The Crowds of Lourdes  

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Les Ponies de Lourdes, Les foules de Lourdes (1906, , The Crowds of Lourdes) is a novel by French writer Joris-Karl Huysmans. It was his last novel ridiculed this commercialization of the Lourdes.

Full text

LES FOULES DK LOURDES L'auteur et l'éditeur déclarent réserver leurs droits de traduction et de reproduction pour tous pays. Ce volume a été" déposé au Ministère de l'Intérieur (section de la librairie), en septembre 1906. DERNIERS OUVRAGES PARUS DU MÊME AUTEUR L'OBLAT, roman. — Un volume in-18, 20" édition. Prix . 3 fr. 50 DE TOUT. — Un volume in-16, 8° éd. Prix . 3 fr. 50 SAINTE LYDWINE DE SCHIEDAM. — Un volume in-16, 15° édition. Prix 3 fr. 50 Il a été tiré, de cet ouvrage, une première édition en caractères gothiques. Un volume in 8°, prix . 10 fr. » PAGES CATHOLIQUES, pages choisies. — Un volume in-18, 6U édition, avec une préface de M. l'Abbé A. MuOSIER. Prix 3 fr. 50 LA BIÈVRE ET SA1NT-SÉVER1N. - Un volume in-18, 6" édition. Prix 3 fr. 50 LA CATHÉDRALE, roman.— Un voîumein-18, 26e édition. Prix 3 fr. 50 EN ROUTE, roman. — Un volume in-18, 24"* édition. Prix . 3 fr. 50 Dijon. — Imprimerie Dirinticre.


ï'-"""; *".'v/s ;>0N intention n'est pas de narrer, par le 'VÎIJÀV1'-^ mc/w, l'histoire de Bernadette et de j-1:"1;^ ^ Lourdes. Des centaines de volumes ont paru qui la racontent; elle est, on peut le dire, rabâchée par les écrivains de tous les camps, efflanquée par les redites. Je veux simplement, pour aider à la compréhension des croquis et des notes dont se compose ce livre, rappeler brièvement les apparitions de la Vierge dans la grotte de Massabieille, située sur les bords de la rivière du Gave, au couchant de Lourdes. En l'an ISoS, la Vierge apparut dix-huit fois — du jeudi II février au vendredi 16 juillet — dans cette grotte, à une petite fille de quatorze ans, l'aînée des six enfants du meunier François Soubirous, à Bernadette. Bernadette la vit, en une sorte débitée lumineuse, debout, dans une crevasse, en forme d'ogive, ouverte dansle haut du roc ; elle avait l'apparence d'unejeune fille de sehe ou dix-sept ans, de taille mogenne, 1 6 LKS l'OUMS 1)K LOURDES . plutôt petite, très jolie, avec une voix douce cl des yeux bleus. Elle était vêtue d'une robe blanche serrée à la ceinture par une écharpe bleu de ciel qui tombait en deux pans jusqu'aux pieds nus, coupés à la naissance des doigts par le bas de la robe ; et ces doigts étaient fleuris d'une rose jaune, tout enfeu. La tête était couverte d'un voile el les mains tenaient un chapelet dont les grains blancs étaient enfilés dans une chaînette d'or. En ses diverses apparitions, Elle s'exprima dans le patois de Lourdes el dit à l'enfant : — Voulez-vous me faire la grâce de venir, ici, pendant quinze jours ? Je ne vous promets pas de vous rendre heureuse dans ce monde, mais dans Vautre; je désire qu'il vienne du monde. — Vous prierez Dieu pour les pécheurs.— Pénitence, pénitence, pénitence! — Vous irez dire aux prêtres de bâtir ici une chapelle. — Je veux qu'on y vienne en procession. — Allez boire à la fontaine el vous y laver. Allez manger de l'herbe que vous trouverez là. — Je suis l'Immaculée Conception, je désire une chapelle, ici. Elle révéla, en outre, à Bernadette, une formule spéciale de prière et trois secrets personnels qui ne furent jamais divulgués. Ajoutons que la Vierge n'a pas créé, au moment où Elle parlait, celle source qui fuse de la grotte; elle existait depuis longtemps, mais était invisible LES FOULES DE LOURDES et coulait,sans que personne le sût, sous les sables, avant que d'aller se perdre sans doute dansle cours du Gave. La Vierge s'est donc bornée à désigner l'endroit à la petite qui, sur ses indications, gratta le sol et l'en fit jaillir. Cette source qui, lorsqu'elle s'élança' de terre, n'était qu'un filet d'eau de la grosseur d'un doigt, débite actuellement, et sans jamais tarir, 122.000 litres par 24 heures. Elle est devenue célèbre par les guérisons auxquelles elle sert de véhicule. Quanta Bernadette, après avoirsubi les épreuves de toutes sortes que lui infligèrent les autorités ecclésiastiques et civiles, elle entra, une foissa mission terminée, à l'âge de vingt-deux ans, au couvent de Saint-Gildard, chez les soeurs de la Charité à Nevers. Elle // prit le voile sous le nom de soeur Marie Bernard et y mourut, très pieusement, le 16 avril ISH), âgée de 35 ans-3 mois et 0 jours.

I (cvl-ir*-^ ES apparitions de la Sainle Vierge à notre ^!|^ époque n'ont rien qui puisse surpren- ^'---^'ilA dre ; Lourdes n'est, dans l'histoire de la France, ni une exception, ni une nouveauté ; toujours la Mère du Christ a considéré ce pays comme son fief. En aucun temps, sauf au xvin' siècle, Elle ne l'a déshérité de l'aubaine continue de sa présence; mais si l'on songe à l'efirayaiUe bassesse des Bourbons et à l'inexorable infamie des Jacobins, cet abandon s'explique. Il fallut iiiéîïïo attendre la fin de la première moitié du xix* siècle, pour la voir réapparaître aux âmes privilégiées, danscertains coinsréservés deses domaines. La dernière de ses apparitionsqui ne puisse faire de doute, celle de Lourdes, n'est donc qu'un succé- 10 LES FOULES DE LOURDES dané de manifestations plus anciennes; il me semble dès lors curieux d'en préciser les antécédents. Ils dérivent de deux sources : L'une, purement régionale, l'autre parisienne. Les précédents de Lourdes dans la région des Pyrénées sont nombreux. Si l'on prenait une carte des diocèses de Bayonne et de Tarbes, l'on pourrail y tracer, autour de Lourdes, un cercle formé par les hameaux ou les chapelles qui furent autrefois des centres de pèlerinages à la Madone; Lourdes surgirait alors, au milieu de ce rond, tel qu'un astre vivant, entouré de neuf satellites à peu près morts. Ces satellites sont : Notre-Dame de Héas ; Notre-Dame de Piétat, à Barbazan ; Notre-Dame de Piétat, à Saint-Savin; Notre-Dame de Poueylahiïn ; Notre-Dame de Boinisp; Notre-Dame de Ncstès ; Notre-Dame de Médoux ; Notre-Dame de Bétharram ; Notre-Dame de Garaison. Tous ces sanctuaires, hormis l'avant-dernier qui relève de l'évèché de Bayonne, appartiennent au diocèse de Tarbes. Voici, en quelques lignes, la biographie de chacun d'eux : Notre-Dame de Héas, élevée dans un village situé LES FOULES DE LOURDES 1 1 entre Barègcs et Saint-Sauveur, près du cirque de Gavarnie, existait avant le xvic siècle, car elle est mentionnée dans un titre daté de iilîi. La chapelle aurait été fondée par la famille d'Estrade d'Esquièze, afin de permettre aux bergers perdus dans ses pâturages d'entendre la messe, le dimanche ; elle est aujourd'hui quelquefois visitée par des touristes que lente l'escalade des monts sur la crête desquels elle est perchée. Notre-Dame de Piétat. L'origine de cette chapelle, sise à Barbazan, disparaît dans le recul des âges et les documents sur sa vie, désormais terminée, manquent : l'autre Notre-Dame de Piélat, érigée à Saint-Savin, se dressait au-dessus de l'abbaye bénédictine de ce nom, construite par un solitaire du Poitou qui possède encore un autel dans l'église abbatiale de Ligugé. Ses reliques que contient une antique châsse, guignée par les brocanteurs, reposent dans l'église du village de Sainl-Savin où, entre parenthèses, subsiste un vieil orgue démantibulé du Moyen Age, bien étrange. Les pédales, quand ou les remue, mettent en branle, les mâchoires de tètes fantastiques qui tirent la langue aux ouailles. Ces mascarons dont les grimaces, dans un temple, surprennent, sont en Lois, gaiement sculptés et violemment peints. 42 LES FOULES DE LOURDES Notre-Dame de Poueyiahùn, à Arrens, est dominée, de tous côtés, par de hantes montagnes ; sa chapelle est bâtie dans le style de la Renaissance ; la Vierge y fut jadis très adulée, mais elle ne l'est plus guère maintenant que parles bonnes femmes du pays ; quant à sa monographie, elle est nulle. Notre-Dame de Bourisp, à Vieille-Aure, est née de la légende tant de fois racontée par les historiens du Moyen Age, d'un boeuf découvrant et adorant une statue de Madone qui, transférée dans plusieurs endroits, revient toujours, miraculeusement, au lieu où elle fut déterrée et force ainsi le peupleà lui construire, là où elle le veut, une église. Celte statue daterait du xne siècle; elle n'est plus vénérée, en France, que par les fidèles de Abeille Aure. Notre-Dame de Neslès, à Montoussé; remplacement de ce sanctuaire fut comme celui de SainteMarie Majeure, à Rome, désigné par une nappe de neige qui tomba du ciel, en plein été; il était à l'état de ruines et depuis longtemps abandonné, lorsqu'on 1818, pendant les journées de juin, trois petites filles ayant vu, au milieu d'un buisson de ronces poussé dans les débris de ses pierres, une image lumineuse de la Vierge, l'on décida de réédifier la chapelle et l'on y replaça son ancienne LES FOULES DE LOURDES 13 statue qui avait été recueillie, en 1793, par l'église paroissiale du bourg ; si l'on excepte les terriens des alentours, les croyants n'y affluent guère et les pèlerinagesl'ignorent.. Notre-Dame de Méd'oux, à 3 kilomètres au sud de Bagnères-de-Bigorre, en face du hameau d'Asie, dut sa vogue, désormais périmée,à deux légendes. La première rappelle, en partie, la légende de Notre-Dame de Bourisp ; le boeuf n'ydest pas, mais la statue, revenant d'elle-même dans le sanctuaire d'où elle fut enlevée, s'y retrouve. En effet, les habitants de Bagnères-de-Bigorre s'en emparèrent,en 1562 et l'attachèrent sur un chariot pour remmener dans leur ville* mais, arrivée au petit pont du Martinet, elle rompit ses liens et fendit l'air pour retourner dans son église. La seconde est plus intéressante et plus neuve. En 1048, la Vierge apparut à une pauvre bergère du nonin de Liloye qui priait devant son effigie et lui intima l'ordre d'avertir le clergé et le peuple de Bagnères qu'ils eussent à faire pénitence de leurs péchés. Liloye s'acquitta vainement de ce message et revint, bafouée, près de la Vierge qui renouvela ses injonctions, déclarant que, si on ne les écoutait pas, Elle décimerait, par une peste effroyable, la ville, Liloye obéit de nouveau, mais ses remontrances 1. J4 LES FOULES DE LOUUDES échouèrent; alors, la peste sévit et tua tous ceux des habitants.qui ne purent s'enfuir; Bagnères demeura désert pendant une année; puis, peu à peu, les coupables qui s'étaient soustraits au châtiment, en s'éloignant du lieu contaminé, revinrent. Une de ces émigrées, Simone de Souville rencontraLiloye dans la rue et, gouailleuse, lui dit

cette épidémie

proviolentielle que vous aviez annoncée n'a pu atteindre que les malheureux qui n'avaient pas les moyens de déguerpir; nous autres, nous avons pu facilement y échapper. La leçon est donc incomplète et nous attendrons des semonces moins maladroites pour ?IOLIS convertir. — Va, fit aussitôt la Vierge à Liloye, va prévenir cette mauvaise brebis que le'"fléau se déchaînera sur les riches, cette fois, et qu'elle en sera la première victime. Et la prédiction s'accomplit à la lettre, et Simone mourut. Le peuple, terrifié, se repentit et de nombreuses processions défilèrent, durant des années, devant l'autel voué à Notre-Dame. Quant à Liloye, elle entra comme religieuse, dans un couvent de Balbonne, près de Monlserrat, en Espagne, car tons les monastères du pays a\ aient été brilles par les huguenots. Ce sanctuaire de Médoux, que desservaient des Capucins, parmi lesquels vécut le P. Antoine de LES FOULES DE LOUHMïS Lombez qui trépassa, l'an 1778, en odeur de sainteté, fut l'un des pèlerinages célèbres des Pyrénées. Des guérisons, des miracles de toute espèce, y attirèrent les foules, puis vint la Piévolulion qui les dispersa; la chapelle fut fermée et la statue transférée dans l'église de la commune. Notre-Dame de Bélliarram est, elle, située dans le village de ce nom que le chemin de fer relie à Lourdes; c'est un des lieux d'excursion les plus connus des pèlerins qui y vont passer quelques heures, afin de changer leur piété de place. J3j\tic on ne sait quand, à la suite d'un miracle qui, sauf que ce furent des bergers au lieu de petites bergères qui découvrirent une image lumineuse de la Vierge dans un buisson, évoque, presque mots pour mots, la légende de Notre-Dame de Neslès,. l'église fut incendiée parles protestants, en loG9, mais 1Q statue, retirée intacte du brasier, fut sauvée par un prêtre qui l'emporta à Tauste, près de Saragosse, en Espagne, où elle se trouverait encore. L'église n'était plus qu'un amas de décombres et cependant des guérisons de maladies incurables s'y opéraient encore et des multitudes s'y pressaient pour implorer la Vierge. Louis XIII restaura le sanctuaire et messire Léonard de Trapes, archevêque d'Auch, y plaça le 11 juillet 101G une nouvelle statue destinée à 16 LES VOULUS ni: LOURDES remplacer celle que les habitants île Tauste se refusaient à rendre; et, la veille de l'Assomption de Tan 1022, une fontaine, depuis des années tarie, se reprit à couler en abondance, dans une petite grotte creusée près de l'église et de nombreux miracles furent effectués avec cette eau, comme si la Madone voulait préluder aux guérisons qu'EUc devait pratiquer, par ce moyen, deux siècles plus lard, à Lourdes. L'église actuelle qui rappelle à la fois le style Renaissance et le style Jésuite, tel qu'il existe à Anvers, vaut qu'on la visite. L'intérieur est bizarre, avec ses cintres supportés par des piliers très bas, d'une laille d'homme, ses grandes figures d'anges en bois doré, coupés à mi-corps, tels que les bustes mythologiques des Termes et enguirlandés, à partir de la ceinture, de feuillages de rosiers et de chênes. L'autel est une énorme pièce montée, dorée sur toutes les coutures, soutenue par de superbes colonnes torses enroulées de pampres, décorée de colombes, d'anges, d'amours nus et gras, à la Rubens, entourant une effigie placide et atone de Vierge. La nef, surmontée d'un plafond arqué de bois peint en bleu de ciel, semé d'étoiles, est parée de tableaux naïfs relatant les miracles de naguères et, dans une chapelle, à droite, un bas-relief raconte l'épisode de l'Appa- LF.S IOUM:S DE LOUP.DKS 17 rition aux bergers, de Marie souriant dans un buisson de feu. La Châtelaine, qui distribuait autrefois si largement l'aumône de ses grâces dans cette demeure de Bétharram, a déménagé et fixé plus loin, au lieu dit de Massabieille, son domicile... Ces divers pèlerinages peuvent être considérés ainsi que les antécédents des triomphes hyperduliqucs de Lourdes, mais leurs légendes perdues, dans la nuit des temps, ne se rapprochent que par quelques points de l'histoire de la grotte. Tout au plus, Liloyc pourrait-elle être envisagée tellequ'unc image avant la-lettre de Bernadette, car, après avoirservi de truchement à la Vierge et subi les contradictionsde touteune ville, elle a fini, de même que la fille de Soubirous, dans un cloître; et, d'autre part, la source et la grotte de Bétharram sont, en quelque sorte, les préfigures de celles de Lourdes. Avec Notre-Dame de Garaison, les (rails de ressemblance s'accentuent, se précisent davantage, car tout y est, la bergère, la grotte, l'eau, les foules innombrables, issues des confins les plus divers, les miracles elles cures. L'on peut affirmer que ce pèlerinage fut au xvie et au xvne siècles, ce qu'est le pèlerinage de Lourdes, à notre époque. La biographie de Notre-Dame de Garaison tient en quelques lignes. 18 1,F.S FOULES DK LOlinnKS Vers l'an loOO, à Monléon, au val de Garaison, dans un lieu jadis appelé « la Lande du Bouc, » parce qu'ilservait de rendez-vous aux sorciers de la Gascogne, une petite bergère, Anglèse de Sagazan, gardait les troupeaux de son père, près d'une fontaine, quand une Dame, vêtue de blanc, lui apparut et après s'être fait connaître sous le nom de la Vierge Marie, demanda, tout comme à Lourdes, qu'on lui bâtit une chapelle et qu'on y défilât en procession. La petite courut annoncer la nouvelle à son père. Lui, la crut sur parole, mais il n'en fut pas de môme des habitants qui haussèrent les épaules et rirent. L'enfant retourna, le lendemain, à la fontaine et la Vierge lui apparut encore et réitéra sa requête, maisles recteurs et les consuls de Monléon, persuadésquelcpèreetla fdle qui leur débitaient de pareilleshistoiresétaient,runet l'aulre,des déments, les congédièrent, en les engageant à se soigner. Pour la troisième fois, Anglèse se rendit à la fontaine, mais elle y vint, accompagnée de sa famille et de quelques personnes du voisinage; cellesci ne virent point, ainsi qu'elle, la Vierge, mais toutes l'entendirent déclarer qu'EIle allait, pour les convaincre, changer le morceau de pain noir que la petite portait dans son bissac et aussi la provision restée dans la huche de la maison, en des miches de pain très blanc. LES FOULES DE I.OUTiDES 19 Et le double miracle eut lieu et, d'incrédule qu'elle était, la ville se fit fervente; l'on organisa aussitôt des processions; Ton construisit une chapelle, mais elle devint trop petite pour contenir les foules qui affluaient de toutes parts; on la démolit, en UJ36, et l'on édifia, à sa place, une vaste église gothique. Une statue en bois de Notre-Dame des Sept-Douleurs fut posée sur le maître-autel; d'où provenait cette statue aujourd'hui rongée par les vers et par les mites et qui simule une Vierge à la fois dolente et réfléchie, tenant sur ses genoux le corps inanimé de son Fils? Nul ne le sait; d'après une légende, cette Piéta aurait été découverte sur les indications de la Vierge, par Anglèse ; d'après une autre, on l'aurait déterrée dans un buisson de ronces. Quoi qu'il en soit de son origine, ce fut devant elle que des conversions, des cures de maux inguérissables se succédèrent. On amenait des malades de très loin et les aveugles voyaient et les perclus marchaient, après avoir bu de l'eau puisée dans la fontaine. Un temps d'arrêt surgit, au moment de la Ligue. Les hérétiques pillèrent l'église, jetèrent la statue de Notre-Dame dans le feu, mais, de môme que celle de Bétharram précipitée dans une fournaise, elle ne s'y consuma point. Quand la tourmente eut cessé, les multitudes reprirent le chemin de Monléon, mais elles 20 LES FOULES DE LOURDES procurèrent tant de bien-être à ce bourg' que les habitants se perdirent — comme se perdront ceux de Lourdes. — L'argent développa la cupidité et attisa le dévergondage des moeurs et la Vierge se retira. Garaison n'était plus qu'un endroit, tel qu'un autre, lorsque la Révolution transforma l'église en une fabrique de poudre; la statue de la Vierge, qui avait échappé aux fureurs des Jacobins, fut transférée dans l'église de la paroisse et, en 1834, l'Evêque de Tarbe.s restaura le sanctuaire et fonda, pour le desservir, une compagnie de missionnaires des rangs desquels sont sortis les Pères de Lourdes." L'église est encore fréquentée par les gens du pays et par quelques touristes. Quant à Anglèse, elle entra, en 1536, au monastère cistercien de Fabas, situé dans le diocèse de Comminges, à six lieues de Garaison. La tradition rapporte qu'elle se présenta, ainsi que devant la Vierge, trois fois, à la porte de celte abbaye dont les moniales appartenaient à la noblesse des alentours. Les deux premières fois, elle fut éconduite, à cause de sa roture, mais la troisième fois, les portes s'ouvrirent, toutes seules, et les cloches sonnèrent d'elles-mêmes, à toute volée. Elle fut aussitôt admise et elle y mourut, âgée de plus de cent, ans, en odeur de sainteté, simple religieuse, LES FOULES DE LOURDES 21 ne sachant ni lire ni écrire selon les uns; prieuresse, suivant les autres, la veille de la Nativité de la Très Sainte Vierge, l'an du Seigneur 1Î389. Lourdes, on le voit, n'est pas un fait isolé dans les annales des Pyrénées. Il n'est que la reviviscence d'anciennes dévotions populaires que la Madone a raj eunies; sans changer de région,Elle s'est bornée à transporter sa demeure dans un site plus accessible à la piété des foules. Tels sont donc ses antécédents régionaux. La filiation parisienne, moins directe, s'établit par ricochet. Elle dérive de Notre-Dame des Victoires qui se rattache à la chapelle des soeurs de Saint-Vincent de Paul, de la rue du Bac, laquelle se relie, à travers les âges, à Sainl-Séverin. Il faut ne pas oublier, en effet, que si Marie vint à Lourdes pour inviter les pécheurs à la pénitence et affirmer par des guérisons la puissance médiatrice de ses grâces, Elle vint aussi et surtout pour attester qu'Elle était celte « Immaculée Conception» dont le dogme avait été défini, quatre années auparavant, par le pape Pie IX, à Rome. Or, il n'avait jamais été question, dans les Apparitions précédentes des Pyrénées, de cette prérogative dont Elle n'avait jamais, elle-même, en personne, parlé avant Tannée 1830 où elle la ré- 22 LIÎS FOULES DF, LOUIMES vêla à l'une des devancières de Bernadette, à Catherine Labouré, à Paris. C'est donc, dans cette ville, que, pour la première fois, Elle entretint une créature humaine de l'intémérahilité de sa naissance. A dire vrai, du temps même de Charlemagne, dans diverses provinces de la France, les chrétiens honoraient la Conception sans tache de la Vierge et l'Université de Paris, au xmc siècle, suivait, sur ce point, la doctrine enseignée par saint Anselme; mais il faut attendre au xive siècle pour trouver une église à Paris qui érige un autel et instaure une confrérie, sous le vocable même de l'Immaculée Conception, et ce fut l'église Sainl-Séverin qui, la première, en cette ville, reconnut et célébra, par ces actes mêmes, le privilège de Marie. Cette dévotion fut récompensée par la Vierge qui guérit des multitudes de malades venus, de loin souv,cnt, pour boire de l'eau d'un puits, creusé au pied de sa statue. Mais avec les années, cette dévotion s'affaiblit; Saint-Séverin finit par être plus une église paroissiale qu'un sanctuaire de pèlerins. Au xvnc et au xvme siècles, elle devint un lieu de rendez-vous des jansénistes et il fallut bien des années et bien des efforts pour déraciner la secte du quartier. Aujourd'hui la Vierge si méprisée des « appelants » a réintégré son domicile, mais si elle y dispense LKS rOUU-S Tllï LOURDES 23 encore des grâces spirituelles, il semble qu'elle ait fermé son dispensaire des guérisons corporelles, avec l'eau abandonnée du puits que ses prêtres ont clos. En somme, auxiv0 siècle, la dévotion de l'Immaculée Conception était très vivante à Paris; elle diminua ou plutôt elle s'éparpilla de jour en jour, à partir du Moyen Age ; elle n'avait plus, dans les derniers siècles, de demeure spéciale ; elle vivotait partout et nulle part quand, au mois de novembre 1830, la Vierge se décida subitement à lui donner une nouvelle impulsion et à l'étendre non seulement à Paris, mais à l'univers tout entier. Ce fut alors qu'elle apparut à Catherine Labouré dans la chapelle des soeurs de la Charité, dite les soeurs grises, de la rue du Bac, et lui ordonna de faire frapper une médaille destinée à propager la croyance en son immunité d'origine. Cette médaille, devenue rapidement célèbre par ses miracles, entraîna ?.es foules vers la rue du Bac, mais la chapelle était trop petite pour les contenir et ce perpétuel va-et-vient eût dispersé du reste les heures concentrées du cloître. La Vierge arrangea pour le mieux les choses. Au moment où elle se montrait dans cette chapelle, M. Dufriche-Dcsg-enettes était curé de Saint-François-Xavicr, dans la paroisse duquel était située la maison des soeurs ; il connaissait les persuasives Vt LES FOULES DR LOURDES audaces do la médaille miraculeuse et il s'occupait activement à la répandre, lorsqu'il fut nommé curé de Notre-Dame des Victoires. Cette circonscription était l'une des plus mauvaises de la ville ; l'église était vide du matin au soir ; après avoir vainement tenté à'y réunir quelques fidèles, ce prêtre se découragea et, le scrupule aidant, il résolut de se retirer, pensant qu'un autre réussirait peut-êtremieux que lui àpôcherdesrepentirs dans le vivier de ces consciences mortes. Il était encore, plus que de coutume, obsédé par cette idée quand, le 3 décembre 1836, le matin de la fêle de saint François Xavier, le patron de son ancienne paroisse> il monta à l'autel pour célébrer la messe. La hantise de tout quitter le torturait si cruellement qu'il lui était impossible de se recueillir. Il parvint cependant à se reprendre au moment du « Sanctus » et supplia le Seigneur de le délivrer de ce tourment. A peine eut-il achevé cette prière, qu'une voix intérieure prononça en lui distinctement ces paroles : « Consacre ta paroisse au très saint coeurimmaculé de Marie » et soudain le calme lui fut rendu. Sa messe terminée, il se demande s'il n'a pas été la dupe d'une illusion, mais les mômes mots se font entendre plus clairement encore; il rentre chez lui, écrit d'un trait, comme sous une dictée, le règlement d'une confrérie qui doit vénérer plus spécialement l'Immaculée Conception cl, LES FOULES DE LOURDES 2o avant même qu'il n'eût révélé publiquement ses desseins, sans qu'on sache pourquoi et comment, l'église déserte s'est remplie. Des guérisons, des conversions de toutes sortes s'y ontfrenl. NotreDame des Victoires devint peu à peu' leterond pèlerinage de la Vierge, à Paris. Marie a traversé l'eau et fixé son domicile dans l'endroit le plus contaminé de la ville, près de la Bourse, dans le camp même de la Juiverie des banques et des draps ; la dévotion, née dans la rue du Bac où Elle est apparue, s'est transférée dans l'ancienne église des Àugustins, et la multilùde des visiteurs qui s'y amoncellent, chaque année, est immense. X L'hyperdulie spéciale de Lourdes est une réplique, agrandie, mise à la portée de toute la terre, de la dévotion de Notre-Dame des Victoires restreinte au diocèse de Paris. Elle en dérive, elle en est issue, mais la Vierge ne l'a créée qu'après que l'antique croyance de ses églises-mères de Paris, fut imposée au inonde par un pape. Enfin, en dehors de ces deux lignées régionales et parisiennes que nous venons d'expliquer, l'on peut encore, bien que les conditions de parentelle soient différentes,rattacher les apparitionsde Lourdes à celles de La Salette. S'il n'a pas d'ascendance parisienne, le sanctuaire de La Salette possède une filiation locale, semblable 26 I.KS FOULES DE LUUKDKS à celle de Lourdes, car il est né, lui aussi, dans un lieu cerné d'anciennes chapelles de pèlerinages, plus ou moins mortes et, d'autre part, il présente ce cas particulier d'être situé, dans un pays demontagnes comme Lourdes. Seize années après l'apparition de la rue du Bac et douze années avant celles de Lourdes, à La Salelte, près de Corps, dans le Dauphiné, sur la cime des Alpes, Marie a parlé à la petite Mélanie et une source à jailli qui, de même que plus tard, dans les Pyrénées, a servi de véhicule à des guérisons. Seulement la Madone n'a pas dit un mol, celle fois, de la dispense d'impurclé de sa Conception, mais elle a pleuré et menacé, ilagellé plus particulièrement les vices des prêtres et des cloîtres, exigé, en expiation de débordements de toute espèce, une prompte pénitence. Ce pèlerinage eut, à ses débuts, une extraordidaire vogue, puis la difficulté des communications, l'impossibilité de hisser, par des lacets mal tracés sur le flanc des monts, les infirmes et les malades découragèrent les pieuses caravanes qui se firent plus rares. Ajoutons que la plèbe des alentours, en majeure partie constituée de mécréants et de francsmaçons qui exploitait les pèlerins en s'en g-aussant, contribua sans doute aussi à celte désertion de plus en plus prononcée des foules. Bref, bien que les grâces spirituelles y fussent LES FOULES DE LOUllDES 2/ toujours sensibles, le pèlerinage déclinait de plus en plus et n'était guère composé que d'excursionnistes et de cens du voisinage, quand l'apparition de Lourdes lui asséna le dernier coup. > La Vierge s'en fut des Alpes dans les Pyrénées, et là, non au sommet d'un pic, mais tout au bas d'un mont, dans une grotte, comme si Elle avait voulu se rapprocher davantage et se mettre plus à la portée de la terre, Elle apparut, souriante, telle qu'une Vierge glorieuse et Elle distribua, à pleines mains, ces grâces qu'elle réparlissail moins généreusement dans ses dispensaires de la Seine et du Dauphiné. Oue s'est-il passé dans l'intervalle de ces douze années qui séparent les manifestations des Alpes de celles des Pyrénées? la Vierge dit bien encore à Lourdes qu'il sied de faire pénitence et de prier, mais elle ne pleure plus, elle n'adresse plus de reproches et de menaces. Il semble que la colère du Fils soit apaisée — et pourtant l'humanité n'a vécu, durant ce laps de temps, que de mal en pis, autant que l'on en peut juger; alors, pourquoi ce changement d'altitude, pourquoi cette soudaine clémence ? Rien ne pourrait l'expliquer, si l'on ne savait qu'en dehors môme des quelquesrares Ordres non dégénérés de la pénitence, il existe parmi les laïques, surtout parmi les femmes, de nombreuses 28 LI'S FOULES 1)K I.OUUDKS réparatrices que stimulèrent les plaintes irritées de La Salette. Beaucoup d'àmessc sont sans doute sacrifiées et, rétablissantl'équilibreperdu, ont, à force de souffrances, détourné les cataclysmes. Nous sommes dans l'obscurité, nous sentons vaguement en nous et au-dessus de nous des luttes qui toujours se recommencent et s'achèvent. La partie se joue à trois, entre Dieu, le démon et l'homme ; mais l'un des trois, l'homme, ignore la suite de cette partie dont il est lui-même l'enjeu. Si nous résumons maintenant ces quelques remarques, il nous est possible de constater que l'itinéraire de la Vierge en France, au xixc siècle, a eu Paris comme point de départ — et après une étape à La Salette, dans les Alpes — comme point d'arrivée, Lourdes, dans les Pyrénées. Nous pouvons noter aussi que la Mère du Christ a choisi pour résidence des lieux situés dans des régions qu'EIlcavait jadis occupées etqu'Elle a, en quelque sorte, plus ranimé que créé, à notre époque, des dévotions qu'Elle a tirées de leurs provinces pour les propager dans l'univers entier. Nous l'avons, en effet, relaté : La Salette et Lourdes figurent dans des territoires jadis habités par Elle; quant à Paris, il convient d'observer que Sainl-Séverin était, au Moyen Age, un centre depè- LES FOULES DE LOURDES 29 lerinagcs très vivant et l'on peut admettre, d'autre part, qu'en dehors môme des raisons qui décidèrent la Vierge à employer comme truchement une soeur de Saint-Vincent dePaul, Elle a choisi la maison de la rue du Bac parce que, dans ce quartier de la rive gauche, la dévotion à son privilège d'origine, y avait été très active pendant les derniers siècles, alors que justement elle se mourait dans son domaine de Sainl-Séverin, envahi parles disciples de Jansénius, devenu même une succursale du cimetière Saint-Médard, avec les convulsionnaires qui s'y rendaient pour prier sur la tombe de l'abbé Desangins, le confesseur du diacre Paris, inhumé dans cette église. Dans celte rue du Bac qui fut, auxvn0 siècle, une pépinière de communautés, il en existait, en effet, une située à quelques pas du couvent des soeurs grises, au coin de la rue de Varennes, le monastère des Recolletles, dites filles de l'Immaculée Conception, qui futsupprimé en 1792 etdont le but était précisément d'honorerla prérogative de sa naissance. Ajoutons que lorsqu'Elle franchit les ponts et vint s'installer sur la rive droite de la Seine, Elle se rendit dans une ancienne église qu'Elle connaissait de longue date et qui lui appartenait plus spécialement que toute autre, car elle lui avait été vouée, au nom de la France, par le roi Louis XIII et baptiséepar lui, à la suite de la prise auxhugue- 30 LES FOULES J)K LOLÎRDKS nots de la ville de La Rochelle, du nom de NoireDame des Victoires. A Paris, ainsi qu'à la Salette et à Lourdes, Elle s'est servie, en tant qu'intermédiaires, de filles de la campagne, d'êtres humbles, tout à l'ait frustes et bornés. A la Salette et à Lourdes elle s'est adressée à des bergères, à Mélanie et à Bernadette, de même qu'Elle s'était autrefois adressée à Liloye et à Anglèse de Sagazan; et, à Paris, où les bergères manquent, Elle a jeté son dévolu sur une ancienne servante de ferme, devenue soeur de la Charité ; signalons encore, à ce 'jvopos. qu'Elle ne chercha pas son interprète pat :i les moniales de la vie contemplative, mais bien parmi les religieuses d'un Ordre actif, fondé dans le temps même où se construisait Notre-Dame des Victoires. El n'ya-t-il pas, à cause de celle ancienne simultanéité d'origine et du subit rapprochement, à notre époque, de ces deux sanctuaires que la Vierge échange l'un pour l'autre, une sorte de présomption qu'un lien mystérieux rattache celte église à cet Ordre ? Enfin, à la Salette, ainsi qu'àLourdes, ainsi (pie jadis à Paris, à Sainl-Séveriii el dans les Pyrénées, à Bélharram cl à Caraison, 1511e a voulu que l'eau fût l'excipient des guérisons. Cette question des rapports de l'eau avec la Vierge a été très ingénieusement traitée par un occultiste catholique, M. Crillot de Civry, dans son LES FOULES DE LOUI'.PKS .'il incitant volume « Les villes initiatiques, Lourdes ». À dire vrai, la vieille Symbolique du Moyen Age qui s'est beaucoup occupée de cet élément, n'a pas vu en lui une image spéciale, unique de la Vierge et encore moins l'a-t-elle désigné comme pouvant être « ce principe féminin vital de la nature. », dont parle M. de Givry. II est bien évident que le rapprochement s'imposa du chapitre I fie la Genèse et du chapitre I de l'Evangile selon saint Luc et que l'on fut tenté d'assimiler les deux opérations du Saint-Esprit planant, d'une part, au moment de la Création,sur les eaux, les couvrant en quelque sorte et planant aussi, d'autre part, au-dessus de la Vierge que couvre l'ombre du Très Haut. L'eau peut donc spécifier l'une des ligures de la Vierge, mais il n'en est pas moins exact que plus souvent, que presque toujours même, la Symbolique lui assigna une signification très différente, qu'il s'agisse d'eau proprement dite, de mer ou de lleuve, de fontaine ou de puits. D'après elle, l'eau représente, tour à tour, le Christ, les anges, la doctrine évangélique, le baptême, la charité, la science des .Justes, et, en consultant la double face de son système d'analogies, en la prenant abus dans un marnais sens, l'eau est une image de la tentation, de la multitude des péchés, de la luxure. 32 LES FOULES DE LOURDES Mais, si nous nous en tenons au mode d'interprétation le plus connu, nous trouvons, d'après les textes de saint Grégoire le Grand, de fiaban Maur, de Pierre de Capoue, que l'eau est surtout le symbole du Saint-Esprit. Il serait prudent, d'ailleurs, de n'accepter cette formule de guérisons que comme l'une de celles qu'emploie, lorsqu'elle le veut, la Vierge, car fortsouvent, elle s'en passe. Dans les lieux mêmes où elle fait jaillir des sources, à Lourdes, par exemple, elle guérit parfaitement les infirmes et les malades, sans qu'ils aient besoin de boire de l'eau de la fontaine ou de se baigner dans les piscines. L'eau n'est, au demeurant, qu'un signe matériel de régénération. Après avoir guéri l'aine des conséquences du premier péché, elle peut guérir les corps dont les souffrances sont les suites de ce premier péché. Tel est, peut-être le motif pour lequel, en souvenir du sacrement de baptême, la Vierge use de ce procédé. Elle fait, à certainsjours, de cet élément un auxiliaire de ses grâces et, sans que l'on sache pourquoi, le délaisse, à d'autres jours. Les sources de la Salette et de Lourdes ont été, dans tous les cas, préfigurées dans l'Ancien Testament, par le Jourdain qui délivra Naaman de la lèpre, dans le Nouveau, par la piscine probalique •pie remuait un ange. II i—Zy/^^ i quelqu'un n'a jamais été stimulé par le l. r - ; ^ désir «.le voir Lourdes, c'esl bien moi. ' ">* !_~~A(I-, D'abord, je n'aime pas les foules qui proeessiomient, en bramant des cantiques etjesuis de l'avis de saint Jean de la Croix, écrivant dans « Sa Montée du Carmel » : « J'approuve l'oit celui qui, pour ne pas se joindre à la foule des pèlerins, entreprend des pèlerinages en dehors de l'époque fixée ; quand les multitudes s'y pressent, jamais je ne lui conseillerai de s'y mêler; on risque d'en revenir plus distrait qu'on n'y est allé! » Ensuite, je ne liens pas à voir des miracles; je sais très bien que la Vierge peut en faire à Lourdes ou autre part; ma foi ne repose ni sur ma raison, ni sur les perceptions plus ou moins certaines de mes sens ; elle relève d'un sentiment intérieur. 34 LES FOULES DE LOUIIDES d'une assurance acquise par des preuves internes; n'en déplaise à ces caciques de la psychiatrie et à ces barbacoles entendus, qui ne pouvant rien expliquer, classent sous l'étiquette de l'autosuggestion ou de la démence, les phénomènes de la vie divine qu'ils ignorent, la Mystique est une science résolument exacte ; j'ai pu vérifier un certain nombre de ses effets et je n'en demande pas davantage pour croire; cela me suffit. Et voici cependant qu'en attendant l'arrivée des grands pèlerinages internationaux je suis, pour la deuxième fois, par suite de circonstances tirées de loin et presque indépendantes de ma volonté, installé, depuis des semaines déjà, dans cette ville. Ce malin, il pleut comme il pleut dans ce pays, c'est-à-dire à seaux ; et, assis près de la fenêtre du cottage que j'habite sur la hauteur de la route de Pau, je regarde le panorama de Lourdes, au travers de mes vitres qui pleurent. L'horizon, très court, est bousculé par des montagnes entre lesquelles poussent des touffes de vapeur blanche, alors qu'à des altitudes plus élevées, galopent des nuées charbonneuses et roulent des flocons fuligineux d'usines. La cîme de l'un de ces monts a l'air de fumer, tandis que le pic d'un autre, dégagé de ses nuages, paraît mort ; çà et là, des écharpes de ouate grise s'enroulent autour du col des plus basses collines et LES FOULES DE LOURDES 3Î s'écardent en dcsccndanl ; quant aux cônes dont les têtes sont éternellement blanchies par les neiges, ils ont complètement disparu dans la brume. ; à mesure que les averses tombent, tout se brouille ; le grand et le petit Gers, les deux montagnes les plus proches, ressemblent, dans cette buée, à d'immenses pyramides de mâchefer, à des tas gigantesques de cendre. La tristesse de ce ciel rayé en diagonale par le fil des pluies ! en bas de la chaîne de ces monts, juste devant moi, le Gave, en un torrent qui ruisselle, jours et nuits, bouillonne sur des quartiers de rocs et, avant de s'étendre plus loin en une tranquille rivière, ceinture d'écume un bâtiment surmonté d'un clocher pointu et entouré d'un maigre jardinet planté de sapins et de peupliers. L'on dirait d'un pénitencier de cettebàtissepercée, très haut, dans des murs très droits, de minuscules lucarnes ; c'est le couvent des pauvres Clarisses; à gauche, un pont enjambe la rivière et relie au nouveau Lourdes dont j'aperçois les maisons, la vieille ville .que domine un antique donjon qui paraît fabriqué pour un décor d'opéra, avec des châssis de toiles peintes ; on le croirait factice; enfin, à droite, l'esplanade et ses arbres menant au Rosaire et à la double rampe que surplombe la basilique dont le profil se détache, tout blanc,surle coteau des Espélugues où, pour figurer 36 LES FOULES DE LOURDES les stations du Calvaire, se dressent dans des clairières cernées de verdure, d'énormes croix*. Et derrière l'esplanade et ses pelouses, en bas des rampes, deux cloches à gaz, l'une, ripolinéc au vert d'eau, l'autre teinte d'ocre jaune comme une porte de lieux, s'arrondissent, horribles; ces tourtes de tôle contiennent, l'une, un panorama de Jérusalem, l'autre, un panorama de Lourdes. Tout cela n'est pas très subjuguant, au point de vue de l'art et la cathédrale, perchée ainsi que sur une languette de roc, en l'air, ne l'est pas davantage. Mince, étriquée, sans un ornement qui vaille, elle évoque le misérable souvenir de ces églises en liège dont certaines devantures d'industries se parent ; elle relève d'une esthétique de marchand de bouchons ; la moindre des chapelles de village, bâtie au Moyen Age, semble, en comparaison de ce gothique de contrebande, un chef-d'oeuvre de finesse et de force; le mieux serait, malgré sa froide nudité, la double rampe de pierre qui conduit du bas de l'esplanade jusqu'à son portail, si elle n'était, elle-même, gâtée à son point d'arrivée, par l'affreux toit du Rosaire qui bombe sous les pieds de la basilique, un toit composé d'un moule colossal de gâteau de Savoie, llanqué de trois couvercles de chaudière, en zinc. Vue d'où je suis, de côté, l'on dirait de celle rotonde avec ses deux rampes qui dévalent, en ondu- LES FOULES DE LOURDES Oi lant, de sou toit jusqu'au sol, d'un crabe géant dont les pattes tendent leurs pinces vers la vieille ville. Et, en bas de cette rampe, au-dessous de la basilique et le long' du Rosaire, court, devant le lit du Gave, une large allée qui passe devant les piscines et la grotte et meurt, brusquement barrée par une colline sur laquelle sont tracés des lacets en forme d'M. Ils grimpent, par des sentiers plantés d'arbres, derrière la basilique et s'acheminent vers la résidence des Pères de la Grotte et la demeure épiscopale, situées à quelques pas du chevet. Tout cela se décèle étique et gringalet, chiche et nain, car l'ampleur trop voisine des monts l'écrase; mais l'indigence de ce décor préparé s'elFaee si l'on regarde le trou de feu, creusé dans le roc, audessous de la basilique même; c'est une cave de llammes qui brûle sous son flanc ; l'intérêt de Lourdes est là. La grotte! enlevez l'inutile statue, nichée dans l'embrasure où la Vierge parut et l'envolée commence. L'on songe à l'amas de prières dont on s'est, avant son départ de. Paris, chargé et on les lui présente, une à une, le mieux qu'on peut ; chacun a des guérisons ou des conversions de parents ou d'amis à demander et chacun déballe devant Elle le pauvre paquet des soullVances corporelles et des tortures morales qu'il apporta. C'est un grand si- 3S LES FOULES DE LOURDES Ience; tous, agenouillés, s'absorbent, et il semble qu'il faille, maintenant que la grotte est encore abordable, se hâter d'obtenir de la Madone les grâces que l'on souhaite. On la tient encore, pour quelques heures, seule. Demain, les pèlerinages arrivés dans la nuit combleront la Grotte jusqu'à ses bords et il deviendra impossible d'y pénétrer, de se recueillir môme, sur les bancs placés devant elle, car ce sera l'incessant tumulte des cantiques et des prêches. Et il en sera de même de la source invisible dont l'eau coule par les douze robinets de cuivre d'une fontaine installée à sa gauche. L'on devra faire queue pour remplir un bidon ou vider un verre. Aussi maintenant, s'empresse-l-on d'y allerboire ; l'on se repasse les*gobelels de fer blanc; d'aucuns les lampcnt d'un trait, d'autres n'en avalent que la moitié et se versent le reste sur les mains et se frottent la figure et se bassinent les oreilles elles yeux avec. Les femmes ramènent leurs robes et les serrent entre leurs genoux pour ne passe mouiller et l'on gronde des enfants qui s'éclaboussent en secouant des bouteilles trop pleines ; chacun prend ses précautions ainsi que dans une ville dont le siège est proche. En attendant l'assaut annoncé des foules, le charme de ce Lourdes intime, sans bousculade et sans vacarme, agit ; l'on savoure la douceur d'une LES FOULES DE LOURDES 39 ville rendue complaisante par ses instincts de lucre, et un côté de fraternité vous vient pour tous ces gens qui pensent comme vous, qui sont, comme vous, à l'allut des bienfaits de la Vierge. L'on finit, sans l'ûvoir demandé, par savoir pourquoi un tel se promène ici et pourquoi une telle est là et l'on s'intéresse à leur guérison et à la réussite de leurs projets. Il y a un peu de la camaraderie d'un bivac dans cette réunion de personnes campées dans un bourg; l'on ne peut faire d'ailleurs deux pas, dans un sens ou dans l'autre, sans se retrouver. On se croise sur l'esplanade,on se côtoie dans la basilique et dans sa crypte ou dans le Rosaire, on se coudoie à la grotte et l'on a presque envie, sans se connaître, de se saluer. La vérité est que nul ne reste chez lui et que tous, qu'il pleuve ou non, vivent au dehors. L'on tourne, du malin au soir, sur la même piste, ne voyant, où qu'on aille, en sus de visages ressassés, que des statues de vierges en plâtre, les yeux aux ciel, velues de blanc et ceinturées de bleu; pas une boutique où il n'y ait des médailles, des cierges, des chapelets, des scapulaires, des brochures racontant des miracles; le vieux et le nouveau Lourdes en regorgent; les hôtels même eu vendent; et cela s'étend de rues en rues, pendant des kilomètres, part de l'ancien Lourdes, avec la pauvre camelote des petits chapelets à chaînettes et à croix d'acier 40 LES FOULES DE LOURDES et les immenses chapelets spéciaux à Lourdes, des chapelets en bois teint en caramel fabriqués à Bétharram et valant six sous pièce, avec des chromos aigres deBernadeltes, enjupe rouge et tablier bleu, agenouillées, un cierge à la main, devant la Vierge, avec des statuettes de Lilliput et des médailles qui font songer à une monnaie de poupée, frappée à la grosse, dans des rebuts de cuivre; et tous ces objets s'améliorent, enflent, grandissent à mesure que l'on se rapproche de la nouvelle ville ; les statues poussent, finissent, tout en demeurant aussi laides, par devenir énormes. Les chromos s'amplifient, déguisent en soubrette la fille de Soubirous; le module des médailles augmente et leur métal change; l'or et l'argent se montrent et lorsqu'on atteint l'avenue de la Grotte, c'est l'explosion de la bimbeloterie de luxe! les chapelets ne pendent plus, en bottes, au dehors, mais ils reposent dans les vitrines, couchés sur un lit de ouate rose; leurs grains sont maintenant en lapis, en corail, en améthyse, montés en argent ou en or, et des bibelots de papeterie, des porte-crayons, des porte-plumes, des presse-papiers, en marbre divers des Pyrénées s'y mêlent, renforcés par l'article de Paris, par de la bijouterie du Palais-Royal, sanctifiée par une croix ajoutée ou une médaille. Et c'est la concurrence effrénée, le raccrochage sur le pas des boutiques dans toute la ville ; et l'on LES EOULES DE LOURDES 41 va, l'on vient, l'on vire, au milieu de ce brouhaha mais toujours pour aboutir, par un chemin ou un autre, à la grotte. Cette grotte, de forme irrégulière, assez haute, dès son seuil, moins élevée lorsqu'elle se recule et très basse sur l'un des côtés, elle se pare d'ex-voto de toute sorte, de béquilles carbonisées qui dansent, attachées à la voûte par des fils de fer, au moindre vent, d'un autel portatifsur lequel les évèques célèbrent la messe et d'un petit tombereau à roulettes, le tombereau à fumier des cires. A gauche, près de la fontaine, se carrent un abri de pierre servant de logetle de garde et de sacristie et un peu plus loin une boutique où se débitent de la bondieuserie et des cierges; à droite, presque sous le trou en amande dans lequel apparut, ainsi qu'en un cadre, la Vierge, une chaire, installée à demeure, est occupée pendant les temps de pèlerinages, par des missionnaires ou des prêtres qui dirigent, de même que des catapultes, les prières des foules contre les vantaux du ciel, pour en faire jaillir, comme par les portes d'une écluse brisée, des torrents de grâces. Cuite par les cierges, tapissée, telle qu'un fond de cheminée, par une suie toujours tiède, celte grotte de Massabieille elle est, avec son brasier qui ne s'éteint jamais, curieuse à étudier. Près de la grille d'entrée se dressent des herses '.S 42 LUS l'OULKS DK I.OUIIDIÎS de cuivre, en couronne, munies de larges plateaux, hérissés de pointes sur lesquelles des cierges empalés brûlent. Au fond de la grotte, au ras du sol, le long du roc, s'étendent trois rampes de fer noir, trouées d'anneaux dans lesquels s'emmanchent les troncs des cires; ceux du bas, plus grands, sont, à vrai dire, moins des cercles que des entonnoirs dont ils imitent vaguement la forme; ceux-là s'emploient plus spécialement à élreindre les énormes cierges à soixante francs qui durent pendant des semaines; puis des ifs, enfoncés dans la pierre, et. de petites broches sont, ça et là, piqués près d'une excavation couverte d'un filet où l'on dépose les lettres, aux levées trop humaines, de la Vierge. Et tous ces cierges grésillent, se calcinent, différents selon leur rang de taille et suivant leur prix; les minuscules s'effondrent autour d'un pied de mèche qui ehampignonne, en passant du rouge cerise au noir; de plus gros, plus lentement s'épuisent en des ruisseaux d'eau de riz qui se congèlent, peu à peu, en des flaques d'un blanc gras; d'autres se strient de cannelures et ressemblent avec leurs sillons vermicides et leurs exostoses aux branches verruqueuses des ormes : d'autres encore poussent, en quelque sorte, au-dessus de leur mèche et se consument, ainsi que des veilleuses au fond d'un verre qui se gaufre de guipures, se festonne de ramages, de même que les papiers à LKS FOULES Dli LOUHDES dentelles des images pieuses. Il y en a aussi de défraîchis, de très vieux, qui se poinlillent, comme des nez, de tannes et des faux,, des cierges déshoimôles dupant l'acheteur et larronnanl Dieut des cierges dont la tige de stéarine est enroulée dans une couche de cire qui pleure des larmes jaunes, iandis que le milieu se fond en ce liquide vitreux dans lequel baigne le pédoncule grillé des simples bougies. Ici, c'est l'à-rebours de la Pentecôte, les langues embrasées montent vers le ciel et n'en descendent pas; mais elles prient le Paraclet sous la forme même qu'il adopta ; elles jouent le rôle des exorations liturgiques qui implorent le Seigneur avec les phrases mêmes dont ses Préfigures se servirent ; et si l'on se rappelle la liturgie du temps de la Pentecôte où presque partout l'eau apparaît, associée au feu, l'on saisit la mystérieuse alliance des deux éléments, l'accord de la flamme et de l'onde, à Lourdes. Celte floraison de feu, elle a, pour la cultiver, un vieux jardinier qui vit, là, à demeure, et tourne, rissolé, devant le foyer de la grotte, un vrai jardinier avec son tablier bleu, à poches, sa face rase, ses outils de jardinage, sa serpette, son râteau, sa pelle, sa brouette devenue un wagonnet. Du matin au soir, sans se presser, il fait, silencieux, le ménage de la Vierge, raclant les stalactites I,KS l-OULKS DK LOLT.DKS des herses et dos ifs, remuant le sol, saturé d'un engrais de suif, d'une poudrellc de neige où les fleurs en ignilion semblent pousser d'elles-mêmes et se reproduire avec le pollen des flammèches qu'emporte dans la fumée l'entrain des vents; et il mouche le pistil en colon de ces fleurs, il émonde les tiges, échenillc les vers blancs des coulures, déterre les racines qui s'éteignent, les jette, pour qu'elles achèvent de se consumer dans l'un des plateaux deTenlrée où elles agonisent,en des trognons de feu, car ici on brûle tout, honnêtement, au contraire des autres églises où les cirières soufflent les bougies à moitié usées, pour les revendre. Puis il prend, comme une botte d'asperges, une poignée de petits cierges, les allume tous ensemble, d'un coup, les enfonce dans l'un des anneaux de la rampe du fond, quand le gros cierge qui remplissait le goulot de fer noir est mort. Les cierges foisonnent, se multiplient. Il y en a des wagonnets entiers qui attendent leur tour d'être déchargés et il trie ces bâtons blancs, les sépare ou les assemble, recolle, en les chauffant,'ceux dont les troncs se cassent, surveille sans repos le luminaire, dépotant tel cierge qui traîne et languit, pour le replanter dans un endroit mieux exposé, moins garanti des brises; et l'ouvrage est quand même à recommencer, car à mesure que les cierges meurent, d'autres naissent. LKS rttiTLKs niî Lour.nr.s 45 Celte Veslale en pantalon est donc aussi une Danaïde en culotte, car cette grotte est un puils de flammes sans fond ; de la province, de l'étranger, de toutes les parties du monde, chaque malin, les commandes affluent et il s'agit d'épuiser les provisions du jour, sous peine d'être débordé par les arrivées du lendemain ; et quoi que l'on fasse, les piles s'entassent ; ici l'on pourrait établir des chantiers de cierges comme on établit, autre part, des chantiers de bûches. Tous les habitants vendent des cierges ou plutôt de faux cierges, car en fait de cire produite par « la mère abeille » ils ne débitent, au mépris de tous les textes liturgiques, que des rouleaux de vieux suif traités à l'acide sulfurique pour les dégraisser et les durcir. Mais ces subterfuges, nécessités par l'appât sans cesse accru des ventes, disparaissent dans l'éclat du brasier qui dévore, indifféremment, les paraffines et les cires et, à regarder ces haies de prières qui flambent, l'on se remémore la Symbolique du cierge, telle que la concevaient Pierre d'Esquilin et saint Ambroisc. Le cierge se compose de trois parties : de la cire qui est la chair très blanche de Jésus, de la mèche insérée dans celte cire qui est son àme très pure cachée sous l'enveloppe de son corps, du feu qui est l'emblème de sa divinité. Le cierge est donc la figure du Christ ; dès lors, MUS FOULFS DR I.OLWIDKS on l'apporte à la Vierge médiatrice pour qu'elle présente, elle-même, au Père son Fils et qu'il intercède pour nous; et cette intervention, elle peut également avoir lieu par le truchement moins valeureux des saints ; mais, il faut l'avouer, le culte de Dulie, tel qu'il se pratique dans la plupart des églises, est absurde. On offre, à certains saints, des cierges, en toute propriété, à litre de cadeau, pour eux ; on les honore ainsi par une oblation personnelle, si bien qu'on leur fait adresser des prières par le Seigneur, au lieu de les leur faire adresser au Seigneur, ce qui est dénué de sens. A moins alors que l'on n'accepte la médiocre symbolique de saint Charles Borroméc qui, ne voyant dans le cierge qu'une image des trois vertus théologales, assimile sa lumière à la Foi, sa forme à l'Espérance, sa chaleur à la Charité. Dans ce cas, on l'allumerait devant une statue de célicole, afin d'obtenir, par son entremise, que le Sauveur développât en nous le ferment de ces vertus qui lèvent, contrariées par les levains du vice, avec tant de lenteurs et tant de peines. Mais à Lourdes, un autre symbole plus vivant et plus pénétrant s'impose, le symbole de la communion des âmes si lucidement exprimé par le mélange de ces flammes. Vraiment, si l'on y réfléchit, le spectacle de ces milliers de cierges en ignilion est admirable ! u<;s IOUI.KS nr, I.OUKUKS 4/ Quels navremenls désordonnés el quels cspoiis tremblants, ils recèlenl ! de combien d'infirmités, de maladies, de chagrins de ménage, d'appels désespérés, de conversions, de combien de terreurs et d'affolements, ils sont l'emblème ! — Cette Grotte, elle est le hangar des âmes en transe du monde, le hangar où tous les écrasés de la vie viennent s'abriter et échouent en dernier ressort ; elle est le refuge des existences condamnées, des tortures que rien n'allège; toute la souffrance de l'univers lient, condensée, en cet étroit espace. Ah! les cierges, ils pleurent des larmes désolées de mères el peut-être donnent-ils les simulacres exacts des douleurs qui les brûlent ; les uns, pleurant précipitamment, à chaudes larmes, les autres se contraignant, pleurant en de plus tardives gouttes ; et tous sont fidèles à la mission dont ils furent chargés; tous, avant d'expirer, se tordent plus violemment, jettent un dernier cri de leurs flammes devant la Vierge ! Evidemment, il en est de plus éloquents que d'autres auprès de Dieu; et, à n'en pas douter, les plus humbles sont les plus persuasifs; ces prétentieuses colonnes de stéarine, achetées sur place ou envoyées par des gens riches, ont, en raison môme du faste qu'elles affirment, le moins de chance, tout en priant plus longuement, d'être accueillies et certainement la pitié divine va à ces pauvres petits 48 I.KS F01II.KS J)K I.OUItOKS lumignons qu'on allume en hotles, qui confondent leurs désirs et leurs flammes, qui s'unissent, ainsi qu'à l'église même, en une supplique commune, lis sont bien l'image des miséreux, des gens du peuple qui s'entr'aidenl, alors que les cierges aristocratiques vivent, seuls, à l'écart. Et c'est alors que la basse besogne du feuticr de la grotte s'exhausse, devient sublime. Cet homme qui n'envisage que la propreté de ses herses et de ses ifs, opère inconsciemment l'oeuvre magnifique de la communion des i\mes ; il assemble les oraisons, les dresse vers la Madone en des gerbes de feu ; il bouleverse les conditions ordinaires de la vie, en confondant les classes ; il les ramène aux préceptes des Evangiles; il adjuve, en amalgamant les racines des gros cierges aux radicelles des petits qui achèvent de se liquéfier, les instances des riches, les unissant à celles des pauvres devant le Seigneur, forçant en quelque sorte la main à la Vierge, en augmentant le poids insuffisant de leurs prières, en sauvant les plus débiles par le secours des plus forts. Ici, c'est la Société retournée, le monde à l'envers ; ce sont les indigents qui font l'aumône aux riches. Le cierge, que les incrédules considèrent comme une des formesles plus puériles de la superstition, est l'agent le plus extraordinaire qui soit des âmes LICS FOULES DE LOUIWKS W don! il matérialise li^s senlimcnts et véhicule les voeux. Les àmes l'imprègnent, en effet, de leur fluide et je songe par analogie aux expériences du colonel de Rochas, au transfert de la sensibilité sur un objet inanimé, sur une chose inerte; je songe, et sans qu'il soit question d'hypnose ici, que par la seule puissance de la Foi, ces stéarines peuvent s'injecter d'effluves, détenir un peu de la sensibilité de ceux qui les offrent et vraiment prier. Il est permis de penser aussi que cet élément du Feu à Lourdes n'est que le servant de cet autre élément qu'est l'Eau. Beaucoup de guérisons ont lieu devant la fontaine ou dans l'intérieur des piscines; on commence par la Grotte et l'on finit par la Source. Il semble que Lourdes puisse se résumer en cette phrase : Ce qu'on demande ici par le Feu, on l'obtient par l'Eau.

III 1 r, ^ ' K temps clos grands pèlerinages interna- .- r\-~^l tionanx est venu ; le vertige de la ville, ' ( assaillie de tontes parts, commence; les pèlerins de la Lorraine, de la Champagne, de la Provence, de la Normandie, du Roucrgue et du Berri, sont là. Une armée de Belges, débarquée d'hier, envahit l'esplanadeet sillonne les rues ; l'on attend, ce matin, les trains de la Bretagne, avec une nouvelle escouade de Belges et de Hollandais. Lourdes craque déjà dans l'indésciTable ceinture de ses monts. La pluie a cessé ; une poudre violette tombe du ciei, implacablement pur, sur les montagnes qui se précisent. Le grand et le petit Gers dorent, au soleil, la carapace cendrée de leurs rocs et les quelques plaques des pâturages, collées sur leurs flancs, s'éverdument. Quelque chose

>2 LKS FOULES |)K LOUIIDKS

monte lentement dans une rainure, creusée sur l'un des versants; Ton dirait d'un ver blanc qui rampe ; c'est le funiculaire qui, tantôt en plein jour, tantôt dans l'ombre des tunnels, grimpe jusqu'à la cîme. Il semble que le soleil vanne du bienêtre et blute de la joie sur la vallée où retentit le son du cor de ebasse qui sert d'appel au marchand de chiffons dont la carriole apparaît sur la roule, au loin. Je descends pour assister à l'arrivée des fidèles du Finistère et du Morbihan ; les rues de la vieille ville et le pont débordent; il faut jouer des coudes pour se frayer passage ; l'indolent troupeau des Bretons tourne sur lui-môme, piétine sur place, rabattu par ses prêtres qui le lancinent comme des chiens de garde; mais les, boutiques de bondieuseries hypnotisent les femmes et il devient nécessaire de les tirer par le bras, de les pousser par le clos pour les faire avancer. Mal éveillées, ahuries, elles regardent, ainsi qu'au sortir d'un songe, traînant avec elles de lourds paniers et des bidons, et la plupart des hommes vont, bras ballants, causant à peine, l'esprit gourd, ruminant, tel qu'un bétail, on ne sait quoi. La vérité est qu'ils sont éreintés par des nuits de chemin de fer et si dépaysés ! — Ils apportent au moins un peu de couleur locale dans le monotone assemblage des gris et des noirs des autres provinces. Les hommes ont gardé le cha- I,KS l'OL'LKS \m LOLU'.DKS peau à ruban de velours, la veste el le gilet, bleu de roi ou violet d'évèque, passementés de broderies jaune serin et tiquetés de boutons à grelots de cuivre; mais le buste seul a conservé la nuance et la forme du terroir; le bas est quelconque, d'une laideur malpropre qui tranche avec la partie quasifraîche du haut. Une ceinture dezouave, d'un azur à laver le linge, limite les deux zones de la veste amusante et de l'ennuyeuse culotte, achetée dans les laissés-pour-comple des regraliers d'un port. Quelques-unes sont à ponts, mais elles sont, comme les plus modernes, tissées avec des laines de teinte purée de pois ou ardoise; d'aucunes même, lissées et salies par l'usage , ont pris ce ton d'un brun gras qu'ont les olives noires ; un seul homme, dans tout le pèlerinage, arbore le costume complet avec les grègues et les jambières, couleur de cannelle, un vieux, grand et très droit, auxlongs cheveux blancs, à la face rose, aux yeux secs et crus, en retrait dans un teint cuit. Et presque tous ces marins ont des traits rigides, des épidémies d'ancien buis, des prunelles claires, de ce bleu froid qu'ont, dans le Finistère, les moulons noirs. Les femmes grasses ou osseuses, avec des peaux de pelure d'oignons, salées par les embruns, des yeux lapis ou vert de mer, les jeunes filles aux tètes d'oiseaux et aux crânes durs, sont empaquetées

>V UÏS FOUI.KS DE LMIHnkS

dans des cloches superposées de jupes où se perçoivent des liserés, colorés avec le rose aigre et le violet criard de l'aniline. Elles aussi, sont de n'importe quelle région, à partir de la ceinture et redeviennent, de la taille à la nuque, Bretonnes; quelques-unes s'accoutrent de collerettes godronnées, tuyautées de petits plis comme du temps de Louis"XIII et de corsages soulachés de croissants ou de pinces de crabes, en velours; une ou deux, issues du fond du Finistère, ressemblent a des Hollandaises avec leurs robes, frangées d'orange et les broderies en paillons de leur coiffe; toutes se reconnaissent, dans la foule, à leurs bonnets cocasses et variés ; ils affectent, en effet, les plus étranges formes, depuis le pot de fleur, posé à la renverse, sur le chignon, le casque amidonné et la courte mître, jusqu'aux élylres du papillon et au sabot du cypripedium, de l'orchidée ouverte en vide-poche et munie d'ailes. En ce tas de l'Armoriquc qui vermille dans les rues et sur le pont, des estropiais et des manchots, des enfants déformés, aux membres interrompus, des vieillards dont les goitres pendentpareils à d'énormes poires, des vieillesfemmes qui claudiquent, appuyées sur leurs potences, des aveugles avec des prunelles en blanc d'oeuf, sont entourés et surveillés par les soeurs du Saint-Esprit dont le costume qui parait découpé dans de la toile écrue, LKS lOL'LKS [)!•: LOL'IIDICS avec toul juste un bout de noir au capuchon, met un sourire de blancheur dans le ton foncé des habits et des robes. Les prêtres, à figures de terriens et de pêcheurs, s'impatientent de ne pouvoir lutter la marche du troupeau, mais ils ont beau s'évertuer en remontrances, les' femmes s'égaillent et l'une d'elles, arrêtée au milieu du pont, sur le trottoir, pour se faire cirer ses chaussures, discute avec le frotteur qui lui réclame deux sous et prétend n'en devoir qu'un parce que, dit-elle, ses pieds ne sont pas grands. Enfin, la procession atteint un saint Michel de bronze qui valse sans grâce sur le corps renversé d'un vague notaire déguisé en démon et dépasse le monument du Calvaire, placé au début de l'esplanade, et offert par cette même Bretagne à la Vierge de Lourdes ; le prêtre qui tient la tête du cortège fait halte et se retourne, le bétail l'imite ; il lève le bras et le cantique commence, tandis que le défilé reprend : Nous venons encore du pays d'Arvor, Où le sol est dur, où le coeur est forl, Fiers de notre Foi, noire seul trésor, Nous venons du pays d'Arvor ! Lt, tous se dirigent vers la grotte, fendant une multitude de pèlerins de toutes les provenancesqui V u6 LES FOUI.KS DK I.OUIIUKS se différencient par leurs insignes, car, ici, tout le monde affiche un ruban ou une rosette, tout le inonde est décoré ! les Belges portent à la boutonnière une minuscule cocarde, noire, jaune et rouge, les couleurs de leur drapeau ; les Bourguignons, les mêmes couleurs, barrées d'une croix de métal ; les Normands, une croix de flanelle rouge ; les Bretons, un Sacré-Coeur également taillé dans de la flanelle rouge ; les Berrichons, une marguerite blanche sur un fond de cendre bleue, et combien d'autres ! Bailottés par le remousde cette foule, remorqués en avant et refoulés en queue par les soeurs du Saint-Esprit et par le clergé, les Bretons arrivent pourtant à la grotte, mais tout est plein. Le long de la rivière fourmille et l'espace est bien restreint entre les grilles de la grotte et les parapets du Gave. Les brancardiers, chargés de maintenir l'ordre, se placent en vis-à-vis cl tendent des cordes pour assurer un sentier libre aux voitureltes des malades qui descendent de l'hôpital. A cette heure, la basilique, la crypte qui la supporte et le Rosaireregorgent; des groupes stationnent devant les portes laissées ouvertes et entendent, de loin, la messe, et voilà que la colline des Espélugues, sur laquelle est planté le chemin de croix, s'anime, tourne sur ellemême en une lente spirale et chante. Elle semble marcher avec les gens qui montent MïS I-'OULF.S 1>K LOUI'.DKS i) i sur les clicmins en ziggag de ses flancs : c'est un pèlerinage au Ouercy qui serpente, précédé d'une bannière, en clamant, avec des voix en tôles que l'on bat, un cantique où l'on distingue des « De Dious la rouzado » et des « pitchoun ». Ceux-là, je les connais ; ils sont, en quelque sorte, les charbonniers de Lourdes ; tout est noir en eux, habits, coifies et robes; pas môme une tache blanche de linge, près du cou ; jusqu'à leurs traits qui paraissent accentués par des coups de fusain. Hier ils rôdaient, renfrognés, en une ribambelle de pieux margougniats dans les rues de la ville; et les marchands, qui savent qu'ils n'achètent rien, gouaillaienl, en les regardant jargonner devant leurs devantures. Et tandis que ce Midi sombre chemine, en beuglant, sur les lacets du coteau, on est parvenu, tant bien que mal, à tasser les Bretons près de la grotte, et ils écoulent maintenant le sermon de l'un de leurs recteurs, huche dans la chaire. Ils se tiennent découverts et attentifs et, quand le chapelet se dévide, tous fixent, béats, la statue blanche et bleue de Notre-Dame. On les bouscule, on les bourre, on pressure leurs vastes pieds pour ouvrir dans leurs rangs une nouvelle voie pour lesgrahalaires, nul ne se plaint et ne s'interrompt de prier; ce ne sont plus les patauds endormis de tout à l'heure, mais de braves et d'humbles gens qui im- LES FOULES DE LOUIIDKS plorcnt, avec la piété simple et forte de leur race, cette Vierge qu'ils sont venus de si loin pour vénérer. Après le chapelet, sans bruit, sous la conduite des soeurs, ils défileront, deux par deux, dans la grotte, baiseront le roc, en entrant par l'une des portes de Ja grille pour sortir par l'autre, puis ils iront boire, à la queue leu-leu, à la fontaine. Je me rends aux piscines. La place, limitée par des barrières et fermée par des cordes tendues, devant les trois édicules, de style confusément gothique, collés au bas du rocher, sous le flanc de la basilique, a quelques pas de la grotte, est remplie de voiturettes d'infirmes; et des brancardiers en bérets, avec leurs bretelles de cuir qui sont le « laissez-passcr », le « coupe-file » de Lourdes, vont et viennent, remontent l'oreiller d'un malade en lui donnant dans un gobelet de ferblanc à boire, très dévoués vraiment a ces malheureux qu'ils traînent, de l'hôpital aux piscines, en faisant le métier de bètes de somme. Un prêtre, à mine patibulaire, avec une barbe de cinq jours, issu d'on ne sait quel fond de province, se jette à genoux, les bras en croix, face au public. 11 récite à haute voix le rosaire, invoque A grands cris la Vierge, la supplie de guérir les patients que l'on baigne et l'Anie embrasée de ce prêtre illumine ses traits et, peu à peu, agit sur les spectateurs qui s'échaulient. Ce qu'il prie bien, ce LKS FOULES 1)B LOUIIDKS S9 pauvre vicaire de campagne! et quel accent et quels yeux ! des yeux en feu et en eau, des brûlots qui flambent dans leslarmes ! Et des voituretles arrivent encore, charriant des paralytiques blêmes, les lèvres détendues, considérant on se demande quoi, par terre; des hydropiques, la tête rejetée en arrière, comme pour ne pas voir l'obsédante panique de leurs ventres enflés, ainsi que des bonbonnes ; des phtisiques, creux et amers, dont les yeux vernis errent à la ronde; des cardiaques étouffant, levant, dans leur effort pour mieux respirer, le cou en l'air. Et l'on rapproche ces voituretles les unes des autres, et voici le char à bancs des grands malades, étendus sur des matelas, placés sur des civières à manches : des hommes et des femmes livides, aux traits renversés, aux nez pinces, à la bouche marquée par deux lignes de cendre, aux yeux pochés d'un cercle de lilas, dans du blanc. Les brancardiers s'empressent, descendent avec précaution les civières et les déposent aux portes des piscines, fermées par des rideaux. Devant ces figures de la douleur qui passent, le piètre, à genoux, fouette la foule, l'exaspère par les cris de pitié dont sa voix se brise. Seigneur, sauvez nos malades! Et le roulement furieux des Ave Maria reprend. 60 LES FOULES DE LOUHDKS Marie, nous vous aimons! Kl les grondements des Ave redoublent— et les portières des piscines s'ouvrent. On se penche avidement pour distinguer la physionomiedes gens que l'on sort; on attend une guérison, et l'on aperçoit des êtres couchés et qui vivent encore pour souffrir; hélas ! pour ceux-là, les suppliques de ce matin sont vaines ! — Voyons tout de même, au dedans, si, à défaut de cure complète,il n'y aurait pas des allégements, des rémissions. Je franchis le camp des voilures et j'écarte le rideau des bains. La première fois que je pénétrai dans ces salles, j'eus une surprise; sur les récits de Zola qui peignit toujours ses toiles comme des décors de théâtre, je me les figurais très vastes ; j'imaginais au moins des pièces aérées et commodes, creusées de larges bassins, autour desquels baigneurs et malades évoluaient à l'aise. 11 n'en est rien ; ces chambres ont tout jusle l'ampleur des cabines de bains à bon marché. En guise de porte, une courline; trois murs; celui du fond muni d'un vitrail qui n'éclaire pas et sur lequel est peint une Vierge, avec au-dessous une statuette de NoireDame de Lourdes; les deux autres sont de simples cloisons, sans ornements; enfin au milieu une baignoire de pierre se creuse, peu profonde, dans laquelle on descend par quelques marches et le LES FOULES DE LOUUDES mobilier se compose d'une chaise. C'est, dans cet obscur réduit que la Vierge, devenue servante de bains, travaille; c'est dans ce bouge humide, avec cette eau putréfiée, qu'Elle opère. El l'on est pris d'angoisse, l'on tremble presque, faisant un brusque retour sur soi-même, quand l'on songe qu'Elle se lient, invisible, en cet étroit espace, qu'on la frôle peut-être, et que, dans une minute, Elle attestera, si elle le veut, sa présence, par une guérison ! 11 faudrait avoir l'âme blanche de Bernadette pour oser rester sans vergogne aussi près d'Elle ! On se sent bien petit, un peu honteux même de se promener là, en simple curieux, mais, après tout, l'on n'est pas sans doute inutile puisqu'on vient la prier pour les infirmes, puisqu'on ne lui parle pas de soi, mais d'eux ! Et, machinalement, on la cherche, et l'on ne voit que sa pauvre effigie peinte sur un carreau ou moulée dans du plâtre. — Ah ! ce que ce n'est pas Elle ! — On regarde celle eau qui pourrait relléler son sourire, si elle n'avait perdu, dans la boue des plaies qu'on y trempe, la faculté de réverbérer la moindre image; elle est opaque et elle est morte ; et pourtant, non, elle vit, attentive et docile, prête à obéir, depuis les Apparitions, aux ordres du Prophète et du Psahniste qui lui enjoignirent, bien avanl que le Fils ne fut né, de célébrerses louanges, 62 LES FOULES DE LOURDES et elle s'en acquitte, en promulguant ses miracles, maintenant qu'elle a été choisie par la Mère, pour servir cïe véhicule aux guérisons! Ce matin-ci, l'étroit corridor qui dessert l'antichambre des déshabillages et les cabines est obstrué par des brancards habités, lorsque j'arrive. Un vieux Monsieur dont la tête, en oeuf, est chauve du haut et poilue du bas, s'agite dans un costume de cycliste. Il commande, en se dandinant, morigène les baigneurs, inscrit, d'un air important, le nombre des bains sur un carnet; c'est un spécimen de grosse mouche du coche qui prêterait à rire, si le spectacle auquel on assiste n'était si triste. On se met à quatre pour déshabiller un malade dont le dos n'est qu'une plaie; une odeur horrible de pus et de cadavre vous saisit à la gorge ; l'homme, cassé en deux, gémit et la bouche bée, les dents au clair. On lui attache, par pudeur, un pagne sur le ventre; on lui passe une sangle sous les reins el, le plus adroitement qu'ils peuvent, les quatre baigneurs le glissent dans lu piscine. Au contact de l'eau glacée, toute la peau lui court en ondes sur le corps; il suffoque, la tête à la renverse sur les épaules; on le relire et, sans l'essuyer, on lui remet ses vêlements el on l'emporte. On a prié, pendant ce temps-là, le mieux qu'on a pu ; mais comment ne pas se confiner di.ns la supplique labiale, comment penser à ce que l'on I.KS FOULI-S DM I.OUliDKS 63 dit? le patient est à moitié évanoui et ne sait plus où il est et les infirmiers sont absorbés par leur dure besogne; moi-même,qui demande la guérison de ce pauvre homme, je suis distrait par ce que je vois; il ne faut donc valablement compter que sur les exorations plus libres du dehors que l'on entend, continues et véhémentes, dès que le rideau se lève. Et il retombe sur une nouvelle civière qu'on amène. 11 en sort un être, recroquevillé sur luimême dont le visage, rendu hagard par la souffrance, me bouleverse. Quelle pitié ! on le débarrasse de ses couvertures, de son gilet de llanelle; c'est un squelette en sueur. On le descend doucement dans l'eau; il la pétrit de ses mains crispées et râle; on l'en extrait et on le replace, tout mouillé, sur son brancard — et un autre entre. Ah ! le regard de celui-là ! — deux llammes de gaz, allumées dans les orbites d'une tète de mort et qui sont, tour à tour, comme haussées par l'espoir et baissées parla peur; on «Me sa chemise; elle est maculée, par endroit, de gomme-gulte et de sang frais, empesée, à d'autres, par des taches d'humeur sèche qui la l'ont ressembler à du sparadrap. Et l'homme apparaît, avec des grenades ouvertes dans les lianes. lue fois dans l'eau il halète, rauipie, les yeux hors du front, et des tampons de charpie que. Ton (34 LES FOULES DIS LOUItDKS n'avait pas décollés, flottent. On le relire, on lui plaque, tant bien que mal, après les avoir trempés dans la piscine, ses linges de pansement et un jeune prêtre couché tout habillé, sur un matelas, lui succède. Celui-là se meurt d'une maladie de coeur, arrivée à la dernière période. On lui déboutonne sa soutane, on écarte sa chemise, et, sur Tordre du Monsieur qui inscrit les bains, on lui fait simplement des lotions sur la poitrine. Les porteurs s'en retournent; ce sont maintenant des cris affreux, les cris d'un malheureux enfant qui supplie qu'on ne le baigne point ! Je vais dans les autres cabines; le spectacle est le même; des infirmes gisent sur des brancards, tandis que l'eau remue encore et clapote contre les parois de la baignoire; par instants des bouffées d'iodoforme passent dans l'air empuanti par les haleines amères et les plaies; partout, traînent des bouts de charpie, des morceaux d'ouate couverls de sanie et de sang. L'eau est devenue un hideux bouillon, une sorte d'eau de vaisselle grise, à bulles, et des ampoules rouges et des cloquesblanchâtres nagentsurectétain liquide dans lequel on continue à plonger des gens. Le miracle permanent de Lourdes est là; on jette dans des récipients contaminés des malades, sans attendre qu'ils aient achevé la digestion de leur repas; on trempe jusqu'au cou des femmes, LI:S FOULES m: LOUIIDES (35 il des époques où le plus élémentaire bon sens défend à une femme de prendre un bain—et souvent, dans ce cas-là, l'eau se change, d'un coup, en une mare de pourpre — et personne n'est frappé de congestion, personne ne se ressent du saisissement glacé du bain et du manque d'essuyage. — Les pansements antiseptiques, tant vantés par la chirurgie, sont tout bonnement remplacés, ici, par des compresses d'eau de Lourdes cl les plaies ne s'en portent pas plus mal. Jamais pareilles nazardes ne furent infligées à l'hygiène et pareils camouflets à la médecine. Ici, aucune infection ne se produit et aucune maladie, si elle n'est guérie, ne s'aggrave; et celle exemption s'étend aussi à l'hôpital où presque jamais les alités, exténués pourtant par les fatigues du voyage et arrivés presque mourants, ne trépassent. Les décès sont, en effet, très rares dans rétablissement de Lourdes. Eu prenant une moyenne de quatre jours et un chiffre de mille malades qui donneraient dans les autres hôpitaux unii mortalité de vingt au moins pour ces quatre jours, nous trouvons qu'ici — et depuis vingt années — les morts se réduisent,' dans les mêmes conditions, à une ou deux. Comment, si Ton ne croit pas à une intervention divine, expliquer celle impunité assurée à Lourdes seulement et tant (pie l'on sera dans la zone protectrice de la A'ierge? i

IV </iV--VHK nouvel hôpital de Notre-Dame des Sept

V\sV'^ Douleurs est un.bâtiment énorme et ina-

-'•-(yJ^A chevé. Tel qu'il est, il parvient à héberger la multitude des patients qui s'y pressent. On couche partout, môme dans des salles amorcées, séparées du vide par de simples cloisons de bois. On mange partout aussi,jusque dans les cours au-dessus desquelles l'on a tendu des bâches, sous des hangars où l'on a placé des séries de planches sur des tréteaux — et ce qui est vraiment extraordinaire — c'est que, dans le hourvari de ce camp, dans le 11 ux et le reflux de ces entrées et sorties de malades, arrivant et repartant en même temps que les pèlerinages dont ils font partie, dans cette promiscuité continue de gens de tous les pays dont beaucoup ne comprennent même pas le français, c'est G8 LES FOULES DE LOURDES une discipline amicale et un ordre parfait. La nourriture, bien préparée, est servie à l'heure; tons ceux qui ne peuvent manger seuls sont assistés ; des prêtres se tiennent à la disposition des grabataires désireux de se confesser; des brancardiers sont en permanence pour les emmener à la grotte et les en ramener; et pourtant quelques soeurs de Saint-Frai, chargées de la cuisine et des salles, suffisent à la tâche, aidées parles infirmières qui accompagnent les trains et les dames de l'hospitalité de Notre-Dame de Lourdes. C'est la division du travail, la distribution de la peine, très sagement conçues. Depuis des années que ce service fonctionne, tout marche sans encombre ; mais, il faut le dire aussi, les malades venus pour demander à la Vierge de les guérir sont des malades pieux et résignés, très doux, et celles qui les gardent le font par charité et supporteraient, au besoin je crois, bien des aigreurs et bien des plaintes avant que de pécher par impatience. En tout cas, Lourdes est le vestiaire des défauts; on les y dépose en l'abordant, on les reprend sans doute lorsqu'on le quille, car rien n'est plus difficile que de luer son vieil homme; mais il y a au moins une épuration provisoire d'Ame opérée, en sus même des grâces que départit la Vierge, par le contact de la gratitude des victimes de la vie et de la miséricorde de celles qui les soignent. LES FOULES DE LOURDES G9 L'entrée de l'hôpital est dénuée de pompe; dans la cour qui le précède, derrière ses grilles l'isolant de la rue, c'est un bivac de voiturcttes. A celte heure, toutes sont de retour de la grotte et des brancardiers, rompus de fatigue, s'étendent, à la place des patients transférés dans leurs lits, sur les coussins ou causent, en fumant, avec d'autres qui vont et viennent, tenant des lasses de bouillon et de lait, destinées à des infirmes couchés sur des civières, sous les arcades longeant ces terribles salles du rez-de-chaussée, les salles des grands malades où s'enlasse l'exorbitante horreur des maux incurables, des agonies charriés dans de mauvais wagons de troisième classe, de tous les coins de la France et de l'étranger, à Lourdes. Celle de droite, réservée aux femmes, vous chavire le coeur lorsqu'on y pénètre ; elle est bondée de lits très rapprochés les uns des autres, et dans ces lits gisent des femmes immobiles qui, tout en ayant les yeux fermés, ne dorment point, car soudain ils s'ouvrent, ellarés, et se referment. Quels visages hâves et exsangues i quelle expression de lassitude de tout et de regret de la vie, de vague espoir et de peur ! — Et la misère des paquets, l'indigence des loques et des cartons, des valises à quatre sous, entassés près des couches, ajoute la pitié de la détresse matérielle à la compassion de la soull'rance de ces pauvres êtres! -ï. 70 LES FOUI.KS DE LUUllDES Ici, Tune se dresse subitement et, prise de hoquets, rend le sang- à pleine bouche, tandis qu'une dame accourue la soutient et lui essuie avec une serviette les lèvres ; là, c'est une autre qui jette d'une voix rauque une brève clameur cl se tord, pendant qu'on s'empresse autour d'elle, qu'on lui mouille les tempes, qu'on lui fait respirer des sels, tout en l'assurant que ses tortures vont se terminer, que la Vierge va la guérir. Au premier rang, sur la couverture d'un lit pas ouvert, la tète appuyée sur deux oreillers, une figure étrange est étendue, habillée, et les pieds cachés sous un tampon de ouate; une vieille dame, assise près de cette jeune fille qui est plutôt une enfant, me raconte sa désolante histoire. Celte petite a la gangrène dans les deux pieds. On s'est décidé à l'envoyer à Lourdes, mais personne ne voulut rester avec elle dans le wagon, tant l'odeur échappée de ses ulcères était fétide; le pus coulait en une telle abondance qu'il perçait tous les linges et qu'il fallut poser au-dessous d'elle un seau ; les douleurs qu'elle éprouvait étaient si aiguës qu'elle couvrait avec ses cris les sifflets du train; à un moment, ne sachant plus comment la soulager, cette brave dame, qui avait consenti à demeurer dans le compartiment, seule avec elle, défit les pansements et lui mit les pieds u la portière, pour les éventer et les rafraîchir. LES FOULES DE LOUliDES 71 La malheureuse fut débarquée à Lourdes sans qu'on pût les recouvrir, car le moindre contact la faisait hurler ; elle prit son premier bain à la piscine, ce malin et, en une minute, les plaies séchèrent et devinrent indolores; elle supporte maintenant, sans même la sentir, cette couche de ouate et, la soulevant, la dame ajoute : Voyez, Monsieur.— El je vis des pieds qui n'en étaient plus ou qui n'en étaient pas encore, deux éponges d'un rouge obscur, mais deux éponges sèches. Ni sanie, ni sang, ni odeur, rien. — Encore quelques bains et NotreDame l'aura complètementguérie, reprend, en souriant, la dame. Je regarde cette enfant et je cherche vainement à discerner ce qu'elle pense; les traits sont taciturnes, comme reculés ; l'oeil parle, mais il dit quoi? une résignation infinie, une sorle d'indifférence d'elle-même... il est à la fois lointain et dolent, il est surtout grave. Est-elle absorbée en Dieu ou seulement abasourdie par ce brusque changement d'une intolérable souffrance en un repos très doux ? je ne sais... Par contre, quelle délicieuse femme que celle petite vieille, fine et distinguée, si charitable, si dévouée à sa malade ! Elle a subi, à son âge, les fatigues d'un long voyage pour assister cette éclopée de la vie, qui n'est pas de son monde, qu'elle connaît à peine; et elle vous entretient de cela, si 72 LES FOULES DE LOURDES simplement, elle juge sa conduite si naturelle que l'on s'émeut vraiment à l'entendre; elle me demande de revenir visiter sa protégée et de prier pour elle. Ah ! tout ce qu'elle voudra, la bonne Samaritaine ! Un des chapelains qui sert d'aumônier à l'hôpital, le brave abbé Darros, vient me chercher pour assister aux repas des infirmes. Me revoici dans les corridors où des dames font la navette, les unes, allant vider des bassins, les autres rapportant des bols de soupe ; et ce sont des brancardiers qu'on appelle pour soulever un impotent trop lourd ; c'est une dame qui arrête l'aumônier, lui dit que le grabataire qu'elle soigne va mourir, qu'il serait temps de lui donner l'extréme-onction; nous allons voir le malade et l'aumônier habitué aux masques des agonisants rassure la dame dont le visage attristé se détend; c'est un va-et-vientau travers des conversations de gens qui encombrent, en causant, la place. Nous finissons pourtant par sortir de celle foule et arrivons dans le grand réfectoire. Il est si plein que les convives s'encaquent, coudes contre coudes; des jeunes filles, des dames, en toilettes fraîches, sous leurs tabliers, distribuent a chacun une assiette de soupe, une part de gigot aux haricots et versent de cruchettes de grès du vin rouge, un peu coupé d'eau, dans les verres. Il y a LES FOULES DE LOURDES 73 de tout dans cette salle dont le seul décor est un crucifix, des malades qui paraissent bien portants et déjeunent avec appétit, d'autres qui chipotent et dont on devine, sur les faces ravinées, la rémanence des maux; d'autres encore dont le crâne est emhobcliné de linges cachant sans doute des bosses ou des plaies, d'autres enfin haussant, à la force des mâchoires, un goitre qui, pendant le repas, danse... ; ce ne sont ici que des affections présentables. El il en est de même dans le hangar au dehors; la colonie belge s'est installée à cet endroit et, tout autour des tables, des jeunes filles blondes, coiffées de bérets blancs, causent, rient, égaient, en les servant, les affligés ; un peu plus loin, sous l'abri des bâches tendues, stationne un camp de voilureltes d'infirmes auxquels des dames dispensent patiemment la becquée; enfin, dans la cour, en une sorte de rancart, c'est la tablée des monstres. Des gueules léonines et farineuses que l'on espérait abolies par l'usure des âges, se. retrouvent là ; ces lèpres voisinent avec les tumeurs du cou, issues des hauts plateaux ; et ce sont des femmes qui, relevant leur voile noir, exhibent la tête de mort du lupus, avec deux trous rouges, à la place des yeux, el un as de trèfle saignant au lieu du nez; d'autres, dévorées par des cancroïdes de la face, n'ont plus qu'une moitié de visage et, afin (pie le liquide ne ?*?:"' 74 LKS FOULKS DE LOURDKS fuie pas, en passant par le voile du palais perforé, un malheureux est obligé pour boire de se renverser la lôte et de se pincer le nez... Dans un autre coin, un homme, atteint d'une adénite, s'enfle d'une grosseur de la taille d'une citrouille, qui part de l'oreille et envahit le cou. Le crâne penche sous le poids et l'homme absorbe sa pitance, couché tout d'un côté... Mais, dans celte cour des Miracles, il y a pis.... un paysan, amené par le pèlerinage de Goutances, déjeune,seul, tel qu'un enfant puni, la figurecontre un mur ; il se retourne pour demanderdu pain...oh! Il lui pend d'un trou informe et limoneux, qui fut jadis une bouche, une langue énorme. La peau molle et violette, comme enduite de gomme, qui la recouvre, semblé morte, mais le dedans remue et vit. Les joues sont descendues avec leurs poils, mais le menton est où? comment peut-il avaler ? cl cependant il mAche sa viande, mais en cachette, car cette langue, pleine d'on ne sait quoi qui brandouille, dégoûte même les lupus! Ah ! Seigneur, tout de même, songez que vous avez revêtu, pour nous racheter, la livrée humaine et ne filt-cc qu'en souvenir de ce lamentable corps que vous avez sanctifié, en le prenant, ayez pitié de celui-ci, guérissez-le! Happclez-vousl'image de votre Sainte Face; elle était douloureuse, elle était sanglante, mais elle I.F.S FOULES DE LOUIIDKS 75 ne répugnait pas ! Sauvez la dignité môme de votre image, par un miracle, nettoyez cette face immonde, purifiez-la ! Il est effrayant, me dit l'aumônier ; et il me narre sa g(ïne} ce malin mêmeoCi il dut communier ce pauvre homme, car il ne savait dans quelle fissure de cet antre déposer l'hostie! Ce serait, reprend-il, un cancer d'une espèce spéciale; mais venez et il me conduit dansle champ des voituretles et m'arrête devant une toute petite. 11 sort du fond de la capote de cuir, un délicieux visage de fillette, d'une hlondiuc, aux traits délicats, à l'épiderme si mince que le réseau bleu des veines se voit dessous. Une demoiselle, assise sur un pliant, est là qui rit avec elle ; cette enfant ne soulfre pas, au moins ! — Ce qu'elle a? tenez, Monsieur. Et la demoiselle nous montre un corps qui n'en a jamais été un, car cette enfant est venue au monde rachitique et nouée; les jambes sont deux maigres ceps, enroulés l'un à l'autre, comme les branches d'un thyrse ; les bras sont des allumettes, les doigts sont en gélatine, on peut les retourner, dans tous les sens, ainsi qu'une peau de gant. Quant au reste du corps, c'est un minuscule paquet de chairs pâles et (i'sossées; comment peut-elle vivre, en étant bâtie de la sorte? Toujours est-il que si elle ne peut, ni marcher, 7(5 LKS l'OULKS DM LOUIIDËS ni bouger, clic végète trislenicnt, dans un hospice, où celle brave demoiselle esl allée la chercher pour remmener avec elle à Lourdes; el l'on seul l'affection profonde qu'elle a vouée à ecl orpheline qui, elle, ne la quille pas de l'oeil, qui s'inquiète, qui devient, tel qu'un pelit oiseau perdu, dès qu'elle s'éloigne. Il faut avouer que cet hôpital esl à la fois un enfer corporel cl un paradis d'Ame. Nulle part, je n'ai vu, avec des maux plus affreux, tant de charité, tanl de bonne grâce. Lourdes esl, au point de vue de la miséricorde humaine, une merveille ; l'on y constate mieux que partout ailleurs la mise en pratique des Evangiles et l'on y trouve des dévotes autres que celles qui surissent dans nos églises pour arranger leurs piètres affaires avec des statues à tire-lires de Sainls. Je ruminais ces pensées en franchissant la grille, lorsque je rencontre un brancardier que je connais; nous nous promenons ensemble dans la rue el faisons les cent pas devant les magasins de chapelets. Une équipe de pèlerins belges passe el mon ami me dil : — Les Belges sont les seuls qui soient admirablement organisés, ici ; ils ont, sous la rampe du Rosaire, installé un bureau de renseignements et une permanence de secours; les dossiers de leurs malades, munis de certificats de médecins, vérifiés de LES FOULES DE LOURDES // 1res près, sont les modèles du genre ; ils sont, en tant qu'administrateurs, parfaits, mais en tant qu'hommes, c'est autre chose. Ils forment, à Lourdes, une bande à part. Nous, quand on nous appelle pour donner un coup de main, nous y allons, sans nous préoccuper de savoir si le pèlerin qu'il s'agit de traîner ou de baigner, est français ou non. Eux pas; ils ne veulent assister que les Belges; leur compassion est patriotique et leur charité nationale. Il semble du reste que cet égoïsme et que ce besoin de bien-être qu'ils ont importés, depuis quelques années, à Lourdes, n'aient pas tourné à l'avantage de leurs malades, car, après avoir obtenu, au temps des premiers pèlerinages, de nombreux et de retentissants miracles, ils en obtiennent beaucoup moins maintenant. Jadis, ils venaient en troisième classe et ne quittaient pas les alités; 'aujourd'hui, ils ont construit un train médical composé de wagons de première, de sleeping-car, avec une chapelle pour célébrer la messe en route ; c'est le comble du confortable; puis, une fois débarqués ici et, leurs impotents casés, la moitié des infirmiers et des infirmières prend la poudre d'es- «rimpetle et part en excursion dans la montagne. Ils ont fail, en un mot, du pèlerinage une partie de plaisir; cl très certainement, là-haut, ces nouvelles moeurs ne plaisent point. 78 LES FOULES DE LOURDES — Mais, lui dis-je, il faut cependant tenir compte des intentions; en gens pratiques, les Belges ont voulu éviter la douloureuse horreur de ces trains d'agonisants trimballés, en de pénilenlielles voitures, d'un bout de la France à l'autre, de ces sinistres trains blancs si bien décrits par Emile Zola, cl ils ont voulu que leurs malades fussent mieux installés pour moins souffrir. Ce confort serait donc, si nous nous plaçons à ce point de vue, un acte de charité... — Peut-être, mais néanmoins les faits sont là ; renseignez-vous auprès des habitants de Lourdes. II n'pn est pas un qui ne soit frappé de la diminution des grâces infligée aux Belges depuis qu'ils ne voyagent plus pauvrement et délaissent leur poste au chevet des grabataires, pour aller, en bande, se divertir. V

V^P\t) x s'attache à certains malades que l'on ne i.uy^Ti^^ connaît pas plus qu'à d'autres que l'on Jfy»X^ù'Y ne connaît pas davantage, d'ailleurs; je me répète cette réflexion en allant faire, ce malin, ma visite à l'hôpital. Ces préférences ont des causes multiples, quasi inconscientes, pour la plupart. Certainement, la pitié s'émeut, plus forte, pour ceux que l'on voit le plus souitïir ou qui sont férus d'affections plus rebutantes; le souvenir de ceux-là vous hante, en elt'et, alors que tant d'autres infirmes, aux aspects moins imprévus, passent, sans qu'on y prête attention, en cet étonnant kaléidoscope de maux qui ne cesse de tourner dans cet hôpital où constamment des moribonds en remplacent d'autres. Il est bien évident aussi que l'on se sent, qu'on le veuille ou non, plus attiré vers une 80 LES FOULES DE LOURDES jeune fille impotente et jolie que vers une vieille, plus touché également par les tortures d'un enfant que parcelles d'un homme. Tout le monde, je crois, se mesure à ce môme étalon de sensibilité. Ajoutons encore que des sympathies que ne déterminent point, cette fois, l'avenance plus ou moins accentuée des traits, la différence des sexes, le degré plus ou moins pitoyable des douleurs subies, naissent pour les uns et pas pour les autres. L'on cause avec ces alitéslà, alors que l'on n'éprouve aucun désir d'interroger leurs voisins et dès lors une sorte dé lien s'établit avec eux et l'intérêt plus spécial qu'on leur porte s'explique; mais la raison même de cette sympathie reste, dans ce cas, obscure ; elle dérive d'une impulsion que l'on serait bien en peine d'analyser. Enfin il y a parfois aussi, dans cette préférence, la présence d'un tiers qui vous lient plus à coeur que le malade môme, mais qui vous le fait, par ricochet, 'aimer. Tel est, je pense, le cas de celte petite, aux pieds gangrenés, que je vais revoir ; certes, je ne suis pas indifférent au sort de celle enfantquiacnduré le plus épouvantable des martyres, maisje suis plusrequis, je le confesse, par l'héroïque dévouement de celle bonne vieille dame qui la soigne et qui est si contente que l'on vienne prendre des nouvelles de sa protégée. La petite va de mieux en mieux ; évidemment, ses pieds ne sonl pas ce qu'on pourrait ap- LUS FOULES DE LOURDES 81 peler de très jolis petons ; l'ont-ils jamais été d'ailleurs ? — mais ils ont maintenant la forme de pieds; ils s'éelaircissent, leur rouge sombre commence à se muer en rose. Malheureusement, elle va partir avec le pèlerinage qui l'amena et je ne saurai que l'année prochaine, en admettant qu'on la conduise encore à Lourdes, si elle est décisivement guérie. Quant à l'homme à la langue fluctueuse de Coulances, il a quitté l'hôpital dans le môme étal qu'il y était venu; de môme aussi pour la mauviette nichée dans sa minuscule voiture; elle ne s'est pas dénouée dansles piscines et la charitable demoiselle l'a remportée, heureuse tout de môme de lui avoir procuré ce voyage au grand air et celte diversion. Parmi les malades qui ont remplacé, dans les salles du rez-de-chaussée, ceux que l'on a réembarqués dans les trains, il y a, dans la salle des femmes, deux cas affreux. L'un est celui d'une malheureuse étendue, dans un cadre, dont on n'aperçoit qu'un bout de visage livide dans le creux, aux ailes rabattues, d'un oreiller ; elle est atteinte d'une luberculisatî'on générale et aiguë du système osseux et des poumons, le terrible mal de Poil, qui lui a déjeté la colonne vertébrale eteouvert les hanches de fistules suppurantes et d'abcès ; elle trempe dans un lac de pus. L'autre est celui d'une jeune moniale d'un couvent de Saint-Bricuc, qui gît dans un panier d'osier; elle est jolie et semble morte ; »->»vj'.«.*,~,^!«-*>. 82 LES FOULES DE LOURDES les joues sont d'une pâleur extraordinaire, les paupières sont closes, les lèvres ont le tpn de la pierre-ponce. Un prôtrc-brancardiercause avecune religieuse qui la garde ; il me môle à la conversation et m'apprend que soeur Juslinien a vingt-six ans, qu'après avoir été atteinte d'une pleurésie suivie d'hémoplysics, elle est, depuis un an, immobilisée par une coxalgie avec raideur articulaire et déformation du membre inférieur. Elle a la jambe enferméedansun appareil plâtré etson état d'épuisement est tel qu'on s'étonne qu'elle puisse encore vivre. Dans la salle des hommes, que je parcours, il y a des cancéreux au teint de paille, des poitrinaires aux yeux moirés, un vieillard dont le visage peint en bronze décèle le mal d'Addison, des paralytiques, des gens qui se traînent sur des béquilles; peu d'ulcères, visibles du moins, mais une sorte de lèpre qui boursoufle la face d'un homme dont la peau semble travaillée au repoussoir, dans un cuir grenu, couleur de lie de vin. Et je monte au premier; dans une des salles occupées par le pèlerinage de Bcllcy qui vient d'arriver et qui s'installe, les soeurs du Saint-Esprit s'empressent; elles portent le magnifique costume des religieuses de l'hôpital de Bcaune— elles appartiennent, en effet, au îrôme Ordre — la robe b^euc à vastes manches serrées au poignet et le hennin de toile blanche, le costume resté intact des mo- LES FOULES DE LOUIIDES 83 niales du xvc siècle. L'une d'elles console un enfant qui pleure, la jambe emprisonnée dans une gouttière de bois; celui-là est, comme la petite moniale du bas, tuberculeux et coxalgique; il a sur la jambe et sur les reins des éruptions d'abcès., La soeur me dit que le voyage fut pénible, non à cause de cet enfant, mais à cause de l'une de leurs poitrinaires qui a failli mourir en wagon, dans un crachement de sang: et elle ajoute que tout cela est oublié, qu'il va falloir maintenant ramener ses malades guéris ; et ce qu'elle l'espère, celle charmante vieille soeur avec son regard candide et son à peine de sourire, très doux ! Je la quille et me croise dans un couloir avec deux aveugles dont l'un a des yeux en laitance de poisson cuit et l'autre en croule de bondon gras et ils sont conduits parmi ophlhalmiquequi voit assez clair pour se guider mais dont les paupières retournées exsudent sans arrêt, le long des joues, de leurs liserés de jambon saignant, des traînées de larmes; et, en les contemplant, le souvenirme hante du tableau du vieux Brcughel où les j»« les UUonnanls et les apparences des diverses cécités sont si bien rendus. Je pénètre maintenant dans une autre salle; la, parmi les alilés amenés par les Hollandais, figure un vrai gnome, un petit garçon enfoui, tout habillé, sous une couverture, coiffé d'un clinpeau tyrolien de feutre vert. 84 LES FOULES DE LOURDES Il a une tête de bossu, blanche, comme échaudée, sans une expression, sans un pli ; il ressemble, étendu sur le dos, avec la gibbosité de sa poitrine qui bombe sous la couverture et ses membres grêles, à une grenouille. Il paraît insensible, plongé dans une sorte de coma. On me répond simplement, quand je demande quel mal a pu le réduire à un étal pareil : « il a la colonne vertébrale pourrie. » Quant aux autres invalides du même pèlerinage, entassés dans cette chambre, ce sont des incurables mais dont l'existence peut se prolonger, ce sont surtout des scrofuleux et des infirmes. Ça sent le pouacre, ça sent le fade; j'éprouve le besoin de changer d'air et, en sortant de l'hôpital, je me heurte sur un pèlerinage qui chante avec des voix poussiéreuses et traînantes: Chez nous, dans la Vienne, Nous vous aimons tous. O Marie, soyez Heine, Chez nous, chez nous ! Je n'ai pas de peine à reconnaître, en considérant la dégaîne lourde et musarde de ces hommes et de ces femmes et en écoulant l'air bébôlc et gnan-gnan de ce cantique, que ces pèlerins appartiennent à la race subalterne du Poitou. Je fuis, pour les éviter, par une autre route, et, LES FOULES DE LOURDES 85 chemin faisant, je me répète ce que chacun doit se dire, après qu'il a vu à l'hôpital le défile de tant de misères et de tant de maux : Seigneur, que vous êtes bon de nepasni'avoir infligédes maladiessemblables ! Il est bien certain qu'il faut venir à Lourdes, si l'on veut se rendre compte de ce que peut devenir la loqu3 décomposée de notre pauvre corps. Il n'est point de clinique qui présente un éventaire aussi varié de monstres. L'on se remémore les bêles fabuleuses du Moyen Age, mais que sontelles en comparaison de la tète de mort du lupus qui saigne et de la langue tuméfiée qui précède le paysan de Coulanccs? Je vais au bureau des constatations. Y verrai-je, après le désolant spectacle de l'hôpital, la joyeuse scène du miraculé jailli, régénéré, de la piscine? Ce bureau occupe, sous les arches de la rampe qui monte de l'esplanade à la basilique, un petit bâtiment éclairé par des fenêtres à vitres de couleur, solidement protégées contre la foule par des barreaux de fer et surmonté d'une statue en marbre de saint Luc. L'intérieur, plutôt obscur, tapissé du haut en bas de ses murs et sur son plafond en voûte, d'un cloisonnage de faux pitchpin, évoque l'idée d'une cabine de navire. Entre les deux fenêtres, du côté de l'esplanade, une grande table et une autre formant avec elle un angle ; cl, cloué sur le panneau entre ces 5. 86 M:S FOULES DR LOURDES croisées, un crucifix ; on face une cheminée sur la tablette de laquelle est posée une statue de la Notre-Dame de Lourdes ; à gauche, une porte donnant sur une autre petite salle qui sert aux examents médicaux ; à droite, des photographies de miraculés, dans un cadre, et en vis-à-visà la porte d'entrée, une autre qui s'ouvre, derrière la rampe, sur l'allée longeant le Gave ; des banquettes, quelques fauteuils, des chaises, des armoires qui renferment des dossiers et des registres cl c'est, je crois bien, tout. Devant la grande table, le Dr Boissarie est assis et, à sa gauche, devant l'autre table, se lient son adjoint, le Dr Cox. Lapremière impression que l'on éprouve, alors qu'on assiste à l'interrogatoire des malades, est que le Dr Boissarie est un juge d'instruction, mais un juge brusque et bon enfant, et qui retourne, en souriant, ses accusés sur le gril, et l'aimable DrCox fait alors l'effet du greffier qui, tout en écrivant, jette de temps en temps un coup d'oeil sur les inculpés dont il inscrit, s'il y a lieu, la réponse. La vérité est, n'en déplaise aux gens qui ne connaissent que par ouï-dire la clinique de Lourdes, que ces deux praticiens sont fort défiants et qu'ils ne retiennent, pourleurs annales, que bien peu des cas extraordinaires dontle défilé s'opèredevant eux. Alors que j'arrive, le Dr Boissarie me fait signe LFS FOUMCS l)F. LOUl'.DKS 87 de m'asseoir auprès de lui et il continue de causer placidement avec une jeune tille d'allure un peu bizarre, une paralytique qui déclare avoir été guérie, miraculeusement, ce malin, après un premier bain. Elle ne fait pas partie d'un pèlerinage, ne possède aucun certificat de médecin, rien qui renseigne sur ses antécédents; elle est d'ailleurs pleine de rélicences et se lait sur l'origine de son mal ; mais elle a affaire-à un homme patient qui l'incite à se contredire, qui lui dit

« Voyons, vous avez

dû suivre tel traitement, éprouver tel et tel symptôme, et peu à peu, il finit par lui extirper la vérité, par lui faire avouer qu'elle est sujette à des attaques et qu'il faut alors quatre hommes pour la tenir, et le docteur sourit, la congédie avec de bonnes paroles, et me dit : « C'est de la fausse monnaie. » Et d'autres passent, des améliorés, mais non des iTuih'is. — Voyons, marchez un peu sans vos béquilles. — Et l'homme essaie quelques pas dans la pièce et s'arrête, épuisé, alors qu'on lui tend une chaise. On lui demande alors combien de temps il doit rester à Lourdes et on l'invite à revenir, avant son départ, pour un dernier examen. Et ainsi de suite; l'on peut vraiment attester que le bureau des constatations ne pousse pas aux miracles, car toute affection qui peut provenir d'un détraquement du système nerveux est, de prime 88 LES FOULKS DK LOUIIDKS abord, écartée ; et quant aux autres, Ton ne se prononce réellement que quelques années après, alors que l'on a pu s'assurer que la guérison s'était maintenue. Malheureusement, ces habitudes de prudence ne sont pas celles de la presse ; elle prend justement le contre-pied de la clinique et, à propos de guérisonssurnaturelles qui n'en sont pas, donne raison à la critique obligée de ne se baser que sur des comptes-rendus forcément inexacts. A en croire les correspondants des journaux catholiques venus pour assister aux pèlerinages, les miracles foisonnent; c'est à qui en aura vu le plus. S'il en était ainsi, les inguéris seraient l'exception, et le vrai miraculé serait celui qui ne le serait pas ! — Connaissez-vous M"" Rouchel? me demande le Docteur Boissarie. — Non. — Eh bien, je vais vous la montrer tout à l'heure, car elle est présentement à Lourdes et je l'attends, ce matin ; et il me rappelle, en feuilletant un dossier, qu'on lui apporte, le miracle avéré, certain, celui-là, d'un lupus guéri instantanément et qui n'a jamais reparu depuis l'année 1903, pendant laquelle eut lieu la guérison. Je regarde le dossier avec lui; il est bourré de rapports, de certificats médicaux ; cette femme, avant de venir ici, avait été examinée par tous les docteurs de la Lorraine, traitée par tous les spécialistes des maladies de la peau ; tous les certificats LES FOULES DE LOUIlMS $0 concordent cl concluent à l'impossibilité de guérir un lupus arrivé à un état d'acuité pareille. Ce que l'on a tenté, pour entraver la marche de cet ulcère, est incroyable; on a saccagé la mâchoire de la malheureuse, en lui arrachant les dents ; on l'a cautérisée sans mesure et le lupus n'en a pas moins continué de la dévorer vive et de répandre une odeur si nauséabonde que personne n'osait plus la panser. La figure était devenue quelque chose d'effrayant. Le nez et la bouche confondus s'ouvraient en un rouge cratère d'où coulaient des filets de lave couleur de soufre; les joues étaient percées de deux trous de l'épaisseur d'un petit doigt et qu'il fallait boucher avec des tampons de ouate lorsque la pauvre femme s'apprêtait à manger ou à boire, de peur que les aliments et la boisson ne sortissent par ces ouvertures. Sa situation était devenue si atroce qu'elle avait résolu de se jeter dans la rivière. Un vicaire de l'église de Sainl-Maximin, à Metz, où elle résidait, l'abbé llamann, l'en empocha cl la fit admettre parmi les malades que le pèlerinage de celte ville expédiait à Lourdes. Arrivée devant la groltc, elle prie, puis baigne ce qui lui sert de visage, à la piscine. Le lendemain, elle recommence à s'imbiberla face avec une éponge et sans plus de succès; ce même jour, honteuse, se sentant un objet de dégoût pour tout le monde, à 90 l.KS FOULES D!ï I.OITIIDKS •t heures, au moment de la procession du saint Sacrement sur l'esplanade, elle ne veut pas se mettre sur les rangs des malades el elle se cache dans le Rosaire, vide, à ce moment-là, derrière le grand autel. Elle lisait, agenouillée, ses prières dans un livre de messe quand, la procession étant terminée, Mfc'r de Saint-Dié, qui avait tenu l'ostensoir rentre, pour le déposer dans le Rosaire. A ce moment, le bandeau qui lui voilait la figure se défait cl tombe sur son livre qu'il macule de sang et de pus. Elle le rattache solidement, a l'aide d'un double noeud et, intimidée par la foule qui rentre à la suite de l'évoque, dans l'église, elle s'échappe et s'en va à la fontaine pour y prendre un peu d'eau. Elle était penchée sur le robinet, lorsque le bandeau se détache encore; un peu surprise, car elle était certaine de l'avoir très fermement noué, elle le rajuste et retourne à l'hôpital où elle se plaint qu'il ne tienne pas et demande qu'on le lui applique avec plus de soin. On l'enlève et les deux personnes qui l'ont ôté poussent un cri : Vous êtes guérie! — Elle n'y croyait pas; il fallut qu'elle se vît dan.s une glace pour se convaincre qu'en effet le lupus avait disparu, comme par un coup de baguette, en une seconde. Le visage s'était réparé, le nez s'était restauré tant bien que mal, les trous des joues et du palais ouverts étaient bouchés ; les chairs s'étaient reconstituées d'elles-mêmes, spontanément. LKS FOUUS |)K hOUUDES 91 Et, tandis que nous nous entretenons de ce phénomène inouï, la bonne femme arrive et salue, en riant, le docteur; elle peut avoir ÎJ4 ans; elle est crosse, marche pesamment, a l'air tout à la fois d'une paysanne et d'une loueuse de chaises, dans une église. Je regarde la figure, elle est celle de quelqu'un qui se serait autrefois brûlé; elle est mûchurée de rose et veinée de blanc; les traces des cicatrices sont apparentes. Cette femme est évidemment laide, mais d'une laideur qui ne répugne pas. Et pendant que les médecins qui se trouvent dans le bureau l'examinent, je cause avec le docteur Boissarie de cet autre cas de lupus dont Zola a vu la guérison, à Lourdes, celui de MUe Marie Lemarchand, de Cacn, devenue, sousle nom d'Elise Rouquet, l'un des personnages de son livre. La guérison qui eut lieu, le 20 août 1882, fut ainsi que celle de MmcRouchel, qu'elle précéda, instantanée. Mais, elle, se sentit guérir. A peine se fut-elle lotionnéc dans la piscine qu'elle éprouva d'atroces douleurs, puis eut l'immédiate certitude qu'elle était guérie; et elle l'était, en effet; un médecin, le Dr d'Hombrcs, qui se tenait là et qui l'avait remarquée, tandis qu'elle lavait l'horrible bouillie de sa face, et qui l'examina aussitôt après sa sortie delà piscine, a très nettement déclaré ceci: « Au lieu de la plaie hideuse, je vis une surface sèche, 92 LES FOULES DE LOURDES comme recouverte d'un épidémie de nouvelle formalion. » Zola n'a pas voulu avouer cette spontanéité qu'il avait constatée pourtant; il a préféré raconter q je l'aspect du visage s'améliorait, peu à peu, que la cure s'opérait indolemment; il a inventé des étapes et des gradations pour ne pas être obligé de confesser que celte renaissance soudaine d'une figure détruite était en dehors des lois de la nature humaine; c'eut été l'aveu du miracle. La question est, en effet, là. Que le lupus, si rebelle à tous les genres de médications, puisse néanmoins disparaître à la longue, c'est très possible; mais ni les anciennes méthodes, ni la nouvelle thérapeutique des rayonsinvisibles ou des rayonslumineux n'ont fait et ne feront qu'il s'envole, qu'il s'évapore, par enchantement, en un clin d'oeil. La nature ne peut fermer une plaie en une seconde, les chairs ne peuvent se restaurer en une minute. Ce qui constitue l'élément du miracle, en pareil cas, c'est moins la guérison que sa promptitude, que son instantanéité. L'histoire de Marie Lemarchand, telle que l'a relatée Zola, est donc résolument inexacte ; préoccupé de fournir des arguments aux adversaires du surnaturel, il insinua, dans son volume, en sus de la lenteur mensongère de la cure, que ce lupus pouvait bien être un faux lupus, d'origine nerveuse. LKS ÏOUI-KS T)K LOUIMES 93 Et après ? en l'admettant, en quoi la question seraiUelle changée? Il n'en resterait pas moins le point principal, la réfection subite des cellules et des tissus. Un ébranlement nerveux n'a pas, je présume, le pouvoir de faire repousser sur le champ des chairs ; alors?— mais la vérité est autre—l'origine du lupus de Marie Lemarchand est parfaitement connue; elle a été certifiée par les médecins, garantie par l'état même de la malade qui était atteinte de la phtisie lorsqu'elle vint à Lourdes. Son lupus était, ainsi que la plupart des lupus, d'origine tuberculeuse. Ajoutons que les tubercules des poumons sont partis en même temps que les ulcères de la face ; la Vierge a fait d'une pierre deux coups. Douze ans se sont écoulés, et ni Tune ni l'autre de ces affections ne sont revenues; l'on peut donc affirmer que Ml,e Marie Lemarchand est une miraculée vraiment guérie. Et je songe maintenant aux cas semblables et cependant différents de ces deux femmes. Mmc Rouchcl n'a éprouvé aucune commotion, n'a senti aucun de ces souffles chauds ou froids qui sont si souvent les signes avant-coureurs des guérisons, à Lourdes; elle a été guérie, sans souffrir, sans s'en apercevoir, hors des suppliques des foules et des piscines, seule, dans un coin. M"e Lemarchand, elle, a souffert atrocement dans la piscine et s'est très bien senti guérir ; et elle n'a pas gardé, comme Mra0 Rou- 94 LES FOULES DE I.OUItDES chel, Iracc tics cicatrices de ses plaies; ni coutures blanches, ni plaques roses ; sa figure esl redevenue ainsi qu'elle était, auparavant. Je suis tiré de mes réflexions par le bruit des conversations qui se croisent dans la salle ; elle s'est, peu à peu, remplie; des médecins, des prêtres, des curieux se pressent; le secrétaire de l'Kvêque de Tarbes, Paflable P. Eckert, entre, en quête de renseignements pour le Journal de la Grotte qu'il dirige et il s'installe près du Dr Cox ; et la porte s'ouvre encore et une jeune fille, accompagnée de deux dames, demande à être examinée. On s'enquiert de son nom. Virginie Durand, Agée de 19 ans, demeurant à Saint-Michel Chef-Chef, dans la Loire-Inférieure ; elle raconte qu'elle était poitrinaire et qu'elle a été guérie, l'année dernière. Le Dr Cox se lève, va chercher les dossiers et les registres, découvre, en cIVet, le nom, et donne, à haute voix, lecture des pièces. 11 en résulte que Virginie Durand est venue, avec le pèlerinage nantais, l'an dernier

elle a présenté un certificat médical constatant qu'elle était atteinte de tuberculose des poumons; les crachats avaient été analysés, la nature du mal ne pouvait faire de doute. Elle avait eu de nombreuses hémoplysies et elle était tombée dans un tel étal d'affaiblissement qu'elle était incapable de se tenir debout. Dans le bain où elle fut plongée, elle endura des 1.KS FOULES DR J.OlillDKS 91) douleurs épouvantables et faillit passer dans une crise de suffocation; puis avant même que d'être retirée de l'eau, elle sentit un bien-être indicible qui succédait à ses tortures; et elle put s'habiller, seule, aller sans aide à la grotte, mander de bon appétit et dormir. On l'a auscultée, le jour même, et l'on n'a plus trouvé trace des lésions. — Avez-vous un nouveau certificat de votre médecin? demande le Dr Jîoissarie; elle entend un, relatant qu'elle n'a jamais été souffrante, depuisson retour dans son pays et qu'elle a engraissé de 21 livres. — Voulez-vous examiner Mademoiselle? propose le docteur à plusieurs médecins qui tournent autour de l'ancienne malade; deux acceptent qui l'auscultent, dans la salle voisine et déclarent, en rentrant, que les poumons ne présentent rien d'anormal. Le Dr Cox rajoute au dossier le nouveau certificat, prend note de la consultation et, l'an prochain, quand cette jeune fille sera de nouveau de séjour à Lourdes, on l'examinera, afin de s'assurer si sa guérison s'est encore maintenue. II y en a qui, depuis quinze ans, viennent ainsi, en action de grâces, à la grotte et se rendent à la clinique, si bien que l'on suit, année par année, l'état de leur santé ; ce sont de vraies archives de familles, que ces archives de Lourdes! 96 LES FOULES DE LOURDES — Ah! Messieurs, s'exclame toul à coup le Dr Boissarie, voici un cas intéressant et que nous avons étudié de près, il y a quelquesjours ; entrez, mon enfant, entrez, asseyez-vous là. Et debout, dans le silence subit de la pièce, il dit, en désignant une jeune fille, installée dans un fauteuil : M"° Rosalie. Monnier, que voici, fait partie du pèlerinage diocésain de Belley; elle habite le village de Guet où est né le Bienheureux Chanel, un père niariste, qui fut, vous le savez, martyrisé en 1840, dans l'Océanic. Sa mémoire est l'objet d'un culte fervent dans ce village; ces détails ne sont pas, vous le verrez tout à l'heure, inutiles. Ml,e Monnier appartient à une famille de cultivateurs qui eurentsix enfants dont deux sont morts de la poitrine; elle, a été prise, dès l'âge de quinze ans, d'une maladie de langueur, sans cause bien définie et qui a arrêté son développement et s'est compliquée, il y a déjà près de dix-neuf années, d'un état de dyspepsie tel qu'elle fut obligée de ne prendre que du lait et, à doses insuffisantes pour s'alimenter; encore devait-elle, pour ne paslevomir, l'absorber à l'aide d'un tube de caoutchouc. Les médecins dont nouj^avons ici les certificats ont renoncé à la traiter

elle gardait la chambre, ne pouvait supporter ni lumière ni bruit, et il y a quelque temps elle est devenue, par suite d'inani- I.KS FOUI.KS l>i: J.OUIlliES 97 lion, tellement faible que l'on a cru qu'elle allait mourir et qu'on l'a administrée. Mais elle avait la dévotion de son pays, la dévotion du Bienheureux Chanel ; abandonnée par la science qui se déclarait inapte même à la soulager, elle se remit entre ses mains et, après l'avoir ardemment invoqué, elle eut l'intuition subite qu'il obtiendrait sa guérison de la Vierge, si elle se rendait à Lourdes. Elle partit le G septembre, et ce long voyage de vingt-six heures fut des plus pénibles; elle vomit jusqu'à Lyon, arriva à jeun le lendemain soir à Lourdes où elle fut placée à l'hôpital de Notre-Dame des Sept-Douleurs. Le 8, dès le matin, elle se traîna jusqu'à la chapelle de cet établissement, pria le Bienheureux et fut portée à la grotte où elle reçut la sainte communion. Aussitôt, il lui sembla qu'on lui écarlelait l'estomac,— qu'on le lui ouvrait, selon son expression, comme un livre — et depuis ce moment, elle ne souffre plus, mange avec appétit ce qu'on lui sert. Elle est encore un peu pâlotte, maisla reprise se fait depuis quelques jours, chez elle, à vue d'oeil. J'ai cru devoir signaler à MM. les ecclésiastiques, ici présents, parce qu'elle peut intéresser la canoirsation du Bienheureux qui est actuellement soumise à la Congrégation des Rites, à Rome, l'intervention de ce martyr, auprès de la Vierge, pour celte guérison. X\'v1>- J\ 1)8 I,ES FOULES DE LOUIIDKS J'ajoute, du reste, que deux fois déjà nous avons pu constater son rôle de médiateur auprès de l'Immaculée Conception de Lourdes ; une fois, à propos de l'un de ses compatriotes, Vion-Dury, un aveugle incurable qui, après lui avoir fait une neuvaine, se bassina les yeux avec de l'eau de la source et recouvra immédiatement la vue ; une autre fois, à propos d'une femme du pèlerinage de Bellcy qui l'implora dans la chapelle de l'hôpital de Notre-Dame et fut guérie, le même jour, après avoir communié à la grotte. En ce qui concerne la maladie même de Ml,e Monnier, j'appelle l'attention de mes confrères sur les conditions dans lesquelles cette cure s'est opérée. Celte jeune fille, malade depuis dix-neuf ans, pouvait-elle guérir par les seuls efforts de la nature? oui, évidemment; au point de vue théorique, il est permis de le soutenir, mais pas cependant dans l'espace d'une minute, pendant le temps d'une communion ; car de môme que la nature ne peut cicatriser une plaie en une seconde, de môme elle ne peut refaire soudainement une économie minée par dix-neuf années d'inanition. Cette instantanéité dans les résultats doit surtout vous arrêter, car il n'est pas, vous le savez, en notre pouvoir de supprimer la convalescence et de passer sans transition de la maladie grave à la santé. Je pense, à part moi, que cette guérison —si tant I-KS KOULI'S DK LOURDES 09 est qu'elle persiste — s'est effectuée sans bain, sans verre d'eau, saus foule, sans cris,-sans bénédiction du Saint-Sacrement, après une simple communion, ce qui prouve combien toutes les hypothèses qui attribuent les cures de Lourdes au saisissement causé par l'eau froide et à la suggestion des bruyantes multitudes sont fausses. Ce qu'en tout cas l'on guérit, si l'on doit guérir, d'une façon variée à Lourdes !

VI Çijr^té* laideur de loul ce que l'on voit, ici, /^l\r^ ^ml lîar n ^lrc l)as nalurc^cj car elle est

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en dehors des étiages connus; l'homme seul, sans une suggestion, issue des gémonies de l'au-delà, ne parviendrait pas à déshonorer Dieu de la sorte ; c'est, à Lourdes, une telle pléthore de bassesse, une telle hémorragie de mauvais goiH, que, forcément, l'idée d'une intervention du TrèsBas s'impose. Je laisse de côté la basilique qui grelotte, maigre comme une perche, sous son chapeau de pierrot, dans son mince vêtement de pierre, sur le plat humide de son roc, mais que dire du Rosaire, de ce cirque hydropique dont le ventre rebondi bombe sous ses pieds? comment définir celle bAtisse dont la forme intérieure rappellerait vaguement celle (i 10:2 LES FOULES DE LOURDES d'un as de trèfle, avec cinq autels disposés dans la circonférence de chacune de ses feuilles? On voudrait savoir de quel style cela procède, car il y a de tout là-dedans, du byzantin et du roman, du style d'hippodrome et de casino; mais il y a surtout, à bien regarder de près, du dépôt de machines, de la rotonde de locomotives; il ne manque que les rails et la plaque tournante au milieu, à la place du grand autel, pour permettre aux machines de sortir des coulisses et d'évoluer sur les voies de l'esplanade, en sifflant au disque. Et celle rolonde qui devrait être enfumée par la vapeur des charbons, encrassée par la poix des suies, elle est d'un blanc de piAire neuf; on a commencé par la parer comme une salle de théâtre, mais le décor est inachevé; partout cependant des ornements de faux or, des torchères électriques, lourdes et tortillées, d'une insolence de luxe atroce; des colonnes qui ne sont que des pans de murs nains et carrés, revêtus à mi-corps de plaques de marbre, couleur de rillettes et dont les inscriptions des ex-voto, creusées en lettres d'or, se voient heureusement, à peine; en fait de chapiteaux, audessus de ces piliers trapus, les versets des litanies courent, sculptés dans des feuillages, el, moulant, pour atteindre, en s'incurvant, un dôme badigeonné au laitdechaux, troué d'oeillères garnies de Dieu sait quelles vitres! des colonnctles s'effilent LES FOULES DE LOURDES 103 cl, au bout de leurs tiges, fleurissent des plumeaux ou plus exactement des diadèmes de sauvages en plumes ; ça, c'est de l'exotique d'opéra, de l'alhambra de province. Dans l'incohérence de cet ensemble, imaginez maintenant le boniment électrique de centaines d'ampoules, allumées, le soir, et dont les lueurs fracassantes se répercutent dans les ors elles marbres des murs et vous pourrez vous croire partout où vous voudrez,saufdans uneéglise. Cette nef ou cette crypte — on hésite à qualifier d'un nom ces salles biscornues — sont évidemment le produit de l'imagination d'un brelandier en veine de gain et d'un bedeau en délire; mais il y a pis, ce constructeur de casino religieux a du génie, si on le compare aux peintres. L'on a cru devoir, en effet, commander pour les niches a autels d'immenses peintures, traduites, pour que ce fut plus somptueux et que cela coûtât plus cher, en des mosaïques que façonnèrent des fabricants de pilles de couleur, en Italie. El cela dépasse tout ce que l'on pourrait réver. L'art, même dans ses plus basses déchéances, n'a plus rien à voir, ici; ce n'est même pas mauvais, car enfin, en art, le mauvais existe ; on peut l'expliquer, le définir ; la discussion qu'il suscite implique la reconnaissance pcul-êlre d'un elïort, d'une impuissance, en tout cas, ou d'une erreur; mais ces murs cimentés de cailloux lassés dons un fond cre- 104 LES FOULES DE LOURDES vassé d'or et qui reproduisent de vagues fresques que signèrent de pauvres inconscients, ne peuvent susciter que l'idée d'une impéiïlic sans égale et d'un néant; ce n'est même pas cocasse, ce n'est môme pas fou, c'est puéril et c'est ganache ; ça vacarme et ça radote. Devant cette Nativité, cette Annonciation, ce Jardin des Olives, cette Flagellation ; les bras vous tombent ; le dernier élève de l'Ecole des Beaux-Arts ferait mieux. Il ne s'agit pas, en effet, de talent, mais d'abécédaire et de rudiments et ici, c'est l'ignorance du métier, aggravée par le sentimentalisme bébète de l'ouvrier de cercle catholique qui a bu un coup ! Aussi, va-l-on se réfugier devant le seul panneau qui ait été confié, par distraction, sans doute, à un peintre, médiocre, je le veux bien, mais enfin à un peintre. Celui-là sait au moins et dessiner et peindre; l'on peut discuter l'art d'affiche et de chromo de M. Maxencc, juger que son « Ascension » réduite, deviendrait une parfaite étiquette pour les boîtes à dragées d'un confiseur, mais enfin son art paraît réel si on le rapproche des vétustés enfantines des trois autres. El la même réflexion vous vient devant une Vierge de Maniglier, sculptée dans le tympan, audessus de la porte, tenant un enfant qui remet à saint Dominique, agenouillé, un rosaire dont les grains étaient jadis simulés par de petites ampoules LES FOUI.KS DE LOURDES 105 électriques qu'on allumait le soir! on la jugerait, clans une exposition de Paris, courte et savonneuse, sans aucun caractère religieux, mais ici, elle fulgure, admirable, en face des infernales fantaisies de la maison Raffl. Quel évoque atteint d'ablepsie, quels églisiers, agités par des forces mauvaises «ont commandé et accepté de telles choses? El ils ont commandé et ils ont accepté pis encore. Sans parler de la Vierge en fonte peinte de l'esplanade, auréolée d'un cercle d'amandes électriques et dont la tète de raie, aux yeux laiteux et aux joues livides, est celle d'une démente évadée d'un asile, il faut, si l'on veut voir jusqu'où peut atteindre l'acuité du laid, grimper les lacets du coteau des Espélugues où l'on a commencé à planter un chemin de croix. Une station y est posée sur un tertre, entouré d'arbres. Ici, les invectives défaillent. Imaginez des statues détachées d'un chemin de croix de la rue Bonaparte ou de la rue Sainl-Sulpice, devenues deux fois plus grandes que nature, et campées en plein air et se découpant sur le ciel, en plein jour. Au centre est assis un bonhomme dont la face glabre serait celle d'un fond de culotte si elle n'avait deux yeux et, autour de cette poupée de taille démesurée, des comparses aux traits fades et secs, aux gestes pétrifiés, cernent une statue, debout, G. 106 LES FOULES DE LOUltDES vêtue d'une robe blanche, avançant le visage régulier de la sydonie masculine, de l'une de ces sydonies à teintures, représentée dans des tableaux d'annonces, avec une barbe blanche d'un côté et noire de l'autre. —Cela représente Noire-Seigneur devant Pilate ! — Figurez-vous encore, pour animer le champ immobile de ces fantoches morts, des paysannes vivantes et ahuries qui, ne voyant tout d'abord que le Pilate assis, bien en évidence, hors des groupes, le prennent de bonne foi pour le Christ, vont à lui, l'embrassent et lui font loucher leurs chapelets. Et vous aurez un vague aperçu de cette odieuse mascarade des Ecritures! Celte station du Calvaire est la seule qui, actuellement existe. Un brave curé me racontait que l'argent manquait pour édifier les autres et il paraissait croire que l'on réunirait difficilement la somme nécessaire pour commander la suite de ces stupres divins à Rafll. Qu'il se rassure ! Je ne connaîtrais pas mes catholiques si je doutais, une seconde, qu'ils ne fussent prêts à se laisser héroïquement dépouiller pour la joie de parfaire une telle oeuvre ! Evidemment, en aucun endroit, en aucun pays, en aucun temps, l'on n'a osé exhiber d'aussi sacrilèges horreurs et si Ton songe qu'elles oui été façonnées exprès pour Lourdes, fabriquées exprès LES FOULES DE LOURDES 107 pour Noire-Daine, l'on en vient à tirer d'un pareil spectacle, un enseignement. A n'en pas douter, de tels attentats ne peuvent être attribués qu'à des facéties vindicatives du démon. C'est sa vengeance contre Celle qu'il abhorre et on l'entend très bien lui dire : Je vous suis à la piste et partout où vo.us vous arrêterez, moi je m'établirai ; vous ne serez jamais débarrassée de ma présence ; vous pourrez avoir à Lourdes toutes les prières qui vous plairont, vous pourrez vous croire revenue aux beaux temps du Moyen Age ; les foules afflueront auprès de vous ; les hourras des miracles, les Magnificat des guérisons, les roulements ininterrompus des rosaires, vous encenseront comme nulle part ailleurs, c'est possible; en un siècle que je malaxe et pervertis à ma guise, vous découvrirez peut-être même de la sainteté dans les àmeséparses à vos pieds, c'est encore possible; mais l'art, qui est la seule chose propre sur la terre après la sainteté, non seulement vous ne l'aurez pas, mais encore je m'y prendrai de telle sorte que je vous ferai insulter sans répit par le blasphème continu de la Laideur; et j'obnubilerai à un tel point l'entendement de vos évêques, de vos prêtres et de vos iidèles, qu'ils n'auront même pas la pensée d'écarter de vos lèvres le calice permanent de mes injures! Tout ce qui vous représentera, Vous et votre Fils, sera grotesque; 108 LES FOULES DE LOURDES lout ce qui figurera vos anges et vos saints sera bas. Vous constaterez aussi que je n'ai rien omis ; j'ai môme songé aux objets du culte, à ceux qui louchent surtout à la chair môme du Christ; je me suis spécialement occupé des monslranccs et des ciboires et j'ai voulu qu'ils fussent d'un goût somptueux, atroce. L'abomination singulière pourtant de la bijouterie religieuse de l'Europe ne m'a pas suffi ; vous y étiez habituée peut-être ; j'ai trouvé mieux ; j'ai requis les raslas de l'Amérique du Sud et ils m'ont compris. Je suis vraiment satisfait des articles effrayants qu'ils vous offrirent. Ah ! les pièces de votre trésor de Lourdes, ce que je les ai, moimême, une à une, choisies ! Et ces paroles s'attestent d'une déconcertante vérité, quand on considère l'esthétique de Lourdes ! L'art est, en effet, un don particulier que l'homme emploie à sa guise, bien ou mal, mais qui n'en garde pas moins, si profane qu'il soit, le caractère divin d'un don. 11 est, sous des apparences variées qui atteignent l'âme cl affectent les sens, la reproduction du Beau unique cl multiforme comme la divinité même qu'il représente un peu, dans son faible miroir, car le lîeau infini, inaccessible à l'être déchu, est identique à Dieu même. Et Lamennais qui se sert de termes à peu près semblables pour définir l'art, conclut

«

Le lîeau, LKS FOULES DR LOURDES 109 tel que l'homme peut le reproduire clans son oeuvre, a une nécessaire relation avec Dieu. » Or, s'il en est ainsi, le contraire est également exact, cl le Laid est, lui aussi, en une nécessaire relation avec le démon ; il en est le reflet, comme le Jîeau est le reflet de Dieu. Il est donc évident que l'on attribue à Satan ce qui est dû au Christ, lorsque l'on portraiture Jésus et la Vierge en d'immondes images; l'on fait, dans tous les cas, son jeu; l'on pratique, en quelque sorte, un acte de magie noire, en rendant hommage au Maudit lorsque, renversant les rôles, transformant en effigies infernales les effigies divines, l'on dispose, pour sa joie, les ridicules personnages usités dans nos chemins de croix. La laideur, l'atechnic, l'inart, dès qu'ils s'appliquent à Jésus, deviennent fatalement, pour l'homme qui les commet, un sacrilège. La plupart des catholiques, heureusement pour eux, ne savent ce qu'ils font, car l'Esprit du mal use de prémotion cl ne révèle pas a ceux qu'il incite ses desseins. Il se borne a utiliser la vilenie de la nature humaine et son peu de foi ; il agit, par l'intermédiaire des curés des campagnes cl des villes qu'il aveugle et dont il accroît la vulgarité native du goût; il s'installe à demeure, pour les servir, dans les officines du quartier Saint-Sulpiee et là, il inspire ces tenanciers de la prostitution divine et MO LKS .FOULES DU LOURDES organise, avec leur concours, le carnaval de la Jérusalem céleste, la chienlit du ciel. Ah ! si l'on exorcisait ces ateliers de bondicusarderies, ce qu'il en sortirait des larves ! Le résultat le plus clair de cet état de choses est que tout individu qui fabrique, que tout individu qui vend, que tout individu qui achète des produits de ce genre est un possédé inconscient. Les prêtres devraient y réfléchir et songer aussi combien l'élément juif domine maintenant parmi les débitants d'objets de piété. Convertis ou non, il semble bien qu'en sus de la passion du gain, ces négociants éprouvent l'involontairebesoin de retrahir le Messie, en le vendant sous des aspects soufflés par le démon. . L'argument qu'invoquent certains catholiques plus compréhensifs que les autres, pour excuser celle outrance de la laideur qui sévit à Lourdes, est vraiment débile. Ils feignent de croire qu'elle est indispensable pour plaire au peuple cl attirer les foules. D'abord, il n'a jamais été démontré que le peuple ainnU le laid de préférence au beau; il ignore ce qu'est l'un cl ce qu'est l'autre et voilà tout; il s'enthousiasmerait aussi bien pour une belle oeuvre, si on la lui montrait, que pour une laide; mais en fait de nutriment et de breuvage artistiques, on ne lui sert, sous couvert de religion, que de la ratatouille de cantine cl de la ripopée! LES FOULES DE LOUlibES 11 I Et puis, csl-ce qu'au Moyen Age les cathédrales n'ont pas été construites pour lui ; est-ce que les statues, les tapisseries, les retables, toutes les oeuvres magnifiques qui parent maintenant nos musées, n'ont pas été créées pour rehausser, à ses yeux, le prestige de l'Eglise et l'aider à prier? Il les admirait de bonne foi cl il comprenait très bien que celle splendeur était, par elle-même, un hommage rendu à Dieu et une supplique. Sans doute, son niveau a baissé depuis... il ne sait plusj.. mais à qui la faute, sinon au clergé qui avait charge de l'instruire et qui l'a, par son ignorance et son dédain de toute esthétique, ramené à son état primitif d'indifférence. Lourdes est donc le parangon de la turpitude ecclésiale de l'art et il est, dans son genre, unique; et pour que rien ne manque à l'oeuvre scélérate que le Malin y joue, les soirs de grande fêle, on illumine la façade et le clocher de la basilique, avec des ampoules électriques tricolores et l'on dessine en trails de feu la tourte du Rosaire qui ressemble alors à une rotonde en pain d'épices, anisée de grains roses. 11 ne resterait, en l'ail de divertissements pour voyous, qu'à tirer un feu d'artifices sur la montagne du chemin de croix et peu s'en esl fallu que celte dernière avanie ne fui commise. Un soulanier, venu de je ne sais quelle province, y avait si bien songé Il 2 LES FOULES DE LOURDES que l'on eut toutes les peines du monde à l'empêchcr d'en allumer un. 11 n'en est pas moins vrai que, même sans fusées et sans bombes, les fêles liturgiques de Lourdes ressemblent aux fêtes civiques du 14 juillet; n'y ai-je pas entendu des fanfares de cuivre et des Ave Maria soufflés dans des pistons et des trombones ? Je crois avoir, ce soir-là, souffert. Ce pays où triomphe l'odieux spectacle de celle bravade de la beauté divine est, d'ailleurs devenu, depuis que la Vierge s'y fixa, une sorte de camp, sillonné par les grands gardes du démon. A vrai dire, celle grotte de Massabicille lui appartenait, car c'était un lieu désert et mal famé où personne ne s'aventurait. Ses seuls hôtes étaient deux espèces d'animaux qui faisaient, l'un et l'autre, partie du bestiaire infernal au Moyen Age : les serpents qui gîtaient dans ses crevasses et les pourceaux qui s'y abritaient, alors que Paul Leyrisse, le porcher du village, les menait paître sur les rives du Gave. Marie balaya celle fange vivante en se montrant; mais pour salir à nouveau celle grotte, Satan la fit, pendant la période même des apparitions, souiller la nuit par des ébats de couples; « on a fait des sottises à la grotte », disaient les paysans qui n'ignoraient pas ces scandales; puis il s'attaqua à Bernadette même, en extase, qui entendit derrière elle, LES FOULES DE LOURDES II3 sortant du Gave, des hurlements sauvages et des cris furieux lui ordonnant de se sauver; enfin, il tenta d'amoindrir les révélations de l'enfant en suscitant des visions plus ou moins bizarres à un groupe de possédées dont les divagations essayèrent de troubler la confiance des habitants. Mais bientôt le bon sens revint et Bernadette fut écoutée ; alors il changea de tactique et il attisa la passion du gain chez ces carriers qui se transformèrent en hôteliers, eu marchands de chapelets et de cierges et dévalisèrent, à qui mieux mieux, les pèlerins. Et, après l'argent, ce fut la chair. Bientôt les moeurs de ces montagnards qui étaient honnêtes, lorsqu'ils étaient pauvres, se dévergondèrent; puis ce fut l'indécent appoint des étrangers; des liaisons impossibles dans des petites villes où chacun s'observe purent s'épanouir dans la promiscuité de ces immenses foules où l'on passe inaperçu; ce fut, dans le hourvari des grands pèlerinages, la facilité des rencontres, l'impunité absolue des rendezvous... Satan put se réjouir — mais il n'obtenait, en somme, que des péchés communs, que des fautes inhérentes à la misère humaine ; il ne produisait que des oublis momentanés, que des offenses passagères que la pénitence elface. Il voulut davantage, rêva de forfaits plus pro7 114 LES FOUI.KS DK I.OUIIDKS fonds et plus tenaces et c'est alors qu'il manoeuvra, sous le manteau de la piété, et qu'il instaura le blasphème permanent, en implantant la laideursacrilège à Lourdes. Et c'est par cet atroce moyen — qu'il faut divulguer à la fin, pourtant — que le vieux serpent nargue Celle qui lui écrase la tète et la mord quand même au talon! Vil Çffîlté. A vi"c est devenue, depuis quelquesjours, £e\fé& inliabilable. Le chiffre du pèlerinage na- ^P5?f&\ tional esl dépassé. Plus de 45.000 pèlerins bivaquent dans un bourg de 9.000 âmes; et pourtant les trains ont pompé la Bretagne, le Berri, la Bourgogne, le Forez et le Rouerguc, mais d'autres ont refoulé dans la cuve toujours pleine de nouveaux milliers de voyageurs venus de tous les points du territoire et de nombreuses caravanes de l'étranger s'annoncent. Où loge-t-on ? il n'est plus un taudis où Ton ne couche, en rangs de sardines pressées, sur des paillasses; pas de greniers ou de combles où des gens ne s'entassent; les habitants ont loué jusqu'aux celliers, jusqu'aux caves; Ton a réquisitionné dans les environs jusqu'aux hangars, et des débarqués 16 LES FOULKS 1>K J.OUHDKS crrenl, une valise à la main, en quête d'un gîte. 11 va falloir organiser des trains spéciaux qui emmèneront coucher, le soir, dans les stations voisines, des pèlerins qu'ils ramèneront, dès l'aube du lendemain, à Lourdes. Inutile de dire que les abris de la rampe du Rosaire sont pleins. Ce malin, quand, j'y arrive, c'est, en pénétrant dans les immenses salles, une touffeur si cuisante, si acre que je recule. Partout, sur le sol, des matelas, des femmes qui dorment tout habillées, un mouchoir sur la figure; d'autres qui ^se rechaussent; d'autres encore qui bâillent, les jeux bouffis et s'étirent sur le séant ; des enfants courent et se poursuivent; une petite fille pleure; et, au dehors, des hommes se débarbouillent avec un peu d'eau puisée dans le creux de la main et se secouent. On se croirait dans un campement de saltimbanques,dans un douar de bohémiens. Il en est de môme au Rosaire qu'on essaie d'aérer en laissant ouvertes les portes; des centaines de personnes y ont passé la nuit sur des bancs, tenues éveillées par les fouets de lumière électrique, par les chants, jusqu'à minuit; et, à cette heure, elles ont succombé à la fatigue quand tout s'est lu et que les messes ont commencé. Les sacristains sont sur les dénis. Us ont déjà fourni le vin, les hosties, le linge pour plus de mille messes qui se sont débitées dans le Rosaire, cède nuit, et qui vont continuermaintenant LES FOULES DE LOURDES 117 jusqu'à deux heures du jour. On les célèbre partout, sur des autels improvisés de planches ; il y en a en haut jusque dans la galerie des grandes orgues; et les prêtres s'assistent les uns les autres, et l'aide nettoie, après la communion, le calice, à la place de l'officiant pour que le sacrifice finisse plus vite et qu'il puisse à son tour, et sans tarder, être servi. Et il en est ainsi dans la basilique, dans la crypte, dans l'église du village, dans les couvents, partout où l'on a pu dresser des simulacres d'autels ; c'est un moulinet de messes-express qui n'est pas sans m'inquiéter un peu ; quant aux communions des fidèles, elles atteignent des chiffres exorbitants, 125.000 en ce mois. Il va de soi qu'il est impossible d'approcher de la grotte, de la fontaine et que, si l'on veut prier et se recueillir, le plus simple est de rester chez soi. Déjà, les pèlerins, hébergés dans le village, remplissent l'esplanade; on fait queue, comme aux abords d'un théâtre, devantles secourables cabines, et, c'est autour d'elles une pestilence de bouse humaine et d'urine; des gens rapportent de la ville du pain, du saucisson, du vin ; et des familles, installées sur les pelouses de gazon, cassent la croûte ; on se croirait, un dimanche, au bois de Vincennes, avec les tessons de bouteilles et les papiers.gras. Et voici que, dans un brouhaha de poussière, 18 I.KS VOULUS DK I.OUMïKS une armée de femmes s'avance, en jetant des cris rauques et en gesticulant. Je comprends, en les voyant de plus près, que les quatre trains prévus de l'Espagne sont arrivés. Ah ! ces maugrabines qui agitent des mouchoirs, envoient des baisers à la foule, en rugissant telles que des hyènes ! Ce sont les filles de Marie-de Guipuzcoa; elles ont l'air de je ne sais trop quoi, ces filles de Marie ; la plupart, brunes et petites, avec des visages ronds, de gros nez, des yeux noirs, de fortes hanches et d'impétueuses croupes; presque toutes arborentla mantille etjouent de l'éventail. Quelquesunes sont affublées de costumes qui sont un compromis entre la livrée monastique et la toilette de ville; deux ou trois ont les robes raisin-sec des Carmélites, la ceinture de cuir et une plaque d'émail au corsage, ce sont les tertiaires de sainte Térèse; d'autres sont habillées en bleu et d'autres en noir, ce sont les enfants de l'Immaculée Conception et les filles de Notre-Dame de Compassion; d'autres encore sont accoutrées de violet, ce sont les affiliées de la Confrérie des âmes du Purgatoire; d'autres enfin sont vêtues de vert, la couleur de Notre-Dame Del Pilar; pas de malades et très peu d'hommes, en comparaison de la masse des femmes, mais beaucoup de prêtres qui fument des cigarettes, pendant que celles des pèlerines qui ne s'éventent LES FOULES DE LOURDES 119 pas sucent des oranges ou croquent des bâtons de chocolat. Les paisibles habitues de Lourdes s'écartent, ahuris, devant cette poussée d'espagnoles qui les acclament ; ah ! je ne suis pas inquiet ; ce que celleslà vont avoir vite fait de se frayer un chemin, au travers de la multitude jusqu'à la grotte ! Ce serait l'instant de monter à la basilique pour assister a une messe ; elle est bourrée de inonde et force m'est de rester près de la porte. Au ruban jaune-souci qui pavoise les boutonnières, je reconnais, assissurles bancs,le pèlerinage des hollandais. La grand'messe commence et j'ai la surprise de l'écouter, chantée en vrai plain-chant ; c'est la seule messe propre que j'aurai entendue à Lourdes. Un sermon a lieu, après le Credo. Tandis que le prêtre hollandais prononce en chaire un discours que je ne comprends pas, je regarde, une fois de plus, l'intérieur de la basilique. Il est d'aspect étriqué, avec la sécheresse de ses arêtes, la ténuité de ses voûtes, la couleur de cendre de ses murs; il est très inférieur au gothique de la chapelle des Jésuites de la rue de Sèvres dont il rappelle un peu la disposition, par son assemblage de petites chapelleslogées dans les bascôtés et les portes de cave ouvertes dans les pans de murs qui les séparent. Sans élévation et sans largeur, la nef est, en somme, longée de chaque 120 1.KS FOULES DE LOURDES côté par un étroit corridor dans lequel la foule se bouscule sans pouvoir circuler. La funesle ganache qui a construit ce misérable pastiche du \incsiècle, n'a su réussir qu'une chose, l'alliance de l'incommodité et delà laideur. Au fond de celte nef qui s'achève en un maigre chevet, occupé, lui aussi, par de minuscules chapelles, se dresse, entouré d'une grille dorée, un autel en marbre de Carrare, surmontéd'une statue de l'Immaculée Conception de Cabuchet qui n'est pas sensiblement supérieure à celle que fabriqua pour la grotte le Lyonnais Fabisch. La bonne Bernadette s'y connaissait, sansdoutc, fort peu en art, mais elle ne put s'empêcher de sourire de pitié quand ce Fabisch lui présenta ses esquisses et ses maquettes. Il n'en continua pas moins de modeler et de durcir ses pains de margarine et ses bols de cérat et, quand la statue fut terminée, Bernadette, que l'on consulta poursavoir si elle ressemblait à la Vierge, répondit: « Pas du tout » ; puis quelque temps après, alors qu'elle la vit, en place, dans la grotte, elle dut s'éloigner aussitôt, ne pouvant, nous raconte un témoin oculaire, le docteur Dozous, supporter la vue d'une telle image ! Ajoutons, pour attester le manque absolu de talent de ce très pieux homme, qu'il avait vu Bernadette en extase, qu'il avait par conséquent aussi,vu I,KS FOULKS DR LOURDES 121 un rcllct divin éclairer une figure humaine cl tout cela pour aboutir i\ cette effigie de première communiante, à cette tiède, à celte molle fadeur! Ah ! ce qu'à notre époque la piété ne donne pas de talent! Est-ce, dans toutes les branches de l'art, assez prouvé? Pour en revenir à la basilique, ce qui est inconcevable, c'est cet amas de bibelots de dernier ordre et de loques bariolées qui la décorent, Partout pendent aux voûtes des bannières poussiéreuses, aux ors devenus noirs; et le long de la nef, parée, au-dessus de ses arcs d'ogive et au-dessous de ses minces fenêtres aux vitres colorées comme des bonbons anglais, d'une frise dessinée avec des coeurs de métal qui simulent des lettres et reproduisent les paroles adressées par la Vierge à Bernadette, c'est un déballage de drapeaux de toutes les nations : Haïti, Chili,Belgique, Angleterre, Autriche, Hollande, Bolivie... et contre les murs, partout, dans les chapelles, du haut en bas, une collection d'ex-voto ridicules, des fleurs artificielles, des couronnes de mariées, des brassards de première communion, des épauleltes, des épées, des croix.de la légion d'honneur, des portraits de famille, des tapisseries pour pantoufles, des chromos. Un seul de ces ex-voto est intéressant. Il est accroché, à droite, dansle choeur, près de l'autel voué à Notre-Dame de la Salcttc

il contient, sous un 7. 122 LES FOULES DE LOURDES verre bombé, dans un cadre, des fragments d'os et o>horriblcs griffes, quelque chose comme des griffes de léopard qui seraient pétrifiées. Ce sont les ongles d'une femme dont le bras était paralysé et la main fermée depuis des années; les ongles avaient percé la paume et poussé, en se recourbant, dans les chairs. Elle plongea son bras dans la piscine ; il se ranima, la main s'ouvrit et les ongles et les os cariés tombèrent dans la baignoire où on les repécha. L'on dirait, en examinant ce déballage de bardes qui flottent au plafond, d'un sechoirctde.ee fatras de babioles clouées aux murs, d'un magasin de décrochez-moi ça, d'une boutique de bric-à-brac; l'on dirait surtout que l'on s'est ingénié à loger dans une basilique un tas de choses qui n'ont aucun rapport avec elle. Tout y est incohérent et disparate, depuis les lampes du choeur, jusque ces lustres à pendeloques de cristal ou en verre de Venise, pendus dans la nef. Ils seraient à leur place, dans un salon, mais pas dans une église. Salon en haut et écurie en bas alors, car l'asphalte est substitué dans ce sanctuaire aux pavés liturgiques et aux dalles. Tout cela est bien laid; si seulement c'étaitsimple et naïf, mais le malheur est que ça ne l'est pas! En attendant, je suis reconnaissant aux hollandais de m'avoir donné une messe de pur plain- LES FOULES DE LOURDES 123 chant et je descends maintenant au Rosaire, car j'ai lu sur une pancarte affichée en un coin de porte, que les espagnols allaient, également, célébrer une grand'niesse et je ne serais pas fâché de voir comment on s'acquitte des offices en Espagne. La rotonde du Rosaire est ainsi que la basilique d'où je sors, pleine. Je finis cependant par franchir la haie des dos et je gagne un coin; de là, je plonge sur le champ noir des mantilles qui s'étend jusque sur les marches de la rampe de communion ; toutes les espagnoles accroupies s'éventent ; la messe commence avec diacre et sous-diacre et la petite maîtrise des hommes que les prêtres ont amenée avec eux, entonne l'Introït. La bonne et l'expansive Espagne, la voilà qui chante, elle aussi, du plain-chant! A l'Introït, succède un Kyrie, inconnu de nos manuels, mais qui gémit avec une allure implorante, étrange; le Gloria et le Graduel sont déjà d'une couleur moins ancienne; quant au Credo, après avoir débuté en musique grégorienne, il s'achève en une chevauchée à la Palestrina qui doit servir sans doute de transition avec le reste de l'office exclusivement composé de séguedilles et de fredons; la messe est, en somme, hybride, à deux parties, mais la première est au moins belle ! Aprèsle Credo, Monseigneur deTarbes, qui vient d'arriver, monte dans l'une des deux chaires en 124 LKS FOUI.KS DE I.OUHDKS marbre blanc qui flanquent, deebaque côté, l'autel, somptueux mais d'un goût, par extraordinaire, quasi probe, et il adresse ses souhaits de bienvenue aux pèlerins. Il parle simplement, d'une voix calme, détache ses mots qu'écoute attentivement un prêtre espagnol, miche' dans l'autre chaire. Et lorsque l'évoque a terminé son discours, ce prêtre le traduit aux assistants. Il le traduit? je ne sais. Tout d'abord je me demande, stupéfié, ce qui le prend celui-là! car il bouleverse son masque olivâtre, peint avec un rasoir sur les joues en bleu, se frappe la poitrine, cogne à coups de poing le rebord de la chaire, jette les bras au ciel, hurle tel qu'un énergumène. Quelle singulière transposition d'un entrelien placide et d'un compliment aimable en une tumultueuse harangue, en un boniment de drame ! Il s'arrête enfin, inondé de sueur, prononce quelques mots sur un ton raisonnable et aussitôt toutes les maugrabines se lèvent et poussent, partrois fois, un vivat rauque et strident; elles se soulagent avidement ainsi de cette compression de silence qu'elles ont subie depuis qu'elles sont assises et, dès'la fiii du dernier Evangile, leur exubérance déborde, en mêlant leurs voix à celles de la maîtrise, en chantant la marche de Saint-Ignace, une marche mâle et rythmée qui, passée par ces timbres rugueux et suraigus, s'affirme d'une pompe barbare LES FOULES DE LOURDES 125 et contraste violemment avec l'effroyable vulgarité des cantiques que Ton beugle ici. On étouffe dans celte rotonde si mal bâtie qu'on ne peut suffisamment l'aérer et je m'écliappc avant que la ruée des mantilles n'ait obstrué les portes. Une fois debors, je vais in'asseoir sur un banc le long du Cîave cl je me remémore cette vie si peu liturgique qu'il faut suivre, à Lourdes. Jamais, en temps ordinaire, une grand'messe en plain-cbant, mais toujours une messe basse accompagnée de pieuses turelures qui n'ont aucun lien avec elle — ou bien, ce qui est plus étrange encore, un prêlrc débile tranquillement un sermon, tandis que celui qui est à l'autel continue le sacrifice; et l'inutile bavard ne se tait que lorsque tinte la sonnette, pour l'élévation. N'ai-je pas entendu, jadis aussi, dans la vieille église du village détruite, un « Sub tuum » clamé au moment de l'évangile et à la basilique, des Vêpres de la Vierge, exécutés par un pèlerinage du diocèse et ainsi ordonnées : deux psaumes au lieu de cinq, en fait d'hymne «l'Ave maris Stella » avec la première strophe servant de refrain aux autres, le Magnificat, et le tout sans aucune antienne ! mieux vaudrait ne pas chanter les Vêpres du tout plutôt que de les réduire delà sorte. Quant au sanctoral et aux fériés, il n'en est guère question ici. Le plus souvent, l'on célèbre l'office de l'Appa- 126 LES FOULES DE LOURDES rition dont le rile est supérieur à Lourdes à celui du Propre du Temps et à celui de la majeure partie du Commun des Saints qu'il refoule ; mais cet office qui fut façonné par les Bénédictins de Solcsmcs est superbe et je serais mal venu à me plaindre de l'avoir entendu tant. Je me rappelle, certains dimanches, ces Vêpres magnifiques et j'en arrive à regretter qu'on ne les chante pas toujours à la place de ces autres Vêpres si écourtées parfois qu'elles n'en sont plus. Ces dimanches... mais il n'y avait pas alors l'étonnante cohue des pèlerinages internationaux. L'office avait lieu à la basilique; les antiennes, les psaumes en vrai plain-chant étaient exécutés par deux choeurs, l'un dans la nef, l'autre derrière l'autel. Celui, situé dans la nef, se composait du pensionnat des soeurs de Nevcrs, une armée de bambines, coiffées de capulets gris liserés'd'une ganse bleue, expertement dressées au plain-chant par les soeurs; l'autre, derrière l'autel, était constitué par les enfants de la maîtrise cl par quelques chantres très bien formés, eux aussi, par l'abbé Darros, le maître de chapelle, et ils alternaient les versets des psaumes et chantaient ensemble l'hymne « Omnis expertem » qui se déroulait sur une mélodie populaire, charmante, mais la merveille de ces Vêpres, c'était le Magnificat. Après l'antienne, tous les enfants se taisaient; LKS FOULKS DR LOURDES 127 cl alors, du haul des grandes orgues, au-dessus de la porte d'entrée, un cri rocailleux mais vibrant, explosant en une flamme, ébranlait l'église : Magnificat ! Et une troupe de montagnards soutenait ce cri lancé à toute volée sous les voûtes, avec le tonnerre de leurs voix de bronze. C'était d'une âpreté et d'une violence, mais c'était aussi d'une solennité jugulante, d'une gloire inouïe! Jamais tempête plus majestueuse de louanges n'avait retenti en l'honneur de la Vierge et il semblait que, nulle part encore, l'on n'eût ainsi exprimé le triomphe d'allégresse du Magnificat, comme en ces Vêpres brûlantes de Lourdes ! La disgrâce de la piètre église disparaissait ; elle se brouillait d'ailleurs dans les nuées gris perle de ses flocons d'encens et tremblait dans le fouillis des rayons de soleil tombés des vitres et mêlés aux fttycrs de lumière électrique allumés dans les centaines d'ampoules de ses lustres. On pouvait se croire ailleurs et savourer, pour quelques minutes, le bienheureux oubli de la Laideur et la joie de voir enfin offrir à Notre-Dame un présent qui fût vraiment digne d'Elle. Et je songe à tout ce qu'on pourrait amoureusement lui dispenser à Lourdes... des grand'mcsses célébrées, selon le mode grégorien, ainsi que le veut d'ailleurs le Motu proprio du Pape; cl des 128 LES FOULES DE LOURDES grandes cl des petites Heures dont on n'entrevoit, publiquement du moins, aucune trace dans la basilique el le Rosaire — personne n'y a entendu chanter, môme le dimanche, l'office admirable des Complies. — Et le petit office qui porte son nom, qui fut fait exprès pour Elle n'est-il pas tout désigné ainsi que ces touchantes et que ces naïves proses que le Moyen Age tissa pour aduler ses douleurs et ses liesses?— Bref, il faudrait instaurer le « Laus Perennis » de la liturgie Mariale, à Lourdes. — Il fonctionne jusqu'à un certain point,si l'on veut, puisque, jours et nuits, les cantiques ne cessent pas. Mais quelle Laus de pacotille, quelle louange de drogue ! — C'est 1' « En revenant de la revue » et « le père la Victoire » de la piété; et qui dira l'obsédante imporlunilé de ces « Ave Maria », de ces « Laudatc Mariam », de ces « Nous voulons Dieu, c'est noire père », de ces « Au ciel, nous la verrons, un jour », brailles à tue-téle sur des mélodies canailles dont la vraie place serait dans les beuglants d'un faubourg? Et l'on en mange et l'on en boit, ici ; on s'endort et l'on se réveille en les écoutant ; c'est l'air même du pays, le vent même de Lourdes ! 11 y a, pourquoi ne pas le constater, dans celle ville, un clergé montagnard, excellent mais insensible à tout ce qui n'est pas la grosse besogne des processions et des prêches, du maniementdes foules; LES FOULES DE LOURDES 129 il est juste de relater aussi que ces prêtres qui ont remplacé les pères de la grotte, chassés de leur maison commune, sont excédés de travail, tués par les confessions et que Ton ne peut raisonnablement exiger d'eux qu'ils organisent encore des offices canoniaux dansles églises — seuls, des Bénédictins, installés à Lourdes, pourraient assurer ce service. — Et puis, en admettant, par impossible, que le sens liturgique existe dans cette contrée, il pourrait très bien ne pas exister.— Et combien c'est probable ! —dans les diocèses de France cl de l'Etranger qui se rendent à la grotte — et il serait assez malséant de leur demander d'abandonner leur routine et de chanter, à la place de leursrigaudons,des hymnes latines... aucun ensemble n'est donc réalisable. Mais, tout de môme, il n'en coûterait pas davantage au clergé de Lourdes de faire chanter à ses offices, à lui, du plain-chant et de suivre un peu, dans ce qu'elles peuvent avoir de conciliaire avec ses occupations, les règles de la liturgie... Je crains bien, hélas ! que ce voeu ne soit aussi parfaitement inutile que les autres, car, si nous exceptons les Vêpres de la basilique, il en est, ici, de la liturgie et du chant, comme de l'architecture, comme de là peinture, comme de la statuaire. 11 y a, cette fois, ensemble. Ah ! lorsque le Diable se fait bondicusard, ce qu'il devient terrible !

VIII &tf?ïpfâ N vit, il faut l'avouer, à Lourdes, dans VIVJS*2 »"e température d'unie étonnante: c'est 3r\?*&X la chambre de chauffe de la piété. Ces hurlements ininterrompus d'Ave, ces remous de foule que l'on a constamment sous les yeux, cette vue permanente de gens qui souffrent et de gens qui se gaudissent et mangent et boivent sur l'herbe comme un dimanche à Clamarl, finissent par vous abasourdir. On vit dans un milieu sans proportions; l'extrême des douleurs et l'extrême desjoies, c'est tout Lourdes. Au bout de quinze jours de ce régime, on est à point; l'on ne regimbe plus dans l'ambiance; on aide, soi-même, sans le savoir, à la développer et le premier résultatde cet abandon de sa personne est le désintérêt absolu de ce qui se passe dans le reste de l'univers. Les peuples peuvent s'ex- 132 LES FOULES DE LOURDES terminer et le Fallières périr, peu importe. Lourdes seul, existe; lesjournaux n'ont plus déraison d'être, on ne les achète plus ; une feuille que Ton vend sur l'esplanade les remplace tous, le Journal de la Grotte; il s'agit de savoir combien il y eut de miracles hier et, hormis cette question, plus rien ne vaut. Une note du bureau des Constatations, insérée dans.le journal môme, prévient le public que ces annonces de guérisons sont hâtives et non contrôlées ; ces réserves ne sont admises par aucun lecteur; tout individu qui entre dans la pièce du Dr Boissarie ou qui en sort doit être un miraculé ; les prêtres sont encore plus enragés que les autres pour vouloir discerner des miracles partout ; j'en ai vus qui se précipitaient sur des femmes que l'on emportait de la clinique médicale et que l'on prétendait guéries, pour leur faire toucher leurs chapelets et c'étaient de simples hystériques! — Comment s'entendre avec des gens d'une mentalité pareille? — et des bruits courent, issus d'on ne r>ait où, de prodiges extraordinaires que l'on n'a pas eu le temps de vérifier, car ils se sont produits au moment où les pèlerinages partaient ; et les détails deviennent de plus en plus confondants, à mesure qu'ilssont racontés par de nouvelles bouches; la barrière de bon sens que la clinique s'efforce d'opposer a ces divagations est vite rompue; l'on pense que le I)r Boissarie met de la mauvaise vo- LUS l'OULKS Dli LOUltDES J 33 lonté quand il n'accepte pas, d'emblée, l'origine miraculeuse d'une cure; c'est une véritable débâcle de la raison ! Mais aussi, l'étrange inonde que celui qui s'agite ici ! — les hommes sont, en général, mieux que ceux qui siègent sur les bancs d'oeuvre des églises. Il y a bien encore, çà et là, des figures sébacées trouées d'yeux qui serpentent sous des lunettes, mais il y a aussi un élément jeune, aux visages intelligents, surtout parmi les brancardiers ; puis chez des hommes d'âge qui n'ont pas la dégaine sournoise des bigots, une piété simple et forte, vraiment touchante; quant aux femmes! Il y a là des cagotes de province inouïes ; elles errent, jabolenl, remuent, ainsi que des juments leurs gourmettes, leurs rosaires ; c'est à qui en récitera le plus, c'est à qui lampera le plus d'eau, à qui fera le plus de chemin de croix. Les dévoles, qui sont déjà une engeance redoutable dans les chapelles de Paris, deviennent eilrayanles à Lourdes. Elles sont déchaînées depuis hier soir. Elles ont aperçu un évéque de trente ans qui a des cheveux longs et sales lui tombant dans le dos, une barbe de Christ et des mains tatouées de bleu, comme un lutteur; et elles se précipitentsursestraces en criant : Qu'il est beau 1 c'est Noire-Seigneur Jésus même ! — et lorsque le bruit se répand (pie ce préciserait un évéque de Terre Sainte, c'est du délire ! 134 ' LES FOULES DE LOURDES Les autres pontifes qu'elles guettaient jusqu'alors pour se faire bénir et leur baiser l'anneau ne comptent plus; cet exotique qui a l'air indolent et souffreteux, les rejette tous dans la pénombre; et, harcelé par les femmes, il les bénit tant qu'elles veulent, leur tend à sucer son bonbon d'améthyste, visiblement ravi de son succès. Quel est en réalité ce romanichel violet que ses confrères me paraissent regarder avec défiance? c'est un évèque de Palestine venu en France afin de trouver pour les prêtres de son diocèse de l'argent et de taper par des quêtes les fidèles. Et j'entends, autour de moi, des conversations de ce genre: où dit-il sa messe? ah ! si l'on pouvait être communié par lui ! Quel concept du catholicisme dans ces têtes de pioche; elles s'imaginent que la communion distribuée par ce jeune oriental serait supérieure à celle dispensée par un simple prêtre ! Et une fois bénies et rebénies par celte complaisante Grandeur, infatigablement elles assiègent la fontaine et vident des gobelets d'eau; puis elles recommencent à défiler dans la grotte et elles font toucher à la place du roc que l'on baise sous la statue, non seulement des chapelets cl des médailles, mais encore des bibelots qui n'ont aucun rapport avec les objets du culte, tel un porte-cigare d'ambre que l'une d'elles frottail sur la crasse LES FOULES DE L0UIIDES 135 grasse de la pierre, sans doute pour sanctifier les lèvres de son heureux mari ! D'autres s'arrêtent devant le filet tendu et y déposent des lettres munies, j'aime à le croire, d'un timbre-poste pourla réponse, afin d'obtenir que la Vierge en prenne connaissance. Evidemment, à Lourdes, nous atteignons les derniers bas-fonds de la piété ! Ce genre de mômières est certainement recruté dans les couches les plus inintelligentes du peuple, mais je ne sais pas si je ne préfère point la vulgarité de ces édifiantes oies, à la prétention de pieusardes d'un rang supérieur, issues de la souche moyenne de la bourgeoisie riche, car certaines de celles-ci sont hantées par un besoin de cabotinage, par un désir de se faire remarquer et celle ostentation de ferveur finit par devenir insupportable. Elles sont là qui se traînent sur les genoux en regardant de coté, qui récitent des chapelets, les bras en croix, et baisent la kire. Cela est toul naturel, cela est très bien, quand c'est pratiqué par une personne simple que l'on sent vraiment recueillie et vraiment pieuse; mais lorsque celles qui opèrent ces exercices ont des figures réparées par des pâles et les cheveux potassés ; quand elles sont parées de bijoux et velues d'éclatantes frusques, cela sonne faux. Une paysanne qui prie humblement de la sorte ne saurait être ridicule, mais il 136 LES F0U1.RS DE LOURDES n'en est pas'de môme alors que ces signaux de dévotions s'accompagnent d'ébouriffants dehors ! Je n'ai pas vu celles-là, d'ailleurs, parmi les admirables infirmières qui soignent et baignent les malades. Il sied toujours, ici, de se rappeler l'abnégation et le dévouement de ces femmes, pour ne pas trop s'indigner contre lagent féminine qui fréquente Lourdes ! Il va y avoir aujourd'hui, plus de huit cents malades à bénir au moment de la procession. Je suivrai le cortège derrière le Saint-Sacrement; d'habitude, je me place dans la tribune de l'orgue du Rosaire. Il y a là deux losanges de jour ouverts dans les vitraux et d'où l'on embrasse toute l'étendue de l'esplanade, On domine la scène et si un infirme, en un élan subit, se lève, l'on assiste à la course des brancardiers arrivant, de toutes parts, pour l'entourer et le proléger contre la démence d'une foule qui lui arracherait ses vêtements pour en faire des reliques. Aujourd'huije veuxvoir, non plus l'ensemble, mais les détails de la procession et je me rends verstrois heures et demie au bureau de l'Hospitalité où le président de celle société m'attend; ce bureau est situé à côté de celui du Dr J3oissaric sous les arches de la rampe qui conduit à la basilique : c'est là, dans cette pièce ressemblant, elle aussi, à la cabine d'un bateau, que se trouve le moteur qui met en marche l'énorme LES FOULES Dli LOURDES 137 machine de Lourdes. M. Christophe y tient le gouvernail et dirige le vaisseau à travers les récifs des foules. Il assure la mise en train des brancardiers, le service de l'hôpital et des abris, l'arrivée et le départ des malades par les trains; ce n'est pas, on peut le penser, par ce temps de pèlerinages internationaux, une sinécure. Je me suis souvent demande comment, dans le tumulte de son bureau, envahi par les directeurs de pèlerinages, des hospitaliers, des curés, il ne perd pas la tramontane et répond, souriant et avec patience, à tous ces gens ; quand j'arrive, il achève de distribuer ses ordres, passe sa bretelle de civière et nous voilà dehors. Nous nous heurtons à la tète du cortège qui se forme et à une multitude serrée de curieux qui encombrent les allées du Gave. On nous livre passage et nous atteignons la grotte d'où doit partir la procession. Le Saint-Sacrement, que l'on est allé chercher dans le Rosaire, est posé sur l'autel portatif et il rutile dans cette fournaise des cires. Les évéques sont déjà là, ceux d'Avignon, d'Angoulémc, d'Ayre, le jeune homme aux longs cheveux de la Palestine et des dignitaires, des chanoines affublés de pèlerines et de jupes mi-partie violette, mi-partie pourpre, des capucins en bure brune, des prêtres, les uns en surplis, les autres en chasubles d'or, al8 138 LES FOULKS DE LOURDES tendent derrière ces Grandeurs auxquelles vient se joindre l'évoque Bénédictin de Metz dont la robe d'un violet qui tourne au rose me rappelle le costume en taffetas tout à fait rose, celui-là, dont était vêtu, comme une frôle Cydalise, un prélat Portugais, l'évèquc de Macao, que je vis, Fan dernier, à Lourdes. Des milliers d'ecclésiastiques, des milliers de lidèles, un cierge au poing, s'étendent de la grotte à l'esplanade, tout le long du Gave, sur deux rangs, précédés de la croix, des enfants de choeur, des suisses de la basilique, chamarrés d'argent sur fond bleu. Au centre de la procession qu'ils semblent trancher en deux, devant des bannières qui iloltent, deux autres suisses, deux longs escogriffes amenés par je ne sais plus quel diocèse — par celui de Nantes, je crois — sont habillés de vermillon et d'or et coiffés de bicornes gigantesques, surmontés d'un énorme panache de catafalque, blanc. L'on attend le signal du départ ; des prêlres agenouillés prient devant le Saint-Sacrement;j'allume le cierge qu'on m'apporte ; des estafettes laïques vont et viennent, de l'esplanade à la grotte ; des messieurs d'une importance incroyable jouent le rôle d'agents de-police, bousculent les prêtres, la- •rabuslenl les pèlerins. Les élonuanles gens I n'aije pas entendu l'un d'eux, un jour, alors qu'on LES FOULES DR LOURDES célébrait la messe à la grotte, dire à la foule : Nous allons donner la sainte communion— ce Nous est un monde! Tout à l'heure, devant l'ostensoir, l'un d'eux encore semblera désigner au Christ, avec son ombrelle blanche qu'il agitera dans sa main, ceux des malades qu'il doit guérir, tandis qu'un autre fera le geste, bien inutile d'ailleurs, puisqu'il s'adresse à des catholiques, de s'agenouiller devant le Saint-Sacrement, lorsqu'il se tiendra devant eux. Enfin, avec l'assentiment de ces sacristes, la procession s'ébranle; je suis les évèques et, derrière moi, la troupe des brancardiers ferme la marche. On chante un ambigu de latin et de français, un pot-pourri composé du Magnificat, alternant, versel par verset, avec cette strophe : Vicrgo, notre espérance, Ktcnds vers nous Ion bras, * Sauve, sauve la France, Ne l'abandonne pas ! (Jiis). Nous avançons lentement, comme dans un couloir profond de foule et quand, après avoir longé la rivière, nous débouchons sur l'esplanade, c'est un mur de multitude, une mer de tètes qui moutonnent aussi loin que nous pouvons les voir; la rampe, les escaliers, la terrasse au-dessus du Rosaire, les allées, le parvis de la basilique pullulent de monde. Lu blanc des bonnets fourmille et des 140 LES FOULES DE LOURDES coups de feu soûl tirés, çà et là, par des ombrelles rouges; la montagne du chemin de croix est couverte et ses lacets débordent; rien ne monte ni ne descend, tout grouille sur place; jamais il n'y eut une telle affluence de pèlerins et de curieux. Des appareils photographiques sont hissés, au sommet d'échelles, en bas de la rampe. L'immense cirque de l'esplanade, dans le vide duquel nous allons pénétrer, est limité, formé par la haie des voitureltcs des alités, posées au premier rang; derrière elles, sur des bancs, s'entassent les infirmes qui peuvent encore s'asseoir et les infirmières chargées de les garder ; et plus loin, à perle de vue, en une masse compacte, le public s'amoncelle. La procession qui nous précédait nous a quittés, pour la bénédiction des malades ; après avoir traversé toute l'esplanade, elle a rejoint le Rosaire, et là sur le parvis, en colonnes serrées, elle se range. Contre les portes closes, au-dessous du basrelief de Maniglicr, se dressent les bannières de velours nacarat et de soie blanche, brodées d'or. D'un bout à l'autre de la façade, une grande ligne s'étend, blanche en haut et noire en bas, la ligne tracée par les prêtres dont les surplis coupent la soutane aux genoux. Dans le buisson en feu des cierges dont chacun hausse une ramillc, tous ces ecclésiastiques s'amas- LES FOULES DE LOURDES 141 sent, avec, devant eux, sur le bord des marches, la troupe des enfants de choeur, revêtus de la livrée bleue de la Vierge et les suisses, aux uniformes d'azur et d'argent, de vermillon et d'or. Et, dans le fond de ce tableau resté, pendant quelques minutes, immobile, j'aperçois des mouvements qui s'opèrent; d'abord c'est le coup brun, le ton de motte à briller de robes de capucins que l'on pousse en avant, et c'est ensuite la soudaine explosion des tuniques violettes et pourprées des chanoines, sortis du remous blanc et noir des prêtres et placés au premier rang. L'évoque d'Avignon lient l'ostensoir, sous une ombrelle, entouré de sacerdotes en chasubles et de céroféraires qui portent des lanternes, aux vitres cramoisies, allumées. Nous commençons à longer après lui, lentement, la haie des malades, et déjà le coeurs'étreint. Ah ! les visages qui divaguent de détresse et d'espoir, les visages désordonnés de ce moment-là! il y en a qui pleurent, sans bruit, la tôle basse, d'autres, au contraire, qui lèvent des yeux inondés de larmes; et des voix suffoquent, des voix à bout de souffle, des voix déjà mortes essaient de répéter le cri vivant des invocations que lance, de toute la force doses poumons, un prêtre qui stationne, seul, sur l'esplanade : 142 u:s FOUI.KS I>K Î.UIIIU»KS Seigneur, celui que vous aimez est malade ! Seigneur, si vous le voulez, vous pouvez me guérir ! Et des bras se tendent versl'ostensoir, deslèvres tremblent et balbutient, des mains se joignent qui retombent, désolées, après. Le Saint-Sacrement passe. Unù femme, la tète dans ses doigts qui ruissellent, a le corps soulevé par des sursauts. Et rien ne bouge, les alités restent étendus. Voilà que je reconnais dans les rangs mes pauvres amis inconnus de l'hôpital; dans le groupedes malades hollandais qui ouvrent des yeux bleus, tout noyés, dans des faces de panaris mûrs, dans des faces trop blanches, le petit gnome est enfoui sous des couvertures sur sa minuscule civière ; ses traitssont rigides, ses bras et ses jambes en fuseaux sont roides. Il dort ou est évanoui ; et voici le môme de Bclley qui a la jambe emprisonnée d'ans sa gouttière de bois. La soeur bleue qui l'accompagne est prosternée sous son hennin et égrèno son rosaire ; lui, regarded'un air curieux,sanss'émouvoir. Et le Saint-Sacrement passe. On chante trois fois la strophe a Monstra le esse Malrcm » que la foule répète en un immense écho qui se prolonge et résonne, repris là-haut, par les pèlerins installés sur la montagne du chemin de croix. LUS FÛULF.S 1)J; LUi;ill)KS 1W lît toujours rien ne bouge. Ce champ de la maladie que nous venons de suivre, cette recolle couchée sous l'averse des maux, me semblent, hélas ! bien perdus. Nous sommes arrives à la moitié de notre course, aux marches du Rosaire et aucun impotent n'a été, dans un souffle divin, projeté debout. Là, gisent, sur des brancards, les grands malades; un homme, dont le visage couleur de feuille sèche, ouvre les yeux ; deux lisons, subitement allumés, flambent dans des paupières de cendre. 11 fixe avidement la monstrance, puis tout s'éteint : son visage, éclairé une seconde, redevient un visage d'ombre; la femme au mal de Polt, qui baigne dans son pus, n'ouvre même pas les yeux ; elle paraît être déjà hors de la terre ; d'autres également sont plongées dans le coma et la bouche d'une fillette que l'on essuie, écume; plusloin, dans le rang serré des matelas, je retrouve la petite soeur blanche, la soeur Justinien qui parait morte, exposée dans son panier comme dans un cercueil. Ah ! j'ai le coeur angoissé, en la voyant. Je ne sais... je crois que celle-là va se dresser, que le ciel va enfin répondre à nos suppliques... Le Saint-Sacrement l'enveloppe dans la croix de son éclair d'or. Elle demeure, inerte et livide... Le prêtre accélère les invocations; la foule les répète en un long grondement

144 LES FOULES I)K LOURDES Seigneur, faites que je voie ! Seigneur, faites que j'entende! Seigneur, faites que je marche! Et l'on entonne « l'Adoremus in oeternum » —et toujours rien ne se produit; nous avons longé le devant du Rosaire; nous redescendons maintenant, à gauche l'avenue que nous avons montée à droite. D'une voix rauque qui s'exaspère, l'implorateur clame : — A genoux, tout le monde les bras en croix! Et la multitude immense obéit; les prières dévalent, se précipitent et aucun malade ne se lève! Des maux hideux défilent devant nous. Je croyais avoir tout vu à l'hôpital, hélas ! il y a là des lots d'hydrocéphales et de choréiques — un homme perturbé par la paralysie agitante, dont la tôle va et vient, secouée comme un battant de cloche et dont les doigts crispés font sans cesse le geste de déboutonner son gilet; il y a surtout des êtres effrayants, sortis de je ne sais où, un vieillard qui a un mufle de veau, cachou, tout en croûtes, une femme dont le nez est devenu une trompe de tapir et dont l'oeil, entraîné par cette poussée en avant, projette un globe blanc, au bout d'un pédoncule; il y a là, cachées derrière des voitureltes, des figures en viande écorchée et des figures en viande mortifiée, vertes; c'est un déballage de l'hôpital saint Louis, un musée d'horreurs. LES FOULES DE LOURDES 1 \i> L'invocateur continue, sans se lasser. Seigneur, dites seulement une parole et je serai guéri ! On chante le « Parce Domine », trois fois, cl, dans un cri désespéré, le prêtre, les bras au ciel, vocifère : Seigneur ! sauvez-nous, nous périssons ! Et le cri, répété par des milliers de voix, roule dans.la vallée! Le Saint-Sacrement passe toujours et rien ne se montre. On finit par être pris de tentation ; les reproches sont prêts à vous jaillir des lèvres. Que fait-Elle, alors qu'il lui serait si facile de guérir tous ces gens? Il y a, malgré tout ce qui peut la choquer, ici, tant de Foi, tant de prières, tant de charité, tant d'efforts, qu'atlend-elle ? Celte clairière où l'exorateur rugit ses appels n'est cependant pas vide. Le Christ, Marie et les Angcssont là, qui regardent, invisibles et écoutent, silencieux. Jésus l'a formellement promis : « Là où deux ou trois sont assemblés en mon nom, je suis au milieu d'eux ». Et nous sommes des milliers réunis pour le prier ! — Pourquoine répond-il pas ? Et j'ai l'immédiate vision d'un vieux tableau du 146 I.KS FOULKS DK LOURDES Jugement dernier à Bruges, d'un Primitif des Flandres, Jan Provost, où le Christ, entouré d'une cour d'anges, s'affirme, terrible, une épéc à la main et montre de l'autre la plaie de son coeur à la Vierge qui le supplie a genoux d'épargner les pécheurs ; et Elle réplique, au geste de courroux, en découvrant la poitrine qui l'allaita, en opposant à son coeur percé par les hommes, son sein. N'est-ce pas ce qu'EUe doit faire à ce moment-ci ? Et pourtant aucun grabataire n'est allégé. Ici, une femme tend, éperdue, un enfant dont les yeux chavirent dans une face qui se décompose et retombe sur ses genoux, en sanglotant ; là, un pauvre homme, aveugle, se tient agenouillé, le chapeau à la main. Il semble demander à Dieu l'aumône et, comme aux autres, Dieu qui passe ne lui donne rien ! C'est vraiment affreux ! L'implorateur s'énerve, hurle : Vous'êtes le Christ, le fils du Dieu vivant ! Et il épuise ce qui.lui reste de forces, en jetant le grand cri après lequel souvent les miracles éclatent. Hosaunah ! au Fils de David t La foule, les bras en croix, lance furieusement I.KS FOULKS DF. LOUHHRS 14/ au ciel cette clameur de triomphe; elle sent qu'elle jou : non va-tout. lit le Saint-Sacrement continue sa marche, indifférent, insensible. Je suis découragé, je n'ai plus envie de prier; cependant je sollicite la guérison du malheureux à la peau boursouflée, au cuir chagriné, couleur lie devin ; il est là, si triste, grappillant ses patenôtres, dissimulant derrière la capote d'une voiturette sa lamentable figure. La procession est revenue à son point de départ; tous les malades ont été bénis ; nous faisons voltefacect, traversantalors la clairière, dans son milieu, nous nous dirigeons, en droite ligne, surle Rosaire. L'on recommence 1' « Adorcmus in rcternum », Ton reprend le- « Monslra te esse Matrcm » et l'évèque d'Avignon atteint le parvis de l'église; il entre sous le dais d'or qui l'attend et présente l'ostensoir, dont le métal étincelle, aux assistants. L'on chante le « Tantum ergo » et, dans le grand silence de toute l'esplanade prosternée, il élève la monstrance et trace au dessus des milliers de tètes, une croix lumineuse d'or. . C'est fini; l'on va quérir les voitures, les civières, ramasser ce bagage de débris humains et le reporter à l'hôpital. Ah ! tout de môme! je ne puis m'empôcher de songer à ces malheureux arrivés de si loin, qui ont Ii8 MIS FOULK.S 1)K KOUIIDKS subi tant de fatigue de chemin de fer et qui ne sont pas guéris! ils vont rentrer dans les funèbres salles, rejoindre leurs lits, exténués par ces transbordements sur des brancards ou dans des attelages. — Et cependant, je me dis tout bas que ce que nous demandons, ici, à la Vierge, est fou! Lourdes a pris, en quelque sorte, le contre-pied de la Mystique, car enfin l'on devrait, devant la grotte, réclamer non la guérison de ses maux, mais leur accroissement; l'on devrait s'y offrir en expiation des péchés du monde, en holocauste ! Lourdes serait donc, si l'on se plaçait à ce point de vue, le centre de la lâcheté humaine venue pour notifier à la Vierge le refus d'admettre « l'adimplco quaï desunt passionum Chrisli » de saint Paul ; et l'on pourrait s'étonner alors que la Madone opénU des cures ! Mais d'abord, en dehors même de la vocation spéciale qui n'est pas donnée à tous d'ôlre des victimes réparatrices, beaucoup, une fois à Lourdes, s'omettent et sollicitent la grâce que des gens plus malades qu'eux guérissent à leur place; beaucoup, nous le savons, proposent de garder leurs souffrances en échange de conversions. Il y a dans le camp de ces grabataires, épurés par la douleur, des abîmes de charité qu'on ignore; et combien désirent la santé moins pour eux que pour les autres, des mères pour pouvoir élever LES FOULES DE LOURDES 149 leurs enfants, des jeunes filles pour entrer dans un cloître et servir Dieu, des religieuses pour retourner à leur poste, auprès des infirmes ! Combien aussi dont le rôle propitiatoire est terminé et que la Mère délivre ! d'autres qui ne sont pas guéries une année, le sont l'année suivante, quand leur temps d'expiation est accompli ; — d'autres qui n'ont rien obtenu, à Lourdes môme, sont exonérées en rentrant à Paris, comme Mlle Glascr, à Notre-Dame des Victoires, ou chez elles, comme Marie-Louise Louchet d'Yvetot, qui, en 1904, s'éloigne de Lourdes ainsi qu'elle y était arrivée, avec une plaie suppurante occasionnée par une opération de l'appendicite et se réveille un matin, dans sa chambre, complètement guérie ; comme Louise Lécuycr qui, atteinte de coxalgie à la hanche droite, recouvre la santé, en septembre 1902, après qu'elle a réintégré l'hôpital dePonl-deVcyle; comme tant d'autres enfin qui sont libérés de leurs maux, après qu'ils ont rejoint leur chez eux. Il n'y a donc jamais lieu de désespérer, puisque bien souvent le miracle se produit quand on ne l'attendait plus. Dans tous les cas, ce n'est pas en vain que l'on consent aux tortures du trajet de Lourdes. L'on pourrait croire que ces gens qui parlent dans le môme état qu'ils sont venus, sont anéantis par le loi) LKS l'OULKS 1)K I.UUIIDKS désespoir, llenesl 1res rarement ainsi, car à défaut d'un allégement corporel, la Vierge accorde presque toujours la patience et la résignation à supporter sesmaux. Le déplacement est, d'une façon ou d'une autre, payé. Nous voulons raisonner et notre pauvre entendement est si borné ! nous ne voulons voir à Lourdes que du palpable et du visible ! A celle heure où j'étais tenté de reprocher à Notre-Dame de ne pas guérir tant de malheureux, Elle s'occupait certainement de chacun d'eux, agissant au mieux de ses intérêts, sachant que si un tel redevenait valide, il perdrait par des sottises le bénéfice assuré de ses souffrances — cl, dans bien des cas, Elle sauve l'Ame au détriment du corps qui, s'il recouvrait la santé, devrait bien, d'ailleurs, retomber malade, ne fût-ce qu'une fois encore, pour mourir. Enfin, sur ces champs catalauniques de la terre et du ciel, sur ce champ de bataille où il n'y a pas de cadavres mais seulement des blessés, dans celle lullc que nous engageons, à coups de prières, contre un Dieu qui résisUretqui, pour des molifs que nous n'avons pas à connaître, refuse de se rendre, que deviendrait le mérite de la Foi, si nous ne comptions que des succès ? Je rumine ces réflexions, en suivantles voilurettes qui montent à la queuc-leu-leu dans les allées pour I.KS l-OUJ.KS l)K LOURDES 151 rejoindre l'avenue de la grotlc et l'hôpital ; et je me secoue, j'ai besoin, je le sens, de me détendre les nerfs, d'échapper à cette tristesse qui, malgré tout, m'accable. Je vais aller m'attabler à la terrasse de l'hôtel Royal ; là sont déjà réunis des groupes d'espagnols, de belges, de hollandais. Chaque pays y revit avec ses usages; les prêtres espagnolsfument des cigarettes, rient avec leurs compatriotes qui s'éventent, souriant à la foule, dégustant des glaces ou buvant du chocolat, séparées par une équipe de Belges en train de lamper de la bière et de fumer des cigares, du petit camp des hollandais qui prennent le thé ou savourent l'apéritif, le schiedam en fumant, eux aussi, des cigares. Cela me rappelle les petits quartiers de l'Exposition, lès cases où chacun apporte ses habitudes et implante, en France, un raccourci de sa patrie, un diminutif de ses moeurs; ici, c'est une petite Néerlande contenue dans les quelques îlots de ses tables, séparée de la mer de la foule qui moutonne sur la chaussée, par la digue du trottoir; les femmes, aux casques d'or, qui attiraientles visiteurs du Champ de Mars sont représentées, par deux magnifiques échantillons, non plus de servantes de bars, mais de riches fermières du Zuydcrzée, venues, en grand costume, avec le casque et les tirebouchons d'or et les fines dentelles. Personne ne s'occupe des autres et chacun est chez soi, à Lourdes; les lo2 LES FOULES DE LOUItDES hollandais détellent

il y a les directeurs de leur pèlerinage, des cainériers d'honneur du pape, reconnaissants à leur ceinture violette, et rien n'est plus charmant que la honhomie de ces vieux prêtres, a cheveux blancs, qui ont de bons yeux et de petites bouches qu'ils plissent pour dérouler le tourbillon de fumée bleue de leurs cigares; ils plaisantent paternellementavec lesjeunes hollandaises coiffées de bérets blancs et décorées d'un ruban jaune souci, avec les mères qui apprêtent, elles, le thé et s'interrompent, pour rire à leur aise, de le verser dans les tasses. Déjeunes prêtres, bien découplés, aux figures limpides, forment le cercle autour de leurs chefs et de leurs ouailles etsirotent du genièvre, en fumant. On devine une placidité d'âme, une absence de bourrasques nerveuses dans ce clergé qui vit comme les fidèles, ne constitue pas une caste à part, une espèce de parias ignorant tout de la vie, ainsi que notre clergé déprimé par la peureuse éducation de nos séminaires. Tous ces abbés hollandais ont l'air ravi d'arborer dans la rue cette soutane qu'ils ne revotent en Hollande, de môme que dans tous les pays prolestants, que chez eux. L'on peut, à première vue, penser que ces compatriotes de sainte Lydwine manquentun peu d'ascétisme, mais il faut se dire aussitôt que ces ecclésiastiques ontfait, depuis l'aube, un véritable métier LES FOULES DR LOURDES 1B3 de portefaix et île charretiers. 11 n'y a presque pas de laïques dans leur pèlerinage; aussi doivent-ils s'employer en qualité de brancardiers et de baigneurs; tous ont la bretelle de cuir sur le clos ; ils sont échinés et il est assez juste qu'ils se reposent et se divertissent avant de reprendre, demain, leur pieux fardeau. N'en déplaise à une ralichonne qui se plaignait à moi de ces allures, je trouve très bien ce manque de gène, cette franchise de tenue chez des gens qui se considèrent tels que des enfants venus de loin pour rendre visite à leur Mère; Elle les reçoit, en effet, ainsi qu'une mère, les dispense de toute cérémonie, les installe commodément et les gilte. Ils sont chez eux en étant chez Elle; quoi de plus naturel, quoi de plus simple ? Et puis, cet attablcmcnt au café, ces cordiaux que l'on avale sont vraiment utiles; je le sens bien, par moi-même, moi, qui n'ai pas cependant trimé comme eux. Je suis las de plaies, de prières, de cris; les voiturettes des malades continuent de passer et je ne veux plus les regarder. Tout au plus, suis-je ému parla lamentable vision d'une grande jeune fdle qu'on enlève, devant l'hôtel, de sa voiture et qu'on porte sur les bras, jusqu'à l'ascenseur, pour la remonter dans sa chambre. Elle est si défaite, si pâle qu'elle ferait pleurer de pitié! mais non, je détourne les yeux, je neveux 154 LES FOUI.ES DE LOURDES plus voir; j'ai tenté tout ce que je pouvais pour ces malheureux, j'ai ardemment imploré leur guérison. Je demande grâce, moi aussi, jusqu'à demain. Le spectacle auquel ou assiste, du bord de cette terrasse, est plus amusant, plus varié que celui de n'importe quel café des boulevards ; tout le cosmopolitisme de Lourdes défile devant nous et l'on n'entend môme plus parler le français. Des vagues de foule déferlent, de la chaussée, sur les trottoirs. Les tramways, dont la station est en face de l'hôtel, roulent dans un bruit de ferrailles, sonnent des. coups de timbres, sans arrêt, pour dégager les rails; un bureau télégraphique, que l'on a provisoirement installé dans ces parages, est envahi; c'est un va-et-vient de gens empressés qui entrent et qui sortent. Tout autour de nous flotte une odeur de poussière et de vanille; des montagnards empestent Lourdes, du matin au soir, en promenant des paquets de vieilles gousses, aux sucs épuisés par les pâtissiers et les parfumeurs et fallacieuscment ranimées par quelques gouttes d'essence; des marchands de peaux de moutons, de lapis, de fourrures, auxquels manque sur la tête le fez des Juifs algériens de la rue de Rivoli; se glissent entre les tables du café et essaient d'écouler leurs marchandises aux femmes, et, dans un brouhaha de toutesles langues I.KS rnuf.Ks nu I.OIMWKS ISfi auxquelles se mêle le patois des Pyrénées, Ton a le tympan perce* par les notes stridentesdu chalumeau d'un homme qui amène un troupeau de chèvres et vend du lait chaud à la tasse. Des gamins courent, criant

le Journal de la Grotte! lisez les derniers miracles! des fillettes,aux yeux effrontés, essaient de carotter aux passants des sous ; des religieuses filent, les paupières baissées, en récitant leurs chapelets; des piètres de province hasardent un regard de côté sur les prêtres étrangers qui fument; et voilà qu'un tramway descend, bourré de femmes; c'est un premier départ d'espagnoles qui vont rejoindre la gare ; et elles hanchent, braillent des vivat, poussent des cris de hèles fauves, agitent des mouchoirs. Les autres espagnoles, assises au café et qui demeurent jusqu'à demain à Lourdes, leurrépondent ; elles jeunes hollandaises auxquelles elles envoient des baisers se lèvent, les saluent de la main, leur souhaitent bon voyage. C'est une riposte de courtoisies, un échange de bonsoirs; toute une fraternité s'est établie, sans" même que l'on s'en soit aperçu, dans ce petit monde qui ne s'était peut-être pas encore parlé. Le manteau de la Vierge couvre tout,ainsi qu'en ces très vieux tableaux de « Madones protectrices » où Marie, très graïKi,;, et debout, étend un large manteau d'hermine soutenu par deux saintes 186 LES FOULES DE LOURDES femmes, au-dessus de minuscules personnages, de toutes classes, de tous pays, de tous rangs, qui prient à sa gauche et à sa droite et ne forment, en somme, qu'un unique troupeau, abrité sous une seule et môme tente. JX V^TMÎ/ T mo' ^Ul accusa's 'a Vierge de ne pas p^fnîjJS? guérir les malades auxquels je m'inté5^F9*^. resse ! j'ai une vraie joie, ce malin. Je vais à la clinique et j'aperçois de loin la porte assiégée par la foule. Je sais ce que signifie celle affluenec de pèlerins. On vient d'amener au Dr J3oissarie un ou plusieurs malades guéris, ou prétendus guéris, après une immersion dans les piscines. C'est en effet l'heure des bains. Un brancardier qui me reconnaît me fait livrer passage et je pénètre dans le bureau. — Ah bien, vous arrivez a temps, s'écrie le docteur ! racontez, ma soeur, ce que vous avez ressenti lorsqu'on vous a plongée dans l'eau. Je reçois un coup en plein coeur : est-ce possible? sur une chaise est assise la petite soeur blanche de 9. 158 l-KS FOULES DE LOUIIDES Saint-Brieuc ; clic a le rose de la fièvre sur les joues et ses yeux, que je vois pour la première fois, ouverts, brillent en deux flammes bleues. Par terre, gisent son panier d'osier» un appareil détraqué, des fragments de plâtre, des linges tachés d'humeur fraîche. D'une voix qui s'essouffle, la soeur Justinien, joyeusement et vite, dit : Ah ! j'ai bien souffert, toute ma hanche droite a craqué ; on m'a retirée de l'eau, mais comme je souffrais encore,j'ai demandé qu'on m'y remette et alors la douleur a cessé; j'ai senti que ma jambe était devenue droite et je me suis levée. — Et vous étiez depuis combien de tempsimmobilisée dans cet appareil, continue le docteur qui vérifie les termes des certificatsmédicaux qu'il lient à la main. — Depuis un an, mais je gardais le lit bien longtemps déjà avant que l'on ne m'eut mise dans le phUre, — cl se parlant a elle-même elle ajoute : Ce que notre mère va être contente! — Il faudra retourner encore à la piscine avant voire départ, conclut le docteur; la hanche a repris sa souplesse, mais il n'en est pas de même du genou ; voyons, essayez de marcher un peu. La soeur se lève, fait quelques pas, mais péniblement ; on lui approche une chaise et tandis que le tumullo de la multitude derrière la porte et les LES FOULlîS DK LOUI1DKS 180 croisées augmente, le D'Boissaric s'écrie: « Ils vont me l'écharpcr quand elle sortira ! » et il donne l'ordre à des brancardiers d'aller chercher une voiture et de l'accompagner. — « Non, passez plutôt par la porte de derrière», reprend-il,— mais celle-ci est également obstruée par une foule cpii veut voir la soeur. On est obligé de s'arcboulcr contre la porte quand les brancardiers ont quitté la salle, pour la fermer. — Vous savez, me dit le docteur, qilc le petit du pèlerinage dcBelley est sur pied? — Le petit à la gouttière de bois ? — Oui. Ça, par exemple, je veux aller vérifier, par moimême, l'état de cet enfant. Je me lance, tète baissée, dans la cohue; maisje suis arrêté à chaque pas par des femmes qui m'interrogentsur la maladie de la religieuse miraculée; un prêtre que je ne connais point est prêt a se fâcher quand je lui affirme que Ton ne-peut formellement attester la guérison, puisque le genou reste enilé ; je crois bien qu'il me considère tel qu'un mécréant. Enfin, je parviens à m'échapper de la bousculade et, chemin faisant, je pense qu'à défaut d'une guérison complètequi n'est plus sans doute qu'une a flaire de jours, la petite nonne a été si divinement changée qu'elle n'est plus rcconnaissable. Elle qui était si incapable de îvmuer, si livide, si faible, si quasi-morte, je l'ai 160 LES FOULKS DE LOURDES vue causant, assise, les yeux ardents et les joues roses ! j'ai eu l'impression d'être en face d'une ressuscitée. Va-l-il en être de môme du gosse? Arrivé à l'hôpital, je grimpe dans la salle réservée aux pèlerins de Belley et la première chose que j'aperçois, c'est la gouttière de bois vide sur le lit; et la bonne soeur au hennin frappe, en me regardant, joyeusement les mains. — Croyez-vous, Monsieur, que la sainte Vierge nous gâte ! nous avons déjà deux malades guéris ! la dame qui est là-bas et qui ne pouvait boire du lait qu'à l'aide d'un tube de caoutchouc ; ah bien, le veau aux pommes de terre ne l'épouvante pas maintenant ! quand elle a fini de manger sa tranche, elle en redemande une ! et le petit que vous avez visité, quel miracle, celui-là ! — Où est-il, ma soeur ? — Où il est? mais il court dans les corridors ; il n'y a pas moyen de le faire tenir en place; je vais vous le chercher. Elle sort cl, au bout de quelques minutes, elle le ramène. — Ah 1 dit-elle, imaginez qu'il a fallu lui acheter des souliers, puisqu'il était venu, étendu sur une litière et sans chaussures, et tandis qu'une brave dame était allée chez le cordonnier, il n'a pas voulu rester assis; il a galopé, pieds nus, dans les couloirs. LES FOULES DE LOURDES 161 Je demande au marmot s'il est content. Il se tait mais considère d'un air fâché ses souliers. — Voyons, bétat, reprend la soeur, tu sais bien qu'on le les changera, puisque ce sont desjaunes que tu veux; la dame t'emmènera aujourd'hui même les choisir; en attendant, ne boude pas et réponds aux questions du Monsieur. — Qu'est-ce que tu as éprouvé lorsqu'on t'a plongé dans l'eau? — Je ne sais pas.— Finalement, à force de l'interroger, la soeur lui extrait qu'il a ressenti une secousse, mais qu'il n'a pas eu de mal. — Allons, pendant que je te tiens, tourne-toi, que je te change de chemise; — cl la soeur ôle une chemise encore tachée de pus frais et je considère surlesreins la couronne d'abcès, sèche, en croûtes à deini levées et sous laquelle apparaît une peau rose el mince, toute neuve. — Quand on songe que ces abcès étaient à vif et rendaient beaucoup de matière, dit la soeur; et voyez la jambe, elle est redevenue droite et clic fonctionne aussi bien que l'autre, sans effort, sans fatigue. Ce gamin ne boitera môme pas; il est complètement guéri. Lui s'impatiente et ne dissimule pas qu'il voudrait s'en aller. Nous lui rendons sa liberté et il quitte, ventre à terre, la salle. — Et dire, s'écrie la soeur, qu'il a fallu le brus- IC2 LES FOULES Dlï LOURDES qucr pour le baigner ! il tempêtait, il avait peur de l'eau; ah! il nous aura fait endôver, ce polisson-là ! Je prends congé d'elle et vais réciter une dizaine de chapelet dans la chapelle de l'hôpital ; elle est très douce, celle petite chapelle, un peu sombre, plus intime que toutes les églises de Lourdes ; elle ressemble à une crypte avec la voûte de son plafond bas, son autel situé au fond, dans la pénombre, surmonté d'une Picla, et, à quelques pas plus loin, se dresse la statue, avantageusement obscure, d'un saint dont la place se justifie bien en cet endroit, saint Jean de Dieu portant dans ses bras un malade; des infirmes, tandis que je prie, récitent, assis sur des bancs, le rosaire ; le vacarme de l'hôpital, avec l'agitation fébrile de ses couloirs, s'éteint ici. Et je songe, une fois de plus, à ces différences dans le mode adopté des cures. La soeur Justinicn a beaucoup souffert dans la piscine, sa jambe s'est rédressée mais le genou est demeuré roide et gonflé; le petit, lui, n'a éprouvé aucune souffrance et, d'un seul coup, il a été rendu souple et valide. Je rumine ces. réflexions en sortant de l'hôpital, mais je me heurte, dès que j'ai franchi les grilles, sur un nouveau pèlerinage qui se dirige vers la grotte ; en tète marche un être automatique qui brandit un drapeau anglais. Tous, hommes et femmes arborent $\ leur boutonnière un ruban tricolore, aux LES FOULES DE LOURDES couleurs disposées dans le sens vertical. Aucun de ces gens ne chante, mais des femmes à lunettes dont les dents s'évadent des gencives, croassent. Un prêtre, habitué de Lourdes et que je connais, me dit : ces Anglais-là vont tout accaparer, prendre les meilleures places, exiger d'être en tête des cortèges, mais rassurez-vous, leur encombrant sans-gêne ne vous offusquera pas bien longtemps. Après-demain, tout ce monde-la sera parti en excursion ; ils ont amené peu ou pas de malades ; au fond ce sont plus des touristes que des pèlerins. Nous redescendons ensemble sur l'esplanade. — Comptez, poursuit ce prêtre, combien, malgré celle multitude de personnes qui prient, il y a peu de miracles certains pour le moment, à Lourdes. Cherchez la cause et vous la trouverez peut-être dans celte masse de curieux venus en automobiles de Pau, de Bagnèrcs, d'Argclès, de Cauterets, de Ludion, de toutes les villes d'eaux des environs, pour commérer et s'amuser ici ! Et comme, a propos de l'indigence de cervelle et de la misère d'ttme de la plupart de ces funestes snobs qui se déguisent en bêtes fauves pour écraser, dans un délire de vitesse, des femmes et des enfants sur les roules, l'entretien s'oriente sur les impulsions du satanisme,je me rends compte aussitôt combien un prêtre intelligent peut ôtreincompréhensif dèsqu'il s'agil d'art. Je lui parle de l'igno- 164 LES FOULES DE LOURDES minic monumentale de Lourdes ; il ne s'en était jamais aperçu. — C'est ainsi que partout ailleurs, profcrc-t-il.— Mais non, ce n'est pas de même que partout ; c'est pis, dans ce douaire de la Vierge ! — Ali ! fait-il, alors que je lui explique le triomphe sournois du diabolisme des statues plantées dans les églises et sur l'esplanade, il y a encore autre chose ; vous le savez aussi bien que moi, la présence de la Vierge attire la présence du démon ; mais à Lourdes, c'est particulier. On pourrait attester que c'est le démon qui a occupé, le premier, la place et que Notre-Dame est venue l'y relancer. Aussi loin que Yon peut remonter au travers les .âges, l'on constate, en effet, que ce lieu fut toujours visité par le Maudit. Les fouilles qui ont été pratiquées, au point de vue préhistorique, ont amené la découverte, dans les cavernes des Espélugues, voisines de la grotte, de silex taillés, de bâtons de commandement, de pointes de flèches en bois de rennes, de squelettes d'animaux et surtout d'ossements humains, calcinés et fendus dans leur longueur, pour en extraire la moelle. Il est donc permis de supposer que des sacrifices humains ont abondé dans ce pays et que l'on y dépeçait, que l'on y grillait, que l'on y mangeait des victimes. D'autre part, une légende se répète au sujet de ce quartier de roc qui se carre encore derrière la statue de la Vierge, dans l'excavation de la grotte, LES FOULES DE LOURDES 165 à l'endroit môme où Elle parut. Ce bloc de granit présenterait, selon les uns, un grain de pierre si spécial qu'il faudrait se rendre en Mongolie pour en trouver un pareil ; il aurait été, dans ce cas, apporté, on ne sait à quelle époque et par quelles tribus nomades; selon d'autres la composition de sa matière serait tout bonnement celle des dolmens bretons ; enfin certains croient que ce bloc a dû descendre de la chaîne granitique de Gavarnie qui s'étendait autrefois jusque dans les plaines de Lourdes. Quoi qu'il en soit, s'ils ne s'entendent pas sur la provenance d'origine, les géologues sont d'accord cependant pour voir en ce bloc une pierre de sacrifices, vouée à des divinités infernales que l'on n'apaisait que par des libations réitérées de sang... Je me dis, en écoutant ces histoires, qu'elles ne prouvent absolument rien au point de vue du diabolisme particulier de Lourdes, car l'on a déniché des pierres de ce genre et des os humains calcinés et fendus, dans la plupart des cavernes de tous les pays. Mais mon prêtre continue. — Dans un livre récemment édité par la librairie Savaëtc, Msr Goursat cite le témoignage de deux archéologues, MM. de Caumont et de Mirville, d'après lequel cette pierre aurait été spécialement dédiée u Vénus Aslarté, c'cst-a-dirçù celle 166 LES FOULES DE LOURDES qu'Eusèbc appelle : l'infâme démon, la cruelle déesse de ia Volupté. Et il conclut que l'Immaculée Conception serait apparue à Lourdes, pour chasser de la grotte le culte de ce péché d'origine dont Elle fut exemple. Ici, vous le voyez, nous sommes surun terrain presque sûr; mais il en est encore un autre, plus mouvant, je l'avoue, mais très ancien aussi : celui de la pure légende. Vous la connaissez ? D'après une tradition qui paraît inspirée par l'histoire de Sodome, Lourdes s'élevait, jadis, ou bord d'un lac, de celui qui s'étend sur la gauche de Biscaye — et Dieu, pour punir cette ville de crimes que la similitude du châtiment, vous fait comprendre — l'engloutit, ainsi que dans une mer Morte, sous les flots soulevés de ce lac. Une femme, qu'il avait épargnée, lui ayant désobéi, pendant sa fuite, en se retournant, fut changée non en une statue de sel, comme l'épouse de Loth, mais en un monolithe — et ce monolithe ne serait autre que celui de Peyrc-Crabère, situé sur la route de Pouyferré. De tous ces fabuleux racontars, il semblerait résulter que cette ville, choisie par la Vierge, fut un des plus antiques repaires du démon.— C/cstaprès tout possible. — 11 enfuldemémea Garaison, celle préfigure de Lourdes, où Marie se montra dans la lande du Bouc, à l'endroit même où Salan présidait, aux turpitudes nocturnes des sabbats, mais, en

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omettant môme les faits plus modernes qui se passèrent dans la grotte de Massabieille : la souillure reparue de la tache édénique, les cris infernaux qu'entendit Bernadette et la possession des fausses voyantes, il y a présentement, je crois, assez de' preuves que le diabolisme sévit, sous des aspects divers, à Lourdes, pour qu'il ne soit pas besoin de s'assurer du plus ou du moins de véracité des fictions que me raconte mon ami l'abbé. Nous nous séparons; lui, se dirige vers le Rosaire et moi, désireux d'échapper, ce matin, au bain des foules, je vais me promener jusqu'au couvent des dames de l'Immaculée Conception, situé derrière la résidence des anciens pères de Garnison et de la maison épiscopalc, sur le chemin qui conduit a Bétharram. Je n'ai, depuis deux ans que je viens ici, recueilli que des réflexions désobligeantes sur le compte de ces nonnes que l'on surnomme, dans le pays, « les grandes dames, les coquettes de Dieu », sans doute A cause de la richesse de leur costume théâtral, car elles portent des.robes blanches à traîne quand elles se rendent à leur chapelle; dans la rue, elles sont plus simplement accoutrées, il est vrai de le dire, de bleu. Elles sont, en tout cas, des personnes fort commerçantes et de caractère peu commode. Elles prennent des dames en pension, ce qui exaspère, bien 168 LES FOULES DE LOURDES entendu, les gargotes et les hôtels de Lourdes, et elles sont en lutte avec l'Ordinaire pour des questions de murailles mitoyennes et de chemin. Elles ont perdu leur procès mais elles se sont si bien démenées à Rome qu'elles ont obtenu d'être soustraites à la juridiction épiscopale de Tarbes. Moi, qui suis fort indifférent à ces disputes, je me propose simplement de visiter leur chapelle, espérant y trouver peut-être ifne relative solitude et pouvoir y prier en paix. Après avoir longé la roule sur laquelle s'ouvrent les cavernes des Espélugucsqui sont creusées dans le bas de la montagne en haut de laquelle est planté l'étonnant groupe du chemin de croix et regardé ces excavations fermées par des grilles et transmuées en d'humides chapelles dont une vouée à Notre-Damedes Sept-Douleurs et une autre au fond de laquelle on aperçoit une effigie de sainte Madeleine, j'arrive devant un luxueux monastère et une églisctte dont l'abord n'est pas sans me déconcerter un peu; l'entrée est une rotonde vitrée, une véritable serre donnant sur un couloir également en verre et aboutissant à un battant de velours cramoisi ; on le pousse et alors s'étend devant vous, en une longue galerie, un salonnct prétentieuxmuni d'un autel au fond. Toutes les dévotionneltes, omises dans les autres sanctuaires de Lourdes, se sont réfugiées dans cet oratoire : saint Antoine de 1RS FOULES DE LOURDES 169 Patlouc, saint Expédit représentés par des plâtres peints de la rue Saint-Sulpice, mais la pièce de résistance, le chef-d'oeuvre est une statue en cire coloriée de sainte Philomène, couchée dans une boîte fermée par un pupitre vitré que l'on soulève pour y glisser des cartes de visite et des lettres! Et, tandis qu'un peu ahuri je m'agenouille, des dames à traînes" blanches font des entrées solennelles, par le côté cour et par le côté jardin, dans le choeur. Elles ont l'air d'être en scène et regardent d'ailleurs le public pour s'assurer qu'on les admire. 0 ces « m'as-tu-vues » de la piété ! Ce n'est décidément pas l'endroit rafraîchissant que j'avais rôvéj ce genre de nonnes n'incite pas à la prière et, une fois sorti, quand j'ai rejoint la route, je pense à un autre couvent bizarre où l'on ne rencontre plus de religieuses en costume, mais des femmes vaguement inquiètes, en habit de ville. Ce couvent, situé à l'autre boutdu pays, au pied d'un mont sec et nu qui semble avoir été fait avec des détritus d'ordures ménagères, accumulées, lu, depuis des siècles, possède une singulière chapelle tendue d'andrinoplc rouge, semé de fleurs de lys jaunes et parée d'un assortiment de bondieuseries italiennes, sanglantes à la fois et aimables, telles que l'on en voit.dans la montre d'un débit de la rue du Bac, à Paris. 170 .LES FOULES DE LOUIIDKS Il y avait jadis, clans ce lieu, un Christ de ce genre de fabrication qui remuait les yeux et hypnotisait, en les vidant, les bourses. L'évoque intervint et le supprima; moi, j'ai toujours l'impression, quand j'entre dans cette boîte rouge qui tient du café-concert et du théâtre forain, de humer un fumet d'hérésie. On n'y célèbre, d'ailleurs, aucun office; les religieuses — si religieuses il y a — sont des Passionisles, mais des Passionisles indépendantes, ne relevant d'aucune maison de cet Ordre. Lourdes renferme, heureusement, des instituts plus sérieux : des Dominicainesnichées sur. la hauteur, derrière la voie des trains; des Carmélites en face de la grotte, de l'autre côté de la rivière, et les Clarisses sur le rebord de la cascade du Gave. Je déambule doucement, regardant ces plantes plus expressives, plus odorantes que celles poussées dans les plaines, qui fleurissent tout le long de la route. Ici, les ellébores vertes sont énormes, les pulmonaires aux clochettes roses ou lilas, aux feuilles cailloutées de blanc sont deux fois aussi grandes que celles cultivées dans les régions du centre; mais la somptuosité des teintes, c'est surtout sur les côtes des rocs qu'il la faut chercher. Il y a sur ce chemin des rochersquisont éclaboussés comme d'une poudre d'argent,* par des lichens; d'autres sont faslueuscmcnt revêtus de mousses LES FOULES DE LOURDES 171 d'un jaune de boulon d'or et d'un orange vif. El je croise à chaque inslant des femmes qui reviennent delà forêt et balancent de lourdsfagots sur leurs tètes. Dans ce pays, on porle tout ainsi, que le fardeau soit pesant ou léger, qu'il s'agisse de branches, de paniers, voire de minuscule paquet; la question est d'avoir les mains libres et de pouvoir tricoter, en marchant. Et ce sont aussi de lourds chariots en forme de berceau qui passent, traînés par des petits boeufs ayant une peau de mouton sur la tété et une serviette blanche autour du corps. Tout en grimpant et en descendant, car il est quasi impossible, à Lourdes, de cheminer sur un terrain plat, j'arrive dans une gorge, près d'une source captée et d'un petit pont. Je suis dans la vallée du chaos. A perle de vue s'élagent des pics gigantesques gris, pelés, sans herbages, et de formidables débris, roulés d'en haut, jonchent le sol. L'on pourrait se croire à mille lieues de tout territoire habité, dans une nature absolument sauvage, si des poteaux télégraphiques n'étaient çà et là plantés dans les anfracluosités des versants et si le bruit des marteaux des tailleurs de pierres ne vous révélait que l'on vide, à mesure, en creusant des carrières, le flanc des monts. .le m'assieds sur le rebord du petit pont. La joie de se prouver un peu seul ! — On se dégrise, car 172 LES FOULES DE LOURDES on finit par être un peu saoul dans le tintamarre de ces foules; l'on n'est plus soi, mais un composé de je ne sais quels êtres affolés tournant, dans un mouvement de loton, sur eux-mêmes. Le recul fait défaut ; on ne voit plus, on a le mal de mer de YAme ; tout se brouille ; c'est à peine si la prière intime est permise, car au moment où l'on va se recueillir, le chapelet se déroule à haute voix et, vous-même, vous êtes pris dansl'engrenage de cette . roue vocale et vous moulez vos oraisons avec elle. Ah non ! Lourdes n'est pas un lieu de délices pour ceux qui aiment le coeur-à-coeuravec la Vierge dans le silence et les ténèbres des vieilles cathédrales ! Mais il faut constamment le répéter, où constater un épanouissement de la grâce et une efflorescence de la charité, plus magnifiques qu'ici? Et c'est si anormal, à une époque où chacun ne poursuit qu'un but, s'enrichir aux dépens du prochain, que Lourdes présente vraiment, à ce point de vue, dans les annales de ce siècle, un spectacle unique ! A celte heure où la Société, fissurée de toutes parts, craque, où l'univers, empoisonné par des germes de sédition, s'inquiète dans l'attente d'une gésine; à celte heure où l'on entend distinctement retentir, derrière les ténèbres de l'horizon, les tintements prolongés du glas, il semble que celte LES FOULES DE LOURDES 173 grotte embrasée de Lourdes ail été placée par la Vierge comme un grand feu allumé sur la montagne, pour servir de repère et de guide aux pêcheurs égarés dans la nuit qui envahit le monde. Et tandis que je reviens sur mes pas et reprends le chemin de la ville, très au loin, au lieu du glas que sonne l'avenir, j'écoule, ainsi qu'une douce protestation contre l'indicible panique des temps qui se préparent, l'heure dont les timbres sonnent, à la basilique, au-dessus de la grotte, sur quatre notes empruntées à la caresse chantée de la vieille prose de « l'Inviolata » : o Benigna, o Regina, o Maria ! 10

X (cTT^^ E P'us SU1 awn'» taiiclis que ces foisons de clf££c> caravanes se démènent à Lourdes, c'est l^jj^^Jl encore la chapelle des carmélites, située juste en face de la grotte dont la sépare le Gave, sur la hauteur delà roule de Pau ; elle demeure inconnue aux pèlerins dont la vie s'écoule en bas, dans la ville môme et sur l'esplanade. Ici personne ne s'intéresse a sainte Térèse, pas plus d'ailleurs qu'à une autre sainte ; la Vierge seule existe; dans les cantiques et dans les chants, il n'est question qucd'Elle; tout le monde dit le chapelet pendant la messe ; on ignore et le Sancloral et le Propre du temps; nulle part, l'hyperdulie ne s'avère aussi véhémente qu'à Lourdes ! A certains jours, leCarmcl est envahi pourtant; lorsque l'arrivée de centaines de préires est annon- 176 LES FOULES DE LOURDES . cée, que tous les autels de toutes les églises sont déjà retenus par la masse du clergé présent, Ton installe des autels en bois dans toutes les chapelles des monastères de la ville et Ton y distribue, en quelque sorte, des billets de logement de messe aux nouveaux venus. Les ecclésiastiques de tel pèlerinage sont envoyés chez les Clarisses, ceux de tel autre chez les Dominicaines et ainsi de suite. Le Garmel héberge alors, comme les autres communautés, des équipes de célébrants. Dans ce cas, la chapelle devient une galerie bordée de tables où des prêtres, les uns, le nez devant le mur de droite, les autres, le nez devant le mur de gauche, pratiquent, en se tournant le dos, le service accéléré des messes. Mais après ce coup de feu, tout rentre dans l'ordre; d'ailleurs, pendant les après-midi, la chapelle, qui est, en somme, assez loin de la grotte, car faute de pont, il faut effectuer de longs détours pour franchir le Gave, est quasi vide. C'est le seul endroit où, si Ton ne veut pas se recueillir dans sa chambre, l'on puisse se trier et se récupérer; et cependant, ce que ce sanctuaire, d'habitude si placide, est inintime 1 il apparaît tel que le hall d'un de ces casinos balnéaires, si fré-, quenls dans la région; c'est un assemblage de vitres criardes et de sculptures exécutées à la grosse, et il est paré d'un autel doré qui représente LES FOULES DE LOU11DKS 1 / / tout ce qu'il y a de plus fastueux, clans le genre, et de plus cher. La salle qui affecte des prétentions ogivales est, avec cela, d'un blanc de plâtre, d'une clarté crue, et les boiseries luisantes de ses bancs et de son parquet, implacablement cirés, ajoutent encore à celle impression acide de neuf que l'on ressent dès que l'on pousse une étonnante porte d'entrée, toute en verre ; celle-là évoque, avec le décor de ses peintures sur fond bleu, l'affligeant souvenir de ces verrières fabriquées pour certaines brasseries, au cadre Moyen Age, du quartier latin; elle y serait certainement beaucoup mieux à sa place qu'ici. Cette chapelle est accolée aune énorme bâtisse qui fut construite sur les données du curé Pcyramale, le premier bâtisseur de Lourdes. Préoccupé par le désir de « faire grand», ce préIre ne tint aucun compte de la règle de sainte Térèse, qui n'admet qu'un nombre très faible de religieuses dans chacun de ses monastères et il encouragea l'érection d'une colossale caserne dans laquelle des régiments manoeuvreraient à l'aise. Les saintes fdles qui l'habitent sont comme perdues dans l'immensité de ce monument dont le coûteux entretien les accable. Elles ne peuvent voir, heureusement, derrière la treille de fer noir qui les sépare du choeur, cette orgueilleuse chapelle si mcsséanlc â leur ordre voué, par ses ordon10. 178 LKS FOUI.KS DE LOURDES nances mômes, à la pratique de la pauvreté et à l'exercice de la pénitence. Et cependant, en fermant les yeux, le dimanche à la grand'mcsse, quand on écoute leur lamenlo derrière la grille, l'imporlunilé de ce clinquant s'efface et l'éternelle kermesse de Lourdes, la vision même de la Madone triomphale de ce pays s'évanouissent et le souvenir vous revient d'une autre Vierge qui apparut, douze années auparavant, sur une autre montagne, sur la chaîne rivale des Pyrénées, pour pleurer et prêcher la pénitence et l'on se rappelle soudain qu'à Lourdes aussi, l'Immaculée Conception a, par trois fois, répété le mot de pénitence à Bernadette. Mais il semble que ces paroles détonnent dans ce milieu. Ni l'allure des pèlerins, ni la tenue des églises, ni les cantiques des foules, ni môme les textes de la liturgie qui n'est que joyeuse ici, ne suscitent l'idée de la contrition et du repentir. Le site surtout y est résolument contraire; le paysage est un gai paysage d'opéra-comique, avec ses montagnes, de familles, ses cavernes pour enfants, ses pics à la papa ; ce n'est plus du tout la nature grandiose et stérile de La Salcltc; l'on n'est pas au-dessus des abîmes, dans un endroit sans arbres, sans oiseaux, sans fleurs, sur une place qui n'est guère plus grande que la place Saint-Sulpicc et au delà de laquelle ce ne sont plus que d'effroya- LES FOULES DE LOUItDES 179 blés gouffres; là-haut, à la Salellc, on est seul, dans les nuages, avec la Vierge ; il n'y a pas de distractions, pas de cafés et de journaux, pas de panoramas, pas d'excursions en automobiles, pas enfin de funiculaire pour se faire hisser doucement au sommet des monts ! On y vil replié sur soi-même, tandis que Ton vit déplié à Lourdes ; c'est un véritable pèlerinage d'expiation; je le crois bien désert, bien abandonné maintenant; il répondait si peu aux entrains des foules ! Mais cette Notre-Dame des Sepl-Douleurs qui a jadis guéri à La Salette tant de malades et distribué tant de grâces, n'en restera pas moins toujours plus attirante pour certaines âmes que la jeune Vierge, blanche et bleue, sans Enfant, sans croix, de Lourdes. C'est la très ancienne Vierge du Calvaire qui est apparue dans les Alpes, c'est la Mère dont le coeur fut un fourreau de glaives... Et la voilà qui revient encore dans cette chapelle de Lourdes, ramenée par sainte Térèsc, évoquée par la tristesse même de ces chants qui contrastent si singulièrement avec les allègres fredons que l'on entend dehorsI Elle vous lamine; on ne pensait qu'A Elle et c'était très bon — et l'on pense à soi, cl c'est horrible ! On était saisi par le décor extérieur, par la pitié 180 LES FOULES DE LOUHDES pour la souffrance des uns, par un vague acquiescement à la grossière gaieté des autres. On était absent de son àme qui se satisfaisait, tant bien que mal, dans ce pôle-môle d'impressions issues de l'extérieur, par les pratiques externes, elles aussi, des prières vocales; l'on ne songeait plus à descendre dans ses aitres et voilà que le Carmel vous enlève à cette torpeur qui était délectable, après tout, puisqu'elle vous dispensait des résipiscences, qu'elle vous exemptait des lancinants regrets! Mais cet amer reproche des égarements oubliés s'évanouit aussitôt que l'on quitte le Carmel, car la permanente atmosphère des affluences en liesse vous reprend. A la porte môme du cloître, ce matin, les tourières exultent en parlant de la formidable procession qui va s'organiser ce soir; tout un corps d'armée, 30,000 hommes pérégrineront, un cierge à la main, de la grotte au Rosaire, en passant par les lacets en forme d'M couché, qui grimpent sur la colline, derrière la basilique, cl, après avoir descendu cl remonté les rampes, ils évolueront sur l'esplanade pour finalement se fondre, en un seul groupe, dans le cirque immense du Rosaire. En attendant la fôte aux flambeaux de ce soir, j'assiste encore aujourd'hui à la procession de quatre heures; seulement, celte fois, au lieu de suivre le Saint-Sacrement ou de regarder la cérémonie LES FOULES DE LOURDES 181 par les lucarnes de l'église, je me môle a la foule. Il y a beaucoup de pèlerins fervents mais aussi beaucoup de curieux arrives des villes d'eaux des environs et qui se promènent autour du cercle des malades comme autour d'un orchestre militaire, aux Tuileries. Ce ne sont pas ceux-là qui nous apporteront un appoint de prières et un renfort degrdee ! Il est vrai que le spectacle auquel ils vont assister n'est pas de nature à leur inspirer le respect d'une religion qu'ils ignorent. Presque en tète du cortège, après la croix, les céroféraires et les suisses bleus — les suisses vermillon aux plumets de corbillard sont, avec le pèlerinage qui les amena, partis, — une fanfare, débarquée d'hier,s'avance, composéed'ecclésiastiques et de laïques parmi lesquels domine un énorme soulanier qui vente, à décorner les buffles, dans un ophicléide. Ils jouent des mélodies de barrières, des flonsflons ! Et une fois qu'ils sont entrés dans le camp des infirmes, une indécente dispute éclate avec ces brutes qui regimbent d'ailleurs, alors qu'on les supplie de se taire, pour permettre au prêtre imploraleur de lancer les invocations! Le Saint-Sacrement parcourt, selon l'habitude, le rangdes voiturelles. C'est devant moi un remous de tètes ; des gens se haussent sur la pointe des 182 LICS FOULES DK LOURDES pieds pour voir; des enfants sont à califourchon sur les épaules de leurs papas, des dames sont montéessur des bancs etsur des chaises ; les échelles des photographes sont envahies. L'on dirait d'une multitude en attente du breufgras.—Çàetlà, pourtant, à l'écart, des prêtres lisent, placidement, leurs bréviaires; — et tout à coup un frémissement passe dans la foule. Des cris retentissent : un miracle ! une femme se lève! Magnificat ! J'aperçois les brancardiers qui courent à toutes jambes dans le cercle vide. Le plus sage est de filer dare-dare à la clinique, avant que tout le monde ne s'y précipite, pour être là lorsqu'on amènera celte femme. Quand j'arrive, le Dr Boissaric cause avec une jeune fille assise dans un fauteuil, devant lui. Elle raconte que, paralyséede la main et du bras droits, elle n'avait pas encore été guérie, dansles piscines ou pendant la procession, depuis huitjours qu'elle est à Lourdes, mais qu'elle l'a été subitement, ce matin, sur la montagne du Calvaire où elle s'était rendue pour faire, avant son départ de ce soir, un dernier chemin de croix. La guérison eut lieu quand elle n'y cotnptaitplus, juste au moment où, allant se retirer, elle prononçait en se signant, à la fin de ses prières, le mot Amen. Et la petite agite son bras dans tous les sens et rit, en regardant avec complaisance une bague en LES FOULES DE LOURDES 183 doublé et en strass qu'elle s'amuse à faire monter et à faire descendre le long de son doigt. — Mais, dit le docteur, qui sourit, vous ne l'aviez pas cette belle bague quand vos doigts étaient repliés dans l'intérieur de votre main ? — Oh non! seulement lorsque j'ai été guérie, j'ai été si contente que j'ai couru aussitôt en acheter une ! Et, comme craignant d'être accusée de coquetterie, elle ajoute, en rougissant un peu : — Je l'ai donnée à bénir ! Tout le monde rit et je pense que cette petite ne manque pas d'une certaine roublardise, car enfin, elle a trouvé moyen de mettre sa conscience à l'abri et de se garder à carreau envers la Vierge, en transformant un objet de vanité en un objet de piété ; est-ce assez femme ! La porte s'ouvre en un coup de vent, dans une tempête de voix; le bureau est, en un instant, rempli. On pousse, en hâte, sur le parquet, une civière et les brancardiers se débattent derrière elle, dans une ruée de foule. Il faut aller leur prêter main-forte pour rejeter les assaillants et refermer la porte. Ce bureau suggère de plus en plus l'idée d'une cabine de navire battu par un llux de vagues cl l'on entend, en eiï'ct, en dehors, un roulement de mer, sur l'esplanade où la multitude, lbï I.KS FOl'I.KS DK LOURDES qui attend la sortie de la miraculée, moutonne. — Voyons, dit le docteur, qui considère la femme que les brancardiers aident à se lever de la civière, qu'est-ce qu'il y a? Tous ceux qui ont pénétré à sa suite dans le bureau parlent en même temps. — Un peu de silence, Messieurs! s'écrie le Docleur; laissez Madame s'expliquer. Mais elle n'explique rien du tout; elle est ahurie, se borne à répéter : je suis guérie, je suis guérie ! — De quel pèlerinage èles-vous? avez-vous un certificat médical? Elle n'en sait rien ; pourtant l'on finit par comprendre que le certificat est resté à l'hôpital. Enfin un piètre qui la reconnaît déclare que celle femme est une épileptiquc donl les paralysies sont intermittentes. — C'est bien, reprend le Dr Boissarie, nous examinerons ce cas, plus tard. Et il hausse les épaules. — Maigre butin ! lui dis-je, en le quittant. Il sourit;— eh bien, me répond-il, vous èles assuré, je pense, que, contrairement à l'opinion de certains journaux, le miracle ne se fabrique pas sur commande, ici ! Au moment où je sors, la fanfare, à laquelle on a rendu sa liberté, vacarme sur l'esplanade; lecambrousier d'église qui tient Pophicléide en tire des LES FOULES DE LOUI'.DES 185 meuglements de vache éperdue, de pieux et de profonds rots. Il n'y a qu'une ressource, rentrer chez soi et fermer ses fenêtres, pour échapper, s'il se peut, à l'infatigable chahut de ces gens. Vers huit heures du soir, le calme se rétablit. Ces orphéonistes bâfrent et boivent, sans doute, encore. Je vais rejoindre mes braves lourières au Carme! et je m'assieds, auprès de quelques piètres, sur les marches de la chapelle. De là, je domine, au-dessus du Gave, la basilique, la rampe, l'esplanade, le Rosaire, vus de profil ; c'est l'endroit le mieux situé pour assister augala de la féerie du feu. En attendant que le défilé commence, nous causons, et l'on ne s'entretient, bien entendu, que d'arrivées et de départs de pèlerins et de miracles. L'on m'interroge pour savoir si je suis allé à la clinique aujourd'hui et si j'y ai constaté des prodiges. Je raconte l'histoire de la petite à la bague guérie, sans y penser, quand elle n'y comptait plus et à propos de cette cure inattendue, un ecclésiastique dont je n'aperçois pas le visage dans l'ombre et qui doit être, d'après certains détails qu'il donnait tout à l'heure à l'un de ses voisins, un prêtre de la Sainte Face, à Tours, s'exclame : — Lemiracle ! M. Dupont répondait à un curieux qui lui exprimait son ébahissement des guérisons qu'il obtenait par l'huile de la lampe allumée devant il 186 LKS FOUI.KS DK LOUItDKS la Sainte Face : Mais, Monsieur, le miracle n'esl pas plus difficile à obtenir pour u'n chrétien <ju'un plaide petits pois chez la marchande du coin; il suffit de demander... Seulement, lui, demandait d'une façon spéciale. 11 ne disait pas à Dieu, je voudrais, il disait:je veux. II reprit, une fois, unejeune fille qui soutirait d'un pied et s'adressait au Seigneur en ces termes : mon Dieu, si c'est votre bon plaisir et votre volonté, je vous prie de m'accorder ma guérison. Ce n'est pas de la sorte qu'il faut prier, s'écria-t-il; vous n'avez pas la foi, il faut commander au Bon Dieu ! — C'est peut-être ainsi qu'il conviendrait de s'y prendre, ici, quand le Christ résiste... — Peut-être, répliqua un autre prêtre, car lorsque le Père Marie Antoine venait à Lourdes, il usait parfois de ce mode d'impétralion et avec succès... — Oui, mais ce vieux capucin était un saint homme dont l'éloquence, toute en cris, déchaînait les foules et il disposait ainsi, ensachant la manier, d'une force de prières étonnante... El, tandis qu'ils bavardent évoquant entre eux des souvenirs du Père Marie Antoine, au loin, devant nous, la procession se forme. A celle heure, dans la nuit, la grotte, creusée sous la basilique, llamboie comme une fournaise; c'est delà que part l'incendie propagé parles cierges I.KS FOUI.KS 1»K I.OUIlDKS 187 des pèlerins que l'on ne voit pas; il semble que des étincelles sautées du fond d'un four ouvert et portées par le vent, voltigent dans les lacets de la colline, qui, lentement, s'embrasent; et les blueltes gagnent du terrain, pétillent déjà dans les arbres derrière l'abside de la basilique et atteignent, peu à peu, en tournant, le parvis, avant de descendre sur la rampe de droite, dans une indescriptible cacophonie de « Laudate Mariam » de « Au ciel, au ciel ! » mêlés à des cantiques de langues étrangères, tous écrasés, pourtant, par la masse pesante des Ave. Et voici la basilique qui s'illumine du haut en bas, qui se découpe en des lignes tricolores dans l'ombre et elle paraît plus étriquée, plus chétive encore, sur le fond de ces montagnes que les ténèbres, déchirées par des coups de lumière, agrandissent. La chaufferetteronde, à couvercle, le gueuxposé sous ses pieds, le toit du Rosaire, brasille avec la ferblanterie de son dôme et ses oculi rouges. Maintenant, les deux rampes, sont en pleine combustion; l'on monte sur l'une et l'on descend sur l'autre; l'on dirait d'une roue de feu, couchée sur le liane, à demi soulevée du sol, qui tourne, eu crépitant, lançant, dans son mouvement giratoire, des gerbes d'étincelles. Les cierges qui grimpent se hâtent, semblent marcher, en poussant des cris de victoire, à l'assaut de la basilique ; et 188 LES FOULES DE I.OUI1DES subitement, dansle sillage scintillant,degrandstrous se font; le vent a éteint des cierges et des mouches de feu volent pour les rallumer cl les trous noirs disparaissent, bouchés par des paquets de flammes ! El cela tourne, tourne, sans arrêt, dans un vacarme d'Ave, soutenu par les cuivres de la fanfare; au loin, l'esplanade qui déborde, fait songer aune plaine dont la récolte se carbonise, à des champs d'épis en ignition ; et les tiges de celte moisson qui brûle projettent un éclairage de théâtre sur les arbres des alentours dont le vert s'albumine et se décolore. En face de la grotte, le long du Gave, de minuscules cortèges s'organisent encore et l'on croirait voir des essaims de vers luisants qui ondulent sur la terre puis se muent, rejetant leurs chrysalides de nuit, à mesure qu'ils montent en voltigeant, dans les lacets de la colline, en des phalènes d'or. Ces cierges chantent, mais leur faible voix que l'on entend à peine finit par se perdre dans l'énormité de l'ensemble qui ébranle l'ombre des monts. Ah ! l'étrange vision et le délirant spectacle de cette foule accourue de tous les pays de l'univers, dans ce petit coin de rien du tout, pour prier la Vierge ! à quelques pas d'ici, c'est la campagne silencieuse, la campagne noire; et tous ces gens qui veillent, si loin de leurs pairies, disent la même chose dans des idiomes différents et pensent de LES FOULES DR LOURDES 189 môme; lous sont ceiiains que des infirmes abandonnés par les médecins peuvent, si la Vierge le veut, en un instant, guérir; tous savent que des conversions impossibles, que des affaires inextricables peuvent s'accomplir et se dénouer, en un clin d'reil; et dans cette multitude innombrable que ne contraint aucune police, jamais un désordre, jamais une dispute; l'effervescence même que produisent des miracles, tombe d'elle-même. Il y a, dans celte cité de Notre-Dame, un retour aux premiers Ages du christianisme, une éclosion de tendresse qui durera, tant que l'on restera sous pression, dans ce havre de la Vierge. On a l'idée d'un peuple composé de fragments divers et néanmoins uni comme jamais peuple ne le fut; il se désagrégera, demain, par des départs mais il se reconstituera par l'arrivée de nouveaux éléments apportés par de nouveaux trains, et rien ne sera changé; la piété sera pareille, la patience et la foi seront semblables. Lourdes, est, en somme, une principauté qui réalise et bien au delà les plus audacieuses chimères des philanthropes; c'est la fusion temporaire des castes ; la femme du mondey panse et y torche l'ouvrière et la paysanne ; le gentilhomme et le bourgeois deviennent les bètes de trait des artisans cl des rustres et se font garçons de bains, pour les servir. Le pauvre est hébergé, nourri, baigné, choyé, 100 LES FOULES DR LOURDES pour la grâce de Dieu; il peut puiser toute l'eau qu'il désire à la fontaine ; il peut s'asseoir dans toutes les églises, et devant la crotte, partout où il lui plaît, sans avoir jamais à dépenser un sou. Le rêve d'une société qui serait propre se décèle, pour quelques mois, tous les ans, à Lourdes ; il est dû à cette vertu que saint Paul déclarait supérieure à toutes, à la charité; et je songe mélancoliquement que si les préceptes du Christ étaient suivis, l'existence pourrait être clémente à tous; mais c'est ici que l'utopie commence ; personne ne se soucie d'un prochain qui ne cherche la plupart du temps, d'ailleurs, qu'à vous exploiter et, d'autre part, les mécréants n'ont qu'un but, persécuter les catholiques, lesquels regrettent de ne pas disposer du pouvoir pour persécuter, a leur tour, les impies, oubliant que, s'ils ont le droit d'avoir des martyrs, leur religion, à eux, leur défend d'en faire. Et, tandis que je rumine ces réflexions, la roue de feu tourne toujours ; mais elle dégage déjà moins d'étincelles, et, à mesure qu'elle se refroidit et s'éteint, un brasier s'allume au-dessous d'elle, dans la cuve formée devant le Rosaire, par le cercle des rampes. Toutes les lueurs des cierges sont tombées là ; et quand les rampes sont devenues tout à fait noires, quand la roue s'est arrêtée, une immense flambée d'incendie jaillit de la cuve. I.KS FOUI.KS DR LOURDES 101 Et alors un spectacle splendide, à jamais inoubliable, surgit. Les hurlements disparates se sont tus et de la cuve incandescente le Credo du plain-clianl s'élance. Il se déroule, soutenu par des milliers de voix, monte, au milieu des llammcs, en une auguste lenteur, dans les ténèbres du firmament. C'est la profession de foi de la terre enfin sortie de la confusion des langues pour s'exprimer dans l'idiome liturgique ; c'est la concentration des prières individuelles du jour, réunies en la gerbe de la prière commune; c'est l'offrande au Seigneur — devant lequel la Vierge exaltée jusqu'à ce moment s'efface — du parfum vocal du symbole de ses Apôtres, l'encens chanté de son Eglise même! Et en haut, tout en haut, dans le ciel, alors que les accents solennels du Credo planent, un nouvel astre se lève, au sommet de la montagne du grand Gers, invisible dans l'ombre, un astre qui a la forme d'une croix et qui rutile dans la mêlée des autres étoiles, la croix, allumée par des jets électriques, sur la cîme disparue du mont! C'est terminé, la cuve ardente fume et s'éteint ; la moisson de feu de l'esplanade a été fauchée ; la processionsc disloque, les ciergesse meurent. Seul, le vaste trou de la grotte continue de flamber. Cependant, çà et là, comme d'un collier dont le fd se casse, des perles de lumière bondissent, roulent, 102 LES FOULES DK LOURDES isolées, et s'éloignent les unes des autres, sur les roules. Quelques fumerons achèvent de rougeoyer le long du Gave ; quelques feux-follets volèlent encore près du Rosaire, mais ils ne tardent pas à disparaître, eux aussi, dans le noir. Cette fois, c'est bien fini; je ne sais... mais j'ai l'idée que cette splendide féerie est .indépendante de nous, que nous n'y sommes pour rien, que cette vision n'est qu'une allégorie, qu'une figure... il me paraît que la réalité, cachée sous des apparences humaines, est autre... 11 me semble qu'après avoir humblement travaillé, pendant le jour, dans des cabines de bain, pour guérir des corps et sauver des vivants, la Vierge travaille, maintenant, dans la nuit, pour guérir des àmes et pour sauver des morts. C'est Elle qui a tourné ce rouet de feu et filé le lin en flammes des prières, afin de tisser les robes glorieuses de ces âmes qui n'attendent plus que leur vêtement de Paradis pour sortir du Purgatoire! Si j'allais me coucher ; le vent des montagnes qui souffle, dès que tombe le crépuscule, alors que l'après-midi fut torride, me glace ; ces saules de température, qui se renouvellent presque chaque jour, sont pénibles; je suis d'ailleurs éreinté par mes courses, toujours en montées et en descentes, à travers les rues. Je pars, mais combien vont res- LES FOUI.KS DE LOURDES 193 ter éveillés et debout, car il n'y a plus ni jours, ni nuits à Lourdes ; la ville en fièvre a perdu le sommeil ; l'esplanade, les rampes, l'allée du Gave demeurent éclairées, à la lumière électrique, jusqu'à l'aube; les hôtels sont illuminés; la grotte, derrière ses grilles que l'on ferme, va consumer le bûcher toujours grandissant de ses cires. Bien des pèlerins, assissur les bancs, égrèneront devant la statue devenue claire dans le reflet des cierges, leurs chapelets jusqu'à l'aurore; d'autres, pour combattre le froid marcheront, en chantant des Ave ; d'autres encore s'étendront, au chaud, dans l'église toujours ouverte du Rosaire et ils y somnoleront, exténués, écoutant, vaguement, ainsi qu'en un songe, les pétillements argentins des sonnettes brandies par les servants de messe; d'autres enfin, iront rejoindre l'abri où, pèle-môle, des pèlerins morts de fatigues s'entassent, mais, à cette heure, les places sont déjà prises. Le réveil de ces hospitalisés que je surpris, un matin, était affreux; le sommeil qui les abat, ce soir, ne l'est pas moins. Ce sont des ronflements de gens anéantis par les digestions des lourdes charcuterieset des gros vins; ce sont des soupirs de gens en proie à des cauchemars, de femmes qui lèvent. Des gamins sont couchés entre les jambes de leur mère, la tète appuyée sur leur ventre comme sur un oreiller et ce sont des plaintes étoufîécs, lorsque, lasse de reposer H. \{)\ I.KS rOUI.KS W. I.OIU'.DKS sur le dos, péniblement, la mère se retourne, en chavirant l'enfant. I/abri est une sorte de morgue où les cadavres restent habillés, mais dont les pieds déchaussés fument ! El ce sont les grognements des dormeurs réveillés par le courant d'air glacé de la porte qu'on ouvre; c'est le revers de la médaille du jour, la béte revenue dans l'écrasement d'un somme ! Mais ce camp couvert est indifférent aux véritables amoureux de la Vierge qui redent, éperdus, devant la grotte. Ceux-là n'aiment guère, pour la plupart, le vacarme des cohues et ils profitent de l'accalmie de ces quelques heures, pour se tenir frileusement auprès d'Elle et la prier en paix. Lourdes est une cité de noctambules qui compensent, par les excès de leur pieux surmenage, les excès peccamineux des noctambules des autres villes. 11 sied d'avouer que si le Démon s'abat sur ce lieu de pèlerinages, ainsi que surtous les sanctuaires voués à la Vierge, la défense des fidèles y est acharnée et que, pour une chute consentie dans l'ombre, il y a des centaines de conversions acquises par ces oraisons esseulées, par ces élans solitaires qui se produisent justement à ces heures tardives où la Madone n'en a plus. Ces oraisons se joignent aux gerbes magnifiques des Clarisses qui commencentprécisément, ici, l'of- LES FOUI.KS DK LOURDES 10') fiée, au moment on toutes les communautés le cessent. Et elles participent à la puissance des grâces que les moniales de sainte Claire attirent. Quelle oeuvre admirable que celle de celte communion des âmes qui, sans se connaître, s'aiment et s'entr'aidcnl! Dans le sinistre hôpital où les malades, tenus éveillés par le bruit qu'ils entendent, au dehors, des cris et des chants, désespèrent de pouvoir, en souffrant,s'endormir, peut être que ces prières réunies seront le dictame qui calmera, pour le reste de la nuit, leurs tourments, en attendant que la Vierge, émue par tant d'efforts, consente à opérer, demain, au moment où ils y compteront peut-être le moins, leur guérison?

XI t£V-v IEN n'arrive comme on le croit, ici; on vK$ vit dans l'imprévu ; ce malin, je suiscn- ^{J&tàl C01'P allé à l'hôpital; les malades qui m'intéressaient n'y sont plus; ils ont quitté Lourdes, par des trains de nuit. La petite religieuse blanche a recouvré l'usage de sesjambes; le genou, après, quelques nouveaux bains, s'est désenflé et la charnière s'est réparée, très souple; elle est partie gaiement, marchant sans aucun aide. Je puis donc espérer qu'elle rentrera guérie, dans son cloître (1) ; mais Je môme à la gouttière de bois ! (I) Deux années se sont écoulées depuis que ces lignes ont été écrites. La soeur Justinicn est revenue en pèlerinage d'action de grâces à Lourdes. Elle a été examinée de nouveau et nulle trace ne reste de la coxalgie tuberculeuse dont elle était atteinte. L'on peut donc aflirmcr que, dans les conditions où elle s'est produite, sa guérison a été vraiment miraculeuse. 198 LES FOULES DR LOURDES Il est retombé, paraît-il, plus malade qu'auparavant cl on l'a remporté, réintégré, clans son appareil, presque mourant, clans le wagon ! Ici, je ne comprends plus; le miracle acquis ne me surprend pas; mais le miracle, accordé d'une mainet retiré de l'autre, me désarçonne ; je n'y suis plus du tout. Je sais bien qu'un miracle qui ne dure pas, qui n'est pas entériné par l'épreuve du temps, n'en est pas un; et cependant, comment nier une intervention extranalurellc dans le cas de cet enfant ? une jambe tordue se redresse, une couronne d'abcès sèclic, la peau se reforme sous des croûtes prêtes à se délacber, la santé revient, sans transition, sans convalescence, avec la vigueur nécessaire pour courir sans fatigues, et cela, instantanément, en coup de foudre, après une simple immersion dans un bain d'eau sale; est-ce explicable par des raisons purement physiologiques? je ne le pense pas. Si j'ai, en effet recours aux arguments des médecins, décidés a ne voir dans les faits qui se passent à Lourdes, que des phénomènes de la suggestion et de l'exaltation de la Foi, devenues, suivant eux, une panacée souveraine contre la plupart des maux, j'aboutis à des résultats dont l'absurdité s'avère manifeste. Que des gens atteints de maladies nerveuses, que des femmes hystériques soient guéris par une forte 1,1'S FOW.ES DR LOURDES 400 commotion, c'est possible; je vois un certain nombre de femmes à Lourdes auxquelles ces théories peuvent, en effet, s'appliquer; seulement, nul ne les considère, comme des miraculées, nul ne s'en préoccupe, ici ; mais il ne s'agit pas, en l'espèce, d'une grande personne qui peut s'autosuggestionner, en se persuadant, d'avance, qu'elle sera guérie; il s'agit d'un marmot de sept ou huit ans; et il faut avoir vu baigner des enfants dans la piscine, pour se rendre compte dé leur état d'esprit, à ce moment. Ils ne songent pas plus à prier la Vierge qu'à guérir. Ils se débattent, en pleurant et en criant, entre les mains des infirmiers qui les tiennent; et, une fois dans l'eau, ils hurlent jusqu'à ce qu'on les en retire ! Quelle suggestion voulez-vous qu'il y ait, dans ces conditions, chez un enfant dont la piété est d'ailleurs souvent nulle ? Mais si, au point de vue humain, le cas du petit garçon de Belley me demeure inintelligible, je dois avouer qu'au point de vue divin, il me parait plus incompréhensible encore. Un homme, une femme, parvenus à l'état cachectique de la dernière période de la phtisie galopante et amenés, mourants, à Lourdes, sontguéris, soit dans la piscine, soit pendant la procession du Saint Sacrement, soit sans rien de tout cela, dans la solitude, en un coin ; c'est une guérison, 200 LUS FOULES DK LOURDES sans marche lente et progressive, une guérison immédiate. Ils sont auscultés par plusieurs médecins qui ne trouvent plus trace des lésions; ils se promènent, mangent, boivent, dorment, ainsi que vous et moi; ils sont en quelque sorte ressuscites; ils repartent et, quelquefois, six mois après, chez eux tout revient. C/csl évidemment étrange ; — car enfin la suggestion n'a jamais, que je sache, fait repousser, ne fiU-ce que pour six mois, des poumons que l'on a, comme on dit dans le peuple, crachés — mais l'on peut cependant admettre que ces gens, une fois réinstallés dans leurs foyers, se sont remis à vivre, au mépris de toute hygiène, dans les milieux contaminés où ils avaient contracté la tuberculose qui disparut à Lourdes. Le miracle n'est pas, en effet, un vaccin qui dispense ceux qui l'ont obtenu de nouvelles maladies, un sérum qui les préserve de celle même dont ils furent, une première fois, guéris; d'autre part, en se plaçant au point de vue divin, il est permis de penser que ces malades, rendus à la santé, ont abusé de la grAcc et que leur rechute est une punition, mais pour l'enfant de Belley ces hypothèses sont vaines. Il n'a pas changé de place et il n'a pu mésuscr, à son âge, des bienfaits reçus ; le retour offensif du mal ne peut donc être le signe d'un avis ou d'un châtiment ; alors, comment expliquer l'ironie de ce faux miracle, le mensonge de LES FOULES DE LOURDES • 201 cetle validité factice? est-ce un piège tendu par le singe de Dieu, le coup renouvelé des fausses voyantes qu'il suscita du temps des apparitions de la Vierge à Bernadette, pour brouiller les cartes, pourjeter le doute sur la certitude des vrais miracles, ou est-ce autre chose, mais quoi alors? Je confesse que celte histoire est celle qui m'a le plus stupéfié à Lourdes, et, plus je la scrute et moinsje la comprends, en admettant toutefois que ce gamin ne se rétablisse pas en cours de route ou lorsqu'il sera rentré à l'hôpital, car les exemples de ces guérisons accordées, après un séjour dans le douaire de la Vierge mais seulement après qu'on l'a quitté, abondent. Je me dis, en sortant de l'hôpital, que Lourdes est beaucoup moins simple que ne le croient et les catholiques cl les incrédules. Pour les uns, tout est miracle; pour les autres, rien ne l'est; il y a encore autre chose, le mystère plus affolant, selon moi, d'un Dieu qui tolère les parodies ou qui se reprend ! Je vais au monastère des Clarisses, situé sur la même avenue, et je remets, en y arrivant, a la soeur tourière, une lettre d'introduction que j'ai reçue pour son Abbesse. Je voudrais entendre, de sa bouche, le récit d'un miracle très particulier qui lui est advenu, il y a plus de vingt ans. Je m'installe, en attendant la réponse, dans la 202 LES FOULES DE LOURDES chapelle. Son décor est en parfaite accordancc avec les moeurs expiatrices de ses nonnes; c'est une pauvre bicoque de campagne, très simple, avec, devant la treille noire de la clôture, un maigre autel garni de chandeliers de bois ; elle est très bien, elle est telle qu'elle doit être pour un institut voué à la pénitence; elle est quasi déserte, à celte heure, cl, assis sur une chaise, je pense à cet Ordre admirable de sainte Claire, réformé par sainte Colette. 11 est certainement celui des Ordres de femmes qui est demeuré le plus fidèle à sa règle et le plus intact; et c'est probablement à cause môme de cette constance, qu'ils'est montré plus résolu, plus bravé que les autres, dans la tourmente ; an reste, on peut le dire, à l'honneur des enfants de saint François, ils sont les seuls qui aient tenu bon jusqu'au dernier moment, les seuls, à l'heure présente, qui aient le courage, en habitant Paris, de porter, en pleine rue, de même que les Capucins, le costume de leur Ordre. En tout cas, à Paris, au lieu de déserter comme les Carmélites qui ont abandonné, sans coup férir, leur poste de combat, lesClarisses n'ont pas quitté leur geôle de l'impasse de Saxe. Privées de jardins et dénuées d'air, elles y meurent, ainsi que des mouches, maisjoyeusement, en réparatrices de crimes qu'elles ignorent; elles sont les seules parafotulres de la ville, maintenant. Ici, à Lourdes, ce LES FOULES DE LOURDES Wô sont encore elles qui endurent les premiers chocs démoniaques et prennent à leur compte les méfaits commis. Aussi, sont-elles parfois écrasées par d'incroyables maux qui ne sont pas guéris par l'eau delà Grotte, ceux-là! L'on me parlait, l'an dernier, d'une de cessaintes atteinte d'une enflure telle qu'elle ressemblait plus à une mongolfière qu'à une femme; elle ne pouvait rester, ni assise, ni debout et la posture sur le dos, était intolérable ; ce n'était pas une hydropisie; c'était on n'a jamais su quoi; elle mourut, radieuse, enviée par ses compagnes et il fallut fabriquer un cercueil exprès, pour l'inhumer. Ce que ce petit couvent de Lourdes, jeté au bord du torrent dont il entend, jours et nuits, le fracas régulier, est triste ! il est entouré d'un jardinet minuscule en pente, et l'on aperçoit, par dessus ses murs, les croix de bois de son cimetière. Les moniales ont bien peu de place pour se promener ; leur vie est atroce et divine : jeûnes permanents, jamais de viande, sommeil coupé en deux tronçons, coulpes et offices, hiver comme été, les pieds nus; elles vivent de quoi ? des quelques aumônes déposées dans une sorte de marmite à couvercle installée dans la chapelle ; quand ce tronc est vide, elles demandent leur pâture à l'évéché ; mais elles ne reçoivent que la somme nécessaire pour assurer les repas d'un jour, car elles ne peuvent posséder, ni 204 LES FOULES DE LOURDES en argent, ni en provisions, la moindre avance; elles doivent être pauvres et elles le sont pour de bon, celles-là ! Cela nous change un peu de ces autres Ordres, âpres au gain et hantés par la manie des bâtisses, que la Providence a laissé balayer, de môme que des épluchurcs de piété, de notre sol ! La soeur interrompt mes réflexions, en me venant quérir ; elle m'annonce que l'Abbesse est au parloir et elle m'introduit, au sortir de la chapelle, dans une petite pièce, blanche et nue, où je m'assieds sur une chaise de paille, tout contre une grille de fer noir, garnie de broches, et fermée encore, derrière ses barreaux, par une plaque de fonte, percée, ainsi qu'une écumoire, de trous ; mais, au lieu d'être ronds, ils sont allongés en fentes de tirelires et la conversation, pénible derrière ce blindage qui assourdit les voix, s'engage ; je demande à l'Abbesse de me relater, par le détail, le miracle dont j'ai ouï parler et j'entends le petit rire gai d'une vieille femme, accompagné par le rire plus jeune delà sajur discrète qui l'assiste. — Oh ! c'est si loin, Monsieur, il y a vingt-cinq ans de cela ; pensez donc ! Knfiii, sans se faire prier, elle me raconte son histoire

— Mlle était soeur, sous le nom de Marie des Anges, dans la maison des Clarisses-Colcllines LES FOULES DE LOUHDES 205 de la rue Sala, à Lyon, lorsqu'en 1867, peu de temps après avoir émis ses voeux, à l'âge de vingt-cinq ans, elle fut atteinte d'une affection cancéreuse du lobe gauche du foie ; elle fut, trois années, malade, employée à l'infirmerie, puis il lui fallut s'aliter et elle demeura, couchée, pendant sept ans ; elle ne pouvait s'alimenter et était arrivée à un tel état de dépérissement que l'on attendait sa mort, de jours en jours; ce fut alors que la mère Térèse qui avait été envoyée, depuis deux années à Lourdes afin d'y établir, avec quelques unes des moniales de Lyon, le monastère actuel, écrivit à sa maison-mère de la rue Sala pour obtenir qu'on lui donnât la soeur Marie des Anges. De deux choses l'une, disait-elle, ou elle guérira et, ce sera la preuve que notre création de cloître est approuvée par la Vierge, ou elle ne guérira pas, mais alors elle fonderal'infirmerie, sera notre première malade et, en sa qualité de membre souffrant du Christ, elle portera bonheur à la communauté. Notre mère dp Lyon, reprit l'Abbesse, après un silence, ne savait à quoi se résoudre; elle jugeait — et c'était l'avis unanime des médecins — que j'étais trop malade pour subir les fatigues d'un voyage à Lourdes; elle me consulta, mais, moi,je n'avais pas d'opinion; j'étais liée par mon voeu d'obéissance, prête à rester ou à m'en aller où l'on voit- 206 LES FOULES DE LOURDES cirait. Notre mère hésitait toujours quand le cardinal Gaverot, alors archevêque de Lyon, vint en visite à l'abbaye. Notre mère, devant moi, lui soumit le cas. Son Eminence pensa que je devais partir, mais quand je lui demandai, comme à mon supérieur, si je devais solliciter de la Sainte Vierge ma guérison, il me répondit textuellement ces mots : « Ma fdle, je n'en ai pas l'inspiration. » On m'embarqua donc, pour constituer la première malade du nouveau monastère ; .le voyage fut bien pénible, mais tout le monde, en route, était si attentionné, si charitable pour moi! — 11 fallait, en descendant des trains, me coucher sur une civière et, chaque fois qu'on me bougeait, j'étais sur la croix; enfin j'arrivai, presque morte; on me traîna tant bien que mal jusqu'à l'entrée de ce couvent et la mère Térèse me fil intimer l'ordre de ne pas me baigner et de réclamer ma guérison. On me transféra donc à la grotte — c'était le 17 septembre 1878.— Là, on m'élendil par terre, derrière un autel roulant et on me laissa. J'ignorais à qui je devais obéir, au Cardinal ou à PAbbesse? au fond, l'idée de guérir me désolait; pensez donc, je n'avais plus, de l'avis de tous, que quelques jours à vivre pour être auprès du Bon Dieu... enfin,je m'abandonnais à sa volonté, en pleurant, quand un évèque, suivi d'un Monsieur de Lyon que je connaissais, pénétra dans la grotte. LES FOULES DE LOUKDES 207 Ce Monsieur me désigna à l'évoque qui me questionna; je lui expliquai du mieux que je pus pourquoi j'élais là; et je pouvais à peine parler, tant j'étais faible! puis, croyant que ce prélat était mon nouveau supérieur, l'évèque de Tarbes, je lui dis : Monseigneur, vous êtes maintenant mon maître et c'est à vous que je dois l'obéissance ; voulez-vous me commander de guérir ? 11 fut surpris et me répondit : « Mon enfant, je le veux bien, si la Vierge le veut. » J'eus à peine le temps de formuler ma prière ; je fus enveloppée dans un grand frisson et jetée debout. M*' Fonteneau, — car, je l'ai su après, — ce n'était pas l'évèque de Tarbes, mais l'évèque d'Agen qui m'avait interrogée, fut bien content et il me bénit. Les pèlerins étaient accourus, de tous les côtés, et voulaient m'emmener au bureau des constatations médicales, mais le Père Sempé, qui était alors le supérieur des missionnaires de la Lîrolte et qui avait été aussitôt prévenu du miracle, s'y opposa. — Elle est hors de sa clôture, dit-il, qu'elle y rentre et, au plus vile ! Et voilà loutce que je puis vous raconter ; vingtcinq annéesse sont écoulées depuis et je n'ai jamais plus été malade... — Alors, ma révérende Mère, vous ne teniez pas du tout à guérir ? — Ali ! non, s'écria vivement la Mère Marie des 208 LES FOULES DE LOURDES Anges, Dieu soit loué ! mais songez queje ne vis plus maintenant que pour encourir la responsabilité de celte charge d'Abbesse que je ne cherchais pas... et j'étais prête alors — autant qu'on peut l'être — à paraître devant le Seigneur !... r— Et, après un soupir, elle changea la conversation et m'entretint de ce bon M>-'r Fontencau qui ne serait jamais revenu à Lourdes, quand il vivait, sans la visiter... — Et vous n'êtes jamais retournée à la Grotte, même pour y faire une action de grâce ? — Non, puisque je ne puissortir de la clôture... on m'a rapporté que la grotte était bien changée, qu'on y avait mis, à cause de la foule, des grilles... moi, je me la rappelle toujours, très simple, sans rien... telle qu'elle était alors. Je rumine celte histoire, après avoir pris congé de l'Abbesse. Je pense encore à cette théorie de la suggestion, chargée d'expliquer toutes les cures de Lourdes ; mais voilà une moniale qui n'enviait pas du tout un réveil de sanlé, et qui a été, en quelque sorte, guérie malgré elle ! si elle s'était aulosuggcslionnée, ce serait le contraire qui se serait produit; elle serait, comme elle le désirait, morte ! Elle est vraiment intense, elle est vraiment râpée, à la lin, celle Ihéoiie ! l'on n'a jamais vu la thérapeutique suggestive guérir, ainsi que cela se passe à Lourdes, des maladies de poitrine et des LES FOULES DE LOUliUES 209 maladies de foie, des cancers el des lupus ; on ne l'a jamais vu rendre les yeux aux aveugles et l'ouïe aux sourds. La vérité est que ceux qui prônent ce genre de traitement sont bien obligés d'avouer, s'ils ne sont pas des charlatans, que ses effets sont des plus infidèles eldes plus restreints. Hélas! c'est tout juste, s'ils parviennent à pacifier ces affections de nerfs dont ils nous rebattent les oreilles, depuis des ans ! — Si faillite de la science, il y a, c'est bien par la psychothérapie, à peine née cl déjà moribonde, qu'elle commence! Mais, par contre, la belle preuve administrée par la Vierge de la puissance des voeux monastiques ! car ce miracle, c'est le miracle de l'obéissance; et je me souviens de la petite soeur blanche du Saint-Esprit, de Bretagne; qui sait si, elle aussi, n'a pas été sauvée pour les mêmes raisons? élailelle si heureuse que cela de vivre? je me remémore son cri : Ce que notremère va être contente ! —Elle est donc venue ici par obéissance et a requis, sur l'ordre de sa supérieure, sa guérison et elle semblait plus satisfaite pour sa maîtresse que pour ellemême d'être enfin rétablie! Qui peut sonder les délicieux abîmes d'une Ame, détachée d'elle-même el fondue en Dieu ? L'obéissance monastique est si désordonnée sous son apparence régulière, si profonde sous la banale tranquillité de ses semblants qu'elle ne peut s'ac12 210 LES FOULES DE LOURDES complir sans un secours spécial d'en Haut, sans une aide! Un supérieur ou une supérieure, c'est-àdire des êtres faillibles et médiocres, pour la plupart, tiennent dans le cloître la place du Christ ; et il est nécessaire de se convaincre que ce qu'ils commandent, Jésus le commande, que ce qu'ils défendent, Jésus le défend. — Et cela ne serait encore rien d'obéir extérieurement, en toutes choses, grandes ou petites, faciles ou difficiles, à toute heure et en tout lieu, mais il faut encore obéir intérieurement, avec une entière servitude de l'esprit, avec une parfaite soumission du coeur! Il convient donc de s'aveugler soi-même, de ne pas vouloir examiner si l'injonction prescrite est raisonnable; il faut que la sujétion soit simple et confiante, sans restriction mentale; il faut qu'elle soit adhérente et simple, souple et joyeuse ! Cet idéal est si contraire à la nature humaine qu'il existe à peine, est-il besoin de le dire, dans les couvents. Essayez de vous persuader que vous allez abandonner sans réserve, de votre plein gré, tout ce qui constitue votre personnalité, tout ce qui fait de vous un homme différent d'un autre homme ; représentez-vous encore qu'il siéra de imiter cet égoïsme plus ou moins conscient qui vous incitera toujours à vous intéresser plus à vous-même qu'à votre prochain; figurez-vous aussi que vous devrez renoncer à vous consulter, être LES FOULES DE LOURDES 21 1 indifférent aux humiliations et aux souffrances, que vous ne serez plus qu'un objet animé entre les mains d'un Abbé dont le caractère peut être celui d'un tyran ou d'un gâteux et que, par vertu, vous ne serez plus, lorsqu'il touchera votre déclic, qu'une machine tournant sur ses propres aitres, pour les broyer — et vous concevrez le volcan cl" révolte qui bout et gronde, prêt à exploser en vous ! Et cependant, il y a des humains qui subissent, patiemment, gaiement, tant ils aiment Dieu et en sont aimés, cet écrasement de leur volonté, qui se forcent à se taire et se submergent eux-mêmes dans l'heureuse indifférence que le Ciel apitoyé prépare; telle me paraît être la bonne Abbesse desClarisses; mais pour une qui répond exactement à la vocation divine des cloîtres, combien d'autres que je connus — qui étaient gens de vertu, pourtant — et qui, après être entrés dans des monastères où il semblait que Dieu les voulût, en sont, n'en pouvant plus, sortis. Ceux-là, après avoir enduré, sans trop regimber, bien des affronts, s'étaient rebellés, à un moment, contre des ordres qu'ils estimaient ineptes et qui l'étaient sans doute; mais c'était là l'émeuve; ils délibérèrent et ils furent perdus ; en une minute, le peu qu'ils avaient acquis, à force d'abnégation, croula ; il aurn.it fallu tout rejeter, ne rien garder de soi, se quitter entièrement cl s'abolir. Ils 212 LES FOULES I>K LOURDES 1c savaient, mais la nalurc vainquit la grâce; et c'est, a de rares exceptions près, maintenant, le le casde tous. Un moine admirable, devenu le général d'un des grands Ordres du monde, me disait un jour : « Le frère un tel que vous avez connu, est mort ; eh bien, vous ne rencontrerez plus son équivalent dans les cloîtres.» —Et, commeje me récriais, alléguant que j'avais vu, dans Puh de ses ascétères, de très pieux corners et d'ardents novices,— il me répondit : « Oui, sans doute, vous verrez encore de saintes gens, mais vous ne verrez plus des saints; » et il ajouta : « On leur donne un ordre, ils l'exécutent aussi tôt, mais ilscherchenl, en eux-mêmes, à savoir pourquoi on leur a donné cet ordre et, dès lors, fatalement, ils sont amenés à le plus ou moins discuter. Cela suffit pour que la vertu d'obéissance s'affaisse; elle n'est plus généreuse, elle n'est plus spontanée, elle n'est plus complète ; Dieu ne la bénit plus du moment qu'elle raisonne ! » A quoi cela tient-il ? beaucoup, pour les hommes, à l'obligation du service militaire qui, s'il rend des services aux élèves des séminaires, en leur enseignant la vie, est déplorable pour les novices des instituts religieux qui n'ont nul besoin d'être instruits, par des entretiens de chambrées, de détails qu'ils auront peul-ôtre bien du mal à oublier clans leur cellule. LES FOULES DE LOURDES Zlo En toul cas, ils apprennent au régiment une discipline frondeuse, une dépendance subie mais exécrée; ils apprennent à observer et à se méfier, à contester le bon aloi de certaines consignes, et ils rapportent avec eux ce levain, sinon de révolte, tout au moins de discussion, dans les couvents. Gela tient aussi, d'une façon plus générale, à l'état morbide d'une société qui a été trop dupée par le mensonge des décors et par l'abus des apparences. Les scandales de chaque jour qiie l'on ignorait sans doute autrefois et que la presse propage maintenant jusque dans les coins les plus reculés de la province, nous ont pour longtemps allégés des égards et débarrassés des déférences. Personne ne croit plus'à l'honnêteté des hommes politiques, à la valeur des généraux, à l'indépendance des magistrats; personne ne se figure que le clergé est composé de saints. Sans admettre des exceptions qui subsistent pourtant, on a jeté dans le môme sac, les képis, les toques et les barrettes et envoyé le tout à la voirie; c'est, actuellement, une sorte de malaria de l'irrespect ; et nul ne se soustrait à ce paludisme de l'âme; tout le monde en est plus ou moins atteint, car l'on n'échappe pas à l'ambiance d'un temps, encore moins à la pression démoniaque qui se sent aujourd'hui plus intense que jamais... le diable est dans tout ce que 12. 214 LKS FOULES DR I.OUI'.DES l'on pense, dans tout ce que l'on dit; il est l'air même que l'on respire. One vous voici loin de l'obéissance claustrale qui se désagrégera dans cette atmosphère de plus en plus mordace, j'en ai peur! — Ah! ce qu'une authentique moniale, telle que la Mère Marie des Anges, qui ne voit rien, qui ne saura jamais rien de tout cela, est heureuse! Mais, au lieu de me ratiociner d'importunes réllexions, je ferais beaucoup mieux d'aller me confesser;'ce n'est pas, hélas! une chose facile. La crypte, creusée sous la basilique même, où sont installés les confessionnaux des ecclésiastiques qui remplacent les Pères de la Grotte, est, depuis que les pèlerinages internationaux fonctionnent, inabordable. L'on croirait vraiment, du reste, que l'habituelle stupidité des architectes sévit plus véhémente qu'ailleurs, ici. L'an dernier, quand on arrivait à la crypte, on rencontrait, dès rentrée, un couloir circulaire qui vous menait à la sacristie du prêtre de garde ; les pèlerins qui étaient obligés, pour pénétrer dans la chapelle, de suivre une autre route, n'obstruaient pas le passage et chacun y trouvait son compte. Celte année, tout est changé; l'on a supprimé le couloir circulaire et l'on ne peut plus s'introduire dans la crypte que par une seule allée, si bien que la bousculade d">s MOUS >n y viennent et de ceux qui en sortent, s . <j>; i! "isce LES FOULES DE I.OIIîUKS 2li> médiocre boyau où chacun s'écrase. Quant à joindre la sacristie, c'est toute une aventure, car il faut se laisser d'abord ballotter par le flux «>t le reflux des visiteurs dans l'unique allre, puis À un moment donné, s'échapper et couper au travers d'une autre multitude de gens répandue dans ce cellier, pour atteindre la cabine réservée au confesseur. Celte crypte, quand elle n'est pas inaccessible comme pour l'instant, est encore l'église la moins offensante qui soit à Lourdes. Petite, courte, très basse, hérissée de piliers, mal éclairée par des ampoules électriques, allumées tout le jour, elle suggère quand même l'idée d'un peu de chez soi, d'un peu d'abri, loin de la bruyante coulée des foules ; lorsque celles-ci ne s'y coagulent pas, l'on peut s'isoler dans la pénombre d'un coin ; puis son décor est plus intelligent et moins vil que celui des autres temples; elle est percée au-dessus de chacun de ses autels, fixés dans des niches en demi-lunes, de deux lucarnes dont les embrasures, taillées en biais dans l'épaisseur des murs, sont revêtues de mosaïques d'or. El mieux que partout, ici, l'on se rend compte du rôle que doit jouer, dans l'art monumental, ce genre d'ornement, délivré de son inutile souci de parodier des tableaux, ainsi que dans les chapelles du Rosaire ou de s'égarer dans de la peinture de portraits, de même que dans les deux ridicules pastilles, collées à la porte du Ro- 216 LES FOULES DE LOURDES saire et qui prétendent reproduire les traits du Pape Léon XIII et de W Schoepfer, l'cvéque actuel de Tarhcs. Ici, la mosaïque se contente d'entrelacer des arabesques, des rinceaux, des Heurs et des croix, exécutés en pierres de coubur sur un fond craquelé d'or; et, dans le demi-jour versé par les meurtrières et dans leslueurs orangées des amandes électriques, ces embrasures scintillent avec les tons fauves et saurés des vieux ors des cuirs de Cordoue ; et ces lueurs, à la fois souples et sourdes, sont la plus fastueuse et la plus discrète parure de ce caveau trop blanc. Mieux que partout ailleurs, l'on peut encore observer, dans cette crypte, le matin, pendant les messes, le contraste qui s'atteste entre les feux des pochettes électriques et le feu des cires, allumées sur l'autel. Celui des cierges palpite et vil, tandis que l'autre brûle, immobile, et rougeoie, mort. Rien n'est moinssymbolique que celle forme d'éclairage adoptée non seulement à Lourdes, mais à Paris, dans lapluparldessanctuaires, voire même dans certaines chapelles d'abbayes. C'est commettre un véritable contre-sens que de seservir de lueurs inanimées, là où se tient le Christ, dont la lumière est la vivante image; c'est supprimer aussi, dans l'Eglise, l'indispensable signe de laCharité dont la flamme est l'emblème; et nous voici également bien loin de la divine liturgie bénissant par I.F.S FOULES DF. I.OUUOF.S 217 de vénérables et de magnifiques formules l'huile et la cire, avec ces paquets de fils incandescents dont le moindre inconvénient est de 'fabriquer une lumière de mensonge, car elle n'éclaire pas et il est impossible de lire son office, sous ces lueurs blafardes qui se diffusent et diluent leur or, en tombant des voiUes. Que sont devenus les types bizarres qui, dans les périodes calmes de Lourdes, fréquentaient celte crypte? Marie, la cul-dc-jaltc, qui bondissait, sur les rampes du Rosaire, dans son plat de bois que renouvelaient les Pères de la Grotte, lorsqu'il était usé? qu'est devenue la grabataire, assise dans une voiturcllc que l'on amenait et remisait, à l'entrée de la crypte, au bout de l'allée conduisant au maître-autel ; elle assistait ainsi à la messe de dix heures et le prêtre traversait toute l'église pour lui apporter la communion ; puis on venait la rechercher, dans son logis ambulant, à midi. Jamais on ne pouvait apercevoir son visage ; il était enveloppé de voiles noirs si épais que je me demandais, — avant de savoir qu'elle était atteinte, depuis vingt-cinq ans, d'une maladie de la moelle épinière, — si elle ne cachait pas une tète décomposée sous ce masque qu'elle relevait, juste sous le nez, pour recevoir l'hostie — et elle le rabaissait aussitôt après. Et ces deux monstrueuses créatures, deux soeurs 218 I.RS FOIH.FS DF. LOURDES colossalcmcnt riches, qui avaient, il y a de cela cinq ans, fait le voeu, le jour de la fète de sainl Benoît Labre, de vivre comme lui, dans un linceul de crasse ; toutes deux, en haillons, sous leurs robes, se dispensaient de jamais se déshabiller et se laver; l'aînée aux yeux farouches, aux traits fusinés par la poussière dont s'emplissait ses rides, entretenait, dans son chignon, des garennes de poux qui couraient sur ses épaules pour rejoindre une autre colonie d'insectes campés dans son corsage. La cadette, non moinssale, se défendait pourtant de la vermine qui rongeait sa soeur, en ayant, sous un voile de crêpe, les cheveux ras... Elles puaient ainsi que des élaux d'équarrissage et l'on fuyait à leur approche. Que sont devenus aussi, ces hurluberlus de la piété et ces maniaques qui montaient, et descendaient sur les rampes, entraient dans le vestibule de la crypte, s'inclinaient en un salut, ici, et en un salut, là. En bas, à la grotte, ils baisaient la terre, se relevaient, allaient boire à la fontaine, retournaient baiser le sol, allaient embrasser le roc et rebuvaient. Et cela, pendant des heures ! Perdus dans l'immense foule des pèlerinages,je ne les ai pas, celte année, revus. Pour en revenir à la crypte, il faut aujourd'hui me placer à la queue des pèlerins afin d'y pénétrer; l'atmosphère est irrespirable, j'avance LliS FOULES DE LOUKDKS 219 4 derrière des dus, dans une buée de miasmes; enfin, poussant el poussé, je me dégage des gens qui m'enserrent cl, à travers des bancs chargés de fidèles que je dérange, j'atteins la sacristie; elle est pleine! — le découragement commence; — je me dis que je me confesserai, un autre jour, mais un autre jour, ce sera la même chose, tant que les compagnies de chemin de fer continueront à déverser leurs trains de voyageurs, dans la vallée de Lourdes. S'il n'y avait parmi les pénitents que des hommes, la lessive aurait lieu encore assez vile, car les lavandiers expédient d'habitude, après un rinçage sommaire, les hommes ; mais il y a des femmes ! — el, celles-là veulent qu'après les avoir amidonnées, on les repasse ; — alors pour peu que chacune apporte à savonner toutes les petiles affaires de son ménage et que le blanchisseur y prenne intérêt, il y en a pour des heures ! Je me détermine pourtant à rester; faute de chaises, je me tiens debout dans un coin cl j'examine mes voisins. Les premiers arrivés sonl des hommes ; ils sont là, têtes basses, qui se pelurenl la conscience; ils auront vite fait de déposer leur paquet d'épluchures aux pieds du prêtre et je me console également, en constatant que la plupart des femmes sont des paysannes; celles-là seront moins longues à narrer leurs exploits el seront 220 LES FOULES DE LUUllDES d'ailleurs plus vite renvoyées que des bourgeoises. Il n'y aura peut-être pas à attendre trop longtemps; mais, tout de même, comme ce service des confessions, si bien organisé par les Pères de la grotte quand ils étaient les maîtres de Lourdes, est donc mal agencé maintenant ! Ils sont là quelques ecclésiastiques qui ne peuvent suffire à la lâche et malheureusement tous ces églisiers amenés par les pèlerinages et auxquels on accorde les pouvoirs de confesser lorsqu'ils les demandent, ne paraissent se soucier que fort peu de venir en aide à leurs confrères ; ils se considèrent ainsi que des enfants en vacance, et ne sont pas pressés, — si ce n'est pour épousseler les salles intérieures de quelques-unes de leurs philolhécs, — de s'interner dans la cabine aux aveux où l'on étouffe. D'aucuns, il est vrai, parmi les jeunes surtout,s'engagentdans la troupe des infirmiers, mais il vaudrait, mieux laisser ce travail matériel aux laïques et s'occuper des Amesqui ont besoin, elles aussi, d'être pansées. Ils sont deux qui opèrent pour l'instant. Les braves gens ! ils ne lanternent pas. On entend le grincement répété des lames des guichets; des hommes à figures devenues rouges, s'échappent, en rejetant le rideau sous lequel ils s'abritaient et décampent au galop, tels que des chats qui s'enfuient de leur plat de cendre; les femmes, elles, n'ont pas celle pudeur; elles sont chez elles au cou- LES FOULES DK LOUIIDLS 221 fessionnal, elles s'y plaisent et ne se retirent que lentement et à regret, pour céder la place à d'autres, lesquelles viennent odorcr l'arôme de leurs péchés qui Hotte encore dans la case et y ajoutent le parfum plus ou moins accentué des leurs. Mais aucune n'éprouve de gène à être regardée. Le désir de l'homme est que ça soit fini et de filer; celui de la femme est que ça dure cl de rester. Je plains le pauvre prêtre qui se balance, avec des mouvements de pendule, tantôt d'un côté et tantôt de l'autre, dans cette guérite munie de guichets et percée, de même qu'un tamis, de trous. Ce qu'il doit avoir chaud ! moi qui ne suis pas interné, comme lui, je suffoque dans cet air saturé de déjections spirituelles et d'effluves de passants eu sueur.Je donnerais bien des choses pour être parti ; c'est enfin mon tour ; je vide ma hotte dans les ouïes d'un excellent homme qui m'absout en un tour de bras, et je m'élance de la sacristie ; mais il s'agit maintenant de déguerpir de la crypte ; les deux courants de foule coulent toujours, en sens inverse, dans l'étroite allée et il me faut jouer sérieusement des coudes, pour arriver enfin dehors. Ça y est ! c'est étonnant ce qu'une confession allège, ce qu'on se sent frais et dispos après ; la sensation est presque physique. Il y a vraiment une vertu perceptible, presque tangible, dans le sacrement de la Pénitence ! 13

XII ÇyTr):è£ E v^eux Lourdes est dénué de faste ; nous z^iv^x sommes dans 'a Pel'te ville de province, ïjgj~zh,X Par^e d'une mairie, d'un palais de justice, d'une grande place ornée d'une fontaine. Dès qu'il pleut, on palauge, en ballant avec ses pieds de la remoladc dans des marais de fange ; dès que le soleil luit, on rissole. Lorsque le temps des pèlerinages est clos, c'est la paix des anciens bourgs seulement interrompue par le vacarme des jours de foire ; alors sur la place ondule une moisson de bérets bleus el de capuces noirs; les paysans des alentours ont amené pour les vendre de petits boeufs à cornes bisonnières, de petites vaches pas encore traites et dont les pis durs sont énormes, des moulons qui se bousculent, en égrenant leurs pastilles de réglisse, tout le long du sol, des pour- 224 LES FOULES 1)K 1.0UIIUES ccaux blancs, tachés de noir, qui semblent truffés de leur vivant, des chèvres et de malheureux chevreaux, jetés, commemorts, les quatre pattes liées, par terre; et, tout autour de cette ménagerie, s'étendent des évcnlaires, en plein vent, où l'on débite des oignons d'Espagne, roses et marbrés de plaques'de lie de vin, des chapelets d'aulx, des fromages ronds, dont la pâte sous une croûte malpropre est un mastic, de la boucherie, des espadrilles, des étoffes poilues, de la ferraille, des citrons et de hideuses poteries du crû, au ventre chocolat sillonné de coulées de jaune beurre; il y a de tout, de la bondieuserie à deux sous le las et des miches de pain blanc, régal des montagnards qui ne mangent d'habitude que du pain noir. El, dans le meuglement des vaches, le bêlement des brebis, le grognementdes porcs, tout ce inonde jargonne, un bâton à la main, s'attable au seuil des cabarets, s'appelle ; les vieux, avec leur face dure, leur nez busqué, relié par des rides en coups de sabre à la bouche; les jeunes avec desfiguresde bruyants lourlourous; à de rares exceptions près, tous les vieux sont rasés et tous les jeunes portent la moustache; et tous sonlcoiffés de bérets, velus de gilets de chasse, de manteaux à capuchons, chaussés, les vieux surtout, d'incroyables sabots dont le bout recourbé se dresse en proue de galère, en lame de yatagan. LES t'OUI.KS DK LOUllnKS 225 Cette race semble avoir gardé quelque chose de sa sauvagerie d'antan; on la sent encore brute et fière, rude pour les animaux, cruelle presque, a l'état latent, civilisée seulement parles besoins des achats et des ventes; on la sent brave et tenace, mais batailleuse aussi; et il est très certain que si, sous le ministère de Combes, l'on avait, comme le demandaient alors les mégères masculines du Bloc, interdit les pèlerinages et fermé la grotte, tous ces chasseurs de sangliers auraient combattu à coups de fusils dans la montagne. La Vierge aurait profilé de cette défense opiniiUre de leurs intérêts, mais l'Iscariotc des Charentesle sut et il se tint coi. Ce n'est pas jour de marché, aujourd'hui, dans l'ancien Lourdes, mais il n'en est pas moins bondé de monde, car les rues sont encombrées de pèlerins qui stationnent devant les boutiques d'objets de piété où se lit le nom des Soubirous et des enseignes annoncent que le tenancierest le frère ou le parent de Bernadette; la famille agile, ainsi qu'un pavillon de commerce, le nom de la voyante. L'on visite, dans une ruelle, le moulin que ses parents habitèrent. De même que toutes les maisons devenues pieusement historiques, cette demeure est décorée de quelques portraits de l'héroïne et d'images religieuses plus ou moins laides. C'est une très misérable masure, meublée de pauvres ustensiles de ménage et du lit de Berna- 226 LES FOULES DE LOURDES dette, entouré d'un grillage, afin de le préserver des fanatiques qui avaient commencé à le taillader à coups de couteaux, pour faire, des fragments enlevés de son bois, des reliques. Et c'est tout ce qui reste, 'ici, de la sainte fille dont les révélations ont transformé ce trou, inconnu avant elle, en une ville célèbre dans l'univers entier. L'on a l'impression, dans cette chambre sale et sombre, à peine balayée, d'une tombe abandonnée, sans une couronne, sans une fleur, dans un cimetière où l'on n'enterre plus; et l'on se prend à vitupérer l'oublieux égoïsme de ce Lourdes qui s'est rajeuni depuis les apparitions de la Vierge à son enfant, depuis surtout que, grâce à elle, les multitudes y affluent. Il s'est, à plus justement parler, changé de village en ville. Des devantures de magasins de luxe, des épiceries assorties, des pâtissiers de choix ont remplacé dans les rez-dechaussée des rues, ces logis où l'on apercevait, en passant, des vieilles femmes à besicles, travaillant dans le cadre d'une fenêtre. Les campagnards sont maintenant des hôteliers et des marchands de cierges et leurs femmes se sont muées en des dames qui paradent, dans d'éclatantes toilettes, les dimanches. Us vivent dans l'aisance et réaliseraient, sans se donner aucun mal, d'amplesfortunes si la rage de paraître et la certitude que la tonte des pèlerins LES FOULES DE LOURDES 227 durera toujours, ne les incitaient à dépenser encore plus d'argent qu'ils n'en gagnent. Si, demain, la Vierge quittait la grotte, tous ces gens qui ont élevé de somptueuses auberges, succomberaientsous le faix des dettes et ce serait la saisie de la brocante religieuse, la faillite générale de Lourdes. Quant à la piété de ce monde-là, il faudrait, pour la jauger exactement, qu'elle ne rapportât plus. Un mot de quelqu'un qui vécut parmi eux et les connaît bien peut la résumer : « le respect humainest à rebours, ici ». A Paris, des hommes de peur d'être montrés au doigt se cachent pour faire leurs Pâques; à Lourdes, c'est le contraire ; les hommes les font ostensiblement pour n'être pas remarqués et ne mettent, bien entendu, plusles pieds à l'église, après; j'ai peur que celte piété n'appartienne qu'au décor des magasins de bimbeloteries; elle aide, en tout cas, à hameçonner l'acquéreur; elle est sccourable à l'écoulement des soldes. Jadis, lorsque je venais dans la ville, j'allais à l'ancienne église de Saint-Pierre qui était une église de campagne, charmante. Imaginez une bâtisse romane, réparée tant bien que mal, mais conservant encore, dans certaines de ses parties, Pétampe du xmc siècle ; elle possédait de vieux bois polychromes intéressants, entre autres, une Notre-Dame duMont-Carmcl tendant un scapulaire 228 LES FOULES DE LOURDES à saint Simon Stok et surtout une petite Vierge qui se déhanchait un peu, on souriant, avec des yeux étonnés dans un visage ravi ; pour une fois, à Lourdes, on se trouvait en face d'une Madone pas neuve et Ton pouvait regarder des murs qui n'étaient pas blancs ! Très silencieuse, à peine éclairée, très intime, elle était presque vide pendant la semaine et, au sortir des foules du nouveau Lourdes, quel délicieux abri, c'était ! — Les quelques femmes qui priaient devant le Saint-Sacrement demeuraient immobiles sur leurs chaises et muettes; pas un bruit. Quelle différence entre celte piété foncière, assez sure d'elle-même pour être calme et cette fureur agitée des pèlerins de la Basilique et du Rosaire ! il semblait que Marie, elle-même, se ressentît de cette atmosphère lénifiante, de ces oraisons pas pressées, de ces suppliques placides. Ou éprouvait la vague impression qu'au lieu de rester debout, pour recevoir ses invités comme dans toutes les autres églises de la ville, Elle s'asseyait, ici, plus à l'aise, plus en famille, plus tranquille. C'était avec Elle une douce et longue causerie, dans le silence et l'ombre. • Et, le dimanche, la nef se remplissait pour la grand'mcsse. Peu d'hommes, mais beaucoup de femmes et déjeunes filles qui, avec leurs robes et leurs capulels noirs, suggéraient l'immédiate vi- LES FOULES DE LOURDES 229 sion de nonnes priant clans une antique chapelle de cloître ; et, dans ce pauvre sanctuaire de village, le service divin s'affirmait presque luxueux. Il y avait de gentilles théories d'enfants de choeur, proprement habillés de robes et coiffés de calottes violettes, un grand suisse rouge, une maîtrise de petits montagnards et de quelques chantres aux voix métalliques qui chantaient du plain-chant. Je m'y réfugiais souvent, heureux de suivie ma messe en paix et de ne pas entendre de faridons. Cette église n'existe plus ; les Vandales l'ont jetée bas et construit, pour la remplacer, à quelques pas plus loin, une espèce de cathédrale qui est au roman ce que la Basilique est au gothique, c'està-dire une merveille de vilenie, un haut-le-coeur d'art. Démolir une ancienne église, patinéc par des siècles de prières, pleine du souvenir de Bernadette, pour lui substituer un grossier monument voulant lutter à coups de vitrailles infâmes et de clinquant avec la Basilique, quelle aberration ! Il en triomphe sans peine, d'ailleurs, avec son architecture de roulicr et sa pesante et son obtuse nef au bout de laquelle se dresse un grand autel dont les différents marbresressemblent à un assortiment de fromage d'Italie, de galantine et de farce, le tout recouvert d'un énorme ciborium en carton cl en bois, glacés d'or. L'on dirait de la scène d'un guignol. O leCa- 230 LES FOULES DE LOURDES naqucqui inventa ces infernales représailles! pour parachever son oeuvre, il a jugé nécessaire d'ajouter encore un peu d'or à l'aveuglant ensemble de ces colifichets et, après avoir beaucoup réfléchi sans doute, il s'est décidé à tendre des chaînes dorées devant ses chapelles. Que pensez-vous de celui-là? Est-ce pour le culte d'un marquis de Carabas ou pour le culte d'un Dieu que l'on a instauré un pareil temple? Quant aux statues de vieux bois, elles ont, cela va de soi, disparu et les mauvais lieux du quartier Saint-Sulpice contaminent de leurs produits scélérés tous les autels. Ah ! cette nouvelle église qui n'a été édifiée que pour faire pièce à la basilique, pour élever autel contre autel, suivant l'expression même du cardinal Langénieux, elle évoque, à elle seule, tous les épisodes de l'histoire de Lourdes, les souterraines batailles engagées entre deux camps, celui du curé Peyramale et du vieux Lourdes que maniait en sous-main M. Lasserre et celui des évéques de Tarbes et des Pères de Garaison. Sans vouloir remuer la cendre des haines qui couvent encore dans les deux partis, je vais cependant expliquer comment M*"" Peyramale qui était le curé de Lourdes, au moment des Apparitions, a, dans un intérêt pécuniaire, au profil de sa paroisse et aussi par dépit d'avoir vu le domaine LES FOULES DE LOUIIDES 233 par le vieux Lourdes qui espérait pouvoir de la sorte saigner, à l'aller et au retour, les pèlerins. Aussi, le malheureux curé, qui était possédé par la manie des grandeurs, selança-t-il, bride abattue, dans les frais d'énormes constructions;il s'endetta d'une façon formidable et laissa une succession si obérée, lorsqu'il mourut, le 8 septembre 1877, qu'il fallut aux évèques qui se succédèrent sur le siège de Tarbcs des années et des procès plus embrouillés, les uns que les autres, pour la liquider. On peut juger par ces impérilies, de la façon dont il aurait régi les biens de la Grotte, si l'évèque lui en avait laissé la gestion. De tout cela, il ressort clairement pour moi que l'idée de biUir, loin du lieu des Apparitions, loin de la fontaine, loin de l'esplanade et des abris, une basilique qui ne pouvait être d'aucun intérêt et d'aucune utilité pour les pèlerins eût été une idée résolument absurde si elle n'avait eu' pour but de drainer l'argent au profit des gargotiers et des marchands de chapelets du vieux Lourdes cl d'élever, du même coup, un monument rival en face d'un autre monument. .l'ajoute qu'il n'y avait aucun motif sérieux qui put justifier la destruction de cette vieille et charmante église car elle était suffisante, bien qu'en ait dit Peyramale, pour contenir ses ouailles. Je l'ai vérifié, par moi-même, le dimanche; tout le village 234 LES FOULES DE LOURDES y tenait. Si le curé avait besoin d'une annexe, d'une chapelle de catéchisme, il était facile d'en édifier une, à bon marché, sur le terrain même où se prélasse la nouvelle basilique ; si enfin, elle était très délabrée, il fallait la réparer et la consolider et, avec un adroit architecte, c'était possible. Et si l'on songe que nous devons ces exploits de sauvages aux rivalités de Peyramale et de Sempé, l'on ne peut s'empêcher de déplorer ce côté exclusif qui était commun à l'un et à l'autre de ces prêtres — et, avouons-le, qui est dans le caractère de presque tout le clergé des Pyrénées — de ne pouvoir supporter auprès de soi aucun voisinage d'influences cl d'oeuvres. Ce qui est certain encore, c'est que Peyramale et Sempé professaient, aussi bien l'un que l'autre, l'esthétique des Fuégiens, l'idéal des omophages. Là, ils étaient d'accord. A l'un, la Basilique et la nouvelle église; à l'autre, le Rosaire; les deux font la paire, ils se valent ! Maintenant, pour parler du temps présent, je ne crois pas justes les reproches que Zola adresse aux Pères de la Grotte, dans son livre où il a ramassé tous les griefs que Lasserre avait déjà délayés contre eux, dans son las d'articles et de romans. Comme l'explique 1res nettement et avec preuves à l'appui, M. l'abbé Monique! dans ses deux vo- LES FOULKS DE LOURDES 231 de la Groltc séparé de sa cure, tué, de gaieté de coeur, sa vieille église. Mfc'r Peyramale était un très brave homme et un très bon prêtre mais il était un rustre, d'un caractère entier et bourru et de plus, une sorte de mégalomane et de brouillon. Or, il fallait un homme entendu aux affaires, un esprit net et aussi une complexion plus souple que la sienne, pour mettre sur pieds la gigantesque entreprise de Lourdes. Avec lui, rien n'eût marché. Son évoque M8* Laurence le comprit et il eut recours au Père Sempé qui remplissait les conditions d'habileté et de prudence qu'il estimait indispensables pour assurer le succès de l'oeuvre. Il confina donc Peyramale dans sa cure etmit le Père Sempé à la tôle des missionnaires de Garaison qu'ilappelaà Lourdes, afin d'organiser le service des messes, des confessions, des proches, afin de diriger les processions et d'hospitaliser les pèlerins dont le nombre allait croissant dans une ville qui n'était alors qu'un petit village, qu'un affreux trou. Avec la meilleure volonté du inonde, Peyramale ' n'eiH pu d'ailleurs, même avec l'aide de trois vicaires, assumer une semblable tâche et il est fort probable que si ces missionnaires, au lieu dVlrc commandés par le Père Sempé, avaient été placés sous sa coupe, à lui, il n'aurait pas songé a se plaindre, car il ne pouvait nier que la nécessité ne 232 MiS FOULKS DK LOUIlbKS s'imposât d'un pareil renfort; mais, vexé d'être mis à l'écart, blessé d'avoir été, assez brutalement, il fanl le dire, dépossédé, au cours d'une maladie, de la basilique qu'il avait construite au-dessus de la grotte ; mal consolé par le litre de Monseigneur que lui valut, sur les instancesde son évoque, une prélature romaine, il se résolut —bien que la Vierge ne l'eût pas demandée, celle-là — à ériger une autre basilique, dans la ville même. Il fallait trouver un prétexte. Il argua d'abord de l'insuffisance de son église qu'il jugeait trop laide pour lutter contre celle de la Grotte ; puis il imagina cette bourdeque le message de la Vierge à Bernadette signifiait ceci : que les pèlerinages, au lieu de se rendre directement du chemin de fer à la source, devaient partir de l'église du village, de son église à lui, pour aller en procession à la Basilique et pour de là revenir encore à son église, Kl dans son journal « l'Echo des Pèlerins », son conseiller et ami Lasserre renchérissait encore sur ces galéjades, déclarant que « ce n'est pas la grotte mais le vieux Lourdes qui doit élrc le centre du pèlerinage, que la Vierge est invoquée sous le nom de Notre-Dame de Lourdes et non sous le nom de Noire-Dame de la Grotte, que l'église du village doit être la première et la dernière station du pèlerinage o. Cnmme bien l'on pense, ce projet fut soutenu ' LES FOULES DE LOURDES 235 lûmes « Le Cas de M. Lasserre » et « Les Origines de Notre-Dame de Lourdes », Lasserre ne parvint pas, ainsi qu'il le désirait, à « imposer sa personne et son livre » aux évoques de Tarbes et aux Pères de Garaison et il garda de cet échec une si féroce rancune qu'elle permet de'suspecler l'équité de ses jugements, l'aloi môme de ses récils. Mais venons aux faits incriminés. Les missionnaires de Lourdes sont-ils riches et vendent-ils des statues, de l'eau et des cierges *? oui, c'est indéniable — Et de cela, je ne les félicite, ni eux, ni leurs successeurs ; — mais la question ainsi posée, une autre reste à résoudre, celle de savoir comment ils dépensent l'argent ainsi gagné. Or, il est très évident que si les recettes sont colossales, les frais ne le sont pas moins. Il faut se remémorer que tout est gratis dans le domaine de la Grotte. Pour éviter autant que possible la simonie, le Père Sempé ne voulut pas que les prêtres fussent tenus, de même que dans les autres pèlerinages, de payer leurs messes ; et si l'on songe que ces messes s'élèvent a des centaines de mille par an; si l'on suppute ce que peut coûter le linge de corps et d'autel, le vin, les hosties.pour les célébrants et les fidèles qui consomment parfois jusqu'à 140,000 communionspar mois ; si l'on lient complc de la malpropreté cl du sans-gêne des ecclésiastiques de passage qui salissent et déchirent 236 LES FOULES DE LOUIIDES des ornements qu'il est nécessaire de souvent renouveler, Ton obtient des chiffres confondants. Il sied de se souvenir aussi qu'il n'y a pas de rendement de chaises dans les églises, que les bains des piscines sont gratuits; il convient surtout de se rappeler les gigantesques frais d'entretien des églises, des maîtrises, de l'esplanade, des jardins, de la clinique, des abris, les dépenser du personnel domestique, des soeurs chargées du blanchissage, de l'éclairage électrique brûlant, jours et nuits, l'hospitalité offerte aux évoques et aux directeurs de pèlerinages à la résidence, les aumônes, tout... et si l'on établissait des comptes, l'on s'apercevrait sans doute que les quêtes, que les dons, que les offrandes volontaires qui affluent de partout, seraient insuffisants pour parer à de tels frais, si la vente de l'eau, envoyée au .loin et celle des cierges, pris sur place, ne changeait le déficit assuré en un trop plein. En somme, les Pères ne se sont arrogé qu'un seul monopole, celui de l'eau expédiée en bouteilles et en caisse; autrement, à Lourdes même, chacun peut puiser et emporter autant d'eau qu'il lui plaît, et sans payer un sou. Dans tous les cas, ce sont les pauvres qui profilent de ce bien être et ils seraient mal venus à se plaindre. Ils sont traités, comme nulle part ailleurs, ici. Ils n'ont rien à débourser, ni dans les abris, LES FOULES DE LOURDES 237 ni dans les églises; ajoutons que, ni à la Basilique, ni à la crypte, ni au Rosaire, il n'existe de places réservées, de prie-dieu de luxe; c'est donc l'égalité parfaite entre l'indigent et le riche. Trouvez-moi une église où il en soit de même ! Quant aux mercanlis du vieux Lourdes, ils ne m'intéressent pas plus que ceux du nouveau etje ne comprends pas pourquoi Zola s'est plus épris des uns que des autres. Ils sont, pour la plupart, des cormorans qui se disputent sinon la peau, au moins la bourse des visiteurs. Est-ce que d'ailleurs ceux du vieux Lourdes qui s'improvisent hôteliers, restaurateurs, marchands de chapelets et de médailles, pendant les pèlerinages, ne gagnent pas aisément de l'argent? est-ce • qu'ils ne débitent pas des statues et des cierges aussi bien que les Pères ? est-ce que ceux-ci s'en sont réservé la vente ? Ce ne sont pas eux non plus, je pense, qui ont inventé cette abjection commerciale des bonbons etdes pastilles à l'eau de Lourdes que les boutiquiers fournissent ! Non, au fond, l'on ne m'ôtera pas de l'idée que l'antique animosilé de Lourdes contre ses évéques et ses missionnaires, « ces monomanes de la propriété », comme les nomme le cacographe Lasscrrc, tient surtout a ceci qu'ils ont acquis les terrains qui font face, de l'autre coté du Gave, à la Grotte. 238 LES FOULES DR LOURDES S'ils avaient pu être achetés par les habitants du pays, on y aurait installé de somptueux hôtels, avec remises d'automobiles et soupers fins; à un moment donné, Ton aurait jeté un pont pour relier les deux rives ; l'armée des touristes, des Anglais et des Américains, venus de Pau, de Bagnères, d'Argclès-Gazost, de Ludion, aurait pu festoyer, en assistant ainsi que sur la terrasse d'un café des Ambassadeurs à Paris, au spectacle varié des processions, des prières, des bénédictions du SaintSacrement, des miracles à la fontaine. Ils auraient été aux premières loges et auraient soldé les additions en conséquence ; l'on eût empoché des millions. Les Pères, qui ont laissé ces terrains à l'état de prairies, ont justement voulu empêcher, en s'en emparant, de telles hontes! Quand l'évêque et le Père Sempé n'auraient fait que cela, ils auraient encore bien mérité de NotreDame ! Zola qui se documentait au galop ne parait donc pas du tout s'être rendu compte de la situation exacte des dessous de Lourdes. A-t-il vu plus clair lorsqu'il voulut peindre un portrait en pied de Bernadette — dont il parle d'ailleurs avec tendresse, comme il a aussi parlé avec respect de la Vierge qu'inexplicablement encore les feuilles catholiques l'accusent d'avoir traî- LES FOULES DE LOURDES 239 née dans la boue. — Je ne le crois pas, car il la représente à la fois ainsi qu'une âme mystique et qu'une irrégulière de l'hystérie. Or, jamais personne ne fut moins mystique que Bernadette et elle ne fut pas davantage une irrégulière de l'hystérie. Elle fut scrutée, à ce point de vue, par combien de médecins ! et nul ne put découvrir en elle le moindre stigmate de ce genre de maladie, de son enfance jusqu'à sa mort. Force fut donc, pour expliquer les Apparitions, de l'affirmer, sinon folle — ce qui était impossible puisque l'on pouvaits'assurer qu'elle ne l'était pas — mais au moins atteinte de trouble mental, hallucinée. Mais alors, quelle singulière hallucinée quecctle petite fille qui ne l'est que juste le temps de révéler et d'assurer l'oeuvre de la Vierge et qui ne l'est plus ensuite, après ne l'avoir jamais été avant ! — d'autre part, si j'admets une théorie qui a cours chez beaucoup d'aliénistes, l'hallucination n'est jamais qu'une réminiscence plus ou moins déformée d'une sensation reçue ; elle n'invente pas par conséquent, mais se souvient. Comment alors Bernadette aurait-elle pu se rappeler des paroles qu'elle n'avait jamais entendues; comment aurait-elle pu découvrir une source qu'elle ignorait, dont personne, pas plus qu'elle, ne soupçonnait la présence dans la Grotte; comment même 240 LES FOULES DE LOUItDES aurait-elle pu imaginer ce type de Vierge qu'elle n'avait vu sur aucune gravure, sur aucune image, puisqu'il était inconnu avant elle et n'est devenu que, grâce à elle, une icône spéciale, une figure nouvelle dans la piété; comment enfin aurait-elle mis dans la bouche de Marie ce mot de l'Immaculée Conception qu'elle n'avait jamais ouï et dont elle ne comprenait pas le sens? Comment aussi expliquer— si elle était une hallucinée — qu'elle se soit rendue, plusieurs fois, à la Grotte, persuadée que la Vierge y viendrait, alors qu'Ellc n'y venait pas ? Les Apparitions ne dépendaient donc, ni de la puissance de sa volonté, ni de la force de sa conviction. Elle était d'un tempérament lymphatique, et nerveux, chélive et petite; à treize ans, elle en paraissait onze ; sa physionomie était avenante et sa structure frôle; elle souffrait d'un asthme; tel est le signalement rigoureusement exact ; il y a beaucoup d'enfants constitués de la sorte et qui ne sont pas plus qu'elle des hystériques ou des détraquées. Le portrait tracé par les adversaires du Surnaturel, comme l'était" Zola, ne sont donc pas ressemblants, mais ceux que peignirent les écrivains catholiques, ainsi que Lasserre, qui font d'elle un être angélique, une petite sainte de plâtre, bonne à mettre dans une niche, le sont-ils plus ? LES FOULES DE LOUIIDES 241 I! m'a semblé que pour découvrir une effigie un peu précise de Bernadette, il fallait chercher dans les pièces qui ne sont pas des souvenirs écrits longtemps après de mémoire tels que ceux d'Estrade, qui peuvent être, sans le vouloir, inexacts et aussi dans les documents parus, avant que la légende ne se fût emparée d'elle. J'ai donc feuilleté les journaux de son temps, les « Annales de la Grotte » rédigées par les Pères de Garaison qui l'avaient suivie de près et consigné leurs observations très simplement, sans que l'on puisse surprendre en eux le souci de l'abaisserou de l'embellir. Voici ce que je trouve dans le tome II —2e année — à la date du 30 avril 1869 : « Bernadette était bonne, douce, simple, naïve ; elle édifiait mais elle n'étonnait pas. — Dans cette enfant, l'intelligence manquait de souplesse et l'imagination de variété ; elle ne pouvait être très expansive ; ce n'est pas le charme de sa parole qui eût gagné un peuple à la foi d'apparitions cl personne n'était moins capable de produire l'enthousiasme ; elle n'avait pas reçu le don de peindre et d'intéresser; son récit était bref, incolore, froid; il fallait des questions multipliées pour obtenir la description entière de ce qu'elle avait vu. » « Elle parlait sans émotion ; elle s'animait un peu à la longue, mais jamais sa joie n'allait jus- 242 LES FOULES DE LOURDES qu'à l'ardeur... elle était vraiment insignifiante. » « Elle se montrait sérieuse et appliquée dans ses pratiques religieuses, mais sa piété ne s'éleva pas à la hauteur que beaucoup de personnes pensaient lui voir atteindre, après la grâce inouïe de dix-huit visions ». Enfin, l'abbé Pomian, qui lut son confesseurjusqu'au moment où elle-partit pour Nevers, disait d'elle : - « Rien ne la distinguait des enfants vulgaires; on l'avait laissée ignorante; elle possédait d'intelligence à peine la mesure commune... » Ces portraits ne sont pas flattés, raison de plus pour qu'ils aient des chances d'être véridiques. Il faut noter d'abord la remarque des Pères sur son manque d'imagination ; l'on peut en tirer une preuve de plus de la réalité de ses récits, car elle eût été bien incapable de les inventer—et celle ensuite sur le peu d'élévation de sa piété. « Sa piété était sincère, mais elle n'avait rien qui tînt de l'enthousiasme ou de l'exaltation », disait, de son côté, la supérieure générale des soeurs de Nevers, après que Bernadette fut entrée danssa communauté. Bernadette confirme d'ailleurs, ellemême, la simplicité de sa dévotion. A une personne qui lui demandait une prière spéciale, elle répondait : « le chapelet est ma prière de prédilection, je suis trop ignorante pour en compo- I.KS FOULES DE LOURDE? 243 scr une, » el, à l'une des supérieures de son couvent qui, impatientée par ses exercices qu'elle jugeait trop enfantins, s'écriait : A votre âge vous devriez descendre quelquefois à la chapelle et méditer un peu ! elle répliquait doucement : « Je ne sais pas méditer, moi. » Nous voici également loin de la mystique que l'on nous représente ; elle était, on le voit, d'une ferveur peu étendue, peu déréglée, incapable par conséquent de lui avoir tourné la tôte et d'avoir déterminé ces hallucinations dont Zola nous parle. D'autre part, l'esprit peu intelligent et l'entendement terne et borné de celte petite, corrobore, une fois de plus, cette vérité, certifiée par l'expérience, que Dieu ne choisit que les plus pauvres et les plus humbles, lorsqu'il a besoin d'un truchement pour s'adresser aux masses. Il eût été, en effet, difficile de découvrir à Lourdes une famille plus indigente et, faut-il le dire, moins bien famée que celle de Bernadette, décriée, ellemême, à cause des siens. Le Père Cros, de la Compagnie de Jésus, qui a pu consulter toutes les archives et prendre connaissance des dépositions écrites de plus de deux cents témoins, nous raconte que la misère des Soubirous était si complète que souvent le pain manquait et que l'un des petits frères de Bernadette détachait avec ses ongles, pour la manger, la cire loin- 244 LES FOULES DE I.OUIIDES bée sur les dalles de l'église, aux offices des morls. A la fin de mars 1857, alors que le dénuement de celle famille était extrême, le père Soubirous fut — bien qu'innocent, je crois — poursuivi et incarcéré à Lourdesjusqu'au i avril suivant, sous inculpation de vol de farine et de bois. C'était le discrédit ajouté à l'indigence. Dieu voulut de l'abaissement, et il en eut. Il prit donc la fille de cet homme et il la prit, telle qu'elle était, humble et pure, douce et bonne, mais vraiment « insignifiante », suivant l'expression même des Pères; il ne fil aucun miracle pour elle, en l'élevant d'un coup jusqu'à Lui. Il ne la rendit pas différente de ses compagnes, la laissa paysanne, dans toute l'acception du mot; cedélail matériel, constaté par le Père Cros, qu'aussitôt sortie de l'exlase, après le départ de la Vierge, elle se reprenait à gratter,selon son habitude, sous le mouchoir qui lui couvrait la tète, ses poux, est typique. Mais n'est-elle pas ainsi plus humaine, plus vraie que sur toutes ces images où on la mue en une petite bergère de féerie ? La vérité est qu'elle ne s'équarrit qu'après son entrée au cloître; ce fut là qu'elle finit par apprendre à lire et à écrire; l'intelligence ne se développa guère, la piété, ellemême, ne s'exhaussa point, mais les qualités charmantes de douceur et d'humilité qu'elle avait lou- LES FÛULKS DE LOURDES 245 jours eues, grandirent. Celle qui avait réfléchi, lorsqu'elle était en extase,surson visage transformé, comme en un lointain miroir, les traits apparus de Notre-Dame, n'eut plus qu'un désir, cacher sous un voile le souvenir du reflet divin ; elle envia d'être oubliée, loin des foules.Jamais elle n'eut de vanité et d'amour-propre et Dieu sait si elle était adulée « la bonne viergette », ainsi que l'appelaient les paysannes ! — Elle soupirait, honteuse de ces hommages : « Je suis donc une bète curieuse. » — Entendant, un jour, des gens qui disaient derrière elle : « si je pouvais couper un bout de sa robe ! », elle se retourna et, sans colère, mais d'un ton convaincu, elle s'écria : « que vous clés imbéciles ! » Au cloître, peur la maintenir dans la voie du renoncement, bien souvent on l'humilia devant ceux qui l'honoraient le plus et jamais on ne surprit un mot de mécontentement, un geste de dépit. Elle eût voulu être Carmélite, mais sa santé ne lui eût pas permis de suivre l'implacable règle; elle entra au couvent de Saint-Gildard, chez les soeurs de la Charité, à Nevèrs; elle y fut infirmière très charitable et nonne très docile ; ses seuls petits défauts qui étaient l'entêtement campagnard et la bouderie s'effacèrent peu à peu. Dieu l'épurait, opérant un peu la besogne qu'elle ne pouvait accomplir. « Elle a été plus travaillée par Lui, qu'elle 14 216 LES FOULES 1»K LOURDES ne s'est travaillée elle-même », affirmait l'abbé Febvre, l'aumônier de la maison. Toujours est-il qu'elle était une Ame délicieusement pure, lorsque le Seigneur la détacha du bouquet du cloître. Elle souffrit beaucoup avant de mourir. Les souffrances la desséchèrent, elle devint, raconte la mère générale, « si maigre que ses chairs étaient comme réduites à rien ». Si l'on croit l'entourage des religieuses qui la soignèrent, son corps refleurit après sa mort, et le visage reposé se refit jeune et charmant ; pendant les trois jours qui précédèrent la sépulture, ses membres restèrent souples, les mains gardèrent leur couleur naturelle et l'extrémité des doigts demeura rose. De plus, on n'observa ni humeur, ni odeur, aucune trace de dissolution quand on l'inhuma dans une chapelle, dédiée à saint Joseph, et élevée dans le jardin même du couvent. La Vierge lui avait tenu parole. — Elle ne l'avait pas rendue « heureuse en ce monde », mais Elle a certainement aussi tenu son autre promesse « de la rendre heureuse dans l'autre ». Ajoutons maintenant que si la Libre-pensée ne voulut jamais admettre les révélations de la fille de Soubirous, l'Eglise de Tarbes ne fut pas moins méfiante qu'elle, dans les commencements et il n'est point de vexations que la pauvre Bernadette n'ait >u à subir de la part du clergé de Lourdes. LES FOULES DE LOUIWF.S 247 Tout d'abord le Père Scmpé, prêtre peu mystique s'il en fut, ne l'écouta pas ; l'évoque, homme prudent et froid, d'une piété sage et réservée, ne se gênait pas, nous révèle le Pérc Gros, pour rire des prétendues Apparitions de Notre-Dame.Quant à Peyramalc qui la défendit si bravement plus tard, il traitait de « carnaval d'apparitions » les révélations de la voyante et réclamait, pour être convaincu, Tassez inintelligente preuve d'une éclosion de fleur d'églantier, en plein hiver. Tous étaient dans leur rôle et ils avaient raison lorsqu'ils refusaient d'accepter d'emblée l'origine céleste des visions. Ce fut très bien ainsi. Cette suspicion nous a valu de longues enquêtes, des recherches contradictoires, des contrôles de toute sorte dont les résultatsfurent si probants que tous ces prêtres incrédules se convertirent et qu'à la date du 18 janvier 1862, M«r Laurence promulgua un mandement dans lequel il déclarait que « Les Apparitions avaient tous les caractères de la vérité et que les fidèles étaient fondés à les croire certaines. » Ce fut le point de départ des grands pèlerinages. La Vierge dont l'ordre : « Je veux que l'on vienne ici en procession » allait s'exécuter, approuvalestermes de cemandement, le sanctionna, en y apposant le seing de ses nombreux miracles.

XIII kl^^0URDES cst' Pour une après-midi, quasi j£| \?r'3 vide; les grands pèlerinages de la pro- vJ^4i vincc sont partis ; il ne reste plus que les hollandais, que les anglais, que quelques flamands et ce qu'on appelle, ici, les pèlerinages à paniers, c'est-à-dire des troupes de paysannes venues, en partie de plaisir, des environs. Tous ces gens réunis forment à peine un groupe de quelques milliers de personnes ; c'est pour Lourdes le désert et le calme, mais, demain, tout reprendra; le Journal de la Grotte annonce des arrivées fantastiques de trains issus de tous les points du territoire ; la trêve sera courte. J'en profite pour aller à la Grotte, afin d'assister, ce matin, à la messe des malades. De loin, derrière les barreaux de la grille fermée, j'ai la vision, au 14. 250 LES FOULKS DK LOUIIDES fond de la cavité, d'une forme humaine évoluant, tout en or, sur un fond de feu. La messe est commencée. Je m'installe, sous les arbres, sur un coin de banc ; devant moi,sont toutes les voilurettes des malades. Les nuits sont interminables pour ceux qui souffrent et les ténèbres accélèrent l'acuité des maux. Avec quelle impatience, ils ont di\ attendre dans le dortoir traversé par les pas desinfirmières et assourdi parles gémissements, le lever de l'aube ! est-ce aujourd'huiqu'ils guériront? ils comptent les jours qui s'épuisent de leur passage à Lourdes. Encore deux, encore trois et il faudra, si l'on n'est pas guéri, monter l'autre pente du Calvaire, supporter, de nouveau, le mouvement de trémie si douloureux des trains. L'angoisse s'accroît à mesure que les journées s'écoulent; tous ces pauvres gens sont là, égrenant, absorbés, leur rosaire, dardant tout à coup les regards implorants d'une bôle qui se sent mourir, vers la Vierge, impassible, debout, dans l'ogive du roc. Tous ces lamentables infirmes, qui ne peuvent remuer dans leurs voitures, ferment les yeux par respect, quand sonne l'élévation, et ceux qui peuvent bouger leurs mains, les joignent. Et c'est une déchirante expression de souffrance et de ferveur alors que le moment de la communion est proche. Ah ! l'éloquence effrénée de ces traits LKS FOULES I)K I.OURDKS 251 lorsque le prêtre sort de la grotte, tenant le ciboire et qu'il vient communier, un à un, tous ces alités ! Et il n'y a plus d'yeux, dans ce champ de faces pâles, rien que des voiles blancs de paupières, lorsque le célébrant, rentré dans la grotte, communie à travers les grilles, munies d'une nappe, les malades en état de marcher et les fidèles bien portants. Assurément, la condescendance de ce Dieu qui va au devant de ses ouailles dont les corps agonisent est émouvante, mais, Seigneur, je voudrais plus ! —«Vous avez dit : venez à moi, voustous qui êtes accablés et je vous soulagerai. » — Ils sont venus, ils sont là; tenez votre promesse, allégezles! Et puis, songez que si nous essayons de scruter l'incompréhensible mystère de votre sang, nous pouvons presque oser vous rappeler, à Vous qui avez sauvé le monde, qu'à un certain moment, nous vous avons, nous aussi, sauvé ! Nous tâtonnons, éperdus, dans l'ombre, discernant à peine, dans de brèves lueurs, les insondables énigmes du sang ; nous voyons que l'homme vous a, dès sa naissance, gravement offensé, dans Eden et que pour effacer cette offense, il a fallu .; i/il en commît une plus grande encore ; pour compenser le crime de la désobéissance, il a dû se faire déicide, ne point reculer devant un meurtre sans pa- 252 LKS FOULES DR LOURDES rcil, verser le sang de son Dieu, afin de permettre à Celui-ci de le racheter. Et ce sang que nous vous avons aidé a nous donner, pour le salut de notre Ame, nous, l'avons, nous les premiers, donné pour le salut de votre corps, car enfin les Innocents ont été égorgés a votre place par Hérode ! Il y a eu substitution d'enfants; tous les nouveaux nés de Bethléem ont payé pour le Nouveau-Né, réfugié en Egypte ; des milliers d'innocents, quatorze mille d'après le Canon de la messe des Abyssins et le Calendrier des Grecs, ont été sacrifiés pour un seul. C'est une dette cela — une dette contractée par l'Enfant Jésus et que nous pouvons réclamer à riIomme-Dieu, ici, où, plus que partout ailleurs, le sang déborde des lésions internes et des plaies ! — Mais peut-être siérait-il que ce fussent des enfants qui prient, à la grotte, pour les malades, qui clament les invocations dans les piscines, qui se constituent les créanciers du sang, à Lourdes! Et je rêve à ces processions désespérées où Dieu résiste et reste sourd, où l'assaut de nos suppliques échoue. Il faudrait lancer, comme à la fin d'une bataille perdue la vieille garde et notre vieille garde à nous, elle serait composée de l'irrésistible phalange de prières des enfants! En tout cas, mon Seigneur, à l'heure présente I,KS FOULES DK LOUHDES 2ÏÏ3 où la messe est terminée, où ces malheureux qui, ont fini leur action de gn\ces vont être reconduits a l'hôpital, souvenez-vous que lorsque des scélérats vous bafouaient sur la montée du Calvaire, un homme s'est trouvé qui eut pitié de vous, qui vous aida à porter votre croix. Soyez, à votre tour, le Cyrénéen des grabataires, aidez ces excédés de la ,rie à porter la leur ! Je ne sais si Dieu a au moins amélioré, ce matin, l'état de ces malades, mais il ne les a pas, sûrement, guéris, après leur communion, car je les revois encore dans leurs voitureltcs, lorsqucje retourne, cette après-midi, à la grotte. Ils sont encore là, mais d'autres petites voilures que je n'ai pas remarquées à la messe sont installées, elles aussi, devant la Vierge. , Deux contiennent des bambins, deux garçons, paralysés de la ceinture aux pieds, veillés par leur mève une dame de l'Equateur; et, de temps en temps, elle se lève du pliant sur lequel elle est assise, empoigne les deux petits et les jette sur son dos; l'on dirait de deux pauvres singes qui grimacent et dont la tôle vivante ballotte, d'un côté sur l'épaule et les jambes mortes, de l'autre côté,, sur le giron de la mère. Elle les emmène ainsi à la grotte, leur fait baiser sur le roc la place grasse des bouches, puis elle les redéposc dans leurs voilures où ils rient et jouent. 2o4 LES FOULES DR LOURDES lis sont débarqués depuis quelques jours et celte dame ne veut repartir que lorsqu'ils seront guéris. Le seront-ils? Je ne puism'empécher de songer, à propos d'elle. J'imagine que, dans son pays, tout le monde la blâma lorsqu'on la vit entreprendre un aussi coûteux et un aussi long voyage; si elle revient,après tant de fatigues et de dépenses, bredouille, ce sera vraiment affreux, car tous les gens de soi-disant bon sens triompheront de sa déconvenue et se moqueront d'elle. El puis la douleur d'avoir lant espéré, pour ne rien obtenir — le regret même de s'en aller, en se disant que peut-être si on était restée plus longtemps, la Vierge aurait fini par s'émouvoir! il y a de quoi devenir folle! — Mais non, en admettant même que Notre-Dame n'exauce pas ses prières, Elle lui accordera ainsi qu'aux autres, plus qu'aux autres, en échange de tant de foiv la patience et le courage, lui revaudra sonécheepard'autres grâces ! C'est égal, je voudrais bien que le Ciel prît en pitié les angoisses de cette malheureuse ! A celte heure, la grotte désencombrée est douce ; le l'eutier fait son petit ménage des cires; il va, vient,-piaule ses minuscules bosquets de feu, en arrache d'autres dont les dernières feuilles de fumée s'envolent ; et sa loque, sa figure, son tablier sont comme poudrés de givre. Des oiseaux pépient LES FOULES DE LOURDES 2o5 dans le lierre, courbent sous leur léger poids les branches de l'églantier qui pendent sous les pieds de la Vierge. Les béquilles desséchées dansent et s'enlrecognentsurlcurfildefer;quelquespaysannes, après avoir embrassé ce roc poli par les baisers et qui a la couleur presque huilée d'une olive noire, embrochent elles-mêmes, sur les ifs, leurs modiques cierges ou déposent un bouquet dans un coin de la grotte; au dehors, tout le monde récitele chapelet et respectueusement l'on s'écarte devant la personne de Msr Schoepfcr qui profite, lui aussi, de celte accalmie pour venir prier en paix. 11 s'approche des voiturettes, cause avec les malades, bénit les gamins de l'Equateur et, refusantun prieDieu qu'une dame lui offre, il s'agenouille par terre et dit, de même que les autres, son chapelet, puis il se dégage des dévotes qui le cernent pour lui baiser l'anneau et retourne dans Tassez triste résidence qu'il habite derrière la basilique. Oui, certainement, la Vierge de Lourdes est exorable et avenante et l'on éprouve un allégement et une joie à l'implorer, mais je pense que je suis tout de même, en ce lieu, une sorte d'étranger et d'intrus pour Elle ; il me semble que je viens chez quelqu'un d'occupé et que je dérange ; je me rappelle l'ombre délicieuse de la crypte de la cathédrale de Chartres, au petit jour, celte cave silen* cieusc où j'étais si bien auprès d'Elle, 256 LES FOULES DE LOURDES A Lourdes,je suis dans une réception publique, dans une cérémonie officielle où les invités défilent par fournées devant la Reine et s'inclinent; à Chartres, l'on est seul avec Elle, dans une chambre close et, ici, ce sont de banales audiences, en plein vent. À Paris même, à Notre-Dame des Victoires, à Saiut-Séverin, chez la Vierge noire des Daines de Saint-Thomas de Villeneuve, l'on est plus chez soi et Ton est plus chez Elle; il y a au moins un peu d'obscurité et du silence; évidemment, ces sensations d'intimité plus ou moins vives dépendent des tempéraments et des genres de piété qui en dérivent, mais, il faut dire, qu'ayant prévu ces différences, la Madone se met, avec la diversité de ses effigies cl de ses demeures, à la portée de tous ; elle accueille les solitaires à tel endroit et les foules à tels autres; chacun peut, en somme, la trouver, selon ses besoins et selon ses goûts. Très certainement, cette Vierge glorieuse, toute moderne, qui s'est définie elle-même, par une abstraction, n'est pas Celle que je préfère. J'espère bien qu'Elle me le pardonne, car Elle sait que je l'aime autre part et sous d'autres formes; et encore est-ce façon de parler, car comment échapper à l'emprise de Celle dont la dileclion ne s'est jamais affirmée aussi véhémente qu'en celle ville, pour les membres souffrants de son Fils ? MiS FOULKS UK LOURDES 257 El, je me remémore ces coïncidences qui existent entre certaines des Apparitions à Bernadette et certaines fêtes, et certains offices et je songe que ces rapprochements qu'EUe voulut attestent, une fois de plus, l'importance, dans le plan divin, de celle Liturgie si dédaignée et qui est pourtant la moelle de l'Eglise même. Ainsi, la première fois où Elle se manifeste, en un halo de lumière, dans la grotte, c'était le jeudi 11 février 1858. Or,' ce jour-là, l'on célébrait dans le diocèse de Tarbes la fêle de la patronne des bergères. Lourdes avait dit, par conséquent, le matin, la messe cl récité l'office de sainte Geneviève, égalementpatronne de Paris, de ce Paris d'où NotreDame était venue pour se fixer à Lourdes. Le choix de cette feslivité à partir de laquelle la Vierge conversa pendant dix-huit jours, a divers intervalles, avec la fille de Soubirous, n'est-il pas significatif? outre qu'il implique un souvenir affectueux pour la capitale et pour son sanctuaire de NotreDame des Victoires, il confirme encorela prédilection du Christ et de sa Mère pour les êtres restés les plus près delà terre, pour les gens de la campagne qui ont conservé, loin des centres civilisés, la profession biblique des patriarches, pour ces paires et ces bergereltes dont Bernadette faisait partie. L'on peut même noter, à celle occasion, que les deux personnages du xix° siècle, les plus connus 15 258 LES FOULES DE LOURDES pour leur sainteté, le Bienheureux curé d'Ars, et Don Bosco, le fondateur des Salésiens, ont, eux aussi, gardé les troupeaux dans leur enfance. A consulter l'Ordo de l'année 1838, du diocèse de Tarbes, l'on découvre encore d'autres coïncij dences qui valent d'être signalées. Par exemple : la première fois que la Vierge enjoignit de prier pour les pécheurs, c'était le dimanche de la Quadragésime cl la messe de ce premier dimanche de Carême ne cesse, dans ses Collectes, de demander pardon à Dieu de nos péchés et nous invite, par la voix de l'Evangélisle, à expier, à force de macérations corporelles, l'abus toujours grandissant de nos fautes et à résister, comme le fil leChrist, dans le désert, aux assauts diaboliques et aux tentations sans cesse renouvelées de nos sens. Le mercredi suivant où Elle s'écria, par trois fois : Pénitence ! et le vendredi de la même semaine où Elle prescrivit à Bernadette de baiser la terre, élaient le mercredi et le vendredi des QuatreTemps, plus particulièrement voués à l'exercice de la pénitence. Ce sont, en effet, jours d'abstinence, de jeune, d'humiliation et l'Eglise prend soin de le notifier, après les Poslcommunions de ses messes, alors que le prêtre adresse cet avis aux fidèles : Courbez, humilie/ vos tètes ! Toutes ces recommandations de Notre-Dame LES FOULES f)Ë LOUIlDES 259 concordent donc avec le caractère de la férié du Propre; Elle ne fait que répéter, en les soulignant, les avertissements de l'office du jour. De plus, à la fin des messes célébrées le lendemain de ce jeudi, 25 février, où Elle désigna remplacement de la source dans la Grotte, on lut l'Evangile selon saintJean, relatant l'histoire de ce paralytique qui attendait un baigneur, afin de pouvoir descendre et guérir dans la piscine probaliqueque remuait un ange. C'était, en effet, l'Evangile du vendredi des Quutre-Temps dont la férié était remplacée dans le diocèse de Tarbes par la fêle adventice de la Lance et des Clous. Ce rappel, à travers les âges, de celle source de Bélhsaïde quisemble la préfigurede cellcde Lourdes, n'élait-il pas, comme une promesse de ces miracles que la Vierge préparait mais dont elle n'avait soufllé mot à Bernadette ? Et cependant je ne puis m'empéeher de songer, à ce propos, que Jésus n'aida pas le jeune homme à se plonger dans la piscine, mais qu'il lui dit simplement : « Lève-toi, prendston lit et va-l-en ! » préludant ainsi aux guérisons, sans le secours de Peau, ainsi qu'il en opère tant maintenant, ici! Nous pouvons observer encore que, malgré toutes les instances de Bernadette, la Vierge ne lui révéla qu'elle était l'Immaculée Conception que le jour 260 . LES FOULES-DK LOUItDliS même où se célébrait, dans la'chrétienté, la fête de l'Annonciation. 11 n'est pas besoin d'insistersur le rapprochement qui se peut établir entre l'origine immaculée de la Mère et la Conception immaculée du Fils. Bien que ces deux panégyrics catholiques ne se touchent pas dans le calendrier de l'Eglise, pour une fois, franchissant le mois qui les sépare, elles se sont, à la voix de Marie, juxtaposées clans la grotte de Lourdes. Enfin la dernière apparition à Bernadette eut lieu, le vendredi 16 juillet, fêle de Notre-Dame du Mont Carmel, vénérée jadis dans celle ville où un autel surmonté d'un vieux retable lui était dédié dans l'ancienne église. Elle est partie, le jour d'une de ses festivités où la liturgie exprime, en son nom, les plus doux appels, les plus tendres assurances. Voyez l'Epître de sa messe : «Venez à moi, vous tous qui me désirez avec ardeur et remplissez-vous des fruits que je porte... celui qui m'écoutera ne sera point confondu et ceux qui agissent par moi ne pécheront point... Ceux qui me font connaître auront la vie éternelle... » Je le voudrais bien, Sainte Vierge ! — En attendant, les voitureltes s'en retournent A la queue leu leu, les pèlerins se dirigent vers la basilique où l'on prêche ; je suis quasi seul. Ce qu'elle devient plus intime celte grotte! — le malheur est qu'elle soit LES FOULES DE LOURDES 261 si administrative avec sa source captée, disparue telle qu'une eau vulgaire dans des tuyaux et ses grilles de jardin public et ses plaques d'émail bleu, pareilles à celles de nos coins de rues, sur lesquelles sont écrits, en reliefs blancs « Entrée » d'un côté, et a Sortie » de l'autre. Il faut vraiment faire un effort pour se la représenter, sauvage et désintéressée, comme elle l'était du temps de Bernadette, alors que la rivière baignait ses bords, qu'au lieu d'asphalte, la mousse et le gazon couvraient son sol égayé par les fleurettes d'un lilas rose et d'un jaune pâle, des cardamines et des donnes qui s'épanouissaient, plus nombreuses que les autres plantes, dans cette terre toujours humide et privée de soleil, remplie, les jours de crue du Gave, par des couches de limon. Toutes les herbes, toutes les Heurs, sauf l'églantier placé sous les pieds de la Vierge, sont mortes dans cette cave jambonnée par la fumée des cires. L'on ne peut nier que ces modifications d'aspect et que les dispositions de ces étiquettes et de ces grilles n'aient été rendues nécessaires par l'afflux des foules. Il en est de même du paysage, des alentours, du Gave repoussé plus loin, de l'esplanade, mais alors si nous envisageons la question, a ce point de vue, il sied de dire tout de suite que Lourdes est, du haut en bas, à refaire. En homme pratique, le Père Sempé avait admi- 262 LES FOULES DE LOURDES rablement organisé les paragesde ce nouveaubourg ; mais il ne pouvait prévoir, à celle époque, l'extension, formidable que prendraient les pèlerinages; il avait distribué desjardins et des pelouses, planté des abris, mis des bancs sous les arbres, installé partout des aparlés pour le corps ; nulle part, certainement, l'on n'avait mieux pourvu aux évolutions de la vie des multitudes, mais pas de multitudes devant s'élever au chiffre de 45.000 âmes ! A l'heure actuelle, pendant ces semaines d'immenses caravanes, tout se révèle insuffisant, les églises, les abris, les allégeantes guérites et les bancs; l'espace surtout qui s'étend entre la Grotte et le Gave est trop étroit; l'on pourrait aisément reculer le quai et gagner encore du terrain sur la rivière, mais à quoi bon ? qui sait l'avenir? qui sait ce que Lourdes sera un jour? D'autre part, il convient de noter aussi que, telle qu'elle est organisée, la clinique médicale, dans ces momenis-là, est débordée. Lorsque le pèlerinage national arrive, il n'y a que demi-mal, car ses hospitalisés sont cotés et contrôlés à l'avance; tous ont leurs pièces d'identité et les certificats des médecins qui les soignèrent sont prêts. De môme pour les pèlerinages belges qui amènent avec eux des praticiens et dont tous les malades sont munis de certificats vérifiés et sur lesquels on peut, en toute confiance, tabler ; mais LES FOULES DE LOURDES 263 lorsqu'il s'agit, de grands pèlerinages de province! Le Dr Boissarie et le Dr Cox sont obligés de se contenter de pièces délivrées par on ne sait quels médicaslrcs, souvent mal rédigées exprès, de peur de se compromettre, lorsque ces gens savent que les malades les réclament en vue d'un voyage à Lourdes ; il n'y a aucune sécurité ; l'on ne peut se fier ni à la science, ni à la bonne foi de ces Diafoirus de cantons; et la clinique, dans des cas qui pourraient être intéressants, se tait. L'on a cherché à remédier à cette incertitude et à ce désordre, mais toutes les solutions proposées s'avèrent, si l'on y réfléchit, vaines. La plus sage consisterait à établir à l'hôpital un bureau de médecins vérifiant les certificats et l'état des malades quand ils débarquent, recourant, dans certains cas, aux instruments qui utilisent les rayons récemment découverts, dans des salles aménagées exprès. Oui, mais comment composer ce concile de médecins qui risqueraient d'ailleurs de n'être presque jamais d'accord et comment euxmêmes pourraient-ils examiner à fond des fournées d'éclopés qui ne restent parfois qu'un jour ou deux à Lourdes? — il faudrait donc empêcher ces malheureux de se baigner, et peut-être de guérir, tant qu'ils n'auraient pas passé par leurs mains; c'est impossible! Zola, lui, déclarait qu'il était nécessaire de pho- 204 LES FOULES DK LOUI1DES tographier les plaies ; mais la photographie ne donne pas la couleur et ne pénètre point dans la profondeur des lissus; elle ne serait donc pas, par elle-même, une garantie. Non, l'innovation qui me semblerait à moi, la plus enviable, serait celle qui permettrait d'hospitaliser, pendant un temps plus ou moins long, les malades améliorés et en voie de guérison. Tous s'en vont, en elFet, au bout de quelques jours, avec les pèlerinages qui les ont conduits. Ils interrompent, si l'on peut dire, le traitement commencé de la Vierge. Et qui sait si de nouvellesimmersions dans les piscines ou de nouvelles prières devant la grotte ne hâteraient pas le retour à la santé et ne préviendraient pas, au besoin, les rechutes? La clinique y gagnerait, de son côté, de pouvoir ne plus se contenter d'examens sommaires, mais de pouvoir suivre pas à pas et d'étudier de près le mode de ces guérisons. Seulement, tout cela ne l'empêchera pas de constater, faute de preuves, moins de merveilles qu'il n'y en a en réalité, puisque, quoiqu'elle fasse, elle ignorera toujours une partie des cures opérées à Lourdes. Des alités qui ne sont pas venus avec des pèlerinages et qui sont descendus dans des hôtels ne se soucient pas, bien souvent, après une guérison, d'être interrogés et palpés, en public, pour LES FOULES DE LOURDES 265 être après cela regardés dans la ville comme des botes curieuses cl ils partent sans mettre les pieds au bureau médical. — Ce qui prouve, entre parenthèses, que toutes les statistiques que l'on a voulu établir des miracles obtenus à Lourdes sont illusoires et inexactes. C'est donc une question de plus ou de moins, et dès lors, que le bureau médical soit organisé d'une façon plus ou moins scientifique, peu importe ! au fond, sa véritable, sa seule utilité est ne pas perdre de vue, dans la vie, un certain nombre de miraculés dont il connaît les antécédents, qu'il a examinés aussitôt après leur guérison, qu'il examine encore, tous les ans. Si aucune récidive ne se produit, il peut alors se prononcer à coup sûr. Sans lui, aucune certitude ne s'impose. Personne ne peut, en effet, se vanter d'avoir vu un miracle a Lourdes, puisque bien des cures extraordinaires ne résistent pas à l'épreuve du temps et qu'il n'y a pas de miracle, au vrai sens du mot, si le mal n'a fait que s'endormir pour se réveiller après. Et puis, en supposant même que l'on découvre un procédé de vérification plus sur que celui des certificats, à quoi cela servirait-il ? La Vierge ressusciterait, demain, un mort que le camp deslibrespenseurs crierait aussitôt, sur tous les toits, que cet homme était en léthargie, qu'il n'était pas trépassé; il existera toujours, en effet, une sorte de 15. 2(36 LKS FOULES DE LOUHDES procédure spirituelle qui permettra à des gens dont le parti est pris, de nier quand même, presque avec une certaine bonne foi, l'évidence. Il y aura, ce soir, une petite procession ; peu nombreux, les patients tiendront tous dans la cuve du Rosaire. Je resterai simplement debout, derrière les voiturettes et les infirmes assis sur des bancs. Sauf le môme hollandais coiffé de son chapeau tyrolien vert et qui a toujours l'air d'une grenouille étendue sur le dos et les deux frères de l'Equateur dont la mère m'émeut, je n'ai plus de malades préférés dont je souhaite plus spécialement la guérison. Tous ceux qui sont rassemblés dans ce cercle sont des alités déjà vus à la grotte, des paralytiques et des tuberculeux, d'autres atteints d'affections invisibles que j'ignore. Vers les quatre heures,je m'installe derrière deux fillettes du peuple, des flamandes pâles et bouffies qui sont assises, mais je hume, penché au-dessus d'elles, un fumet si fade, que je décampe. Les pauvres filles seront-elles libérées de ces maux cachés que cette affreuse odeur décèle ?—Je vais plus loin, à côté d'aveugles inodores qui prient. Précédée, comme d'habitude, des suisses et des enfants de choeur, la processionnelle arrive, en chantant des cantiques. Un évêque porte la nionstrance, suivi par l'épiscope aux longs cheveux de LKS FOUI.KS DE LOUIIDES 20T la Palestine et parla troupe coutumière des prêtres en surplis et des brancardiers. El voici du nouveau; aujourd'hui, les cxoralions se crient dans toutes les langues, en français d'abord, en anglais ensuite, puis en hollandais cl en flamand. Des prêtres de nationalités différentes, tous en soutane, sauf l'anglais en redingote, se succèdent, pour les vociférer au milieu du cirque. L'effet est lamentable ; l'on entend à peine quelques voix qui les répètent ; les assistants se taisent, ne comprenant pas un mot à ce qui se profère. Ne serait-il pas plus simple dès lors de clamerles invocations dans la langue de l'Eglise, de parler latin? El puis qu'est-ce que cela signifie? les touristes d'Outre-Manchc sont à peine quelques-uns; ils ont amené deux ou trois égrotanls clans leurs bagages et il faut que l'on s'adresse à Dieu en anglais. — C'est vraiment sans proportion! Cependant, le Sainl-Sacremenl commence a bénir les malades, mais, je ne sais, il me semble que j'assiste à la mesquine répétition d'un grand drame ; celle réduction quasi taciturne d'immenses processions où rugissaient les foules, suscite la pitié; personne ne prie avec entrain et les grabataires déconcertés ne paraissent plus compter sur leur guérison. Aucun qui se torde devant l'ostensoir et qui le supplie. Tous baissent la tète, alors que les 268 u:s FOUI.ES DK LOUIIDKS cris de Babel meurent sans écho sur l'esplanade cl dans les monts. Je vois de loin les deux singes de l'Equateur qui rient et la mère qui dit ses patenôtres, le batracien hollandais qui gît, inanimé, sur sa civière ; aucun n'est même amélioré; c'est le four terrestre et le fiasco divin ! Pour comble de malcchance, le comique s'en mêle. Au moment où le Saint-Sacrement arrive de mon côté, l'un des laïques qui le précède, une ombrelle blanche à la main, adresse des gestes impérieux à un gamin en train de se démener, debout. Celui-ci continuant à gigoter, il se fâche et l'on a toutes les peines du monde à lui faire comprendre que cet enfant est atteint de la danse de saint Guy et qu'il ne peut demeurer à genoux; — cl voilà que je constate maintenant que l'évoque d'Orient, à tète de Christ, convaincu sans doute que la bénédiction du Seigneur est insuffisante pour sauver les malades, y ajoute après la sienne! La tournée se termine et tousse dispersent. Restent, seuls, les hollandais qui doivent quitter Lourdes, ce soir; ils montent sur les marches du Uosaire et forment des groupes avec les malades en avant, et le pelil gnome, couché sur sa civière, au milieu. — Hélas ! celui là ne s'en va pas guéri ! — Le photographe rectifie les positions. Les jeunes hollandaises rient comme des folles; les camériers LES FOULES DE LOURDES 269 aux ceintures violettes s'ingénient à les obliger de tenir en place. On entend le cri : ne bougez plus ! — et, après, c'est ainsi qu'une débandade d'oiseaux; toutes s'envolent.— Ce qu'elles vont en raconter à leurs amies lorsqu'elles seront retournées dans leurs maisons penchées sur les canaux qui les mirent, dans le fond si mélancolique de la placide Hollande! Je nie rends à la clinique ; quelques prêtres assis regardent gaiement un portugais qui saute, à pieds joints, par dessus les chaises, puis se courbe en arrière et touche presque, avec sa nuque renversée, le sol. — Un vrai clown, dit le Dr Boissaricqui ne le quitte pas des yeux cl quand ce jeune hoinmc'est sorti, il m'apprend que celui-là était paralysé des bras et des jambes, qu'il était parti, dans un coupé de chemin de fer, de Lisbonne pour se rendre a Paris où il voulait consulter des médecins. Il fut poussé, il n'a jamais trop su comment, à bifurquer et à s'arrêter à Lourdes et là, après un bain dans la piscine, il a repris l'extraordinaire souplesse dont il vient de nous donner des preuves. Alors, au lieu de gagner Paris, il a voulu, pour remercier la Vierge, s'installer ici, afin d'y faire le métier de brancardier et de baigneur. Quant à sa maladie, nous n'avons pas à nous en soucier, poursuit le Docteur, nous ignorons ses 270 LES FOULES DE LOURDES antécédents et ses causes; celle paralysie peut fort bien être une paralysie d'origine nerveuse... — Mais, en tout cas, interrompt un prêtre occupé à classer des notes, les médecins qui l'ont soigné n'ont pu le guérir; il serait présomptueuxde croire que ceux de Paris auraient réussi là où leurs collègues du Portugal ont échoué. Pourquoi dès lors la Sainte Vierge n'opérerail-elle pas un miracle quand il s'agit d'une affection des nerfs plus incurable souvent que beaucoup d'au1res? l'éternel argument des névroses, invoqué par les libres-penseurs, ne me semble donc pas définitif... — L'on ne voit pas bien, en effet, répond un autre abbé, pourquoi une personne, parce qu'elle est nerveuse, serait privée des grâces accordées à celles qui ne le sont pas. — Evidemment ; mais à quoi bon discuter ! s'écrie le Docteur; il n'est pire sourd que celui qui ne veut entendre. Si encore l'on avait toujours affaire à des adversaires de bonne foi, mais, tenez, écoutez cette histoire, elle vous renseignera sur la mentalité de certains incroyants. Un jour nous examinons une malade munie d'un certificat de médecin déclarant qu'elle est poitrinaire,— elle l'était, en effet; — après un bain, elle est guérie, toutes les lésions ont disparu.Craignant néanmoins une méprise, nous télégraphions au médecin — mais sans lui annoncer la iniérison LES FOULES DE LOUHDES 271 — pour lui demander si cetlc malade qu'il soigne depuis longtemps est bien réellement une tuberculeuse et il nous répond par l'affirmative, confirme par dépêche la nature de la maladie. Une fois rentrée chez elle, cette femme va revoir ce praticien qui s'étonne, l'ausculte, l'interroge, l'oblige à revenir trois fois, puis consent, sur ses instances à lui délivrer un certificat de guérison ; mais alors, comme il s'agit d'une cure miraculeuse de Lourdes, il atteste dans cette pièce que sa malade n'a jamais été atteinte que d'un simple rhume ! La chaleur est terrible dans ce petit bureau ; je sors accompagné par un ecclésiastique qui me dit: — Le Dr Boissarie a raison, pourquoi discuter avec des gens qui, en face d'un miracle, chercheront quand même des causes naturelles, prononceront de grands mots qu'ils seraient sans doute bien en peine d'expliquer ainsi que Zola lorsqu'il parle de « troubles de la nutrition » a propos d'un lupus? Le cas de Gabriel Gargam est typique à ce point de vue; vous connaissez, je crois, ce miraculé, car je vous ai vu causer, plusieurs fois, avec lui... — Oui, je l'ai connu aux piscines; c'est un homme intelligent, humble et charmant. — Bien. Je résume, en quelques mots son histoire pour vous faire mieux toucher du doigt la folie des idées qu'elle suggère aux mécréants. 11 272 LES FOULES DE LOURDES était commis ambulant des postes. Le 17 décembre 1899, en plein hiver, son wagon est attelé en queue du rapide qui part, le soir, de Bordeaux pour Paris. Par suite d'une avarie de la machine le train reste en panne près d'Angoulôme et est rejoint par l'express qui arrivait avec une vitesse de 90 kilomètres à l'heure. Le wagon-poste fut broyé et Gargam projeté à dix-huit mètres de la voie, dans la neige. On l'y ramassa, le lendemain malin et on le porta, mourant, à l'hôpital d'Angoulôme; il était couvert de plaies, il avait une clavicule brisée, il était paralysé de la ceinture aux pieds ; il ne pouvait rien avaler et bientôt môme avec une sonde qu'on lui introduisait plusieurs fois, par jour, dans l'estomac, l'alimentation devint presque impossible. Une action en responsabilité fut engagée contre la Compagnie d'Orléans. Les médecins furent appelés à fournir des rapports et tous conclurent à l'incurabililé et à la mort, dans un délai plus ou moins bref, du malheureux. Sur le vu de ces rapports, la Compagnie, qui avait d'abord offert de payer une rente de trois mille francs, fut condamnée par jugement du tribunal civil d'Angoulôme à lui en payer une de six mille, plus encore une indemnité de soixante mille francs. Vous remarquerez que si un malade a été examiné avec soin, c'est bien celui-là cl que si les mé- LES FOULES DE I.OUKDKS 273 decins de la Compagnie d'Orléans, qui auraient été heureux, dans l'intérêt môme de leur cliente, de le juger guérissable, ont déclaré qu'il étaitperdu, c'est qu'il l'était réellement. Le pronostic était, d'ailleurs, juste; l'état de Gargam empira ; l'on s'aperçut, un jour, que ses pieds étaient noirs; on crut qu'ils étaient sales, mais dès qu'on toucha la peau des doigts pour les nettoyer, elle éclata cl le pusjaillit. C'était la gangrène, en plus. Gargam n'avait pas la foi, maissa famille l'avait et priait ardemment pour lui ; la médecine s'avouant impuissante, môme à le soulager, on résolut de l'emmener à Lourdes. Il se laissa faire pour ne pas désespérer sa mère, mais il ne crut pas du tout qu'il serait guéri. On le transféra sur un brancard spécial muni d'un matelas que l'on hissa dans le train. Un peu avant d'arriver en gare, à Lourdes, sa mère lui montra du doigt le grand Christ érigé sur la montagne du chemin de croix et lui demanda de lui envoyer un baiser ou tout au moins de le saluer. Il refusa, en détournant la tôle. Amené sur son brancard aux piscines, on le fit glisser, tandis que tout le monde priait, attaché sur une planche, dans le bain. Il s'évanouit, puis rouvrit les yeux et se dressa debout. Cet homme, épuisé par vingt mois de maladie, réduit a l'état 274 LES FOULES DE LOURDES d'un squelette, marcha; la gangrène avait disparu, les pieds étaient maintenantsains; plus de paralysie et l'estomac qui ne supportait même plus, ces derniersjours, le passage de la sonde, digéra facilement tous les mets; l'on peut dire qu'en un bond Gargam.ressuscita. — Oui; et ce qui me frappe, c'est qu'il n'avait pas la foi, ou du moins s'il l'avait, c'était à l'état oublié, éteint depuis son enfance. De tous les entretiens que j'eus avec lui, il me semble résulter qu'il fut l'objet d'un double miracle; il crut en même temps qu'il fut guéri; les deux eurent lieu, spontanément, à la mêmeminute. Alors que devient la foi qui autosiiggcstionne d'avance le malade, la foi qui guérit de Gharcot? — Je l'ignore; mais contrairement au diagnostic du médecin en chef de l'hôpital d'Àngoulême qui vit dans la paralysie de Gargam une maladie de la moelle, à marche progressive, les incrédules, aussitôt après le miracle, déclarèrent que cette paralysie ne pouvait être qu'une paralysie d'origine nerveuse. — Et la gangrène, elle était, elle aussi, d'origine nerveuse? — Je ne pense pas, répondit, en riant, l'abbé; mais, en admettant même qu'ils aient raison sur la nature de la maladie, il leur resterait à expliquer la guérison instantanée de la gangrène, les forces LES FOULES DE LOUI5DES 275 revenues, sans convalescence, après plus d'une année d'inanition, l'estomac rétabli, en une seconde. — Eli bien mais, ils répliqueront que ce sont là les effets du saisissement causé par l'eau froide, les bienfaits de réaction de l'hydrothérapie. Seulement, s'ils croient à la puissance de celle thérapeutique, pourquoi, diable, ne l'appliquent-ils pas, dans des cas pareils, à Paris ? L'on peut faire de l'hydrothérapie autre part qu'ici et même beaucoup mieux, car enfin, il n'est pas d'établissement de bains qui soit plus mal outillé que celui de Lourdes, puisqu'il ne possède, pour tout appareil, que des baignoires d'eau sale. Et ils pourraient, pendant qu'ils y sont, pratiquer le système des piscines, où l'on baigne*des femmes sans s'occuper de savoir si elles sont indisposées et si elles ont terminé leur digestion. Je serais bien curieux de connaître les résultats qu'obtiendraient, à la Salpètrière par exemple, ces essais de traitement sur les affections nerveuses des femmes qu'on y soigne!

XIV ^f^fSiE commence à être un peu las. Lourdes, ^^T|/Ç vide hier, s'est de nouveau rempli ; le j^S>^£ boucan des Ave Maria recommence ; voici trois semaines que je vais, chacpjc jour, à l'hôpital et à la clinique, que je fais le vague métier d'un carabin. Maintenant, les cas exorbitants, les figures de cauchemars comme celle du paysan de Goulances, les tôles de larves comme celle de celle femme dont l'oeil était brandi, tel que celui d'une limace, au bout d'un tentacule, manquent. Sauf un vieillard dont le teint gris-perle me rappelle celui de certains ouvriers, employés dans les manufactures de tabac, tous les nouveaux arrivés de l'hôpital sont des malades sans luxe d'horreur particulière, sans élampe spéciale. J'en ai vu tant de ce genre que je in?HAue plus auprès des lits. A vivre 278 LES FOUI.ES DK LOUliDES ici, l'on finirait, ma parole, par se désintéresser complètement des. affections courantes et ne plus s'exalter que devant des échappés de maladreries, devant des monstres. Le vertige des excès vous gagne ; je sens cela maintenant que ces déballagesde bestiaires sont clos; mais ce quej'éprouve surtout, à ce moment-ci, c'est le besoin de ne plus bouger, le besoin de ne plus humer celte senteur de poussière, de vanille, et de pus qui est l'odeur sigillairc de Lourdes. Le spectacle que je vois de ma fenêtre, la nouvelle ville couchée dans le fond dct cuvette de ses monts ne m'enthousiasme guère. Est-ce parce que je suis issu par la ligne paternelle de pays marilime et de sol plat, mais je constate que j'ai de moins en moinsle sens delà montagne; elle me produit l'effet d'un océan figé; la seule vie qui l'anime est due à une supercherie du ciel ; les nuages qui se meuvent sur les pics, jouent le rôle de vagues muettes, ils bondissent et Crètent leurs cîmes sèches d'écume; sans eux, ce serait l'immobilité absolue, la mort de la terre stérilisée par l'abus des froids. Le pis est qu'en étant très hautes, ces montagnes n'ont pas l'air d'être élevées, qu'elles ne suggèrent pas une idée d'infini mais une impression d'étouffemcnl. Ah ! décidémcnl,jcnesuispas Alpiniste pour deux sous ! les ascensions cabotines qui se pratiquent, ainsi que chacun sait, avec des jarrets ser- LES FOULES DE LOURDES 279 rcs dans des lainages d'Ecosse et des bàlons ferrés à la main, ne m'incitent guèrcs. J'ai encore assez d'imagination pour pouvoir, tout en demeurant dans un fauteuil, me représenter des horizons dont l'immensité dépasse de beaucoup celle qui se déroule du sommet des monts ; le beau est moins ce que l'on voit que ce que l'on rêve et j'avaisrêvé, je l'avoue, un tout autre Lourdes; mais, enfin de compte, puisque j'y suis, je dois convenir que la nature m'émeut plus en largeur qu'en hauteur, et que la traversée si mélancolique des Landes, avec ses couchers de soleil qui s'éperdent dans l'étendue des pins, m'impressionne bien autrement que ces sites de faîtes et de glaciers si courts. En tout cas, je suis fatigué des pèlerins et las des paysages; je reste donc aujourd'hui dans ma chambre et je bouquine des volumes sur les contrefaçons de Lourdes, organisées par la Belgique et la Turquie. El je me dis vraiment que la Vierge de Lourdes déconcerte, car les contrefaçons valent l'original, sont parfois même plus fertiles en miracles, plus actives. L'histoire, en Belgique, du sanctuaire d'Ooslakker, situé dans un bourg, au milieu du parc de Slootendriesch, à cinq kilomètres de Gand, est poulie moins singulière. Elle d&bulc par un projet mondain dont la Vierge n'a que faire. En 1870, le 280 LES FOULES DE LOU11DES goût des aquariums était à la mode dans les familles riches du peuple belge ; une marquise de Gourlebourne, qui possédait-le château de Slootendriesch, se met dans la tète d'en construire un et comme un aquarium ne va pas sans une fausse grotte, elle décide également d'en bâtir une. L'emplacement une fois choisi dans son parc; on commence les travaux ; sur ces entrefaites, le curé d'Ooslackker, l'abbé Moreels, montre une image de la grotte de Lourdes à la marquise cl la détermine à réserver, dans l'amas cimenté de ses rocailles, une niche poury placer une statue de l'Immaculée Conception, imitée de celle des Pyrénées. Le tout fut terminé en 1871; et trois ans après, les quelques paysans du hameau qui venaient prier devant l'aquarium cl la Vierge avait engendré, on ne sait pas très bien comment, des milliers de visiteurs. Il en vint jusqu'à dix mille en un jour et les miracles éclatèrent. Le premier qui fut enregistré date du 12 février 1871; il échut à Mathildc Verkimpe, une enfant de dix ans, habitant à Loochrisli. Elle était boiteuse, incapable de marcher sans béquilles ; tous les médecins des hôpitaux de Gand s'étaient déclarés impuissants à la guérir. Sa mère va demander sa cure à la grotte, rapporte de l'eau de Lourdes qu'on y distribue et, pendant une neuvaine, elle frictionne avec celle eau la jambe de sa fille; et, à la fin de LliS FOULES DE LOURDES 281 la ncuvainc, la pelilc se trouve instantanément guérie et peut aller remercier à pied la Vierge. Et les miracles continuent; l'on fait d'habitude trois fois le tour de la grotte ; on se lotionne avec l'eau d'un bassin tombée de l'aquarium, dans laquelle on jette, chaque malin, quelques gouttes de la source de Lourdes, et les affections' les plus diverses, telles que les coxalgies et les cécités, disparaissent dès que ce liquide les touche. Au mois de mai de l'année 1875, pour répondre aux besoins des pèlerins, l'on édifia une église de style ogival, sans transept, à deux clochers ; l'on confia le service du pèlerinage aux PP. jésuites de la province belge et Oostakker devint célèbre dans les Flandres. On y brûle des milliers de cierges, comme à Lourdes, et des pyramides d'ex-voto s'élèvent, au-dessus de la grotte, dans les arbres. Ce fut dans ce lieu que surgit la guérison la plus inouïe qui ait jamais été observée, de mémoire d'homme. Le 16 février 18G7, un paysan du nom de Pierre de lludder, résidant à Jabbekc, village, situé près de Bruges, eut la jambe gauche cassée par une chute d'arbre; il y avait fracture du tibia et du péroné cl les fragments d'os étaient si nombreux qu'en remuant la jambe, l'on entendait, suivant l'expression du médecin qui lui donna les premiers soins, î s os s'entrechoquer, ainsi que des noisettes, 10 HS2 I.KS FOUI.KS Di: I.OUIIDES dans un sac ; ces fragments ayant été otés des tissus, l'on pouvait discerner, dans la plaie, les deux os, demeurés intacts, distants de trois centimètres l'un de l'autre. L'on ne connaissait pas, à celle époque, l'antisepsie et l'on eut beau se servir de bandages solides, jamais Injonction des deux os, qui baignaient dans le pus, ne parvint à se faire ; la partie inférieure du membre qui n'était plus soudée à l'autre, ballottait, telle qu'une chiffe, dans tous les sens. Les chirurgiens qui se succédèrent près du malheureux déclarèrent le cas incurable et le professeur Thiriarl, de Bruxelles, que l'on consulta en dernier ressort, proposa d'amputer la jambe. De Rudder refusa; cl il souffrit, pendant plus de huit années, d'atroces tortures, obligé de panser, plusieurs fois par jour, celte plaie dont la sanie ne tarissait pas, se traînant, comme il pouvait, sur des béquilles. Il avait ouï parler d'Oostakker ; il résolut d'y aller demander à la Vierge, sa guérison.Le 7 avril 187o, trois hommes le hissent dans le train en partance pourGand; il est, à sa descente dans celle ville, porlé dans l'omnibus d'Oostakker et sa jambe, si bien enveloppée qu'elle soit, laisse échapper des filets d'humeur et de sang qui traversent les linges et tachent la banquette; arrivé devant la statue de la Vierge, il se repose un peu, boit une I.KS FOUI.KS 1)K I.OUItDKS î28!"i gorgée d'eau et veut, ainsi que les autres pèlerins, effectuer, trois fois, le tour de la grotte. Soutenu par sa femme, il accomplit ce tour, deux fois et, à bout de force, il tombe, exténué, sur un banc. Il supplie Notre-Dame de Lourdes de le sauver et il perd subitement la tète, ne sait où il est, se retrouve, en reprenant connaissance, devant Elle, à genoux et se relève, guéri. Plus de trou, les os se sont rejoints ; il ne boite même pas, car les deux jambes sont de longueur égale. Ce prodige eut un retentissement énorme dans les Flandres ; vingt-deux médecins s'en occupèrent; on fit des enquêtes minutieuses, dirigées pour plus d'impartialité par des catholiques et par des incrédules; on interrogea tous les praticiens qui l'avaient soigné, tous les gens du village de Jabbeke qui avaient vu, le jour même du départ, l'état de la blessure, tous ceux qui avaient assisté au miracle ; on soumit de Rudder aux examens les plus rigoureux; il fallut bien convenir de l'authenticité de ce fait sans précédent, d'une plaie guérie toute seule, en une seconde, et d'un fragment d'os de trois centimètres, destiné à remplacer celui qui manquait, poussé instantanément, à la suite d'une prière. Il restait, juste, surla jambe, une tache bleuâtre à l'endroit de la brisure, comme pour attester que 284 I.KS FOU.'.KS l)K LOUIIDKS -l'on n'avait pas été le joucl d'une illusion, que la rupture avait bien existé. Vingt ans s'écoulent, sans que jamais cette jambe ait llécbi ou ait été, au point de vue de la solidité, inférieure à l'autre et de Rudder, atteint d'une pneumonie, meurt, à l'âge de soixantequinze ans, le 22 mars 181)8. Le 24 mai de l'année suivante, l'on procède à l'autopsie de sa jambe. L'on constate que la Vierge ne joue pas la difficulté, ainsi que l'on dit au jeu du billard; Elle a remis cette jambe de même qu'aurait pu le faire le chirurgien le plus habile, si l'opération avait été possible; et Elle l'a rendue possible par la suppression immédiate d'un foyer purulent, par la créalion spontanée d'un os. Celte autopsie d'un miracle est certainement la preuve la plus extraordinaire qui ait jamais pu être fournie d'une action surnaturelle remédiant à l'impuissance humaine dans les guérisons d'ici-bas. Les plaies nerveuses de Zola, l'autosuggestion, la foi qui guérit, toutes les vieilles fariboles des écoles de la Salpètrièrc et de Nancy, sont réduites à rien, du coup. Et il n'y a pas de porte pour s'échapper, ici ; comme l'écrit fort bien le Dr Boissaric, dans les Annales de Notre-Dame de Lourdes. « Nous pouvons dire que, pendant trente-deux ans, les médecins n'ont pas perdu de Rudder de vue; avec une I.KS FUULKS I>K LOUIIDKS 28è) persistance que rien ne lasse, ils ont attendu sa mort pour faire son autopsie et voir par quel procédé, Dieu pouvait bien guérir les fractures de jambe. « Gnke aux matériaux qu'ils ont réunis, laguérison de de Rudder restera comme un modèle de ce que l'on peut obtenir par des empiètes bien conduites. « Il n'y a pas, dans la science, de fait plus concluant. » Ce qui peut sembler étrange, au premier abord, c'est qu'un tel miracle, le plus clair peut-être qu'il aitété donné à l'homme de palper et de voir, aiteu lieu, non à Lourdes même, mais dans une de ses succursales. Cependant, ce choix n'est pas étrange, si l'on y réfléchit. Admettez que la guérison de Rudder se soit passée à Lourdes, les incrédules se seraient empressés de la nier; ils auraient, en tout cas, refusé de participer aux enquêtes, de même qu'ils refusent, malgré toutes les invites qu'on leur adresse, de venir s'assurer de la véracité des phénomènes que l'on observe à la clinique de Lourdes. Les quelques personnesindépendantes, curieuses de vérifier et d'étudier de visu cette cure, auraient peut-être reculé devant les pertes de temps et les dépenses assez fortes qu'entraîne le parcours des chemins de fer, en France ; bref aucune n'aurait il». 286 LES POULES l»K I.OL'IIDES voulu ou n'aurait pu s'atteler, à ses propres frais, à une telle besogne. Il en est autrement, en Belgique; les voyages dans ee minuscule pays sont toujours et peu dispendieux et brefs ; puis, il y a dans le tempérament flamand ce qui n'est pas dansle tempérament français plus nerveux et plus pressé, un ctMé méthodique et minutieux, administratif, lourd même, si l'on y tient, mais capable de ne pas se décourager, de ne pas dévier de la voie qu'il s'est tracée et c'est grâce à ces qualités ou à ces défauts, comme l'on voudra, que nous devons d'être si exactement renseignés sur le cas de de Rudder. Le choix d'un pays tout à la fois flegmatique et pointilleux, décidé parla Vierge, se comprend donc. Il est à remarquer d'ailleurs que son Fils a agi de môme lorsqu'il voulut imposer au monde le nom de l'une de ses stigmatisées, Louise Lateau. Il l'a prise également dans les Flandres et elle y a été l'objet d'enquêtes approfondies, d'expériences de toutes sortes ; les médecins de tous les camps sont allés la visiter dans sa pauvre chaumière de Bois d'Haine. Louise Lateau est célèbre dans l'univers entier. Oui connaît une autre stigmatisée de France dont l'aloi divin peut sembler également sûr? A part quelques médecins catholiques, tels que le Dr Imbert-Gourbeyre qui fut chargé par M-r Fournier, l'ancien évèque de Nantes, de la scruter, de la sur- LUS FOULES DE 1.0UIWES 287 veiller de très près, personne dans lu thérapeutique ne s'en est occupé, depuis plus de vingt ans, qu'elle est étendue sur un lit; et, à l'exception de quelques mystiques, tous ignorent Marie-Julie Jahenny, de la Fraudais! Il en eut été de même pour Louise Lalcau, si, au lieu de résider en Belgique, elle avaii demeuré en Frunce. Pour en revenir à de Rudder, les os de sa jambe sont conservés à l'Université deLouvain, mais des moulages en cuivre ont été concédés à Lourdes où l'on peut les voir, au bureau de la clinique médicale, sur le bureau du Dr Boissurie. Telle est, en peu de mots, l'histoire du sanctuaire de Oostukker-lez-Gand. Celui qui fut instauré dans le faubourg de Féri Jveuï, à Conslantinople, s'explique aisément pour peu que l'on se rappelle combien, depuis des siècles et malgré les etYorls de l'Islam, l'hyperduliè s'est maintenue fougueuse et continue, chez les catholiques cl chez les schismatiques du Levant. C'est en Orient qu'est né le culte de la Vierge. D'après une très uneienne tradition mentionnée par le cardinal de Vilry et par les Bollandistes et que l'on retrouve dans les révélations de Marie d'Agréda, saint Pierre aurait fondé, du vivant même de la Vierge, un oratoire en son honneur dans la ville d'Antarados. Ce sanctuaire aurait été 288 LKS FOUI.KS riK LUUIIDKS le premier, érigé sur la terre, sous sou vocable. Depuis lors, les églises, dédiées à son nom, se sont propagées dans toutes les régions de l'Orient et d'aucunes, au Moyen Age, furent si fameuses qu'elles attiraient, comme Lourdes maintenant, des pèlerinages venus du monde entier, deux surtout, Notre-Dame de Tartasc où, dit Joinville, « Nolrc-Seigncur a fait maint beau miracle pour honorer sa Mère » — et Notre-Dame de Saidnaya où l'on vénérait le portrait de la Madone attribué à saint Luc. Et de même que le culte de la fdle de Joachim avait, dans le Levant, précédé le nôtre, de même'le culte de l'Immaculée Conception y était solennisé par les Grecs dès le.vin" siècle, alors qu'en Occident, l'on devait longtemps encore discuter la question de savoir si ce privilège pouvait être accordé à la Mère du Sauveur. Enfin, nulle part, Marie n'a été révérée et choyée d'une façon plus persistante et plus magnifique que dans les liturgies de l'Orient. Les offices de ses différents rites débordent d'eflusions, de cris d'enthousiasme, d'éloges enflammés auprès desquels nos prières officielles paraissent bien mesquines et bien froides. Outre les brûlants transports et les câlines hyperboles de leurs hymnographes et de leurs mélodes, leurs messes mêmes, à la fois si dramatiques et si familières, célèbrent seslouanges, I.KS FOUI.KS DK I.OUIIDKS 289 ainsi qu'aucun de nos services divins ne le saurait faire. Toutes les messes arméniennes, maronites, syriaques, débutent par une oraison qui lui est personnellement adressée, au bas de l'autel, par le prêtre, avant qu'il ne commence leConfileor; — le Sacrifice s'accomplit sous sa tutelle ; — dans le rite copte, l'on encense son image, pendant les saints mystères; quant au rite clialdéen, onze fois parjour, il prône sa miséricorde et ses grandeurs. La place qu'Elle occupe dans les offices du Levant est,on le voit, beaucoup plus considérable que dans les nôtres ; sans compter encore l'habitude établie dans les temples de déposer son image, entourée de fleurs, sur l'autel, cl. après les encensements et les chants des Litanies, de bénir le peuple, avec. La Vierge est donc adulée et aimée dans ces contrées dont Elle est du reste originaire, plus que partout ailleurs.et l'on comprend qu'Elle affectionne ces populations qui furent, en somme, ses premières confidentes, ses plus anciennes amies. Il est, dès lors, tout naturel qu'Elle les ait admises à participer aux grâces qu'Elle distribuait aux fidèles de l'Occident; et si elle a choisi, pour dispensaire de ses bienfaits, Conslanlinople, c'est peut-être parce que la renommée de ses miracles pouvait, de là, mieux se répandre dans l'Asie voi-' 290 I.KS rouLKs I»K I.MMIDKS sine et peut-être aussi parce que c'est dans cette ville que fut définie et proclamée sa Virginité perpétuelle, contre les hérétiques. Pour organiser cette succursale de Lourdes en Turquie, Elle s'est servi des moyens les plus pratiques et les plus courts. Elle n'est pas réapparue à une nouvelle bergère, Elle n'a pas créé une nouvellesource, car il est probable qu'en pays infidèle, ses apparitions auraient soulevé des rafales de fanatisme et suscité des luttes de toutes sortes ; Elle ne s'est pas transportée, elle-même, Elle s'est fait transporter sans bruit, de Lourdes à Constantinople où l'on connaissait par ouï-dire son renom de Panaghia des miracles et, de là, Elle a rayonné dans le Levant. La façon dont s'est effectuée sa translation de l'Occident en Orient est des plus simples. Les Pères Géorgiens qui avaient fondé, en 1872, à Montauban, une résidence pour l'éducation de leurs novices, durent quitter la France, en 1880, à la suite des décrets d'expulsion et ils retournèrent à Constantinople où était installé leur couvent. En 1881, le 25 mars, fête de l'Annonciation, ils dédièrent dans leur chapelle un autel à Notre-Dame de Lourdes, le surmontèrent d'une statue semblable à celle de la grotte et firent venir de l'eau de la fontaine miraculeuse. Il n'en fallut pas davantage pour décider l'im- I.KS roin.Ks ru-: I.OUIIOKS 2111 médiate éelosion de surprenants miracles; ils devinrent bientôt si nombreux que le cardinal Vincent Vanulelli, alors archevêque de Sardes et délégué apostolique du Saint-Siège en Turquie, dut instituer une commission d'enquête pourl'examen des guérisons. Des paralysies, des épilepsies, des cancers disparurent en un clin d'oeil ; un juif d'Orta-Keuï, sourd des deux oreilles, et un enfant de treize ans, pied-bot de naissance, furent, en une minute, guéris; mais ce furent surtout les aveugles et les borgnes qui obtinrent des cures instantanées ; les ophtalmies, si fréquentes cl si tenaces, dans les régions du Levant, cédèrent après une simple lotion et des prières. Le bruit déterminé par ces faits extraordinairesfut énorme, et les gens appartenant aux croyancesles plus diverses vinrent visiter dans la chapelle des Pères Géorgiens la Notre-Dame de Lourdes. En sus de femmes de toutes les castes, des pachas, des officiers et des soldats turcs, des eunuques et des derviches, se mêlèrent à la foule qui envahissait le couvent. Des grecs, des arméniens,* des bulgares schismatiques, des musulmans, des juifs furent guéris tout aussi bien que les catholiques. L'Immaculée Conception ne paraissait se soucier que fort peu de la dilVérenee des cultes et ne se préoccuper nullement, au point de vue des %\)'2 J.KS l-'OUI.KS llK I.OUIlliKS grâces temporelles, de l'axiome « hors de l'Eglise, point de salut ». Elle avait toujours agi, de la sorte, d'ailleurs, car en 1203, dans son sanctuaire de Notre-Dame de Saidnaya, Elle avait miraculeusement guéri des niahométans et' sauvé d'une maladie mortelle le Sultan de Damas, le frère de Saladin, qui, par reconnaissance, voulut entretenir une lampe à perpétuité, devant son icône, dans l'église. Du reste, tous les hommes, chrétiens ou non, nesonl-ils pas ses enfants et le Christ ne s'est-il pas incarné pour les rédimcr tous? Enfin, comme les catholiques sont peu nombreux dans la Turquie, la chapelle des Géorgiens eût été une bien misérable succursale du grand pèlerinage de Lourdes, tout au plus une pauvre échoppe de prières, si la masse des musulmans et des schismaliqucsn'y était, — elle aussi, venue —Et ce dut être, à coup sûr, un curieux spectacle que celui de ces cortèges dans lesquels se confondaient toutes les croyances priant Celle qu'ils nomment « MeriemAna ou Bikir JMeriem » et demandant et obtenant par des voies, plus liturgiques môme qu'à Lourdes, des guérisons. On procédait, en elVet, ainsi : Après les exoralions dans la chapelle, devant l'autel de la Vierge, les pèlerins, hommes et femmes, se rendaient dans la sacristie. Là, on les aspergeait d'eau bénite et on leur lisait l'Evangile du LES FOi:i,KS DE LOURDES 293 jour; on les bénissait avec l'Evongéliairc posé sur la tète el on leur faisait embrasser la croix gravée sur le plal du livre. Kl les guérisons s'opéraient, en buvant après de l'eau de Lourdes ou en se frictionnant avec cette eau ou encore avec l'huile des lampes allumées devant l'autel de la Madone, dans l'église. Parfois aussi, les maliomélancs dépliaient des mouchoirs et des chemises, destinés, selon l'usage turc, à être portés par les personnes dont elles sollicitaient le retour à la santé— et, avant les prières, elles les plaçaient sur les premières marches de l'autel, pour les reprendre après. Il y a de cela quelques années, l'on brûlait de quatre à cinq mille cierges dans celle chapelle et l'on y distribuait gratuitement des quantités considérables d'eau et de médailles. De la Mésopotamie, du Turkestan, l'on en réclamait des envois et, — ce qui est plus étrange — de Médine et de la Mecque, les deux villes saintes de l'Islam ! Parmi les cures reconnues par la Commission d'enquête, il en figure une spécialement intéressante, parce qu'elle reproduit, avant la lettre, une guérison fameuse de Lourdes, celle de la femme à l'aiguille. Dans le volume si attentif el si lucide du Dr Boissarie, « Lourdes, depuis I808 jusqu'à nos jours », 17 2\)'t IIS t'OUI.KS ]>K LOl'ltllKS l'on trouve l'histoire détaillée de cette femme qu'il a observée et étudiée de très près ; on peut la résumer en quelques lignes : Célesline Dubois avait, depuis sept ans, un fragment d'aiguille brisée dans la paume de la main qui enlla et les doigts contractés se replièrent. L'on pratiqua des incisions, l'on dilata la plaie pendant trois semaines, jamais on ne put extraire ce fragment. Le 20 août 1880, cette femme plongea sa main dans une des piscines de Lourdes et l'aiguille, se creusant un sillon de huit centimètres, sortit, toute seule, après un trajet subit, sous la peau, par l'extrémité du pouce. En novembre 1882, c'est-à-dire quatre ans avant cet événement, à Conslantinople, une arménienne catholique dePéra vint à la chapelle des Géorgiens, avec un tronçon d'aiguille, perdu dans un doigt ; les chirurgiens renonçaient à l'extirper; l'inllammalion avait gagné la main et le bras et les douleurs étaient atroces. Celle femme fît une neuvaine devant l'autel cl, au bout de la neuvaine, l'aiguille partit, d'elle-même et immédiatement l'inflammation cessa. Qu'est devenue depuis celle époque la chapelle de Féri-Keuï? — Un article d'un des grands journaux quotidiens de Conslantinople, « le Stamboul » m'apprend que, cette année 1000, l'on a célébré I.KS l'OL'I.KS HK l.nlJltOKS 2!>;; les noces d'argent de ce sanctuaire. Le petit couvent des Pères (iéorgiens s'est mué en une vaste abbaye, mais l'église est restée la même. Des milliers d'ex-voto tapissent ses murs; des foules, appartenant à toutes les religions, continuent d'y affluer et comme autrefois, la Vierge y dispense ses grâces. Des succursales de Lourdes existent dans d'antres pays, en France, en Italie, en Espagne, en Autriche; les missionnaires ont fondé des temples sous son vocable, dans l'Amérique et l'Océanie, dans la Chine et dans les Indes. Malheureusement, des renseignements précis et soigneusement contrôlés manquent sur les incidents miraculeux qui sans doute s'y produisent.

XV r&Yff A PcrsPcc,'vc ('c rcnlrcr à Paris qui est ^ll'Vïx mi Heu singulièrement calme eu comv^g£k4L( paraison du Lourdes des pèlerinages, me délecte. Il me semble que je vais revenir dans une bonne grande ville de province où il y a encore des églises noires, des gens qui prientsans brailler, des offices liturgiques qui sont des offices. Et cependant, tout en bouclant ma valise, je me dis qu'il faut avoir vu ces Pardons des Pyrénées et que lorsque le souvenir de tant de pieuses bousculades, de fracas de trombones et de cris s'atténuera, Lourdes m'apparaitra dans le lointain, comme une cité de rêve où l'on vit, à l'état intense, dans une griserie traversée de courants de révoltes, mais infiniment douce, certains jours, alors que l'atmosphère parait plus spécialement 298 ' LES FOULES DE LOURDES imprégnée des effluves divins des guérisons. La Vierge a voulu des foules, ainsi qu'au Moyen Age, Elle les a ; sont-ce les mêmes? sans doute, l'àmc ingénue et la foi naïve des vieilles paysannes n'a guère changé; l'existence même que ces multitudes mènent, ici, couchant dans le Rosaire, mangeant surles bancs et sur les pelouses, rappelle la vie des cohues d'antan, couchantdansla cathédrale de Chartres—dont le pavé s'inclinait en pente exprès pour qu'on pût le nettoyer à grande eau, le matin,— ou campant autour de la Vierge noire, en plein air, dans les plaines de la Beauce ; mais touts'est encanaillé ; la magnificence de la cathédrale, l'alliait des costumes, l'ampleur des liturgies tulélaires ne sont plus. Lourdes, né d'hier, s'est développé dans l'insalubre berceau de notre temps et il expire le fétide relent des industries qui l'accablent; un jour, alors qu'une des soeursbleues de JJeaune, sousson hennin et son splcnditle habit du xv" siècle, priait, agenouillée, les bras en croix, j'ai eu la transportante vision des anciens siges, mais l'arrivée de dévotes modernes, avec leurs faces confites, leur remuement simiesque des badigoinces, leurs maigres doigts roulant des boulettes de chapelets, leurs funèbres chapeaux et leurs robes aux teintes funestes de fonds de cheminée et de cendre, m'a rejeté dans l'implacable dégoût de mou.époque et j'ai pensé que s'il était .salutaire de visiter Lourdes, il ne LES FOULES DE LOUIIDES 299 fallait pas s'y attarder trop longtemps, car le coté dramatique des cures qui vous émeut furieusement tout d'abord, s'émousse à la longue et alors la hideur de tout ce qui vous entoure, de tout ce que l'on voit, domine. En somme, les impressions que l'on emportesont de deux sortes et elles sont hostiles, l'une à l'autre, inconciliables. Lourdes est un immense hôpital Saint-Louis, versé dans une gigantesque fêle de Neuilly; c'est une essence d'horreur égoullée dans une tonne de grosse joie; c'est à la fois et douloureux cl bouffon et mufle. Nulle part, il ne sévit une bassesse de piété pareille, un fétichisme allant jusqu'à la poste restante de la Vierge; nulle part encore, le satanisme de la laideur ne s'est imposé, plus véhément et plus cynique. Oui certes, cela est bien misérable, cela incite à quitter cette ville et à n'y jamaisremettre les pieds, mais c'est l'impudent revers d'un inégalable endroit; la face, Dieu merci, diffère. D'abord, il y a la foi de ce peuple réuni pour exorer la Vierge, une foi qui ne jaillit, nulle part, en des laves brûlantes comme ici ; et jamais de défaillance ; aujourd'hui Notre-Dame demeure sourde aux supplications, Elle détourne la tète et se lait; personne ne se plaint; tous continuent de prier et de croire ; la foule se charge, pour ainsi dire, et 300 LES FOULES DE I.OUllDES se comprime dans Paltenlc, afin d'exploser dans ' les gerbes de flammes des Magnificat, alors que, devant le Saint-Sacrement ou au sortir des piscines, le malade, projeté debout, se dresse; c'est un retour à la fiance résolue du Moyen Age; c'est aussi la fusion des classes, confondues en une unique dilecliôn, en un unique espoir. Puis, il y a la charité exaltée plus que partout sur la terre à Lourdes. Pour quelques ardélions qui regardent travailler les autres et leur distribuent, à tort et à travers, des ordres, combien de gens, au lieu d'excursionnersur les montagnes ou sur les plages, viennent passer leurs vacances dans ce bourg et les occupent à tirer des petites voitures et à baigner des infirmes; parmi ces gens, il en est qui sont jeunes et riches et qui pourraient voyager plus joyeusement et se divertir; il en est d'autres qui sont des commerçants cl qui laissent leur négoce, pendant un mois, pour faire le métier de cheval de fiacre et de portefaix et ce sont souvent les seuls congés qu'ils puissent s'accorder! Combien de dames, telles que celte bonne vieille accompagnant la petite aux pieds pourrisparla gangrène qui abandonne sa famille etses appartements, pour venir coucher sur un grabat et veiller, la nuit, des alités; et tout ce monde est si tenu parsa tilche cl si fatigué qu'il n'a même pas la consolation d'aller, ainsi que les autres pèlerins, aul&nt qu'il le voit- LES FOULES DE LOURDES 301 (Irait, prier, seul à la source; il est à l'allache, en service et à ses frais. Parmi même les visiteurs qui ne besognent pas clans le service des attelages et des piscines, combien, mus de pitié pour ces épaves humaines que l'on traîne devant eux, sur les routes, s'oublient complètement et implorent, de toutes leurs forces, la Madone pour elles. Il y a là le bienfait de l'omission'personnelle, l'amour si rare du prochain. On a remisé le bagage de son égoïsme à la consigne. Qui sait si tout de même, il ne pèsera pas moins, quand on le reprendra? En résumé, à Lourdes, on assiste a un renouveau des Evangiles ; on est dans un lazaret d'Ames et l'on s'y désinfecte avec les antiseptiques de la charité ; en comparaison de ces profits sanitaires, qu'est-ce que le désarroi de la bêtise et de la laideur, la partie purement humaine des déchets ? Enfin, il y a, ici, la Vierge, compatissante et douce, qui semble, à certainsinstants, plus vivante, plus près de nous, que partout ailleurs. C/est Elle qui, par ses guérisons miraculeuses, a rendu ce pèlerinage célèbre dans l'univers entier. Le public des indifférents ou des sceptiques, inapte a comprendre ce qui ne tombe pas sous la portée de sa raison et de ses sens, ne se soucie guères des gnkes spirituelles qu'Ello déverse cependant, A foison, dans la grotte ; il ne peut être touché que 17. 302 LES FOULES DE LOUHDES par le visible et le palpable, par des prodiges matériels, par des suppressions de maladies et de plaies; et la question se résume pour lui desavoir, d'abord si des guérisons s'opèrent, en effet, à Lourdes et ensuite si ces guérisons sont, comme l'affirment les catholiques, le bouleversement absolu des lois de la nature, le désaveu complet de toutes les méthodes médicales, la négation de tous les préceptes de l'hygiène et de toutes les prévisions de la science. Cela seul l'intéresse. J'ai répondu, je crois, tout le long de ce livre, par des exemples, à ces questions. Il me reste, en présentant les objections elles réponses, à les réunir et à les récapituler, en quelques lignes. Au début, aussitôt après les Apparitions à Bernadette, les libres-penseurs, ahuris par le mystère d'inintelligibles cures, songèrent à les expliquer par les vertus thérapeutiques de la source ; mais on fit l'analyse de. l'eau et il fut reconnu qu'elle était dénuée de toute propriété médicinale ; etd'ailleurs de quel pouvoir magique n'aurait-il pas fallu que cette nouvelle fontaine de Jouvence fiU douée, puisqu'au contraire de toutes les eaux thermales dont les effets se spécialisent, elle enlevait indifféremment toutes les infirmités et toutes les maladies Vc'eiU été la panacée terrestre, l'unité du remède appliqué à la diversité des maux ! La nature ne nous a pas jusqu'à ce jour départi LES FOULES DE LOUIiDKS 303. des mirobolants pareils. Ce point une fois acquis, comme il était impossible de nier la réalité de faits vus et observés par des milliers de personnes, force fut bien de chercher de nouvelles raisons et l'on adopta cette théorie que les patients étaient des névropathes, exaltés par .la Foi, qui se suggestionnaient, eux-mêmes, et guérissaient parce ; qu'ils avaient la volonté de guérir et la certitude qu'ils seraient guéris. Pour que celte hypothèse eût des chances d'être exacte, il aurait été nécessaire que la Vierge n'exr périmenlàt que sur des hystériques et des névrosés, sur des monomanes de la guérison, en un mot. Ceux-là peuvent sans doute recouvrer la santé, de la sorte; mais Elle supprime des phtisies arrivées à la dernière période, des cancers, des maux de Potl, des gangrènes ; Elle redresse des pieds-bots, rend la vue aux aveugles et l'ouïe aux sourds, traite toutes espèces d'affections, aussi bien les désordres organiques que les plaies ; à monte donc d'oser affirmer que les maladies dont souffre l'humanité relèvent, toutes, sans exception, d'un détraquement du système nerveux, l'explication demeure insuffisante. Mais j'admets même cette théorie ; j'accepte que toutes les personnes atteintes de cancer et de gangrène et sauvées à Lourdes, l'ont été par suite d'une émotion morale, par suite d'une imagination surex- 304 LES FOULES DE LOUUDES citée, par suite de la puissance du désir et de l'énergie de la suggestion; et alors, les enfants peuvent-ils l'être par ces mêmes moyens, est-ce possible ? J'ai parlé du gamin à la gouttière de bois de Belley. Celui-là pouvait avoir de sept à huit ans. Etait-il en âge de s'hypnotiser? je veux bien encore le croire ; passons alors à de plusjeunes. Dans un volume très documenté sur Lourdes, l'abbéBcrtrin a relevé au hasard des archives médicales de la clinique, des cures d'enfants plus jeunes — et qui se sont maintenues, celles-là— Fernand Balin, guéri, en 1805, d'une déviation du genou, il avait trente mois; Yvonne Aumaîlre, la fille d'un médecin, guérie, en I89G, d'un double pied-bot, elle avait vingt-trois mois; Paul Marcèrc, guéri, en 18G6, de deux hernies congénitales, il avait juste un an ; et combien d'autres ! Dira-t-on que des enfants de cet âge étaient en état de s'aulosuggestionner ? il faudrait être, on en conviendra, dément pour le prétendre. Comment supposer, d'autre pari, que l'exaltation de la foi est, à Lourdes, l'agent principal des cures? Pourquoi alors tant de personnes qui ont la foi, ne sont-elles pas guéries alors que tant d'autres, qui ne l'ont pas, le sont; — car enfin, sans même citer le cas de Gargam cl de tant d'autres comme LES FOULES DE LOUI1DES 305 celui de Lucie Fauré, de Puylaurens (Tarn) qui, le 24 août 1882, persuadée de l'inefficacité des bains, ne se plonge dans la piscine que pour faire plaisir à ses compagnes et en sort délivrée instantanément d'une luxation du fémur dont elle était affligée depuis vingt-huit ans, les preuves existent de gens ne croyant ni à Dieu, ni à diable qui ont été pourtant, grâce aux prières des assistants, guéris ; tel ce mendiant aveugle de Lille, ce Kersbilck, qui ne mettait pas les pieds dans les églises et se moquait de la Vierge des Pyrénées! D'autres enfin, qui ont la foi et qui n'ont rien reçu, alors qu'ils la fouettaient, qu'ils l'exaspéraient par des prières et des cris, à Lourdes, s'en retournent, ne comptant plus sur un miracle, et ils sont libérés, en rentrant chez eux ! Que devient dans tout cela la foi qui guérit de Charcot, la foi qui guérit, malgré ses désirs de ne pas guérir, l'Abbessc des Clarisses de Lourdes? Et puis que signifient toutes les remarques de Zola et des autres, affirmant que les malades sont hypnotisés par le décor, par le saisissement de l'eau froide, par les lumières de la Grotte, par le roulement des Ave ? Les patients sont affranchis de leurs maux — et c'est la majorité maintenant — dans des coins, tout seuls, sans se baigner, sans boire d'eau, sans être bénis par le Saint-Sacrement, sans l'aide de 306 LES FOULES DE LOURDES suppliques communes, sans cet adjuvant des invocations qui a tant frappé Zola. Il parle « du souffle guérisseur des foules » de « la puissance, inconnue des foules ». Cette puissance dont le vrai nom est la prière est indéniable, mais, je le répète, elle n'est pas indispensable au * salut des malades, pas plus d'ailleurs que le cadre et le milieu ; la preuve est que des gens recouvrent la santé chez eux, sans aller à Lourdes, en faisant tout bonnementune neuvaine; l'histoirede Lasscrre, pour en mentionner une, est, à ce point de vue, typique; il se lotionne, à Paris, chez lui, avec de l'eau expédiée de la grotte et est soudainement exonéré de sa maladie d'yeux; et d'autres encore, sans avoir même recours à ce procédé, obtiennent, sans bouger de leurs chambres, après une communion, en invoquant simplement la Vierge de Lourdes, des grâces identiques. L'on est donc sauvé, ici ou autre part, avec ou sans le secours des autres, avec ou sans eau, d'un coup ou lentement. Dans ce dernier cas, il semble que la Madone soit pressée, qu'EUe se contente de donner à la nature un tour de clef qui la remet en train et lui laisse le soin, maintenant qu'elle a repris sa marche, d'achever, elle-même, la guérison. Et la même variété existe dans la façon dont se pratiquent les cures; les uns soutirent en guéris-» LES FOULES DE LOU11DKS 307 sant, et les autres pas; les uns sont soulevés par un mouvement de Ilots et lancés sur leurs pieds, d'autres sont parcourus par des frissons ou sont ventilés par des souffles chauds ou froids, alors que d'autres n'éprouventrien ; les uns se sententguerir; les autres, de môme que Mmc Rouchel, la femme au lupus, le sont, sans s'en douter ; d'aucunes enfin, telles que celte miraculée, gardent, une fois rétablies, des cicatrices, des marques de leurs ulcères, tandis que d'autres, telles que MarieLeinarchand, n'en conservent aucune! Expliquez cela. — La vérité est qu'il n'y a aucune règle, que la Vierge guérit qui, où et comme Elle veut. Jusqu'à ces derniers temps, nous l'avons dit, les incrédules répondaient au mot « Miracle » par les mots « Autosuggestionet Foi qui guérit ». A l'heure actuelle, presque tous les médecins libres-penseurs qui savent combien les effets de la thérapeutique suggestive sont restreints, avouent que ces raisons de l'imagination exacerbée et de l'hypnotisme exercé sur soi-même sont insuffisantespour résoudre le problème de prodiges semblables, par exemple, à la suppression immédiate et définitive d'un cancer etilsont cherché à se cantonnersur un terrain plus sur ; mais il se sont, ainsi que toujours, bornés à baptiser la difficulté d'un nouveau nom et à trouver, afin de ne pas voir le miracle, une nouvelle pierre d'autruche pour se cacher la tète. 308 LES FOULES DE LOURDES Ces cures de Lourdes sont incompréhensibles, confessent-ils, oui, c'csl entendu, mais elles sont dues « à des forces encore ignorées de la nature », elles sont « du merveilleux encore inexpliqué » et voilà tout. Gela ferait donc deux forces opposées, contradictoires, car celles que l'on ne connaît pas sont la négation absolue de celles que l'on connaît; nous voici, du coup, déjà en pleine incohérence. Ainsi, depuis que le monde est monde, il est certain, il est confirmé, chaque jour, par l'expérience, que la nature n'a jamais pu fermer une plaie, fût-elle d'origine nerveuse, en uneminute, reformerun épiderme détruit, en une seconde, tarir, comme dans le cas de de Hudder, un foyer purulent et faire repousser un os, pendant le temps de dire une prière ; il est également établi qu'elle ne peut restaurer, en coup de foudre, sans l'ombre de convalescence, une économie ruinée par une longue maladie et des années d'inanition et voilà que, subitement, des forcesignoréesinterviennent etfonttoutle contraire. Je le veux bien, moi ; mais alors il reste à savoir qui les dirige ces forces; ce n'est pas nous, puisque nous ne les connaissons pas. Il faut donc que ce soit un être qui les connaisse/dont la science soit, par conséquent, supérieure à la nôtre. Or, cet être est invisible

ce n'est donc pas un homme

ou une femme ; c'est qui alors '/ LES FOULES DE LOURDES 309 La nature? la nature des athées, la nature sans Dieu et qui se manipulerait, elle-même, et qui se manierait, en personne? — mais voyons, c'est insensé ! — Comment, la nature se contredirait, se violerait, elle-même, et pourquoi ? parce que Ton aurait adressé des prières à une autre qu'à elle! Car, autrement, elle ne se contrecarre pas et elle suit son coursrégulier. Il faut donc pour qu'elle se détermine à se dédire qu'on invoque Dieu ou la Vierge — sans cela rien — et on peut la prier, elle, comme on prie Notre-Dame de Lourdes, cl elle n'en demeurera pas moins inerte, elle n'en restera pas moins insensible. L'essai est facile à tenter, d'ailleurs; adulez-la par tous les dithyrambes, que vous voudrez, priez-la de toutes les façons que vous concevrez et vous verrez si le cancer qui vous ronge disparaîtra ! Ces arguments ne tiennent donc pas debout et nous sommes bien obligés d'en revenir à une puissance qui la commande et à laquelle elle obéit, c'est-à-dire à Dieu et à la Vierge. Mais, comment faire admettre la certitude de celle dynamique divine à des personnes qui ont, il sied de l'avouer, tout intérêt à la nier ? Ces Apparitions de la Vierge, attestées par des actes inouïs, sont, en eftel, 1res inquiétantes pour bien des gens, si l'on y songe. Imaginez, par exemple, un homme — non un co- 310 LKS FOULES DE I.0URDKS quin dont l'Ame csl putride — mais un brave homme qui n'a pas la foi ou qui l'a perdue, ainsi que tant d'autres, lorsqu'à la sortie du collège, il entendit les rumeurs grandissantes de ses sens ; s'il se rappelle les enseignements du catéchisme, il les juge enfantins, s'étonne presque de la naïveté qui lui permit d'y croire. Il constate, déplus, que les quelques catholiques pratiquants qu'il peut fréquenter sont plus bêles que les autres — et ce qui est pis — ne sont pas d'une vertu supérieure à la sienne —cl son siège est établi; la religion est bonne pour les faibles d'esprit, pour les femmes et les enfants; tout homme instruit et intelligent doit s'y soustraire; il vil donc parfaitement tranquille, loin d'elle; il dort en paix sur les deux oreilles de son âme et il s'amuse sans contrainte. Il est incapable d'une mauvaise action ; il est même, si l'on veut, charitable, mais il a, comme on dit, son petit côté faible, il aime la vie large et les femmes. Et voici que brutalement il sait, par des gens au bon sens desquels il peut se fier, que la Vierge opère des miracles à Lourdes. Elle existe donc ! si Elle existe, le Christ est Dieu et, de fil en aiguille, il lui faut reconnaître que les enseignements de ce catéchisme, qu'il estimait si puérils, ne le sont pas; c'est alors, l'Eglise et tous ses dogmes qui s'imposent... El c'est le trouble qui commence-. S'il écoute sa i.t:s FOUI.KS ni: LOUHIIKS Mil conscience, il doit renoncer à un las de plaisirs qui le séduisent, ici-bas, renverser sa vie aux pieds d'un prêtre et, s'il est célibataire, demeurer chaste. S'il ne le l'ait pas par respect humain, par Uïcheté, c'est alors, à l'état permanent, un malaise sourd, un reproche. Le miracle est, en somme, le coup de glas des passions terrestres ; l'on comprend pourquoi l'on n'en veut pas! Aussi le brave homme préfère-t-il s'appliquer un bandeau sur les yeux, ne, rien entendre et ne rien savoir. Que de personnesj'ai connues, ainsi ! elles étaient parvenues à se fabriquer une certaine croyance qui reposait surtout sur des négations et leur permettait de vivre à leur guise; et ces gens ne désiraient même pas en être délogés par le spiritisme, car ils craignaient la réalité de ce surnaturel de table d'hôte qui les eût forcément incités à penser à l'autre; ils étaient assis, placides, dans la vie... et, d'ailleurs, quelle histoire ! s'ils arrivaient à être convaincus de la divinité de l'Eglise, il leur faudrait donc avouer qu'ils s'étaient trompés et servir de risée à leurs amis ! Aussi peu importe pour les sceptiques de cet acabit que les arguments invoqués contre Lourdes soient sérieux ou futiles ; ils ne tiennent pas du tout à les approfondir; ils les prennent, ainsi qu'un paravent quelconque derrière lequel ils peuvent se ré- 312 LES FOULES I>E LOURDES fugier, A l'abri de nouvelles objections et de nouveaux ennuis... Celte pusillanimité de l'Ame explique pourquoi la clinique du Dr Boissarie, si largement ouverte à tout le inonde, est si peu fréquentée par les incrédules; elle a contre elle, ce qu'on pourrait appeler labainede la peur, de la peur de la Foi ! Pour en revenir à Lourdes même, c'est, je le répète, un endroit à la fois, répulsif et divin, mais il sied de l'expérimenter en personne. Pour les malades, du moment que la science se déclare impuissante à les alléger, ils font bien de s'y rendre, car, au cas même où la Vierge, n'accueillerait pas leurs prières, Elle leur paiera l'effort et la fatigue du voyage par le bienfait de la résignation et par la grâce du réconfort ; et n'est-ce pas déjà beaucoup? — Pour les pèlerins valides, s'ils sont des intimistes ou des artistes, ils doivent s'apprêter à souffrir car ils ne pourront voir sans une sainte colère les ludeurs diaboliques que la dégénérescence des hommes d'église nous inflige ; maisla Madone leur donnera, en échange, l'admirablevision delà Beauté morale, de la Beauté de l'Ame illuminée par les transports de la Foi et de la Charité ! El puissait-on ce qu'EUc réserve A ses visiteurs? Et au moment'de la quitter, devant ce portrait LES FOULES DE LOURDES 313 inconnu jusqu'alors et qui depuis les révélations de Bernadette la représente, je me dis : Tout de même, notre Mère, comme vous êtes étrange! Ici, tout d'abord, je ne vous reconnais pas, dans cotte image de fillette d'avant Bethléem et d'avant le Golgolha ; vous êtes si différente des Notre-Dame du Moyen Age et mêmede toutes celles que les siècles suivants nous montrèrent ! Mais, en y rélléchissant, je comprends cet avatar d'effigie, cette nouveauté d'attitude, ce renouveau des traits. La liturgie de la fêle de l'Immaculée Conception parle constamment d'Eve; elle vous oppose l'une à l'autre et mêle vos deux noms. L'office de ses Matines semble être le développement du « Mutans Evaî nomen M de l'hymne de vos Vêpres. Vous êtes évidemment Celle qui se promena, sous des figures, sous des noms divers, dans l'Ancien Testament ; Vous êtes — sans crèche et sans croix — la Vierge antérieure aux Evangiles. Vous êtes la fille de l'impérissable Dessein, la Sagesse qui est née avant tous les siècles. Vous même l'avez affirmé, dans l'Epître de vos messes : «LeSeigneur m'a possédée au commencement de ses voies, avant qu'il cré;U aucune chose, au début; j'ai été établie dès l'éternité et de toute antiquité; les abîmes n'étaient pas encore et déjà j'étais conçue. » /^.^'y;\ './' «ili LES FOn.ES 1)K I.OUIlDKS Vous èles donc, sous un nouvel aspect, la plus ancienne des Vierges ; Vous èles, en tout cas, la Vierge sage qui se décèle, à Lourdes, plus (pie partout ailleurs, la remplaçante de la Vierge folle, de la pauvre Eve. De même que celle-ci fut façonnée d'un corps issu d'une terre vivante, encore impolluée, Vous, vous êtes aussi formée d'une chair que n'entacha pas le péché d'origine. L'Immaculée Conception nous ramène, à travers la Bible, jusqu'au chaos de la (îenèse et, de là en revenant sur nos pas jusqu'à l'Edcn, cl, forcément, je pense à Eve, devenue sainte maintenant, et, qui, désolée par les douleurs de ses descendants, par ces maladies alfreuscs qu'ils n'auraient pas connues, sans sa faute, se tient, là, près de Vous, et vous supplie de payer à ces malheureux sa detle, de les guérir... Et Vous, qui ne fîtes point, ici-bas, de miracles, de votre vivant, Vous en faites maintenant, et pour elle et pour nous, Lumière de bonté qui ne connaît pas les soirs, Havre des pleure-misère, Marie des compalissances, Mère des pitiés !






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