai vu une pipe envelop pée d'un bouquet d'immortelles ? C'est aux tombes des enfants qu'il faut surtout aller regarder. Là c'est ――― ―― 228 LES CIMETIÈRES. presque du fétichisme. Auprès du héros scandinave on enterrait son cheval et ses armes , afin qu'il pût faire bonne figure en entrant chez Odin ; dans le sar cophage des jeunes filles grecques on jetait leurs bijoux favoris ; ces vieilles coutumes des peuples encore jeu nes ont traversé les âges, les religions, les philoso phies, et sont restées parmi nous. A la place où repose la tête du pauvre petit, on a installé une cage vitrée qui se ferme à clef. Dans cette sorte d'armoire, on réunit les joujoux qu'il aimait : des soldats de plomb, des poupées, des bilboquets, un jeu de quilles, des petits souliers comme celui que la Sachette baisait dans le trou aux rats . Sur la tombe d'un enfant de quatorze mois au cimetière du Sud, j'ai aperçu une gravure de modes représentant deux fem mes et une fillette jouant avec un perroquel. Sans doute on en amusait l'enfant lorsque la maladie l'ac cablait dans son berceau. Il est facile de lever les épaules en passant devant ces témoignages de douleur , devant ces offrandes destinées à apaiser des mânes ou à les réjouir, mais il est plus facile encore de com prendre le sentiment profond qui parfois a si étran gement orné toutes ces tombes, et d'en être attendri. C'est là une contradiction très- singulière chez la population parisienne. S'il est au monde un peuple sceptique et irrespectueux, certes c'est celui-là . Il a toujours peur de croire que « ça est arrivé » ; c'est MERY-SUR-OISE. 229 son mot. Il n'a que du dédain pour toutes les gloires , de l'ironie pour toutes les supériorités, un mépris hautain et peu justifié pour tout ce qui n'est pas lui. Il ne tient ni à la vie ni aux vivants. Il est indifférent à son passé, qu'il ne connaît guère, et se soucie peu de son avenir, qu'il ne prévoit pas . Ses amours d'hier sont ses haines d'aujourd'hui. Les mains qui ont jeté Marat à la voirie étaient celles qui l'avaient porté au Panthéon ; il est mobile comme le vent et perfide comme la mer ; il est violent à ses heures, ingrat, in fidèle, mais il est immuable en ceci : il regarde les cimetières comme des lieux sacrés, il révère ses morts et leur rend un culte qui ressemble bien à de l'idolâ trie ¹ . 1 Depuis que ce chapitre est écrit, une détermination et une initiative importantes ont été prises par le conseil municipal de Paris ; il faut es pérer que la question des cimetières est résolue et que celle de l'inci nération des corps est posée. Voici , du reste , le texte de la délibération , en date du 14 août 1874. « Le Conseil, vu..... délibère : Art. 1º . Il y a lieu d'établir sur le plateau de Méry-sur-Oise un cimetière parisien, d'une contenance approximative de 800 hectares, qui sera relié à Paris par un chemin de fer spécial. Art. 2. M. le Préfet de la Seine est autorisé à provoquer un décret déclarant d'utilité publique la création du cimetière de Méry, et à poursuivre l'achat des parcelles restant à acquérir pour la régularisation du périmètre du dit cimetière , soit à l'a miable, soit par voie d'expropriation pour cause d'utilité publique, con formément à la loi du 3 mai 1841. · Art. 3. M. le Préfet est invité à étudier et à présenter au conseil municipal , dans le plus bref délai pos sible, les projets de délibération par lesquels le conseil statuera sur : 1⚫ le chemin de fer dont il a été ci- dessus parlé et les questions acces soires ; 2° l'établissement de plusieurs gares mortuaires destinées à - 250 LES CIMETIÈRES. 1 mettre en communication les divers points de Paris avec le chemin de fer de Méry ; 3° les conditions et les prix du transport des convois mortuaires et des personnes se rendant au cimetière de Méry ; 4° l'ap propriation immédiate au service des inhumations d'une partie de la con tenance sus indiquée du dit cimetière ; 5° le régime des inhumations sur la base de la suppression de la tranchée commune. Art. 4. M. le Préfet de la Seine est invité à prendre les mesures nécessaires pour ou vrir un concours dont la durée sera de six mois, dans le but de recher cher le meilleur procédé pratique d'incinération des corps ou tout au tre système conduisant à un résultat analogue. Le conseil municipal déterminera ultérieurement les conditions et le programme du dit concours, à la suite duquel il y aura lieu de solliciter des pouvoirs publics une loi autorisant l'usage facultatif de la crémation dans la ville de Paris. - - -- LES ORGANES ACCESSOIRES Les recettes. Le rêve de Renouvellement du public. - De plus - Les besoins intellectuels. 58 théâtres. Mercier. « C'est beaucoup, dit Martin. Les pièces à femmes. Les figurantes. Les spectateurs. fort en plus fort. Mystères, moralités, soties. — L'Opéra. minant. L'art matériel. Le vaisseau à trois ponts. Les machinistes. Les frises.. Les décors. Les pompiers. L'envers du théâtre. Commisération. - Importance sociale . La décoration de Sémiramis et le sénat de Catilina. Les subventions. La mission de l'Opéra. Comment il la comprend. Les progrès du théâtre.- Le Triomphe de l'Amour et la Galerie du Palais. - La scène déblayée. Causes d'incendie. -- Le maquillage. - La danseuse. -- - La loge de la limonade. Le principe d'autorité. La censure. Après les révo lutions. Aristophane. Sous la Terreur. - Napoléon 1er et les petits théâtres. Les efforts de la censure. Le mauvais goût ne date pas d'aujourd'hui. La maison de Molière. La liberté des théâtres. Les mœurs et le théâtre . — Cercle vicieux . - Les Toilettes tapageuses et la crinoline. Les théâtres ne sont que des exploitations théâtrales. - ― - ― - - - - CHAPITRE XXXIV - 1. LES THÉATRES, - - - - - - - - ― - -


- - - - - - - - -- Point cul · Les dessous. - - En dehors des organes principaux qui font mouvoir notre grande ville, il en est d'autres d'une importance moindre qui concourent plutôt à l'agrément qu'aux 232 LES ORGANES ACCESSOIRES. nécessités de l'existence et dont un peuple pourrait au besoin se passer sans voir ses destinées compromises. S'il est inutile d'en raconter le fonctionnement avec détail , on doit du moins les indiquer sommairement, car ils appartiennent aux habitudes de Paris. L'ardeur intellectuelle, la curiosité du plaisir sont impérieuses, et il faut les satisfaire. Une nombreuse agglomération d'hommes ne vit pas seulement de sécurité et de salu brité ; elle a droit à bien des choses encore qu'elle produit elle-même, qu'elle perfectionne, qu'elle fait entrer dans ses mœurs ; elle affirme ainsi la hauteur du niveau qu'elle marque à l'étiage de l'huma nité. On peut dire, sans exagérer, que plus un peuple a de besoins, plus il est civilisé , car la civilisation est la résultante de l'intelligence et des exigences de tous. Se figure-t-on Paris sans théâtres, sans bibliothèques, sans journaux ? Il deviendrait promptement semblable à ces villes endormies qui végètent sur les bords des fleuves de l'Orient, et où les esprits les plus vifs n'ont d'autres distractions que la pipe d'opium chargée de rêves énervants. Malgré les efforts des autorités tuté laires déléguées aux soins généraux, que serait Paris s'il n'avait aussi des surveillants auxiliaires chargés de neutraliser les effets de ses imprudences et de mettre de l'ordre jusque dans ses plaisirs ? Les admi nistrations publiques, les institutions particulières , LES THEATRES. 233 les individualités donnent vie à ces organes accessoires, dont nous allons essayer de parler. Paris est incontestablement la ville du monde qui possède le plus de théâtres : quarante et une salles de spectacle, dont les recettes se sont, en 1873 , élevées à la somme de 16,168,719 fr . 85 c . ' , sont ouvertes chaque soir au public, et dix-sept autres, situées dans des quartiers voisins des fortifications, donnent une ou deux représentations par semaine. Il y en a pour tous les goûts ; à lire les affiches dont les murs sont tapissés, on sait où aller pour rire, pour pleurer, pour entendre de la musique, pour voir danser, pour ap plaudir des chevaux savants, pour regarder des filles égrillardes qui n'ont d'autre talent que leur demi nudité, pour écouter des couplets grivois , pour avoir trop chaud, pour être mal assis, pour s'abêtir : co médies, opéras, opéras comiques, ballets, vaudevilles, farces , bouffonneries , parodies , féeries , inepties , drames, mélodrames, turlupinades , inconvenances, tours de force, voltiges, opérettes, rien n'y manque. Mercier, dans son Rêve de l'an 2440 , demande quatre théâtres pour le Paris futur qu'il entrevoit ; que dirait-il s'il revenait ? Sauf quelques rares excep tions, les pièces se succèdent et s'évanouissent au feu des rampes, sans laisser grand souvenir dans la mé Voir pour la question du droit des pauvres, chap . xix , l'Assistance publique ; t . IV, p. 103 et suiv. 234 LES ORGANES ACCESSOIRES. moire. Voltaire a dit un mot que l'on peut répéter aujourd'hui « Combien avez- vous de pièces de théâ tre en France ? dit Candide à l'abbé, lequel répondit : Cinq ou six mille. C'est beaucoup, dit Candide ; combien y en a-t-il de bonnes ? Quinze ou seize, répliqua l'autre. C'est beaucoup, dit Martin. » Bonnes ou mauvaises, excellentes ou passables , ces pièces attirent toujours du monde, et souvent « elles tiennent l'affiche » plus longtemps que l'on n'aurait cru. Doit-on blâmer chez le Parisien une banalité sans pareille et l'accuser de manquer de goût ? Ce reproche n'est mérité que dans une mesure assez restreinte . Chaque jour les chemins de fer apportent aux salles de spectacle un public arrivant de la province ou de l'étranger. L'ouverture des voies ferrées débouchant à Paris a assuré le succès, sinon la fortune de tous nos théâtres ; les pièces résistent devant des specta teurs qui se renouvellent sans cesse, et dont la curio sité n'est point émoussée. Tel drame qui jadis aurait eu quelque peine à atteindre la quinzième représenta tion, en a facilement cent cinquante aujourd'hui . Des pièces très-oscillantes pendant la première semaine, c'est-à-dire pendant les jours où le public réellement parisien va les voir , se relèvent, s'affermis sent et vivent de longs mois, parce que le public exté rieur, désœuvré, ne sachant comment employer ses soirées, a pris possession de la salle . C'est pour ce ――― ――― LES THEATRES. 235 public indulgent entre tous et facile à charmer que l'on a inventé un genre de spectacle spécial fort en vogue depuis quelques années, et que l'on appelle d'un nom brutal qui le dévoile : les pièces à femmes. Ce n'est pas à l'esprit que celui-là s'adresse, tant s'en faut ! Une intrigue quelconque étant admise, on la délaye en plusieurs actes entremêlés de ballets. On prend dans les magasins de modes , dans les ateliers de couturières , dans les petits appartements meublés loués au mois, le plus de femmes jeunes et jolies que l'on en peut trouver ; à trente sous par soi rée, on a du choix . On les habille ou , pour mieux dire , on les déshabille à l'aide de costumes éclatants, toiles d'or et d'argent, soie et velours ; on leur découvre les jambes, les bras, les épaules, jusqu'à la limite où la police, gardienne de la salubrité morale, pourrait intervenir . On allume les feux de Bengale, on dispose les lumières électriques ; les décors, dont la richesse est centuplée par l'éclat des becs de gaz multipliés, représentent un palais des Mille et une Nuits ou des grottes étincelantes de stalactites . La musique fait rage dans l'orchestre . Alors on pousse toutes ces bandes décolletées devant le public, comme dans les contes de fées on jette une viandée de chair fraîche à l'ogre pour apaiser sa faim. Ce n'est pas là du théâtre ; ce n'est que du spec tacle, car les yeux seuls peuvent y être occupés ; on 256 LES ORGANES ACCESSOIRES. s'y rue cependant ; la foule s'y entasse , s'y plaît et bat des mains. Ces sortes de pièces doivent être vues à l'envers ; il faut tourner le dos à la scène et regar der la salle. Les spectateurs sont autrement curieux à voir que les femmes peintes qui prennent des attitudes au milieu des architectures en carton . Sur les visages , c'est l'expression de la bestialité qui domine, et parfois l'admiration presque douloureuse de quelque collé gien que l'émotion étrangle. Lorsque le rideau s'abaisse en bruissant, cache aux yeux toutes ces surexcitations et ramène la réalité, il y a une surprise pénible : quoi ! ce rêve a déjà pris fin? Un peu de patience, il va renaître ; car chaque acte se termine par une exhibition ; on les gradue de façon que la dernière soit la plus plantureuse ; car le mot d'ordre semble être l'orgueilleuse devise que Nicolet inscrivit en 1760 sur le théâtre des Marionnettes, qui , devenu le théâtre des Grands Danseurs du roi , est aujourd'hui celui de la Gaîté : De plus fort en plus fort! Les origines des pièces que l'on voit sur nos théâ tres remontent au moyen âge. Les confrères de la Passion jouaient des mystères tirés de l'Histoire sainte ; les clercs de la basoche imaginaient des mora lités qu'ils représentaient sur la Table de Marbre ; enfin , un certain nombre de jeunes gens, issus de familles bourgeoises, et appartenant pour la plupart LES THEATRES. 237 à l'Université, groupés sous le nom d'Enfants Sans Souci , inventaient des espèces de farces souvent très grivoises et parfois obscènes que l'on nommait des soties, car le chef de l'association était le prince des sots . Les mystères et les réminiscences de l'antiquité ont produit les tragédies et les drames ; les moralités sont devenues les comédies ; les soties ont enfanté les vaudevilles. L'opéra nous a été apporté d'Italie , ainsi que l'opéra comique, qui succéda à la comédie ita lienne, qu'il ne faut pas confondre avec le Théâtre Italien, autrefois nommé les Bouffes ou les Bouffons. Il semble que l'art dramatique, j'entends l'art littéraire , ait touché en France son point culmi nant sous le règne de Louis XIV , avec Molière, Cor neille et Racine. Deux hommes de génie et un auteur d'un incomparable talent ont laissé des chefs- d'œuvre qui n'ont point fatigué la curiosité publique pendant deux siècles, et que nul de leurs successeurs n'a pu encore égaler . Lorsque, de nos jours même, l'on veut assister à une fête de l'esprit, c'est à eux que l'on va en demander les éléments . Mais, en revanche, jamais l'art théâtral, l'art qui consiste à donner aux fictions les apparences de la réalité, à peindre le décor jusqu'à l'illusion , à faire produire à la mécanique des pro diges que l'on croyait impossibles, à mouvoir les << trucs »> , à donner à la lumière un rôle inconnu jus qu'alors ; jamais cet art, qui affirme nos progrès ma ――― - - 238 LES ORGANES ACCESSOIRES. tériels , n'a été poussé aussi loin , aussi haut. On rirait aujourd'hui des fameuses machines que Richelieu fit venir d'Italie en 1637 pour les fêtes de Rucil . Des jeux de paume, le réfectoire d'un couvent, la grand'salle du Palais, suffisaient autrefois ; des chan delles plantées dans des lustres en bois, quelques bougies de cire aux jours de gala tenaient lieu des gerbes éblouissantes, des flots de lumière auxquels nous sommes accoutumés . Nos théâtres sont d'im menses constructions où se meut un peuple de machi nistes et d'employés. Dès qu'un théâtre est machiné, c'est-à-dire disposé pour recevoir de grands décors et opérer des changements à vue, l'emplacement néces sité et l'outillage indispensable prennent des propor tions que jamais on n'cût osé rêver jadis . Cela res semble à un vaisseau à trois ponts. Sous la scène où s'agitent les acteurs , voici les trois dessous superposés, séparés les uns des autres par une forêt d'étançons qui supportent les planchers . Dans les féeries, dans les grands ballets, les dessous ont une extrême importance : c'est de là que s'élèvent subite ment les bosquets improvisés sous la baguette du bon génie, que sortent tout à coup les tables chargées de mets ; c'est là que s'enfonce le diable lorsqu'il retourne aux enfers, et que disparaissent les navires brisés par la tempête. Les dessous doivent être assez profonds pour recevoir un décor entier. Là, pendant la repré LES THEATRES. 239 . sentation, sont des machinistes alertes, très-rompus au métier. Ils reçoivent les ordres de mouvement par un chef d'équipe qui leur parle de la coulisse même, à l'aide d'un porte-voix, comme l'officier de quart commande les chauffeurs d'un navire du haut de sa passerelle. Ces ordres, ils les exécutent avec une ponc tualité exemplaire; car, pour que le spectateur garde l'illusion, il faut qu'il y ait un synchronisme parfait entre la parole de l'acteur qui est en scène et l'œuvre du machiniste qui est dans le dessous. Au-dessus de la scène s'étendent les frises. Pendant les entr'actes, on en voit tomber les tapis qui couvri ront les parquets; les ciels y sont suspendus ; on y allume les lunes ; on y prépare les éclairs. Des cordes vont et viennent, descendant ou remontant des che minées en marbre, des meubles de palissandre , des bancs de verdure qui sont en carton peint. Tout se fait vite et silencieusement . La besogne est divisée d'a vance ; chacun connaît celle qui lui incombe et ne se trompe pas. Les décors sont méthodiquement rangés les uns sur les autres, dans l'ordre où ils doivent paraître ; on n'a qu'à les saisir pour les mettre en place. Un théâtre ne doit jamais garder que les décors nécessaires aux pièces du jour et du lendemain ; une ordonnance de police le veut sagement ainsi , car il faut diminuer, autant que possible, les chances d'in 240 LES ORGANES ACCESSOIRES. cendie, qui sont déjà trop nombreuses dans de pareils endroits . Lumières partout dans la salle , sur la scène, par les lustres, par les rampes, par les herses ; bois sec, toiles , papiers peints , cartons vernis ; c'est miracle que les théâtres ne flambent pas tous les soirs . Les pompiers y sont de planton jour et nuit ; près des grandes salles de spectacle, ils ont un poste fixe . Pendant les représentations, ils sont en vigie dans les coulisses , tout prêts pour l'action, la veste au dos, la ceinture aux reins, le casque en tête, en costume de feu , comme l'on dit . Ils sont attentifs et prudents ; dès que l'on dispose une herse lumineuse à laquelle un décor ou une jupe de gaze peut s'enflammer, ils s'en rapprochent et placent un seau d'eau à leur por tée. Tous les théâtres ont d'immenses réservoirs dans les combles ; ils ont des tuyaux de secours branchés sur des conduites bien alimentées ; ils ont un per sonnel nombreux et forcément dévoué au maintien d'un établissement dont il vit cela n'en a sauvé aucun. Dès que le feu apparaît au milieu de ces ma tières éminemment combustibles, tout est perdu . Je ne connais rien de plus laid , de plus désagréable que l'intérieur d'un théâtre ; ce monde si éclatant , si riche lorsqu'on n'en voit que les apparences, est terne, triste, sale , sombre lorsqu'on le pénètre et qu'on en touche la réalité . Sur la scène, tout est convention : les velours de soie qui sont en coton , les dorures qui LES THEATRES. 241 sont peintes à l'œuf, les diamants qui sont en stras, la mémoire des acteurs qui sort du trou du souffleur, tout, jusqu'à la lumière qui vient d'en bas , au lieu de tomber d'en haut. Dans la coulisse, au contraire, la vérité est implacable de réalisme . Le plus joli visage est d'un comique irrésistible , car on voit ce qu'il faut de rouge aux lèvres, de noir aux paupières, de blane sur la peau, de bleu sur le trajet des veines, pour pro duire quelque effet sous l'insupportable réverbération de la rampe. Lorsque cette clarté blanche n'est plus là, aidée par la distance, pour effacer les tons trop crus et donner à l'ensemble un aspect harmonieux, on se trouve en présence d'une figure qui a l'air d'avoir été enluminée à Épinal. La danseuse seule ne fait pas rire ; elle inspire une telle commisération que l'ironie meurt sur ses lèvres . Elle arrive de sa loge étincelante et « maquillée » ; elle a une ou deux minutes encore avant de faire son en trée ; elle tire de sa poche un cornet dont elle vide le contenu sur le plancher : c'est de la colophane ; elle l'écrase, y frotte la semelle de ses chaussons , afin de ne pas glisser sur le parquet, qui cependant n'a ja mais été ciré ; elle bat quelques flic - flacs ; elle se tam ponne le toupet pour bien s'assurer que ses faux che veux ne la quitteront pas en route ; puis, à une ri tournelle prévue , elle s'élancé. Elle est sur la scène , la bouche en cœur et les bras arrondis ; elle tourne, VI. 16 242 LES ORGANES ACCESSOIRES. elle fait ses pointes, elle se renverse, elle lance des entrechats , pivote sur elle-même, s'élève et retombe en mesure, si elle peut ; elle sourit au public qui ap plaudit et rentre dans la coulisse . Elle ne marche plus , elle se traîne , haletante , en nage, suffoquée , la main sur la poitrine , où elle comprime les battements d'un cœur surmené ; elle s'enveloppe en hâte d'une couverture ou d'un châle, car elle grelotte sous la froide atmosphère qui la saisit . En sortant de la scène, une danseuse disait : « J'aimerais mieux scier du bois . » Une de ses camarades lui répondit : « Tu n'es pas dégoûtée . » Le théâtre a une sorte d'importance sociale quetous les gouvernements ont reconnue. Les rois de France ont tenu à honneur de le protéger et en avaient donné la surveillance directe aux gentilshommes de leur chambre. Parfois ils leur faisaient quelque largesse ; Louis XV accorda 5,000 livres sur sa cassette pour faire une décoration neuve dans Sémiramis, qui fut jouée le 26 août 1748 , et , au mois de décembre de la même année, il habilla à ses frais les sénateurs qui figuraient dans le Catilina de Crébillon ; on ne se pi quait guère alors d'exactitude historique : « Les toges de chaque sénateur , dit Collé dans son Journal , étaient de toile d'argent avec des bandes de pourpre et des vestes de toile d'or et une autre bande de pourpre formant le laticlave, le tout festonné et enrichi de dia LES THEATRES. 243 mants faux. On a trouvé ce sénat-là un peu pom ponné, mais cela vaut mieux que s'il eût été mal vêtu et en vieil oripeau . >>>> On laisse aujourd'hui les théâtres préparer leurs décors et leurs costumes sans leur venir en aide; la protection dont ils sont l'objet est plus large . En cela, l'État s'est substitué aux souverains et subventionne certains théâtres auxquels l'art, dans ce qu'il a de plus élevé, ne devrait jamais rester étranger. Notre budget inscrit à cet effet une somme de 1,340,000 francs, qui est ainsi distribuée : Opéra, 800,000 francs ; Co médie-Française , 240,000 francs ; Opéra-Comique , 140,000 francs ; Odéon , 60,000 francs ; Théâtre Lyrique, 100,000 francs. Cette part contributive est considérable : a-t-elle aidé à l'éclosion de plus d'un chef-d'œuvre national? Le lecteur saura répondre. Cette subvention est d'un grand secours pour les théâ tres et permet quelques mises en scène supérieures. Du reste, elle est dans nos habitudes, car il est de tra dition chez nous que le gouvernement doit encourager les arts, c'est-à-dire, en bon français, que les artistes estiment qu'ils ont droit aux encouragements de l'État. La plus grosse part de la subvention échoit à l'O péra , et c'est justice, car le luxe extraordinaire que nous exigeons aujourd'hui sur la scène entraîne des frais singulièrement onéreux ; mais l'Opéra , qui fut 244 LES ORGANES ACCESSOIRES. fondé par lettres patentes du 26 juin 1669, et où les <<< gentilshommes et demoiselles peuvent chanter et représenter sans déroger » , s'appelle aujourd'hui l'A cadémie nationale de musique ; il a donc pour mission de soutenir et de développer la musique française . Il n'a pas failli à cette tâche, et, pour la mener à bonne fin , il a employé un moyen fort ingénieux . Au lieu de rechercher principalement les œuvres de nos compo siteurs, ce qui eût été d'une simplicité un peu bour geoise, il a préféré montrer à ceux-ci comment il fal lait s'y prendre pour avoir du succès, et il a déployé toutes ses richesses au profit de Mozart, de Weber, de Meyerbeer, de Rossini , de Donizetti , de Verdi ; il a mis ses meilleures danseuses au service de MM. Pugni et Gabrielli, large hospitalité qui n'épuise cependant pas toutes ses ressources, car il lui en reste assez pour offrir des places de chefs de chœurs à ceux de nos compatriotes qui ont fait preuve de talent et que l'In stitut s'honore de posséder dans son sein. Le théâtre, tel que nous le voyons fonctionner, s'est créé lentement ; les découvertes de la science, de l'in dustrie , de la mécanique ont été utilisées pour le plus grand plaisir des yeux, et certains effets produits sur la scène sont bien réellement féeriques. Ce sont là des améliorations matérielles que le temps ne fera que rendre plus considérables encore ; mais d'autres pro grès ne lui ont point manqué, et l'on peut être surpris LES THEATRES. 245 qu'ils aient attendu tant de siècles pour se mani fester. A voir une représentation de l'Opéra, à regarder les groupes de danseuses tourbillonner dans la lumière, qui se douterait que l'introduction de l'élément fé minin dans les ballets est relativement moderne et date du 16 mai 1681 ? Auparavant, c'étaient des hom mcs vêtus en femmes qui remplissaient les rôles où nos danseuses excellent aujourd'hui , et le Triomphe de l'Amour fit une révolution au théâtre. Les sou brettes de la Comédie-Française sont célèbres, et plus d'une a laissé de vifs souvenirs ; elles ont un père il lustre entre tous. Dans la Galerie du Palais, repré sentée en 1654 , Pierre Corneille substitua pour la première fois une suivante , Florice, à la nourrice que la tradition imposait, et qui n'était jamais qu'un ac teur déguisé en femme. Autrefois, nul ne l'ignore, la scène française était envahie par des spectateurs privilégiés qui gênaient le jeu des acteurs et dont la présence n'aidait guère à l'illusion ; cette sotte coutume a disparu il y a un peu plus d'un siècle . La scène, reconstruite et enfin dé blayée , fut inaugurée le 23 avril 1759. Une telle amé lioration entraîna une dépense de 40,000 francs ; on prétend que le comte de Lauraguais la prit à sa charge ; c'est une erreur, il se contenta d'y contribuer pour une somme de 1,500 livres ; c'est du moins ce 246 LES ORGANES ACCESSOIRES. que raconte Barbier, qui est généralement bien in formé. Actuellement, dans tous nos théâtres, il y a au foyer un buffet où l'on trouve quelques rafraîchissements ; dans les salles peu importantes, on entend un garçon de café qui, pendant les entr'actes , offre, en criant , du sirop d'orgeat et de la bière . A la Comédie-Fran çaise, le fameux Procope louait par bail de trois, six, neuf ans, une loge spéciale où il débitait sa marchan dise, et qu'à cause de cela on nommait la loge de la limonade. A l'Opéra , on vendait des truffes et des li queurs fraîches ; au mois de février 1733 , les truffes furent remplacées par de la guimauve, parce que tout le monde était enrhumé. A mesure que le théâtre grandissait et devenait une sorte de besoin social qu'il fallait satisfaire à tout prix, une institution de surveillance préventive se dé veloppait parallèlement. L'État protége le principe d'autorité, qui a des racines nombreuses qu'il ne veut point laisser couper. Tout s'enchaîne en matière de gouvernement permettre d'insulter Dieu, c'est nuire au garde champêtre. L'administration supérieure con sidère qu'il est de son devoir rigoureux de défendre contre les attaques possibles la religion , les mœurs, la politique, les puissances étrangères dont il est inu tile, sinon périlleux, de surexciter les susceptibilités ; en outre, l'on estime que les œuvres théâtrales écou LES THEATRES. 247 tées par la foule agglomérée, sujette à des sortes de commotions électriques , exercent une influence rapide et communicative bien plus profonde que celle du livre ou celle du journal qui n'agissent jamais que sur les individus isolés ; il est donc naturel que l'on ait con stitué une commission d'examen chargée de porter un jugement préalable sur les pièces, avant qu'elles soient livrées au public : c'est la censure. Beaucoup l'ont maudite qui lui ont fait les doux yeux à certains moments, et Voltaire, qui l'a si fort malmenée lorsqu'elle était exercée par Crébillon, ne se faisait pas faute de l'invoquer contre Palissot, et pour empêcher qu'on ne laissât jouer la parodie de ses pro pres œuvres. Elle a eu parfois à soutenir de rudes as sauts dont elle n'est pas toujours sortie victorieuse ; sa plus grande bataille a été livrée contre le Mariage de Figaro , et quoiqu'elle fût soutenue par Louis XVI, on connaît le résultat de la lutte. A la suite de toute révolution , la censure s'effondre et le pouvoir nouveau croit faire acte de popularité en la supprimant. Il suffit de voir ce qui se passe alors pour comprendre qu'elle peut n'être pas inutile. La scène devient immédiatement un tréteau , où les grivoi series, pour ne pas dire plus, s'étalent impudemment. Les hommes les plus respectables sont personnifiés, jetés en pâture à un public qui pardonne tout pourvu qu'il s'amuse ; après la révolution de 1850, dans un 248 LES ORGANES ACCESSOIRES. couplet de vaudeville qui faisait allusion au goût que Charles X avait pour la chasse, on chantait : C'est par le lapin qu'on commence, C'est par le peuple qu'on finit. En 1849, on fouettait sur la scène le président de l'Assemblée nationale ; depuis que n'a- t- on pas vu ? Aussi le même fait se reproduit invariablement. Les nouveaux parvenus au pouvoir qui trouvaient bon d'employer toute arme pour renverser leurs devanciers , estiment fort mauvais qu'on les attaque à leur tour, et la censure est rétablie, avec une dose de sévérité en plus. Les théâtres se plaignent et ordinairement ils in voquent Aristophane, qui pourtant n'a rien à voir en tout ceci, et sans se douter que les Chevaliers et les Nuées amenèrent le décret en vertu duquel il était in terdit à Athènes d'attaquer sur la scène un citoyen par son nom¹. Selon les gouvernements auxquels la France a suc cessivement remis le soin de sa destinée, la censure 1 Il est de mode en France, toutes les fois que l'on croit avoir à se plaindre de quelque mesure restrictive, d'invoquer la libre Angleterre. et de faire des parallèles qui ne sont point à l'avantage de nos adminis tions. Au mois de mars 1874, les directeurs du Théâtre- Français de Londres ont demandé au lord chambellan qu'on levât l'interdit qui pe sait sur le Supplice d'une femme par Emile de Girardin, le Demi-Monde par A. Dumas fils , Séraphine par Sardou , Julie par Octave Feuillet ; voici la réponse que ces messieurs ont reçue ; elle eût sans doute soulevé LES THEATRES. 249 fut plus ou moins tolérante ; pendant la Révolution , elle n'y allait pas de main morte, et les comédiens du Théâtre de la Nation envoyés en prison le 29 août 1793 , pour avoir représenté Paméla, de François de Neuf château , n'en sortirent qu'au mois de décembre ; quant à l'auteur , il y resta longtemps et ne fut délivré qu'après la journée de thermidor . Pendant l'Empire , elle ne fut pas douce aux petits théâtres , que Napoléon n'aimait guère. D'un trait de plume, par décret du de grosses tempêtes chez nous, mais elle a paru toute simple aux An glais : CABINET DU LORD CHAMBERLAIN . Palais de Saint-James, 12 mars 1874. Messieurs , Le lord chamberlain désire que je vous accuse réception de votre lettre du 5 courant, demandant que mylord fasse examiner à nouveau certaines œuvres d'auteurs français éminents qui, de temps en temps, ont été soumises à l'examinateur des pièces et refusées comme n'étant pas convenables pour la représentation dans ce pays . En réponse , j'ai à vous informer que les décisions au sujet des pièces en question n'ont été prises par les prédécesseurs de mylord qu'après un examen attentif et soigneux, et qu'il ne voit aucune raison pour les changer . Mylord dé sire aussi que je vous informe qu'il considérera comme son devoir , ainsi que l'ont fait ses prédécesseurs, de refuser sa permission pour toutes pièces ou portions de pièces qui , selon son avis, lui paraîtraient d'après leur ton ou leur tendance n'être pas convenables pour la scène dans ce pays et qu'il s'attend à voir ses décisions à leur sujet strictement ob servées . Je suis, messieurs , votre obéissant serviteur, SPENCER PONSONBY. 250 LES ORGANES ACCESSOIRES. 8 août 1807 , il en supprima vingt - deux ; le coup était rude, mais on peut croire qu'il visait surtout l'impé ratrice Joséphine, qui s'amusait beaucoup aux «< bam bochades » ; l'empereur ne l'entendait pas ainsi , et le 17 mars de la même année, il lui avait écrit d'Oste rode « Il ne faut pas aller en petite loge aux petits spectacles, cela ne convient point à votre rang. » La censure peut tenir bon quelque temps contre l'esprit public, mais toujours elle finit par être dé bordée. Nous avons le récit loyal des efforts qu'elle a faits depuis vingt-cinq ans pour arrêter la littérature dramatique sur la pente où elle a glissé¹ ; ses efforts ont été aussi vains qu'énergiques et se sont brisés contre l'ensemble même de nos mœurs. On peut dire du théâtre que les peuples ont celui qu'ils méritent. Les observations de la censure, les atténuations impo sées par elle ont été impuissantes . La fille - pour dire le vilain mot a pris possession de la scène et elle se faufile même à la Comédie-Française, qui jus qu'ici l'avait sagement repoussée. Le théâtre d'autrefois était-il plus réservé, plus chaste que le nôtre, considérait- il qu'il avait charge d'âmes et qu'il devait se tenir toujours à une certaine hauteur? Je n'en crois rien, et les choses me semblent n'avoir que bien peu changé. Racine, en présence de - Histoire de la censure théâtrale en France; la Censure drama tique el le Théâtre, 1850, 1870, par Victor Hallays -Dabot. LES THEATRES. 251 Louis XIV et de madame de Maintenon ce qui n'était pas adroit accusait le public de ne se plaire qu'aux bouffonneries de Scarron . « La plupart des femmes courent avec fureur aux spectacles de la foire ; je suis ravi de les voir dans le goût de leurs laquais et de leurs cochers, » disait Lesage en 1709. Marais écrit, au mois de novembre 1722 : « On joue Persée, et le goût est si tombé qu'on ne trouve plus les opéras de Lulli bons et qu'on leur préfère de petits ballets propres pour la foire ou les danseurs de corde . » Ne croirait-on pas qu'il s'agit de la Belle Hélène ou d'Orphée aux Enfers ? Nous estimons aussi que c'est de notre temps seulement que les chanteurs ont crié au lieu de chanter. On lit dans une lettre d'Horace Walpole, datée du 14 septembre 1765 : «L'opéra français que j'ai entendu ce soir m'a dégoûté comme toujours, d'autant plus qu'il était suivi du Devin de village, qui démontre qu'on peut chanter sans crever pour cela le tympan de nos oreilles. >> Cette décadence dramatique, dont nous nous accu sons volontiers , ne nous empêche pas de pouvoir pas ser une soirée à écouter du beau langage récité par des gens habiles ; la Comédie-Française réserve plus d'une joie aux curieux de haute littérature . Dans cette maison la maison de Molière- dont les lettres de noblesse datent de 1680, on trouve des acteurs qui ont souci de l'art , des écrivains qui respectent leur - ― - ――― 252 LES ORGANES ACCESSOIRES. fonction et un ensemble de traditions qui se transmet comme un héritage sacré. Malgré quelques intrusions regrettables , la compagnie y est restée bonne, dans toute l'acception du terme , et c'est là encore qu'il faut aller frapper, c'est devant ce public un peu froid, mais lettré, qu'il faut comparaître, lorsque l'on est à la re cherche d'un succès de bon aloi . L'oreille y est char mée plus que les yeux, et les amateurs de «< tableaux vivants » n'ont qu'à s'en éloigner. Un peu de jansé nisme ne messied pas , même au théâtre, et repose de toutes les exhibitions fort peu spiritualistes dont on est fatigué sur les scènes inférieures . - On put craindre un moment que la Comédie-Fran çaise ne fût menacée par des concurrences sérieuses , lorsque le décret du 6 janvier 1864, imitant celui du 19 janvier 1791 , proclama la liberté des théâtres. L'ancien répertoire - tous nos chefs-d'œuvre — dont les Français partageaient l'interprétation privilégiée avec l'Odéon depuis 1807, n'allait- il pas être acca paré, mis en scène , exploité par les autres théâtres ? L'inquiétude ne fut pas de longue durée ; s'il est facile de jouer les traîtres et les tyrans de mélodrame, il n'est point aisé de s'identifier à Tartuffe , au Misan thrope, à Célimène ou à Figaro ; quelques tentatives ne furent point heureuses, et les petits théâtres re prirent promptement les sottes pièces qui plaisent à leur gros public. LES THEATRES. 233 Le théâtre, dit-on volontiers, est l'école des mœurs : Castigat ridendo mores. C'est un mot et rien de plus. Les mœurs et le théâtre se donnent la réplique et agissent par répercussion . Les mauvaises mœurs en gendrent les mauvaises pièces, et les mauvaises pièces développent les mauvaises mœurs. Lorsque la prosti tution provocante et hardie étale ses impudeurs au grand jour, on met les filles en scène, et lorsque l'on met les filles en scène, on attire l'attention sur elles : c'est un cercle vicieux ; on fera bien d'en prendre son parti, car il a toujours existé . Croire que le théâtre a jamais corrigé un vice ou un travers , c'est se nourrir d'illusions puériles . Le 4 octobre 1856 , le Gymnase représenta une pièce intitulée : les Toilettes tapageuses. C'était l'heure de la crinoline, et les femmes bouf fantes étaient à la mode. L'actrice qui jouait le prin cipal rôle, ayant compris les intentions satiriques de l'auteur , portait une robe dont la jupe exagérée à dessein avait une ampleur comique et presque ridi cule. Le lendemain de la première représentation , sa robe lui fut demandée, comme modèle, par plus de vingt grandes dames, et huit jours après la crinoline avait doublé de dimension. La morale publique, les intérêts de l'art sont la moindre préoccupation des théâtres ; ce sont des entre prises commerciales où l'on tâche de gagner de l'argent, et pour parvenir à ce résultat peu de moyens 254 LES ORGANES ACCESSOIRES. sont négligés. A quoi bon se payer de mots ? Sauf la Comédie-Française et quelques théâtres lyriques qui offrent des jouissances vraiment intellectuelles, les salles de spectacle sont toutes des lieux de plaisir ; chacun y va, selon son tempérament, chercher des impressions gaies, tristes ou sensuelles, pas autre chose. Les théâtres font de la morale comme ils font de l'histoire , sans autre souci que celui de leur conve nance immédiate ¹ . ― - II. - L'Arsenal. - Lente ― L'outillage du travail. La Mazarine. Paulmy d'Argenson. - Sainte- Geneviève. - La Richelieu . - Projet de la déplacer. formation. Hôtel de Nevers et hôtel Mazarin. Les départements. Les estampes. Les médailles. Les manuscrits. Les imprimés. Combien de volumes. Les bilboquets. Le volume et la pièce. 55 kilomètres. Le prêt. L'Enfer. - Le travail et la lecture. - La Mosquée. La salle de lecture. - L'orthographe. La réserve . Les merveilles. Magna charta. La reliure. L'âme des livres. · La bibliothèque de l'Hôtel de Ville. Inconvénients. Les combles. Ar chives de la Préfecture de police . Les employés. — Livres dépareillés. - L'hôtel Carnavalet M. Jules Cousin . - Premier fonds de 5,104 vo lumes. La bibliothèque de Paris. Il faut multiplier les réserves de livres. - La Ville doit posséder deux bibliothèques . La place manque Anomalie. Le nombre des lecteurs. Ca La crise des institutrices. - - - déjà. Le musée municipal. · Pavage et beaux-arts . Séances du soir à Sainte-Geneviève. binet de lecture. Maniaques. rence du public. Indiffé - - ― - LES BIBLIOTHÈQUES - - - - - - - ――― - - 1 - - - - - ―― - - - - - - - - - - - - Si le peuple de Paris s'imagine qu'il a appris quel que chose au théâtre et qu'il connaît l'histoire de 1 " J'ai donné ma pièce au public pour l'amuser et non pour l'in struire, » disait Beaumarchais à propos du Mariage de Figaro. LES BIBLIOTHÈQUES. & 255 Marguerite de Navarre parce qu'il a vu jouer la Reine Margot, la faute n'en est point à l'État , qui lui ouvre libéralement l'inépuisable trésor de ses bibliothèques . Sans sortir de la ville , on peut tout apprendre et tout savoir, car jamais, pas même au fameux British Mu seum, pareil outillage de travail n'a été mis à la dis position du public . L'Université, le Jardin des Plantes, les Écoles de droit et de médecine, la Chambre de com merce, l'Assemblée nationale , l'Institut , le palais du Luxembourg, l'École des beaux-arts , l'École des mi nes, l'Émigration polonaise, l'Association pour l'en couragement des études grecques, la Société de l'his toire du protestantisme français, l'Ordre des avocals, le Conservatoire de musique, le Conservatoire des arts et métiers, la Bibliothèque des sociétés savantes, celle du colportage, le Dépôt de la marine et celui de la guerre , l'École des langues orientales vivantes ' , possè dent des masses de livres et de documents qu'il n'est point interdit de consulter ; des bibliothèques que l'on a pu croire disparues ou dispersées , existent encore ; en cherchant celle des Jansénistes, on la trouverait au faubourg Saint-Jacques. Mais que sont ces dépôts , né cessairement restreints, d'une spécialité parfois trop limitée, en regard de ces magasins, de ces réserves Il avait été question de créer une bibliothèque exclusivement com posée d'ouvrages de langues étrangères et de l'installer rue Gerson . Ce projet est ajourné, sinon abandonné tout à fait . 256 LES ORGANES ACCESSOIRES. immenses qu'il suffit d'énumérer pour évoquer l'idée de toutes les connaissances humaines ? Ces bibliothèques sont presque devenues des per sonnes, elles ont des noms ; on dit : la Mazarine, l'Ar senal, Sainte-Geneviève, la Richelieu . Il en manque une à l'appel : celle qui siégeait au Louvre, à côté de nos musées, dont elle était la sœur et le complément, a disparu pendant la Commune ; il en reste quelques monceaux de papiers brûlés et un souvenir désespéré qui saigne au cœur des bibliophiles . La Mazarine est au palais de l'Institut , où elle fut établie par le cardinal Mazarin , pour le service du collége des Quatre-Nations ; ce fut Gabriel Naudé qui en fut le premier garde, le premier conservateur, comme nous dirions aujourd'hui ; elle ne renferme guère plus de 150,000 volumes et environ 4,000 ma nuscrits ; elle possède une magnifique sphère terrestre à laquelle , dit- on, le roi Louis XVI a travaillé. ――― La bibliothèque de l'Arsenal occupe la maison de Sully ; sur le quai Morland , elle fait face aux maga sins généraux de la ville de Paris, et montre un étrange couronnement composé de canons, de mor tiers, de bombardes en pierres sculptées, dont l'effet est passablement ridicule . Le marquis Paulmy d'Ar genson, qui l'a fondée, fut un forcené bibliomane ; il achetait partout , un peu à l'aveuglette ; curieux plutôt qu'érudit, il entassait sans mesure volumes sur volu LES BIBLIOTHÈQUES. 257 mes, si bien qu'à ce métier il se ruina et mit ses livres en vente ; le comte d'Artois, qui depuis fut Charles X, les acheta en bloc, et y ajouta le fonds La Vallière, qu'il possédait déjà ; cela constitua une bibliothèque hors ligne ; ses 6,000 manuscrits , ses 230,000 vo lumes, dont la plupart appartiennent à des éditions rares ou princeps, et sont revêtues de reliures ad mirables , en font aujourd'hui un dépôt singulière ment riche, dans lequel on peut être certain de trou ver toutes les poésies que la France a publiées. Sainte-Geneviève est sur la place du Panthéon, dans un vaste bâtiment spécialement construit pour elle et qui fut inauguré aux premiersjours de 1850. Elle date des Génovéfains. Lorsque, en 1624 , le cardinal de Laro chefoucauld fut nommé abbé commendataire de la cé lèbre abbaye, il n'y aperçut pas un livre ; il fit appor ter environ 600 volumes qui étaient sa propriété par ticulière, et ce fut là l'embryon de cette grande biblio thèque, qui devint propriété nationale pendant la Ré volution. Elle renferme 120,000 volumes et plus de 3,000 manuscrits ; sa collection d'Aldes et d'Elzeviers a un renom universel ; parmi ses raretés , elle con serve jalousement un portrait de Marie Stuart donné par elle-même aux religieux de Sainte- Geneviève , et la seule image connue de cette mulâtresse, fille natu relle de Louis XIV, qui fut la religieuse de Moret. La Bibliothèque par excellence, celle qui , selon les VI. 17 258 LES ORGANES ACCESSOIRES. temps, est royale, impériale ou nationale, s'ouvre place Louvois ; elle forme un vaste îlot bordé par les rues Richelieu, Vivienne, des Petits- Champs et de l'Arcade Colbert. On agita la question de la déplacer, il y a une vingtaine d'années, et de l'enlever aux risques d'incendie que lui fait courir le voisinage des habita tions de ce quartier exceptionnellement peuplé ; on voulait, pour assurer à jamais son existence , l'installer au Louvre. Les difficultés du transbordement, les dé gâts qu'auraient infailliblement subis tant d'objets précieux firent renoncer à ce projet si sage et si pru dent en apparence . S'il eût été mis à exécution , que seraient devenues tant de richesses ? Elles se seraient envolées dans les flammes de l'incendie avec «< le tré sor de Noailles » , les papiers de Voyer-d'Argenson, les incunables, les exemplaires uniques qui ont brûlé dans le pavillon du Louvre. La Bibliothèque nationale s'est lentement formée par adjonctions successives, elle n'a commencé à prendre le développement prodigieux auquel elle est parvenue que depuis 1724, lorsqu'on lui donna l'hôtel de Ne vers; elle y fut resserrée pendant un siècle et s'empara de l'hôtel Mazarin dès que le trésor public eut quitté celui-ci , en 1827, pour prendre possession du minis tère des finances de la rue de Rivoli . La Bibliothèque devrait être agrandie aux dépens de quelques maisons particulières qui subsistent encore rue Vivienne, afin LES BIBLIOTHÈQUES. 259 d'être complétement isolée , comme il convient à un palais plein de si rares merveilles ; espérons qu'un effort intelligent du budget lui procurera un jour l'am pleur et la sécurité qui lui manquent pour être irré prochable. Comme un territoire, la Bibliothèque Richelieu est divisée en départements qui se complètent, s'entr'ai dent, et dont chacun vit sous la direction spéciale d'un conservateur, soumis à l'autorité d'un conser vateur-administrateur qui surveille l'ensemble des services de la Bibliothèque entière . Il n'y a pas que des livres, des imprimés, comme on dit en lan gage technique. Dans une galerie construite autre fois par Mansart et plus obscure parfois qu'il ne fau drait, le département des estampes forme une collec tion iconographique intéressante et très- nombreuse, où la seule division des portraits renferme plus de 400,000 pièces. Le département des médailles est fait pour éblouir; on dirait que toutes les nations et tous les temps se sont cotisés pour composer ce trésor incomparable où les pierres gravées, les gemmes, les médailles, les monnaies, les vases peints , les ivoires, les verreries , les bronzes, disposés méthodiquement et brillant dans une discrète lumière, rappellent les contes de fées. Le département des manuscrits est divisé par langues : manuscrits chinois, manuscrits hindous, manuscrits ――― 260 LES ORGANES ACCESSOIRES. arabes , persans , grecs, latins , italiens, espagnols, français ; l'univers entier est représenté là par plus de 100,000 volumes, dont 8,000 au moins , ornés de miniatures, sont des pièces uniques. Ces trois départements sont assez restreints ; leurs richesses sans pareilles n'exigent pas un emplace ment considérable , et l'on a pu les ramasser dans des locaux relativement étroits ; il n'en est pas ainsi du département des imprimés : celui-là est impérieux, il déborde, il augmente chaque jour, car chaque jour il reçoit les versements de ses propres acquisitions et de ce que l'on nomme le dépôt légal : environ 25,000 volumes par an. Combien la Bibliothèque nationale contient- elle de volumes ? C'est la question invariablement posée par tous ceux qui s'en occupent, par tous ceux qui la visi tent. Il est impossible d'y répondre . D'abord , le nom bre varie incessamment, ainsi qu'on vient de le voir, puisque la Bibliothèque reçoit légalement un exem plaire de tout ce qui est imprimé dans le départe ment de la Seine ; elle a même droit aux étiquettes, aux affiches, aux prospectus , en un mot à tout ce que le langage des typographes appelle des bilboquets ; on lui en fait grâce, fort heureusement, car sans cela les œuvres sérieuses disparaîtraient bientôt sous le flux incessant de ces inutilités ; elle a déjà bien assez des romans frivoles , des recueils de chansons et de toutes LES BIBLIOTHÈQUES. 261 les sornettes qui viennent se couvrir de poussière sur ces rayons trop encombrés . Le mot volume n'a pas le même sens en langage de bibliophile qu'en langage vulgaire . Pour tout homme de bibliothèque, la pièce, c'est-à-dire l'opuscule composé de moins de 48 pages, ne devient volume qu'à la condition d'être réunie à cinq autres pièces ; - isolée , selon qu'elle est reliée ou non , elle est pla quette ou brochure; le public ne la nomme pas moins un volume. Pour savoir exactement tous ceux qui sont pressés les uns contre les autres dans les armoires sans vitrage de la rue Richelieu , il faudrait les compter un à un, travail excessif et qui n'aboutirait qu'à satis faire une curiosité puérile ; il y a là un total que l'on ne peut qu'évaluer : 1,500,000 disent les uns, 1,800,000 disent les autres. Ces chiffres me parais sent au-dessous de la vérité. - - On se trouve, il est vrai , en présence de plaquettes minces comme un cahier de papier à lettres et d'an tiphonaires dont le large dos couvrait la moitié d'un lutrin; mais l'épaisseur des uns compense la gracilité des autres, et la moyenne de la place exigée par un volume est assez correctement représentée par l'in octavo relié de 400 pages. Un rayon d'un mètre en contient quarante. Or l'étendue des rayons du dépar tement des imprimés est de 55 kilomètres ; le nombre approximatif des volumes est donc de 2,200,000. 262 LES ORGANES ACCESSOIRES. Aux personnes qui offrent quelques garanties et ont rempli certaines formalités imposées, la Bibliothèque prête les livres qu'elle a en double ; à tout le monde elle communique ce qu'elle possède , en ayant soin toutefois de prendre des précautions de prudence, lorsqu'elle met entre les mains d'un inconnu un vo lume rare ou précieux . Cependant elle garde à l'abri des regards indiscrets, sous clef, dans des cartons uni formes et sans titres , au fond d'armoires cachées que l'on nomme l'Enfer , une certaine quantité de volumes qui jamais, -sous aucun prétexte , ne sont donnés en lecture. Ces livres, sur lesquels J.-J. Rousseau a cité un mot qu'on n'a point oublié , forment une sorte de musée secret, bien restreint du reste; 730 volumes représentant 340 ouvrages constituent l'œuvre que la pornographie a pu produire depuis l'invention de l'im Frimerie : c'est à l'honneur de l'esprit humain . La Bibliothèque, pour faciliter le service des im primés, très- pénible et exceptionnellement chargé, s'est divisée en deux parties distinctes, que l'on pour rait appeler le travail et la lecture. Au travail elle offre une salle immense, garnie de 328 places ; pré voyante, jusqu'à faire passer un courant d'air chaud sous les pieds du lecteur; vaste, soutenue par de sveltes piliers de fonte , décorée de peintures un peu froides, éclairée d'un jour diffus très-pénible aux yeux, et pla fonnée de coupoles qui l'ont fait surnommer la Mosquée. ―――― LES BIBLIOTHÈQUES. 265 C'est là que sont reçus ceux qui travaillent ou font semblant. On n'y est admis qu'après avoir obtenu une carte particulière, qui n'est jamais refusée. Là tous les livres sont communiqués sans restriction . Unc autre salle, moins ample, mais où les jours de côté sont très-favorables, est réservée à la lecture, c'est-à dire aux flâneurs, aux désœuvrés qui, pour tuer le temps, prennent un livre, n'importe lequel ; c'est là que l'on demande : Ivan et Noë, par Walter Coq , et le Dictionnaire des Capricieuses, par Somaize ; là on écrit sur le bulletin : Gauthier, Kharr, et même Vol thaire ! L'h joue un grand rôle chez les gens qui ne savent pas l'orthographe. Vingt mille volumes appar tenant à cinq ou six mille ouvrages connus jusqu'à la banalité suffisent largement aux exigences les plus inattendues . Ce n'est ni de la salle de travail, ni de la salle de lecture que l'on peut prendre une idée du départe ment des imprimés ; il faut , guidé par la bonne grâce et par le savoir des bibliothécaires, parcourir métho diquement ces immenses réservoirs de toute science et de toute poésie. Mais alors il est bon de n'être pas trop bibliophile, car on restera invinciblement dans la ré serve, et c'est ce qui m'est arrivé . Qu'est- ce que la réserve? L'ensemble des galeries et des chambres qui se ferment sur 200,000 volumes, dont chacun est une merveille sans prix. 264 LES ORGANES ACCESSOIRES. 1 Une odeur neutre et un peu fade , qui est le parfum des livres, plane dans ces salles silencieuses ; le premier livre imprimé par Gutenberg est là ; le chef-d'œuvre que l'on achève de tirer quelque part y sera , avant que la librairie s'en soit emparée. Les Aldes, les Elzeviers Ꭹ sont innombrables ; mais nous y avons notre gloire nationale aussi , car voilà ces beaux caractères romains inventés, à Venise, par le Français Jenson, perfec tionnés par la dynastie des Estienne, continués par les Didot et poussés au dernier degré de splendeur dans les Évangiles des Hachette . L'Angleterre a épuisé toutes les ressources de sa fortune et de son mauvais goût pour produire avec sa Magna Charta un chef- d'œuvre peu enviable . Ne pouvant la faire belle, tu l'as faite riche ! Le plus mince volume de Jean de Tournes fait vite oublier ces vélins enluminés , dorés et préten tieux . ― Chaque livre que l'on saisit vous arrache un cri d'admiration . Tout ce que l'imprimerie a engendré de plus parfait se retrouve là dans un exemplaire de choix et souvent dans plusierus. C'est l'honneur des nations d'avoir ces nobles richesses abstraites et de ne reculer devant aucun sacrifice pour les augmenter. Depuis Louis XII jusqu'à nos jours , l'art exquis de la reliure est représenté par des séries ininterrompues, art fran çais par excellence qui s'est éclipsé un instant avec Bozerian et Bradel , mais qui de nos jours a eu une S LES BIBLIOTHÈQUES. 265 renaissance éclatante avec Capé , Trautz et Beau zonnet. Dans cette réserve, d'où l'on ne peut s'arracher, on comprend bien que les livres ont une âme, âme dis crète et mystérieuse, qu'il faut savoir interroger et qui ne répond pas au vulgaire indocile. On aime ces vo lumes qui , semblables à certains personnages des contes arabes, sont vivants pour les initiés et morts pour les profanes . Il y en a que l'on prend en amitié : on va les voir, on en regarde les caractères irrépro chables, on en examine les grandes marges, on con state avec joie que nul ver n'en a piqué les fonds, on contemple les belles majuscules rouges et noires des titres ornés ; on éprouve une certaine sensualité à pas ser la main sur la lisse épiderme des reliures ; on chasse avec précaution la fine poussière tamisée sur la tranche, et on les remet en place , en ayant bien soin qu'ils ne gênent pas leurs voisins et n'en soient pas gênés. Ils s'ennuient dans les endroits obscurs : il leur faut de la clarté, mais non du soleil ; les armoires vitrées ne leur valent rien et ils se plaisent sur des rayons libres qui laissent circuler l'air autour d'eux ; quel ques reliures en cuir de Russie, disséminées parmi eux , leur sont agréables et les enveloppent d'un doux parfum qui ressemble à une émanation personnelle. L'amour des livres est abstrait, comme tous les senti 266 LES ORGANES ACCESSOIRES. ments élevés ; les véritables bibliophiles qui ont été forcés de vendre leurs bibliothèques ne s'en sont ja mais consolés . Toutes les bibliothèques dont j'ai rapidement parlé sont situées à Paris, mais nulle d'entre elles n'est la Bibliothèque de Paris ; celle-là s'est effondrée au mi lieu des décombres de l'Hôtel de Ville . Elle n'était pas d'une grande utilité ; ce n'est pas qu'elle ne fût riche et bien dotée : elle contenait un fonds de 125,000 vo lumes, que l'on accroissait tous les ans. Mais elle était reléguée dans les combles, au-dessus de la galerie des fêtes ; il fallait gravir 172 marches avant d'y arriver, et , à moins d'avoir un jarret de chamois, on reculait devant cette escalade . Aux jours de gala , on y établis sait un buffet, où les danseurs pouvaient aller boire ; on y faisait passer des examens aux aspirantes institu trices, on y réunissait des commissions, on y rangeait les meubles dont on n'avait pas encore préparé la place ; en un mot, c'était une salle banale consacrée à toutes sortes d'usages , mais ce n'était point une bi bliothèque. Beaucoup de volumes étaient dépareillés et nul n'y venait travailler. C'était un double malheur, qu'elle devait à sa position même et qui atteindra invaria blement toute bibliothèque placée dans le local d'une administration . L'administration est naturellement en vahissante l'homme, l'employé, - est toujours - LES BIBLIOTHÈQUES. 267 personnage principal et est exigeant : il repousse les livres d'étage en étage et les jette au grenier, où ils périssent infailliblement . Les combles, pénétrés d'hu midité ou brûlants sous le soleil direct, sont mortels pour les livres et les manuscrits. Il a fallu à M. Labat, archiviste de la Préfecture de police, une vigilance et une passion extraordinaires pour empêcher ses ar chives de pourrir dans les mansardes où on les avait reléguées jadis ; ce que l'on a sauvé de l'incendie a été établi dans des conditions analogues , fort périlleuses et de nature à compromettre les épaves de cet inap préciable dépôt. Repoussés vers les combles, les livres s'y détério rent . En outre, la place manque toujours dans une administration ; on utilise la bibliothèque, et, selon les occurrences, on la réduit à l'état de magasin ou de garde-manger. Ce n'est pas tout les employés em pruntent des livres ; la camaraderie ne peut les leur refuser, pas plus qu'elle n'ose les leur réclamer ; les volumes disparaissent, des ouvrages sont décomplétés et des collections perdent toute valeur. C'est là ce qui était arrivé à l'ancienne bibliothèque de la Préfecture de la Seine ; lorsqu'elle disparut , elle n'était plus bonne à rien. Celle que l'on forme à cette heure n'aura pas le même sort, car elle est loin de l'Hôtel de Ville et il faut souhaiter ardemment qu'elle n'y entre jamais, lorsque celui-ci sera terminé. 268 LES ORGANES ACCESSOIRES. Elle a son local à elle , un peu étroit , mais bien dis tribué et approprié d'une très- convenable façon ; elle occupe une maison historique que madame de Sévigné a longtemps habitée et d'où elle a daté bien des léttres, l'hôtel Carnavalet, dont le véritable nom devrait être Kernevenoy. Après bien des fortunes, après avoir été une institution d'enseignement, cet hôtel fut acheté par la ville de Paris , car il est d'une architecture in téressante , consacre le souvenir d'une des gloires lit téraires de la France et est orné de sculptures de Jean Goujon. Il fut restauré, débarrassé de toutes les con structions parasites et hideuses que les nécessités du pensionnat y avaient accumulées ; il garde près de lui un terrain que l'on pourra facilement utiliser et il s'ouvre sur l'ancienne rue Culture-Sainte-Catherine, qui est devenue la rue Sévigné. Pour recréer une bibliothèque après les désastres de la Commune, il ne suffisait pas d'avoir un hôtel , il fallait avoir des livres et l'on n'en possédait pas un. M. Jules Cousin, bibliothécaire à l'Arsenal , bibliophile érudit, avait depuis longtemps consacré tous ses soins à former, pour lui- même, une collection d'ouvrages relatifs à Paris ; il avait réuni, avec une peine et des recherches excessives, un fonds de 5,104 volumes. Dès le mois de juillet 1871 , il les offrit courtoisement à la Ville , qui les accepta. Ce fut le point de départ ; il y en eut de plus humbles : rappelons- nous le lot de LES BIBLIOTHÈQUES. 269 600 volumes par lequel le cardinal Larochefoucauld inaugura la bibliothèque Sainte-Geneviève. M. Jules Cousin faisait en réalité à la Ville un cadeau d'une ex trême importance, car il lui donnait le noyau d'une bibliothèque essentiellement parisienne ; il ne s'agis sait plus que de développer ce germe excellent, et c'est à quoi l'on s'est empressé. L'administration a bien fait les choses et l'argent n'a pas manqué. A la Préfecture de la Seine et au Con seil municipal, tout le monde a compris que Paris de vait avoir sa bibliothèque à lui , et qu'elle devait être digne de la grande ville , que l'on calomnie d'autant plus volontiers qu'on l'envie davantage . En 1873 , l'hôtel Carnavalet fut remis en partie à M. Jules Cou sin , nommé bibliothécaire de la Ville ; la bibliothèque - notre bibliothèque à nous autres Parisiens —a été ouverte le 1er janvier 1874. Elle est bien jeune, comme on le voit, mais elle contient déjà 26,000 volumes ; 50,000 suffiront si on la maintient dans d'étroites li mites et si on la force à se restreindre aux matières qui concernent exclusivement Paris ; ce serait bien strict et mal reconnaître l'influence que Paris a exercée sur l'histoire générale et sur les mœurs universelles par la Sorbonne, l'Université, les maîtrises , le théâtre et la littérature ; nous pensons donc que notre bibliothè que, tout en s'appuyant sur un fonds parisien aussi complet que possible, doit accueillir avec un large 270 LES ORGANES ACCESSOIRES. discernement les ouvrages où les sciences, les arts, la philosophie, l'histoire de la France et des autres na tions, nous apportent un ensemble d'observations dont Paris peut tirer profit. Il faut aussi nous souvenir de notre passé d'hier ; nos monuments détruits prouvent qu'il est bon de multiplier ces réserves de l'étude ; plus nous en pos séderons, plus nous diviserons nos richesses et plus nous aurons chance de les sauver à l'heure des cata clysmes. Que l'on compte ce que nous avons perdu de puis 1830 , au sac de l'Archevêché, du Palais- Royal, des Tuileries, pendant la Commune, et l'on compren dra que, si cela continue, notre histoire, avant cent ans , ne pourra plus fournir une preuve authen tique. Deux bibliothèques distinctes sont nécessaires à la Ville, et jamais, sous nul prétexte, on ne doit les réu nir ; l'une, purement administrative, composée de toutes les pièces imprimées publiées par les adminis trations elles-mêmes, généralement ignorées du pu blic , mais fort recherchées des employés, auxquels elles sont indispensables ; cette bibliothèque, bi bliothèque bureaucratique, doit être placée dans les bâtiments de la Préfecture de la Seine, à la portée immédiate des fonctionnaires qui en ont besoin ; l'autre , la bibliothèque savante, racontant nos ori gines, nos légendes, toutes les histoires particulières - ――――― LES BIBLIOTHÈQUES. 271 dont est formé l'ensemble de notre histoire urbaine, est bien où elle est. L'hôtel que Ligneris fit bâtir sur les dessins de Pierre Lescot, que Jean Goujon décora, que Kernevenoy baptisa, qu'habita madame de Sévigné, où siégèrent successivement la Direction de la librairie et l'École des ponts et chaussées, l'hôtel Carnavalet est le logis qu'elle ne doit jamais quitter ; elle y est parfaitement organisée, dans des pièces de dimension suffisante , bien éclairées , bien chauffées et très- hospitalières ; mais on devra songer, dès à présent , à lui faire les coudées plus franches ; elle est déjà trop resserrée ; si on ne lui permet de s'étendre, elle avortera, comme les fruits d'espalier saisis entre la branche et le mur et qui jamais n'arrivent à développement parfait. Comment se peut-il que, dans un hôtel assez vaste et spécialement aménagé, la place fasse défaut au bout de quelques mois ? Parce que dans le même local on a recueilli un musée et que ce musée a pris la part du lion, c'est- à- dire le rez-de-chaussée , la moitié du pre mier étage et une partie des combles ; la bibliothèque de Paris en est réduite à un demi-étage, où elle va étouffer avant six mois . Le musée peut offrir un in térêt spécial : il garde les vieux types de la fabrication parisienne et à ce titre il est fort curieux ; mais le rez de-chaussée peut lui suffire : il n'a qu'à y faire bâtir deux ailes, dans le jardin , pour son usage, et à s'y 272 LES ORGANES ACCESSOIRES. étaler tout à son aise . Mais il doit céder à la biblio thèque les pièces qu'il occupe actuellement au pre mier étage . Il est impossible de visiter l'hôtel Carna valet sans être frappé de cet inconvénient, que l'on dirait créé à plaisir ; la distribution de l'emplacement semble avoir été faite par quelqu'un qui ne s'est pré occupé que du musée. Cet état de choses est mauvais, mais il ne sera pas facile d'y porter remède tant que l'on remarquera dans l'administration de la Préfecture de la Seine une anomalie étrange, qu'il est urgent de signaler. Les beaux-arts et ce qui s'y rapporte sont dans les attribu tions du fonctionnaire chargé du balayage et des plan tations de Paris. On peut faire aligner très- propre ment des trottoirs, savoir même agencer des draperies au-dessus d'une porte, disposer des pots de fleurs avec quelque symétrie sur les marches d'un escalier , pour une nuit de bal ; on peut faire œuvre de tapissier , d'agent-voyer, macadamiser, sabler, arroser, planter et ne rien comprendre aux choses de l'art et de l'es prit. C'est affaire de goût et de sentiment ; l'impor tance administrative , quelque considérable qu'on l'i magine, n'a rien y voir ; aussi le préfet de la Seine, s'il veut utiliser judicieusement l'hôtel Carnavalet, faire la part entre la bibliothèque et le musée, s'il veut donner à ces deux établissements distincts le dévelop pement dont ils sont dignes, fera bien de rattacher LES BIBLIOTHÈQUES. 273 directement les beaux arts à son cabinet ou au secré tariat général. Là du moins les collections précieu ses, les œuvres destinées à orner nos monuments et qui sont la sérieuse élégance de Paris , trouveront des sympathies éclairées , des intelligences ouvertes et ne seront plus exposées à être <« administrées » entre un kiosque d'affichage et un dépôt de cailloux . Le public n'a pas encore appris le chemin de la << Carnavalette » , comme disait madame de Sévigné ; mais en revanche il n'ignore pas celui des autres bi bliothèques ; ce n'est pas dire qu'il les fréquente très assidûment. Une seule, aux séances qu'elle a insti tuées de six heures à dix heures du soir , est vraiment envahie par les travailleurs : c'est Sainte- Geneviève . Il est difficile de se refuser à un sentiment de respect en voyant tous ces jeunes fronts penchés sur les tables d'étude et « potasser » , c'est leur mot, à la clarté de quatre-vingts becs de gaz ; plus de 300 étudiants y sont assidus pendant la soirée ; on s'amuse fort au quartier latin, mais on y travaille beaucoup aussi, et il y a lieu d'espérer que ce labeur ne sera pas stérile . C'est l'exception, je dois l'avouer, et dans les autres bibliothèques le visiteur est clair- semé. On sait exactement le nombre des lecteurs fournis par les Parisiens à la Richelieu , 250 à la salle de travail , 170 à la salle de lecture ; à la Mazarine une soixantaine, tout autant à l'Arsenal, environ 80 à VI. 18 274 LES ORGANES ACCESSOIRES. Sainte-Geneviève pendant la journée ; donc, sur une population de 1,800,000 âmes, 640 font , le jour , acte de présence dans nos bibliothèques ; lorsqu'il pleut ou qu'il fait très-froid, ce chiffre doit être augmenté d'un bon tiers . Pour beaucoup de gens, en effet, la salle des bibliothèques est un chauffoir et un abri ; pour presque tous c'est un cabinet de lecture . Ce que l'on demande le plus ce sont les romans, les livres d'his toire «< amusants » , les revues de la quinzaine ou du mois, quelques livres de voyages , les chroniques scan daleuses et les armoriaux où l'on espère trouver des ancêtres. Il y a des maniaques qui, chaque matin , arrivent à l'heure de l'ouverture et partent lorsque l'on ferme les portes ; ils sont ordinairement confinés dans un ordre spécial de lecture qu'ils recommencent inces samment. L'un d'eux, bien connu des bibliothécaires et des garçons de service, ne prend que les volumes « où l'on trouve des noms de baptême » ; il copie ceux-ci avec grand soin et les envoie aux mission naires qui parcourent l'empire du Milicu , afin qu'ils n'aient jamais aucun embarras à nommer les petits Chinois convertis ; d'autres demandent un livre quel conque, l'ouvrent , s'étalent dessus et s'endorment. S'ils ne ronflent pas trop, on les laisse faire, car, après tout, il vaut encore mieux dormir dans une biblio thèque que de se griser au cabaret . LES BIBLIOTHÈQUES. 275 Cette clientèle est assez triste et donne l'idée du désœuvrement bien plus que du désir d'apprendre ; on la sert avec zèle cependant et on lui fournit la maigre pitance intellectuelle qui lui convient . Mais dès qu'un véritable lettré apparaît , un homme qui connaît les livres et qui sait s'en servir, comme les bibliothécaires lui font bon visage ! On lui réserve bonne place dans un coin tranquille, on l'aide dans ses recherches , et s'il doit revenir le lendemain, on serre son volume dans un tiroir, afin qu'il l'ait tout de suite en arrivant . A certaines époques on croirait volontiers que nos bibliothèques sont une succursale des pensionnats de jeunes filles ; l'on y voit des demoiselles trotte-menu, serrant les coudes, baissant les yeux, qui toutes de mandent des livres traitant de matières d'enseigne ment. Cela s'appelle la crise des institutrices ; ça dure quinze jours , au moment des examens de l'Hôtel de Ville ; on a acheté exprès pour elles une quantité prodigieuse de manuels qui leur donnent la besogne toute faite . Le jeudi , les externes des colléges viennent « copier » , c'est-à- dire transcrire la traduction de la version qu'ils ont à faire de cette façon du moins ils en comprendront le sens.

En somme, le public parisien est peu assidu aux bibliothèques ; il ne lit guère ; ses plaisirs et ses occu pations ne lui en laissent point le loisir ; il n'est pas 276 LES ORGANES ACCESSOIRES. curieux de s'instruire, car il croit volontiers qu'il n'a plus rien à apprendre ; et puis, pourquoi irait- il s'in cliner sur un livre pour y chercher des effets et des causes ? n'a-t-il pas soir et matin cette masse énorme de volumes en détail que l'on nomme les journaux, encyclopédie facile, renouvelée incessamment, spiri tuelle, rapide , touchant à l'histoire, parlant politique, racontant des anecdoctes , citant des bons mots, frivole, grave, littéraire , drôlatique, injuste , indulgente, acrimonieuse, paterne, rouge ou blanche, verte ou bleue, à son choix , et qui lui apporte chaque jour son savoir de la journée? - - Le Times. - Les journaux et la politique. - Haro! Au 18 mars. La presse pério Erreurs. Les dique n'est qu'un écho. Les primes. Rapidité. typographes. Les sermons de la Ligue. Les mazarinades. Les nou velles à la main et les chansons. Un couplet. Le public est com plice Les annonces. . La bourgeoisie et la Lanterne. La France et l'Angleterre. Le journal du suffrage universel. Ho méopathie. La signature. — L'Organisation du travail. Impres sions fugitives. Le Père Duchêne. - La liberté conciliable avec l'ordre. Le directeur. Édouard Le communiqué. - Questions pénibles. Bertin. La Gazette de France aïeule des journaux. - A diverses épo ques. La presse non politique issue du décret du 17 février 1852. 791 périodiques. Chaque science a son journal. Journaux singu liers. L'Intermédiaire. Le tirage. Minimum invariable. presse ne périra pas. — La Un vœu. - - 111. - - - LES JOURNAUX, - - - - - - - - - - - - - - - - Tout parti politique qui aspire au pouvoir réclame la liberté de la presse, tout parti politique qui par LES JOURNAUX. 277 vient au pouvoir supprime la liberté de la presse ; d'après cela il ne faut point s'étonner si l'histoire des journaux est un martyrologe et si la loi a été parfois sévère jusqu'à l'excès contre les journalistes : sous la Révolution on leur coupe la tête ; sous le premier em pire on les fait taire ; sous la Restauration on les em prisonne ; sous le gouvernement de Juillet on les ruine et l'on invente pour eux un nouveau crime, appelé la complicité morale ; pendant la seconde république, un ancien journaliste républicain , élu député , monte à la tribune pour demander qu'ils soient déportés en masse ; sous le second empire on leur applique des mesures administratives jusqu'au jour où, redevenus libres, ils rentrent dans les exagérations qui leur sont familières . Tous les gouvernements qui écrasent la presse meurent, tous ceux qui la respectent périssent, ce qui tendrait à prouver qu'elle a bien peu d'influence sur leur destinée . Pour bien des gens, la presse périodi que est la cause de tous nos maux ; elle sonne la fan fare des émeutes et par une action incessante désa grége lentement, mais invinciblement, tous les prin cipes qui sont l'honneur et la sécurité des États ; volontiers ces gens- là diraient ce que Mouktar- Pacha, fils d'Ali-Tépéleni , disait à Pouqueville : « Il n'y a que nous autres pachas qui devrions savoir lire et écrire ; sij'avais un Voltaire dans mes États , je le ferais pendre . »> 278 LES ORGANES ACCESSOIRES. La presse est souvent irritante , agressive , présomp tueuse, ignorante, mais souvent aussi elle est très honorable, sage et courageuse. Au 18 mars 1871 , quand le pouvoir, effaré, avait quitté Paris et s'était rejeté sur Versailles en ordonnant d'évacuer tous les forts, même le Mont-Valérien , qui donc est resté im perturbablement au poste de bataille ? La presse , qui a lutté avec une énergie loyale et vigoureuse jusqu'à l'heure où les journalistes, poursuivis, traqués, dis persés par la force, furent obligés d'aller continuer en province le combat pour la bonne cause . On accuse les journaux d'exercer sur l'opinion pu blique une influence considérable et de la diriger à leur gré c'est une erreur ; ils reflètent l'opinion publique, ils la grossissent ou l'atténuent selon leurs intérêts, mais ils ne la créent pas ; ils sont l'écho et non pas la voix . Si l'on veut savoir quelles sont les tendances et quels sont les goûts d'une nation , il n'y a qu'à regarder le journal qu'elle lit de préférence , et l'on saura à quoi s'en tenir . Les journaux ne sont point des êtres abstraits qui vivent de rhétorique et se nourrissent de syllogismes : ce sont des exploitations industrielles qui ont besoin de gagner de l'argent pour subsister ; plus l'opinion représentée par un journal a d'adhérents, plus ce journal a d'abonnés. C'est là une vérité si élémentaire, qu'elle ressemble à un lieu commun. LES JOURNAUX. 279 Lorsque l'abonné « ne mord pas », on cherche à l'attirer par toutes sortes de moyens où la politique et la littérature n'ont rien à voir ; vers 1845, un journal littéraire nommé la Pandore donnait, en prime, des cravates, des pendules et des pantalons ; dans les Débats du 23 décembre 1869 on peut trouver une annonce par laquelle un journal , fort vertueux , offre à ses abonnés , au choix et dans l'ordre suivant , une photographie de Pie IX, de Jésus-Christ, d'Émile Augier ou de Victorien Sardou . Les journaux quotidiens contiennent beaucoup d'er reurs, et souvent l'on y prend le Pirée pour un homme; cela n'a rien de surprenant, car ils doivent être écrits, composés, tirés, pliés, expédiés avec une rapidité vertigineuse ; la politique change et varie avec une inconcevable prestesse : ce qui est vrai à midi est faux une heure après ; il y a des nécessités matérielles qui sont inéluctables et qui empêchent de revenir sur une appréciation formulée. Les journaux les plus sé rieux, les mieux informés, écrits par des gens d'un talent réel, n'échappent pas à cette fatalité qui pèse sur tout ce qui est fait trop vite. En dehors des erreurs involontaires échappées à des écrivains qui n'ont pas le temps de se relire, il y a celles qui sont commises par les typographes surme nés, harassés, qui composent un fragment dont ils ignorent le commencement et la fin ; car, pour ga 280 LES ORGANES ACCESSOIRES. gner quelques minutes, on coupe en dix morceaux un article de cent lignes et on le distribue à dix ou vriers. La correction des épreuves est forcément né gligée ; aussi il n'est pas surprenant que dans un article sur les kangurous, au lieu de lire : « c'est un animal qui va par sauts et par bonds, >» on lise : « c'est un animal qui va par Sceaux et par Bondy. » Toutes les fautes que l'on peut découvrir dans un journal quoti dien doivent-elles donc être attribuées à la rapidité du travail des écrivains et des typographes ? Non certes : il y a des journalistes qui écrivent sans sourciller des âneries inexplicables ; de plus d'un l'on pourrait dire Il n'apprit jamais rien , écrivit sur tout, se trompa toujours et ne s'en aperçut jamais. La presse suit invariablement les mouvements de l'esprit public ; elle s'excite, s'affaisse, s'endort et s'exaspère avec lui . Elle est parfois d'une violence extraordinaire et franchit toute mesure en cela elle est faite exactement à l'image de notre caractère, qui est volontiers excessif ; lorsque les journaux n'exis taient pas encore, la presse n'en existait pas moins ; elle était représentée par les placards, les pamphlets, les couplets , les nouvelles à la main. Pendant la Ligue, le sermon tenait lieu du journal , et les orateurs les plus doux ne demandaient que la mort du pé cheur. Sous la Fronde les mazarinades dépassent en fureur LES JOURNAUX 281 tout ce que nous avons pu voir dans nos jours né fastes ; Dubosc de Montandré écrit dans le Point de l'ovale : « En matière de soulèvement, on n'est cou pable que d'avoir trop de modération ..... Faisons car nage de l'autre parti , sans respecter ni les grands , ni les petits, ni les jeunes , ni les vieux , ni les mâles, ni les femelles, afin que même il n'en reste pas un pour en conserver le nom ! » Dans la Franche Marguerite on lit << Point de Mazarin ! point de Mazarins ! point de Mazarines ! main basse sur toute cette engeance ! Point de quartier . Tue ! tue ! tue ! » Pendant le vrai règne de Louis XIV, silence appa rent ; on s'en dédommage sous le manteau de la che minée on colporte ces nouvelles à la main , médi sances et calomnies, dont on flagelle ceux que l'on n'ose attaquer en face ; plus de prêches meurtriers , plus de mazarinades, mais ce qu'il y a de pis, la chanson, qui s'impose à la mémoire par la rime, par l'air qui se répète , qui s'apprend , qui descend du sa lon à l'office , gagne la rue, se fredonne à voix basse et devient le divertissement des cabarets. Ces chan sonnettes étaient innocentes , dira-t-on , et ridiculi saient seulement quelques travers, mais ne poussaient jamais à la révolte . Que l'on en juge ; voici ce que l'on chantait en 1709 sur la famille du vieux Louis XIV : Le grand-père est un fanfaron, Le fils un imbécile 282 LES ORGANES ACCESSOIRES. Le petit-fils un grand poltron. Oh! la belle famille! Que je vous plains , pauvres Français, Soumis à cet empire ! Faites comme ont fait les Anglais , C'est assez vous en dire . Le conseil ne fut pas perdu, et l'échafaud de Louis XVI se dresse, dans l'histoire, à côté de celui de Charles I. Ne soyons pas trop sévères pour nos contemporains, nos pères n'ont pas été beaucoup plus sages que nous. Dans cette question du journalisme, il faut être d'une bonne foi absolue, faire impartialement son examen de conscience et reconnaître que ceux qui crient le plus fort contre le rôle de la presse sont ceux-là mêmes qui ont aidé à le développer . Si l'on n'achète pas , si l'on ne lit pas ce que l'on appelle les mauvais journaux , il est bien certain qu'ils disparaî tront. Qui donc, aux dernières années du second em pire, a fait le succès de la Lanterne, si ce n'est la bourgeoisie qui s'en disputait les numéros, les lisait avec passion et, par le succès qu'elle lui faisait , pous sait l'auteur dans la voie où il s'est perdu ? Les écri vains sont coupables, j'en veux convenir; mais les lec teurs qui s'engouent de leurs œuvres le sont autant qu'eux. Le bon moyen de forcer les mauvaises voix à se taire, c'est de ne pas les écouter. LES JOURNAUX. 283 En dehors des moyens de répression dont nul pou voir ne s'est montré avare contre les journaux , on a essayé de réagir contre eux en fondant une sorte de journal-type dont l'importance serait assez considé rable pour neutraliser celle des autres . On a rêvé de publier à Paris une feuille quotidienne extrêmement développée et analogue au Times anglais . Des com pagnies se sont formées dans ce but, un gouvernement avait même voulu prendre l'affaire en mains ; ces ten tatives ont avorté et sont restées à l'état de projet, car les études préalables avaient prouvé qu'une telle opé ration n'avait aucune chance de réussir en France. Cela tient à un motif qu'il est bon d'expliquer. Les frais de rédaction , de composition , de papier, de poste et d'administration sont tels dans un jour nal, que l'abonnement ou la vente au numéro suf fisent à peine à les couvrir . Ce qui assure l'existence des journaux et peut leur permettre de faire fortune, ce sont les annonces qu'ils insèrent à la quatrième et parfois même à la troisième page. Or, en France, le personnel industriel qui fait insérer des annonces ou des réclames dans les journaux , s'élève, au maxi mum, à 600,000 individus, tandis qu'en Angleterre il dépasse le chiffre de 4 millions. Un journal comme le Times est possible à Londres , car ses frais n'atteignent pas le quart du produit des annonces ; il serait impossible à Paris, où le produit 284 LES ORGANES ACCESSOIRES.

des annonces ne couvrirait pas le quart de ses frais. Aussi nous avons vu tous les journaux quotidiens qui ont voulu imiter - de bien loin le célèbre pério dique anglais, tomber les uns après les autres et finir par la faillite . Une cause morale s'ajoute encore à cela le Times, journal qui coûte fort cher, est ap proprié à la société anglaise, société très- riche, hié rarchisée et catégorisée à l'infini ; il ne conviendrait pas à la société française , démocratisée du haut en bas et jouissant à tous les degrés des mêmes droits poli tiques ; le véritable journal du suffrage universel , c'est le journal à un sou . Si la liberté de la presse est un droit , il faut le laisser s'exercer ; si c'est une maladie , on doit la traiter par le mode homéopathique : similia simili bus; ce sont les journaux qui affaibliront le journal , c'est le nombre qui tuera l'influence, à cette condi tion toutefois , que chaque article soit signé réel lement par l'écrivain qui en est l'auteur ; une opinion émise n'est respectable que si elle est couverte par une responsabilité déterminée . Cette liberté est par fois douloureuse, je le sais , et souvent elle a dépassé toutes bornes permises . A-t- elle été aussi dangereuse qu'on a bien voulu le dire, ou que l'on a feint de le croire? - Après la révolution de 1848 , un journal intitulé l'Organisation du travail publia , sous le titre de LES JOURNAUX 285 Fortunes foncières , une liste de propriétés évidem ment désignées au pillage. On s'en émut, et chacun, sur l'heure, cria à l'assassinat . Trois jours après, cette fameuse liste de proscription était oubliée , et personne n'y pensait plus . Le journal a , en effet , cela contre lui et pour lui : il se lit , passionne et s'oublie avec une égale facilité ; dans plus d'un cas, des pour suites judiciaires ont fait remarquer et ont fixé dans le souvenir des articles qui auraient passé inaperçus. Qui se rappelle le Père Duchêne du 7 décembre 1869 , dont on fut si troublé ? En pareille matière, la répres sion s'exerce presque toujours lorsque l'impression causée par le délit est déjà effacée. « Bien faire et laisser dire ; » c'est une ancienne devise qu'il est bon de ne point oublier. Quant aux journaux, ils ne pourraient que gagner à se rappeler la belle maxime de Necker « Il faut toute la liberté qui est conci liable avec l'ordre . » La juste proportion n'est sans doute pas facile à trouver, car on la cherche en vain depuis 1789. Les lois qui souvent ont frappé la presse avec bru talité ne me semblent pas avoir atteint le but qu'elles visaient faire le silence n'est pas faire la lumière ; supprimer un journal ne rectifie pas une erreur. Entre les mains d'un gouvernement habile et quelque peu spirituel, le communiqué est un instrument à la fois très-sain et redoutable . Ce procédé est supérieur à 286 LES ORGANES ACCESSOIRES. toutes les mesures répressives ; il permet de rétablir la vérité là même où l'erreur a été propagée, et s'il est employé dans de certaines proportions contre les journaux systématiquement hostiles et de mauvaise foi , il peut les forcer à se taire à bref délai . Le prin cipe de la liberté reste sauf; le pouvoir et l'opposi tion en font usage, chacun pour sa propre cause ; la victoire appartiendra au plus avisé. Il est regrettable que l'on soit obligé d'agiter de pareilles questions à propos de la presse périodique, et qu'elle soit souvent mue par des intérêts qui n'ont rien de général. Le désir de blesser ses adversaires l'entraîne à des excès que l'on doit réprouver ; le besoin de satisfaire le goût dépravé des lecteurs la pousse à des personnalités douloureuses, à des scan dales qu'il faut savoir éviter, à des polémiques médi santes que les esprits sérieux ont toujours dédaignées. Les autres peuples ne valent pas mieux que nous à cet égard, et lorsque l'on a lu certains journaux étran gers, on demeure stupéfait de la quantité d'injures que peut contenir l'encrier d'un journaliste. La res ponsabilité de la « bonne tenue » d'un journal in combe au rédacteur en chef; c'est à lui qu'il appar tient de diriger son personnel discuteur et militant dans la ligne droite où se rencontrent le bon ton et la vérité. C'est là une fonction délicate qu'il n'est point facile LES JOURNAUX. 287 d'exercer. J'ai connu le modèle des directeurs d'un grand journal politique ; il a laissé dans la mémoire de ceux qui l'ont côtoyé un souvenir impérissable. Libéral, au large sens du mot, permettant à chacun de se mouvoir à l'aise dans un cercle très- étendu , respectant chez les autres les convictions qu'il faisait respecter chez lui, il conduisait avec une autorité bienveillante et sagace une phalange d'écrivains dont je n'ose parler avec éloge, car j'ai eu l'honneur d'en faire partie. Son intelligence très- élevée, la rectitude de son jugement impeccable, son instruction encyclo pédique, la sûreté absolue des rapports que l'on entretenait avec lui, en faisaient un homme excep tionnel . Il a su traverser des jours difficiles sans compromettre les intérêts dont il avait la garde, et sans jamais abaisser le drapeau qu'il tenait en main; il a eu ses heures de liberté illimitée, sans jamais laisser les discussions sortir de ce ton de bonne com pagnie dont il donnait naturellement l'exemple ; on peut feuilleter la collection de son journal, on n'y pourra découvrir un mot injurieux , une allusion pénible, une anecdote douteuse . Si les hommes qui mènent les journaux étaient comme lui , toute loi sur la presse serait superflue. Dans ce portrait à peine esquissé, nul n'hésitera à reconnaître Édouard Bertin, qui, pendant de trop courtes années, fut l'àme du Journal des Débats. 288 LES ORGANES ACCESSOIRES. La vieille Gazette de France, que créa Renaudot, et qui fut le premier journal français, au sens précis du mot, est la féconde aïeule de toutes ces feuilles qui voltigent le soir autour des kiosques de nos boule vards. Ce fut, en réalité , la Révolution qui inventa le journalisme. En 1788 , Paris peut se procurer trente journaux, dont treize viennent de l'étranger ' , et dès 1790 il en compte trois cent cinquante ; en 1800 , les choses ont bien changé le premier consul , on le sait, n'écoute pas volontiers les conseils des idéolo gues, et treize journaux subsistent ; c'est encore trop. L'Empire n'encourage pas ce genre de littérature , et en 1811 il n'en reste que quatre. Sous la Restauration , le nombre augmente : cent cinquante, dont huit politiques ; en 1827, seize poli tiques et cent seize littéraires ; pendant la première période de la royauté de Juillet, la presse quotidienne se développe trois cent quarante- sept journaux pa raissaient à Paris au moment où les lois de septembre, motivées par l'attentat de Fieschi, les mettent en quel que sorte à la discrétion du pouvoir. Aussitôt que la révolution de Février a éclaté , les feuilles quoti diennes s'échappent de chaque imprimerie, et le public peut trouver toute diversité d'opinions dans les quatre cent cinquante journaux qui lui sont offerts . Les principaux cabinets de lecture étaient quai des Grands-Au gustins, chez les concierges des Tuileries et du Palais-Royal. LES JOURNAUX. 289

  • Pendant l'Empire, après le décret du 17 février

1852 , un fait nouveau se produit : le journal litté raire, scientifique, industriel , financier, se propage à l'infini ; la politique est surveillée de près ; les jour naux imprudents sont avertis , suspendus , supprimés ; on se rejette vers les études inoffensives, et de cette époque date une quantité importante de publications spéciales fort utiles et souvent très-bien conçues ; aussi, en 1857 , sur cinq cent dix journaux qui des servent Paris, quarante seulement s'occupent de poli tique ; le nombre de ceux-ci s'accroît peu à peu : il est de soixante-trois sur cinq cent soixante- treize pério diques en 1865. Aujourd'hui, le total des publications périodiques, mensuelles , bimensuelles , hebdomadaires , quoti diennes, qui sont répandues dans Paris , s'élève au chiffre de 791 , dont 113 journaux correspondant à toutes les nuances possibles de la politique ; il n'est opinion, si solte ou si sage, qui n'ait un organe pour ainsi dire individuel . Tous les partis, les fractions, les sous-fractions qui divisent notre pauvre pays, par lent au nom du pays lui-même et réclament l'avenir à leur profit. Six cent soixante-dix-huit recueils traitent de ques tions où la politique n'est pas indispensable , et l'on ¹ La Commune donna naissance à 89 journaux , qui disparurent aussi tôt que les troupes furent entrées à Paris. VI 19 290 LES ORGANES ACCESSOIRES. est fort surpris, en parcourant la liste de tous ces écrits périodiques , de reconnaître que chaque science, chaque corps d'état a un journal qui lui est parti culier. Les journaux consacrés aux sciences natu relles et médicales sont fort nombreux 99, ainsi que les journaux de modes 58; les jour naux religieux - 78 , dont 22 protestants ; les journaux de jurisprudence 42 ; les journaux financiers 39. L'art militaire est représenté par 14 journaux , la marine par 9 , et l'architecture par 8. - - ――――――――― - L'épicerie a son bulletin ; la cordonnerie a son mo niteur ; l'enregistrement a son courrier, et le spiri tisme a une revue. Les greffiers, les huissiers ont plusieurs journaux spéciaux ; il n'est pas jusqu'à la manie de collectionner des timbres-poste oblitérés, manie excellente, à l'aide de laquelle on apprend sans peine la géographie aux enfants, qui n'ait donné naissance à deux recueils rivaux. Certaines feuilles sont consacrées à des saints dont on veut préconiser ou entretenir le culte. Il y a la Propagation de la dévotion àsaint Joseph. Parmi les journaux singuliers, on doit en citer un qui est fort anormal, car il est rédigé par les abonnés eux- mêmes : c'est l'Intermé diaire; toute question touchant à l'art , à l'archéolo gie, à la littérature, à l'histoire, y trouve place, et le plus souvent y obtient réponse satisfaisante. Importa LES JOURNAUX. 291 tion anglaise Notes and queries, que nous avons bien fait d'adopter. Ce n'est pas tout de savoir la quantité d'écrits périodiques qui sont offerts au public parisien , il faudrait pouvoir raconter quel en est le tirage, c'est à-dire quel nombre d'exemplaires chacun d'eux met en vente et envoie aux abonnés inscrits . C'est là un mystère que l'on cache avec le plus grand soin, mais qu'il ne serait pas impossible de dévoiler, si l'on n'était retenu par un scrupule naturel lorsqu'il s'agit d'opérations individuelles qui n'ont rien de commun avec les administrations de l'État ou de la Ville de Paris . Tout ce que l'on peut dire pour les journaux poli tiques, c'est que le tirage se modifie à l'infini , selon les circonstances . Tel qui a tiré 30,000 sous un mi nistère tombe à 6,000 sous un autre, et finit quelque fois par disparaître sous un troisième. Les journaux scientifiques et littéraires sont sujets à de moins brus ques variations ; ils ont une clientèle moyenne dont ils étudient les goûts et qu'ils tâchent de satisfaire ; enfin nous ajouterons qu'il n'est recueil périodique, si médiocre, si fastidieux qu'il puisse être, qui ne trouve 300 abonnés ; c'est là un chiffre minimum reconnu par la librairie ; on le constate, mais on ne l'explique pas. La presse française a traversé des destinées bien di 292 LES ORGANES ACCESSOIRES. verses, et, plus d'une fois réfugiée, après un naufrage, sur le radeau de la Méduse, elle a pu croire qu'elle allait sombrer. Quel que soit le sort que l'avenir lui réserve, elle ne périra pas. On pourra chercher encore à restreindre son action , à la « museler », comme di sent ceux qui la haïssent, elle restera debout, ne se rait-ce que pour servir les passions et exprimer les idées de ceux qui la combattent. Dans cette lutte que nous avons déjà vue se renouveler si souvent, les vain queurs n'ont pas toujours été d'une irréprochable bonne foi. Ils trouvaient tout naturel d'imposer si lence à leurs adversaires et de garder pour eux-mêmes le droit de parler . Montagne ou Gironde, celui qui, par habileté ou par hasard, se saisit du pouvoir, fait taire tout le monde autour de lui , afin que l'on n'en tende plus que sa voix ; celle-ci lui revient répétée par l'écho ; il l'écoute et croit y reconnaître l'expres sion de l'opinion publique. Illusion inévitable et dont on meurt. Voir un gouvernement tolérant et une presse res pectueuse marcher côte à côte, se développer parallè lement , s'éclairer par un concours mutuel , s'unir pour détruire les abus et découvrir la vérité, avoir l'un envers l'autre une indulgence intelligente, ou blier toute préoccupation personnelle et ne rechercher que le bien de la nation , c'est là un spectacle idéal que tout homme de cœur a rêvé, mais qu'il ne nous a LES AUXILIAIRES. 293 pas encore été donné de contempler. Espérons que la destinée en fera la surprise à nos petits- enfants ! Capucins. Dumourier-Duperrier. Origine. 160 pompiers. Service et outillage - Sapeurs-pompiers. La garde des pompes du roy. actuels. Nombre des incendies casernes Les avis superflus. · glais. Organisation défectueuse. service insuffisant. - La et des feux de cheminée. · Postes et Londres et Paris . - Opinion des An Pompier ou soldat ? - Temps de Le pompier doit être assimilé au gendarme ou au gardien de la paix. Les soldats du guet . Force dérisoire. garde de Paris. Notre garde urbaine. Augmenta tion du contingent. Décret du 4 octobre 1873. La mission de la garde républicaine. - Très-respectée de la bonne population . — La véri table dénomination est : garde municipale. L'impôt. Prime d'assu La prime est proportionnelle aux besoins. - Les révolutions. - rance. - - La part de Paris. Impossibilité de la déterminer . - Douanes , contributions indirectes , timbre et enregistrement. Contributions directes. heureux, la France est prospère. Quand Paris est - IV. - LES AUXILIAIRES, - - - -- - --- - - - - - - - - - w - - - - - Une ville comme Paris, aussi dense et aussi peu plée, où les maisons, soudées les unes aux autres , for ment une ligne ininterrompue dont les points de con tact sont innombrables, une ville où toute industrie s'exerce, où des milliers de becs de gaz et des milliers de foyers ardents sont une cause de dangers perpé tuels, exige, au point de vue des incendies possibles, une surveillance incessante ; pour les prévenir, on est obligé de s'en rapporter aux soins, presque toujours illusoires, de la population la plus insouciante qui existe ; pour les combattre, la ville de Paris possède, entretient, exerce un corps spécial dont le dévouement 294 LES ORGANES ACCESSOIRES. et l'intelligence sont célèbres : c'est celui des sapeurs pompiers. Depuis le dix-huitième siècle, ils ont rem placé les capucins, qui jadis étaient chargés d'éteindre les feux, de porter secours aux blessés et de garder les objets enlevés des maisons en flammes. Ce fut un sieur Dumourier-Duperrier qui , frappé de l'utilité des pompes qu'il avait vues fonctionner en Hollande et en Angleterre, obtint , en 1699 , du roi Louis XIV le droit privilégié d'en fabriquer et d'en vendre exclusivement pendant trois ans. Le roi en acheta douze de ses deniers et en fit cadeau à la ville de Paris . Ce fut là l'origine de nos pompiers, qui se sont naturellement substitués aux capucins, comme depuis longtemps les architectes et les ingénieurs s'étaient substitués aux frères pontifes dans la con struction des ponts. La création réelle, ou, pour mieux dire, l'organisa tion « de la garde des pompes du roy », date du 23 février 1716 ; Sartines éleva le nombre des pom piers au chiffre de 160 , et l'on crut alors avoir atteint une perfection qui ne serait jamais dépassée . Nous sommes loin de là aujourd'hui , car le corps des sa peurs-pompiers de la Ville est actuellement composé de 1,548 officiers , sous-officiers , soldats , et outillé de 239 pompes¹ ; il occupe, dans les divers quartiers de Dont 3 pompes à vapeur et 14 pompes d'école pouvant être utili sées dans un cas urgent. LES AUXILIAIRES. 295 Paris, 9 casernes et 75 postes , dont 51 ne sont pas encore pourvus d'appareils télégraphiques ' . 1,500 hommes pour tout Paris, ce n'est pas trop , si l'on songe que, bon an mal an, ils ont 600 incen dies à combattre et 1,100 feux de cheminée à étein dre. Ils sont de service régulièrement dans tous les endroits qui offrent aux flammes un aliment facile ; derrière les coulisses des théâtres, ils sont toujours sur le qui-vive ; ils sont répandus par escouades dans les couloirs des bals officiels pour lesquels de légères constructions en bois ont été dressées ; ils ont des postes fixes à nos bibliothèques, aux Archives, aux ministères, à la Banque, à l'hôtel des Postes ; je les cherche en vain près de nos musées, je ne les y trouve pas. Au premier signal du clairon , ils coiffent le cas que, se sanglent de la ceinture de sauvetage, s'at tellent à leurs chariots de pompe toujours gréés, et partent au grand trot , plus vite que des chevaux per cherons. Pendant les incendies de la Commune, ils ont accueilli dans leurs rangs tous les pompiers de France accourus pour sauver leur capitale. Malgré les services incessants qu'ils rendent, on ne leur épargne pas toujours des reproches immérités ; les nations étrangères s'en mêlent parfois, et nous donnent volon • Voir Fièces justificatives, nº 6. 296 LES ORGANES ACCESSOIRES. tiers des conseils dont elles feraient bien de profiter elles-mêmes. Au mois de novembre 1873 , lorsque l'Opéra brûla comme un tas de vieilles boiseries et de vieux papiers peints qu'il était, les journaux anglais ne manquèrent pas de nous faire la leçon, et de nous dire qu'un pa reil accident eût été promptement conjuré par les pompiers de Londres . Peu de temps après , l'incendie complet du Pantechnicon prouva qu'il était plus facile de blâmer nos sapeurs-pompiers que de les surpasser . Souvent nous-mêmes, mus par cet esprit de dénigre ment pour nos institutions, qui semble faire partie de notre caractère national , nous avons invoqué, comme un modèle, le système libre et plein de riva lités que les Anglais ont adopté pour se rendre maîtres des incendies ; or le Blue-Book de 1867 contient les rapports d'une enquête parlementaire faite sur <« le service de protection contre les incendies » . Voici ce que l'on y peut lire « Lord Richard Grosvenor : Êtes-vous d'avis que le système de Paris soit supérieur au nôtre? - Le capitaine Shaw : Je crois que l'orga nisation de Paris est supérieure à la nôtre ; mais elle est préventive et ne conviendrait pas à notre pays . >> Cette organisation , dont l'Angleterre ne nie pas la supériorité, est cependant vicieuse par un point que l'on doit signaler. Nos pompiers, payés en partie par la Ville, appartiennent au ministère de la guerre ; ce LES AUXILIAIRES. 297 ne sont point des agents spéciaux enrégimentés en vue de parer à un danger particulièrement redou table , ce sont des soldats, rien que des soldats , sou mis à tous les avantages et à tous les inconvénients de la loi militaire. La discipline stricte et méticuleuse y gagne peut-être, mais le but poursuivi est négligé, ou plutôt on poursuit deux buts à la fois , ce qui pro duit un résultat mauvais. Comme pompier, le soldat est astreint à une édu cation spéciale et longue ; l'exercice de la pompe et la gymnastique sont ses occupations principales ; comme soldat, le pompier doit apprendre le manie ment des armes et l'école de peloton . La loi le main tient cinq ans sous les drapeaux et le congédie ; or il faut au moins quatre ans pour former un bon pom pier ; dès qu'il a rompu son corps aux difficultés du gymnase, qu'il a acquis l'expérience de tous les dan gers que peut présenter un incendie, on le renvoie dans ses foyers, et il est remplacé par une recrue à laquelle on doit tout enseigner, même à boucler sa ceinture. Pompier ou soldat, soldat ou pompier, il faut choisir ; s'ils restent l'un et l'autre, nous les verrons s'affaiblir sous l'incohérence de cette orga nisation nouvelle qui date de 1871 , dépérir et devenir inutiles. Qui trop embrasse mal étreint, dit notre vieille sagesse ; c'est là un proverbe qu'il est bon d'écouter. - 298 LES ORGANES ACCESSOIRES. Avec le système actuel on a des soldats médiocres et des pompiers insuffisants . L'ennemi qu'ils ont à combattre est sérieux , toujours menaçant, et exige toutes les forces, toutes les facultés d'un homme : leur arme particulière , c'est la pompe; leur exercice indispensable, c'est la gymnastique ; toute autre arme est superflue, tout autre exercice les détourne de leur devoir et les rend moins aptes à remplir leur mission. La mesure par laquelle on leur a donné le fusil, et par laquelle on les a réservés, pour certains cas prévus, au service de guerre, a été une mesure précipitée, peu réfléchie , et prise évidemment pour plaire à l'opinion publique, qui , surexcitée outre mesure en présence de nos défaites, avait rêvé de faire de la France un immense camp retranché où tout le monde eût marché au son du tambour. A ce rêve, à nos besoins, le service obligatoire répondra directement lorsqu'il sera enfin permis de le faire fonctionner. Mais 1,500 hommes, accoutumés à agir isolément pår groupes de trois ou quatre, ayant une instruction militaire imparfaite, ne seront jamais qu'un secours insignifiant lors d'un conflit général, tandis qu'ils sont appelés à rendre d'inap préciables services, si on les confine dans l'œuvre de salut où ils peuvent facilement exceller . Qu'on leur laisse le sabre pour affirmer leur réglementation mi litaire ; et s'ils continuent à appartenir au ministère LES AUXILIAIRES. 299 de la guerre, que ce soit comme les gendarmes, sans limite pour le temps de service ; ils auront ainsi la possibilité de se parfaire en leur art, de parvenir aux grades d'officier, et de se réserver exclusivement pour lutter contre le péril dont si souvent ils ont été vain queurs, et qui est surtout à craindre dans les grandes cités. Il y aurait mieux à faire, et les pompiers, qui sont avant tout des agents de la municipalité, devraient être assimilés aux gardiens de la paix . Répandus, comme ceux-ci , dans des postes multipliés, au mi lieu de nos arrondissements, armés du pouvoir de déclarer procès-verbal aux habitants qui , par leur imprudence, peuvent créer des causes d'incendie , encouragés par une haute paye, ayant droit à une pension après vingt- cinq ans de service, recrutés par la préfecture de police, qui saurait bien en trouver parmi les couvreurs, les fumistes , les maçons et les charpentiers, ils seraient réellement les soldats du feu, et rendraient au centuple à la Ville les sacrifices que celle- ci ferait pour mériter leur dévouement. Si les « gardes des pompes du roy » qu'ont connus nos ancêtres, se sont transformés en sapeurs-pom piers, les soldats du guet sont devenus la garde répu blicaine , qui avant 1870 était la garde de Paris, la garde municipale avant 1848 et la gendarmerie avant 1830. L'étiquette a changé, la fonction et l'excellent 300 LES ORGANES ACCESSOIRES. esprit de corps sont restés les mêmes. On a bien ri du guet jadis et on l'a souvent battu , lorsque nos rues à peine éclairées étaient de longs couloirs obscurs pro pices aux coups de main, aux escalades et à la fuite assurée. Il représentait une surveillance dérisoire. Que pouvait, dans cette ville immense embrouillée d'un écheveau de ruelles inextricables , que pou vait faire une force armée composée de 139 hommes, dont 39 à cheval et 100 à pied? C'était tout le con tingent de la troupe municipale à la solde de la pré vôté des marchands. Le commandant de cette petite compagnie, le chevalier du guet ' , avait, rue Sainte Opportune, un bel hôtel en pierre de taille datant du milieu du quatorzième siècle, et où nous avons connu la mairie de l'ancien quatrième arrondisse ment. Unsecond corps de soldats , particulièrement nommé garde de Paris, concourait aussi à faire semblant de veil ler à la sécurité de la ville et recevait directement les ordres du roi , à qui il appartenait. Il était divisé en trois compagnies d'ordonnance , dont deux d'infanterie , comprenant 784 hommes, et une de cavalerie, for mant un contingent de 105 « maîtres » . La première 1 Le dernier chevalier du guet, nommé le 18 novembre 1788, fut M. de Rulhière ; il passa comme colonel au commandement de la gen darmerie à pied, organisée par décret du 18 juillet 1792 ; il défendit les Tuileries au 10 août, fut arrêté, incarcéré à La Force et massacré le 2 septembre. LES AUXILIAIRES 301 compagnie, grosse de 268 hommes, gardait les portes et les ports ; la seconde, dans laquelle on comptait 516 soldats, occupait les postes disséminés dans les différents quartiers de Paris ; la cavalerie marchait en patrouilles retentissantes par escouades de cinq hom. mes. Cette organisation paraissait fort belle aux étran gers, et Mercy d'Argenteau fut, en 1771 , chargé par Marie-Thérèse d'en demander le détail à Sartines . Nous en ririons aujourd'hui qu'elle a été remplacée, avec tant d'avantages, par notre garde républicaine et nos sergents de ville. tou Choisie parmi d'anciens soldats dont les états de service sont irréprochables, tenue avec une discipline très sévère, que la bonne conduite rend presque jours inutile, cette garde urbaine n'est point aimée par la partie turbulente et émeutière de la population de Paris . Cela est naturel , car jamais le désordre n'a eu grande tendance pour la répression . Ces braves gens, doux avec un peuple dont ils connaissent les côtés gamins et gouailleurs , ont beau remplir leur devoir sans dureté ni mauvaise humeur, ils n'ont pu apprivoiser certains esprits prompts à mal faire qui voient en eux la personnification d'une autorité dé testée. Dans les fêtes publiques, aux jours de revue et de gala , ils agissent envers la foule avec une pru dence extrême ; n'importe, on leur en veut sans trop savoir pourquoi. Aussi le premier effort de toute ré 302 LES ORGANES ACCESSOIRES. volution porte-t-il contre eux ; mais après chaque ré volution on en augmente invariablement le nombre, car ils sont d'autant plus nécessaires que la population est plus troublée . En 1830 , on se faisait gloire de « descendre les gendarmes » ; en 1848 , on brûla les gardes munici paux dans le poste de la place de la Concorde ; si en 1870 on n'assomma pas les gardes de Paris, c'est qu'on les réservait pour les avant-postes . En juillet 1850, on compte 2,108 gendarmes; en février 1848 , 2,760 gardes municipaux; en septembre 1870 , 3,722 gardes de Paris ; le décret du 4 octobre 1873 a réor ganisé l'effectif du corps et l'a fixé à 4,014 officiers , sous- officiers, soldats, à 757 chevaux et à 24 enfants de troupe. Sur ce nombre d'hommes, plus de 800 sont mariés . Réunie, la garde républicaine forme une petite armée de trois bataillons à huit compagnies et de six escadrons. La mission confiée à ces soldats est toute pacifique ; ils veillent sur les théâtres, sur les bals publics, ils aident au transport des détenus et sont , en toutes cir constances, d'importants auxiliaires pour le repos de Paris. La portion saine , travailleuse, honnête de notre peuple le sait bien : aussi elle les aime et les respecte. Ils appartiennent à la Ville , qui contribue pour moitié à leur entretien ; dans les cérémonies publiques, ils escortent le préfet de la Seine et le Conseil municipal, LES AUXILIAIRES. 『 303 comme autrefois la compagnie du guet escortait le prévôt des marchands et le corps des échevins. Puisque l'on a la sotte puérilité de débaptiser cette troupe d'élite à chaque changement de gouvernement , pourquoi ne pas lui rendre son vrai nom, ce nom excellent qui renferme une définition complète, et ne pas l'appeler la garde municipale? Nulle susceptibi lité politique n'a le droit de s'en choquer, car cette dénomination désigne d'une façon précise le cercle. d'action où ce service tout spécial est cantonné. Ces soldats sont absolument particuliers à Paris , nulle autre ville de France n'en pourrait montrer d'ana logues . Ils font partie de l'ensemble d'organes que l'on a expressément créés pour le Parisien. Celui- ci est assez fier de ces rouages administratifs et protecteurs que l'on met en œuvre expressément pour lui , et il aime à s'en vanter tout en les dénigrant de son mieux. Il profite aussi , et dans une large me sure, des organes généraux qui, fonctionnant sans relâche, ont pour but d'assurer le salut et la prospé rité du pays. Comme tout Français, il a des chemins de fer, des canaux, des forêts, des colonies, des am bassadeurs, des armées et des flottes , car s'il paye les taxes municipales à l'aide desquelles on pourvoit à ses besoins particuliers, il acquitte l'impôt, qui permet de subvenir aux nécessités générales. Cet impôt n'est pas autre chose qu'une prime d'as 304 LES ORGANES ACCESSOIRES. surance ; on la verse entre les mains de l'État qui, en échange, garantit la défense du territoire, les moyens de communications rapides et la protection des inté rêts que les transactions d'un peuple nombreux en gagent incessamment. Plus les intérêts à sauvegarder sont importants, plus la prime d'assurance est élevée ; un négociant qui doit être protégé par les douanes, par les flottes, par la diplomatie et au besoin par les armées, paye une prime autrement forte que celle du simple citadin qui vit au jour le jour et n'a à veiller que sur sa propre personne . Dans ce concours proportionnel de toutes les for tunes, qui varie chaque année selon les exigences acci dentelles ou normales auxquelles il faut répondre et qui forme, en résumé, la fortune même de la France, la part de Paris est considérable ; elle pèse lourdement sur sa population, lorsque les événements ralentissent cet énorme mouvement d'opérations de toutes sortes que l'on nomme les affaires ; elle est, au contraire , portée allègrement lorsque nous sommes aux heures de la prospérité. Il est impossible de déterminer d'une façon précise quelles ressources Paris ajoute aux revenus du pays : des exemples le feront comprendre. Les douanes sont une des richesses de l'État ; beaucoup d'objets imposés utilisés à Paris ont acquitté les droits aux frontières ; beaucoup d'objets destinés à la province acquittent les LES AUXILIAIRES. 305 droits à Paris. Il en est de même pour les contribu tions indirectes; en 1872 , de ce chef, on a payé à Pa ris 190,170,852 francs , mais dans cette somme les chemins de fer entrent pour 66,984,075 ; or ce genre d'impôt est centralisé à Paris et représente les droits versés par toute la France. - L'enregistrement, greffe, hypothèques, ventes de meubles et immeubles, a encaissé 102,059,000 fr. Mais qui saura combien de meubles ont été expédiés à notre salle de commissaires- priscurs, combien de ventes d'immeubles ont été effectuées sur le marché très-actif de Paris , combien de plaideurs provinciaux sont venus demander justice à nos tribunaux? Le tim bre nous offre une difficulté semblable : Paris timbre pour la France entière ; tout ce que l'on peut dire, c'est qu'à Paris l'administration centrale a touché 21,152,000 francs en 1872 . En revanche, les contributions directes et les taxes assimilées répondent exactement, lorsqu'on les inter roge : l'apport de Paris a été de 78,050,425 fr. 01 c.; dans ce total les contributions foncières, personnelles mobilières, des portes et fenêtres , des patentes, figu rent pour le chiffre de 76,226,555 fr. 89 c . En ré sumé , l'on a calculé Paris à l'État une que paye somme inférieure au quart et supérieure au cinquième du budget de la France . Est- ce excessif ? Non . Le rôle prépondérant que la capitale du pays joue dans la des - VI. 20 306 LES ORGANES ACCESSOIRES. tinée du pays lui-même exige d'inévitables sacritices ; a prime d'assurance est en proportion des intérêts à protéger; car lorsque Paris travaille, lorsqu'il est pai sible et heureux, la France est prospère. - - - - Les agriculteurs de Paris. Le quartier de l'Europe. Le mouvement scientifique. L'industrie. Combien de gens en vivent à Paris . - La division du travail. Les yeux artificiels . Opinion d'Évelyn . Les intermédiaires. Les chifonniers. Timbres-poste ; faux cheveux ; bouquets de violettes. - - Les faillites . Le bonnet vert. Les transac - - - - tions financières. · La Bourse. - Les irréguliers de la finance. - Vivre du jeu. Les acrobates. Les professions libérales. - Les lettrés ; dé tail touchant. Tribunal de première instance. Les notaires. Les médecins. - Un pour 1000. Les officiers de santé. Ignorance. Les comptes d'apothicaire. Molière est mort. — Les propriétaires et les rentiers . Les portiers. Les cercles. Confortable. Au café. Les fonctionnaires. De père en fils. Sottise et vanité. Paris. Les alchimistes. L'engouement. - L'équité. Les chômages. - Le chômage volontaire. Le lundi. Cafés -concerts. Tuer le ver. Les insoumis. Les étrangers. Les garnis. - Trois catégo ries. Ce que les étrangers dépensent à Paris. Louis XIV et Mansart. Le travail à ――― - - - - - LE PARISIEN I. CHAPITRE XXXV - - LA POPULATION. - - - - - - - - - - - - - - - - - -


- ― - << La ville de Paris est située dans une belle plaine, précisément au cœur de la France, » dit l'Arioste , dans le quatorzième chant de Roland furieux ; cette 508 LE PARISIEN. géographie fantastique est moralement exacte ; Paris est une miniature de la France : toutes les professions y sont représentées, même l'agriculture, car entre les confins de l'ancienne ville et l'enceinte des fortifica tions on peut trouver 188 fermiers, 11 métayers et 151 propriétaires qui vivent sur leurs terres ou les cultivent. Ils disparaîtront dans un temps peu éloi gné. Paris s'accroît sans cesse, et avant cinquante ans des maisons couvriront les champs où la charrue passe encore aujourd'hui . Les transformations sont rapides et si radicales, qu'elles enlèvent tout souvenir des choses antérieures ; il n'y a pas plus de quinze années que des chèvres et des vaches broutaient les maigres pâturages où cir culent aujourd'hui les rues du quartier de l'Europe ; des blanchisseries tendaient leur linge sur l'emplace ment où s'élève l'église Saint-Augustin, et les soldats faisaient l'exercice sur les terrains où passe le boule vard Malesherbes. Les exigences de la population ne se ralentissent pas ; que sont devenus les grands jar dins que l'on voyait au début du règne de Louis Philippe? Ceux qui, subsistent encore n'ont plus que des jours de grâce ; à la fin du siècle, Paris sera un immeuse pâté de maisons . Autrefois le petit commerce occupait la majeure partie du peuple parisien ; il n'en est plus ainsi : l'ad mirable mouvement scientifique qui donnera au dix LA POPULATION. 309 neuvième siècle une place exceptionnelle dans l'his toire de l'humanité, a exercé une influence directe sur la population des grandes villes ; celle-ci , au lieu de se contenter des bénéfices relativement restreints offerts aux transactions commerciales , a été entraînée à courir les aventures de la production qui, à travers des risques souvent dangereux, assurent la fortune des hommes habiles et intelligents. Servie par un groupe de savants qui, du haut de la chaire de l'en seignement supérieur, laissent tomber des formules abstraites qu'elle a su recueillir et utiliser, l'industrie a envahi Paris . Les droits dont sont frappés les com bustibles et les matières premières ne l'ont point effrayée ; elle a une importance extrême dans l'exis tence urbaine, car sur une population totale de 1,851,792 individus elle en fait vivre 816,040 , qui se divisent presque également selon les sexes, car on y compte 404,408 hommes et 411,632 femmes¹. C'est là une réponse indirecte aux moralistes qui prétendent que l'impossibilité de trouver du travail dans les cités populeuses pousse les femmes vers le désordre. Ces gros chiffres ne s'appliquent pas exclu sivement à la grande industrie qui fabrique les tissus, 1 Vivre d'une industrie , ce n'est pas l'exercer. Un patron dirige une industrie, il emploie vingt ouvriers qui y concourent, il nourrit sa femme, ses trois enfants et son père. Une seule personne exerce réellement l'in dustrie et vingt-six en vivent. • 310 LE PARISIEN. forge le fer , modifie les matières premières ou élève des constructions ; celle-là n'apporte le pain quoti dien qu'à 293,691 individus ; c'est la petite industrie, celle où Paris excelle, qui est la mère nourricière : 522,349 personnes lui doivent la subsistance. L'industrie a enlevé le paysan à la glèbe et l'a émancipé bien plus que la Révolution ; elle l'attire à Paris, et lui offre les mille métiers dont on peut vivre sans trop de peine ; une ville semblable a des besoins si multiples, si étranges parfois, qu'elle n'a jamais assez de serviteurs pour répondre à toutes ses fantai sies. La quantité des exigences a créé la quantité des ouvriers, et celle-ci a divisé le travail à l'infini ; un simple couteau, pour être parfait, nécessite la coopé ration de neuf corps d'état différents ' . En province , dans les petites villes, les ouvriers sont forcés de faire toute sorte de métiers ; l'horloger est lampiste, mé canicien et , au besoin, armurier ; ici , c'est le con traire, chacun se spécialise et reste confiné dans unc fabrication exclusive . Chacun trouve à vivre de cette façon et souvent par des professions plus baroques que l'on ne saurait l'imaginer ; qui croirait qu'il existe à Paris seize ateliers où l'on ne fabrique que des yeux humains artificiels ? Est- ce à dire que tous les Pour la lame : le forgeron-lamier, le limeur, le trempeur, l'émou leur, le polisseur ; pour le manche : le débiteur, le façonneur, le viro leur, et enfin le monteur. LA POPULATION. 511 Parisiens soient borgnes ? Non pas ; l'exportation en lève une bonne part de ces produits dont l'imitation serre la nature de si près, qu'ils trompent les regards les mieux avisés. ―――― « C'est un miracle pour moi, disait Évelyn en 1652, que dans une ville qui n'a point de commerce. en grand, tous ces gens qu'on voit dans une journée, en se promenant dans les rues et les carrefours, aient tous le dos vêtu et le ventre plein. » - Il n'écrirait plus cela aujourd'hui ; le commerce a pris un déve loppement considérable , et à mesure que Paris s'est agrandi, le nombre des intermédiaires a augmenté. Plus les distances sont longues à parcourir, plus les marchands au débit sont nombreux ; ils servent d'é tape à la marchandise et la rapprochent des clients . Le bénéfice qu'ils prélèvent sur les objets achetés en gros et revendus au détail, représente l'intérêt du temps épargné. 402,232 individus vivent du com merce, dont 209,654 hommes et 192,598 femmes. Tout se vend à Paris , car tout s'achète. Les 5,952 chiffonniers médaillés qui parcourent nos rues pen dant la nuit , « le cachemire d'osier » aux épaules , le crochet d'une main et la lanterne de l'autre , ont une << bourse » où l'on spécule sur les loques et sur les verres cassés . Sept grosses maisons, en relations d'af faires avec le monde entier, font le commerce des vicux timbres-poste ; 51 marchands de faux cheveux 312 LE PARISIEN. et 1,158 perruquiers ont, pendant le cours de l'année 1873 , vendu 102,900 kilogrammes de cette singu lière denrée qui devient une sorte de nécessité sociale , et que l'abondance des demandes a rendue si rare que l'on est obligé d'aller aujourd'hui la chercher jus qu'en Chine. Les fleurs sont presque aussi courues que les chignons postiches , 3,016 fleuristes suffisent à peine à satisfaire ce goût de la population à laquelle, l'an dernier, on a livré près de six millions de bou quets de violettes. Sur les 400,000 personnes auxquelles le commerce parisien fournit des moyens d'existence, on ne compte que 89,100 patrons ; les autres individus sont leurs employés, leurs domestiques ou leurs parents. Ce groupe est-il probe et fait- il , comme on dit, honneur à sa signature ? Oui , dans une notable proportion , car du 1er janvier au 31 décembre 1873 le tribunal de commerce n'a reçu que 1,862 déclarations de faillite . C'est déjà trop ; les mœurs américaines nous enva hissent et, sous ce rapport, cela est déplorable . Jadis le commerce parisien , « les six corps , >> comme l'on disait ' , était impitoyable ; coiffé du bonnet vert, le failli allait près du pilori des halles frapper trois fois de son corps nu le banc d'infamie ; sa veuve, si elle ne pouvait payer, jetait à son cadavre les clefs de la maison et le reniait pour « son homme » . Draperie, épicerie, mercerie, pelleterie, bonneterie , orfévrerie. LA POPULATION. 313 Nous nous sommes fort adoucis à ce sujet. En 1869, deux maisons rivales se sont publiquement disputées à qui aurait fait banqueroute ; Paris les a vues annon cer la liquidation de leurs marchandises par des affi ches où l'on pouvait lire : « Notre faillite seule est réelle ; celle d'à côté est simulée. » Les professions qui se rattachent aux entreprises de transport , de crédit, de banque, de commission , assurent directement ou indirectement l'existence de 108,496 personnes. C'est à ce groupe qu'appartien nent les grandes transactions financières qui déter minent et fixent le crédit du pays ; 131 offices de banque avouables, 456 banquiers envoient chaque jour « des ordres » aux 60 agents de change privilé giés, qui seuls ont pouvoir de vendre ou d'acheter régulièrement les fonds publics . A entendre les cris que l'on pousse, à voir les gestes d'énergumène que l'on fait autour de la corbeille de la Bourse ¹ , on peut imaginer qu'il n'y a pas sur terre un plus pénible métier. Pour une affaire sérieuse que l'on traite en vociférant, combien en bâcle-t-on qui ne sont que des spéculations aléatoires ? Le carnet seul des agents pourrait répondre, mais il reste muet pour les pro fanes, car il est gribouillé de signes qui sont indé chiffrables lorsqu'on n'en connaît pas la clef. 1 1 La Bourse de Paris a été créée, par arrêt du conseil, le 24 sep tembre 1724. 314 LE PARISIEN. Au- dessous de la Bourse et en dehors, s'agitent et pullulent les irréguliers de la finance qui , sous la nom générique et expressif de coulisse, de marronnage, de ruisseau, refont à leur guise, selon leurs espé rances ou leurs craintes, les opérations que les agents de change ont conclues. Après la pièce principale jouée par de vrais acteurs, c'est l'intermède souvent bouffon, parfois sinistre, exécuté par les paillasses. Nul travail parmi ces gens-là , et pourtant un labeur excessif, une activité fébrile , un déploiement d'astuce extraordinaire pour parvenir au but des âmes médio cres, qui est le gain apporté par le jeu . On peut leur répéter la grande parole de Franklin : « Si quelqu'un vient vous dire qu'il est d'autres moyens de faire for tune que le travail et l'économie, chassez-le, c'est un imposteur, ils n'en tiendront compte; ils ont pris l'habitude de cette vie décevante, et l'exemple de quelques aventuriers subitement enrichis par un coup de fortune suffit à les y maintenir. La plupart usent leurs forces à agripper, vaille que vaille, les quinze ou vingt francs dont ils ont besoin. pour subsister au jour le jour ; quelques- uns cepen dant s'élèvent au-dessus de cette humble moyenne, et l'on voit à Paris , comme dans toutes les grandes. capitales, des gens qui sont du monde, vivre sans ressources normales, comme s'ils avaient deux cent mille livres de rente, et se soutenir sur ce pied pen LA POPULATION. 315 dant une longue existence avec le jeu de bourse, le jeu de cercles, les paris de courses et quelquefois aussi avec les économies d'une danseuse. « On ne doit pas manquer de respect à sa pauvreté , » a dit Juvénal . Les acrobates , les charlatans, les montreurs de bêtes curieuses sont bien moins nombreux, car l'on n'en compte que 424. Les professions libérales nourrissent 194,829 per sonnes, ce qui serait trop considérable si la statistique n'avait souvent des façons de procéder qui déroutent les opinions reçues et demandent explication . Dans ce chiffre, tout ce qui vit des cultes reconnus, de l'ar mée, des administrations publiques, de la magistra ture, de l'enseignement, forme un total de 125,560 individus, auxquels il convient de joindre 17,515 hommes de peine , garçons de bureau , journaliers qui en relèvent; il ne reste donc que 51,954 à l'avoir des professions libérales ; c'est encore beaucoup, car on n'en vit pas toujours et souvent l'on en meurt . Les savants et les lettrés sont comptés pour 1,878 ; les artistes peintres, sculpteurs , compositeurs, acteurs , pour 9,420 , dont 2,058 femmes ; ces 11,292 per sonnes pourvoient aux besoins de 12,191 autres . Il Ꭹ a un détail touchant les 1,878 lettrés n'ont à eux tous que 808 domestiques ; en revanche, les parents qu'ils soutiennent du prix de leur travail sont au nom bre de 2,258. 316 LE PARISIEN. Les discussions d'intérêts privés , la criminalité, les délits qui doivent comparaître devant la justice en traînent un gros personnel ; nous avons raconté pré cédemment comment la Cour d'assises procède envers les accusés ' ; le tribunal de première instance, chargé de prononcer sur les dissentiments survenus entre par ticuliers, ne chôme pas ; en 1872 , il a inscrit à son rôle 17,776 affaires, dont 968 avaient été libérale ment acceptées par l'assistance judiciaire , qui ac corde la gratuité de toute procédure aux indigents ; 169 avoués près le tribunal, 54 avoués près la Cour d'appel ont libellé la « grosse » des procès ; 149 huis siers ont porté les citations ; 652 avocats inscrits au tableau de l'ordre , sans compter 836 stagiaires, ont plaidé pour «< les demandeurs et les défendeurs » ; et 60 avocats à la Cour de cassation ont pu suivre une affaire jusqu'aux dernières limites assignées par la loi. Les ventes publiques d'objets mobiliers sont effec tuées par un des 83 commissaires-priseurs responsa bles , et les ventes d'immeubles sont réservées aux 122 notaires de Paris, corps privilégié qui constitue une sorte de noblesse de demi- robe dans la bour geoisie parisienne, et qui porte avec orgueil sa fière de vise en mauvais latin : Lex est quodcumque notamus, 1 Voir chap. xiv, tome III, p . 173. LA POPULATION. 317 que l'on doit traduire : « Ce que nous inscrivons est la loi des parties. » Si Paris est malade, ce n'est pas faute d'avoir des médecins de toutes sortes : allopathes , homéopathes , hydrothéropathes ; l'un d'eux, un des meilleurs et des plus perspicaces, s'appelait spirituellement un gacho pathe, pour indiquer qu'il n'était point exclusif en thérapeutique et qu'il prenait dans toutes les écoles le bien qui pouvait soulager ses malades. 1,726 méde cins , répandus d'une façon assez régulière dans les vingt arrondissements, ont une clientèle que la mort renouvelle souvent, mais qui leur permet de vivre. Ce chiffre n'a rien d'excessif ; il fournit, en moyenne, un médecin pour 1,000 habitants. Ils ne sont pas tous docteurs ; parmi eux on compte 179 officiers de santé ; ce ne sont ni les moins riches , ni les moins connus. Ceux-ci , en effet , sont presque tous étrangers ; ils ont, en passant des examens sommaires, aisément ob tenu le droit d'exercer la médecine. Leur qualité d'é trangers est un titre de plus pour beaucoup de gens qui les accueillent et les recommandent ; ils se font ordinairement une petite spécialité , celle des maux de gorge, par exemple, dans laquelle il est facile d'exceller sans avoir jamais ouvert un Codex ; ils guérissent l'enrouement des chanteuses et calment la toux des enfants ; on les prône, on les appelle pour les cas graves ; incapables de distinguer un cancer d'une 318 LE PARISIEN. engelure, ils n'en acceptent pas moins la redoutable responsabilité de traiter des affections morbides qu'ils ignorent, et quatre-vingt- dix-neuf fois sur cent on peut dire à leurs clients le mot de Figaro : «Ou la maladie vous tuera , ou ce sera le médecin. » Derrière ce petit corps d'armée médical, dont quel ques généraux sont des hommes du plus haut mérite, viennent les troupes auxiliaires, composées d'une cen taine de somnambules qui donnent des consultations et font retrouver les chiens égarés ; de 561 sages femmes, de 353 dentistes, de 528 herboristes et de 734 apothicaires. « Un compte d'apothicaire » est une expression qui est restée dans la langue française pour signifier l'exagération d'un total . C'était bon autre fois , du temps des Purgon ; aujourd'hui sans doute ils ont mis de l'eau dans leur vin et supprimé quel ques zéros de l'addition ; on peut en juger . Ayant eu à acheter 100 granules de Dioscoride, je les ai payés 20 francs chez un apothicaire, 10 francs chez un autre et 45 centimes chez le droguiste qui les fa brique. C'est un excellent métier qui fait d'énormes béné fices contre lesquels a protesté la baisse extrême de prix inaugurée par certaines pharmacies nouvellement nstallées. Parmi les apothicaires comme parmi les médecins, il y a des savants de premier ordre ; la jus tice les appelle souvent à son aide et les grandes so LA POPULATION. 319 ciétés savantes ont été fières de les accueillir. Quel ques-uns se sont détournés de leur voie ; fatigués de rouler la pilule, ils sont devenus hommes politiques et ont pu s'improviser législateurs, car Molière est mort depuis longtemps. Les différentes catégories dont on vient de parler vivent toutes d'un travail quelconque. Celle qui sub siste exclusivement de la propriété héritée ou acquise, -c'est le cas le plus fréquent, par suite d'un la beur heureusement récompensé, est singulièrement restreinte, et ne correspond guère aux envieuses ré criminations dont elle a été l'objet. 16,256 proprié taires et 54,872 rentiers n'ayant d'autres moyens d'existence que leurs revenus constituent cette classe si jalousée , dont la fortune ou la simple aisance est presque toujours le résultat de la bonne conduite, de la persévérance et de l'économie. Ces 71,128 per sonnes pourvoient aux besoins de 154,599 individus qui sont de leur famille ou à leur service, et parmi lesquels il convient de compter 35,469 portiers ; la garde des loges et le soin de tirer le cordon font seuls vivre 61,794 personnes. La difficulté de la vie parisienne, lorsqu'un métier ne vient pas à son secours, est démontrée par ce fait que les retraités, les pensionnés, les réfugiés à la solde de l'État, n'exerçant aucune profession , sont au nom bre singulièrement minime de 3,296 . La plupart de -- 520 LE PARISIEN. ceux qui, après de longs services , obtiennent, sur le Trésor public, la pension à laquelle ils ont droit , et dont le maximum, à moins d'une loi spéciale, ne peut jamais dépasser six mille francs, vont chercher une existence facile à la campagne, dans quelque bourgade de province, où les ressources matérielles soient à bon marché, et que l'absence radicale de plaisirs rend économique à habiter. On a essayé de lutter, par l'association , contre le renchérissement de l'existence ; on a réussi , jusqu'à un certain point, à faire concorder deux termes qui se combattent l'extrême économie imposée par la moins-value croissante du numéraire et les besoins de luxe qui sont inhérents au caractère de la bour geoisie parisienne. Pour parvenir à ce double résultat, on a créé les cercles ; il en existe quarante-six à Paris ; quelques-uns offrent tous les raffinements du confor table ; d'autres, beaucoup plus modestes , garnis de tables de marbre scellées dans le parquet à l'aide d'un pied en fer, rappellent l'aspect des salles de café. Mais dans tous on peut dîner à bon marché, et l'on est servi par des domestiques en culottes courtes. Qui penserait que pour beaucoup d'individus c'est là le grand attrait ? Sortir d'un « chez soi » terne et mal meublé où l'on n'a pour « livrée » qu'une bonne à tout faire, et pouvoir, moyennant deux ou trois cents francs par an, s'étaler sur des meubles de LA POPULATION. 321 soie, être éclairé par des lampes nombreuses , se chauffer à un feu étincelant, lire tous les journaux, être obéi , au premier signe, par une valetaille en grande tenue , c'est là une satisfaction intime de l'amour-propre à laquelle bien peu de petits bourgeois ont su résister . Cela expliquerait seul le succès des cercles, quand même l'on n'y trouverait pas le jeu , la causerie sans réticence et le droit de fumer à son aise . Non licet omnibus; il faut être relativement riche pour s'accorder de telles jouissances ; les moins heu reux vont au café, un peu par désœuvrement, mais surtout par économie. L'hiver est dur aux employés, aux petits rentiers ; le feu et la lumière entraînent un surcroît de dé penses que souvent ils ne peuvent supporter ; la tasse de café, la demi-tasse, comme ils disent , coûte quelques sous, en échange desquels on a aussi la clarté du gaz et la chaleur du poêle . Plus d'un per sonnage a débuté ainsi . Un homme qui a été un grand magistrat et dont la mort fut héroïque, avant d'être appelé aux hautes charges de l'État , allait , tous les soirs, avec sa femme, rue Dauphine, travailler dans un café annexé à un cabinet de lecture ; sa pauvreté ne lui permettait pas de se donner chez lui le luxe d'une lampe et d'un fagot. Les fonctionnaires publics, -je ne compte pas l'ar mée, qui est de 34,454 hommes, composent un L - - VI. 21 322 LE PARISIEN. groupe de 32,959 individus, ce qui n'est pas trop , lorsque l'on songe que presque tous les services généraux sont centralisés à Paris. « Il faut en France, dit La Bruyère, beaucoup de fermeté et une grande éten due d'esprit pour se passer de charges et d'emplois. » Cela a été vrai de tout temps : le fonctionnarisme est une maladie très-française. Sous prétexte d'être la plus aventureuse du monde , notre nation manque d'initiative, et bien des gens, contents de peu , estiment que c'est une bonne fortune de pouvoir en trer dans une administration publique, car, après soixante ans d'âge et trente ans de service , on en sort avec une retraite qui aide à mourir de faim. Il y a des familles où l'on est employé et quelquefois fonctionnaire de père en fils . L'hérédité que l'on a abolie de fait est restée dans nos mœurs ; des hommes occupent d'importantes situations, même dans l'ensei gnement supérieur, sans autre motif que d'avoir un père qui les a occupées avant eux ; en politique même on succède à ses ascendants, et plus d'un député n'a pour seule raison d'être qu'un parent autrefois connu dans les assemblées parlementaires. Et cependant, un de ceux-là qui porte un nom célèbre de la Révolu tion , a écrit sur un album cette vérité frappante : « Les hommes se suivent et ne se ressemblent pas. >> Ce monde du négoce et de l'atelier , de la fabrique et des afiaires, est passablement vaniteux, et cherche - - LA POPULATION. 323 • incessamment à s'élever au-dessus de sa condition ; les mots ont changé de valeur, et le sens, modifié au cours des générations qui se succèdent, finira par être méconnaissable. On semble rougir d'être ce que l'on est réellement, et l'on surcharge volontiers son éti quette . C'est la révolution de 1830 surtout qui , en donnant beaucoup d'importance à la bourgeoisie moyenne, a amené cette sorte d'hypertrophie du lan gage. Autrefois une boutique était une boutique , maintenant c'est un magasin ; le marchand est de venu un négociant, le comptoir un bureau, le gar çon un commis, la pratique un client; tous les apothi caires sont aujourd'hui des pharmaciens, et quoiqu'il n'existe pas une seule conciergerie particulière , il n'y a que des concierges, et l'on ne trouve plus un seul portier ; les perruquiers se sont haussés au rang de coiffeurs ; l'un d'eux a été plus loin, et son enseigne nous apprend qu'il est « artiste capillaire ». Défaut de surface, qu'il était bon de signaler, mais qui ne touche en rien aux qualités sérieuses de ce peuple ; il est naturellement emphatique : lorsqu'il parle de lui ou de ses œuvres, il aime à se faire valoir. Sterne l'a constaté depuis longtemps : qui ne se souvient du cha pitre de la perruque dans le Voyage sentimental? Il n'y a pas sur terre une ville où l'on travaille plus qu'à Paris ; pendant que la population apparente remue sur les boulevards, s'agite dans les Champs 324 LE PARISIEN. Élysées, emplit les théâtres et boit dans les cafés, les savants de toute sorte, les lettrés sérieux, les contre maîtres enfermés dans le huis clos de leur solitude , se livrent au labeur sans fin ni trêve qui remplit leur existence . 300,000 badauds errants dans les rues font croire volontiers que toute la ville est dehors ; si , comme aux jours de Lesage, Asmodée enlevait subi tement le toit des maisons, on serait stupéfait de la quantité de travail que contient cette ville de plaisir. C'est, par excellence, le pays de l'invention et du perfectionnement ; chaque jour apporte sa découverte , et le monde en profite . Mais à côté des inventeurs qui font sa gloire, Paris est plein de gens qui cherchent le mouvement perpétuel et la quadrature du cercle ; nous avons des chimistes fort remarquables et qui ont fait parler d'eux , mais ils sont en bien petit nombre lorsqu'on les compare aux alchimistes qui poursui vent le grand œuvre et ne désespèrent pas de trouver la pierre philosophale . Il ne peut en être autrement dans une ville très-peuplée, où chacun suit son idée sans se préoccuper de celle d'autrui ; dans les foules comme dans le désert, on est égoïste ; le voyageur ne marche que vers le point qu'il a entrevu ; les asiles d'aliénés, les hospices pour les indigents recueillent ceux qui sont tombés en route ; mais quelques- uns arrivent « à côté » , comme ils disent , et plus d'une découverte scientifique importante a été due, de nos LA POPULATION. 325 jours, aux souffleurs qui rêvent la transmutation des métaux. On dit et l'on répète : Paris est dur aux înventeurs , dur au pauvre, dur à l'ouvrier. Cela est faux. Paris, comme toute autre capitale, est surtout hospitalier pour les personnes qui ont de l'argent, cela est incon testable ; mais en temps normal et à la condition de vouloir travailler, on y peut vivre sans peine : il a des salaires pourtous les labeurs , il a des moyens d'exis tence pour toutes les bourses, et malgré son indiffé rence, il est très-miséricordieux . Il est fort aveugle dans ses engouements, on peut en convenir ; mais il a cela de commun avec les groupes très- nombreux où, naturellement, la médiocrité domine . Lorsqu'une femme de chambre est si sotte qu'elle ne peut rester en condition , elle entre dans un petit théâtre , et pourvu qu'elle puisse, en dansant, lever la jambe au dessus de sa tête, elle devient célèbre, et peut être riche. Il n'y a pas une grande ville au monde où de pareilles aberrations ne se produisent ; c'est être in juste que de les reprocher exclusivement à Paris . Ce n'est pas ici seulement que le général Tom Pouce a fait fortune. Apart ces erreurs dont nulle portion du genre hu main n'est exempte, Paris est assez équitable dans ses appréciations ; il accepte et paye les services de ceux qui concourent à satisfaire ses besoins . S'il repousse 320 LE PARISIEN. les ouvriers, comme on l'en accuse, pourquoi donc s'y précipitent- ils de tous côtés ? Est- il responsable des espérances folles , des ambitions désordonnées, des illusions extravagantes ? Parce que Rachel gagnait 200,000 francs par an, est- ce une raison pour que les élèves du Conservatoire soient millionnaires ? Dans cette irritante question que les mauvais instincts ont envenimée, on ne voit que la fortune du voisin et ja mais on ne considère l'intelligence qu'il a déployée, les efforts qu'il a renouvelés, les vertus qu'il a mises en œuvre pour l'acquérir. A regarder vers l'Institut , vers la haute finance, vers la grande industrie, vers les sommets de la hiérarchie administrative et mili taire, je reconnais des hommes qui se sont forgés eux mêmes, et qui sont nés le pied sur le dernier échelon. Certes, celui qui gagne sa vie au jour le jour traverse parfois de rudes épreuves, et lorsque les chômages s'abattent sur les ateliers , la situation de l'ouvrier est singulièrement douloureuse ; il la partage , dans une certaine mesure, avec tous, car tous ressentent le contre-coup des événements extérieurs : diminution de la fortune publique, diminution des fortunes parti culières, c'est tout un ; et lorsque la fabrique se ferme sous le poids d'une crise générale, le rentier et le pro priétaire voient leurs revenus diminuer dans de no tables proportions. Dans un pays, le malheur appau vrit et la prospérité enrichit tout le monde. Mais en LA POPULATION. 327 dehors de ces grands chômages accidentels , qui par fois ont l'imprévu et les rigueurs- d'une épidémie, les ouvriers n'ont- ils pas inventé pour eux- mêmes le chô mage volontaire, dont les patrons ont à souffrir et qu'ils sont impuissants à combattre ? Dans les ateliers , la paye se fait ordinairement tous les quinze jours, le samedi ; la semaine qui suit est, en grande partie , perdue pour le travail, et beaucoup d'ouvriers prolongent « le lundi » jusqu'au jeudi et jusqu'au vendredi . Tout chôme alors : les fourneaux sont éteints, les enclumes sont muettes, la besogne attend ; à ce métier, le patron ne s'enrichit guère et l'ouvrier non plus , car la paye gâchée en mauvais plaisirs ne lui a servi qu'à contracter des dettes . C'est là le fait de la majeure partie ; ceux qui ont eu la sa gesse d'agir autrement ont mis un petit magot de côté qui leur permet de vivre sans trouble. A voir impartialement le fond des choses, on re connaît que le plus souvent l'ouvrier demande ungros salaire, non pas pour épargner et assurer la paix de sa vieillesse , mais pour s'amuser et se jeter à travers les jouissances brutales où l'homme se complaît. A ce besoin malsain suffisent à peine 180 cafés- concerts, 238 bals publics et près de 25,000 débits de boisson , munis de 7,226 billards. Les boutiques des mar chands de vin sont pleines à l'heure où l'on sort des ateliers et des chantiers ; elles sont pleines, le matin , 328 LE PARISIEN. à l'heure où l'on s'y rend. Il n'y a peut-être pas un ouvrier sur mille qui n'entre au cabaret avant de se mettre au travail , car il est de tradition, dans le peuple de Paris, qu'il faut « tuer le ver » et qu'on le tue avec un verre de vin blanc : expression singulière et dont l'origine remonte au règne de François Ier . Au mois de juillet 1519 , la femme d'un sieur La Vernade, maître des requêtes, trépassa subitement. On fit l'autopsie et l'on reconnut que la mort avait été causée par un ver qui lui avait percé le cœur. On appliqua sur le ver un morceau de pain trempé dans du vin et immédiatement il mourut. «< Par quoy il s'ensuyt qu'il est expédient de prendre du pain et du vin au matin, au moins en temps dangereux, de peur de prendre le ver¹ . » Les fables ont la vie dure dans notre pays, et celle-ci a enrichi plus d'un cabaretier . En dehors des ouvriers que le chômage volontaire éloigne du travail, on peut dire qu'à Paris, tous les jours, 200,000 individus se lèvent , - quand ils se sont couchés , fermement résolus à ne rien faire et ne sachant comment ils vivront. Ils vivent cependant , et c'est le miracle ; on sait que les postes de police leur offrent souvent un abri et que « le dépôt » leur lonne parfois à manger ; mais nos sergents de ville ne sont pas assez nombreux pour arrêter , nos prisons ne - ¹ Journal d'un bourgeois de Paris sous le règne de François I", p. 81. " LA POPULATION. 329 sont pas assez amples pour contenir ces bataillons de la fainéantise, de la bohème, du vagabondage, qui errent en cherchant aventure et trouvent presque tou jours à dîner d'un larcin après avoir déjeuné d'une aumône. Ceux-là nous avons eu occasion d'en parler ' ; ce sont les scories de la civilisation ; en proie à une incurable paresse , flottant entre le crime et la mendi cité, ils traînent sur le pavé de Paris, à moins qu'ils ne soient, selon leur sexe , à la maison de répression de Saint-Denis, au dépôt de Villers-Cotterets , à Saint Lazare et même à Mazas. Beaucoup de ces êtres, mora lement maladifs , appartiennent à la population nor male de Paris, mais beaucoup aussi se détachent de cette population nomade qui vient tenter fortune ici et représente un chiffre très-considérable. En moyenne, le nombre des étrangers et des pro vinciaux qui arrivent chaque jour à Paris est de 2,305. Cette proportion est généralement dépassée. Ainsi, dans l'année 1872 , qui fut une année médiocre où les affaires languissaient et pendant laquelle Paris n'offrait aucun attrait spécial , le mouvement des gar nis a été de 908,400 entrées . Les garnis se divisent 1 Voir chap. XII , Les malfaiteurs ; chap. xvii, La prostitution , t . III , P. 3 et p. 407 ; chap. xvIII , La mendicité ; chap. xIx , L'Assistance publique, t. IV, p. 3 et p. 87. • On appelle garni toute maison meublée où l'on reçoit transitoire ment des locataires nomades : le Grand-Hôtel est un garni aussi bien que la plus humble auberge des quartiers excentriques. 330 LE PARISIEN. en trois catégories distinctes qui datent de loin , car on les retrouve indiquées dans un mémoire manuscrit de M. de Sartines, et qui fournissent de curieux ren seignements sur la population qu'ils accueillent. 204 reçoivent des gens riches et sont situés dans les beaux quartiers avoisinant le boulevard des Italiens et la rue de Rivoli ; 1,593 , placés dans les rues occu pécs par le négoce, donnent l'hospitalité aux petits commerçants ; enfin, les arrondissements annexés de puis 1860, les ruelles malsaines qu'on laisse encore subsister au cœur du vieux Paris, en renferment 7,951 , qui donnent à loger aux ouvriers, aux domesti ques sans place, aux vagabonds assez heureux pour avoir récolté trois ou quatre sous à la fin de leur journée. 3,312 garnis , où l'on paye plus d'un franc par jour, peuvent contenir 46,849 locataires ; 6,436 où l'on paye moins d'un franc par jour, peuvent en abriter 92,030 . Le relevé des registres d'inscription, que tout propriétaire est astreint à tenir , prouve la moyenne des locataires se modifie fort peu et accuse chaque jour un chiffre variant entre 136 et 137,000 . Aux mêmes époques de l'année , la propor tion est presque identique : présents aux garnis le 23 janvier 1873, 136,234 ; - présents aux garnis le 23 janvier 1874, 136,729 . que C'est un accroissement considérable pour notre population et une cause d'enrichissement pour Paris. LA POPULATION. 331 Beaucoup de ces nomades sont pauvres, il est vrai , mais plus d'un a de la fortune et ne la ménage guère; en prenant le chiffre de 155,000 comme étant la moyenne des locataires quotidiens des garnis , et en admettant que chacun d'eux ait dépensé cent sous par jour, nous trouverons que Paris a, de ce chef, reçu la somme de 246,375,000 francs au bout de l'année. Cette proportion est d'une extrême réserve, et n'ap proche pas des chiffres que M. Devinck a donnés, le 25 janvier 1874, devant la Société d'Encouragement. Selon lui , la dépense de la population flottante s'élè verait , chaque jour, à 3 millions , ce qui produirait, tous les ans, plus d'un milliard . Il est impossible, le lecteur le comprendra, d'éva luer d'une façon certaine le total des sommes ver sées à Paris par les étrangers : elles sont considéra bles et deviennent énormes si l'on tient compte de l'exportation des objets exclusivement fabriqués par nos ouvriers , et pour lesquels presque toutes les na tions du globe sont nos tributaires ' . Le fait n'est pas nouveau, et il explique le mot de Louis XIV à Man 1 En 1850, voyageant dans le désert de Qòseir, je fus rejoint chez les Arabes Ababdehs par un colporteur juif ; je visitai sa pacotille : sauf des calames (roseaux à écrire) venus du Caire, il n'avait que de menus articles de Paris . Dans l'année commerciale commençant le 1" octo bre 1872 et finissant le 30 septembre 1873, le chiffre des exportations déclarées faites par l'industrie parisienne aux États- Unis d'Amérique s'élève à la somme de 36 millions de dollars , soit 179,500,000 francs. 332 LE PARISIEN. sart. Celui-ci s'embrouillait en démontrant au roi ce que coûterait la construction de l'hôtel des Invalides : << Bâtissez toujours, lui dit Louis XIV ; nous ferons l'avance, les étrangers viendront nous la rembour ser. » Paris entrevues. M. Haussmann . Caravanséraï. Remboursement des avances. en 1848. Les charges de la ville . L'intérêt particulier. - L'opposi tion. Arrêt de la Cour de cassation . Indemnités . - Extravagances. Les agents véreux. Abus et scandale. Le livre des fruitiers . 400 millions de trop. Le plan du Paris futur. Les anciens projets. - Mignon et Hagerman. - Le faubourg Saint- Germain . Les améliorations La rue de Rennes et la rue du Louvre. Le boulevard Saint-Germain. L'avenue de l'Opéra. Profit excessif. La Butte des Moulins. Pente adoucie. - Urgence . Le faubourg Saint- Germain n'a pas de débouché. - La rue des Tuileries. Nombre des maisons à Paris. Les locations . Entassement. État défectueux. considérable. Saleté des rues. La neige. Service insuffisant. Le fil d'Ariane. -Les anciennes adresses. - Décret du 4 février 1805. - Essai en 1726. Inégalité. No 682 de la rue Mont martre. Le numérotage actuel. Nomenclature à adopter. légitimes des négociants . Les noms illustres de notre histoire . - Mont Marat. Henri III et les Seize. - Les quartiers et les arrondissements. · Les constructions de M. Haussmann. - Budget - Les sections. Plaintes - --- - - - - - - 11. LA VOIE PUBLIQUE, - - ―― - - - - - - - - - - - - - - - - - --- - - - - - Cette réponse, M. Haussmann la faisait aussi lors qu'on lui reprochait , avec acrimonie, de surcharger jusqu'à l'excès le budget de la ville, en entreprenant, coup sur coup, l'immense quantité de travaux aux quels son nom reste désormais attaché. Il n'avait pas tort plus Paris sera vaste, aéré, magnifique, plus les étrangers y seront attirés, y séjourneront et y appor 7 LA VOIE PUBLIQUE. 333 teront un argent qui sera une source de prospérité pour la population . Certaines constructions qui, au premier abord, semblent n'être que de luxueuses folies , rendent au centuple les sommes qu'elles ont coûtées, parce qu'elles attirent les étrangers et les retiennent parmi nous. Paris, dit-on, est le caravanséraï du monde entier, soit ; mais lorsque l'Opéra joue des chefs-d'œuvre, que la Comédie-Française remet en scène les mer veilles littéraires de son répertoire, lorsque nos musées reçoivent les dépouilles de l'antiquité et de la Renaissance, lorsque les amphithéâtres du Collége de France, de la Sorbonne, du Muséum retentissent de voix éloquentes, lorsque la paix règne dans nos rues et que l'émulation stimule les esprits , le caravanséraï enrichit facilement le peuple qui l'habite . L'argent dépensé en fêtes par le Gouvernement n'est point mal placé ; toutes les industries en profitent, et bien sou vent les entrées d'octroi , dans ces jours de luxe , ont suffi à « rembourser les avances » . Paris, tel qu'il était au lendemain de la révolution de 1848 , allait devenir inhabitable ; sa population, singulièrement accrue et remuée par le mouvement incessant des chemins de fer, dont le rayon s'étendait chaque jour davantage et se reliait aux voies ferrées des nations voisines, sa population étouffait dans les ruelles putrides, étroites, enchevêtrées où elle était 334 LE PARISIEN. forcément parquée. Tout souffrait de cet état de choses l'hygiène, la sécurité, la rapidité des com munications, et la moralité publique qu'il devenait très-difficile de surveiller. Il y avait péril en la de meure ; il fallait renouveler Paris, et l'on entreprit cette œuvre gigantesque, dont les événements qui nous ont accablés ont rejeté l'achèvement à des temps que l'on ne peut prévoir. C'est la destinée de Paris d'être toujours inachevé. Sans parler des travaux de Charles V et de Henri IV, ceux qui furent commencés par Louis XVI, par Napoléon 1er et par Napoléon III , ont été brusquement interrompus et sont restés en suspens. Le budget de la ville de Paris a dû subvenir à ces travaux d'embellissement et de salubrité ; la généra tion contemporaine de cette noble entreprise a con tracté des dettes ' qui pèseront longtemps encare sur les générations futures : ce n'est que justice ; car amé liorer le présent, c'est travailler au bien-être de l'ave nir ; l'un et l'autre doivent donc participer à la dé pense, puisque l'un et l'autre participent au bienfait. Les charges ont dépassé toute prévision . Dès que l'on comprit où l'édilité parisienne, guidée par le gou vernement , voulait en venir , la spéculation s'en La dette de la ville de Paris était , au 1er janvier 1854, de 94,026,000 francs ; au 1er janvier 1874 , elle est de 1 milliard 794,930,736 francs. LA VOIE PUBLIQUE. 335 mêla; l'intérêt général disparut devant l'intérêt par ticulier, qui est le plus âpre et le plus inexorable des sentiments . La politique s'empara de la question et surexcita si bien l'opinion publique, qu'on n'eut pas assez d'anathèmes contre un travail dont l'urgence s'imposait depuis plus de vingt ans. Sous prétexte de faire acte d'indépendance et de << donner une leçon au pouvoir » , le jury d'expropria tion, se sentant soutenu par les journaux, accordait des indemnités extravagantes ; la justice elle-même ne sut point résister au courant, et elle donna aux ré calcitrants l'appui souverain de ses décisions . La Ville avait fait exproprier , pour cause d'utilité publique, des immeubles dans des quartiers qui devaient dispa raître devant ces grandes voies où nous marchons si bien à l'aise aujourd'hui ; on comptait laisser les baux de location périr de leur belle mort, et ne commencer les démolitions que lorsque ceux-ci auraient pris fin ; de cette façon, si l'on avait à payer l'expropriation immobilière, on épargnait les frais des expropriations locatives. Les locataires ne l'entendirent point ainsi : ils dé clarèrent que le fait seul d'expropier une maison équi valait à un acte d'éviction exercé contre eux-mêmes et qui valait indemnité. La cause fut portée devant les tribunaux. Après avoir inutilement épuisé toutes les juridictions , la Ville fut solennellement condamnée 336 LE PARISIEN. en Cour de cassation , par arrêt de la chambre des requêtes, rendu le 16 avril 1862. Il fallut s'incliner, et ce fut le budget municipal , c'est- à-dire la po pulation de Paris qui supporta les conséquences de l'arrêt¹ . Quelques avocats s'étaient fait une sorte de spécia lité de ce genre d'affaires ; tout fut mis en œuvre pour entraîner le jury à des prodigalités que l'on obtenait d'autant plus facilement qu'elles créaient un précé dent dont un juré-propriétaire pourrait tirer parti plus tard, s'il venait lui-même à être exproprié. On plaida l'expropriation immobilière , l'expropriation indus trielle , l'expropriation locative, l'expropriation sen timentale ; on parla du toit des pères et du berceau des enfants ; tout se chiffrait par centaines de mille francs, qui firent bientôt des centaines de millions . Dans plus d'un cas l'on put croire qu'il y avait vo lonté formelle de contraindre la Ville à des emprunts nouveaux . — Dans une affaire d'expropriation inté ressant nos établissements hydrauliques , les ingé nieurs offrent au propriétaire du terrain une somme Le texte est formel et ne laisse place à aucun doute d'interpréta tion : « En ce que l'arrêt attaqué aurait à tort déclaré acquis à des loca taires, par le seul effet du jugement d'expropriation pour cause d'utilité publique, le droit à une indemnité d'éviction , avant qu'aucun acte émané de l'expropriant les ait troublés dans leur possession , et malgré la décla ration à eux notifiée qu'il respecterait leurs baux et entendait les lais serjouir des lieux loués jusqu'à expropriation . » LA VOIE PUBLIQUE. 337 de 75,000 francs, qui est acceptée verbalement avec reconnaissance. Un décret d'expropriation pour cause d'utilité publique intervient; le propriétaire rejette les conditions du premier marché , s'adresse aux tribunaux, demande 1,800,000 francs , et en obtient 950,000.— Un industriel fort connu du boulevard des Italiens se déplace pendant dix-huit mois, occupe durant cette période une boutique située en face de celle que l'ex propriation le forçait de quitter, et pour ce facile dé ménagement reçoit 300,000 francs . C'est par mil liers que l'on pourrait citer de semblables exemples . <<< Comment avez-vous fait fortune ? » disait- on à un nouvel enrichi , lequel répondit : « J'ai été exproprié. >>> Non-seulement on chercha à émouvoir le jury par toute sorte de mauvais moyens, mais on trompa sa re ligion et l'on abusa sa conscience . Une industrie nou velle se créa qui, sous prétexte de prendre en main les intérêts des expropriés , ne recula devant aucune fraude. Il est inutile de prononcer ici le nom de cette société d'agents véreux, qui a laissé de cuisants souvenirs dans la mémoire des entrepreneurs auxquels elle eut affaire . Voici quel était le procédé. L'agence se chargeait de toute la procédure de l'ex propriation moyennant une remise minima de 10 pour 100 sur l'indemnité obtenue ; elle s'adressait de préférence aux petits industriels et elle était outilléc de façon à leur fournir des livres de commerce dé VI . 22 338 LE PARISIEN. taillés, de faux inventaires, des marchandises appa rentes , qui souvent n'étaient que des bûches enve loppées de papier ; elle procurait même des clients. nombreux, qui encombraient la , boutique au jour où le jury venait faire la visite réglementaire ; elle fabri quait des baux exagérés , prolongés, antidatés sur des feuilles de vieux papier timbré, dont elle avait trouvé moyen de se nantir ; elle faisait repeindre les maga sins à neuf et y installait des commis improvisés, qu'elle payait trois francs par journée. C'était une sorte de bande noire qui dévalisait la caisse de la Ville. Les avocats étaient- ils dupes ou complices ? Je pose la question sans me permettre de la résoudre. Quel ques-uns furent maladroits et furent vertement menés. L'un d'eux plaidait pour un fruitier ; il agitait le livre de commerce de l'exproprié, il indiquait le nombre des clients et demandait une indemnité considérable . L'avoué de la Ville l'interrompit pour lui dire : « Je connais ce livre : c'est le livre des fruitiers ; il a déjà servi plusieurs fois . » L'avocat se récria avec indigna tion . L'avoué reprit : « Regardez page 54, vous y trouverez mon paraphe. » En effet , à une précédente audience, comme les sommes enregistrées sur ce re gistre servaient d'argument à des exigences inadmis sibles, l'avoué l'avait demandé en communication et, sans être aperçu, y avait lestement écrit sa signature, I LA VOIE PUBLIQUE. 339 afin de pouvoir le reconnaître plus tard . L'avocat n'eut pas les rieurs de son côté, mais il n'en obtint pas moins l'indemnité qu'il réclamait. D'après les évaluations les plus modérées, les ma noeuvres de cette agence interlope ont coûté à la Ville plus de 200 millions. On affirme que les travaux exé cutés dans Paris sous la direction de M. Haussmann ont grevé le budget municipal d'une dette équivalant à 1,200 millions, sur lesquels 400 millions au moins, alloués par le jury et exigibles aux termes mêmes de la loi , dépassaient les plus larges proportions d'une indemnité raisonnable. En pareil cas, un tiers pour la fantaisie, pour l'opposition , pour la satisfaction du mauvais vouloir , c'est beaucoup . Les Parisiens n'eurent guère d'esprit en cette af faire ; ils se sont bénévolement créé une dette de 400 millions, dont ils ont les intérêts à payer et dont ils ne retirent aucun avantage. Si cet argent avait été employé utilement à l'amélioration de Paris, d'immenses travaux auraient pu être poursuivis pour le plus grand bien de tous, et nous n'aurions plus dans notre ville ces contrastes choquants que l'on ne saurait trop se hâter de faire disparaître . Le plan du Paris futur, tel que M. Haussmann l'avait rêvé , existe , et il sera l'éternel honneur de l'homme qui l'avait conçu . Toute administration qui voudra parfaire Paris sera 340 LE PARISIEN. obligée de le consulter et d'en suivre les indications , comme M. Haussmann lui- même a consulté avec fruit le Projet des embellissements de la ville et des fau bourgs de Paris, 1756 , de Poncet de la Grave ; le Ci toyen désintéressé, 1767, de Dussaussoy , et surtout les Mémoiressur les objets les plus importants de l'ar chitecture, livre étrange, devançant l'époque où il a été écrit , contenant un système complet de canalisa tion hydraulique , de trottoirs, d'éclairage, d'égouts , de voirie, et qui fut publié en 1769 , par Patte, archi tecte du prince de Deux- Ponts ; quoique cette œuvre, très- considérable , fût dédiée à M. de Marigny, on n'en tint nul compte, et les idées qu'elle émet ont attendu près d'un siècle avant d'être réalisées . Certains quartiers que nous avons vu créer sous nos yeux avaient excité depuis bien longtemps l'imagina tion des hommes compétents. Dès 1820 , tout le quar tier de l'Europe, rayonnant par des rues portant des noms de capitales autour d'une place centrale, exis tait à l'état de projet . MM. Mignon et Hagerman, venus quarante ans trop tôt, avaient essayé de faire cette im mense opération , dont le tracé est déjà indiqué sur des plans de Piquet, de 1828, et dans le grand atlas de Jacoubet qui, commencé vers 1827 , ne fut achevé qu'en 1836. La rue de Rivoli, prolongée par la rue Saint-Antoine, jusqu'à la place de la Bastille , est des sinée au pointillé , en 1855 , sur le plan de Perrot. LA VOIE PUBLIQUE. 341 Les travaux ne chômeront pas à Paris si l'on met un jour à exécution ceux que M. Haussmann avait entrevus. Le faubourg Saint- Germain , cette sorte de ville que nos pères appelaient l'Université , serait alors vivifié. La grande place projetée sur le quai Voltaire, à la tête du pont du Carrousel, dont les dimensions. seraient triplées , recevrait deux voies immenses qui , allant rejoindre le Luxembourg et les Invalides , se raient entre croisées par des rues nombreuses et par de vastes boulevards. La rue de Rennes, conduite jus qu'à la Seine, qu'elle franchirait sur un pont bâti au terre-plein, l'ancienne île de Bucy, où Jacques Molay fut brûlé le 18 mars 1313, irait rejoindre la future rue du Louvre qui , prolongée jusqu'au boulevard Poissonnière , débrouillerait l'écheveau enroulé autour de la Halle au Blé et dégagerait notre hôtel des Postes , dont la situation actuelle et l'insuffisance sont une honte pour un peuple civilisé . L'avenue du Maine, réunie à la rue de Solférino , compléterait en partie les améliorations dont le faubourg Saint-Germain a besoin . Mais il en est une qui est urgente et à laquelle il serait temps de penser. Le boulevard Saint-Germain est inachevé ; une de ses amorces vient se perdre dans la rue Hautefeuille, comme dans un cul-de-sac ; l'autre expire au seuil de la rue de Bellechasse ; entre ces deux points, c'est un dédale laid, mal pavé, qui demande du soleil , de 542 LE PARISIEN. l'air et quelque facilité de circulation . Si l'on a le courage d'aller se perdre dans les rues qui entourent l'École- de-Médecine, si étroite , si misérable qu'elle en est ridicule, si l'on parcourt les rues Larrey, Mignon , des Poitevins , du Jardinet, si l'on regarde dans l'im passe du Paon et dans la cour de Rohan, on compren dra qu'il n'est plus permis d'hésiter et qu'il faut, au plus vite , jeter bas ces truanderies qui déshonorent la rive gauche, comme la rue de Venise, la rue des Filles Dieu et tant d'autres déshonorent la rive droite . La même nécessité s'impose pour l'avenue de l'O péra amorce d'un côté , amorce de l'autre , entre les deux une gibbosité sillonnée de ruelles mal famées qui n'aboutissent nulle part. Le projet primitif fut plus qu'exagéré, il touchait à l'impossible. Mettre de niveau les Tuileries et le nouveau théâtre de l'Opéra, ce n'était pas entasser Ossa sur Pélion , mais c'était rêver l'inverse . Pour parvenir à ce résultat , il fallait enlever cet ancien dépôt d'immondices au pied du quel était situé jadis le marché aux Pourceaux, et qui est devenu la butte des Moulins ; des centaines de millions n'auraient point suffi à réaliser cette concep tion excessive. Quel parti va-t-on prendre? Si l'on veut maintenir l'avenue commencée au niveau que l'on a adopté, on creusera une sorte de canal, surplombé par des ter rains en remblai , sur lesquels il faudra construire LA VOIE PUBLIQUE. 343 des ponts pour mettre les rues en communication, comme on a été obligé de faire rue du Rocher, rue de Lourcine et ailleurs ; ce serait hideux, fort mal commode et nuisible à tout le quartier. Il vaudrait mieux se résigner à une pente adoucie , semblable à celle que nous avons sur les boulevards Saint-Denis et Saint-Martin ; de cette façon , on éviterait une trop grosse dépense et l'on ne porterait pas préjudice aux maisons riveraines, qu'il serait toujours facile d'at teindre à l'aide d'un trottoir à degrés. Quelle que soit la résolution que l'on attend, il est urgent, là aussi, de reprendre les travaux interrom pus ; l'ouverture promise de l'Opéra l'exige, et il ne faut pas que l'on voie se renouveler les insupportables encombrements de voitures qui embarrassent les alentours du théâtre des Italiens. De plus, cette ave nue est un débouché indispensable pour le faubourg Saint-Germain, qui , lorsqu'il pénètre dans la ville de la rive droite, en est réduit à aller chercher la rue Royale ou à se contenter de la rue Richelieu , dont la largeur, manifestement insuffisante, est une cause perpétuelle d'accidents que tout le zèle des sergents de ville ne parvient pas à empêcher. La rue que l'on compte ouvrir à travers le jardin des Tuileries, de façon à mettre le pont de Solférino en relation directe avec la rue de Castiglione, facili tera, sans aucun doute, la circulation entre les deux 344 LE PARISIEN. rives de la Seine ; mais dans une ville comme Paris on ne saurait trop multiplier les voies vastes et les moyens de communication rapides. Quant au boule vard Haussmann , l'incendie s'est chargé de faire la place nette, et il est temps de le rejoindre au boule vard Montmartre, en défonçant le pâté de maisons qui le sépare encore des terrains où s'élevait l'ancienne salle de l'Opéra. Si le boulevard Saint-Germain, le boulevard Hauss mann, l'avenue de l'Opéra étaient enfin percés, les terrains qui les borderaient ne tarderaient pas à être couverts de constructions ; tout le monde y gagnerait, et la caisse municipale plus que nul autre, car l'oc troi percevrait la taxe dont les matériaux sont frappés, et l'on sait qu'une maison rapporte déjà à la ville 5 pour 100 de sa valeur avant d'être habitable. Les maisons ne manquent pas à Paris, car il en faut beau coup pour loger une population normale de 1,851,792 habitants. Paris, en dehors de trois cents édifices isolés , ren ferme 63,963 maisons, dont 394 sont en construc tion et 1,947 sont inhabitées. La population tout en tière est donc répartie dans 61,622 maisons, dont 694 sont occupées par des établissements publics ; ce qui donne une moyenne de 30 habitants par maison , et même de 32 , si l'on tient compte de la population flottante qui, nous l'avons dit plus haut, s'élève au LA VOIE PUBLIQUE. 345 chiffre quotidien de 155,000 individus . C'est là un entassement excessif et dont la santé générale doit avoir à souffrir. Chaque maison contient environ 11 appartements ou chambres à louer, car les loca tions atteignent le nombre de 694,695, dont 65,257 sont vacantes, et 92,161 sont prises par le commerce et l'industrie; c'est une moyenne de trois personnes par location. Toutes ces constructions sont répandues, ou pour mieux dire ramassées sur 3,619 rues, quais, boule vards, places, avenues, impasses qui forment la voie publique ' , voie très- défectueuse et à laquelle on pour rait souvent appliquer les dures paroles de l'ordon nance royale de novembre 1559 sur l'entretien des rues de Paris, « et sont les choses à très-grand esclan dre, vitupère et déshonneur d'icelle ville et faubourgs d'icelle, et au grand grief et préjudice des créatures humaines demeurant et fréquentant en nostre dicte ville. » Ce n'est point l'argent qui manque cependant, et le budget municipal fait largement les choses entretien du pavé de Paris , 6,001,000 fr.; —pavage d'empla cements nouveaux ou d'anciennes voies non pavées, ¹ Le sous-sol de Paris n'est point irréprochable, car il renferme 3,450,182 mètres carrés de vides, formés par les anciennes carrières : faubourg Saint-Marcel, 590,000 ; faubourgs Saint-Jacques et Saint-Ger main, 2,395,000 ; Chaillot, 422,000 ; galeries de recherches et de con solidation, 43,182 mètres. 346 LE PARISIEN 580,000 ; entretien provisoire, 50,000 ; con truction des trottoirs , 500,000 ; - entretien et relevé à neuf des trottoirs et des aires bitumés, 1 million ; nettoiement et arrosement général de la voie publi total 11,939,000, que, 3,848,000 ; près de 12 millions ; on ne nous en donne pas pour notre ar gent. Les trottoirs font défaut ou sont incomplets dans bien des rues ; pendant les chaleurs excessives du mois d'août 1874, l'arrosage était si médiocre et si insuffi sant que le préfet de la Seine, M. Ferdinand Duval, fut obligé d'adresser lui-même au chef de ce service des ordres qui furent exécutés à la vive satisfaction des Parisiens. ――― ― - - ― Depuis que, sous le règne de Philippe- Auguste, Gé rard de Poissy a donné 11,000 marcs d'argent pour paver Paris, la saleté de nos rues est proverbiale ; dès qu'il pleut, on ne sait plus où mettre les pieds : le macadam est une boue liquide ; les portions de la voie publique qui sont bitumées gondolent et forment une série de petites mares où l'on a de l'eau jusqu'à la cheville ; les dalles des trottoirs sont disjointes ; les pavés, de trois ou quatre modèles différents , consti tuent le plus souvent un chemin inégal , raboteux, difficile aux pieds, insupportable aux voitures et où les immondices entraînées par la pluie ont tout le loisir de s'accumuler. Lorsqu'il tombe de la neige, Paris est intolérable ; LA VOIE PUBLIQUE. 347 on attend paisiblement le dégel , et toute la ville alors n'est qu'un lac de fange, poussé vers les égouts par quelques bandes de balayeurs qui éclaboussent les passants. Au mois de décembre 1871 , une bourras que de nord- ouest chassa sur Paris une quantité pro digieuse de neige ; le thermomètre descendit à 21 de grés au-dessous de zéro. La circulation fut littérale ment interrompue ; le conseil municipal s'émut et fit des observations au directeur des travaux : celui-ci répondit que depuis 1789 on n'avait pas vu une telle abondance de neige. Les Parisiens purent méditer à loisir sur ce rapprochement historique en pataugeant, comme ils pouvaient, à travers des rues impratica bles. Je sais qu'il est difficile de tenir dans un état de propreté irréprochable une superficie de 78,020,000 mètres¹ , mais je sais aussi que 12 millions suffisent amplement aux besoins qu'il s'agit de satisfaire . Ce service est fort négligé, et il devra être profondément modifié, si l'on veut qu'il réponde aux légitimes exi gences de la population . Si les rues de Paris sont mal pavées, mal nettoyées, ¹ Quelques-unes de nos voies de communication sont énormes : les boulevards de la Madeleine à la Bastille ont 4,383 mètres ( sur tout ce parcours on ne comptait que 52 maisons en 1750) ; la rue de Rivoli a 3,146 mètres ; le boulevard du Prince- Eugène ( actuellement Voltaire) , 2,800 ; la rue de Grenelle- Saint-Germain , 2,251 ; la rue Saint - Domi nique, 2,429 ; la rue Saint-Maur, 2,223 ; la rue de Vaugirard , 2,143 ; la rue et le faubourg Saint-Honoré, 4,185 mètres. 348 LE PARISIEN. mal entretenues et peu dignes, sous ce triple rapport, d'une grande capitale , on doit reconnaître qu'elles sont d'une clarté irréprochable au point de vue de la nomenclature et du numérotage des maisons. Dans ce dédale immense, l'on a mis le fil d'Ariane à la portée de tous. Nous n'en sommes plus au temps où les adresses étaient tellement compliquées et confuses qu'elles restaient introuvables : j'ai celle- ci sous les yeux : « Monsieur Vatel , mercier à l'Y, rue Payenne, au droit de la rue du Parc-Royal , proche le grand mur des Filles bleues. >> Cette amélioration , si simple, d'indiquer chaque maison par un numéro, de prendre le cours de la Seine comme point de départ, de consacrer le côté droit de la rue à la numérotation paire et le côté gau che à la numérotation impaire , a rencontré , dès le principe, une très- vive opposition et ne date, en réa lité, que du décret impérial du 4 février 1805. On avait cependant essayé, dès le mois de janvier 1726 , d'imposer le numérotage; plus tard, Sartines avait insisté de nouveau , mais tous les efforts de la lieute nance de police s'étaient brisés contre le mauvais vou loir et les prétentions des propriétaires, qui trouvaient fort naturel que l'on numérotât les portes bâtardes , mais estimaient que leurs portes-cochères devaient échapper au droit commun. Vanité d'inégalité poussée jusqu'à la sottise et que la Commune de Paris devait LA VOIE PUBLIQUE. 349 surpasser, plus tard , en sens inverse, lorsqu'elle dé crétait la démolition des clochers dont l'élévation bles sait le principe d'égalité. La Révolution exigea le numérotage des maisons ; mais quel numérotage et quelle confusion ! Chaque section fut laissée libre d'agir à sa guise ; une seule suite de numéros pour toute la section ; on arrivait aux nºs 1,500 et 2,000 . Dans un rapport de police du 2 messidor an IV ( 20 juin 1795) , on lit : « Le nommé Picard, demeurant rue Montmartre , nº 682 , a été con duit hier à l'hospice de l'Humanité ; il était tombé de besoin, rue de la Loi , en face de celle de Ménars . >>> Les inconvénients d'un tel système sautent aux yeux; les administrateurs municipaux du 8e arrondissement furent les premiers à y chercher remède, et ils pro posèrent, le 16 ventôse an V, le numérotage actuel , qui dut attendre la proposition de Frochot, l'approba tion du Conseil d'État et l'autorisation de Napoléon Ier , pour triompher enfin de tous les obstacles et s'impo ser aux habitudes. L'histoire de la voie publique n'est plus à faire ; sans compter nos prédécesseurs qui en ont parlé en maîtres , les rues de Paris ont eu de nos jours des historiens remarquables Félix et Louis Lazare en ont rassemblé les origines , Victor Fournel a ra conté ce que l'on y voit, Édouard Fournier en a ex pliqué les énigmes. Il est superflu de répéter ce que 350 LE PARISIEN. d'autres ont si bien dit. Mais on peut du moins ex primer le désir qu'une nomenclature définitive, prise en dehors de tout souvenir, de toute préoccupation politique, soit adoptée et mette un terme à ces chan gements perpétuels, irritants, inutiles, qui sont une cause permanente d'erreurs. Que l'on ait modifié certaines désignations dont l'es prit rabelaisien de nos pères n'était point choqué, que les rues que l'on sait soient devenues la rue du Péli can, la rue Transnonain, la rue Marie-Stuart, rien de mieux; mais que la rue de l'Oratoire-du-Roule soit successivement la rue Billault, la rue Jules Favre, la rue Garibaldi , pour redevenir la rue Billault, cela est absurde . Les négociants s'en plaignent avec rai son; tous les commerçants sont obligés de faire im primer à nouveau leur adresse, leurs factures, leurs têtes de lettres, lorsque la rue qu'ils habitent perd son nom pour en prendre un autre. Ces baptêmes-là coû tent fort cher aux intéressés . La rue Réaumur a fait dépenser plus de 200,000 francs à des locataires de magasins, lorsqu'elle a été convertie en rue du Quatre Septembre. Il y a dans notre histoire assez de noms illustres pour servir de parrains à toutes nos rues ; ils suffi sent, on peut les utiliser , et l'on doit s'opposer, par tous moyens, à ces modifications qui le plus souvent sont ridicules lorsqu'elles ne sont pas odieuses . Mont LA VOIE PUBLIQUE. 351 martre ne s'est-il pas appelé Mont-Marat après l'acte de Charlotte Corday? Si la conspiration du 17 août 1820 n'avait pas avorté, si la révolution de 1850 avait eu lieu dix ans plus tôt , nous aurions peut- être eu la rue Louvel pendant huit jours. Cette maladie de chan ― ger les noms des rues selon les circonstances n'est point nouvelle ; M. Leroux de Lincy, dans son Histoire de l'Hôtel-de-Ville, a cité une ordonnance royale , da tée de Chartres, 1º août 1588 , par laquelle Henri III enjoignait de restituer aux quartiers de Paris leur dé nomination usitée . Les Seize avaient jugé à propos d'infliger leur nom aux seize quartiers qui représen taient les divisions urbaines. Ce mode de diviser Paris est fort ancien et remonte à l'an 1383 , après les agrandissements qui furent faits à cette époque; en 1642 , on créa un dix- sep tième quartier ; trois nouveaux y furent ajoutés en 1702 ; la loi du 8 pluviôse an VIII ( 17 février 1800) détermina douze arrondissements et quarante-huit quartiers; depuis le 1er janvier 1860, à la suite de l'annexion de la banlieue, Paris compte vingt arron dissements, divisés en quatre-vingts quartiers. Cette division n'est point définitive , mais elle subsistera tant que Paris n'aura point rompu le mur de fortifications qui l'enserre aujourd'hui, comme il a successivement brisé toutes les enceintes dans lesquelles on a voulu l'enfermer . 352 LE PARISIEN. Non-seulement les travaux exécutés sous la direc tion de M. Haussmann ont donné à Paris des facilités de communication et une salubrité qu'il ne connais sait pas jadis, mais ils ont eu pour but d'apporter aux Parisiens des bienfaits d'un ordre plus élevé. On a construit de nombreuses écoles communales , des mai sons de secours , un Hôtel- Dieu, que la théorie s'est trop lestement empressée de condamner avant de con sulter les résultats de l'expérience ; on a bâti de grands asiles pour les aliénés , et comme les besoins moraux d'un peuple sont aussi impérieux que ses besoins ma tériels , on a édifié de vastes églises où les âmes pieuses trouvent les satisfactions qui leur sont chères et qui leur sont dues. - Liberté de conscience. Les diverses confessions. Les religions ne mcu rent pas. Apollon Épicurius . Enquête secrète. Bonaparte et le Concordat. Avant la Révolution . — Distribution arbitraire des paroisses. Les anciens couvents. « On danse partout. » Les théophilan thropes. - La messe de la pie. Deux archidiaconés . 69 églises. Les congrégations. Une citation de l'Estoile . Les ordres liquoristes. - Le libre arbitre. ― La vie conventuelle . Les Lazaristes. Reli gieux et religieuses . Les sœurs. Les églises pendant la Commune. Les martyrs. - Trois archevêques . - 1871 , 1572. Heures de folie. - 15 février 1831 , 17 brumaire an II. Tradition persistante. — Les fêtes de la Convention . Les bancs des Tuileries. - Esprit de contradic tion. Affluence aux églises . Les prédicateurs. Juste milieu. Statistique. Intolérance . Exagération. La diversité des habille ments, les francs-maçons. L'attitude du clergé. Métier ou mission. -François de Sales. Il y a des saints parmi nos prêtres. - Discipline. - - - III. - LA RELIGION. - - - - - - - - - --- - - - - ― - - - — - - - - LA RELIGION. 355 Fortune maritime . litique et la religion. nion de Napoléon Ir . - Ordre à part. Appel comme d'abus. La rue des Églises. - L'Église et l'État. La route du paradis. - - La po Opi La liberté de conscience , qu'il ne faut point confondre avec la liberté des cultes, - autorise l'exer cice de plusieurs religions . La population parisienne peut donc être divisée en groupes plus ou moins nombreux, selon les diverses «< Églises >> auxquelles elle appartient. L'immense majorité, sinon la presque totalité, est catholique, car 1,760,168 personnes se rattachent, de près ou de loin , à l'orthodoxie romaine ; 19,423 calvinistes , 12,634 luthériens et 9,615 pro testants ralliés à des sectes dissidentes peuvent aller assister au «< prêche » dans les 42 temples que ren ferme Paris ' ; 23,434 juifs ont à leur disposition la synagogue de la rue Notre-Dame-de-Nazareth et le temple israélite portugais ; les 1,572 musulmans et bouddhistes qui vivent parmi nous n'ont point de lieu de prières ; mais, à l'aide d'une boussole, les premiers ne sont point embarrassés pour trouver leur Kebla, et les autres peuvent facilement acheter une statue de Çakia-Mouni : il n'en manque pas chez nos marchands de curiosités ; 13,905 individus ont déclaré ne prati quer aucun culte , et 11,041 admettent des croyances qu'il a été impossible de déterminer. - - 110 temples luthériens, 11 calvinistes, 8 libres, 3 méthodistes, 10 baptistes. VI. 23 354 LE PARISIEN. Nulle religion ne meurt : si vieille, si détruite qu'elle soit , il se trouve toujours une âme fervente qui l'a dopte et qui s'y soumet . Il existe encore des gens qui croient à Lilith et à Naéma comme au temps des Al bigeois ; de mystérieux anabaptistes cachent leur foi et communient en secret ; au solstice d'été, quelques hommes se réunissent, avant le jour, sur l'une des collines qui environnent Paris ; ils ont le front ceint de bandelettes comme des sphinx égyptiens ; au mo ment où le soleil apparaît, ils se prosternent, invo quent Apollon Épicurius et chantent l'hymne d'Orphée : « Exauce-moi, bienheureux qui vois éternellement toutes choses ! » Les matelots ne font-ils pas encore des libations à la mer, comme au temps d'Ulysse et des Argonautes? C'est Bonaparte, premier consul, qui rouvrit les églises et y ramena le culte que la Révolution en avait chassé. Si l'on en croit les témoignages historiques de Desmarets, il fit faire une enquête secrète et très détaillée sur l'état des superstitions en France. Il fut étonné du nombre de gens qui croyaient aux sor tiléges , aux lutins de toute sorte, aux démons de toute espèce, et dès lors le Concordat fut résolu . Il tint bon contre les remontrances qui l'assaillirent. Un soir même qu'il s'en expliquait au cercle de Joséphine, Monge lui dit : « Espérons cependant qu'on n'en viendra pas aux billets de confession. LA RELIGION. 355 } 1 Il ne faut jurer de rien , » répliqua sèchement Na poléon ' . Il lui fut facile de reconstruire ; le terrain avait été si bien déblayé qu'il n'y restait plus rien ; quelques années avaient suffi pour mettre à bas l'édifice dressé par l'effort de tant de siècles. Lorsque la constitution. civile du clergé, votée le 12 juillet et le 24 août 1790 , eut allumé ce conflit violent qui devait s'éteindre par l'anéantissement complet, mais transitoire du culte extérieur, Paris , mieux encore que Saragosse, pou vait être appelé la ville des clochers : 60 églises pa roissiales, 20 églises collégiales, 80 chapelles étaient desservies par le clergé séculier ; 3 abbayes d'hommes, 8abbayes de femmes, 53 couvents d'hommes , 146 cou vents de filles , dont 43 s'occupaient d'enseignement, abritaient le clergé régulier. Les églises avaient été distribuées au hasard, dans Paris, sans souci des besoins de la population . Par fois elles étaient très-éloignées les unes des autres ; parfois, au contraire , elles étaient agglomérées jus qu'à se neutraliser mutuellement. Le faubourg Saint Germain ne comptait que deux paroisses et la Cité en avait vingt et une. C'est le développement de notre histoire urbaine qui avait créé cet état de choses. La plupart des églises ont été rendues au culte , - 1 Voir Vingt ans de haute police, témoignages historiques, par Des marets, Paris, 1833, p. 75. " 356 LE PARISIEN. mais les couvents ont eu des destinées bien diverses. Les clubs de la Révolution les avaient utilisés, mais on a fait l'École pratique de médecine avec les Cordeliers et un marché avec les Jacobins ; le Val- de- Grâce est un hôpital militaire, les Capucins sont devenus l'hôpital du Midi , Port-Royal est l'École de la maternité ; sur l'emplacement des Filles- Saint-Thomas on a élevé la Bourse et percé la rue de la Paix sur celui des Capuci nes ; l'Ave Maria a été une caserne avant d'être un marché où une tour de la vieille enceinte parisienne est consacrée à un étrange usage ; les Oratoriens du père Bérulle, les Filles de la Visitation de la mère Chantal sont des temples protestants ; les Minimes ont été, près de la place Royale, remplacés par la garde municipale ; les Célestins aussi sont une caserne ; les Jacobins du faubourg Saint- Germain avaient cédé leur cloître au Musée d'artillerie avant que celui- ci fût transporté aux Invalides ; l'Enfant-Jésus , où l'on ba rattait un beurre célèbre parmi les petites-maîtresses , est l'hôpital des Enfants-Malades ; les enfants trouvés vagissent dans la maison des Pères de l'Oratoire , et les Filles-Saint- Sauveur doivent pleurer au ciel si elles ont appris qu'aujourd'hui leur couvent est le théâtre Déjazet . Pendant le Directoire, la plupart des couvents servaient de bals publics : « On danse aux Filles de Sainte-Marie ; on danse aux Carmes où l'on égorgeait ; on danse au Noviciat des jésuites ; on danse au couvent the 1 LA RELIGION. 357 des carmélites du Marais ; on danse au séminaire Saint-Sulpice, » dit Mercier dans son Nouveau Paris. Les églises, pendant la Révolution ' , servirent de dépôts, de magasins, de remises pour des entreprises de roulage ; quelques- unes furent démolies ; les plus maltraitées furent certainement celles qu'on livra à ce culte baroque dont « la nature et la raison , éclairée par un cœur sensible, » étaient les grandes déesses. Ce fut le sort de Notre-Dame. La Réveillère-Lepeaux, ca chant sa bosse sous le manteau blanc des pontifes , y menait le chœur des théophilanthropes. Une loi du 5 prairial an III (31 mai 1795) avait accordé quinze églises non aliénées à ce culte nouveau ; elles avaient été débaptisées et elles étaient devenues le temple de l'Hymen, du Génie, de la Concorde. Toutes ces niaise ries furent prises au sérieux par des hommes graves. N'avons-nous pas eu à raconter que l'admirable Va L'une d'elles, l'église Saint - Barthélemy, eut une singulière destinée . Construite au cinquième siècle, elle est agrandie par Hugues Capet qui en fait une abbaye de Saint-Benoît ; en 1138 elle devient paroisse royale à cause de sa proximité du palais. Elle est rebâtie au quatorzième siè cle, restaurée au commencement du dix- septième ; en 1770, elle tombe en ruines. On entreprend de la réédifier, mais la Révolution interrompt les travaux ; elle est vendue aux enchères publiques ; on y installe le théâtre des Variétés ou de la Cité, qui, jusqu'en 1799, obtient de grands succès avec une série de pièces révolutionnaires. Le théâtre est fermé par ordre en 1807 ; il est rouvert plus tard sous le nom de Théâtre des Veillées ; on y trouvait un café, un bal , des concerts, des prome nades champêtres ; hier encore c'était le bal du Prado, qui a cédé sa place au Tribunal de Commerce. 358 LE PARISIEN. lentin Haüy avait été un disciple convaincu de La Ré veillère-Lepeaux¹ ? Non-seulement les églises avaient été sécularisées par la Révolution , mais certaines fondations pieuses disparurentpour toujours pendant ces heures troublées . Parmi celles qui ne sont plus aujourd'hui qu'un sou venir, il en est une que je regrette : elle était profon dément touchante et consacrait la mémoire d'un fait historique resté populaire. Tous les matins, à quatre heures, l'on sonnait et l'on disait une messe à la cha pelle Sainte-Geneviève de l'église Saint- Eustache ; les gens de la campagne et le menu peuple réunis aux halles savaient bien ce que signifiait cette prière de la pre mière aube et ils l'avaient surnommée la messe de la pie. C'était, en effet, une commémoration — qui de vait être perpétuelle de l'histoire de la pie voleuse de Palaiseau et de Guillemette de l'Arche, la pauvre - Tous les noms sont bouleversés : plus d'églises, rien que des tem ples Saint-Philippe- du-Roule, c'est la Concorde ; Saint - Roch, le Génie ; Saint-Eustache, l'Agriculture ; Saint-Germain-l'Auxerrois, la Reconnais sance ; Saint-Laurent , la Vieillesse ; Saint-Nicolas-des- Champs, l'Hymen ; Saint- Merry, le Commerce ; Sainte-Marguerite, la Liberté et l'Égalité ; Saint- Gervais , la Jeunesse ; Notre-Dame, l'Être suprême ; Saint-Thomas d'Aquin, la Paix ; Saint-Sulpice, la Victoire ; Saint-Jacques-du-Haut Pas, la Bienfaisance ; Saint-Médard, le Travail ; Saint- Étienne-du-Mont, la Piété filiale. Voir le Moniteur du 27 octobre 1798. Rien n'est plus puéril que les rapprochements faits par La Réveillère-Lepeaux ; ainsi Saint-Eustache est consacrée à l'Agriculture, à cause du voisinage des halles, et Saint-Roch , contenant les sépultures de Corneille et de ma dame Deshoulières, doit nécessairement être le temple du Génie. LA RELIGION. 359 servante qui faillit inscrire son nom sur la liste, déjà si longue, des erreurs judiciaires . Cette voix matinale de l'église rappelant à l'homme que son jugement est faillible, remerciant Dieu d'avoir protégé l'innocence , proclamant les actions de grâces d'une âme qui avait injustement souffert, est de celles dont la signification émue et sérieuse est comprise de tout le monde, et qu'il est douloureux de ne plus entendre ; ne peut- on espérer que la messe quotidienne de la pie sera réta blie à Saint-Eustache ? Aujourd'hui, les églises sont distribuées d'une fa çon rationnelle, et chaque groupe de la population a la sienne, sans que l'on soit obligé de faire de trop longues courses pour aller assister auservice divin . Le Paris religieux est divisé entre deux archidiaconés : celui de Notre- Dame, auquel se rattachent la Cité, l'île Saint-Louis, les quartiers situés sur la rive droite de la Seine, et qui renferme 49 églises ; celui de Sainte-Geneviève, duquel dépend toute la rive gauche et qui contient 20 églises . Donc, pour la population libre de Paris, 69 églises, sans compter les chapelles des colléges, des pensions , des hospices , des hôpitaux, des prisons et des couvents . Peu à peu, ceux-ci , que la Révolution avait persé cutés et dispersés , sont revenus ; deci et delà , ils ont reconstruit leurs nids, et actuellement ils sont presque aussi nombreux qu'autrefois . 101 commu 360 LE PARISIEN. nautés religieuses, dont 25 pour les hommes et 76 pour les femmes, occupent à Paris 227 maisons . C'est là le chiffre officiel , mais on doit y ajouter deux con grégations de femmes dont l'esprit un peu janséniste semble se refuser à accepter l'infaillibilité directe du Pape et les pousse à rester avec les « vieux catholi ques >>. On s'est fort moqué des moines et des religieuses autrefois ; les fabliaux, les contes, les romans ne les ont point ménagés, et sur le portail de plus d'une église antérieure à l'invention de l'imprimerie, l'on peut voir à quel degré de hardiesse la satire s'était élevée contre eux . Ils ne furent point toujours impec cables, et pendant la Ligue, à ce moment où le catho licisme est atteint d'une sorte de frénésie maladive, l'Estoile a écrit, sans outrager la vérité : « On ne voyoit autre chose, au palais et partout, que gentilshommes et religieuses accouplés, qui se faisoient l'amour et se leschoient le morveau ; portantes lesdites religieuses , sous le voile qui seulement les distinguoit, vrais ha bits et façons de courtisanes, étant fardées, musquées et poudrées ; aussi vilaines et desbordées en paroles comme en tout le reste¹ . »> Ceci est bien réellement de l'histoire ancienne, et pareil scandale ne pourrait se produire aujourd'hui ; 1 Collection Petitot, t . XLVI, p. 536 ; 8 décembre 1593. 1 LA RELIGION. 361

les mœurs religieuses ne sauraient le concevoir et les mœurs publiques ne le toléreraient pas . Bien des cou vents étaient célèbres pour les friandises qu'on savait y confectionner les carmélites avaient grande répu tation pour les sucres tors ; d'autres faisaient métier d'apothicaires et distillaient des simples ; l'eau de mé lisse et l'eau anti-apoplectique rappellent le souvenir des Carmes et des Jacobins ; de nos jours, on a parlé des « ordres liquoristes » , qui fabriquent la char treuse et la trappistine . Ce sont là des exceptions , et le clergé régulier vit , en général, humble et renfermé, sans ouvrir de débits de boissons dans les communau tés qu'il habite. On s'est fort irrité, dans plus d'un parti politique , contre cette renaissance de la vie conventuelle , et, comme aux mauvais jours de la Révolution, on a de mandé la suppression légale de toute congrégation religieuse . L'existence des couvents ne crée aucun danger public, et en réclamer la destruction , c'est porter atteinte à ce qu'il y a de plus sacré dans la so ciété humaine, à la liberté individuelle . Il y a des âmes que le monde effarouche et qui subissent l'im périeux besoin de s'absorber en Dieu, de se soumettre à une discipline étroite, et de prier pour le salut de tous. Erreur ou vérité , peu importe ; le libre arbitre a le droit de s'exercer selon les croyances qui l'ont pé nétré. Les voyageurs qui ont vu nos Lazaristes à l'œuvre 562 LE PARISIEN. ――――― dans les pays d'Orient, qui savent que leur devise : apôtres en campagne, chartreux à la maison, - n'est point un vain mot , n'ont pu que garder un profond sen timent de respect pour ces hommes de vaillance et de foi. Ceux-là sont d'une utilité que nul ne contestera ; dans plus d'un cas ils ont été les pionniers de la civi lisation et de la science. C'est un ordre d'origine ex clusivement française , — j'allais dire parisienne : il doit sa naissance à saint Vincent de Paul, et repré scnte d'une façon toute particulière l'esprit expansif, charitable et aventureux de notre pays. - Le nombre des religieux qui vivent dans Paris est fort peu élevé 1,233 ; les religieuses , en revanche, sont en quantité bien plus considérable et l'on peut en compter 4,712 . Cela est naturel . La femme est sans défense, elle se jette au cloître pour éviter des périls qu'elle exagère ; renonçant à sa fonction organique qui est la maternité, elle se fond dans l'adoration d'un Dieu qu'elle voit sous la forme d'un enfant; mais, ne pouvant abdiquer les besoins d'amour qui sont sa force , elle se consacre aux souffrants et aux malheureux . On s'en aperçoit lorsque l'on visite les maisons de secours , les écoles gratuites où les sœurs de Charité déploient un zèle qui semble abstrait , tant il a ses ra cines aux plus pures facultés de l'âme ; les sœurs de l'Espérance veillent au chevet de nos malades, les 1 LA RELIGION. 363 sœurs de l'Assistance maternelle apaisent les vagisse ments des nouveau- nés, les sœurs de Marie-Joseph gardent Saint- Lazare, les dames de la Compassion surveillent la maladrerie de Lourcine , les dames de Saint -Thomas de Villeneuve parlent d'espérance aux repenties du Bon- Pasteur . Partout où il y a du bien à faire, une misère à soulager, une souffrance à endor mir, on voit quelqu'une de ces femmes revêtues de l'habit monastique. La Commune, comme la Terreur, chassa les filles de Saint-Vincent-de-Paul, et les sœurs gardes- malades avaient été obligées de prendre le cos tume laïque pour pouvoir circuler impunément dans les rues de Paris . Pendant cette période, les églises ne furent point épargnées. Le soir elles étaient converties en clubs . On y fumait, on y buvait, et, du haut de la chaire, plus d'une citoyenne y réclama, entre deux hoquets, l'émancipation de la femme. Les haines sans merci , extravasées depuis longtemps dans des cœurs envieux, crevèrent comme un abcès. Le prêtre était persécuté par une vingtaine d'énergumènes que suivait la foule imbécile. Des archevêques, des curés, des moines fu rent traqués comme des fauves, arrêtés , emprisonnés et enfin massacrés au moment où la délivrance s'a vançait vers eux . Le chemin de ronde de la Roquette , le jardin de la rue Haxo , la maison des Dominicains ont vu tomber ces martyrs. 364 LE PARISIEN. La mort de M. Affre, de M. Sibour, de M. Darboy, démontre mieux que tout autre fait notre misérable état social : l'un est tué sur les barricades ; l'autre est assassiné par un prêtre ; le troisième est fusillé . Est-ce donc à dire que ce peuple est impie et qu'il pousse l'horreur du catholicisme jusqu'à en tuer les ministres? Nullement ; ce peuple est sans mesure. Il a frappé les olages de 1871 comme il a frappé les huguenots de 1572 ; il a ses heures de folie, heures terribles , où rien ne lui répugne. Selon ses sensations du moment, il battra des mains devant le bûcher des « héréti ques » ou démolira l'archevêché pierre à pierre . Lorsque, le 15 février 1831 , l'émeute se rua sur la demeure de M. de Quélen, elle obéissait surtout à une impulsion politique ; elle avait brisé d'abord le buste du duc de Bordeaux, que l'on avait imprudemment exposé dans l'église Saint-Germain-l'Auxerrois , et de là elle s'en alla faire le sac de l'archevêché . La ri vière charria les manuscrits et les livres précieux ; le peuple, pour s'amuser, revêtit les habits sacerdotaux et fit, à travers nos rues, de honteuses mascarades . Ne faisons pas retomber sur lui toute responsabilité ; de tristes exemples lui avaient été donnés dont le souve nir n'était pas tout à fait éteint . Parmi les meneurs de ce mouvement sans excuse, des vieillards se trou vaient peut-être qui se rappelaient avoir vu , le 17 bru maire an II , l'évêque Gobel, suivi de ses vicaires et de LA RELIGION. 365 plusieurs curés, défiler devant la Convention, coiffer le bonnet rouge, recevoir l'accolade du président, dé poser ses lettres de prêtrise et « briser sur l'autel de la patrie les hochets de la superstition >> . Certes, pendant la Terreur, il n'était pas prudent de laisser transsuder ses sentiments religieux , et pour tant les prêtres non assermentés qui , courageusement, disaient la messe dans les greniers et dans les caves , furent rarement dénoncés. Bien plus , au moment où l'on ne savait qu'inventer pour faire acte de croyance nouvelle et se rejeter hors de la foi des ancêtres , la tradition catholique dont nous sommes pénétrés jus que dans nos moelles, se faisait jour et désespérait ceux qui avaient rêvé d'installer le culte abstrait de la raison . Des rapports de police secrète en donnent des preuves qu'il faut citer : <« 21 mai 1793. Ce qu'il y a de plaisant , c'est de voir le même peuple qui persé cute les prêtres, profane les temples , se joue de la re ligion, de le voir, dis-je , regarder la Pentecôte comme un jour de solennité. » — «< 28 juillet 1793. Aux por tes de Paris, à Nanterre, le fanatisme et la superstition sont encore si grands que, pour obtenir promptement la fin de la guerre, on a comblé la Vierge de présents ; elle est chargée de rubans tricolores pour plus de 1,200 livres. » — Aussi les efforts de la loi échoué rent, car toute loi est impuissante lorsqu'elle est en contradiction avec les mœurs. 366 LE PARISIEN. On eut beau instituer le repos du décadi , on n'en chômait pas moins le dimanche. La Convention dé créta des fêtes officielles fondation de la République, 1er vendémiaire ; fête de la Jeunesse, 10 germinal ; fête des Époux, 10 floréal ; de la Reconnaissance, 10 prairial ; de l'Agriculture, 10 messidor ; de la Li berté, 9 et 10 thermidor, l'habitant de Paris n'en garda pas moins ses vieilles coutumes et continua à célébrer, par la cessation de tout travail , les fêtes de l'Église . Par curiosité, par cet esprit de badauderie qui l'entraîne invinciblement vers toute nouveauté, et non par conviction, comme l'on essayait de se le per suader, il a donné dans toutes les niaiseries qu'on lui offrait en appât. Le 20 prairial, deux jours avant le vote de la loi la plus cruelle qui fut jamais , il admira la fête de l'Être Suprême qu'avait dessinée David, « le Raphaël des sans-culottes, » le futur peintre de Napoléon et de Pie VII ; il vit, sans rire, la Convention entourée d'un ruban tricolore porté « par l'Enfance ornée de vio lettes , l'Adolescence ornée de myrtes, la Virilité ornée de chêne, la Vieillesse ornée de pampres et d'olivier. >> De ces lourdes rêveries emblématiques, où l'on ne re trouve guère la preuve de cette légèreté dont nous ai mons à nous vanter , il est resté une trace matérielle . Dans le jardin des Tuileries, au bout des parterres mé nagés au milieu des futaies de marronniers, on voit LA RELIGION. 367 des bancs semi-circulaires en marbre blanc dont les côtés sont formés par des griffons ; ils sont de l'inven tion de Robespierre : aux jours de fêtes, les vieillards devaient s'y asseoir pour couronner les jeunes gens vertueux . L'esprit de contradiction qui anime le peuple de Paris, le détache de la religion lorsqu'on l'y pousse, et l'y ramène lorsqu'on cherche à l'en éloigner. En temps normal, il est assez respectueux pour ce qui tient au culte ; il est religieux sans conviction, un peu par paresse et beaucoup par habitude léguée . Il ré pète des mots qu'il a entendus sans en avoir bien compris le sens ; il dit : « Je veux mourir dans la foi de mes pères ; » de même que les bourgeois disent volon tiers cette balourdise : « Il faut une religion pour le peuple, » sans s'apercevoir qu'ils en ont aussi besoin que lui . Il est cependant un fait que l'on ne peut nier et qu'il est facile de constater : malgré la multiplicité des offices , les églises sont pleines le dimanche ; aux jours de fêtes carillonnées , elles regorgent et sont insuffisantes à contenir la foule qui s'y presse. On ne néglige rien , il est vrai, pour attirer le public par des pompes grandioses , où les chants, les par fums, la beauté du spectacle donnent satisfaction aux sens que l'Église recommande sans cesse de mor tifier, et, dans certaines circonstances, on fait des ró 368 LE PARISIEN. clames, comme pour une représentation théâtrale ' . Certains prédicateurs, dont la race paraît éteinte aujourd'hui, Ravignan, Lacordaire, avaient le don de passionner les esprits ; la mode s'y était mise, on <<< faisait queue » pour aller les entendre , on s'accom modait avec les suisses afin d'avoir des places réser vées, et l'on était fort surpris de retrouver là le pu blic qui, le soir , allait applaudir Rachel à la Comédie-Française. L'éloquence de la chaire satisfait une des plus nobles curiosités de l'intelligence ; elle attire les lettrés et les gens de bonne compagnie ; il le savait bien ce curé de Saint- Sulpice qui disait au prône, en mars 1751 : « A six heures on prêchera pour le peuple et les domestiques ; on leur parlera de la religion tout naturellement. >> Entre ceux qui voudraient faire de la cité un cou vent, des habitants un troupeau de moines, et ceux qui, répudiant toute croyance, évoquent le néant et rêvent la suppression du culte extérieur, il y a une juste mesure que le Parisien semble avoir saisie ; cer tes, il ne fera pas comme ce paysan des Vosges, notre contemporain, qui acheta de son curé un hectare de Paradis pour une somme de 20,000 francs une fois Le Vendredi- Saint, de midi à trois heures, on exécutera à la Ma deleine les Sept Paroles du Christ, de M. Théodore Dubois, avec soli, chœur et orchestre , sous la direction de l'auteur . » ( Presse du 2 avril 1874. ) LA RELIGION. 369 versée ; dans certains miracles dont on lui parle, il distingue des accidents pathologiques qui se reprodui sent chaque jour dans les asiles d'aliénés ; mais il sait que ces sortes de choses, dont on fait beaucoup trop de bruit, n'ont rien de commun avec la religion et que celle-ci reste intacte malgré la maladresse de ses amis excessifs et l'acharnement de ses adversaires . Même lorsqu'il ne pratique pas, il va demander la consécration de l'Église pour son mariage, pour l'en fant qui lui est né, pour ses parents qui meurent. La libre pensée flotte autour de lui , l'assaille , le sollicite , mais ne le pénètre que bien peu. Acet égard, on peut donner des chiffres concluants. En 1872 , les naissances, à Paris , ont été au nombre de 56,894 (on ne porte jamais les enfants à la syna gogue) ; 48,763 ont été présentés aux églises et aux différents temples de la réformation ; pour 21,373 mariages, 18,250 couples ont reçu la béné diction des cultes catholique, protestant et israélite ; enfin, sur 45,780 inhumations, 5,841 , dans lesquel les il faut en compter 195 effectuées par la Morgue, ont été faites << civilement » . La proportion est mi nime, mais elle deviendra certainement plus considé rable, si l'on est assez mal avisé pour appliquer des mesures rigoureuses à ceux qui font acte de « libres penseurs » et dont on a spirituellement dit : « Il ne leur manque pour mériter ce titre, que de penser d'a ― VI. 24 370 LE PARISIEN. bord, puis de respecter la liberté des autres . » Ils crient à l'intolérance lorsqu'un prêtre, usant de son droit, refuse les prières consacrées à un homme qui s'est suicidé, ou qui faisait profession d'athéisme ; il faut savoir ne pas les imiter en cela et ne pas mettre obstacle à des manifestations qui, on peut en conve nir, sont souvent puériles, mais qui cependant peu vent, dans bien des cas, être un besoin de la conscience même. Lorsqu'un prêtre se présenta au chevet de La mennais mourant, et lorsque celui- ci refusa de le re cevoir, ils furent l'un et l'autre dans la sincère expan sion de leur croyance. - Le prêtre, - l'homme qui parle au nom d'une morale supérieure, qui est investi du pouvoir de ré pandre la parole même de Dieu du haut de la chaire de vérité, — n'a-t -il pas souvent outrepassé la mesure et exigé de la crédulité humaine plus que celle-ci ne pouvait donner ? n'a-t- il pas puissamment contribué à ébranler la foi en la chargeant d'un fardeau qu'elle était incapable de porter ? Expliquer certains événe ments dont les causes physiques et morales sont nette ment déterminées, en faisant intervenir une volonté providentielle irritée , c'est aller plus loin qu'il ne convient. Lorsque l'on apprit à Paris, en 1525, que Fran çois Ier avait été fait prisonnier à Pavie, on prêcha que Dieu était courroucé contre la France, à cause de « la LA RELIGION. 371 diversité des habillements » . Nous sourions lorsque l'histoire nous fait de telles révélations et peut- être ne réfléchissons-nous pas que les mandements des évê ques sont aujourd'hui remplis d'appréciations ana logues. Ne nous a-t- on pas appris de la sorte que l'invasion des sauterelles en Algérie, que les inonda tions du Rhône avaient pour but de châtier les francs maçons . Ces exagérations, que rien ne justifie, qui font hausser les épaules au plus mince bachelier, ont ébranlé bien des croyances ; mieux que les prédications maté rialistes les plus accentuées , elles ont fait entrer le doute dans des âmes soumises et les ont entraînées sinon à la révolte, du moins vers l'indifférence . Le rôle politique, agressif et hautain que plusieurs membres du haut clergé ont essayé de jouer en tant de circonstances, n'a pas été non plus au profit d'une religion dont le Dieu a dit : « Mon royaume n'est pas de ce monde. » Dans nos révolutions , l'attitude du clergé a- t-elle toujours été irréprochable ? Sous la Li gue, il mène ce mouvement sans pitié, et l'assassin de Henri III est un moine ; pendant la Fronde, par le coadjuteur et par les curés de Paris, il se mêle à tou tes les émeutes ; au 14 juillet 1789 , qui donc marche à la tête du peuple et le guide sur le chemin de l'hô tel des Invalides , où l'on doit enlever une réserve de 25,000 fusils ? C'est le curé de Saint-Étienne-du Mont. Après la Révolution de 1848 , le clergé bénit et 372 LE PARISIEN. rebénit les arbres de la liberté. La prêtrise est métier ou mission , selon l'homme qui l'exerce ; saint Vincent de Paul fut un prêtre, le cardinal de Retz aussi ; quelle différence entre eux ! et cependant l'un avait été le précepteur de l'autre. Le clergé de Paris a fourni plus d'un saint du ca lendrier; l'un d'eux , qui en est grande vénération parmi les âmes dévotes , semble n'avoir pas cu très-bonne réputation de son vivant ; c'est saint François de Sa les. Le maréchal de Villeroi , qui l'avait beaucoup connu, disait : « J'ai été ravi quand j'ai vu M. de Sales un saint ; il aimait à dire des gravelures et trom pait au jeu ; le meilleur gentilhomme du monde, au reste, et le plus sot ' ! » Je ne sais si nos prêtres actuels seront canonisés plus tard, mais j'en sais qui sont des saints, qui couchent sur une paillasse, parce qu'ils ont vendu leur dernier matelas pour distribuer quelques aumônes , qui ne désespèrent jamais et s'acharnent à sauver des âmes que le mal leur dispute. L'un d'eux , celui qui remplit le plus douloureux ministère que la charité chrétienne puisse accepter, arrêté et jeté dans une cellule de Ma zas pendant la Commune, disait : « Enfin ! je vais donc avoir le temps de repasser ma théologie ! » Ce lui-là n'a pas été massacré, de sorte que les condamnés Voir Correspondance complète de Madame, duchesse d'Orléans; G. Brunet ; t. II, p. 313. A LA RELIGION. 373 à mort peuvent entendre des paroles de consolation. jusqu'au pied même de l'échafaud . Le clergé de Paris est , en général , fort bon ; peut être en fouillant quelques anecdotes plaisantes serait- il facile de prouver qu'il a ses heures d'humanité ; mais il est fervent, attaché à ses devoirs et ne ressemble en rien à ces abbés galants qui couraient les ruelles du dix-huitième siècle, faisaient des bouquets à Chloris, oubliaient leurs soutanes dans les boudoirs et dont Voisenon fut le type spirituel ' . On ne parle guère des 1,193 ecclésiastiques qui fonctionnent dans les églises de Paris ; ils sont tenus par une sévère discipline et savent, au besoin , se perdre dans la foule. Un prêtre qui aujourd'hui s'afficherait à l'Opéra , comme ce fut la mode au siècle dernier, serait hué par les spec tateurs, interdit par son évêque et envoyé en retraite dans quelque couvent de province. L'esprit public est très-éveillé , et s'il plaisante des vœux imposés aux ministres de Dieu, il exige que ceux-ci les respectent, contradiction qui n'a rien de surprenant chez un peuple à la fois sceptique et su perstitieux. Il est intraitable sur un point : il ne veut pas que le clergé possède et il crie à la captation dès qu'il entend parler d'une donation faite aux églises 1 L'abbé de Boismorand mettait son crucifix à la fenêtre par la gelée , quand il avait perdu au jeu, et disait : « Ah ! oui , je t'en enverrai des âmes ! » Journal de Collé, t . I , p . 312. 574 LE PARISIEN. ou aux couvents. A cet égard, toute précaution est prise ; l'exemple du passé n'a pas été perdu, et si une nouvelle confiscation venait à se produire, elle n'au rait à s'exercer que sur bien peu de propriétés immo bilières ; ce que l'on possède peut être facilement dé placé, car une partie de la fortune maritime de la France appartient aux congrégations religieuses . Malgré la Révolution et le nivellement de nos mœurs, le clergé a une tendance invincible à se considérer commeun ordre à part dans l'État, major homine, minor Deo, et , sous prétexte qu'il doit jouir d'une indépendance sans contrôle , qu'il puise les inspira tions de sa pensée aux sources divines, il a parfois causé de cruels embarras au gouvernement ; des puissances étrangères très-susceptibles ont failli ré pondre par des coups de fusil aux objurgations de certains mandements épiscopaux . C'est là un malheur auquel on ne peut remédier, car la loi est désarmée ; l'appel comme d'abus devant le conseil d'État est une vaine formalité qui profite à celui qu'elle atteint. L'Église est femme ; elle ne tient absolument compte que de son intérêt, elle crie à la persécution dès qu'on la touche, récite son in manus et en appelle au Dieu vengeur. -- - L'intrusion de la politique dans la religion a pro duit cet état de choses, qui est insignifiant en temps ordinaire, mais qui devient facilement redoutable LA RELIGION. 375 lorsque les relations extérieures se compliquent de quelque difficulté . Ces faits, qui ne sont pas rares et ont souvent troublé le sommeil de nos diplomates, - prouvent que le clergé renferme encore, selon l'ex pression de Montesquieu , des hommes << si dévots qu'ils sont à peine chrétiens » , qu'il n'a rien abdiqué de ses prétentions, qu'il cherche à ressaisir son ancienne prépotence et qu'ayant charge de diriger les âmes, il se croit appelé à régenter toutes choses humaines. Quoi qu'il fasse, quoi qu'il tente , ce rêve ne se réali sera pas; son importance sera d'autant plus grande qu'il saura la limiter à son ministère spécial ; tout ce qui l'en fera sortir ne peut que l'affaiblir , et s'il se contente de prouver simplement par l'exemple que sa morale est supérieure à toute autre, il sera inatta quable. La Réforme a mis fin au moyen âge, la liberté de conscience a clos l'ancien régime ; mais nous n'en sommes pas encore arrivés à cette liberté illimitée des cultes qui règne, sans péril , aux États -Unis d'Amérique . Paris aura- t-il un jour, comme New-York, sa rue des Églises, où toute secte, si étrange qu'elle soit, a le droit de s'affirmer et de se manifester publiquement ? Cela est probable, mais le temps n'est pas venu. La Renaissance a abouti à l'établissement des Jésuites et au que sais-je de Montaigne ; à quoi aboutira le scien tifique dix-neuvième siècle ? Sans doute à la transfor 376 LE PARISIEN. mation du principe même de la divinité et à l'étude presque exclusive des phénomènes matériels . Une nouvelle genèse des idées ne touchant en rien aux dogmes immuables de la morale éternelle disten dra les liens qui nous attachent traditionnellement à l'Église dont le chef est à Rome ; le libre examen péné trera des âmes qu'il n'a fait encore qu'effleurer ; le rationalisme, si desséchant parfois , arrachera aux croyances celte armure de mysticisme qui, pendant tant de jours , les a rendues invulnérables ; les gens pour qui les pratiques religieuses tiennent lieu de toutes vertus ne seront plus satisfaits d'eux- mêmes ; la tolérance réellement impartiale s'infiltrera dans nos mœurs ; les relations de l'Église et de l'État se modi fieront de façon que l'un et l'autre recouvrent leur li berté ; l'union trop intime qui souvent les neutralise sera rompue ; il sera permis à chaque citoyen d'ado rer Dieu à sa manière, et peut-être la foi trouvera t-elle sa formule dans cette parole que Napoléon pro nonçait devant le conseil d'État, au mois d'octo bre 1804 « Le Paradis est un lieu central , où les âmes de tous les hommes se rendent par des chemins différents ; chaque secte a sa route particulière. » 1 LES MŒURS. 377 - - - - IV. L'homme est identique à lui -même. Moeurs semblables, usages différents. -J.-J. Rousseau et les socialistes. Les instincts. - Le péché originel. La création psychique. — Pourquoi l'homme aime la guerre . — Cloaca maxima. La moralité. Les mœurs et le climat. Londres. Le harem. Interlopes . Femmes du monde. - Galanterie et baccarat. Les étrangers. Frivolité. Georges Cadoudal et Longchamp. Quatre théâtres . Bals officiels . Les courses. Les lectures. La mode. - Louis XIV et les coiffures hautes . Le demi-terme . Les riens visibles . Engouement. Enthousiasme. -- Rostopchin. Contrastes. Deux hommes morts à temps . — Le sexe de la France. - Ingratitude et infidélité. Épidémies de bêtise. · La scie. Esprit d'à-propos. Égalité et distinctions. Le duc de La Rochefoucauld et le duc de Mala - - - koff. Un mot du maréchal Lefebvre. malie. - Les administrations urbaines. badauderie. Polichinelle et les obus. martre.-- Crédulité et ignorance. vilité intellectuelle . - Vantard , intrépide et faible. - Ni sens commun La gauche et la droite. · Ano - Elles sont notre salut. La Les coups de canon de Mont -- Les mots qui ont déjà servi . Ser ni caractère Ce que les étrangers pensent de Paris. . Orgueilleux. Sa grandeur dans l'histoire . - - - - - LES MEURS. - - -- - - - - - - ――― - - - - - - - - - Pour les peuples inconsistants et mobiles, la reli gion devient facilement une affaire d'habitude : aussi n'a-t-elle à Paris qu'une influence insignifiante sur les mœurs ; elle en modifie peut-être légèrement la forme extérieure, mais elle ne touche guère au fond qu'elle laisse intact . Elle est impuissante lorsqu'elle s'attaque aux coutumes, ou aux engouements de la mode ; depuis qu'elle tonne contre les théâtres et contre la toilette des femmes, elle n'a obtenu ni la fermeture d'une salle de spectacle, ni plus d'étoffe dans les corsages . Paris est à la fois très-vertueux et 378 LE PARISIEN. très-corrompu ; il est au moral comme au physique : la débauche y côtoie la chasteté, de même que la ruelle de la Parcheminerie avoisine le boulevard Saint-Germain. A tous les degrés de la série sociale que j'ai regar dée de près pendant mon long voyage à travers les institutions de notre ville , j'ai trouvé l'homme iden tique à lui-même ; la différence des milieux et de l'é ducation produit seule une différence dans le mode d'être vicieux ; cette différence-là compte pour beau coup dans les appréciations superficielles où les pré jugés et les idées reçues ont plus de part que le raisonnement, mais le moraliste impartial n'en voit aucune entre le vin de Champagne et le vin d'Argen teuil , entre la fille entretenue millionnaire et la fille à soldat, entre le prince qui fabrique de fausses si gnatures et le chiffonnier qui vole un couvert d'ar gent. Les mœurs sont les mêmes, seuls les usages sont différents . Aussi lorsque les gens du monde et de la bourgeoisie parlent de la nécessité de moraliser le peuple, on peut leur répondre : Cela est bien dit , mais il faut commencer par vous moraliser vous mêmes. Le Parisien a les défauts inhérents au genus homo, et ils sont nombreux ; l'erreur de Jean-Jacques Rous seau et des socialistes a perverti les idées à cet égard. Jean-Jacques, exaspéré contre une civilisation qui irrite LES MŒURS. 579 les mélancolies de son orgueil maladif, rêve le retour à la nature et voit toute vertu dans l'homme primitif ; les novateurs inventent un homme de toutes pièces et le font concorder avec leur système préconçu . Des deux côtés on se trompe et, dans ce cas, les erreurs de diagnostic ont souvent de redoutables conséquen ces . La réalité démontrée est bien plus simple. L'homme ne naît ni bon, ni mauvais : il naît animal ; de plus il peut, en grandissant, obéir à des besoins de vengeance, à des combinaisons de ressentiment, que ne connaissent point les autres animaux. Il naît avec des instincts ; tout le travail des religions et des légis lations est de modifier ces instincts et d'en faire des mœurs; c'est là , en somme, ce que signifie le péché originel admis par l'Église. Dresser l'homme jusqu'à l'état civilisé, le faire concourir au bien de tous en récompensant ses efforts particuliers, faire marcher côte à côte avec un mutuel profit l'homme collectif et l'homme individuel , greffer sur le sauvageon la bran che déjà cultivée, étouffer la bête violente sous les progrès de l'âme adoucie, c'est là l'œuvre du temps fécondée par les conceptions de quelques-uns de ces esprits d'élite dont l'humanité reconnaissante a pres que fait des dieux ; œuvre lente, difficile , qui a dû s'é tayer sur des lois sévères et pour laquelle les gendar mes n'ont point été de trop. Ce grand travail de perfectionnement ne s'arrête ja 380 LE PARISIEN. mais ; c'est une sorte de création psychique qui ne se ralentit pas plus que la création géologique ; pendant que lentement les couches successives d'infusoires dé posées au fond des mers préparent les continents fu turs, l'expérience, la morale, la philosophie, la reli gion versent dans le cerveau humain le germe des vertus qui se développeront plus tard . L'homme est aujourd'hui meilleur qu'il n'a jamais été ; ce n'est pas dire qu'il ait oublié ses instincts génésiaques ; loin de là , il se livre à eux avec une sorte d'ivresse farou che, lorsqu'il le peut sans crainte ; c'est pour cela qu'il aime tant la guerre qui lui permet de tuer, de voler, de violer impunément et même avec gloire . Pas plus que les autres hommes, le Parisien n'est parfait ; la civilisation et les passions aidant, Paris est la cloaca maxima du monde ; c'est une sorte de ren dez-vous universel , et ceux qui ont le plus profité de la facilité de nos mœurs sont ceux qui nous ont le plus calomniés . Ç'a été la mode parmi les nations étrangè res, après les désastres de 1871 , de crier à la corrup tion de la « Babylone moderne » et de voir un châti ment dans nos défaites . Rhétorique et lieux communs qui n'ont même pas le mérite de la nouveauté, car en 1815 le duc de Wellington se vantait de venir nous apprendre la « moralité¹ » . 1 Ce n'est guère en prêchant d'exemple que lord Wellington et les alliés nous donnèrent des leçons de morale. Les dépenses faites par les LES MEURS. 381 J'ai beaucoup voyagé, et dans tous les pays que j'ai parcourus, j'ai trouvé l'homme semblable à lui-même, sauf des nuances absolument extérieures et qui tien nent à la latitude . Licence de mœurs, affaire de cli mat. Paris, climat tempéré, vit , boit , aime et s'amuse en plein air ; c'est bien plus accentué en Italie : chaque nuit, Palerme paraît en fête . A Berlin , à Pétersbourg, à Londres, il fait froid et brumeux , on pousse le ver rou des portes et l'on ferme les volets ; la morale n'y gagne rien ; ce prétendu respect des mœurs n'est que la crainte de s'enrhumer et constitue , en fait , une sorte d'hypocrisie qui est un vice de plus . Les voya geurs qui, la nuit venue, ont ouvert les portes de Lon dres, qui sont descendus dans les palais du gin, qui ont visité les antres secrets sous la conduite des police men, ont gardé dans leur souvenir l'horreur de tels et si odieux spectacles. Dans ces grandes capitales qui parfois daignent nous inviter à plus de retenue, on recherche les plai sirs faciles, les déceptions de l'amour vénal tout au généraux des armées victorieuses furent excessives . Le grand- duc Con stantin dépensa 4 millions en un mois, lord Wellington 3 millions en six semaines, Blucher, qui ne quittait pas le tripot du n° 113 au Palais Royal, 6 millions pendant son séjour ; toutes ses terres étaient engagées lorsqu'il quitta Paris : la présence des alliés fit à cette époque la for tune des cafés, des théâtres, des mauvais lieux et des maisons de jeu de Paris ; l'indemnité fut ainsi restituée à gros intérêts, et Paris sortit en richi de cette crise, grâce à la façon dont nos adversaires nous ensei gnèrent la moralité » . 382 LE PARISIEN. tant qu'à Parîs : plus brutalement, plus violemment peut-être et sans cette pointe de sociabilité qui ôte au vice quelque chose de sa laideur . L'islamisme, je di rai plus, l'Orient antique et moderne, a compris de tout temps l'influence du climat sur les mœurs appa rentes; dans ces pays où la vie libre sous un ciel tiède est un besoin impérieux, on a supprimé la femme; elle est forclose dans le harem , textuellement, l'in terdit. Mais en Orient, à Paris, à Londres, à Berlin , partout , les femmes savent fort bien découvrir, comme dans le Madrid de Gil Blas, des personnes complai santes qui les aident à « concilier leur tempérament avec la bienséance » . ――――― Paris est démoralisé, je n'y contredis pas ; on parle partout de ses élégances scandaleuses et de son laisser aller excessif, pour ne pas dire plus ; soit . Mais parmi les créatures du monde interlope, quelles sont donc ces deux femmes dont le luxe outrageant a révolté les âmes honnêtes? L'une vient de l'autre côté de l'Atlan tique, et c'est un souverain étranger qui l'a enrichie ; l'autre est une juive née sur les bords de la Moskowa, et si elle ne porte plus son nom patronymique, c'est qu'elle l'a légitimement échangé contre celui d'un homme très-riche qui n'est ni Français , ni Parisien , mais qui appartient à la nation chez laquelle les succès militai res passent pour une preuve de moralité. Parmi les gens de la bonne compagnie, je ne crois pas que ce soil LES MEURS. 383 une Parisienne cette femme charmante et spirituelle qui, par caprice de grande dame et dédain des usages acceptés , se livrait à toutes sortes d'excentricités de surface, inventait des toilettes folles, chantait à dé piter les chanteuses des estaminets-concerts et dansait souvent trop haut ; son nom historique n'a jamais ap partenu à l'armorial de la France. Une galanterie a coûté un million ; celui qui l'a payé était de la Grande Bretagne et celle qui l'a reçu était du pays que Mignon regrettait. Au temps de mon enfance, Paris , surtout aux jours de carnaval , était tenu en émoi par les inex primables et dispendieuses drôleries d'un personnage très-connu c'était un Anglais , et le peuple l'avait surnommé lord l'Arsouille. Des parties de baccarat où l'on engageait des enjeux excessifs ont été sévèrement jugées par l'opinion publique ; les Parisiens cependant n'avaient rien à y voir , car les principaux tenants étaient des Turcs et des Polonais . Les étrangers adorent, peuplent , enrichissent Paris, où ils trouvent une protection active de la part de l'autorité et des facilités de plaisir qu'ils augmentent eux- mêmes par le haut prix dont ils se font gloire de les payer. Rentrés chez eux, au coin de leur feu de charbon de terre, dans un ennui centuplé par l'acuité des souvenirs, ils disent volontiers : « C'est la ville la plus immorale du monde, » et ne s'aperçoivent pas qu'ils sont au moins de moitié dans la démoralisation 11 384 LE PARISIEN. qu'ils nous reprochent . On peut répéter encore le mot de J.-J. Rousseau, il est toujours vrai : « La corrup tion est partout la même ; il n'existe plus ni mœurs, ni vertus en Europe ; mais s'il existe encore quelque amour pour elles , c'est à Paris qu'on doit le cher cher. » Le Parisien n'ignore pas les médisances dont il est l'objet ; il en lève un peu les épaules ; mais comme il sait aussi que les plaisirs attirent les étrangers et que les étrangers lui apportent de l'argent, il en prend son parti, multiplie les lieux d'amusement, s'enrichit et, semblable au chien qui mange le dîner de son maître, il prend sa part du gâteau; il s'amuse lui même tant qu'il peut, avec la frivolité de son carac tère naturel ' . Les événements les plus douloureux, ceux dont les conséquences prolongées peuvent avoir une influence directe sur ses destinées, ne le détour nent pas de cette recherche du plaisir. Lorsque la con spiration de Georges Cadoudal eut été découverte, toutes les barrières furent fermées pendant que l'on fouillait la ville pour y trouver les conjurés ; Paris ne s'inquiétait que de la promenade traditionnelle de Longchamp, qui était alors très en vogue ; comment la ferait-on si la barrière de l'Étoile restait close? Le dimanche des Rameaux, les deux derniers complices Le marquis de Saint-Aulaire a dit : « La frivolité est moins l'aver sion pour les choses sérieuses que la disposition à s'en amuser. » LES MŒURS. 385 de Georges furent arrêtés, heureusement, dit Réal, car les équipages purent défiler dans les Champs Élysées et dans le bois de Boulogne. Au mois de janvier 1872 , presque jour pour jour après la capitulation de Paris qui consacrait notre défaite, abandonnait trois départements et consentait cinq milliards d'indemnité, le préfet de la Seine fut sollicité d'autoriser la construction de quatre théâtres nouveaux sur la place du Château-d'Eau. Pendant l'hi ver de 1874, Paris ne s'est occupé que de savoir où et combien de fois on danserait dans les demeures offi cielles . C'est pour faire aller le commerce, dit- on ; le commerce en profite, nul ne le conteste ; mais ceux qui vont danser ne s'en soucient guère. Lorsque l'on a offert au shah de Perse quelques divertissements mé diocres et une illumination aussi mal réussie que mal conçue, le travail chôma dans Paris comme pour une des grandes fêtes de l'Église . Toutes les fois qu'il y a quelque part des uniformes à voir, des toilettes à regarder, le Parisien y court ; il ne manque pas une revue et il va aux courses , quoi qu'il n'y comprenne rien ; les chevaux ne l'intéressent guère, mais il s'y rend pour faire comme « tout Pa ris D; il tâche même de s'approprier quelques termes du jargon qu'il est de bon ton de parler en ces en droits, car il paraît que la langue française, si riche , si souple, si précise, ne suffit pas à exprimer les rap VI. 25 386 LE PARISIEN. ports de l'homme et du cheval . Les plaisirs sérieux, ceux qui s'adressent directement à l'esprit , le laissent absolument froid ; les conférences les lectures - qui ont tant de succès et rendent de réels services en Angleterre et en Allemagne, n'ont jamais pu s'accli mater chez nous; tous les efforts que l'on a tentés pour les faire adopter par la population parisienne, ont échoué, ou peu s'en faut. C'est en cela, pour qui l'a impartialement étudié, que consiste sa démoralisation ; il est bruyant, exté rieur, empressé dans ses plaisirs, mais les mœurs de Paris ne sont ni pires , ni meilleures que celles des autres grandes agglomérations humaines ' ; il n'est pas plus juste de lui en faire un crime, qu'il n'est juste de lui reprocher l'extravagance de ses modes, car dès qu'il a inventé quelque accoutrement ridicule, le monde entier l'adopte immédiatement . Les usages les plus baroques s'imposent avec une facilité inexplicable. Tel qui sera impunément esprit fort contre un axiome philosophique ou contre un dogme religieux subira, ――― 1 Onpeut appliquer à toutes les grandes capitales l'observation que Je lis dans un rapport de police secrète sur l'esprit public à Paris , en octobre 1798 : « Il est presque impossible de rappeler et de maintenir les bonnes mœurs dans une population amoncelée où chaque individu, pour ainsi dire, inconnu à tous les autres , se cache dans la foule et n'a à rougir aux yeux de personne. » (Tableaux de la Révolutionfrançaise publiés sur les papiers inédits du département et de la police secrète de Paris, par Adolphe Smidt, professeur d'histoire à l'Université d'léna, t. III , p. 337.) LES MEURS. 387 sans oser regimber, une forme de chapeau qui lui pa raît horrible. Lorsque la mode fut aux duels, 4,000 gentilshommes furent tués en moins de quinze ans, et le roi accorda plus de 7,000 lettres de grâce pour ho micide volontaire . Les perruques de Louis XIV , la poudre de Louis XV ont été humblement subies par l'Europe . Les rois n'y peuvent rien et les sceptres les plus absolus s'inclinent devant une cornette en dentelle . La Palatine raconte , dans une lettre du 16 juin 1716 , un fait que l'on ne doit point passer sous silence, car il prouve l'impuissance des souverains en pareille matière et l'influence subite de l'esprit d'imitation : « Le feu roi disait : J'avoue que je suis piqué quand je vois qu'avec toute mon autorité de roi , en ce pays ci , j'ai eu beau crier contre les coiffures trop hautes, pas une personne n'a eu la moindre envie d'avoir la complaisance pour moi de les baisser . On voit arri ver une inconnue, une guenille d'Angleterre , avec une petite coiffure basse, tout d'un coup toutes les princesses vont d'une extrémité à l'autre ¹ . » La gue nille était lady Sandwich, femme de l'ambassadeur anglais. On a beaucoup raillé les crinolines et les faux chi gnons ; rappelons-nous les paniers et les coiffures à la 1 Correspondance de Madame, duchesse d'Orléans . (Brunet, I, 243.) 388 LE PARISIEN. belle poule ; sous le Directoire, il était de bon ton de pa raître enceinte, et nulle femme ne se serait montrée en public sans avoir son « demi- terme » . J'ai vu le temps où un homme n'était élégant qu'à la condition. d'avoir un lorgnon dans l'œil . Ne nous moquons de personne, ni de nos pères, ni de nous-mêmes, ni de l'Indien qui se perce les lèvres pour y insérer des bo tocs, ni de nos femmes qui se percent les oreilles pour y suspendre des diamants. Tout cela est affaire de mode, et la mode est la recherche toujours vaine, sou vent ridicule, parfois dangereuse, d'une beauté supé rieure idéale . Paris est passé maître en l'art de faire varier la mode qui lui vaut une bonne partie de sa fortune ; ses ouvriers excellent à vendre et à vendre fort cher ces riens visibles que l'on appelle des formes. Une étoffe de 200 francs en vaut 1,200 quand elle sort façonnée de chez le bon faiseur ; lorsque l'on donne un bal important à Pétersbourg , à Moscou , à Londres, Paris en sait quelque chose et les layetiers ne suffisent pas à emballer les chiffons, les fleurs , les plumes qui coûtent beaucoup plus que leur pesant d'or. Les idées françaises se sont , pendant longtemps, glissées sous les falbalas et ont troublé bien des têtes. Un des plus implacables adversaires que la France et Paris spécialement aient rencontrés, le comte Ros topchin , le même qui brûla Moscou, ne peut s'en LES MEŒURS. 389 taire « J'ai reconnu en cette ville la maîtresse de l'Europe , car on a beau dire, tant que la bonne com pagnie parlera français, que les femmes aimeront les modes, que la bonne chère fera les délices de la vie , que l'on aimera les spectacles , Paris influera toujours sur les autres pays. Il est certain qu'aucune ville du monde ne possède une aussi grande quantité d'hom mes instruits, savants et estimables . >» Rostopchin n'est pas toujours aussi aimable et il ne se gêne guère pour déclarer que Paris est une maison de fous . Éter nel contraste, qui se reproduit nécessairement dans un centre si prodigieusement rempli ; que l'on regarde vers les cabarets , c'est un peuple d'ivrognes ; vers les ateliers, c'est un peuple de travailleurs ; vers les ca sernes, c'est un peuple de soldats ; vers les labora toires, c'est un peuple de savants ; vers le bal de l'O péra, c'est un peuple de saltimbanques ; à la même minute, il y a cent peuples différents dans le peuple de Paris. Chacun de ces peuples a ses habitudes différentes et, jusqu'à un certain point, une physionomie spé ciale ; malgré l'uniformité des costumes, il est facile à un œil exercé de reconnaître à quelles professions appartiennent les individus qui forment la foule ; mais tous semblent parfois saisis d'une curiosité in vincible fixée sur un seul point ou d'un amour inex plicable pour un personnage quelconque. C'est l'en 390 LE PARISIEN. gouement, maladie très- française et surtout parisienne. Tout le monde a cru à Cagliostro et s'est assis autour du baquet de Mesmer ; on s'est étouffé dans les allées du Jardin des Plantes pour regarder la girafe et aux portes du Jardin Turc pour voir le chien Munito ; c'est comme un vent de folie qui tourne les têtes. Les enthousiasmes du Parisien sont subits, quelquefois foudroyants , mais ils durent peu. Il acclame La Fayette, Dupont (de l'Eure) , Lamartine ; mais comme il n'aime pas qu'on vieillisse et surtout qu'on reste immuable, si on lui en parle six mois après, il les traitera volontiers de ganaches . Semblable à Diogène, il cherche un homme, non pas pour étudier cette rare curiosité, mais pour l'ad mirer et au besoin pour lui obéir. En temps de péril , lorsque les ruines , que bien souvent il a accumulées par ses sottises, commencent à l'effrayer, il remet ses espérances et toute sa destinée à un homme ; il le choisit, il se le figure selon ses désirs et non selon la réalité, puis il lui pose le fardeau sur les épaules : si le héros improvisé fléchit sous le poids , on l'accuse de trahison . Dans notre histoire moderne, deux hom mes ont eu l'esprit de mourir à temps : Armand Car rel et le général Cavaignac. En 1848, l'un eût été chargé de fonder la République ; en 1870 , l'autre eût été sommé de sauver la France : et comme ils n'auraient point réussi , ils auraient tous deux été dé LES MEŒURS. 391 clarés traîtres à la patrie. Du reste, si le Parisien aime à renverser les idoles qu'il a dressées lui-même, il ignore absolument le sentiment de la reconnaissance. Cela tient à sa nature -j'allais dire à son sexe, car la France est femme ; il est infidèle et ingrat . Il vou lut déchirer le cadavre de Colbert, et sur la porte de Sully, inconsolable de la mort de IIenri IV, il écrivit : Valet à louer, Cet engouement peu durable que lui inspirent cer tains hommes, il l'éprouve aussi pour d'inexcusables niaiseries . Une épidémie de bêtise se répand tout à coup sur Paris ; la maladie est incurable, chacun y cède ; on entend crier : Ohé Lambert ! ou bien : Etta sœur? On chante : Il a des bottes , Bastien ! D'où vien nent ces sornettes ? Nul ne le sait : de quelque atelier de rapins sans doute ; elles descendent dans la rue, passent en province et font souvent le tour du monde. Le mal a quelquefois une autre forme, qui n'est ni moins solte ni moins odieuse. Il y a quelques années, la mode fut d'imiter un cabotin de vingtième ordre , dont l'unique mérite était d'avoir la voix éraillée ; on n'y manquait nulle part, ni dans les brasseries , ni dans les salons . Cela s'appelle une scie, et en réalité c'est un instrument de supplice. La manie des calembours, des intercalations de mots a fait plus d'une victime. Il fut un temps où des gens qui n'étaient point naturellement trop bêtes, 392 LE PARISIEN.

croyaient faire preuve d'esprit et riaient à gorge dé ployée en disant Je crains de cheval que l'on ne me trompe d'éléphant . Ces accès d'ineptie se reproduisent très-fréquemment , et le mal qu'ils déterminent est toujours aussi insupportable que celui qu'ils rempla cent. Cela est essentiellement parisien désœuvre ment, esprit d'imitation , entraînement irréfléchi ; sous ce rapport, du moins, les autres capitales sont moins amoureuses de futilités . Cette sorte de servilité intellectuelle n'empêche pas le Parisien d'avoir l'es prit d'à-propos porté au plus haut degré : il lui suffit parfois d'un mot pour définir une situation . A Mexico, pendant que le choléra décimait nos troupes, un sol dat écrivit sur les murs du cimetière : « Jardin d'ac climatation . » Ce soldat était un Parisien , il n'en faut pas douter. De tels contrastes se retrouvent souvent chez lui. Il en est un qui forme un de ses caractères distinctifs , qui généralement a été mal compris et qui est plus apparent que réel . Il est ivre d'égalité, le Parisien , mais il est surtout ivre de distinctions. Tout homme rêve la croix, et il y en a qui meurent de ne l'avoir pas obtenue. L'égalité , telle qu'on l'admet et qu'on la pratique en France, ne signifie pas que les citoyens doivent avoir des droits pareils, ne porter aucun titre et vivre dans une sorte d'état moyen intermédiaire entre l'oligarchie et la démocratie ; elle signifie que LES MEURS. 393 tout individu , quels que soient sa naissance et son point de départ, peut parvenir aux plus hautes digni tés. Rostopchin , que je cite encore , écrivait avec étonnement : « J'ai dîné chez le duc de Richelieu à côté d'un chimiste qui est pair de France et grand croix de la Légion d'honneur . » Or cette anomalie, contraire aux traditions des vieilles sociétés, qui crée une sorte de contradiction entre ce que Saint- Simon eût appelé «< la bassesse de l'extraction » et l'impor tance des fonctions exercées, est peut-être ce qui tient le plus au cœur du Parisien . Il dédaigne ce que l'on doit à la naissance et recherche avec ardeur ce que l'on doit au mérite. J'ai été témoin d'un fait qui m'a singulièrement frappé et qui est un précieux commentaire de cette as piration vers les grandeurs acquises . - En 1857 , un dimanche, j'étais assis aux Champs-Élysées ; le temps était fort beau et il y avait foule. Deux ouvriers, instal lés sur un banc, regardaient, comme moi, défiler les voitures . Un cavalier de bonne tournure, suivi d'un domestique, passa . Un des ouvriers dit à l'autre : « Ce monsieur-là, je le connais ; c'est le duc de La Ro chefoucauld . J'ai travaillé chez lui ; c'est un brave homme. » L'autre répondit : « La Rochefoucauld ? Il y a une rue qui s'appelle comme cela . Ah ! il est duc ; eh bien ! qu'est-ce que cela me fait ? » Au bout de quelques instants apparut une calèche, dans laquelle 394 LE PARISIEN. s'étalait un vieillard court et trapu . Le second ouvrier dit au premier : « Regarde donc ce gros-là ! il res semble à un boulet de canon roulé dans de la farine. >> Le premier répliqua à voix basse et très-rapidement : << Tais-toi donc ! c'est Malakoff, le maréchal Pélis sier. » Je vis alors un singulier spectacle : l'homme qui dédaignait si fort le duc de La Rochefoucauld se leva d'un bond, le chapeau à la main, et, courant vers la voiture , il cria : « Vive Pélissier ! vive Pélissier ! >> Puis il vint se rasseoir tout pâle, très-ému et dit : « Ça m'a fait quelque chose de le voir. » Cela voulait dire : J'aurais eu beau faire, jamais je n'aurais été duc de La Rochefoucauld ; avec du courage , du travail et un peu de chance, j'aurais pu être duc de Malakoff et maréchal de France. Cette pensée était si bien la sienne , qu'au bout d'un assez long silence il dit : « Après tout, Ney était bien le fils d'un forge ron ! >>> - Ce genre d'égalité, qui consiste non pas à être, mais à pouvoir devenir , si l'on peut ainsi parler , est inti mement lié à nos mœurs sociales, et rien ne l'en déta chera. C'est ce sentiment, où l'ambition personnelle trouve un si puissant ressort, qui a fait dire au vieux Lefebvre, duc de Dantzig, un mot admirable. A une réception aux Tuileries, sous Louis XVIII , on se mo quait un peu du brave homme, et, pour le taquiner, chacun devant lui parlait de ses aïeux ; il comprit l'in LES MŒURS. 395 tention blessante et répondit : « Je suis un ancêtre, moi! » Si le Parisien adopte certains hommes et les pousse au pouvoir, on n'en peut dire autant des institutions : il leur est dévoué lorsqu'elles ne sont pas ; dès qu'elles existent, il n'en veut plus. Il est, à cet égard , d'une mobilité désespérante, augmentée par une absence d'idées politiques qu'il est difficile d'imaginer . En se servant du langage parlementaire , on peut dire que tout Parisien porte en lui une gauche et une droite qui se combattent sans cesse, votent à rebours, n'écoutent jamais la sonnette du président, et se perdent dans les discussions de mots où Byzance a sombré jadis . Il ne sait pas manier la liberté, il ne veut pas supporter l'autorité, et il serait ingouvernable s'il ne respectait ceux qui lui font un peu peur. Deux fois pris de belles intentions de régénération et bercé de rêves vertueux, il est parti pour Sparte et s'est arrêté en Macédoine, heureux lorsqu'il y a rencontré Alexandre. Il demande des lois pour les autres, mais n'en veut pas pour lui ; il se plaint de la réglementation admi nistrative et accable le pouvoir de pétitions dans les quelles il propose que chacun ait un livret indiquant sa capacité, un numéro d'ordre et des bulletins de vote de couleur différente pour les célibataires , les veufs et les gens mariés ; si l'on écoutait ces rêveries, dont les Corps législatifs ont eu souvent à s'occuper, ce ne se 396 LE PARISIEN. rait pas trop de tripler le nombre des fonctionnaires. Il aide l'autorité à sa façon , il lui écrit constamment pour la morigéner et réclamer ce qu'il appelle des améliorations . C'est là encore une des anomalies ca ractéristiques du Parisien : il donne volontiers toutes sortes de conseils à ses administrations, il y a recours jusqu'à satiété ; mais dès qu'il en parle, c'est pour en dire du mal, les déclarer despotiques, tracassières et tout à fait inutiles . Les meilleurs esprits n'échappent point à ce travers, et chacun essaye d'en signaler les abus; mais dès que l'on sort des généralités, dès que l'on presse la question, chacun reste muet, car on mé dit de confiance, par habitude, de nos institutions ur baines, et sans jamais les avoir approfondies. Elles valent mieux que leur réputation ; il est vrai qu'elles sont lentes et paperassières, mais c'est parce qu'elles craignent de se tromper et parce qu'elles accumulent les pièces de contrôle qui, dégageant leur responsabi lité, affirment la rectitude de leurs opérations. On croit et l'on répète que les fonctionnaires sont des espèces de potentats qui font et défont toutes choses selon leur bon plaisir ; c'est mal les connaître . Ils sont liés par une subtile réglementation , et nul mouvement d'indépendance personnelle ne leur est permis les lois , les décrets, les ordonnances royales , les arrêtés ministériels, les décisions du conseil d'État leur ont tracé un étroit sentier dont ils ne peuvent s'éloigner LES MŒURS. 397 sous peine de prévarication . C'est eux cependant que l'on rend responsables de toutes les minutieuses précautions qui leur sont imposées et qui sont la ga rantie même des intérêts publics . Beaucoup de gens accusent nos administrations par ignorance, par lais ser-aller, mais plus d'un n'agit ainsi que par mau vaise foi , par rancune politique, par suite des décep tions dont il a été blessé. ――――― Voilà, pour ma part, dix ans que je les étudie , que Je les soumets à des contrôles réitérés : elles ne sont pas impeccables, mais qui donc l'est ici - bas ? elles font de leur mieux , et le sentiment du devoir , que l'on constate chez presque tous les employés, est de nature à mériter le respect des esprits équitables . Je m'en rapporte à ce que j'ai vu et non pas à ce que di sent des critiques trop intéressés pour être absolument sincères ; mon opinion est faite : si en 1814, en 1815 , en 1830, en 1848 , en 1870 , en 1871 , Paris, — je dirai plus , la société française n'a pas sombré, c'est aux administrations parisiennes qu'on le doit ; lentement, prudemment, méthodiquement, elles ont fait rentrer le flot débordé dans le lit creusé par la sage tradition de l'expérience , et le fleuve de nos des tinées a repris son cours. Ce que serait Paris sans ses administrations tutélaires , nous le savons ; car nous l'avons vu du 18 mars au 28 mai 1871 . - C'est, en grande partie, à la badauderie du Pari - - 398 LE PARISIEN. sien qu'il faut attribuer ces puériles récriminations , car cette badauderie est sans pareille ; un régiment passe, tout le monde le suit ; une voiture verse, tout le monde s'arrête ; oui : mais pendant le siége il a été de mode d'aller voir tomber les obus, et tout le monde Ꭹ courait. Au mois d'avril 1871 , Paris était lamentable : on se promenait mélancoliquement dans les Champs Élysées , et , faute de mieux , on regardait Polichinelle et le commissaire se battre sur le théâtre de Guignol ; un projectile, évitant l'Arc de Triomphe, éclatait dans l'avenue ; chacun s'y précipitait et revenait tranquille ment écouter les lazzis du fantoche . On fit plus : des bourgeois sérieusement vêtus, et patentés sans doute, gravissaient par curiosité les rampes de Montmartre, que les faiseurs de lieux communs du moment appe laient prétentieusement « le mont Aventin de l'é meute ! » Ils arrivaient jusqu'à la fameuse batterie que l'on a si facilement démontée, à l'heure du com bat, avec quelques sacs de monnaie ; ils regardaient les obusiers accroupis sur les lourds affûts, entraient en conversation avec les artilleurs fédérés, et, pour un ou deux francs, obtenaient de mettre le feu à la pièce chargée. Je l'ai vu. Pour faire du mal? non pas ; pour faire du bruit et pouvoir se vanter d'avoir tiré un coup de canon. Ces mêmes gens avaient horreur des hommes de la Commune, mais ils s'étaient amusés pendant cinq minutes. - - LES MEŒURS. 399 La puérilité du Parisien l'entraîne à des actions semblables dont le côté révoltant lui échappe ; elle l'empêche aussi de tenir une ligne de conduite réflé chie ; il est tout à la première impression ; il s'éprend de ce qu'il n'a pas , se dégoûte de ce qu'il a et regrette ce qu'il n'a plus . Très- crédule, se payant de mots, ne voyant les choses que par la surface avec laquelle il est en contact, il gobe toutes les bourdes qu'on lui débite, d'autant plus facilement qu'il est fort igno rant, oublie vite et n'apprend rien . Les rhéteurs , qu'il a souvent le tort d'écouter , abusent de cette naï veté un peu niaise et lui jettent en pâture des mots « qui ont déjà servi » . On s'est grisé avec la parole imprudente de M. Ju les Favre « Pas une pierre de nos forteresses, pas un pouce de notre territoire ; » elle est empruntée au ser ment des Templiers. -M. Rochefort croit avoir in venté le « gouvernement de la défense nationale » ; l'expression est de Michelet, et il l'applique à la fac tion des d'Armagnacs. M. Gambetta s'écrie qu'il a fait un pacte avec la victoire ou avec la mort ; c'est la double riposte de Mercier et de Bazire . - Il n'est pas jusqu'à M. Glais- Bizoin, aphone et branlant le chef, qui, visitant le camp de Conlie, n'ait mis ses mains derrière le dos pour dire aux troupes assem blées « Soldats ! je suis content de vous ! >»» -Après le M. Favre demandait pardon à Dieu et aux • 18 mars, ――――― 400 LE PARISIEN. hommes de n'avoir pas fait désarmer la garde na tionale ; longtemps avant lui , Danton avait dit cela en parlant du tribunal révolutionnaire . Toutes ces défroques des rhétoriques surannées, le Parisien les accepte sans sourciller, et parfois même pousse la bonne foi jusqu'à les trouver éloquentes . Phrases toutes faites, idées reçues, lieux communs, métaphores gothiques, rien ne l'étonne , et il admire. C'est que, malgré sa mobilité douloureuse, le Parisien est atteint d'une servilité intellectuelle qui pourrait bien être une maladie engendrée par son incurable paresse pour ce qui touche aux choses de l'esprit ; les étrangers s'y trompent ; parce qu'il est bavard, ironi que, expansif, on croit qu'il a un esprit d'initiative très - développé et des hardiesses de conception très actives ; erreur : en art, en politique, en littérature, en médecine, il se traîne dans les ornières dont il a peur de sortir. Ces grands mots, il faut le reconnaître, ne sont pas toujours inutiles, et jadis ils ont conduit le Parisien à la victoire . Il aime la bataille, et , comme le cheval de Job, il tressaille au son des trompettes . Très-van tard, du reste, intrépide dans le succès , il est accablé par la défaite et perd toute énergie. Un général qui commanderait une armée exclusivement composée de Parisiens pourrait obtenir des triomphes extraordi naires et peu prévus ; mais , en cas de revers, il n'au LES MEURS. 401 rait point une retraite à diriger, il n'aurait qu'une déroute à suivre. Tout historien impartial qui a parlé de nous a constaté le fait. D'où provient- il ? Certes, le peuple de Paris est un grand peuple ; il est intelligent, laborieux , économe, un peu trop amou reux de l'inconnu , aimant les grandes choses et cher chant à s'y associer mais il a bien peu de sens commun ; il a pour lui l'esprit, l'ironie, la compré hension facile, le génie du perfectionnement matériel, l'élégance du travail : mais il est myope quand il re garde vers l'avenir, il est aveugle lorsqu'il se tourne vers le passé, il est sourd dès qu'il interroge l'histoire ; il ne raisonne pas, il sent ; il ne discute pas , il s'em 1 porte ; il n'agit pas , il s'agite . C'est une agrégation nerveuse gouvernée par des impressions ; en un mot , il manque de caractère. Au début de la Révolution , Chamfort écrivait : « L'Assemblée nationale a donné au peuple une constitution plus forte que lui ; il faut qu'elle se hâte d'élever la nation à cette hauteur. »> Les efforts ont été vains, les tentatives sont demeurées stériles ; entraîné par le poids de ses mœurs, Paris est toujours retombé à ce niveau d'insouciance où il se complaît. Malgré cette faiblesse congénitale qui si souvent l'a fait osciller et a ralenti l'essor de sa fortune, Paris est orgueilleux ; il est fier de ses richesses, de ses élégances et de ce bruissement d'idées qui plane au- dessus de VI. 26 402 LE PARISIEN. lui . Comment en serait-il autrement? Nulle ville n'a été plus adulée , et il n'y a qu'à écouter ce que les étrangers en disent pour excuser ce qu'elle pense d'elle-même. En 1814 , lorsque l'invasion , guidée par tous les souverains de l'Europe, vint camper sur nos places publiques , quel langage tint- elle à la ville vain cue ? « C'est à la ville de Paris qu'il appartient, dans les circonstances actuelles, d'accélérer la paix du monde. Son vœu est attendu avec l'intérêt que doit inspirer un si immense résultat ; qu'elle se prononce, et dès ce moment l'armée qui est sous ses murs devient le soutien de ses décisions . » C'est le commandant en chef des armées alliées qui parle ainsi , et qui, vain queur, maître d'imposer ses volontés, prend Paris pour arbitre et sollicite de lui « la paix du monde ». On serait orgueilleux à moins. Les généralissimes- diplomates n'ont pas été seuls à s'incliner devant son prestige ' : <« Imaginez- vous une ville où les meilleures têtes d'un grand empire sont rassemblées dans un même espace, et, par des rela tions, des luttes , par l'émulation de chaque jour, s'instruisent et s'élèvent mutuellement ; où ce que tous les règnes de la nature, ce que l'art , dans toutes les parties de la terre, peuvent offrir de plus remarqua ble est accessible à l'étude ; imaginez- vous cette ville universelle où chaque pas sur un pont, sur une place, rappelle un grand passé, où à chaque coin de rue s'est LES MEURS. 405 P déroulé un fragment d'histoire ! et encore imaginez vous, non pas le Paris d'un siècle borné et fade, mais le Paris du dix-neuvième siècle, dans lequel , depuis trois âges d'homme, des êtres comme Molière, Voltaire, Diderot et leurs pareils ont mis en circulation une abondance d'idées que nulle part ailleurs sur la terre on ne peut trouver ainsi réunies . >> Quel est le Pa risien fanatique et outrecuidant qui ose faire un sem blable éloge et dire que Paris est une ville unique au monde? C'est le plus grand des Allemands , c'est Goethe. - - -- Les vertus et les défauts du Parisien, du Fran çais, constituent un peuple très- singulier qui se sent assez bien doué pour avoir tort de faire fi des qualités acquises par le travail et la réflexion . Il a une élasticité puissante qui le relève au moment où l'on s'y attend le moins ; il peut produire presque indéfi niment et sait être riche même lorsqu'on lui prend son épargne ; il ne ménage, au besoin, ni ses peines, ni son activité, et quelquefois il est éclairé par la lueur de raison qui mène au salut . Ses inconséquences, ses ingratitudes, ses frivolités dont on se moque en venant les partager, toutes ses mauvaises qualités , en un mot, ne l'ont point empêché d'avoir des destinées en viables, d'exciter par son opulence la convoitise des jaloux et de tracer dans le champ des annales de l'hu manité un sillon que rien n'effacera jamais. - 404 LE PARISIEN. - - - - - Dupe de bonne foi. Esprit de contradiction . L'opinion de César . — 0 tempora! o mores ! - Le lointain dans la nature et dans l'histoire . -Le paradis perdu. Le siècle de Louis XIV. - Un bal chez le duc de Les diguières. Le dessert de Fouquet. Les financiers. - Le jeu. — La bassette et le baccarat. ·Les gommeux. · - La moralité d'autrefois. Le pont des Larmes. L'Estoile. La Fronde. Les cris de la Pala tine . Cruauté. Le maquillage. Les gens de théâtre. « Il reste - La libre pensée. Le dieu Matière. encore Bronte le questionnaire. >> - - - - - — Liberté. — Léquinio en mission. Sottise d'aujourd'hui, sottise d'au trefois. - Prison antichambre du pouvoir. Rochefort et Broussel. Les pétroleuses. « Estoupper les souppiraux. » —- Le cabaret et les ou vriers. Dragonnes et graines d'épinards Les tricoteuses. . Sparte. communs et banalités. Les effets de la richesse publique. Sécurité. Assassinats. Les mauvais jours d'autrefois .. Lieux Résurrection. Le bonnet rouge et le chaperon d'Étienne Marcel. - Décapitaliser Paris, Les menaces. Le sacre. Fluctuat nec mergitur . L'airain de Co rinthe. La chanson des horloges. Les grenouilles. Athènes et Alexandre. · Haine contre Paris. Vauban. Supériorité morale. L'intelligence de Paris. - L'Exposition de 1867. — Salubrité. 1800. Les crises éruptives. -- ― - V. LE BON VIEUX TEMPS. - - - - - - - - - - - - - --- - -- - L'œuvre de Paris depuis - Le sang de Louis XVI . - -


- - - --- - Le Parisien, l'habitant de Paris , -- a-t-il tou jours été ce que nous le voyons aujourd'hui ? A-t- il toujours été inconséquent, futile, généreux, cruel , héroïque, faible, indifférent, fanatique, bavard , igno rant, ingénieux , frivole, spirituel et sot? Toujours, et aussi loin que l'on remonte dans son histoire, on le trouve pareil à lui-même ; ses variations les plus ac centuées ne modifient en rien son caractère ; il peut être anglais avec le duc de Bourgogne, espagnol avec les Guise, monarchique avec Louis XIV, terroriste avec Robespierre, il n'en reste pas moins, comme dit Char LE BON VIEUX TEMPS. 405 ron, « léger à croire, à recueillir, à ramasser toutes nouvelles , surtout les fâcheuses, tenant tous rapports pour véritables et asseurés ; avec un sifflet ou sonnette de nouveauté, on l'assemble comme les mouches au bruit du bassin. » Toujours nous le voyons déraisonnant à perte de vue sur des effets dont il ignore les causes , se laissant exciter ou abattre par les mêmes motifs, dansant la carmagnole autour de l'échafaud de Louis XVI, pleu rant d'attendrissement à la rentrée de Louis XVIII , criant vingt fois dans la même journée vive la Fronde ! et vive Mazarin ! passant sans sourciller de la licence au despotisme, variant avec une bonne foi irrépro chable , car il est passé maître en l'art de se duper soi- même. Très-divisé d'opinions, non point par prin cipe, - il n'en a guère, mais par esprit de con tradiction, le contrepied lui est naturel et il n'a besoin d'aucun effort pour être d'un avis opposé à celui qu'il entend émettre. « Il y a chez eux des partis différents , non-seulement dans chaque ville , dans chaque bourg, dans chaque village, mais encore dans chaque mai son. » Est- ce un moraliste moderne qui , après avoir constaté notre état politique et social si profondément morcelé, s'exprime de la sorte? Non ; c'est César, lorsqu'il parle de nos pères, les Gaulois . Les gens à courte vue, douloureusement affectés par le spectacle qui frappe leurs yeux , accusent notre ――― 406 LE PARISIEN. époque, lui reprochent d'être d'une immoralité ex ceptionnelle et font porter à notre temps le poids de toutes les malédictions : notre temps ! notre temps ! Les plus ferrés en humanités s'écrient : O tempora ! o mores! En était-il donc autrement jadis, et seuls avons nous le privilége de la dépravation ? L'histoire et la poésie répondent ; depuis le vieux Nestor qui trouvait ses contemporains dégénérés, jusqu'aux vieillards de nos jours qui vitupèrent la corruption de jeunes gens, le même fait se reproduit . Dégoûté du présent, on se retourne vers le passé et on lui attribue des vertus qu'il n'a jamais soupçonnées. Cela est humain. En voyage, on traverse des landes arides , trouées çà et là de marécages saumâtres ; les lichens , comme une lèpre vive, tachent les blocs de grès répandus sur les sables ; les arbres épuisés n'ont qu'un feuillage misérable ; on s'éloigne de ces lieux désolés où souffle l'air attristant des solitudes. Lorsque l'on a fait quel ques lieues, on se retourne et l'on reste stupéfait d'a percevoir un paysage magnifique ; toutes les laideurs choquantes perdues au fond des transparences de l'ho rizon forment un ensemble merveilleux de lignes et de couleurs ; on admire et l'on se croit le jouet d'une illusion . Le lointain produit dans l'histoire le même effet que dans la nature . Pour voir les choses en beau, il ne faut que les contempler à distance . Lorsque l'homme regarde vers son enfance, tout lui apparaît LE BON VIEUX TEMPS. 407

plus souriant, plus aimable et plus doux ; une phrase toute faite exprime très - nettement cette sensation , on dit les charmes du souvenir. L'humanité entière croit ainsi , trompée par les mirages de l'éloignement, que les jours d'autrefois étaient moins durs que les jours actuels, que tout y était plus fort, plus probe, plus grand; elle obéit à la loi commune et s'égare en regrets stériles . Le Perdican de Musset a dit cela sim plement d'une façon magistrale : « J'avais emporté dans ma tête un océan et des forêts, et je retrouve une goutte d'eau et des brins d'herbes . » Qu'est- ce que l'âge d'or? qu'est-ce que ce paradis perdu qui s'ouvre au seuil de toute religion , si ce n'est le souvenir idéal d'un passé bienheureux ? Le bon vieux temps ! Je le vois dans les romans, je l'aperçois sur le théâtre, mais je le cherche en vain dans l'histoire ; il n'y est pas. Ceux qui l'évoquent sans cesse avec une prétendue sagesse qui n'est que de l'ignorance, s'imaginent que, s'ils eussent vécu à l'époque de Cinq- Mars, de Lauzun, de Nocé, de Léto rières, ils cussent été des raffinés , des justaucorps à brevet, des roués, des marquis ; ils eussent été Gros Jeans comme aujourd'hui et ils eussent vu des choses singulièrement semblables à celles qui les attristent . Le siècle de Louis XIV, qui est resté dans la mémoire comme un type de grandeur inimitable, fut , dit Saint Simon, « un règne de vile bourgeoisie . » Loin d'être 408 LE PARISIEN. meilleures , les mœurs étaient pires, et le double adul tère installé au trône même, régnant par la grâce de Dieu , s'imposant à la religion qui l'utilisait , à la no blesse qui le sollicitait, au peuple qui l'enrichissait, brisait toute retenue avec une impudeur dont nos jours calomniés n'ont point donné d'exemple. Les relations du monde étaient sans sécurité en certains cas, gen tilshommes et bandits, c'était tout un ; que la province ait conservé des mœurs farouches , issues des coutumes féodales, on n'en peut douter, après les Grands Jours d'Auvergne de Fléchier ; mais les procès de la cham bre ardente où les plus grands noms de la cour furent compromis, les procédures secrètes d'où la Montespan elle- même ne sortit pas bien nette, fournissent de singuliers renseignements sur cette société que l'on nous propose toujours comme un modèle de grâce et de façons élégantes. L'urbanité de cette époque ne conviendrait guère à la nôtre, et la police correctionnelle verrait autre chose qu'une peccadille dans le fait suivant : <« Le 19 janvier 1658, il y eut grand régal , grand bal et belle comédie chez le duc de Lesdiguières. Il traita six belles dames, et entre autres la veuve du marquis de Sévigny (Sévigné) , à qui l'on dit qu'il en veut... roy fut à l'heure du bal , masqué à la portugaise... La collation ne fut pas finie et le roy estoit à peine sorti qu'on commença à jouer des mains et à piller Le LE BON VIEUX TEMPS. 409 tout, jusque-là que l'on asseure qu'il fallust remettre quatre ou cinq fois de la bougie aux lustres et qu'il en cousta pour ce seul article plus de 100 pistoles à M. de Lesdiguières¹ . » Le bon vieux temps réserve beaucoup de surprises semblables à ceux qui l'interrogent. Fouquet, dans un dîner d'apparat, fit servir au des sert deux vases chargés de pièces d'or nouvellement frappées ; les convives se jetèrent dessus , en rempli rent leurs poches et se sauvèrent, sans écouter le sur intendant qui les rappelait en riant. Nos financiers ont fait plus d'une fortune scanda leuse et quelques- uns ont dû satisfaire aux curiosités de la justice ; les financiers d'autrefois n'étaient pas moins habiles, et, comme en qualité d'adjudicataires des fermes, ils étaient souvent chargés de faire ren trer l'impôt, ils avaient en main des instruments de cruauté que l'on chercherait vainement aujourd'hui ; il y eut plus de faux sauniers et de contrebandiers que d'assassins enchaînés sur le banc des galères que commandait Vivonne, frère de madame de Montespan. Je sais que maintenant il n'est faiseur d'affaires si taré qui ne trouve un prince pour sa fille , lorsqu'il a soin de mettre un million dans la corbeille de mariage ; les gens du monde s'indignent alors et se voilent la face avec une pudeur où il y a le regret d'une bonne ¹ Journal d'un voyage à Paris en 1657 , 1658 , par MM. de Villiers , p. 387, 388. 410 LE PARISIEN. aubaine manquée ; ils disent : On n'a vu ces choses-là que de notre temps. Doit-on rappeler la sanglante épigramme qui frappa Mirepoix, Lamoignon , Molé, lorsqu'ils épousèrent les filles de Samuel Bernard et devinrent «< recéleurs du bien qu'il a volé » ? Faut-il citer la phrase altière dont La Bruyère a flagellé les grands de son époque : « Si le financier manque son coup, les courtisans diront de lui : C'est un bourgeois , un homme de rien , un malotru ; s'il réussit, ils lui demandent sa fille. >> De nos jours du moins, et sans essayer de pallier ce que l'agiotage peut avoir de coupable, si l'on in terroge ces maisons de crédit dont la rapide fortune a été souvent un objet de surprise et d'envie , si on leur demande quelle est leur raison d'être , elles peuvent montrer pour excuse les chemins de fer qui sillon nent le pays en l'enrichissant , les canaux qui joignent les fleuves, des ports où s'abritent des flottes qui vont sur tous les points du globe, des villes assainics et toutes les industries à l'œuvre. Qu'auraient répondu les hommes de finance dont Turcaret fut le type jus qu'à la Révolution ? Le plus hardi , le plus intelligent de tous, Law, n'aurait eu à montrer que l'épouvanta ble banqueroute de la rue Quincampoix. Le jeu nous dévore, dit- on ; il ruine les familles, il entraîne les jeunes gens à des actions répréhensibles : de plus d'un l'on peut dire ce que Saint- Simon écrivait LE BON VIEUX TEMPS. 411 sur le duc d'Antin : « Fort heureux au jeu et très- soup çonné d'y aider. » C'est un danger public, et les tri bunaux ont dévoilé à cet égard un abîme de corrup tion que l'on ne soupçonnait pas . Qui le nie ? Dans les cercles, dans les maisons particulières, dans les tri pots clandestins, on joue avec une passion excessive que l'on rendrait immédiatement cent fois plus dan gereuse si l'on rétablissait les jeux publics, comme certains personnages aveugles ou peu scrupuleux n'ont pas craint de le demander. Ce vice n'est point nou veau. La bassette , la cavagnole, le lansquenet peuvent marcher de pair avec le baccarat, qui est fort à la mode en ce moment. I1 y a peu d'années, une partie se solda par unc perte de 1,200,000 fr.; on se rappelle les clameurs qui furent poussées ; on ne parlait de rien moins que de faire intervenir le gouvernement et de clore à jamais le cercle où pareil scandale s'était produit. Madame de Sévigné est une âme douce et point médisante ; elle écrit, le 18 décembre 1678 : « Pour revenir à la bas sette, c'est une chose qui ne se peut représenter ; on y perd fort bien cent mille pistoles en un soir . » Et elle ajoute « Monsieur a mis toutes ses pierreries en gage¹ . -Le roi a commandé à M. de Cessac de se 1 De tels errements ne cessèrent pas à la mort de Louis XIV : « C'est un état que d'être joueur, dit Montesquieu ; ce seul titre tient lieu de naissance, de biens , de probité. » Sous la régence, sous les règnes de 412 LE PARISIEN. défaire de sa charge et tout de suite de sortir de Pa ris; savez-vous pourquoi ? Pour avoir trompé au jeu et avoir gagné avec des cartes ajustées . » Ne croirait- on pas que ces lignes ont été inspirées par cette partie de lansquenet jouée à Chantilly vers la fin du règne de Louis-Philippe et qui eut un si profond retentissement dans la conscience publique? Il existe cependant entre « le bon vieux temps »> ct le nôtre une différence essentielle au point de vue du jeu et qu'il est bon de noter, car elle n'est point à notre avantage. Autrefois c'était la noblesse et la fi nance qui seules , ou à peu près, avaient le sot privi lége des jeux excessifs ; aujourd'hui, tout bourgeois qui se sait quelque argent en poche se livre à ce passe temps aussi médiocre que périlleux . On croit faire acte de manières élégantes en s'assimilant les vices des castes renversées ; les fils de la bourgeoisie, ceux Louis XV et de Louis XVI, le jeu fait fureur. Mercy d'Argenteau écrit à Marie-Thérèse, en date du 18 novembre 1780 : « Le marquis de Cha bre, officier dans les gardes du corps et très-gros joueur, avait débuté par gagner 18,000 louis, et il en avait perdu 30,000 à la fin du voyage (à Marly) ... Il s'est commis au salon des friponneries scandaleuses, au point qu'il a été volé dans la poche du comte de Dillon un portefeuille qui contenait pour 500 louis de billets de banque. » Voir Marie-Antoi nette, correspondance secrète entre Marie-Thérèse et le comte Mercy d'Argenteau ; A. Arneth et A. Geoffroy, t . III, p. 485 et 490. Presque toutes les lettres dont se compose ce recueil, si curieux et si important pour l'histoire du règne de Louis XVI, insistent sur la rage du jeu et sur les sommes qu'on y expose. LE BON VIEUX TEMPS. 413 qui, après avoir été les gandins, les petits-crevés , sont aujourd'hui les gommeux¹ , au lieu de voir un instru ment de travail dans la fortune acquise par leurs pè res, n'y ont vu qu'un instrument de plaisir, et ils se sont jetés tête baissée dans toutes sortes de distractions peu avouables , où le jeu tient la plus large place. Sous ce rapport, la démoralisation a gagné en profon deur et en étendue ; elle a pénétré une classe d'indi vidus pour laquelle le droit de s'amuser semble être le premier des devoirs . Il ne faut pas trop s'en plain dre; ce vice est compensé : souvent il ramène ces jeu nes gens au travail par la ruine, et il active singuliè rement la circulation de l'argent qui , sorti de leurs mains, finit toujours par être employé d'une façon utile et honorable. Quant à ce que l'on appelle plus particulièrement la moralité, la main brûle à feuilleter l'histoire ; qu'est-ce donc que la collection des mémoires et des correspondances du temps passé, si ce n'est le récit. d'aventures que l'on ne sait trop comment qualifier? 11 y a certaines portions des annales de Paris qui ne seraient point déplacées dans l'Enfer de la Bibliothè que nationale. La simplicité de ces impudeurs qui 1 ¹ Gandin, du boulevard de Gand ; petits crevés, des devants de che mise semés de points à jour appelés petits-crevés ; gommeux, de la gomme faite avec des pepins de coing à l'aide de laquelle on maintient la frisure des cheveux. 414 LE PARISIEN. s'étalaient au grand jour est extraordinaire ; on les ac ceptait sans trop détourner la tête . Lorsque Henri III posa la première pierre du Pont Neuf, il voulait que l'on nommât celui-ci le pont des Larmes, en commé moration de celles qu'il versait alors, sans contrainte, sur la mort de Quélus et de Miaugiron . En 1610 , Lestoile peint d'un mot l'état moral de Paris : « En un siècle fort dépravé comme est le nôtre, on est estimé homme de bien à bon marché ; més que vous ne soiés qu'un peu boulgre, parricide et athée, vous ne laissés de passer pour un homme d'honneur . » Sous la régence de Marie de Médicis, sous Louis XIII, le dévergondage ne trouve plus de mots pour s'expri mer. Moralement jamais on n'a été plus bas que sous la Fronde ; cette guerre civile, cette lutte de préro gatives menée par des coureuses qui traînent des in trigants derrière elles et les cachent tout crûment dans leur alcôve, est faite pour donner la nausée¹ . Ce n'est pas précisément par la pureté des mœurs que brilla l'époque de Louis XIV ; la fin du règne fut presque le pendant de celui du dernier des Valois. « Il souffle un vent de vertige qui se répand partout, » disait madame de Maintenon, impuissante à combattre tant de mal . La régence du moins fut un retour à la nature : c'est le mot de Michelet. 1 Condé disait : « J'en ai assez de cette guerre de pofs de chambre. » LE BON VIEUX TEMPS. 415 Il faut écouter la Palatine et les cris qu'elle pousse ; elle était aux premières loges, du reste , pour bien voir et tout savoir; mère du régent et habitant le Palais Royal, elle vivait au centre même d'une débauche qui l'épouvantait : « Jamais rien de pareil ne s'est vu à ce qu'est la jeunesse d'à-présent ; les cheveux en dressent sur la tête ; je m'étonne que Paris n'ait pas encore été englouti en punition des choses affreuses qui s'y com mettent ; toutes les fois qu'il tonne, j'ai peur pour cette ville . >> On ne sait quelle cruauté malsaine se mêlait au plaisir et semblait lui donner une acuité plus vive ; que l'on se rappelle l'horrible plaisanterie que le comte de Charolais -une bête féroce - fit subir à madame de Saint-Sulpice ; la pauvre femme en mourut ou peu s'en faut ; son oraison funèbre fut une chanson. Les plus hauts personnages n'étaient point exempts de ces fantaisies maladives qui font croire à un trouble mental : un soir, à Versailles, malgré la présence du vieux roi , on avait eu grand' peine à empêcher le duc de Bourgogne de glisser un pétard enflammé sous le siége de la princesse d'Har court qui jouait au piquet. Les femmes, au moins, allaient-elles à franc visage, sans fard, ni cosmétique? Le « maquillage¹ » , que l'on reproche tant aux femmes d'aujourd'hui, était fort à la 1 Du verbe maquiller, qui, en jargon de voleurs, signifie faire ; se ma quiller le visage, c'est se faire le visage. 416 LE PARISIEN. mode; Marie de Médicis avait auprès d'elle un valet de chambre-coiffeur que l'on appelait « le raccommo deur du visage de la reine » ; son secret n'a point été perdu, il a été fidèlement transmis à travers les âges , seulement le nom a changé ; un procès a prouvé que le mot brutal de raccommodeur avait été remplacé par un vocable plus poli : les gens qui font aujour d'hui métier de peindre les lèvres en rose, les veines en bleu, la peau en blanc, le bord de l'œil en noir, sont des émailleurs . Des femmes du monde, je le sais , se sont compro mises avec des hommes de théâtre ; il n'est si mince chanteur qui n'ait eu des succès d'alcôve ; un gym naste a failli être enlevé de vive force, et d'étranges histoires ont couru dont les sots se sont amusés et dont les honnêtes gens ont rougi ; on a crié au scan dale et l'on a cru qu'une telle dépravation n'avait point d'analogue dans les siècles écoulés. L'histoire est comme Janus , elle a deux visages : qu'elle regarde le passé ou le présent, elle voit les mêmes choses . Pen dant les beaux jours de Louis XIV, La Bruyère a ver tement dit leur fait aux grandes dames de son temps. Qui ne se souvient de cet admirable paragraphe dont Estienne Pasquier aurait dit qu'il est le plus beau « placard » de la langue française . La fin en est une flétrissure pour les femmes qu'elle atteint « Vous soupirez , Lélie ; est- ce que Dracon aurait fait un • LE BON VIEUX TEMPS. 417 choix ? ou que malheureusement on vous aurait pré venue? Se serait- il enfin engagé à Césonie, qui l'a tant couru, qui lui a sacrifié une si grande foule d'amants, je dirai même toute la fleur des Romains? à Césonie, qui est d'une famille patricienne , qui est si jeune, si belle et si sérieuse ? Je vous plains, Lélie , si avez pris par contagion ce nouveau goût qu'ont tant de femmes romaines pour ce qu'on appelle des hommes publics , et exposés par leur condition à la vue des autres. Que ferez-vous, lorsque le meilleur en ce genre vous est enlevé? Il reste encore Bronte le questionnaire ; le peuple ne parle que de sa force et de son adresse ; c'est un jeune homme qui a les épaules larges et la taille ramassée, un nègre d'ailleurs , un homme noir. >> Il n'est pas jusqu'à ces nouveautés philosophiques que l'on prétend avoir imaginées de nos jours et dont la stérilité fatigante cherche à s'imposer par toute sorte de moyens, qui ne soient des vieilleries inscrites dans l'histoire . La libre pensée, les libres penseurs font grand bruit depuis quelques années ; rumeur de surface qui cache des appétits désordonnés ou des dé ceptions politiques ; il y a plus d'un siècle qu'Horace Walpole écrivait : « Les Français affectent la philoso phie, la littérature et le libre penser , » et il ajoute ceci, qu'il pourrait écrire encore : « De tous les dieux que l'on a jamais inventés , le plus ridicule est cette VI. 27 418 LE PARISIEN. vieille divinité épaisse et lourde des sophistes grecs, que les modernes lettrés veulent remettre en honneur, le dieu Matière. » Ces hommes qui , dans toute religion établie, voient une sorte de lien moral qu'il faut couper, parce qu'il rattache la société à certains devoirs dont leurs théo ries sociales ne peuvent guère s'accommoder, ont tra versé le pouvoir pendant quelques jours . En grande hâte ils ont profité de cette bonne fortune inespérée pour chasser les sœurs de charité qui soignaient les malades, pour enlever les crucifix pendus à la mu raille des écoles, pour fermer les églises et imposer silence aux prêtres . C'est en invoquant ce qu'ils nom ment « les grands principes de la liberté » qu'ils ont commis ces attentats. Cette conclusion, qui jure ou trageusement avec les prémisses, n'est point de créa tion moderne, et bien avant les mois d'avril et de mai 1871 on en avait vu des exemples. Léquinio, repré sentant du peuple en mission , lâche , le 1er nivôse an II , un règlement qui débute ainsi : « Afin que la liberté des cultes existe dans toute sa plénitude, il est défendu à quî que ce soit de prêcher ou d'écrire pour favoriser quelque culte ou opinion religieuse que ce puisse être . Celui qui se rendra coupable de ce délit sera arrêté à l'instant, traité comme un ennemi de la constitution républicaine, conspirateur contre la liberté française et sera livré au tribunal révolutionnaire . >> LE BON VIEUX TEMPS. 419 A qui sont empruntées ces mesures odieuses, où le ridicule semble dépasser la cruauté? Au bon vieux temps, aux ordonnances de Louis XIV qui poursui vaient << ceux de la religion prétendue réformée »> ; aux condamnations à mort, si souvent prononcées contre les protestants sous le règne de François Ier , que le pape Jules III écrivit au roi de France, dans le courant du mois de juin 1535, pour le requérir de << vouloir apaiser sa rigueur de justice en leur faisant grâce et pardon ». Il n'est sottise de notre temps qui ne s'accorde avec précision à une sottise analogue du temps passé ! En politique on n'a pas été plus sage qu'en reli gion ; l'action des opposants, la répression exercée par le pouvoir, se sont affirmées de nos jours comme elles s'étaient affirmées jadis . Que n'a-t-on pas dit des geôles du mont Saint-Michel sous le gouvernement de Louis-Philippe? Ceux qui, dans un admirable élan de générosité et de vertu , ont démoli la Bastille en juillet 1789, ont dû regretter la destruction de la vieille for teresse royale qui eût pu contenir tant de suspects , de brissotins , de feuillants, de fayettistes, de modérés, d'intempestifs, - c'est le mot que Robespierre a ap pliqué à Anacharsis Clootz, d'agents de Pitt et Co bourg, d'accapareurs et même, après thermidor, de jacobins et de babouvistes. Quel parti n'a compté ses prisonniers autrefois et à présent? pour combien d'in ― 420 LE PARISIEN. dividus la prison n'a-t-elle pas été l'antichambre et le marchepied du pouvoir? Rochefort sort de Sainte Pélagie pour être membre du gouvernement de la dé fense nationale , comme le vieux conseiller Broussel était sorti de Saint- Germain pour devenir gouverneur de la Bastille . L'histoire se répète incessamment, par la raison bien simple que les idées humaines se meuvent dans un cercle déterminé et que les mêmes causes produi sent invariablement les mêmes effets. Les faits ame nés par des conjonctures absolument imprévues et extraordinaires ne sont point sans précédents ; nos chroniques urbaines sont là pour le démontrer. Lors que la Commune vaincue, comprenant que sa défaite était inévitable , fut saisie de cet accès de pyromanie réfléchie dont les traces subsistent encore, Paris tout entier fut en proie à une indicible terreur; quoi que aucun incendie n'ait été signalé dans le périmètre occupé par les troupes françaises, on ne voyait qu'in cendiaires toute femme portant un panier ou une boîte à lait était une pétroleuse . On racontait , avec une émotion qui n'était point feinte , que l'on jetait des mèches souffrées dans toutes les caves, et l'on dénombrait les maisons brûlées . Chacun alors se mit en mesure de parer aux sinistres dont on se croyait menacé ; on boucha les soupiraux des sous- sols, et les habitants firent la garde sur les trottoirs. LE BON VIEUX TEMPS. 421 Certes , la panique était excusable, mais les précau tions prises représentaient sans doute un fait sans analogue? - Le 23 mai 1524, la ville de Troyes fut brûlée ; des gens déguisés et inconnus avaient, dit- on , excité des enfants à mettre le feu . Dès que la nouvelle arrive à Paris, on y perd la tête : on voit là je ne sais quelle machination terrible ; Troyes n'était en quel que sorte qu'une étape ; le but poursuivi était l'anéan tissement de Paris ; aussitôt les bourgeois font le guet dans les rues et s'empressent « d'estoupper les souppi raux des caves ». Cette terreur dura longtemps, et les feux accoutumés de la Saint-Jean furent interdits en place de Grève ; de même, après la Commune et pen dant quelques jours, il ne fut point prudent d'en flammer une allumette dans les rues : l'auteur de cette étude a vu tirer sur un fumeur qui, abrité dans l'angle d'une porte, allumait paisiblement son cigare. Ces faits et tant d'autres qu'il serait facile d'énu mérer, prouvent que l'humanité suit imperturbable ment la même route, et qu'il est injuste de reprocher exclusivement à son époque les fautes que toutes les autres ont commises aussi . Cela n'empêche pas les hommes désœuvrés ou peu réfléchis de broder perpé tuellement des variations sur la phrase de Sénèque : Quæ fuerunt vitia mores sunt : les vices d'autrefois sont les mœurs d'aujourd'hui . - On parle sans cesse, par exemple, de l'insouciance de nos ouvriers qui, 422 LE PARISIEN. une fois la paye reçue, vont la dépenser au cabaret, prolongent les jours de chômage, et ne rentrent à l'a telier que la bourse vide . Certes, c'est là un thème fertile en sérieuses réflexions , et l'on ne fera jamais trop d'efforts pour amener les artisans à la grande vertu domestique, qui est l'économie. Mais l'on se trompe en pensant que ce vice est particulier à notre état social . « L'ouvrier qui gagne quatre livres dix sous veut gagner six livres, dit Barbier dans son Jour nal, et il est quatre jours sans travailler, à manger son argent. >> Cette indifférence , cet attrait vers le plaisir, cette braverie de l'artisan parisien avaient déjà été remarqués par un voyageur anglais qui visita Paris pendant le règne de Louis XIV. « Il n'y a pas au monde, dit- il , un peuple plus industrieux et qui gagne moins, parce qu'il donne tout à son ventre et à ses habits. >> Cette vanité du vêtement , ce besoin de clinquant et de galons qui tourmentent le Parisien , apparaissent surtout dans les moments de troubles. Chacun rêve de porter un panache ; l'égalité réclamée se manifeste alors par les broderies dont on se charge. Que n'a-t- on pas vu pendant le siége et la Commune ! Ce fut une débauche d'uniformes plus brillants les uns que les autres. Les officiers de Dombrowski et de Bergeret, qui ballottaient sur leurs chevaux à travers la chaussée des boulevards, faisaient honneur à l'imagination des LE BON VIEUX TEMPS. 423 costumiers ceintures, brassards, hongroises souta chées , ruban d'ordonnance rappelant celui de la Lé gion d'honneur, rien n'y manquait ; les chabraques à passepoils dorés enveloppaient les selles. En les voyant passer , on se souvenait involontairement de la phrase écrite par Camille Desmoulins dès le mois d'août 1789 : « On ne rencontre dans les rues que dragonnes et graines d'épinards . >>> Les femmes ne nous ont point épargné d'écœurants spectacles ; elles suivaient ou précédaient les batail lons de fédérés dans des jaquettes ridicules où les or nements n'étaient point ménagés . Ces viragos descen daient des tricoteuses et de Théroigne de Méricourt. « La femme d'un colonel se promène ici avec bonnet rouge, dit un témoin de la Révolution, avec des pis tolets à la ceinture, et se vante publiquement du nom bre de gens qu'elle a tués lors des massacres d'août et de septembre. » La Commune permit aux locataires de déménager sans payer les termes échus, et nul ne s'en fit faute ; c'est une mesure analogue qui, pendant la Ligue, avait valu une sérieuse popularité au conseil de l'Union . Notre histoire contemporaine, j'entends celle qui commence en 1830 et se prolonge jusqu'à nos jours, offre des points de similitude remarquables, qui natu rellement ont engendré des accusations semblables que l'on dirait calquées les unes sur les autres . A-t-on 424 LE PARISIEN. assez parlé de l'immoralité du second empire, du dé veloppement des intérêts matériels, du luxe, de la spéculation? On n'avait qu'à copier dans les Mémoires tout ce qui a été dit sur le dix-septième et le dix- hui tième siècle ; on n'avait qu'à répéter les sermons pro noncés par les prêtres, depuis que la chaire catholi que est ouverte au monde, pour trouver des phrases stéréotypées et dont l'application était indiquée . Mais sans remonter si loin, il était facile de se fournir de cette littérature banale. « C'est qu'en effet l'absence de croyances religieuses, les longues prospérités de la paix, le culte de l'argent , ont livré la classe intelli gente et raisonnante de notre pays à l'homme ou à la chose qui lui assure la sécurité des intérêts matériels et la possession du moment. » Cette phrase est ex traite d'une lettre du général Trochu , lettre rendue publique ; elle n'est pas datée de 1870 , comme on pourrait le supposer, mais de 1851 . Des écrivains sérieux ne parlent pas autrement. « L'activité industrielle et commerciale de cette épo que, la surexcitation qu'elle donne à tous les appétits matériels amenèrent une concurrence effrénée , le plus hideux agiotage, un amour des écus plus impudent, plus effronté qu'au temps de la Régence et du Direc toire. Acquérir sans travail , sans instruction, par les voies les plus courtes, inventer les moyens d'exploiter la crédulité, chercher des dupes, enfin faire des af LE BON VIEUX TEMPS. 425 faires, devient la pensée et l'occupation unique de la partie la plus influente de la population , d'une société brillante et corrompue, sans croyance comme sans entrailles, qui ne connaît que les plaisirs matériels et les jouissances du luxe¹ . » Cette fois , il n'y a pas à s'y tromper, c'est bien de l'Empire qu'il s'agit ; nul lement, c'est du gouvernement de Juillet . Plus on ira, plus les civilisations se développeront, plus les reproches de ce genre pourront se produire et auront pour eux une apparence de sincérité. La découverte des métaux précieux , qui deviennent très abondants, donne au monde une richesse excessive ; la richesse fait naître les besoins, et dès que les be soins ont commencé à poindre , on s'évertue à les sa tisfaire . Exiger d'un peuple riche qu'il vive d'abnéga tion et de pauvreté, c'est demander à l'être humain plus que sa nature ne comporte ; on peut, sans mur murer, se nourrir de pain d'avoine et de viande de cheval lorsque l'on Ꭹ est contraint par la nécessité, mais il est normal de manger du pain de froment et du filet de bœuf lorsque l'on peut en acheter. On était fort vertueux à Sparte, dit-on ; mais le vol y était en honneur ce qui prouve une misère peu commune ou une inconcevable paresse. Cette richesse, ce luxe que les moralistes sévères Th. Lavallée, Histoire de Paris, t . I , p. 312, 426 LE PARISIEN. pour les autres incriminent avec violence, n'ont pas été sans influence sur l'adoucissement des mœurs et ont déterminé, au seul point de vue de l'hygiène pu blique, une prolongation notable dans la moyenne de la vie humaine. Au lieu de cloaques où les familles pourrissaient jadis dans des masures sans soleil et sans air, Paris possède aujourd'hui de larges rues, bordées de maisons saines où l'eau , la lumière et l'oxy gène, c'est-à-dire la santé, sont répandus à flots ; cette richesse ne donne pas que des plaisirs immoraux : elle a décuplé la force de production des ouvriers en leur permettant de remplacer le pain noir et le fro mage blanc d'autrefois par une nourriture très-sub stantielle et réparatrice ; la consommation de la viande , cet indice irrécusable du bien-être général , augmente tous les ans ; les registres de l'octroi l'affir ment contre les déclamations peu désintéressées des mécontents. Les bureaux de bienfaisance soignent les indigents à domicile ; de vastes hôpitaux, où les meil leurs médecins tiennent à honneur de faire le service, reçoivent et guérissent les malades dans des condi tions et dans des proportions que le bon vieux temps n'a jamais connues . Les asiles, les hospices sont mul tipliés, la santé publique profite de toutes ces amé liorations et s'affermit ; c'est àla fortune de tous que l'on emprunte les ressources d'où s'écoulent tant de bienfaits ; sans notre richesse accrue par le souci des LE BON VIEUX TEMPS. 427 <« intérêts matériels » , est- ce que la préfecture de la Seine aurait pu consacrer 30,000,000 à l'enseigne ment primaire de Paris? Jamais on n'a moins assassiné , moins volé que maintenant ; les crimes commis au milieu d'une po pulation de deux millions d'individus sont dix fois moins nombreux qu'à l'époque où Paris ne comptait pas plus de six cent mille habitants . L'état moral de la population s'est- il donc amélioré d'une façon très sérieuse ? Je voudrais pouvoir l'affirmer , mais l'amé nagement même de la ville est une sorte d'obstacle aux méfaits des gens de mauvais aloi qui pullulent parmi nous. La clarté du gaz, substitué aux lanternes, aux réverbères dont La Reynie et Sartines étaient si fiers, les énormes voies de communication qui ont remplacé les ruelles obscures, propices aux embus cades, où nos pères marchaient à tâtons , ont fait pour la sécurité urbaine plus que tous les sermons des mo ralistes. La très-habile distribution des quatre-vingt un postes de police, d'où six mille gardiens de la paix partent sans cesse en patrouilles rassurantes, offre des garanties autrement sérieuses que les promenades illusoires des soldats du guet suivis d'un commissaire en voiture. Trente- cinq mille arrestations opérées en moyenne, chaque année, par les agents de la préfec ture de police prouvent que, si nous ne sommes pas un peuple vertueux, nous sommes du moins un peu 428 LE PARISIEN. ple très- protégé contre les convoitises malfaisantes. Plus la richesse de la nation s'est augmentée, plus cette protection, facilitée par les embellissements de Paris, est devenue efficace, plus nous avons pu em ployer d'argent à défendre la collectivité contre les mauvais instincts de l'individu . Sous cette forme, le luxe tant vitupéré a servi aux intérêts généraux . Est-ce à dire, pour cela , que notre état social soit impecca ble ? Non pas ; mais il est supérieur à celui que nous offre le passé . Parfois cependant on tire des consé quences outrées d'un fait anormal. Dans l'assassinat de la duchesse de Choiseul - Praslin par son mari , l'on a voulu voir une preuve de la démoralisation de la haute société parisienne ; un accident monstrueux n'implique nullement une dépravation générale ; il y aura toujours des comtes de Horn , des chevaliers et des abbés de Cange, des marquises de Brinvilliers ; il y aura toujours des individualités profondément perverses , comme il y aura toujours des chiens enragés . Faut-il conclure de tout ceci que notre époque est enviable et que nous sommes d'un temps supérieur à nul autre ? Cette pensée n'est pas la mienne, et notre histoire a traversé des phases glorieuses et apaisées pendant lesquelles il semble qu'il eût été doux de vi vre. La prospérité s'est éloignée de nous , de pesantes infortunes nous ont accablés ; nous devons aux au tres et à nous-mêmes des malheurs que le temps seul LE BON VIEUX TEMPS. 429 et beaucoup de sagesse pourront réparer. Paris , échappé aux étreintes d'un adversaire sans merci , a essayé de se suicider, et nous avons subi des jours qui ont laissé dans nos cœurs un intolérable souvenir. Ces jours d'angoisse et de deuil , nos pères ne les ont pas ignorés. Sans remonter à la captivité du roi Jean, aux querelles d'Armagnac et de Bourgogne pen dant la folie de Charles VI, sans évoquer le traité de Troyes qui livrait la France à l'Angleterre , sans par ler du « petit roi de Bourges » , les trois siècles qui nous précèdent nous ont mis quelquefois si bas, que l'on a pu croire que tout était fini . Après la prise de Haarlem et le massacre de deux mille Français qui défendaient la ville le 12 juillet 1573 , Louis de Nas sau écrivait à Charles IX : « Maintenant vous touchez la ruine ; votre État baye de tous côtés , lézardé comme une vieille masure qu'on racommode tous les jours de quelques pilotis et qu'on n'empêche pas de tomber ; où sont vos noblesses ? où sont vos soldats ? Ce trône est à qui veut le prendre ! » En 1589 , la Ligue et l'Es pagne en France, dans Paris par ses agents , à Corbeil par ses soldats ; en 1656, les Croates sont à Pon toise ; en 1709 , famine, ruine, défaites ; les soldats n'ont plus de quoi manger et mendient dans les rues ; la vaisselle du roi est en terre de pipe ; le pain servi sur les tables de Versailles est du pain d'orge ; tout s'effondre ; en 1792 , disette , révolution , invasion , 450 LE PARISIEN. massacre dans les prisons ; des gens affolés se tuent en criant : C'est la fin du monde ; pendant deux an nées, 1793-1794, qui restent le cauchemar de ――――――― - - l'histoire, la France se bat sur toutes ses frontières et s'égorge elle-même ; en 1814, en 1815 , invasion , démembrement, indemnité de guerre. Nous portons notre faix, nos pères ont porté le leur . Bien des fois , les étrangers ont cru nous avoir porté le dernier coup, et lorsqu'ils revenaient pour voir si nous étions bien morts , ils ont été surpris de nous trouver debout, gais , alertes, et plus vivants que jamais . La véritable devise de la France, d'après ses annales, son caractère et ses mœurs, devrait être le nil desperandum d'Horace. Dans nos troubles intérieurs, dont trop souvent le signal est parti de Paris, e'est notre ville qui devient l'objet de toutes les colères, et les malédictions ne lui sont point épargnées ; elle les mérite parfois sa joie tumultueuse est insultante , et elle se plaît à humilier les idoles qu'elle adorait ; elle force Louis XVI à se coiffer du bonnet rouge à la journée du 21 juin , comme jadis, le 22 février 1358 , elle a posé le cha peron d'Étienne Marcel sur la tête du dauphin, qui devait être Charles le Sage. Ces faits- là ne se pardon nent guère. Lorsque, après ces violentes commotions, l'ordre se rétablit peu à peu, les hommes qui ont profité des événements accomplis se retournent contre Paris et le menacent de briser son omnipotence. On a LE BON VIEUX TEMPS. 431 même, depuis 1870 , inventé un mot, et l'on répète complaisamment : Il faut décapitaliser Paris . Le terme est nouveau , mais l'idée n'est pas neuve . Le 25 septembre 1793, Lasource demandait que Paris fût réduit à «< son quatre- vingt- neuvième d'influence » . Mais bien avant le député girondin on avait voulu décapiter la France. En avril 1436 , au moment où Charles VII victorieux vient de rentrer dans Paris , en fin purgé de la domination anglaise , on agite très sérieusement la résolution de transporter la capitale dans une des villes riveraines de la Loire. Des hauteurs de Saint-Cloud où il avait posé son camp et où il de vait recevoir le coup de couteau du moine jacobin , Henri III s'écriait : « Paris , chef du royaume, mais chef trop gros et trop capricieux, tu as besoin d'une saignée pour te guérir, ainsi que toute la France, de la frénésie que tu lui communiques ; encore quelques jours , et l'on ne verra ni tes maisons, ni tes murailles, mais seulement la place où tu auras été . » Lorsque Henri IV entra, il hésita et faillit retourner sur ses pas, car il n'osait guère pénétrer « dans cette spélonc que de bestes farouches » . Louis XIV, qui gardait rancune de la Fronde, in stalla la royauté à Saint-Germain, puis à Versailles, où elle resta jusqu'aux journées d'octobre 1789. Bruns wick, dans son manifeste, ne ménage pas Paris : il lui promet une destruction complète. C'était un en 432 LE PARISIEN. nemi qui parlait ainsi , mais l'Assemblée siégeant aux Tuileries devait entendre de pareilles menaces. Lors que, sur la proposition de la Gironde, la Convention nomma la commission des douze, qui était chargée d'examiner les actes de la Commune (mai 1795) , celle-ci se rendit en corps à la barre de l'Assemblée pour protester. Isnard présidait et il répondit à la dé putation : « Écoutez ce que je vais vous dire : si ja mais, par une insurrection , il arrivait que l'on portât atteinte à la représentation nationale, je vous le déclare au nom de la France entière , Paris serait anéanti ; oui , la France entière tirerait vengeance de cet atten tat, et bientôt on chercherait sur quelle rive de la Seine Paris a existé. » Buzot demanda que la Conven tion fût transférée à Versailles. La Commune fut très effrayée ; Chaumette pérora ; il était fort troublé ; plus de grands mots : sa rhétorique boursouflée fait place à quelques phrases très-simples qui ne sentent guère le Spartiate : « Autrefois nous avions la cour, les grands ; aujourd'hui nous n'avons plus personne ; si la Convention quitte Paris, nous sommes perdus ; si la Convention va à Versailles, Paris ira aussi ! » Au 21 maí 1795 , lorsque le peuple apporte une pétition qui demande la constitution de 1793 et « la fin des dis putes » , Sieyes fait rendre une loi de police : « Qui viole l'Assemblée est déporté ; qui insulte un représentant est mis à mort ; en cas de troubles , on siégera à Châlons. » LE BON VIEUX TEMPS. 433 Napoléon lui-même ne fut point exempt de ces co lères ; l'esprit frondeur de ce qu'il nommait « les sa lons » l'avait irrité . Au mois de septembre 1804, lors qu'il était déjà question de l'arrivée du pape, il disait, en séance du conseil d'État : « Paris a toujours fait le malheur de la France ; ne serait-il pas possible de choisir une autre ville pour le couronnement? » La Gazette de France publia , par ordre , un article où des allusions au sort de Rome et de Byzance mena çaient Paris de lui enlever son titre de capitale . Ce projet, dont si souvent on avait fait un épouvantail pour Paris, a été exécuté en partie depuis 1871. Des esprits très-sages ont cru qu'il n'était pas prudent d'en fermer toute la force morale de la France dans une ville un peu trop sujette aux commotions. Cette me sure, qui sera une cause de fortune pour les action naires du chemin de fer de Versailles , n'a point modi fié d'une manière sensible l'existence de Paris : sem blable au vaisseau qui forme ses armes parlantes, il flotte toujours et n'est point encore submergé. On pourra peut-être diminuer l'importance politi que et administrative de Paris, mais il sera bien diffi cile d'amoindrir son importance morale ; elle s'est lentement formée par agrégations successives ; elle a pour elle une tradition dix fois séculaire , et elle est entretenue par l'activité même de ce peuple auquel viennent sans cesse se mêler les gens de la province VI. 28 434 LE PARISIEN. et de l'étranger . Paris ressemble à cet airain de Co rinthe qui, composé de toutes sortes de métaux en fu sion , constituait un métal unique. La diversité des oc cupations, des tendances, des travaux, des plaisirs, des rêveries, donne à Paris une âme exceptionnelle dont l'influence s'étend au loin et s'impose . En 1872 , on chantait en Hollande le Klokkenlied, la chanson des horloges : « Paris est la plus grande horloge du monde; elle a donné l'heure à toutes les nations ; -àforce de vouloir la monter, on a détraqué le mou vement ; - mais cela n'empêche pas le monde entier d'avoir les yeux fixés sur cette immortelle hor loge. » Sans être d'un chauvinisme exagéré, on peut admettre que la petite chanson hollandaise n'a point tort ; elle constate un fait que nul ne peut nier. Paris a une force d'expansion inconcevable ; qu'il soit ou ne soit pas le siége du gouvernement, il n'en reste pas moins le maître de l'opinion : il la domine et presque toujours il lui donne le mot d'ordre. La royauté, isolée à Versailles pendant plus d'un siècle, regardait du côté de Paris . « Les Parisiens sont des grenouilles, il faut les laisser chanter, » disait Marie Antoinette, et elle écoutait leurs coassements avec une épouvante qui n'a été que trop lamentablement justi fiée. Ceux-là mêmes qui, dans l'enivrement du triom phe, après la chute de Paris, se sont écriés : Tombée! tombée ! la Babylone orgueilleuse ! ceux-là tendent l'o - - LE BON VIEUX TEMPS. 435 reille et se préoccupent de ce que dit la grande ville. Alexandre, maître de la Grèce, vainqueur de la Perse , un pied sur le sol de l'Inde , déifié , plus qu'humain , fils de Jupiter Ammon, s'inquiétait de savoir ce qu'A thènes pensait de lui. Cette supériorité exaspère bien des gens, non- seule ment parmi les étrangers , mais même parmi les Fran çais ; récemment un député demandait, en haine de Paris, que la subvention de l'Opéra fût distribuée à tous les théâtres lyriques de la province : sottise peu avouable et commise par un homme qui n'a pas com pris que l'Opéra attire et retient à Paris des voyageurs dont la dépense restitue au centuple à l'État la sub vention incriminée . Malgré les colères qu'il inspire, Paris mérite encore ce que Vauban en a dit : « Cette ville est à la France ce que la tête est au corps hu main ; c'est le vrai cœur du royaume, la mère com mune de la France, par qui tous les peuples de ce grand État subsistent et dont le royaume ne saurait se passer , sans déchoir considérablement. » Aussi il faut laisser faire les inventeurs de capitales improvi sées ; ce n'est pas le hasard , ni la fantaisie qui a créé Paris, c'est la position géographique, c'est le climat , c'est la force même des choses. Que la boueuse Lutèce sortie du fond de ses marécages soit devenue la ville que nous voyons, c'est là un fait qui serait sans pré cédent, si le refuge offert aux voleurs par Romulus, 436 LE PARISIEN. au pied du Palatin , ne s'était élevé jusqu'à être cette Rome dont les destinées , si souvent modifiées, sem blent être impérissables. L'esprit de Paris rayonne sur le monde nous l'a vons vu . Que l'on se rappelle l'Exposition universelle de 1867. Il n'y avait rien de factice dans ce luxe sin cère , dans ces merveilles de l'industrie , dans ces pro ductions de la science et des arts que nous montrions aux étrangers avec autant d'orgucil que d'imprudence. L'univers était accouru , et Paris lui fit bon accueil. Cette fête pacifique fut la préface de notre grande in fortune ; mais, du moins, nous avions prouvé que ce peuple, insoucieux de l'avenir , s'absorbait de plus plus dans les œuvres fécondes de la paix et ne son geait guère à d'autres accroissements que ceux de son intelligence et de sa prospérité. C'était affirmer une sorte de supériorité morale que les événements ad verses, dont il a eu, dont il a encore à pâtir, n'ont point démentie. Il y a d'autres victoires que celles de la guerre, et Mars n'est point le seul dieu qui préside au développement des civilisations . Trois fois depuis que les premières heures de ce siècle ont sonné, Paris vaincu a été envahi, et cependant nulle autre ville , de puis cette époque, n'a plus fait pour l'humanité. L'es pèce d'influence exceptionnelle qu'elle exerce, n'est que la justice rendue à ses efforts . Si l'on compte ce que Paris a produit depuis 1800, LE BON VIEUX TEMPS. 437 on peut, sans pécher par excès, être surpris qu'une seule ville ait suffi à des créations si variées et aussi incessantes . Le monde a lu ses poëtes , ses romanciers, ses historiens ; les écoles socialistes modernes, quel que soit le résultat de leurs doctrines , l'ont pris pour tribune de leurs prédications ; les savants étrangers ont écouté la parole de ses professeurs de médecine, de droit, de littérature, de philosophie ; Humboldt écrivait : « C'est ici seulement que je me sens vivre ; >> son école de peinture n'a encore été égalée par nulle autre, et si les grands maîtres en sont morts , ils ont du moins laissé des œuvres qui servent de modèles aux peintres de tous pays ; la science n'est pas restée muette, et la chimie que fonda Lavoisier , un Parisien , doit ses progrès les plus éclatants, ses découvertes théoriques les plus fécondes, à des hommes qui ont illustré le nobiliaire de Paris ; l'industrie continue à faire des merveilles, et les ouvriers juchés au cin quième étage des maisons entassées dans les quartiers populeux sont passés maîtres en l'art de toutes les élégances. C'est de Paris, du Paris d'aujourd'hui , qu'est parti ce grand mouvement de la salubrité urbaine que les autres peuples viennent étudier, afin de s'en appli quer le bénéfice . Les travaux de M. Belgrand pour la canalisation souterraine de la ville , pour y amener les caux potables et en expulser les eaux souillées , suffi 438 LE PARISIEN. raient à illustrer une époque et une nation . Jamais la science appliquée aux soins de la santé publique ne s'est élevée aussi haut. Dix mille hommes d'élite, in génieurs, savants , lettrés , philosophes, linguistes , ar tistes, archéologues, industriels, inventeurs, contre maîtres, groupés dans le même centre, associant à leurs travaux quelques centaines de milliers d'artisans, for ment l'intelligence de Paris , intelligence très- ouverte, très- expansive, dont le monde profite, et qui toujours a relevé la grande ville de l'état d'abaissement où trop souvent l'ont fait tomber ses sottises politiques. Celles-ci sont graves, et pourraient avoir pour l'ave nir des conséquences détestables si elles se renouve laient. Prudhomme raconte dans ses Révolutions de Paris que, le 21 janvier 1793, un citoyen monta sur l'écha faud même et que, plongeant son bras nu dans le sang du roi , il en aspergea la foule : « Frères, criait il , on nous a dit que le sang de Capet retomberait sur nous ; eh bien ! qu'il y retombe ! » —— Il y est retombé. -Depuis cette heure , depuis que l'appel à la violence pas paru un attentat exécrable, mais dans bien des cas a été glorifié comme une action légitime , ce peuple flotte entre les deux extrêmes et semble ne plus pouvoir trouver une assiette définitive , pareil à un malade qui change constamment de médecins, sans réussir à recouvrer la santé. Les accès du mal dont n'a LES REVOLUTIONS. 439 1 il est travaillé se manifestent par des crises éruptives 'qui sont les révolutions. Paris les fait, la France les accepte, le Parisien les subit. Cette dernière affirma tion n'est point un paradoxe, il sera facile de le prouver. - - - L'ancienne édilité parisienne. Travaux interrompus. Le théâtre et les acteurs. Invasion provinciale. Adrien Duport. Municipalité pro visoire. La Commune. Insignifiance de l'élément parisien. Ther midor. Les furieux. Tallien.. Qui a dirigé la Terreur. Loi du 27 ventôse an IV. 1814 et 1815. La commission municipale de juillet 1830. Le gouvernement provisoire de 1848. - Le gouvernement de la Défense nationale. La province règne à Paris. - 31 octobre 1870. Les ruraux. Après le 18 mars. 5 pour 100 de Parisiens. -Déposi tion de M. Macé. 356 prisonniers , un Parisien . Les voyous ». — Les exotiques. Proportion du Parisien dans la population de Paris. Le Parisien succombe sous la masse provinciale. - -- - - - Aveux de l'histoire . - Une parole solennelle de Napoléon Ier . — Il ne faut pas confondre le Parisien et l'habitant de Paris. Les bucoliques. L'épargne. - Pignon sur rue. — Esprit de fronde. — Esprit de révolte. —Atrocia aut pudenda. Les promesses de Paris. La France émigre à Paris. « Les Iles. » — Les envieux. Les fruits secs. La moelle des lions. Préjugés et scrupules. « Tigres agacés par des singes . » — L'alchimie sociale. Stérilité des révolutions . - Mystification méprisable. — La liberté réclamée n'est pas un but. Hurler avec les loups . Paris devient moindre . Les droits et les devoirs. Pas d'objectif politique . -Force confuse. Un mot de Chateaubriand. La loi de l'atavisme moral . L'énergie du Parisien. L'abstentionisme appelé trop tard à la vie politique. — Causes de nos révolutions . - Périodicité inquiétante. Parisiens à Paris, on n'y ferait pas de révolutions . - S'il n'y avait que des - - - VI - -- -- - -- - LES RÉVOLUTIONS. - - - ―― -- - - -- -- - - - — - - - - - ――― - - - - - - Sous l'ancien régime, le prévôt des marchands, les échevins, les conseillers, et tous les magistrats qui constituaient l'édilité parisienne, étaient élus pour deux ans, devaient être nés natifs de Paris, comme 440 LE PARISIEN. l'on disait alors, et avoir rang de bourgeoisie . La Ré volution de 1789 détruisit ces sages précautions et fut une invasion provinciale. Les esprits étaient fort émus et très- troublés ; la guerre d'Amérique, à la quelle nous avions pris part, avait fait germer des pensées d'indépendance et de self- government; les philosophes, « les âmes sensibles, » rêvaient un ave nir meilleur et se préparaient pour le grand combat . En 1788 , le père de Mirabeau disait de son fils : « L'heure des gens de sa sorte arrive à grands pas, car il n'est ventre de femme aujourd'hui qui ne porte un Artevelde ou un Mazaniello . »> Un fait indépendant des idées ambiantes n'accéléra en rien la révolution , qui depuis longtemps lanci nait les esprits , mais lui donna, dès les premiers - jours , un caractère de cruauté et de violence inexpri mable . En 1785 , on avait entrepris dans Paris des travaux d'embellissement assez semblables à ceux que le second Empire a exécutés ; pour les mener à terme, on avait appelé un grand nombre d'ouvriers de pro vince ; faute d'argent, les travaux furent subitement interrompus en 1788. Les chantiers furent déserts, mais les manœuvres ne quittèrent point la ville ; ils y restèrent, appauvris, mécontents de ce chômage forcé , et fort en peine de pourvoir aux besoins de la vie pen dant l'hiver de 1789, qui fut d'une dureté exception nelle, centuplée par la disette des grains. LES RÉVOLUTIONS. 441 La forme extérieure et brutale de la révolution , c'est-à-dire l'émeute, trouva là une force disponible, prête à tous les désordres, que vinrent bientôt aug menter les bataillons fédérés attirés de la province. L'élément parisien est déjà submergé à cette époque par les éléments provinciaux et étrangers ' . Lorsque l'on dit Paris fait une révolution , on confond le théâtre et les acteurs ; la vérité est que les provinciaux font une révolution à Paris : les Parisiens ne s'en mê lent guère. Il faut admettre, en thèse générale, et malgré la fable de Bertrand et Raton , que ceux qui profitent d'une révolution , sont ceux qui ont eu intérêt à la fomenter et qui l'ont dirigée ouvertement ou par des menées secrètes . Aussitôt que la prise de la Bastille annonce que le vieil ordre de choses a vécu , aussitôt que la ville de Paris, prenant comme emblème les émaux de son écusson , gueules et azur, et y ajoutant l'argent pour affirmer sa réconciliation avec la royauté, a inauguré le drapeau tricolore , trois hommes

↑ Dans les notes écrites en 1802 par Lenoir, ancien lieutenant géné ral de police, et publiées par J. Peuchet , on trouve la confirmation de ce fait « Chaque province, dit Lenoir, a sa représentation spéciale d'É tats et son foyer de résidence particulière dans la capitale . Ceci ne varie dans aucun temps ; les hommes passent, mais les statistiques restent , l'équilibre se maintient . C'était (Paris) en quelque sorte le royaume lui même, réduit sur une petite échelle et rassemblé par échantillons dans un périmètre d'une huitaine de lieues 442 LE PARISIEN. sont adoptés par la Révolution et la symbolisent; ils parlent, ils écrivent, ils sont armés en son nom et pour elle . Sa voix , c'est Mirabeau , né à Bignon ; sa plume, c'est Camille Desmoulins, né à Guise ; son épée, c'est Lafayette, né à Chavagnac. Lorsque les mauvais jours sont venus, que les clubs agitent le peuple affolé par des récits de complots et de trahi sons sans cesse réédités, le maître de la populace , le grand prêtre des tricoteuses est Marat, un Suisse, né dans l'affreuse petite ville de Boudry. Parmi les passions qui se heurtent, les motions « liberticides, tyrannicides » qui se succèdent au mi lieu de la plus effroyable bataille parlementaire que jamais on ait vue, un seul homme impassible, conti nuant l'œuvre à laquelle il a voué sa vie, dépouille l'an cienne justice de l'attirail cruel dont elle était encore embarrassée, fonde la jurisprudence moderne et pré pare les éléments que le code futur n'aura plus qu'à coordonner pour en faire un ensemble de lois presque irréprochable : c'est Adrien Duport, un Parisien . L'assassinat du prévôt Flesselle, l'expulsion des échevins, des conseillers, avaient fait place nette à l'Hôtel de Ville ; 400 électeurs s'y étaient réunis pour veiller aux besoins et à la sécurité de Paris ; le 25 juil let 1789, une municipalité provisoire fut constituée ; 120 mandataires formèrent le nouveau conseil ; c'est Paris qui a donné le signal du mouvement, qui a forcé LES RÉVOLUTIONS. 443 les portes de l'antique prison d'État, qui traite de souverain à souverain avec le roi on peut augurer qu'il va choisir ses représentants municipaux parmi les citoyens qu'il a vus naître ; 120 conseillers, -104 provinciaux, 16 Parisiens. Ce n'est point là un fait anormal et accidentel ; nous allons le retrouver inces samment et dans chacune de nos révolutions. La loi du 21 mai 1790 organise les municipalités : 96 notables, choisis par les quarante- huit sections de Paris, vont s'asseoir à l'Hôtel de Ville et deviennent la Commune ¹ ; jusqu'au jour où celle- ci sera sup primée le 9 thermidor, 223 individus s'y succéderont pour remplir les vides causés par les extinctions, par les démissions et par la guillotine . Dans ce nombre on compte 12 Parisiens ; on n'a pas seulement fait appel aux provinces de France , l'étranger fournit un contin gent qui n'est pas sans importance : 34 administra teurs de Paris viennent de Suisse , de Prusse, d'Italie , de Suède, de Danemark et d'Amérique. On a dit que la révolution de thermidor fut la re vanche de la province sur Paris, de la province, qui avait été vaincue par la défaite de la Gironde. Le fait est vrai , en ce sens que le mouvement terroriste 1 Commune de Paris, Commune du 10 août, - Commune régé nérée : elle porte ces trois noms , selon les événements qui la modi fièrent. Les 71 membres de la Commune, mis hors la loi le 10 thermi dor an III, furent exécutés le lendemain. 444 LE PARISIEN. partit des comités siégeant à Paris et qu'on le ré pandit dans la France entière par les représentants en mission et à l'aide des tribunaux révolutionnaires ambulants. Mais c'étaient les provinciaux qui don naient l'impulsion . Cette religion de sang et de meurtre avait ses apôtres : on la prêchait à la Com mune, dans les clubs , à la Convention ; on la mettait en œuvre au Comité de salut public ; la Commune agissait sur les clubs , le comité agissait sur la Con vention . Or la Commune était dirigée par Hébert, né à Alençon, et par Chaumette, né à Nevers ; les membres du Comité de salut public qui organisent « les four nécs >» , on les connaît : c'est Robespierre l'Artésien , Saint-Just le Nivernais, Couthon l'Auvergnat, Le Bas du Pas-de-Calais ; le porte-voix de ces furieux, c'est Fouquier-Tinville , sorti du département de l'Aisne ; le porte-glaive, c'est l'ivrogne Henriot, venu de Nan terre. Dans la fameuse séance de thermidor, au moment où tout semble en suspens, à cette minute d'indécision compromettante, qui donc « déchire le voile et ra mène la discussion » que le niais Vadier égarait ? C'est un Parisien, Tallien . Certes celui-là était loin d'ètre irréprochable, et sa mission à Bordeaux lui avait laissé du sang aux mains ; mais, par le fait, ce fut lui qui décapita la Terreur ; Paris se détendit , la France put respirer et les rapports de police constatent que LES RÉVOLUTIONS. 415 les jacobins, les terroristes furent matés , montrés au doigt et forcés de se taire. Paris avait lâchement subi cette honteuse période de son histoire ; il avait ac cepté et distribué dans le pays le système implacable que les provinciaux avaient importé chez lui . Plus tard , la présence des révolutionnaires blancs ou rouges qui pullulent à Paris inquiète le Directoire ; il adresse au Conseil des Cinq-Cents un message pour demander le droit « d'éloigner la foule d'individus qui affluent dans la capitale et dont le plus grand nombre est animé d'intentions suspectes . >> Le Conseil des Cinq- Cents répond par la loi du 27 ven tôse an IV, qui accorde à la police le pouvoir discré tionnaire de refuser le séjour de Paris à ceux qui n'y sont pas nés. — ――― Le premier Empire tombe deux fois , non pas sous l'impulsion de l'émeute victorieuse , mais devant l'in vasion en 1814, on nomme, pour faire face aux pre mières difficultés, un gouvernement provisoire ; sur les cinq membres qui le composent , deux seulement sont Parisiens, Talleyrand et Jaucourt ; en 1815 , Wa terloo amène une seconde abdication , et les cinq per sonnages qui reçoivent le dépôt momentané des pou voirs publics sont tous étrangers à Paris . La Restauration s'établit ; malgré une vive opposi tion, elle fonctionne ; la prise d'Alger lui fait croire qu'elle peut tout oser contre un peuple sensible aux 446 LE PARISIEN. victoires, elle lance ses fameuses ordonnances d'où sort la révolution de Juillet ; la vieille dynastie qui , en quinze ans, n'a pu parvenir à conclure une alliance sérieuse avec la nation , reprend sans faiblesse la route de l'exil , entourée de sa maison militaire et dans un appareil souverain. Bien vite, sous le titre de Com mission municipale , on installe à l'Hôtel de Ville un gouvernement très-réel ; pas un des personnages qui le composent n'est né à Paris : ni Casimir Périer , ni le général Lobau, ni le baron Schonen , ni Audry (de Puyraveau) , ni Mauguin , ni Laffitte , ni Lafayette ; pas même le secrétaire Odilon Barrot, qui est né à Ville port, dans la Lozère. La royauté de Juillet devait aussi , après un règne de dix-huit ans, disparaître comme celle qu'elle avait remplacée. Aussitôt que la surprise de février eut tourné en révolution , un gouvernement provisoire de onze membres se nomme lui-même ; on y trouve deux Parisiens, Ledru-Rollin et Flocon . Dès que l'Assemblée nationale est réunie , le peuple cherche naturellement à briser l'expression de sa propre volonté, et la souve raineté populaire essaye de s'affirmer en violant la représentation du suffrage universel ; un homme a conduit et préparé le mouvement : c'est Blanqui , un monomane né à Nice ; un autre s'associe à la manifes tation, s'en empare et en devient le chef : c'est Barbès , un créole de la Guadeloupe ; l'homme qui du haut de LES RÉVOLUTIONS. 447 la tribune prononça la dissolution de l'Assemblée était un Alsacien nommé Huber. En 1870, comme en 1789 , l'interruption des grands travaux de voirie et de construction a laissé sur le pavé une quantité considérable d'ouvriers sans ouvrage et venus de la province. C'est une armée dont la subversion saura profiter. La guerre éclate, la France est ouverte ; en prêtant l'oreille on entend l'invasion qui s'approche ; Paris s'affole ; il applique l'homéopathie à la politique ; il a le choléra, il se donne la peste, fait une révolution , déchire les actes du suffrage universel , assume sur sa tête la terrible responsabilité de sauver le pays, se saisit de la souve raineté et la délègue à un gouvernement dit de la Défense nationale, dont les onze membres comptent neuf provinciaux et deux Parisiens : MM. Picard et Rochefort. Le maire de Paris est des Pyrénées- Orientales ; il dit : « Paris sera la Saragosse de la République ; et si la Saragosse ne suffit pas, la torche en main, nous ferons, moi à votre tête, de Paris un Moscou ! » Les gens assemblés applaudissent ; c'est là une parole qui ne sera point perdue ; on s'en souviendra quelques mois plus tard . Le chef de Paris, nous ne pouvons l'ignorer, car il l'a répété souvent, était soldat, catho lique et Breton ; son diplomate était de Lyon , et l'am bassadeur qu'il envoyait aux nations étrangères est un 448 LE PARISIEN. Provençal issu de Marseille . Pendant que ce gouver nement dominait et qu'au fond des clubs on parlait volontiers de l'anéantissement des armées allemandes , une insurrection fut sur le point de tout emporter; cinq provinciaux et un aliéné parisien , Gustave Flou rens, furent presque souverains à leur tour et s'adjoi gnirent un Italien qui devait « représenter la Répu blique universelle au sein de la Commune de Paris » . On put croire un instant qu'il n'y avait plus d'espé rance ; la situation était plus que compromise ; elle fut sauvée cependant, grâce à un Parisien madré qui se sauva spirituellement par une porte dérobée et alla chercher quelques troupes sur la fidélité desquelles on avait eu raison de compter. La fin du drame, on la connaît. On pouvait espérer, après tant de misères, que l'on avait touché le fond du fond et que l'on allait remonter à la surface. Non , nous n'avions pas payé tout ce que le sort exigeait, nous n'avions pas racheté encore nos prospérités des jours. heureux, et nous allions voir , comme dit le cardinal de Retz, « des scènes auprès desquelles les passées n'ont été que des verdures et des pastourilles . » Après l'investissement, après la famine, après la capitula tion, il nous restait à subir la Commune et à contem pler Paris incendié ; quatre-vingts individus , nommés à l'élection, firent partie de cette assemblée à la fois grotesque et féroce qui, pendant deux mois , se démena LES REVOLUTIONS. 449 dans l'Hôtel de Ville . Ils disaient , ceux-là , qu'ils étaient l'âme de Paris, de « la ville sainte » ; ils vou laient en faire la ville libre par excellence, ayant son gouvernement propre, ses institutions spéciales, con cluant des traités d'alliance avec les peuples, possé dant son armée, ses finances, et ne relevant plus que d'elle-même ; avec quel mépris ne parlaient- ils pas de la représentation nationale que la France meurtrie avait élue à travers son désespoir et sa détresse ; ils la surnommaient superbement « la Chambre des ru raux » . — Ruraux vous-mêmes ! car sur quatre-vingts que vous étiez, soixante-six avaient été vomis par leurs provinces. Le journaliste qui a eu la singulière impu deur d'exhumer le Père Duchêne nous était venu de Lille, et celui qui , préparant froidement l'incendie de Paris, écrivait, le 16 mai 1871 , dans le Cri du Peuple : << Si M. Thiers est chimiste, il nous comprendra, » est un citoyen de la Haute- Loire. Ce sont là les chefs, dira-t-on , mais l'armée de dés ordre et d'ivresse , les simples soldats que ces gens abusaient et commandaient, étaient des Parisiens . Non ! Lorsque l'on discuta au Corps législatif la loi du 9 juillet 1852 , qui permet l'expulsion des vagabonds étrangers à Paris , il fut prouvé par des chiffres dont le Moniteur a gardé trace , que, pendant les journées de juin 1848 , l'élément exclusivement parisien n'a vait figuré que dans la très-minime proportion de 5 VI. 29 450 LE PARISIEN. pour 100. L'Enquête sur l'insurrection du 18 mars donne un détail extrêmement précieux à l'égard de la coopération des Parisiens aux œuvres de la Commune. M. Macé, commissaire de police, qui jusqu'au 20 mai fut chargé des interrogatoires à la grande prévôté de Versailles , où l'on amenait les fédérés prisonniers , dit dans sa déposition : « Il y avait environ 20 repris de justice sur 100 ; il y avait énormément d'étrangers, beaucoup de Polonais, beaucoup de Belges.... Sur 556 individus pris dans une même affaire, celle du plateau de Châtillon , il n'y avait qu'un seul Parisien : c'était un enfant qui avait été enlevé de la Roquette; » et il ajoute «<<< Les enfants ont fait beaucoup de mal¹. >>> ―― Beaucoup de mal, en effet, et ce fut parmi eux que l'on trouva le plus de Parisiens. Ils ne furent incor porés qu'assez tard , vers la fin d'avril , dans les bandes de la Commune, ct dès lors on put prévoir que la lutte prendrait fatalement un caractère de barbarie excessif. L'enfant est cruel parce qu'il n'a jamais souffert ; il est très-hardi parce qu'il ignore en quoi consiste le danger. Au début, dans les derniers jours de mars , les vieillards, les hommes « mûrs » étaient assez nombreux derrière le drapeau rouge ; mais aussi que la bataille fut engagée et que les escarmouches tôt 1 Enquête parlementaire sur l'insurrection du 18 mars; dépositions des témoins, t . II , p . 222. LES RÉVOLUTIONS. 451 devinrent fréquentes, la plupart des barbes grises dis parurent et l'on vit alors sous l'uniforme des enfants de quinze à dix-sept ans, que l'eau-de-vie attirait et que tentaient les aventures. Tous ces êtres chétifs , malsains, moitié loups et moitié furets, que la libre vie en commun a prématurément dépravés, que des poëtes mal inspirés ont essayé de glorifier , qui tirent l'étymologie de leur nom banal de la voie publique , où ils vaguent comme des chiens errants, tous les « voyous » en un mot, se jetèrent dans le combat avec la curiosité, l'insouciance et l'entrain de leur âge . Très-flattés d'être traités comme des hommes et d'avoir un fusil , ils furent intrépides aux avant postes et particulièrement redoutables derrière les barricades. Il serait puéril de dire que la population adulte, issue de familles parisiennes et née à Paris, n'a pris aucune part à ces actes violents , mais on peut affirmer qu'elle n'y était guère, comme en juin 1848 , qu'une minorité de 5 pour 100. Il faut se rappeler qu'après le 18 mars on a fait venir à Paris , au prix de sacri fices que la caisse municipale eut à supporter, tous les débris de légions étrangères , de francs- tireurs exotiques , de « vengeurs » sans nationalité qui, pen dant la guerre, avaient combattu en partisans . Indé pendamment de cette cause accidentelle, la composi tion même de la population de Paris suffit à expliquer 452 LE PARISIEN. l'infériorité numérique du Parisien au jour des prises d'armes révolutionnaires. Reprenons des chiffres déjà cités ; ils ont , en ce sujet, une importance particulière . 1,851,972 habi tants composent la population normale de Paris, re censée en 1872 , à laquelle il faut ajouter un groupe flottant que l'on peut évaluer à la moyenne très-res treinte de 135,000 individus présents chaque jour dans les garnis ; sur ces 1,986,972 individus , on ne compte que 642,718 Parisiens, perdus au milieu de 1,344,254 provinciaux ou étrangers . La proportion réellement parisienne est d'un tiers dans la population ordinaire de Paris ' . Il n'est pas surprenant, d'après cela, que le Parisien ne se mêle qu'avec une extrême réserve à des commotions qui sont contraires à ses mœurs, à ses habitudes et à ses intérêts ; chaque révo lution se solde par une perte sèche de plusieurs cen taines de millions, dont le Parisien paye la plus lourde part , lui qui fait surtout le négoce des objets de luxe et qui fournit les éléments les plus recherchés aux manifestations extérieures de la prospérité générale ; 1 Le total des arrestations opérées par les soins de la préfecture de police en 1873, pour crimes et délits, fournit des renseignements sé rieux et ramène aux mêmes proportions ; total des individus arrêtés : 53,485, dont 2,418 étrangers, 21,753 provinciaux , 9,334 nés dans le département de la Seine . Dans ce dernier chiffre, il faut compter 2,415 en fants âgés de moins de 16 ans qui ont été arrêtés plusieurs fois pour vagabondage et sont, presque tous, de réels Parisiens. LES RÉVOLUTIONS. 453 il le sait , ne s'en cache guère, maudit les bouleverse ments que l'on vient faire chez lui , les accepte par cas de force majeure, et ne désire rien tant qu'un gouver nement stable, assurant la tranquillité publique , per mettant à chacun de vivre de son travail et de s'amu ser en paix. Dans les révolutions, dans les événements qui les suivent, le vrai Parisien succombe sous la masse provinciale dont il est environné ; il succombe d'autant mieux qu'il n'essaye même pas de lutter et qu'il se contente de lever les bras au ciel en disant : « Qu'allons-nous devenir ? » Michelet établit très- nettement, après la journée des Barricades et au moment de la fuite forcée de Henri III , « qu'à Paris il n'y avait pas un tiers du peuple pour la Ligue. >> Ce fait vrai s'est indéfiniment reproduit. Les mémoires, les journaux que les bourgeois de Paris nous ont laissés sur les époques de troubles qu'ils ont eu à traverser, ne sont qu'une série de la mentations où l'affaissement de leur esprit, les regrets qui les animent se font jour à chaque page. Les rap ports de police sur l'esprit public pendant la Révolu tion, publiés par M. Schmidt, prouvent, contre toute discussion, contre toute opinion préconçue, que Paris subissait bien plus qu'il n'acceptait les excès commis en son nom ; dans les marchés, au seuil des boutiques des marchands de comestibles, où l'on « faisait queue » , on entend sans cesse la même phrase que les inspec 454 LE PARISIEN. teurs signalent : « Vive l'ancien régime ! au moins nous avions de tout en abondance. >> Napoléon, malgré la mauvaise humeur qu'il té moigna parfois contre la petite guerre d'épigrammes que le faubourg Saint- Germain lui faisait, a rendu justice à Paris ; il en avait étudié l'esprit avec soin et il savait à quoi s'en tenir sur la ville des massacres de septembre, de la Terreur et de tant de journées san glantes ; peu après l'établissement du consulat, il disait « Je me suis fait mettre sous les yeux tout ce que l'on a pu trouver sur les événements les plus dés astreux qui ont eu lieu à Paris dans les dix dernières années ; je dois déclarer, pour la décharge du peuple de cette ville aux yeux des nations et des siècles à venir, que le nombre des méchants citoyens a toujours été extrêmement petit . Sur quatre cents, je me suis assuré que plus des deux tiers étaient étrangers à la capitale.... » On le voit, la proportion est toujours la même. Lorsque l'on veut porter un jugement impar tial sur les fauteurs et les auteurs des événements mauvais, il faut se garder de confondre l'habitant de Paris et le Parisien ¹ . 1 Je cherche en vain un Parisien parmi les assassins politiques. Lou vel est de Versailles. Toutes les tentatives faites contre la vie du roi Louis-Philippe ont pour auteurs des provinciaux : Bergeron est né à Chauny, Meunier à La Chapelle, Darmès à Marseille, Alibaud à Nimes, Lecomte à Beaumont (Côte-d'Or), Henry à Charme (Haute-Saône) ; Fies chi est de Vico, Morey de Chassagne, Pepin de Rémy (Aisne) ; Quenisset, LES REVOLUTIONS. 455 Celui-ci est un être assez éteint, d'imagination modérée, actif à la petite industrie, où il excelle, se souciant fort peu de la forme du gouvernement, pourvu que l'ordre soit maintenu et que la sécurité du lende main ne soit pas compromise. « Ce n'était pas un Parisien comme moi, dit J.-J. Rousseau ; c'était un vrai Parisien de Paris , un archi-Parisien du bon Dieu, bonhomme comme un Champenois. » Très- bucolique à ses heures, il aime la campagne, où il va le di manche, et rêve une petite maison avec un jardinet qu'il pourra cultiver lui-même; c'est à ce goût cham pêtre que l'on doit cette quantité prodigieuse de chalets suisses, de tourelles moyen âge, de villas italiennes , de maisonnettes Renaissance ou rococo dont les envi rons de Paris sont enlaidis à quelques lieues à la ronde. Quoiqu'il dépense beaucoup pour « son ventre et ses habits » , comme on le lui a souvent reproché, il est volontiers économe lorsqu'il appartient à la mince bourgeoisie ; il sait amasser, et, quand sa femme l'y aide, il est presque certain de parvenir à la richessc. Si la chambre des notaires livrait le secret de ses archi ves, on pourrait y constater que presque toutes les for qui tira sur le duc d'Aumale et qui, interrogé sur sa profession, répondit : émeutier, était de Selles ( Haute-Saône) . On sait à quelle nation appar tenaient les assassins qui essayèrent de tuer l'empereur Napoléon III ; aucun d'eux n'était Français. 456 LE PARISIEN. tunes des familles parisiennes sont le produit d'une épargne très-sage, très-persistante, et que presque toutes aussi sont représentées par des immeubles, car un autre rêve du Parisien est d'avoir « pignon sur rue » expression de notre bourgeoisie d'autrefois et qui prouve le genre d'ambition qui l'a toujours animée. Malgré ces vertus un peu neutres et qui ne le pous sent pas aux grandes entreprises, le Parisien ne con court-il jamais pour une part quelconque aux révolu tions dont il est si souvent le témoin et toujours la victime ? S'il ne les fait pas, on peut reconnaître du moins qu'il aide à les préparer, car il est naturellement frondeur ; par tempérament, par sottise , par niaise manie de paraître esprit fort, il se moque de tout, des autres et de lui-même, de la république et de la royauté, de la philosophie et du bon Dieu . Il a de l'esprit. En 1848 , pour railler les rêveries socialistes qui se formulaient avec une intempérance de langage excessif, il chante : Peut-être un jour le bourgeois éclairé Donu'ra sa fille au forçat libéré. Dans un club où l'on reproche à la bourgeoisie de se nourrir de la sueur du peuple, il répond qu'il en a goûté et que c'est fort mauvais ; mais cette ironie per pétuelle est entre ses mains une arme à toutes fins , il LES RÉVOLUTIONS. 457

en blesse ses amis aussi bien que ses adversaires : le pouvoir qu'il a acclamé, qu'il a choisi peut-être, qu'il défend par ses votes, il l'attaque par ses plaisanteries , il le mine, il le désagrége, il le détruit sans même s'en apercevoir : <« histoire de rire. » Il y a longtemps que l'on dit En France le ridicule tue . Jamais il ne renverse l'idole , mais il la démonte pièce à pièce ; un coup d'épaule la jettera par terre, et ce coup d'é paule ce sont les recrues provinciales, agitées de l'es prit de révolte, qui le donnent toujours au grand désespoir du Parisien . Comme les fourmis qui recon struisent leur fourmillière bouleversée, il se hâte de réédifier un gouvernement, et dès que celui-ci est de bout, il recommence à le taquiner, à l'ébranler, si bien qu'une nouvelle chute est à craindre . Depuis le com mencement du siècle, ce spectacle s'est renouvelé souvent ; il serait peut-être sage d'y renoncer désor mais, car, à faire pareil métier, les peuples ne tar dent pas à périr. Il y a toujours à Paris un nombre d'hommes prêts à se lever pour renverser l'ordre de choses établi, quel qu'il soit . Par les noms et les faits que nous avons indiqués plus haut, on sait que ces hommes n'appartiennent pas à la cité et qu'ils y sont venus de l'extérieur. Dès le quatorzième siècle on peut dire de Paris ce que dans ses Annales Tacite a dit de Rome : Quo cuncta undique atrocia aut pudenda confluunt, 458 LE PARISIEN. celebranturque; « l'on y voit affluer de toutes parts et accepter avec empressement tout ce qui est atroce et honteux. >> C'est le grand pays des convoitises ; il exerce sur les imaginations une sorte de fascination diabolique ; pour ceux qui n'y sont pas nés, il est plein de promesses, il en sort un souffle d'illusion ; comme les sirènes d'Homère, il appelle, il attire ; qui peut résister à la chanson des espérances? Il n'est fortune si haute qu'il ne laisse entrevoir aux audacieux ; sa voix porte loin et est toujours écoutée ; à la paysanne en sabots, fati guée de tourner son rouet ou de soigner ses vaches, il raconte les aventures de Jeanne Vaubernier qui fut quasi reine de France ; au fils du cordonnier admis. par charité dans le séminaire de sa petite ville, il murmure l'histoire du cardinal Maury ; à tous , à toutes, il montre un avenir riche, honoré, plein de plaisirs , de ces plaisirs dont l'appétit s'éveille avec férocité dans l'existence refrognée et surveillée de la province. L'Angleterre va aux Indes, l'Allemagne part pour l'Amérique, la Russie défriche ses immenses terri toires, l'Italie envoie ses colons vers Montevideo et le Mexique ; la France émigre à Paris . Pour les provin ciaux, Paris représente ces pays vagues, mal définis, entrevus à travers des songes d'or, exagérés par le récit des voyageurs et qu'autrefois on nommait « les LES REVOLUTIONS. 459 Iles ». Tous ceux qui sentent fermenter en eux le le vain des ambitions, font leur paquet et nous arrivent, espérant que l'on dira d'eux un jour ce que l'on a dit de tant de millionnaires : « Il est venu à Paris en sa bots et avec un écu de six livres dans sa poche ! » On ne se doute guère du nombre de gens qu'a perdus cette phrase banale si souvent répétée ! Parmi ceux qui entreprennent ce voyage à la re cherche d'une destinée meilleure, les uns sont poussés par l'orgueil, qui est la conscience de ses propres forces, d'autres par la vanité, qui en est l'illusion ; beaucoup par esprit d'aventure, pour changer de mi lieu, pour gagner un peu plus d'argent, au hasard de ce que les occasions pourront offrir. Il n'y a qu'à re garder autour de soi pour comprendre que tous ces rêves de gloire et de fortune n'ont point été vains ; Paris doit à la province la meilleure , la plus noble portion de sa puissance intellectuelle ; mais, en re vanche, quels éléments impurs et malfaisants n'en a-t-il pas reçus ! que de fois n'a-t- il pas roulé dans l'abîme sous l'impulsion de ceux dont il n'a pas con senti à réaliser les rêves outrecuidants ! En haine de la grande ville qui ne les avait point appelés, en horreur de ce luxe auquel ils aspirent et qu'ils n'ont pu at teindre, rongés par une envie incurable, mus par une vanité sans proportion avec leur capacité, poussés par une ambition sans rapport avec leur intelligence, 460 LE PARISIEN. ce sont ceux-là que l'on trouve à la tête des émeutes et qui grouillent dans les bas fonds de toutes les révo lutions. Qui sont- ils? Les fruits secs des lettres , de la poli tique et du barreau . Leur ignorance dépasse tout ce que l'on peut se figurer ; lorsque par hasard l'un d'eux a quelque lecture , il devient un objet d'étonnement pour les autres . Un de ces bohèmes était célèbre pour avoir lu Diderot ; ses amis disaient : Il se nourrit de la moelle des lions. Le provincial haineux qui fait payer à Paris toutes les déconvenues de son amour propre n'est pas rare ; dès que l'heure est trouble, il apparaît et acquiert parfois une certaine notoriété. Il a frappé à la porte des éditeurs , des grands journaux, des revues ; on l'a éconduit, à peine écouté . Il en veut au monde entier de son infériorité qui l'accable ; la misère est mauvaise conseillère lorsqu'elle parle aux vaniteux ; au lieu de les pousser aux résolutions vi riles, elle les maintient dans la paresse et surtout dans l'horreur du travail manuel , car il est à remarquer que tous ces hommes qui , pour étayer leur popula rité , célèbrent les vertus ouvrières , se croiraient dés honorés s'ils touchaient un outil . A vivre d'expédients, on s'étiole vite et l'âme s'aigrit ; on croit être fort parce que l'on a secoué tous les préjugés ; mais lorsque l'on n'a plus de préjugés, on est bien près de n'avoir pas de scrupules , et lorsque l'on n'a pas de scrupules, LES RÉVOLUTIONS. 461 c'est que l'on n'a plus de principes . Tout est bon pour réussir et se faire sa place au soleil

on ne recule

dc vant rien , pas même devant l'insurrection la plus vile et la plus impie . Qu'importe que la France ensanglantée , appauvrie , démembrée, demande grâce à ces bourreaux ivres d'ambition et vides de patriotisme? ils n'en pousseront pas moins leur œuvre jusqu'au bout, dussent-ils n'exer cer le pouvoir que pendant deux mois . A quoi bon citer les noms de ceux qui ont tout osé pour donner corps au cauchemar qui les agitait ; ces noms, on peut les trouver sur les listes de la Commune, de ce gou vernement de mandrilles que l'on a spirituellement appelé « le carnaval rouge » . Après le coup de canif de Damiens, Voltaire disait que Paris était peuplé de tigres agacés par des singes ; qu'aurait- il dit après le meurtre des otages? Pour ces gens-là , Paris est un vaste laboratoire d'alchimie sociale où ils viennent faire les expériences les plus dangereuses, comme s'ils voulaient en dé goûter les autres ; pour découvrir la solution des pro blèmes qu'ils entrevoient bien plus qu'ils ne les com prennent, ils mêlent ensemble les paradoxes et les sophismes, les théories inconciliables et les mensonges les moins déguisés ; puis , quand ils ont versé tous ces ingrédients hétérogènes, ils soufflent le feu à outrance ; la chaudière éclate, le laboratoire est lézardé, et la 462 LE PARISIEN. société tombe en stupeur. Lorsque ce désastre se pro duit, on en paraît fort étonné, ce qui n'empêche pas que l'on ne recommence quelques années plus tard . On dirait que chaque génération a droit à une révolution et qu'il faut qu'elle la fasse, dût-elle en périr. Ces sortes d'expérimentations sont ruineuses et toujours décevantcs ; qu'a-t - on gagné en juillet 1830, en fé vrier 1848 , en septembre 1870 , en mars 1871? Rien, si ce n'est des espérances forcenées , l'absence de toute conviction sérieuse et la déshabitude de la vie régu lière, ce qui n'est pas sain pour les peuples. De toutes ces commotions, il se dégage un fait par ticulièrement douloureux et qui pourra avoir des conséquences redoutables sur les destinées du pays : le moyen le plus rapide d'être ministre et d'obtenir sans stage, sans éducation préalable, la direction des affaires publiques, c'est d'être de l'opposition quand même. Dans la pensée secrète de ces hommes, les droits qu'ils réclament, les améliorations qu'ils pro posent ne sont que des armes pour combattre le gouvernement , des leviers pour le renverser, des manœuvres pour s'en emparer. Si la politique est ainsi , c'est la plus méprisable des mystifica tions . C'est au nom de la de la plus grande des liberté, choses humaines, que parlent ces prétendus cher cheurs de panacée universelle et de précipités démo ―――― ― ―――― LES REVOLUTIONS. 463 cratiques ; mais pour eux la liberté n'est pas un but, elle n'est qu'un moyen ; ce qui le prouve, c'est que toutes les fois qu'on l'a obtenue, on s'en est servi pour demander un bouleversement social, qu'en désespoir de cause on essayait d'obtenir par la force ; juillet 1850 a pour corollaire les émeutes sans nombre du règne de Louis-Philippe ; février 1848 est le prologue de l'insurrection de juin ; la conséquence inévitable du 4 septembre fut le 18 mars. C'est toujours la liberté que l'on invoque cependant, et des niais s'y laissent prendre. Paris a bien souvent prouvé qu'il ne comprend rien aux devoirs politiques, car il est impossible d'imagi ner une anomalie plus contradictoire que celle d'un peuple muni du suffrage universel , qui peut, par le simple exercice d'un droit manifeste, faire triompher sa volonté légalement et qui fait des révolutions à main armée. Le pauvre Parisien , dans la maison du quel on vient brasser toutes ces laides besognes, les supporte passivement ; pour éviter la guerre civile, dira-t-on, par pur esprit de patriotisme. Je n'en crois rien ; mais par paresse et par abandon de soi même. Comme les gens faibles, et en nombre infé rieur, il hurle avec les loups dans la crainte d'être dévoré par eux ; il s'effraye facilement et cherche à écarter de lui les violences qu'il redoute, en les dépas sant. C'est un Parisien, La Harpe, qui, dans le Mer 464 LE PARISIEN. cure du 15 février 1794, proposait de faire effacer les armes royales timbrées sur les volumes des bibliothè ques publiques ; il n'en eût coûté que quatre mil lions, à un moment où l'argent n'était pas commun : « Mais qu'importe , disait-il , quand il s'agit d'une opération vraiment républicaine ? »> Après chaque révolution , Paris devient moindre, comme l'on dit à Genève. L'âme de la cité s'affaiblit et se fait toute petite ; les gens aisés s'éloignent d'une ville sans sécurité , les commerçants tremblent der rière leur comptoir, les ateliers se ferment, la véritable population a disparu : une invasion venue d'en bas l'a remplacée ; ce n'est plus le même peuple qui vague dans les rues, brandit des armes et hurle de vieilles chansons. Dans ces jours étranges, les voleurs se fu sillent entre eux, non pour faire croire à leur probité, mais parce qu'ils sont frappés d'un accès foudroyant de vertu théâtrale, qui ne dure jamais longtemps. « En général , une multitude est toujours outrée, a dit Bézenval , mais une multitude française l'est plus qu'une autre . » Cela est vrai ; mais son exaltation , lorsque rien ne vient l'entretenir, n'est pas de longue durée. Il suffit bien souvent, pour l'apaiser, de lui accorder tous les droits qu'elle réclame, car les droits impliquent des devoirs, et les devoirs lui sont insup portables ; elle ne sait qu'inventer pour s'y soustraire ; afin de s'en débarrasser , elle a plus d'une fois remis LES RÉVOLUTIONS. 465 les uns et les autres à un mandataire en qui elle ab sorbait sa souveraineté . Ce contraste, qui rend la population parisienne à la fois révolutionnaire et monarchique, a fait penser qu'elle était envieuse et servile ; il serait plus juste de dire qu'elle est entreprenante et indécise, ce qui lui fait commettre de sottes actions et lui en donne le regret immédiat. En réalité , elle n'a point d'objectif politique ; elle va devant elle doucement ou brutale ment, selon son humeur du jour , mais sans savoir où elle va. Le peuple de Paris ne sut pas ce que c'était que la Charte en 1850, pas plus qu'il ne sut ce que c'était que la réforme en 1848 ; l'une et l'autre pas saient par-dessus sa tête et ne pouvaient l'atteindre ; il répétait cela comme un soldat répète un mot d'ordre qu'il a reçu et qu'il n'a pas compris ; c'était pour lui non un motif, mais un prétexte à révolte , et , comme il n'a jamais demandé plus , cela lui a suffi . Le peuple dans toute partie du globe et dans tout incident de l'histoire est une force élémentaire, inconsciente et confuse, qui est toute- puissante pour la décomposition et ne peut rien créer ; exclusivement animé d'intérêts individuels, il ne voit pas les choses dans leur ensemble ; il en a parfois l'instinct, jamais l'intelligence. La population de Paris n'échappe pas à cette loi générale ; quoi qu'elle ait fait, quelles que - - VI. 30 466 LE PARISIEN. soient les idées qu'on ait tenté de lui inculquer , elle a toujours penché du côté de ses mœurs. Il me semble que Chateaubriand a formulé l'opinion que l'on peut avoir du Français, et par conséquent du Parisien, lorsqu'il a dit : « La liberté est pour lui un sentiment plutôt qu'un principe ; il est citoyen par instinct et sujet par choix , »> par habitude serait plus ―――― exact. La loi de l'atavisme n'est pas, en effet, seulement physiologique : elle a une influence morale que l'on soupçonne, que l'on étudie et que la science finira par constater. Cette loi agit sur la nation française et n'est point étrangère à ses incohérences politiques . Nous avons reçu par héritage les habitudes de nos ancêtres , et, quoique bien souvent nous ayons essayé de les briser violemment , nous y sommes toujours retournés, directement ou indirectement, entraînés par une sorte de tendance congénitale. Ce n'est pas en vain pour nous que la France a vécu pendant des siècles. sous le droit royal , qui non-seulement n'était pas con testé, mais qui était respecté avec un amour instinctif et naturel . Or qu'était- ce que le droit royal ? Bossuet nous l'a dit : « L'autorité royale est absolue . Le Prince ne doit compte à personne de ce qu'il ordonne . Quand le Prince a jugé, il n'y a pas d'autre jugement. Il est l'image de Dieu qui, assis sur son trône, au plus haut des cieux, fait aller toute la nature. La volonté de LES REVOLUTIONS. 467 tout le peuple est renfermée dans celle du Prince ; tout l'État est en lui . » Est- il étonnant qu'un peuple chez lequel l'histoire a gravité autour d'un tel pou voir n'ait pu encore se façonner à des institutions libres et ait toujours cherché un maître qui , en le faisant obéir, le débarrassât d'une responsabilité dont l'usage l'effraye, car on ne lui a jamais appris à s'en servir ? Lorsque, après une révolution , le premier mouve ment de stupeur est passé, lorsque l'effarement a fait place à la réflexion , le Parisien laisse l'habitant de Paris faire des manifestations et pérorer dans les clubs ; lui, il se remet paisiblement à l'œuvre , comme un architecte qui reconstruirait une maison détruite avec les matériaux qui la composaient ; il y parvient,. non sans peine; il attire à lui ceux que le désœuvre ment agité fatigue et qui veulent travailler ; au milieu des frêlons en rumeur, l'abeille a rebâti sa ruche. Cet exemple du courage, de la persévérance , c'est toujours le petit bourgeois parisien qui l'a donné. Il n'est point ambitieux, il n'a pas demandé de place, il n'a point placardé son nom sur des affiches multicolores ; il est promptement retombé dans son indifférence, et c'est tout au plus s'il se rend aux salles de scrutin quand vient le jour des élections . Il est assez partisan de ce que l'on nomme barbarement aujourd'hui l'abs tentionisme. Ça l'ennuie, ça le dérange d'aller voter, 468 LE PARISIEN. d'hier et il va se promener à la campagne. Ce n'est pas qu'il est ainsi : pendant toute la période de la Révo lution française, on a constaté qu'il s'éloigne volon tiers à l'heure des élections. Peut-être ce peuple a-t il été convié trop tard à la vie politique et aux obli gations qu'elle impose ; on dirait qu'il n'a jamais pu s'y accoutumer, car lorsqu'on l'y appela, il avait passé l'âge où l'on prend de nouvelles habitudes. Esprit de fronde du Parisien , esprit de révolte de l'habitant de Paris, vieux caractère du Gaulois qui aime à se battre pour se battre : voilà ce qui produit nos révolutions. Elles se renouvellent avec une pério dicité inquiétante, et sont un sujet de grave préoccu pation pour ceux qui voudraient sauvegarder l'avenir. Tous les gouvernements qui sont issus d'une insurrec tion populaire ou d'un coup de violence ressemblent à la statue aux pieds d'argile : ils pèchent par la base ; le peuple qui les a élevés est le peuple qui les ren verse. Tous pourtant ont essayé de réagir, mais, pen dant qu'ils s'armaient de lois préventives , le dévelop pement normal de la vie urbaine attirait à Paris les chefs et les soldats des commotions futures, de sorte que tous les pouvoirs se sont successivement trouvés en présence de forces agglomérées par la prospérité même qu'ils avaient répandue autour d'eux. Tout concourt à accroître la population de Paris , et tout ce qui l'accroît tend à devenir un danger pu LES RÊVES ET LE PÉRIL. 469 blic. C'est là une situation réellement douloureuse et grosse de périls que l'on n'a pas encore su conjurer . Les impatients choisissent l'heure propice, font une pe sée sur l'opinion , et les édifices que l'on croit les plus solides s'écroulent avec fracas. C'est la fatalité de Paris, de cette tête énorme et démesurée, d'être le théâtre de toutes ces tragédies ; et cependant nous l'avons vu, s'il n'y avait que des Parisiens à Paris, on n'y ferait jamais de révolution . - - Décadence. - - La statue de la France. Faute de trouver un mode de vivre. Les maladies. - L'Italie après Novare. L'espérance survit. — L'enfant terrible. - Ni tradition , ni point d'appui . - Le poids des mœurs. - Revenez aux principes. >> Pourquoi la Révolution française a échoué. - La religion seule modifie les mœurs. — Race latine. Ca tholicisme. Les protestants. Mal de langueur. Libre examen. - Infaillibilité. - Un précepte de Franklin. Mépris de la légalité . — Lé galités successives. - Le droit divin et la souveraineté nationale ont eu des fortunes semblables. Le nombre est le maître. Les revendica tions . Double action. - En 1848. Les dieux modernes. - On vou lait obtenir, on veut prendre L'orgueil du peuple de Paris. Flatte ries intéressécs.- O Démos ! - Tout effort réservé pour la guerre civile. -Sully ou Richelieu . - Société sans équilibre. L'ambition du peuple. - - --- - --- - ――― Révolution contre la bourgeoisie. La souveraineté diffuse. Les · Les nouvelles couches sociales . - Les priviléges de l'ancienne noblesse. priviléges de la bourgeoisie actuelle. Le capital . La rente sous le Di rectoire. Le drapeau rouge. Inégalité des conditions. Un docu ment récent. Il faut regarder le danger en face. Le prolétariat pari sien. L'aristocratie ouvrière. La gouappe. - 45,000 homines. Violence et maladie. Paradis perdu. -- Les grévistes. Ce qu'ils voient dans la civilisation. -Quitter l'outil . de la petite bourgeoisie. L'incendie de Paris n'a pas spontanée. Les vœux des nouvelles couches sociales . Leur idéal. Les déclassés été une œuvre L'État adminis - VII. LES RÊVES ET LE PÉRIL. - ― - ― - - - - - - --- - -- - - - - - - - - - - - - - - - - - 470 LE PARISIEN. - -- trateur. L'État fabricant . Le monopole. Les charges privilégiées . -Les réclamations de la classe ouvrière. Confiscation des grandes in dustries. Le droit au travail. — Limitation du nombre des ouvriers . - Retour aux maîtrises du moyen âge. — La grève des cochers en 1865. — L'abolition de l'héritage . — L'instrument de travail . D'où viennent ces rêveries. - Matérialisme et négation de la vérité. Tous les socialistes sont des prêtres. L'édifice catholique. L'Internationale. Résultat analogue. Suppression de l'idée de patrie. Le souffle juif. - La haine mutuelle . Les anciens chrétiens . Du rêve à l'action il y aloin. - - - But identique, moyens différents. Religion composée de schismes. Discipline de fait et non pas discipline organisée . Histoire de l'élec tion Barodet. — La politique est indifférente au peuple de Paris. — Oppo sition sociale. Le feu partout. Le suffrage universel . Les décrets futurs. Le salut possible. État général morbide. Application scientifique. Premier acte l'acide sulfurique. Second acte les huiles minérales. Noche triste. Le futur troisième acte : les ma tières explosibles. L'armée du meurtre. Di omen avertant ! — La guerre étrangère et la guerre civile . Paris se suicidera . Le mot de Mazarin. ―――- La mort violente des capitales. - L'âme des villes . - L'âme de Paris appartient à l'humanité. - - ➖➖ - - - - - ――― - - -- - ―――― - - ――― — - ―― - ― - - - - ――― Chateaubriand, qui croyait volontiers que tout al lait mourir parce qu'il mourait, a écrit : « La France, la plus mûre des nations actuelles, s'en ira vraisem blablement la première ; il ne serait pas étonnant qu'un peuple âgé de quatorze siècles, qui a terminé cette longue carrière par une explosion de miracles, fût arrivé à son terme. » Plus d'une fois , nous l'a vons raconté, la France a subi des crises analogues à celle qui l'a atteinte récemment , qui l'opprime en core, et elle s'est redressée ; mais néanmoins , à comp. ter la population qui diminue dans des proportions inquiétantes , à voir les divisions qui nous séparent 1 Le morcellement excessif de la propriété agricole est une des prin cipales causes de la décroissance de la population française ; le paysan LES RÊVES ET LE PÉRIL. 471 comme une famille de frères ennemis, à écouter les vœux que formule un peuple aveuglé par les senti ments mauvais , à entendre les discussions stériles dont nos propres affaires sont l'objet , on peut légiti mement être saisi d'angoisse et se demander si nous ne glissons pas sur la pente d'où l'on ne se relève plus. Vieillesse ou décadence, c'est tout un pour les indi vidus, comme pour les nations . Il me semble que si l'on avait aujourd'hui à symboliser la France, on ne devrait plus la représenter sous les traits d'une jeune femme ceinte de lauriers verts comme l'espérance et portant dans ses yeux les hardies es de l'avenir ; bien plutôt , je me la figure mûrie par l'âge et déjà blan chissante, grave, attristée , mais sereine , car elle sait que l'impartiale histoire dira que nulle génératrice d'idées ne fut plus féconde, ouvrant de sa main bles sée le livre de la science où elle peut retrouver une vigueur nouvelle et appelant à son aide la concorde, qui scule peut la sauver et lui rendre sa puissance affaiblie. A cette heure, telle que nous la voyons après la mutilation dont elle souffre et les attentats qu'elle a commis sur elle-même, elle ressemble à un être qui meurt, faute de trouver un mode de vivre . fermier a, il est vrai , beaucoup d'enfants qui lui épargnent autant de domestiques ; mais le paysan propriétaire, et le nombre en augmente tous les jours, se réserve après un ou deux enfants, afin qu'après sa mort sa propriété ne soit pas trop divisée par l'héritage. - - 472 LE PARISIEN. Les peuples, comme les hommes, traversent des périodes de maladies qui semblent mortelles ; une crise survient, la rémittence se fait et le fluide vital abonde à flots chez celui que l'on disait perdu pour toujours. Cette résurrection n'est pas rare dans l'his toire et, plus d'une fois nous-mêmes, nous avons se coué une léthargie que l'on croyait définitive . Nous sommes contemporains de miracles pareils ; où en était l'Italie en 1849, après Novare? Il ne lui a pas fallu trente ans pour se ressaisir, rapprocher ses tron çons morcelés, se reconstituer et sortir entière d'un tombeau fermé depuis des siècles . Certes, entre ce qu'elle était et ce que nous sommes, il y a un abîme qui ne sera pas comblé. L'espérance n'a jamais aban donné nos cœurs ; au-dessus de cet affaissement de surface qui nous trouble, on peut voir subsister le vieux caractère gaulois , l'insouciance qui permet de supporter vaillamment les malheurs, la vitalité in domptable qui aide à les réparer et la confiance en l'avenir qui est une force lorsqu'elle ne s'exagère pas jusqu'à l'illusion. Dans les destinées futures de notre pays, Paris aura sans doute un rôle prépondérant à jouer, car aux causes générales dont il subit nécessairement les effets, il ajoutera les causes particulières qui lui sont inhérentes. Tout est à craindre si cet enfant gâté , si cet enfant terrible, n'oublie pas ses rêves décevants et LES RÊVES ET LE PÉRIL. 473 ne saisit pas la réalité des choses pour entrer dans la voie de l'apaisement et du travail , s'il ne s'inspire pas de la grande parole d'Alain Chartier : « Il faut que chacun s'évertue, de son côté, à tirer au collier pour la réintégration du bien public. Paris qui, dans ces douloureuses questions, repré sente la France comme une sorte de congrès où chaque province aurait envoyé des délégués armés de pleins pouvoirs , Paris n'a plus de tradition et cherche en vain un point d'appui . En brisant violemment avec le passé à la fin du siècle dernier, il s'est constitué un peuple nouveau qui a rejeté au néant ses institutions, les temps écoulés de son histoire et qui est parti d'un pas délibéré pour la terre promise, pour une sorte d'âge d'or entrevu. Mais ce peuple a gardé ses mœurs, ses habitudes, son caractère ; tout cela pèse d'un tel poids, qu'il ne peut avancer et qu'il reste vacillant entre un passé dont il ne veut plus et un avenir qu'il ne parvient pas à formuler. En ne modifiant pas ses mœurs d'où étaient nées ses anciennes institutions, il en est réduit à ce pénible état de ne pouvoir s'appro prier à ses institutions nouvelles, qui ne sont peut être, après tout , que de simples conceptions d'esprit n'ayant aucun rapport avec notre caractère national , c'est-à-dire naturel . Des gens de bonne foi et animés d'intentions excellentes ont remarqué ce contraste, et croient y avoir trouvé le remède souverain en disant : 474 LE PARISIEN. revenez aux principes . Autant dire à unevieille femme de rajeunir. Il viendra peut- être une génération qui croira sincèrement à Dieu et au roi ; mais cette géné ration ne nous a pas précédés, et nous ne la verrons pas éclore . Il en est de l'esprit des hommes comme du cours des fleuves, il ne remonte jamais vers sa source. La Révolution française a échoué parce qu'elle a été seulement politique, sociale et qu'elle n'a point été une révolution religieuse ; or il n'y a que celles-ci qui influent essentiellement sur les mœurs ; ce n'est rien de changer la forme apparente des gouverne ments, d'intervertir l'ordre des castes et de déclarer les hommes égaux ; il faut , lorsque l'on veut réelle ment faire des hommes nouveaux, leur donner des mœurs nouvelles ; les mœurs sont la résultante du mode de concevoir les idées : les idées viennent du raisonnement ; qu'est- ce qui apprend à raisonner ? la philosophie, c'est-à-dire , pour le plus grand nombre, la religion . En France, la religion est restée la même, par conséquent les mœurs n'ont point varié. On a vécu sous tous les régimes imaginables, et le Français n'a point cessé d'être identique à lui- même. de Si la décadence n'est simplement qu'une question race , ainsi que l'on aime à le répéter , comment se fait-il que cette décadence semble atteindre spéciale ment les nations catholiques ? L'Italie, le Portugal , l'Espagne, l'Amérique du Sud, la France ne sont LES RÊVES ET LE PERIL. 475 point en prospérité, je l'accorde volontiers, et la mère de ces peuples, c'est la race latine ; mais celle-ci n'a rien de commun avec l'Autriche , avec la Pologne, avec l'Irlande . Comment se fait-il que les nations protes tantes vivent, s'affirment, fleurissent, fondent des co lonies qui deviennent des États de premier ordre , et que les nations catholiques, malgré leurs richesses, leur climat admirable, la fertilité de leur sol , leurs vertus chevaleresques, l'élégance et le charme de leur esprit, soient toutes, sans exception , atteintes d'un mal de langueur? Il y a là un fait considérable et dont l'histoire tien dra compte un jour. Lorsque l'on puise en soi-même, par le libre exa men, le sentiment du devoir , on est responsable vis-à-vis de sa propre conscience, le devoir est facile à accom plir ; mais quand on le reçoit d'autrui , en vertu d'une délégation de la puissance divine , qu'on appelle l'in faillibilité et qui entraîne l'obéissance passive, quand il est imposé, en un mot, on ne cherche qu'à s'y sous . traire. Le premier fait est celui du protestantisme, le second celui du catholicisme ; on peut voir où ces deux principes si différents l'un de l'autre, si féconds en résultats opposés, ont conduit les nations qui pro fessent ces deux religions ' . 1 J.-J. Rousseau a nettement formulé cette vérité dans ses Confessions lorsqu'il dit : « Les protestants son généralement mieux instruits que · 476 LE PARISIEN <« Il faut respecter même les mauvaises lois , disait Franklin, car elles nous servent à en obtenir de meilleures. » Ce précepte protestant n'aura jamais cours dans le peuple de Paris, car on dirait que le premier besoin de celui-ci est de se soustraire à l'action des lois et de les briser violemment. Les fictions par lementaires et constitutionnelles n'ont pour lui aucune importance, et jamais il ne les a comprises . Lorsqu'il se lève, ce n'est point pour obtenir une modification. ministérielle ou législative, c'est pour faire table rase de ce qui est ; il porte le coup directement au repré sentant le plus élevé de l'autorité, au souverain lui même, et le renverse . La légalité lui est absolument inconnue ; au fond, comme tous les peuples à tempérament militaire et féminin, il ne croit qu'à la force, surtout quand il est le plus fort. Aussi notre histoire a vu, depuis quatre vingt-dix ans, une série de légalités adverses s'établir par la violence : le 4 septembre est aussi légal que le les catholiques . Cela doit être. La doctrine des uns exige la discussion, celle des autres la soumission ; le catholique doit adopter la décision qu'on lui donne, le protestant doit apprendre à se décider. » Il y a longtemps que des esprits éminents ont prévu et prédit l'avénement politique du protestantisme en Europe. Montesquieu, dans les Lettres persanes ( lettre CXVII ) , a écrit : « Avant l'abaissement de la puissance d'Espagne, les catholiques étaient beaucoup plus forts que les protes tants . Ces derniers sont parvenus à peu près à un équilibre . Les pro testants deviendront plus riches et plus puissants , et les catholiques plus faibles .. LES RÊVES ET LE PÉRIL. 477 2 décembre, le 2 décembre est aussi légal que le 24 février, le 24 février est aussi légal que le 29 juil let, et ainsi de suite , en remontant le cours de nos annales contemporaines jusqu'au renoncement du 4 août 1789, qui seul fut légal , car il a été volontaire et spontané. Qu'a-t- il manqué à la Commune pour être légale à son tour ? De n'avoir pas été vaincue. C'est là une misère inéluctable , inhérente à notre état social, qui n'a point de pondération , inhérente à notre état moral , qui repousse le respect des lois comme une faiblesse, sinon comme une lâcheté . Toutes nos révolutions, toutes nos insurrections se sont engendrées les unes les autres ; le droit divin, la souveraineté nationale, qui sont les deux seuls prin cipes à l'aide desquels jusqu'à présent on a gouverné les hommes, ont eu des fortunes pareilles ; en janvier 1793, le peuple de Paris a décapité le droit divin , il l'a chassé en juillet 1830 ; vingt fois pendant la pé riode révolutionnaire , le 15 mai 1848 , le 4 septembre 1870 , il a violé et brisé la souveraineté nationale . Les deux principes se sont anéantis sous ces coups répétés ; le peuple de Paris n'y croit plus guère , car il sait par expérience comment il faut s'y prendre pour les renverser . En réalité , le nombre est le maître ; or c'est là un danger très- redoutable , car à Paris le nombre , le nombre immense est facile à émouvoir. 478 LE PARISIEN. Les gouvernements semblent savoir cela et ne plus même lutter contre un sort qui entre pour une bonne part dans leurs prévisions d'avenir ; plus nous allons, moins les révolutions sont sanglantes , mais plus les revendications insurrectionnelles qui les suivent fatalement sont terribles ; la révolution de Juillet , lon guement disputée , prolongea ses vibrations par quel ques émeutes dont on vint aisément à bout ; la révo lution de Février, faite en un tour de main, devant une armée ahurie qui distribuait ses cartouches et mettait la crosse en l'air, cut pour résultat l'insurrection de juin, qui , dans ce temps-là , nous parut considérable ; la révolution du 4 septembre, habilement préparée entre compères, enlevée à l'émotion d'un peuple stu péfait, auquel on n'opposa même pas une tentative de résistance, enfanta ce monstre du 18 mars qui, après deux mois d'alcoolisme, s'effondra dans l'incen die de Paris. Ce phénomène étrange peut s'expliquer . - D'abord, dans l'intervalle qui sépare chacune de ces révolutions , la population de Paris s'est accrue dans de larges pro portions, et s'est recrutée de plus en plus parmi les éléments externes. Ensuite, plus le peuple de Paris a prouvé que sa force obtuse était facile à remuer et redoutable à combattre , plus il est devenu l'objet des flatteries intéressées , des humbles et abjectes caresses de ce troupeau d'ambitieux médiocres, qui cherchent LES RÊVES ET LE PÉRIL. 479 à escalader le pouvoir par les chemins détournés de la popularité : La popularité, c'est la gloire en gros sous , a dit Victor Hugo ; cela leur importe peu : quelle que soit la monnaie, ils la sollicitent et l'acceptent. Nous n'en sommes plus aujourd'hui aux beaux jours de 1848 , où , publiquement, à la tribune de l'Assemblée, les dieux modernes expliquaient leurs théories ; où l'on inventait des commissions stériles, qui devaient << organiser le travail » ; où Pierre Leroux, Victor Considérant, Cabet essayaient d'arriver légalement et par la persuasion à la réalisation de leurs rêveries . A ce moment, qui sera une date très curieuse de notre histoire, ces délégués du socialisme avaient été choisis dans l'espoir qu'ils sauraient for muler les aspirations confuses dont les masses sont tourmentées ; ce bel espoir a été déçu, et maintenant le peuple de Paris veut expliquer et appliquer lui même ses idées . La différence est notable et peut s'exprimer d'un mot en 1848, on voulait obtenir ; à cette heure, on veut prendre. L'orgueil du peuple de Paris et la confiance qu'il s'inspire sans peine dépassent toute proportion ; les quatre mois et demi d'investissement qu'il a supportés lui ont fait perdre la tête . Pendant cette période , chacun s'ingéra à prouver au Parisien qu'il était un 480 LE PARISIEN. peuple héroïque ; il se laissa faire avec complaisance et il ne fallut pas de longs efforts pour le convaincre ; jamais grand Mogol, ni grand Lama, jamais Padischah , « qui est l'ombre de Dieu sur la terre, »> jamais Kalife abasside se voilant la face pour ne pas éblouir ses sujets, ne fut plus encensé, plus adulé, plus fla gorné par des gens de toute sorte et de toute condition : orateurs de clubs , académiciens , journalistes, diplo mates, hommes d'État et boutiquiers rivalisaient d'un zèle qui eût fait rire s'il n'eût soulevé le cœur . On avait peur du monstre démuselé, on voulait le calmer et chacun cherchait à lui passer la main sur le dos ; peine inutile ! le 18 mars couvait dans ces cerveaux faibles et violents . Lorsque le crime fut consommé, les flatteurs de ce peuple puéril et cruel durent se demander avec remords quelle part ils avaient dans un pareil désastre. «O Démos ! dit le choeur des Che valiers d'Aristophane, tu es un roi puissant, tout tremble devant toi ; mais on te mène par le bout du nez ; tu aimes qu'on te flatte et que l'on te dupe ; tu écoutes les orateurs, bouche béante, et ton esprit bat la campagne ! >> La bourgeoisie prêchait l'obéissance , la concorde, l'effort unanime dirigé contre l'ennemi qui battait l'estrade jusqu'à nos portes ; les déclassés de toutes les carrières, ceux qui , en haine de la poésie , veulent jeter Homère aux Quinze- Vingts, ceux qui , par jalou LES RÊVES ET LE PÉRIL. 481 sie personnelle , font « déboulonner »> nos colonnes triomphales ; tous ceux, en un mot, auxquels la for tune, le talent , la réputation d'autrui font horreur, disaient qu'il fallait se réserver pour l'action inté rieure, pour la revendication des droits méconnus. Ceux-là seulement furent écoutés ; on conspua les orateurs qui demandaient le salut de la patrie, pour suivre ceux qui promettaient l'interversion sociale . Ces rhéteurs sans patriotisme ni vertu , à qui tout moyen est bon pour se mettre en évidence, ne sont pas rares, car il y a en France plus de 400,000 individus dont le refuge ou le piédestal est Paris, dont la vanité seule égale l'ignorance et qui sont persuadés qu'ils sont nés pour être premiers ministres, Sully ou Riche lieu , à volonté. C'est là le défaut des sociétés sans hiérarchie ; qui dit sans hiérarchie , dit sans équilibre. Cette hiérarchie , le peuple de Paris voudrait la créer, en la reconstituant à son bénéfice exclusif. Il estime que son heure est venue et que la direction gé nérale doit lui appartenir. Il sait que nulle carrière n'est fermée à son intelli gence et à son activité ; il sait que sous le règne de Louis-Philippe, qui fut un gouvernement presque spécialement livré aux mains de la bourgeoisie, plus d'un ministre avait été ouvrier ou était directement issu de la classe ouvrière ; mais cela ne lui suffit pas ; ce sont là , dit-il , des exceptions ; il ne veut pas se con - ―――― Vi. 31 482 LE PARISIEN. tenter de détacher de lui les individualités remarqua bles qu'il renferme, pour les pousser au sommet, il veut y arriver en masse, non pas isolément, mais comme caste ; l'expression du nombre étant devenue le droit, il exige son avénement et accuse d'un déni de justice ceux qui le lui contestent. Le mot a été dit : ce sont les nouvelles couches sociales qui réclament le gouvernement des destinées du pays. Elles veulent faire contre la bourgeoisie la révolution qu'au siècle dernier celle-ci a faite contre la noblesse. Que des ouvriers ignorants , avides de jouir, grisés par une rhétorique frelatée, aient rêvé cette billevesée , cela n'a rien d'extraordinaire ; mais il est difficile de com prendre que des hommes de quelque intelligence, sortis de la classe moyenne, aient épousé une pareille idée, cherchent à l'exploiter à leur profit et n'aient pas vu que la réalisation en était impraticable. Lorsque la bourgeoisie, tout imprégnée des doc trines encyclopédistes, rédigea les fameux cahiers des états généraux et , sous la conduite des nobles qui la guidaient, Mirabeau, Lafayette et tant d'autres, engagea le combat contre la noblesse, elle visait les priviléges oppressifs ; elle voulait détruire un ensemble de droits hérités , concédés ou achetés, en vertu des quels les rapports d'homme à homme devenaient faci lement un outrage perpétuel exercé par l'un et subi par l'autre. La souveraineté diffusc, dispersée sur un ―――― ―― LES RÊVES ET LE PÉRIL . 483 nombre très-considérable d'individus , appartenant tous à une classe spéciale, constituait pour le reste de la nation une insupportable infériorité morale pri viléges pour les provinces, pour les villes , pour les hameaux, pour les églises, pour les communautés re ligieuses , pour les personnes ; négation de la justice par le droit d'asile ; entrave aux transactions commer ciales par le droit de péage et le droit de transit ; obstacle à l'émission de la pensée par le privilége des imprimeurs ; obstacle au développement des vertus militaires par le droit réservé aux seuls nobles de parvenir aux grades supérieurs ; suppression de la liberté individuelle par simples lettres de cachet ; ces priviléges et tous ceux que l'on pourrait énumérer n'avaient rien d'idéal ; ils étaient chose sérieuse et tangible ; ils représentaient une puissance d'autant plus vexatoire qu'elle était répandue en plus de mains . De leur destruction, de la nuit du 4 août, date réelle ment l'émancipation humaine et l'intronisation d'un monde nouveau. Chez la bourgeoisie, il n'y a rien de semblable à détruire ; elle n'a d'autre privilége que celui de tra vailler, de jouir en paix de sa fortune acquise et de léguer celle-ci à ses enfants . Ce que l'on veut atteindre violemment chez elle, c'est la richesse, produit de son labeur et de son épargne ; il faut employer le terme usité en pareil cas : c'est le capital . On dit qu'il con 484 LE PARISIEN. stitue un privilége exorbitant : c'est un privilége sans réalité et absolument fictif ; car aussitôt qu'on l'atta que ou seulement qu'on l'inquiète, il disparaît, se fond, s'exile et ne laisse à sa place que d'inconcevables déceptions ; lorsque l'on tente de s'en emparer, on ne trouve plus rien. Le tableau des fonds publics , pendant les jours de troubles, contient des enseigne ments qui, par malheur, ne servent à personne ; à la fin du Directoire, le 5 pour 100 était à 6 francs, c'est à-dire que pour un capital une fois versé de 6 francs, on avait droit à 5 francs de rente. Le même fait, et plus grave encore, se reproduirait infailliblement si les fantômes qui s'agitent dans certaines cervelles prenaient un corps . Les hommes qui cherchent à se grouper pour par venir au but coupable qu'ils poursuivent, ont choisi un emblème ; ils ont pensé que le drapeau tricolore qui a mené au combat les soldats de 1792, que le chef couronné de la révolution française a planté sur toutes les capitales de l'Europe, qui a abrité les dix-huit années pacifiques de Louis-Philippe , que le général Cavaignac a tenu d'une main si intègre , qui a flotté sur Sébastopol démantelé et sur la tour de Solférino , qui , par ses trois couleurs réunies, symbolise la fusion des trois ordres, ils ont pensé que ce drapeau ne suf fisait pas à exprimer les tendances où ils se laissent entraîner, et ils ont arboré le haillon couleur de LES RÊVES ET LE PÉRIL. 485 sang, qui signifie destruction à outrance . Emblème de déception et d'appauvrissement, car ceux qui possèdent font vivre, par le travail rémunéré, ceux qui ne pos sèdent pas. L'inégalité des conditions est une loi sociale et une loi naturelle. Si tout le monde était également riche, tout le monde serait également pauvre ; nul ne produirait plus, nul ne travaillerait plus , et la nation qui réaliserait cette absurde utopie ne tarderait pas à mourir de misère. Que ce soit là l'idéal secret qui a essayé de se for muler à Paris pendant la Commune, on n'en doit pas douter ; un procès récent ne laisse subsister aucune obscurité à cet égard ; rien n'est plus clair qu'un do cument où l'on peut lire : « Les massacres doivent être la seule préoccupation du travailleur , dont l'in térêt est de se débarrasser complétement de ceux qui vivent de l'exploitation de l'homme par l'homme.... guerre à Dieu ! guerre à la propriété ! .... l'assassinat est un instrument indispensable par lequel il faut commencer....n'épargnons personne....morte la bête, mort le venin¹ ! » Diderot, dans le Neveu de Rameau, a écrit ce mot profond : « Dans la nature, toutes les espèces se dévorent ; toutes les conditions se dévorent dans la société . » L'important est de ne pas se laisser dévorer et de défendre une civilisation qui , comme 1 Voir la Gazette des Tribunaux du 22 avril 1874, p . 336. 486 LE PARISIEN. toute chose humaine, est perfectible, mais qui , dans l'état actuel, est basée sur un principe d'égalité irré prochable. Il est donc utile de regarder le danger en face et de savoir aussi exactement que possible quel avenir serait réservé à Paris , à la France, si le bouil lonnement des idées malsaines se précipitait par une révolution et devenait une réalité, La classe ouvrière de Paris , celle qui , avec une hu milité pleine d'orgueil , s'intitule le prolétariat , n'est point pénétrée tout entière par la haine et le besoin du bouleversement . Elle peut se diviser en trois caté gories distinctes qui se côtoient plus qu'elles ne se mêlent, et n'agissent d'instinct avec ensemble. que dans certaines circonstances politiques , telles que l'exercice du droit électoral . En tête, et formant une aristocratie très-respectable, se trouve le groupe de ce que l'on peut appeler les bons ouvriers, groupe très nombreux, empressé au travail, économe et de mœurs excellentes. L'esprit de parti ne les égare pas ; mais l'esprit de camaraderie, aidé du respect humain, les entraîne, et, lors des chômages imposés par les chefs grévistes, ils s'abstiennent de paraître à l'atelier ; ces hommes, qui sont le noyau d'où naît la bourgeoisie, qui d'ouvriers deviennent contre-maîtres, puis pa trons, sont l'honneur même du peuple parisien ; ils ont des vertus sérieuses et sont à la société ce que les sous-officiers sont à l'armée : une réserve où l'on peut LES RÊVES ET LE PERIL. 487 recruter des éléments de force excellents . Mais, en temps de troubles , ils ne doivent inspirer ni crainte ni confiance ; ils ne prennent pas part à l'insur rection , ils ne luttent pas contre elle : ils restent neutres. A l'opposé de ce monde probe et laborieux , grouille une population très-dispersée, particulièrement dan gereuse, et que les agents de la sûreté désignent sous le nom générique de la gouappe; elle sese compose de vagabonds, de voleurs , de repris de justice, de sur veillés en rupture de ban , de souteneurs de filles de bas étage ; je la connais. Lorsque j'ai eu à étudier la mendicité, l'indigence menteuse qui vit aux dépens de l'assistance publique, la cour d'assises, les détenus , les malfaiteurs, les prostituées, j'ai plongé jusque par dessous les bas - fonds ; j'en suis remonté, non pas désespéré de l'avenir, mais singulièrement ému. Il y a là , en effet, dans les substructions souterraines de l'édifice social, une armée prête à tout. On peut l'é valuer elle compte environ 45,000 hommes. Nulle idée politique, nulle recherche d'amélioration ne les guide ; ils sont au mal et à la violence . La plupart sont des malades, il faut le reconnaître intelligence em bryonnaire, ignorance inqualifiable, corps ravagé, prédominance des instincts brutaux, paresse invin cible , indifférence morbide ; ils représentent assez bien une sorte de choléra social qui éclate parfois sous 488 LE PARISIEN. l'empire de certaines occurrences exceptionnelles, mais qui fermente toujours à l'état latent . Ceux-là sont constamment disposés à toute action , pourvu qu'elle soit mauvaise. Lorsqu'ils se jettent dans un combat, celui-ci devient immédiatement cruel et sans merci. Ils sont des bras redoutables , lorsqu'une tête envieuse et méchante les dirige . On s'en aperçut pendant la Commune. Ces hommes ont entrevu là , à travers la lueur des incendies , une sorte d'Éden gros sier où les fleuves d'absinthe et de vin coulaient à vannes ouvertes, où la ruine universelle allait les faire les égaux des plus riches, où tout fuyait devant leur force, qui n'était que l'horreur inspirée par la férocité de leurs actes . Ce sont eux qui ont versé l'huile de pétrole et qui ont assassiné les otages . Ils n'ont point oublié ces jours de bombance ensanglantée, ils y pensent, ils y rêvent ; et, si l'on n'y veille, ils essaye ront de reconquérir ce paradis perdu, qui restera , dans leur souvenir, une légende à jamais regrettée . Entre ces deux groupes si dissemblables , je placerai le troisième, qui leur sert d'intermédiaire , car il cherche à ébranler la sagesse du premier, et il n'hé site pas à utiliser la bestialité du second. C'est là que l'on trouve le personnel des grévistes quand même, les apôtres de la libre pensée à laquelle ils ne com prennent rien , sinon qu'elle paraît en contradiction avec les idées respectées ; c'est de là que sortent les LES RÊVES ET LE PERIL. 489 ouvriers qui prolongent « le lundi » jusqu'à la fin de la semaine ; c'est là que fleurissent les orateurs d'a telier et de cabaret, ceux qui parlent de « revendi cation >» , de << droits imprescriptibles » , de « la tyran nie du capital » , de « l'exploitation de l'homme par l'homme » , et qui abusent, jusqu'à la nausée, de cette logomachie où les mots sont d'autant plus vides qu'ils sont plus rédondants. L'idéal de ces hommes est facile à définir l'égalité des droits ne leur importe guère , ils veulent l'égalité des jouissances . L'homme de cette catégorie n'est pas bon, nul rai sonnement ne le ramène, car il souffre d'une sensa tion persistante et tenace, qui est le mépris de sa con dition et la jalousie de celle d'autrui . De la civilisation qui l'entoure et lui fournit sa subsistance , il n'a remarqué que les côtés défectueux ; il a vu les enri chis tomber dans la paresse et dans les plaisirs, sinon dans la débauche ; il a vu que la sottise et la morgue des fortunes héréditaires n'étaient égalées que par la morgue et la sottise des fortunes acquises ; en regar dant les filles sorties du groupe auquel il appartient rouler carrosse, porter des falbalas, vivre dans la familiarité des princes, avoir livrée et se bâtir des hôtels , il s'est demandé à quoi servait le travail et l'é conomie qu'on lui vantait ; il a été irrité par un luxe dont il est le témoin éloigné et redouté ; il ne s'est pas dit que ce luxe excessif, agressif, insolent, lui 490 LE PARISIEN. . valait de gros salaires ; non, il s'est dit à quoi bon travailler, puisque ceux qui ne font rien ont toutes les joies ? De là, d'une âpre convoitise vers les jouissances matérielles est née l'idée de se substituer, n'importe par quel moyen, à ce que la haine de ces hommes appelle « les classes dirigeantes et privilégiées » . Leur principale préoccupation est de fonder, d'organiser dans la tribu ouvrière dont ils font partie, une asso ciation, une caisse , une société quelconque dont ils obtiennent la direction rémunérée, ce qui leur per met de quitter leur outil qui leur fait horreur et les humilie. Triste monde que celui-là emphatique, exagéré, discoureur, hypocrite néanmoins et dissimulant de son mieux le fiel qui toujours lui remonte aux lèvres ; le moyen âge l'aurait volontiers cru animé du souffle diabolique et l'eût exorcisé. Il ne serait pas dange reux cependant, s'il n'était la proie des déclassés de la petite bourgeoisie qui souffrent autant que lui de leur propre médiocrité et qui mettent tout en œuvre pour l'exploiter au profit de leurs ambitions personnelles . C'est sur ces malheureux qu'agissent les candidats évincés, les journalistes sans journaux , les avocats sans cause, les hommes d'argent sans crédit , les mé decins sans clientèle, et la nuée de ces novateurs qui bouleverseraient le monde pour amener l'essai de leur système. LES RÊVES ET LE PÉRIL. 491 Du double travail de ces deux envies , qui se tou chent par tant de points, qui s'excitent par le contact , s'irritent et se complètent, sortira peut-être un jour la plus grande convulsion sociale que jamais l'on ait vue . Dirigés par les envieux de la bourgeoisie , les envieux du prolétariat, entraînant à leur suite et poussant le troupeau de bêtes féroces qui remue dans les bas fonds, donneront à la civilisation actuelle un assaut formidable . Par ce qu'ils ont déjà fait, on peut deviner ce qu'ils feront . Il ne faut pas croire que l'incendie de Paris a été une œuvre spontanée , barbare , mais inspirée par le désespoir de la défaite ; ç'a été un acte prévu , médité longtemps d'avance et promis, comme une vengeance due et légitime, à la tourbe que l'on agitait dans ce but. Avant le 18 mars, on saisissait une lettre émanant d'un des futurs membres de la Commune, écrivain déjà vieilli , connu par quelques succès de théâtre et par des pamphlets où l'injure remplaçait la verve ; dans cette lettre on peut lire : « La république de 71 ne sera pas comme celles de 48 et de 95, où ont coulé seulement quelques gouttes du sang des riches ; on tiendra compte et grand compte de leurs infamies ; il faut un exemple : que ce soit la terreur. Prolétaires, votre tour est venu levez-vous ! Vous avez des armes ; à vous la torche ! Laisserez- vous debout les palais et les châteaux? Une rue ne sera t-elle pas tracée à travers les Tuileries et le Louvre? 492 LE PARISIEN. Le pétrole peut couler au besoin dans les rues de Paris ! >> Si un homme que des œuvres littéraires ont si gnalé, qui a été commissaire du gouvernement en 1848 et représentant du peuple à l'Assemblée natio nale, qui n'a jamais eu à souffrir de la misère, a parlé ainsi , ne rend- il pas, jusqu'à un certain point, excu sables les forcenés qui , afin d'obéir à son cri de com bat, ont commis le crime, pendant qu'il prenait la fuite pour se soustraire au danger ? La semence jetée par ces fauteurs de violences , au milieu des ouvriers mauvais, n'a point été emportée au vent ; elle a germé, mais elle n'a point encore pro duit les fruits qu'ils espéraient . Du nombre des idées confuses , des projets contradictoires, des rêvasseries utopiques, dont on a fatigué la tête de ces pauvres gens, il se dégage, non pas un corps de doctrines, mais un ensemble de desseins qu'il est bon de résu mer, car ils forment ce que l'on pourrait appeler les « vœux des nouvelles couches sociales >> . On veut faire de l'État une sorte d'administrateur général et déposséder les patrons de l'industrie au bé néfice des associations ouvrières . Pour parvenir à ce but, on attribue à l'État les chemins de fer , les canaux , la Banque de France, toutes les grandes institutions de crédit, toutes les compagnies d'assurances ; les pro priétaires et les actionnaires seraient désintéressés par LES RÊVES ET LE PÉRIL. 493 des coupons de rente à trois pour cent au pair ; si cette « opération » réussissait , on se promet d'abolir l'impôt sur les boissons, sur le sel , les octrois et les douanes ; on dégrèverait la terre, on frapperait le re venu d'un impôt progressif, on supprimerait le bud get des cultes ; l'armée serait dissoute et remplacée par la garde nationale soldée . Ce n'est pas tout, et dans le projet de « l'État père de famille » , on en fait un fabricant . Le revenu considérable fourni par les manufactures de tabacs, et qui est une ressource très-importante pour nos finances, a fait imaginer une combinaison par laquelle l'État s'empare du monopole d'un grand nombre de denrées indispensables, telles que les savons, les draps , les huiles, les papiers et les métaux. Si l'on ne res pecte pas les industries privées, on ne respecte guère les charges privilégiées : les notaires , les agents de change, les avoués, les commissaires- priseurs cèdent la place à des fonctionnaires chargés de faire la be sogne, nommés, payés, au besoin révoqués par l'auto rité municipale de la commune dans laquelle ils exer cent. 1 C'est une vieille idée qui depuis longtemps hante les cervelles révo lutionnaires ; la Société démocratique française tenant séance à Londres proposa le 19 novembre 1839, et fit adopter, le 14 septembre 1840, la motion suivante : « Le gouvernement devra se faire, au profit de la na tion, premier manufacturier, directeur suprème detoutes les industries, avoir une seule caisse et une seule direction pour elles . » 494 LE PARISIEN. Comme on le voit , la part de l'État est assez belle , il saisit les œuvres vives de la nation , et grâce au mo nopole devenu une sorte de dogme obligatoire , il est le maître et le directeur de nos destinées ; mais par ce moyen il ne s'empare pas du « capital » , il le dé truit . Une fois que ce travail est opéré et les initiés affirment qu'un trait de plume suffira — la classe ouvrière intervient et demande à faire valoir ses droits. Elle trouve juste que la race agricole soit rendue propriétaire du sol qu'elle cultive , et elle demande pour elle-même le droit exclusif d'exercer l'industrie qu'elle soutient de son travail . Le moyen est facile, on l'a employé pendant la Commune ; à l'aide d'un arrêté de confiscation , on dépossède les patrons et l'on remet l'exploitation de leurs usines à une association d'ouvriers ; rien n'est plus simple en vérité, et cette vieille histoire a été racontée depuis longtemps dans la fable les Membres et l'Estomac. ―― Si l'on peut agir de la sorte pour les grandes in dustries, il n'en est plus de même lorsque l'on se trouve en présence de cette masse énorme de corps de métiers qui sont nécessaires dans une ville comme Paris, et qui font vivre tout un peuple ; là le procédé est autre et l'on résout d'une façon arbitraire le pro blème du « droit au travail » . Pour les rêveurs qui nous occupent, un métier est une propriété analogue à un immeuble, il doit rapporter tous les ans une somme LES RÊVES ET LE PÉRIL. 495 déterminée ; afin de parvenir à ce résultat qui semble chimérique, le métier ne sera mis en œuvre que par un nombre limité d'individus , de façon que le travail et par conséquent le gain soient exclusivement assurés à ceux qui auront obtenu de l'exercer . Pour bien faire comprendre le mécanisme de cette conception, je prendrai un exemple. On calculera, je suppose , le nombre de menuisiers qui sont nécessaires aux besoins de Paris ; on le fixera à 1,500 , et l'on décré tera qu'il n'y aura à Paris que 1,500 menuisiers ; de telle sorte qu'ils n'attendront jamais le travail et que le travail les attendra toujours. Derrière eux, on auto risera une compagnie d'apprentis qui participeront à la besogne, ne toucheront aucun bénéfice régulier et formeront la réserve des surnuméraires, où l'on choi sira les remplaçants des ouvriers titulaires que la mort ou l'âge de la retraite auront atteints . ――― ― Au fond du cœur de plus d'un ouvrier parisien on pourrait voir s'agiter ce rêve, où l'on retrouve les jurandes , les maîtrises, les corporations privilégiées du moyen âge, que 1789 a détruites . C'est là , jusqu'à présent, le plus clair de ces visées ; c'est à ce retour vers le passé, à cet effort rétrograde qu'aboutissent les prétendus essais de rénovation sociale par lesquels on leurre l'ouvrier , on le dégoûte de son métier , on l'en traîne à des tentatives qui n'ont encore produit que la ruine et dont il est le premier à souffrir. L'idée que 496 LE PARISIEN. l'individu est propriétaire exclusif de son métier et que nul autre que lui n'a le droit de l'exercer s'est déjà fait jour plusieurs fois , et s'est naturellement affirmée par la violence. Lors de la grande grève des cochers de fiacre en 1865 , on ne put tenir compte des exigences des por teurs de fouet et on les remplaça, sur leur siége, par des hommes pris un peu au hasard , mais qui du moins pouvaient continuer tant bien que mal l'exploi tation d'une entreprise dont les proportions et les né cessités sont analogues à celles des services publics. Les cochers grévistes ne l'entendirent point ainsi ; les nouveaux venus furent assaillis , assommés, et la jus tice eut à se montrer sévère pour les coupables . Aux observations des magistrats, ceux- ci ne cessèrent de répondre : «Puisqu'ils ne sont point cochers, pourquoi conduisent-ils nos voitures ? >> Donc tous ces projets informes ont pour but de décapiter la grande industrie au profit de l'État et de régler la constitution des corps de métiers de façon à assurer un bénéfice considérable à tout individu admis au rang d'ouvrier ; mais il est une mesure qui a été longuement étudiée et qui s'adresserait à la généralité des fortunes, si jamais elle était adoptée : l'héritage serait aboli dans les lignes collatérales et le produit en serait versé au Trésor ; dans la ligne directe il acquitterait une taxe équivalant à la quotité disponi LES RÊVES ET LE PÉRIL. 497 ble ; le droit de tester n'existerait plus . En revanche, l'État devrait distribuer gratuitement l'enseignement à tous les degrés et fournir à chacun l'instrument de travail dont il a besoin expression vague et d'une élasticité inconcevable, car, si l'instrument de travail d'un vannier est un couteau et un bottillon d'osier, l'instrument de travail d'un fabricant de machines à vapeur peut exiger plusieurs millions. Tout ce qui précède a de quoi faire hausser les épaules, j'en conviens ; mais il faut en tenir compte cependant, car l'insurrection de juin 1848 , la Com mune de 1871 avaient pour but et auraient eu pour résultat, si elles avaient triomphé, d'imposer l'appli cation de ces idées . D'où viennent celles-ci ? De deux courants contraires qui se sont rencontrés et ont pro duit ce marécage où, comme l'on dit vulgairement, on essaye de pêcher en eau trouble. Le premier a été formé par des fragments de doc trines ramassés au hasard à travers les œuvres contra dictoires de Saint- Simon , de Fourier , de Cabet et des autres dieux qui cherchèrent à fonder des religions nouvelles. Leur théorie de l'égalité de l'homme et de la femme, de la science et de l'industrie , de l'art et du commerce, de l'esprit et de la matière, les entraînè rent forcément vers un matérialisme plus apparent que réel, mais qui séduisit avec rapidité des hommes mécontents de leur condition et aspirant à y échapper. Th 32 498 LE PARISIEN. Ce courant aboutit nécessairement à la négation de toute liberté. Au temps de ma jeunesse , j'ai côtoyé de fort près ces novateurs et j'ai conservé pour quelques uns d'entre eux un sentiment de profonde vénération ; au fond, tous étaient des prêtres. Que leur devise ait été celle des fouriéristes : « à chacun selon ses besoins ; » qu'elle ait été celle des saint- simoniens : << à chacun selon sa capacité ; à chaque capacité selon ses œuvres, >>> tous, sans exception , étaient des autoritaires . Lorsque Cabet tenta l'organisation pra tique de son système en Amérique, il interdisait de fumer dans les rues d'Icarie, parce qu'il n'aimait pas l'odeur du tabac. ―――― Leur idéal était tout fait, et, sans peut-être qu'ils s'en soient nettement rendu compte, ils n'en ont jamais eu d'autre : ils avaient modelé l'État de leur rêve sur le catholicisme, sur cette hiérarchie univer selle , très-bien pondérée et tenue en équilibre par le dogme de l'obéissance passive ; dans leur pensée, ils se substituaient au Pape; leur Jérusalem céleste était bâtie à l'image de la Rome orthodoxe ; ils construi saient une pyramide sociale et se plaçaient naturelle ment au sommet. Comme ils étaient « toute la vérité » , eux aussi se sentaient infaillibles ; par conséquent, ils repoussaient la discussion, supprimaient la liberté mauvaise conseillère et invoquaient au besoin le bras séculier, c'est-à-dire l'autorité armée de lois et de LES RÊVES ET LE PÉRIL. 499 gendarmes, pour faire respecter leurs décisions . L'un d'eux, un homme d'une intelligence extraordinaire et d'un grand cœur, m'a dit souvent : « Il faut savoir vio lenter l'humanité pour la rendre heureuse. » L'autre courant est issu des doctrines émises par une association dont on a beaucoup parlé depuis quel ques années : l'Internationale ne fait acception ni de race, ni de pays ; elle ne tient compte ni des caractères différents , ni des mœurs diverses , ni du climat , ni des religions ; dans le genre humain, elle ne voit qu'un ordre de créatures , le Prolétariat , auquel elle veut donner les autres classes en pâture . Cela est net. Les principes socialistes , mal digérés, commentés par des esprits vulgaires et présentés d'une façon très-incom plète, ont développé chez les ouvriers les instincts matériels et le dédain de la liberté ; par d'autres moyens, les prédications de l'Internationale sont arri vées au même résultat. Le peuple ne parle pas , il n'a donc pas besoin d'o rateurs ; il ne lit pas, il n'a donc pas besoin de jour naux la liberté de la tribune et la liberté de la presse sont inutiles ; en outre, comme les doctrines préco nisées peuvent n'être pas du goût de ceux contre les quels on compte les faire prévaloir, on les appliquera par la force, si veut le roi, si veut la loi . — Mais ces préceptes ont une action désespérante , car ils sup priment l'idée de patrie. La patrie de l'ouvrier, c'est ―――――― 500 LE PARISIEN. désormais sa caste, n'importe où il se trouve ; le pro létariat de Berlin et le prolétariat de Paris peuvent se donner la main par- dessus le sang et la famine, car les intérêts qui s'agitent entre les deux pays ne tou chent en rien aux droits revendiqués par l'Interna tionale¹ . L'intérêt de la caste fait donc mettre en oubli l'in térêt de la nation . Cela tient à ce fait peu remarqué, que le souffle qui a animé le grand corps de l'Inter nationale et lui a donné vie, est un souffle juif ; son grand maître, son inspirateur est un israélite. Or les israélites , si honorables , si probes, si bons citoyens qu'ils soient, n'ont jamais que des patries adoptives ; ils respectent la loi des pays qu'ils habitent , ils y donnent souvent l'exemple de bien des vertus, mais ils ignorent cette tendresse mystérieuse qui tient aux fibres les plus profondes de l'âme, cette joie du sacri fice, cette espérance qui survit à tout, cet orgueil par fois insensé, qui forment l'amour de la patrie. Depuis l'an 70 , ils ont répandu leurs colonies à travers le monde, gardant intacte la religion de leurs pères, les L'ultramontanisme arrive exactement aux mêmes conséquences. Le Journal le Monde a écrit, en août 1874, la phrase suivante, qu'il est bon de retenir a Certains organes libéraux de Paris , la Presse entre au tres, ont prétendu que la première prière des Français devait être pour la patrie. C'est là une erreur grossière . Le catholique met l'Église avant la patrie, et avec raison, car l'Église est l'institution unique dans la quelle l'homme peut arriver au salut . » LES RÊVES ET LE PÉRIL. 501 coutumes de leur race, mais n'ayant d'autre patrie réelle que la synagogue, où ils évoquent le souvenir du temple détruit . non, Prédominance des instincts matériels caressés par le socialisme, affaiblissement de l'idée de patrie, ébranlée par l'Internationale, mépris hautain pour la liberté , dont l'un et l'autre n'ont que faire, voilà, en somme, les trois points saillants que l'on distingue lorsque l'on étudie sérieusement l'ensemble très-em brouillé des doctrines , des rêveries du prolétariat. Cela n'aurait rien de rassurant pour l'a venir, si les moyens d'exécution correspondaient aux aspirations . Ces hommes, ces ouvriers intermédiaires et théoriciens qui abandonnent si volontiers l'outil pour la parole, disent qu'ils sont un peuple de frères. Étrange fraternité pour qui est descendu parmi eux et les a attentivement regardés. Ils se méprisent entre eux avec une intensité que l'on croirait dogmatique et empruntée aux lois religieuses des Indous. Jamais brahmane n'a eu plus de dédain pour un coudra qu'il n'y en a entre les divers corps de métiers qui forment l'industrie de Paris. C'est insulter un ouvrier joaillier que de l'appeler bijoutier ; un charpentier rougirait d'être pris pour un menuisier. J'ai entendu un char retier se disputer avec un cocher de fiacre ; ils étaient hors de la portée du fouet et ne se ménageaient point les injures ; le charretier dit : « Un cocher de fiacre, ______ - 502 LE PARISIEN. c'est la lie du peuple, chacun sait ça ! » Le pauvre cocher baissa la tête, fouetta ses chevaux et s'enfuit. Mais s'ils se haïssent et le prennent individuelle ment de très-haut vis-à-vis les uns des autres, ils se défendent collectivement, font cause commune et es pèrent bien arriver ensemble, d'un seul coup . Ils se comparent aux anciens chrétiens ; ils en ignorent l'histoire , mais la légende est venue jusqu'à eux ; les gentils persécuteurs et le monde romain, c'est la so ciété actuelle ; les martyrs , ce sont ceux des leurs qui sont tombés au jour des revendications à main armée ; de même que le christianisme s'est substitué au paga nisme mort de vieillesse et de diffusion , ils veulent se substituer à l'ordre de choses en vigueur ; les plus sages, ayant dénombré l'immense légion , comptent sur le suffrage universel librement exercé ; les plus ardents, les impatients rêvent une levée générale , qui par le seul poids de sa masse ferait crouler le vieux monde. Ce n'est pas tout de vouloir détruire un ensemble d'institutions consenties et d'en improviser d'autres ; il faut le pouvoir. Ces songe-creux ne savent pas que, pour modifier les relations économiques qui font la sécurité des peuples, ce n'est pas trop de la science , de la sagesse, du dévouement d'hommes exceptionnel lement instruits , réfléchis et sagaces ; ils ne savent pas que le temps, aidé de l'expérience des générations , LES RÊVES ET LE PÉRIL. 503 peut seul résoudre les problèmes enclos dans certaines questions. Les décrets n'y font rien , et de la parole aux actes il y a longue distance. Le Directoire aux abois jeta , d'une seule émission , sur le marché public 20 milliards d'assignats qui ne lui rapportèrent pas 100 millions . Si la Commune avait réussi à s'emparer de la Banque de France, le billet de 1,000 francs, malgré le cours forcé, n'aurait pas valu 10 centimes. C'est là le sort qui attend invariablement leurs tenta tives ; la ruine universelle ne les enrichira guère. S'ils sont assez bien d'accord sur le but général vers lequel ils tendent, ils ne sont pas parvenus jus qu'à présent à s'entendre sur les moyens de l'at teindre . Ils sont divisés à l'infini , et leur ignorance radicale, à peine dissimulée par des phrases ron flantes, les met hors d'état de trouver une formule pour leurs idées ; or une idée n'est et ne devient ap plicable qu'à la condition d'être définie . Certes les associations ouvrières, les sociétés de secours , les chambres syndicales , les groupes mystiques du com pagnonnage ne manquent pas. Il n'est guère actuel lement de corps de métier qui, sous un prétexte ou sous un autre, n'ait son lieu de réunion , de discus sion , et des délégués que l'on envoie au besoin confé rer avec les ouvriers étrangers . A l'image de ce qu'ils voient faire dans les assemblées parlementaires, ils se divisent volontiers en commissions, en sous-com 504 LE PARISIEN. missions, en comités. Il est fort rare que dans le même groupe exerçant la même profession , ayant , par conséquent, les mêmes intérêts, les avis partagés ne donnent lieu à des discussions passionnées où cha cun fait de l'opposition pour son propre compte et dont il est impossible de voir jaillir une lumière quelconque. C'est la toile de Pénélope, incessamment défaite, incessamment refaite. Les théories s'expriment en termes nuageux que chacun approuve ; mais dès qu'il s'agit de les con denser et de les faire passer à l'état pratique, néant ; on tombe dans une stérilité sans nom qui décourage les plus avisés, surexcite les niais, mais qui fait dire à tous Qu'importe? notre jour viendra ! Autant de corps de métiers, autant de tendances différentes ; au tant de commissions, autant de visées particulières ; autant d'hommes, autant d'opinions individuelles . Actuellement, le socialisme du prolétariat est une religion qui n'est composée que de schismes. On croit que les ouvriers ont compris l'extrême im portance de la force savante, c'est- à-dire de l'organi sation ; on croit qu'en toutes circonstances ils reçoivent un mot d'ordre et y obéissent passivement comme des moines ou comme des soldats. C'est une erreur . Cette erreur est naturelle, et elle a pris naissance à la suite de certaines élections politiques où l'habitant de Paris a voté avec un ensemble extraordinaire. C'était le ré LES RÊVES ET LE PÉRIL. 505 sultat d'une discipline de fait , et non point le résultat d'une discipline organisée. Tous les hommes qui ont en haine notre état social et qui voudraient le renver ser, acceptent, sans hésitation ni discussion , le candi dat qui leur paraît le plus apte à le combattre : affaire de lutte, voilà tout . Les comités électoraux , les jour naux de l'opposition ne veulent pas être distancés sur cette voie où la fortune appartient au plus violent, et ils sont forcés, pour ne point perdre leur prestige , de patronner une candidature qui bien souvent porte préjudice à la cause qu'ils défendent. Qu'il y ait quelque part un conclave , c'est le mot usité, composé de trois membres, qui , au moment des élections, fait un choix déterminé par des considéra tions qu'on ne fait pas connaître , je n'en doute guère ; mais que ce conclave soit en rapport avec les délégués des ouvriers, que les délégués imposent leur volonté aux chambres syndicales, que les commissions la transmettent aux ateliers , - non. Il suffit simple ment aux membres du conclave de disposer d'un jour nal et d'y lancer la candidature sur laquelle ils se sont fixés ; si cette candidature est plus accentuée que toute autre dans le sens de l'opposition à outrance, elle sera immédiatement accueillie et unanimement soutenue par le corps du prolétariat, agissant dans ce cas comme un seul homme, pour frapper une société qu'il ne veut plus supporter . C'est l'histoire de l'élec 506 LE PARISIEN. tion Barodet que je viens de raconter . Le jour où l'on saura comment et par qui elle a été mise en avant , quel est le parti qui l'a imaginée et quel est le parti hostile au premier qui l'a fait triompher en lui don nant l'appui de ses journaux, on entendra plus d'un éclat de rire . La politique proprement dite est absolument indif férente au peuple de Paris : empire, monarchie, ré publique lui importent peu ; s'il penche vers celle-ci , c'est parce qu'elle ouvre nécessairement la porte à plus d'un hasard dont on peut profiter . Il a raison lorsqu'il dit que ce sont là des formes extérieures qui ne tou chent en rien au fond des choses. Il est toujours de l'opposition , non pas politiquement, mais socialement. Démocrate par théorie, démagogue par instinct, il secoue de toutes ses forces et par tous les moyens dont il dispose les conventions sociales sous lesquelles il se croit écrasé. Il va si loin dans la perversité de ses con ceptions qu'il consentirait volontiers à souffrir, pourvu que les classes dirigeantes souffrissent aussi . A la sor tie d'une salle de scrutin de ballottage en 1869 , j'ai entendu deux ouvriers causer ensemble. Pour qui as-tu voté? demanda l'un . L'autre répondit : J'ai voté pour Satan ; au moins, si celui-là est nommé, il f... le feu partout. -Le feu partout ! il y en a plus d'un que ce rêve obsède . Sommes-nous bien certains de ne jamais voir arri - - " LES RÊVES ET LE PÉRIL. 507 ver légalement au pouvoir les mandataires de ces pen sées terribles ? Le suffrage universel a de singulières surprises ; la lassitude, l'envie, les espérances extra vagantes peuvent pousser en avant des candidats dont la vraie place serait à Charenton ; car beaucoup de ces gens, hâtons-nous de le dire , ne sont pas irrépro chables au point de vue de l'intégrité des facultés in tellectuelles . Le bulletin de vote est une arme invin cible lorsqu'elle est maniée par la troupe la plus nombreuse ; elle a cela pour elle que l'on peut s'en servir en toute sécurité de conscience ; si la blessure qu'elle fait à la civilisation est mortelle, la civilisa tion aura cette consolation d'avoir été tuée dans les règles. C'est aussi une arme à double tranchant ; elle a tué, elle tuera ceux qui veulent la briser , de même qu'elle tuera comme elle a déjà tué ceux qui la res pecteront . C'est là le fait des institutions illimitées qui ne sont basées sur aucune appréciation morale. « Je ne compte pas mes amis, disait Montaigne ; je les pèse. » La qualité n'est comptée pour rien, la quantité seule est la grande maîtresse des destinées¹ ; si elle a la pa tience de continuer son œuvre, elle triomphera et l'avenir lui appartiendra : avenir sans horizon , dont Le péril est bien moins dans le suffrage universel que dans a candidature universelle, qui est l'absurdité la plus dangereuse dont une nation puisse avoir à redouter les conséquences. 508 LE PARISIEN. la durée ne sera qu'éphémère, mais qui lui permettra du moins d'essayer de marcher dans son rêve et lui donnera le temps de produire des maux incalculables . Les décrets sont libellés, il ne s'agit plus que de les signer au jour du triomphe : « Déclarons la dissolution de toute police ; mettons la surveillance à la vigilance de chaque citoyen ; déclarons l'abolition des codes , lois et décrets existants , l'abolition de la magistrature, et remplaçons les institutions existantes, cour d'assi ses, tribunal correctionnel, etc. , par un tribunal po pulaire ; abolissons les impôts directs et indirects et les remplaçons par une taxe sur la fortune et la propriété ; déclarons l'abolition de l'armée permanente¹ . » De tels projets mis à exécution, revêtus d'une légalité farouche qui peut sortir inopinément des urnes électo rales, briseraient immédiatement tout ressort de ci vilisation, et Paris agonisant n'attendrait plus que l'heure de sa mort. Ce n'est pas là un des moindres périls qui nous menacent ; il est contenu dans notre constitution sociale, et il a été créé par ceux qui , après l'échauf fourée de février 1848, ont cru , un peu naïvement, s'attacher à jamais le dévouement des classes popu laires . La diversité des moyens proposés pour « liqui der la société » sera seule un moyen de salut, si 1 Voir la Gazette des Tribunaux du 23 avril 1874, p. 290. LES REVES ET LE PÉRIL. 509 jamais cette heure funeste doit sonner. Pendant que les chefs du mouvement se disputeront et vanteront les uns contre les autres l'application de leurs théories personnelles, les forces vives du pays les forces conservatrices auront peut-être le temps de se re connaître, de s'organiser et d'entrer de haute lutte dans cette détestable arène. C'est ce qui s'est passé sous la Commune. Pendant que les énergumènes de l'Hôtel de Ville et des comités , aveuglés par leur vanité individuelle, cherchaient à satisfaire leurs haines par ticulières et ne trouvaient pas d'introuvables formules , la résistance se préparait et la France finissait par reconquérir sa capitale . Je sais que l'on va dire : Jamais telles et si dou loureuses occurrences ne se représenteront ; jamais l'on ne reverra un peuple entier armé pour la guerre et que ses chefs ont réservé pour l'émeute ; jamais les pouvoirs publics n'abandonneront encore Paris livré à un accès de folie . Une telle opinion est puérile ; je le répète, après l'insurrection de juin 1848 , nous avons tous dit Jamais une semblable conflagration ne se pourra reproduire . Ces soulèvements furieux , qui nous semblent des faits isolés, sont la résultante d'un état général morbide, comme un abcès est l'indice d'une constitution vicieuse ou viciée. Une bataille pareille à celle dont nous avons été les témoins désespérés pour rait-elle encore s'engager sans mettre désormais en · - - 510 LE PARISIEN. question l'existence même de Paris ? Nous ne le pen sons pas. Dans un combat de cette nature, où les deux parties adverses lutteraient pour défendre des réalités et des rêves , tout est à craindre, car les guerres civiles sont particulièrement terribles. « Une haine éternelle , une haine de frères, » a dit Ugo Foscolo. Dans leurs con ciliabules secrets, ceux qui ont gardé au cœur l'espoir d'une revanche prochaine disent : « Nous avons brûlé trop tard ! » et ils regrettent de n'avoir pas fait un usage plus complet de ce qu'ils appellent « l'application de la science à la revendication des droits du travail leur » . Il faut avoir le courage d'aller jusqu'au bout et de raconter sans pâlir le sort que ces fous agités réservent à Paris. Deux fois déjà j'ai personnellement assisté à cette << application de la science » . Au mois de juin 1848 , des gardes nationaux, cherchant à enlever une barri cade qui coupait le faubourg Poissonnière aux envi rons de l'hôpital alors en construction , furent ac cueillis par des jets corrosifs d'acide sulfurique qu'on leur lançait à l'aide d'une pompe à incendie. Dans le temps, cela nous parut monstrueux ; nous ne savions pas alors que les chefs des mouvements futurs devaient écrire « C'est la guerre barbare qu'il nous faut. Nous ne voulons ni réformer l'État , ni le conquérir : nous voulons le détruire . » Cet emploi des produits LES RÊVES ET LE PÉRIL. 511 chimiques utilisés par l'émeute fut , en quelque sorte, le premier acte de la tragédie que l'on « répète » dans la coulisse, en attendant qu'on la joue sur la scène. Le second acte, c'est la Commune. J'ai passé une nuit sur le toit de la maison que j'habite , saisi d'hor reur et de dégoût, à regarder brûler Paris . J'évoquais dans mon souvenir tous les cataclysmes que l'histoire nous a racontés , et je n'en voyais pas de plus effroyable, de plus criminel. Je ne sais pourquoi je tenais invin ciblement mes yeux fixés sur la flèche de la Sainte Chapelle qui , parmi les flammes rouges, se dessinait comme un mince obélisque noir ; j'y avais attaché une sorte d'espérance confuse, et je me disais : « Tant qu'elle ne flambera pas, le Palais de Justice sera sauf. Je savais ce que les greffes de celui - ci contenaient ; je connaissais les richesses à jamais perdues que renfer maient les archives de la Préfecture de police, celles de l'Hôtel de Ville , celles de l'Assistance publique . Les tourbillons, fouettés par le vent au-dessus des Tuile ries , me laissaient croire que notre Louvre , cette gloire de tous les arts humains, allait s'abîmer à toujours. Un bruit strident et régulier venait jusqu'à moi, à travers les grands espaces : c'était le sifflement des gueuses de plomb fondu qui, coulant de l'entrepôt général de la Villette, faisaient bouillonner les eaux du canal Saint-Martin. Cette note aigre se détachait sur 512 LE PARISIEN . une basse continue qui était la crépitation des coups de fusil. Qu'est- ce donc que la noche triste, dont les compa gnons de Cortez avaient conservé la mémoire, en com paraison de cette nuit sinistre ? Tant de ruines accu mulées étaient le résultat d'une nouvelle application scientifique. L'emploi des huiles minérales a fait passer un fleuve de feu sur nos palais et sur les témoins de notre histoire. Le pétrole est devenu un dieu : il a ses dévots, il a un culte. Dieu éphémère, rejeté au rang des idoles dont la puissance est douteuse et déjà ridiculisé par ses anciens adeptes . On le trouve lent , inefficace dans bien des cas et trop timide lorsqu'il a affaire à des pierres de taille que le temps n'a pas encore desséchées ; il s'arrête et recule devant elles, comme on l'a vu au pavillon neuf des Tuileries , qu'il a laissé intact . Pour le troisième acte de la tragédie, qui , selon ces drama tiques personnages, doit être le dernier, on compte adjoindre au pétrole ces matières explosibles qu'il est inutile d'énumérer, car chacun les connaît. Ceux qui ont inventé les bombes à main, qui ont chanté l'hymne à « la petite balle » , veulent des moyens expéditifs, et, comme ils disent, en finir une bonne fois pour toutes . Pendant la longue lutte qui a duré cent soixante-huit heures, ils ont combattu et assuré leur retraite en allumant l'incendie sous les LES RÊVES ET LE PÉRIL. 513 pas des soldats : vieille tactique abandonnée et qui n'est plus digne des hommes du « monde nouveau » . Do rénavant on fera d'abord sauter des quartiers entiers, puis on y versera le pétrole, ensuite on se battra si quelqu'un survit encore . Que le lecteur ne s'imagine pas que je suis la proie d'un cauchemar et que je prends mes funèbres rêveries pour des possibilités admissibles ; je n'ai rien avancé dont je n'aie eu la preuve en main. Rendre la population de Paris responsable de ces horreurs préméditées, ce serait commettre un crime de lèse-nation ; mais l'armée prête à entrer en cam pagne avec ce plan de destruction combinée, si l'on met obstacle au renversement social qu'elle entrevoit à travers les fumées de l'absinthe et de la vanité, cette armée est nombreuse. Je le dis de nouveau, car on ne saurait trop le répéter : elle a pour soldats la grande phalange des vagabonds, des insoumis, que la chiourme pas ferrés au banc des bagnes et qui se jettent avec joie dans toute bataille , pourvu qu'elle soit à outrance et qu'il y ait des aubaines ; elle a pour sous- officiers , pour officiers subalternes la tourbe des ouvriers ivro gnes, rêveurs et abusés ; pour chefs, elle a ces dé classés de la bourgeoisie que la paresse a repoussés hors de la voie droite, qui ont essayé de tout, n'ont pris racine nulle part, qui se sont fait des principes avec leurs rancunes, des opinions avec leurs ambitions n'a VI. 33 514 LE PARISIEN. justement déçues et qui , en haine de toute supériorité, voudraient courber le monde sous le niveau de leur implacable médiocrité. Si cette légion du drapeau rouge se lève en armes contre nos institutions , si elle n'est pas refoulée, étouffée sur place , si elle a une heure de victoire , c'en est fait de Paris : Di omen avertant ! Le danger que Paris renferme à l'état latent comme un volcan qui couve, est réel ; la guerre intérieure est, à ce point de vue, bien plus à craindre que la guerre étrangère . Des villes peuvent être mises à sac, lorsque l'assaut les a forcées ; mais quelle armée ennemie serait assez dénuée d'intelligence pour tenter une telle aventure contre nos murailles ? En admet tant que les rigueurs de l'avenir réservent un nouvel investissement à Paris, celui-ci brisera les lignes de ses adversaires, donnera la main aux troupes en cam pagne et se délivrera ou il échouera dans ses efforts ; et, renfermé sur lui-même, dévoré peut-être par ses convulsions intestines, il attendra l'heure lugubre de la faim qu'il a déjà entendue sonner. Plus les villes de guerre sont populeuses , moins il est facile de les défendre efficacement : la famine y fait son œuvre plus vite et mieux que la stratégie ; deux millions d'habitants sont une cause d'affaiblissement à laquelle nul héroïsme ne peut résister. L'ennemi, vainqueur par capitulation discutée, respectera cette LES RÊVES ET LE PÉRIL. 515 ville, dont la splendeur affaiblie a encore de quoi sur prendre ; Paris ne sera pas tué, Paris se tuera lui même. Certaines maladies conduisent fatalement au suicide ; la folie névropathique compliquée de mono manie des grandeurs dont Paris est atteint, est une de ces maladies-là . Que faudrait-il pour conjurer le destin, pour éviter ce sort misérable et même pour ressaisir de glorieuses fortunes ? Le cardinal Mazarin a depuis longtemps répondu à la question , lorsqu'il a dit : «C'est un grand malheur qu'il suffise, pour placer la France au plus haut degré de prospérité, que les Français soient dévoués à la France, et qu'on ne puisse l'obtenir ! >>> Toutes les grandes villes ont péri de mort violente . L'histoire universelle est le récit de la destruction des capitales ; on dirait que ces corps pléthoriques et hydrocéphales doivent disparaître dans des cataclys mes. Elles peuvent renaître, mais si profondément modifiées qu'elles ne sont plus elles- mêmes ; dans la Constantinople des Padichahs , qui reconnaîtra la Byzance des empereurs d'Orient, et dans la Rome de la papauté, qui reconnaîtra la Rome des Césars ? L'âme primitive s'est envolée, et s'il reste quelques membres que l'on puisse rassembler jusqu'à leur donner une existence nouvelle , le souffle qui les anime n'est pas celui dont elles ont vécu jadis . Il y a des villes qui ont une âme immortelle ; on 516 LE PARISIEN. dirait qu'elle se diffuse dans l'univers entier et qu'elle vibre dans le cœur de tous les hommes. En Grèce, le voyageur est frappé du nombre prodigieux de tom beaux vides qui trouent les rochers et bordent les routes ; où donc sont- ils les morts de tant de tombes ? Ils sont dans le genre humain ; ils chantent avec les poëtes, parlent avec les orateurs, méditent avec les philosophes , ils sont dans l'atelier des sculpteurs et des peintres , ils encouragent les architectes et défi nissent les règles du beau ; l'âme d'Athènes est dans le goût, dans les mœurs, dans la science , dans le lan gage universels, comme l'âme de la Rome césarienne est dans le droit et dans la jurisprudence, comme l'âme de la Rome catholique est dans la morale. C'est le destin de certaines agglomérations humaines d'où se dégagent des courants pénétrants d'intelligence et de vérité ; elles sont impérissables ; leur expansion semble indéfinie et se prolonge à travers les temps, malgré leur mort apparente. Quel que soit le sort qui attende Paris lorsque les âges lointains et mystérieux auront clos ses destinées , qu'il soit, comme la Thèbes aux cent portes, couché le long de son fleuve, jonchant la terre de ses im menses ossements ; qu'il soit comme Ninive, comme Babylone, une énigme archéologique proposée à la sagacité des savants futurs ; qu'il soit comme Athènes , un fantôme d'une grâce incomparablement touchante ; LES RÊVES ET LE PERIL. 517 qu'il ait comme Rome des fortunes successives et adverses ; que comme Constantinople il voie dormir un peuple de barbares ignorants ; qu'il meure demain, qu'il meure dans vingt siècles ; qu'il s'éteigne dans sa propre indolence, qu'il continue sa vie de crimes , de hauts faits, de vices et de vertus , qu'importe ! son âme est immortelle ; elle ne peut périr, car elle appartient à l'humanité. FIN DU SIXIÈME ET DERNIER VOLUME

PIÈCES JUSTIFICATIVES État général des produits annuels de l'octroi de Paris, depuis 1801 ANNÉES. 1801 1802 1803 1804 1805 1806 1807 1808 1809 1810 1811 1812 1813 1814 NUMÉRO 1 PRODUITS DES DROITS D'OCTROI. fr. 10,936,416 10,741,691 12,095,632 19,047,894 20,212,586 19,858,361 18,858,610 20,813,346 19,984,982 20,421,416 21,016,982 20,550,954 19,050,920 18,074,972 ANNÉES. 1815 1816 1817 1818 1819 1820 1821 1822 1823 1824 1825 1826 1827 1828 PRODUITS DES DROITS D'OCTROI. fr. 18,152,121 20,650,748 18,560,036 20,843,682 24,073,968 26,142,585 25,976,891 27,203,936 27,525,746 29,286,755 30,588,196 30,102,261 28,225,550 27,991,427 520 PIÈCES JUSTIFICATIVES. ANNÉES. 1829 1830 1831 1832 1833 1834 1835 1836 1837 1838 1839 1840 1841 1842 1843 1844 1845 1846 1847 1848 1849 1850 PRODUITS DES DROITS D'OCTROI. fr. 25,496,688 24,131,955 19,943,750 20,380,408 26,889,337 27,683,924 29,048,492 29,594,379 30,861,156 31,862,970 30,653,744 29,905,542 51,248,003 30,915,987 32,431,703 31,788,707 34,164,943 33,989,759 34,511,589 26,519,627 32,925,611 37,176,950 ANNÉES. 1851 1852 1853 1854 1855 1856 1857 1858 1859 1860 1861 1862 1863 1864 1865 1866 1867 1868 1869 1870 1871 1872 PRODUITS DES DROITS D'OCTROI. fr. 37,279,055 39,328,570 40,880,890 39,920,113 41,875,365 44,894,088 47,391,498 50,309,563 54,039,740 73,187,156 77,277,971 78,810,126 82,674,538 85,960,045 89,949,557 96,082,372 100,151,342 100,813,990 107,557,565 80,060,393 68,558,518 100,456,630 PIECES JUSTIFICATIVES . 521 NATURE DES MATÉRIAUX. Relevé approximatif des droits d'octroi se rattachant à la con struction d'une maison de 100,000 fr . , établie dans les condi tions ordinaires d'une propriété de rapport ( 1873). Moellons. Meulière. MAÇONNERIE. Plâtre. Chaux. Ciment.. . Pierre de taille . Briques ( dimension ordinaire) . Carreaux Id. 750 tuyaux adossés pesant. 1000 tuyaux engagés formant épaisseur des murs.. 35 mitres, pesant. COUVERTURE. Tuiles ordinaires.. Lattes. NUMÉRO 2 CHARPENTE . · Comble à faux plancher, sapin. Linteaux et escaliers, chêne.. QUANTITÉS. 400 Mètres cubes. 13 175 Id . Id . 84,500 Millier. 10,000 Id. 3,500 Hectolitres. 15,000 Kilogrammes . 2,000 Id . 11,250 Id . 15,000 420 DÉSIGNATION DES UNITÉS. 6,300 40 12 11 Id . Id. Millier. Bottes. Stères. Id. A REPORTER. • DROITS D'OCTROI PERÇUS. fr. 240 420 583 57 C. 52 4 D 80 D 05 D D D 1,470 180 24 33 75 བ བ D 45 D 1 26 3286 92 521980 108 124 08 3,351 38 522 PIÈCES JUSTIFICATIVES. NATURE DES MATÉRIAUX. MENUISERIE. Portes, fenêtres, cloisons, pla cards, etc. , en sapin. Id. en chêne.. SERRURERIE. Fers à T pour plancher, avec entretoises , fentons, filets ou poitrails assemblés... Gros fers pour chaînage, har pons, ancres, tirants, plates bandes, etc. Rampe d'escalier.. Fonte pour tuyaux de descente d'eaux ménagères, de chute et gargouilles. - · 2 colonnes en fonte de 3,25. Balcons en fonte sur façade aux baies, sur cour, sur rue, et balcons courants des 1er et 5º étages.. PEINTURE. Blanc de céruse. de zinc. Essence de térébenthine.. Vernis. . . Huile de lin.. • QUANTITÉS. 15 10 12,000 500 1,500 450 1,100 DÉSIGNATION DES UNITÉS . 150 37 150 50 500 REPORT . Stères. Id. 17,000 Kilogrammes . 612 Id. Id. Id. Id. Id. Litres. Id. Id. Id. Id. TOTAL . DROITS D'OCTROI • • PERÇUS . fr. 3,551 135 112 43 18 36 104455 17 15 C. 38 » 80 75 >>> 26 40 20 ལ 80 10 22 30 70 60 4,465 50 PIÈCES JUSTIFICATIVES. 523 DÉSIGNATIONS DIVERSES. Durée de la construction . Moyenne des hommes em ployés par jour.. Moyenne des chevaux em ployés par jour... } 6 mois. 30 hommes. 5 chevaux. DÉSIGNATIONS DIVERSES . ― OBSERVATIONS. Un ouvrier consomme par jour au moins 1/2 kilogr. de viande et 1 litre de vin. RÉCAPITULATION DES SOMMES PERÇUES AU PROFIT DE L'OCTROI Matériaux. 30 ouvriers ont con sommé pendant les six mois qu'ont duré les travaux : Dans le même inter- ) 900 bottes de foin.. valle, 5 chevaux ont 900 bottes de paille. consommé : 225 kil . d'avoine . TOTAL. Un cheval consomme en moyenne par jour 1 botte de paille , 1 botte de foin, et 2 kilogr. 1/2 d'avoine. 540 litres de vin . 2,700 kil. de viande. DROITS PERCUS. fr. 4463,50 54, D 21,60 3,38 4915,22 OBSERVATIONS. 59,40 Trésor non com pris. 313,34 RÉSUMÉ. Ainsi une maison de 100,000 fr . rapporte à l'oc troi environ 4,915 fr. 22 cent. , soit à peu près 5 pour 100 . 524 PIECES JUSTIFICATIVES. DIRECTION L'ADMINISTRATION GÉNÉRALE Est... Nord.. Sud. DE CIMETIÈRES DE LA VILLE DE PARIS • INSPECTION GÉNÉRALE DU SERVICE Auteuil.. Batignolles. Belleville. Bercy . Charonne.. Ivry.. . A REPORTER.. NUMÉRO 3 DU DÉPARTEMENT DE LA SEINE PRÉFECTURE État indiquant le nombre de corps inhu més sans mandat du 20 au 30 mai 1871. 878 783 1,634 68 14 11 425 134 650 4,597 Grenelle. Marcadet. Saint-Vincent. La Villette. Passy. Vaugirard.. • REPORT . Montmartre-Saint- Ouen. La Chapelle... TOTAL. .. 4,597 30 185 6 13 350 141 5,322 Du 24 mai au 6 septembre 1871 , le service des cimetières a fait exhumer et transporter dans les divers cimetières 1328 corps qui avaient été inhumés irrégulièrement dans les voies publi ques, bastions , quais , etc. , au moment des combats dans Paris. Ensemble , 6,650. PIÈCES JUSTIFICATIVES. 525 NUMÉRO Arrêt du Parlement interdisant les inhumations à Paris. La cour ordonne : 1° Qu'aucunes inhumations ne seront plus faites à l'avenir dans les cimetières actuellement existants dans cette ville , sous aucun prétexte que ce puisse être, et sous telle peine qu'il appartiendra , et ce à compter du 1er janvier pro chain, sauf néanmoins dans ceux qui seront exceptés par l'ar ticle 19 ci- après. 2º Que les cimetières actuellement existants demeureront dans l'état où ils sont , sans que l'on puisse en faire aucun usage avant le temps et espace de cinq années, à compter du dit jour 1er janvier prochain, après lequel temps il sera procédé à la vi site des dits terrains par les officiers de police , et par les médecins et chirurgiens du Châtelet , pour , leur avis communiqué aux curés et marguilliers de chaque paroisse, et dans le cas où les of ficiers et médecins estimeroient qu'on pourroit faire usage des dits cimetières, se pourvoir par les dits curés et marguilliers vers le supérieur ecclésiastique , pour obtenir de lui la permission d'exhumer les corps et ossements avant de remettre les dits ter rains dans le commerce. 3º Qu'aucunes sépultures ne seront faites à l'avenir ou accor dées dans les églises , soit paroissiales , soit régulières , si ce n'est celles des curés ou supérieurs décédés en place, à moins qu'il ne soit payé à la fabrique la somme de 2,000 livres pour chaque ouverture en icelles ; et que, quant aux sépultures dans les cha pelles et caveaux, elles ne pourront avoir lieu que pour les fon dateurs ou leurs représentants, et pour ceux des familles qui en 526 PIÈCES JUSTIFICATIVES. sont propriétaires , ou sont dans une possession longue et an cienne d'y avoir leurs sépultures, et ce à la charge d'y mettre les corps dans des cercueils de plomb et non autrement. 4º Qu'il sera fait choix de sept à huit terrains différents, pro pres à recevoir et consommer les corps, et situés hors de la ville au sortir des faubourgs, aux endroits les plus élevés et assez étendus pour l'usage des paroisses de chaque arrondissement, ainsi qu'il sera fixé par l'article 11 ci-après ; et à cet effet or donne que le roi sera très-humblement supplié de vouloir bien déroger à la déclaration du 31 janvier 1690, registrée le 6 fé vrier au dit an, et à l'édit du mois d'août 1749 , concernant les biens de main-morte, registré le 2 septembre au dit an. 5º Que chacun des dits cimetières sera clos de murs de 10 pieds d'élévation dans tout le pourtour ; et que dans chacun d'iceux il y aura une chapelle de dévotion et un logement de concierge, sans qu'on y puisse construire autres bâtiments, ni même mettre dans l'intérieur aucune épitaphe, si ce n'est sur les dits murs de clôture, et non sur aucunes sépultures . 6º Que les enterrements se feront comme par le passé, mais qu'après les prières finies dans l'église, les corps seront portés dans le lieu de dépôt, ou chapelle mortuaire, tel qu'il sera ci après indiqué article 10 , pour un certain nombre de paroisses de chaque arrondissement, saus que, sous aucun prétexte, l'on puisse y accorder de sépulture particulière, non plus que dans le címetière commun. 7° Que les pierres ou serpillières seront marquées d'une lettre alphabétique indicative de la paroisse, et d'un numéro qui, porté également à la marge de l'extrait mortuaire de chaque défunt, indiquera que le corps y est renfermé ; et les corps seront accom pagnés lors du transport au dépôt d'un ecclésiastique de la pa roisse d'où le transport sera fait, et y demeureront jusqu'au len demain matin . 8º Il restera toujours au dit lieu de dépôt l'un des ecclésiasti ques qui y aura accompagné les corps jusqu'au moment où l'on PIÈCES JUSTIFICATIVES. 527 viendra les lever pour les transporter au cimetière commun de chaque arrondissement pour prier Dieu pour les défunts ; à l'effet de quoi il sera bâti dans le dépôt de chaque arrondisse ment une ou deux chambres pour le dit ecclésiastique ; et sera le dit ecclésiastique pris alternativement dans chaque paroisse de l'arrondissement, et nommé par le curé de la paroisse. 9° Tous les jours, à deux heures du matin, depuis le 1er avril jusqu'au 1er octobre, on ira lever les corps qui auront été portés au dit dépôt, et ils seront transportés dans un ou plusieurs chars couverts de draps mortuaires, attelés de deux chevaux , allant toujours au pas, au cimetière commun de l'arrondissement. Le conducteur du dit chariot se rendra d'abord au premier des dé pôts de l'arrondissement qui sera sur la route, et ira successive ment à chacun des dépôts, et le dit chariot sera toujours accom pagné d'un ecclésiastique ou deux au plus , qui seront choisis alternativement dans chaque paroisse de l'arrondissement. Le chariot sera précédé d'autant de lanternes qu'il y aura de dépôts dans l'arrondissement ; et les porteurs d'icelles chargeront le chariot, et aideront en route en cas d'accident ; ils seront en même temps les fossoyeurs du cimetière commun. 10° Que chaque entrepôt où seront déposés les corps, en at tendant qu'ils soient portés au cimetière commun, sera un lieu fermé, à la hauteur de 6 pieds au moins, de murailles garnies au-dessus de barreaux de fer de 4 pieds de haut dans tout le pourtour, et terminé par une voûte ouverte dans son sommet. 11° Que les corps des paroisses Saint- Louis-du-Louvre et des Quinze-Vingts seront portés au dépôt de Saint-Roch, et ceux de Philippe-du-Roule à celui de la Ville-l'Évêque. Que les corps des paroisses de Saint-Honoré et Saint-Germain-l'Auxerrois seront portés au dépôt de Saint-Eustache. Que ceux de Saint-Jacques de-la-Boucherie, Sainte-Opportune, Saint-Méry et Saint-Josse se ront portés au dépôt des Saints-Innocents , et ceux de Saint-Leu à Saint-Sauveur. Que les corps de Saint-Jean-en- Grève seront portés au dépôt de Saint-Gervais. Que ceux de la Charité des 528 PIÈCES JUSTIFICATIVES. hommes et de Saint-Simphorien seront portés au dépôt de Saint Sulpice . Qu'au dépôt de Saint-Séverin seront portés les corps des paroisses de la Sainte-Chapelle basse , Saint-Barthelmi, la Magde leine, Saint-Landry, Sainte-Marine , Saint-Denis-du-Pas, Saint Pierre-aux-Bœufs, Saint-Germain-le-Vieux et Saint-André . Que les corps de Saint- Còme seront portés au dépôt de Saint-Benoît . Que ceux de Saint-Hilaire et de Saint-Jean-de-Latran seront portés à celui de Saint-Étienne-du- Mont. Que ceux de Saint Louis-en-l'lsle , Saint-Victor et le Cardinal-le-Moine seront portés au dépôt de Saint-Nicolas-du- Chardonneret. Que ceux de Saint Martin et de Saint- Hippolyte seront portés au dépôt de Saint Médard. Qu'enfin auront chez elles le dépôt, les paroisses de Saint-Roch et la Magdeleine-de-la-Ville-l'Évêque, Saint- Eustache, les Innocents , Saint-Sauveur et Saint- Nicolas-des- Champs, Saint Gervais et Saint-Paul, Saint-Sulpice, les Incurables, Saint- Séve rin, Saint-Benoît, Saint-Jacques-du-Haut- Pas, Saint- Étienne-du Mont, Saint-Nicolas-du- Chardonneret, Saint-Médard ; et que les paroisses de Saint-Laurent , Saint - Pierre - du - Gros - Caillou et Sainte-Marguerite porteront les corps droit au cimetière commun à elles indiqué par l'article suivant. 12° Que l'arrondissement du premier des huit nouveaux ci metières sera composé des paroisses de Saint-Philippe-du-Roule, Saint- Roch, les Quinze-Vingts et Saint-Louis-du-Louvre, qui au ront leur cimetière commun à la chaussée d'Antin ; en augmen tant celui de Saint-Roch, il sera de cinq cents toises de superficie au moins. Que l'arrondissement du second sera formé des pa roisses de Saint-Eustache , Saint-Germain-l'Auxerrois et Saint Honoré. Ce cimetière sera de mille toises de superficie au moins, vers la Croix- Cadet aux Porcherons. Que le troisième cimetière sera placé, pour onze cent vingt-cinq toises au moins, rue des Marais-Saint-Martin, vis-à-vis la rue des Vinaigriers ; et que cet arrondissement sera composé des paroisses de Saint-Jacques-de la-Boucherie , Sainte-Opportune , les Saints- Innocents , Saint Méry, Saint-Josse , la Trinité, Saint - Sauveur, Saint- Nicolas-des + PIÈCES JUSTIFICATIVES. 529 Champs, Notre- Dame-de-Bonne-Nouvelle et Saint-Laurent . Que le quatrième arrondissement aura son cimetière situé rue du Chemin-Vert, près Pincourt, au-dessous des Annonciades ; qu'il sera de onze cent vingt-cinq toises au moins de superficie , et servira aux paroisses de Saint-Gervais , Saint-Jean-en-Grève , Saint-Paul, les Enfants-Rouges, le Temple et Sainte- Marguerite. Que le cinquième arrondissement sera celui des paroisses de Saint-Sulpice, Saint- Simphorien , Saint-Pierre-du-Gros-Caillou , les Invalides , les Incurables, les Petites- Maisons et la Charité des hommes , et auront leur cimetière commun de dix- sept cent cinquante toises au moins de superficie , sis à la Croix, sur le chemin de Vaugirard, près le Moulin de la Pointe. Que le sixième arrondissement aura son cimetière sur la grande route d'Orléans , consistant en cinq cents toises de superficie au moins, à main droite de la demi-lune du boulevard, pour les paroisses de la Sainte- Chapelle basse, Saint- Barthélemi, Saint- Pierre- des-Arcis , Sainte-Croix, la Madeleine, Saint- Landry, Sainte-Marine , Saint Denis-du-Pas , Saint-Pierre-aux-Boeufs , Saint-Germain- le-Vieil , Saint-Come, Saint- Benoit et Saint-Jacques-du-Haut-Pas, Saint André et Saint- Séverin . Que le septième sera composé des pa roisses de Saint-Jean-de-Latran, Saint-Hilaire et Saint-Étienne du-Mont, dont le cimetière sera placé sur le chemin nouveau du boulevard près l'hôpital de la Santé, et sera de trois cent quinze toises de superficie au moins . Que le huitième et dernier arron dissement sera composé des paroisses de Saint-Louis- en-l'Isle, Saint-Nicolas-du-Chardonneret , le Cardinal- le- Moine, Saint Victor, Saint- Médard, Saint-Martin et Saint-Hippolyte, et auront leur ci metière au-dessus de la demi- lune du nouveau boulevard allant au Chemin de Vitry, lequel aura trois cent soixante- quinze toises de superficie au moins. 13° Que la dépense à faire pour l'acquisition des terrains et bâtiments qui devront servir aux nouveaux cimetières sera sup portée par chaque paroisse du même arrondissement, à propor tion du nombre des sépultures annuelles qu'elles peuvent avoir, VI. 34 530 PIÈCES JUSTIFICATIVES. et au marc la livre de la somme totale qui aura été employée aux dépenses susdites du cimetière de leur arrondissement. 14° Que les paroisses de chaque arrondissement seront tenues de contribuer dans la même proportion de l'article précédent, à la dépense et entretien, gages et appointements, soit des ecclé siastiques et luminaires, soit du char, des chevaux, du concierge et des fossoycurs, soit du cimetière commun, soit du lieu du dépôt particulier à aucune des paroisses de chaque arrondisse ment, et généralement à toute dépense commune, de quelque nature qu'elle puisse être. 15° Que, pour supporter lesdites charges, il sera payé par les héritiers ou les représentants des défunts , à la fabrique de chaque paroisse, un supplément de 6 livres par chaque enterre ment des grands ornements, et de 3 livres pour chacun des au tres, sauf ceux de charité et demi-charité , pour raison lesquels il ne sera perçu, non plus que pour ceux qui , en payant le double des frais ordinaires en tout genre, voudroient faire porter directement les corps de leurs parents au cimetière commun, sans que pour ce l'on y puisse ouvrir aucune fosse particulière, s'il n'est préalablement payé la somme de 300 livres qui sera employée aux dépenses communes des paroisses de l'arrondisse ment ; et qu'il sera réservé à cet effet un terrain de 8 pieds au pourtour intérieur des murailles de chaque cimetière , dans le quel espace ne pourra être ouverte aucune fosse commune. 16° Que la fosse commune de chacun des huit cimetières sera renouvelée au plus tard trois fois dans l'année, et l'ancienne comblée, quand même elle ne serait pas remplie ; savoir, une fois depuis octobre jusqu'en avril et deux fois depuis le 1er avril jusqu'au 1er octobre. 17º Que l'ouverture de la fosse générale sera couverte et fer mée par un assemblage de bois , sur lequel sera attachée une grille de fer fermant avec un cadenas. 18° Défend au concierge et à tous autres de planter aucuns arbres ou arbrisseaux dans lesdits cimetières. PIÈCES JUSTIFICATIVES. 531 19° Ordonne qu'il ne sera rien innové quant à présent, pour les sépultures des personnes habitantes dans les hôpitaux , mai sons et communautés religieuses , tant d'hommes que de filles ' autres que celles ci- dessus désignées. Ordonne que le présent arrêt sera imprimé jusqu'à la concurrence de tel nombre d'exem plaires qu'il se trouvera nécessaire , à l'effet d'être par le pro cureur général du roi envoyé aux curés et marguilliers des paroisses de la ville de Paris, ensemble aux hôpitaux et com munautés séculières et régulières de la dite ville qu'il appar tiendra , à ce qu'ils n'en ignorent, et aient à s'y conformer. Fait en parlement le vingt-un mai mil sept cent soixante cinq. Collationné : REGNAULT. Signé : Dufranc. 532 PIECES JUSTIFICATIVES. DIRECTION DE L'ADMINISTRATION GÉNÉRALE CIMETIÈRES DE LA VILLE DE PARIS INSPECTION GÉNÉRALE DU SERVICE CIMETIÈRES. Est. Nord . Sud.. Auteuil. • Batignolles. Belleville . Bercy. Charonne.. • La Chapelle. Grenelle.. Ivry (ancien). Ivry ( nouveau). A REPORTER. • • NUMÉRO 5 DU DÉPARTEMENT DE LA SEINE État indiquant le nombre de concessions à perpétuité existant dans les cime tières de la Ville de Paris, au 1er jan vier 1874. NOMBRE DE CONCESSIONS A PERPETUITE. 29,371 20,100 12,800 685 864 415 236 117 122 130 PRÉFECTURE D 64,840 CIMETIÈRES. REPORT.. La Chapelle ( Marcadet) . Montmartre ( Calvaire) . Montmartre-Saint- Ouen (ancien) . . . . . . Montmartre-Saint- Ouen (nouveau) . . . . . Montmartre-Saint-Vin cent.. Passy. La Villette . Vaugirard . TOTAL.. . L'Inspecteur général, A. FEYDEAU. NOMBRE DE CONCESSIONS A PERPÉTUITÉ. 64,840 9 88 180 D 356 858 407 478 67,216 ! PIECES JUSTIFICATIVES: 535 -- -- Caserne. Rue de Valois. Poste. Poste. Poste. - - État, par arrondissement, des casernes et des postes de sapeurs-pompiers¹. 1° ARRONDISSEMENT. Ministère de la Justice. Mairie du Ir arrondisse ment. Rue des Deux-Écus. Banque. Hôtel des Postes. II ARRONDISSEMENT . Rue aux Ours. Bibliothèque nationale. III ARRONDISSEMENT. NUMÉRO 6 Mairie du III arrondisse ment. Conservatoire des Arts et Métiers *. IV ARRONDISSEMENT. Caserne. Rue Sévigné *. Poste. État-major*. Mont-de-Piété. Imprimerie nationale. Mairie du IV arrondisse ment. Boulevard Morland. Poste. - -- Poste. Rue Thouin. Val-de-Grâce*. Caserne. Rue du Vieux-Colombier * . Poste. Palais du Luxembourg. Rue Bonaparte. Poste. VI ARRONDISSEMENT. VII ARRONDISSEMENT. Ministère de la guerre * . Palais Législatif. Mairie du VII arrondisse ment. Campement. Invalides *. Garde-Meuble. VIII ARRONDISSEMENT. Rue de la Pépinière. Ministère de l'intérieur *. Ministère de la marine. Rue de Ponthieu. Palais de l'Élysée. Palais de l'Industrie *. IX ARRONDISSEMENT. Caserne. Rue Blanche *. Poste. Rue Richer. Rue Drouot. Rue Rochechouart. ▼ ARRONDISSEMENT. Caserne. Rue de Poissy *. 1 L'astérisque indique les postes qui sont pourvus d'un télégraphe. 534 PIÈCES JUSTIFICATIVES. Caserne. Rue du Château -d'Eau * . Boulevard de la Villette * . Rue Grange-aux- Belles. - Poste. Poste. - Poste. XII ARRONDISSEMENT. Laserne. Boulevard de Reuilly *. Poste. Magasin à fourrages *. Boulevard Picpus. Rue Sainte-Anne-Bercy *. - Poste. - X ARRONDISSEMENT. Poste. -- XI® ARRONDISSEMENT. Mairie du XI⚫ arrondisse ment. Rue de la Courtille. Rue Duranti*. Rue Saint-Bernard *. Boulevard Richard-Lenoir . XIII ARRONDISSEMENT. Rue Pascal. Avenue d'Italie *. Salpêtrière ". Abattoirs d'Ivry. Rue du Château- des-Ren tiers. Quai de la Gare. XIV ARRONDISSEMENT. Rue Saint-Médard *. Rue du Couëdic *. Marché aux chevaux. XV ARRONDISSEMENT. Caserne. Place Violet*. Poste Abattoirs de Grenelle . XVI ARRONDISSEMENT. Caserne. Rue des Réservoirs * . Poste. Rue Bois-le-Vent. Place d'Auteuil ". - Manutention militaire. Poste. Poste. - Poste. Poste. Poste-caserne nº 11. Rue de la Procession *. -- XVII ARRONDISSEMENT. Rue Dautencourt. Boulevard de Neuilly. Mairie des Batignolles * . Arc de triomphe * . XVIII ARRONDISSEMENT. Rue du Mont-Cenis *. Rue Léon. Rue Séguin. Mairie de Montmartre. Rue Doudeauville. XIX ARRONDISSEMENT. Rue Lauzin. Rue de l'Ourcq. Abattoirs généraux ´ . Rue de Crimée * . XX ARRONDISSEMENT. Rue de la Mare *. Mairie de Belleville . Rue Vilin. Rue des Cendriers. Rue de la Réunion. Rue de Bagnolet * . FIN DES PIÈCES JUSTIFICA TIVES i - - 1. - L'OCTROI - - Administration abstraite. - La tâche de Paris. Les travaux indispensa bles. Les recettes de la ville . Catégories d'opérations . La source principale. Origine de l'octroi. Comment une taxe devient obliga toire . Acte de naissance de l'octroi . La ferme générale . — Le mur d'enceinte. L'architecte Ledoux. L'incendie des barrières. Augeard. Les barrières sont relevées. L'Assemblée nationale main tient l'octroi. Émeute. Abolition de l'octroi. Joie du peuple. Produit de l'octroi en 1790.- Espérances déçues. Délabrement de la ville . Intervention de l'État . - Octroi municipal et de bienfaisance . ·- Loi du 27 vendémiaire an VII . - Recettes de la première année. - Sur veillance illusoire . Les fraudes. - Galerie souterraine. Les adver saires théoriques de l'octroi. La taxe d'octroi est l'impôt sur le re venu. Progression des produits de l'octroi . - Influence des révolutions. 100 millions d'augmentation . La population de Paris à diverses épo ques. La moins-value de l'argent. Le vin à quatre sous ! >> L'armée de l'octroi : 2,935 hommes.. - ― TABLE DES MATIÈRES - - - ― - CHAPITRE XXXI ― LA FORTUNE DE PARIS II. - - - Tout le monde est soumis à l'octroi. nistration. Les cinq divisions. - - - -- - LES RECETTES. - - - - - Dérogation courtoise. - L'admi 310 postes. La roulette. - Les - 536 TABLE DES MATIERES voitures suspendues. · Rixes. -- La loi du 29 mars 1832. Jaugeurs mesureurs. Recette. - Le pavé. - Le contrôle. Les facteurs. Les clefs . - Permis de sortie. — Tolérance . Les vigies. - Les rondes. - La patache. Le marinier. La marchandise d'eau . - Les billets à ordre. Le marché aux bestiaux. - - -- Le crédit sous caution. - La tare. - - -- - Dans les églises. l'état civil. - - -


- Bercy. Entrepôt défectueux. Surveillance illusoire. tifs. Situation des industriels de la banlieue après Procès. Réduction de la taxe sur les combustibles. soire en franchise . Surcroît de travail. Les comptes sont brûlés en mai 1871.- Chaos à débrouiller. — Reconstitution des comptes détruits . Nouveau système pour les entrepôts fictifs. - Conditions imposées aux entrepositaires. Produit indirect des entrepôts fictifs . Produit gé néral de l'octroi en 1872. Ce que rapporte une maison en construc tion. - Service actif. - Mouvement aux barrières. - Le personnel. Le neveu d'un maréchal de France. siége de Paris. - Collectes. tive. Le conseil de guerre.. - -- - - - - - - - - - - --- - Xxx - Troupeaux. ·- Viande à la main. - III. LES FRAUDES. Le fraudeur. Le contrôle général. Le bataillon sacré. Les blocs de granit. - Les animaux parasites. Brigade de 33 hommes. Service organisé en 1824. L'ancienne fraude. L'alcool. - Droits léonins. 400 pour 100. L'absinthe . Ce qu'elle coûte, ce qu'elle rapporte. Résultats de la surtaxe. L'alcool dénaturé. Immoralité. Le musée des engins de fraude. Les divers moyens de frauder. dice causé par la fraude. - Expédition. · duit des saisies. Transactions. Les voyageurs. Chacun cherche à éluder la loi . En temps de chasse. Fraude ou vol c'est tout un. - Ceux qui volent l'octroi volent les pauvres . La ville et le trésor. - Temps prospère, grosse recette. Taxes ou emprunts ? L'octroi est pour Paris un instrument de bien-être et de sécurité ... 51 Camisole. - Toiles Un truc nouveau. et nouveautés. Puits et pompes. Préju - Distillerie clandestine . - Pro - ― - -- Registres curiaux. - Le vin. - - - - - Les préposés de l'octroi pendant le Caisse de retraite. Justice administra - -- L'ÉTAT CIVIL - CHAPITRE XXXII - I. - LES REGISTRES. - - Renouvellement de la population . Memento. - Les entrepôts. Entrepôts fic l'annexion. - Entrée provi -- - ――― ― - - -- - -- 22 - Importance de Assassinat du duc de TABLE DES MATIÈRES. 537 Rédaction incomplète des registres Les bénéfices . ―― - Guise. Assassinat de Henri III. curiaux. Intervention de la royauté. Prêtres salés et embaumés . - Ordonnance de Villers- Cotterets. On ne tient compte des prescriptions royales. Déclaration du 7 avril 1736. - Constitution civile du clergé. · Désarroi. Baptêmes clandestins. - Nulle preuve de naissance . Danger signalé par la municipalité de Paris. Lenteur de l'action législative. - Initiative du département de l'Ardèche. Motion de François de Neufchâteau. Les niaiseries de Gohier. · Vivre libre ou mourir . Incidents. La loi est votée le 20 septembre 1792. — Les deux dépôts. Hôtel de Ville et Palais de Justice, Tout est brûlé. Lois de reconstitution . Le service de la Bourse. blic. Prolongation du délai légal . Le service de l'archevêché. Service ambulant . · - Réserve des protestants et des israélites . Instal lation déplorable. Ce service devrait être étendu et agir d'office. - Le greffe du tribunal de première instance. - M. Rathelot . -Les palimpsestes. - Registres carbonisés. Droguet. Noir sur noir. 70,000 actes sauvés. Festina lente. L'expérience nous servira -t-elle ? Qua druple expédition. - L'Arc de Triomphe.. Insouciance du pu 73 - --- - - - --- - - - - - Age approximatif. - - - - - ― - - Dénombrement de 1528. Documents irrécusables de la statistique mo derne . Recensement de 1872. - Célibataires et gens mariés. Dimi nution des naissances. Surprise douloureuse. Notre population di minue dans des proportions inquiétantes. -Vice et péril social . - S'accroître ou périr. Natalité à Paris. - Enfants légitimes, enfants naturels . - Inconduite et misère. - Les mois féconds. Influence des événements sur la natalité. 1870, 1871. Formalités prescrites par la loi . Constatations à domicile. Mode de procéder. Inconvénients. thographe des noms. - Négligence d'autrefois . - Jugements en rectifica tion. Reconnaissances d'enfants naturels . Les enfants abandonnés. - - Or ― -- L'Assistance publique... . . 97 - -- II. LES NAISSANCES. - - - - • - - - - - - - ― ― III. - LES MARIAGES. La ma - Répugnance du Parisien pour le mariage. Les lieux communs. ladie du célibat. Es uxorium. Les degrés de parenté prohibés.. Les dispenses. Les interdictions de l'Église. - Opinion de Grégoire le Grand. L'Église est forcée de céder . — Dangers des mariages consan guins. Les cas pathologiques. Fraudes en matière de mariage. Influence des événements sur les mariages. 1870, 1871 , 1872. - Degré d'instruction. Le nombre des mariages est en rapport avec le chiffre de la population. A quel âge on se marie. Formalités. · Le ma riage civil. Le samedi. Faire la noce.-M. le maire. - « Tester. D N'oubliez pas les pauvres S. V. P. -- Fait-on bon ménage? - Nombre des séparations pour 1872.. 111 ――― -- - - - - - - - - .. - - 538 TABLE DES MATIÈRES. IV. LES DÉCÈS. Recensement général. - - Les morts vont vite . » L'investissement. 254,219 réfugiés. Moyenne normale. Les mois du siége . - Accé lération de la mort. La famine et le froid. L'alcoolisme. Aug mentation des décès. Obituaire de 1870. — Janvier 1871 : 19,233 décès. Les premiers mois de 1871. Retour aux moyennes normales. - Les faits de guerre. · Les morts de la Commune. Inhumations sans mandat. Décès anonymes. 6,650 cadavres. Un procès-verbal. Les enfants mort- nés. Proportion des décès pour les hommes et pour les femmes. Paris ville de guerre. L'espace manque à Paris. Enlassement inhumain. Les Buttes-Chaumont. respiratoires. Les suicides et les meurtres. sons. Selon les âges. Formalités. Rapport d'enquête. - Mandat d'inhumation. Maladies des voies Les décès selon les sai Le vérificateur des décès. - - - ― - - - - ―― - - - -- ― - - - - - - - - - - - - I. - LES SERVICES FUNEBRES. - Lettres de faire part. Usages différents. Le cri des corps. - Les clo cheteurs des trépassés. Contestations avec le clergé. Règlements de Chamvallon. Aumôniers à cheval. Le semonncur. Les corbil Jards. Les ouvriers. La révolution. - Taxe d'inhumation. - Fro chot. Retour à la décence. Décret du 23 prairial an XII. — Les six classes. L'entreprise des pompes funèbres. Impôt somptuaire. Vanité. Les neuf classes . Conditions imposées aux pompes funèbres. Remise aux fabriques . Inhumations gratuites. - Le matériel et l'outillage des pompes funèbres. La régie. Les constructions de la rue Curial. Bénéfices considérables . L'ordonnateur. Jargon des Figurants et danseurs. Le délai 141 croque-morts. légal.. - - - CHAPITRE XXXIII LES CIMETIÈRES - - - - - • -- -


- - II. LES CHARNIERS. - - Les pourboires. -


- - - - - L'endroit où l'on dort. La sépulture dans les églises. Sur le plan de Gomboust. Pêle-mêle des morts et des vivants. Ossements sur la voie publique. L'ossuaire de l'Ouest. La duchesse de Guise ; le car dinal Dubois. — La légende . - Niaiscrie et crédulité. fanatisme. - Mise en scène. Les victimes du - - Notre-Dame des Victoires. - - - - - - 125 Le cimetière TABLE DES MATIÈRES. 539 des protestants Cimetières secrets. Dénonciations. . diplomatiques. Cimetière des protestants étrangers. port au Plâtre. soir. Les Champeaux. cabre. La logette. Le typhus. La science intervient inutilement. Amour du Parisien pour le cimetière des Inno cents . Marchandes de modes et écrivains publics . — Sotte tradition. — Intervention du Parlement. Arrêt du 25 mai 1765. — Accident. - Fer meture et destruction du cimetière. Cimetière israélite . Les Innocents. Le pourris Les galetas. Nicolas Flamel. Danse ma Les enfouissements . Les catacombes. -- Le rapport de On y trouve encore des ossements. - Précaution de la - -- 1 - - - - - - - ――― - ― - - - - - Thouret. Le marché aux légumes. Projet d'une nécropole unique. Le chartrier. - loi du 15 mai 1791. - Deux cimetières supplémentaires. — Picpus. — La Madeleine. · Les Errancis. Clamart. Confusion. chegru . - Achat de terrains. vingt-deux cimetières.. Louis XVII . Cimetière Vaugirard. Sainte-Catherine. Mirabeau; Bichat ; Pi Quatre cimetières extra muros. -- - Nos 156 - 111. - - - ―― - - - - TV. - - - - Le bosquet De - - Inscriptions. - Concessions perpétuelles. Erreur de Frochot. La tranchée gratuite. Superposition. de repos. Les trois principaux cimetières . Mont- l'Évêque. L'épicier Regnault Mont-Louis. . lille. L'œuvre du temps. · Vanité. Lallemand. La Lisette de Béranger . Ney. Les révolutions donnent le repos à certains morts. - Héloïse et Abeilard. La tombe de Rachel. Une carte de visite. Matérialisme. Lesurques. Un rapport adminis tratif. Chappe. Fauteuil de bureau. Parmentier. Cimetière musulman. - Le pays de l'égalité. Le cimetière Montmartre. - Entrée défectueuse. Ferme-cabaret. Le ravin. Godefroy Cavaignac. - Un tombeau politique. La tranchée des fédérés. La vicille jardinière. — Le cimetière Montparnasse. - Fontis . Les sergents de la Rochelle. Une tombe anonyme. Les gardiens. Rumeur. Le vampire. Ma chine infernale. Le sous-officier Bertrand. Monomanie . Guérison. -Les inhumations gratuites. La foule. Aumôniers des dernières prières. Libres-penseurs. - Une leçon d'histoire . - 5 pour 100. — Le visa des épitaphes. Les épitaphes refusées. Curiosité du public. Banalité. Un verset des lois de Manou.. - - - - - - - - LES INHUMATIONS. - - - - - - - - - - - - MÉRY-SUR- OISE. ― - - - Concessions temporaires. Juxtaposition. - Cinq ans Le Père-Lachaise . — - - Réclamations Le chantier du - - - - - - - - - - - - - Cimetière d'Ivry. Cailloux. Saint-Ouen. - Les guin - Saturation. guettes. A ta santé, Morbus! > Paris n'a pas de cimetières. En contradiction avec la loi. - Envahissement des avenues. 34 hec tares pour tout Paris, -- Ce qui serait nécessaire. - 183 · La saponification.— 540 TABLE DES MATIÈRES. Le projet de - Méphitisine. La nappe d'eau. Sources sulfureuses. La crémation . Opposition de l'Église. Respect des vieilles traditions. Nécessité d'éloigner les cimetières. Opposition et résistance. M. Haussmann. Suppression de la tranchée. tares. Le provisoire est ruineux. - Le trajet. La difficulté. metières. Le jour des Morts. Le jardinet. Les offrandes funèbres. mann. - Trente ans. - 514 hec Il faut revenir au projet Hauss · Foule. Les visites dans les ci Le point de vue. Casta Diva. - Nécrolâtrie. 211 - - - - ――― ― - - - - - -- Les besoins intellectuels. 58 théâtres. - Causes d'incendie.


-

- Les recettes. Le rêve de Mercier. « C'est beaucoup, dit Martin. » — Renouvellement du public. Les pièces à femmes. Les figurantes. Les spectateurs. De plus fort en plus fort. Mystères , moralités, soties . —L'Opéra. —Point cul minant. L'art matériel . Le vaisseau à trois ponts. Les dessous. Les machinistes. Les frises. - Les décors. Les pompiers. L'envers du théâtre. - Le maquillage. - La danseuse. Commisération. Importance sociale . - La décoration de Sémiramis et le sénat de Catilina. Les subventions. · La mission de l'Opéra. · Comment il la comprend. Les progrès du théâtre . -Le Triomphe de l'Amour et la Galerie du Palais. La scène déblayée. la limonade. Le principe d'autorité. lutions. Aristophane. Sous la Terreur. Napoléon I et les petits théâtres. Les efforts de la censure. Le mauvais goût ne date pas d'aujourd'hui. La maison de Molière. mœurs et le théâtre. Cercle vicieux. Les Toilettes tapageuses et la crinoline. Les théâtres ne sont que des exploitations théâtrales. . 231 ――――― - La loge de La censure. - Après les révo --- La liberté des théâtres. Les - -


- - - LES ORGANES ACCESSOIRES - CHAPITRE XXXIV - I. LES THEATRES. - - - ― - - - - - ―――― - - - - - --- - - - - - - II. -LES BIBLIOTHÈQUES. - Les départements. L'outillage du travail . La Mazarine. L'Arsenal. Paulmy d'Argenson. -Sainte-Geneviève. - La Richelieu. - Projet de la déplacer. — Lente formation. Hôtel de Nevers et hôtel Mazarin.. Les estampes. Les médailles. Les manuscrits. Les imprimés. Combien de volumes. Les bilboquets. Le volume et la pièce. 55 kilomètres. Mosquée. Le prêt. L'Enfer. Le travail et la lecture. - La La salle de lecture. L'orthographe. La réserve . Les - - - • - - - - - - -- - -- - TABLE DES MATIÈRES. 541 - La reliure. - - merveilles. Magna charta. - L'âme des livres. La bibliothèque de l'Hôtel de Ville . Inconvénients. Les combles. chives de la Préfecture de police . Les employés. - Livres dépareillés. L'hôtel Carnavalet M. Jules Cousin . - Premier fonds de 5,104 vo lumes. La bibliothèque de Paris. Il faut multiplier les réserves de livres. La Ville doit posséder deux bibliothèques. La place manque déjà . - Le musée municipal. -- Anomalie. Pavage et beaux-arts. Séances du soir à Sainte- Geneviève. Le nombre des lecteurs. ― · Ca binet de lecture. Maniaques. La crise des institutrices. rence du public. · Indiffé 254 - - --- -- - - -- - . ― - - III. - - - - - - La presse pério Rapidité. Les -Les nou - Les journaux et la politique. Haro ! Au 18 mars. - dique n'est qu'un écho. - Les primes. Erreurs. typographes. Les sermons de la Ligue. Les mazarinades. velles à la main et les chansons. Un couplet. Le public est com plice. La bourgeoisie et la Lanterne. - Le Times. Les annonces. - La France et l'Angleterre. — Le journal du suffrage universel . — Ilo méopathie. La signature. L'Organisation du travail. Impres sions fugitives. Le Père Duchêne. — La liberté conciliable avec l'ordre. Le communiqué. Questions pénibles. Le directeur. Édouard Bertin. La Gazette de France aïeule des journaux. - A diverses épo ques. La presse non politique issue du décret du 17 février 1852. — 791 périodiques. — Chaque science a son journal. Journaux singu liers. -- L'Intermédiaire. Le tirage. Minimum invariable. presse ne périra pas. - · La - 276 - - LES JOURNAUX. Un vœu.. - - - - - IV. - LES AUXILIAIRES. - -- - - - - - ―― - - - ―― - - Sapeurs-pompiers . Capucins. Dumourier-Duperrier. Origine. 160 pompiers. --- Service et outillage et des feux de cheminée . Postes et Londres et Paris. - Opinion des An La garde des pompes du roy . actuels. Nombre des incendies casernes. Les avis superflus. glais. Organisation défectueuse. Pompier ou soldat ? - Temps de service insuffisant. Le pompier doit être assimilé au gendarme ou au gardien de la paix. Les soldats du guet. Force dérisoire . — La Notre garde urbaine. Les révolutions. - Augmenta --- ――― garde de Paris. tion du contingent. Décret du 4 octobre 1873. - La mission de la garde républicaine. - Très-respectée de la bonne population. — La véri table dénomination est garde municipale. L'impôt. Prime d'assu rance. - La prime est proportionnelle aux besoins. La part de Paris. Impossibilité de la déterminer . Douanes , contributions indirectes , timbre et enregistrement. - Contributions directes. heureux, la France est prospère.... Quand Paris est . . 293 - - - - - - - - - -- Ar - - 542 TABLE DES MATIÈRES. - ver. ――――― ries. sart. — - - - - - Les agriculteurs de Paris. - Le quartier de l'Europe. Le mouvement scientifique. L'industrie . Combien de gens en vivent à Paris. — La division du travail . Les yeux artificiels. Opinion d'Évelyn. — Les intermédiaires. Les chiffonniers . Timbres-poste ; faux cheveux ; bouquets de violettes . Les faillites . Le bonnet vert. -Les transac tions financières. La Bourse. Les irréguliers de la finance. — Vivre du jeu. Les acrobates. Les professions libérales. Les lettrés; dé tail touchant. Tribunal de première instance. Les notaires. . Les médecins. Un pour 1000. Les officiers de santé. - Ignorance. - Les comptes d'apothicaire. Molière est mort. Les propriétaires et les rentiers . Les portiers. Les cercles. Confortable. Au café. Les fonctionnaires. De père en fils. Sottise et vanité. Le travail à Paris. Les alchimistes . L'engouement. - L'équité. Les chômages. Le chômage volontaire. Le lundi. - Cafés et concerts. Tuer le Les insoumis . Les étrangers. Les garnis. Trois catégo Ce que les étrangers dépensent à Paris. Louis XIV et Man - • 307 - - - - - - — - - - ― - - - - CHAPITRE XXXV I. - LA POPULATION. - LE PARISIEN ― - - - - - - - - - - - - - II. -LA VOIE PUBLIQUE. - ― - - M. Haussmann. Caravanserai, Remboursement des avances. Paris en 1848. Les charges de la ville . L'intérêt particulier . L'opposi tion. Arrêt de la Cour de cassation . Indemnités . Extravagances. - Les agents véreux. Abus et scandale. Le livre des fruitiers. 400 millions de trop. — Le plan du Paris futur. — Les anciens projets. Mignon et Hagerman. - Le faubourg Saint- Germain. Les améliorations entrevues. La rue de Rennes et la rue du Louvre. Le boulevard Saint-Germain. L'avenue de l'Opéra. Profil excessif. La Butte des Moulins. Pente adoucie. — Urgence . Le faubourg Saint- Germain n'a pas de débouché. La rue des Tuileries. Nombre des maisons à Paris. Les locations. Entassement. État défectueux. - Budget considérable. Le fil d'Ariane. Essai en 1726. martre. Saleté des rues. La neige. Service insuffisant. Les anciennes adresses. - Décret du 4 février 1805. Inégalité. Les sections. - N° 682 de la rue Mont Le numérotage actuel. Nomenclature à adopter. - Plaintes légitimes des négociants. - Les noms illustres de notre histoire.- Mont - - - - - - - - - - - - - - - - - - - TABLE DES MATIÈRES. 543 Marat. Henri III et les Seize . Les quartiers et les arrondissements. - Les constructions de M. Haussmann . - - - - - Liberté de conscience. Les diverses confessions. Les religions ne meu - Les Lazaristes. · Reli Les martyrs. - - rent pas. Apollon Épicurius. Enquête secrète . - Bonaparte et le Concordat. Avant la Révolution . -Distribution arbitraire des paroisses. Les anciens couvents. - « On danse partout. >> Les théophilan thropes. La messe de la pie. Deux archidiaconés. 69 églises . — Les congrégations. Une citation de l'Estoile . - Les ordres liquoristes. Le libre arbitre. Les sœurs. Les églises pendant la Commune. Trois archevêques. — 1871 , 1572. - Heures de folie. 15 février 1851 , 17 brumaire an II. Tradition persistante. — Les fêtes de la Convention. Les bancs des Tuileries. - Esprit de contradic tion. Affluence aux églises . Les prédicateurs. Juste milieu. Statistique . Intolérance . Exagération. La diversité des habille ments, les francs-maçons. L'attitude du clergé. - Métier ou mission . -François de Sales. Il y a des saints parmi nos prêtres. - Discipline. - Fortune maritime . — Ordre à part . — Appel comme d'abus. La po litique et la religion . — La rue des Églises. — L'Église et l'État. nion de Napoléon Iº . La route du paradis... - - - Opi 352 - ―― gieux et religieuses. - - - La vie conventuelle . ― - - — - - - - - ――― ― --- - III. - - - - - - - - -- IV. - - - --- LA RELIGION. - · - - - - L'homme est identique à lui-même. Moeurs semblables, usages différents. -J.-J. Rousseau et les socialistes. Les instincts. - Le péché originel. — La création psychique . — Pourquoi l'homme aime la guerre. Cloaca maxima. La moralité. Les mœurs et le climat. Londres. - Le harem. Interlopes. Femmes du monde. - Galanterie et baccarat . - Les étrangers. Frivolité . — Georges Cadoudal et Longchamp. — Quatre théâtres. Bals officiels . -Les courses. Les lectures. Louis XIV et les coiffures hautes. Le demi- terme.. - - - -- - - - - • LES MEURS. - - La mode. Les riens visibles . Rostopchin. Contrastes. Engouement. Enthousiasme. Deux hommes morts à temps. Le sexe de la France . Ingratitude et infidélité. Épidémies de bêtise. La scie. Esprit d'à-propos. Égalité et distinctions . Le duc de La Rochefoucauld et le duc de Mala - koff. Un mot du maréchal Lefebvre. La gauche et la droite. Ano malie.. Les administrations urbaines. Elles sont notre salut. - La badauderie. - Polichinelle et les obus. Les coups de canon de Mont martre. Crédulité et ignorance. - Les mots qui ont déjà servi . vilité intellectuelle . Vantard, intrépide et faible. Ni sens commun ni caractère. Orgueilleux. Ce que les étrangers pensent de Paris. Sa grandeur dans l'histoire . 377 - -Ser - -- ― ― - - - -- - - - ― - - - - - - - - - - • 332 - - - - --- 544 TABLE DES MATIÈRES. -- - - - Dupe de bonne foi . · Esprit de contradiction . L'opinion de César. - 0 tempora! o mores! Le lointain dans la nature et dans l'histoire . — Le paradis perdu . Le siècle de Louis XIV. Un bal chez le duc de Les diguières. Le dessert de Fouquet. Les financiers. - Le jeu. bassette et le baccarat. Les gommeux. Le pont des Larmes . L'Estoile. tine. Cruauté. Le maquillage. encore Bronte le questionnaire . » — - - - Liberté. -— Léquinio en mission. - Lieux - La moralité d'autrefois . La Fronde. Les cris de la Pala Les gens de théâtre . « Il reste La libre pensée. Le dieu Matière. Sottise d'aujourd'hui, sottise d'au trefois. - Prison antichambre du pouvoir. Rochefort et Broussel. Les pétroleuses. - « Estoupper les souppiraux. » Le cabaret et les ou vriers. Dragonnes et graines d'épinards . Les tricoteuses. communs et banalités. Sparte. Les effets de la richesse publique. Sécurité. Assassinats. Les mauvais jours d'autrefois . - Résurrection. Le bonnet rouge et le chaperon d'Étienne Marcel . -Décapitaliser Paris, -Les menaces. Le sacre.- Fluctuat nec mergitur . — L'airain de Co rinthe. La chanson des horloges. Les grenouilles. Athènes et Alexandre. · Haine contre Paris. Vauban. L'Exposition de 1867. — Supériorité morale. L'œuvre de Paris depuis 1800. L'intelligence de Paris. Le sang de Louis XVI. Les crises érup - - - Salubrité. tives.. 404 —―――――― - - - - - - - - - - V. - LE BON VIEUX TEMPS. - - - _____ - - - - - - - - ―――― - - - - ―― - - VI. - LES RÉVOLUTIONS. L'ancienne édilité parisienne. Travaux interrompus. acteurs. Invasion provinciale. - Adrien Duport. visoire. La Commune. midor. Les furieux . - - - - 5 pour 100 de Parisiens. -Déposi 356 prisonniers, un Parisien. -- Les « voyous » . — Le théâtre et les Municipalité pro Insignifiance de l'élément parisien . — Ther Tallien. Qui a dirigé la Terreur. Loi du 27 ventôse an IV. 1814 et 1815. - La commission municipale de juillet 1830. — Le gouvernement provisoire de 1848. — Le gouvernement de la Défense nationale . La province règne à Paris. - 31 octobre 1870. - Les ruraux. Après le 18 mars. tion de M. Macé. Les exotiques. Proportion du Parisien dans la population de Paris. Le Parisien succombe sous la masse provinciale. -Une parole solennelle de Napoléon Ier. Parisien et l'habitant de Paris. Les bucoliques. L'épargne. - Pignon sur rue. Esprit de fronde. — Esprit de révolte. - Atrocia aut pudenda. Les promesses de Paris. La France émigre à Paris. « Les Iles. » — Les envieux . Les fruits secs. - La moelle des lions. Préjugés et scrupules. « Tigres agacés par des singes . » — L'alchimie sociale. Stérilité des révolutions . - Mystification méprisable. - La liberté réclamée Aveux de l'histoire . Il ne faut pas confondre le - --- - - - -- - - ― - - - ――― - --- - - La - - - TABLE DES MATIÈRES. 545 n'est pas un but. Les droits et les devoirs. Hurler avec les loups . - Paris devient moindre . Pas d'objectif politique. Force confuse . - Un mot de Chateaubriand. -- La loi de l'atavisme moral. Parisien. L'énergie du L'abstentionisme appelé trop tard à la vie politique . - Causes de nos révolutions . Périodicité inquiétante. Parisiens à Paris, on n'y ferait pas de révolutions . S'il n'y avait que des 439 - - 1 - - --- - - - La statue de la France. Faute de trouver un mode de ―――― - Décadence. vivre. - Les maladies. — L'Italie après Novare . - L'espérance survit . L'enfant terrible. - Ni tradition , ni point d'appui . Le poids des mœurs. - « Revenez aux principes. D Pourquoi la Révolution française a - Race latine. Ca Les protestants. Mal de langueur. Libre examen. - échoué. — La religion seule modifie les mœurs. tholicisme. Infaillibilité. Un précepte de Franklin . - Mépris de la légalité . — Lé galités successives . Le droit divin et la souveraineté nationale ont eu des fortunes semblables. - Le nombre est le maître . Les revendica tions. Double action. En 1848. Les dieux modernes. lait obtenir, on veut prendre . — L'orgueil du peuple de Paris. ries intéressées. O Démos! Tout effort réservé pour la guerre civile. - Sully ou Richelieu. On vou - Flatte - - Société sans équilibre . — L'ambition du peuple . Les nouvelles couches sociales . — Révolution contre la bourgeoisie. — Les priviléges de l'ancienne noblesse. La souveraineté diffuse. — Les priviléges de la bourgeoisie actuelle . Le capital. La rente sous le Di rectoire . Le drapeau rouge. Inégalité des conditions. Un docu ment récent. - Il faut regarder le danger en face. Le prolétariat pari sien. L'aristocratie ouvrière. La gouappe. 45,000 hommes. Violence et maladie. Paradis perdu. Les grévistes. Leur idéal. Ce qu'ils voient dans la civilisation. - Quitter l'outil. Les déclassés de la petite bourgeoisie. L'incendie de Paris n'a pas été une œuvre spontanée. Les vœux des nouvelles couches sociales. L'État adminis trateur. L'État fabricant. - Le monopole . — Les charges privilégiées. -Les réclamations de la classe ouvrière. Confiscation des grandes in dustries . Le droit au travail . — Limitation du nombre des ouvriers. Retour aux maitrises du moyen âge. La grève des cochers en 1865. L'abolition de l'héritage. - L'instrument du travail . — D'où viennent ces rêveries. — Matérialisme et négation de la vérité . — Tous les socialistes sont des prêtres L'Internationale. . L'édifice catholique. - Résultat analogue . Le souffle juif. La Suppression de l'idée de patrie. haine mutuelle. - Les anciens chrétiens . Du rêve à l'action il y a loin. Religion composée de schismes. Histoire de l'élec Discipline de fait et non pas discipline organisée. - La politique est indifférente au peuple de Paris. —Oppo - - - - - - - But identique, moyens différents . tion Barodet. - - - --- - - VII. - - - - LES RÊVES ET LE PÉRIL. - - - ― - - - - - - - ― - ― - - - ――― ――― ― - - - -- - - - - - ― - - VI. 35 546 TABLE DES MATIÈRES. sition sociale . Le feu partout. Le suffrage universel. Les décrets futurs. Le salut possible. État général morbide. Application scientifique . Premier acte l'acide sulfurique. Second acte : Ics huiles minérales. Noche triste. Le futur troisième acte : les ma tières explosibles . L'armée du meurtre . Di omen avertant ! - La guerre étrangère et la guerre civile. - Paris se suicidera. - Le mot de Mazarin. La mort violente des capitales. L'âme des villes . - L'âme de Paris appartient à l'humanité .. - - 469 N° 1. N° 2. No 3. No 4. N° 5. N° 6. - - - - - - ― - -- - - - - - - .. - - PIÈCES JUSTIFICATIVES --- - - FIN DE LA TABLE DU SIXIÈME ET DERNIER VOLUME. • État général des produits annuels de l'octroi de Paris, de puis 1801.... Relevé approximatif des droits d'octroi se rattachant à la construction d'une maison de 100,000 fr . , établie dans les conditions ordinaires d'une propriété de rapport ( 1873) ... 521 État indiquant le nombre de corps inhumés sans mandat du 20 au 30 mai 1871 . Arrêt du Parlement interdisant les inhumations à Paris. État indiquant le nombre de concessions à perpétuité exis tant dans les cimetières de la Ville de Paris au 1er jan vier 1874... État, par arrondissement, des casernes et des postes de sa peurs-pompiers. • • 519 524 525 532 533 A ABATTOIRS . Anciennes tueries, II, 100.- Construction des premiers abattoirs, 101. Abattoir de la Villette, 101. Les chevillards, 102. Statistique de l'abatage des animauxde boucherie en 1868, 103. Mode d'abatage, 104. Égorgeurs , 105. Boeuf paré, 106. Sacrificateurs juifs , 107. Utilisation des issues, 111 . La corporation des bouchers, 112. La liberté de la boucherie, 113 . La viande aux Halles centrales, 114. Inspection, viandes insa lubres, 114. Vente à la criée, 115. Consommation annuelle et quotidienne, 116. — L'hippopha gie, 116. Promenade du bœuf gras, 119. ACCAPAREURS. - - -- - - - - - - - TABLE ANALYTIQUE - ― - Leurs manœuvres sous Louis XV, II , 30. Leur châtiment après la prise de la Bas tille , 33. Affaire de Buzan çais , 53. ALIÉNÉS. Le traitement de l'alié nation mentale au commencement de l'ère chrétienne et au moyen âge, IV, 370. La croyance au diable, 373. La danse macabre, 379. Les démonolâtres torturés - - - et suppliciés, 380. Propagation contagieuse de la démonomanie, 386. Le médecin Wier, de Clè ves , et l'hystéro- démonopathie, 388. -Recrudescence de la croyan ce aux sorciefs après l'arrivée en France des femmes de la famille de Médicis, 391. Épidémies né vropathiques des Ursulines d'Aix et de Loudun , 392. La marque du diable, 396. La possession des nonnains, 398. L'hystéro mélancolie, 599. Colbert inter dit aux Parlements d'évoquer les affaires de sorcellerie, 402. - Pro cès de la Cadière , 403. Les convulsionnaires de Saint-Médard, 404.-Tâtonnements de la science, 405. Réformes de Pinel à Bi cêtre, 408. -Les fondateurs de la science aliéniste , 410. — Situa tion déplorable des aliénés dans les hospices de province sous la Restauration, 412. - Loi de 1838 . elle fonctionne à la satisfaction gé nérale, 414. Elle est l'objet - d'attaques imprévues et violentes, 414. La liberté laissée aux alié nés est un danger permanent, 415. Prétendues séquestrations ar bitraires, 416. Le placement volontaire, 419. -- Le placement - - - - - - - - - - -- 548 TABLE ANALYTIQUE. d'office, 421 . gence, 423. tente , 427. ment et du changement de milieu, 430. L'asile protége l'aliéné Placements d'ur La folie intermit Bienfait de l'isole Les - - contre les captations, 432. fous à Paris, 436. L'alcoolisme, 438. L'infirmerie spéciale de la préfecture de police, 439. Voyez Aliénés ( asiles d ') , Aliénés (traitement des). ALIENES ( Asiles d' ) . Les petites maisons, IV, 443. Origine de la maison de Charenton, 443 . Les aliénés à l'Hôtel -Dieu, 444. La ferme Sainte-Anne, d'abord nnexe de Bicêtre, transformée en sile , 447. Les constructions, 448. Régime des pensionnaires, 449. Trois catégories de mala des les tranquilles, les demi -agi tés, les agités, 453. Atroces souffrances des agités, 457. Asile de Vaucluse, 463. Excel lents résultats du travail manuel, 464. Dévouement du directeur de Vaucluse pendant la guerre franco-allemande, 466. Éva sions et suicides, 469. - Dévelop pement extraordinaire de certai nes facultés, 470. Asile de Ville- Evrard, 474. Les idiots à Bicêtre, 476. Les idiotes à la Salpêtrière, 479. Insuffisance des asiles municipaux, 485. L'aliénation mentale et la science, 484. ALIENES (Traitement des) . Les ca ges de sûreté à Bicètre, IV, 484. Les fous prétendus crimi nels, 485. - La manie homicide est incurable, 486.- La folie cir culaire, 487. En Angleterre , les fous dangereux sont enfermés à perpétuité, 487. Nécessité d'appliquer la même mesure, 490. L'arme ordinaire de l'aliéné , 491. Les mélancoliques irréso lus , 492. · Identité du principe morbide chez les monomancs, 493. - - - - - - - ― - - - - - - - - ――― - - - - Folie artificielle produite par le haschich, 494. La pyroma nie, 494. L'hystérisme, 495. Désordres de l'encéphale constatés par l'autopsie chez les lycanthro pes, 496. - Un pensionnaire de - la sûreté de Bicêtre, 496. - Ré sultat de l'enquête sur l'insanité des criminels, 497. Insuffisance des ressources de l'Assistance pu blique pour améliorer le traite ment des aliénés, 499. — Insuffi sance numérique du personnel médical , 500. L'asile d'Illenau, dans le grand-duché de Bade, est un asile modèle au point de vue du personnel médical et des soins que l'on prodigue aux malades, 502. La science aliéniste est stationnaire en France, 505. Ce que devrait être le directeur d'une maison d'aliénés, 506. Effets de l'action morale du méde cin, 507. Recherche des causes de la folie, 508. Nécessité de créer une chaire de pathologie mentale et d'ouvrir un hôpita clinique, 509. ALIMENTATION. - L'alimentation de la France sous l'ancienne monarchie, II, 1. — Charges des paysans, 3 . - Difficulté de l'approvisionne ment de Paris, 6. Cherté des vivres et famine, 7. Frontières el douanes provinciales, 10. Premiers essais de liberté commer ciale sous Henri IV, 11. - Riche lieu disettes et famines, 12. Louis XIV misère excessive, 13. Famine de 1709 : le pain de disette, 15. Les accapareurs, 17. Famines du dix-huitième siècle, 21 - Réformes de Turgot, 26. Guerre des farines, 28. Le pacte de famine, 29. Con sommation de Paris en 1789, 36. Nomination d'un comité des subsistances par l'Assemblée con stituante, 37. - Famine de 1790, 38. Vains efforts de l'Assemblée — - - - - - - - - - w - www - - - TABLE ANALYTIQUE. 549 Ca - pour combattre la cherté des sub sistances, 41. Loi du maximum, 45. Le pain de l'égalité, 46. Cherté de la viande, 47. rême patriotique, 48. Origine de l'échelle mobile, 49. - Ré serve de Paris , 50. Affaire de Buzançais, 53. La liberté du commerce des grains, 54. L'autorité municipale chargée de l'approvisionnement de la ville, 57. Surveillance des denrées, 63. Halles et marchés, 64. Droits d'octroi et de vente, droits municipaux, 66. L'Angleterre s'approvisionne à Paris, 69. Paris gros mangeur, 70. - Voyez Abattoir , Entrepôt général des vins, Halle au blé, Marché aux bestiaux. APPROVISIONNEMENT DE PARIS. -Ques tion vitale pour le gouvernement, II, 209. - AQUEDUC D'ARCUEIL, V, 308. AQUEDUCS.- Voyez Eaux. ARGOT. - ――― ― - - - Le langage des malfai teurs, III, 22. Il est employé - - -- par les jeunes gens du monde, 23. La langue calo et ses étymolo gies, 23. ARLEQUINS. Ce qu'on entend par arlequins aux Halles centrales, II, 181 . - - - ARMES DE PARIS. Leur origine, I, 363. ARSENAL ( Bibliothèque de l ' ) , VI , 256. ARTS ( Pont des) , I , 386. ASILES D'ALIÉNÉS, IV, 443 . ASSASSINS.Voyez Malfaiteurs. ASSISTANCE PURLIQUE. L'indigence et la richesse résultat des grandes agglomérations humaines, IV, 87. Causes de la misère : la rigueur de notre climat et l'imprévoyance, 88. La charité est une néces sité politique, 91. L'assistance des pauvres sous l'ancien régime, 93. Son organisation actuelle, 96. Le patrimoine hospitalier, 98. Le droit des pauvres, 103. - - ――― --- Insuffisance des ressources nor males de l'Assistance publique, 107. L'indigence parisienne ab sorbe annuellement plus de 40 millions, 108. La boulangerie de l'Assistance publique, 109. La pharmacie centrale, 114. - Le magasin central , 119. Les bu reaux de bienfaisance, 123. - Po pulation indigente de Paris, 125. - Un bureau de bienfaisance par arrondissement, 125. Les mai sons de secours, 131. - Les sœurs de charité, 132. Nul n'est re poussé de la maison de secours, 141. La vaccination et l'in struction obligatoire , 141. — Les visiteurs de l'Assistance publique, 143. Différentes formes de la misère, 146. Traitement des malades à domicile , 164. - Im partialité de l'Assistance publique , 165. Son importance politique et sociale, 166. Voyez Misère. -


- - - - — ― - - - B BAINS. Établissements de bains froids et chauds sur la Seine, I , 416. BANQUE DE FRANCE . Origine des banques, II, 363. Law et la Banque du Mississipi , 365.- Caisse d'escompte, caisse des comptes courants, 368. Fondation de la Banque de France, 309. Son - - - - - -- gouvernement, 372. Panique de 1814 , crise de 1848, 375. Cours forcé, 376. Popularité du billet de banque, 377. -Trans formation des banquesdépartemen tales en succursales de la Banque de France , 378. - Capital de la Banque, 378. - Grand conseil et comités, 379. Billets de ban que, 380. - Les opérations de la Banque, 407. - L'escompte, 408. Le portefeuille, 415 . garçons de recette , 415. Les comptes courants, 422. comptant, 424. - - Les Le Avances sur - ―― - - 550 TABLE ANALYTIQUE. valeurs mobilières, 424 ; sur mé taux, 426. Garde des dépôts précieux, 426. Dépôt des titres, 428. Constructions incombus tibles, 429.- · Bureau des actions de la Banque, 430. Le grand livre, 430. Bureau des succur sales , 431. Ravitaillement des succursales, 431. Bureau du change, 431. Le contentieux , 432. Longanimité de la Ban que, 432.Contrôle permanent, 433. Balance quotidienne des opérations, 434. Caisses par tielles, 436. Caisse principale, 437. Les caves, 439. - Moyens de défense, 442. Les rondes de veilleurs, 442. - Précautions con tre l'incendie, 444. Le person nel, 444. Caisse de retraite, 445. Tout employé de la Ban que est actionnaire, 446. - Le restaurant des employés, 446. Fidélité de la Banque au principe de sa constitution, 446. Voyez Billets de banque. BARBIER (Pont) , pont Sainte-Anne ou pont Rouge, I , 383. BASTRINGUE. Étui renfermant les instruments propres à faciliter l'évasion des détenus, III , 317. - Dessin de ces instruments, 511 . BATELEURS. Jadis la voie publique leur appartenait , IV, 43. ordonnances de police les obligent à se munir d'une permission , 44. Pradier le bâtonniste, 45. Lesjoueurs d'orgue, 48.- L'hom me-orchestre, 50. Les chan teurs, [50. Les petits Italiens et la traite des blancs, 51 . - Des BELLIÈVRE ( M. DE ) , premier président au Parlement. Prépare la créa tion de l'hôpital général, IV, 16. BERCY. Description du port aux vins, I, 401 . BERGER, préfet de la Seine. - Insti tue dans les cimetières de Paris les aumôniers des dernières priè rcs, VI, 208. - - - ― - - - - - - - - - - - - - - - - - ― - Voyez Marché aux Bes - --- - BERTIN ( Édouard) , directeur du Jour nal des Débats, VI, 287. BESTIAUX. tiaux. BIBLIOTHÈQUES . L'outillage du tra vail intellectuel , VI , 254. - La Mazarine, 256. L'Arsenal, 256. - Sainte-Geneviève, 257. — La Richelieu, 258. - Sa division en départements, 259.- Nombre des volumes , 260.- Le prêt des livres, 262. L'Enfer, 262. Salles de travail et de lecture, 262. La réserve, 263. Les merveil les de l'art typographique et de la reliure, 264. Bibliothèque de la Ville, 266. L'hôtel Carnava let , 268. Premier fonds donné par M. Jules Cousin pour la re constitution de la bibliothèque his torique de la ville de Paris, 268. La Ville devrait posséder deux bibliothèques, 270. Exiguïté du nouvel emplacement, 271 . Assiduité des lecteurs aux séances du soir à la bibliothèque Sainte Geneviève, 273. -Nombre des lec teurs qui fréquentent les autres bibliothèques, 273. Les livres le plus demandés, 274. Les maniaques, 274. La crise des institutrices, 275. Indifférence du public pour les jouissances de l'esprit, 275. BIBLIOTHÈQUES DES PRISONS. Livres préférés par les détenus, III , 319. Nature des inscriptions mises sur les marges des volumes prê tés , 319. - - BICÈTRE ( Hospice de) . - Son origine et son histoire, IV, 310. Elat de l'hospice en 1789, 526. Son régime intérieur , 313. - Les ca chots des condamnés à mort, 314. Scellement des prisonniers, 315. Révoltes, fusillades et pendaisons, 316.- Les massacres de septembre 1792, 316.- Bicê tre reçoit une destination exclu sivement hospitalière, 316. As - - - - -- ― - ― - - -- - - - -- - - - TABLE ANALYTIQUE. 551 pect de l'édifice , 317. Com ment on y a remédié à la disette d'eau, 317. Les pensionnaires, leur caractère, leurs antécédents, 319. Ivrognerie générale , 323. Les ateliers ardeur au travail, 324. Les réfectoires , la can tine, 526. Les dortoirs, 328. La société de secours mutuels de l'hospice, 329. Infirmités hideuses, 331. La vacherie de l'Assistance publique, 334. - Les idiots, 476. La sûreté, 484. BIENFAISANCE ( Bureaux de) , IV, 123. BIÈVRE ( Rivière de) , I , 591 . BILLETS DE BANQUE . - Les assignats, II, 380. Signalement des bil lets de la Banque de France, 383. Le papier, 386. La gravure - et l'impression, 388. - - La comp tabilité des billets , 392. Péré grinations d'un billet de banque, 393. Billets perdus, 394. Annulation, 395. Destruction, 396. Les faussaires, 401 . BILLOD ( Le docteur) , directeur de l'asile d'aliénés de Vaucluse. Son dévouement pendant la guerre franco-allemande, IV, 466. -- - - --- ― -- -- - - - - ――― BLE. Prix du setier de froment comparé à la valeur du marc d'ar gent pur depuis 1515 jusqu'en 1835, II, 451. BOEUF GRAS ( Cortége du) , II , 119. Accidents, 120. - Intermittences, 120. Comparses du cortége, 121. - BOITES DE SECOURS. Établies le long de la Seine par la préfecture de police , I, 420 . -- BON-PASTEUR ( Euvre du) . Refuge pour les filles repenties, III , 481. BOULANGERIE . Monopole et appro visionnement obligatoire, II , 79. — Prescriptions léonines imposées aux boulangers par les anciennes ordonnances, 80. Limitation du nombre de boulangeries, 80. Taxe du pain, 81. Le système de compensation, 82. Liberté - - - -- - de la boulangerie, 83. Fabri cation du pain, 85. Différentes qualités de pain, 86. Consom mation annuelle, 88. BOULANGERIE DE L'ASSISTANCE PUBLIQUE ou MAISON SCIPION, IV, 109. - Ses différentes destinations, 110. Sa minoterie à l'anglaise, 111. Ses silos en fer, 111. Procédé Mége-Mouriès , 112. - Le fournil, Fabrication quotidienne -- - ―――― -- 113. de pain, 113 . BUREAUX DE BIENFAISANCE. Un par ― - arrondissement, IV, 125. · Leur personnel administratif, 126. Inscription des indigents sur le contrôle, 126. · - Secours tempo raires, 126. Secours annuels, 127. - Les ressources des bu reaux de bienfaisance sont très aléatoires, 128. - Subvention or dinaire, extraordinaire et en na ture, 129. · Mission des bureaux de bienfaisance, 130. Voyez Assistance publique, Maisons de - secours. - - - - -w CABARETS, II, 209. - CABINET NOIR. Son institution re monte à l'édit même de Louis XI, qui prescrit la lecture préalable des lettres , I , 49. - La violation du secret des lettres au dix- sep tième siècle , 50. Organisation du cabinet du secret des postes par Louis XV, 51. — Façon de pro céder pour le décachetage des let tres , 51. Suppression momen tanée du cabinetnoir par Louis XVI, 53. Les cahiers des états géné raux réclament unanimement le secret des lettres, 54.- L'Assem blée nationale supprime les fonds affectés au cabinet du secret des postes et impose le serment aux employés, 54. Opinion de Ro bespierre, 55. Pratiques des Girondins et des Montagnards, 56.


- - - -- 552 TABLE ANALYTIQUE. - Aveux de Napoléon Iºr, 57. · - Hos Le cabinet noir sous la Restaura tion, 59. Révélations après 1830, 60. Le chef du cabinet noir, 61. CHEMINS DE FER. Les inventeurs, CHARDON-LAGACHE (Maison) . pice de vieillards, IV, 250. CHARLEMAGNE. Crée un service de courriers royaux, I , (35. Le cabinet noir exis CHARNIERS. Voyez Cimetières. te-t-il encore ? 62. Contra- CHASSE-MARÉE . Leurs priviléges diction entre le Code pénal et la sous l'ancienne monarchie, II, 19. jurisprudence de la Cour de cas- CHAUFFEURS des chemins de fer, I, sation, 63, 448. Saisie d'une 331. lettre autographiée du comte de Chambord, 64, 451 , 452.- As sassinat des plénipotentiaires de Rastadt, 66. Un diplomate trop curieux, 67. CAFÉ. Sa sophistication , II, 201 . CAMBRIOLEURS. Catégorie de vo leurs , III , 42. CARAPATAS. Ouvriers bohèmes des ports de la Seine, I , 414. CAROUBLEURS . Catégorie de vo - - leurs, III, 43. CARREURS. I, 286. Opposition des hommes d'État français à l'établissement des chemins de fer, 292. · - Construc tion de la ligne de Paris à Saint Germain, 294. - Loi réglant les concessions, 297. Mouvement en 1866, 500.- Fusion et nom bre des compagnies, 302. La gare de l'Ouest (rive droite) , 303. Son aspect général , 307. — Le chef de mouvement, ses fonctions, 311 . Catégorie de voleurs, Le chef de gare, 318. Manoeuvres et signaux, 319. La gare des marchandises, 322. Le dépôt des locomotives, 327. Mécaniciens, chauffeurs et agents des trains, 330. Omnibus et cavalerie de la compagnie de l'Ouest, 336. Le cahier des charges, 337. — Importance stra tégique des chemins de fer, 339. -La fortune des compagnies, 343. Les accidents, 344. CHIFFONNIERS. III, 38. - CASSEURS DE PORTES, Catégorie de voleurs, III , 38. CELIBATAIRES. -Proportion des cé libataires dans la population to tale de Paris, VI, 99. CHAMBORD (le comte de) . · Lepréfet de police fait saisir des exemplai res d'une lettre autographiée du prétendant , envoyée sous enve loppe à ses partisans, I , 64. CHAMOUSSET. Établit la petite poste de Paris, I, 41. CHAMP-DES-NAVets. · Cimetière des suppliciés, III, 389. Cimetière spécial des hôpitaux, VI, 182. CHAMPEAUX (les) . Vaste terrain, sur lequel on a construit les Hal les , VI, 164. Leur nombre, VI, CHANGE ( Pont au) , I , 375. CHAPPE (Claude). Invente le télé graphe aérien, I, 118, 127. Est nommé par décret de la Conven tion ingénieur- télégraphe, 135. - Son suicide, 145. légraphe aérien. CHARBON DE BOIS. Ports réservés à leur vente sur la Seine, I, 399. -- - ― - - - - - - - ― - - - - - - - - >> - -- - 1 - - Catégorie de voleurs, - 311. CHINEURS. III, 30. CIMETIÈRES. - La sépulture dans les églises, VI, 157. Nombreux ci metières de l'ancien Paris, 157. Grande quantité d'ossements trouvés dans les fouilles exécutées sur la voie publique pendant le second Empire, 158. Décou verte des cercueils de la duchesse de Guise et du cardinal Dubois, Voyez Té 159. Ossements trouvés dans les cryptes et les caveaux des égli ses crédulité du peuple, qui y voit les restes des victimes seques - - - TABLE ANALYTIQUE. 535 ――― trées par le clergé, 160. La Commune de 1871 exploite cette crédulité par une exhibitiond'osse ments sur les marches de Notre Dame-des-Victoires, 160. Le cimetière des protestants sous l'ancien régime, 161. Cime tières secrets, 161. Réclama tions diplomatiques adressées par divers gouvernements protestants en faveur de leurs nationaux qui mouraient à Paris , 162. Cime tière des protestants étrangers, 162. Champ de sépulture se cret du port an Plâtre , 162. - Ci metière israélite , 163. Le char nier des Innocents, 164. Aspect de ce cimetière au moyen âge, 165. Comment on y faisait les inhumations, 166. L'encombre ment des cadavres y engendre le typhus, 166. Inutile interven tion des médecins et des savants pour faire supprimer ce foyer pestilentiel , 166. Amour du Pa risien pour le cimetière des Inno cents, 167. C'était un centre de commerce et de mouvement, 167. Sotte croyance du peuple au sujet de propriétés absorbantes du sol des Innocents, 168. Un arrêté du parlement ordonne en vain la fermeture des cimetières compris dans l'enceinte de la ville, 169. Le charnier trop plein rejette ses cadavres, 170. Fermeture et destruction du cime tière , 171. Les ossements re cueillis sont versés dans les cata combes, 172. Le cimetière des Innocents devient le marché aux légumes , 173.- Projet d'une né cropole unique, 174. - La Révo lution transfère à l'autorité mu nicipale la propriété et la police des cimetières, 175. - La Com mune révolutionnaire crée deux cimetières supplémentaires, 175. - - · Cimetières de Picpus et de la Madeleine, 176. Cimetière de - - - - - - - - - - - - Mousseaux ou des Errancis , lieu de sépulture de Charlotte Corday et de plusieurs membres de la Con vention , 177.- Recherche infruc tueuse des corps de Louis XVI et de Louis XVII , 178. · Cimetière de Vaugirard, 178. Cimetière Clamart, 179.- Cimetière Sainte Catherine, lieu transitoire de sé pulture de Mirabeau, de Bichat, de Pichegru, 180. Création de trois grands cimetières par Fro chot, préfet de la Seine, 181. Un décret impérial met à la dis position de la ville quatre cime tières, réduits plus tard à trois, Montparnasse, Montmartre et le Père-Lachaise, 182. L'annexion de la banlieue fait entrer quinze cimetières dans Paris, 182. - Nos vingt-deux cimetières , 182. Concessions perpétuelles et tempo raires, 183. Inhumations gra tuites fosse commune et tran chée gratuite , 185. Les trois principaux cimetières, 186. — Vi Les gilance des gardiens , 203. aumôniers des dernières prières, 206. Les enterrements civils , 207. Le visa des épitaphes, 208. Banalité de la plupart des épitaphes, 209. Saturation du sol des anciens cimetières de Pa ris, 211. Les cimetières d'Ivry et de Saint-Ouen, 212.- Nom bre d'hectares nécessaire, 215. Saponification des corps dans les terrains saturés, 216. Exhalai sons redoutables, 216. - Empoi sonnement de la nappe d'eau sou terraine, 217.- La crémation de vant l'Église et la magistrature, 218. Nécessité d'éloigner les cimetières, 219.-M. Haussmann, préfet de la Seine, conçoit le pro jet d'un cimetière unique, situé sur le plateau de Méry- sur- Oise, 220. - Le culte des morts est un des caractères distinctifs du peuple de Paris , 225. Voyez - ― - - - - - --- - - 554 TABLE ANALYTIQUE. Père - Lachaise , Montmartre , Montparnasse, Méry-sur-Oise. CITE (Ile de la) , I , 371 , 373. CLAUDE ( M. ) , chef du service de la sûreté à la préfecture de police, III , 131 . CLOCHETEURS DES TRÉPASSÉS . Leur cri et leur costume, VI , 142. Leurs contestations avec le clergé, 144. - COCHERS DE FIACRE . La sorbonne des cochers, I , 229.- Provenan ces principales , 234. Les bons sujets, 235. - Les ivrognes, 236. Les bohèmes, 236. Prêtres et bacheliers devenus cochers de fiacre, 238. Détournements de recettes comimis par les cochers, 239. Surveillance et contrôle , 240. Police secrète, 241. Amendes, 242. Mise à pied , 245. Surveillance de la po lice, 243. Enquête sur la mora lité des postulants, 243. - Dos sier, 244. Plaintes, 244.- Ré compenses, 245. —Punitions, 246. Assassinat de M. Juge par le cocher Collignon, 247. - La four rière, 248. Les cochers fidèles, 253. La grève des cochers en 1865 , IV, 496. COCHERS ET CONDUCTEURS D'OMNIBUS, I , 267. Contrôle du service, 268. - Leur condition, 274. COCHES. Anciennes voitures pu bliques, I, 282. - - - --- - - - - - - - - - - - -- COLONIES AGRICOLES . - Création de la colonie de Ben-Aknoun par le P. Brunauld pour les enfants trou vés et les enfants indigents, IV, 297. Insuccès de l'expérience, 298. Autres tentatives infruc tueuses, 299. Résultats satis faisants obtenus par l'abbé Hal cuin à Arras , 300. L'évasion est le résultat définitif de l'éduca tion donnée dans les établisse - - - - ments agricoles, 300. COLTINEURS. Ouvriers des ports, I, 412. COMPTEURS-MIREURS des Halles cen trales, II , 175. CONCIERGERIE. La maison de jus tice, III, 243. Le cachot de Marie-Antoinette et celui de Dan ton, 244. Le caveau de Robes pierre, 245. Le quartier des cochers , 245.- La prison du prince Louis -Napoléon - Bonaparte, 246. Le dépôt des greffes, 246. — Les archives des tribunaux, riches ses historiques inutilisées, 248. CONCORDE ( Pont de la) , I , 383. CONSOMMATION GÉNÉRALE DE PARIS. Détails et quantités, II , 206. Renchérissement des denrées, 208. Difficultés de la vie maté rielle, 208. CONSTANTINE ( Pont de) , I, 385. CONTE. Directeur général des pos tes, organise un nouveau service de malles-postes, I, 69. COUR D'ASSISES. -- Formes anciennes de la justice , III , 181. — La ques tion judiciaire, 182. - Cruauté de la justice royale : accusés jugés sans être défendus, jugements sur pièces à huis clos, atrocité des supplices, disproportion entre le crime et le châtiment, cadavres salés, jugés, condamnés et exécu tés , 183. - L'amende honorable, 188. Justices seigneuriales et ecclésiastiques, 189. Les justi - ces de Paris : la Tournelle et le Châtelet, 190.- Une audience au Châtelet sous Louis XV, 191. Institution du jury, 193. — Orga nisation actuelle de la magistra ture, 195. Son intégrité, 199. La chambre des mises en accu sation, 219. Le tirage au sort du jury, 220. Transport de l'accusé à la Conciergerie, 220 . L'avocat d'office , 221 . Une au dience de la Cour d'assises : la salle et le public, 221.- La cham bre du conseil et le jury, 227. — Lecture de l'acte d'accusation et interrogatoire, 229. Audition - — - - - - ―――――― - 1 - - - TABLE ANALYTIQUE. 555 des témoins, 231. Le médecin légiste, 232. Le ministère pu blic, 235. La défense, 237. Résumé du président, 239. — Le verdict, 241. La Conciergerie, 243. Sécurité de la justice française, 250. Voyez Instruc tion criminelle. - COUR DES MIRACLES , IV , 9. CRIS DE PARIS , II , 192. CROQUE-MORTS. - Leur tenue et leur jargon, VI, 154. Leur passion pour les pourboires, 155 . CROZES ( l'abbé) , aumônier du dépôt des condamnés ( Grande-Roquette) , III, 345. - ――― - ―――― - ――― CUISINES en plein vent, II , 196 . CYGNES (Allée des ) , I , 375. CYGNES ( Ancienne île des ) , I, 374. ――――― ―― D DAMES DIACONESSES ( Refuge des) . Maison de correction pour les filles protestantes, III, 476. DÉBARDEURS. Ouvriers des ports, I, 412. DEBELLEYME, préfet de police . - Au torise la circulation des omnibus, I, 257. DÉCÈS . tés à Paris de 1865 à 1869, VI, 125. - Rapide accroissement de la mortalité pendant la période d'investissement en 1870 , 126. Recensement général ordonné dès les premiers jours du siége , 126. - Nombre des émigrants et des expulsés, 127. - Nombre des ré fugiés de la banlieue, 127. Moyenne normale des décès avant l'investissement, 127. Accélé ration de la mort durant les diffé rents mois du siége , 127. - Ef fets des privations , de la famine, du froid et de l'alcoolisme, 128. - Obituaire de 1870 , 129. -Chif fre élevé des décès pendant le mois dejanvier1871,129.- Mor - - - ' alité des premiers mois de 1871, 129.-Retour aux moyennes nor males, 129. Nombre total des décès des deux années 1870 et 1871. Proportion minime des décès par suite d'actions de guerre, 130. Les morts de la Commune, 130. Inhumations sans mandat, 131. Décès anonymes, 131 . Enfants mort-nés en 1870 et 1871, 132 Proportion des décès pour les hommes et pour les femmes, 132. Cause principale de l'ac croissement de la mortalité pendant le siége de Paris, 133. · Excès d'agglomération de la population, Travaux entrepris pour assainir les quartiers populeux, 134. Fréquence des maladies des voies respiratoires, 135. Les suicides et les meurtres, 136. Influence des saisons sur la morta lité, 136. - Influence de l'âge, 137. Formalités par lesquelles l'état civil constate les décès, 137. Le mandat d'inhumation, 138. DÉCHIFFREURS. Sagacité des em ployés de l'administration des pos tes chargés de déchiffrer les adres ses illisibles , incomplètes ou erro nées, I, 93. 134. ― Ouvriers des ports, I, 413. DÉGUSTATEURS de l'Entrepôt général des vins, II , 132. DELESSERT ( Gabriel) , préfet de police. Modifie le régime intérieur de la Petite-Roquette, en prescrivant le travail et l'isolement des jeunes détenus , III , 264. - - - - DÉPÔT . - - - S - Moyenne des décès consta DECHIREURS. ― - - - - Prison de la Préfecture de police, III , 151 . DÉROULEURS. Ouvriers des ports, I, 412. DEVILLAS (Maison) . Hospice de vieillards, IV, 250. DOUBLE ( Pont au) , I , 382. DOUET DE ROMP-CROISSANT (Jean) . Propose d'organiser les monts de-piété en France et d'employer - 556 TABLE ANALYTIQUE. Catégorie les mendiants à la salubrité et à la sécurité des rues, IV, 15. DROGUEURS DE LA HAUTE. defilous, III, 30 ; IV, 30. DUBOIS, premier préfet de police. Habile organisateur des services, III, 86. DUPORT (Adrien) . - Réformateur de la justice, il fait admettre en prin cipe la création du jury, III , 195. E au EAUX ( Service des) . Sources d'a limentation dans les temps an ciens et au moyen âge, V, 283. Établissement des premières fontaines publiques, 285. Ori gine de la vente de l'eau, 289. Construction de la Samaritaine, 291. Les eaux d'Arcueil, 292 . Consommation en 1669, 294. Machines hydrauliques du pont Notre-Dame, 295. Les eaux de la Beuvronne et de l'Ourcq ame nées dans le bassin de la Villette , 300. Produit des concessions commencement du dix-neu vième siècle, 301. Rendement quotidien actuel des différentes prises d'eau, 302. Les eaux des Prés-Saint- Gervais, 304. - L'a queduc d'Arcueil, 308. Les à feu, 298, 314. La pompes prise de l'Ourcq, 315. Réser voirs de l'Ourcq, 319. Puits ar tésien de Grenelle , 320. Les puits de Passy, de la Butte aux Cailles et de La Chapelle, 325. Caplage et trajet des eaux de la Dhuis et de la Vanne, 328. Ré servoirs superposés de la Dhuis et de la Marne, 334. Fontaines monumentales, 338.- Fontaines banales, 340. - Bornes-fontaines, 340. Bouches d'arrosement , 342. La Compagnie générale des eaux, 344. Les porteurs d'eau, 345. Produit annuel des - - - - ― - - -――― - ―――― - --- ― - - - concessions d'eau, 348. - Moyen ne de la consommation, 350. ÉCLAIRAGE. - L'éclairage de Paris au seizième siècle, V, 356. · Insé curité des rues, 358. — Organisa tion des porte-flambeaux, 359. Établissement des lanternes, 362. - -- - - - - Les réverbères , 369. - L'é clairage au gaz , 378. · La Com pagnie parisienne, 385. Fabri cation du gaz, 386. Consomma tion du gaz à Paris, 403. Cana lisation , 403. Emploi du gaz pour les usages domestiques, 408. ÉCOLES PRIMAIRES. -Voyez Enseigne - - ment primaire. ÉCORCHERIE ( ' ) , aujourd'hui quai de - Gèvres, 1, 370. ÉCOSSEURS. Secrétaires spéciaux de la préfecture de police, III, 146. ÉGOUTS. Les rues et les ruisseaux au moyen âge, V, 415. - Le ruisseau de Ménilmontant devient le grand égout collecteur de Paris, rive droite, 416. · Les trous pu nais , 417. Les premiers égouts couverts, 418. Le prévôt des marchands Michel- Etienne Turgot opère avec succès le curage du grand égout au moyen des eaux de Belleville, 427.- Assainissement de la ville par la création du quar tier de la Chaussée-d'Antin, 429. Longueur totale des égouts sous le Consulat, 431.- Les ruis seaux et les bouches d'égout sous le règne de Louis-Philippe, 432. · La transformation de Paris et les collecteurs , 436. Une visite dans les égouts, 442. Les égouttiers, 458. Les rats d'é gout, 460. Les eaux des collec teurs converties en engrais, 463 . Emploi de ces engrais dans les cultures de la plaine de Genne villiers, 464. Fertilité prodi gieuse, 467. Composition de l'engrais provenant du dépôt solide laissé par les eaux des égouts, 473. - ――― - - - - - --- - -- ――― - - TABLE ANALYTIQUE. 557 ―――――― - ENFANTS-ASSISTES, IV, 268. ENFANTS MALADES ( Hôpital des) . La gymnastique et l'école , IV, 227. ENFANTS TROUVÉS . · Le berceau per manent des églises du moyen âge, IV, 255. Les pauvres enfants trouvés de Notre-Dame de Paris, 256. Premier hospice fondé par Marguerite de Valois, 257. - Les enfants rouges et les enfants bleus, 257. La Couche, 258. Le Saint trafic des enfants, 258. Vincent de Paul fondateur de la maison des enfants trouvés, 259. Prospérité de l'institution , 262. Le nombre des enfants trouvés croît en raison des soins qu'ils re çoivent, 264. La Révolution et les enfants de la patrie, 266 . Les enfants trouvés à l'Institut de l'Oratoire, rue d'Enfer, 266 . Les courtiers en enfants abandon nés, 267. Excessive mortalité des enfants reçus à l'hospice , 268 . L'Assistance publique les prend sous sa tutelle , 268. Séjour transitoire des enfants à l'hospice, 269. Ineptie des nourrices, 270. Suppression du tour, 272. Proportion des abandous dans divers arrondissements de Paris, 272. Condition sociale des mè res qui abandonnent leurs enfants, 273. Un abandon à l'hospice des Enfants-Trouvés, 275. — Sa ges-femmes mauvaises conseillé res, 278. Enfants exposés dans Enfants les lieux publics, 278. provenant du dépôt des hôpitaux et des prisons , 279.- Signes dis tinctifs des enfants abandonnés et déposés, 280. - Aspect de tris tesse de l'hospice , 281 . La crèche, 282. Les nourrices sé dentaires, 283. Le quartier des sevrés, 283. Dévouement des filles de service, 285. - L'infir merie et les maladies des enfants, 286.- Le surveillant des garçons, dessinateur de jardins et directeur -


― - - --- - - - - - - ――― - - - - -- - de théâtre, 288. Recrutement des nourrices des enfants trouvés, 291. Les enfants trouvés et les colonies agricoles insuccès de l'expérience , 297. Échec des colonies pénitentiaires, 299. Ce que deviennent les enfants trouvés à leur majorité, 301. Les en gagés volontaires, 301. - Les en fants trouvés enrichis, 302. - En fants réclamés par leur famille , 302. Les adoptions, 303. - Ce que coûtent les enfants assistés , 305. Voyez Nourrices, Colonies agricoles. ENSEIGNEMENT PRIMAIRE. Rivalité du clergé et de l'Université , V, 79. Les trois maladies de la France, 80. Remède, 80. But de l'instruction, 81. L'instruction obligatoire est le corollaire obligé du suffrage universel , 81. - Carte statistique de l'instruction publi que en 1866, 88. Dévouement et pauvreté des instituteurs , 90. Budget misérable, 91 . - Éco les de Paris, 92. Gratuité des Statistique Salles d'asile, 98. - écoles municipales, 93. Le ma gasin scolaire, 95. des écoles, 97. Tenue de l'école, 100. — Cartes géographiques de l'école laïque de la rue Neuve-Coquenard, 102. - Instincts pédagogiques de la femme, 103. Les sœurs de Saint-Vincent de Paul, 104. - Les nouvelles écoles, 106. Les vieil les écoles, 107. Caisse des éco les , 112. - Liberté de l'enseigne ment, 114 . ENSEIGNEMENT Re constitution de l'Université, V, 118. - Les pères jésuites, 118. - Mé thode superficielle , 119. - Ensei gnement mécanique, 119. La mémoire substituée au raisonne ment, 119. Absurdité des mé - SECONDAIRE . - thodes, 121. Conséquences du système, 121. - Il faut substituer les conférences aux classes, 122. - - - --- - - ― -- - - - - -- - - 558 TABLE ANALYTIQUE. - 133. Le concours général, 123. Rivalité des chefs de colléges et d'institutions, 125. Mauvais résultats du concours général , 127. -La bifurcation , 128.- Le vers latin, 133. Le discours latin, Agglomération périlleuse dans nos lycées, 135. Le bac calauréat és lettres et la stérilité de l'enseignement secondaire, 136. Nécessité de l'étude des lan gues vivantes, 139.- Deux bac calauréats, 140. Résultats gé néraux de l'enseignement secon daire, 141. Les goûts vulgaires des classes éclairées, 141 . ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR. Facultés et établissements scientifiques , V, 144. Anémie de l'enseignement supérieur, 144. La politique dans les chaires, 145. Néces sité de rétablir le concours, 147. Enseignement délaissé, 148. — Les cours du Collège de France, 149. Pauvreté de l'enseigne ment supérieur, 151. L'Ecole de Médecine, 152. -L'École pra tique, 154. Le Muséum d'his toire naturelle, 156. Mission de M. Wurtz en Allemagne, 163. La science abstraite rapporte à la France plus de 100 millions par an, 166. La science et l'ortho doxie, 166.-La Prusse après Iéna , 168. La bataille suprême, 169. La régénération, 170. ENTERREMENTS. - Voyez Pompes fu - nèbres. ENTREPOT GÉNÉRAL DES VINS. - Le marché en bateaux, II, 122. Halle aux vins, 122. Création de l'Entrepôt général , 123. Ses dispositions, 124. Ses caves et celliers, 14 Prix de location, 124. Précautions contre l'incen die, 125. Dégustation, 126 . Le dépotoir, 126. Marché en Contenance des fûts, Huiles et vinaigres, 128. Vins frelatés , 129. - Mariage gros, 127. 128. - - - - - - - - - - - - - - - - - - ― - - ―― - ― -- Exiguïté de l'En Nécessité de l'é Voleur qui tue pour vo des vins, 129. Fabrication des vins, 130.- Amélioration de l'eau de-vie, 131.- Dégustateurs asser mentés, 152. Consommation de Paris, 134. trepôt, 134. tablir sur un emplacement plus vaste, 138. ESCARPE. ler, III, 48 . ÉTAT CIVIL. Les registres de l'état civil , VI, 73.- Période de renou vellement de la population de Pa ris , 74. Importance de la bonne tenue des registres qui constatent les naissances, les mariages et les décès, 75. Les registres curiaux du clergé, 76. Étranges annota tions inscrites sur les registres de certaines paroisses, 77. Lacu nes et irrégularités de leur rédac tion, 79. Scandales engendrés par le droit de prévention sur les bénéfices vacants : prêtres salés et enbaumés, 80.— Intervention de la royauté la célèbre ordonnance de Villers-Cotterets règle la tenue et la conservation des actes de l'état civil, 80. Continuation du désordre et du mauvais vouloir des ecclésiastiques , 81. - Une dé claration royale, rédigée par d'A guesseau, règle définitivement la matière, 82. Perturbation pro duite par la constitution civile du clergé en 1790, 82. Baptêmes clandestins, 83. - Danger signalé par la municipalité de Paris , 83. Lenteur de l'action législative , 85. Initiative du département de l'Ardèche , 84. - Niaiseries de Gohier dans la discussion de la loi, 85. La loi du 20 septembre 1792 confie aux municipalités la rédaction des actes authentiques de l'état civil , 86. - Mesures ordon nées pour assurer la conservation des registres, 87. - Incendie des dépôts de l'Hôtel de Ville et du Pa lais de Justice pendant la Com - - -


- - ――― - ―――― - - - - - -- TABLE ANALYTIQUE. 559 - mune de 1871 , 88. - Conséquen ces de ce désastre, 88. Lois qui ordonnent et règlent la reconstitu tion des actes détruits , 88. Organisation du service de recons titution , 89. -Insouciance du pu blic , prolongation du délai légal, 90. Le service de la Bourse, le service de l'Archevêché et le ser vice ambulant, 90. Méfiance des protestants et des israélites, 91. Installation déplorable des divers services, 91. Ingénieux procédé de M. Rathelot, chef du bureau de l'état civil au tribunal de première instance, pour dé chiffrer les actes des registres car bonisés, 94. Mesures à prendre pour prévenir la destruction pos sible des actes de l'état civil, 96. Voyez Naissances, Mariages, Décès. --- ――― - - - ― - - F FACTEURS DES HALLES. - Création des facteurs , II, 60. Leur organi sation, 60. Droits de commis sion, 62. Le papier des fac teurs en 1848, 62. FACTEURS RURAUX. Leur institution sous Charles X, I, 46. FAISEURS. Catégorie de voleurs, III, 27. - FIACRES. Leur origine, I, 209. Premiers tarifs , 210. - Inconvé nients du régime du privilége, 210, 463. Cabriolets, 211. Stations et contrôleurs , 212. Établissement du monopole, 214. Grève des cochers , 215. — Li berté absolue, 215. - Surveillance et contrôle, 240. - La fourrière, 248. Voyez Voitures de place, Cochers de fiacre. FILEURS. - - - Catégorie de voleurs, III, 50. FLAIREURS. Inspecteurs ambulants des comestibles , II , 198. des permanentes, 199. - - -- - ――――― - FLOTTAGE du bois, I, 393. Con struction des trains, 395. FLOTTEURS de bois , I , 397. FONTAINES. Les fontaines monu mentales, V, 338. Fontaines banales, 340. Bornes-fontaines, 340. Fontaines Wallace, 343 , Fontaines marchandes, 347. FORTUNE DE PARIS, VI, 1 . FOURRIÈRE . Sa destination, I, 248. Le chenil et les voleurs de chiens , 249. L'écurie, 250. For. Directeur en chef des télé graphes français , il établit les pre mières lignes électriques , 163. FRANCS-BOURGEOIS. Catégorie de - Frau -- - - ____ - - ―――― - -- - voleurs, III , 30. FREGATE-ÉCOLE. Établissement de bains, I, 417. FRITURE ( Marchands de) , II, 196. FROCHOT, préfet de la Seine . Ses réformes dans l'administration des biens des hospices, IV, 95. Organise l'entreprise des pompes funèbres, VI, 147. Crée les ci metières parisiens, 181. - ―――― - ― - G GARANTIE DES MATIÈRES D'OR ET D'AR GENT (Bureau de) . Essais, II, 351. Le touchau, 352. — Piè ces brisées, 353. Le poinçon nage, 554. La bigorne, 355. La brigade volante et la bi jouterie, 357.- La recense, 357. GARDE RÉPUBLICAINE . Les anciens soldats du guet, VI, 299. — L'an cienne garde de Paris, 300.- La garde urbaine actuelle , 301 . Sa mission, 302. GAVEURS de pigeons aux Halles cen trales, II , 177. - - - - --- GIBIER. Nombre de pièces de gi bier vendues pendant les périodes de chasse 1867-1868 et 1868-1869, II, 454. GISQUET, préfet de police. Dissout l'ancienne brigade de sûreté, 109. ― 560 TABLE ANALYTIQUE. GLATIGNY (le) . Ancien quartier de la prostitution, III , 441 . GOURDAINE ( Ilot de la ) , ou île au Moulin-Buci, actuellement terre-plein du Pont-Neuf, I , 373. GRAMMONT ( Pont de) , I , 571 . GRAND-PONT, ou pont au Change, I , 375. -- L'avaleur de nefs, 377. -Les oiseliers, 377. GRENIER D'ABONDANCE. Réserve de grains et de farines instituée pour l'approvisionnement de Paris, II, - - 50. GRIMBELINS. Anciens commission naires en denrées alimentaires, II , 58. GUILLOTINE ( la). Les exécutions en place de Grève, III, 331 ; — à la barrière Saint-Jacques, 332; place de la Roquette, 333. Les derniers jours d'un condamné, 336. La camisole de force, 338. La signature du pourvoi, 340. Le condamné dans sa cellule à la Grande-Roquette, 341. L'au mônier, 545. Le recours en grâce , 349.- Les sept réquisitoires du procureur général pour faire procéder à l'exécution, 353. Les cinq formes de la peine capi tale sous l'ancien régime, 354. Adoption de la guillotine, 557. Le mécanisme, 359. L'exé cuteur des hautes œuvres, 365. Une exécution Paris, 367. Statistique des condamnations et des exécutions, 394.- Réfor mes à accomplir dans les apprêts et les circonstances des exécutions, 396. L'abolition de la peine de mort, 404. - -


- - -- - - - ―― - - H HALLE AU BLE , II, 71. La vieille halle au blé, 72. —L'hôtel de Sois - - sons, 73. Halle actuelle, 74. Opérations du commerce des blés, 76. Voyez Boulangerie. - HALLES CENTRALES. roi aux halles de Le gibet, 142. banqueroutiers, 143. Palu, 143. Foire permanente des Champeaux, 144.- Aspect des halles au quatorzième siècle, 145, 452. Spécialisation des lieux de vente, 146. Les poissardes, 147. - Établissement du marché des Innocents, 148. Projet de re construction des Halles centrales, 150. Le fort de la Halle, 151 . - Nouveau mode de construction -- des pavillons, 152. État actuel, 153. Les voitures d'approvi sionnement, 154. Les pavillons, 155. Réserves, 155. - Les forts, 157. Police des halles et marchés, 157. Dénominations des pavillons, 158. La vallée, 158,177. -Locations, 159.-Le car reau, 159. Abondance de l'eau et du gaz, 159. Forains non abrités, 161. Boueux, 162. La viande, 163. Fleurs, pri meurs et légumes, 163 , 180. -Vaga bonds, 164. Criée du cresson, 165. Bruit et mouvement, 167. La marée, 167. - Le coupage, 168.-La vente du poisson , 170. Les verseurs, 170. — Les huîtres, 172. Pavillons des beurres , des fromages et des œufs, 174.- La maniotte, 175. Compteurs-mi reurs, 175. Les gaveurs, 177. Volailles et gibier, 178. Arlequins et rogatons, 181 . Boulangers en vieux , 184. In suffisance des halles, 185. - Re gistres officiels des transactions, 189. Le marché ambulant , 190. HAUSSMANN, préfet de la Seine. Exécute l'œuvre immense de la reconstruction de Paris, VI , 332. -- · Conséquences morales de cette transformation. 352. Conçoit le projet d'un cimetière unique, 220. - - - - - - - - - - -- - - - - - Le pilori du Paris, II , 141 . -La croix des -- - - - Le marché - - -- - -- TABLE ANALYTIQUE. 561 HERGT ( Le docteur), médecin de l'a sile d'Illenau . Type du méde cin aliéniste, IV, 504. HÔPITAUX. Leur origine probable, IV, 167.- L'Hôtel- Dieu de Pa ris, d'abord hôtellerie, devient l'hôpital central , 169. - Entasse ment des malades dans les anciens hôpitaux, 171. Enquête ordon née par Louis XVI , 172.- La Ré volution remédie aux inconvénients signalés, 174. Efforts de l'ad ministration hospitalière et abnéga tion de la population en 1814, lors de l'évacuation des blessés sur Paris, 175. Le choléra de 1832, 182. Dévouement du personnel des hôpitaux pendant l'épidémie, 184. Mortalité comparée des choléras de 1832, 1849 et 1854, 185. Les huit hôpitaux généraux de Pa ris, 186. Les sept hôpitaux spé ciaux, 187. Modes d'admission des malades dans les hôpitaux, 189. Les consultations gratui tes , 190. Le bureau central, 190, 513. Le traitement à do micile, 193. Mouvement an nuel des services du bureau cen tral, 195.- Formalités qui accom pagnent l'entrée d'un malade à l'hôpital , 196. Propreté des salles , 201. Leur ventilation, 203. Les préaux destinés à la promenade, 205. La cantine, 206. La nourriture, 207. - La visite du médecin, 209. La salle des opérations, 210. Les internes, 212. - Les six commu nautés hospitalières, 212. Les infirmiers et les infirmières, leurs défauts et leurs vices, 213. -Leur attachement à leurs devoirs pro fessionnels, 216. Admission du public dans les hôpitaux , 217. Statistique des entrées et des sorties dans les hôpitaux de Paris en 1869, 218. La mortalité d'un hôpital est en raison du genre de population qui le fréquente, - --- -- - - - - - - ―― -- - - --- -- - - - - - - 219. -- Les morts et les garçons d'amphithéâtre, 221.- La salle de repos et la chambre des morts, 223. Le personnel médical, 225. Modifications à apporter dans le recrutement du personnel scientifique des hôpitaux, 231 .. Les baraques de l'hôpital Saint Louis, 235. Les tentes de l'hô pital Cochin, 236. Progrès à accomplir dans notre système hospitalier, 242. Voy. Hótel Dieu. HOSPICE. Les Petits-Ménages, IV, 248. La maison de retraite de La Rochefoucauld, 249. L'hos pice de la Reconnaissance, 250. La maison Chardon-Lagache, 250. La maison Devillas, 250. Saint-Michel, 251.- L'Institution de Sainte-Périne, 251. HOSPICES POUR LA VIEILLESSE. - Voy. Bicêtre, la Salpêtrière. HOTEL-DIEU . Le nouvel Hôtel Dieu, IV, 236. Premier projet de l'Assistance publique, 238. Motifs qui ont déterminé sa con struction dans la Cité, 239. Opinion des médecins et des chi rurgiens sur les modifications à apporter dans les constructions et les agencements, 520. HOTEL DES POSTES, I , 106. HUELEU (le). Ancien quartier de la prostitution, III, 413. - Sa sophistication, HUILE D'OLIVE. II, 202. - -- — - - - - - - - - - - ILES DE LA SEINE . L'île de la Cité, I, 371. L'île Saint-Louis, 372. Anciennes îles réunies à la terre ferme, 371-374. ILLENAU ( Asile d' ) . - Situé près d'A chern, dans le grand-duché de Bade, cet asile est un modèle au point de vue de la capacité du per sonnel médical et des soins que VI. 36 562 TABLE ANALYTIQUE. l'on prodigue aux malades, IV, 502. Le traitement moral, 502. Le traitement thérapeutique, 503. Nombreuses guérisons sans rechutes, 5053. IMPÔT. L'impôt n'est autre chose qu'une prime d'assurance, VI , 503. La part de Paris dans l'impôt général, 304. Douanes, contri butions indirectes, timbre et en registrement, 30.-Contributions directes, 505. Quand Paris est heureux, la France est prospère, 306. - ― - - - -- - ― - INHUMATIONS. Voy 234. . Pompes funè bres et Cimetières. INNOCENTS (Charnier des) , VI, 164. INSPECTEURS AMBULANTS DES COMESTI BLES. Leur fonction , II , 198. Surveillance des ustensiles de cui sine, 204. INSPECTEURS DE LA SURETÉ, III, 107. INSTRUCTION CRIMINELLE. Le petit parquet, III , 200 . L'interroga toire , 202. Rapidité de l'instruc tion dans les cas de flagrant dé lit, 206. Les crimes, 206 . Les coqueurs et les moutons, 207. La souricière, 208. — Le 260. juge d'instruction : lutte de fi nesse, 209. Leur admirable patience, 210. Ignorance des criminels, 211. Le nombre des attentats contre la propriété est proportionnel au prix du pain, 212. Les confrontations , 215 . Saisie des lettres adressées Inconvé aux inculpés , 215. nients de la loi qui n'ordonne que la citation des témoins à charge, 215. Renvoi de l'inculpé de vant la cour d'assises , 218.- Voy. Cour d'assises. INSTRUCTION PUBLIQUE. Voy. En scignement. IVRY (Cimetière d') . Ouvert le 1er janvier 1874, VI, 212. IVRY (Maison d') . Hospice destiné aux incurables, aux infirmes et aux vieillards, IV, 233. - - - - — - - - -- JAVIAUX ( Ancienne île aux) , I , 571 . JEUNES-AVEUGLES (Institution des). - La délicatesse du toucher chez les aveugles donne à Valentin llaüy l'idée de les instruire au moyen de lettres en relief, V, 221 . Succès obtenus avec son premier élève, 223. Il ouvre une école, 227. Pérégrinations d'Haïy et de ses élèves, 228. · Construction d'un établissement spécial, 233. Physionomie de la maison, La bibliothèque , 256. - Un aveugle, Louis Braille, en sub stituant aux lignes une combinai son de points, invente l'écriture nocturne, 238. Différents de grès de cécité, 240. Habitudes desjeunes aveugles, 243.- Finesse de leur ouïe , 248. Leur carac tère, 251. La délicatesse de leur toucher, 252. Règlement de l'institution , 255. Rôle pré pondérant de la mémoire dans l'instruction des aveugles. 255. Leurs bonnes qualités morales, Enseignement profession nel, 263. Instinct musical des aveugles, 267. Ce que devien nent les jeunes aveugles, 273. JUIFS (Ancienne île aux) , actuellement la place Dauphine, I , 373. JOURNAUX. Les journaux et la po litique , VI, 276. Conduite cou rageuse des journalistes après la proclamation de la Commune en 1871 , 278. La presse périodi que n'est que l'écho de l'opinion publique, 278. Les primes d'abonnement , 279. Les erreurs commises par les rédacteurs et les typographes, 279. La presse et ses audaces avant la création des journaux, 280. Complicité du public dans les écarts du journa lisme, 282. Les annonces, 283. L'antidote de la liberté de la presse se trouve dans l'exercice - ― - -- - ― - - - -- - - ―――― - - - - - - - TABLE ANALYTIQUE. 563 même de cette liberté, 283. Le rédacteur en chef d'un journal, 286. Les journaux sous les divers régimes, 288. La presse non politique, 289. Nombre actuel des publications périodiques , 289. Chaque science a son journal, 290. Chiffre du tirage desjour naux, 291. La presse ne peut pas périr, 292. - - - - - LAIT. Double baptême du lait , II, 200.- Fraude des gros et pe tits fermiers, 201. LA ROCHEFOUCAULD (Maison de re traite de). Conditions d'admis sion, IV, 249. LAVOIRS. Utilité des lavoirs établis sur la Seine, I , 417. LOCOMOTIVES ROUTIÈRES. Premiers essais , I, 357. Leur avenir, 358. LOGETTE. Cellule du charnier des Innocents où l'on emmurait cer tains coupables, VI, 165. LOUIS XI. Crée le service des pos tes, I, 36. LOUIS XV. Organise le cabinet noir, I , 51.- Est intéressé au pacte de famine pour une somme de dix millions, II , 29. LOUIS XVI. Supprime le cabinet noir, qui est rétabli peu de temps après la publication de l'arrêté, I, 53. Ordonne une enquête pour remédier à l'état déplorable du service de l'Hôtel-Dieu, IV, 172 . Sa lettre sur les moyens de sup primerla mendicité, IV, 511 . LOUVIERS ( Ancienne île) , I, 371. LOUVRE (Ancienne île du) , I, 373. - - - - - L -- - - - M MAGASIN CENTRAL de l'Assistance pu blique, IV, 119. MAGISTRATURE. Son organisation actuelle, III, 195. grité, 199. MAISON MUNICIPALE DE SANTÉ. Hôpi tal qui reçoit les malades moyen nant un prix déterminé, IV, 254. MAISONS DE SECOURS.- Leur nombre, IV, 131. Les Filles de Charité, 132. Prêts de linge, 133. Consultations gratuites, 13 . Distribution de médicaments et d'appareils orthopédiques, 135 .. Les ordonnances et la petite phar macie, 140. MALFAITEURS. Leur nombre, III, 4. Leur existence misérable , 5 . Les différentes formes du vol, 6. Les grands mobiles des cri mes, 8. Vanité et prodigalité des voleurs, 9. Quelques mal faiteurs célèbres, 11. Voleurs de race juive, 18. L'école du crime, 20. L'argot, 22. Ca tégories de voleurs, 27. - Refu ges des malfaiteurs , 51. Leurs bouges, 55.. Leurs cafés, 57. Leurs bals, 62. Leurs querelles, 65. Progression constante du nombre des malfaiteurs dans Paris, 66. Ses causes, 67. Vaga bonds et mendiants, 69. En fants égarés , 70. Statistique criminelle, 71. Les garnis à la nuit, 76. Les arches des ponts et les fours à plâtre, 77. Les carrières d'Amérique, 77. La chasse aux vagabonds, 78. - La sécurité de Paris au bon vieux temps, 80. Voy. Voleurs. MALISSET. – Concessionnaire du pri vilége de l'exportation des grains, il organise, avec la complicité du gouvernement, le pacte de fa mine, II, 29. MALLES-POSTES . Leur établisse ment et leur fonctionnement, I, 43. - - - - - - - - ― - - - - - - - Son inté - - - - - - --- - - MARCHANDS DES QUATRE SAISONS. Leur nombre, II , 191. Cris de Paris , 192. Itinéraire imposé aux marchands ambulants, 192. - - - 564 TABLE ANALYTIQUE. Argent prêté aux petits marchands à 1820 pour 100 , 194 . MARCHÉ AUX BESTIAUX, Poissy Sceaux, II , 88. Marché de la Villette, 89. Frais de transport et de chargement, 89. Régie, 89. Droits d'entrée au marché, droits d'abri, 90. - Les halles de vente, 91. Bouveries et berge ries, 92. Tirage au sort des places, 93. Estampillage des bestiaux, 94. Chiens de berger, 95. Garantie nonaire assurée aux acheteurs, 96. Envois suc cessifs et provenances, 97. Re lation entre l'alimentation et la force musculaire de l'homme, 99. Voyez Abattoirs. MARGUERITE DE VALOIS. Ouvre dans la rue Portefoin une maison des tinée à recevoir les orphelines trouvées au parvis Notre- Dame, IV, 257. - - - - - - - - - MARIAGES. -Répugnance du Parisien pour le mariage, VI, 111.- La maladie du célibat dans les grandes villes, 112. L'impôt sur les cé libataires serait un remède ineffi cace, 112. -Les degrés de pa renté prohibés, 113. · Les dis penses, 113. Les interdictions de l'Église, 114. · Opinion du pape Grégoire le Grand sur les mariages consanguins , 115. Concessions de l'Église , 115. Dangers des mariages consanguins, 116. Indifférence de la loi vis à-vis des cas pathologiques, 117. Fréquence des fraudes en ma tière de mariage, 118.- Influence des perturbations politiques sur les mariages, 118. Statistique des mariages contractés dans les années 1870, 1871 et 1872, 118. — Degré d'instruction des conjoints, 119. -Le nombre des mariages est en rapport avec la population de chaque arrondissement, 119. Age ordinaire des conjoints, 119. Cérémonial du mariage civil, - ― - -- - 120. Les noces à Paris, 123. - Indissolubilité des unions pronon cées par le pouvoir civil et consa crées par l'Eglise , 124. - Nombre des séparations pour 1872, 124. MARIE (Christophe) , entrepreneur gé néral des ponts de France. Réunit deux îles pour former l'ile Saint-Louis, I, 373. MARIE ( Pont) , I, 382. MAZARINE ( Bibliothèque), VI, 256. MAZAS (Prison) . Plan et amé nagement de la maison d'arrêt cellulaire, III, 274. Ameuble ment des cellules, 277. La vie en cellule, 283 , 503. Le travail, 284. Les promenoirs, 285. Les visites , 285.- Les punitions, 286. - Le service divin , 287. Une tentative d'évasion, 290. MECANICIENS des chemins de fer, I , 330. - Leur intelligence pratique, 332. - MÉDAILLES ( Fabrication des) . -- Le balancier des médailles, II , 333. Médailles de sainteté, 335. Les médailles antiques , 337. Décadence de la gravure des mé dailles, 357. La patine, 340. Le musée des médailles, 341. MENDICITÉ . Dans les pays pourvus d'établissements de bienfaisance, la mendicité est un délit, IV, 4. A Paris, c'est un métier, 5. ·Le mendiant thésauriseur, 5. - An ciennes corporations de mendiants, 6. - La cour des Miracles, 9. L'enclos Saint-Jean-de-Latran, 12. - Ordonnances coercitives, 15. Fondation de l'hôpital général, 16. 1 -- - - - - - - - - - - - -- · L'llôtel des Invalides, 18. Transportation des mendiants, 19. - Lettre de Louis XVI sur les moyens de supprimer la mendicité, 22. Établissement des dépôts de mendicité, 23. Vains ef forts de la Convention pour com battre le fléau, 24. - Faiblesse du Directoire, 26. Mesures prises sous le Consulat pour refréner le - TABLE ANALYTIQUE. 565 - Formes diverses de - mal, 28. la mendicité, 29. Les drogueurs de la haute, 30. La femme sans jambes, IV, 32. Les mendiants habiles, 35. Manger aux ca sernes est une profession, 38. Les aveugles, 39.- Simagrées des mendiants en cas d'arrestation, 42. Circonspection des sergents de ville à leur égard, 42. Les ba teleurs, 43. Les dépôts de 379. mendicité prévoyance et huma nité de la loi, 63. La mendicité est une passion, 65. - Maison de répression de Saint-Denis, son dé labrement, 67. Nécessité de sa reconstruction, 74. Dépôt de mendicité de Villers-Cotterets, 79. -L'établissement de colonies pé nitentiaires serait un remède contre la mendicité , 86 . MERY-SUR-OISE ( Cimetière de ) . Avantages du projet de M. Hauss mann, VI, 220. Nécessité d'une prompte solution , 222. Délibé ration du Conseil municipal de Paris, en date du 14 août 1874, relativement à ce cimetière , 229. MESSAGERIES. - Premiers moyens de transport en France, I, 281. Les coches, 282. Les turgotines, 283. Messageries royales, 283 . Les voyages d'autrefois, 285 . MISÈRE. La misère à Paris est surtout une misère de surface , IV, 144. Le pays de la misère, 146. La cité Doré, 147. — L'in digent lettré exigences et me La visiteuse offi naces, 148. cieuse, 150. l'indigence est une fortune, 151. Ruses des indigents , 152. Le mobilier et le cabaret, 153. Misère réelle la femme d'un édi · Dans certains cas - - - - - ― -- - ―― - - ― - - --- - teur célèbre, 154. Bonnes qua lités des indigents, 156. Les filles-mères, 157. Rapidité de l'action bienfaisante, 160. La salle de distribution , 161. Le domicile de secours, 162. Le - - - - traitement des malades à domi cile, 164. Voyez Assistance publique. MEURS DES PARISIENS.


L'homme est partout identique à lui-même; ses mœurs sont semblables : les usages seuls sont différents, VI, 378. L'œuvre de la civilisa tion consiste à modifier les in stincts et à en faire des mœurs, · Paris est la cloaca maxi ma du monde, 380. Dans toute les capitales la corruption est la même la forme seule change , 381 . Les femmes du monde inter lope ou du grand monde qui dans des temps récents ont fait le plus parler d'elles, étaient des étran gères , 383. Les étrangers sont au moins de moitié dans la démo ralisation qu'ils reprochent aux Parisiens, 383. - Frivolité des Pa risiens , 384. Les courses et les conférences, 386. Souveraineté de la mode, 386. Opinion de Rostopchin sur Paris, 388. - En gouements et enthousiasmes des Parisiens, 390. Leur ingrati tude et leur infidélité , 390. Épidémies de bêtise, 391. scies, 591. L'esprit d'à-propos, 392. - L'amour de l'égalité et des distinctions , 392. – Le Pari sien et les administrations urbai nes, 395. Sa badauderie, sa crédulité et son ignorance, 398. Sa vantardise , son intrépidité et sa faiblesse, 400. Sa fierté et son orgueil, 401. Ce que les étrangers pensent de Paris, 402 Sa grandeur dans l'histoire , 403.- Esprit de contradiction des Parisiens, 404. L'opinion de César, 405. Le bon vieux temps, - La corruption des mœurs pendant le siècle de Louis XIV, 407. - Les financiers, 409. - Le ― < 407. - --- - jeu, 410. Gandins, petits-cre vés et gommeux, 413. La mo ralité d'autrefois, 413. Le ma -- - - - - -- - - - - - - - -- Les 566 TABLE ANALYTIQUE. quillage, 415. Engouement des femmes pour les gens de théâtre, 416. La libre pensée et le dieu Matière, 417.- Sottise d'autrefois et sottise d'aujourd'hui, 419. Prison antichambre du pouvoir, 420. Les pétroleuses , 420 . Le cabaret et les ouvriers , 422. Les tricoteuses, 423. - Les effets de la richesse publique, 426. Les mauvais jours d'autrefois, 429. - - Le bonnet rouge et le chaperon d'Etienne Marcel, 450. Menace de décapitaliser Paris, 431 . Supériorité de Paris et haine qu'il inspire, 454 -L'œuvre de Paris depuis 1800, 436. Ses travaux de salubrité imités dans les gran des villes de l'Europe, 437. L'intelligence de Paris, 458. Voy. Révolutions. MONNAIE. La fabrication de la mon naie est une prérogative souve raine, II , 283, Rois faux mon nayeurs, 284. L'hôtel du quai Conti, 285. Fabrication au mar teau, 286. Le balancier, 287. La presse Ulhorn, 289. - An ciennes monnaies, 289.- Création de la monnaie française, 290.- Le système décimal, 291. - Monnaies actuelles, 292. Alliage et titre, 294. Commission des monnaies et médailles, 295. Direction, 295. Signes particuliers des monnaies, 297. Les poinçons, 299. Les coins, le paraphe, 301 . Surveillance des coins, 302. Importance morale du graveur gé néral, 303. Le type, 304. Fabrication des monnaies, 306. Bureau du change, 306. La fonderie, 310. Les laminoirs, 313. Le découpoir, 315. — La salle des presses, 318. Division d'un million en or, 320. · Essai de la monnaie, 321. Imperfec tions de nos monnaies, 325. Balance automatique, 329. — Va leur des monnaies fabriquées au - - - L - - ― -- - -- ―――― - -―― - - ―――― -- - --- ―――――― - - - - dix-huitième siècle et sous le se cond Empire, 331 . Le musée monétaire, 341.-Voyez Garantie, Médailles, Timbres-poste. MONTMARTRE ( Cimetière) . — L'entrée en est défectueuse , VI, 197. Le tombeau de GodefroyCavaignac, 199. Inconvénients des tom beaux politiques , 199. - La tran chée des fédérés de la Commune de 1871 et la vieille jardinière, 200. Voyez Cimetières. MONTPARNASSE (Cimetière ). Ses fontis, VI, 201. Les tombeaux de Dumont d'Urville, des sergents de la Rochelle, du duc de Choi seul-Praslin, 202. -Profanations commises en 1848 et 1849 par le sous-officier Bertrand, 203. MONTS-DE- PIÉTÉ. L'usure au dix huitième siècle. V, 2. - Origine des Monts-de-Piété, 4. Établis sement du Mont-de-Piété à Pa - - m - - - - 7.ris, 6. Économie du système, Succès de ses opérations, 9. Emprunt de 4 millions, 11. - Établissement des commissionnai res, 11. Satisfaction du public, 12. Affaissement du Mont-de Piété pendant la Révolution, 13. Développement de l'usure sous le Directoire, 14. Reconstitution du Mont-de-Piété , 16. Les suc cursales , 17. Accroissement ex cessif des engagements à l'appro che de l'armée allemande en 1870, 18. Épuisement de la réserve, 20. Prêt de 3 millions consenti par l'État, 20. Le Mont-de Piété sous la Commune. 21. - Reprise des opérations, 24. - Les prêts clandestins, 24. - Le chef lieu de l'administration , 25. - Le Mont-de-Piété fonctionne au moyen de fonds empruntés, 26. - Bons au porteur, 26. - Mécanisme du prêt, 28. - Les engagements se crets, 34. Les magasins, 35. — Formalités du dégagement, 41 . Renouvellements, 43. - Vente des - - - - - - 1 - -- - -- - - TABLE ANALYTIQUE. 567 nantissements, 45. - Opérations de l'année 1869, 50. La clien tèle , 51. La prospérité du Mont de-Piété est un indice de la pros périté publique, 51. Il est le banquier du petit commerce, 52. Engagement de marchandises neuves, 53. Les gens de plaisir, 55. L'indigence va rarement au Mont-de-Piété 56 Dégage ments gratuits , 57. Engage ment d'objets volés, 59. Les chineurs, 62. Les piqueurs 104. d'once, 63. Les faillis, 65. Taux exorbitant, 68. Constitu tion absurde, 69. Réformes à opérer, 72. MORGUE. Origine du nom, I, 423. La Morgue actuelle, 425. Le registre des renseignements, 425. Le greffier et son personnel, 426. Le nécessaire, 428. Les in humations, 429. Accroissement du nombre des morts, 431.- Ses causes, 433.- Primes et encoura gements accordés aux sauveteurs, 455. • - --- < - - - - - - - - - ―――――― - N - MORTALITÉ. Voyez Décès. MOTTE-AUX-PAPELARDS, I , 423. MOUCHES.- Bateaux à vapeur omni bus, I, 278, 410. MOUTONS. - - - - ― Détenus qui recueillent et dénoncent les aveux de leurs compagnons, III , 207. -- - NAISSANCES. Dénombrement de la population de Paris en 1328, VI , 97. Documents irrécusables de la statistique moderne, 98. Po pulation de Paris d'après le recen sement de 1872 , 93. Propor tion des Parisiens dans la popula tion totale, 99. Proportion des célibataires et des gens mariés , 99. -Diminution des naissances , 100. Ses causes, 101. Ses consé quences inquiétantes, 101. La - - - - natalité moyenne à Paris, 103. - Enfants légitimes et enfants natu rels , 103. Influence mutuelle de l'inconduite et de la misère, 105. - Les mois féconds, 105. Les arrondissements qui fournissent le plus de nai- sances, 103. In fluence des événements sur la na talité, 104.- Diminution extraor dinaire des naissances dans les mois qui correspondent à la guerre de 1870 et à la Commune de 1871 , Formalités prescrites par la loi pour la déclaration des nais sances, 105.- Constatations à do micile, 106. Leurs inconvé nients , 107. Attention apportée à l'orthographe des noms de fa mille, 108. Négligence d'au trefo s , 109. Jugements en rec tification, 109. Reconnaissances d'enfants naturels, 109. État civil des enfants abandonnés, 110 . Intervention de l'Assistance publique, 110. NAPOLEON ( Pont) , I , 387. -- NAVIGATION. Le département de la Seine est divisé en neuf arrondis sements de navigation , I, 591. Personnel de l'administration, 392. - Voyez Seine à Paris ( la) . NOTRE- DAME ( Ancienne île) , I, 372. NOTRE-DAME ( Pont) , I , 378. La pompe hydraulique , 578. — L'ar che du Diable , 379. Construc tions élevées sur le pont, 380. NOTRE- DAME DE LA MISERICORDE ( Ou vroir de). - Maison de correction pour les filles, III, 479. NOURRICES DE L'ASSISTANCE PUBLIQUE. Leur provenance , IV, 291 . Frais de route et pension , 292. Primes d'encouragement pour l'in struction primaire des enfants, 294. Encouragements donnés en livrets de la caisse d'épargne , 295. ――――― - - - - - -- -- --


- - -- - ___ NOURRISSEURS. Voleurs qui prépa rent une affaire exécutée pa d'autres, III, 49. 568 TABLE ANALYTIQUE. - OBJETS TROUVÉS (Bureau des) . -- Le dépôt central de la Préfecture de police, I, 251. Objets trouvés dans les omnibus, 271. OCTROI . Son origine, VI, 6. Impopularité de cette forme d'im pôt, 8. Joie du peuple lors de l'a bolition de l'octroi en 1791 , 11. — Conséquences désastreuses de cette suppression , 12.- Rétablissement de la taxe d'octroi municipal et de bienfaisance, 14. La taxe d'oc troi n'est autre chose que l'impôt sur le revenu , 17. Progres sion des produits de l'octroi , 17. Organisation du service de surveillance et de perception, 24. Le personnel, 46. Les di verses espèces de fraudes, 51 . -L'octroi est pour Paris un in strument de bien-être et de sécu rité, 69. OFFICES. _____ La quantité inconceva ble d'offices créés par Louis XIV contribue au renchérissement des denrées, II, 20. OMNIBUS. Pascal et les carrosses à cinq sols, I, 254. - Omnibus de Nantes et de Bordeaux, 257. Fondation de l'entreprise générale à Paris, 257. Établissement du monopole, 259. - Trajet annuel , 259. Bénéfices, 260.- Corres pondances et places d'impériale, 260. - Cavalerie, 263. - Carros serie, 267. Cochers et conduc teurs, 267. - Contrôle du service, 268. Vols commis dans les om nibus, 270.- Objets oubliés, 271 . Lignes riches et lignes pauvres, 272. Rareté des accidents , 275. Les omnibus et les bar - -- - ―― ―― - --- - - - - - ricades, 275. Charges de la Compagnie, 276. Insuffisance des moyens de transport aux épo ques d'affluence exceptionnelle , 277. OURCO ( Canal de l') , V, 300, 315. PALAIS DE JUSTICE . Ancienne ré sidence de nos rois , III, 173. La table de marbre, 174. - In cendie de la grande salle, 175 . La galerie du Palais lieu de réu nion, de commerce et de divertis sement, 176. Suppression des boutiques en 1842, 177. - Re construction du Palais, 178. — Le donjon, 179. La chambre de saint Louis, 179. Le Palais au quatorzième siècle, 501 . - PARIS. -- Panorama vu du Pont-Neuf, I, 1. Circonférence de Paris, 10. - Accroissement de sa population, 10. Paris ville de plaisirs , 12. Ville d'étude et de travail , 14. Paris frondeur, 15. Son in fluence sur ses visiteurs, 16 ; sur l'Europe, sur le monde, 16. Son budget des recettes en 1868, 18. Sa population fixe en 1868, 18. Son aspect avant sa trans formation, 19. - Nécessité de cette transformation, 20.- Voy. Pari - - - --- - -- P siens PARISIENS. Leur portrait, I, 6. Opinion de l'empereur Julien, 10. Paris est une miniature de la France, VI, 307. Les agri culteurs de Paris, 308. L'in dustrie et ceux qui en vivent, 309. La division du tra vail, 310. Les intermédiaires du commerce, 311. -Les chiffon niers, 311. Le commerce des timbres-poste, des faux cheveux, des bouquets de violettes, 311 . Les patrons et les employés, 312. Les faillites , 312. - Les ban ques et la Bourse, 313. - Les ir réguliers de la finance, 314. — Acrobates, charlatans et montreurs de bêtes, 314. Les professions libérales, 315. · Le tribunal de première instance , 316. Les no taires , 316. Les médecins et les officiers de santé , 317. - Les - -- - - - - - - - - ―――― - TABLE ANALYTIQUE. 569 C - - - pharmaciens et les comptes d'apo thicaire, 318. Les proprié taires et les rentiers, 319. - Les portiers , 319. Les cercles, 320. - Les cafés, 321. - Les fonction naires publics, 321. Sottise et vanité du monde industriel et com mercial, 322. - Ardeur des Pari siens pour le travail, 323. — Les inventeurs et les chercheurs, 324. - Les engouements de Paris, 325. Les chômages forcés , 326. Les chômages volontaires, 327. Cafés-concerts, bals publics et dé bits de boisson, 327. Il faut tuer le ver, 328. - Les vagabonds, 328. Les étrangers et les hôtels garnis, 329. Ce que les étrangers dépensent à Paris, 331. Voyez Mœurs des Parisiens. PASCAL (Blaise) . - Inventeur des car rosses à cinq sols , I , 255. PÉAGE. Impôt établi autrefois sur les ponts d'Austerlitz, d'Arcole, des Saints-Pères, des Invalides, I, 386. Incident comique arrivé entre H. Royer- Collard et les élè ves de l'École de Médecine, 386. PÊCHE A LA LIGNE, I , 375, 390. PERE- LACHAISE ( Cimetière du) . — Son histoire, VI, 187. Sa magnifi cence, 188. Prétention empha tique des tombes modernes, 190. - - - - - - - - - - et La tombe du jeune Lallemand ses inscriptions menaçantes, 191. La Lisette de Béranger, 191. Le général Foy, La Bé doyère et le maréchal Ney, 191 . Les révolutions donnent le repos à certains morts illustres, 192. Popularité du tombeau d'Héloïse et d'Abeilard, 192.- La tombe de Rachel, 192. Le tombeau de la famille Lesurques, 193. Les sé pultures de Chappe et de Parmen tier, 195. Le cimetière musul man, 196. Malgré son renom aristocratique, le Père-Lachaise est le cimetière de l'égalité. — Voyez Cimetières. - - - - - - Conditions Leur inspection, PETIT-PONT, I, 377. Il est détruit par un incendie , 478. PETITS-MÉNAGES ( Hospice des) . Sa fondation, IV, 248. Sa recon struction à Issy, 249. d'admission , 249. PHARMACIE CENTRALE de l'Assistance publique, IV, 114. POIDS ET MESures. II, 204. POINT-DU-JOUR ( Pont du) , I, 387 . POLICE.-La Préfecture de police, III, 83. La police sous l'ancien ré gime, 85. La police pendant la Révolution, 86. Organisation actuelle du service , 87. La Les police municipale , 87. sergents de ville, 87. pecteurs, 88. Les brigades centrales , 101. Le service des garnis, 102. Le service des mœurs, 105. La brigade de sû reté, 107. Son immoralité sous Vidocq et Coco-Lacour , 108. — Sa réorganisation, 109. Faiblesse numérique et moralité des inspec teurs de la sûreté, 110. Leurs aptitudes, 111. Leur courage, Leur patience et leur sa gacité, 114. Leurs procédés d'arrestation, 118. - Leurs dégui sements, 118. Les indicateurs ou dénonciateurs, 122. Captu res célèbres, 124. Attrait de la chasse à l'homme, 130. Sen sibilité des criminels , 151. M. Claude, chef du service de la sûreté, 131. La première di vision, ou les services administra tifs , 133. Ses attributions : co chers, commissionnaires, passe ports, livrets , objets trouvés, 135. -Les sommiers judiciaires : pseu donymes, tatouages, 136. - Dos siers particuliers , 147. - Feuilles signalétiques, 150 . Le dépôt de la Préfecture de police, 151. Les arrestations et les voitures cellulaires , 151.- La Permanence, 152. Le frimage des malfai 112. -


--- - - --- - - -- - - - - - - - - -- - · Les ins - 570 TABLE ANALYTIQUE. teurs, 153. Pêle-mêle dange - reux des personnes arrêtées, 154. -Interrogatoire des vagabonds et des enfants égarés et perdus, 156. Mesures d'humanité prises à l'égard des enfants et des malades, 157. Délits commis par des ivrognes, 158 · Déclaration de faux noms, 159. Expulsion des malfaiteurs étrangers, 163. In terdiction du séjour de Paris, 164. Intervention officieuse de la po lice , 165 . Le chantage, 168. Infériorité de la police anglaise, 169. Mission élevée de la po lice, 170. - POMPES A FEU, V, 298, 314. POMPES FUNEBRES. Lettres de faire part usages différents suivant le monde auquel appartient la per sonne décédée, VI, 141. Cri et costume des anciens crieurs-jurés ou clocheteurs des trépassés, 142. - Leur nombre, leurs attributions et leurs priviléges, 143. Leurs contestations avec le clergé, 144. Sage règlement de Chamval lon, archevêque de Paris, 144. Aumôniers à cheval, 144. semonneur, 145. Les corbil lards, 145. Les crieurs-jurés sont dépouillés de leurs priviléges pendant la Révolution, 146. Les municipalités de Paris fixent la taxe des inhumations, 146. Établissement de l'entreprise des pompes funèbres, 147. - Division des services funèbres en six clas - - - - -- - - - - - - - --- ses, 148. Le service funèbre, tel qu'il est constitué, est un impôt somptuaire, 148. Nouvelle di vision en neuf classes, 149. Conditions imposées à l'entrepre neur des pompes funèbres, 149. - Remise aux fabriques des cultes reconnus, 149. Inhumations gratuites, 150. Matériel et on tillage des pompes funèbres, 150. La mise en régie, 151. Les constructions de la rue Curial, 152. - ― - - ――― Le - --- -Bénéfices considérables de l'en treprise, 152. L'ordonnateur, 152. Les croque-morts, 154. Leur jargon, 154. · - Leur passion pour les pourboires, 154.- Délai légal fixé pour l'inhumation, 155. PONT-NEUF, I, 380. La Samari taine , 381. Les boutiques , 383. PONTS DE PARIS. Le pont au Chan ge, I, 375. Le Petit-Pont, 377. Le pont Saint- Michel, 377 . Le pont Notre-Dame, 378. Le Pont-Neuf, 380. Le pont Marie, 382. nelle, 382. Le pont Royal, 383. Le pont Saint-Louis, 383. Le pont de la Concorde, 383. Ponts suspendus, 385. 386. Le pont de la Tour Péage, Le pont Napoléon, 387. Le pont du Point-du-Jour, 387. Prix de revient des nou Ponts pro - - - - - - - - - - - - --- - - - veaux ponts, 387. jetés, 388. Dénombrement de la 97. PONTS SUSPENDUS , I, 385. POPULATION. population de Paris en 1328, VI, Certitude des documents de ia statistique moderne, 98. Re censement de 1817, 98. Chiffre de la population d'après le recen sement de 1872, 99.- Proportion des Parisiens dans la population totale, 99. Proportion des céli bataires et des gens mariés, 99. POSTE (Voitures de) . · Leur établis sement et leur service, I, 43, 69. POSTE AUX LETTRES . - Les courriers dans l'antiquité et au moyen âge, I, 32. Messageries de l'Univer sité, 35. Création du service des postes par Louis XI , 36, 441. La ferme des postes, 38. Les malles-postes, 43. Les facteurs ruraux , 46. Réfor me postale abaissement de la taxe, création des timbres-poste, 48. Le cabinet noir, 49. - Or ganisation générale du service, 68. Les bureaux ambulants, 69. Trajet annuel de la poste, - ― - - - - - ― - - - TABLE ANALYTIQUE. 571 - - - 74. - Travail dans les alléges, 70. - Minutie des précautions prises pour assurer la remise des lettres chargées, 71. Envoi d'échan tillons, 72. Mandats d'argent, Valeurs déclarées, 75. Probité des agents de la poste, 76. Abus des sous-seings, 76. La taxe militaire , 81. Division par zones et bureaux, 82. - For mation des dépêches , 83. Transport en tilbury, 83. Pré cision et rapidité de la formation de la dépêche de Paris, 85. - Le piquage des lettres, 86. La zone des erreurs, 86. Le fac teur du gouvernement , 87. Le courrier de province, 89. Les déchiffreurs, 93. Les rebuts, 96. La poste restante, 99. Le bureau des chargements, 103. Exiguïté de l'hôtel des postes, 107. Les postes et le fisc, 113. POSTES ( Directeurs généraux de l'ad ministration des) . Liste des di PROSTITUTION. recteurs depuis 1797 jusqu'en 1861 . PRADIER ( le bâtonniste). gance, IV, 45. PRÉFECTURE DE POLICE. butions, I, 17. Son PRÉFECTURE de la Seine. -- butions, I, 17. PRISONS. La liberté individuelle sous l'ancienne monarchie : lettres de cachet, forçats retenus après l'expiration de leur peine, III , 252. Cruauté des traitements infligés aux prisonniers , 254. Système pénitentiaire inauguré en 1791 par l'Assemblée législative , 259. Humanité du gouvernement de la Restauration, 260. —Amé'ioration morale produite par l'isolement des détenus de la Petite-Roquette, 263. Le travail obligatoire, 268. Nourriture des prisonniers, 268. Les huit prisons de l'aris, 271. Formalités qui accompa gnent l'écrou, 272. -Le trans - - - --- - ― - - - - ― - - - - - - -- ·Son arro - - Ses attri utilité, 26 . - Ses attri port des condamnés, 316. Leur toilette , 317.. Le wagon cellu laire, 318. — Les bibliothèques des prisons inscriptions sur les volu mes prêtés, 319. Rapports sur l'état moral des détenus, 320. Améliorations à introduire dans le régime des prisons, 321. — In suffisance du chauffage, 322. Produit du travail des détenus : salaire dérisoire , 323.- La prison doit être un hôpital moral, 324. Abandon regrettable du sys tème cellulaire , 524. Ce que coûte un détenu , 325. Amé lioration morale des prisonniers par les lectures et les conféren ces, 327. Création de colo nies pénitentiaires d'outremer, 329. Voy. Dépôt de la préfec ture de police, Conciergerie, Mazas, Sainte-Pélagie, la Santé, Saint- Lazare, Petite - Roquette, Grande-Roquette. - - - - - - - - Elle est un vice inhérent à l'humanité, III , 407 . Nécessité de la réglementer, 408. Violence inutile des an ciennes ordonnances, 409. Le Glatigny, 411. — Le Hueleu, 413 . Premières tentatives d'un rè glement sanitaire, 416.- Recen sement général , 420. La vi site et la taxe, 421 . Établisse mentd'un dispensaire gratuit, 422. Création de l'infirmerie de Saint Lazare, 423. Le service des mœurs à la préfecture de police, 424. Inscription des filles sou mises, 426. - Où se recrute la prostitution, 428. Interroga toires des femmes arrêtées, 439. Les dames de maison , 450. — La prostitution clandestine, 452. Les causes de la démoralisation, 454. Les débuts des filles in soumises, 462. Dilficulté de la répression, 465. — Les amants des prostituées, 469. Comment fi nissent les filles, 473. Les re -- - - - -- - ― - - - - - - - - 572 TABLE ANALYTIQUE. penties, 475. L'ouvroir de No tre-Dame de la Miséricorde, 479. -L'œuvre du Bon-Pasteur, 481. La législation actuelle suffirait à la répression de la prostitution, 492. - PUITS ARTÉSIENS. de Grenelle, V, de Passy, 325. Butte aux Cailles pelle, 326. - - - - Forage du puits 321 . Le puits Les puits de la et de la Cha a QUATRE SAISONS (Marchands des) , II, 191. ―― R RAVAGEURS, I , 413. RECONNAISSANCE ( Hospice de la) . Fondé par Michel Brezin pour les ouvriers métallurgistes, IV, 250 . REGISTRES DE L'ÉTAT CIVIL, VI , 73. RELIGION. Les diverses confessions à Paris, VI, 353. Bonaparte et le Concordat, 354. Distribution arbitraire des églises paroissiales avant la Révolution , 355. Des tinées diverses des anciens cou vents, 356. Les théophilan thropes, 357. La messe de la pie, 358. Nombre actuel des églises de Paris , 359. Nombre actuel des communautés religieu ses, 359. Les ordres liquoristes, 361. - Utilité des couvents, 361. Nombre des religieux et des religieuses, 362. Services ren dus par les sœurs, 362. Les églises et les prêtres pendant la Commune, 363. Le sac de l'ar chevêché en 1831 , 364. - Persis tance du sentiment religieux dans le peuple aux époques de persé cution, 365. Les fêtes instituées par la Convention, 366. Af fluence aux églises, 367. Les prédicateurs , 368. Baptêmes, mariages et inhumations, 369. - - - ―― - - 1 - - w Le prêtre catholique, 370. Le clergé de Paris, 373.- La fortune du clergé, 373. - La politique et la religion, 374. L'Église et l'État , 376. - REPECHEURS de bois , I, 397. RESERVOIRS. Voyez Eaux. RESTAURANTS. - - - ris, II, 190. 197. RÉVOLUTIONS ( LES ) et les ParisienS . -- La Révolution de 1789, en suppri mant les conditions d'éligibilité des magistrats municipaux de la ville de Paris, ouvre la porte à l'invasion provinciale, VI , 439. Ce sont les provinciaux et non les Parisiens qui sont les promoteurs et les acteurs des révolutions, 441. Proportion minime des Parisiens dans la municipalité pro visoire constituée le 25 juillet 1789, 442. Insignifiance de l'élément parisien dans la Commune de 1790, 443. - Les apôtres et les directeurs de la Terreur étaient des provinciaux, 444. Après la double abdication de 1814 et de 1815, le gouvernement provisoire est en grande majorité composé d'hommes nés en province, 415. - - Il en est de même de la com mission municipale de juillet 1830 et du gouvernement provisoire de 1848, 446. Sous le titre de gouvernement de la Défense na tionale, c'est la province qui règne à Paris en 1870, 447. Les pro vinciaux dans la Commune de 1871 , 449. Part active des en fants dans les révolutions de Pa - ris, 450. Le Parisien disparaît dans la masse des provinciaux et des étrangers, 452. - Il faut se garder de confondre le Parisien et l'habitant de Paris , 454. Goûts champêtres du Parisien, 455. Son amour de l'épargne, 455. Son esprit frondeur aide à prépa rer les révolutions, 456. -- Com - - Leur nombre à Pa Leurs catégories, - --- - ―― - - - -- TABLE ANALYTIQUE. 573 - - ment se recrute l'armée de la ré volution , 457.- La France émi gre à Paris, 458. - Les envieux, les fruits secs , 459. Stérilité des révolutions, 462. - L'opposi tion est l'antichambre du pouvoir, 462. Revendication hypocrite de la liberté, 463. Attitude né gative du Parisien aux heures de révolution, 465. Effets désas treux des insurrections sur Paris, 464. Le peuple est une force aveugle, 465. La loi de l'ata visme moral en France, 466. Énergie du Parisien pour réparer les maux causés par les révolu tions , 467. - Son abstentionisme politique, 467. Causes de nos révolutions, 468 . -Leur inquié tante périodicité, 468. S'il n'y avait que des Parisiens à Paris, on n'y ferait pas de révolutions, 469. Signes de décadence, 470. Rôle de Paris dans les destinées futures de la France, 472. Pourquoi la Révolution française a-t-elle échoué ? 474. Les races latines et les nations protestantes, 475. Mépris de la légalité, 476. Le nombre est le maître, 479. Les revendica tions, 478. En 1848, on voulait obtenir ; aujourd'hui on veut pren dre, 479. L'orgueil du peuple de Paris, 479. Flatteries inté ressées pendant le siége, 480. Tout effort réservé pour la guerre civile, 480. - L'ambition du peu ple, 481. Les nouvelles couches sociales veulent faire contre la bourgeoisie la révolution que celle ci a faite contre la noblesse, 482. ― 1 Les priviléges de l'ancienne noblesse, 482. Les priviléges de la bourgeoisie actuelle, 483 . Le drapeau rouge, 484. - Il faut regarder le danger en face, 486. Le prolétariat parisien , 486. - La gouappe, 487. Les grévistes, 488. - - -- - - - - - - - - ―― - - - - - bourgeoisie, 490. - L'incendie de Paris n'a pas été une œuvre spon tanée, 491. Les vœux des nou velles couches sociales, 491 . L'État administrateur et fabricant, 492. Le droit au travail, 494. - Limitation du nombre des ou vriers, 495. L'abolition de l'hé ritage, 496. Origine et carac tère du socialisme, 497. - L'In ternationale, 499. La politique est indifférente au peuple de Paris, 506. Le suffrage universel et l'avénement légal du prolétariat, 507. Les décrets futurs, 508. Le salut possible, 508.- Barbarie croissante des revendications po pulaires, 510. La guerre étran gère et la guerre civile , 514. Paris se suicidera, 515 . La mort violente des capitales, 515. L'âme de Paris appartient à l'humanité, 516. RICHELIEU. Établit la taxe des let tres et le monopole de la poste royale, I, 39. RICHELIEU ( Bibliothèque) , VI, 258. ROLLER ( Le docteur) , directeur de l'asile d'aliénés d'Illenau. - Ré sultats remarquables obtenus par lui dans le traitement des maladies mentales, IV, 504. ROQUETTE ( GRANDE-) . C'est l'anti chambre de la guillotine, III , 315. Visite, toilette et départ des condamnés, 316. - Wagon cellu laire , 318. ROQUETTE (PETITE-) . Travail des jeunes détenus, III , 308. Leur isolement et leur tristesse , 309. — L'enfant parisien est réfractaire au travail agricole, 312. - Désavan tages de la substitution de la co lonie agricole au régime cellulaire mitigé, 315. ROTHSCHILD Hôpital) . Construit dans la rue de Picpus pour les is raélites, IV, 240. - -


- - - - - ROUGE ( Pont), I , 383 . ROULOTIERS. -- Les déclassés de la petite - - -- - -- Catégorie de voleurs 574 TABLE ANALYTIQUE. III, 39. Le roulotier en cam brouse, 45. ROYAL ( Pont) , I, 383. - S - SABLIERS ou tireurs de sable, I , 412. SAINT-CHARLES ( Pont ) . Établit la communication entre les deux rives de l'llôtel-Dieu , I , 385. SAINT-LAZARE ( Prison) . — Dangers de l'agglomération des différentes ca tégories de détenues dans la prison pour femmes, III , 302. Mou vement annuel des entrées et des sorties, 306. Dépendances de Saint-Lazare magasins généraux , boulangerie et lingerie des prisons de la Seine, 306. SAINT-LOUIS (Hôpital) . - Les salles de bain pour le traitement des maladies cutanées, IV, 228. La lèpre, 229. - Les curiosités de Saint- Louis, 229. Le musée pa thologique, 250. SAINT-LOUIS Ile) , I , 372. SAINT-LOUIS ( Pont) , I, 383. SAINT-MICHEL ( Maison ) . — Hospice de vieillards, IV, 251. - - SAINT-MICHEL ( Pont) , I, 377. SAINT-OUEN ( Cimetière) . — Ouvert le 1er septembre 1872, VI, 213. SAINTE-ANNE (Ferme) . Asile d'a liénés, IV, 447. Voyez Aliénés (asiles d') . SAINTE-GENEVIÈVE (Bibliothèque) , VI, 257. - -


― - ――― SAINTE-PÉLAGIE ( Prison) . Promis cuité des détenus, III , 292.- La pistole, 294.- Activité du travail, 295. Évasions, 297. SAINTE-PERINE ( Institution) . Hos pice de vieillards, dont l'idée pre mière appartient à Chamousset, IV, 251. Incurie de ses pre miers administrateurs, 252. Sa translation de Chaillot à Auteuil, 253. Conditions d'admission, 253. SALLES D'ASILE, V, 98. - - - - - - SALPETRIÈRE ( Hospice de la). - Son histoire, IV, 336. - Massacre des détenues en septembre 1792, 338, 530. Effroyable mortalité pen dant le choléra de 1849, 339. Nombreuse population de l'hospice, 341. Mœurs de ses pension naires, 341. Excellent personnel de surveillantes, 346. Les dor toirs, 347. Le quartier des can cérées, 352. - Les cuisines, 354. Passion des vieilles infirmes pour le café au lait, 355. — La buanderie générale de l'Assistance publique, 355. Maladies occa sionnées par le maniement du vieux linge, 356. Le ma rais, jardin central des hôpitaux de Paris, 358. Système de retraite pour les employés de l'Assistance publique, 359. Le service reli gieux, 361. Les congrégations pieuses, 362. Abus des quêtes, 365. Ce qu'on devrait faire de la Salpêtrière, 367. SANTÉ ( Prison de la) . Système mi partie cellulaire, mi-partie en com mun, III, 298. Améliorations introduites dans le régime, 299. - Expérience à faire sur la valeur comparative des deux systèmes, 300. SAPEURS-POMPIERS. Les causes d'in cendie dans la ville de Paris, VI, 293. Dumourier-Duperrier ob tient de Louis XIV le privilége de la fabrication et de la vente des pompes à incendie, 294.- Nombre actuel des sapeurs-pompiers, 294. Nombre des incendies, 295. Postes et casernes, 295. Orga nisation défectueuse du corps det sapeurs-pompiers, 296. SAUVETEURS, I, 435. SCIONNEURS. - Catégorie de voleurs, -- - - - - - - - - - - - ―――――― - - -- - III, 46. SCIPION ( Maison) . — Boulangerie de l'Assistance publique, IV, 109. SEINE ( Ancienne île de) , I, 374. SEINE A PARIS (la) . Sous l'an TABLE ANALYTIQUE. 575 ――― cienne monarchie, la Seine est la grande voie d'approvisionnement de la capitale, I , 360. Origine de son nom, 362. Ses inonda tions, 364. Ses étiages, 366. Sa vitesse, 267. - Degré de salu brité de ses eaux , 368. - Topo graphie de la Seine, 370. . Ses iles , 371. -Les ponts, 375. — La Bièvre, 391. La navigation de la Seine, 392. Le flottage des bois , 393. Le charbon de bois, 399. Le charbon de terre, 399. - Les vins, 400. Les céréales, 402. Les Les fruits, 403, matériaux de construction , 405. Mouvement de la navigation en 1867, 405. Le remorquage, le halage et le tounge , 405. ne-et-Tamise, 408. -Le Corbil lard, 410. Les Mouches, 410. Les ouvriers des ports, 412. - Les bains, 416. Les lavoirs, 417. Les boîtes de secours, 420. La Morgue, 423. Les sau veteurs, 435. Voy. Iles, Ponts. SEMONNEUR. Employé chargé au trefois de faire à domicile les invi tations pour les enterrements, VI, 145. Sei -- - -- - - - -- - - - - - - - - - - -- SERGENTS DE VILLE. Leur en bri gadement, III , 89. Leur mora lité et leur discipline, 90.- Fa tigues de leurs fonctions , 94. Leur probité, 95. Les postes de police, 96. Le violon , 98. - Les rondes , 100. centrales, 101 . - Les brigades SERVICES FUNEBRES, VI, 141 . - - - 1 - - - -- Pompes funèbres. SOPHISTICATION DES DENRÉES. - Le lait, II, 200. Le café, 201 . · Pieds de cochon truffés au mérinos , 201. L'huile d'olive, 202. — Répres sion insuffisante, 203. Le pa nier à salade , 205. SORCELLERIE. La croyance aux sor ciers au dix-neuvième siècle, IV, 543. SOURDS-MUETS. La mimique et - - Voy. la dactylologie, V, 173. Pre mières tentatives d'enseignement des sourds-muets, 175 L'abbé de l'Épée son caractère, sa méthode, son but , son dévoue ment, ses succès, 175. - Fon dation de l'institution des sourds

muets, 180. L'abbé Sicard, 281. Emplacement actuel de l'Institution, 184. Le sens de l'ouïe est-il indispensable au développement de l'intelligence ? 186. Régime de l'Institution, 194. Marche de l'enseignement, 196. Rapidité de la mimique, Passion des sourds-muets pour la gymnastique. 204. - Les ateliers , 205. L'articulation, 200. - - - 212. -- La société centrale d'édu cation et d'assistance des sourds muets, 216. But à poursuivre, 218. STATISTIQUE. Nous donnons sous ce titre, en les rangeant par or dre alphabétique, les différents élé ments de statistique renfermés dans cet ouvrage. Absinthe. Tarif des droits perçus par hectolitre d'absinthe livré à Paris, VI, 57. Alcool. Tarif des droits per çus par hectolitre d'alcool livré à Paris, VI, 55. - - - - - - Aliénés. Nombre des aliénés internés en 1872 par l'intermé diaire de la préfecture de police, IV, 441. Proportion des aliénés par rapport à la population totale de la France et à celle des prisons, 497. Proportion des guérisons obtenues à l'asile d'Illenau, 503. Leur nom Apothicaires. bre, VI, 318. Artistes peintres, sculpteurs, compositeurs, acteurs . nombre, VI, 315. Leur - ―――――― Ses Assistance publique. revenus immobiliers et mobiliers, IV, 101. Nombre de demandes de secours en 1869, 160. - 576 TABLE ANALYTIQUE. Leur nombre, VI , 316. Avoués. Leur nombre, VI, 316. Bals publics. Leur nombre, VI, 327. Avocats. - - ――― Banque de France. Nombre et valeur des billets présentés à l'escompte en 1868, II, 414. Dépôts volontaires, 428. Ma niement des fonds, 432. Banquiers. Leur nombre, VI, 313. -- -- ―――――― Bateaux-omnibus ou Mouches. Mouvement des voyageurs, I, 278, 411 . Bestiaux. Nombre des bes tiaux entrés au marché de la Vil lette en 1872, VI , 35. Cafés-concerts. Bibliothèques. Nombre des volumes et des manuscrits de la Mazarine, VI, 256. De l'Arse nal, 257. De Sainte-Geneviève, 257. De la Richelieu, 261. De la bibliothèque de la Ville, 269. Bijouterie et orfévrerie. Nombre des ouvrages d'or et d'ar gent présentés en 1868 au bureau de la garantie, II , 353. Billards. -Leur nombre, VI, 327. - -- - -- - Bureaux de bienfaisance. Produit des quêtes faites à domi cile, IV, 128. Leur nom Leur nombre, bre, VI, 327. Calvinistes. VI, 353. Catholiques romains. nombre, VI, 353. - - - - - ― Chemins de fer. Mouvement du transport des voyageurs et des marchandises, I , 300. Les che mins de fer pendant la guerre de 1859, 339. Les accidents, 346. Chiffonniers. Leur nombre, VI, 311. Choléra. Nombre de cas et de décès en 1832, IV, 183. En 1849 et en 1854, 185. -Morta - Leur -- lité à l'hospice de la Salpêtrière, 339. Commerce. Nombre d'habi tants de Paris qui vivent du com merce, VI, 311 . Commissaires-priseurs. -Leur nombre, VI, 316. Condamnations à mort. Nombre des condamnations à mort prononcées de 1803 à 1825, III, 594. - Condamnations et commu tations de peine de 1826 à 1830 et de 1831 à 1869, 394. Conscrits illettrés. Leur proportion dans les divers dépar tements, V, 88. Contributions directes. Part contributive payée par la ville de Paris en 1872, VI, 305. Couvents. · Leur nombre au trefois et aujourd'hui , VI, 355, 359. Leur -- - - Débits de boisson. nombre, VI, 327. Décès. Leur nombre à di verses époques, VI , 125. Mor talité causée par le siége de Paris, 127. Enfants mort-nés, 132. Espèces de maladies qui ont amené la mort, 135 . Denrées alimentaires. Con sommation de Paris en 1789, II, 36. Entrées de blés et de fari nes en 1868, 77. Consommation de pain en 1859, 86. Entrées d'animaux de boucherie en 1868, 96. Poids et prix moyens des viandes aux abattoirs, 103 - Con sommation de viande par habitant en 1868, 116. L'hippophagie en 1870, 117. Mouvement des vins et spiritueux à l'Entrepôt gé néral, 128. 134. Progression des arrivages de marée, 169, 171. Les huitres, 172. Le beurre, 174. Les œufs, 175. Vo laille et gibier, 178. Légumes et fruits , 180. · Entrées et pro - -- duit des denrées soumises à l'oc troi en 1868, 206. Nombre des - - - - - - - - - - - - - - ―― - 1 TABLE ANALYTIQUE. 577 boulangers, marchands de vin , li quoristes et cafetiers, 209. Dentistes. Leur nombre, VI, 318. Eau. Nombre de litres d'eau fournisquotidiennement par les dif férentes sources qui alimentent Pa ris, V, 302. Chiffre des abon nements, 345. - - Eclairage. Nombre des lan ternes sous la Restauration , V, 374. Sous Louis-Philippe, 377. Consommation du gaz, 403. Nombre des becs réservés à l'éclai rage public, 406. - Abonnements particuliers au 31 décembre 1872, 409. - Écoles. Leur nombre et leur classement en 1871 , V, 97. Eglises. Leur nombre autre fois et aujourd'hui , VI, 355, 359. Egouts. Quantité d'eau dé versée en vingt-quatre heures, V, 412. Longueur des égouts de Paris en 1631 , 422. En 1806, 431. En 1873, 437. Galeries d'égouts où ont été trouvées des armes et des munitions après la défaite de la Commune en 1871, 510. -- -- - Enfants trouvés. Nombre, âge et sexe des enfants assistés en 1869, IV, 269. - Leur classement par arrondissement d'origine, 272. Enseignement supérieur. Nombre d'inscriptions prises pen dant l'année scolaire 1871-1872 dans des facultés qui délivrent des diplômes pour la licence et le doc torat, V, 151. Dépenses et re cettes de 1865 à 1872, 167. Etablissements publics . -Leur nombre, VI, 344. Etrangers. Classement par lieux d'origine et par professions des étrangers venus à Paris pour visiter l'Exposition universelle de 1867, III , 104. Fiacres. Premiers tarifs, I, 211. Nombre des voitures en -- - 1855, 213.- Nombre actuel , 215. Nombre des chevaux, 221 . Consommation en fourrages, 222. Gains et pertes de la compa gnie, 223. --- Filles soumises. -Leur nom bre au 1 janvier 1870, III, 453. Proportiondes maladies spécia les chez les filles soumises et chez les insoumises, 467. Fonctionnaires. bre, VI, 322. - Froment. Prix du setier de froment comparé à la valeur du marc d'argent pur pendant diver ses périodes comprises entre 1515 et 1835, II, 451. Rapport en tre le prix du pain et la crimina lité , III , 212. Gibier. Nombre de pièces de gibier vendues en gros pendant les périodes de chasse 1867-1868 et 1868-1869, II, 454. - - - Herboristes. Leur nombre, VI, 318. Hôpitaux Nombre des lits dans les divers hôpitaux de Paris, IV, 187.- Nombre des bains gra tuits, 191. Mouvement du ser vice des hôpitaux du 1er mai 1869 au 1 mai 1870 , 195, 218. Hôtels garnis.-Mouvement des entrées en 1872, VI, 329. — Leur classement, 330. Nombre de locataires présents à toute épo que, 330. Dépense annuelle faite par les personnes logées en garni, 331. Huissiers. Leur nombre, VI, 316. - - -- - Leur nom - Indigents. Leur nombre à diverses époques, IV, 124. · In digents qui reçoivent des secours spéciaux, 164. Malades traités à domicile, 164. Industrie. tants de Paris qui dustrie, VI, 309. Inhumations. Nombre to tal des inhumations faites au ci Nombre d'habi vivent de l'in VI. 37 578 TABLE ANALYTIQUE. metière du Père-Lachaise, VI , 197. Au cimetière Montmartre, 197. Au cimetière Montpar nasse, 201. Nombre des con vois et des visiteurs du 1er au 7 décembre 1873 , 224. État indiquant le nombre de corps inhumés sans mandat du 20 au 30 - - mai 1871 , 524. État indiquant le nombre des concessions à per pétuité existant dans .es cimetiè res de la ville de Paris au 1er jan vier 1874, 532. Instituteurs. Leur traite ment, V. 90. Instruction. - Degré d'instruc tion des individus traduits devant le jury en 1867 , III, 211. Israélites. Leur nombre, VI, 353. VI, 353. Maisons. VI, 344. -- -- - Jeunes-Aveugles. Mouve ment des entrées et des sorties du 1er janvier 1848 au 31 décem bre 1872, V. 273. Budget de l'institution , 275. ――――― - - Journaux. Leur nombre en 1788, 1790, 1800 et 1811, VI , 288 ; Sous la Restauration et la monarchie de Juillet, 288 ; Sous le second Empire, 289. - Nombre actuel, 289. · Leur classification, 290. -― - Locations. Leur nombre, VI, 545. Luthériens. Leur nombre, Leur nombre, Malfaiteurs. Nombre des arrestations à diverses époques, III, 67. Nature des crimes et délits, 71. Classement par lieux d'origine, 74. Classement par professions, 75. Classement gé néral des arrestations opérées dans le département de la Seine pen dant l'année 1869, 495. Mariages. Nombre des ma riages et leur répartition par arron dissement, VI, 118. - -- ― -- Médecins. Leur nombre, VI, - Mendiants italiens. Leur nombre à diverses époques, IV, 60. Mendicité. - Entrées et sorties de la maison de répression de Saint-Denis, IV, 73. Du dépôt de Villers-Cotterets, 84. Monnaie. Poids des objets d'or et d'argent convertis en mon naie en 1868 et en 1848, II , 309. Nombre et valeur des pièces d'or et d'argent fabriquées en 1868, 320. - Émissions faites dans di verses périodes , 331 . Mont-de-Piété. Sa situation au 31 décembre, 1778, V, 10. Au 21 mars 1871 , 21. Mouve -- ment en 1869, 50. Morgue. - Progression des ré ceptions de cadavres, I , 431 . Musulmans. Leur nombre, VI, 353. 317. -- ―― Naissances.-Natalité moyenne pendant la période 1863-1869, VI, 103. Diminution des nais sances pendant les mois corres pondant à la période d'investisse ment, 104. - - - Navigation dela Seine. - Flot tage du bois, I, 397. Arrivages de charbon, de vin, de céréales, de fruits, de matériaux de con struction, 399. Mouvement de la navigation en 1867, 404. Notaires. Leur nombre, VI, Dans les om Octroi. Produit des recettes en 1869, VI , 5.. Total des droits d'entrée en 1790, 11. Percep tions en 1798-1799, 14 ; Sous l'Empire et la Restauration , 17 ; sous le gouvernement de Juil let et le second Empire, 18. Progression du produit de l'octroi, 19. Perception par tête d'habi tant, 45. Nombre d'articles manipulés en 1872 et produit to 316. Objets trouvés. nibus, I, 271. - -- - - - - - - TABLE ANALYTIQUE. 579 - tal , 46. - État général des pro duits annuels de l'octroi depuis 1801 , 520. Relevé approximatif des droits d'octroi se rattachant à la construction d'une maison de 100,000 francs, établie dans les conditions ordinaires d'une pro priété de rapport ( 1873 ) , 521 . Officiers de santé. nombre, VI, 317. Leur Omnibus. Nombre des voitu res et des voyageurs , I, 259. Frais de la Compagnie, 267. Patrons. Leur nombre, VI , 312. Pompes funèbres. totale pour 1875, VI, 150. Pompiers. Leur nombre en 1716, VI, 294. Nombre actuel, 294. - - ― --- ― wxxxv - - Ponts. Prix de revient des ponts récemment construits, 1 , 387. Portiers. Leur nombre, VI , 319. Poste. Accroissement des baux de la ferme générale des postes pendant le dix-huitième siè cle, I, 40.- Nombre des bureaux de poste et des objets manipulés à diverses époques, 48. · Pro duit de la vente des timbres- poste, 48. Nombre des facteurs ru raux, 49. Classification des ob jets confiés à la poste, 72. tres tombées en rebut, 97. Let - - - Recette Prisonniers. Mouvement des entrées et des sorties à la Concier gerie en 1868, III, 246 ; à Mazas, 287; à Sainte- Pélagie, 295 ; à la Santé, 298 ; à Saint-Lazare , 506; à la Petite-Roquette, 310 ; à la Grande-Roquette, 315. Produit et répartition du travail des détenus en 1868, 323. Ce que coûte leur entretien, 525. Prix de vente des articles ven dus dans les cantines des prisons de la Seine, 508. Professions libérales. Com bien elles nourrissent de person nes, VI, 315. Leur nom Propriétaires. bre , VI, 319. Religieux et religieuses. Leur nombre, VI , 362. Rentiers. - Leur nombre, VI, 319. Rues. Longueur de certaines rues de Paris, VI, 547. Sages-femmes. bre. VI, 518. Leur nom Sapeurs-pompiers. État, par arrondissement , des casernes et des postes, VI, 533. Savants et lettres . -Leur nom bre, VI, 315. - - -- Statistique. Bulletin de sta tistique municipale, publié par les ordres du préfet de la Se ne, VI, 98. Suicides. Leur proportion dans la population libre de Paris et à la prison Mazas, III, 325. Tabac. Nombre des maga sins, manufactures , entrepôts et débits en 1868 : recette totale, II, 227. Production de la manu facture du Gros - Caillou , 254. Produit de la vente des cigares, 265, 270. - ― Telegrapheélectrique . —Nom bre des dépêches et chiffre des re cettes en 1867, I , 171. - Mouve ment journalier des dépêches, 181 . Classification par nature de dé pêches, 195. Mouvement des dépèches par rapport à la dimi nution des tarifs , 196. Dépê ches gratuites, 197. Theatres. Total des recettes en 1873 , VI, 253. Répartition des subventions, 243. Timbres-poste. 1 Progression de leur vente, II, 350. - Timbres poste livréspar la monnaie àl'admi nistration générale des postes de puis l'année 1849 jusqu'en 1868, 461. Tribunaldepremière instance - ――― - -- ― - 1 --- ― 580 TABLE ANALYTIQUE. Nombre d'affaires inscrites à son rôle en 1872, VI , 316. Vins. Total des droits perçus à l'octroi de Paris en 1872, VI, 37. Voie publique. Son budget, VI, 345. SULLY. Améliore le service des Ses idées sur la postes, I, 38. liberté commerciale, II , 11 . - - - ― - - -- - T - Les - TABAC. Son introduction en France, II, 212. Sa prohibition , 212. Sa propagation , 213. - Il devient une source de revenu pour le Tré Établissement sor public , 214. TAFOUILLEUX , Ou chiffonniers des ber du monopole en 1811 , 216 . ges de la Seine, I , 414. Substitution de la méthode scien- TELEGRAPHE AÉRIEN. Premiers es - Le tifique à l'empirisme dans la fabri- sais de télégraphie , I , 119. - Le cation des tabacs, 217. guetteur d'Eschyle , 119 . agents supérieurs sont choisis par- télégraphe des Gaulois , 120 . mi les meilleurs élèves de l'Ecole Essais de Robert Hooke, 122. Excellents polytechnique, 218. Projet de Guillaume Amontons, 123. résults obtenus par l'introduction La téléphonie , 124. de l'élément scientifique, 219. Claude Chappe idée première du · Essai à L'école d'application du Gros- télégraphe aérien, 127. Caillou , 220. Le laboratoire, Paris et destruction de l'appareil, 221 . 130. Essais toxicologiques, 221. Expérience concluante, Le 133.- Un décret de la Convention L'amphithéâtre , 222. cours de mécanique appliquée , nomme Chappe ingénieur-télégra Etablissement de la 223. Le jardin botanique et la phe, 135. culture du tabac , 223. Produit ligne de Paris à Lille , 136. — Obs de la vente des tabacs pour Paris tacles surmontés pour la construc et les départements en 1868, 227. tion des postes et l'installation des -Manufacture du Gros-Caillou : machines, 136 . La prise de Situation et aspect, 228. Les Condé annoncée par le télégraphe, 139. Mécanisme du télégraphe quatre formes du tabac , 230. aérien, 140 . Composition et fabrication du râpé, Les signaux, 141. 231.-Il faut quarante mois pour Secret des dépêches, 143. — Le faire une prise de tabac, 243. télégraphe et l'émeute, 146 . - Pré Le secret des priseurs, 244. — Le Télégraphes secrets, 149 . scaferlati , 245. Une machine posés infidèles : affaire des frères Les rôles, Blanc, 150. - Une loi établit au intelligente, 249. 252. Les cigarettes, 255. profit de l'État le monopole de la Services ren Manufacture de Reuilly : Les ci- télégraphie, 153 . Les tabacs de la dus par le télégraphe aérien, 154. gares, 256. Havane, 257. Manutention des TÉLÉGRAPHIE ÉLECTRIQUE . - Principes feuilles, 258. Détails de la fa- fondamentaux de la transmission brication des cigares, 260.- Ap des dépêches au moyen des appa - - ― - - - - - - - -- - - provisionnement des cigares des Le bureau de grands crus , 263. vente du Grand-Hôtel, 265. Expertise et dégustation, 266. Contrefaçon des tabacs français, 268. Droits de douane, 270. Consommation et produit, 270. Les adversaires du tabac, 274. La nicotine, 275. Rapport illu soire entre la consommation du ta bac et l'accroissement du nombre des maladies mentales, 277. -Le café noir contre-poison de la nico tine, 280. - - -- TABLE DE MARBRE du Palais de Justice, III, 174. -- - - - -- -- - - - -- - TABLE ANALYTIQUE. 581 reils électriques, 159. Premier télégraphe électrique établi en An gleterre par Wheatstone, 162. Appareil de Morse, 162 , 455 . Le télégraphe français, 165, 454. Timidité de la Chambre des - - Le députés, 166. La télégraphie privée, 167. Le bureau central , 172. La salle des piles, 174. - La chambre des fils, 175. poste central, 175. La salle de Paris, 177. Fatigue excessive causée par le travail de manipula tion, 178. Condition misérable des employés, 179. - Insuffisance des locaux , 180. Mouvement journalier des dépêches, 181 . Télégrammes secrets , 182. Sub stitution de l'appareil Morse au té légraphe français , 185. L'appa reil Hughes ou télégraphe impri mant, 186. Le cabinet mysté rieux, 189. Pantélégraphe Ca selli , 190. La salle d'etude, 192. La salle des expériences, 195. -Les paratonuerres, 193. Fai ble chiffre des dépêches. 194. - Diminution de la taxe, 195. In suffisance du budget , 196. - Abus des franchises, 197. Le tube pneumatique, 199, 456. Erreurs commises dans la trans mission et dans la traduction des dépêches, 203. Nécessité de l'extension du réseau télégraphi que, 205. TÉLÉPHONIE. Employée par les Gaulois, I, 120. THEATRES. - Nombre des théâtres de Paris , VI, 233. Leurs recettes en 1873, 233. Renouvellement incessant du public, 234. - Les pièces à femmes, 235. Recru tement des figurantes, 235. Origine des représentations dra matiques en France , 236. L'art littéraire, 237. —L'art mécanique, 237. Les dessous du théâtre, 258. Les machinistes, 259. Les décors, 239. Chances d'in - ― - - - - --- ➖➖ - - - -- - ― - - - cendie, 240. L'envers du théâ tre, 240. La danseuse, 241. — Importance sociale du théâtre, 242. Les subventions, 243. La mission de l'Opéra, 213. Les améliorations matérielles intro duites dans les représentations dra matiques, 244.- La censure , 246. Le mauvais goût du public ne date pas d'aujourd'hui, 250. La Comédie- Française et les tra ditions de l'art, 251. La li berté des théâtres, 252. Les mœurs et le théâtre, 253 . TIMBRES-POSTE (Fabrication des). Imprimerie, II , 347. Le vernis sage, 348. Le tirage, 348. Le gommage, 349. Le poin tillage, 349. Nombre des tim bres-poste livrés par la Monnaie à l'Administration générale des postes depuis 1849 jusqu'à 1868, II, 461. TIREURS. 412. TIREURS. Catégorie de voleurs, III , 32. Ouvriers des ports, I , -- --- - --- - - --- - U TIREURS de bois, I, 396. TOUAGE de la Seine, I, 406. TOUPINIERS. Comment ils sont reçus à la Banque de France, II, 420. - ――― - TOURNELLE ( Pont de la) , I , 382. TREILLES (Ancienne île aux) , I , 373 TRIQUEURS de bois, I , 395. TUBE PNEUMATIQUE pour la transmis sion des dépêches, 199. TURGOT. Ses efforts pour établir la liberté commerciale, II , 26. - Sa disgrâce, 31 . TURGOTINES. Voitures publiques, I, 283. UNIVERSITÉ DE PARIS. -- Elle organise un système de messageries, I, 36. USURE. Elle dévore les marchands des quatre saisons, II, 194. 582 TABLE ANALYTIQUE. V VACHES ( Ancienne île aux) , I , 372 . VALLÉE DE LA MISÈRE, aujourd'hui place du Châtelet, I, 370. VAUCLUSE (Asile de) , IV, 463. Voyez Aliénés ( Asiles d' ) . VAUVERT ( Le diable) . Dans quels parages il habitait , IV, 311. VESINET ( Asile du) . Reçoit les ouvrières convalescentes , IV, 233 . VIEILLESSE ( Hospices pour la) . —Voyez Buétre, Salpêtrière. - - - ― VILLE (Bibliothèque de la) , VI , 266. VILLE- EVRARD (Asile de) , IV, 474. Voyez Aliénés ( Asiles d') . VIN. - Relevé des divers impôts que paye le vin, II, 449. VINCENNES (Asile de) . Reçoit les - ouvriers convalescents, IV, 255. VINS ( Entrepôt général des) . — Voyez Entrepôt. - - - VOITURES DE GRANDE REMISE, I, 224. VOIE PUBLIQUE. - Comment sont rem boursées les dépenses faites pour la transformation de Paris, VI , 552.— Paris en 1848 , 355. Les charges de la Ville, 354. Le jury d'ex propriation accorde des indemni tés extravagantes, 355. Abus et scandales, 356. Le plan du Paris futur, 340. Nécessité de conti nuer les travaux, 341. Nom re des maisons à Paris, 344. Nombre des rues, 545. État dé fectueux du pavage, 315. Le numérotage des maisons, 318 . Nomenclaturs à adopter pour les - .... - - - - - rues, 350. Les arrondissements et les quartiers, 351. — Les con structions de M. Haussmann, 351 . VOITURES DE PLACE ( Compagnie géné - - rale des), I, 214.- Le personnel, 219.- Le matériel roulant, 220.— Cavalerie, 221. — Dépôts, 222. Charges de la Compagnie, 223. Voitures de grande remise, 224. Dépôt des voitures de place. 227. Ateliers de construction , 230. - Voyez Cochers , Fiacres. VOITURES PUBLIQUES. Entreprises diverses avant la construction des chemins de fer, I, 284. Les voyages d'autrefois , 285. Voleurs. Argot des voleurs, III, 22. Les faiseurs, 27. Les drogueurs de la haute, 50. Les chineurs, 30. — Vol à l'américaine, au poivrier, 31. Les tireurs, 32. La tire à la chicane, 35. Le vol à la détourne , 33. Le vol à l'étalage, 35. Le vol à la vrille, 36. Les casseurs de por tes, 38. Les carreurs, 38. - Les roulotiers, 59. Vol à l'esbrouffe, à la poussée, au bibi, à la bro quille, au rendez-moi , au voisin, à la ramastique, à l'officieux, au par dessus, à la valtreuse, à l'apprenti, à la cire, à la vanterne, à la nage, 41. Les cambrioleurs, 42. Les caroubleurs , 43. - Les scion neurs, 46. Les nourrisseurs, Les fileurs, 50. — Les vo leurs dénonciateurs, 123. Malfaiteurs, Police. VOLS dans les omnibus, I, 270. Voyez - 49. - - - - - - FIN DE LA TABLE ANALYTIQUE. - -- - - - - PARIS. IMP. SIMON RAÇON ET COMP. , RUE D'ERFURTH, 1 . - - - -- - 1 "

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