The Theory of the Four Movements  

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"... let us first establish a hierarchy of cuckoldry and introduce into this serious debate the beacon of analytic method, which the philosophers regard as the path to truth. Among cuckolds, it is possible to distinguish nine degrees of cuckoldry, both among men and women, for women are cuckolded far more often than men; indeed if the husband has horns as tall as a stag's antlers, the wife's may be said to be as high as the branches of a tree."

French:

"Pour le démontrer, établissons d'abord la hiérarchie du cocuage et portons dans ce grave débat le flambeau des méthodes analytiques qui selon les philosophes sont la route de l'auguste vérité. On peut distinguer dans le monde cornu neuf degrés de cocuage, soit parmi les hommes, soit parmi les femmes, car les femmes sont bien plus cocues que les hommes ; et si le mari en porte d'aussi hautes que les bois du cerf, on peut dire que celles de la femme s'élèvent à la hauteur des branches d'arbre."

--The Theory of the Four Movements (1808) by Charles Fourier


"Fourier wrote three works of importance. The first is the one already mentioned, “La Théorie des Quatre Mouvements et des Destinées Générales” [...] The four movements were social, animal, organic, and material, giving us society, animal life, organic life, and the material world. The object is to show that one law, that of attraction, governs them all. Newton discovered the law of one movement, the material; Fourier, that this same law of attraction pervaded all four movements. [...] This work was considered incomplete by Fourier himself, and the fantastic notions and ridiculous prophecies contained in it were the subject of so much ridicule and criticism that for a long time he would not mention the book, and was unwilling to hear others speak of it."--French and German Socialism in Modern Times (1883) by Richard Theodore Ely

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Théorie des quatre mouvements et des destinées générales (1808, The Theory of the Four Movements and the General Destinies) is a text by Charles Fourier.

The text was first published anonymously in Lyon in 1808 and argues that the extension of the liberty of women was the general principle of all social progress, though Fourier disdained any attachment to a discourse of 'equal rights'.

Translations

English

Full text

THOMAS WENTWORTH HIGGINSON, VERI TAS HARVARD COLLEGE LIBRARY T

EUVRES COMPLÈTES DE CH. FOURIER. TOME PREMIER. THEORIE DES QUATRE MOUVEMENTS ET DES DESTINÉES GÉNÉRALES. PROSPECTUS ET ANNONCE DE LA DÉCOUVERTE . Mais quelle épaisse nuit voile encor la Nature VOITAIRE. DEUXIÈME EDITION. PUBLICE PAR LA SOCIETÉ POUR LA PROPAGATION ET FOUR LA RÉALISATION DE LA TRÉORIE DE FOURIER . PARIS AUX BUREAUX DE LA PHALANGE , RUE DE TOURNON , Nº 6 . LIBRAIRIE DE L'ÉCOLE SOCIÉTAIRE, MDCCCXLI KE9125 1 HARY UNIVERSITY LIBRARY HC

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THEThequeet ddoiL ver penvrede QumideétéciéCorpasSar THÉORIE DES QUATRE MOUVEMENTS. PRÉFACE DES ÉDITEURS. (Lecture obligée. ) I. Erreur accréditée sur la Théorie des Quatre Mouvements. On se fait généralement une idée très fausse de la Théorie des Quatre Mouvements ; on croit, sur le titre, que ce livre est l'Exposition de la Doctrine de Fourier et de son Système social . Il n'en est rien ; le lecteur en doit être bien et dûment prévenu dès la première page. Lorsque Fourier, qui avait fait en 1799 la Décou verte que le Destin réservait à son Génie, eut élaboré pendant huit années (1) sa Conception , il songea à la li– vrerà ses contemporains. Il s'arrêta d'abord au projet de publier successivement, sous le titre de Théorie des Quatre Mouvements, huit Mémoires dont les deux pre miers devaient être de simples Prospectus ou Annonces de la Découverte. Les six Mémoires suivants eussent été consacrés à l'Exposition régulière du Régime So ciétaire ou Harmonien , Exposition que l'Auteur comptait faire par voie de description . Or , il n'est pas difficile de comprendre , quelque peu de connais sance que l'on ait de la Conception de Fourier, que ces (1) Sur les huit années il n'y en eut que deux d'études franches. a jj PRÉFACE huit Mémoires eussent été fort loin encore de contenir cette Conception dans son ensemble systématique. La publication de ces huit Mémoires 'ne pouvait être, et n'était effectivement, dans la pensée de l'Auteur, que le début et comme le premier acte d'une Exposition complète. C'est ce dont nous donnerons la preuve pé remptoire en imprimant , dans un des volumes qui suivront celui- ci , le Tableau inédit de la disposition du Grand Ouvrage dont Fourier, plus tard , prépara les matériaux, et dont il sera éternellement regrettable qu'il n'ait pas , de son vivant , achevé la publication . Or, le volume qui a paru en 1808 sous le titre de Théorie des Quatre Mouvements, et que nous rééditons aujourd'hui pour former le Tome I des OEuvres Com plètes de Fourier , n'était encore que le premier de ces huit Mémoires, c'est-à-dire la moitié du Prologue qui devait précéder l'Exposition descriptive de la Théorie. C'était un ballon d'essai , une tentative pour éveiller l'attention et sonder les dispositions d'un Pu blic auquel Fourier, maître du Monde que sa Pensée avait conquis , et embarrassé de l'immensité des ri chesses qu'il tenait en su possession , ne savait encore comment communiquer tant de trésors . Il faut donc se garder de chercher dans ce volume la Science de Fourier, la connaissance de sa Théorie, l'Exposé et la Démonstration des Théorèmes de sa Doc trine ; il faut se garder surtout de le considérer comme un ouvrage élémentaire. Loin de là , la Théorie des Qua treMouvements, quoique la première des productions de Fourier dans l'ordre chronologique , est, dans l'ordre méthodique, la dernière à lire . Ce livre est une pre DES ÉDITEURS. iij mière explosion du Génie ; c'est une éclatante et mer veilleuse éruption qui projette de tous côtés des flots de poésie, d'enthousiasme et de science dont les clartés soudaines ouvrent à l'esprit des milliers d'horizons in connus , immenses , mais pour les refermer aussitôt , et qui fait sur l'intelligence l'effet d'une étourdissante féerie, d'une fantasmagorie gigantesque. Les intelligences fortes et vraiment philosophiques, avant d'avoir seulement achevé la lecture du Discours préliminaire, sauront bien reconnaître à quel homme elles ont affaire. A la fermeté et à l'élévation de la Pen sée, à la vigueur, à la grandeur et au calme de l'Idée, à la trempe de la Logique, à la simplicité, à l'éclat ou à la majesté de la Parole, elles reconnaîtront qu'elles sont en présence d'un Génie de premier ordre, du Pos sesseur d'une Lumière Nouvelle, du Dieu d'un Monde inconnu. Mais bientôt, quelque fortes qu'elles soient , elles éprouveront des éblouissements . Le guide leur montrera trop rapidement trop de choses et de trop grandes choses ; elles se trouveront désorientées et invoqueront le secours d'une boussole , d'un fil conducteur qu'elles ne trouveront point , et que l'Auteur n'avait pas voulu livrer encore dans ce pre mier écrit, puisque son objet était de faire demander par le lecteur ce fil et cette boussole. -- De leur côté les esprits routiniers , ceux qui pren nent l'horizon de leurs idées pour les bornes du monde, seront tentés de crier à l'extravagance, et ils auront besoin, pour retenir des jugements inconsidérés , de se rappeler qu'il existe aujourd'hui en France et à l'É tranger une foule d'hommes ayant fait leurs preuves iv PRÉFACE • de bon sens , de science et d'intelligence , lesquels, après avoir profondément étudié tous les ouvrages de l'Auteur de la Théorie des Quatre Mouvements, le pro clament à la face de la terre un Génie parmi les Génies, et professent qu'il a découvert la Loi de l'Harmonie Sociale et des Destinées Universelles. Quoi qu'il en soit , ce que nous disons suffira, nous l'espérons, pour qu'aucun lecteur sensé ne tombe dans l'erreur commune, et ne croie, après avoir lu seule ment ce volume, connaître le Système de Fourier et être en état de porter sur ce Système un jugement quelconque. La lecture de la Théorie des Quatre Mouvements a été tellement féconde en jugements erronés, que Fourier avait résolu de supprimer entièrement cet ouvrage. Il ne le rappelait jamais dans ses écrits postérieurs , même quand il en empruntait des passages. Il s'abstint longtemps d'en parler, et ce ne fut qu'en cédant à une sorte d'obsession dont il fut l'objet de notre part, qu'il nous apprit, en 1830 , qu'une grande partie de l'édi tion devait rester encore dans les fonds de magasin du libraire Brunot-Labbe, où nous la trouvâmes effective ment. « La Théorie n'était pas complète, disait- il , « quand je publiai ce livre ; il contient bien des er « reurs, et puis ce n'est pas un livre fait, digéré, ce << n'est pas le style de la science , c'est plein de Pho « bus, etc. , etc. » Et quand nous lui parlions d'une se condeÉdition , il ne cessait de répéter qu'il faudrait re fondre l'ouvrage presque en entier. Il est donc bien entendu que ceux qui , sur la foi d'un titre et sans savoir que le volume qui a paru sous ce DES ÉDITEURS . titre, n'était que le Prologue d'un Grand Ouvrage, pen senttrouver la Théorie de Fourier dans ce demi-pros pectus, ceux-là se trompent totalement. Il est entendu encore que ce livre ne peut point être considéré comme un livre élémentaire et de propagation cou rante , mais comme un livre de bibliothèque, faisant partie des OEuvres complètes de Fourier, et ne devant point être séparé des Publications ultérieures qui l'ex pliquent, le complètent et le rectifient. Ce n'est pas un livre à mettre entre les mains de tout le monde. ― II. De l'Immoralité prétendue de la Théorie de Fourier De tous les ouvrages de Fourier la Théorie des Quatre Mouvements est celui qui prête le plus aux attaques irréfléchies ou hypocrites dont la prétendue immora lité du Système harmonien est l'objet. Il est indispen sable quenous fassions ici justice de ces attaques, et que nous mettions les hommes de bonne foi qui liront cet ouvrage en garde contre leurs propres préjugés et contre les déclamations malveillantes des détracteurs. Prenons face à face les accusations lancées contre Fourier, dépouillons-les du verbiage dans lequel on les enveloppe, et voyons ce qu'elles valent. Ces accusa tions se rapportent toutes aux trois chefs suivants : 1° Fourier veut que l'Homme lâche la bride à ses passions; 20 Fourier attaque avec une audace inouïe et la Mo rale et les Moralistes ; 3° Fourierpropose des Coutumes amoureuses qui sanc tionneraient des Relations réprouvées par la Morale. vj PRÉFACE Examinons séparément ces accusations : 1º Fourier veut que l'homme lâche la bride à ses pas sions. S'il y a quelque chose d'immoral au monde , c'est d'attribuer à Fourier cette formule stupide. Prêter à un homme, à une Doctrine, quelque opi nion bien monstrueuse, s'escrimer ensuite contre cette monstruosité, la réduire en poudre à grand fracas, s'écrier que l'on triomphe, que l'on a vaincu l'immo ralité, que l'on a vengé les bons principes des outrages dirigés contre eux par des doctrines impies , voilà une tactique qui n'est certes pas nouvelle ; aussi pensons nous que nos adversaires devraient songer enfin à en adopter une autre. Une fois admis que les Chrétiens immolaient des enfants à leur Dieu dans les Catacom bes , les Philosophes païens avaient beau jeu pour prouver l'infamie du Christianisme. Fourier veut que l'homme lâche la bride à ses Pas sions!... Mais, si tel était l'énoncé fidèle du Principe de Fourier, la Réforme sociale proposée par Fou rier, et qui découlerait de ce Principe, consisterait tout simplement à supprimer les Prisons , les Lois, les Magistrats , les Gendarmes , et à engager chacun à chercher autour de soi , per fas et nefas, toutes les sa tisfactions possibles ! Voilà pourtant les sottises que l'on a la folie ou l'insigne mauvaise foi de prêter à Fourier, à sa Doctrine , à ses Disciples ! Voilà ce que l'on ne rougit pas de nous attribuer et ce que l'on combat ensuite avec l'emphase la plus ridicule et DES ÉDITEURS. vij l'indignation la plus comique. Depuis quand s'est on donné la peine de réfuter les opinions des pauvres malades de Charenton ou de Bicêtre? et si les princi pes et le Système de Fourier étaient réellement ce que messieurs les Chevaliers de la Morale et de la Vertu prétendent, ces Preux n'auraient- ils pas mieux à faire que de s'occuper de répondre à des extravagances qui ne pourraient qu'être poussées du pied avec dégoût et dont les prédicateurs devraient être mis au régime des douches? D'abord, Fourier ne VEUT rien . Fourier n'apporte à l'Humanité ni lois , ni prescriptions , ni préceptes nouveaux, ni morale nouvelle. Fourier a la prétention de ne rien imposer à l'Humanité ; la législation n'est pas sa tâche; il ne présente ni Lévitique , ni Deutéro nome, ni Table de commandements, il ne présente pas même une Charte. Fourier apporte une Science nou velle, et il demande qu'on la vérifie ; voilà tout. Fou rier a-t-il découvert la Loi de l'Harmonie Universelle? dans un cadre plus restreint, a-t- il découvert la Loi naturelle de l'Harmonie Sociale ? voilà simplement ce qu'il s'agit de constater . Il ne s'agit pas de discuter si ce que Fourier propose est moral ou anti-moral ; il s'agit de savoir si ce qu'il propose est vrai ou faux. Si la Théorie de Fourier est vraie, si , dans le domaine social, elle est conforme à la nature des choses, à la Loi de l'Ordre universel, et qu'en même temps elle soit contraire à la Morale, ce sera tant pis pour la Morale, et il faudra bien que celle- ci s'arrange pour s'en accom moder. Quand Galilée avança que la Terre tournait autour viij PRÉFACE 10-1 du Soleil, quand Christophe Colomb soutint qu'elle était ronde et qu'il existait des Antipodes, ce fut un grand scandale dans l'Eglise . Galilée et Christophe Colomb furent déclarés impies, au premier chef. La Sainte Inquisition s'en mêla, le Pape fulmina l'Excom munication , etc. Toute cette pieuse colère était fort imprudente et très ridicule . Il fallait savoir si Galilée et si Colomb avaient tort ou raison ; s'assurer si leurs Théories étaient fondées en Vérité ou basées sur l'Er reur, et ne point compromettre la Religion en se pres sant trop de la faire témoigner contre des idées qui pouvaient devenir et qui sont devenues quelque temps après des Vérités démontrées et qu'on a bien été forcé d'admettre. Nous ajoutons que si une Religion quelcon que n'eût pas pu s'accommoder de ces deux Vérités, la sphèricité de la terre et l'immobilité relative du soleil, si ces deux Vérités eussent été positivement et absolu ment contraires à ses textes et à ses dogmes, c'eût été tant pis pour cette Religion . C'est ce que personne au monde ne saurait contester. Fourier soutient que la Nature Ilumaine n'est pas fatalement mauvaise , que les Passions natives de l'Homme sont susceptibles de produire le Bien comme elles sont susceptibles de produire le Mal ; qu'elles pro duisent d'autant plus de Mal qu'elles fonctionnent dans un Milieu social moins approprié, moins convenant à la nature humaine : qu'elles produiront, au contraire , d'autant plus de Bien que le Milieu social se rappro chera davantage de celui pour lequel Dieu les a créées et que Fourier croit avoir découvert... Or , comme l'assertion de Fourier sur la Nature DES ÉDITEURS . ix Humaine, sur les Passions natives et sur l'influence bienfaisante du Mécanisme social qu'il propose, se peut vérifier par des EXPÉRIENCES très licites , très légitimes, par une opération purement industrielle contrelaquelle ni la Loi, ni la Morale, ni la Religion , ni les Gouverne ments ne sauraient avoir le plus petit mot à dire, toute la question consiste à faire ces Expériences décisives et à reconnaître, de facto, si l'assertion de Fourier est vraie oufausse. Que cette assertion soit contraire à l'opinion ac tuelle des Moralistes et des Philosophes, cela n'est pas douteux ; mais si les applications graduelles du Procédé proposé par Fourier pour placer la Nature Humaine dans les Conditions de l'essor harmonique intégral des Passions natives , prouvent la Vérité de l'assertion ; siles Penchants que Dieu a déposés dans le cœur de l'Homme tournent au Bien naturellement, librement, sponta nément dans le Milieu qui leur est approprié, force sera d'admettre l'assertion de Fourier sur la Bonté Na tive de l'Homme, de reconnaître la Vérité du magnifi que Théorème des Attractions proportionnelles aux Destinées, et du Système d'Harmonie Sociale qui en dé rive. Alors, les Moralistes et les Philosophes modifie ront leurs idées sur la Nature Humaine. Leurs théories morales et philosophiques se trouvant en contradiction avec des Faits prouvés , des Vérités positives, démon trées , les Philosophes et les Moralistes laisseront de côté leurs théories morales et philosophiques actuelles pour en prendre d'autres plus conformes à la Vé rité : à cela personne assurément ne verra grand mal. - a. X PRÉFACE C'est une chose plus qu'étrange que l'on veuille faire passer pour contraires aux bonnes mœurs des Principes inconditionnels, des Principes qui sont de la nature des Axiomes, celui- ci , par exemple : La per fection de l'État Social est caractérisée par l'Union Ab solue de l'Ordre et de la Liberté. Si ce principe est im moral, nous sommes obligés de confesser l'immoralité de la Théorie de Fourier dont il est l'âme. Convaincu que Dieu ne pouvait pas avoir imposé fatalement et à jamais la perpétration du Mal à sa créa ture, Fourier s'est proposé de découvrir des Condi tions sociales telles que l'Homme, libre de faire le Mal ne fit jamais le Mal , n'ayant plus dans ces conditions le moindre intérêt à mal faire. Après des travaux im menses, Fourier est arrivé à déterminer et à décrire un État social conforme aux Lois de l'Ordre universel et dans lequel il est évident que l'individu n'a plus d'intérêt à nuire à son semblable, et doit naturelle ment employer toutes ses facultés , toute l'énergie de ses Passions natives au service de la Société . Fourier a proclamé la découverte des Conditions d'Union de l'Ordre et de la Liberté, il a fait connaître son Prin cipe et son Système, il en a demandé la Vérification par l'Expérience : voilà ses crimes ! Il se pourrait donc, et Fourier le soutient, que l'Homme ne fût pas, comme l'ont professé depuis trois ou quatre mille ans, les Philosophes et les Moralistes, uneméchante créature, un être naturellement pervers, aimant le Mal pour le Mal, éternellement destiné à mal faire ! Il se pourrait que les Passions que nous tenons de la Nature, qui sont les Lois de notre Étre, les mani DES ÉDITEURS. xj 5 festations de la Pensée divine et créatrice , nous eus sent été données avec intelligence et dans un but d'Harmonie ! Il se pourrait qu'il existât un État Social au sein duquel il fût naturel à chacun de se conduire loyalement , honorablement ; qui accordât l'intérêt individuel avec l'intérêt général ; dans lequel la Prison, le Bourreau ne fussent plus des Nécessités de chaque jour, et où les sermoneuses et impuissantes élucubra tions des Moralistes ne trouvassent pas même de pré texte pour se produire ! De pareilles espérances, de pareilles hypothèses ne sont-elles pas véritablement monstrueuses, immorales, impies ? N'est-il pas crimi nel de penser que tous les efforts des Moralistes pour comprimer, réprimer, et supprimer les Passions ayant été impuissants , il peut être sage de chercher enfin s'il n'y aurait pas des moyens d'utiliser, de diriger, d'employersocialement cesPassions, de les mettre elles mêmes dans l'intérêt de l'Ordre, dans le parti du Bien ? Voilà certes, une Doctrine bien scandaleuse et des idées faites pour soulever à bon droit l'indignation de tous les Amis de la Vertu ! Une Doctrine qui soutient que le meilleur moyen de généraliser la Vertu c'est de la rendre attrayante ! et qui croit avoir résolu ce Pro blème !! et qui demande qu'on vérifie la Solutionqu'elle présente!!! Mais une pareille Doctrine est l'abomination de la désolation , et il faut se hâter d'appeler sur elle et sur ceux qui la professent le mépris public, la ré probation universelle..... Nous aurions bien des réponses à faire à ces décla mations, mais nous pouvons nous borner à une seule : c'est que ceux qui déclarent la Doctrine de Fourier xij PRÉFACE une monstrueuse Erreur et qui en combattent la pro pagation avec une ardeur si sainte , ceux-là n'ont rien de mieux à faire que d'en provoquer la Vérification par l'Expérience. A quoi bon tant de paroles contre la Doctrine de Fourier ? Voulons-nous l'imposer bon gré, mal gré, à la Société, cette Doctrine? Fourier lui même a-t-il prétendu l'imposer? Que demandait-il? que demandons- nous ? Nous demandons la chose même que doivent demander à grands cris nos Adversaires : nous demandons les Expériences qui mettront la Doctrine de Fourier à néant, si cette Doctrine est une erreur. Quand même la Doctrine des Antipodes eût été une erreur et une impiété, l'Excommunication n'en fût pas moins demeurée un très mauvais moyen pour la dé truire le seul moyen raisonnable était de donner au Partisan de cette erreur le vaisseau qu'il demandait pour aller reconnaître les Antipodes. Si c'est une er reur et une immoralité de croire que les Passions hu maines peuvent être utilisées et harmonisées par le Procédé social de Fourier , à quoi bon se cour roucer contre cette croyance , et pourquoi ne pas aider ceux qui propagent cette erreur à reconnaître, au moyen de l'Expérience qu'ils invoquent, la vanité de leur Doctrine? En vérité, il y a une réelle folie à vouloir faire pas ser pour une immoralité dangereuse une Théorie qui invoque l'Expérience, et dont l'épreuve peut se faire sans compromettre le moindre intérêt social ! Si une semblable Doctrine était jamais menaçante, si elle de venait jamais un danger pour la Société, il serait bien facile à la Société d'en fairejustice : la Société n'aurait , DES ÉDITEURS . xiij qu'à donner aux promoteurs de cette Doctrine les moyens de la vérifier et les mettre en demeure d'agir. Passons au second grief. 2º Fourier attaque avec une audace inouie et la Mo rale et les Moralistes. Nous confessons que le reproche est fondé; mais les bons apôtres qui l'articulent dans le but de jeter sur la Doctrine de Fourier l'accusation d'immoralitė , se plaisent ici à oublier une chose, une seule chose : c'est que toutes les attaques dirigées par Fourier contre la Morale et contre les Moralistes sont motivées sur ce que ces Moralistes et leurs Morales ne sont parvenus, depuis trois ou quatre mille ans , qu'à laisser couler et déborder dans la Société la Corruption , la Ruse , la Violence, et tous les Crimes, et toutes les Immoralités qui ravagent l'Humanité ……….. Fourier attaque la Morale! - On voudrait bien faire entendre , lorsque l'on écrit ces mots , que Fourier prêche le Mensonge, l'Improbité , l'Infidélité , le Vol , le Viol , l'Assassinat et tous les Crimes imaginables ! On voudrait faire croire qu'il est le champion du Mal , et l'ennemi du Bien ! On aurait alors beau jeu contre lui , assurément. Mais voyez la logique des adversai res à cette première accusation ils ne manquent ja mais d'ajouter cette seconde que Fourier rêve une Société trop parfaite, qu'il est absurde , extravagant devouloir, avec les hommes de cette terre, réaliser cet xiv PRÉFACE idéal d'Harmonie qu'il prophétise, et dont il fait l'objet et la sanction de sa Doctrine ! Si Fourier rêve une Société trop belle pour être réa lisable avec des hommes , s'il poursuit l'idée chiméri que d'une perfection impossible ici-bas , que devien nent les accusations d'immoralité? Il faut s'entendre un peu . Qu'est- ce que le Bien? Est-ce la Morale qui est le Bien? Sont- ce les Théories des Moralistes qui sont le Bien ? - Assurément non, à notre sens. Que les Théories des Moralistes , leurs idées , leurs sermons sur la perversité de la Nature humaine , et sur la malfaisance essentielle et native des Passions , sur la nécessité de comprimer , de vio lenter celles-ci ; que ces Théories, attaquées par Fou rier , leur aient été inspirées par le désir du Bien 9 qu'elles aient été considérées par ces Philosophes comme le Moyen, le seul Moyen de diminuer quelque peu le Mal ici-bas : voilà ce que nous ne contestons nul lement. Mais ces Théories morales , fussent-elles de bonnes Méthodes pour réaliser le Bien social, n'en seraient cependant pas plus le Bien social lui-même, qu'une bonne Méthode agricole pour la culture du blé ne saurait être elle-même du blé. Il résulte déjà de ceci que la Morale , qui n'est qu'une Méthode ayant pour objet la Production du Bien , peut être critiquée très vivement sans qu'il puisse être inféré de là que la critique est immorale , c'est-à-dire attentatoire au Bien lui-même. Et s'il se trouve que la Méthode morale pour la production du Bien est une méthode très fausse , réalisant très peu de Bien et énormément de Mal , et qu'on la critique DES ÉDITEURS. XV au nom d'une Méthode présentée comme capable de produire énormément de Bien et de ne laisser que fort peu de Mal, pourra-t-on dire que cette critique de la Morale est une immoralité, c'est-à- dire une chose ayant pour but le triomphe du Vice sur la Vertu , le triomphe du Mal sur le Bien ? Les habitants d'un pays fort arriéré cultivent leurs champs, de père en fils , d'après une Méthode qui leur donne quatre-vingt-dix-neuf pieds d'ivraie pour un pied de blé. Un homme survient qui , ayant longtemps étudié les lois de la Nature, a découvert une nouvelle Méthode. Il expose, en critiquant l'ancienne , que la Méthode nouvelle doit produire avec cent fois moins de travail quatre-vingt- dix-neuf beaux épis pour un brin d'ivraie . Il demande que dans le coin d'un champ on fasse l'expérience de sa Méthode. Or, voici que nos paysans s'ameutent contre cet homme et parlent de le lapider parce que, crient-ils , le misérable porte at teinte à la culture du blé , insulte les cultivateurs de blé et veut affamer la contrée..... Voilà pourtant l'histoire de Fourier et de ces Cory phées de la Morale et de la Philosophie qui déversent sur lui les flots de leur intelligente indignation, de leur sainte colère ! Mais, bonnes gens, prenez donc garde que si Fourier vous critique fort, c'est précisé ment parce qu'il n'y a que de l'ivraie dans vos champs et qu'il voudrait que l'on y fit enfin pousser le bon grain en abondance. La Morale pose en principe que pour produire le Bien il faut comprimer et réprimer les Passions. Voilà sa donnée. xvj PRÉFACE Fourier pense que pour produire le Bien il faut uti liser les Passions , les diriger , les développer en essors harmoniques. Voilà certes deux Méthodes fort opposées , toutes deux également louables dans leur but sans doute , puisqu'elles ont toutes deux pour but la Production du Bien; mais toutes deux ne pouvant être également bonnes puisque l'une est le contre-pied de l'autre. Laquelle donc est la bonne? On ne saura pas laquelle est la bonne si , pour toute étude , pour toute comparaison , on se con tente de lapider Fourier ou de crier bien fort que sa Méthode est immorale. 24 On le saura au contraire si l'on étudie le Procédé qu'il offre pour utiliser , pour diriger , pour dévelop per harmoniquement les Facultés natives de l'Homme, et si l'on fait l'Essai de ce Procédé. Le Procédé de la Production du Bien , par la Mé thode de la compression des Passions , est connu et employé depuis quatre à cinq mille ans. L'Expérience dure donc depuis un temps suffisant pour que l'on sa che jusqu'à quel point ce Procédé est capable de dé velopper la Production du Bien dans la Société. La Production , on en conviendra , n'est pas brillante. Toute la question est donc de faire l'étude du Nou veau Procédé , de le mettre à l'essai sur un point et de comparer les résultats avec ceux de l'ancien . Voilà précisément ce que demandent Fourier et ses Dis ciples. Serait-ce , par hasard , que l'on tiendrait à la Mé thode pour elle-même, que l'on voudrait la Compres DES ÉDITEURS. xvij sion pour la Compression, et que l'on trouverait im moral qu'il n'y eût plus rien , dans la Société , ou trop peu de chose à punir? -Il faut que toutes les opinions se fassent connaître , et nous engageons les partisans de celle-ci à la développer. Enfin, que dira-t-on encore? que Fourier, en réha bilitant la Passion , légitime les écarts des Passions ? que sa Doctrine laisse la Société désarmée contre les essors subversifs des Penchants en déviation ? - En vérité on ne saurait pousser plus loin la plaisanterie en logique. Qu'est- ce à dire? Parce que Fourier réha bilite la Passion en prouvant, ou, si l'on veut, en cher chant à prouver, qu'elle peut être employée à faire le Bien, qu'elle est créée pour faire le Bien, que c'est la sa destination normale et providentielle ; à cause de cela , les essors subversifs de la Passion , la Produc tion du Mal par la Passion vont être légitimés, et la Société restera désarmée devant ces déviations?!! Mais c'est exactement comme si l'on soutenait qu'admettre en principe l'emploi utile des eaux d'un ruisseau , c'est perdre le droit de se précautionner contre les ravages que ce ruisseau pourrait causer en temps d'orage. Véri tablement, on devrait être dispensé de répondre à des inepties pareilles . Que l'on critique les dispositions du Système de Fourier , c'est très bien ; mais, pour l'a mour de Dieu, que l'on cesse enfin d'attribuer à l'Au teur, des sottises et des impertinences qui déshonore raient les plus pauvres de ses adversaires. Voici en deux mots la Doctrine de Fourier sur les Passions. xviij PRÉFACE Dieu a donné à l'Homme des Attraits ou Passions de divers ordres qui le constituent Homme et qui sont le mobile de tous ses actes . (Nous défions que l'on cite un seul acte possible, librement accompli, qui n'ait un ATTRAIT, matériel, moral , rationnel ou religieux , pour cause déterminante. ) Depuis l'Attrait le plus matériel jusqu'à l'Attrait du Sentiment religieux le plus élevé, toutes les Passions sont susceptibles de produire le Mal ou de produire le Bien, de provoquer des actes subversifs ou des actes harmoniques. C'est ce que Fourier appelle la Dualité d'Essor. Confondant les Essors subversifs de la Passion avec la Passion elle-même, la Morale a posé en principe que les Passions étaient mauvaises et devaient être compri mées. Fourier soutient qu'il faut leur ouvrir des voies de satisfaction légitime et de développement harmo nique, qu'elles ne sont point mauvaises de leur nature , et qu'il est infiniment plus intelligent et plus sage de les utiliser, de les engager dans la voie du Bien, que de songer purement et simplement à les comprimer en les laissant engagées dans des voies mauvaises. Eh bien ! nous le demandons , à quel homme de sens fera-t-on croire que cette réhabilitation de la Passion, basée sur la considération de l'essor harmonique et providentiel de la Passion, soit une justification des essors faux et subversifs de la Passion ? Vous prétendez, nous disent nos adversaires, que les Passions peuvent toutes, dans des Conditions so ciales qu'il s'agirait de déterminer et de réaliser, pro duire autant de Bien qu'elles produisent aujourd'hui DES ÉDITEURS . xix de Mal : DONC vous justifiez tout le Mal qu'elles font et qu'elles peuvent faire, et vous ôtez à la Société le droit de contenir, par la Répression, les essors faux qu'elles pourraient prendre. -Ce raisonnement équi vaut à ceux-ci : Vous voulez utiliser par un mécanisme convenable la force élastique de la vapeur : DONC vous vous ôtez le droit de vous précautionner contre les fuites de la va peur et contre les explosions qu'elle peut occasionner. Vous voulez placer l'Humanité dans des conditions hygiéniques qui généraliseraient la force et la santé, et chasseraient les maladies : DONC vous vous ôtez la fa culté de soigner vos malades, si vous en avez ! Nous rougissons, pour nos adversaires, d'être obli gés de signaler leurs arguments et d'y répondre. Mais passons à la troisième accusation , qui rentre dans la seconde comme la seconde rentre dans la première. 3º Fourier propose des Coutumes amoureuses qui sanc tionneraient des relations réprouvées par la Morale. Sans doute Fourier propose des Coutumes qui sanc tionneraient des relations proscrites par la Morale. Mais cela prouve- t-il que les Coutumes proposées par Fourier ne puissent valoir infiniment mieux que les Coutumes voulues par la Morale? La question est là. Il s'agit de savoir qui a raison , de ceux qui ne veulent d'autre règle pour l'Union des Sexes qu'un lien indisso luble à perpétuité et forcé, ou de Fourier qui propose d'autres règles . Apparemment, ce n'est pas le mariage perpétuel et indissoluble qui est le Bien en Relations sexuelles. Le XX PRÉFACE mariage indissoluble , le lien perpétuel et forcé est tout simplement une Institution , une Règle, une Méthode adoptée par ceux qui ont fait les lois, comme étant ce qu'ils savaient de mieux pour produire le Bien dans ces Relations, une Méthode qui peut convenir ou ne pas convenir à tel ou tel Etat de Société, qui peut avoir ses Avantages , qui peut avoir ses Vices, et qu'il est essentiellement licite d'examiner, de critiquer an point de vue de la plus grande Production du Bien dans les Relations que cette Méthode a pour objet de régir. Les Coutumes, les Lois qui président à l'Union des Sexes n'ont pas toujours été ce qu'elles sont, et d'ail leurs elles diffèrent singulièrement aujourd'hui de Peuple à Peuple. Notre Monogamie indissoluble, la Polygynie des Orientaux , la Polyandrie des Thybé tains et autres peuples, les droits de Répudiation, de Divorce , enfin les mille Coutumes qui règlent les Re lations conjugales sur la surface du globe, diffèrent assez entre elles pour qu'il soit raisonnable d'exa miner ce que chacune d'elles vaut, et de se demander si l'on n'en saurait concevoir de supérieures . La Monogamie indissoluble est une Méthode et pas autre chose. Est-ce la meilleure des Méthodes ? La Chambre des Députés ne le pense pas , puisque depuis quelques années elle a deux fois déjà voté le Divorce. La Chambre des Pairs , de son côté, pense sans doute que, dans les circonstances actuelles, cette Méthode est préférable à toute autre , puisqu'elle se refuse au rétablissement du Divorce. Mais si déjà, dans l'Etat Social actuel, les législa DES ÉDITEURS . xxj teurs de la Chambre des Députés regardent la faculté de rompre des liens mal assortis, comme un fait plus conforme au sentiment du Bien que la perpétuité forcée, et veulentaujourd'hui même changer la Loi ma trimoniale, à plus forte raison peut-on comprendre que, dans des Etats de Société très différents du nôtre, il puisse être excellent de faire de nouvelles modifica tions à cette Loi, à cette Méthode. Dulienperpétuelforcé auDivorce que veut aujourd'hui la Chambre, il y a plus loin, tout esprit philosophique le reconnaîtra sans peine, que du Divorce aux Règles in diquées par Fourier pour une Société tout autre que la Société actuelle. Du lien perpétuel forcé au Divorce, en effet, il y a un abîme : le Divorce n'est pas une simple modification apportée à un Principe, c'est un Principe qui en tue un autre et qui constitue une loi entièrement nouvelle. Le Mariage forcé à perpétuité, c'est le Prin cipe de l'illegitimité absolue du changement de lien . Le Divorce, c'est le principe de la Légitimité du Change ment, sauf mesures et conditions . En fait de Coutumes matrimoniales , de Méthodes pour l'Union des Sexes , comme pour les Règlements qui concernent les autres Relations sociales , il faut bien se garder de confondre la Règle établie , qui n'est jamais qu'unfait, et un fait essentiellement muable et transitoire, avec l'objet immuable de cette Règle, qui doit être toujours la plus grande Production possible du Bien dans les Relations que cette Règle gouverne. La Règle du lien forcé à perpétuité est- elle la plus fa vorable aux Bonnes Maurs , c'est- à-dire au règne de la Vérité, de la Loyauté , de l'Honneur dans le Système 2 xxij PRÉFACE des Relations sexuelles, aubon accord des personnes, à la liberté et à la dignité de l'homme et de la femme, enfin aux intérêts des êtres que ces Relations engen drent? Le Régime du lienforcé à perpétuité est-il le Ré gime qui , dans les rapports des Sexes, est capable de produire, relativement ou absolument, la plus grande sommed'Ordre avec la plus grande somme de Liberté, et cela dans tous les États de Société possibles ? - S'il est bien démontré que cette propriété appartient à la Règle de la Monogamie forcée à perpétuité , celle-ci n'a rien à craindre ni du temps, ni de la critique ; et l'on peut être bien assuré que l'Humanité ne l'aban donnerajamais au profit de Règles qui lui donneraient moins d'Ordre, et moins de Liberté; - mais c'est là ce qu'il faudrait démontrer. Quand Fourier critique cette Règle , que lui repro che-t-il ? - Il lui reproche tout justement d'engendrer les Mauvaises Maurs , c'est-à-dire , la Déloyauté , la Fausse Paternité, les Trahisons, et toutes sortes d'In famies , de Monstruosités odieuses que les Règles qu'il propose rendraient, selon lui , à peu près impossibles . Si la Monogamie à perpétuité forcée , qui n'est pas les Bonnes Maurs mais seulement la loi que, sur le coin de la terre où nous habitons, l'on a crue la plus propre à obtenir les Bonnes Maurs , si cette loi n'atteint pas son But ; si l'on peut concevoir des Règles infiniment plus favorables à la Liberté et aux Bonnes Maurs, as surément il n'y a rien d'immoral à critiquer la première Règle et à préconiser les secondes. Il est donc extrê mement absurde de s'écrier, en identifiant la Loi avec l'Objetde la Loi, le Mariage fixe avec les BonnesMœurs, DES ÉDITEURS . xxiij que Fourier attaque les Bonnes Maurs par cela qu'il at taque le Mariage fixe qui a bien été institué sans doute en vue des Bonnes Maurs, mais qui n'a pas puissance de les réaliser et de les généraliser dans la Société. Il est absurde , au même degré , de dire que les Coutu mes que Fourier regarde comme préférables au Ma riage fixe sont immorales par cela seul qu'elles ne sont pas le Mariage fixe ; car si ces Coutumes sont de na ture à introduire la Loyauté, la Vérité , la Justice , la Dignité , l'Ordre et la Liberté dans les Relations des Sexes , si elles sont de nature à en bannir les Trahi sons, la Fausseté, la Violence, l'Oppression , la Gros sièreté , l'Avilissement , le Désordre , etc. , elles vont beaucoup mieux au But qui doit être le But de la Mo rale, que la Règle exclusive de la Monogamie forcée à perpétuité , laquelle laisse subsister tous ces Vices. Telle est pourtant la tactique des adversaires de Fourier , tactique facile et faite , nous le reconnais sons , pour avoir un grand succès dans le public , parce que le Public a l'esprit peu philosophique , et que, quand il s'agit de choses nouvelles pour lui , il juge et condamne sur l'apparence , sans aller jamais au fond des choses. Mais ces faciles triomphes ne prou vent rien , absolument rien , si ce n'est la légèreté des triomphateurs et du public ; car les accusations que nous signalons et avec lesquelles on prouve l'immora lité de la Doctrine de Fourier, n'entrent pas même dans la question de la Moralité ou de l'Immoralité de cette Doctrine. En effet , voici la question tout entière : les Mé thodes, les Règles proposées par Fourier relativement xxiv PRÉFACE à l'Union des Sexes et pour tel État de Société donné, sont- elles , oui ou non , capables de produire plus de MORALITÉ EFFECTIVE dans ces Relations que n'en pro duit l'empire des Dispositions existantes ? . Pour résoudre cette question et pour avoir le droit de diriger une Critique quelconque contre les Métho des proposées par Fourier , il faudrait : I Prouver que l'on connaît bien l'État Social pour lequel Fourier propose des Coutumes nouvelles ; 2º Prouver que l'on connaît bien ces Coutumes , et que l'on se rend un compte exact de leur jeu dans l'État Social en question ; 3° Prouver que l'on sait bien ce que c'est que la Mo ralité dans les Relations des Sexes , c'est-à- dire faire connaître un Criterium du BIEN et du MAL dans ce qui concerne ces Relations. Les Critiques de Fourier, les Jugeurs de Fourier, les Condamnateurs de Fourier ne se donnent pas tant de peine ! ils se contentent de prouver ( ce qui est peu difficile) , que Fourier repousse la Monogamie forcée à perpétuité, qu'il propose, pour un État de Société déterminé, des Coutumes beaucoup moins oppressi ves, beaucoup moins raides, beaucoup plus larges , et ils crient immédiatement , sans transition , à la Mons truosité à l'Immoralité ! à l'Infamie ! - Encore une fois, qu'est- ce que tout cela prouve ? Il n'y a pas à pousser les hauts cris : le débat est pu rement scientifique. Il ne s'agit pas entre Fourier et ceux qui se fontses juges, de Moralité et d'Immoralité ; la Moralité est hors de cause, puisque l'on pose la question ainsi : DES ÉDITEURS. XXV Quelle est la Méthode la plus capable defaire régner la plus grande Moralite dans les Relations des Sexes? Prouvez péremptoirement que c'est la Monogamie forcée à perpétuité qui est cette Méthode ; prouvez-le par de bonnes raisons tirées de l'Expérience, de la connaissance de l'Homme, de la Nature des Choses : à l'instant même nous déclarerons que Fourier s'est trompé, et nous vous assurons , en son nom, que sur une pareille preuve, il eût lui-même abjuré publique ment son erreur. C'est une chose étrange que cette monomanie d'ac cusations fougueuses contre toute Proposition qui dé range des idées reçues ! La Sphéricité de la Terre et I'Immobilité du Soleil , dont nous parlions plus haut , ne sont que deux exemples, entre mille , de Vérités re poussées, à leur apparition , par ces bizarres accusa tions d'Immoralité , d'Impiété, de Monstruosité , etc. Ces accusations ridicules ont environné le berceau de toutes les Sciences : les premiers qui ont étudié les phénomènes physiques et les réactions chimiques ont été considérés comme d'infâmes scélérats, des empoi sonneurs, des donneurs de sort, des sujets du Démon ; on les a brûlés. On a brûlé comme eux les Mathémati ciens et les Astronomes . Les premiers Anatomistes ont soulevé contre eux les flots de l'Indignation et du Mé pris public. Enfin , Socrate, n'a-t-il pas bu la ciguë pour crime d'impiété ? Jésus n'est-il pas mort sur la croix, condamné comme un vil scélérat ? Et la Doctrine chré tienne, et le Culte chrétien ne se sont-ils pas vus accusés d'immoralité et d'infamie, pendant plusieurs siècles , dans les écrits des Philosophes, des Sages, des Mora b xxvj PRÉFACE listes et des Prêtres de l'époque? Que prouvaient toutes ces accusations ? Les accusations , qu'on le sache bien, ne prouvent que quand elles sont prouvées. — Maintenant, que messieurs les Moralistes qui lan cent sur Fourier les foudres de leur indignation ver tueuse, nous permettent de leur donner sur la Morale, et pour nous résumer, une petite leçon tout-à-fait élémentaire dont ils ont assez besoin, car ils ne pa raissent pas avoir en Morale des idées bien nettes, bien claires. Ce sont de simples définitions. Un Système de Morale, ou si l'on veut une Morale, se compose nécessairement de deux choses : d'un But et des Moyens propres ou crus propres à atteindre ce But. Or, pour qu'une Moralesoit légitime,vraie, juste, il faut, non- seulement que le But en soit bon , il faut én core que les Moyens soient capables d'atteindre le But. La Production du Bien dans la Société, tel doit être le But de la Morale ; mais ce But ne suffit nullement à justifier une Morale. Pour que la justification soit complète, il faut que cette Morale possède un Système de moyens capables de réaliser la Production du Bien dans la Société . Les Moralistes, jusqu'ici, ne se sont pas avisés de cette distinction assez simple. Ils se sontplu, et ils ont fait de la langue leur complice, à identifier leurs Mo rales, leurs Systèmes moraux, avec le But de ces Sys tèmes, avec le Bien lui-même. De là , cette dérivation qui a donné à l'épithète moral le sens de bon, vertueux, conforme au Bien, et à l'épithète immoral la significa tion inverse. 薯 DES ÉDITEURS . xxvij Maisil n'y a pas plus de raison, en principe, pour identifier la Morale avec le Bien, qu'il n'y en aurait à identifier, par exemple, le désir de faire fortune avec. une fortune faite. A côté du But, du Vœu, du Désir de la Morale, il y a la question des Moyens de Réalisation. Il en résulte, que dans l'intérêt même du But de la Mo rale , on peut demander, à celle-ci , compte de ses Moyens. Il en résulte, en outre, que si l'on trouve et si l'on prouve que ces Moyens sont mauvais, qu'au lieu d'avoir puissance de réaliser le Bien, ils ont au con traire empêché de découvrir les Conditions de la Réa lisation du Bien, il sera très conforme au But de la Morale de critiquer la Morale , de montrer l'impuis sance et la fausseté des principes sur lesquels elle s'est fondée? c'est précisément ce qu'a fait Fourier. Il y a donc la Morale considérée dans son But , et la Morale considérée dans ses Procédés. Le lecteur com prendra sans peine, en ayant égard à cette distinction fort sensée , qu'il faut beaucoup de légèreté ou beau coup de mauvaise foi pour jeter sur un homme qui cri tique les Procédés de la Morale, des accusations d'at taque à la Morale, formulées de manière àfaire croire que c'est au But de la Morale, au Bien lui-même, que cet homme veut porter atteinte. C'est cependant ainsi qu'ont bien soin d'agir toujours les Saintes Ames qui « vengent la Morale des odieuses attaques de Fourier. >> Les vengeurs de la Morale seraient-ils donc dispensés d'avoir de la Conscience ou du Bon Sens? - Si la légitimité du But de la Morale suffisait pour en couvrir, en légitimer, en justifier les Procédés , la même raison légitimerait, à priori, les Procédés de xxviij PRÉFACE Fourier et tous les Systèmes, même les plus absurdes, dont les Auteurs et les Partisans AURAIENT POUR BUT la plus grande Production du Bien dans la Société . En fait de Systèmes moraux , comme en fait de Systèmes de Réforme Sociale, toute la question consiste donc à examiner et à vérifier si le But est bon et si les Moyens sont capables de conduire au But : Or , cela constitue une Question scientifique, c'est- à -dire une question que la Raison et la Discussion doivent élucider , et que l'Expérience videra en dernier ressort. Que si l'on veut définir la Morale, la Science qui donne les Moyens de réaliser et de généraliser le Bien dans la Société, il résultera de cette définition : 1º Que tout ce que l'on a appelé jusqu'ici la Morale doit porter do rénavant un autre nom ; puisque ce que l'on a appelé la Morale a été impuissant à réaliser et à généraliser le Bien, et, au contraire, a laissé, en fait , subsister le Mal dans la Société; 2° Que, suivant nous et jusqu'à preuve du contraire , Fourier doit être considéré comme le premier des Moralistes, puisque, suivant nous, il a découvert le seul moyen efficace de réaliser et de généraliser le Bien dans la Société. Que si au contraire on caractérise la Morale comme étant ce qu'elle a été en fait, un Ensemble de Doctrines fort incohérentes, mais s'accordant généralement à en seigner que le Bien ne peut être obtenu que par la Répres sion des Passions , par la Contrainte , on comprendra alors que Fourier qui soutient qu'on ne pouvait décou vrir les Lois de la Réalisation du Bien qu'en recher chant les Conditions du développement harmonique des Passions, et qui n'approuve la légitimité de la Con DES ÉDITEURS . xxix trainte que contre les essors subversifs des Passions , on conçoit, disons-nous, que Fourier n'ait point pris le titre de Moraliste, et qu'il ait combattu la direction donnée à l'esprit humain par les Doctrines morales, comme ayant entravé la Découverte des Conditions du Bien. Nous avons prouvé que le mot Morale et tous les mots de la même famille ont plusieurs sens très dis tincts, et nous n'avons pas même épuisé tous les sens que ces mots comportent; mais ce que nous avons dit suffira pour que le lecteur se tienne en garde contre les fausses interprétations que ces significations di verses peuvent produire. En lisant Fourier avec bonne foi on comprendra toujours facilement la pen sée, malgré des amphibologies dont la langue est cou pable, et que l'on rougira bientôt, sans doute, d'ex ploiter contre lui. Pour résumer sur les trois chefs d'accusation que nous venons d'examiner, nous dirons : 1º Non, Fourier ne veut pas que l'homme lâche la bride à ses passions ; mais il prétend qu'il faut donner à la Science Sociale , pour base, la connaissance des Impul sions ou Facultés actives qui sont l'expression de la Nature Humaine, et, pour objet, la détermination d'un Milieu capable d'utiliser ces Impulsions , de les tourner au Bien, de les développer harmoniquement et de les satisfaire . 2º Oui, Fourier critique très énergiquement la Morale et › XXX PREFACE les Moralistes ; mais la critique de Fourier est une cri tique scientifique, qui ne porte nullement sur le But su périeur de la Morale, en tant que ce But serait la Pro duction du Bien et de l'Harmonie sociale, puisque ce But est celui de Fourier lui-même. Cette critique porte exclusivement, au contraire, sur des Principes et sur des Méthodes auxquels Fourier reproche d'avoir dé tourné l'Intelligence de la recherche et de la déter mination des Procédés scientifiques qui eussent permis de réaliser la Production du Bien et d'établir l'Har monie dans la Société. 3º Oui, Fourier propose (pour un état de Société au tre que l'État actuel) des Coutumes matrimoniales autres que les Coutumes actuelles, et la question à vider, à l'é gard de la valeur des Coutumes indiquées par Fourier, consistera tout simplement à déterminer par la Discus sion et par l'Expérience, lorsque le temps sera venu, si ces Coutumes sont réellement de nature à produire beaucoup plus de Vérité, de Loyauté, de Justice, de Liberté et d'Ordre, dans les Relations des Sexes, que la Règle qui régit aujourd'hui ces Relations. Au reste, ce que nos Adversaires se gardent bien de faire connaître, quoiqu'ils le sachent parfaitement, attendu que nous ne perdons jamais l'occasion de le répéter, de le crier sur les toits , c'est que cette ques tion des Innovations en Méthodes matrimoniales a été entièrement mise de côté par Fourier et par l'École So ciétaire ; c'est que ni Fourier ni ses Disciples ne propo sent à la Société actuelle l'adoption de ces Innovations; qu'ils en établissent, au contraire , l'inopportunité re lative alors même qu'elles seraient acceptées déjà par DES ÉDITEURS. xxxj l'Opinion comme absolument ou scientifiquement bon nes ; c'est qu'enfin ils reconnaissent, non-seulement l'inconvenance sociale qu'il y aurait à introduire au jourd'hui ces sortes de Coutumes , mais encore la quasi-impossibilité de comprendre actuellement dans leur vrai jour et de juger sainement les questions qui se rapportent à ce sujet. Fourier, dans ses différents ouvrages , n'a donné sur ces questions que des indications très incomplètes. Ces indications ne sauraient donc être comprises et appréciées dans leur valeur réelle que par des hommes très profondément versés dans la connaissance de la Doctrine et spécialement par ceux que l'Auteur a di rectement éclairés sur ces matières. Ces sortes de questions ne sauraient donc être jugées aujourd'hui . Ces difficultés , l'inconvenance de l'application ac tuelle de ces Innovations, l'inopportunité et l'inutilité pratique de toute discussion actuelle sur ces matières, ont conduit l'École de Fourier à réserver ces questions aux générations qui seront aptes à les discuter et qui auront intérêt à les résoudre . En conséquence , l'École Sociétaire n'a jamais fait, des solutions indiquées par Fouriersur ces questions , l'objet d'aucune propagation actuelle ; elle les a laissées dans les livres de Fourier, à l'état de pures prévisions, de spéculations scientifiques, et comme uncompte pour le règlement duquel l'Avenir seul sera compétent, et qu'il saura bien régler. Enfin , elle déclare formellement, avec Fourier lui-même , qu'il serait absurde de songer à réaliser de semblables Innovations avantque la Forme sociale où nous vivons xxxij PRÉFACE. eût fait place à une Forme sociale absolument diffé rente, et dans laquelle seule ces Innovations pourraient avoir les résultats heureux en vue desquels elles se ront introduites par les Autorités sociales , s'il arrive, conformément aux prévisions de Fourier , que les Au torités sociales , un jour, jugent bon et opportun de les établir ( 1 ) . De ce que nous avons exposé, il résultera clairement que, dans le cas même où les Coutumes matrimoniales indiquées par Fourier ne seraient pas de nature à pro duire, en leur temps, beaucoup plus de Bien que la Règle actuelle, Fourier, la Doctrine de Fourier et les hommes qui partagent les prévisions scientifiques de celui-ci à l'égard des conséquences de ces Coutumes, pourraient être un jour convaincus d'Erreur, mais ja mais du moins d'Immoralité. Un dernier mot enfin pour condenser tout le débat : 1º Nous constatons et nous proclamons que, dans tous les ordres de Relations sociales, sauf celui des Relations d'Amour, Fourier appelle identiquement Bien et Mal ce que le Sens Commun et les Philosophes eux-mêmes appellent Bien et Mal . Le But étant iden tique, il n'y a donc à juger que les Moyens présentés pour l'atteindre. Ainsi toute la question consiste à re connaitre si les Moyens présentés par Fourier sont ou ne sont pas supérieurs aux Moyens évidemment im (1) A l'égard du mode de réalisation de toutes les applications du Procédé Sériaire qui ne sauraient être ni tentées, ni demandées au jourd'hui , voyez le Manifeste de l'Ecole sociétaire. Br . in- 8° . Prix : 1 fr. 50 c. - Paris, au Bureau de la Phalange, 6, rue de Tournon . -Voyez aussi l'Avertissement placé plus loin, page 153. DES ÉDITEURS. xxxiij puissants des Philosophes et des Moralistes : tion purement scientifique. ―――― Ques 2. Nous posons également en fait que, dans l'ordre des Relations d'Amour, Fourier appelle Bien et Mal ce que le Sens Commun et les Moralistes eux-mêmes appellent Bien et Mal , à l'exception seulement du changement ou de la pluralité des affections que les Mora listes considèrent, dans ce seul ordre de Relations, comme des faits mauvais en eux- mêmes, qu'ils identifient avec le Mal, dont ils font enfin des Vices absolus. Or, nous portons défi à qui que ce soit de prouver, par des raisons naturelles , philosophiques ou scien tifiques , ce qui revient au même, que le changement ou la pluralité de liens en Relations d'Amour constituent des faits mauvais en eux- mêmes, des faits vicieux.ou criminels . Dès lors, si ces faits ne sont, en eux-mêmes, ni vicieux ni criminels , s'ils ne sont attaquables qu'au point de vue des CONSÉQUENCES MAUVAISES qu'ils peuvent entraî ner et qu'en effet ils entraînent fréquemment DANS L'ÉTAT ACTUEL DES CHOSES, Comment pourrait- il y avoir immoralité à rechercher des Dispositions au moyen desquelles ces faits (dont il est absolument impossible d'empêcher la production au sein des sociétés humai nes)se développeraient régulièrement et sans entraîner des CONSÉQUENCES MAUVAISES , des désordres considé rables, des Vices détestables , et souvent même les Crimes les plus odieux ? Que les hommes d'Intelligence et de Bonne Foi méditent cette courte Dissertation et prononcent sur l'Immoralité de la Théorie de Fourier. NOTE SUR LA PRÉSENTE ÉDITION. Cette nouvelle Édition de la Théorie des Quatre Mouve ments a été faite avec les plus grands soins , et non sans beaucoup de difficultés . Fourier a laissé trois Exemplaires de la première Édition , dont certaines parties étaient cou vertes de notes marginales, et qui contenaient en outre des intercalations considérables. Ces trois exemplaires ont été collationnés très scrupuleusement ; on a reconnu toutes les corrections, toutes les indications qu'ils contenaient , et l'on a déterminé ensuite les changements qu'il était convenable de faire subir à l'ancien texte. 66 Les additions dans le texte ont été marquées par le signe [ ]. Tous les mots, toutes les phrases et tous les passages qui sont encadrés dans ces crochets ont donc été purement et simplement ajoutés, tandis que les mots et les phrases qui se trouvent entre ces signes "sont des corrections, des substitutions d'un mot ou d'une phrase nouvelle aux ex pressions du texte primitif. Au reste, tout en faisant jouir cette seconde ion des corrections et des additions conte nues dans les Exemplaires annotés par l'Auteur, nous avons cru devoir restituer, au moyen d'une Table placée à la fin du volume, le texte de la première Édition elle-même. Notre Édition est donc aussi complète et aussi fidèle que possible. Le mot Série a été substitué tout le long de l'ouvrage sans emploi du signe au mot Secte qui en tenait lieu dans le texte ancien : de même le mot Phalange a remplacé la désignation de Tourbillon , donnée primitivement par Fourier au Canton Sociétaire . "" 9 " MM. Blanc , Cartier, et surtout MM. Barbier et Bourdon ont pris une grande part au travail de cette seconde Édi tion, faite sous la direction de MM. Considerant et Paget. FIN DE LA PRÉFACE DES ÉDITEURS. be . Wequattrouble with bender seemsto that's he majoes he loved tee thuld tobe aftdyd við efhan ruisent 6 " f be dernur supics asoleen 110 . fants of the ther. "ner Enorisa, Ath INTRODUCTION lalDS Shired Cermin Lux missoy to nor the Du l t/ 72614 Examination "Impressions etia me that hi (1) Voyez la note ( 1 ) de la page 45. (Note des Éditeurs.) V A Au début , comme à la fin de cet ouvrage , j'ap pelle l'attention sur une vérité fort neuve poure les Civilisés; c'est que laThéorie des quatre Mouve ments, SOCIAL, ANIMAL, ORGANIQUE et MATÉRIEL (¹), était l'unique étude que devait se proposer la Raison. C'est l'étude du Système général de la Na ture, c'est un problème que Dieu donne à résoudre à tous les Globes ; et leurs habitants ne peuvent passer au Bonheur qu'après l'avoir résolu. Jusqu'ici , vous ne l'avez ni résolu ni même étu dié , vous n'avez atteint que la quatrième et der nière branche de cette Théorie , celle du mouve ment matériel, dont Newton et Leibnitz vous ont dévoilé les lois . J'aurai lieu de vous reprocher plus d'une fois , ce retard de l'esprit humain. Avant de publier ma Théorie ( selon l'annonce faite , page 454) , j'en donne dans le présent vo lume un léger aperçu ; j'y joins quelques disser tations sur l'ignorance politique des Civilisés ; 26. i Abd leve C xxxvj INTRODUCTION. les deux exemples principaux de cette ignorance sont tirés : Dans la 2° partie , des Vices du Système con jugal ; Dans la 3 partie , des Vices du Système com mercial ; Et de l'étourderie des philosophes , qui n'ont recherché aucun meilleur procédé pour l'union des sexes et l'échange des produits industriels . Ce sont là , sans doute , des débats bien subal ternes , pour appuyer une annonce aussi impor tante que la découverte des Lois du Mouvement; mais il fallait m'étendre sur quelques ridicules de la Politique civilisée , pour faire pressentir l'existence d'une Science plus certaine qui va con fondre les Sciences philosophiques. Dans le cours de cette lecture, on devra con sidérer que l'invention annoncée , étant plus importante à elle seule que tous les travaux scien tifiques faits depuis l'existence du Genre Humain, un seul débat doit occuper dès à présent les Civi lisés ; c'est de s'assurer si j'ai véritablement dé couvert la Théorie des quatre Mouvements: car, dans le cas d'affirmative , il faut jeter au feu toutes les théories politiques , morales et économiques , et se préparer à l'évènement le plus étonnant , le plus fortuné qui puisse avoir lieu sur ce Globe et dans tous les globes , AU PASSAGE SUBIT DU CHAOS SOCIAL A L'HARMONIE UNIVERselle. THÉORIE DES QUATRE MOUVEMENTS ET DES DESTINÉES GÉNÉRALES. DISCOURS PRÉLIMINAIRE. Sur l'étourderie des nations civilisées , qui ont oublié ou dédaigné les deux branches d'études servant d'acheminement à la théorie des Destinées : l'étude de l'ASSOCIATION AGRICOLE et de l'ATTRACTION PASSIONNÉE ; Et sur les funestes résultats de cette étourderie , qui prolonge inutilement depuis 2300 ans la durée du Chaos social , c'est-à- dire des sociétés ci vilisée , barbare et sauvage , qui ne sont point la Destinée du genre humain. Si l'on considère l'affluence des grands génies qu'a produits la Civilisation , surtout dans le cours du dix huitième siècle, on est tenté de croire qu'ils ont épuisé toutes les carrières ; loin d'espérer de grandes décou vertes , on n'en attend pas même de médiocres . 1* DISCOURS Cette prévention va être dissipée ; les hommes vont apprendre que les lumières acquises s'élèvent à peine au quart de celles qui restaient à acquérir et que l'on va obtenir toutes à la fois par la Théorie des " Destinées générales ". Elle est la clef de toutes les inventions pénétrables à l'esprit humain ; elle va nous initier subitement à des connaissances qui pouvaient coûter encore dix mille ans d'études , d'après la lenteur des méthodes actuelles. L'annonce de cette Théorie doit au premier abord exciter la défiance par la seule promesse d'élever les hommes à la connaissance des Destinées. Je crois donc à propos de faire connaître les indices qui m'ont mis sur la voie. Cette explication prouvera que la Décou verte n'exigeait aucun effort scientifique , et que les moindres des savants auraient pu y parvenir avant moi , s'ils avaient eu pour cette étude la qualité re quise , l'absence de préjugés . C'est sur ce point que j'ai eu, pour le calcul des Destinées , une aptitude dont manquaient les Philosophes , qui sont les appuis et les prôneurs des préjugés, tout en feignant de les com battre. Sous le nom de Philosophes, je ne comprends ici que les auteurs des sciences incertaines, les Politiques , Moralistes, Économistes et autres , dont les théories ne sont pas compatibles avec l'Expérience et n'ont pour règle que la fantaisie des auteurs. On se rappellera donc , lorsque je nommerai LES PHILOS OPHES, que je n'entends parler que de ceux de la classe incertaine et non pas des auteurs des sciences fixes. PRELIMINAIRE . 3 I. INDICES et MÉTHODES qui conduisirent à la découverte annoncée. Je ne songeais à rien moins qu'à des recherches sur les Destinées ; je partageais l'opinion générale qui les regarde comme impénétrables , et qui relègue tout calcul sur cet objet parmi les visions des astrologues et des magiciens. L'étude qui m'y achemina ne roulait que sur des problèmes industriels ou politiques dont je vais donner quelque notion. Depuis l'impéritie dont les Philosophes avaient fait. preuve dans leur coup d'essai , dans la révolution française , chacun s'accordait à regarder leur science comme un égarement de l'esprit humain ; les torrents de lumière politique et morale ne semblaient plus que des torrents d'illusions. Eh ! peut- on voir autre chose dans les écrits de ces savants, qui , après avoir em ployé vingt-cinq siècles à perfectionner leurs théo ries , après avoir rassemblé toutes les lumières an ciennes et modernes , engendrent pour leur début autant de calamités qu'ils ont promis de bienfaits, et font décliner la société civilisée vers l'état barbare? Tel fut l'effet des cinq premières années pendant lesquelles la France subit l'épreuve des théories phi losophiques. Après la catastrophe de 1793, les illusions furent dissipées, les sciences politiques et morales furent flé tries et décréditées sans retour. Dès lors on dut entre voir qu'il n'y avait aucun bonheur à espérer de toutes 4 DISCOURS les lumières acquises , qu'il fallait chercher le bien social dans quelque nouvelle science , et ouvrir de nouvelles routes au génie politique ; car il était évi dentque ni les Philosophes ni leurs rivaux ne savaient remédier aux misères sociales, et que, sous les dogmes des uns ou des autres, on verrait toujours se perpétuer les fléaux les plus honteux, entre autres l'indigence. Telle fut la première considération qui me fit soup çonner l'existence d'une Science Sociale encore incon nue et qui m'excita à en tenter la découverte. Loin de m'effrayer de mon peu de lumières , je n'entrevis que l'honneur de saisir ce que vingt-cinq siècles savants n'avaient pas su découvrir. J'étais encouragé par les nombreux indices d'éga rement de la raison et surtout par l'aspect des fléaux dont l'industrie sociale est affligée : l'indigence , la privation de travail , les succès de la fourberie, les pi rateries maritimes, le monopole commercial, l'enlève ment des esclaves, enfin tant d'autres infortunes dont je passe l'énumération , et qui donnent lieu de douter si l'industrie civilisée n'est pas une calamité inventée par Dieu pour châtier le genre humain . De là je présumai qu'il existait dans cette industrie quelque renversement de l'ordre naturel ; qu'elle s'exerçait peut - être d'une manière contradictoire avec les vues de Dieu ; que la ténacité de tant de fléaux pouvait être attribuée à l'absence de quelque disposition voulue par Dieu et inconnue de nos sa vants. Enfin, je pensai que, si les sociétés humaines sont atteintes, selon l'opinion de Montesquieu, « d'une maladie de langueur, d'un vice intérieur, d'un venin PRÉLIMINAIRE . 5 « secret et caché, » on pourrait trouver le remède en s'écartant des routes suivies par nos sciences incer taines qui avaient manqué ce remède depuis tant de siècles . J'adoptai donc pour règle dans mes recher ches LE DOUTE ABSOLU ET L'ÉCART ABSOLU. Il faut définir ces deux procédés , puisque personne avant moi n'en avait fait usage. 1º LE DOUTE ABSOLU. Descartes en avait eu l'idée; mais tout en vantant et recommandant le doute, il n'en avait fait qu'un usage partiel et déplacé . Il élevait des doutes ridicules , il doutait de sa propre existence , et il s'occupait plutôt à alambiquer les sophismes des an ciens qu'à chercher des vérités utiles. - Les successeurs de Descartes ont encore moins que lui fait usage du Doute ; ils ne l'ont appliqué qu'aux choses qui leur déplaisaient ; par exemple , ils ont mis en problème la nécessité des religions parce qu'ils étaient antagonistes des prêtres ; mais ils se seraient bien gardés de mettre en problème la nécessité des sciences politiques et morales qui étaient leur gagne pain , et qui sont aujourd'hui reconnues bien inutiles sous les gouvernements forts, et bien dangereuses sous les gouvernements faibles . Commeje n'avais de rapport avec nul parti scienti fique, je résolus d'appliquer le Doute aux opinions des uns et des autres indistinctement, et de suspecter jus qu'aux dispositions qui avaient l'assentiment univer sel. Telle est la Civilisation , qui est l'idole de tous les partis philosophiques et dans laquelle on croit voir le terme de la perfection . Cependant, quoi de plus impar fait que cette Civilisation qui traîne tous les fléaux à sa 6 DISCOURS suite? quoi de plus douteux que sa nécessité et sa per manence future ? N'est- il pas probable qu'elle n'est qu'un échelon dans la carrière sociale? Si elle a été précédée de trois autres sociétés , la Sauvagerie , le Patriarcat et la Barbarie , s'ensuit-il qu'elle sera la dernière parce qu'elle est la quatrième? n'en pourra t-il pas naître encore d'autres , et ne verrons-nous pas un cinquième , un sixième , un septième Ordre social qui seront peut-être moins désastreux que la Civilisa tion, et qui sont restés inconnus parce qu'on n'a ja mais cherché à les découvrir ? Il faut donc appliquer le Doute à la Civilisation , douter de sa nécessité, de son excellence et de sa permanence. Ce sont là des pro blèmes que les philosophes n'osent pas se propo ser, parce qu'en suspectant la Civilisation ils feraient planer le soupçon de nullité sur leurs théories, qui toutes se rattachent à la Civilisation , et qui tombe raient avec elle du moment où l'on trouverait un meilleur Ordre Social pour la remplacer. Les philosophes sont donc restreints au Doute par tiel , parce qu'ils ont des livres et des préjugés corpo ratifs à soutenir ; et de peur de compromettre les livres et la coterie, ils ont escobardé de tout temps les problèmes importants. Pour moi qui n'avais aucun parti à soutenir, j'ai pu adopter le Doute absolu et l'appliquer d'abord à la Civilisation et à ses préjugés les plus invétérés. 2º L'ÉCART ABSOLU. J'avais présumé que le plus sûr moyen d'arriver à des découvertes utiles , c'était de s'éloigner en tout sens des routes suivies par les sciences incertaines , qui n'avaient jamais fait la PRELIMINAIRE . 7 moindre invention utile au corps social , et qui, malgré les immenses progrès de l'industrie , n'avaient pas même réussi à prévenir l'indigence. Je pris donc à tâche de me tenir constamment en opposition avec ces sciences ; en considérant la multitude de leurs écrivains , je présumai que tout sujet qu'ils avaient traité devait être complétement épuisé, et je résolus de ne m'attacher qu'à des problèmes qui n'eussent été abordés par aucun d'entre eux. En conséquence, j'évitai toute recherche sur ce qui touchait aux intérêts du trône et de l'autel , dont les philosophes se sont occupés sans relâche depuis l'ori gine de leur science : ils ont toujours cherché le bien social dans les innovations administratives ou reli gieuses ; je m'appliquai au contraire à ne chercher le bien que dans des opérations qui n'eussent aucun rapport avec l'administration ni le sacerdoce , qui ne reposassent que sur des mesures industrielles ou do mestiques , et qui fussent compatibles avec tous les gouvernements sans avoir besoin de leur intervention . En suivant ces deux guides , le Doute absolu sur tous les préjugés, et l'Écart absolu de toutes les théories connues, je ne pouvais manquer de m'ouvrir quelque nouvelle carrière , si aucune il en était ; mais je ne m'attendais nullement à saisir le calcul des Destinées. Loin de prétendre si haut, je ne m'exerçai d'abord que sur des problèmes très ordinaires, dont les deux principaux furent l'Association agricole et la répres sion indirecte du monopole commercial des insulaires. Je cite ces deux problèmes, parce qu'ils tiennent l'un à l'autre et se résolvent l'un par l'autre. On ne peut 8 DISCOURS pas abattre indirectement le monopole des puissances insulaires sans opérer l'association agricole ; et vice versa, sitôt qu'on trouve le moyen d'effectuer l'asso ciation agricole, elle opère sans coup férir l'anéantis sement du monopole insulaire, des pirateries, de l'a giotage , de la banqueroute, et autres fléaux qui pèsent sur l'industrie. Je me hâte de mettre en avant ces résultats pour jeter quelque intérêt sur le problème de l'association agricole, qui semble si indifférent que les savants n'ont jamais daigné s'en occuper. Ici j'invite le lecteur à se rappeler que j'ai jugé né cessaire de lui donner connaissance des calculs qui préparèrent ma découverte. En conséquence, je vais disserter sur un sujet qui paraîtra bien dépourvu de rapport avec les Destins ; c'est l'Association agricole. Moi-même, lorsque je commençai à spéculer sur cet objet , je n'aurais jamais présumé qu'un si modeste calcul pût conduire à la théorie des Destinées ; mais puisqu'il en est devenu la clef, il est indispensable que j'en parle avec quelque étendue. II. DE L'ASSOCIATION AGRICOLE. La solution de ce problème tant dédaigné condui sait à la solution de tous les problèmes politiques. L'on sait qu'il suffit quelquefois des plus petits moyens pour opérer les plus grandes choses : c'est avec une PRÉLIMINAIRE. 9 aiguille de métal qu'on maîtrise la foudre et qu'on dirige un vaisseau à travers les orages et les ténèbres ; c'est avec un moyen aussi simple qu'on peut mettre terme à toutes les calamités sociales ; et tandis que la Civilisation se baigne dans le sang pour assouvir des jalousies mercantiles, on apprendra sans doute avec intérêt qu'une opération industrielle va les terminer à jamais, sans aucun combat, et que la puissance maritime , jusqu'à présent si redoutable, va tomber dans une absolue nullité par l'effet de l'Association agricole. Cette disposition n'était pas praticable dans l'anti quité , à cause de l'esclavage des cultivateurs ; les Grecs et les Romains vendaient le laboureur comme une bête de somme, avec l'agrément des philosophes , qui ne réclamèrent jamais contre cette odieuse cou tume. Ces savants sont dans l'usage de croire impos sible tout ce qu'ils n'ont pas vu ; ils s'imaginaient qu'on ne pourrait pas affranchir les cultivateurs sans renverser l'ordre social ; cependant on est parvenu à les mettre en liberté , et l'Ordre social n'en est que mieux organisé. Les philosophes ont encore à l'égard de l'Association agricole le même préjugé qu'ils avaient à l'égard de l'esclavage ; ils la croient impos sible parce qu'elle n'a jamais existé ; en voyant les familles villageoises travailler incohéremment , ils pensent qu'il n'est aucun moyen de les associer, ou du moins ils feignent de le penser ; car sur ce point , comme sur tout autre , ils sont intéressés à donner pour insoluble tout problème qu'ils ne savent pas ré soudre. I. 10 DISCOURS Cependant, plus d'une fois l'on a entrevu qu'il ré sulterait des économies et des améliorations incalcu lables si l'on pouvait réunir en société industrielle les habitants de chaque bourgade , associer en pro portion de leur capital et de leur industrie deux à trois cents familles inégales en fortune qui cultivent un ' canton. L'idée paraît d'abord gigantesque et impraticable à cause de l'obstacle qu'opposent les passions à une telle réunion ; obstacle d'autant plus effrayant qu'on ne peut pas les surmonter petit à petit. On ne peut guère réunir en société agricole vingt, trente , qua rante individus, pas même cent ; il en faut au moins huit cents pour former l'Association NATURELLE OU at TRAYANTE . J'entends par ces mots une société dont les membres seront entraînés au travail par émulation, amour-propre, et autres véhicules compatibles avec celui de l'intérêt : l'Ordre dont il s'agit nous passion nerapour l'agriculture, aujourd'hui si rebutante qu'on ne l'exerce quepar nécessité et par la crainte de mourir de faim. Je passe sur le détail des recherches que me coûta le problème de l'Association naturelle ; c'est un Ordre tellement opposé à nos usages que je ne me hâte pas d'en donner connaissance ; sa description paraîtrait ridicule si je n'y disposais le lecteur par un aperçu des immenses avantages qui en résulteront. L'Association agricole, en la supposant élevée au nombre d'environ mille personnes, présente à l'indus trie des bénéfices si énormes qu'on a peine à expliquer l'insouciance des modernes à ce sujet ; il existe pour PRÉLIMINAIRE. 11 tant une classe de savants , les économistes, voués spécialement aux calculs de perfectionnement indus triel. Leur négligence à rechercher un procédé d'As sociation est d'autant plus inconcevable qu'ils ont eux-mêmes indiqué plusieurs des avantages qui en ré sulteraient ; par exemple, ils ont reconnu, et chacun a pu reconnaître comme eux, que trois cents familles de villageois associés n'auraient qu'un seul grenier bien soigné, au lieu de trois cents greniers mal en ordre , qu'une seule cuverie au lieu de trois cents cuves soi gnées la plupart avec une extrême ignorance ; qu'ils n'auraient dans divers cas , et surtout en été, que trois ou quatre grands feux au lieu de trois cents ; qu'ils n'enverraient à la ville qu'une seule laitière avec un tonneau de lait porté sur un char suspendu, ce qui épargnerait cent demi-journées perdues par cent lai tières qui portent cent brocs de lait. Voilà quelques unes des économies que divers observateurs ont en trevues, et pourtant ils n'ont pas indiqué la vingtième partie des bénéfices qui naîtraient de l'Association agricole. On l'a crue impossible parce qu'on ne connaissait. aucun moyen de la former; était-ce un motif de con clure qu'on n'en découvrirait pas et qu'on n'en devait pas chercher? Si l'on considère qu'elle triplerait [ et souvent décuplerait ] les bénéfices d'exploitation gé nérale , on ne doutera pas que Dieu n'ait avisé aux moyens de l'établir ; car il a dû s'occuper avant tout de l'organisation du mécanisme industriel , qui est le pivot des sociétés humaines. Les gens pressés d'argumenter élèveront là- dessus 12 DISCOURS 4 maintes objections. Comment amalgamer en société « des familles dont l'une possède 100,000 livres et << l'autre pas une obole? Comment débrouiller tant • d'intérêts divers, concilier tant de volontés contra dictoires? Comment absorber toutes ces jalousies << dans un plan d'intérêts combinés ? » A cela je répli que par l'appât des richesses et des plaisirs ; la plus forte passion des paysans comme des citadins, c'est l'amour du gain. Lorsqu'ils verront un canton socié taire donner, à égalité de chances , TROIS FOIS [ cinq fois , sept fois ] plus de bénéfice qu'un canton de fa milles incohérentes, et assurer à tous les associés les jouissances les plus variées , ils oublieront toutes leurs rivalités et se hâteront d'opérer l'Association ; elle s'étendra sans aucune loi à toutes les régions ; car en tous lieux les hommes sont passionnés pour les riches ses et les plaisirs. a En résumé, cette théorie de l'Association agricole, qui va changer le sort du genre humain, flatte les pas sions communes à tous les hommes, elle les séduit par l'appât du gain et des voluptés ; c'est là le garant de son succès chez les Sauvages et les Barbares comme chez les Civilisés, puisque les passions sont les mêmes en tous lieux. Il n'est pas pressant de faire connaître ce nouvel Or dre, auquel je donnerai les noms de SERIES PROGRESSIVES ou SÉRIES DE Groupes, Séries paSSIONNÉES. Je désigne par ces mots un assemblage de plusieurs groupes associés qui s'adonnent aux diverses bran ches d'une même industrie ou d'une même passion . On peut consulter à ce sujet la note A [ à la fin du vo PRÉLIMINAIRE. 13 lume] , où je donne sur l'organisation des Séries pro gressives quelques notions qui seront loin de suffire, mais qui préviendront les fausses idées qu'on pourrait se former sur ce mécanisme , d'après divers détails qu'on a entendus de moi , et qu'on ne manque jamais de dénaturer en les répétant. La théorie des SÉRIES PASSIONNÉES OU SÉRIES PROGRES SIVES n'est pas imaginée arbitrairement comme nos théories sociales. L'ordonnance de ces Séries est en tout point analogue à celle des séries géométriques dont elles ont toutes les propriétés, comme la balance de rivalité entre les groupes extrêmes et les groupes moyens de la série. Ceci est exprimé plus en détail dans la note A. Les passions qu'on a crues ennemies de la concorde, et contre lesquelles on a écrit tant de milliers de vo lumes qui vont tomber dans le néant, les passions , dis je, ne tendent qu'à la concorde, qu'à l'unité sociale dont nous les avons crues si éloignées ; mais elles ne peu vent s'harmoniser qu'autantqu'elles " se développent ” régulièrement dans les SERIES PROGRESSIVES OU SÉRIES DE GROUPES. Hors de ce mécanisme , les passions ne sont que des tigres déchaînés, des énigmes incompréhen sibles ; c'est ce qui fait dire aux philosophes qu'il fau drait les réprimer : opinion doublement absurde en ce que l'on ne peut pas réprimer les passions ( 1 ) , et en ce que si chacun les réprimait, l'état civilisé déclinerait rapidement et retomberait à l'état nomade, dans lequel les passions seraient encore aussi malfaisantes qu'on (1) [ Autrement que par la violence ou l'absorption réciproque ] . 14 DISCOURS les voit parmi nous ; car je ne crois pas plus aux vertus des bergers qu'à celles de leurs apologistes. L'Ordre Sociétaire qui va succéder à l'incohérence civilisée n'admet ni modération, ni égalité , ni aucune des vues philosophiques ; il veut des passions ardentes et raffinées ; dès que l'Association est formée, les pas sions s'accordent d'autant plus facilement qu'elles sont plus vives et plus nombreuses. Ce n'est pas que ce nouvel ordre doive rien changer aux passions ; cela ne serait possible ni à Dieu ni aux hommes: mais on peut changer la marche des passions sans rien changer à leur nature . Par exemple, si un homme sans fortune hait le mariage, et qu'on lui offre une femme dotée de cent mille livres de rente , il con sentira avec joie à former ce lien qui lui répugnait la veille. Aura-t-il pour cela changé de passion ? Non , mais sa passion dominante , l'amour des richesses, aura changé de marche ; elle prendra , pour atteindre à son but, une voie qui lui déplaisait hier ; elle n'aura pas pour cela changé de nature, mais seulement de route. Si donc j'avance que dans l'Ordre Sociétaire les hommes prendront des goûts différents de ceux qu'ils ont à présent, et qu'ils préfèreront le séjour des cam pagnes à celui des villes , il faut se garder de croire qu'en changeant de goûts ils changeront de passions ; ils ne seront toujours guidés que par l'amour des ri chesses et des plaisirs. J'insiste sur cette remarque pour écarter une ridi cule objection que forment certains esprits obtus ; lorsqu'ils entendent parler des changements de goûts PRÉLIMINAIRE. 15 et de coutumes qui résulteront de l'Ordre Sociétaire , ils s'écrient aussitôt : VouS CHANGEREZ DONC LES PAS SIONS ! Non, certes , mais on leur ouvrira de nouvelles chances , qui leur assureront un développement triple et quadruple de celui qu'elles trouvent dans l'ordre incohérent où nous vivons. C'est pour cela qu'on verra les civilisés prendre en aversion des habitudes qui leur plaisent aujourd'hui , telle que la vie de ménage, lorsqu'ils observeront que dans le ménage les enfants ne sont occupés qu'à hurler, briser, quereller et refu ser tout travail, et que ces mêmes enfants , introduits dans les SÉRIES PROGRESSIVES OU SÉRIES DE GROUPES , ne s'y occupent que d'industrie, rivalisent d'émula tion sans qu'on les excite, qu'ils s'instruisent de leur plein gré sur les cultures , les fabriques , les sciences et arts ; qu'ils produisent et font des bénéfices tout en croyant se divertir. Lorsque les pères verront ce nou vel ordre, ils trouveront leurs enfants adorables dans les séries et détestables dans les ménages incohé rents. Quand ils observeront ensuite que, dans la ré sidence d'une PHALANGE ( c'est le nom que je donnerai à l'Association qui cultive un canton) , on fait une chère si merveilleuse que, pour le tiers des frais que coûte une table de ménage, on trouve dans les Séries un ser vice trois fois plus délicat et plus copieux, de sorte qu'on peut s'y nourrir trois fois mieux en dépensant trois fois moins que dans un ménage, et éviter encore l'embarras des approvisionnements et préparations ; lorsqu'ils verront enfin que dans les relations des Sé ries on n'éprouve jamais aucune fourberie, et que le peuple si faux et si rustre en Civilisation devient écla 16 DISCOURS tant de vérité et de politesse dans les Séries , ils pren dront en aversion ce ménage, ces villes, cette Civilisa tion, qui sont les objets de leur affection présente ; ils voudront s'associer dans une Phalange de Séries et ha biter son édifice. Auront-ils changé de passions parce qu'ils dédaigneront les coutumes et les goûts qui leur plaisent aujourd'hui? Non, mais leurs passions auront changé de marche sans avoir changé de but ni de na ture. Il faut donc bien se garder de croire que l'Ordre des Séries progressives , qui ne sera plus la Civilisation , doive opérer le moindre changement dans les passions ; elles ont été et seront immuables pour produire les déchirements et la pauvreté hors des Séries progressi ves, ou pour produire la concorde et l'opulence dans "l'État Sociétaire " qui est notre destinée, et dont la formation dans un seul canton sera imitée spontané ment en tout pays, par le seul appåt des immenses bénéfices et des jouissances innombrables que cet Or dre assure à tous les individus, quelle que soit l'inéga lité des fortunes. Je passe aux résultats de cette invention sous le rap port scientifique . III. DE L'ATTRACTION PASSIONNÉE et de ses rapports avec les sciences fixes. Est- ce par dédain, par inadvertance ou par crainte d'insuccès, que les savants ont négligé de s'exercer sur le problème de l'Association? Il n'importe quel a été PRÉLIMINAIRE. 17 leur motif, mais ils l'ont négligé; je suis le premier et le seul qui s'en soit occupé. De là résulte que, si la théo rie de l'Association , inconnue jusqu'à ce jour , pouvait acheminer à d'autres découvertes, si elle est la clef de quelques nouvelles sciences , elles ont dû échoir à moi seul, puisque je suis le seul qui ait cherché et saisi cette théorie. Quant aux nouvelles sciences dont elle ' ouvre l'ac cès, je me bornerai à en indiquer deux principales , et comme ce détail n'intéresse pas le grand nombre des lecteurs , je serai bref autant que possible. La première science que je découvris fut la théorie de l'Attraction passionnée. Lorsque j'eus reconnu que les Séries progressives assurent un plein développement aux passions des deux sexes , des divers âges et des diverses classes ; que dans ce nouvel ordre on acquerra d'autant plus de vi gueur et de fortune qu'on aura plus de passions, je conjecturai de là que, si Dieu avait donné tant d'in fluence à l'Attraction passionnée et si peu à la raison, son ennemie, c'était pour nous conduire à cet Ordre des Séries progressives qui satisfait en tout sens l'At traction . Je pensai dès lors que l'Attraction tant décriée par les philosophes était interprète des vues de Dieu sur l'ordre social , et j'en vins au CALCUL ANALYTIQUE et SYNTHÉTIQUE des ATTRACTIONS et RÉPULSIONS PASSIONNÉES ; elles conduisent en tout sens à l'Association agricole. On aurait donc découvert les lois de l'Association sans les chercher, si l'on se fût avisé de faire l'analyse et la synthèse de l'Attraction . C'est à quoi personne n'a songé, pas même dans ce XVIIIe siècle, qui, voulant 18 DISCOURS fourrer partout les méthodes analytiques, n'a pas es sayé de les appliquer à l'Attraction . La théorie des attractions et répulsions passionnées est fixe et applicable en entier aux théorèmes de géo métrie ; elle sera susceptible de grands développe ments, et pourra devenir l'aliment des penseurs, qui, je crois, sont fort en peine d'exercer leur métaphysi que sur quelque sujet lumineux et utile. Je continue sur la filiation des nouvelles sciences . Je reconnus bientôt que les lois de l'Attraction passion née étaient en toutpoint conformes à celles de l'Attrac tion matérielle, expliquées par Newton et Leibnitz , et qu'il y avait UNITÉ DU SYSTÈME DE MOUVEMENT POUR LE MONDE MATÉRIEL ET POUR LE MONDE SPIRITUEL. Je soupçonnai que cette analogie pouvait s'étendre des lois générales aux lois particulières ; que les attrac tions et propriétés des animaux, végétaux et minéraux étaient peut-être coordonnées au même plan que celles de l'homme et des astres ; c'est de quoi je fus convaincu après les recherches nécessaires. Ainsi fut découverte une nouvelle science fixe : l'Analogie des quatre mouve ments matériel, organique, animal et social, ou Analo gie des modifications de la matière avec la théorie ma thématique des passions de l'homme et des animaux. La découverte de ces deux sciences fixes m'en dé voila d'autres dont il serait inutile de donner ici la nomenclature; elles s'étendent jusqu'à la littérature et aux arts, et établiront des méthodes fixes dans toutes les branches des connaissances humaines. Du moment où je possédai les deux théories de l'At traction et de l'Unité des quatre mouvements, je com PRÉLIMINAIRE. 19 mençai à lire dans le grimoire de la nature ; ses mystè res s'expliquaient successivement, et j'avais enlevé le voile réputé impénétrable. J'avançais dans un nouveau monde scientifique ; ce fut ainsi que je parvins gradati vement jusqu'au calcul des Destinées universelles , ou détermination du système fondamental sur lequel fu rent réglées les lois de tous les mouvements présents, passés et à venir. Dans un tel succès, de quoi faut-il le plus s'éton ner: ou du coup de fortune qui m'a dévoilé tant de nouvelles sciences par le secours d'un petit calcul sur l'Association qui en était la clef, ou de l'étourderie de vingt-cinq siècles savants qui n'ont pas songé à s'oc cuper de ce calcul, quoiqu'ils eussent épuisé tant d'au tres branches d'études? Je crois que l'on décidera l'alternative en ma faveur, et que l'étendue de mes découvertes semblera moins étonnante que l'étourde rie des siècles qui les ont manquées. Déjà j'ai consolé les savants d'une telle disgrâce en leur apprenant qu'une moisson de gloire et de riches ses leur est préparée à tous ; j'apporte plus de sciences nouvelles qu'on ne trouva de mines d'or en découvrant l'Amérique . Mais n'ayant pas les lumières nécessaires pour développer ces sciences, je n'en prendrai pour moi qu'une seule, celle du mouvement social ; j'aban donne toutes les autres aux érudits des diverses clas ses, qui s'en composeront un magnifique domaine. Combien ils avaient besoin de ce ravitaillement ! Toutes les classes de savants étaient aux abois, et ré duites à glaner misérablement. On avait ressassé et pressuré jusqu'au dernier grain des sciences connues ; . 20 DISCOURS il ne restait d'autres ressources que de créer des so phismes pour les combattre, et remplir double quan tité de volumes en élevant et réfutant chaque erreur. Dès à présent la scène change ; les savants vont pas ser de l'absolu dénûment à l'excessive opulence ; la moisson sera si copieuse qu'ils peuvent se flatter tous d'y prendre part et de s'établir des renommées colos sales, car ils auront la première exploitation de cette mine scientifique dont ils saisiront les plus riches filons . Chacun d'entre eux pourra dès le deuxième Mé moire, où je traiterai des mouvements animal et orga nique, entrevoir les objets de sa compétence, sur les quels il aura à composer des traités de science cer taine. Et j'insiste sur ce nom de sCIENCE CERTAINE, car on le prodigue bien mal à propos à des sciences vagues et capricieuses, comme la botanique dont les divers systèmes ne sont que des tableaux arbitrairement classés ; ils n'ont aucun rapport avec la méthode de la nature qui est de coordonner toutes les formes et pro priétés des choses créées à un type commun, au sys tème mathématique des passions humaines. J'ai fait entrevoir que les sciences vont enfin pren dre une marche fixe , et se rattacher toutes à une mé thode invariable. Je donnerai dès le second Mémoire quelques notions de cette méthode qui rapporte tout à nos passions. Elle montre dans tout ce qui existe les tableaux dujeu des passions, et cette analogie donnera aux études les plus rebutantes, telles que l'anatomie, plus de charme que n'en offre aujourd'hui l'étude des fleurs. Parmi les heureux résultats que donnera cette mé PRÉLIMINAIRE. 21 thode, il faut placer avant tout la découverte de re mèdes spéciaux à toutes les maladies. Il n'est aucun mal qui n'ait un ou plusieurs antidotes tirés des trois règnes ; mais la médecine n'ayant pas de théorie ré gulière pour procéder à la recherche des remèdes in connus, elle est obligée de tâtonner pendant des siè cles et même des milliers d'années , jusqu'à ce que le hasard lui livre un remède ; aussi n'a-t-elle pas encore trouvé les absorbants naturels de la peste, la rage et la goutte ; on les découvrira par la théorie des quatre mouvements. La médecine ainsi que toutes les autres sciences va sortir de sa longue enfance, et s'élever par le calcul des contre- mouvements à toutes les connais sances qui lui furent si longtemps refusées. IV. ÉGAREMENTS de la raison par les sciences incertaines. La gloire et la science sont bien désirables, sans doute, mais bien insuffisantes quand elles ne sont pas accompagnées de la fortune. Les lumières, les tro phées et autres illusions ne conduisent pas au bon heur, qui consiste avant tout dans la possession des richesses ; aussi les savants sont - ils généralement malheureux en Civilisation , parce qu'ils y sont pau vres ; ils ne jouiront des faveurs de la fortune que dans l'Ordre Sociétaire qui succédera à la Civilisation . Dans ce nouvel état social, tout savant ou artiste parvien dra à une fortune colossale dès qu'il sera pourvu d'un 22 DISCOURS mérite réel ; j'indiquerai plus loin de quelle manière ce mérite sera constaté par le vote annuel de tous les cantons du globe sur les ouvrages à couronner. Mais en montrant aux sciences fixes et aux arts la brillante carrière qui s'ouvre pour eux, quel ton dois je prendre pour annoncer l'orage qui va fondre sur les vieilles idoles de la Civilisation , sur les sciences incertaines? Faut-il revêtir les longs habits de deuil pour déclarer aux politiques et moralistes que l'heure fatale est sonnée, que leurs immenses galeries de vo lumes vont tomber dans le néant; que les Platon, les Sénèque, les Rousseau, les Voltaire, et tous les cory phées de l'incertitude ancienne et moderne, iront tous ensemble au fleuve d'oubli? (Je ne parle pas de leurs productions littéraires , mais seulement de ce qui touche à la politique et à la morale. ) Cette débâcle de bibliothèques et de renommées n'aura rien d'offensant pour le corps philosophique , si l'on considère que ses écrivains les plus célèbres ont cessé de vivre et n'endureront pas l'affront de déchoir. Quant à leurs disciples existants, ils ne doi vent songer qu'à la fortune qui leur est préparée , qu'au plaisir de pénétrer enfin dans ce sanctuaire de la nature, dont leurs devanciers n'avaient pu s'ouvrir l'entrée. Eh! n'ont- ils pas de tout temps prévu le coup de foudre qui les menaçait? J'en vois le pronostic dans leurs écrits les plus renommés , depuis Socrate, qui espérait qu'un jour la lumière descendrait, jusqu'à Voltaire, qui, impatient de la voir descendre, s'écrie : « Mais quelle épaisse nuit voile encore la nature ! » PRELIMINAIRE. 23 Tous confessent l'inanité de leurs sciences et l'égare ment de cette raison qu'ils ont prétendu perfectionner; tous enfin s'accordent à dire avec leur compilateur Barthélemy : « Ces bibliothèques , prétendus trésors de connaissances sublimes , ne sont qu'un dépôt hu « miliant de contradictions et d'erreurs . >> Il n'est que trop vrai ! depuis vingt- cinq siècles qu'existent les sciences politiques et morales , elles n'ont rien fait pour le bonheur de l'humanité ; elles n'ont servi qu'à augmenter la malice humaine, en rai son du perfectionnement des sciences réformatrices ; elles n'ont abouti qu'à perpétuer l'indigence et les per fidies, qu'à reproduire les mêmes fiéaux sous diverses formes. Après tant d'essais infructueux pour amélio rer l'ordre social , il ne reste aux Philosophes que la confusion et le désespoir. Le problème du bonheur public est un écueil insurmontable pour eux ; et le seul aspect des indigents qui remplissent les Cités ne dé montre-t-il pas que les torrents de lumières philoso phiques nesont que des torrents de ténèbres ? Cependant une inquiétude universelle atteste que le genre humain n'est point encore arrivé au but où la Nature veut le conduire, et cette inquiétude semble nous présager quelque grand évènement qui changera notre sort. Les nations , harassées par le malheur, s'at tachent avidement à toute rêverie politique ou reli gieuse qui leur fait entrevoir une lueur de bien-être ; elles ressemblent à un malade désespéré qui compte sur une miraculeuse guérison. Il semble que la Nature souffle à l'oreille du genre humain qu'il est réservé à un bonheur dont il ignore les routes, et qu'une décou 24 DISCOURS verte merveilleuse viendra tout à coup dissiper les té nèbres de la Civilisation. Ī La Raison, quelque étalage qu'elle fasse de ses pro grès, n'a rien fait pour le bonheur tant qu'elle n'a pas procuré à l'Homme cette fortune sociale qui est l'objet de tous les vœux ; et j'entends par FORTUNE SOCIALE une opulence graduée qui mette à l'abri du besoin les hommes les moins riches , et qui leur assure au moins pour minimum le sort que nous nommons MÉDIOCRITÉ BOURGEOISE . S'il est incontestable que les richesses sont pour l'Homme social la première source de bonheur après la santé, cette Raison, qui n'a pas su nous procu rerla richesse relative ou aisancegraduée, n'a doncfait dans ses pompeuses théories que des verbiages inutiles qui n'atteignent aucun but ; et la découverte quej'an nonce ne serait , comme les théories politiques et mo rales, qu'un nouvel opprobre pour la Raison , si elle ne devait nous donner que de la science, et toujours de la science, sans nous donner les richesses, qui nous Į sont nécessaires avant la science . La Théorie des Destinées va remplir le vœu des na tions en assurant à chacun cette opulence graduée , qui est l'objet de tous les désirs , et qu'on ne peut trouver que dans l'Ordre des Séries progressives. Quant à la Civilisation d'où nous allons sortir, je dé montrerai que , loin d'être la Destinée industrielle de l'homme , elle n'est qu'un fléau passager dont la plu part des globes sont affligés pendant leurs premiers âges ; qu'elle est pour le genre humain une maladie temporaire, comme est la dentition pour l'enfance ; qu'elle s'est prolongée deux mille trois cents ans de PRELIMINAIRE. 25 trop , par l'inadvertance ou l'orgueil des philosophes, qui dédaignèrent toute étude sur l'Association et l'At traction ; enfin que les sociétés sauvage , patriarcale , barbare et civilisée, ne sont que des sentiers de ronces, des échelons pour s'élever à un meilleur Ordre social , à l'Ordre des Séries progressives qui est la Destinée industrielle de l'homme , et hors duquel tous les ef forts des meilleurs princes ne peuvent aucunement re médier aux malheurs des peuples. C'est donc en vain, philosophes , que vous auriez amoncelé des bibliothèques pour chercher le bonheur, tant qu'on n'aurait pas extirpé la souche de tous les malheurs sociaux , je veux dire L'INCOHÉRENCE INDUS TRIELLE qui est l'antipode des vues de Dieu. Vous vous plaignez que la nature vous refuse la connaissance de ses lois; eh! si vous n'avez pu jusqu'à ce jour les dé couvrir, quetardez-vous à reconnaître l'insuffisance de vos méthodes et à en chercher de nouvelles? Ou la nature ne veut pas le bonheur des hommes , ou vos méthodes sont réprouvées de la nature , puisqu'elles n'ont pu lui arracher ce secret que vous poursuivez. Voyez-vous qu'elle soit rebelle aux efforts des physi ciens comme aux vôtres? non , parce que les physi ciens étudient ses lois au lieu de lui en dicter, et vous n'étudiez que l'art d'étouffer la voix de la nature, d'é touffer l'Attraction qui est interprète de la nature, puisqu'elle conduit en tous sens à la formation des Séries progressives . Aussi quel contraste entre vos bévues et les prodiges des sciences fixes ! Chaque jour vous ajoutez des erreurs nouvelles à d'antiques erreurs , et chaque jour on voit les sciences physiques 2 26 DISCOURS avancer dans les routes de la vérité et répandre sur l'âge moderne un lustre égal à l'opprobre que vos visions impriment à jamais sur le dix-huitième siècle. Nous allons être témoins d'un spectacle qui ne peut se voir qu'une fois dans chaque globe : le passage su bit de l'incohérence à la combinaison sociale ; c'est le plus brillant effet de mouvement qui puisse s'exécuter dans l'univers ; son attente doit consoler la génération actuelle de tous ses malheurs. Chaque année , pendant cette métamorphose , vaudra des siècles d'existence, et offrira une foule d'événements si surprenants qu'il ne convient pas de les faire entrevoir sans prépara tion ; c'est ce qui me détermine à renvoyer au troi sième Mémoire la théorie de l'Ordre combiné ou des Séries progressives , et à n'annoncer pour le moment que des résultats généraux ; tels seront l'accession spontanée des Sauvages à l'industrie , et l'adhésion des Barbares à l'affranchissement des femmes et des esclaves dont la liberté est nécessaire pour la forma tion des Séries progressives ; l'établissement des Unités par toute la terre, comme Unité de langage , de me sures , de signes typographiques, et autres relations. Quant aux particularités sur l'Ordre sociétaire , quant aux jouissances qu'il doit nous procurer, il fau dra , je le répète , user de ménagements pour les an noncer aux Civilisés . Abattus par l'habitude du mal heur et par les préjugés philosophiques , ils ont cru que Dieu les destinait aux souffrances ou seulement à un bonheur médiocre : ils ne pourront pas se façonner subitement à l'idée du bien-être qui les attend , et PRÉLIMINAIRE . 27 leurs esprits se soulèveraient si on leur exposait sans précaution la perspective des délices dont ils vont jouir sous très peu de temps ; car il faudra à peine deux ans pour organiser chaque canton sociétaire , et à peine six ans pour achever l'organisation du globe entier, en supposant les plus longs délais pos sibles. L'Ordre combiné sera dès son début d'autant plus brillant qu'il a été plus longtemps différé. La Grèce , au siècle de Solon, pouvait déjà l'entreprendre ; son luxe était parvenu au degré suffisant pour procéder à cette organisation ; mais aujourd'hui nos moyens de luxe et de raffinement sont au moins doubles de ce qu'ils étaient chez les Athéniens ( ils ne connaissaient pas les voitures suspendues , les étoffes de coton et de, soie , le sucre, et autres productions d'Amérique et d'Orient , la boussole , la lunette, et autres inventions scientifiques des modernes ; je n'exagère donc pas en disant que nos moyens de jouissance et de luxe s'é lèvent pour le moins au double ) . Nous débuterons avec d'autant plus d'éclat dans l'Ordre combiné , et c'est à présent que nous allons recueillir le fruit des progrès qu'a faits le dix-huitième siècle dans les sciences physiques , succès bien infructueux jusqu'à ce jour. Tant qu'aurait duré la Civilisation , nos pro diges scientifiques étaient plus funestes qu'utiles au bonheur, car en augmentant les moyens de jouis sance , ils augmentaient les privations du très grand nombre qui est dépourvu du nécessaire; ils n'ajoutaient que très peu aux plaisirs des grands qui sont blasés , faute de variété dans les divertissements , et ils exci 28 DISCOURS taient de plus en plus la corruption, en multipliant les appâts offerts à la cupidité. Jusqu'à présent les sciences , en perfectionnant le luxe , n'avaient travaillé qu'au profit du fourbe , qui , dans les sociétés barbare et civilisée , arrive plus tôt à la fortune que l'homme véridique. Cette bizarrerie conduisait à opter entre deux opinions : ou la malfai sance de Dieu , ou la malfaisance de la Civilisation . " Raisonnablement , l'on ne pouvait se fixer qu'à cette dernière opinion ; car il n'est pas possible de supposer Dieu malfaisant , et il le serait réellement s'il nous avait condamnés à végéter toujours dans la désastreuse Civilisation. Les philosophes , au lieu d'envisager la question sous ce point de vue , ont cherché à éluder le problème que présentait la malice humaine ; problème qui con duisait à suspecter la Civilisation ou à suspecter Dieu. Ils se sont ralliés à une opinion bâtarde , celle de l'athéismequi, supposant l'absence d'un Dieu , dispense les savants de rechercher ses vues , et les autorise à donner leurs théories capricieuses et inconciliables pour règle du bien et du mal . L'athéisme est une opi nion fort commode pour l'ignorance politique et mo rale, et ceux qu'on a surnommés esprits forts pour avoir professé l'athéisme se sont montrés par là bien faibles de génie. Craignant d'échouer dans la recherche des vues de Dieu sur l'Ordre social , ils ont préféré nier l'existence de Dieu , et vanter comme perfection cet Ordre civilisé qu'ils abhorrent en secret , et dont l'aspect les désoriente au point de les faire douter de la Providence. PRÉLIMINAIRE. 29 Sur ce point les philosophes ne sont pas les seuls en défaut ; s'il est absurde de ne pas croire en Dieu , il n'est pas moins absurde d'y croire à demi , de penser que sa providence n'est que partielle , qu'il a négligé de pourvoir à nos besoins les plus urgents , comme celui d'un Ordre social qui fasse notre bonheur. Lors qu'on voit les prodiges de notre industrie , tels qu'un vaisseau de haut bord et tant d'autres merveilles qui sont prématurées, eu égard à notre enfance politique, peut-on penser que ce Dieu, qui nous a prodigué tant de connaissances sublimes , veuille nous refuser celle de l'Art Social , sans laquelle toutes les autres ne sont rien? Dieu ne serait-il pas blâmable et inconséquent de nous avoir initiés à tant de nobles sciences , si elles ne devaient servir qu'à produire une société dégoû→ tante de vices comme la Civilisation ? V. PRÉVENTIONS générales des Civilisés . Lorsque j'apporte l'invention qui va délivrer le genre humain du chaos civilisé , barbare et sauvage , lui assurer plus de bonheur qu'il n'en eût osé souhaiter , et lui ouvrir tout le domaine des mystères de la na ture, d'où il se croyait à jamais exclu, la multitude ne manquera pas de m'accuser de charlatanerie , et les hommes sages croiront user de modération en me traitant seulement de visionnaire. Sans m'arrêter à ces petits assauts auxquels tout 30 DISCOURS inventeur doit s'attendre , j'essaie de disposer le lec teur à l'impartialité. Pourquoi les inventeurs les plus célèbres , comme Galilée, Colomb et tant d'autres , furent-ils persécutés ou tout au moins ridiculisés avant d'être écoutés? Il en est deux causes principales : l'Infortune générale et l'Orgueil scientifique. 1º L'Infortune générale. Si une invention promet du bonheur , on craint de se livrer à l'espoir d'un bien qui paraît incertain ; on repousse une perspective qui vient réveiller des désirs mal éteints , aigrir par des promesses trop brillantes le sentiment des privations actuelles. Ainsi l'indigent qui gagne inopinément une fortune , une succession , refusera d'en croire la pre mière annonce; il rebutera le porteur de ce gracieux message et l'accusera d'insulter à sa misère . Tel est le premier obstacle que je vais éprouver en annonçant au genre humain qu'il va passer tout entier à un immense bonheur, dont il avait perdu tout es poir pendant cinq mille ans de misères sociales qu'on croyait sans remède. Je serais mieux accueilli si j'an nonçais un bien-être médiocre ; c'est ce qui me décide à atténuer beaucoup les tableaux du bonheur prochain. Lorsqu'on en connaîtra toute l'étendue , on s'étonnera que j'aie eu la patience de temporiser et différer la publication , que j'aie pu mettre tant de réserve et prendre un ton si glacial dans l'annonce d'un événe ment qui doit exciter tant d'enthousiasme. 2º L'Orgueil scientifique sera le second obstacle contre lequel j'aurai à lutter. Toute invention trop brillante est jalousée par ceux qui pouvaient la faire ; PRÉLIMINAIRE. 31 on s'indigne contre l'inconnu qui s'élève par un coup de hasard au faîte de la renommée ; on ne pardonne pas à un contemporain de pénétrer des mystères que chacun pouvait pénétrer avant lui ; on ne lui pardonne pas d'éclipser tout à coup les lumières acquises et de laisser bien loin en arrière les savants les plus illustres. Un tel succès devient un affront pour la génération existante ; on oublie les bienfaits que va donner la découverte pour ne songer qu'à la confusion dont elle couvre le siècle qui l'a manquée , et chacun avant de raisonner veut venger son amour - propre offensé. Voilà pourquoi l'on ridiculise et persécute l'auteur d'une brillante invention avant de l'avoir examinée et jugée. On ne jalousera guère un Newton , parce que ses calculs sont si transcendants que le vulgaire scienti→ fique n'y avait aucune prétention ; mais on attaque , on déchire un Christophe Colomb , parce que son idée de chercher un nouveau continent était si sim ple que chacun pouvait la concevoir comme lui. Dės lors on s'accorde à traverser l'inventeur, à empêcher l'essai de ses idées. · J'use d'un exemple pour rendre plus sensible cette malignité générale des Civilisés envers les inven teurs. Lorsqu'un pape ignorant lançait contre Colomb les foudres de l'Église et de l'opinion , ce pape n'était-il pas le plus intéressé à voir réussir le plan de Colomb? Sans doute ; car à peine l'Amérique fut-elle connue que le pontife distribuait des empires dans ce nouveau monde , et trouvait fort commode de profiter d'une 32 DISCOURS découverte dont la seule idée avait excité toute sa co lère. Le chef de l'Église, dans cette inconséquence, était le portrait de tous les hommes ; ses préjugés et sonamour- propre l'aveuglaient sur ses intérêts . S'il eût raisonné, il eût " compris " que le Saint- Siége, pou vant à cette époque distribuer la souveraineté tempo relle des terres inconnues et les soumettre à son em pire religieux, était intéressé sous tous les rapports à encourager la recherche d'un nouveau continent. Mais le pape et son conseil ne raisonnèrent point, par excès d'amour-propre. C'est une petitesse commune à tous les siècles et à tous les individus ; c'est un con tre-temps qui poursuit tout inventeur; il doit s'attendre à être persécuté en proportion de la magnificence de sa découverte , surtout s'il est un homme profondé ment obscur, et qui ne soit recommandé par aucune production antérieure aux connaissances dont le ha sard lui livre la clef. [ Si j'avais affaire à un siècle équitable, qui cherchât franchement à pénétrer les mystères de la nature , il serait aisé de lui prouver que les Newtoniens n'ont expliqué qu'à demi les lois de la branche de mouve ment qu'ils ont traitée, la sidérale. En effet , ils resteront muets si on les interroge sur le système distributif des astres ; leur plus docte con tinuateur, Laplace , ne pourra pas donner ombre de solution sur les problèmes suivants : Quelles sont les règles du placement sidéral , des rangs et postes assignés aux astres? Pourquoi Mercure est- il le premier? Pourquoi Herschel est - il si loin du soleil , plus PRÉLIMINAIRE. 33 petit que Saturne? et Jupiter ne devrait-il pas être plus près du foyer? Quelle est la cause du plus ou du moins d'excen tricité des orbites ? Quelles sont les règles d'accolade ou conjugaison? Pourquoi certains astres se conjuguent-ils en lunes et sur une pivotale, comme les satellites de Jupiter, Saturne et Herschel? Pourquoi d'autres, comme Vénus, Mars, etc. , sont ils en orbite libre? Pourquoi Herschel , seize fois plus petit que Jupiter, a- t-il huit lunes et Jupiter quatre seulement ? Ne serait ce pas au colossal Jupiter à porter le grand nombre de lunes ? Il pourrait, selon sa dimension , en régir seize fois plus qu'Herschel. Cette répartition est étrangement contraire au théorème de l'attraction en raison directe des masses. Pourquoi , en vertu de ce théorème , l'énorme Ju piter n'attire-t-il pas et ne se conjugue- t-il pas les quatre petits astres, Junon , Cérès , Pallas et Vesta, si rapprochés de lui? En se les adjoignant il n'en porterait que huit comme Herschel , seize fois plus petit ; ce far deau serait encore bien minime pour lui. Pourquoi Saturne a-t- il des anneaux lumineux et Jupiter point, quoique Saturne reçoive de ses sept lunes plus de lumière que Jupiter de ses quatre? Pourquoi la terre a-t-elle une lune et Vénus point? Pourquoi notre lune, Phæbé, n'a-t-elle pas, comme Vénus et nous, d'atmosphère? Quelle est la différence de fonctions entre les astres conjugués ou satellites , comme Phæbé, les conjuguants 2 . 34 DISCOURS oulunigères, commela Terre, Jupiter, les isolés , comme Vénus, Mars, Mercure, Vesta? Quels sont les changements qu'a subis et que subira le système distributif des planètes? Quelles sont les planètes inconnues? où sont- elles stationnées ? où faut-il les chercher? Quelle est leur dimension , leur emploi? Sur vingt pages de pareilles questions nos savants resteront muets ; ils n'ont donc aucune notion sur le distributif, ils ignorent en majeure partie les lois du mouvementsidéral, qu'ils se flattent d'avoir expliquées. Et moi , qui depuis mes découvertes de 1814 ré ponds pertinemment à toutes ces questions , n'ai-je. pas rempli la tâche que les Newtoniens ont ébauchée et non remplie? Cette pleine connaissance de la théorie sidérale ne contient encore qu'une branche des lois du Mou vement universel ; il restera à expliquer entre autres la branche du Mouvement passionnel ou social, d'où dépend l'organisation unitaire du genre humain , son avénementà la Destinée sociale, et on ne peutla décou vrir qu'en étudiant l'ensemble des lois du Mouvement, dont les Newtoniens ont saisi un lambeau très inutile au bonheur. En produisant cette théorie générale du Mouve ment, il faudrait pouvoir l'étayer d'un grand nom pour assurer l'examen et l'épreuve. Si c'était Newton, ou l'un de ses rivaux, de ses continuateurs , comme Leib nitz, Laplace , qui annonçât la Théorie de l'Attraction passionnelle, tout lui sourirait ; chacun verrait dès ce titre une extension très naturelle de ses découvertes PRÉLIMINAIRE. 35 sur l'Attraction matérielle, une conséquence de l'Unité de l'univers en vertu de laquelle tout principe d'har monie matérielle doit être applicable à lathéorie pas sionnelle ou sociale, et sur cette annonce, faite par un Newton ou autre personnage en crédit, toute la sé quelle des critiques applaudirait d'avance à l'inven teur; on chanterait sa victoire avant qu'il fût entré en lice. Mais si la découverte est l'ouvrage d'un inconnu, d'un provincial ou paria scientifique, d'un de ces in trus qui ont comme Piron le tort de n'être pas même académiciens, il doit encourir tous les anathèmes de la cabale , témoin ] l'homme que j'ai cité, Christophe Colomb. Il fut ridiculisé , honni , excommunié pen dant sept ans, pour avoir annoncé un nouveau monde continental ; ne dois-je pas m'attendre aux mêmes disgrâces en annonçant un nouveau monde social? On ne heurte pas impunément toutes les opinions ; et la philosophie qui règne sur le dix-neuvième siècle élèvera contre moi plus de préjugés que la superstition n'en éleva au quatorzième siècle contre Colomb. Ce pendant, s'il trouva dansFerdinand et Isabelle des sou verains moins prévenus et plus judicieux que tous les beaux-esprits de leur siècle , ne puis-je pas comme lui compter sur l'appui de quelque souverain plus clair voyant que ses contemporains? Et tandis que les so phistes du dix-neuvième siècle répéteront avec ceux du quatorzième QU'IL N'Y ARIEN DE NOUVEAU A DÉCOUVRIR, ne se peut-il pas qu'un potentat veuille tenter l'essai que firent les monarques de Castille ? Ils exposaient peu de chose, en hasardant un vaisseau pour courir la chance de découvrir un nouveau monde et d'en acquérir l'em 36 DISCOURS pire ; un souverain du dix-neuvième siècle pourra dire de même: « Hasardons sur une lieue carrée l'essai de <<l'Association agricole . C'est bien peu risquer pour << courir les chances de tirer le genre humain du chaos social, de monter au trône de l'Unité universelle , et « de transmettre à perpétuité le sceptre du monde à « nos descendants. » " J'ai signalé les préjugés que l'infortune générale et l'orgueil scientifique élèveront contre moi ; j'ai voulu par là prévenir le lecteur contre les sarcasmes de cette multitude qui prononce tranchément sur ce qu'elle ignore, et qui répond aux raisonnements par des jeux de mots dont la manie a gagné jusqu'au petit peuple et répandu partout l'habitude du persiflage. Lorsque les preuves de ma découverte seront produites et qu'on verras'approcher l'instant d'en recueillir le fruit ; lors qu'on verra l'Unité universelle prête à s'élever sur les ruines de la Barbarie et de la Civilisation ; les critiques passeront subitement du dédain à l'ivresse ; ils vou drontériger l'inventeur en demi-dieu , et ils s'aviliront derechef par des excès d'adulation comme ils vont s'a vilir par des railleries inconsidérées. Quant aux hommes impartiaux, qui composent le très petit nombre, j'aime leur défiance et je la pro voque , en les invitant à suspendre leur jugement jusqu'à ce que j'aie traité du mécanisme des Séries progressives. Les deux premiers Mémoires (1 ) ne tou (1) L'ouvrage que nous réimprimons était considéré par Fourier, lorsqu'il le publia, comme un premier Mémoire- Prospectus . L'intention de l'auteur était d'en donner un second du même genre, et de faire suivre ces deux premiers Mémoires- Prospectus d'une exposition régu PRÉLIMINAIRE. 37 cheront pas à cette matière; ils n'auront d'autre but que de préparer les voies, et familiariser l'esprit hu main à l'excès de bonheur qui se prépare. VI. PLAN. Dans ces deux Mémoires je disserterai sur le cane vas suivant : Qu'est-ce que les Destinées ? De quelles branches se compose leur système général ? Quels indices et quels moyens avait l'esprit humain pour parvenir à l'inven tion du système général des Destinées ? Je ne séparerai pas ces questions ; il me serait dif ficile de les traiter isolément. On trouvera dans cet écrit beaucoup de redites , et peut- être aurait- il fallu les multiplier davantage , pour soutenir l'attention dans un sujet si neuf et si opposé aux préjugés philo sophiques dont tout le monde est imbu. Je diviserai ce Prospectus en trois parties , l'Expo sition, les Descriptions et la Confirmation. 1° L'Exposition traitera de quelques branches des Destinées générales : un sujet si relevé et si vaste n'in téressera pas le grand nombre des lecteurs , mais il sera semé de détails assez curieux pour dédommager quelques aridités . Cette première partie s'adresse donc aux Curieux, aux hommes studieux qui ne crain dront pas de surmonter quelques obstacles pour péné lière et scientifique de sa découverte , développée en six petits MĆ moires d'environ 150 pages, annoncés à la fin du volume. ( Note des éditeurs. ) 38 DISCOURS trer de profonds mystères ; ils seront agréablement surpris de divers développements qu'offre cette pre mière partie sur l'origine des sociétés , leur succession future , et les révolutions matérielles ou sociales de notre globe et des autres mondes. 2º Les Descriptions feront connaître quelques par ticularités des Destinées privées ou domestiques dans l'Ordre combiné ; elles donneront quelque aperçu de ses jouissances, et sous ce rapport elles s'adressent spécialement aux Voluptueux ou Sybarites. En pre nant un avant-goût des délices de l'Ordre combiné, ils concevront jusqu'à quel point le genre humain est dupe des philosophes qui nous ont caché si longtemps les voies d'un tel bonheur , par leur obstination à cri tiquer l'Attraction passionnée , à vouloir la réprimer, l'étouffer, au lieu d'en faire une étude régulière. 3º La Confirmation . Elle se composera d'indices ti rés de la fausseté des lumières actuelles ; j'arguerai des bévues systématiques des Civilisés , et entre autres de la plus récente, celle qui régit exclusivement leur po litique ; c'est l'Esprit commercial. Je signalerai dans ses progrès l'empirisme croissant des sciences incer taines et les révolutions où nous courons de plus en plus sous leurs auspices. Cette troisième partie s'a dresse aux Critiques ; ils reconnaîtront que le corps social est plus que jamais influencé et mystifié par les philosophes, tout abattus qu'ils paraissent; que les sys tèmes mercantiles , dernière ressource de ces sophis tes, sont la plus inepte conception qui ait jamais paru, et complètent dignement la mesure des absurdités ci vilisées. PRÉLIMINAIRE. 39 Aumoyende cette distribution , je crois avoir adapté le Prospectus au goût des diverses classes de lecteurs , chacun d'entre eux pouvant être rangé dans l'une des trois catégories de Curieux, de Voluptueux ou de Critiques. J'invite les uns et les autres à se rappeler que dans un Prospectus je ne puis m'arrêter à aucune démons tration, et qu'en annonçant tant d'événements mer veilleux , tant de résultats incompréhensibles, je ne prétends pas exciter la crédulité ; j'essaie seulement d'appeler la curiosité sur les Mémoires suivants , où sera contenue la théorie démonstrative de tant de con naissances. Elles sont d'autant plus merveilleuses que chacun pourra facilement y être initié , puisqu'elles découlent d'un très simple calcul sur l'Association agri cole, formée en Séries progressives . Tel a été le modeste germe de la plus brillante des découvertes ; ainsi le plus grand fleuve n'est souvent à sa source qu'une humble fontaine, et l'avalanche qui écrase des villages n'est à sa naissance qu'un léger flocon de neige. [ Si les sciences les plus exactes, si les mathématiques sur lesquelles mille traités ont rivalisé de perfection théorique, présentent encore à tout élève des difficultés et obscurités qui l'obligent à s'aider de plusieurs lec tures et des leçons d'un maître , l'on doit s'attendre à trouver bien plus d'obstacles dans l'étude de l'Attrac tion passionnelle , science à peine dégrossie , qui n'est 40 DISCOURS PRÉLIMINAIRE . qu'à son aurore, et dont l'exposé suivant est nécessai rement frappé de trois imperfections : 1° Enoncé en Prospectus , en vagues aperçus , qui même dans le cas d'extrême clarté, ne suffiraient pas à initier les lecteurs puisque je ne fais que prélu der sur chaque sujet ; 2º Rédaction par un homme étranger à l'art d'é crire, et qui n'a point été avisé par une critique anté rieure de l'étendue des détails qu'il eût convenu de donner sur chaque branche du sujet ; 3° Restriction aux connaissances élémentaires et incomplètes que l'auteur avait pu acquérir de 1799 à 1807 et qui se sont bien accrues depuis . Contrarié par ces trois obstacles , comment aurais je pu en 1807 initier et satisfaire des lecteurs qui auront encore besoin de leçons quandj'aurai publié le Traité de 1821 ( 1 ) , et que les beaux-esprits , les pla giaires, etc. , y auront ajouté leur prose? Quant à ce Prospectus , aujourd'hui que je puis le juger après dix ans d'intervalle , je crois qu'il fau drait y ajouter , vu le progrès qu'a fait la science, un commentaire plus gros que le volume ! Patience donc jusqu'en 1821 ]. (1 ) Lorsque Fourier écrivait cette note , en 1818 , il préparait le Traité de l'Association , qui parut en 1822. (Note des éditeurs. ) PREMIÈRE PARTIE.

  • MI8IM?@IMBALMIMISIN

EXPOSITION DE QUELQUES BRANCHES DES DESTINÉES GÉNÉRALES. ARGUMENT. Prévoyant le reproche d'aridité qu'on adressera à cette première partie, j'ai averti qu'elle est de la com pétence des hommes studieux et nullement des per sonnes frivoles . Ceux qui ont entendu quelques récits des jouissances de l'Ordre combiné s'attendaient à en trouver ici le tableau, à y voir les Séries progressives mises en action , à n'y lire que des détails séduisants sur leur vie domestique , sur la piquante composition de leurs festins, sur les variétés de leurs amours, fêtes, spectacles, aventures, voyages , etc. , et sur les raffi nements voluptueux que ce nouvel ordre introduit jusque dans les travaux les plus insipides. Quelques personnes, qui ont tressailli d'impatience 42 PREMIÈRE PARTIE . à la description de ces plaisirs si inconnus en Civili sation , seraient pressées d'en avoir un tableau com plet ; mais la régularité exige qu'avant de descendre à ces menus détails , je fasse connaître d'abord les Destins généraux de la planète.

En conséquence , je vais traiter d'une période de QUATRE-VINGT MILLE ANS que comprendra la carrière végétale du globe. Je parlerai des diverses créations qui succéderont à celles dont nous voyons les produits , et dont la plus prochaine commencera dans quatre siècles. Je ferai connaître les modifications physiques que doit subir ce globe pendant les quatre-vingt mille. ans de végétation , dont septante mille verront le pôle boréal en pleine culture par l'effet d'un anneau lumineux ou couronne boréale qui naîtra après deux siècles d'Ordre combiné.

Ce sera débuter , ainsi que je l'ai dit , par offrir des ronces ; mais je donnerais trop de prise à la critique si, pour satisfaire les curieux , je procédais sans aucune méthode ; et quoique ce ne soient ici que des aperçus sans théories , au moins convient-il que ces aperçus portent sur les affaires générales du globe avant de toucher à ce qui concerne la Destinée des individus . On trouvera dans le cours de l'ouvrage et des notes subséquentes divers tableaux dont la nomenclature pourra sembler impropre et mal choisie , car je pos sède fort peu la langue française. Il faudra donc s'attacher aux idées plus qu'aux mots , sur le choix desquels j'avoue mon insuffisance. A cet égard , j'a dopterai des nomenclatures plus correctes quand elles me seront communiquées. EXPOSITION. 43 DE L'EXCEPTION. Je dois débuter par ce chapitre , pour épargner au lecteur une infinité d'objections qu'il ne manquerait pas d'élever. Les calculs sur l'Attraction et sur le Mouvement social sont tous sujets à l'exception d'un huitième ou d'un neuvième ; elle sera toujours sous- entendue , lors même que je n'en ferai pas mention. Par exemple , si je dis en thèse générale : les Civilisés sont très malheu reux , c'est dire que les sept huitièmes ou huit neu vièmes d'entre eux sont réduits à l'état d'infortune et de privation , qu'un huitième seulement échappe au malheur général , et jouit d'un sort digne d'envie ( ¹ ) . Si j'ajoute que le bonheur dont jouit le petit nom bre des Civilisés est d'autant plus fatigant pour la multitude que les favoris de la fortune sont fréquem ment les moins dignes de ses bienfaits , l'on trouvera encore que cette assertion comporte l'exception d'un huitième ou neuvième , et l'on verra une fois sur huit la fortune favoriser celui qui en est digne. Cette ombre d'équité ne sert qu'à confirmer l'injustice sys tématique de la fortune dans l'Ordre civilisé. Je conclus que l'exception d'un huitième ou d'un (1) N'est-il pas nécessaire que Dieu en élève quelques-uns à ce bien être, qu'il refuse au grand nombre, et qu'il nous montre des lueurs du bonheur dont nous sommes généralement privés ? Sans cette précaution les Civilisés ne ressentiraient pas leur malheur. L'aspect de l'opulence d'autrui est le seul stimulant qui puisse aigrir les savants, généralement pauvres, et les exciter à la recherche d'un nouvel Ordre social capable de procurer aux Civilisés le bien - être dont ils sont privés. 44 PREMIÈRE PARTIE . neuvième que l'on pourra appliquer à toutes mes as sertions ne servira qu'à les confirmer : il sera donc inutile à moi de mentionner l'exception sur chaque thèse , et inutile au lecteur d'élever cet argument qui tournerait à l'appui de ce que j'avancerai . J'aurai soin de reproduire plus d'une fois cette observation, qu'on pourrait facilement oublier. L'exception n'est pas fixée invariablement au hui tième ni au neuvième ; elle varie du plus au moins; mais celles du huitième et neuvième sont les plus fré quentes , et celles qu'on peut admettre en calcul général . NOTIONS GÉNÉRALES SUR LES DESTINÉES. (Les cinq premiers chapitres qui vont suivre doivent être lus au moins deux fois, et plutôt trois fois que deux, si l'on veut bien comprendre les chapitres suivants, ' qui n'offriront aucune difficulté quand on aura acquis l'intelligence des cinq premiers ) . I. DÉFINITION ET DIVISION. Les Destinées sont les résultats présents , passés et futurs des lois mathématiques de Dieu sur le Mouve ment universel. Le MOUVEMENT UNIVERSEL se divise en quatre bran ches principales : le social , l'animal, l'organique et le matériel. EXPOSITION. 45 1º Le Mouvement social. Sa théorie doit expliquer les lois selon lesquelles Dieu régla l'ordonnance et la succession des divers mécanismes sociaux dans tous les globes habités. 2º Le Mouvement animal. Sa théorie doit expliquer les lois selon lesquelles Dieu distribue les passions et instincts à tous les êtres de création passée ou future dans les divers globes. 3º Le Mouvement organique. Sa théorie doit expli quer les lois selon lesquelles Dieu distribue les pro priétés , formes, couleurs , saveurs , etc. , à toutes les substances créées ou à créer dans les divers globes . 4º LeMouvement matériel. Sa théorie , déjà expliquée par les géomètres modernes , a fait connaître les lois selon lesquelles Dieu régla la gravitation de la matière pour les divers globes (¹) . Il n'est aucun effet de Mouvement qui ne soit com pris dans l'une de ces quatre divisions ; leur ensemble compose le Mouvement universel, dont nous ne con naissons que la quatrième branche , celle du Mouvement matériel ; encore ne l'a-t-on expliquée que partielle ment; car les géomètres , en indiquant les lois de (1) L'Exemplaire Annoté rectifie cette division des branches du Mouvement et en indique cinq au lieu de quatre , ainsi qu'il suit : [ Mouvement Pivotal. -Le Social ou Passionnel. L'Aromal *. L'Instinctuel. L'Organique. Le Matériel. Mouvements cardinaux . (*) Le Mouvement aromal ou système de la distribution des aromes con nus ou inconnus, dirigeant les hommes et les animaux, et formant les germes des vents et épidémies, régissant les relations sensuelles des astres et fournissant des genres des espèces créées . ] (Voy. Traité de l'Association . I, avant-propos, p. xxvj . ) 46 PREMIÈRE PARTIE. l'ordre existant parmi les astres, ignorent quels chan gements les tourbillons d'astres ont pu subir il y a cent mille ans , et quels changements ils pourront subir dans cent mille ans. Enfin , ils ne savent pas déterminer les révolutions passées et à venir de l'uni vers. Ce calcul , qui sera mis à la portée de tout le monde, fait partie de la théorie du Mouvement maté riel , d'où l'on voit qu'elle n'était pas complétement inventée. II. HIERARCHIE des quatre Mouvements. Je devrais un chapitre sur cette matière ; mais comme elle serait peu à la portée du grand nombre des lecteurs , je me borne à en dire quelque chose dans la note ci- bas ( ' ) . Onpourra passer outre , car la lecturede (1 ) Les quatre Mouvements sont sujets à deux dépendances : Première. Les lois des quatre Mouvements sont coordonnées aux ma thématiques; sans cette dépendance il n'y aurait point d'harmonie dans la nature, et Dieu serait injuste. En effet : La nature est composée de trois principes éternels, incréés et indes tructibles : 1º Dieu ou l'Esprit, principe actif et moteur; 2º La Matière, principe passif et mû ; 3º La Justice ou les Mathématiques, principe régulateur du Mou vement. Pour établir l'harmonie entre les trois principes, il faut que Dieu, en mouvant et modifiant la matière, s'accorde avec les mathématiques ; sans cela il serait arbitraire à ses propres yeux comme aux nôtres, en ce qu'il ne concorderait pas avec une justice certaine et indépendante de lui. Mais si Dieu se soumet aux règles mathématiques qu'il ne peut pas changer, il trouve dans cet accord sa gloire et son intérêt : sa gloire, en ce qu'il peut démontrer aux hommes qu'il regit l'Univers EXPOSITION. 47 cette note n'est pas nécessaire pour l'intelligence de ce qui suivra, et ne peut intéresser que très peu de personnes. équitablement et non arbitrairement , qu'il meut la matière d'après des lois non sujettes au changement ; son intérêt , en ce que l'accord avec les mathématiques lui fournit le moyen d'obtenir, dans tout Mou vement, la plus grande quantité d'effets avec la moindre quantité de ressorts. On sait déjà que les deux Mouvements, matériel et organique, sont en accord avec la géométrie, que tous les corps animés ou inanimés sont construits, mus et modifiés selon ses lois. Voilà donc deux des quatre Mouvements coordonnés à la justice naturelle et indépendante de Dieu. Il restait à savoir que les deux autres Mouvements, l'animal et le so cial, qui sont des jeux de passions, suivent la même règle, et que les passions quelconques, même les plus odieuses , ne produisent chez l'homme ou l'animal que des effets géométriquement réglés par Dieu. Par exemple : Les propriétés de l'amitié sont calquées sur les propriétés du cercle; Les propriétés de l'amour sont calquées sur celles de l'ellipse; Les propriétés de la paternité sont calquées sur celles de la pa rabole; Les propriétés de l'ambition sont calquées sur celles de l'hyperbole ; Et les propriétés collectives de ces quatre passions sont calquées sur celles de la cycloïde. De sorte que chaque théorème de géométrie a servi de type à quelque passion des hommes ou des animaux ; et cette passion conserve inva riablement ses rapports avec le théorème qui régla sa création. Déjà l'on a vu dans la note A que les Séries passionnées ou Séries groupées ont pour type l'ordonnance et les propriétés des séries géométriques. Deuxième Dépendance. Le Mouvement social est type des trois au tres ; les Mouvements animal , organique et matériel, sont coordonnés au social, qui est le premier en ordre, c'est - à - dire que les propriétés d'un animal, d'un végétal, d'un minéral , et même d'un tourbillon d'as tres, représentent quelque effet des passions humaines dans l'ordre so cial, et que TOUT, depuis les atomesjusqu'aux astres, forme tableau des propriétés des passions humaines. Par exemple : Les groupes d'étoiles lactées représentent les propriétés de " l'am bition"; Les groupes de planèles sur soleils représentent les propriétés de l'amour ; Les groupes de satellites sur planètes représentent les propriétés de la paternité; 48 PREMIÈRE PARTIE. III. MOUVEMENT SOCIAL. On avu précédemment que la théorie du Mouvement social doit déterminer l'ordonnance et la succession des divers mécanismes sociaux qui peuvent s'organiser dans tous les globes , et qu'elle doit embrasser le pré sent , le passé et l'avenir. Voici pour les plaisants un beau sujet d'ironie . « Vous allez donc nous apprendre , diront-ils , ce qui « se passe dans les autres mondes , dans le Soleil , la « Lune, Jupiter, Sirius, les Lactées et tous les astres ! >> Les groupes de soleils ou étoiles fixes représentent les propriétés de " l'amitié (*) ". De sorte que nos passions, tant ravalées par les philosophes, remplis sent après Dieu le premier rôle dans le Mouvement de l'univers ; elles sont ce qu'il y a de plus noble après lui , puisqu'il a voulu que tout l'u nivers fût disposé à l'image des effets qu'elles produisent dans le Mouve mentsocial . Il suit de là que, si un globe parvient à connaître les lois du Mouve ment social, il découvre en même temps les lois des autres Mouvements, puisqu'ils sont en tout point hiéroglyphes du premier. Or, si nous ne connaissions pas encore les lois du Mouvement matériel déterminéés par les géomètres modernes, on les découvrirait aujourd'hui par analogie à celles du Mouvement social, que j'ai pénétrées et qui donnent la clef de tout le système des trois autres. Il est fâcheux pour le genre humain que les savants aient commencé leurs études par où ils devaient finir , par les lois du Mouvement matériel, qui sont les plus difficiles à déterminer, et qui n'ouvrent aucunement la voie pour s'élever à la connaissance des trois autres classes de lois. On trouvera cette note fort insuffisante ; elle n'est qu'un canevas sur lequel il ne conviendrait pas ici d'entrer dans de plus longs détails. (*) L'Exemplaire Annoté porte en marge ici : [Applications défectueuses ; il y a bien d'autres groupes sidéraux, mais en 1807 je ne connaissais pas le calcul puis sanciel des groupes ni en relations sidérales, ni în relations passionnelles. ] EXPOSITION. 49 ४.५ Oui , certes , et vous apprendrez en outre ce qui s'y est passé et ce qui s'y passera pendant les siècles ; car on ne peut pas lire partiellement dans les Destins , on ne peut pas déterminer ceux d'un monde sans posséder le calcul qui dévoile les Destinées de tous les mondes. Cette connaissance du sort des autres globes ne vous est point indifférente , comme vous le pourriez croire ; il vous sera démontré par les lois du Mouvement social que vos âmes parcourront ces globes pendant l'éternité, et que la félicité éternelle dont les religions vous donnent l'espoir dépendra du bien - être des autres globes , dans lesquels vos âmes se rejoindront encore à la matière après avoir passé quatre-vingt mille ans sur celui que nous habitons. Vous connaîtrez donc les mécanismes sociaux ré gnants dans les divers astres , les révolutions heureuses ou malheureuses auxquelles leurs habitants sont su jets. Vous apprendrez que notre petit globe est depuis cinq à six mille ans dans l'état le plus malheureux où un monde puisse se trouver. Mais le calcul qui vous révèlera le bonheur dont onjouit dans d'autres astres vous donnera en même temps les moyens d'introduire sur votre globe un bien-être fort voisin de celui des mondes les plus fortunés. Je passe au tableau des révolutions sociales que le nôtre doit parcourir. 3 50 PREMIÈRE PARTIE . IV. PHASES ET PÉRIODES DE L'ordre social dans la troisième Planète nommée la TERRE. Ici l'on va apprendre une vérité de la plus haute importance : c'est que les âges de bonheur dureront sept fois plus que les âges d'infortune , tel que celui où nous vivons depuis plusieurs mille ans. Ceci pourra sembler indifférent si l'on considère . que nous avons vécu dans les temps malheureux ; mais la théorie du Mouvement social vous démontrera que vos âmes, dans les âges futurs , participeront d'une manière quelconque au sort des vivants ; vous parta gerez donc pendant soixante et dix mille ans le bon-, heur qui se prépare pour le globe , et c'est sous ce rapport que vous devez vous intéresser au tableau des révolutions futures que le Mouvement social éprou vera sur votre planète . L'existence du genre humain doit s'étendre à quatre-vingt mille ans, terme approximatif. Ce nom bre est estimé à un huitième près, comme toutes les évaluations qui tiennent au Mouvement social . La carrière sociale, évaluée à une durée d'environ quatre-vingt mille ans, se divise en quatre phases et se subdivise en trente-deux périodes . J'en vais donner les tableaux ; il est nécessaire de les étudier afin d'en saisir l'ensemble et en garder le souvenir. EXPOSITION 51 PHASES. Ilya {Deuxphases devibration ascendante ou gradation, Deux phases de vibration descendante ou dégradation. VIBRATION ASCENDANTE. Première Phase. L'enfance ou incohérence ascendante, Deuxième Phase. L'accroissement ou combinaison ascendante , 35,000 ans. VIBRATION DESCENDANTE. Troisième Phase. Le déclin ou combinaison descendante , Quatrième Phase. La caducité ou incohérence descendante, P 5,000 ans. TOTAL. 7 16 35,000 ans. 5,000 ans. 80,000 ans. Les deux phases d'incohérence ou discorde sociale comprennent les temps malheureux. Les deux phases de combinaison ou Unité sociale comprennent les âges de bonheur, dont la durée sera sept fois plus étendue que celle des âges malheureux . On voit par ce tableau que, dans la carrière du genre humain comme dans celle des individus , les temps de souffrance sont aux deux extrémités. Nous sommes dans la première phase, dans l'âge d'incohérence ascendante qui précède l'avénement aux Destinées; aussi sommes-nous excessivement malheu 52 PREMIÈRE PARTIE. reux depuis cinq à six mille ans dont nos chroniques ont transmis l'histoire. Il n'y a guère que sept mille ans d'écoulés depuis la création des hommes, et de puis ce temps nous n'avons marché qne de tourments en tourments. On ne pourra juger de l'immensité de nos souf frances que lorsqu'on connaîtra l'excès de bonheur qui nous est réservé, et auquel nous allons passer sans délai par la découverte des lois du Mouvement. Nous allons entrer en deuxième phase, en combinaison as cendante. Les deux phases d'incohérence, quoique très courtes , contiennent chacune sept périodes sociales : en tout. Les deux phases de combinai naison, quoique très longues, ne contiennent chacune que neuf pé riodes sociales : en tout.. TOTAL. ... · 14 périodes d'incohérence. 18 périodes de combinaison. 32 périodes ou sociétés. Total , trente-deux périodes ou sociétés possibles , sans compter les mixtes . Voici un tableau de ces trente-deux périodes ; il paraîtra fatigant de se le graver dans la mémoire; mais peut-on acquérir aucune connaissance sans étude préalable, et pourquoi le calcul des Destinées n'aurait il pas ses épines comme tout autre? Il importe de relire ce tableau , afin de n'être pas obligé d'y recourir chaque fois que je parlerai des phases etpériodes diverses . Ceux qui ne voudraient pas donner un quart d'heure 1

SOCIAL. PÉRIODES. qui en donnent l'explication . ) E, ivorcol · e perfidie , contrainte , révolutions, corporelle. ANNÉES. Environ 16 5,000 DE. 80,000 ans. fixation hémisphérique sur le Cred Voy. page 52. ChRe 10c des Passions par défaut de lux. eversement général parla 18e création. CHAOS DESCENDANT.

EXPOSITION. 53 à l'étude des tables , à la comparaison des quatre phases et des trente-deux métamorphoses sociales, aux époques des dix-huit créations et de la couronne boréale, doivent fermer le livre plutôt que de continuer une lecture qui leur présenterait à chaque instant des obscurités, mais qui sera pleinement intelligible à ceux qui auront étudié ces tables du Mouvement social. Al'inspection des tables, on est d'abord frappé de la petitesse de vues des philosophes , qui nous per suadent que la Civilisation est le terme ultérieur des Destins sociaux, tandis qu'elle n'est que la cinquième des trente-deux sociétés possibles, et l'une des plus malheureuses d'entre les dix périodes infortunées , qui sont les : 2º, 3º, 4º, 5º, 6º en phase d'enfance ; 31º, 30º, 29º, 28° , 27° en phase de caducité. Je les nomme périodes d'infortune , puisqu'il n'y a de bonheur que dans celles dont le mécanisme est formé en Séries groupées et non en ménages isolés. Les périodes 1 et 32, 7 et 26, sont formées en Séries, mais d'une espèce bâtarde ; les septième et vingt sixième sont des embryons de Séries groupées , qui s'organiseraient dans le cas où le genre humain man querait le calcul de l'Association et n'en découvrirait que des germes. Ces Séries bâtardes sont déjà fort heureuses; j'en donnerai quelques notions dans la se conde partie qui traitera du ménage progressif. Le genre humain va s'élever à la huitième période sociale ( Séries combinées simples ) , qui s'établira par tout le globe, et qui durera au moins quatre cents ans 54 PREMIÈRE PARTIE. avant qu'on puisse passer à la neuvième. Celle -ci ne pourra s'organiser que par le secours des nou velles créations et de la couronne boréale dont je par lerai plus loin. Dans le cours de sa première phase le Mouvement social présente l'image d'un homme qui recule devant un fossé pour mieux s'élancer et franchir ; c'est ce que j'ai représenté sur le tableau par les mots reculement, élan et saut. C'est reculer que de tomber de la pre mière période, qui est heureuse, à la quatrième, qui est la plus malheureuse ; mais on y acquiert une force nouvelle , la grande industrie agricole et manufactu rière, qui , en s'augmentant par les périodes d'élan 5 , 6, 7, donne enfin au genre humain les moyens de franchir le pas du Chaos à l'Harmonie. Les trente-deux sociétés ne doivent pas être comp tées pour seize, quoiqu'elles renaissent en ordre in verse dans les deux dernières phases ; car dans leur renaissance elles éprouvent de grands changements : par exemple, la Civilisation , lorsqu'elle renaîtra , au déclin du monde , sera aussi calme qu'on la voit tur bulente aujourd'hui , où le genre humain a toute la fougue de la jeunesse. L'arrière- Civilisation sera tem pérée par la connaissance d'un bonheur perdu et par la douleur de ne pouvoir reformer les Séries progres sives ; leur mécanisme sera entravé, désorganisé et dis sous par la dix-huitième et dernière création , qui sera malfaisante comme celle que nous voyons aujourd'hui. La première phase ou enfance est la seule dont la durée ne soit pas fixe et dont le cours soit irrégulier ; elle aurait dû se borner à cinq mille ans , mais Dieu, EXPOSITION. 55 en nous laissant le libre arbitre, ne peut pas empê cher que certains globes ne se laissent égarer par les sciences incertaines et par les préjugés qu'elles ré pandent contre la nature et l'Attraction . Ces globes encroûtés de philosophie peuvent persister longtemps dans leur aveuglement, et se croire habiles dans l'art social quand ils ne savent produire que les révolu tions , l'indigence , la fourberie et le carnage. Tant qu'on s'obstine dans cet orgueil, tant que la raison ne s'élève pas contre les faux savants, il ne faut pas s'é tonner si le désordre se perpétue. Et peut-on voir un désordre plus affreux que celui qui règne sur ce globe? La moitié de la terre est envahie par les bêtes féroces ou sauvages, ce qui est la même chose ; quant à l'autre moitié, qui est mise en culture, on en voit les trois quarts occupés par les coupe-têtes ou Barbares , qui asservissent les cultivateurs et les femmes, et qui sont en tous sens l'opprobre de la raison. Il reste donc un huitième du globe dévolu aux fripons ou Civilisés , qui se vantent de perfectionnement , en élevant l'indi gence et la corruption au plus haut degré. Pourrait on trouver un désordre plus odieux sur aucun globe? Et quand on voit les nations accueillir cette philoso phie qui a produit un tel chaos politique, faut-il s'é tonner si le genre humain est arriéré de plusieurs mille ans dans sa carrière sociale , s'il a passé sept mille ans dans l'enfance qui en devait à peine durer cinq mille, et s'il ne s'est élevé qu'à la cinquième des sept périodes d'enfance sociale, sans parvenir seule ment à la sixième, où il aurait déjà trouvé une ombre de bien-être ? 56 PREMIÈRE PARTIE. Le Mouvement social aura une marche régulière dans les deux âges de combinaison ascendante et descen dante qui vont commencer, et qui comprendront envi ron septante mille ans . Dans le cours de ce long âge de bonheur, les seize métamorphoses sociales ou change ments de période seront déterminés par les nouvelles créations qui se succèderont régulièrement , et qui , donnant de nouveaux produits dans les trois règnes , causeront des modifications relatives dans les rap ports sociaux. Mais ces changements ne seront que des variétés de jouissances et jamais des révolutions désastreuses , excepté le passage de la 24° à la 25º pé riode , qui causera un déclin rapide et annoncera la caducité du globe. Au reste , si l'enfant de six à sept ans ne doit pas s'inquiéter des infirmités qui lui surviendront aux ap proches de la quatre-vingtième année , comme lui nous ne devons songer qu'au bonheur qui s'approche, et dont le globe n'eutjamais un aussi pressant besoin. V. NOTICE ( 1 ) sur la création subversive antérieure , affectée à l'usage de la PREMIÈRE PHASE et de la huitième Période qui ouvre la deuxième Phase. Cette création dont nous voyons les produits est la première des dix-huit ( 2 ) qui doivent s'opérer succes (1) L'Exemplaire Annoté porte en marge : [ En 1807 je ne connaissais que très imparfaitement la Théorie des Créations. Deux auront lieu au début de l'Harmonie et donneront d'immenses richesses en tout règne. ] (2) " Des vingt- six ”. EXPOSITION. 57 sivement pendant la carrière sociale du genre humain. Je ne parle ici que de la création des substances des trois règnes , et non pas de la création du globe même. La terre employa environ quatre cent cinquante ans à engendrer les productions des trois règnes sur l'an cien continent. Les créations d'Amérique n'eurent lieu que postérieurement, et s'opérèrent sur un plan différent ; dans l'un ou l'autre continent elles cau sèrent de grands bouleversements. [ Celles d'Harmo nie s'effectueront sans commotions ] . C'est pour Dieu une jouissance que de créer, et il y va de son intérêt de la prolonger. Si les temps de con ception , gestation et enfantement d'un homme, em ploient une durée de neuf mois , Dieu dut employer un espace de temps proportionnel pour créer les trois règnes: la théorie évalue ce temps à la cent quatre vingt-douzième partie de la carrière sociale , ce qui donne approximativement quatre cent cinquante ans pour la durée de la première création. Toutecréation s'opère par la conjonction d'un fluide boréal , qui est mâle, avec un fluide austral, qui est fe melle (* ) . Une planète est un être qui a deux âmes et deux sexes , et qui procrée comme l'animal ou végétal par la réunion de deux substances génératrices. Le procédé est le même dans toute la nature, à quelques variétés près , car les planètes ainsi que les végétaux réunissent les deux sexes dans un même individu . (1) [L'astre peut copuler : 1° avec lui-même de pôles nord et sud, commeles végétaux ; 2° avec un autre astre par versements tirés de pôles contrastés ; 3° avec intermédiaire : la Tubereuse est engendrée de trois aromes: Terre- Sud, Herschel-Nord et Soleil- Sud. ] 3. 58 PREMIÈRE PARTIE. Croire que la terre nefera pas de nouvelles créations et se bornera à celles que nous voyons, ce serait croire qu'une femme qui a pu faire un enfant n'en pourra pas faire un deuxième , un troisième , un dixième. La terre fera de même des créations successives; mais les seize créations harmoniques s'opèreront avec autant de facilité que les deux subversives , 15° et 18°, ont coûté et coûteront de fatigues. Sur chaque globe les première et dernière créa tions sont réglées sur un plan opposé à celui des créa tions moyennes, et donnent pour résultat une affluence de productions nuisibles avec un très petit nombre d'utiles. Le contraire a lieu dans toutes les créations moyennes ouharmoniques; elles donnent une affluence de productions brillantes et utiles , puis un très petit nombre , un huitième d'inutiles , et point de nuisibles. Aussi la première création dont nous voyons les produits a-t-elle donné une immense quantité de bêtes malfaisantes sur les terres et encore plus dans les mers. Ceux qui croient aux démons ne doivent-ils pas penser que l'enfer a présidé à cette création , quand ils voient sous la forme du tigre et du singe respirer Moloch et Bélial. Eh ! qu'est- ce que l'enfer dans sa furie pouvait inventer de pire que le serpent à sonnettes , la punaise , les légions d'insectes et rep tiles , les monstres marins , les poisons , la peste , la rage , la lèpre, la vénérienne , la goutte , et tant de venins morbifiques imaginés pour tourmenter l'homme et faire de ce globe un enfer anticipé ? J'ai indiqué dans une note précédente ( à l'article hiérarchie des quatre Mouvements ) les causes de ce ... EXPOSITION. 95 système malfaisant qui régla la première création ; j'ai dit a que les effets des trois Mouvements, animal , orga nique et matériel, doivent représenter les jeux des pas sions humaines dans l'ordre social . » Or , la première création devant former le tableau des sept périodes d'enfance humaine , à l'usage de qui elle est affectée, Dieu dans cette création a dû peindre par d'horribles productions les résultats épouvantables que devaient produire nos passions pendant ces sept périodes ; et comme il devait régner quelques vertus dans le cours des première et septième périodes , Dieu a dû les peindre par quelques productions utiles et gracieuses, qui sont en bien petite quantité dans les trois règnes de cette création vraiment démoniaque. On verra plus loin quelles espèces de produits donneront les créa tions futures sur les terres et dans les mers ; quant à présent , nous ne savons pas même faire usage du peu de bien qu'a fourni la première création , et je citerai pour preuvequatre quadrupèdes, la vigogne, le renne, le zèbre et le castor. Nous sommes privés des deux premiers par notre maladresse , notre malice et notre friponnerie ; ces obstacles s'opposent à ce qu'on élève des troupeaux de rennes et de vigognes , dans toutes les chaînes de hautes montagnes où ces ani maux pourraient s'acclimater. D'autres vices sociaux nous privent du castor non moins précieux par sa laine que la vigogne , et du zèbre, non moins précieux que le cheval par sa vélocité , sa vigueur et sa beauté. Il règne dans nos étables et dans nos coutumes so ciales une rudesse , une mésintelligence qui ne per mettent pas les entreprises nécessaires pour appri 60 PREMIÈRE PARTIE. voiser ces animaux. On verra dès la huitième période, et l'on verrait même dès la septième , les zèbres et couagas vivre dans l'état domestique , comme aujour d'hui les chevaux et les ânes ; on verra les castors construire leurs édifices et former leur république au sein des cantons les plus habités ; on verra les troupeaux de vigognes aussi communs dans les mon tagnes que les troupeaux de moutons ; et combien d'autres animaux , tels que l'autruche , le daim , la gerboise , etc. , viendront se rallier à l'homme dès qu'ils trouveront près de lui les appâts qui doivent les fixer , appâts que l'Ordre civilisé ne permet aucune ment de leur procurer. Ainsi cette création déjà bien pauvre et malfaisante est doublement pauvre pour nous qui, par mésintelligence sociale , nous privons de la majeure partie des biens que les trois règnes pourraient nous offrir. Les nouvelles créations ne peuvent pas commen cer avant que le genre humain ait organisé la hui tième période sociale ; jusque-là , tant que dureraient les sept premières sociétés on ne verrait jamais com mencer la deuxième création. Cependant la terre est violemment agitée du be soin de créer ; on s'en aperçoit à la fréquence des aurores boréales , qui sont un symptôme du rut de la planète , une effusion inutile de fluide prolifique ; il ne peut former sa conjonction avec le fluide " des autres planètes , " tant que le genre humain n'aura pas fait les travaux préparatoires; ces travaux ne sauraient être exécutés que par la huitième société qui va s'organiser. Il faudra d'abord porter le genre EXPOSITION. 61 humain au petit complet de deux milliards , ce qui exigera aumoins un siècle , parce que les femmes sont bien moins fécondes dans l'Ordre combiné que dans la Civilisation , où la vie de ménage leur fait procréer des légions d'enfants ; la misère en dévore un tiers , un autre tiers est emporté par les nombreuses maladies que l'Ordre incohérent fait naître chez les enfants . Il vaudrait bien mieux en produire moins et les conser ver; c'est ce qui est impossible aux Civilisés , aussi ne peuvent-ils pas mettre le globe en culture; et malgré leur effrayante pullulation ils ne suffisent qu'à entre tenir le terrain qu'ils occupent. Lorsque les deux milliards d'habitants auront ex ploité le globe jusqu'au soixante- cinquième degré, on verra naître la couronne boréale, dont je parlerai plus loin, et qui donnera la chaleur et la lumière aux ré gions glaciales arctiques. Ces nouvelles terres offertes à l'industrie permettront de porter le genre humain au grand complet de trois milliards. Alors les deux continents seront mis en culture , et il n'y aura plus d'obstacle aux créations harmoniques, dont la pre mière ( ¹ ) commencera environ quatre siècles après l'é tablissement de l'Ordre combiné. (1) [J'ai reconnu depuis qu'elle naîtra quatre ans après la fondation de l'Harmonie ; c'est la couronne australe qui ne naîtra que tard , et environ 432 ans apres la fondation de l'Harmonie. Je n'ai rien dit en 1808 de cette couronne australe sur la naissance de laquelle je n'avais aucune certi tude. La théorie de cosmogonie n'était que très peu avancée, et j'ai mieux aimé dire trop peu que de hasarder ce qui était encore conjec tural. ] 62 PREMIÈRE PARTIE. VI. COURONNE BORéale. (C'est ici un chapitre plus curieux que nécessaire ; on peut le franchir et pas ser aux suivants , où je traite des périodes 2, 5, 4 et 5, qui offrent des détails plus à la portée de tout le monde. ) Lorsque le genre humain aura exploité le globe jus qu'au-delà des soixante degrés nord, la température de la planète sera considérablement adoucie et régu larisée ; le rut acquerra plus d'activité ; l'aurore bo réale, devenant très fréquente, se fixera sur le pôle et s'évasera en forme d'anneau ou couronne. Le fluide qui n'est aujourd'hui que lumineux acquerra une nou velle propriété, celle de distribuer la chaleur avec la lumière. La couronne sera de telle dimension qu'elle puisse toujours être par quelque point en contact avec le soleil, dont les rayons seront nécessaires pour embra ser le pourtour de l'anneau ; elle devra lui présenter un arc , même dans les plus grandes inclinaisons de l'axe de la terre. L'influence de la couronne boréale se fera fortement sentir jusqu'au tiers de son hémisphère ; elle sera visi ble à Pétersbourg, Ochotsk, et dans toutes les régions du soixantième degré. Depuis le soixantième degré jusqu'au pôle la cha leur ira en augmentant , de sorte que le point polaire jouira à peu près dela température d'Andalousie et de Sicile. Acette époque le globe entier sera mis en culture, EXPOSITION 63 ce qui causera un adoucissement de cinq à dix degrés, et même douze, dans les latitudes encore incultes, comme la Sibérie et le haut Canada. Les climats voisins du soixantième degré s'adouci ront par double cause : par l'effet des cultures géné rales, et par l'influence de la couronne, au moyen de laquelle il ne viendra du pôle que des vents tempérés, comme ceux qui arrivent de la Barbarie sur Gênes et Marseille . Ces causes réunies établiront au soixantième degré la température dont jouissent aujourd'hui les régions du quarante-cinquième, en pleine culture , commeBordeaux, Lyon, Turin, Venise. Ainsi les villes de Stockholm, Pétersbourg , Tobolsk et Jakutsk, qui se ront sur la ligne la plus froide de la terre, jouiront d'une chaleur égale à celle de Gascogne ou de Lom bardie , sauf les modifications causées par le voisinage des montagnes et des mers. Les côtes maritimes de la Sibérie , impraticables aujourd'hui , jouiront de la douce température de Provence et de Naples. Une amélioration plus importante qu'on devra à la couronne boréale, ce sera de prévenir tous les excès atmosphériques : excès de froid ou de chaud, excès d'humidité ou de sécheresse , excès d'orage ou de calme. L'influence de la couronne, réunie à l'influence de la culture universelle, produira sur le globe une température graduée qui ne peut exister nulle part aujourd'hui. Les climats qui seront les plus glacials du globe, tels que la ligne de Pétersbourg à Ochotsk, Jouiront à cette époque d'une température plus agréa ble qu'on ne peut la trouver maintenant dans les sé jours les plus vantés, tels que Florence , Nice , Mont 64 PREMIÈRE PARTIE. pellier, Lisbonne, qui sont favorisés du ciel le plus se rein et le plus doux. J'estime que ces contrées n'ont pas plus de quatre mois de belle saison tempérée ; mais après la naissance de la couronne boréale le soixan tième degré, c'est- à-dire la ligne de Pétersbourg à Ochotsk, aura pour le moins huit mois de belle saison et double récolte assurée. Voyez pour démonstration la note (¹ ) où j'indique la cause des longs hivers, et au (1) Outre la cause naturelle des hivers, qui est l'inclinaison de l'axe, il existe trois causes accidentelles dout le concours élève l'hiver au qua druple de ce qu'il doit être , et qui cesseront dans l'Ordre combiné ; ce sont : L'état inculte du globe, et surtout des terres voisines du pôle ; La croûte glaciale du pôle, qui double l'influence des frimas pendant l'absence du soleil ; Les émanations glaciales du pôle, qui contrarient l'influence du soleil à son retour après le solstice d'hiver. A la naissance de la couronne ces trois causes de frimas seront neu tralisées. J'ai dit que les latitudes de Pétersbourg seront plus assurées de la double récolte que ne le sont aujourd'hui celles de Toscane, et que le soixantième degré jouira d'une belle saison plus constante qu'on ne peut l'avoir aujourd'hui en aucun lieu de la terre ; c'est ce que je vais èxpliquer. Dès que les régions du pôle boréal seront éclairées, échauffées par la couronne, et mises en culture, rien ne pourra balancer l'influence du soleil aux approches du printemps, époque où naît aujourd'hui un se cond hiver par l'effet des vents glacials qui se répandent alors du pôle sur tout l'hémisphère ; de là vient que les hivers, en France, se prolon gentjusqu'en mai, et absorbent la plus belle moitié du printemps, celle desjours de moyenne grandeur. Après la naissance de la couronne, lés aquilons ou vents du pôle seront tempérés, même en hiver, et adouciront le soixantième degré sur lequel ils se dirigeront ; il n'existera d'autres vents froids que ceux qui auront pris naissance aux environs du soixantième degré, lequel recevra, même en hiver, de la chaleur par double voie ; il en recevra de son nord comme de son midi. La feuillaison commencera donc à Pétersbourg dès le mois de mars, et plus tôt encore au soixante- dixième degré ; elle sera en plein développement à Paris et au Spitzberg dans le courant de février. Telle serait la marche de la nature si elle n'était gênée par l'obstacle des vents et émanations polaires qui arrêtent la germination au retour EXPOSITION. 65 tres désordres climatériques auxquels le globe est assujetti pendant la première phase du Mouvement social. du soleil , et nous donnent un second hiver, un hiver factice, après le vé ritable. Cette calamité ne fut jamais plus frappante qu'en l'année 1807. Pendant l'hiver dernier la mauvaise saison semblait finie en France au 15 février ; le soleil était déjà ardent, et l'on croyait entrer dans le prin temps lorsque les vents de nord et nord- ouest commencèrent un nouvel hiver qui se prolongea pendant deux mois et demi et se fit sentir jus qu'aux premiers jours de mai. Cet inconvénient , presque habituel, rend le climat de France insupportable. On n'y jouit d'aucune belle saison, car la température y est toujours excessive, et les transitions sont subites, excepté celle de l'automne à l'hiver ; aussi n'y a- t- il de supportable en France que les trois mois de mai, septembre et octobre. Ce qui constitue une belle saison, c'est la variété bien nuancée des températures ; une petite gelée par un temps serein nous semble aussi agréable enjanvier qu'une journée de printemps, pourvu que cette gelée ne soit pas de longue durée, qu'elle soit amenée gradativement et en temps convenable, et qu'elle ne soit pas accompagnée de frimas, temps nébuleux et vents glacés . Tels seront les hivers dans le nouvel Ordre. Alors la vigne croitra au soixantième degré, tandis que l'oranger sera cultivé aux cinquante- troisième et soixante- dixième degrés. Varsovie aura des forêts d'orangers comme en a aujourd'hui Lisbonne, et la vigne sera plus en sûreté à Pétersbourg qu'elle n'est aujourd'hui à Mayence, parce que la métamorphose des vents du pôle en zéphyrs la mettra à l'abri des surprises qui sont aujourd'hui par toute la terre une des prin cipales causes d'appauvrissement. L'influence glaciale du pôle rend nos hivers beaucoup trop rigoureux pendant le mois de janvier, qui est leur époque naturelle, et ils recom mencent à l'issue de janvier où ils devraient cesser. Il suffit de ces deux circonstances pour faire de notre hémisphère un séjour vraiment détes table jusqu'au quarantième degré en Europe, et trentième en Asie et en Amérique, oùles froids sont bien plus rigoureux ; car Philadelphie et Pé kin, qui sont sur la ligne de Naples et Lisbonne, ont des hivers plus désa gréables et plus âpres que ceux deFrancfort et Dresde, villes plus élevées de onze à douze degrés. On va présumer que, si les frimas doivent être réduits à si peu de chose dans la zone tempérée boréale, les chaleurs deviendront insup portables en s'approchant de l'équateur ; il n'en sera rien ; d'autres causes contribueront à tempérer l'équateur, et rendront les étés du Sénégal moins fatigants que ceux de France. Une température bénigne et gra duée succèdera aux ouragans et aux tempêtes qui s'étendent de l'équa 66 PREMIÈRE PARTIE . En attendant la démonstration de ce futur événe ment, observons divers indices qui l'annoncent : d'a bord, le contraste de forme entre les terres voisines du teur sur les zones tempérées, et les climats seront régénérés au centre comme à l'extrémité du globe . Je ne parlerai pas ici des causes qui cor rigeront la température équatoriale ; elles sont étrangères à la naissance de la couronne boréale. En résumé, lorsque ces divers principes d'adou cissement opéreront sur l'atmosphère du globe, le plus mauvais climat, comme Ochotsk et Jakutsk, pourra compter sur huit à neuf mois de belle saison, et sur un ciel exempt de brumes et d'ouragans, qui seront à peu près inconnus dans l'intérieur des continents et très rares au voisinage des mers. Il est entendu que ces améliorations seront modifiées par les hautes montagnes et le voisinage des mers, surtout aux trois pointes de conti nent voisines du pôle austral, qui n'aura pas de couronne et restera à jamais enseveli dans les frimas. Cela n'empêchera pas que les terres voi sines de ce pôle ne participent en divers sens à l'influence de la cou ronne qui, entre autres bienfaits, changera la saveur des mers, et dé composera ou précipitera les particules bitumineuses par l'expansion d'un acide citrique boréal. Ce fluide combiné avec le sel donnera à l'eau de mer le goût d'une sorte de limonade que nous nommons aigre "de cèdre ". Alors cette eau pourra être facilement dépouillée de ses particules salines et citriques, et ramenée à l'état d'eau douce, ce qui dis pensera d'approvisionner les navires de tonnes d'eau . Cette décomposi tion de l'eau de mer par le fluide boréal est un des préliminaires néces saires aux nouvelles créations marines ; elles donneront une foule de serviteurs amphibies pour le trait des vaisseaux et le service des pêche ries enremplacement des horribles légions de monstres marins qui seront anéanties par l'immersion du fluide boréal et la décomposition qu'il opèrera dans les mers. Un trépas subit purgera l'Océan de ces infâmes créatures, images des fureurs de nos passions qui sont représentées par les guerres acharnées de tant de monstres. On les verra frappés de mort tous à la fois, comme on verra les mœurs odieuses des Civilisés, Barbares et Sauvages, s'éclipser subitement pour faire place aux vertus qui seront honorées et triomphantes dans l'Ordre combiné parce qu'elles y devien dront la route des richesses et des voluptés. N. B. La mer Caspienne et autres bassins salés de l'intérieur, comme le grand lac Aral, les lacs Zare, Jeltonde, Mexico, et même la mer Noire, qui est presque isolée des autres mers , participeront fort peu et très lentement à l'influence du fluide boréal ; elles ne recevront rien des la mes sous-marines qui, partant du pôle, se répandront dans les Océans et les Méditerranées. Ces bassins n'aspireront que les aromes plus subtils EXPOSITION. 67 pôle austral et celles voisines du pôle boréal ; les trois continents méridionaux sont aiguisés en pointe , et de manière à éloigner les relations des latitudes po laires. On remarque une forme tout opposée dans les continents septentrionaux ; ils sont évasés en s'appro chant du pôle , ils sont groupés autour de lui , pour recueillir les rayons de l'anneau qui doit le couronner unjour ; ils versent leurs grands fleuves dans cette di rection, et comme pour attirer les relations sur la mer glaciale. Or, si Dieu n'avait pas projeté de donner la couronne fécondante au pôle boréal , il s'ensuivrait qui, émanant de la couronne même, se répandront dans l'atmosphère. De là vient que les poissons contenus dans ces réservoirs bitumineux ne seront pas détruits par le fluide boréal qui émanera de la couronne; sa petite quantité, son introduction lente et imperceptible leur permettra de s'y habituer en moins de deux ou trois générations, et d'y devenir plus vigoureux qu'ils ne sont dans les ondes bitumineuses, comme un fruit devient plus beau et plus savoureux sur le sauvageon où il est enté. En conséquence, dès que le genre humain verra s'approcher la nais sance de la couronne , il fera sur les hôtes des mers l'opération que fit Noé sur les hôtes des terres, dont il recueillit dans l'arche plusieurs cou ples de ceux qu'il voulait conserver. On transportera donc dans les bas sins salés intérieurs, comme la Caspienne et autres, une quantité suffi sante des poissons , coquillages, plantes et autres productions marines que l'on voudra perpétuer et réinstaller dans l'Océan après sa régénéra tion. Onattendra que l'Océan soit purgé etpassé aux grands remèdes par l'effort des lames du fluide boréal , qui, s'élançant du pôle avec vio lence, précipiteront les bitumes si activement que tous les poissons se ront surpris, suffoqués par cette transition subite. Il n'en restera que les races utiles, comme merlan, hareng, maquereau , sole , thon, tortue, enfin toutes celles qui n'attaquent pas le plongeur, et qu'on aura tenues à l'écart pour les replacer dans les ondes après leur purification, et les garantir contre la violente surprise du fluide boréal auquel ils se seront lentement et progressivement habitués dans les bassins intérieurs. Ces espèces, qui ne sont point malfaisantes, pourront sympathiser avec les poissons de nouvelle création, dont les sept huitièmes seront serviteurs de l'homme, ainsi que le seront les animaux terrestres des créations fu tures indiquées dans le tableau. oracle

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like the chif 68 PREMIÈRE PARTIE. que la disposition des continents qui entourent ce pôle serait un phénomène d'ineptie, et Dieu serait d'autant plus ridicule dans un tel œuvre , qu'il a agi avec une extrême sagesse sur le point opposé, sur les continents méridionaux ; car il leur a donné des dimensions par faitement convenables autour d'un pôle qui n'aura ja mais de couronne fécondante ( ¹ ) . On pourrait seulement se plaindre que Dieu ait poussé trop loin la pointe magellanique , ce qui cause une entrave momentanée ; mais son intention est que cette route soit abandonnée, et qu'on fasse aux isth mes de Suez et de Panama des canaux navigables aux grands vaisseaux. Ces travaux, et tant d'autres dont l'idée épouvante les Civilisés, ne seront que des jeux d'enfants pour les armées industrielles de la Hiérarchie sphérique. Un autre pronostic de la couronne, c'est la position défectueuse de l'axe du globe. Si l'on suppose que la couronnene doive jamais naître , l'axe devrait, pour le bien des deux continents, être renversé d'un vingt quatrième, ou sept degrés et demi , sur le méridien de Sandwich et Constantinople, de manière que cette ca pitale se trouvât au trente-troisième degré boréal ; il en résulterait que, sur la longitude 225 de l'île de Fer, le détroit du Nord et les deux pointes nord d'Asie et d'Amérique s'enfonceraient d'autant dans les glaces du pôle boréal ; ce serait sacrifier le point le plus inu tile du globe pour faire valoir tous les autres points. Jugeons- en par quelques détails relatifs aux régions polaires et tempérées . (1) [ II l'aura, mais plus tard que l'autre pôle. ] EXPOSITION. 69 Quantaux régions polaires, observons que, le détroit du Nord étant complétement inutile, à cause de la saillie du cap Szalaginskoi, peu importerait que ce dé troit s'engageât plus avant dans les glaces, puisqu'il est déjà nul pour la navigation . Mais son rapproche ment du pôle rabaisserait d'autant la région la plus intéressante de la zone glaciale ; c'est le golfe d'Ar changel, ou mer Blanche, qui deviendrait très prati cable, puisque le cap- Nord de Laponie ne se trouve rait plus qu'à soixante-quatre degrés, au niveau de Jacobstat, dernière ville de Finlande. Les relations maritimes s'étendraient facilement aux bouches de l'Obi et du Jénisea , qui s'échaufferaient de six degrés par ce redressement de l'axe, et de six autres degrés par l'effet des cultures dont la Sibérie orientale de viendrait susceptible. Alors s'établirait une commu nication par eau entre les extrémités du grand con tinent; les productions chinoises, transportées du coude du Hoang jusqu'au lac Baikal , s'y embarque raient à peu de frais pour l'Europe en descendant l'An gara et le Jénisea. Dans notre zone tempérée, des débouchés impor tants, téls que le Sund et la Manche, s'amélioreraient de même en se rapprochant de l'équateur de cinq à six degrés. Les golfes de Saint-Laurent et de Corée ne subiraient aucun déplacement sensible ; la Baltique entière gagnerait pleinement sept degrés , et Péters bourg se trouverait à la hauteur [actuelle] de Berlin. Je ne parle pas des régions équatoriales , puisqu'un déplacement de sept degrés et demi devient indiffé rent dans ces latitudes. 127 112073 143 މ ދ کردههردر ادر Post PREMIÈRE PARTIE. Vers le 45° austral, la pointe méridionale d'Améri que se rapprocherait un peu de l'équateur, et ce serait pour elle un avantage. La pointe d'Australie gagnerait encore plus dans le même sens. Quant à la pointe d'A frique, elle serait abaissée du 35º au 42º austral, et ne resterait pas moins praticable aux navigateurs, qui, dans tous les cas, l'abandonneront tôt ou tard pour le canal de Suez. 70 Qu'on essaie de tracer sur un planisphère des lati tudes coordonnées à cette hypothèse du déplacement de l'axe, et l'on verra qu'il serait à l'avantage de la terre entière , sauf quelques cantons déjà indignes d'attention, tels que le Kamstchatka. Or, Dieu aurait posé l'axe dans le sens que j'indique si nous devions être privés de la couronne boréale, au moyen de la quelle notre axe, qui est ridiculement placé aujour d'hui, se trouvera dans la position la plus convenable au bien général : indice péremptoire de la nécessité de la couronne et de sa naissance future. Cette observation sur les inconvenances de l'axe n'a point été faite, parce que l'esprit philosophique nous éloigne de toute critique raisonnée sur les œuvres de Dieu et nous jette dans les partis extrêmes , dans le doute de la Providence ou dans l'admiration aveugle et stupide , comme celle de quelques savants qui ad mirent jusqu'à l'araignée, jusqu'au crapaud et autres ordures, dans lesquelles on ne peut voir qu'un titre de honte pour le Créateur, jusqu'à ce que nous connais sions les motifs de cette malfaisance. Il en est de même de l'axe du globe, dont la position vicieuse devait nous induire à désapprouver Dieu, et deviner la naissance EXPOSITION. 71 de la couronne qui justifiera cette apparente bévue du Créateur . Mais nos exagérations philosophiques, notre manie d'athéismeoud'admiration nous ayantdétournés de tout jugement impartial sur les œuvres de Dieu, nous n'avons su ni déterminer les correctifs nécessai res à son ouvrage, ni pressentir les révolutions maté rielles et politiques par lesquelles il effectuera ces corrections . Je suis entré dans ces détails pour prouver que la distribution matérielle des continents et des terres n'est point faite au hasard ; j'en donnerai une seconde preuve dès ce Mémoire ( en traitant des Archipels à monopole commercial) . Le hasard va bientôt perdre cette haute puissance que lui attribue la philosophie aux dépens de la Providence ; on reconnaîtra que Dieu a restreint le hasard dans les plus étroites limi tes ; et quant aux formes des continents dont il est ici question, loin qu'elles soient l'effet du hasard, Dieu en a calculé les convenances jusqu'au point de prépa rer l'emplacement spécial pour une capitale de l'Unité universelle. Déjà chacun est frappé des dispositions uniques et merveilleuses qu'il a faites pour l'utilité et l'agrément de Constantinople. Chacun y devine l'in tention de Dieu, et chacun dit : « C'est ici que doit être << la Capitale du monde. » Elle y sera nécessairement placée, et c'est à son antipode que sera fixé le premier méridien de l'Unité universelle . J'ajouterai, au sujet de la couronne boréale, que la prédiction de ce météore ne semblera point extraor dinaire si l'on considère les anneaux de Saturne. Pourquoi Dieu ne nous accorderait-il pas ce qu'il ac 72 PREMIÈRE PARTIE. corde à d'autres globes? L'existence de l'anneau po laire est-elle plus incompréhensible que celle des cein tures équatoriales dont Saturne est entouré ? L'aspect de ces deux anneaux lumineux aurait dû dissiper plus tôtnos préventions au sujet du soleil , qu'on a regardé si ridiculement comme un monde enflammé. Herschel est le seul qui l'ait bien défini : « Un grand « et magnifique monde baignant dans un océan de lu << mière. » La chose était évidente du moment où l'on aperçut les deux anneaux de Saturne. Si Dieu peut donner à un globe des enveloppes circulaires, il peut en donner de sphériques, il peut donner aussi des an neaux polaires et même des calottes polaires ; il reste à connaître les théories qui règlent cette distribution et qui admettront notre globe à partager une faveur dont Saturne a seul joui jusqu'à présent. D'autres pla nètes pourront l'obtenir encore; il est des tourbillons où elles ont toutes quelque ornement lumineux pour échauffer un ou deux pôles ; si le nôtre en est générale ment privé, c'est qu'il est un des plus pauvres du fir mament, et je démontrerai que nos " 32 " planètes, [ le soleil et la lune non compris ] , ne sont qu'un reste de tourbillon, qu'une petite cohorte mal organisée, comme sont les échappés d'un régiment détruit dans une bataille. D'autres tourbillons ont de quatre à cinq cents planètes rangées en séries de groupes; c'est- à dire, qu'on y voit des satellites de satellites , et tous pourvus de ceintures, couronnes, calottes polaires et autres ornements. Si cette faveur est réservée à notre globe, c'est " un attribut inhérent à son rang de basse cardinale du clavier majeur ". EXPOSITION. 73 Divers accidents peuvent troubler la succession assignée aux trente-deux Périodes sociales : telle serait l'entrée d'une nouvelle planète dans le tourbillon , et cette introduction paraît probable à cause de l'extrême distance qui règne entre le soleil et les grosses pla nètes. Ces astres peu nombreux et décrivant des orbites trop séparées, forment une ligne peu serrée et qui est dans le cas d'être forcée par quelque comète ; l'événe ment peut s'opérer de diverses manières; j'en cite une dans la note ci- bas(¹ ) . Il est démontré parla contiguité (1) Je suppose qu'une grosse comète, égale à Jupiter, se trouve à son point de fécondation, au degré convenable pour devenir planète ; elle chercherait àentrer en ligne et à se fixer dans un tourbillon. Si elle arri vait sur notre Soleil parallèlement au plan des orbites planétaires, elle pourrait, au retour, se loger entre le Soleil et Jupiter ; au lieu de pour suivre sa marche parabolique, elle décrirait une spirale pour sonder le terrain et chercher un point d'équilibre entre Jupiter et le Soleil. Dans le cours sa spirale elle approcherait successivement toutes les pe tites planètes isolées, et les entraînerait en qualité de Lunes. La Terre et Vénus, qui sont les plus grosses, sont encore beaucoup trop faibles pour opposer quelquerésistance à un gros monde attrayant qui les approche rait ; or la comète serait attrayante du moment où elle se fixerait sur notre Soleil. Dès lors notre petit globe serait entraîné et deviendrait une Lune de cet intrus qui serait bientôt la planète la plus riche et la plus féconde de tout le tourbillon, à cause de sa proximité du Soleil et de la multi tude de ses Lunes. L'intrus s'adjoindrait Vénus, Mars, la Terre et tous les globules qui sont entre le Soleil et Jupiter ; il s'en composerait une brillante suite de sept ou huit satellites, et produirait comme Saturne le double anneau équatorial ou la double couronne sur deux pôles , ces doubles parures étant affectées à toutes les planètes septilunaires lors que leurs habitants ont formé l'Ordre combiné. ( Saturne n'a pas tou jours eu ses deux anneaux , et il les perdra sur la fin de sa carrière , lorsque son mécanisme social retombera à l'Ordre incohérent. ) Cette introduction de comète qui est assez probable serait pour (*) [ J'ignorais alors qu'une comète ne peut pas entrer en plan tant que le So - leil, vicié et incomplet dans son quadrille d'arômes cardinaux, n'aura pas ré tabli l'intégrité qui lui est nécessaire pour fixer les comètes. ] 74 PREMIÈRE PARTIE. et l'engrenage de Cérès , Pallas et Junon , que les or bites pourraient être beaucoup plus rapprochées sans qu'il en résultât d'agglomération , et pour la prévenir notre globe une révolution excessivement heureuse ; car elle produirait sans délai une nouvelle création très fructueuse qui forcerait la nais sance des Séries progressives et la chute de l'état civilisé et barbare. La métamorphose de notre globe en monde lunaire ne causerait aucun mal au genre humain; le changement dans l'ordre des jours et des sai soins pourrait détruire quelques espèces d'animaux et végétaux , mais non pas les plus utiles, comme le cheval, le mouton, etc., qui resteraient pour augmenter les richesses que nous donnerait subitement la nouvelle création. La nouvelle planète deviendrait pour nous un VICE-SOLEIL qui nous distribuerait une immense lumière ; nous aurions en outre la lumière accidentelle de ses satellites, qui, gravitant dans des orbites voisines, pourraient nous fournir jusqu'à six Lunes à la fois quand ils se trouve raient rassemblés dans le demi - cercle de notre orbite. De là on peut conclure que ces grosses comètes, qui épouvantent le genre humain, sont un sujet d'espoir et non de terreur, puisque leur installation dans le tourbillon deviendrait le gage de notre bonheur. Cette révolution serait une des plus petites qu'on puisse prévoir. Il peut arriver qu'au lieu d'une comète il en survienne une masse de trois à quatre cents qui se fixeraient tout à coup sur notre Soleil pour son avantage et le nôtre. L'événement est d'autant plus probable que notre tourbillon n'est, je le répète, qu'un débris astronomique à recompléter. Leterme moyen des tourbillons est de quatre cents [ quatre] planètes au tour d'un Soleil ; le nôtre, qui n'en a qu'une trentaine, ne ressemble-t- il pas à ces légions dont il ne reste que l'ombre, qu'un faible peloton, pour servir de noyau et de ralliement à une masse de nouvelles levées qu'on leur enverra ? Parmi les révolutions célestes qui peuvent affecter notre système planétaire, une des plus curieuses serait la dislocation de la Voie Lactée et l'acheminement d'une de ses colonnes sur notre tourbillon. En pareil cas nous aurions le charme de voir défiler pendant quelques milliers d'années des légions éclatantes, et composées d'hyperlunes ou étoiles de lueur moyenne, comme la Lune. Leur passage échaufferait les deux pôles de toutes nos planètes et les rendrait cultivables, ce qui forcerait en core une nouvelle création très magnifique et d'un prix inestimable pour nous *. (*) [ Erreur ; ce passage ne produirait pas de nouvelles créations ; leur cause EXPOSITION. 75 j'estime qu'il suffirait entre Jupiter et Saturne d'une distance de trente millions de lieues, et de même entre Saturne et Uranus. L'énorme distance de cent trente et deux cent soixante millions de lieues , qui règne entre eux, provient de la rareté de planètes , qui, par l'effet de leur petit nombre , sont forcées d'occuper non-seulement le même espace , mais un espace bien tient aux relations internes du tourbillon. ] Un des Exemplaires annotés contient en outre sur cette note les observations et rectifications suivantes : [ Ces conjectures sont la portion inexacte de l'ouvrage ; il ne reste mainte nant sur ces matières aucune incertitude ; mais en 1807, je n'avais pas de règle fixe en pareils calculs, et je tombais dans l'arbitraire. Ces conjectures sont rectifiées depuis 1814. Il ne peut entrer dans notre tourbillon une nouvelle planète lunigère que dans le cas où l'une des quatre lunigères en sortirait par décès ou nouvel em ploi ; alors la planète introduite ne s'adjoindrait que les cinq lunes du Clavier hypo-majeur, Mercure, Junon, Cérès, Pallas et Vesta, lesquelles, avec les sept de Saturne, forment le complet de l'Octave majeure. Ces cinq lunes viendront nous rejoindre et s'échelonner sur notre globe dès la quatrième année d'Harmonie. Phœbé, astre mort et faisant fonction d'appui aromal provisoire, sera déplanée , désaréée ( ex ereâ ejecta) et ira se dis soudre en Voie Lactée. - Venus et Mars sont des neutres qui ne peuvent pas, non plus que la terre, se conjuguer en satellites sur une cardinale. Des calculs postérieurs, appuyés de preuves diverses, dénotent qu'une co lonne de cent trois planètes est en marche pour se réunir à notre tourbillon , l'élever de troisième puissance en quatrième, opérer sa concentration et par suite celle de notre univers, qui, vu son extréme jeunesse, avait dû différer jusqu'à présent cette opération ; mais la dissolution rapide de la Voie Lactée, observée tout récemment par M. Herschel, ne laisse aucun doute sur la proximité de cet événement. Le secours est demandé depuis 1,800 ans, époque où le soleil péri clita grièvement. On peut assurer que la colonne de secours a déjà franchi plus des 3/4 du désert intérieur ; on verra au Traité pourquoi elle n'est pas visible pour nous. Elle est conduite par deux prosolaires à réflecteur mat ; elle amène trois rein plaçants d'Uranus, Jupiter et Saturne. Ce dernier, à l'arrivée de la colonne, sera promu en grade et exalté au prosolariat de notre tourbillon , lequel pren dra le troisième rang parmi les quatre. Jupiter obtiendra le même avancement, mais pour passer à la régie du deuxième tourbillon, qui ne sera pas le nôtre. Les prosolaires pavoisent de cristallin nuancé visible en plein jour ; en cas de voyage , elles pavoisent en mat. Herschel sera promu au grade de nébuleuse, régissant une octave simple et le corps de réserve ; cela sera démoutré au Traité. 1 " 76 PREMIÈRE PARTIE. .. plus étendu que ne l'occuperait un tourbillon complet de quatre à cinq cents planètes . [ Le nôtre effectuera sa concentration dès que notre globe sera harmonisé et réemparé de son clavier lunaire. ] VII. PREMIÈRE PÉRIODE de Subversion Ascendante, ( Les Séries confuses. ) Souvenirs qu'elle a laissés par la fable du Paradis terrestre . Dieu créa seize espèces d'hommes , savoir : neuf sur l'ancien continent , et sept en Amérique. Les détails sur leur diversité sont peu importants. Voyez la note( ¹ ) ci-bas. Les trois espèces à figure droite, convexe et concave, (1) Parmi les seize races primitives il faut distinguer d'abord quatre races hétérogènes : 1. Les Nains boréals, tels que Lapons et Samoïèdes ; 2. Les Géants australs, comme Patagons, etc .; 3. Les Albinos natifs, comme Bédas de Ceylan et Dariens d'Amé rique. 4. Les Nègres natifs, qui sont ceux de Guinée, à figure écrasée. Il exista des Albinos et des Nègres de création , quoique l'espèce humaine ait la faculté d'en produire elle - même. Parmi ces quatre races hétéro gènes, les Albinos furent la seule commune aux deux continents. Ces quatre races sont fort différentes du grand nombre ; les douze au tres se rapprochent, à peu de chose près, d'un type commun; on peut les nommer races homogènes. La détermination régulière de leurs différences originaires est un cal cul de Mouvement organique dont je ne traiterai pas ici ; je veux seule - ment reprocher la timidité qu'on a portée dans ce débat. On voit encore les savants discuter comment l'Amérique a pu se peupler ; il semble que Dieu n'ait pas eu le pouvoir de créer en Amérique comme en Eu EXPOSITION. 77 avaient été placées sous la zone tempérée boréale, par les 30 à 35 degrés (je ne parle que de l'ancien conti nent ) . Ce fut dans ces latitudes qu'on put organiser la société primitive , les Séries confuses . Cet Ordre social ne put durer qu'environ trois siècles ; j'ai prévenu le lecteur que je n'en donnerais connaissance qu'en par lant de la huitième Période , où s'organise un genre de Séries bien plus intéressant que les primitives dont il est ici question. rope, et parce qu'on trouve des disparates, comme celle des Eskimaux très barbus avec d'autres naturels qui sont imberbes, on en conclut que les Eskimaux sont venus de l'ancien continent dont ils sont voisins. C'est une erreur ; les Eskimaux sont d'origine primitive comme beaucoup d'autres, et il n'y aaucun effet de hasard dans ces différences de peuples. Les douzes races homogènes furent réparties en deux lots, sept sur l'ancien continent, et cinq en Amérique ; et si parmi ces dernières on voit les unes privées de barbe, tandis que leurs voisins en sont cou verts, il n'y a là rien d'étonnant ; les seize races durent offrir des diffé rences que la Théorie du Mouvement indiquera, et qu'on retrouveencore très distinctes par toute la terre. Malgré les invasions, malgré les enlèvements de femmes et d'escla ves, et les mélanges qui en sont résultés, les formes des figures se sont conservées, et rien n'a pu détruire les types originaires ; la mode même n'a presque aucune influence pour opérer ces changements, et nos phy sionomies sont encore semblables à celles des nations aïeules dont les portraits nous sont transmis depuis trois mille ans. Il ne faut donc pas at tribuerau hasard ni aux révolutions ces différences de races, et l'on doit y voir, comme dans toutes les variétés de la création , l'effet d'une Théorie distributive dont nous n'avions pas encore acquis l'intelligence. Nous la trouverons dans les lois du Mouvement organique. J'en demande pardon aux fabulistes qui font sortir le genre humain d'une même souche ; il faut être bien ennemi de l'évidence pour croire que les figures convexes du Sénégal et les concaves de la Chine, que les Kalmoucks , les Européens , les Patagons et les Lapons, soient des rejetons d'un même arbre. Dieu établit dans tous les genres de ses pro ductions des nuances distinguées en Série ascendante et descendante, et pourquoi se serait-il écarté, en créant l'espèce humaine, d'un ordre qu'il suit dans toutes les œuvres créées, depuis les astres jusqu'aux insectes ? 78 PREMIÈRE PARTIE. Ces premiers hommes sortirent heureux des mains de Dieu , puisqu'ils purent organiser une société à Séries, et toutes les sociétés de ce genre sont plus ou moins heureuses en ce qu'elles permettent le dévelop pement des passions. La plupart des bêtes féroces et des reptiles avaient été créées vers l'équateur ; d'autres , comme les loups , dansdes latitudes " supérieures" , et, avant de s'être ré pandus vers les 30 à 35 degrés , ces bêtes ne fatiguaient point les races d'hommes qui y étaient placées ; c'é taient les races à figure droite, convexe et concave (¹ ) ; elles trouvaient en abondance les meilleurs animaux et végétaux de la création ; elles en avaient même qui nous sont inconnus , tels que le mammouth , dont on retrouve les ossements , et qui, dépourvu de toute arme défensive , dut périr avec la société pri mitive , à laquelle il rendait les plus grands services . Ces trois (2) races, dans leur origine, n'avaient au cune organisation sociale ; ce ne fut pas l'instinct seul qui leur suggéra de se former en Séries ; elles y furent excitées par cinq (3) circonstances qui n'existent plus parmi nous : 1º L'absence de préjugés, et par conséquent la liberté amoureuse qui est inadmissible dans les sociétés d'or (1 et 2) Ces mots : les races à figure droite, convexe et concave, et le mot trois, sont effacés dans un des Exemplaires annotés. (3) Un des Exemplaires annotés indique abréviativement trois autres circonstances : [ 6 Absence de rival(ités) nation (ales) antér(ieures) ; 7 Ignor(ance) de fam(ille); 8 Unité amour(euse); ] (8 est réuni à 1º par un signe de renvoi.) EXPOSITION. 79 dre incohérent , où l'on s'organise en familles ou ménages isolés. 2º La rareté numérique des habitants. De là résultait une surabondance de troupeaux , fruits , poissons , gibier, etc. Dieu avait placé les groupes des premiers hommes à de grandes distances les uns des autres ; il fallait bien dutemps avant qu'ils devinssent nombreux au point de distinguer leurs terres. 3º L'absence des signes représentatifs de la richesse. On n'avait aucune habileté dans les arts mécaniques , et l'on manquait des objets précieux qui ont unevaleur fixe , comme les armes et ornements des sauvages ; on avait au contraire des subsistances et richesses péris sables en grande abondance , et la difficulté de les accumuler suggérait l'idée des compensations antici pées qui favorisaient " les relations " des Séries. 4º L'absence des bêtes féroces. Leur éloignement con tribuait à entretenir dans les mœurs la plus grande douceur , à prévenir les inventions meurtrières et l'esprit belliqueux , à conserver les animaux perdus depuis, comme le mammouth. 5º La beauté des êtres dans leur origine. C'est une grande erreur de croire que les animaux et les plantes, à l'époque de la création, aient été tels que nous les voyons dans l'état sauvage. L'aurochs et le moufflon ne sont point les souches, mais les dégénérations du bœuf et du mouton. Les troupeaux créés par Dieu étaient supérieurs. aux plus beaux boeufs de Suisse , aux plus beaux moutons d'Espagne ; il en était de même des fleurs et des fruits. « Tout était bien sortant « des mains de l'Auteur des choses , » dit J.-J. Rous 80 PREMIÈRE PARTIE. seau. C'est une vérité qu'il a hasardée sans démonstra tion , et qu'il affaiblit dès la ligne suivante en ajou tant : «Tout dégénéra entre les mains de l'homme. >> Ce ne fut pas l'homme qui dégrada les animaux et vé gétaux au point où nous les voyons dans l'état sauvage et domestique ; ce fut l'incohérence qui, en désorga nisant l'Ordre des Séries, dégrada les productions, et même l'homme , dont la taille ( ¹ ) originaire était 74 p. 2 tiers, ou 6 pieds 2 pouces 2 tiers de Paris, pour la race à figure droite. Alors cette race atteignait facile ment à l'âge de cent vingt-huit ans (huit fois seize). Toutes les productions jouissaient de la même vigueur, et les roses de la création étaient plus belles que celles de nos parterres . Cette perfection générale se maintint pendant toute la durée de la première Période sociale, qui s'organisa par le concours des cinq circonstances que je viens de citer. La paix y régna, non pas à cause du bien-être gé néral , mais à cause d'une propriété inhérente aux Séries ; c'est de développer et engrener méthodique ment les passions, qui, hors des Séries progressives , s'entrechoquent et produisent la guerre et les dis cordes de toute espèce. Il faut se garder de croire qu'il ait régné aucune égalité, aucune communauté dans cet Ordre primitif. J'ai dit que toutes ces chimères philosophiques sont incompatibles avec les Séries progressives , qui exi gent au contraire une gradation d'inégalités. Cette (1). En marge d'un des Exemplaires annotés il y a ccci : [ Harm. 84.] Ce qui signifie que la taille harmonique ordinaire doit être de 84 pouces. EXPOSITION. 81 gradation put s'établir dans l'origine, malgré qu'on n'eût pas l'usage de l'écriture pour constater et dé mêler les intérêts de chaque sociétaire . J'expliquerai par quelle méthode on parvint à classer et satisfaire les prétentions diverses. Les passions étaient alors plus violentes qu'elles ne sont aujourd'hui. Les hommes n'avaient rien de cette simplicité pastorale qui n'exista jamais que dans les écrits des poëtes. Ils étaient fiers , sensuels , es claves de leurs fantaisies ; les femmes et les enfants en agissaient de même. Ces prétendus vices étaient les gages de la concorde , et redeviendront encore gages de la concorde sociale aussitôt que les Séries seront reformées. VIII. [ DÉSORGANISATION des Séries. ] Elles durent se désorganiser par des incidents con traires aux cinq circonstances génératrices que j'ai assignées . Bientôt l'excessive multiplication des peu plades produisit la pauvreté ; en même temps les pro grès des bêtes féroces qui arrivaient de l'équateur , [ ou du nord, ] excitèrent les inventions meurtrières, et le goût du pillage se répandit d'autant plus facile ment que l'enfance et la difficulté de l'agriculture ne permettaient pas d'entretenir la surabondance de vi vres qui est nécessaire au mécanisme des Séries. De là naquirent la division par ménages incohérents , le mariage, puis le passage à l'Ordre sauvage, patriarcal et barbare. 4. 82 PREMIÈRE PARTIE. Pendant la durée des Séries primitives , le genre humain jouissait d'un sort si heureux , en comparai son dusort desSauvages et Patriarcaux, que les peuples durent tomber dans le désespoir lorsqu'on vit se dés organiser les Séries. Les enfants furent les derniers appuis de cet Ordre ; les enfants couvraient la retraite politique et se maintinrent longtemps encore en har monie lorsque les pères étaient déjà tombés en dis corde et prêts à adopter le ménage isolé et le mariage exclusif, dont la pauvreté croissante avait suggéré l'i dée. Plus l'indigence augmentait, plus les chefs des peuplades étaient intéressés à établir le mariage, qui dut enfin prévaloir. Avant d'en venir à cette extrémité, on dut essayer, pour soutenir l'Ordre primitif, diverses mesures qui furent plus ou moins impuissantes, et lorsqu'on eut re connu définitivement l'impossibilité de rétablir ce bel Ordre social , les chefs des peuplades, s'apercevant que les regrets du bonheur passé jetaient les nations dans l'apathie et le dégoût du travail , s'efforcèrent d'affaiblir les souvenirs de ce bien qui ne pouvait plus renaître, et dont les récits ne servaient qu'à troubler l'Ordre social qui avait succédé au primitif. En conséquence, tous les chefs s'accordèrent à dé naturer la tradition ; on ne put pas la faire perdre tant qu'il exista des témoins oculaires , mais on réussit très facilement à abuser les générations suivantes qui n'a vaient pas vu l'Ordre des Séries industrielles. On ré pandit à dessein des relations contradictoires pour exciter le doute ; de là vinrent les fables plus ou moins absurdes qu'on a trouvées accréditées dans tout l'Orient EXPOSITION. 83 sur un PARADIS TERRESTRE d'où l'homme fut chassé. De là vinrent tant d'autres contes imaginés pour falsifier la vraie tradition que les chefs des peuplades étaient intéressés à déguiser. Tous ces contes, qui font la base des religions anciennes, sont le squelette d'une grande vérité : c'est qu'il a existé avant les sociétés ac tuelles un Ordre de choses plus fortuné et dont le sou venir s'est confusément transmis chez les peuples orien taux qui en avaient joui. Parmi les charlataneries qui dénaturèrent cette vé rité, il faut distinguer l'habitude des confidences mysté ieuses, des initiations usitées parmi les anciens prêtres d'Orient. Il est presque indubitable que leurs mystères ne furent dans l'origine que les traditions de l'Ordre primitif. Mais comme l'infortune croissante exigeait des précautions redoublées pour dérober aux nations ce désolant secret, on dut le restreindre à un très petit nombre d'initiés et inventer de faux mystères pour donner le change aux curieux subalternes qu'on agré geait au sacerdoce. A force de concentrer cette tra dition , elle dut se limiter à un si petit nombre d'a deptes, que les véritables possesseurs du secret purent être détruits par une guerre ou un autre événement ; la masse des prêtres ne continua pas moins ses initia tions mystérieuses, qui n'avaient plus aucun aliment et qui n'étaient qu'une jonglerie pour soutenir le relief "de la corporation. Il est à présumer que les prêtres d'Isis et de Brama étaient déjà réduits à cette ignorance , et n'avaient plus aucune notion de l'Ordre primitif; dans tous les cas, ces notions durent être dénaturéesbien prompte "" PREMIÈRE PARTIE. 84 ment, dans des temps grossiers où l'écriture n'était pas inventée et où chaque narrateur ne manquait pas d'ajouter du sien aux récits qu'on lui avait transmis. Les Orientaux ne sont pas moins conteurs que les habitants des bords de la Garonne , et j'estime qu'au bout de trois " cents ans ", la tradition dont il s'agit dut être tellement défigurée par des fables accessoires qu'elle devenait inconcevable même aux vrais initiés . Il n'en resta que la vérité fondamentale , un bonheur passé et perdu sans retour. De là les prêtres arguèrent d'une prétendue colère de Dieu, d'un bannissement du séjour fortuné, et autres contes propres à intimider et diriger la multitude selon les vues du corps sacer dotal. Je crois avoir suffisamment assigné les causes pour lesquelles nous sommes restés dans une complète ignorance au sujet des usages de la société primitive. Cette ignorance va cesser ; la Théorie du Mouvement social éclaircira toute obscurité à ce sujet ; elle indi quera dans le plus grand détail quel était le mécanisme de cette première société , à laquelle succédèrent la Sauvagerie , le Patriarcat et la Barbarie. IX. DES CINQ PÉRIODES organisées en familles, incohérentes, Deuxième, Troisième, Quatrième, Cinquième, Sixième. Je traiterai de ces cinq Périodes sociales dans un même chapitre; il serait trop long de donner sur cha cune des détails spéciaux ; ce serait sortir du cadre EXPOSITION. 85 de cet Aperçu, qui n'est pas même un Abrégé régulier. Passons sur la deuxième ou Sauvagerie , qui est peu intéressante pour nous ; je viens au Patriarcat ou troi sième. C'est unesociété à peu près inconnue; cet Ordre, qu'on a cru primitif, ne régna chez aucun peuple dans les premiers âges. Les humains de toutes les races furent exempts de préjugés à l'époque de leur créa tion , et ne songèrent nullement à déclarer crime la liberté amoureuse ; leur vigueur et leur longévité les portaient aux opinions contraires , aux orgies, aux in cestes et aux coutumes les plus lubriques. Lorsque les hommes avaient en terme commun cent vingt-huit ans d'existence , et par conséquent cent années pleines à donner à l'amour, comment aurait-on pu leur persua der, comme aux benoits Civilisés, qu'ils devaient pas ser les cent années d'amour avec la même femme, sans en aimer d'autre? Il fallait bien du temps pour faire naître les circon stances, qui obligèrent à restreindre la liberté amou reuse ; il fallait que la race eût perdu une grande partie de sa vigueur primitive pour accéder à des règlements si contraires à l'intérêt des gens robustes. Mais comme la vigueur déchoit à vue -d'œil , aussitôt que les Séries se désorganisent, leur déclin ouvrit l'ac cès aux règlements coercitifs de l'amour et aux so ciétés sauvage, patriarcale , etc. Il règne au sujet du Patriarcat autant d'ignorance que sur la société primitive. Abraham et Jacob , tels qu'on nous les dépeint, n'étaient point des " hommes vertueux " ; c'étaient des " tyranneaux " bien pétris de méchanceté et d'injustice , ayant des sérails et des 86 PREMIÈRE PARTIE. esclaves , selon l'usage barbare. C'étaient des pachas ou tyrans d'une lieue carrée , se livrant à tous les dé portements. Quoi de plus vicieux et de plus injuste qu'un Abraham qui renvoie Agar et son fils Ismaël dans le désert pour y mourir de faim , sans autre sujet sinon qu'ila assez joui de cette femme, et qu'il n'en veut plus? Voilà sur quel motifil envoie la femme et le jeune enfant à la mort. Voilà les vertus patriarcales dans tout leur éclat, et vous ne trouverez dans toute la conduite des Patriarches que des actions également odieuses. Cependant la philosophie veut nous ramener aux mœurs patriarcales. Le philosophe Raynal, dans son histoire des deux Indes , débute par un éloge pom peux des Chinois , et les représente comme la plus parfaite des nations parce qu'ils ont conservé les mœurs patriarcales. Analysons leur perfection : la Chine, dont on vante les belles cultures , est si pauvre qu'on y voit le peuple manger à poignée la vermine dont ses habits sont remplis. La Chine est le seul pays où la fourberie soit légalisée et honorée; tout marchand y jouit du droit de vendre à faux poids et d'exercer d'autres friponneries qui sont punies même chez les Barbares. Le Chinois s'honore de cette cor ruption; et quand il a trompé quelqu'un , il appelle ses voisins pour recevoir leurs éloges et rire avec eux de celui qu'il a dupé [ sans que la loi admette aucune réclamation ] . Cette nation est la plus pro cessive qu'il y ait au monde; nulle part on ne plaide avec autant d'acharnement qu'en Chine. La bassesse y est si grande , les idées d'honneur si inconnues, que le bourreau est un des intimes , un des grands officiers EXPOSITION. 87 • du souverain , qui fait administrer sous ses yeux des coups de gaule à ses courtisans . Le Chinois est le seul peuple qui méprise publiquement ses Dieux , et qui traîne ses idoles dans la boue quand il n'en obtient pas ce qu'il désire . C'est la nation qui a poussé l'in fanticide au plus haut degré; on sait que les Chinois pauvres exposent leurs enfants sur des fumiers , où ils sont dévorés tout vivants par les pourceaux; ou bien ils les font flotter au courant de l'eau , attachés à une courge vide. Les Chinois sont la nation la plus jalouse , la plus persécutrice envers les femmes , à qui l'on serre les pieds dès l'enfance afin qu'elles de viennent incapables de marcher. Quant aux enfants, le père a le droit de les jouer aux dés et les vendre comme esclaves. Enfin les Chinois sont le plus lâche peuple qu'il y ait sur la terre, et, pour ne pas les épou vanter, l'on est dans l'usage de relever les fusils de rempart, lors même qu'ils ne sont pas chargés: Avec de telles mœurs dontje ne donne qu'une esquisse bien imparfaite , le Chinois se moque des Civilisés , parce qu'ils sont moins fourbes . Il dit que les Européens sont tous aveugles en affaires de commerce , que les Hollandais seuls ont un œil , mais que les Chinois en ont deux. ( La distinction est flatteuse pour les Hol landais [ et pour l'esprit de commerce. ] ) Voilà les "Patriarcaux" que prône la philosophie et que Raynal nous donne pour modèles ; et certes Raynal savait mieux que personne que la Chine est un réceptacle de tous les vices sociaux , qu'elle est l'égout moral et politique du globe ; mais il a vanté ses mœurs parce qu'elles se rattachent à l'esprit des philosophes, 88 PREMIÈRE PARTIE. à leurs sophismes sur la vie de Ménage et sur l'isole ment industriel qu'ils veulent propager. Telle est la véritable raison pour laquelle ils vantent la vie pa triarcale, malgré les résultats odieux qu'elle présente ; car les Chinois et les Juifs, qui sont les nations les plus fidèles aux mœurs patriarcales , sont aussi les plus fourbes et les plus vicieux du globe. Pour écarter ces témoignages de l'expérience , les philosophes peindront la Chine en beau , sans parler de sa corruption ni de l'horrible misère de son peuple. Quant aux Juifs , on attribuera leurs vices sociaux à la persécution qu'ils ont essuyée ; la persécution est au contraire un germe d'ennoblissement pour les pro scrits . Les chrétiens ne furent jamais plus honorables que lorsqu'ils furent en butte à la persécution , sans avoir aucun prince , aucun point de ralliement. D'où vient donc que l'oppression religieuse a produit sur l'un et sur l'autre peuple des résultats si différents ? C'est que les chrétiens dans leur infortune adoptèrent l'esprit corporatif qui , chez les proscrits , devient le germe des passions nobles. Les Juifs conservèrent l'es- . prit patriarcal, qui est le germe des passions viles et qui les avait dégradés même au jour de leur puissance. Eh ! fut-il jamais de nation plus méprisable en corps que celle des Hébreux , qui ne firent aucun pas dans les sciences et les arts , et qui ne se signalèrent que par un exercice habituel de crimes et de brutalités , dont les récits soulèvent l'esprit à chaque page de leurs fastes dégoûtants ! Cette digression conduirait à une analyse de l'esprit patriarcal , des vices et de la dissimulation qu'il fait EXPOSITION. 89 naître dans le cœur humain. Or , ce petit Mémoire ne pouvant pas comporter de telles discussions , je rentre dans la question et je me borne à signaler l'ignorance des Civilisés au sujet du Patriarcat fédéral qui fut troi sième [ ] Période d'incohérence ascendante. Le Patriarcat fédéral [ ou composé ] se forme de fa milles vicinales , libres et coalisées par Congrès, selon la méthode desTartares. Les familles patriarcales, dans cet état de choses, se trouventintéressées à améliorer le sort des épouses titrées , à augmenter par degré leurs priviléges et droits civils , jusqu'à leur donner la demi liberté dont elles jouissent parmi nous. Cette mesure devient pour les Patriarcaux une issue de troisième Période , et une porte d'entrée en cinquième Période, en Civilisation. La Civilisation ne peut être engendrée ni de la Sauvagerie ni de la Barbarie; on ne voit jamais ni Sauvages ni Barbares adopter spontanément nos coutumes sociales ( ¹ ) , et les Américains , malgré toutes leurs séductions, malgré toutes les intrigues qu'ils ont fait jouer, n'ont encore amené aucune horde à une Civi lisation complète ; elle doit, selon la pente naturelle du mouvement, naître du Patriarcat fédéral ou bien d'une Barbarie très altérée, comme celle des anciens Orien taux , qui tenait en divers sens du Patriarcat fédéral. Quant au Patriarcat " simple", tel que celui d'Abra ham et de Jacob, c'est un Ordre qui ne conduit qu'à la Barbarie, un Ordre dans lequel chaque père devient un satrape, qui érige toutes ses fantaisies en vertus, et qui (1 ) On n'a cité que le roitelet des îles Sandwich et quelques hordes de l'Ohio qui ont commencé, ébauché ce changement. Une si petite excep tion confirme la règle. 90 PREMIÈRE PARTIE . exerce sur sa famille la tyrannie la plus révoltante , à l'exemple d'Abraham et de Jacob , hommes aussi vi cieux, aussi injustes qu'on en ait jamais vu sur les trônes d'Alger et de Tunis. La Sauvagerie , la Barbarie , la Civilisation ne sont guère plus connues que le Patriarcat. Lorsque j'aurai occasion de traiter des Phases et caractères de chaque Période , je démontrerai que nos lumières philoso phiques sont aussi trompeuses sur ce qui concerne la Civilisation que sur les moyens d'en sortir et de pas ser à la sixième Période. " Cette sixième Période, les Garanties, est celle- dont l'invention aurait pu échoir aux philosophes , parce qu'elle s'éloigne peu des usages civilisés , et qu'elle conserve encore la vie de ménage , le mariage et les principaux attributs du système philosophique ; mais elle diminue déjà fortement les révolutions et l'indigence. Au reste , quelque facile qu'il eût été d'inventer cette sixième Période, comment les philosophes sauraient ils élever le genre humain au-dessus de la Civilisation, tant qu'ils ne savent pas même l'élever jusqu'à la Ci vilisation, c'est-à-dire faire passer les Sauvages et les Barbares à l'Ordre civilisé ? ils n'ont pas même su aider la Civilisation dans sa marche, et lorsque je décompo serai le mécanisme Civilisé en quatre Phases, je démon trerai qu'il est parvenu à la troisième par des coups de hasard, et sans que les philosophes aient jamais eu aucune influence sur les progrès de leur chère Civilisa tion. Ils l'ont retardée aulieu de l'accélérer; semblables à ces mères maladroites qui , dans leur engouement, fatiguent l'enfant, Jui créent des fantaisies dange EXPOSITION. 91 reuses , des germés de maladies , et le font dépérir en croyant le servir. C'est ainsi qu'en ont agi les philo sophes dans leur enthousiasme pour la Civilisation; ils l'ont toujours empirée en croyant la perfectionner ; ils ont alimenté les chimères dominantes, et propagé des erreurs au lieu de chercher des routes de vérité. En core aujourd'hui nous les voyons se jeter à corps perdu dans l'esprit mercantile, qu'ils devraient com battre , ne fût-ce que par vergogne, puisqu'ils ont ri diculisé le commerce pendant deux mille ans. Enfin , s'il n'eût tenu qu'aux philosophes , la Civilisation serait encore à la première Phase , et conserverait des cou tumes barbares telles que l'esclavage vanté par les sa vantas de la Grèce et de Rome (¹) . J'ajouterai une preuve de l'ignorance générale sur le mécanisme Civilisé ; je la tire des calamités im prévues qui nous frappent à chaque génération. La plus récente a été celle des clubs ou jacobinières affiliées , dont on n'avait aucune idée en 1789, malgré les sa vantes analyses qu'on avait faites de la Civilisation. Il est d'autres calamités qui naîtraient successivement, et que les philosophes ne savent aucunement pré voir; telle est la Féodalité commerciale , qui n'aurait pas été moins odieuse que le règne des clubs. Elle aurait été le résultat de l'influence que l'esprit com mercial prend de jour en jour sur le système social ; (1) L'abolition de l'esclavage fut le fruit du régime féodal décroissant. L'introduction de ce régime fut l'effet du hasard, et non des calculs philosophiques, toujours aheurtés à prôner les préjugés, ou à les renver ser inconsidérément et sans mesures [ épreuves ] préparatoires , ce qui est un mal pire encore que de les soutenir. 92 PREMIÈRE PARTIE. son empiètement aurait produit une innovation bien terrible , et que les Civilisés sont loin de prévoir. Qu'on ne s'épouvante pas de ce pronostic ; loin d'exciter la terreur, il ne doit exciter que la joie, puisque l'on va ac quérir par la Théorie du Mouvement social des moyens de prévoir et conjurer tous les orages politiques. X. CONTRASTES RÉGULIERS entre les Sociétés à Séries progressives et celles à Familles incohérentes. Les Sociétés 1re et 7e, qui sont formées en Séries , offrent en tout sens un contraste régulier avec les So ciétés 2º, 3º, 4º, 5º, qui sont formées en Familles. La 6° for me exception , déroge. ] Dans les " quatre " dernières, le bien de la masse se trouve en opposition avec les passions de l'individu , de sorte que le gouvernement , en opérant pour le bien de la masse, est obligé d'user de contrainte. C'est ce qui n'a pas lieu dans les sociétés à Séries , où le bien général coïncide tellement avec les passions indivi duelles que l'administration se borne à avertir les citoyens des mesures convenues , telles que l'impôt , les corvées ; tout est payé, exécuté à jour fixe par les Séries, et sur un simple avis . Mais dans les " quatre ” Sociétés incohérentes , on a besoin de contraindre , même pour les mesures évidemment salutaires, et dont l'adoption ne cause aucune fatigue, aucun dommage ; telle est l'uniformité des poids et mesures. Si nous étions en septième Période [ ou 6 ° ] , le gouverne ment se serait borné à aviser les peuples de la confec i EXPOSITION. 93 tion du travail et du prochain envoi des modèles ; à leur arrivée dans chaque province, dans chaque can ton, ils auraient été mis en usage sans aucun ordre et àl'instant même. Cette résistance des Sociétés 2º, 3º, 4°, 5° aux me sures d'utilité générale, se manifeste dans les corpo rations comme dans les individus ; par exemple , en Turquie, les corps de l'état se refusent comme le peu ple à l'introduction de la discipline militaire dont ils sentent pourtant la nécessité (¹ ) . Les Sociétés 2º, 3º, 4º, 5º, qui sont sujettes à l'in digence , aux révolutions , au mariage , à la four berie, etc., ont la propriété de RÉPUGNER, c'est-à dire de se voir et se communiquer sans qu'aucune d'entre elles veuille imiter les autres. Nous voyons la Société barbare sans vouloir adopter ses usages ; elle voit les nôtres sans vouloir les imiter ; il en est ainsi des "quatre" Sociétés organisées en familles incohérentes; elles ont, comme les animaux malfaisants, la propriété d'être incompatibles ; et si toutes les " quatre" étaient en présence, [ en contiguité de frontières ] aucune ne voudrait s'assimiler à l'une des quatre autres ; la sixième Société attirerait faiblement la cinquième. Les Sociétés 1re et 7º, ainsi que toutes les autres So ciétés à Séries progressives, ont la propriété générale d'ATTIRER ; il n'y a d'exception que pour la Société no 1 , qui attirerait faiblement les classes riches des quatrième , cinquième et sixième Sociétés. La Société 7e attirerait fortement toutes les classes (1) [ Peuple civilisé et barbare , essentiellement absurde, ] 94 PREMIÈRE PARTIE. riches ou moyennes , quoiqu'elle ne soit qu'un ache minement au vrai bonheur, dont on commence à jouir dans la huitième. Cependant la septième est déjà si heureuse, en comparaison de l'Ordre civilisé, que, si elle pouvait se trouver tout à coup organisée, beaucoup de personnes faibles et sensibles tomberaient malades de saisissement et de regret en voyant subi tement tant de bonheur dont elles n'ont pas joui et dont elles auraient pu jouir. Quant à la huitième Période qui va naître (¹ ) , pour donner une idée de l'attraction qu'elle exercera, j'em prunterai les paroles d'un auteur qui dit : « Que si les hommes pouvaient voir Dieu dans toute sa gloire, • l'excès d'admiration leur causerait peut-être la « mort. » Eh ! qu'est-ce que cette gloire de Dieu? Ce n'est autre chose que le règne de l'Ordre combiné qui va s'établir, et qui est la plus belle des conceptions divines. Si nous pouvions voir subitement cet Ordre combiné, cet œuvre de Dieu, tel qu'il sera dans sa pleine activité (tel que je le peindrai dans les Dia logues de l'an 2200 ) , il est hors de doute que beaucoup de Civilisés seraient frappés de mort par la violence de leur extase. La seule description [ de la 8° Société] pourra causer à plusieurs d'entre eux, et surtout aux femmes, unenthousiasme qui tiendra de la manie ; elle pourra les rendre indifférents aux amusements, inha-. biles aux travaux de la Civilisation. C'est pour tempérer leur surprise que je l'annonce (1) Ce beau qui va naître plaires annotés par ces mots: ――― -a été remplacé dans un des Exem quipeut naître dès à présent. EXPOSITION. 95 12 longtemps à l'avance et que je différerai jusqu'au troi sième Mémoire les tableaux de l'Ordre combiné et le parallèle de ses délices avec les peines d'esprit et de corps qu'endurent les Civilisés. Ceparallèle nemanque rait pas d'exalter et de désespérer les plus malheureux > d'entre eux, s'il n'était présenté avec des ménagements capables d'en amortir l'effet ; c'est pour atteindre ce but que je répandrai à dessein un ton de froideur sur les premiers Mémoires, et que je les consacre à d'arides notices sur les révolutions générales du Mouvement et sur les inepties des Civilisés. Je poursuis sur ce sujet . Les Sociétés àfamilles incohérentes, 2º, 3º, 4º, 5º, 6º, ayant la propriété d'exciter REPUGNANCE pour le travail agricole et manufacturier et pour les sciences et les arts, l'enfant se refuse à l'industrie et à l'étude dans ces cinq Ordres sociaux, et il devient destructeur dès qu'il peut former des groupes ou rassemblements libres et passionnés. C'est une propriété très étonnante dans l'espèce humaine que cette inclination générale des enfants à détruire quand on les laisse en liberté. L'en fant acquiert des propriétés opposées dans les Sociétés à Séries ; il travaille sans cesse et rend des services in calculables, en s'emparant spontanément de toutes les petites occupations qui emploient chez nous des bras de trente ans. Enfin, il trouve dans les " Séries pas sionnelles " l'éducation naturelle ; il s'instruit sans l'in stigation ni la surveillance de personne. Dès qu'il peut marcher on l'abandonne à sa seule volonté, sans autre avis que de se divertir tant qu'il lui plaira avec les groupes de ses semblables ; il suffit de l'émulation , de l'impulsion donnée par les Séries, pour que cet enfant 96 PREMIÈRE PARTIE. parvenuà seize ans, ait déjà acquis des notions sur toutes les branches des sciences et des arts, et des con naissances pratiques sur les cultures et fabriques du canton. Ces diverses lumières ne lui ont coûté aucune dépense; il a au contraire un petit trésor, fruit des nom breux travaux qu'il a exécutés pendant son enfance, par émulation, par attraction, et en croyant se diver tir avec les Séries d'enfants qui sont les plus ardentes au travail. ( Voyez ci-bas la note ( ¹ ) sur la hiérarchie de l'Attraction passionnée. ) Hors des " Séries passionnelles , " il ne peut exister aucune éducation naturelle. Celle que reçoit chaque enfant dans les sociétés d'Ordre incohérent varie selon le caprice des instituteurs ou des pères, et n'a rien de commun avec les vues de la nature qui veut entraîner l'enfant à toutes sortes de travaux, variés à peu près d'heure en heure. C'est ainsi qu'il les exerce dans l'Ordre combiné, où il acquiert une vigueur et une dex térité prodigieuses, parce qu'il est en mouvement con tinuel et varié sans aucun excès. (1) Son développement s'opère par trois puissances concurrentes, rivales et indépendantes ; ce sont les enfants , les femmes, et les hommes. Je place les hommes au troisième rang, parce que l'Attraction s'éta blit du faible au fort, c'est - à- dire que l'ordre de chose qui opèrera at traction industrielle entraînera les enfants plus vivement que les père et mère, et les femmes plus vivement que les hommes ; de sorte que ce seront, dans l'Ordre combiné , les enfants qui donneront la principale impulsion au travail , et après eux ce seront les femmes qui entraîne ront les hommes à l'Industrie. Je n'entre dans aucun détail sur des assertions si incompréhensibles; elles doivent faire pressentir que le mécanisme de l'Attraction sera en tout sens l'opposé des opinions Civilisées. Eh ! pourrait-il en être autre ment, puisque rien n'est plus opposé à la nature que la Civilisation ? EXPOSITION: 97 Hors de là les enfants deviennent chagrins, mala droits, faibles et grossiers : voilà pourquoi la race hu maine dégénéra en moins de cinquante ans, après la dissolution des Séries primitives. Mais aussitôt que l'Ordre sociétaire sera rétabli , la taille s'exhaussera, je ne dis pas chez les hommes faits , mais chez les en fants qui seront élevés dans cet Ordre ; la stature hu maine gagnera deux à trois pouces par génération , jusqu'à ce qu'elle ait atteint le terme moyen de 84 pouces ou 7 pieds (' ) pour les hommes ; elle parvien dra à cette dimension au bout de neufgénérations. La vigueur et la longévité augmenteront en rapport diffé rent, jusqu'à la seizième génération. Alors le terme " plein " de la vie sera de 144 ans et les forces en proportion. Les facultés spirituelles se développeront plus rapi dement; j'estime qu'une douzaine d'années suffira pour (1) Ce n'est pas arbitrairement que j'indique le pied de roi de Paris pour mesure naturelle ; il a cette propriété parce qu'il est égal à la trente-deuxième partie de la hauteur de l'eau dans les pompes aspi rantes. Le pouce et la ligne de Paris sont encore des subdivions de la mesure naturelle ; car, selon l'Économie naturelle, on doit choisir pour agents de numération les nombres qui contiennentla plusgrande somme de diviseurs communs dans la plus petite somme d'unités. L'on devait donc choisir le nombre 12 et ses puissances. Les savants sont d'accord sur ce point, quoique l'usage ait fait prévaloir le nombre 10, qui est très impropre à la numération ; car 10 et 14 sont de tous les nombres pairs les moins favorables aux subdivisions. Ce nombre 10 peut être bon pour les Civilisés, qui tiennent plus à l'habitudc qu'à la raison, et qui éprouvent des obstacles insurmontables dans les innovations les plus judicieuses. Mais lorsqu'on procédera à organiser en système unitaire toutes les relations du globe, comme langage, mesure, numération, etc. , on ne manquera pas d'éconduire les nombres 10 et 9, usités en Europe et en " Tartarie ". 5 98 PREMIÈRE PARTIE. changer en hommes ces automates vivants qu'on nomme paysans, et qui dans leur extrême grossièreté touchent de plus près à la bête qu'à l'espèce humaine. Dans l'Ordre combiné, les hommes les plus pauvres, les simples cultivateurs nés d'une Phalange agricole, seront initiés à toutes sortes de connaissances, et cette perfection générale n'aura rien d'étonnant, puisque l'Ordre combinéentraînera passionnément à l'étude des sciences et des arts, qui deviendront les voies d'une immense fortune , ainsi qu'on peut le voir dans la Se conde partie de ce Mémoire. re Les sociétés 1º , 2º , 3º , ne comportent pas la grande industrie agricole et manufacturière ; elle ne commence à naître que dans la quatrième , la Barbarie. S'il était possible que la grande industrie naquît dans la première société , le genre humain serait exempt du malheur de passer par les cinq périodes malheu reuses, les 2º , 3º , 4º, 5º , 6º , et il s'élèverait immédia tement de la première à la septième , c'est- à-dire des Séries confuses aux Séries " ébauchées. " C'est un avan tage dontjouissent les habitants des soleils et ceux des planètes annulaires , comme Saturne ; ils ne subissent pas la disgrâce de devenir Sauvages, Barbares et Ci vilisés ; ils conservent l'organisation en Séries pen dant tout le cours de leur carrière sociale , et ils sont redevables d'un tel bien-être à la richesse des pro ductions que fournit chez eux la première création. - Cette première création , qui exerce une grande in fluence sur le sort des globes, fut si mesquine sur le nôtre , qu'elle ne put pas longtemps fournir aux Séries " confuses " tout l'aliment convenable à leurs tra EXPOSITION. 99 vaux. Il faut à ces Séries des occupations très nom breuses et très variées ; aussi ne purent-elles pas se former vers l'équateur , où Dieu avait créé quelques races qui furent entravées d'abord par l'affluence des bêtes féroces , des reptiles et des insectes qui paraly saient l'exercice de l'industrie. Il était également im possible de former des Séries " confuses " dans les deux Amériques , où l'on manquait des principaux moyens de travail ; car on n'avait ni cheval, ni bœuf, ni mouton , ni cochon , ni volailles ; la pauvreté était la même dans le règne végétal et minéral , car les Américains manquaient [ en divers lieux ] de fer et de cuivre. Dans des temps postérieurs , les Séries n'ont pas pu se former à l'île d'Otahiti , où l'on avait pourtant le germe de l'Ordre sociétaire, car on y admettait quelque liberté amoureuse. Si cette île avait eu les animaux, vé gétaux et minéraux importants de l'ancien continent , on y aurait trouvé les Séries confuses toutes formées, lorsqu'on la découvrit , et ses peuples auraient eu en hauteurmoyenne 74 pouces 2 tiers de Paris, taille pri mitive du genre humain ; taille où il remonterait au bout de quelques générations dans un pays où l'on réorganiserait la première ou la septième Période. J'ai dit queles hommesatteindront à 84 pouces dans la hui tième Période, qui est encore plus favorable aux déve loppements matériels et spirituels de l'espèce humaine et des animaux domestiques attachés à son service. C'est dans la quatrième société , dans la Barbarie , que l'homme commence à créer la grande industrie. Dans la cinquième , ou Civilisation , l'on crée les

          • ndogo.Taketpo

100 PREMIÈRE PARTIE. sciences et les arts , et dès lors on est pourvu de tout ce qui est nécessaire pour organiser les Séries pro gressives , et les élever à un grand luxe. La sixième Période n'est qu'un acheminement aux Séries indus trielles qui se forment partiellement dans la septième. Les sociétés 2º, Sauvagerie, 4º , Barbarie, sont stag nantes et ne tendent point à avancer vers un Ordre supérieur. Les Sauvages n'ont aucun désir de s'élever à l'Ordre barbare qui est au-dessus du leur quant à l'industrie, les Barbares refusent obstinément de s'é lever à l'Ordre civilisé . Ces deux sociétés , la Sauvage et la Barbare, demeurent invariablement attachées à leurs coutumes , bonnes ou mauvaises. Les sociétés 3º, 5º, 6º tendent plus ou moins à faire des progrès , témoin la Civilisation . Elle s'agite en tous sens pour atteindre à des améliorations. Les sou verains essaient chaque jour des innovations admi nistratives ; les philosophes proposent chaque jour de nouveaux systèmes politiques et moraux. Ainsi la Ci vilisation s'escrime théoriquement et pratiquement pour atteindre à la sixième société sans pouvoir y parvenir , parce que ce changement , je le répète , tient à des opérations domestiques et industrielles, et non à des systèmes administratifs dont la philosophie s'occupe exclusivement , sans avoir jamais voulu spé culer sur aucune innovation d'Ordre domestique et sociétaire. J'ajoute un contraste tiré de l'emploi de la vérité; elle règne dans les sociétés formées en Séries " quel conques, " et la fausseté règne dans les sociétés formées en familles incohérentes . EXPOSITION. 101 • Dans les premières , la pratique de la vérité assure à chacun plus de bénéfice que la pratique du men songe. Dès lors tout individu , vicieux ou vertueux , aime et pratique la vérité comme étant la voie de la fortune. De là vient que, durant le cours de ces vingt quatre " sociétés [ y compris le Garantisme ] , on voit régner dans toutes les relations industrielles la plus éclatante vérité. 66 Le contraire a lieu dans les " huit " sociétés à fa milles incohérentes : on n'y parvient à la fortune qu'à force de ruses et de perfidies ; dès lors la fourberie doit triompher pendant toute la durée de ces dix Pé riodes ; aussi voit-on que dans la Civilisation , qui est une des sociétés à familles , il n'y a guère de succès que pour la fourberie , sauf quelques excep tions si rares qu'elles ne servent qu'à confirmer la règle. Les sociétés 2º, Sauvagerie , et 6º, Garanties , sont moins favorables au mensonge que l'Ordre civilisé ; cependant ce sont encore des repaires de fourberie quand on les compareà l'éclatante vérité qui règne dans les " vingt-quatre " sociétés de Séries progressives. De là naît une conclusion qui va sembler une fa cétie , et qui pourtant sera démontrée rigoureusement ; c'est que, dans les dix-huit sociétés d'Ordre combiné , la qualité la plus essentielle pour le triomphe de la vérité , c'est l'amour des richesses. Celui qui s'aban donne en Civilisation à toutes les fourberies imagi nables sera l'homme le plus véridique dans l'Ordre combiné; car cet hommen'est pas fourbe pour le plai sir de tromper, mais seulement pour arriver à la la fortune; montrez-lui , dans une affaire , mille écus 102 PREMIÈRE PARTIE. de bénéfice sur un mensonge et trois mille écus sur une vérité , il préfèrera la vérité, quelque fourbe qu'il soit. C'est par cette raison que les hommes les plus astucieux deviendront bientôt les plus chauds amis de la vérité , dans un Ordre où elle conduira à des bé néfices rapides , tandis que l'exercice du mensonge ne conduira qu'à une ruine inévitable. Il n'est donc rien de plus facile que de faire triom pher la vérité par toute la terre ; il suffit pour cela de sortir des sociétés 2º, 3º , 4º, 5º , [ et même ] 6º, et d'en trer dans les sociétés organisées en Séries . C'est un changement qui ne saurait causer le moindre trouble, puisqu'il ne tient qu'à des dispositions domestiques et industrielles qui n'ont aucun rapport avec l'adminis tration. Toutes les dispositions de l'Ordre combiné produi ront des contrastes réguliers avec nos usages et obli geront à protéger tout ce que nous appelons vice, comme la gourmandise et la galanterie ; les cantons où ces prétendus vices auront le plus d'activité seront les cantons qui donneront le plus de perfection à l'indus trie et dont les actions négociables seront le plus re cherchées dans les placements de capitaux . Toutes bizarres que peuvent sembler ces assertions, je me plais à les reproduire pour fixer les esprits sur une grande vérité : c'est que Dieu a dû former nos ca ractères pour convenir à l'Ordre combiné, qui durera 70,000 ans, et non pas pour convenir à l'Ordre inco hérent, qui ne devait durer que 10,000 ans. Or, en calculant sur les besoins de l'Ordre combiné, vous verrez qu'il n'y a rien de vicieux dans vos passions ; EXPOSITION. 103 prenons-en pour exemple un caractère quelconque, celui de la MENAGÈRE. Dans l'Ordre civilisé il serait à souhaiter que toutes les femmes eussent du goût pour les soins du ménage, car elles sont toutes destinées à être mariées et tenir un ménage incohérent ; cependant, si vous étudiez les goûts des jeunes filles, vous reconnaîtrez qu'il s'en trouve à peine un quart de bonnes ménagères, et que les trois quarts n'ont aucun goût pour ce genre de tra vail, mais beaucoup pour la parure, la galanterie et la dissipation ; vous en concluez que les trois quarts des jeunes filles sont vicieuses, et c'est votre mécanisme social qui est vicieux. En effet, si toutes les jeunes filles étaient passionnées, comme vous le désirez , pour les soins du ménage, il arriverait que les trois quarts du sexe féminin ne pourraient pas convenir à l'Ordre com biné, qui durera 70,000 ans ; car dans cet Ordre les travaux du ménage sont tellement simplifiés par l'as sociation qu'ils n'occupent pas le quart des femmes qu'il faut y employer aujourd'hui ; ce sera donc bien assez qu'il se trouve un quart ou un sixième de ména gères parmi les femmes. Dieu a dû suivre cette propor tion, créer des ménagères en nombre convenable pour les 70,000 ans de bonheur, et non pour les 5,000 ans demalheuroù nous nous trouvons. Comment lesfemmes s'accorderaient-elles dans l'Ordre combiné si elles se présentaient au nombre de quatre cents pour untravail qui n'en exigera que cent ? De là résulterait l'abandon des autres fonctions qui leur seront dévolues, et chacun s'écrierait que Dieu est bien peu judicieux, d'avoir donné à toutes les femmes ce caractère de 104 PREMIÈRE PARTIE . ménagère qu'il devait restreindre au quart d'entre elles . Concluons que les femmes sont bien comme elles sont, que les trois quarts d'entre elles ont raison de dédaigner les travaux du ménage, et qu'il n'y a de vi cieux que la Civilisation et la philosophie, qui sont incompatibles avec la nature des passions et avec les vues de Dieu, ainsi que je l'expliquerai plus au long dans le [ Traité ] de l'Attraction . L'argument serait le même sur chacune de ces pas sions que vous nommez vices. Vous connaîtrez par la théorie de l'Ordre combiné que tous nos caractères sont bons et judicieusement distribués , qu'il faudra développer et non pas corriger la nature. Un enfant vous semble pétri de vices , parce qu'il est gourmand , querelleur, fantasque , mutin , insolent , curieux et in domptable ; cet enfant est le plus parfait de tous ; c'est celui qui sera le plus ardent au travail dans l'Ordre combiné. Dès l'âge de dix ans , il sera élevé en grade dans les Séries d'enfants les plus éminentes du canton, et l'honneur de les présider à la parade et au travail lui fera un jeu des plus rudes fatigues. Quant à présent , j'avouerai que cet enfant est bien insupportable , et j'en dis autant de tous les enfants ; mais je n'avouerai pas qu'il y en ait aucun de vicieux. Leurs prétendus vices sont l'ouvrage de la nature ; ces penchants à la gourmandise, à la licence, que vous comprimez dans tous les enfants , leur sont donnés par Dieu qui a bien su calculer son plan de distribution des caractères , et je répète que, ce qu'il y a de vi cieux , c'est la Civilisation qui ne se prête pas au dé EXPOSITION. 105 veloppement ni à l'emploi des caractères donnés par Dieu ; ce qu'il y a de vicieux, c'est la philosophie qui ne veut pas avouer que l'Ordre civilisé est opposé aux vues de la nature, puisqu'il oblige à étouffer les goûts les plus généraux des enfants ; tels les goûts de la gourmandise et de la mutinerie chez les jeunes gar çons , les goûts de la parure et l'ostentation chez les jeunes filles , et ainsi des autres âges dont les pen chants ou Attractions sont tous tels que Dieu les a jugés nécessaires pour convenir à l'Ordre combiné, qui est une synthèse, un développement de l'Attrac tion. Il est temps de dire quelque chose sur son analyse, dont on n'a jamais songé à s'occuper. XI. SUR L'ÉTUDE DE LA NATURE par l'Attraction passionnée. Si l'on compare l'immensité de nos désirs avec le peu de moyens que nous avons de les satisfaire , il semble que Dieu ait agi inconsidérément en nous donnant des passions si avides de jouissances , des passions qui semblent créées pour nous harceler en excitant mille " convoitises " dont nous ne pouvons pas satisfaire la dixième partie pendant la durée de l'Ordre civilisé . C'est d'après ces considérations, que les moralistes prétendent corriger l'œuvre de Dieu , modérer, ré primer les passions qu'ils ne savent pas contenter et qu'ils ne connaissent même pas ; car sur douze pas 5. 106 PREMIÈRE PARTIE. sions qui composent les ressorts principaux de l'âme , ils n'en connaissent que neuf; encore ont-ils des no tions très imparfaites sur les quatre principales. Ces neuf passions déjà connues , sont les cinq ap pétits des sens qui exercent plus ou moins d'empire sur chaque individu , et les quatre appétits simples de l'âme, savoir : 6 Le groupe d'Amitié. 7 Le groupe d'Amour. 8 Le groupe de Paternité ou Famille. 9° Le groupe d'Ambition ou Corporation . Les moralistes veulent donner à ces neuf passions une marche contraire au vœu de la nature. Combien n'ont-ils pas déclamé pendant deux mille ans , pour modérer et changer les cinq appétits sensuels , pour nous persuader que le diamant est une vile pierre , l'or un vil métal , que le sucre et les aromates sont de viles productions dignes de mépris , que les chau mières, que la simple et grossière nature sont préfé rables au palais des rois? C'est ainsi que les mora listes voulaient éteindre les passions sensuelles , et ils n'épargnaient pas davantage les passions de l'âme. Combien ont-ils vociféré contre l'Ambition ? A les en tendre , il ne faut désirer que des places médiocres et peu lucratives ; si un emploi donne un revenu de cent mille livres , il n'en faut accepter que dix mille pour complaire à la morale. Ils sont bien plus ridicules dans leurs opinions sur l'Amour ; ils veulent y faire régner la constance et la fidélité , si incompatibles avec le vœu de la nature et si fatigantes aux deux sexes, EXPOSITION. 107

que nul être ne s'y soumet quand il jouit d'une pleine liberté. Tous ces caprices philosophiques, appelés des devoirs , n'ont aucun rapport avec la nature ; le devoir vient des hommes , l'Attraction vient de Dieu ; or, si l'on veut connaître les vues de Dieu , il faut étudier l'Attraction , la nature seule , sans aucune acception du devoir, qui varie dans chaque siècle et dans chaque région, tandis que la nature des passions a été et res tera invariable chez tous les peuples . Donnons un exemple de cette étude ; je le tirerai des rapports qui existent entre l'amour paternel et filial . Les moralistes veulent établir l'égalité d'affection entre les pères et les enfants . Ils allèguent à ce sujet des devoirs sacrés sur lesquels la nature n'est aucu nement d'accord. Pour découvrir sa volonté, oublions ce qui doit être, ce qui est de devoir, et analysons ce qui est. Nous reconnaîtrons que l'affection est à peu près triple des pères aux enfants , ou tierce des en fants aux pères. La disproportion paraît énorme et injuste de la part des enfants ; mais qu'elle soit injuste et vicieuse , cela n'importe à savoir dans une étude où il faut analyser ce qui est et non pas ce qui doit être. Si , au lieu de vouloir corriger les passions, on veut rechercher quels peuvent être les motifs de la nature pour donner aux passions une marche si différente du devoir, on s'apercevra bientôt que ces devoirs sacrés n'ont aucun rapport avec la justice , témoin la ques tion qui nous occupe la disproportion des deux amours filial et paternel. Leur inégalité est fondée 108 PREMIÈRE PARTIE . sur des motifs plausibles; si les enfants " n'accordent " en retour que le tiers de l'amour que leur portent les parents , " il en est " trois raisons. 1° L'enfant ignore jusqu'à l'âge de puberté en quoi consiste la qualité de père et de générateur ; il ne peut pas apprécier ce titre ni en tenir compte , dans le bas âge où se forme son affection filiale , on lui cache avec soin la nature de l'acte qui constitue la paternité ; il n'est donc , à cette époque , susceptible que d'amour symphatique et non pas d'amour filial. On ne doit pas exiger son attachement à titre de gratitude pour les soins donnés à son éducation ; cette reconnaissance calculée est au-dessus des facultés morales d'un enfant : c'est être plus enfant que lui d'exiger un amour réflé– chi dans un être incapable de réflexion ; d'ailleurs cette gratitude est amitié, et non pas amour filial , que l'enfant en bas âge ne peut ni connaître ni ressentir . 2º L'enfant dans le moyen âge , de sept à quatorze ans , est obsédé par les remontrances des parents ; elles sont chez le peuple assaisonnées de mauvais traitements , et comme l'enfant n'a pas assez de raison pour apprécier la nécessité d'une contrainte qu'on lui impose , son attachement doit s'établir en rapport des faveurs qu'il reçoit ; aussi voit-on fréquemment qu'un aïeul , un voisin , un domestique , lui sont plus chers que les auteurs de ses jours , et les pères n'ont aucun droit de s'en plaindre ; s'ils ont quelque saga cité, ils ont dû savoir que l'enfant ( par les motifs allégués ci-haut ) , n'est suceptible que d'amour sym pathique, et qu'un tel amour s'établit en raison de la douceur et du discernement que les pères savent EXPOSITION. 109 mettre dans l'exercice de leurs fonctions pater nelles. 3º L'enfant , lorsqu'il vient à connaître dans l'âge pubère en quoi consiste la qualité de père et de mère , aperçoit les motifs intéressés de leur amour pour lui ; ces motifs sont l'impression qui leur est restée des jouissances génératrices, l'espoir que sa naissance a fourni à leur ambition ou à leur faiblesse, et les distractions qu'il leur a values dans son enfance où il était le charme de leurs loisirs . D'après ces lu mières que l'enfant acquiert à l'âge de raison , il ne peut se croire bien redevable envers les parents pour leur avoir procuré tant de plaisirs qu'il n'a point partagés [ et dont on veut le priver dans le bel âge ] . Ces notions concourent à attiédir plutôt qu'à aug menter son affection . Il s'aperçoit qu'on l'a engendré par amour du plaisir et non par amour de lui-même , que ses parents l'ont engendré peut-être à contre cœur, soit qu'ils aient par maladresse augmenté une progéniture déjà trop nombreuse , soit qu'ils aient désiré l'enfant d'un sexe différent. Bref , à l'époque de l'adolescence , où l'amour filial peut commencer à naitre chez l'enfant , mille considérations viennent dissiper le prestige , et même ridiculiser à ses yeux l'importance qu'on attache à la paternité . Alors , si les parents n'ont pas su se concilier son estime et son amitié , ils ne verront naître en lui aucun amour filial, pas même ce retour du tiers auquel la nature a fixé la dette des enfants envers leurs parents; retour qui semblera suffisant quand on saura que l'éducation ne cause pas aux pères la moindre peine dans l'Ordre 110 PREMIÈRE PARTIE. combiné auquel le globe va passer, et pour lequel nos passions sont disposées . Quant à présent , si les peines de l'éducation sem blent donner aux pères des droits illimités à l'amour des enfants , c'est qu'on n'a jamais mis en balance les trois raisons atténuantes que je viens de faire valoir : 1º Ignorance des enfants en bas âge sur les titres qui constituent la paternité ; 2º Dégoûts qu'ils éprouvent dans le moyen âge par l'abus ou l'exercice mal entendu de l'autorité pater nelle ; 3° Contraste qu'ils remarquent dans l'adolescence entre les hautes prétentions des pères et les mérites imaginaires dont elles sont appuyées. Si l'on met en balance d'autres considérations ac cessoires , comme les préférences paternelles dont l'en fant est justement offensé , on concevra pourquoi le descendant n'éprouve communément que le tiers de l'affection qui lui est vouée par l'ascendant ; s'il en ressent davantage , c'est effet de sympathie et non pas influence de consanguinité. Aussi voit-on souvent l'en fant avoir pour l'un des parents deux et trois fois plus d'attachement qu'il n'en a pour l'autre , dont les titres sont les mêmes à ses yeux, mais dontle caractère n'est pas à sa convenance. Ce sont là des vérités que les Civilisés ne veulent ni confesser ni prendre pour base de leurs calculs sociaux. Pauvres de jouissances, ils veulent être riches d'illu sions; ils s'arrogent un droit de propriété sur l'affection du plus faible. Sont-ils époux [ de 60 ans] , ils prétendent qu'une épouse [ de 20 ans ] doit les aimersans partage, et EXPOSITION. 111 l'on sait à quel point sont fondées leurs prétentions : sont-ils pères , ils veulent être des dieux , des modèles aux yeux de leurs enfants; ils crient à l'ingratitude s'ils n'en obtiennent que la dose d'amourqu'ils ont méritée . A défaut d'attachement véritable , ils se repaissent de tableaux mensongers ; ils aiment qu'on leur étale dans les romans et les comédies des débordements d'amour filial et de fidélité conjugale dont on ne trouve pas même l'ombre au sein des familles. Les Civilisés , en se nourrissant de ces chimères morales, deviennent inca pables d'étudier les lois générales de la nature ; ils ne les voient que dans leurs caprices et leurs prétentions des potiques, et ils accusent la nature d'injustice sans vou loir rechercher le but auquel tendent ses dispositions. Pour découvrir ce but , il fallait , sans s'arrêter aux idées de devoir, procéder à l'analyse [ et synthèse ] de cette Attraction passionnée qui nous paraît vicieuse, parce que nous ignorons quel est son but, mais qui , vicieuse ou non , n'a jamais été l'objet d'une analyse régulière. Pour rappeler le lecteur à distinguer l'Attraction du devoir et étudier l'Attraction indépendamment de • ⚫ tout préjugé sur le devoir, je donnerai dans la troi sième partie de ce mémoire un nouveau chapitre sur cet objet, celui des CONTRE-MOUVEMENTS COMPOSÉS, dans lequel on verra encore que , l'Attraction étant incom pressible quoique contradictoire avec le devoir, il faut enfin capituler avec cette sirène , et étudier ses lois au lieu de lui dicter les nôtres dont elle s'est jouée et se jouera éternellement pour le triomphe de Dieu et la confusion de nos versatiles systèmes . 112 PREMIÈRE PARTIE. XII. L'ARBRE PASSIONNEL et ses Rameaux ou Puissances gradués en 1er, 2º, 3º, 4º et 5º degrés ( ' ) . Débutons par le premier degré , qui porte trois ra meaux ; nous parlerons plus tard de la tige ou Uni téisme , considéré comme la source de toutes les pas sions qui sont en premier échelon trois, en deuxième douze , etc. Il y a en premier degré ou première division de la tige trois passions sous-foyères ou centres d'Attrac tion vers lesquels tendent les humains dans tous les rangs , dans tous les âges ; ces trois passions sont : 1re Le LUXISME, ou désir du Luxe. 2e Le GROUPISME, ou désir des Groupes. 3º Le SÉRIISME, ou désir des Séries. Examinons-les en subdivision selon le nombre des passions qu'elles fournissent dans l'échelon suivant ou deuxième puissance, quidonne douze rameaux formant la gamme passionnelle analogue à la musicale. (1) Ce chapitre est entièrement inédit : en le lisant on ne doit pas oublier que les additions de cette nouvelle édition ne sont point des morceaux travaillés par l'auteur, mais le plus souvent de simples indi cations , des ébauches qui n'avaient pas même été faites en vue d'une nouvelle édition . Toutes ces additions sont jetées currente calamo et même fréquemment écrites en abréviations. (Note des Éditeurs. } EXPOSITION. 113 1er Sous-foyer, LE LUXE. Il fournit et régit cinq pas sions secondaires dites sensitives ou désirs des sens. Le LUXE est interne et externe; il est interne quant à la santé qui nous garantit l'exercice plein et direct de chaque sens. Ils ne peuvent exercer sans le secours de la richesse ; en vain aurait- on bon estomac et bril lant appétit si l'on manque d'un écu pour dîner. Celui qui n'a pas le sou est condamné à la famine, à l'en gorgement indirect des sens ; les sens ne peuvent donc prendre le plein essor indirect sans l'entremise de l'ar gent, à qui tout est subordonné en Civilisation. Il en est des quatre autres sens comme de celui du goût ; chacun d'eux, sans l'appui de la fortune, est ré duit au minimum d'essor. En vain auriez-vous la per fection de l'oreille ; onvous refusera la porte de l'Opéra et du concert si vous manquez d'argent, et vous y verrez entrer des gens grossiers qui auront l'oreille fausse , mais la bourse bien garnie. Il ne suffit donc pas au bonheur d'avoir le luxe interne ou santé , nous désirons encore le luxe externe ou richesse , qui garantit l'essor libre des sens , dont le luxe interne ga rantit seulement l'essor conditionnel. L'exception même confirme le principe. Unejeune fille trouve un barbon qui lui assure une vie heureuse , un plein exercice de certains plaisirs sensuels , bonne chère, parure, etc. , dont elle manquait. Dans ce cas , l'un des cinq sens , le cinquième, le tact-rut, intervient pour assurer par voie de richesse l'exercice externe aux quatre autres qui n'auraient qu'un exercice interne ou santé , qu'une aptitude privée d'essor positif, et qui, sans le secours de la richesse fournie par ce barbon, au 114 PREMIÈRE PARTIE. raient été réduits aux privations de toute espèce , peut-être même à celle du sens du tact, car les gens très pauvres ont fort peu de moyens pour se procurer en amour les personnages qu'ils convoitent. Concluons que le luxe est composé et non pas sim ple, qu'il est interne et externe, principe important à établir pour constater le vague des sciences physiques dans toute question d'Unité du Mouvement , témoin le débat sur la simplicité ou composition de la lumière ; si elle était corps simple , il faudrait , en vertu de l'U nité de la nature, que le luxe fût simple. Il est premier but d'Attraction passionnelle , comme le pivot de la lumière ou soleil est premier but d'Attraction maté rielle. Or, le luxe étant composé comme on vient de le voir, la lumière l'est de même, à moins de duplicité dans le système de la nature , sur la coïncidence du Mouvement en matériel et en passionnel. 2e Sous -foyer , LES GROUPES. Ce rameau fournit quatre passions secondaires , dites affectives. En Majeur En Mineur (1. Groupe d'Honneur, ou Corporation. ( 2. Groupe d'Amitié. 3. Groupe d'Amour. 4. Groupe de Famille ou de Parénté. Nos législateurs veulent subordonner le système so cial au dernier des quatre groupes , à celui de Famille, que Dieu a exclu presque entièrement de l'influence en Harmonie sociale , parce que c'est un groupe de lien matériel ou forcé , et non pas d'assemblage libre , passionnel , dissoluble à volonté. Il était digne des gens qui , dans tous leurs calculs , EXPOSITION. 115 sont à contre-sens de la nature, de prendre pour pivot de mécanique sociale celui des quatre groupes qui doit avoirle moins d'influence, puisqu'il manque de liberté ; ` aussi, dans l'Harmonie, n'a-t-il d'emploi actif quedans les cas où il est absorbé par les trois autres et opère dans leur sens. Toute contrainte engendrant la fausseté , elle doit s'établir en raison de l'influence du groupe de Fa mille , qui n'est ni libre ni dissoluble ; aussi n'y a-t-il rien de plus faux que les deux sociétés civilisée et pa triarcale , où domine ce groupe. La société barbare , plus sanguinaire, plus oppressive que la nôtre, est pourtant moins fausse, étant moins influencée par le groupe de Famille , l'un des plus grands germes de fausseté qu'il y ait dans le Mouvement. A titre de lien indissoluble , il est hétérogène dans l'esprit de Dieu , qui ne veut diriger que par l'Attraction ou liberté des liens et des impulsions. 3e Sous-foyer , LES SÉRIES OU affiliations de groupes ligués en Séries et jouissant des mêmes propriétés que les séries géométriques. Ce troisième rameau fournit trois des douze passions secondaires ; elles sont nom mées distributives et tendent à un mécanisme social et domestique fort inconnu en Civilisation ; il était connu de la société primitive : c'est le secret du bonheur perdu qu'il fallait retrouver. C'est donc sur l'art de former et mécaniser les Séries de groupes que doit rouler principalement le calcul de l'Harmonie passion nelle. Si les savants croyaient à cette Unité de l'Univers Twunke dont ils vous rabattent les oreilles , ils auraient 116 PREMIÈRE PARTIE. opiné que, si tout l'Univers, et tous les produits créés sont distribués par Séries, il faudrait pour nous rallier à l'Unité établir pareil ordre dans le jeu des passions sociales et domestiques. Il ne leur a pas plu d'admettre cette analogie, ni d'en induire la nécessité des recherches sur la formation des Séries passionnelles dont j'apporte le secret. Comme je ne le donne pas dans ce volume, ne trai tant des Séries que superficiellement dans la note A et dans la II® Partie 2 Notice, il m'a paru inutile de dé finir les trois passions qui tendent à la formation des Séries ; que servirait de décrire trois ressorts nouveaux sans décrire l'emploi qu'on en doit faire en mécanique sociale et domestique? Nous aurons souvent occasion de remarquer la divi sion des 12 passions secondaires, en 5 corporelles ou sensuelles et 7 animiques ou provenant de l'âme ( ce sont les 4 affectives et les 3 distributives) , et leur foyer collectif ou tige passionnelle , l'Unitéisme , passion qui comprend les trois rameaux primaires et est le résul tat de leur essor combiné. L'Unitéisme est le penchant de l'individu à concilier son bonheur avec celui de tout ce qui l'entoure, et de tout le genre humain , aujourd'hui si haïssable. C'est une philanthropie illimitée, une bienveillance univer selle, qui ne pourra se développer que lorsque le genre humain tout entier sera riche, libre et juste, confor mément aux trois passions sous-foyères, Luxe, Groupes et Séries, qui exigent : en 1er Essor, Richesse graduée pour les cinq sens ; en 2º Essor, Liberté absolue pourles quatregroupes; EXPOSITION. 117 en 3º Essor, Justice distributive pour les passions de ce nom . Si l'Unitéisme comprend les trois passions primaires , il renferme aussi les 12 secondaires contenues dans les trois primaires ; dès lors sera-t-il juste de comparer l'Unitéisme au rayon blanc qui contient les sept cou leurs solaires ? Il faut savoir que ce rayon en contient cinq autres invisibles pour nous, et qui ne sont pas aperçus, rose, fauve, marron, vert dragon, lilas (je ne suis bien certain que du rose et du fauve) . Le rayon blanc contient donc réellement douze rayons, dont il ne montre que sept, comme l'octave musicale contient douze sons dont sept prononcés. Il n'y a donc point d'exactitude à représenter l'Unitéisme comme la réu nion des 7 passions de l'âme dites affectives et distri butives, puisque cette réunion suppose l'essor de cinq sensitives et par conséquent l'essor des 12 passions se condaires. Il manque à ce Prospectus une définition de l'Uni téisme ou souche des passions, mais elle n'a aucun essor dans l'Ordre civilisé ; il suffit donc de fixer l'at tention sur la contre-passion ou Égoïsme qui domine si universellement que le système de perfectibilité per fectible, l'idéologie, a fait de l'Égoïsme ou du moi la base de tous ses calculs. Il était régulier, en étudiant des Civilisés, de ne voir en eux que des passions sub versives, qui ont leur échelle semblable à celle d'Har monie. Nos savants ne connaissent pas l'Unitéisme ou phi lanthropie illimitée ; ils n'ont, au lieu de cette passion, entrevu que son essor subversif ou contre-essor, manie 118 PREMIÈRE PARTIE. de tout subordonner à nos convenances individuelles. Cet odieux penchant a divers noms dans le monde sa vant; chez les moralistes, il s'appelle Egoïsme, chez les idéologues il se nomme le moi, mot nouveau qui ne dit rien de neuf et n'est qu'une paraphrase inutile de l'é goïsme dont on a toujours accusé les Civilisés, et avec raison, puisque leur état social, en faisant régner la fausseté et l'oppression, tend à subordonner les 12 pas sions à l'Égoïsme qui dès lors devient foyer subversif et remplace l'Unitéisme ou passion foyère harmonique. Le bonheur, notre but commun, étant l'essor de l'Unitéisme qui comprend l'essor de toutes les passions, il faut, pour simplifier nos études, fixer la thèse d'essor aux trois passions primaires, Luxisme, Groupisme, Sériisme, ou tout au plus aux 12 secondaires qui sont les subdivisions des trois primaires. Il est inutile d'étendre prématurément les détails aux 32 tertiaires , encore moins aux 134 quartiai– res , etc. , puisque l'essor complet des 3 primaires as sure celui des 32 tertiaires et des 134 quartiaires, des 404 quintiaires , etc. Ainsi donc, dans ce Prospectus, il suffit amplement de spéculer surl'essordes 3 primaires dites sous-foyères, et sur celui des 12 secondaires dites radicales d'octave et de gamme passionnelle. Nous connaissons fort bien les 5 passions sensitives tendant au Luxe, les 4 affectives tendant aux Groupes; il ne nous reste à connaître que les 3 distributives, dont l'essor combiné produit les Séries, méthode sociale dont le secret est perdu depuis les premiers hommes, qui nepurent maintenir les Séries qu'environ 300 ans. EXPOSITION. 119 Ce mécanisme est enfin retrouvé avec les dispositions nécessaires pour l'appliquer à la grande industrie. Notre tache, réduite à sa plus simple expression , est donc de déterminer le jeu du Sériisme ou troisième pas sion primaire ; c'est celle qui tient en balance les deux autres, Luxisme et Groupisme, dont la discorde est permanente sans l'intervention du Sériisme. L'accord des trois produit le bonheur en assurant l'essor de l'Unitéisme, tige et souche des passions ; il engendre tous les rameaux des divers degrés. J'en ai donné le classement ou échelle puissancielle ; répétons que l'arbre sorti de l'Unitéisme, passion in connue parmi nous, et qui est la contre-marche de l'É goïsme, donne en première puissance 3, en deuxième 12, en troisième 32, en quatrième 134, en cinquième side 404, plus le pivot, qui n'est jamais compté en Mouve -ment. Les caractères et tempéraments se classent dans le même ordre, à quelques variations près ; les tempéra ments sont 4 en 2° degré, plus le foyer; le 4° degré peut varier de 30 à 32, et ainsi des autres. On pourrait pousser l'analyse des passions, carac tères et tempéraments en 6°, 7°, 8e puissances. La 5º dans ce début suffira à notre curiosité , puisqu'elle donne l'ensemble de la Phalange d'Harmonie ou Des tinée domestique. J'irai plus loin dans le Traité. Conformément à l'Unité de l'univers matériel et pas sionnel, le système de l'Attraction est très fidèlement dépeint et suivi en mécanique sidérale ; on y voit 32 touches ou planètes du clavier graviter en mode col lectif sur l'Unitéisme , par l'équilibre et accord du ܘܐ ܪ ، ܃ 120 PREMIÈRE PARTIE . tourbillon avec la sphère étoilée dont il occupe le centre. Passant aux subdivisions et d'abord en 1er de gré, il gravite sur les trois sous-foyers : 1° Sur le Luxe ou pivot solaire; 2º Sur les quatre Groupes formés par les quatre planètes lunigères ; 3º Sur la Série formée par l'accolade des quatre groupes et des ambigus sur le pivot solaire. Passons à un aperçu des douze passions d'octave ra dicale de 2e puissance. XII . DES 12 PASSIONS RADICALES D'OCTAVES. J'en ai donné le classement, 5 sensitives, 4 affecti ves, 3 distributives. ] ( ) Ces trois dernières sont à peine connues des Civilisés ; on n'en voit poindre que des lueurs qui excitent la grande colère des mora listes, ennemis acharnés des voluptés. L'influence de ces trois passions est si faible et leur apparition si rare qu'on ne les a pas même classées distinctement; j'ai dû leur donner une dénomination d'engrenante, variante et graduante, maisje préfère les désigner par les numéros 10, 11 , 12 ; et je diffère à en donner la définition, car on ne croirait pas que Dieu , malgré toute sa puissance, pût jamais inventer aucun Ordre social capable d'as souvir trois passions si insatiables de voluptés. (1) La note manuscrite s'arrête ici et l'ancien texte réprend. EXPOSITION. 121 Les sept passions " affectives" et " distributives" dépendent de l'âme plus que de la matière ; elles ont rang de PRIMITIVES. Leur action combinée engendre une passion collective ou formée de la réunion des sept autres , comme le blanc est formé de l'union des sept couleurs du rayon ; je nommerai cette treizième pas sion Harmonisme [ ou Unitéisme] ; elle est encore plus inconnue que les 10° , 11 et 12° , dont je n'ai point parlé ; mais sans les connaître on peut raisonner sur leur influence générale . C'est ce que je vais faire. Quoique ces quatre passions, 10° , 11° , 12° et 13º, soient complétement étouffées par nos habitudes civi lisées, cependant leur germe existe dans nos âmes ; il nous fatigue, nous presse selon qu'il a plus ou moins d'activité dans chaque individu . De là vient que beau coup de Civilisés passent leur vie dans l'ennui , lors même qu'ils possèdent tous les objets de leurs désirs ; témoin César qui , parvenu au trône du monde , s'é tonna de ne trouver dans un si haut rang que le vide et l'ennui. Cette anxiété de César n'avait d'autre cause que l'influence des quatre passions étouffées, et sur tout de la treizième, qui exerçait sur son âme une pression très active ; dès lors il jouissait d'autant moins de son bonheur que l'avénement au rang su prême ne lui laissait aucune convoitise qui pût le dis traire et faire diversion à l'effort de cette treizième passion qui dominait en lui. Même disgrâce s'étend assez généralement sur les grands hommes de la Civilisation ; leur âme étant fortement agitée par les quatre passions qui n'ont pas de développement, il ne faut pas s'étonner si l'on voit 6 122 PREMIÈRE PARTIE. communément le vulgaire plus satisfait d'un bonheur médiocre que les grands ne le sont de leurs splendides jouissances. Ces grandeurs tant vantées, trône, domi nation, etc. , sont sans doute un bien réel, quoi qu'en disent les philosophes ; mais elles ont la propriété d'ir riter et non pas de satisfaire les quatre passions com primées ; et de là vient que la classe moyenne peut jouir davantage avec de moindres ressources, parce que ses bourgeoises habitudes n'irritent guère que les neufpremières passions dont l'Ordre Civilisé permet quelque développement, tandis qu'il ne laisse [ presque] aucun essor aux trois " distributives " ni à celle d'Har monisme. En général , l'influence des trois " distributives " produit les caractères qu'on accuse de corruption, et qu'on nomme libertins, débauchés, etc. La treizième ou Harmonisme produit ceux qu'on appelle originaux, gens qui semblent mal à leur aise en ce monde , et qui ne peuvent s'accommoder avec les usages de la Civili sation. Les Barbares sont " à peu près" étrangers à ces quatre passions que leur état social n'éveille en aucune manière; aussi sont-ils plus satisfaits que nous dans leurs brutales habitudes, qui tiennent aux neuf pas sions matérielles et spirituelles , les seules dont ils soient agités . En résumé , s'il n'y a de bonheur parfait pour le genre humain que dans l'Ordre des Séries groupées ou Ordre combiné, c'est qu'il assure plein développe ment aux douze passions radicales, et par conséquent à la treizième, qui est un composé des sept principales. EXPOSITION. 123 D'où il suit que, dans ce nouvel Ordre social, le moins fortuné des individus, homme ou femme, sera beau coup plus heureux que ne l'est aujourd'hui le plus grand des rois ; car le vrai bonheur ne consiste qu'à satisfaire toutes ses passions. Les douze passions radicales se subdivisent en une multitude de nuances qui dominent plus ou moins dans chaque individu ; il en résulte des caractères va riés à l'infini , mais qu'on peut rapporter à huit cent [dix ] principaux. La nature les distribue au hasard entre les enfants des deux sexes ; de sorte que parmi huit cent [dix] enfants rassemblés sans aucun choix, on peut trouver le germe de toutes les perfections où l'esprit humain puisse atteindre ; c'est-à-dire que cha cun d'eux sera doué naturellement de l'aptitude né cessaire à égaler l'un des êtres les plus étonnants qui aient paru , comme un Homère , un César , un Newton, etc. En conséquence, si l'on divise par huit cent [ dix ] le nombre de trente-six millions auquel s'élève la population de la France , on trouvera qu'il existe dans cet empire quarante-cinq mille individus capables d'égaler Homère , quarante-cinq mille capa bles d'égaler Démosthènes, etc. , s'ils eussentété " pré parés dès " l'âge de trois ans, et qu'ils eussent reçu l'éducation NATURELLE qui développe tous les germes distribués par la nature . Mais cette éducation ne peut avoir lieu que dans les Séries progressives ou Ordre combiné; on conçoit quelle sera dans ce nouvel Ordre l'affluence de gens célèbres dans tous les genres , puisque la seule population de la France en fournirait quarante-cinq mille de chaque espèce. En consé 124 PREMIÈRE PARTIE. quence, lorsque le globe sera organisé et porté au grand complet de trois milliards , il y aura habituelle ment sur le globe trente- sept millions de poëtes égaux à Homère, trente- sept millions de géomètres égaux à Newton, trente- sept millions de comédiens égaux à Molière, et ainsi de tous les talents imaginables. ( Ce sont là des estimations approximatives [ que les jour naux de Paris prennent à la lettre . ] ) C'est donc une grande erreur de croire que la nature soit avare de talents ; elle en est prodigue bien au delà de nos désirs et de nos besoins ; mais il vous reste à savoir découvrir et développer les germes ; c'est sur quoi vous êtes aussi ignorants qu'un Sauvage peut l'être sur la découverte et l'exploitation des mines. Vous n'avez aucun art, aucune pierre de touche pour dis cerner à quoi la nature destine les individus , quels germes elle avait implantés dans leurs âmes ; ces germes sont foulés , étouffés par l'éducation civilisée , et à peine en échappe-t-il un sur un million ; l'art de les découvrir sera une des mille merveilles que vous apprendra la Théorie des Séries progressives , dans lesquelles chacun développe et perfectionne au plus haut degré les différents germes de talents que la na ture lui a départis. Si les huit cent [dix] caractères sont distribués au hasard parmi les divers enfants, il ne faut pas s'éton ner du contraste habituel qu'on remarque entre les fils et les pères ; contraste d'où est né le proverbe : « A père avare, fils prodigue . » De là résulte le bouleverse ment continuel des intérêts de famille ; on voit un père former à grands frais et grandes peines un établisse EXPOSITION. 125 ment qui sera négligé, dégradé et vendu par son fils dont les goûts seront opposés. C'est pour les pères un sujet de déclamations intarissables contre la nature ; le nouvel Ordre social va justifier toutes ces injustices apparentes de la nature, même les plus révoltantes ; comme le délaissement du pauvre qui est d'autant moins protégé qu'il a plus besoin de secours et de tra vail, tandis que le riche qui n'éprouve aucun besoin se voit de plus en plus accablé des faveurs de la fortune et des offres d'emploi. Cette influence d'un génie mal faisant éclate dans toutes les branches de la Civilisa tion; elle nous y montre en tout sens la nature achar née contre le pauvre, le juste et le faible ; partout on y reconnaît l'absence d'une providence divine, et le règne permanent de l'esprit démoniaque , qui laisse briller parfois quelques lueurs de justice pour nous apprendre que la justice est bannie des sociétés civi lisées et barbares : Je ne sais, de tout temps, quelle injuste puissance . Laisse la paix au crime et poursuit l'innocence. Autour de moi , si je jette les yeux, . Je ne vois que malheurs qui condamnent les dieux. RACINE , dans Andromaque. • • · Ces désordres provisoires vous sembleront des dis positions de la plus haute sagesse quand vous aurez reconnu par la Théorie de l'Attraction, que l'Ordre civilisé a la faculté de développer les douze passions radicales en contremarche générale , et de produire constamment autant d'iniquités et d'horreurs que ces passions auraient produit de justice et de bienfaits 126 PREMIÈRE PARTIE. dans leur marche directe et leur développement com biné. Vous admirerez l'enchaînement régulier de ces calamités dont Dieu vous accable, et vous accablerait tant que vous vous obstineriez à vivre dans l'incohé rence industrielle ; vous reconnaîtrez que ces préten dues bizarreries du jeu des passions tiennent à de profonds calculs par lesquels Dieu vous prépare un immense bonheur dans l'Ordre combiné ; vous ap prendrez enfin que cette Attraction passionnée que vos philosophes accusent de vice et de corruption est le plus savant et le plus admirable des œuvres de Dieu ; puisqu'elle seule, sans aucune contrainte et sans autre appui que l'appât des voluptés, elle seule va établir l'Unité universelle sur le globe, et faire disparaître les guerres, les révolutions, l'indigence et l'injustice, pendant la carrière de septante mille ans d'Harmonie sociale où nous allons entrer. Je continue sur les so ciétés incohérentes dans lesquelles nous vivons. XIV. CARACTÈRES, Engrenages et Phases des Périodes sociales. Chaque période sociale a un nombre fixe de carac tères ou propriétés constituantes ; par exemple , la tolérance religieuse est caractère de 6º période et non de 5 ; l'hérédité du trône est caractère de 5 et non de 4º; etc. Dire que les caractères sont tirés du jeu des sept EXPOSITION. 127 passions primitives , qu'ils sont en nombre inégal se lon les périodes, ce serait faire désirer une définition des sept passions primitives ou radicales dont je ne veux pas traiter dans ce premier Mémoire. Pour parler seulement de la Civilisation ou 5º pé riode , je dirai qu'elle a seize caractères, dont quatorze tirés du jeu direct et inverse des sept passions pri mitives , et deux tirés du développement inverse de la passion Harmonisme. Chaque société se mélange plus ou moins de carac tères empruntés sur les périodes supérieures ou infé rieures ; par exemple les Français ont adopté en dernier lieu l'unité de relations industrielles et admi nistratives ; cette méthode , qui est un des caractères de la 6º période, s'est introduite par le système mé trique uniforme et le code civil Napoléon , deux insti tutions contraires à l'Ordre civilisé , qui a , parmi ses caractères , l'incohérence de relations industrielles et administratives. Nous avons donc sur ce point dérogé à la Civilisation et engrené en 6º période. Nous y avons engrené sur d'autres points encore, notamment par la tolérance religieuse. Les Anglais qui exercent une in tolérance digne du XIIe siècle , sont à cet égard plus civilisés que nous . Les Allemands sont de même plus civilisés que nous quant à l'incohérence des lois , des coutumes et des relations industrielles ; on trouve à chaque pas en Allemagne , des mesures,, monnaies, lois et usages différents , au moyen de quoi un étranger est volé et dupé bien plus facilement que s'il n'y avait qu'une mesure , qu'une monnaie , qu'un code, etc. Ce chaos de relations est favorable au mécanisme ci 128 PREMIÈRE Partie. vilisé , qui a pour but d'élever la fourberie au plus haut degré; c'est à quoi l'on parviendrait en déve loppant pleinement les seize caractères spéciaux de la Civilisation. « Cependant les philosophes prétendent qu'on a perfectionné la Civilisation en adoptant la tolérance religieuse , l'unité industrielle et administrative. » C'est fort mal s'exprimer ; il fallait dire qu'on a per fectionné l'Ordre social et dégradé la Civilisation ; en effet , si l'on adoptait successivement les seize carac tères de la 6º période , il en résulterait l'anéantisse ment complet de la Civilisation , on l'aurait détruite en croyant la perfectionner. L'Ordre social serait mieux organisé , mais on se trouverait en 6º période et non en 5º. Ces distinctions de caractère conduisent à une plaisante conclusion ; c'est que le peu de bien que l'on trouve dans l'Ordre civilisé, n'est dû qu'à des dispositions contraires à la Civilisation Et si l'on veut rendre la Civilisation pire encore , il faudra y ajouter des caractères de patriarcat qui sont très compatibles avec elle ; par exemple, l'éman cipation commerciale, ou la liberté de vendre à faux poids , à fausse mesure , de donner de fausses denrées, comme des pierres glissées dans le corps d'une balle. Toutes ces friponneries sont légalement permises en Chine ; là , tout marchand vend à faux poids , vend de fausses denrées impunément. Vous acheterez à Quanton un jambon de belle apparence, et en l'ouvrant vous n'y trouverez qu'une masse de terre artificiellement recouverte de tranches de chair ; tout marchand a trois balances ; une trop légère pour tromper les ache "( «< EXPOSITION. 129 teurs; une trop lourde , pour tromper les vendeurs , et une juste , pour son usage particulier. Si vous vous laissez prendre à toutes ces friponneries , le ma gistrat et le public riront de vous ; ils vous appren dront que l'émancipation commerciale existe en Chine, et qu'avec ce prétendu vice , le vaste empire chinois. se soutient depuis 4000 ans mieux qu'aucun empire d'Europe. D'où l'on peut conclure que le Patriarcat et la Civilisation n'ont aucun rapport avec la justice ni la vérité, et peuvent fort bien se soutenir sans don ner accès à la justice ni à la vérité , dont l'exercice est incompatible avec les caractères de ces deux so ciétés. Sans désigner les caractères des diverses périodes , j'ai fait entrevoir que chacune d'entre elles prend fré quemment ceux des périodes supérieures ou infé rieures. C'est sans contredit un mal que d'introduire ceux des périodes inférieures, comme l'admission le gale dufauxpoids, qui est empruntée de troisième pé riode , l'affiliation des clubs, qui est un janissariat civil, et un engrenage en quatrième période ou Barbarie. Ce n'est pas toujours un bien que d'introduire un caractère de période supérieure ; il peut, dans certains cas, se dénaturer par cette transplantation politique , et produire de mauvais effets ; témoin le divorce libre, qui est un caractère de sixième période, et qui a pro duit tant de désordre en Civilisation qu'on a été obligé de lui assigner les plus étroites limites. Cepen dant le divorce libre est un usage très salutaire en sixième période, et y contribue éminemment à l'har 6. 130 PREMIÈRE PARTIE. monie domestique ; c'est qu'alors il se combine avec d'autres caractères qui n'existent pas en Civilisation. L'on voit par là qu'il y a des ménagements à obser ver quand on introduit un caractère d'une période dans une autre , comme quand on transporte une plante dans un climat qui n'est pas le sien . L'on s'est trompé en croyant que la tolérance religieuse peut convenir aux Civilisés, sans aucune limite ; à la longue, elle produirait dans les États agricoles plus de mal que de bien , si elle n'exceptait pas les religions qui tiennent des mœurs de la quatrième, de la troisième et de la deuxième période , comme le mahométisme , le judaïsme et l'idolâtrie. Quant à présent, leur ad mission devient fort indifférente, puisque la Civilisa tion touche à sa fin. Chacune des sociétés incohérentes éprouve plus ou moins le besoin des caractères de la période supé rieure. Il n'en est aucune qui ressente plus vivement ce besoin que la Civilisation , elle se critique elle même et ouvertement sur ses propres caractères ; par exemple sur la fausseté qui règne en affaires d'a mour; les théâtres, les romans , les coteries ne re tentissent que de brocards à ce sujet, et ces plaisan teries , quoique insipides à force d'être répétées , se renouvellent chaque jour comme si elles étaient neu ves. Elles attaquent principalement les femmes , et mal à propos , car les deux sexes se trompent à qui mieux mieux dans leurs amours. Si les hommes sem blent moins faux , c'est parce que la loi leur donne plus de latitude, et déclare gentillesse chez le sexe fort ce qui est crime chez le sexe faible. On objecte à cela EXPOSITION. 131 que les conséquences de l'infidélité sont bien diffé rentes dans l'un ou l'autre sexe ; mais elles sont les mêmes quand une femme est stérile, ou quand elle garde son enfant sans l'attribuer à un homme non consentant. Si la loi eût assuré aux femmes le libre exercice de l'amour dans ces deux cas, on aurait vu diminuer cette fausseté amoureuse, objet de nos in justes sarcasmes, et l'on aurait pu sans nul inconvé nient adopter le divorce libre. Ainsi les Civilisés , par suite de leur esprit tyrannique envers les femmes, ont manqué le passage en sixième période , où les aurait conduits la loi dont j'ai parlé. Il était un moyen bien plus facile d'amener les femmes comme les hommes à une extrême franchise en affaires d'amour, et de faire passer le corps social à la liberté amoureuse, par une opération indirecte et purement économique ; c'est le Ménage progressif ou la Tribu à neufgroupes qui est l'Ordre domestique de septième période sociale, et dont je parlerai dans la seconde partie. Il y a dans chaque période un caractère qui forme PIVOT DE MÉCANIQUE et dont l'absence ou la présence détermine le changement de période. Ce caractère est toujours tiré de l'amour. En quatrième période c'est la servitude absolue de la femme; en cinquième période, c'est le mariage exclusif et les libertés civiles de l'é pouse; en sixième période c'est la corporation amou reuse qui assure aux femmes le privilége dont j'ai parlé plus haut. Si les Barbares adoptaient le mariage ex clusif, ils deviendraient en peu de temps Civilisés par cette seule innovation ; si nous adoptions la réclusion 132 PREMIÈRE PARTIE. et la vente des femmes, nous deviendrions en peu de temps Barbares par cette seule innovation ; et si nous adoptions les garanties amoureuses , telles qu'elles s'é tablissent en sixième période, nous trouverions dans cette seule mesure une issue à la Civilisation et une entrée en sixième période . En thèse générale , le caractère de Pivot, qui est toujours tiré des coutumes amoureuses , entraîne la naissance de tous les autres ; mais les caractères d'em branchement ne font pas naître le pivotal , et ne conduisent que très lentement au changement de pé riode ; des Barbares pourraient adopter jusqu'à douze des seize caractères civilisés et rester encore Barba res, s'ils ne prenaient pas le caractère pivotal, la li berté civile d'une épouse exclusive. Si Dieu a donné aux coutumes amoureuses tant d'in fluence sur le mécanisme social et sur les métamor phoses qu'il peut subir , ce fut une suite de son horreur pour l'oppression et la violence ; il voulut que le bon heur ou le malheur des sociétés humaines fût pro portionné à la contrainte ou à la liberté qu'elles ad mettraient. Or , Dieu ne reconnaît pour liberté que celle qui s'étend aux deux sexes et non pas à un seul ; aussi voulut-il que tous les germes des horreurs so ciales, comme la Sauvagerie, la Barbarie, la Civilisa tion, n'eussent d'autre Pivot que l'asservissement des femmes , et que tous les germes du bien social, comme les sixième , septième , huitième périodes , n'eussent d'autre Pivot, d'autre boussole que l'affranchissement progressif du sexe faible. Ces vérités ne seront pas goûtées des Civilisés ; ils EXPOSITION. 133 jugent les femmes sur leurs mœurs actuelles, sur une dissimulation à laquelle nos coutumes les obligent, en leur refusant toute liberté ; ils croient que cette duplicité est l'attribut naturel et invariable du sexe féminin. Cependant, si l'on observe déjà tant de diffé rence des dames de nos capitales aux odalisques d'un sérail , qui se croient des automates créées pour le passe-temps des hommes, combien la différence serait plus grande encore de nos dames à celles d'une na tion policée chez qui le sexe serait élevé à l'entière liberté ! Et quel caractère la liberté développerait elle chez de pareilles femmes? Voilà des questions que les philosophes se garderaient d'élever ; animés d'un esprit d'oppression , d'une antipathie secrète contre les femmes, ils les habituent par de fades com pliments à s'étourdir sur leur esclavage , et ils étouf fent jusqu'à l'idée de rechercher quelles mœurs pren draient les femmes dans un Ordre social qui dimi nuerait leurs chaînes. Il y a toujours quatre phases dans chacune des trente- deux périodes du Mouvement social. En consé quence, chaque période sociale , comme la Barbarie, la Civilisation ou autres , peut se diviser en quatre âges , enfance , accroissement , déclin et caducitė. Je donnerai dans la troisième partie de ce Mémoire un tableau des quatre phases de la Civilisation ; elle est actuellement en troisième phase , en déclin. Je m'ex plique sur le sens de ce mot. Une société peut tomber en déclin par l'effet de ses progrès sociaux ; les sauvages de Sandwich et de l'Ohio, qui adoptent quelques branches d'industrie 134 PREMIÈRE PARTIE . agricole et manufacturière, perfectionnent sans doute leur état social , mais ils s'éloignent par cette raison de l'Ordre sauvage , qui a parmi ses caractères la ré pugnance de l'agriculture. Ces peuplades de Sandwich et de l'Ohio nous présentent donc une sauvagerie en déclin, par l'effet du perfectionnement social. On peut dire dans le même sens que les Ottomans sont des Barbares en déclin ; car ils adoptent divers caractères de Cívilisation , comme l'hérédité du trône et autres usages qui, étant voisins des habitudes ci vilisées , constituent le déclin de la Barbarie. Ils avaient, avant la déposition de Sélim, adopté la tac tique militaire qui est un caractère de Civilisation ; ils ont perfectionné leur Barbarie en supprimant les troupes réglées, dont l'adoption était une mesure anti barbare et un engrenage en Civilisation. Ces exemples doivent suffire à expliquer ce que j'ai dit plus haut, savoir : qu'une société peut tomber en dé clin par l'effet des progrès sociaux. Les sociétés 1 ", 2º, 3º, perdent à décliner, puisque leur déclin les rapproche de la 4º , de la Barbarie, qui est la pire de toutes. Mais les sociétés 4º , 5º , 6º et 7e gagnent à décliner , puisque leur déclin les rappro che de la 8' , qui est porte d'entrée dans l'Ordre combiné. Les quatre phases , enfance , accroissement , déclin et caducité, ont chacune des attributs spéciaux ; par exemple, la première phase de Civilisation a pour at tributs le mariage exclusif combiné avec l'esclavage des cultivateurs; tel était l'ordre existant chez les Grecs et Romains, qui n'étaient qu'en première phase de Ci EXPOSITION. 135 vilisation. La deuxième phase et la troisième ont aussi leurs attributs ; lorsque j'indiquerai les attributs des quatre phases de la Civilisation , l'on verra que les philosophes ont cherché à la retarder, à la maintenir dans la phase d'enfance ; que c'est le hasard qui nous a conduits de première en deuxième phase, de deuxième en troisième, et qu'après ce progrès les philosophes ont eu l'art de s'arroger l'honneur d'améliorations auxquelles ils n'avaient jamais songé avant que le ha sard les eût amenées. Déjà j'en ai donné la preuve en observant qu'on n'a vu chez les Grecs et les Romains aucun philosophe proposer des plans pour l'affranchissement des escla ves; jamais ils ne s'occupèrent du sort de ces mal heureux, que Vedius Pollion faisait dévorer vivants par des lamproies, quand ils avaient commis la moin dre faute, et que les Spartiates égorgeaient par milliers, pour en diminuer le nombre, quand ils se multipliaient trop. Jamais les philanthropes d'Athènes et de Rome ne daignèrent s'intéresser à leur sort ni s'élever contre ces atrocités. Ils croyaient à cette époque que la Civilisation ne pouvait pas exister sans esclaves ; ils croient toujours que la Science sociale est parvenue à son dernier terme , et que le mieux connu est le mieux possible. Aussi voyant que l'Ordre civilisé était un peu moins mauvais que l'Ordre barbare et sauvage, ils en ont conclu que la Civilisation était la meilleure société possible , et qu'on n'en découvrirait point d'autre. Entre a des so les diverses périodes sociales , il Y ciétés mixtes ou bâtardes, qui sont mi-parties des ca 136 PREMIÈRE PARTIE. ractères de plusieurs périodes. La société russe est un mixte de quatrième et cinquième période, de Barbarie et de Civilisation . La société chinoise est la plus cu rieuse qu'il y ait sur le globe, sous le rapport de la mixtion ; car elle offre en quantité presque égale , des caractères de Patriarcat, de Barbarie et de Civilisation . Aussi les Chinois ne sont-ils ni Patriarcaux, ni Bar bares, ni Civilisés. 1 Les sociétés mixtes , comme la russe et la chinoise , ont les propriétés des animaux mixtes , comme le mulet: c'est d'avoir plus de vices et pourtant plus de vigueur que les sociétés originelles dont elles sont mi-parties. Il est infiniment rare et presque impossible de trou ver une société pure, exempte d'altération, et qui n'aìt pas quelque caractère emprunté des périodes infé rieures ou supérieures. J'ai observé que les Barbares d'Asie ont presque tous adopté l'hérédité du trône, qui est un caractère de Civilisation et une dérogation à l'Ordre barbare. Cet Ordre est plus pur à Alger, où le trône appartient légalement au premier occupant. J'ai déjà remarqué qu'il règne parmi nous plusieurs dispositions ultrà-civilisées ; je finis sur cette thèse qui exigerait un exposé régulier des caractères de cha que période, et surtout des seize caractères de Civili sation et des attributs spéciaux de chacune des quatre phases de cette période. EXPOSITION. 137 " CORROLLAIRES SUR XV. " LE MALHEUR des Globes pendant les Phases d'Incohérence sociale. Le bonheur, sur lequel on a tant raisonné ou plutôt tant déraisonné, consiste à avoir beaucoup de passions et beaucoup de moyens de les satisfaire. Nous avons peu de passions et des moyens à peine suffisants pour en satisfaire le quart ; c'est par cette raison que notre globe est pour le moment des plus malheureux qu'il y ait dans l'univers . Si d'autres planètes peuvent éprou .ver autant de mal-être, elles ne peuvent pas souffrir davantage, et la Théorie du Mouvement prouvera que Dieu, malgré toute sa puissance, ne peut pas inventer des tourments sociaux plus raffinés que ceux que nous endurons sur ce misérable globe. Sans entrer, à ce sujet, dans aucun éclaircissement, je me borne à observer que la planète la plus malheu reuse d'un tourbillon n'est pas toujours la plus pau vre ; Vénus est plus pauvre que nous, Mars et les trois nouvelles planètes le sont encore davantage ; leur sort est pourtant moins fâcheux que le nôtre : en voici la raison (¹ ). "Le globe " le plus infortuné est celui dont les ha bitants ont des passions disproportionnées aux moyens (1) Les quatre dernières lignes de cet alinéa depuis Vénus jusqu'à rai son sont effacées dans un des exemplaires annotés. 138 PREMIÈRE PARTIE . de jouissance ; tel est le vice qui afflige présentement notre globe ; il rend la situation du genre humain si fatigante qu'on voit éclater le mécontentement jusque chez les souverains. Jouissant d'un sort envié par tout le monde, ils se plaignent encore de n'être pas heu reux, quoiqu'ils soient libres de changer de condition avec chacun de leurs sujets . J'ai expliqué précédemment la cause de ce mal-être temporaire : c'est que Dieu a donné à nos passions l'in tensité convenable aux deux phases d'Ordre combiné, qui comprendront à peu près soixante-dix mille ans , et dans le cours desquelles chaquejournée nous offrira des jouissances si actives, si variées, que nos âmes pourront à peine y suffire , et qu'on sera obligé de raf finer méthodiquement les passions des enfants pour les rendre aptes à goûter les voluptés innombrables que présentera le nouvel Ordre social. Si nos Destins étaient bornés à la triste Civilisation, Dieu nous aurait donné des passions flasques et apathi ques, comme la philosophie les conseille , des passions convenables à la misérable existence que nous traî nons depuis cinq mille ans. Leur activité dont nous nous plaignons est le garant de notre bonheur futur. Dieu a dû former nos âmes pour les âges de bonheur, qui dureront sept fois plus que les âges de malheur. La perspective de cinq à six mille ans de tourmentes pré paratoires n'était pas un motif suffisant pour détermi ner Dieu à nous donner des passions molles et philo sophiques, qui auraient convenu aux misères civilisées et barbares , mais qui n'auraient aucunement convenu aux soixante-dix mille ans d'Ordre combiné où nous EXPOSITION. 139 allons entrer. Nous devons donc dès aujourd'hui ren dre grâces à Dieu de cette vivacité de passions qui avait excité nos ridicules critiques, tant que nous igno rions l'Ordre social qui pouvait les développer et les satisfaire . Pour obvier à cette ignorance, Dieu devait-il nous accorder lafaculté d'entrevoir nos brillantes Destinées? Non sans doute; cette connaissance eût été pour nos premiers pères un sujet de désolation continuelle , parce que l'imperfection de l'industrie les aurait rete nus forcément dans l'Ordre incohérent. Tout en pré voyant le bonheur futur, ils ne seraient pas moins tom bés dans la Sauvagerie, car l'Ordre combiné ne pou vait pas s'organiser avant que l'industrie et le luxe fussent élevés à un très haut degré, dont on était fort éloigné dans la première période. Il fallait bien des siècles pour créer le faste nécessaire à l'Ordre com biné , et nos premiers pères auraient dédaigné de per fectionner l'industrie, pour le bien des générations qui devaient naître dans plusieurs mille ans. Une apathie universelle aurait saisi les peuples ; nul homme n'au rait voulu travailler pour préparer un bien-être si éloigné que ni les vivants ni leurs arrière-neveux ne pouvaient espérer d'en jouir. Aujourd'hui même qu'on se vante de raison, l'on ne veut pas se livrer à certaines entreprises , comme la plantation des forêts , parce que la jouissance en est différée d'une génération ; comment donc nos premiers pères, qui avaient encore moins de raison que nous, auraient-ils pu se plaire à des travaux dont la jouissance eût été renvoyée au-delà de mille ans? Car il fallait au moins un laps de vingt 140 PREMIÈRE PARTIE. siècles pour élever l'industrie, les sciences et les arts au degré de perfection qu'exige l'entreprise de l'Ordre combiné. Que serait-il donc arrivé si les premiers hommes avaient entrevu cette future harmonie sociale, qui ne pouvait naître qu'après tant de siècles de progrès in dustriels? Il est probable que loin de travailler pour le vingtième siècle à venir, ils auraient pris plaisir à lui nuire, et qu'ils auraient dit d'un commun accord : Pourquoi serions-nous aujourd'hui les valets de gens qui naîtront dans deux mille ans? Abandonnons , étouffons dans sa naissance cette industrie dont le <« fruit ne serait que pour eux. Puisque nous sommes privés aujourd'hui du bonheur réservé à l'Ordre ༥ ་ « «<< combiné, que nos successeurs en soient privés comme << nous dans deux mille et dans vingt mille ans ; qu'ils ⚫ vivent comme nous avons vécu ! » N'est- ce pas là le caractère de l'homme? témoins les pères qui reprochent sans cesse aux enfants les innovations du luxe dont ils n'ont pas joui dans leur jeune temps. S'il nous fallait seulement vingt ans pour organiser les Séries progres. sives , quel est l'homme âgé qui se plairait à s'en occu per? Chacun, craignant de ne pas atteindre à ce terme, répugnerait à travailler pour des héritiers, sans certi tude de jouissance personnelle. Si j'annonce avec tant de sécurité l'Harmonie universelle comme très pro chaine , c'est que l'organisation de l'État Sociétaire n'exige pas plus de deux ans, à dater du jour où un canton prépare les édifices et plantations ; et l'on ver rait naître dans l'instant ce bel Ordre social, si les dis positions pouvaient se trouver faites en quelque lieu , EXPOSITION. 141 s'il existait quelques édifices et plantations qu'on pût affecter à une Phalange de Séries progressives. Or, la préparation du premier canton exigeant à peine deux ans, et le plus caduc des hommes pouvant toujours es pérer deux ans d'existence , il se plaira encore à l'idée d'organiser les Séries progressives , de les voir avant sa mort, et d'entonner à cet aspect le cantique de Si méon : « Seigneur, je vais mourir en paix, puisque j'ai « vu naître l'Ordre social que vous aviez préparé pour « le salut de tous les peuples. - D C'est à présent que l'homme pourra quitter la vie sans regret, puisqu'il aura la certitude de l'immortalité de l'âme, dont on ne pouvait s'assurer que par l'in vention des lois du Mouvement social. Nous n'avions eu jusqu'à ce jour sur la vie future que des notions si vagues, des peintures si effrayantes, que l'immortalité était plutôt un sujet de terreur que de consolation. Aussi la croyance était- elle bien faible , et il n'était pas à souhaiter qu'elle devint plus ferme. Dieu ne permet pas que les globes acquièrent pendant l'Ordre incohé rent des notions certaines sur une vie future des âmes ; si l'on en était convaincu , les plus pauvres des Civili sés se suicideraient dès l'instant où ils seraient assurés d'une autre vie, qui ne pourrait être pire que celle- ci l'est pour eux. Il ne resterait que les riches , qui n'au raient ni aptitude ni penchant à remplacer les pauvres dans leurs ingrates fonctions . Dès lors l'industrie ci vilisée tomberait par la mort de ceux qui en suppor tent le faix , et un globe resterait constamment dans l'état sauvage par la seule conviction de l'immor talité. 142 PREMIÈRE PARTIE. Mais Dieu ayant besoin de maintenir quelque temps . les sociétés civilisées et barbares pour servir d'ache minement à d'autres meilleures , il a dû nous laisser pendant la durée de la Civilisation dans une profonde ignorance au sujet de l'immortalité ; il a dû identifier les calculs qui donnent la certitude d'une autre vie avec ceux qui donnent le moyen de s'élever à un meil leur état que l'Ordre civilisé et barbare, pendant la duréeduquel la plupart des salariés [ et esclaves] se don neraient la mort s'ils pouvaient en assurance compter sur une vie future , dans laquelle ils ne verraient qu'une chance pour échapper à leur affreuse misère. Cette question des jouissances réservées aux âmes dans une autre vie met à découvert l'ignorance abso lue des Civilisés sur les vues de la nature. Que vous la connaissez mal quand vous placez le bonheur futur dans la désunion des deux principes , matériel et spi rituel ! et quand vous prétendez que les âmes après le trépas des corps, s'isoleront de la matière sans le con cours de laquelle il n'y aurait pour Dieu même aucune jouissance ! Le seul éclaircissement qu'il convienne de vous donner au sujet de cette vie future, c'est de vous détromper sur l'incohérence que vous supposez entre le sort des défunts et des vivants . Cessez de croire que les âmes des défunts n'aient aucune relation avec ce monde ; il existe des liens, des rapports entre l'une et l'autre vie ; il vous sera démontré que les âmes des trépassés végètent dans un état de langueur et d'an xiété dont les nôtres participeront après cette vie, jusqu'à ce que l'Ordre actuel du globe soit amélioré . Tant que la terre restera dans un chaos social , si con EXPOSITION. 143 traire aux vues de Dieu, les âmes de ses habitants en souffriront dans l'autre vie comme dans celle-ci , et le bonheur des défunts ne commencera qu'avec celui des vivants , qu'avec la cessation des horreurs de l'état ci vilisé, barbare et sauvage. Cette révélation deviendrait fâcheuse et même dés espérante s'il était difficile d'organiser l'Ordre com biné, dont l'établissement deviendra le signal du bon heur pour les trépassés comme pour les vivants ; mais l'extrême facilité d'établir ce nouvel Ordre nous rend précieuses les théories qui dissipent nos illusions sur la vie future, où nous n'aurions passé que pour y parta ger le mal-être et l'inquiétude dont les âmes de nos pères sont affectées en attendant l'Organisation socié taire du globe. La Théorie du Mouvement social, en vous faisant connaître le sort qui est réservé à vos âmes dans les divers mondes qu'elles parcourront pendant l'éternité, vous apprendra que les âmes après cette vie se rejoi gnent encore à la matière, sans jamais s'isoler des vo luptés matérielles . Ce n'est pas ici le lieu de toucher à cette discussion, non plus qu'à celle des causes qui ôtent temporairement à nos âmes la mémoire de leur existence passée, de leur sort antérieur à cette vie. Où étaient-elles avant d'habiter nos corps ? Dieune créant rien de rien, n'a pu former nos âmes de rien ; et si vous croyez qu'elles n'existaient pas avant les corps, vous êtes bien près de croire qu'elles retourneront au néant d'où vos préjugés les font sortir. Les Civilisés se sont montrés bien inconséquents de prétendre que l'âme puisse être immortelle après la vie , sans l'avoir 144 PREMIÈRE PARTIE. été avant la vie. Les Barbares et Sauvages, dans leurs fables grossières de la métempsycose, sont moins éloi gnés de la vérité; ce dogme en approche confusément sur deux points : 1 ° en ce qu'il ne fait pas naître nos âmes de rien ; 2º en ce qu'il n'isole pas nos âmes de la matière ni avant ni après cette vie. Voilà du moins deux lueurs de vérité dans des fictions populaires qui sont l'ouvrage des Barbares ; et ce n'est pas la pre mière fois que des nations brutes se seront montrées plus voisines du bon sens que les orgueilleux Civilisés, qui, avec leur jactance sur le perfectionnement de la perfectibilité, n'aboutissent qu'à s'engouffrer de plus en plus dans les ténèbres métaphysiques, politiques et morales, et couraient la chance de perdre mille ans encore à croupir dans la Civilisation. P. S. Dans cet exposé , j'ai évité de toucher à ce qui concerne les deux Mouvements " instinctuel " et organique, dontje ne com mencerai à parler quedans les Mémoires suivants , parce qu'il faut, avant d'en traiter, donner préalablement la Théorie du Mouve ment Social, auquel ils sont coordonnés. Comme on a exprimé le désir d'une notice sur les deux Mou vements animal et organique , et de quelques exemples à l'appui de la définition , je satisfais à cette demande par un chapitre annexé à la troisième partie ; il traitera du rapport hierogly phique de ces deux Mouvements avec les passions humaines et le mécanisme social. [ Ici devait être placé le Chapitre de l'Apocalypse calculée ou Subversion postérieure. Je l'ai renvoyé, ainsi que toute la Cos mog(onie) ant(érieure) , au second Prospectus où je traiterai plus amplement de la révélation perman(ente) . ] ÉPILOGUE. 145 ÉPILOGUE. SUR LA PROXIMITÉ DE LA MÉTAMORPHOSE SOCIALE. En réfléchissant sur cet aperçu des révolutions fu tures et passées, quels soupçons vont s'élever dans les esprits ! D'abord ils flotteront entre la curiosité et la défiance ; séduits à l'idée de pénétrer les mystères de la nature, ils craindront d'être abusés par une ingé nieusefiction. La raison leur dira de douter, la passion les pressera de croire. Ebahis de voir un mortel dé rouler à leurs yeux la charte des décrets divins , et planer sur l'éternité future et passée , ils céderont à la curiosité, ils tressailleront de ce qu'enfin l'homme a su • Dérober au Destin ses augustes secrets ; et avant que l'expérience ait prononcé, avant même que ma Théorie soit publiée , j'aurai peut-être plus de prosélytes à modérer que de sceptiques à con vaincre. Les notions queje viens de donner sur les Destinées générales sont trop superficielles pour ne pas exciter d'innombrables objections ; j'entrevois toutes celles qui vont être élevées ; elles m'ont été faites maintes fois dans des conférences où j'ai donné divers éclair cissements dont ce premier Mémoire n'est pas suscep tible ; il serait donc inutile que je m'occupasse à lever aucun doute avant d'avoir expliqué le mécanisme des " 7 146 PREMIÈRE PARTIE. Séries progressives qui dissipera toutes les obscurités, et résoudra toutes les objections possibles. Jusque-là je me borne à rappeler que les deux pre miers Mémoires ne toucheront point à la Théorie du Mouvement social ; ils n'auront d'autre objet que de satisfaire l'impatience, de donner (aǹnsi que je l'ai fait dans l'Exposition) quelques aperçus que l'on sollicite, d'indiquer les résultats prochains de l'Ordre combiné, et de contenter les personnes ardentes qui veulent an ticiper sur la publication du Traité, s'assurer par di vers indices que la Théorie des Destins est vraiment découverte. On croit aisément ce qu'on désire , et beaucoup de lecteurs n'attendront pas de plus amples développe ments pour donner à l'invention une pleine confiance. Voulant soutenir leur espérance et l'affermir chez ceux qui hésiteraient , j'insiste spécialement sur la facilité de faire passer sans délai le genre humain à l'Ordre combiné. Cette facilité est si grande qu'on pourra dès la présente année 1808 voir commencer l'Organisa tion du globe ; si un prince veut employer au canton d'esquisse une des armées que la paix continentale laisse dans l'inaction , s'il affecte vingt mille hommes aux travaux préparatoires du canton d'essai, l'on pourra, en transplantant les arbres avec leur terre na tale (ainsi que cela se pratique à Paris) , et en se bor nant à des constructions en briques , accélérer telle ment l'entreprise qu'à la fin du printemps de 1808 la première Phalange de Séries progressives entrera en exercice ; et le chaos civilisé , barbare et sauvage se dissipera aussitôt par toute la terre , emportant ÉPILOGUE. 147 les malédictions unanimes de tout le genre humain. Onvoit par là combien nous sommes fondés à sor tir de la léthargie, de la résignation apathique au mal heur et du découragement répandu par les dogmes phi losophiques qui établissent la nullité de la Providence en fait de Mécanisme social et l'incompétence de l'es prit humain pour déterminer notre Destination future. Eh! si le calcul des événements futurs est hors de la portée de l'homme , d'où vient cette manie com mune à tous les peuples de vouloir sonder les Des tinées , au nom desquelles l'homme le plus glacial ressent un frémissement d'impatience? tant il est im possible de déraciner du cœur humain la passion de connaître l'avenir ! Eh! pourquoi Dieu, qui ne fait rien en vain , nous aurait- il donné cet ardent désir , s'il n'avait avisé aux moyens de le satisfaire un jour? Enfin ce jour est arrivé, et les mortels vont partager avec Dieu la prescience des événements futurs : j'en. ai donné ce léger aperçu pour vous amener à con clure que, si cette connaissance si merveilleuse et tant désirée tient à la Théorie de l'Association agri cole et de l'Attraction passionnée, rien n'est plus digne de piquer votre curiosité que cette Théorie de l'Asso ciation et de l'Attraction qui vous sera communiquée dans les Mémoires suivants , et qui vous ouvrira le grand livre des Décrets éternels. « La Nature, disent les philosophes, est couverte « d'un voile d'airain que tous les efforts des siècles « ne sauraient percer (¹) . (Anacharsis. ) » Voilà un so (1) En marge : [ Je ne cesserai de leur reprocher ces op ( inions ) . ] 148 PREMIÈRE PARTIE. phisme bien commode pour l'ignorance et l'amour propre; ce qu'on n'a pas pu, l'on aime à persuader que d'autres ne le pourront pas . Si la Nature est voilée, ce n'est pas d'airain , mais tout au plus de gaze. Puis que Newton a découvert la 4° branche de ses mys tères, c'est un indice qu'elle ne voulait pas nous re fuser la connaissance des trois autres branches . Quand une belle accorde quelque faveur, l'amant serait bien sot de croire qu'elle n'accordera rien de plus . Pour quoi donc les philosophes ont-ils molli près de cette Nature qui les agaçait en leur laissant soulever un coin du voile? Ils se vantent de répandre des torrents de lumières. Eh! dans quelle source les ont- ils puisées ? Ce n'est pas dans la Nature, puisqu'elle est, de leur aveu, « impé << nétrable pour eux et couverte d'un voile d'airain . » C'est avec ces brillants paradoxes que les philoso phes communiquent le découragement dont ils sont frappés , et persuadent au genre humain qu'on ne découvrira rien , là où leur science n'a rien su dé couvrir. Cependant l'Ordre social , malgré l'impéritie de tels guides, fait encore quelques progrès , comme la sup pression de l'esclavage ; mais quelle lenteur à conce voir et exécuter le bien ! Il s'est écoulé vingt siècles scientifiques avant qu'on proposât le moindre adou cissement au sort des esclaves ; il faut donc des milliers d'années pour ouvrir nos yeux à une vérité, pour nous suggérer un acte de justice ! Nos sciences, qui se vantent d'amour pour le peuple, sont complé tement ignares sur les moyens de le protéger ;; aussi ÉPILOGUE. 149 OK ade es AS יב T $S1 les tentatives des modernes pour l'affranchissement des nègres n'ont-elles abouti qu'à verser des flots de sang, qu'à aggraver le mal de ceux qu'on voulait servir ; et l'on est encore ignorant sur les méthodes d'affranchissement, bien que l'opération soit démon trée possible par le fait des usages modernes, [ dont on ne sait pas déduire une Théorie d'affranchissement gradué ]. C'est " done" au hasard, et non pas aux sciences politiques et morales , que nous devons nos faibles progrès dans l'esprit social ; mais le hasard nous fait acheter chaque découverte par des siècles d'essais ora geux. La marche de nos sociétés est comparable à celle de l'Aï, dont chaque pas est compté par un gé missement; ainsi que lui la Civilisation s'avance avec une inconcevable lenteur à travers les tourmentes politiques ; à chaque génération elle essaie de nou veaux systèmes , qui ne servent , comme les ronces , qu'à teindre de sang les peuples qui les saisissent. Nations infortunées, vous touchez à la grande mé tamorphose qui semblait s'annoncer par une commo tion universelle. C'est vraiment aujourd'hui que le présent est gros de l'avenir et que l'excès des souf frances doit amener la crise du salut. A voir la conti nuité et l'énormité des secousses politiques, on dirait que la Nature fait effort pour secouer un fardeau qui l'oppresse. Les guerres, les révolutions embrasent in cessamment tous les points du globe ; les orages, à peine conjurés , renaissent de leurs cendres, de même que les têtes de l'hydre se multipliaient en tombant sous les coups d'Hercule. La paix n'est plus qu'un leurre, qu'un songe de quelques instants ; l'industrie 150 PREMIÈRE PARTIE. est devenue le supplice des peuples, depuis qu'une île de pirates entrave les communications, décourage les cultures des deux continents, et transforme leurs ate liers en pépinières de mendiants. L'ambition colo niale a fait naître un nouveau volcan ; l'implacable fureur des nègres changerait bientôt l'Amérique en un vaste ossuaire , et vengerait par le supplice des conquérants les races indigènes qu'ils ont anéanties. L'esprit mercantile a ouvert de nouvelles routes au crime; à chaqueguerre il étend les déchirements sur les deux hémisphères, et porte jusqu'au sein des régions sauvages les scandales de la cupidité civilisée ; nos vaisseaux n'embrassent le monde entier que pour as socier les Barbares et Sauvages à nos vices et à nos fureurs. Oui, la Civilisation devient plus odieuse aux approches de sa chute ; la terre n'offre plus qu'un affreux chaos politique ; elle appelle le bras d'un autre Hercule pour la purger des monstruosités sociales qui la déshonorent. Déjà le nouvel Hercule a paru ; ses immenses tra vaux font retentir son nom de l'un à l'autre pôle, et l'Humanité, accoutumée par lui au spectacle des faits miraculeux, attend de lui quelque prodige qui chan gera le sort du monde. Peuples , vos pressentiments vont se réaliser ; la plus éclatante mission est réservée au plus grand des héros ; c'est lui qui doit élever l'Harmonie universelle sur les ruines de la Barbarie et de la Civilisation (1) . Respirez et oubliez vos antiques (1) [ Cet article fut composé pour me conformer aux coutumes, usages de 1808 , qui exigeaient dans tout ouvrage une bouffée d'encens pour l'Empereur . ] ÉPILOGUE. 151 malheurs; livrez-vous à l'allégresse , puisqu'une inven tion fortunée vous apporte enfin la Boussole sociale (¹ ) , que vous auriez mille fois découverte, si vous n'étiez tous pétris d'impiété , tous coupables de défiance en vers la Providence. Apprenez ( et je ne saurais trop vous le répéter ) qu'elle a dû avant tout statuer sur l'ordonnance du Mécanisme social, puisque c'est la plus noble branche du Mouvement universel dont la direc tion appartient tout entière à Dieu seul. Au lieu de reconnaître cette vérité, au lieu de vous appliquer à rechercher quelles peuvent être les vues de Dieu sur l'Ordre social et par quelle voie il peut nous les révéler, vous avez écarté toute thèse qui eût admis l'intervention de Dieu dans les relations hu maines ; vous avez avili, diffamé l'Attraction passionnée, interprète éternel de ses décrets ; vous vous êtes confiés à la direction des philosophes qui veulent ravaler la Divinité au- dessous d'eux , en s'arrogeant sa plus haute fonction, en s'établissant régulateurs du Mouvement social. Pour les couvrir de honte Dieu a permis que l'Humanité , sous leurs auspices , se baignât dans le sang pendant 23 siècles scientifiques , et qu'elle épuisât la carrière des misères , des inepties et des crimes. Enfin , pour compléter l'opprobre de ces Titans mo dernes, Dieu a voulu qu'ils fussent abattus par un in (1) La Boussole sociale. C'est un nom qui convient éminemment aux Séries progressives , puisque cette opération si simple et si facile résout tous les problèmes imaginables sur le bonheur social, et suffit à elle seule pour guider la politique humaine dans le labyrinthe des passions, comme l'aiguille aimantée suffit à elle seule pour guider le navire, dans l'obscurité des tempêtes et l'immensité des mers. 152 PREMIÈRE PARTIE. venteur étranger aux sciences, et que la Théorie du Mouvement Universel échût en partage à un homme presque illitéré (¹ ) . C'est un sergent de boutique qui va confondre ces bibliothèques politiques et morales , fruit honteux des charlataneries antiques et modernes. Eh ! ce n'est pas la première fois que Dieu se sert de l'humble pour abaisser le superbe, et qu'il fait choix de l'homme le plus obscur pour apporter au monde le plus important message. (1 ) Illitéré. Sic. FIN DE LA PREMIÈRE PARTIE. AVERTISSEMENT DES ÉDITEURS SUR LA DEUXIÈME PARTIE. Cette nouvelle édition pécherait gravement par omission , elle serait , à proprement parler, infidèle, en d'autres termes, elle ne serait pas conforme à la Théorie de Fourier ni d'accord avec sa volonté, si les Editeurs n'avaient pas soin de placer, en tête de la DEUXIÈME PARTIE , un Avertissement sans lequel l'auteur n'eût certainement pas consenti à la réimpression de son ouvrage. • De toutes les erreurs que contenait la Théorie des quatre Mouvements , composée en 1807 ( erreurs que les progrès de l'Auteur dans la Science, et l'habitude d'en manier les calculs, lui firent reconnaître postérieurement) , la plus grande, celle qu'il importe surtout de signaler, est relative à l'Organisation des libertés amoureuses , dont il va être question dans la DEUXIÈME PARTIE. En 1807, Fourier ne possédait pas la Théorie régulière et com plète de cette Organisation ( voyez l'observation manuscrite re produite à la page 159 ) ; mais , ce qui est beaucoup plus grave , c'est qu'il n'était pas encore entré dans les calculs sur l'ordre majeur et sur l'ordre mineur, qui lui firent découvrir et procla mer plus tard le théorème suivant : Les réformes dans l'ordre mineur (qui comprend les relations d'Amour et de Famille) , loin de pouvoir étre contemporaines des réformes opérées dans l'ordre majeur (qui comprend les re lations d'Amitié , ďAmbition , le Mécanisme de l'Industrie ) 2 NE PEUVENT SUIVRE CELLES- CI QU'A PLUSIEURS GÉNÉRATIONS DE DISTANCE. 7. 154 AVERTISSEMENT . Ainsi , la Théorie du Mouvement Social , indique et prévoit les changements qui seront apportés un jour par la société dans les lois et dans les coutumes ( très diverses d'ailleurs ) qui ré gissent aujourd'hui l'union des sexes chez les différents peuples ; mais la Théorie apprend en même temps , et c'est ce que Fou rier n'avait pas encore reconnu en 1807, que ces changements exigent impérieusement des conditions que l'Ordre sociétaire , à partir de son Organisation générale sur le globe, mettra plusieurs générations à créer et à développer. à Lorsque Fourier fut en possession des principes qui donnèrent le dernier degré de fixité à sa découverte sociale , il résolut de laisser dans la plus grande obscurité son ouvrage de 1808 , cause des erreurs qu'il contenait ; il regarda absolument comme non avenu , et dans l'Exposition régulière qu'il fit de sa découverte, sous le titre de TRAITÉ DE L'ASSOCIATION DOMES TIQUE-AGRICOLE, en 1822 , il ne parla pas plus de la THÉORIE DES QUATRE MOUVEMENTS que si elle n'eût jamais existé. Aussi , dans son grand ouvrage de 1822, qu'il considérait comme devant seul faire autorité , il ne réfuta point les passages er ronés d'un Prospectus abandonné et publié d'ailleurs sans nom d'auteur: en parlant des lois et usages qui , d'après la Théorie , doivent régler les relations des sexes dans les périodes d'Harmo nie , il se borna à prévenir que de pareilles coutumes n'étaient pas seulement inadmissibles dans l'état actuel de la société, mais le seraient encore pendant les premières générations du Nouvel Ordre. Lorsque, dans les derniers temps de sa vie, il était question d'une nouvelle édition de la THÉORIE DES QUATRE MOUVEMENTS , il nous parlait toujours de la nécessité où il serait de faire de nombreuses rectifications à la première édition , et il insistait principalement sur l'objet du présent Avertissement qu'il se ré servait de traiter avec beaucoup de détail. C'est ce qui nous a fait une loi de présenter , à cette place et dans le texte même , les observations qu'on vient de lire , et de les appuyer des cita tions suivantes qui sont empruntées à diverses publications de l'Auteur, postérieures au grand Traité de 1822 : .... Je dois ces détails pour démenti aux détracteurs qui pré • tendent que je propose d'établir des libertés en amour dès le « début de l'Harmonie , quand le contraire est exprimé en toutes lettres dans vingt passages de mon Traité de 1822. 巡 AVERTISSEMENT. 155 « Loin d'opiner ainsi , je suis le seul homme qui puisse expli quer pourquoi ces libertés sont inadmissibles au début de << l'Harmonie commeen Civilisation . ( 1829. -Nouv. Mond. ind., 3º sect. , p. 283. ) } • Tous ces nouveaux régénérateurs , Owen , Saint-Simon et autres , inclinent fort à spéculer sur l'émancipation des femmes; ils ignorent qu'avant de rien changer au système • établi en relations d'amour il faudra bien des années pour · « @ créer plusieurs garanties qui n'existent pas..... D'autre part , les modifications, en régime des amours, ne seront - applicables qu'à une génération polie , élevée tout entière dans le Nouvel Ordre et fidèle à certaines lois d'honneur et « de délicatesse que les Civilisés se font un jeu de violer . On applaudit en France à celui qui trompe femmes et maris ; les << mœurs des Civilisés sont un cloaque de vices et de duplicité. « Une génération façonnée à de telles habitudes ne pourrait · qu'abuser d'une extension de libertés en amour…..▾ 名 85 a « Et lorsque l'admission de ces libertés pourra convenir sous « les rapports de la fortune et des mœurs, on ne les introduira « que par degrés et non pas subitement... Chacune des libertés - ne sera admise qu'autant qu'elle aura été votée , sur tout le globe , par les pères et les maris ; alors on pourra la croire « utile. L'effet de ces libertés sera de concourir puissamment « au charme des travaux , à l'accroissement du produit et au règne des mœurs loyales ; mais en Civilisation on ne verrait naître que les trois effets opposés . ( 1831.- Pièg. et Charl. des } deux sect. S.- Sim. et Ow. , p. 53. ) • Non-seulement vous ne verrez pas ces corporations , qui ne pourront guère se former qu'après soixante ans d'Harmonie ; " « mais pour la honte de votre Civilisation et de ses moralistes , « on ne verra pas même en début d'Harmonie le corps vesta . a a • a a 46 lique, ressort du plus grand prix en bonnes mœurs ; on ne pourra pas le former avant la dixième année. ( 1838. Jour nal la Réf. ind. ou le Phal. , t. 2 , p. 187. ) Signalons bien la ruse des Zoiles au sujet de mes aperçus d'Harmonie future ; ils transportent les dates et annoncent 寫 « comme subites , immédiates , certaines coutumes qui s'éta bliront au bout d'un siècle ; en outre , ils donnent sur ces 46 << coutumes les notions les plus fausses ; d'autre part , ils ridi culisent les innovations praticables subitement , comme la 156 AVERTISSEMENT. ⚫4 gastronomie émulative , appliquée aux rivalités industrielles . « (id...id. ) " - Vous me diffamez , parce que , en mécanisme d'amours ⚫ comme de toutes passions , j'indique pour voie d'harmonie la Série ou échelle d'essors gradués en genres et espèces appli - cables par degrés , quelques-uns rapidement , d'autres avec lenteur. Vous insinuez méchamment que je propose de brus quer l'innovation , brusquer certaines réformes que je déclare inapplicables avant les 3 et 4e générations d'Harmonie. J'ai au contraire distingué et motivé les délais que devra subir l'avénement de chaque passion et de chaque relation à - son plein d'harmonie , à son apogée d'essor. J'ai dit qu'on - pourra très rapidement donner cours à divers rameaux d'Am bition et d'Amitié, plus promptement encore à la gastronomie ; • mais quant aux harmonies d'Amour et de Famille, je n'ai pas promis d'avénement subit ; et , pour ses péchés, notre généra tion sera sur ce point punie comme Moïse, qui vit de loin la terre promise et ne put y entrer. ( Id.... p. 188. ) » Mais quelle est l'inconséquence de ces rigoristes ombra geux qui me disent : Vous devriez ne pas parler de tels sujets , par exemple des dispositions d'Amour appliquées à " l'industrie. quelle confiance méritera ma Théorie si on a« peut présumer qu'elle ne s'étend pas à toutes les passions et " a a 4 a · 4 « 46 " • · " qu'elle négligera les plus puissantes , Gastronomie , Amour, Ambition, sans savoir les utiliser ? Ne suffit-il pas que j'indique ⚫ les délais qu'éprouvera forcément telle innovation , et que je · a » "( répète souvent : Les innovations n'auront jamais lieu que a• d'après les votes unanimes des pères et des maris ? » ( Id..., p. 230. ) Nous pourrions multiplier beaucoup les citations ; mais les précédentes suffiront à l'objet de cet Avertissement. Nous termi nerons en répétant ce que Fourier ne se fait pas faute de dire tout le long du présent ouvrage, à savoir que cette première pu blication n'ayant été composée que comme un simple Prospectus destiné à sonder l'opinion , et que l'Auteur n'y ayant point dé veloppé sa Théorie, sa Science , on ne saurait y trouver ce qui n'y est pas. Pour être à même de porter un jugement sur le sys tème social de Fourier , il faut donc l'étudier dans les ouvrages où ce système est exposé. ( Avertissement des Éditeurs. ) DEUXIÈME PARTIE.

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DESCRIPTION DE DIVERSES BRANCHES DES DESTINS PRIVÉS OU DOMESTIQUES. ARGUMENT. L'horizon va s'éclaircir ; nous passons à des disser tations qui n'auront rien de scientifique et seront à portée de tout le monde. Dans la première partie j'ai présenté aux curieux un aperçu des grands phénomènes futurs . Voici pour les voluptueux un aperçu de diverses jouissances que l'Ordre combiné peut leur faire goûter dès la généra tion présente , sitôt qu'il sera organisé. J'insiste sur cette proximité de bonne fortune ; car en fait de plaisir on n'aime pas les délais, surtout dans un temps où l'excès des malheurs a rendu chacun si pressé de jouir. En donnant des peintures anticipées du bonheur 158 DEUXIÈME PARTIE. prochain, mon intention déjà exprimée est d'intéres ser le lecteur à la Théorie de l'Association et de l'At traction qui promet tant de délices , de lui faire souhai ter que cette Théorie soit praticable. A mesure qu'on formera des vœux pour la véracité et la justesse du calcul, on s'habituera insensiblement à examiner et étudier cette Attraction sur laquelle se fonderont de si grandes espérances. D'après ces considérations, je ne veux produire que peu à peu ma Théorie, la disséminer insensiblement dans chaque Mémoire , et la rassembler ensuite en corps de doctrine . Bref, je veux proportionner les doses de Théorie à la dose de curiosité que j'aurai pu exciter. Je crois ces précautions nécessaires pour faire accueillir un Traité qui serait dédaigné comme toute science métaphysique si je le produisais brusquement et sans avoir préparé les voies . En ébauchant quelques descriptions de l'Ordre com biné, mon embarras ne sera pas d'en embellir, mais d'en affaiblir la peinture , et de ne soulever qu'un coin du rideau . J'ai dit que ces tableaux présentés sans mé nagement causeraient trop d'enthousiasme , surtout chez les femmes; or, je désire amener les lecteurs au raisonnement, et non pas à l'engouement que je pour rais exciter, si je laissais d'abord entrevoir l'Ordre combiné dans tout son éclat. En conséquence, dans les tableaux qui vont suivre , je glisserai sur ce qui tient aux jouissances, et ne les ferai connaître qu'autant qu'il faudra pour amener la critique des ennuis et des ridicules de la Civilisation. La perspective se composera de deux Notices des criptives . DESCRIPTION. 159 La 1 Notice, tirée de 7º Période, traitera des plai sirs du ménage dans cette société et des ennuis du mé nage en Civilisation. La 2 Notice, tirée de 8° Période, traitera de la splen deur de l'Ordre combiné. Pour ménager la surprise et procéder par grada tion, je débute par un tableau pris en 7º période où les plaisirs, déjà immenses au prix des nôtres, sont encore modérés, au prix de ceux de l'Ordre combiné, dont je ne parlerai qu'à la 2º Notice. Cette 1re n'aura rien de choquant et ne donnera pas lieu , comme la seconde , au reproche de ridicule, de gigantesque et d'impossible. OBSERVATION. [Est-on fondé quand on reproche à ce Prospectus une teinte cynique dans les détails qui touchent à l'Amour ; cette critique n'est juste qu'abstractivement , elle est fausse relativement , je le prouve. 4 En 1807 , mes progrès dans la Théorie d'Harmonie ne s'éten daient guère qu'aux relations d'Amour sensuel qui , étant les plus faciles à calculer, devaient être l'objet des premières études . Ce n'est que depuis 1817 que je tiens la Théorie des Céladonies harmoniennes en simple et en puissanciel , Théorie qui figurera avantageusement dans le Traité et qui renverra à l'école nos champions sentimentaux, nos troubadours et bergers du Lignon . Ils seront convaincus de n'être que des cyniques travestis ; il en sera de même de nos Paméla et fausses Agnès tant de la ville que des innocentes campagnes qui l'emportent sur la ville en hypo crisie sans lui céder en cynisme. C'est ici le cas de répéter avec La Fontaine que Petit poisson deviendra grand, Pourvu que Dieu lui prête vie, et qu'on ne doit pas s'étonner si dans cette annonce écrite dans la 160 DEUXIÈME PARTIE . huitième année d'invention , je n'ai envisagé, des amours d'Har monie, que la partie sensuelle, très incomplète encore. Une science nouvelle ne peut grandir que par degrés et se ressent longtemps de l'impulsion générale. Entouré de Civilisés qui sont tous des cyniques ( ou peu s'en faut ) , j'ai dû en abor dant les amours d'Harmonie m'arrêter d'abord à la branche des relations sensuelles , qui offre déjà un vaste champ aux calculs. Ensuite est venue la branche céladonique ou sentimentale bien plus difficile à débrouiller : tout cela ne pouvait pas marcher de front, et j'ai dû, en 1807 , traiter des relations d'Amour sensuel d'Harmonie , les seules dont le cadre fût entrevu à cette époque. Les études en Sentimental ou Céladonique n'ayant pu com mencer qu'après les découvertes de 1814 , il faudra se rappeler , dans tous les chapitres du Prospectus qui traitent d'Amour, que je n'y dois que des aperçus du genre sensuel , puisque le calcul en 1807, n'avait pas pu aller plus loin . Il en sera tout au trement dans le Traité de 1821 . Les mathématiques sont, comme l'Amour, composées de deux branches, la matérielle ou géométrie , et la spirituelle ou algèbre. L'une est le corps , l'autre est l'esprit de la science. Au temps d'Eu clide on ne connaissait que la partie matérielle ou géométrie. Était-on coupable pour ne rien dire de l'algèbre encore inconnue ? Est-il sensé d'exiger que l'arbre donne en un même jour et la fleur et le fruit, et de reprocher à ma science la marche progres sive qu'ont suivie toutes les connaissances humaines ? ] [ Civilisation ) raison de haïr indépendance ) des fem ( mes ); car sans contre- poids produit U2Z2 >. Sed non calcul avec contre-poids ; inde non vanter indépendance ) actuelle ; contra, sérails préférabl ( es ) . ] ( ¹ ) (1 ) Cette seconde note est écrite à la suite du dernier alinéa de la page 161 ci - contre, en marge. PREMIÈRE NOTICE. ' SUR LE MÉNAGE PROGRESSIF DE LA 7. PÉRIODE , ET SUR LES ENNUIS DES DEUX SEXES DANS LE MÉNAGE INCOHÉRENT. Le Ménage progressif dont je vais parler est un or dre domestique affecté aux 7° et 26º périodes ; il tient le milieu entre le Ménage incohérent des Civilisés et Barbares, et le Ménage combiné qui règne dans les 18 Périodes d'Harmonie universelle. Dans le Ménage progressif, les hommes [ et les femmes ] jouissent d'une existence si agréable et si commode qu'il deviendrait impossible de décider au cun d'entre eux au mariage permanent qu'exigent nos ménages isolés. Avant de parler des mœurs qui naîtraient de l'ab sence du mariage, j'examinerai d'où peut provenir l'aveugle prévention des Civilisés en faveur du mariage permanent. Il faudra se rappeler que je confesse la nécessité de ce lien en Civilisation , et que je le critique par compa raison au nouvel Ordre social , où des conjonctures différentes utiliseront la liberté des amours, inadmissi ble parmi nous. Il faudra de plus se souvenir que, sur le mariage, la vie de ménage, ou autres questions , l'on doit toujours sous-entendre l'exception d'un huitième à mes asser tions générales. 162 DEUXIÈME PARTIE. } Ordre des matieres dont traite la Première Notice. Des ennuis des hommes dans les Ménages incohérents. Du Ménage progressifou Tribu à neufgroupes. De la Méthode d'union des sexes en 7′ Période. De l'avilissement des femmes en Civilisation. Des correctifs qui auraient conduit en 6e Période, tels que la Majorité amoureuse , les Corporations amou reuses, etc. Des vices du système oppressifdes amours. Nota. La Notice étant devenue plus longue que le planne la com portait, j'y ai fait après coup cette division . Dès lors les matières ne seront pas classées régulièrement sous leurs titres respectifs . I. ENNUIS des hommes dans les Ménages incohérents . Si l'on réfléchit sur les inconvénients sans nombre attachés à la vie de ménage et au mariage permanent, on s'étonnera de la duperie du sexe masculin, qui n'a jamais avisé aux moyens de s'affranchir d'un tel genre de vie. A part les gens riches , il me semble que notre vie domestique n'est rien moins qu'amusante pour les époux, et entre autres désagréments, j'en vais citer huit qui affligent plus ou moins tous les maris et qui disparaîtraient dans le Ménage progressif. 1º Le Malheur hasardé . Est-il un jeu de hasard plus effrayant que celui d'un lien indissoluble dans lequel on tire au sort le bonheur ou le malheur de sa vie, par le risque d'incompatibilité dans les caractères ? 2º La Dépense. Elle est énorme dans l'Ordre actuel , et l'on va s'en convaincre par comparaison aux im menses économies qui résultent du Ménage progressif. DESCRIPTION. 163 3º La Vigilance. L'obligation de surveiller les dé tails d'un ménage sur la conduite duquel il n'est pas prudent de s'en rapporter aveuglément à la ménagère. 4° La Monotonie. Il faut qu'elle soit grande dans nos ménages isolés, puisque les maris, malgré les dis tractions attachées à leurs travaux, courent en foule dans les lieux publics, cafés , cercles, spectacles, etc., pour se délasser de cette satiété qu'on trouve, dit le proverbe, à manger toujours du même plat. La mono tonie est bien pire pour les femmes. 5º LaStérilité. Ellemenace de déjouer tous les projets de bonheur ; elle vient déconcerter les époux et leurs aïeux, livrer leur patrimoine aux collatéraux, dontl'a vidité et l'ingratitude désespèrent les légataires(¹ ) , leur inspirent de l'aversion pour une compagne stérile, et pour ce nœud conjugal qui a déçu toutes leurs espé rances. 6º Le Veuvage. Il réduit l'époux au rôle de forçat, bien pire que les faibles ennuis du célibat ; et si vous devancez l'épouse au tombeau, l'inquiétude pour des enfants livrés à des mains mercenaires , la perspective des désastres qui vont fondre sur votre jeune famille , vous abreuvent de fiel à vos derniers moments. 7° L'Alliance. L'inconvénient d'entrer en affinité avec des familles qui, dans leur conduite postérieure, réalisent rarement les espérances d'intérêt ou de plai sir qu'on fondait sur leur parenté. 8. Enfin, le Cocuage, qui est sans doute un fâcheux accident, puisqu'on s'épuise en précautions pour y (1) Par ce mot légataire, l'auteur croyait exprimer ce qu'on entend, en droit, par le De cujus. 164 DEUXIÈME PARTIE. échapper, malgré la certitude qu'a l'époux , avant le mariage, de subir le sort commun qu'il a fait subir à tant d'autres (1). En voyant ces nombreuses disgrâces attachées à l'état de mariage et de ménage isolé, comment les hommes ont-ils négligé de chercher une issue à tant de servitudes, et de provoquer des innovations domes tiques, qui n'auraient pu produire rien de plus malen contreux que la vie de ménage actuelle? Ondit, en affaires politiques, que les plus forts ont fait la loi ; il n'en est pas de même en affaires domestiques ; le sexe masculin , quoique le plus fort, n'a pas fait la loi à son avantage, en établissant les ménages isolés et le mariage permanent qui en est une suite. On dirait qu'un tel ordre est l'œuvre d'un troisième sexe qui aura voulu condamner les deux autres à l'ennui . Pou vait-il inventer mieux que le ménage isolé et le ma riage permanent pour établir la langueur , la vénalité , la perfidie , dans les relations d'amour et de plaisir ? Le mariage semble inventé pour récompenser les pervers ; plus un homme est astucieux et séducteur, plus il lui est facile d'arriver par le mariage à l'opu lence et à l'estime publique. Il en est de même des femmes. Mettez en jeu les ressorts les plus infâmes pour obtenir un riche parti ; dès que vous êtes parvenu à épouser , vous devenez un petit saint , un tendre époux, un modèle de vertu . Acquérir tout à coup une immense fortune pour la peine d'exploiter une jeune demoiselle, c'est un résultat si plaisant que l'opinion (1 ) Voyez le Nota qui vient après la Note A, à la fin du volume. DESCRIPTION. 165 pardonne tout à un luron qui sait faire ce coup de partie. Il est déclaré de toutes voix bon mari, bon fils , bon père, bon frère, bon gendre, bon parent, bon ami, bon voisin , bon citoyen , bon républicain . Tel est aujourd'hui le style des apologistes ; ils ne sauraient louer un quidam sans le déclarer bon des pieds à la tête, en gros et en détail. L'opinion en agit de même à l'égard d'un chevalier d'industrie qui parvient à épouser une somme d'argent. Un riche mariage est comparable au baptême par la promptitude avec la quelle il efface toute souillure antérieure . Les père et mère n'ont donc rien de mieux à faire, en Civilisation , que de stimuler leurs enfants à tenter, pour obtenir un riche parti, toutes les voies, bonnes ou mauvaises , puisque lemariage, vrai baptême civil , efface tout péché aux yeux de l'opinion . Elle n'a pas la même indulgence pour les autres parvenus ; elle leur rappelle longtemps les turpitudes qui les ont conduits à la fortune . Mais pour un qui arrive au bonheur par un riche mariage, combien d'autres ne trouvent dans ce lien que le tourment de leur vie ! Ceux-là peuvent reconnaître que l'asservissement des femmes n'est nullement à l'a vantage des hommes. Quelle duperie au sexe masculin de s'être astreint à porter une chaîne qui estpourlui un objet d'effroi , et combien l'homme est puni, par les en nuis d'un tel lien, d'avoir réduit la femme en servitude! Si la vie de ménage peut garantir de quelques in convénients attachés au célibat, elle ne donne jamais aucun bonheur positif( ' ), pas même dans le cas d'un (1) J'excepte le cas où l'on acquiert une grande fortune en mariage ; mais dans l'état de liberté et dans le Ménage progressif, il est aussi des 166 DEUXIÈME PARTIE. parfait accord entre les époux ; car s'ils sont de carac tères éminemment assortis , rien ne les empêcherait de vivre ensemble dans un Ordre où l'amour serait libre et la société domestique différemment organisée. On connaîtra par le tableau d'un nouvel Ordre domes tique que le mariage ne présente pas une seule chance de bonheur que les deux époux ne puissent trouver dans le cas d'une pleine liberté. Pour nous étourdir sur l'inconvenance évidente du mariage avec les passions, la philosophie nous prêche le fatalisme ; elle répand que nous sommes destinés en cette vie aux tribulations , qu'il faut savoir se rési gner, etc. Point du tout ; il ne faut qu'inventer un nouveau mode de société domestique accommodé au vœu des passions , et c'est ce qu'on n'a jamais ni cher ché ni proposé. Je veux , à quelques lignes d'ici , vous mettre sur la voie et vous faire entrevoir cette nouvelle vie privée dont l'invention était si facile. Continuons sur les inconvénients du ménage isolé et du mariage permanent. Cet Ordre a la propriété de nous éloigner en tout sens du bonheur positif, des plai sirs réels , comme la liberté amoureuse, la bonne chère, l'insouciance et autres jouissances que les Civilisés ne songent pas même à convoiter, parce que la philoso phie les habitue à traiter de vice le désir des biens véritables . moyens de s'élever à la fortune par des alliances amoureuses. Quant auxautres jouissances, le mariage n'en peut donner aucune qu'on n'ob tienne bien plus facilement dans l'Ordre Sociétaire, où les gens de l'âge le plus avancé trouvent amplement à exercer toutes leurs affections sans s'exposer aux perfidies et aux ridicules qui poursuivent les Civi lisés au retour de l'âge , et jettent finalement les vieillards dans l'indif férence absolue. DESCRIPTION. 167 Malgré les soins qu'elle prend de nous préparer et amadouer pour le mariage, comme on cajole un en fant à la veille de lui administrer une médecine, mal gré toutes ces bénignes et mielleuses insinuations sur le bonheur du ménage, on voit encore les hommes s'épouvanter à l'idée de mariage, surtout quand ils sont dans l'âge de réflexion. Il faut que ce nœud soit bien redoutable, puisque les hommes frémissent plu sieurs années à l'avance quand il s'agit de le former. Je ne parle pas des unions entre gens riches ; tout est de roses dans un ménage qui commence avec de bon nes rentes , encore l'époux se montre-t-il peu empressé de renoncer à son sérail (1) pour se rendre esclave d'une ménagère près de laquelle il faudra faire assidû ment le service conjugal , sous peine de laisser un accès facile à des suppléants et d'être gratifié d'enfants douteux qu'on est forcé d'accepter, d'après la loi « Is ▪ pater est quemjustæ nuptiæ demonstrant; c'est-à-dire : « le véritable père est celui qui est désigné comme tel par ·« le mariage. » Cette loi , épouvantail de tous les hom mes, autorise une femme blanche àprocréer un enfant mulâtre , quoique l'époux soit blanc. Et ce n'est là qu'un des dangers auxquels le mariage expose les hommes ; aussi le considèrent-ils comme un piége qui leur est tendu , comme un saut périlleux. Avant de (1 ) Ce mot sérail ne s'entend que des grandes villes, où tout jeune homme qui a quelque ton et quelque fortune sait se composer un sérail mieux assorti que celui du grand Sultan. Il a trois classes d'odalisques, les honnêtes femmes, les petites bourgeoises et les courtisanes. Voilà pourquoi les jeunes gens des grandes villes répugnent si fort au lien du mariage , qu'ils redoutent peu dans des villes morales et ennuyeuses comme celles de Suisse. 168 DEUXIÈME PARTIE. franchir le pas ils s'épuisent en ruses et en calculs . Rien de plus plaisant que les instructions qu'ils se don nent sur la manière de façonner l'épouse au joug et de l'ensorceler de morale ; rien de curieux comme ces conciliabules de garçons où l'on fait l'analyse critique des demoiselles à marier et des piéges tendus par les pères qui cherchent ( ¹ ) à se défaire de leurs filles . Après tous ces débats on les entend conclure qu'il faut s'attacher à l'argent ; que si l'on doit être cocu de la femme , il faut au moins n'être pas cocu de la dot, et s'assurer, en prenant femme, une indemnité qui com pense les inconvénients du mariage. Ainsi raisonnent entre eux les hommes à marier ; telles sont les dispo sitions qu'ils apportent à ces nœuds sacrés , à ces dou ceurs philosophiques du ménage. Certes, il y a aussi loin de ces calculs à l'amour qu'il y a loin de la vie de ménage à la bonne chère. Sans doute on vit bien dans les ménages riches qui compo sent le très petit nombre, à peine un sur huit , mais les sept autres végètent et sont atteints de jalousie à l'as pect du bien-être dont jouit le huitième. Tous enfin, riches ou pauvres , sont tellement rassasiés d'eux mêmes et de leur uniforme train de vie, qu'on les voit (1) A parler net, les pères jouent un vilain rôle en Civilisation quand ils ont des filles à marier. Je conçois que l'amour paternel puisse les aveugler sur l'infamie des démarches et cajoleries qu'ils mettent en usage pour amorcer les épouseurs ; mais au moins ne s'aveugleront- ils pas sur les inquiétudes et les disgrâces attachées à un pareil rôle. Com bien ceux qui sont surchargés de filles doivent- ils désirer qu'on in vente un nouvel Ordre domestique , où le mariage n'existe plus , et où l'on soit délivré du souci de pourvoir les filles d'un époux, et combien doivent- ils d'actions de grâces à celui qui leur apporte cette invention ! DESCRIPTION. 169 se jeter à grands frais dans les jouissances ANTI-MÉNA GÈRES, comme de hanter les lieux publics, spectacles , bals, cafés, etc. , tenir table ouverte, s'ils sont riches, et se donner des festins alternatifs, s'ils n'ont pas de quoi fournir à eux seuls les frais d'une distraction qui leur est nécessaire. Ces délassements, qu'on achète si chèrement dans l'Ordre actuel , seraient prodigués à tout le monde , sans aucuns frais, dans la 7º période, dont je vais in diquer quelques dispositions . Cette société assurerait à chacun une variété habituelle de festins et de com pagnies, et une liberté dont on ne trouve pas même l'ombre dans vos repas de ménage, où règne un ton guindé, une tyrannie de préjugés si différente de l'ai sance qu'on trouve déjà dans le pique - nique et la partie fine. Quant à ces repas de ménage qui sont affadis par le mélange inconvenant des âges et des convives et par la fatigue des préparatifs , observons que ce mé diocre délassement n'est encore possible qu'aux gens riches ; mais quel est le sort de ces nombreux époux qui, par défaut de fortune, sont privés de ce qu'on appelle les plaisirs , et réduits à cette guerre intes tine que le proverbe a fort bien définie en disant : Les ânes se battent quand il n'y a pas de foin au ratelier. Eh! combien de ménages, malgré leur opulence, tom bent encore dans cette discorde qui est presque gé nérale chez le grand nombre toujours aigri par la pauvreté. Il est des exceptions à admettre ; on trouve non seulement des individus , mais des nations entières qui 8 170 DEUXIÈME PARTIE. se plient facilement au joug du mariage ; tels sont les Allemands, dont le caractère patient et flegmati que convient à la servitude conjugale bien mieux que le caractère volage et inquiet du Français. On s'ap puie de ces exceptions pour faire l'apologie du ma riage ; on ne cite que les chances qui lui sont favora bles. Sans doute un tel noeud convient à un homme sur le retour, qui veut s'isoler de la corruption géné rale. Je veux croire qu'une épouse puisse trouver du charme dans la société d'un tel homme, et dédaigner pour lui le tourbillon du grand monde ; mais pourquoi le sexe masculin ne conçoit - il ces sages penchants qu'après 15 ou 20 ans passés dans la coquetterie ? Pourquoi, en se retirant du monde, les hommes ne prennent-ils pas des femmes mûries comme eux par l'expérience, et veulent-ils trouver dans une jouven celle des vertus plus précoces que les leurs qui ont été si tardives? Il est plaisant que les Civilisés, qui se vantent de surpasser les femmes en raison , exigent d'elles, à 16 ans, cette raison qu'ils n'acquièrent qu'à 30 et 40 ans, après s'être vautrés dans la débauche pendant leur belle jeunesse. S'ils ne sont arrivés à la raison que par le sentier des plaisirs , doivent-ils s'étonner qu'une femme prenne la même voie pour y arriver? Leur politique de ménage, fondée sur la fidélité d'un jeune tendron , n'entre aucunement dans les vues de Dieu; s'il a donné aux jeunes femmes le goût de la dissipation et des plaisirs, c'est une preuve qu'il ne les destine pas au mariage ni à la vie de ménage, qui exigerait le goût de la retraite. Dès lors les hommes DESCRIPTION. 171 doivent être malheureux en ménage, puisqu'ils veu lent épouser des jeunes femmes à qui la nature n'a pas donné les penchants convenables à ce genre de vie . Là-dessus, interviennent les philosophes qui pro mettent de changer les passions des femmes , réprimer la nature. Prétentions risibles ! on sait quel en est le succès. En mariage comme en tout autre contrat, l'in fortune écheoit à l'homme le plus digne d'un heureux sort ; celui qui mérite de fixer une femme rencontre la plus libertine et la plus perfide. La loyauté d'un tel mari devient le principe de sa duperie ; il sera pris mieux que tout autre à ces simagrées de pudeur, à ces airs d'innocence que l'éducation philosophique donne à toutes les jeunes filles pour masquer la nature. En dépit de tous les systèmes des moralistes, le bon heur n'est point dans nos ménages ; un cri universel s'élève contre les ennuis attachés à ce genre de vie , et ce sont les hommes qui s'en plaignent, eux qui ont fait la loi , et qui ont dû la faire à leur avantage ! Que diraient donc les femmes si elles avaient le droit de se plaindre? et que doit-on penser d'une institution fati gante pour le sexe fort qui l'a établie , et plus fati gante encore pour le sexe faible à qui l'on ne permet de faire entendre aucune plainte? On nous vante la concorde apparente de ces ména ges où une jeunevictime supporte avec un dévouement héroïque les persécutions d'un jaloux retiré du monde. Eh! n'est-ce pas là un état de guerre pire encore que celui des époux de certains villages allemands, où le mari place auprès du foyer un bâton qu'on appelle le repos du ménage, et qui termine en dernier ressort 172 DEUXIÈME PARTIE. tout débat conjugal ? L'oppression , pour être moins apparente dans la classe polie, n'en est pas moins réelle. Eh! comment les deux sexes ne s'élèvent-ils pas contre un Ordre domestique qui les assujettit à tant de contrariétés ? Lorsqu'on voit cette guerre do mestique chez toutes les classes de citoyens, pourrait on ne pas reconnaître que l'état conjugal n'est point la Destinée de l'homme? et loin de chercher quelques palliatifs à cette désunion intérieure des époux, il fal lait chercher un moyen de s'affranchir de cette vie de ménage qui couve et développe tous les ferments de discorde et d'ennui , sans produire aucun bien qu'on ne puisse trouver dans l'état de pleine liberté. II. MÉNAGE PROGRESSIF ou Tribu à neuf groupes (¹ ) . Parlons de la méthode qu'on peut substituer à notre état domestique ; c'est une mesure empruntée de la 7º Période sociale ; je la nommerai Ménage progressif ou Tribu a neuf groUPES. Elle peut s'organiser à huit ou dix groupes ; mais le nombre de neuf est le plus conve nable pour la balance régulière des passions. Pour fonder cette Tribu , on disposera un édifice propre à loger une centaine des personnes inégales en fortune, savoir : 80 maîtres d'un seul sexe, puis une (1) [ Disposition de 7º Période et non pas d'Harmonie. ] DESCRIPTION. 173 vingtaine de domestiques des deux sexes. Il faudra des logements de différentes valeurs , afin que chacun puisse en choisir selon sa fortune ; il faudra aussi di verses salles de relations publiques. La Tribu, dans ses relations intérieures, devra for mer, autant que possible, neuf groupes de neuf person nes ( il faut se rappeler que ces nombres ne sont pas de rigueur, et que j'indique tout approximativement) ; par exemple, aux repas il y aura neuf tables, réparties trois par trois, dans trois salles de 1º , 2º et 3º classe , et dans chaque salle le service des trois tables se fera à des heures consécutives, comme à 1 , 2 et 3 heures, afin d'éviter en tout point l'uniformité ; car l'unifor mité, la tiédeur et la médiocrité sont les trois enne mis naturels des passions et de l'Harmonie, puisque l'équilibre des passions ne peut s'établir que par un choc régulier des contraires. La Tribu aura trois occupations compatibles ; par exemple, une Tribu d'artisans pourra exercer les trois métiers de charpentier, menuisier et ébéniste. Cette société doit prendre un nom, un écusson ; soit la Tribu du Chêne. Plus loin est la Tribu du Lilas, composée de femmes qui exercent les métiers de lingère , tailleuse et modiste. Chaque associé fournit un fonds capital fixé à trois sommes progressives, comme quatre mille, huit mille, douze mille, ou zéro, mille et deux mille ; ou si ce sont des gens riches qui veulent fonder une Tribu magni fique, leur capital pourra s'élever jusqu'à 100 mille, 200 mille et 300 mille, en observant toujours que la 1re classe fournisse le triple de la 3º . Ce fonds capital 174 DEUXIÈME PARTIE. sert de garantie pour les avances de subsistances, loyer, impositions, etc. , que la Tribu en masse fait à chacun des sociétaires. Lesdites sociétés n'admettent aucun statut coercitif, aucune gêne monastique ; par exemple, les compagnies ou individus de 3º classe peuvent parfois se faire ser vir en chère de 2e ou de 1re classe ; la Régence de la Tribu accorde ces crédits à tout individu qui n'en abuse pas. Les palais ou manoirs des Tribus voisines doivent communiquer entre eux par des galeries couvertes et à l'abri des injures de l'air , de manière que dans les relations de plaisirs ou d'affaires on soit garanti de l'inclémence des saisons, dont on souffre à chaque pas en Civilisation. Il faut que jour et nuit l'on puisse cir culer de l'un à l'autre palais par des passages chauffés ou ventilés , et qu'on ne risque pas , comme dans l'Or dre actuel, d'être sans cesse mouillé, crotté et gratifié de rhumes et fluxions par le passage subit des salles fermées aux rues ouvertes. Il faut qu'au sortir d'un bal ou festin, les hommes et femmes qui auront fait la partie de coucher hors de leur Tribu puissent s'acheminer à couvert , sans se botter et fourrer, sans l'embarras de monter en voiture , et qu'au lieu de traverser trois ou quatre rues, comme en Ci vilisation, l'on traverse seulement les galeries publi ques de trois ou quatre manoirs contigus , sans s'y apercevoir de chaud ni de froid , de vent ni de pluie. Cette méthode des communications abritées est un des mille agréments réservés à l'Ordre combiné, dont la Tribu à neuf groupes offre déjà une esquisse . I 1 DESCRIPTION. 175 Pour mettre les Tribus en rivalité balancée , il fau drait en fonder 18 en gradation , savoir : neufmascu lines et neuf féminines ; cette fondation serait plus coûteuse que celle d'une Phalange d'Ordre combiné. On pourrait donc borner l'essai à six Tribus, dont trois d'hommes et trois de femmes. Au moyen de cette pe tite rivalité, on verrait déjà les six Tribus extirper en tous sens trois vices philosophiques, qui sont l'unifor mité, la tiédeur et la médiocrité . Par exemple, si la Tribu du Roseau est la plus pauvre des six , elle se pi quera de pousser au plus haut degré la propreté, la dextérité, la politesse et autres qualités compatibles avec sa petite fortune ; puis elle évitera toute préten tion dans les genres où elle ne pourrait s'élever qu'à la médiocrité. Les associations de ce genre n'admettront pas , comme l'Ordre combiné , des contrastes extrêmes , tels que celui du pauvre au millionnaire ; ces dispara tes qui s'harmonisent dans la 8e période, ne convien nent point à la 7º dont il est ici question . L'Associa tion est contrastée en 8e période, et nuancée en 7e pé riode ; ainsi un Ménage progressif ou Tribu à neuf groupes, tout en se composant de membres inégaux , doit maintenir des rapprochements entre eux , tandis qu'une Phalange de 8º Période doit rassembler les con trastes les plus saillants. On voit dans nos grandes villes un germe imper ceptible de Ménage progressif; ce sont les Cercles ou Casinos d'hommes et de femmes ; déjà ils font déserter ✰ les insipides soirées de famille. On s'y procure à bas prix les bals et concerts , les collections de jeux , ga 176 DEUXIÈME PARTIE. zettes et autres délassements qui coûteraient dix fois plus en maison privée. Chaque plaisir y devient éco nomique d'argent et de fatigue , car les préparatifs sont soignés par des sociétaires officieux , comme dans le Ménage progressif. Mais les Cercles ou Casinos sont sujets à l'égalité qui gène les développements de l'am bition , tandis que le Ménage progressif, étant subdi visé en neuf groupes rivaux et inégaux , ouvre un vaste champ aux trois intrigues ambitieuses de pro tecteur, protégé et indépendant. Je ne parle pas des dispositions relatives aux en fants et à leur éducation dans un tel Ménage ; pour en expliquer tous les détails il faudrait entreprendre un abrégé de 7º période. Bornons-nous à raisonner sur le germe proposé, sur l'hypothèse d'une fondation de six Ménages progressifs , dont deux en classe opulente, deux en classe moyenne et deux en classe pauvre. Et supposons ces six Tribus placées tout à coup dans la Civilisation, dans une ville comme Paris ou Londres : quels fruits produira cette innovation domestique si étrangère à nos vieilles coutumes d'incohérence? Remarquez d'abord que pour fonder ces six Tribus il ne sera pas nécessaire de bouleverser et ensanglan ter les Empires, comme il arrive toutes les fois qu'on veut mettre à l'essai les visions des philosophes. Ici l'œuvre sera des plus pacifiques, et au lieu de ravager la terre pour l'honneur des Droits de l'homme, on éta blira paisiblement les Droits de la femme, en lui affec tant trois des six établissements proposés, qui com porteront neuf classes de fortunes dans les deux sexes. DESCRIPTION. 177 Quantaux résultats que produirait cette inoculation , ce sont des énigmes que je donne à deviner aux cu rieux, et j'essaie de les mettre sur la voie. En Économie administrative, quel bénéfice trouve rait le souverain à traiter avec une Tribu qui paierait son impôt àjour fixe et sur un simple avis, ou bien à traiter avec vingt familles incohérentes, dont la moi tié fraude l'impôt, l'autre moitié ne le paie qu'à force d'être harcelée de garnisaires ? On procéderait tout autrement à l'égard d'une Tribu ; dans le cas de con travention aux lois , on ne lui infligerait que des pei nes infamantes, comme de faire enlever son écusson du portail d'entrée. Quel serait pour un roi l'accrois sement de revenu et la facilité d'administration dans le cas où tout son royaume s'organiserait en Tribus de cette espèce ? Ne pourrait-il pas, tout en diminuant l'impôt d'un tiers, se trouver plus riche de moitié , soit par l'économie de perception , soit par l'accrois sement de produit imposable qui résulterait de cette Industrie combinée? En Économie domestique, quelle serait la réduction de dépense individuelle ? Ne pourrait- on pas, dans les Ménages progressifs , vivre avec 1000 livres de rente beaucoup mieux qu'avec 3000 dans les Ménages inco hérents , et éviter en outre les embarras d'approvi sionnement, gestion , et autres mesures qui seraient dirigées par le groupe des majordomes de chaque Tribu? Tout homme ou femme qui ne serait pas porté d'inclination à cet emploi de majordome ou aux fonc tions d'Économie domestique ne s'occuperait nulle 2Y8. 178 DEUXIÈME PARTIE. ment de ménage, et ne songerait, au sortir de ses tra vaux, qu'à jouir, en parcourant chaque jour les diverses tables et compagnies de sa Tribu et des Tri bus voisines de l'un et l'autre sexe ; elles échange raient leurs invités par compensation. Dès lors les in vitations, si dispendieuses parmi nous, ne coûteraient ultérieurement rien aux festoyeurs réciproques. En effet, une Tribu ne gagnerait ni sur ses membres, qu'elle indemnisede chaque repas absenté, ni sur leurs invités qu'elle traite au même prix que les sociétaires; de sorte qu'à tout balancer, chacun pourrait passer son temps en festins donnés ou rendus, sans dépenser une obole de plus que s'il fût resté isolément chez lui. Quant à la chère , j'ai observé qu'elle ne coûte rait, par l'effet du travail combiné, que le tiers des peines et dépenses qu'elle coûte dans les ménages incohérents. ( Pourjuger de la variété et du charme que présen teraient ces amalgames de convives des diverses Tri bus, il faudrait connaître les relations amoureuses et industrielles de la 7 période, dont il serait trop long de donner un aperçu. ) Relativement aux mœurs , on peut entrevoir que dans chaque Tribu , quelque pauvre qu'elle soit, il règne un esprit de corps, une jalousie de l'honneur de la Tribu, et que la 1re des trois classes devient un point de mire pour les deux autres qui se piquent de l'imiter. Cet esprit de corps suffit pour faire disparaître les vices les plus choquants de la populace civilisée, sa grossièreté, sa malpropreté, sa bassesse, et autres dé · DESCRIPTION. 179 fauts par lesquels une Tribu se croirait dégradée , et éliminerait à l'instant celui ou celle qui s'en serait rendu coupable. Ces résultats seraient dus à la lutte entre les deux sexes. Les Tribus féminines seraient toujours empres sées de se distinguer par la civilité, et compenser le défaut de fortune par l'excès d'urbanité. Un tel esprit est incompatible avec les corporations populaires des Civilisés ; elles manquent des trois véhicules qui ten dent à polir l'espèce humaine ; ce sont : 1° La lutte des corporations féminines contre les mas culines. 2° L'émulation entre les trois classes d'une même Tribu et des groupes inégaux de chaque classe. 3º L'aisance dontjouit le peuple dans la 7º Période, où les fonctions subalternes sont trois fois plus lucratives que dans l'Ordre incohérent. Les corporations actuelles étant dépourvues de ces trois véhicules, il ne faut pas s'étonner si elles tendent généralement à la grossièreté dans toutes les profes sions de classe moyenne et inférieure . Cependant on en voit de très pauvres, comme celles des militaires , qui tiennent déjà fortement aux nobles penchants, et sont prêts à sacrifier leur vie pour l'honneur du corps , oùils ne jouissent d'aucun bien-être. Cet enthousiasme commun parmi les soldats dénote quel parti l'on pour rait tirer de l'esprit de corps s'il luttait en progres sion composée dans les deux sexes, comme il arrive dans la 7 période, où finissent déjà tous les ennuis 180 DEUXIÈME PARTIE . domestiques et sociaux attachés à la Civilisation . Parmi les ennuis domestiques il faut placer celui du service individuel , qui cesse déjà en 7 ° période. Les do mestiques, en général , n'y sont pas attachés à l'indi vidu, mais à la Tribu ; chacun d'eux s'affectionne aux divers sociétaires dont les caractères sympathisent avec le sien, et cette faculté d'option rend le service agréable pour les supérieurs comme pour les inférieurs ; c'est l'amitié plus que l'intérêt qui les rapproche, et c'est encore un agrément inconnu dans les sociétés à familles, où les domestiques sont généralement enne mis secrets des maîtres. Il en est trois causes princi pales : 1. La médiocrité des bénéfices, qui sont très exigus dans l'Ordre incohérent ; le service y étant fort com pliqué, exige trois fois plus d'agents que dans les Tri bus, et leur salaire doit se réduire au tiers de ce qu'il pourrait être dans les Tribus ; 2. L'inconvenance des caractères, qui rend le supé rieur tyrannique, et établit dans les rapports mutuels une froideur extrême , augmentée encore par les craintes de larcin et autres défiances qui ne peuvent avoir lieu dans les Tribus . 3° La multiplicité de fonctions ; elle n'a déjà plus lieu dans les Tribus, où chaque agent se fixe aux seules fonctions convenables à ses goûts, et peut n'embrasser que partiellement l'état domestique . Mais dans l'Ordre actuel, le serviteur, obligé de vaquer à vingt fonctions dont moitié peuvent lui déplaire, s'en prend aux mai tres des dégoûts attachés à son état, et souvent il hait ses maîtres même avant de les connaître . DESCRIPTION. 181 En résumé, le service domestique, dans les Tribus, offre de nombreux agréments aux valets comme aux maîtres, et c'est en tous points que cet Ordre a la faculté de changer en plaisirs des occupations qui deviennent une source d'ennui dans l'Ordre civilisé. Les vieillards spécialement auraient à se louer de ce nouvel Ordre. Il n'est rien de plus fâcheux que le sort des vieillards et des enfants, dans l'Ordre civilisé; cet Ordre ne comporte pas de fonctions convenables aux deux âges extrêmes , de sorte que l'enfance et la vieillesse sont à charge au corps social. Les enfants néanmoins sont choyés en considération de leurs ser vices futurs ; mais les vieillards, de qui l'on n'attend d'autre service que leur héritage, sont méprisés, im portuns, persiflés en secret, et poussés dans la tombe. On leur témoigne encore des égards dans les familles riches , mais chez le peuple et chez le paysan, rien n'est plus affligeant que le sort des vieillards. Ils sont avilis , rebutés sans ménagement , et l'ironie générale leur reproche à chaque pas leur inutile existence. Ces scandales cessent dans le Ménage progressif, où les vieillards ont des fonctions non moins utiles que celles des hommes dans la force de l'âge ; ils jouissent dans l'état de santé d'une existence aussi délicieuse que celle de leurs belles années . Si l'on veut juger combien le Ménage progressif s'adapte merveilleusement aux passions humaines , il faut observer que la nature nous a distribué les divers goûts en proportion et variété convenables à ce nouvel Ordre, et en disproportion constante avec les besoins de l'Ordre civilisé. 182 DEUXIÈME PARTIE. En voici une preuve dont j'ai déjà fait usage, et qu'il est bon de reproduire. J'ai dit que la majeure partie des femmes n'a ni goût ni aptitude aux occupations du ménage ; la plupart sont déconcertées et harassées par le soin d'une petite famille ; quelques-unes au con traire se font un jeu de ces travaux domestiques, et y excellent à tel point qu'on les juge capables de con duire une maison de cent personnes. Cependant la Ci ⚫ vilisation exigerait chez toutes les femmes un goût uniforme pour les travaux de ménage qu'elles doivent toutes exercer. D'où vient donc que la nature refuse cette aptitude aux trois quarts d'entre elles? c'est pour garder la proportion convenable à l'Ordre socié taire, qui emploiera à peine le quart d'entre elles à ces fonctions. Ajoutons quelque détail qui soit de la compétence des hommes et qui puisse leur faire sentir l'inconve nance des ménages isolés. Je citerai le soin des caves , d'où la nature a exclu les femmes. En conséquence, il serait nécessaire , dans l'Ordre actuel , que tout chef de maison fût initié à l'œnologie , qui est une connais sance difficile à acquérir. A défaut de ce , les trois quarts des ménages riches sont fort mal abreuvés, et, tout en faisant pour les boissons la dépense néces saire, ils n'ont que des vins frelatés et mal soignés , parce qu'ils sont obligés de s'en rapporter à des mar chands de vin qui sont des phénix de fourberie, et à des sommeliers mercenaires qui ne sont habiles que dans l'art de friponner. De là vient que souvent le repas d'un bourgeois qui connaît la manutention des vins est préférable au repas d'un prince qui s'excède DESCRIPTION. 183 en frais pour servir à ses conviés un assortiment de poisons liquides composés par les marchands de vin, et même par les propriétaires , qui, depuis les progrès de l'esprit mercantile, sont devenus aussi droguistes, aussi fourbes que les marchands. Ces friponneries ne sont pas à craindre pour une Tribu sociétaire ; elle a toujours parmi ses membres un comité de cavistes expérimentés, qu'on ne pourrait pas duper, qu'on ne tenterait même pas de surpren dre. Dès lors les fournitures de chaque Tribu , les comestibles , boissons et autres objets , sont choisis avec intelligence , et entretenus dans le meilleur ordre, sans que la majorité des sociétaires s'inquiète de cette gestion ; car il suffit , pour la surveillance de chaque objet, du comité de fonctionnaires spéciaux, qui trou vent à de telles occupations plaisir , bénéfice et consi dération. Si l'on continue l'analyse des inconvénients attachés à notre genre de vie , à nos ménages isolés , on recon naîtraquetous nos embarrasdomestiques dérivent d'une seule cause , de l'incohérence sociale, qui exigerait dans chaque homme et chaque femme toutes sortes de con naissances et de goûts que la nature n'a départis qu'au très petit nombre d'entre nous, afin de ne pas excéder les besoins de l'Ordre sociétaire, qui est notreDestinée , et qui n'emploiera communément que dix personnes là où nous en employons cent. Il était donc inutile que la nature distribuât à profusion tels penchants ou caractères qui nous paraissent louables, comme celui de ménagère, et qui deviendraient superflus et incommodes dans l'état sociétaire, s'ils étaient aussi 184 DEUXIÈME PARTIE. multipliés que l'exige l'Ordre civilisé . J'arguerai de cette dissertation pour reproduire une conclusion maintes fois énoncée : c'est qu'il n'y a rien de vicieux dans nos goûts et nos caractères ; ils sont distribués avec la variété et la proportion convenables à nos Des tinées futures, et il n'y a de vicieux sur la terre que l'Ordre civilisé et incohérent, qui ne peut aucunement se plier au système de nos passions, toutes adaptées aux besoins de l'Ordre sociétaire , dont on trouve déjà un germe dans le Ménage progressif. III. MÉTHODE D'UNION des sexes en septième Période ( ' ) [ et non pas en huitième. ] Dans cette Période, si facile à organiser, la liberté amoureuse commence à naître, et transforme en vertu la plupart de nos vices, comme elle transforme en vices la plupart de nos gentillesses. On établit divers grades dans les unions amoureuses ; les trois princi paux sont : Les Favoris et Favorites en titre ; Les Géniteurs et Génitrices; Les Epoux et Epouses. Les derniers doivent avoir au moins deux enfants (1) [ Cette Période diffère de l'Harmonie en système amoureux comme en système domestique. ] DESCRIPTION. 185 l'un de l'autre ; les seconds n'en ont qu'un ; les pre miers n'en ont pas. Ces titres donnent aux conjoints des droits progressifs sur une portion de l'héritage respectif. Une femme peut avoir à la fois : 1° un Epoux dont elle a deux enfants ; 2º un Géniteur dont elle n'a qu'un enfant; 3° un Favori qui a vécu avec elle et conservé le titre ; plus, de simples possesseurs , qui ne sont rien devant la loi . Cette gradation de titres établit une grande courtoisie et une grande fidélité aux engage ments. Une femme peut refuser le titre de Géniteur à un Favori dont elle est enceinte ; elle peut , dans les cas de mécontentement, refuser ainsi à ces divers hommes le titre supérieur auquel ils aspirent. Les hommes en agissent de même avec leurs diverses femmes. Cette méthode prévient complétement l'hy pocrisie dont le mariage est la source. En Civilisation , l'on obtient tous les droits à perpétuité dès que le lien fatal est formé, et l'on jouit pleinement du fruit de son hypocrisie ; de là vient que la plupart des époux et épouses se plaignent au bout de quelques jours d'avoir été ATTRAPÉS , et ils demeurent ATTRA PÉs pour la vie. Ces ATTRAPES n'existent plus en 7° période ; les couples ne s'avancent en grades amou reux qu'avec le temps ; ils n'ont , au début , d'autre titre que ceux de Favoris et Favorites, dont les droits sont faibles et peuvent être révoqués par l'inconve nance des contractants. L'homme qui désire avoir un enfant ne risque pas d'en être privé par la stérilité d'une épouse exclusive ; la femme ne risque point d'être malheureuse à perpétuité par l'hypocrisie d'un 186 DEUXIÈME PARTIE. époux qui , le lendemain du mariage , se démasque pour joueur , ou brutal , ou jaloux. Enfin , les titres conjugaux ne s'acquièrent que sur des épreuves suf fisantes, et, n'étant pas exclusifs, ils ne deviennent pour les conjoints que des appâts de courtoisie et non des moyens de persécution , tels que les donnent le ma riage exclusif et l'égalité à laquelle il réduit tous les liens amoureux. Cette courte digression sur les Ménages progressifs, ne suffira aucunement à donner une idée de la 7º pé riode ; il faudrait y ajouter entre autres détails une notice sur le Code amoureux de cette société et sur sa méthode d'éducation . Je n'entrerai pas dans ces développements ; le peu que j'ai dit sur les Ménages progressifs suffit pour démontrer l'extrême facilité I de sortir du labyrinthe civilisé sans secousse politi que, sans effort scientifique , mais par une opération purement domestique. L'affluence de biens que l'on peut entrevoir dans cette facile innovation me donne lieu d'insister sur deux ridicules déjà signalés : sur l'étourderie des phi losophes, qui n'ont jamais su rien innover en affaires domestiques, et sur la duperie générale du sexe mas culin, qui laisse perpétuer la servitude conjugale dont il est lui-même victime et dont il ne se console que par le malin plaisir de voir la femme plus asservie et plus malheureuse encore." Le vil caractère des femmes sauvages et barbares aurait dû prouver aux Civilisés que le bonheur de l'homme, en amour, se proportionne à la liberté dont jouissent les femmes . Cette liberté, en ouvrant la car DESCRIPTION. 187 rière aux plaisirs, l'ouvre de même aux mœurs hono rables qui en font le charme. Quelle hypocrisie dans vos galanteries ! Des jeunes gens s'introduisant miel leusement dans les ménages, s'avilissant par des cajo leries qui s'étendent depuis l'époux ' jusqu'au petit chien; et pourquoi ? Pour y jouir d'une femme qui sort des bras du mari , et placer dans les familles des reje tons de souche étrangère. Je veux que l'amour prête des charmes à tant de turpitudes ; mais quel rôle odieux quand on l'examine de sang froid ! Et faut-il s'étonner si les amours civilisés finissent d'ordinaire par une glaciale indifférence quand la satiété vient éclairer les amants sur ces tristes vérités ? J'ai pourtant cité la chance la plus brillante de vos amours, le co cuage, qui, à le bien examiner, est peut-être aussi ri dicule chez l'athlète que chez le patient . Expliquons cette opinion . Je prétends que le public et le cocu même peuvent s'égayer aux dépens du sé ducteur, et que le cocuage jette souvent plus de ridi cule sur l'amant que sur le mari. Pour le démontrer, établissons d'abord la hiérar chie du Cocuage et portons dans ce grave débat le flambeau des méthodes analytiques qui, selon les phi losophes, sont la route de l'auguste vérité. On peut distinguer dans le monde cornu neuf degrés de Cocuage , soit parmi les hommes , soit parmi les femmes, car les femmes sont bien plus cocues que les hommes ; et si le mari en porte d'aussi hautes que les bois du cerf, on peut dire que celles de la femme s'élè vent à la hauteur des branches d'arbre. Je me bornerai à citer les trois classes les plus dis 188 DEUXILME PARTIE. tinctes, savoir : le Cocu, le Cornette et le Cornard (¹) . 1º Le Cocu proprement dit est un jaloux honorable qui ignore sa disgrâce et se croit seul possesseur de sa femme. Tant que le public entretient son illusion par une louable discrétion , l'on n'est pas fondé à le persi fler peut-il s'irriter d'une offense dont il n'a pas con naissance ? Le ridicule est tout au suborneur qui le cajole et fléchit devant celui avec qui il partage sciem ment la belle. 2º Le Cornette est un mari rassasié des amours du ménage et qui , voulant prendre ailleurs ses ébats , ferme les yeux sur la conduite de sa femme et l'aban donne franchement aux amateurs, sous la réserve de n'admettre d'elle aucun enfant. Un tel époux ne prête point à la raillerie ; il a au contraire le droit de gloser ⚫ sur les cornes d'autrui aussi hardiment que s'il n'en portait pas lui-même. 3º Le Cornard est un jaloux ridicule, inconvenant à l'épouse , et bien informé de son infidélité ; c'est un furibond qui veut se rebiffer contre l'arrêt du destin , mais qui, résistant avec gaucherie, devient un objet de risée par ses précautions inutiles, sa colère et ses éclats . En fait de cornards, le George Dandin de Mo lière est un modèle accompli. Parlons du Cocu pur et simple , celui de première classe. (1 ) [ Le tableau complet en contient 64 espèces progressivement dis tribuées en classes , ordres et genres, depuis le cocu en herbejusqu'au cocuposthume ; je n'en ai décrit ici que trois espèces, voulant sur ce sujet comme sur tant d'autres sonder quels développements il convien drait de donner au Trailé. ] DESCRIPTION. 189 Si le point d'honneur en amour consiste dans la possession exclusive, il est évident que le Cocu sauve l'honneur, tandis que son suppléant se laisse blesser sciemment sur le point d'honneur. Il s'humilie jusqu'à entendre sans murmure des menaces dont il est l'ob jet ; car le mari manifeste devant lui l'intention de pourchasser quiconque tenterait de séduire sa femme. Avili par sa souplesse avec le mari, il l'est encore par sa duperie avec la dame, qui ne manque jamais de lui conter que son époux ne vit point avec elle. Il feint d'y croire pour sauver son amour- propre ; mais peut-il ignorer que la femme en pareil cas redouble d'empres sement près de l'époux , afin de lui cacher l'intrigue et se mettre à l'abri de soupçon en cas de grossesse ? Cette seule considération force la dame à rechercher les faveurs du mari à l'époque même où elle veut céder au galant dont elle craint les étourderies, et, par pru dence, elle ne se livre à l'amant qu'après être nantie des faveurs de l'époux : précaution flatteuse pour le courtisan ! situation brillante pour lui ! Ces vérités incontestables font grimacer tout merveilleux à qui on les expose ; on le voit alors bien confus de ses préten dus trophées sur les maris, et convaincu que le point d'honneur n'est pas pour lui en pareille affaire . Et lors même que le mari est un homme bénin qu'on peut élaguer, l'amant ne sait-il pas que cet argus peut revenir à la charge et exiger quand il lui plaît les fa veurs de la dame. Eh ! quel triomphe que de posséder une femme vivant avec un maître qui peut à volonté jouir d'elle et l'accointer d'autorité civile et reli gieuse ! car, selon Sanchez et autres casuistes, chacun 190 DEUXIÈME PARTIE. des époux pèche mortellement s'il refuse le devoir à celui ou celle qui le demande. ( Dans cette décision l'Eglise assure du moins aux femmes l'égalité de droits, puisqu'elle damne indifféremment le mari ou la femme qui se refuserait au service conjugal. C'est un acte de justice qu'on ne trouve pas chez les philosophes ; ils s'inquiètent peu si la femme est dédaignée , et ne lui donnent aucun droit d'exiger le pain quotidien qui est de devoir en ménage. ) Si l'on passe en revue ces prouesses du Cocuage, on n'y découvre que des situations avilissantes pour les petits-maîtres qui en tirent vanité, quand elles ne sont pour la plupart qu'un sujet de honte et n'ont d'autre mérite que de tromper des maris qui ne sont pas sur leurs gardes mérite qui semblera bien chétif quand on connaîtra des amours plus libres et plus honorables que ceux de la Civilisation. J'en ai dit assez pour prouver que les Civilisés envi sagent toutes choses à contre- sens , témoins ces intri gues de cocuage dont on fait trophée et qui ne sont rien moins que flatteuses pour un homme délicat. On peut présumer de là combien les Civilisés sont sujets à l'erreur sur les questions importantes, puisqu'ils s'a busent à ce point sur les plus simples , comme celles du cocuage. Si nos opinions sur ce sujet sont si peu d'ac cord avec la raison, c'est que nous cherchons à nous étourdir sur la mesquinerie et la grossièreté des plai sirs que nous présente la Civilisation . Quelle triste opinion vous prendriez de vos amours, si je vous don nais seulement le tableau du monde galant en 7e pé riode , dans ces Tribus ou Ménages progressifs qui, DESCRIPTION. 191 étant un embryon de l'Ordre combiné, ont déjà comme lui la propriété d'extirper par toute la terre les mala -dies accidentelles qui apportent tant d'entraves dans les amours des Civilisés , même les plus libres. L'intérêt, le plaisir et l'équité provoquaient la facile invention des Ménages progressifs. Si des procédés aussi simples sont restés longtemps ignorés, c'est par suite de la funeste habitude qu'a prise le genre humain de se reposer de toute amélioration sociale sur les phi losophes, qui ne s'évertuent qu'à bouleverser les af faires administratives pour s'y entremettre , et qui ne s'occupent de l'Ordre domestique que pour y resserrer les chaînes du sexe faible. La plupart sont dans l'âge où l'on n'est plus en faveur auprès des femmes ; leur unique but est de contenir et abuser une servile ména gère ; tout occupés de façonner ce tendron par de ca fardes insinuations, ils coordonnent à ce but tous leurs écrits, prêchent l'oppression des femmes, leur vantent le plaisir de s'enterrer vivantes pour embellir la re traite d'un libertin retiré du monde. Ils se coalisent pour priver les jeunes gens d'une liberté dont ils ont tant usé; ils sont cette classe de jaloux cités par Horace , cette vieillesse qui Inhabile aux plaisirs dont la jeunesse abuse , « Blâme en elle un bonheur que l'âge lui refuse. a 28 Témoin ce J.-J. Rousseau qui déclame pour faire reléguer les femmes dans le ménage , tout en avouant qu'il a été un ardent partisan des courtisanes et des beautés débonnaires , descendant aux détails les plus 192 DEUXIÈME PARTIE. indiscrets sur les formes de celles qui avaient eu des bontés pour lui. Comment se serait-il procuré ces dis tractions si toutes les dames avaient suivi ses précep tes et n'eussent vécu que pour un époux? Voilà les phi losophes ; ils déclament contre les richesses, les hon neurs, les plaisirs, et ils s'y jettent à corps perdu , sous prétexte de réformer et moraliser le monde. Tout pé tris de cet égoïsme , peuvent-ils accueillir aucune idée, niformer aucun plan favorable aux femmes ? Pouvaient ils se rallier en aucun sens aux vues de Dieu, qui ten dent à la justice, c'est- à-dire au bien du sexe faible comme à celui du fort. IV. AVILISSEMENT des Femmes en Civilisation. Peut-on voir une ombre de justice dans le sort qui leur est dévolu! La jeune fille n'est-elle pas une mar chandise exposée en vente à qui veut en négocier l'ac quisition et la propriété exclusive ? Le consentement qu'elle donne au lien conjugal n'est-il pas dérisoire et forcé par la tyrannie des préjugés qui l'obsèdent dès son enfance ? On veut lui persuader qu'elle porte des chaînes tissues de fleurs ; mais peut- elle se faire illusion sur son avilissement, même dans les régions boursou flées de philosophie, telles que l'Angleterre, où les hommes jouissent du droit de conduire leur femme au marché, la corde au cou, et la livrer comme une bête de somme à qui veut en payer le prix ? Sur ce point 1 DESCRIPTIONS. 193 notre esprit public est-il plus avancé que dans ces siè cles grossiers où certain concile de Mâcon, vrai con cile de Vandales, mit en délibération si les femmes avaientune âme? et l'affirmative ne passa qu'à une majo rité de trois voix ! La législation anglaise tant vantée par les moralistes accorde aux hommes divers droits non moins déshonorants pour le sexe ; tel est le droit qu'a l'époux de se faire adjuger un dédommagement pécuniaire aux dépens de l'amant reconnu de son épouse. Les formes sont moins grossières en France, mais l'esclavage est au fond toujours le même. L'on y voit, comme partout, de jeunes filles languir, tomber malades et mourir faute d'une union que la nature commande impérieusement, et que le préjugé leur dé fend, sous peine de flétrissure, avant qu'elles aient été légalement vendues. Ces événements, quoique rares, sont encore assez fréquents pour attester l'esclavage du sexe faible, le mépris des volontés de la nature, et l'absence de toute justice à l'égard des femmes. Parmi les indices qui promettaient d'heureux résul tats de l'extension des priviléges féminins, il faut citer l'expérience de tous les pays. On a vu que les nations les meilleures furent toujours celles qui accordèrent aux femmes le plus de liberté ; on l'a vu chez les Bar bares et Sauvages comme chez les Civilisés. Les Japon nais, qui sont les plus industrieux, les plus braves et les plus honorables d'entre les Barbares, sont aussi les moinsjaloux et les plus indulgents pour les femmes ; à tel point que les Magots de la Chine font le voyage du Japon pour s'y livrer à l'amour qui est interdit par leurs hypocrites coutumes. 9 194 DEUXIÈME PARTIE. Les Otahitiens , par la même raison , furent les meilleurs de tous les Sauvages ; aucune horde n'avait poussé si loin l'industrie , eu égard au peu de res sources qu'offrait leur pays. Les Français, qui sont les moins persécuteurs des femmes , sont aussi les meilleurs d'entre les Civilisés , en ce qu'ils sont la nation la plus flexible, celle dont un souverain habile peut tirer en peu de temps le meilleur parti , dans tout emploi ; et malgré quelques défauts , tels que la frivolité, la pré somption (¹ ) individuelle et la malpropreté, ils sont (1) Le reproche de présomption n'est point applicable à la nation collectivement française , mais seulement aux individus ; la nation , prise , tombe dans le vice contraire , dans la défiance d'elle - même ; elle croit impossible toute entreprise confiée à elle seule ; le mot, c'est im possible, retentit en France dans toutes les bouches, et l'on peut sur nommer les Français : Nation des Impossibles. Ils n'admirent et n'es timent que les étrangers ; tout savant ou artiste a double valeur en France s'il est étranger. Aucune nation ne se plaît tant à molester ses grands hommes de leur vivant ; la France est l'enfer des savants. Il n'en est pas de même des autres contrées qui divinisent tout ce qu'elles ont produit . En Allemagne, tout écrivain passe de son vivant pour un grand homme; au moindre succès on lui prodigue l'épithète de célèbre. Quant à la nation française, loin d'être présomptueuse, elle se prête à applaudir et imiter les vices des étrangers ; aussi a- t - on vu , en 1787 , l'ancienne cour vouloir introduire dans la discipline militaire le noble usage des coups de bâton , pour imiter les Prussiens dont elle s'était in fatuée. Eh ! que de modes ridicules n'a- t - on pas empruntées des Anglais, dont la cour était de même engouée ! Enfin les Français sont modestes, mène à la guerre, où leurs succès nombreux pourraient leur inspirer de la présomption L'on en a vu la preuve dans la dernière campagne, où les Prussiens s'abandonnaient aux fanfaronnades les plus indécentes ; il semblait, d'après les diatribes imprimées à Berlin , qu'une apparition, qu'un souffle des légions prussiennes allait anéantir l'armée française, qui s'avançait sans aucune jactance , et sans que les feuilles françaises fissent entendre la moindre rodomontade. Ces particularités prouvent assez que la nation française n'est pas atteinte de présomption, mais do caractère opposé, qui est la défiance de soi - même et l'admiration des étrangers. Aussi nul peuple n'est - il plus hospitalier et plus honorable DESCRIPTIONS. 195 pourtant la première nation civilisée, par le seul fait de la flexibilité, qui est le caractère le plus opposé à celui des Barbares. On peut de même observer que les plus vicieuses nations ont toujours été celles qui asservissaient da vantage les femmes témoins les Chinois qui sont la >lie du globe, le plus fourbe, le plus lâche, le plus af famé de tous les peuples industrieux ; aussi sont-ils les plus jaloux et les plus intolérants sur l'amour. Parmi les Civilisés modernes , les moins indulgents pour le sexe ont été les Espagnols ; aussi sont-ils restés en arrière des autres Européens et n'ont-ils eu aucun lustre dans les sciences ni les arts. Quant aux hordes sauvages, leur examen prouveraitque les plus vicieuses. sont encore celles qui ont le moins d'égards pour le sexe faible et chez qui la condition des femmes est la plus malheureuse. En thèse générale : Les progrès sociaux et change ments de Période s'opèrent en raison du progrès des femmes vers la liberté , et les décadences d'Ordre social s'opèrent en raison du décroissement de la liberté des femmes. D'autres événements influent sur ces vicissitudes politiques ; mais il n'est aucune cause qui produise aussi rapidement le progrès ou le déclin social que le envers ses ennemis vaincus. Cependant les individus sont présomptueux et font étalage de ce vice, par leurs manières précieuses et leur ton de suffisance, par leur habitude de raillerie et de jeux de mots. D'où vient donc ce contraste entre le caractère présomptueux des individus, et le caractère modeste, flexible de la nation ? J'en pourrais indiquer la cause et le remède , mais toutes vérités ne sont pas bonnes à dire. 196 DEUXIÈME PARTIE . changement du sort des femmes. J'ai déjà dit que la seule adoption des sérails fermés nous rendrait en peu de temps Barbares, et la seule ouverture des sérails ferait passer les Barbares à la Civilisation . En résumé, l'extension des priviléges des femmes est le principe général de tous progrès sociaux . CORRECTIFS QUI AURAIENT CONDUIT EN 6 PÉRIODE : MAJORITÉ AMOUREUSE , CORPORATIONS AMOUREUSES , LEURS RÉSULTATS ¹ . V. MAJORITÉ amoureuse. Un très grand malheur pour notre globe, c'est que parmi les souverains civilisés il ne se soit pas ren contré un seul ami des femmes, c'est-à- dire un prince juste envers les femmes . Quelques- uns ont été galants, mais il y a loin de la galanterie à l'équité dont je vais indiquer deux dispositions. Elles pourront sembler des germes de désordre, jusqu'à ce qu'on en connaisse l'influence. La première mesure d'équité à l'égard des femmes, (1) [ Répétons que les dispositions suivantes ne sont pas d'Harmonie et concernent les 6e et 7e Lymbes, ou sociétés moyennes entre l'Har monie et la Civilisation. ] DESCRIPTIONS. 197 c'aurait été de leur accorder une Majorité amoureuse; de les affranchir à un certain âge de l'humiliation d'être exposées en vente, et obligées de se priver d'hommes jusqu'à ce qu'un inconnu vienne les marchander et les épouser. J'estime qu'on aurait dû déclarer les femmes émancipées ou affranchies à l'âge de 18 ans , sauf les règlements convenables sur l'exercice de leurs amours. A l'âge de 18 ans, une femme a passé 4 ans en pleine puberté ; c'est, je pense , un délai suffisant pour que les hommes de la ville ou du canton aient eu le temps de réfléchir et d'opter pour la prendre ou laisser. Puisque les hommes veulent, d'après la loi du plus fort, qu'on interdise la jouissance à toute fille, pour réserver ses prémices au premier malotru qui viendra la marchander, ne doit-on pas assigner un sort à celles qui définitivement ne trouvent pas d'acquéreur? Ne doit-on pas, après un essai de plusieurs années, les mettre en circulation , les autoriser à se pour voir comme il leur plaira, et prendre légalement des amants, qu'elles prennent de même sans cette permis sion? Celle qui n'a pas trouvé un mari pendant 4 ans d'exposition dans les bals et promenades, les grand' messes et sermons , risque fort de n'en trouver jamais ; les motifs qui ont écarté les maris subsisteront après comme avant les 4 ans d'épreuve . D'ailleurs, si le ma riage est utile en Civilisation , il convient d'y exciter les hommes, par la crainte de perdre les prémices des femmes qu'ils laisseraient chômer au- delà de 18 ans. Il serait d'autant plus sage de prendre un parti à l'égard des filles délaissées, que ce sont pour l'ordi 198 DEUXIÈME PARTIE . naire les plus belles , les plus aptes à procréer de beaux enfants. On voit une multitude de belles femmes rester vacantes , parce que leur beauté est un épou vantail pour les hommes qui redoutent le cocuage, et font du mariage un calcul de raison , de jalousie et d'avarice. Ce machiavélisme conjugal fait chômer les demoiselles les plus distinguées, les plus capables de conduire un ménage. Il n'est rien de plus révoltant que de voir ces malheureuses filles dédaignées, parce qu'elles n'ont pas le poids de l'or en leur faveur. Eh! comment leurs parents , qui les ont sur les bras, n'ont ils pas avisé à proposer la réforme de coutumes si préjudiciables aux familles peu fortunées , qui sont les plus nombreuses et les plus dignes de protection? D'après ces considérations, l'on devrait, en Civili sation , distinguer les femmes en deux classes : les Jouvencelles, au-dessous de 18 ans, et les Emancipées, au-dessus de 18 ans . Elles acquerraient dès cet âge le droit de prendre des amants, sauf les lois à faire sur le sort des enfants qui naîtraient de pareilles unions. ( J'indiquerai ces lois dans un traité de 6º Période , car ceci est mesure de 6e Période. ) L'opinion s'unissait à la justice pour réclamer cette mesure. On sait que les jeunes filles qui atteignent vingt ans sans être mariées sont ridiculisées par les hommes. On se moque de leur abandon ; elles sont criblées de sarcasmes et de quolibets , et forcées par l'opinion à contrevenir à la loi en prenant secrètement des amants. Les hommes sont si médisants , si injustes à l'égard des femmes , qu'ils les persiflent dans tous les cas, soit qu'elles aient gardé, soit qu'elles aient perdu DESCRIPTIONS. 199 leur virginité après l'âge où ce fardeau devient trop pénible à porter. Quels étaient les risques d'accorder aux femmes une liberté amoureuse après l'âge de 18 ans , et quels avan tages a-t-on retiré du système oppressif des philoso phes? Avec leur méthode d'éducation cafarde, qui donne aux demoiselles une insouciance affectée pour l'amour, ils ne sont parvenus qu'à organiser le Cocuage universel. Dès lors tout autre système plus conforme auvœu de la nature ne produirait guère plus de cocus qu'on n'en voit aujourd'hui . Eh ! ne valait- il pas mieux, cornes pour cornes , essayer un ordre moins oppressif, moins avilissant pour les femmes ? sans doute, car la liberté amoureuse développe de précieuses qualités chez les classes qui en jouissent le plus ; ce sont les Dames de haut parage, les Courtisanes de bon ton et les petites Bourgeoises non mariées. C'est parmi ces trois classes de femmes qu'on aper çoit les plus heureux développements ; leurs qualités réunies composeraient la perfection . En effet : Les Damesde cour, j'entends celles qui sontgalantes , ont des manières franches , aisées , un ton expansif qui inspire l'amitié . Elles séduisent tout à coup celui qui les voit pour la première fois ; il croit trouver des femmes au-dessus de la nature humaine , tant elles diffèrent des bourgeoises, qui sont des mécaniques à mensonge, des âmes étroites, où l'amour règne exclu sivement et ne laisse d'accès à aucune autre passion ; elles sont de glace pour l'amitié, le goût des arts et au tres nobles affections. Sans doute les dames de cour ont aussi leurs côtés vicieux ; mais elles donnent à l'intri 2 200 DEUXIÈME PARTIE . gue des teintes variées , du naturel et de la magnani mité. Eh ! peut-on les blâmer de savoir embellir le vice, puisqu'il doit seul régner en Civilisation? Les Courtisanes de bon ton, à part certain manége que nécessite leur genre de commerce, sont remplies de nobles qualités ; obligeantes , charitables, cordiales , leur caractère serait sublime si elles avaient de bonnes rentes ; témoin celui de Ninon . Elles perdent , par l'habitude du plaisir, cet esprit cauteleux, ces arrière pensées toutes charnelles qu'on remarque dans les bourgeoises pétries de morale , dans ces ménagères qui, à travers leur étalage de sentiment, laissent percer à chaque instant une sensualité qu'elles s'obstinent à nier, sensualité qui ne dépare point une femme quand elle est en balance avec les affections de l'âme , comme il arrive chez les dames franchement galantes. Lespetites Bourgeoises , boutiquières , ouvrières , etc. , sont, avant le mariage, une classe de femmes entière ment libres, surtout dans les grandes villes . Elles ont des amants affichés à la barbe de père et mère, elles en ont à rechange en toute occasion , enfin elles jouis sent à profusion de ce qui est refusé aux demoiselles d'un rang supérieur ( 1 ) ; elles passent leur jeunesse à voltiger d'homme en homme, elles n'en sont que plus (1) C'est une déplorable et bizarre persécution que celle qu'éprouvent les demoiselles dites comme il faut ; elles voient dans leur ville , dans leur maison, sous leur croisée, les petites Bourgeoises prendre leurs ebats, se bercer dans les amours qu'on leur interdit. Pourquoi cette bi garrure de mœurs dans la Civilisation , et quelles raisons allégueront les philosophes, pour prouver qu'on n'aurait pas dû essayer de généraliser cette liberté amoureuse , qui ne produit que de bons effets parmi les classes de femmes qui enjouissent? DESCRIPTIONS. 201 intelligentes au travail et plus habiles à trouver quel que innocent qui les épouse quand elles sont sur le retour. On doit blâmer sans doute leur manie de dissi mulation perpétuelle , manie qu'il faut attribuer au mauvais ton des hommes de classe moyenne qui les entourent. Du reste , elles ont d'heureuses disposi tions ; elles sont surtout d'excellentes ménagères, bien préférables aux Agnès du premier étage. En résumé : l'on élèverait à la perfection le carac tère féminin si l'on pouvait réunir les qualités des trois classes de femmes que j'ai citées ; et tel serait l'effet d'un Ordre social où le sexe féminin jouirait pleinement de la liberté amoureuse. En voulant n'at teindre qu'un but , celui de ménagère , vous manquez tout pour avoir trop peu désiré ; vos jeunes filles bour souflées de préjugés et de philosophie sont des êtres dénaturés toujours rongés de désirs , elles ont l'esprit en distraction continuelle , travaillent avec dégoût, effleurent les arts qu'on leur enseigne, oublient après le mariage tout ce qu'elles ont appris, et deviennent bientôt de mauvaises ménagères pour peu que l'époux. n'ait pas l'habileté de les conduire à la guide. Le monde les éblouit , les entraîne d'autant plus vite qu'elles n'en ont aucune expérience , tandis qu'une femme déjà exercée avant le mariage sera moins infa tuée du plaisir, et, connaissant les astuces des galants, elle s'attachera d'autant mieux au ménage et au mari qu'elle considérera comme protecteur contre la per sécution masculine. Si elle prend des suppléants ce sera par délassement plutôt que par passion ; dans ses amours elle ne perdra point de vue les intérêts du 9. 202 DEUXIÈME PARTIE. ménage, et adoucira , autant que possible, la disgrâce inévitable du cocuage. De telles femmes conviennent éminemment aux hommes insouciants , aux maris de bonne pâte, à qui il faut une épouse impérieuse, une virago qui sache tenir le gouvernail du ménage et porter les culottes. Une telle épouse fait le bonheur d'un homme faible ; il obtient d'elle le véritable amour conjugal, qui n'est autre chose qu'une ligue d'intérêts entre les époux , une coalition contre les perfidies sociales. Combien est-il d'autres classes d'hommes qui ne sauraient s'accommoder de ces femmes emmiellées de préjugés , de ces automates philosophiques dont le caractère est une énigme impénétrable, et qui, avec leur ingénuité simulée , excitent la défiance des philo sophes mème ; ils savent mieux que personne combien l'on doit peu compter sur cet air de candeur que l'é ducation donne aux jeunes filles. Toute dame d'une conduite licencieuse a paru aussi candide qu'une autre avant son mariage ; ce vernis de chasteté est un mas que qui n'en impose à aucun homme, n'accélère point les mariages et n'aboutit qu'à exercer les femmes à la dissimulation . On sait qu'un souffle de l'amour leur créera des passions et développera en elles un carac tère encore inconnu, et dont la bonté ou la malice est une énigme impénétrable même aux hommes exercés. Bref, ce galimatias d'éducation philosophique n'est qu'un cercle vicieux.comme tous les usages civilisés, et n'aboutit qu'à jeter tous les époux dans la disgrâce qu'ils veulent éviter. Ce qui désoriente les philosophes c'est de voir qu'on n'arrive de toutes manières qu'à ce DESCRIPTIONS. 203 cocuage objet de leur effroi ; aussi ces savants varient ils chaque jour dans leurs systèmes d'éducation , sans autre résultat que de masquer et non pas de changer les penchants des jeunes filles. - Naturam expellas furcâ, tamen usquè recurret. » Ils s'alarment si l'on élève les femmes à la culture des sciences ou des arts ; ils ne voudraient chez les jeunes personnes d'autre goût que celui d'écumer le pot au feu; telles sont leurs propres paroles, qu'ils font entendre jusque sur les théâtres. Ils ne sont occupés qu'à contrarier l'amour du plaisir ; ils n'entrevoient que des cornes dans l'avenir ; ils sont hargneux et tracassiers sur les goûts des femmes , ombrageux comme les eunuques autour des odalisques. Eh! quand on parviendrait à débrouiller leurs sys tèmes d'éducation, qui varient chaque jour (puisqu'il paraît chaque jour de nouveaux traités de morale qui ne sontjamais d'accord avec les précédents), quel fruit en retirerait -on pour l'avantage des jeunes filles ? Voit-on se marier celles qui sont boursouflées de pré ceptes [et non d'argent] ? Non, elles restent vacantes avec leurs vertus. Il n'y a que deux leviers qui décident les mariages en Civilisation : ce sont la fortune et l'in trigue. Les pères ne l'ignorent pas ; aussi sont-ils plus en peine de doter leurs filles que de les éduquer. Quant à l'intrigue, les pères n'excellent pas sur ce point, et, malgré les cajoleries qu'ils emploient auprès des hom mes à marier, ils sont déjoués par toute fille un peu manégée qui sait elle - même conduire l'intrigue et J 204 DEUXIÈME PARTIE . mettre en jeu d'autres batteries que les vertus. Ces filles expérimentées ont l'art de souffler les bons partis aux pudibondes et de faire de bons mariages sans l'entremise de personne , tandis que le mariage des Agnès exige l'entremise scandaleuse des commères , parents, notaires et philosophes , qui se mettent aux trousses d'un jeune homme pour le sermonner et le pousser dans le piége, comme on voit les bouchers et leurs chiens entourer et pousser le bœuf dans la tuerie où il refuse d'entrer. Ainsi se machinent les mariages ; les hommes ne s'y prennent qu'autant qu'ils sont cernés d'embûches, harcelés de solliciteurs et de moralistes . On ne serait pas si rétif si le mariage était vraiment le gage du bonheur, comme il l'est pour ceux qui épousent une femme opulente. Comment un siècle si enclin aux expériences de toute espèce, un siècle qui a eu l'audace de renverser les trônes et les autels , a-t- il fléchi si servilement de vant les préjugés amoureux, les seuls dont l'attaque eût pu produire quelque bien , et comment n'a- t-on pas songé à essayer sur ce point les systèmes de li berté dont on a tant abusé? Tout invitait à en éprou ver l'effet sur les amours, puisque le bonheur des hommes se proportionne à la liberté dont jouissent les femmes . En effet, supposons qu'on pût inventer un moyen de réduire toutes les femmes , sans exception , à cette chasteté qu'on exige d'elles, de manière que nulle femme ne pût se livrer à l'amour avant le ma riage, ni posséder après le mariage d'autre homme que son mari ; il résulterait de là que chaque homme DESCRIPTIONS. 205 ne pourrait avoir dans tout le cours de sa vie que la ménagère qu'il aurait épousée. Or, quelle serait l'opi nion des hommes sur cette perspective d'être réduits pour toute leur vie à ne jouir que d'une épouse qui pourra leur déplaire dès le lendemain du mariage? Certes, chaque homme individuellement opinerait à étouffer l'auteur d'une pareille invention qui mena cerait d'anéantir la galanterie , et les plus ardents ennemis d'un tel ordre seraient les philosophes , qui sont fortement adonnés à la séduction et à l'adultère ; d'où l'on voit que tous les hommes sont personnelle ment ennemis de leurs maximes de chasteté, et que le bonheur du sexe masculin s'établit en proportion de la résistance des femmes aux préceptes de fidélité conjugale. Leur observance rigoureuse causerait le désespoir de tous les hommes individuellement , sans en excepter les philosophes, qui, étant plus séducteurs que d'autres , seraient les plus confondus par le triom phe de leurs maximes amoureuses, comme ils le furent, en 1789 , par l'épreuve de leurs systèmes adminis tratifs. • Une autre conclusion que l'on peut tirer du débat qui nous occupe, c'est que les Civilisés sont dans une ignorance absolue sur l'emploi des passions dans le système moral ; car, en adoptant la modification pro posée à l'égard des femmes, la distinction de Minorité et Majorité amoureuse, on arrivait à plusieurs résultats excessivement avantageux au bien des bonnes mœurs civilisées . Entre autres abus qu'on aurait extirpés , je citerai la CONFUSION AMOUREUSE, qui est un des seize caractères de Civilisation . Je vais la mettre en parallèle ||g 206 DEUXIÈME PARTIE. avec les CORPORATIONS AMOUREUSES ; elles sont un carac→ tère de la 6º période , dont chacun goûtera les ta bleaux , parce qu'elle est la plus voisine de la nôtre et la plus intelligible pour les Civilisés , dont elle con serve encore divers usages domestiques , tels que ménage incohérent. le VI. CORPORATIONS amoureuses. Sous le nom de Confusion amoureuse, je désigne l'u sage où nous sommes de n'admettre aucune gradation de vice ni de vertu dans les amours ; par exemple , s'agit-il d'adultère , toute infidélité conjugale est éga lement coupable aux yeux des philosophes , et ils ap pellent sur une femme les foudres du ciel et de la terre pour la faute la plus légère. Cependant il est une gra dation de délit dans l'adultère comme partout ; les ac cointances avec une femme stérile ou avec une femme déjà enceinte, enfin toute copulation dont il ne résulte pas de grossesse , ne sont-elles pas des peccadilles , surtout quand l'adultère est conditionnel , toléré taci tement par l'époux ? Il faut donc distinguer ces di verses nuances de délit d'avec l'adultère vraiment coupable , comme celui qui cause la désunion des mé nages ou qui y introduit des rejetons hétérogènes. En refusant d'admettre ces distinctions , en voulant con fondre et condamner en masse tous les genres d'a dultère , on les a tous rendus excusables , on a fait 1 DESCRIPTIONS. 207 porter sur tous l'indulgence qui est due à quelques-uns. L'opinion révoltée a combattu les persécuteurs par le ridicule , et, sous le nom de COCUAGE, on est parvenu à excuser et favoriser des perfidies odieuses , que la législation confond avec des délits très minimes. L'on a donc manqué le but par excès d'injustice et d'oppression ; l'on n'a réussi qu'à faire triompher en amour la fausseté et la dépravation . Si tout plaisir, hors du mariage, est un crime selon les philosophes, il devient nécessaire de tout nier et de tromper sans cesse ; de là vient que chaque femme et chaque fille se donnent pour des modèles de fidélité ou de continence ; mais pour peu qu'on admit des gradations de vertu et de vice, en affaires galantes, on verrait naître des mœurs loyales et favorables à la vérité comme aux plaisirs. En admettant la distinction de Minorité et Majorité amoureuse, les femmes émancipées après l'âge de 18 ans doivent se classer en trois corporations princi pales, savoir : 1° Les Épouses, qui n'ont qu'un seul homme à per pétuité, selon la méthode civilisée; 2º Les Damoiselles ou demi-Dames , qui peuvent changer de possesseurs , pourvu qu'elles les prennent successivement, un seul à la fois, et que la séparation s'opère avec régularité ; 3º Les Galantes, dont les statuts sont moins rigou reux encore. Chacune de ces trois classes se subdivise en trois genres ou nuances distingués par des tableaux nomi 208 DEUXIÈME PARTIE . naux dans chaque ville ou canton . Toute femme change à volonté de corporation. Cet ordre de choses ( dont les dispositions acces soires seraient trop longues à indiquer ) réaliserait la plupart des réformes qu'on tente vainement aujour d'hui dans le système amoureux ; par exemple, il pré viendrait la séduction et le délaissement des jeunes filles. Si l'on en voit un si grand nombre végéter toute leur vie en attendant un mari, ou donner dans la dé bauche, c'est parce que les hommes ont la faculté d'a buser par des délais celles qu'ils courtisent, et parce qu'elles n'entrevoient pas de terme à leur désolant célibat ; mais ce terme une fois fixé à 18 ans, un sé ducteur n'aurait pas de chances pour abuser une fille ; si elle cédait, elle serait rejetée ou suspectée ignomi-! nieusement par le corps des Jouvencelles ; elle se sou tiendrait encore par la certitude de n'attendre que | jusqu'à 18 ans. A cette époque, les prétendants se raient obligés de se prononcer, à défaut de quoi la Jouvencelle, pour ne pas perdre sa belle jeunesse, prendrait parti dans le corps des Damoiselles , et, en acquérant le droit de prendre un possesseur, elle ne choisirait sûrement pas celui qui l'aurait leurrée d'un espoir de mariage; c'est une supercherie que les jeunes filles ne pardonnent pas. Alors on verrait l'adultère ou cocuage réduit à très peu de chose ; un séducteur aurait peu de succès au près des femmes mariées, car elles risqueraient d'être suspectées même sans preuves matérielles, et classées dans le tableau des douteuses, ou dans celui des infi dèles, si le délit était constaté. Les épouses se trouve DESCRIPTIONS. 209 1 3 raient surveillées par les deux corps des Damoiselles et des Galantes ; dès lors une femme n'oserait former le nœud conjugal qu'avec un penchant décidé pour la fidélité. En conséquence, on ne se marierait que fort tard, dans l'âge du calme des passions , et le ma riage se trouverait ramené à son but , qui est d'être l'appui de la vieillesse : c'est une retraite du monde, un lien de raison, fait pour les gens âgés et non pour la jeunesse. Alors se dissiperait le préjugé qui attache du ridi cule à épouser des filles déjà possédées par autrui . Les Damoiselles ne seraient aucunement dégradées pour avoir eu des amants , puisqu'elles' auraient at tendu, pour en prendre, l'âge de dix-huit ans exigé par les lois. On les épouserait sans plus de scrupule qu'on n'en a d'épouser une veuve qui a des enfants. Si c'est un affront que d'être second possesseur en mariage, pourquoi les hommes sont- ils si friands d'é– pouser une veuve riche et se charger de l'éducation des enfants d'autrui , enfants qui peuvent provenir de dif férents pères , si la veuve a été galante ? On passe sur toutes ces considérations, tandis qu'on se croirait com promis d'épouser une fille qui n'a été que galante, sans avoir eu d'enfants. D'après cela , nos idées sur l'hon neur et la vertu des femmes ne sont que des préjugés qui varient au gré de la législation . Il suffirait d'une loi pour rallier l'opinion à la nature , et mettre au rang des plaisirs décents ces galanteries qu'il est ridi cule de déclarer vice chez les femmes quand on les déclare gentillesse chez les hommes. Dès lors les hommes ne peuvent atteindre à la gentillesse qu'au tant que les femmes veulent bien se livrer au vice : plai 210 DEUXIÈME PARTIE. sante contradiction , qui , au reste, n'est pas plus plai sante que nos coutumes et nos opinions civilisées (¹ ) ! (1) L'adultère est déclaré crime, et pourtant un homme jouit dans la bonne société d'une considération proportionnée au nombre de ses adul tères connus et affichés. On admire, on prône un Richelieu , un Alci biade , qui ont suborné une infinité de femmes mariées ; mais quel cas fait- on d'un homme qui , voulant obéir aux lois et à la religion, con serve sa virginité pour l'apporter en cadeau de noces à sa femme? Un tel homme est persiflé par tout le monde. En fait d'adultère comme de duel , la loi est neutralisée par l'opinion qui n'est favorable qu'aux su percheries amoureuses et même au dévergondage. En effet, on note d'infamie une pauvre fille qui se laisse faire un enfant , sans la permis sion de la municipalité, on la déclare coupable, lors même qu'elle a été fidèle à son amant ; mais comparez la conduite de cette jeune fille avec celle des honnêtes femmes ! Or, qu'est-ce qu'une honnête femme en France ? C'est une dame qui a communément trois hommes à la fois , savoir : le mari, l'amant en pied et quelque ancien titulaire qui revient de temps à autre user de ses droits, à titre d'ami de la maison , le tout sans compter les passades. En menant ce train de vie , elle obtient de plein droit un brevet d'honnête femme. Soit dit , sans blamer les dames qui se divertissent , elles n'auront jamais tant d'amants que leurs maris ont de maîtresses avant et après le mariage. L'opinion, si ridicule par ses injustices, l'est encore plus par ses con tradictions ; témoin les filles enceintes. On leur fait un crime de la gros sesse et un crime de l'avortement volontaire ; cependant , si elles tiennent à l'honneur, elles doivent aviser aux moyens de conserver l'honneur en effaçant les traces de leur faiblesse. Ce ne sont donc point les filles qui sont blamables de se faire avorter dans le commencement de la grossesse où le foetus n'est pas vivant, c'est l'opinion qui est ridi cule de déclarer l'honneur perdu pour l'action très innocente de faire un enfant. Les coutumes, en Suède , sont sur ce point bien plus sensées que dans le reste de l'Europe; elles ne déshonorent point une fille en ceinte, et de plus, elles défendent aux maîtres de renvoyer, pour cause de grossesse , une fille domestique, à qui l'on n'aurait pas d'autre délit à reprocher. Coutume très sage dans un pays qui a besoin de popu lation. Mais à quoi servirait de s'appesantir sur les ridicules de nos opinions? Personne ne les a mieux jugées que les prôneurs mêmes, qui, ne voyant aucun moyen de concilier la Civilisation et la raison, ont pris à cet égard la tactique des charlatans ; c'est de vanter outre mesure leur or viétan , leur Civilisation. Quelque rabais qu'on fasse sur le mérite de cette drogue , c'est lui accorder toujours trop de valeur, puisqu'elle n'en DESCRIPTIONS. 211 Alors s'affaibliraient l'égoïsme et l'esprit servile qu'engendre l'état conjugal. Il corrompt principale ment le caractère des femmes : elles adoptent tous les vices d'un époux sans adopter ses bonnes qualités , résultat nécessaire de la souplesse qu'on leur inspire. Mariez une jeune Agnès à Robespierre ( ¹ ) , elle sera le mois suivant aussi féroce que lui , elle le flattera dans tous ses crimes. Ce penchant servile des épouses serait corrigé par la rivalité des Damoiselles , qui auraient pour esprit dominant de ne s'identifier aux mœurs d'aucun homme , puisqu'elles en pourraient changer ; de n'affecter qu'un caractère noble et indépendant (2) , et de s'éloigner en tout point des vices inhérents à l'é tat conjugal ; entre autres, de l'égoïsme que le mariage élève au plus haut degré : aussi les gens mariés sont ils atteints d'une prodigieuse méfiance contre leurs semblables. Rien de plus difficile que d'assembler et faire vivre en ménage deux couples d'époux. L'incom patibilité s'étend des maîtres aux serviteurs , et dans tout ménage on répugne très fortement à prendre en domesticité un couple marié. C'est qu'on n'ignore pas que l'esprit conjugal opère une ligue des époux contre tout ce qui les entoure , qu'il étouffe les passions nobles et les idées libérales ; de là vient la classe des gens que mariés est toujours la plus astucieuse , la plus indiffé rente aux malheurs publics ou particuliers , et leur es a aucune, Ainsi ont calculé les philosophes , quand ils ont imaginé de nous dire que la société civilisée était la perfection du perfectionnement de la perfectibilité. (1) Un des Exemplaires annotés porte en marge [ fidélité simple ] . (2) En marge [ balance par esprit de corps ] . 212 DEUXIÈME PARTIE. prit anti-social est si bien reconnu qu'on croit faire un grand éloge d'un homme en disant : le mariage ne l'a point changé ; il a conservé le caractère aimable d'un garçon. Alors on verrait les renommées de vertu et de vice réduites à leur juste valeur. J'ai observé que nos cou tumes ne distinguent aucune gradation de vice ; chaque femme est obligée de feindre la vertu , et dans ces pré tentions confuses l'avantage est tout entier du côté des dames les plus licencieuses , parce qu'elles rabat tent sur le nombre des amants qu'elles ont possédés. Combien voit-on d'honnêtes femmes qui ont joui d'une vingtaine d'hommes , et qui , dans leurs adroites confi dences, se font passer pour n'en avoir eu qu'une demi douzaine ! tandis qu'une malheureuse qui n'en aura eu que deux ou trois est diffamée plus que celles qui ont bravé la critique. Cette confusion serait débrouillée par la distinction des femmes en diverses corporations, assorties aux divers caractères . Je répète que ces trois confréries amoureuses dont j'ai fait mention seraient subdivisées en neuf genres accessoires, afin d'éviter autant que possible toute confusion ; et de même qu'il y aurait trois tableaux d'ÉPOUSES constantes, douteuses et infidèles , il y aurait aussi trois tableaux de DAMOI SELLES et trois tableaux de GALANTES . Cette méthode se rallierait à l'ordre des Séries passionnées dont j'ai donné la définition dans la note A ; et comme il faut placer aux extrémités de chaque Série deux groupes de transition, ces groupes seraient ceux des Jouven relles et des Indépendantes, dont les unes n'ont aucun exercice de l'amour sensuel , et les autres n'obser DESCRIPTIONS . 213 vent aucun statut dans l'exercice de cette passion . Un tel Ordre est le moindre des développements ré guliers qu'on puisse donner aux relations amoureuses ; tout système qui restreint davantage les passions tombe nécessairement dans les vices d'égalité et de confusion philosophiques dont nous voyons aujour d'hui les odieux résultats . VII. VICES du système oppressif des Amours. Il est à remarquer que , dans le désordre actuel des coutumes amoureuses , les femmes ont obtenu le seul privilége qui devrait leur être refusé : celui de faire accepter à l'époux un enfant qui n'est pas de lui , et sur le front duquel la nature a écrit le nom du véri table père. Ainsi , dans le seul cas où la femme soit cou pable , elle jouit de la haute protection des lois , et, dans le seul cas où l'homme soit vraiment outragé , l'opinion et la loi sont d'accord pour aggraver son affront. Eh ! comment les Civilisés , si persécuteurs quand il s'agit des plaisirs de leurs femmes , s'accor dent-ils si débonnairement à courber leur front sous le joug, à héberger un fruit d'adultère évident , à l'asso cier dans leur nom et leurs biens , quand ils devraient l'envoyer aux enfants trouvés ? Voilà donc les vœux de la philosophie accomplis ! C'est vraiment dans le ma riage que les hommes forment une famille de frères où les biens sont communs à l'enfant du voisin comme au 214 DEUXIÈME PARTIE. nôtre. La générosité de ces honnêtes maris civilisés sera dans l'avenir un sujet de rire interminable , et il faudra bien quelques pages divertissantes comme celles-là pour aider à soutenir la lecture de nos an nales , si souvent écrites en lettres de sang. Cette tolérance des maris sur l'offense la plus cou pable s'accorde bien avec l'inconséquence générale qui règne en affaires amoureuses. Elle est à tel point qu'on voit la religion et les théâtres prêcher publique ment des mœurs contradictoires ; à côté d'un temple où l'on enseigne l'horreur des intrigues galantes et des voluptés, on voit un cirque où l'on ne forme l'auditoire qu'à l'exercice des ruses galantes et à la recherche des voluptés. La jeune femme qui vient d'entendre un sermon sur le respect dû aux époux et aux supérieurs ira l'heure suivante au théâtre y prendre des leçons sur l'art de tromper un mari, un tuteur ou autre argus : et Dieu sait laquelle des deux leçons fructifie le mieux. Ces contradictions scandaleuses se répètent dans tout le mécanisme civilisé ; et lorsqu'on observe de sang froid tant de bizarreries , ne doit- on pas penser que la Civilisation tout entière est une société de fous, d'au tant plus fous qu'ils connaissent le principe d'amélio ration sociale et se refusent à en faire usage? Ils sa vent que l'on ne s'est avancé de la Barbarie à la Civi lisation que par l'adoucissement de la servitude des femmes ; cette notion expérimentale les induisait à donner plus d'extension aux priviléges féminins ; de là serait résulté une entrée en 6º période, puis en 7º, par la liberté complète des femmes. D'où l'on voit que la route des progrès sociaux était facile et connue , et DESCRIPTIONS. 215 7 qu'on y serait entré dès l'instant où l'on aurait voulu s'écarter du système oppresseur des philosophes à l'é gard des femmes. Ne savent-ils pas par eux-mêmes que la fidélité perpétuelle en amour est contraire à la nature humaine ; que si l'on peut amener à de telles mœurs quelques benets de l'un ou de l'autre sexe, on n'y réduira jamais la masse des hommes ni des femmes, et que, dès lors, toute législation qui exige des caractères si incompatibles avec les passions ne peut produire que des ridicules spéculatifs et des désordres pratiques , puisque tout le corps social sera tacitement ligué pour autoriser les infractions? N'est- ce pas là le résultat du système amoureux qui domine depuis 2500 ans? Il n'est qu'une continuation des mœurs oppressives qui régnaient dans les âges obscurs , mœurs qu'il devient ridicule d'exiger dans un siècle où l'on se vante de raison et de respect pour les vœux de la nature. Que les anciens philosophes de la Grèce et de Rome aient dédaigné les intérêts des femmes , il n'y a rien d'étonnant, puisque ces rhéteurs étaient tous des par tisans outrés de la pédérastie qu'ils avaient mise en grand honneur dans la belle Antiquité. Ils jetaient du ridicule sur la fréquentation des femmes ; cette passion était considérée comme déshonorante. Le code de Ly curgue excitait les jeunes gens à l'amour sodomite , qu'on appelait, à Sparte, le sentier de la vertu. On pro voquait également ce genre d'amour dans les répu bliques moins austères ; les Thébains avaient forméun bataillon de jeunes pédérastes , et ces mœurs obte naient le suffrage unanime des philosophes , qui , de puis le vertueux Socrate jusqu'au délicat Anacréon , 216 DEUXIÈME PARTIE. C n'affichaient que l'amour sodomite et le mépris des femmes , qu'on reléguait au deuxième étage, fermées comme dans un sérail et bannies de la société des hommes. Ces goûts bizarres n'ayant pas pris faveur chez les modernes , on a lieu de s'étonner que nos philosophes aient hérité de la haine que les anciens savants por taient aux femmes, et qu'ils aient continué à ravaler le sexe, au sujet de quelques astuces auxquelles la femme est forcée par l'oppression qui pèse sur elle ; car on lui fait un crime de toute parole ou pensée conforme au vœu de la nature. Tout imbus de cet esprit tyrannique, les philosophes nous vantent quelques mégères de l'Antiquité qui ré pondaient avec rudesse aux paroles de courtoisie . Ils vantent les mœurs des Germains, qui envoyaient leurs épouses au supplice pour une infidélité ; enfin, ils avi lissent le sexe jusque dans l'encens qu'ils lui donnent ; car, quoi de plus inconséquent que l'opinion de Dide rot , qui prétend que , pour écrire aux femmes, “ il "fauttremper sa plume dans l'arc-en- ciel et saupoudrer " l'écriture avec la poussière des ailes du papillon? " Les femmes peuvent répliquer aux philosophes : Votre Civilisation nous persécute dès que nous obéissons à la Nature ; on nous oblige à prendre un caractère fac tice, à n'écouter que des impulsions contraires à nos désirs . Pour nous faire goûter cette doctrine , il faut bien que vous mettiez en jeu les illusions et le langage mensonger, comme vous faites à l'égard du soldat que vous bercez dans les lauriers et l'immortalité pour l'étourdir sur sa misérable condition . S'il était vrai 1 DESCRIPTIONS. 217 ment heureux , il pourrait accueillir un langage simple et véridique , qu'on se garde bien de lui adresser. Il en est de même des femmes ; si elles étaient libres et heureuses , elles seraient moins avides d'illusions et de cajoleries , et il ne serait plus nécessaire , pour leur écrire, de mettre à contribution l'arc-en-ciel et les papillons. Mais si le militaire et le sexe féminin , et même le peuple entier, ont besoin d'être continuelle ment abusés, c'est un titre d'accusation contre la phi losophie , qui n'a su organiser en ce monde que le mal-être et la servitude. Et lorsqu'elle raille sur les vices des femmes , elle fait sa propre critique ; c'est elle qui produit ces vices par un système social qui , comprimant leurs facultés dès l'enfance et pendant tout le cours de la vie , les force à recourir à la fraude pour se livrer à la nature. Vouloir juger les femmes sur le caractère vicieux qu'elles déploient en Civilisation , c'est comme si l'on voulait juger la nature de l'homme par le caractère du paysan russe , qui n'a aucune idée d'honneur ni de liberté , ou comme si l'on jugeait les castors sur l'hé bêtement qu'ils montrent dans l'état domestique , tandis que dans l'état de liberté et de travail combiné ils deviennent les plus intelligents de tous les quadru pèdes. Même contraste régnera entre les femmes es claves dela Civilisation et les femmes libres de l'Ordre combiné ; elles surpasseront les hommes en dévoue ment industriel , en loyauté et en noblesse ; mais, hors de l'état libre et combiné , la femme devient, comme le castor domestique ou le paysan russe, un être telle ment inférieur à sa destinée et à ses moyens qu'on in 10 218 DEUXIÈME PARTIE. cline à la mépriser quand on la juge superficiellement et sur les apparences. Aussi ne faut-il pas s'étonner si Mahomet , le Concile de Mâcon et les philosophes ont contesté sur l'âme des femmes , et n'ont songé qu'à river leurs fers au lieu de les briser. Elles semblent avoir plutôt besoin de maîtres que de liberté ; aussi parmi leurs amants donnent- elles communément la préférence à ceux dont les procédés la mériteraient le moins. Mais comment la femme . pourrait- elle échapper à des penchants serviles et per fides quand l'éducation l'a façonnée dès l'enfance à étouffer son caractère pour se plier à celui du pre mier venu , que le hasard , l'intrigue ou l'avarice lui choisiront pour époux ? Une chose surprenante , c'est que les femmes se soient toujours montrées supérieures aux hommes quand elles ont pu développer sur le trône leurs moyens naturels, dont le diadème leur assure un libre usage. N'est-il pas notoire que sur huit femmes sou veraines , libres et sans époux , il en est sept qui ont régné avec gloire , tandis que sur huit rois , on compte habituellement sept souverains faibles ? Et si quelques femmes n'ont pas brillé sur le trône , c'est pour avoir, comme Marie Stuart , hésité et biaisé devant les préju gés amoureux qu'elles devaient hardiment fouler. Quand elles ont pris ce parti , quels hommes ont mieux su porter le sceptre ? Les Elisabeth , les Cathe-f rine ne faisaient pas la guerre, mais elles savaient choisir leurs généraux , et c'est assez pour les avoir bons. Dans toute autre branche de l'administration, les femmes n'ont- elles pas donné des leçons à l'homme? aini DESCRIPTIONS. 219 Quel prince a surpassé en fermeté une Marie-Thérèse, qui , dans un moment de désastre où la fidélité de ses sujets est chancelante , où ses ministres sont frappés de stupeur, entreprend à elle seule de retremper tous les courages? Elle sait intimider parson abord la Diète de Hongrie mal disposée en sa faveur ; elle harangue les Magnats en langue latine , et amène ses propres ennemis à jurer sur leurs sabres de mourir pour elle. Voilà un indice des prodiges qu'opérerait l'émulation féminine dans un Ordre social qui laisserait un libre essor à ses facultés . Et vous, sexe oppresseur, ne surpasseriez-vous pas les défauts reprochés aux femmes si une éducation servile vous formait comme elles à vous croire des au tomates faits pour obéir au préjugé et pour ramper devant un maître que le hasard vous donnerait? N'a t-on pas vu vos prétentions de supériorité confondues par Catherine, qui a foulé aux pieds le sexe masculin ? En instituant des favoris titrés , elle a traîné l'homme dans la boue , et prouvé qu'il peut, dans sa pleine li berté , se ravaler de lui-même au-dessous de la femme dont l'avilissement est forcé , et par conséquent excu sable. Il faudrait , pour confondre la tyrannie des hommes , qu'il existât pendant un siècle un troisième sexe, mâle et femelle, et plusfort que l'homme. Ce nou veausexe prouverait à coups degaules que les hommes sont faits pour ses plaisirs aussi bien que les femmes ; alors on entendrait les hommes réclamer contre la ty rannie du sexe hermaphrodite, et confesser que la force ne doit pas être l'unique règle du droit. Or, ces priviléges, cette indépendance qu'ils réclameraient 220 DEUXIÈME PARTIE. contre le troisième sexe , pourquoi refusent-ils de les accorder aux femmes? Je ne prétends pas faire ici la critique de l'éduca tion civilisée, ni insinuer qu'on doive inspirer aux femmes un esprit de liberté. Certes, il faut que chaque période sociale façonne la jeunesse à révérer les ridi cules dominants ; et s'il faut dans l'Ordre barbare abrutir les femmes , leur persuader qu'elles n'ont point d'âme pour les disposer à se laisser vendre au marché et enfermer dans un sérail , il faut de même dans l'Ordre civilisé hébéter les femmes dès leur en fance pour les rendre convenables aux dogmes philo sophiques , à la servitude du mariage , et à l'avilisse ment de tomber sous la puissance d'un époux dont le caractère sera peut- être l'opposé du leur . Or, comme je blâmerais un Barbare qui élèverait ses filles pour les usages de la Civilisation où elles ne vivront jamais , je blâmerais de même un Civilisé qui élèverait ses filles dans un esprit de liberté et de raison propre aux 6º et 7º Périodes , où nous ne sommes pas parvenus. Si j'accuse l'éducation actuelle et l'esprit servile qu'elle inspire aux femmes , je parle comparativement à d'autres sociétés où il deviendra inutile de dénaturer leur caractère à force de préjugés. Je leur indique le rôle distingué où elles pourront atteindre , d'après l'exemple de celles qui ont surmonté l'influence de l'é ducation et résisté au système oppressif que nécessite le lien conjugal. En signalant ces femmes qui ont su prendre leur essor, depuis les Virago , comme Marie Thérèse , jusqu'à celles de nuances radoucies, comme les Ninon et les Sévigné , je suis fondé à dire que la DESCRIPTIONS. 221 femme, en état de liberté , surpassera l'homme dans toutes fonctions d'esprit ou de corps qui ne sont pas l'attribut de la force physique. • Déjà l'homme semble le pressentir ; il s'indigne et s'alarme lorsque les femmes démentent le préjugé qui les accuse d'infériorité. La jalousie masculine a surtout éclaté contre les femmes auteurs ; la philoso phie les a écartées des honneurs académiques et ren voyées ignominieusement au ménage. Cet affront n'était-il pas dû aux femmes savantes ? L'esclave qui veut singer son maître ne mérite de lui qu'un regard de dédain. Qu'avaient- elles à faire de la banale gloire de composer un livre , d'ajouter quelques volumes à des millions de volumes inutiles? Les femmes avaient à produire , non pas des écrivains , mais des libérateurs , des Spartacus politiques, des génies qui concertassent les moyens de tirer leur sexe d'avilissement. C'est sur les femmes que pèse la Civilisation ; c'é tait aux femmes à l'attaquer. Quelle est aujourd'hui leur existence ? Elles ne vivent que de privations , même dans l'industrie , où l'homme a tout envahi jus qu'aux minutieuses occupations de la couture et de la plume , tandis qu'on voit des femmes s'escrimer aux pénibles travaux de la campagne. N'est-il pas scandaleux de voir des athlètes de trente ans accrou pis devant un bureau , et voiturant avec des bras ve lus une tasse de café , comme s'il manquait de femmes et d'enfants pour vaquer aux vétilleuses fonctions des bureaux et du ménage? Quels sont donc les moyens de subsistance pour les 7 222 DEUXIÈME PARTIE. femmes privées de fortune? la quenouille ou bien leurs charmes , quand elles en ont. Oui, la prostitution plus ou moins gazée, voilà leur unique ressource, que la philosophie leur conteste encore ; voilà le sort abject auquel les réduit cette Civilisation , cet esclavage con jugal qu'elles n'ont pas même songé à attaquer ; et cette inadvertance est impardonnable , depuis la dé couverte d'Otahiti, dont les mœurs étaient un avertis– sement de la Nature , et devaient suggérer l'idée d'un Ordre social qui pût réunir la grande industrie avec la liberté amoureuse . C'était le seul problème digne d'exercer les femmes auteurs ; leur indolence à cet égard est une des causes qui ont accru le mépris de l'homme. L'esclave n'est jamais plus méprisable que par une aveugle soumission qui persuade à l'oppres seur que sa victime est née pour l'esclavage. Les femmes savantes , loin d'aviser aux moyens de délivrer leur sexe , ont épousé l'égoïsme philoso phique ; elles ont fermé les yeux sur l'asservissement des compagnes dont elles avaient su éviter le triste sort , elles n'ont recherché aucun moyen de déli vrance ; c'est pour cela que les Souveraines qui au raient pu servir leur sexe , et qui ont eu , comme Catherine, le bon sens de mépriser les préjugés , n'ont rien fait pour affranchir les femmes . Personne n'en avait suggéré l'idée , personne n'avait indiqué une méthode de liberté amoureuse. Or, si l'on eût publié quelques plans à cet égard , ils auraient été accueillis et mis à l'épreuve aussitôt qu'un prince ou une prin cesse équitables auraient paru sur les trônes. L'étude de ces procédés d'affranchissement était DESCRIPTIONS. 223 une tâche imposée aux femmes savantes ; en la né gligeant elles auront terni , éclipsé leur gloire litté– raire , et la postérité ne verra que leur égoïsme , leur avilissement ; car si les femmes auteurs savent géné ralement s'affranchir des préjugés et prendre leurs ébats , elles ne sont pas moins notées et tympanisées à ce sujet. Cette tyrannie de l'opinion suffisait , ce me semble , pour irriter des femmes honorables, et les exciter à at taquer le préjugé , non par des déclamations inutiles , mais par la recherche de quelque innovation qui pût soustraire les deux sexes à l'effrayante et avilissante condition du mariage. Loin qu'on tendît à alléger les chaînes des femmes , la prévention contre leur liberté allait croissant. Trois accidents contribuaient à enraciner chez les mo dernes cet esprit oppresseur du sexe faible : 1º L'introduction de la maladie vénérienne , dont les dangers transforment la volupté en débauche , et militent pour restreindre la liberté de liaisons entre les sexes ( cette maladie est extirpée par le ménage progressif) ; 2º L'influence du catholicisme , dont les dogme s ennemis de la volupté la privent de toute influence sur le système social , et ont ajouté le renfort des pré jugés religieux à l'antique tyrannie du lien conjugal ; 3º La naissance du mahométisme , qui , aggravant l'infortune et la dégradation des femmes barbares, ré fléchit une fausse teinte de bonheur sur la condition moins déplorable des femmes civilisées . Ces trois incidents formaient un tissu de fatalités 224 DEUXIÈME PARTIE. qui fermait plus que jamais la voie à toute améliora tion fondée sur le relâchement des chaînes imposées aux femmes , à moins que le hasard n'eût produit quelque prince ennemi des préjugés, et assez pénétrant pour faire sur une province l'essai des dispositions amoureuses que j'ai indiquées . Cet acte dejustice était le seul que la Nature réclamait de notre raison, et c'est en punition de cette rébellion à ses vœux que nous avons manqué le passage en 6º et en 7º période , et que nous sommes restés vingt-trois siècles de trop dans les ténèbres philosophiques et les horreurs civilisées. DEUXIÈME NOTICE. SUR LA SPLENDEUR DE L'ORDRE COMBINÉ. Pour se familiariser au luxe que je vais décrire , il convient de relire la Note A ( ' ) sur l'ordonnance des Séries progressives , afin de se persuader qu'un Ordre si contraire à nos usages doit donner des résultats diamétralement opposés , et produire autant de ma gnificence que nos travaux incohérents produisent de misère et d'ennuis. ORDRE des Matières dont traite la seconde Notice. Le Lustre des Sciences et des Arts. Les Spectacles et la Chevalerie errante. La Gastronomie combinée, (en sens politique; en sens matériel; en sens passionné. La Politique galante pour la levée des Armées. Envisagée (1) Voyez à la fin du volume. On pourra se plaindre de quelque confusion, parce que la division n'a été faite qu'après coup, ainsi que je l'ai observé au sujet de la première Notice. Il ne faudra pas perdre de vue que, pour opérer les prodiges que je vais décrire , l'Ordre combiné aura le secours de quatre nouvelles passions que nous ressen tons peu ou point dans l'Ordre civilisé , où tout s'op pose à leur développement. 10. 226 DEUXIÈME PARTIE. Ces quatre passions que j'ai nommées . 10º La " Dissidente " [ ou Cabaliste ] , 11e La Variante [ ou Papillonne ] , [ ou Composite ] , [ou Unitéisme ] , 12º L'Engrenante 13e L'Harmonisme ne peuvent avoir cours que dans les Séries progres sives , et comme nous ne sommes pas habitués à des passions si délicieuses , elles nous sembleront aussi neuves que l'amour paraît aux jeunes gens qui le res sentent pour la première fois. Cette perspective n'aura rien de flatteur pour ceux qui ont déjà perdu leurs belles années dans la triste Civilisation . Mais qu'ils se rassurent , ces nouveaux plaisirs seront pour tous les âges , et leur attente ne causera de désespoir que pendant l'intervalle qui s'é coulera jusqu'à la fondation de l'Ordre combiné. VIII. LUSTRE des Sciences et des Arts. Pour juger à quelle spendeur s'élèvent les Sciences et les Arts dans l'Ordre combiné, il faut d'abord con naître quelles immenses récompenses sont décernées aux savants et artistes . Toute Phalange dresse , chaque année, à la majorité absolue des voix, un tableau des inventions ou compo sitions qui ont paru, et qu'elle a accueillies dans le cours de l'année. Chacune de ces productions estjugée par la Série compétente. Une tragédie, par les Séries DESCRIPTIONS . 1. 227 de littérature et de poésie , et ainsi de toutes les nou veautés. Si l'œuvre est estimé digne de récompense , on fixe la somme à adjuger à l'auteur ; par exemple, 20 sous à Racine pour sa tragédie " de Phèdre ". Chaque Phalange , après avoir formé le tableau des prix décernés, l'envoie à une administration qui fait les dépouillements des votes de canton , et forme le tableau provincial . Celui-ci est envoyé à une adminis tration de région , qui opère de même sur le dépouil lement des tableaux provinciaux. Ainsi le recense ment des votes arrive par " échelons " jusqu'au Minis tère de Constantinople , où se fait le dépouillement ultérieur, et où l'on proclame les noms des auteurs cou ronnés par le suffrage de la majorité des Phalanges du globe. On adjuge à l'auteur le terme moyen des sommes votées par cette majorité. S'il y a un million de Phalanges pour le vote de 10 sous , un million pour 20 sous , un million pour 30 sous , la récompense adjugée sera de 20 sous. L En supposant que le recensement ait donné une livre tournois à Racine pour la tragédie " de Phèdre "; Trois livres à Franklin pour l'invention du para tonnerre ; Le Ministère fait passer à Racine des traites pour la somme de trois millions tournois , et à Franklin pour neuf millions tournois, sur les Congrès de leurs régions. La somme est répartie sur chacune des trois millions de Phalanges du globe . En outre, Franklin et Racine reçoivent la décora tion triomphale, sont déclarés citoyens du globe, et, 228 DEUXIÈME PARtie. sur quelque point qu'ils parcourent, ils jouissent dans toute Phalange des mêmes " prérogatives " que les Magnats du canton. Ces récompenses , qui sont insensibles pour chaque Phalange , sont immenses pour les auteurs, d'autant plus qu'elles peuvent être fréquemment répétées. II se peut que Racine et Fraklin gagnent encore pareille somme de l'année suivante , en s'illustrant par quel que autre production qui obtienne le suffrage de la majorité du globe. Les plus petits ouvrages , pourvu qu'ils soient dis tingués par l'opinion , valent encore des sommes im menses aux auteurs ; car si le globe adjuge à HAYDN, 1 sou pour telle symphonie, àLEBRUN, 2 sous pour telle ode, Haydn recevra 150,000 livres , et Lebrun 300,000 livres pour un ouvrage qui ne leur aura peut-être coûté qu'un mois. Ils pourront gagner cette somme plusieurs fois dans une seule année. Quant aux ouvrages , comme ceux d'un statuaire, qu'on ne peut pas mettre sous les yeux du globe , il existe d'autres moyens de les faire récompenser par le globe entier. De là vient qu'un talent supérieur as sure dans l'Ordre combiné une immense fortune à ce lui qui le possède , dans quelque genre que ce soit , et le savant ou artiste n'a besoin d'aucune protection ou sollicitation ; loin de là , toute protection ne servirait qu'à humilier le protecteur et le protégé. En effet : Je suppose que Pradon , à force de sollicitations , parvienne à intéresser pour sa Phèdre une vingtaine DESCRIPTIONS. 229 de cantons voisins où il a des amis et où il a obtenu qu'on jouât la pièce ; je veux même que ces cantons aient eu la faiblesse d'adjuger un prix à Pradon. Que lui servira le vote de vingt Phalanges sur un nombre de trois millions? et quel affront vont recevoir ces vingt Phalanges, lorsque le dépouillement des votes sera publié par le Ministère de Constantinople ? On y verra, d'après la liste des votes, qu'une PHÈDRE in connue, et composée par un sieur PRADON , a trouvé des amateurs dans vingt cantons du globe qui sont tels et tels , tous compères et voisins dudit Pradon . On conçoit qu'une telle annonce couvrirait de honte par tout le globe , et l'auteur et les vingt cantons qui l'au raient protégé. Mais qu'arriverait-il , malgré toutes les intrigues de Pradon? C'est que les vingt cantons qu'il aura sollicités ne voudront pas s'exposer à l'af front , ni attacher leur suffrage à une pièce si mé diocre; que loin de pouvoir espérer quinze cent mille ou la moitié des suffrages du globe , elle n'est pas même admise à vingt lieues de là , dans les cantons où Pradon n'a plus d'amis particuliers. C'est ainsi que dans l'Ordre combiné toute intrigue ou protection ne sert qu'à confondre un mauvais au teur sans le servir, tandis que l'homme à talent s'é lève subitement à l'immensité de gloire et de fortune, sans le secours d'aucune intrigue ni protection . Il n'y a qu'un seul moyen de succès, c'est de charmer la ma jorité des Phalanges du globe. Les cas d'exception se ront infiniment rares. Si quelque haut personnage , comme un parent de l'Empereur d'Unité, s'avisait de faire une mauvaise comédie, ou de mauvais vers, la 230 DEUXIÈME PARTIE . pièce se répandrait par l'importance de l'auteur , et il se pourrait que le globe eût l'indulgence de le cou ronner ; mais les personnages dignes de partialité aux yeux de tout le globe seront excessivement rares, et une petite faveur qu'ils pourraient obtenir ne portera aucun obstacle au succès des vrais talents qui aujour d'hui peuvent rarement parvenir, parce qu'ils n'ont ni les moyens de se former, ni des récompenses suffi santes, ni l'art des intrigues , sans lesquelles on ne parvient à rien en Civilisation. Après cette digression sur les récompenses de l'Ordre combiné, examinons quelle sera leur influence sur un objet quelconque , soient les spectacles. IX. SPECTACLES et Chevalerie errante. J'ai dit qu'il existera des moyens de faire récom penser par le globe tout savant ou artiste dont les ta lents sont locaux et ne peuvent pas avoir le globe pour juge. Un fameux chirurgien et une fameuse cantatrice ne peuvent pas mettre leur habileté sous les yeux du globe, comme un poëte ou un graveur , dont l'ouvrage se répand partout ; mais ils recevront également les récompenses dont j'ai parlé, et qui s'élèvent bien vite à plusieurs millions quand on possède un mérite trans cendant. Dès lors tout homme pauvre ne s'étudiera qu'à faire germer quel que talent chez son enfant ; du moment où l'on apercevra dans l'enfant quelque moyen de succès dans les sciences ou les arts , le père DESCRIPTIONS. 231 sera ivre de joie et accablé de félicitations . Tout ré pètera autour de lui : « Votre enfant va devenir un fa meux littérateur, un fameux comédien ; il va gagner la décoration triomphale, gagner des millions ; » et l'on sentcombien un tel pronostic chatouille les oreilles des parents pauvres, [ voire même des riches ]. Dès lors , quels seront les gens les plus ardents à l'é tude ? ce seront les pauvres et leurs enfants. Or, comme les exercices du théâtre sont un acheminement à toute étude des sciences et des arts, même à la mécaniquequi est d'un grand usage sur la scène , les gens pauvres n'au ront rien de plus empressé que de voir leurs enfants s'exercer et se former sur le théâtre de leur Phalange, sousla direction des riches , qui , dans tous pays, ontun penchant favori pour le soin d'un théâtre. En consé quence, tous les enfants seront dès le plus bas âge habi tués à figurer sur la scène dramatique ou lyrique, ils y prendront parti dans quelque Série de déclamation , de chant , de danse et d'instruments ; riches ou pauvres, tous y paraîtront , parce que la Phalange jouant pour elle-même et pour ses voisins , devient comédie d'ama teurs . Dès lors uncanton peuplé de 1000 personnes aura au moins 800 acteurs ou musiciens à mettre en scène dans unjour de fête, puisque tout enfant aura été élevé sur le théâtre , et aura pris parti spontanément dans quelqu'une des fonctions théâtrales . Dans l'Ordre com biné , un Bambin de quatre ans n'oserait pas se pré senter pour être admis au chœur des Néophytes (Note A ) et à la parade s'il ne savait pas figurer déjà dans les danses et manœuvres de théâtre. On a pu voir dans le chapitre Etude de l'Attraction 232 DEUXIÈME PARTIE. passionnée ( Ire Partie ) que la nature distribue au hasard, sur 800 [ 810 ] personnes , toutes les disposi tions nécessaires pour exceller dans les fonctions so ciales. En conséquence , un canton peuplé d'environ mille personnes trouve nécessairement sur ce nombre de grands acteurs dans tous les genres , si l'on a dé veloppé et cultivé dès l'enfance les dispositions de chacun. C'est ce qui arrive dans l'Ordre combiné. L'enfant y est affranchi de la tyrannie des institutions . et des préjuges ; il se porte naturellement aux emplois que la nature lui destine , et ses progrès ne sont dus qu'à l'émulation . La seule ruse qu'on emploie pour en faire d'excellents acteurs , c'est de les conduire en masse dans les cantons voisins, où ils voient les repré sentations données par leurs rivaux , avec qui on les fait entrer en lice. L Il n'est pas besoin de demander : « Qui est-ce qui fait les frais d'une salle d'opéra? » Il n'en faut construire qu'une seule , pour qu'il s'en élève trois millions de proche en proche. Si les cantons sont en rivalité ré gulière , ils n'ont pas de repos jusqu'à ce qu'ils aient égalé leurs voisins , et pour construire une salle de spectacle n'ont-ils pas tous des Séries de maçons , charpentiers , mécaniciens , peintres , etc .; puis des productions quelconques pour compenser l'achat des matériaux de construction? Si chaque Phalange a pour le moins sept à huit cents acteurs, musiciens et danseurs, sur une popu lation d'environ mille personnes, elle peut donner à elle seule tous les spectacles dont on jouit dans une immense capitale , comme Paris ou Londres . De là DESCRIPTIONS. 233 résulte déjà que dans le plus pauvre canton des Alpes et des Pyrénées , l'on trouvera un opéra semblable à celui de Paris; je pourrais même dire supérieur, car l'éducation civilisée ne peut pas, sur l'étude des arts ni sur l'épuration du goût , opérer les prodiges qu'on obtiendra de la méthode d'éducation naturelle. Si aux acteurs d'un canton l'on ajoute ceux des cantons voisins , quel sera l'éclat des spectacles dans un jour de fête où se rassemblent les virtuoses de plu sieurs Phalanges voisines , et où l'on jouit d'une réunion de talents telle que pourraient la fournir une douzaine de capitales comme Paris ? Or, le plus pauvre des hommes pouvant assister à ces spectacles , il aura sur ce point des jouissances bien supérieures à celle des Potentats civilisés . La chance est bien autrement brillante si l'on sup pose un passage d'amateurs , voyageant comme on en voit fréquemment dans l'Ordre combiné , où les voya geurs se forment en grande caravane de Chevalerie errante , qui vont courir les aventures, en déployant un caractère quelconque. Aujourd'hui l'on verra arri ver les Bandes Roses qui viennent de Perse , et qui dé ploient caractère dramatique et lyrique; quelquesjours après viennent les Bandes Lilas du Japón , qui dé ploient caractère poétique et littéraire ; et le passage successif de ces caravanes fournit dans le cours de l'année des fêtes et jouissances délicieuses à chaque amateur de sciences ou arts. Il passe des Bandes de tous les caractères ; elles ne reçoivent dans leur corpora tion que des personnages capables de soutenir l'hon neur de la troupe dans les deux sexes. 234 DEUXIÈME PARTIE. Je suppose que les Bandes Roses de Perse arrivent aux environs de Paris ; elles sont composées de trois cents chevaliers errants et trois cents chevalières er rantes, tous choisis parmi les Persans et Persanes les plus distingués dans l'art dramatique et lyrique. Les Bandes indiquent station à la Phalange de Saint- Cloud ; elles y arrivent en grande pompe , étalant une infinité de drapeaux qui leur ont été donnés dans leurs incur sions , et sur lesquels sont inscrits les faits et gestes des Bandes Roses de Perse. Arrivant à Saint-Cloud , elles sont reçues par la Chevalerie fixe, qui se compose de gens riches , ama teurs de la comédie et de la musique , et formant une corporation pour défrayer et festoyer les Bandes de leur caractère favori. Comme les Bandes Roses se sont formées de l'élite de la Perse , chaque homme ou femme dont elles sont composées était un Molé ou une Contat dans sa Pha lange. Ce sont tous les premiers chanteurs , danseurs et joueurs d'instruments de la Perse , et ils donnent des spectacles d'une excellence qui ne peut être décrite. La contrée leur donne aussi un étalage de ses princi paux talents qu'elle a rassemblés . Entre temps arrivent les Bandes Hortensia du Mexique , qui viennent se mesurer avec les Bandes Roses de Perse , et l'assaut de tålent s'établit entre les deux troupes sur les théâtres des Phalanges de Saint Cloud, Neuilly, Marly, etc. S'il y a une prééminence décidée dans les talents de la Bande Rose , elle recevra de la contrée un drapeau qu'elle déploiera parmi ses trophées et sur lequel on lira : « Défaite des Bandes DESCRIPTIONS . 235 Hortensia du Mexique à la Phalange de Saint-Cloud. Dans le cours de leurs voyages, les Bandes de même caractère se croisent en tout sens, pour rencontrer leurs rivales et livrer des assauts qui font le charme de la contrée témoin de cette guerre. En poursuivant leur route, elles se dispersent et ne voyagent point en troupeau comme nos régiments. Si les Bandes Roses ont indiqué pour prochaine station la Phalange du Loiret , près Orléans , elles auront trouvé à Saint Cloud des députés des Phalanges qui avoisinent la route d'Orléans ; ces députations sont composées des hommes et femmes les plus aimables , qui ont pour mission de séduire et entraîner les chevalières et che valiers Roses. On les attirera dans les cantons éloignés de la grande route. Chaque Phalange se disputera l'a vantage de les choyer pendant une journée, et chaque chevalier ou chevalière trouvera dans les Phalanges qui l'auront entraîné les mêmes empressements que la Bande entière avait trouvés à Saint- Cloud. Le quar tier général de la Bande suivra seul la grande route, et au jour indiqué l'on se réunira à lui dans Orléans , pour faire une entrée solennelle à la Phalange du Loiret et s'y signaler par de nouvelles prouesses. Ainsi voyageront les corps d'amateurs formés en cara vanes de Chevalerie errante , menant partout joyeuse vie , et exploitant tout le genre humain , sans être in duits à la moindre dépense ; car ils sont défrayés en tous lieux par la Chevalerie fixe. On peut à présent juger qu'en fait de spectacles , l'homme le plus pauvre aura gratuitementjouissances centuples de celles que peuvent se procurer aujour 236 DEUXIÈME PARTIE. d'hui les riches Souverains ; car il verra fréquemment lutter des milliers de ces fameux comédiens, chanteurs, danseurs et joueurs d'instruments , dont un seul au jourd'hui suffit pour enthousiasmer la cour et la ville, tandis que toutes les campagnes en sont privées , et que même les villes de cent mille habitants ne peuvent pas entretenir un grand théâtre. Quelle mesquinerie , quelle pitoyable langueur dans les plaisirs de la Civili sation , comparés à ceux dontjouira le moindre canton du globe dans l'Ordre combiné ! GASTRONOMIE COMBINÉE ENVISAGÉE EN SENS POLITIQUE, MATÉRIEL ET PASSIONNÉ. X. POLITIQUE de la Gastronomie combinée. J'ai fait entrevoir , au sujet des Spectacles , quelle prodigieuse différence il y aura entre les plaisirs de l'Ordre combiné et ceux de la Civilisation , combien les divertissements du plus pauvre canton surpasseront ceux de nos plus opulentes capitales. La comparaison sera la même sur tous les genres de jouissance , no tamment sur les principales , comme l'amour et la table. Bientôt les fredaines amoureuses d'un Richelieu et d'une Ninon sembleront mesquines , pitoyables , au prix des aventures galantes que l'Ordre combiné as surera aux moins favorisés des hommes ou des femmes. Il en sera de même de la chère des Apicius modernes : leurs festins comparés à ceux de l'Ordre combiné ne DESCRIPTIONS. 237 sembleront que des repas de goujats dépourvus de connaissances gastronomiques. Les questions relatives à la galanterie et la gour mandise sont traitées facétieusement par les Civilisés , qui ne connaissent pas l'importance que Dieu attache à nos plaisirs. La volupté est la seule arme dont Dieu puisse faire usage pour nous maîtriser et nous amener à l'exécution de ses vues ; il régit l'univers par Attrac tion et non par Contrainte ; ainsi les jouissances des créatures sont l'objet le plus important des calculs de Dieu. Pour faire connaître avec quelle sagacité il a préparé nos plaisirs, je vais parler de la bonne chère qui rè gnera dans l'Ordre combiné. On préfèrerait peut- être une digression sur les amours de ce nouvel Ordre ; mais le débat heurterait les préjugés, tandis que per sonne ne sera offensé d'entrevoir l'extension que vont acquérir les plaisirs de la table si bornés aujourd'hui . La bonne chère n'est que moitié du plaisir de la table; elle a besoin d'être aiguisée par un choix judi cieux des convives , et c'est sur ce point que la Civili sation est impuissante. L'homme le plus opulent et le plus raffiné ne peut pas rassembler, même à sa petite maison , une compagnie aussi bien assortie que celles qui se formeront dans l'Ordre combiné , celles que le plus pauvre des hommes trouvera à tous ses repas et qui varieront dans tout le cours de l'année. L'inconvenance des compagnies dans nos festins est cause que les dames civilisées témoignent beaucoup d'insouciance pour les plaisirs de la table ; les femmes tiennent plus que les hommes au choix des convives , 238 DEUXIÈME PARTIE. les hommes sont plus exigeants sur la délicatesse des mets. Ces deux jouissances, d'une chère exquise , d'une composition piquante et variée des convives, sont conti nuellement réunies dans l'Ordre combiné. La Civilisa tion ne peut pas même en offrir une seule ; et pour le prouver je vais parler de la bonne chère , qui est la base de l'édifice . C'est ici un article hasardé qui ne peut convenir qu'aux lecteurs confiants ; les autres se récrieront à chaque ligne sur l'impossibilité. Ils auront une ombre de raison jusqu'à la démonstration ; mais quelques personnes veulent provisoirement des tableaux de l'Ordre combiné ; elles veulent la perspective avant la théorie. Il faut un peu les satisfaire dans ce Prospectus, où je dois consulter les goûts des diverses classes de lecteurs . Pour apprécier les ressources que l'Ordre combiné offrira à la gourmandise , il faut savoir qu'il n'est point populeux comme la Civilisation . Entrons là dessus dans quelques détails. La Théorie indique 800 ou ( ¹ ) 810 habitants par Phalange , et l'arrondissement moyen des cantons est indiqué à 3456 toises de diamètre. Ce terrain surpas sera la lieue carrée dans le rapport de 87 à 63. L'Ordre combiné comportera donc à peine 600 habitants par lieue carrée de 2500 toises. Cependant la Civilisation amoncelle dans certain pays, comme le Wurtemberg, plus de 4000 habitants (1 ) Dans un des Exemplaires annotés, Fourier à effacé- 800 ou et laissé seulement -810. -il n'est pas sans intérêt de remarquer que ce nombre de 810 se trouvait déjà indiqué dans la première édition . DESCRIPTIONS. 239 par lieue carrée , c'est-à-dire sept fois plus que le nombre convenable , et dans les régions de moyenne valeur on trouve communément 1200 habitants à la lieue , qui n'en devra contenir que 600. Vu la faiblesse corporelle des Civilisés , on pourra en laisser jusqu'à 8 et 900 par lieue, mais provisoire ment et sauf à les réduire successivement à 600, à mesure que le globe se défrichera et que la race hu maine prendra de la vigueur. Il faudra donc désobstruer les régions civilisées qui sont encombrées de populace, et qui ont " fréquem ment " plus de 800 habitants par lieue carrée , y compris ceux des villes. Les versements ne se feront pas sur les lieux circonvoisins , comme de la France sur l'Espagne , mais sur divers points de tous les pays incultes . On commencera à les couper en échi quier, par des cordons de Phalanges qui traverseront l'Afrique, l'Amérique et l'Australie, afin d'éclairer le pays et d'adjoindre les hordes indigènes. Certaines contrées européennes, comme le Wurtem berg, évacueront plus de 3000 habitants par lieue carrée. Ce sera un grand bénéfice pour leur Souve rain, qui aura action coloniale ou propriété d'un dou zième sur les pays incultes qu'auront défriché ses émigrants (¹ ) . S'il fallait conserver des amas de populace dont certaines campagnes sont couvertes, il serait impos sible d'organiser l'Ordre combiné, qui dispose cha que canton comme une résidence royale, ayant des (1) Plusieurs rectifications de chiffres sont ébauchées dans un des

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240 DEUXIÈME PARTIE. chasses, des pêches, des hautes futaies , champs de manœuvre, routes " assorties " sur tous les points , une [ voie ] pour l'été, ombragée et bordée de fleurs [ une voie pierreuse ou ferrée pour les pluies , et une voie veloutée pour les chars doux portant les malades, l'ortolage , les objets casuels , les liquides , les fleurs et fruits ] . Il faut surtout à chaque canton d'immenses pâturages, pour les nombreux troupeaux qu'on élè vera dans cet Ordre. Heureusement que la terre est vaste eu égard à sa faible population ; nous ne sommes encore qu'au tiers du nombre convenable pour porter le globe au petit complet de 2 milliards ; on pourra donc s'éten dre à souhait et vivre au large. C'est pour nous mé nager ce bien-être que Dieu nous avait restreints à un si petit nombre , et entassés comme des captifs sur quelques terrains que nous nous disputons , tandis que la très majeure portion du globe reste inculte à cause du risque de perdre les colonies. Dorénavant, rien n'empêchera que les peuples se disséminent, lorsque la terre entière sera ralliée sous un Gouvernement unitaire et immuable, qui pourra garantir à chaque prince une indemnité coloniale sur les pays qu'il aura peuplés du superflu de ses sujets. Quoique l'Ordre combiné ne puisse comporter pro visoirement que 900, et ultérieurement 600 habitants par lieue carrée, il arrivera que ce petit nombre d'ha bitants , formés en Séries progressives , recueillera un Exemplaires annotés. On a conservé l'ancien texte , et le lecteur doit voir les ouvrages postérieurs de Fourier pour les nombres exacts. DESCRIPTIONS. 241 produit aussi copieux que pourrait le donner un triple nombre de cultivateurs incohérents sur le même ter rain . " Je ne prétends pas dire que l'Ordre combiné saura élever à cent grains un épi qui n'en donne aujourd'hui que trente. Il est des objets , commeles graminées, sur lesquels il reste peu de chances de perfectionnement , et pour le blé je n'en entrevois que 4 , savoir : 1º le meilleur choix des semences et leur échange par toute la terre ; 2º la gradation régulière de température qui s'établira en tous climats ; 3° les irrigations qui s'étendront non-seulement aux champs, mais aux forêts même; 4° les tentes volantes qui seront posées sur chaque compartiment d'un champ, pour le garan tir des excès de soleil ou de pluie. Malgré ces amélio rations, le produit des graminées ne s'augmentera guère que dans le rapport de 2 à 3 ; mais sur d'au tres objets, comme les fruits, les bois , les trou peaux, etc. , l'Ordre combiné donnera en effectif de valeur ou de quantité le triple [ et le quadruple et le quintuple ] de ce que peut donner l'Ordre incohérent. Compensation faite de ces divers moyens, estimons seulement au " triple " le produit positif de l'Ordre combiné; il faut y ajouter le produit négatif qui se composera des déperditions évitées. Or, quand j'aurai fait le recensement des déperditions incalculables qu'entraîne le mécanisme civilisé ( j'en ai dit deux mots page 11 , Discours préliminaire , et j'en parlerai encore dans la troisième Partie, en traitant du mé canisme commercial ) , on concevra qu'un produit positivement "triple " du nôtre, se trouvera " qua II 242 DEUXIÈME PARTIE. druple ou quintuple " [ par l'addition du négatif], par l'épargne des immenses déperditions que nous commettons. Comme les récoltes de l'Ordre combiné seront im mensément supérieures aux moyens de consommation locale ou extérieure , la surabondance deviendra fléau périodique, comme aujourd'hui la disette , et tout en prodiguant aux animaux les comestibles de l'homme , on sera obligé de jeter fréquemment à la mer et aux égouts une masse de produits qui pour raient être présentés aujourd'hui sur les meilleures tables. On en fera le sacrifice sans aucun regret, parce qu'on saura que cette surabondance est néces saire au soutien de l'Ordre combiné , cet Ordre social devant fixer sa population à un terme qui établisse superfluité habituelle et abandon d'une masse de bonnes productions. Par exemple : si la Phalange de Vaucluse recueille 50,000 melons ou pastèques, il y en aura à peu près 10,000 affectés à sa consomma tion , 30,000 à l'exportation , et 10,000 inférieurs qu'on partagera entre les chevaux, les chats et les engrais. Les économes répliqueront que cette Phalange doit élever un plus grand nombre de pourceaux, pour con sommer son superflu ; ce serait prendre une peine inutile, puisqu'il y aura sur la masse des pourceaux un superflu comme sur la masse des melons et autres fruits. Il vaudra donc mieux employer aux engrais les fruits superflus que d'en alimenter un surcroît d'animaux dont on n'aurait aucune consommation. Les économes observeront encore qu'il faudrait DESCRIPTIONS. 243 1 augmenter la population pour consommer cette sur abondance. Mais on ne peut pas dans l'Ordre com biné élever le nombre des habitants au-delà d'une proportion donnée ; et si l'on dépassait le nombre, il arriverait que les Séries seraient obstruées dans leurs fonctions ; elles tomberaient en discorde, en cohue, au lieu d'opérer en Harmonie et en Attraction. II faudra donc que la population se limite approximati vement aux proportions indiquées par la Théorie , et de là résultera ce superflu habituel qui ne pourra pas même être consommé par les animaux. Bref, l'Ordre combiné a pour propriété de donner toujours une sur abondance qu'il faut rendre à la terre, comme l'Ordre incohérent donne constamment un déficit qui produit l'indigence . XI. MATÉRIEL de la Gastronomie combinée. De quelle qualité sera ce superflu qu'il faudra par tager entre les animaux et les engrais ? La solution de ce problème va donner des éclaircis sements bien étranges sur le sort futur des peuples. Je sollicite donc une attention particulière pour les dé tails minutieux qui vont suivre ; ils amèneront des conclusions vraiment surprenantes , et c'est ici qu'on va prendre une idée de l'immensité de bien- être que Dieu nous réserve. Dans une Série progressive , tous les groupes ac 7 244 DEUXIÈME PARTIE. quièrent d'autant plus de dextérité que leurs fonc tions sont très divisées , et que chaque membre n'en adopte que celle où il a la prétention d'exceller . Les chefs de la Série, poussés à l'étude par les rivalités , apportent au travail les lumières d'un savant de pre mier ordre. Les subalternes y apportent une fougue qui se rit de tout obstacle et un véritable fanatisme pour soutenir l'honneur de la Série contre les cantons qui la rivalisent. Dans le feu de l'action elles exécu tent ce qui paraît humainement impossible , comme les grenadiers français qui escaladèrent les rochers de Mahon , et qui le lendemain ne purent pas de sang froid gravir ce roc qu'ils avaient assailli sous le feu de l'ennemi. Telles sont les Séries progressives dans leurs travaux : tout obstacle tombe devant le violent orgueil qui les possède ; elles s'irriteraient au mot d'impossible , et les travaux les plus effrayants, comme les rapports de terre, ne sont que leurs moindres jeux. Si nous pouvions aujourd'hui voir un canton orga nisé , voir dès l'aurore une trentaine de groupes dustriels sortant en parade du palais de la Phalange , se répandant dans les campagnes et les ateliers , agi tant leurs drapeaux avec des cris de triomphe et d'im patience, nous croirions voir des troupes de forcenés qui vont mettre les cantons voisins à feu et à sang. Tels seront les athlètes qui remplaceront nos travail leurs mercenaires et languissants , et qui sauront faire croître le nectar et l'ambroisie sur tel sol qui ne donne que la ronce et l'ivraie aux faibles mains des Civilisés . in Chaque Phalange, en exploitant de la sorte un can DESCRIPTIONS. 245 ton qu'elle a fécondé par les rapports de terre, les ir rigations et autres moyens , apporte le plus grand soin à étouffer dans sa naissance toute production animale ou végétale qui ne promettrait qu'un avorton et qui ne soutiendrait pas l'honneur du canton et de ses Séries . Ainsi tout ce qui tendrait au médiocre est dé truit dans sa naissance , et dès lors le superflu de co mestibles abandonné aux animaux se trouve au moins égal aux productions que nous admirons et qui figu rent sur la table des grands et des rois. Si l'on pou vait conserver et reproduire dans l'Ordre combiné une pièce quelconque , une volaille prise aujourd'hui sur la cable du premier gourmand de France , vous entendriez les dégustateurs signaler vingt fautes com mises dans l'éducation et l'engrais de cette volaille , et conclure que la Série des volaillères qui l'a pro duite et mise en circulation , au lieu de la placer au lot de rebut , mérite d'être éclipsée , c'est-à- dire con damnée à attacher une cravate noire à la bannière du groupe du poulailler . Si l'enthousiasme et l'intelligence qui règnent dans les travaux de l'Ordre combiné élèvent les produc tions à un tel degré d'excellence que le lot de rebut ou des animaux se trouve égal en valeur à nos denrées de choix qui sont servies à la table des grands , le lot de minimum ou troisième qualité se trouvera déjà supérieur à nos productions les plus estimées. D'où il suit que les comestibles envoyés aux cuisines du peu ple seront " aussi " ( ¹ ) délicats que ceux réservés au (1) Il y avait dans l'ancien texte - plus — au lieu de — aussi. - 246 DEUXIÈME PARTIE. jourd'hui pour les rois. Ainsi le démontrera la Théo rie, quelque exagération qu'on puisse soupçonner dans ces tableaux que je voudrais pouvoir affaiblir afin de me rapprocher de la vraisemblance. Même raffinement aura lieu dans la préparation ; car dans toute Phalange la Série des cuisines , ainsi que toutes les autres Séries, apporte dans ses fonctions le plus vif enthousiasme ; elle y attache l'importance qu'y mettait certain cuisinier français qui se brûla la cervelle au moment du dîner , se croyant déshonoré parce que le service était incomplet à cause du retard qu'avait éprouvé l'arrivage du poisson de mer. On trouvera le même esprit dans la Série qui régira les cuisines de chaque Phalange : son intelligence sera secondée par l'exquise qualité des assaisonnements. N'employât- on qu'un clou de girofle , cette épice sera de qualité supérieure à tout ce que l'Asie peut fournir aujourd'hui , puisque le minimum ou troisième lot de l'Ordre combiné l'emporte déjà sur ce que la Civilisa tion peut donner de plus parfait. Il suit de là que les mets de troisième classe , qui seront le pis-aller du peuple , surpasseront en délica tesse ceux qui font à présent les délices de nos gas tronomes. Quant à la variété de mets qui règnera aux tables du peuple , on ne peut pas l'estimer moins de trente à quarante plats , renouvelés par tiers tous les jours, avec une douzaine de boissons différentes et va riées à chaque repas. Certes , il suffirait du tiers d'une telle chère pour surpasser tous les désirs du peuple; mais l'Ordre com biné ne s'allie en aucun sens avec la médiocrité ni la DESCRIPTIONS . 247 modération , et puisque les Séries progressives don nent grande affluence et grande variété de produits , il faudra que la consommation s'établisse dans le même rapport. Si la Série qui cultive poires ou pommes a fourni trente variétés , dont quelques-unes sont sur abondantes et presque sans valeur, il faut bien les faire consommer par le peuple , et l'on ne peut pas lui en servir une seule qualité , parce que la Série du fruitier qui prépare les distributions envoie chaque jour aux cuisines des assortiments de toutes sortes de fruits et non pas d'un seul. On est donc forcé de servir au peuple un assortiment de fruits qui forme qualité de minimum ou troisième classe , et qui n'est pas ad missible aux tables des riches ni des moyens . Dans l'Ordre actuel où les productions sont très peu variées , la plupart sont réservées exclusivement aux riches , et loin que le peuple en puisse goûter, la bourgeoisie même est réduite à s'en priver. La chance est bien différente dans l'Ordre combiné , où un seul canton donne au moins huit cents " variétés de " pro duits, dont les deux tiers sont assez abondants pour être en partie affectés aux consommations populaires . La chère du peuple roule donc sur une variété d'environ six cents substances différentes ; celle des riches peut en avoir le triple et le quadruple au moyen des den rées apportées de pays étrangers ; mais il ne reste pas moins au peuple un copieux assortiment de toutes sortes de productions , et j'ai sans doute évalué trop bas en estimant à trois douzaines de mets et une dou zaine de boissons le service journalier d'une table de troisième classe, sur laquelle puisent les diverses com 218 DEUXIÈME PARTIE. pagnies que forment 4 à 500 personnes dans les salles de minimum. On serait bien plus surpris si j'entrais dans les me nus détails sur la composition des mets. Voici sur ce sujet une particularité qui ne sera pas des moins cu rieuses. Lorsque la zone torride sera en pleine culture , le sucre , dont les moindres qualités équivaudront aux plus belles d'aujourd'hui , se trouvera en balance de valeur avec la farine de froment ; de sorte que les vaisseaux venant de l'équateur échangeront à égal poids une cargaison du sucre le plus pur contre une cargaison de farines d'Europe. Mais en Eu rope les bons laitages et les bons fruits seront si communs qu'on n'en tiendra aucun cas. De là vient qu'une confiture fine , une crème ou compote à demi dose de sucre et demi-dose de fruits ou laitages , sera bien moins coûteuse que le pain ; et par économie on prodiguera aux enfants pauvres les confitures fines , crèmes sucrées et compotes assorties ; je dis assorties , parce que les Séries de cuisine, confiserie ou autres , ne peuvent travailler que par assortiment ou pro gression graduée , et il faut que la consommation s'o père dans le même ordre. En conséquence, les enfants les plus pauvres verront par toute la terre foisonner sur leurs tables ces laitages sucrés et fruits confits dont ils sont si friands , et qui semblent nuisibles à leur tempérament parce que nous ne pouvons pas leur fournir les boissons acides qui corrigeraient l'influence vermineuse desdites substances. Mais à peine la zone torride sera- t- elle cultivée que la li DESCRIPTIONS. 249 monade et autres boissons coûteuses seront bien plus communes que n'est aujourd'hui la petite bière ou le petit cidre. Les citrons sous la zone torride et les pommes reinettes sous la zone tempérée seront d'une telle abondance que l'un et l'autre fruit n'aura de valeur que par les frais de transports , et s'échangera à poids égal au grand contentement des deux zones. De là on peut concevoir pourquoi la nature donne aux enfants de tous pays un goût si général pour les confitures fines , crèmes sucrées , limonades , etc.; c'est que lesdits objets devront composer la nourriture économique des enfants dans l'Ordre combiné , et que Dieu doit nous donner Attraction passionnée pour le genre de vie qu'il nous réserve dans ce nouvel Ordre, où le pain sera l'un des comestibles les plus coûteux et les plus épargnés , et où l'Harmonie universelle ne pourra se fonder que sur des passions assez raffinées pour exiger l'intervention des trois zones et des deux continents dans le service de chaque habitant du globe. Je n'ignore pas combien ces assertions et les sui vantes sembleront exagérées ; mais j'ai prévenu que les démonstrations tiennent à un Traité complet du mécanisme des Séries progressives ; jusqu'à ce que j'aie publié cette Théorie , on ne peut pas exiger de preuves sur des descriptions anticipées que je donne pour satisfaire les plus empressés. Quoique cette digression sur le matériel des repas soit déjà trop longue pour un vague aperçu, j'y dois ajouter quelques lignes encore ; maint amateur récla merait si j'oubliais de faire comparaître le dieu de la treille dans cette kyrielle gastronomique. 11 . 250 DEUXIÈME PARTIE. C'est ici qu'on pourra élever contre moi des argu ments spécieux. Les opposants voudront jeter de la défaveur sur les caves de cet Ordre combiné dont les cuisines accumuleront tant de trophées. Ecoutons par ler ces antagonistes : « Nous accordons, me diront-ils, « que vos Phalanges, vos Séries et vos Groupes puis << sent fournir les productions les plus exquises en « telle abondance que le pauvre même y obtienne quelque part ; mais pour correspondre à cette chère << toute divine , pourrez-vous créer sur tous les points « de la terre des vignobles tels que Médoc, Ay, Cham bertin , Rudolsheim, Xérès, Tokai , etc.? Ces vigno « bles, limités à un petit espace, ne pourrontpas four << nir aux tables de première classe dans trois millions <<< de cantons ; la bonne chère du peuple ne sera donc << arrosée que de piquette, et ne présentera qu'une ca « « cophonie gastronomique; car il n'est point de bon «repas sans bon vin . Or, pour assortir une chère dont « les moindres mets surpasseront par toute la terre « ceux de nos Apicius, il faudrait par toute la terre des < vins supérieurs à ceux de nos vignobles fameux qui « occupent quelques points imperceptibles , et que nul « travail n'égalera jamais, puisque leur saveur dépend « du terroir et non de l'industrie. >» « L'objection paraît embarrassante, et je me plais à la poser rigoureusement pour prouver que la solution des problèmes les plus effrayants devient un jeu pour qui tient la Théorie du Mouvement social . Oui, l'homme pauvre sera, dans l'Ordre combiné, abreuvé à son ordinaire de vins égaux aux plus fameux de France, d'Espagne et de Hongrie, et conséquemment les gens DESCRIPTIONS. 251 riches auront à choisir sur des vins proportionnelle ment supérieurs. Il y a plus, et je démontrerai que, sur des boissons autres que le vin, la table du pauvre sera bien mieux servie que ne l'est aujourd'hui celle des Rois . J'en cite trois en divers genres, en amer, doux et acide ; ce sont le café, le laitage et la limonade, qui seront géné ralement plus exquis que ce que les Rois peuvent se procurer de plus parfait en ce genre, et cette supério rité sera due à des moyens d'exploitation , transport et préparation, qui ne peuvent pas avoir lieu dans l'Ordre actuel, et qu'un Souverain ne pourrait établir à aucuns frais. Croit-on qu'aux champs de Moka le café soit cul tivé avec tous les soins convenables? Ne commet-on pas des fautes grossières dans la collecte et le trans port, et peut-être dans la préparation journalière? Quand vous connaîtrez les soins , le discernement qu'apportent des " Séries progressives " dans tous ces détails, vous concevrez que nos productions les plus renommées sont infiniment loin de la perfection. Ajoutons que les événements futurs, en perfectionnant le suc des terres , raffineront les sucs des plantes et des animaux qui s'en nourriront ; il ne sera donc pas éton nant que les boissons abandonnées aux plus pauvres des hommes se trouvent fréquemment supérieures à celles des potentats civilisés . Toutefois cette amélioration du suc des terres ne pourra s'opérer qu'avec lenteur ; car elle ne dépendra pas des opérations agricoles , mais seulement de la graduation de température, qui ne s'effectuera qu'à la longue, de génération en génération , et qui ne sera 252 DEUXIÈME PARTIE. pleinement établie qu'après la naissance de la cou ronne boréale et l'entière culture du pôle. C'est prin cipalement à la couronne qu'on devra les nouveaux sucs qui raffineront les productions , et donneront aux moindres vins du globe la saveur de ceux qui sont les plus estimés aujourd'hui (¹ ) . D'autres causes influeront sur cet amendement des sucs de la terre ; il faut à ce sujet répéter une observa tion déjà faite c'est que l'Ordre combiné crée des chances et des moyens d'exécution qui n'existent pas pour nous. Les ressources de la Civilisation ne peuvent donner aucune idée des ressources de l'Ordre com biné ; par exemple, s'il s'agissait aujourd'hui de dé cerner à tout savant millions sur millions chaque fois qu'il produit un bon ouvrage, les Civilisés s'écrieraient que de telles prodigalités seront impossibles sous tous les régimes ; qu'il faudrait aux Rois des trésors iné puisables ; qu'il faudrait changer tous les ministres en Mécènes, changer les passions , etc. Or , l'on a vu , au début de la Notice, que ce problème est résolu sans qu'il soit besoin de changer les passions ni les caractères des ministres ou des Rois. La solution repose sur ce que l'Ordre combiné crée des moyens inconnus aux Civilisés , et qu'une fois pourvus de ces nouveaux moyens nous nous jouerons des obstacles réputés in (1) [ J'ignorais en 1808 un événement futur et relatif à ces variétés de saveurs ; c'est le retour de nos cinq lunes vivantes : Vesta, Junon, Cé rès, Pallas , Mercure. Au moyen des arômes qu'elles nous verseront iso lément ou combinément, on pourra donner à 32 carreaux d'un même végétal 32 saveurs différentes, non compris la saveur originelle actuelle. DESCRIPTIONS. 253 surmontables. N'avons-nous pas su , à l'aide de la pou dre et de la boussole , fendre les rochers , affronter les ténèbres au sein des mers, et opérer tant de prodiges dont la seule idée aurait fait frémir toute l'Antiquité ? Il en sera de même de tous ces problèmes que j'ai po sés, et qui exciteront parmi vous les cris d'impossi bilité et de charlatanerie. Toutes vos objections sont résolues en système général par le mécanisme des Séries progressives , et les événements résultant de cet Ordre vous fourniront, non pas les objets de vos désirs, mais un bonheur infiniment supérieur à tous vos désirs. XII. MÉCANISME passionné de la Gastronomie combinée. C'est peu des jouissances matérielles que je vous annonce; il ne suffira pas que le plus pauvre de vous ait une table mieux servie et mieux abreuvée que celle du plus opulent des Rois ; ce bien-être , quelque réel qu'il soit, ne vous assurerait encore que la moitié des plaisirs de la table. Si la bonne chère en fait la base, il est une condition non moins essentielle : c'est l'amal gamejudicieux des convives, l'art de varier et assortir les compagnies , de les rendre chaque jour plus inté ressantes par des rencontres imprévues et délicieuses , et d'assurer même aux plus pauvres gens les plaisirs de l'âme, si incompatibles avec vos tristes habitudes 254 DEUXIÈME PARTIE. de ménage. Sur ce point votre Civilisation est com plétement ridicule ; vos réunions formées à grands frais, vos banquets les plus célèbres sont pour l'ordi naire si mal assortis , si bizarrement composés, qu'on y périrait d'ennui sans la ressource du festin, qui dès lors n'est plus qu'un plaisir de goujat, et peut-être moins encore; car les goujats sont jovials et folâtres dans leurs tavernes ; ils y trouvent les plaisirs de l'es prit et des sens à la fois , tandis qu'on bâille dans vos salons pendant une mortelle heure en attendant le diner. Eh ! ce diner n'est- il pas payé bien chèrement par l'ennui de soutenir des discussions léthargiques sur la pluie et le beau temps, sur les chères santés des parents et amis, les progrès des enfants si dignes de leurs vertueux pères , le bon caractère des demoiselles, le bon cœur des tantes et les tendres sentiments de la tendre nature ! Quel déluge de fadeurs et de niaiseries dans ces réunions civilisées qu'on a pourtant prépa rées à grands frais et soutenues d'un festin dispen dieux ; festin aussi ennuyeux pour les convives que pour la maîtresse qui a l'embarras de le diriger et de le préparer ! Eh ! comment les Civilisés osent- ils pré tendre à quelque renommée gastronomique lorsqu'ils sont dans une absolue nullité sur l'art de former des réunions piquantes et variées, ce qui est une moitié du plaisir de la table . Il semble que sur ce point les Rois soient encore plus au dépourvu que la populace ; ré duits à manger en famille , isolés comme des ermites, et sérieux comme des hiboux pendant tout leur repas, ils nous prouvent , à table comme ailleurs , que les jouissances du plus puissant des Rois sont bien infé DESCRIPTIONS. 255 rieures à celles que trouvera le plus pauvre de ses su jets dans l'Ordre combiné. Encore ce Souverain doit-il s'estimer heureux si , dans l'isolement et la tristesse qui président à ses repas , il peut écarter le soupçon d'empoisonnement dont il est menacé sans cesse. O va nité des jouissances de la Civilisation ! Ce serait ici le lieu d'expliquer de quelle manière se varient les rassemblements dans l'Ordre combiné, comment on fait succéder les repas d'amourettes, de famille, de corporations, d'amitié, d'étrangers , etc. Pour disposer cette série de repas , ainsi que celle des travaux qui doivent varier au moins de deux en deux heures, on tient chaquejour, dans le plus petit canton (¹ ) du globe, la Bourse ou assemblée de négocia tions. On y traite des réunions de travail et de plaisir pour les jours suivants, des emprunts de cohortes entre les divers cantons qui se concertent pour associer leur industrie et leurs divertissements . Dans chaque canton il se négocie tous les jours à la bourse au moins huit cents assemblées de travail , de repas , de galanterie , de voyages et autres. Chacune de ces réunions exigeant des débats entre dix et vingt, et quelquefois cent per sonnes, il y a au moins vingt mille intrigues à dé brouiller à la bourse pendant une heure. Pour les con cilier il y a des fonctionnaires de toute espèce, et des dispositions au moyen desquelles chaque individu peut suivre une trentaine d'intrigues à la fois ; de sorte que la bourse du moindre canton est plus animée que celle de Londres ou Amsterdam. On y négocie principale (1 ) Il n'en peut pas exister de moindre de 700 personnes. 256 DEUXIÈME PARTIE. ment par signaux, au moyen desquels chaque négo ciateur dirigeant peut, de son bureau, entrer en débat avec tous les individus, et intriguer, par ses acolytes, pour vingt groupes, vingt Séries, vingt cantons à la fois, sans vacarme ni confusion . Les femmes, les en fants négocient ainsi que les hommes pour fixer leurs réunions de toute espèce , et les luttes qui s'élèvent chaque jour à ce sujet entre les Séries , les Groupes et les individus, forment le jeu le plus piquant, l'intrigue la plus compliquée et la plus active qui puisse exister ; aussi la bourse est-elle un grand divertissement dans l'Ordre combiné. D'après les aperçus que je viens de donner sur les plaisirs de la table, on peut pressentir que ceux de l'amour s'élèveront au même degré, et présenteront chaque jour une foule d'anecdotes et d'aventures dont les moins piquantes seront encore bien supé rieures à nos prouesses les plus vantées. L'amour ainsi que la table offrira des chances à tous les caractères ; là finiront les oiseux débats des Civilisés sur la con stance et l'inconstance , et les affections diverses ; il faudra des goûts de toute espèce dans l'Ordre com biné , parce qu'il présente des moyens de satisfaire tous les goûts. Les Bacchantes y sont aussi nécessaires que les Vestales , et la culture ne peut s'exercer par · Attraction s'il n'y a dans le canton des amours de tout genre. Aussi, à côté des Bacchantes qui exercent la vertu de fraternité , et qui se vouent aux plaisirs de tout le genre humain, on trouvera des Vestales et Jouvencelles d'une fidélité assurée ; on y trouvera, chose bien plus rare, des hommes fidèles aux femmes, DESCRIPTIONS . 257 et c'est ce qu'on ne trouve pas en Civilisation , à moins de chercher dans la classe cagote, qui ne fait pas partie du monde amoureux . XIII. POLITIQUE galante pour la levée des Armées . L'annonce de la future liberté amoureuse devant exciter la grande colère des bourgeois et des philo sophes, il convient, pour les calmer, de leur faire en visager cette liberté sous le rapport de l'intérêt, qui• est leur unique Dieu. L'amour, qui est en Civilisation un germe de désordre, de paresse et de dépenses, de vient dans l'Ordre combiné une source de bénéfices et de prodiges industriels . J'en vais donner un indice, et je choisis la démonstration sur l'une des branches d'administration la plus pénible parmi nous : c'est la levée des armées qui s'opère par la Politique ga lante. L'amour produit dans chaque Phalange deux grandes Séries, qui sont le demi-caractère et le caractère plein. Celui-ci se divise en neuf branches : la pre mière est la Vestalité, dont je vais parler . Dans chaque Phalange, le cœur des Jouvenceaux et Jouvencelles, qui sont vierges, élisent tous les ans un quadrille de Vestalité formé de deux couples de parade et deux couples de mérite ; le choix est réglé pour les premiers sur la beauté, et pour les seconds. 258 DEUXIÈME PARTIE . sur le succès dans les sciences et les arts ou le dé vouement dans les travaux . Les Vestals et les Vestales ont en tous lieux le rang de Magnats et Magnates ; la plus pauvre fille , lors qu'elle est élue Vestale , roule en char à six chevaux blancs, couverte des pierreries de la réserve. On rend à ces jeunes gens toutes sortes d'honneurs ; ils com mandent les colonnes de l'enfance ; enfin, le système conservateur de la virginité tend à produire les jeunes filles au lieu de les isoler. Loin de les habituer à un rôle de buse, comme nos demoiselles emmiellées de morale , qui disent n'aimer personne et n'avoir d'autre volonté que celles du papa et de la maman, on développera leurs inclinations autant que possible, et l'on verra la Vestale avoir des poursuivants titrés , et le Vestal avoir de même ses poursuivantes qu'il aura titrées . Cette jeunesse d'élite a le privilége d'aller aux ar mées industrielles, qui sont de magnifiques rassem blements ; c'est là que les Vestals et Vestales exercent leurs premières amours. Chaque jour l'armée donne, à la suite de ses travaux, des fêtes d'autant plus bril lantes qu'elle réunit l'élite de la jeunesse en beauté et en talents . Ces fêtes offrent un vaste champ à la courtoisie les prétendants et prétendantes suivent la Vestalité qui fait ses choix dans le cours de la cam pagne. Ceux des jeunes gens qui veulent s'attacher à un seul amant ou une seule amante passent au grade de Damoiseau et Damoiselle , et entrent dans les Groupes de la constance , qui sont le deuxième des neuf caractères amoureux ; d'autres qui ont le goût de DESCRIPTIONS. 259 l'inconstance, prennent parti dans les sept Groupes suivants. Le résultat principal de ces amusettes, c'est qu'on forme d'immenses armées industrielles sans aucune contrainte, et sans autre ruse que d'avoir mis en évidence et honoré publiquement cette virginité que les philosophes veulent éloigner du monde, en tourer de duègnes et de préjugés . Pour rassembler une armée, il suffit de publier le tableau des quadrilles de virginité que chaque Pha lange y enverra ; dès lors ceux qui se sont déclarés prétendants et prétendantes ne sauraient se dispen ser de suivre les prétendus aux armées, où doivent se décider les choix, qui se font secrètement, sans la publicité scandaleuse qu'on apporte parmi nous aux cérémonies du mariage, où l'on avertit une ville en tière que, tel jour , un libertin , un roué, va déflorer une jeune innocente. Il faut être né en Civilisation pour supporter l'aspect de ces indécentes coutumes qu'on appelle les noces, où l'on voit intervenir à la fois le magistrat et le sacerdoce avec les plaisants et les ivrognes du quartier. Et pourquoi? parce qu'après de viles intrigues , après un maquerellage fait par le notaire et les commères, on va enchaîner pour la vie deux individus qui peut-être seront au bout d'un mois insupportables l'un à l'autre. Quel est donc le motif de ces fêtes de noces ? l'espoir d'obtenir une postérité ? eh ! sait-on si la femme ne sera pas stérile ? l'espoir du bonheur des conjoints ? eh ! qui sait s'ils ne se détesteront pas l'année suivante , et si leur union ne fera pas le malheur de tous deux ? Dans ces fêtes données sur une vague espérance, les familles 260 DEUXIÈME PARTIE. sont comparables à un étourdi qui , en prenant un billet de loterie , donnerait à ses voisins un grand repas en réjouissance de ce qu'il espère gagner un terne ; on mangerait son repas en se moquant de lui et disant : Il ne tient pas encore le terne. N'imitez-vous pas un tel fou quand vous donnez des fêtes à l'occa sion d'un mariage qui est un billet de loterie , et moins encore ; car le mariage peut produire beaucoup de malheur, au lieu du bonheur qu'on en espère ? Le seul cas où les fêtes soient raisonnables , c'est lorsqu'un homme épouse une femme très riche ; alors il a lieu de se réjouir ; mais d'ordinaire les femmes dépensent plus de revenu qu'elles n'en apportent , et si l'on remettait les réjouissances de noce à l'année suivante , à l'époque où le mari a tâté des embarras du ménage , des énormes dé penses et du cocuage qui arrive tôt ou tard, on trouverait bien peu de mariés disposés à festoyer leur fâcheuse union. Eh ! combien d'entre eux ont regret à la fête, dès le lendemain, où ils sont déjà confus de n'avoir pas trouvé ce qu'ils croyaient trouver ! Dans l'Ordre combiné , les fêtes relatives aux pre mières amours ne se donnent qu'après l'union consom mée. On se garde bien d'imiter les Civilisés , qui pren nent le public à témoin du marché conclu pour la défloration. Une Vestale voit ses prétendants réunis et étalant leur mérite dans les jeux publics et les travaux de l'armée ; leur nombre diminue successivement se lon l'espoir qu'elle leur donne. Enfin , lorsqu'elle est d'accord avec l'un d'entre eux , les futurs se bornent DESCRIPTIONS. 261

à envoyer une déclaration cachetée à l'office de la Haute-Matrone (c'est une Ministre des relations amou reuses , celle qui tient le gouvernail des affaires ga lantes de l'armée pour ce qui concerne la Vestalité) , ou aux Vice-Matrones qui régissent chaque division. On fait les dispositions nécessaires pour recevoir cha que soir les couples qui veulent s'unir secrètement ; ils sont reconnus par une intendante de matronage ; l'union n'est divulguée que le lendemain , où la Ves tale a quitté sa couronne de lys pour une couronne de roses, et se montre en costume de Damoiselle avec son favori ou son Damoiseau , si c'est un Vestal qu'elle a choisi. Il s'opère chaque nuit , à l'armée , un bon nombre de ces unions de Vestals et Vestales ; elles sont annon cées le lendemain à la matine ou repas du matin . Les Bacchants et Bacchantes ont la fonction d'aller chaque matin relever les blessés , c'est-à-dire les prétendants et prétendantes qui se trouvent éconduits par suite des unions secrètes de la nuit. Je suppose que la Vestale Galatée , prête à faire són choix , ait balancé entre Pygmalion , Narcisse et Pollux. Enfin elle a préféré Pygmalion et s'est unie secrètement à lui. Une centaine de Vestales ont , dans la même nuit, consommé pareille union avec leurs fa voris dans l'édifice destiné à cette cérémonie. Le len demain un millier de Bacchants et Bacchantes de la division sont assemblés avant le jour ; une référen daire de matronage leur communique le tableau des unions de la nuit, puis la liste des blessés et blessées qu'il faut aller relever. On y voit les noms de Pollux 262 DEUXIÈME PARTIE. et Narcisse . Alors les Bacchantes qui se croient le plus aimées de Pollux se dirigent vers sa demeure ; d'au tres vont trouver Narcisse , et de même les Bacchants s'acheminent vers les intéressantes blessées qu'ils ont choisies (¹ ) . Pollux sera donc éveillé par des Bacchan tes qui viendront , le rameau de myrte à la main , lui apprendre qu'il est trépassé dans l'esprit de Galatée ; elles essuient le premier choc , les clameurs de perfi die et d'ingratitude ; et, pour consoler Pollux , elles prodiguent leur éloquence et leurs charmes (2) . Il y a , chaque matin , une ample déconfiture de poursuivants et de poursuivantes , au grand conten tement des légions de Bacchanales, qui font leur pro (1) Il est entendu que si les amants disgraciés sont du corps de la Vestalité, ce ne seront pas les Bacchants et Bacchantes qui iront les consoler. En pareil cas, cette fonction sera remplie par d'autres con fréries, comme les Sentimentaux et Sentimentales, qui sont le 7° Groupe de la Série amoureuse. Il est maintes exceptions semblables que je ne m'arrête pas à rapporter , et qu'on doit pressentir sans que je les indique. (2) Des Civilisés diront que Pollux ne tiendra aucun cas des conso lations des Bacchantes , que s'il est bien amoureux de Galatée, il rejet tera avec dédain des dévergondées qui viendront s'offrir à lui . En effet, telle serait la marche de l'amour dans l'Ordre civilisé. Pollux refuse rait pendant plusieurs jours toute autre femme que Galatée , et de plus, il appellerait en duel Pygmalion. Dans l'Ordre barbare, Pollux agirait différemment, il irait poignarder Galatée , en attendant l'occasion de poignarder Pygmalion. Et dans l'Ordre sauvage ou patriarcal , Pollux. agirait différemment encore . Je n'ignore pas que, selon nos mœurs, Pollux devrait dédaigner les Bacchantes et leurs consolations ; mais , si vous voulez, d'après les mœurs civilisées , blâmer Pollux qui se distraira avec les Bacchantes, un Barbare pourra se moquer du Civilisé, qui, se voyant ravir sa belle, n'ira pas la poignarder. J'entre dans ces détails , pour rappeler que les passions ont dans chaque Période sociale une marche différente ; et que si les usages de l'Ordre combiné paraissent bizarres sur quelques points , il faudrait , avant de les juger, connaître les circonstances qui introduiront des mœurs si opposées aux nôtres. DESCRIPTIONS . 263 fit de cet amoureux martyre ; car le remède ordinaire à une telle mésaventure , c'est de s'étourdir pendant quelques jours avec les Bacchantes , les Aventurières et autres corporations de l'armée qui exercent la phi lanthropie. Quand on connaîtra les détails de ces di verses fonctions et le mécanisme des Séries amoureu ses dans les armées de l'Ordre combiné , on trouvera les amours de la Civilisation si monotones , si pitoya bles , qu'on ne pourra supporter la lecture de nos romans et de nos pièces de théâtre ; l'on concevra que l'admission aux armées devienne une faveur dans l'Ordre combiné ; qu'il se présente le double des vo lontaires que l'on désire , et que par le seul levier de l'amour, on puisse rassembler cent vingt millions de légionnaires des deux sexes, qui exécuteront des tra vaux dont la seule idée glacerait d'épouvante nos mercenaires esprits. Par exemple , l'Ordre combiné entreprendra la conquête du grand désert de Sahara ; on le fera attaquer sur divers points par 10 et 20 millions de bras s'il est nécessaire , et à force de rap porter des terres , planter et boiser de proche en proche , on parviendra à humecter le pays , fixer les sables et remplacer le désert par des régions fécondes. On fera des canaux à vaisseaux là où nous ne sau rions pas même faire des rigoles d'arrosage , et les grands vaisseaux navigueront , non-seulement au tra vers des isthmes , comme ceux de Suez et Panama , mais encore dans l'intérieur des continents , comme de la mer Caspienne aux mers d'Azof , de Perse et d'Aral ; ils navigueront de Québec aux cinq grands lacs , enfin de la mer à tous les grands lacs dont la 264 DEUXIÈME PARTIE. longueur égale le quart de leur distance à la mer. Les diverses légions des deux sexes se divisent dans chaque empire en plusieurs armées , qui s'amalga ment avec celle des Empires voisins . L'Ordre combiné n'affecte jamais une entreprise à une seule armée ; il en réunit au moins trois pour les mettre en lutte d'é mulation . S'il faut couvrir de terre les landes de Gas cogne, ce travail sera exécuté par trois armées , fran çaise , espagnole et anglaise , et en compensation , la France fournira deux armées , une à l'Espagne et une à l'Angleterre, pour coopérer à leurs travaux. Ainsi se mélangeront tous les Empires du globe , et la com pensation sera la même dans les armées de province et les travaux de canton. Je suppose que la Phalange de Tibur veuille fau cher un pré qui emploierait 300 hommes pendant deux heures ; si elle n'a que 60 faucheurs disponibles, elle emprunte quatre cohortes à quatre cantons voi sins ; elle fait négocier cet emprunt par ses ambassa deurs titulaires à la bourse desdits cantons , et au jour indiqué on voit arriver les quatre cohortes qui se réunissent aux Tiburiens dans la prairie. La fauchai son est suivie d'un repas où se trouvent les belles des divers cantons , et celui de Tibur rendra des cohortes d'hommes ou de femmes pour celles qu'il emprunte au jourd'hui. Cet échange de cohortes est un des moyens qu'emploie l'Ordre combiné pour métamorphoser en fêtes les travaux les plus rebutants ; ils deviennent in téressants : Par la brièveté qui résulte du grand nombre de coopérateurs ; DESCRIPTIONS. 265 Par la réunion des cohortes auxquelles viennent se joindre des amateurs de sexes différents ; Par les dispositions de mécanique et d'élégance que permettent ces nombreux rassemblements. J'insiste sur ce dernier point. On voit parmi nous les ateliers si malpropres , si dégoûtants , qu'ils inspi rent de l'horreur pour l'industrie et les industrieux , surtout dans la France, qui semble être la patrie adop tive de la saleté. Est-il rien de plus répugnant que les buanderies de Paris , où l'on prépare le linge de la belle compagnie ? Au lieu de ces cloaques , vous ver riez dans l'Ordre combiné un édifice orné de bassins de marbre et garni de robinets à divers degrés de chaleur , afin que les femmes ne gâtent pas leurs mains en les plongeant dans une eau glaciale ou brûlante. Puis , vous verriez maintes dispositions pour abréger l'ouvrage par des mécaniques de toute espèce et pour charmer le repas qui suivra le travail de quatre à cinq cohortes de blanchisseuses rassemblées de divers • cantons. Quelque insipides que soient ces menus détails , je ne dédaigne pas de m'y arrêter pour prouver que tous les obstacles industriels sont prévus ; les convocations de cohortes ne sont qu'un des nombreux procédés par lesquels on aplanira toute difficulté , et l'Ordre com biné fournira des moyens d'opérer , par attraction et rivalité , les travaux les plus odieux. La galanterie , aujourd'hui si inutile , deviendra donc un des ressorts les plus brillants du mécanisme social . Et tandis que l'Ordre civilisé lève avec tant de peine et de contrainte des Armées destructives qui 12 266 DEUXIÈME PARTIE. ravagent périodiquement la terre , l'Ordre combiné n'emploiera que l'Attraction et la galanterie pour for mer des Armées bienfaisantes qui élèveront à l'envi de superbes monuments. Au lieu d'avoir dévasté trente provinces dans une campagne , ces Armées auront jeté trente ponts sur des fleuves , recouvert trente monta gnes effritées , creusé trente canaux d'irrigation et desséché trente marécages ; encore ces trophées in dustriels ne seront-ils qu'une parcelle des prodiges qu'on devra à la liberté amoureuse et à la chute de la philosophie. Dans ces débats futiles en apparence , comme ceux sur la bonne chère et l'amour , il ne faut pas perdre de vue le but de l'Ordre combiné : c'est d'opérer at TRACTION INDUSTRIELLE . Toutes les dispositions que vous entendrez sur cet Ordre et que vous croiriez faites à plaisir sont toujours soumises à deux pierres de tou che ; il faut qu'elles produisent l'ATTRACTION INDUS TRIELLE et l'ÉCONOMIE DE RESSORTS . J'en vais donner une démonstration tirée des Bandes de chevalerie er rante qui parcourent le globe et dont j'ai parlé dans cette Notice. Ces Bandes, fort attrayantes pour la jeunesse, n'ad mettent personne qui n'ait fait au moins trois campa gnes dans les Armées industrielles, indépendamment des connaissances relatives au caractère déployé par la Bande. Voilà donc un ressort de plus pour lever des armées. Outre l'amour qui entraîne à suivre les Vestals et Vestales , outre la curiosité causée par les grands événements qui se passeront à l'Armée , outre l'empressement d'assister à ses fêtes et bacchanales , DESCRIPTIONS. 267 de partager la gloire de ses hauts faits , il est encore d'autres leviers , comme l'appât d'obtenir, après trois campagnes , une patente d'Aventurier ou Aventurière et d'aller exploiter le globe avec les Bandes de Cheva lerie errante. D'autres priviléges sont le prix de six campagnes , et au bout de neuf , on a l'entrée dans le corps des Paladins et Paladines, qui sont par toute la terre les Officiers de l'Empereur et Impératrice d'U nité. Au retour de chaque campagne les jeunes gens ont droit de s'orner d'un signe , tel que croix ou étoile , qui porte en légende le fait industriel de l'Ar mée; et l'on connaît , au nombre des rayons d'étoile , les diverses campagnes et titres de gloire de chacun. Les femmes portent cette décoration , car il y a tou jours moitié de femmes dans les Armées industrielles . Au moyen des divers appâts que les Armées offrent à la jeunesse , elle marche spontanément au premier appel, et l'admission devient, ainsi que je l'ai dit, un privilége acheté par diverses épreuves. On atteint donc par ce mode de levée les deux buts indi qués, l'ATTRACTION INDUSTRIELLE et l'ÉCONOMIE DE RES To SORTS. Et comme l'appât d'entrer aux Bandes errantes fait partie des amorces qui attirent la jeunesse à l'Armée , concluez que ces Bandes ne sont pas des parties de plaisir vaguement imaginées , et que toutes les autres dispositions qui vous seront données sur l'Ordre com biné devront , comme les Bandes errantes , coopérer aux deux résultats exigés, à l'ATTRACTION INDUSTRIELLE et à l'ÉCONOMIE DE RESSORTS . Et les mesures qui con duisent à ces deux buts sont toutes des jouissances ro 268 DEUXIÈME PARTIE . manesques et immenses comme celles dont je viens de donner une légère idée. Craignant de vous faire entrevoir l'immensité de ces plaisirs , je n'ai disserté que sur deux accessoires de l'amour et de la gourmandise . J'ai parlé des tables du pauvre , sans vous expliquer quelle sera la somp tuosité de celles du riche , lorsque la bonne chère sera favorisée par la culture universelle , par la régularité de température qui raffinera les sucs de la terre , par la cessation des fourberies commerciales et par la li berté absolue des communications. Alors les riches de chaque Phalange pourront tous les jours , dans le cours des cinq repas ( ¹ ) , savourer par centaines les raretés parvenues de tous les points du globe, trans (1) Il y a cinq repas dans l'Ordre combiné; la matine à 5 heures, le déjeuner à 8 heures, le dîner à 1 heure, le goûter à 6 heures, et le souper à 9 heures ; il y a en outre deux intermèdes ou collations vers les 10 et 4 heures. Cette multitude de repas est nécessaire à l'appétit dévorant qu'excitera le nouvel Ordre , où l'on est en mouvement continuel sans excès. Les enfants élevés de la sorte , acquerront des tempéraments de fer, et seront sujets à un retour d'appétit de deux en trois heures , à cause de la prompte digestion qui sera due à la délicatesse des mets et à l'art de les mélanger judicieusement. Cet art, auquel on les exercera dès l'enfance, est contraire à toutes nos maximes sur la sobriété ; il sera pourtant l'un des germes du perfectionnement matériel qui élèvera le genre humainà la stature moyenne de 7 pieds , et à la carrière moyenne de 144 ans. L'espèce humaine, parvenue à cette perfection, devra con sommer chaque jour dans l'état de santé une masse égale au douzième de son poids. On voit dès aujourd'hui des appétits plus surprenants ; car nous voyons en France un individu nommé l'homme carnassier, qui mange à un seul repas 14 livres de viande crue, sans parler de sa boisson et de ses autres repas . Il consomme donc environ 20 livres par jour , et pourtant il est loin de peser 240 livres. Comme le Créateur a dû produire en tout sens des esquisses renversées de l'Ordre combiné, il a représenté , par la création du ver solitaire, l'appétit prodigieux que ressentiront les individus élevés dans ce nouvel Ordre. DESCRIPTIONS. 269 portées et conservées avec des précautions qui sont impraticables dans l'état d'imperfection où se trouve l'industrie terrestre et maritime des Civilisés. Je me suis de même borné à parler des moindres jouissances de l'amour en traitant de la Vestalité , qui n'admet que la courtoisie ou jouissance spirituelle sans plaisir matériel. Les fonctions vestaliques sont une privation et non un exercice de l'amour , qui ne commence qu'à l'instant où le Vestal cède à une pre mière inclination . Je n'ai pas parlé de ces circonstances qui donnent un plein essor à la galanterie, et qui contrastent si fort avec les viles intrigues de mariage et les odieux cal culs par lesquels on avilit parmi nous les premières unions. Je n'ai donc donné aucune notion des amours de l'Ordre combiné , et cependant les accessoires aux quels j'ai touché auront déjà suffi pour faire entrevoir que cet ordre ouvrira aux amours une carrière si bril lante et si variée qu'on regardera en pitié les chroni ques galantes de la Civilisation . C'est ce que j'aurais démontré en peu de lignes si j'eusse traité des Séries amoureuses et des relations de leurs divers groupes affectés aux divers caractères de l'amour. Mais comme je désire exciter le raisonnement plutôt que l'enthou siasme , je passe sur ces tableaux qui causeraient une impression beaucoup plus vive que je ne la veux pro duire. J'ai satisfait aux désirs de diverses personnes qui me demandaient une petite notice sur l'Ordre com biné, au moins une feuille de détails, quelque incom plets qu'ils pussent être. Si l'on inclinait à soupçonner 270 DEUXIÈME PARTIE . de l'exagération dans ces aperçus des jouissances fu tures , il faudra considérer que je parle ici de la Se période sociale , prodigieusement distante de la 5º où nous nous trouvons. J'aurais pu m'accommoder aux faibles passions des Civilisés en ne leur peignant, comme dans la première Notice , que des jouissances plus bourgeoises de la 6º et de la 7º période , que nous franchirons l'une et l'autre pour nous élever d'emblée à l'Ordre combiné. En rassurant les personnes impartiales contre le soupçon d'exagération , je ne prétends pas ralentir les verbiages de la multitude qui va éclater en railleries contre cette deuxième Notice . Je confesse moi-même que l'annonce doit sembler incroyable jusqu'après l'expérience ; et fût-elle revêtue des preuves mathé matiques et autres qui l'appuieront, l'on serait encore fondé à douter jusqu'à l'épreuve ; car, dit Boileau : . Le vrai peut quelquefois n'être pas vraisemblable. " Qu'était-il de plus vrai que l'opinion de Christophe Colomb, à qui j'aime à me comparer ? Il annonçait le nouveau monde matériel , et moi le nouveau monde social. J'exprime ainsi que lui ce vrai qui n'est pas vraisemblable aux yeux du préjugé. On m'accusera comme lui de vision, parce qu'on voudra juger les résultats annoncés par les moyens actuels ; on voudra croire le mécanisme social borné aux faibles res sources qu'offre la Civilisation ; enfin , on oubliera sans cesse que tous ces prodiges sociaux seront opérés par des Séries progressives et non par des familles in cohérentes qui ont des propriétés contraires . Mais puisque l'ironie est le souverain plaisir pour DESCRIPTIONS. 271 les Civilisés, qu'ils se hâtent de donner cours à leur malignité ; comme on peut en moins de six mois faire l'essai de l'Association agricole, les impossibles n'au ront que peu de temps à gloser, et plus leur faconde se débordera , plus ils seront pitoyables quand ils viendront chanter la palinodie. Alors on rappellera leurs sarcasmes pour se délivrer de leurs insipides éloges et les réduire au silence . C'est le plus grand supplice pour ces roquets acharnés contre toute in vention ; gens que La Fontaine a si bien nommés " a Esprits du dernier ordre Qui, n'étant bons à rien , cherchent partout à mordre. » • · Toutefois leur manie peut sembler excusable, sous le rapport des duperies qu'a essuyées le corps social de la part des sciences incertaines. Il ne faut pas s'étonner si les modernes, tant de fois bernés par les sophistes, inclinent de plus en plus à la défiance, et que le goût de l'ironie soit aujourd'hui dominant parmi les Civilisés , fatigués de se voir leurrer chaque jour par les théories philosophiques incompatibles avec l'Expérience et la Nature. Ces ridicules sciences touchaient à leur fin ; déjà la politique et la morale se sont anéanties l'une par l'autre, dans les révolutions du 18° siècle , une science mercantile leur a survécu : c'est l'Économie politique; elle n'aurait pas tardé à finir plus honteusement encore que les moralistes qu'elle a écrasés . [Je vais passer en revue leurs sottises réciproques et faire entrevoir le dénouement qui s'apprêtait pour la battante comme pour la battue. ] 272 DEUXIÈME PARTIE. ÉPILOGUE. SUR LE DÉLAISSEMENT DE LA PHILOSOPHIE MORALE. Nations civilisées, vous allez faire un pas de géant dans " la carrière " sociale. En passant immédiate ment à l'Harmonie universelle , vous échappez à vingt révolutions qui pouvaient ensanglanter le globe pen dant vingt siècles encore , jusqu'à ce que la Théorie des Destinées eût été découverte . Vous ferez un saut de deux mille ans dans la carrière sociale ; sachez en faire un semblable dans la carrière des préjugés. Repoussez les idées de médiocrité, les désirs modérés que vous souffle l'impuissante Philosophie. Au mo ment où vous allez jouir du bienfait des lois divines , concevez l'espoir d'un bonheur aussi immense que la sagesse du Dieu qui en a formé le plan . En observant cet univers qu'il a si magnifiquement disposé , ces milliards de mondes qu'il fait rouler en harmonie, reconnaissez qu'un être si grandiose ne saurait se concilier avec la médiocrité et la philosophie, et qu'on lui ferait injure, si l'on s'attendait à des plaisirs modérés dans un Ordre social dont il sera l'auteur . Quel peut être votre but, moralistes, quand vous nous vantez la médiocrité de fortune ? Ceux qui sont au-dessus d'un tel sort ne veulent jamais y descendre. Aucun raisonnement ne décidera l'homme qui a 100,000 francs de rente à en distribuer 80,000 pour se réduire au modeste revenu de 20,000 francs, qui est l'aurea mediocritas ; d'autre part, ceux qui jouis ÉPILOGUE. 273 sent de la médiocrité ne veulent point s'en contenter, et sont fondés à croire qu'elle n'est pas le vrai bien, tant que les gens opulents refusent d'y descendre , malgré la facilité qu'ils en ont. Voilà donc la mé diocrité sans attrait pour les deux classes qui peu vent en jouir ; il est ridicule de la leur conseiller, puisqu'ils la connaissent par expérience et s'accor dent tous à préférer l'opulence . Quant à ceux qui sont au-dessous de la médiocrité, il est fort déplacé de la leur vanter, car ils y atteindront bien difficilement : les gens peu aisés risquent plutôt de languir et dé choir que de s'élever . La Politique est déjà en butte aux plus amères critiques pour n'avoir pas su leur procurer le nécessaire ; voyez combien il est inconsé quent de leur inspirer le goût de la médiocrité, quand on ne peut pas même leur assurer un sort inférieur. La Théologie vante la pauvreté comme étant la voie d'une fortune éternelle ; la Politique vante les richesses de ce monde, en attendant celles de l'autre ; toutes deux conviennent au cœur humain qui ne s'ac commode pas de la médiocrité. Si vous l'avez prônée, c'était par la manie de dire quelque chose de neuf, et de ne pas être les échos de la Politique et de la Re ligion ; l'une se passionnant pour les richesses et l'autre prêchant la pauvreté, elles ne vous ont laissé , moralistes, d'autre belle à épouser que la médio crité. Voyez le danger de prendre le rôle que les autres ont dédaigné. On peut, sur le seul éloge de la mé diocrité, accuser votre science d'ineptie ou de char latanerie ; elle est inepte si l'éloge est sincère. Si vous I 2 274 DEUXIÈME PARTIE . croyez de bonne foi que la médiocrité puisse remplir le cœur de l'homme, suffire à son inquiétude perpé tuelle, vous ne connaissez pas l'homme ; c'est à vous d'aller à l'école , au lieu de nous donner des leçons. Et si l'éloge n'est qu'une jonglerie oratoire, vous êtes bien inconséquents de vanter cette médiocrité qui déplaît à ceux qui peuvent en jouir, et que vous ne savez pas procurer à ceux qui ne l'ont pas. Choisissez entre ces deux rôles, qui l'un et l'autre rabaissent vos dogmes fort au-dessous de la médiocrité. Espérez-vous vous sauver par la question intention nelle ? faire valoir vos efforts pour procurer à l'homme des consolations? Si vous aviez l'intention sincère de consoler l'infortune, vous chercheriez d'autres moyens que vos dogmes , reconnus impuissants , de votre propre aveu. Témoin un moraliste moderne qui dit en parlant aux maîtres de l'art , aux Senèque , aux Marc Aurèle « Pour me soutenir dans le malheur, vous « m'appuyez sur le bâton de la Philosophie , et vous << me dites : Marchez ferme , courez le monde en men < diant votre pain ; vous voilà tout aussi heureux que « nous dans nos châteaux , avec nos femmes et la consi << dération de nosvoisins . Mais la première chose qui me << manque, c'est cette Raison sur laquelle vous voulez que je m'appuie. Toutes vos belles dialectiques dis << paraissent précisément quand j'en ai besoin ; elles « ne sont qu'un roseau entre les mains d'un malade , « etc. » (Bernardin de Saint- Pierre . ) Voilà la Philosophie morale décréditée par ses au teurs mêmes; et sans attendre leur désaveu , ne suffi sait-il pas de leurs actions pour nous désabuser? De ÉPILOGUE. 275 mandez au vertueux Sénèque pourquoi , lorsqu'il nous vante les douceurs de la pauvreté , il accumule pour ses menus plaisirs une fortune de 80 millions tournois ( valeur actuelle ) ; sans doute qu'il juge la pauvreté et la médiocrité plus belles en perspective qu'en réalité , comme ces statues mal dégrossies , qui font meilleur effet de loin que de près. Nous nous rangeons à l'avis de Sénèque ; que ne pouvons-nous comme lui renvoyer la pauvreté et la médiocrité dans la poussière des bi bliothèques ! Lorsque vous attestez , par vos actions et par vos aveux , l'impuissance des secours que promet votre science , quelle intention doit-on vous prêter , si vous persistez à nous administrer ces inutiles secours? N'est- cepasune ironie de votre part que de vouloir nous familiariser avec les privations , quand nous vous de mandons des richesses et des jouissances réelles ? Vous-mêmes , philosophes , dont l'esprit et les sens plus exercés que ceux du vulgaire vous rendent plus précieuses les douceurs de la fortune , n'êtes-vous pas ravis d'apprendre que la chute de vos systèmes va vous élever à cette fortune dont vous êtes idolâtres , en feignant de la mépriser ? Ne répugnez point à confesser pleinement vos er reurs ; la honte en retombe sur les savants en masse, et non pas sur aucune classe en particulier. Croyez vous que les physiciens et littérateurs puissent éviter leur part de l'affront universel ? N'avaient-ils pas , comme vous , le raisonnement et le bon sens pour apercevoir et dénoncer l'absurdité générale? Oui, l'ab surdité est générale tant que vous ne savez pas remé 276 DEUXIÈME PARTIE. dier au plus scandaleux des désordres sociaux , à la PAUVRETE . Tant qu'elle subsiste, vos profondes sciences ne sont pourvous que des brevets de démence et d'inus tilité ; vous n'êtes qu'une légion de fous avec toute votre sagesse. Vous vous annoncez pour interprètes de la raison. Gardez donc le silence tant que durera l'Ordre civilisé; car il est incompatible avec la raison , si elle recom mande la modération et la vérité. En quels lieux la Civilisation a-t-elle fait des progrès ? Ç'a été dans Athènes , Paris , Londres , etc. , où les hommes n'ont été nullement amis de la modération ni de la vérité , mais fortement esclaves de leurs passions et adonnés aux intrigues et au luxe. En quels lieux la Civilisation a-t-elle langui et resté médiocre ? ç'a été dans Sparte et dans Rome primitive , où les passions voluptueuses et le luxe n'avaient qu'un faible développement. D'a près cette expérience, pouvez-vous douter que l'Ordre civilisé ne soit inconciliable avec cette raison qui con siste selon vous à modérer ses passions? pouvez-vous douter qu'il ne faille bannir une telle raison , si l'on veut le maintien et les progrès de l'Ordre civilisé ? Votre science eut quelque vogue dans l'Antiquité, mais parce qu'alors elle flattait les passions ; en effet , l'imagination et la curiosité avaient peu d'aliments dans ces temps où les sciences fixes et la littérature étaient au berceau ; l'on dut s'attacher avidement à des dogmes qui ouvraient une immense carrière à la controverse et aux intrigues ; la Philosophie incer taine était alors soutenue par son union avec les sciences fixes et avec la religion. Pythagore, doyen de EPILOGUE. 277 la morale, était en même temps un habile géomètre et un prélat révéré. Il avait fondé un monastère où il fai sait des miracles , comme de ressusciter les morts , et autres facéties ; ses Néophytes étaient soumis aux plus rudes épreuves, comme aujourd'hui nos Trappistes. Enfin , si ces moralistes obtinrent la faveur du peuple , c'est qu'ils formaient dans la religion mytho logique un accessoire au sacerdoce, comme les moines dans la religion catholique. Tandis que les rigoristes de l'ancienne philosophie séduisaient le peuple par la pratique des austérités et l'étude des sciences utiles , d'autres sectes , plus trai tables [ comme celle d'Epicure ] gagnaient la bonne compagnie et formaient des coteries cabalistiques , pour qui les oisifs de la Grèce prenaient parti , comme on voit aujourd'hui ceux de Paris se passionner pour tel théâtre ou tel acteur . D'où l'on voit que cette vogue de la Morale chez les Grecs ne se fonda que sur la su perstition des petits et sur le désœuvrement des grands; enfin , sur des chances qui flattaient les pas sions , mais nullement sur l'influence de la raison . Autres temps , autres mœurs. Les coteries morales n'étaient déjà plus en crédit chez les Romains , et Ca ton , au sujet d'une intrigue où figuraient quelques so phistes grecs , voulait qu'on chassât de Rome tous les philosophes ; preuve qu'ils n'étaient plus en odeur de sainteté. Quant aux modernes, la Philosophie morale n'a re paru chez eux que pour y mourir de sa belle mort. D'abord elle s'est traînée servilement sur les pas des anciens ; vainement a-t-elle ressassé leurs diatribes 278 DEUXIÈME PARTIE . contre les passions et les richesses ; ce qui était amu sant dans Athènes ne l'est plus à Paris ni à Londres. Il en est des sciences incertaines comme des modes , qui ne durent qu'un temps. La coterie des moralistes est à peu près éteinte ; isolée de la Religion et des sciences exactes , à peine ose-t-elle reparaître en s'affublant de quelques termes à la mode , comme les méthodes analytiques dont elle s'appuie encore , pour hasarder quelques verbiages sur les passions et leur lancer de loin un faible trait , semblable à ces vieil lards qui , retirés au coin de leur feu , disent encore leur mot contre le siècle présent qui ne les connaît plus. Si la Philosophie morale accuse notre siècle de per versité pour être insensible à ses charmes , il est aisé de lui prouver que son délaissement est le seul acte de raison dont ce siècle puisse se vanter. Une bizarrerie attachée à la doctrine de ses écrivains , c'est que les lieux où elle a été le plus enseignée sont ceux où elle a été le moins suivie. L'on cite Sparte et Rome pour foyers de la morale ; mais il n'y avait guère de moralistes à Sparte , où l'on ne voulut pas même souffrir Diogène , le grand prédicateur de la pauvreté. Il y avait encore moins de moralistes à Rome , dans le temps où Cincinnatus faisait cuire ses raves. Les hommes n'en valaient pas mieux pour être pauvres ; leur étalage d'austérité n'était qu'une intrigue de cir constance. A Rome, comme ailleurs , l'accroissement des richesses donna à l'ambition des formes plus raffi nées ; à mesure que la Civilisation se développe , on voit l'austérité et la modération moins en honneur ; les efforts de la Philosophie pour ramener ces pruderies ÉPILOGUE. 279 politiques ne sont qu'un indice de leur inconvenance. Plus un peuple accumule de théories morales , moins il est enclin à suivre leurs dogmes. La coterie mora liste est fille du luxe ; en déclamant contre le luxe , elle renie son père ; ses volumes, ses systèmes augmen tent en raison des progrès du luxe , et si le luxe tombe, les théories morales tombent avec lui sans que la na tion ruinée devienne meilleure . Car les Grecs d'à pré sent, qui n'ont point de philosophes, n'ont pas plus de mœurs que ceux d'autrefois ; la controverse morale n'a donc d'autre source , d'autre appui que le luxe. Sous son règne , elle peut s'accréditer comme vision romanesque, bonne à amuser les oisifs , pourvu qu'elle se prête aux circonstances. Loin de pouvoir modérer les passions , elle est réduite à flatter les vices domi nants sous peine d'être dédaignée ; aussi s'est- elle bien radoucie pour traiter avec les modernes , chez qui les raves ne sont plus en honneur. La Morale s'abuse lourdement si elle croit avoir quelque existence par elle seule ; elle est évidemment superflue et impuissante dans le mécanisme social ; car sur toutes les questions dont elle forme son domaine , comme le larcin , l'adultère , etc. , il suffit de la Poli tique et de la Religion pour déterminer ce qui est con venable dans l'ordre établi . Quant aux réformes à en treprendre dans les mœurs, si la Politique et la Religion y échouent, la Moraley échouera encore mieux. Qu'est elle dans le corps des sciences, sinon la cinquième roue du char, l'impuissance mise en action ? Partout où elle combattra seule contre un vice , on est assuré de sa défaite ; elle est comparable à un mauvais régiment 280 DEUXIÈME PARTIE. qui se laisserait repousser dans toutes les rencontres , et qu'il faudrait casser ignominieusement. C'est ainsi que les sciences en corps devraient traiter la Morale pour les services qu'elle leur a rendus. Si parfois la Politique et la Théologie vous ont ac cordé, moralistes , unefeinte considération, si elles vous admettent en tiers dans la lutte contre le vice, c'est pour rejeter sur vous la honte des défaites et garder à elles deux le bénéfice des abus : vous n'êtes pour elles Que l'intrument servile " · Rejeté par dédain lorsqu'il est inutile , " Et brisé sans pitié s'il devient dangereux. Voyez le cas qu'elles ont fait de vous dans les cir constances décisives, comme la Saint-Barthélemy et la Révolution française . Si vous doutez du mépris qu'elles ont pour vos dogmes, essayez de contrarier les leurs , et vous aurez la mesure de votre importance. Un incident survenu dans le cours du XVIIe siècle vous a enfin éclairés sur ces fâcheuses vérités . Une scission s'est opérée dans le corps philosophique ; de là est née une nouvelle science , l'Économie poli tique et commerciale. Ses rapides progrès devaient faire prévoir le triomphe des dogmes amis du luxe et la perte des moralistes . Ils s'aperçurent bien tard que l'Économie politique envahissait tout le domaine de la charlatanerie ; dès le milieu du XVIIIe siècle, tous les esprits se ralliaient ÉPILOGUE . 281 à cette nouvelle science qui s'annonce pour dispensa trice de la fortune, et qui promet aux nations de grandes richesses dont chacun se flatte d'obtenir quelque part. Déjà l'empiétement des économistes était consommé lorsque les moralistes s'escrimaient encore à vanter les charmes de la pauvreté. Enfin, la Révolution française ayant fait tomber à plat toutes leurs visions sur les vertus républicaines , ils au raient voulu entrer en accommodement; à cet effet, ils ont mis en avant des dogmes ambigus , comme d'inconsidérer les richesses , sans les aimer ni les haïr : dogmes vraiment plaisants, mais qui n'ont pu sauver la coterie morale; car les économistes , devenus trop forts pour avoir besoin d'alliés, ont dédaigné toute voie de rapprochements et ont soutenu de plus belle qu'il fallait de grandes et très grandes richesses, avec un commerce immense et un immense commerce. Dès lors les moralistes sont tombés dans le néant, et ont été in corporés sans pitié dans la classe des romanciers. Leur secte est trépassée avec le XVIIIe siècle ; elle est morte politiquement, ne jouissant plus d'aucun crédit dans le monde savant, surtout en France, où elle ne figure plus dans les académies. La coterie morale] a fait une belle mort , une mort édifianţe ; elle a fini comme ces athées qui se décident à croire en Dieu au dernier moment. Quand elle s'est vue perdue sans retour, elle a confessé ce qu'elle niait depuis 2,300 ans . Elle a reconnu que la sagesse s'allie fort bien avec 100,000 écus de rente, ainsi qu'on la voit dans le poëme de l'Homme des champs, qui exerce la sagesse dans un beau château , 282 DEUXIÈME PARTIE . avec meutes, équipages , brelans et soupers où l'on fait sauter les bouchons pour le bien de la vertu. Voilà sans contredit le genre de sagesse qui peut faire des prosélytes, ainsi que je l'expliquerai dans la troisième partie, en parlant de la Franc-maçonnerie. Du reste, les écrivains s'y prennent trop tard pour donner à la Morale des couleurs raisonnables ; c'est amener du secours à une place qui a capitulé. D'ail leurs cette science , en confessant, à son heure der nière, qu'on peut être plus sage dans un château que sous des haillons , n'aboutit qu'à nous prouver com bien elle est insuffisante pour nous conduire au bon heur et à la sagesse. Nous ne pouvons y arriver que sous les auspices de la Politique et de la Théologie. Ces deux sciences étant les seules qui procurent des châteaux à leurs favoris , tandis qu'il n'y a pas la moindre place à gagner en s'enrôlant sous les dra peaux de la Morale. De même qu'on voit les restes d'une armée détruite former des bandes éparses qui infestent le pays pen dant quelque temps encore ; ainsi l'on voit les restes de la coterie morale former quelques partis , qui marchent sans ordre, sans système, sans aucun but. Éperdus comme des noyés, ils s'accrochent à tout, à la métaphysique, au bien du commerce, à chaque nouveauté. Ce sont des bandits littéraires qui infes tent la grande route scientifique , et veulent s'entre mettre partout où l'on n'a que faire de leur ministère. Ils se battent les flancs pour trouver quelque asile à leur science exilée ; on les écoute en pitié murmurer de morale, comme on se rit des tonnerres lointains ÉPILOGUE. 283 qui se font entendre à la suite d'un orage. On ne voit plus en eux que la mouche du coche ; jamais règne ne fut mieux fini que le leur. Il n'est sorte de bassesses qu'ils ne hasardent pour rentrer en grâce avec les passions qu'ils ont insultées pendant tant de siècles. J'emprunte à ce sujet les paroles d'autrui, afin qu'on ne m'accuse pas d'avilir une science tombée dans l'infortune. «< Elle s'est bien humanisée ; douce, indulgente, elle ne vous enseigne plus à combattre, mais à céder. L'art de << satisfaire et d'entretenir les passions, de les ranimer lorsqu'elles languissent, de leur substituer des goûts lorsqu'elles sont tout-à-fait éteintes , voilà l'objet principal de ses leçons . » (Gazette de France, 17 jan vier 1808. ) « Les voilà donc ramenés au bon sens par leur dis grâce; ils imitent ces princes détrônés qui reconnais sent trop tard qu'ils ne savaient pas régner. Mais en supposant que la Civilisation pût se prolonger, croit on que les économistes qui ont éclipsé les sectes mora les soient bien affermis sur le trône de l'opinion? Non, ces sciences éphémères se précipitent l'une par l'autre comme les partis révolutionnaires. Je démontrerai dans la troisième Partie que déjà l'Economie politique courait à sa ruine, et que la chute des moralistes pré parait celle de leurs rivaux. On peut appliquer à ces partis littéraires le mot de Danton qui, étant sur l'é chafaud , déjà lié d'une courroie, dit au bourreau : Garde l'autre pour Robespierre; il me suivra de près. Ainsi les moralistes peuvent dire à leur bourreau, dire «< « 284 DEUXIÈME PARTIE. à l'opinion, qui les sacrifie : Garde l'autre courroie pour les économistes; ils nous suivront de près. Sijamais la Civilisation dut rougir de ses égarements scientifiques et de sa crédulité pour les charlatans, c'est aujourd'hui , où elle foule aux pieds les dogmes qu'elle a révérés pendant plusieurs mille ans, aujour d'hui qu'on voit les sciences philosophiques ramper devant l'Attraction passionnée qu'elles ont voulu ré primer, corriger, modérer. L'une des deux sciences , l'Economie politique, excite l'amour des richesses ; l'autre science, la Morale, permet de ne pas les haïr, elle élève une voix mourante pour faire amende hono rable aux passions. L'esprit humain a donc la faculté de se repaître pendant plusieurs mille ans de sophis mes dont il finit par rougir. Eh ! que savez-vous, Na tions civilisées, si vos visions modernes, vos chimères économiques, ne sont pas plus ridicules encore, et n'at tireront pas sur le XIXe siècle plus de mépris que les visions morales dont vous êtes confus aujourd'hui ? Croyez-vous vous rapprocher de la Vérité et de la Na ture en divinisant le commerce, qui est un exercice continuel du mensonge et de l'astuce ? Pensez-vous que Dieu n'ait imaginé aucune méthode plus loyale et plus équitable pour opérer l'échange qui est l'âme du mécanisme social ? C'est sur quoi je vais vous entretenir dans la troisième partie de ce Prospectus. Entre temps je vous fais ressouvenir qu'il ne suffisait pas de reconnaître l'empire de la Nature dont vous confessez enfin la souveraine influence. C'est peu de désavouer la Philosophie morale qui prétend changer les passions ; il fallait, pour rentrer en grâce avec la ÉPILOGUE. 285 Nature, étudier ses décrets dans l'Attraction passionnée qui en est l'interprète. Vous faites parade de vos théo ries métaphysiques ; à quoi donc les employez-vous, si vous dédaignez d'étudier l'Attraction qui tient le gouvernail de vos âmes et de vos passions ? Vos mé taphysiciens se perdent dans les minuties de l'idéolo gie. Eh ! qu'importe cette broutille scientifique ? Moi qui ignore le mécanisme des idées , moi qui n'ai jamais lu ni Locke ni Condillac , n'ai-je pas eu assez d'idées pour inventer le système entier du Mouvement uni versel , dont vous n'aviez découvert que la quatrième branche, après 2,500 ans d'efforts scientifiques? Je ne prétends pas dire que mes vues soient immen ses parce qu'elles s'étendent là où les vôtres n'ont point atteint; j'ai fait ce que mille autres pouvaient avant moi , maisj'ai marché au but seul, sans moyens acquis et sans chemins frayés. Moi SEUL j'aurai confondu vingt siècles d'imbécillité politique , et c'est à moi seul que les générations présentes et futures devront l'ini tiative de leur immense bonheur. Avant moi l'Huma nité a perdu plusieurs mille ans à lutter follement . contre la Nature ; moi, le premier, j'ai fléchi devant elle en étudiant l'Attraction, organe de ses décrets : elle a daigné sourire au seul mortel qui l'eût encensée, elle m'a livré tous ses trésors. Possesseur du livre des Destins, je viens dissiper les ténèbres politiques et mo rales, et sur les ruines des sciences incertaines j'élève la Théorie de l'Harmonie universelle. • Exegi monumentum ære perennius. » FIN DE LA SECONDE PARTIE.

TROISIÈME PARTIE. +-+-+-+-+-+---- + CONFIRMATION TIRÉE DE L'INSUFFISANCE DES SCIENCES INCERTAINES SUR TOUS LES PROBLÈMES QUE PRÉSENTE LE MÉCANISME CIVILISÉ. PRÉAMBULE Sur l'étourderie méthodique. Aristote , l'un de nos sages les plus vantés , regar dait en pitié ses propres lumières ; sa devise était : Que sais-je? C'est sans doute ce qu'il a dit de mieux. Les modernes inclinent peu à une telle modestie , et pourtant sont-ils plus savants qu'Aristote en Politi que sociale ? Non , car on ne voit toujours , comme dans l'Antiquité , que l'Indigence, la Fourberie et les Révolutions ; et d'après les orages que nos lumières modernes ont suscités sur la génération présente, fut 288 TROISIÈME PARTIE . il jamais de siècle où les savants méritassent mieux la devise : Que sais-je ? Ils sont tous tombés dans une plaisante erreur ; ils ont oublié dans chaque science le problème fonda mental , celui qui est le pivot de la science entière ; par exemple : S'ils traitent d'Économie industrielle , ils oublient de s'occuper de l'Association , qui est la base de toute économie (¹ ). S'ils traitent de Politique , ils oublient de rien sta tuer sur la quotité de population , dont la juste mesure est la base du bien-être du peuple. S'ils traitent d'Administration , ils oublient de spé culer sur les moyens d'opérer l'Unité administrative du globe , sans laquelle il ne peut exister ni ordre fixe, ni garantie du sort des Empires. S'ils traitent d'Industrie [ pratique] , ils oublient de chercher des mesures répressives de [ la fourberie] , l'accaparement et l'agiotage , qui sont une spoliation des << producteurs et consommateurs » , et une entrave directe à la circulation . S'ils traitent de Morale , ils oublient de reconnaî tre et réclamer les Droits du sexe faible , dont l'op pression détruit la justice dans sa base. S'ils traitent des Droits de l'homme, ils oublient (1) [ S'ils traitent du bonheur général, ils oublient d'aviser aux me sures qui peuvent opérer l'accession des Barbares et Sauvages, peuples assez dignes d'être comptés en calculs philanthropiques, puisqu'ils com posent les 5/6 de la population du globe , y compris la populace de Russie, Pol(ogne), Esp ( agne) , Antilles qu'on peut bien compter pour Es claves et Bar(bares). ] CONFIRMATION. 289 " de poser en principe " le Droit au travail , qui à la vérité n'est pas admissible en Civilisation , mais sans lequel tous les autres sont inutiles. S'ils traitent de Métaphysique , ils oublient d'étu dier le système des rapports de Dieu avec l'Homme , de chercher les moyens de révélation que Dieu peut em ployer à notre égard (¹) . Les philosophes ont donc la bizarre propriété d'ou blier les problèmes fondamentaux de chaque science ; c'est une ÉTOURDERIE MÉTHODIQUE , puisqu'elle porte. régulièrement sur les questions primordiales. Je pour rais indiquer la cause de cette maladresse ; mais qu'ils essaient de la deviner s'ils sont aussi habiles qu'ils le prétendent dans l'usage des méthodes analytiques. ARGUMENT. - Jusqu'à la publication des lois du Mouvement social, je ne puis revêtir cette annonce que de preuves néga tives , comme celles de l'incapacité de nos savants sur les problèmes du mécanisme civilisé. La troisième Partie sera donc purement critique. Pour signaler cette impéritie des modernes , j'en vais donner trois démonstrations , en citant leurs (1) [ S'ils traitent d'Equilibre, balance, contre-poids, ils oublient de réprouver d'abord les méthodes civ(ilisées), qui en système représen (tatif) ou autre , n'ont jamais produit que des équi( libres) illusoires, des colonnes de chiffres au lieu de responsab(ilité ) effective , la véna lité des grands, la spoliation des petits au lieu de justice distrib(utive). ] 13 290 TROISIÈME PARTIE. inadvertances les plus récentes et les plus sensibles à la génération actuelle. Ces trois démonstrations seront tirées : 1° De la Franc- maçonnerie ; 2° Du Monopole insulaire ; 3° De la Licence commerciale. Le premier sujet , la Franc-maçonnerie , sera pré senté sous le rapport des moyens de salut qu'il offrait aux sophistes. On verra que cette société leur pré sentait marchepied pour réparer leur défaite de 1793 et s'élever à la considération et à la fortune. Ils n'en ont pas su profiter , et s'ils sont aveuglés sur les moyens d'influence qui s'offraient à leur ambition , seront-ils plus clairvoyants pour servir le genre hu main? Loin de là , ils ont fait tourner au détriment de l'Humanité les chances qui pouvaient ouvrir des voies d'amélioration sociale , et nommément le monopole insulaire et l'esprit commercial. En démontrant cette assertion , j'aurai lieu de con— tredire tous les systèmes admis dans la Politique 'mo derne , et surtout les préjugés sur la liberté commer ciale , qui ne peut être que malfaisante puisqu'elle est pronée par les philosophes. C'est ici qu'on va recon naître leur aveuglement et se convaincre que le genre humain courait à de nouvelles calamités en se con fiant à des savants si rebelles aux vérités les plus évi dentes. CONFIRMATION. 291 IRE DÉMONSTRATION. DE LA FRANC- MAÇONNERIE ET DE SES PROPRIÉTÉS ENCORE INCONNUES. Dieu est ennemi de l'uniformité ; il veut que le Mouvement varie à perpétuité , soit en gradation , soit en dégradation. A cet effet ,, Dieu fait éclore périodi quement (' ) dans nos sociétés des germes d'innova tions bienfaisantes ou nuisibles ; c'est à la raison à juger l'emploi de ces germes, à étouffer les mauvais, comme les clubs politiques , ou développer les bons , tels que la franc-maçonnerie dont je vais parler. Quel parti salutaire pouvait-on tirer de la franc maçonnerie ? Voilà une question tout -à - fait neuve pour le siècle qui n'a pas su discerner les ressources qu'offrait cette institution ; c'est un diamant que nous dédaignons sans en connaître le prix ; ainsi les sau vages de Guanahani foulaient aux pieds les blocs d'or avant que la cupidité européenne leur en eût appris la valeur. En croyant nous livrer à des amusements , nous faisons souvent des opérations politiques de la plus (1) Calcul de la diffraction passionnée et des Séries récurrentes du Mouvement social. 292 TROISIÈME PARTIE. haute importance ; telle est celle des Cercles ou Cazi nos dont j'ai déjà parlé ( p. 175 ) , et qui sont un germe de Ménage progressif. Cette petite innovation pouvait renverser l'Ordre civilisé si elle eût pris quelque ex tension et si l'on eût amené les Cercles au point de former Ménage fixe pour les célibataires de divers âges avec gradation de fortunes. Bientôt les associés d'un tel ménage se seraient aperçus que les passions ten dent à subdiviser toute société en plusieurs groupes inégaux et rivaux ; après quelques essais de ce genre, on serait arrivé peu à peu à former la Tribu à neuf groupes ( p. 172 ) , où les rivalités se trouvent balan cées et harmonisées. En voyant les agréments atta chés à un pareil ménage , les femmes célibataires se seraient hâtées de l'imiter , et bientôt l'Ordre civilisé eût été anéanti sans aucune secousse politique et au grand étonnement de tout le monde. On pouvait , à l'aide de la franc- maçonnerie , opé rer une révolution moins brillante , moins prompte , mais très heureuse encore ; et si les savants modernes ne l'ont pas entrevue , c'est que leur raison orgueil leuse va toujours se perdre dans les nues avant de s'arrêter dans la région moyenne du sens commun. En voulant imiter l'aigle qui dédaigne les mouche ils deviennent incapables de saisir les procédés de la Nature qui sont toujours d'une extrême sim plicité. rons , Dès le milieu du XVIIIe siècle ils aspiraient à faire une révolution quelconque pour s'élever à la fortune. Ils y ont réussi ; mais comme ils avaient plusieurs voies à choisir , il est bon de faire connaître quelle CONFIRMATION. 293 autre marche ils auraient pu suivre pour le bien du genre humain et pour le leur. J'entre en matière. Avant 1789 les esprits étaient avides d'innovations, et une secte religieuse qui se serait élevée aurait eu en sa faveur plus de chances que n'en eurent Mahomet et Luther. Il eût fallu pour convenir à l'esprit du siècle une secte amie de la volupté ; les philosophes n'eurent aucune idée de cette fondation , pas même en 1795 , où chacun était pleinement libre de fonder des religions , quelque plates qu'elles pussent être. Après la déroute qu'ils avaient éprouvée en 1793 , il ne leur restait d'autre parti que d'abandonner une carrière qui n'était plus praticable , rompre en visière à leurs propres dogmes, et se rallier franchement à la nature , aux passions voluptueuses qu'il faut enfin to lérer puisqu'on ne peut pas les combattre. C'était pour ces savants un pas épineux que d'en censer les passions qu'ils ont tant diffamées ; aussi ont ils biaisé et tâtonné en proposant d'inconsidérer les richesses sans les aimer ni les haïr; mais aux grands maux il faut de grands remèdes. Les philosophes n'a vaient de salut que dans un parti désespéré. Écrasés par la Civilisation , ils devaient attaquer la Civilisation sur le point faible , sur la servitude amoureuse, et , pour la détruire, il fallait créer un culte de l'amour, culte dont les philosophes se seraient établis prêtres et pontifes. La société maçonique leur en offrait les moyens s'ils avaient su la saisir et la diriger. En passant à l'état sacerdotal , les philosophes n'au raient fait que revenir au point d'où ils sont partis , car ils étaient dans l'Antiquité des acolytes du culte 294 TROISIÈME PARTIE. mythologique. J'ai dit que les moralistes anciens n'é taient autre chose que des Moines païens ; les Cyniques et les Épicuriens ne furent-ils pas l'image des Capu / cins et des Bernardins , tant il est vrai que les pas sions prennent dans chaque phase d'une société les mêmes développements sous des formes diverses. Il a manqué aux philosophes , pour entrer dans la carrière religieuse , un transfuge du culte dominant , un homme qui se mît en tête , comme le transfuge Mirabeau , de détruire sa corporation . Les moralistes ne pouvaient pas tenter par eux- mêmes une pareille entreprise ; ils n'ont que de la faconde sans audace et sans invention . Ils avaient besoin d'un chef qui vînt les guider et leur fournir des plans d'agression qu'ils ne savaient pas concevoir. Aussi ont-ils attaquéla Re ligion catholique sans avoir aucun culte à lui substi tuer. Depuis longtemps ils avaient sous la main l'instru ment qui pouvait assurer leur victoire ; c'est la secte des Franc-maçons. Cette corporation , fondée dans des vues apparentes de charité , a déjà franchi les pas les plus difficiles pour former une secte voluptueuse et religieuse. 1º Elle est parvenue à opérer l'affiliation dans toutes les régions civilisées et ne se composer que de la classe aisée , sous la protection des grands qui sont à sa tête. 2º Elle a habitué le peuple à voir , sans jalousie , ses assemblées mystérieuses tenues en secret loin du pro fane vulgaire. 3º Elle a donné une teinte religieuse au plaisir sen • CONFIRMATION. 295 suel ; car à quoi se réduisent les séances des maçons? à des pique - niques accompagnés de quelques sima grées morales qui ont l'utilité de remplacer les jeux de cartes et faire passer le temps plus économique ment. Ces festins habituels ont élagué poliment les avares, qui sont plus nuisibles qu'utiles en affaire de parti religieux . Voilà donc une coterie dont les dispositions déjà faites se prêtaient merveilleusement à fonder une nou velle religion. Il n'a manqué à sa tête qu'un habile po litique qui sût y introduire les femmes et la volupté; aussitôt elle devenait religion dominante des gens ri ches dans tous les Empires civilisés, et le Christianisme, qui convient mieux au peuple à cause de son austé rité, se serait confiné insensiblement chez le peuple, comme en Chine le culte de Fô, qui n'est que pour les classes inférieures. • Je m'abstiens de tout détail sur les statuts qui au raient convenu à une pareille secte, et sur les moyens qu'elle aurait eus de s'adjoindre subitement tous les membres les plus marquants du corps social sans les détacher du culte catholique. Etant depuis longtemps en si belle passe, il faut que les francs-maçons soient bien aveugles pour n'avoir pas su en profiter. D'après cela, s'ils ont, comme ils l'assurent, un secret, ce n'est pas le secret d'aller en avant. La nullité politique où ils sont restés avec tant de moyens de s'élever donne une si triste opinion de leur prétendu secret que, s'ils offraient de le communi quer, beaucoup de personnes refuseraient de l'en tendre. F 296 TROISIÈME PARTIE. Diront-ils qu'ils n'ont jamais voulu s'élever plus haut que la médiocrité politique ? persuaderont-ils que les chefs d'une corporation affiliée puissent se ga rantir de l'esprit d'empiétement qui est l'essence de toute affiliation , depuis celle des Janissaires jusqu'à celle des Jésuites ? S'ils font de pareils contes sur leur modération, on les croira comme on croit le renard quandil trouve les raisins trop verts, parce qu'il ne sait comment y atteindre. Entretemps, il convient de faire part aux francs maçons d'une vérité qui les consolera de leur gauche rie politique : c'est que l'affront de n'avoir vu goutte en affaires de Mouvement social met leur compagnie de niveau avec les plus savantes compagnies de la Civilisation. Le culte de la volupté aurait cadré merveilleuse ment avec la philosophie moderne ; ses systèmes éco nomiques, trop décharnés et prêchant trop crûment l'amour des richesses, avaient besoin de s'allier à une secte religieuse pour donner de l'âme à leurs arides préceptes. Il fallait à l'Economie politique un beau masque pour cacher sa vilaine figure ; c'est une science qui ne parle qu'à la bourse ; elle devait se donner un allié qui parlât au cœur, une secte qui, réduisant les jouissances du luxe et les voluptés en actes reli gieux, aurait prouvé que l'amour des richesses et des plaisirs est très compatible avec la probité , la cha rité et les passions généreuses. Hélas ! cette cupidité contre laquelle on déclame si vainement, ne valait il pas mieux la couvrir de fleurs que de boue, puis qu'elle devait régner à jamais sur les Civilisés sans CONFIRMATION. 297 qu'aucun raisonnement pût l'amortir un seul instant ? Observons bien qu'en parlant d'un culte de la vo lupté je ne le juge applicable dans le principe qu'à la classe polie et opulente, puis à quelques adeptes tirés du peuple pour le service de la secte qui n'aurait pas pu comporter l'initiation de la basse bourgeoisie avant de s'être solidement établie chez les grands. Cette re ligion aurait pris une marche opposée à celle des cul tes austères , qu'on doit faire germer chez le peuple avant de les étendre aux classes supérieures, lesquelles se trouvent aujourd'hui esclaves du peuple dans le sens religieux, et ce n'est pas un des moindres ridicules de la Civilisation moderne. 1 En présentant le nouveau culte comme délassement de bonne compagnie, les francs-maçons auraient en rôlé d'emblée toute la classe opulente. Les grands sont avides de tout ce qui tend à la licence voluptueuse ; comment n'auraient- ils pas goûté un exercice raffiné de la volupté dans des sectes religieuses et polies , toutes composées d'adeptes à leur convenance, en hommes et en femmes? Dès que les classes moyennes, les petits bourgeois , auraient vu la nouvelle secte bienvenue des grands, ils y auraient donné, tête baissée, comme ils donnent aujourd'hui dans la franc-maçonnerie par un effet de l'esprit de secte et de prosélytisme qui est naturel à tous les hommes. On était donc assuré de les séduire en fai sant agir l'appât des voluptés joint à l'esprit de secte et de prosélytisme; tel devait être le canevas de la nou velle religion . Il serait inutile d'élever contre cet aperçu aucune 13. 298 TROISIÈME PARTIE. X objection tant que je ne fais pas connaître les moyens d'exécution. Il en était d'infaillibles pour saisir tout ce qu'il y a de distingué dans le corps social, et surtout les femmes riches qui sont les meilleurs soutiens de toute religion. Celle- ci , entre autres appuis, aurait eu toute la classe des gens âgés , qui se seraient trouvés, dans l'exercice du nouveau culte , en faveur près de la jeunesse, dont ils sont aujourd'hui bafoués en affaires voluptueuses. La Civilisation , qu'on définit avec rai son une guerre du riche contre le pauvre, est encore une guerre du vieux contre le jeune, et je démontrerai que les deux âges perdent également à cette discorde qui aurait disparu parmi les initiés du culte voluptueux. Au lieu de s'attacher à ce plan, quelle a été la mar che des philosophes dans leur attaque contre la Reli gion catholique, qu'ils ont eu la maladresse de heurter de front, sans connaître ses moyens de résistance et sans lui opposer des contre-moyens? C'est ici qu'ils se sont montrés en dignes amants de la médiocrité, car jamais l'esprit humain n'enfanta rien de plus médiocre que les deux Religions dont la Philosophie est accouchée sur la fin du XVIIIe siècle ; je veux dire le culte de la Raison et la Théophilanthro pie, cultes vraiment pitoyables, religions mortes avant d'être nées : . Telum imbelle sine ictu. » Jamais religion ne débuta dans des circonstances plus favorables que le culte de la Raison. Il n'avait au cun obstacle à vaincre : la France terrifiée aurait ac CONFIRMATION. 299 cepté, les yeux fermés, toutes les religions et constitu tions qu'on lui aurait présentées. N'était-ce pas un avantage inouï pour un culte nouveau que de pouvoir s'installer d'emblée dans un grand Empire, de pouvoir forcer amis et ennemis à pratiquer ses rites ? Pour peu qu'une telle religion eût été adaptée à l'esprit du peu ple ou des grands, elle devait réussir par la seule chance de l'épreuve temporaire , chance qu'aucun légis lateur civil ou religieux n'avait eue depuis Lycurgue. Il faut que la raison des philosophes soit bien incompa tible avec le cœur humain pour n'avoir pas fait for tune en si beau champ . Accordez à tous autres nova teurs le même avantage , l'épreuve temporaire, et l'on vous inventera une religion pour laquelle les peuples se feront égorger quand ils en auront goûté une an née, mais une religion passionnée et non pas modérée. La Théophilanthropie se présenta sous de meilleurs auspices; mais c'étaient toujours la médiocrité et la modération qui avaient changé de couleurs, et qui ne peuvent en aucun sens sympathiser avec le cœur hu main. On peut dire de ces deux religions que l'une était un corps sans âme et l'autre une âme sans corps.

~ Dans la 1re, du tapage sans aucun dogme ; dans la 2º, des fadeurs spirituelles sans appareil. La 1 ™º était peut-être plus politiquement conçue ; elle étourdissait le peuple par un mélange burlesque du sacré et du profane; elle avait ses Dieux, tels que Marat et Cha lier ; ses Diables, tels que Pitt et Cobourg; elle éveil lait les sens par des parades civiques et des hymnes harmonieux entremêlés de diatribes politiques. C'était une religion pour les yeux et les oreilles ; cela pouvait 300 TROISIÈME PARTIE. convenir au peuple, qui veut se guider par les sens et révérer quelque chose de matériel, comme la Déesse de la Raison. Les théophilanthropes annonçaient un Dieu invisible dontrien n'offrait l'image ; plus leurs dogmes étaient raisonnables , plus ils devenaient absurdes en politi que religieuse : le peuple a besoin qu'on l'éblouisse et non pas qu'on l'éclaire. A tous vos oracles de Raison il préfère les visions de l'Apocalypse, les miracles, les mystères, qui offrent un aliment et un appui à sa faible intelligence. Bref, il veut un culte qui le jette dans l'enthousiasme afin d'écarter cette fâcheuse Raison, qui viendrait le désespérer en l'éclairant sur l'étendue de ses misères sociales et domestiques. - Une gaucherie tout-à-fait neuve dans ces deux reli gions, c'était de n'avoir point de prêtres ; le peuple veut voir des hommes chargés directement de la pro curation de Dieu. Mais les théophilanthropes choisis saient souvent un procureur ou un marchand pour an noncer la parole de Dieu ; on n'aime pas voir de tels hommes prêcher la vertu. Vainement s'appuient-ils du titre de père de famille ; les plus grands scélérats et les plus grands imbéciles de la terre ont été pères de famille. D'ailleurs les ministres d'une religion peu vent-ils être à l'église et à la boutique ? et conçoit-on qu'un culte puisse se soutenir s'il n'a pas des prêtres qui vivent de l'autel ? Tandis que les philosophes se sont montrés si mé diocres en faisant des religions modérées, un Arabe grossier, MAHOMET, a fait une religion avec le plus grand succès parce qu'il a été immodéré en tout sens , CONFIRMATION. 301 parce qu'il n'a employé que l'excès , l'exagération et les monstruosités. Quel camouflet pour les amis de la modération ! S'ils voulaient attaquer la Religion catho lique, il fallait lui en opposer une qui donnât dans des excès contraires ; elle divinise les privations, il fallait diviniser les voluptés. C'était une carrière toute neuve que Mahomet n'avait pas entrevue ; sa religion n'est point voluptueuse ; elle promet quelques plaisirs aux hommes seuls, sans les procurer aux femmes ; elle ne les érige point en pratiques religieuses ; enfin elle les réduit au moindre développement par l'usage des sé rails qui sont le tombeau de l'amour , et qui ne peuvent appartenir qu'aux gens riches, tandis qu'en Civilisa tion tout jeune homme présentable sait se former un sérail parmi les femmes de sa ville, et sans être chargé de leur entretien . Je le répète, il y avait un grand coup à faire en matière de religion , mais ce n'est pas avec de la mo dération qu'on fait de grandes choses (¹ ) . Du reste, (1) Il n'y a sur le globe que deux ou trois religions modérées, celles des Quakers, Anabaptistes, etc. Quel rôle ont- elles joué? ne sont- ce pas encore des morts- nés , des avortons politiques ? D'ailleurs à quoi abou tit cette modération ? On dit que les Quakers , si réservés en parure, ne le sont point du tout en gourmandise ni en cupidité, notamment à Philadelphie. D'après cela, on peut dire de leurs tristes vêtements : « Chas sez les passions par la porte, elles reviennent par la fenêtre. » Eh ! ne serait - ce point un calcul d'intérêt que cette momerie de costume simple? Tenez pour certain qu'il y a toujours quelque diablerie cachée sous un étalage de modération. Les Quakers, pour la peine de porter un habit gris sans boutons , sont exempts d'impôts, de service militaire, conscriptions, etc. A ce prix, combien d'habitants de France se feraient Quakers ; les pères pour ne pas payer, les fils pour ne pas partir? Où est donc le mérite de la modération, si elle procure de pareils avantages ? 7 302 TROISIÈME PARTIE. les philosophes ne doivent pas s'étonner queje n'entre dans aucun détail sur la carrière religieuse qui s'ou vrait devant eux et qu'ils n'ont pas entrevue , mon in tention n'étant pas de remontrer leur science qui va finir avec la Civilisation , mais de leur faire voir qu'elle n'a pas su se diriger elle-même ni se sauver en créant une religion . Ils avaient joui de quelque influence dans l'Antiquité comme adjoints au sacer doce; ils avaient vu leur crédit décliner à mesure que le sacerdoce s'isola d'eux par la naissance du Catho licisme, trop austère pour s'associer à aucune secte littéraire . Ils devaient donc rentrer dans la seule voie d'élévation qui leur fût connue , manœuvrer pour se réassocier au sacerdoce, ou se mettre à sa place par un nouveau culte de leur invention . C'est ce qu'ils ont tenté sans avoir su le faire, sans avoir compris qu'il fallait un culte voluptueux pour lequel la franc maçonnerie offrait des fondements déjà tout élevés. Un tel culte aurait ouvert l'entrée en sixième et sep tième Périodes, car il conduisait à la liberté amou reuse qui se serait bientôt étendue du corps maçoni que à la Civilisation entière . Déjà les savants commencent à publier que l'amour n'est point un crime ; un livre a , dit-on , paru sur cet objet ; mais c'est nous apprendre ce que savent tous les écoliers de quinze ans. Il s'agissait de trou ver les moyens d'amener le corps social au libre exer cice de l'amour, de pressentir quel Ordre social en serait résulté, et d'exposer les bienfaits futurs de cette innovation, qu'il eût très bien convenu de limiter d'abord à des corporations isolées du peuple, commela CONFIRMATION. 303 franc-maçonnerie. Elle est donc un des germes que la Providence avait semés parmi nous pour nous offrir des voies de salut et d'acheminement à l'Ordre com biné ; et si cette société fédérale a pu subsister si longtemps sans que ses propriétés et sa destination fussent entrevues ni de ses chefs, ni des philosophes, elle mérite d'être rangée parmi les nombreux monu ments qui attesteront dans l'avenir la honte de la Po litique civilisée. 304 TROISIÈME PARTIE. 2NE DEMONSTRATION. DU MONOPOLE INSULAIRE ET DE SES PROPRIÉTÉS ENCORE INCONNUES. vais expliquer les rapports du Monopole insu laire avec les desseins de Dieu . L'on peut pressentir que sur ce point les vues du créateur ne seront pas d'accord avec les opinions des Civilisés qui, en fait de Politique, ont toujours végété et ne se sont guère élevés que de la petitesse à la médiocrité ; autant valait rester au dernier rang que de se traîner à l'avant dernier. Dans des siècles plus religieux que le nôtre on a pensé avec raison que Dieu châtiait parfois les na tions ; si jamais cette opinion fut plausible, c'est au jourd'hui où l'Humanité entière se trouve persécutée et avilie par un même fléau, par le Monopole insu laire qui ravage en tout sens le monde social. Il détruit l'Industrie dans sa base, en lui fermant · les communications. Il attaque l'Humanité en masse , en suscitant des guerres stipendiées qui forcent les peuples à se déchi rer tour à tour. Il avilit tous les Souverains en les rendant esclaves CONFIRMATION. 305 d'un subside qui neutralise leurs systèmes politi ques. Il outrage l'honneur général en subordonnant tout le mécanisme social à de vils calculs mercantiles. Tel est l'abîme où nous ont conduit nos sciences économiques; le Monopole insulaire a fait renaître la boîte de Pandore ; dans cet amas de calamités, dont il est la source, on aurait dû reconnaître un châtiment infligé par l'Étre suprême, si nos subtilités métaphy siques n'eussent habitué les modernes à douter de la Providence, à dégrader Dieu par d'insipides débats sur son existence, et par une demi-croyance non moins impertinente que l'athéisme. Tant que les peuples vécurent dans la brutalité ou dans une demi- Civilisation voisine de la Barbarie , tandis qu'ils furent trop ignorants pour s'adonner à la recherche des vues de Dieu , leurs inepties et leurs fureurs sociales durent exciter la pitié plutôt que l'indignation de Dieu , et l'on ne vit aucun fléau les frapper en masse et les torturer sans relâche, comme il arrive aujourd'hui du Monopole. Mais du moment où les progrès des sciences et sur tout de l'Art nautique firent entrevoir à l'Homme qu'il était réservé à de hautes Destinées , du moment où la raison se trouva capable d'étudier les volontés de Dieu dans le calcul de l'Attraction passionnée , il devint nécessaire que Dieu nous fit tomber dans l'humiliation, si un fol orgueil nous aveuglait sur notre impéritie sociale et sur l'absurdité de la Civi lisation. Ce fut pour confondre cette infâme société que Dieu la condamna à engendrer , par ses progrès, 306 TROISIÈME PARTIE. l'instrument de son supplice et de son déshonneur, le Monopole insulaire [brut] (1 ) . Dieu ne se borne pas dans ses opérations à attein dre un seul but; et le fléau qu'il a déchaîné sur les modernes remplit la double fonction d'humilier leurs charlatans scientifiques et d'offrir au monde social des moyens de régénération queje vais faire connaî í tre. Ces pirateries, ces brigandages d'une île qui dé sole le globe, sont à la fois un châtiment et un bien fait de Dieu, une disposition où éclate la plus sage providence. On va apprendre que ce Monopole nous ouvrait diverses voies d'Unité sociale ; aucune n'a été aperçue parce que les systèmes mercantiles des phi losophes ont rétréci sur cet objet tous les esprits , et l'on a aggravé les malheurs de l'Humanité par l'abus du moyen que Dieu nous offrait pour les ter miner. La moderne politique du Monopole a été aussi mal dirigée que mal combattue. L'Angleterre , qui l'a en trepris, n'en a pas saisi la théorie ; elle n'a su tirer aucun parti des chances qu'elle avait pour asservir le globe. Elle n'a fait que manifester le projet, sans con cevoir les moyens d'exécution. Même ignorance a régné parmi les Français , ses rivaux. - (1) [ Phrases de Phœbus. Il fallait très froidement classer les 5 mo nopoles maritimes et les 32 crimes du commerce dans la catégorie des contre- mouvements nécessaires et préétablis. Cet article, dont je blâme le ton et non le dogme, a obtenu les suffrages de nos mercantiles Aristarques ; dès qu'on disserte sur la politique transcendante du commerce, ils applaudissent parce qu'ils n'y con naissent rien on les tâtera sur ce sujet dans trois sections du Traité. ] CONFIRMATION. 307 Le Monopole insulaire [ brut ] , malgré l'infamie des ressorts qu'il fait jouer, est encore plus sensé que le plus équitable des systèmes civilisés, car il tend au seul but louable en politique : c'est l'Unité adminis-+ trative du globe. Dans ce sens le monopole est un remède fatigant que Dieu administre au globe, et qui peut conduire en peu de temps à une heureuse issue, à une entrée en 6 période. Mais l'impéritie des Anglais, qui sont agresseurs, et des économistes, qui ont dirigé la résis tance du continent, a donné au Monopole la tournure la plus lente et la plus dévastatrice. Cet aveuglement respectif n'a rien d'étonnant, puisque l'Angleterre et la France, qui sont les deux centres d'attaque et de résistance, sont à elles deux les principaux foyers de philosophie qu'il y ait sur le globe. Dès lors elles ont dû rivaliser de maladresse, prendre les voies les plus tortueuses, et envenimer de plus en plus la querelle sans arriver au dénouement. L'étude du Monopole présente des particularités dignes d'attention, soit dans son origine, soit dans les développements divers que la Politique peut lui donner. Parlons de son origine. Dieu avait soigneusement préparé la naissance du Monopole en plaçant de grandes îles au sein des mers les plus fréquentées et sur les points les plus commo des pour entraver les relations. On voit que l'Angle terre, Madagascar, le Japon, les deux îles de la Sonde, la Nouvelle-Guinée, Borneo, les Antilles, enfin tous les grands archipels, sont situés aux points de passa ges les plus importants. Dieu n'en a point placé le 308 TROISIÈME PARTIE . long de l'immense côte de 3000 lieues qui borde l'o céan Pacifique ; cette côte ne reçoit point de grands fleuves , ses mers ne peuvent devenir des routes de communication générale ; de sorte qu'une grande île placée dans ces parages n'aurait eu aucune chance pour y entreprendre le Monopole ; aussi Dieu ne créa t-il pas de grandes îles sur cette côte, pas même de médiocres, comme Ceylan et Terre-Neuve, Heinan et Formose, qui sont destinées à devenir annexes fédé rales de Monopole. Lorsque ces masses de grandes îles , qui peuvent nourrir 15 à 20 millions d'habitants , viennent à se policer et s'unir sous un seul prince, elles n'ont de ressource que dans l'envahissement commercial [ ou Monopole brut ] pour atteindre à la domination dont tout Empire est plus ou moins avide. Elles sont donc de la graine de Monopole que Dieu a semée autour des continents pour entraver les relations partout où naî– traient l'industrie et l'art nautique. Tôt ou tard les Antilles auraient joué ce rôle dont l'Angleterre a donné le signal ; les Antilles et Lucayes pouvant nour rir “ 12” millions d'habitants, et, dominant les embou chures des plus grands fleuves, auraient formé, par leur réunion, un second chancre mercantile en atten dant le troisième qui aurait été formé par le Japon. Bientôt l'invasion des Russes en Chine aurait forcé les Japonais à recourir pour leur salut à l'art nautique où ils auraient parfaitement réussi , et, après s'en être formé un rempart contre les Russes, ils en auraient fait un moyen d'agression contre l'industrie uni verselle. CONFIRMATION. 309 Comme il est évident que Dieu a prémédité ce règne du Monopole en disséminant de grands archipels sur les points favorables, il importe d'examiner quel rapport peut avoir une telle persécution avec les vues de Dieu. Certes , la tyrannie d'une poignée de marchands sur tous les Souverains et les Empires ne peut pas être le vœuultérieur de Dieu, et il n'est besoin de s'arrêter là-dessus à aucune démonstration . Quels furent donc ses motifs pour préparer cette monstrueuse influence de quelques îles sur les Puissances continentales ? C'est qu'elle offre double moyen de confondre la Poli tique civilisée : 1º La ridiculiser, si le Monopole est mal dirigé, soit en agression, soit en résistance ; 2º La détruire par une entrée en 6 Période, si le Monopole est bien dirigé, soit en agression , soit en résistance. C'est la première chance qui a prévalu , pour le mal heur du globe ; il est trop évident que le Monopole a déconcerté la Politique moderne. A part les efforts de la France qui peut faiblir sous les règnes suivants, on voit les Souverains continentaux disposés à se perdre l'un par l'autre, s'asservir à un ennemi commun qui est invisible et inabordable pour tous ; qui tire parti des rivalités de chaque Empire, des passions de cha que prince, pour les mettre aux prises et les affaiblir. Il se rit de leurs lumières comme de leur aveugle ment, car l'ascendant du subside séduit toujours quel ques princes les plus faibles pour les armer contre leurs voisins ; dès lors les peuples sont également vic 310 TROISIÈME PARTIE. times de la sagesse ou de la corruption du Souverain, et celui- ci est également forcé à la guerre, soit qu'il obéisse à l'honneur ou à la vénalité. Ainsi , le Monopole insulaire [ brut ] a la mon strueuse propriété de neutraliser vice et vertu , d'aller à ses fins par la sagesse comme par la démence de ses rivaux. Dieu ne pouvait donc faire choix d'un châti ment plus ingénieux pour humilier à la fois les Rois et les Peuples , les Civilisés et les Barbares, en les as servissant à une ligue mercantile ; servitude bien plus honteuse que celle de la conquête . En effet , le Monopole insulaire [ brut ] subjugue les peuples sans qu'ils puissent se défendre ; les coalitions les mieux combinées ne donnent pas le moyen de l'attaquer en face ; si des victoires lui enlèvent quelques alliés , le lendemain son or lui en fournit de nouveaux ; il re commence à influencer et agiter le continent dès qu'on cesse de l'accabler à force de triomphes. Pour bien apprécier l'influence du Monopole insu laire sur la Civilisation , il faut se reporter aux épo ques où le continent ne peut opposer que des princes médiocres, comme en 1789. Quant à présent, l'Angle terre est contrecarrée et gênée sur le continent ; mais cette répression n'est que temporaire ; la France n'au rait pas toujours un Souverain grand parmi les grands; la chance des faits héroïques n'est pas admissible dans les calculs politiques ; on ne doit spéculer que sur les faits ordinaires et considérer qu'il y a sept princes médiocres pourun prince héroïque. D'après cela l'An gleterre pourrait ( ceci devient fort indifférent, puis que toutes luttes politiques vont finir avec la Civilisa CONFIRMATION. 311 tion ) , l'Angleterre pourrait, dis-je , se relever par l'effet de quelque événement qui affaiblirait la France et livrerait de plus belle le continent aux intrigues des monopoleurs. Ils ont en leur faveur la continuité, l'in variabilité de plan , tandis que le continent , lors même qu'il essaie de résister, peut errer sur le choix des moyens et se consumer longtemps en vains efforts selon les méthodes de résistance qu'il adopte. Il en est une encore ignorée et que je nommerai résistance passive. Elle a pour résultat de faire périr l'araignée faute de moucherons, d'exclure des conti nents toute denrée qui proviendrait directement ou indirectement des monopoleurs. On a rêvé cette me sure sans en connaître les moyens d'exécution. Dire qu'elle consiste à établir l'Ordre commercial de Ce période, c'est dire que je ne puis en donner con naissance que dans un Traité spécial de la 6 pé riode. Ce nouvel Ordre commercial est si facile à orga niser qu'un petit Etat comme Raguse peut l'inoculer et le répandre forcément par tout le globe, et déjouer à la fois tous les monopoleurs grands et petits. ( Car il en est de tout calibre : le Danemarck ne fait-il pas le monopole de sa petite île Saint-Thomas ? Ce qu'il fait sur un coin de terre, il le ferait, s'il pouvait, sur tout le globe. ) Jusqu'à présent les Continentaux n'ont connu que la résistance active, la lutte maritime, à l'appui de la quelle on a formé récemment une ligue fédérale ; c'est un plan bien immense, et je ne doute pas que le grand homme qui l'a adopté ne l'eût conduit à une heu KESAVA 312 TROISIÈME PARTIE. reuse fin. Mais il est un inconvénient au système de résistance fédérale : c'est qu'il faut un héros gigantes que pour l'entreprendre et le conduire à terme ; l'opé ration peut péricliter sous des successeurs moins ha biles , tandis que le monopole se soutient et marche à son but, quelle que soit l'inégalité des moyens de ceux qui le dirigent. On s'étonne de la persévérance que montre le cabinet anglais dans ses plans ; s'ils sont invariables sous les divers ministères, c'est qu'ils flat tent les passions des hommes avides qui composent le très grand nombre ; ils ne reposent que sur des rapi nes colorées du prétexte du bien public ; de tels plans assurent à tout ministre la fortune individuelle, la fa veur populaire et la renommée sans talent. Le pré tendu talent des politiques anglais se borne à posséder la baguette magique, LE SUBSIDE , qui a la puissance d'entrainer les Souverains contre leur volonté même. Aussi vit-on , dans l'avant-dernière campagne ( ¹ ) , l'Autriche frémir à l'aspect de l'abîme où on la pous sait ; elle prédisait elle-même ses disgrâces , elle cou rait sciemment à sa perte pour céder au charme irré sistible du subside. Ainsi l'oiseau pouvant s'enfuir à l'aspect du serpent hésite, gémit et vient de branche en branche se rendre dans la gueule du reptile qui l'a charmé. Les monopoleurs anglais ont dirigé leur agression aussi mal qu'on a dirigé la résistance. Ils avaient à opter entre deux procédés : L'agression active ou le déchirement continental ; (1) [ La campagne de 1805. ] CONFIRMATION. 313 elle n'est que trop connue par le choix qu'en a fait l'Angleterre, et il n'est pas besoin de la décrire quand toute la terre en ressent les funestes effets. L'Agressionpassive ou l'assoupissement continental ; c'est la manœuvre la plus brillante qui puisse être faite en Politique civilisée . Elle consiste à conquérir le Continent par lui- même, à séduire , pacifier et soumet tre l'une par l'autre la Barbarie et la Civilisation ; c'est ce que l'Angleterre pouvait faire avec moitié des dé penses qu'elle emploie à déchirer les nations et les af faiblir l'une par l'autre. Dans l'attaque passive , les insulaires devaient en visager le Monopole comme agent auxiliaire et non pas comme but de leur politique ; ils devaient, dans l'emploi des subsides et moyens de corruption , s'at tacher à une seule chose, à l'extraction des milices continentales, s'en former deux armées dont l'une au rait opéré sur les Barbares , sur les Perses , l'Inde, la Chine, Siam, etc .; l'autre aurait opéré sur le Continent pour y maintenir la paix, la fourniture de ces milices destinées à conquérir les Barbares, et assoupir les Civilisés en leur donnant quelque part aux trésors qu'on aurait prélevés administrativement sur les Bar bares. Je ne m'arrête pas à indiquer les moyens d'exécu tion dans un tel plan ; il était praticable dans tout le cours du XVIIIe siècle, même lorsque la France avait une forte marine , parce qu'il était facile de paralyser un cabinet vénal et léthargique comme l'ancien ca binet de Versailles. En intéressant les Puissances Alle mandes au plan des Anglais , on aurait amené la France 14 314 TROISIÈME PARTIE. àse laisser finir de sa belle mort et laisser pourrir dans les ports ses quatre-vingts vaisseaux , pendant que ceux des Anglais auraient exploité l'Asie. Les guerriers d'Europe auraient tous recherché le service d'une na tion qui leur eût fourni des moyens de s'enrichir en Asie, et les Peuples du Continent, en voyant quelques militaires rapporter des trésors de leurs expéditions lointaines , auraient admiré un système qui tendait à pacifier l'Europe pour l'enrichir des dépouilles du globe. Dès lors l'Angleterre, forte de l'opinion et des milices du Continent, aurait marché presque sans ob stacle à la Conquête universelle . L'aspect de ses progrès et la connaissance de ses desseins n'eussent élevé contre elle aucun ennemi. Les Cabinets comme les Peuples ne sont guère émus que du mal direct et prochain , de la crainte des voisins con tigus sur qui se porte l'effort des haines nationales. Voilà pourquoi l'Angleterre s'aliène fort peu les esprits des continentaux, même en publiant son projet de les affaiblir et déchirer les uns par les autres. Combien lui était-il donc facile de régner sur l'opinion en épou sant et manifestant le plan d'assoupissement , et en opérant seulement contre ceux qui auraient troublé une paix favorable à sa levée de milices ! Elle aurait gagné les ministres de toutes les Cours parce qu'ils au raient pu allier la corruption à l'honneur et déguiser leur vénalité sous des dehors de pacificateurs et de philanthropes. Ils auraient feint d'envisager la fourni ture des milices comme gage du repos des Civilisés et des Barbares même, qui, après tout, seraient plus heu reux sous une administration régulière que sous le CONFIRMATION. 315 joug de leurs Pachas et Nababs. Quant aux Civilisés, ils auraient trouvé dans leur coopération à un tel plan, la paix intérieure, le peu de bien-être qu'on peut at tendre de la Civilisation ; et ce bien-être se serait ac cru, lorsque l'Angleterre serait arrivée au point de lever le masque, de leur notifier sa suprématie, et de donner au Globe entier une Organisation régulière qui eût acheminé vers la sixième Période. En suivant cette marche, les monopoleurs anglais auraient joué le rôle d'anges tutélaires, de médiateurs entre la Civilisation et la Barbarie ; ils auraient exé cuté le plus beau plan que puisse comporter la Poli tique civilisée ; ils pouvaient donc faire éclore d'un système de spoliation des résultats plus brillants que les trophées des conquérants et les lumières des phi losophes, car tous les efforts belliqueux et scientifiques ne purent jamais étendre au quart du globe ni les lu mières ni les conquêtes ; jamais les savants et les hé ros n'imaginèrent (avant le système fédéral de France) aucune mesure qui fût applicable au Globe entier ; tandis que ce Monopole, tant critiqué parce qu'il est mal connu, pouvait, entre des mains habiles, conduire à la conquête, à l'Unité et au bonheur du monde. • Telle est la carrière qui s'ouvrait pour l'Angleterre si elle eût su s'identifier au Continent au lieu de s'en isoler et de le traiter en ennemi, si elle eût su se grossir des forces continentales au lieu de les absorber par des guerres soudoyées. Il faut que cette nation ait bien peu de génie politique pour que tous ses ministres successivement se soient fixés à cet infâme système de déchirements continentaux sans rechercher des procé 316 TROISIÈME PARTIE. dés moins odieux. Au reste, la plupart des ministres anglais ont été des disciples de la Philosophie qui étouffe toute conception grande, noble et juste. Voilà pourquoi ces prétendus hommes d'Etat n'ont su que harceler le genre humain et désoler la terre au lieu de la soumettre et l'organiser ; ils se sont arrêtés à de menus brigandages sans concevoir aucun plan d'offensive générale ; leurs prétendues finesses se ré duisent à quelques vues subalternes de trafic et de pillage ; ils gouvernent en arithméticiens et non pas en politiques, et leurs secrets se bornent, comme ceux des francs-maçons, à n'en avoir aucun . Cependant l'Angleterre se soutient par l'effet des chances innombrables que Dieu a assignées au Mono pole insulaire, quelque direction qu'il puisse prendre. S'il a pu s'accroître en marchant au hasard et toujours à contre-sens du meilleur système ; si l'Angleterre, malgré cette impéritie, balance encore les triomphes les plus miraculeux de ses rivaux, qu'arriverait-il dans le cas où, la Civilisation, venant à se prolonger, ferait éclore dans divers archipels d'autres foyers de Mono pole qui suivraient, comme les Anglais , le plan de dé chirement au lieu du plan d'assoupissement? Or, il est bien probable que les Antilles , le Japon et autres îles d'Orient n'auraient pas tardé à imiter cette Angleterre qui donne à elle seule tant de tablature aux Civilisés et Barbares, quoiqu'elle soit le plus faible des grands archipels que Dieu créa pour punir et stimuler la Civi lisation à force d'affronts et de souffrances. Cet aperçu des chances offertes au Monopole ne doit causer aucune inquiétude, puisque la Civilisation tou CONFIRMATION. 317 che à sa fin; et aussitôt que " l'Association sera " orga nisée, toute Puissance insulaire, eût-elle mille vais seaux de haut bord , serait forcée à les livrer au Monarque fédéral du Globe sans qu'il fût besoin seule ment de tirer l'épée . Mais raisonnons sur l'hypothèse d'une prolongation de l'Ordre civilisé ; l'on va voir que le Monopole insulaire, même en prenant la forme la plus vexatoire, est encore un châtiment salutaire que Dieu nous inflige , car il tend dans tous les cas à dissiper les tourmentes philosophiques pour établir la paix universelle et l'Unité suzeraine du Globe. En effet : Si les insulaires suivent le plan d'assoupissement dontj'ai parlé, ils s'achemineront très rapidement à la conquête du Globe, et dès qu'il sera asservi à l'un des archipels , soit l'Angleterre ou autre, on verra le Sou verain insulaire SE CONTINENTALISER . Il formera sur le globe une centaine de royaumes, vassaux d'un grand Empire où il fixera sa résidence; puis il brisera l'instru ment de son exaltation , il réduira à la nullité l'île con quérante qui lui aura servi de marchepied ; il usera de sa marine pour détruire l'influence de la marine des insulaires, et consolider à leurs dépens l'Unité suze raine qu'il établira, et qui est Gouvernement de 6º Pé riode . Ainsi le Globe trouverait un moyen de salut di rect et prompt dans un Monopole qui adopterait le système d'assoupissement. Si les insulaires suivent le plan de déchirement qu'a adopté l'Angleterre, système aussi odieux, aussi lent que l'autre est noble et rapide dans sa marche, le genre humain peut trouver encore dans ce plan trois 318 TROISIÈME PARTIE. différentes voies de salut et d'acheminement à l'Unité ; ce sont : Le Succès du Monopole; L'Impatience des Souverains ; La Fédération continentale. 1º LeSuccès complet du Monopole, qui, devenumaître absolu par la voie des déchirements ou des assoupisse ments, aboutit dans l'un ou l'autre cas à continentaliser le vainqueur insulaire, former le globe en petits royau mes fédérés sous un Empire Central , et soumettre ainsi le vainqueur au vaincu , comme on a vu la Chine ab sorber et soumettre plus d'une fois les Tartares qui l'envahissaient. Cet asservissement de l'île victorieuse au conti nent vaincu ne serait qu'une répétition des intrigues démagogiques où l'on voit un factieux cajoler la popu lace pour écraser les riches ; puis, lorsqu'il est devenu maître, se rallier aux propriétaires pour museler la populace. Or, dans cette lutte d'un archipel contre le Continent, n'est-il pas évident que l'archipel joue le rôle de la populace soulevée contre les grands, et qu'il serait l'instrument brisé comme elle, par tout agita teur, dès le lendemain de sa victoire ? 2º L'Impatience des Souverains ; elle pourrait avoir lieu si quelques brigandages, comme l'expédition de Copenhague (1 ) , éclairaient enfin les Rois sur l'imbécil lité des sciences politiques et sur l'excès d'avilisse (1) L'Angleterre s'y prend un peu tard pour de pareils coups de main ; cela eût été bon à l'époque où la France était plongée dans l'anarchie, CONFIRMATION. 319 ment où elles ont conduit la Civilisation . Alors un Souverain, dans un instant de colère, pourrait mena cer les philosophes incertains de les tous bannir, à moins qu'ils ne découvrissent dans l'année un moyen d'agression indirecte contre le Monopole , dont leurs systèmes mercantiles ont favorisé les progrès. A cette menace les philosophes effrayés feraient de nécessité vertu; ils suspendraient leurs ergoteries pour s'exercer aux inventions utiles , et ils découvriraient, tôt ou tard , l'un des moyens ( je dis l'un , car il en est plusieurs) d'abattre le Monopole insulaire sans coup férir, et par des opérations purement politiques, qui conduisent aux 6 ou 7° Périodes , et à l'Unité administrative. 3º La Fédération continentale; ce troisième résultat est celui qui a prévalu, et il pouvait amener la soumis sion de l'Angleterre et l'Unité du Globe. Si la Fédération Française embrassait l'Europe en tière dont elle unit déjà plus de moitié ; si l'on pouvait coordonner seulement l'Europe à un Centre d'action, à un plan de résistance combinée, il arriverait dès où le Continent n'avait aucun point de ralliement et de résistance. Alors, les Anglais, au moyen de quelques violences, auraient terrifié et battu en détail le Continent ; mais aujourd'hui des gredineries, comme l'affaire de Copenhague , ne servent qu'à serrer plus fortement les continentaux autour du héros qui peut les tirer de la servitude mercantile , et sous ce rapport, l'invasion de la Séélande et les atrocités inutiles qui l'ont si gnalée ( comme de charger les bombes en verre pilé ) , sont un évène ment très heureux ; il doit éclairer enfin sur la nécessité d'une ligue continentale , et, à part la malheureuse ville de Copenhague, j'estime que tout le Continent doit des remercîments à ceux des ministres an glais qui ont eu la maladresse de lever le masque par cette dégoûtante perfidie. Tout cela au surplus devient fort indifférent, puisque nous al lons sortir de la Civilisation. 320 TROISIÈME PARTIE. l'année suivante que tous les ports du Globe seraient fermés aux Anglais ; car les Puissances d'Asie , d'Afri que et d'Amérique n'auraient aucune résistance à op poser aux volontés de l'Europe liguée, et appuyant ses ordres d'un million de combattants. Il suffirait donc, pour abattre le Monopole insulaire, d'arriver à une ligue fédérale de l'Europe. Et l'importance de cette ligue ne serait pas dans l'anéantissement du Monopole qui peut renaître de ses cendres tant que dure la Civi lisation, mais dans l'établissement de l'Unité adminis trative du Globe, qui constitue l'entrée en 6° Période et prévient à jamais toute renaissance du Monopole. Il reste à indiquer comment cette ligue fédérale du Globe devrait être ordonnée pour atteindre à un but si dési rable. En résumé voilà trois moyens de salut et d'Unité que le Monopole présente au Globe, même en suivant le désastreux système du déchirement continental, qu'a fait prévaloir l'ignorance politique des Anglais. J'ai donc eu raison de définir le Monopole insulaire un remède fatigant, mais salutaire, que Dieu administre au Globe, et qui, au risque de nous causer quelques tour mentes, doit conduire tôt ou tard à des résultats très heureux. En effet : L'abus du remède ou le déchirement continental provoque à la longue l'un des trois évènements salu taires que je viens d'indiquer. L'emploi judicieux du remède ou l'assoupissement continental conduit rapidement et sans orages à l'Unité universelle . Enfin, dans l'une ou l'autre marche, le Monopole CONFIRMATION. 321 tourne à l'entière confusion de la Philosophie ; car il ne peut être combattu que par des procédés contraires aux systèmes des politiques et moralistes ; il couvre de ridicule toutes leurs maximes pendant son règne qui vénalise tous les esprits, et il conduit par l'avilissement de ces deux sciences au bienfait de l'Unité , dont elles n'ont jamais découvert aucune voie. De là on peut conclure que ce Monopole insulaire contre lequel déclame l'ignorance , est une savante dis position de Dieu pour confondre nos lumières et nous procurer un bien que nous n'osons pas même désirer, le bienfait de l'UNITÉ SOCIALE, à laquelle le Monopole nous conduit en tous sens, et où nous serions déjà par venus si nos petitesses philosophiques n'en avaient étouffé l'idée et fait manquer les plus belles occasions. Je n'en veux citer qu'une seule ; je choisirai la der nière qui s'est présentée, et dont on aurait dû profiter pour forcer l'Angleterre à livrer, sans coup férir , ses escadres aux confédérés du Continent. Après la bataille d'Iéna et les journées suivantes, qui consommèrent la ruine des Prussiens , il ne restait en Europe que trois grandes Puissances, la France, la Russie et l'Autriche. L'Autriche pouvait proposer à la Franceune ligue pour l'entreprise de l'Unité, et stipuler pour les princes et amis de sa maison un lot de cent mil lions de sujets ; ces deux Puissances réunies auraient dé terminé facilement la Russie à coopérer avec elles ( ¹ ) .. (1) Voyez à la fin du volume l'article intitulé Triumvirat continental, ou, Paixperpétuelle sous trente ans. (Note des Edileurs.) 14. 322 TROISIÈME PARTIE. Jamais instant n'avait été plus favorable pour cette opération; il est probable que l'Autriche tout engouée des vieilles idées de balance et d'équilibre, n'a pas même entrevu la carrière magnifique qui s'ouvrait de vant elle. Comme l'accord de ces deux Puissances eût entraîné l'adhésion du Continent entier, l'on aurait procédé sous la direction du Monarque français à l'exécution du plan. En conséquence on aurait fait marcher des forces suffisantes pour occuper les régions du Caucase et de l'Imaüs, et faire assembler sur l'Oxus toutes les hordes d'Asie ; puis on aurait intimé aux Souverains d'Asie les volontés de la Civilisation confédérée, avec menace de changer la dynastie et déposer les fonctionnaires de tout Empire qui eût fait mine de résistance. Après quoi l'on aurait organisé pour les divers princes d'Eu rope une centaine de royaumes fédéraux , et l'on aurait assigné un rang et un sort convenables aux grands de ces régions qui n'ont besoin que de leur sérail et leurs pipes, et qui, toujours placés sous le couteau, seraient fort heureux d'avoir une existence fixe dans un Ordre plus stable que la Barbarie. Au lieu de spéculer sur cette bienfaisante opération de l'Unité, les Souverains s'acharnent à se disputer quelques coins de terre, quand le Globe leur offre de vastes Empires à partager, pour le bien même des peu ples qui les habitent. Ce rétrécissement de vues dans les politiques européens est dû à l'influence de la Phi losophie ; en déclamant contre l'esprit de conquête, elle détourne le Genre Humain de la seule voie de bien être qui soit compatible avec l'Ordre civilisé. Peut-il CONFIRMATION. 323 1 exister, pendant la duréede la Civilisation , de repos sur le Globe avant qu'une conquête générale ait rallié tous les peuples à un Gouvernement central ? Mais quoi de plus homicide que cette modération que l'on conseille aux Souverains , et qui ne tend qu'à éterniser les guerres , puisqu'il survient périodique ment des Princes ambitieux qui chercheraient à enva hir, tant qu'il n'existerait pas sur la terre une Puissance supérieure et garante du repos général? En résumé depuis que l'Art nautique nous fournit les moyens de parcourir le globe , il n'est pas de passion plus salutaire qu'une ambition démesurée de conquête; car si l'un des Monarques arrive seulement à la con quête des deux tiers de l'Europe, il peut forcer l'autre tiers à se ranger sous sa bannière, et effectuer à l'in stant la Ligue fédérale du Globe et la pacification universelle . Dans le même sens on conçoit que nos théories de modération, qui conseillent à chaque prince de se contenter du lot que le hasard lui a fait, sont des théo ries de carnage perpétuel, ne tendent qu'à éterniser les guerres, puisqu'elles ne donnent aux Empires aucune garantie contre les irruptions des voisins, qui peuvent impunément se jouer des traités . L'entreprise de l'Unité fédérale fut manquée en 1806 par l'apathie de l'Autriche ; elle s'offre plus bril lante aujourd'hui aux Empereurs unis de France et de Russie. Je ne sais à présent lequel des deux Monarques doit se flatter d'avoir maîtrisé la fortune ; fit-elle ja mais pour un mortel plus qu'elle fait aujourd'hui pour Alexandre, à qui elle offre les moyens de s'approprier 324 TROISIÈME PARTIE. et partager le fruit des travaux deNapoléon , en s'asso ciant à lui dans la magnifique entreprise de l'Unité fé dérale du Globe? Et comme le Monopole insulaire tend par diverses voies à l'établissement de cette Unité, de cette Autorité supérieure , qui serait le garant de la Paix universelle, j'ai été fondé à dire que, malgré l'infamie des ressorts 66 qu'il met " en usage, c'est un système encore plus sensé que nos théories philosophiques , toutes favora bles à la permanence des guerres ; théories qui ten daient, par double voie, à prolonger les malheurs du genre humain ; car elles ont conduit les monopoleurs au plus désastreux système d'agression , celui du déchi rement continental, et les continentaux au plus vicieux système de résistance, celui de la lutte active ou lutte maritime, dont on apercevra le ridicule quand j'aurai fait connaître les moyens qu'avait la Civilisation d'a néantir promptement tout Monopole en établissant l'Ordre commercial de 6º Période ( ¹ ) . (1) Malgré le sentiment de respect et de vénération qui nous fait regarder le texte de notre Maître, comme une arche sainte que nous craignons de profaner en y ajoutant nos réflexions , nous ne pouvons nous empêcher de faire remarquer ici l'incroyable portée des jugements et des prévisions de Fourier sur la haute politique contemporaine. Quand on lit avec attention les dernières pages de ce chapitre, où Fourier, d'un point de vue si élevé, admonestait l'Empereur , on est saisi d'une admiration profonde. Mais jusqu'où n'ira pas cette admiration, quand on verra dans l'Intermède et les chapitres qui vont suivre , prévus, annoncés, décrits, tous les phénomènes de l'ordre industriel et social qui ont successivement apparu depuis 1807, et dont la manifestation s'est si rigoureusement conformée à la prophétie qu'ils sembleraient avoir obéi à la voix du Prophète ! La Féodalité industrielle, les désordres de la libre Concurrence, la détérioration de l'esprit social par les fausses Associa tions et l'Agiolage, les déceptions sans nombre de l'Économie politique, tout ce qui s'est révélé ou se révèle aujourd'hui est établi dans ce livre dont les formules se transforment chaque jour en faits historiques. INTERMÈDE. SYSTÈME DES DÉVELOPPEMENTS DE LA CIVILISATION. J'ai prévenu que je disséminerais dans cet écrit quel ques chapitres de Théorie sur le Mouvement social ; en voici un qui n'est rien moins qu'amusant et qu'il conviendra pourtant de lire à deux fois , afin de bien entrevoir la marche de la Civilisation , dont je repré sente les progrès et décadences dans le tableau placé à la page suivante. En indiquant les progrès sociaux dont le Monopole insulaire et la Franc-maçonnerie nous ouvraient la voie , j'ai démontré l'impéritie de la Politique mo derne , qui n'a pas su mettre à profit ces moyens d'a mélioration, ces issues de l'Ordre civilisé. Les modernes sont plus aveugles encore au sujet du Mécanisme commercial ; son examen signalera l'obstination des philosophes à étouffer toute vérité , à dédaigner les symptômes les plus évidents de notre ignorance dans l'Art social. Le règne de l'Esprit commercial sera envisagé ici comme dégénération ou décadence de l'Ordre civilisé; à cet effet , je vais indiquer , par un tableau du Méca nisme civilisé, quel rang y tiennent le Commerce et le Monopole ; je vais expliquer comment les progrès ou décadences se sont opérés par la seule impulsion de la nature , sans que les sciences incertaines nous aient jamais prêté aucun secours . 326 TROISIÈME PARTIE. TABLEAU PROGRESSIF DU MOUVEMENT CIVILISÉ' . 1re PHASE. 2e PHASE. APOGEE OU PLENITUDE. 3e PHASE . Vibration ascendante . 4e PHASE. Vibration descendante . ENFANCE. Germe. La Monogamie ou mariage exclusif. Pivot. Les Droits civils de l'épouse. ACCROISSEMENT. Germe. La Féodalité nobiliaire. Pivot. L'Affranchissement des industrieux. L'Art nautique. DÉCLIN. Germe. L'Esprit Mercantile. ] Pivot. Le Monopole insulaire. CADUCITÉ . Germe. Les Maîtrises en nombre fixe . Pivot. La Féodalité commerciale. Chaque phase a des attributs spéciaux que je ne m'arrête pas à indiquer. (1) En marge de ce tableau l'Exemplaire annoté porte : [ Ici les pivots sont omis , manqués comme dans tout le Prospectus. ] L'Art nautique au lieu d'être indiqué comme caractère d'Apogée, figurait, avant les cor rections, comme germe de 3º Phase à la place de [ Esprit mercantile] . Observons que la correction a été faite seulement dans le tableau ci dessus, et non dans l'explication qui suit. Le lecteur peut, au sujet de ce Tableau du Mouvement Civilisé, consulter le Nouveau Monde in dustriel , page 548. (Note des Éditeurs. ) - INTERMEDE. 327 Gradation et Dégradation. Les deux phases de Vibration ascendante opèrent la diminution des Servitudes personnelles ou directes. Les deux phases de Vibration descendante opèrent l'accroissement des Servitudes collectives ou indirectes. L'Apogée est l'époque où la Civilisation donnerait un développement complet à ses seize caractères et prendrait les formes les moins viles ; je ne dirai pas les plus nobles puisque cette Société est toujours odieuse et ne varie dans ses quatre phases que par les nuances de la perfidie et de l'iniquité, toujours dominantes. On voit dans ce tableau une contradiction appa rente : c'est que la Civilisation tombe en déclin par la naissance de l'Art nautique, qui estpourtant l'âme des progrès sociaux . Voyez le sens du mot déclin , p. 133 , où j'explique comment la Période sociale peut dé cliner par les progrès des facultés sociales. Sous le nom d'Art nautique j'entends la grande na vigation qui peut s'étendre à parcourir et régir le globe. Cet art, qui est le plus beau trophée de l'esprit humain , n'est pas convenable à la Civilisation , mais seulement à la 6 ° Période et aux suivantes. Si la so ciété civilisée s'élève à un tel degré de science , c'est pour son malheur ; elle embrasse plus qu'elle ne peut porter. En effet, l'Art nautique produit parmi nous le Monopole insulaire et autres calamités qui ne pour raient pas avoir lieu en 6º Période ; dès lors cet ex cès de connaissances nous devient funeste , comme la nourriture la plus saine peut nuire à la santé de 328 TROISIÈME PARTIE. celui qui en prend outre mesure. Or , le terme assigné aux facultés civilisées, c'est la petite navigation ; il eût fallu passer en 6º Période avant d'organiser la grande Navigation, car elle engendre parmi nous une multitude d'orages sociaux d'où naissent les 3º et 4° phases, le déclin et la caducité de la Période. Chacune des quatre phases de Civilisation a son terme de plénitude ou apogée, comme la Période en tière a le sien. Il est évident que la 3 phase est au [ delà du ] plein , puisque nous voyons régner exclusi vement le Monopole insulaire et toutes les calamités comme banqueroute , agiotage , accaparement , etc. , qu'engendre la Politique mercantile. Nota. Ce tableau abrégé de Mouvement progressif, n'a aucun rapport avec le Mouvement mécanique, qui représenterait le sys tème de la contremarche passionnée en ordre composé , les seize manœuvres de caractères ou développements de passions en ordre nverse. Il indiquerait leurs points de rencontre et de déchire ment méthodique , par collision , conflit et divergence ; puis la diffraction des sept primitives et leur formation en Séries récur rentes ; enfin la grande bataille rangée des Passions. Jedis grande bataille; car, quoique les Passions se déchirent constamment dans les cinq Sociétés à ménages isolés ; cependant leur choc pré sente en Civilisation des manœuvres plus compliquées et plus curieuses que dans aucune autre Période. Aussi le Mécanisme ci vilisé est-il la plus belle horreur politique qu'il y ait dans l'uni vers, car c'est un renversement complet de l'Ordre combiné qui est la plus savante combinaison de Dieu. Remarquons que, dans les trois phases de Civilisa tion déjà parcourues, la Philosophie ne coopéra ja mais aux progrès sociaux dont elle s'arroge le mé diocre honneur; elle fut toujours PASSIVE à l'égard du Mcuvement social ; j'en ai déjà donné quelques indices que je rassemble. INTERMEDE. 329 re 1гe Phase. Elle est engendrée par les concessions des Droits civils à l'épouse . C'est de quoi les anciens philosophes , tels que Confucius et ceux de l'Égypte. ou de l'Inde , ne s'inquiétèrent jamais ; ils ne manifes tèrent pas même l'intention d'améliorer le sort des femmes. Les dames anciennes avaient encore moins de liberté que les nôtres ; elles ne partageaient point les divers droits amoureux , comme celui de répudia tion , et les moralistes étaient indifférents , comme au jourd'hui , à leur bien-être. 2e2º Phase. La Civilisation y entra par l'adoucisse ment de l'Esclavage. On a vu que cette amélioration fut l'effet de la Féodalité nobiliaire , qui fournit aux cultivateurs des moyens d'affranchissement collectif et progressif. En attachant les serfs à la glèbe et non à l'individu , elle fait tourner à leur avantage les fai blesses de chaque seigneur ; et la communauté pouvant obtenir telle concession de l'avarice du père , telle autre de la bienfaisance du fils , s'élève pas à pas à la liberté. C'est un procédé dont les anciens philosophes n'avaient encore aucune idée . 3 Phase. Elle s'est développée par l'influence de la Politique commerciale, née des monopoles coloniaux . Cette influence n'avait point été prévue par les philo sophes , et ils n'ont inventé aucun moyen de la ba lancer , ni même de l'attaquer dans sa branche la plus vexatoire , qui est le Monopole insulaire . Ils ne se sont entremis dans la Politique commerciale que pour en prôner les vices au lieu de les combattre , ainsi que je le démontrerai plus loin . 4 Phase. La Civilisation y tendait par l'influence des . 330 TROISIÈME PARTIE . Maîtrises en nombre fixe , qui , à l'abri d'un privilège, excluent les prétendants les mieux fondés et ferment l'accès conditionnel au travail. De telles compagnies recèlent le germe d'une vaste Coalition féodale, qui envahirait bientôt tout le système industriel et finan cier , et donnerait naissance à la Féodalité commer ciale. C'est ce que les philosophes étaient loin de pré voir, et tandis qu'ils sont tout infatués de l'Esprit mer cantile, dont ils ont si peu prévu l'influence , déjà se préparent des évènements qui changeraient cette Po litique et nous feraient dégrader en 4º phase de Civi lisation. Mais ces sophistes ne s'attachent pas à prévoir les orages futurs ; ils ne voient le Mouvement social qu'en sens rétrograde et ne s'occupent que du passé et du présent. Aujourd'hui que l'Esprit mercantile est domi nant , ils décideront , selon leur usage , que l'état ac tuel des choses est le perfectionnement de la raison. Ils se borneront à pérorer sur ce qu'ils voient , sans présumer que l'Ordre civilisé puisse prendre de nou velles formes. Et lorsque la Civilisation arriverait dans la suite à sa 4º phase, lorsque la Féodalité commerciale serait pleinement établie , on verrait les philosophes inter venir après coup pour former à ce sujet une nouvelle coterie de controverse ; on les verrait prôner les vices de 4º phase et vendre des torrents de volumes sur ce nouvel. Ordre , dans lequel ils placeraient encore le perfectionnement de la perfectibilité , comme ils le pla cent aujourd'hui dans l'Esprit mercantile. 3MB DEMONSTRATION. DE LA LICENCE COMMERCIALE, DE SES VICES CONNUS ET DE SES DANGERS INCONNUS. INTRODUCTION. Nous touchons à l'endroit sensible de la Civilisation; c'est une pénible tâche que d'élever la voix contre la folie du jour, contre des chimères qui sont en pleine vogue. Parler aujourd'hui contre les ridicules commer ciaux, c'est s'exposer à l'anathème, comme si l'on eût parlé au XIIe siècle contre la tyrannie des Papes et des Barons. S'il fallait opter entre deux rôles dangereux, j'estime qu'il y aurait moins de risque à offenser un Souverain par de fâcheuses vérités qu'à offenser le Gé nie mercantile qui règne en despote sur la Civilisation et sur les Souverains mêmes. Ce n'est jamais au plus fort de l'engouement qu'on porte des jugements sains en affaires sociales , témoins les systèmes commerciaux ; une légère analyse va prouver qu'ils dépravent et désorganisent en tous sens la Civilisation, et qu'en matière de commerce, comme en toute autre, on s'égare de plus en plus sous les aus pices des Sciences incertaines . La controverse commerciale ne date guère que d'un 332 TROISIÈME PARTIE. i demi-siècle, et ses auteurs ont déjà fourni des milliers de volumes sans s'apercevoir que le Mécanisme du commerce est organisé à rebours du sens commun. Il subordonne le Corps social à une classe d'agents para sites et improductifs, qui sont les Négociants. Toutes les classes essentielles, le propriétaire , le cultivateur, le manufacturier, et même le Gouvernement , se trou vent maîtrisées par une classe accessoire, par le Négo ciant, qui devrait être leur inférieur, leur agent com missionné, amovible et responsable, et qui pourtant dirige et entrave à son gré tous les ressorts de la cir culation. Telle est la thèse sur laquelle je disserterai ; j'éta blirai qu'en bonne Politique le Corps commercial doit être solidaire et assureur de lui-même, et que le Corps social doit être assuré contre les Banqueroutes, l'Agio tage, l'Accaparement , l'Usure , les Déperditions, et au tres désordres qui naissent du système actuel ; système qui aurait dû exciter depuis longtemps l'indignation de tous les écrivains politiques , s'ils avaient pour les bonnes mœurs l'ombre du respect dont ils font parade. Je ne veux dans ce premier Mémoire que préluder à la question, signaler les scandales qui attestaient notre égarement et qui excitaient à la recherche d'un Mode d'Échange moins vicieux que le Mode actuel, qu'on appelle la Libre Concurrence. Il est pour l'Échange comme pour toute autre rela tion un procédé affecté spécialement à chaque Pé riode ; par exemple : En 4 Période ( ou Barbarie) , la vente forcée, les maximations, tarifs , etc.; CONFIRMATION. 333 En 5 Période (ou Civilisation) , la libre Concurrence, l'indépendance du marchand ; En 6 Période ( ou Garanties ) , la Concurrence socié taire, la solidarité et subordination du corps commer cial aux intérêts des producteurs, des manufacturiers, cultivateurs et propriétaires. Il est pour les diverses Périodes d'autres procédés dont je ne donne pas le tableau , ne voulant parler que du 6º procédé, de la Concurrence sociétaire , qui est compatible avec nos usages, et qui est déjà aussi pré férable au commerce libre que celui-ci est préférable aux maximations, tarifs et autres usages de 4e Période ou Barbarie. d C'est ici un débat que je traiterai en Civilisé comme si les lois du Mouvement n'étaient pas inventées ; ou blions pour un moment leur découverte, et raisonnons comme s'il ne s'agissait que de chercher un remède aux désordres commerciaux de la Civilisation . Voyons quelle marche auraient dû suivre , dans cette circon stance, les économistes , qui s'attribuent la compétence en affaires mercantiles. Dans le cours de la discussion qui va suivre, j'aurai lieu d'exprimer des opinions peu flatteuses pour le Commerce en général ; mais j'ai observé déjà qu'en critiquant une profession je ne critique pas les indivi dus qui l'exercent. Quiconque déclame contre les ma nœuvres des agioteurs , des procureurs ou autres, les surpasserait peut- être en avidité s'il était à leur place ; on ne doit jamais blâmer les passions des individus , mais blâmer seulement la Civilisation qui , n'ouvrant aux passions que les routes du vice pour se satisfaire, 334 TROISIÈME PARTIE. force l'homme à pratiquer le vice pour arriver à la for tune, sans laquelle il n'est point de bonheur. S La digression sera divisée comme il suit : 1º Origine de l'Economie politique et de la contro verse mercantile ; 2º Spoliation du corps social 3º 4º · • · · I. · 5º 6º Décadence de la Civilisation par l'esprit commer cial qui la conduisait en 4º phase (¹ ) . par la Banqueroute ; par l'Accaparement ; par l'Agiotage; par la Déperdition ; ORIGINE de l'Économie politique et de la Controverse mercantile. C'est ici un sujet vraiment digne de l'Epopée. Muse, redis-nous les exploits de ces Novateurs audacieux qui ont terrassé l'antique Philosophie ; une Secte sortie tout à coup du néant, les Economistes ont osé attaquer les dogmes révérés de la Grèce et de Rome. Les vrais modèles de la vertu , les Cyniques , les " Stoïciens ", tous les illustres amants de la Pauvreté et de la Médio crité, sont en déconfiture, et plient devant les Econo mistes, qui combattent pour la cause du Luxe. Ledivin Platon , le divin Sénèque sont chassés de leurs trônes ; le brouet noir des Spartiates, les raves de Cincinna (1 ) [ Le Traité des crimes du Commerce en définira 32 ; je n'en décri rai que 4 ; ayant voulu sur ce sujet comme sur tout autre me borner à des aperçus, conformément à mon titre de Prospectus. ] CONFIRMATION. 335 tus, la souquenille de Diogène, tout l'arsenal des Mo ralistes est frappé d'impuissance, tout fuit devant des Novateurs impies qui permettent l'amour du faste, de la bonne chère et des plus vils métaux, tels que l'or et l'argent. C'est en vain que les Jean-Jacques et les Mably ont défendu courageusement l'honneur de la Grèce et de Rome. Vainement ont-ils représenté aux Nations les vérités éternelles de la Morale : « que la pauvreté est << un bien, qu'il faut renoncer aux richesses et embras « ser sans délai la Philosophie ( ¹ ) . » Inutiles remon trances ! rien n'a pu résister au choc des nouveaux dogmes : le siècle corrompu ne respire que traités de commerce et balances de commerce par sous et de niers ; les drapeaux du Portique et du Lycée sont dé sertés pour les Académies de Commerce et les Sociétés d'amis du Commerce ; enfin , l'irruption des Écono mistes a été pour les Sciences incertaines une autre journée de Pharsale , où la sagesse d'Athènes et de Rome , et toute la belle Antiquité , ont essuyé une irréparable défaite. (1) Ce sont les propres paroles de Sénèque, de l'homme aux 80 mil lions. Il veut qu'on se défasse des richesses à l'instant ; il ne donne point de délai. « Qu'attendez - vous? dit-il , ne remettez point à demain; abandonnez vos richesses aujourd'hui même, pour vous livrer à la < Philosophie. >> a s Voilà les jongleries qui ont occupé la Civilisation pendant 2,000 ans ; ces sornettes ont passé pour de la sagesse. Aujourd'hui l'on sent le ri dicule de ces savantas qui nous conseillent « de jeter les richesses per fides dans le sein des mers avides. » (J.-B. Rousseau. ) Eh bien ! ces faiseurs de phrases ne sont pas encore les plus ridicules ; il est des his trions plus ineptes et plus coupables ; c'est la coterie des Économistes, d'autant plus dangereuse qu'elle s'affuble d'un masque de raison. " 336 TROISIÈME PARTIE. Humainement parlant, la Civilisation a changé de phase : elle a passé de la 2ª à la 3º où l'esprit commer cial domine et régit exclusivement la Politique (p.326) . Ce changement est né des progrès de l'Art nautique et des Monopoles coloniaux. Les philosophes qui in terviennent toujours après coup dans le Mouvement social, se sont rangés à l'opinion du siècle et ont com mencé à prôner l'esprit commercial quand ils l'ont vu dominant ; de là est née la secte des Économistes et avec eux la controverse mercantile : A quel propos les philosophes se ravisent-ils après tant de siècles, et viennent-ils s'immiscer dans les af faires commerciales , objet de leur antique dédain ? ils n'avaient cessé dans la belle Antiquité de persifler le Commerce. Alors tous les écrivains tournaient en dé rision les marchands et répétaient avec Horace que la Science du Commerce se réduit à savoir : 46 Cent francs au denier vingt, combien font-ils ? cinq livres ! Cependant on avait vu par l'influence de Tyr et de Carthage que la puissance commerciale pourrait maî triser un jour la puissance agricole et influencer tout le système administratif. Mais la chose n'était pas en core arrivée, donc elle ne devait jamais arriver. Telle est la règle des jugements de la Philosophie , elle ne voit le Mouvement social qu'en sens rétrograde ; aussi les générations futures représenteront-elles la Politi que civilisée avec une tête placée à rebours et ne voyant qu'en arrière. " Jusqu'au milieu " du 18e siècle , les Sciences in CONFIRMATION. 337 certaines ont entretenu fort tard l'antique prévention qui dévouait le Commerce au mépris ; témoin l'esprit qui régnait en France en 1788. Alors les écoliers dans leurs disputes disaient quelquefois à un adversaire : fils de marchand; et c'était une cruelle injure. Telle était l'opinion dans les provinces ; l'esprit mercantile était relégué dans les ports et les capitales où résident les hauts banquiers et les hauts tripotiers. Ce ne fut [guère ] qu'en 1789 que les marchands furent tout à coup transformés en demi- dieux, et que la cabale scientifique se rangea hautement de leur parti et les exalta comme des instruments utiles à ses desseins (¹ ) . Le Commerce dans son origine fut donc méprisé et méconnu des philosophes , [ qui aujourd'hui même le connaissent si peu qu'ils le confondent avec la classe utile des manufacturiers. Le Commerce ] n'a conquis les hommages de ces savants que lorsqu'il a été en plein triomphe, comme les traitants qui ne commen cent à être prônés que lorsqu'ils paraissent en voiture à six chevaux ; alors les orateurs célèbrent leurs ver tus et grugent leurs bons repas . C'est ainsi que la phi losophie s'est comportée à l'égard de l'esprit commer cial ; elle ne l'a cajolé que lorsqu'il a été sur le pinacle ; auparavant elle ne le jugeait pas même digne d'atten tion. L'Espagne, le Portugal, la Hollande et l'Angle terre exercèrent longtemps le monopole commercial, sans que la philosophie songeât ni à les louer ni à les (1) [ Zaïre dédiée à marchand. ] — Cette pièce a effectivement été dédiée par Voltaire à M. Falkener , négociant anglais, " depuis ambassa deur à Constantinople. La dédicace est de 1732. ) ( Note des Editeurs. ) 15 338 TROISIÈME PARTIE. blâmer. La Hollande avait su faire son immense for tune sans demander aucune lumière aux Économistes ; leur secte n'était pas encore née, quand les Hollandais amoncelaient déjà des tonnes d'or. Les philosophes à cette époque étaient encore tout occupés à fouiller dans la belle Antiquité, ou à " s'immiscer" dans les querelles religieuses. Enfin ils s'aperçurent que cette nouvelle politique de Commerce et de Monopole pouvait donner matière à remplir de gros livres et mettre en crédit une nou velle coterie ; ce fut alors qu'on vit la philosophie accoucher des sectes d'Économistes, qui malgré leur récente origine ont déjà entassé honnêtement de volu mes et promettent d'égaler en nombre les tomes de leurs devanciers . Selon l'usage de tous les sophistes , ces nouveaux ve nus ont embrouillé la matière autant que possible, afin d'alimenter la controverse et de vivre aux dépens de ceux qui les lisent . On peut dire que les Économistes, loin d'avoir rien découvert, ne savent pas encore de quoi ils traitent; car, sur les questions les plus impor tantes, comme sur les limites à assigner à la popula tion, ils avouent que leur science n'a pas de principes fixes . Elle ne donne donc pas de résultats fixes, et dès lors on ne voit guère à quoi elle peut servir ; mais cela n'importe aux auteurs les presses gémissent , les livres se vendent, et le but philosophique est rempli. On pourrait demander aux Economistes si leur in tention est de diminuer ou d'augmenter les fléaux po litiques, tels que l'accroissement des impôts, l'empiète ment des gens de chicane, l'augmentation des armées, CONFIRMATION. 339 les progrès de la banqueroute et de la " fiscalité ", etc. Il est hors de doute que tous ces fléaux n'ont jamais augmenté si rapidement, que depuis la naissance des théories économiques ; n'aurait- il pas mieux valu que la science eût fait moins de progrès, et le mal aussi ? Quels intérêts ont pu décider les philosophes , ces fougueux apôtres de la vérité, à se ranger, au XVIIIe siè cle, sous les drapeaux du mensonge, c'est- à-dire du Commerce? Car qu'est-ce que le Commerce? c'est le mensonge avec tout son attirail , banqueroute, agio tage, usure et four beries de toute espèce. La philoso phie moderne passe l'éponge sur tous ces scandales ; indiquons les causes d'une telle impudeur, appliquons à la conduite de ces savants les méthodes analytiques qu'ils veulent appliquer partout. En se décidant à prôner le Commerce ils n'ont con sidéré que le poids de l'or, l'énormité et la rapidité des fortunes mercantiles , l'indépendance attachée à cet état qui est le plus libre et le plus favorable aux dé veloppements de l'ambition , l'air de haute spéculation répandu sur de viles manoeuvres que le dernier lour daud peut concevoir et diriger au bout d'un mois ( si on les lui enseigne, car on n'enseigne rien dans le commerce ) ; enfin, le faste des agioteurs et accapareurs qui rivalisent avec les grands de l'Etat. Tout cet éclat a ébloui les savants, réduits à tant de veilles et d'intri gues avant de gagner quelques écus, avant d'obtenir quelque avilissante protection . Ils ont été étourdis , désorientés à l'aspect des Plutus commerciaux ; ils ont hésité entre la flagornerie et la critique. Enfin le poids de l'or a emporté la balance ; ils sont devenus définiti 340 TROISIÈME PARTIE. vement les très humbles valets des marchands et les admirateurs de la science mercantile qu'ils avaient tant persiflée. Eh! comment ne pas admirer ces agioteurs , ces hommes qui, · Sachant pour tout secret , Cinq et quatre font neuf , ôtez deux , reste sept. BOILEAU. " parviennent, avec une telle science , à acquérir un pa lais dans la ville où ils étaient arrivés en sabots ? On les voit dans les capitales mener un train de vie splendide à côté des savants que dévore la misère ; un philosophe admis dans le salon d'un agioteur s'y trouve à table entre le courtisan et l'ambassadeur . Quel parti prendre en pareil cas, sinon de vanter les Saints dujour ? Car, enCivilisation, l'on ne fait pas son chemin avec des vérités , et voilà comment les philosophes , tout en nourrissant une haine secrète contre le Commerce, ont pourtant fléchi devant le veau d'or, et n'osent écrire une page sans faire retentir les louanges du Commerce immense et de l'immense Commerce. Ils avaient tout à gagner en l'attaquant; ils pouvaient recouvrer la considération et réparer leurs échecs en dénonçant les brigandages du Commerce qu'ils mépri sent en secret, autant que le Commerce les méprise. L'analyse de ces brigandages démontrera que le corps des négociants ( il faut se garder de les confondre avec lesmanufacturiers) n'est dans l'Ordre social qu'une troupede pirates coalisés, qu'une nuée de vautours qui CONFIRMATION. 341 dévorent l'industrie agricole et manufacturière, et as servissent en tous sens le corps social. Soit dit sans les critiquer individuellement : ils igno rent eux-mêmes la malfaisance de leur profession ; et quand ils la connaîtraient, peut-on blâmer aucun spo liateur en Civilisation , puisque cette Société est le jeu des dupes et des fripons ; vérité déjà trop connue et dont on va acquérir une nouvelle preuve dans les cha pitres suivants. II. SPOLIATION du corps social par la Banqueroute. Quand un crime devient très fréquent on s'habitue à le voir sans aucune émotion. Dans l'Italie ou l'Espagne on voit très froidement un sicaire poignarder la vic time désignée et jouir de l'impunité en se retirant dans une église. En Allemagne et en France, où le ca ractère national est ennemi de la trahison , un tel as sassin exciterait tant d'horreur qu'il serait peut- être mis en pièces par le peuple avant que la justice se fût saisie de lui. Combien voit-on d'autres crimes dominants chez une nation , et abhorrés chez la nation voisine ! En Ita lie, on voit les pères mutiler et assassiner leurs enfants pour leur perfectionner la voix ; les ministres d'un Dieu de paix encouragent ces cruautés en affectant au service des autels ces malheureuses victimes de l'avi 342 TROISIÈME PARTIE. dité paternelle. Voilà encore des abominations qui excitent l'horreur de toute autre nation civilisée. Vous trouverez de même chez les Français, Alle mands, Russes et Anglais, d'autres coutumes révol tantes qui soulèveront l'esprit des Italiens ou des Es pagnols ; témoin la coutume des Anglais qui mènent leur femme au marché, la corde au cou, pour la mettre en vente, et tant d'autres usages grossiers de cette na tion [dont la populace est ] plus sauvage que civilisée, ne fût-ce que leur habitude d'insulter et molester les étrangers, qui sont souvent plus respectés par les sau vages que par la populace de Londres et les habitants des provinces d'Angleterre . Si les coutumes et les opinions dans l'Ordre civilisé sont si différentes de nation à nation , combien doivent elles différer de Société à Société, et combien les vices tolérés en Civilisation sembleraient- ils odieux dans des Sociétés moins imparfaites ! Dans la 6 ° (Garantisme) , qui est encore loin de la perfection , l'on aurait déjà peine à croire que des Empires qui se disent policés , et qui ont des théories sur la propriété et la justice, aient pu tolérer un instant des abominations comme la Banqueroute. La Banqueroute est la friponnerie la plus ingénieuse et la plus impudente qui ait jamais existé ; elle assure à tout négociant la faculté de voler au public une somme proportionnée à sa fortune ou à son crédit , de sorte qu'un homme riche peut se dire : Je m'établis commerçant en 1808 ; je veux , à pareil jour en 1810 , voler tant de millions à qui il appartiendra. , Laissons à part un incident actuel , le nouveau Code CONFIRMATION. 343 français, d'après lequel on se promet de réprimer la Banqueroute. Comme les opinions ne s'accordent point sur cette espérance et qu'on indique déjà les moyens d'éluder les nouvelles lois , attendons que l'expérience en ait décidé ( si toutefois la Civilisation se prolonge assez longtemps pour une pareille épreuve ) , et provi soirement raisonnons sur ce qui nous est connu, sur les désordres causés par le système philosophique, par le principe : «< Laissez aux commerçants une entière li <« berté, sans exiger aucune garantie sur la prudence, << la probité et la solvabilité de chacun d'entre eux. nony De là est née , entre autres abus, la Banqueroute, vol bien plus odieux que le vol de grand chemin ; on s'est pourtant habitué à la tolérer, à tel point qu'on recon naît des Banqueroutes honnêtes , celles où le spéculateur n'enlève que moitié : en voici un exemple. Le banquier Dorante, possesseur de 2 millions , veut arriver promptement à 4 ou 5 millions par des voies quelconques. Il obtient sur sa fortune connue des cré dits montant à 8 millions en lettres de change, den rées, etc.; il peut alors jouer sur un fonds de 10 mil lions. Il entreprend la haute spéculation, le tripotage des denrées et effets publics . Peut-être qu'au bout de l'année, au lieu d'avoir doublé les 2 millions qu'il possède, il les aura perdus ; vous le croiriez ruiné ; point du tout: il va posséder 4 millions , comme s'il avait réussi ; car il lui reste en main les 8 millions obtenus à crédit, et, au moyen d'une honnête faillite, il accom mode pour en payer la moitié dans quelques années. C'est ainsi qu'après avoir perdu les 2 millions de son patrimoine il se retrouve possesseur de 4 millions en ་ 344 TROISIÈME PARTIE . levés au public. La belle chose que cette liberté com merciale ! et concevez-vous à présent pourquoi l'on entend dire chaque jour d'un négociant : Il est bien à son aise depuis safaillite? Autre chance pour le banqueroutier : Dorante , après son larcin de 4 millions , conserve pleinement l'honneur et l'estime publique, non pas à titre d'heu reux larron , mais à titre de négociant malheureux. Expliquons ceci . Dorante, en préméditant sa Banqueroute, s'est em paré de l'opinion ; ses fêtes à la ville et à la campagne lui ont formé de chauds partisans ; la brillante jeu nesse est pour lui ; les belles s'apitoient sur son MAL HEUR ( malheur est aujourd'hui le mot synonyme de Banqueroute ) ; on vante son noble caractère si digne d'un meilleur sort . Il semble , à entendre les apologistes d'un banqueroutier, qu'il est plus malheureux que ceux mêmes dont il emporte la fortune. Toute la faute est rejetée sur les évènements politiques , les circonstances désastreuses , etautres verbiages familiers aux notaires, qui excellent à soutenir une charge de créanciers irri tés. Après le premier choc, Dorante fait intervenir . quelques entremetteurs, quelques rouleaux distribués à propos, et bientôt l'opinion est circonvenue à tel point qu'on accuserait de cannibale celui qui parlerait contre Dorante. Au surplus , ceux à qui il enlève les plus fortes sommes sont à 100 ou 200 lieues de là , dans Hambourg ou Amsterdam ; ils se calmeront avec le temps ; peu importe leurs clabauderies lointaines n'influent en rien sur l'opinion de Paris . D'ailleurs Dorante ne fait perdre que moitié, et l'usage a décidé CONFIRMATION. 345 que celui qui ne fait perdre que moitié est plus mal heureux que coupable ; ainsi Dorante est lavé dans l'esprit public dès le premier moment. Au bout d'un mois l'opinion est distraite par d'autres banqueroutes qui font plus de sensation , et qui offrent deux tiers ou trois quarts de perte . Nouveau lustre pour Dorante, qui n'a enlevé que moitié ; au surplus , c'est une affaire an cienne, oubliée. Déjà la maison de Dorante se rouvre petit à petit au public, son cuisinier règne de nouveau sur les esprits et confond les cris de certains créan ciers atrabilaires , qui n'ont aucun égard pour le MAL HEUR , aucun usage des ménagements dus à la bonne compagnie. C'est ainsi que se termine en moins de six mois l'opé ration par laquelle Dorante et ses semblables volent des millions au public, ruinent des familles dont ils ont les dépôts, et entraînent les négociants probes à une banqueroute qui les assimile aux fripons. La Banque route est le seul crime social qui se propage épidémi quement, et qui précipite l'honnête homme dans le même opprobre que le fripon . L'honnête négociant, qui essuie des Banqueroutes de la part de vingt fri pons est à la fin forcé de faire faillite comme eux . - De là vient, que les banqueroutiers fripons, qui com posent les neuf dixièmes de la clique, se donnent tous pour d'honnêtes gens qui ont eu des malheurs et s'é crient en chorus : Je suis plus à plaindre qu'à blâmer. Ales entendre ils sont tous de petits saints, comme les galériens, qui tous prétendent n'avoir fait aucun mal . Sur ce, les partisans de la licence commerciale par leront de lois répressives, de tribunaux ; vraiment oui ! 15. 316 TROISIÈME PARTIE . des tribunaux contre des gens qui enlèvent plusieurs millions d'un seul coup ! Le dictum qui prétend que la justice n'atteint que les petits voleurs, se trouve faux en affaires de commerce ; la Banqueroute, même la plus petite , échappe aux poursuites de l'autorité sous l'égide des commerçants mêmes. Voici le fait. Scapin, petit boutiquier, fait une petite banqueroute de 40,000 livres seulement ; il détourne 30,000 livres, qui feront le bénéfice de l'opération ; puis il présente aux créanciers un restant de 10,000 livres. Si on lui demande le compte des 30,000 livres de déficit, il ré pond qu'il ne sait pas tenir des livres comme les gros marchands, et qu'il a eu DES MALHEURS. Vous croiriez qu'on va punir Scapin parce que c'est un petit voleur qui n'emporte que 30,000 livres ; mais les créanciers ignorent-ils que, si la justice intervient, elle mangera les 10,000 livres restantes ? elle n'en fera qu'un déjeu ner. Après les 10,000 livres consommées, il n'y aura rien de décidé, et si l'on veut faire pendre Scapin, il faudra peut- être débourser autres 10,000 livres, sans être sûr de réussir. Il vaut donc mieux prendre la mo dique somme de 10,000 livres que d'en débourser en core autant. Scapin fait valoir cet argument par l'en tremise du notaire, de sorte que c'est le banqueroutier même qui menace de la justice ses créanciers. Eh! pour quoi les créanciers de Scapin séviraient- ils contre lui? les uns songent à imiter son noble exemple, les autres l'ont précédé dans la carrière. Or, comme les loups ne se mangent pas entre eux, Scapin trouve bientôt un certain nombre de signataires qui adhèrent à ses pro CONFIRMATION. 347 positions ; d'autres signent par la peur de voir interve nirlaJustice qui ne laisserait rien ; d'autres sont plus ré calcitrants et parlent de sacrifier le tout, pour envoyer un coquin aux galères . Alors Scapin leur députe sa femme et ses enfants, qui demandent grâce avec des hurlements étudiés ; c'est ainsi que Scapin et son no taire obtiennent en peu de jours la majorité des signa tures ; après quoi l'on se moque des refusants, dont on n'a plus besoin. On rit de leur colère, Scapin y répond par de douces paroles et de profonds saluts, et déjà il médite une seconde banqueroute , vu l'heureux succès de la première. En vain citerait- on quelques banqueroutiers fraudu leux qui ont été punis ; sur 100 , il en est 99 qui réussis sent, et si le 100e échoue, c'est sans doute un oison qui n'a pas su conduire l'intrigue , car l'opération est tellement sûre aujourd'hui qu'on a renoncé tout-à-fait aux anciennes précautions. Autrefois le banqueroutier s'enfuyait à Trente, Liége ou Carouge ; cet usage est tombé depuis la régénération de 1789 ; chacun est re venu aux banqueroutes en famille ; on prépare tran quillement l'affaire, et lorsqu'elle éclate on s'en va passer un mois à la campagne, dans le sein de ses pro ches et amis; le notaire accommode tout dans l'inter valle. On reparaît après quelques semaines, et le pu blic est tellement habitué à cette équipée qu'elle est traitée de gentillesse ; cela s'appelle faire ses couches, et l'on dit très froidement : Voilà un tel qui relève de couches. J'ai observé que la Banqueroute est le seul crime social qui soit épidémique, et qui entraîne forcément 348 TROISIÈME PARTIE. l'homme probe à imiter le fripon . Je citerai pour exemple une banqueroute en feu de file . Il y a des ban queroutes de plus de cent espèces , tant la raison est perfectionnée par la philosophie moderne. Banqueroute en feu de file . Le juif Iscariote arrive en France avec 100,000 livres de capitaux , qu'il a gagnées dans sa première banqueroute ; il s'établit marchand dans une ville où il a pour rivales six maisons accré ditées et considérées . Pour leur enlever la vogue, Isca riote débute par donner toutes ses denrées au prix coûtant; c'est un moyen sûr d'attirer la foule . Bientôt les rivaux d'Iscariote jettent les hauts cris ; celui- ci sourit de leurs plaintes, et continue de plus belle à donner les denrées au prix coûtant. Alors le peuple chante merveille : Vive la Concur rence ! vivent les Juifs , la philosophie et la fraternité ! Toutes les denrées ont baissé de prix depuis l'arrivée d'Iscariote , et le public dit aux maisons rivales : « C'est <« vous, messieurs , qui êtes les véritables juifs et qui << voulez trop gagner ; Iscariote seul est un honnête homme ; il se contente d'un bénéfice modique, parce qu'il n'a pas un ménage aussi splendide que les vô << tres. » Vainement les anciens commerçants repré sentent-ils qu'Iscariote est un fripon déguisé, qui fera tôt ou tard Banqueroute ; le public les accuse de jalou sie et de calomnie , et court de plus en plus chez l'Israélite . «<< Voici le calcul de ce larron : En vendant au prix coûtant, il ne fait d'autre perte que celle de l'intérêt de ses fonds, soit 10,000 livres par an, mais il se forme un débouché considérable, il se fait dans les ports une CONFIRMATION. 349 renommée de gros consommateur, et il obtient un grand crédit pour peu qu'il soit exact dans ses paie ments. Ce manège continue pendant deux ans, au bout desquels Iscariote n'a rien gagné, tout en vendant énormément. Sa manœuvre n'est point divulguée, parce que les Juifs n'ont chez eux que des employés juifs, gens qui sont ennemis secrets de toutes [ les ] na tions et ne décèlent jamais une friponnerie préméditée par quelqu'un d'entre eux. Quand tout est prêt pour le dénouement , Iscariote use de tout son crédit, donne d'amples commissions dans tous les ports, pour la somme de 500 à 600 mille livres, achetées à terme. Il dirige ses denrées sur le pays étranger et vend à vil prix ce qui se trouve dans ses magasins. Enfin , quand il a fait argent de tout, l'honnête Iscariote disparaît avec son portefeuille, et retourne en Allemagne où il a acheminé ses denrées achetées à crédit. Il les réalise promptement, et se trouve au sortir de France quatre fois plus riche qu'il n'était en y entrant ; il est possesseur de 400 mille li vres, et s'en va à Livourne, à Londres, préparer une troisième banqueroute. C'est alors que le voile tombe et qu'on revient au bon sens dans la ville où il a fait le coup. On recon nait le danger d'admettre au commerce les Juifs , les vagabonds qui ne tiennent à rien. Mais cette banque route d'Iscariote n'est que le premier acte de la farce ; suivons les résultats , voyons le feu de file . II Y avait six maisons rivales de l'Israélite ; nom mons-les A, B, C, D, E, F. A. était depuis longtemps gêné ; il se soutenait sans 350 TROISIÈME PARTIE . fortune et sur sa bonne renommée ; mais l'arrivée d'Is cariote lui ayant enlevé toute sa consommation , il n'a pu fournir qu'un an de lutte, après quoi il a perdu cou rage, et, ne concevant rien à ces nouveaux systèmes philosophiques qui protègent les vagabonds, A. se voit forcé à plier devant la tactique d'Iscariote et à faire Banqueroute. B. a soutenu plus longtemps le choc ; il prévoyait de loin la friponnerie d'Iscariote, et il attendait que cet orage fût passé pour rétablir sa consommation enle vée par le fourbe Israélite. Mais , dans l'intervalle , B. éprouve une forte banqueroute au dehors ; c'en est assez pour accélérer sa chute ; il croyait pouvoir tenir deux ans , et au bout de quinze mois il est forcé à faire Banqueroute. C. était en société avec une maison du dehors qui se trouve ruinée par un autre Iscariote ( car il s'en établit dans toutes les villes) ; C. est entraîné par la chute de son associé, et, après avoir fait pendant dix-huit mois des sacrifices pour soutenir la concurrence du voleur hébraïque, C. se voit forcé à faire Banqueroute. D. avait une probité plus apparente que réelle . Il lui reste des moyens de se soutenir, malgré qu'il souffre de puis vingt mois de la concurrence du Juif; mais, irrité par les pertes qu'il éprouve, il se laisse aller au vice dont tout lui donne l'exemple. Il observe que trois de ses confrères ont ouvert la marche, et que lui qua trième passera dans le nombre, en prétextant des malheurs fictifs ou réels . D'après cela, D. ennuyé d'une lutte de vingt mois contre Iscariote, ne voit rien de plus prudent que de faire Banqueroute. CONFIRMATION. 351 E. avaitprêté de fortes sommes à ses quatre con frères qui viennent de faillir. Il les croyait très solva bles, et véritablement ils l'étaient avant que la ma nœuvre d'Iscariote leur eût enlevé leur industrie . E. se trouve au dépourvu par la faillite de ces quatre mai sons; en outre il n'a plus de consommation : tout le public court chez Iscariote qui vend à prix coûtant. E. voit ses moyens anéantis, son crédit altéré ; on le presse, et, ne pouvant plus satisfaire à ses engage ments, il finit par faire Banqueroute. F. , sans manquer de moyens, se trouve décrédité dans tous les ports de mer par la faillite des cinq précé dents ; leur exemple fait soupçonner que F. ne tardera pas à imiter ses confrères. D'ailleurs quelques-uns d'entre eux qui ont terminé l'accommodement, vendent à très vil prix pour faire face aux premières échéances de leur contrat. Voulant accélérer leur vente, ils per dent un dixième et gagnent pourtant quatre dixiè mes, puisqu'ils ont accommodé à moitié de perte . F. se trouve écrasé par cette circonstance et réduit à faire, comme tous ses confrères, Banqueroute. C'est ainsi que l'établissement d'un vagabond ou d'unJuif suffit pour désorganiser en entier le corps de marchands d'une grande ville et entraîner les plus honnêtes gens dans le crime ; car toute banqueroute est plus ou moins criminelle, quoique fardée de pré textes spécieux comme ceux dont j'ai coloré ces six banqueroutes , et dans tous ces prétextes il n'y a pres que rien de vrai. Le fin mot est que chacun saisit ha bilement les occasions d'exercer un larcin qui de meure impuni. Si à la Banqueroute on ajoute l'Agiotage 352 TROISIÈME PARTIE. et tant d'autres infamies qui sont le fruit des théories philosophiques, on se rangera facilement à l'opinion que j'ai précédemment émise : c'est que les Civilisés n'ont jamais commis tant d'inepties politiques que de puis qu'ils ont donné dans l'esprit mercantile , dans ces systèmes qui prétendent que toute entreprise des marchands ne peut que tourner au bien général, et qu'il faut laisser aux marchands une pleine liberté, sans exiger aucune garantie sur le résultat de leurs opérations . Eh! comment les philosophes, qui ne rêvent que contre-poids et garanties , n'ont-ils pas songé à procu rer au Corps social cette garantie que les gouverne ments ont le bon esprit d'exiger de leurs agents fiscaux ? Un prince s'assure de la fidélité de ses receveurs par un cautionnement pécuniaire , et par la perspective d'un châtiment inévitable , s'ils osent aventurer et dis siper les deniers publics dont ils sont dépositaires. Pourquoi ne voit-on pas la moitié des receveurs pu blics s'approprier le produit des contributions et dire au gouvernement dans une lamentable épître : « Les <<< malheurs du temps, les circonstances critiques, les << revers déplorables, etc. Bref, je fais banqueroute, << faillite ou autre mot. Votre caisse doit contenir dix << millions ; j'offre de vous en rendre la moitié, cinq « millions, payables dans cinq ans. Soyez touché des «< disgrâces d'un infortuné receveur ; conservez- moi « votre confiance et la gestion de votre caisse, sans « quoi je ne pourrais pas même vous payer la moitié « que je vous offre; mais si vous me continuez dans ma « place et mes recettes, je m'efforcerai de faire hon CONFIRMATION. 353 «< << neur à mes engagements, c'est-à-dire que je vous régalerai d'une seconde banqueroute quand la caisse << sera de nouveau remplie. >>> Voilà en abrégé le contenu de toutes les lettres des faillis . Si les receveurs ne suivent pas leur exemple, c'est qu'ils sont assurés qu'aucune théorie philosophi que ne pourrait les sauver du châtiment auquel échap pent les banqueroutiers , à l'abri du principe : Laissez aux commerçants une entière liberté, sans exiger de ga rantie sur leurs malversations. En résumé, le Corps des négociants étant dépositaire d'une portion de la fortune publique, et chaque négo ciant, usant de ses dépôts pour hasarder des spécula tions aventureuses qui n'ont de règle que son caprice individuel , il doit en résulter de nombreuses bévues et des Banqueroutes, par suite desquelles les produc teurs et dépositeurs de capitaux supportent la perte des folles entreprises qu'ils n'ont pas consenties. Pour parer à cette injustice, il faudrait soumettre le corps commercial à une garantie telle , que tout négociant et toute société d'entrepreneurs ne pussent hasarder et perdre que ce qu'ils possèdent . Il est une opération qui atteint ce but, qui rend le Corps commercial assureur de lui-même et le Corps social assuré contre le Commerce. Cette opération une fois exécutée , la Banqueroute, l'Agiotage et le Discré dit ne peuvent plus exister. Les relations commercia les n'emploient tout au plus que le quart des agents et des capitaux qu'elles détournent aujourd'hui du travail productif. Il n'est pas pressant de faire connaître cette opération, qui est un procédé de 6º Période, et qui est. $I}1216MET 354 TROISIÈME PARTIE. entièrement opposée à cette ridicule méthode qu'on nommela Libre Concurrence. Continuons sur les scandales mercantiles , sur les rapines qui induisaient à suspecter en masse tout le système commercial actuel, et à rechercher une mé thode d'échange moins vicieuse que la Libre Concur rence, qui serait mieux nommée Concurrence anar chique. [ Je n'ai décrit que trois espèces de banqueroutes ; j'en donnerai dans le Traité unesérie de quarante- deux espèces, mais il suffisait de trois dans un Prospectus. ] III. SPOLIATION du corps social par l'Accaparement. « L'or même à la laideur donne un teint de beauté. » Jamais cette maxime ne s'est mieux vérifiée que par la protection et considération qu'ont obtenues les Ac capareurs sous l'égide de la philosophie moderne, qui n'admet que le poids de l'or pour règle de ses juge ments, et qui flatte tous les vices dominants pour ca cher son ignorance à y remédier. L'Accaparement est le plus odieux des crimes com merciaux, en ce qu'il attaque toujours la partie souf frante de l'industrie . S'il survient une pénurie de subsistances ou denrées quelconques, les accapareurs sont aux aguets pour aggraver le mal , s'emparer des approvisionnements existants, arrher ceux qui sont CONFIRMATION. 355 attendus, les distraire de la circulation , en doubler, tripler le prix par des menées qui exagèrent la rareté et répandent des craintes qu'on reconnaît trop tard pour illusoires . Ils font dans le corps industriel l'effet d'une bande de bourreaux qui irait sur le champ de bataille déchirer et agrandir les plaies des blessés . Une circonstance qui a contribué à la faveur dont jouissent aujourd'hui les accapareurs , c'est qu'ils ont été persécutés par les jacobins ; ils sont sortis de cette lutte plus triomphants que jamais , et celui qui élève rait la voix contre eux semblerait au premier abord un écho de la Jacobinière. Mais ne sait- on pas que les Jacobins ont massacré indistinctement toutes sortes de classes , soit d'honnêtes gens, soit de brigands ? n'ont-ils pas envoyé au même échafaud Hébert et Ma lesherbes, Chaumette et Lavoisier? Et parce que ces quatre hommes ont été sacrifiés à la même faction , s'ensuit - il qu'on doive les assimiler , et dira-t- on qu'Hébert et Chaumette soient des gens de bien parce qu'ils ont été, comme Malesherbes et Lavoisier, im molés par les Jacobins ? Même raisonnement s'applique aux accapareurs et agioteurs , qui , pour avoir été persécutés par les ennemis de l'ordre , n'en sont pas moins des désorganisateurs , des vautours déchaînés contre l'honnête industrie. Ils ont pourtant trouvé des prôneurs parmi cette classe de savants qu'on appelle économistes , et rien n'est plus respecté aujourd'hui que l'accaparement et l'agiotage qu'on appelle en style du jour la spéculation et la banque, parce qu'il est indécent de nommer les choses par leur nom. 356 TROISIÈME PARTIE. Un résultat fort bizarre de l'Ordre civilisé , c'est que si l'on réprime directement des classes évidemment malfaisantes , comme celle des accapareurs , le mal devient plus grand , les denrées deviennent plus rares, et l'on s'en est assez convaincu sous le règne de la Terreur. C'est ce qui a fait conclure aux philosophes qu'il faut laisser faire les marchands. Plaisant remède contre un mal , que de l'entretenir parce qu'on ne connaît aucun antidote ! Il fallait en chercher, et jus qu'à ce qu'on en eût découvert, on devait condamner leurs tripotages au lieu de les vanter; on devait pro voquer la recherche d'un procédé capable de les ré primer ( la Concurrence sociétaire ) . «<< Eh ! pourquoi les philosophes pallient-ils des cala mités , comme la Banqueroute , l'Agiotage , l'Accapa rement , l'Usure, etc. ? C'est que l'opinion leur ré pondrait « Nous connaissons tous ces maux sur lesquels vous vous apitoyez , mais puisque vous << êtes des savants plus éclairés que nous , évertuez << vous à chercher des remèdes ; jusque-là votre science , votre rhétorique nous sont inutiles, comme «< les verbiages d'un médecin qui vient débiter au << malade du grec et du latin , sans lui procurer aucun soulagement. >> Les philosophes prévoyant ce fâ cheux compliment, jugent convenable de nous étour dir sur le mal au lieu de l'avouer ; aussi nous prouvent ils que l'Accaparement et l'Agiotage sont la perfection du perfectionnement de la perfectibilité . Avec leurs verbiages sur les méthodes analytiques , les abstrac tions métaphysiques et les perceptions des sensations qui naissent des idées , ils vous plongent dans une lé « CONFIRMATION. 357 thargie scientifique , ils vous persuadent que tout va au mieux dans l'Ordre social ; obligés pour subsister de vendre des livres , d'en fabriquer sur un sujet quel conque; habitués , comme les avocats , à plaider la mauvaise cause aussi bien que la bonne , ils trouvent bien plus commode de vanter et farder les vices do minants, que de s'occuper des correctifs à la recherche desquels ils risqueraient de consumer inutilement leurs veilles , sans remplir aucun volume. De là vient que les Économistes, entre autres Smith, ont loué l'accaparement comme une opération utile au bien général. Analysons les prouesses de ces ac capareurs ou spéculateurs . J'en vais citer deux , l'une sur l'accaparement de grains qui est le plus dange reux , et l'autre sur l'accaparement de matières qui paraît excusable , parce qu'il n'assassine que l'indus trie , au lieu d'assassiner directement le peuple. 1° Accaparement de grains. Le principe fondamen tal des systèmes commerciaux , le principe : Laissez une entière liberté aux marchands, leur accorde la pro priété absolue des denrées sur lesquelles ils trafiquent; ils ont le droit de les enlever à la circulation , les cacher et même les brûler , comme a fait plus d'une fois la compagnie orientale d'Amsterdam , qui brûlait publiquement des magasins de cannelle pour faire en chérir cette denrée : ce qu'elle faisait sur la cannelle , elle l'aurait fait sur le blé , si elle n'eût craint d'être lapidée par le peuple ; elle aurait brûlé ou laissé pour rir une partie des blés, pour vendre l'autre au qua druple de sa valeur. Eh ! ne voit-on pas tous les jours, dans les ports, jeter à la mer des provisions de grains 358 TROISIÈME PARTIE. ❤ que le négociant a laissés pourrir pour avoir attendu trop longtemps une hausse ; moi-même j'ai présidé , en qualité de commis, à ces infâmes opérations , et j'ai fait, un jour, jeter à la mer vingt mille quintaux de riz , qu'on aurait pu vendre avant leur corruption avec un honnête bénéfice , si le détenteur eût été moins avide de gain. C'est le corps social qui supporte la perte de ces déperditions , qu'on voit se renouveler chaque jour à l'abri du principe philosophique : Laissez faire les marchands. Supposons que , d'après ce principe , une riche compagnie de marchands accapare dans une année de famine, comme 1709 , les grains d'un petit état, tel que l'Irlande , lorsque la disette générale et les prohibitions de sortie dans les états voisins rendront presque impossibles les approvisionnements exté rieurs . Supposons que la compagnie, après avoir ras semblé tous les grains qui étaient en vente, refuse de les céder , à moins d'une augmentation triple et qua druple, en disant : « Ce grain est notre propriété ; «< il nous plaît d'y gagner quatre fois plus qu'il ne << nousa coûté; si vous refusez de le payer sur ce pied, << procurez-vous d'autres grains par le commerce. En <<< attendant il se peut que le quart du peuple meure « de faim , mais peu nous importe , nous persistons << dans notre spéculation , selon les principes de la Liberté commerciale, consacrée par la philosophie « moderne. » ◄ Je demande en quoi les procédés de cette compagnie diffèreraient de ceux d'une bande de voleurs ; car son monopole forcerait la nation entière , sous peine de CONFIRMATION. 359 mourir de faim , à payer à la compagnie une rançon égale à la triple valeur du blé qu'elle livrerait. Et si l'on considère que la compagnie , selon les rè gles de la Liberté commerciale, a le droit de ne vendre à aucun prix , de laisser pourrir le blé dans ses gre niers , tandis que le peuple périrait , croyez-vous que la nation affamée serait obligée , en conscience, de mourir de faim pour l'honneur du beau principe phi losophique , Laissez faire les marchands? Non certes ; reconnaissez donc que le droit de Liberté commer ciale doit subir des restrictions selon les besoins du Corps social ; que l'homme, pourvu en surabondance d'une denrée dont il n'est ni producteur, ni consom mateur, doit être considéré comme DÉPOSITAIRE CON DITIONNEL , et non pas comme propriétaire absolu. Re connaissez que les commerçants ou entremetteurs des échanges doivent être, dans leurs opérations , subor donnés au bien de la masse , et non pas libres d'en traver les relations générales par toutes les manœuvres les plus désastreuses , qui sont admirées de vos Éco nomistes. Les marchands seraient-ils donc seuls dispensés envers le Corps social , des devoirs qu'on impose à tant d'autres classes plus recommandables? Quand on laisse carte blanche à un général , à un juge , à un médecin , on ne les autorise pas pour cela à trahir l'armée, assassiner le malade et dépouiller l'innocent ; nous voyons punir ces divers individus quand ils prévariquent ; on décapite un général perfide , on mande un tribunal entier devant le ministre , et les marchands seuls sont inviolables et sûrs de l'impunité ! 360 TROISIÈME PARTIE. L'Économie politique veut qu'on s'interdise toute sur veillance sur leurs machinations ; s'ils affament une contrée , s'ils troublent son industrie par des acca parements et des banqueroutes , tout est justifié par le seul titre de marchand ! Ainsi le charlatan de co médie assassinant tout le monde avec ses pilules , se trouve justifié par le seul mot : medicus sum ; et de même dans notre siècle de régénération , l'on veut nous persuader qu'une classe des moins éclairées du Corps social ne peut jamais dans ses trames opérer contradictoirement au bien de l'État. Autrefois c'était l'infaillibilité du Pape, aujourd'hui c'est celle des marchands qu'on veut établir. 20 Accaparement de matières ou denrées . J'en vais dé montrer la malfaisance par un évènement qui se passe sous nos yeux à l'heure où j'écris . C'est la hausse énorme du prix des denrées coloniales , sucre, café , coton , etc.; je parlerai spécialement du coton , parce que c'est l'objet qui a subi la plus forte hausse et qui était d'une nécessité plus urgente pour nos ma nufactures naissantes et élevées depuis peu d'années par les soins et les encouragements de l'Empereur. Ce que je dirai sur les affaires présentes , s'applique aux accaparements de toute espèce. Dans le cours de l'automne dernier ( ¹ ) , on a pres senti que l'arrivage des denrées coloniales, et surtout des cotons éprouverait quelques entraves , et que les approvisionnements seraient retardés ; pourtant, on (1) Dans l'un des Exemplaires annotés , le mot dernier est rem placé par 1806 --. - - CONFIRMATION. 361 n'avait pas lieu de craindre que les fabriques de France fussent au dépourvu , car il existait à cette époque des magasins de coton qui pouvaient suffire à la consommation d'une année ( y compris les achats faits dans l'étranger et acheminés sur la France ) . Le Gouvernement , par un inventaire , aurait pu faire constater que les fabriques étaient approvisionnées pour un an, pendant le cours duquel on avait le temps de se précautionner. Mais les accapareurs sont inter venus, ont envahi et resserré les provisions existantes, et ont persuadé que les manufactures seraient dé pourvues en moins de trois mois ; il s'en est suivi une hausse qui a élevé le coton au double du prix habituel , et cette hausse " menaçait " (1) d'anéantissement la plupart des fabriques françaises, qui ne " pouvaient pas élever le prix des tissus en proportion du prix des matières brutes ou filées ; en conséquence , un grand nombre de manufacturiers " renoncèrent , " et " congédièrent " leurs ouvriers. "" Cependant les matières ne " manquaient " pas; au contraire , les riches filateurs " étaient " eux-mêmes devenus accapareurs, et on les " voyait " brocanter leur superflu , leurs cotons de spéculation , sur les quels ils " agiotaient , " après s'être réservé des pro visions suffisantes pour alimenter leur filature. Bref , on " trouvait " chez les tripotiers ce superflu qui " manquait " aux consommateurs habituels ; et en (1) Ce changement et ceux qui viennent après jusqu'à la fin de l'a linéa suivant , consistent dans une simple substitution de temps : menaçait pour menace, pouvaient pour peuvent, etc. 16 362 TROISIÈME PARTIE. résultat, la France " n'était ni dépourvue " dematières, " ni "menacée d'en manquer. C'est une vérité de fait. Dans cette conjoncture, quel fruit a-t-on retiré de la Licence commerciale, de la Libre Concurrence? Elle a abouti : 1º A doubler le prix d'une matière première dont il n'y avait pas pénurie réelle , et dont le prix ne de vait hausser que peu ou point ; 2º A désorganiser les manufactures lentement et péniblement élevées ; 3º A enrichir une coalition de tripotiers , au dé triment de l'industrie productive, et à la honte du Souverain qu'ils offensent en détruisant son ouvrage. Voilà des vérités péremptoires. A cela on répliquera que si l'Autorité entravait la Libre Concurrence , la licence d'Accaparements , le mal serait peut- être pire encore. J'en conviens, mais vous prouvez par là que vos économistes ne connaissent aucun remède con tre l'Accaparement. Est-ce une raison de n'en pas chercher , et s'ensuit- il que l'Accaparement soit un bien? Quand vous ne connaissez pas d'antidote à un vice social , osez du moins avouer que ce vice est une calamité ; n'écoutez pas vos philosophes qui vous vantent ce vice pour se disculper de ne savoir pas le corriger. Quand ils vous conseillent de tolérer l'Agiotage et l'Accaparement, de peur d'un plus grand mal , ils ressemblent à un ignorant qui vous conseil lerait d'entretenir la fièvre parce qu'il ne saurait quel remède y appliquer. Et parce qu'on ignore les moyens de prévenir l'Ac caparement , était-il prudent de le tolérer sans me CONFIRMATION. 363 sure? Non , et je vais prouver qu'un coup d'Autorité aurait souvent prévenu de grands malheurs , sans commettre de violation ni tomber dans l'arbitraire. Donnons-en un exemple appliqué aux circonstances présentes [ 1807] . Je suppose que le Gouvernement, pour sauver ses manufactures de coton qui ont porté un coup si funeste à l'Angleterre, eût voulu réprimer les accapareurs, et que la police se fût transportée chez tel banquier de Paris qui avait en janvier [ 1807 ] , un magasin de coton de 5 millions, prix d'achat, et dont il refusait 8 mil lions comptant, parce qu'il voulait très modérément doubler son capital en trois mois. L'Autorité aurait pu lui dire « Les amas de matières premières faits « par toi et tes complices menacent de ruine nos « manufactures, à qui tu refuses de vendre à un hon « nête bénéfice ; en conséquence, tu es sommé de livrer « ton magasin à un quart ou un cinquième de bénéfice , << au lieu du double que tu en prétends. Tes cotons se « ront distribués aux petits manufacturiers ( et non pas « aux grands, qui sont eux-mêmes des accapareurs li gués pour rançonner les petits ) . » « Que serait- il résulté d'une telle mesure? Observons d'abord qu'elle n'aurait [ eu] rien de vexa toire; car l'accapareur obtenant , au bout de 3 mois, 6 millions d'un magasin qui lui en lui en " coûte " 5, gagne rait en 3 mois 20 pour cent ; c'est quatre fois plus que ne gagne au bout de l'année un propriétaire exploitant péniblement son domaine. Et par suite de cette sommation , tous les autres ac capareurs, qui voulaient doubler leur capital et qui y 364 TROISIÈME PARTIE. ont réussi, se seraient décidés à livrer leurs cotons au bénéfice de 20 pour cent, les fabriques n'auraient que peu ou point souffert et n'auraient pas été réduites à fermer les ateliers et renvoyer les ouvriers. Ce coup d'Autorité aurait sauvé l'industrie et fait bénir le Gou vernement ; il n'aurait aucunement ralenti les expédi tions faites par nos alliés , car si des Américains nous envoyaient en " 1806 " des cotons dans l'espoir de les vendre cent écus le quintal, ils les " auraient en voyés " encore mieux pour vendre à cent vingt écus; d'où l'on voit que l'Autorité doit intervenir contre l'Accaparement, non pas à la manière des jacobins qui spoliaient le possesseur en le payant avec des papil lotes , mais intervenir pour limiter le bénéfice quand il dégénère en extorsion. Lors donc qu'on prévoit la pénurie d'une denrée quelconque et que sa rareté peut exciter les spécula teurs à un Accaparement, il convient [en politique civilisée] de la déclarer HORS DE COMMERCE et d'en maximer le bénéfice, en le fixant à un taux suffisant pour encourager l'arrivage, comme à un quart ou un cinquième en sus du cours habituel ; en interdire l'ac quisition et le trafic, même indirect, à tous ces tripo tiers qui n'en ont pas une consommation ou un débou chéreconnu ; limiter les approvisionnements de chaque négociant en proportion du débouché habituel dont il pourra justifier par le terme moyen de ses ventes de plusieurs années . Je ne m'arrête pas à indiquer " d'autres " mesures provisoires contre l'Accaparement , mesures qu'il est bien superflu de faire connaître, puisque la Concur CONFIRMATION. 365 rence Sociétaire ou procédé commercial de 6e Période prévient, au lieu de réprimer, l'Accaparement et autres désordres. Dans l'ignorance des moyens préservatifs, on est impardonnable de n'avoir pas essayé du moins des palliatifs , comme la mise hors de commerce que la France aurait dû " adopter " pendant le cours de cet hiver [ 1807] , nommément à l'égard des cotons ; car la prospérité de nos fabriques d'étoffes en coton allait porter un coup funeste à la Compagnie anglaise de l'Inde et aux fabriques intérieures de l'Angleterre. Et pour avoir laissé élever le prix des matières au double du cours habituel, a-t- on augmenté les appro visionnements? Non ; la matière quadruplerait de va leur sans que cette hausse levât les obstacles [ de guerre] qui s'opposent à l'arrivage ; la hausse des matières n'a boutit donc qu'à dépouiller les fabriques et les con sommateurs, au bénéfice des accapareurs. Or, dans un moment de crise où il est permis de s'écarter des règles et coutumes , qui fallait- il protéger, ou de la masse des consommateurs et fabricants, ou de quelques oiseaux de proie ligués pour désorganiser l'industrie par des terreurs factices et par un envahissement de denrées dont ils n'avaient la veille ni débouché, ni consommation, ni connaissance? Qu'il serait facile de confondre ces spéculateurs en rétorquant leurs propres arguments ! A les en croire, on va manquer de tout ; bientôt on n'obtiendra pas les denrées, même au poids de l'or . A quoi l'Autorité pourrait leur répondre : « Vous croyez ou vous ne << croyez pas qu'on puisse alimenter les fabriques et la « consommation. Dans l'un ou l'autre cas vous devez 366 TROISIÈME PARTIE. « a • être contraints à livrer vos magasins; car si les arri << vages doivent cesser dorénavant, si la pénurie doit « être complète, il devient inutile de protéger vos ma chinations, qui accélèrent la chute de l'industrie en << la rançonnant et entravant dans un moment de crise ; a mais s'il reste des moyens d'arrivage et d'approvi sionnement, vous êtes des perturbateurs , des alar mistes qui aggravez un mal-être momentané. Ainsi, << quelle que soit votre opinion sur la continuation ou la cessation des arrivages, vous êtes des hommes pu « nissables, et vous devez vous estimer heureux qu'on « se borne à vous mettre hors de commerce et faire « vendre vos magasins, en vous laissant l'énorme bé « néfice d'un quart en sus du prix habituel. >> « En prolongeant cette discussion il me serait aisé de prouver qu'on pouvait, sans gêner les relations com merciales [ et sans sortir du cercle de la politique ci vilisée] , mettre un frein à la licence des accapareurs ; on en a senti la nécessité relativement au pain et au commerce des blés dans lequel le Gouvernement inter vient en tous pays. On sait que, si les accapareurs de blé jouissaient d'une pleine liberté , s'ils pouvaient former des compagnies pour arrher sur champ les ré coltes et emmagasiner les grains sans les mettre en circulation, on aurait des famines régulières et gra duées , même dans l'année la plus abondante. Eh ! com bien de fois les spéculateurs n'ont- ils pas réussi à affa mer une contrée, malgré le danger d'être lapidés par le peuple et entravés par le Gouvernement, qui en un moment de détresse ferait ouvrir et vendre les ma gasins plutôt que de réduire le peuple au désespoir? CONFIRMATION. 367 Si l'on voit déjà les spéculateurs braver parfois tous les dangers , que feraient-ils dans le cas où ils jouiraient d'une absolue liberté et d'une protection assurée dans l'accaparement des grains ? Auteurs politiques qui composez des théories sur les devoirs de l'Homme, n'admettrez-vous pas aussi des devoirs du Corps Social ; et le premier de ces devoirs n'est-il pas de réprimer des parasites qui désolent l'in dustrie et ne fondent leur fortune que sur les plaies dont leur patrie est affligée ? Si vous eussiez eu le cou rage de dénoncer de pareils vices, vous n'auriez pas tardé jusqu'à ce jour à en découvrir le correctif ( la Concurrence Sociétaire ) . Oh ! combien l'Antiquité , si souvent ridicule , a été plus sage que nous en politique commerciale ! elle a franchement conspué les vices mercantiles ; elle a voué à l'exécration ces vautours industriels , ces accapareurs dignes d'être encensés par la Philosophie moderne , apologiste dé hontée de toutes les infamies qui conduisent à amasser de l'or. IV. SPOLIATION du Corps Social par l'Agiotage. L'Agiotage est frère de l'Accaparement ; l'un et l'autre ont asservi l'opinion au point de faire fléchir jusqu'aux Souverains et de heurter de front toutes les opérations des princes qui, abusés par quelques sophismes, n'osent pas même concevoir l'idée de ré 368 TROISIÈME PARTIE. sistance, ni proposer la recherche d'un autre système commercial. Voici un exemple de cette tyrannie que l'Agiotage exerce sur les Souverains. Je choisis un fait récent , la dernière fredaine des agioteurs français . Pendant la dernière guerre contre l'Autriche, un obscur complot mercantile balança les trophées d'Ulm et d'Austerlitz . A l'instant où la France manifestait la confiance la plus aveugle aux opérations du Chef de l'Empire , les agioteurs surent faire éclater les symptômes d'une défiance universelle. On aurait dit que c'était Varron qui commandait nos armées. En deux mois les tripotiers de Paris commirent des ra vages inouïs dans l'industrie française ; il fallut ce torrent de victoires subites et miraculeuses pour museler enfin l'Agiotage , qui menaçait d'anéantir tout crédit public , et l'on frémit de penser dans quelle dé tresse financière serait tombée la France si elle eût fait seulement une campagne neutre, sans succès ni revers. Les prétextes des alarmistes roulaient sur une avance qu'ils disaient avoir été faite par la Banque de France pour l'ouverture de la campagne ; on es timait cette avance à 50 millions , qui ne sont que la 100 partie du revenu territorial de la France. Et quand ladite avance n'aurait pas eu pour garant les capitaux de la Banque et les délégations sur l'impôt , n'était-elle pas pleinement garantie , aux yeux des Français , par la confiance portée au Souverain ? Eux qui se riraient des enfers et des cieux coalisés quand ils voient Napoléon à la tête de leurs armées , com CONFIRMATION. 369 ment pouvaient-ils s'alarmer d'une avance qui ne s'élevait qu'au 100° du revenu territorial ? Loin de concevoir des craintes à l'ouverture d'une campagne, les Français engageraient volontiers une portion de leur capital en gageure que leur Empereur aura la victoire ; ils ne concevaient donc pas le moindre doute sur la rentrée du faible emprunt dont il s'agit. Cependant l'Agiotage sut faire éclater les signes d'une défiance universelle et décréditer la Banque , parce qu'elle remplissait le vœu de tous les Français en secondant les efforts de leur digne Chef. Il est donc une Puissance qui se joue de l'ascendant des héros comme de l'opinion des peuples : c'est l'AGIOTAGE, qui dirige à son gré tout le mécanisme industriel ; il livre les Empires à la merci d'une classe parasite, qui n'étant ni propriétaire, ni manu facturière, ne tenant qu'à son portefeuille, et pouvant d'un jour à l'autre changer de patrie , est intéressée à désorganiser chaque contrée et bouleverser alter nativement chaque branche d'industrie. Et lorsqu'on voit nos théories économiques entretenir ces fléaux, l'Agiotage , l'Accaparement , la Banqueroute , etc. , qui déchirent sans relâche tout le Corps Industriel, qui se jouent des Souverains même et de la confiance qu'ils inspirent aux Peuples ; lorsqu'on voit, dis-je, ces infamies et tant d'autres qu'engendre le système de licence commerciale, aucun écrivain n'a le courage de dénoncer cette ridicule science économique , de condamner en masse tout le mécanisme commercial, et de proposer la recherche d'un nouveau procédé pour les relations industrielles! Chacun fléchit bas 16. 370 TROISIÈME PARTIE. sement devant les vices commerciaux dont il s'indi gne en secret, et chacun entonne les louanges du Commerce, sans aviser aux moyens d'en secouer le joug, tant les Civilisés sont effrayés quand il s'agit de Réformes qui exigeraient une invention politique dont ils se croient incapables. Sans doute les philosophes modernes ont une se crète honte des résultats de leur système mercantile, mais, par amour- propre, ils laissent empirer le mal ; ils cajolent ces pygmées politiques, ces agioteurs et accapareurs qu'on n'a pas l'art de contenir ; ils ha bituent l'esprit public à trembler et fléchir au seul nom du Commerce. Quel démenti de tels scandales donnent à cette raison qui se vante de perfection nement ! Dans quel bourbier l'Economie politique a-t-elle plongé les empires modernes ! N'étions-nous pas moins avilis et la Civilisation n'était-elle pas moins méprisable quand la philosophie mercantile et les sciences économiques étaient encore dans le néant? Veut-on se convaincre par quelques détails que ces tripotiers, tant révérés sous le nom de spéculateurs, ne sont autre chose que des clubistes mitigés , qu'une jacobinière industrielle ? Ils ont, comme les clubistes, la propriété d'affiliation , et un accord parfait pour envenimer toute plaie qui survient à l'industrie. De même que les clubistes savaient s'interposer entre le Gouvernement et le Peuple pour maîtriser l'un et l'autre, ainsi les tripotiers mercantiles savent se ren dre médiateurs entre le Gouvernement et l'Industrie, subordonner l'un et l'autre à leurs intrigues, circon venir et abuser tout le monde par une feinte sollici CONFIRMATION. 371 tude pour les besoins de l'agriculture . Sans autorité légale, comme les clubs , ils parviennent à tout di riger selon leurs intérêts. Les placets des autorités en faveur des cultures ou des fabriques ne sont d'or dinaire que l'expression des volontés secrètes de l'A giotage ; c'est lui qui le plus souvent recueille le fruit des faveurs que le Gouvernement croit accorder à l'honnête Industrie. Les tripotiers commerciaux pos sèdent éminemment, comme les clubs , l'art de diviser et de battre leurs rivaux en détail ; les procédés d'at taque sont les mêmes de part et d'autre ; tous deux ont leur comité d'inquisition secrète pour préparer les grands coups de désorganisation politique; tous deux s'affublent d'intentions tutélaires ; d'une part c'est le prétexte d'accélérer la propagation des lu mières, d'autre part le prétexte d'accélérer la circu lation des denrées ou capitaux ; et en réalité leurs motifs sont tout l'opposé de ces apparences. Dans leurs coups d'éclat, on retrouve encore la même tac tique ; chez les clubistes, c'est une grande conspiration dont on organise le simulacre , et à la suite de la quelle on arrête mille victimes pour les dépouiller et mettre à mort, en attendant la conspiration suivante qui servira à sacrifier d'autres victimes . Même pro cédé chez les tripotiers commerciaux : ils supposent une grande détresse, une grande disette, dont ils ont ménagé les apparences par un accaparement de la denrée sur laquelle ils opèrent ; ils l'élèvent tout à coup à une cherté démesurée et rançonnent ainsi mille ateliers qui en font l'emploi ; après quoi ils ac 1 372 TROISIÈME PARTIE. caparent une autre denrée pour spolier d'autres fabriques et ateliers . Ainsi les clubistes et les tripotiers commerciaux n'ont qu'une même tactique, celle de désorganiser et spolier à l'appui de calamités simulées ; enfin , les clubs ou ligues d'agitateurs pauvres qui tendent à spolier le riche , et les accapareurs ou ligues d'agitateurs. opulents qui tendent à spolier le pauvre , offrent dans tous leurs procédés la similitude la plus com plète; ce sont deux jacobinières, l'une aux formes acerbes, l'autre aux formes suaves ; et l'on en sera mieux convaincu lorsque j'aurai fait connaître l'ex tension et la marche régulière qu'allaient prendre ces désordres dans la 4º phase de Civilisation , a laquelle nous tendions . Les propriétaires y seraient devenus tout-à-fait esclaves du Commerce, que je distingue peu de l'Agiotage, car tous les négociants riches sont plus ou moins impliqués dans les trames d'Agiotage et d'Accaparement, malgré leurs doléances affectées sur ces fléaux, dont ils sont secrètement fauteurs et co partageants. Du reste, j'ai observé que les vices politiques d'une profession ne sont pas vices individuels ; qu'un pro cureur en grugeant ses clients, un agioteur en spoliant le Corps Social , n'encourent aucun blâme; que la faute retombe uniquement sur la Civilisation , qui engendre tant de branches d'industrie malfaisante , et sur la Philosophie, qui nous persuade que cette infâme Civi lisation est la Destinée sociale de l'homme et que Dieu n'a rien inventé de mieux pour organiser les re lations humaines. CONFIRMATION. 373 V. SPOLIATION du Corps Social par " le Parasitisme " commercial. Le vice dont je vais parler n'est pas scandaleux comme les précédents , mais il n'est pas moins préju diciable. Dans un siècle où l'on a poussé l'économie jusqu'aux détails les plus minutieux , comme de remplacer le café par du jus de chicorée, le sucre par du jus de rave, et autres épargnes qui ne servent qu'à favoriser la supercherie des marchands , qu'à impatienter les voyageurs qui ne peuvent se procurer de bonnes cho ses à aucun prix ; dans un siècle si lésineux , dis-je , comment ne s'est- on pas aperçu que la principale économie doit être l'économie des bras , des agents su perflus qu'on pourrait épargner , et que nous prodi guons à des fonctions improductives comme celles du Commerce. J'ai observé ( page 11 ) que nos usages emploient fréquemment cent personnes à un travail qui en exige rait à peine deux ou trois si l'Association existait, et que, dès la 7º Période, il suffirait de vingt hommes pour approvisionner le marché d'une ville où se rendent aujourd'hui mille paysans. Nous sommes , en fait de mécanisme industriel, aussi neufs que des peuples qui ignoreraient l'usage des moulins, et qui emploieraient cinquante ouvriers à triturer le grain que broie au jourd'hui une seule meule. La superfluité d'agents est partout effrayante et s'élève communément au qua 374 TROISIÈME PARTIE. druple du nécessaire dans tous les emplois commer ciaux . Depuis que la Philosophie prêche l'amour du trafic, on voit pulluler les marchands jusque dans les villages. Les chefs de famille renoncent à la culture pour s'a donner au brocantage ambulant ; n'eussent- ils à ven dre qu'un veau, ils iront perdre des journées à muser dans les marchés, halles et cabarets. C'est surtout dans les pays vignobles qu'on voit régner cet abus ; partout la Libre Concurrence élève à l'infini le nombre des marchands et agents commerciaux . Dans les gran des cités, comme Paris, on compte jusqu'à trois mille épiciers , quand il en faudrait à peine trois cents pour suffire au service habituel . La profusion d'agents est la même dans les bourgades ; telle petite ville, qui reçoit aujourd'hui dans le cours d'une année cent voyageurs de commerce et cent colporteurs, n'en voyait peut- être pas dix en 1788, où l'on ne manquait pourtant ni de subsistances, ni de vêtements, à des prix très modérés, quoique les marchands ne s'élevassent pas autiers du -- nombre actuel. Cette multiplicité des rivaux les jette à l'envi dans les mesures les plus folles et les plus ruineuses pour le Corps Social ; car tout agent superflu, comme étaient les moines, est un spoliateur de la Société, dans laquelle il consomme sans rien produire. N'est-il pas reconnu que les moines d'Espagne, dont on élève le nombre à 500 mille, produiraient la subsistance de 2 millions de personnes s'ils retournaient à la culture? Il en est de même des commerçants superflus, dont le nombre est incalculable ; et quand vous connaîtrez la méthodecom CONFIRMATION. 375 merciale de 6º Période, la Concurrence Sociétaire, vous serez convaincus que le Commerce pourrait s'exercer avec le quart des agents qu'il emploie aujourd'hui , et qu'il y a dans la seule France un million d'habitants enlevés à la culture et aux fabriques par l'affluence d'a gents que crée la Libre Concurrence. C'est donc pour la seule France une perte annuelle de la subsistance de 4 millions d'habitants, par suite d'une erreur des Éco nomistes. Outre la Déperdition de bras, l'Ordre actuel cause encore Déperdition de capitaux et denrées ; je cite pour exemple un des abus les plus communs aujour d'hui, celui de l'Écrasement. Depuis " la Révolution " il n'est bruit que d'Écrase mentparmi les marchands. Devenus trop nombreux, ils se disputent avec acharnement des ventes qui devien nent chaque jour plus difficiles par l'affluence de con currents. Une ville qui consommait mille tonneaux de sucre lorsqu'elle avait dix marchands n'en consom mera toujours que mille tonneaux lorsque le nombre des marchands se sera élevé à quarante au lieu de dix ; c'est ce qui est arrivé dans toutes les villes de France. Maintenant l'on entend ces fourmilières de marchands se plaindre de la langueur du commerce quand ils de vraient se plaindre de la surabondance des commer çants ; ils se consument en frais de séduction et de ri valité ; ils s'aventurent dans les plus folles dépenses pour le plaisir d'écraser leurs rivaux . C'est à tort qu'on croit le marchand asservi à son seul intérêt : il est for tement esclave de sa jalousie et de son orgueil ; les uns se ruinent pour le stérile honneur de brasser d'immen 376 TROISIÈME PARTIE. ses affaires, les autres par la manie d'écraser un voisin dont le succès les désespère. L'ambition mercantile pour être obscure n'en est pas moins violente , et si les trophées de Miltiade troublaient le sommeil de Thé mistocle, on peut dire aussi que les ventes d'un bouti quier troublent le sommeil du boutiquier voisin . De là vient cette frénésie de concurrence par laquelle tant de marchands se poussent à leur ruine et se consument en frais qui retombent ultérieurement sur le consom mateur ; car toute déperdition est supportée en der nière analyse par le Corps Social ; et si un nouvel Ordre commercial ( la Concurrence Sociétaire ) peut réduire au quart le nombre d'agents mercantiles et les dépenses commerciales, vous verrez diminuer d'autant chaque denrée; puis vous verrez augmenter la produc tion en rapport des nouvelles demandes qu'occasion nera cette baisse, et en rapport de la masse de bras et de capitaux rendus à la culture par cette diminution d'agents commerciaux. Les abus naissent l'un de l'autre ; cela est vrai en Commerce comme en Administration . Par exemple , la prodigalité d'agents cause l'Agiotage et la Banque route; on en a vu une preuve frappante dans les luttes des messageries qui , pour se nuire l'une à l'autre , au raient volontiers transporté gratis les voyageurs. En les voyant baisser leurs prix pour s'écraser mutuelle ment, on se disait : Bientôt ils nous paieront une prime pour nous voiturer en poste. Il importe de s'appesantir sur ces détails pour prouver que les Économistes se sont lourdement trompés en croyant que l'intérêt était le seul mobile du négociant. Quel homme sensé aurait CONFIRMATION. 377 pu , de sang-froid , concevoir l'idée de conduire en poste, de Paris à Rennes, pour 18 livres tournois ? Voilà les folies qu'a produites la manie d'écraser. Le ré sultat de ces assauts divertissants pour les voyageurs, c'était la banqueroute des divers champions , qui étaient à quelques mois de distance écrasés l'un par l'autre ; leurs banqueroutes étaient supportées par le public , qui s'intéresse toujours dans les plus folles entreprises, et, malgré leur insuccès, elles donnent du profit au ban queroutier par la spoliation des co - associés qu'il ne rembourse pas de leur mise de fonds. De là vient que les négociants, assurés de se sauver en cas de revers par une banqueroute, hasardent tout pour perdre un rival et jouir du malheur d'un voisin ; semblables à ces Japonnais qui se crèvent un œil à la porte de leur en nemi pour lui en faire crever deux par la justice. Les anciennes maisons de commerce, déconcertées par ces guerres d'extermination , renoncent de toutes parts à une profession devenue dangereuse, et avilie par les intrigues des nouveau -venus , qui souvent vendent à perte ( ' ) pour avoir la vogue. Les anciens, (1) Je m'explique sur les mots vendre à perte. Souvent un négo ciant est en perte lorsqu'il gagne 10 et 15 pour cent ; car il peut arriver que la masse de ses frais mise en balance avec la masse de ses ventes , l'oblige à gagner 25 pour cent , afin d'avoir un bénéfice net de 10 pour cent sur son capital. Or, s'il se borne à gagner 15 pour cent par l'effet de la Concurrence , il n'aura , au bout de l'année, pas une obole de bé néfice, et il aura perdu l'intérêt de son capital et le fruit de ses peines et risques. Voilà ce qui arrive dans les commerces honnêtes comme ce lui de consommation, qui ne donne pas de grands profits ainsi que l'Ac caparement; et voilà pourquoi l'on voit beaucoup de négociants probes végéter, chanceler au bout de quelques années , par l'effet de cette con currence immodérée qui ne laisse pas à chacun des bénéfices et dé bouclés proportionnels aux frais . 378 TROISIÈME PARTIE. qui n'ont pas voulu perdre, se trouvent abandonnés, dépourvus de consommation et hors d'état de satisfaire à leurs engagements. Bientôt les deux partis tombent dans l'épuisement et sont obligés de recourir à l'agio teur, dont les secours usuraires augmentent leur em barras , leur insolvabilité, et précipitent la chute des uns et des autres . C'est ainsi que la Libre Concurrence , en provoquant les banqueroutes, fournit un aliment habituel à l'Agio tage et lui donne l'accroissement colossal auquel on le voit parvenu. Il s'établit des agioteurs jusque dans les bourgades ; partout on rencontre des hommes qui, sous le nom de banquiers, n'ont d'autre métier que de prêter à usure (¹ ) et d'attiser les guerres de concur rence. Ils soutiennent par des avances une foule de (1 ) On ne saurait croire quelle quantité d'usuriers contient aujour d'hui la France. On a commencé à s'en apercevoi sur les bords du Rhin, où les Juifs ont envahi par l'usure une grande partie des pro priétés ; le scandale est moins sensible dans l'intérieur ; parce que l'u sure est exercée par les naturels du pays. Aujourd'hui le seul état lu cratif après l'Accaparement et l'Agiotage, c'est de prêter sur gage, sur hypothèque et de brocanter les contrats et obligations des emprunteurs. Les gens habiles se retirent du commerce, pour exercer ce joli métier que la Révolution a favorisé par le bouleversement des propriétés. Je ne prétends pas blâmer les usuriers ; tout vice politique n'est im putable qu'aux circonstances et nullement aux citoyens qui en profitent. Il est heureux, dans une telle conjoncture, que les Juifs ne soient pas encore bien répandus en France , car cette nation spécialement adonnée à l'usure, aurait déjà envahi la plupart des propriétés et l'influence qui leur est attachée ; la France ne serait plus qu'une vaste synagogue, car si les Juifs tenaient seulement le quart des propriétés, ils auraient la plus grande influence, à cause de leur ligue secrète et indissoluble. Ce danger est un des mille symptômes qui attestent la dégradation sociale, la défectuosité du système industriel et la nécessité de le recompo ser en entier sur un nouveau plan, dans le cas où la Civilisation se prolongerait encore, ce qu'à Dieu ne plaise. CONFIRMATION. 379 brocanteurs superflus qui se jettent à l'envi dans les spéculations les plus ridicules, et qui viennent après leurs échecs demander du secours et se faire rançonner chez les banquiers. Ceux- ci , placés dans l'arène mer cantile pour attiser le choc, ressemblent à ces hordes arabes qui voltigent autour des armées et jubilent, en attendant la dépouille des vaincus, amis ou ennemis. A l'aspect de tant de brigandages et absurdités qu'engendre le Commerce , peut - on douter que les Anciens n'aient été plus sages que nous en le vouant au mépris? Qnant aux modernes qui composent des théories à sa louange, ne sont- ce pas des charlatans sans pudeur, et peut-on espérer de voir régner quel que vérité, quelque bon ordre , dans le mécanisme in dustriel , tant qu'on n'aura pas condamné le Système commercial et inventé un Mode d'Échanges moins vexatoire, moins dégradant pour le Corps Social? VI. CONCLUSIONS sur le Commerce (¹) . J'ai établi dans les quatre chapitres précédents que le Commerce, tout en paraissant servir l'Industrie, ne tend qu'à la spolier en tout sens ; j'en ai cité quatre exemples tirés de la Banqueroute , l'Accaparement, l'Agiotage et la Déperdition. 1º La Banqueroute spolie le Corps Social au bénéfice des marchands qui n'en supportent jamais le dom mage; car, si le négociant est prudent, il a calculé ses (1 ) [ Sur 4 de ses 32 crimes. ] 380 TROISIÈME PARTIE. risques de banqueroute et établi ses bénéfices à un taux qui le met à couvert de ce risque présumé ; s'il est imprudent ou fripon (qualités très voisines en affaires commerciales), il ne tardera pas lui-même à faire ban queroute, et à s'indemniser dans sa faillite de ce que vingt faillites lui auront enlevé. D'où il suit que le dommage de la Banqueroute pèse sur le Corps Social et non pas sur les négociants. 2º L'Accaparement spolie le Corps Social ; car l'en chérissement d'une matière accaparée est supporté ultérieurement par les consommateurs, et auparavant par les manufacturiers, qui , obligés de soutenir un atelier, font des sacrifices pécuniaires, fabriquent à petit bénéfice, soutiennent, dans l'espoir d'un meilleur avenir, l'établissement sur lequel se fonde leur exis tence habituelle , et ne réussissent que bien tard à établir cette hausse que l'accapareur leur a fait si promptement supporter. 3º L'Agiotage spolie le Corps Social en détournant les capitaux pour les faire s'entrechoquer dans les tri potages de hausse et de baisse , qui fournissent d'énor mes bénéfices aux joueurs les plus habiles . Dès lors les cultures et fabriques n'obtiennent qu'à un prix exor bitant les capitaux nécessaires à leur exploitation , et les entreprises utiles , qui ne donnent qu'un bénéfice lent et pénible, sont dédaignées pour les jeux d'Agio tage, qui absorbent la majeure partie du numéraire. 40 " Le Parasitisme " ou Superfluité d'agents spolie le Corps Social de deux manières , soit en lui enlevant une infinité de bras qu'il emploie au travail impro ductif, soit par l'immoralité et les désordres qu'engen CONFIRMATION. 381 dre la lutte acharnée de ces innombrables marchands dontla perfidie cause parfois des entraves équivalentes à une prohibition (' ) . Il suffit, je pense, de cette digression pour démon trer que la Libre Concurrence n'a produit que l'empi risme dans les relations industrielles , non- seulement dans le commerce, mais dans toutes les professions mécaniques et libérales auxquelles elle s'est étendue. Par exemple : En moins de dix ans, cette Concurrence anarchique a presque anéanti les grands théâtres de France ; la se conde ville de l'Empire ne peut pas même soutenir le sien , et ne conservera “ bientôt " que des tréteaux à mélodrames ou des comédiens ambulants. Bientôt l'é (1) Je n'en citerai qu'une preuve entre mille ; on a vu la fourberie des marchands russes et chinois s'élever au point d'arrêter momenta nément les relations aux entrepôts de Kiatka et Zuruchaitu. « Les Russes , dit Raynal , ont donné aux Chinois de fausses pelleteries ; les << Chinois ont donné aux Russes de faux lingots : ( Voilà bien les mar - chands et les Civilisés ) . La méfiance s'est accrue à tel point que les relations sont tombées , et ont été réduites pendant quelque temps à très peu de chose , » quoique les demandes u'eussent point cessé, et que les Souverains n'eussent point entravé mais plutôt facilité les ca ravanes. " " 4 L'entrave dont je parle n'a été aperçue que parce qu'elle portait sur une grande masse d'affaires ; on a vu une branche de commerce dé cliner dans sa pleine liberté, par le seul effet de la fourberie. Eh ! com bien cette fourberie générale cause- t- elle d'autres entraves dans toutes les relations ? Combien de frais , démarches , inquiétudes et temps perdu, pour celui qui achète une chose dont il ne connait pas la valeur ! et si après des précautions dispendieuses , des voyages, etc., on est encore trompé à chaque instant dans les achats , calculez quelle serait l'économie de temps et de frais, dans le cas où les échanges s'opèreraient par toute la terre , sans aucune fourberie. Cet effet peut avoir lieu dès la 7º Période ; et déjà dans la 6º, il serait rare d'éprouver aucune trom perie en affaires commerciales. 382 TROISIÈME PARTIE. tranger arrivant dans nos grandes cités et n'y voyant que des arènes de vandalisme littéraire , demandera quelle révolution a banni la scène française du sein de la France. On lui répondra qu'elle a été sacrifiée à un dogme des Économistes , émules de Robespierre, qui disait : « Périssent les colonies pour sauver un prin cipe! >> Ils ont dit après lui : « Périsse l'art dramatique « et lyrique pour sauver le principe de la Concurrence anarchique! « >> Sans doute ils n'ont pas eu cette intention, mais ils ont agi comme s'ils eussent pensé de la sorte, et n'ont prévu aucune des mesures nécessaires pour parer le coup que la Libre Concurrence devait porter aux grands théâtres ( ¹) . (1) Les théâtres, dans leur détresse actuelle, sont encore un des côtés plaisants de la Civilisation. Chacun s'évertue en plans de restau ration, plans dans lesquels on retrouve la petitesse habituelle des Civi lisés, qui ne savent imaginer contre tous les maux que des demi mesures pires que le mal. Il est assez indifférent de connaître le moyen de restauration des théâtres , puisque la Civilisation touche à sa fin , et que l'Ordre Com biné produira dans tous les cantons de la terre des acteurs aussi par faits que les plus célèbres de nos capitales. Mais, à ne parler que de la Civilisation , voyons combien il lui était facile de se procurer dans chaque ville son divertissement favori , je veux dire une bonne troupe dans tous les genres ; d'avoir par milliers des Lekain et des Molé , de manière à pouvoir fournir des troupes aussi bonnes que celles de Paris , à toutes les villes de 12 à 15,000 habitants ; le moyen serait facile , il consisterait à former des acteurs dans les écoles spéciales , et ne pas attendre que le hasard en produise ni que la manne tombe du ciel , et se rallier au principe : Aide-toi, le Ciel l'aidera. » " L'instruction publique, dans un système bien ordonné, doit s'étendre à toutes les professions d'une utilité reconnue. Or, dans l'état actuel du luxe , la comédie étant la récréation la moins dangereuse, étant même un préservatif contre divers excès où peut tomber la classe opulente , les bons comédiens deviennent éminemment utiles ; et la CONFIRMATION. 383 Toutes les professions ont été plus ou moins désor ganisées par le système de Licence qu'on admet pour le Commerce; témoins la médecine et le barreau. Dans fondation des Universités dramatiques et lyriques était d'autant plus urgente , que les mauvais comédiens sont un germe de dépravation so ciale. Ils n'attirent au spectacle que par des motifs étrangers à l'amour de l'art; leur auditoire se compose d'habitués uniquement occupés de coquetterie et indifférents aux progrès du mauvais goût; ils dégradent les chefs -d'œuvre et leurs auteurs, en défigurant et ridiculisant chaque pièce qu'ils représentent; enfin , ils sont le fléau des mœurs , du goût et de la gloire littéraire d'une nation. De là on jugera qu'il convient ou de n'avoir point de théâtres, et donner au public d'autres habitudes ( ce qui est devenu impossible ) , ou de prendre des mesures pour élever les théâtres à la perfection , en formant des pépinières de comédiens comme de tous les autres fonctionnaires. Il faudrait, en conséquence , établir dans toutes les grandes villes un Conservatoire des trois facultés théâ trales , déclamation , chant et danse. Ces établissements recueilleraient et développeraient les talents épars qu'on trouve dans une foule d'en fants et jeunes gens pauvres. Ce n'est pas l'école de Paris qui formera les enfants de Marseille ou Bruxelles ; il faut donc placer les écoles sur tous les points convenables, pour cultiver les germes de talent que la nature a disséminés dans les villes et les campagnes , et former aux emplois dramatiques et lyriques ceux qu'elle y destine évidemment. Il faut les exercer sur le théâtre principal de leur ville, qui en acquerra beaucoupde lustre sans aucuns frais ; les encourager par des prix pécu niaires , qui exciteront un père pauvre à cultiver, au lieu d'étouffer dès le bas âge , les dispositions que son enfant peut annoncer pour les arts. Les villes fourmillent de ces enfants pourvus d'heureuses disposi tions , et que les parents enverraient aux leçons du Conservatoire, dans l'espoir de les voir bientôt appointés à mille écus dans une salle de spectacle. Cette institution, si elle était convenablement organi sée, fournirait sous peu une foule d'acteurs distingués ; ils devien draient aussi abondants que le sont aujourd'hui les bateleurs sans ins truction , enrôlés par l'effet du hasard, et qui forcent les amateurs éclairés à déserter la scène ainsi dégradée. Elle n'atteindra au lustre dont elle est susceptible, que lorsqu'on pourra la composer en entier de sujets régulièrement instruits, et dont la manière sera motivée sur les principes de l'école qui les aura formés Alors, la tyrannie de la mode cessera de bouleverser l'art; on ne verra plus un comédien, chanteur ou danseur, abuser de la faveur pour 384 TROISIÈME PARTIE. les années de liberté absolue , on voyait des charlatans parcourir les campagnes et assassiner par centaines les crédules paysans, à l'abri du principe : Laissez faire la ériger ses caprices en règles. Les traditions d'écoles opposées seront un moyen d'utiliser chaque nuance de talent , et de mettre un frein aux innovations déréglées que l'artiste prend pour des traits de génie. Alors les spectacles seront au degré de perfection où ils doivent opérer un changement avantageux dans les mœurs et une tendance générale à l'étude des arts. L'abondance des bons acteurs, le taux modéré de leurs services , assureront la prospérité des bons théâtres, exciteront les auteurs à s'adonner à la composition de bonnes pièces, qui devien dront aussi lucratives qu'elles sont ingrates aujourd'hui, Alors l'état de comédien acquerra le lustre qui s'attache aux vrais talents et aux réunions qui les étalent. Quant à présent , faut-il s'éton ner si cette profession est dégradée par les sifflets ? Une scène meublée de chétifs acteurs rebute la classe polie et éclairée ; elle attire en ma jorité le vulgaire ignorant : un tel auditoire, loin d'exercer une critique judicieuse , n'exerce qu'un despotisme avilissant, et donne ses leçons avec une rudesse assortie à la valeur de ceux à qui on les adresse . Eh ! quels sont aujourd'hui les titres du grand nombre des comédiens à l'in dulgence ? Si quelques- uns ont des droits aux applaudissements, la ma jeure partie entre dans la carrière sans autres moyens que de l'audace; ils s'aguerrissent aux dépens de quelque malheureuse ville, contre qui ils font leurs premières armes, et ils n'apportent, dans une seconde ville, d'autre acquis que l'art de savoir soutenir le choc dans les trois débuts , et réduire, au bout d'une quinzaine , le parterre au silence , à force de lassitude; faut-il s'étonner, après cela, si la profession est avilie, si elle est dédaignée par tant de familles, qui pourraient en faire l'objet d'une spéculation avantageuse ! car il est peu d'état plus lucratif que celui d'un bon acteur; on en voit de très médiocres dont le traitement s'é lève au double de celui des premiers fonctionnaires civils et militaires d'une province. Et de là vient qu'il est impossible de soutenir les grands théâtres en province ; car les acteurs , même ceux d'un mérite ordinaire, deviennent si rares et si exigeants, qu'une ville de cent mille habitants ne peut entretenir qu'un petit théâtre de farces populaires et de monstruosités dramatiques. La désorganisation frappé sur la France plus sensiblement que sur tout autre empire. La France ne possède point, comme l'Italie et l'AI lemagne, diverses cours, qui, jalouses d'embellir leur résidence, atti rent et encouragent les artistes, en leur assurant la considération réunie à la fortune. Ces moyens de splendeur sont refusés à nos grandes cités ; CONFIRMATION. 385 concurrence. D'autre part, les avocats, imitant les no bles usages du Commerce, s'habituaient à raccoler les pratiques, arrêter et solliciter les paysans sur les places leur population, toute commerçante , leurs habitudes bourgeoises, ne prêtent aucun soutien, n'offrent aucun attrait à l'artiste. Hors de Paris, toute la France n'est qu'un séjour d'exil, d'obscurité pour les arts et le génie ; et sous ce rapport, nos cités de cent mille âmes sont ravalées au dessous des bourgades d'Allemagne, telles que Weimar et Gotha. Dans ces petites capitales on voit fleurir les sciences et les arts , sous la pro tection des Mécènes qui y gouvernent. Quelle affligeante comparaison pour les villes de France ! on les croirait plutôt barbares que civilisées, lorsqu'on les met en parallèle avec celles d'Allemagne et d'Italie : là on voit les muses habiter des palais , en France elles ont à peine des chaumières. Tout est village hors de Paris, sous le rapport des sciences et des arts. Entrez dans le musée de Lyon, vous le trouverez inférieur à une collection de brocanteur ambulant. Entrez dans la bibliothèque de Lyon, vous y trouverez force bouquins, et presque aucun des bons' ouvrages modernes. Voyez le jardin de botanique de Lyon, privé de tout ornement et desservi.par trois cabanes, vous le prendriez pour un jardin de pauvres Capucins. Sont-ce là des monuments pour la seconde ville du plus grand Empire , pour la ville qui alimente le iuxe des quatre parties du monde ? Je le répète , la France est toute concentrée dans Paris ; un esprit jaloux anime les savants qui y sont tous réunis ; ils se complaisent dans l'avilissement des grandes villes , pour lesquelles ils ne proposèrent jamais aucune mesure bienfaisante. En voulant tout avilir pour faire briller Paris dans l'obscurité gé nérale , en voulant tarir les petites sources qui doivent alimenter le grand fleuve , ils ont appauvri la capitale même ; pour ne parler que des spectacles, cette ville si bien pourvue de tout ce qui peut créer les talents , cette ville qui devrait en répandre dans les provinces, est elle même aux abois; elle ne se soutient que par la faculté de désorganiser les théâtres de province, en requérant tout acteur qui excite son attention; et si elle eût avisé à pourvoir les provinces des établissements dont elle est décorée , elle jouirait de son ouvrage, en voyant de nombreux ar tistes refluer sur la Capitale, y déployer à l'envi leurs talents, et varier chaque jour les plaisirs de ses habitants. Paris doit aux provinces éloi gnées ses plus précieux acteurs ; qu'il juge de la quantité qu'on y en recueillerait, si des écoles vivifiantes pouvaient développer les germes de talents que la nature répand en tous lieux , et qu'on doit chercher, non-seulement dans les petites villes, mais dans les moindres villages. La France, pour se maintenir en balance quant aux arts et à la lit 17 386 TROISIÈME PARTIE. publiques et aux portes du palais pour obtenir leur clientèle. Cette prostitution d'un ministère jusque-là honorable, souleva les esprits et obligea d'aviser à des térature, et soutenir la concurrence des villes d'Allemagne et d'Italie qui sont favorisées de résidences souveraines ; la France , dis-je , devrait ( à supposer que la Civilisation pût se prolonger ) traiter ses grandes villes sur le pied de villes de cour, et leur assurer autant que possible les avantages d'un siége royal dont elles sont privées par l'heureuse unité de l'Empire. Pour les assimiler aux villes de cour, il faudrait, aux frais de l'État, leur donner des simulacres de grandeur ; tel serait un musée formé de copies des plus précieux tableaux que rassemble celui de Paris , une bibliothèque fournie de tous les bons ouvrages de celle de Paris, ouvrages qu'on réimprimerait en tant que besoin serait il faudrait enfin doter ces grandes villes avec munificence des diverses fonda tions relatives aux sciences et aux arts, telles que jardin botanique , cabinet de physique et d'histoire naturelle, théâtre national et autres établissements tels que les formerait une cour si elle y fixait sa résidence. Qu'on suppose en France vingt Rois sous un Empereur; ils donne ront à leurs vingt capitales le lustre dont j'ai fait le tableau; et puisque l'unité épargne les dépenses d'appareil qu'entraînerait cette organisa tion fédérale , ce n'est pas trop indemniser ces villes que de leur assurer au moins les fondations utiles qu'elles obtiendraient de la présence des cours, et les mettre de niveau avec les cités des régions qui sont nos rivales dans les sciences, les arts et la littérature. Ces dispositions, conseillées par la justice et la gloire nationale, ne pouvaient être accueillies des savants de la France ; un esprit de corps les passionne exclusivement pour la ville où ils sont rassemblés ; Paris est l'unique objet de leur sollicitude : cette bonne ville compte parmi ses plaisirs celui de ricaner les provinces qu'elle a méthodiquement avilies. Paris est comparable à ces fleuristes haineux qui , voyant une tulipe, une hyacinthe égale aux leurs, achètent la plante pour l'arracher et l'écraser. Paris est pour la France ce que les Hollandais sont pour les Moluques où ils vont chaque année couper et détruire les girofliers et muscadiers, afin qu'il n'en reste qu'à Amboine et Banda. Et l'on doit s'étonner que Paris ait laissé subsister la fameuse école de Mont pellier, qui jouit en Europe d'une renommée si éloignée du ridicule dont Paris veut couvrir les provinces françaises. Pour juger de quoi elles seraient capables si les sciences et les arts y étaient encouragés, il suffit de se rappeler ce qu'était la ville de Genève à l'époque de sa souveraineté ; elle tenait dans les sciences le premier rang après Paris, CONFIRMATION. 387 moyens de répression, comme de réformer les matri cules, contradictoirement aux principes de Libre Con currence. (Je ne parle que des villes où domine la langue française . ) Elle eût peut- être tenu le même rang dans les arts, si ses mœurs cagottes en eussent permis la culture. A cette époque, nos grandes villes de Lyon, Bordeaux, Marseille, Nantes étaient à peu pres nulles dans les sciences et les arts, qui ne fleurissent que sous les regards de l'autorité souve raine, ou dans les villes qui leur offrent des moyens de développe ment. Mais pourquoi ' plaindrait-on les provinces de France? Elles ont un caractère si servile qu'elles se croient honorées quand on leur enlève quelque artiste ou monument pour orner la capitale qui les persifle. Semblables à ces anciens Musulmans qui se croyaient illustrés de mou rir par ordre de Sa Hautesse, les grandes villes de France disent en chorus aux Parisiens : « Vous nous faites , Seigneurs , « En nous croquant, beaucoup d'honneur. » Jamais dans Lyon, Bordeaux, Marseille, Nantes, on n'exprima un regret sur ce dénûment, cette infériorité des sciences, des arts et des théâtres. Jamais on n'y conçut aucun plan pour faire participer ces villes au lustre dont jouit la capitale. Il est consolant de remarquer qu'elle est punie elle -même de l'avi lissement où elle a laissé les provinces : et pour ne parler que des af faires dramatiques et lyriques, combien les auteurs ne souffrent - ils pas du despotisme de Paris ? Ils y voient leurs compositions soumises à un tribunal de coulisse qui les juge sans appel, ou bien bafouées par un parterre vendu à leurs antagonistes ; ils éprouvent la disgråce de ne pas trouver dans le vaste empire de France une seule ville de révision, une ville où les arts soient en force et soutenus d'un bon théâtre, une ville dont les opinions uissent entrer en concurrence avec celles de Paris et infirmer ses arrêts si souvent éloignés de la justice. Voilà une des mille disgrâces qui pèsent sur les savants et artistes en punition d'avoir provoqué le dénûment des provinces. Bien leur en prend d'être molestés pour avoir voulu molester autrui , et n'avoir pas observé à l'égard de Paris ces principes de concurrence dont ils font tant de fracas. Combien de talents naissants sont étouffés par le despotisme d'o pinion qu'exerce la capitale, par les dégoûts sans nombre qu'ils ont à surmonter dans cette ville, seul champ où ils puissent se former et se 388 TROISIÈME PARTIE. Sur cette liberté, comme sur les libertés politiques, on a agi étourdiment et sans prévoir où pouvaient conduire les belles théories philosophiques . Aujour d'hui on commence à entrevoir l'erreur, et pour y re médier on commet des erreurs plus grossières encore; telle est celle de confondre les intérêts du commerce avec ceux des manufactures, dont il est l'ennemi na turel. " Établissons dans un parallèle cette " nullité des marchands et l'importance des manufacturiers, dont on veut confondre les intérêts. Les chefs des fabriques peuvent facilement suppléer aux opérations des mar chands ; ils peuvent acheter directement les matières produire! On dit que Sacchini mourut de chagrin d'avoir vu siffler son OEdipe, qui est le premier des opéras français ; qu'on juge par là du nombre des bons auteurs qui ont été rebutés par les cabales tyranni ques des parterres de Paris ! Et peut-on douter que cette capitale n'é touffe l'émulation et ne prive la France d'une foule d'hommes excel lents qui s'élèveraient, si la rivalité de quelques villes les mettait à l'abri de la tyrannie parisienne , et les assurait d'un jugement équitable sur leurs ouvrages ? Après avoir commis la faute de ne pas créer des universités drama tiques et lyriques, qu'on s'épuise en jérémiades sur la décadence de la littérature, des théâtres, etc.; tout s'explique par l'absence des éta blissements qui mettraient les grandes villes en rivalité avec la capi tale, et développeraient les talents dont on est dépourvu . Si des motifs de jalousie ou de sordide économie se sont opposés à ces fondations, cessez de vous plaindre de la den littéraire et théâtrale ; on vous répliquera : n'est- il pas juste qu'un empire soit privé des talents qu'il n'a pas voulu cultiver ? n'est-il pas juste que l'avare qui se refuse à faire l'avance des semailles ne recueille rien dans le champ où il n'a déposé aucun germe ? Vous imitez cet avare, en négligeant de fonder les Conservatoires qui entreprendraient l'exploitation générale des tá - lents répandus parmi l'enfance ; faute de cette mesure, vous êtes pau - vres au milieu des richesses que la nature sème sous vos pas ; vous êtes bornés, comme les sauvages qui possèdent une mine d'or, à vous con tenter des paillettes qu'une source a détachées. CONFIRMATION. 389 premières , expédier en droiture les produits fabri qués, ou envoyer leurs commis pour en faire la vente et distribution ; le marchand ne peut en aucun cas remplacer les manufacturiers ni fabriquer en leur absence. Si une ville perd ses marchands, comme il arriva dans Marseille au temps de la peste , elle se repeuple aussitôt de nouveaux marchands , pour peu que sa situation invite au commerce. Si une ville perd ses manufacturiers , comme il est arrivé à Louvain , on ne voit pas de nouveaux fabricants y transporter leurs ateliers. Les marchands s'établissent toujours en af fluence partout où il y a des moyens de trafiquer libre ment et avantageusement ; les fabriques ne s'établis sent pas de même dans les lieux où tout les favoriserait et leur promettrait des succès. Le départ des fabricants d'une contrée réduirait à l'inaction tous les marchands de matières et les commissionnaires qui font le service de ces fabriques , tandis que le départ de tous les mar chands ne causerait aucune stagnation dans les fabri ques, dont les chefs et commis peuvent , ainsi que je l'ai dit, suppléer au besoin les marchands. Aussi les Protestants français qui émigrèrent en Allemagne ne furent - ils point remplacés par des fabricants Catholiques ; l'industrie fut expatriée avec eux ; et si Louis XIV n'eût proscrit que les marchands et banquiers, en faisant exception des fabricants, il se serait établi l'année suivante autant de nouveaux mar chands Catholiques à la place des marchands Pro testants. La France n'aurait essuyé qu'une perte d'hommes et d'argent qui se répare , au lieu d'une 390 TROISIÈME PARTIE. perte d'industrie qui fut irréparable. Nous voyons toutes les Puissances empressées d'établir leurs mar chands chez les Orientaux , et aucune Puissance ne voudrait établir en Orient les fabricants d'Europe; on souhaiterait, au contraire, d'attirer les fabricants de la Chine et de l'Inde, et l'on se soucie fort peu d'at tirer en Europe les marchands et navigateurs des mêmes pays. Plus on prolongera ce parallèle, plus on se convaincra que les marchands et banquiers doivent être surveillés rigoureusement et restreints aux fonc tions utiles dont j'ai parlé. Si on leur accorde toute licence, selon l'avis des économistes, ils tournent leurs capitaux contre l'industrie ; ils imitent le soldat indis cipliné qui, délivré de la crainte des châtiments, pillera aussitôt la patrie où il devait maintenir l'ordre (¹ ) . Il fallait bien du temps avant que les Modernes en vinssent à suspecter leur idole et reconnaître qu'il faut changer en entier le Système Commercial, qui est un amas de tous les vices. On pourra m'observer qu'il serait mieux d'énoncer le remède à ces vices que de pérorer sur le mal , et que je devrais me hâter de produire cette théorie de Concurrence Sociétaire qui peut extirper tous les dés ordres mercantiles. A cela je réplique que mon but n'est pas d'améliorer laCivilisation, mais de la confondre et de faire désirer l'invention d'un meilleur Mécanisme Social, en démon (1) Le morceau compris depuis le deuxième alinéa de la page 388 jusqu'ici, formait dans la première édition une note que l'auteur a re portée dans le texte. (Note des éditeurs. ) CONFIRMATION. 391 trant que l'Ordre civilisé est absurde dans les parties comme dans le tout, et que, loin d'avoir perfectionné la raison, les Modernes tombent de plus en plus dans la démence politique ; témoins leurs dernières visions, comme la fraternité et l'esprit commercial , contre lequel s'élèvent à la fois la raison et la nature. La nature n'est jamais trompeuse dans les impulsions générales qu'elle donne au genre humain. Quand la grande majorité des peuples méprise une profession telle que le Commerce, quand ce mépris leur est dicté par instinct naturel , croyez que l'objet de leur dédain recèle quelque propriété odieuse et cachée. Qui des deux est le plus sensé , ou des Modernes qui honorent le Commerce, ou des Anciens qui vouaient les marchands au mépris? Vendentes et latrones , dit l'Évangile, qui confond ces deux classes . Ainsi pensait Jésus-Christ, qui s'arma de verges pour chasser les marchands, et leur dit avec toute la franchise évan gélique : Vous avez fait de ma maison une caverne de voleurs. Fecistis eam speluncam latronum. » D'accord avec Jésus- Christ, la belle Antiquité confon dait les marchands et les voleurs , qu'elle plaçait pêle mêle sous le patronage du dieu Mercure. Il paraît qu'à cette époque l'état mercantile était voisin de l'infamie, car saint Chrysostôme assure qu'un marchand ne sau rait être agréable à Dieu ; aussi a-t-on exclus les mar chands du royaume des Cieux , quoiqu'on y ait admis des élus de toutes professions , même un procureur, qui est saint Yves.

392 TROISIÈME PArtie. Je rapporte ces particularités pour constater l'opi nion des Anciens que je veux mettre en parallèle avec celle des Modernes. Je suis loin d'approuver cette exa gération des Anciens ; il était aussi ridicule de pro scrire et bafouer les marchands qu'il est ridicule au jourd'hui de les exalter aux nues. Mais lequel des deux excès est le moins absurde ? J'opine en faveur des An ciens. - S'il est vrai que la Philosophie moderne soit amie de la Vérité, comment a-t-elle pu accorder sa faveur à la classe des commerçants , qui est la plus menson gère de tout le Corps Social ? Jugeons-en par le por trait qu'on en fait aujourd'hui même, où ils jouissent de la plus haute faveur. « Les Arméniens ( dit Peuchet dans son Dic < tionnaire de la géographie commerçante ) ont une << dissimulation active et profonde , une bassesse in dustrieuse, des manières aussi fausses que persua sives , tous les petits moyens que la fraude et l'ar ་་ tifice peuvent suggérer. Façonnés au despotisme , <« humiliations , parjures , rien ne leur coûte pour «< parvenir à leur but ; la religion même n'est qu'un <« instrument de plus entre leurs mains pour cimenter << leurs intérêts et leurs tromperies. En Russie , ils sui << vent le rit grec ; en Perse, le mahométisme, etc. etc.>> Ce peu de lignes suffit pour donner une idée des mœurs commerciales et de l'influence salutaire qu'elles peuvent avoir sur l'Ordre social, quand elles y domi nent. Les marchands de nos jours peuvent revendiquer les plus beaux traits du caractère arménien. A la vé rité, les riches négociants sont assez éloignés de cet ༥ CONFIRMATION. 393 odieux caractère, parce qu'il est aisé d'être honorable quand on a cent mille écus, mais il n'est pas moins vrai que l'esprit commercial corrompt la politique et les mœurs des peuples . Carthage et l'Angleterre en fournissent la preuve ; leur politique trompeuse, Pu nica fides, a passé en proverbe , et quant au caractère mercantile, qu'on ne peut voir au naturel que chez les clasess inférieures, je citerai celui des Juifs, de ces hommes que le Tableau de Londres définit ainsi : « Deux << mille cinq cents Juifs qui parcourent les rues et les <<< lieux publics en excitant les fils de famille à voler <« leurs pères et les domestiques à voler leurs maîtres, <<< et qui paient les objets volés avec de l'argent de << mauvais aloi . »> Malgré tant de turpitudes commerciales qui de vaient indigner toutes les âmes honnêtes , malgré le témoignage de la raison qui nous montre dans l'ana lyse des fonctions commerciales une entremise para site, subalterne et désorganisatrice, on a vu pourtant le Commerce s'élever au trône de l'opinion chez les Modernes. Cela devait être , puisque la Civilisation est essentiellement favorable à la Perfidie ; elle tend par ' influence du Commerce à un Système Industriel plus odieux, plus perfide encore , et dont je vais signaler le germe. Du reste, je conçois que mes critiques doivent sem bler déplacées et même révoltantes, jusqu'à ce que j'aie fait connaître le Mécanisme qui peut remplacer le Commerce et faire succéder le règne de la vérité et du bon ordre aux perfidies et aux ridicules com merciaux. Provisoirement, je dénonce la couardise de 17. 394 TROISIÈME PARTIE. ces savants qui n'ont pas osé s'occuper d'une telle re cherche, et qui osent se dire amis de la Vérité en fai sant l'apologie du Commerce. A défaut des savants, quelques administrateurs ont déjà tenté des remèdes à l'anarchie commerciale, mais on est tombé de Carybde en Scylla ; les maîtrises en nombre fixe, qu'on substitue à l'anarchie, sont un re mède pire que le mal ; elles sont, après les clubs , le plus dangereux levain de révolution qu'on puisse in troduire dans l'ordre civilisé. VII. DÉCADENCE de l'Ordre civilisé par les maîtrises fixes qui conduisent en 4º Phase. Je me bornerai à indiquer le sujet dont il faudrait traiter, le Droit au travail. Je n'ai garde d'entamer au cun débat sur ces rêveries renouvelées des Grecs , ces Droits de l'homme devenus si ridicules. Après les ré volutions que nous a causées leur règne, croira-t-on que nous marchions à de nouveaux troubles pour avoir oublié le premier et le seul utile de ces Droits ; le Droit au travail dont nos politiques n'ont jamais fait mention, selon leur habitude d'omettre dans chaque branche d'études les questions primordiales ( page 287 ) . Entre autres infractions au Droit dont il s'agit, je citerai les compagnies privilégiées qui, exploitant une branche de travail, ferment le concours aux préten dants et refusent l'admission conditionnelle. CONFIRMATION. 395 L'influence de ces compagnies ne peut devenir dan gereuse et causer révolution qu'autant que leurs rè glements s'étendraient au Corps Commercial entier. Nous touchions à cette innovation qui se serait opérée d'autant plus facilement qu'on n'en prévoyait pas les conséquences. Les plus grands maux ont souvent des germes im perceptibles , témoin le jacobinisme. Il existait des clubs avant la révolution française ; on y voyait figu rer les hommes les plus intègres, et l'on n'aurait ja mais soupçonné que de tels rassemblements recélassent le germe d'une tyrannie plus affreuse que celles des Néron et des Tibère ; car celle-ci ne frappa que sur les grands, les capitales et les gens à parti, tandis que les clubs étendirent leur persécution jusque sur les ci toyens les plus obscurs et les hameaux les plus ignorés. Et si la Civilisation a tardé 25 siècles à engendrer cette calamité, ne pouvait- elle pas en produire beau coup d'autres qu'on ne sait pas prévoir? La plus immi nente était la Féodalité commerciale ou affermage du commerce à des compagnies liguées et privilégiées ex clusivement. Les extrêmes se touchent, et plus l'anarchie com merciale a pris d'accroissement, plus nous tendons au privilége universel, qui est l'excès opposé. C'est le sort de la Civilisation d'être toujours ballottée entre les partis extrêmes, sans se fixer au sage milieu . Plusieurs circonstances tendaient à faire corporer les négociants, à les organiser en compagnies fédé rales, en monopoleurs affiliés , qui, d'accord avec les grands propriétaires , auraient réduit tous les petits 396 TROISIÈME PARTIE. en vassalité commerciale , et seraient devenus , par des intrigues combinées, maîtres de toute production. Le petit propriétaire aurait été forcé indirectement à disposer de ses récoltes selon la convenance des mo nopoleurs ; il serait devenu commis exploitant pour la coalition mercantile ; enfin l'on aurait vu renaître la Féodalité en ordre inverse et fondée sur des ligues mercantiles, au lieu de ligues nobiliaires. Tout conspirait à préparer ce dénouement : l'esprit d'Agiotage s'est emparé des grands ; l'ancienne No blesse, ruinée et dépossédée , cherche des distractions dans les intrigues du négoce ; les descendants des an ciens chevaliers excellent à la connaissance du Ba rême et aux tripotages de la Bourse, comme leurs aïeux excellaient dans les tournois . L'opinion est pro sternée devant ces hommes qu'onappelle gens d'affaires, qui dans les capitales partagent l'autorité avec les Ministres , et inventent chaque jour des moyens de s'approprier en fermage quelque branche d'industrie. Sous leur influence, le Gouvernement, sans le vouloir, tend à s'emparer du commerce qu'on envahit pièce à pièce, et qu'on brûle d'envahir en entier par un fer mage universel ; car toutes les belles promesses de ga rantir la liberté du commerce ressemblent assez aux serments de nos fameux républicains, qui, en jurant haine mortelle à la Royauté, n'aspiraient à autre chose qu'à monter sur le trône. Nous marchions donc à grands pas vers la Féodalité commerciale et la 4 phase de Civilisation. Les savants , habitués à révérer tout ce qui vient au nom du com merce et pour le bien du commerce , auraient vu CONFIRMATION. 397 Da sans inquiétude naître ce nouvel ordre , et auraient consacré leur plume banale à en faire l'apologie. Le début aurait été tout de roses, comme fut celui des clubs, et le résultat aurait été l'inquisition indus trielle, l'asservissement de tous les citoyens aux intri gues du monopole affilié. ( Si l'on veut connaître quel était le moyen d'échapper à ce fléau, on peut consulter la Note ( 1 ) , qui n'intéresse guère que les commerçants. Elle leur indique le seul moyende conserver leur li berté qui est à deux doigts de sa perte. L'administration s'indigne , en secret, de les voir échapper à l'impôt qu'ils évitent en tout sens , et dont ils supporteraient leur quote-part dans le système de maîtrise proportionnelle , qui les sauverait du fermage.. Voyez ici-bas ). (1) Maitrise, proportionnelle, ou Procédé mitoyen entre la libre concurrence et le fermage commercial. Ce serait ici un débat de la plus haute importance, si la Civilisation devait se prolonger seulement dix ans ; mais comme ce malheur n'est pas probable, il suffira d'effleurer la question et de prouver que le Com merce est menacé d'être mis en ferme par la nécessité de remédier à son anarchie croissante. Autant il est nécessaire de réduire en tout genre le nombre des agents superflus, autant il est cruel de les exclure tout à coup par une mai trise en nombre fixe. Quoi de plus injuste que de livrer une branche d'industrie à des accapareurs ligués, qui obtiennent pour un chétif tri butle droit d'exclure, incarcérer et spolier leurs concurrents ? Admettre un tel ordre, c'est reproduire en détail le système du monopole qu'on reproche si amèrement à l'Angleterre. Les ligues exclusives n'ont envahi jusqu'à présent que des fonctions d'ordre inférieur ; elles n'existent que parmi les artisans et les agents subalternes du commerce, qu'on nomme courtiers, agents de change. C'est pourquoi elles n'ont pas fixé l'attention des observateurs , et l'on n'attache aucune importance à l'équité ou l'iniquité de leurs statuts. Ces ligues ont tiré parti de leur obscurité pour brusquer l'envahisse ment du privilége et l'obtenir au plus vil prix , au tiers et au quart de sa valeur ; aussi ont- elles soigneusement empêché que la concession ne fût mise à une enchère qui aurait confondu leurs offres dérisoires. 398 TROISIÈME PARTIE . Ainsi dans une même génération les philosophes auront commis deux fois l'absurdité de faire rétro grader le Mouvement social : la première fois, par un Elles colorent leur usurpation de quelques motifs plausibles, de cer tains désordres qu'entraîne l'admission illimitée des prétendants au travail; ces désordres, que j'ai signalés sous le nom de concurrence anarchique, ne sont pas un motifpour se jeter d'un mal dans un pire, de la licence dans la persécution. Il fallait trouver un procédé moyen entre l'admission désordonnée et la ligue exclusive ; je vais l'indiquer, et c'est encore un calcul d'enfant qui n'exigeait aucunes lumières, mais seulement des vues équitables qui ne sont guère l'attribut des écono mistes. Ce procédé, que je nommerai finance progressive, doit marcher la sonde à la main ; il consiste à exiger des industrieux, et surtout des im productifs comme les commerçants , un cautionnement sans intérêt et une patente ; l'un et l'autre doivent augmenter d'année en année ; par. exemple : 1807. Cautionnement , 3,000 livr. Patente, 300 1808. C. 1809. C.. • P.. • · 4,000 400 5,000 500 C'est par chaque année un versement de 1,000 liv. en sus du dépôt primitif, et in dépendamment de la pa tente croissante. P.. et successivement jusqu'à ce que l'affluence des agents diminue et que le nombre de ceux qui entrent dans la corporation soit égal au nom bre de ceux qui en sortent par décès ou retraite. Alors le cautionne ment et la patente ont atteint le point de balance où ils doivent se fixer jusqu'à nouvelles chances, comme celles de paix ou de guerre, qui res serrent ou agrandissent le domaine de l'industrie. En ce cas la finance progressive doit suivre l'impulsion, être modifiée en hausse ou en baisse, suivant l'affluence subite ou la rareté subite des prétendants , qu'on ne doit jamais exclure s'ils remplissent les conditions exigées. Cette mesure, appliquée au commerce, doit élever en très peu de temps l'association au plus haut degré ; car la hausse annuelle du cau tionnement et de la patente , et la seule perspective de cette hausse, amènent les commerçants à oublier leurs jalousies et former des réu nions économiques de 10, 12, 15 maisons, pour ne supporter qu'une seule finance. Aussitôt qu'une de ces grandes associations est formée , l'immensité de ses épargnes et de ses ressources entraîne tous les incohérents à se réu CONFIRMATION. 399 excès de Liberté politique , qui , en 1793 , conduisait rapidement l'Europe à la Barbarie ; la seconde fois, par un excès deLiberté commerciale, qui, aujourd'hui, nir comme elle, pour alléger le poids du cautionnement et éviter de soutenir contre elle une lutte individuelle dont l'issue serait si évidem ment ruineuse qu'on refuserait tout crédit à quiconque s'obstinerait à la tenter isolément. C'est sur ces grandes réunions que le Gouvernement peut commencer les opérations ( les solidarités, les annexes, etc. ) d'où résulte la Con→ currence Sociétaire, qui extirpe la Banqueroute, l'Agiotage, l'Accapare ment, les Déperditions, etc. Je ne traiterai pas ici de ces mesures ; je meborne à observer que la finance progressive, qui n'est qu'un prélude à l'établissement du bon ordre commercial, atteint déjà 3 buts des plus importants : 1º Réduire le nombre des agents, sans mesure violente , sans exclu sion personnelle, sans privilége vexatoire ; 2º Former l'association , qui est la base de toute économie et de tout bien désirable dans le système commercial ; 3º Assurer au fisc une imposition proportionnelle sur les diverses branches d'industrie difficiles à atteindre, telles que le commerce, le barreau , la médecine, qui ont dans l'ordre actuel des moyens de se soustraire aux charges publiques et de mettre en défaut les systèmes financiers. Toute autre mesure que la finance progressive tombe dans l'arbi traire et la confusion, préjudicie au Gouvernement comme à l'industrie, consacre les conflits entre les privilégiés et les persécutés. Ceux- ci, ré duits au désespoir par une exclusion qui les condamne à l'indigence, s'épuisent en ruses pour éluder la défense de travail et résister à l'op pression d'une compagnie qui veut les accabler, sans leur laisser aucun espoir d'admission au travail. Toute ligue en nombre fixe anéantit les deux concurrences de sa laire et d'émulation . L'on a pu s'en convaincre par l'exemple récent des procureurs, qui étaient en nombre suffisant pour que l'émulation fit tomber leurs services à un prix modéré ; le contraire a eu lieu : ils se sont accordés pour élever leurs bénéfices à un taux si vexatoire que le Gouvernement a cru devoir les réprimer par un tarif. Et lors même que ce tarif pourrait être suivi, ce qui n'aura pas lieu, cette fixation de sa laire n'opèrerait pas la concurrence d'émulation, car toute ligue en nombre fixe, voyant le public réduit à passer par ses mains, trouve son bénéfice à le molester et n'exercer qu'à son aise un travail où elle n'a pas de rivaux à craindre. Essayez d'établir sur un port un nombre fixe 400 TROISIÈME PARTIE. nous fait décliner rapidement vers l'Ordre féodal : tristes résultats de notre confiance à ces charlatans scientifiques qui n'ont d'autre but que d'élever des de porte-faix ; vous les verrez bientôt se coaliser pour maîtriser et ran çonner le commerce ; aussi les commerçants ne redoutent-ils rien tant que ces ligues exclusives de serviteurs, et voilà pourquoi tout négo ciant protége les non - titulaires en fait de courtiers et agents de change ; il sait que sans leur concurrence on verrait bientôt les privilégiés ex clusifs tomber dans la nonchalance, faire les précieux au point de né gliger la partie ingrate du travail , ne se charger que des négociations lucratives et faciles ; enfin, réduire le commerçant à faire par lui-même tout ce qui leur déplairait. Au reste, il est bien maladroit aux négo ciants, qui sont le corps le plus libre de la société, de s'être donné vo lontairement des maîtres dans la personne de leurs courtiers, qui peu vent dénoncer et faire punir le négociant s'il fait usage du ministère d'autrui . Voilà une plaisante disposition qui soumet les maitres aux va lets si les négociants avaient un peu d'amour-propre, ils s'accorde raient à exclure de chez eux cette agence vexatoire jusqu'à ce qu'elle eût elle-même sollicité la modification de ses priviléges, contraires en tout point au bon sens et à l'équité. Parmi les nombreux abus qui naissent des ligues exclusives, je n'en veux citer qu'un : c'est de faire à la longue peser l'exclusion sur tous les candidats les plus dignes de l'admission . En effet : Je suppose qu'un privilége limite à 30 le nombre des médecins de telle ville, et que Boerhaave, jeune encore, se présente lorsque la ligue cor porative est déjà complète. Boerhaave se trouvera à jamais exclu d'exercer la médecine. En voici les raisons :

D'abord il patientera en attendant qu'une des 30 places vienne à va quer ; l'époque arrivera, mais ne croyez pas qu'alors son talent le fasse admettre la place vacante sera donnée à quelque parent ou compère des privilégiés, ou bien à quelque habile coureur qui sera arrivé un jour plus tôt queBoerhaave au bureau du ministère ; car on sait que les hom mes studieux et honorables sont toujours maladroits en intrigue. En outre, les corporations de nombre fixe veulent jouir sans fatigue de leur privilége ; elles craignent d'introduire dans leur sein un collègue trop intelligent et trop actif, dont la concurrence leur deviendrait gênante et préjudiciable. Ces considérations seront pour Boerhaave autant de motifs d'élimination ; il aura l'imprudence de s'en plaindre, car les hommes à talent ont rarement la souplesse nécessaire dans les intri gues civilisées ; ses plaintes lui aliéneront de plus en plus la corpora tion et finiront par le rebuter tout- à- fait. CONFIRMATION. 401 controverses pour subsister par la vente de leurs li vres ! La philosophie avait besoin d'accréditer quel que chimère pour remplacer les discussions théologi C'est ainsi que le système des maîtrises en nombre fixe tend à ex clure à la longue les gens les plus aptes ; après quelques passe - droits ils n'osent pas attendre la chance d'un nouveau défunt, et risquer d'être écartés encore par de nouvelles intrigues ; ils se livrent à d'autres fonc tions où ils végètent toute leur vie et sont comme perdus pour la so ciété, car l'homme devient nul dès qu'il n'est pas au poste où la nature le destinait. Ces divers inconvénients sont prévenus par la finance progressive ; elle réunit deux avantages assez inconnus en Civilisation : c'est de rebu-. ter le talent médiocre, et de protéger l'homme pauvre et laborieux par l'effet d'un cautionnement qui semble devoir l'exclure. Plus le cautionnement sera élevé, plus il élaguera cette foule de sujets parasites que les pères aventurent dans une profession sans consulter leur aptitude, et qui viennent encombrer le barreau , la médecine, le commerce, parce qu'il n'en coûte aucun déboursé notable pour obtenir l'exercice desdites fonctions. Mais le cautionnement n'écartera point un homme pauvre et habile ; en effet, si Boerhaave est sans fortune et qu'il développe dans les éco les un talent transcendant, il sera assuré de l'appui des capitalistes qui cherchent à s'intéresser en commandite sur le talent d'autrui, qui con fient spéculativement des fonds à celui dont la capacité promet un ample bénéfice, et préférablement aux jeunes gens qui n'ont pas été élevés dans le bien -être, mais stimulés par la nécessité. En conséquence } Boerhaave, réunissant aux talents le besoin de les faire valoir, trouvera d'autant mieux l'avance du cautionnement , et les prêteurs croiront faire un marché avantageux en lui procurant l'exercice d'un art dont ils vont partager les bénéfices. J'ai fait entrevoir que la finance progressive et la maîtrise proportion nelle qui en résulte concilient les intérêts du prince et des sujets, et qu'on arrive à un résultat opposé si la maîtrise est établie en nombre fixe et privilégiée, comme on la voit aujourd'hui . Concluons qu'à défaut de cette mesure le commerce entier est sur le point de tomber en maîtrise privilégiée, puisque l'opération est déjà exécutée sur les deux classes extrêmes , par les compagnies coloniales des Indes, etc. , et par les compagnies de courtage, qui toutes deux exercent à privilége exclusif les principales et les moindres fonctions du commerce. Il est donc attaqué aux deux extrémités par le privilége ; il se trouve dans la position d'une place cernée et approchée. Dans cette 402 TROISIÈME PARTIE. ques qu'elle a dissipées, et c'est sur le veau d'or , sur le Commerce, qu'elle a jeté les yeux pour en faire l'objet du culte social et des débats scolastiques. Ce conjoncture, à quoi tient- il que le privilége n'envahisse tout ? à un be soin d'argent qu'éprouverait quelque prince. Des novateurs lui propo seront le fermage commercial, et ce plan, dans un moment de pénurie, sera d'autant mieux accueilli qu'il présentera, outre la perspective d'a mélioration , l'avantage d'opérer un versement subit et considérable dans les caisses des établissements publics . Or, le privilége commercial une fois admis dans un royaume quelconque s'introduira forcément dans les autres Etats, parce que leurs marchands incohérents seraient joués en tout sens par les compagnies de l'empire voisin, qui auraient, dans cette lutte, l'avantage d'une armée régulière contre des bandes indisci plinées. Il n'importe de faire connaître quels seraient les résultats de ce nou vel ordre industriel, qui constituerait la 4º phase de Civilisation ou Féo dalité commerciale, dont le Souverain serait le chef. Bornons-nous à remarquer que la Civilisation courait à cette révolution industrielle et politique par deux bévues successives des économistes. La première est d'avoir adopté la concurrence anarchique, le principe laissez faire les marchands, principe dont les fâcheux résultats obligent à aviser aux moyens de répression . La seconde est d'avoir adopté ou toléré, comme moyen de répression, la maîtrise privilégiée en nombre fixe au lieu de la maîtrise libre en nombre indéterminé et proportionnel aux circonstances. Il n'est pas besoin d'ajouter que cette 2e maîtrise est une mesure de 6 Période ; il suffit qu'elle favorise l'équité et la liberté pour qu'elle sorte des caractères de Civilisation , et qu'elle ait échappé aux vues des philosophes, toujours ennemis de la liberté, de la justice et de la vérité. Ces savants n'ayant sur le commerce que de la théorie sans pratique, et, d'autre part, les négociants n'ayant que de la pratique sans théorie, les uns et les autres sont également dangereux à consulter sur cette ma tière , et l'administration a bien raison de se plaindre que personne n'entend rien en politique commerciale, sur laquelle tout le monde ri valise d'impéritie ; et pour preuve, citons les fautes des trois parties respectives. J'ai fait connaître plus haut celles des économistes. Les fautes de l'administration en matière commerciale sont l'ouvrage de l'Assemblée Constituante , qui , habile à détruire sans savoir édifier, augmenta l'anarchie dans le commerce comme partout. En supprimant la noblesse pour élever les hommes à portefeuilles, CONFIRMATION. 403 n'est plus aux Muses ni à leurs nourrissons , c'est au " Trafic et à ses héros que la Renommée consacre ses cent voix. Il n'est plus question de Sagesse, de "" elle devait pressentir que l'influence de ces êtres obscurs forcerait à la fin le Gouvernement à faire des pas rétrogrades, comme de rétablir une noblesse dont le contre-poids (à ne parler que dans le sens commercial) tend à contenir les négociants dans les bornes convenables à leur pro féssion. Quant à présent , enorgueillis par l'absence de distinctions et par l'encens des économistes, ils se jettent dans un luxe effréné, germe de leur immoralité, de leurs spéculations hasardeuses, de leurs banque routes et autres désordres, dont l'accroissement forçait le retour au sys tème vexatoire des maîtrises fixes, faute de connaître celui des maîtrises proportionnelles. Les fautes des négociants sont : De s'être laissés prendre aux théories des philosophes , dont ils res sentent la malfaisance ; car il n'est aucun d'eux qui ne se plaigne chaque jour des désordres qu'entraîne la pullulation sans borne des marchands ; D'avoir inconsidérément laissé entamer leur liberté, leurs priviléges, par la maîtrise fixe, qui achemine au privilége commercial. Dès ce mo ment, l'administration peut les prendre à leurs propres arguments et leur dire « Vos chambres de commerce ont opiné à ce qu'on corporât « en maîtrise fixe , qu'on soumît à une garantie, à un cautionnement, les « courtiers ou agents de change qui ne sont que vos commis banals a (car un courtier est un saute-ruisseau qui colporte les mensonges d'au " trui, auxquels il ajoute les siens ) . Or il est bien plus urgent d'exiger << une garantie des négociants, qui sont dépositaires de la fortune publi « que, tandis que le courtier n'est dépositaire que de paroles ; en con « séquence, trouvez bon, messieurs les négociants , qu'on vous sou mette à un cautionnement. » A cela les Chambres de commerce ne pourront que répondre AMEN, et se dire à elles - mêmes : Vous l'avez voulu, Georges Dandin. Les fautes des trois parties que je viens de citer, et la tendance en 4 phase qui en résulte, forment une complication d'inepties qui donne la mesure de notre perfectionnement économique. Eh ! que dirais - je si je touchais à d'autres matières que le commerce ! Voilà donc les lu mières de ce siècle qui entasse des volumes sur la politique sociale ! Pauvres savants pauvres peuples, quel chaos que votre Civilisation ! et combien vous serez ébahis quand la théorie de contremarche pas sionnée vous fera voir clair dans cet immense dédale civilisé où les 404 TROISIÈME PARTIE. Vertu, de Morale ; tout cela est tombé en désuétude, et l'encens ne brûle que pour le Commerce. La vraie grandeur pour une Nation , la vraie gloire selon les économistes, c'est de vendre aux Empires voisins plus de culottes qu'on n'en achète d'eux . La France, toujours ardente à s'engouer , a dû don ner tête baissée dans la folie du jour; aussi en France ne saurait-on penser, parler ni écrire, si ce n'est pour le bien du Commerce. Les grands même sont esclaves de cette manie ; un Ministre qui veut se populariser doit promettre à chaque bourgade un Commerce im mense et un immense Commerce ; un grand seigneur qui parcourt les provinces doit s'annoncer dans cha que ville comme ami du Commerce, voyageant pour le bien du Commerce. Les beaux génies du 19° siècle sont ceux qui nous expliquent les mystères de la Bourse en livres , sous et deniers. [ La Poésie et les Beaux-Arts sont dédaignés, et ] le Temple de Mémoire ne s'ouvre plus qu'à ceux qui nous apprennent pourquoi les su cres ont faibli, pourquoi les savons ont fléchi . Depuis que la philosophie s'est prise de belle passion pour le Commerce, Polymnie sème de fleurs cette nouvelle science ; les expressions les plus suaves ont remplacé l'ancien langage des marchands , et l'on dit , en ter mes élégants : les sucres ont fléchi , faibli , c'est- à- dire diminué; les savonsjouent un beau rôle, c'est-à-dire philosophes, les peuples et les rois ne sont que des troupes d'aveugles, s'entrechoquant dans l'obscurité , se perdant l'un par l'autre en croyant se servir, attestant par leurs erreurs la suprématie des passions dont ils sont tous les jouets, et la nécessité d'étudier les lois de ces maîtresses du monde au lieu de leur dicter les nôtres ! CONFIRMATION. 405 augmentent. Autrefois des complots pernicieux comme l'Accaparement excitaient l'indignation des écrivains ; aujourd'hui ces menées sont des titres de gloire , et la Renommée les annonce d'un ton pindarique, en di sant : « Un mouvement rapide et inattendu s'est fait «< tout à coup sentir sur les savons. » A ces mots il semble voir les caisses de savon s'élancer au plus haut des nues , tandis que les accapareurs de savon remplissent l'univers de leur nom. Quelque objet qui tienne au Commerce , ne fût-ce qu'un coupon d'as signat ou un quarteron de fromage, les philosophes n'en parlent qu'en style sublime et avec l'accent du ravissement. Sous leur plume un tonneau de rogomme devient un flacon d'essence ; les fromages exhalent "un" parfum de rose, et les savons effacent la blan cheur des lis. Toutes ces fleurs de rhétorique contri buent puissamment au succès de l'industrie ; elle a trouvé dans l'appui des philosophes le même secours qu'y ont trouvé les peuples, beaucoup de paroles et point d'effets. C'est à présent que J.-J. Rousseau pourrait bien dire « Les ridicules ont changé depuis Molière, mais il manque un Molière pour peindre les nouveaux ri dicules . » Eh ! que peut-on voir dans ce fracas dethéo ries mercantiles , sinon un verbiage inventé pour faire gémir les presses et disputer les oisifs, comme il est arrivé de " l'égalité " et de la " fraternité ", auxquelles succède LA TRAFICOMANIE? Vit-on jamais tant de désordres dans l'industrie que depuis que cet esprit mercantile s'est emparé de l'opinion ? Parce qu'une nation insulaire, favoriséc 406 TROISIÈME PARTIE. par l'indolence de l'ancienne France, s'est enrichie dans le monopole et la piraterie, voilà toute l'an cienne philosophie en défaut ! voilà le trafic devenu l'unique voie de la vérite , de la sagesse, du bonheur ! voilà les marchands devenus les colonnes de l'état social, et tous les cabinets luttant d'avilissement de vant une nation qui les achète avec la dîme du tribut industriel qu'elle perçoit sur eux ! On est tenté de croire à la magie en voyant les Rois et les Peuples circonvenus par quelques sophis mes commerciaux, et élevant aux nues la classe mal faisante des agioteurs, accapareurs et autres corsaires industriels qui n'emploient leur influence qu'à former des masses de capitaux, pour exciter des fluctuations sur le prix de chaque denrée et bouleverser alternati vement chaque branche d'industrie ; qu'à appauvrir les classes laborieuses [ agriculteurs, manufacturiers...] qui sont spoliées en masse par une spéculation d'acca parement, comme on voit les harengs s'engloutir par milliers dans la gueule d'une baleine qui les aspire. Terminons au sujet du Commerce. J'ai déjà énoncé dans le cours de cette discussion quels seraient les effets de la Concurrence Sociétaire, qui est l'antidote de l'ordre actuel. 1º Elle opère , sans contrainte ni privilége exclusif, les grandes Associations , qui sont la base de toute économie. 2º Elle rend le Corps Commercial assureur de lui même et propriétaire conditionnel des objets com merciables. 3º Elle rend aux cultures et fabriques tous les CONFIRMATION. 407 capitaux du Commerce ; car le Corps Social étant pleinement assuré contre toute malversation des com merçants, on leur accorde partout une aveugle con fiance ; dès lors ils n'ont besoin pour leur gestion d'aucune somme notable, et tout le numéraire re tourne aux travaux productifs. 4° Elle rend à ces mêmes travaux les trois quarts des bras qui sont employés aujourd'hui aux fonctions improductives du Commerce. 5º Elle subordonne, par le moyen de la finance progressive, le Corps Commercial aux charges publi ques, dont il sait s'affranchir aujourd'hui. 6º Enfin elle établit dans les relations une bonne foi moins grande, à la vérité, que celle qui règnera dans l'Ordre Combiné, mais déjà immense en compa raison de l'étendue des fourberies actuelles. Cet aperçu pourra faire désirer un chapitre sur la Concurrence Sociétaire ; mais j'ai observé que le plan de ce Prospectus se borne à signaler l'ignorance de nos philosophes, les buts qu'ils auraient dû se proposer. Du reste, que servirait de nous arrêter aux moyens de perfectionner la Civilisation par des mesures emprun tées de la 6e Période, comme la Concurrence Socié taire ? Que nous importent les améliorations de la 6º et de la 7º Périodes , puisque nous pouvons les franchir toutes deux et passer immédiatement à la 8º, qui dès lors mérite seule de nous occuper? Lorsque nous aurons atteint ce but , lorsque nous jouirons pleinement du bien- être de l'Ordre Combiné, nous pourrons à notre aise raisonner sur les vices et les correctifs de la Civilisation ; elle nous semblera , " 408 TROISIÈME PARTIE. comme la guerre , belle quand on en est revenu. C'est alors qu'on pourra se complaire dans l'analyse du Mécanisme civilisé , qui est le plus curieux de tous ; car c'est celui où règne la plus grande complication de ressorts. Quant à présent il s'agit d'en sortir avant de l'étudier ni le corriger ; c'est pourquoi je ne cesserai de fixer les esprits sur la nécessité de repousser toute demi-mesure, d'aller droit au but en fondant sans délai un Canton de Séries progressives , qui , en don nant la démonstration de l'Harmonie passionnée, lè vera au genre humain la cataracte philosophique , et élèvera subitement toutes les nations civilisées, bar bares et sauvages , à leur Destinée sociale , à l'Unité universelle. ÉPILOGUE. SUR LE CHAOS SOCIAL DU Globe. Auteurs des sciences incertaines , qui prétendez tra vailler au bien du Genre Humain, croyez - vous que six cents millions de Barbares et Sauvages ne fassent pas partie du genre humain? Cependant ils souffrent ; eh ! qu'avez-vous fait pour eux? Rien. Vos systèmes ne sont applicables qu'à la Civilisation où ils portent l'empirisme dès qu'on les met à l'épreuve . Mais quand vous posséderiez l'art de nous rendre heureux, pensez vous remplir les vues de Dieu en voulant limiter le bonheur aux Civilisés, qui n'occupent que la plus faible portion du Globe? Dieu ne voit dans la Race humaine qu'une même famille, dont tous les membres ont droit à ses bienfaits ; il veut qu'elle soit heureuse tout en tière, ou bien nul peuple ne jouira du bonheur. Pour seconder les vues de Dieu vous deviez chercher un Ordre Social applicable à tout le Globe , et non pas à quelques nations. L'immense supériorité des Bar bares et Sauvages vous avertissait qu'on ne pourrait les policer que par Attraction et non par Contrainte. Eh ! pouviez-vous espérer de les séduire en leur pré sentant vos coutumes qui ne se soutiennent qu'avec l'appui des gibets et des baïonnettes ? Coutumes odieuses à vos peuples mêmes, qui dans tous pays se 18 410 TROISIÈME PARTIE. soulèveraient à l'instant s'ils n'étaient contenus par la crainte du supplice! Loin de parvenir à policer et réunir le Genre Hu main, vos théories n'obtiennent des Barbares qu'un profond mépris , et vos coutumes n'excitent que l'iro nie du Sauvage ; sa plus forte imprécation contre un ennemi , c'est de lui souhaiter notre sort et lui dire : « Puisses-tu être réduit à labourer un champ ! » Paroles qu'on doit regarder comme une malédiction proférée par la Nature même. Oui, l'Industrie civilisée est ré prouvée par la Nature , puisqu'elle est abhorrée des peuples libres qui l'embrasseraient à l'instant si elle s'accordait avec les passions de l'Homme. Aussi Dieu n'a-t- il point permis que cette industrie fit des progrès ni qu'on pût étendre au Globe entier cette culture si ingrate pour ceux qui en portent le faix . Il l'a resserrée sur quelques points , dans la Chine, l'Inde et l'Europe , où s'amoncellent des fourmilières d'indigents, des corps de réserve pour servir à l'orga nisation de l'Ordre combiné, afin que dès son début cet Ordre soit pourvu d'une masse de cultivateurs dis ponibles ; on fera dégorger ces misérables des lieux où ils sont encombrés, et l'Empereur d'Unité les répartira sur les points convenables pour procéder à une exploi tation régulière du Globe. Mais c'est en vain que vous vous efforceriez d'éten dre l'Industrie civilisée et de répandre par toute la terre le travail incohérent ; Dieu (pour diverses rai sons que je ne puis exposer ici) n'aurait jamais souf fert que cet Ordre contraire à ses vues pût s'étendre à toutes les terres cultivables, et il avait pris des pré EPILOGUE . 411 cautions pour le resserrer dans tous les cas, soit par les guerres intestines , soit par l'irruption des Bar bares. Si l'Industrie a fait quelques progrès en Europe , n'a-t-elle pas perdu en Asie d'immenses régions ? Si la Civilisation a fondé en Amérique de frêles colonies, déjà menacées de décadence par la révolte des Nègres, n'a-t-elle pas perdu aux portes de l'Europe les plus vastes empires ? l'Egypte , la Grèce , l'Asie - Mineure , Carthage, la Chaldée et partie de l'Asie occidentale ? L'Industrie a été étouffée dans de grandes et belles contrées, comme la Bactriane , où elle commençait à s'introduire ; l'empire de Samarkand, jadis célèbre dans l'Orient , et toutes les régions qui s'étendent de l'Oxus aux bouches de l'Indus, ont rétrogradé politi quement et reformé la Horde. Le vaste empire de l'Indostan marche rapidement à sa ruine par la tyran nie des Anglais; elle provoque le dégoût des cultures, et l'assimilation aux Marhattes, dont les Hordes for ment déjà un puissant noyau de Tartares au centre du Mogol. Ils peuvent, avec le temps, se cantonner dans la chaîne des Gates et s'agglomérer les peuples de Malabar et de Coromandel, en les dégoûtant de l'Industrie par leurs incursions. Les Hordes empiètent journellement sur les cultures d'Asie , et débordent de plus en plus leur barrière naturelle, la chaîne de l'Imaüs, qui s'étend de Bukarie en Chine. A nos portes même la Horde surgit sur tous les points de la Turquie ; encore 50 ans de persécu tion, d'anarchie ottomane , et l'on verrait tout ce bel Empire ramené à la vie nomade ou tartare, qui fait 412 TROISIÈME PARTIE. des progrès effrayants sur tous les points de la domi nation turque . D'autres Empires jadis florissants , comme Pégu et Siam, sont retombés au dernier degré de faiblesse et d'abrutissement, et leurs cultures sem blaient n'avoir, comme celles de Turquie , guère plus d'un siècle à exister ; si le désordre actuel du Globe se fût prolongé, l'Asie, l'immense Asie, tendait de toutes parts à abandonner l'Industrie . La Chine même, ce colosse de lésine et de ridicule, la Chine est dans un déclin sensible ; les dernières relations de Van-Braam nous ont bien désabusés sur sa prétendue splendeur. L'esprit social s'y dégrade depuis le mélange des Tar tares ; les hordes occupent en Chine d'immenses ter ritoires , et, dans cet Empire si vanté pour son indus trie, on trouve à quatre lieues de Pékin de belles terres presque inconnues et désertes , tandis que dans les provinces du Midi les prêtres appellent en vain le peuple à la culture ; il laisse en friche de vastes con trées, et court de plus en plus à la Horde. La Horde est pour la Civilisation un volcan toujours prêt à l'en gloutir ; c'est une humeur invétérée , qui , à peine étouffée, fait une nouvelle éruption , qui reparaît dès qu'on cesse un instant de la traiter. Enfin cette ten dance universelle des salariés à reformer la Horde ramène tous les calculs de la Politique à un seul pro blème : Trouver un nouvel Ordre Social qui assure aux moindres des industrieux assez de bien-être pour qu'ils préfèrent constamment et passionnément leurs travaux à l'état d'inertie et de brigandage auquel ils aspirent au jourd'hui. Tant que vous n'auriez pas résolu ce problème, la ÉPILOGUE. 413 Nature vous aurait livré des assauts perpétuels ; vous n'élevez des Empires que pour servir de jouets à cette Nature qui se plaît à les abîmer dans les Révolutions ; vous n'êtes qu'un fardeau pour elle , qu'une proie dé vouée à ses vengeances ; vos prodiges scientifiques n'aboutissent toujours qu'à l'indigence et aux boule versements ; vos héros, vos législateurs ne bâtissent que sur le sable ; toute la prévoyance d'un FRÉDÉRIC ne peut empêcher que de faibles successeurs ne laissent ravir son épée sur son tombeau. La Civilisation n'en fante les héros présents que pour humilier les héros passés ; elle déprime l'un par l'autre ceux à qui elle dut tout son éclat ; quel sujet d'inquiétude pour les Grands Hommes qui auront à leur tour de faibles successeurs? ne doivent - ils pas souffrir des Révolu tions à venir plus qu'ils ne jouissent des triomphes présents? ne doivent - ils pas abhorrer cette perfide Civilisation qui n'attend que leur trépas pour ébranler et renverser leur ouvrage? Oui, l'Ordre civilisé est de plus en plus chancelant; le volcan ouvert en 1789 par la philosophie n'est qu'à sa 1re éruption ; d'autres succèderont dès qu'un règne faible favorisera les agi tateurs. La guerre du Pauvre contre le Riche a si heureusement réussi que les intrigants de tous pays n'aspirent qu'à la renouveler. En vain cherche-t- on à la prévenir ; la Nature se joue de nos lumières et de notre prévoyance ; elle saura faire naître les Révolu tions des mesures que nous prenons pour assurer le calme, et si la Civilisation se prolonge seulement un demi-siècle, combien d'enfants mendieront à la porte des hôtels habités par leurs pères ! Je n'oserais pré 414 TROISIÈME PARTIE. senter cette affreuse perspective si je n'apportaîs le calcul qui va guider la Politique dans le dédale des passions et délivrer le Monde de la Civilisation , plus révolutionnaire et plus odieuse que jamais. Nations civilisées ! tandis que les Barbares privés de vos lumières savent maintenir pendant plusieurs mille ans leurs Sociétés et leurs Institutions, pour quoi les vôtres sont- elles anéanties si promptement, et souvent dans le même siècle qui les a vues naître ? Toujours on vous entendit déplorer la fragilité de vos œuvres, et la cruauté de la Nature qui fait écrouler si rapidement vos merveilles. Cessez d'attribuer au temps et au hasard ces bouleversements ; ils sont l'effet de l'impéritie de vos systèmes sociaux , " qui n'assurent point à l'indigent des moyens de travail et de subsistance . C'est pour vous amener à l'aveu de votre ignorance que la Nature promène le glaive sur vos Empires et se plaît sur leurs décombres. 66 Je veux être un moment l'écho de vos élégies poli tiques . Que sont devenus les monuments de l'orgueil civilisé? Thèbes et Babylone, Athènes et Carthage sont transformées en monceaux de cendres. Quel pronostic pour Paris et Londres, et pour ces Empires modernes dont les fureurs mercantiles pèsent déjà à la raison comme à la nature ! Fatiguée de nos sociétés elle les renverse tour à tour, elle persifle indistinctement nos vertus ou nos crimes ; les lois réputées pour ora cles de sagesse et les codes éphémères des agitateurs nous conduisent également aux naufrages politiques. Pour comble d'affronts , nous avons vu la législation grossière de la Chine et de l'Inde braver pendant ÉPILOGUE . 415 4000 ans la faux du temps, lorsque les prodiges de la Philosophie civilisée ont passé comme l'ombre. Nos sciences, après tant d'efforts pour consolider les Em pires , semblent n'avoir travaillé qu'à fournir des jouets au vandalisme, qui renaît périodiquement pour détruire en peu de temps les travaux de plusieurs siècles. Quelques monuments ont survécu , mais pour la honte de la Politique. Rome et Byzance , autrefois Capitales du plus grand Empire, sont devenues deux métropoles de ridicules ; au Capitole, les temples de Césars sont envahis par les dieux de l'obscure Judée; au Bosphore, les basiliques de la chrétienté sont souil lées par les dieux de l'ignorance . Ici Jésus s'élève sur le piédestal de Jupiter, là Mahomet se place à l'autel de Jésus. Rome et Byzance , la Nature vous conserva pour vous dévouer au mépris des Nations que vous aviez enchaînées ; vous êtes devenues deux arènes de mascarades politiques , deux boîtes de Pandore qui ont répandu à l'Orient le vandalisme et la peste, à l'Occident la superstition et ses fureurs ! La Nature in sulte par votre avilissement au grand Empire qu'elle a détruit ; vous êtes deux momies conservées pour orner son char de triomphe, et pour donner aux Ca pitales modernes un avant- goût du sort préparé aux monuments et aux travaux de la Civilisation ! Il semble que la Nature se plaise à élever cette odieuse Société pour le plaisir de l'abattre, pour lui prouver, par une chute cent fois réitérée, l'absurdité des sciences qui la dirigent. Image du criminel Sisy phe qui gravit vers un rocher, et qui retombe au mo 416 TROISIÈME PARTIE. ment d'y atteindre, la Civilisation semble condamnée à gravir vers le bien-être idéal, et retomber dès qu'elle entrevoit le terme de ses maux. Les réformes les plus sagement méditées n'aboutissent qu'à verser des flots de sang. Cependant les siècles s'écoulent, et les Peu ples gémissent dans les tourments, en attendant que de nouvelles Révolutions replongent dans le néant nos Empires chancelants, et destinés à s'entre-détruire tant qu'ils se confieront à la Philosophie, à une science en nemie de la Politique unitaire, à une science qui n'est qu'un masque d'intrigue , et ne sert qu'à attiser les ferments de révolution à mesure que le temps les fait éclore . A la honte de nos lumières on voit se multiplier chaque jour les germes de désorganisation qui mena cent nos frêles Sociétés. Hier, des querelles scolasti ques sur l'égalité renversaient les trônes, les autels et les lois de la propriété : l'Europe marchait à la Barba rie ; demain la Nature inventera contre nous d'autres armes, et la Civilisation mise à de nouvelles épreuves succombera encore. On la voit friser la mort à chaque siècle elle était à l'agonie quand les Turcs assié geaient Vienne, elle eût été perdue si les Turcs eussent adopté la tactique européenne. De nos jours elle a été à deux doigts de sa ruine : la guerre de la Révolution pouvait amener l'envahissement et le démembrement de la France ; après quoi l'Autriche et la Russie se se raient partagé l'Europe ; et dans leurs débats posté rieurs, la Russie (qui a des moyens inconnus de tout le monde et d'elle- même ) aurait pu écraser l'Autriche et la Civilisation . Le sort de cette criminelle Société est ÉPILOGUE. 417 de briller pendant quelques siècles pour s'éclipser bientôt, de renaître pour tomber encore. Si l'Ordre civilisé pouvait faire le bonheur des humains, Dieu s'intéresserait à sa conservation , il aurait pris des me sures pour l'asseoir inébranlablement. Pourquoi donc permet-il que vos Sociétés , après avoir duré quelques instants, soient ensevelies dans les Révolutions? C'est pour confondre vos savants qui fondent les théories sociales sur leur caprice, tandis que Dieu, moins or gueilleux que les philosophes, ne règle point sur sa seule volonté les lois de l'univers, et se concilie dans toutes ses œuvres avec l'arbitre éternel de la justice , avec les Mathématiques dont la véracité est indépen dante de lui , et dont pourtant il suit rigoureusement les lois. Cessez donc de vous étonner si vos Sociétés se dé truisent entre elles , et n'espérez rien de stable sous des lois qui viendront de l'homme seul , sous des scien ces ennemies de l'esprit divin'qui tend à établir l'Unité sur le Globe comme au Firmament. Un monde privé de Chef unitaire , de Gouvernement central , ne res semble-t-il pas à un univers qui n'aurait point de Dieu pour le diriger, où les astres graviteraient sans ordre fixe, et s'entrechoqueraient à perpétuité , comme vos Nations diverses qui ne présentent aux yeux du Sage qu'une arène de bêtes féroces acharnées à se déchirer , à détruire mutuellement leur ouvrage? Quand vous vous êtes apitoyés sur la chute suc cessive de vos Sociétés , vous ignoriez qu'elles fussent opposées aux vues de Dieu ; aujourd'hui que la décou verte de ses Plans vous est annoncée, n'êtes-vous pas 18. 418 TROISIÈME PARTIE. dès ce moment désabusés sur l'excellence de la Civili sation? ne reconnaissez-vous pas qu'elle a usé la pa tience humaine, qu'il faut un nouvel Ordre Social pour nous conduire au bonheur ; qu'il faut pour se rallier aux vues de Dieu chercher un Ordre Social applicable à la Terre entière et non pas à un coin de terre qu'oc cupent les Civilisés ; qu'il faut enfin ÉTUDIER LES VICES SOCIAUX DU GENRE HUMAIN, ET NON PAS CEUX DE LA CIVILI SATION, qui n'est qu'une pARCELLE DU GENRE HUMAIN? Posons sur cette base la thèse de l'infirmité politi que du globe. Trois Sociétés se partagent la Terre : ce sont la Civilisation , la Barbarie et la Sauvagerie. L'une des trois est nécessairement meilleure que les deux autres. Or, les deux imparfaites , qui ne s'élèvent pas et ne s'identifient pas à la meilleure des trois , sont atteintes de cette maladie de langueur dont Montesquieu suppose avec raison que le Genre Humain est frappé. Quant à la 3º Société qu'on suppose la meilleure , et qui ne sait pas ou qui ne peut pas amener les deux autres à l'imiter, elle est évidemment insuffisante pour faire le bien du Genre Humain puisqu'elle en laisse languir la majeure partie dans un état infé rieur au sien. En résultat, deux des trois Sociétés actuelles sont atteintes de paralysie, et la troisième d'impuissance politique. Décidez après cela auxquelles des trois Sociétés doivent se répartir ces carac tères morbifiques dont le Globe entier est visiblement affecté dans son Mécanisme social. En débattant cette thèse vous reconnaîtrez que les deux Sociétés paralytiques sont la Sauvage et la Bar bare, qui ne font aucun effort pour s'améliorer, et qui s'obstinent à croupir dans leurs coutumes bonnes ou mauvaises. Quant à la Civilisation , c'est elle qui est affligée d'impuissance politique, car on la voit s'agiter ÉPILOGUE . 419 sans relâche, tenter chaque jour des innovations se délivrer de son mal-être. Les Humains en passant de l'inertie sauvage à l'In dustrie barbare et civilisée ont donc passé de l'état d'apathie à la douleur active, car le Sauvage ne se plaint pas de son sort et ne cherche point à en changer, tandis que le Civilisé est sans cesse inquiet et rongé de désirs, même au sein de l'opulence : Il brûle d'un feu sans remède , • Moins riche de ce qu'il possède · Que pauvre de ce qu'il n'a pas. « pour [ J.-B. ROUSSEAU. ] Apôtres de l'erreur, Moralistes et Politiques ! après tant d'indices de votre aveuglement , prétendrez-vous encore éclairer le Genre Humain ? Les Nations vous ré pondront : « Si vos Sciences dictées par la Sagesse <<n'ont servi qu'à perpétuer l'Indigence et les Déchire « ments, donnez- nous plutôt des Sciences dictées par « la Folie , pourvu qu'elles calment les Fureurs , qu'elles soulagent les Misères des peuples . >> a Ah ! loin de ce Bonheur que vous promettiez , vous n'avez su que ravaler l'Homme au-dessous de la condi tion des animaux . Si l'animal est parfois privé du né cessaire, il n'a pas l'inquiétude de pourvoir à ses be soins avant de les ressentir. Le lion , bien vêtu, bien armé, prend sa subsistance où il la trouve, et sans se mettre en peine du soin d'une famille ni des risques du lendemain. Combien son sort est préférable à celui des pauvres honteux qui fourmillent dans vos cités, à celui des pauvres ouvriers qui, privés de travail, harcelés de 420 TROISIÈME PARTIE. créanciers et de garnisaires, parviennent après tant de dégoûts à la mendicité, et promènent leurs plaies, leurs nudités et leurs enfants affamés à travers vos villes qu'ils font retentir de lugubres complaintes ! Voilà, philosophes, les fruits amers de vos Sciences : l'Indigence, et toujours l'Indigence ! Cependant vous prétendez avoir perfectionné la Raison , quand vous n'avez su que nous conduire d'un abîme dans un autre. Hier vous reprochiez au Fanatismela Saint-Barthélemy, aujourd'hui il vous reproche les prisons de Septembre ; hier c'étaient les Croisades qui dépeuplaient l'Europe, aujourd'hui c'est l'Egalité qui moissonne trois mil lions de jeunes gens , et demain quelque autre vision baignera dans le sang les Empires civilisés. Perfides Savants, à quelle abjection avez-vous réduit l'Homme social , et combien les Gouvernements les plus vantés par vous se sont montrés prudents en suspectant vos secours ! Vous fûtes toujours un objet d'effroi même pour les Souverains que vous avez comptés parmi vos disciples. Sparte vous rejetait de son sein, et Caton voulait qu'on vous chassât de Rome. De nos jours en core Frédéric disait que, s'il voulait punir une de ses provinces, il la donnerait à gouverner auxPhilosophes, et Napoléon a éliminé les Classes politiques et morales du temple où siégent les Sciences utiles . Eh ! n'êtes vous pas encore plus suspects à vous-mêmes? Ne con fessez - vous pas qu'en opérant sur les Passions vous ressemblez à des enfants qui se jouent avec des artifi ces au milieu des barils de poudre ! La Révolution française est venue mettre le sceau à cette vérité et couvrir vos Sciences d'un opprobre ineffaçable.. ÉPILOGUE. 421 Vous aviez pressenti que ces ridicules Sciences se raient anéanties dès l'instant où le doute pourrait les atteindre ; aussi avez-vous de concert étouffé la voix de quelques hommes qui inclinaient à la sincérité, tels que Hobbes et J.-J. Rousseau, qui entrevoyaientdans la Civilisation un renversement des vues de la Nature, un développement méthodique de tous les vices. Vous avez repoussé ces traits de lumière pour faire entendre vos jactances de perfectionnement. La scène change, et la Vérité, que vous feigniez de chercher, va paraître pour votre confusion . Il ne vous reste, comme au gladiateur mourant, qu'à tomber ho norablement. Préparez vous-mêmes l'hécatombe qui est due à la Vérité ; saisissez la torche, élevez des bû chers pour y précipiter le fatras de vos bibliothèques philosophiques. FIN DE LA TROISIÈME PARTIE. ra ILO CHAPITRES OMIS. SUR le Mouvement organique et sur le Contre-mouvement composé (¹ ) . Des motifs d'accélération m'obligent à supprimer entre au tres chapitres les deux ci-dessus, quoique annoncés dans le cours de l'ouvrage. Je me borne à donner une idée du premier. J'ai dit ( pag. 59 ) que les substances des trois règnes re présentent les effets des passions dans le mécanisme social ; donnons- en quelques exemples : je commencepar l'Association , qui est l'objet spécial de cet ouvrage. Dans le règne animal , l'Association a pour hiéroglyphe pratique le castor , et pour hiéroglyphe-visuel le paon . Les yeux dont sa roue est parsemée sont l'emblème de l'Ordre So ciétaire , de sa magnificence et de ses inégalités. Cette Série d'yeux rangés en ordre progressif dénote que l'Association ne peut s'allier avec les rêves d'égalité et de nivellement de nos philosophes. (1) [ Annoncé ici pour le contenu d'un chapitre omis ; il doit remplir au Traité au moins une section de 100 pages . On peutjuger par là com bien j'étais loin, en 1807, de connaître les développements qu'exigeait chaque partie du sujet. ] 424 CHAPITRES OMIS. Mais pourquoi ce cri rebutant, ce contraste de la voix la plus déplaisante avec le plus superbe plumage ? C'est pour peindre l'action individuelle qui est mensongère et discor dante. Le plumage attire et charme comme emblème de l'Or dre Sociétaire ; mais l'animal , n'ayant par lui-même aucune propriété sociale et ne s'unissant pas à nos travaux , Dieu nous peint dans son cri la fausseté de tout individu hors de l'Association progressive. , Autre énigme sur la laideur extrême de ses pattes ; pour quoi ne les avoir pas ornées comme celles du pigeon ou de l'aigle , et pourquoi deux supports hideux pour porter tant de luxe ? C'est que l'Ordre Sociétaire et l'opulence qui en résul tera s'appuient sur deux âges de pauvreté. ( Voyez au grand tableau les deux âges de subversion ou incohérence. ) Je passe brièvement sur ce qui concerne le paon , car cet hieroglyphe est peu intelligible si l'on ne connaît pas les lois du Mouvement social . Choisissons un tableau plus facile à com prendre ; ce sera celui de la Vérité et de ses effets en Civilisa tion. Examinons si Dieu a fidèlement dépeint le triste sort de cette Vérité dans notre état social . L'hieroglyphe de la Vérité dans le règne animal, c'est la girafe. Puisque le propre de la Vérité est de surmonter les er reurs, il faut que l'animal qui la représente élève son front au dessus de tous les autres ; telle est la girafe , qui broute les branchages à 18 pieds de hauteur. C'est, dit un vieil auteur, • une bête moult belle, douce et agréable à voir. » La Vérité aussi est moult belle , mais comme elle ne saurait s'accorder avec nos usages, il faut que la girafe, son hiéroglyphe, ne soit d'aucun emploi dans nos travaux . Dieu l'a donc réduite à la nullité par [ coupe disproportionnée des deux trains , d'où naît ] une démarche irrégulière qui agite et froisse le fardeau qu'on lui impose. Dès lors on préfère la laisser dans l'inaction , comme parmi nous on écarte des emplois l'homme véridique dont le ca ractère heurterait tous les usages reçus et toutes les " intrigues CHAPITRES OMIS. 425 tolérées ". La Vérité chez nous n'est belle " qu'en perspective et non en pratique ", et la girafe par analogie n'est admirée que lorsqu'elle est en repos ; mais dans sa démarche elle ex cite les huées comme la Vérité excite les huées quand elle est agissante. Qu'un homme aille , dans un cercle de belle compa gnie, dire la bonne et franche vérité sur les fredaines des hon nêtes femmes qui s'y trouvent , sur les grivelages des gens d'affaires ou autres personnes du salon ; vous verrez l'indigna tion éclater , et l'on s'accordera à faire taire et honnir l'ora teur. C'est bien pis en affaires politiques , où la Vérité a encore moins d'essor ; et pour représenter cette compression de la Vé rité, cet obstacle invincible à ses développements, Dieu a tran ché les bois de la girafe à leur racine ; ils ne font que poindre et ne peuvent étendre leurs rameaux ; le ciseau de Dieu les a coupés à leur base, comme parmi nous le ciseau de l'autorité et de l'opinion abattent la Vérité à son apparition et lui inter disent tout essor . Cependant le plus fourbe de nous veut en core paraître véridique, et, " tout ennemis que nous sommes de la Vérité , nous aimons à nous affubler de son enveloppe ; et par analogie, nous ne voulons de la girafe que son enve loppe, que sa peau qui est extrêmement belle. Quand nous sai sissons cet animal , nous le traitons " tout à point " comme nous traitons la Vérité ; nous lui disons : « Pauvre bête, tu n'es bonne qu'à rester dans tes déserts , loin de la société des hom mes. On peut t'admirer un moment , mais il faut finir par te tuer et ne garder que ton manteau , de même que nous étouf fons la Vérité pour n'en garder que l'apparence. » "" On voit par cette explication que Dieu n'a rien créé d'inu tile , même dans la girafe , 'qui est l'inutilité parfaite ; mais Dieu étant obligé de représenter tous les jeux de nos passions , il a fallu qu'il dépeignît dans cet animal l'inutilité complète de la Vérité en Civilisation . Et si vous voulez savoir à quoi pourrait servir la Vérité dans d'autres Sociétés que la Civilisation , étu diez ce problème dans la CONTREGIRAFE, que nous nommons le

426 CHAPITRES OMIS. Renne, animal dont on tire tous les services imaginables ; aussi Dieu l'a-t- il exclu des climats sociaux , d'où sera exclue la Vérité tant que durera la Civilisation . Et lorsque nous serons devenus par l'Ordre Sociétaire aptes à la pratique dé la Vérité et des vertus bannies d'entre nous, une nouvelle création nous donnera dans L'ANTIGIRAFE UN grand et magnifique serviteur qui surpassera de beaucoup les belles propriétés du Renne, objet de notre convoitise et de nos déclamations contre la Nature qui nous en a privés. Pour rendre intéressante l'explication des hiéroglyphes, il faut les expliquer par contrastes, comme la ruche et le gué pier, comme l'éléphant et le rhinocéros ; par alliance , comme le chien et le mouton , comme le cochon et la truffe, comme l'âne, le chardon et le chardonneret ; enfin par progression , en analysant des familles entières , comme celles des bran chus, girafe , cerf, daim, chevreuil, renne, etc. , qui sont tous hiéroglyphes des divers effets de la Vérité ; ensuite on com pare trois familles de trois règnes . Les civilisés s'exerceraient vain ement à expliquer des hié roglyphes avant de connaître la théorie d'interprétation ; car il en est qui représentent des effets de passions non existantes ; par exemple, le diamant et le cochon sont hiéroglyphes de la 13 passion ( Harmonisme ) que les civilisés n'éprouvent pas et ne connaissent pas . D'autres hiéroglyphes peignent des effets sociaux étrangers à l'Ordre civilisé ; par exemple, l'éléphant est hiéroglyphe de la Société primitive ( Séries confuses) . C'était un état d'Association où existait l'unité d'action industrielle figurée par la trompe. Cette unité avait pour unique appui la bonne chère ou luxe de la bouche ; aussi l'éléphant n'a-t-il de luxe qu'à la bouche d'où sortent les défenses ou appuis en ivoire. Il est dans son vêtement le plus pauvre des animaux, parce que les Séries confuses n'avaient aucune industrie ma nufacturière, et presque aucune parure, quoiqu'elles aimassent éperdument la parure : c'est ce que Dieu a représenté en cou 427 vrant de boue l'animal hiéroglyphique , et lui donnant un amour démesuré pour les ornements. CHAPITRES OMIS. L'éléphant vaut mieux que nous, s'écrient tous les Civilisés ; c'est comme s'ils disaient : La Société primitive valait mieux que la nôtre. En effet , elle avait cet honneur altier et ombrageux de l'éléphant, genre d'honneur qui ne pourrait pas sympathiser un instant avec la bassesse civilisée. La Société primitive bril lait par l'amitié , la fidélité , la décence, la gratitude et toutes les vertus de l'éléphant, vertus qui ne peuvent pas germer dans nos Sociétés ; et , par analogie, l'éléphant doit cesser de se reproduire dès qu'il entre en Société avec nous. Sur cette analogie des 3 règnes avec les passions , j'ajoute un exemple tiré de l'anatomie du corps humain, qui est un ta bleau général de l'Ordre Combiné. Parlons d'abord de la char pente osseuse. Sa portion la plus saillante nous montre 12 paires de côtes qui tendent aux trois os du sternum ; c'est l'emblème des 12 passions qui , semblables chez les deux sexes , tendent aux trois foyers d'Attraction (page 112) . Il y a 7 côtes combinées et 5 côtes incohérentes , de même qu'il y a sept passions spiri tuelles qui dominent dans l'Ordre Combiné, et cinq passions matérielles qui dominent dans les Sociétés d'ordre incohérent ; une 13 côte, la clavicule , surmonte les 7 combinées et figure la 13º passion , l'Harmonisme, formée des 7.spirituelles. Cette passion devant être le principal levier de l'industrie sociétaire , il faut que la clavicule s'unisse au bras, qui est levier de l'in dustrie corporelle. Cette ordonnance est reproduite partiellement dans la boîte du cerveau : étant siège de l'âme et foyer du mouvement spi rituel , il doit être logé dans une enveloppe analogue aux pas sions spirituelles ; aussi la boîte du crâne est- elle formée de 8 os , dont 7 recouverts ; le 8e ou frontal , qui est le seul apparent, figure la passion Harmonisme qui est d'un ordre supérieur aux 7 primitives. C1#**7 428 CHAPITRES OMIS. D'autres pièces du squelette représentent les dispositions in dustrielles de la Phalange d'attraction ; par exemple, j'ai dit (Note A 436 ) qu'elle est formée en parade de 16 chœurs et 32 quadrilles ; cette ordonnance est représentée par les os de parade , les dents qui sont à nu , et rangées en 16 paires. Les 2 dernières paires sont tardives , faibles et peu utiles, par ana logie aux 2 chœurs 1 et 16 (Bambins et Patriarches) qui sont les choeurs sujets à la faiblesse et à l'inutilité . Il reste donc 14 chœurs ou 28 quadrilles actifs et utiles ; ils sont dépeints par les 14 paires d'os de la main , qui est l'agent du mouve ment industriel. Ces tableaux de l'Ordre combiné se répètent dans tous les so lides et fluides du corps humain ; par exemple, dans les 800 muscles d'homme et femme, on trouve l'emblème des 800 caractères qui doivent composer une Phalange d'attraction ; dans les 10 paires de nerfs on trouve l'emblème des 10 chœurs pubères, dont le 10 est hors d'amour et d'équilibre pas sionné; c'est pourquoi la 10° paire de nerfs s'égare dans sa marche et n'aboutit pas à un point fixe. Si les anatomistes avaient connu les lois du mouvement social , ils ne se seraient pas arrêtés à disserter sur l'égarement de cette 10 paire , qui est un effet d'analogie nécessaire ( et de même les physiciens n'auraient pas mis en problème si la lumière est un corps composé) . D'autres tableaux plus intéressants sont représentés dans le cœur, le foie , les viscères , les fluides , etc. On a fort bien pres senti que le corps humain est un abrégé du Mouvement de l'univers ; c'est de quoi l'on se convaincra lorsque ce système d'application sera étendu aux plus menus détails anatomiques ; alors on oubliera l'horreur qu'inspire la dissection du cadavre pour admirer dans sa construction le tableau parfait du jeu des passions et du mécanisme social. Déjà les Civilisés ont entrevu superficiellement quelques- uns de ces tableaux ; par exemple, ils ont reconnu dans le serpent CHAPITRES OMIS. 429 un emblème de la calomnie et des perfidies civilisées ; dans la rose et ses épines un emblème de la virginité. Ces peintures étaient trop frappantes pour qu'on pût s'y méprendre' ; elles devaient faire soupçonner que le tableau des passions s'éten dait à toute la nature. La lecture de ce volume aidera à en de viner quelques autres, comme celui de la hideuse chenille changée en brillant papillon c'est évidemment l'emblème de la dégoûtante Civilisation métamorphosée en Harmonie univer selle. Du reste , on se perdrait dans l'étude des hiéroglyphes tant que je n'en aurai pas donné la théorie ; on porterait dans cette étude les préjugés philosophiques d'égalité et de modéra tion, et ce serait le moyen de ne rien concevoir au système de la Nature. Par exemple, on s'imagine que la ruche représente l'égalité ; tant s'en faut : la ruche et le guépier , son contraire , peignent 2 ordres politiques d'Harmonie et de Civilisation . Les abeilles figurent toutes les Phalanges du globe réunies sous la protection du monarque fédéral , qui a pour emblème la reine abeille , correspondant avec chaque alvéole. Les bourdons figurent l'action improductive, les congrès et agences intermé diaires, qui sont subordonnées à la hiérarchie fédérale et amo vibles par les Phalanges. C'est par analogie que l'abeille tue le bourdon quand elle n'a plus besoin de lui. Tout ce mécanisme est peint en renversement dans le guépier, qui est hiéroglyphe de l'Ordre politique de Civilisation . Pour rendre le tableau fidèle , il faut que les 2 insectes nous présentent les résultats opposés de l'Ordre combiné et de l'Or dre incohérent : 1° L'opulence et la pauvreté. Elles sont figurées chez l'a beille par le miel, chez la guêpe par le carton inutile que don nent ses immenses travaux, images de nos prodiges industriels qui n'aboutissent qu'à l'indigence. 2º Les lumières sociales et l'ignorance sociale. Elles sont figurées chez l'abeille par la cire, source de lumière , et par l'association domestique avec l'homme. Chez la guêpe on voit les emblèmes d'ignorance et de 430 CHAPITRES OMIS. discorde sociale dans l'affreuse révolution où le guépier se dé truit par lui-même, dans sa position souterraine et cachée à la lumière, dans les hostilités contre l'homme, que la guêpe atta que sans offense , qu'elle harcelle et dépouille , en s'introduisant dans nos appartements pour y souiller les mets qu'elle dévore, et en égorgeant l'abeille notre alliée. Celle-ci , au contraire, ne nous fait aucun mal sans offense , et aucun larcin , car elle vit du parfum de nos fleurs ; elle en double le charme par l'exem ple du travail et par l'idée de l'harmonie sociale qu'elle éveille en nous quand elle vient se poser sur nos fleurs. Quand ces tableaux de passions seront expliqués en grand détail dans les trois règnes, on verra les philosophes capituler à discrétion devant cette théorie du Mouvement social qu'ils vont attaquer avant de la connaître ; et l'on confessera que la Nature n'était point couverte d'un voile d'airain , comme le prétendent ces savants, mais que le préjugé avait couvert nos esprits d'un triple voile, formé par les rêveries métaphysiques, politiques et morales ; que ces prestiges vont être dissipés ; qu'on tient enfin le secret du système de la Nature qui est re présentatif des passions, et qu'on la fera déposer tout entière à l'appui de la théorie du Mouvement social. NOTE A. SUR LES SÉRIES PROGRESSIVES OU SÉRIES DE GROUPES INDUSTRIELS. (¹) Je dois prévenir une objection qu'on ne manquera pas de m'adresser au sujet de ce nouvel Ordre domestique que je nomme SÉRIES PROGRESSIVES. On dira que l'invention d'un tel Ordre était un calcul d'enfant , et que ses dispositions semblent des amusettes. Peu importe, pourvu qu'elles atteignent le but , qui est de produire attraction industrielle, et de nous en traîner par l'appât du plaisir au travail agricole , qui est au jourd'hui un supplice pour l'homme bien né. Ses fonctions , telles que le labourage, nous inspirent avec raison un dégoût voisin de l'horreur , et l'homme d'éducation est réduit au sui cide, quand il n'a que la charrue pour ressource. Ce dégoût sera complètement surmonté par la violente attraction industrielle que produisent les Séries progressives dont je vais parler. [ Ecce détails plaisants ; sed moins que villes pavées de mend(iants) et phil( osophes) criant perf(ectionnement) de perf(ectibilité) . —Connu à l'inconnu. ] 432 NOTE A. Si les dispositions de cet Ordre ne reposent que sur des cal culs d'enfant, c'est un bienfait signalé de la Providence qui a voulu que lá science la plus importante à notre bonheur fût la plus facile à acquérir. Dès lors , en reprochant à la théorie des Séries progressives son extrême simplicité, on commettra deux inconséquences, qui seront de critiquer la Providence sur les facilités qu'elle a attachées au calcul de nos Destinées , et criti quer les Civilisés sur l'étourderie qui leur a fait manquer le plus simple et le plus utile des calculs. Si c'est une étude d'en fant, nos savants sont donc au-dessous des enfants pour n'avoir pas inventé ce qui exigeait de si faibles lumières ; et tel est le défaut commun aux Civilisés qui , tout boursouflés de préten tions scientifiques, s'élancent dix fois au-delà de leur but , et deviennent, par excès de science , incapables de saisir les pro cédés faciles de la Nature. On n'en vit jamais de preuve plus frappante que celle de l'étrier, invention si simple que tout enfant la pouvait faire ; cependant il a fallu 5000 ans avant que l'étrier fût inventé. Les cavaliers, dans l'Antiquité , fatiguaient prodigieusement ; ils étaient sujets à de graves maladies faute d'un étrier, et le long des routes on plaçait des bornes pour aider à monter à che val. A ce récit chacun s'ébahit sur l'étourderie des anciens , étourderie qui a pourtant duré 50 siècles, quoique le moindre enfant eût pu la prévenir. On verra bientôt que le genre hu main a commis , au sujet des " Séries passionnelles " , la même étourderie , et qu'il aurait suffi du moindre savant pour décou vrir ce petit calcul . Puisqu'enfin le voilà saisi , toute critique sur sa simplicité sera , je le répète , un ridicule que les plai sants jetteront sur eux-mêmes et sur 25 Siècles savants qui l'ont manqué. Venons à l'exposé que j'ai promis ; je n'expliquerai ici que l'ordonnance matérielle des Séries , sans parler aucunement de leurs relations. Une Série passionnelle " [ considérée comme groupe ] se NOTE A. 433 compose de personnes inégales en tous sens , en âges, fortunes, caractères, lumières, etc. Les sectaires doivent être choisis de manière à former un contraste et une gradation d'inégalités , du riche au pauvre , du savant à l'ignorant [ du jeune au vieux ] , etc. Plus les inégalités sont graduées et contrastées , plus la Série s'entraîne au travail , produit de bénéfices , et offre d'harmonie sociale. [ Quand une masse nombreuse de Séries est en mécanisme régulier , chacune d'entre elles se] divise en divers groupes, dont l'ordonnance est la même que celle d'une armée. Pour en don ner le tableau , je vais supposer une masse d'environ 600 per sonnes, moitié hommes et moitié femmes, tous passionnés pour une même branche d'industrie, comme une culture de fleurs ou de fruits. Soit la Série de la culture des Poiriers : on subdi visera ces 600 personnes en groupes qui se voueront à cultiver une ou deux espèces de poiriers ; ainsi l'on verra un groupe des sectaires du beurré, un des sectaires de la bergamote, un des sectaires du rousselet , etc. Et lorsque chacun se sera en rôlé dans les groupes de ses poiriers favoris (on peut être mem bre de plusieurs ) , il pourra se trouver une trentaine de groupes qui se distingueront par leurs bannières et ornements, et se formeront en trois ou cinq ou sept divisions , par exemple : SÉRIE DE LA CULTURE DES POIRIERS , COMPOSÉE DE 32 GROUPES . PROGRESSION numérique. 1° Avant- poste. . . 2º Aileron ascendant 3º 2 groupes. 4 groupes. 6 groupes. 8 groupes. 6 groupes. Aile ascendante. Centre de Série. Aile descendante. 4º 5° 6° Aileron descendant. 4 groupes. 7° Arrière-poste.. 2 groupes. Divisions. .. Genres de culture. Coings et sortes bâtardes dures. Poires dares à cuire. Poires cassantes. Poires fondantes. Poires compactes. Poires farineuses. Nefes et sortes bâtardes molles. 19* 434 NOTE A. 4 Il n'importe que la Série soit composée d'hommes ou de femmes, ou d'enfants, ou mi- partie ; la disposition est toujours la même, La Série prendra à peu près cette distribution , soit pour le nombre des groupes , soit pour la répartition des travaux. Plus elle approchera de cette régularité en gradation et dé gradation, mieux elle s'harmonisera et s'entraînera au travail. Le canton qui gagne le plus et qui donne à égalité de chances le plus beau produit, c'est celui qui a ses Séries les mieux gra duées et les mieux contrastées. Si la Série est formée régulièrement , comme celle que je viens de citer, on verra des alliances entre les divisions cor respondantes. Ainsi l'Aile ascendante et l'Aile descendante s'allieront contre le Centre de Série , et s'entendront pour faire prévaloir leurs productions aux dépens de celles du Centre ; les deux Ailerons seront alliés entre eux et ligués avec le Centre pour lutter contre les deux Ailes . Il résultera de ce mécanisme que chacun des groupes produira à l'envi des fruits magni fiques. Les mêmes rivalités et alliances se reproduisent entre les divers groupes d'une division . Si une Aile est composée de six groupes, dont trois d'hommes et trois de femmes , il y aura ri valité industrielle entre les hommes et les femmes, puis riva lité dans chaque sexe entre le groupe 2 , qui est central , et les groupes extrêmes 1 ct 3, qui sont ligués contre lui ; puis alliance des groupes nº 2, hommes et femmes, contre les prétentions des groupes 1 et 3, hommes et femmes ; enfin il y aura rallie ment de toute l'Aile contre les prétentions des groupes d'Aile rons et de Centre, de sorte que la Série , pour la seule culture de ses poiriers , aura plus d'intrigues fédérales et rivales qu'il n'y en a dans les Cabinets politiques d'Europe. Viennent ensuite les intrigues de Série à Série et de Canton à Canton, qui s'organisent de la même manière. On conçoit NOTE A. 435 que la Série des Poiriers sera fortement rivale de la Série des Pommiers, mais elle s'alliera avec la Série des Cerisiers , ces deux espèces d'arbres fruitiers n'offrant aucun rapprochement qui puisse exciter la jalousie entre les cultivateurs respectifs. Plus on sait exciter le feu des passions, des luttes et des ligues entre les groupes et les Séries d'un canton , plus on les voit rivaliser d'ardeur au travail et élever à une haute perfec tion la branche d'industrie pour laquelle ils sont passionnés. De là résulte la perfection générale de toute industrie , car il y a des moyens de former Série sur toute branche de travail. S'agit-il d'une plante bâtarde, [ ambiguë, ] comme le coing , qui n'est ni poire ni pomme, on place son groupe entre deux Séries à qui il sert de lien ; ce groupe du coing est Avant- poste de la Série des poiriers et Arrière-poste de la Série des pom miers. C'est un groupe mixte entre deux genres , une ' transi tion de l'un à l'autre , et il s'incorpore aux deux Séries. On trouve dans les passions des goûts bâtards et bizarres , comme on trouve des productions mixtes qui ne tiennent à aucun genre. L'Ordre Sociétaire tire parti de toutes ces bizarreries et fait faire emploi de toutes les passions imaginables, Dieu n'en ayant créé aucune d'inutile. J'ai dit que les Séries ne peuvent pas toujours se classer aussi régulièrement que je viens de l'indiquer ; mais on ap proche autant qu'on le peut de cette méthode, qui est l'ordre naturel, et qui est le plus efficace pour exalter les passions, les contrebalancer et les entraîner au travail . L'industrie devient un divertissement aussitôt que les industrieux sont formés en Séries progressives. Ils travaillent alors moins par appât du gain que par effet de l'émulation et des autres véhicules inhé rents à l'esprit de Série [ et à l'essor de la Cabaliste ou dixième passion. ] De là naît un résultat fort étonnant, comme tous ceux de l'Ordre Sociétaire : c'est que moins on s'occupe de bénéfice,

436 NOTE A. plus on gagne. En effet, la Série la plus fortement stimulée par les intrigues, celle qui ferait le plus de sacrifices pécuniaires. pour satisfaire son amour-propre, sera celle qui donnera le plus de perfection et de valeur au produit, et qui , par consé quent, aura le plus gagné en oubliant l'intérêt pour ne songer qu'à la passion ; mais si elle a peu de rivalités, d'intrigues et de ligues, peu d'amour-propre et d'exaltation , elle travaillera [ froidement, ] par intérêt plus que par passion spéciale , et ses produits comme ses bénéfices seront très inférieurs à ceux d'une Série bien intriguée. Dès lors elle aura d'autant moins gagné qu'elle aura été plus stimulée par l'amour du gain. [ II faut donc intriguer une Série groupée , aussi régulièrement qu'une pièce dramatique , et , pour y parvenir, la principale règle à suivre est la graduation des inégalités . ] J'ai dit que, pour bien intriguer les Séries et élever à la plus haute perfection les produits de chacun de leurs groupes, il faut les coordonner autant que possible à la progression ascen dante et descendante ; j'en vais donner un second tableau pour mieux graver cette disposition dans l'esprit des lecteurs. Je choisis la Série de parade. SÉRIE DE PARADE. Dans un canton sociétaire, tous les membres de la Phalange industrielle qui exploite le canton se divisent en 16 chœurs de différents âges ; chaque choeur est formé de 2 quadrilles, 1 d'hommes et 1 de femmes, en tout 32 quadrilles , dont 16 mas culins et 16 féminins, ayant chacun leurs bannières, distinc tions, officiers et costumes distincts, soit en hiver, soit en été. NOTE A. 437 Les 16 chœurs se classent dans l'ordre suivant, pour former les 7 divisions que j'ai déjà indiquées. DIVISIONS. AVANT-POSTE. 1 chœur. AILERON ASCENDANT. 2 chœurs. AILE ASCENDANTE. CENTRE DE SÉRIE. AILE DESCENDANTE. N° 2. "Les Chérubins et Chérubines. ” N° 3. " Les Seraphins et Séraphines. N° 4. Les Lycéens et Lycéennes. 3 chœurs. N° 5. Les Gymnasiens et Gymnasiennes. N°2 6. Les Jouvenceaux et Jouvencelles. choeurs Les nuf amoureux . 4 chœurs. 32 QUADRILLES. N° 1. Les Bambins et Bambines. AILERON DESCENDANT. ARRIÈRE-POST. 1 chœur. N° 11. 3 chœurs. No 12. 2 chœurs . " Puberté. N° 7. Les Adolescents et Adolescentes. N° 8. Les Aventureux et Aventureuses. Nº 9. Les Héroïques et Héroïques. Nº 10. Les Athlètes et Athlètes. Les Raffinés et Raffinées. Les Tempérés et Tempérées. Nº 13. Les Impassibles et Impassibles. J Nº 14. Les Révérends et Révérendes. N° 15. Les Vénérables et Vénérables. N° 16. Les Patriarches et Patriarches. Ces noms sont adaptés aux mœurs et usages de l'Ordre combiné. Les chœurs n° 7 à 15 sont les neuf choeurs amoureux ; le chœur 6e entre déjà en âge de puberté ; il n'a pas l'exercice matériel, mais seulement l'exercice spirituel de l'amour. Dans un moment de parade, les 32 quadrilles paraissent avec 32 uniformes différents ; les femmes interviennent tou jours par moitié dans toutes les dispositions de l'Ordre Socié taire . L'ordonnance des Séries est la même dans toutes les branches d'industrie agricole et manufacturière, dans les sciences , les arts et les plaisirs . C'est toujours une lutte régulière entre des groupes et des divisions formées de plusieurs groupes. D'après les deux tableaux que je viens de donner , chacun saurait classer une Série de sciences ou d'arts , et répartir chaque genre dans les divisions du Centre, des Ailes , etc ... [ qu'on peut subdiviser en plusieurs espèces . ] 438 NOTE A. Si cinq groupes de poëtes s'adonnent aux cinq genres sui vants : L'Épopée, la Tragédie, la Comédie, l'Ode, l'Idylle, chacun saura indiquer à quelle division de la Série ils appar tiennent et les classer comme il suit : Le groupe de l' Ode dans l'Aileron ascendant. Le groupe de la Tragédie dans l'Aile ascendante. Le groupe de l' Epopée dans le Centre de Sèrie. Le groupe de la Comédie dans l'Aile descendante. Le groupe de l' Idylle dans l'Aileron descendant. Et les genres bâtards dans l'Avant ou l'Arrière-poste. Outre les 7 divisions indiquées, une Série complète a 5 di visions accessoires , savoir : 8e La Réserve. 9e Les Novices. 10 Les Omnigenres. 11º Les Sectines. 12e Les Auxiliaires. La Réserve. Elle se compose des individus qui, ayant figuré dans quelque groupe des 7 divisions de genre, ont changé de goût et abandonné cette passion . L'on réclame parfois leur secours dans les cas où un contre- temps imprévu mettrait en danger les travaux de la Série , ou détournerait la plupart de ses membres d'une assemblée nécessaire . Les Novices sont ceux qui ont une passion naissante pour les goûts de la Série , et aspirent à s'agréger dans quelqu'un de ses groupes. On les éprouve d'abord en qualité d'élèves, après quoi ils passent au grade de bacheliers , et de là au grade de sectaires délibérants. Les Omnigenres. C'est un groupe dont les membres ont des connaissances générales sur toutes les branches d'industrie ou de plaisir de la Série ; par exemple, dans la Série des fleurs il se trouvera des sociétaires qui voudront connaître la culture de toutes sortes de fleurs et pouvoir s'entremettre dans les NOTE A. 439 fonctions de tous les groupes de fleuristes. Ils formeront le groupe des mille fleurs qui cultivera les autels champêtres, autour desquels on plantera toutes sortes de fleurs ; ils prési deront aux expositions et auront diverses autres fonctions. Les Sectines ( 1 ) sont des branches de Sectes (a) qui se subdi visent en divers groupes, trop petits pour avoir des officiers et une organisation régulière ; telle sera la Sectine des fleurettes : elle formera une vingtaine de petits groupes de 3 à 4 per sonnes, qui cultiveront spécialement quelque fleurette de peu d'importance , comme la pensée, la petite marguerite , le ré séda, l'héliotrope. Ces menues fleurs ne produiront pas des coalitions de sectaires comme on en verra pour l'œillet, la rose, la tulipe , la renoncule, la hyacinthe , la tubéreuse, et autres pour lesquelles il y aura des partis nombreux et suscepti bles decomporter les classes d'officiers que j'indiquerai plusloin . En supposant que cinquante amateurs de fleurettes forment une douzaine de petits groupes, ils se fondront en trois grou pes principaux pour figurer dans la grande Série des fleurs ; ils y formeront l'Aileron descendant , et parmi leurs douze petits groupes ils établiront les 7 divisions que j'ai indiquées en parlant de la Série des poires. Les Auxiliaires. Dans les Séries simples, ou formées d'un seul sexe , le corps auxiliaire est un groupe de sexe différent qui s'adjoint à la Série. Quoique certains travaux soient attri bués spécialement à un seul sexe, cependant on voit des hom mes se passionner pour des occupations qui ne conviennent qu'aux femmes, ainsi qu'on voit des femmes avoir des inclina tions qui ne conviennent qu'aux hommes. Cette bizarrerie ap parente tient à la loi générale de l'exception que la Nature (1) Onnomme diétines les petites Diètes qui enforment une grande ; je donne, par analogie, le nom de Sectines aux petites Sectes dont il s'agit. (a) Rappelons que Secte est l'équivalent de Série. Note des éditeurs. 440 NOTE A. introduit partout. On adjoindra donc à chaque Série simple un ou deux groupes auxiliaires , pris dans le sexe différent , afin que chacun puisse donner cours aux passions que Dieu lui en voie. Quand la Série est composée , ou formée des deux sexes , elle a des auxiliaires des deux sexes. " La Série et ses Groupes complémentaires " ont des off ciers en très grand nombre : j'en vais indiquer " sept " clas ses principales : 1º Les Divinités. 2º Le Sacerdoce. 3º L'État- Major. 4° L'Élat- Minor. 5° [ L'État Mixte. ] 6° L'Administration. 7° L'Académie. [ Les SAINTS ou PATRONS. ] 1' 5 Dans ce tableau d'officiers plus nombreux que les soldats , on va reconnaître combien il est nécessaire de ménager et gra duer les inégalités de fortune dans une Phalange d'Harmonie, et d'y assembler les contrastes de tous genres, depuis le mil lionnaire jusqu'à l'homme sans fortune, depuis le savant jus qu'à l'ignorant, etc.; sans ces contrastes on ne pourrait pas former les corps d'officiers , qui sont l'âme de chaque Série. Les Divinités. Chaque groupe élit une divinité de sexe dif férent un groupe masculin choisit une déesse, un groupe fé minin choisit un dieu. Viennent ensuite les divinités de chaque division de la Série , comme le dieu ou la déesse de l'Aile as cendante, du Centre, etc.; puisles divinités de la Série entière. Dans les cérémonies et festivités , chaque dieu ou déesse figure à la tête de son groupe , de sa division , de sa Série, et prend le pas sur tout autre officier ( je dis dans les festivités et non pas au travail ) . Par exemple , une Série de Sylvains ou bûcherons, composée de quinze groupes [ masculins] , paraîtra le jour de sa fête avec un corps de divinités disposées comme il suit : NOTE A. 441 15 Hamadryades, dont une à la tête de chaque groupe de Syl vains; 5 Dryades, à la tête des cinq divisions principales de la Série; 1 Fée, à la tête de la Série ; 1 Iris ou Messagère ; 1 Sibylle ; Puis quelques Cherubins et Séraphins, pris parmi les enfants, pour le service des dieux ou déesses. Les Hamadryades seront choisies parmi les jeunes femmes ; Les Dryades parmi les dames de moyen âge ; La Fée, la Sibylle et autres déesses de première classe , se ront choisies parmi les dames âgées qui auront passé par les grades inférieurs. Si la Série est composée, c'est-à-dire formée de deux sexes, le corps olympique doit être double. Les dieux prennent place à l'autel et reçoivent les honneurs divins de la part de la Série ( ¹ ) . La fonction de divinité n'exige pas des connaissances sur les occupations de la Série. Il se peut qu'une jeune femme , sans être versée dans l'astronomie , soit choisie pour Uranie du groupe des astronomes. Il suffit que le dieu ou la déesse aient quelque notion des travaux du groupe dont ils reçoivent le culte. Les dieux sont communément choisis dans la classe la plus éloignée du groupe. Une société de savants très riches, comme le seront les savants dans l'Ordre combiné, choisira vo lontiers pour déesse une jeune fille pauvre ; ce choix devient pour elle une voie de fortune. Un groupe d'industrieux géné (1) [ Un bel- esprit de Paris a cru que ces costumes et ce cérémonial de festivité étaient employés dans les séances pour le travail et a crié à l'absurdité d'envoyer au travail des femmes costumées en Fées, en Dryades. Il faut toute la suffisance d'un parisien pour supposer à l'au teur une intention aussi ridicule . Était-il donc besoin d'ajouter que, Jorsque l'on va au travail, on a les officiers et costumes de travail qui sont pris dans l'État-Minor. ] 19. 442 NOTE A. ralement pauvre choisira fréquemment pour divinité une des dames riches de la Phalange. Ces contrastes sont indiqués par le sentiment, il n'est pas besoin d'en dire le motif. Le Sacerdoce. Les prêtres et prêtresses , dans une Série, sont les principaux musiciens ; ils dirigent les hymnes et le service divin au temple ou à la parade. Il doit y avoir au moins un prêtre ou une prêtresse attaché à chaque groupe , ensuite des prêtres supérieurs pour les divisions de la Série, puis le grand prêtre ou la grande-prêtresse de la Série. Le Sacerdoce est dou ble si la Série est composée. L'État-Major. Il se compose à peu près des mêmes supé rieurs que l'on voit dans un régiment ; savoir pour chaque groupe, le capitaine, le lieutenant et le sous-lieutenant , puis les officiers de Série, comme le colonel , le major, le banne ret , etc. L'État-Minor est encore semblable à la classe des sous-of ficiers de régiment ; chaque groupe a son porte-drapeau, son brigadier et autres sous- chefs, au- dessous desquels sont des sous- chefs de Série qui ont l'inspection sur ceux des groupes. L'état-minor est chargé du matériel. [L'État-Mixte comprend les négociateurs correspondants , soit près la Bourse de la Phalange, soit dans les Phalanges vi cinales et les Congrès de province ou de région. ] Il est inutile d'ajouter que , si la Série est composée, les états major et minor sont doubles, et formés de deux sexes. Ainsi une Série composée a son colonel et sa colonelle , son banneret et sa bannerette. Les dames exercent leurs fonctions , et ne sont pas revêtues de titres vides de sens, comme on voit parmi nous madame la présidente qui ne préside rien , madame la maré chale qui ne commande rien. Dans l'Ordre combiné , où le ma riage n'a pas lieu , on n'acquiert pas les dignités des gens avec qui l'on couche ; chacun ne porte de titres que ceux des fonc tions qu'il remplit , et quand une femme se nommera la colo nelle ou la bannerette des fleurs , on la verra commander la NOTE A. 443 Série dans une parade ou porter la bannière, et tenir le bureau dans une assemblée relative à ses fonctions. La paladine com mandera les caravanes féminines ; la maréchale commandera les colonnes féminines , etc. L'Administration. Elle se compose des officiers chargés de la comptabilité et du cérémonial, comme le conservateur, l'ar chiviste, le héraut , l'appariteur, etc. Chaque groupe doit avoir de tels officiers ; on en nomme de semblables pour la Série en tière ; il faut un conservateur ou une conservatrice , un héraut ou une héraute pour la Série , comme il en faut pour chaque groupe et pour chaque division de la Série. L'Académie. Elle a pour membres les plus experts de cha que groupe , ceux qui ont le plus de connaissances acquises en théorie ou en pratique. Ainsi une Série de 12 groupes a 24 académiciens, dont moitié de théoristes et moitié de prati ciens, tirés de chacun des groupes ; on en ajoute quelques-uns pour les notions générales. L'académie décide sur les entrepri ses qui ont rapport aux intérêts de la Série entière ; elle est consultée arbitralement sur les entreprises des groupes en par ticulier. Il peut exister dans les Séries d'autres classes d'offi ciers ; on les multiplie à l'infini , et un enfant agrégé à une trentaine de Séries peut avoir une vingtaine de grades , et ajouter à son nom un grand titre plus long que celui du roi d'Espagne. [ Les SAINTS OU PATRONS et PATRONNES. Cette corporation est composée des défunts et défuntes qui ont illustré la Série et étendu les progrès de la science ou de l'art. Ils sont après le trépas béatifiés et canonisés en Concile de la Hiérarchie sphé rique, division spéciale ; c'est-à - dire que Buffon sera canonisé par la Série univ(erselle) des zoologistes , Linnée par celle des botanistes, Hippocrate par celle des médecins, Duhamel par celle des fruitistes , Racine par celle des dramaturges. Leurs statues seront à perpétuité honorées, sur tout le globe , d'un culte religieux par leurs Séries spéciales , qui dans ce culte se 414 NOTE A. ront électrisées par la reconnaissance des services rendus à la Série, et dignes à ce titre d'une gratitude perpétuelle. ] On dira que c'est beaucoup trop d'appareil pour cultiver des fleurs et des fruits, du blé , du vin , etc.; mais ces hochets, ces distinctions honorifiques ne coûtent rien, et sont des ap pâts qui excitent l'enthousiasme dans les travaux. Le capitaine n'est capitaine qu'à la parade ; hors de là il travaille comme tout autre, puisque tout le monde, dans une Série progressive, s'enrôle par attraction et par goût pour la passion de la Série. Par exemple, on conçoit que, dans une Série de gastronomie, le colonel et les capitaines mangeront aussi bien que les sim ples sectaires ; il en sera de même au travail , qui deviendra dans l'Ordre combiné aussi attrayant que peuvent l'être parmi nous la table et autres jouissances ; et si dans un groupe de 20 sociétaires chacun se trouve pourvu d'un office , l'activité et l'émulation n'en seront que plus grandes, sans qu'il en coûte une obole de plus , excepté les frais des ornements distinctifs ; car les Séries étant passionnées pour l'objet qui les rassemble, elles ne donnent pas d'émoluments à leurs officiers ; ils auront le double véhicule de la passion qui attire dans la Série, et du grade qui les distingue. C'en est assez pour que ces officiers , lorsqu'ils sont opulents , s'engagent à l'envi dans des dépenses pour le bien de la Série , sans songer au bénéfice qui leur sur vient pourtant au bout de l'année , et qui se trouve d'autant plus copieux qu'ils l'ont moins ambitionné, et plus favorisé par le zèle que leur ardeur inspire aux subalternes de la Série. Autant il est facile de concevoir l'ordonnance des Séries , autant il serait difficile de concevoir leur mécanisme sans [avoir lu] un traité complet sur ce sujet . La difficulté n'est pas de les former, mais de les mettre en action et de les exciter au travail par les rivalités , par les ligues des groupes entre eux et des divisions entre elles . ! Les " Séries passionnelles " ne peuvent s'entraîner au tra vail que par l'influence qu'elles exercent collectivement les NOTE A. 445 unes sur les autres. Il faut en former 144, douze douzaines (¹ ) , pour les faire mouvoir en bon accord par rivalité et émulation (ce nombre de 144 ( 1 ) s'entend approximativement). Si l'on formait une ou deux Séries isolément, il n'y aurait aucun moyen de les mettre en action. Rien ne serait plus facile que de former dans Paris quelques Séries d'amateurs pour la cul ture des fleurs et des fruits , en leur fournissant des jardins pourvus d'espaliers et de fleurs , disposés convenablement pour les travaux des divers groupes ; mais ces Séries ne passeraient pas une semaine sans être brouillées en tout sens, et il serait impossible de les amener à un travail habituel , lors même qu'on les composerait de gens qui n'auraient pas d'autres fonctions ȧ exercer. La mécanique passionnelle ne peut s'organiser incom plètement ; chaque partie est nécessaire au tout , et l'absence de quelques rouages mettrait en désordre toute la machine ; c'est pourquoi l'on ne pourrait " guère " former une demi phalange de Séries passionnelles ; il n'y a de mitoyen entre l'Harmonie et l'Incohérence qu'un Ordre Sociétaire à passions nuancées. (Voyez page 172 , le Ménage progressif ou Séries ébauchées, Tribu à 9 groupes. ) à Mais en formant , selon les règles géométriques , un canton d'environ 144 (1) Séries, pour les cultures , fabriques , sciences et arts , en les mettant régulièrement aux prises , on peut ex citer entre elles des intrigues si piquantes, répandre dans leurs travaux tant d'intérêts divers , que toutes ces Séries se trouve ront en attraction générale, qu'elles s'entraîneront l'une par l'autre à faire des prodiges d'industrie et d'étude, sans être sti mulées par l'appât du gain . Elles n'auront d'autre mobile que la fougue passionnée , qu'une prévention aveugle pour leurs goûts favoris ; et leur exaltation sera si forte qu'on verra le · (1) " 405. " — Exemplaire annoté. 446 NOTE A. millionnaire, le sybarite actuel , se lever avant le jour pour ac tiver et soutenir personnellement les travaux des Séries où il aura pris parti. On le verra pendant la journée fatiguer comme un forçat, en parcourant et animant par son exemple ses grou pes et ses Séries favorites ; et après tant de peines , il regrettera qu'on ne puisse pas doubler la longueur des jours , afin de dou bler les fatigues qui feront son bonheur. Tous ses collaborateurs riches ou pauvres partageront son enthousiasme, et de là vient que les Séries passionnelles sauront obtenir de précieuses ré coltes dans les terres les plus rebelles aux efforts des Civilisés. " En admettant " que dans un canton d'environ 3,000 toises de diamètre, et peuplé de 1,000 à 1,200 personnes, il faille for mer environ 150 (1) Séries, à compter 300 (2) personnes pour chacune, ce nombre est approximatif , il est évident que ces 150 (¹ ) Séries exigeront 150 ( ¹ ) passions dominantes, chacune sur 300 (2) personnes ; il faudra donc que chaque individu ait environ le (3) quart des 150 (1 ) passions, à peu près 40 goûts dominants, pour s'enrôler dans une quarantaine de Séries. Mais les Civilisés n'ont pour la plupart que trois à quatre goûts dominants ; il faudra donc développer en eux un grand nombre de fantaisies nouvelles , et faire naître dans chaque in dividu au moins dix fois plus de passions, qu'il n'en a aujour d'hui. Pour atteindre ce but, il faudra procéder par des mé thodes opposées à tous nos dogmes sur la sagesse , ce qui n'importe , pourvu qu'on arrive au but , qui est de produire attraction industrielle et faire exécuter par plaisir ces tra vaux agricoles et manufacturiers qu'on n'exécute aujourd'hui que par nécessité et avec dégoût . Cette courte notice ne répandra aucun jour sur le problème de faire manœuvrer les 144 (1 ) Séries d'un canton de ma ( 1) "405. " Exemplaire annoté. (2) "100 " . (3) "Le 10me.”— - - id. id. NOTE A. 447 nière qu'elles s'entraînent l'une par l'autre au travail agricole , manufacturier et domestique , à l'étude et à la pratique des sciences et des arts , et que les produits de leur industrie s'é lèvent à la perfection qu'on doit attendre de gens qui travail leront par passion , par esprit de corps , par amour- propre, et nullement par le véhicule du besoin et du bénéfice. On pourra conclure de cette Note insuffisante que la Théorie des Séries ne comporte pas d'Abrégé et ne peut pas s'expli quer en apercu, parce qu'elle repose sur des procédés telle ment éloignés de nos usages qu'il faut en prendre une con naissance complète, et que les Abrégés , les notions anticipées que l'on sollicite, ne jetteraient aucun jour sur cet effrayant problème de mettre le genre humain en attraction indus trielle. Ce sera au IIIe Mémoire que j'en donnerai la solution . Les deux premiers seront employés à des discussions prépara toires , notamment sur la nécessité de l'Association , seul Ordre compatible avec les vues de Dieu . Dieu , pour organiser un Mécanisme social stable et régu lier, n'a pas pu spéculer sur des individus agissant isolément , mais sur des groupes sociétaires ; en voici les raisons : Dieu ne peut pas désirer que ses œuvres soient sujettes à une instabilité , à une désorganisation continuelle ; c'est ce qui arriverait si leur exécution reposait sur des individus isolés , qui ont le défaut d'être sujets à la mort et à l'inconstance. Il doit préférablement choisir des groupes ou corporations pas sionnés, qui ne meurent jamais et ne varient jamais dans leurs goûts ; car ils remplacent chaque jour par de nouveaux néo phytes ceux que la mort ou l'inconstance leur enlève. Les groupes perfectionnent sans cesse , parce qu'ils sont immor tels ; ils transmettent d'âge en âge l'habileté et les leçons d'expérience qui ne se communiquent pas dans les familles , parce que les enfants n'héritent pas des goûts des pères , et n'ont pas d'aptitude à continuer et perfectionner les travaux des pères. 448 NOTE A. L'Ordre civilisé exigerait une certaine conformité de goûts entre le père et le fils , ou du moins une diversité peu saillante ; le contraire a lieu , la Nature se plaît à trancher brusquement du père au fils ; elle place un génie poétique, Métastase, dans le fils d'un portier ; puis dans le rejeton d'un grand homme (¹) , elle ne placera que des penchants très vulgaires . Cette dispa rate, excessivement nuisible à nos sociétés domestiques, est un des mille indices de leur opposition aux vues de la Nature ; elle a fait les caractères et les passions pour convenir à l'Ordre combiné, et non pas à l'Incohérence civilisée. J'aurai lieu de répéter fréquemment dans le cours de cet ouvrage que, dès que les Séries progressives seront organisées, vous trouverez ad mirables certaines dispositions de la Nature qui vous semblent aujourd'hui des vices et des bizarreries ; vous verrez le père s'applaudir de ce qu'elle aura donné à ses enfants des goûts opposés aux siens ; vous entendrez le genre humain louer Dieu sur la création des penchants qui sont parmi vous le germe des plus grands désordres ; enfin , vous reconnaîtrez qu'il n'est aucune passion inutile ni mauvaise ; que tous les caractères sont bons tels qu'ils sont ; qu'il faut exalter leurs passions au lieu de les modérer ; qu'il faut créer des fantaisies et des besoins même aux gens sans fortune ; et que les meil leurs citoyens , les plus utiles au mécanisme sociétaire , sont ceux qui ont le plus de penchant aux raffinements voluptueux, et qui sont le plus aveuglément dévoués à assouvir toutes leurs passions. Tel est l'inconcevable problème dont on trouvera la solution dans la Théorie des Sectes progressives ou Séries de groupes industriels. (1) [ Cicéron] — Exemplaire annoté. -- FIN DE LA NOTE A. NOTA. Il est beaucoup d'inadvertances qui attesteront la précipitation ; par exemple, à la page 164 , en citant 8 inconvénients du mariage, j'ai oublié le principal , l'ennui qu'éprouvent les pères à se séparer de leurs enfants qu'un mariage entraîne loin d'eux , [ et l'in quiétude de les placer] . Je cite cette omission, entre mille autres , pour engager à suspendre tout juge ment, en attendant un second prospectus qui pré sentera les ridicules civilisés sous d'autres sens plus adaptés à l'opinion , et sera dirigé par les observa tions que j'aurai recueillies de la publication du premier. AVIS AUX CIVILISÉS RELATIVEMENT A LA PROCHAINE MÉTAMORPHOSE SOCIALE. Plusieurs Civilisés ayant désiré savoir quelle est la conduite convenable à leurs intérêts pour employer utilement le reste de la Civilisation , voici ce que je puis leur dire à cet égard. 1° Ne construisez aucun édifice ; la distribution des bâtiments civilisés n'est point compatible avec les habitudes de l'Ordre combiné, et il faudra faire à toutes vos maisons des changements énormes pour en tirer quelque parti ; il y en aura même un grand nombre d'inutiles . Cela ne doit pas alarmer les proprié taires, parce que tout dommage causé par l'établissement du Nouvel Ordre est indemnisé par la Hiérarchie sphérique ; elle aura des terres vacantes trois fois plus qu'il n'y en a de cul tivées. Or, comme elle mettra tout le globe en exploitation, elle aura dix fois plus de richesses qu'il n'en faudra pour suffire aux indemnités dont il s'agit. 2º Recherchez les richesses mobiles, l'or , l'argent , les va leurs métalliques, les pierreries et objets de luxe méprisés par les philosophes ; leur valeur doublera et triplera à l'époque où commencera l'Ordre combiné. L'augmentation sera moins sen sible sur le cuivre, l'étain , le fer , etc.; mais en général tout produit qu'on extrait péniblement des mines acquerra subite ment une valeur énorme dans l'Ordre combiné, où l'exploita tion des mines sera excessivement coûteuse , parce qu'elle est très peu attrayante. Il en sera de même des objets qu'on extrait à grande peine du sein des mers , comme les perles, etc. Ces genres de travaux seront très peu exercés , lors même que I'Harmonie sera complètement organisée. 3° En propriétés rurales , recherchez préférablement les bois de haute futaie et les carrières . Comme il faudra subitement construire une infinité de nouveaux édifices , les bois à bâtir et AVIS AUX CIVILISÉS . 451 les pierres de taille s'élèveront nécessairement à un prix exces sif dans les premières années où l'Ordre combiné sera encore imparfait et où l'esprit mercantile se maintiendra plus ou moins pendant quelque temps encore. 40 Ne formez aucun établissement lointain , ne songez point à vous expatrier par appât de la fortune ; chacun sera heureux dans son pays et y vivra sans nulle inquiétude. Quant aux versements que feront les contrées populeuses , ils s'effectueront d'une manière fort différente de vos fondations coloniales, et les colons partiront tout formés en Phalanges pour aller s'in staller dans des cantons et édifices qui leur auront été préparés par les armées industrielles . 5° Faites des enfants ; il n'y aura rien de plus précieux au début de l'Ordre combiné que les petits enfants de 3 ans et au-dessous ; car , n'étant pas encore gâtés par l'éducation civili sée, ils pourront recueillir tous les fruits de l'éducation naturelle et s'élever à la perfection de corps et d'esprit. En conséquence un enfant de deux ans sera bien plus précieux qu'un de dix , et la Hiérarchie sphérique récompensera généreusement toutes les filles qui pourront fournir de petits enfants au- dessous de trois ans. Elle récompensera de même les princes qui auront pourvu à cette fourniture, en permettant dès à présent à toute fille de faire des enfants hors de mariage. 6° Ne sacrifiez point le bien présent au bien à venir ; jouissez du moment, évitez toute association de mariage ou d'intérêt qui ne contenterait pas vos passions dès l'instant même. Pour quoi travailleriez-vous pour le bien à venir, puisqu'il surpas sera vos vœux et que vous n'aurez dans l'Ordre combiné qu'un seul déplaisir ce sera de ne pouvoir doubler la longueur des jours, afin de suffire au cercle immense de jouissances que vous aurez à parcourir. 7° Ne vous laissez point abuser par les gens superficiels qui croiraient voir dans l'invention des lois du Mouvement un cal cul systématique. Songez qu'il ne faut que 4 à 5 mois pour le mettre à exécution sur une lieue carrée, que l'essai en sera peut-être achevé dans le cours de l'été prochain ; qu'alors le genre humain tout entier passera à l'Harmonie universelle , et que vous devez dès à présent régler votre conduite sur la proximité et la facilité de cette immense révolution. 8° Gardez - vous plus soigneusement encore d'écouter les critiques qui porteraient sur l'inventeur et non sur l'invention . Qu'importe la manière dont elle est annoncée ! que ce Pros pectus manque ( de style, de méthode , etc.; j'y consens et ne veux pas même chercher à mieux faire dans les mémoires suivants. Fussent-ils écrits en patois , c'est l'invention et non 452 AVIS AUX CIVILISÉS. pas l'inventeur qu'il faut juger. Dès lors toute critique devient inconséquente, tant que cette invention n'est pas publiée et que je me borne à la laisser entrevoir. Sans doute il n'était pas besoin d'un volume pour une pareille annonce , mais j'ai dû déférer à l'opinion qui veut des volumes. Chacun s'informe d'abord combien l'invention remplira de volumes , et l'on semble croire qu'elle n'aurait aucune valeur si elle n'en remplissait pas quelques - uns. Il faut donc broder sur le sujet , et faire des li vres plus ou moins mauvais, comme peut les faire un homme qui, à part sa découverte , n'a d'autre science que de tenir l'aune. Or, pour gagner de vitesse les critiques , je déclare que je donne mes livres à pendre, n'ayant pas la prétention d'être écrivain , mais seulement inventeur.Je ne veux pas même lire la grammaire pour me corriger des fautes qui doivent four miller dans mon style. Je fais parade de mon ignorance ; plus elle est grande, plus elle couvre de honte les savants , qui , avec tant de lumières dont je suis privé , n'ont pas su découvrir les lois du Mouvement social , n'ont pas entrevu la route du bon heur que moi seul j'aurai ouverte au genre humain , sans que nul autre puisse revendiquer la moindre part à mon inven tion. Avant de la publier je donnerai un second Prospectus qui sera une extension de celui - ci et roulera sur les mêmes sujets, à peu de chose près. Ces deux premiers Mémoires ayant pour but de consulter l'opinion, afin de connaître les points sur lesquels il faudra s'étendre en développements , j'ai dû glisser légèrement sur chaque matière à laquelle j'ai touché, ne pouvant donner au cune démonstration régulière avant d'avoir publié la Théorie de l'Attraction passionnée. Elle sera contenue en six petits Mémoires qui paraîtront successivement , et dans lesquels je représenterai l'Ordre com biné en action . Je supposerai un réveil d'Épiménide en l'an 2200 , époque où la 8 Période sociale qui va s'organiser aura acquis sa splendeur, et où commencera la 2º création , qui introduira le genre humain en 9º période. Les souscripteurs pour les 6 cahiers de l'Attraction passion née auront la faculté de m'adresser leurs objections et re marques sur les développements qu'ils jugeront nécessaires. Je leur donnerai les éclaircissements qui seront d'utilité géné rale, et je pourrai dans chaque cahier consacrer quelques pa ges de réplique aux observations les plus importantes qui me seront parvenues. Du reste, je ne veux m'engager dans au cun débat polémique sur ce sujet. Il est un problème sur lequel on devra s'abstenir de deman AVIS AUX CIVILISÉS. 453 der des éclaircissements : c'est le plus important de tous , c'est celui de LA RÉTRIBUTION PROPORTIONNELLE AUX 3 FACULTÉS INDUSTRIELLES , C'EST-A- DIRE LA RÉPARTITION DU PRODUIT AGRICOLE ET MANUFACTURIER D'UNE PHALANGE, ENTRE LES SO CIÉTAIRES , SELON la quotité de capitaux , LUMIÈRES ET TRA VAIL DE CHACUN. Ce problème est le noeud gordien de l'Ordre combiné, celui sans la solution duquel il serait inutile d'organiser une Pha lange ; elle tomberait promptement en discorde si l'on ne sa vait pas prendre les mesures nécessaires pour la RÉTRIBUTION PROPORTIONNELLE AUX 3 FACULTÉS. J'éviterai à dessein tout éclaircissement sur ce problème , afin de pouvoir réserver à qui de droit l'honneur de fonder l'Harmonie universelle , dont l'entreprise pourrait être faite par tout riche propriétaire , et même par une compagnie d'actionnaires , si je divulgais la so lution dont il s'agit. Il sera donc inutile de la solliciter dans les objections qu'on pourra m'adresser. J'invite à relire cet ouvrage , si l'on veut en tirer quelque fruit ; une première lecture ne peut suffire dans un sujet aussi neuf. D'ailleurs , n'étant pas exercé à écrire , je n'aurai pas su classer avec méthode , ni exposer avec clarté les diverses matières ; dès lors une seconde lecture dissipera bien des obscurités, et suppléera à mon insuffisance. Plusieurs de mes assertions heurtent toutes les opinions et soulèvent les esprits au premier abord ; elles ne peuvent être goûtées que dans une seconde lecture ; la première ne peut servir qu'à élever des doutes qui seront pleinement confirmés par un plus mûr exa men des absurdités civilisées. Eh fut- il jamais un instant plus favorable pour rappeler les Civilisés à la honte d'eux-mêmes et de leurs sciences philo sophiques ! fut- il jamais de génération plus inepte en politique que celle qui a fait égorger trois millions de jeunes gens pour revenir aux préjugés dont elle voulait s'affranchir ! Les siècles précédents étaient bien plus excusables dans leurs fureurs ; c'étaient l'avidité , le fanatisme qui se montraient à découvert, c'était la passion toute nue qui causait les guerres ; mais au jourd'hui c'est pour l'honneur de la RAISON qu'on surpasse tous les massacres dont l'histoire ait transmis le souvenir ; c'est pour la douce égalité, la tendre fraternité, qu'on immole trois millions de victimes ! après quoi la Civilisation , lasse de car nage et honteuse de sa propre ineptie , ne voit d'autre moyen de repos que de rétablir humblement les préjugés qu'elle avait bannis, et d'appeler à son secours les coutumes que la philo sophie accuse de déraison. Voilà les trophées politiques de la génération présente : 454 AVIS AUX CIVILISÉS. après cela quel homme ne doit pas rougir d'être Civilisé et d'avoir ajouté foi aux charlataneries politiques et morales ? Quel siècle doit être plus disposé à considérer nos lumières sociales comme d'épaisses ténèbres, à soupçonner l'existence de quelque Science plus certaine qui aura pu échapper jusqu'à ce jour aux recherches du genre humain? Oui, cette Science, du Bonheur Social que vous aviez manquée, n'est autre que la Théorie de l'Attraction passionnée; le Mécanisme de l'Attraction est un problème que Dieu donne à résoudre à tous les globes, et leurs habitants ne peuvent passer au Bonheur qu'après l'a voir expliqué . SOUSCRIPTION. Les six Mémoires sur l'Attraction passionnée se ront chacun d'environ 150 pages, caractère et for mat de celui- ci ; le prix de souscription est de douze livres tournois. Les lettres et envois devront être adressés, franc de port , à l'Auteur ( CHARLES , ὰ Lyon. ) Dans les villes éloignées, les souscripteurs , réu nis au nombre de 12, pourront désigner un Libraire correspondant. Celui qui le premier me fera l'en voi du montant des 12 souscriptions réunies de viendra correspondant pour ladite ville et les lieux circonvoisins . La livraison successive des six Cahiers commencera dès qu'il y aura mille souscripteurs. FIN. NOTES ET ADDITIONS. I. Ici se trouvaient , dans l'un des Exemplaires annotés , les observations suivantes motivées par un article du Publiciste , du 14 décembre 1808 , article sans intérêt d'ailleurs et dont nous reproduisons ci- dessous le passage auquel Fourier ré pond [ L'un des journaux de Paris, le Publiciste, insinua que je voulais voler 12,000 fr . aux souscripteurs ; il fit sur la livraison proposée un compte de frais typographiques de 4,000 fr. , dans lequel il oublia de porter en compte les gravures et les planches qui seules auraient exigé 8,000 fr. d'avances. L'ouvrage qui était offert à 12 fr aux souscripteurs en aurait valu en commerce 24 par les gravures, qu'il me fâchera beaucoup de supprimer › dans mon Traité. Il le faudra donc bien , puisqu'on est voleur, selon les Parisiens, quand on cherche à se couvrir de frais exorbitants, dont on ne peut ou n'ose faire l'avance quand on n'est pas assuré du débit . Les journaux de Paris sont aussi indulgents pour eux-mêmes qu'ils le sont peu pour autrui. Le fameux Geoffroy, quoique fort riche, deman dait effrontément une souscription de 60 fr, pour les 3 volumes de com mentaires de Racine, avec gravures, et nul confrère ne l'en blàmait. Ainsi les journalistes parisiens ne sont pas seulement zoïles et van dales à l'égard des inventeurs français ; ils ajoutent la calomnie à la dé traction et traitent un homme de voleur parce qu'il propose la sous cription d'usage. Le libraire m'avait recommandé de ne pas oublier cette précaution . Il sied bien aux Gazetiers de Paris de s'en moquer ; toute Gazette n'est - elle pas un livre à 360 feuilles dont on fait couvrir les frais par souscription ? La nation française est tellement habituée à être dupe des charlatans qu'elle ne peut pas se persuader qu'un inventeur agisse loyalement ; elle ne cherche pas des inventions utiles, mais des duperies agréables , in 456 NOTES ET ADDITIONS. génieuses ; elle est satisfaite quand elle rencontre des enjôleurs comme celui de la mnémonique, assemblant et mystifiant pendant quelques séances un millier de souscripteurs à un louis par tête. Voilà ceux qui sont gens d'esprit en France . Une nation si encline à favoriser l'intrigue est nécessairement le jouet des intrigants ; aussi la France est-elle servilement soumise au monopole scientifique et litté raire de Paris, qui a pour devise : Nul n'aura d'esprit que nous et nos amis. Tout inventeur et auteur est bafoué, écrasé. S'il n'a pas la précau tion de faire agréer humblement sa découverte par la cabale de Paris, il doit trouver bon qu'elle s'en attribue la meilleure partie, et qu'elle daigne accorder un accès à l'inventeur, qui encore devra déclarer que, s'il a quelque génie, quelque bon sens, il le doit aux torrents de lumière qu'ont répandus les économistes, les idéologues et les perfectibiliseurs de Civilisation perfectible. Ces malfaisants personnages dirigent l'esprit de la France, et par suite de l Europe littéraire ; c'est par leur tyrannie que 40 tragédies at tendent à la porte du Théatre- Français, parce que leurs auteurs n'ont pas fléchi humblement devant le minautore, devant les monopoleurs de genie et de bel- esprit qui régissent Paris. Voilà le secret des jugements que la France porte sur les nouveautés ; en conséquence tout inventeur français n'a d'autre parti que de se re tirer hors de France. ] Voici en quels termes s'était exprimé le Feuilletonniste du Publiciste dans un post scriptum qui termine son article : P. S. J'en étais là et j'allais signer cet article , lorsque j'ai eu le malheur de jeter les yeux sur la dernière page du livre, ou plutôt du prospectus que j'an nonce. J'y ai lu en grosses lettres ce mot cruel, SOUSCRIPTION. J'ai continué de lire, et j'ai vu que notre auteur annonce six mémoires sur l'Attraction pas sionnée, chacun d'environ 150 pages, pour lesquels on peut souscrire moyen nant douze livres tournois, chez l'auteur , qui se nomme Charles, et demeure à Lyon. J'ai vu plus bas que la livraison successive des cahiers commencera dès qu'il y aura mille souscripteurs, en d'autres mots, dès que le prophète aura touché douze mille livres. Alors tous mes réves se sont dissipés, toutes mes illu sions se sont évanouies. Quoi ! me suis-je dit, le possesseur de toutes les sciences, T'homme qui se réserve la pins sublime de toutes, celle du mouvement social, a besoin de douze mille livres, au moment où la révolution qu'il annonce va le rendre riche à millions ! Et que dis-je, 12,000 livres ! la moitié, moins encore suffirait sans doute pour imprimer 2 vol. in-80 . Le Prophète ne les possède-t-il pas ? N'a-t- il pas assez de crédit auprès d'un libraire pour l'engager à faire une avance si modique, dont il serait si amplement dédommagé ? Faut-il croire enfin que notre prophète n'a pas lui-même une foi bien vive dans ses révélations ? C'est avec douleur que je le dis, mais je n'ai pu résoudre ces difficultés d'une manière satisfaisante. Je les soumets à mes lecteurs, et je crains bien qu'ils ne se résignent comme moi à rester encore dans ce misérable état de civilisation, a honte de l'espèce humaine, si nous n'avons que les Mémoires de M. Charles pour nous en tirer. A. Y. II. TRIUMVIRAT CONTINENTAL. ET PAIX PERPÉTUELLE SOUS TRENTE ANS. Article publié par FOURIER dans le Bulletin de Lyon, le 25 frimaire an XII ¦ . ( 17 décembre 1803 ), Les grands évènements qui ont signalé la fin du xviiie siècle ne sont que des bagatelles en comparaison de ceux qui se préparent. L'Europe touche à une catastrophe qui causera une guerre épouvantable, et qui se terminera par la paix perpétuelle . A ce mot l'on se rappelle la vision de l'abbé de Saint Pierre ; mais il ne s'agit pas ici d'un plan de pacification, il s'agit d'une crise forcée par les circonstances. Le genre humain passera d'abord à une paix temporaire et générale, par l'effet du triumvirat continental. Il ne reste sur le continent que quatre puissances marquantes, France, Russie, Autriche et Prusse. La plus faible des quatre, la Prusse, peut être conquise et démembrée, selon l'usage éta bli depuis un demi- siècle , de se réunir pour écraser le plus faible. La Prusse, malgré sa belle armée, n'est qu'un Etat paralytique. Ouverte de toutes parts, elle sera partagée par ceux des trois autres qui voudront se liguer pour l'envahir. Elle prévoit le choc qui la menace, elle n'ose rien entre prendre. En vain grossit-elle ses armées; la pauvre Prusse ne peut pas tenir une campagne contre deux des trois puis sances liguées. Si l'une des trois grandes puissances, comme la France, se trouve embarrassée par une révolution ou autre incident, les deux autres se ligueront et attaqueront la Prusse , qui 20 458 NOTES ET ADDITIONS . sera anéantie par une seule bataille perdue. Dès lors l'Eu rope sera réduite au triumvirat France, Autriche, Russie. On sait quelle est l'issue de tout triumvirat : une dupe et deux rivaux qui se déchirent. Il est bien probable que l'Au triche jouera le rôle de Lepidus. Elle se trouve resserrée entre deux prétendants. La France et la Russie partageront l'Autriche , et disputeront sur son cadavre l'empire du globe. Ainsi, pour donner au globe la paix générale, il faut former le triumvirat par l'anéantissement de la Prusse ; dix ans après il ne restera qu'un seul maître. Je compte pour rien l'Angleterre dans cette lutte . Celui qui commandera à l'Europe enverra une armée prendre possession de l'Inde, fermera aux Anglais les ports d'Asie et d'Europe ; il fera incendier toute ville qui recevrait les pro duits anglais , même indirectement. Alors cette puissance purement mercantile sera anéantie sans coup férir. Le souverain de l'Europe imposera tribut au globe entier, et établira la paix temporaire sur la terre. Il reste à savoir par quels moyens il pourra perpétuer cette paix. Avant de les expliquer, j'observe que les Philosophes, gens qui ont la vue courte, n'ont pas encore entrevu le principe de la paix. temporaire. Ce principe est la formation du Triumvirat, d'où résulte le choc ultérieur et l'unité du Continent. Quel est l'empire barbare qui résisterait au maître de l'Europe ? Serait-ce la Chine, que 8,000 Russes ont fait trembler , et que lord Clive se flattait de conquérir avec 20,000 Anglais ? Lorsque les Romains et Charlemagne ont possédé l'Europe, ils ne pouvaient réunir le globe, parce qu'ils n'avaient pas comme nous la tactique et l'art de la navigation , devant les quels tout Empire barbare n'est qu'un Pygmée. Tout occupés de calculs mercantiles, nos savants ne s'a perçoivent pas que la civilisation marche à ce dénouement, au Triumvirat, et qu'il faudra bientôt débattre le sceptre NOTES ET ADDITIONS. 459 de l'Europe. Que serviront alors les îles à sucre? Qui aura le plus de colonies sera le plus confus ; tout sera la proie du Triumvir victorieux ; et la France, au lieu de s'exténuer dans ses luttes coloniales et mercantiles , devra prendre ses mesures pour pouvoir tenir le dé dans le Triumvirat, dont la formation est prochaine et inévitable. Mais si la France s'arrête plus longtemps aux chimères commerciales , elle sera jouée par la Russie , qui ne tardera pas trente ans à réaliser la prédiction de Montesquieu. Je n'ignore pas combien les esprits sont prévenus en fa veur de la France , et combien ses triomphes récents lui inspirent de sécurité . Mais ceux qui voient un peu plus loin ne se laisseront pas éblouir par cet éclat . Je pourrai démon trer dans d'autres articles que si le Triumvirat se formait dans la conjoncture actuelle, la France serait perdue. La Russie pourrait, après la chute de l'Autriche, occuper toutes ces régions situées en arrière de l'Elbe et de l'Adriatique, et armer contre la France deux millions de soldats rassem - blés dans l'Europe et l'Asie. Voilà le coup de partie qui menace l'Occident. Et vous , publicistes, qui ne prévoyez pas cette crise, n'êtes-vous pas des enfants à renvoyer à l'école ? Combien d'autres évène ments se préparent et dont vous n'avez rien prévu ! Votre crédit touche à sa fin . Vous siégez dans les académies à côté des hommes qui enseignent la vérité, à côté des phy siciens et géomètres ; préparez- vous à rentrer dans le néant La vérité que vous cherchez depuis deux mille cinq cents ans va paraître pour votre confusion ; les sciences politiques et morales ont plus duré qu'elles ne dureront. FOURRIER. (sic) . Fourier écrivait alors son nom avec deux R. 460 NOTES ET ADDITIONS. En reproduisant l'article précédent La Phalange ( numéro du 1er janvier 1838 ) l'accompagna des détails suivants : A peine le magnifique article que l'on vient de lire eut- il paru que Bonaparte, alors premier consul, envoya à M. Dubois, commissaire gé néral de la police à Lyon, l'ordre de lui donner des informations sur l'auteur. M. Ballanche chez qui s'imprimait le Bulletin de Lyon, et à qui les renseignements furent demandés, répondit que l'auteur de l'ar ticle était un jeune commis marchand de draps, d'une maison qu'il in diqua. M. Ballanche joignit à sa déclaration l'éloge du caractère et des connaissances de Fourier, à qui il fit connaître l'attention dont il était l'objet. L'affaire n'eut pas d'autres suites et le commis marchand resta dans sa boutique. « C'est de la bienveillante amitié de M. Ballanche lui- même que nous tenons ces renseignements. M. Ballanche n'ayant pas la collection du Bulletin de Lyon, M. Considerant lui remit les articles copiés par notre ami O. Barbier dans une collection appartenant à M. Beuchot, M. Ballanche répondit à la communication de M. Considerant par la lettre suivante, et eut l'obligeance de lui raconter ensuite tout ce que sa mémoire lui rappela de cette circonstance.» . Mon très cher monsieur Considerant , Je vous remercie beaucoup de ce que vous avez bien voulu me communiquer divers articles insérés dans le Bulletin de Lyon, vers le commencement du siècle , par Charles Fourrier, qui alors n'avait pas encore publié la Théorie des quatre mouvements. a Un de ces articles, intitulé Triumvirat continental, du 17 décem bre 1803 , attira tellement l'attention du Gouvernement que M. Du · bois, alors commissaire de police, reçut immédiatement ordre de prendre des informations sur l'auteur de l'article. M. Dubois, homme excellent et éclairé, voulut bien me consulter à ce sujet. Je lui dis qui était Fourrier, un homme modeste, étranger à toute espèce d'intrigue et d'ambition, et jouissant parmi nous autres, jeunes hommes de ce temps, d'une grande réputation de science géographique. Quant à l'article sur l'acceptation des lettres de change, il faut bien remarquer, 1° que l'acceptation était contraire à toutes les tra ditions de réserve et de prudence du commerce de Lyon; 2° que le « Code de commerce qui devait imposer l'acceptation comme une loi générale n'avait point encore été publié. Ce qui, au reste, fait honneur · ala prévision de Fourrier, c'est que le commerce de Lyon ayant voulu persévérer dans ses anciens usages de non-acceptation, un assez grand α nombre de maisons de Genève vint s'établir dans la ville même pour pratiquer l'acceptation qui répugnait aux maisons lyonnaises. · · " Agréez, je vous prie, mon cher monsieur Considerant, l'expression de mes sentiments les plus distingués. • BALLANCHE.. La seconde partie de la lettre de M. Ballanche est relative à un des autres articles de Fourier, insérés dans le Bulletin de Lyon, et qui a été reproduit dans la Phalange, numéro du 1er novembre 1838. Voy. ce Numéro . 4X4 III. Le morceau suivant, que nous aurions intitulé Nouvelle Introduc tion à la Théorie des quatre Mouvements, s'il eût été placé en tête du volume , a été écrit par Fourier en 1818, dix ans après la première publication de l'ouvrage, et quatre ans avant celle du Traité de l'Association Domestique- Agricole que l'auteur préparait alors . Ce morceau a été imprimé déjà, du vivant de Fourier, dans la Phalange, t. 1, nº 22, année 1837. [ Il faut se garder, en lisant cet ouvrage, d'une ' erreur où tombent tous les Français ; ils veulent qu'un Prospectus con tienne les détails réservés à un Traité; ils se plaignent de ne pas comprendre comment on pourra exécuter les changements an noncés. Si j'avais voulu l'expliquer , j'aurais donné un Traité et non pas un Prospectus. Il ne convenait pas de livrer d'emblée ma Théorie ; comme je n'en publie qu'une annonce , je n'y dois autre chose que des aperçus propres à piquer la curiosité et faire désirer le traité qui la satisfera . En publiant ce livre j'avais deux buts : sonder l'opinion, et prévenir le plagiat. C'était une prise de possession , mesure nécessaire surtout en France , où l'on trouve toujours après coup vingt plagiaires qui revendiquent une découverte et ac cusent l'auteur même de plagiat. J'ai donné à cet essai des formes quelquefois choquantes et des tons variés pour masquer diverses épreuves que je faisais sur les préjugés , plus forts en France que partout ailleurs. 462 NOTES ET ADDITIONS. Pour les sonder tour à tour, il a convenu de distribuer l'ou vrage comme l'habit d'Arlequin , cousu de toutes pièces et bi garré de toutes couleurs . On lui a reproché de manquer de méthode ; il a la méthode nécessaire dans un travestissement. La première partie de l'ouvrage, la Cosmogonie, n'est pas fixe, quoique renfermant beaucoup de détails fort justes que la Théorie fixe a confirmés. Je n'ai fait qu'en 1814 la découverte du Clavier général de Création qui sert de boussole dans ce genre de calcul. Dans le Traité de 1821 , cette partie de l'ouvrage sera fixe, ainsi que les autres. J'ai rectifié à la main les erreurs notables , comme celles de la page 73. Du reste, il y a sur ce point très peu d'erreurs conjecturales , ét je puis m'étonner d'en avoir si peu commis lorsque je man quais du calcul de vérification trouvé en 1814. Jugeons, par quelques exemples, de la ténuité de ces erreurs. J'ai porté au grand tableau le nombre des périodes sociales à 32 ; il est de 34, y compris les deux pivotales , qui ne comptent pas en mouvement ; j'omettais tous les Pivots en 1807. J'ai estimé le nombre de nos planètes à une cinquantaine, y compris les inconnues ; c'est l'erreur la plus grave. Elles ne sont que 32 en gamme sur le soleil , non compris notre lune Phœbé, qui est un astre mort, à remplacer par la petite étoile Vesta entrée pour cette fonction . Il ne reste à découvrir que deux planètes de gamme ; ce sont Protée, ambiguë de Saturne , et Sapho, ambiguë d'Herschell , toutes deux d'ordre mixte, et correspondant pour l'emploi à Vénus et Mars. Il peut rester aussi quatre planètes de réserve au-delà d'Her schell ; tout cela n'élèverait encore le tourbillon qu'aux envi rons de 40, au lieu de 50. Je ne savais pas faire le compte ré gulier de ces astres inconnus lorsque j'en fixai approximative ment l'ensemble à 50. Une erreur de méthode assez grave est d'avoir divisé le Mou vement en quatre branches, au lieu de cinq, dont une pivotale et quatre cardinales. En 1808 , je ne connaissais pas la théorie NOTES ET ADDITIONS. 463 des Pivots et je les omettais fréquemment. Cette irrégularité ne change rien, quant au fond de la Théorie générale, non plus que l'inadvertance commise en 1808 sur le mode neutre, dont je n'ai pas fait mention dans ce volume, n'en ayant découvert les emplois que six ans plus tard. Les beaux-esprits qui firent des plaisanteries sur les quatre Mouvements auraient , certes , mieux fait de rectifier ces er reurs ; ils pouvaient me prouver que j'oubliais le Mouvement aromal, et que je plaçais mal à propos le passionnel sur la ligne des quatre autres , dont il est Pivot et type. Une science nouvelle n'arrive pas à terme du premier jet , surtout quand l'auteur est seul à l'ouvrage . Or, en 1807 , je n'étais qu'à la huitième année de la découverte ; il me restait une infinité de problèmes à résoudre pour compléter un corps de doctrine. Je ne me serais pas pressé d'entrer en scène sans quelques instances de curieux qui me demandaient au moins un aperçu ; ils m'y engageaient par la crainte d'une censure dont on menaçait et qui bâillonna la France dès l'année sui vante. Pour l'esquiver , je composai précipitamment cet essai. J'avais déjà résolu quelques-uns des problèmes principaux , entre autres celui de la formation des Séries passionnelles et de la distribution d'une Phalange d'harmonie domestique, à 810 caractères contrastés. Je tenais déjà le secret de la répartition équilibrée en raison directe des masses et inverse du carré des distances. On pouvait donc, dès cette époque, sortir de la Civilisation. Les Français ont préféré y rester ; elle leur a valu , depuis , une perte de 1,500,000 têtes dans les combats, des humiliations et spoliations de toute espèce. Le tableau de ces désastres est la meilleure réponse à leurs plaisanteries, dont ils ont été si bien punis. Les conférences que j'ai eues sur cette découverte avec des personnes de diverses nations m'ont prouvé que les Français , par leur manie de bel- esprit, leurs nombreux préjugés et leur coutume de trancher sur tout débat sans examen , sont inha biles à l'étude de l'Attraction , dans laquelle réussissent fort 3 464 NOTES ET ADDITIONS. bien les Allemands et les gens du Nord . Ces peuples , moins bouffis de prétentions, peuvent se façonner au précepte de Condillac et Bacon qui conseille aux Civilisés de refaire leur entendement, oublier tout ce qu'ils ont appris des sciences in certaines. C'est principalement en étude d'Attraction passionnelle qu'on doit rappeler ce précepte ; mais comme les Français ne sont pas gens à le goûter, il ne leur est pas possible de se familiari ser avec la Nouvelle Science qui heurte tous les préjugés et en exige l'oubli. D'ailleurs , ni eux ni d'autres ne peuvent la juger sur un Prospectus borné à des aperçus sans théorie complète et à des raisonnements préparatoires . Les journaux de Paris , tout en avouant que ces raisonne ments sont bien faits, bien suivis , y.ont répliqué par des rail leries , selon l'usage français ; mais raillerie n'est pas réfutation . Au surplus , pour payer les Français en leur monnaie, puisqu'ils n'admettent que la raillerie , je les félicite des bienfaits éclatants qu'ils ont recueillis de la Civilisation , depuis l'époque où je leur en ai indiqué l'issue , en payant sa prolongation de tant de sang et de trésors ; je doute qu'ils aient les rieurs de leur côté. Ceux qui apporteraient dans cette lecture l'esprit français, la manie de primer et ravaler un compatriote vivant , seraient dupes d'eux-mêmes ; je vais le prouver par l'aperçu de deux chances de bénéfice et d'honneur que la découverte présente à la France ; je me borne à deux preuves entre cent . 1º Chance de bénéfice ; il faut la placer au premier rang pour se mettre au ton de notre siècle mercantile. Une dette énorme pèse sur la France, dette qui , en 1820, s'élèvera à quatre milliards , aveu fait dans le sein du corps lé gislatif. Ne serait- il pas commode pour la France de faire pas ser sa dette sur le compte du globe ? Mais l'Angleterre a aussi une dette ; elle est de 18 milliards ; disons 20 milliards au premier contre-temps et 1 milliard d'a gio annuel. On sait combien les peuples sont écrasés par cette plaie. Quels horribles tableaux de mendicité nous donnent les statistiques de ce pays, grevé pourtant d'un impôt addition NOTES ET ADDITIONS . 465 nel et communal de 200 millions pour secours aux indigents ! L'Angleterre sera donc plus intéressée que la France à saisir le moyen de se libérer sans qu'il lui en coûte une obole ; car maintenant l'opération d'épreuve de l'Harmonie est établie sur de nouveaux procédés qui exempteront un souverain de tout risque et de tous frais. A ce prix, comment l'Angleterre hésite rait-elle sur une épreuve dont le succès éventuel la délivrerait de sa dette colossale , et dont le succès assurerait encore une foule d'économies matérielles qui seront mathématiquement démontrées? Or, si l'Angleterre prend l'initiative d'épreuve que lui com mande impérieusement le poids de sa dette , quelle sera la con fusion de la France qui aurait pu s'approprier cet avantage, cet affranchissement de sa dette , en traitant son inventeur avec les égards dus à un homme qui ne demande pas de confiance prématurée, mais seulement l'examen et l'épreuve , de nulle dépense pour tout souverain de 500,000 habitants, comme ce lui de Darmstadt ? Les sceptiques vont répliquer : « On ne voit pas quels sont les moyens d'exécution de l'auteur. » Eh! comment les verrait on dans un Prospectus fait en 1807 , puisque les principaux progrès de la Théorie ont eu lieu de 1814 à 1817. Ils régulari sent et complètent la Science et les moyens d'enseignement. II ne reste plus, pour en assurer le succès, qu'à donner tout le temps convenable à la confection du Traité , et l'appuyer du ta bleau des intérêts de chaque souverain, de chaque nation, de chaque homme riche à tenter la facile épreuve de l'initiative d'harmonie. 2º Chance d'honneur. Les Français sont accusés de ne savoir que perfectionner et non inventer, d'être avortons en génie. S'ils tenaient à laver leur nation de ce reproche, ils seraient flattés de voir qu'un des leurs jette le gant au monde savant , prétend que les Newton, les Képler , qui croient avoir découvert les lois du Mouvement, n'en ont mis au jour que la cinquième branche, et qu'un Français va dévoiler les quatre autres. Sur cette annonce ils devraient à ma Théorie une protection provi 20. 466 NOTES ET ADDITIONS. soire et subordonnée à l'engagement de fournir un Traité régu lier , pleinement compatible avec l'expérience, et appliqué aux sciences fixes, aux connaissances positives . Les Français en jugent tout autrement ; ils ne voient dans cette affaire que le plaisir trivial de ravaler un des leurs, de l'attaquer sous le rapport de la rhétorique , lorsqu'il ne s'agit que de juger l'esprit inventif et d'attendre l'Exposé dogma tique. Ce n'est pas une tâche facile à remplir. La seule ébauche du corps de doctrine vient de me coûter seize mois , pendant les quels je n'ai fait que dégrossir un tiers de l'ouvrage. A la vé rité , c'était la partie la plus épineuse et embarrassante par la quantité de problèmes ; le reste en est moins hérissé , et c'est un travail de deux ans dont je puis répondre à jour fixe pour 1820 ou 1821 , y compris une année à donner à la révision et correction. Si, à cette époque, je publie un traité suffisant , et que la découverte des lois intégrales du Mouvement soit bien consta tée , quelle sera la confusion des Français de classe savante en voyant qu'ils ont élevé aux nues l'inventeur de la cinquième branche, l'inventeur partiel , Newton, bien digne des plus grands honneurs , et que leur compatriote, inventeur des lois intégrales qui comprennent tout l'ensemble du Mouvement dans les cinq branches, n'a trouvé chez eux que railleries , dé couragement , vexation , à tel point qu'il a été obligé de se re tirer en pays étranger pour y publier. Je m'y retirerai dès l'an 1819. La France alors voudra , selon son usage, revendiquer l'hon neur d'invention , comme elle revendique aujourd'hui la vac cine, le bateau à vapeur, enfin jusqu'aux soupes- Rumfort. Que ne revendique- t-elle pas ? La détraction et le plagiat vont de pair ; elle veut bafouer tous les inventeurs et s'arroger après coup le mérite de l'invention . Je lui donnerai le démenti : je prouverai qu'elle n'a travaillé qu'à me rebuter ; que, si j'eusse cédé aux insinuations et aux sarcasmes, j'aurais lâché prise, et le monde serait privé de la Théorie intégrale du Mouvement. Alors ceux qui auront résisté au mouvement, opiné à atten 1 NOTES ET ADDITIONS. 467 dre le Traité avant de condamner l'inventeur , pourront recon naître combien l'on est dupe de juger une invention avant qu'elle soit publiée , et de la juger sur un prospectus incomplet, donné quand la Théorie n'avait fait que moitié des progrès aux quels elle est parvenue aujourd'hui. Eh ! quels jugements ont-ils portés ? Ne pouvant rien dire sur les moyens d'exécution que je ne communiquais pas, ils se sont pris au style et à la méthode. Qu'importe le style en fait de découvertes ! Si un homme apporte une nouveauté immen sément utile , comme la boussole nautique, n'est- il pas indiffé rent qu'il s'exprime en patois, pourvu qu'il donne le bien qu'on désire, un moyen efficace de s'orienter dans l'obscurité et dans les mines? C'est un travers de notre siècle et surtout de la France que d'exiger partout des talents oratoires qui ne sont utiles que dans certains emplois. Il n'y a qu'une chose à exiger de moi : une Théorie complète sur l'art de développer et mécaniser toutes les passions dans une Phalange de 144 Séries passionnelles , modulant par les 810 caractères de clavier général. Je n'ai posé que ce problème ; je ne dois que cette solution. Fût- elle donnée en patois , j'aurai payé ma dette. La philosophie aura t-elle pareil mérite ? A t- elle résolu un seul de ces problèmes, depuis les collectifs , ceux du Bonheur social et de l'Unité des na tions , jusqu'aux partiels , comme l'extirpation de l'indigence , de la fourberie, etc. ? Elle a échoué sur tous, malgré son attirail de style , de méthode , etc. Il faut donc d'autres armes pour forcer la Nature et lui ravir son secret. Il sera pleinement dévoilé par le Traité du Mouvement inté gral ou des cinq divisions, savoir : le Passionnel ou type qui est Pivot des quatre Mouvements cardinaux, de l'Instinctuel , de l'Aromal , de l'Organique , et du Matériel ou newtonien. En at tendant le Traité qui les présentera en cadre unitaire , si l'on veut tirer quelque fruit de cette annonce, il faut se rappeler : 1° Que tout défaut de style ou de méthode est insignifiant dans un inventeur, puisqu'on ne peut exiger de lui qu'une dé couverte utile. On est rassasié d'agréables inutilités ; la rhéto 468 NOTES ET ADDITIONS. ' rique et le bel- esprit courent les rues. Il faut donc dispenser de ces colifichets celui qui donnera l'utile scientifique , la Théorie d'Unité passionnelle ou sociale ; 2° Qu'ici l'inventeur est d'autant mieux exempt de tributs oratoires qu'il est habitué de commerce , étranger aux sciences et aux lettres . Il est d'autant plus louable de braver la critique et les dégoûts, et d'user de ses propres moyens pour mettre au jour l'invention dont le sort l'a favorisé ; 3º Que les sciences les plus exactes , les mathématiques , ne s'étant développées que par degrés, on doit fort peu exiger dans un livre d'initiation et d'aperçus d'une nouvelle science ; on doit se contenter d'un germe évident de découverte, germe qui est plus que constaté dans ce Prospectus , où l'on trouve déjà d'amples indices d'un secret dérobé à la nature , et manqué par nos sciences philosophiques ou répressives de la nature ; 4° Que depuis ce Prospectus il s'est écoulé dix ans , pendant lesquels la Théorie a pris , surtout en 1814 , un tel accroisse ment que l'auteur peut, sans jactance, promettre sous trois ans un corps de doctrine très satisfaisant ; 5° Qu'enfin l'auteur , loin de quêter les suffrages des Fran çais, ne veut ni traiter avec eux ni publier chez eux ; et on se trompera fort si on le considère comme cherchant à faire des prosélytes sur cet aperçu incomplet , retiré de la circulation , qu'il ne livre qu'à regret et pour ne pas paraître désobligeant. Telles sont les considérations à présenter aux sceptiques et détracteurs. Quant aux juges impartiaux, il ne s'agit que de les rassurer sur les défiances auxquelles l'esprit français s'aban donne trop légèrement par dédain de ses compatriotes. Si , au lieu de me signer Fourier, je signais Fourington , tout Fran çais me proclamerait un sublime génie qui va surpasser New ton , enlever le voile dont ce grand homme n'a su que soulever un coin. Passons sur ce travers national, et rassurons les gens bien intentionnés , en leur donnant un gage de succès tiré des facilités d'exécution . Il y a 3000 candidats de fortune ou de pouvoir, gens dont chacun peut faire l'épreuve de la Phalange d'Harmonie, et deve NOTES ET ADDITIONS ." 469 nir par cette épreuve monarque héréditaire du globe. C'est un sceptre dont les attributions n'ont aucun rapport avec celles des Souverains partiels régissant chaque Empire , sceptre qui sera. conféré par la Hiérarchie Sphérique à l'individu qui aura no toirement opéré la délivrance du globe et l'avénement aux des tinées sociales par la fondation du canton d'épreuve de l'Har monie. Chacun des 3000 candidats peut prétendre à ce poste émi nent, en employant à cette fondation , très lucrative en sens pé cuniaire, le quart des sommes qu'on dépense chaque jour en profusions inutiles , en fausses spéculations ou luttes d'amour propre, ou même en déperditions nécessaires que préviendrait l'Harmonie ; telles sont les aumônes. Par exemple, en Angleterre, une seule branche d'aumône , les secours publics fournis aux indigents, absorbent annuelle ment 8 millions sterlings , soit 200 millions de France. Cette taxe des pauvres est un des nombreux fardeaux dont on serait dégagé en affectant seulement un demi-million de France à former le noyau de souscription pour fonder le canton d'essai de l'Harmonie. Passons aux aperçus tirés des prodigalités ou déperditions individuelles. Marialva dépense à Vienne ' , en 1817, un million de florins (2,400,000 fr. ) à une fête de mariage ; qu'il en avance le quart sur garantie territoriale pour fonder l'Harmonie , et il devient monarque héréditaire du globe. Observons bien que avancer n'est pas dépenser, et que le fondateur , les actionnaires d'un canton d'Harmonie, sont aussi bien à couvert qu'un prê teur sur nantissement. Burdett a, dit- on , semé plus d'un demi-million de France pour atteindre au médiocre poste de député ; ne peut- il pas, pour obtenir le trône héréditaire du monde , avancer sur garantie la somme qu'il dépense en pure perte pour le grade temporaire de député ? Labanoff, à Pétersbourg, fait construire un palais qui coûtera 16 millions de France. Il se ferait monarque héréditaire du 470 NOTES ET ADDITIONS. globe avec l'avance d'un 32º de ce qui sera dépensé à un édi fice ruineux pour sa famille ; car il nécessitera un train de maison à ruiner , sinon le prince actuel , au moins son succes seur. Dans la classe moyenne, dans le commerce, on voit de même de folles entreprises absorber des millions . Cabarrusde Bayonne s'engage avec le banqueroutier Tassin pour 1,300,000 francs bien perdus pour lui . S'il aventure au- delà d'un million pour gagner une provision de 2 ou 3 cent pour cent , il peut bien placer avec garantie un demi- million dans l'entreprise de l'Har monie, qui lui vaudrait le trône du monde et le rembourse ment sur le pied de 144 capitaux pour 1 , à lui et à tous les actionnaires. Avis à ceux qui convoitent les ' grandeurs et le bénéfice à la fois . Que d'intrigues pour s'élever au rôle précaire de ministre ! Le trône du monde tend les bras à tout ambitieux qui voudra l'obtenir par une opération exempte de tout risque. Ajoutons une particularité bien séduisante pour les coopéra teurs. Il y aura à distribuer environ 115 à 120 Empires de sur face égale à la France, puis des couronnes d'ordre supérieur ou inférieur, le tout à prendre sur les petits États non ralliés en grandes masses, comme ceux de l'Afrique intérieure , auxquels on donnera des empereurs, puis sur les terres incultes conte nant les trois quarts du globe , et dont la Hiérarchie Sphérique traitera pour colonisation qu'elle peut seule effectuer par voie d'Attraction . Le mode actuel de fondation des colonies , l'émi gration de misérables poussés par la famine, sera impraticable du moment où il existera un état de bonheur général ; il faudra donc, pour coloniser , recourir à la voie d'Attraction ou d'émi gration attrayante, qui ne pourra être mise en jeu que par la Hiérarchie Sphérique, et non par les souverains partiels. Cette nécessité où l'on se trouvera de recourir à la Hiérarchie Sphé rique pour coloniser et porter le globe au complet sera pour elle un gage certain de la propriété d'environ 120 trônes im périaux à distribuer à ceux qui auront servi la cause du genre NOTES ET ADDITIONS. 471 humain en provoquant ou aidant l'épreuve de l'Harmonie sur un canton de mille habitants. Elle ne sera pas moins riche en bénéfices pécuniaires : la co lonisation, à caver au plus bas, doit lui rendre successivement quatre mille milliards , par la rétrocession des terrains colonisés , que les colons paieront en annuités. Avec une telle fortune il ne lui en coûtera guère de prendre à son compte la dette d'An gleterre, fût-elle le double, et de rembourser à 144 pour un la somme affectée à l'opération , dans le cas où elle serait faite par un particulier aidé de souscripteurs et de coactionnaires. Quand ces assertions seront démontrées arithmétiquement et irrésistiblement , quand on verra que la métamorphose du monde social ne tient qu'au facile essai d'une Phalange d'Har monie, on aura plus qu'on ne voudra de souverains, ministres ou particuliers qui se disputeront l'initiative . L'empereur Alexandre donne 500,000 fr . aux pauvres de Glaris ; qu'il les avance sur hypothèque , pour devenir omniar que du globe. Il affecte 60 millions à construire l'église Saint Sauveur ; qu'il en distraie 800,000 fr . pour noyau d'actions du canton de fondation ; il aura outre l'omniarcat du globe , outre l'honneur d'être libérateur du genre humain , l'avantage de faire payer par le globe le double des frais de l'église , 120 mil lions , pour l'avance des 840,000 fr . qu'il aura distraits sur ga rantie. Combien d'autres motifs plus brillants à faire valoir ! Je me borne à ceux d'intérêt , les seuls en crédit chez les Civilisés . Il est un écueil pour les âmes faibles , un piége contre lequel il faut les prémunir ; c'est la fausse honte, la crainte de l'opi nion et des zoïles , qui jusqu'au dernier moment rebuteront, assailliront le fondateur , prétendront qu'il est dupe d'une vi sion , qu'il y a folie d'ajouter foi à une théorie qui contredit 400,000 tomes de perfectibilité philosophique, d'où naissent l'indigence et la fourberie. C'est ici qu'on doit sentir la nécessité d'un bon système de preuves, le besoin d'y donner tout le temps convenable , de ne rien précipiter, et ne pas publier chez les zoïles parisiens , 472 NOTES ET ADDITIONS. - dont les gazetiers ne jugent favorablement que celui qui laisse un rouleau de louis sur leur cheminée. Quant aux autres nations, elles ont sans doute leur part des faiblesses humaines et surtout de l'amour- propre ; j'ai ménagé les moyens de le mettre à couvert par une opinion qui garan- , tira le fondateur des traits de la critique. Voici quel thème il pourra adopter : Il pourra feindre de négliger comme suspect et romanesque tout ce qui tient à l'harmonie passionnelle des Séries (non ex pliquées dans ce volume) , et ne s'attacher dans leur tableau qu'aux avantages purement matériels , étayés de preuves arithmétiques et péremptoires. Ils composent trois branches : 1º culture combinée, 2º ménage combiné, 3º logement com biné. Lesdites associations , impraticables entre dix et vingt familles, sont pleinement praticables entre 200 familles iné gales en fortune et considérées comme une petite ville. Le candidat de fondation pourra donc prendre un masque de mode, la philosophie perfectibilisante , et dire : « Je n'ajoute pas foi à l'ensemble de la théorie, à cette unité passionnelle de 144 Séries, à ce prestige d'un concert " de 810 caractères distribués par octaves comme un jeu 66 d'orgues. C'est l'écart d'imagination d'un inventeur que des « succès réels ont emporté au- delà des bornes ; mais distrayant « de ses calculs la portion suspecte d'illusion , j'en adopte seulement les dispositions matérielles, dont le compte arith métique établi démontre un bénéfice du trentuple relatif, ou faculté de mener avec 1,000 fr . , dans cette Exploitation combinée , le train de vie qui coûterait 30,000 fr. en Civili « sation ; puis d'obtenir de ce Nouvel Ordre industriel une " foule d'améliorations morales, comme l'extirpation de l'indi-: « gence, de la fourberie et du larcin entre les coopérateurs ; « l'économie prodigieuse de temps , de bras, de machines et de « denrées ; une réduction considérable sur la somme de " maladies inhérentes au régime industriel et domestique des " Civilisés . " แ C'est ainsi que le fondateur pourra se travestir en écono 66 "6 66 " " A12 NOTES ET ADDITIONS... 473 miste moral, pour ne pas se ranger sous les drapeaux d'un in venteur anti-philosophe qui a l'audace d'enlever la plus belle palme aux savants, et de faire dans le fond de sa province une magnifique découverte, pendant que les virtuoses de Paris se battent vainement les flancs pour inventer quelque chose de neuf. Le Fondateur, dans cette hypothèse, jouerait à mon égard le rôle de sévère critique, séparant le bon or du faux ; en cédant ainsi quelque terrain aux sceptiques , il se concilierait l'opi nion, figurerait en perfectibiliseur de Civilisation perfectible, en introducteur d'une nouvelle philosophie économico-morale; on sait qu'il en faut une nouvelle à chaque génération , comme un almanach nouveau chaque année. Au moyen de cette apparente scission avec ma doctrine passionnelle, le fondateur au premier instant recueillera de ma découverte plus de gloire que moi-même, et mon ouvrage ne semblera que le fumier d'Ennius , d'où un Virgile philosophique aura su tirer des perles. Nouveau triomphe pour lui ; s'il veut encenser en toutes lettres le minotaure parisien , le monopole de la perfectibilité de la raison par les idéologues , et les perfectibilités du com merce par les économistes, il devra , dans son manifeste de fon dation, déclarer qu'il a puisé son plan non pas dans ma Théorie, qui n'envisage que la superficie des choses, mais dans les tor rents de lumière des économistes et les profondes profondeurs des idéologues ; et pour remplir tous les lecteurs parisiens des plus douces espérances , il assurera que cette fondation a pour but de donner un nouveau lustre à la philosophie du com merce, et de prouver au monde que les sensations naissent des idées par les perceptions d'intuition de la cognition de la voli tion du bien du commerce et de la charte. Avec quelques lignes de ce jargon en vogue, il ravira tous les cœurs académiques et sera proclamé la colonne de la saine métaphysique, l'oracle des grandes vérités du commerce éco nomico-moral , et le vrai perfectibiliseur du perfectibilisantisme de Civilisation perfectible. 474 NOTES ET ADDITIONS. Entre temps le bon apôtre fera ses dispositions pour mener de front l'essai du matériel et du passionnel et courir la chance du double succès. Combien de candidats spéculeront sur ce masque de défiance partielle pour tenter la conquête du scep tre universel, entre autres les princes qui gémissent en secret d'avoir perdu des trônes ! Quelle occasion de revanche ! ceux qui les ont détrônés deviendraient leurs subalternes. Dire que ces perspectives et autres non décrites séduiront un trentième des candidats, 100 sur 3000 , ce n'est sans doute pas exagérer ; or il n'en faut pas 100 , il suffit d'un seul, et pour apprécier mes moyens de déterminer l'un des 3,000 , il faut attendre queje présente un Traité suffisant; il faut , je le répète, se garder d'établir l'augure sur un Prospectus partiel , et anté rieur aux découvertes de 1814. On doit donc envisager cet embryon comme les statues grossières des Egyptiens ; aucun de nos élèves ne voudrait les avoir faites. Cependant elles ont du prix comme germe de l'art et gage des progrès qu'il devait faire. Dans le même sens , loin de gloser sur les côtés faibles de ce livre , il serait plus sage de s'étonner qu'à la huitième année j'aie déjà pu réunir tant de parcelles du calcul de l'Harmonie. auquel je n'avais donné que deux années franches et quelques moments perdus. Il faut s'étonner que les contemporains n'aient pas vu dans ce prélude les indices d'une grande décou verte à poursuivre , d'une Science passionnelle absolument neuve et dont tout juge équitable eût opiné à encourager la publication . ] RESTITUTION DU TEXTE "" DE LA Les lettres petites capitales P. E. indiquent que les mots qu'el tes précèdent se trouvaient dans la première édition , et sont remplacés par ceux compris entre les signes " " aux lignes et pages indiquées. cette mention page 2, lig. 4 , P. E. , quatre mouvements, indique qu'au passage indiqué se trouvaient dans la première édition les mots quatre mouvements , rem placés dans la présente édition par les mots " destinées géné rales placé entre les signes 66 "" PREMIÈRE ÉDITION. ― · On a eu égard dans cette édition aux Omissions et Transposi tions ainsi qu'à l'Errata consignés par Fourier, page ij et iij de la première édition , en conséquence , ces changements ne sont pas mentionnés dans ces restitutions. DISCOURS PRÉLIMINAIRE. Pag. 2. lig. 4. P. E. quatre mouvements. Pag. 13. lig. 20. P. E. s'entrechoquent. lig. 21. P. E. Sectes progressives. Le mot secte a été remplacé dans cette édition par celui de série, définitivement adopté par Fourier dans le Traité de 1822. Pag. 15. lig. 21. Après le mot phalanges on a supprimé ces deux mots, de sectes . Pag. 27. lig. 16. Après ces mots les étoffes on a supprimé ceux ci , de fil. Pag. 32. lig. 5. P. E. reconnu. lig. 19. jusqu'à la ligne 12 de la page 35, addition Acette dernière ligne la phrase commençait ainsi : Si l'homme quej'ai cité, ChristopheColomb, futridiculisé , .... Pag. 35. lig. 12. P. E. Si l'homme que j'ai cité , Christophe Co lomb fut ridiculisé..... 476 RESTITUTION DU TEXTE PRIMITIF. PREMIÈRE PARTIE. Pag. 47. Note. lig. 34. P. E. l'amitié. Pag. 48. Note. lig. 2. P. E. l'ambition. Pag. 60. lig. 27. P. E. austral. Pag. 66. Note. lig. 18. P. E. aigresel. Pag. 68. lig. 23. P. E. trente-deuxième degré boréal : il en ré sulterait que la longitude 225 de l'île de Fer, et par suite le détroit du Nord et les 2 poin tes d'Asie.... Pag. 72. lig. 21. P. E. 28. lig. 30. P. E. une juste indemnité des contre- temps qui la condamnaient à être pendant la pre mière phase la plus malheureuse de toutes les planètes du tourbillon . Pag. 78. lig. 8. P. E. froides . Pag. 79. lig. 16. P. E. Pag. 83. lig. 27. P. E. Pag. 84. lig. 6. P. E. Pag. 85. lig. 29. P. E. Patriarcaux, c'étaient des Barbares. Pag. 87. lig. 26. P. D. hommes. Pag. 89. lig. 25. P, E. incohérent. Pag. 92. lig. 13. 22. P. E. cinq. Pag. 93. lig . 18. 20. P. E. cinq. la formation. qu'ils s'étaient donné. siècles. lig. 22. Après le mot , autres l'on a supprimé : il y a quelques exceptions partielles à cette règle. Pag. 97. lig. 14. P. E. commun. Note. lig. dernière . P. E. Asie. Pag. 98. lig. 20. P. E. incohérentes simples. lig. 31. P. E. progressives. Pag. 99. lig. 7. P. E. progressives. Pag. 101. lig. 6. P. E. deux. lig. 9. P. E. dix. lig. 22. P. E. dix-huit. Pag. 104. lig. 9. P. E. chapitre sur l'étude. Pag. 105. lig. 20. P. E. fantaisies. Pag. 107. lig. dernière. Avant le mot leur, on a supprimé, on va voir que. RESTITUTION DU TEXTE PRIMITIF. 477 Pag. 108. lig. 1. P. E. motifs très plausibles, et que les enfants ne doivent. lig. 3. P. E. En voici. Pag. 112 à 120 les 13 premières lignes . Ce qui forme mainte nant les chap. XII et XIII commençait ainsi : ATTRACTION PASSIONNÉE. Il y a trois foyers ou buts d'attraction vers lesquels tendent les passions humaines ; dans tous les lieux, dans tous les rangs, dans tous les âges , les foyers d'attraction sont : 1º LE LUXE DES CINQ SENS . 2º LES SECTES PROGRESSIVES. 3° L'UNITÉ UNIVERSELLE. L'âme est poussée sans relâche vers ces trois buts par douze aiguillons ou passions radicales, qui sont les souches de toutes les autres. Il y a : 5 Passions matérielles ou appétits des sens qui tendent au luxe. 4 Passions spirituelles ou appétits simples de l'âme qui tendent aux liens affectueux, aux quatre groupes dont j'ai parlé et aux sectes groupées. 3 Passions raffinantes, ou appétits composés de l'âme qui tendent à l'unité sociale et universelle. Ces trois dernières que je nomme raffinantes ( et qui seraient . mieux désignées par les noms de mécanisantes) , sontà peine con nues des civilisés , etc. - Pag. 121. lig. 1. P. E. spirituelles et raffinantes . Pag. 122. lig. 12. 14. P. E. raffinantes. lig. 21. P. E. absolument. Pag. 123. lig. 23. P. E. saisis à . Pag. 137. Dans le titre . P. E. Sur le bonheur et. lig. 22. P. E. L'étoile. Pag. 144. lig. 17. P. E. animal. Pag. 149. lig. 9. P. E. Je le répète ; c'est au hasard. DEUXIÈME PARTIE. —— Pag. 226. lig. 2.P. E. 10° L'Engrenante. 478 RESTITUTION DU TEXTE PRIMITIF. Pag. 227. lig. 5, 22. P. E. d'Athalie. lig. 12. P. E. gradation. Pag. 228. lig. 2. P. E. priviléges. Pag. 239. lig. 11 , 12. P. E. généralement. Pag. 240. lig. 2. P. E. doubles routes . Pag. 241. lig. 23, 31. P. E. double. Pag. 242. lig. 1. P. E. négativement triple. Pag. 245. lig. dern . P. E. plus. Pag. 247. lig. 20. P. E. produits différents. Pag. 272. lig. 4. P. E. le monde. lig. 17. P. E. millions. TROISIÈME PARTIE. Pag. 288. lig. 20. P. E. du propriétaire. Pag. 289. lig. 1. P. E. d'admettre. Pag. 308. lig. 22. P. E. 15 . Pag. 317. lig. 1. P. E. les sectes progressives seront. Pag. 324. lig. 7, 8. P. E. j'ai été fondé à dire que ce monopole est un remède violent mais salutaire, que Dieu administre au monde social , que malgré l'infamie des ressorts mis en usage par le mo nopole , c'est un, etc. 04 Pag. 334. lig. 19. P. E. Péripatiticiens. Pag. 336. lig. dernière. P. E. Pendant le cours. Pag. 338. lig. 6. P. E. se mêler. Pag. 339. lig. 1. P. E. fourberie. Pag. 361. Changements indiqués dans la note. Pag. 362. lig. 1, 2. P. E. la France ne manque point de matières et n'est point menacée. Pag. 363. lig. 26. P. E. aurait coûté. Pag. 364. lig. 8. P. E. 1807. lig. 9. P. E. enverraient. lig. 29. P. E. les. Pag. 365. lig. 5. P. E. C'est ce que la France aurait dû faire. Pag. 373. Au titre . P. E. les déperditions commerciales. Pag. 375. lig. 14. P. E. quelques années. Pag. 380. lig. 28. P. E. La déperdition. Pag. 381. lig. 13. P. E. dès l'an prochain. Pag. 388 , lig. 9. P. E. Observons plus en détail la. RESTITUTION DU TEXTE PRIMITIF. 479 Pag. 403. lig. 2. P. E. Commerce. Pag. 405. lig. 27. P. E. du magnétisme et de la liberté. Pag. 424. lig. dern. P. E. les volontés . Pag. 425. lig. 12. P. E. que dans l'inaction . lig. 18. P. E. quoique ennemis de la vérité. lig. 22. P. E. à peu près. Pag. 433. lig. 8. P. E. On la divise . ] Pag. 437. lig . 5 , 6. P. E. , n . 2. Les Néophytes et Néophytes. n. 3. Les Adeptes et Adeptes. Pag. 440. lig. 6. P. E. Les 12 divisions. lig. 7. P. E. Six. Pag. 445. lig. 17. P. E. pas former une demi-phalange de sectes progressives au nombre d'une soixantaine seu lement. Passim. Changements indiqués dans la note. Pag. 446. lig. 11. P. E. On a vu précédemment. Passim. Changements indiqués dans la note . [ FIN DE LA RESTITUTION DU TEXTE PRIMITIF . Page 10, ligne 13, cent , lisez : cinquante. - - - - - - M ―― G -- - 21, au titre, Egarements, lisez : Egarement. 22, 1. 4. et aux arts, à mettre entre [ ] 45. Note, l. 10, sensuelles, lisez : sexuelles. 1. 11 , genres, lisez : germes. 59. Le chiffre de la page est retourné, 95 pour 59. 68, 1. 23, mettez entre “ " le mot troisième. 1. 24, mettez entre [ ] le mot sur. 90, l. 12. Les Garanties, lisez : le Garantisme. 95, 1. 25, 96, l . 11 , 98, 1. 20, - - - ERRATA. - 1. dern. - supprimez les " ". 99 , 1. 7, 100, av. dern. lig. 101 , l . 18. Les Garanties , lisez : le Garantisme. 112, l . 1 , ajoutez un [ avant l'Arbre passionnel. 120. Au titre, d'octaves, lisez : d'octave. 157 à 191. Lisez le titre courant au pluriel : Descriptions. 163. Note, ajoutez : note des éditeurs. 216. l . 20, 21 , 22, substituez des guillemets ordinaires aux signes "" 226, 1. 4, ajoutez des " 228, 1. 7 , Fraklin, lisez : Franklin. " à l'Engrenante. 1. 8, de l'année suivante, lisez : dès l'année suivante. 257, l . 21 , le cœur, lisez : le chœur. 272, 1. 17, ajoutez des " " à milliards. 431 , à la note ajoutez (1) . FIN DE L'ERRATA. TABLE DES MATIÈRES. Préface des ÉDITEURS. (Lecture obligée) . 1. Erreur accréditée sur la Théorie des quatre Mouvements. j II. De l'Immoralité prétendue de la Théorie de Fourrier . Note sur la présente édition . Introduction.. DISCOURS PRÉLIMINAIRE . 1. Indices et méthodes qui conduisirent à la découverte an noncée. Argument.. De l'Exception.. II. De l'Association agricole . . III. De l'Attraction passionnée et de ses rapports avec les sciences fixes. IV. Egarement de la raison par les sciences incertaines .. V. Préventions générales des Civilisés... VI. Plan. · • Notions genérales sur les Destinées. . I. Définition et Division. II. Hiérarchie des quatre Mouvements. III. Mouvement social. . • · • xxxiv · · PREMIÈRE PARTIE. EXPOSITION DE QUELQUES BRANCHES DES DESTINÉES GÉNÉRALES. • · • XXXV Pages. · IV. Phases et Périodes de l'ordre social dans la troisième planète nommée la Terre.... V. Notice sur la Création Subversive antérieure.. VI. Couronne boréale. . · • 30 008 16 21 29 37 41 43 44 46 48 8888885 50 56 62 21 482 TABLE . VII. Première Période de Subversion Ascendante. Séries confuses. . · VIII. Désorganisation des Séries.. IX. Des cinq Périodes organisées en Familles incohérentes . X. Contrastes réguliers entre les sociétés à Sérics pro gressives et celles à Familles incohérentes. 92 XI. Sur l'étude de la Nature par l'Attraction passionnée. 105 XII. L'Arbre Passionnel et ses Rameaux ou Puissances gra duées en 1er , 2º, 3º et 5º degrés.. XIII. Des 12 Passions radicales d'octave.. DEUXIÈME PARTIE. Avertissement des Éditeurs sur la deuxième Partie. Argument. 112 120 XIV. Caractères, Engrenages et Phases des Périodes sociales . 126 XV. Corollaires sur le malheur des Globes pendant les pha ses d'Incohérence sociale. 137 Epilogue sur la proximité de la Métamorphose sociale... 145 V. Majorité amoureuse.. VI. Corporations amoureuses . VII. Vices du Système oppressif des Amours. DESCRIPTION de diverses BRANCHES DES DESTINS PRIVÉS OU DOMESTIQUES. PREMIÈRE NOTICE. Sur le Ménage progressif de la 7. Période et sur les ennuis des deux sexes dans le Ménage incohérent. 1. Ennuis des hommes dans les Ménages incohérents. II. Ménage progressif ou Tribu à neuf groupes. III. Méthode d'union des sexes en 7e Période IV. Avilissement des femmes en Civilisation .. Correctifs qui auraient conduit en 6. Période. • • · · • . · · · · · · · Pages. · · 76 · 81 84 · 153 157 161 162 172 184 192 196 206 213 TABLE . 483 Sur la splendeur de l'Ordre combiné. . VIII. Lustre des Sciences et des Arts. IX. Spectacle et Chevalerie errante. DEUXIÈME NOTICE. · X. Politique de la Gastronomie combinée.. XI. Matériel de la Gastronomie combinée.. 1re DEMONSTRATION. - . Préambule sur l'étourderie méthodique. Argument. · • -- • Gastronomie combinée envisagée en sens politique , matériel et passionné. ―― · 236 243 XII. Mécanisme passionné de la Gastronomie combinée.. 253 XIII. Politique galante pour la levée des Armées.. Epilogue sur le délaissement de la Philosophie morale. . 272 257 TROISIÈME PARTIE. CONFIRMATION TIRÉE DE L'INSUFFISANCE DES SCIENCES INCER TAINES SUR TOUS LES PROBLÈMEs que présente LE MÉCANISME CIVILISÉ . · - - De la Franc-Maçonnerie et de ses propriétés encore inconnues. 2º DEMONSTRATION. Du Monopole insulaire et de ses pro priétés encore inconnues.. Intermède. -Système des développements de la Civilisation. 325 3º DÉMONSTRATION. De la Licence commerciale , de ses 304 vices connus et de ses dangers inconnus. 1. Origine de l'Economie politique et de la controverse mercantile.. II: Spoliation du Corps Social par la Banqueroute III. par l'Accaparement · • • • • · • · · · 334 341 354 IV. par l'Agiotage. ". 367 V. Spoliation du Corps social par le Parasitisme commercial. 373 • • • • Pages. 224 226 230 · • 287 289 291 331 484 TABLE . VI. Conclusions sur le Commerce VII. Décadence de l'Ordre civilisé par les Maîtrises fixes ―― industriels.. - 1. II. qui conduisent en 4 phase. . Note sur la Maîtrise proportionnelle ou Procédé mitoyen entre la Libre Concurrence et le Fermage commercial .. 397 Epilogue sur le Chaos social. 409 . Nota .. Avis aux Civilisés.. Souscription.. Chapitres omis. Sur le Mouvement organique et sur le Contre -Mouvement composé. . . Note A. Sur les Séries progressives ou Séries de groupes • • NOTES ET ADDITIONS . Extrait du Publiciste.. Triumvirat continental et Paix perpétuelle sous trente ans... III. Nouvelle Introduction à la Théorie des quatre Mou • vements.. Restitutions du texte de la première édition . Errata de la présente édition . Table des matièrs . • · · FIN DE LA TABLE DES MATIÈRES ET DU TOME PREMIER DES OEUVRES COMPLÈTES. • • Pages. • 379 394 423 431 449 450 454 455 457 461 475 480 481 ྐྲ 『

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¿ HW 21KX G This book should be returned to the Library on or before the last date stamped below. A fine is incurred by retaining it beyond the specified time. Please return promptly. MAR 25 58 APR 64H 31352 CANCELLED CANCELLED ENER DOLQUE APR - 1 1970 ILL 2863885 BOOK www. CO 1981 244588 www WIDENER JUN SE9 20022002 CANCELLED





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