Traité médico-philosophique sur l'aliénation mentale  

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Traité médico-philosophique sur l'aleniation mentale; ou la manie (1801) is a work by Philippe Pinel.

In the second edition of the Treatise on Insanity, Pinel reports Jean Baptiste Pussin’s initiative to ban the use of chains.

This book was translated into English by D. D. Davis as a Treatise on Insanity in 1806. It had an enormous influence on both French and Anglo-American psychiatrists during the nineteenth century.

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Full text

PREFACE.

La première édition de cet Ouvrage a dû nécessairement laisser plusieurs lacunes à rem- plir, puisque je n avois eu alors à traiter que les aliènes dé Bicêtre, et avec des moyens très- bornes. Ce n est qu à la Salpêtrière que j'ai pu reprendre les mêmes vues, étant puissamment secondé par l'administration des hospices, qui venoit d'y faire transférer le traitement des aliénées. Le local étoit vaste, commode et sus- ceptible de plusieurs soudivisions; et comment les abus introduits dans le service auroient-ils pu échapper au zèle et à l'œil pénétrant du nou- veau surveillant, M. Pussin, chargé alors de maintenir l'ordre dans cette partiede l'hospice? L'usage gothique des chaînes de fer (i ) fut abo- li , comme il l'avoit été trois années avant à Bi- cêtre, et le traitement prit dès-lors une mar- che régulière, suivant une nouvelle méthode.


(i) J'ai examiné avec un soin scrupuleux les effets que pro- duisoit sur les aliénés l'usage des chaînes de fer et ensuite les résultats comparatifs de leur abolition, et je ne puis pl„s former des doutes en faveur d'une répression plus sage et plus modérée. Les mêmes aliénés qui, réduits aux chaînes pendant

unelonguesuited'années,étoientreslésdansunétatconstantde fureur, se promenoient ensuite tranquillement avec un simple


A


/


^■j r K É F A C E.

C'est ce que je développe spécialement dans cette deuxième édition consacrée à faire con- noître Taccord harmonieux et rare de tous les objets propres à concourir au rétablisse- ment d'une raison égarée , avec la distinction des cas qu'on regarde, autant en Angleterre qu'en France , comme incurables. J'expose également les heureux résultats que donne , depuis plusieurs années, un établissement analogue ( celui du docteur Esquirol ) formé sur les mêmes principes , c'est-à-dire , fondé sur l'observation et l'expérience.

On seroit étranger aux vraies notions de l'aliénation si on ne remontoit à son origine la plus ordinaire , les passions humaines de- venues très - véhémentes ou aigries par des contrariétés vives. Il a donc fallu d'abord indiquer leurs caractères distinctifs et leur passage gradué à un entier égarement de la raison \ ce qui ne pouvoit être rendu sensi- ble que par des exemples multipliés. Que de

gilet de force et s'entretenoient avec tout le monde, tandis qu'auparavant on ne pouvoit en approcher sans le plus grand danger : plus de cris tumultueux , plus de vociférations me- naçantes; leur état d'effervescence cessa par degrés ; ds soUi- cilolent eux-mêmes l'applicalion du gilet de force , et^tout rentra dans l'ordre.


PRÉFACE. iij

points de contact a, sous ce rapport, laniede* cine avec Thistoire de l'espèce humaine !

Les mots d'aliénation, de manie, de mé- lancolie , de démence , pourroient être enten- dus dans le même sens qiie ceux de folie , de délire , d'extravagance , d'égarement de la raison , etc. , dont on use dans le commerce de la vie civile. Pour éviter toute équivoque, l'ai cru devoir déterminer les caractères phy- siques et moraux qui servent à distinguer les premiers regardés comme maladies , avant de passer à des considérations ultérieures. Comment d'ailleurs s'entendre, si à l'exemple des Naturalistes , on ne désigne chaque objet par des signes manifestes ( i ) aux sens et propres à le distinguer de tout autre?

L'aliénation mentale peut offrir des varié- tés innombrables ; mais plusieurs exemples de ces variétés ont des conformités particu- lières qui semblent les rapprocher entre eux, et donner ainsi lieu à des termes abstraits

(i ) J'ai toujours mis un grand prix à la Séméiologie, soit gé- nérale soit particulière, des maladies, et j'ai vu ayec plaisir que M.Landré-Beauvais enfaisoit un objet particulier de ses recher- ches. Je ne doute point que son Traité des Signes des Ma- ladies {iyo\. z«-8o. Paris, 1809. Chez Brosson , lib, ) n'ait tout le succès qu'il a droit d'en attendre.


iv PREFACE.

qui servent aies désigner spécialement, et qui sont cependant compris dans l'idée plus éten- due d'aliénation mentale , ou plutôt qui en forment des espèces distinctes. C'est ainsi que le terme de manie indique plus particulière- ment un délire général avec plus ou moins d'agitation ou un état de fureur. De même un délire exclusif sur un objet ou sur une série particulière d'objets , prend le nom de mé- lancolie, quelles que soient ses autres variétés. Je détermine de même par d'autres carac- tères spécifiques les termes de démence et d'idiotisme.

Les maniaques sont particulièrement dis-» tingués par des divagations sans cesse renais- santes , une irascibilité des plus vives , et un état de perplexité et d'agitation qui semble de- voir se perpétuer ou ne pouvoir se calmer que par degrés. Un centre unique d'autorité doit être toujours présent à leur imagination pour qu'ils apprennent à se réprimer eux-mêmes et à dompter leur fougue impétueuse. Cet «bjet une fois rempli , il ne s'agit que de gagner leur confiance et de mériter leur es- time pour les rendre entièrement à l'usage de la raison dans h iéclin la maladie


PRÉFACE. V

ét la convalescence. Il faut donc pour ces infirmes des établissemens publics ou parti- culiers soumis à des régies invariables de) police intérieure , et Texpérience de cbaque jour montre combien la plus légère infrac- tion à ces régies peut devenir nuisible ou même dangereuse.

On peut accordei" que dans des cas simples le régime moral et physique peut opérer dans un temps déterminé une guérison solide ; mais dans combien d'autres cas on doit faire intervenir Fusage interne et externe de cer- tains remèdes suivant l'âge , le sexe , la cause déterminante ou bien les variétés de la cons- titution individuelle ! que d'affections com- pliquées peuvent provenir de la suppression de Técoulement périodique ou de sa cessation naturelle , lorsqu'il en résulte un état d'alié- nation ! Des spasmes, des convulsions géné- rales, un resserrement intestinal, un état fébrile et toutes les suites d'une abstinence volontaire, ne viennent -ils pas souvent se joindre à l'égai'ement de la raison, et ne de- mandent-ils point les secours les plus variés ? Je dois encore ajouter que, dans tout établis^- sèment bien ordonné , il faut souvent remé-


▼j PREFACE.

dier aux effets bien plus graves d un traite^ ment antérieur mal concerté ou téméraire , et que la médecine a souvent à réparer des maux qu ont produits en son nom d'autres mains inhabiles.

L'homme instruit a mieux à faire que de vanter ses cures ; c'est d'être toujours pour lui-même un juge sévère ; et le moyen d'é- viter l'erreur est simple, surtout s'il dirige un grand établissement : il fait des recensemens des malades , mois par mois , année par an- née , et il cherche après un temps déterminé quels sont les résultats d'une méthode sage , mais qui lui inspire encore des doutes , c'est- à-dire, qu'il examine dans quel rapport est à la totalité des malades le nombre des gué- risons obtenues ^ il est plus tranquille si ce rapport est avantageux, et, pour éviter tout relâchement de zèle , qui est si naturel à l'es- pèce humaine , il fait des examens analogues chaque année suivante : c'est là la marche que j'ai suivie à l'égard des aliénées de la Salpê- trière , en leur appliquant le calcul des pro- babilités. Les médecins qui n'approuveront point ma méthode ont la liberté de faire la même application à celle qu'ils auront


PREFACE. vrj

adoptée 5 et une simple comparaison pourra faire voir de quel côté est Favantage. . Les obstacles à la guérison de l'aliénation peuvent être variés et tenir à la conformation £lu cerveau ou du crâne, à une; disposition héréditaire, à un état invétéré de la maladie, ou à l'infraction de certaines régies fonda- mentales du traitement. La connoissance de ces cas d'une incurabilité absolue ou relative tient autant aux progrès de la science que celle des moyens de guérir; car quel est l'objet où ne soient point marquées les bornes de la puissance liumaine ?

.^La plus, difficile de toutes les parties de THistoire Naturelle est sans doute Fart de bien observer les maladies internes et de les distin- guer par leurs caractères propres. Mais l'alié- nation mentale offre encore des difficultés nou- velles , et des obstacles de divers genres à sur- monter , soit par les gestes insolites et Fagita- tion tumultueuse qu'elle produit , soit par une sorte de babiF sans ordre et sans suite, ou l'extérieur repoussant d'une dureté agreste et sauvage. Veut-on se rendre raison des phéno- mènes observés , on a à craindre un autre écueil , celui de mêler des discussions meta-


"Viij PRÉFACE.

physiques et certaines divagations de l'idëo- logisme à une science des faits. Les aliénés sont d'ailleurs d une finesse extrême , à moins d'un égarement complet de la raison , et il y auroit de la maladresse à marquer une inten- tion directe de les observer et de pénétrer le secret de leurs pensées. Dans combien de cas nous laisse-t-on ignorer d'ailleurs, lors de leur admission, la cause primitive et la manifesta- tion graduée de leur délire ? C'est à travers tous ces obstacles qu'il a fallu marcher pour assurer aux faits que j'ai recueillis toute l'exac- titude dont ils sont susceptibles , et pour en former un ensemble régulier et méthodique.

La disposition intérieure et les avantages du local sont des objets d'une si haute impor- tance dans un hospice d'aliénés , qu'on doit désirer de voir un jour s'élever un établisse- ment nouveau destiné à cet usage et digne d'une nation puissante et éclairée ; mais l'ar- chitecte prendra-t-il encore pour modèle de ses constructions les loges où on renferme des animaux féroces ? et un aliéné n'a-t-il pas besoin aussi de respirer un air pur et salubre ?


INTRODUCTION


A LA PREMIÈRE ÉDITIOK

Ce seroit faire un mauvais choix que de prendre l'aliénalion mentale pour un objet particulier de ses recherches, en se livrant à des discussions vagues sur le siège de l'eutenderaent et la nature de ses lésions diverses ; car rien n'est plus obscur et plus impénétrable. Mais si on se renferme dans de sa- ges limites, qu'on s'en tienne à l'élude de ses ca- ractères distinctifs manifestés par des signes exté- rieurs, et qu'on n'adopte poui,' principes du traite- ment que les résultats d'une expérience éclairée , on rentre alors dans la marche qu'on suit en gé* néral dans toutes les parties de l'histoire naturelle; et , en procédant avec réserve dans les cas douteux, on n'a plus à craindre de s'égarer.

L'aliénation mentale paroît réclamer vivement l'attention des vrais observateurs, par Fespèce d'al- liage iucobérent et confus qu'elle présente : ce sont d'un côté des méthodes empiriques , des opinions contradictoires, ou une aveugle routine prise pour règle , dans un très-grand nombre d'établissemens publics ou particuliers consacrés aux aliénés. Dans quelques autres établissemens^ fondés en Angle- terre et en France, ou admii-e l'heureux résultat des méthodes régulières déjà confirmées par l'ex- périence la plus multipliée, les lumières qu'ont re-


INTR o DU cri o^^ panJues certains faits consignés dansles recueils des académies les plus célèbres ; enfin un accord gé- néral sur quelques principes fondamentaux entre les médecins anciens les plus éclairés et les mo, de rnes (i). C'est surtout dans quelques hospice^ d'aliénés qu'on a lieu de se conraincre que la kùr- veillance , l'ordre régulier du service , une sorlé d'harmonie entre tous les objets de salubrité et l'heureuse application des remèdes moraux, cons- tituent bien plus proprement le vrai savoir qud l'art recherché de faire des formules élégantes.' Mais les difficultés ne semblent-elles pointredoubler,' dès l'entrée de cette carrière , par l'étendue et la variété des connoissances accessoires nécéssaiires a acquérir? Le médecin peut -il rester étranger a l'histoire des ])assions humaines les plus vives , puisque ce sont là les causes les plus fréquentes de l'aliénation de l'esprit? et dès-lors ne doit-il point étudier lés vies des hommes les plus célèbres par l'ambillou de la gloire , les découvertes dansles* sciences, l'enthousiasme des beaux-arts, les aus-

?:(r'-U .

(i) Celse insiste principalement sur le régime moral , et il avertit de se diriger d'après l'espèce particulière de manie qu'on a à traiter.Caelius Aurelianus n'est pas moins pre'cis, et il recommande de ne point augmenter la fureur des aliénés, soit par trop de complaisance , soit par des contrariétés déplacées. Ce dernier auteur avoit senti la nécessité de les faire diriger par un chef propre à leur inspirer un sentiment mêlé do crainte et d'estime.


INTRODUCTION.

lentes d'une vie solitaire , les écarts d'an amour maUieureux? Pourra-t-il tracer toutes les altéra- tions ou les perversions des fonctions de Tentende- ment humain, s'il n'a profondément médité les écrits de Locke-et- de Condillac , et s'il ne s'est rendu familière leur doctrine ? Pourra- t- il se rendre un compte sévèré des faits sans nombre qui se passeront sous ses jeux , s'il se traîne servi- lement sur des routes battues , et s'il est également dépourvu d'un jugement solide et d'un désir ar-? , dent de s'instruire ? L'histoire de la manie n'est- elle point liée avec toutes les erreurs et les illusions' d'une crédulité ignorante, les miracles, les pré- tendues possessions du démon, la divination, les oracles, les sortilèges ? Pvousseàu, dans un accès d'humeur caustique , invoque la médecine , et lui dit de venir sans le médecin; il eût bien mieux servi l'humanité s'il eût fait tonner sa voix éloquente' contre l'impéritie présomptueuse , et en appelant le vrai talent à l'étude de la science qu'il importe le plus d'approfondir et de bien connoître.

Un empirisme borné a fait adopter, dès les pre- miers temps, de prétendus spécifiques dont on a exagéré les vertus et varié à l'infini les applications dans la vue d'en assurer le succès ou d'en prévenir les inconvénieus. Faire prendre l'ellébore à l'intérieur pour guérir la manie ou d'autres maladies chroni- ques, savoir le choisir, le préparer, en diriger l'u- sage , c'étoit, dans l'ancienne Grèce, une sorte do


iNTllODUCTîOA\

secret mystérieux qui ne paroissoit être connu que? d un petit nombre d'adeptes. Quelques-uns de ces préceptes paroissent sages , d'autres minutieux ,

frivoles, et ils tiennent à des préj ugés populaires ou à des idées superstitieuses. Falloit-il préfërerrellëbore du mont OEta , celui de Galatbie ou de Sicile ? Autre grave sujet de discussion sur les aliraens à prendre la veille de son usage , sur l'ëlat prëlimi- naue de vacuitë ou de plënitude de l'estomac, sur les boissons propres à favoriser son action ëraëti- que. L'embarras ëtoit souvent extrême par l'indo- cilitë fougueuse des malades ; et que d'innocentes riises ou d'artifices étoient nécessaires pour dégui- ser le médicament, ou le combiner avec des subs- tances alimentaires! G'ëtoit encore pour les hom- mes les plus habiles un point raffiné de pratique, que l'art de (i) corriger ou de modérer l'action trop énergique ou plutôt délétère de ce végétal , les précautions à prendre suivant les dispositions individuelles et les périodes de la maladie. Mais quel triomphe pour l'ingénieuse sagacité des mé- decins de ce temps , que la découverte de certains procédés qui dévoient assurer le succès du remè- de ! lotions répétées de la bouche, odeurs fortes, variétés des positions du corps, frictions des extré-


(0 On peut consulter sur ces détails les articles ^/^/^ore, Elléborisme , que j'ai insdrés dans X Encyclopédie métho" di(]ue par ordre de matières.


irîTRODTJCTl ON. Xil|

mites. Snrvenoit-il un danger de suffocation, uu resserrement spasmodique du gosier, un violent hoquet , des syncopes, le délire , toutes les fines- ses de l'elléborisme étoient alors déployées: balan-«  cément dans des lits suspendus , fomentations , usage des sternutatoires, expédiens sans nombre pour favoriser les efforts de l'estomac et faire cesser les symptômes.

L'immense carrière que s'ouvrit Hippocrate ne lui permit point de porter des vues particulières sur la manie; mais il a donné l'exemple général de la méthode descriptive la plus sévère; et des hommes faits pour l'apprécier la prennent pour modèle dans leurs premières ébauches sur l'his- toire et le traitement de l'aliénation mentale. Rica n'est plus judicieux, que ce qu'Aréiée nous a tr-ansmis sur les traits distinctifs de cette affection nerveuse , sa disposition aux rechutes , le degré d'excitation physique et morale qu'elle produit, quoiqu'il donne un peu trop d'extension à son iu- lluence sur la connoissance présumée des scien- ces et des beaux-arts. Les préceptes que donne Celse portent encore plus directement le caractère d'une utilité immédiate pour la guérison des alié- nés , et d'une certaine habitude d'être spectateur de leurs écarts: règles pour les diriger, ou pour rectifier dans certains cas leurs fausses idées; indi- cations des moyens de répression à mettre quel- quefois en usage , ou des voies de bienveillance et


^'^ INTRODUCTION,

cle douceur si souvent propres à Jes desarmer- loi expresse d'un exercice de corps soutenu et d'un travail pénible : telles sont les vues qu'il a données et dont l'expérience de tous les temps n'a cessé de confirmer l'effet salutaire. Pourquoi peut-on au- toriser de son nom des traitemens durs et des actes de violence qu'il croit être quelquefois nécessaires pour contribuer à la guérison de la manie? Cœlius Aurelianus, si inférieur à Celse pour l'élégance et la pureté du langage, semble avoir ambitionné une autre gloire dans son article sur la manie. Les cau«  ses occasionnelles de cette maladie, ses signes pré-, curseurs, ses symptômes distiuctifs sont notés avec soin dans cette partie de son ouvrage. Il recom- mande de faire éviter aux aliénés des impressions trop vives sur les organes des sens; il passe aux mesures de surveillance propres a corriger leurs erreurs , et il indique deux écueils à éviter par ceux qui les dirigent : une indulgence illimitée et une dureté repoussante. Le même auteur établit un juste milieu à tenir entre ces deux extrêmes : le talent heureux de prendre à propos avec les alié- nés tous les dehors d'une gravité imposante, ou le ton simple d'une sensibilité vraie ; de se concilier leur respect et leur estime par une conduite fran- che el ouverte ; de s'en faire constamment chérir et craindre, habileté dont on a fait honneur à quel- ques modernes, et dont j'indique ici la source. On s'étonne que des principes aussi lumineux et,


INTRODUCTION.

lussi féconds en applications utiles , n'aient ob- enu pendant une longue suite de siècles aucun léveloppement ultérieur, surtout dans les climats îe la Grèce, de l'Italie, où l'aliénation est si fré- quente et se reproduit sous des formes aussi va- riées. Mais Galieu, jaloux de se rendre célèbre par des systèmes nouveaux et l'application de la doc- trine d'Aristote à la médecine , imprima une nou- velle direction aux esprits : c'est là sans doute un des plus grands obstacles qu'ait éprouvés la partie de la médecine relative à l'aliénation mentale (i). Une lutte continuelle qu'il eut à soutenir contré les différentes sectes de dogmatistes, de méthodis- tes, d'empiriques, d'éclectiques, l'ambition de de- venir l'émule d'Hippocrate lui-même et de régner


(i) L'histoire suivante fait regretter que Galien ne se soit point appliqué spécialement à l'étude de l'aliénation mentale; , puisqu'elle porte le caractère d'une sagacité rare pour décou- vrir une affection morale cachée.

Il est appelé pour voir une dame qui éprouve , durant toutes les nuits , des insomnies et une agitation continuelle ; il fait diverses questions pour remonter a l'origine du mal, et loin de donner de réponse , la dame se détourne et se couvre d'un voile comme pour sommeiller. Galien se retire, et il con- jecture que cet accablement tient à la mélancolie ou à quel- que chagrin dont on fait un mystère j il renvoie au lendemain un examen ultérieur; mais lors de cette seconde visite , l'es- clave en fonction déclare que sa maîtresse n'est point visible. Il se relire encore, revient une troisième fois, et l'esclave eu


XVJ INTRODUCTION,

daus les écoles, le talent du pronostic porté jus- qu'au merveilleux, la culture de l'anatomie ne luii laissent ni le temps ni la volonté de se livrer ex- clusivement à une doctrine particulière , et l'em- pire qu'il a exercé dans la suite sur les esprits em a écarté désormais tous ceux qui lui avolent voué: une sorte de culte superstitieux, c'est-à-dire pres- que tous les hommes qui se sont occupés de mé- decine en Europe , en Asie , en Afrique durant l'espace de plus de seize siècles.

Les disputes élevées entre le Galénisme et une fausse chimie appliquée à la médecine, fit éclater beaucoup d'aigreur sans rendre la marche de l'esprit: humain plus sage et plus assurée, et l'aliénatioai mentale ne donna lieu qu'à de foibles compila*- lions perdues, pour ainsi dire, dans des syslèmes> généraux de médecine remplis de mots vides de:


le congédiant encore, lui dit de ne point tourmenter de re-- chef sa maîtresse , puisqu'à la seconde visite elle s'étoit levée- pour se laver et prendre quelque nourriture. Le médecin se: garde d'insister; mais il revient encore le jour suivant, et dans; un entretien particulier avec l'esclave , il apprend que l'af- fection venoit d'un chagrin profond.Dans l'instant même qu'il I considéroit la dame, le nom de l'histrion Pylade, proféré par une personne qui venoit du spectacle, produisit un change- ment dans la couleur et les traits du visage; le pouls parut agité, ce qui n'eut point lieu ni cette fois ni les suivantes quand on prononça le nom de quelque autre danseur: l'objet de la passion de la dame dès-lors ne fut plus équivoque. ( G AL. livre des Pronostics..)


INTRODUCTION» XVI^

sens et du langage stérile de l'école. Sennert, Ri- vière, Plater, Heiirnius, Horstius, etc., crurent avoir tout dit et tout approfondi eu répétant l'envi les mots consacrés par l'usage, intempérie du cerveau, diagnostic , pronostic , indications à remplir^ etc. ; et ils profilèrent de leurs avanta- ges à titre de professeurs pour propager leur doc- trine sur ce point comme sur les autres, et se faire admirer de leurs nombreux disciples, toujours ar- dens à les prôner et à partager leur gloire. Rien ne sembloit plus facile, d'après leurs belles et doc- tes explications, que de guérir l'aliénation. Sa cause étoit sans doute une indisposition ignée et ma- ligne des esprits , ou une humeur qu'il falloit pré- parer par des médicamens préliminaires pour l'ex- pulser; c'étoit, suivant d'autres , une matière pec- cante qu'il falloit dériver du cerveau et du coeur, puis lui faire subir habilement une altération , et l'éliminer en ligue directe commesuperllue ou nui- sible. La nature entière sembloit contribuer à ces savantes opérations, en faisant naître sous la main des médicamens sans nombre , les uns doués de qualités froides et humectantes pour délayer l'a- trahile » les autres destinés à leur succéder à Litre d'évacuans plus ou moins actifs ; et il est facile de juger que l'ellébore n'étoit point oublié. On faisoitiulervenir.à titre d'auxiliaires^ l'usage in- terne de certaines substances propres à fortifier le cœur et le cerveau, celui des poudres narcoti*


XVIIJ INTRODUCTION.

qiica; à rexlérieur, des épitliètnes appliqués sur la tête , sur le cœur ou sur le foie, comme dit Heur- u\us,pour recréer cè viscère. Je passe sous silence les spécifiques mystérieux consacrés par une cré- dulité aveugle , et si dignes de figurer à côté des formules compliquées de la médecine arabe*.

Les trois écoles célèbres qui s'élevèrent en Al- lemagne durant la première moitié du dix-hui- tième siècle, se bornèrent à former, chacune en particulier, des systèmes généraux de counoissauces médicales sous le rapport de renseignement. Mais l'aliénation mentale, ainsi que chaque autre mala- die, ne fut traitée qu'en sous-ordre et comme fai- sant seulement partie d'un vaste ensemble , c'est-à- dire sans aucun progrès marqué. Hoffmann ne fait qu'introduire, dans l'histoire générale de la manie, des théories vagues et le langage prolixe et re- dondant de l'école. Stahl y transporte les sombres lueurs de sa doctrine profonde et énigmatique. Boerhaave, doué d'un esprit plus cultivé, semble suivre une route opposée, et caractérise la manie avec un style précis et laconique qu'il semble avoir emprunté de Tacite : Ucplurimum , dit-il , immen- sum rohur musculorum , pervigilium incredihile , tolerantia inecJice et algoris , imaginadones hor- rendœ. Mais comment a-t-il pu indiquer comme un remède fondamental , princeps remedium, une immersion brusque dans l'eau , qui n'est qu'une rê- verie deVaulidmont convertie en précepte? On se


INTRODUCTION. xix

borna, vers la même époque, à consigner quelques histoires particulières de la manie clans des recueils académiques ou dans des journaux , en y joignant par intervalles ^es résultats de recherches sur les lésions organiques du cerveau , autant pour inté- resser les savans par quelque singularité piquante , ^ue pour concourir par quelque nouveauté aux progrès de la médecine.

Les monographies ou traités particuliers qu'on consacra à l'aliénation mentale en Angleterre (i) , durant la dernière moitié du dix-huitième siècle, sembloient promettre des avantages plus réels, par les soins qu'avoient eus leurs auteurs de concentrer leur attention sur un objet particulier ; mais un examen sévère et impartial n'y fait découvrir qu'une manière vague de disserter, des compilations répé- tées, des formes scolastiques , et quelques faits épars qui servent de temps en temps de points de ralliement, sans offrir un corps régulier de doctrine fondée sur les observations les plus multipliées. Cette remarque s'applique encore bien plus direc- tement aux écrits qui ont paru sur le même objet en Allemagne (2) ,où l'art de compiler avec adresse


(1) Batties Treatise on Madness Lond. lySS. — Tli. Arnold' s Observations on thenature ,eic, , ofinsanity. 1 785.

— Barper's Treatise on tUréal cause of insanity. 1789.

— Pargeter's observations on maniac disorders. 1792.—' Ferriar's médical historiés andreflect. 1792.

(2) Faucetc Jiber mela/zcholie.Léjisick, l'jSS.'-- Aven-


XX INTRODUCTION.

est si perfectionné. On doit cependant excepter le docletir Gredinij, qui a lait des reclierches analo- miques très-suivies sur les maladies les plus ordi- naires des aliénés, et sur les lésions de structure ou les vices de conformation qui semblent leur être propres. C'est ainsi qu il a publié ses remarques sur les variétés du volume de la tête dans i'aliéna- lion , sur le degré de force , de foiblesse du crâne , sur les méninges, le cerveau en général, sescavités, la glande pineale , le cervelet, la glande piiultaire, les irrégularités de la base du crâne. Mais quoiqu'on doive parle^ avec éloge de ses efforts pour répan- dre de nouvelles lumières sur les affections orga- niques des aliénés , peut-on établir quelque liaison entre les apparences physiques manifestées après la mort, et les lésions des fonctions intellectuelles , qu'on a observées pendant la vie? Que de variétés analogues ne retrouve-t-on point sur le crâne et le cerveau des personnes qui n'ont jamais offert aucun caractère d'égarement de la raison! et dès -lors comnient parvenir à fixer les limites qui séparent ce qui est dans l'ordre naturel, de ce qui peut tenir à un état de maladie ?

Le nombre des espèces de l'aliénation est limité ; mais ses variétés peuventsemulliplierd'une manière


Irugger von der stillen, etc. 1 783.- Greding^s vermischtc, etc. 178t.— Zimmermann von D. Erfahs, 1765. ïVeic- kard's JP/nlosop/i.ar;^l^. Wi^sic^, lU^-


liNTRODUCTI O N. Xxj

indéfinie. Il a donc été naturel de cbercliier à cÎoq- ner une idée claire de plusieurs de ces variétés, en publiant une longue suite d'observations détaillées et recueillies dans un étab issement quelconque d'alié- nés , dirii^é suWàut desiègles lîxes et des principes connus: c'est ce qu'a fait en Angleterre le docteur Perfecl (i). Il a exposé les causes et la marrbe par- ticulière de plusieurs cas de mélancolie albée quel- quefois avec un pencbant irrésistible au suicide^ il a de même caractérisé par des exemples particuliers l'hypocbondrie plétborique , une manie que l'or- gueil a rendue incurable , celle qui est compliquée de préludes d'apoplexie, celle qui vient à la suUe des couches ou lors de la cessation de la menstrua- tion la manie par des excès de fanatisme, celle qui peut provenir de la répercussion d'un exanlbème, la manie qui est une suite de l'habitude de l'ivresse, celle qui est héréditaire. Cet ouvrage curieux cou* tient cent huit observations, et mérite d'être distin- gué de beaucoup d'autres, autant par le ton de modération et de candeur qui y règne, que par la variété et la simplicité des moyens que l'auteur a rais en usage, et qu'un succès obtenu dans un très- grand nombre de cas semble avoir justifiés. Ce sont là sans doute des matériaux propres à être mis en


(i) Atmals of insanity coviprising a variety of select cases in the différent species of insanity , Lmiacy , or Madness , etc. The second edicion, London , 1801 .


"^^n INTRODUCTION.

oeilvre en les rapprochant d'un grand nombre d'autres. Mais qu'il, y a loin de ce recueil à un corps régulier de doctrine , à un traité général et appro- fondi sur l'aliénation mentale !

Je laisse à décider si l'analyse de;s fonctions de rentendement humain a ajouté beaucoupa nos con- noissauces sur l'égarement de la raison. Mais une autre analyse qui s'y rapporte encore plus directe- ment, estcelledespassious, de leurs nuances, de leurs degrés divers, de leur explosion violente , de leurs combinaisons variées en les considérant par abstrac- tion de toute moralité, et seulement comme des phénomènes simples de la vie humaine. Crigbton s'est attaché à développer les caractères et les effets primitifs de ces causes morales de l'aliénation, et il eu donne pour exemples le chagrin , la terreur, la co- lère, et surtout l'amour porté jusqu'au délire par les contrariétés qu'on peut lui faire éprouver (i). Il en fait de même pour le sentiment de la joie suscepti- ble de grandes variétés. Le plaisir, qui en est un des premiers degrés , peut naître directement de la pos- session d'un objet désiré , ou bien d'un simple sou- venir qui nous le rend comme présent; car nous rappelons avec intérêt les scènes de nos premières années , les folies de la jeunesse , les émotions an- ciennement éprouvées de la bienveillance, de l'ami-


(i) ^/i mçiii'ry into the nature and origin of mental dérangement f etc. London, 179S.


INTRODUCTION. XXll|

lié, de l'amour, de l'admlialiou, de reslime. On peut rapporter au même principe les jouissances que nous donnent les productions des beaux-arts , la lecture des ouvrag^^s de goût , les découvertes faites dans les sciences, parce qu'il en résulte un sentiment mixte, soit d'admiration pour la supé- riorité de l'auteur, soit de satisfaction intérieure , relative à un des besoins que notre éducation ou noire manière de vivre a créés. Doit-on mettra au nombre des seutimens de la joie ces rapides élans d'une bumeur joviale , ces tressaillemeus qui por- tent à rire , à cbanter , à danser , et que provoquent des jeux de mots, des reparties vives et inatten- dues , des imitations grotesques, des traits saliriques, comme par une sorte de réaction du cerveau sur le diaphragme et les organes de la respiration ? Quelle différence immense entre ces saillies folâtres d'une gaieté convulsive, et les affections calmes et profondes que font naître l'exercice des vertus domestiques, la culture des taleus, leur appli- cation à quelque grand objet d'utilité publique , le spectacle imposant et majestueux des beautés de la nature î

Peu d'objets en médecine sont aussi féconds que la manie en points de contact nombreux , en rap- procberaens nécessaires entre cette science , lit pbilosopbie morale et l'bistoire de l'entendement bumain. Il y en a bien moins encore sur lesquels il y ait autant de préjugés à rectifier et d'errcurs>


X\iv ÏNTRODUCTION.

à détruire. L'aliënalioii tle l'entendement est en général regardée comme le produit d'une lésion organique du cerveau , et par conséquent comme incurable; ce qui, dans un très grand nombre de cas , est contraire aux observations d'anatomie. Les asyles publics consacrés aux aliénés ont été con- sidérés comme des lieux de réclusion et d'isolement pour des infirmes dangereux et dignes d'être sé- questrés de la société, et dès-lors leurs gai'diens, le plus souvent inhumains et sans lumières, se > sont permis envers eux les actes les plus arbi- traires de dureté et de violence, tandis que l'expé- lience prouve sans cesse les heureux effets d'un caractère conciliant et d'une fermeté douce et compatissante. L'empirisme a souvent profilé de cette considération pour faire des établissemens favorables aux aliénés : il en est résulté des cures nombreuses , mais sans qu'on ait concouru aux ])ro- grès de la. science par des écrits solides. D'un autre côlé l'aveugle routine d'un grand nombre de mé- decins a tourné sans cesse dans le cercle étroit des saignées multipliées, des bains froids et des douches fortes et répétées , sans donner presque aucune at- tention au traitement moral. On a donc négligé de part el d'autre le point de vue purement phi- losophique de l'aliénation de l'entendement, la conuoissance dos causes physiques ou morales pro- pres à la produire, la distinction de ses diverses espèces , l'histoire exacte des signes précurseurs, de


I K T R O D U C T I 0 N. XXV

la marche et de la terminaison des accès lorsqu'elle est intermittente, les règles de la police intérieure des hospices, et la détermination précise des cir- constances qui rendent nécessaires certainsremèdes, comme de celles qui les rendent superllus; car, dans cette maladie comme dans beaucoup d'autres , l'habileté du médecin consiste moins dans l'usage répété des remèdes, que dans Fart profondément combiné d'en user à propos ou de s' eu ab&teiùr.

Fériar, auteur anglais dont j'ai déjà parlé, s'est proposé un autre objet dans ses travaux particuliers sur la manie. Il a essay é tour-à-tour divers médica- mens internes dont il a dirigé l'usage avec une sorte d'empirisme, sans distinguer les diverses espèces de manie et les circonstances qui doivent faire varier leur choix et leur application. Il a suivi une mar- che analogue à celle de Locher , médecin allemand, et toute la différence porte seulement sur le choix , la nature et l'ordre de l'emploi de ces raédicameus. Toujours suivre les routes battues , parler de la folie en général d'un ton dogmatique, considérer ensuite la folie en particulier, et reveuir encore à cet ancien ordre scolastique de causes , de dia- gnostic , de pronostic j d indications à remplir , c'est là la lâche qu'a remplie Chiarugi (i). L'esprit


(i) Délia Pazzia eri générale ed in spezie , Trattato Medico-Analitico ; con xina centuria di osservozioni di V. Chiarugi , D, M. Prof essor di Mcd, et Chiurg. »704.


^X^I INTRODUCTION.

de recherches ne se mozilre guère dans son ouvrage, que dans une centurie d'observations qu'il a pu- bliées, encore même Irès peu d'entre elles peuvent donner lieu à des inductions concluantes. Les faits ëpars dans les collections académiques (i) et dans les recueils d'histoires particulières de maladies , sur le caractère et le traitement de l'aliénation ou sur les lésions organiques qui en sont l'effet ou la cause , doivent être cités encore, non comme propres à re- culer les limites de la science médicale, mais seule- ment à tilre de matériaux qui doivent être mis eu œuvre par une main habile, et former un ensemble solide par leur connexion entre eux ou avec d'au- tres faits analogues.

L'Allemagne, l'Angleterre , la France ont vu s'é- lever des hommes qui , étrangers aux principes de la médecine , et seulement guidés par un jugement sain ou quelque tradition obscure, se sont consa- crés au traitement des aliénés , et ont opéré la guérison d'un grand nombre , soit en temporisant, soit en les asservissaut à un travail régulier, ou en prenant à propos les voies de la douceur ou d'une


(2) Acad. des Scienc. 1 705. — Acad. des Scienc. de Berlin , 1764, 1766. — Tratisact. PJiilospJt, trad. franc. Paris, 1791. — Act. Hafniensia , tom II, — Disput. ad Morb. Hist, Aut. H aller , tom. î.-^Med. Essays , loui, IV, — Lond. Med. Journal^ 1 ^SS. — Gérard. Van-SwieteaCo«-f^w JLpid. ed. Sio/l. an. 1785 > etc.


IPITTIODUCTION. XXVlJ

répression énergique. Ou peut citer entre autres Willis en Angleterre (i) , Fowlen en Ecosse (2) , ]e Concierge de l'hospice des aliénés d'Amster- dam (3) , Poution , directeur des aliénés de l'iios- pice de Manosque (4) , Haslam , apothicaire de l'hô- pital de Bethléem à Londres (5) , et enfin M. Pus- sîn, autrefois surveillant de l'hospice de Bicêtre, et maintenant de celui de la Salpétrière (6) , qui , par son zèle et son habileté , s'est rendu peut-être supé- rieur à tous ceux dont je viens de parler. L'habitude de vivre constamment au milieu des aliénés , celle d'étudier leurs mœurs, leurs caractères divers, les objets de leurs plaisirs ou de leurs répugnances ;


(i) Détails sur l' Établis sèment du docteur Willis -pour la guérison des Aliénés. Bib]. Brit. ^ (2) Lettre du docteur Larive aux Rédact. de la Bibl. Britann., sur unnouvel Etablissement pour la guérison des Aliénés. Bibl. Brit. tom. VIII.

(3) Description de la Maison des fous dt Amsterdam , par M. Thouin, Décad. Philosoph. an 4.

(4) Observations sur les Insensés , par M. Mourre , administrateur du département du T^ar, Broch. de 22 pages.

(5) Observations on insanity , mt7i practical remarhs , on the disease , and an account of ihe morbid appearances on dissection. By Johm Haslam. Lond. 1 794.

(6) Observations faites par M. Pussin sur les fous de Bicêtre. An 4. (C'est un manuscrit de neuf pages qui m'a été confié. )


XXVll) INTRODUCTION.

l'avaniage de suivre le cours de leurs égarcmens ïe jour, la nuit, les diverses saisons de l'année; l'art de les diriger sans eCforls et de leur épargner des emporlemcDS et des murmures , le talent de pren- dre à propos avec eux le ton delà bienveillance ovt un air imposant , et de les subjuguer par la force lorsque les voies de la douceur ne peuvent suffire ; enfin, le spectacle conlinuel de lousles phénomènes de Taliénalion mentale , et les fonctions de la sur- veillance doivent rjécessairement communiquer à des hommes intelligeus et zélés des connoissances multipliées et des vues de détail qui manquent au médecin borné le plus souvent, à moins d'un goùE dominant , à des visites passagères. Les hommes d'ailleurs étrangers aux études de la médecine, et dépourvus des connoissances préliminaires de l'his- toire de l'entendement humain, peuvent-ils mettre del'oidre et de la précision dans leurs observations, ou s'élever même à un langage propre à rendre leurs idées? Peuvent-ils distinguer une espèce d'a- liénation d'une autre, et la bien caractériser par le rapprochement de plusieurs faits observés ? Devien- diont-iis jamais susceptibles de lier l'expérience des siècles passés avec les phénomènes qui frappent leurs yeux, de se renfermer dans les bornes d'un doute philosophique dans les cas incertains, et d'a- dopter une marche ferme et sûre pour diriger leurs recherches , non moins que pour disposer une suite d'objets dans un ordre systématique ?


INTRODUCTION. XXÎX'

Il importe en mëcleciue, comme dans les autres sciences, de compter pour beaucoup un jugement; sain , une sagacité naturelle , un esprit inven- tif dépouillé de tout autre privilège. 11 faut peu s'informer si tel homme a fait certaines études d'u- sage, ou rempli certaines formalités, mais seule- ment s'il a approfondi quelque partie de la science médicale, ou s'il a découvert quelque vérité utile. L'exercice de la médecine, durant près de deux an- nées dans riiospice de Blcêlre, m'a fait vivement sentir la nécessité de réaliser ces vues pour faire faire quelques progrès à la doctrine de l'aliénation mentale. Les écrits des auteurs anciens et modernes sur cet objet, rapprochés de mes observations an- térieures, ne pouvoient me faire sortir d'un certaia cercle circonscrit; et devois-je négliger ce que le spectacle des aliénés , pendant un grand nombre d'années, et Fhabilude de réiléchir et d'obsei ver, avoient pu apprendre à un homme (M. Pussin) doué d'un sens droit, très-appliqué à ses devoirs et chargé de la surveillance des aliénés de l'hos- pice ? Le ton dogmatique de docteur fut dès-lors abandonné ; des visites fréquentes , quelquefois pendant plusieurs heures du jour, m'aidère.it à me familiariser avec les écarts, les vociférations et les extravagances des maniaques les plus violens; dès- lors j'eus des entretiens réitérés avec l'homme qui connoissoit le mieux leur état antérieur et leuis idées délirantes : atlenliou extrême pour ménager


SXX INTRODUCTION.

tontes les pretetilions de ramoiir-propre ; queslîon^ variées et sonveat reportées sur le même objet , lorsque les réponses étoient obscures ; poiat d'op- position de ma part à ce qu'il avançoit de douteux ou de peu probable, mais renvoi tacite à un exa- men ultérieur pour l'éclaircir ou le rectifier; no- tes journalières tenues sur les faits observés, sans (l'autre sollicitude que de les multiplier et les ren- dre exactes : telle est la marcbe que j'ai suivie pen- dant près de deux années pour enrichir la doc- trine médicale de l'aliénàtion de toutes les lumiè- res acquises par une sorte d'empirisme , ou plutôt pour compléter la première et ramener l'autre à (les principes généraux dont elle étoit dépourvue. Une infirmerie isolée et destinée à recevoir un certain nombre d'aliénés et d'épileptiques me fa- cilitoit d'ailleurs d'autres recherches sur les ef- fets des médicamens et l'inllueuce puissante du ré- gime varié suivant les indispositions individuelles ou les maladies incidentes.

C'est ainsi que l'hospice de Bicétre, confié à mes soins à titre de médecin en chef durant les an- nées 2 et 3 de l'ère républicaine, m'ouvrit un champ libre pour poursuivre des recherches sur la manie, commencéesàParis depuis quelques années. Quelle époque d'ailleurs plus favorable que les orages d'une révolution , toujours propres à exal- ter au plus haut degré les passions humaines, ou plutôt à produire la manie sous toules ses formes !


INTRODUCTION. XXX j

La surveillance et la police intérieure des hospi- ces des aliénés étoient d'ailleurs soumises à des règles constantes, et dirigées avec autant de zèle que d'inteJligence par un des hommes les plus capa- bles de me seconder. Mais plusieurs circonstances réunies ne pouvoient que rendre très- incomplet ïe traitement médical proprement dit. Les aliénés avoient été déjà traités une ou plusieurs fois à l'Hô- tel-Dieu suivant les méthodes usitées, et ils étoient ensuite conduits à Bicêtre pour opérer ou affermir le rétablissement entier de la raison , ce qui ne pou- voit que mettre de l'incertitude dans mes résul- tats. L'usage des chaînes de fer pour contenir uu grand nombre d'aliénés éloit encore dans toute sa vigueur ( il ne fut aboli que trois années après ); et comment distinguer alors l'exaspération qui eu étoit la suite, des symptômes propres à la maladie? Les vices du local, le défaut de divisions des aliénés en sections séparées suivant leur degré d'agitation ou de calme, une instabilité continuelle dans les administrations , la privation de bains et de plu- sieurs autres objets nécessaires, opposoient encore de nouveaux obstacles. L'histoire proprement dite des phénomènes singuliers de l'aliénation mentale a donc été, dans l'hospice des aliénés de Bicétre, l'ob- jet principal de mes recherches, et j'ai tâché de dé- terminer les caractères distinctifs des diverses es- pèces, les différences de la manie continue ou in- termittente, les vues à remplir dans le traitement


XXXIJ 1 N T R 0 D U C T 1 0 IV.

moral, les règles de surveillance et de police inté- rieure d'un hospice semblable, et endii certaines bases d'un traitement méilical établi uniquement sur l'observalion et l'expérience. Un ouvrage de médecine, publié en France à la fin du dix-huitième siècle, doit avoir un autre caractère que s'il avoit été écrit à une époque antérieure; un certain essort dans les idées , une liberté sage , et surtout l'esprit d'ordre et de recherches qui règne dans toutes les parties de l'HistoireNalurelle, doivent le distinguer. Ce ne sont plus des vues particulières ou les écarts d'une imagination ardente qui doivent l'avoir dicté: c'est une philanthropie franche et pure , ou plutôt le désir sincère de concourir à l'utilité publique. Je laisse au lecteur éclairé à décider si j'ai rempli cette tâche.


I r II ar^T t»». Mj»-tt u Tl-


TRAITÉ

MÉDICO-.PHILOSOPHIQUE

SUR

L'ALIÉNATION MENTALE.


PLAN GÉNÉRAL DE L'OUVRAGE.


î. L/A prévention la plus exagérée en faveur de la mé- decine ne sert pas plus à éclairer l'opinion publique , que les sarc'^smes oulesbons mots qu'on lui prodigue tour à tour; car quel est l'objet qu'on ne puisse louer à l'excès ou dénigrer? Il est bien plus irapor- tapt pour l'intérêt de l'humanité de rechercher si, dans l'état actuel des sciences physiques , on peut approcher d'autant plus de la vérité en médecine , qu'on y fait une heureuse application de leurs principes et de leur marche , qu'on s'est formé uu goût plus sûr par une étude profonde de la méde- cine ancienne et moderne , et qu'on s'est borné pen- dant une longue suite d'années à une observation assidue et à une histoire sévère du cours et des phénomènes des maladies. Je me propose d'en donner un exemple particulier dans le Traité que je publie sur l'aliénation mentale.


3- G É K É n .V L 1 T É S

2. C'est à dessein que j'ai fait choix du sujet le plus obscur , et peut-être le plus exposé à des divagations éternelles si on se livre h l'esprit d'hy- pothèse : et quel objet doit paroîlre plus merveilleux et plus difficile à concevoir que la nature des fonc- tions de l'entendement humain , leur développe- ment progressif, leurs divers degrés d'énergie , leurs changemens par des impressions physiques , et les aberrations qu'elles peuvent contracter? On remonte encore plus difficilement à l'origine des diverses lésions isolées ou réunies que peuvent éprouver la perception des objets extérieurs, la mémoire , l'imagination , le jugement , le sentiment de sa propre existence; et peut -on observer le moindre rapport entre ces lésions di^rses et la structure de l'organe qui paroît en être le siège? On doit donc se proposer un but plus fixe, et suivre une marche plus sûre : c'est de s'en tenir stric- tement à observer les faits , et de s'élever à une histoire générale et bien caractérisée de l'aliénation mentale, ce qui ne peut résulter que du rappro- chement d'un grand nombre d'observations par- ticulières, tracées avec un grand soin durant le: cours et les diverses périodes de la maladie , depuiSJ son début jusqu'à sa terminaison. Mais pour que ces exemples puissent devenir des matériaux pro-- près à être mis en œuvre , ne faut-il pas que les^ symptômes et les signes distinctifs dont on veutt tracer l'ordre et la succession dans des cas parlicu-


SUR l'aliénation mentale. 3

liers aient été d'abord étudiés dans un grand hos- pice, et qu'une sévère critique ait appris à rejeter tous ceux qui sont équivoques ou douteux, et à n'ad- mettre que ceux qui sont manifestes aux sens, qui ne donnent aucune prise à des raisonnemens vagues, et qu'on observe le plus constamment dans les di- verses sortes d'égarement de la raison? Le vrai fon- dement de tout l'édifice est donc une étude pré- liminaire et approfondie des diverses lésions de l'en- tendement et de la volonté , manifestées au dehors par des changemens dans l'habitude du corps , par des gestes et des paroles propres à faire connoître l'état intérieur , et par des dérangemens physi- ques non équivoques (i).

3. Un autre avantage naît encore du simple rap- prochement d'un grand nombre d'exemples d'alié- nation mentale tracée depuis ses premiers dévelop- pemens jusqu'à sa terminaison. Cette maladie , d^ns


(0 On voit qu'il faut prendre pour guide en me'decine la méthode qui réussit constamment dans toutes les parties de l'histoire naturelle, c'est-à-dire qu'il faut commencer par voir successivement chaque ohjet avec attention et sans autre dessein que de rassembler des matériaux pour l'avenir; qu'on doit chercher enGn à éviter toute illusion, toute prévention, toute opinion adoptée sur parole. C'est là ce que j'ai exacte- ment fait pendant une longue suite d'années, par rapport à l'aliénation non-seulement dans des établissemens particuliers, mais encore successivement dans les grands hospices de Bi- côtrç et de la Saipêlrlère.


■F


A GÉNÉRALITÉS

certains cas, a une origine commune et tient dès ton principe à un événement ou à un concours d'événeraens analogues qu'on doit regarder comme sa cause déterminante. Il faut mettre de ce nombre une disposition héréditaire , certaines affections morales vives, un chagrin profond , un amour contrarié , une exaltation extrême des principes re- ligieux , ou bien une immoralité profonde. Les mêmes effets peuvent aussi être produits par des causes physiques , une lésion de la tête , les suites d'une autre maladie , la suppressix)n brusque d'une hémorrhagie , la répercussion d'une éruption cu- tanée» Quelques -unes de ces causes sont rares, d'autres fréquentes ; dans certains cas, elles sont enveloppées d'obscurités par des raisons de famille , des omissions involontaires ou des réticences étu- diées ; mais en comparant entre elles de nombreuses ' histoires d'aliénés , nationales ou étrangères , consi- gnées dans des recueils d'observations, ou notées dans des hospices et des établissemens particuliers , il ne peut rester aucune incertitude sur les résul- tats généraux que nous venons d'indiquer.

4. Ce n'est point une satire que j'entreprends , c'est l'histoire d'une maladie réelle que je me pro- pose de décrire : tout ce qu'on entend donc dans la société par délire , extravagance , égarement , folie , doit m'être étranger , ainsi que toute discus- sion métaphysique , toute hypothèse sur la natiu-e des fonctions intellectueUes ou affectives , sur kur


à


suK l'aliénation mentale. 5-

<^énération , leur ordre , leur enchaînement réci- proqiie, leur succession (i). Je m'en tiens rigou- reusement à l'observation qui apprend ce qu'il eût été même difficile de soupçonner, savoir qu'il peut y avoir une lésion exclusive dans les idées reçues par des impressions externes , dans la mémoire , l'ima- gination , le jugement, le sentiment de sa propre existence, l'impuJsiou de la volonté > et que ces lésions réunies en plus ou moins grand nombre et avec divers degrés d'intensité forment une infinité de variétés. Il importe d'autant plus de faire res- sortir ces objets fondamentaux et d'en recomman- der surtout l'étude spéciale, qu'on voudra pro- céder avec nlus d'ordre dans l'observation des phénomènes de l'aliénation, appliquer avec plus de succès à cette maladie la méthode analytique, et faire faire de nouveaux progrès à son histoire générale.

5. Quel tableau de confusion et de désordre , qu'un grand rassemblement d'aliénés , livrés d'une manière continue ou par intervalles à leurs écarts divers et observés sans règle et sans méthode ! Mais avec une attention suivie et une étude appro- fondie des symptômes qui leur sont propres , on


(i) Je parle ici en médecin et non en théologien. On ne peut donner aucune inlerprétalion défavoi^able au silence que je garde sur tout ce qui peut émaner d'une autorité supérieure à la raison humaine.


t> GK1NÉRAL1TÉ8

peut les classer d'une manière générale, et les dis- tinguer entre eux par des lésions fondamentales de Tentendement et de la volonté, en écartant d'ail- leurs la considération de leurs variétés sans nom- bre. Un délire plus ou moins marqué sur presque tous les objets s'allie, dans plusieurs aliénés, à un état d'agitation et de fureur: ce qui constitue pro- prement la manie. Le délire peut être exclusif et borné à une série particulière d'objets , avec une sorte de stupeur et des affections vives et profondes: c'est ce qu'on nomme mélancolie. Certaines fois une débilité générale frappe les fonctions intellectuelles et affectives, comme dans la vieillesse, et forme ce qu'on appelle démence. Enfin une oblitération de la raison avec des instans rapides et automatiques d'emportement , est désignée par la dénomination ^idiotisme. Ce sont là les quatre espèces d'égare- ment qu'indique d'une manière générale le titre d'aliénation mentale.

6. Il est si doux en général pour un malade d'être au sein de sa famille et d'y recevoir les soins et les consolations d'une amitié tendre et compatissante, que j'énonce avec peine une vérité triste, mais cons- tatée par l'expérience la plus répétée , la nécessité absolue de confier les aliénés à des mains étrangères, et de les isoler de leurs parens. Les idées confuses et. tumultueuses qui les agitent et que fait naître tout ce qui les environne ; leur irascibilité , sans cesse mise en jeu par des objets imaginaires j des cris , des


SUR l'aliéjsation mentale. 7 menaces , des scènes de désordre ou des actes d ex- travagance ; l'usage judicieux d'une répression éner- gique, une surveillance rigoureuse sur les gens de service , dont on a également à craindre la grossiè- reté et rimpéritie, demandent un ensemble de me- sures adaptées au caractère particulier de cette ma- ladie , qui ne peuvent être réunies que dans des ëtablissemens qui lui soient consacrés. De là naissent des préceptes variés sur les dispositions locales , la distribution des aliénés, le service intérieur, le ré- gime moral et physique suivant le caractère et les variétés de l'aliénation , ses diverses périodes d'état aigu, de déclin et de convalescence; ce qui sup- pose des connoissances profondes de sa marche , et l'expérience la plus consommée.

7. Les résultats de l'observation en médecine , ou l'histoire des maladies en général, donnent rarement lieu à un partage d'opinions si on en fait une étude approfondie ; mais que de vacillations et d'in- certitudes offre encore l'usage des remèdes souvent superflus, plus souvent encore nuisibles, s'il, n'est dirigé avec une prudetice et une habileté rares ! l'a- liénation en offre un exemple mémorable. Les an- ciens avoient cru son sié2,e dans les intestins , et faiU soient usage surtout de purgatifsdrasliques ; la.plu-.. part des modernes l'ont attribuée à un afflux du? sang vers la tète , et de là la prescription de fortes douches et de saignées répétées^ d'autres ont regardé la maladie comme nerveuse et spasmodique ^ ce<[ui


» GÉNÉRALITÉS

les a fait insister sur les caïmans et les sédatifs; les uns et les autres ont vanté les événemens favorables et ont passé sous silence les cas contraires , ce qui n'a iait qu'augmenter les doutes et les perplexités.

8. On doit féliciter ceux qui croient pouvoir lire à travers les ressorts si compliqués de notre orga- i)isation , et parvenir à deviner les moyens répara- teurs qu'exige la nature de leur désordre. Moins confiant et plus réservé qu'eux, je remarquai d'a- hord , dans l'hospice de Bicétre , que la manie , lorsqu'elle étoit récente , pouvoit être guérie par les seules forces de la nature , si on venoit à écarter les obstacles nuisibles , et diriger avec sagesse le régime moral et physique , ce qui a été d'abord l'objet de mes essais. Dans des cas rebelles , j'ai fait usage de médicamens variés et adaptés aux circonstances. La conduite que j'ai tenue doit-elle être adoptée , ou faut-il en substituer une autre? Le rapport très- avantageux que j'ai obtenu entre le nombre des guérisons et celui des admissions paroît rassurer. Mais pour qu'il ne reste plus de doute , ne doit-on pas provoquer de semblables recherches dans des établissemens publics, en faisant des relevés annuels des registres? On appliquera ensuite à ces résultats le calcul des probabilités, et une simple comparaison fera juger invariablement de quel côté sera l'avan- tage;. ce qui ouvre la voie à tous les progrès ulté- l'ieura dont cette partie de la médecine est suscep" tible. .


à


SDR l'aliénation MENTALE. »3

g. On ne doit point oublier que la nature suit des règles générales dans le cours des maladies avec des variétés individuelles, et que la vraie doctrine médicale consiste surtout dans l'histoire fidèle de leurs symptômes , quel qu'eu soit l'événement fa- vorable ou contraire. On doit donc s'attendre que, dans la manie, certains cas sont au-dessus des res- sources de la médecine , soit par des désordres phy- siques que constate l'anatomie , soit par l'ancienneté de l'ahénation, ou par des mesures imprudentes déjà mises en usage. Tai donc cherché à déterminer, d'après l'observation et l'expérience les plus réité- rées, les cas qui paroissent incurables par leur na- ture^ car c'est encore un service réel à rendre à la science et aux malades, que de prévenir des tatou* nemens dangereux, et dont le succès est équivoque ou doit être infailliblement nul. Il importe d'ailleurs de fixer les règles d'admission des aliénés dans les hospices et leur sortie , règles encore très-indétermi-* nées et qui entraînent une indécision pénible.

lo. Les sectateurs ardens des théories subtiles de JDarwin et de Brown , ou d'autres auteurs plus ré- cens 9 trouveront sans doute que j'ai fait une omis- sion grave, et que j'aurois dû m'engager dans leurs hautes spéculations. Je n'ai qu'une réponse à faire à ces reproches : c'est que je ne pourrois guère citer ces doctrines que comme des exemples d'égarement de la raison et de délire; et pour conserver la paix , j'ai pris le parti sage de les passer sous silence.


lU


CAUSES CONNUES


PREMIÈRE SECTION.

Causes propres à déterminer l'aliénatioTi

mentale,

II. IjES notions qu'on donne an médecin sur l'état antérieur de l'aliéné, avant de le confier à ses soins , peuvent être précises , vraies et clairement énoncées , ou bien imparfaites et équi- voques, quelquefois même nulles. Les premières seules méritent d'être comptées, et leur rap- prochement donne des résultats d'autant plus sûrs, qu'elles sont plus multipliées, et sans cesse confirmées par de nouveaux faits, observés par soi- même ou puisés dans des écrits les plus authenti- ques. C'est ainsi qu'on a appris que l'oi igine de l'a- liénation tient quelquefois à des lésions physiques ou à une disposition originaire , le plus souvent à des affections morales très-vives et fortement con- trariées. Parmi ces causes générales, les unes sont fréquentes, les autres très-rares; mais les premières sont très-importantes à connoître , autant pour l'his- toire exacte de l'aliénation en général et de ses di- verses espèces, que pour le choix d'un traitement méthodique.

1 2. L'énergie d'une impression physique ou d'une affection morale tient autant à l'intensité de la cause déterminante qu'à la sensibilité individuelle ,^


DE l'aliénation MENTALE. II

qui admet d'ailleurs de grandes variétés (i) , suivaiit une disposition originaire , l'âge , le sexe , le cli- mat, la manière de vivre, ou des maladies anté- rieures. C'est même cette sensibilité qui, suivant l'observation la plus réitérée , est extrême à cer- taines époques de la vie des femmes, telles que


(i) On peut, dans les établissemens particuliers, recueillir des informations plus précises sur l'état antérieur des aliénés, que dans les hospices où sont traités les aliénés pris de la classe du peuple. Or le docteur Esquirol , qui dirige un de ces établissemens, s'énonce de la manière suivante. i< Presque » tous les aliénés confiés à mes soins , dit-il , avoient offert »» quelques irrégularités dans leurs fonctions , dans leurs fa- »> cultés intellectuelles , dans leurs affections avant d'être

i> malades , et souvent dès la première enfance Les uns

>» avoient été d'un orgueil excessif, les autres très-colères; » ceux-ci souvent tristes , ceux-là d'une gaîté ridicule 5 quel- M ques-uns d'une instabilité désolante pour leur instruction , » quelques autres d'une application opiniâtre à ce qu'ils entre- » prenoient, mais sans fixité j plusieurs vétilleux, minutieux, » craintifs , timides , irrésolus j presque tous avoient eu une >» grande activité de facultés intellectuelles et morales qui w avoient redoublé d'énergie quelque temps avant l'accès ; la

plupart avoient eu des maux de nerfs ; les femmes avoient »» éprouvé des convulsions ou des spasmes hystériques; les w hommes avoient été sujets à des crampes , des palpitations ,

» des paralysies Avec ces dispositions primitives ou

» acquises , il ne manque plus qu'une affection morale pour w déterminer l'explosion de la fureur ou l'accablement de la » mélancolie ».( ZJej' Passions considérées comme causes , symptômes, etc., de l'Aliénation mentale.)


Ï2 CAUSES CONNUES

la ])nherlé, la grossesse, les couches, et ce qu'où appelle l'âge critique. Quel trouble n'excitent point alors les moindres émotions ! et faut-il s'étonner si, à l'arrivée d'une aliénée dans l'hospice , les pre- mières notions qu'on acquiert sur son état anté- rieur annoncent si souvent une semblable origine de la maladie ?

i3. L'aliénation tire si souvent son origine des pas- sions vives et fortement contraiiées, qu'un auteur anglois ( Chriglon ) , en annonçant un ouvrage sur l'égarement de la raison, s'est presque entièrement borné à décrire les signes et les caractères propres des passions humaines , leurs divers degrés d'inten- sité et leurs effets plus ou moins violens sur l'orga- nisation physique (i). La médecine étoit donc desti- née à réaliser en partie les opinions desauciens sages qui , dans leurs spéculations subtiles sur les affec- tions morales , les regardoient comme des maladies de l'arae. Quelle que soit l'acception qu'on donne à ce terme , il est encore plus certain qu'elles sont les causes les plus fréquentes des maladies ; et l'a-

f , , —

(i) On ne peut guère parler des passions humaines comme maladies de l'ame, sans avoir aussitôt présentes à la pensée les Tusculanes de Cicéron et les autres écrits que ce beau génie a consacrés à la morale dans la maturité de l'âge et de l'expé- rience. Quel moment propice pour des éludes philosophiques que celui des orages politiques et du conflit tumultueux, des passions qui entraînèrent tant de malheurs et finirent par Iwuleyersçr l'ancieiine République romaine !


DE l'aliénation MENTALE. l3r

liénation mentale ne m'en a-t elle point offert des exemples sans nombre ,soit dans des établissemens publics ou particuliers qui lui sont consacrés , soit dans des mémoires à consulter , remplis de détails authentiques 2

I.

Aliénation originaire ou héréditaire»

14.11 seroit. difficile de ne point admettre une transmission héréditaire de la manie , lorsqu'on re- marque en tous lieux et dans plusieurs générations successives, quelques-uns des membres de certaines familles atteints de cette maladie ; c'est ce qu'attes- tent également une opinion populaire, des. notes prises régulièrement dans des établissemens publics ou particuliers, et des Recueils d'observations , pu- bliés tant en France qu'en Angleterre et en Alle- magne.

1 5. L'aliénation héréditaire peut être continue ou intermittente. Une aliénée-, admise depuis peu à l'hospice de la Salpétrière , el qui a perdu sa mère dans un état de démence , éprouve elle-même une manie continue et dont le traitement a été sans suc- cès. Une autre femme , d'un village voisin de Paris, passe depuis quelques années l'été dans l'hospice et l'hiver dans sa famille , sa manie étant intermit- tente. L'invasion ou les retours alternatifs des atta- ques d'une manie originaire se manifestent quel- quefois brusquement ; d'autres fois c'est par le con-


CAUSE SCONNUE5

cours d une cause excitanle. C'est tantôt une vlya- cité extrême d'imagination, qui peint tout en beau, et se crée les tableaux les plus fantastiques ; tantôt un caractère ombrageux et livré à des frayeurs pu- sillanimes , ou une foiblesse naturelle d'entende- ment et une incohérence progressive d'idées le plus bizarrement assorties.

16. Une dame, dont la mère, une tante,une cousine et une soeur avoient éprouvé en divers temps des attaques plus ou moins prolongées de manie , avoit été dans sa jeunesse d'une vivacité extrême, et ne pouvoit supporter la moindre contrariété. A vmgt-un ans, époque de son mariage, elle devint très-ombrageuse , et se livra aux plus noirs soup- çons , mais sans agitation et sans la moindre in- cohérence dans les idées, pendant les cinq pre- mières années d'une union très-heureuse. Vers la sixième année , une maladie grave d'un de ses en- fans la réduisit au désespoir. Dès-lors imagination délirante , frayeurs fréquentes produites par des ot^ets chimériques, jalousie sans nul fondement et d'autant plus violente et plus exagérée. La manie se déclare bientôt après : agitation des plus vives , sentiment intérieur d'une chaleur brûlante, insom- nie continuelle , gestes, propos extravagans. Après une durée de quelques jours ef. une intermission d'un mois, l'aliénation s'est encore renouvelée.

17. Un jeune homme , dont la mère avoit été alié- née , fut exposé , dès son entrée dans le monde , à


DE l'aliénation MENTALE. i5

des contrariétés vives et à des chagrins profonds* Il devient ombrageux et irascible à l'excès j ses soup- çons augmentent , et il se croit en butle à des per- sécutions de tout genre ; il va même jusqu'à croire qu'on le bafoue dans des pamphlets , des caricatu- res , des pièces de thédlre. Son imagination s'exalte encore à un plus haut degré , et il est convaincu qu'après l'avoir déshonoré dans l'opinion publique, on a formé le projet atroce de le faire périr , et que ses proches sont enveloppés dans la même proscrip- tion. Il ne lui reste plus , suivant lui, qu'à tirer une vengeance éclatante de ce qu'il appelle des traîtres, des monstres , et c'est dans cet état de fureur exal- tée, qu'on l'a. vu sortir dans la rue, provoquer les passans , et que sa réclusion est devenue nécessaire pour prévenir quelque événement funeste. . j8. La manie originaire peut ne se développer que dans un âge avancé , et son explosion tardive être dé- terminée par d'autres circonstances de la vie. lia homme, dont le frère étoit réduit à an état de dé- mence, avoit rempli avec éloge, jusqu'à la cinquan- tième année, des fonctions publiques. Il s'excite alors une ardeur immodérée pour les plaisirs vénériens; son regard est vif et animé; il fréquente des lieux de déhanche, se livre à tous les excès, et revient tour-à-tOLir dans la société de ses amis, leur peindre les charmes d'un amour pur et sans taches. Son éga- rement augmente par degrés , et on est obligé de le tenir enfermé. La solitude exalte encore soaimagi-


xCi CAtrSESCONNCJES

nation fongueuse; il peint en traits de feu les plai- sirs qu'il a goûtés avec ce qu'il appelle des beautés célestes; il s'extasie en parlant de leurs grâces et de leurs vertus , veut faire construire un temple à l'amour, et se croit lui-même élevé au rang des dieux : ce furent là les préludes d'une fureur vio- lente avec délire.

. 19. Le délire des aliénés d'origine peutavoir divers degrés , et il peut , comme dans des cas de manie ac- cidentelle, être marqué par une entière subversion de la raison. Un de ces aliénés , dont j'avois à cons«  tater l'état moral et physique, ne sembloit recevoir aucune idée par des impressions sur les organes des sens , puisque toutes ses réponses furent étrangères à mes questions. 11 répétoit indistinctement et sans suite les noms des personnes qu'il avoit antérieure- tnént connues; il avoit une loquacité intarissable, sans manifester aucun sentiment intérieur ni de sa propre existence , ni du lieu qu'il habitoit , ni en^u de ses relations au dehors. Nulle trace de jugement; et tout dans sa mémoire offroit le chaos le plus in- forjMe.

II.

Influence d'une institution vicieuse sur l'égare- ment de la raison.

20. L'éducation des enfans peut être dirigée telle- ment à contre sens , et ses effets se combiner si bien avec une foiblesçe originaire de l'enlendement ,


»E l'aliénation mentale. qu'il y ait du doute sur ce qu'on doit attribuer à l'une de ces causes plutôt qu'à l'autre.

21. Il seroit difficile de citer un exempledece genre plus frappant que celui de deux frères raineurs, dont l'examen juridique m'avoit été confié. Orphe- lins dès l'âge le plus tendre , ils avoient été élevés, par un contraste singulier, d'un côté dans la mol- lesse la plus efféminée par leur gouvernante, et de l'autre , avec une rudesse extrême par un inS" lituteur d'un caractère dur, emporté et morose. Soit vice d'une institution pareille, soit disposiliou primitive, l'entendement de ces enfans resta sans se développer i et leur corps affoibli fnt sujet à des maux variés , qui ne laissèrent plus de doute, à l'é- poque de la puberté sur le vrai caractère d'une sorte de démence. Ils étolent l'un et l'autre de la sta- ture ordinaire d'un jeune homme de vingt à vingt- deux ans lors de l'examen que j'en ai fait ; mais leur entendement foible et détérioré sembloit les rappro- cher de l'instinct d'un eufanl de trois ou quatre ans» mêmes gestes, mêmes propos , même goût pour les jeux de l'enfance. Le langage de l'un et de l'autre : plein de volubilité , ne laissoit entendre que les pre- mières syllabes des mots, et devenoit souvent inin- telligible. ^Is avoient coutume j comme par une sorte d'habitude automatique , de finir leur journée par une scène attendrissante. Recueillis au coin de leur chambre, ils rappeloieut , avec une vive effa- . sion de çoeur , et au mill&u des soupirs et des sau-.


ï8 CAUSESCONNUES

glots , la triste perte qu'ils avoient faite de leurs parens dans un âge tendre , parloient avec recou- noissance des soins que leur gouvernante leur avoit prodigués, mais ne prononcoient qu'avec un sen- timent d'iiorreur et avec des imprécations le nom odieux de leur instituteur.

22. Il y a , dit La Bruyère , d'étranges pères , et dont toute la vie ne semble occupée qu'à préparer %. leurs enfans des raisons de se consoler de leur mort. Les maisons publiques de correction et les établissemens consacrés aux aliénés, ne fournissent- ils point sans cesse des exemples propres à servir de commentaire à ce texte? Je ne parle point des le- çons ouvertes d'immoralité données dans un âge tendre: car certaines monstruosités sont hors de la règle , et il faut les couvrir d'un voile pour l'hon- neur de l'espèce humaine. Mais combien de fois des reproches amers pour le^ fautes les plus légères, des duretés exprimées avec le ton de l'emporte- ment, ou même des menaces et des coups, exas- pèrent une jeunesse fougueuse, rompent tous les liens du sang, produisent des penchans pervers, ou précipitent dans une aliénation déclarée ! Une jeune personne , toujours rebutée et toujours traitée avec une dureté extrême au sein de sa famille , avoit sous ses yeux une autre soeur plus habile qu'elfe dans l'art de plaire, et devenue l'objet constant de la tendresse maternelle : humiliée sans cesse et acca- blée de chagrins, elle perdit le sommeil, tomba


tife l'aliénation IVIENtÀLiii; iij

tîans un égarement complet de la raison , et fuit conduite à la Salpétrière. Lors de son entière con- valescence , après un traitement de plusieurs mois j et sur le point de rentrer dans sa famille, elle dé- ploroit avec une sensibilité louchante sa triste destinée et sa crainte d'une rechute.

23. Un caractère violent et mélancolique peut contracter, dès sa première jeunesse , une froide réserve et une dissimulation étudiée , qu'on pour= roit confondre avec une foiblesse d'entendement j si on s'en rapportoit aux apparences extérieureSé On m'a chargé depuis peu de faire un rapport juri- dique sur un jeune homme de dix-sept ans , qui avoit été dirigé dès l'âge tendre par un instituteur* dévot, minutieux et très-acariâtre. Il m'aborde avec l'air de la défiance et du soupçon annoncé par uil regard en dessous et une contenance mal assurée. Sa mère lui fait en vain quelques questions; il se balance sur son siège, ne répond que par quelques propos décousus et sans suite, et paroît chercher h s'échapper. Etoit-ce une foiblesse d'entendement^ ou bien un silenCe prémédité et contraint? Une pre- filière entrevue a été loin de dissiper mes doutes et mes incertitudes, et j'ai cru devoir encore ajourner mon jugement. Des observations ultérieures sur son état ont appris que ce jeune hommé étoit d'un esprit pénétrant et artificieux, et qu'il atteudoit avec im- patience que le temps de sa minorité fut expira pour jouir de sa fortune.


6o ; C A U s E s C Ô N N U E s

24. A-t on moins à craindre un autre extrême opposé , une tendresse peu éclairée de la part des parens et une complaisance sans bornes ? Ou avoit eu pour principe de ne jamais contrarier une jeune personne d'un caractère allier et d'une imagination vive. Un époux de son choix est plein de soins et de prévenances les premières années du mariage ; mais cette ardeur, qu'elle crojoit éternelle, se ralentit ; les soupçons et les tourmens de la jalousie succèdent etamènent enfin l'explosion du délire le plus fnrieux. L'habitude de la dissipation et des plaisirs , la lecture assidue des romans , et une société remarquable par la dépravation des mœu rs e t toutes les séductions de la galanterie , ont souvent amené le même événement.

20. Que d'analogie entre l'art de diriger les alié- nés et celuid'élever les jeunes gens! C'est une grande fermeté que l'un et l'autre exigent , et non des ma- nières dures et repoussantes ; c'est une condescen- dance raisonnée et affectueuse, et non une complai- sance molle et asservie à tous les caprices. Par quelle fatalité ce que la raison prescrit devient-il si rare qu'on peut même le regarder comme un prodige ?

IIL

Irrémularités extrêmes dans la manière de 'vivre propres à produire L' aliénation.

26. Une suite de bizarreries et d'écarts extrêmes dans la manière de vivre n'est-elle pas souvent le prélude d'une aliénation déclarée ?


D E L ' A L I É N A T I O N M E N T A L E. 3 1

27. Un jeune homme, distingné d-ailleurs par ses tnlens et des connoissances profondes en chimie, médiloit dçpuis quelque temps une découverte qui devoit , suivant lui , le mener à une grande fortune. Sou imagioation s'exalte; il se détermine à rester plusieurs jours renfermé dans son laboratoire, et pour mieux s'exciter au travail, éloigner le sommeil et s'élever à la hauteur du projet qu'il médite, il prépare des stimulans de diverses sortes j une jeune chanteuse partage sa retraite; il fait un usage répété, de liqueurs fortes ; il flaire lour-à-tour dès subs- tances odorantes et le muriate oxygéné de potasse ; il va même jusqu'à faire des arrosemens fréquens. dans son laboratoire avec ce qu'on appelle eau dù Cologne. On imagine combien Faction combinée de tous ces moyens, réunie à la chaleur d'un fourneau de réverbère, étoit jDropre à porter au dernier degré d'excitation ses facultés physiques et morales, et on, doit peu s'étonner si, vers le huitième jour, il sur- vint un délire des plus furieux. (On peut voir le reste de son histoire dans ma Nosogr, , tome III.),

28. Un autre jeune homme très-fortuné s'étoil suc-, çessivement appliqué, pendant les diverses époques de son éducation , à la physique , à la chimie et aux beaux-arts. Une vanité exagérée le domine, etluifait entrevoir dans l'avenir une carrière des plus brillan- tes :.rien ne lui paroîc plus propre pour l'assurer qu'un long voyage entreprispour s'instruire dans des. régions peu connues. L'histoire de ce voyage , qui:


^j. fi A U s E s C O K J\ tr E s.

servira ë l'annoncer dans le monde, doit être remar- quable par la nouveauté desf'ails, le luxe typogra- phique et l'élégance des dessins. Des artistes connus l'accompagnent par-tout, et pour mieux soutenir Jes fatigues du jour et les veilles de la nuit , il fait un usage excessif du café. Il s'arrête quelquefois dans ses savantes excursions pour mettre en ordre îscs collections ou rédiger ses notes, et il se livre plu- sieurs jours à une étude opiniâtre dans une chambre fortement échauffée. Il craint encore que ses sens ne soient pas assez excités , et il y joint un usage abondant des liqueurs alcoolisées. Bientôt après son imagination ardente le pousse dans un autre excès; il veut éprouver jusqu'à quel point il peut soutenir l'abstinence; il s'enfonce, en chaise de poste et avec quelques domestiques affidés, dans des régions peu habitées , ne s'arrête que pour des relais et ne prend pour toute nourriture , pendant plusieurs jours, que <lu café et des liqueurs fortes dont 11 avoit fait "ne provision abondante. Le repos succède brusque- ment au mouvement : il reste un mois de suite cou- çhé dans son lit, et ne se lève que pour prendre à la hâle un repas très-frugal. Son goût pour les sin- gularités le porte encore' à tenter une autre expé- rience. Il choisit pour séjour une ville très-connue |jar son insalubrité , et pour se garantir de loule impression délétère , il prend chaque jour pendant un mois de fortes doses de quinquina. Il revient de nouveau dans son séjour habituel ,et, livré à ses


D-E l'aliénation MENTALE. 'iT)

rêveries, il regarde le temps donné au sommeil comme perdu sans retour, et, animé par les exem- ples de plusieurs grands hommes, il se couche très- tard et donne les ordres les plus précis pour erre éveillé de grand matin, et même forcé de sortir de son lit. Des chagrins survenus à cette époque et de vives contrariétés donnent de nouvelles secousses à cette raison vacillante, et enfin un délire violent se déclare.

29. On m'a demandé plusieurs fois des conseils sur la mobilité extrême et la variabilité du carac- tère d'une personne qui, dès l'âge le plus tendre , avoit été sujette à des affections cutanées et à des mouvemens fébriles irréguliers. Dès les premiers développemens de la raison , elle avoit pris l'habi- tude de faire des lectures sans ordre et sans choix; elle s'ôccupoit tour-à-tour de romans, de poésie, d'histoire, de pièces de théâtre, qu'elle parcouroit alternativement, avec la rapidité de l'éclair, durant ^es journées entières et une grande partie des nuits; fes périodes du mois furent précoces, et souvent dérangées par des chagrins domestiques profonds et des contrariétés renaissantes : de là une irascibi- lité exti'êmç, des emportemens, des cris violens, quelquefois des mouvemens convulsifs irréguliers. Le bonheur parut lui sourire par un mariage bien assorti j mais toujours même vacillation du caractère, et disposition irrésistible de passer d'un extrême à l'autre. Quelquefois, pendant plusieurs jours , a^^i-


5-4 C A IJ s E s C O N N U E s

talion continuelle, courses, fatigues portées jus- qu'à l'épuisement; d'autres fois morosité sombre, désir insurmontable de la retraite , engourdissement apathique, nulle règle dans l'heure des repas ni dans le choix des allmens; certains jours se passent sans qu'elle prenne aucune nourriture, d'autres sont marqués par un appétit immodéré qu'on ne craint point de satisfaire et qui entraîne souvent des dé- sordres dans la digestion, et l'abus des liqueurs al- coolisées. Souvent ,' dans le même jour, passage brusque d'une froide apathie aux épanchemens de la tendresse filiale, à l'enthousiasme de là poésie, au fanatisme religieux; souvent aussi des objets im- portans traités par manière de jeu, et des frivolités traitées avec gravité et l'attention la plus sérieuse. Des symptômes d'hypochondrie et des maux phy- siques variés donnent lieu à de vains projets de traitement tour-à-tour suggérés par des médecins habiles, des empyriques ou des bonnes femmes, et qui sont tour- à-tour commencés, suspendus ou repris sans ordre et sans suite. Enfin l'aliénation la moins équivoque se déclare avec une singularité re- marquable. Elle passe six mois de l'année à s'agiter , à courir sans cesse , à enfanter des projets ^ains et chimériques , et les six autres mois sont marqués par une stupeur profonde, un sombre désespoir et «ne impulsion des pks fortes pour le suicide.


DE l'aliénation MENTALE,


IV.

Passions spasmoàiques propres à déterminer

l'aliénation.

■ 3o. Les passions en général sont des modifications inconnues de la sensibilité physique et morale dont nous pouvons seulement démêler et assigner les caractères distinclifs par des signes extérieurs. Quel- que opposées que puissent paroître quelques-unes d'entre elles, comme la colère, la frayeur, la dou- leur la plus vive , une joie soudaine, elles sont marquées surtout par des spasmes variés des muscles de la face , et se dessinent à Textérieur par des traits saillans dont les poètes , les sculpteurs et les peintres <lu premier rang ont fait l'étude la plus approfondie. L'oeil exercé de l'anatomiste peut indiquer les mus- cles qui, par leur action isolée, simultanée ou suc- cessive, servent à l'expression des passions dont je parle , comme de toutes celles qui peuvent nous agiter. v

• 3r. La nature de l'objet qui excite la colère, les idées accessoires qui viennent s'y joindre , Iç "concours de quelque autre passion , et le degré de sensibilité individuelle peuvent donner des expres- sions très-différentes de cette passion. Mais quand elle est simple, les artistes et les vrais observateurs, "s'accordent à lui attribuer les traits suivans : un visage rouge et enlîammé ^ ou biea une pâleur H-


'M C, A U i E S ■ t 0 N ]V U F. S

vide , la prunelle égarée et éllncelante , les sourcils élevés, les rides du front, les lèvres pressées l'iuie contre l'autre , surtout vers leur milieu , uue sorte de rire d'indignation et de dé<lain , le serrement des mâchoires, quelquefois avec grincement des dents, le gontlement des veines du cou et des tempes.

32. Les emportemens répétés de colère sont toujours nuisibles au jugement dont ils empêchent le libre exercice , et une irascibilité extrême est quel- quefois le prélude de l'aliénation ou dispose puis- samment à la contracter; elle e&l à craindre pour les femmes , surtout dans leurs périodes et à la suite des couches , comme le prouvent des exemples fréquens que j'ai notés dans l'hospice de la iSalpê trière; si on en contracte l'habitude, elle peut finir pour les raé" lancoliques par un délire furieux ou un état de stu- peur et de démence. Une femme très- vive et re- commandable d'ailleurs par ses vertus domestiques, se livroit depuis long-temps sans frein et sans réserve à la colère pour les motifs les plu« légers; une simple occasion, un léger retard dans l'exécution de ses ordres, la moindre faute des gens de service bu de ses enfans, étoient suivis d'un emjx)rleraeqt violent et de quelque scène lumultneuse. Ce mal- heureux penchant a eu son terme , et il s'est dé- claré un égareiîïeli*: complet de lu raison, '■■ 33. Un sentiment d'horreur ou une frayeur vive ç.i le dernier degré de désespoir , quoiqu on ue


DE l'aliénation ME^ÏALE. 27

puisse les regarder comme entièrement synonymes» Qut une grande conformité dans les spasmes des muscles de la face : front ridé de haut en bas , abais- sement des sourcils, prunelle contractée, étincelante et mobile, les narines grosses , ouvertes et élevées. Le trouble peut être quelquefois si profond que la raison en soit égarée. Ou a reçu dans l'hospice , à des époques différentes et dans un court espace de temps, trois jeunes filles devenues aliénées. Tune par le spectacle d'un prétendu fantôme vêtu de bl^nc, que des jeunes gens a voient offert pendant la nuit à sa vue ; l'autre par un coup violent de ton- Berre à une certaine époque du mois ; la troisième par l'horreur que lui inspira un mauvais lieu où élle avoit été introduite par ruse.

V.

Des passions débilitantes ou oppressives^

34. Ces passions , comme le chagrin , la haine , la crainte , les regrets , les remords , la jalousie , Fen- ¥ie, qui sont le germe de tant de désordres et de maux dans la vie sociale , ont aussi servi à enrichir les beaux-arts , et semblent respirer'dans quelques chefs-d'oeuvres de peintres ou de sculpteurs dii premier ordre. Elles sont susceptibles de divers degrés de force et de nuances infinies , suivant le concours de quelque autre p lésion , la sensibilité


?8 CAUSES Connues

individuelle, k's idées accessoires qui viennent s y joindre, ou la vivacité de la cause déterminante; mais elles ne dégénèrent en aliénation que parvenue s à un très-haut degré d'intensité, que par des pas- sages brusques de l'une à l'autre ou des commotions en senscontralre. Les caractères exlérieursd'un cha- grin profond sont en général un sentiment de lan- gueur, une grande diminution des forces muscu- laires , la perte de l'appétit, la pâleur de la face, un sentiment de plénitude et d'oppression, une respiration laborieuse et quelquefois entrecoupée de sanglots, un assoupissement plus ou moins pro- fond, et enfin une spmbre stupeur ou le plus vio- lent délire.

35. 11 sera toujours digne d'éloge de ne point démentir son caractère et de conserver une égalilé d'ame dans la prospérité comme dans les revers; mais ce conseU de la sagesse , si souvent embelli des cbarmesde la poésie , acquiertnnnouveau poids par l'idée des maux physiques, surtout de l'égarement de la raison, que peut entraîner son oubli, et ce n'est pas là le seul exemple de ra]>pui que la ^médecine prête à la morale.; Les mélancoliques sont surtout sujets à porter à l'excès le sentiment de leurs peines. Une dame de ce caractère , qui venoit de perdre son père , se rouloit par terre , s'arrachoit les cheveux, faisoit entendre des imprécations contre la nature entière, et auroit voulu dans son désespoir que la race humaine fut anéanlie. Ses vociférations et ses


DE l'aliénation mkntale. ûg

crYs n'annoDçoient-lls point le plus haut degré de délire?

36. La raison peut quelquefois lutter avec plus ou moins d'avantage contre le malheur, et ne céder qu'à des impressions profondes et répétées d'un chagrin amer. Une jeune personne d'un caractère foible, mais d'un esprit cultivé , est consternée par la perte subite et inattendue de la fortune de sa fa- mille et la mort de son père. Sa mère, livrée au dé- sespoir, perd l'appétit et le sommeil et devient alié- née. Pour subvenir aux frais d'une pension que cet événement nécessite , la jeune fille renonce à un capital de huit cents francs de rente , se trouve ré- duite à vivre du travail de ses mains, et voit s'éva- nouir l'espoir d'un prochain mariage. Ces désastres accumulés finissent par absorber toutes ses fonctions intellectuelles, et amènent une sorte de stupeur mé- lancolique dont elle n'a pu être guérie que par les soins les plus assidus et un traitement de huit mois dans l'hospice de la Salpêtrière.

Sj. C'est un contraste perpétuel de vices et de vertus qu'offre l'espèce humaine dans l'intérieur de la vie domestique , et si d'un côté on voit des iamilles prospérer une longue suite d'années, au sein de l'ordre et de la concorde , combien d'au- tres, surtout dans les classes inférieures de la so- ciété, affiigent les regards par le tableau repous- sant de la débauche, des dissentions et d'une détresse honteuse ! c'est lù , suivant mes notes de chaque jour ,


C A U s E s C O N N U E 9

îa source la plus féconae de l'aliénation qu'on a â traiter dans les hospices (i). Ici , c'est une femme ac- tive qui voit dissiper les fruits de son travail et de son, économie par un mari livré à toutes sortes d'excès j là, c'est une autre femme négligente ou avilie, qui entraîne la ruine d'un homme laborieux. ; ailleurs les deux époux également dignes de mépris, sont précipités dans une ruine commune, et l'alié- nation de l'un d'eux suit de près le dénuement de toute ressource. Je m'abstiens de reproduire au grand jour des exemples de celte sorte, dont quel- ques-uns honorent l'espèce humaine , mais dont un grand nombre d'autres forment le tableau le plus dégoûtant, et semblent être pour elle un opprobre.

38. Ce sont quelquefois les événemens les plus cruels qui mènent au désespoir et à raliénalion , et, parmi les exemples de cette sorte, on peut citer celui de la fille d'un cultivateur encore dans l'hos- pice, qui, pendant la guerre de la Vendée, a vu massacrer ses frères et ses parens , et qui , frappée de terreur et la tête égarée, parvint à échapper au carnage, et finit par se trouverabandonnée et dénuée de toute ressource.


(i) C'est sur "tout avant ou pendant l'écoulement pério- dique, ou bien à la suite des couches , que les émolions de toute espèce sont dangereuses , et c'est ce concours qui rend l'aliénation beaucoup plus fréquente parmi les femmes que parmi les hommes.


DE l'aliénation iStENrALÉ* 5*

3g. Certains principes qu'on s'est formés , ou des rdées en sens contraire qui s'emparent fortement de l'imagination , peuvent produire des combats mlérieurs et des émotions vives qui finissent pai* amener l'égarement de la raison. Une jeune per- sonne élevée dans les maximes d'une morale sévère, reconnut , à sa vingtième année , l'imprudence d'avoir fait un vœu de chasteté à l'âge de quatorze ans, et elle consentit au mariage après des forma- lités du culte les plus propres à rassurer sa con- science timorée ; mais des lectures pieuses et des méditations mélancoliques ramènent chaque jour des scrupules et des remords , et lui font rechercher la solitude; on la trouve quelquefois fondant en larmes, et répétant au milieu des soupirs et des sanglots , quelle est une malheureuse , et quelle ri aurait jamais dû se marier: elle n'en étoit pas moins une épouse tendre, et elle devint successive- ment mère de quatre enfans. Des contrariétés sur- venues durant l'allaitement du dernier aggravent son état ; ses scrupules et sa mélancolie semblent s'accroître chaque jour ; il survient souvent des pal- pitations et des syncopes : enfin un délire avec fu- reiu' se déclare.

40. Les fatigues de la guerre durant une ou plu- sieurs campagnes, la vie la plus dure et la plus pé- nible , le chaud , le froid, la faim , un sommeil pris à la hâte , et quelquefois suivi de plusieurs nuits de veille, sont Irèspropres à communiquer au corps


54 CAUSESCONNUTÎS

Une mâle vigueur, et César lui-même s'en étoit servi pour corriger ou fortifier une conslilulion foible et délériorée; mais leur inlerruptjon brus- que , et le passage à un repos apathique débilitent , également le moral et le pli^'sique, font languir h toutes les fondions de la vie, produisent une tris- tesse involontaire , une sorte de pusillanimité et des craintes renaissantes dont on ne peut se dé- fendre. Il en résuite , par degrés , une by pochondne qui peut élre portée jusqu'à une manie déclarée.

4i.Un militaire très-distingué , après cinquante: années d'uu service très-actif dans la cavalerie, étoit; passé, dans ses dernières années, à un état opposé et à toutes les jouissances d'une vie aisée et corn-- mode dans une campagne agréable. Les viscères de- là respiration et de la digestion se ressenlirentt bientôt de cette inactivité, étant d'ailleurs affoiblis» par le progrès de l'âge , et il eu résulta une sécrétioai périodique et très-abondante de mucosités j il de- vint sujet à diverses affections nerveuses, comme; des spasmes dans les membres, des sursauts durautl le sommeil , des songes effrayans, quelquefois unes chaleur erratique aux pieds et aux mains; le dé- sordre s'est étendu bientôt jusqu'à l'état moral ; il aa commencé par ressentir des émotions - vives pourr les causes les plus légères; s il entend parler, pair exemple, de quelque maladie, il croit aussitôt en être attaqué. Parle-t-ou dans la société intime de set «mis d'un égarement de la raison, il se croit aliéné,,


t)E l'aliénation mentale. ^S,

>l il se relire dans sa chambre , plein de sombres •éveries et d'inquiétudes : tout devient pour lui ua .iijet de crainte et d'alarme. Entre-t-il dans un* maison , il craint que le plancher ne s'écroule el ne l'entraîne dans sa ruine. 11 ne pourroit sans Fi ayeur passer sur un pont, à moins qu'il ne s'agît de combattre , et que la voix de l'honneur se fît entendre. N'est-ce point là un état d'hypochondrie prêt à devenir un état de manie?

42, Un passage rapide d'une vie très-actlve à un état habituel d'oisiveté peut amener des symptômes va- riés, physiques ou moraux, suivant une foule de cir- constances accessoires ; mais le résultat est analogue» Un Anglais, dit le D^, Perfect f Annals of Insa- iiily ) avoit acquis à cinquante-huit ans une fortune immense par le commerce ; il résolut alors de se retirer à la campagne €t de jouir dans toute soa étendue de ce qu'on appelle otium cum dlgnitate* Vers le quatrième mois de cet heureux change* ment, il commence à ressentir de l'accablement et une contraction spasmodique dans la région de

l'estomac j plus d'appétit; les idées confuses , et les

H battemens des carotides devenus irréguliers et tu- multueux ; l'abdomen paroît resserré et tendu ; la tête est douloureuse ainsi que l'hypochoudre gauche : dès lors, sentiment d'une chaleur fugace, soif fébrile, digestions imparfaites, conduite, pro- pos , actes bizarres et pleins d'extravagance , et vrai délire mélancolique.

3


54


CAUSES CONNUËS


V I.

Des Passions gaies ou eocpansives considérées comme propres à égarer la raison»

43. Les peintres et les sculpteurs ont rendu avec autant de vérité que d'énergie, les caractères dis- tinctifs de ces passions, marquées au dehors par une sorte d'épanouissement de la face et la contraction simultanée de certains muscles. Je ne dois parler ici que de celles qui , par leur extrême intensité , sont propres à bouleverser la raison , comme la joie , l'orgueil, l'amour, le ravissement extatique oui l'admiration appliquée aux objets du culte. Les. affections, analogues, et qui sont renfermées dans; certaines bornes, semblent communiquer uneactivité; nouvelle à l'entendement , et rendre ses fonctions; plus vives et plus animées ; mais , portées au plus; haut degré ou aigries par des obstacles , elles n'of- frent plus que des écarts violens, un délire passa- ger, un état de stupeur ou une aliénation déclarée.

44. Une joie très-vive et un état inattendu de pros- périté peuvent ébranler fortement des esprits foiblesî et amener l'égarement de la raison ; mais n'est-cei point par des secousses en sens contraire qui se suc- cèdent, et que produisent des contrariétés vives oui des chagrins profonds? J'ai été moi-même consultée depuis peu sur l'état d'un homme doué d'un ca- ractère vif , d'une grande sensibilité «t aftoibli par'


ÏDË l'aliénation ]>iENTALÈi 55

l'abus des plaisirs ; des excès d'études avoient suc- cédé, et c'est dans cette circonstance que , devenu très-riche par un héritage, il crut êtl^e appelé à jouer tin grand rôle dans le monde , et pouvoir parvenir à toute sorte d'honneurs et de dignités. Son étal dé dépense fut augmenté ; il se livra à des construc- tions rurales , et de là une source féconde de soucis et de contrariétésé Son irascibilité devient ex- trême; il ne pense qu'à ses domaines et à la surveil- lance qu'ils exigent j son sommeil en est troublé , et il va même jusqu'à se lever de nuit pour se prorne*" ner dans les champs , et jouir du spectacle enivrant de ses nourelles richeSseSi Ses symptômes s'aggra-^ Vent et son désordre au moral augmente. L'hiver dernier l'a ramené à la ville , la téte entièrement bouleversée et dans l'état du plus furieux délire.

L'espoM-, qui n'est qu'une joie anticipée pro- duite par l'idée d'un bien à venir , est propre à donner un grand essor k l'imagination et à pro- duire la séduction la plus puissante , surtout lorS" qu'elle se dirige sur des objets de vanité et d'or- gueil ; il en résulte luie haute estime de soi-même et une conviction profonde de mériter des places élevées, surtout dans la jeunesse ou la maturité dé l'âge. Ainsi des revers inattendus ou des événemens contraires font éprouver de vives secousses et peu- Vent amener une aliénation manifeste. Ces exemples sont loin d'être rares dans des établissemens parti- cnliers consacres :au traitement de cette maladie.


56 C A U' s K s C 0 N N U E S

46. Il est ordinaire de inniver ralléoation jointe avec un ton présomptueux el toute la bouffissure de l'orgueil , seulement dtirant l'accès, et comme un symptôme qui lui est propre. Ce même vice , porté dès la jeunesse à un très-haut degré et comme inhérent à la conslilution , peut aussi prendre peu à peu de l'accroissement , s'exalter et devenir la cause d'une manie réelle. Un homme d'un âge moyen et d'une haute stature se faisoit remarquer par la dureté de ses propos et de ses réponses , non moinsquepar sesemportemens violens etsesmoeurs austères. Sa contenance et les traits de son visage portoient l'empreinte de la hauteur et de l'esprit le plus ombrageux et le plus morose ; c'étoient des in- quiétudes côutiaucUes , des reproches amers faits à tous ceux qui l'envirounoient ou même des invec- tives. Sa sauvage misanthropie augmenta encore par des revers dans son commerce , et ce fut alors que la manie se déclara. Il tira des lettres-dc-?hange pour des sommes exorbitantes sur son banquier^, ainsi que sur d'autres maisons qui Vm étoient étran- gères , et bientôt après il fut renfermé pour cause-: de tblie. U conserva le même orgueil dans le liea. de sa détention , et il donnoit des ordres avec toute rërrogance d'un despote d'Asie : il finit par se- croire chancelier d'Angleterre , duc de Batavia et un puissant monarque. (D^. Perfect, Annals:

of Insanity» ) 47.0nadmetsouvenldausl'hospicedesiiliénées,de5


DE,l' ALIÉNATION MENTALE. 57

jeunes personnes de dix-huit à vingt-deux ans, tom- bées dans l'égarement de la raison par des obstacles survênus dans un mariage prêt à être conclu. C'est quelquefois un délire violent et phrénétique; d'au- tres fois c'est la plus sombre mélancolie. Il n'est pas rai e de voir se déclarer un élat de stupeur et une sorte d'idiotisme; certaines fois aussi les intervalles de manie sont périodiques et séparés par des inter- valleslucides: une extrême pureté de sentimens peut caractériser les premiers élans de l'amour et donner Heu à l'égarement de la raison. Une jeune ou- vrière étoil devenue éperduement amoureuse d'uu > homme qu'elle voyoit souvent passer devant sa fe- nêtre , et sans jamais lui avoir parlé ; l'image seule de l'objet aimé occupoit sa pensée durant son alié- nation , et elle marquoit une telle antlpalhie pour les autres hommes , qu'elle frappoit ses compa- gnes d'infortune lorsqu'elles étoient robustes et d'une apparence virile , les regardant comme des hommes déguisés. Une autre jeune personne dont le mariage étolt sur le point d'être conclu , se trouva très-offensée ou plutôt outragée par despropositions d'une faveur anticipée que lui fit son prétendu, et elle eu conçut un chagrin si profond, que sa raison en l'ut égarée (i).


(1) Je ne puis rappeler sans un sentiment très-pénible l'exemple d'une jeune personne très-belle , amenée à l'hospice dans l'état le plus violent de délire , api'ès avoir été séduits


38 CAUSES CONNUES

48. Un jeune homme ne peut ol>temrlaraain d'une personne dont il esl éperdumenl amoureux , et il voit SCS offres rejetées avec dédain parles parens ; il de- vient taciturne , insensible à tous Jes plaisirs , et ne se nourrit que de soupçons et de présages sinistres; il s'emporte pour les causes les plus légères , et re- tombe tour à tour dans le découragement et les dernières perplexités; la société de ses amis lui est de plus en plus à charge, et il finit par un vrai délire mélancolique.

4g. Ce sont quelquefois des agitations concen- trées sans cesse renouvelées, et une sorte de com- bat intérieur entre les penchans du cœur et des scrupules religieux qui peuvent amener uo délire mélancolique ou maniaque. Une jeune tille de seize ans, élevée dans dçs principes sévères, est placée chez un ouvrier pour y apprendre la broderie; elle y reçoit d'abord les prévenances d'un jeune homme

et lâchement abandonnée par son amant le neuvième mois de sa grossesse. Trois mois après sa fureur se calma et il succéda une morne stupeur et un penchant irrésistible au suicide. Un malin elle passa adroitement un lacet autour de son cou et s'enfonça dans son ht pour tromper la surveillance de 1^ garde. Elle étoit presque suffoquée , et ce ne fut que par des soins assidus et prolongés qu'on la rendit à la vie : à peine revenue à elle-même elle jeta un regard farouche sur ceux qui lui avoient donné des secours, et leur reprocha ave«  ■menace l'odieux service d'avoir prolongé sa déplorable existence.


DE l'aliénation mentale. 5^ du même âge , et se trouve exposée à toutes ses agaceries; des sentimens de piété qu'elle doit à sou éducation se réveillent encore avec force , et il s'établit une aorte de lutte intérieure avec les af- fections du cœur. La mélancolie succède avec toutes ses craintes et ses perplexités; plus d'appé- tit, plus de sommeil, et un délire furieux se ma- nifeste. Conduite à l'hospice, et livrée tour à tour à des mouvemens convulsifs et à tous les écarts de la raison , elle semble assaillie par les idées les plus incohérentes , fait entendre souvent des sons inar- ticulés ou des phrases entrecoupées , parle de Dieu ei de tentation ; on ne parvient , durant le premier mois, qu'avec une peine extrême à lui faire prendre quelque nourriture.

VII.

Une constitution mélancolique , cause fréquente des écarts les plus extrêmes et idées les plus exagérées*

5o. Le reproche fait aux Anglais d'être sotfibres et mélancoliques n'e?t - il pas un hommage rendu à l'énergie de leur caractère, puisque l'une de ces qualités semble être une dépendance de l'autre , et que les conjectures que fait naître la lecture de leurs romans sont changées en témoignages irré- fragal)les par leurs recueils d'observations en mé- decine , si féconds ea exemples de la plus sombre


4o O A U s E s C O N N U E s

et la pins profoude mélancolie (i). Le médecin anglais doDt j'ai déjà parlé ( Annals ofInsanUy ) , eu a publié plusieurs variétés très remarquables^ Une femme âgée de trente ans , dont parle cet auteur, fut plongée, par Ja mort d'une de se& amies, dans toutes les horreurs du désespoir ; elle passoit souvent les nuits et les jours sans pronon- cer un seul mot , répandoit alternativement un torrent de larmes ou poussoit les cris les plus aigus i son visage étoit pâle et gonllé , son air abattu , et elle faisoit à peine entendre quelques sons inar^ ticulés. Une autre Anglaise , égarée par le fana- tisme ^ étoit tombée dans l'indifférence la plus apathique \ les présages les plus sinistres et de& frayeurs sans cesse renaissantes , av oient amené la plus grande confusion dans les idées, et l'existence étoit devenue un poids insupportable. Quel lugubre tableau, que celui que rappelle le même auteur , d'un malheureux atrabilaire qu'on trouva dans un


(i) Une correspondance très-étendue et des communîca^. tions fréquentes de mémoires à consulter, m'ont rendu dé- positaire de plusieurs faits analogues qu'il seroit également superflu et indiscret de rendre publics. Des exemples fré-. quens de mélancolie s'offrent aussi dans l'hospice , et je ne dois les rappeler qu'en mettant dans la suite en opposition avec ces tristes souvenirs , le récit des moyens employés aveo plus ou moins d'avantage pour faire cesser ces affections mo- rales , qui deviennent d'autant plus rebelles qu'on cherche 4 Içs appuyer par des motifs surnaturels.


BE l'aliénation MENTALE. 4f

lîeu solitaire baigné dans son sang, avec une énorme blessure qu'il s'étoit faite lui-même au cou , la vue égarée et prête à s'éteindre!

51. Une piété trop exaltée , considérée sous un rapport purement médical , peut agir avec tant d'énergie sur des esprits foibles , que les fonctions intellectuelles et les autres phénomènes de la vie en soient troublés , et qu'il soit nécessaire de re- courir à des moyens physiques et moraux pour les rétablir dans un état sain j c'est là un résultat im- médiat des faits qu'on observe dans les hospices ou les autres asiles consacrés au traitement de la manie. C'est une source de maux de tout genre » d'autant plus féconde que , suivant les variétés du caj actère , les idées accessoires dont ils sont sus- ceptibles , la complication ou le choc des autres^ passions , il peut en naître les commotions les plus vives et un égarement plus ou moins complet de la raison. Les cultes des divers peuples de la terre peuvent également en fournir des exem- ples.

52. Il est peut-être prudent de prendre ailleurs que parmi nous, des exemples de certains abus qu'où doit condamner, et je me borne à remarquer l'in- fluence qu'exerce en Angleterre , sur des esprits foi- bles, la secte fanatique des Méthodistes ou Puritains. Rien n'égale le zèle de ces sectaires pour faire des prosëlites et pour propager dans l'ombre leur doc- tdue désolante et exclusive ; ils ne parient que d'un


^3 C A U 8 E S C O N N U F, S

dieu veogeiir et terrible, toujours prêt à punir, par des lourmcns éternels , les foiblesses humaines. Un auteur déjà cité rapporte entre autres exemples, celui d'un homme jadis très-gai et livré aux plaisirs de la table , qui fut jeté dans raccablement et la mélancolie la plus profonde par les entretiens frécjuens qu'il eut avec un Méthodiste sombre et fa- natique. Des angoisses extrêmes etun dépérissement progressif suivirent dp près; il devint ombrageuxet pusillanime , perdit l'usage du sommeil , et poussant sans cesse des soupirs , il tomba dans une aliénation déclarée avec un penchant violent au suicide.

53. Le même auteur anglais rapporte, parmi d'au- tres exemples analogues, celui d'un homme doué d'un naturel gai , d'une imagination vive et livré toujours avec modération au plaisir. Quelques liai- sons qu'il eut avec un Méthodiste sombre et mé- lancolique changèrent entièrement ses idées ; il renonça à tous les plaisirs les plus permis, se plongea dans la solitude , et regarda désormais une éternité de peines comme une destinée inévitable. On lui représentoit sans cesse le souverain des êtres comme haineux , vindicatif et faisant ses délices de tourmenter et de punir ses foibles créatures. Ces idées sombres produisirent une sorte de désespoir et un penchant marqué pour le suicide : il avoit alors une couleur pâle et livide , dormoit très-peu la nuit et ne cessoit de pousser de profonds sou- pirs. Quelques remèdes énergiques mis eu usa^e


DE l'aliénation MENTALE. 4^

par le D^^. Perfect, furent heureusement secon- dés par des avis plus sages d'un directeur doué d'une pieté plus éclairée , et d'une doctrine plus consolante j et un régime moi^l et physique ra- 'mena, après deux mois de traitement, une entière convalescence.

54. Rien n'est plus ordinaire dans les hospices cjue des cas d'une aliénation produite par une dévotion trop exaltée , des scrupules portés à un excès destructeur ou des terreurs religieuses. Mes notes journalières contiennent une foule de détails de ce genre que je supprime. C'est quelquefois le souvenir d'une ou de plusieurs confessions faites jadis à un prêtre assermenté , qui cause des remords ou des perplexités extrêmes , d'autres fois un mariage contracté suivant les formes républi- caines et dont on fait craindre les suites après plu- sieurs années. Des ames très-timorées vont jusqu'à se reprocher amèrement la lecture des romans , dont elles ont fait autrefois leurs délices. Ailleurs c'est un penchant invincible à la paresse , avec l'amour de la dépense qui jette dans la détresse , et fait chercher dans une dévotion exaltée un heureux supplément aux biens de la fortune, tin orgueil extrême vient se combiner quelque- fois avec un grand zèle pour les pratiques du culte : telle étoit la femme d'un tailleur, qui passoit une partie de la journée dans les égHses avec des enfans bien parés, qui traitoil un mari très-comr


44 CAUSES CONNUES

plaif>ant avec le plus grand dédain, et qui finit par exiger de sa part de la servir à genoux et de voir en elle une ame privilégiée et comblée de grâces surnaturelles. Une autre femme bien née, et dont le mari étolt tombé dans l'infortune , crut trouver des consolations assurées , d'abord dans de longues méditations et des prières très-fervenles, puis dans des ravîssemens extatiques où elle crojoit s'élever jusqu'au sein de la divinité , et qui ne fu- rent que le prélude d'une aliénation décidée.

55. Une piété douce et affectueuse et une ima- gination vive avoient caractérisé la jeunesse de

Mademoiselle et ce fut encore par des sen-

timens religieux très-profonds et la recberche de la solitude qu'elle cherclia à se consoler des malbeurs et de la mort tragique de ses parens , arrivée dans les troubles de la révolution. Nou- velles perplexités vers l'âge devingt-deuxans,pardes soins domestiques multipliés et des détails sans nom- bre qu'exigeoit une grande fortune. Aulres inquié- tudes sans cesse renaissantes: des procès à poursuivre; la perspective affligeante d'une vie vouée au céli- bat , que des infirmités semblent rendre inévitable; des idées analogues adroitement suggérées par ses héritiers présomptifs; une sorte d'isolement dans le monde <;ù elle ne trouve que mobilité et la plus froide iniUlïérence. Un homme artificieux feint de partager son goût pour le recueillement et la retraite , et semble fixer ses incertitudes ; et , pour


DE l'aliénation MENTALE. 45

exercer un asceudaut plus puissant sur cet esprit foible , il l'associe mystérieusement à la secte desil- lumine's,et, à l'aide de certaines cérémonies occultes, il linit par lui persuader qu'ils sont désormais unis par les liens indissolubles du mariage , et qu'elle peut jonir de tous les droits que ce titre donne. Rumeurs soudaines , réclamations vives de la part de ses proches, qui se croient frustrés dans leur at- tente. On imagine sans peine dans quelles per- plexités se trouve plongée cette, victime d'une grande fortune , qui reçoit ainsi les impulsions les plus fortes en sens' contrairé. Elle cherclie de nou- velles consolations dans une piété affectueuse; pra- tiiques de dévotion, jeûnes, macérations , rétrai- tes , prières ferventes : son imagination s'exalte de plus en plus, et la manie se manifeste.

VIII.

Sur certaines causes physiques de raUériàétôrz

mentale»

56. 11 seroit facile , mais superflu , de rapporter des exemples particuliers de chacune des causes physiques propres à produire l'aliénation mentale , puisqu'on en trouve dans divers recueils d'obser- vations, et que les établissemens publics ou part'- culiers en fournissent de semblables. On doit mettre au nombre de ces causes accidentelles l'hypochon-


40 CAUSES CONNUfeS

clrie produite par des excès de divers genres , l'ha- bitude de l'ivresse, la suppression brusque d'un exvitoire ou d'une hémorrhagie interne , les cou- ches, l'âge critique des femmes, les suites de di- verses fièvres , Ja goutte , la suppression impru- dente des (lartres ou de quelque autre affecliou cutanée , un coup violent porté sur la téte , peut- être quelque conformation vicieuse du crâne.

67. 11 importe cependant de rappeler quelque exemple de l'extrême abus des plaisirs vénériens ^ dégénéré en habitude , puisqu'il peut en résulter des leçons utiles dans la fougue de l'âge. Un jeune homme d'une forte constitution , et né d'un père très-riche , a voit atteint son accroissement complet vers la dix-huitième année de Tâge, et ce fut à. cette époque de l'extrême effervescence de ses sens, qu'il commença à se livrer à ses penchant avec toute l'impétuosité d'un caractère ardent , et les facilités que lui donnoit un rassemblement journalier de jeunes ouvrières dans une grande ma- nufacture. Il prmd alors l'habitude de s'abandonner au plaisir sans frein et sans mesure , le plus sou- vent à diverses heures du jour et de la nuit ; il fait succéder , à l'âge de vingt ans , d'autres excès non moins destructeurs , ceux de l'intempérauce et de la fréquentation répétée des lieux de dé- bauche. Des maux vénériens , tour à tour guéris et de nouveau contractés , viennent se joindre à l'épuisement et; se compliquer avec d'autres affec-


DE l'aliénation MENTALE. 4^

tîons cutanées. Des objets de commerce rendent alors nécessaires des voyages fréqiiens en chaise de poste , le jour , la nuit , et dans toutes les saisons de l'année. Les traitemeus au mercure sont tour à tour commencés , suspendus , renouvelés sans ordre et sans règle. Dès lors les symptômes les plus marqués d'une hypoçhondvie profonde : digestions laborieuses et très-imparfaites , llatuo- sités très-incommodes, rapports acides, alterna- tives de resserrement ou de relâchement des, in- testins , douleurs vives de colique devenues pério- diques, frayeurs sans cause , pusillanimité extrême, dégoût de la vie et plusieurs tentatives de commettre un suicide. Une crédulité aveugle et puérile dans la vertu des médicamens, et une confiance en- tière accordée à toute espèce d'empyriques , se joignent déjà, à vingt-cinq ans, à sa nuUité entière pour un plaisir dont il a abusé à l'excès, et à une décadence de la raison qui ne fait que s'ac- croître.

58. C'est quelquefois un excès opposé , c'est-à-dire des penchans vivement irrités et non satisfaits , qui peuvent aussi jeter dans un égarement complet de la raison. Une mélancolie tendre et des inquié- tudes vagues , dont l'objet n'étoit ni méconnu ni dissimulé, distinguèrent à vingt ans une personne douée d'une constitution forte et d'une vive sensi- bilité ; tout concouroit à enflammer son imagina- tion : lecture assidue des romans les plus galans ,


48 C A U s E s C O N N U E s

sorte (le passion pour routes les productions des arts dans le genre erotique , fréquentation habituelle des jeunes gens des deux sexes , dont les uns la charment par des agrémens personnels et toute la séduction de la galanterie , les autres par des exem- ples dangereux et des confidences indiscrètes. La coquetterie la plus raffinée est érigée alors en prin- cipes, et devient une occupation sérieuse j son or- gueil flatté des moindres prévenances, les lui faîtt regarder comme un triomphe assuré dont elle ne. cessoit de s'entretenir ou (le faire l'objet de ses^ rêveries, jusqu'à ce qu'une nouvelle aventure fitl oublier la première. Une faute paroissoit inévitable,, ou du moins très à craindre , et les parens se hâtentt de conclure un mariage fondé sur certaines con- venances. L'époux choisi étoit d'un âge mûr et,, malgré les avantages de sa statui-e et d'uue com- plexion forte, peut-être moins propre à satis- faire qu'à irriter ses désirs. La mélancoHe de lai jeune dame dégénère en une sombre jalousie , ett elle attribue à des infidélités ce qui u'étoit que: l'effet de la débilité des organes. Une sorte de dé- périssement succède , les traits s'altèrent , et il sa* déclare un babil intarissable avec le plus grand dé- sordre dans les idées, prélude ou plutôt signe? manifeste d'une manie déclarée.

69. Mes notes journalières , ainsi que les Re- cueils authentiques d'observations , et des faits con- signés dans les mémoires des corps savans les pluss


Ï)E l'aliénation mentale. ^cj

célèbres , attestent également la vai iëtë et 1^ multiplicité des causes physiques, également pro- pres à produire l'aliénalion mentale. Une des plus fréquentes, dans les hospices d'aliénées, tient à la suppression ou au dérangement de l'écoule- gment périodique , avec lè concours d'une autre affection morale très- vive. J'aurai souvent occa- sion, dans la suite de cet ouvrage, d'en rapporter des exemples particuliers, et je me borne ici au sui^ vaut. Une personne âgée de trente ans , et d'une constitution foible et délicate, ëtoit depuis loug^ lemps sujette à des attaques d'hystérie ; elle céda aux poursuites de son amant, devint enceinte, et éleva son enfant avec la plus grande tendresse. Des événemens malheureux se succèdent; son amant l'abandonne, son enfant meurt, et quelque temps après on lui vole une somme d'argent qu'elle avoit eu réserve et qui étoit sa seule ressource. Elle tombe dans le chagrin le plus profond, et son ccoulement menstruel , jusqu'alors régulier , se supprime; son sommeil devient fugace et troublé par des rêves, son appétit nul, et bientôt après un accès de fureur se déclare avec l'égarement entier de la raison : c'est dans cet état qu'elle fut conduite à l'hospice. (J'indiquerai dans un autre article de cet ouvrage le traitement qui fut suivi et le succès qui en fut obtenu.)

6o.Une autre cause encore plusfréquente de l'alié- nation , etdont on a sans cesse des exemples dans l'hos-

4


5o CAU5ESC0NNUES

pice de la Salpétrlère , lient à des suites de couches qui peuvent donner lieu à la manie sous les formes les plus variées. Il seroit superflu de multiplier les exemples particuliers de cette sorte, et je me bornerai à remarquer en général que dans presque toutes les époques de la vie les femmes, par leur extrême sensibilité et leur disposition physique et morale, sont les plus exposées à des commotions nerveuses et à un égarement plus ou moins complet de la raison : c'est du moins le résultat constant des ob- servations que j'ai faites dans l'hospice des aliénées. Que d'exemples j'ai notés d'idiotisme ou de dé- mence produite durant l'âge tendre, soit lors de rallaitement , soit aux époques de la première ou de la seconde dentition , à la suite de convulsions souvent pour des causes les plus légères ! L'époque effervescente de la puberté , c'est-à-dire depuis la quatorzième jusqu'à la vingt - deuxième année, semble amener d'autres dangers et de nouvelles causes d'une atteinte profonde portée aux fonc- tions de l'entendement : explosion vive d'un tem- pérament ardent , lecture des romans, contra- riétés ou zèle indiscret de la part des parens, amoui* malheureux. Le mariage, qui paroît un port assuré contre ces peines d'esprit sans cesse renaissantes, en substitue d'autres d'un autre genre : accident durant la grossesse ou les couches, chagrins do- mestiques , revers inattendus , dissentions inté- rieures, jalousie fondée sur des objets réels ou


DE l'aliénation MENTALE. 5r

imaginaires (i). Je jette un voile sur l'âge du re- tour , qu'on ne peut peinclré qite sons les traits les plus tristes et les plus inélàncoliques , si un ca- ractère élevé ne remplace, par des jouissances pures, le règne des plaisirs frivôlés et les attraits d'une vie dissipée. Une femme naturellement dis- posée à la tristesse , ne voyoit approcher qu'avec les plus vives alarmes ce qu'on appellô époque cri- tique. Des propos peu consolans de la part de son mé- decin ordinaire doué d'un caractère mélancoflquë^ et un appareil frivole de raédicamens , avoieùt pointé ie découragement jusqu'au désespoir : de là deà


(i) Un auteur anglais rapporte un sîngulièr exemple Je l'influence physique de l'élat de la Ttiatrice sûr la production de la manie. Une jeune dame , après s'être échauffée par uné longue promenade , fît l'imprudence de boire une grande quantité d'eau froide et de rester assise en plein air sur un terrein humide. Le lendemain, douleurs de la tête et du dos, ce qui fut accompagné de frissons, d'anxiétés, et enfin d'une chaleur intense. Biénlôt après elle se plaignit d'une perte de mémoire , de foiblesse et de lassitudes , et il succéda un état de délire. La maladie ne parut pas céder aux remèdes qui fu- rent mis' en usage; car à l'époque ordinaire de îam'énstru^cition lés symptômes fébriles se renouvelèrent et furènt' suivis d\m babil intarissable , de gestes insolites, et d^un ti'ouble' dans l'imagination qui ne laissoit pins de dôiVte siir un état déclaré d'aliénation. Cê ne fut qu'avec une grande difficulté qu ou parvint à relâcher les vaisseaux utérihs' qlii avoiént e'ié bon- tractés par l'action du froid. Le rélablbsenieht dé la mens- truation fut biénlôt suivi de la guérison de la manié.


CAUSESCONNUËS

auxiétés sans cesse renaissantes , des insomnies et ûes alternatives d'un délire fugace; une toux sè- che , la maigreur et des contractions spasmodiques des muscles lui font craindre aussi que sa poi- trine ne soit attaquée j il survient des songes ef- frayans, un état de stupeur et un abattement ex- trême. Elle suit les avis d'un médecin habile, qui prend avec elle un ton rassurant , cherche à rele- Ter son courage, lui prescrit un régime simple, un exercice de corps varié , et lui recommande divers objets de ditraction. Le calme renaît , les forces se relèvent sans aucun retour de délire; mais les hémorrhagies utérines qui se renouvellent à diverses époques , fout aussi naître de nouvelles craintes et des alternatives d'une raison égarée. On n'observe plus ni règles ni plan de conduite ; divers médecins, et même des empyriques, sont tour à tour consultés , et plusieurs médicameus , pris avec profusion, donnent lieu à de nouveaux symptômes et augmentent les perplexités (i). Une


(i) L'ouvrage anglais déjà cité {^Annals of Insanùy) renferme des exemples analogues. L'observation XXXV que l'auteur rapporte , a de grands traits de ressemblance avec celle que je viens d'exposer ; mais elle offre aussi des différences marquées par les symptômes de pléthore qui eurent lieu: une toux sèche, un sommeil très-agité; il survint aussi dans ce dernier cas une ophthalmie , des maux de têle , un grand abattement, et même un état de stupeur.


V


DE l'aliénation mentale. 53

sseule'idée sembloît absorber toutes les facultés de renlendement , celle d'une fia prochaine , et c'est à celte époque que l'aliénation s'est déclarée.

6i. Les considérations relatives aux lésions phy- siques qui peuvent produire l'aliénation , trouveront ailleurs leur place , surtout pour déterminer les principes d'un traitement varié ; et il est d'autant moins important d'insister sur des exemples parti- culiers de cette sorte , qu'il n'en peut résulter que les mêmes espèces d'aliénation , et des variétés analogues à celles qu'on observe dans celle qui est produite par des affections morales plus ou moins vives. L'observation la plus constante apprend en effet que la manie , l'idiotisme , la mélancolie , la démence , peuvent également résulter d'uu coup sur la téte , de la suppression d'une hémor- rbagie, de la rétrocession de la goutte à l'inté- rieur , etc. , comme d'un chagrin profond et d'une passion forte et vivement contrariée. Les varié- tés de la manie relatives aux diverses lésions de l'entendement , aux degrés d'agitation ou de fu* reur ou à l'objet du délire, paroissent tenir à l'intensité de la cause déterminante, ou à une disposition individuelle. Les accès maniaques des femmes consistent , en général , en alternatives de tacituruité et d'un babil intarissable , en em- porleraens fugaces , en cris , en vociférations , en mouvemens variés ; souvent même un ton de voix ferme de la part du surveillant , un coup d'œil


54 C A U s E s C O N N U E s

menaçaut ou l'applicalion simple du gilet de force, fSufHseDt pour leti faire rentrer dans l'ordre. Quelle différence avec la fureur wapi.icjue de l'homme, qui s'emporte avec le senlimeut profond de la su- périorilé dp ses forces, qni attaque ou résiste avec ^udace , et qui , sans des moyens de répression bien concertés, poufroit quelquefois donner les scènes les plus tragiques !


DE l'aliénation mentale.


SECONDE SECTION.

Caractères physiques et moraux de V alié- nation mentale. .

62. L'idéologie n a pu sans doute que perdre de sa faveur dansl'opinion publique , par sa comparaisou avec la marche ferme et rigoureuse que suivent les sciences physiques et mathématiques; mais si elle estlolu de s'éleveraupremler rang pour rexaclitude et la stabilité de ses principes , doit-on la mettre en oubli , négliger de la rendre plus expérimen- tale, et méconnoître combien l'étude des fonctions de l'entendement humain est étroitement liée avec un autre objet qu'il importe tant d'approfondir, je veux dire l'histoire et les diverses terminaisons de l'aliénation mentale ?

63. Je puis mesurer, par la pensée , l'Intervalle immense qui sépare l'analyse prise dans le sens des géomètres et l'application, qu'on fait du même terme à la médecine. Mais quel nom donner à. l'art de diviser un objet très-composé, et de cou- sidérer attentivement chacune de ses parties d'une manière isolée? Les mots entendement humain et 'volonté ne sont -ils pas des termes génériques et abstraits qui comprennent sous eux différentes opé- rations intellectuelles ou affectives , dont les aber- rations isolées ou réunies forment les divei^ses es-


5G CARACTÈRES PHYSIQUES ET MORAUX

pècesd'aliënalion, et dont il importe de déterminer soigneusement les vrais caractères ?

64. Peut-être que les résultats de mes observa- lions sur les aliénés exerceront u.ie heureuse in- iluence sur les principes de l'idéologie , et lui fe- ront prendre une autre direction. Toute discus- sion métaphysique sur la nature de la manie a été écartée, et je n'ai insisté que sur l'exposition his- torique des diverses lésions de l'entendement et de la volonté , sur les changemens physiques qui leur correspondent et qui se marquent au dehors par des signes sensibles, des mouvemens du corps dé- sordonnés , des incohérences ou absurdités dans les propos , des gestes bizarres et insolites. L'histoire de l'aliénation mentale rentre alors dans l'ordre des sciences physiques, et elle mérite d'autant plus de faire l'objet d'une étude sérieuse , que le trai- tement dépourvu de cette base se réduit à des tà- tonnemens dangereux ou à un aveugle empyrisme.

65. Que de témoignages nombreux je puis citer du trouble et de la désolation que l'aliénation men- tale d'un des proches répand dans les familles ! quel heureux concours de circonstances est né- cessaire pour l'amener à une terminaison favorable lors même qu'elle est susceptible d'être guérie! car le pouvoir de la médecine, dans plusieurs cas, a des bornes Irès-circonscrites qu'il n'importe pas moins de connoître que ses ressources, et qui peu- vent également donner des leçons utiles.


OE l'aliénation mentale. 57

66. Un grand rassemblement d'aliénés j^eut seul les offrir sous tous les rapports de leurs égaremens divers et sous toutes les formes que peut prendre la maladie, pour Tetat antérieur à ses périodes, pour la succession des saisons, et le sexe; mais un vode plus ou moins difficile à pénétrer couvre ces laits; et comment pouvoir bien les saisir vdistmguer leur vrai caraclère et les coordonner entre eux , si les divers objets de ces recberclies ne sont point dé- terminés, et si l'art de les observer est méconnu? Pourra-t-on en faire des recensemens annuels et en tirer des inductions générales, si on ne suit une méthode régulière ? C'est pour assurer cette mar- che et y répandre quelque lumière , que je joins ici le résultat de mes observations sur les lésions diverses des fonctions intellectuelles ou affectives propres à caractériser les diverses espèces et les variétés de l'aliénation mentale. J'ai considéré ces lésions d'une manière isolée pour apprendre à les mieux apprécier , et à les distinguer par leurs ca- ractères propres, lors même que plusieurs d'entre elles sont réunies et comme confondues.

67. Le ministère d'un magistrat éclairé et doué de mœurs austères, est au-dessus des éloges qu'on peut lui donner , et méi ite encore plus les ménage- mens de la censure. Ou ne peut, en général, que rendre hommage aux précautions prises pour éviter l'erreur dans les examens juridiques des aliénés ; mais que do difiicul tés à surmonter pour constater


S& CARACTÈRES PHYSIQUES ET MORAUX

le vrai caractère et les degrés divers de leurs éga- lemensî Jai vu des personnes, parvenues depuis quelques mois à un état entier de convalescence, s'irriter des formalités d'un pareil examen , affecter tin ton et des propos qui leur étoient étrangers , mettre même à dessein de l'incohérence dans les propos, soit par dépit , soit par une ruse mal en- tendue, et être déclarées , sans balancer, incurables. Veut-on interroger les aliénés sur leurélat, en gé- néral ils éludent les questions qu'on leur fait, se bornent souvent à des réticences concertées , ou ih font des réponses en sens contraire : ce n'est qu'en les étudiant pendant plusieurs mois dans leurs propos et leur conduite, en gagnant leur confiance et en les invitant ainsi à des épanchemens du coeur, qu'on peut parvenir , au déclin de leur maladie , à dévoiler leurs pensées les plus profondes. Veut-on ensuite en tracer l'histoire exacte comme médecin, il faut se rendre familiers les différens objets qui sont la matière de la section présente.

I.

' l^ésions de la sensibilité physique dans V aliénation mentale,

68. C'est aller trop loin sans doute que de donner, à l'exemple du D^. Chriglou, le nom d'axiomes à. certains résultats d'observations sur l'irrltabililé


DE l'aliénation MENTALE.

KlasenslbUilephysique, puisque ce terme ne paroît conveuir qu'à des sciences (l'une exactilude rigou- reuse comme la géométrie. Mais les remarques de cet auteur sur les impr^sions diverses que peu- vent recevoir les nerfs des parties internes , comme du cœur, des poumons , des intestins , des rems , de h matrice, etc., u'eu sont pas moins susceptibles d'une application heureuse à l'état de santé comme à celui de maladie ; c'est ce sentiment qui nou» transmet l'idée d'une digestion facile , de la respi- ration d'un air salubre, du bien-être, de la vigueur; comme celle d'un état opposé , du malaise, de la débilité , de la douleur modifiée d'une manière in- définie dans les diverses maladies. Je me borne ici il des considérations relatives à la manie.

69. L'invasion delà manie peut offrir quelquefois certaines variétés remarquables ; elle peut entraîner des mouvemens convulsifs ou des secousses violen- tes du corps et des membres , une sorte de décom- position des traits de la face , avec une privation to- tale de la parole ou bien une loquacité extrême, des cris aigus, des emportemens et l'écume à la bouche. L'extrême intensité des symptômes peut aussi quelquefois induire en erreur, et on peut compren- dre sous le nom de manie une fièvre maligne ou ataxique; car, outre que les mêmes causes peu- vent également produire l'une ou l'autre de ces maladies , celles-ci peuvent avoir des carac- tères communs : de violentes agitations, un dé-


10))

ue .


60 CARACTÈRES PHYSIQUES ET MORAUX

lire furieux, des alterDatives de stupeur et d'ex cilalion nerveuse; quelquefois une accélérai marquée du pouls , la sécheresse de la laugu. «n visage pâle et défait , un sommeil léger e^'t iu terrompu, et un refus absolu de toute nourriture. La distinction est alors dilfîcUe à faire dès le début, et ce n'est qu'en observant la maladie plusieurs, jours qu'on parvient à fixer ses incertitudes.

70. On conçoit à peine le degré de chaleur in- terne qui a coutume de se développer dans uni grand nombre d'accès de manie , quelquefois dans, l'intérieur de l'abdomen , d'autres fois dans la léle,, plus souvent dans toute l'habitude du corps : aussi f doit-on regarder comme un supplice pour ces alié-- ués, de rester couchés sur un lit de plume ou même sur de simples matelats, et on doit peu s'étonner s'ils préfèrent de passer la nuit étendus sur le parquet ou même sur la pierre comme pour se rafraîchir , et s'ils montrent la plus grande ré- pugnance à faire le contraire. Dans un cas sem-. blable , on s'étoit aveuglément obstiné à faire tenir un maniaque violent dans sou lit le jour et la nuit , au moyen d'un gilet de force et de sangle , et je le voyois , l'œil en feu et le visage très-enllammé , se débattre contre ses liens. Je fis craiudre une at- taque prochaine d'apoplexie si on ne le faisoit lever, toute la journée', et si on n'avoit soin de le faire jii'omener au grand air. Je me rappelle toujours, tavcç UD sentiment pénible l'état : à& souffrance


DE l'^ALIÉNATION MENTALE. Gl

i 'itrême d'unmallieureux aliéné confié à mes soins, ikirant les orages de la révolution , dans l'hospice de Bicétre ; il m'exprimoit avec Tâccent d'une douleur profonde le feu dévorant qu'il éprouvoit dans ses entrailles malgré les boissons rafraîchis- santes que je lui faisois prodiguer. J'élois alors dépourvu des moyens propres au traitement des aliénés, et je ne pouvois pas même lui faire pren- dre des bains tièdes réitérés que j'emploie mainte- nant à l'hospice des aliénées avec tant d'avantage* 71. Une autre preuve non équivoque de cette chaleur interne se prend e icore de la constance et de la facilitéavec laquelle certains aHénéà de l'un ec de l'autre sexe supportent le froid le plus rigou- reux et le plus prolongé. Au mois de nivôse de l'an 5, et durant certains jours où le thermomètre iudiquoit 10, 11 et jusqu'à 16 degrés au - dessous de la glace, un aliéné de l'hospice de Bicêtre ne pouvoit garder sa couverture de laine , et il restoit àssis sur le parquet glacé de sa loge. Le matin on Otivroit à peine sa porte, qu'on le voyoit courir en chemise dans l'intérieur dès cours , prendrai la glaee ou la neige à poignées, l'appliquer sur s^ poitrine et la laisser fondre avec une sorte de dé^ leclalion et comme on chercheroit à respirer l'air frais durant la canicule. Mais il faut se garder d'établir une proposition trop générale ; car beaucoup d'alié- pés moins agités et moins violens, ou bien parvenus déclin de leurs accès , montrent la plus grande


63 CA^RACTÈRES PHYSIQUES ET MORAUX

sensibilité û\i froid , et se précipitent en hiver au- tour des poêles, ou même sont exposés à la congéla- tion des pieds et des mains lorsque la saison est trop rigoureuse.

72. Un autre caractère remarquable de l'excitation nerveuse propre à plusieurs maniaques, est le dé^ faut de sommeil et un accroissement extrême de lai force musculaire, vérité anciennement connue,, mais trop généralement appliquée à toules les es-- pèces d'aliénation et à toutes leurs périodes. J'aii vu des exemples d'un développement de ces forces; qui tenoit du prodige, puisque les liens les plus; puissans cédoient aux efforts du maniaque avec une facilité encore plus propre à étonner que le degré de résistance vaincue. Combien ne devient- il pas alors plus redoutable par son audace et lai: haute idée qu'il a de la supériorité de ses forces ! que de dangers courent tous ceux qui l'approchent; s'il vient à saisir quelque corps facile à manier , ou quelque arme meurtrière dont il puisse faire usage! De là viennent des expédiens variés et une sorte de^ tactique dont je parlerai dans la suite , qui est; propre à rendre ses efforts impuissans et à éviter des scènes tragiques. Mais cette énergie de la con- traction musculaire ne peut avoir lieu ni au déclin des symptômes de la manie , ni dans certains accè^ ■ périodiques, où il règne plutôt un état de stupeui* et une complication avecdespreludesde lapoplexie.

75. Les maniaques peuvent -ils supporter à un


i)E l'aliénation mentale. 63

legré extrême la faim et la soif comme aussi uq froid rigoureux ? Cette question doit être encore décidée par les faits ; et ne sait-on pas que la plu- part des accès de manie sont marqués par une con- tinuité des retours irréguliers d'une voracité sin- gulière, et qu'une sorte de défaillance suit de près le défaut de nourriture? On a cité l'exemple d'ua hôpital étranger où une diète sévère et propre à exténuer l'aliéné étoit un des fondemens du trai- tement. L'influence d'un climat chaud et la ma- nière de vivre des naturels du pays , peuvent avoir donné lieu à ce précepte, si toutefois ses avantages sont constatés par des observations exactes j mais certainement rien ne seroit plus nuisible ni plus destructeur dans nos contrées boréales. Une expé- rience comparative, suite des événemens de 1^ révolution , n'a-t-elle pas constaté , dans l'hospice des aliénés de Bicètre , que le défaut de nourriture û'est propre qu'à exaspérer et à prolonger la manie lorsqu'il n'est pas funeste (i) ?


(i) Avant la révolution, la ration ordinaire du pain pour chaque aliéné dans l'iiospice de Bicètre, étoit seulement d'uns livre et demie ; la distribution en étoit faite le matin , on plutôt elle étoit dévorée à l'instant , et une partie du jour sfe passoit dans une sorte de délire famélique. En 1792, cette ration fut portée à deux libres , et la distribution en étoit faite le matm, à midi , et le soir avec un potage préparé avec soin. C'est sans doute la cause de la différence de mortalité qu'on-


f4 CARACTÈRES PHYSIQUES ET MOIULX

74. Kappéiit vorace des aliénés a aussi ses al ternalives d'une sorte de satiété ou de dégoût poui les alirnens qu'ils refusent alors avec obstination , . jusqu'au réveil prochain de lappétit. Cette répu- gnance peut être aussi fondée sur des soupçons d'un poison imaginaire, sur une exaltation extrénae des principes religieux ou quelqu'une de ces an- tipathies familières aux maniaques. Une observation, réitérée n'apprend pas moins que lors de l'invasion primitive ou du retour de certains accès de manie,, lorsque l'aliéné est dans un égarement complet, et qu'il n'a ni le sentiment de sa propre existence , ni. de ses besoins , ni du lieu qu'il habite , il ferme au- tomathiquemeot la boiiche , serre fortement lesi dents et rend quelquefois vains les efforts les mieux concertés qu'on fait pour introduire quel- que substance alimentaire, même sous forme li- quide. Le mélancolique oppose aussi dans certains; cas une résistance extrême de la même nature elle est d'autant plus difficile à vaincre, qu'elle est fondée sur une idée exclusive qui semble: absorber toutes les fonctions de l'enteademeut et être érigée eu uu principe invariable. Aussi ces


remai-que en' faisant un relevé exact des registres. Sur cent-dix aliénés reçus dans l'iiospice en 1 784 , il en mourut cinquante- sept , c'est-à-dire plus de la moitié. Le rapport fut de gS à i5i ^ t-jSS. Au contraire , durant l'an 2 et l'an 5 de l'ère ré- publicaîiae , il n'est mort que le huitième du nombre total.


I)Ë L*ALlÉNAtlON MENTALE*

uliënës linissent-ils quelquefois par tomber dans le marasme et la consomption qui leur deviennent bientôt funestes.

75. Une femme active , industrieuse et d'un ca- ractère très-doux , cherchoit à réparer , par un tra- vail assidu et la conduite la plus irréprochable , les désordres d'un mari livré au jeu , à l'ivrognerie et à la débauche la plus effrénée. Tous ses efforts furent vains ; après quelques années , elle finit par tomber avec ses enfans dans la pljus grande détresse: de là un découragement extrême, les chae nns les plus profonds, et de vaines lueurs d'es- poir cherchées dans une dévotion douce et af- fectueuse î le sommeil se perd , la tête s'égare et le refus absolu de toute nourriture indique le projet constant de se détruire : c'est dans cet état qu'elle fut conduite à la Salpétrière, et qu'on reçut ensuite^ de la part de ses anciens voisins, des témoignages multipliés d'intérêt et d'estime pour ses qualités personnelles. Elle fut invariable dans son projet de trouver la mort dans une abstinence absolue , et ce ne fut qu'avec des peines extrêmes qu'on parvint quelquefois à lui faire prendre un peu de nourri- ture liquide avec un biberon. « Jouis du fruit de la » conduite, dit -elle à son mari, qui vint la voir » quatre jours avant sa mort; te voilà au comble » de tes désirs, je vais mourir ».

76. L'idiotisme est quelquefois si complet, et 1 elat de stupeur et d'insensibilité si taarqué , q J'uu

5


66 CARACTÈRES PHYSIQUES ET MORAUX

aliéné de celte sorte na pas même l'instinct des animaux. Une jeune lille de sept ans paroît in- sensible aux menaces comme aux caresses , et ne distingue pas même de toute autre la lille de service qui lui apporte ses alimens. Qu'on lui donne sa nourriture , elle ne témoigne aucun plaisir ; elle voit aussi avec indifférence qu'on la lui enlève, même pendant que le besoin se fait sentir ; elle ne paroît reconnoître une substance pour aliment qu'autant qu'on la met dans sa Louche.

77. Une autre jeune fille regarde son dîner avec plaisir quand on le lui apporte , et le mange avec avidité; qu'on feigne de lui enlever ses alimens, elle pousse un cri aigu et fait même des gestes me- naçans j mais sa faim est- elle assouvie, elle voit enlever les restes de sa nourriture sans aucune prévoyance pour l'avenir. Je puis citer enfin l'exem- ple d'un instinct bien plus développé : c'est celui d'une jeune idiote qui peut exprimer , par des sous articulés , la nature de ses premiers besoins , et qui demande à boire et à manger ; est-elle ras- sasiée, elle garde les alimens qui lui restent , s'irrite si on veut les lui enlever , sait même que l'argent est un moyen de s'en procurer j elle en demande aux étrangers qu'elle voit , et elle donne les se- cours qu'elle a reçus , comme un tribut de recon- noissance, à sa fille de service.

78. Faut-il jeter un voile sur une passion effrénée.


DE l'aliénation MENTALE. 67

non moins propre à former souvent un des carac- tères (lislinctifs de l'aliénation ? c'est dans l'un et l'autre sexe une effervescence physique des or- ganes générateurs, avecles gestes les plus lascifs €t les propos les plus obscènes; elle tient d'autant plus à une disposition intérieure, qu'elle ne dure qu'autant que la maladie , et que j'ai vu les per- sonnes les plus recommandables par la pureté de leurs mœurs, éprouver pendant un temps déter- miné de leur état maniaque , ce rapprochement malheureux avec des femmes de débauche, puis revenir, lors de leur convalescence, à leur carac- tère primitif de réserve et d'une extrême décence. J'ai vu cette affection se développer dans des cas extrêmes de la manière suivante: d'abord gaieté in- signifiante , regard animé, recherche voluptueuse dans la toilette , curiosité inquiète , tremblement des mains , douleurs sourdes à la matrice , chaleur brûlante dans l'intérieurdes seins, mobilité extrême des yeux, impatience; l'accès est alors à son plus haut degré; babil rempli de mots sales et de propos obscènes, vociférations, gestes provocateurs et môu- vemens du corps les plus lascifs, tous les empor- temens effrénés et les illusions d'un délire érotique. Cette fougue impétueuse cède à une répression rendue nécessaire , et il succède un morne repos ou plutôt un état de lassitude ; la maigreur est alors extrême, et cette fureur utérine amène l'épuise- ment, la stupeur et la démence; l'embonpoint. se


63 CAKACliiRES PIIYSlQUEb ET MORAUX

rétablit par degrés. La maladie devient quelquefois périodique, et la vie repasse dans une alternative d'uo égarement érotique et de l'apathie la plus stupide.

79. Un grand hospice, comme celui de la Sal- pêtrière , ne peut qu'offrir des exemples nom- breux, d'un vice qui n'est que trop fréquent dans tous les rassemblemens des personnes du sexe : je parle de l'onanisme dont la malheureuse habitude a été souvent contractée avant la puberté , mais que de jeunes personnes les plus réservées et les plus décentes yjeuvent aussi éprouver par une suite de l'excitation nerveuse qui distingue l'état maniaque. Ce vice alors peut n'être que passager et disparoître ' entièrement à la convalescence, comme j'en ai vu» plusieurs exemples; mais il peut aussi se perpétuer et devenir une sorte d'affection chronique , ou plutôt se communiquer par une sorte de contagioa à d'autres aliénées, si une extrême surveillance n'em-! pèche le progrès du mal. Cet état devient quelque-. fois si invétéré , qu'on voit des aliénées tomber dans une sorte d'abrutissement stupide , ou dans le dernier degré d'épuisement et une véritable consomption. Veut - on réprimer cette espèce de fureur aveugle par le £»ilet de force , l'aliénée s'irrite, s'emporte et trouve mille expédiens pour rendre nulles les précautions qu'on a pu prendre. C'est durant l'hiver surtout qu'on voit les malheu- reuses suites de ce penchant , puisque le scorbut


nE l'aliénatioiv mentale. 69 cjui accompagne alors cet état de dépérissement Huit pai' être funeste.

80. On présume bien qu'un autre vice contre nature, et qui demande le concours de deux per- sonnes du sexe également débauchées, a lieu aussi dans les hospices d'aliénées , et qu'o.i voit naître quelquefois ces liaisons étroites , for- mées par la dépravation des moeurs et voilées sous les faux dehors d'une inclination naturelle et fjmicale : c'est au surveillant à être toujours en garde et à empêcher cette communication de vices tjui peuvent infecter de jeunes pei^sonnes récem- ment entrées dans l'hospice avec toute la simplicité des moeurs et la candeur de l'innocence. - 81. De pareils vices sont un des grands obsta- tîles à la guérison de la manie , et lors même qu'on est parvenu à dissiper ses symptômes les plus violens , il succède une débilité plus ou moins marquée de la raison , ou plutôt un état de démence qui, joint au dégoût du travail et à d'autres pen- chans pervers , rend les personnes incapables de remplir lesdevoirs ordinairesde la société , et lescon- fine pour jamais dans les hospices. Toute pudeur est alors éteinte , le vice se montre à découvert , tet on voit ces malheureuses victimes de la débau- che tenir les propos les plus dégoûtans , et se jouer de tous les moyens de répression qu'on peut jprendrè : aussi ne reste -t- il plus qu'à les confi--. ner dans des loges écartées, et à les laisser se plonger


70 CARACTÈRES PIIY^SIQUES ET MORAU^

dans toutes les .saletés que leur imagination abrutie leur suggère , sans iufecter les autres par leur exemple*

H.

Lésions de la perception des objets eœtérieurs dans L'aliénation,

82. L'invasion prïmitiireou le retour des atta- ques de manie peut offrir de grandes variétés; mais c'est dans l'expression et les traits de la face que ce changement est fortement prononcé, et que l'aliéné exprime au dehors son état intérieur; il tient quelquefois sa téte levée et ses regards fixés vers le ciel ; il parle à voix basse , se pro- mène et s'arréle tour à tour avec l'air d'un re- cueillement profond ou d'une admiration raison- née. Dans certains cas son visage est rouge, ses regoirds éiiuoelans, et il se livre à une loquacité intarissable; d'autres fbis son visage est pâle , ses traits décomposés, avec un re^rard incertain etésaré. comme dans l'ivresse produite par un excès de boisson. Peu à peu le spasme gagne tous les mus- cles de la face et lui donne plus dexpression ; regard devient fi;te et menaçant, les paroles, le ton de la voix , les gestes portent le caractère de remporlement ou d'une fureur aveugle.

83. On fait le plus souvent de vains efforts pour convaincre ud mélancolique et le détourner d'ua


DE l'aliénation MENTALE; «Jî

enchaînement exclusif d'idées qui Tobsèdent et le

dominent ; il reste comme concentré dans lui-même,

et les nouvelles impressions reçues sur les organes

de la vue ou de l'ouïe , ne paroissent nullement

transmises au siège de l'entendement j son regard

est sauvage , sa contenance morne et silencieuse ,

et son visaae est livide et décharné y il ne se

....

nourrit pour l'avenir que de présages smistres ; if recherche avec passion la solitude , et des soupirs profonds sont des signes non. équivoques de ses idées tristes et de ses angoisses extrêmes j il semble donc élrrmger à tout ce qui l'environne , ne voit rien , n'entend rien , reste concentré dans les idées particulières que lui retrace sa mémoire , et se livre à. toutes les émotions quelles fout naître.

84. La démence et l'idiotisme ne sont pas toujours marqués par une physionomie inanimée et sans ex- pression. Je puis citer l'exemple d'un enfant de sept ans,réduità unidiotismecompletetquiades couleurs vermeilles, les cheveux et le& sourcils noirs , une extrême vivacité dans les yeux et toutes les appa- rences d'un entendement sain. J'ai remarqué aussi quelquefois un, regard vif et animé et un visage liant, avec une absence presque totale d'idées. Une autre jeune fille est dans un cas contraire ; elle a voit éprouvé à l'époque de la deuxième dentition^ des mouvemens convulsifs répétés qui lui faisolenb perdre l'usage de la parole et les fonctions de l'en- leudement : le i-egard est sans ©spression et la. vue*


73 CAllACTÈHES. PHYSIQUES ET MORAUX

fixe sans être dirigée exclusivement sur un objet unique. Il existe quelquefois une sorte de discor- dance entre la vue et le toucber, qui ne se diri- gent pouu ensemble sur un objet dont la nouveauté semble d'ailleurs fixer l'attention. Un idiot q.ie je connois regarde d'abord une image peinte ou un corps solide qu'on lui offre ; mais il y porte la mamd'un air gauche et comme si l'axe de la vision n'etoit nullement dirigé sur cet objet; son regard même reste alors errant ou se porte vaguement vers la partie de la chambre la plus éclairée : la sensation qui en résulte ne peut qu'être très-obs- cure ou nulle.

85. Les fonctions des organes des sens peuvent élre lésées suivant les diverses causes qui ont dé- terminé un état de manie, comme l'habitude de l'intempérance, des excès d'application et d'étude, un état d'hypochondrie dégénéré en manie, et ces lésions peuvent être alors compliquées avec des douleurs de tête , des étourdissemens et des vertiges ; mais en général la vue et rouie sont d'une susceptibilité extrême dans la manie » et les moindres impressions suftisent pour les exciter; aussi lexpérience apprend que dans l'état aigu de cette maladie , les aliénés doivent rester isolés et dans un endroit obscur et silencieux jusqu'au réta- blissement du calme.

86. La sensibilité de l'ouïe en particulier paroît obtuse dauscertainscas d'idiotisme, puisque l'aliéné


DE l'aliénation MENTALE. j3

ne peut être réveillé de sa stupeur que par des sous propres à exciter en lui le sentimeut de \^ surprise ou de la craiute, ou qui se rapportent à ses premiers besoins. Mais on remarque aussi quel- quefois des variétés singulières , et j'ai vit une fille de sept ans, dont l'organe de l'ouïe est très^ sensible à l'impression des sons et même au moin- dre bruit ; mais elle ne paroît point distinguer les sons articulés ni les divers tons qu'on peut prendre avec elle, celui, par exemple, de l'emportement, de la menace ou d'une bienveillance affectueuse* 87. Il semble que tout se borne , dans plusieurs cas d'idiotisme ou de démence , à une impression pliysique sur l'organe , et qu'il n'en résulte point pour l'entendement une vraie perception. Unes aliénée de cette sorte que j'ai souvent observée , a les yeux hagards et tourne sa tête avec rapidité en divers sens; elle ne- répond rien aux questions? qu'on lui fait, ne parle point ou ne laisse échap- per que quelques monosyllabes insignifiantes ; elle ne marque d'ailleurs , par aucun signe extérieur, ni désirs, ni répugnance, ni colère, c'est-à-dire qu'elle paroît sans passions comme sans idées , et elle est con- tinuellement agitée sans motif et sans aucun but direct. Une autre jeune fille parvenue à sa seizièmes année , est comme dans un état d'enfance ; ses sems et ses organes sexuels ne sont nullement développés ; elle reste constamment dans son lit , les membres lléchis , la tôte penchée sur la poi-


74 CARACTÈRES PHYSIQUES ET MORAUX

ti ine , et tout le corps dans un état continuel d'agî- lalion ; elle répète d'une manière automatique le nom de maman, sans attacher aucune idée à ce terme , et sans paroître rieu comprendre aux ques- tions qu'on lui fait sur sa mère. Quel sei-a le résul- tat de cette enfiance prolongée ?

88. La manie peut se marquer, non par une pri- vation totale d'affections morales et d'idées , mais par leur succession rapide et leur instabilité extrême. Une jeune fille de vingt-deux ans, qu'un amour malheureux a jetée dans l'égarement de la raison , conserve encore toute la vivacité du regard et passe avec la rapidité de l'éclair d'une idée à une autre tout-à-fait différente : ce sont quelquefois des expressions tendres et pleines de décence , puis des propos obscènes et une provocation non voilée aux plaisirs de l'amour ; un instant après c'est toute la bouffissure de la vanité et un ton de hauteur et de commandement; bientôt elle croit elre reine, sa démarche est fière et majestueuse , et elle regarde avec dédain ses compagnes d'in- fortune ; avis , remontrances , tout est inutile , elle ne paroît rien entendre , et cédant aux de- sirs fugaces du moment, elle court quelquefois avec rapidité , chante , crie , danse , rit , frappe ceux qui l'environnent , mais sans dessein et sans malice, et s'abandonne à toutes ces petites ex- travagances avec l'instinct d'une sorte d'enfan- tillage.


DE l'aliénation MENTALE»

8g. Les idées des maniaques , quoique marquées par la bizarrerie, et quelquefois une extrême insta- bilité, prennent le caractère que donne la démence, sans compter d'ailleurs leurs autres différences dis- tiuctives. Quelques-uns de ces aliénés, dausleur état d'agitation , répètent sans cesse le même mot et semblent se renfermer des mois entiers et même des années dans cette sphère circonscrite. D'autres fois l'aliéné change chaque jour d'objet , et il s'arrête le malin sur une idée particulière ou uue certaine série d'idées , qu'il répète sans cesse durant la même journée avec des gestes et des mouvemens correspondans à l'idée dominante : dans ce cas , les sensations semblent se former à une impression physique. On remarque alors une sorte de contraste avec d'autres maniaques qui parlent et répondent avec justesse, et qui sem- blent concilier les deux extrêmes opposés, l'agita- lion ou la fureur avec l'enchaînement le plus im- médiat entre les idées. Une autre variété de la manie assez fréquente , est celle où l'aliéné , au milieu même de ses divagations et de son délire , est susceptible de fixer son attention sur un objet, et d'écrire même des lettres pleines de sens et de raison. Eufin dans d'autres variétés ou d'autres périodes de la même aliénation , les propos les plus absurdes et les idées les plus incohérentes se succèdent d'une manière tumultueuse , et disparoisseat à mesure qu'elles sont produites , sans qu'il en reste aucune


■^6 CAUACTïSRES PHYSIQUES ET MOKAUX

Irace. Je fus requis l'anaee dernière de constater 1 état d'aliénation d'un homme parvenu au relourde ] âge et dans un état invétéré de manie ; je le trouvai dans un jardin spacieux où il avoit la liberté de se promener, et toutes les questions que je pus lui faire devinrent inutiles; il suivoil toujours les idées dont son entendement étoit assailli , comme s'il n'eût reçu aucune sensation. Tanlôt il mar- hiotloit à voix basse des sons inarticulés , d'autres fois il tixoit sa vue sans but et sans dessein sur ■un objet particulier, ou bien il poussoit des cris perçans , sembloit repousser une attaque et faire deis menaces. On remarque en général qu'il devient violent et emporté quand on le contrarie ; mais il pourvoit lui-même à ses besoins , est d'ailleurs re- cherché dans sa parure, et sa conduite est régulière. - 90. Les idées peuvent être vives, claires ou confuses , suivant les diverses périodes de la manie j souvent après les premiers temps, lors- ^^ue cette maladie est encore dans toute sa force et que l'aliéné conserve le sentiment de sou exis- lence , les pensées les plus saillantes , les rappro- cliemens les plus ingénieux et les plus . piquans, distinguent ses propos ; il se plait à disputer et à contredire les autres, et il relève avec finesse tout ce qu'on lui dit d'inexact ou d'irrégulier; raconte- t-il quelque événement, il s'exprime avec feu et il prend l'air surnatureFde l'inspiration et de l'en- thousiasme. A mesure que l'effervescence se calme , ,


DE l'aliénation mentale. 77

l'aliéné prend un ton plus rassis , et ses idées se succèdent et se renouvellent avec plus de calme , mais avec moins de vivacité et d'énergie ; ses gestes sont moins expressifs, mais plus naturels et plus vrais ; il souffre plus patiemment les con- tradictions; il n'est plus aussi sujet à s'emporter, et on voit la raison reprendre peu à peu son em- pire. Mais si la manie est compliquée avec des pré- ludes de l'apoplexie, ou si elle menace de dégé- nérer eu démence , les idées paroisseut être con- fuses; un objet est souvent pris pour un autre très-différent, çt quelquefois même le lieu qu'où habile n'est point distingué d'un autre plus éloi- gné ; le moindre calcul numérique devient embar- rassant ou très-sujet à erreur, et on ne peut ap- précier la valeur de certaines pièces de monnaie y ou parvenir à les compter, que dans quelques cas très-simples. On n'a pas des idées moins confuses de diverses époques de sa vie, et on est sujet k joindre les plus anciennes avec celles qui sont leisplus récentes. Les moindres phrases deviennent tronquées par des omissions involontaires, et oii eist souvent à deviner quels sont les objets dont l'aliéné nous entretient» QU quelle, est la liaison qui les rapproche.


78 CARACTÈRES PHYSIQUES ET MORAUX


III.

Lésions de la pensée dans V aliénation.

91 L entendement de l'homme sain est en général susceptible d'une fonction très-active, celle de s'arrê- ter exclusivement sur un objet qui fait une impres- sion vive sur les organes des sens, ou dont la mé- moire lui retrace l'image. Cette attention peut être continuée pendant un temps déterminé, suspendue et renouvelée à plusieurs reprises; elle se déve- loppe par la culture, rend les idées plus nettes, la mémoire plus fidèle, et communique au jugement plus de force et d'exactitude : aussi devient - elle le fondement le plus solide de nos connoissances acquises et des productions du génie. Le concours d'une forte passion , de l'amour , de l'ambition , de la baine lui communiquent une nouvelle éner- gie, et c'est là le mobile de tous les grands évé- nemens qui figurent avec tant d'éclat dans l'his- toire de l'espèce humaine.

92. Dans le plus haut degré d'intensité de la manie, et lorsque l'enlendement est assailli par une succession rapide d'idées les plus incohérentes et les plus tumultueuses , l'attention est entière- ment détruite, de même que le jugement et le sentiment intérieur de sa propre existence. L'a- liéné , incapable d'aucun retour sur lui - même ,


DE l'aliénation MENTALE. 7g

ignore toutes ses relations avec les objets extérieurs. - Oq observe en lui par ses gestes et ses propos un autre ordre d'idées que celles que pourroient faire naître des impressions sur les organes des sens ; et ces idées sans ordre , sans liaison , semblent naître d'une manière automatique , se montrer et dispa* roître à l'instant , et suivre comme un torrent leur cours impétueux. Je pourrois citer pour un exem- ple de cette sorte, un homme dont j'ai été requis; depuis peu de constater l'état moral. J'ai eu beau lui faille différentes questions , ainsi que deux de ses parens qu'il avoit autrefois chéris tendrement ; il prononça sans ordre et sans suite les mots arbre, chapeau , ciel , etc. , en détournant ailleurs la vue; il marmotta ensuite à voix basse des sons inar- ticulés , puis élevant tout à coup la voix avec le ton de la colère , et fixant sa vue vers le ciel, il poussa des ci-is percans , revint enfin calme peu après, sans cesser de parler de la manière la plus incohérente sur des objets imaginaires.

95. On peut citer sans doute plusieurs exem- ples d'un trouble plus ou moins grand dans les fonctions de l'entendement, qui empêche les ma- niaques d'arrêter leur attention sur aucun objet déterminé ; mais dans plusieurs cas aussi de manie , quelques écarts de l'imagination n'empêchent point les aliénés de mettre de l'enchaînement dans la plupart de leurs idées , et de se concentrer avec force sur quelques - unes d'entre elles ; ils rai-


bo CAUACTÈRES PHVSÎQU1;S Et MORAUX

sonijcnt , ils discutent leurs intérêts , demandent souventavec instance d être rendus àleurs familles, et ils répliquent avec justesse aux objections qui leur sont faites. Quelques - uns même sont si susceptibles de fixer leur attention au milieu de leurs divagations chimériques , qu'ils peuvent écrire à leui s parens ou aux autorités constituées, des lettres pleines de sens et dé raison (j). J'enga- geai un jour un d'entre eux , d'un esprit très^ cultivé , à m'écrire pour le lendemain , et cette lettre, écrite au moment où il tenoit les propos les plus absurdes, fut pleine de sens et de raison. On sait enfin qu'une des variétés de la manie qu'on appelle dans les hospices folie raisonnante , est marquée surtout par la cohérence la plus extrême dans les idées et la justesse du jugement; l'aliéné peut alois lire, écrire et réfléchir comme s'il jouis- soit d'une raison saine; et cependant il est souvent susceptible aussi des actes de la plus grande vio- lence. J'en ai vu quelques-uns conserver l'ha-


(i) Un orfèvre qui avoit l'extravagance de croire qu'on lui avoit changé sa tête , s'infalua en même temps de la chi- mère du mouvement perpétuel ; on lui accorda l'usage de ses outils que ses parens eurent soin de lui envoyer , et il se livra au travail avec la plus grande obstination. On imagine bien que la découverte projetée n'eut point lieu; mais il en résulta des machines très- ingénieuses, fruit nécessaire de* combinaisons les plus profondes.


t)Ë L^ALlÉNATiON àîENTALË* 8i

jjiliide de déchirer tout ce qui tombe sous leurâ maîus, comme leurs véteraens ou Jes coùvertiires de leur lit, avec une sorte de fureur avenglcé

94. Un autre excès à combattre ^ ou plutôt un des attributs particuliers de l'aliénation mentale , est l'attenlion des mélancoliques fixée nuit et jour sur un objet circonscrit , sans qu'on puisse la détourner ailleurs, parce qu'elle est toujours accompagnée de quelque passion vive , comme la colère , la haine , un orgueil blessé , un désir de vengeance > ou bien un chagrin profond , un dégoût extrême de la vie , ou même un penchant irrésistible au suicide. Une pareille attention, qu'on ne peut ni suspendre ni diriger à volonté , semble être pure- ment passive , et elle peut être excitée par les regrets d'un bien qu'on croit avoir perdu , d'une persécution directe dont ou se croit la victime , d'un état de détresse qui n'existe que dans l'enten- dement , ou de toute autre idée fantastique. Sou- vent aussi ce délire exclusif tient à des terreurs ïeligieuses, à l'idée d'un Dieu vengeur et mexo- rable , et à celle d'une punition éternelle qu'on croit avoir méritée. De là vient la difficulté extrême de dissiper ces sombres illusions , et de gagner par ses propos la confiance du mélancolique, tou- jours disposé à mettre en opposition avec les vains discours des hommes la volonté invariable de l'Être suprême.

95. L'homme qui est le plus susceptible d'atleo-

G


8a CARACTÈRES PHYSIQUES ET MORAUX

tion peut éprouver de grandes différences suivant la culture de son entendement , et de grandes varialions suivant les vicissitudes de la constitution atmosphé- rique, des saisons, des climats, de la manière de vivre, des affections morales et de la plupait des maladies. Mais un des caractères conslans de la démence et de l'idiotisme est de rendre l'homme absolument incapable de cette fonction active , et de contribuer puissamment à l'état de millité dont il auroit à gémir s'il étoit capable de se connoitre.

g6. Un jeune homme dont j'ai été requis de constater l'état moral , est parvenu à sa quator- zième année , et porte depuis sa plus tendre jeunesse la disposition la plus extrême à des distractions va- riées. Les impressions faites sur les organes ont lieu à l'ordinaire si on parvient à fixer son at- tention ; mais il ne conserve qu'un instant ces im- pressions , et ce n'est que par leur répétition fréquente produite par un objet, qu'on peut lui en inculquer l'idée ; tout ce qui lui paroît extraordi- naire se grave mieux dans sa mémoire , et ce* n'est qu'avec une difficulté extrême qu'on est parvenu à lui apprendre à lire et à écrire.

gy. Certains maniaques Irès-fougueux peuvent encore conserver toute la liberté de la pensée, et fixer leur attention sur un objet déterminé. Ceux même qui sont très-agités et sujets à des divaga- tions, peuvent considérer attentivement des objets conformes à leurs goûts, et manifester d'une ma-


DE l'aliénation MENTALE. 83

lîière passagère tout ce qui distingue une raisOii saiue ; mais en général une mobiJilé extrême pOrté le maniaque à passer avec rapidité d'un objet à un autre, souvent très - incohérent avec ie pre- mier , et le déclin de la maladie s'annonce par- une facilité plus marquée dé' réfléchir d'une ma- nière suivie sur toutcequ'il luiimporte deconnoître, ou de se livrer même à un travail soutenu , et c'est alors que la convalescence fait des progrès ra- pides : n'a-t-on pas dans ce cas les mêmes principes, a suivre que daps l'éducation des enfaus ? Quelque- fois des esprits excellens ne" semblent nullement susceptibles d'un développement heureux par la maladresse de leurs instituteurs , la sécheresse de leurs principes ou leurs formes rebutantes. On obr serve dans les hospices que les aliénées qui avoient contracté dès leur jeunesse le goût de la coutur;^^^ reprennent facilement leur ancienne habitudie au déclin de leur maladie , et sont susceptibles d'ap- pliquer leur atteûïi'on à ces trayaux sédentaires * qui n'inspirent que du dégoût à d'autres feînmes de la campagne accoutumées a une vie laborieuse et aux pénibles soins de l'agriculture : aussi ces dernières restent-elles apathiques et inactives ^ s'avancent à pas lenls vers le terme désiré de la convalescence , ou peuvent devenir iucuïjables. Que d'obslacles on éprouve d'ailleurs au rétablis- sèment de la raison des personnes riches , livrées k des goûts frivoles dès leur jeunesse , et incap-


^4 CARACTÈRES PHYMQUES ET WORAUX

bles de s'appliquer à la culture des beaux-arts ou à l'étude des sciences physiques !

IV.

Lésions de la mémoire et du principe de Vasso' dation des idées dans V aliénation»

g8. Une extrême vivacité de la mémoire , comme son état de langueur par différentes causes physiques etmoraleset dans diverses maladies, ne doivent point entrer ici en considération. Je dois seulement remar- quer que des idées antérieures peuvent être repro- duites dans l'entendement de deux manières très- différentes : l'une , par une sorte de disposition in- térieure , sans le concours de la volonté , et quel- quefois en dépit des efforts qu'on fait pour les écarter; l'autre, qui est proprement active, est le pouvoir qu'a l'entendement de rappeler certaines idées antérieures , par leurs rapports divers ou leur liaison avec d'autres objets connus et présens à la mémoire, ce qui revient au principe de l'as- sociation des idées , admis en général par tous les auteurs qui se sont occupés des fonctions de l'en- tendement humain (i).

(i) Des perceptions reçues en même temps, et d'autres qui leur succèdent dans un ordre régulier, peuvent former une association naturelle d'idées , et sont souvent réunies en- semble dans l'entendement j mais nous avons aussi le pouvoir


DE l'aliénation mentale. b.J gg. Il peut survenir dans raliëuaLion des asso- ciations d'îdées singulières qui peuvent donner lieu aux erreurs les plus graves, ou aux illusions les plus puériles. L'objet exclusif du délire d'une dame mélancolique est le Démon, quoique d'ail- leurs , sous tout autre rapport , son entendement soit très- sain j elle grondera ses domestiques pour avoir assisté à un jeu de marionnettes , sous pré- texte que le démon intervient dans cet amuse- ment populaire. Elle avoit fait venir des meubles par la Seine ; mais arrivés dans son habitation , elle refusa de les recevoir , et força son mari de les vendre comme ensorcelés , sous yjrétexte qu'ils avoient passé sous le pont de Chatou , que le peu- ple dit avoir été bâti par le Diable. Une opinion populaire a fait croire qu'il avoit existé autrefois des sorciers à Louviers, et dès lors la dame a interdit à son mari toute espèce de négoce avec les habi-


cle détacher une ou plusieurs perceptions ou idées de celles qui leur étoient alliées, et nous leur trouvons une autre place dans une nouvelle combinaison qui sera d'autant plus solide- ment établie, que ce rapprochement sera fondé sur un grand nombre de rapports : c'est ce qu'on appelle abstraire , et ce qui est le fondement des méthodes vai'iées de classification usilées en histoire naturelle et par conséquent en médecine. Le mot abstraction , dans ce cas, est loin d'indiquer une opé- ration primitive de l'entendement, comme des auteurs an • glais et français l'ont imaginé , puisque c'est une suite néces- saire du principe de l'association des idées.


86 CARACTKRES PHYSIQUES ET MORAUX

tans de celle ville. Si dans une sociélé où elle se trouve on vient à prononcer le nom du Diable , elle se trouble aussitôt, rougit et pâlit tour à tour, et c est pour elle un signe du plus sinistre pré-,

100. Une dame de soixante ans , à la suite d'une contention d'esprit long - temps coulinuée , est tombée dans une sorte de mélancolie singulière, qui consiste à associer une idée de sorcellerie à tout ce qu'elle voit ou entend ; elle pense que tout l'or et l'argent qu'elle possède , qu'elle reçoit ou qu'elle donne, est faux et de nulle valeur, que tous les alimens qu'elle prend sont trop épicés , que tout le monde s'entend pour la tromper, et que tout ce qu'on lui promet ou qu'on lui raconte est con- traire à la vérité , qu'en un mot tout n'est , dans ce bas monde , que fausseté et mensonge.

101. Toute cohérence, toute association d'idées semblent détruites dans le plus haut degré de la manie de plusieurs aliénés; ils passent avec rapi- dité d'une idée à une autre quelquefois très -éloi- gnée , et les propos qu'ils tiennent offrent sou- vent des conlrastes inattendus et très-singuliers, ôu uil assemblage confus qui correspond pleine- ilienî; au désordre de leurs idées. Un maniaque qiie j'observois sans qu'il s'aperçut d'ailleurs de ma présence, prouonçoit tour-à-tour les mots épée , soleil , chapeau, etc. , répoudoit avec volubilité et colère à uu interlocuteur qu'il crojoit voir dans


DE l'aliénation MENTALE» 87

les airs , poussoit des cris perçans , parloit voix basse , s empoitoit, rioit , chant oit , et montroiten tout la mobilité la plus versatile et la plus iacohé- rente : c'est d'ailleurs le partage de plusieurs aliè- nes qu'on voit chaque jour dans les hospices.

102. La mémoire , comme toutes les autres fonc- tions de l'entendement , paroît suspendue durant la violence de certains accès de manie , et ce n'est qu'à leur déclin qu'elle paroît reprendre son libre exercice. Il ne reste plus à l'aliéné aucun souve- nir de son délire ni de ses actes d'extravagance, et il ne peut concevoir avoir resté aussi long- temps à l'hospice que l'attestent les registres. Une jeune fille avoit été élevée dans la maison d'un de ses oncles qu'elle chérissoit, et qui lui annonça un projet de mariage qui paroissoit réunir toutes les convenances : comme c'étoit l'époque de son écoulement périodique , elle en fut si troublée et elle éprouva une si forte commotion dans la tête, qu'elle s'écria avec vivacité : Mais je crois que je de^'iens folle^ Elle tomba bientôt par le cha- grin dans un état de stupeur et d'aliénation qui la fit conduire à l'hospice des aliénées de la Sal- pêtrière elle sembloit avoir entièrement perdu l'usage de la parole, restoit accroupie une partie du jour dans un coin desa loge^i^ sans paroître dis- tinguer le lieu qu'elle liabitoit , et sans avoir aucun sentiment intime de sa propre existence. Le succès du Iraitementdeveooitde plus en plus douleuxpenr-


88 CÀRACTÊftES PHVSÏQUES ET MOilÀtï

dant le cours de l'année, lorsque sa r^iison com- mença à se rétablir par degrés, etcelte aliénée avoit alors tellement perdu le souvenir de sou état anté^ rieur , qu'elle soutenoit n'être entrée dans l'hospice que depuis six semaines, époque de la cessation de son délire (i).

io3. On ue doit point dissimuler aussi que quel- quefois les aliénés conservent la mémoire de tout ce qui s'est passé durant leur agitation fou- gueuse ; ils en témoignent les regrets les plus vifs lors de leurs intervalles lucides ou de leur entière guérison , et ils fuient la rencontre de ceux qui les ont vus dans cet état , comme si on pouvoit se re- procher les suites-involontaires d'une maladie. Une jeune aliénée éprouve le matin , comme par accès, un délire maniaque , de manière à déchirer tout ce qui tombe sous sa main , et à exercer des actes de violence contre tous ceux qui l'approchent , au point qu'on est obligé de la contenir par le gilet de


(i) 11 est de notoriété publique qu'une dame a éprouvé la même révolution au moral après vingt - sept années de ré- cïusion et de manie. Son déliie et sa fureur ont été conti- joués durant cet espace de temps , au point de déchirer çes vêtemens, de rester nue, et de se barbouiller de saletés les plus dégoûtantes. Aunaoment de la cessation de son délire, elle a paru sortir comme d'up rêve profond et a demandé des nouvelles de deux enfans en bas âge qu'elle avoit avant son aliénation , et elle ne pouvoit concevoir qu'ils fussent mariés depuis plusieurs années,


DE l'aliénation MENTALE. 89:

force : ce moyen de re'pression calme aussitôt sa fureur; mais elle conserve un souvenir si amer de ses emportemens passes , cp'elle en témoigne le plus grand repentir, et c]u.'elle croit avoir mérité la punition la plus sévère.

104. On ne peut d'ailleurs trop admirer la va- riété des modifications dont la mémoire est suscep- tible dans un accès quelconque de manie, et tout ce qu'elle peut alors acquérir ou perdre d'énergie. Un jeune homme , tombé dans cet état par des excès d'étude, sembloit conserver toute sa sagacité, et en faire l'usage le plus heureux pour appro- fondir la source de ses illusions. Les idées anciennes se renouveloient alors avec une extrême vivacité , au point de rendre très-obscures les impressions des objets présens ; il sembloit habiter un monde dif-' férent de celui des autres hommes, et il ajouloit qu'il lui seroit impossible de se faire entendre d'eux tant qu'il resteroit soumis par une suite de sa ma- ladie à ce nouvel ordre de choses (i). Dans des cas semblables, le souvenir du passé semble se repro- duire avec force , et ce qu'on avoitoublié dans des in- tervalles de calme se i^nouvelle avec les couleurs

(0 Un aliéné , guéri par le D'. Willis en Angleterre , a fait ainsi lui même l'histoire des accès qu'il avoit éprouvés: 4< J'altendois, dil-il, toujours avec impatience l'accès d'agita- tion , qui duroit dix ou douze heures, plus ou moins, parce que je jouissois pendant sa durée d'une sorte de béatitude. Tout pas sembloit facile , aucun obstacle ne m'arrêloit en théorie.


90 CARACTÈRES PHYSIQUES ET MORAUX

les pins vives el les plus animées, comme je m'en suis assuré plusieurs fois dans les établissemens publics ou particuliers consacrés au traitement de l'aliénation mentale.

105. Une sorte d'aliénation et de délire qui suc- cède à une attaque d'apoplexie, entraîne presque toujours une diminution plus ou moins notable ou une perte de la mémoire. Cette lésion peut aussi se borner aux termes qui servent à exprimer les idées. Un notaire pour lequel on demanda mon avis , avoit oublié , à la suite d'une attaque d'apo- plexie , son propre nom , celui de sa femme , de ses enfaus , de ses amis, quoique d'ailleurs sa lan- gue jouît de toute sa mobilité j il ne savoit plus ni lire ni écrire , et cependant il paroissoit se ressou- venir des objets qui avoient autrefois fait impres- sion sur ses sens et qui étoient relatifs à sa profession de notaire. On l'a vu désigner avec les doigts des dossiers quirenfermoientdes actes ou contrats qu'on ne pouvoit retrouver , et indiquer , par d'autres signes , qu'il conservolt l'ancienne chaîne de ses idées.

106. L'idiotisme offre encore une oblitération

ni même en rëalilé } ma mémoire acquéroit tout à conp une perfection singulière j je me rappelois de longs passages des auteurs latins : j'ai peine pour l'ordinaire à trouver des rimes dans l'occasion , et j'écrivois alors en vers aussi rapidement qu'en prose. J'éiols rusé et même malin, fertile en expédiens de toute sorte. . . >>. ( Biùlioùhèqm BrUuiini^ue. )


DE l'aliénation MENTALE. Qt

plus marquée de la mémoire, et j'en puis citer pour exemple un jeune homme âgé de seize ans, dont les organes des sens reçoivent les impres- sions des objets extérieurs, mais qui ne peut nul- lement en conserver les idées, en sorte que 1 ms- tant d'après tout est mis en oubli : rien ne paroit fixer son attention , que ce qui se rapporte à ses premiers besoins. Qu'on l'irrite , qu'on le menace , il crie , il s'éloigne en tremblant j mais il revient aussitôt , et il paroît avoir tout oublié j il répond aux questions simples qu'on lui fait sur le même ton qu'on a pris avec lui j mais il ne peut com- parer deux idées entre elles à cause de son dé- faut de mémoire : car si , dans le moment de sa faim , on lui offre à manger , il paroit incapable de choix , et il préfère ce qui est le plus à sa portée.

V.

Lésions du jugement des aliénés.

107, « Après l'esprit de discernement, dit la >v Bruyère , ce qu'il y a au monde de plus rare , ce » sont les diamans et les perles ». Cette triste vérité dont on trouve chaque jour des applications dans les événemens de la vie civile , n'est pas moins remar- quable dans l'empire des sciences et des lettres, puisque leur source pure est si souvent infectée par un alliage plus ou moins bizarre de fictions , de


5)3 CÀUACTÈRES PHYSIQUES ET MOllAUX

saillies puériles d'imagination , de jactance , de fausses idées ou de prétentions les plus exagérées. Mais je dois me borner ici à des considérations des lésions du jugement relatives à un état de maladie.

io8. Au début, ou même dans lecours d'un état maniaque, on observe souvent un si grand désordre ou une succession si disparate entre les gestes , les idées , les* paroles, les traits du visage et les affec- tions morales , qu'on a l'image la plus complète du bouleversement entier du jugement comme des autres fonctions intellectuelles. Il se joint quelque- fois à ce dernier degré de délire , surtout parmi les femmes, des mouvemens convulsifs des muscles de la face , des grimaces , des emporiemens fougueux , ou même , par intervalles , des cris perçans ou les vociférations les plus bruyantes : c'est là le spectacle qu'offrent souvent lesétablissemeus publics ou par- ticuliers consacrés aux aliénés.

log. La lésion du jugement peut se trouver aussi avec un état de calme et les apparences d'un raison- nement très-suivi : c'est alors un rapport inexact ou même ridicule entre deux idées très-éloignées. Un aliéné de cette sorte , dont je dirigeoisle traitement, et qui habitoit une maison en vue du dôme du Val- de-Grace, prétendit qu'il falloit transporter cet édilice dans le jardin des Tuileries , et que deux hommes suffiroient pour opérer ce déplacement. Il crojoit voir un rapport d'égalité entre la force de deux hommes et la résistance qu'oppose celte


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DE l'aliénation: MËNTALÉ. C)3

masse énorme. Ou avolt beau lui rendre sensible par des exemples l'immense disproportion de l'une à Tautre , en évaluant les poids de chacune des pierres de ce vaste édifice d'une manière approchée; il continua de juger que l'entreprise étoit possible, et il proposoit même de se charger de l'exécution. Il succéda bientôt des extravagances d'un autre genre :■ le même aliéné se crut propriétaire de toutes les forêts de la France, et signoit, à ce titre, des mandats de plusieurs centaines de millions à prendre sur le tï ésor public. Ses idées s'exaltèrent encore davan- tage , et il finit par se croire le plus grand potentat de l'Europe.

• 1 10. Les hospices des aliénés ne sont jamais sans offrir quelque exemple d'une manie marquée par des actes d'extravagance, ou même de fui-eur, avec une sorte de jugement conservé dans toute son in- tégrité , si ou en juge par les propos : l'aliéné fait les réponses les plus justes et les plus précises aux questions des curieux ; on n'aperçoit aucune in«  cohérence dans ses idées; il fait des lectures, il écrit des lettres comme si son entendement étoit parfaiter ment sain, et cependant ..par un contraste singulier, il met en pièces ses vêtemens, déchire quelquefois ses couvertures ou lapaUle de sa couche , et con- trouve toujours quelque raison plausible pour jus- tifier ses écarts et ses emportemens. Cette sorte de manie est si peurare qu'on lui donne le nom vulgaire jde folie raisonnante*


94 CARACTÈRES PHVSIQUES ET MORAUX

1 1 1. Uue loilcapplicalioli et une combinaison pro. fonde semblent être le partage constant du mélan. colique , et assureroienl à ses jugemens un caractère rare de justesse et de stabilité , s'il n'étoit sans cesse entraîné par quelque affection morale qui le do- mine, qui le rend exclusif et toujours propre à fran- chir certaines limites. Un homme d'un esprit cultivé et doué d'une heureuse mémoire , a fait une étude si assidue des œuvres de Condillac et s'en est telle- ment pénétré , qu'il croit y trouver le germe et le précis de toutes les autres sciences , et qu'il prétend qu'il faut brûler comme inutiles tous les autres livres sur l'histoire , la physique , la chimie et même les mathématiques. Son imagination s'est de plus en plus exaltée, et il s'est cru l'envoyé du Très-Haut pour propager cette doctrine et la rendre univer- selle sur toute la terre. Il s'attend , comme tous les grands hommes , à être persécuté ; et un jour qu'où le menaçoit de le faire transférer dans une maison d'aliénés , il parut s'en réjouir , et ce fut pour lui un sujet de triomphe : « Tant mieux ! dit-il en souriant, » voilà maintenant que mes ennemis me craignent, » et qu'ils redoublent leurs efforts de haine et de »\jvengeance à mesure que mes principes se pro- >> pagent sur le globe terrestre ». '

1 12. Onne peut concevoirla nature d'une certaine aliénation , qui est comme un mélange de raison et d'extravagance, de discernement et d'iwi vrai délire, objets nui semblent s'exclure réciproqueraelnt. Un


DE l'aliénation MENTALE.

aliéné dont l'égarement date de sept ans, connoît pleinement son état, et il en juge lui-même aussi sainement que s'il lui étoit étranger : il voudroit iaire des efforts pour s'en délivrer; mais d'un autre coté il est convaincu qu'il est incurable. Lui fait-du 1 emarquer l'incohérence qu'il met dans ses idées et ses propos , il en convient de bonne foi ; mais il ré* ])lique que ce penchant le domine avec tant d'em- pire qu'il ne peut s'y soustraire; il ajoute qu'il ne L^arautit point la véi^té des jugemens qu'il forme , nais qu'il n'est pas en son pouvoir de les rectifier. Son entendement est encore bien plus altéré sous

S 'in autre rapport : il se croit au-dessus des règles ômmunes, et il pense què s'il se déterminoit à se approcher des autres hommes par sa conduite , il îudroit d'abord conimencér par faire des choses extraordinaires, et qu'il en résulteroit pour lui- même de grands maux , ou même des atrocités. Il roit, par exemple, que s'il vendit à se moucher, son tez resteroit dans son mouchoir, que s'il tentoitde >e raser, il ne pourroit se dispenser de se couper la gorge, qu'enfin au premier effort pour marcher 5es jambes seroient fracturées comme si elles étoient le verre. Il se réduit quelquefois plusieurs jours à Line abstinence rigoureuse, sous prétexte que les aliraens qu'il prendroit ne manqueroient point de i 'étrangler. Que penser d'unç aberration du juge^ ment aussi soutenue et aussi singulière ?

II 3. La faculté de juger, a dit tinementun auteur.


gO CAHAClkftES PHYSIQUES ET MORAUX:

est la même datis laliéne que dans l'homme doué d'un eutendemenl sain, Il en est de même dans ce cas , que d'un musicien de l'île de Noolka comparé à un élève du Conservatoire ; la faculté qui rap- proche les idées par leurs points de contormité réels ou apparens est la même dans tous les deux ; mais ils ont différentes perceptions , et leurs jugemens sont différens. Qu'un aliéné juge que le gouver- xiement du monde est entre ses mains, que les sai- sons obéissent à sa voix, qu'il peut dessécher à son gré le fleuve du Gange , etc. j il juge de celte manière parce que les perceptions qui sont présentes à sa pensée le forcent à tirer de pareilles conclusions. Les erreurs du jugement ne viennent que des ma- tériaux sur lesquels cette faculté s'exerce. Si les faits sont en nombre insuffisant, ou que leiir examen ait été trop précipité , il en résulte uiçi jugement faux et incorrect : et que d'exemples on en observe chaque jour dans la société civile î L'homme doué de l'entendement le plus sain n'est-il pas sujet à ces vices du jugement, s'il parle de ce qu'il ne counoit point assez, ou s'il donne son opinion sur un point qui demande, pour être décidé , plus de faits quil n'en possède? Les perceptions fausses etillusoires do- minent quelquefois l'entendement des aliénés avec tant d'empire , qu'ils sont entraînés par une force ir- résistible à porter un jugement conforme à ce qu'ils sentent à l'intérieur , et qui peut tenir d'ailleurs à un changement violent survenu dans l'état phy-


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DE l'aliénation MENTALE. 97

KÎque. C'est quelquefois par une répression éner- i^ique qu'où parvient à s'opposer aux écarts du ju- gement. Une jeune filJe qu'un excès de dévotion avoit jetée dans la manie, est dans un état d'extra- vagance et de fureur extrême. Elle donne les ordres les plus impérieux, et à la moindre résistance à ses volontés, elle invoque le feu du ciel pour punir es coupables ; agitation , menaces , imprécations les plus violentes; tout l'irrite et provoque ses em- portemeus. On la conduit dans une loge, et on lui applique le gilet de force pour la contenir. Quelques heures après , le directeur de l'hospice vient la vi- siter , et il la plaisante sur sa préteutiou de faille tomber le feu du ciel , elle qui ne sauroit se déli- vrer d'un vêtement qui la gêne. Dès le soir elle de- vient beaucoup plus calme , et dès-lors son traite- ( ment n'éprouve plus d'obstacle.

1 14. Au déclin de la manie , ou lorsqu'elle me- nace de se terminer par la démence , on observe une débilité de jugement qui tient à une oblitéra- tion plus ou moins marquée de la mémoire , à un oubli très-prompt des idées qu'on venoit d'avoir et des propos qui servoient à les exprimer. On vient de recevoir la réponse à des questions qu'on a faites, et on les renouvelle encore à plusieurs reprises et avec une sorte de satiété. C'est une suite sans fin de Iracas et d'inquiétudes dans la vie domestique , §i l'aliénée est trop tôt rendue à sa famille; les moindres objets qu'elle tient en ses mains sont replacés sans

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98 CARACTÈQRS PHYSIQUES ET MORAUX .

ordre, abandonnés ou repris tour-à-tour sans coftJI server aucune trace du lieu où ils ont été déposësJ Oq confond les époques , on n'a que des idées vaJ gues des distances , on associe les choses éloignéea avec celles qu'on a sous lesyeux; des évéuemens ani térieurs et même étrangers aux objets dont on s'003 cuppe, viennent s'offrir à l'entendement, quelque» fois mutile's ou entièrement défigurés etaccompagnéé d'affections gaies ou tristes. Les termes qui servenh à les exprimer sont alors périodiquement répétée àvecdes éclats de rire immodérés ou des pleurs et des sons plaintifs , jusqu'à ce que de nouvelles imi pressions sur les organes des sens servent à re^- pousser ces idées parasites. Combien le jugement au milieu de ce chaos est foible et vacillant ! com-*- ment comparer les objets entre eux et bien saisiu leurs points de conformité? Cette foiblesse de ja* gement se manifeste encore par la disconvenanc» des épithètes qui sont associées aux noms propres sans ordre et sans discernement et toujours avect des expressions les plus exagérées.

ii5. Il est quelquefois très-difficile de distinguer! dans la démence ou l'idiotisme les signes de l'exerr cice d'un jugement foible, des effets du pouvoir de< l'imitation. Je ne veux point renouveler ici une dis-î' cussion qui s'est élevée dans le temps au sujet dutl prétendu Sauvage de l'Aveyron , puisque le zélée qu'on a mis à cultiver ses facultés morales est tou- jours digue du plus grand éloge , et à quelque dis<»'


DE l'aliénation mentale. P9

tance qu'on doive le placer des sourds et mnels , il n'importoit pas moins de donner tous ses soins à développer sou Ibible entendement; mais peut-on mécounoître toute la latitude que peut comprendre le pouvoir de l'imitation dans les enfans les plus bornés? Une jeune idiote que j'ai eue souvent sous les yeux , a le penchant le plus marqué et le plus irrésistible pour imiter tout ce qu'elle voit faire en sa présence ; elle répète automatiquement tout ce

jqu'elle entend dire , et elle imite les gestes et les actions des autres avec la plus grande fidélité

.jet sans s'embarrasser des convenances. Une autre aliénée de la même sorte exécute servilement tout ce qu'on lui ordonne , sans juger d'ailleurs si ses actions sont raisonnables ou extravagantes j elle saute, rit ou pleure à volonté , et fait toutes les gri- maces qu'on lui suggère, en obéissant avec autant de facilité à un enfant qu'à un homme fort et

'robuste. Un enfant d'un entendement très-borné et qui a erré quelque temps dans les bois ou les ha- meaux, a pu d'abord , pressé par la faim , se nourrir d'alimens grossiers , et puis s'accoutumer par de- grés à des mets plus recherchés; passer enfin pro- gressivement de l'usage du gland et des pommes- de-terre crues, à celui des châtaignes , des légumes cuits , ou même de la viande , sans qu'on puisse en tirer des inductions très-favorables pour son en- lendement et ses moeurs sociales.


CARACtÈhES P14YS1QUES KT MOHAUi


Emotions et affections morales propres aux -

aliénés,

• Ii6. Celui qui a regardé la colère comme une fureur, ou manie jDassagère {Jira furorhrevis est), a exprimé une pensée très-vraie , et dont on sent d'autant plus la profondeur qu'on a été plus à portée d'observer et de comparer entre eux un plus grand nombre d'accès de manie y puisqu'ils se mon- trent, en général, sous la forme d'un emportement de colère plus ou moins fougueux. Ce sont bien plus ces émotions d'un caractère irascible que le, trouble dans les idées ou les singularités bizarres du jugement qui constituent ces accès; aussi trouve- t-on le nom de manie comme synonyme de celui de fureur , dans les écrits d'Arétée et de CœliuS; Aurélianus, qui ont excellé dans l'art d'observer. On doit seulement reprendre la trop grande exlen*, sion qu'ils donnoient à ce terme, puisqu'on observe quelquefois des accès sans fureur , mais presque, jamais sans une sorte d'altération ou de perversiou, des qualités morales. Un homme devenu maniaque par les événemens de la révolution , repoussoit. avec rudesse , au moment de l'accès , un enfant qu'il chérissoit tendrement en tout autre temps. J'ai vu aussi un jeune homme plein d'attachement, pour son père, l'outrager, ou chercher même aie


DE l'aliénation MENTALE. 101,

frapper dans ses accès përiodicjues. Je pourrols citer aussi plusieurs exemples d'aliénés de l'un et l'autre ' sexe, connus d'ailleurs par une probité sévère du- rant leurs intervalles de calme , et remarquables pendant leiirs accès par un penchant irrésistible voler et à faire des tours de filouierie.. Un autre insensé, d'un naturel pacifique et doux, sembloit" inspiré par le démon de la malice durant ses accèsj, il étoit alors sans cesse dans une activité malfai- sante; il enfermoit ses compagnons dans lesloges»^'- les provoquoit, les frappoit, et suscitoit à tous propos kies sujets de querelle et de rixe. Un autre exemple (le cette sorte mérite encore d'être connu ; c'est celui d'un homme atteint d'une manie périodique^" îi ès-iuvétérée: ses accès durent ordinairement huiï' à dix jours par mois, et semblent offrir le contraste !e plus parfait avec son état naturel. Durant ses intervalles lucides , physionomie calme, air doux et réservé, réponses timides et pleines de justesse aux questions qu'on lui tait, urbanité dans les manières ^ probité sévère ou désir même d'obliger les autres';^ et vœux ardens pour guérir de sa maladie maia nu retour de l'accès , marqué silrtout par une cer;?'^^ l aine rougeur de la face , une chaleur vive dans la tête et une soif ardente , sa marche est précipitée , s6n ton de voix est mâle et arrogant,; son regard est plein d'audace , et il éprouve le penchant lë plua violent à provoquer ceux qui l'approchent, à le& exciter et à se battre contré éilK avec ouU'aace.


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102 CARACTÈRES PHYSIQUES ET MORAUX

117. Les exemples d'une manie avec fureur, mais sans délire et sans aucune incohérence dan» l?sjd,ée&, sont loiq d'être rares parmi les femmes, comme parmi les hommes , et ils fout voir comhien , les lésions de la volonté peuvent éh e distinctes de celles de renlendemeni, quoique souvent aussi elles, soient réunies. On ne peut songer sans horreur àj' effrayante énergie que peuvent contracter ces penchans involontaires. J'ai eu autrefois sous les yeux, dans l'hospice de Bicélre , un maniaque dont lessymptômes pou voient paroître une sorte d'énigme suivant les notions que Locke et Gondillac ont don- nées des aliénés. Sa manie étoit périodique et ses accès se renouveloient régulièrement après des in- tervalles de calme de plusieurs mois. Leur inva-. sion s'annonçoit par le sentiment d'une chaleur brûlante dans l'intérieur de l'abdomen , puis dans, la poitrine, et. enfin à la face ; . alors roiigeur des joues, regard ëtincelant, forte distension des veines et des an ères de la tête; enfin, furql\i^ forcenée qui, le .portoit, avec i^n' penchant irrésistible , à saisir, un iustruTnent ou une arme offensive poiir assom- mer le premier qui s'offroit à sa vue ; sorte de combat intérieur qu'il disoit sans cesse épiouver entre l'impulsion féroce d'un instinct destructeur et rhorreur profonde que lui inspiroit .l!idée d'un forfait. Niillemarque d'égarement dans la.mémoire, l'imagination ou le jugement. Il me faisoit l'aveu , durant son étroite réclusion , que son penchant.


DE l'aliénation MENTALE. lo5

pour commettre un meurtre ëlolt absolument forcé et Involontaire ; que sa femme , malgré sa tendresse pour elle, avoit été sur le point d'en être la victime, et qu'il n avoit eu que le temps de l'avertir de pren- ilre la fuite. Les intervalles lucides ramenoient les mêmes rétlexions mélancoliques, la même expres- sion de ses remords, et il avoit conçu un tel dégoût de la vie, qu'il avoit plusieurs fois cherché, par un dernier attentat , à en teil-miner le cours. « Quelle >> raison, disoit-il, aurois-je d'égorger le surveillant ss de l'hospice qui nous traite avec tant d'humanité? v> Cependant, dans mesmomensde fureur, je n'as- » pire qu'à me jeter sur lui comme sur les autres ^ » et à lui plonger un stilet dans le sein.. C'est ce » malheureux et irrésistible penchant qui me ré- » duit au désespoir» et qui m'a fait chercher àat- » tenter à ma propre vie yy.

1 18. Les affections morales, comme les fonctions- de l'entendement, semblent entièrement suspen- dues dans certains accès de manie , et cette sorte, de stupeur apathique porte tous les caractères d'un idiotisme passager : regai-d fixe et sans expression , immobilité automatique , point de parole , point de geste expressif, et indifférence absolue pour toute s.orte d'alimens. Dans d'autres cas, l'aliéné conserve quelque lueur d'une raison vacillante, avec un air d'élonnement j il porte une vue égarée et inquiète sur tout ce qui l'environne , laisse échapper pap- iiiiervalle quelques sons à demi-articulés , quelqiies-


Iô4 CAKACTÈRES PHYSJOUES ET MORAÛX

plaintes, et il maiiilkste unej^giiatioa iuterieure tou- jours prèle à edaler par quelque acte de fureur. Dans une autre va.iele des accès de manie, on re- niài que un Ilux et relluK continuel d'affections et d'idées gaies ou tristes, des gestes menaçans ou ua air de bienveillance, et alors les tiails'du visage pignent allértiativemeut, comme dans un tableau mobile, des passions fugaces, l'espoir, la terreur, la haine, le désir de la vengeance, qui se décèlent par éclairs et disparoisseut aussitôt sans laisser aucune trace de leur existence. Cette variété de la manie, considérée dans toute sa latitude, comprend aussi les cas d'un babil intarissable , d'une volu- bilicé extrême, de paroles incohérentes, avec des retours irréguliers et inattendus d'émotions les plus vives et les plus emportées; enfin, rien n'est plus hideux que le sj^ectaole de certains aliénés quisembleiit dominés i^r une sorte de ra2;eaveu2le. et qui se répandent en cris aigus, en propos ou- trageaus ou obscènes , en juremeus ôu impréca-^ lions de toute sorte, avec un regard étincelant , l'écume dans la bouche et les penchans les j)lus


sanguinaires.


119. On doit peut-être admirer là maiheu- mise fécondité des Anglais en expressions éner- giques et propres à exprimer les perplexités ex- trêmes , l'abattement et le desespoir des mélanco- liques, même dans leurs ouvrages dé médecine, et indépendamment de leurs romans et de leur


DE l'aliénation mentale. io5

poésie (i).Ce délire exclusif , toujours uni avec une passion forte el concentrée et là récherche ardente de la solitude , est fréquent dans l'hospice des aliénées. Plusieut^s de ces mélancoli(|ues se pro- mènent tristement dans les cours , plongées dans une rêverie profonde ; cerlàines restent isolées et accroupies daufs des endroits relirés;d'autreS éprou- vent des comhats intérieurs entre les penchans du coeur et la terreur des tourràcns d'une autre vie; (juelques - unes ne soupirent qu'après une mort prompte , par une abstinence absolue de toute nour- 1 iture ou par un événement tragique qui mène àtl suicide. L'exemple suivant me paroît trés-reraar-


(i) Le Df. Perfect, en parlant d'une clame dominée par des idées fanatiques , s'exprime ainsi :' Her ideas in gênerai were confascd, glooniy, ajid distr'essad; kef- appréhensions without foimdation and her life biirtJmnsomô chat Jiàd' she not been prevented, ^he woidd aç^itally )iave cornmitted- suicide, . . On ben features were s^ùrongly impressed a pal»- and settled rnelancholy ; her eyes looked wi/d and staring' and her nights were watch/id and restless ; she discoursed on religion in a strange, timorous, despondent and incohé- rent manner. ... Le même auteur dit , en parlant d'un autre mélancolique : yi gentleman of fortune, habitiially intem- perate in his way of Life. .. became sfi^^&tily low spirit&d> with great distress and anxiely of jnind ; every trifling occurrence was considered by him as an object of intense trouble and inquiétude ; he was disgnsted wilh alinost e\>fry thing and every body... and in a short tùne his niind -was iSUfik iato the lo-wàst abyss of rnelancholy 'and déjection.


ïort CARACTÈRES PHYSIQUES ET MORAUX

qiiable. Une mère de famille , chargée de cinq cnfans et plongée dans la misère, étoit. allée , avec une extrême répugnance , réclamer , pendant un hiver rigoureux, des secours que le Gouvernement faisoit distribuer dans les paroisses aux indigens. Le prêtre chargé de ce soin la repousse avec dureté, et lui fait un crime de s être bornée , pendant la révolution, au baptême civil de ses enfans et de ne les avoir point présentés à l'Eglise ; il l'accable de reproches, et dans son zèle indiscret lui présage les plus grands malheurs pour elle et sa famille. Cette femme en est consternée et réduite au déses- poir. Elle rentre dans sa maison avec un air égaré et annonce à son mari que tout est perdu , qu'on va les emprisonner et leur faire subir le dernier supplice j elle perd le sommeil , tombe dans une sorte de stupeur , et refuse avec une répugnance invincible toute espèce de nourriture : c'est dans cet état qu'elle fut conduite à la Salpêtrière , et ce n'est qu'après un traitement de quatre mois , qui sera détaillé ailleurs, que sa raison s'est rétablie.

VII.

Erreurs ou écarts de l'imagination dans l'aliéna- tion mentale,

120. J'écarte la question relative au rang que doit occuper l'imagination dans l'ordre successif de&


DE l'aliénation MENTALE. 107

fonctions de lenieacleaient(i), et je la considère comme le complémeiU de toutes les autres, pms^ qu'elle semble disposer à son gré des perceptions antérieures, de la mémoire , du jugement et des af- £ec;ions morales pour en composer à son gré des tableaux plus ou moins réguliers, dans les romans comme dans les ouvrages de morale, dans les beaux- arts et les sciences. Je laisse aux critiques le soin de/réleyer les écarts de cette fonction qui peuvent- être contraires aux principes sévères du goût et les corrompre : mon but ne doit être que de les faire connoître sous le rapport de l'aliénation mentale, et de les rendre sensibles par des exemples èt des résultats d'une observation réitérée. C'est par ces prestiges que les objets présens sont défigurés ou em- bellis , et qu'ils semblent même quelquefois chan- ger entièrement de nature. Les objets absens sont aussi représentés quelquefois avec des couleurs si vives, qu'il en résulte une conviction intime de leur


.( i) Je me garderai d'ajouter de nouvelles obscurités à celles qui restent encore à éclaircir en médecine , et je dois éloigner avec soin de mes considérations toutes les théories d'idéologie encore contestées, sur la nature, l'enchaînement et la géné- ration successive des fonctions de l'entendement humain. Il est plus prudent de ^én tenir aux résultats d'une observation rigoureuse sur les lésions que ces diverses fonctions peuvent éprouver, et d'apprendre a les distinguer par des signes sensibles.


I08 CARACTÈRES PIIYSIÇUES ET MOriAUX

, présence actuelle; ce qui donne lieu souvent au jugemens les plus erronés elles plus bizarres.

121. Un aliéné calme depuis plusieurs mois , est tout à coup saisi d'un accès de manie durant un lour de promenade ; ses yeux deviennentétincelans et comme hors des orbites; son visage, le haut du couetde la poitrine sont aussi rouges que le pourpre ; il croit voirie soleil à quatre pas de dislance; il dit éprouver un bouillonnement extrême dans sa tête, et il demande lui-même à être promptement ren- fermé dans sa loge , parce qu'il n'est plus le maître de contenir sa fureur. ïl continua pendant son accès des'agiter avec violence , de croire voir le soleil à ses côtés , de parler avec une volubilité extrême , et de ne montrer d'ailleurs que désordre et confusion dans ses idées.

.112. Rien n'est plus ordinaire dans l'hospice que les visions nocturnes ou diurnes qu'éprouvent cer- taines femmes attaquées delà mélancolie religieuse. Une d'entre elles croit voir pendant la nuit la Sainte- Vierge descendre dans sa loge sous la forme de langues de feu. Elle demande qu'on y construise un autel pour y recevoir dignement là souveraine des cieux , qui vient pour s'entretenir avec elle et la consoler dans ses peines. Une autre femme, d'un esprit cultivé, etquedesévénemens de la révolution ont jetée dans des chagrins profonds et un déhre maniaque , va constamment se promener dans le jar- din de l'hospice , s'avance gravement les yeux fixés


DE l'aliénation mentale. 109

vers le ciel, croit voir Jésus-Clirsitavec touîe la cour céleste marcher en ordre de procession au haut des

-airs, et entonerdes cantiques accompagnés de sons mélodieux: elle s'avance elle-même d'un pas grave pour suivre le cortège ; elle le montre, pleinement convaincue de sa réalité , comme si l'objet lui-même fiappoit ses sens, et elle se livre à des emportemens violens contre tous ceux qui veulent lui persuader

)Je contraire. Ici ce n'est point une re'miniscence , c'est une connoissance intuitive une vraie fascination intérieure dont l'effet e§t analogue à celui qui pourroit être excité par une impression vive sur

'd'organe de la vue.

123. On cite beaucoup l'exemple du fou du Pjrée d'Athènes, qui se réjouissoit en voyant entrer dans ce port des vaisseaux dont il sexroyoit le possesseur. ^

Rien cependant n'est plus ordinaire que cette sorte

d'illusion qui fait qu'on croit posséder des biens ca- chés ou mêmedes trésors; et d'ailleursdans quel lieu delà terre ne rêve-t-on point honneurs, dignités, richesses? Une femme privée en grande partie de ses ressources par des événemens dé la révolution, perd entièrement la raison, et est envoyée à l'hos- pice des aliénées ; elle se livre d'abord à un babil intarissable, etdansrexcès de son délire, elle adresse des propos décousus aux objets les plus inanimés, et pousse des cris et des vociférations les plus bruyantes; elle croit être la petite-fille de Louis XIY, et ré- clame ses droits au troue. Son imagination semble


llO CARACTÈRES PHYSIQUES ET MORAUX

bientôt réaliser ses désirs. C'est elle qui dispose en idée des contributions et qui tient l'armée à sa solde. Un étranger vient-il dans l'hospice, elle croit que c'est en son honneur, et c'est, dit-elle, par ses> ordres seuls qu'on a pu l'introduire. Ses compagnes i d'infortune dans l'hospice sont pour elle (les mar- • quises et des duchesses qui marchent à sa suite, ett elle leur donne des ordres avec le ton de l'autorité: suprême.

124. Les accès de manie semblent quelquefois» porter l'imagination au plus haut degré de dévelop- • pement et de fécondité, et donnent lieu à un torrent . de paroles souvent bizarres et sans cohérence , et d'autres fois à des propos assu j étis à un ordre régulier et dirigés par le bon goût ; les, pensées les plus sail- lantes , les rapprochemens les plus ingénieux et les plus piquaus donnent à l'aliéné l'air surnaturel de l'inspiration et de l'enthousiasme. Le souvenir du passé semble se dérouler devant lui avec facilité , et ce qu'il avoit oublié dans ses intervalles de calme se reproduit alors à son esprit avec les couleurs les plus vives et les plus animées. Je m'arrêtois autrefois, étant médecin de l'hospice de Bicêtre, devant la loge d'un homme instruit , qui, pendant son accès discouroit sur les événemens de la révolution avec toute la force , la dignité et la pureté du langage qu'on auroit pu attendre de l'homme le plus pro- fondément instruit et du jugement Le plus sain. Dans tout autre temps et ses longs intervalles de


DE l'aliénation MENTALE. Ill

îalme c'étoit un homme ordinaire. Celle exaltation, orsqu elle est associée à l'idée chimérique d'une puissance suprême, ou d'une participation à la na-

ure divine, porte la joie vive de l'insensé jus-

ju'aux jouissances les plus exquises, et jusqu'à une lorte d'enchantement et d'ivresse du bonheur. Un iliéné renfermé dans une pension de Paris , et qui lurant ses accès se croyoit le prophète Mahomet , jreuoit alors l'attitude du commandement et le ton lu Très-Haut; ses traits étoieut rajonnanset sa dé- narche pleine de majesté. Un jour que le canon tiroit à Paris pour des événemens de la révolution , 1 se persuade que c'est pour lui rendre hommage; il fait faire silence autour de lui , il ne peut plus contenir sa joie, et j'aurois été tenté, si je n'avois jété retenu par d'autres considérations , de voir Ih l'image la plus vraie de l'inspiration surnaturelle aies anciens prophètes.

1125. Certains faits paroissent si extraordinaires , u'ils ont besoin d'être étayés de témoignages les îphis authentiques pour n'être point révoqués eu doute. Je parle de l'enthousiasme poétique qu'où dit avoir caractérisé certains accès de manie , lors même que les vers récités ne pouvoient être nul- lement regardés comme une sorte de réminis- cence. J'ai entendu moi-même un maniaque déclamer avec grâce , et un discernement exquis , une suite plus ou moins longue de vers d'Horace et de Virgile depuis long-temps effacés de sa mé-


U'4 CARACTÈRES PHYSIQUES ET MORAUX

moire , puisqu'après son éducation il avoit fait un séjour de vingt années dans les colonies de l'Amé- rique, uniquement livré aux soins de sa fortune , et que les revers seuls produits par la révolution î'avoient jeté dans l'égarement de la raison. Mais»] l'auteur anglais que j'ai déjà cité atteste qu'une jeune personne, d'une constitution très-délicate ell| sujette à des affections nerveuses , étoit devenue aliénée , et que pendant son délire elle s'exprimoiti avec facilité en vers anglais très-harmonieux , quoi- qu'elle n'eût montré antérieurement aucune sorte de disposition pour la poésie. Van-Swieten rapporte? aussi un autre exemple d'une ferarae qui , durant ses accès de manie , mootrolt uue facilité rare pour la versification, quoiqu'elle eût été antérieurement occupée d'un travail manuel, et que son enten- dement n'eût été jamais fécondé par la culture.

126. L'imagination, cette fonction de l'entende-.- ment qu'il est si difficile de contenir dans de justes; bornes, quelquefois même pour l'homme doue de la i raison la plus saine, elle qui donne si souvent lieu, dans la vie civile, à tant de scènes, folles, ridi- cules ou déplorables , pourroit-elle ne point de- venir la source la plus féconde des illusions, des écarts et des opinions extravagantes que manifeste l'aliénation lyientale ? Elle rapproche ou confond les diverses sensations incomplètes que rappelle la mémoire, en forme des tableaux plus ou moins incohérens , vrais ou fi^ux , gais ou tristes , con-,


DE l'aliénation MENTALE. i i3

^formes aux objets cxislans, ou bizarres et fantas- tiques , et présente quelquefois l'ensemble le plus monstrueux et le plus mélancolique. Une femme venant à entendre sonner le tocsin à la suite de ses couches, la première année de la révolution, se trouble , s'agite et tombe dans le délire le plus sombre; elle conçoit les frayeurs les plus vives , se croit environnée d'un appareil de supplices, et pousse les cris les plus lamentables. Elle demande

rsans cesse à voir ses enfans ou ses proches, qu'elle assure être livrés au fer des assassins ou réduits aux extrémités les plus cruelles; elle s'en rapporte à peine à sa vue, et ne peut les reconnoîlre quand on les amène en sa présence. Pendant quelques jours de ce triste délire, son imagination l'emporte

•isur le témoignage authentique de ses sens, et les impressions les plus manifestes et les plus répétées 'faites sur ses organes.

127. On seroit tenté de traiter de fiçtions vaines et de fables, les idées fantastiques des hypochon- driaques, si elles n'étoient attestées par le rapport unanime de tous les observateurs anciens et mo- dernes , et si les exemples ne s'en renouveloient chaque jour avec la plus grande fréquence. Tout ce qui les précède ou les accompagne n'indique-t-il point que le siège primitif de cette maladie est dans les viscères de l'abdomen , d*où elle paroît se com- muniquer , par une sorte d'irradiation , au système ïierveux , surtout au cerveau , quelque obscurité

8


ni CÀllACTÈRES PHYSIQUES ET MORA.UX

profonde d'ailleurs qui couvre la nature de celte affection physique? Plusieurs années avant le pas- sage de l'hypochondrie à un état d'aliénation , dé- sordres dans la digestion des aliineus , contractions 5 spasmodiques des muscles abdominaux , llatuositég t incommodes, perceptions erronées , affections rao-. raies les plus bizarres , quelquefois conviction in-- time de la présence réelle d'un animal vivant dansî l'abdomen, ou d'une vraie possession du Pémon autres symptômes variés suivant les progrès de lat maladie, alternatives irrégulières d'un sentiment dcî froid et de chaleur, défaillances, vertiges, état pas-- sager de surdité , tintemens d'oreille ; et au moral abattement , anxiétés renaissantes , terreurs pusil- • iauimes, attention minutieuse sur tout ce qu'on i éprouve à l'intérieur , ou qu'on croit éprouver. . ijcsuns pensent que leurs membres inférieurs sont : de verre ou de cire, d'autres se croient privés du cœur, , organe 'principal de la circulation; certains sont pleinement convaincus qu'ils ont cessé d'exister; quelques - uns d'entre eux imaginent être changés en bêtes féroces ou en monstres (i). Je supprime


(i) On conçoit très-difSçilemenl rhypochondrie maniaque conaue sous le nom de lycanthropie , ou la conviction intim» cVétre transformé en loup, et le penchant irrésistible d'ea prendre les habitudes. On en trouve plusieurs exemples dans divers recueils d'obsérvàlions , et un médecin de Nancy vient d'en communiquer Un- nouveau à la Société de l'École de


DE l'aliénation mentale. Il5

des détails ultérieurs sur ces déplorables témoignages des misères humaines , que je ne considère ici que sous le rapport de l'aliénation mentale.

128. La mélancolie peut tenir à une disposition naturelle qui se fortifie avec l'âge, et que diverses circonstances de la vie humaine servent à exaspérer ; mais on voit aussi des personnes d'un caractère gaî et plein de vivacité tomber, par des chagrins réels , dans une morosité sombre, rechercher la solitude et finir par perdre l'appétit et le sommeil ; on devient de plus en plus soupçonneux , et on finit par se croire sans cesse circonvenu par des pièges et des trames ourdies avec la plus noire perfidie. Quel-'


Médecine. Un maçon , vers l'automne de l'an 12, tomba dans une tristesse profonde et la plus sombre misanthropie sans aucune cause connue ; il éprouvoit la nuit des visions fan- tastiques , et dès le matin il s'échappoit furtivement dans des 'lieux écartés. Il refusa toute nourriture le dixième jour de •la maladie ; mais deux jours après il se précipita avec une ex- trême voracité sur les alinaens qui lui éloient offerts il poussa des hurlemens à la manière des loups , et entra plusieurs fois dans une sorte de fureur , avec désir de mordre. Le quator- .zième jour , à l'approche de la nuit , il s'échappa d^ nouveau dans les champs oii il poussa encore des hurlemens qui cé- 'dèrent à des affusions répétées d'eau froide. Cette maladie sin- gulière parut se terminer le dix-huitième jour par un accès Violent de fièvre qui dura près de vingt-quatre heures ^ le ré^ tabhsscment complet semble ayoir ensuite été produit par les seules ressources de la uniure.


Il6 CARACTÈRES PHTSIQUES ET MORAUX

ques-unes de ces mélancoliques de l'hospice ont l'imagination si fortement frappée de l'idée d'une persécution dirigée contre elles par des ennemis invisibles , qu'elles éprouvent des anxiétés conti- nuelles, et que la nuit même elles croient entendre des bruits sourds par des machinations secrètes , dont elles redoutent sans cesse de devenir les vic- times. Une d'entre elles quiavoit entendu parler au- trefois d'électricité , et qui avoit lu quelques écrits sur cette partie de la physique, pensoit que ses en- nemis acharnés à la perdre pouvoient exercer sur elle des influences funestes à de grandes distances, et elle croyoitvoir dans l'air des courans électriques qui la menaçoient du plus grand danger. D'autres femmes font intervenir des êtres surnaturels qu'une imagination foible semble réaliser en leur prêtant les intentions les plus sinistres. Une femme d'en- viron vingt-cinq ans, d'une constitution forte, et unie par le mariage à un homme foible et délicat , tomba dans des affections hystériques très-violentes, et fut sujette à des visions nocturnes les plus propres à l'alarmer. Elle étoit pleinement convaincue qu'un mendiant qu elle avoit un jour rebuté et qui l'avoit me^làcée d'un sortilège, avoit exécuté ce dessein fu- neste. Elle s'imaginoit être possédée du Démon , qui, suivant elle, prenoit des formes variées et faisoit entendre tantôt des chants d'oiseau, d'autres fois des sons lugubres , quelquefois des cris perçans qui la pénétroieat de la plus vive frayeur. Elle resta plu-


DE l'aliénation MENTALE. 117

sieurs mois dans son lit , inaccessible à tous les avis qu'on pouvoit lui donner, et à toutes les consola- tions de l'amitié. Le curé du lieu , homme éclairé et d'un caractère doux et persuasif , prit de l'ascendant 1 sur son esprit et parvint à la faire sortir de son lit, à l'engager à reprendre ses travaux domestiques , même à lui faire bêcher son jardin , eî à se livrerau dehors à d'autres exercices de corps très-salutaires ; , ce qui fut suivi des effets les plus heureux et d'une I guérison qui s'éloit soutenue pendant trois années. Mais à cette époque le bon curé est venu à mourir, et i! a été remplacé par un ex-moine très-superstn lieux et d'un esprit très-borné. Ce dernier ajoute une entière croyance aux visions de la malade , ne met nullement en doute qu elle ne soit possédée du Démon, continue de multiplier les exorcismes et de la tenir étroitement renfermée. On prévoit sana peine les suites de ces préventions absurdes.

129. Ou ne peut se dissimuler l'extrême difficulté de dissiper cette sorte de prestige qui tient à une dévotion très-exaltée ou au fanastisme , et sur ce point mes observations depuis plusieurs années sont conformes à celles que j'ai faites sur les aliéné» de Bicêtre, et à celles qu'on a publiées en Angleterre. Comment ramener à des idées saines un aliéné bouffi d'orgueil, qui ne pense qu'à ses hautes destinées^ qui se croit un être privilégié, un envoyé du Très-Haut p un prophète , ou même une divinité ? Quels propos peuvent contrebalancer l'effet des visions mystiques et des révélations sur la vérité desquelles l'aliéné


n8 CARACTÈRES PHVSIQUES ET MORAUX

s'iudigne qu'or, puisse former le moindre doute ^ L un d'entre eux, dont j'ëtudiois avec soin les égare- meos dans l'bospice de Bicêtre, crojoit voir par-tout des diables sous diverses formes, et un jour qu'une compagnie de curieux étoit venue visiter l'iiospice, il se précipita avec fureur au milieu d'eux, comme sur une légion de démons. Un autre , d'un caractère doux, invoque sans cesse son bon ange gardien , ou bien quelques-uns des apôtres et ne se plaît que dans les macérations, le jeûne, la prière; mais comme il a besoin de vivre du travail de ses mains , com- ment pourvoir ainsi aux besoins de sa famille? J'aimois à converser quelquefois avec un aliéné par dévotion qui , comme les antiques disciples de Zoroastre, ren- doit un culte particulier au soleil , se prosternoit re- ligieusement devant cet astre à son lever, et lui consacroit durant la journée ses actions, ses plaisirs, ses peines. On peut le mettre en oppo- sition avec un autre maniaque bien plus dangereux, qui est ordinairement calme pendant le jour, mais qui durant la nuit se croit toujours entouré de re- venans et de fantômes, qui s'entretient tour-à-tour avec de bons ou de mauvais anges, et qui, suivant le caractère de ses visions, est bienfaisant ou dan- gereux, porté à des actes de douceur ou à des traits d'une cruauté barbare. L'histoire suivante fera connoître à quels excès atroces une pareille aliéna- tion peut conduire.

i3o. Un missionnaire, par ses fougueuses décla-


DE l'aliénation MENTALE. 119

nations et l'image effrayante des touimens de •autre vie, ébranle si fortement l'imagination d'un i^igoeron crédule, que ce dernier croit être condamné lux brasiers éternels , et qu'il ne peut empêchei? sa "amiJle de subir le même sort, que par ce qu'on ippelle baptême de sang ou le martyre. Il essaye l'abord de commettre un meurtre sur sa femme , rjui ne parvient qu'avec la plus grande peine a kbapper de ses mains j bientôt après , son bras tbrcené se porte sur deux enfans en bas âge , et il a la barbarie de les immoler de sang-froid pour leur procurer la vie éternelle. Il est cité devant lés tribunaux, et durant l'instruction de son procès il égorge encore un criminel qui étoit avec lui dans 3e cacliot, toujours dans la vue de faire une œuvre expiatoire. Son aliénation étant constatée , on le condamne à être renfermé , pour le reste de sa vie , rjilans les loges de Bicétre. L'isolement d'une longue ^détention , toujours propre à exalter l'imagination , l'idée d'avoir écbappé à la mort malgré l'arrêt qu'il suppose avoir été prononcé par les juges, aggra- vent son délire , et lui font penser qu'il est revêtu de la toute-puissance, ou, suivant ses expressions, qu'il est la quatrième personne de la Trinité , que sa mission spéciale est de sauver le monde par le baptême de sang, et que tous les potentats de la terre réunis ne sauroient attenter à sa vie. Son égarement est d'ailleurs partiel comme dans tous les cas de mélancolie , et il se borne à tout ce qui


IM CiRACTÈBES PIirSIQDES ET MORAUI

rapporte à la religion; car, sur tout autre obje- ^ parou ,o„,r de la raison la plus saine. Plus d.x années s elo.ent passées dans une étroite réclu- Hon , et les apparences soutenues d'un état calme el tranquille déterminèrent à lui accorder la liberté des entrées dans les cours de l'hospice avec les autres convalescens. Qitatre nouvelles années d'é- preuve sembloient rassurer, lorsqu'on vit tout-à- coup se reproduire ses idées sanguinaires comme «a objet de culte; et une veille de Noèl , il forme le projet atroce de faire un sacrifice expiatoire de tout ce qu. tomberoit sous sa main ; il se procure

tranchet de cordonnier, saisit le moment de la ronde du surveillant (M.Pussin), lui porte un coup par-derrière qui glisse heureusement sur les cotes , coupe la gorge à deux aliénés qui étoient à ses cotes ; et il auroit ainsi poursuivi le cours de ses homtcdes, si on ne fût promptement venu pour s en rendre maître et arrêter les suites funestes de sa rage effrénée.

VIII.

Changement du caractère moral dans l'aliéna- lion.

i3r. Une agitation extrême, l'altération des traits de la face, le désordre des idées et des emportemens de fureur continuels ou par intervalles , s'ils sur- viennent subitement et pour la première fois, sont


DE l'aLIÉNATIO\ mentale. ïtit

aes signes manifestes de lalietlâtion, et Délaissent aucun doute sur la date précise de son invasion , en remontant d'ailleurs aux causes ordinaires qui peuvent lui donner naissance; mais , dans d'autres cas,lesdéveloppemens de la maladie ont lieu par degrés, et peuvent même échapper à un obser- vateur exercé, à moins d'une attention sérieuse et continuée pendant plusieurs jours. L'agitation et les emportemens peuvent être attribués à une vivacité exaltée et aune exaspération de caractère, produites par des contrariétés vives ou des cha- grins; des écarts fugaces de la raison peuvent être rapportés à la même origine ; et il est d'autant plus facile de se méprendre , qu'on a l'habitude de vivre continuellement auprès de la personne , et de ne point reconnoître des changemens légers qui peu- vent augmenter , pendant un long intervalle de temps, et sans aucune transition brusque et violente. Un homme très-éclairé , qui venoit prendre des éclaircissemens sur l'état de sa femme tombée dans l'aliénation et traitée à l'hospice de la Salpêtrière , croyoitde bonne foi que l'égarement de sa raison nedatoit que d'environ six mois, à l'époque d'un délire violent et furieux ; il avouoit cependant que la cause de cette maladie remontoit j usqu'aux temps les plus orageux de la révolution ; qu'il a voit fait Ini-même la perte presque totale de sa fortune pour faciliter à des émigrés les moyens de s'expa- trier ; que sa femme eu avoit conçu les chagrins les


152 CARACTÈRES PHYSIQUES ET MORAUX

plus profonds. OaMIç^ alors plusieurs questions, et il fut reconnu <jxie celle femme avoit éprouvé «lors un changement entier dans son caractère mo< ral , que sa douceur naturelle et sa modestie a volent fait place à une dureté extrême dans les propos et Jes manières, qu'on ne reconnoissolt plus son an- cienne parcimonie, et que tout l'argent qu'elle recevolt pour les besoins ordinaires de la vie étoifc dissipé en un instant ; qu'elle faisoit quelquefois des absences de plusieurs jours sans aucune cause connue, tandis qu'auparavant elle étolt citée comme un modèle d'attachement à sa famille et d'une vie retirée et concentrée. Des réponses directes à des questions analogues firent connoître que la maladie daloit depuis plus de quinze ans ; qu'elle étolt de- venue habituelle et sans aucun espoir de guérison. On ne peut voir sans attendrissement cette malheu- reuse victime de la révolution , livrée maintenant presque sans cesse à tous les emportemens d'un délire furieux , et conservant à peine le sentiment de sa propre existence.

1 32, L'habitude du vice comme celle de Tivro- gnerie, d'une galanterie illimitée et sans choix, celle d'une conduite désordonnée ou d'une insouciance apathique , peuvent dégrader peu à peu la raison , et aboutir à une aliénation déclarée , comme le prou- vent des exemples nombreux observés dans les hospices ; ces penchans vicieux semblent se forti- fier par le progrès de l'âge , et une longue réclu-


DE l' ALIÉIS ATION MEI^TALE. 123^

on amène un régime plus régulier et un réta- lissement plus ou moins durable , ou bien une ullité absolue et un état incurable de démence, lais on observe aussi dans tous les asiles consa- rés aux aliénés, des personnes de l'un et de l'autre

xe , recommandables par une vie sobre et labo-

ieuse, les mœurs les plus irréprochables et une xtréme délicatesse de sentimens, tomber par quel- ue cause physique ou morale connue, dans un garement complet de la raison , et contracter alors es vices qui forment un contraste frappant avec îur caractère primitif, durant le cours de leur liénation, et revenir enfin, lors de leur guérison , ux douces impressions de leur heureux naturel. )ue d'hommes, très -sobres dans les intervalles 'une manie périodique , se livrent avec un pen- hant irrésistible à l'ivrognerie au retour de leurs ccès î Combien d'autres , dans les mêmes circons- mces , ne peuvent s'empêcher de voler et de faire es tours de filouterie , tandis que dans leurs mo- »ens lucides on les cite comme des modèles d'une il'Obité austère ! Ne voit-on pas de même des carac- ères doux et bienveillans se changer , par les suites e l'aliénation, en esprits turbulens, querelleurs it quelquefois entièrement insociables? J'ai cité lilleurs des exemples de jeunes personnes éle- rées dans les principes les plus sévères, et dignes Tailleurs de l'estime publique , tomber dans l'a- iénation , et alarmer alors la pudeur par la sa-


Ii4 CARACTÈRES PHrSlQrJFS ET MORAUX

leté de leurs propos et l'indëceuce de leurs gesles. Lors de leur rétablissement, tout rcntroit dan Tordre , et c'étoient alors autant de modèles de : moeurs les plus pures et de toute la candeur dea l'innocence (i).

i33. Un œil observateur peut suivre le déve-| ïoppement gradué ou plus ou moins lent des chan- gemens physiques ou moraux qui précèdent les. symptômes les plus violens de la manie. Une per- sonne de l'un ou de l'autre sexe, d'un naturel gai,, tombe après une cause connue dans une morositéû sombre, devient sujette à de vaines frayeurs, parler avec aigreur , est brusque dans ses manières , bizarree dans sa conduite, marque des sentimens profondss


(i) On trouve un grand nombre d'exemples analogues àanti le recueil d'observations publiées en Angleterre par le docleurr Perfsct. Une Dame dont il parle , âgée de vingt-quatre ans , , pleine de vivacité , et douée de qualités rares , contracta dcfts attaques d'hystérie à la suite d'une menstruation irrégulière,, et finit par tomber dans une manie déclarée. Ses propos et sesa actions, qui ne respiroient antérieurement que la raison et laa décence , furent marqués par la bizarrerie , l'incohérence et t l'extravagance. Elle étoit sujette à des anxiétés fréquentes ell extrêmes ; son appétit étoit si dépravé , qu'elle portoit à las bouche tout ce qui lomboit sous ses mains , et sa voracité étoit i telle qu'elle avaloit ses alimens sans les mâcher. Elle se livroitt souvent à des éclats de rire immodérés , avec un passage» brusque à des larmes involontaires , ou bien à des hurlemens,, des cris et à tous les excès d'un délire furieux.


DE l'aliénation MENTALE. laS

.'aversion ou de haine contre des personnes qui lui toient inconnues ou qu'elle affectionnoit , se livre llernativement à des emportemens violens et re- ombe dans un état de stupeur, perd le sommeil, !t éprouve une altération marquée dans les traits le la face. On doit concevoir de justes allarmes et îraindre une explosion prochaine des symptômes es plus violens de la manie. L'extravagance eu -ffet paroît bientôt à son comble : agitation conti- melle, menaces, juremens, extrême volubilité de la angue, cris aigus, propos sans ordre et sans suite, actes répétés de fureur et d'audace; dans certains cas sorte d'abattement et frayeurs pusillanimes re- naissantes, air rêveur et concentré, regard sau- vage, taciturnité obstinée et interrompue, comme 7 par accès , par des emportemens d'une colère effré- née. Les idées peuvent être claires et le jugement sain au milieu de cette agitation effervescente , et le caractère moral peut être changé ou mis en op- position avec l'état antérieur; le changement même peut être tel que l'attrait puissant qui attache l'homme à la vie soit entièrement détruit, ou plu- tôt converti en une sorte de rage aveugle qui porte au suicide , comme le prouvent des exemples sans nombre.

134. Une manie d'une date récente , quelque en- tier que soit le bouleversement de la raison , peut avoir plus ou moins de durée suivant la nature de la cause déterminanle ou les principes du traite-


126 CARACTkllES PHYSIQUES ET MORAUX

m^nt adopté; mais elle a en général une période, marquée par la plus grande inteusitédes symptômes et leur diminution graduée annonce son déclin: et sont toujours lès mêmes écarts, lesmemes penchans^ pervers, à un degré beaucoup plus modéré, et ce n'est qu'à l'époque d'une entière convalescence, que le calme est rétabli et que le caractère moral t est revenu à sou état primitif; il ne reste plusalorss qu'à laisser consolider la raison pour éviter unee sortie prématurée de l'hospice et prévenir une re- chute. Mais quelque discernement et quelque ha- bitude qu'on ait pu acquérir pour indiquer cemo-- ment favorable, il peut rester de l'incertitude, lorsqu'on n'a point acquis de connoissances pré-| cises sur le caractère de la personne antérieuremeut à son état de manie. Une femme dgée de vingt- quatre ans etd'une constitution très-forte étoit tom- bée dans la manie à la suite des couches , et avoit été; amenée à l'hospice dans un état des plus violens;; elle mettoit en pièces tout ce qui tomboit sous sesî mains , et il fallut joindre à l'application du gilet dé • force une réclusion étroite dans sa loge, pour évi- ter les accidens. Plus de trois mois se passèrent dans ; cette agitation extrême, avec quelques intervalles! de calme ; elle n'éfoit plus à craindre au déclin de ; la maladie : mais toujours vivacité singulière dans . les mouvemens, pétulance, gaieté folâtre, sauts, éclats de rire immodérés, ce qui continua pendant une grande partie de la belle saison ; il succéda


DE l'aliénation MENTALE. t^fj

lae sorte de stupeur vers la fia d'octobre, et on eut •ecours à quelques excitans pris à l'intérieur. Il •estoit seulement pendant l'hiver une taciturnité ombre et un goût particulier pour le recueille- nent qui me faisoient craindre que sa maladie ne fût )oint terminée. Mais je fus pleinement rassuré par y es parens, en apprenant que c'étoit là son état na- urel et qu'elle avoit repris son caractère primilif. >a sortie fut alors accordée.


I


DISTINCTION


TROISIÈME SECTION.

Distinction des diverses espèces d'Alié- nation.

135. L'avantage de bien fixer un objet dans la mémoire, et d'en donner une idée exacte, ne tient-il point à l'attention de le circonscrire dans certaines limites, et d'éviter des considérations disparates? Comment déterminer ce qu'on doit proprement en- tendre par aliénation mentale et éviter la confusion, si on y comprend, comme l'ont fait quelques IXoso- logistes,les lésions variées des fonctions des sens, de la vue, de l'ouïe , du goût, du tact et de l'odorat, qui tiennent à d'autres maladies? L'hypochondrie peut, par ses progrès successifs, dégénérer en manie; mais considérée en elle-même elle en est très-dif- fe'rente, forme un genre très-étendu, et peut donner lieu à des erreurs de l'imagination très-singulières, lien est de même de plusieurs affections nerveuses primitives connues sous les noms de somnambu- lisme, de vertiges, de bizarrerie, d'anlipatbie, de nostalgie , de frayeurs nocturnes , et des désirs ef- frénés pour les plaisirs de l'amour qu'on nomme, suivant le sexe , satyriase ou nymphomanie.

136. L'beureuse intlnence exercée dans ces der- niers temps sur la médecine par l'étude des autres sciences, ne peut plus permettre aussi de donner à


DES DIVERSES ESPÈCES d'aLIÉNATION. 129

raliënatioli le nom général de folie, qui peut avoir une latitude indéterminée et s'étendre sur toutes les erreurs et les travers dont l'espèce humaine est susceptible, ce qui, graee à la foiblesse de l'homme et à sa dépravation, n'auroit plus de limites. Ne fau- droit-il point alors comprendre dans cette division toutes les idéesfausses et inexactes qu'on se forme des objets, toutes les erreurs saillantes de l'imagination et du jugement, tout ce qui irrite ou provoque des désirs fantastiques? ce seroit alors s'ériger en cen- seur suprême de la vie privée et publique des hommes, embrasser dans ses vues l'histoire, la morale, la politique et même les sciences physiques dont le domaine a été si souvent infecté par des sub- tilités briJlantes et des rêveries.

iSj. Un Nosologiste anglais (Cullen) a fait des ï-emarques judicieuses sur le caractère distinctif du délire maniaque qu'il fait consister dans des erreurs du jugement , de fausses perceptions des objets ex- térieurs, une association insolite d'idées, etdesaf- •fections morales plus ou moins violentes et non •provoquées ; mais les explications vaines et les théories gratuites qu'il donne ensuite des faits ob- servés, comme pour en dévoiler le mécanisme , ne sont-elles point en opposition avec la marche grave et circonspecte que doit s'imposer un historien fidèle des symptômes des maladies ? Comment a-t-il pu croire que quelques vues subtiles sur le mouvement 4u sang dans le cerveau , e,t sur les différens degrés

9


l3o DISTINCTION

d'un prétendu eoccitement et d'un collapsus de cet organe , suffirolent pour sonder le mystère pro- fond du siège de la pensée , et des dérangemens dont elle est susceptible? Je suis loin de vouloir m'é- garer dans ces régions inconnues , et je me borne à l'exposition simple des résultats de l'observation la plus constante et la plus répétée.

i58. La distinction des trois espèces de manie admises par Cullen , l'une mentale, l'autre corpo- relle, la troisième obscnre , est- elle fondée sur des différences essentielles, et leurs signes extérieurs sont-ils bien caractérisés? Les symptômes de oha- cuue d'entre elles ont-ils des dissemblances mar- quées , ou bien ne diffèrent-ils que par leur inten- sité plus ou moins grande , leur durée ou d'autres variétés accessoires ? On doit déplorer le sort de l'espèce humaine , d'être souvent la victime des études superficielles qu'on fait en médecine, et de la négligence qu'on met à prendre pour guides les mé- thodes de division adoptées par les Naturalistes. Pour établir ces distributions sur desfondemens solides, ne faut-il point considérer d'abord avec la plus grande attention les objets particuliers , rassem- bler ensuite un grand nombre de faits observés et les distribuer en plusieurs faisceaux suivant leurs points multipliés de conformité et des analogies frappantes ? C'est en suivant une route contraire qu'on a établi en médecine un si grand nombre de distributions arbitraires qui ont fiai par mettre les


DES DIVERSES ESPECES d'aLIÉNATION. l3l

médecins en contradicllou les uns avec les autres, et à laisser dans un état de Huctuatiou, pour leurs principes, l'opinion publique.

iSg. Un autreauteurde médecine devenu célèbre en Angleterre, et fertile en idées ingénieuses , a fondé sur les principes les plus bizarres la classifi- cation des maladies, et il ne considère la manie que sous le rapport des affectioDS morales qu'elle peut provoquer j il distingue celle qui est jointe à des idées agréables, sans agitation ni développement des forces musculaires, celle qui porte l'aliéné à faire les efforts les plus violens pour obtenir un objet qu'il désire, ou pour éloigner ce qu'il déteste ; il admet enfin une autre sorte de manie jointe à un état de torpeur et un penchant irrésistible au dé- sespoir. I] a été facile à cet auteur de recueillir dans la société ou dans des ouvrages de médecine, di- verses anecdotes piquantes sur le délire exclusif des mélancoliques (i) , d'amuser ainsi le lecteur en sacrifiant l'exactitude à l'agrément, et de mettre eu


(i) Darwin {^Zoonomia , ot' the laws , of organic Life. LondoTi , 1796.) désigne comme une espèce de manie paxi- pertatis amor , et 11 cite pour exemple un chirurgien très- avare et Vrès-parsimonieux qui , après avoir hérité de près de cenlmille livres de rente, lomhadans lamanie parla crainlede la pauvreté. Il gémissoit chaque jour sur l'état de misère qui l'exposoit à aller mourir dans une prison ou dan$ une moisga puhllquQ d'indigens*


ïja DISTINCTION

oubli les caractères fondamentaux de la manie et sa vraie distinction en espèces. Il traite même d'a- liénation des vices simples et des travers qu*on observe sans cesse au sein de la société, l'amonr sentimental, un excès d'amour- propre, la vanité de la naissance, un grand désir d'acquérir de la cé- lébrité, l'iiabitude de s'occuper dépensées tristes, les vifs regrets des femmes sur la perte de leur l3€auté, la crainte de la mort, etc. N'est-ce pas là convertir en Petites - Maisons nos cités les plus florissantes ?

140. Au milieu de cette fluctuation d'opinions sur les caractères fondamentaux de l'aliénation , et sa division en espèces, on trouve une conformité gé- nérale qui est le résultat des observations les plus répétées sur les vraies notions de l'aliénation , et la distinction de la manie avec fureur , de la manie tranquille et du délire mélancolique avec un abat- tement extrême et un penchant au désespoir. Aussi le Dr. Clirigton (i) a-t-il établi trois espèces de ma- nie comprises dans le premier genre desvésauies; mais il regarde comme un second genre de vésanies les illusions ( hallucinationes ) qui consistent dans de fausses perceptions des objets extérieurs, sans autre dérangement des facultés mentales , comme dans l'hjpochondrie; il place sur le même rang la

(i) An inqinry into the nature and origin of mental dérangement , etc. 5/ Chrigton. London ^ i^Q^»


DES DIVERSES ESPECES d'aLIÏNATION. i55.,

dëmonomanie ou la conviction d'une communica- tion immédiate avec des esprits raalfaisaus , le ver- tige etle somnambulisme ;eufin il forme un troisième genre sous le nom de démence (^amentia') , etily comprend des lésions particulières des diverses fonc- tions de l'entendement. Cet auteur s'est le plus rap- proché dans ces derniers temps d'une division exacte des vésanies ; mais il y fait entrer plusieurs objets disparates, et même des symptômes particuliers de la manie et de la mélancolie , comme les vertiges et la croyance de communiquer avec le Démon. Les lésions particulières des facultés mentales sont auss! des symptômes des diverses espèces d'aliénation, considérées suivant leurs variétés et leurs diverses périodes, et je les ai regardées (sect. 11^.) comme autant de caractères distinctifs, qui serviront à. les faire connoître et à tracer iidèlement leur his- toire.

141. La diversité de noms consacrés par les an- ciens médecins grecs pour exprimer les nuances et les divers degrés du délire fébrile , atteste l'étude approfondie qu'ils avoient faite de cette affection cérébrale \ mais peut-on les appliquer avec le même succès aux diverses espèces d'aliénation , et connoît- on avec assez de précision leurs significations variées, pour les faire servir aux progrès de cette partie de la médecine ? Quelle déjfiance ne doivent pas inspif» rer des méthodes vagues et incertaines appliquées à la manière d'observer les aliénés ! et la médecme ns


l54 DISTINCTION

s'est-elle point ressentie jusqu'ici du penchant natu- rel qu'on a de s'amuser de leurs conceptions extra- vagantes, et au lieu d'une étude sérieuse, d'en faire une sorte de bouffonnerie ? On s'est donc arrêté sur- tout à la bizarrerie de leurs propos et à leurs saillies d'une humeur sombre ou joviale, pour en faire un objet de plaisanterie, plutôt que de diriger successi- vement ses vues sur les écarts de leurs perceptions, la mobilité de leurs idées , les désordres de leur ré- miniscence, les fantômes de leur imagination éga- rée, la fougue effrénée de leurs passions. Les aliénés d'ailleurs, à moins d'un entier bouleversement de la raison, cherchent à déjouer ceux qui veulent les examiner de trop près. Ils sont doués d'une dlssi- tnulalion profonde ou d'une froide réserve pour lie point se laisser pénétrer , et il est souvent diffi- cile de se former une idée exacte de leur vraie posi- tion et des caractères dlstinclifs de leur délire. C'est à plusieurs reprises , et dans diverses entrevues mé- nagées avec habileté , et surtout en prenant avec eux un air de bonhomie et le Ion d'une extrême fran- chise, qu'on peut pénétrer leurs pensées les plus secrètes , éclaircir ses doutes , et faire disparoître par voie de comparaison , des contradictions appa- rentes. Les principes qu'on suit dans des établisse- mens publics ou particuliers pour la manière de les diriger , peuvent aussi produire en eux des idées ou des émotions qui leur sont étrangères. Les traile- t-on avec hauteur et avec une dureté déplacée ,


DES DIVERSES ESPECES d'aLIÉNÂTION. ï55

ils devienoent emportes, haineux el pleins de vio- lence. Ils ne peuvent élre ramenés à leurs aftec- lions propres que par des naanières douces etbienveil- lantcs, et ce n'est qu'alors qu'on peut tracer l'histoire fidèle de leurs égaremens considérés comme ma- ladie. C'est encore parla qu'on peut suivre la manie et la mélancolie dans leurs diverses périodes ré- gulières comme dans leurs changemens inattendus» seul moyen de bien connoître leurs signes caractéris- tiques. Doit- on donc s'étonner si les observations faites sur les aliénés jusqu'à ces derniers temps ont été en général incomplètes, et peu dignes de servir de base fondamentale à une classification régulière de l'aliénation mentale en ses diverses espèces?

142. Une réforme générale introduite dans des élablissemens publics ou particuliers consacrés aux aliénés , la simplicité des moyens et l'ordre régulier qu'on a établi dans leur régime , donnent maintenant la facilité d'embrasser par des exemples nom- breux le cours entier de la manie, de pouvoir lar contempler dans ses trois périodes successives d'in- tensité extrême de leurs symptômes, de leur déclin et de la convalescence, sans que leur marche soit troublée ou intervertie ; on a alors l'avantage de multiplier les points de contact et les conformités qu'ont entre eux des faits analogues et on donne lieu par leur rapprochement à des idées abstraites et à des termes généraux propres à exprimer le& diverses espèces d'aliénation mentale. Toute ibéosie


DISTINCTION

vaioe est d'allleiii s éloignée de ces cas particuliers , et on n'insiste que sur des symptômes manifestes aux sens par des signes extérieurs , tels que la parole, des gestes insolites, l'expression de certaines émo- tions bizarres et emportées, et divers changemens produits dans l'état physique. Pour*quoi donc ne point transporter à celte partie de la médecine, comme à ses autres parties, la mélbode usitée dans toutes les branches de l'histoire naturelle ? Les traits distinclifs de l'aliénation mentale, à certaines variétés accessoires près,ne sont-ils pasîes raêmesdans toutes les observations exactes recueillies à diverses épo- ques? et ne doit-on point en conclure que tous les autres faits qu'on pourra recueillir viendront se placer naturellement dans les divisions qu'on aura adoptées? C'est ce que confirment d'ailleurs chaque jour les ahénés de l'un et de l'autre sexe admis dans les hospices.

143. H est facile de reconnoîtreque la division de l'aliénation en ses diverses espèces a été jusqu'ici établie sur des rapprocliemeus arbitraires d'un très'petit nombre d'observations souvent, incom- plètes et inexactes, au heu d'avoir été fondée sur des dénombremens défaits très-multipliés, recueillis avec méthode , pendant une longue suite d'années, dans des établissemens publics et particuliers con- sacrésaux aliénésdel'un et de l'autre sexe. L'ordre le plus sévère et le plus invariable dans le service, et la direction de cesiufirmes , doivent garantir que


DES DIVERSES ESPÈCES d'aLIÉNÂTION. ï37

la marche des symploraes n'a point ëlë troublée ni interverlieclnrant leur cours, et qu'on a pu observer avec soin tous les passages gradués de l'aliénation, depuis son intensité extrême et son déclin jusqu'à ]a convalescence. L'exposition historique de ces faits doit avoir été asservie à une méthode sûre et constante , et l'observateur a dû insister particu- lièrement sur les caractères distinctifs de l'aliénation, pris des diverses lésions de l'entendement et de la volonté ( sect. 11^ ). Il doit être prévenu que les variétés accessoires de cette maladie qui tiennent à la diversité des causes , à l'intensité plus ou moins grande des symptômes , à la différence des objets du délire , ou à la nature particulière des affections morales, ne peuvent nullement fournir des carac- tères spécifiques, puisque ceux même qui semblent ..le plus opposés peu Vent exister sur le même aliéné dans différentes circonstances et à diverses époques de l'aliénation mentale : c'est assez indiquer les prin- cipes que j'ai suivis dans cette classification pour la rendre exacte et complète.

144. J'avois communiqué autrefois, à la Société de de Médecine , le résultat de mes recherches faites sur l'aliénation dans un établissement particulier ; mais je sentois trop l'insuffisance de ces observations pour m'élever à des considérations générales sur sa division en espèces : les mêmes vues furent reprises avec plus de suite et des ressources plus étendues, la première année de la révolution, par ma nomina-


l38 DISTINCTION

tion à la place (le Médecin de l'hospice deBicétre, où j'avois continuellemeDt sous mes yeux le spec- tacle de plus de deux cents aliénés conilés à mes soins. Plusieurs années après je rédigeai le résultat de mes observations très-multipliées,et je crus pou- voir établir une division solide de l'aliénation en ses diverses espèces, en rapprochant toutes les histoires particulières qui m'étoient propres de celles des autres auteurs, et en les distribuant en collections séparées, suivant l'ordre de leurs affinités (r). C'est ainsi qu'un délire général plus ou moins marqué, avec plus ou moins d'agitation, d'irascibilité ou de penchant à la fureur, a été désigné sous le nom de manie périodique ou continue. J'ai conservé le nom àQ^déllre mélancolique à celui qui étoitdirigé exclu- sivement sur un objet ou une série particulière d'ob- jets, avec abattement, morosité, et plus ou moins


(i) Un rassemblement de près de huit cents aliénées, sou- mises au traitement ou regardées comme incurables , que j'ai sans cesse sous mes yeux à la Salpétrière , ont mis à de nou- velles épreuves la méthode de classification que j'ai adoptée , et je n'ai vu , depuis la première édition de mon ouvrage sur la Manie , aucun cas d'aliénation qui ne puisse être naturelle- ment rapporté à une des espèces que je viens d'indiquer. J'ai reconnu seulement que la manie sans délire n'étoit point une espèce mais une variété , puisque ces aliénées , dans le moment où elles raisonnent avec justesse , donnent d'autres marques d'égarement dans leurs actions et offrent d'autres caractères propres aux maniaques.


DES DIVERSES ESPECES d' ALIENÀTIOIS'. iSg

de penchant au désespoir , surlout lorsqu'il est porté au point de devenir incompatible avec les devoirs de la société. Une débilité particulière des opéra- lions de l'entendement et des actes de k volonté, qui prend tous les caractères d'une rêvasserie sénde, a été indiquée par le.nom de démence ; enfin une sorte de stupidité plus ou moins prononcée, un cercle très-borné d'idées et une nullité de cai-actere forme ce que j'appelle idiotisme,

I.

MANIE, ou DÉLIRE GÉNÉRAL,

Caractères spécifiques de la Manie»

145. La manie, espèce d'aliénation la plus fré- quente, se distingue par une excitation nerveuse , ou une agitation extrême portée quelquefois jus- qu'à la fureur, et par un délire général plus ou moins marqué , quelquefois avec les jugemens les plus extravagans, ou même un bouleversement entier de toutes les opérations de l'entendement. Elle a aussises signes précurseurs qui lui sontpropres, son explosion brusque ou son développement gra- dué, et ses diverses périodes de violence, de déclin et de convalescence, lorsque sa marche n'est point in- tervertie ; elle peut avoir par conséquent les appa-


DISTINCTION

rences d'une maladie aiguë; mais elle peut aussi

se prolonger indéUnimentcomme une maladie chro- Hique, et devenir alors conlinue ou périodique. Tout ce qui existe au moral comme au physique, et même les vains produits de l'imagination, peuvent devenir l'objet du délire qui lui est propre. Il im- porte de rendre sensibles par quelques exemples ses variétés sans nombre , pour apprendre à bien saisir ses caractères spécifiques.

146. L'exposition précédente (sect. Ire) des causes de la manie indique qu'il n'y a point une liaison immédiate entre sa marche ou l'intensité de ses symptômes et son origine particulière, puis- queles causes les plus différentes peuvent produire dans certains cas les mêmes variétés , et que la même, cause peut donner lieu à des cas de manie très-différens. La violence des accès est encore in- dépendante de la même influence , et paroît tenir à la constitution individuelle, ou plutôt aux divers degrés de sensibilité physique et morale, indiqués assez généralement par la couleur des cheveux. Les aliénés de l'un et de l'autre sexe , à cheveux blonds, sont plus sujets à tomber dans une rêvasserie et un état voisin de la démence, que dans des emportemens de fureur, et c'est une remarque qu'on a souvent occasion de répéter dans les hos- pices de l'un et de l'autre sexe : ceux qui ont des cheveux châtins conservent uu caractère général de modération et de douceur dans leur manie , et


DES DIVERSES ESPECES d'aLI^KNATION. l^t

leurs affectioDS morales ne se développent qu'avec mesure et retenue. Les hommes robustes et à che- veux noirs conservent au contrante dans leur éga- rement l'impétuosité de leurs penchans, et ils semblent entraînés par une fureur irrésistible. C'est assez dire que les personnes de l'un et de l'autre sexe douées d'une imagination ardente et d'une sensibilité profonde , celles qui sont suscep- tibles des passions les plus fortes et les plus énergi- ques, ont une disposition plus prochaine à la manie, à moins qu'une raison saine, active et pleine d'éuer- gie n'ait appris à contrebalancer cette fougue im- pétueuse ; réflexion triste , mais constamment vraie et bien propre à intéresser en faveur des malheu- reux aliénés. Je dois sans doute faire des exceptions, et reconnoître qu'il existe quelquefois dans les hos- pices de malheureuses victimes de la débauche, de i'inconduite et d'une extrême perversité de moeurs. Mais je ne puis en général que rendre un témoiguage «datant aux vertus pures et aux principes sévères que manifeste souvent la guérison. Nulle part, ex- cepté dans les romans, je n'ai vu des époux plus dignes d'élre chéris , des pères ou mères plus tendres , des amans plus passionnés, des personnes plus attachées, à leurs devoirs, que la plupart des aliénés heureu- sement amenés à l'époque de la convalescence.

147. Les préludes de l'invasion et du retour des attaques de mauie peuvent être très-variés ( sect. l^^)', mais il semble en général que le siège primi-


i42 t) 1 s T 1 N C T I O N

tif de cette aliénation est dans la région de resto- mac et des intestins, et que c'est de ce centre que se propage, comme par une espèce d'irradiation, le trouble de rentendement (r).

148. Il se manifeste fréquemment dans ces par- ties un sentiment de constriction , un appétit vo- race ou un dégoût marqué pour les alimens , une constipation opiniâtre , des ardeurs intestinales qui font rechercher les boissons rafraîchissantes ; il survient des agitations, des inquiétudes vagues, des terreurs paniques, un état constant d'insomnie; et bientôt après le désordre et le trouble des idées se marquent au dehors par des gestes inso- lites, par des singularités dans la contenance et les mouvemens du corps qui ne peuvent que fi ap- per vivement un œil observateur. L'aliéné lient quelquefois sa téte élevée et ses regards fixés vers le ciel ; il parle à voix basse ou pousse des cris et des vociférations sans aucune cause connue; il se ' promène et s'arrête tour-à-tour avec un air d'une admiration réfléchie ou une sorte de recueillement profond. Dans quelques aliénés, ce sont de vains


(i) L'examen attentif des signes précurseurs de la manie donne des preuves bien frappantes de l'empire si étendu que la Caze et Borden ont donné aux forces épigastriques, et que Bujfon a si bien peintes dans son Histoire naturelle. C'est même toute la région abdpininale qui semble enlrer dans ce i-ap- port sympathique.


»


DES DIVERSES ESPECES d'aLIÉNATION. 1^5

excès d'une humeur joviale et des éclats de rire immodérés. Quelquefois aussi , comme si la nature se plaisoit dans les contrastes , il se manifeste une taciturnité sombre, une effusion de larmes involon- taires, ou même une tristesse concentrée et des angoisses extrêmes. Dans certains cas , la rougeur presque subite des yeux, une loquacité exubérente. font présager l'explosion prochaine de la manie et la nécessité urgente d'une étroite réclusion. Un aliéné , après de longs intervalles de calme, par- loit d'abord avec volubilité ; il poussoit de fréquens éclats de rire , puis il versoit un torrent de larmes, et l'expérience avoit appi^is la nécessité de le ren- fermer aussitôt , car ses accès étoient de la plus grande violence. C'est par des visions extatiques durant la nuit que préludent souvent les accès d'une dévotion maniaque ; c'est aussi quelquefois par des rêves enchanteurs et par une préten- due apparition de l'objet aimé sous les traits d'une beauté ravissante, que la manie par amour éclate quelquefois avec fureur, qu'elle peut pren- dre le caractère d'une douce rêverie , ou bien ne laisser voir que la confusion la plus extrême dans les idées et une raison entièrement bouleversée.

149. Une vérité fondamentale méconnue jus- que dans ces derniers temps , et que l'observa- tion la plus répétée pouvoit seule constater, est que la manie produite par une cause accidentelle «e rapproche par sa marche de celle des autres


i44 D I s T r rs c T 1 o N

maladies aiguës , qu'elle a ses périodes successives de violence extrême , de dëcliu et de conva- lescence , lorsque rieu ne contrarie les eiforts salutaires de la nature , et qu'on les seconde par des moyens simples et une grande surveillance. Je dois rappeler ici une des premières obser- vations de cette sorte que j'ai faites il y a quel- ques années pour éclaircir ce point délicat de pathologie interne , observation qui a été répétée sans cesse depuis cette époque avec succès sur tous les cas récens de manie produite par un acci- dent. Les circonstances déterminantes de cette ma- ladie ont été indiquées dans la Sect. art. 27.

i5o. Première Période. 4^-* four. Visage pâle, les yeux fixes , la voix forte , idées très - con- fuses , délire dont l'objet est une prétendue dé- couverte faite en chimie. Une seule idée , dit-

doit remplacer toutes les autres ... Je suis dieu , je suis père de l univers . . . Visage en- flammé , fureur peinte dans ses traits , regard etincelant , torrens d'injures contre tous ceux qui l'approchent , menaces de tout exterminer. ( // est contenu par le gilet de force , et il prend en abondance des boissons acidulées ou éniul- sionnées^ Alternatives de vociférations et de jure- mens ou d'un affaissement comateux ; état analo- gue les jours suivans. 12*^ jour. Une grande agita- tion pendant la nuit , fausses perceptions ; l'aliéné croit voir autour de lui des chats , des chiens , de&


DES DIVERSES ESPECES d'aLTÉNATION. 10

loups; par intervalles, sorte de tétanos passager ; éruptions de boutons sur les régions dorsale et cos- tale. i5e jour. Les boutons pleins d'un Iluide dia- phane s'ouvrent le lendemain : sommeil pour la première fois. Dès ce jour diminution des mouve- mens convulsifs du tétanos qui avoient eu lieu auparavant. (^Lotions fréquentes d'oxycrat sur la tête , qui est rasée et reste nue ; garde-robes sollicitées par une boisson émétisée,^ J^ez^^ jour^ quelques momens lucides; mais en général, état de délire , fausses perceptions , sorte de fureur qui le porte sans cesse à tout briser , à tout déchirer dans son égarement. Il parle tour-à-tour de mystères , de cabale , de pierre pliilosophale ; il trace des figures hiéroglyphiques sur les murs; faim dévorante , des- sèchement de ses boutons.... f Seconde période J» 35« four. Il demande avec intérêt des nouvelles de ses parens à un de ses compatriotes, il parle de ses amis ; mais bientôt après incohéi^ence dans les idées. 46e jour. Légère promenade dans le jardin , ainsi que les jours suivans. 52^ Jour. Obstination dé arester assis au soleil, ce qui lui est nuisible : alors face rouge , les yeux fixes ou très - mobiles , le regard menaçant, spasmes dans les muscles des membres, du tronc et de la face, sorte d'évanouis- sement passager. Ces accidens se renouvellent en ■exposant la face aux rayons du soleil; ce qui de- mande un surcroît de surveillance. Déjections plus régulières, et moins noires , retours passagers d^


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l46 DISTINCTION

délire ; mais les inlervalles lucides plus prolongés. 67^ jour, ( Continuation des bains tièdes de deux jours l'un») Déjections liquides , faim plus modérée, mais toujours impulsion involontaire à briser tout ce qui tombe sous ses mains. 78^ jour. Promenade en voiture pendant quelques heures ( convcdes^ cence retour complet de la raison, désir de re- venir à ses anciennes habitudes quand l'entende- ment sera bien rétabli ; ce qui suppose le sentiment intérieur de son véritable état; contractions spas- raodiques plus rares. 76® jour* Salivation qui de- vient chaque jour plus abondante et se continue pendant une quinzaine ; désir du convalescent de revoir son amante, qu'on avoit eu soin de tenir éloignée. 80® jour. Fatigue par plusieurs visites qu'on a permises; les jours suivans, certaines idées disparates par intervalles, besoin de quelques mé- nagemens pendant quelque temps, volonté forte- ment prononcée de revenir à ses anciennes habitudes et de se marier ; dès-lors liberté illimitée de faire des promenades au dehors, go^ jour. Il est rendu à la société, et il s'est marié un mois et demi après sa sortie ; il a joui depuis cette époque de l'usage entier de sa raison, malgré les chaleurs excessives de l'été suivant, les inquiétudes inséparables d'un mariage mal assorti, et des occupations très-mul- tipliées.

161. Ce fut seulement en l'an 10 que je sentis le Irès-grandayanlagede tracer les histoires particulières


DES DIVERSES ESPECES d'aLIÉNATION. i^rj

de la manie sur le plan de la précédente, et d'indi- quer ses périodes successives pour bien connoître sa niarche , non moins que pour s'élever aux vrais principes du traitement , toujours incertain et va- cillant si on ne reconnoît la direction salutaire de la nature lorsqu'elle est heureusement secondée. Mais l'opposition qui règne entre cette manière simple et encourageante de considérer la manie, et les méthodes violentes et perturbatrices que la routine a consacrées, demandoient l'examen le plus scrupuleux , et il éloit prudent de ne prendre un parti décisif qu'après les résultats les plus répétés de l'expérience dans un grand rassemblement d'a- îiénés. Pour rendre ces recherches plus régulières et plus sûres, et mettre le plus grand ordre dans le çervice, les aliénées de la Salpêtrière furent distri- buées dans trois sortes de départemens , séparés suivant le plus haut degré de la maladie, son déclin ou la convalescence (i). Je crus donc qu'il conve- noit encore de suspendre son jugement, et je con- tinuai de tracer des histoires particulières de la ma- nie , non en insistant avec légèreté et avec une sorte de complaisance, comme le font la plupart des au- teurs,surles singularités piquantes et souvent risibles


(i) M. Esquirol , un de mes anciens élèves , a suivi la même méthode dans un établissement particulier qu'il a formé pour le traitement des aliénés de l'un et l'autre sexe , et dont j«  rendrai compte dans la suite de cet ouvrage.


^48 DISTINCTION

qu'offrent les maniaques dans leur délire, mais ea faisant des remarques sur les lésions isolées ou réu- nies de l'entendement, et en remontant par là aux vrais caractères de la manie considérée dans ses diverses périodes. On voit alors combien de cir- constances peuvent compliquer cette espèce d'alié- nation , et rendre difiicile le traitement. , i52. La manie peut s'offrir, même dans son état simple, sous les formes les plus variées , suivant ses diverses périodes , la lésion d'une ou de plusieurs opérations de l'entendement, l'état d'agitation et la violence plus ou moins grande des affections mo- rales, gaies ou tristes , calmes ou emportées, les retours périodiques de ses accès ou sa durée conti- nue; et c'est ce vaste tableau que montre un grand rassemblement d'aliénés. D'autres variétés secon- daires naissent de l'influence des saisons, de l'ordre maintenu dans l'hospice, de la distribution judi- cieuse des aliénés en divers départemens, ou de leur entassement confus dans le même lieu , des ma- nières dures et repoussantes des préposés, ou des moyens de douceur et de bienveillance mis en usage. Les apparences extérieures sont d'ailleurs très- propres à induire en erreur , et des cas de manie qui ont des conformités extérieures peuvent être très-différens , suivant leur état récent ou inve'téré, leurs causes physiques ou morales, l'âge, ou les mesures de traitement qui ont déjà précédé , et la guérisou peut être plus ou moins difficile à obtenir.


DES DIVERSES ESPECES d'aHÎENATION. r/fcp^i

quelquefois même impossible. Des différences d'une autre nature peuvent tenir à des complications de la manie avec d'autres maladies , un dépérissement gradué, une fièvre aiguë ,1e scorbut , la goutte, l'hy- pochondrie, la suppression d'unehémorrhagie active, la répercussion d'une affection cutanée, L'hystérie ou d'autres accidens physiques très-variés. On voit donc combien il seroit superflu et d'une longueur interminable de vouloir ici fonder sur des histoires particulières l'histoire générale de la manie. J'ai cru devoir prendre une méthode plus directe , et simplifier beaucoup cet objet en rapprochant les caractères distinctifs de cette espèce d'aliénatioa rapportés dans la deuxième section de cet ouvrage*.

1 53* Lta- première période de la manie est facile*- ment distinguée de toute awtreespèce d'aliénatioa et de tout autre genre de. maladie , par diverses lésions- de la sensibilité, portées à uo degré plus ou moins marqué, .un développement cjueîquefois excessif de chaleur interne (7a) et une extrême facilité de sup»- porter un froid rigoureux, le défaut de sommeil Çj2iy^ des alternatives d'une voracité extrême et de- dé^ goût pour les alimens, quelquefois un projet iné- branlable de s'imposer une abstlneuce absolue et de se laisser mourir de faim (75) ,- utie indifférence ou des désirs très-violens de l'union des sexe»;^ (78, 79). La manie, lors de son invasion ou au i^toua.* de ses accès , est marquée par des changemens sin- guliers dans la coulftur ou les traits de Isuface (52)5»,


«5o UlSTlNCTIOlt

quelquefois par une extrême sensibilité dans les or- .ganes des sens, surtout de la vue ou de louie (85), par une succession rapide et une grande instabilité d'affections morales et d'idées. D'autres variétés se prennent de la facilité ou de l'impossibilité de fixer son attention sur un objet déterminé (92). Une autre variété Irès-remarquable de l'état des maniaques consiste dans la continuation de la cobérence des, idées, combinée avec d'autres écarts manifestes de> la raison (gS). La mémoire peut être simpleraentt suspendue durant les accès de manie (106) ou se conserver dans toute son intégrité. Il en est de mêmeî du jugement ; mais alors des passions fougueuses ett emportées, ainsi que d'autres dérangemens y)by- siques ou moraux , ne laissent aucune incertitude^ sur l'égarement (i 10). Enfin le plus grand trouble- dans les idées, l'oblitération entière du jugement, ett des émotions bizarres et disparates sans motif et sans? ordre, trahissent le bouleversement le plus complett des facultés morales (i 18). La manie, à son déclini et lorsque les symptômes diminuent par degrés? d'intensité et commencent à se dissiper , a aussi ses» caractères distinctifs (90), et les signes avant-cou- reurs d'un développement gradué de la raisoni continuent à se manifester jusqu'à une entière con- valescence. Mais ce passage délicat et les préceptes» particuliers qui en dérivent, seront plus spécia- lement indiqués dans l'exposition des règles de; surveillance qu'exige un hospice d'aliénés de la parti


DES DIVERSES ESPECES d' ALIÉNATION. r5f

ân directeur, ainsi que dans le tableau des, de«  Toirs du médecin et de l'eiitrêrae réserve qu'il doit meure dans ses attestations au moment où le convalescent est appelé à rentrer dans la société civile.

154. La manie peut être si invétérée , ou dé- pendre d'une cause physique ou morale telle , que rien ne puisse empêcher son cours et la continua- lion indéfinie des symptômes au même degré ; mais leur diminution progressive peut être aussi l'effet de quelque moyen heureusement employé ^ et dépendre de l'adresse qu'on met à imprimer d'autres idées en sens contraire de celles qui dominent. Une personne de vingt-sept ans et d'un caractère très- sensible , vient à éprouver des chagrins profonds ^ et une suppression brusque de l'écoulement pério- dique; les deux époques suivantes furent mar«  quées par un léger délire , mais au troisième mois ^ désordre extrême dans les idées ^ et conviction in time de l'aliénée que certains penchans pervers qui la subj^uguent ne peuvent être attribués qu'à la sug- £Testion du Démon ; elle se croit dès-lors possédée , se rend successivement dans plusieui-s maisons , demande à grands cris d'être exorcisée, et ne cesse de répéter les mots de diable d'exoréisme ^, des sept anges de V Apocalypse, elcSon visage est rouge,, sa voix forte, ses yeux brillans et égarés; elle attribue un resserrement spasmodique qu'elle senfe à la gorge , aux efforts que fait l'esprit malin pou©


rStt, DISTINCTION

^ l'étrangler. Des chapelets , des images mystique* sont suspendus à son cou pour éloigner tous les malheurs qui la menacent , et c'est dans cet état qu'elle fut conduite à la Salpêtrlère. Le directeur de l'hospice, lors de l'admission de celte aliénée lui parle d'un ton ferme et énergique. Il l'assure que jamais le Démon n'a osé entrer dans cet asile qu'elle vient habiter ; il la prend lui-même sous sa protection immédiate et lui fait donner des habits , qui, suivant lui, ont la vertu de dissipertoute espèce de sortilège: ses chapelets et ses images sont soigneu- sement éloignés de sa vue , et on l'exhorte d'être dans une pleine et entière sécurité. L'aliénée ne fait aucune résistance , se couche et dort d'un sommeil tranquille. Le lendemain , dixième jour du délire maniaque , il ne lui reste qu'une sorte d'étonné- ment dans la tête : elle ne conçoit plus comment elle avoit pu croire être possédée, et reconnoît son erreur. Le onzième jour, sommeil tranquille une partie delà nuit, excrétions libres. Le quatorzième jour, un peu d'insomnie, soif , sueur. L'usage des bains tièdes seconda le retour de l'écoulement pé- riodique, qui eut lieu le vingt-huitième jour. Depuis ce^^? époque , les idées tristes et mélancoliques , et les retours irréguliers d'un délire fugace se dissi- pèrent par degrés , et ce ne fut que vers le troisième mois que la raison fut entièrement rétablie. Oa crut, pour une plus grande sûreté, ne devoir accor- der sa sortie qu'après deux mois de convalescence»


DES DIVERSES ESPECES d'aLIÉNATION. l$S


Un accès de Manie périodique est le type d'une Manie continue ?

155. Un accès de manie périodique peut être re- gardé comme le vrai lypedelamanie contuiue, sioa fait abstraction de la durée , et on ne peut donner une idée plus exacte de l'une, qu'en rappelant toutes les circonstances de l'autre. Même caractère pour les causes éloignées, les variétés des actes d'extravagance ou de fureur, les lésions d'une ou de plusieurs fonctions de l'entendement, le nombre prodigieux d'objets sur lesquels le délire s'exerce. L'une et l'autre manie peuvent être le fruit de tout ce que les passions ont de plus véhément et de plus emporté , de tout ce que l'enthousiasme peut en- fanter de plus exalté et de plus fougueux , de tout ce que le fanatisme et l'amour du merveilleux peuvent suggérer ^e romanesque et de chimérique* cfest tantôt un délire gai et jovial qui s'exhale eu saillies vives et incohérentes, en propos pleins de pétulance et de déraison ; tantôt la bouffissure d'uu orgueil gigantesque , qui ne se berce que de l'ap* pareil pompeux des dignités et des grandeurs.

156. J'ai vu certains aliénés divaguer à leur aisé sur une foule d'objets présens à leur imagina- tion , gesticuler , déclamer , vociférer sans cesse , et îie paroître rien voir, rien entendre de ce qui se passolt autour d'eux. D'autres, livrés à une sorte de


'^4 DISTINCTION

pieslige, voient les objets avec les formes et les couleurs que leur imagination leur prête, comme cet aliéné qui prenoit pour une légion de démons tout rassemblement de plusieurs personnes, et qui cherchoit à sortir de sa loge pour aller les assommer. Un aliéné mettoit tout eu lambeaux , ses babils , et même la paille de sa couche, qu'il croyoitétre un entassement de vipères entortillées. Le délire existe quelquefois avec un état de fureur pendant une longue suite d'années , d'autres fois il est constant , et les accès de fureur ne se renouvellent que par périodes, ou parle concours de quelque cause ac- cidentelle. Les progrès de l'âge finissent par amener le plus souvent un état de calme ; mais quelquefois aussi les accès de fureur deviennent plus fréquens, ce qui est d'un funeste présage.

La Manie avec délire peut- elle être souvent

guérie ?

tBj. Un préjugé des plus funestes à l'bumanité,. et qui est peut-être la cause déplorable de l'état d'à- bandon dans lequel on laisse presque par-tout les aliénés , est de regarder leur mal comme incurable, et de le rapporter à une lésion organique dans le cer- veau ou dans quelque autre partie de la tête. Je puis assurer que dans le plus grand nombre défaits que j'ai rassemblés sur la manie délirante devenue incu- rable ou terminée par une autre maladie funeste^


DES DIVERSES ESPECES D ALIENATION. l55

tous les résultats de l'ouverture (les corps, comparés aux symptômes qui se sont manifestés, prouvent que cette aliénation a en général un caractère purement nerveux, et qu elle n'est le produit d'aucun vice orga- nique de la substance du cerveau, comme je le ferai conuoilre dans la cinquième section. Tout, au con- traire, annonce dans ces aliénés une forte excitation nerveuse , un nouveau développement d'énergie vi- tale; leur agitation continuelle, leurs cris quelquefois furibonds , leur pencliant à des actes de violence , leurs veilles opiniâtres , le regard animé, l'ardeur pour les plaisirs de l'amour , leur pétulance , leurs reparties vives , je ne sais quel sentiment de supé- riorité dans leurs propres forces , dans leurs fa- cultés moralesî delà naissent un nouvel ordre d'i- dées indépendantes des impressions des sens,denou. velles émotions sans aucune cause réelle, toute sorte d'illusions et de prestiges. On doit peu s'é- tonner si la médecine expectante, c'est-à-dn^e le régime moral et physique , suffit quelquefois pour produire une guérison complète , comme je 1 ex- poserai ailleurs en parlant du traitement.

La Manie peut-elle exister sans une lésion de V entendement ?

i58. Ou peut avoir une juste admiration pour les écrits de Locke, et convenir cependant que les no- tions qu'il donne sur la manie sont très-incomplètes lorsqu'il la regarde comme inséparable du délire.


DISTINCTION

Je pensoîs moi-même comme cet auteur lorsque je repris à Bicêtre mes recherches sur cette maladie, et je lie fus pas peu surpris de voir plusieurs aliëuës' qui n offroient à aucune époque aucune lésion de l'entendement , et qui étoient dominés par une sorte d'instinct de fureur, comme si les facultés af • fectives seules avoieut été lésées.

Exemple d' une sorte d'emportement maniaque

sans délire*

iSg. Une éducation nulle ou mal dirigée, ou bien im naturel pervers et indisciplinable peut pro- duire les premières nuances de cette espèce d'aliéna- tion, comme l'apprend l'histoire suivante. Un fils unique élevé sous les yeux d'une mèrefoible et in- dulgente, prend l'habitude de se livrer à tous ses caprices, à tous les mouvemeus d'un cœur fougueux et désordonné j l'impétuosité de ses penchaus aug- mente et se fortifie par le progrès de l'âge , et l'ar- gent qu'on lui prodigue semble lever tout obstacle à ses volontés suprêmes. Veut-on lui résister, son humeur s'exaspère ; il attaque avec audace , cherche à régner par la force ; il vit continuellement dans les querelles et les rixes. Qu'un animal quelconque, un chien , un mouton , un cheval , lui donnent du dépit , il les met soudain à mort* Est-il de quelque assemblée ou de quelque féte , il s'emporte , donne et reçoit des coups , et sort ensanglanté ; d'un autre


DES DîTERSES ESPECES D'ALlÉNATlOIf. l57

côté , plein de raison lorsqu'il est calme , et posses- seur, dans l'âge adulte, d'un grand domaine , il le régit avec un sens droit, remplit les autres devoirs de la société , et se fait connoître même par des actes de bienfaisance envers les infortunés. Des blessures, des procès, des amendes pécuniaires, avoient été le seul fruit de sou malheureux pen- chant aux rixes ; mais un fait notoire met un terme à ses actes de violence : il s'emporte un jour contre une femme qui lui dit des invectives , et il la préci- pite dans un puits. L'instruction du procès se pour- suit devant les tribunaux , et sur la déposition d'une foule de témoins qui rappellent ses écarts emportés, il est condamné à une réclusion dans l'hospice des aliénés de Bicêtre.

La Manie sans délire marquée par une fureur

aveugle,

i6o. Je puis rendre sensible par un exemple le plus haut degré de développement de cette espèce d'aliénation. Un homme livré autrefois à un art mé- canique, et ensuite renfermé à Bicêtre, éprouve par intervalles irréguliers des accès de fureur mar- qués par les symptômes suivans : d'abord, senti- ment d'une ardeur brûlante dans les intestins , avec une soif intense et une forte constipation ; cette chaleur se propage par degrés à la poitrine, au cou, à la face avec un coloris plus animé i parvenue aux


l58 DISTINCTION

tempes , elle devient encore plus vive, cl produit des battemens très-forts et très-fréquens dans les ar- tères de ces parties , comme si elles alloient se rom- pre ; enfin l'affection nerveuse gagne le cerveau , et alors l'aliène est dominé par un penchant sangui- naire irrésistible ; et s'il peut saisir un instrument tranchant , il est porté à sacrifier avec une sorte de rage la première personne qui s'offre à sa vue. Il jouit cependant à d'autres égards du libre exercice de sa raison , même durant ses accès ; il répond di- rectement aux questions qu'on lui fait, et ne laisse échapper aucune incohérence dans les idées, aucun signe de délire j il sent même profondément toute l'horreur de sa situation ; il est pénétré de remords, comme s'il avolt à se reprocher ce penchant for- cené. Avant sa réclusion à Bicêtre , cet accès de fureur le saisit un jour dans sa maison j il en avertit à l'instant sa femme qu'il chérissoit d'ailleurs , et il n'eut que le temps de lui crier de prendre vite la fuite pour se soustraire à une mort violente. A Bi- cêtre, mêmes accès d'une fureur périodique, mêmes penchans automatiques à des actes d'atrocité dirigés quelquefois contre le surveillant , dont il ne cesse de louer les soins compatissans et la douceur. Ce combat intérieur que lui fait éprouver une raison saine en opposition avec une cruauté sanguinaire , le réduit quelquefois au désespoir, et il a cherché souvent à terminer par la mort celte lutte insuppor- table. Un jour il parvint à saisir le trauchct du cor-


DES DIVERSES ESPECES d'aLIÉNATION. i5g

donnier de l'hospice , et il se lit une profonde bles- sure au côté droit de la poitrine et au bras , ce qui fut suivi d'une violente hémorrhagie. Une réclusion sévère et le gilet de force ont arrêté le cours de ses projets suicides.

Autre exemple mémorable d'une Manie non

délirante»

i6i. La manie sans délire (i) a donné lieu à une scène singulière, à une époque de la révolution qu'on voudroit pouvoir effacer de notre histoire. Les bri- gands, lors du massacre des prisons , s'introduisent en forcenés dans l'hospice des aliénés de Bicêtre , sous prétexte de délivrer certaines victimes de l'an- cienne tyrannie, qu'elle cherchoità confondre avec les aliénés. Ils vont en armes de loge en loge ; ils in- terrogent les détenus , et ils passent outre si l'alié- nation est manifeste. Mais un des reclus retenu dans les chaînes fixe leur attention par des propos pleins de sens et de raison , et par les plaintes les plus amères. N'étoit-il pas odieux qu'on le retînt aux fers et qu'on le confondît avec les autres aliénés ? Il détioit qu'on pût lui reprocher le moindre acte d'extravagance ; c'étoit , ajoutoit-il , l'injustice la plus révoltante. Il conjure ces étrangers de faire


(i) J'ai cité dans la première Section sur la manie pé- riodique (iv ) d'autres exemples de la manie sans délire.


ïGo DISTINCTION

cesser une pareil oppression , et de deveuir ses li- bérateurs. Dès-lors il s'excite dans cette troupe ar- mée des murmures violens et des cris d'impréca- tion contre le surveillant de l'hospice ; on le force de venir rendre compte de sa conduite , et tous les sa- bres sont dirigés contre sa poitrine. On l'accuse de se prêter aux vexations les plus criantes, et on lui impose d'abord silence quand il veut se justifier : il réclame en vain sa propre expérience , en citant d'autres exemples semblables d'aliénés nullement délirans, mais très -redoutables par une fureur aveugle; on réplique par des invectives , et sans le courage de son épouse, qui le couvre pour ainsi dire de son corps , il seroit tombé plusieurs fois percé de coups. On ordonne de délivrer l'aliéné, et on l'emmène en triomphe aux cris redoublés devwe la République ! Le spectacle de tant d'hommes ar- més , leurs propos bruyans et confus, leurs faces enluminées par les vapeurs du vin , raniment la fu- reur de l'aliéné ; il saisit d'un bras vigoureux le sa- bre d'un voisin , s'escrime à droite et à gauche , fait couler le sang , et si on ne fût promplemeut parvenu à s'en rendre maître , il eût cette fois ven- gé l'humanité outragée. Cette horde barbare le ra- mène dans sa loge , et semble cedar en rugissant à la voix de la justice et de l'expérience.


DES DIVERSES ESPECES d'aLIÉNATION. i6-I


II.

MÈLANCOZIE , OU DÉLIRE EXCLUSIF.

'Acception vulgaire du terme de Mélancolie.

1 62. Air rêveur et taciturne, soupçons ombrageux, recherche de la solitude : tels sont les traits qui servent à caractériser certains hommes dans la so- ciété, et rien n'est plus hideux que cette image, quand on j joint l'idée de l'abus du pouvoir, la perversité des mœurs et un cœur sanguinaire, comme l'ont fait Tibère et Louis XI (i). L'histoire


(i) Une taciturnité somtre, une gravite' dure et repous- sante , les âpres inégalités d'un caractère plein d'aigreur et d'emportemens , la recherche de la solitude , un regard oblique , le timide embarras d'une ame artificieuse , trahissent dès la jeunesse la disposition mélancolique de Louis XI. Traits frappans de ressemblance entre ce prince et Tibère - ils ne se distinguent l'un et l'autre , dans l'art de la guerre ' que durant l'effervescence de l'âge , et le reste de leur vie se passe en préparatifs imposans , mais Sans effets, en délais étu- diés , en projets illusoires d'expéditions militaires, en négo- ciafons remplies d'astuce et de perfidie. Avant de régner ils s exdent l'un et l'autre volontairement de la cour, et 4nt passer plusieurs années dans l'oubli et les langueurs d'une jynvée l'un dans l'ile de Rhodès , l'autre dans une soli- tude de la Belgique. Quelle dissimulation profonde , que d'in-

II


l6'i DISTINCTION

des hommes célèbres dans la politique, les sciences et les beaux-arts, a fait connoîlre des mélanco- liques d'un caractère opposé, c'est-à-dire, doués d'un ardent enthousiasme pour les chefs-d'oeuvre de l'esprit humain, pour des conceptions pro- fondes , et pour tout ce qu'il y a de grand et de magnanime. Ce sontencore des mélancoliques d'une sphère moins élevée qui animent et charment la so- ciété par leurs affections vives et concentrées, et par tous les mouvemens d'une ame forte et pas- sionnée ; ils ne sont aussi que trop habiles à faire leur propre tourment et celui de tout ce qui les ap^ proche , par leurs ombrages et leurs soupçons chimériques (i).


clëcision, que de réponses équivoques dans la conduite de Tibère à la mort d'Auguste I Louis XI n'a-t-il pas été , durant toute sa vie , le modèle de la politique la plus perfide et la plus raffinée ? En proie a leurs noirs soupçons , à des présages les plus sinistres , à des terreurs sans cesse renaissantes vers le terme de la vie , ils vont cacher leur dégoûtante tyrannie , l'un dans le cliâleau de Plcssis-les -Tours , l'autre dans l'île de Caprée , séjour d'atrocités non moins que d'une débauche impuissante et effrénée. Nosog. philosop/i. tom.II.

(i) Il n'est pas rai'e de trouver dans la société des nuances les plus fortement prononcées d'une mélancolie tombée dans la vésanie. Une dame d'un esprit très-cultivé et douée de qualités rares , cède aux convenances du rang et est mariée avec un homme voisin d'un état de démence. Le désir de se rendre agréable à sa propre famille , et un caractère élevé


DES DIVERSES ESPECES d'aLIÉJVATION. iG3


ha Mélancolie considérée comme aliénation*

i65. Les aliénés de cette espèce sont quelquefois dominés par une idée exclusive qu'ils rappellent sans cesse dans leurs propos , qui semble absorber toutes leurs facultés ; d'autres fois ils restent renfermés dans un silence obstiné de plusieurs années, sans laisser pénétrer le secret de leurs pensées ; certains


lui font supporter long-temps avec courage les dégoûts de cette union j mais c'est chaque jour quelque scène nouvelle qui exige sa surveillance et qui l'attriste : au dedans empor- temens puériles de son imbécille époux ^ menaces , actes de violence contre les domestiques, conduite pleine d'inconsé- quences. Au dehors et dans le sein des sociétés , ce sont les propos les plus décousus et les plus incohérens, quelquefois les étourderies de l'extravagance et de l'ineptie. L'institution physique et morale de deux enfans qu'elle chérit tendrement, et les soins multipliés qu'elle leur donne , sèment seuls de jouissances les plus vives sa triste et insipide existence , mais n'empêchent pas les progrès de sa mélancolie. Son imagina- tion enfante chaque jour de nouveaux sujets de défiance et dè crainte ; quelques événemens contraires arrivés certains jours de la semaine , surtout le vendredi , lui persuadent que c'est un jour malencontreux {ne-fastus) ^ et elle finit par n'oser ce jour-là sortir de sa chambre. Le mois commence-t-il par le vendredi , c'est alors un sujet de terreurs les plu5 pu- sillanimes pour cette longue suite de jours, et par degrés le jeudi même , comme veille du vendredi , lui inspire les


VC4 DISTINCTION

lie laissent enlrevoir aucun air sombre , et semblent douésdu jugement le plus sain, lorsqu'une circons- tance imprévue fait éclater soudain leur délire. Un commissaire vient un jour à Bicêlre pour rendre k liberté aux aliénés qu'on pouvoit croire guéris ; il interroge un ancien vigneron qui ne laisse échap- per dans ses réponses aucun écart, aucun propos in- cohérent. On dresse le procès-verbal de son état , et, suivant la coutume, on le lui donne à siiiner : quelle est la surprise du magistrat, de voir que cehii- ci se donne le titre de Christ, et se livre à toutes les rêveries que cette idée lai suggère ! Un objet de crainte ou de terreur peut produire une conster- nation habituelle , et amener le dépérissement et la mort. J'ai vu succomber ainsi dans les infirmeries


mêmes alarmes. Se montre-t elle dans une assemblée et en- tend-elle prononcer le nom d'un de ces jours , elle devient pâle et blême , parle avec trouble €t désordre , comme si elle ëtolt menacée de l'événement le plus funeste. Ce fut quel- ques mois avant la révolution qu'on me demanda mon avis sur cette espèce de vésanie mélancolique , et je mis en usage quelques remèdes simples , avec les moyens moraux que cet état doit suggérer ; mais les événemens de 1789, et bientôt après des revers de famille et l'émigration , ont soustrait la suite de sa maladie à ma connoissance , et je conjecture qu'une nouvelle chaîne d'idées , un changement de climat , et peut- être un état d'infortune , ont dissipé les sombres vapeurs de la mélancolie.


DES DIVERSES ESPECES d'aLIÉNATION. i65

de Bicétre deux soldats autrichiens faits prisonniers de guerre , et profondément convaincus qu'ils dé- voient périr par la guillotine. Une certaine aigreur de caraclcre, une misanthropie sauvage porte cer- tains alie'ués à rester isolés au fond de leur loge , et à s'emporter avec fureur contre ceux qui vien- nent troubler leur solitude. Un d'entre eux est-îl dominé par des idées religieuses, et se persuade- t-il qu'il est appelé par le ciel à faire quelque œuvre expiatoire, il peut commettre de sang froid les plus grands crimes. Je puis joindre ici un exemple sem- blable à celai que j'ai donné dans un article précé- dent. Un ancien moine, dont la raison avoît été égarée par la dévotion , crut une certaine nuit avoir vu en songe la Vierge entourée^d'un chœur d'esprits bienheureux, et avoir reçu l'ordre exprès de mettre à mort un homme qu'il traitoit d'incrédule : ce pro- jet homicide eût été exécuté si l'aliéné ne se fût trahi par ses propos, et s'il n'eût été prévenu par une réclusion sévère.

Deux formes opposées que peut prendre le délire mélancolique,

164. Rien n'est plus inexplicable, et cependant rien n'est mieux constaté que les deux formes oppo- sées que peut prendre la mélancolie. C'est quelque- fois une bouffissure d'orgueil, et l'idée chimérique de posséder des richesses immenses ou. tiu pouvoir


ï66 DISTINCTION

^ns bornes; c'est d'autres fois l'abattement le plus pusillanime, une consternation profonde, ou même le désespoir : les hospices d'aliénés offrent souvent des exemples de ces deux extrêmes. L'intendant d'un grand seigneur perd sa fortune à l'époque de la révolution; il passe plusieurs mois dans les pri- sons , toujours livré aux frayeurs d'être conduit au supplice; sa raison s'égare ; il est transféré comme aliéné à Bicétre, et finit par se croire roi de France. Un jurisconsulte , désolé de se voir enlever par un événement un fils unique qu'il chérissoit tendre- ment , cède à sa vive douleur, perd la raison , et bientôt après il se croit transformé en roi de Corse. J'ai gardé long-temps dans les infirmeries de Bicétre un habitant de Versailles, ruiné par la révolution, et bientôt après livré à l'illusion fantastique d'être le souverain du monde. D'un autre côté, que d'exemples d'une tristesse profonde et concentrée qui ne change point d'objet, et qui finit par amener le délire ! Un homme foible et timide tient quelques propos inconsidérés durant l'an s^dela République; il est regardé comme royaliste, et menacé de perdre la vie; il entre dans des perplexités extrêmes, perd le sommeil, abandonne ses travaux ordinaires; renfermé ensuite à Bicétre comme aliéné, il est î^esté si profondément pénétré de l'idée d'une mort sinistre, qu'il ne cesse de provoquer l'exécution du prétendu décret lancé contre lui, et qu'aucun des moyens qu'on a tentés n'a pu le a amener à lui-même.


DES DIVERSES FSPÈCES d'aUÉNATION. 167

Ce n'est pas sans émolion que j'ai vu des aliénés, vicliraes d'une ame sensible et tendre, répéter jour et nuit le nom chéri d'une épouse ou d'un fils enle- vés par une mort prématurée, et dont l'image leur étoit toujours présente. Un jeune homme égaré par un amour malheureux, étoit dominé par une si puissante illusion, que toute femme étrangère qui venoit dans l'hospice lui paroissoit être son ancienne amante , qu'il la désignoit sous le nom de Marie Acleleine, et ne cessoit de lui parler avec l'accent le plus passionné.

La Mélancolie peut-elle , après quelques années dégénérer en manie?

i65. La mélancolie reste souvent stationnaire pendant plusieurs années, sans que le délire exclusif qui en est l'objet change de caractère , sans aucune altération au moral ou au physique. On observe des aliénés de cette espèce renfermes dans l'hospice de Bicêtre depuis douze, quinze, vingt, ou même trente années, toujours livrés aux idées primitives qui ont distingué leur égarement , toujours entraîr nés par le mouvement lent d'une vie monotone qui consiste à manger , dormir , s'isoler du monde entier, et n'habiter qu'avec leurs fantômes et leurs chimères. Quelques-uns, doués d'un caractère plus mobile , passent à un état déclaré de manie, par la seule habitude de voir ou d'entendre des aliéais


DISTINCTIOX

furieux ou exlravagans; d'aulres éprouvent, après plusieurs années , une sorte de révolution inté- rieure par des causes inconnues, et leur délire change d'objet, ou prend une forme nouvelle. Un aliéné de cette espèce , confié à mes soins depuis douze années, et déjà avancé en âge, n'a déliré pendant les huit premières, que sur l'idée chimé- rique d'un prétendu empoisonnement dont ii se croyoit menacé. Dans cet intervalle de temps, nul écart dans sa conduite, nulle autre marque d'aliéna- tion ; il étoit même d'une réserve extrême dans ses propos, persuadé que ses parens cherchoient à le faire interdire et à s'emparer de ses biens; l'idée d'un prétendu poison le rendoit seulement très- ombrageux, et il u'osoit manger que les alimens pris à la dérobée dans la cuisine de son pension- 33ar. Vers la huitième année de la réclusion, son délire primitif a changé de caractère; il a cru d'a- bord être devenu le plus grand des potentats, puis l'égal du Créateur et le souverain du monde : cette idée fait encore sa félicité suprême.

'V ariété de Mélancolie qui conduit au suicide.

i66. « Les Anglais, dit Montesquieu, se tuent » sans qu'on puisse imaginer aucune raison qui » les y détermine; ils se tuent dans le sein même » du bonheur* Cette action , chez les Romains , étoi&


DES DIVERSES ESPÈCES d'aLIÉN ATION. l6§

» l'effet de^l'éducation, elle teaolt à leur maniéré » de penser et à leurs coutumes ; chez les Anglais » c'est l'effet d'une maladie, elle lient à l'état » physique de la machine... ». L'espèce de pen- chant au suicide qu'indique l'auteur de V Esprit des lois, et qui est indépendant des motifs les plus puissans de se donner la mort, comme la perte de riiouneur ou de la fortune, n'est point une mala- die propre à l'Angleterre, on en voit des exemples nombreux en France dans les hospices. J'ai publié autrefois des exemples de ce gem'c dans un ou- vrage périodique (i) , et je . me borne à rapporter en abrégé un de ces faits.

167. Un jeune homme de vingt-deux ans est des- tiné par ses parens à l'état ecclésiastique (c'étoîfc avant la révolution) , et, sur son refus, abandonne à lui-même. Des moyens précaires d'existeiice^se; suc- cèdent tour-à-lourjil paroît enfin jouir de^ta .la'aUr quillité et du calme dans une maison où il est chéri^ c'est cependant alors que son imagination est as- saillie par les idées les plus tristes et les plus mélan- coliques: dégoût de la vie et réflexions diverses sur les moyens de se donner la mort. 11 médite un jour de se précipiter du haut de la. maison , mais le cou- rage lui manque et le projet est ajourné. Quelques


{i ) La Médecine éclairée par les sciences phy-» simples.


170 DISTINCTIOIN'

jours après une arme à feu lui paroît plus propre à le délivrer du fardeau de la viej mais au mo- ment de l'exécution, toujours craiiites pusillanimes, toujours perplexités renaissantes. Un de ses amis qu'il instruit de ses projets sinistres , vient un jour me les communiquer, et se réunit à moi pour prendre tous les moyens que la prudence pouvoit suggérer: sollicitations, invitations pres- santes, remontrances amicales ^ tout est vain; le désir de se détruire poursuit sans cesse le mal- heureux jeune homme, et il se dérobe à une fa- mille où il est comblé de témoignages d'attachement et d'amitié. On ne pouvoit songer à un voyage loin- tain et à un changement de climat que l'état de sa fortune serabloit lai interdire, il fallut y suppléer, comme objet puissant de diversion , par un travail l^énible et soutenu. Le jeune mélancolique, pénétré d'ailleurs de l'horreur de sa situation , entre plei- nement dans mes vues, change d'habits, se rend au Port-au-Bied, et mêlé avec les autres ouvriers, -ne se distingue d'eux que par un plus grand zèle à mériter son salaire. Il ne peut soutenir que deux jours cet excès de fatigue, et il fallut recourir à xin autre expédient : on le fait entrer, k titre de manoeuvre, chez un maître maçon des environs de Paris, et il est d'autant mieux accueilli qu'il se rend utile par intervalles à l'éducation d'un fils unique. Quel genre de vie plus commode et plus sain pour un mélancolique, que l'alternative d'un travail


DES DIVERSES ESPECES d'aLIÉNATION. 17 I

des mains et de letude du cabinet ! Une nourriture saine, un logement commode et tous les égards dus au malheur, semblent aigrir au lieu de calmer ses funestes pencbans; il revient quinze jours après vers son ancien ami, lui expose, les larmes aux yeux, les combats intérieurs qu'il éprouve et l'odieux dé- goût de la vie qui le porte d'une manière irrésistible au suicide. Les reproches qu'on lui fait le pénètrent de douleur , il se retire dans un état de consterna- tion et de désespoir, et on ne peut douter qu'il ne se soit précipité dans la Seine , dernier terme d'une existence devenue insupportable.

ib8. Le caractère mélancolique peut se soutenir à un degré plus ou moins marqué sans devenir une maladie déclarée ; mais alors il ne peut qu'inspi- rer des alarmes par la résolution invariable de se soustraire non-seulement aux devoirs de la société, mais encore par un penchant irrésistible à s'impo- ser des privations qui peuvent devenir funestes, ou à commettre même de sang froid des crimes atroces , suivant les idées involontaires qui sont suggérées. Le mélancolique refuse quelquefois avec la plus grande obstination la nourriture qui lui est nécessaire pour soutenir ses forces et son existence (74, 76); dans certains cas il tourne sans cesse sur un enchaînement exclusif d'idées qui l'obsèdent et le dominent (83); quelquefois son attention est fixée nuit et jour sur un objet circonscrit (94) sans qu'on puisse la détourner ailleurs; son imagination est si


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suscepub les; de là vient une source féconde d'er^

tible d une forte application; mois il est sujet aussi a saisir de faux rapports entre certains objets, à cause de quelque affection morale exclusive qui le domine (ix.). Q,e d'émotions vives et emportées i entraînent au-delà de certaines limites et lui font ■voir certams objets sous des couleurs fausses et em- pruntées, ou peuvent même le pousser aux derniers e:^ces et aux crimes les plus atroces (ii8), comme e les le rendent susceptible de certaines actions les plus généreuses et les plus magnanimes !

169. Une jeune demoiselle née de parens fortu- ites et qui avoitreçu une éducation distinguée, se trouva par leur mort dénuée de toute ressource et se jeta toute entière dans une dévotion des plus fer- ventes, par l'espoir de se rendre la Providence fa-, vorabîe. Le seul moyen qui sembloit lui être offert étoit celui d'épouser uu bomme ricbe, et dès-lors prières, jeûnes, macérations, tout fut mis en usage pour obtenir cette faveur du ciel : l'exaltation fit des progrès rapides, et il succéda un vrai délire mé- kncolique, au point de refuser avec obstination toute nourriture. ïl y avoit déjà cinq jours qu'elle gardoit une abstinence absolue à son entrée à la Salpélrière ; on eut recours à la doucbe comme moyen de répression y elle couseutit à prendre


DIVERSES ESPECES D'ALfÉlf ATION". 1^3

liîi pende nourriture, mais ne voulut manger que du pain, et peu à peu on parvint à lui faire prendre «ne nourriture encore pins substantielle. Elle s'est ensuite livrée au travail , et sa convalescence a été complète vers le troisième mois de son séjour à la Salpêtrière. En général on remarque une grada- tion singulière dans les affections morales des jeunes mélancoliques douées d'un tempérament ardent ; elles donnent ordinairement dans la plus haute piété , adressent au ciel les prières les plus ferventes pour combattre lespenchans delà nature et sortir triom- phantes de cette lutte pénible ; le contraire arrive très -souvent, et les feux de l'amour semblent encore se ranimer avec plus d'énergie. Une seule voie leur est ouverte pour tout concilier, c'est l'espoir d'un mariage heureux : avec quelle ardente ferveur ne soUicilent-elles pas ce nouveau bienfait de la Pro- vidence] que de prières, que de jeûnes austères! mais le plus souvent l'imagination ne feit que s'exal- ter de plus en plus, le sommeil se perd , et il se déclare un véritable état de mélancolie maniaque.

170. Les idées des mélancoliques en délire ont souvent une telle ténacité et semblent gravées si profondément dans leurmémoire, qu'elles leur sont toujours présentes, et que tous les moyens qu'on peut tenter deviennent inefficaces. L'aliénée se livre alors avec plaisir à des idées extravagantes qu'elle regarde comme très-fondées, sans former aucuu doute sur leur iréracité; mais si on parvient à l'é-


174 DISTINCTION

branler par des raisouuemens en sens contraire,, et qu'on vienne à gagner sa confiance, ou plutôt' si ou parvient à lui inspirer déjà le désir de .ortir- de son état , elle tombe d'abord dans des perplexités^ extrêmes ; c'est un vrai chaos que ce choc tumul- tueux d'idées, qui se combattent les unes les autresî dans un entendement foible, et entre lesquelles oai est encore incapable de faire un choix ; plus de re- pos, plus de calme, plus de sommeil, et ce sont desi peines d'esprit sans cesse renaissantes. On avoit re- proché à une jeune mélancolique ses liaisons avec un homme qu'elle ne pouvoit espérer d'épouser,, qu'elle aimoit tendrement, et on lui faisoit inconsi- dérément les reproches les plus amers de suivre les peuchans de son coeur. Ses inquiétudes et ses agitations devinrent des plus violentes , et c'est alors qu'elle cherchoit souvent à s'entretenir avec le di- recteur de l'hospice, à lui confier ses tourmens et ses peines , et qu'elle lui demandoit avec instance de soutenir son courage. Le directeur étoit trop habile pour ne pas voir dans ses confidences un déclin des symptômes et la possibilité de détruire ses illusions : tous les doutes se dissipèrent peu à peu, et deux mois après la convalescence fut com- plète.


DES DIVERSES ESPECES d'aLIÉNATIOIST. 175,


I I I.

DÈ3IENCE , OU ABOLITION DE LA PENSÉE»

Les traits les plus saillans de Démence observés quelquefois dans la société,

171. L'esprit de légèreté extrême et d'une folle distraction, les inconvenances extravagantes et sans cesse répétées, les étourderies bizarres qui forment le caractère de Ménalque dans l'ouvrage de la Bruyère (chap. sont loin d'être un de ces ta- bleaux imaginaires qui n'existent que dans les ro- mans. Le médecin observateur peut remarquer quelquefois dans la société ce premier degré de dé- mence dont on trouve des modèles complets dans les bospices. Un homme nourri dans les préjugés de l'ancienne noblesse , et à peine à sa cinquantième année , s'acheminoit à grands pas , avant la révolu- lion , vers cette sorte de désorganisation morale ; rien n'égaloit sa mobilité et les aberrations de sou effervescence puérile; il s'agitoit sans cesse dans l'intérieur de sa maison , babilloit, crioit , s'empor- toit pour les causesles plus légères, tourmentant ses domestiques par ses ordres minutieux , ses proches par des inconséquences et des écarts brusques , dont il ne conservoit un moment aprèsaucun souvenir, au- cune trace ; il parloit tour-à-tour avec la plus extrême


^"j^ r> I s T I N C T I O N

versatilité de la cour, de sa perruque , de ses che- vaux, de ses jardins, sans attendre de réponse, et sans donner presque le temps de suivre ses idées incohérentes et disparates. Une lémme très-spiri- luelle , que des convenances durang avoient associée à sa destinée, tomba par cette union dausTliypo- chondrie la plus profonde et la plus désespérée.

172. Esl-il au pouvoir de la médecine de rétablir une raison égarée par l'épuisement et l'abus ex- tréme des plaisirs , et n'est-ce point une sorte de démence accélérée?

Idées iiicohérenLes entre elles, et sans aucun rapport avec les objets extérieurs.

173. Une mobilité turbulente et incoercible , une succession rapide et comme instantanée d'idées qui semblent naître et pulluler dans l'entendement , sans aucune impression faite sur les sens; un Ilux et retlnx continuel et ridicule d'objets chimériques qui se choquent, s'alternent, se détruisent les uns les antres sans aucune intermission et sans aucun rapport entre eux; le même concours incohérent mais calme d'affections morales, de sentimeus de joie, de tristesse, de colère, qui naissent fortuite- ment et disparoissent de même sans laisser aucune trace, et sans avoir aucune correspondance avec les ' impressions des objets externes; tel est le caractère ' fondamental de la démence dont je parle. Un •


DES DIVERSES ESPECES D ALIENATION. 177

homme doué d'an patiiollsrae aident , mais peu éclairé, et qui étoit uu des plus zélés admirateurs du fameux Danton, se trouve présent à la séance de la Convention où fut prononcé le décret d'ac- cusation contre ce député; il se retire dans une sorte de consternation et de désespoir, reste renfermé chez lui plusieurs jours, livré aux idées les plus si- nistres et les plus mélancoliques : « Comment ? » Danton un traître! répèle-t-il sans cesse; on ne » peut plus se fier à personne, et la République

est perdue »! Plus d'appétit, plus de sommeil, et bientôt l'aliénation la plus complète. Il subit le traitement usité à l'Hôtel-Dieu, et il fut conduit à Bicêtre. Je l'ai gardé plusieurs mois aux infir- meries de cet hospice, livré à une sorte de rêvas- serie douce, à un babil confus et non interrompu , à des propos les plus disparates ; 11 parloit tour-à-tour de poignards, de sabres, de vaisseaux démâtés, de vertes prairies , de sa femme , de son chapeau , etc.; il ne songeoit à manger que lorsqu'on mettoit ses alimens dans sa bouche, et il étoit absolument ré- duit à une existence automatique.

174. Les divers degrés de lésion de la mémoire, quoique très-analogues , peuvent avoir aussi des différences très-marquées si on les examine avec soin et qu'on les compare entre elles. Un jeune homme de quinze ans, qui à une époque orageuse de la révolution fut témoin de la mort violente de son père , en fut si frappé qu'il perdit l'usage de la


12


l^S DTSTINCTION

parole et presque cnlièreaienl les tbiicllons de Ten- teiîdement. 1,1 éprouve cependant des sensations conlbrmes aux objets qui les font naître; il paroit même saisir quelque liaison entre des sensations qui ont un rapport direct à ses besoins, et il en con- serve quelque temps le souvenir. Il reconnoît l'infir^ mier chargé de lui donner des soins, et il lui de- mande à manger en faisant certains gestes. A-t-il reçu des bienfaits d'une personne, il lui fait des prévenances, et il évite au contraire ceux qui l'ont maltraité ou menacé. Il compare entre eux les objets qu'on lui présente, et parmi deux morceaux de pain qui lui sont offerts , il préfère et saisit sans balancer celui qui a le plus de volume. Il distingue un adulte dxm enfant, et il obéit à l'un tandis qu'il résiste à l'autre j mais son jugement semble nul pour le plus grand nombre d'objets étrangers à ses besoins, et il ne paroît avoir aucune idée ni de propreté ni de décence.

Exemple propre à rendre sensible la différence entre la Démence et la Manie*

175. On ne sauroit mieux connoître la démence qu'en la mettant en opposition avec manie délit rante, pour bien saisir leurs dissemblances. Dans celle-ci la perception des objets, l'imagination, la mémoire peuvent être lésées ; mais la faculté du ju- gement subsiste souvent, c'est-à-dire l'association des


DES DIVERSES ESPECES d'alIÉNATION. 17g

îdëes. Le maniaque , par exemple , cjui se croit Ma- homet , et qui coordonne tout ce qu'il fait , tout ce qu'il dit avec cette idée, porte en réalité un juge- ment, mais il allie deux idées sans aucun fonde- ment, c'est-à-dire, que sou jugement est faux ; et sous ce point de vue, que deviendroient la plupart des hommes si leurs jugemens erronés étoient uq titre de réclusion dans les Petites-Maisons? Au con- traire, dans la démence, il n'y a point de jugement, ni vrai ni faux ; les idées sont comme isolées , et naissent les unes à la suite des autres; mais elles ne sont ntdlement associées , ou plutôt la faculté de la pensée est abolie. J'en puis citer encore pour exemple un aliéné que j'ai eu souvent sous mes yeux. Jamais une image plus frappante du chaos que ses mouvemens , ses idées , ses propos , les élans confus et momentanés de ses affections mo- rales. 11 s'approche de moi, me regarde , m'accable d'une loquacité exubérante et sans suite. Un moment après, il se détourne et se dirige vers une autre per- sonne qu'il assourdit de son babil éternel et décousu, il fait briller ses regards, et il semble menacer : mais comme il est autant incapable d'une colère em- portée que d'une certaine liaison dans les idées, ses émotions se bornent à des élans rapides d'une ef- fervescence puérile qui se calme et disparoît d'un clin d'oeil. Entre t-il dans une chambre, il a bien- tôt dép-acé et bouleversé tous les meubles; il saisit avec ses mains une table, une chaise, qu'il enlève.


l8o DISTINCTION

qu'il secoue, qu'il transporte ailleurs, sans mani- fester ni dessein , ni intention directe ; à peine a-t-on tourné les yeux, il est déjà bien loin dans une pro- menade adjacente, où s'exerce encore sa mobilité versatile ; il balbutie quelques mots , remue des pierres , et arrache de l'herbe qu'il jette bientôt au loin pour en cueillir de nouvelle; il va , vient et re- vient sur ses pas; il s'agite sans cesse sans conserver le souvenir de son état antérieur, de ses amis , de ses proches, ne repose la nuit que quelques instans, ne s'arrête qu'à la vue de quelque aliment qu'il dévore, et il semble être entraîné par un roulement perpétuel d'idées et d'affections morales décousues qui disparolssent et tombent dans le néant aussitôt qu'elles sont produites.

176. Les faits qui viennent d'être rapportés , joints à d'autres traits distinctifs de la démence, pris de la section précédente , donnent ses vrais carac- tères spécifiques , qui peuvent être énoncés de la ma- nière suivante , lorsqu'elle est portée au yjlus haut degré : succession rapide, ou plutôt alternative non interrompue d'idées isolées et d'émotions légères et disparates, mouvemeus désordonnés et actes suc- cessifs d'extravagance, oubh complet de tout état antérieur, aboUlion de la faculté d'apercevoir les objets par des impressions faites sur les sens , oblitération du jugement , activité continuelle sans but et sans dessein , et nul sentiment intérieur de son existence.


DES DIVERSES ESPÈCES r/ALlÉNATION. iBl


I V.

IDIOTISME , OU OBLITÉRATION DES FACULTÉS INTELLECTUELLES ET AFFECTIVES,

La langue française peu riche pour exprimer les divers degrés d' aliénation. .

17 7. L'auteur des Synonymes français a beau vou- loir iracer les nuances de ce qu'on appelle dans la société fou, extravagant , insensé y idiot ^ inibé- , cille, etc., il ne fait qu'indiquer Je dernier terme de réchelle de graduation de la raison , de la pru- dence , de la pénétration, de l'esprit , etc. ; mais il est loin de s'élever à des notions exactes sur les divers genres d'aliénation. L'idiotisme, qu'il définit un dé- faut de connoissance , n'est, aie considérer dans les hospices, qu'une abolition plus oa moins absolue^ soit des fonctions de l'entendement, soit des affec- tions du cœur: il peut tenir à des causes variées^ l'abus des plaisirs énervans, l'usage des boissons^ narcotiques , des coups violens reçus sur la téte, une vive frayeur ou un cbagrih profond et concen- tré, des études forcées et di^i'igées sans principes^ des tumeurs dans l'intérieur du crâne , une ou plu- sieurs attaques d'apoplexie, l'abus excessif des sair- gnées dans le traitement des autres espèces de ma- nie. La plupart des idiots ne parlent point ,ou ils se.:


ï^"* DISTINCTION

bornent à marmotter qudc^ues sons inarticulés; leur figure est inanimée, leurs sens hébétés, leurs mouvemens automatiques; un état habituel de stu- peur, une sorte d'inertie invinplble forment leur caractère. J'ai eu long-temps sous mes y eux, dans les infirmeries de Bicêtre, un jeune sculpteur âgé de ving huit ans, épuisé antérieurement par des excès d'intempérance ou les plaisirs de l'amour: il restoit presque toujours immobile et taciturne, ou bien, par intervalles, il laissoit échapper une sorte de rire niais et stupide ; nulle expression dans les traits de sa figure, nul souvenir de. son état antérieur; il ne marquoit jamais d'appétit, et l'approche seule des alimens mettoit en jeu les organes de la masti- cation; il restoit toujours couché, et a fini par tom- . ber dans une fièvre hectique qui est devenue mor- telle.

178. Les idiots forment une espèce très-nom- breuse dans les hospices, et leur état tient souvent aux suites d'un traitement trop actif qu'ils ont subi ailleurs. Ceux qui le sont d'origine ont quelquefois un vice de conformation dans le crâne , dont je par- lerai dans la dernière section en faisant des remar- ques anatomiques sur la CQnformation du crâne.

179. Un des cas les plus singuliers et les plus ex- traordinaires qui aient jamais été observés, est celui d'une jeune idiote de onze, ans dont j'ai fait graver la figure du crâne, et qui par la forme de sa tête, ses goûts, sa manière de vivre, sembloit se rap-


DES DIVERSES ESPÈCES d'aLIÉNATION. l8S

procher de l'iDSlinct d'une brebis. Pendant deux mois et demi qu'elle a resté à l'bospice de la Sal- pêtrière, elle marquoit une répugnance particulière pour la viande , et mangeoit avec avidité les sub- stances végétales, comme poires, pommes, salade, pain , qu'elle serabloit dévorer , ainsi qu'une galette particulière à son pays que sa mère lui portoit quel- quefois; elle ne buvoit que de l'eau, et témoignoit à sa manière une reconnoissance vive pour tous lea soins que la fille de service lui prodiguoit; ces dé- monstrations de sensibilité se bornoient à prononcer ces deux mots, bé , ma tante, car elle ne pouvoit proférer d'autres paroles , et paroissoit entièrement muette par le seul défaut d'idées , puisque d'ailleurs sa langue sembloit conserver toute sa mobilité; elle avoit aussi coutume d'exercer des mouvemens al- ternatifs d'extension et de flexion de la tête, eu ap- puyant à la manière des brebis , cette partie contre le ventre de la même fille de service eu témoignage de sa gratitude. Elle prenoit la même attitude dans ses petites querelles avec d'autres enfans de son âge^ qu'elle cherchoit à frafpper avec le sommet de sa. tête inclinée. Livrée à un instînet aveugle qui la^ rapprochoit de celui des animaux , elle ne pouvoife mettre un frein à ses mouvemens de colère; et ses emportemens pour les causes les plus légères, et quelquefois sans cause, alloient jusqu'aux convul-». sions. On n'a jamais pu parvenir à la faire asseoir sur une chaise pour prendre du repos ou poiîçii-^


l84 DISTINCTION

faire ses repas, et eile dormoit le corps roulé et étendu sur la terre à la manière des brebis. Tout son dos, les lombes et les épaules étoient couverts d'une sorte de poil flexible et noirâtre , long d'un pouce et demi ou deu x ponces, et qui se rapprochoit de la laine par sa finesse; ce qui tbrmoit un aspect très-désagreable. Aussi des bateleurs qui a voient eu connoissance de l'état de cette jeune idiote, avoient proposé à la mère de leur permettre de la montrer dans les foires et les marchés voisins comme un objet très-rare de curiosité ; ce qui leur fut refusé , quoique les parens fussent très-pauvres/ Cette jeune idiole, par leur éloignement, finit par tomber dans un état progressif de langueur, et suc- comba après deux mois et demi de séjour dans l'hos- pice de la Salpétrière : j'ai conservé soigneuse- ment sou crâne , qui est très-remarquable par ses dimensions et sa forme.

Sorte d'idiotisme produit par des affections njives

et inattendues»

1 80. Certaines personnes, douées d'une sensibi- lité extrême, peuvent recevoir une commotion si profonde par une affection vive et brusque , que toutes les fonctions morales en sont comme suspen- dues ou oblitérées : une joie excessive , comme une forte fiayeur , peut produire ce phénomène si inexplicable. Un artilleur. Tan deuxième de la Ré-


DES DITERSES ESPECES û'aLiÉNATION. l85

publique , pi opose au Comité cle salut public le pro- jet a'un canon de nouvelle invention , dont les elTets doivent être terribles ; on en ordonne pour un certain jour l'essai à Meudon, et Robespierre écrit à son inventeur une lettre si encourageante , que celui-ci reste comme immobile à cette lecture, et qu'il est bientôt envoyé à Blcêtre dans un état complet d'idiotisme. A la mêmeépoque, deux jeunes réquislllonnalres partent pour l'armée, et dans une action sanglante un d'entre eux est tué d'un coup de feu à côté de son frère , l'autre reste immobile et comme une statue à ce spectacle. Quelques jours après on le fait ramener dans cet état à la maison paternelle; son arrivée fait la même impression sur un troisième fils de la même famille; la nouvelle de la mort d'un de ses frères, et l'aliénation de l'autre , le jettent dans une telle consternation et une telle stupeur , que rien ne réallsoit mieux cette im- mobilité glacée d'effroi qu'ont peinte tantde poètës anciens ou modei^nes ( i ). J'ai eu long-temps sous mes yeux ces deux frères infortunés dans les infirmeries deBicêtre;et ce qui étoit encore plus décblrant, j'ai vu le père venir pleurer sur ces tristes restes de son ancienne famille.


(i) Les affections vives et inattendues produisent aussi quel- quefois sur de jeunes personnes du sexe un état d'idiotisme , surtout lorstju'elles ont lieu à l'époque de l'écoulement pério- dique, et qu'il en résulte une suppression brusque.


ï8G


DISTINCTION


L'Idiotisme, espèce d'aliénation fréquente dans les hospices, guéri quelquefois par un accès de manie,

l8i. Il est malheureux que Tespèce d'aliénatiou eu général la plus incurable soit très - fréquente dans les hospices : elle formoit autrefois à Bicêtre le quart du nombre total des insensés, et peut-être que la cause en étoit facile à indiquer. Cet hospice étoit regardé comme un lieu de retraite et de rétablisse- ment pour ceux qu'on avoit soumis d'ailleurs à un traitement très-actif par les saignées, les bains et les douches. Un grand nombre arrivoitdans un état de foiblesse, d'atonie et de stupeur, au point que plu- sieurs succomboient quelques jours après leur arri- vée ; certains reprenoient leurs facultés intellec- tuelles par le rétablissement gradué des forces ; d'au- ' très éprouvoient des rechutes dans la saison des cha- leurs; quelques-uns, surtoutdans la jeunesse, après avoir reste plusieurs mois , ou même des années en- tières, dans un idiotisme absolu, tomboient dans une sorte d'accès de manie qui duroit vingt, vingt-cinq ou trente jouis, et auquel succédoitle rétablissement de la raison , par une sorte de réaction interne. J'ai déjà indiqué des faits semblables sur la manie pé- riodique ; mais il importe d'en faire connoître un autre dans tous ses détails. Un jeune militaire de vingt-deux ans est frappé de teneur par le fracas de l'artillerie, dans une action sanglante où il prend


DES DIVERSES ESPÈCES d'aLIÉN ATION. 187

part aussitôt après son arrivée à l'armée; sa raisoa en est bouleversée, et on le soumet ailleurs au trai- tement par la méthode ordinaire des saignées , des bains et des douches. A la dernière saignée , la bande se délie, il perd une grande quantité de sang, et il tombe dans une syncope très-prolongée j on le rend à la vie par des toniques et des restaurans ; mais il restedans un état de langueur qui fait tout craindre, et ses parens , pour ne point le voir périr sous leurs yeux , l'envoient à Bicêtre. Le père , dalis une visite qu'il lui rend plusieurs jours après, le regarde comme désespéré, et lui laisse quelques secours en argent pour améliorer son état. Au bout d'un mois , déjà s'annoncent les signes précurseurs d'un accès de manie : constipation, rougeur du visage, volubilité de la langue. 11 sort de son état d'inertie et de stupeur, se promène dans l'intérieur de l'hos- pice, se livre à mille extravagances folles et gales. Cet accès dure dix-huit jours ; le calme revient avec le rétablissement gradué de la raison , et le jeune homme, après avoir encore passé plusieurs mois dans l'hospice pour assurer sa convalescence , a été rendu plein de sens et de raison au sein de sa famille. Quelquefois de jeunes personnes du sexe ont éprouvé aussi cette transformation de la mala- die, et j'en al noté quelques exemples dans l'hos- ])ice de la Salpélrière ; mais , après la quarante ou quarante - cinquième année, il est Irès-rai^e d'é~ prouver- celte sorte de réaction salutaire^


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DISTINCTION


Principaux traits du caractère -physique et moral des Crétins de la Suisse.

182. La division la plusnombreuse des aliènes in- curables est sans doute celle des idiots, qui, com- parés les uns aux autres, offrent divers degrés de stupidité suivant qu'elle est plus ou moins complète. Cet état de dégénération et de nullité est porté en- core bien plus loin dans les Grelins de la Suisse: ces derniers annoncent déjà, dès leur tendre en- fance, ce qu'ils doivent être; quelquefois (i), dès leurs premières années, goitre de la grosseur d'une noix; en général bouffissure du visage et volume disproportionné des mains et de la tête, peu de sen- sibilité aux diverses impressions de l'atmosphère , état habituel de stupeur et d'engourdissement, dif- ficulté de teter, comme par une foiblesse de l'ins- tinct même relatif aux premiers besoins, développe- ment très-lent et très-incomplet de la faculté d'arti- culer les sons, puisqu'ils n'apprennent qu'à pronon- cer des voyelles sans consonnes. A mesure que leur corps prend de l'accroissement , toujours lourdeur et stupide gaucherie dans leurs mouvemens; même défaut, même absence d'intelligence à l'ége de dix à douze ans, puisque les petits Crétins de cet âge


(i) Traité du Goitre et du Crétinùme , par F. E. Fodéré ancien Médecin des hôpitaux civils et militaires. Paris, an 8^


DES DIVERSES ESPECES d'aLIÉN ATION. 189

ne savent point porter leurs alimens à la bouche ou' les mâcher, et qu'on est obligé de les leur enfoncer dans le gosier. Dans l'adolescence , toujours marche foible, lourde et chancelante, si on parvient à les faire mouvoir , jamais un air riant , toujours une opiniâtreté hébétée, un caractère de contrariété et dé mutinerie que la tendresse maternelle peut seule faire supporter 5 disproportion de la tête et sa peti- tesse relativement au reste du corps , son aplatis- sement au sommet et aux tempes, tubérosilé de l'occiput peu saillante ; les yeux petits , quelquefois enfoncés, d'autres fois prolubérans ; regard fixe et stupéfait; poitrine déprimée ; les doigts minces et alongés, avec des articulations peu prononcées; la plante des pieds large et quelquefois recourbée, le pied le plus souvent porté en dehors ou en de- dans; puberté très - retardée, mais développement énorme des organes de la génération; delà une lu- bricité sale et le penchant le plus extrême à l'ona- nisme. A celte époque seule le Crétin commence à marcher , encore même sa locomotion est très-bor- née et seulement excitée par le désir de prendre sa nourriture, de is'échauffer au coin du feu ou de jouir des rayons du soleil. Son grabat est un autre terme de ses longs et pénibles voyages , encore s'y rend-il en chancelant , les bras peudans et lé tronc mal assuré. En chemin il va droit aii but;>l ne sait point éviter les obstacles ni les dangers; il nesauroit prendre une autre route que celle qui lui est fa-


^9° D J s T I N c T J 0

miJière. Arrivé au terme de son accroissement par- tait, qu, est ordinairement de treize à seize deci- nietres, la peau du Crétin devient brune , sa seusi- bil.te contmue d'être obtuse; il est indiffèrent au iroid, au chaud, ou même aux coups et aux bles- sures; il est ordinairement sourd et muet, les odeurs les plus forles et les plus rebutantes l'affectent à pe.ne. Je connois un Cretiu qui mange avec avidilé des oignons crus, ou même du charbon , ce qui indique combien l'organe du goût est grossier ou peu développe. Je ne parle point de la vue et du tact , qui sont les organes du discernement et de l'in- lelligence, et dont les fonctions doivent être irès- bornées ou dans un état extrême de rudesse. Leurs facultés affectives semblent encore plus nulles; sou- vent aucun trait de reconnoissance pour les bons offices qu'on leur rend; ils montrent à peine quel- que sensibilité à la vue de leurs parens, et ne té- moignent ni peine ni pjaisir pour tout ce qui se rap- porte aux besoins de la vie. Tel est, dit Fodéré, la vie physique et morale des Crétins pendant une longue carrière ; car, réduits à une sorte de végé- tation et d'existence automatique, ils parviennent sans trouble à une extrême vieillesse.

Remarques générales sur les divers genres d'aliénation.

i83. L'histoire bien connue de diverses espèces d'aliénation répand sans doute de grandes lumières


DES DIVERSES ESPECES d'aLIÉN ATION. 191

sur la manière d'eu diriger le iraitemeut: peut-élre qu'elle servira aussi à éclairer la jurisprudence dans des cas douteux et renvoyés à la décision des tribunaux ; mais dans l'état actuel de nos counois- sances, c'est la jurisprudence relative aux divers égaremeus de la raison qui me paroît la moins avan- cée. Que de lésions variées peuvent éprouver une ou plusieurs fonctions de l'entendement, sans que la personne en soit moins propre à faire des transac- tions et à contracter des engagemeus dans l'ordre civil! Que peuvent penser les juges en entendant raisonner avec justesse un homme atteint de ce qu'on appelle dans les hospices manie raisonnante , et qui cependant déchire ses habits et met tout en pièces? Un jeune homme qui avoit seulement la manie de porter des habits de femme, a donné lieu à un grand procès, et on a annulé le testament qu'il avoit fait. La mélancolie dévote qui consiste à passer une partie de sou temps dans les églises, peut être indifférente poar une personne riche, mais peut de- venir intolérable dans la femme d'un ouvrier , sur laquelle reposent tous les soins du ménage, et c'est; là une sorte d'égarement qui peut conduire par degrés à une aliénation déclarée. Je connois fies personnes qui vivent au sein de la société et qui éprouvent un penchant irrésistible au suicide , et cependant c'est ce même penchant qui fait en- fermer plusieurs personnes qui en sont attaquées , quoiqu'elles n'offrent point d'autres marques d'é-


^D'-i i> 1 s T I N c T r o N , etc.

garemenl. Combien de fois aussi des personne; qui n'éprouvent qu'une simple deijiliié des fonction' de l'enlendement , finissent par tomber dans unt manie déclarée lorsqu'on favorise adroitement Jeui penchant à délirer ou à extravaguer sur certains ob- jets ! et que d'inconvéniens n'en doit- il pas résulter, si les tribunaux accordent à un héritier présomptili l'entière direction de la personne et la liberté de lai faire circonvenir par des gens afddés et qui agisseuti suivant ses vues !

184. Les divers genres d'aliénation qui viennent d'être rapportés ne restent pas toujours invaria- blement les mêmes durant leur cours, c'est-à-dire qu'une aliénation rapportée à un de ces genres- peut éprouver une sorte de transformation el venir ensuite se classer dans un autre genre. C'est ainsi qu'on voit des mélancoliques devenir maniaques», certains maniaques tomber dans la démence ou; l'idiotisme, et quelquefois même certains idiols,, par une cause accidentelle, retomber dans un accès passager de manie, puis recouvrer entièrement l'usage de la raison. La manie enHn peut se com- pliquer avec d'autres maladies nerveuses, l'hysté- rie, l'hypochondrie , l'épilepsle, une disposition à l'apoplexie, etc. Mais, pour éviter la confusion, ne faut "il pas d'abord considérer les objets dans leur simplicité primitive?


i»OLICE DES ÉTABL. CONSACR. AUX ALIÉN.


QUATRIEME SECTION.

Police intérieure^ et Règles à suivre dans les Etablissemens consacrés auoc aliénés^

i85. Des voyageurs distingués, curieux de visiter l'hospice des aliénées de la Salpétrière , et témoins de l'ordre et du calme qui y régnent en général , ont dit quelquefois avec surprise en parcourant leur enceinte: « Mais où sont les folles »? Ces étrangers ignoroient que c'étoit faire l'éloge le plus encourageant de cet établissement, et que leur ques- tion portoit sur une différence très - notable qu'il présente, comparé avec d'autres hospices où les malheureux aliénés entassés pêle - mêle et sans choix, exaspérés parla brutale grossièreté des gens de service, et soumis aux vains caprices ou aux ordres arbitraires d'un chef inepte ou insouciant , sont dans une agitation continuelle et ne font entendre que des plaintes, des imprécations et des cris tu- multueux.

186. Un hospice d'aliénés peut réunir les avan- tages du site à ceux d'un vaste enclos et d'un local spacieux et commode. Il manque d'un objet fonda- mental si, par sa disposition intérieure, il ne tient les diverses sortes d'aliénés dans une espèce d'isolé ^

i3


igi POLICE DES ÉTABLISSEMENS

ment, s'il n'est propre à séquestrer les plus agités ou lesplus furieux d'avec ceux qui sont tranquilles,, SI onne prévient leurs communications réciproques,, soit pour empêcher les rechutes et f^iciliter l'exécu- tion de tous les réglemens de police intérieure et de surveillance, soit pour éviler les anomalies inatten- dues dans la succession et l'ensemble des symptômes que le médecin doit observer et décrire. 11 importe surtout que les aliénés soient dirigés par des prin- cipes d'humanité et les résultats d'une expérience €clairée, que leurs écarts soient réprimés avec fer- meté , mais que chacun y jouisse du degré de liberté qui s'accorde avec sa sûreté personnelle et celle des autres, qu'enfin dans tous les cas qui en sont sus- ceptibles, le directeur devienne le confident de ses^ peines et de ses sollicitudes. Une distribution mé- thodique d€s aliénés de l'hospice en divers dé- partemens, fait saisir d'un clin d'oeil les mesures» respectives à prendre pour leur nourriture , leur propreté, leur régime moral et physique. Les be- soins de chacun d'eux sont alors calculés et prévus,, les diverses lésions de l'entendement saisies par leurs> caractères distinctifs, les faits observés, comparés^ et réunis avec d'autres faits analogues, ou plutôt: convertis en résultats solides de l'expérience ; c'est«  dans la même source que le médecin observateur peut puiser les règles fondamentales du traitement ,, apprendre à discerner les espèces d'aliénation quii cèdent plus ou moins promptement au temps et aui


CONSACRÉS AUX ALIÉNÉS. igS

régime, celltis qui opposent les plus grauJs obstacles à la gaëiison,ou qu'on peut regarder comme incu- rables, celles enfin qui réclament impérieusement l'usage de certains médicaméns, même pour tout esprit judicieux et éclairé qui ne veut ni s'exagérer leurs effets , ni se dissimuler leurs avantages. Les détails que je vais communiquer sur l'organisation intérieure et la tenue de l'hospice, fei ont connoître jusqu'à quel point on est parvenu à réaliser le plan dont les bases fondamentales viennent d'être indi- quées.

I.

Plan général et Distribution intérieure de l'Hospice des Aliénées»

187.11 est facile de donner une idée sommaire de l'ensemble et des localités de l'hospice de la Salpê- trière, qui ont donné lieu à une distribution judi- cieuse des aliénées. Au centre est une cour carrée avec une fontaine au milieu , et un double rang de tilleuls sur chacun des cotés, qui est d'environ quarante-six mètres de longueur, et formé au-de- là par une rangée de petites loges environnantes qui s'ouvrent sur cette cour , et c'est dans ce local agréable que sont disposées les femmes mélanco- liques, chacune dans une loge séparée. Il en est de même de deux autres cours oblongues d'environ six mètres de largeur, formées par de doubles rangs de loges adossées , parallèles au côté de la cour


UjG POLICE DE? ÉTAIJLIS9EMENS

centrale , et répondant au couchant : on peut en dire autant d une autre cour parallèle au côté méridio- nal de la cour centrale. On remarque au levant trois autres cours grillées, formées aussi par de doubles rangs de loges adossées : c'est dans ces trois cours oblongues et grillées que sont disposées les aliénées les plus propres à répandre letlésordre dans l'intérieur de l'hospice. Dans Tune d'elles sont des idiotes qui sont portées à entrer indistinctement dans toutes les loges et à s'emparer de tout ce qui tombe sous leurs mains, ainsi que d'autres aliénées qui ont un penchant irrésistible à faire des vols adroits , ou des personnes turbulentes propres à semer par-tout la discorde. La deuxième est destinée à des aliénées plus ou moins agitées ou furieuses, mais dont l'état est invétéré et regardé comme incurable. Dans la ti-oisième sont renfermées les furieuses d'une date récente ou celles d'une manie plus ou moins ancienne, mais avec un espoir plus ou moins fondé de succès de traitement. Dans ce dernier cas une étroite réclusion dans leur loge est rarement Déces- saire , et à moins d'une forte impulsion à des actes de violence , on leur permet d'errer librement dans cette cour et de se livrer à tous les actes innocens d'extravagance que leur suggère leur pétulance naturelle (i).


(i) Il eût été à désirer que l'archuecte eût un peu modi- fié son plan , et cjn'au lieu de cours de six mètres de largeur


CONSACRÉS AUX ALIENES. igy

i88. e est autour de cet ensemble régulier de longues suites de loges et des cours , que règne , au midi et au levant, une allée plantée d'un rang de tilleuls qui l'ombragent pendant l'été ^ et où se pro- mènent librement les aliénées tranquilles et dont la manie a dégénéré dans une sorte de démencej c'est dans la partie orientale de cette allée qu'est placée une salk destinée aux femmes âgées réduites à un état de démence séuile^ pour y être soignées par une fille de service , qui veille à leurs besoins et à leur propreté. L'autre partie méridionale de l'allée est adjacente à une sorte de jardin ou de promenoir d'environ trois arpens ^ planté de jeunes arbres pour l'ombrager, avec un bassin d'eau au milieu. L'hospice est terminé à sa partie occidentale


terminées late'ralement par des loges aa rez-de-chaussée , il leur eût donné dix, à douze mètres de largeur et qu'il eût formé, de côté et d'autre , des loges au rez-de-chaussée avec un premier étage , qu'enfin il eût donné la facilité d'établir parallèlement une double rangée de tilleuls pour ombrager ces endroits qu'un soleil ardent rend quelquefois très-insa- lubre; les malheureuses aliénées n'ont que trop de penchant à faire tout ce qui leur est contraire et à s'exposer avec im- prudence aux rayons du soleil ; d\iilleurs, durant l'été et le printemps, la chaleur devient excessive entre ce double rang de loges; ce qui nuit beaucoup au traitement des aliénées qui sont très-agitées et dans un état de fureur. On auroit eu d'ail- leurs par ce moyen l'avantage de ménager l'espace pour Y&m^ glocement des loges..


igS POLICE DES ÉTABLISfiEMENS

l)ar une sorie d avant-cour oblongue sur laquelle aboutissent les portes d'une longue suite de loges: au côté parallèle est un long promenoir couvert, où les aliénées tranquilles et au déclin de la maladie peuvent se promener à l'abri par un temps pluvieux. Enfin celles qui sont en pleine convalescence et dont l'usage de la raison est entièrement rétabli , sont conduites dans des dortoirs spacieux qui terminent l'hospice au nord, et où elles sont couchées dans des lits tenus avec une extrême propreté, après avoir passé une grande partie du jour dans l'atelier commun de la couture. C'est à l'extrémité de l'ua de ces dortoirs et dans une grande salle séparée, qu'est placée une infirmerie où sont transférées les aliénées attaquées de maladies incidentes de toute espèce qui peuvent avoir lieu, suivant les saisons ou d'autres circonstances particulières. Enfin lors- que l'hospice des aliénées a été restauré il y a en- viron trente ans, on a conservé encore au-dessous du niveau du reste de l'hospice un double rang de loges adossées, et d'autres loges parallèles destinées à isoler les personnes tombées dans l'idiotisme ou d'autres aliénées parvenues à une sorte de dé^ra- dation par la débauche la plus sale et un entier ou- bli de toutes les règles de la pudeur et de la décence : ce qui demandoit un lieu isolé et propre à arrêter îa contfigion de l'exemple.

189. Cette distribution générale des aliénées sui- vant la nature du local, les conformités générales


CONSACRÉS AUX ALIENES.

de goûts et d'IncliDations et leur état de calme et . d'effervescence, fait connoitre d'abord sur quelles bases repose l'ordre général qui règne dansrhospice , et la fatîlllé qu'on a d'éloigner toutes les semences de disseution et de trouble. Les méJancoliques se tiennent à volonté renfermées dans leurs loges, ou elles errent librement sous des voûtes de verdure qui ont le double avantage de récréer leur vue et de tempérer les ardeurs du soleil. La fontaine qui est au milieu de leur cour leur fournit en abon- dance l'eau qui peut servir à leurs besoins et à ra- fraîcbir leurs demeures solitaires. Les femmes ert démence, ou celles qui sont au déclin de la manie et dont le moindre objet peut esaspéi-er le carac- tère, jouissent de toute leur liberté soit dans les cours et les allées qui leur sont destinées, soitdans^ le jardin adjacent couvert de gazon et déjà om- bragé par de jeunes tilleuls qui prennent chaque jour de l'accroissement. Nulle gêne supertlue , nulle contrainte n'est en général mise en usage, et sou-, vent des aliénées arrivées depuis peu dans un état d'agitation extrême ou de fureur , reprennent quel- ques jours après kur tranquillité par les dispositions générales de l'hospice. Pourroit-on, dans un ras- semblement de plusieurs centaines d'aliénées, ne pas trouver les plus rares modèles de petites intri- gues , de fourberies les plus raffinées, des machina- tions infernales que l'esprit de discorde peut eulkn- 1er? et quel bouleversement, si tous ces fermens.


200 , POLICE DES ÉTABLISSEMENS

de trouble et de désordre pouvoient se développer en liberté, et s'ils n'étoiem concentrés dans une ou deux cours grillées et isolées! Il en est de même des aliénées plus ou moins emportées et qui pour- roient tourner contre elles et tout ce qai les envi- ronne, leur aveugle fureur. Les convalescentes, quoique placées dans un extrême opposé, n'en doivent pas moins être l'objet de la surveillance la plus active, pour empêcher toute communication avec les autres aliénées, raffermir par l'habitude du travail une raison encore vacillante, et les pré- parer à leur rentrée dans la société civile.


I L


■Sur les moyens de répression en usage contre

les Aliénés,

190. C'est une admirable invention que l'usage non interrompu des chaînes pour perpétuer la fu- reur des maniaques avec leur état de détention , pour suppléer au défaut de zèle d'un surveillant peu éclairé, pour entretenir dans le cœur des alié- nés une exaspération constante avec un désir con- centré de se venger, et pour fomenter dans les hos- pices le vacarme et le tumulte. Ces iuconvéuiens a voient été pour moi un objet de sollicitude pendant l'exercice de mes fonctions à titre de médecin de Bicélre durantles premières années de la révolulion,


CONSACRÉS AUX ALIENES. dàt

ce ne fat pas sans un regret extrême que je ne pus voir le terme heureux de cette coutume bar- bare et routinière ; mais j'étoisd'un autre côté tran- cjuille, et je me reposoîs sur l'habileté du surveillant de cet hospice (M. Pussin), qui n'avoit pas moins à cœur de faire cesser cet oubli des vrais principes. Il y parvint heureusement deux années après f 4 prairial an 6J et jamais aucune mesure ne fut mieux concertée et suivie d'un succès plus marqué. Quarante malheureux aliénés qui gémissoient sous le poids des fers depuis une suite plus ou moins longue d'années, furent mis en liberté malgré toutes les craintes manifestées par le Bureau central, et on leur permit d'errer librement dans les cours , en contenant seulement les mouvemens de leurs bras par le gilet de force : la nuit ils étoienl libres dans leur loge. On doit remarquer que ce fut là le terme des accidens malheureux arrivés aux gens de ser- vice, souvent frappés ou meurtris d'une manière imprévue par les aliénés retenus aux chaînes èt toujours dans un état de fureur concentrée. Urf d'd ces aliénés avoit resté trente-six ans dans ce triste état , un autre quarante - cinq ans, et cependant ils conservoient encore tous deux la liberté des mouvemens, et ils se promenoient à pas lents dans l'intérieur de l'hospice. On conservé encore la mé^ moire d'un de ces aliénés qui étoit resté dix-huit ans enchaîné au fond d'une loge obscure , et qui au premier moment où il put contempler le soleil


POLICE DES ÉTABLTSSEMENS

Jans tout l'éclat de sa lu.iè.e rayonnante, s ecia dans une sorte de ravissementextaticjue « Ahlcjuil y a long^temps que je nai vu une si belle chose />.

191. Les ahenës, loin d être des coupables qu'il iaut punir, sont des malades dont l'état pénible mente tous les égards dus à l'humanité souffrante, et dont on doit rechercher par les moyens les plus simples à rétahlir la raison égarée. Ils peuvent être i:edu,ts a un bouleversement complet de toutes les fonctions intellectuelles, et n obéir qu'à une impul- sion aveugle qui les porte au désordre et à toute sorte de violences; alors nul avis à donner, et ou doit seulement pourvoir à la sûreté personnelle de i aliène ainsi qa'à celle des autres, et le retenir sim- plement dans sa loge : est-il d'une violence ex- ireme, une camisole étroite et d'une toile forte doit contenir les mouvemens de ses pieds et de ses mains, et le fixer sur son lit par de forts liens qui tiennent à la partie postérieure de ce vêtement et qu'il ne puisse apercevoir. Mais cet état de contrainte ex- trême doit être passager pour éviter les effets d'une colère concentrée contre ceux qui l'environnent, ce qui ne fait d'ailleurs qu'aggraver son délire. Cer- taines circonstances graves et urgentes peurent exiger encore une répression plus énergique mais de moindre durée : c'est ce qu'on ne peut rendre sensible que par des exemples. Une jeune fille que de vives contrariétés et un chagrin profond avoient )etee dans un état de stupeur et nue sorte d'idlo-


CONSACRliS AUX Al.TKNKS.' ,

lisme, avolt élé guérie et avolt acquis même de l'embonpoint; mais durant sa convalescence elle se refiisolt au travail avec obstination : le surveillant , pour la punir, la fit conduire un jour dans les cours (lu bas au milieu des idiotes ; mais elle parut se jouer de cette sorte de répression, ne fit que sauter, danser et tourner tout en ridicule. On lui appliqua alors un corset à sangles, en exerçant cependant une rétraction modérée des épaulés en arrlère.La jeune personne parut se r(?ldlr et soutmt celte épreuve pendant un jour entier; mais la contrainte qu'elle éprouvoit lui fit demander grâce et elle ne s'est plus refusée au travail de la coulure. Si elle veuoit à se relâcher , on lui rappeloit en riant le ^ilet de uelours ^ et elle devenolt aussitôt docde. Une autre femme, âgée de quarante ans, éloit si furieuse et si indomptée, qu'elle frappolt toutes les filles de service , et qu'elle avolt été sur le point d'en assommer une dans sa loge au moment qu'elle lui donnoit à mander; un autre jour elle lui jeta à la tête un pot de terre et lui fit une blessure grave. On lui appliqua aussitôt une caniisole à sangles en serrant fortement et en produisant une vive rétraction des épaules en arrière; elle nè put 'soutenir cet état de contrainte au-delà d'une heure; elle demanda grâce, et depuis cette époque elle n'a plus frappé personne , quoiqu'elle ait encore continué long-temps d'être en délire. Si elle vient à tenir des propos injurieux, il suffit de lui parler de


=»o4 POLICE BES KTAni,,,,s,,M,^,

la camisole , et elle mure aussitôt daus l'ordre et de

vieut tranquille. Celte sorte de répressioTr,? non vr^.V A^ cpression ne paroîtt

pouvoir être soutenue que pendant un temps très l.m. e , elle est en effet suivie dabord d'un ma a

lorle d,stens,o„ des muscles de la poitrine; puis vien-

«entdesfadeursd'estomacetdesanxiétésinsuppor. tables, en sorte que l'aliéné est obligé dedemander ê.ace. et qu .1 en conserve un long souvenir. Mais ,ama,s une pareille répression ni toute autre ne sont confiées aux gens de service; c'estau chef à en faire 1 application et un objet particulier de surveillance 192- Les douches, considérées comme moyen de répression, suffisent souvent (,) pour soumettre à la loi générale d'un travail des mains une aliénée nui

en est susceptible, pour vaincre un refus obstiné de nourriture et dompter les; aliénées entraînées par une sorte d'humeur turbulente et raisonnée. On profite alors de la circonstance du bain , on rappelle la faute commise ou l'omission d'un devoir impor- tant, et à l'aide d'un robinet on lâche brusquement un courant d'eau froide sur la tète, ce qui décon- certe souvent l'aliénée ou écarte une idée prédomi- nante, par une impression forte et inattendue - veut-elle s'obstiner, on réitère la douche, mais en


(«) Je consiaérerai les bains et les douches sous le rapport du traitement médical dans une autre seclion.


CONSACRÉS AIJX ALIENES. 2q5

évitant avec soin un ton de durelé et des termes choquans propres à révolter; on lui fait entendre, au contraire, que c'est pour son propre avantage et avec regret qu'on a recours à ces mesures violentes, et on y mêle quelquefois la plaisanterie, en ayant soin de ne pas la porter trop loin. L'obstination vient- elle à cesser, aussitôt cette répression est suspen- due, et on fait succéder le ton d'une bienveillance affectueuse. On peut juger de l'efficacité de ce moyen, qui est très-usité dans l'hospice , par l'obser- Tation suivante. Une aliénée d'une forte constitu- tion, exposée depuis plus de dix ans à un retour pé- riodique et irrégulier de la manie , n'avoit pu être contenue par les moyens les plus énergiques et les plus violens, qui n'avoient fait au contraire que l'exaspérer. Vêtemens, linges du lit, couvertures, elle mettoit tout en pièces et étoit réduite à coucher sur la paille, frappant les gens de service et se jouant tellement de tous les moyens de répression , que les parens la retirèrent d'un autre hospice, et qu'ils se déterminèrent à essayer la méthode suivie à la Salpêtrière. Cette infortunée , à son arrivée , étoit d'une maigreur extrême quoique très-vorace, et riea n'égaloit ses emportemens fougueux. On chercha à remédier d'abord au délabrement de sa santé par une nourriture succulente, et sa première habitude de tout déchirer étant portée au plus haut point, on lui cîonna une douche un peu forte , et on lui appli- qua la camisole avec des liens dans la partie posté-


20G POLICE DES ÉÏABLI.SSEMEKS

Heure pour la retenir fixée sur son lit en aliendani tju elle demandât grâce. Au premier acte de sou- mission , la liberté des mouvemens lui fut accor- dée; une récidive fit renouveler les mêmes moyens de répression , qui ramenèrent plus de calme et de retenue. Mais le directeur fut malade pendant douze jours, et l'aliénée , délivrée d'une surveillance sévère , parut oublier les leçons qu'on lui avoit données; elle avolt repris son ancienne habitude de frapper les filles de service, de tout déchirer et de se livrer sans cesse à des emportemens effrénés. Le directeur reprend ses fonctions et la menace de la punir : elle ne paroît point en tenir compte. Elle est alorscondulte au bain, fortement douchée avec l'eau froide et retenue dans un état d'immobilité avec la camisole : cette fols elle paroît humiliée et conster- née, et le directeur, pour lui Imprimer un sentiment de terreur, lui parle avec la fermeté la plus éner- gique , mais sans colère, et lui annonce qu'elle sera désormais traitée avec la plus grande sévérité. Son repentir s'annonce par un torrent de larmes qu'elle verse pendant près de deux heures. Le lendemain et les jours sulvans furent calmes; les autres sym- ptômes ont diminué progressivement, et une conva- lescence entière de quelques mois n'ayant plus laissé d'équivoque sur sou état, elle a été rendue à sa famille.

193. Un autre exemple dont j'ai été autrefois té- moin à Bicétre, fera voir l'avantage d'ébranler quel-


CONSACRÉS AUX ALIENES. 207

quefois fortement l'imagination d'un aliéné , et de lui imprimer un sentiment de terreur. Un jeune homme, à l'époque delà révolution, fut consterné du renversement du culte catholique en France, et dominé par des sentimens religieux , il devint ma- Diaque, et fut transféré à Bicêtre après le traite- ment usité alors à l'Hôtel-Dieu. Rien n'égale sa sombre misanthropie; il ne parle que des tourmens de l'autre vie, et il pense que, pour s'y soustraire, il doit imiter les abstinences et les macérations des anciens anachorettes : il s'interdit dès -lors toute nourriture , ctvers le quatrième jour de celte réso- lution inébranlable', son état de langueur fait crain- dre pour sa vie. Remontrances amicales, invitations pressantes, tout est vain; il repousse avec dureté un potage qu'on lui sert , et il affecte d'écarter la paille de sa couche pour reposer sur les planches. Le cours irrésistible de ses idées sinistres pouvoit- il être auliement contre - balancé que par l'im- pression d'une crainte vive et profonde? C'est dans cette vue que le directeur ( M. Pussin) se présente le soir à la porte de sa loge avec un appareil propre à l'effrayer , l'oeil en feu , un ton de voix foudroyant, un groupe de gens de service pressés autour de lui et armés de fortes chaînes qu'ils agitent avec fracas. On met un potage auprès de l'aliéné et on lui intime l'ordre le plus précis de le prendre durant la nuit , s'il ne veut pas encourir les traitemens les plus cruels. Ou se retire et on laisse l'aliène dans l'état


-o8 POLICE DES ÉTABLISSOIENS

le plas pénible de fluctuation entre l'idée de h puoition dont il est menacé et la perspective ef- frayante des tourmens de l'autre vie. Après un combat mtérieur de plusieurs heures, la première. Idée 1 emporte et il se détermine à prendre sa nour- riture. On le soumet ensuite à un régime propre à le restaurer; le sommeil et les forces reviennent par degrés ainsi queFusagede la raison, et il échappe de cette manière à une mort certaine. C'est durant sa convalescence qu'il m'a fait souvent l'aveu de ses agitations cruelles et de ses perplexités extrêmes . durant cette nuit d'épreuve.

194. Lesaliénés les plus difficiles à contenir dans les hospices, les plus remarquables par une activité turbulente , et les plus sujets à des explosions sou- dames d'une fureur maniaque , portent en géné- ral tous les caractères du tempérament nerveux , dont j'ai déjà parlé dans l'article de la manie. On imagine combien sont dangereux des aliénés doués de ce tempérament et dont l'état actuel double la force et l'audace. Un grand secret de les maîtriser , sans donner ni recevoir de blessures dans des cir- constances imprévues, c'est de faire avancer en masse les gens de service pour leur imprimer une sorte de crainte par un appareil imposant , ou pour rendre vaine toute résistance par des mesures adroitement combinées. Qu'un aliéné de celte sorte soit tout à coup saisi de son délire frénétique dans ses intervalles de cahuc, et qu'il ait entre ses main»


CONSACRÉS AUX ALlilsÉs. 209

une arme offensive, un couteau, un bâton, une pierre, le directeur, toujours fidèle à ses maximes de maintenir l'ordre en évitant des actes de vio- lence, s'avance lui-même d'un air intrépide, mais lentement et par degrés, vers l'aliéné, et pour évi- ter de l'exaspérer, il ne porte avec lui aucune sorte d'arme; il lui parle, en s'avançant , d'un ton ferme et menaçant, et par des sommations réitérées il con- tinue de fixer toute son attention pour lui dérober la vue de ce qui se passe à ses côtés : ordre précis et impérieux d'obéir et de se rendre. L'aliéné, un peu déconcerté par cette contenance fière du di- recteur, perd tout autre objet de vue, et à un cer- tain signal , il se trouve tout à coup investi par les gens de service qui s'étoient avancés à pas lents et comme à son insçu. Chacun d'eux saisit un membre du furieux, l'un un bras, l'autre une cuisse ou une jambe. On l'enlève ainsi et on l'emporte dans sa loge en rendant tous ses efforts inutiles, et ce qui menaçolt d'une scène tragique finit par un événe- ment ordinaire. Il en est des désordres qui arrivent parmi les aliénés, comme de ceux qui ont lieu dans la société civile j pour les réprimer et ramener le calme, 11 faut des mesures profondément combinées sur l'expérience et la conuoissance des hommes, et

d une exécution éner- gique et prompte. On connoît le penchant extrême des aliénés, même durant leur temps de calme et de convalescence, à s'emporter pour des causes les


aïO POLICE DES ÉTABMSSEMENS

plus légères. Une rixe survenue entre certains d'en- tre eux, (les dehors spécieux d'une injustice commise par un préposé, le spcclaclc de l'invasion d'une at- taque de manie , tout objet vrai ou chimérique de mécontentement et de murmure , peuvent devenir un foyer alarmant de trouble et de désordre, et se communiquer d'un bout de l'hospice à l'autre, comme par un choc électrique. On s'altroupe, on s'agite, on forme des partis commedans les émeutes populaires ; et quelles suites funestes peuvent avoir ces scènes orageuses si on ne les arrête dans leur principe? C'est dans ces circonstances que j'ai vu souvent le directeur braver avec une sorte d'au- dace cette effervescence tumultueuse , se faire jour à droite et à gauche , saisir les plus mutins, les con- duire dans leurs loges, et ramener aussitôt la tran- ^ quillité et le calme.

I I I.

Nécessité d'entretenir un ordre constant dans les hospices des aliénés , et d'étudier les -va- riétés de leur caractère.

igS. On doit peu s'étonner de l'importance ex- trême que je mets au maintien du calme et de l'ordre dans un hospice d'aliénés , et aux qualités physiques et morales qu'exige une pareille surveillance , puis- que c'est là une des bases fondamentales du traite- ment de la manie, et que sans elle on n'obtient ni


CONSACnÉS AUX ALIÉNÉS. 211

observations exactes , ni une giiërison permanente, de quelque manière qu'on insiste d'ailleurs sur les médicameus les plus vantés. Quel malheur pour les infortunés maniaques d'être dirigés par une aveugle routine, d'être abandonnés à l'insouciance d'un chef «ans moralité et sans principes, ou, ce qui revient au même, d'être livrés aux duretés rustiques et aux Iraitemens meurtriers des autres préposés en sous- ordre! Sagacité, zèle ardent, attention continuelle et infatigable, qualités nécessaires pour épier soigneu- sementles démarches de chaque aliéné, saisirla tour- nure bizarre de ses idées et le caractère particulier de son délire; car quelles variétés ne doivent point produire l'âge, la constitution, les habitudes con- tractées, la complication de la manie avec d'autre* maux, le degré de lésion des facultés morales ! Dans certains cas très-difficiles, plusieurs mois d'une pa- reille étude suffisent à peine pour se décider, et pour fixer avec justesse l'espèce d'épreuve qu'où peut tenter (i). Mais dans le plus grand nombre de


(i) Un homme attaché autrefois par ses places a la maison d'un prince , et conduit à la manie , autant par le boulever- sement de ses anciennes idées que par celui de sa fortune , ne manifestoit son délire -sur sa grandeur chimérique que lorsqu'on lui parloit de révolution , ou dans certains momens d'effervescence. Il conservoit d'ailleurs dans l'hospice ces formes extérieures de pohtesse et de bienséance dont il avoit pris autrefois l'habitude ; et si on venoit à le contrarier dans


POLICE DES ÉTABLISSEMENS

cas, surtout dans la manie accidentelle qui tient a des chagrins profonds, l'expérience de chaque jour atteste les succès qu'on ohlient par des propos con- solans, par l'heureux artifice de faire renaître l'es- poir de l'aliéné et de s'emparer de sa confiance: mettre alors en usage les mauvais traitemens ou des Yoies de répression trop dures , c'est exaspérer le mal et le rendre souvent incurable. Un jeune homme, à la suite d'autres événemeus malheureux,


ses opinions, il se retiroit aussitôt sans brusquerie et sans murmures , en se bornant à un salut respectueux. L'idée ex- clusive qui l'occupoit en général , étoit cependant celle de sa tonte-puissance , et s'il venoit à éclater , il menaçoit alors de tout le poids de son courroux , annonçant qu'il lui seroit facile de faire tomber le feu du ciel et de bouleverser la terre. Une seule considération l'arrêtoit ; c'étoit la crainte de faire périr l'armée de Conde, dont iléloit l'admirateur, et qui, sui^'ant lui, étoit destinée k remplir les desseins de l'Éternel. Diffi- culté extrême d'agir sur l'imagination d'un pareil aliéné , soit par les voies de la douceur , soit par des moyens énergiques de répression. Il falloit de sa part un écart qui le mît dans ses torts et autorisât a le traiter avec rigueur ; c'est ce qui arriva après environ six mois de son séjour dans l'hospice. Un jour que le surveillant se plaignoit à lui des saletés et des ordures qu'il avoit laissées dans sa loge , l'aliéné s'emporta contre lui avec violence, et menaça de l'anéantir. C'étoit là une occasion favorable de le punir, et de le convaincre que sa puissance étoit chimérique; mais comme les parens se proposoient de le retirer de l'hospice dans peu de jours , on crut ne devoir rien tsntei'.


CONSACRÉS AUX ALlÉl^ÉS. 2î3

perd son père , et quelques mois après une mère leudrement chérie : dès-lors une tristesse profonde et concentrée, plus de sommeil, plus d'appétit, et peu après explosion d'un état maniaque des plus violens. On le soumet au traitement usité tel , que saignées abondantes et répétées, usage des bains et des douches ; on y joint d'autres actes d'une ri-- gueur extrême : tout cet ensemble de moyens cura- tifs échoue. On renouvelle une seconde fois, puis encore une troisième fois, le même tfaitemeut,. et toujours avec aussi peu de succès, ou même avec une exaspération des symptômes. L'aliéné est enfin transféré à Bicêtre , et on le désig.ne surtout comme très emporté et très-dangereux. Le stir- veillaut, loin de déférer aveuglément à cet avis, le laisse, dès le premier jour, libre dans sa loge, pour étudier son caractère et la nature de ses égaremens». La tacilurnité sombre decet aliéné, son abattement^ son air pensif et concentré, quelques propos décou- sus qui lui échappent sur ses maliieurs, laissent entrevoir, à travers rincohéreece de ses idées, le principe de sa manie. On le console , on lui parle avec intérêt de son sort, on parvient peu à peu à dissiper sa défiance ombrageuse et à lui faire espérer le rétablissement de ses affaires. Une circonstance encourageante suit de près celte promesse , car on obtient de son curateur quelques légers secours, par mois pour lui rendre la vie plus commode. Le* premiers paiemeus, le retirent de son abattement


^«4 POLICE DES ÉTABLtSSEMENS

et Ini font concevoir de nouvelles espérances; m confiance et son eslime pour le surveillant son7 sans bornes; on voit ses forces renaître par degrés,, ams. que tous les signes extérieurs de la santé, cm même temps que sa raison reprend ses droits; et^ celui qu'on avoit très-maltraité dans un autre hos- pce, et qu'on avoit signalé comme l'aliéné le plus Violent et le plus redoutable , est devenu, par des > voies douces et conciliai rices, l'homme le plus do- cile et le plus digne d'intéresser par une sensibilité touchante.

196. Certaines variétés de caractère peuvent rendre l'aliéné susceptible de ne céder qu'après des alternatives répétées d'écarts plus ou moins fou- gueux et de ménagemens d'une répression sage et modérée. « Dans le traitement moral , disent les ré- » dacteurs de la Bibliothèque britannique(i), on ne » considère pas les fous comme absolument privés » de raison, c'est-à-dire, comme inaccessibles » aux motifs de crainte, d'espérance, de senti- » mens d'honneur... Il faut les subjuguer d'abord , » les encourager ensuite ». Ces propositions gé- nérales sont sans doute très-vraies et très-fécondes en applications utiles; mais, pour les sentir vive- ment, il faut des exemples, et c'est sur ce point que


(i) Sur nn nouvel Etablis sèment pour la guérisofi de^ \ Aliénés^ par le docteur D. Vol. VIir> ]


CONSACRÉS AUX ALIÉ.NÉS. 2i5

les Anglais gardent le silence. Encore une histoire de celte nature à ajouter aax précédentes, et on aura lieu de se convaincre de plus en plus que ce secret est connu en France. Un père de famille, très-recorarnandable , perd sa fortune et presque toutes ses ressources par des événemens de la révo- lution, et une tristesse profonde le conduit bientôt à un état maniaque. Traitement routinier et ordi- naire de la manie par les baius, les douches, les saignées répétées , et les moyens de répression les plus inhumains. Les symptômes, loin de céder, empirent , et on le transfère à Bicêtre comme in- curable. Le surveillant, sans s'arrêter aux avis qu'on lui donne en désignant cet aliéné comme très-dangereux, le livre un peu à lui-même pour étudier son caractère. Jamais aliéné n'a donné un plus libre cours ix ses actes d'extravagance : il se redresse sur lui-même tout bouffi d'orgueil, croit être le prophète Mahomet, frappe à droite et à gauche tous ceux qui se rencontrent sur son pas- .sage, et leur ordonne de se prosterner et de lui rendre hommage. Toute la journée se passe à pro- noncer de prétendus arrêts de proscription et de mort; ce ne sont que menaces, propos outrageans contre les gens de service ; l'autorité du surveillant est dédaignée et méconnue. Un jour même que sa femme éplorée vint le voir , il s'emporte contre elle, et l'auroit peut-être assommée si l'on n'eût accourut à son secours. Que pouvoient produire les voies de


2l6 POLICE DES ÉTACLISSEMENS

douceur et les remontrances les plus modérées contre un aliéné qui regardoit les autres hommes comme des atomes de poussière? On lui intime l'ordre de se tenir tranquille, et sur son refus do- béir, on le punit du i^ilet de force et d'une réclusion d'une heure pour lui faire sentir sa dépendance. Le surveillant le retire bientôt de sa loge, lui parle d'un ton amical en lui reprochant sa désobéissance, et lui exprime ses regrets d'avoir été forcé à prendre envers lui des mesures de rigueur. Retour de ses écarts insensés le lendemain, et mêmes moyens de répression; mêmes promesses illusoires detre plus tranquille à l'avenir. Nouvelle et troisième rechute suivie, par voie de punition , d'un jour entier de dé- tention et d'un calme plus marqué les jours suivans. Une explosion, pour la quatrième fois, de son hu- meur hautaine et turbulente, fit sentir au surveil- lant la nécessité de produire sur cet aliéné une im- pression profonde et durable. Il l'interpelle avec véhémence , cherche à lui faire perdre tout espoir de réconciliation, et le fait enfermer brusquement, en déclarant qu'il sera désormais inexorable. Deux jours se passent , et durant sa ronde , le surveillant ne répond que par un ris moqueur aux instances réitérées qui lui sont faites; mais, par un accord concerté entre le surveillant et sa femme, celle-ci rend la liberté au détenu vers la fin du troisième jour, lui recommande expressément de contenir ses çmportemens fougueux, et de ne point l'expose?


CONSACRÉS AUX ALIENES. 217

elle-même à des reproches pour avoir usé de trop d'indulgence. L'aliéné paroît calme pendant plu- sieurs jours ; dans les moraens où il peut à peuie contenir ses écarts déliraus, on seul regard de la surveillante suffit pour le ramener à l'ordre, et il court aussitôt s'enfoncer dans loge, de peur d'être trouvé encore en fauie. Ces combats inté- rieurs, souvent répétés, entre le retour involon- taire des écarts maniaques et la crainte d'une de en- lion indéfinie , l'habituoient de plus en plus à doi ;p- ter sa volonté et à se maîtriser lui-même; il se sen- toit d'ailleurs pénétré d'attachement et d'eslirae pour ceux qui le dirigeoient avec tant d'égards et de condescendance , et c'est ainsi que toutç/. les anciennes traces de sa manie se sont peu i peu dissipées; six mois d'épreuve ont suffi pour rendre sa guérison, complète, et ce respectable père de famille s'est occupé ensuite, avec une activité infatigable , à réparer le délabrement de sa for- tune.

197. L'habitude de vivre au milieu des aliénés et d'étudier leurs goûts et leur caractère particulier, peut suggérer dans certains cas quelque moyen de seconder une répression énergique et de préparer le rétablissement d'une raison égarée. Un militaire encore dans un état d'aliénation, après avoir subi autrefois le traitement de l'Hôtel -Dieu , est tout à coup dominé par l'idée exclusive de son départ pour l'armée, et après avoir tenté eu vain toutes les votea


ai8 POLICE DES ÉTABLISSEMENS

de Ja douceur on a recours à la force pour le faire entrer le soir dans sa loge. Il met tout eu pièces du> rant la nuit , et il est si furieux , qu'on a recours aux liens les plus forts. On lui laisse exhaler les jours suivans sa fougue impélueuse ; toujours des emporlemens extrêmes, toujours des accès de fu- reur; ce n'est que par des invectives qu'il répond au chef, dont il affecte de méconnoître l'aulorité. .Huit jours se passent dans cet état violent, et il paroît ..enlin entrevoir qu'il n'est pas le maître de suivre ses caprices. Le malin , durant la ronde du chef, il prend le ton le plus soumis et lui baisant la main , « Tu m'a promis, lui dit-il, de me rendre la liherté » dans l'iniérieurde l'hospice si j'étois tranquille; » eh bien ! je te somme de tenir ta parole ». Le directeur lui exprime en souriant le plaisir qu'il éprouve de cet heureux retour sur lui-même; il lui parle avec douceur, et dans l'instant il fait cesser toute contrainte, qui auroit été désormais superflue ou nuisible; la raison et le calme se rétablissent par degrés; mais comme la maladie avoitété invétérée et qu'd étoit important de prévenir toute rechute, la convalescence fut prolongée, et après sept mois de séjour dans l'hospice, ce militaire fut rendu à sa famille et par la suite à la défense de la patrie.

198. L'art de chercher à donner une autre di- rection à la volonté exclusive des aliénés, de rai- sonner avec eux et de leur faire sentir leur dépen- dance , suppose qu'ils ne sont point dans un égare-


CONSACRÉS AUX ALIENES. SïQ

meut complet de la raison ; car si quelqu'un d'eus est dominé par une fougue aveugle et entraîné par un concours tumultueux, d'idées sans ordre et sans suite , on ne peut le maîtriser que par l'u- sage du gilet de force ou d'une réclusion étroite. Mais si l'exercice du jugement subsiste encore , un autre secret non moins recommandable de terminer des rixes entre des aliénés , de vaincre leur résistance et de maintenir l'ordre, est de ne point paroître s'apercevoir de leurs écarts , de ne laisser échapper aucun mot qui sente ce reproche, d'entrer même en apparence dans leurs vues, et de leur communiquer adroitement une impulsion qu'ils croient ne devoir qu'à eux-mêmes. C'est sous ce rapport quelasurveillante,madamePussin,m'a paru réunir des qualités rares. Je l'ai vue avec étonne- ment, à Bicétre, approcher des maniaques les plus furieux, les calmer par ses propos consolans, et leur faire accepter une nourriture qu'ils refusoient avec dureté de toute autre main. Un aliéné, réduit à un danger extrême par une abstinence opiniâtre , s'emporte un jour contre elle, et, en repoussant les allmens qu'elle lui sert , lui prodigue les termes les plus outrageans. Cette femme habile se met un mo- ment à l'unisson de ses propos délirans; elle saute et danse devant l'aliéné, réplique par quelques saillies , parvient aie faire sourire, et, profitant de ce moment favorable pour le faire manger , elle lui conserve ainsi la vie. Combien dç fois ne l'ai -je point vue


320 POLICE DES lÎTABLISSEMENS

aneter, par une heiueusc supercherie, des rixes <iont les suites auroient pu être funestes! Trois aliènes, qui se crojoient autant de souverains, et qui prenoi^nt chacun le titre de Louis XVI, se disputent un jour les droits à la royauté, et les font valon^ avec des formes un peu trop énergiques. La surveillante s'approche de l'un d'eux, Jt le li- rant un peu à l'écart: « Pourquoi , lui dit-elle d'un » air sérieux , entrez-vous en dispute avec ces gens- » là , qui sont visiblement fous? ne sait-on pas que » vous seul devez être reconnu pour Louis XVI »? Ce dernier, llatté de cet hommage, se retire aussi- tôt en regardant les autres avec une hauteur dédai- gneuse. Le même artifice réussit avec un second; et c'est ainsi que dans un instant il ne resta plus aucune trace de dispute. Une circonstance bien plus orageuse me fit connoîlre un jour, dans toute son étendue, cette heureuse fécondité de moyens dans Tart de maîtriser les aliénés. Un jeune homme, calme depuis plusieurs mois, et libre dans l'inté- rieur de l'hospice, est tout à coup saisi de son ac- cès; i\ se glisse dans la cuisine , s'empare d'un cou- peret propre à hacher les herbes, et ne fait qu'en- trer dans une plus grande fureur par les efforts du cuisinier et des gens de service pour le désarmer. Il saute sur la table pour se mettre en défense, et menace de couper la tête au premier qui osera s'a- vancer. La surveillante, sans s'effrayer, prend une tournure adroite ; clic improuve hautement l'alta-


CONSACRIÉS AUX ALIENES. 211

que dirigée contre l'aliéné: « Pourquoi empêcher, n dit-elle, cet horame fort et robuste de travailler » avec moi »? Elle lui parle avec douceur, l'engage à s'approcher d'elle avec l'instrument qu'il a saisi , elle lui montre même la manière dont il doit s'en servir pour hacher des herbes, elle feint de se féli- citer d'avoir un aide pareil. L'aliéné , trompé par cette innocente ruse, ne s'occupe que de son tra- vail, et à un signal donné il est invesll par les gens de service, qui l'enlèvent sans aucun diuiger , et l'emportent dans sa loge pendant que l'instrument reste entre les mains de la surveillante. On pour- roit défier l'homme le plus habile et le plus versé dans la conuoissance des maniaques , de saisir avec plus de finesse et de promptitude le parti le plus sûr à prendre dans une conjoncture alarmante.

I Y.

Importance et difficultés extrêmes d'étahlir un ordre constant dans le service des Aliénés,

igg. C'est un petit gouvernement que la direction d'un hospice d'aliénés, et on y voit aussi quelque- fols les petites vanités et l'ambition de dominer s'agiter en divers sens, se heurter, donner lieu à des conlllls turpultueux d'autorité et devenir des foyers continuels de trouble et de discorde. Ces iuconvénlens, attachés à tous les établissemens pu-


222 POLICE DES ÉTABLISSEMENS

blics, deviennent bien plus graves dans un hospice d aliènes, par une sorte de division des pouvoirs qui peut paralyser des mesures répressives urgentes, exalter une pétulance naturelle, et rendre plus éloigné el plus équivoque le rétablissement de la raison, surtout si on a proscrit toute réclusion ar~ biiraire , tout appareil de terreur , et qu'on n'exerce que le degré précis de contrainte qu'exige la sûreté licrsounelle.

200. Un principe fondamental pour préparer la guérison de la manie dans un grand nombre de cas, est de recourir d'abord à une répression énergique, de faire succéder ensuite des voies de bienveillance pour gagner la confiance de l'aliéné, et le bien convaincre qu'on ne désire queson avantage propre. C'est le chef de la police intérieure qui doit se montrer sous ces deux aspects différens, maîtriser les gens de service pour les faire concourir à son but; et que devient alors ce plan si sagement com- biné, si une autre autorité intei-vieut avec mal- adresse, et donne des impressions en sens contraire ? Une veuve conduite à l'hospice de la Salpétrière , paroissoit douée d'un jugement sain, et ne déliroit que sur de ])rétendues persécutions dont elle crojoit être l'objet, et qu'on exerçoit, disoit-elle, par le moyen de l'électricité ou de certains sortilèges. Il lui arrivoil souvent la nuit d'ouvrir ses fenêtres, de prêter l'oreille à certains sons menaçans qu'elle croy oit entendre dans le lointain, et à des trames per-


CONSACRÉS AUX ALIENES. 233

Jes ourdies contre elle par des mains invisil)les ,

et elle entroit alors dans des agitations violentes et pouvoit même devenir dangereuse. Eile éloit d'ail- leurs calme dans le jour en parlant de ses craintes, et raisonnolt avec justesse sur tout autre obj^-t. G'ë- toit une injustice criante, disoit-elle, de la retenir parmi les insensées, et ellesoUiciloit sans cesse de ma part une attestation favorable pour obtenir sa sortie. Le chef de la police intérieure clierchoit à dissiper ses illusions chimériques par des entretiens fami- liers, à prendre de l'ascendant sur elle, et à gagner sa confiance; mais à cette époque, il intervii:|l une autre autorité avec une assurance de protection, pour concourir à la sortie de l'aliénée. Dès-lors , des confidences et des entretiens répétés en sens contraire de ceux du chef de la police intérieure. Les plus grandes entraves furent alors mises au traitement, le délire exclusif est devenu invétéré, et tout annonce maintenant que la maladie est in- curable.

201. 11 seroit superflu et peut-être affligeant, de rappeler tous les obstacles que j'ai éprouvés autre- fois, à diverses époques du traitement, par ces sortes de rivalités envenimées , d'un côté par une résistance juste, mais un peu violente et empor- tée, et d'un autre côté par un caractère caustique, une morosité sombre , et l'âpre intolérance d'une ame dévote , sous le prétexte spécieux de protéger l'innocence opprimée. Là c'étoient de jeunes couva-


1


ao4 POLICE DES ÉTAELISSKMENS

lescenfcs avilies et les plus corrompues qui, pour se soustraire à une répression méritée, savoient larmoyer à propos , et intéresser en leur faveur une r utre autorité. Icic'éloit un modèle de l'humeur la plus acariâtre et la plus discordante, qui parvenoit à tout brouiller, à obtenir des ordres contradic- toires, et à paralyser toutes les ressources du trai- tement moral et physique; ailleurs cetoient des plaintes et des réclamations amères, que quelques convalescentes faisoient entendre avec intérêt, sous prétexte de certaines persécutions exercées pour s'être livrées à des lectures pieuses. Ou méconnois- soit l'inOuence nuisible de ces lectures , l'exaltation intérieure et le prolongement de la maladie qui en ëtoient la suite. Cette lutte pénible, inconvénient attaché à un hospice d'aliénés qui fait partie d'un grand, hospice , est toujours évitée par un chef judicieux, prêt à tout sacrifier au maintien de l'ordre dans un établissement public, et je n'ai plus à me plaindre de ces malheureux conflits de jurisdiction survenus autrefois , et dont plusieurs de mes notes anciennes attestent les effets déplorables.

202. Il n'est pas facile de résoudre la question générale relative à la concentration de l'autorité pour le maintien de l'ordre dans un hospice d'alié- nés , puisqu'on doit prendre surtout en considéra- tion le zèle et la capacité respective du médecin et du chef de la police intérieure : ils peuvent être dans les mêmes principes, vivre dans la plus grande


CONSACHÉS AUX ALIENES. ^2!)

harmonie, et alors le médecin qui a des vues élevées se repose entièrement, pour tous les objets de direc- tion et de police, sur le surveillant général. Il peut aussi y avoir une eictrême différence entre un sur- veillant très-habile et uu médecin insoticiaut et très- borné dans ses vues , et dans ce cas le premier ne manque pas d'envahir toute l'autorité, comme un hospice très - connu en a donné long - temps un exemple remarquable. Comment donc établir des règles générales qui puissent convenir à des cas aussi opposés? Il n'est pas moins vrai nue, quels que soient les principes de radminisl ation génô "«  d'un hospice, quelques modilîcalicfvs qu'ils reçoi- vent des temps , des lieux et des formes du gouver- nement, le médecin, parla natwre de ses études, l'étendue de ses lumières , et l'intérêt puissant qui le lie au succès du traitement, doit être instruit et devenir le juge naturel de tout ce qui se passe dans un hospice d'aliénés, qu'il doit sans doute lais- ser l'exécution des mesures répressÎTcs au surveil- lant, sans jamais lui donner aucun signe d'improba^ tion en présence des aliénés ou des gens de service , mais qu'il ne doit pas moins approfondir l'es causes des évënemeus tumultueux qui peaventsurvenir , et en faire en particulier l'objet d'une communi- cation franche et bienveillante.

2o3. La destination donnée depuis long-temps à la division des aliénées de la Salpêtrière , d'être un lieu de convalescence, après le traitement usité à

i5


aiG POLICE DES ÉTABLISSEMENS

rHotcl-Dien, avoit donné lieu à des abus sans nombre, et toute l'autorité avolt été dévolue aux filles de service, par la foiblcsse et l'incapacité de la directrice. Une entière réforme devenoit donc nécessaire vers l'an loS à l'époque d'un nouvel ordre de choses; mais cette réforme, pour être so- lide , de voit être faite avec une sage réserve. On poussa d'abord les hauts cris , on réclama contre l'innovation et l'injustice, et il est facile d'imaginer la résistance et les sourdes menées de plus de qua- rante filles de service, dépouillées de leurs pré- tendus droitsde traiter les aliénées avec une extrême dureté, et réduites désormais à une obéissance pas- sive. Elles s'agitoieut en divers sens, m'adressoient des plaintes et des réclamations; mais renfermé dans les fonctions de ma place , et plein de confiance dans la droiture et l'habileté du chef de la police intérieure ( M. Pussin), je lui laissai le libre exercice du pouvoir qu'il avoit à déployer, et toutes les difficultés furent surmontées. La plupart des filles de service demandèrent leur retraite , et furent heureusement remplacées peu à peu par des con- valescentes connues par leur intelligence et leur zèle , et propres à adopter les voies de douceur dont on leur faisoit une loi inviolable.

204. Les filles de service , pour conserver une sorte d'égalité entre elles dans le système d'op- pression tjrannique qu'elles avoient établi autrefois sur les aliénées , s'étoienf; partagé d'une manière


Uniforme ies }ilus lurhitientes et les plus lian- qnilles, pour éviter tonie préférence^ Au moindrô signe d'effervescence ou d'agitation , l'usage illimité des chaînes de fer ou une réclusion étroite dispen- soit d'une assiduité incommode , mais perpétuolfc dans toutes les parties de l'hospice les vociférations, le tumulte et un obstacle permanent à uneguérisou solide. Une bien plus sage disposition a été adoptée par l'isolement des femmes furieuses ou les plus agitées dans une cour grillée, par la liberté qu'ont les aliénées de toute sorte, qui sont tranquilles ou au déclin de leur maladie, d'errer librement dans l'intérieur, et parla communication réciproque des convalescentes dans leur atelier ou leurs vastes dortoirs. Les filles de service, en moindre nombre, ont pu subvenir à tous les iDCSoins de l'emploi, eu leur adjoignant alors d'autres convalescentes calmes et les jeunes idiotes susceptibles d'un travail méca- nique , pour le nettoiement des cours et les autres soins multipliés de la propreté. Survient-il quelque tumulte parla fureur imprévue ou des actes de vio- lence d'une aliénée, toutes (i) les aliénées se ras-


(i) Dans rëtabllssenaent particulier, si connu et si cligne / cle 1 elre, du docteur Esquirol , chaque aliéné a un domestique exclusivement attaché à soa service, qui couche toujours à GÔlé de lui , et même dans sa chambre lorsqu'on le juge né- cessaire. Tous ces domestiques sont prêts à se réunir pour mtimider un aliéné par un appareil da terreur, s'il vient à


%'S POLICE DES ÉTABLISSKMEIMS

scmbleut au premier situai, pour concourir avec le chef à rëlabllr l'ordre. Mais en général toutes ]es peines et les dangers semblent accumulés sur ]a léle de la (ille de service chargée de la cour des furieuses, exposée souvent à recevoir des coups et des blessures, surveillée avec soin sur l'objet des réclusions arbitraires , et réduite, sans aucun autre encouragement , à recevoir la même rétribution ■pécuniaire que les autres hlles de service : aussi celte place devient-elle très-souvent vacante, et il est très-difficile d'en faire bien remplir les devoirs. Je dois rappeler ici qu'une fille de la campagne, d'une constitution très-forte et d'un caractère très- doux , s'étoit vouée à remplir cette tâche pénible durant sa convalescence, et qu'après l'avoir rem- plie pendant six mois avec éloge, elle acheta du fruit de ses épargnes une robe neuve, qui au pre- mier jour de féle lui fut déchirée par une aliénée en fureur. Elle fut dès-lors entièrement dégoûtée de sa place et demanda sa sortie de l'hospice.


éprouver quelque excitation momentanée qui le porte à la violence. Les aliénés ne restent jamais dans leur cham- bre 5 ils se prombnent dans un jardin spacieux et om- bragé , ou se reposent dans ce qu'on appelle un salon de compagnie ; les furieux ont la liberté de se promener en camisole dans la cour , qui est en partie ombragée par un bosquet agréable. Plusieurs convalescens vont se promener hors de la maison , chacun accompagné de son domestique


CONSACRÉS AUX ALlÉWÉS.


V.

Surveillance paternelle à exercer pour la pré- paration et la distribution des alimens,

2o5. L'agilalion continuelle des aliénés, leurs mouvemens mnsccilaires non inlerromptis durant leurs actes d'extravagance oit de fureur, leur cha- leur animale exaltée, et la vigueur dont ils jouissent, expliquent naturellement une sorte de voracité qui leur est propre^ et qui quelquefois est si ex- trême, que certains d'entre eux vont jusqu'à con- sommer par intervalles environ deux kilogrammes de pain par jour. Un des premiers objets ou plutôt Un des devoirs les plus sacrés de ma place, à titre de médecin en chef de Bicêtre (l'an 2^ et 3" de la République), étoit sans doute d'inspecter soigneu- sement le service de la cuisine des aliénés, et d'en- trer dans tous les détails économiques , par corapa- l aison avec le reste de l'Hospice , où je n'avois trouvé qu'insouciance , maladresse , oubli des premiers principes dans la préparation et la distilbulion des idimens. Je reconnus au contraire qu'il auroil été difficile de les préparer avec plus de discernement et une pins sage économie que dans la division des aliénés. C'est un témoignage honorable de plus à ajouter à ce que j'ai déjà dit (sect. Ib) sur le sur- veillant des aliénés de Bicétre. Attention constante d'avoir toujours eu réserve de.s alimens de la veiiie>


25o POLICE UrS ÉTARLISSKMENS

pour réparer les vielssimdes ou les uégli^euces Je î'approvisioniieraent cL pouvoir fournir aux besoins urgens ou imprévus des aliénés; précautions - de ré- server et de faire cuire , dans la belle saison , des plantes potagères, et de les conserver dans des pots de grès pour l'hiver, à titre de nourriture supplé- mentaire ; provisions des jours gras en viande, en graisse, en substance médullaire des os, réparties (i) pour les jours maigres , alin de rendre le potage beaucoup plus nourrissant ; méthode pleine d'intel- ligence suivie dans la coclion de la viande pour le potage , c'est-à-dire proscription de la routine or- dinaire des cuisines des hospices , qui consiste à sou- mettre la viande à une ébuUition forte et soutenue, à rendre dure et coriace la partie fibriueuse, et à empêcher le dégagement de la gélatine. Le bouillon


(i) Pour donner une juste ide'e des soins paternels pris par le surveillant et sa femme , je remarquerai qu'on servoit alter- nativement en gras et en maigre chaque jour de la semaine , et que les jours maigres les provisions fournies à l'hospice étoient fixées de manière à donner une livre de beurre pour seize livres de riz , c'est-à-dire environ trois livres et demie de beurre pour le polage en maigre d'environ deux cents alie'- îiés ; et comme l'odieuse spéculation des approvisionnemens se portoit encore sur cet objet, le plus souvent sur celle quantité de beurre salé on faisoit enlrer plus d'une livre de sel. Que pouvoit être alors le polage , sinon une sorle d'eau chaude et salée , puisqu'il n'y avoit que deux livres de beurre 4fur quatre cents livres de bouillon ? Dans les dégustations que


CONSACRÉS AUX ALIÈNES. îi5l

ëloît toujours préparé dès le matin du jour de la distribution, et on proportionnoit avec précision la quantité du liquide aux besoins de l'hospice; l'ébul- lition n'avoit lieu que pour enlever ce qu'on appeloit l'écume du pot ou les parties les plus concrescibles par la chaleur; on ôtoit alors le bois et on faisoit une sorte de four artificiel avec des briques autour de a marmite , pour soumettre la viande à une chaleur constante et soutenue, un peu au-dessous du dé- féré de l'ébullition , pendant quaU^e heures et demie, ce qui rendoit la fibrine pulpeuse et tendre : la disso- liuion par degrés de la gélatine dans le liquide pro- dutsoit alors un potage restaurant et salubre. C'est ainsi qu'on savoit allier la déférence et les égards dus aux malheureux avec la plus sage et la plus atten- tive économie.


je faîsois, fétois frappé d'élonnement de trouver encore un bouillon d'une bonne qualité. J'appris bientôt les ressources que ie surveillant savoit se ménager , soit par la réserve d'un peu de vÎB^pde et de plantes potagères de la veille , soit en mettant à profit les os réservés qu'on rejeloit ailleurs , ou dont on faisoit un objet de lucre, c'est-à-dire en les écrasant et en les dépouillant de la gélatine qu'ils contiennent en abon-^ dance. La manière de préparer le potage au riz n'étoit pas moins judicieuse; au lieu de l'inonder d'&au, on n'en mettoit qu'une petite quantité, et on altcndoit qu'elle fût entièrement absorbée pour en mettre de nouvelle qu'on faisoit chauffer dans un vase sépare, et c'est ainsi que , par des aff usions S uo«  ccssives , la cuiseon étoit oomplélée.


232


POLICE BES tTABLISSEMEx\S


V I.

Suites funestes de la disette qui eut lieu, l'an 4. dans les Hospices des Aliénés.

206. Je laisse à la politique éclairée par le sou. venir du passé et par les résultats d'une longue expérience , le soin de déterminer si les bie^ns- Ibnds des hôpitaux et des liospices leur doivent être conservés comme propriété inaliénable , sous la régie d'une administration sage, ou si on doit recourir à un autre moyen d'assurer les fonds né- cessaires pour fournir aux besoins des indigens malades ou infirmes , en les associant à toutes le» vicissitudes de la fortune publique. 11 suffit de rap- peler ici aux amis de l'ordre quelques faits dont j'ai été témoin oculaire, et dont le souvenir ne peut être que douloureux pour l'bomme le moins sensible. C'est en calculant sagement les besoins des aliénés que la ration journalière du pain de ceux de Bicêtre fut portée à un kilogramme sous l'As- semblée constituante (3o}, et j'avois vu pendant deux années les avantages de cette disposition salu- taire. Je cessai d'être médecin de cet hospice; mais dans une de ces visites de bienveillance que je ren- dois de temps eu temps aux aliénés (4brumaire an 4), j'appris que la ration du pain avoit été réduite à sept hectogrammes et demi, et je vis plusieurs des an- cieus convalescens retombés dans, un état de fureur


COISSACRÊS AUX ALIENES. a55

maniaque, en s'écriant qu'on les faisoit mourir de faim. Les progrès délétères de la diselte furent en- core bien plus marqués dans la suite, puisque la ration du pain fut successivement réduite à environ cinq, quatre, trois, et même deux hectogrammes, en y ajoutant un léger supplément de biscuit, sou- vent très-défectueux. L'effet fut tel qu'on devoit l'at- tendre pour les suites, et il a été constaté que pen- dant deux mois seulement ( pluviôse et ventôse an 4) le nombre total des morts dans l'bospice des aliénés a été de vingt-neuf, tandis que celui de l'an 2 en entier n'avoit été que de vingt-sept. Ré~ sultat analogue mais encore plus prompt et plus déplorable pour les aliénées de la Salpétrière , puis- que dans le cours de brumaire de l'an 4 (i), la mortalité fut de cinquante-six par la fréquence ex-


(i) Je fus cliargé a cette époque, par l'administratiou , de rechercher les causes de cette mortalité, d'après une obser- vation exacte des maladies régnantes , et voici quelle fut la conclusion de mon rapport.

Je pense qu'on doit attribuer principalement cette mor- talité à la disette qui a régné pendant le printemps et l'été dernier dans la section des aliénés. En effet, avant le i«  germinal , chaque aliéné avoit une livre et demie de pain par jour , et on en accordoit cent livi-es pour la sonpe de tout l'hospice. Au germinal les cent livres furent supprimées» €t la ration du pain pour chaque aliéné fut réduite à une livre jusqu'au i 5du même mois. Depuis le i5 jusqu'au 5a la ration ne fut que de douze onces. La diminution fut portée


254 POLICE t)ES i:TABLISSEMENS |

trcme des lliix de venlre colliqualifs et des dysen- teries. Auroit-on à gémir sur ces évënemens funestes l| SI les ressources des hospices avoieut été fixes et invariables? On sait, par l'histoire du temps, à quelle époque cet heureux changement a eu lieu dans les hospices; mais quelques mesures sages qu'ait prises tine administration éclairée, on sait l'inlluence qu'exerce sur elles leur exécution et combien elle y apporte de modifications remarquables. Avec la même quantité de pain , un préposé négligent et peu actif donnera lieu à des besoins non satisfaits , et un autre bien plus habile et plus zélé aura l'art de satisfaire à tout, et de se ménager même un sur- croît de subsistance pour des cas imprévus d'une grande voracité de certains aliénés qui ont besoin d'une portion double ou triple. C'est ainsi qu'à la division des aliénées de la Salpêtrière M. Pussin , qui préside 10ujour$ au partage ou à la distribution des


encore plus loin les huit premiers jours de floréal , puisque cette ration du pain n'étoit que de huit onces. A cette époque on accorda du biscuit de mer pour la soupe j mais on retran- cha sur tout l'hospice deux cents livres de pain, ce qui ré- duisit la ration ordinaire à six onces. Lorsque le biscuit fut supprimé, le x^"^ thermidor, on revint à la ration de douze onces de pain. On connoît la voracité des aliénés de l'un et l'autre sexe. La disette a donc porté principalement sur l'hos- pice des aliénés , et les suites ont été des flux de ventre sé* reux et des dysenteries funestes

Biiicue , 27 brujnaiie an 4*


I


ÉGIME DES ALIÉNÉES D

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l: LA SALPÊTRIÊRE.


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ou de Marolks.



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1


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ans.


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Décagrammes.


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Centilitres.


Centilitres.


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Décagrammes,


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Jours


\ OBSERVATIONS.

{Les Aliénées reçoivent le matin , le pain , le vin , la viantle , et 48 centilitres de bouillon. Le soir , des légumes secs , ou des pruneaux et du fromage , ou àu. raisiné , avec 48 centilitres de bouillon.


f Les Aliénées reçoivent aussi le matin , le pain , le vin , 1 5 centilitres de légumes secs , ou 35 grammes de riz avec Jours maigres. \ 48 centilitres' de bouillon maigre. -r i -ii

[ Le soir, 1 5 centilit, de légumes , secs ou 35 grammes de riz et du fromage , ou du raisiné , avec 48 centilit. de bouillon.

Dans la saison , elles ont alternativement des légumes secs , des choux , de la choux-croûte , des épinards , de l'oseille , du potiron , des pommes-de-terre.

Elles ont aussi alternativement de la salade, des cerises, des groseilles, des abricots, des prunes, des poires et du raisin en rempla- cement de fromage.


Page 235.


•CONSACRÉS AUX ALlKlNÉS. 235

aliraens, fait faire des râlions fortes, moyennes, pe- tites, pour que les filles de service dans leur dépar- tement aient à les distribuer suivant l'exigence des cas. De cette manière rien n'est donné ni en excès m en défaut, et sur l'ensemble il y a toujours une quantité surabondante qui est réservée pour des cas imprévus ou qui est renvoyée à la paneterie: aussi u'ai-je jamais entendu des plaintes de la part des aliénées de la Salpétrière sur ce point fondamen- tal. Le tableau ci-joint indique les régies générales et les proportions qu'on y suit dans la distributioa des vivres.

207. Un établissement public d'aliénés qui fait partie d'un grand hospice et qui n'a point une cui- sine particulière, a l'inconvénient d'être toujours dans une sorte de dépendance de l'établissement général, autant pour le choix des alimens que pour les heures de la distribution des repas, et on doit convenir que cette distribution trop rapprochée et trop multipliée dans la journée , n'est pas entière- ment conforme aux règles de la diététique, qui de- mande toujours un temps déterminé pour le travail de la digestion , d'autant mieux que dans la matinée plusieurs aliénés sont asservis à l'usage de quelque boisson. Une autre règle étoit observée autrefois à Bicétre lorsque j'étois médecin de cet hospice , et que la cuisine de la division des aliénés étoit entiè- rement séparée de la cuisine générale de l'hospice : Jes heures du repas étoient fixées d'i\ne manière


^âCÎ POLICE Dr.S ÉTACLISSEMEISS

plus commode : le déjeûner à sept heures du ma- tin, cotisislant seulement en pain; le diner enln onze heures et midi avec potage et viande houiliic pour les jours gras; pour Je souper du pain et quel- cjues légumes, plantes ou racines potagères. Quelless que soient d'ailleurs les dispositions générales, elles, ont besoin d être modifiées dans l'exécution , et on. imagune qu'une personne débile et sujette à une sorte de diarrhée habituelle, ne doit point avoir Jes mêmes alimens qu'une autre aliénée robuste et sujette à la constipation (i). Le vin pur est loin, de convenir à une aliénée très-agitée ou furieuse,, et il est propre à fortifier une femme âgée et réduite' à un état de démence sénile.


(i) Dans l'établissement ilutloct. Esqnirol, la nourriture est en général abondante , propre à fortifier et prise des alimens- les plus sains apprêtés d'ailleurs sans épices. Le déjeûner est distribué àneuf heures, et varie suivant l'état et les dispositions particulières de l'aliéné : on a besoin quelquefois de faire ser-- Tir un second déjeûner à plusieurs d'entre eux. On dîne ài quatre heures ) les convalescens , les aliénés tranquilles , ou ceux qui ne sont agités que par intervalles , sont admis à la table de M. Esquirol ; les autres , à moins qu'ils ne soient dan- gereux , dînent dans une salle commune , chacun à une table particulière et servi par son domestique; les autres en petit nombre mangent dans leur chambre. Tout ce qui leur est servi sort de la table commune , où les portions sont faites ea indiquant leur destination. Chaque malade boit de l'eau rougie à discrétion. Le souper se compose de légumes et de fruits.


CONSACRl!s AUX ALIENES. aoj

e VII.

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i< Exercices de corps variés , ou application à un travail mécanique, loi fondamentale de tout hospice d Aliénés,

e 208. Ce n'est plus un problème à résoudre , r c'est le résultat le plus constant et le plus unanime e de l'expérience, que dans tous les asyles publics, n comme les prisons et les bospices, le plus sûr et , peut-être l'unique garant du maintien de la santé, e des bonnes mœurs et de l'ordre, est la loi d'un tra- vail mécanique rigoureusement exécutée. Cette vé- . rite est surtout applicable aux bospices des aliénés, j et je suis très- fortement convaincu qu'un établisse- ment de ce genre, pour être durable et d'une utilité soutenue , doit porter sur cette base fondamentale» Très-peu d'aliénés, même dans leur état de fu- reur, doivent être éloignés de toute occupation ac- tive , comme je m'en suis spécialement assuré j et quel spectacle altligeant, què de voir dans tous nos établissemens nationaux , les aliénés de toute espèce oudaus une mobilité continuelle et vaine , s'agitanfc sans aucun but, ou bien tristement plongés dans l'iaertie et la stupeur ! quel moyen plus propre d'entretenir eu eux l'effervescence de l'imagina- tion, l'babitude des emportemens fougueux, et tous les écarts d'une exaltation délirante ! Un tra-


POLICE DES KTAIiVlSSEMENS

vail constant change au contraire la chaîne vicieuse des idées , fixe les facultés de l'entendement en leui donnant de l'exercice, entretient seul l'ordre dans un rassemblement quelconque d'aliénés, et dis^ pense d une foule de règles minutieuses et souvent vaines pour maintenir la police intérieure. Le re- tour des aliénés couvalescens à leurs goûts primitifs,, à l'exercice de leur profession, leur zèle et leur persévérance, ont été toujours pour moi le sujeti d'un bon augure et de l'espoir le plus fondé d'une guérison solide. Mais nous avons encore à envier à une nation voisine de la nôtre un exemple qu'on i ne saurolt trop faire connoîire : cet exemple , ce n'est point l'Angleterre ni l'Allemagne qui le donnent , c'est l'Espagne. Dans une de ses villes (Saragosse) existe un asjle ouvert aux malades, et surtout aux aliénés de tous les pays , de tous les gouvernemens , de tous les cultes, avec cette inscription simple : JJrhis et Orhis, Un travail mécanique n'a point été seul l'objet de la sollicitude des fondateurs de cet établissement j ils ont voulu retrouver une sorte de' contre- poids aux égaremens de l'esprit, par l'attrait et le charme qu'inspire la culture des champs, par l'instinct naturel qui porte l'homme à féconder la terre et à pourvoir ainsi à ses besoins par les fruits de son industrie. Dès le matin on les voit, les uns remplir les ofHces serviles de la maison, certains se rendre dans leurs ateliers respectifs, le plus grand nombre se diviser en diverses bandes, sous la con-


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claite de quelques surveillans intelligenset éclairés , se répandre avec gaieté dans les diverses parties d'un vaste enclos dépendant de l'hospice, se par- tager avec une sorte d'émulation les travaux relatifs aux saisons, cultiver le froment, les légumes, les plantes potagères, s'occuper tour.à-tour de U moisson, du treillage, des vendanges , de la cueil- lette des olives , et retrouver le soir dans leur asyle solitaire le calme et un sommeil tranquille. L'expé- rience la plus constante à appris dans cet hospice que c'est là le moyen le plus sûr et le plus efficace d'être rendu à la raison; et que les nobles, qui re- poussent avec mépris et hauteur toute idée d'un travail mécanique, ont aussi le triste avantage de perpétuer leurs écarts insensés et leur délire.

209» « La paresse, l'indolence et l'oisiveté, vices

si naturels aux enfans, dit la Bruyère , disparoissent dans les jeux, où ils sont vifs, appliqués, exacts, amoureux des règles et de la symétrie ». N'en est il pas de même des aliénés en convalescence , lorsque dans les langueurs d'une vie inactive on offre un aliment à leur penchant naturel pour le mouve- ment du corps et l'exercice ? Aussi nul principe sur lequel la médecine ancienne et moderne soient d'un accord plus unanime. Un mouvement réci^éa- lif ou un travail pénible arrête les divagations insensées des aliénés , prévient les congestions vers la tête , rend la circulation plus uniforme et prépare à un sommeil tranquille. J'étois ua


24o POLICE DES ÉTABLISSEMENS

jour assourdi par les cris tumultueux et les acte d'extravagance d'un aliéné j on lui procura un tra. vail champêtre conforme à ses goûts, et dès-lors j. m entreims avec lui sans observer aucun trouble aucune confusion dans ses idées. Rien netoitplu, digne de remarque que le calme et la tranquillit<. qui regnoient autrefois parmi les aliénés de Bicètre lorsque, des marchands de Paris fournissoient ar plus grand nombre un travail manuel qui fixoit leur attention et les attacholt par l'appas d'un légei. lucre. C'est pour perpétuer ces avantages et poui, améliorer le sort des aliénés , que je n'ai cessé de. fau-e, vers celte époque, les instances les plus réité- rées pour obtenir de l'administration un terrein ad-' jacen t i>our le faire cultiver aux aliénés con valescens,. et accélérer leur rétablissement. Les orages de iji i^volution (an 2- et 3e) ont empêché toujours, l'exécution de ce projet, et j'ai été borné aux moyens^ subsidiaires qu'emplojoit le surveillanfc toujours at- tentif à choisir les gens de service parmi les con va- lescens (87). Ces principes sont encore ceux du, concierge de la maison des Ibus d'Amsterdam (i)..

(i) Il est remarquable , dit M. Thouin , qu'une maison qui renferme tant de monde ait si peu de gens de service à ses gages. Je n'en vis que quatre à cinq de permanens ; tous les autres sont pris parmi les convalesccns qui , excités par l'exemple et les discours du concierge , se prêtent avec em- pressement à servir ceux qui ont besoin de secours, et ils


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f Ce seroit remplir l'objel dans toute son étendue que a d'adjoindre à tont hospice d'aliénés im vaste enclos, js ou pliilôt de le convertir en une sorte de ferme , , dont les travaux champêtres seroient à la charge i! des aliénés convalescens , eC où les produits de la t culture serviroient à leur consommation et à leurs dépenses. C'est d'ailleurs TEspagne qui nous donne Il un si bel exemple à suivre dans un de ses princi- t paux hospices. Les aliénés propres au travail sont i divisés dès l'aurore en diverses bandes séparées ; un r guide est à la téte de chacune pour leur départir e l'objet du travail, les diriger et les surveiller; Ja • journée se passe dans une activité continuelle ou seulement interrompue par des intervalles de re- lâche, et la fatigue ramène pour la nuit le sommeil Lt le calme. Rien n'est .plus ordinaire que les gué- risons opérées par cette vie active, pendant que


remplissent ce devoir avec 3'autant plus de zèle, qu'ils ont reçu eux-mêmes des soins semblables de la part de ceux qui les ont précédés. Ils n'est pas à craindre que le service lan- guisse, parce qu'il y a presque autant d'infirmiers que de malades, et qu'ils sont dirigés par un homme de service affecté à chaque salle. Cette pratique économique et surtout trcs-morale , est employée dans tous les hospices de Hol- lande. Il en résulte que les pauvres sont mieux traités , et que les dépenses de gens de service, d'officiers, d'états-ma- jors, si nombreux ~et si chèrement payés parmi nous, sont presque nulles.


a/l-2 POLICE DES jÉTABLISSEMENS

1 aliéaallon des nobles, qui rougiioient du travail des mains, est presque toujours iacurablc.

216. G est lors de la convalescence et aux pre- mières lueurs du rétablissement que commenceult souvent à se renouveler les goûts primitij^s de: l'homme et son amour pour les beaux -arts, les. sciences ou les lettres, s'il s'est jadis distingué dans, cette carrière. Ce premier réveil du talent doit donc être saisi avec avidité parle surveillant de l'hospice,, pour favoriser et accélérer le développement des^ facultés morales, comme le manifeste un exemple rapporté dans la section II de cet ouvrage (66).. D'autres faits servent encore à confirmer la même, vérité. J'avois peine quelquefois à suivre la garru- lilé incoercible et une sorte de flux de paroles dis- parates et iucohérenles d'un ancien littérateur , qui! dans d'autres momens tomboit dans une taciturnlté sombre et sauvage. Une pièce de poésie , dont ill avoit fait autrefois ses délices, veuoit-elle s'offrir sà sa mémoire , il deveuoit susceptible d'une atteationi suivie ; son jugement sembloit reprendre ses droits,, et il composoit des vers où réguoîent non-seulement; un esprit d'ordre et de justesse dans les idées, mais; encore un essor régulier de l'imagination et des^ saillies très-heureuses. Je ne pouvois donner que; quelques heures fugitives à cette sorte d'encoura- gement et d'exercice moral ; et quels heureux effets, n'eût point produit sur le convalescent une conti- nuité de soins dirigés suivant mes principes î Un


CONSACRÉS AUX ALIÉNÉS* ^0

autre, musicien, tombé aussi clans la manie par des ëvénemens de la révolution, tenoit les propos les plus décousus, ne parloit souvent que par mono- sjllabes qu'il enlremêloit de sauts, de danses, de gestes les plus insensés et les plus absurdes. Un sou- venir confus, lors de sa convalescence , lui rappela sou instrument favori, c'est-à-dire le violon , et dès-lors j'engageai les parens à lui procurer cette jouissance , si utile d'ailleurs pour son entier réta- blissement. 11 parut reprendre dans peu de jours son ancienne supériorité, et il continua ainsi pendant huit mois à s'exercer plusieurs heures chaque jour, avec des progrès d'ailleurs très - marqués pour le calme et le rétablissement de la raison. Mais à cette époque on reçut dans le même lieu de réclusion un autre aliéné plein de fougue et d'extravagance. La fréquentation de ce dernier qu'on laissoit. errer li- brement dans le jardin, bouleverse entièrement la téte du musicien ; le violon est rais en pièces, son exercice favori abandonné, et sou état de manie est regardé maintenant comme incurable: exemple affligeant et mémorable de Finlluence qu'exerce le speclacle des actes de manie sur les convalesceus , et cjui prouve "la nécessité de les isoler.

2 1 1. Le caractère ombrageux et irascible des alië' nés, même dans leur convalescence, est connu. Doués pour la plupart d^ine délicatesse extrême de sentiment, ils s'indignent contre le moindre signe d'oubli, de mépris ou d'indifférence, et ils abau-


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donnent pour jamais ce qu'ils avoientadoplé avec le plus de zèle et de chaleur. Un sculpteur, élève du célèbre Lemoine, écLoue dans ses projets et ses efforts pour parvenir à l'Académie ; et dès-lors mélancolie profonde et rixes continuelles contre son frère, dont la parsimonie , suivant lui, la arrêté dans sa carrière. Ses écarts et ses actes de violence sont suivis d'un ordre arbitraire pour sa réclusion comme aliéné. 11 se livre à tous les emportemens de la fureur dans sa loge; il met tout en pièces, et reste plusieurs mois dans un état maniaque des plus vmlens. Le calme enfin succède, et on lui donne la liberté dans l'intérieur de l'hospice: son entende- ment étoit encore foible, et il supporloit avec peine tout le poids d'une vie inactive. La peinture, qu'il avoit aussi cultivée, parut sourire à sou imagination, et il désira de s'essayer d'abord dans le genre des portraits. On s'empressa de le seconder dans sou dessein , et il fit l'esquisse des portraits du surveillant et de sa femme. La ressemblance étoit bien saisie ; mais encore peu susceptible d'application, il crojoit voir un nuage devant ses yeux, et il étoit découragé parle sentiment de son insuffisance, ou un reste de boa goût jadis puisé dans l'étude des meilleurs modèles. Le talent qu'il avoit manifesté, et sur- tout le désir 'de soutenir son activité naissante, et de conserver à la société un artiste habile, enga- gèrent l'économe de Bicétre à lui demander un ta- bleau, en lui laissant le choix du sujet pour lui


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donner uu plus libre essor dans sa composition. Le convalescent, encore mal rétabli, croit cette lâche au-dessus de ses forces, et il désire que le sujet soit fixé , que même on lui en trace un dessin correct et propre à être pris pour modèle. Sa demande est éludée , et on laisse échapper la seule occasion de le rendre à la raison. Il se livre à des mouvemens d'indiguation , croit voir dans cette négligence un témoignage de mépris, met en pièces ses pinceaux, sa palette , ses esquisses, et déclare hautement qu'il renonce pour jamais à la culture des beaux-arts; i'émolion même en est si profonde qu'il succède un accès de fureur de plusieurs mois. Le calme renaît encore pour la seconde fois ;mais il étoit alors réduit à un état de langueur, et à une sorte de rêvasserie qui se rapprochoit de la démence. Je le fis passer aux infirmeries pour tenter l'usage combiné de quelques remèdes simples et d'un régime tonique ; des entretiens familiers, des propos consolateurs, quelques avis dictés par la prudence furent inutdes. Son goût primitif pour le travail et pour les beaux- arts parut perdu pour jamais. L'ennui, le dégoût de la vie, la mélancolie la plus sombre et la plu& apathique, firent des progrès rapides. Plus d'ap- péllt, plus de sommeil , et un fiux de ventre col- liqualif mit le dernier terme à sa malheureuse existence.

212. La loi générale d'un travail mécanique n'^esfc pas moins impérieuse pour les idiots de l\m et de


246 POLICE DES ÉTABLISSEMENS

l'aiUre sexe, qui abondenr dans les hospices, et sur cet objet on a repris à la Salpèlriè. e les mêmes vues et les mêmes principes que ceux dont j'avols vu autrefois les heureux effets à Bicêtre. On doit voir avec peine dans une inaction constante ou dans une sorte d'engourdissement stupide^ plusieurs de ces Kliots qui pourroient être utilement employés à quelque travail grossier des mains , à une culture de végétaux sous les yeux d'un conducteur habile. Ré- duits à une sorte d'imitalionservileet moutonnière, il suffit de leur donner un exemple à suivre et de mettre à leur tête quelque homme actif et labo- rieux j ils se montent à l'instant au même ton et sont susceptibles des efforts les plus soutenus, comme je l'ai vu moi-même dans une circonstance particulière d'une plantation d'arbres qui fut faite dans l'intérieur de l'hospice de Bicêtre. L'homme le plus exercé ne peut pas se livrer au travail avec plus de constance et d'énergie; aussi l'adjouction d'une sorte de jardin ou promenoir de trois arpens, à la divisiou des aliénées de la Salpêtrière, fit en- trevoir tous les avantages qu'on pouvoit eu retirer, soit pour le travail d'une pompe destinée à fournir l'eau nécessaire pour un réservoir qui est au milieu de ce local, soit pour un autre genre de travail adapté aux mœurs et aux usages des femmes de la campagne, accoutumées à bêcher la terre et à d'autres travaux rustiques. Mais une division de pouvoirs et de volontés, intervenue parmi les


CONSACRÉS AUX ALIENES. 2^7

préposés, entrava alors l'exéciuioii de ces mesures salutaires , et on fut obligé de s'en temr auK moyens généraux qui sont propres à entretenir une propreté constante dans l'hospice ; aussi, dans le local desliné aux aliénées cjui sont au déclin de leur maladie, et dont les habitaliom sont mê- lées avec la classe des imbécilles qui sont loin d'être réduites au dernier degré d'idiotisme, on voit une sorte de rivalité entre les unes et les autres pour balayer les cours, prendre de l'eau avec des seaux de bois dans diverses fontaines de l'hospice, en arroser et en laver le pavé , le tenir dans la plus grande propreté , et conserver surtout une fraî- cheur constante pendant la saison des chaleurs , ce qui réunit plusieurs avantages : on en obtient un bien plus grand, relativement au calme et à la tran- quillité qui régnent en général dans les cours, en fai- sant ainsi une heureuse diversion aux quintes vio- lentes et aux emportemens fougueux pour des causes les plus légères qu'éprouvent souvent ces mêmes personnes, et qu'elles sont incapables de réprimer par la nullité de leur caractère ou le très- foible ascendant de leurs facultés intellectuelles.

2i3. Mais l'heureuse organisation de l'hospice, qu'a favorisée avec soin une administration éclairée, nous a ménagé une ressource encore plus pré- cieuse pour accélérer les progrès de la convales- cence : c'est un vaste atelier pour les travaux de là couture qui est adjoint aux dortoirs des conVc>


= {8 POLICE «ES ^TAB,,,SSM,rNS

ic^ceutes, et où ces de™lères se ..asse.„bleat pour y passer presque loule la journée en socielé Z cou^geespo..™,^^^^

p 'af " P^'- * -l'es <,ul souUes P us actives une certaine ressource au sortir de ihosp,ce,eu u>é™e tou,ps quelles vont reprendre ll.ab,tude du travail en rentrant dans leur mé- Jjage. On ne peut asse. exprimer l'heureuse in- Uuence qu exerce sur le retour de la raison ce ras-

  • emble«ent régulier de plusieurs personnes qui

sentret,e„„ent avec liberté sur les intérêts de leur lamaie qu elles ont abandonnée depuis plusieurs tto,s, et qu elles ont l'espoir de revoir bientôt après une absence plus ou moins longue mais nécessaire, l^es journées se passent ainsi avec rapidité et dans «ne communication réciproque de leurs craintes et de leurs peines. Le surveillant les visite souvent so,t pour être témoin de leur industrieuse activité ' soit pour dissiper encore quelques restes de l'éc-a- rement de la raison, soit enlin pour remarquer celles qm se portent au travail avec une espèce de Donchalanee, et pour connoitre le jugement qu'on doit en former pour l'avenir; ce qui peut donner lieu a des notes particulières lors de l'attestation que je sius obligé de tiire au moment où elles l entrent dans la société. C'est encore dans ce ras- semblement que , par des entretiens familiers et des exhortations bienveillantes , on parvient à dissi- per certaines idées tristes et mélancoliques, en


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CONSACRÉS AUX ALIENES.

comparant les femmes qui n'en sont point encore exemptes avec celles qui en sont heureusement délivrées, et que , pour un objet d émulation , ou fait déjà prendre pour modèles. 11 est bien rai e de voir des personnes qui se sont montrées constam- ment laborieuses éprouver dans la suite une réci- dive.

21/^. Le penchant naturel des aliénés à des em- porlemens de colère , leur facilité à donner aux évé- nemens les interprétations les plus sinistres, et à éclater en murmures, font sentir la nécessité ex- trême d'un ordre invariable de service pour ne point aigrir leur élat ; de là les mesures que j ai vues mises rigoureusement en exécution dans l'hospice de Bicêtre. L'heure de l'ouverture des loges fixée suivant les variations de la saison, c'est à-dire, à cinq heures du matin en été, à sept heures et demie en hiver , et toujours dans la même proportion avec la durée du jour dans les saisons intermédiaires ; attention extrême de faire éloigner aussitôt les or- dures de la nuit, et de pourvoir à la propreté des loges, ainsi qu'à celle des cours; visite générale du surveillant dans la matinée pour s'assurer que rien n'a été omis ni négligé ; distribution du déjeu- ner peu après l'heure du lever; le dîner à onze heures précises, c'est-à-dire, service du potage et du tiers de la ration journalière du pain; attention nou- velle de pourvoir encore à la propreté des loges après le repas; troisième distribution du reste du


a5o POLICE DES ÉTABLISSEMENS

pain et de quelques mels gras ou maigres à quatre ou cinq heures du soir, suivant la saison ; clôture des loges à l'entrée de la nuit, au son d'une cloche; un premier veilleur mis en activité de service jus- qu'à minuit, avec ordre de faire des rondes dans tout l'hospice, de demi-heure en demi-heure , pour don- ner des secours aux malades, empêcher la dégrada- tion des^logesparles plus furieux et prévenir tout événement sinistre ; reprise d'un autre veilleur depuis minuit jusqu'au matin pour remplir la même lâche, et indiquer les aliénés tombés dans quelque maladie accidentelle. Dès le malin, rentrée en fonctions des gens de service pour pourvoir aux objets de pro- preté et remplir leurs autres devoirs ; leur assiduité et leur présence à toute heure du jour impérieu- sèment exigée pour maintenir l'ordre en cas de trouble, pour agir en masse s'il survient une rixe entre quelques aliénés, ou lors de l'explosion subite et inattendue d'un accès de manie j défense expresse à ces mêmes gens de service de porter une main violente sur les aliénés, lors même qu'on les pro- voque ou qu'on les frappe; sorte de tactique ensei- gnée, ou plutôt indication de certaines manœuvres adroites pour rendre vains et împuissans les efforts et l'audace téméraire de quelques maniaques en fureur; en un mot, la direction générale de l'hos- pice assimilée à celle d'une grande famille composée d'èiresturbuleus et fougueux qu'il faut réprimer, mais non exaspérer, contenir plutôt par des seuli-


CONSACRES AUX ALIÉNÉS. îïSl

mens de respect et d'estime, que par une crainte servile, lorsqu'ils en sont susceptibles, et conduire le plus souvent avec douceur, mais toujours avec une fermeté inflexible.

VIII.

Préceptes généraux à suivre dans le Traitement

moral.

21 5. Un des points capitaux de tout hospice bien ordonné , est d'avoir un centre général d'autorité qui décide sans appel , soit pour maintenir l'ordre parmi les gens de service , soit pour exercer une juste répression contre les aliénés tutbulens ou très- agllés, soit pour déterminer si un aliéné est suscep- tible d'une entrevue demandée par un de ses amis on de ses proches : ce juge suprême doit être le sur- veillant de la police intérieure, et tout est dans la confusion si le médecin ou tout autre préposé a la foiblesse de céder à des réclamations qui lui sont adressées, et à mettre sa volonté et ses ordres en opposition avec ceux du même chef. Une jeune fille qui étoit tombée dans une mélancolie profonde, et qui avoit été réduite plusieurs jours à un état de stupeur et d'insensibilité , commençoit à se rétablir et à prendre régulièrement de la nourriture; il ne falloit plus qu'attendre sa pleine convalescence; et comme on devoit craindre seulement le danger d'une visite prématurée, j'étois convenu avec le


aSa POLICE DES ÉTABLISSE]\1ENS

surveillant de la tenir encore séquestrée. Je ne saiçs par cjLiel artifice on obtint d'ailleurs un billet d'en- trée et la permission d'avoir une entrevue avec elle , sous divers prétextes. L'égarement de la raisom se renouvela le même jour; il survint un état de taciturniié sombre et le refus pendant deux jours, de toute nourriture : il a fallu plus d'un mois d'assi-. duité et de soins pour réparer une pareille faute,, et pour que l'habitude du travail fût de nouveau contractée. Il est bien plus affligeant de voir quel- quefois des personnes grossières se permettre de blâmer sans motif la conduite du surveillant,, lui tenir des propos désobligeans , et chercher ainsi à diminuer l'estime et la confiance qu'il mérite à tant de titres : c'est ce qui est arrivé à la parente d'une autre fille mélancolique qui improuvoît hau- tement qu'on eût donné le nom de baptême à la douche de répression , et qui en prit occasion de faire une vive sortie contre la méthode de traite- ment usitée dans cet hospice. Une autre faute plus grave a été d'accorder à cette mélancolique la li- berté de se promener dans les autres cours de l'hospice, et de se soustraire à la loi commune du travail, qui est si salutaii^e pour affermir la conva«  lescence. L'aliénée fut ainsi soustraite à la juri- diction du surveillant , l'usage des bains suspendu augmenta les entraves du traitement médical, et la personne en est restée incurable.

2.1 6.. L'espoir très - fondé de rendre à la sociéld


CONSACRÉS AUX ALIENES. 253

des hommes qui semblent perclus pour elle , doit exciter la surveillance la plus assidue et la plus mfatigable sur la classe nombreuse des aliénés convalescens ou de ceux qui sont dans leurs inter- valles lucides; classe qu'on doit isoler avec sôm dans un local particulier de l'hospice , pour éviter toutes les causes occasionnelles de rechutes, et les soumettre à une sorte d'institution morale propre à développer et à fortifier les facultés de l'eutende- ment; mais que de circonspection, de lumières et de sagesse pour diriger des hommes en général très'pénétrans, très- ombrageux et d'un caractère très-irascible ! Coriiment les soumettre à un ordre constant et invariable, si on n'exerce sur étix uii ascendant naturel parles qualités physiques et mo- rales les plus rares? Ce sont là des maximes fonda- mentales que je ne cesse d'inculquer par des exem- ples, et je me confirme de plus en plus dans ces principes en les retrouvant en vigueur dans un des hospices d'aliénés les plus connus de f Europe, ctans- celui de Bethléem. « C'est un objet Irès-i m portant, » dit Haslam (i), de gagner ,1a confiance de ces iu- » firmes, et d'exciter en eux des sentimens de res- » pect et d'obéissance, ce qui ne peut être que le » fruit de la supériorité du discernement, d'une


( I ) Observations on visanity witli practical remarcs on tJie disease, eic. By John Haslam, London 1798.


a64 fOLICE DES £tADLIS5EMENS

» éJacation disùnguée et de la diguité dans le tort » elles manières. La soltlscl'igQorance et le dé- » faut de principes, soutenus par une dureté ly- » rannique, peuvent exciter la crainte, mais ils » inspireront toujours le mépris. Le surveillant » d'un hospice d'aliénés, qui a acquis de l'ascen- » dant sur eux, dirige et règle leur conduite à sou » gré; il doit être doué d'un caractère ferme, et » déployer dans l'occasion un appareil inposant de » puissance; il doit peu menacer mais exécuter, et » s'il est desobéi, la punition doit suivre aussitôt, » c est-à-dire une réclusion étroite. Lorsque l'aliéné » est robuste et plein de force, le surveillant a be- » soin de se faire seconder par plusieurs hommes » pour inspirer la crainte, et obtenir sans peine et » sans danger une prompte obéissance ». Le même auteur n'en proscrit pas moins tout acte de violence, toute punilion corporelle; car si l'aliéné est privé des fonctions de l'entendement, il est insensible à la punition, et c'est alors une cruauté absurde; s'il counoît sa faute , il conçoit un ressentiment profond des coups qu'il a reçus , et son délire se reuouyelle ou s'exaspère par le désir de la vebgeance/'

Un homme dans la vigueur de l'âge, ren- fermé à Bicétre, croit être roi, et s'exprime toujours avec le ton du commandement et de l'aulorlté su- prême. Il avoit subi le traitement ordinaire à l'Hô- tel-Dieu , où les coups et les actes de violence de la part des gens de service n'a voient îini que le rendre


CONSACRÉS AUX ALIENES. l^S

plus emporté et plus dangereux. Quel parti prendre pour le diriger? Un appareil imposant de con- trainte pouvoit encore l'aigrir, et la condescendance raffermir dans ses prétentions chimériques. Il fallut donc attendre une circonstance favorable pour avoir prise sur un caractère aussi difficile, et voici celle que le hasard fit naître. Un jour cet aliéné écrivoit à sa femme une lettre pleine d'emportemens, et Taccusoit avec amertume de prolonger sa détentioa pour jouir d'une liberté entière : il la menaçoit d'ailleurs de tout le poids de sa vengeance. Avant d'envoyer cette lettre, il en fait lecture à un autre aliéné convalescent, qui improuve ces empor- temens fougueux, et lui reproche, avec le ton de l'amitié , de chercher à réduire sa femme au désespoir. Ce conseil sage est écouté et accueilli; la lettre n'est.point envoyée, et elle est remplacée par une autre pleine de modération et d'égards. Le surveillant de l'hospice, instruit de cette docilité à des remontrances amicales, y voit déjà les signes manifestes d'un changement favorable qui se pré- pare; il se hâte d'en profiter, se rend dans la loge de l'aliéné pour s'entretenir avec lui, et il le ra- mène par degré au principal objet de son déliré.

Si vous êtes souverain, lui dit-il, comment ne » faites-vous pas cesser votre détention, et pour- » quoi restez-vous confondu avec des aliénés de » toute espèce »? Il revient les jours suivans s'en- tretenir ainsi avec lui, en prenant le ton de la bica-


256 POLICE t)ES ÉTABLISSEMENS

veillance et de ramitié ; il lui fait voir peu à peu le ridicule de ses prétentions exagérées , lui montre un autre aliéné convaincu aussi depuis long-temps qu'il étoit revêtu du pouvoir suprême, et devcnui un objet de dérision. Le maniaque se sent d'abord! ébranle, bientôt il met en doute son titre de sou- verain, enfin il parvient à recounoître ses écarts, chimériques. Ce fut dans une quinzaine de jours, que s'opéra cette révolution morale si inattendue,, et après quelques mois d'épreuve ce père respect- table a été rendu à sa famille.

218. « 11 est vraisemblable, dit Montaigne, que » le principal crédit des visions , des encbautemens . » et de tels effets extraordinaires, vient de la >> puissance de l'imagination, agissant plus parti- >> ciilièrement contre les ames du vulgaire, plus » molles ». C'est surtout aux illusions fantas- tiques, aux soupçons ombrageux, aux craintes pu- sillanimes des mélancoliques , qu'on peut particu- lièrement appliquer cette remarque judicieuse, et rien aussi n'est plus difficile que de les rectifier ou de les détruire. Gomment eu effet détromper des esprits souvent bornés , et qui prennent les objets cliimériques de leurs idées pour des réalités? L'un ne voit autour de lui que des pièges et des em- bûches, et s'offense même des bous offices qu'on veut lui rendre ; l'autre , transformé en potentat, s'in- digne qu'on lui donne le moindre avis ou qu'on ré- siste à ses volontés suprêmes; certains passent la nuit


CONSACKES AUX ALIÉNÉS. a .'î^

âans la contemplation, parlenten inspirés, préparent des actes expiatoires au nom du Très Himl , ou se vouent à une abstinence qui les exténue. Quelques- uns se croiront condamnés à la mort sous divers pré- textes, et chercheront cà la provoquer par le refus le plus invincible de toute nourriture, à moins que quelque heureux expédient ne triomphe de leur obsj tinalion.Un aliéné de l'hospice de Bicétre, qui n'avoifc d'autre délire que celui de se croire une victime delà révolution,répétoit jour et nuiten l'an 3, qu'il étoifc prêt à subir son sort , refusoit de se coucher dans sou lit, et restoit étendu sur un pavé humide qui pouvoit le rendre perclusde tous sesmembres. Lesurvelllant emploie en vain les remontrances et les voies de la douceur, il est obligé de recourir à la contrainte. L'aliéné est fixé sur son lit avec des liens; mais il cherche à se venger en refusant toute sorte d'ali- mens avec l'obstination la plus invincible. Exhor- tations, promesses, menaces, tout est vain: quatre jours se sont déjà écoulés dans l'abstinence la plus absolue. Il s'excite alors une soif très vive, et l'alié- né boit en abondance de l'eau froide d'heure en heure; mais il repousse avec dureté le bouillon même qu-on lui offre ou toute autre nourriture liquide ou solide. Son amaigrissement devient ex- trême; il ne conserve plus qu'une apparence de squelette vers le dixième jour de ce jeûne effrayant, et il répand autour de lui une odeur des plus fé- tides : sou obstination n'en est pas moins inébran-

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a58 POLICE DES ÉTABLISSEMENS

lable , et il se borne à sa boisson ordinaire. On ne 1

pouvoit plus que désespérer de son état vers le dou- ^

zième jour : c'est à celte époque que le surveillant s

lui annonce qu'il va désormais le priver desa boisson (

d'eau froide , puisqu'il se montre si indocile , et il \

y substitue un bouillon gras. L'aliéné reste alors i

flottant entre deux impulsions contraires j l'une est j

celle d'une soif dévorante qui le porte à avaler un )

liquide quelconque , l'autre est une résolution ferme (

et immuable d'accélérer le terme de sa vie : la (

première enfin l'emporte j il prend avec avidité le (

bouillon, et aussitôt il obtient, à titre de récom- )

pense , l'usage libre de l'eau froide. Son estomac un i

peu restauré lui fait éprouver un sentiment agréa- \

ble, et il consent à prendre le soir même une nou- j velle dose de bouillon. Les jours suivans il passe par degrés à l'usage du riz, du potage, des autres ali-

mens solides, et reprend ainsi peu à peu tous les t

attributs d'une santé ferme et robuste. '

2.tg. Une connoissance profondé de la nature de ' l'homme et du caractère général des mélancoliques, ' a toujours fait vivement sentir la nécessité de leur ' communiquer des ébranlemens profonds, de faire ^ une diversion puissante à leurs idées sinistres , et j d'agir par des impressions énergiques et long-temjDS f continuées sur tous leurs sens externes. De sages «  institutions de ce genre ont fait une partie de ' la gloire des anciens prêtres d'Egypte. Jamais peut- être on n'a déployé pour un but plus louable toutes *


CONSACRÉS AUX ALIENES. aSg

les ressources iaduslrieuses des arts, les objets de pompe et de magniliceuce , les plaisirs variés des sens, l'ascendant puissant etles prestiges du culte (i). Ces antiques ëtablissemens, si dignes d'être ad- mirés, mais si propres à contraster avec nos moeurs modernes et l'état de nos hospices, ne montrent pas moins le but qu'on doit se proposer dans tous les rassemblemens publics ou particuliers de mélan- coliques : patience, fermeté, sentimens d'humanité dans la manière de les diriger, assiduité constante dans le service ppuç* prévenir les emportemens et l'exaspération des esprits, occupations agréables el; assorties à la différence des goûts , exercices du corps variés, habitation spacieuse et plantée d'arbres, toutes les jotiissauces et le calme des moeurs cham-

( I ) Aux deux ex trémi tés de l'ancienne Egypte , qui é toit alors très- peuplée et très- florissante , il y avoit des temples dé- diés à Saturne, où les mélancoliques se rendoient en foule,, et où des prêtres, profilant de leur crédulité confiante, se- condoient leur guérison prétendue miraculeuse , par tous les moyens naturels que l'hygiène peut suggérer : jeux, exercices récréatifs de toute espèce institués dans ces temples, pein- tures voluptueuses , Images séduisantes exposées de toutes parts aux yeux des malades; les chants les plus agréables, les sons les plus mélodieux charmoient souvent leurs oreilles; ils 66 promenoient dans des jardins fleuris , dans des bosquets ornés avec un art recherché ; tantôt on leur faisoit respirer un air frais et salubre- sur le Nil , dans des bateaux décorés et au milieu de concerts champêtres ; tantôt on les condui- fioit dans des îles riantes , où , sous le symbole de quelqu« 


'XGO POLICE DES ^TADLISSEMENS

pêtres, et par intervalles une musique douce et harmonieuse, d'autant plus facile à obtenir , qu'il y a presque toujours dans ces établissemens quelque' artiste distingué de ce genre ^ dont les talens lan- guissent faute d'exercice et de culture.

220. Les ëvénemens de la vie peuvent être si malheureux et si souvent répétés, ils peuvent por- ter un tel caraclcre de gravité et de désespoir, alta-~ quer si directement l'honneur, la vi© ou tout ce* qu'on a de plus cher au monde, qu'il s'ensuive un sentiment extrême d'oppression et d'anxiété, un' dégoût insurmontable de la vie, et le désir d'en voir promptementle terme. Cette marche est encore plus' rapide lorsqu'on joint une sensibilité très-vive à une imagination ardente, et qu'on est habile à'


divinité prolectrice , on leur procuroit des spectacles nbu- Tcaux et ingénieusement ménagés , et des sociétés choisies. Tous les momens étoient enfin consacrés à quelque scène' comique , à des danses grotesques , à un système d'amusé-^ mens diversifiés et soutenus par des idées religieuses. Un régime assorti et scrupuleusement observé , le voyage né- cessaire pour se rendre dans ces saints lieux , les fêtes conti- nuelles instituées à dessein le long de la route , l'espoir for- tifié par la superstition, l'habileté des prêtres à produire une^ diversion favorable et à écarter des idées tristes et mélanco- liques , pouvoient-ils manquer de suspendre le sentiment de Ja douleur, de calmer les inquiétudes et d'opérer souvent des" cbangemens salutaires , qu'on avoit soin de faire valoir pour inspirer la confiance et établir le crédit des divinités tutélaires? Nosograph. pJdl, Tom.ïII, page 94, 3^ édition.


CONSACRÉS AUX ALIENES. 261

s'exagérer son état, ouplutôt a ne le voir cp'à travers le prisme lugubre de la mélancolie. « Mon sang » coule en Ilots et en torrens de désespoir , disoit » un malheureux dont Chrigton rapporte l'his- » toire ; ce morceau de pain que j'arrose de mes » larmes est tout ce qui me reste pour moi et pour » ma famille... et je vis encore... J'ai une femme et

» un enfant qui me reprochent leur existence

» Le devoir de tout homme est de conformer sa » conduite à sa situation ; la raison le commande et » la religion ne peutque l'approuver». Cet homme, .doué d'ailleurs de bonnes moeurs et d'un esprit éclairé , profita un jour de l'absence de sa femme pour terminer sa vie. Un état habituel de maladie, la lésion grave d'un ou de plusieurs viscères, un dépérissement progressif peuvent encore aggraver le sentiment pénible de l'existence et faire hâter une mort volontaire. Mais à quoi peut tenir le de- sir irrésistible du suicide , qui ne dérive ni des peines d'esprit réelles ni des douleurs physiques. « Je suis » dans un état prospère, me disoit un jour un de » ces mélancoliques dont j'ai publié autrefois l'his- » toire dans un journal (i); j'ai une femme et un » enfant qui font mon bonheur; ma santé n'est j> point sensiblement altérée, et cependant Je me » sens entraîné par un penchant horrible à aller


(i) La Médecine éclairée par les Sciences naturelles


263 POLICE DKS ET A B LTSSEME N9

» me précipiter dans la Seine ». L'événement n'a cjue trop condrraé celte disposlliou funeste. J'ai été consulté pour un jeune homme de vingt-quatre ans, plein de vigueur et de force, dont ce dégoût de la vie fait aussi le tourment comme par accès périodiques , qui menace alors d'aller se noyer ou de se tuer avec une arme à feu, mais que la vue du danger jette dans l'effroi sans le faire cependant renoncer pour un autre temps à ce dessein funeste , toujours résolu et toujours ajourné de nouveau. C'est dans des cas semblables que doit être appliqué avec intelligence et avec zèle le traitement moral , suivant le caractère particulier et les idées de l'alié- né qu'on a à convaincre.

221. Tenir dans un état habituel de réclusion et de contrainte les aliénés extravagans, les livrer sans défense à la brutalité des gens de service , sous pré- texte des dangers qu'ils font courir j les conduire, en un mot, avec une verge de fer, comme pour accélérer le terme d'une existence qu'on croit dé- plorable , c'est là sans doute une méthode de sur- veillance très-commode, mais aussi très-digne des siècles d'ignorance et de barbarie ; elle n'est pas moins contraire aux résultats de l'expérience , qui prouve que cet état de manie peut être guéri, dans un grand nombre de cas , en accordant à l'aliéné une liberté limitée dans l'intérieur de l'hospice, en le livrant à tous les mouvemens d'une eifervescence non dangereuse, ou du moins en bor-


CONSACRÉS AUX ALIÉI^ÉS. ^65

nant la répression au gilet de force, sans omettre les autres règles du Irallemeut moral dont son état est susceptible. Rien n'est plus constaté que l'influence puissante qu'exerce le chef d'un hospice d'aliénés lorsqu'il porte dans sa place le sentiment de sa di- gnité et les principes de la philantropie la plus pure et la plus éclairée. Je puis citer ici pour exemple Wilîis, Fowlen, Haslam, en Angleterre j Dlcque- mare,Poulion,Pussin, en France; et en Hollande le concierge de la Maison des fous (i) d'Amsterdam. L'homme grossier et d'un entendement borné ne voitquedesprovocationsmaligneset ralsonnées dans les vociférations, les propos outrageans et les actes de violence du maniaque; de là la dureté extrême, les coups et les traitemenslesplus barbares que se per- mettent les gens de service, à moins qu'ils ne soient d'un bon choix etcontenuspar une discipline sévère.

(i) Un fou, dans la vigueur de l'âge et d'une force très- grande , qui avoit été amené lié et garotté sur un chariot par sa famille , effrayoit tous ceux qui l'avolent conduit , et per- sonne nosoltle délier pour le conduire dans sa loge ; le con- cierge fit écarter tout le monde , causa quelque temps avec le malade , gagna sa confiance , et après l'avoir délié , le dé- termina à se laisser conduire dans la nouvelle demeure qui lui avoit été préparée. Chaque jour il fit des progrès sur son esprit , il se rendit maître de sa confiance et le ramena à la raison. Cet homme est retourné au sein de sa famille dont il fait le bonheur. {^Description de la Maison des fous d'Ain." sterdam, Décad. Phil. an 40


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364 POLICÉ DES ÉTABLISSEMENS

L'homine saoe el éclairé ne volt au contraire danî ces explosions de la manie qu'une Impulsion au- tomatique, ou plutôt reflet nécessaire d'une exci- tation nerveuse contre laquelle on ne doit pas plus s'indli-ner que contre le choc d'une pierre entraînée par sagi-avlié spécifique. 11 accorde à ces aliénés toute l'étendue (i) des raouvemens qui peul se concilier avec leur sûreté et celle des autres, leur cache adroitement les moyens de couirainte qu'il emploie, comme s'ils n'avoient à obéir qu'aux lois de la nécessité , leur cède avec indulgence ; mais il sait aussi résister avec force ou éluder avec adresse leurs instances Inconsidérées. Le temps orageux des accès de manie se consume ainsi en ménagemens étudlé>; et les Intervalles de calme sont mis à profit pour rendre par degrés ces mêmes accès moins in- tenses el moins durables.


(i) Il m'a été facile de juger, autrefois, de l'avan- tage d'éviter une réclusion trop éiroite pour les insensés. Pendant que les plus extravagans elles plus furieux de l'iios- pice de Bicêtre éloient tenus à la chaîne dans leurs loges , ils étoient conrinueîlement agités jour et nuit : ce n'éloit que vo- ciférations , yacarme et tumulte; mais après qu'on eut établi l'usage du gilet de force ou camisole, et que ces aliénés eurent obtenu la liberté d'errer dans les cours , leur effervescence s'eshaloît en efforts continuels durant la journée; ils s'agi- toient et se tourmentoient sans danger, ce qui les disposoit pour la nuit à un état plus calme et plus tï-anquille.


CONSACRÉS AUX ALIENES. 263

IX.

Précautions que doit faire prendre Vexaltadon extrême des opinions religieuses.

222. Les opinions religieuses, dans un hôpital d'aliénés, ne doivent éti e considérées que sous ua rapport purement médical, c'est-à-dire , qu'on doi£ écarter toule aulre considération de culte public et de politique ,el qu'il faut seulement rechercher s'il importe de s'op|>oser à l'exaitaliou des idées et des senlimens qui peuvent naître de cette source, pour concourir efficacement à la guérisou de certains aliénés. On doit examiner en mémo temps quelles sont les précautions à prendre pour empêcher le progrès du mal , et pour prévenir ses effets si sou- vent nuisibles et quelquefois très-dangereux sur ua entendement débile ou une raison égarée. Les exemples peuvent en être pris autant (53,54) dans des ouvrages anglais authentiques que dans le re- cueil de mes notes journalières. L'aliénation qui pro- vient de cette origine mérite d'autant plus d'être connue, qu'elle conduit le plus souvent au déses- poir et au suicide.

223. Une jeune fille tombe dans la manie la plus furietise à la suite de scrupules religieux extrêmes, et à la moindre opposition qu'on met à ses volontés, elle invoque Ife feu du ciel pour consumer les cou- pables. A son entrée à l'hospice, elle s'agite, elk


265 POLICE DES ^TABLÎSSEMENS

menace et IVappe : on la conduit dans une loge et on ]ui applique le gilet de force pour la contenir. Le surveillant vient la voir quelques heures après, et la plaisante sur son impuissance de faire tomber Je feu du ciel, puisqu'elle navoit pas même le pou- yoiv de se débarrasser de son corset. Elle devint plus calme dès le troisième jour , et on lui a rendu la liberté de se promener dans la cour durant le reste du traitement.

224. Ce sont surtout les dédains et la bouffissure de la hauteur et de l'orgueil qu'on doit réprimer dans la manie, surtout s'ils sont inspirés par une dévotion mal entendue. Une jeune aliénée s'exprime à son en- trée dans l'hospice avec une extrême arrogance; elle s'emporte avec violence contre le surveillant parce qu'il se présente devant elle son chapeau sur la tête. Ce dernier la regarde avec fierté et prend avec elle son ton ordinaire de commandement ; il tonne , il menace si elle ose se montrer rebelle à ses ordres suprêmes. Cette jeune fille, intimidée , se retire aussitôt en silence au fond de sa loge, passe une nuit tranquille, et dès le lendemain elle devient calme et se soutient dans cet état durant le reste de son traitement. Mais il faut convenir que ce moyeu de maîtriser une aliénée par dévotion , et de dompter son caractère, ne peut être appliqué que dans quelques cas particuliers, et que plusieurs autres résistent avec uneénergie inflexible à touslesmoyens de répression, sous prétexte qu'il vaut mieux déso-


C0NS4CR1ÎS AUX ALIÉNÉS.' 267

béir aux hommes qu'à rÊtre sKprêine, dont elles pensent recevoir des inspirations immédiates.

225. Quelquefois la mélancolie dévote est con- duite par des scrupules sans cesse renaissans , un dé- couragement extrême, par la seule idée toujours présente d'avoir commis des Cïimes irrémissibles, •et d'avoir mérité une punition éternelle. Comment prévenir alors un état de désespoir, que par des pro- pos coDsoIaus et une grande babiieté à gagner la confiance de l'aliéné? Une ancienne religieuse, livrée autrefois à l'inslruction de la jeunesse , avoit été conduite à l'hospice dans un état de mélancolie la plus profonde ; on eut en vain recours,peudaut plus de six mois, à divers moyens physiques et moraux; sesidéesetses sentimeiis étoient ton jours les mêmes, et elle ne cessoit de répéter ausurveillanl qu'il avoit tort de ne point la traiter comme la femme la plus criminelle, et de ne point exercer contre elle les punitions les plus rigoureuses. Un jour qu'elle le rencontra dans l'intérieur de l'hospice, et qu'elle lui renouveloit les mêmes propos , elle en reçut une réponse brusque et la déclaration expresse qu'il ne vouloit plus l'entendre puisqu'elle conservoit tou- jours les mêmes idées, et qu'elle ne lui témoignoit aucune confiance. Cette mélancolique se retira en silence dans son dortoir, réfléchit profondément sur celte scène humiliante, et rendit justice à la droiture •irréprochable du surveillant et à son désir sincère de concourir au rétablissement des malheureuses


268 POLICE DES ÊTABLISSEMENS

aliénées ; tout ce qu'elle venpit d'entendre de sa part n'étoit-il pas dicté par les principes les pIus^ humains? Elle éprouva donc cette nuit de grandes perplexités, et une sorte de combat intérieur entre: l'idée de ses prétendus crimes et les remontrances amicales d'un homme si éloigné d'agir par des vues personnelles. Cette vacillation et ce condlt tumul- tueux d'idées eu sens contraire, ainsi prolongés et discutés de sang- froid, produisirent en elle les chan- gemens les plus favorables, et elle finit par être pleinement convaincue que ses scrupules étoient chimériques; elle ne demanda plus qu'à travailler avec ardeur à son rétablissement par l'usage de quelques autres moyens physiques.

226. Faut-il condescendre aux demandes réitérées que font souvent les mélancoliques par dévolion , de conserver auprès d'elles des Hvres de piété, de pouvoir en faire à leur gré une lecture assidue , ou de chercher de nouvelles consolations auprès de leur confesseur ordinaire? La question ne peut être décidée parle raisonnement simple, et on ne peut répondre que par les résultats de l'expérience : or elle apprend que c'est le moyen le plus sûr de per- pétuer l'aliénation , ou même de la rendre incurable, et plus on accorde, moins on parvient à calmer les inquiétudes et les scrupules. Quelle source féconde d'aliénation pour les consciences timorées , que les malheureuses dissentions qui existent entre les prêtres assermeutés et non assermentés î Un des


CONSACRAS AUX ÀLI^NlSs. iC^

prélats qui accompagnèrent le Pape dans son dernier voyage en France , voulut bien déférer aux vœux d'une ancienne religieuse ,et se rendre sur ma de-- mande à l'hospice de la Salpêtrièrej mais il ne ré- sulta de cet entretien que de nouvelles perplexités. Une autre aliénée demandoit à grands cris d'être visitée par son confesseur ordinaire ; mais à sou ar- rivée elle refusa de lui faire l'aveu de ses fautes, et <léclar^ ne vouloir se confesser qu'a Jésus - Christ même en personne.

r: -227. Une aliénée calme depuis quelque temps, €t transférée à l'infirmerie pour y être traitée d'une maladie incidente , voit pratiquer une cérémonie religieuse à l'occasion d'une agonisante. Son imagi- nation est aussitôt frappée du souvenir de sa grand'- mère morte depuis long-temps; elle s'approche du prêtre, le secoue, lui saisit l'étole et lui demande à grands cris de lui rendre sa grand'mère , en sorte qu!il fallut s'interposer avec force pour faire cesser cette scène bruyante; mais il n'en résulta pas moins une sorte de rechute pour elle , et un retour du délire qui la portoit à fouiller par-tout la terre pour y chercher la tombe de sa grand'mère. Après son rétablissement, un livre de piété qu'on lui prêta lui rappela que chaque personne avoit son ange gardien: dès la nuit suivante elle se crut entourée d'un cœur d'anges, prétendit avoir entendu une musique céleste et avoir eu des révélations. On lui «nleva son livre qui fut brùlé ; mais il n'y eut pas


POLICE DFS iTi^BLISSEMENS

moins une seconde rechute, cl le traitement n devint que plus longet plus équivoque. Poiu- éviter de semblables Incouvémeus, on a soin de faire sor- tir de Finfirmerb certaines mélancoliques dévotes toutes les fois qu'il faut y pratiquer quelque céré- monie religieuse.

228. On ne cesse en Angleterre, dans tous les ou * vrages publiés sur les aliénés , de faire des remarques sur lapre intolérance de la secte^des Méthodistes, elles effets souvent funestes deJeur doctrine déso- lante, toujours remplie de menaces de la vengeance céleste et des tourmens de l'enfer. Les femmes douées d'une imagination mobile et d'un entende- ment foible n'ont pas moins à craindre en France les sermons, les confessions et les ouvrages de piété où respirent une teinte noire de mélancolie et la sombre exaltation d'une morale fougueuse, propre à réduire au désespoir la foiblesse humaine. Mes notes journalières prises lors de l'admission des alié- nées dans l'hospice , peuvent servir à Indiquer les Cjuartiers de Paris où prédomine celte dévotion atrabilaire, tandis que dans d'autres une piété com- patissante et éclairée a suspendu quelquefois I0 développement d'une aliénation prête à se déclarer et renouvelée ensuite par d'autres causes détermi- nantes. Une fille de service douée, dès sa tendre jeu- nesse, d'un caractère vif et emporte, sentit se déve- lopper à trente ans toute l'effervescence d'un tem- pérament ardent, quoique d'ailleurs très-sage et


• CONSACRÉS AUX ALIENES. ^7*'

très-pieuse, et il s'excita alors une sorte de lutte pé- nible entre les penchans du cœur et les principes sévères de conduite dont elle av oit depuis long temps , contracté l'habitude. Ces combats intérieurs et les alarmes d'une conscience timorée la plongeoieiit quelquefois dans le désespoir , et lui faisoient cher- cher les moyens de se détruire, comme de s'empoi- sonner ou de se précipiter du haut d'une fenêtre. Elle avoit recours dans ses perplexités extrêmes à tm confesseur compatissant et éclairé , qui cherchoit à relever son courage , et qui lui répétoit souvent avec douceur qu'elle devoit s'attacher à Dieu pour retrouver la paix du cœur. « Mais je me sens, ré- » pliquoit cette tille avec naïveté, plutôt portée » vers les créatures que vers le créateur , et c'est » là précisément ce qui fait mon supplice». Le bon prêtre persévéroit, lui tenoit des propos consolans, et l'engageoit à attendre avec résignation le triomphe de la grâce , à V exemple de plusieurs saints et même d'un grand apotre»Cest ainsi que^ loin d'inspirer des craintes sur l'avenir , il cher- choit à ramener le calme dans cette ame agitée, et à lui opposer le meilleur remède aux grandes pas* sionSjla patience et le temps j mais les inquiétudes et les veilles prolongées finirent par produire une aliénation qui fut traitée à la Salpêtrière suivant les mêmes principes moraux , et qui fut de peu de durée.


ja'ja POniCE DES ETAELISSEIVIENS

X.

t

'Restriction exLrâme à mettre dans les communi- cations des Aliénés avec les personnes du de- hors.

229. C'est un grand soulagement dans presque toutes les infirmités humaines, que de recevoir des soins compalissans et les bons offices de ses amis et de ses proches 5 et combien ces attentions touchantes ont encore plus de prix dans les hospices où l'infirme se trouve séquestré de sa famille , et livré souvent à des gens de service qui ne l'approchent qu'avec une dureté repoussante! Pourquoi faut-il faire une exception aflligeante pour l'ahéué, et le condamner h une sorte d'isolement jusqu'à ce que sa raison soit rétablie? Une expérience a appris que les alié- nés ne peuvent presque jamais être guéris au sein de leurfamille(58 /3^^^/^V.).WiIlis, dans l'établissement qu'il avoitformé en Angleterre, meltoit des restric- tions extrêmes aux entrevues des aliénés avec leurs anciennes relations ; il ne les accordoit que très-rare- ment, et seulement dans certains cas à titre d'encou- ragement et de récompense. On remarque même que les étrangers dont l'isolement est le plus com- plet guérissent le plus facilement. Dans l'hôpital de Béthléem, un billet d'entrée est indispensable- ment nécessaire pour les étrangers; et loi s de l'ad- mission d'un aliéné , on accorde à la famille une autorisation pour lui rendre seulement deux visites


CONSACRIÊS AUX ALIENES. ûjS

pal' semaine. En France , on a senti aussi la nécessité de faire cesser l'entrée indéfinie des étrangers et des curieux, dans les hospices d'aliénés , et pour être in- troduit dans celui de la Salpêtrière, il faut une permission expresse. Pourquoi ces mesures de pru- dence ont -elles été toujours mises en oubli autre- fois dans l'hospice de Bicétre , où rien ne limitoit les visites à rendre aux aliénés? Combien on é toit af- fligé de voir ces infortunés servir de spectacle et d'amusement à des personnes indiscrètes qui sou- vent se faisoient un jeu cruel de les aigrir et de les harceler! J'ai vu une fois un aliéné, au déclin de son accès, se porter au plus haut degré de fureur et de violence contre un mauvais plaisant qui lo provoquoit parla fenêtre de sa loge. Il retomba dans son premier état, et cette rechute a duré plus d'une année. Je puis citer encore un exemple plus déplo- rable de ces visites inconsidérées. Un négociant étranger, tombé dans l'aliénation par des chagrins profonds et la perte de sa fortune, avoit été transfère à Bicétre après le traitement ordinaire de l'Hôtel- Dieu. Le rétablissement de sa raison par le trai- tement moral faisoit des progrès rapides, et j'eus avec lui des entretiens suivis , sans apercevoir de trouble ou d'incohérence dans les idées. Mais tout change dans quelques jours : il apprend que ses associés s'éloient emparés d'un certain , mo- bilier qui lui restoit, et une femme a même l'im- prudence de le venir voir avec des ajustemens qu'il

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ne pouvoit méconnoîtrc pour lui avoir appartenu - il jette un profond soupir, et tombe dans une mé- lancolie de consternation qui Ta mené par degrés à une démence complète , et qui est devenue incu- rable.

23o. J'aime à trouver la plus grande conformité entre les résultats des observations faites en Angle- terre et en France sur la nécessité de rassembler les aliénés dans des asyles publics et particuliers pour rendre, lorsqu'il est possible, leur guérison solide et durable. L'aliéné, dit Haslam, dans l'ouvrage anglais déjà cité, doit être éloigné du sein de sa fa- mille , au milieu de laquelle il vit toujours agité , et on doit le renfermer dans un lieu de détention aus- sitôt que sa maladie est déclarée j l'interruption de toute communication avec ses proches , la privation des personnes accoutumées à lui obéir, et l'idée d'être sous la dépendance d'un étranger, et de ne pouvoir se livrer librement à ses caprices, don- neront sans cesse de l'exercice à sa pensée , s'il en est susceptible. L'expérience apprend que les alié- nés ne guérissent presque jamais sous la direction immédiate de leurs amis ou de leurs proches. Les visites même de leurs amis, lorsqu'ils sont dans leur délire, augmentent toujours leur agitation et leur ca- ractère indisciplinable. C'est un fait très - connu €ju'ils sont alors beaucoupmoins disposés à mal ac- cueillir les étrangers, que ceux qui ont été l'objet d'une liaison intime. Très-souvent des aliénés qui


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CONSACRÉS AUX ALIENES.

éloîent furieux et intraitables au seip de leur fa- mille, devieunent dociles et calmes lors de leur admisvsion dans ua hospice; de même que certains d'entre eux qui paroissent rétablis et mener une con- duite régulière pendant leur détention , reprenùenfc leur effervescence bouillante et leur délire en ren- trant prématurément au sein de leur famille. Ce- pendant, dans les progrès de leur convalescence ^ quelques visites par intervalles de la part de leurs amis semblent avoir la plus heureuse influence ; elles les consolent et leur ouvrent pour l'avenir une nouvelle perspective d'espoir et de bonheur.

23 1. L'isolement des aliénés étant une maxime générale du traitement, quels effets nuisibles ne doit point avoir , dans un établissement public ou particulier, une entrevue avec des personnes dont on a à se plaindre, ou dont la présence seule peut réveiller des souvenirs désagréables, même au dé- clin de la maladie, ou lorsque la convalescence n'est point encore bien confirmée ! Les précautions même les mieux concertées de la part des chefs ne sont- ellespas quelquefois en défaut? Une veuve, après le traitement, étoit déjà convalescente, et on lui avoit permis de recevoir les visites de deux de ses filles qui étoient très-laborieuses et très-réservées dans leur conduite j elle avoit au contraire beaucoup a se plaindre des déréglemeus et des écarts d'une autre de ses filles qui voulut aussi lui rendre visite ; « Ah! malheureuse, s'écria la mère en la voyant,


t-jô POLICE DES ETABLISSEMENS

» que de peines et de soucis tu causes à ta famille f » Je crains bien que lu ne me réduises au déses- » poir ». Elle se relira aussitôt dans sa loge , passa la nuit dans les chagrins et les pleurs ; dès le lende- main elle fut très-agitée et retomba dans son état ma- niaque primitif, qui persévéra pendant environ cinq mois, et qui a été remplacé par une sorte de démence qu'on peut presque regarder comme incurable.

232. Il est difficile de fixer avec précision , dans certains cas, l'époque de la convalescence où la vi- site des parens peut être permise sans danger, puis- que cette décision ou du moins ses suites sont sub- ordonnées à plusieurs circonstances accessoires, la sensibilité plus ou moins vive de la personne, le degré d'intérêt ou d'aversion qu'inspire celui qui rend la visite, divers intérêts de famille. Une jeune fille très-altière , et pleine d'arrogance durant sou état maniaque, étoit revenue depuis près de deux mois à son caractère primitif de modestie et de ré- serve ; elle raisonnoit avec la plus grande justesse et demandoit avec instance d'être ramenée au sein de sa famille. On crut pouvoir permettre à sa sœur d'avoir une entrevue avec elle pour mieux con- certer l'époque de sa sorlie ;mais dèsle lendemain de sa visite, sorte d'agitation des plus vives, babil incohérent, emportemens répétés, rechute mani- feste quia duré plusieurs mois, et quia demandé que les moyens ordinaires du traitement fussent de nouveau mis eu usage.


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GONSACRÈS AUX. ALIENES.- 277

233. Je poui rois multiplier les exemples des tristes suites produites par des visites prématurées des pa- rens ou d'autres personnes qui a voient eu préoédem- ment des relations particulières avec l'aliénée. Je pourrois encore rapporter uq plus grand nombre d'exemples d'un refus absolu d'une pareille entre- vue , lorsqu'on a obtenu des avis particuliers ou des reuseiguemens précieux quidoiventlafaire cramdre. Je crois cependant ne point devoir omettre un cas rare , quoiqu'il soit une sorte de monstruosité en morale. Une jeune fille de dix - huit ans, douée de mœurs les plus pures, et qu'un père digne- de l'exécration publique avoit cherché à prix d'argent à. prostituer dans un mau vais lieu, éloit parvenue à se soustraire à cette infamie, et avoit été pénétrée d'une si grande horreur , qu'il s'étoit d'abord mani- festé une manie des plus violentes. Elle fut transfé- rée dans le même état, après deux moisde traitement, dans l'hospice des aliénées, et le père eut à peine appris sa, convalescence, qu'il eut l'impudeur de- solliciter vivement^mênie auprès dos autoritéscons- lituées, la permission de voir sa fille, ce qui devint pour elle . un objet de la plus gçande ft ayeur. Oa imagine avec, quelle énergie l'idée seule de cette? entrevue a été repoussée. Une de ses tantes l'a prise heureusement en affection, et l'a^ soustraite à la destinée malheureuse queiui préparoit un tel pèi^e-- 234. On ne doit point oublier que , même durant* la convalescence s l'empire de la raisoa est euco^^>


2:8 POLICE DES ÉTABLISSEMENS

ïolbh, et que dans hs vi.iies qui sont permises aux pareils, aux amis, ils doi veut être d'une circonspec im extrême, pour ue point exciler des émotions Vives et ramener des rechutes. Une jeune convales- cente que sa mère devoit retirer de l'iiospiceà une

epoquedélerminëe,crutquecettemèreeloittrès-ma. lade ou même morte, parce qu'elle lui avoit manqué de parole, et il s'ensuivit une sorte de désespoir et d'égarement qui dura plusieurs jours.Parmi d'autres exemples je puis aussi citer une autre mélancolique amenée à l'hospice., avec le j^enehantle plus irré- sistible au suicide , et qui étant guéiûe depuis plus de trois mois , est tombée, par les suites d'une même i.niprudence, dans une sorte de démence qu'on peut maintenant regarder comme incurable. Un prêtre vint un jour avec une dame visiter l'hospice comme un obje.t de curiosité, et ses regards s'étant arrêtés sur une convalescente qu'il fit remarquer d'une manière plus; particulière, celle-ci s'imagina qu'on la signaloit comme une crimin^Ue, d'autant plus que l'objet de son délire, avoit élé. autrefois: d'être poursuivie par des prêtres; elle éprouva dès- lors vme vive indignation, et dès ce jour un véri- table retour de son délire, quelque soin qu'on prît d£ dissiper ses craintes et ses inquiétudes.

235> Il est si ordinaire aux mères tendres de con- server encore CCS sentimens profonds de la nature dans toutes les périodes de leur égarement , qu'on dôit leur -épargner avec le plus grand soin le spec-


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tacîe àes enfans qui leur sont étrangers, et qu'on a quelquefois l'imprudence d'amener avec soi en ren- dant visite à quelque convalescente. C'est ce qui a excité quelquefois les scènes les i^lus orageuses. Une aliénée très-agitée ayant vu un enfant qu'une étran- gère tenoitpar la main et qu'elle crut être le sien propre, se précipite aussitôt pour le lui arracher, fait les efforts les plus violens, pousse des cris , et la véritable mère effrayée tombe dans un évanouisse- ment qui fut de plus d'une heure de durée. Une autre délirante qui étoit au déchn de sa maladie , et qui avoit la liberté de sauter, de gambader , de babiller, de faire mille innocentes espiègleries, efe d'errer librement dans les cours, s'échappe un jour par la porte d'entrée, trouve par hasard un enfant de la portière , dont elle s'empare, en sorte qu'il fallut faire de violens efforts pour le lui arracher. Elle entra dès-lors en fureur, blessa plusieurs filles de service, et ce ne fut qu'avec la plus grande peine qu'on parvint à la renfermer dans sa loge. Le délire furieux qui en est résulté a été ensuite de plusieurs mois de durée.

XI.

Mesures de surveillance qu exigent certains caractères pervers ou très-emportés.

236. La manie marquée par un délire furieux (i56) ou par une fureur aveugle sans délire (160), peut subsister pendant un tempsplus ou moins long,


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OU revenir par accès pérlodicjues avec des intervalles iucjdes (155), et alors l'aliéné peut avoir sa raison entièrement égarée, sans qu'il soit susceptible de recevoir aucun avis , aucune remontrance bienveiL lame. Il ne reste alors, s'il est dangereux, qu'à le te- ^.r renfermé, ou bien à le fixer sur son lit à l'aide cliin gdet de force et de sangles, pour qu'il ne tourne point contre lui son aveugle rage; mais un surveillant babile et exercé saisit quelquefois des moyens heureux pour s'en rendre maître, même des les premiers jours, par des voies de douceur, et fait cesser en même temps la fureur et le délire, comme j'en ai donné un exemple frappant (164). Un autre exemple de ce genre n'est pas moins re- marquable. Une jeune fille de campagne, recom- mandable par la pureté de ses moeurs, est grossiè- rement insultée au moment de ses règles par une autre femme et tombe dans un délire furieux, A jDeine neuf filles de service, en réunissant leurs'ef- forts, étoient parvenues à la renfermer lors de son arrivée.Trois jours s'éloientà peine passés, lorsquele surveillant^l'examine avec soin, lui parle avec dou< ceur, et parvient à gagner sa confiance; elle devient calme et tranquille dès le même jour, et dès le len. demain, elle a été déjà susceptible de passer au dor- toir des convalescentes»

287. Doit-on rapporter à la manîe sans délire quelques rares modèles d'un caractère turbulente!; açar4tre , qui ne manifestent d'ailleurs aucime tracQ


CONSACRÉS AUX ALIÉNÉS.

d'égarement de la raison , et qu'on a mieux aimé séquestrer dans des hospices d'aliénés , que de les confondre avec des coupables dans des maisons de détention? Une ancienne religieuse m'en a fait voir im exemple frappant à la Salpêtnère. Une fille de service en approclioit-elle pour lui être utile, elle l'accabloit d'outrages et d'épithètes les plus enve- Bimées ; les autres aliénées les plus calmes n'étoient point traitées avec plus d'égards, et c'étoit sans cesse des cris menaçans, des emportemens de colère, et des efforts pour frapper tout ce qui pouvoit l'envi- ronner. Lui servoit on ses alimens à l'heure des re- pas, elle lesietoit avec indignation ou les cachoit avec adresse , pour pouvoir se plaindre qu'on cher- choit à la faire mourir de faim. C'étoit une délecta- tion pour elle que de mettre en lambeaux ses vête- mens, et de crier qu'on îalaissoit manquer de tout et' dans un état de nudité. Elle n'osoit braver l'autorité du chef quand il étoit présent ; mais il devenoit en secret l'objet éternel de ses sarcasmes. Un pareil foyer de trouble et de discorde devenoit dangereux pour les autres aliénées, et il a fallu la séquestrer dans une loge solitaire, où l'exaspération de ce caractère pervers et farouche est resté désormais concentrée.

238. Je détourne les yeux du souvenir affligeant que pourroient offrir des détails historiques sur cette méchanceté discordante et dégénérée en ha- bitude, de quelques autres femmes digues rivale»


POLICE DES ÉTABLISSEMENS

de la précédente et qui figurent de temps en temps dans 1 hospice ; il suffit de faire counoître comment dans un établissement d'aliénés le mieux ordonné.' la survedlance la plus active devient nécessaire, lorsqu'on écarte avec soin des mesures répressives arbitraires, et qu'on veutprévenir toutes les sources de desordre et le cours de certaines trames ourdies dans le silence. Une de ces femmes qui, incapables de figurer avec éclat sur un grand théâtre, portent par- tout l'esprit de faction et de trouble qui les agite, avoit formé, dans l'hospice des aliénées, le projet concerté d^une évasion secrète , et en avoit préparé tous les moyens avec la plus grande astuce. Elle avoit profité de la liberté qu'on lui accordoit dans l'intérieur et de l'ascendant d'un nom très- connu, pour se ménager des intelligences avec d'autres personnes propres à entrer dans ses vues: c étoit sans cesse un étalage pompeux des biens im- menses qui dévoient lui échoir en partage et des richesses dont elle auroit désormais à disposer. Elle avoit promis aux unes un asyle assuré pour leur vieillesse, à d'autres des récompenses pécuniaires; certaines filles de service avoient été gagnées par l'espoir de se livrer à toute sorte de voluptés dans des lieux de plaisir etd'enchantement. Le surveillant étoit désigné comme le seul obstacle à vaincre et Tobjet particulier de ses vengeances; il avoit été décidé qu'on s'en débarrasseroit s'il venoità paroître, eu lui plongeant un couteau dans le sein au moment


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du soulèvement. Ce complot fut si adroitement concei lé, que les murs de l'enclos avolent été déjà fiauchis et l'évasion exécutée en partie, lorsque les soldats de la garde appelés à temps en arrê- ' tèrent les suites. On imagine bien que des me-^ sures de police intervenues, ont délivré l'hospice des aliénées de cette femme dangereuse , qui n'a- yoit d'autre égarement de la raison que les rêveries d'une immoralité profonde.

289. Il importe de distinguer une sorte de mé- chanceté réfléchie qui s'allie avec le libre usage de la raison , comme dans les cas précédens , d'avec celle qui tient à un état de maladie et qui doit être soumise à un traitement régulier, quoique l'aliéné raisonne avec justesse , qu'il connoisse son état et le penchant irrésistible qui le porte au désordre où même à des actions les plus coupables. Avant que l'usage des chaînes, comme moyen de répression, ÏTLt aboli à Bicêtre (190) , un aliéné dont les accès de fureur avolent coutume de se renouveler pé- riodiquement pendant six mois de l'année , sentoit lui-même; le déclin des symptômes vers la fia des accès, et l'époque précise où on pouvoit sans danger lui rendre; la liberté dans l'intérieur de l-hosplce : il demandoil lui-même qu'on ajournât sa délivrance s'il sentoit ne pouvoir dominer encore l'aveugle iiîipulsion qui le portoit à des actes dé la plus grande violence. Après que le directeur fut parvenu à gagner sa confiance par sou carac-


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1ère compatissant et sa douceur, il avoua dans se* intervalles de calme que, durant ses accès, il lui etoit impossible de reprimer sa fureur, qu alors si quelqu'un se prësenloit devant lui , il croyoit voir couler le sang dans ses veines , avec un désir irré- sistibledesucersonsang,etde déchirer à belles dents ses membre^ pour rendrecette succion plus facile.

240. J'ai exposé ailleurs (rgo et suiv.) les moyens de repression que les progrès des lumières et des senlimens d'humanité semblent maintenant exiger de mettre en usage, et qui sont établis dans l'hospice de, la Salpêtrière, et dans la maison de santé du doct. Esquirol, dirigée suivant.les mêmes principes. La difficulté de faire adopter .ailleurs ces mesures tient à celle d'allier deux objets qui semblent in- compatibles, la répression d'un aliéné : en résistant avec énergie à ses y qlpntes insensées, . et l'heureux don de gagner sa, . confiance^ en parvenant à le convaincre qu'on; nV , ainsi agi^ ayec sévérité .que pour ses intérêts , et pour c.o.DCOurM^ à .sa guérison d'une manière plus sûre, ce :qui. suppose un grand zèle et une habileté particulière. Une jeune per- sonne de dix-sept ans, élevée dans la ;mai?on pater- nelle avec soin , mais avec une extrême indukenoe, tombe dans un délire gai et folâtre sans k^u'on puisse en déterminer la causer conduite à l'hospice des aliénées dans un état singulier d'agitation , elle saute» elle danse, et se livre à mille mouvemens irrégu- liers. On prélude par quelques boissons laxatives et


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quelques bains , et le directeur avec sa femme la traite d'ailleurs avec la plus grande douceur et tous les égards propres à leur faire obtemr sa con- fiance; mais elle conserve toujours son caractère altier, et ne parle de ses parens qu'avec aigreur, en leur reprochant de l'avoir confinée dans un hôpital. Le surveillant, pour dompter ce caractère infiexible, saisit le moment du bain, et s'exprmie avec force contre certaines personnes dénaturées qui osent s'élever contre les ordres de leurs parens ' etméconnoître leur autorité. Il la prévient qu'elle sera désormais traitée avec toute la sévérité qu'elle méritcpuisqu'elle s'oppose elle-même à sa guérison, et qu'elle dissimule avec une obstination insurmon- table la cause primitive de sa maladie. La jeune per- sonne en reste profondément émue , et éprouve les nuits suivantes une sorte de combat intérieur entre iessentimensd'orgueilquiladominent,etlesouvenir

des marques de bienveillance qu'on lui a témoignées pour la guérir et la rendre promptement à sa fa- mille. Elle finit par convenir de ses torts, et fait un aveu ingénu d'être tombée dans l'égarement de la raison à la suite d'un penchant du cœur contrarié, en nommant celui qui en avoit été l'objet. Dès-lors il s'est opéré un changement des plus favorables ; elle rappelle toutes les perplexités qu'elle a éprou- vées par des sentimens contraires , avoue qu'elle est désormais soulagée , et ne peut assez exprimer sa reconnoissance envers le surveillant qui a fait ces-


POLICE lÎTABLiSSEMENs

sersesagiiations continuelles, et a ramené dans son cœur la tranquillité et le calme. La convalescence «est des-lors annoncée et a conlinué de faire de, progrès rapides.

241. Le souvenir des moyens énergiques de ré- pression mis en usage par le surveillant, inspire à certains aliénés un ressentiment profond ou même une hame concentrée, et ce n'est que lorsque leur raison est entièrement rétablie qu'ils finissentparlui rendre une justice éclatante, et lui témoigner non- seulement de la reconnoissance, mais des senlimens d un véritableattachement. Une jeune femme, objet

contmueldelacomplaisancesansbornesdesesparens depuis sa tendre jeunesse , vient à éprouver dans sa famille un délire sifurieux, que six bommes des plus forts avoient peine à la contenir. Envoyée à l'bospice des aliénées dans cet état violent, l'usage des bois- sons acidulées et de quelque laxatif lui fit rendre pendant plusieurs jours une matière noirâtre , et les symptômes étoient déjà diminués; mais 'les moyens énergiques de répression dont on usoit, les bains, les doucbes, la camisole (192 etsuiv.) lui devenoient insupportables, et lui iuspiroient une sorte de baine concentrée contre le surveillant de l'hospice , qui d'ailleurs étoit invité par des lettres continuelles des parens à persévérer, et à ne rien relâcher de ses efforts pour dompter ce caractère violent et inllexible , puisque la guérison ne pou voit être obtenue par aucune autre voie. L'exaspératioa


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qui en résultoit pour la jeune aliénée nuisoit d'uu autre côté au traitement, et la convalescence avan- çoit à pas lents. Les parens, à un jour indiqué, se rendent dans l'hospice, et ils conviennent eux- mêmes être la cause primitive de la sévérité des me- sures répressives qu'on avoit mises en usage , en avouant qu'ils l'avoient continuellement sollicitée. Dès-lors l'aliénée croit voir tomber une sorte de voile qui lui cachoit la vérité ; elle sent tout le prix des soins assidus qu'on lui a prodigués, revient calme , prend un air riant , et la convalescence fait des progrès rapides.

242/La diversité des tempe'ramens , des goûts, des âges, du sexe, etc., ne peut qu'introduire de grandes variétés dans la manière de diriger les alié^ nés au moral, et dans le choix des moyens propres à gagner leur confiance et à maintenir un ordre constant dans l'hospice. C'est le fruit de l'habileté et de l'expérience qui suggéré dans des cas particu- liers des tournures adroites pour maîtriser un aliéné et arrêter le cours de sa pétulance ; mais pour réus- sir il faut de la part du surveillant la réunion de qualités rares (216), un attachement invariable à remplir ses devoirs, un air de franchise et de can- deur qui soit naturel et non contrefait, et qui porte l'aliéné à demander des conseils dans les per- plexités qu'il éprouve. Quelquefois il faut savoir prendre à propos le ton de l'autorité et du comman- dement pour arrêter un accès de pétulance ou des


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prétentions exagc. ées. L'ancienne cuisinière d'une personne constituée en dignité avoit été transférée à l'hospice des aliénées avec tous les signes d'une manie sans délire; quelque temps après, elle s'agite, s'impal'Kinte , verse tour à tour des pleurs, et se flatte de recouvrer bientôt sa place j elle se croit; d'ailleurs privilégiée, devient très-indocile, et tient peu compte des ordres qu'on lui donne ; elle en vient même jusqu'à frapper une fiJle de service qui le matin l'avoit éveillée trop brusquement ; elle réplique aussi avec hauteur au surveillant qui lui reproche ses écaris : il fallut alors recourir à la force pour rétablir l'ordre , et quelques heùres de réclusion suffirent pour lui faire sentir sa dépen- dance , et la rendre désormais calme et docile.

243, Une femme parvenue au déclin de son état maniaque, conservoit encore par intervalles des emportemens fougueux qu'elle ne pouvoit maîtri- ser. Elle parvient un jour à se saisir d'un couteau et menace d'égorger tous ceux qui s'opposeront à ses volontés. Le sur veillant averti, faitheureusement in- tervenir lesHllesde service, qui se rendent maîtresses de ialienée sans aucun accident, et il la fait con- duire au bain. Comme elle avoit déjà repris l'usage de sa raison , il lui représenta combien ses écarts étoient dangereux , et il lui fit donner une forte douche sur la tête ; ce qui fut répété encore le î m- demain. 11 lui montroit en même temps d'autres personnes qui prenoient des bains autour d'elle ,


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mais auxquelles on ne doimoit point de douches, parce qu'eHes ëtoient tranquilles et qu'elles n'a- voieut jamais cherché à blesser personne avec une arme dangereuse. Après le troisième jour de cette répression énergique et raisonnée , la crainte de la douche toujours présente à l'imagination a produit l'effet d'un calmant par son iniluence morale, et après trois mois d'épreuve et de traitement, cette femme a été rendue à sa famille. Une autre aliénée par dévotion étoi': devenue moins délirante mais insociahle; elle s'emportoit sans cesse pour les ob- jets les plus frivoles; c'étoit un crime que d'oser chanter, ou de parler à ses côtés, et au moindre mouvement qu'on osoît se permettre, c'étoient les plaintes les plus vives et des sujets de querelle. Lie surveillant la fit de même conduire au bain, lui re- présenta combien sa présence mettoit par -tout le trouble et le désordre, el lui expliqua d'une ma- nière très-précise les motifs qui ledétei minoientàkii faire donner une forte douche pour réprimer ses emportemens , tandis qu'il s'en abstenoit ponr d'au- tres personnes qui étoient également au bain. Trois séances pareilles, dans le cours d'une semaine ,ont suffi pour inspirer des réflexions sérieuses à cetle convalescente sur l'exaspération extrême de son caractère; elle est devenue calme et modérée, et s'est désormais livrée à un travail assidu dans l'ate- lier de la couture (21 3). En général c'est un point convenu et rigoureusement statué entre le médecin

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3go POLICE DES ÉTABLISSEMEIVS

et le directeur, que la nécéssité de la justice la plus sévère et la plus impartiale dans les mesures ré- cessives prises contre les aliéuées, et rimportance de leur en faire connoîtrc les motifs quand elles en sont susceptibles , pour mériter de plus en plus leur estime et leur confiance, et ramener dans leur esprit le calme si nécessaire pour obtenir une gué- rlson solide et durable.

244. Mais ne faut-il point des moeurs pures pour obtenir ce retour de reconnoissance et ses effets salutaires? doit-on lesattendrede certaines femmes indociles ou perfides, et amenées à l'aliénation par des vices honteux , la débauche, l'ivrognerie ou les plus viles intrigues? Une jeune personne très-disso- lue n'a pas craint de prodiguer les invectives les plus outrageantes à ses pareus pour l'avoir conduite à l'hospice. Toutes les voies de douceur , tous les raénagemens ont été superflus j elle a resté tou- jours inflexible et constante dans ses demandes d'une prompte sortie ; ce qui est devenu un obstacle insurmontable au succès du traitement, et a fait même empirer son état en amenant sur plusieurs objets un véritable délire. Une autre jeune per- sonne très-dissolue n'a fait entendre que des mur- mures durant son séjour dans l'hospice, et a semblé avoir voué une haine implacable à tous ceux qui veulent la contrarier. Tous les moj^ens adoptéspour son traitement ont été inutiles, et des faits graves dont elle s'é toit rendue coupable auparavant, l'Ont


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dût conduire au dépôt de 8aint-Denis ; il en a été de même de plusieurs femmes amenées à différentes époques et à plusieurs reprises à la Saipêlrière , par des excès de débauche et d'ivrognerie.

245. Que de soins continuels et de surveillance pour veiller à la distribution générale des aliénées en divers départemens (i89),lesfaire passer alterna- tivement de l'un dans l'autre suivant leurs change- mens favorablesou contraires, encourager toujours, quelquefois réprimer, inspecter en détail tous les objets du service intérieur et du régime, faire évi- ter la contagion des mauvaises mœurs (i), entre- tenir par-tout le calme, et écarter tous les objets de trouble et de discorde ! Il seroit sans doute très- commode d'abandonner un aliéné quelconque au fond de sa loge comme un être indomptable , de l'accabler même de chaînes et de le traiter avec une extrême dureté , comme si l'on n'étoit chargé que


(i) L'expérience indique chaque jour combien il seroit né- cessairecVavoir, dansunendroit écarlé de l'hospice, sept à huit loges où on pût tenir dans un état plus ou moins prolonge d'isolement et de réclusion, certaines aliénées qui ne sont point furieuses, mais très-turbulenles et ti'ès -indomptables. On peut mettre de ce nombre , 1°. celles qui ne peuvent être pllées à la loi générale du travail, et qui toujours dans une activité malfaisante , se plaisent à harceler les autres aliénées , à les provoquer et à exciter, sans cesse des sujets de discorde , sans que les moyens ordinaires <le répression puissent exciter en cjles la moindre réforme. 2°. De» dévotes qui se croient


29^ POLICE DES ÉTABLISSEMENS

d'en délivrer pour jamais la société, et d'attendre la terminaison uaturelle d'une si cruelle existence. Mais l'expérience la plus réitérée ne porte-t-elle point à réclamer contre cette opinion qui n'est que trop générale, et à la ranger au nombre des préju- gés les plus nuisibles ? Une loi inviolable dans la di- rection de tout établissement public ou particulier d'aliénés, ne doit-elle pas être d'accorder au mania- que toute la latitude de liberté que peut permettre sa sûreté personnelle ou celle des autres, de propor- tionner sa répression à la gravité plus ou moins grande ou au danger de ses écarts, de prévenir avec rigueur la dureté grossière et les actes de vio- lence des gens de service, de recueillir tous les faits qui peuvent servir à éclairer le médecin dans le traitement , d'étudier avec soin les variétés particu- lières des mœurs et destempéramens, et de déployer enfin à propos la douceur ou la feimeté , des formes


inspirées, qui cherchent sans cesse à faire d'autres proséliles, et qui se font un plaisir perfide d'exciter les aliénéesà la d so- béissance , sous prétexte qu'il vaut mieux obéir à Dieu qu'aux hommes ; la douceur , les menaces , les mesures répressives , échouent également sur ces caractères toujours prêts h aqir en sens inverse des impressions qu'il faut communiquer aux aliénés pour les guérir. 5°. Des femmes qui ont durant leurs accès de manie une propension irrésistible à dérober tout ce qui tombe sous leurs mains, qui s'introduisent dans les loges des autres aliénées, emportent tout ce qu'elles trouvent , tlonacnt lieu à des disputes et à de3 rixes intei-minables.


CONSACRÉS AUX ALIENES. SgS

conciliatrices ou le Ion imposant de l'autorité et d'une sévérité inllexible ?

XII.

Préceptes à suivre dans la direction des Mélan- coliques.

246. C'est sous un tout autre aspect, et presque sous des formes opposées au délire maniaque , que s'offre le délire mélancolique (168); et autant il y a d'exaltation et de pétulance dans le premier , au- tant il règne dans le second un découragement profond, ou même un état de stupeur et une succes- sion continuelle de soupçons ou de craintes sans cesse renaissantes, sur les fondemens les plus fri- voles. La direction des aliénés, dans ce dernier cas, ne demande pas moins d'habileté et de zèle que dans l'autre, pour détruire des préventions exclu- sives et relever le courage. Un homme très-riche et dans la consistance de Tâge , reste sédentaire pendant plusieurs mois, devient morose et sujet aux craintes les plus pusillanimes. Une grande voracité succède à la perte de l'appétit et le force de prÊndre de la nourriture à toute heure du jour et de la nuit , sans aucune règle. A peine ce mélancolique peut-il goû- ter quelques momens de sommeil j il se couche à quatre ou cinq heures du matin , passe la nuit dans des frayeurs continuelles , croit entendre des paroles à voix basse, ferme avec soin sa porte, craint quel-


POLICE DES ÉTACLISSEMEN8

ques instaas après ne l'avoir point assez fermée , et revient sans cesse pour reconnoître son erreur. Une autre idée vient à l'occuper encore; il se relève dn ht pour examiner ses papiers; il les écarte tour-à- lour, il les rassemble , croit avoir oublié quelque objet, craiut jusqu'à la poussière de ses metibles , éprouve la plus grande instabilité dans ses idées et dans ses volontés, veut et ne veut pas, toujours tourmenté par des soupçons et des ombrages ; il se plaint d'ailleurs souvent de spasmes et de ce qu'il appelle des élaucemens nerveux dans l'abdomen , craun de respirer l'air du dehors et se tient toujours renfermé, Connoît le travers qu'il a de se tenir mal propre, en convient de bonne foi, mais avoue qu'il ne peut changer sa manière d'être. La fermeté, l'u- sage continué de légers laxatifs et l'équitalion ont fait cesser cette mélancohe.

247. Une jeune personne tombe, sans aucune cause connue, clans une morosité sombre, et soup- çonne tous ceux qui l'environnent de vouloir l'em- poisonner : la même crainte la poursuit après avoir quitté la maison paternelle et s'être réfugiée au- près d'une de ses tantes. Ses soupçons sont portés si loin, qu'elle refuse toute sorte de nourriture, et alors elle est transférée dans une pension où on n'obtient pas plus de succès, quelques tentatives qu'on puisse faire. Elle fut enfin conduite à l'hospice de la Salpêtrière, et comme elle étoit tranquille on îa plaça au dortoir des convalescentes. Le bruit el


CONSACRÉS AUX ALIÉNÉS. 2^5

le tumulte qu'elle fit pendant la nuit forcèrent à la déplacer, et elle fut confinée dans une loge ou elle exerça encore son humeur ombrageuse et tracas- sière! Une visite inconsidérée qui lui fut faite par un étranger ne fit qu'exaspérer sa mélancolie , et dès ce jour même elle refusa avec obstination toute sorte de nourriture. Le gilet de force fut applique inutilement pour la contraindre à manger ; on fut obligé d'en venir à la douche de répression: elle promit tout dans le moment, mais au sortir de la baignoire elle renouvela les mêmes refus. Le len- demain on fit porter des alimens au moment qu'elle ëtoit dans le bain avec injonction de les prendre si elle veut éviter d'avoir la tête inondée d'eau froide : elle obéit cette fois sans répugnance. Des marques d'in- térêt qu'on lui a témoignées et des propos consolans et doux ont fini par gagner sa confiance ; elle s'est livrée à un travail assidu , et peu à peu ses illusions et ses craintes chimériques se sont évanouies.

248. Les motifs qui portent les mélancoliques à refuser toute nourriture sont très-variés, comme l'attestent des observations nombreuses faites dans les hospices des aliénés. Dans un de ces cas, l'aliénée croyoit avoir des crapauds dans son estomac , et pour les faire périr de faim, elle croyoit devoir s'interdire toute espèce de nourriture.Une autre mélancohque éloit persuadée qu'on en vouloit à sa vie, et qu'on mêloit toujours quelque subslance délétère à ses alimens pour lui donner la mort, ©t de là venoife


^'JS POLICE UES ÉTABL,SSEME.^5

..ne sorledc ré|.usuance invincible à les prendre. Une mère connue pur son auael.ement eurè„,e l'our sa famaie, et que des eh.grins domesiiques avo,eut ictee dans la mélancolie la plus profonde , -sardo.tles alimens qu'on lui offroit comme une l>on,on destinée à sesenfans, les repoussoit avec uid,gnal,o„ , et il fallut recourir plusieurs fois à l'ex- ped,ent de la douche pour l'empêcher de périr de consomjrtion. Une jeune personne à qui on avoitcu la J">etede reprocher publiquementdans l'hospice qu elle avoit déjà mis au joi.r un enfant , fruit d'un amour dlégitime, en fut si consternée, que ce ne lut que par des exhortations les plus pressantes qu on parvnit à la faire manger et à soutenir ainsi sa malheureuse existence (■). Dans cerlainscas tous les expediens échouent et la mélancolique suc- combe.


(i) On imagine à peine les soins muhipliés et la persé- vérance qu'il faut avoir dans un établissement bien ordonné et dirigé avec zèle pour vaincre ce refus absolu d'alimens On a d'abord recours h des moyens doux , à des invitations pressantes pour faire ouvrir la bouche , qui est tenue opiniâtrement fermée. Si la résistance persévère et que l'aliéné ne veuille point mâcher la nourriture solide qu'on lui donne, on essaie de lui faire prendre des boissons nourris- santes , un potage avec du riz, du vermicel ou du lait, qu'on introduit dans la bouche avec une cuiller de fer pour pou- voir écarter les dénis que l'aliéné tient fortement serrées. Si ce moyeu est insuffisant, et que la boisson elle-mûme soil re-


CONSACRÉS AUX ALIENES. 297

249. Ce seroit un fonds inépuisable de faits cu- rieux et d'anecdotes piquantes, pour un mauvais plaisant, que le recueil de mes noies journalières sur les causes multipliées, les variétés et les prestiges séduisans de la mélancolie dévote qui afflue dans les hospices, et qui y devient même contagieuse sans la vigilance la plus active. C'est ici une jeune per- sonne terrifiée pour s'être livrée avec trop de com- plaisance à la lecture des romans j là ce sont des penchans du cœur contre lesquels un prêtre a tonné avec force , et qu'il a fait regarder comme dignes des flammes éternelles; ailleurs ce sont des perplexités ex^trêmes d'une ame foible et timorée qui a commis un grand crime, celui de se confesser à un prêtre assermenté j dans certains cas, ou a me-


jelëe , on se sert, suivant la mélliode de M. Pussln , d'un bi- beron ; ou ferme alors les narines , et l'aliéné étant obligé d'ou- vrir la bouche pour respirer, on saisit ce moment pour faire avaler quelque liquide substantiel, et on réitère ce procédé à plusieurs reprises le même jour et plusieurs jours de suite. Dans un cas où tous les moyens que je viens de citer avoient échoué, je fis acheter une sonde élastique qu'on introduisit dans une des narines, et à l'aide de laquelle on fit passer un peu de substance liquide dans l'estomac, et on soutint ainsi les forces, en attendant que l'aliéné se déterminât a prendre volontairement de la nourriture. Enfin il y a eu des cas où des principes religieux mal entendus ont fait opposer une éiis- lance invincible, et amené , par abstinence, uce mort plus ou moins tardive.


=98 POLICE DES ÉTABLISSEMEIKS

iiaoe d'une réprobation éternelle une union légitime sanctionnée par les lois civiles et non par les mi- nistres du culte; dans d'autres on est remonté jus- qu'aux époques orageuses de la révolution, et on a fait le grave reproche à une femme sensible d'a- voir omis plusieurs années les pratiques extérieures du culte; ailleurs ce sont des associations mysté- rieuses à des confréries privilégiées, qui ont exalté avec art la piété et l'ont portée jusqu'aux ravisse- mens et aux extases; quelquefois aussi ce sont des mères de famille crédules et peu laborieuses qui ont mieux aimé counr les sermons et les églises, que de se livrer à l'exercice si recommandable des ver- tus domestiques. Je serai donc discret et retenu, et je me garderai de mettre au jour des exemples par- ticuliers de cette sorte, qu'une fausse piété peut seule faire admirer comme autant de modèles à suivre. Mais puis-je voir chaque jour sans un sen- tnnent pénible et douloureux , tant de malheureuses victimes entassées dans l'hospice et désormais in- curables, pour avoir repoussé avec obstination les bons? avis qu'on leur donnoit, sous prétexte qu'il vaut mieux obéir à Dieu qu'aux hommes ? Celles qu'on a pu guérir étoient douées d'uq jugement sain , qui leur a permis de balancer d'abord les opi- nions , de s'élever ensuite à des doutes et à des incer- titudes , puis de provoquer de nouvelles lumières par des questions judicieuses. On est entré alors dans les vraies notions de la morale universelle de


CONSACRÉS AUX ALIÉNÉS. ^

,ous les temps et de tous les lieux , en ajom^antà l'époque de leur guérison les pratiques du culte , et c'est ainsi qu on en a reliré quelques-unes de 1 abîme où elles couroient se précipiter ; mais 1 orgueil , l'ij^norance et la préveniion,peut-être aussi un état trop invétéré de la maladie, en ont rendu un cer- tain nombre inaccessible à toutes les remontrances et aux marques d'intérêt qu'on leur prodiguoit; on n a pu -agner leur confiance, et ellessont tombées peu à peu dans une sorte de rêvasserie ou de démence d'habitude, qui les exclut pour jamais de la société et les réduit à une nullité absolue.

i5o. La surveillance la plus active suffit à peine , non-seulement pour empêcher la communicatiou des dévotes convalescentes avec les mélancoliques au plus haut degré, mais encore pour enlever avec soin tous les signes extérieurs de piété, comme livres de dévotion , images, croix , reliques, puisque l'expérience la plus réitérée démontre qu'il en ré- sulte souvent des rechutes et toujours un obstacle très-grave au succès du traitement. On avoit tente ailleurs de guérîr une mélancolique en lui laissant conserver toujours un Christ en bois sur la poitrine ; la maladie n'avoit faitque s'accroître en augmentant ses perplexités et son desespoir , au point qu'un jour elle saisit deô ciseaux pour se donner la mort. Transférée à l'hospice , une des premières atten- tions qu'on eut, ce fut de lui enlever ce qu'elle appel-oit le signe du salut, et peu à peu ses anciennes


cX a V , «^■^«'"o-es d„

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2-dWre, en sone,u'ile„ résulta une ties-bruyante et t,„e véritable rechute (,). 4u. irefcs on praliquoit.le jeudi saint, certaine céré- »nou,es du eul.e dans le dortoir des femmes très- ^-gees et tombées en dénaence ; mais des ineonvéoiens

(.) Durant la convalescence de celle même mélancoliaue ™ea„lre fe™elnip™e„..e,,..,,einent un livre rro-' ITJ Ï V 1"°""' " "'^^ S-nde atlenli

.oup,r elrepelantsans cesse ,u-ellesavoi.bie„,ue .es enfans eloienl n,o,..s , quMs avolenl é.é mis en pièces , et ,„e la vie In. elou .nsnpporlahle. Il éloi, naturel d'allribuer cet effe. i quelque reve ; mais on soupçonna aussi quelque lecture pieuse et on la snrpru en effe, , dans un endroit détourné , avee un i.vre de devofon sur l'Ange Gardien, les révélations, les Ttstons extatiques,- on le lui enlève et on le déchire en sa pré- sence , ce qui la jette d'abord dans une sorte de consternation : «a,s quelques jours après cette impression fut effacée , et 1. convalescence fit ensuite des progrès rapides.


CONSACRÉS ATJX ALIÉNÉS. 3oï

silachés à celte pratique Font fait supprimer, et lies n'est plus en usage que dans riolirmerle, core a-t-o,n soin de faire sortir les mélancoliques je voles dont 1 état pourroit être aggravé par ce spectacle.

25 1 . Un autre objet est encore bien plus à craindre ilaus l'hospice des aliénées et demande une surved- Jauce plus exacte; c'est le penchant irrésistible au •uicide qui accompagne souvent la mélancolie, et dont on avertit lors de l'admission de l'aliénée. Les moyens, les plus variés peuvent être mis en usage pour exécuter ce funeste projet. Quelques mélan- coliques a voient cherché à se précipiter par une des fenêtres du dortoir des convalescentes , et on a élé obligé de les griller ; d'autres ont teinté de s'appli- quer un lacet autour du cou pour s'étrangler ; cer- taines ont avalé les objets les plus dégoùtans pour s'empoisonner ; il y en a qui onJt élé jusqu'à avaler des épingles. Une femme d'un caractère très-doux et tendrement chérie de son mari, vient à tomber dans cet état atrabilaire à la suite de ses couches , et met sa famille au désespoir par ses tentatives réi- térées de se donner la mort ; elle ne peut assez exprimer, les premiers jours de son admission , l'extrême dégoût qu'elle a pour la vie, ni déguiser ses efforts répétés pour s'en délivrer. C'est tantôt du vert-de-gris qu'elle cherche à se procurer pour s'empoisonner; tanlôt elle trouve un moyen plus prompt; elle saisit une pierre, et s'en frappe à


J02 POLICE DES ÉTABLiSSEMENj

coups redoubles sur la poitrine , sans qu'il en résulte d'autre effet qu'une forte contusion ; une autre fois elle se retire à l'écart, et cherche à s'étrangler avec un lacet ; mais ses efforts sont rendus vains. C'étoit: de temps en temps quelque autre tentative dont ou. préveiioit les tristes suites, et dont on parvint enfim à la désabuser par des voies de douceur , Tu-- sage réitère des bains tempérés, des boissons dé- layantes et d'un travail assidu. Une autre jeune mélancolique s'étoit tellement serré le cou avec uni lacet, pour s'étrangler, que son visage en étoit livide, qu'elle avoit déjà perdu counoissance , et que ce ne fut que par de prompts secours qu'on parvint à la sauver ; mais à peine fut-elle rendue à elle-même, qu'elle fixa avec indignation et cher- cha même à frapper la fille de service dont elle recevoit des soins , et qu'elle lui reprocha amère- ment son retour à une existence qui lui étoit deve- nue insupportable. (C'étoit une fille qui avoit été séduite , et ensuite lâchement abandonnée par son amant à l'époque de ses couches.)

252. C'est bien loin d'être une petite tâche à remplir , que le choix des moyens et des tons à prendre pour combattre les idées bizarres de tant de mélancoliques , au milieu des variéte's singulières des caractères et des préjugés qui les dominent. Les unes sont éclairées , bienveillantes , quelquefois très-sensibles, très-timides, et douées de moeurs très simples; d'autres sont fourbes, dissimulées,


CONSACRÉS AUX ALIENES. 5o5

pleines d'orgueil cl de prévention , et deviennent entièrement incurables si on leur montre une in- dulgence déplacée. Une dame bien née , et tombée dans le malheur et la mélancolie dévote, étoit si sensible , que pour lui avoir dit simplement qu'elle recevroit des visites aussitôt qu'il n'y auroit plus de danger ni pour elle ni pour les autres, elle répli- qua avec une sorte d'indignation concentrée: «Mais est-ce qu'on me croit enragée » ? et il fallut plu- sieurs joiu's pour la calmer pleinement et réparer cette inconvenance. Une autre, au contraire , très- impérieuse et accoutumée à se faire obéir aveuglé- ment par un mari plus que docile , restoit au lit une partie de la matinée , exigeoit ensuite qu'il vînt à genoux lui présenter à boire, et dans les extases de son orgueil finit par se croire la vierge Marie. Seroit-on parvenu à la guérir et à dompter ce ca- ractère altier en paroissant approuver ses rêveries emphatiques? N'a-t-il pas fallu agir de même à l'égard de la domestique d'un vieillard très-complai- sant, qu'elle regardoit comme le dépositaire de sa fortune propre , et qui , dès qu'elle apprenoit la mort de quelque personne très-riclie, faisoit dos démarches auprès des autorités pour obtenir leur succession comme un droit incontestable ? Veut- on marquer de la condescendance pour les mélan- coliques atrabilaires, ils n'en deviennent que plus entêtés et plus impérieux, et on finit par rendre leur égarement incurable. C'est ainsi que le sur-


3o4 POLICE DES ÉTABLISSEMENS

veillaïudes aliqnes, tjul vil s.ms cesse au milieu d'eux, étudie avec soin et à toutes les heures du jour l'objet particulier de leur délire exclusif, soude les sinj^ularités de leur caractère, et prépare, ou plutôt opère un chaugement moral si propre à seconder les heureux résultais du traitement phy- sicjue.

253.Daosle système général adopté dans l'hospice des aliénées , d'une grande indulgence et d'une sé- vérité raisonnée, (juels résultats pourroit-on obtenir si on ne tenoû dans une extrême dépendance les gens de service , et si on leur permettoit, comme dans tant d'établissemens publics ou particuliers, de ne parler aux malheureux mélancoliques, comme aux autres oianiaques, qu'avec une dureté sauvage, et de les régir avec un sceptre de fer ? aussi la sur- veillance la plus active s'exerce-t-elle sur les filles de service comme sur les autres aliénées, et on a l'attention la plus scrupuleuse d'exclure celles qui sont connues par un caractère dur et grossier, de n'admettre que des convalescentes dociles et labo- rieuses (2o3) , et d'être dans tous les cas en garde contre leurs petites animosités et leurs antipathies ; à plus forte raison ne leur est-il point permis, dans aucun cas ni sous aucun prétexte, de frapper ou d'exercer des actes de violence; mais on les force de se prêter des secours réciproques dans des momens périlleux , et d'opposer leurs efforts combinés aux ressentimens fougueux de certaines aliénées et aux


CONSACRÉS AUX ALIÉNÉS.. 5o5

explosions de leur aveugle colère. Uue convales- cente, devenue lllle de service dans le cours du Irai- lement, fut tout-à-coup saisie par une aliénée qui la tenoit par les cheveux renversée à terre, avec, des efforts pour l'étrangler. Cette fille, pour se dé- fendre et faire lâcher pri^e , avoit saisi avec les ongles la cuisse de l'aliénée , et lui avoit fait une blessure semblable à celle d'une moi^sure (204). De là une grande rumeur et de vifs débats , le reproche grave d'une blessure faite par une fille de ser- vice, les réclamations de celte fille sur l'impossibilité d'éviter un pareil acte de violence dans la position où elle avoit été réduite. On entend les parties ad- verses, on reçoit les dépositions des personnes pré- sentes, et après une mure délibération, on regarde l'accusation comme dépourvue de fondement , et la, fille de service est maintenue dans sa place, comme ^'étant bornée à une défense légitime pour sauver sa vie. Cette attention constante d'exercer une jus- tice rigoureuse et de prévenir toute vexation dans un établissement consacré aux aliénés , n'est - elle pas le plus sur garant du calme intérieur et du boa ordre , par la grande confiance accordée au chef de la police intérieure, et par l'ascendant que donne nécessairement l'habileté jointe à la droiture }'d plus invariable ?

264. Mais que devient un établissement consacré aux aliénés , si fautorité du chef de la police vient à être méconnue ou partagée , et qu'on puisse faire ap-

20


3oG POLICE DES ÉTABLISSEMEWS

pel des jngemens sévèresquil a portés? Les mélau- coliques les plus difficiles el les plus remuans cher- cheront toujours un protecteur, sous prétexte d'une oppression exercée contre eux; ils le flatteront pour s'en faire un appui et ils se livreront encore avec plus d'acharnement à leurs chimères. Aussi ai-je soin de m'interdire toutes sortes de mesures re- latives au détail du service intérieur ou de la police de répression , et je n'écoute ni plaintes ni réclama- tions , toujours en garde contre les moyens artifi- cieux qu'on peut mettre en usage pour se sous- traire aux règles de la police intérieure , et , ce qui est bien pire encore , pour éterniser l'égarement de la raison ou l'aggraver.

255. Je ne veux point renouveler des souvenirs

amers j mais je ne puis que déplorer encore les tristes suites des luttes continuelles de pouvoir éle- vées autrefois entre un ancien agent de surveil- lance générale et le chef particulier de la police in- térieure des aliénées, luttes qui, dans certains cas, ont fait échouer le traitement médical , comme l'at- testent plusieurs de mes notes journalières. Les mélancoliques, toujours occupées de leurs idées exclusives, se sont alors agitées et n'ont révé qu'à de nouveaux expédiens pour défendre leur cause; un temps précieux s'est perdti en discussions stériles , et leur maladie a fini par devenir chronique et incu- rable. L'inconvénient auroit été nul , si le préposé supérieur , qui vouloit exercer la plénitude de ses


CONSACRES AUX ALIENES. 367

droits, avolt sacrKié ses aiilmosilés au désir du bien public, el qu'il eut bien voulu descendre de sa, haute spbère jusqu'à prendre des informations exactes et des voles conciliatrices j mais c'étoient; souvent des scènes pleines d'emportement et d'ai- greur, qui se passoient même en présence des aliénées , comme pour les révolter contre le chef de la police intérieure et lui faire perdre la confiance qui lui est si nécessaire pour concourir à leur réta- blissemenl. Je ne considère ici les objets que sous leur simple rapport avec le traitement médical et -je laisse à l'administration le soin de graduer d'ail- leurs les pouvoirs pour le maintien de l'ordre et 3a régularité du service. Mais quels résultats favora- bles pourrois-je moi-même obtenir , si le chef de sur- veillance n'étoit regardé à l'intérieur comme investi d'une autorité absolue pour l'exécution prompte et sans appel de toutes les mesures répressives ?


3o8


TUA.ITEMENT MiniCAL


CINQUIÈME SECTION.

Résultats de l'expérience ancienne et mo- derne sur le traitement médical des uâliénés,

256. J E ne sais sî aucune parlie des sciences physi- ques semble d'abord présenter plus d'obscurités Im- pénétrables, et inspirer à un auteur une plus sage méfiance de ses forces , que l'exposition historique des règles à suivre dans le traitement des aliénés. L'anatomie la plus scrupuleuse n'a pu presque rien dévoiler sur le vrai siège et le caractère de l'alié- nation mentale. Comment connoître et apprendre à rectifier les diverses lésions ou écarts de l'enten- dement , puisque ses fonctions, dans l'état de santé , sont si difficiles à apprécier et à bien distinguer les unes des autres (2 , 3 et suiv.)? Quelques idées po- pulaires, des procédés purement empiriques, oti certains faits isolés, ont formé jusqu'à ces der- niers temps la base du traitement des aliénés; et comment compter sur une expérience aussi bornée et aussi vacillante ?

267. Un séjourde plusieurs années dans les hospi- ces des aliénés de l'un et l'autre sexe m'a ouvert une source féconde d'instruction, peut-être la plus so- lide et la moins sujette à erreur. Avant de me for- mer aucun principe sur les moyens à prendre , je


DE l'aliénation MENTALE. Sog

me suis borné aux plus simples, et j'ai livré, dans un grand nombre de cas, la maladie à son cours presque naturel , pour reconnoître tout ce que la nature pouvoit développer de ressources salutai- res lorsqu'elle n'est point contrariée par des obs- tacles étrangers. Il étoit nécessaire , pour obtenir cet avantage , d'établir et de maintenir un ordre invariable , et la plus beureuse organisation dans ces bospices, et c'est sous ce rapport que j'ai été pleinement secondé ( section IV ) , à la Salpêtrière , par un des bommes les plus recommandables par des qualités rares , M. Piissîn, cbef de la police in- térieure des aliénées : j'ai pu alors étudier avec le plus grand soin non-seulement les caractères des diverses espèces d'aliénation mentale et leurs varié- tés principales , mais encore leur marcbe particu- lière dans les différentes périodes. C'est ainsi que rien n'a été mis au hasard , et que j'ai pu parvenir à distinguer les moyens superflus ou nuisibles de ceux qui ont une utilité directe et non contestée.

1.

Sur l'usage de frapper les Aliénés , comme un moyen de les guérir,

258. On déplore le sort del'espècebumaine, quand on songe à la fréquence , aux causes multipliées. de la manie,et aux circonstances sans nombre qui peu^ vent être contraires à ceux qui l'éprouvent, même


1


3iO TRAITEMENT MÉDICAL

dans les institutions le plus heureusement organi- sées. Veut-on que cli.iqne aliéné soit gardé dans une étroite réclusion au sein de sa famille, une expé- rience conslanle fait voir que c'tst opposer un obs- tacle insurmontable au rétablissement de sa raison. Consacre- t-on des asiles publics à des rassemble- mens nombreux d'aliénés, etréunit-on tous lesavau- tages du site, de l'étendue et de la distribution du local j que de qualités rai es, quel zèle , quel discer- nement, quel heureux mélange d'une fermeté im- posante et d'un coeur compatissant et sensible ne faut-il point avoir pour diriger des êtres intraitables, soumis à tous les travers, à tous les caprices les plus bizarres , et quelquefois à tous les empor- temens d'une fureur aveugle , sans qu'on ait d'au- tre droit que celui de les plaindre ! Peut-on , au- trement que par une expérience éclairée et par une attention conslanle , pressentir l'approche des ac- cès pour prévenir les accidens-de leur explosion , contenir sévèrement les brutalités des cens de ser- vice, et punir leur négligence, écarter les causes occasionnelles des accès, et, pendant leur durée, tout ce qui peut aigrir le délire , remédier promp- tement , lors de leur terminaison , à un état de dé- bilité et d'atonie qui peut devenir funeste , profi- ter enfin de tous les avantages que donnent lés in- tervalles de calme pour accélérer la guérison avec les moyens les plus avoués par une expérience éclairée? Mais que devient encore un hospice avec


DE x'ALliNATION MENTALE. 3ll

le meineiir choix cran cbef de police intérieure, si le médecin lui-même , rempli de préjugés , borne dans ses vues , et doué d'une confiance exclusive dans ses lumières , se montre moins jaloux de con- courir au bien public , que de se faire valoir , et d'exercer avec hauteur une suprématie exclusive?

269. J'ai fait connoître(sect. IV ) le caractère et les heureux effets des voies de douceur et, dans quel- ques cas, d'un appareil de crainte , d'une opposition ferme et invariable aux idées dominantes et à l'obs- tination inflexible de certains aliénés , d'une déter- mination courageuse et imposante , mais exclusive de tout outrage , exempte de tout sentiment d'ai^ greur ou de colère , et conforme aux droits sacrés de l'humanité : c'est assez indiquer combien celte conduite diffère de la dureté grossière, des coups, des blessures , j'ose dire des traitemens atroces et quelquefois meurtriers, qui peuvent se commettre dans des hospices d'aliénés où les gens de service ne sont pas contenus par la surveillance la plus active et la plus sévère. Pourquoi retrouve-t-on dans les écrits des anciens, et surtout dans ceux de Celse, une sorte de méthode intermédiaire (i), un système de moyens curatifs fondé sur des pu- nitions sévères, par la faim , les coups, les chaînes, pour réprimer l'aliéné , lorsque les avis et les voles


(i) Ubi perperam aliquid dixit aut fscit, famé , vincu-»- lis , plagis coercendus est. Gels , Jib. III, cap. XVIII.


traitement médical

cle douceur deviennent inulîles? Pourquoi des ela- bhssemens publics ou particuliers ont-ils été di- riges par des principes analogues? Un fermier du nord de 1 L^cosse , qui avoit une stature d'Hercule s etoit rendu fameux pour la guérison de la manie \ au rapport du docteur Grégory. Sa méthode con- Sisloit a hvrer les aliénés aux travaux les plus pe- nibJes de la culture, à varier leurs fonctions , à les employer , les uns à titre de bétes de somme, les autres comme domestiques ; à les réduire enfin à 1 obéissance par une volée de coups au moindre acte de révolte. C'est sur des principes analogues qu a ete du^igée une sorte d'établissement monas- tique tres-renommé , dans une des parties méri- dionales de la France : un des préposés faisoit cha< que jour la ronde dans les loges, et quand un ahene extravaguoit , faisoit du vacarme, refusoit la nuit de se coucher , repoussolt toute nourri- ture , etc., il lui intimoit l'ordre précis de chan- ger, et le prévenoit que son obstination dans ses écarts seroit punie le lendemain de dix coups de nerf de boeuf. L'exécution de l'arrêt étoit toujours ponctuelle, et s'il étoit nécessaire, on la renouve- loit même à plusieurs re^Drises. On n'étoit pas moins exact à récompenser qu'à punir; et si l'aliéné se montroit soumis et docile, on lui faisoit pren-^ dre ses repas au réfectoire, à coté de l'instituteur, comme pour l'éprouver. S'oublioit- il à table et eommetloit-il la moindre faute , ij en étoit à l'ias^


V


5i5


DE l'aliénation TME'NTALE.

tant averti par un coup de baguette frappé dure- ment sur ses doigts , et puis on ajouloit avec une gravité calme qu'il avoit mal fait (i) et qu il de- voit s observer avec plus de réserve. Mais dans tous les cas que je viensde citer , n a-t-on pomt ou- trepassé les bornes légitimesi, et doit-on les autori- ser , si on peut parvenir , par des moyens plus sim- ples et plusliumains, à obtenir des résultats encore plus sûrs et plus généralement favorables? N'en est-il point ici comme de l'éducation delà jeunesse^ où on avoit autrefois consacré et comme érigé en principes les coupsét une pédanterie repoussante, qu'un siècle plus éclairé a fait proscrire? Les Turcs trouvent- ils rien de plus admirable que le despotisme ab- surde qu'ils exercent sur les Grecs modernes , et eu rend-on moins bommage aux idées libérales et au caractère magnanime des anciens peuples de ces contrées ?

260. Ce seroit peut-être tomber dans le vague, que de traiter d'une manière générale et uniforme pour tous les peuples la question de l'institution morale des aliénés par des coups et des cbâtimens corpo- rels ; car, comment assurer que les Nègres qui vi-


(0 Le docteur Willis n'a-t-il pas autrefois un peu trop déféré aux usages reçus en permettant aux gardiens qui con- duisoient les aliénés à la promenade dans les champs , de ren- dre les coups pour les coups , ce qui donnolt à leur brulalilc une lalilude indépendante et dangereuse ?


3i4 TnAITT:MENT MÉDICAL

vent dnns la servitude à Ja Jamaïque, ou les es- claves de l'Inde, façonnés à un système oppresseur pendant toute leur vie , ne doivent point être sou- mis , dans le cas d'aliénation , auK mêmes lois d'un joug dur et despotique ? Mais quelques effets favo- rables qu'on puisse attendre, en général, de la cramte appliquée à la guérison de la manie , la sensi- brillé vive du Français et sa réaction violente con- tre tout abus révoltant du pouvoir , tant cfu'il con- serve une lueur de raison , ne doivent- elles point déterminer eq sa faveur les formes de répression les plus douces et les plus conformes à son carac- tère ? tous les faits observés ne viennent-ils pas d'ail- leurs à l'appui de ces principes ? Quels mouve- mens fougueux , ou plutôt quels accès de rage et d'indignation n'ai-je point vu éclater autrefois parmi certains aliénés, lorsque de mauvais plaisans , qui yenoient visiter l'hospice de Bicétre, se faisoient un jeu barbare de les harceler ou de les provoquer î Dans l'infirmerie même des aliénés , qui étoit iso- lée de l'hospice et hors de la surveillance du chef ordinaire, combien de fois est-il arrivé que, par de sottes railleries des infirmiers ou leurs grossière- tés brutales , des aliènes calmes et en voie de leur guérison , retomboient dans des accès de fureur après des contrariétés déplacées ou des actes de violence ! Au contraire , des aliénés transférés d'ailleurs, et désignés à leur arrivée comme très- emportés et très-dangereux , parce qu'ils avoieut


DE L ALIENATION MENTALE. Oi5

été exaspérés par des coups et des mauvais Iral- leinens, semblent tout -à-coup prendre un na- turel opposé lorsqu'on leur parle avec douceur, c^u'on compatit à leurs maux , et qu'on leur donne l'espoir consolant d'un sort plus heureux. La convalescence fait ensuite des progrès rapi- des sans aucun autre artifice. Enlin, l'expérience la plus constante n'apprend-elle point que , pour rendre durables et solides les effets de la crainte , ce sentiment doit s'allier avec celui de l'estime à mesure que la raison reprend ses droits ? ce qui suppose que la répression n'a point porté le carac- tère de l'emportement ou d'une rigueur arbitraire , qu'on n'a employé pour vaincre la pétulance in- docile de l'aliéné qu'une force proportionnée au degré de résistance , qu'on n'a été dirigé que par le désir sincère de le ramener à lui-même, comme le prouve immédiatement après son repentir, une explication franche et amicale. Ce sont là les prm- cipes que j'ai développés et confirmés par des exem- ples nombreux (sect. IV) , et qui sont lesrésullats de l'expérience la plus réitéiée. Ou est sans doute très- loin d'avoir les avantages du site , de la position du local, de son étendue., de sa distribution inté- rieure, comme les possède le docteur Fowîcn dans son établissement en Ecosse; mais je puis attester, d'après une observalion assidue de plusieurs années consécutives, que les mêmes maximes de la plus pure philanthropie président à la direction des allé-


TRAITEMENT M^.DICAL

«es Je cet hospice; que les filles de service, son. «ncun prétexte quelcouqae , ne portent unemaia

isTr ' "'"^ par représailles; que les lorce et Ja réclusion pour un temps très- We sont les seules peines inlligees; et qu'au dé- lc.ut du succès par les voies de la douceur ou un appared imposant de répression, un stratagème «droit joroduit quelquefois des cures inespérées.

I .Dans la manie récente, comme dans les autres ïna adies aiguës, très-souvent c'est bien moins la violence des symptômes qu'une apparence trom- Peuse de calme qui doit faire craindre des suites graves, et l'expérience n'a-t-elle point appris que ies accès marqués par les écarts les plus empor- les et les plus tumultueux , diminuent , en gêné- ral d intensité par degrés, et finissent par s'étein- dre , s'ils sont peu anciens et traités d'une manière judicieuse? Qu'un- maniaque, maîtrisé par une fureur aveugle , se livre sans relâche à des cris perçans et à des menaces , qu'il ne cesse de s'a- giler et ae faire du fracas sans prendre un seul moment de repos, même pendant plusieurs mois, qu'il déchire tout et mette en pièce jusqu'à la paille de sa couche, une dose plus ou moins forte d'anti- spasmodiques peut quelquefois calmer , faire même cesser Ja violence de ces symptômes ; mais l'obser- vation apprend aussi que dans un grand nombre de cas, on peut obtenir uneguérison sûre et per. manenle par des moyens doux et modérés ; abau-


DE l'aliénation MENTALE, dlf

donner l'aliéné à son effervescence tumultueuse, n'user que du degré de répression qu'exige sa sû- reté personnelle t^t celle des autres : ce qui se pra- tique le plus souvent par le gilet de force ou ca- misole; se garder de l'exaspérer par une dureté déplacée ou des propos outrageans, lui sauver tout sujet réel de mécontentement ou de colère , soit dans le service^ soit dans la nourriture ; éviter tout refus nettement exprimé , toute réponse brusque lorsqu'il sollicite à contre-temps d'être mis ea liberté; mais différer sous des prétextes plausi- bles; entretenir enfin la police la plus sévère dans l'intérieur de l'hospice , et surtout profiter des in- tervalles de calme pour livrer les aliénés à des occu- pations sérieuses ou à des travaux pénibles. On se familiarise d'autant plus avec ces principes simple^ et avoués par l'expérience , que certains aliénés tombés dana une sorte d'imbécillité ou d'idiotisme par l'abus extrême des saignées, sont guéris lors- qu'il vient à s'exciter une sorte de délire de quinze ou vingt jours, ou plutôt une manie aiguë et cri- tique. Un jeune militaire fut conduit de l'armée de la Vendée à Paris dans un état de fureur, et sou- mis au traitement usité alors à l'Hôtel - Dieu : saignées du pied répétées , et après la dernière » il y eut une effusion excessive de sang par le dé- placement de la bande ; ce qui fut suivi d'un état prolongé de syncope. Il fut transféré à Bicêlre - dans le dernier degré de débilité et de langueur :


2l8 TRAITEMENT MEDICAL

déjcctious involontaires , visage pâle, point de pa- role, obliléralion tolale des fonctions de l'enten- dement. Son père qui lui rend visite est consterné de son état, et laisse quelque aigent pour amé- liorer son sort. Une nourriinre saine et aug- mentée par degrés, ranime peu à peu les forces €t la vigueur. Les préliminaires de l'accès se dé- clarent: rougeur du visage, éclat brillant des yeux, mouvement fébrile, agitation extrême, enfin dé- lire marqué. Cet aliéné court à pas précipités dans l'intérieur de l'hospice j il provoque, il insulte, il tourne en dérision tous ceux qu'il rencontre ; mais comme il s^abstient de tout acte de violence , on le laisse errer librement avec les convalescens. Vingt jours se passent dans cet état délirant : le calme renaît, et sa raison , d'abord foible , s'est en- suite complètement rétablie, au moyen d'un tra- vail régulier et de l'exercice. Son séjour fut encore prolongé six mois dans l'hospice , pour rendre sa guérison plus solide , et il fut rendu à sa famille vers le déclin de l'automne , précaution nécessaire pour éviter toute rechute.

II.

JJ usage si fréquent de la saignée dans V aliénation est-elle fondée sur une expérience éclairée ?

262. Une jeune fille de quinze ans, éloignée de sa famille , tombe dans un chagrin profond , et peu après


DE l'aliénation MENTALE. 019

sa raison s'égare. Un chirurgien de campagne qu'on appelle, fixe l'aliénée , et déclare que tout le mal tenoit à un sang corrompu , que cétoit un véri- table sang de folie , quil falloit tout tirer, etquil répondoit de la guérison. Il pratique donc la sai- gnéfe ; mais la fureur la plus violente se déclare im- médiatement après, et l'aliénée est conduite à la Salpêtrière. Le refrein du chirurgien pour la saignée n'est-il pas répété chaque jour d'un bout de l'empire à l'autre, au début ou dans le cours de tout égare- ment de la raison? des hommes même très -instruits ne se laissent- ils pas entraîner par le torrent, sans consulter quels sont les vrais résultats d'une expé- rience réitérée ?

263. J'ai été toujours en garde contre une pra- tique qui n'étoit fondée que sur des apparences ex- térieures, et celle de la saignée dans lecas de la manie ne porte-t-elle pas uniquement sur la rougeur duvr- sage, les jeux brillans, l'air animé , et d'autres signes équivoques d'une surabondance du sang et de son impulsion violente vers la tête? Un jugement solide «e refuse à de vaines conjectures et à des raisonne* mens vagues, qui pour être spécieux n'en sont que plus sujets à erreur, et dans l'incertitude de ne point agir ou d'agir d'une manière téméraire, c'est le pre- mier parti qu'il embrasse j il met d'ailleurs à profit tous les faits qui peuvent servir à l'éclairer. Lors de l'admission des aliénées dans l'hospice , on a tou- jours soiu d'interroger leurs parens sur l'article de


r)'iO TRAITEMENT MéoTCAI.

la saignée , et on demande , si elle a été pratiquée , quel en a été le résultat. Les réponses le plus cons- tamment faites attestent que l'état de l'aliénée a toujours empiré immédiatement après. Je crois ne devoir point omettre un fait curieux arrivé en l'an i3. Deux jeunes personnes du même à^e et d'un tem- pérament analogue , arrivent le même jour : une d'entre elles n'avoit point été saignée et sa guérison fut opérée en deux mois; une saignée copieuse ayant été faite à l'autre, elle avoit été réduite à une sorte d'idiotisme , et elle ne parvint à recouvrer l'usage de la parole que vers le cinquième mois ; sou ré- tablissement plein et entier n'a été opéré qu'à la fin d u neuvième. On vit , quelque temps ajirès , l'exemple singulier d'un mélancolique qui avoit été saigné cinq fois du pied et trois fois a la jugu- laire, et qui étoit tombé ensuîle dans un tel état de débilité et de stupeur, qu'il passa plusieurs jours sans pouvoir prendre aucune nourriture.

264. Ce n'est point par le désir de contredire, c'est pour m'écîairer moi-même, que je cherche de toutes parts des faits coucluans eu faveur de l'eflica- cité directe de la saignée contre la manie, et je ne trouve que de nouveaux motifs de doute. Parmi les aliénées reçues à la Salpétrière , celles qui n'ont éprouvé aucun traitement antérieur sont précisé- ment celles qu'on a plus de facilité à guérir. J'ai par- couru avec avidité un recueil d'observations choisies, publiées en Angleterre, sur la manie , et quoiqu'on


DE l'aliénation mentale. 5at

y soit plus retenu sur rarlicle de la saignée , les cas même où elle a été pratiquée avec le plus de motifs apparens, me portent à la regarder comme ayant été nuisible ou au moins superflue. Je conçois que, dans un deces cas, une jeune personne de dix-huit ans, d'une forte complexion et avec des signes d'une congestion vers la tête , a pu être saignée impuné- ment j mais on a remarqué, même dans ce cas, qu'a- près avoir évacué seulement quatre onces de sang , le nombre des pulsations de l'artère fut réduit de quatre-vingtsà soixante, qu'il survint une syncope, et qu'on fut obligé de fermer la veine. On a fait en- suite plusieurs autres remèdes actifs j et à quelle cause peut- on attribuer alors une guérison qui sur- vint plusieurs mois après? Dans un autre cas de l'é- garement de la raison survenu à l'âge critique , une toux sèche, des nuits très -agitées, des rêves ef- frayans, l'indammation des yeux, la douleur de tête, ont fait recourir à quelques petites saignées, et on avoue que l'affaissement extrême et la débilité qui succédèrent en firent cesser l'usage. Enfin , dans un troisième cas d'un délire maniaque aggravé pour avoir laissé l'aliéné long- temps exposé aux ques- tions indiscrètes et aux sottes plaisanteries d'une po- pulace ignorante , pourquoi ne s'être pas borné au simple isolement et à un traitement doux , sans re- courir à une saignée ad deliquium , qui est un des moyenslesplus hasardés et les plus téméraires qu'on puisse se permettre ?

21


32Î TRAITEMENT MÉdICAL

265. C'est un événement très-rare et qui fait époque dans Thospice des aliénées, qu'une saignée depuis que je dirige le traitement ; mais il faut éviter aussi toute exagération dans les idées, et jamais on n'a été peut-être déterminé par un motif plus puis- sant, que dans le cas suivant d'un lille de trente-six ans, tombée dans un délire maniaque à la suite d'une vive frayeur, et qui poussoit des cris continuels; l'écoulement périodique étoit supprimé , la face ëtoit très-rouge et très-animée, les yeux brillans et les vaisseaux de la conjonctive comme injectés. Une saignée modérée du pied fut faite; mais bientôt après l'aliénée passa à un état complet d'idiotisme, au point qu'elle étoit continuellement à marcher en balançant ses bras et en laissant échapper sans cesse, d'une voix plaintive, ces mots: la pierre sans eau. Après avoir resté plus de deux années dans cet état, elle est revenue enfin à elle-même comme d'un long rêve; elle a repris l'habitude du travail de la couture , et elle est sortie de l'hospice le mois suivant dans un état de guérison non équivoque. Je veux admettre que la saignée n'ait point produit cet état prolongé d'idiotisme, mais a-t-elle pu le pré- venir ? Je suis loin de vouloir prononcer une exclu- sion générale de la saignée pour les aliénés; mais je crois que les cas de son usage judicieux sont ex- cessivement rares.


Ï)E lVlIIÉN A TION MENTALE.


523


m.

Sur l'immersion brusque de l'Aliéné dans l'eaiL froide , regardée comme un moyen de gué- rison*

266.Vaiîhelmont, dont l'imagination désordonnée semble avoir épuisé toutes les rêveries qu'on pou- voit former au dix-septième siècle sur les fonctions de rentendemeut , a voulu transporter au traite- ment de la manie un procédé populaire et barbare, déjà employé contre riijdropbobie; je veux dire une submersion complète qu'il fait regarder comme un remède très-simple. On doit gémir de voir un moyen aussi basardé et aussi dangereux proposé avec une sorte de confiance parle célèbre commea tateur de Boerbaave, et transmis ainsi comme uu point de doctrine dans les écoles du siècle dernier. Des expériences postérieures faites sur les animaux et souvent réitérées ont détruit ce frêle édifice, et on sait maintenant que la submersion peut devenir mortelle dans quelques minutes.On montre un peu plus de retenue dans certains établissemens consa- crés aux aliénés, et on se borne à une immersion brusque de l'aliéné dans l'eau froide, en le retirant aussitôt et eu le plongeant à plusieurs reprises dans le même liquide. On ne fait plus usage de l'an- cienne mélbode, mais dès-lors la nouvelle n'est elle point entièrement superflue ? car l'idée bizarre de


3'^4 TRAITEMENT MEDICAL

Vanhelmont étoit de dëlruire jusqu'aux traces pri- millves des idées exlravaganles des alléues, ce qui, suivant lui, nepouvoit avoir lieu qu'en oblitérant pour ainsi dire ces idées par un état voisin de la mort ( idcirco inveniendum erat remedium quod ■posset occidere , necare , tollere aut ohliterare iprœfatamillamamendce imaginem ^.Maison doit rougir d'insister sur ce délire médical, peut-être pire encore que celui de l'aliéné dont on veut réta- blir la raison égarée, et je me borne à quelques considérations sur l'immersion brusque et réitérée de l'aliéné dans l'eau froide.

1267. L'usage du bain froid par immersion n'a point été omis parmi les préceptes du traitement que donne le docteur Cullen , et il recommande de plon- ger l'aliéné dans l'eau froide ,par surprise, de l'y re- tenir pendant quelque temps , et déverser fréquem- ment de l'eau sur sa tête pendant que le reste du corps est plongé dans le bain, toujours dans l'inten- tion directe d'exciter un léger frisson et un effet rafraîchissant. Mais peut-on se dissimuler les incon- véniens sans nombre attachés à cette pratique? A- t-on soin de calculer les effets combinés que peuvent produire sur un caractère très-irascible, une impres- sion forte du froid sur toute la surface du corps , les moyens violens employés pour opérer cette immer- sion, la déglutition forcée d'une certaine quantité de liquide, la crainte d'une suffocation imminente dont l'aliéné ne peut se défendre, ses efforts empor-


DE l'aliénation MENTALE'. 5i!>

tés et tiimnltvieux pour échapper à un danger pres- sant , sa colère concentrée contre les geusde service qui exécutent des mesures aussi oppressives? Que (Vautres abus sont inévitables et propres à porter au comble l'exaspération de l'aliéné , la dérision et la dureté grossière des mêmes gens de service , qui se font une sorte de jeu récréatif de sa situation pénible, les dédains et les propos insultans qu'ils opposent à ses cris et à ses plaintes amères , enfin un remède qu'on ne devroit administrer qu'avec un sentiment pénible, converti en une sorte d'amusement grossier et barbare î J'ai interrogé quelquefois des aliénées traitées ailleurs par cette méthode, et ensuite trans» férées à la Salpétrière , et elles ne pouvoient assez m'exprimer l'indignation qu'excitoit en elles le seul souvenir de ces vexations odieuses. Une- d'entre elles qui avolt été traitée pendant dix-huit mois dans un hospice très-connu , et souvent sou- mise à cette terrible épreuve , n'en parloit qu'avec exécration-, et assuroit qu'après ce bain elle étoit. toujours plus emportée et plus furieuse.

268. Un jeune homme de vingt-deux ans, d'une constitution robuste , avoit éprouvé des revers par des évéri«mens de la révolution il s'exagère les maux de l'avenir , tombe dans une tristesse pro- fonde , perd le sommeil et est saisi tout-à-coup d'une fureur maniaque des plus violentes. On le soumet au traitement de la manie aiguë dans une ville de son département , et ou prodigue surtout les bains


3a6 TRAITEMENT MÉDICA L

froids dans lesquels on avolL coutume de le plonger brusquement en lui liant les membres. Son délire ëloit de se croire général autrichien ; il prenoit sans cesse le ton du commandement, et sa fureur re- doubloit au moment du bain, parce qu'il n'y vojoit qu'un oubli coupabie des égards dus à son rang et à ses dignités. Un pareil traitement nefaisoit qu'empi- rer son état , et ses parens se déterminèrent à l'en- voyer à Paris dans une pension , pour le confier à mes soins. Il parut très-emporté et très- violent lors de ma première visite , et je sentis la nécessité de me prêter à son illusion pour gagner sa confiance. Tou- jours témoignages de déférence et de respect; tou- jours apparences d'être disposé plutôt à recevoir des ordres de lui qu'à lui eu donner. Je ne parlai plus de bains; il fut traité avec douceur, et réduit à l'usage des délajans , avec la liberté de se promener à toute heure dans un jardin agréable. Ces objets de diversion, l'exercice du corps, et quelques entre- tiens familiers que j'avois avec lui de distance ea dislance, ramenèrent peu à peu le calme , et vers la fin du mois il ne me marqua plus ni hauteur ni défiance. Le rétablissement de la raison s'opéra len- tement; au bout de trois mois, je n'aperçus plus de traces de son ancien délire ; mais vers l'automne et le printemps suivant, aux premières approches d'une sorte d'excitation nerveuse , manifestée par un regard plus animé, un peu plus de loquacité et de pétiîlance, je lui fis prendre pendant une quia-


DE l'aliénation MENTALE. 5^7

ïaîne de jours du pelit-lait rendu purgallf par inter- valles , et puis quelques bains tlèdes à litre de pro- preté, pour ne point réveiller son ancienne répu- gnance. L'explosion des accès fut ainsi prévenue , et le séjour dans le même pensionnat encore prolongé pendant une année, comme moyen d'épreuve. A sa sortie, il s'est rendu dans une campagne où il se partage depuis dix ans entre l'étude du cabinet et les soins de la culture, sans avoir manifesté le moin- dre signe de son primitif délire.

26g. L'usage du bain froid, dit un auteur anglais déjà cité, a été presque toujours combiné avec d'autres remèdes, et il est difficile de déterminer jusqu'à quel point, pris exclusivement, il peut être utile contre la manie. Son usage isolé de tout autre traitement a été trop peu répété pour qu'on puisse encore en tirer des inductions concluantes. « Je puis » cependant assurer, ajoute le même auteur, que

dans plusieurs cas , le bain froid a produit en peu: » d'heures des affections paralytiques, surtout lors- » que l'aliéné se trouvoit dans un état de fureur » et doué d'une constitution pléthorique ». Fériar , autre auteur anglais, paroît moins indécis : it se dé- termine en faveur des bains froids pour la mélanco- lie, et en faveur des bains chauds pour la manie sans citer d'autre exemple que celui d'un maniaque- réduit à un état très-équivoque par l'usage de ces, derniers bains, puis traité tout- à-coup par les to- niques,, l'usage modéré de l'opium, du camphre 9.,


^"^^ TRAITEMENT MEDICAL

des purgatifs, et euim guéri piomptement par J\i- sagc de l'électricité. N'est-ce point prolonger plu.ôt 1 incertitude et le doute , que les dissiper , lorsqu'on s etaye sur une pareille complication de moyens? Je Tais, pour décider la question, rapporter ici les fruits de ma propre expérience sur les bains en général.

270. On doit toujours se défier des raisonnemens, même les plus spécieux, en faveur de l'action directe d'un remède quelconque ; on lui ajoute un nouveau poids si on peut citer à l'appui l'autorité des hommes ]es plus célèbres en médecine et le plus faits pour penser par eux-mêmes ; mais c'est toujours à une expérience constante et bien discutée à lever toute incertitude. Je laisse apprécier à sa juste valeur tout ce qu'on peut alléguer en faveur des bains tempé- rés , les avantages de relâcher la peau , de faciliter la

transpiration, de rendrelacirculation plus uniforme, de prévenir l'impulsion spéciale du sang vers la téte, de procurer un sommeil tranquille, etc., pour prou ' ver leur efficacité contre la mélancolie et la manie. Mais on ne peut nier que d'excellens observateurs tels que Ceelius Aurelianus, Alexandre de Tralles, Arétée, Galien, Prosper Alpin, etc., ne les aient recommandés dans ces cas d'une manière spéciale. Lés orages de la révolution eu l'an 2 et 3, me privèrent à Bicétre de plusieurs objets nécessaires à leur usage , mais toutes les commodités se trouvèrent réunies en l'an 10 à l'hospice de laSalpétrière , pour en renouveler les tentatives dans les différentes pé-


DE l'aliénation MENTALE. S-îf^

rlodesde ces maladies, et depuis près de huit an- nées ces bains sont devenus la base fondamenlale du traitement des maniaques et des mélancoliques ^ à mesure que leur efficacité s'est de plus en plus manifestée, qu'on a varié leur usage et qu'on les a secondés par d'autres moyens accessoires. Douze baignoires sont en activité pendant une grande par- tie de la journée. On y admet en général les aliénées dans toutes les périodes de la maladie, et on fait continuer plus ou moins les bains ou on lés fait suspendre suivant l'intensité plus ou moins grande des symptômes. Nulle répugnance en général , nul objet de frayeur , tout se passe avec calme et la plus grande décence, puisque les baignoires sont recou- \ertes ; on surveille, on encourage les aliénées; les plus indociles sont ramenées à l'ordre ; on examiné les circonstances qui peuvent demander des modi- fications particulières , sans que d'ailleurs rien dé- range la marcbe générale et l'ensemble de cette méthode simple de traitement.

271. Une heureuse combinaison de la douche avec le bain ajoute encore beaucoup à son efficacité et prévient jusqu'aux moindres inconvéniens qui pourroient en naître. A chaque baignoire et direc- tement sur la tête de l'aliénée, répond un tuyau susceptible, à l'aide d*un robinet, de faire tomber à trois pieds de hauteur (i) un filet d'eau froide pro-


(0 On se propose de remplir un autre but dans la douche


33o TRAITEMENT MEDICAL

ponionné au but qu'on se propose et qu'on gradue suivant les symptômes, mais en général irès-pelit et borne a un simple arrosement. Ce n'est que vers la fin du bam et pendant quelques minutes que la douche est administrée, lorsque la circulation du sang a été favorisée vers la surface du corps, et qu'on veut par le refroidissement en diminuer l'énergie vers la léte. On omet même souvent la douche soit au déclinde la manie, soit durantla convalescence, lorsqu'on a encore recours au bain par intervalles; mais on y revient ou aux approches d'un accès maniaque, ou bien lorsqu'il a déjà éclaté. Dans tous les cas on proscrit dans l'hospice ces douches vio- lentes qu'on administre ailleurs sans aucun ména- gement , en faisant tomber de sept à huit pieds de hauteur un courant d'eau de plusieurs lignes de diamètre sur la téte de l'aliéné, pendant un temps plus ou moins long et au gré des gens de ser- vice , qui portent dans cet objet, comme dans beau- coup d'autres, leurs préventions bornées ou leur dure et inepte grossièreté. Jamais la douche n'est administrée à la Salpêtrière que par le surveillant lui-même, qui la dirige avec intelligence et avec tous les ménagemens que commandent les circons- tances. Wy a-t-il que des marques d'une excilation médiocre vers les organes de la tête , on se borne à


de répression dont j'ai parlé ailleurs (192), et alors on inonde tout-à-coup la tête de l'aliénée pour la ramener à l'ordre.


DE lVliénation mentale. 53i fûre tomber goutte à goutte l'eau froide sur la tête de l'aliénée, pour y déterminer une douce fraîcheur autant par l'impression de ce liquide que par l'ëva- ])oration constante qui en résulte; ce qui est peut- être plus avantageux pour les effets que l'application ciu'on fait, en Angleterre, de la neige sur le sommet de la tête.

272. Quelle confusion dans les expressions, à moins qu'on ne fixe avec précision dans quel sens on doit les entendre! Il ne suffit pas de prescrire vaguement la douche, si on ne détermine avec soin toutes les circonstances de son application , si on ne fixe tous les préludes de son usage et les précautions à prendre , si on n'a soin d'indiquer les parties sur les- quelles doit être dirigé successivement ou alternati- vement le filet d'eau, si on ne prononce sur les ex- ceptions qui doivent la faire interdire , ou limiter sa durée et son intensité ; sans cela c'est produire la double sensation d'un froid vif et d'une impul- sion violente sur la tête , avec un état singulier de souffrance dans cette partie. Il en résulte aussi d'au- tres effets sympathiques sur la région de l'estomac, le foie et les poumons, comme l'ont prouvé des expé- riences directes (i). Quelle exaspération, quels ac-


(1) Le docteur Eaquirol a fait sur lui-même des expériences relatives aux effets de la douche , dont il publiera sans doute dans la suite les détails curieux et les résultats. Le réservoir


33» TRAITEMENT MEDICAL

cens de désespoir ne doit point d ailleurs arracher ce. f concours tumultueux d'impressions les plus déchi-: rantes ! Le mot de douche, à la Salpêtrière, doit ré- veiller des idées tout opposées^ jamais elle n'est con- faee aux filles de service qui pourroient en faire un. jeu cruel ou un moyen de vengeance secrète; on a, som d'en écarter tout objet de terreur, et de familia- riser même les aliénées avec ce procédé , en rappe- Jant en riant la menace d'un petit arrosement sur la léte à celles dont la raison n'est point entièrement égarée et qui se livrent à quelque écart. Le surveil- lant lui-même, en parcourant l'atelier delà couture où sont rassemblées les convalescentes, en fait aussi quelquefois un objet de plaisanterie. D'ailleurs, il ne donne jamais la douche que vers la fin d'un bain tem- péré de 22 à 24 degrés au thermomètre de Réau- mur, et jamais elle n'est prolongée au-delà d'une ou deux minutes, en la réduisant à un très-petit filet d'eau froide qu'on fait tomber successivement sur diverses parties de la téte. En hiver , l'aliénée est


du liquide étoit éleyé de dis pieds au-dessus de sa lêle; l'eaa étoit à dix degrés au-dessous de la tempcFature atmosphé- rique; la colonne d'eau avoit quatre lignes de diamètre et tom- boit directement sur sa tête ; il lui sembloit à chaque instant qu'une colonne de glace venoit se briser sur cette partie : la douleur étoit très-aiguë lorsque la chute de l'eau avoit lieu sur la suture fronto-pariétale 5 elle étoit plus supportable lors- qu'elle étoit dirigée sur l'occipital. La tête resta comme en- gourdie plus d'une heure après la douche.


DE l'aliénation mentaIe. 355 placée Immédiatement après dans un des iits d'une petite salle adjacente à celle des baîns, et en été , on la ramène dans son propre Ht. Vient-elle à se plaindre , on la console , on l'encourage, et on lui rappelle que si on l'a fait un peu souffrir , ce n é- toit que pour la rendre plus promptement à la fiante. C'est , en général , un faux système que d'a- gir toujours avec un appareil de terreur, de cher- cher à contrarier l'aliéné sans motif, et de pro- voquer sans cesse son irascibilité naturelle , qu'il faut, au contraire, s'efforcer de calmer comme un point fondamental du traitement. A la Salpê- trière , on ne déploie de la rigueur et de la fer- meté que pour dompter l'aliénée , la ramener à l'ordre, et la rendre docile. Aussitôt qu'elle est sou- mise et résignée , que sa raison commence à re- prendre son empire et à la faire convenir de ses torts, tout est changé pour elle, et elle n'a plus que des manières douces et bienveillantes à attendre.

1 Y.

Traitement à suivre durant la première période de la Manie,

278. Un établissement consacré aux aliénés peut réunir les avantages du site à ceux d'un vaste eu- clos et d'un local spacieux et commode. Il manque d'un objet fondamental si, par sa disposition in- térieure , il ne peut isoler les maniaques suivant


354 TRAITEMENT MÉDICAL

leurs périodes d extrême intensité des symptômes, de Jeur déclin Irès marrjué , et de Jeur convoies- cence ; et s'd n'est propre à empêcher leur com. niunication réciproque , autant pour prévenir les rechutes et faciliter l'exécution de tous les régie- mens de police intérieure , que pour éviter les changemens inattendus qui ne tiennent nullement à la marche régulière de la maladie , mais qui eu entravent le cours, et peuvent même quelquefois fan^e naître des obstacles insurmontables. Une dis^ tribulion méthodique des aliénés suivant les trois périodes déjà indiquées , fait saisir avec une grande facilité les mesures respectives à prendre pour leur nourriture , leur propreté , la manière de les diriger au moral, les progrès successifs qu'ils font vers leur rétablissement ou leur état stationnaire. C'est là une sorte d'école permanente propre à faire connoître les lésions diverses de l'entendement et leurs nuances variées d'après des caractères sen- sibles. Le médecin observateur peut-il apprendre ailleurs et appliquer avec justesse les règles fon- damentales du traitement, se familiariser avec les divers degrés d'égarement de la raison, parvenir à connoître celles qui cèdent plus ou moins promp- tement au temps et au régime , celles qui oppo- sent les plus grands obstacles à leur guérison par un étal invétéré , celles enfin qui réclament impé- rieusement l'usage de certains médicamens , même pour tout esprit judicieux et éclairé qui ne veut


DE l'aliénation mentale. 55ij

DÎ s'exagérer leurs effets, ni se dissimuler leurs avantages?

274. La manie accidentelle récente peut, dans les premiers temps, prendre différentes formes (162 ) ;

^ais l'observation la plus constante apprend quo lorsque rien ne contrarie sa marche et qu'on la seconde heureusement par le régime (i5o), les symptômes ne conservent toute leur inten- sité que pendant un temps plus ou moins pro- longé , et que la méthode de porter la débilité à UQ degré extrême parles saignées et une abstinence rigoureuse , ne fait que troubler son cours , la ren- dre plus longue et quelquefois périodique, ou même

n produire un état de stupeur et une sorte d'idio- tisme. Oq ne doit se proposer, si l'aliéné est très- violent, que de rompre sa fougue impétueuse et de rendre vains ses efforts, en maîtrisant les mou- vemens de ses membres supérieurs et inférieurs, à l'aide d'une camisole fixée au bois du lit ])ar des sangles (i) , ce qui ne doit durer que quel- ques jours en général , et on fait ensuite suc,céder


(i) Les aliénées très-violentes qu'on amène sont ordinai- rement contenues , chez elles , par des hommes forts et ro- bustes qui les tiennent fortement fixées , sur leur propre lit, avec des mouchoirs autour de leurs mains, et alors l'aliénée profile des moindres momens de relâche pour faire de nou- veaux efforts et vaincre la résistance qu'on lui oppose , ce qui la lient dans un état permanent d'exaspéi^ation ; au coulraire , dans l'hospice tous les mouyemens sont contenus en même


556 TRAITEMENT Ml'dical

le gilet de force, qui contient seulement les bras

et D'empéche point d'errer librement durant le cours ! du traitement. N'existe-t-il qu'un état maniaque- lolâtre et sans danger, on permet également toute- la journée la liberté des mouvemens pour laisser* ■ évaporer, pour ainsi dire, une mobilité trop ef. fervescente , et surtout calmer l'irascibilité ex- trême qui tient h l'aliénation , et qui ne fait que s'aigrn; par la réclusion et la contrainte.

275. Un médecin observateur ne peut pas con- fondre la manie avec ce qu'on appelle fièvre ma- ligne ou ataxique,qui est très-dangereuse, comme on en voit quelquefois des exemples dans l'infir- merie des aliénés. Il ne faut point s'arrêter ainsi aux apparences fébriles que manifestent souvent les aliénés dans les premiers temps , comme la pâ- leur de la face ou sa rougeur, la fréquence du pouls, et une odeur très-fétide, puisque cet état cède bien- tôt à l'usage des délayans et des boissons acidulées ; c'est d'ailleurs très-souvent l'effet d'une abstinence rigoureuse qu'on a imposée d'abord aux aliénés.


temps par la camisole dont les liens lui sont cachés, puisqu'ils s'attachent par derrière: l'aliénée alors a beau se débattre dans les premiers temps, tous ses efforts sont impuissans, et elle n'en voit point la cause ; aussi elle finit souvent par se résigner et devenir tranquille, et son irascibiUté s'appaise par degrés: aussi voit-on souvent des aliénées, qu'on déclare être très-fu- rieuses loi'S de leur admission, qui quelques jours après deviennent tranquilles.


DE l'aliénation MENTALE. 53y

qu'on les force de garder pendant long-temps, tandis que l'observation la plus constante apprend qu'ils sont, en général, très-voraces : aussi en con- tractent-ils souvent un délire famélique qui vient se joindre à l'autre et ajouter à sa violence. Un des premiers objets à remplir lors de leur arrivée dans l'hospice , est de leur fournir une nourriture abondante ; et , par le seul point du régime , on voit s'opérer souvent , dans la quinzaine , le chan- gement le plus favorable. Un des exemples les plus frappans de ces abus est celui d'une dame qui avoit été saignée plusieurs fois, et condamnée chez elle pendant plus d'un mois, par ordre du méde- cin , à une diète si rigoureuse , qu'on ne lui per- mettoit pas même de prendre du bouillon gras dans les tourmens de sa faim dévorante; elle avoit été jusqu'à mâcher et avaler même plusieurs mou- choirs, etelleétoitdans un état de langueur extrême lorsqu'elle fut transférée à l'hospice. On com- mença par lui donner des alimens dont elleparois- soit insatiable , et on lui ht faire des repas modé- rés, mais fréquens. Son délire, qui avoit été des plus furieux au sein de sa famille , puisque quatre hommes des plus forts suffisoient à peine pour la contenu- dans son ht, diminua d'une manière très- marquée, au point que, vers le huitième jour , on lui permit d'errer librement dans l'infirmerie seu- lement avec le gilet de force. On continua de lui fournu^ des alimens les plus substantiels : laitage


U2


358 TRAITEMENT MEDICAL

chocolat au déjeuner , des potages gras , de la viande, du poisson au dîner, avec quelques plats de végétaux, et le soir des fruits cuits ou des con- fitures. Vers le quinzième jour, on lui rendit la liberté des mouvemeus , et elle fut en état de se promener dans les cours eu redingotte simple, comme les convalescentes.

276. C'est du concours et de l'ensemble de plu- sieurs moyens physiques et moraux que résulte le traitement des aliénés dans la première période de ia maladie : leur isolement , la manière de les con- tenir adaptée à leur état particulier, l'attention de les nourrir , et de débarrasser l'estomac s'il paroît surchargé ; le soin de faire cesser leur réclusion îiussitôt qu'il est possible , et de leur faire respirer l'air du^ dehors pendant toute la journée ; la li- berté entière ou limitée des mouvemens qu'on leur ^accorde , s'ils ne sont point dangereux; les boissons acidulées qu'on oppose à leur soif et à leur ardeur intérieure j l'art de saisir leurs premiers momeus lucides pour les encourager et les calmer; l'étude particulière qu'on fait de leur caractère individuel et de leurs idées fantastiques; enfin, une extrême surveillance pour écarter tout ce qui peutles exaspé- rer, mais en opposant en même temps à leurs écarts une fermeté inflexible. Ce n'est point, en général, leur agitation, quelque violente qu'elle soit, qui peut déconcerter, puisqu'elle tient à la nature de la maladie , et que tous les moyens de la comprimer


DE l'aliénation MENTALE. BSy

sont prévus» Oa cherche, par des médicamensdoux et d'uu effet Jent, à produire une détente géné- rale, à diminuer l'énergie vitale par l'usage des bois- sons mucilagineuses, émulsionnées ou acidulées, en entremêlant par intervalles l'usage des laxatifs pour prévenir les effets d'une constipation qui Jeur est habituelle , ou de quelque léger cal- mant pour faire cesser l'insomnie. On joint à ces moyens internes l'usage des bains tempérés , pris les jours alternatifs (2o3) , quelquefois aveô une légère douche vers la fin du bain. On ne brusque , on ne précipite rien ; ou suspend de temps en temps tout médicament pendant plu- sieurs jours pour laisser à la nature les moyens de <îévelopper ses efforts conservateurs , et on revient ensuite alternativement à ceux qui peuvent la se- conder. On diminue ainsi peu à peu l'impulsion des fluides vers la tête, en avançant lentement y ers le terme proposé, sans rien mettre au hasard. L'excès d'agitation et les divagations secalmetit ainsi par degrésj les momens lucides se multiplient da- vantage , et l'aliénée, en devenant susceptible de passer de la première division dans la seconde, est préparée à recevoir encore des améliorations ulté- >rieures.

277. Exposer les règles générales du traitement, c'est être loin d'exclure les modifications dont elles sont susceptibles, elles égards qu'on doit avoir, dans d^s cas particuliers, à une foule de circonstances


54o TRAITEMENT MEDICAL

accessoires. Une jeune personne pléthorique et su- jette à des hëmorriiagies , sera-t-elle dirigée sans restriction de la même manière qu'une aliénée foible, exténuée ou sujette à des affections spasmodiques? et une évacuation sanguine utile à l'une d'elles n© pourra - 1 - elle point être déplacée et nuisible à l'autre ? Le plus grand nombre d'aliénés de l'un et l'autre sexe reçoivent les soulagemens les plus marqués de l'usage des bains tempérés , quel- ques-uns ne peuvent supporter que des bains froids. Suivra-t-on strictement les mêmes moyens contre un égarement produit par une frayeur sur une jeune personne , et contre celui que peut amener ce qu'on appelle époque critique? N'aura-t-on point égard , dans le choix des moyens , à la ma- nie qui vient de la rétropulsion d'une dartre , d'un érysipèle ou de tout autre exanthème ? Des excès opposés peuvent également jeter dans le dé- lire maniaque : une vie très-laborieuse ou un état apathique, une continence forcée ou un abus sans frein des plaisirs , une sobriété portée jusqu'au dernier degré d'abstinence ou l'abus toujours croissant des liqueurs alcoolisées. A travers toutes ces modifications dont est susceptible la méthode générale, et qui peuvent exiger tour-à-tour l'u- sage des antispasmodiques (i) , des évacuans, des


(i) C'est sans doute ouvrir la voie à une foule de petits iDoyens dont on fait si «ouyent un usage arbitraire en raé^e-


DE l'aliénation MENTALE. 54i

Ioniques ou de quelque exutoire , on croît voir toujours un principe fondamental autour duquel lout vient se rallier. C'est que , dans cette maladie comme dans beaucoup d'autres, la nature tend à guérir et à rétablir dans leur régularité les fonc- tions de l'entendement (20o),bors les cas incura- bles dont je parlerai dans la suite. 11 s'agit seule- ment d'être fidèle aux lois générales de l'hygiène , de seconder les efforts conservateurs, et de leur don- ner le temps de se développer. C'est ainsi, par exemple , que dans la manie produite à la suite des couches , la sécrétion du lait étant troublée ou dé- tournée sur l'origine des nerfs , on a soupçonné la nécessité d'un vésicatoire appliqué à la nuque , et l'expérience la plus réitérée confirme chaque jour l'efficacité de cette pratique.

278. « Les livres de médecine , s'écrie Montes- » quieu, ces monumensde la fragilité de la nature et » de la puissance de l'art, qui font trembler quand ils » traitent des maladies même les plus légères , tant » ils nous rendent la mort présente , mais qui nous » mettent dans une sécurité entière quand ils par- » lent de la vertu des remèdes , comme si nous » étions immortels» I Ce trait d'une fine critique ^ si digne d'être appliqué à une foule immense d'é-


cine, en y attachant un grand prîxj mais un jugement sain fait obtenir des effets plus sûrs par des moyens plus grands, sans négliger ceux qui ne sont qu'accessoires.


TRAITEMENT MEDICAL

crils sur la médecine, qui ornent ou surchargent nos bibliothèques , peut-il ne point se retracer à la mémoire , lorsqu'on entend sans cesse répéter dans les ouvrages sur la manie les termes vains d'm- tempérie du cen^eau , de préparation des hu^ ■meurs avant leur évacuation, du siège de la ma- tière peccante , de sa prétendue révulsion ou répulsion , etc.? Ces mêmes rétlexions philoso- phiques ne sont-elles pas jiistiHées par un long recensement des poudres, des extraits, des juleps, <ies ëiectuaires , des potions , des épithèmes , etc. , destinés à triompher de l'aliénation mentale ? Et cjue doit-on penser de la loi si religieusement ob- servée jusqu'à nos jours des saignées répétées sans distinction des causes excitantes , des variétés du sexe et de la constitution individuelle , des espèces diverses d'aliénation et des périodes de la maladie? Mais faut-il confondre les résultats vrais de ro!> servation avec les écarts d'une doctrine qui tient aux préjugés, à l'esprit d'hypothèse, au règne du pédanlisme et de l'ignorance, quelquefois à l'au- torité des noms célèbres ?

279. Un déluge d'écrits fastidieux et de compila- tions vaines,le laugageridiculedel'école et la fureur de tout expliquer, sont des aberrations communes à presque toutes les sciences; et qu'importe à la phy- sique moderne l'ancienne doctrine d'Aristote et des tourbillons de Descaries ? La médecine même , au jugement de l'homme de goût le plus sévère » n'a- 1-


DE l'aliénation MENTALE. 345

elle point donné l'exemple , dès son berceau, delà r«archela plus sage el la plus circonspecte, d'une Jo<;iqae saine et rigoureuse ? et qui peut refuser ces qualités à Hippocrate? Ce qu'ont écrit sur la marne- quelques auteurs anciens, comme Arétee , Celse , Mius Aurélianus , neporte-t-il point le caractère le plus épuré de l'esprit d'observation? Depoud- îez certains auteurs , comme Forestus , Horstius » Plater, Valeriola, etc. , de leurs explications scien- tifiques et de la surcbarge extrême de leur poly- pharmacie , que de faits précieux ils nous ont trans-^ mis sur cette maladie ! On en trouve encore d'au- tres plus précis dans les collections des Acadé- mies, les ouvrages périodiques elles recueils par- ticuliers d'observations. Fériar , le docteur Per- fect en Angleterre, el Laughter en Allemagne, ont fait des essais de quelques remèdes simples , et i\s ' montrent assez qu'on est déjà sur la véritable voie desrechercbes. La marche que je suis étend encore plus loin le domaine de la science , et fait voir dans quelles bornes doit être renfermée la prescrip- tion des médicamens, puisque souvent une mé- thode expectante, secondée par le régime moral ou physique, peut suffire, et que dans d'autres cas le mal est au - dessus de toutes les ressources. Telle est donc la tâche que je me suis proposé de remplir dans l'état actuel de nos connoissances : donner la plus grande importance à l'histoire de l'aliénation mentale , et faire une distinction sé^


344 TRAITEMENT MEDICAL

vère de ses diverses espèces , pour ne point tenter «outdement ou diriger au hasard le traitement; rap- peler a des règles précises la direction et la ;olice intérieure des maisonsde saute ou des hospices d'alié- i^es, puisqu'il est comme impossible de les traiter avec succès au sein de leurs familles ; faire sentir vivement la nécessité des dispositions locales pro- pres à la distribution méthodique de ces infirmes suivant les périodes de la maladie ; placer dans le premier rang les soins éclairés dune surveillance assidue , et le maintien le plus sévère de l'ordre de service; indiquer les remèdes simples que l'ex- périence semble ratifier, les précautions, l'époque de la maladie , l'espèce d'aliénation qui peuvent en assurer le succès , apprendre enfin à réserver pour des cas extrêmes et regardés jusqu'ici comme incurables , l'emploi de certains remèdes actifs , que d'autres circonstances pourroient rendre su- perflus , nuisibles ou téméraires.

280. Ce seroit un fonds inépuisable d'historiettes plus ou moins piquantes, que le rapprochement des observations particulières rapportées par les médecins, sur les lésions de l'imagination des mé- lancoliques, sur les illusions qui les dominent, et sur (i) les expédiens plus ou moins ingénieux qu'on

CO Parmi les mélancoliques , les uns ont cru avoir la tète remplie d'une matière pesante , d'antres se sont imaginé l'avoir vide ou desséchée. Un d'eux croyoit avoir eu sa tête amputée


DE l'aliénation MENTALE. 345

a tentes pour les guérir. On regarderoit même ces faits comme des contes frivoles , si les hospices ne fourmilloient de pareils exemples, d'autant plus saillans , qu'ils sont souvent l'écueil de tous les moyens que peut employer la médecine. C'est dans l'extrême intensité d'une idée exclusive et propre à absorber toutes les facultés de Fentenderaent, que consiste la mélancolie , et c'est ce qui fait la difficulté de la détruire. Feint-on d'être du même avis que le mélancolique, il se complaît dans sou idée; veut-on le contrarier, il s'emporte. Son état tient-il à un certain dérangement physique , il peut céder quelquefois aux évacuans ; mais très-sou- vent la débilité qui en est la suite l'augmente et


par ordre d'un despote. Son médecin, Philodotus, pour lui persuader le contraire , fit faire un bonnet de plomb qu'il lui ordonna de porter, et dont la pesanteur extrême servit à le convaincre que sa tête étoit encore sur ses épaules. Un homme mordu depuis quelques jours par un chien inconnu, se per- suade qu'il est enragé , et assure même un jour son frère qu'il est dominé par le désir de le mordre ; ce dernier feint d'entrer dans ses vues , mais il lui répond qu'à l'aide de cerlaineg prières ou formules , le curé peut parvenir facilement à le gué- rir. Le prêtre le seconde dans cette heureuse supercherie , et le mélancolique crédule ne doute plus de sa guérison : ces moyens moraux sont secondés par l'usage d'une boisson pré- tendue anti-hydrophohique. D'après l'expérience la plus constatée, l'illusion se dissipe, et il ne reste plus rien de l'idée exclusive et dominante de la rage.


346 TRAITEMENT MEDICAL

l'exaspère. Ce n'est même qu'en combinant l'usagé du quinquina avec l'opium qu'on remédie à la mé- lancolie marquée par l'alonie et un abattement ex- trême , comme j'en pourrois citer plusieurs exem- ples. La suppression d'uneéruption cutanée ou d'un exutoire lui donne -t-elle lieu, un séton ou un cautère devient nécessaire. Fériar , consulté par les amis d'un jeune liomme tombé dans la plus pro- fonde mélancolie , fait diverses questions relatives à ses causes. Il apprend que, depuis plusieurs an- nées , le malade étoit sujet , au j)rintemps , à une éruption herpétique qui occupoit une partie du dos en s'étendaut jusqu'à l'épaule , et que la délî- tesoence de cette éruption avoit été l'époque de l'invasion de la maladie : il prescrit un séton à la nuque. Du troisième au quatrième jour, il s'établit un écoulement d'une matière très- fétide. Dès-lors l'état moral change et s'améliore successivement; un rétablissement complet devient ensuite le fruit d'un exercice de corps soutenu de l'usage du bain de mer et d'un régime tonique.

281. Le délire mélancolique offre encorebien plus d^obstacles à la guérison , puisqu'on n'a rien à at- tendre des efforts Spontanés de la nature, et que le traitement moral a besoin de seconder puissam- ment les moyens physiques. Il règne alors un cer- lain ordre d'idées qui sourient à l'imagination, et qui se lient à une passion dominante. C'est une sorte d'enchantement qui ne permet ni conseils ni


DE VAtlE NATION MENTALE 347

remontrances , et qui est souvent uni avec une iras- cibilité extrême. L un ne rêve qu'honneurs et di- gnités; l'autre s'égare dans des notions mystérieu- ses du culte; quelques-uns refusent avec obsti- Dation toute nourriture. Un objet encore bien plus Jugubre eu occupe d'autres : c'est le penchant le plus irrésistible au suicide. Quelles que soient les idées exclusives quis'emparentdel'esprit du mélan- colique , bizarres ou raisonnables , il y lient souvent avec une obstination que rien ne peut vamcre , et qui lui fait repousser avec indignation tout ce qu'on peut lui suggérer de contraire, tandis qu'à toutautre égard son jugement est sain. C'est bien pire encore lorsque l'orgueil le plus emphatique et les préten- tions les plus exagérées viennent aggraver cette humeur sombre et atrabilaire. Une hauteur froide et dédaigneuse qui laissoit à peine échapper quel- ques mots par intervalles, dislinguoit particulière- Bientun jeune homme confié à mes soins, et je pré- vis, dès le premier temps, son incurabiUté absolue , ce que l'expérience et le temps n'ont fait que con- firmer. Un extrême opposé, une humilité plus que chrétienne , n'oppose pas moins de difficulté à la guérison , à moins qu'on ne parvienne par degrés à prendre de l'ascendant sur l'esprit du mélanco- lique , et à gagner entièrement sa confiance. Une ancienne religieuse, d'un caractère foible et timoré , avoit pris l'habitude de se reprocher les omissions les plus légères , ei de se croire lu femme la plus


"548 TRAITEMENT MÉDICAL

cHminelle. Pourquoi, disoit-elle, ne pas lui impo- ser les plus grandes privations ou les punitions le, plus ngoureuses? Tel étoit le sujet continuel de ses réclamations fet de ses plaintes dans l'hospice des aliénées; ce qui lui attira un jour une brusquerie de ia part du surveillant pour la faire rentrer en elle-méme(i).EIle commença dès-lors à éprouver des doutes et des incertitudes sur son état, puis, qu un homme plein de droiture n'en tenoit aucun compte. Elle se défia d'elle-même , demanda des conseils éclairés, et son rétablissement fit ensuite des progrès rapides.

282. C'est souvent bien moins par les médica- mens que par des moyens moraux , et surtout par "ne occupation active, qu'on peut faire une heu- reuse diversion aux idées tristes des mélancoliques, ou même changer leur enchaînement vicieux ; mais que de difficultés pour prévenir leurs rechutes!

283. Un ouvrier, durant une des époques les

(i) Je n'ai pas besoin de rappeler les autres moyens phy- siques propres à combattre la mélancolie , puisqu'ils se rap- portent en très-grande partie à ceux que demande la manie. L'hellébore d'Antycire a été célèbre à cet égard dans l'anti- quité , et on sait toutes les précautions dont on avoit coutume d'user pour le rendre moins dangereux. On ne doit pas perdre de vue ces résultats d'une longue expérience'; mais la matière médicale permet aujourd'hui de lui substituer d'autres pur- galifs plus ou moins actifs , et plus propres à produire, avec moins d'inconvéniens, des effets analogues.


DE l'aliénation Mentale. 349 plus effervescentes de la révolution, laisse un jour échapper en public quelques réflexions sur le ju- gement et la condamnation de Louis XVI ; son pa- triotisme devient dès-lors suspect dans son quartier, et sur quelques indices vagues et quelques propos menaçans dont il s'exagère le danger , il se retire un jour chez lui tout tremblant et dans une sombre consternation : plus de sommeil , plus d'appétit , dégoût pour le travail , frayeurs continuelles ; il fi- nit par se croire une victime dévouée à la mort, est désigné comme tombé dans l'égarement et trans- féré à Bicêtre , après le traitement ordinaire fait alorsàrfîôtel-Dieu. L'idée d'être condamné à périr par la guillotine l'absorbe tout entier nuit et jour ; il ne cesse de répéter qu'il est prêt à subir son sort , puisque rien ne peut l'y soustraire. Un tra- vail assidu et l'exercice de sa profession ( il étoit tailleur d'habits) parurent les plus propres à chan- ger la direction vicieuse de ses idées : on engagea l'Administration à lui accorder un léger salaire pour réparer les vêtemens des autres aliénés de l'hospice. Rien n'égale son zèle et son ardeur pour se rendra utile , nul instant de la journée n'est perdu , et après environ deux mois d'une occupation sérieuse, on le croit entièrement changé ; nulles plaintes , nuls propos ne rappellent sa prétendue condamnation à mort ; il parle même avec un tendre intérêt d'un enfant de six ans qu'il paroissoit avoir oublié , et il témoigne ua désir extrême de l'avoir auprès de kii.


35o TRAITEMENT MÉDICAL

Ce réveil de sa sensibilité me paroît du plus Leu- reuxaugure; oului procure encore cette jouissance. Rien ne semble alors manquer à ses désirs; il se livre au travail toujours avec un nouveau plaisir, et il ne cesse de répéter que son enfant, qu'il avoit toujours auprès de lui, fait le bonbeur de sa vie.

284. L'expérience a constaté l'effet de quelques remèdes simples pour prévenir le retour des accès mélancoliques qui conduisent au suicide ; mais sou- vent aussi elle a montré leur insuffisance , et en même temps l'avantage d'une émotion vive et pro- fonde pour produire un changetnent solide et du- rable.

285. Un ouvrier livré à un travail sédentaire, vint me consulter vers la fin d'octobre 1783 , sur luie perte d'appétit, une tristesse excessive et sans cause connue, enfin un penchant insurmontable pouraller se précipiterdansla Seine. Des signes non équivoques d'une affection gastrique font prescrire l'usage de quelques boissons relâchantes , et pen- dant quelques jours celui du petit-lait. Le ventre devient beaucoup plus libre, et le mélancolique, très -peu tourmenté de ses idées de destruction pendant l'hiver , eu est exempt pendant la belle sai- son, et on regarde sa guérison comme complète ; mais vers le déclin de l'automne , nouveau retour des accès , voile sombre et rembruni répandu sur toute la nature , impulsion irrésistible vers la Seine pour y terminer sa vie; il dit être seulement re-


DE l'aliénation MENTALE. 35t

tenu par l'idée (l'abaadoaner à eux- mêmes un ca- lant et une épouse qu'il chérit avec tendresse. Ce çombat intérieur entre les sentimens de la nature et le délire frénétique qui l'arme contre sa propre existence, fut cette fois de peu de durée j on eut bientôt la preuve la plus authentique qu'il avoit exécuté son projet funeste et suivi son aveugle désespoir.

236. Un homme de lettres , sujet à des excès de (table, et guéri depuis peu d'une fièvre tierce, éprouve vers l'automne toutes les horreurs du pen- chant au suicide , et souvent il balance avec un calme effrayant le çhoh de divers moyens propres à se donner la mort. Un voyage qu'il fait à Londres semble développer avec un nouveau degré d'éner- gie sa mélancolie profonde, et la résolution iné- branlable d'abréger le terme de sa vie. Il choisit une lieure très-avancée de la nuit , et se rend sur un des ponts de cette capitale pour se précipiter dans la Tamise; mais au moment; de son arrivée, des voleurs l'attaquent pour lui enlever toutes ses res- sources, qtii étoient très - modiques ou presque nulles; il s'indigne, il fait des efforts extrêmes pour s'arracher de leurs mains , non sans éprouver la frayeur la plus vive et le plus grand trouble. Le combat cesse, et il se produit à l'instant une sorte de révolution dans l'esprit du mélancolique; il ou- blie le but primitif de sa course, revient chez lui dans le même ptatde détresse qu'auparavant, mais


35a TRAITEMENT MioiCAL

enlièrement exempt de ses projets sinistres de sui- cKle. Sa giiérisou a été si complète, que résidant à Tans depuis dix ans, et souvent réduit à des moyens précau^es d'existence, il n'a plus éprouvé le mom- dre dégoût de la vie (i). C'est une vésanie mélan- colique qui a cédé à l'impression de terreur pro- duite par une attaque imprévue.

287. Une croyance aveugle dans la démonomanie ou les prestiges du démon, doit peu étonner dans les écrits de Wierus (2), publiés vers le milieu du


(ï) Je pourrois joindre ici un autre exemple d'une guéri- son analogue de la mélancolie avec penchant irrésistible au suicide : c'est celui d'un horloger tourmenté depuis long- temps par des idées de destruction , et entraîné comme mal- gré lui-même à une maison de campagne pour ne point éprou- ver d'obstacle. Il s'arme un jour d'un pistolet, s'enfonce dans un petit bois j mais il dirige mal le coup, et parvient seule- ment à se fracasser la joue; il s'excite une hémorrhagie trcs- violente, pendant laquelle il est reconnu par un berger et transporté dans sa propre maison pour y être soigné. La gué- rison de la blessure fut opérée lentement ; mais un changement d'une autre nature eut lieu dans ses dispositions morales : soit la commotion produite par l'événement, soit la quantité énorme de sang qui s'écoula , soit toute autre cause inconnue, il n'est plus resté depuis aucune trace de l'ancien désir de se donner la mort. Cet exemple n'est certainement pas digne d'ê- tre imité, mais il n'en montre pas moins qu'une frayeur subite ou une affection très-vive et très-profonde peut quelquefois changer la disposition funeste qui porte l'homme au suicide.

{•3.) Joannis Wieri, Opéra omiùa, in-l^,. Anutelodami, 1660.


DE l'aliénation MENTALE. 553

<îix-septîème siècle, et dignes d'être autant rappor- tes à ]a théologie tju'à la médecine ; c etoient là des erreurs du temps qu'il faut pardonner à un auteur si soigneux de décrire les formules des exorcismes ) le don de prédire l'avenir accordé au Démon, les tours perfides et malins qu'il a joués en prenant la forme humaine, les traits des personnages célèbres fjii'il a empruntés en divers lieux pour se montrer sur la terre. «Qu'un homme, dit le judicieux Méad ,

déchiresesvétemens et marche nu, qu'il frappe >^ de terreur tout ce qu'il rencontre, qu'il se fasse » à lui-même de profondes blessures, qu'il soit si » furieux qu'il rompe les chaînes les plus fortes, ^> qu'il s'enfonce dans les lieux les plus solitaires » et qu'il eure sur les tombeaux, qu'il crie enfiu » qu'il est possédé du Démon , ce ne sont que des

actes de folie , et c'est là, ajoute-t-il , à quoi se ré-

i> duittoutce qu'on nousracontedesdémoniaques»» 1 ne faut d'ailleurs qu'entrer dans les hospices d'in- ensés pour réduire à leur juste valeur toutes ces ■prétendues possessions, ou plutôt ces idées vision- maires des mélancoliques ou des maniaques. Une

onvalescente employée à titre de fille de service

fut effrayée des menaces d'une aliénée , et une des nuits suivantes elle est frappée de Tidée que le Diable ni avoit donné quatre soufflets; elle croit même le voir dans un coin de sa loge , au-dessous du drap le lit et de la couverture qui se trouvoient roulés à ci re par une suite de ses mouvenieus désordonnés

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354 TRAITEMENT MÉDICAL

et de son agitalion extrême. Elle ëtoit transie de frayeur et poiissoit de temps en temps les cris les plus vifs, se Irouvanl dans une obscurité profonde el livrée à toutes les illusions de son imagination égarée. Le surveillant fait ouvrir la porte, ordonne qu'on apporte une chandelle allumée, déroule lui- même le linge entassé, pour faire voir que le Diable n'étoit nullement caché au-dessous j il parle avec force à cette visionnaire, lui rappelle les témoi- gnages de confiance qu'elle lui a donnés en tout temps , et l'exhorte à être tranquille. Il éloit pru- dent de ne point la laisser en proie aux écarts de son imaguiation dans un lieu où tout pouvoit lui en re- tracer un triste souYenir j elle fut transportée dans une autre loge, dont on lui fit examiner toutes les parties pour la bien rassurer contre la présence du prétendu Démon; quelques bains et l'usage des boissons délayantes ont calmé peu à peu ce délire mélancolique, et cette jeune personne est revenue à ses fonctions ordinaires.

288. On sait qu'autrefois, à Besançon, la fête du Saint-Suaire étoit célèbre par le concours nombreux, d'aliénés sous le titre de démoniaques, qu'on ame- noit de très^loin pour être guéris, dans l'idée que le; Démon ne pouvoit manquer d'être chassé du corps; des possédés par cette cérémonie religieuse. UnQ; foule immense de spectateurs placés en amphithéâtre? autour d'un lieu élevé , quelques prétendus démo- niaques contenus par des soldats, et agités par desi


{


DE L*ALIÉNATI0N MENTALE. 555

mouvemens de fureur avec des cootorslons ef- frayantes ; des prêtres en habits de cérémonie pro- cédant gravement aux exorcisœes j dans l'intérieur de l'église et hors de la vue du vulgaire , les acceus mélodieux d'une musique guerrière; à un signal donné une sorte d'étendard élevé dans les airs, ou plutôt un drap ensanglanté sous le nom de Saint- Suaire , qu'on moutroit à trois reprises différentes au bruit du canon de la citadelle; la commotion profonde communiquée au peuple rassemblé, qui s'écrioit dans un excès d'enthousiasme , miracle l miracle 1 tel étoit le spectacle pompeux et solemnel qu'on donnoit chaque année comme les effets d'un© puissance surnaturelle pour la guérison des démo- niaques. Il est permis d'écarter tout ce qui peut tenir au merveilleux dans cette ancienne coutume, s'il y a eu quelques guérisons , et de ne voir là que le résultat combiné de plusieurs impressions fortes propres à produire sur quelques aliénés une révo- lution profonde, etàfaire dissiper les illusions d'une imagination égarée.

V.

Sur l'usage de certains remèdes plus ou moins actifs , et propres à seconder les mesures du traitement général»

289. Cétoit un point de doctrine très-important parmi les anciens que l'usage de l'ellébore contre la-vésanie, le choix, la préparation, l'administr*^


556 TRAITEMENT MEDICAL

tion (le ce végétal, les remèdes préliminaires, les précaulious propres à seconder son action et à faire éviter ses effets pernicieux ; car l'expérience avoit prouvé que ce drastique produisoit quelque- fois des superpurgations violentes , des vomisse- mens opiniâtres, des convulsions, des inllamma- lions des intestins , et la mort môme. Je renvoie, pour la connoissance de ces détails, aux articles Ellébore , Elîéborisme , que j'ai insérés dans l'Encyclopédie méthodique par ordre de matiè- res. La désuétude dans laquelle est tombé ce re- mède doit exciter sans doute peu de regrets , soit qu'on considère que son administration se ré- duisoit à un aveugle empirisme , soit qu'elle fût dépourvue de tout fondement solide, c'est-à-dire de la connoissance historique des symptômes et des diverses espèces de l'aliénation mentale. La médecine maintenant éclairée par les progrès de la chimie et de la botanique, est bien plus heu- reuse dans le choix des purgatifs et des émétiques, puisqu'elle en possède de très-simples, et que leur action peut être déterminée avec précision , sans être suivie d'aucun danger ; mais on doit toujours regarderies médicamens comme des moyens acces- soires , dont on fait un usage d'autant moins in- discret , qu'on on a des vues plus étendues et des ressources plus assurées dans l'ensemble des autres moyens moraux et physiques. J'ai fait remarquer en parlant des accès de la manie périodique, qu'ils


DE l'aliénation mentale. tiS;

sont pour la plupart précédés d'une sorte de cons- tipation et d'une sensibilité extrême du conduit in- testinal ; en sorte que si on donne à temps une boisson abondante d'une décoction de chicorée avec quelque sel purgatif, on ramène la liberté du ventre , et on fait disparoître tous les avant- coureurs d'une explosion prochaine de l'accès. C'est une vérité si connue dans les hospices et fondée sur un si grand nombre de faits , qu'un aliéné attaqué de ces affections intestinales est à peine conduit à l'infirmerie qu'on le soumet à l'usage de cette boisson laxative, et que le plus souvent l'accès prochain est prévenu , surtout lorsque la manie est sujette à des périodes irré- gulières et correspondantes aux variations des sai* sons. J'ai aussi très-souvent remarqué qu'une diar- rhée spontanée qui survient dans le cours ou le déclin d'un accès de manie , a tous les carac- tères d'une évacuation critique , et peut faire pré- sager une guérison prochaine en dirigeant ensuite l'aliéné avec prudence; et sur ce point mes obser- vations sont conformes à celles qu'on a faites en- Angleterre.

290. L'esprit général qui règne maintenant dans toutes les sciences physiques doit rendre de plus en- plus sobre sur l'explication des phénomènes en^ médecine ; mais on n'en doit pas moins reconnoitre , en écartant tout raisonnement arbitraire, les rap- ports Gonstans qui paroissent exister entre certaines»


358 TRAITEMENT MEDICAL

affections qu'on croit éloignées et qui sont dans une sorte d'enchaînement réciproque : telles sont celles de l'estomac et de l'abdomen, qui correspondent aux écarts de l'entendement et aux emportemens fou- gueux de la volonté. Le cerveau paroît sans doutele siège des fausses sensations et des illusions du juge- ment; mais l'estomac, les intestins exerceiït quelque- fois une influence très -active siur ces dérangenaens, et des cliangemens gradués produits sur les fonctions de ces derniers ont visiblement des effets très-ma- uifesles sur les autres. On ne peut méconnoître sur ce point une conformité générale entre les méde- cins anciens et les meilleurs observateurs d'entre les modernes, français, anglais ou allemands. Le doc- teur Perfect, qui a publié en Angleterre un recueil judicieux d'observations sur les aliénés , combine en général quelquefois l'usage des émétiques , et souvent celui des purgatifs, avec les autres moyens du traitement , et reconnoît avoir souvent à remé- dier à une constipation opiniâtre, qui est un effet de la maladie, et qui la fomente à son tour. C'est ainsi qu'il fait prendre alternativement avec le bain chaud , le tarlrile de soude ou le tarlrite de potasse , soit seul dans une décoction d'orge , soit allié avec une substance douce et sucrée , comme la manne. Il fait user de ces boissons pendant deux ou trois jours, et il les suspend ensuite pendant une ou deux semaines pour y revenir encore de la même manière. Quelquefois il les fait prendre dans


DE l'aliénation MENTALE^ SSg

line émulsion d'amandes, suivant les circonstances de 1 âge , du sexe ou de la sensibilité individuelle.il parle d ailleurs eu termes modérés de ces moyens subsidiaires , et il les fait regarder comme une sorte d appendice aux autres moyens généraux du trai- tement. Les boissons babituelles qu'il prescrit dans les même*ipas sont suggérées par des vues analo- gues. Ce sont tantôt du petit-lait simple ou vineux, de la décoction d'orge avec la gomme arabique et le sucre, et une légère limonade ou orangeade; tantôt d'autres boissons semblables , mucilagineuses, sucrées et acidulées.

29 1 . Peut-on révoquer en doute quel' observation ait conduit en France aux mêmes résultats , et que dans l'bospice des aliénées , comme dans l'établis- sement du docteur Esquirol, tous deux formés de- puis près de dix ans , on fasse aussi un usage ha- bituel des mêmes boissons douces et des bains , en entremêlant de temps en temps quelque laxatif, ou un cathartiqne plus ou moins actif, suivant les circonstances? 11 y a seulement cette différence dans le second de ces établissemens, que les personnes soumises au traitement tiennent, en général, à des familles riches , et qu'on peut y donner avec pro- fusion des boissons agréables , l'eau sucrée , la li- monade, l'orangeade, les décoctions d'orge avec différens sirops , les émulsions d'amandes, le petit- lait nitré , ou associé avec quelque substance saline et purgative, etc.j ce qui ne peut point av&ir


$6o l^ftAlTEMENT MEDICAL

]leti dans mi ëlablissemeiit uatîonal, où doivent |)résidei> l'orib e et une économie sévère. Sous d au- tres rapports , ou a en France les mêmes regrets à formel' Cju en Aii£.|eterre,puisc|nedans l'uueet l'aii- trç contrée les aliènes ne sont souvent soumis à un traitement régulier et comljiiié qu'après avoir passé parles dures épreuves d'uue polyphaijnacie coo,- fuse el dirigée d'uue manière empirique. C'est aiusi> par exemple, que le médecin anglais dit qu'un aliéné , avant d'avoir été confié à ses soins , avoit été saigné quatre fois en trois mois-, que les vési- catoires avoient été appliqués à l'occiput , au dos et .aax jambes j qu'on avoit déjà pratiqué un sétou à la nuque ; qu'on avoit fait succéder les violens .catbarliques aux légers laxatifs; que les gommes fétides et autres anlibystériques avoieut été sans effet , de même que les vomitifs, les ventouses scarifiées, les ]>ains froids, et qu'eu dernier résuU lat, ces divers moyens prodigués ainsi- au hasard, ' ,^u lieu de diminuer l'égarement de la raison , na- voient fait que l'augmenter. Il seroît facile de eitei? plusieurs exem^ples analogues pris du même auteur, et de les rapprocher de ce qui se passe en France ^vant l'admission dans l'hospice des aliénées; ce .qui forme autant d'obstacles aux heureux effets d'un traitement régulier. Je passe les uns et les autres sous silence, puisqu'on les imagine sans peine , et qu'ils dérivent tous de la même cause, de J'iguorauce., eu géuérul , des vrais principes du


DE l'aliénation MENTALE. 56t

traitement de l'aliénalioii mentale. Mais il importe de faire connoître un dévoiement syraplomatiqae très- douloureux, et avec le sentiment d'une cha- leur brûlante qui se manifeste quelquefois durant les accès maniaques ou vers leur déclin en automne. J'ai eu souvent occasion d'observer cette affection parmi les aliénés de Bicêtre (i) , et elle étoit por- tée quelquefois à une si grande violence , que j'en ai vu quelques-uns se rouler à terre avec les signes des angoisses les plus extrêmes, et mourir quel- ques jours après, sans que les caïmans ni les mu-


(i) Il faut tlislinguer cette diarrhée symptomatique de èelle qui est bénigne, sans douleur , provoquée ou naturelle. 'Périsr {MedicaUiistories ,e\.c.) rapporte l'exemple d'une aliénaiion guérie en grande partie par une boisson éniétiséé qui a agi pendant quelques jours à titre de purgatif. Une femme robuste, âgée de vingt-cinq ans, maniaque depuis peu d'années, éloit tombée dans un état de fureur; ellepritdu tar- tre émétique {tartrite antimo?iiè de potassé) à petites doses, et pour eyatretenîr seulement un état constant de nausées j on appliqua aussi un vésicaloire sur la tête, ce qui, continué pendant sept à huit jours , fut suivi d'un soulagement marqué. Mais le rétablissement paroissoit encore éloigné; alors l'émé- tique fut donné dans du petit-lait pendant quinze jours , et on favorisa la liberté du ventre à l'aide d'un peu de magnésie; on ajouta dans la suite à ce traitement une préparation d'o- pium donnée le soir à l'heure du coucher , et on finit par un purgatif drastique. Le rétablissement s'opéra par degrés, et après un mois d'épreuve, elle fut renvoyée guérie de l'hôpi- tal de Manchester , quatre mois après son admission.


TRAITEMENT MÉDICAL

cilagineiix, donnés en abondance, pussent arrêter les progrès funesles de celle grave afiecLlon des in- teslius. On remarrjuoilen même lemps une grande aridité de Ja peau ; et comme riiospicc des aliénés de Bicétre éloit pi ivé de l'avantage de leur faire pren- dre des bains, je n'avoisdansle premier temps, soit pour prévenir, soit pour guérir cette affection, que des boissons internes qui étoient insufïisantes. Un heureux hasard, ou plulôtune circonstance particu- lière me fit recourir'aux feuilles de la ronce ordinaire ( rubus du metorum L. ) , qu'on fit prendre en décoction , et les premiers essais qu'on en fit eurent lin résultat si favorable , qu'on chargea des gens de service d'aller dans la campagne cueillir une certaine provision de ces feuilles pour ne jamais en manquer au besoin , et pour remédier au mal aussi- tôt qu'il se déclaroit, en faisant prendre une ou mém.e deux pintes par jour de cette décoction. Je dois sans doute attribuer à l'usage fréquent que font les aliénées d^s bains dans toutes les pério- des de leur maladie, la rareté de ces flux sym- ptomatiques , ou la facilité d'en arrêter le cours quand ils viennent à se déclarer; mais dans quel- ques cas rebelles , surtout lorsque des aliénées arrivées récemment dans l'hospice sont attaquées de cette affection intestinale à la suite d'une diète rigoureuse ou d'un refus opiniâtre de toute nour- riture, on a fait l'usage le plus heureux de ce mé- dicament simple. Une dame tombée dans la ma-


DE LALIÉNATION MENTALE. oOo

nie à la suite des couches , avoit été soumise , dans sa famille, à une diète rigoureuse de plus d'au mois, et elle en avoit contracté un devoiement colli- quatif qui faisoit tout craindre pour ses jours lors de son arrivée dans l'hospice , et qui l'avolL déjà réduite au dernier degré d'exténuation et de dé- bilité. On lui fit commencer , quelques jours après , l'usage de la décoction des feuilles de ronce dont elle prenoit près d'une pinte par jour, et on re- marqua , huit jours après, une diminulion si ma- nifeste , que la diarrhée ne reprenoit plus que pen- dant la nuit, et qu'elle fut bientôt terminée.

292. La marche qu'a suivie le docteur Locher , médecin d'un hospice d'aliénés de Vienne en Au- triche, mérite d'être connue, à cause des essais qu'il a faits de certains remèdes, quoique les résul- tats en aient été incertains. Il semble ne comp- ter pour rien les règles de police intérieure de l'hospice , l'étude historique des symptômes de l'ahénation , la division de celle ci en espèces dis- tinctes, celle des aliénés en départemens isolés, les recherches d'anatomie pathologique; il n'admet que la distinction générale du délire maniaque et mé- lancolique , sans mettre même de différence dans le traitement; et jetant un coup d'oeil rapide sur les moyens généraux employés contre cette mala- die, il passe très-succinctement en revue l'nsage des émétiques , des boissons délayantes et acididées, des saignées , des vésicatoh es , et enfin celui des nar-


564 TRAITEMENT MEDICAL

coliques OU préparations d'opium qu'il doniioit le soir pour faire éviter l'insomuie. Si la maladie, ajoute-t-il , résiste, il faut passer promplemeot à un traitemeut plus efficace , de crainte qu'elle ne de- vienne chronique: c'est dans cette vue qu'il a tenté Tusage des antispasmodiques. Le musc a été d'a- bord mis à l'épreuve sur six maniaques (il ne dit rien sur le caractère de la manie ) , et il a été admi- nistré depuis 1 5 grains ( i3 décigrammes) jusqu'à lin scrupule ( 7 décigrammes ) , sous forme de bol, avec le sirop de kermès; on secondoit ensuite la sueur par d'autres moyens subsidiaires : continua- tion de ce remède pendant trois mois , sans obtenir cependant d'autre résultat que celui d'imprégner tout l'bospice d'une odeur très-forte et très-désa- gréable. L'usage de cet antispasmodique a été en- suite remplacé par celui du camphre , dont l'effi- cacité , suivant Locher , tenoit à sa combinaison avec l'acide du vinaigre sous forme de mixture. Il a été conduit dès-lors à essayer l'usage du vinaigre dis- tillé qu'il a fait prendre l'après-dînée , à la dose d'une once et demie chaque jour par cuillerées, à un quart d'heure d'intervalle : neuf aliénés ont été guéris dans l'espace d'un , de deux , ou tout au plus trois mois. Mais on voit combien ces essais sont incomplets, et contribuent peu aux progrès de la médecine, par le défaut de détermination du ca- ractère spécifique de la maladie.

2.g3.- Une opposition apparente dans les résultai*


DE l'aLIINATION MENTALE." 565

€Îe rexpérieDce sur la verlu du camphre , rend sen- sible la nécessité de ne point se borner aux carac- Lères génériques des maladies, et de remonter tou- jours à ceux de l'espèce. Kenneir rapporte , dans les Transactions Philosophiques (i) , quatre exem- ples de guérison de la manie opérée par Tadmi- nistration du camphre. Fériar , autre médecm an- glais, dit l'avoir employé à ^toute sorte de doses contre cette maladie, sans en obtenir du succès. Locher , médecin de Vienne, est aussi du même avis, d'après sa propre expérience. Qu'indique une pareille dissemblance d'opinions , sinon que les uns ont employé le camphre contre certaines espèces de manie, et d'autres contre des espèces ou des variétés très-différentes; mais parmi les médecins anglais , celui qui a fait l'usage le plus constant et le plus ré- pété du camphre sous différentes formes , est le docteur Perfect ( Ajtnals of imaniby ) ; il l'a pres- crit le plus souvent combiné avec le sucre et le vinaigre de la manière suivante :

Pr. Camphre , 5o grains ; Sucre , 6 à 8 onces ; Vinaigre chaud, 12 onces. On en forme une mixture qu'on donne par cuillerées de distance en distance, surtout le soir et la nuit.

294. Mais comme l'usage de ce remède a été


(i) Abrégé des Transact. Philosopft, Méd» et Chirurg, Paris 1791.


366 TRA.1TEMENT MEDICAL

souvent combiné avec des boissons purgatives, cora- i ment peut-on évaluer avec précision son efiicacilé? ( C'est ainsi, par exemple , que dans un de ces cas, ce ( médecin avoit fait appliquer un sélon entre les ] épaules et dans la direction de l'épine , ce qui pro- i duisoit un écoulement considérable ; il fit prendre i en même temps, de trois en trois jours et pendant six i semainessuccessives,uneémulsion d'amandes dans laquelle on faisoit dissoudre de la manne et du tar- Irite de potasse, et on y joignoit encore une boisson l'ormée par une décoction d'orge et une solution de manne. On faisoit prendre le matin des jours in- termédiaires un verre, à différentes reprises, de la mixture précédente dans laquelle ou avoit ajouté encore quelques gouttes d'un mélange d'alcali vo- latil et de teinture de lavande composée. On doit être étonné que dans un siècle où la chimie -a ré- pandu tant de lumières sur la matière médicale , et où l'étude de l'histoire naturelle a dù communi- quer aux médecins un vrai talent observateur, oa puisse se permettre l'usage d'un remède aussi com- pliqué et dont il est si difficile d'assigner les effets directs. Le même médecin a fait remarquer que dans l'espace de dix jours cette aliénée étoit devenue plus calme et plus raisonnable , et qu'elle avoit obtenu pour la nuit un repos plus propre à son rétablisse- ment; ce qui peut être vraîj mais comraentalors établir unerelation entrereffetetunecauseaussiim- pénétrable? En écartant toute cette poljpharraacie


DE L'ALli NATION MENTALE. 367:.

monslrneuse, et en s'en tenant à des principes clairs, il est reconnu que le camphre possède une qualité sédative, et que les acidet ont cette pro- priété plus ou moins marquée , qu'enfin le sucre n'entre que comme un intermède pour faciliter la solution du camphre dans le vinaigre. J'emploie donc la mixture précédente dans les cas d'une grande excitation maniaque , et j'en fais prendre alors quelques cuillerées le soir pour calmer les symptômes, ce qui donne toujours des résultats favorables; mais comme on doit se prêter aux cir- constances, et qu'on ne peut vaincre quelquefois la répugnance que certains maniaques témoignent pour ce remède qui est désagréable , je fais substi- tuer une émulsion d'amandes sucrée ou miellée dans laquelle on fait dissoudre un demi-grain ou un grain d'extrait aqueux d'opium, ce qui produit encore des effets plus sûrs et moins variables. Ce n'est qu'en employant des remèdes simples ou tout au plus combinés deux à deux, lorsque leurs pro- priétés auront été constatées séparément, qu'on pourra parvenir à des résultats déterminés, en fixant d'ailleurs l'espèce particulière ou la variété remar- quable de la manie qu'on cherche à guérir. C'est sous ce rapport que j'approuve l'association du quin- quina avec l'opium , pro^posée par le docteur Fériar contre la mélancolie avec une sorte d'atonie et un abattement extrême, ainsi que dans l'idiotisme accî- deulel qui succède au traitement trop actif de la


TRAITEMENT MEDICAL

manie.Ce médeciu parle d'un jeune hommede seize ans qui avoit une sorte de délire taciturne avec les traitsaltérës, la peau jaune et un pouls foible et lan- guissant ; il lui prescrivit deux gros d'un ëlecluaire de quinquina avec deux grains d opium, à prendre matin et soir: le changement fut peu sensible pen- dant quelques jours ; mais dans la quinzaine sui- vante les progrès ver» le rétablissement furent très- marqués et la guérison fut complète. Un reste de maladie, manifesté par l'enflure des jambes, céda à des frictions avec la farine de moutarde.

296. Le reproche fait justement aux médecins de leur confiance aveugle dans un appareil fas- tueux de médicamens et dans la foiblesse de leurs moyens souvent illusoires , ne peut atteindre l'homme qui est au contraire très-sobre dans leur usage, qui s'élève aux vrais principes de la science, et qui puise ses principales ressources dans l'en- semble de toutes les impressions physiques et mo- rales propres à produire uu changement favorable , après avoir d'ailleurs bien approfondi l'histoire de la marche et des diverses périodes des maladies. J'espère que la lecture de cet ouvrage fera voir que ces idées fécondes ne me sont point étrangères. Les médicamens entrent dans ce plan général comme moyens secondaires , et ce n'est encore que lors- qu'ils sont placés à propos, ce qui est un phénomène assez rare. Il sera facile de sentir la justesse de celte remarque en considérant ultérieurement le traite-


DE l'aliénation MENTALE. 36g-

liient de raliénalioii mentale sons les divers rap- ports, soit de l'âge, du sexe, des périodes succes- sives de cette maladie , de son état récent ou invé- téré , soit enfin de sa complication fréquente avec Fhypocliondrie ou d'autres maladies.

VJ.

Considérations relatives au traitement médical dans la deuxième et troisième période du délire maniaque*

296. Un exemple particulier rapporté dans tous ses détails (i5o), a rendu sensibles la marche géné- rale de la manie et ses diverses périodes. J'ai indiqué ensuite (187) la distribution intérieure de l'Iiospice des aliénées, et comment elles avoient été divisées en trois départemens différens, suivant le plus haut degré de la mauie (i), son déclin ou la convales-


(i) L'établissement particulier du docteur Esquirol en fa- veur des aliénés est situé entre les Boulevards et le Jardin des Plantes; il contient dans son enceinte une sorte de verger rempli d'arbrisseaux ou d'arbres , ce qui le fait participer , soit par ses dépendances , soit par son voisinage , aux bien- faits d'une immense végétation; il est beureuseraent distribué pour séparer les aliénés les uns des autres, pour isoler les personnes du sexe , et les convaiescens de ceux qui sont en traitement. Cbaque aliéné a un domestique exclusivement altacbé à son service , qui coucbe toujours près de sa cham- bre, ou même dedans, si celle mesure est jugée nécessaire.


370 TRAITEMENT M^DICIL

cence. C'est dans tout le cours de la quatrième section qu'ont été exposées les règles de police inté- rieure relatives soit aux diverses périodes de la ma- nie , soit aux divers genres de laliénation mentale. Enfin je viens de soumettre à un examen impartial les divers moyens rais en usage pour remédier à la manie considérée dans sa première période , et les résultats d'une expérience éclairée. Je passe main- tenant au même traitement médical relatif à la deuxième et troisième période de la même ma- ladie.

297. Le local affecté à la deuxième division des femmes aliénées (189) , c'est-à-dire de celles qui sont au déclin de leur délire, renferme en général les avantages qu'on peut en attendre. Il ne suffit point pour qu'elles y soient transférées, qu'on remarque par intervalles quelques momens lucides


Toutes les formes extérieures propres à attrister en sont proscrites, comme barres de fer aux (jroisées , gros verrous aux portes , cordes pour garotter les malades. Les croisées sont garanties par des persiennes qui s'ouvrent facilement lorsqu'on ne craint aucune tentative dangereuse de la part de l'aliéné pour se précipiter. Les furieux sont logés au rez-de-chaussée , et leurs chambres sont en planches j le» portes sont en face des croisées j les persiennes s'ouvrent et se ferment en dehors j les lames en sont mobiles, en sorte qu'en les inclinant elles forment une sorte de volet. C'est ainsi que tout concourt au même but et est heureusement disposé pour le traitement d'une raison égarée.


DE l'aliénation mentale. S^Ï

et des retours de calme ; on exige encore un clian- gement plus favorable , le sentiment de sa propre existence , une cessation de l'effervescence anté- rieure, un renouvellement des anciennes habitudes, etl'état précédent d'agitation ou de fureur remplacé par quelques absences momentanées : c'estaussi par- fois une inquiétude vague qui s'exhale en mouve- mens irréguliers, en courses renouvelées sans aucun but particulier, en promenades sans ordre et sans suite.Dans cetétatintermédiaire , ou plutôt dans cette marche progressive vers le rétablissement entier de la raison , ces infirmes d'entendement restent dans leurs loges , tour à tour debout ou assises, mais sans contrainte, et avec toute ia liberté des mouvemens, à moins de quelque agitation passagère par une cause accidentelle ; elles se promènent sous les arbres ou dans un enclos spacieux adjacent, et quelques-unes, en se rapprochant davantage de l'état de convalescence, partagent les travaux des filles de service, s'occupent à puiser de l'eau, à enlever les saletés des loges, à laver le pavé et à remplir d'autres fonctions plus ou moins actives et pénibles. Vient-on à apercevoir dans quelques-unes de ces femmes un retour des symptômes d'excita- tion, ou des apparences d'une rechute propres à répandre le tumulte et le désordre autour d'elles , on y remédie aussitôt par des bains ou des boissons délayantes, et si cet état vient à persévérer, on les fait passer de nouveau dans la cour du traitement j


Traitement médical si l'améliorai ion au contraire se soutient, et que le rétablissement de la raison se conarme de plus en plus , le temps d'épreuve est abrégé , et on augure dès-lors un passage prochain au dortoir des convales- centes. Une expérience constante a appris combien, dans cet état de foiblesse de l'entendement , une simple imprudence , une visite prématurée d'un pa- rent, d'un ami, ou bien quelque nouvelle afOigeante, peuvent produire quelquefois une émotion des plus vives, et ramener l'ancien égarement de la raison. Une femme qui étoit calme et raisonnable depuis plus d'un mois, reçoit furtivement dans un paquet de linge une lettre d'un de ses parens qui l'attriste vivement: dès-lors le sommeil se perd, l'agitation augmente par degrés , un délire furieux se déclare, et il s'est passé près de six mois dans la cour du trai- tement avant qu'on ait pu remarquer un change- ment favorable. Le retour progressif du calme et de la raison s'est ensuite opéré lentement , et celte femme a été rendue à sa famille après une longue convalescence.

298. Un des changemens les plus favorables opérés par l'administration dans l'hospice des aliénées, est d'avoir adjoint de vastes dortoirs isolés pour recevoir les convalescentes et assurer l'entier rétablissement de la raison avant leur rentrée dans la société : c'est là le local destiné à la troisième division des aliénées. Ces dortoirs;, où règne la plus grande propreté et qui sont d'ailleurs bien aérés,contienaeut environ quatre-


DE l'aliénation MENTALE. ^-jS

vingts lits , et sont soiis-divisés en quatre de'partemens qui permettent une libre communication entre eux, et qui ont l'avantage d'établir un passage gradué à une convalescence confirmée. Le plus grand calme règne dans cet asyle, et, pour mieux l'assurer, on engage les convalescentes à travailler dans un vaste alelier au tricot et à la couture (i88), et on excite leur émulation par un léger salaire. Un des prin- cipes fondamentaux est d'écarter de ce lieu tout «ujet de mécontentement et d'aigreur, tout motif de chagrin et d'inquiétude : choix attentif des filles de service les plus douces et les plus actives, exactitude extrême dans l'heure des repas , alimens préparés avec soin, surveillance assidue pour éviter tout su- ^et de dissention et de trouble , attention constante de ramener dans la deuxième division les femmes •d'un caractère indompté et acariâtre, ou celles qui sont sur le point de faire une rechute; il faut aussi être toujours en garde contre les sorties prématu- rées. Une expérience constante apprend combien ces divers objets doivent être surveillés avec soin. Une jeune convalescente éprouve tout à coup une vive effervescence pendant la nuit : elle sort de son lit , parle avec volubilité , pousse de temps en temps des cris aigus , et communique une sorte de frayeur à ses voisines. Dès cette nuit trois autres convales- centes retombent dans un accès passager d'égare- ment; ce qui obligea de ramener ces dernières à ta deuxième division , et la jeune personne dans la pre^»


.074 TRAITEMENT MEDICAL

mièrepoLiry être de nouveau soumise au traUe- ment. Il est sans doute très-doux dans cet état de convalescence de revoir ses proches, de renouer ses anciennes liaisons, de s'occuper de certains inté- rêts de famille , et de préluder ainsi à une rentrée prochaine dans la société ; mais il est utile aussi de faire connoître les iuconvéniens attachés quelque- fois à ces entrevues. Une jeune victime d'un amour malheureux avoit repris depuis peu l'enlier usage de sa raison. Ses proches lacroyant entièrement gué- rie , sollicitent vivement sa sortie, étloin de se rendre aux avis qu'on leur donne de différer encore quelque temps, ils viennent en nomhre pour la faire sortir par artifice; mais elle fut reconnue à la porte et ramenée dans l'hospice , ce qui produisit en elle une grande contrariété et une rechute.

299. Je reviens encore à l'établissement particu- lier dont je viens de parler, et qui est dirigé suivant des principes analogues. C'est durant des visites fa- milières ou la promenade, que le docteur Esquirol applique avec habileté le traitement moral au déclin de la manie ou durant la convalescence. Il console l'un , encourage l'autre, s'entretient avec un mélan- colique et cherche à dissiper ses illusions chimé- riques; il étudie la suite de leurs idées; il cherche à démêler les affections involontaires qui entretien- nent l'égarement de la raison ; tantôt il combat leur fausses préventions; tantôt il semble se rapprocher de leurs opinions exagérées, ou même se prêter à


DE l'aliénation mentale. û^à

leurs frivoles caprices pour obtenir leur bienveil- lance et préparer ainsi l'heureux effet des avis les plus salutaires. Aussitôt que l'aliéné donne des signes non équivoques de convalescence, il est admis à la lable commune avec le médecin , et après quelques jours de cette épreuve il passe dans la partie de l'é- tablissement destinée aux convalescens , où il sé- journe plus ou moins de temps pour confirmer son entière guérison.Là les logemens réunissent , sans aucun objet de luxe , une grande propreté et tout ce qui peut être agréable aux malades, avec la fa- cilité des promenades dans un jardin adjacent. La liberté est alors entière , l'influence des domestiques cesse , et le médecin vit familièrement avec ses conva- lescens; on se réunit pour déjeûner , pour jouer au billard, pour se livrer à certains jeux ; une partie des soirées se passe dans un vaste salon pour jouir delà musique, et lorsqu'on ne prévoit point d'in- convénient, on donne la libçrté avi coMvalescent d'aller se promener avec son domestique au Jardiu des Plantes , ou bien en voilure dans la campagne.

3oo. C'est un signe de mauvais augure que le pas- sage brusque d'un état de délire à une raison saine, puisque c'est là le caractère ordinaire d'une manie périodique et le plus souvent incurable. Un état in- termédiaire etvm changement favorable qui s'opère par degrés, annoncent un rétablissement solide des facultés morales, pourvu que rien ne trouble cette tendance naturelle , et c'est là le motif des précaiv-


3?^ TRAITEMENT MÉDICAL

lions sans nombre qu'on prend dans la division des conTalescenles,et de ]a surveillance sévère qu'on exerce pour saisir aussitôt les moindres caractères d'une rechute qui se déclare , et pour appliquer les moyens d'en arrêter le développement ultérieur. Aussi a-l-on soin , dès que ces signes sont connus (sect. 11), de faire prendre des bains tièdes ou quel- que douche légère, de prescrire des boissons muci- lagiueusesou acidulées, de recourir à de légers éva- cuaus , soit une eau émétisée , soit une solution d'uu sel purgatif, etc., pour remédier à la constipation qui est alors ordinaire. Certaines circonstances peuvent aussi demander l'application des sangsues ou d'un épispastique, quelquefois aussi d\in léger calmant, lorsque l'excitation nerveuse est très-mar- quée. C'est en général par des propos doux et con- solans qu'on doit soutenir l'espoir, relever le cou- rage, faire entrevoir la sortie prochaine de l'hospice, écarter enfin tout sujet réel de mécouleniement et de discorde.Toute est dans l'ordre si, après unelégère effervescence, les traits de la face conservent leur accord harmonieux et que le goût pour le travail se conserve. Mais si le convalescent reste inactif et silencieux , ou si ses traits s'animent et que rien ne fixe son inconstante mobilité, on a tout à craindre pour l'avenir, surtout s'il se livre, pour des objets les plus légers , aux eraportemens les plus fougueux et à toute l'exaspération de son caractère. Alors le traitement doit de nouveau recommencer avec


DE l'aliénation MENTALE. 377

tontes les moclifica Lions dont il est susceptible.

Soi.Uuedespréventionsles plus générales contre le traitement de la manie , ou plutôt une opinion devenue populaire, est que celte maladie est tou- jours sujette à des rechutes et que la guérisou n'est qu'apparente ; c'est par conséquent un des points sur lesquels il a été important de s'en tenir au ré- sultat d'une longue suite de faits appréciés avec impartialité et constatés avec soin ; c'est ce qu'on trouvera dans la section suivante. Il suffit de remar- quer, en attendant, que ces rechutes sont une suite, soit des sorties prématurées de l'hospice solli- citées par les parens , soit d'un étal de détresse postérieur et de mauvais traitemens reçus au sein de la famille , soit enfui parce que la maladie est de- venue déjà périodique depuis plusieurs années et qu'on doit la regarder comme incurable. Un exemple fera voir à quelles dures extrémités peuvent être réduites des convalescentes à leur sortie, et s'il n'est pas même alors douteux que la maladie a été pro- duite une deuxième fois par une cause physique ou morale. Une jeune fille traitée dans l'hospice, après un état complet de délire de plusieurs mois, ëtoit si bien rétablie qu'elle fut encore employée au ser- vice des aliénées pendant plus de trois mois, sans donnerle moindre signe d'égarement ; elle sorlitalors de l'hospice et se rendit dans une maison où elle avoit été précédemment au service; mais rebutée par ses anciens maîtres sous prétexte que la folie pourroit


378 t;iaitement médical

encore se renouveler, elle cherche en vain d'aulres^ ressources et tombe dans la plus grande détresie.. Commeelle ëtoit Juive d'origine, elle espère trouver d'autres moyens de subsister à Strasbourg parmi les Juifs, et elle entreprend ce voyage , exposée à toutes les vicissitudes d'un état entier de dénuement. Elle lie trouve par-tout que refus , abandon et mépris,, et elle finit par être ramenée dans l'hospice, réduite à un abattement extrême et tombée dans une sorte: de stupeur mélancolique. Son regard est celui de la consternation, et elle s'imagine être condamnée à pénr sur l'échafaud ,ce qui lui fait souvent pousser des soupirs profonds et demander grâce. Pendant les deux premiers mois elle mange peu , reste ac- croupie au fond de sa loge et refuse avec obstination d'en sortir ; peu à peu elle paroît sortir de cet état de stupeur, et elle manifeste par intervalles quel- ques lueurs passagères de raison qui deviennent de plus en plus durables. On cherche à dissiper ses craintes, et on lui fait entendre qu'elle ne sera plus réduite à sortir de l'hospice. Elle reprend son cou- rage en se rappelant les bons soins qu'on lui a jadis prodigués , et peu de temps après elle reprend sa gaieté , sou goût pour le travail et l'état le plus com- plet de convalescence. On ne peut que s'attendrir sur le sort de plusieurs aliénées , si souvent les vic- times, même après leurguérison, des préventions qu'on a contre elles et de l'ignorance du peuple.


DE l'aliénation MENTALE.


VU.

[Terminaison critique de V aliénation qui s opère quelquefois par des éruptions spontanées,

3o2. Il y a un grand accord sur la manière d'en- visager la médecine parmi les bons esprits , et celle conformité, comme on riraagine,ne consiste pomt à multiplier les formules des médicamens, mais à combiner habilement les ressources du régime mo- ral et physique , pour produire , surtout dans les ma- ladies chroniques, un changement lent et durable , ou pour provoquer la nature à quelques-uns de ces efforts conservateurs qui lui sont propres et qui aboutissent à une guérison inattendue. Les médecins anciens et modernes ont reconnu que l'aliénation se termine quelquefois par des varices, un écoule- ment hémorrhoïdal, la dysenterie, une hémorrhagie spontanée , une fièvre intermittente. Mais ces termi- naisons favorables, soit lentes et graduées, soit par une sorte d'explosion soudaine et inattendue , sont loin d'être le fruit d'une vie sédentaire et apathique, d'un morne et silencieux abattement ; elles résultent d'une méthode sagement adaptée au caractère et à la constitution de l'ininme, à l'espèce particulière de l'aliénation et à sa période plus ou moins avancée ; de là l'influence puissante de l'exercice du corps , de la musique, de la lecture, d'un changement de


58» TRAITEMKNT MEDICAL

séjoLU- des voyages (,). Presque tous les faits rap-

1. oduaes par une cause morale cèdent le plus sou- ven aux efforts salutaires de la nature quand elle ' »es po,nt contrariée: deux exemples feront voir quelles sont ses ressources , même lorsque la cause de 1 ahenation est matérielle ou physique.

3o3. Un jeune homme attaché à la vénerie sous anaen gouvernement, est chargé de faire des fric- l.ons a des chiens galenx avec de l'onguent mercu- J-'el; il contracte par là une sorte de gale dont les boutons sont très-petits, se frotte lùi-méme avec I onguent citrin ou sulfuré, et paroît guéri de cette attect,ou cutanée ; mais 11 se manifeste bientôtaprès


(t) Je puis en rapporter un exemple pris tles écrits de Val- lenoh (Oè.er^.Med. lib.lV), et digne d'être cité, par l'es- pnt de sagacité qui y règne, en élaguant toutefois les for- mules des médicamens dont il est hérissé.

Un jeune homme perd la raison à la suite d'un amour vio- lent et contrarié, et ses parensau désespoir conjurent le mé- aecm d'employer tout ce que la prudence et le savoir peuvent offrir de ressources. L'éloignement du jeune aliéné des lieux propres à lui rappeler l'objet aimé est d'abord jugé néces- saire; on le transfère dans une maison de campagne agréable et- d'un aspect riant; rien ne manque à ce séjour de délices; jardins élégans, parc immense, belles prairies, bassins, cou- rons d'eau pure; l'air est embaumé du parfum des roses, des Jiijrtes, des fleurs du citronnier et d'autres plantes aroma- tiques , ce qui rendoit la promenade très-di versifiée. La société


DE lVlIÉNATION mentale. 58i

des signes d'une aliénation complète : tantôt il fait des actes d'extravagance, et se livre à une loquacité exubérante et décousue, sans aucune cohérence dans les idées ; tantôt il reste plongé dans une taci- Inruité sombre. Le traitement ordinaire de l'Hô- tel -Dieu, quoique continué deux mois, échoue €tne produit aucun changement. Il fut transporté dans une pension du faubourg Saint- Antoine du- rant l'hiver de 1788, où j'eus occasion de l'obser- Ter. Ou eut d'abord recours aux moyens ordinaires , aux boissons relâchantes et purgativesavec quelques caïmans le soir, et il fut plus tranquille. Au prin- temps il fit un usage long-temps continué des sucs


ordinaire du malade est nombreuse et compose'e d'amis choisis ; ce n'est qu'un enchaînement presque continuel de jeux, d'amusemens, de concerts de musique. Le délire érolique paroît céder un peu à tant d'objets de diversion; mais d'anciens souvenirs replongeoient par intervalles le mal- heureux jeune homme dans ses premiers égaremens. On croit devoir l'éloigner encore davantage de son premier séjour^ et il est transféré dans un bourg agréable , où l'on s'empresse de venir seconder les bons offices du médecin • mais le malade étoit alors miné par une fièvre lente et une sorte de consomp- tion hectique. On eut alors recours aux caïmans et à un ré- gime restaurant et tonique ; on y joignoit souvent des pédî- ïuves, des lotions d'eau tiède^ des douches sur la tète; cer- tains jours, des concerts de musique pendant qu'il étoit dans le bain, ou bien des lectures et des entreliens agréables. Les accès de délire diminuent par degré 5 les forces et l'embonpoint «e rétablissent, el la raison finit par reprendre son em.nre.


382 TUAIT E MENT MEDICAL

dépures des plantes et des bains tièdcs, et ce fut après celte époque qu'une affection inflammatoire erratique se porta dans différentes parties de la peau. On remarquoit quelquefois une tumeur rouge à la partie moyenne du tibia ; on appliquoit des topiques émollicus; mais cette tumeur, au lieu d'abcëder, finissoit dans quatre ou cinq jours par disparoître. 11 se mauifestoit successivement aux bras, aux cuisses aux jambes, de grosses pustules qui se dessécboieut après un léger suintement. La poitrine étoit aussi, successivement affectée , avec oppression , difficulté : de respirer et des apparences d'une sorte d'astbme, ce qui sembloit dégager la tête, puisqu'alors on re- marquoit des intervalles de calme. Huit mois se pas- sèrent dans ces alternatives sans un changement durable et bien marqué dans l'exercice des fonctions intellectuelles. Le malade étoit un jour à prendre un bain tiède, lorsqu'on aperçut un gonflement dans la parotide droite; le lendemain la tumeur étoit très- dure et très-rouge: application des émolliens ; signes defluctuation au septième jour, et issue, par la lan- cette, d'une matière purulente; suppuration abon- dante pendant une vingtaine de jours, et formation de la cicatrice. La marche de la nature n'a point été ici équivoque , puisque la terminaison de l'abcès a été l'époque de l'entier rétablissement delà raison, que le malade est sorti du pensionnat parfaitement sain d'entendement, et que je l'ai vu quatre années après sans que sagucrison se ftit démentie.


DE l'aliénation MENTALE. 383

304. JVi aussi été témoin d'un exemple de la ter- minaison de la mélancolie par une jaunisse. Un îoaillier éprouve un accès de manie sans aucune cause connue, et est transporté dans une pension du faubourg Saint. Antoine où j'étois souvent ap- pelé (c'étoit en 1786); il étoit dans un sorte de délire doux et tranquille , se promenoit presque toujours dans le jardin ou dans sa chambre , en parlant à voix basse et avec un léger sourire; il répondoit avec justesse aux questions qui lui étoient proposées , mangeoit à l'ordinaire et étoit très-tranquille du- rant la nuit. Des accès d'une mélancolie profonde se manifestoient durant le printemps et l'automne: alors, pendant un mois et demi ou deux mois,taci- lurnité sombre , refus de répondre quand on i'm- terrogeoit, traits du visage altérés et sorte de couleur luride. A chacune des deux saisons, usage de bois- sons purgatives, des bains froids avec des douches, et enfin des sucs dépurés des plantes. Ces remèdes ne paroissoient produire qu'un soulagement passa- ger; ils furent continués cinq années sans un progrès sensible et durable pour l'état moral. Un ictère se déclare tout à coup vers le milieu d'octobre de l'année 1791 , sans aucune cause connue et comme par un effort salutaire de la nature. On se borna à l'usage des boissons délayantes ou acidulées avec le suc Je citron, et l'ictère se dissipa par degrés après deux mois de durée: c'est depuis cette époque que la raison s est rétablie sans aucune rechute.


THAITEMENT MÉDICAL

VIII.

mPcrdtêcr^^^^^^^ ^^.^.^^^^ ^^^^ ^^^^^ .^^

cas, s, iahénaaon peut être guérie. Eœemple' tres-remarquahle,

3o5. La possibilité de guérir l'aliénallon mentale- dans un cas déterminé est une des questions dont; la solution peut tenir autant à de grands intérêts,, qu être difficde et compliquée. L'expérience a sans doute fait vou^ soit en Angleterre, soit en France, qu il est tres-ordinaire de voir se prolonger pendant

toutlecoursdelavielamélancoHereligieuseJamanie compliquée avec 1 epilepsie , l'idiotisme, la démence la manie périodique régulière.Mais la prudenceper' met-elle de prononcer sur leur incurabilité absolue^ Dans les cas même d'une manie périodique irrégu- lière qui offre tant de chances favorables à la guérie son (39), que de circonstances qui la font échouer! C'est cependant au jugement des médecins qu'on en appelle d'abord , et il s'agit ensuite d'une inter- diction juridique à faire prononcer, d'une dissolu- tion de l'union conjugale, d'un patrimoine ou d'une fortune considérable (i) à faire passer dans d'autres


Ci) Un cultivateur privé par la réquisition d'un de ses fils , en l'an 5 , tombe dans un chagrin profond , perd le sommeil , et manifeste bientôt tous les égaremeus de ïa raison. Un autre fils qui lui reste l'enferme dans une chambre , s'empare de ses biens, le traite avec la doruicre


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DE l'aliénation MENTALE. 585

tnaius, quelquefois dune couronne. Que de con- îioissaaces étendues, que de discernement jfftur saisir le vrai caractère de l'aliénation et prononcer sur lavenir! Quelle moralité à toute épreuve est nécessaire pour ne point obéir à une impulsion étrangère ! Je vais donner quelques exemples où la décision étoit plus simple et plus facile.

3o6.Uu jardinier, marié depuis quelques années, commença à éprouver les tourmens de la jalousie , soupçonnant sa femme d'entretenir un commerce illicite avec ,un ^prêtre. Il chercha à faire diversion

dureté, et porte ainsi la fureur de son malheureux père aii dernier degré de violence. L'impossibilité de le traiter dans sa propre maison étant bien reconnue, l'ordre de le transférer à Bicêtre est obtenu et exécuté. Ses accès de manie continuent d'èire très-violens durant la saison des chaleurs; maïs le calme .succède versledéclin de l'automne et se maintient pendant l'hi- ver. Au printemps quelques boissons laxatiyes, données dès les premiers indices d'une excitation nerveuse , préviennent l'ac- cès suivant, et dès-loi's je juge vers l'automne qu'il peut être rendu à sa famille. Une lettre que j'écris à son fiis reste sans réponse ; je n'eus pas plus de succès auprès de la municipalité du lieu à laquelle j'avois eu soin d'écrire deux fois par la poste. Une personne qui s'intéressoit vivement au sort de l'infortuné cultivateur, se chargea d'une troisième lettre, où je déciacois la guérison de ce dernier et l'urgence de le faire rentrer dans la possession de ses biens, ce qui fut aussitôt exécuté , malgré l'influence que le fils exerçoit sur les officiers muni- cipaux. Ce fut avec attendrissement que je vis, l'année sui- vante , ce bon cultivateur venir , avec une corbeille de fruits cueillis dans son enclos , me témoignqr sa gratitude.

25


386 TRAITEMENT MEDICAL

à son chagrin par des excès de boisson , tomba dani tin ëlat maniaque des plus violeus, et fut conduit à Bicêlre après le traitement usité autrefois à l'Hôlel- Dieu. Il éprouva encore des accès de plusieurs mois ; mais dans ses intervalles de calme , il jouissoit plei- nement de sa raison, et on lui fit partager les fonc- tions c- u service intérieur. L'habitude de se livrer à la boisson lui devint alors plus facile; et dans tous ses excè;s il sentoit renaître toutes les fureurs et les ombrages de sa jalousie primitive. Le divorce étoit demandé par sa femme , et il me fallut prononcer s'il restoit encore quelque espoir de guérison. L'oc- casion prochaine de nouveaux accès qu'auroit eue l'aliéné dans sa propre maison, son penchant à con- tracter l'ivresse , et les actes de fureur et de violence dont il étoit alors capable , ne me permirent pas de balancer, et je fus d'avis que sa réclusion devoit être continuée, pour ne point compromettre la sû- reté de sa famille.

307. Un ancien marchand que de fausses com- binaisons avoient jeté dans l'infortune, avoit fini par devenir aliéné ; mais il ne déliroit que sur un point, celui de s' enrichir par le commerce des hiU lards et la moindre opposition à cette idée le ren- doit furieux. Le libre exercice de la raison qu'il manifestoit surtout autre objet, et qui étoit insuffi- sant pour obtenir de ma part une attestation favo- rable , donnoit sans cesse lieu à des réclamations , à des pétitions aux corps administratifs, à des pla-


DE l'aHÉN-ITION mentale. 687

ccts aux ministres , sons prétexte qu'il étoit viclime de sa femme, contre laquelle il se répandoit sans cesse en imprécations et en menaces. Des entretiens souvent répétés me firent connoître son délire par- ticulier, ses dispositions haineuses et violentes, et l'histoire en fat communiquée aux autorités consti- tuées , avec le motif de mes craintes , ce qui fit cesser toutes les suites d'une intrigue d'hospice. Une sorte de démence sénile commençoit à se joindre à soa égarement primitif, puisque cet aliéné avoit plus de soixante-dix ans , et je fis sentir dans mon rap- portla nécessité d'une réclusion indéfinie.

^08. C'est toujours une grande affaire que de dé- terminer si un chef de famille, si le possesseur d'une grande fortune doit être déclaré aliéné et si son état est incurable ; mais une pareille cause, trai- tée juridiquement, devient d'un bien autre intérêt s'il s'agit d'un souverain , puisque la solution de cette question peut entraîner un changement dans le gou- vernement , et qu'elle peut influer sur le malheur ou la prospérité d'une nation entière. Telle fut la circonstance où se trouva l'Angleterre en 1789 : d'un côté les craintes du ministère et de ceux qui tenoientau gouvernement actuel, de l'autre les in- trigues et l'ambition de ceux qui aspiroient à un conseil de régence, sembloient mettre en agitation tous les esprits, et donnèrent lieu dans le parlement britannique aux discussions les plus graves. On fait choix d'un petit nombre de médecins éclairés pour


388 TRAITEMENT MÉDICAL

diriger le Iraitement du roi, ou plutôt pour agir d'une manière secondaire avecle docteur Willis, chargé spécialement de toutes les parties du régime moral et physique , ainsi que de la prescription des remèdes: de là un nouveau surcroît de jalousie et d'intrigue de la part des médecins les plus accrédités contre ce qu'on a coutume d'appeler avec dédain un empirique. On avoit déjà fait un rapport juri- dique depuis quinze jours, et le parlement en sol- licltolt un nouveau pour juger si les symptômes éprouvoient une diminution progressive. Un comité formé dans son sein est chargé de recueillir séparé- ment les avis des médecins , et d'en tirer un résultat propre à éclairer l'opinion publique. C'est ua morceau (i) très-curieux et très-digue de figurer dans l'histoire philosophique de la médecine, que ce rapport où respirent à la fois une réserve arti- ficieuse, un dessein prémédité de se contrarier , et des préventions le plus adroitement suggérées. Le premier qu'on questionne, M. Pepys, déclare d'abord que l'état de sa Majesté ne lui permet ni de paroître au parlement, ni de se livrer aux affaires , qu'on ne pouvoit former aucune conjec- ture probable sur la durée de sa maladie , qu'on apercevoit seulement plus de calme dans son es-

(i) Report from tlie commiùee appointed to examine the Physicians who liave attended his majesty during 1ns illness , tojichîng tlie presenÈ ^iatc of hù majesty s health. Lond. 1789.


DE l'aliénation MENTALE. 58<)

prit qu'à une époque antérieure , qu'on jxiuvoit maintenant parler avec plus d'assurance sur son prochain rétablissement. Willis prend un ton plus décidé , et il assure que si tout autre de ses malades étoit dans les mêmes dispositions, il ne formeroit aucun doute sur sa prochaine guérison; il ajoute néanmoins qu'il ne peut en fixer l'époque : sa Majesté, suivant lui, ne pouvoit, quinze jours avant, lire une seule ligne d'un livre quelconque, au lieu qu'elle étoit maintenant en état d'en lire plusieurs pages et de faire même de très-bonnes remarques sur les objets de ses lectures. 11 déclare que s'il a refusé une ou deux fois de signer le bul- letin du jour, c'est qu'il y remarquoit quelque réticence concertée , en donnant à entendre Vin- flaence d'un grand personnage, — Le docteur Wa... se présente ensuite , et déclare nettement qu'il ne voit aucun signe de convalescence , ni au- cune rémission dans les symptômes ; qu'on n'avoit remarqué depuis quelques jours qu'un intervalle lucide de quelques heures , mais que cet espoir avoit été loin de se soutenir; qu'en un mot, rien ne teudoit â réaliser les assurances qu'on avoient don- nées au prince de Galles. Le docteur Wa... fait d'ailleurs des réclamations contre les lettres et les rapports de Willis , comme peu conformes à la vé- rité. 11 s'agit ensuite de diverses chicanes sur les formes et les expressions des bulletins : l'un d'eux, étoit conçu en ces termes: Sa Ma j es U a passé-


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Bgo TRAITEMENT MEDICAL

le jour précédent avec tranquillité , elle a eu une bonne nuit, eL elle est calme ce matin {\). Willis s'étoit élevé contre ce rapport comme insuffisant, et n'indiquant nullement une diminution des sym- ptômes et l'espoir d'une guérison prochaine. Autre grave sujet de dlssention: un certain bulletin finis- soit par cette phrase : Is this morning as he was yesterclay. Un des médecins réclame, et veut qu'on substitue continues to mend , comme plus expres- sif; un troisième opine pour une autre variante : Is this morning in a comfortable way. Cependant on proteste de part et d'autre de ne recevoir aucune sorte d'influence. — Le docteur Ba... est interpellé à son tour, et il déclare n'apercevoir aucun signe de convalescence ; il est d'avis qu'à une époque pa- reille de l'âge on ne guérit point de cette maladie; sa Majesté lui paroit toujours dans le même état, et il se récrie qu'on indique comme une bonne nuit celle où le sommeil a été de trois ou quatre heures. - — • Le docteur Rey... semble vouloir ménager tous les partis ; il dit que sa Majesté est plus calme et plus docile , qu'elle est dans un meilleur état de santé générale , qu'il la trouve dans 'des circons- tances favorables et propres à la conduire à un amendement , mais qu'il ne voyoit encore aucun changement dans la maladie principale. Il étoit na-


(i) His majesty passed yesterday (jidetly , h as had a very good night , and is calrn ihis morning.


DE L ALIÉNATION MENTALE. Sgî

lurel que, dans cette vacillation d'opinions, le Gou^ vernement se décidât pour celle qui lui étoit la plus favorable, et que le succès de Willis parvint à jus- tifier. Science vaine et conjecturale , se seroit écrié Montaigne, que celle qui fait naître des avis si op- posés; foiblesse, dirai-je , condescendance versatile de tout homme en place qui , entraîné dans le tour- billon de l'intrigue , perd ce ton de franchise et cette vicueur de caractère qui s'allient si bien avec les talens et les lumières.

VIII.

Mesures de prudence à prendre pour le renvoi des Aliénés comalescens,

309. Une sensibilité extrême , et par conséquent une disposition prochaine aux rechutes, caractérise en général les aliénés en convalescence, à moms que celle-ci ne soit bien confirmée. Une vive frayeur, \\w emportement de colère , un chagrin profond , la saison des chaleurs, quelque excès d'intempérance^ ou même le passage brusque d'un état de détention et de contrainte à une liberté indépendante , peuvent produire en eux une commotion dont on ne seroit point susceptible dans d'autres circonstances, et renouveler des accès de manie lorsque l'habitude n'en a point été long-temps suspendue : c'est ainsi que des aliénés convalescens réclamés trop tôt par leur famille, retombent de nouveau etsont ramenés à plusieurs reprises dans les hospices. Un grenadier


393 TRAITEMENT MEDICAL

aux gardes-frauçaises qui étoit mouté un des pre- miers à l'assaut lors de la prise de la Bastille, se livre à toute l'exaltation d'une ambition sans bornes, est déchu de ses brillantes espérances, et torabe dans le délire maniaque le plus violent. Il reste en- core quatre mois dans cet état de fureur et d'égare- ment après son arrivée à Bicétre; le calme succède, et sa mère se hâte de le retirer avant que sa raison soit bien rétablie: de là un retour des accès au sein de sa famille , et la nécessité de le ramener dans 1 hospice. La même imprudence est renouvelée encore deux fois avec le même résultat. La mère alors , instruite par l'expérience, ne sollicite plus à contre-temps la liberté du convalescent; il passe deux années tranquille et sans'accès , sortdel'hos- picé à l'entrée del'hiver , et n'éprouve plus dans la suite de rechute.

3io. La saison des chaleurs , quelquefois le retour du froid, quoique beaucoup plus rarement (i8), peuvent ramener les accès de manie îrrégulière : il est donc prudent d'user vers ces époques de quel- ques préservatifs pour les convalescens sortis des hospices , et de les faire recourir à quelque relâ- chant soit à l'intérieur, soit à l'extérieur. Un culli- va(îeur très-laborieux, tombé jïîds la manie par l'impression d'un soleil ardent durant les chaleurs de la moisson, est guéri après environ une année de séjour à Bicêtre, et renvoyé dans sa famille, avec une recommandation expresse de prendre chaque


DE l'aliénation MENTALE. Sgj

I

année, vers le printemps , des boissons délayantes et laxatives avec quelques bains. Ces précautions le préservent de toat accès les deux années suivantes ; mais il les néglige la troisième année , et il éprouvé une rechute : c'est alors qu'il fut ramené pour la seconde fois à Bicêtre , après le traitement usité autrefois à l'Hôtel-Dieu. Sa manie fut encore très- violente pendant cinq mois, et après un rétablisse- ment lent , il fut de nouveau rendu à sa famille. L'exemple du passé lui avoit donné une leçon assez forte , et il devint peu nécessaire de lui recomman- der l'usage des moyens propres à le préserver d'une rechute.

3i r. Un des avantages précieux des hospices bien ordonnés, est d'imprimer vivement aux aliénés qui en sont susceptibles , la conviction qu'ils sont sou- rais à une force supérieure destinée à les maîtriser et à faire plier leurs volontés et leurs caprices (i). Cette idée, qui doit leur élre rendue sans cesse pré- sente , excite les fonctions de l'entendement, arrête leurs divagations insensées , et les habitue par de-


(i) La nécessité d'imposer aux aliénés un régime de sévé- rité et de contrainte est encore prouvée par une anectode tirée des Mémoires de Duclos. Rien ne peint mieux, dit cet histo- rien, l'impression que la personne du roi (Louis XlV)faisoit dans les esprits, que ce qui arriva à Henry-Jules de Bourbon, fils du grand Çondé. Il étoit sujet à des vapeurs que , dans tout autre que dans un prince , on aurott appelées folie. Il s'imaginoit quelquefois êlre transformé en chien et aboyoit


7}f)i TRAITEMENT MÉDICAL ,

grés à se contraindre , ce qui est un des premiers pas vers le rétablissement. Leur renvoi est- 11 pré- maturé et sont-ils rendus trop tôt au sein de leur famille , le sentiment de leur indépendance et la liberté de se livrer à leurs caprices, les emporte quel- quefois au-delà des bornes , ce qui donne lieu à des écarts de régime ou à des affections vives propres à ramener leur égarement primitif. On me pressoit un jour d'autoriser le renvoi d'un aliéné convales- cent vers le printemps , et voici les motifs de refus que je donnai dans mon rapport. « J'ai examiné

>v avec soin le nommé , détenu dans l'hospice ,

» et quoique dans le moment actuel il paroisse » avoir le libre usage de sa raison, je pense qu'il » serolt imprudent de lui accorder sa sortie; il a » été en effet pendant les trois premiers mois de sa » réclusion dans un délire furieux, et il n'a paru » calme qu'à l'approche de l'hiver dernier ; il lui » reste encore à subir l'épreuve de la saison des » chaleurs pour qu'on puisse bien juger de son » rétablissement : il j a lieu de présumer que s'il


alors de toutes ses forces. Il fut un jour saisi d'un de ces accès dans la chambre du roi : la présence du monarque en imposa à sa folie sans la détruire. Le malade se retire vers la fenêtre, et mettant la tête dehors, étouffe sa voix le plus qu'il peut en

faisant les grimaces de l'aboiement S'il avoit toujours clé

sous les yeux de Louis XIV, n'eûl-il pas été guéri de sa manie par l'habitude de se maîtriser et de se contraindre? Mémoires seoets sur les règnes de Louis XIV et de Louis XV >


DE l'aliénation MENTALE. SgS

rentroit maintenant dans ses possessions, la joie » de recouvrer sa liberté et de revoir ses parens et » ses amis seroit trop vive, surtout pour une rai- '

son mal affermie , et pourroit donner lieu à une » rechute ; je pense donc que sa sortie de l'hospice » doit être retardée jusque vers le déclin de l'au- » tomne.... » Bicêtre , i5 germinal an 2.

3 12. C'est un point capital pour ne point com- promettre là sûreté publique, que de mettre la plus grande réserve dans les attestations de guérison de la manie; c'est ce qui m'engage d'en joindre ici deux exemples que je recueille dans mes notes. » Je certifie que J.R., âgé de vingt-deux ans, et » détenu k titre d'aliéné à Bicêtre , peut être regardé » comme guéri de la manie , puisque, depuis envi- » ron une année, il n'a plus donné aucune marque » d'égarement de la raison, même durant la saison

» des chaleurs ». Bicêtre , 10 fructidor

Yt ani.

3i3. « Je certifie que T. D., âgé de vingt-un an , » et détenu à Bicêtre à titre d'aliéné , donne depuis » environ quatre mois toutes les marques du réta- » blissement delà raison. Onest d'autant plus fondé » à le croire guéri , que son aliénation avoit succède

aune maladie aiguë, qu'il est arrivé dans l'hos-

pice réduit à un état de dépérissement, et que sa » raison s'est rétablie par des progrès insensibles

ainsi que sa santé ». Bicêtre , 20 fructidor an 1 1 .

314. L'époque précise de la sortie d'une aliénée


^0^ TRAITEMENT MEDICAL

aprc.s le Utilement ordi.^i.e est ce qu'il yadepla, difficile à déterminer, et sans entrer ici dans de.

detailsultëneurs,]esDote8quej'airecueilliesàrhos- picedela Salpêtrière donnent lieu aux remarques suivantes :

3i5. L'observation la plus répétée apprend quelorsquelesparens de l'aliénée s'empressentdela retn-er avant que la convalescence soit confirmée, malgré les bons avis qu'on leur donne, il arrive le plus souvent une récidive qui, loin de pouvoir nous être imputée, confirme au contraire la méthode que nous suivons , et qui est relative à chacune des périodes de la maladie. Les parens , rendus plus prudens par ces malheureuses épreuves, sont obligés de renvoyer la personne après une re- chute; ils la laissent alors un plus long espace de temps pour que l'état de convalescence ne soit plus équivoque, et dans ces cas on n'a plus à craindre le même événement.

3i6. 2°. Certaines manies deviennent périodiques, et se soutiennent ainsi avec des intervalles de calme eldes retours fixes ouindéterminésdepuis plusieurs années ; alors tout ce qu'on peut attendre du traite- ment ordinaire, c'est de diminuer la violence et la durée de l'accès; mais quand l'habitude de la re- chute est une fois invétérée, on ne peut plus espérer de la rompre, et l'aliénation dure en général toute la vie, avec des intermittences plus ou moinslongues et plus ou moins régulières. Il y a donc des aliénées


DE i/aliénation mentale. qui reviennent tour à tour, après des époques déter- minées et un séjour plus ou moins prolongé au sein de Jeur famille. Dans des cas semblables , un traite- ment dirigé avec soin et avec discernement peut exercer une heureuse influence sur les accès qu'oa a lieu d'attendre , et il peut les modifier d'une ma*

nière très-remarquable.

3 17. 5°. Durantle traitement ordinaire et pendant la deuxième ou troisième période de la man»e, il règne encore une effervescence passagère qui peut prendrele vrai caractère d'une rechute, soit par des influences de la saison , soit par d'autres causes phy- siques ou morales ; et alors , dès l'approche d'un semblable accès, on a recours à l'usage alternatif de quelques boissons relâchantes et des bains tem- pérés j ce qui finit par amener un calme pernianent et prévenir d'autres égaremens delà raison. Quel- quefois aussi ces accidens passagers sont produits par des imprudences que commettent les parens , soit par des leltres parvenues aux aliénées, soit par des visites prématurées; il en résulte alors un retard dans le succès du traitement , et un séjour non-seu- lement de plusieurs mois dans l'hospice , mais en- core de quelques années, dans certains cas, pour obtenir une guérison consolidée. Cet état peut aussi quelquefois devenir incurable. Une aliénée étoit déjà convalescente, et on lui permeltoit de s'entre- tenir régulièrement avec deux de ses filles qui ve- noientlui rendre visite, ce qui paroissoit d'ailleurs


098 TRAITEMENT MEDICAL

lui être très - agréable et coutribuer à accëleref sa convalescence. Cette femme fut visitée alors par une autre de ses filles dont les moeurs dépravées et la conduite Irès-reprébensible avoient donné de violens chagrins à toute la famille : « Ah! te voilà, » malheureuse » I lui dit la mère avec une émotion profonde, et dès ce jour elle tomba dans un état de stupeur et d'insensibilité qui dure depuis plus de SIX mois , quelques moyens que j'aie pu employer , et je présume cet état incurable.

3i8. Pour parvenir à l'heureuse réforme qui s'est opérée dans l'hospice, et introduire un système invariable de modération et de douceur dans le ser- vice, on y a admis les convalescentes qui , par leur caractère , une forte constitution et l'amour du tra- vail , pouvoient d'ailleurs se rendre utiles aux alié- nées. Il est singulier de les voir remplir leur tâche quelquefois avec une raison vacillante , prendre peu à peu plus de confiance en elles-mêmes après les premiers essais , et avancer ainsi à grands pas vers une convalescence confirmée. Des personnes de tout âge soutiennent impunément cette épreuve depuis plusieurs années ; ce qui répond par les faits les plus avérés à la prévention contraire , qui fait regarder les rechutes comme inévitables.

319. 5°. Certaines femmes delà classe du peuple ne deviennent aliénées qu'après des excès de bois- son tournés en habilude, et un séjour de quelque temps dans l'hospice leur rend facilement le calme


DE l'aliénation mentale. Bgg

«tTenlier usage de la raison; mais en leur rendant leur liberté, elles reviennent à leur penchant favori et une rechute suit de près : l'attestation que je donne alors à leur sortie le fait prévoir, et com- ment peut-on le faire éviter?

320. 6°. Un résultat constant de rexpérience €St que rien n intlue autant sur le rétablissement de la raison que la confiance qu'on parvient à inspirer à l'aliéné dès qu'il en est susceptible. Il devient alors docile et soumis ; il discerne avec justesse tout le zèle qu'on met à son rétablissement , et ses facul- tés morales ainsi exercées se développent alors avec -un avantage toujours croissant. Aussi le médecin et le surveillant de l'hospice des aliénés ont con- couru constamment d'un commun accord à rem- plir cet objet fondamental , et je laisse à deviner si c'est par un air de hauteur et la rudesse des ma- nières (i). Mais quelques témoignages de bienveil- lance qu'on donne aux aliénés après qu'ils sont domptés, comment prendre de l'ascendant sur cer- tains caractères intraitables qu'un orgueil sombre et farouche domine, et qui ne voient rien au-dessus de leurs rêveries exclusives? Il est rare d'en voir un exemple aussi frappant que celui qu'en rapporte un


(i) Je note cet accord invariable pour le bien comme une singularilé i-are dans les hospices d'aliénés , et il est bien possible que dans cjuelguçs siècles ce phénomène se reuou-.

velle encore.


Aoo THAITEMEN-T M^DICiL

auteur anglais déjà cite. Un homme d'un âge moyen avoit été d'aJ3ord remarquable par la dureté de ses propos et un air sombre et ombrageux: toujours inquiet, querelleur et prêt à s'emporter , son carac- tère s'aigrit encore parquelques reveis de fortune,, et il devint jaloux, misanthrope au plus haut degré et insupportable à sa propre famille. Ce fut alors que sou délire éclata. Il tira des lettres-de- change pour des sommes énormes-, même sur des banquiers avec lesquels il n'avoit aucune relation. Relégué enfin dans une maison d'aliénés, il y déploya toute larrogance d'un despote d'Orient; il se crut chan- celier , duc de Batavia, et il exigea des hommages u'on ne rend qu'aux souverains. Cette bouffissure d'orgueil , contre laquelle tous les moyens qu'où put prendre furent vains , dégénéra peu à peu en un état de stupeur et d'idiotisme incurable.

321. 7". On ne peut attendre dans un traité gé- xiéral sur l'aliénation , une foule de détails relatifs à la cause , à l'âge, au sexe , à la complexion et autres variétés accessoires, et qui ne peuvent être consignés que dans des recueils particuliers d'observations ; il suffit ici de s'élever aux vrais principes, et d'indi- quer "l'extrême différence qui doit exister entre les résultats d'une instruction solide sur l'aliénation mentale et certaines pratiques populaires ou des essais purement empiriques.

322. 8". La marche que j'ai suivie dans l'élude historique des symptômes de l'aliénation, et dans la


DE l'aliénation MENTALlî. fiOl

manière d'en diriger le traitement , a été toujours subordonnée à une observation rigoureuse des faits considérés avec une sage réserve , et je crois avoir été en garde contre la séduction des nouveautés dont on peut quelquefois s'exagérer involontaire- ment les avantages. Je ne doute point qu'd n'y ait un jour une sorte de réaction en faveur de l'ancienne méthode par des saignées copieuses , des actes de violence, les bains de surprise et des chaînes de fer tien cimentées. Peut-être même que cette réaction s'opérera par des écrits pleins de bile et d'amertume ; tandis qu'il existe un moyen de s'entendre à l'abri de toute erreur: c'est celui de faire de part et d'autre des recensemens exacts des aliénés soumis à un traitement régulier , et de voir dans quel rapport précis est au nombre total la quantité des personnes bien guéries. Un pareil calcul , dont je donne l'exem- ple dans la section suivante, peut par de simples comparaisons sauver beaucoup de discussions su- perflues , et faire voir clairement laquelle de* deux méthodes mérite la préférence.


402 DEGRÉ DE PROBABILITÉ DE LA GUÉrisON


SIXIÈME SECTION.

Résultats d'observations ^ et cojistruction Ides tables pour servir à déterminer le degré de probabilité de la guérison des aliénés.

323. Il est difficile de s'entendre en médecine si on n'attache un sens précis au mot expérience , puisque chacun vante les résultats de la sienne propre, et cite plus ou moins de faits en sa fa- veur. Une expérience , pour être authentique et concluante , et servir de fondement solide à une méthode quelconque de traitement, doit être faite sur un grand nomhre de malades asservis à des règles générales et dirigés suivant un ordre déter- miné. Elle doit être aussi établie sur une succession régulière d'observations constatées avec un soin extrême et répétées pendant un certain nombre d'années avec une sorte de conformité ; enfin elle doit rapporter également les évéuemens (i) favo-


(i) La médecine renferme deux parties très-dislinctes: l'une, purement descriptive, a pour objet l'histoire exacte des phénomènes des maladies ; elle est déjà très-avancée , et son enseignement fait chaque jour de nouveaux progrès en pre- nant pour guide la marche suivie dans toutes les autres bran- ches de l'histoire naturelle, l/autre partie de la médecine ,

■V


DE l'aliénation MENTALE.

rablês comme ceux cjai sont contraires, assigner leur nombre respectif, et instruire autant par les uns que par les autres. C'est assez dire qu'elle doit être fondée sur la théorie des probabilités , déjà si heureusement appliquée à plusieurs objets de la yie civile , et sur laquelle doivent désormais porter les méthodes de traitement des maladies, si on veut les établir sur un fondement solide. Ce fut là le but que je me proposai en l'an lo, relativement à l'aliénation mentale , lorsque le traitement des aliénées fut con- fié à mes soins et transféré à la Salpêtrière.

824. L'histoire exacte de l'aliénation et la déter- mination de ses caractères distinctifs, avolent été l'objet fondamental du traité que je publiai en l'an 9 sur celte maladie ; mais quelques observations isolées sur une manière efficace de diriger le traite- ment, ne me paroissoient donner encore qu'un résul- tat douteux, et il restoil à acquérir une expérience authentiqpe de plusieurs années pour servir à la solution de la question suivante : Quels doivent


encore chancelante sur ses ])ases, sous le nom de rhérapeuticjne , ne contient que des préceptes vagues dont l'application est peut-être plus difficile et plus incertaine qu'un défaut total de pareilles connoissances. Dans les traités particuliers des ma- ladies, on ne pai-le que de quelques succès obtenus , et on jette un voile sur les cas où on a échoué. Dcs-lors un aveugle em- pirisme se trouve au niveau du vrai savoir , et la médecine , sous ce rapport , ne peut prendre le caractère d'une vraie science que par l'application du calcul des pi'obabililés.


4o4 DEGIIÉ DE PROBABILITE DE LA GUERISOIf

être , dans un hospice d'aliénés, les moyens inté- rieurs à prendre, l'ordre constant à y maiulenir et les principes du traitement médical à adopter, pour obtenir le rapport le plus favorable entre le nombre des guérisons et la totalité des admissions? Je crus pouvoir commencer une expérience de celle sorte au mois de germinal de l'an lo à l'hospice de la Salpêtrière. Le local étoit vaste et susceptible de toutes les distributions nécessaires. J'étois vivement secondé par le conseil d'administration des hospices, et il ne raanquoit rien au zèle et à l'habileté de l'homme chargé de me seconder pour le maintien de l'ordre et la surveillance du service. L'établisse- ment prit donc une marche régulière dès les pre- miers temps , et toujours en garde contre une prévention exclusive et l'erreur, j'eus soin de faire de six en six mois des relevés des registres pour connoître le nombre respectif des guérisons par comparaison à celui qu'on obtient ailleurs , et pour soumettre à un examen également attentif les cas où le traitement avoit été heureux , et ceux où il avoit été sans succès. C'est après un travail sembla- ble, continué de suite pendant quatre années moins trois mois, c'est-à-dire , depuis le mois de germinal an 10 jusqu'au i"^^ janvier 1806, qu'a été construite la table générale que je soumis au jugement de la classe des sciences mathématiques et physiques de l'Institut national de France, le g février 1807. 025. Les préjugés et la négligence ont fait comme


TABLE GÉNÉRALE


DES ALIÉNÉES DE LA SALPÈTRIÈRE,


DURANT QUATRE ANNÉES MOINS TROIS MOIS.


Genres de


M A N 1 £ avec j


1


Mélancolie avec diiliie sur seul objcc.


plancolie avec icnchant au iuicide.


Totaux.


X. XI.

xn.

XIII.


Totaux. .



de



Traitées


Filles,


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En iraiteni. Licurables.


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48


L E liaitcment des alitintcs tut commence h la iSalpetrièii; le l'j germinal an X. A cette époque , l'hospice , qui de tout lcmi)S avoit clu regardé comme un dé- pôt d'allé nces incura- bles , après des traitc- mcns inlruclucux tentes h l'Jtiote'-Uieu , en con- lenoilSiy. De ce n om- ble il en faut distraite Si qui donnoient quel- que espoir de guérison , et qui ruriîiiL réunies avec celles qu'on en- Tovoit d'ailleurs pour être traitées. Celles-ci ne sont point portées dans le prtsent tableau comme appartenant aux années autéiieuic:).


Sur le nombre total de 444 ïïiuéries, on ne com- prend point 10 person- nes qu'on [jeut regarder comme lelies , mais qui sont intirraes ou toibles d'entendement àès i';"lge tendie, et qui ont été amenées par le traite- ment ati point de pou- voir travailler sous la direction de quelqu'un qui les surveille.


Les personnes atta- quées de démence ou qui sont


d'idiotisme entre'cs Ji l'hospice


etoient telles , par une disposition originaire , un âge avancé on un traitement trop actif tenté ailleurs , qu'elles ont été assimilées aux autres aliénées de l'hos- pice regardées comme incurables. Dans les cas de démence accidentelle on a obtenu vingi-neuf guérisons.


Page 404.


DE l'aliénation mentale. 4o5

ériger en principe , dans le plus grand nombre d'hospices, l'iiicurabililé absolue de tous les aliénés, et pour la produire on y prend des moyens infad- libles, une réclusion étroite, des actes de dureté et de violence et l'usage des chaînes. On convient, dans un très-petit nombre d'hospices tenus avec régula- rité, qu'on peut guérir cette maladie, et, ce qu'il y a de mieux, on le prouve par une expérience répétée. Mais les relevés des registres faits tant en France qu'ailleurs , apprennent qu'on ne parvient par toutes les méthodes connues qu'à en guérir un plus ou moins grand nombre , et que tout ce qu'on peut se proposer désormais se réduit seulement à obtenir un rapport plus ou moins avantageux entre le nombre des guérisons opérées et la totalité des ad- missions : or, cette totalité équivaut à la somme des guérisons et des non-guérîsons. Il s'ensuit qu'on tombe alors dans le calcul des probabilités et dans l'usage d'un de ses principes élémentaires, savoir, que la probabilité d'un événement se mesure par line fraction dont le numérateur est le nombre des cas favorables , et le dénominateur le nombre de tous les cas possibles , favorables ou contraires. Il a donc fallu tenir des registres exacts des diverses espèces d'aliénées et de leur nombre respectif, dé- terminer arec soin le vrai caractère des faits observés pour les rapporter à leur place dans les tables , et ne point dissimuler même ceux qui peuvent laisser encore du doute et de l'incertitude. On a du surtout


4o6 DEGRÉ DE l'ROBABIUTÉ DE LA. GUÉrISON

éviter d enBer gratuitement le nombre des événe- meos favorables en déguisant ceux qui sont incer- tains ou contraires , car, comme le remarque Fon- tenelle au sujet de l'ouvrage de Daniel Beruoullli f De Jrte conjectandi ) , la difficulté est qu'il nous échappe des cas où l'événement peut arriver ou ne pas arriver, et plus il y a de ces cas inconnus, plus la connoissance du parti à prendre est incertaine.

326. Deux méthodes sont en usage dans le traite- ment de l'aliénation : l'une, très-ancienne, consiste à brusquer la maladie dans son cours par des saignées répétées , des douches fortes , des bains froids ou même des bains de surprise, une réclusion étroite. L'autre, qui est adoptée à laSalpêtrière, fait regar- der l'aliénation comme une maladie aiguë quia ses périodes successives d'intensité, de déclin etde con- valescence , dont l'ordre ne doit point être inter- verti, mais dont il faut calmer les symptômes par des moyens doux , des bains lièdes , des boissons re- lâchantes , quelquefois des caïmans ou des douches très-légères ; dans certains cas une répression éner- gique, mais courte, et toujours des manières bien- veillantes ou l'art heureux de gagner la confiance de l'aliénée , à moins que sa raison ne soit entière- ment bouleversée. Quelle est celle des deux mé- thodes qu'on doit préférer ? Un simple relevé des registres, des tables construites avec soin, mois par mois , année par année, dans divers hospices, et la théorie des probabilités, suffirontpour résoudrecelic


DE l'aliénation mentale. 4o7 question, et on pourra reconnoître par une simple comparaison cle quel côlé est constamment lavan- lage.Je commence par publier les résultats de 1«  méthode de traitement que j'ai suivie. Rien n est plus obscur que la nature des fonctions cérébrales ou Intellectuelles; et comment apprendre à remé- dier à leurs dérangemens divers , si ce n'est par des résultatscomparatlfsderobservation?ou,en d'autres

termes, le succès du traitement ne doit-il point être assimilé à un événement composé suivant une loi donnée d'événemens simples? et pour chercher sa probabilité , ne faut - il point répéter un grand nombre de fois l'expérience qui peut amener l'évé- nement , et examiner combien de fois il est arrive 2

ï.

Règles suivies A r hospice des Aliénées de ta Salpêtrière pour la tenue des registres et la construction des tables,

327. Lesaliénées sont envoyées à la Salpêtrière soit de l'intérieur de Paris, soit des autres département voisins, d'après un ordre de police ou du bureau gé- néral d'admission , et après que l'aliénation a été constatée. A leur entrée dans l'hospice on inscrit dans un registre déposé au bureau, leurs noms , leur âge, le lieu de leur naissance et la date de leur réception. On y ajoute des notes marginales sur leur état antérieur et la cause de la maladie, lorsque les


4o8 DEGRÉ DE PROBABILITÉ DE LA GUERlSOX

parens peuvent fournir des informations exactes • car Je procès - verbal de Tinvasion de la maladir* reste déposé ailleurs et ne nous est point communi- que. Cent soixaote-seize aliénées furent admises au traitement, depuis le mois de germinal an lo jus- qu'à la fin de fructidor de la même année; deux cent huit en Fan ii, deux cent soixante-deux en l'ail 12 , cent quatre en l'an i3, et deux cent cinquante-deux pour les neuf derniers mois de l'année i8o5. Ces sommes réunies donnent une to- talité de mille de.ux aliénées reçues dans l'espace de quatre années moins trois mois, que comprennent înes tables.

328. L'aliénation n'est qu'une dénomination gé- nérale propre à exprimer une lésion des fonctions cérébrales ou intellectuelles; mais il importe d'indi- quer les nombres resj^ectifs des quatre diverses es- pèces d'aliénées que l'observation la plus constante a fait distinguer. On peut voir dans la table gé- nérale celui des aliénées affectées de la manie •reçues dans riîospice année par année. Leur totalité, pour les- quatre années moins trois mois, a été de six cent quatre. On observe, quoiqu'avec moins de fréquence que la précédente, une autre espèce d'aliénation marquée par un état de stupeur, une morosité sombre avec un délire exclusif sur cer- tauis objets , et le libre usage de la raison sur tous les autres : c'est ce qu'on appelle mélancolie. Le nombre des personnes qui ont été reçues dans cet


DE l'aliénation mentale. 409 ëtat a varié d année en année, comme Fludique la simple inspection de la table générale. Leur totalité, pendant ces quatre années moins trois mois , a ete de deux cent trente , parmi lesquelles trente- huit étoient dominéesparun penchant violent au suicide. Le genre de mort que les femmes ont cherché à se donner a été de s étrangler avec un mouchoir ou un lacet, surtout la nuit, en se cachant dans leur lit. Aussi , pour lès surveiller avec plus de soin, a-t-on coutume de faire des rondes pendant la nuit, ou cde placer les plus suspectes dans un dortoir en face d'un réverbère.

32g. La démence marquée par l'incohérence des idées et la débilité des fonctions cérébrales sans agita- lion et sans fureur, est souventl'effet d'un âge avancé et peut être aussi produite par d'autres causes acci- dentelles. J'en ai compté cent cinquante- deux dans l'espace de temps indiqué, et soixante -quatre sur cé nombre avoient été réduites à cet état par un âge avancé. Enlînladeniièreespèced'aliénation dont j'ai à parler, et qu'on nomme idiotisme, consiste dans •une abolition plus ou moins complète des affections du cœur et une absence d'idées. Cet état est presque toujours originaire et vient de naissauce,et la totalité des aliénées de cette espèce a été de trente-six pendant les quatre années moins trois mois. C'est la distinction de ces différentes espèces d'aliénations qui a servi de fondement à la construction des diverses tables dont je publie le résumé dans la table générale. Elle m'a


'4»0 DEGRÉ DE PROBABILITÉ DE LA. GUÉrisON

été aussi très-utile pour recueillir mes notes jour- mlieres et pour leur dounerpius de précision et d exactitude. Elle a enfin beaucoup servi à simpli- fier le trailement, et à éviter des erreurs qui au- roicnt pu être commises dans un rassemblement nombreux d'aliénées.

33o. L'avantage de pouvoir suivre et observer les aliénées de toutes les espèces, dans leurs périodes successives d'état aigu, de déclin et de convales- cence, les inconvénieus attachés a «ne communi- cation libre et réciproque des aliénées qui sont dans ces divers degrés, enfin l'ordre et la facilité du ser- vice ont rendu nécessaire une sorte de distribution des aliénées en trois grandes divisions, de quelque espèce qu'elles soient, sans compter les incurables confinées dans un local particulier, et celles qui ont des maladies incidentes et qui ont aussi leur infirmerie. Mais comme on les fait passer souvent d'une division dans ime autre, suivant les change- raens qu'elles éprouvent, o,u qu'on les ramène, dans le cas d'une rechute, à leuranxîienne division , il est nécessaire, pour retrouver chacune de ces aliénées lorsqu'on la demande ou au moment de la visite , d'indiquer cesdéplacemens successifs on alternatifs dans un registre particulier, avec des cartes mobiles qui peuvent être transportées d'une feuille dans une autre, et qui contiennent également les dési- gnations des aliénées avec des notes sur leur état antérieur , et un chiffre de renvoi à la page du re-


DE l'aliénation MENTALE

gislre premier clëposé dans le bureau. Le nombre respeclif des aliénées contenues dans ces divisions est sans doute variable; mais ces variations sont renfermées dans certaines limites : c'est ainsi que , dans un recensement fait le 28 frimaire an i3 , je reconnus que, dans la première division , celle des aliénées agitées ou plus ou moins furieuses, soumises au traitement, on en comptoitvingt-quatre; dans la deuxième division , celle des aliénées au dé- clin de leur maladie , ou qui n'éprouvoient que quel- ques retours périodiques d'effervescence, on en comptoit cent quatre-vingt-seize. Le dortoir enfin destiné à l'entière convalescence renfermoit cin- quante-neuf personnes , dont la raison n'avoit be- soin que d'être pleinement raffermie pour qu'elles pussent être rendues à la société; c'est ce qu'on obtient surtout par le moyen d'un travail manuel : aussi un atelier de couture est-il adjacent à cette division. On doit peu s'étonner de trouver si petit le nombre des aliénées de la première division ; souvent en effet on amène à l'hospice des personnes irès-déllrantes ou furieuses qui , pai? des voles de douceur, sont promptement ramenées et en état de passer à la deuxième ou troisième division. Le se- cret d'un hospice bien ordonné est de réduire au minimum le nombre des aliénées qui ont besoin d'une étroite réclusion daus un local déterminé. Sur les vingt- quatre loges destinées aux aliénées les plus agitées, on n'en trouve souvent que six on huit qui


DEGRi DE PROBABILITÉ DE LA GUERISON

soient occupées, quelquefois trois ou quatre, etle5 autres al.enéesde cettedivision conservent une sorte de liberté dans leur local particulier, c'est-à-dire , cjue celles qui sont étroitement recluses forment à peine les 0,02 du nombre total des aliénées au trai- lement , par le système général de douceur et de liberté adopté dans l'iiospice.

II.

yiliénées admises au traitement sans aucun renseignement sur leur état antérieur , ou bien Aliénées traitées ailleurs avant leur admission dans l'hospice.

33i. Les aliénées sont souvent admises par une mesure de sûreté générale ou de toute autre ma- nière, et les procès-verbaux qui constatent la cause de la maladie ou d'autres évéuemens arrivés depuis fcette époque nous restent inconnus; ce qui prive de plusieurs connoissauces utiles pour diriger le traitement. La quatrième colonne verticale de la VskM générale a été consacrée à cette sorte de recen- sement: ainsi , par exemple, sur cent dix-sept per- sonnes attaquées de manie, quarante-deux ont été admisesau traitement en l'an 10, sans qu'on eût été informé dej'état antérieur; trente-huit sur cent vingt-quatre en l'an 1 1; quatre-vingts sur cent cin- quante cinq en l'an 12, etc. On peut faire des re-


DE l'aliénation MENTALE. 4l5

marques analogues sur les autres espèces d'aliéna- tion, en sorte que pendant l'espace de temps que comprennent mes tables, trois cent quatre-vingl- une aliénées sont dans ce cas, c'est-à-dire, o,38 de la totalité. Or ce défaut d'informations exactes rend souvent incertaines les mesures à prendre pour diriger le traitement. Il nuit encore à l'ap- plicaiion qu'on pourra faire dans la suite du cal- cul des probabilités : car, pour remplir ce but, il faut pouvoir comparer le nombre des cas où on peut espérer la guérison avec celui des cas contraires ; et comment y parvenir sans des renseignemens précis sur l'état antérieur des aliénés lorsqu'ils arrivent dans les bospices?

332. L'expérience la plus constante a appris que la facilité de la guérison des aliénés et îe degré de probabilité de l'obtenir , sont toujours relatifs à l'état récent de la maladie et aux avantages d'un premier traitement : aussi, dans certains hôpitaux étrangers, on n'admet point les aliénés déjà traités ailleurs et retombés ensuite. L'admission des aliénées à la Sal- pêtrière sans aucune restriction me donne un désa- vantage marqué , car c'est encore beaucoup que de n'avoir à répondre que de ses fautes. J'ai noté tou- jours cette circonstance lorsqu'elle m'a été connue, et j'ai eu soin d'inscrire dans la cinquième colonne verticale delà table générale, le nombre des alié- nées reçues après un ou plusieurs traitemens subis ailleurs.G'est ainsi que, dans le dernier semestre de


4u[ DEGRÉ DE PROBABILITÉ DE LA GUÉrISON

l'an lo, sur cent dix-sept maniaques reçues, cin- quante-huit avoient été traitées ailleurs par d autres méthodes, cinquante-cinq sur cent vingt-quatre en l'an II, trente -sc])t sur cent cinquante- sept en l'an 12 , etc. Je me dispense derapporter les résultats analogues que donnent la mélancolie, la démence et l'idiotisme, puisqu'on peut s'en assurer par la simple inspection de la lahle.En général , sur mille deux aliénées , trois cent quatre-vingt-dix-huit avoient été traitées ailleurs ou renvoyées d'un autre hospice , ce qui donne 0,89 de la totalité.

III.

'Dispositions à ï Aliénation prises de l'âge et de Vétat de mariage ou de célibat.

333. Une tahle particulière insérée dans mon Traité de la Manie publié en l'an 1 1 , atteste que cette maladie se déclare surtout depuis l'époque de la puberté jusqu'à la quarante-cinquième ou cin- quantième année de l'âge , et qu'en recueillant ce qui arrive dans un grand rassemblement d'aliénés, ^ elle se trouve plus fréquente parmi les hommes entre la vingtième et la quarantième année. Le simple relevé des registres a donné des résultats analogues pour les femmes, et c'est ainsi qu'en l'an g il est arrivé seize maniaques entre la dix-hui- tième et la vingtième année, trente-neuf entre la


DE l'aliénation MENTALE. 4i5

Tingt-c'mquième et la trentième, vingt-cinq entre la trente-cinquième etla quarantième, et vingt et uue entre la quarante-cinquième et la cinquantième. Cette même loi d'accroissement progressif et ensuite (le décroissement , a eu lieu de même pour les an- nées II et 12. L'an i3 a offert sous ce rapport une exception qui a pu dépendre de quelque cause accidentelle. Mais je ne dois point omettre une re- marque qui naît de la simple comparaison des notes que j'ai tenues à Bicêtre et à la Salpêtrière : c'est que la manie, parmi les hommes, n'avoit point paru se déclarer à une époque antérieure à la puberté , et qu'au contraire, dans l'hospice des aliénées de la Salpêtrière, cette maladie, en l'an 1 1, a été observée neuf fois avant l'époque de la puberté , et onze fois en l'an 12. Seroit-il donc vrai que le développe- ment de la raison , comme ses égaremens , est plus précoce pour la femme que pour l'homme ?

334. La mélancolie a été aussi plus fréquente dans l'âge adulte , c'est-à-dire entre la vingtième et la quarantième année de l'âge; mais elle ne s'est point déclarée comme la manie avant l'époque de la puberté. Il en a été de même de la démence ac- cidentelle. Mais la démence sénile , comme l'indique le terme lui-même, a lieu à des époques de la vie très-différentes : ainsi en l'an 10 cette aliénation a eu lieu deux fois à la soixantième année , six fois entre la soixantième et la soixante-dixième , et une fois à la quatre-vingt-dixième. En l'an 1 1 , trois cas de


4iO DEGRÉ DE PR.0BABIL1T12 DE LX. GUÊRISO^?

démence ont eu également lien vers la soixantième année, dix entre la soixantième et la soixante- dixième , et cinq entre la soixante-dixième et la qua- tre-vingtième : résultats analogues pour les années suivantes.En général , les personnes eu démence sé- nlle qui ont été conduites à l'hospice durant qiialre années moins trois mois, ont formé une totalité de soixante -quatre : elles ont été amenées à cet état , les unes par caducité, d'autres par des chagrins profonds, quelques. autres par l'ahus des liqueurs alcoolisées.

335.L'état du mariage dispose-t-ilautant que celui du célibat ou du veuvage à l'aliénation mentale ? C'est pour répandre quelques lumières sur cette question que j'ai fait des relevés exacts des registres, et que j'ai consapré trois colonnes verticales de la table générale à des recensemens de cette sorte ; ce qui a été d'autant plus facile, qu'on note avec soin dans les hospices ces divers états des aliénés , et qu'il y a sur ce point très-peu d'exceptions. Mais comme d'un autre côté certaines tables de mortalité , celles, par exemple , de M. Deparcieux en France , et de M. Vargentin en Suède , ont appris que les femmes mariées vivent en général plus que les célibataires , et que le nombre des premières s'est trouvé quel- quefois double des autres, on ne peut tirer dans les hospices aucune induction du rapport numérique observé entre ces deux états, en faveur d'une dis- position plus ou moins grande à contracter la ma-


DE l'aliénation MENTALEii

nie ou la mélancolie. Je ne puis non plus proposer que comme douteuses les conclusions qu'on peut tirer du nombre prépondérant des femmes non ma- riées tombées dans la démence, quoique ce nombre , suivant le relevé des registres, soit toujours plus que double , et quelquefois quadruple , de celui des femmes mariées. J'exposerai enfin comme un fait constaté , sans en rien conclure, que le nom- bre des filles tombées dans l'idiotisme fut, en l'an i r et en l'an i3, sept fois plus grand que celui des femmes mariées dans le même état , et onze fois plus grand en l'an 12. On peut donc présumer seulement que le mariage pour les femmes est une sorte de préservatif contre les deux espèces d'alié- nation les plus invétérées et le plus souvent incura- bles.

IV.

Fréquence plus ou moins grande de l' Aliénation suivant ses causes»

556. Un pareil titre indique des objets qui ne pou- voient être bienidéveloppésque dans cette deuxième édition de mon Traité sur La Manie y puisqu'ils tiennent à des recberclies anatomiques et à d'autres détails sur les causes déterminantes de l'aliénation. En me renfermant donc dans les bornes que je me suis prescrites, je ferai remarquer que le dé- faut de renseignemens précis sur l'état antérieur de

27


5Ji8 BEGRé DE PROBAïilLÏTÉ DE LA GUÉRiSOîf

plusieurs aliénées peut nuire à ccrtaius égards aux progrès de la science , mais qu'il ne peut nullement rendre douteuse l'origine la plus ordinaire de l'alié- nation mentale, puisque, d'après les informations Jes plus exactes et les plus répétées prises dans d'au- tres cas, on apprend qu'elle se reproduit chaque an- née ou même chaque mois , avec peu de variété et une sorte d'uniformité constante. En général même, lors de l'arrivée d'une aliénée dans l'hospice, on peut annoncer d'avance et avec une très-grande probabilité , que son état a été déterminé par telle cause physique ou morale.

337. La simple inspection de la table générale (jge et 10^ col. vert.) peut d'abord convaincre que les mêmes causes qui déterminent la mélancolie et la manie peuvent aussi, suivant leur intensité ou la sensibilité individuelle, produirela démence et peut- être même l'idiotisme , car ce dernier objet est dou- leux. Les causes physiques les plus ordinaires ont été une disposition originaire , la suppression ou la cessation de l'écoulement périodique , un accident pendantlescouches , l'abus des liqueurs alcooliques, des coups sur la tête. Les causes que Ton peut ap- peler morales ont été une frayeur vive , un amour contrarié,des revers de fortune, des chagrins do- mestiques ou une dévotion trop exaltée (i).


( i) Dans quelques cas j'ai fait deux foîs mention de la même aliénée lorsqu'une cause morale" a concouru avec une cause


S)E L*ÀLïiNA,TION MENTALE. 419

538. Il est curieux de voir, d'après le simple re- levé des registres , une sorte de rapport constant oli très-peu vainable entre le nombre des causes morales de la manie des femmes et la somme totale des cau- ses soit morales, soit physiques , les premières con- servant toujours leur prépondérance. Ce rapport a été de 0,61 en l'an 10, de ofiàen l'an 11 , o,58 en l'an 12 , 0,57 en l'an i3 , et 0,64 les neuf der- niers mois de l'année 1800. Une simple comparai- son suffit pour convaincre que le nombre des cau- ses morales est encore plus prépondérant dans la mélancolie que dans la maiiie : il a formé 0,80 du nombre total de l'an 11, et o,83 en l'an 12. Les années suivantes ont donné des résultats analogues. 11 semble aussi qu'il y ait une différence marquée relativement à la répétition plus ou moins fré- quente de certaines causes suivant les diverses es- pèces d'aliénation , et que si les chagrins domesti- ques produisent le plus souvent la manie , une dé- votion très -exaltée détermine plus souvent la mé-


physique : c'est ainsi qu'un emportement violent ou un cha- grin profond ont été réunis souvent avec la circonstance des couches ou d'une suppression de l'écoulement périodique. C'est ce qui sert à résoudre une sorte de contradiction qu'on pourroit trouver entre le défaut dont je me plains de ren-, seignemens acquis sur l'état antérieur d'un grand nombre d'aliénées, et la somme totale des nombres indiqués dans les neuvième et dixième colonnes de la table générale.


420 DEGRÉ DE PROBABILITÉ DE LA GUÉrISON

lancolie. Un amour contrarié et malheureux sem- ble être d'ailleurs une source également féconde de ces deux espèces d'aliénation. ïi semble enfin que des causes accidentelles fout varier les résultats de diverses années. C'est ainsi qu'au dernier semestre de l'an lo, le nombre des mélancoliques par des scrupules ou des terreurs religieuses , égala les o,5o du nombre total des causes déterminantes , qu'il fut réduit à o,33 en l'an ii, et ào,i8 en l'an 12.

55g. Le défaut fréquent de renseigneraens précis sur les personnes en démence, empêche de tirer au- cune induction sur la fréquence respective de cer- taines causes j mais , pour l'idiotisme , la simple inspection de la table générale n'indique que des causes physiques , c'est-à-dire un vice originaire , pour la plupart des cas sur lesquels on a pu recueil- lir des informations exactes.

V.

^Méthode de traitement des Aliénées suggérée par la nature des causes déterminantes , et confirmée par le calcul des probabilités*

340.' Rien n'est plus obscur que la nature des foue* lions cérébrales ou intellectuelles ; et le mécanisme de leurs dérangemens divers ne doit- il pas être également impénétrable? La méthode à suivre dans le traitement ne peut donc être comx\XQ à priori, q\


DE l'aliénation mentale. 42s

ne peut se déduire que d'une expe'rîeuce répële'e et dirigée avec la plus sage réserve. Il est permis sans doute de se défier du traitement consacré par un usage immémorial, et qui fait consister l'aliéna- tion dans une impulsion trop forte du sang vers la tête, lorsqu'on voit dans les hospices plusieurs cen- taines d'aliénés traités autrefois suivant ces principes et devenus incurables , la maladie n'ayant été sou- vent suspendue que pour un certain temps, puis étant devenue habituelle, et sujette à des retours * périodiques qu'il n'a plus été possible de prévenir. J'ai doné pensé qu'il étoit plus sage délaisser eu général la maladie parcourir ses diverses périodes d'état aigu , de déclin et de convalescence , sans trop troubler ni intervertir la marche de la nature, varier les moyens curatifs secondaires suivant les diverses espèces d'aliénation ou le caractère parti- culier des causes déterminantes, mais compter sur- tout sur les ressources puissantes de l'hygiène , en établissant dans l'hospice un ordre invariable et dont toutes les parties soient combinées de la ma- nière la plus favorable (i) au rétablissement lent et


(i) La police intérieure d'un hospice d'aliénés doit être loin de se borner à une simple surveillance , comme dans les autres établissemens publics consacrés aux infirmes; elle exige une étude particulière du caractère de chacun des aliénés , pour réprimer avec sagesse leurs écarts, éviter tout ce qui peut les exaspérer, ne jamais perdre leur confiance, ou savoir


4l1 DEGRÉ DE PROBABILITÉ DE LA GUÉhlSON

gradué de la raison. Celte mélliode a élé dévelop- pée dans les deux sections précédentes, et je me borne ici à la soumettre à l'épreuve des principes du calcul des probabilités , en recueillant les résul- tats d'une expérience aut hentique de près de quatre années.

541. Une méthode de traitement asservie d'abord à des règles fondamentales dans l'inlérieurde l'hos- pice, et variée suivant les différentes espèces d'a- liénations ou même leurs diverses périodes, ne peut résulter que d'un grand ensemble de moyens heu- reuvsement combinés, et propres à concourir au ïnême but , le rétablissement de la raison. Elle forme un objet compliqué et dont les divers élémens n'ont pu être déduits que de l'examen attentif des sym- ptômes, et des résultats plus ou moins favorables d'une expérience éclairée mais ses avantages ne peuvent être bien constatés que par de simples re- levés des registres faits avec régularité de six en six mois , et long temps ai-nsi continués, en rectifiant successivement ou en améliorant tout ce qui peut en paroître susceplible. Une confirmation ultérieure résulte de la conslrucliou des tables dressées après


toïijours la regagner, et contenir avec séve'rllé les gens de ser- vice. Cette tâche si difficile est remplie à la Salpêlri^-.2 avec autant de zèle que d'habileté par M. Pussin , qui contribue « puissamment à la guérison des aliénées par cette sorte de traitement moral..


DE l'aliénation MENTALE. 423-

quelques années pour reconQOÎtre avec exacti- tude le nombre respectif des aliénés guéris. Ou avance ainsi d'une manière lente , mais sûre , vers VU! certain terme, peut-être encore éloigné, et qu'on ne doit jamais perdre de vue , et on se dirige par une comparaison continuelle de rapports obte- nus entre le nombre des gnérisons et celui des ad- missions , soit avec les rapports obtenus antérieure- ment dans le même lieu , soit avec ceux des autres hospices tenus avec régularité (i). Mais cette com- paraison, pour être concluante, suppose une sur- veillance extrême dans la tenue des registres di- vers , une grande exactitude dans la construction des tables, des notes régulières sur l'origine la plus'


(i) On a rendu publics des résultats obtenus dans quelques - hôpitaux, soit nationaux , soit étrangers, tenus avec régula- rité, et c'est ainsi que dans un compte public qu'on a rendu dè l'hôpital de Bethléem en Angleterre ( Obser valions on insa-~ nity , by Hasthim) , Te r-apport a été 0,54-. On a publié en dernier lieu que dans l'hôpital des aliénés de Berlin le rapport, en l'année i8o5 , a été 1 17 : 4i5 > ou 0,28. Dans l'hôpital de Saint-Luc, oi;i onn'admetque lès cas les plus favorables, ceux d'une date récente , le rapport, dans l'espace de cinquante ans, a* été 2H1.1 : 6458, c'est-à-dire 0,43. Mais pour contribuer auxi progrès de la science , il faut prendre un temps beaucoup plus^ limité, supposer un ordre fixe dans l'hospice et une méthode- de traitement dont les parties élémentaires puissent être biem déterminées, et alors on peut yoiï: une coiTCspondanee mar — ^uéc entre l'effet et la» causer-


424. DEGRÉ DE PROBABILITÉ QJE LA GUÉriSON

ordinaire de l'alieDalioD, im examen très-attentif de rélat des personnes sorties comme guéries de riiospice , une détermination précise du nombre respectif des guérisons et des rechutes, enfin, l'in- dicaliou des cas qu'on doit encore regarder comme douteux et équivoques, et du nombre des cas con- traires où le traitement a échoué, c'est-àdire qu'il est nécessaire d'y appliquer les notions élémentaires du calcul des probabilités ; ce qui n'a été fait encore que pour l'hospice de la Salpêtrière.

342. Le défaut de renseignemens sur plusieurs aliénées ( 4® colonne verticale de la table ) qui entrent chaque année dans l'hospice, ne m'a point empêché de déterminer le nombre précis des diverses espèces d'aliénations, puisque chacune d'elles s'est ensuite manifestée par des symptômes qui lui sont propres. J'ai donc tenu dès le com- mencement des notes exactes sur la manie, comme sur les autres espèces d'aliénations , pour connoîlre le n ombre effectif des guérisons j et c'est ainsi que je me rendois , de six en six mois, un compte sévère des résultats obtenus. Cent dix-sept personnes atta- quées de manie avoient été reçues dans l'hospice durant le dernier semestre de l'an 10, et sur ce nombre soixante-quatre avoient été guéries; ce qui, réduit en décimales, donne 0,64. Le rapport fut encore plus avantageux en l'an 12, puisqu'il fnt deo,58.11 se soutint ensuite avec de légères varia- tions les années suivantes, et en prenant le résultat


•DE l'aliénation mentale. 4^5

f •

<le quatre années moins trois mois, j ai compte trois centdix terminaisons favorables sur six cent quatre exemples de manie , rapport qui revient à celui de 0,5 1 , en y comprenant indistinctement les cas de manie invétérée et d'une date récente.

345. La simple inspection de la table générale in- dique que les résultais furent encore plus encoura- geans dans les cas de mélancolie , puisque pendaiit le dernier semestre de l'an 10, sur vingt-quatre mé- lancoliques, quatorze avoient été guéries, trente- six sur quarante-deux en Tan 1 1 ; et en prenant le résultat général de quatre années moins trois mois, le rapport a été de cent quatorze à cent quatre- vingt - deux , c'est-à-dire 0,62. Mais ici, comme dans un «rand nombre de cas de manie, le succès dépend souvent non-seulement du traitement mé- dical , mais encore du zèle du directeur de l'hospice, qui vit sans cesse au milieu des aliénés, combat avec habileté leurs illusions en cherchant toujours à ga- gner leur confiance , et les ramène par la loi d'un travail manuel à une nouvelle chaîne de sentimens et d'idées. J'ai cru devoir aussi considérer séparé- ment une autre variété de la mélancolie , caractéri- sée par un penchant violent au suicide sans aucune cause connue: elle paroît plus fréquente certaines années que d'autres, puisque je notai six mélanco- liques de cette sorte durant le dernier semestre de l'an 10, deux seulement dans tout le cours de r^n II , neuf durant l'an 12, cinq en l'an i3 , et


426 DEGUÉ DE TMOBAfîILITÉ DE LA GUÉUTSON

seize pendant les neuf deruiers mois de i8o5. Outre les tenlalïvesque fontcerlaines mélancoliques pour s'e'lrangleravec un mouchoir ou un lacet, d'autres refusent tonte nourriture pour mourir de faim. On ne peut imaginer les soins assidus et les moyens divers dont il faut user alors pour les soustraire à une mort inévitable. Cette variété de la mélancolie paroît plus rebelle au traitement que l'autre : trois sur six furent guéries durant le dernier semestre de l'an to , quatre sur neuf en l'an 12 , et neuf sur seize pendant les neuf derniers mois de i8o5. Eu prenant le résultat général de quatre années moins trois mois, on trouve le rapport de 20 à 38, c'est-à- dire 0,62. C'est aussi lorsqu'elle est récente qu'elle est d'une guérison plus facile.

544» La démence est un titre d'exclusion pour certains hôpitaux d'Angleterre destinés au traite- ment des aliénés, et, en effet, elle est souvent en par- tie le produit d'un âge avancé. Ou ne doit donc poin£ s'étonner du rapport peu favorable que donne, à cet égard , le relevé des registres de la Salpêtrière , puisqu'en prenantle résultat obtenu pendant quatre auuées moins trois mois, sur cent cinquante -deux aliénées en démence, il n'eu est sorti que vingt-neuf dansùn étal de guérison, c'est-à-dire 0, 1 9. L'idiotisme a donné encore un rapport bien plusdécourageant, puisque, sur trente-six aliénées dans cet état, au- cune n'a pu être ramenée à la raison j et c|ueJ chang^'meoÈ favorable peuL-oa espérer dans un.


DE l'aliénation mentale. 42^ pareil état souvent originaire , puisque , sur la tota- lité des idiotes, dix-neuf sur l'état antérieur des- quelles on a pu prendre des informations exactes l'ëtoient d'originp; ce qui entraîne toujours l'in- curabilité?

345. Ce n'est donc /en général, que sur quel- ques cas rares de démence accidentelle et d'idiotisme non originaire que le traitement de l'aliénation peut être appliqué avec succès; c'est surtout la ma- nie et la mélancolie qui peuvent éprouver cette sorte de dégénéralion , et son résultat devient d'autant plus douteux , que ces dernières ont été traitées ailleurs et sont invétérées. Si on comprend dans le même calcul les quatre espèces d'aliéna- tion dont je viens de parler, sans y mettre aucune restriction, il est manifeste que le rapport que j'ai obtenu entre le nombre des guérlsons et la tota- lité des admissions est celui de 47^ :ioo2 , c'est-à- dire de 0,47. Si on veut, au contraire, exclure des termes de ce rapport les cas de démence et d'idiotisme peu susceptibles de traitement, et qui ne sont point admis dans les hôpitaux anglais , le rapport sera celui de 444 : 814 , c'est-à-dire de 0,54, en y comprenant , sans distinction , la manie et la mélancolie considérées dans leur état récent et iuvétéré , ou après un ou plusieurs traitemens an- térieurs; or ces derniers cas laissent peu d'espoir de Guérisun.


428 DEGRÉ DE PROBABILITÉ DE LA GUERISON'


Durée du traitement propre à faire prévenir les

rechutes,

346. Une opinion généralement reçue faitregarder la manie et la mélancolie comme peu susceptibles d'une guérison solide, et comme sujettes sans cesse à des retours ; cette opinion même ne paroît que trop confirmée par l'exemple de presque tous les lîospices de la France dirigés sans méthode , et où les aliénés sont détenus en général toute leur vie. I>^illeurs,le traitement ordinaire par des saignées répétées , suivi si souvent d'une iutermission pas- sagère des symptômes , et si propre à rendre l'a- liénation périodique , autorise aussi à la regarder comme incurable. Un des objets fondamentaux qu'on s'est proposés à la Salpétrière , a été de faire éviter cet inconvénient, et de produire une gué- rison solide et durable : c'est dans celte vue que les moyens curatifs et la police intérieure sont dirigés dans cet hospice, et qu'on y distribue les aliénés en trois grandes divisions, comme je l'ai déjà indiqué, cequi donnela facilité de considérer séparément les diverses périodes de l'aliénation , d'adapter à cha- cune la vraie méthode du traitement, et de trans- férer alternativement les aliénées d'une division dans une autre, s'il se manifeste une rechute, oit


DE l'aliénation MENTALE. 42g

sur le simple signe de ^oii approche : on parvient par là à déterminer avec beaucoup plus de préci- sion l'époque du rétablissement entier de la raison, et du retour de l'aliénée au sein de sa famille: c'est ce qui m'a conduit à faire des recherches sur la durée que doit avoir le traitement pour éviter les rechutes après la sortie de l'hospice.

347' Le simple relevé des registres indique des va- riétés remarquables dans cette durée, même lorsque la manie est d'une date récente. Dix-huit guérisons , eurent lieu en l'an 11 au deuxième mois du trai- tement, et neuf en l'an 12. Dans quelques cas moins graves d'aliénation survenue par des cha- grins domestiques , un amour contrarié ou UàOe suite des couches, le premier mois a suffi quelque- fois j mais le plus souvent le traitement a duré trois et même quatre mois ; et, en elfet, huit per- sonnes ont été guéries au troisième mois en l'an 10, , cinq au même temps dans l'an 12 , et onze en i8o5. Mais lorsque la manie est d'une ancienne date, qu'elle a été troublée ailleurs dans sa marche par des traitemens mal concertés ou infructueux , le traitement n'a été suivi du succès qu'après le huitième , dixième , douzième mois , et dans quel- ques cas même , après les deux années , pour bien consolider le rétablissement lorsqu'il a été passible ; car la plupart de ces aliénées deviennent incura- bles. La manie produite par une vive frayeur , celle qui a éké déjà marquée par des rechutes anlé-


43o DEGRIÉ Dt PROBABILITÉ DE LA GVÛKTSON

rieures, ou qui survient à l'époque ciilique des femmes, est aussi d'une guërisoa plus difficile. C'est ainsi qu'au dernier semestre de l'an io,huit aliénées n'ont été guéries qu'après une année de traitement, quatre après une année et demie; eu l'an li, neuf n'ont été guéries qu'après l'année révolue , et trois après une année et demie d'un traitement tour à tour repris et suspendu ; car c'est souvent un grand art que de donner à la nature le temps de développer ses ressources et ses effors salutaires.

548. Le délire exclusif des mélancoliques sur cer- tains objets et leur caractère ombrageux cèdent difficilement au traitement , et il est rare qu'on obtienne un succès marqué au premier ou au deuxième mois, à moins qu'on ne parvienne à gagner leur confiance, et a rompre par là la chaîne vicieuse des idées, en dissipant leurs illusions fantastiques.En l'an II, dix^huit mélancoliques ont obtenu leur guérison entre le ciuc^iième et le huitième mois, quatre au dixième mois , trois après une année , et quatre après une année et demie. En l'an 12 , dix- huit ont été guéries entre le troisième et le sixième mois , et douze entre le sixième et le neuvième. La nature de la cause déterminante exerce aussi une grande inlluence sur la facilité ou la lenteur de la guérison. La mélancolie produite par des chagrins domestiques ou un penchant violent qu'on a con- ti^arié, peut céder sans peine dans l'espace de quel-


DE l'ali3Énation mentale. 45& que temps, par l'isolement et quelques autres moyens simples; mais elle résiste bien plus si elle vient d'une frayeur, d'une suite de couches, ou d'une jalousie purement imaginaire et sans motif. L'obstacle est encore plus difiicile à vaincre si elle tient à une exaltation extrême des principes religieux , ou à des scrupules sans cesse renaissans ; et comment faire entendre la voix de la raison à des personnes qui n'obéissent qu'à des inspirations surnaturelles, qui regardent comme profanes ou persécuteurs ceux qui cherchent à les guérir, et qui, suivant l'expression d'une de ces aliénées, ont fait de leur chambre une sorte de Thé- baïde(i)?

549. Il est curieux de comparer entre ellesla manie et la mélancolie pour la durée la plus ordinaire du traitement , et de voir , à cet égard , la dillerence de ces deux sortes d'aliénation. Eu l'an 10, sur soixante- quatre maniaques guéries, cinquante-six l'ont été


(i) Les illusions invétérées des mélancoliques ne peuvent être lé plus souvent cVissipées qu'en saiiiissant à propos une circonstance favorable. Une d'entre elles prélendolt avoir eu une vision qui lui anuonçoit sa mort comme inévitable dans le cours de l'année. Tous les moyens qu'on prit sudcessivement pour la dissuader furent vains, et ce ne fut qu'après que l'année entière fut expirée, qu'elle n'osa plus rien répliquer; bientôt après son illusion s'est entièrement dissipée, et sa sortie dq l'hospice' a été prompte.


432 DEGRÉ DE PROBABILITÉ DE LA GUERISON

dans le coarsde la première , ou tout au plus de la seconde année; soixante-douze sur soixante-treize en l'an 1 1 , quatre-vingt-deux sur quatre-vingt^ sept en l'an 12 , et ainsi de suite. Les guérisons plus arriérées ont été très-rares, et on ne peut, guère les attribuer qu'à quelque événement for-- < tuit, ou bien à une sorte de révolution par lea ^ ^progrès de l'âge. Des exemples pareils semblent l > avoir moins lieu dans les eas de mélancolie, puis-- s qu'en l'an 10 on n'e^i peut compter que deux de: { cette dernière sorte, ainsi qu'en l'an 12, et aucuai ' en l'an n . Il paroît que lorsque la mélancolie neia ' cède point à une certaine époque du traitement ,,, l'aliéné conserve toujours la même suite d'idéesii et son caractère ombrageux , saus espoir de réta-- blissement.

55o. J'aldû être naturellementconduit, d'après les^ recberclies précédentes, à déterminer , suivant leS^ procédés ordinaires du calcul , la durée moyenne î i du traitement, et c'est dans cette vue que je l'aiji i fixée d'abord pour chaque année, et que j'ai ob-f 1 tenu pour la totalité de ces années , dans les cas dei ] manie , cinq mois et demi , et pour la mélancolie six t mois ou environ, en y comprenant , soit les aliénées ] de l'une et de l'autre sorte qui ont été envoyées à } riiospice dans les premiers temps de l'invasion de ( la maladie , soit celles qui ont subi un ou plusieurs a traitemens dans d'autres hospices , toujours très- '. $ difliciles à guérir et souvent incurables. La du- ç

j

I


DE l'aliénation MENTALE. 433

rée du traitement seroità peu près deux fois moin- dre si on n'envoyoit à l'hospice que des personnes qui n'ont point été traitées ailleurs.

35 1 . Il est constaté en effet , par le simple relevé des registres, que la plupart des guérisons opérées chaque année n'ont eu lieu qne dans les cas de la première , seconde , ou tout au plus troisième attaque de la manie ou de la mélancolie : or, ce sont précisément ces cas qui sont susceptibles de

guérison en grande partie au premier , deuxième , , troisième, ou tout au plus au quatrième mois du i traitement.

VIÎ.

Rechutes survenues après la guérison et la sortie de V hospice,

352. Un des objets qui fixent le plus lattenlion, en suivant la méthode adoptée à la Salpêtrière , est , comme je viens de le dire , d'éviter les récidives ;

mais a-t-on été assez heureux pour atteindre ce ' but , ou bien les récidives survenues après la sor- j tie tiennent-elles à des accidens qui n'ont pu être , prévenus , quelques mesures de prudence qu'où ait prises ? On n'a ici d'autre autorité à invoquer que les résultats de l'expérience, c'est-à-dire qu'il a fallu noter avec soin le nombre des récidives survenues , et les circonstances qui ont pu les pré- céder ou les déterminer. Ce nombre ne peut êlre

(


454 PROAUILITÉ DE L\ GUÉlUSON

que très-approcliaut du vrai dans un hospice où sont surtout reçues les femmes des classes iufë- l'ieures de la société, qui deviennent entièremeûtà charge à leur famille si elles retombent, et qui nous sont ramenées; les cas d'ailleurs que je vais indiquer serviront à éclairer sur l'origine la plus ordinaire des rechutes.

353. Le relevé exact des registres atteste que dans le cours des quatre années moins trois mois que com- prend la table générale , et sur la totalité de quatre cent quarante - quatre aliénées guéries, soixante- onze sont retombées api es un intervalle plus ou moins grand : or, je dois faire remarquer que, sur ce dernier nombre, vingt avoieut éprouvé déjà une ou plusieurs attaques traitées ailleurs antérieure- ment à leur entrée dans l'hospice, et que dans l'at- teslatlou donnée pour la sortie, j'avois ajouté une restriction et fait craindre une nouvelle rechute, à moins de grands méuagemens pour l'éviter. Seize .autres personnes étoient retombées, parce que leur première sortie , fortement réclamée par les parens, avoit été prématurée, et qu'on les avoit avertis de ce danger. Je dois d'ailleurs remarquer que sur ce dernier nombre , dix ont été de nouveau traitées et guéries sans retour: Il y a eu donc sur la totalité trente-six rechutes qu'on ne peut attribuer, à pro- prement j)arlcr,au traitement subi à la Salpétriére. Sur les autres trente-cinq aliénées , des renseigne- meus précis out appris que quatorze d'entre elles


DE l'aliénation mentale. 435

avoient été précipitées dans la misère et daus des chagrins profonds par leur aversion pour le travail ouTinconduitedeleurs maris, causes très-ordinaires de l'aliénation. Six autres sont retombées dans leurs excès antérieurs de boisson ; ce qui est encore une autre cause fréquente de l'égai^eraent de la raison. Enfin le retour de la mélancolie par des scrupules religieux extrêmes a égaré de nouveau huit per- sonnes , et les six autres ont été^enÉrâînées dans un état d'aliénation par les traûâpoi^ts aveugles de la jalousie ou d'un amour contrarié, eu laissant toute- fois douter, comme dans les autres cas, si c'étoit une récidive de l'ancienne maladie ou l'invasion d'une nouvelle. Quelqueiuterprétation qu'on puisse donner aux rechutes qui sont survenues, elles in- diquent dans quelles justes limites est circonscrit leur nombre respectif et les causes les plus ordi- naires qui ont pu les provoquer. Il est même diffi- cile de croire que dans les ^Drogrès ultérieurs que peut faire la science , on parvienne jamais à les pré- venir, puisqu'elles dérivent de l'empire puissant que prennent sur le cœur de l'homme les habitudes depuis long - temps contractées. Mais seroit-ce un motif pour ne point regarder comme autant d'évé- iiemens favorables des guérisons suivies dé cès rechutes, dans les applications qui peuvent léUr être faites du calcul des probabilités ?


436 DEGRi DE PROBABILITÉ DE LA GUERISON


VIII.

Du nombre respectif des succès ou des non- succès du traitement des Aliénées,

354- Le principe fondamental du calcul des pro- babilités sera toujours d'une application facile et simple , lorsqu'on aura acquis une connoissancc distincte du nombre respectif des ëvénemens favo- rables et contraires, et c'est ainsi que dans tout hospice où on aura déterminé le vrai caractère de ce qui rend l'aliénation curable ou incurable , il ne s'agira plus que d'un simple recensement des cas de l'un et l'autre genre pour connoître leur nom- bre respectif. Mais le défaut de renseiguemens pré- cis sur l'état antérieur de plusieurs aliénées ( qua- trième colonne verticale de la table ) a empêché souvent, à la Salpétrière, de connoître les circons- tances de ces deux états , et d'en faire des recense- mens exacts: il a fallu donc trouver un supplément à cette manière de procéder. Ce supplément a con- sisté à faire un dénombrement de toutes les alié- nées qui restoient dans l'hospice à l'expiration des quatre années moins trois mois, et qui avoient été traitées sans succès dans cet espace de temps : or , ce nombre total, qui s'est élevé a deux cent douze, «omprenoit cent quatorze personnes affectées de la


DE l'aliénation MENTALE. /fS^

manie , dix mélancoliques et quarante-cinq aliénées tombées dans la dénaeuce ou l'idiotisme, c'est-à-dire cent quatre-vingts personnes sur lesquelles on avoit reçu des informations exactes ^ et qui avoient subi ailleurs un ou plusieurs traitemens. Parmi les autres trente-deux, on pouvoit en compter dix-sept qui étoient dans un état douteux , et continuoient d'è- Ire traitées! avec un espoir plus ou moins fondé de guérison; il y en avoit dix sur lesquelles on n'avoit pu recevoir aucun renseignement ; et les cinq autres^ quoique bien reconnues pour être entrées dansThos- pice à une époque très-peu éloignée de l'invasion de la maladie, n'a voient pu non plus être guéries.. Il s'en- suit donc queles aliénées traitées ailleurs sans succès formoient la très-grande majorité des incurables restées daus'l'hospice , c'est-à-dire que leur rapport étoit de 0,85 ) tandis que celui des aliénées d'une date récente non guéries ne formoient plus que 0,07 , en faisant même entrer dans le calcul dix aliénées sur l'état antérieur desquelles on n'avoit pu recevoir aucune information précise. Hyadonc une sorte de probabilité, celle de 0,98, que le trai- tement adopté à la Salpêtrière sera suivi du succès si l'aliénation est récente et non traitée ailleurs , et je dois faire remarquer que les rechutes n'ont eu lieu sur celles-là que lorsque leur sortie avoit été prématurée par les récîamatioris des parens , et qu'ion n'avoit point attendu que leur raison fut pleinement rcla.blie.


438 DEGRÉ DE PaOBiBlLlTÉ DE LA GDKRrSO!^

355. On pounoit objecter que la mortalité des femmes Soumises au traitement ayant été de cin- quante-six pourl'espace de temps que comprend ma table , les aliénées qu'on fait passer pour être sorties comme guéries peuvent avoir succoml3€ à d'antres maladies incidentes , et qu'alorsil reste du doule sur le nombre respectif des aliénées d'une date récente rendues à la société ; mais je puis mettre au rang des faits les plus constatés , que les maladies et la mortalité sont presque toujours dans l'hospice le partage des personnes épuisées par dés traitemens antérieurs, et si affoiblies à leur arrivée , qu'on est obligé de les faire passer le plus souvent dans une infirmerie particulière , presque toujours remplie d'aliénées de cette sorte ou d'incurables. Les re- censemens multipliés qui ont été faits des malades de ces infirmeries , attestent d'ailleurs que les ma- ladies qui y sont le plus souvent mortelles sont , ou des fièvres ataxiques ou adynamiques , soit sim- ples, soit compliquées de catarrhes pulmonaires, ou une fièvre lente et hectique , quelquefois jointe à une phthisie pulmonaire, ou enfin undévoiement eoUiquatifj ce qui Mt voir que ces aliénées ont été précédemment soumises aux causes les plus débi- litantes. Il est résulté d'un recensement fait dans des derniers semestres que , sur soixante- douze aliénées mortes aux infirmeries , soit regar- dées comme incurables, soit soumises au traite- ment , soixante-deux avoient succombé à diverses.


DE l'aliénation mentale. ^OQ

maladies tle langueur (i), qne la méthode suivie à Ist Salpêtrièi e fait en général évller pour les per- ■sonnesqui y sont exclusivement irailées.

IX.

Succès douteux du traitement dans certains cas d'Aliénation par le défaut de caractères sensibles»

356. La marche suivie dans toutes les parties de l'histoire naturelle, et l'attention constante qu'on a de déterminer les objets par des signes distinct-.fs, peuvent beaucoup éclairer la méthode à suivre en médecine, et celie ci peut se rapprocher plus ou moins de ces modèles dans certaines maladies; mais elle est loin, sur quelques autres, d'attenidre vin certain degré de précision et d'exactitude. J'ai cherche en valu à distinguer tous les cas d'alléna*- tion , et à les comprendre par des signes sensibles en deux grandes classes , les uns susceptibles de guérison, les autres incurables. Des symptômes, quelquefois très-violens, peuvent appartenir éga- lement à une aliénation qu'on peut guérir ou ne pas guérir. Son état invétéré , quoique en général d'un mauvais augure, donne quelquefois lieu à des


(i) Dîî-sept aliénées onl été victimes de fièvres adyna- miqnos ou alasiqiios , vingt-cinq onl péri d'une fièvre lente o u hectique , et vingt d'ua (lux de yenire coirK^ualif.


44o DEGRÉ DE PROBABILITÉ DE LA GUERISON

exceplions iiialtendues (i). Un cas d'aliënaiion jugé d'après loutes les analogies comme susceptible de guërison, peut éprouver, dans le cours du traite- ment, des obstacles imprévus, soit du côté du ser- vice ou de la police intérieure dont on entrave la marche , soit par quelque incident que toute la prudence humaine n'a pu prévoir, soit enfin par quelque faute dansl'application des moyens curatifs peu adaptés au caractère de la maladie , ou à des variétés particulières de l'âge, de la saison ou du tempérament; car, quand on se juge avec sévé- rité, combien on se trouve souvent éloigné d'un


(i) Une femme livrée à la plus profonde mélancolie depuis quatre années, éprouvoit un penchant violent pour le suicide, et aA'oit élé traitée en vain dans un autre hospice. Son égare- ment, qui étoit atroce, consistoit à vouloir donner la mortà une autre personne , pour être livrée aux rigueurs de la justice, puisqu'on l'empèchoit de se tuer. Elle avoit un tel dégoût pour la vie, que, malgré son horreur à commettre un crime, elle s'y porloit pour échapper, disoit-elle, au plus cruel des tour- mens , celui de vivre. Tous les moyens moraux, et physiques employés pendant près de deux ans à la Salpêtrière avoient élé inutiles, et ce n'a été qu'après ce terme que sa raison a paru se rétablir. Dix mois de tranquillité et d'une absence totale de son délire ont à peine suffi pour me rassurer et me faire consentir à sa sortie ; mais enfin sa guérison a paru si consoli. dée qu'on a accédé h sa demande , et qu'elle est rentrée dans la société. Combien de fois, dans les deux premières années, n'avoit-elle pa? été assimilée aux autres incurables I


DE l'aliénation mentale. 44i certain terme qu'oQ eatrevolt et qu'on ne peut atteindre !

357. Le recensement fait à la fin de l'espace de temps que comprend ma table , a donné des exem- ples de ces cas douteuxou équivoques. Huit person- nes étoientdans un état invétéré de manie; mais des changemenslents et progressifs sembloient annoncer pour l'avenir le retour entier de la raison. Cinq mé- lancoliques étoient aussi dans une position équivo- que, et leurs illusions étoient en partie dissipées, de manière à prévoir également pour l'avenir une issue favorable ou contraire. line restoit de l'aliéna- iion dans deux au très exemples qu'une aversion invin- cible pour le travail , qui cependant étoit nécessaire pour la subsistance. On ne pouvoit enfin rien pro- noncer sur une foiblesse d'entendement qu'éprou- voient deux autres personnes , et dont la conva- lescence paroissoit équivoque. Ces dix-sept cas d'aliénation pouvoient être regardés comme égale- ment susceptibles d'une issue heureuse ou malheu- reuse du traitement ; ce qui est toujours un obstacle à une juste application des probabilités, obstacle que des progrès ultérieurs de la science appren- dront sans doute à vaincre.

358. Ce sont surtout les cas douteux qui ren- dent difficiles les attestations de guérison pour que chaque personne, après le traitement, puisse être rendue à la société; car les autorités constituées demandent de la part du médecin celle sorte de


44^ DEGRÉ DE PROBABILITÉ DE LA GUÉrisoN

garantie. Ces attestations doivent offrir des nuan- ces variées, être exprimées sans restriction lorsque l'aliénation accidentelle est d'une époque récente, et que la convalescence a été amenée par degrés. On doit prononcer avec réserve si l'admission dans l'hospice a été précédée d'une ou de deux attaques, quoiqu'il ne paroisse rien manquer au rétablisse- ment. Les craintes d'une reciiute pour l'avenir, doivent augmenter si l'aliénée a éprouvé anté- rieurement des attaques réitérées, ou qu'elle ait subi ailleurs plusieurs trailemens infructueux. Il y a bien plus de motifs de craindre si la con- valescence est imparfaite, et que la sortie forte- ment sollicitée par les parens soit prématuiée. C'est par une expérience réitérée et quelquefois même après avoir commis des erreurs, qu'on ap- prend à se rectifier, et à ne point compromettre la sûreté publique.

35g. L'exposition simple des succès et des non- succès du traitement des aliénées de la Salpétrière, et la détermination des rapports numériques quî en ont résulté , indiquent asse^ combien la mé- decine expérimentale est susceptible de prendre une marche ferme et invariable par l'applicaliou du calcul des probabilités, avantage qu'on lui con- testera toujours avec raison , si elle ne s'attache dans ses essais qu'aux événemens favorables. Quelle que soit la divergence des opinions sur le Iraitemeut des aliénées, ou ne pourra nier ua


DE l'aliénation mentale. 4/p

résullat authentique et constaté par le reievé le plus exact des registres , d'après une expérience de près de quatre années, et on ne peut contester que , pendant que l'hospice sera dirigé suivant les mêmes principes , il y aura le même degré de pro- babilité en faveur de la guérison d'une aliénée quelconque qui y sera admise , degré de probabi- lité évalué par le rapport de 0,93, si l'aliéna- tion , soit manie , soit mélancolie , est d'une' date récente et non traitée ailleurs. La détermina- tion de ce rapport auroit été bien plus simple et plus directe si on avoit toujours pu se" procurer dans l'hospice des renseignemens précis sur l'état antérieur des aliénées , qu'on eût pu faire une distinction du nombre des cas favorables et des cas contraires, et qu'il n'eûtpas été nécessaire de recou- rir à d'autres voies détournées. Je n'ai pas moins donné un exemple authentique de la méthode qui doit être suivie. Des journaux exacts d'aliénation tenus désormais dans d'autres hospices , et des tables générales construites avec soin , pourront for- mer autant de termes de comparaison pour recti- fier ou perlectionner les méthodes de traitement,, et serviront dans la suite de fondement solide pour des recherchesultérieures du calcul des probabilités, appliqué à un des plus grands objets d'utilité pu- blique.


4i4 DEGRÉ DE PROBABILITÉ DE LA GUÉrISON


X.

/

Résultat général du Traitement des Aliénées de l'hospice de la Salpétrière, durant les cm,' nées 1806 et 1807.

36o. Les grands ëtablissemens consacrés aux alié- nés sont exposés, comme toutes les inslilutions hu- maines, à dégénérer, et peut-être même plus que tout autre. Quelle surveillance active et continuelle ne doit point être exercée sur toutes les parties du service de la part des préposés ! le médecin Lui- même n'est-il point sujet à se relâcher de la sévérité- de ses devoirs ? et quel autre moyen d'apercevoir les effets de tous les abus, que par la comparaison des résultats des diverses années et par une diminu- tion respective du nombre des guérisons ? C'est en core le calcul des probabilités qui donne cet avantage»

Année 1806.

36r. Les plus grandes difficultés à vaincre sont toujours venues, comme dans les annéesprécédentes, des renseignemens imparfaits qu'on obtient sur l'état îintérieur d'un grand nombre d'aliénées, qu'elles soient envoyées par ordre de police, ou par le bureau central d'admission. On ne peut d'ailleurs s'entendre sur le succès ou non-succès du traitement, si on ne part d'une base fondamentale donnée par l'obser- vation la plus constante et la plus réitérée. Il est re- connu eu effet , autant eu Angleterre qu'en France,


Ï)E L ALIÉNATION MENTALE. 445

jo. que fidlotlsme et la démence sotil en général incurables, en sorte que dans l'hôpital Saint-Luc à Londres , on n'admet nullement au traitement des aliénations semblables. 20. On regarde aussi, dans le même hôpital, comme incurables, la manie déjà traitée ailleurs sans succès , celle qui n'est point récente et dont l'origine remonte au-delà de trois mois , celle enfin qui est compliquée d'un état de paralysie. Ces observations doivent trouver leur -entière application à la Salpêtrière ; mais dans .cet hospice on donne encore plus de latitude ipourla durée de la manie , et on demande seuJe- -ment pour le succès du traitenient, que son ori- gine ne remonte point au - delà d'une année , et qu'elle ne soit point communiquée par une trans- Jmission héréditaire.

362. Le nombre des aliénées soumises au traite- ment durant l'année 1806, se compose de celles qiiî ont été envoyées à l'hospice durant cette année-et de celles qui restoient à la fin de l'année i8o5 ; ce qui forme une somme totale de deux cent trente- deux, en excluant de part et d'autres les personnes réduites à un état d'idiotisme et de démence à quT on donne un asyle , mais qui ne sont nullement sus- ceptibles de traitenaeut, quoique je l'aie tenté sur quelques-unes par les raoj^eus les plus actifs. Mais de ce nombre il faut encore retrancher quarante- trois aliénées traitées sans succès, et qui , d'après le relevé des registres, dévoient être mises au nombre


44G DEGRÉ DE PROBABILITE DE L.i GUERIEO.V

aes aliénations invétérées et réputées incurables. En effet, dans plusieurs de ces cas , l'état maniaque ou mélancolique datoit de quatre années, souvent de SIX ou même de dix; il remontoit même quel- quefois jusqu'à quinze ou vingt années. Il est re- connu aussi , d'après des notes consignées dans les registres , que certaines aliénées avoient été traitées ailleurs sans succès par les méthodes les plus acti- ves , et que par conséquent on n'avoit eu aucun succès du traitement qu'on avoit cru cependant de- voir tenter; d'où il suit que le nombre des per- sonnes traitées avec un espoir fondé de guérison pendant cette année, s'est réduit à cent quatre- vingt-neuf, sur lequel cent soixante, ont été ren- dues à la société d'après le relevé le plus exact des registres; oe qui donne le rapport 0,84. On ne doit pas d'ailleurs oublier les chances peu favorables qu'a produites le défaut de renselgnemens précissur la cause primitive de l'aliénation ; ce qui a mis sou- vent de l'incertitude dans le choix des moyens de la traiter d'une manière directe.

363. Les objections tirées du nombre des récidives sont maintenant nulles, puisque ces dernières ne doivent être attribuées qu'à Timprudenee qu'ont eue quelquefois les parens de retirer les convales- centes avant leur entier rétablissement, et malgré les avis réitérés qu'on leur a donnés. L'expérience qu'on a acquise dans l'hospice fait conuoître l'é- poque précise où le calme est pleinement rétabli, et


DE LALI éNATIOW MENTALE. 44^

]es fonctions de rentendement ramenées à leur état naturel, et où l'on n'a plus à craindre un retour de régarement de la raison en rentrant dans la société. On n'a qu'à consulter les atlestalious que je donne au moment de la sortie et qui sont dépo- sées au bureau d'entrée, pour se convaincre que tous les cas douteux ou équivoques ont été indiqués, et qu'il n'y a point eu de rechute qui n'ait été pré- vue.

354. La plus grande mortalité des aliénées, dans l'hospice , porte en général sur les femmes en dé- mence sénlle, d'un âge très-avancé, réduites à un état de langueur, dont les hôpitaux étoieut surchargés , ou qui ont passé ailleurs par tous les degrés de l'épuisement et de l'indigence. II en a péri trente-Irois de ce nombre dans l'hospice du- rant Tannée 1806 , ainsi que six personnes réduites à un élat d'idiotisme. Parmi les mélancoliques de l'hospice, on n'en a perdu que neuf dans la même année, et la cause de la mort a été manifeste, puis- qu'elle a été due à une répugnance invincible pour prendre de la nourriture, quelques moyens qu'on ait pu mettre en usage , et ces moyens sont très- variés (212). La manie est en général jointe à un état de vigueur et de santé, et il est très-rare que les ahénées de celte sorte deviennent malades dans rhospice, surtout par les soins qu'on prend de leur accorder tout le degré de liberté qui est compatible avec leur état , de leur laisser satisfaire


443 DEGRÉ DE PROBABILITÉ DE LA GUÉrISOTT

leur appétit et de leur faire respirer un air salubre; mais les tentatives mal entendues qu'on fait ailleurs ou dans leur famille, pour les guérir d'abord , l'abs- tinence à laquelle on les condamne en général, ou les fausses apparences d'une fièvre aiguë et fréné- tique qui peut simuler la manie, réduisent cer- taines de ces aliénées à l'état le plus déplorable, et c'est quelque temps après leur admission qu'on en voit succomber quelques-unes. On a aussi, dans certains cas , confondu une lièvre ataxique avec un état de manie , et alors la malade est venue périr dans l'bospice. C'est ainsi qu'on a compté seize morts parmi les maniaques durant l'année dont je parle.

Année 1807.

565. Le nombre d'aliénées soumises au traitement en 1807, compose de celles qui restoient à la fin de l'année précédente et de celles qui ont été en- voyées à l'hospice dans le cours de la même année, ce qui forme une totalité de deux-cent quatre-vingt- dix-neuf. Pour obtenir un rapport exact entre le nombre des guérisons et celui des admissions , on doit d'abord retrancher du nombre total, 1°. trois épilepliques qui ont été ramenées dans leur divi- sion tiprès avoir recouvré la raison; 2"^. trente-deux aliénées parvenues à l'hospice dans un état de démence sénile ; 3". dix-huit paralytiques, puis- que l'observation la plus constante apprend que


DE l'aliénation MENTALE. ^ç)

k complication de la paralysie avec l'aliéiialioa est incurable ; 4°" quatorze personnes tombées dans l'idiotisme , soit originaire soit accidentel ; 5°. vingt personnes affectées d'une manie héréditaire, oa devenue habituelle depuis au moins neuf années et au-dessus; 6°- neuf mélancoliques dans un état in- vétéré. Le nombre total des aliénées dont je viens de parler s'élève à quatre-vingt-seize qu'on doit re- garder comme non susceptibles de traitement , et renvoj'ées aux incui\ibles après avoir fait des ten- tatives infructueuses sur certaines d'entre elles. Ce nombre retranché de la totalité des admissions donne pour reste deux cent trois.

366. Ce dernier nombre doit être encore dimi- nué d'après des renseignemens postérieurs qu'on a acquis sur plusieurs aliénées durant le cours des années suivantes, à mesure quelesparens pouy oient les fournir. Il a été en effet constaté que , parmi les deux cent trois restantes et présumées susceptibles de guérison , quatorze maniaques étoient dans cet état depuis sept ans et au-dessus, neuf mélancoliques étoient d'une ancienne date ; enfin on a compté dix cas de démence et treize d'idiotisme. Ces divers nom- bres réunis forment encore une totalité de quarante- six incurables, et le non succès du traitement ne doit être nullement attribué au défaut de la mé- thode qui a été suivie. En retranchant ce nombre de deux cent trois, il reste cent cinquante -sept aliénées susceptibles d'un traitement régulier. D'un

^.9


45o DEGRÉ DE PROBÂBILlTi DE LA. GUERISOT

autre côté le nombre des guërisoiis , qui a été re- connu être (le cent vingt six, doit être augmenté de dix aliénées rendues à la société postérieurement à l'année 1808; d'où il résulte que le rapport entre le nombre des guérisons et celui des admissions est celui de cent trente-six à cent cinquante-sept , c'est- à-dire 0,87.

367. C'est surtout dans un rapjX)rt médical qu'on doit exposer les variations de mortalité d'un éta- blissement public pour en déterminer et, s'il est j)0ssible , en diminuer les causes; le simple recen- sement des maladies qui ont eu lieu dans l'hospice en 1807, circonstances qui les ont accom-

pagnées, fera juger facilement combien le méde- cin s'est trouvé à cet éeard dans des cbances mal- •heureuses et même étrangères à l'état d'aliénation. Vingt-deux aliénées très-âgées étoient réduites à ua élat de démence sénile, après avoir éprouvé une grande détresse ; dix-huit étoient tombées dans un état de paralysie avec égarement de la raison , par un abus antérieur des remèdes, et elles ont fini par succomber. Huit mélancoliques ont été victimes d'une abstinence volontaire, quelque expédient qu'on ait pu prendre pour les en^ger à se nour- rir; trois se sont éteintes dans un état absolu d'itîio- tisme. Six femmes très-âgées et envoyées de l'Hôlel- Dieu, sont arrivées dans une débilite extrême, par un séjour très-proloiigé dans leur lit. Sept mania- ques ont péri de. ce qu'on nomme (ièvres malignes


DE l'aliénation MENTALE» 45ï

OU ataociqiics. Six antres aliénées ont succombé au scorbut, à la phlbisie ou bien à des attaqués d'apo- plexie. Ces divers nombres réunis forment une somme totale de ^oixante-dil ; ce qiii donne un résul- tat peu encourageant si on n'avoit dans l'c^sprife les remarques précédentes. Il est facile de voir que les résultats obtenus en 1806 et en 1807, sont l'un de 0,84 et l'autre de 0,87 , tandis qu'il avoit été pour les années précédentes de 0,98, toujours en comparant le nombre des guérisons possibles avec 3a totalité des admissions. La cause principale de ce désavantage me paroît tenir au défaut total de reii- seignemens précis sur les causes déterminantes de l'aliénalionetsurlesremèdes déjà mis en usageavant l'admission des aliénées dans l'hospice, ce qui, dans un grand nombre de cas, a mis une grande insta- bilité dans le traitement de ces dernières années; car d'ailleurs ces aliénées sont dirigées suivant les mêmes méthodes. Il me paroît donc que les forma- lités de l'admission ont besoin d'être perfectionnées. Mais ne dois je pas rechercher s'il y a d'autres ob- jets de réforme , et porter toujours sur moi-même un jugement sévère ?


45a


(TA s INCURABLES


SEPTIÈME SECTION.

Cas incurables d'aliénation par des "vices de conformation ou d'autres causes,

3G8. I L est difficile de remonter à l'origine du jugement porté sans restriction sur les aliénés par les anciens jurisconsultes : semel furiosus semper prœsumitur Juriosus (i). Est-ce une simple opinion fondée sur des préventions populaires , ou bien un résultat de faits recueillis dans des asyles puljlics où les aliénés étoient séquestrés dé la société et regardés comme incurables ? Zacchias , dans ses questions médico-légales, met de grandes limites à cette proposition générale , et parmi les divers cas qui donnent peu d'espoir de guérison , il in- dique surtout ceux d'une lésion de structure orga- nique du crâne ou du cerveau. Il importe d'exa- miner les lumières qu'ont pu produire sur cet objet les progrès ultérieurs de l'analomle , et la


(i) La meilleure raéliiode de répondre aux préventions des jurisconsultes , est de leur mettre sous les yeux ce qui a été dit dans la section précédente sur le calcul des probabi- lités appliqué au traitement des aliénées, suivant les principes qui ont été suivis à l'hospice de la Salpêlrière. C'est par des résultats de faits bien discutés qu'il faut se diriger ea méde- cine comme dans toutes les sciencos physiques.


DE l'aliénation MENTALE. 45a

dlreclion particulière que j'ai suivie dans les re- cherches qui me sont propres.

369. Morgagiii a pu s'élever à une induction trop générale sur la densité et la consislance du cerveau des aliénés, comme l'ont attesté des obser- vations postérieures beaucoup plus multipliées ; mais la marche sévère qu'il a suivie dans ses dissec- tions anatomiques et dans l'exposition historique des faits observés, sera toujours un modèle de sagacité et d'exactitude non moins que d'une saine critique. Ou a eu souvent occasion de remarquer comme lui des épauchemens lymphatiques, dans les ven- tricules du cerveau , des engorgemeus des vais- seaux sanguins, des changemens survenus dans les plexus choroïdes ou le corps calleux , de petites coDCrétions calculeuses dans la glande pinéale, etc. Toutes ces observations se confirment chaque jour par des recherches analogues. Il faut convenir cependant que dans d'autres cerveaux d'aliénés on ne trouve aucune de ces lésions physiques,^ aucune altération dans la structure organique de ces parties , et, ce qui est encore plus décisif, c'est qu'on les remarque quelquefois dans d'autres cas différeus, et à la suite de certaines maladies en- tièrement étrangères à l'aliénation mentale, comme l'épilepsie , l'apoplexie , les convulsions , les fièvres ataxiques. Quelles lumières, d'ailleurs, pourroient résulter d'une longue énumération de tous les changemens survenus dans la substance du cer-


454 CAS INCURABLES

veau ou des mënin£»es , si on les isole d'une expo- sition historique et dclaiilée des circonstances anté- rieures qui ont eu lieu dans ces cas particuliers , sj on omet cause physique ou morale de l'alié^ natioq , son caractère précis, ça marche, le trai- len^ent qu'on a suivi , les maladies incidentes qui opt. eu lieu durant son cours et tout ce qui l'a pgrtiçuHèrera.evït distinguée? Quelquefois même les lésions organiques , au lieu d avoir leur siège dans Ijp cerveau ou ses enveloppes, se trouvent dans les viscères de l'îibdomen , et consistent surtout dans des changemeqs morbifiqucs remarqués dans la substance du foie, de l'estomac ou les intestins; ce qui augmente encore les difticuUés, et doit tou- jours tenir eu garde contre la précipitation du jugement. C'est sur ce plan qu'out été rédigés les joiu^naux d'observations que j'ai tenus dans l'hos- pice de la Salpêtrière , et dont je publierai les his- toires particulières , en leur joignant celles que je pourrai faire encore, comme je l'ai déjà annon- cé (32o) : il ne s'agira plus quand elles seront assez multipliées, que d'en tirer des corollaires généraux avec les exceptions et les modifications dont ils sont susceptibles. Je me borne ici aux irrégularités et aux vices de conformation que peut offrir dans quelques cas d'aliénation la structure du crâne, en faisant précéder quelques remarques propres à montrer combien Ces derniers cas sont rares.


DE l'aliénation MEISTALE.


I.

Périodes de la vie les plus propres àfairecon-- tracter la Manie qui ^ient de causes morales,

370. Ud simple résultat de calcul numérique sur les périodes de la vie qui ouvrent le plus de chances à l'aliéoaliou , fait voir en général com- bien doivent êlre rares les vices de conformation du cerveau ou du crâne. J'ai tenu un compte exact du nombre des insensés transférés à Bicêtre durant l'an 2 et l'an 3 de la république, et j'ai noté soigneusement leurs âges respectifs. Pour mettre plus d'ordre dans les résultats du calcul , j'eus soin ^ à la (in de chaque année , de dresser une table dans laquelle les périodes de l'âge étoient divisées en dixaines d'années, depuis la première jusqu'à la soixantième, pour pouvoir y comprendre les âges des divers aliénés. Je remarquai que dans le nom- bre total de soixante et onze, qui furent reçus à Bi- cêtre durant l'an 1 de la république , trois seule- ment étoient compris entre la quinzième et la ving- tième année de l'âge , mais pas un seul avant ce pre- mier terme, c'est-à-dire l'époque de lapuberté: vingt- trois autres aliénés étoient intermédiairesà la ving" tième et à la trentième année, quinze à la trentième et quarantième , et autant entre quarante et cin- quante ; neuf entre cinquante et soixante"; six seulement depuis cette dernière jusqu'à soixante^


^^^^ CAS INCURABLES

dix , et aucun au-ddà de ce dernier terme. J'oblius encore un résultat analogue pour l'an 3 de la républi- que , en sorte que l'âge d'aucun aliéné ne s'est trouvé antérieur à l'époque de la puberté ; que les deux dixauies d'années comprises depuis vingt jusqu'à trente, et depuis trente jusqu'à quarante, o itéiéles plus fécondes en aliénés; il y en a un nombre moindre dans ladixaine comprise entrequaranteetcinquante, etpluspetitencoredepuiscinquautejusqu'àsoixante. Un relevé exact des registres de l'hospice de Bicétre', pendant dix années consécutives , sert à confirmer les mêmes vérités, comme l'indique la table suivante :

TABLE.


ALIÉNÉS ÎReçus à Bicêtre.





A G


E S.



i5


20


3o


4o


5o


60


h


à


à


ù


h


à


20


3o


4o


5o


60


70


5


55


5i


24


1 I


6


4


59


49


25


H


5


4


3t


4o


32


i5


5



59


4i


26


17


7


9


45


55


21


18


7


6


58


59


55



2


6


28


54


19


9


7


9


26


5 a


iG


7


5


6


, 26


55


18


12


D


I


i5


i5


7


4


2


3


25


i5


i5


9


6


Total.


1 10 154 127 j 1 42 i5i

l52

io5 95 98

40


71


DE l'aliénation mentale. 45;

37 1 . La disposition pins particulière qu'on a pour l'aliénatiou de l'ealendement, dans certaines pé- riodes de la vie plus exposées cjue les autres à des passions orageuses, se concilie facilement avec le résultat des faits obse^^vés dans les hospices. Dans le recensement des aliénés que je fis à Bicêtre l'an 3 de la république, je reconnus que les causes déter- minantes de cette maladie sont le plus souvent des affections morales très-vives, comme une ambition exaltée et trompée dans son attente, le fanatisme religieux , des chagrins profonds , un amour mal- heureux. Sur cent treize aliénés sur lesquels j'ai pu obtenir des informations exactes, trente-quatre avoient été réduits à cet état par des chagrins do- mestiques, vingt-quai re par des obstacles mis à un mariage fortement désiré, trente par des événemens delà révolution, vingt-cinq par un zèle fanatiqueou des terreurs de l'autre vie: aussi certaines profes- sions disposent'cllesplus que d'autres à la manie, et ce sont surtout celles où une imagination vive etsans cesse dans une sorte d'effervescence , n'est point contrebalancée par la culture des fonctions de l'en- lendement , ou est fatiguée par des études arides. En compulsant en effet les registres de l'hospice des aliénés de Bicétre, on trouve inscrits beaucoup de prêtres et de moines, ainsi que des gens delà cam- pagne égarés par un tableau effrayant de l'avenir ; plusieurs artistes, peintres, sculpteurs ou musi- ciens; quelques versincateurs extasiés de leurs pro-


458 C A s I N eu R A B L E g

duclions, un assez grand nombre d'avocats ou de procureurs ; mais on n'y remarque aucun des hommes qui exercent habituellement leurs facultés intéllectuelles j point de naturaliste , point de phy- sicien habile , point de chimiste , à plus forte raison point de géomètre.

372. Ces notions préliminaires indiquent d'avance combien doivent être rares les lésions ou diffor- mités du crâne parmi les aliénés , puisque dans l'âge adulte l'ossification des os de la tête est complète , et que des affections morales ne peuvent l'altérer. Il restoit seulement à constater celte vérité par des ouvertures des corps très-multipliées, et des re^ cherches exactes. Grédiîig, auteur allemand (i) , qui s'est livré particulièrement à ce genre de tra- vail , dit que sur cent aliénés il a trouvé trois têtes volumineuses et deux très-petites. Il parle ausside certains crânes remarquables par leur épais- seur, de la forme particulière de l'os frontal, qui lui a paru quelquefois petit et contracté, de la com- pression des tempes, de la sphéricité de certaines têtes, tandis que d'autres sont oblongues. Mais on voit combien ces observations sont vagues et indé- terminées, puisque IVuteur n'a employé aucune


(i) Je connois s.on ouvrage pai" la Iracluclion anglaise et l'extrait qu'en a Joniaé Crichton sous le litre suivant: Medi- dical aphorisms on melancoly and olhers diseases con- uected with


DE l'aliénation MENTALE. 45()

méthode précise pour évaluer les dimensioDS de ces crânes, qu'il n'a pu par conséquent les compa- rer entre eux d'une manière exacte. Il y a d'ailleurs des variétés de crâne qui sont communes à toutes sortes de personnes , même hors le cas d'aliénation ; il faut par conséquent en faire abstraction dans les recherches sur les aliénés, pour éviter de faux rai- sonuemens, et ne point prendre pour cause déter- minante ce qui n'est qu'une forme accidentelle et: coïncidente avec la manie. C'est assez indiquer que j'tji suivi une méthode différente dans les recherches iinatomiques que j'ai faites dans les hospices.

373. Une opinion assez générale fait attribuer aux vices du cerveau, et surtout aux irrégularités et aux disproportions du crâne, raliénalion mentale. Ce seroit sans doute un grand objet de doctrine à développer que de faire voir les belles proportiaus de la téte comme le signe extérieur de. i'exceUence des facultés de l'entendement, de pouvoir ç^'aborcl prendre pour type le chef-d'oeuvre, de la sculpture antique (i), la tête de l'Apollon Pythien, de pou -


(t) 4* De toutes Içs productions de l'art qui ont trompé la w fureur du temps , dit Winkelman , la statue d'Apollon i> est sans contredit la plus étonnante. L'artiste a conçu cet ^ ouvrage d'aprbs un modèle idéal , et n'a employé de matière v> que ce qui lui étoit nécessaire pour exécuter sa pensée et la

rendre sensible. . . Sa hauteur s'éiève au-dessus du natn- » rel, et son altitude est pleine de majesté... A la ttje de ee


^^"^ CAS INCURABLES

voir placer en seconde ligne les tcLes des hommes les plus heureusement organises pour les beaux-arts et les sciences , de descendre ensuite par tous les degrés successifs de disproportion de la téte eldela capacité intellectuelle jusqu'à l'homme tombé dans la démence ou l'idiotisme; mais l'observation est loin de confirmer ces conjectures spécieuses, puis- qu'on trouve quelquefois les formes les plus belles de la téte jointes avec le discernement le plus borné, ou même avec la manie la ])lus complète , et qu'on voit d'ailleurs des variétés singulières de conforma- tion exister avec tous les attributs du talent et du génie. Cependant il n'est pas moins curieux et lUile pour les progrès de la science, d'établir cer- tauîs faits bien constatés comme un résultat nou- veau de recherches , d'examiner les variétés de


prodige j'oublie l'univers entier ; je prends moi-même une » aUitude plus noble pour le contempler avec dignité; de 3^ l'admiration je tombe dans l'extase ». Je ne suis pas moins admirateur passionné que Winkelman de l'Apollon devenu le fruit de nos conquêtes , et placé maintenant au Muséum de Paris; mais je le considère ici avec tout le sang-froid de la rai- son et comme réunissant dans sa tète les plus belles pi-opor- tions et les formes les plus harmonieuses qu'on ait pu observer parmi les hommes. C'est en effet sous l'heureux climat de la Grèce, c'est par les beaux déyeloppemens que làisoient pren- dre au corps les exercices gymniques, qu'on a pu s'élever à cette connoissance. et la transmettre dans les clief-d'œuvres de la SGulptui'e.


DE l'aliénation MliNÎALE. ^Oi

conformation qui semblent indifférentes pour le libre exercice des fondions de l'entendement, de noter surtout les difformités du crâne qui sont si- multanées avec des lésions manifestes de ces mêmes fonctions, d'indiquer enfin les espèces d'aliénation mentale qui dépendent plus particulièrement, soit du défaut de symétrie et de capacité des parties osseuses du crâne , soit de la petitesse de ses di- mensions par comparaison avec la stature entière.

374. Camper, dans ses recherches sur la diffé- rence des traits du visage , a du porter toute son attention sur ce qu'il appelle la ligne faciale , pour bien saisir les traits caractéristiques et constans de la face des divers peuples de la terre. La considé- ration fondamentale dont je m'occupe se rappor- tant à la conformation et aux dimensions de la ca- vité du crâne , j'ai dû. diriger autrement mes re- cherches, c'est-à-dire examiner le rapport de la hauteur des diverses têtes avec leur profondeur dans la direction du grand axe du crâne , et avec leur lar- geur à la partie antérieure et postérieure de ce même assemblage osseux , reconuoître les défauts de symétrie dans les parties correspondantes, et comparer dans le sujet vivant le volume de la tête ou plutôt sa hauteur perpendiculaire avec la sta- ture entière. Pour mettre plus d'exactitude dans , la détermination de ces rapports , il étoit nécessaire d'avoir un type primitif ou un terme fixe de com- paraison j etpouvois-je mieux choisir qu'en remon.


4^2 CAS INCURABLES

tant aux proportions si justement juimirées de la tête de l'Apollon, d'après les dimensions prises par Gérard Audran (i) ?


(0 Je vais me bornef* à rioler les proportions de la statue tT Apollon Pylhien, qui se rapportent le plus directement à l'objet que je me propose.

La tête sert de base à ces proportions.

On divise la hauteur de la tête en quatre parties e'gales ; savoir :

La première partie , depuis le sommet de la lête jusqu'à la racine des cheveux , en imaginant des plans parallèles et horizontaux qui passent par ces parties.

La deuxième partie , depuis le haut du front jusqu'à la naissance du nez à la hauteur de la paupière supérieure.

La troisième partie , depuis la naissance du nez jusqu'au

dessous du nez.

La quatrième partie , depuis le dessous du nez jusqu'au- dessus du menton.

Chaque œil vu de face à une \^ partie de largeur ; il y a entre les deux yeux un espace large de \ partie , et la largeur de la tête en cet endroit, qui est celui des tempes, est de 2 parties j.

La largeur de la tête, à l'endroit des pommettes, est de 2 parties \ ; la largeur de la tête à la même hauteur , mais au-dessus des oreilles , à l'endroit le plus large , est de 2 par-

lies^ ou à peu près.

La plus grande profondeur delà lête, depuis le point le plus saillant du front entre les sourcils jusqu'au point le plus sail- ' lant de l'occiput, dans le plus grand diamètre horizoutal, est a peu près de 5 parties | .

La statue entière a c!e hauteur. sept fois celle de la téic.


DÈ l'aliénation Mentale. 465

3j5. Mais je ne dois point dissimuler les obstacles qu'on éprouve quand on veut appliquer à ces re- cherches les principes des sciences mathématiques. Rien ne paroît moins susceptible d'une évaluation précise, que la capacité formée par l'assemblage des os du crâne. D'abord à la base, ce sont divers enfoncemens et des érainences irrégulières ; on ne voit à la partie supérieure que la grossière appa- rence d'un demi-ellipsoïde, dont la convexité an- térieure est différente de la postérieure, et les parties latérales aplaties. Il résuite de là que la section du crâne , parallèlement à sa base, n'a qu'une res- semblance éloignée avec une ellipse, et ne peut donner prise à aucune espèce de calcul. Je me suis donc borné à des moyens mécaniques pour évaluer les dimensions du crâne de la manière la plus approchée. Pour déterminer d'abord une position constante pour toutes les tètes , j'ai mis, comme le fait Camper (i), un support au-dessous du trou occipital , et d'une hauteur telle que l'cxtrémilé de l'apophyse nasale et le rebord supérieur du con- duit auditif externe , fussent dans une ligne paral- lèle au plan horizontal. J'ai fait ensuite construire un parallélipipède tel, que les deux plans verticaux


plus 5 parties i la tète comprise 5 c'est-à-dire que la tète a un peu plus que | de la statue entière.

(i ) Dissertatioîi physique sur les différences que prér- tentent les traits du vis âge , etc. Utrecht, 1791.


4^j4 cas Ï N C U Jl a li L F, s

et qui se coupent à angles dioks, sont fixes d'une manière stable sur le plan horizontal , tandis que les deux autres plans verticaux peuvent glisser en con- servant leur parallélisme respectif avec les deux premiers , et s'adapter ainsi aux divers volumes des têtes ; le plan supérieur et disposé sur le sommet de la tête est libre et prend une position hoî izon- lale à l'aide d'un niveau : par cette disposition , les distances respectives des plans parallèles donnent les idées les plus pi écises qu'on puisse se former des trois dimensions de la tête , en faisant atten- tion d'ailleurs que le plan antérieur ne descende pas au-dessous de l'apophyse du coronal , pour lais- ser avancer les os de la face. Quand le sujet est vivant, je me sers d'up compas courbe pour déter- miner les dimensions respectives de la tête et du crâne. On a par là un objet de comparaison pour les crânes de diverses formes et de diver , volumes.

II.

y^ariétés des dimensions de la tête , et choix des objets à dessiner,

Sj6. Une source conlinuelle d'erreurs dans les recherches d'anatomie pathologique faites par Gre- ding, a été de rapporter comme cause d'aliénation certaines variétés de conformation du crâne qui peuvent être simultanées avec celle maladie, mais


DE L*AL1ÉNATI0N MENTALE. 465

qii*on peut aussi retrouvera la mort des personues qui iront jamais été aliénées. Pour éviter ces juge- mens erronés, j'ai examiné et mesuré un grand nombre de têtes prises soit dans les collections du Muséum d'Histoire naturelle , soit dans les cabinets de l'Ecole de Médecine ou ailleurs. J'ai pris aussi, à l'aide d'un compas courbe, les dimensions des têtes de diverses personnes de l'un et l'autre sexe qui ont été ou qui sont encore dans un état d'alié- nation, et j'ai remarqué qu'en général lés deux variétés les plus frappantes, soit du crâne alongé, soit du crâne court ou approchant d'un sphéroïde , se trouvent indistinctement et sans aucune con- nexion avecl'exercice plus ou moins libre des fonc- tions de l'entendement , mais qu'il y a certains vices de conformation du crâne liés avec un état d'aliénation, surtout avec la démence ou l'idio- tisme originaire. Pour rendre ces vérités plus sail- lantes, j'ai cru devoir faire dessiner quelques têtes qui, par leur opposition ou leur rapprochement, ëtablissenfces limites, et semblent fonder une sorte de correspondance entre certains vices déstructure du crâne et l'état des fonctions de Tentendement. J'ai fait d'abord tracer la forme de la tête d'une folle morte à l'âge de quarante-neuf ans (pl. I^e^ fig. i^e), forme alongee , puisque là hauteur de la tête est moindre que sa longueur, et je l'ai mise en opposition avec les os du crâne d'une personne saine d'entendement, et morte à l'âge de vingt ans, qui

3o


466 CAS INCURABLES

est différente d'ailleurs de la précédente (pl. I^e, fig. 3), par ce qu'on appelle rondeur ou sphéri- cité de la tête. J'ai réservé , pour la fin de la même planche, le dessin d'une tête très-irrégullère d'une jeune personne morte à l'âge de onze ans (pl. I'^^ , fig. 5 et 6 ) dans un état complet d'idiotisme. Au commencement delà deuxième planche,je transmets la tête à crâne alongé d'un maniaque âgé de quarante- deux ans, et complètement guéri depuis environ sept ans (pl. fig. I ^^). Je mets en opposition avec cette forme, la tête très-arrondie d'un jeune homme mort à vingt-deux ans , et que je puis attester avoir été doué du jugement le plus sain (pl. IIe,fig. 2). Je finis par le dessin de la tête d'un jeune homme de vingt-un ans réduit à un état complet d'idiotisme , remarquable par la disproportion la plus extrême de la forme et des dimensions du crâne (pl. 11^ , fig. 5 et 6. Les deux têtes qui terminent ainsi les planches doivent être le principal objet de mes con- sidérations anatomiques .

3-77. L'examen anatomique des têtes de deux femmes maniaques , l'une morte à l'âge de qua- rante-neuf ans (pl. I-^S fig. I et 2 ) , et l'autre à cin- quante-quatre ( pl. , fig. 3 et 4), a confirmé en- core ce que faisoient présumer les considérations que j'ai faites sur les causes les plus ordiriairesdela manie, qui sont des affections morales profondes , et sur les périodes de l'âge qui donnent le plus de chances pour la contracter, c'est-à-dire qu'il ne s'est point mam-


DE l'aliénation MENTALE. 467

festé de conformallcjn particulière dont op ne puisse trouver des exemples sur des crânes pris indistincte- ment. La tête de l'une se rapproche simplement de la forme alongée , et celle de la deuxième revient à la forme des têtes courtes. L'aplatissement du coronal de l'une , qui semble former un plan incli- né , et l'élévation perpendiculaire de l'autre , sont des variétésqu'on observe souvent sans qu'on puisse en tirer une induction favorable ou contraire aux; facultés de l'entendement; mais il en est autrement du crâne dont je supprime ici le dessin, et que j'ai conservé soigneusement à la mort d'une fille de dix- neuf ans qui étoit^ dans un état d'idiotisme de nais- sance. La longueur de celte tête est la même que celle des deux autres maniaques, mais sa hauteur est d'un centimètre au-dessus de la deuxième, et de deux centimètres au-dessus de la première , pen- dant que sa largeur est moindre : ce qui donne à cette tête un degré disproportionné d'élévation etun apla- tissement latéral assez ordinaire à l'idiotisme de nais- sance ; j'ai du moins remarqué l'un et l'autre sur deux jeunes idiotes encore existantes, et on l'attribue à presque tous les crétins du pays de Vaud.

378. J'ai cherché à considérer encore ce crâne sous un autre point de vue ; je l'ai mis en opposi- tion avec un autre crâne bien conformé , et j'ai fait faire à l'un et à l'autre une section correspondante , c'est-à-dire, qui passe par la partie la plus saillante des bosses frontales , et par le quart supérieur de


468 C A S I N C U R A B L E s

la suture lambdoïde. J'ai étaljll par là un moyen Je comparaison etitre les deux ellipses irrégulières qui résultent de ces sections , et j'ai remarqué que dans la tête bien conformée les deux demi-ellipses sont disposées d'une manière symétrique autour de l'axe principal, en sorte que les axes conjugués tirés de la partie antérieure droite à la partie postérieure gauche, et ceux de la partie antérieure gauche à la partie postérieure droite , sont sensiblement e'gaux. Au contraire , dans le crâne affecté d'un vice de conformation , les deux demi-ellipses ne sont point placées dans un ordre symétrique aux deux côtés de l'axe, mais celle qui est à droite prend une courbure plus prononcée à lapartie antérieure, tandis que c'est le contraire à la partie postérieure ; la demi-ellipse à gauche est disposée à contre -sens delà première, c'est-à-dire que c'est à la partie postérieure qu'il y a plus de courbure et moins à la partie antérieure. Cette différence, qui est sen- sible à la vue simple , est encore bien plus mani- feste en mesurant les axes conjugués, puisque ceux qui sont dirigés de droite à gauche ont vingt-deux centimètres , et que ceux qui vont de gauche à droite n'ont que dix-sept centimètres. J'ai trouve la même singularité de structure sur la tète d'uu enfant de dix-huit mois, et la différence des axes conjugués estmême d'un centimètre et demi. Ceten- fant étoit-il destiné à vivre dans un état d'idiotisme? c'est ce qu'il éloit impossible de détenniaer par le


t)E l'aliénation mentale. 4fji)

peu de développement qu'avoient pris encore ses facultés morales.

37g. Je ne dois point omettre un autre vice de conformation dans la tête que je décris; c'est celle de l'épaisseur des parois du crâne , qui en tout sens est double de l'état ordinaire, puisqu'elle est eu gé- néral d'un centimètre, et même un peu plus, à sapar- tie antérieure, ce qui diminue d'autant le grand et le petit axe de l'ellipse interne. Il seroit facile de calculer combien, par cette augmentation d'épais- seur, la capacité intérieure du crâne est diminuée, si les os qui le composent formoient un ellipsoïde régulier , puisqu'il ne s'agiroitque de déterminer le solide formépar la révolution d'un espace elliptique, dont le grand et le petit axe seroient connus; mais l'irrégularité de la forme du crâne en général m'interdit une semblable application du calcul, et je me borne à remarquer que, puisque les solides sem- blables sont entre eux comme les cubes de leurs di- mensions homologues, l'on en doit toujours conclure, quelle que soit d'ailleurs l'irrégularité des formes, que l'augmentation d'épaisseur diminue d'une ma- nière remarquable la capacité intérieure du crâne.

38o. Les vices de conformation que je viens de faire remarquer sur le crâne d'une personne morte dans l'idiotisme , l'aplatissement des parties laté- rales, le défaut de symétrie entre la partie droite et la gauche , enim son épaisseur, qui est double de ce qu'on observe dans les cas ordinaires, ne sem-


47« C-'^S ïNCVPiABLES

blent-ils point indiquer que tout a concouru k rendre bien moindre la cavité intérieure où étoit reçu le cerveau? Mais je dois élre aussi en garde contre les inductions trop précipitées, et Je me borne à des détails historiques, sans prononcer en- core qu'il y ait une connexion immédiate et néces- saire entre l'état d'idiotisme et les vices de confor- mation que j'ai décrits. La jeune personne étoit dans l'état le plus complet de stupidité depuis son enfance; elle pronouçolt par intervalles quelques sons inarticulés , ne donnoit aucune marque d'in- telligence ni d'affection morale quelconque ; elle mangeoit quand on approclioit les alimensde sa bou- che, ne paroissoit avoir aucun sentiment de son existence, et étoit réduite à une vie purement au- tomatique ; elle a péri du scorbut Tannée passée : ce qui avoit donné lieu à des épanchemens sangui- nolens à la base du crâne, et paroissoit avoir telle- ment altéré la substance du cerveau , que je n'ai pu rien conclure ni sur sa mollesse ni sur sa gravité spécifique.

38 1. Au premier aspect de cet aliéné idiot rien ne frappe autant que l'extrême disproportion de l'étendue de la face comparée avec la petitesse du crâne'; mais rien d'animé dans les traits de sa phy- sionomie, rien qui ne retrace l'image de la stupidité la plus absolue : disproportion extrême entre la hauteur de la lêté et la stature entière , forme aplatie de son crâne au sommet et aux tempes»


DE l'aliénation mentale. 4"^ regard hébété , bouche béanle , toute la sphère de ses connolssances bornée à trois (i) ou quatre idées confuses, encore mal exprimées par autant de sons à demi-articulés; à peine assez d'intelligence pour diriger ses alimens vers sa bouche; insensibi- lité portée jusqu'à lâcher, sans s'en apercevoir , son mine et ses déjections; marche foible, lourde et chancelante; inertie extrême ou éloignement apa- thique pour toute sorte de mouvemens; extmc- tion totale de l'attrait si naturel qui porte l'homme à sa reproduction , attrait si puissant dans le cretm lui-mcme , et qui lui donne du moins un sentiment quelconque de sou existence. Cet être équivoque qui semble placé par la nature aux derniers confins de la race humaine pour les qualités physiques et mo- rales, étoit fils d'un fermier, et avoit été conduit dans l'hospice des aliénés de Bicétre depuis environ deux années; il paroît avoir été frappé depuis sa tendre enfance du même caractère de nullité et d'idiotisme.

382. La disproportion extrême entre la hauteur de la tête de l'aliéné idiot (pl. II, tig.5 et6)ct sasta-

(i) Il avoit été transféré à Paris par un gendarme, et de là à Bicêlre. Il paroît que durantson voyage , on le conduisoit attaché par le cou. Les idées qui l'ont le plus profondément frappé sont celles dont il rappelle sans cesse les termes, c'est- à-dire , soldat, Paris, cou; à «es mots très-grossièrement ar- ticulés , il ajoute quelquefois celui de pain ; il paroît n'avoir conservé aucun souvenir de ses parens , et il n'a donné aucim signe d* affection moraile.


I


^^7* CAS 1 IN CURABLES

lure entière, ëtoit facile à saisir au premier aspecl ; mais pour la fixer avec précision , il éloil nécessaire' de mesurer les dimensions de la réte avec un com- pas courbe, de rapporter sa hauteur à celle do la stature entière, et de comparer ensuite ce rap- port avec celui que donnent les statures les mieux proportionnées : j'ai donc procédé à ces opérations en me servant des nouvelles mesures , et j'ai recon- nu que la taille de cet aliéné idiot étoit de dix-huit décimètres; la hauteur seule de sa téte de dix-huit centimètres. Le rapport donc de la stature entière à la hauteur de la téte est : : 180: î8, c'est-à-dire que la téte n'est que le ^ delà totalité de la stature. L'ahéné au contraire dont j'ai fait graver la téle (pl. IL, fig. i), et qui n'a eu autrefois que des accès périodiques de manie , a une proportion beau- coup plus avantageuse pour la téte comparée avec k totalité de la taille; celle-ci, eu effet, est de dix- sept décimètres , et la téte de vingt trois centi- mètres, c'est-à-dire que l'une est par rapport à l'autre : : 170 : 23, ou : : 7.4 : i. Dans ce cas-ci la stature totale cstà-peu-près sept fois et demie la hau- teur de la téte , ce qui se rapproche beaucoup plusdu rapport qu'offre l'Apollon, puisque dans ce dernier cas la stature entière est septfoisla hauteur de la téte plus 3 parties^, d'après Gérard Audran. Quelle petitesse excessive par rapport à la stature entière n'a donc point la téte de l'aliéné idiot, puisqu'elle n'est que le dixième de la stature entière, ce qui sup-


DE l'aliénation MENTALE.

pose un vice de conformation très -notable , et tel que je n'en ai pas trouvé de semblable dans les nom- breuses têtes dont jai observé les dimensions ! Riea n'est plus commun au contraire que de trouver dans la société des têtes dans des proportions trop avanta- geuses , c'est-à dire telles, que pour qu'elles fassent dans un juste rapport avec toute l'habitude du corps, la taille devroitêtre plus grande j mais cette conformation ne donne qu'une présomption de plus en faveur des facultés intellectuelles ; et comme d'ailleurs on a d'autres moyens de juger l'homme, par ses propos et ses actions, on la néglige.

383. Les anciens artistes doués du tact le plus délicat et d'une finesse rare d'observation , n'ontpu manquer de porter leurs vues sur les vraies pro- portions qui concourent à la beauté de la tête, et c'est sans doute ce qui a fait diviser celle de l'Apol- lon eu quatre parties, par des plans horizontaux à égale distance ( ii6 ). Une de ces parties commence à la naissance des cheveiix au front et s'étend au sommet , et la forme delà tête de l'aliéné (pl. II, fig. i), non plus que celle des hommes bien conformés , ne s'éloigne guère de ce rapport fixe, puisque la hauteur totale de sa tête est de vingt-trois centimè- tres, et que celle de la face est de dix-sept centi- mètres; en retranchant l'une de l'auti e ou trouve six centimètres de différence qui, comparés à la hauteur totale, donnent un rapport très-rapproché de celui de i ; 4 qu'on trouve dans la tête de l'ApoI-


474 C AS I N CUR A BLES

loD. Au contraire., la liaïUeur de Ja léte de l'aliéné idiot est de dix huit centimètres, et la hauteur de la face est de quinze centimètres; la soustraction donne pour différence trois centimètres, ce qui n'est que le sixième de la hauteur, et ce qui montre combien la voûte du crâne est déprimée et par conséquent sa capacité diminuée.

384. Cette diminution est encore bien plus mar- quée sous un autre point de vue. On remarque en effet que dans les têtes bien conformées, une sec* tion horizontale faite au crâne et dirigée par le liers supérieur des tempes , donne une ellipse irré- gulière , et telle que la double ordonnée qui passe par le tiers antérieur est toujours bien moindre que celle du tiers postérieur. La tête de l'aliéné Xph H» fig. I ) se rapproche sous ce point de vue des têtes bien conformées, car la double ordonnée posté- rieure est plus longue de deux centimètres que l'antérieure;' au contraire ces deux lignes sontsen- slblemeut égales dans la tête de l'aliéné idiot (pl. Il, fig. 5 et 6) ^ comme je m'en suis assuré avec un com- pas courbe, en sorte que la section du crâne dont j'ai parlé donnei oit une sorte d'ellipse très-rappro- chée de la régulière. On voit par là combien les lobes postérieurs du cerveau doivent être diminués de vo- lume par cette conformation singulière , sans qu'on puisse cependant prononcer que ce défaut de ca- pacité est la cause unique et exclusive du peu de développement des facultés morales.


DE l'aliénation MENTALE. 47^

385.Une des lêtes les plus remarquables par sa con- formation et la petitesse de ses dimensions , me pa- roît être celle que j'ai fait représenter (pl. I" , fig- ^ et 6), et que j'ai conservée à la mort de la jeune ^ idiote dont le caractère singulier a été décrit ci-des- sus (179). Je supprime ici les considérations anato- miques que l'examen de cette tête fait naître, et qui peuvent acheminer à trouver une sorte de corres- pondance entre certaines lésions physiques du cer- veau et quelques cliangemens notables opérés dans les fonctions de l'entendement. Je me bornerai à donner une idée de la petitesse excessive de celte tête , comparant son volume à celui d'un enfant de sept ans doué d'ailleurs d'une intelligence rare.


Dimensions de la tête d'un enfant de sept ans.

Longueur, i décim. 8 cent. Largeur,.. 1 décim. 3 cent. Hauteur,., i dccim. 6 cent.


Dimensions de la tête d! une idiote de onze ans.

Longueur, i décira. 5 cent'. Largeur,., o décim. 9 cent. Hauteur,., i décim. 3 cent.


386.T0US les autres détails ultérieurs sur les formes irrégulières de cette tête et les variations du volume de celles des aliénés , tous les calculs comparatifs qui serviront de base à cette détermination , en regardant l'ensemble des os du crâne comme un demi-ellipsoïde , seront exposés dans un Mémoire que je me propose de lire à l'Iuslilut dans une de nos séances particulières.


CAS IN C UR A BLES

m.

Cas cVincurahilité de l AliénaLion par des causes

accidentelles.

S87. II y a des vérités simples en médecine que les Jdods esprits rapellent sans cesse depuis la plus liaule antiquité, et que l'habitude de raédicamen- ter sans ordre et sans choix fait toujours retomber dans l'oubli. La meilleure méthode de remédier aux maladies, dit Hoffmann (i), tient aux efforts salutaires de la nature ; et quelle heureuse appli- cation ne fait-on point de cette maxime générale à l'aliénation mentale, en éloignant les obstacles qui peuvent s opposera cette tendance favorable! N'a-t- on point au contraire suivi une marche rétrograde en s'étayant de certaines opinions hypothétiques pour diriger le traitement? La manie, a-t-on dit, est en général incurable ; pour la traiter donc avec succès , il faut la transformer en fièvre, et on parvient à ce but, ajoute-t- on , par des saignées copieuses qui affoiblissent le malade et l'exposent à recevoir les principes contagieux de l'air des hopitauœ. D'autres n'ont vu dans la manie qu'une forte impulsion du sang vers la tête , et ont multi-

(i) La disser talion de ce médecin a pour litre ; de Qpiima KutHrce morbis iiiedendi mettiodo.


\)K L ALIÉNATION MENTALE. J^^f

plié sans fiu les saignées, les appîicalions de glace sur la téte pour combattre directement les efforts contraires de la nature. Ou peut venir voir sur ur^ très-grand nombre d'incurables des hospices quelles ont été les tristes suites de ces vaines théories mises en pratique.

388. J'ai souvent sous mes yeux dans mes visileç le spectacle affligeant de plusieurs aliénées deve- nues incurables par des imprudences, par des vi- sites ou sorties prématurées avant que l'état de convalescence fût confirmé, ou par l'intervention d'une autorité propre à balancer celle du surveil- lant dans l'exercice de la police intérieure. Une mé- lancolique crojoit voir par-tout des machinations de ses ennemis dirigées contre elle , et elle étoit con- vaincue qu'on pouvolt agir sur elle à de grandes distances et par des moyens invisibles, comme par le fluide électrique. Son jugement paroissoit d'ail- leurs sain à tout autre égard ; mais elle restoit agitée ime partie des nuits et livrée aiix inquiétudes les plus vives. Elle murmure contre le surveillant au moment où il cherche à dissiper ses illusions, prétend qu'elle n'est point folle et que c'est une injustice criante de la retenir plus long-temps; elle porte ses plaintes à d'autres agens de l'hospice qui prennent plaisir à s'entretenir avec elle et qui parolssent être de son avis. Dès-lors toute confiance dans le surveillant et le médecin a été perdue , et sa maladie se perpétue ainsi depuis quelques années


/


CAS INCtJRABLËS

sans aucun espoir de guérison. Une autre , veuve d'un ancien capitaine, livrée par intervalles à un lé- ger délire , a cru être spécialement protégée , est devenue lîère et hautaine, et à la moindre con- tradiction a souvent menacé d'écrire aux autorités supérieures. Sa vanité lui a fait croire qu'elle étoit destinée à épouser un prince, et dès-lors elle n'a voulu rien écouter, ou plutôt on n'a pu ni gagner sa confiance par des manières bienveillantes (i) , ni dompter son caractère par aucun moyen de ré- pression , et son état est devenu incurable.

38g. Une maniaque par dévotion, également in- accessible à tous les moyens de douceur ou de ré- pression qu'on avoit pu employer, trouve unejeune convalescente à qui on venoit d'adresser les propos les plus encourageans. Elle la conduit à l'écart, lui parle d'un ton inspiré , lui dit avec énergie qu'il fallait avant tout sauver^ son ame , ne point


(i) Un ton de rudesse ou des propos offensans tenus à une personne très-sensible peuvent produire des effets opposés aussi dangereux. Un des agens de l'hospice s'intéressoit vive- /ment en faveur d'une ancienne religieuse , et à l'époque de sa convalescence il fit prendre des renseignemens sur sa con- duite. 11 apprit alors une circonstance de sa vie qu'elle auroit voulu cacher au prix de tout ce qu'elle avoit de plus cher , et qui lui fut reprochée publiquement. Elle fut si consternée de ce propos indiscret qu'elle en Cbotracta une mélancolie pro- fonde , se condamna presque à une abstinence absolue , et qu'il eu résulta un élat funeste de consomption et de langueur.


DE l'aliénation mentale. 479

écouter les hommes , qui étoienb tous des fourbes et des trompeurs. Elle ajoute à ces propos des gëuuflexions et des simagrées propres à ébranler fortement l'imagmation de la jeune personne , et la fait retomber. Les recbutes se sont encore mul- tipliées , tantôt en lisant certains livres de dévotion, d'autres fois par la simple vue d'un prêtre ou par de secrets entretiens avec d'autres fanatiques, ce qui a amené une sorte de manie cbronique et présumée incurable. Le délire dévot semble se communiquer comme par contagion ; et quelle sur- veillance ne demande-t-il point dans les hospices bien ordonnés ! Une ancienne religieuse qui avoit cru autrefois être possédée du démon, étolt délivrée de ses visions et entrée en convalescence. Elle se trouve fortuitement rapprochée d'une ancienne dévote dont les scrupules renaissans avoient été portés jusqu'au délire , et qui étoit également eu voie du rétablissement de la raison. Elles se réu- nissent pourfaire leurs prières , s'attendrissent siu' leur sort et s'inspirent réciproquement de nouvelles craintes. L'une et l'autre sont ainsi retombées dans une sorte de démence tranquille qui n'a plus laissé aucun espoir de guérison.

890. Que de jeunes personnes deviennent incu- rables pour ne pouvoir être asservies à la loi d'uu travail journalier par, les suites d'une paresse na- turelle ou contractée par l'habitude ! C'est ce qui a fait adjoindre des ateliers de coulure aux dor-


4'^" CAS IK CURABLES

toirs des convalescentes (209, 212, 2i3 ). Maîs plusieurs femmes élevées à la campagne ou celles qui sont accoutumées à un trafic de denrées dans les villes, ne peuvent se plier à cesoccupations séden- taires, et il a fallu en chercher d'autres plus assorties à leurs goûts et à leur genre de vie habituel. On crut donc, pour remplir ces vues, devoir adjoin- dre à l'hospice des alicuées un vaste enclos de trois arpeus qui leur serviroitde promenoir, et dont une partie seroit destinée à une culture variée de plan- tes ou d'arbrisseaux. On y fit construire même une pompe pour tirer de l'eau et la conduire au moyen d'un tuyau souterrain dans un vaste réservoir. Il fut convenu qu'on forceroit les convalescentes dispo- sées à la paresse à travailler lour-à-tour à la pom- pe, à porter de l'eau, à cultiver les plantes à belles fleurs, à ôterles pierres, enfin à mettre eu valeur une partie de cet enclos, et à passer une partie de la journée dans une constante activité. Mais à cette époque, des jalousies, des rivalités entre les préposés, ce qui n'est que trop ordinaire dans les grands établissemens, firent échouer ces dispositions salutaires j on fut même , sous prétexte d'une surveillance générale sur la propreté, jus- qu'à dire aux aliénées que ce n'étoit point à elles à travailler, que cette lâche devoitêtre réservée aux gens de peine destinés aux travaux grossiers de l'hospice. Le siu^veillant, entravé alors dans ses pro- jets, se dégoûta et se borna à faire cultiver quelques


DE l'aliénation MENTALE. 48t

recoins de l'enclos , ce qui récrée encore la vue pai' le spectacle d'une belle végétation. Le plan géné- ral fut donc manqué, et c'est à cette époque qu'une petite aventurière qui étoit devenue aliénée, et qu'on se proposoit de ramener à la raison par la loi du travail , contracta des liaisons d'oisiveté avec d'au- tres convalescentes disposées à la paresse. Les jour- nées se passèrent à errer, à rapporter des contes e* des aventures à demi-délirantes, et dans un recen- sement que je fis une des années suivantes ( en fé- vrier 1807), ï^^ déclarai plusieurs incurables (i).

389. C'est presque toujoursà l'habitude constante de l'inaction et à la facilité de se livrer à ces visions et à ces rêveries , qu'on doit rapporter l'incura- bilité du délire maniaque ou mélancolique dans les classes élevées de la société. Une dame au- trefois riche , âgée de quarante-cinq ans, et tombée dans l'infortune et la manie par les suites de la ré- volution, a fini par une mélancolie chronique d'ua caractère singulier : elle ne voit autour d'elle que


CO Une de ces jeunes filles, que je présumois incurable, fut heureusement isolée de ses autres compagnes, et on la menaça de la faire conduire au dépôt de Saint-Denis si elle refusolt plus long-temps de travailler : celle crainte lui fut très-favo- rable ; elle se livra au tricot ou à la couture pendant cinq mois avec une activité singulière, et elle se trouva dès-lors guérie. On ne manqua pas de relever avec malignité l'espèce de contradlclion dans laquelle j'ctois tombé à son égard; mais cette exception même ne confirms-t-elle pas la règle générale?


4Sa CAS I IV C UR A B r, ES

les effets d'un art magique destiné à la tourmen- ter, et tous ceux qui i'avoisinent lui paroissent Toués à cet art imposteur. Depuis quelque temps une nouvelle illusion s'est jointe à la^ première : elle croit être sans cesse poursuivie par un esprit qui l'observe , pénètre à volonté toutes les parties de son corps, lui parle et partage souvent son lit avec elle. A peine est-elle couchée qu'elle croit voir une vive lumière se précipiter sur elle et la maîtriser avec un empire absolu. Elle dit éprouver en même temps une chaleur brûlante, et parfois une sorte d'engourdissement. Cet esprit devient quelquefois entreprenant , et lui fait éprouver les apparences de l'union sexuelle ; le plus souvent le sentiment qui en résulte paroîtle souffle d'un doux zépliir. Elle converse librement avec lui , et elle prétend en avoir entendu d'une manière très-dis- tincte ces paroles : tu as beau faire . je te tiens en ma puissance. Cette mélancolique , au milieu de toutes ces scènes de délire , reste tantôt immobile et tremblante, tantôt ses cheveux semblent se dresser sur sa tête ; elle pousse des cris d'indignation , et ses voisines l'entendent conjurer d'une voix forte et passionnée les puissances qui l'agitent; d'autres fois, troublée par des terreurs pusillanimes , elle se lève et, le visage prosterné contre terre, elle se livre aux prières les plus ferventes. Ou combinoit déjà les moyens du traitement physique et moral, lorsqu'un jour par mégarde l'élève chargé de suivre sou bis-


DE l'aliénation MENTALE. 483

loire appuya sa main sur son Kt, et dès-lors elle le mit au nombre des magiciens acharnes à la tour^ menter. Sa défiance fut portée à l'extrême , et tout traitement est devenu impossible.

390. L'idiotisme peut tenir à un vice de conforma- tion de la tête (Syô), et il seroitalors superflu de cher- cher à le guérir ; mais l'abus des saignées durant un traitement antérieur de la manie, une vive frayeur, une suppression brusque ou des retards de l'écou- lement sexuel peuvent aussi le produire, et rendre possible la guérison de quelques cas rares , par l'u- sage combiné des stimulans internes et externes. Oa les a vainement employés sur une jeune idiote qui avoit éprouvé une vive frayeur k une certaine épo- que, et qui est encore dans l'infirmerie : c'est tou- jours une sorte de statue inanimée. Le succès a été très>marqué sur une autre jeune personne antérieu- rement maniaque, et que la fréquence des saignées âvoit jetée dans l'idiotisme.

391. La démence senile n'est pas moins hors des ressources de la nature et de l'art, et très-rarement aussi peut-on guérir celle qui tient à une cause acci- dentelle, surtout si elle est compliquée de certains préludes d'apoplexie ou de paralysie. Mais leslésions de l'entendement peuvent devenir très-marquées sans outrepasser cependant certaines limites. Une dame d'un mérite rare, mais très-irascible pour les causes les plus légèress avoit fini , après dix- huit an- nées de ménage , par tomber dans un état noix equi-


484 CAS INCUHABLES

voque de démence. Un isolement de cinq mois et l'usage réitéré d'un vésicatoire à la nuque, lui ont rendu en partie ses anciennes habitudes et son ca- ractère affectueux. Elle est soigneuse de sa parure , et susceptible de certaines occupations sédentaires; mais c'est toujours une grande foiblesse d'entende- ment et une sphère très-bornée d'idées; les plus simples rapports des objets lui échappent, et elle distingue k peine dans sa maison si elle doit com- mander ou obéir ; elle n'a qu'une image confuse des lieux qu'elle a toujours habités, et souvent elle sait à peine si elle est à la ville ou à sa campagne ; ses moindres mouvemens sont lents et pénibles, ses mains tremblantes , et elle ne conserve rien de sou ancienne dextérité. C'est moins qu'une enfance pro- longée mais qui inspire un intérêt tendre par le souvenir des vertus domestiques qui ont précédé.

392. La complication de la manie avec quelque autre maladie spasmodique, comme rhjstériejl'épi- îepsie ou l'hypochondrie , peuvent faire naître deâ obstaclesinattendus au succès dutraitemeat, et la ren- dre d'une longue durée ou même incurable. Celte vérité est depuislong-temps reconnue; mais, pour la rendre plus frappante , je crois devoir rapporter un exemple de cette sorte qui me sera toujours présent, et qui peut d'ailleurs offrir une leçon utile à ceu:s qui, dans l'effervescence de la jeunesse, se livrent» l'étude de quelque science avec plus de zèle et d'ar- deur que de discernement et de prudence. Un jeune


DE l'aliénation MENTALE. ^^y

homme âgé de vingt-quatre ans et doué d'une ima- gination ardente , vint à Paris quelques années avant 3a révolution pour y faire ses cours de droit , et il se crut destiné par la nature à jouer dans la suite le rôle le plus brillant dans le barreau. Rien n'égale le désir ardent qu'il a de s'instruire : a]3plication continuelle, vie passée dans la retraite , sobriété ex- tréme pour donner plus d'essor à ses facultés mo- rales, régime pytliagorique adopté dans toute la rigueur du terme. Quelques mois après, migraines violentes, saignemens fréquens du nez, resserre* mens spasmodiquesde la poitrine , douleurs vagues des intestins, flatuosités incommodes, sensibilité, morale Irès-exaltée. Quelquefois il m'aborde avec un air rayonnant de joie , et il ne peut exprimer la félicité suprême qu'il dit éprouver en lui-même ; d'autres fois je le trouve plongé dans les horreurs de la consternation et du désespoir , et il me fait les instances les plus vives de mettre fin à ses souffran- ces. Les caractères de riiypoebondrie la plus pro- fonde étoient aisés à reconnoître; je lui en retrace ies dangers pour la suite, et je le conjure souveni de changer sa manière de vivre ; mais il poursuit toujours sou plan avec l'obstination la ^lus inllexi ble : augmentation des symptômes nerveux de la tête> du bas- ventre, de la poitrine ; alternatives plus fréquentes d'un abattement extrême et d'uno joie convulsive; terreurs pusillanimes, surtout dans les ombres de la nuit 5 angoisses inexprimables. li


486 CA.S IN CURABLES

venoit quelquefois me trouver, fondant en larmes, et me conjurant de l'arracher des bras de la mort. Je Tentraînois alors dans la campagne , et quelques tours de promenade, avec des propos consolaus, sembloient lui rendre une nouvelle vie; mais à son retour dans sa chambre, nouvelles perplexités, terreurs pusillanimes renaissantes. Il trouve un sur- croît de désolation et de désespoir dans la confusion croissante de ses idées , l'impossibilité de se livrer désormais à l'étude, et la conviction accablante de voir s'évanouir pour l'avenir la perspective de célé- brité et de gloire dont sou imagination avoit été ber- cée : l'aliénation la plus complète suit de près. Un jour qu'il se rend au spectacle pour se distraire , on joue la pièce du Philosophe sans le savoir, et dès- lors le voilà assailli de soupçons les plus noirs et les plus ombrageux; il est profondément persuadé qu'on a joué ses ridicules ; il m'accuse d'avoir fourni moi-même les matériaux de la pièce , et dès le len- demain matin, il vient me faire les reproches les plus sérieux et les plus amers d'avoir trahi les droits de l'amitié , et de l'avoir exposé à la dérision publique. Son délire n'a plus de bornes ; il croit voir dans les promenades publiques des comédiens travestis en moines et en prêtres (i), pour étudier tous ses gestes , et surprendre le secret de ses peu-


(i) C'étoiten 1785.


DE l'aliénation MENTALE.

sées.Doans l'ombre de la nuit, il se. croit assaiMi , tantôt par des espions , tantôt par des voleurs fjt des assassins , et une fois il répand l'alarme danslo quar- tier, en ouvi^ant brusquement les croisées , et en criant de toutes ses forces qu'on en voulo/* t à sa vie. Un de ses parens se détermine à lui fair e subir le traitement de la manie à l'Hôtel- Dieu , 'et il le fait partir vingt jours après , avec un compagnon de voyage, pour se rendre dans une petite ville voisine des Pyrénées. Également affoibli au moral et au physique , toujours dans les alternatives de quelques écarts du délire le plus extravagant et des accès de sa noire et profonde bypochondrie , il se condamne à un isolement entier dans la maison paternelle : ennui , dégoût insurmontable de la vie , refus de toute nourriture , brusqueries contre tout ce cjuî l'avoisine. Il trompe enfiu la surveillance de sa garde , fuit en chemise dans un bois voisin , s'égare , expire de foiblesse et d'inanition, et deux jours après on le trouve mort /tenant dans sa main le fa- meux dialogue de Platon sur l'immortalité de l'ame.

893. Quelle différence avec le maniaque ordi- Haire qui, emporté par sa fougue aveugle ou plein de ridée emphatique de sa supériorité , tonne , me- nace et prend toujours un Ion dominateur , et qui peut se porter à des actes de la plus grande violence si on n'arrête sa fureur , ou si on ne lui montre un appareil imposant de forces qu'il ne puisse espérer de surmonter ( 191 , 192) î Son illiv


'488 CAS INCURABLES

sion magique et sou effervescence ne deviendront- elles point habituelles , si on ne cherche à les rompre par des moyens dirigés avec autant d'énergie que d'adresse ? Tout 1 art consiste donc à dompter à pro- pos l'aliéné et à le convaincre que toute résistance de sa part seroit vaine ; il ne s'agit plus ensuite que de gagner i3a confiance par des manières bienveil- lantes et les témoignages non équivoques de s'inté- resser vivencientà son bonheur. A-t-on obtenu ce premier avantage , il faut un temps déterminé pour calmer entièrement son agitation antérieure et forti- fier sa raison encore foible et chancelante. C'est ce qu'on ne peut obtenir que dans des établissemens publics ou particuliers bien organisés. Faul-il donc envier à l'homme très-riche devenu aliéné , la triste distinction de se faire traiter dans sa propre maison , gervi par ses domestiques et souvent environné de ses proches ? et doit-on s'étonner si le traitement manque alors de succès , comme me l'a démontré une expérience répétée ?

3g4« La haute opinion qu'on a de soi-même peut être si exagérée, et l'habitude de commander aux «utres tellement affermie, que l'aliéné ne soit plus susceptible d'être ramené à l'ordre par aucune sorte de répression, c'est-à-dire que sa manie de- ^'ieune incurable. Les exemples des aliénés qui se croient des têtes couronnées ne sont point rares dans les hospices de l'un et de l'autre sexe; et comment détruire une illusion qui devient si puis-


DE l'a L1 É K AT 1 OJN MENTALE. /^^Q

saute et si chère ? M. Vierus ( de Prœstigiîs de" monum ) ne cite-t-il point un aliéné si infatué de son pouvoir suprême , qu'il se disoit le souverain des rois : Rex regwn , dominus dominanbimn , mo- narcus mundi. Une jeune fille pleine de hauteur, et passionnée autrefois pour la lecture des romans^ a fini par tomber dans une manie très -violente dont elle paroît avoir été guérie après plusieurs mois de traitement à l'hospice de la Salpétrière ; mais l'idée triste d'avoir eu la raison égarée blesse tellement son orgueil, qu'elle a une répugnance invincible de reparoître dans.son pays natal, et que tout fait craindre des rechutes nouvelles.

395. L'obstacle est encore plus difficile à vaincrcr lorsque la vanité la plus indomptée vient se joindre aux projets les mieux concertés , et à une sorte de fureur de semer par-tout le trouble et le désordre : c'est l'exemple qu'a donné une des aliénées de la Salpétrière , avec toutes les combinaisons d'un es- prit profondément réfiéchi. Plusieurs de ses com- pagnes ont été d'abord entraînées dans le projet d'une évasion ourdie et tramée avec perfidie dans le silence ; d'autres fois elle a dicté des lettres pleines d'invectives contre le surveillant , et elle avoit même formé le plan atroce de lui faire donner la mort au milieu d'une petite émeute adix)itement suggérée; tantôt des querelles les plus vives ont été excitées entre les aliénées les plus tranquilles ; tantôt le pen- chant au suicide a été provoqué avec astuce , ou


49^ CAS INCURABLES

vanté même comme une action louable et pleine de courage , ce qui est très-dangereux pour cer- lames mélancoliques qui ne sont que trop portées à cet acte de désespoir. A-t-on pu s'empêcher d'op- poser à cette sorte de rage turbulente l'isolement le plus absolu et le plus inviolable?

396. Tons les excès monstrueux du vice, la torpeur apathique de l'indolence , l'habitude de l'ivresse , un abandon effréné aux plaisirs vénériens , sont aussi propres à produire l'aliénation mentale qu'à Ja fomenter j et le médecin le plus éclairé pourra-t-il détruire les effets des penchans les plus impérieux, qui semblent avoir absorbé ou anéanti toutes les facultés morales? J'ai sans cesse à opposer au spec- tacle touchant que présente, dans l'atelier de cou- ture , «n grand rassemblement de convalescentes laborieuses et tranquilles, celui de quelques autres femmes agitées et errantes dans l'intérieur de Fhos-, pice, sans que nul avis sage, nul genre de répres- sion aient pu les porter au travail, et qui, par leurs divagations habituelles sont toujours restées au dé- clin de la maladie , sans pouvoir parvenir à une convalescence confirmée. La société entière n'offre- t-elle pas sans cesse le même contraste de vices et de vertus ? et peut-on espérer de guérir l'aliénation qui naît du vice converti en habitude invétérée ?

1 1 1. Le traitement moral d'un aliéné ne devient- il point aussi d'une difficulté extrême s'il a pos- sédé autrefois de grandes richesses ou occupé des


DE l'aliénation mentale. 49^

p laces ëminentes ? et ponrra-t-il oublier, même au milieu de la confusion et du trouble de ses idées, l'éclat des dignités dont il a été revêtu? J'ai observé dans ces cas que l'homme se retrace vaguement toutes ces jouissances de la vanité, qu'il parle sou- vent des millions dont il peut disposer, des récom- pensés qu'il réserve à ceux qu'il protège , de tous les titres fastueux dont son (imagination est bercée; il prend une attitude imposante; il veut toujours donner des ordres ; et s'il obéit à une force su- périeure , c'est presque toujours en conservant sa hauteur naturelle et l'inflexibilité de son caractère; il est d'ailleurs dissimulé , plein d'une réserve astu- cieuse dans les altèrnàtives de ses saillies de pétu- lance, et il joint aii mépris général des hommes l'art de leur tout cacher. Comment alors celui qui le dirige pourra-t-il acquérir de l'ascendant sur son esprit et obtenir sa confiance ? ce qui est cepen- dant nécessaire pour ramener par degrés l'entier usage de sa raison. On pourroit tout au plus ex- cepter quelque homme rare et d'un caractère élevé, plein d'une moralité profonde et raisonnée, et qui n'a toujours vu dans les places et les dignités que le noble avantage de concourir au bonheur de l'espèce humaine.

297. Je n'ai point de satire à faire ; je me livre seulement à des considérations médicales sur l'ori- gine la plus ordinaire et le traitement des maladies do l'esprit, et je ne puis ra'empêcher de faire une


4g2 CAS INCUR. DE l'aliÉnàTION MENTALE.

remarque générale : c'est que la pratique de la mo- rale universelle des petiples ne forme pas le goût dominant du siècle, tandis que toutes les autres sciences ont fait de grands progrès. Faudra-t-il faire revivre les écoles et les diverses sectes de pLiloso- pliie qui illustrèrent l'ancienne Grèce? ou bien devra-t-on consacrer les dernières années de l'édu- cation de la jeunesse à une étude sérieuse et appro- fondie des vies des grands hommes par Plutarque ? <2'^elque solution qu'on donne à ces graves ques- tions, on ne peut refuser à la médecine l'avantage de concourir puissamment au retour d'une saine morale, en faisant l'histoire des maux qui résultent de son oubli , surtout en publiant une série de faits particuliers, sous le titre à' Annales de l' Aliéna- tion mentale.


FIN.


TABLE DES ARTICLES.


Pbéface. P^§^ f

I NTK OliUGTlOpr. IX

Plan générai, de l'Ouvrage. t SECT. I'^*'. Causes propres à déterminer l'aliéiiation mentale.

lO

I. Aliénation originaire ou héréditaire. i3

II. Influence d'une inslitution vicieuse sur l'égarement de là raison. 16

ÏII. Irrégularités extrêmes dans la manière de vivre propres à produire l'aliénation. 2()

IV. Passions spasmodiques propres à déterminer l'aliénation.

25

V. Des Passions débilitantes ou oppressives. a 7

VI. Des Passions gaies ou expansives considérées comme pro- pres à égarer la raison. 34

VII. Une constitution mélancolique, cause fréquente de» écarts les plus extrêmes et des idées les plus exagérées. 5^

VIII. Sur certaines causes physiques de l'aUénation mentale»

45?

BECT. II. Caractères physiques et moraux de l'aliénation; mentale. 55?

I. Lésions de la sensibilité physique dans l'aliénation mentale.

55

II. Lésions de la perception des objets extérieurs dans l'alié- nation, yc»

IIL Lésions de la pensée dans l'aliénation. -^8

IV. Lésions de la mémoire et du principe de l'association des idées dans l'aliénation. 84

V. Lésions du jugement des aliénés.

VI. Emotions et affections morales propres aux aliénés. 100

VII. Erreurs ou écarts de l'imagination dans l'aliénation men- tale. io6

VIII. Changement du caractère moral dans l'aliénation. 1 20

SECT. III. Distinction des diverses espèces d'aliénation. 128 I. Manie ou D£r,iRC CEWÉRAL, i5g Caractères spécifique 5 d^ la Manie. Ibid.


Aoi TABLE DES ARTICLES.

comtue 5 -"^ ^« *^P^ «1'"- Manie

La Manie a^ec cldlire peut-elle être sou;ent gue^ef \Ë La Marne peut^elle exister sans une lésion l'enlende'

Exemple d'une sorte d'emportement maniaque sans délife!

La Maniesans délire marquée par une fureur aveugle, ifn Autre exemple mémorable d'une Manie non délirante. 1 5<j

IL MÉLAPfCOLIE on DÉLIRE EXCLUSIF.

Acception vulgaire du terme de Mélancolie. /^^v/ La Mélancolie considérée comme aliénation. 1 63

Deux formes opposées que peut prendre îe délire mélan- colique,

La mélancolie peut-clle, après quelques années, déi^éné- rer en manie ? 6

Variété de Mélancolie qui conduit au suicide. [qs

III. DÉMEîfCE, ou ABOLITION DE LA PENSÉE. jn^

Les traits les plus saillans de Démence observés quelquefois dans la société. " Ilfi^/

Idées incohérentes entre elles , et sans aucun rapport avec les objets extérieurs. i^g

Exemple propre à rendre sensible la différence entre 'la Démence et la Manie. i^g

IV. Idiotisme, ou oblitération des facultés intellec-

tuelles et affectives. i8i

La langue française peu riche pour exprimer les divers de- grés d'aliénation. /dici

Sorte d'idiotisme produit par des affections vives et inat- tendues, jg^

I/idiotisme, espèce d'alie'nation fréquente dans les hospices , guéri quelquefois par un accès de manie. i86

Principaux traits du caractère physique et moral des Crétins de la Suisse.

Rcmai-ques générales sur les divers genres d'aliénation, igo

SECT. IV. Police intérieure, et Règles à suivre dans les Etablissemens consacrés aux aliénés. ig3 I. Plan général et Distribution intérieure de l'Hospice des Aliénées. ig5 H. Sur les moyens de répression en usage contre les Aliénés,


20O


TABLE DES ARTICLES. 4q5

IIT. Nécessité d'entretenir un ordre constant dans les hospices des aliénés, et d'étudier les vai'iétés de leur caractère. P.i i o

IV. Importance et difficultés extrêmes d'élablir un ordre constant dans le service des Aliénés. 221

V. Surveillance paternelle à exercer pour la préparation et la distribution des alimens. 229

VI. Suites funestes de la disette qui eut lieu, l'an 4 , dans les Hospices des Aliénés. 252

VII. Exercices de corps variés , ou application à un travail mécanique, loi fondamentale de tout hospice d'Aliénés.

257

VIII. Préceptes généraux à suivre dans le Traitement moral.

IX. Précautions que doit faire prendre rex.altation ex.trême des opinions l'eligieuses. a65

X. Restriction extrême h mettre dans les communications des AUénés avec les personnes du dehors. 272

XI. Mesures de surveillance qu'exigent certains caractères pervers ou très-emportés. 279

XII. Préceptes a suivre dans la direction des Mélancoliques,

293

SECT. V. Résultats de l'expérience ancienne et moderne sur le traitement médical des Aliénés. 5o8

I. Sur l'usage de frapper les Aliénés , comme un moyen de les guérir. 509

II. L'usage si fréquent de la saignée dans l'aliénation est-il fondé sur une expérience éclairée ? 5 18

III. Sur l'immersion brusque de l'Aliéné dans l'eau froide , regardée comme un moyen de guérison. 025

IV. Traitement à suivre durant la première période de la Manie. 335

V. Sur l'usage de ocrcains remèdes plus ou moins actifs, et propres à seconder les mesures du traitement général. 555

VI. Considérations relatives au traitement médical dans la _ deuxième et troisième période du délire maniaque. 56g

VII. Terminaison critique de l'aliénation qui s'opère quelque- fois par des éruptions spontanées. 3„q

VIII. ^ Difficulté et importance de décider, dans certains cas si l'aliénation peut être guérie. Exemple très-rçmarquable!

3g/

IX. Mesures de prudence à prendre pour le renvo ides Alié- nés convalescens. 3^^^

SECT. VI. Résultats d'observations, et construction des


TABLE DES ARTICLES.

tables jDOur servir à déterminer le degré de probabilité de la guérison des Aliénés. Page \oi

I. Règles suivies à l'hospice des Aliénées de la Salpêtrière pour la tenue des registres et la construction des tables. 407

IL Aliénées admises au traitement sans aucun renseignement sur leur état antérieur , ou bien Aliénées traitées ailleurs avant leur admission dans l'hospice. 4 1 ^

m. Dispositions à l'Aliénation prises de l'âge et de l'état de mariage ou de célibat,

lY. Fréquence plus ou moins grande de l'Aliénation suivant ses causes. /^^.j

,V. Méthode de traitement des Aliénées suggérée par la na- ture des causes déterminantes, et confirmée par le calcul des probabilités. 420

yi. Durée du traitement propre à faire prévenir les rechutes,

428

TJL Rechutes aurvenues après la guérison et la sortie de l'hospice. 455

YIÏI. Du nomlire respectif des succès ou des non-succès du traitement des Aliénées. 4^6

ÏX. Succès douteux du traitement dans certains cas d'Aliéna- tion par le défaut de caractères sensibles. 43()

X. Résultat général du Traitement des Aliénées de l'hospice de la Salpêtrière , durant les années 1806 et 1807. 444

SECT. VII. Cas incurables d'aliénation par des vices de con- formation ou par d'autres causes. 45*

I. Périodes de la vie les plus propres à faire contracter la Manie qui vient de causes morales. 4^5

IL Variétés des dimensions de la tête, et choix des objets à dessiner. 4^4

lîl. Cas d'incurabilllé de l'Aliénavion par des causes acciden- telles.


ÎIW DE LA TABLE.



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