Treatise on the Physical, Intellectual and Moral Degeneration of the Human Race  

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“The degenerate human being, if he is abandoned to himself, falls into a progressive degradation. He becomes…not only incapable of forming part of the chain of transmission of progress in human society, he is the greatest obstacle to this progress through his contact with the healthy proportion of the population.”--Treatise on the Physical, Intellectual and Moral Degeneration of the Human Race (1857) by Bénédict Augustin Morel

{{Template}} Traité des dégénérescences physiques, intellectuelles et morales de l'espèce humaine et des causes qui produisent ces variétés maladives (1857, Treatise on the Physical, Intellectual and Moral Degeneration of the Human Race) is a treatise by French doctor Bénédict Augustin Morel in which he argued that some illnesses are caused by degeneration.

Excerpt

“The degenerate human being, if he is abandoned to himself, falls into a progressive degradation. He becomes…not only incapable of forming part of the chain of transmission of progress in human society, he is the greatest obstacle to this progress through his contact with the healthy proportion of the population.”
"[...] l'être dégénéré, s'il est abandonné à lui-même, tombe dans une dégradation progressive. Il devient (et je ne crains pas de répéter cette vérité), il devient non-seulement incapable de former dans l'humanité la chaîne de transmissibilité d'un progrès, mais il est encore l'obstacle le plus grand à ce progrès, par son contact avec la partie saine de la population. La durée de son existence enfin est limitée comme celle de toutes les monstruosités."

Full text in French

TRAITÉ DES DÉGÉNÉRESCENCES DE L'ESPÈCE HUMAINE. UNIVERSIDAD COMPLUTENSE ROAD 532 2547108 L'auteur et l'éditeur de cet ouvrage se réservent le droit de le traduire ou de le faire traduire en toutes langues. Ils poursuivront en vertu des lois , décrets et traités inter nationaux, toutes contrefaçons ou toutes traductions faites au mépris de leurs droits . Le dépôt légal de cet ouvrage a été fait à Paris, à la fin de décembre 1856 , et toutes les formalités prescrites par les traités sont remplies dans les divers États avec lesquels la France a conclu des conventions littéraires . OUVRAGES DU DOCTEUR B. A. MOREL . Étades cliniqnes. . Traité théorique et pratique des maladies mentales, considérées dans leur nature, leur traite ment, et dans leur rapport avec la médecine légale des aliénés . Deuxième édition, corrigée et augmentée. Paris, 1857, 2 vol . in-8° avec planches lithographiées. Ouvrage couronné par l'Institut de France (Académie des Sciences) . Influence de la constitution du sol sur la production du crétinisme. Lettres à Monseigneur Billiet , archevêque de Chambéry. Paris, 1855, in- 8° de 81 pages avec une Introduction . 1 Hygiène physique et morale. Traité théorique et pratique de toutes les indications curatives de l'ordre intellectuel , physique et moral, capables de prévenir et de combattre les causes des dégéné rescences dans l'espèce humaine. 2 vol . in- 8° de 500 à 600 pages . ( En préparation .) Nancy, imprimerie de veuve Raybois et comp. DE 616.885 MOR TRAITÉ DES DÉGÉNÉRESCENCES PAYSIQUES, INTELLECTUELLES ET MORALES DE L'ESPÈCE HUMAINE ЕТ DES CAUSES QUI PRODUISENT CES VARIÉTÉS MALADIVES PAR LE DOCTEUR B. A. MOREL Médecin en chef de l'Asile des aliénés de Saint- Yon (Seine- Inférieure ), Ancien médecin en chef de l'Asile de Maréville ( Meurthe) , Lauréat de l'Institut (Académie des sciences), Membre correspondant de l'Académie royale de Savoie, de l'Académie royale de médecine de Turin, Des Sociétés de médecine de Nancy, de Metz , de Gand, de Lyon , etc., etc. ACCOMPAGNÉ D'UN ATLAS DE XII PLANCHES A PARIS CHEZ J. B. BAILLIÈRE LIBRAIRE DE L'ACADÉMIE IMPÉRIALE DE MÉDECINE Rue Hautefeuille, 19 LONDRES NEW - YORK 1. BAILLIÈRE, 219, REGENT -STREET 1. BAILLIÈRE, 290, BROAD - WAY MADRID , C. BAILLY -BAILLIÈRE, CALLE DEL PRINCIPE, 11 1857 .

1 PRÉFACE. Le livre que j'offre au public doit être considéré comme se rattachant par un lien plus ou moins in time à mes travaux antérieurs . Il en est cependant distinct à plus d'un titre , et si on le lit indépen damment de mes Études cliniques sur l'aliénation mentale, il peut encore atteindre le but que je me suis proposé en l'écrivant. Quelques détails sur les motifs qui m'ont décidé à m'occuper des dégénérescences dans l'espèce humaine, trouveront leur place naturelle dans cet avant – propos. Ces détails, plus confidentiels que ceux qu'il est permis d'émettre dans le cours d'un ouvrage, me fourniront en outre l'occasion de rendre justice aux honorables savants, aux amis dévoués, qui m'ont ouvert la voie dans laquelle je suis entré, qui at éclairé de leurs conseils , et dont les généreuses sympathies ont stimulé mes efforts et soutenu mon courage. - VI PRÉFACE. > La préoccupation constante de mon esprit (celle qui me domine encore aujourd'hui), a été de com pléter mes travaux sur l'aliénation par un traité de thérapeutique destiné à vulgariser les moyens de prévenir et de combattre cette cruelle affection . Tou tefois, après m'être mis sérieusement à l'auvre, je n'ai pas tardé à m'apercevoir que la question était bien plus vaste et plus complexe que je ne pouvais d'abord le supposer. J'ai dû , en conséquence, entrer d'une manière plus approfondie dans l'étude des affections nerveuses, tant au point de vue de leurs causes que de leurs transformations pathologiques. Ma conviction actuelle est que les aliénés ren fermés dans nos asiles ne sont, dans la majorité des cas , que les représentants de certaines variétés mala dives dans l'espèce , modifiables dans quelques cir constances et immodifiables dans d'autres. Quelle que soit au reste l'origine de leur affection , ils sont tous plus ou moins frappés au coin de cet état dégé nératif qui les présente à l'observation avec la plu part des caractères propres aux maladies de longue durée , et dans lesquelles domine la redoutable in fluence des prédispositions héréditaires. En présence des difficultés sans nombre qui en travaient mon traitement, et souvent le rendaient improductif, j'ai dù chercher à me rendre compte de ce fait, et voir s'il y avait quelque chose d'excep tionnel dans la situation qui m'était créée . J'avais visité les principaux asiles d'aliénés de l'Eu rope, et les relations scientifiques que j'ai entretenues PRÉFACE. VII avec les médecins qui les dirigent, m'ont convaincu que l'idée que je m'étais faite des affections nerveuses chroniques et de leurs transformations, n'avait rien que de conforme à la manière dont je comprends aujourd'hui les dégénérescences chez l'homme et chez ses descendants. Ces transformations pathologiques s'établissent soit par l'enchaînement des phénomènes morbides qui se commandent et s'engendrent successivement, soit par le moyen des transmissions héréditaires que l'on peut bien aussi regarder comme formées par un en chaînement de phénomènes qui s'engendrent et se commandent, d'une manière successive , jusque dans les conditions intimes de la vie fætale. Le type qui constitue l'aliénation mentale se pré sente sur tous les points du globe, avec cet ensemble de symptômes de l'ordre intellectuel , physique et moral qui caractérise les variétés maladives. Que l'on examine les aliénés au point de vue de leurs ten dances et de leurs actes, que l'on compare le genre de leur délire , le début, la marche et les phases ter minatives de leur maladie, que l'on étudie l'expres sion de leurs traits et les formes mêmes de la tête , et l'on restera convaincu qu'ils sont bien les représen tants d'une même cause dégénératrice sévissant par tout , et toujours, d'une façon identique . La progression incessante en Europe , non-seule ment de l'aliénation mentale , mais de tous ces états anormaux qui sont dans des rapports spéciaux avec l'existence du mal physique et du mal moral dans VIII PRÉFACE. l'humanité , était aussi un fait de nature à frapper mon attention . Partout , j'entendais les médecins se plaindre et du nombre croissant des aliénés, et de la compli cation plus fréquente que la paralysie générale, l'é pilepsie et un affaissement plus considérable de toutes les forces intellectuelles et physiques, appor taient aux chances de curabilité. Ajoutons encore que des névroses telles que l'hystérie et l'hypo condrie, souvent accompagnées de tendances au sui cide, attaquent aujourd'hui et dans des proportions inquiétantes, la constitution des ouvriers et des ha bitants des campagnes, tandis que ces affections sem blaient être autrefois le partage presque exclusif de la classe riche et blasée . Enfin , l'imbécillité congénitale ou acquise, l'idiotie, et d'autres arrêts de développe ment plus ou moins complets du corps et des facultés intellectuelles , inaugurent, dans des progressions effroyables, l'existence d'individus qui puisent, jusque dans les conditions de la vie fætale, le principe de leur dégénérescence. Mais, tandis que les médecins aliénistes poursui vaient ces observations dans le domaine spécial de leurs études , les hommes qui s'occupent, non-seule ment en France, mais en Europe et aux États-Unis, de la statistique morale et de la criminalité, nous révélaient des faits qui corroborent, malheureuse ment, nos propres prévisions. Le nombre toujours croissant des suicides, des délits , des crimes contre les propriétés , sinon contre PRÉFACE . IX les personnes ,, la précocité monstrueuse des jeunes criminels, l'abâtardissement de la race qui , dans beaucoup de localités, ne peut plus remplir les an ciennes conditions exigées pour le service militaire , sont des faits irrefragables. Ils se prouvent avec des chiffres tellement significatifs, que la sollicitude des gouvernements européens en a été justementalarmée . En présence d'une situation morale et physique aussi grave , j'ai dû chercher de mon côté si la pro portion croissante des aliénés , ou , si l'on aime mieux, les complications plus désespérantes de leur état, ne tenaient pas à un ensemble de causes générales qui modifiaient d'une manière inquiétante la santé des générations présentes, et menaçaient l'avenir des générations futures. La solidarité des causes dégénératrices ne fait plus pour moi un sujet de doute , et ce livre est destiné à démontrer l'origine et la formation des variétés maladives dans l'espèce humaine. Il m'est impossible désormais de séparer l'étude de la pathogénie des maladies mentales de celle des causes qui produisent les dégénérescences fixes et permanentes, dont la présence, au milieu de la partie saine de la popu lation , est un sujet de danger incessant . S'il en est ainsi , le traitement de l'aliénation men tale ne doit plus être regardé comme indépendant de tout ce qu'il est indispensable de tenter pour amé liorer l'état intellectuel , physique et moral de l'es pèce humaine . La conséquence est rigoureuse , et c'est dans le sens de ce traitement , compris à un х PRÉFACE . point de vue médical , plus large, plus philosophique et plus social , que se dirigera dorénavant toute l'ac tivité de mes investigations thérapeutiques. Mais pour arriver à bien définir ce qu'il fallait en tendre par dégénérescence, et faire de cette étude une science d'observation , j'ai dû abandonner, pour un instant, le point de vue qui me dirigeait en alié nation , et aborder d'une manière plus intime cette autre science qui a pour but l'histoire naturelle de l'homme. J'entrerai, àà ce propos, dans quelques dé tails qui permettront de rattacher l'évolution de mes idées actuelles à l'esprit scientifique qui les dirigeait dans le passé. En 1839, au moment où j'étais reçu docteur, et où ma vocation pour telle ou telle branche de l'art de guérir était encore indécise, je suivais assidûment les leçons de notre savant et regrettable de Blainville . Je m'efforçais de puiser, dans ce haut enseignement philosophique, quelques-unes de ces notions que je regardais comme propres à me faire supporter avec plus de courage la rude initiation à l'existence pro fessionnelle du médecin en province ; en d'autres termes, je faisais mes derniers adieux à la science . Dans une de ses leçons , l'illustre professeur appela notre attention sur un des premiers ouvrages de Gall , qui n'a rien de commun avec son système phrénologique et qui a pour titre : Recherches mé dico -philosophiques sur la nature et sur l'art, dans l'état de santé et de maladie chez l'homme ( 1 ) . Je ( 1 ) Philosophisch-medicinische Untersuchungen übe NO und PRÉFACE , XI possédais ce livre qui jusque - là n'avait pas beaucoup fixé mon attention . Je le lus et fis part de mes im pressions à M. de Blainville. Le savant professeur, dont je n'oublierai jamais la bienveillance et les encouragements, se plut à faire ressortir les ensei gnements principaux de ce premier travail du cé lèbre phrénologiste, et me conseilla de diriger mes études dans le sens des investigations de Gall qui considère l'état de santé et de maladie chez l'homme dans ses rapports avec les lois qui président à l'état de santé et de maladie chez tous les êtres créés du règne animal et du règne végétal . Ayant donc résolu de compléter mes études mé dicales par celle de l'histoire naturelle de l'homme et de l'aliénation dont les types mêmes m'étaient in connus, je dirigeai mes pas vers la Salpétrière. Je rencontrai dans cet asile M. le docteur Falret , et l'accueil bienveillant qu'il me fit décida ma vocation . Je dois à ce savant médecin , mon premier maître en aliénation , et devenu depuis mon meilleur ami, d'a voir été initié à l'étude des maladies mentales. Ce n'est pas ici le lieu d'examiner si j'ai été bien ou mal inspiré , et si l'existence pleine d'amertume que beaucoup d'administrations locales en France, ont faite aux médecins aliénistes , ne m'a pas porté plus d'une fois à regarder en arrière . J'ai eu , je l'avoue , mes instants de défaillance ; mais grâces aux sympathiques encouragements de mes premiers Kunst im kranken und gesunden Zustand des Menschen . Von Joseph Gall . (Vienne, 1791 ) . XII PRÉFACE . maîtres et amis, et particulièrement de M. le docteur Ferrus, j'ai poursuivi mon idée dominante qui était de rattacher, plus fortement qu'on ne l'avait fait jus qu'alors, l'aliénation mentale à la médecine générale, et de faire sortir de son étude une application plus féconde et plus universelle du traitement moral. Frappé de cette idée de Pinel , que la médecine a des points de contact immenses avec l'histoire de l'espèce humaine , je suis revenu aux études dont M. de Blainville avait développé chez moi le goût, et j'ai trouvé dans l'appui et les enseignements de MM . Flourens, Serres , Rayer et Parchappe , le moyen de continuer mes recherches dans cette direction . Les travaux de ces savants distingués , sur la phy siologie et l'anatomie du système nerveux, ont comme on sait jeté une vive lumière sur la question . J'ai suivi le conseil de M. Rayer, de chercher dans la pathologie comparée la solution des problèmes qui occupent, à juste titre , les investigations des anatomo pathologistes , et les comparaisons que j'ai établies entre les effets des causes dégénératrices dans les différents règnes de la création , se retrouvent dans plusieurs parties de mon ouvrage. Les leçons anthropologiques de M. Serres au jardin des plantes, et les travaux récents de M. le professeur Flourens, sur les idées de Cuvier et de Buffon , les recherches de ce savant sur les fonctions du système nerveux, sur la génération , l'ovologie et l'embryologie , ont vivement éclairé mon esprit , et m'ont fait entrevoir le parti que l'on pouvait tirer de PRÉFACE . XIII ces études pour établir la différence qui existe entre les variétés naturelles et les variétés maladives dans l'espèce humaine ( 1 ) . Mes rapports non interrompus avec mon ancien condisciple et ami, M. Cl . Bernard , m'ont fait exa miner jusqu'à quel point la physiologie expérimen tale pouvait éclairer la question des dégénérescences. Il est incontestable que les expériences à propos de l'action des agents intoxicants sur les animaux , peu vent aider à faire des rapprochements utiles pour ce qui regarde la pathologie humaine . Les expériences actuelles de M. CI . Bernard le prouvent d'une ma nière irréfragable. Toutefois, la science expérimen tale, comme le fait observer ce savant physiologiste, puise à d'autres sources, quand elle étudie les con ditions dégénératrices que les infractions à la loi morale et l'absence de culture intellectuelle apportent dans l'évolution normale de l'homme physique . D'un autre côté encore, il est une foule de circon stances où les solutions que pourrait donner la phy siologie expérimentale, sont toutes trouvées par suite de la position déplorable que les causes dégénéra trices créent à l'espèce humaine dans des conditions déterminées. Les individus qui vivent dans les con stitutions marécageuses du sol , ceux qui passent une ( 1 ) Voir : 1 ° Recherches expérimentales sur la propriété et les fonctions du système nerveux dans les animaux vertébrés , par M. Flourens. Paris, 1842 ; 2° Cours sur la génération, l'ovologie et l'embryologie fait au muséum d'histoire naturelle en 1856, par le même professeur. XIV PRÉFACE. partie de leur existence dans le milieu méphitique des logements insalubres, des mines et des fabriques, les tristes victimes de l'intoxication alcoolique, four nissent le sujet d'expériences qu'il est inutile de renouveler chez les animaux. Les conditions dégé nératives produites par la nourriture exclusive ou altérée ont été expérimentées sur les chiens par notre illustre Magendie , et ce que j'ai dit de l'action des mêmes causes chez l'homme confirme les idées de ce savant. Est -il besoin d'ajouter maintenant que mon retour aux études anthropologiques ne m'a pas fait perdre de vue la psychologie proprement dite ? Ceux qui me liront pourront se convaincre que je ne me suis pas livré à l'une de ces sciences, à l'exclusion de l'autre. D'ailleurs, dans l'état actuel du progrès, l'étude de l'homme physique ne peut s'isoler de l'étude de l'homme moral, et je serais ingrat envers mes excel lents amis les docteurs Buchez et Cerise, si je ne proclamais pas hautement l'utilité que j'ai retirée de la manière dont ils comprennent dans leurs écrits la science de l'homme ; je méconnaîtrais ce qui , de puis Pinel, Daquin, Esquirol et Fodéré, a été fait en France et à l'étranger dans l'intérêt des études psy chiatriques ( 1 ) . ( 1 ) Il est juste de signaler, qu'en dehors des hommes qui s'occupent des sciences médico -psychologiques, il est non- seulement des médecins , mais des philosophes et des économistes , qui ont entrevu la nécessité de faire une fusion entre les différentes branches des sciences médicales et psychologiques, afin d'arriver à un résultat plus fécond en applications. PRÉFACE. XV Je remercie particulièrement M. Buchez, qui a surveillé avec la sollicitude d'un ami l'impression de cet ouvrage , et qui n'a cessé de me prodiguer, pendant que je l'exécutais, ses conseils et ses encou ragements. Je reconnais tout ce que je dois à d'autres savants qui , verbalement ou par écrit , ont toujours répondu aux appels que je faisais à leurs connais sances spéciales pour les renseignements dont j'avais besoin . Le célèbre missionnaire, M. Huc, m'a fourni des détails précieux sur l'influence de l'opium en Chine et sur l'existence du goître et du crétinisme dans les provinces de cet immense empire . La dési gnation de province de la terrejaune, que les Chinois donnent aux contrées où se développe cette hideuse dégénérescence , ferait croire qu'ils la rattachent aussi à la constitution géologique du sol. Cette dernière considération me fait un devoir de rapporter au savant archevêque de Chambéry, mon seigneur Billiet, l'idée que j'ai réalisée d'étendre La Société médico - psychologique, récemment fondée à Paris, représente bien ce mouvement. Nous y voyons non- seulement des médecins dis tingués, tels que MM . Ferrus, Parchappe, Lélul, Falret, Voisin, Bail larger, Moreau, Brierre de Boismoni, Michéa, Blanche, Belhomme, Brochin, Pinel , mon excellent ami Delasiauve , et autres qui représentent plus particulièrement la spécialité des maladies mentales, mais il est d'autres médecins, dont les études philosophiques établissent pour la société un grand élément de progrès. MM. Buchez , Cerise , Peisse , Hubert Valleroux, etc. , nous rappellent les souvenirs des regrettables collègues Sandras et Gerdy, que la société a perdus . Enfin , le concours et l'adjonction de philosophes et économistes tels que MM . Oui, Garnier, de Berville , Maury, etc. , nous prouvent que la science de l'homme ne peut que gagner dans les travaux collectifs de lant d'hommes éminents. XVI PRÉFACE , l'étude des causes dégénératrices et de généraliser la théorie à l'aide de laquelle j'explique la formation des variétés maladives dans l'espèce humaine . La polémique que j'ai entretenue avec cet honorable prélat, à propos de la cause essentielle du crétinisme , a porté ses fruits, et j'ai lieu d'espérer que la com munauté des idées scientifiques qui m'unit à mon seigneur Billiet, recevra dans cet ouvrage une con firmation nouvelle, et servira à la cause que nous défendons. Je me plais enfin à reconnaître que mon hono rable éditeur, M. J.-B. Baillière , n'a reculé devant aucuns sacrifices pour donner à cet ouvrage un in térêt plus grand par la publication de l'Atlas icono graphique où l'on verra quelques - uns des principaux types de dégénérescence dans l'espèce humaine. Je terminerai cet avant-propos par quelques consi dérations que j'adresse à la jeunesse médicale, à la quelle je dédie spécialement ce livre . J'ai traversé, pour ce qui me regarde, cet âge heu reux où le cour de l'homme déborde d'espérance, mais je puis affirmer que ma foi en l'amélioration des destinées futures de l'humanité n'a pas faibli, et que je crois de toutes les forces de mon âme à l'in tervention heureuse, et je dirai même nécessaire , que les médecins sont appelés à exercer sur ces mêmes destinées .. Malheureusement, j'ai eu de fréquentes occasions PRÉFACE. XVII de voir l'esprit de découragement s'emparer de la jeunesse, et annihiler les courages qui semblaient primitivement le plus fortement trempés. Les convic tions des jeunes gens sont ébranlées ; ils doutent de leurs forces, et la nécessité des études médico- philo sophiques leur paraît être d'une minime importance dans l'exercice des fonctions médicales. Ces fonctions elles- mêmes sont entrevues par la génération actuelle avec tristesse , je dirais presque avec dégoût , en raison des tribulations sans nombre réservées à l'existence du médecin praticien . Dans cette perplexité, dont on ne comprend que trop les motifs, il est peu de jeunes gens qui aient le courage de se faire d'avance un plan d'études avec l'idée de chercher la solution de quelques-uns de ces problèmes médico - philosophiques destinés à honorer la science et à faire progresser l'humanité. Je me garderai bien , pour ma part , d'exalter cer taines espérances, si surtout elles ont pour but la recherche des honneurs et des richesses ; mais j'é prouve un amer regret en voyant tant de jeunes in telligences s'étioler et périr de marasme, sans porter de fruits. Mon ardent amour pour la jeunesse me donne seul le droit de lui adresser quelques conseils encourageants. incertitudes J'ai confessé, en toute sincérité , les doutes et les quim'avaientmoi-mêmeassailli à mon début, sans omettre quelques-unes des déceptions demonexistence. Mais si je suis sorti triomphantde la lutte, je suis heureux de donner mon exemple XVIII PRÉFACE . comme une preuve qu'il ne faut jamais désespérer de surmonter les difficultés qui entravent les efforts d'un médecin qui a son idée, et qui veut sincèrement s'occuper de l'amélioration de ses semblables. Placé , aujourd'hui, dans un nouveau milieu plus fertile en explorations scientifiques , j'ai retrouvé une riche occasion de m'occuper en toute liberté du sujet d'étude auquel j'ai voué ce que le ciel m'avait dé parti de force et d'intelligence. J'ai eu le bonheur de rencontrer dans l'adminis trateur en chef de cet important département, M. Ernest Leroy , un homme dont les vives sympathies pour la cause sacrée de l'humanité sont justement appréciées , et deviennent un puissant motif d'encou ragement pour ceux qui ont voué leur existence au soulagement des malheureux . Dans l'asile même de Saint-Yon qui s'honore, à juste titre , des illustrations médicales qui ont dirigé le service des aliénés, j'ai déjà trouvé dans l'hono rable directeur, M. le docteur de Bouteville, un ami dévoué et un auxiliaire précieux qui, vu la spécialité de ses connaissances, m'aidera à élucider plusieurs des questions que j'aurai à examiner dans mon ou vrage d'hygiène physique et morale que je me propose de publier. Je le répète , la jeunesse actuelle aurait tort de se décourager. Tout homme, qui veut sincèrement , et sans arrière pensée d'égoïsme, atteindre un but scientifique honorable, est sûr de réussir . Sans doute , pour ce qui me regarde , je suis loin d'être insensible PRÉPACE . XIX au succès de ce livre ; je n'ai pas assez d'abnégation philosophique pour être indifférent à ce que mes contemporains en diront et en penseront ; mais je le déclare, dans toute la sincérité de mon cour, mon plus grand bonheur serait de voir la jeunesse s'inté resser à la question qui me préoccupe. Mes veux seront atteints du jour où je verrai se grossir le nombre des médecins dont les efforts auront pour but L'AMÉLIORATION intellectuelle , physique et morale de l'espèce humaine . Rouen , le 5 décembre 1856 . Mon intention était de donner un répertoire bibliographique des ouvrages à consulter pour l'étude des dégénérescences dans l'espèce humaine . La manière dont j'ai compris cet intéressant travail est vaste ; plus tard , lorsque j'aurai publié l'ouvrage que je considère comme le complément du traité des dégénérescences, l'Hygiène physique et morale, j'espère être mieux en mesure de donner un répertoire qui pourra être consulté avec fruit . J'ai dû, pour le moment, m'en tenir aux indications bibliogra phiques que j'ai données dans cet ouvrage. ERRATA. J'ai cru inutile de fixer l'attention du lecteur sur des erreurs d'im pression , qui , n’altérant en rien l'idée de l'auteur, peuvent être facilement rectifiées à la lecture . Je n'ai pas même tenu à relever quelques inexac titudes passagères dans l'orthographe de tel ou tel nom propre ; mais il est une inexactitude que je tiens essentiellement à faire disparaître : A la page 37, on lit à propos du docteur Martius : Ce n'est pas sans un sentiment de profonde tristesse, qu'on lit dans un célèbre auteur portugais, M. le docteur Martius : et plus loin encore, p . 38, ligne 2 : Dans les sentiments de l'indigène américain , si nous en croyons le savant portugais, Or, j'ai donné plus loin la liste des ouvrages du célè bre Martius qui était d'origine allemande, et dont les voyages instructifs ont été traduits en portugais. DES DÉGÉNÉRESCENCES DANS L'ESPÈCE HUMAINE. PROLÉGOMÈNES. PREMIÈRE SECTION . $ 1. —Que faut- il entendre par dégénérescence dans l'espèce humaine ? -Définition du mot dégénérescence. La conservation de l'espèce humaine malgré les causes si nombreuses de destruction qui la menacent , sa propa gation sous les latitudes les plus diverses , la variété des aptitudes intellectuelles, physiques et morales qui caracté risent l'individu et la race selon les conditions qui pré sident à leur développement, sont des faits si évidents, si universellement acceptés , qu'ils n'ont besoin d'aucune dé monstration . L'existence d'un type primitif que l'esprit humain se plait à constituer dans sa pensée comme le chef - d'ouvre et le résumé de la création , est un autre fait si conforme à 1 2 CONSIDÉRATIONS GÉNÉRALES . nos croyances , que l'idée d'une dégénérescence de notre nature est inséparable de l'idée d'une déviation de ce lype primitif, qui renfermait en lui- même les éléments de la con tinuité de l'espèce. Ces faits qui de nos jours ont reçu la triple sanction de la vérité révélée, de la philosophie , et de l'histoire natu relle , me serviront d'introduction à l'exposé de ce que l'on doit entendre par dégénérescence dans l'espèce humaine. L'homme n'est ni le produit du hasard, ni la manifes tation dernière de prétendues transformations incompa tibles avec les notions les plus vulgaires sur la succession des espèces selon leur type primitif ( 1 ) . Créé pour atteindre le but assigné par la sagesse éter nelle, il ne le peut si les conditions qui assurent la durée et le progrès de l'espèce humaine, ne sont pas plus puis

( 1 ) Dans les trois premiers chapitres de la Genèse , la loi qui assure la continuité de l'espèce selon sa forme primitive est énoncée dans lrois en droits différents , aussi bien pour ce qui regarde les espèces animales que pour les espèces végétales : Dixit Deus producat lerra animam viventem in genere suo, jumenta el reptilia el bestias terræ secundum species suus . ( Genèse, c . II , v. 24. ) Ecce dedi vobis omnem herbam afferentem semen super terram et uni versa ligna quæ habent in semet ipsis sementem generis sui. (C. 1 , v . 29. voir aussi le chap. 11 , v . 12. ) C'est un fait des plus évidents que dans le monde animal comme dans le monde végétal , toutes les races généralement se reproduisent et se perpé luent sans se méler , ni se confondre les unes avec les autres . La loi de na tore veut que les créatures de toutes sorles croissent et se multiplient en propageant leur propre espèce et non point une autre ; et ce serait proba blement bien en vain que l'on chercherait dans le monde entier un exemple bien constaté d'une race intermédiaire provenant de deux espèces dûment reconnues pour distinctes. Un fait de ce geore , si ou veoait à le découvrir, constitucrail certainement une surprenanle anomalie. ( Dr Prichard. His loire naturelle de l'homme, Paris, 1843, lome jer , p . 17. ) DÉFINITION DU MOT DÉGÉNÉRESCENCE . 3 sanles encore que celles qui concourent à la détruire et à la faire dégénérer. Celle idée de causes de destruction et de dégradation de l'espèce humaine est une des plus généralement répandues ; elle forme la base d'une foule de systèmes philosophiques et religieux ; elle existe même chez la plupart des grands mailres de la science médicale comme une de ces croyances instinctives qui sont l'expression des faits les moins suscep tibles d'être contredits : « Tel est, s'écrie Bichat , le mode » d'existence des êtres vivants, que tout ce qui les entoure tend incessamment à les détruire. » C'est l'antagonisme des êtres inertes et des êtres vivants ; mais cet antagonisme est lui- même diversement interprété dans son point de départ et dans ses conséqnences, selon la divergence des doctrines et des systèmes . Si quelques philosophes, tels que Rousseau, Condillac et la plupart de leurs adhérents, n'ont vu dans cet antago nisme que l'influence des instilutions sociales en désaccord avec la nature, d'autres ont attribué toutes les imperfections de la santé et toutes les misères de notre élat physique à la dépravation de la nature morale. Pour quelques autres encore, l'explication du fait réside exclusivement dans la dégradation originelle de la nature humaine . Je pense avec l'auteur des Etudes de médecine générale (1 ) , qu'il est une opinion intermédiaire plus voisine de la vérité et plus féconde en résultats dans l'intérêt des recherches que je poursuis moi- même : c'est celle qui admet la dégra dation originelle de la nature humaine, agissant seule ou avec le concours des circonstances extérieures, des institu tions sociales et de toutes les influences occasionnelles ana

logues. ( 1 ) Tessier. Études de médecine générale, Paris, 1855, 1re partie, p. 38 . 4 CONSIDÉRATIONS GÉNÉRALES . J'ai lieu de croire que cette opinion sera facilement ad mise par tous ceux qui pensent, comme moi , que la difficile question des dégénérescences dans l'espèce humaine doit être étudiée à sa source , et poursuivie scientifiquement dans l'examen des conditions nouvelles que dut créer å l'homme le grand événement de sa chute originelle . Placé dans ces conditions nouvelles, l'homme primitif en a subi toutes les conséquences, et ses descendants n'ont pu échapper ni à l'influence de l'hérédité , ni à celle de toutes les causes qui , en altérant leur santé , tendirent de plus en plus à les faire dévier du type primitif. Ces déviations ont amené des variétés, dont les unes ont constitué des races capables de se transmeltre avec un ca ractère typique spécial ; les autres ont créé dans les di verses races elles-mêmes ces élats anormaux qui feront l'objet spécial de ces éludes , et que je désigne sous le nom de dégénérescences . Ces dégénérescences ont aussi leur cachet typique ; elles se distinguent les unes des autres, par la raison que certaines causes maladives qui alteignent profondément l'organisme, produisent plutôt telle dégéné rescence que telle autre ; elles forment des groupes ou des familles qui puisent leurs éléments distinctifs dans la nature même de la cause qui les a produites . Les dégénérescences ne peuvent donc être que le ré sultat d'une influence morbide , soit de l'ordre physique, soit de l'ordre moral , et , comme lous les états maladifs , elles ont leurs caractères spéciaux et leurs caractères gé néraux . Un des caractères les plus essentiels des dégénérescences est celui de la transmission héréditaire, mais dans des con ditions bien autrement graves que celles qui règlent les lois ordinaires de l'hérédité . L'observation rigoureuse des faits nous démontrera , qu'à moins de certaines circon DÉFINITION DU MOT DÉGÉNÉRESCENCE . 5 stances exceptionnelles de régénération , les produits des èlres dégénérés offrent des types de dégradation progres sive. Cette progression peut alteindre de telles limites que l'humanité ne se trouve préservée que par l'excés même du mal, et la raison en est simple : l'existence des êtres dégénérés est nécessairement bornée, et , chose merveil leuse , il n'est pas toujours nécessaire qu'ils arrivent au dernier degré de la dégradation pour qu'ils restent frappés de stérilité, et conséquemment incapables de transmettre le type de leur dégénérescence. Il résulte de ce simple exposé , que l'idée la plus claire que nous puissions nous former de la dégénérescence de l'espèce humaine, est de nous la représenter comme une dé viation maladive d'un type primitif. Cette déviation, si simple qu'on la suppose à son origine , renferme néanmoins des éléments de transmissibilité d'une telle nature , que celui qui en porte le germe devient de plus en plus incapable de remplir sa fonction dans l'humanité, et que le progrés in tellectuel déjà enrayé dans sa personne se trouve encore menacé dans celle de ses descendants . Dégénérescence et déviation maladive du type normal de l'humanité , sont donc dans ma pensée une seule et même chose , et peut-être l'idée que j'exprime ici s'éloigne-t-elle de celle que paraissent se faire de cet état morbide quelques physiologistes, et en particulier Frédéric Heusinger dans son excellent Traité de pathologie comparée. Le sens que ce savant auteur attache à ce qu'il appelle la déyénération dans l'espèce animale s'appuie sur le fait suivant . Nous savons que les races domestiques peuvent être sou mises par l'art à certaines influences, que ces mêmes in Auences en favorisant une évolution spéciale amènent des aptitudes que l'on est convenu d'appeler un perfectionne ment ; mais l'observation nous apprend aussi que la nature 6 CONSIDERATIONS GÉNÉRALES. montre loujours une lendance à rentrer dans la confor mation de l'espèce ; et cette loi s'applique aussi bien aux plantes qu'aux animaux. Un tel retour de la variété à son type originaire a été à lort, selon moi, appelé dégénération par Frédéric Heusinger . Celle tendance de l'animalité à revenir à son type normal, indique assez du reste que la modification imprimée à l'ani mal par l'art de l'éleveur, est plutôt factice que réelle ( 1 ) . D'un autre coté, dans l'état que je désigne sous le nom de dégénérescence, on ne remarque pas celle propension de l'individu å revenir à son type normal , par la raison que la dégénérescence est un état maladivement constitué , et que l'être dégénéré , s'il est abandonné à lui -même, tombe dans une dégradation progressive . Il devient (et je ne crains pas de répéter cette vérité) , il devient non -seulement inca pable de former dans l'humanité la chaine de transmissibi lité d'un progrés, mais il est encore l'obstacle le plus grand à ce progrés, par son contact avec la partie saine de la po pulation . La durée de son existence enfin est limitée comme celle de toutes les monstruosités . Après cet exposé succinct sur ce qu'il faut entendre par le mot de dégénérescence dans l'espèce humaine, il me reste à faire connaitre le plan que j'ai suivi dans une cuvre par semée de difficultés d'autant plus grandes que, si l'on a ( 1 ) Nous faisons chaque jour des races nouvelles d'apimaux domestiques. Nous en faisons quand nous voulons . Ce n'est pas tout : ces races une fois faites, rien n'est plus difficile que de les empêcher, si je puis ainsi dire, de se défaire. Il y a un art, et très- compliqué, qui n'a d'autre objet que de conserver les races . Nos chiens , nos chevaux , redevenus libros en Amérique, sont revenus à une couleur uniforme, à un type unique ; le chien y a perdu son aboiement ; il y a repris ses oreilles droites . Le cochon y est redevenu sanglier. (Flourens. Histoiro des travaux el des idées de Buffon, Paris , 1880, p . 170.) 3 > 1 DÉGÉNÉRESCENCE SUIVANT LES NATURALISTES , 7 beaucoup écrit sur différentes variétés d'élres dégénérés, pul auteur, que je sache, n'a encore entrepris de théoriser tout ce qui a rapport aux causes éloignées ou prochaines des dégénérescences, d'établir la classification de leurs produits, et de formuler les règles générales de la prophy laxie , de l'hygiène et du traitement à l'aide desquels il est possible de combattre lant de causes réunies de destruction et d'abâtardissement de l'espèce humaine. Mode de production des êtres dégénérés, classification, pro phylaxie, hygiène et traitement, sont les termes sur lesquels vont se concentrer toutes mes recherches , Je vais donc exposer ici le plan que je me suis tracé, les difficultés que j'ai eues å vaincre , ainsi que toutes les perplexités qui m'ont assailli dans la coordination de ce travail. Je le ferai succinctement et avec la plus grande simplicité possible, persuadé que cette franchise de ma part rendra le lecteur plus sympathique à cette œuvre, et le disposera å suppléer par ses propres réflexions aux nom breuses lacunes qu'il m'a été impossible d'éviter. $ 11. — Variétés de l'espèce humaine. -Formation des dégénérescences. · Du sens que les naturalistes attachent aux mots dégénération , abàtardissement de l'espèce . L'origine des premières déviations du type primitif tient incontestablement à la nécessité où, dès le commencement du monde, l'homme se trouva d'harmoniser la nature exté rieure avec les lois de sa propre conservation ( 1 ) . Ce travail d'harmonie ne pouvait s'établir sans une lutte incessante ( 1 ) Je crois inutile de faire remarquer que ces considérations ne sont pour ainsi dire que le cadre restreint , le sommaire des idées que j'aurai à développer dans le cours de cet ouvrage, à propos de ces mêmes questions . 8 CAUSES DES VARIÉTÉS DE L'ESPÈCE . contre tant d'éléments accumulés de destruction, et cette lutte se continue encore sur tous les points du globe . L'homme n'y existe en effet qu'à la condition de combattre sans relache l'influence des éléments nuisibles, et de tous les milieux malsains où les circonstances peuvent le placer. Trois causes principales, dit Buffon , produisent le chan gement, l'altération et la dégradation des animaux : ce sont le climat, la nourriture et la domesticité . Cette pensée si juste de ce grand génie nous indique assez que l'étude des dégénérescences dans l'espèce hu maine, ne peut se séparer complétement de l'étude des causes qui produisent le changement, l'altération et la dé gradation dans les êtres organisés ; et c'est ainsi que la physiologie et la pathologie comparées faciliteront incontes tablement la solution de plus d'un problème difficile dans le cours de ces recherches. Mais il ne faut pas s'y tromper ; le grand prix que j'attache à la physiologie et à la patho logie comparées, ne va pas jusqu'à me faire rejeter tant d'autres éléments d'investigation , indispensables quand il s'agit de l'homme, et sans lesquels il serait impossible d'ex pliquer l'ensemble des causes qui produisent les dégénéres cences qui feront l'objet de nos études. Si l'homme, d'après la définition si incomplète de quel ques physiologistes, n'était qu'un mammifère monodel phe ( 1 ) , bimane, je n'aurais pas à me préoccuper des influ ences de l'ordre intellectuel et moral , qui ont leur point de départ daos la sphère spirituelle de la nature humaine, et je trouverais parfaitement convenable la place que la plu part des anthropologistes lui assignent dans la série zoolo ( 1 ) Monodelphe, c'esl -à - dire que le falus humain , pourvu d'an placepla , subit dans l'utérus toutes les phases de son développement. Eludes de mé decine générale, Paris, 1855, p . 18 el 16. DÉGÉNÉRESCENCE SUIVANT LES NATURALISTES. 9 gique; cependant la nature même du sujet m'oblige d'agran dir l'horizon de mes recherches, aucun des grands pro blemes de la vie intellectuelle, morale et physique des individus et des peuples ne devant passer inaperçu dans une æuvre qui, par ses côtés divers, tient également à la médecine, à la pbilosopbie, à la pathologie comparée et å l'anthropologie. L'homme, il faut bien l'avouer, est soumis comme les animaux à l'action exercée par les climats et par la nour riture, et si nous remplaçons le mot de domesticité de Buf fon par les mots mæurs, éducation, habitudes, civilisa tion, nous entrevoyons immédiatement quelles influences subissent dans des proportions égales l'homme et les ani maux ; quelles différences il faut reconnaitre, et quelles restrictions il faut établir dans cet examen comparé. 11 a suffi á Buffon , dit M. Flourens, d'émettre quelques aperçus lumineux pour créer l'histoire naturelle de l'homme, et réduire à leur juste valeur grand nombre d'assertions des anciens qui admettaient dans l'espèce humaine des dégé nérescences et des monstruosités impossibles , et qui ont même été suivis sur ce terrain par plusieurs auteurs très modernes (1 ) . ( 1 ) Aristote qui relève quelques erreurs d'Hérodote en adopte une foule d'autres. Il croit, par exemple, qu'il y a des peuples androgynes ; il va même jusqu'à distinguer dans ces androgynes le sein droit qui , dit- il , est celui de l'homme, da sein gauche qui est celui de la femme. Pline parle de peuples qui n'ont qu'un wil, de peuples qui ont les pieds lournés en arrière , etc.; il parle sur la foi de Crisias, de peuples qui , faute de bouche, se nourrissent par l'odorat et la respiration, et même de peuples sans téle qui ont des yeux sur les épaules ( Flourens. Histoire des travaux et des idées de Buffon, page 156) . Ces contes absardes des anciens n'ont pas de quoi nous élonner lors qu'on voit des auteurs modernes, et entre autre Rondelet et Maupertuis , admettre l'existence de conditions physiologiques noo moins incroyables. 10 CAUSES DES VARIÉTÉS DE L'ESPÈCE . L'exposé de quelques -uns de ces aperçus de Buffon sur l'unité de l'espèce humaine, et sur les causes qui ont formé le caractère typique des races principales et de leurs variétés, me parait avoir une importance capitale . Nous verrons comment le naturaliste français a été amené à re garder certaines variétés de l'espèce humaine comme des variétés dégénérées , et l'appréciation de cette manière de voir fera mieux ressortir les rapports de nos études ac tuelles avec la science anthropologique ; d'un autre côté , elle nous permettra aussi d'harmoniser notre définition des dégénérescences dans l'espèce humaine avec la pensée gé. nérale qui a dicté ce livre . Quelle est d'après Buffon la cause de la variété des couleurs dans l'espèce humaine ? c'est le climat, dit-il , et la poésie dont il revêt sa pensée ne lui Ote rien de sa va leur ; l'idée de ce grand génie a résisté à toutes les objec tions ; ébranlée un moment par la découverte de Malpigbi , elle a de nouveau été mise en honneur par M. Flourens ( 1 ) . « L'homme blanc ' en Europe, noir en Afrique, jaune en ( 1 ) La couche de nalure pigmentale que l'on trouve dans l'homme de race noire et dans l'horome de race rouge, a élé pareillement découverle par M. Flourens dans l'Arabe et dans le Maure, qui certainement ne vien ncnt ni des Américains vi des Nègres , et qui sont de la race blanche. Il y a plus , il a relrouvé jusque dans l'homme de race blanche unc couche pige mentale . Le mamelon de l'homme blanc est coloré , et il doil sa couleur à une couche pigmentale toute semblable à la couche pigmentale de l'Améri cain et du Nègre . « Il s'ensuit , dit M. Flourens , que la différence de couleur » des hommes vuc superficiellement semblait les éloigner les uns des autres . » Celte même différence de couleur mieux éludiée, devient une preuve » nouvelle de leur unité première ; elle fait voir du moins pour un caractère » donné, comment les races se modifient, comment celle qui n'a pas ce ca » ractère peat l'acquérir , comment la race blanche peut acquérir la couche , l'appareil pigmental des races colorées , n 1 DÉGÉNÉRESCENCE SUIVANT LES NATURALISTES. 11 Asie, rouge en Amérique, n'est que le même homme teint de la couleur du climat ( 1 ) . » Il ne faut pas oublier que Buffon avait principalement en vue , dans so? Iraité de l'homme, de prouver l'unité de l'espèce; el si j'insiste sur la manière de voir de ce grand naturaliste, c'est que la démonstration de ce principe me préoccupe au plus haut point. Détruisez celle unité, il nous est impossible de formuler la théorie complèle des dégé nérescences de l'espèce ; admettez celte unité, et nous comprenons facilement comment telle ou telle cause , soit de l'ordre pbysique, soit de l'ordre moral , produit par tout et toujours la même variété de dégénérescence phy sique et de dégradalion intellectuelle , et souvent les deux réunies . Elle la produit d'après des lois uniformes chez toutes les races humaines , chez toutes les variétés de ces races et sous toutes les latitudes , S'il n'en était pas ainsi , encore une fois, nous ne pour rions appuyer nos recherches sur aucune base solide , et il faudrait admettre ( chose impossible dans l'état actuel de nos connaissances physiologiques) que les grandes fonc lions de l'économie animale ne s'exécutent pas suivant un mode parfaitement uniforme pour les variétés même les plus divergentes de l'espèce humaine, el que l'humanité lout entière , selon la belle idée du docteur J.-C. Prichard , ne sympathise plus dans certaines idées générales , dans certains sentiments profondément empreints en elle et dont la nature n'est pas moins mystérieuse que l'origine (2) . « Tout, au contraire , concourt à prouver que le genre bumain n'est pas composé d'espèces essentiellement diffé . ( 1 ) Buffon, 1. XIV, p . 311 . (2) J.-C. Prichard. Histoire naturelle de l'homme, traduit de l'Anglais , par le doelcar F. Roulin , I. II >, p . 263 . 12 CAUSES DES VARIÉTÉS DE L'ESPÈCE . rentes entre elles, et qu'il n'y a eu originairement qu'une seule espèce d'hommes, qui s'étant multipliée et répandue sur toute la surface de la terre, a subi différents change ments par l'influence du climat, par la différence de la nour riture , par celle de la manière de vivre. J'admets, ajoute Buffon , trois causes qui toutes trois concourent à produire les variétés que nous remarquons dans les différents peuples de la terre . La première est l'influence du climat ; la se conde, qui tient beaucoup à la première, est la nourriture ; et la troisième, qui tient peut- être encore plus à la pre mière et à la seconde, sont les meurs » ( 1 ) . C'est en partant de ces données que Buffon parvient à répandre sur un sujet si obscur avant lui , les idées les plus lumineuses . Il embrasse d'un seul regard les variétés de l'espèce humaine ; il les classe selon le rang qui leur appar tient, fixe les raisons de leur diversité , fait entrevoir les causes de leur dégénérescence, et ouvre ainsi aux études anthropologiques une voie nouvelle que ses successeurs, graces aux progrès de la science, ont élargie, sans aucun doute, mais que d'autres aussi , à la faveur de fausses hy pothèses, ont singulièrement obscurcie . Buffon se montre profondément savant, dit M. Flourens , lorsqu'il pose les limites de la race Caucasique ou Blanche, de cette grande race qui est la race de l'Europe et qui étend ses rameaux jusque dans l'Inde . Nous trouvons, dit Buffon , que les habitants du Mogol et de la Perse, les Arméniens, les Turcs, les Géorgiens, les Mingreliens, les Circassiens, les Grecs et tous les peuples de l'Europe, sont les hommes les plus beaux , les plus blancs et les mieux faits de la terre , et que, quoi qu'il y ait fort loin de Cache . mire à l'Espagne, ou de la Circassie à la France, il ne 1 ( 1 ) Buffon, lome III , p . 4:47 . DÉGÉNÉRESCENCE SUIVANT LES NATURALISTES . 13 laisse pas d'y avoir une singulière ressemblance entre ces peoples si éloignés les uns des autres ( 1 ). Buffon , dit le savant professeur de physiologie comparée, est encore le premier qui nous ait appris à démêler toutes ces variétés si nombreuses dont se compose la race noire . Il y a autant de variétés, dit- il, dans la race des noirs que dans celle des blancs ; les noirs ont comme les blancs lears Tartares et leurs Circassiens ( 2 ) . Plus loin , il se livre à un travail particulier d'élimination , el sépare de certaines grandes races , des sous-races qui lui paraissent comme les rameaux flétris d'un même tronc, comme des variétés dégénérées : ce sont ses propres expres sions. La race Tartare, Mongole ou Jaune, occupe un espace immense . Elle s'étend de la Russie jusqu'à l'Inde ; c'est pro prement la race d'Asie . Les Tartares ou plutot les Mon gols , les Kalkas, les Calmouques, les Chinois, les Mant choux, les Japonais, les Coréens, les peuples de Siam, de Tonkin, de Thibet, etc. , etc. , forment cette race. Tous ces peuples ont le haut du visage large, le nez court et gros, les yeux petits ou enfoncés, les joues élevées, la face plate, le teint olivatre, les cheveux droits et noirs. On retrouve lesang Tartare en Europe, dans les Lapons ; en Amérique, dans les Esquimaux... Les Lapons, les Samoïėdes , les Bo randiens, les Zembliens et peut-être les Groënlandais et les pygmées du nord de l'Amérique, sont, dit Buffon, des Tar lares dégénérés, autant qu'il est possible; les Ostiaques, sont des Tartares qui ont moins dégénéré, les Tongouses encore moinsque les Ostiaques (3 ) . ( 1 ) Buffon , tome III , p . 433 . ( 2) Buffon , lome III , p. 453. (3) Buffon, lome III , p. 379. 14 CAUSES DES VARIÉTÉS DE L'ESPÈCE . a Nous trouvons ici employé pour la première fois par Buffon le mot dégénéré, et nous allons avoir dans un ins lant à nous expliquer sur le sens qu'il faut y attacher au double point de vue de l'anthropologie et de nos études spéciales. J'éprouve cependant le besoin d'emprunter å Buffon une dernière cilation qui contient une des plus grandes données physiologiques que nous puissions utiliser nous- mêmes pour nous confirmer d'une part dans la doc. trine de l'unité de l'espèce humaine, et pour nous fixer de l'autre sur la plus haute signification du mot dégénérescence. Lorsqu'après des siècles écoulés, des continents tra versés, et des générations déjà dégénérées par l'influence des différentes terres, l'homme a voulu s'habituer dans des cli mats extrêmes , et peupler les sables du midi et les glaces du Nord, les changements sont devenus si grands et si sen sibles , qu'il y aurait lieu de croire que le Nègre, le Lapon et le Blanc forment des espèces différentes, si l'on n'était assuré que ce Blane, ce Lapon et ce Nègre si dissemblants entre cux, peuvent cependant s'unir ensemble et propager en commun la grande et unique famille du genre humain : leurs taches ne sont point originelles, leurs dissemblances n'étant qu'extérieures, ces altérations de nature ne sont que superficielles ; et il est certain que tous ne font que le même homme (1 ) Ainsi, le fait important de s'unir ensemble et de propager en commun la grande el unique famille du genre humain, suffit à Buffon pour établir sur des bases inébranlables la loi de l'unité humaine, et ce même fait, si incontestablement prouvé aujourd'hui (2) , nous aidera aussi merveilleusement ( 1 ) Beifron, tome XIV, p . 311 . (2) L. fait physique qui résout loule question d'unité d'espèce, est le fait de la fécopilité continue. Toutes nos races de chiens ne font qu'une seule DÉGÉNÉRESCENCE SUIVANT LES NATURALISTES . 15 à classer les différentes déviations maladives du type nor mal de l'humanité. Plus la dégénérescence est profonde, plus aussi la possibilité de s'unir ensemble et de propager la grande et unique famille du genre humain, devient une chose difficile à réaliser , et les étres maladivement dégé nėrės ne peuvent former des races . La continuité d'une variété maladive, telle par exemple que celle des crétins, ne se produit dans une population qu'aux dépens des membres sains qui s'unissent à des individus plus ou moins profondément infectés, et qui en dehors de toute union sexuelle , contractent les éléments de leurs dégénéres cences ultérieures, dans le milieu d'intoxication où le mal a sa cause première et essentielle ( 1 ) . La délinition que nous avons donnée du mot dégénéres cence (déviation maladive du type primitifou normal de l'hu manité) suffirait, elle seule dėjà, pour faire saisir la différence entre notre manière de voir et celle des naturalistes qui em ploient indifféremment, el sans y attacher le même sens que nous, les termes de dégénération, êtres dégénérés, abálardisse ment de l'espèce; mais comme l'emploi de ces termes appli qaés à d'autres catégories que celles qui nous occupent, pourrait jeter de la confusion dans les idées , il importe que nous établissions la différence d'une manière inatta quable . Un autre sentiment encore nous domine . La des cription des variétés dégénérées de l'espèce humaine a fait surgir involontairement dans l'esprit de quelques anthropo espèce, parce qu'en s’unissant ensemble, elles donnent lontes des individus ſeconds et d'une fécondilé continue. Le loup et le chien sont , au centraire, deux espèces distinctes , parce qu'en s’unissant ensemble, ces deux espèces be donnent que des individus stériles . (Flourens. Eramen des idées de Buffon , p . 168.) ( 1 ) Voir mes lellres à Myr. l'archevêque de Chambéry 8:e lu constitution du sud dans ses rapports avec l'endémicile crélineuse. Paris , 1855 . 16 MODIFICATIONS DANS L'ORGANISATION logistes l'idée d'un état d'infériorité intellectuelle si consi dérable chez ces mêmes variétés que les grands principes de l'humanité en ont reçu une atteinte des plus graves, et qu'il est difficile de calculer les maux qui sont résultés de celte manière si fausse de considérer la question ( 1 ) . Rendons notre idée plus claire encore en faisant d'abord un appel aux lois les mieux connues en physiologie. L'ac climalement va nous fournir un exemple des plus con vaincants, à propos des modifications naturelles imprimées à l'organisme, par suite d'une influence extérieure à laquelle il est impossible aux étres vivants de se soustraire . 1 1 S III . – Modifications qu'apporte l'acclimalement dans l'organisation et dans les instincts des animaux. Lorsque, dit M. Roulin , l'on transporte certains ani maux dans un nouveau climat, ce ne sont pas les indi vidus seulement , ce sont les races aussi qui ont besoin de s'acclimater. Quand celte acclimatation a lieu , il s'opère communément dans ces races d'animaux certains change ments durables qui mettent leur organisation en harmonie avec les climats où ils sont appelés à vivre . De plus, les ba bitudes d'indépendance amènent aussi des changements qui en général paraissent tendre à faire remonter les es pèces domestiques vers les espèces sauvages. ( 1 ) L'appel chaleureux fait aux sentiments d'humanité n'a pu détruire l'im pression fâcheuse provoquée par les opinions des auteurs qui n'ont vu , chez le nègre, par exemple, qu'une espèce inférieure, s'éloignant de la race Celtique non-seulement par l'intelligence , mais par certaines différences anatomiques qui ont porté ces auteurs à faire de quelques races abàtardies, par suite de circonstances malheureuses, des espèces distinctes. On peut consulter, à ce sujet, les ouvrages de MM. Virey et Bory de Saint-Vincent . ET LES INSTINCTS DES ANIMAUX . 17 1 Quelques exemples, pris dans les observations les plus récentes dont s'est enrichie l'histoire naturelle , nous prou veront que , pas plus que les animaux , l'homme n'est soustrait aux influences qui mettent son organisation en harmonie avec les climats où il est appelé à vivre. Rien de plus curieux que les changements successifs produits chez les animaux par la domesticité et par le re tour à l'état sauvage. Réduits en captivité , les animaux dépouillent non- seulement quelques- uns de leurs instincts naturels et en acquièrent de nouveaux , mais il s'opère en core chez eux des transformations remarquables au point de vue physiologique . Nous devons aux travaux si con sciencieux de M. Roulin , les observations les plus intéres santes à ce sujet, et je crois utile de consigner ici quelques uns des exemples cités par ce savant qui a pu étudier sur place les changements opérés chez les animaux , qui de l'état de domesticité , sont revenus à l'état sauvage . Nous savons, dit M. Roulin , que dès l'époque de la dé couverte de Saint-Domingue , par Christophe Colomb, en 1493 , les porcs furent importés dans cette ile , et ils le furent successivement en tous les lieux où les Espagnols formérent des établissements. Or, depuis le moment de celte importation , un grand nombre de ces animaux sont revenus à l'état sauvage, et l'on a pu remarquer que leurs oreilles se sont redressées et que leur tête s'est élargie et relevée à la partie postérieure ; leur couleur n'offre plus ces variétés que l'on retrouve dans les races domestiques ; ils sont presque uniformément noirs . Les porcs peu nombreux que l'on trouve àà l'état de do mesticité chez les habitants des Paramos, c'est-à-dire, des régions montueuses situées à plus de 2,500 mètres d'élé vation, ont beaucoup de l'aspect de nos sangliers de France. Leur poil est épais, souvent même un peu crépu, et pré > 2 18 MODIFICATIONS DANS L'ORGANISATION sente en dessous , chez quelques individus , une espèce de laine. M. Roulin pense que c'est au froid et au défaut de nourriture suffisante que l'on doit attribuer l'état de rabou grissement de ces animaux. Dans quelques parties chaudes de l'Amérique il sont plutôt roux que noirs , mais c'est une exception , et le retour à la couleur uniforme noire et l'ap parition de poils épais et en partie laineux, au lieu de soies rares et clair-semées , sont des faits dignes d'être notés dans les observations de M. Roulin . La différence qui existe sous le rapport de la forme entre la tête du cochon marron et celle du cochon domes tique est aussi très - remarquable. Il y a longtemps que M. Blumenbach a fait cette observation , en comparant le crane du porc de nos basses--cours et celui du sanglier des forêts Européennes ( 1 ) . « Les porcs, dit M. Blumenbach , ont dégénéré à tel point dans certaines contrées , qu'ils dé passent en singularité tout ce qui a pu élre trouvé de plus étrange dans les variétés de l'espèce humaine. Les porcs solitaires, ou à sabot non-divisé, étaient connus des anciens , et on en trouve beaucoup en Hongrie et en Suède. De même que les porcs de l'Europe, qui furent transportés par les Espagnols, en 1509 , dans l'ile de Cubagua , célèbre å cette époque pour sa pêcherie de perles , ont dégénéré en une race monstrueuse qui a des pinces d'une demi-palme de long. ) On comprend facilement que ces singulières variétés dans les animaux n'aient pas échappé à Buffon , il les con signe dans ses ouvrages avec une attention spéciale et à > ( 1 ) Nous pensons seulement que M. Blumenbach a poussé un peu trop , loin l'amour des analogies , en disant que celle différence est loul à fait com parable à celle qui s'observe entre le crâne du Nègre et le crâne de l'Eu ropéen. ET LES INSTINCTS DES ANIMAUX . 19 > > propos de l'espèce porcine , il dit : « En Guinée , cette · espèce a pris de longues oreilles couchées sur le dos ; en Chine , le ventre gros et pendant , et les jambes très courtes; au Cap- Vert et dans d'autres lieux , de grandes » défenses comme les cornes recourbées du bæuf en do » mesticité, des oreilles à demi - pendantes et blanches . » Les variétés trouvées cbez d'autres espèces d'animaux ne sont pas moins remarquables , ct la race bovine en offre de nombreux exemples. Il y a longtemps , dit le docteur Prichard , que don Félix d'Azara a observé que les bæufs sauvages de l'Amérique méridionale différent par la cou leur des beufs domestiques du même pays . Ces derniers, dit l'auteur , nous offrent une grande variété de nuances , mais la couleur des beufs sauvages est constante et inva riable : les parties supérieures sont d'un brun rouge, et le reste du corps est noir. L'existence de quelques races sans cornes est encore un fait connu, et l'on sait aussi à quels singuliers résultats sont arrivés les éleveurs en obte nant certaines variétés , dans l'intérêt de l'agriculture , de l'industrie ou de la consommation . Dans quelques régions très - chaudes de l'Amérique , M. Roulin a vu des variétés de baufs ayant le poil extrên mement rare et touffu , et d'autres entièrement nus qui rap pellent cette race de chiens sans poil , originaires de Ca longo sur la côte de Guinée , et que nous désignons sous le nom de chiens turcs. C'est encore à ce naturaliste que l'on doit la connaissance d'un fail très- remarquable, et qui se trouve signalé comme tel dans le rapport de M. Geoffroy Saint- Hilaire , à l'Aca démie des sciences, sur un Mémoire de ce savant ( 1 ) ; où il explique les causes de la sécrétion permanente du lait ( 1 ) Mémoires du Muséum , l . xvil , p . 201 . 20 MODIFICATIONS DANS L'ORGANISATION chez la vache en domesticité . La pratique incessamment renouvelée de traire ces animaux pendant une longue suite de générations a produit sur la race ce résultat , que la sé crétion du lait y est devenue une fonction constante de l'é conomie ; les mamelles y ont acquis une ampleur plus qu'ordinaire, et le lait continue d'y affluer alors même que le nourrisson est enlevé à la mère. Dans la Colombie, l'abondance du bétail et diverses autres circonstances ont interrompu cette babitude dans la sécrétion, et il n'a fallu qu'un petit nombre de générations pour que l'organisation libre de contrainte revint à son type normal. On observe encore chez les animaux certaines habitudes acquises par l'éducation , et qui se perpétuent chez les des cendants . C'est ainsi que la marche à l'amble et au pas relevé chez les chevaux issus de ceux qu'on élève sur les plateaux des Cordilières, est évidemment le résultat d'une transmission héréditaire, les parents ayant été dressés à ce mode de progression que la nature est loin de leur donner. Dans d'autres circonstances ce n'est pas seulement telle ou lelle habitude, c'est le développement d'un nouvel in slinct qui devient héréditaire chez les animaux. Ce fait a été remarqué dans la race des chiens que l'on trouve chez les habitants des bords de la Madelaine, et que l'on emploie à la chasse du pécari . L'auteur que nous citons dit que la première fois que l'on mène les chiens issus de cette variété à la chasse de ce dangereux animal , ils savent comment l'attaquer, tandis que les chiens d'une autre espèce sont dé vorés dans un instant. L'aboiement est aussi, d'après le docteur Prichard , une habitude acquise et transmise héréditairement dans l'espèce canine, et qui devient naturelle aux chiens domestiques ; les jeunes , en effet , apprennent à aboyer même lorsque d > > ET LES INSTINCTS DES ANIMAUX. 21 a dės la naissance ils sont séparés de leurs parents ( 1 ) . Il est prouvé que les chiens sauvages n'aboient pas ; l'a boiement serait- il , comme le veulent quelques naturalistes . un essai d'imitation de la voix humaine ? La chose est peu probable , car les insulaires de beaucoup d'iles de l'Océanie possèdent des variétés chez lesquels l'aboiement est rem placé par un grognement sourd . Quoi qu'il en soit , on trouve , d'après M. Roulin , des troupes nombreuses de chiens sauvages dans l'Amérique du sud, et principalement dans les Pampas ; il y en a aussi dans les Antilles et dans les iles situées prés de la cote du Chili . En recouvrant la li berté , ces animaux perdent l'habitude d'aboyer, et comme cela a été remarqué chez d'autres chiens dont la race n'a jamais reçu les soins de l'homme, ils ne savent que hurler (2) . Quelque chose d'analogue a encore lieu chez les chats saavages qui , d'après la curieuse observation de M. Roulin , n'ont plus ces miaulements importuns que font entendre si souvent pendant la nuit nos races d'Europe. Il me serait facile d'étendre ces recherches et de faire ressortir d'autres modifications non moins importantes que l'action du climat, de la nourriture et de l'éducation , imprime aux individus des espèces ovine, chevaline, etc. L'acclimatement des gallinacées, par exemple, dans quel ques contrées de l'Amérique, a donné lieu aux observa tions les plus curieuses au point de vue de la fécondité ainsi que des changements qui s'opèrent et dans la couleur et dans la nature de leur plumage (3) ; mais ce que j'en ai . ( 1 ) Docteur Prichard ; ouvrage cilé , t. 1 , p. 48. (2) On sait que deux chiens amenés des contrées occidentales de l'Amé rique en Angleterre, par le voyageur Mackenzie, n'aboyèrent jamais et con linnèrent à faire entendre leur harlement habituel, landis qu’uo cbien qui Daquit de ceux- ci, en Europe, apprit à aboyer. (3) Le poulet créole , qui appartieot à la race depuis longtemps acclima 22 MODIFICATIONS DANS L'ORGANISATION dių suffit pour justifier ma lbėse . Il est évident que si les milieux dans lesquels se développent les animaux onų une influence assez puissante pour modifier leurs formes exté rieures, et agir sur la nature de leurs habitudes et de leurs instincts , et si cette influence se fait sentir même dans le régoe végétal ; il est évident, dis - je , que l'homme ne pou - vait échapper non plus à certains changements durables qui mettent son organisation en rapport avec les climals où il est appelé à vivre. Nous allons voir dans un instant quelle différence il faut établir entre ces changements na turels, durables, et ces autres modifications anormales que nous désignons sous le nom de déviations maladives du type normal de l'humanité. Je tiens seulement aà prouver que cet examen comparé n'a rien qui doive nous choquer, obligés que nous sommes d'admettre que dans les disposi tions générales de sa structure interne, dans la composition et les fonctions de ses parties , l'homme est soumis aux lois qui règlent les mêmes fonctions dans les espèces infé rieures . « Le maitre de la terre, celui qui contemple l'ordre élernel de l'univers et aspire å se confondre un jour dans le sein de son invisible créateur, est un élre composé des mêmes matériaux , construit sur les mêmes principes que les .créatures qu'il a soumises pour en faire les serviles instruments de sa volonté, ou qu'il lue pour fournir å sa nourriture de chaque jour » ( 1 ). lée , et dont les pères ont vécu pendant des siècles dans un climat chaud , nait avec un peu de duvet , qu'il perd bientôt , el reste complélement nu jusqu'à la croissance des ailes . Le poulet de race anglaise nouvellement importé est couvert d'un duvet très -serré . « Le petit animal est encore vélu » comme pour vivre dans le pays d'où ses pères ont été appelés depuis peu d'années (Roulin ) . - ( 1 ) Prichard . Ouv. cité , l . 1 , p . 2 . ET LES INSTINCTS DES ANIMAUX . 23 SIV. — De la différence à faire entre les modifications naturelles qui produisent les variétés et les modifications anormales ou maladives qui créent les dégénérescences . Il se présente ici une occasion bien naturelle d'appli . quer le principe que j'ai émis plus haut à propos de la ma nière d'étudier les influences que subissent dans des pro . portions égales l'homme et les animaux . Il s'agit en effet de bien distinguer quelles sont les analogies qu'il faut ac cepler, les différences qu'il est nécessaire d'admettre et les restrictions que l'on doit apporter dans cet examen comparé. C'est encore à Buffon que la science moderne doit l'avan tage d'être entrée dans une voie qui , reliant l'histoire na - lurelle à la géographie, permet ainsi de mieux saisir les rapports qui établissent des liens communs entre les étres créés , et de mieux apprécier les dissemblances qui nous obligent à étudier chaque espèce dans la sphère plus spé ciale de son organisation . Dans les animaux , dit Buffon, l'influence du climat est plus forte, et se marque par des caractères plus sensibles, parce que les espèces sont diverses , et que leur nature est infiniment moins perfectionnée et moins étendue que celle de l'homme. Non - seulement les variétés dans chaque es pèce sont plus nombreuses et plus marquées que dans l'es pèce humaine;; mais les différences même des espèces sem blent dépendre des différents climats : les unes ne peuvent se propager que dans les pays chauds , les autres ne peu vent subsister que dans les climals froids ; le lion n'a jamais babité les régions du nord , le renne ne s'est jamais trouvé dans les contrées du midi ; et il n'y a peut- être aucun ani mal dont l'espèce soit , comme celle de l'homme, générale

24 MODIFICATIONS NATURELLES. se ment répandue sur loute la surface de la terre ; chacun a son pays, sa patrie naturelle, dans laquelle chacun est re tenu par nécessité physique ; chacun est fils de la terre qu'il habite, et c'est dans ce sens qu'on doit dire que tel ou tel animal est originaire de tel ou tel climat ( 1 ) . « Tout ce que les auteurs modernes ont dit à ce sujet n'est que la paraphrase de cette idée de Buffon . » Le globe entier est le domaine de l'homme, ajoute ce grand génie, il semble que sa nature se soit prêtée à toutes les situations ; sous les feux du midi , dans les glaces du nord , il vit, il multiplie, il trouve partout si anciennement répandu qu'il ne parait affecter aucun climat particulier . » Quelle différence sous ce rapport entre l'homme et les animaux qui, jouets de la destinée, selon l'expression du docteur Prichard , esclaves du sort que leur assignent les conditions extérieures, cèdent sans résistance à l'action de la nature, et ne font jamais aucun effort pour modifier les circonstances qui peuvent leur être nuisibles . L'homme au contraire, sait dompter les éléments et tourner à son profit ou à l'augmentation de ses jouissances ce qu'il y a de plus puissant, de plus redoutable dans leur action . Il résulte de la que l'homme est un être cosmopolite , et tan dis que parmi les sauvages habitants des forêts, chaque espèce ne peut exister que sur une portion très-circonscrite de la surface de la terre, l'homme ainsi que les animaux qu'il s'est associés de tout temps et dont il s'est fait suivre dans toutes ses migrations, peut vivre sous tous les climats, depuis les rives de la mer glaciale, où le sol ne fléchit ja mais sous ses pieds, jusqu'aux sables brûlants de l'équa teur ou les reptiles eux-mêmes périssent de chaleur et de soif ( 2) . ( 1 ) Buffon , lome IX ., p . 2 . ( 2) Prichard, ouv. cité , lomc 1 7, p . 4 . MODIFICATIONS ANORMALES, 25 Abordons maintenant la question principale qui se déduit naturellement de ces considérations . L'homme modifie sans aucun doute l'action qu'exercent sur lui les éléments, il dé ploie dans celte lulle toutes les ressources de son génie, et prouve qu'il est le roi de la terre, mais cette même action exercée par les éléments ne le modifie-t - elle pas à son tour? Cette modification ne se traduit- elle pas au - dehors par des signes extérieurs frappants, tels que la petitesse ou la gran deur démesurée de la taille , la forme de la tête , le plus ou moins de développement de la poitrine et des membres, la conleur de la peau et des yeux , la nature des cheveux, et d'autres différences encore que l'on a données, à juste titre , comme les caractères distinctifs des races et de leurs va riétés ; caractères qui , de plus, se perpétuent par l'héré dité ? Bien mieux, son organisation intime ne se ressent- elle pas de cette même et puissante action des éléments , et le plus ou moins de développement de ses aptitudes intellec tuelles et de ses facultés morales n'est- il pas en rapport avec la même cause ? Il serait sans doute téméraire de nier å première vue toutes ces modifications, et nous serions inévitablement écrasés sous le poids des exemples les plus convaincants . Quelle différence en effet entre la constitution physique de l'Esquimaux, qui se gorge d'huile de baleine dans sa hutte de neige, et celle de ce famélique Africain qui poursuit le lion sous un soleil vertical ? Les différences ne seraient elles pas encore sensibles , si l'on voulait comparer, à ce pêcheur du Nord, couvert de peaux de phoques, à ce chasseur nu du Sahara , les hôtes voluptueux des harems de l'Orient, ou les babitants intelligents et pleins d'énergie des contrées Européennes ( 1 ) . ( 1 ) Prichard , ouv . cité , lome 1 , p . 5 . 26 MODIFICATIONS NATURELLES. J'admets complétement ces différences dont on peut lire les intéressants détails dans les auteurs qui se sont occupés des questions anthropologiques , et dans les récits des voya. geurs qui les ont décrites avec un étonnement facile à com prendre ( 1 ) , je différe seulement avec plusieurs de ces au teurs sur les conclusions que l'on peut tirer de ces faits. Je pense qu'il ne faut pas confondre les modifications que peuvent subir les races humaines et qui ont pour résultat d'adapter leur constitution au climat qu'elles habitent, avec ces autres modifications plus profondes et plus radicales qui sont le résultat d'un principe maladif, et qui forment pour nous la classe des dégénérescences proprement dites de l'espèce humaine. La démarcation sans doute n'est pas toujours facile à établir . Où s'arrête, me demandera- t -on, la déviation due à l'influence naturelle du climat ? Où com mence l'état spécial de déviation maladive du type normal de l'humanité ? Je vais répondre à ces questions, en citant un exemple tellement frappant de l'influence exercée par le milieu ambiant sur une des plus importantes fonctions de l'économie, et nécessairement sur l'organisme tout en tier et sur l'expression typique de l'individu , que les con clusions que j'aurai à déduire me dispenseront d'entrer dans des détails plus en rapport avec la science anthropo logique qu'avec la nature de cet ouvrage . Parmi les nations Péruviennes , la race dominante était , ( 1 ) On ne peut voir , pour la première fois, dit M. le professeur Flourens , un homme noir ou un homme rouge , sans éprouver un élonnement profond. Qui eût osé croire , s'écrie Pline, à l'existence des Ethiopiens , avant de les avoir vus ? Lorsque les Portugais , dit Raynal, ayant dépassé le Niger, trou-' vèrent des hommes absolument noirs , avec des cheveux crépus , un pez écrasé , et très - différents de ce qu'ils avaient dès lors aperçu ; celle vue leur parut une confirmation des erreurs antiques ... , et ils doulèrent d'abord, s'ils nc devaient pas rétrogader . MODIFICATIONS ANORMALES, 27 à l'époque de la conquête des Espagnols, celle des Qui chuas ou locas , qui parlait une langue distincte , et dans laquelle, comme on sail , se résumait, presque exclusive ment, la civilisation de l'Amérique du sud. J'emprunte ce que j'ai à dire de cette race à M. d'Orbigny, et c'est à des sein que je choisis, comme démonstration du fait, l'exemple d'une nation qui a joué un rôle historique important, et dont les débris se maintiennent encore sur les bauteurs des Andes de l'Amérique du Sud, où depuis des siècles babitaient leurs ancêtres. Les caractères physiques des peuples de race Quichua ou laca ont été très - bien décrits par M. d'Orbigny, « Leur couleur, dit -il, n'a rien de la teinte cuivrée qu'on assigne aux nations de l'Amérique Septentrionale, ni le fond jaune de la race Brasiléo -Guaranienne; c'est la même intensité , le même mélange de brun olivatre , qu'on retrouve dans la race Pampléenne. Leurs traits sont bien caractérisés et ne ressemblent en rien à ceux de ces derniers peuples . C'est un type tout à fait distinct, qui se rapproche de celui des peuples Mexicains. Leur téle est allongée d'avant en ar rière ; néanmoins le crâne est souvent volumineux et an nonce un assez grand développement du cerveau . La taille des Quichuas est très peu élevée , et la moyenne atteint å peine un mètre 60 centimètres ; elle reste même au - dessous dans beaucoup de provinces, sur les plateaux élevés où la raréfaction de l'air est plus grande, tandis que ceux qui ont une slature plus élevée vivent principalement dans les vallées chaudes et humides de la province d’Ayupaya . Les femmes sont plus petites encore , et peut- être au- dessous de la proportion relative qui existe ailleurs dans la race blanche. D'après M. d'Orbigny les formes sont plus massives chez les Quichuas que chez les autres nations des mon 28 MODIFICATIONS NATURELLES , > tagnes ; et il les présente comme caractéristiques. « Les Quichuas ont les épaules trés -larges, carrées, la poitrine excessivement volumineuse , très- bombée et plus longue qu'à l'ordinaire , ce qui augmente le tronc ; aussi le rap port normal de longueur respective de celui- ci avec les extrémités, ne parait-il pas être le même chez les Qui chuas que dans nos races Européennes, et différe - t-il éga lement de celui des autres rameaux Américains . Nous voyons même que sous ce rapport, il sort tout à fait des règles observées, étant plus long å proportion que les ex à trémités qui n'en sont pas moins bien formées, bien mus . clées et annoncent beaucoup de force. La tête est plutot grosse que moyenne, proportion gardée avec l'ensemble ; les mains et les pieds sont toujours petits ; les articulations quoiqu'on peu grosses, ne le sont pas extraordinairement . Les femmes présentent le même caractère, leur gorge est toujours volumineuse . ) Le fait organique le plus frappant est celui de la lon gueur proporlionnelle , bien plus considérable de tronc chez ce peuple que chez les autres américains , d'ou résulte un raccourcissement des extrémités . Le développement anor mal de la poitrine peut expliquer ces diverses circon stances, et dans l'opinion de M. d'Orbigny l'influence des régions élevées où vivent ces peuples mérite une attention particulière. Les plateaux qu'ils habitent sont toujours com pris entre les limites de 2,500 à 5,000 mélres d'élévation au-dessus du niveau de la mer ; aussi l'air уy est-il si raréfié qu'il en faut une plus grande quantité qu'au niveau de l'Océan pour que l'homme y trouve les principes néces saires à la vie. Les poumons ayant besoin pour le jeu de leurs fonctions, d'une cavité plus grande, cette cavité reçoit dès l'enfance et pendant toute la durée de l'accroissement un développement considérable tout à fait indépendant de > MODIFICATIONS ANORMALES. 29 celui des autres parties . Mais ce qui justifie complétement celte hypothèse, c'est l'examen de la question de savoir si lespoumons eux- mêmes n'auraient pas subi de modifications notables. Or, les recherches anatomiques auxquelles s'est livré M. d'Orbigny ont pleinement confirmé ce fait. L'au topsie des cadavres de plusieurs Indiens des plus hautes ré gions a démontré à ce savant naturaliste que la forme exté rieure de la poitrine était en rapport avec les dimensions extraordinaires des poumons, dont les cellules sont bien plus développées que chez les peuples placés dans d'autres circonstances climatériques ; d'où M. d'Orbigny est en droit de conclure : 1 ° Que les cellules sont plus dilatées ; 2° que leur dilatation augmente notablement le volume des pou nions ; 3º que par suite, il faut à ceux- ci , pour les contenir, une capacité plus vaste ; 40 que dès lors la poitrine a un dé. veloppement plus grand que dans l'état normal ; 8º enfin , que ce grand développement de la poitrine allonge le tronc au-delà des proportions ordinaires, et le met en déshar monie avec la longueur des extrémités restées dans l'état où elles auraient dû être, si la poitrine avait conservé ses dimensions naturelles . Je suis obligé de passer d'autres détails intéressants sur la physionomie et le caractère moral de ce peuple . Quant à ce qui regarde son type physique , tout nous indique qu'il est demeuré le même depuis quatre à cinq siècles , ainsi qu'on peut le constater d'après quelques peintures ancien Des qui remontent à une époque très-reculée. Je reprends, dans l'observation de M. d'Orbigny, le fait saillant sur lequel je désire appeler l'attention du lecteur, celui du développement anormal de la poitrine chez la na tion Quichua . Personne , je pense , ne sera tenté de voir dans celte particularité de constitution un de ces carac tères qui dénotent une race particulière , ni à plus forte rai > 30 MODIFICATIONS NATURELLES . son une dégénérescence quelconque de l'espèce humaine . Les habitants de ces plateaux élevés ont subi l'influence spéciale de leur climat , et il en est résulté des modifica tions qui tendaient à mettre l'organisme et les fonctions en rapport avec de nouvelles conditions d'existence . Ce seul exemple suffirait , dit le docteur Prichard , pour nous donner une idée des modifications que peuvent subir les races humaines sous l'influence des circonstances exté rieures, modifications qui ont pour résultat d'harmoniser leur constitution avec la nature du climat. De tous les auteurs modernes , M. le docteur Prichard est celui qui a examiné cette immense question d'influence climatérique par son coté le plus vrai , le plus philosopbique et le plus en rapport avec la nature de nos études ; aussi nous faisons -nous un devoir de le citer ( 1 ) . « Quand , d'une part, nous considérons, dit - il , l'Arabe qui se contente pour sa nourriture journalière de cinq dalles et d'un peu d'eau , et de l'autre l'Esquimaux qui dévore dans un repas des quantités énormes de lard de baleine ; quand nous voyons le premier, svelte, agile , bien musclé , quoique maigre ; le second , trapu , gras et pesant, nous savons bien que ces différences dans les caracteres extérieurs sont l'indice de modifications plus profondes encore dans l'organisation , mais nous apprécions aussi les causes extérieures en vertu desquelles ces modifications tendent à se produire . » Il existe sans doute des cas où nous ne pouvons pas nous rendre compte de la manière dont agissent ces influences extérieures , mais nous n'en devons pas moins supposer qu'elles sont dans des rapports de cause à effet avec les modifications que nous observons . Et s'il en est ainsi , com ment ne pas admettre que ces modifications ont pour résul ( 1 ) Docteur Prichard . Ouvrage cité, l . II , p. 243. MODIFICATIONS ANORMALES . 31 lat d'adapter un type organique particulier aux conditions spéciales dans lesquelles se passe l'existence des indi vidus . Ces modifications, je le sais , ne s'opèrent pas toujours sans une espèce de crise qui devient souvent fatale à ceux qui affrontent les premiers dangers de l'acclimatement ; et la disposition organique capable de résister à l'influence du climal ne s'acquiert parfois qu'aux dépens du sacrifice de plusieurs générations. C'est ainsi que le climat de Sierra Léone, qui n'exerce plus aucune action facheuse sur les naturels , a été si constamment fatal aux Européens, qu'ils n'ont pu s'y habituer ; il serait difficile d'alléguer ici une différence originaire dans l'organisation , car quelques des . cendants des naturels de Sierra- Léone ayant été ramenés dans le pays que leurs ancêtres avaient quitté depuis quel que temps, y ont éprouvé les mêmes maladies que les Eu ropéens . Il n'est aucun sujet plus digne de fixer notre attention que celui des influences exercées sur l'organisme par le changement du climat . Chez les hommes du nord qui ont émigré sous la zone torride on remarque, n'écrit M. le docteur Buchez , des changements bien dignes de fixer l'at tenlion . « La circulation générale est suractivée ; le sang est diminué de quantité et les artères sont moins pleines . » La circulation de la veine- porte est accrue, et il se pro » duit une quantité exubéranle de bile ; le foie devient » énorme, et il semblerait que cet organe supplée à l'insuf » fisance de la respiration comme dans le fætus. La force musculaire n'a plus la même énergie. Or, me demande ce savant médecin , peut- on appeler dégénérescence celle modification spéciale imprimée à l'organisme par l'influence climatérique ? Evidemment non , et M. Buchez n'y voit, comme moi, qu'une modification profonde qui se transmet 32 MODIFICATIONS NATURELLES. par génération . Cette modification finira elle- même par se fixer dans des limites déterminées, et aura pour résultat d'adapter la constitution des individus au climat dans lequel ils sont appelés à vivre. Nous approchons du moment où notre définition de la dégénérescence de l'espèce humaine va recevoir par l'exa men du seul point de vue de l'influence climatérique une confirmation complète. Pour donner un exemple d'une dé générescence maladive de l'espèce humaine par suite de l'exagération des causes qui , à l'état normal, lendent à mettre l'organisation de l'homme en rapport avec le climat qu'il habite , je n'aurai pas besoin de sortir de notre pays ; il me suffira d'emprunter quelques lignes aux auteurs qui ont étudié la constitution physique des habitants de nos contrées marécageuses. Je serai bref, car cet intéressant sujet nous occupera spécialement dans le cours de cet ou vrage . « En visitant le village de Hiers, dit M. Mélier dans son important rapport sur les marais salants, nous avons vu des enfants de douze ans auxquels on n'en aurait pas donné plus de six ou huit , tant ils étaient chétifs et peu dé veloppés. Le teint de ces malheureux n'est pas seulement påle ; il est terne et d'un gris sale ; tout à la fois bouffis de visage et maigres des membres, ils n'ont en quelque sorte de développé que le ventre , ils portent presque tous des engorgements incurables . » « Le canton fut pendant longtemps dans l'impossibilité de fournir au recrutement le contingent d'hommes que lui assignait la loi . La plupart de ses jeunes gens étaient à réformer, soit pour défaut de taille , soit à cause de la fai blesse générale de leur complexion. Il est même arrivé bien des fois , dans certaines communes plus maltraitées , que de tous les hommes appelés, il ne s'en trouvait pas un seul qui fut propre au service, tant la population était che MODIFICATIONS ANORMALES . 33 tive etrabougrie..... On a vu plus, on a vu des années où il ne restait pas un seul homme de la classe appelée ; au cun n'était parvenu à l'âge du recrutement ; tous elaient morts avant le temps, et pour la plupart dès leur enfance D ( 1 ) . L'influence marécageuse est donc une cause de dévia tion maladive du type normal de l'humanité, et cette cause produit les mêmes résultats dans tous les pays et sous tou - tes les latitudes . Le caractère distinctif des dégénéres cences maladives dans leur rapport avec la spécificité de la cause sera un de nos principaux éléments de classification . • Un teint pale et livide , un æil terne et abaltu, des pau pières engorgées , des rides nombreuses sillonnant la fi gure avant le temps , des poitrines resserrées , un cou al longé, une voix grèle, une démarche lente et pénible, l'état de souffrance de l'appareil pulmonaire, forment les altribuls de l'habitant de la Dombes, de ce vaste marais entrecoupé de quelques terrains vagues et de sombres forêts ..... La vue de ce pays comme de l'espèce qui l'habite porte la tristesse dans l'âme de l'observateur... c'est un tombeau sur les bords duquel l'habitant traine douloureusement sa courte existence , et dont il semble chaque jour mesurer la profondeur ..... il est vieux à trente ans , cassé et décrépit å cinquante (2 ) . » Enfin, lorsque nous aurons à étudier l'action spéciale de la constitution du sol sur les différentes variétés des dégé nérescences , nous arriverons à un point où l'individu se montre tellement dégradé dans son organisation physique el dans ses manifestations intellectuelles, que, selon l'ex pression de quelques naturalistes, il ne rappelle plus l'idée ( 1 ) M. le docteur Mélier. Rapport sur les marais salants (Mémoires de l'Académie de Médecine, lome XIII , page 670, Paris , 1847) . (2) Statistique de M. de Bossi. 3 34 MODIFICATIONS NATURELLES . . de son espèce . Il est alors non - seulement imparfait, mais complétement dégénéré. Sa taille ne dépasse pas une certaine limite , et quelle que soit la latitude sous laquelle se développent des êtres soumis à la même cause de dé . gradation physique, ils se ressemblent tous par le caractère typique de la figure, par la nature de leurs instincts et celle de leurs habitudes. Si ceux qui ne sont arrivés qu'à une certaine période de cette dégénérescence peuvent encore reproduire la grande famille du genre humain, c'est sous la condition invariable d'une transmissibilité héréditaire fa tale pour les générations qui suivent . Les plus affligés parmi ces étres dégénérés se reconnaissent au contraire à l'im puissance où ils sont de se reproduire ;; ils offrent le type de la dégénérescence crélineuse dans sa manifestation extrême . Nous avons à peine effleuré l'histoire des dégénérescen . ces maladives dans l'espèce humaine ; nous n'avons cité que très- succinctement une seule cause de dégradation dégéné. rative , et cependant nous sommes déjà en droit de tirer cette conclusion importante, qu'entre le plus misérable in dividu de la nation Hottentote, chez laquelle des natura listes ont cherché avec complaisance des exemples de dé gradation physique, et l'Européen le plus accompli au point de vue de la perfection de son type, il y a bien moins de dissemblance qu'entre ce même Européen et l'être maladi vement dégénéré que l'on désigne sous le nom de crétin . La raison de ce que j'avance se déduit naturellement des considérations précédemment émises . Ces tribus , si dégra dées que les supposent quelques écrivains , constituent non seulement une variété dans l'espèce humaine , mais elles peuvent s'allier à toutes les autres variétés, se repro duire et remonter vers un type supérieur. Les dissem blances qui existent entre elles et d'autres variétés sont les résultats nécessaires des influences extérieures, l'expression MODIFICATIONS ANORMALES . 35 la plus frappante de cette loi naturelle qui fait que l'or ganisme de l'homme s'adapte au climat sous lequel il est destiné à vivre, mais encore une fois, toutes ces dissem blances ne proviennent pas d'un étal maladif ( 1 ) . D'autres raisons pbysiologiques, que nous ne pouvons qu'indiquer dans ce rapide exposé de ce qu'il faut entendre par dégénérescence dans l'espèce humaine , militent encore en faveur de notre manière de voir. La durée de la vie moyenne est à peu près la même chez les différentes races humaines . L'époque où les relations entre les deux sexes peuvent commencer avec chance de continuité de l'espèce ( 1 ) Nous reviendrons sur celle importante question dans le chapitre de l'influence du miasme paludéen sur la constitution de l'homme. Tout ce que je veux dire ici , c'est que l'état maladif exclut nécessairement la possibilité d'une continuité ou d'un progrès dans l'espèce. Une population de scrofuleux rachitiques et goitreux , finirait, en cas d'unions sexuelles permanentes entre la même catégorie maladive, par dégénérer dans des proportions telles que celle population disparaitrait entièrement . Mais je ne prétends pas par là que des états maladifs provenant de l'influence climatérique ne puissent pas être le résultat de modifications profondes dans certains systèmes organiques , et s'arrèler à un point qui constitue une variété capable de se propager. Je pense, avec quelques auleurs , que les Papous si remarquables par un teint noir , des cheveux frisés , un gros venire, des genoux tournés en -dedans, des pieds plats, de grosses articulations , doivent le désavantage de leur con stilution organique à des influences spéciales qui ont créé chez eux un lem pérament maladif. Ils se sont propagés néanmoins , ils ont formé une variété dans l'espèce, je n'en disconviens pas , mais ceci n'empêche pas qu'un tem pérament maladil ne soit une cause de dégénérescence ultérieure. M. le doclear Buchez qui me fournit les éléments d'une réponse à une objection me cile encore la race créole dans les lodes , comme exemple d'une variété qui s'est peu à peu rapprochée des naturels du pays , el cela sous l'influence des conditions climatériques qui ont profondément modifié la con stitution de leurs ancêtres. Mais encore une fois, nous reviendrons sur celle importante qnestion destinée à bien établir les conditions normales de la continuité de l'espèce dans les races humaines . très-grave, 36 MODIFICATIONS NATURELLES . diffère peu, malgré l'opinion trop généralement admise que les femmes des pays chauds sont capables d'avoir des en fants beaucoup plus tôt que celles des pays froids ; les épo ques de la première et de la seconde dentition, le moment où la croissance des os atteint sa dernière limite , n'offrent pas non plus une bien grande différence dans l'état nor mal ( 1 ) . Or, ce que nous en avons dit suffit pour faire en trevoir que ces lois si constantes dans l'humanité , ne trouvent plus leur application générale chez les êtres ma ladivement dégénérés . Les détails dans lesquels nous au rons à entrer, trouveront leur place dans la description particulière de chacune des catégories maladives qui feront l'objet de nos recherches . Je suis bien obligé d'admettre que quelques-unes des causes modificatrices précédemment citées , amènent chez certaines races un état d'infériorité, et que les comparaisons les plus favorables seront toujours en faveur des peuples , dont l'organisme est plus parfait. Aussi , en these générale , nous ne doterons jamais les malheureux indigènes de la terre de Van Diemen et de la pointe méridionale de l'Afri que , des facultés intellectuelles qui sont l'apanage des races privilégiées . Mais , à ce sujet encore, que de erreurs à rectifier ! et lorsque des auteurs très- recom mandables se sont appuyés sur le fait d'infériorité in tellectuelle pour présenter certaines races, non-seulement comme abrulies, dégradées, dégénérées, mais comme formant encore une aulre espèce, nous devons dans l'intérêt de nos études combattre une manière de voir qui tend à fausser, graves ( 1 ) On peut voir dans l'ouvrage de M. le docteur Prichard , combien d'idées erronées ont cours à ce propos dans les ouvrages d'histoire nalurelle . Elles soot d'autant plus répandues, que de grandes aulorités , celle de Montesquieu entre autres , les oul généralemcol imposées. MODIFICATIONS ANORMALES. 37 par un de ses cotés les plus importants, l'idée que l'on doit se faire des dégénérescences dans l'espèce humaine. J'insiste sur ce point, parce que l'observation rigoureuse des faits m'amènera à conclure que la déviation maladive du type normal de l'humanité ne consiste pas exclusive ment dans ces différences extérieures qui tranchent d'une manière si frappante avec les caractères d'un type de convention , ni même dans les profondes altérations de cer taines fonctions importantes de l'économie. Il est encore d'autres sources où nous devons puiser ; et l'idée qu'il faut se former de celle déviation maladive du type normal de l'humanité, se complète par l'étude différentielle des perturbations que les étres dégénérés présenlent à des degrés divers , soit dans la sphère de leur intelligence , soit dans celle de leurs sentiments . Il me suffira de donner ici une appréciation succincte des opinions des auteurs, puisque cetle importante question fera l'objet de nos recherches ultérieures. Ce n'est pas sans éprouver un sentiment de profonde tris lesse, qu'on lit tout ce qu'un célèbre écrivain Portugais , M. le docteur Martius, a écrit sur l'ensemble des races indi gènes du nouveau monde . Ces races , dit- il, se distinguent de loutes les autres , non -seulement par certaines particularités de conformation physique, mais encore, d'une manière plus tranchée peut-être, par des caractères spéciaux dé duits de l'examen de leur condition mentale. Ils joignent à l'ignorance et à la légèreté de l'enfant l'incapacité d'ap prendre , ainsi que l'opiniatreté du vieillard . Cette singu lière et inexplicable réunion des défauts particuliers aux deux extrêmes de la vie intellectuelle , a fait échouer tous les efforts tentés jusqu'à ce jour pour réconcilier l'Améri cain avec l'état de choses présent. Il n'essaie pas de lutler contre l'ascendant de l'Européen , mais il refuse de s'asso 38 MODIFICATIONS NATURELLES, cier å son mouvement... Dans les sentiments de l'indi gène Américain, si nous en croyons le savant Portugais , il ne reste plus rien de l'empreinte que l'bomme reçut en sortant des mains du créateur, et il semble que depuis longtemps c'est le pur instinct animal qui l'a guidé dans la route par laquelle il est arrivé d'un passé déplorable, à un avenir non moins désespérant . Il n'en est plus (je cite tex tuellement les paroles de l'auteur), « il n'en est plus à la première période du développement normal de l'espèce : , ce n'est pas l'homme primitif, c'est l'homme dégénéré que » nous voyons en lui . Voilà du moins ce qui semble ré , sulter d'une foule d'indications diverses. , L'exposé de ces diverses indications est tracé de main de maitre ; on y voit le cachet d'une observation profonde, d'une longue habitude de commerce avec les indigènes du nouveau monde, mais il y régne comme un sombre décou ragement à l'égard de la régénération possible des nom breux rameaux d'une ancienne nation qui , dans l'opinion de M. Martius, aurait disparu presque tout entière dans quel que grand cataclisme, et dont les débris auraient formé ces peuplades errantes si réfractaires à toute idée de progrès et instinctivement ennemies les unes des autres . Ecoutons le plutot : « Faut-il croire que quelque grande convulsion » de la nature , quelqu'effroyable tremblement de terre , tel que celui auquel on attribuait jadis la submersion de , la fameuse Atlantide, a enveloppé dans son cercle des » Cructeur les habitants du nouveau continent ? Est- ce » la terreur profonde ressentie par les malheureux échap » pés à celte affreuse calamité, qui , se transmettant sans » diminuer d'intensité aux générations suivantes , a trouble » leur raison, obscurci lcur intelligence, endurci leur cæur ? Est- ce cette terreur toujours présenle qui les a dispersés , ret , fermant leurs yeux aux bienfaits de la vie sociale , les MODIFICATIONS ANORMALES. 39 » a fait se fuir les uns les autres sans savoir où ils porte raient leurs pas ? Supposerons- nous que des calamités » d'un autre genre, de longues et désolantes sécheresses, » d'immenses inondations amenant après elle la famine, ont , forcé les hommes de race rouge à se dévorer les uns les

autres, et que la répétition de ces actes de cannibalisme

» leur enlevant bientôt tout ce qu'il pouvait y avoir de no ble et d'humain dans leur nature, les a fait tomber dans i l'état de dégradation et d'abrutissement où nous les trouvons 1 aujourd'hui ? Ou bien enfin celte dégradation est-elle la · conséquence, non des circonstances extérieures, mais des vices de l'homme lui - même, la suite des désordres affreux dans lesquels il est tombé en s'abandonnant aux penchants que la tache originelle a laissés dans son cæur ? , Y devons-nous voir, en un mot, un exemple du châtiment o que le créateur a infligé aux enfants pour la faute des pères, avec une sévérité qu'il serait téméraire à nous de taxer d'injustice. » S'il nous est impossible d'accorder à M. le docteur Martius toutes ces conclusions, au moins lui devons-nous cette justice , que dans ses recherches ethnographiques il n'a jamais eu l'idée de faire de ce te race indigène de l'Amérique du Sud si abrutie, si dégradée, si dégénérée, même d'après lui , une espèce à part . M. Bory de Saint au contraire, ne voit pas seulement dans les Bos chismans de l’Afrique méridionale, le plus dégénéré, le plus misérable de tous les peuples , mais il établit encore entre eux et les bommes appartenant à l'espèce qu'il appelle Japétique, une différence des plus tranchées . Il les consi dère comme formant la transition entre le genre Homo et les genres Orang et Gibbon ; il leur trouve même quelqu'ana logie avec les Macaques. Voici , au reste , en quels termes il Vincent , s'exprime : 40 MODIFICATIONS NATURELLES. > 2 1« L'espèce Hottentote se partage avec l'espèce Cafre la pointe méridionale de l'Afrique... De toutes les espèces humaines, la plus voisine du second genre ' de Bimanes > par les formes , elle en est encore la plus rapprochée par » l'infériorité de ses facultés intellectuelles, et les Hotten » lots sont pour leur bonheur, tellement brutes, paresseux » et stupides, qu'on a renoncé à les réduire en esclavage . » A peine peuvent- ils former un raisonnement, et leur lan gage , aussi stérile que leurs idées , se réduit à une sorte » de gloussemenl qui n'a presque plus rien de semblable à ► notre voix ... D'une malpropreté révoltante qui les rend » infects, toujours frollés de suif ou arrosés de leur pro » pre urine , se faisant des ornements de boyaux d'ani maux et d'entrailles qu'ils ne lavent même pas, passant » leur vie assoupis , accroupis ou fumant, parfois ils er » rent avec quelques troupeaux qui leur fournissent du » lait ... Isolés , taciturnes, fugitifs, se retirant dans leurs » cavernes ou dans les bois , à peine font - ils usage du feu, si , » ce n'est pour allumer leur pipe qu'ils ne quittent point . » Le foyer domestique leur est à peu près inconnu et ils ne » bâtissent pas de villages ainsi que les Cafres leurs voisins , » qui regardent ces misérables comme une sorte de gibier, » leur donnent la chasse et exterminent ceux qu'ils ren » contrent. On les a dit bons, parce qu'ils sont apathiques ; » tranquilles , parce qu'ils sont paresseux ; et doux , parce qu'ils se montrent laches en toute occasion . » Il est vraiment étrange de voir avec quel servilisme les auteurs qui n'ont jamais vu ces peuples , qui à plus forte raison n'ont pas vécu avec eux et ne connaissent pas leur langage, se copient les uns les autres dans ces désespé rantes descriptions, et renchérissent encore sur celles de leurs prédécesseurs . Pour M. Virey, qui fait du type phy sique Ethiopien un tableau bien moins flatteur que celui du » >> MODIFICATIONS ANORMALES . 41 singe, et qui voit à peine une différence entre le museau du Nègre et celui de ce dernier animal , pour M. Virey, dis-je , rien ne peut se comparer à la faiblesse, à l'astuce et à la là cheté des castes négresses, qui courbent, je cite ses propres paroles, un front servile sous un joug d'airain imposé par des hommes plus civilisés, qui les oppriment avec audace, qui les persécutent inhumainement..... Leur esclavage avi. lissant est de lous les siècles , et jamais une résolution géné reuse ne s'est élevée dans leur stupide cour..... Ils n'ont point adouci leur malheur ni ennobli leur infortune par leurs talents... Hommes sans courage, ames rampantes, ils n'ont eu que des sentiments vulgaires , une intelligence ténébreuse ... La branche Hottentote , plus automatique, mais toute dé bonnaire, languit dans une lourde apathie qui la rend eu nuque, si l'on peut s'exprimer ainsi , pour un état de perfec tion ( 1 ) . Au reste, il est heureux de voir qu'une réaction complete s'établit aujourd'hui contre de pareilles idées ; réaction qui n'est pas seulement basée sur certaines sympa thies si naturelles au cæur de l'homme, mais sur une con naissance plus scientifique de faits , dont quelques -uns avaient été admis avec une légèreté inconcevable pour ou contre la thèse qu'il s'agissait de soutenir . Buffon est peut-être le premier des naturalistes qui nous ait accoutumés à regarder les Nègres sous un aspect plus favorable. « Ils sont, dit-il , naturellement compatissants et même tendres pour leurs enfants, pour leurs amis, pour leurs compatriotes; ils partagent volontiers le peu qu'ils ont avec ceux qu'ils voient dans le besoin , sans même les connaitre autrement que par leur indigence. Ils ont donc, comme on voit , le cær excellent , ils ont le germe de toutes les ver lus : je ne puis écrire leur histoire sans m'attendrir sur leur ( 1 ) Virey. llistoire naturelle du genre humain , tome 1 , p . 180 . 42 MODIFICATIONS NATURELLES . étal ; ne sont-ils pas assez malheureux d'être reduits en servitude ( 1 ) ? » Buffon, comme on sait , n'a pas voyagé chez ces peuples. Il scrute , il est vrai, et approfondit les récits des voyageurs ; il trouve dans cette étude comparée les inspirations qui le trompent rarement ; mais on pourrait l'accuser ici de se laisser aller à un sentimentalisme exagéré. Je préfère en conséquence m'appuyer sur le témoignage de ceux qui ont vécu avec les races que l'on nous présente comme si de gradées, qui ont partagé leur manière de vivre, leurs dan gers et leurs misères, et qui, grâce à la connaissance de la langue , ont mieux apprécié l'état mental de ces tribus mal heureuses. M. Burchell qui , au dire de M. le docteur Prichard , a recherché toutes les occasions d'avoir des rapports avec les Boschismans, et qui a pu observer dans tous ses détails leur manière de vivre, a reconnu que malgré l'état effroyable de misère et de dénuement auquel ils sont réduits, on trouve chez eux des qualités sociables , le sentiment de la compassion , celui de la bienveillance , en un mot, tous les altributs essentiels de l'humanité. On sait positivement aujourd'hui, par les travaux de M. le professeur Vater, que les Boschismans ne sont pas une race distincte , mais bien une branche et une subdivi sion de la nation autrefois très-nombreuse des Hottentots. Le savant professeur est arrivé à une conclusion rigou reuse sous ce rapport, en comparant la langue des Boschis mans (ce qui est déjà loin du gloussement que leur altribue M. Bory de Saint - Vincent) , à la langue des Koraks et des autres Hollentots . Il a pu détruire ainsi une opinion que Lichtenstein était parvenu à faire partager à beaucoup ( 1 ) Buffon, lome III , p . 469. MODIFICATIONS ANORMALES. 43 d'écrivains qui considérérent avec lui les Boschismans comme constituant une famille particulière, complétement distincte de toutes les races africaines . Ces malheureux, si dégradés par suite de leur manière de vivre actuelle, ne soul , d'après le professeur Vater, que les débris de hordes de Hottentots qui , de même que toutes les tribus de l'Afri que centrale, vivaient originairement du produit de leurs troupeaux. Voulons-nous savoir comment ils sont arrivés à cet état de dégradation qui a faussé les idées des natu ralistes ? écoutons l'auteur . « Les hommes que l'on désigne sous le nom de Boschis mans vivent dans un état de profonde misère, et la plupart de leurs hordes sont complétement dépourvues de menu comme de gros bétail . Leurs moyens de subsistance repo sent en partie sur le produit de leur chasse, en partie sur des racines sauvages que leur fournit le désert, sur les @ufs de fourmis qu'ils recueillent, les sauterelles que le vent leur apporte, les reptiles que le hasard fait tomber sous leurs mains ; en partie enfin , sur le butin qu'ils en lèvent aux oppresseurs de leur race, leurs ennemis héré ditaires, les colons de la frontière . Descendus de la con dilion de pasteurs à celle de chasseurs et de brigands, les Boschismans, comme on pouvait le prévoir et comme le confirme le témoignage des hommes qui les ont connus, ont acquis plus de résolution dans le caractère à mesure qu'ils ont été exposés à plus de dangers , plus de férocité à mesure qu'ils ont souffert plus d'injustices, plus d'activité à mesure qu'ils ont eu å endurer plus de privations . Des peuples pasteurs d'un naturel doux , confiant et inoffensif, se sont transformés graduellement en hordes errantes de sauvages farouches, inquiets et vindicatifs. Traités par leurs semblables comme des bêtes féroces, ils ont fini par en prendre les babitudes et les allures . o 44 MODIFICATIONS NATURELLES . Or , celle même cause a produit les mêmes résultats chez d'autres tribus

celle des Koronas

, la plus riche , la plus avancée dans les arts nécessaires à un peuple de pasteurs , a subi, d'après le témoignage de M. Thompson , une trans formation semblable . Le voyageur Kolbe nous assure la même chose , et il nous donne sur le caractère des Hotten tots avant l'époque de dégradation où ils sont tombés , des renseignements que l'on a tout lieu de croire fidèles, et qui sont en désaccord complet avec ceux que nous fournissent les auteurs modernes ( 1 ) . Il nous serait facile encore de compléter tous ces témoi gnages par ceux des frères Moraves qui, par les résultats de la mission qu'ils établirent au Cap , donnèrent le démenti le plus formel à ceux qui prétendaient que ces races afri caines , vu l'abrutissement de leur intelligence , n'étaient susceptibles d'aucune éducation . ' Nous pouvons conclure des considérations qui précèdent , 1 ( 1 ) J'ai déjà eu l'occasion de trailer ce même sujet dans mes Etudes cli niques sur l'aliénation mentale . Je renverrai le lecteur au chapitre iplitulé

Considérations générales sur la manière d'envisager l'étude des causes des diverses aliénations mentales

lome

I , p . 70 à 80 . A celte époque , quelques critiques ont mal accueilli cette manière de trans porter l'étude des causes de l'aliénation mentale sur un terrain qui jusqu'alors n'avail guère été exploité que par les anthropologistes , les naturalistes et les voyageurs. Je ne me suis pas laissé décourager , et mes tendances actuelles me reportent invinciblement vers une manière plus large de considérer non seulement la génération des troubles intellectuels , mais le mode de pro duction des diverses dégénérescences dans l'espèce humaine. D'ailleurs ces deux ordres de fails pathologiques marchent le plus ordinairement sur une ligne parallèle . Je m'estimerais très -malheureux , si , pour mes éludes , j'en élais réduit aux tristes spécimens que nous sommes chargés de traiter dans nos asiles . J'éprouve le besoin d'étendre mon horizon , el je ne demande d'élre jugé qu'après l'exposition complèle de ma théorie . 1 MODIFICATIONS AXORMALES. 45 que l'infériorité intellectuelle remarquée chez certaines races, n'entraine pas nécessairement l'idée d'un état ma ladif, comme cela s'observe dans les véritables dégénéres cences de l'espèce humaine. Les influences climatériques, qui ont pour résultat d'a dapter l'organisme au climat sous lequel l'homme est destiné à vivre, amènent, comme nous l'avons vu, certaius caractères typiques qui se transmettent par l'hérédité et forment des variétés dans l'espèce. Ces variétés , par leur mélange avec des variétés supérieures , peuvent sous l'in luence de circonstances favorables, remonter vers un type plus susceptible de perfection. Le même phénomène se remarque dans la sphère intel lectuelle , et les observations les plus authentiques nous démontrent que les races les plus dégradées en apparence , ne sont pas privées de ces notions essentielles qui forment le caractère distinctif de l'humanité , et lui permettent d'ar river à un élat plus parfait. L'infériorité intellectuelle de certaines races , infériorité due à des circonstances bien définies et bien déterminées, n'a-jamais présenté un caractère assez général et assez permanent, pour permettre à quelques naturalistes de con clure å l'existence d'une espèce différente . « L'unité de l'homme, dit M. Flourens, est surtout dans l'unité de l'esprit , dans l'unité de l'ame de l'homme. L'ame de l'homme est partout la même, je retrouve partout les mêmes vertus, les mêmes passions, les mêmes espérances , les mêmes craintes ( 1 ) . » On peut dire que chez certaines races malheureuses , l'intelligence est à l'état latent , et ne demande qu’une occa sion favorable pour se développer et s'assimiler au progrès général de l'esprit humain. ( 1 ) Flourens. Ilistoire des travan.c el des idées de Buffon, p . 107 . 46 MODIFICATIONS NATURELLES . L'infériorité intellectuelle due à la déviation maladive du type normal de l'humanité, se distingue à un tel point de l'infériorité intellectuelle due aux conditions déplorables qui amènent l'état dégradé des Boschismans et d'autres peuplades non moins malheureuses, que nous sommes en droit de tirer la conclusion suivante : Entre l'état intellectuel du boschisman le plus sauvage et celui de l'européen le plus avancé en civilisation , il y a bien moins de différence qu'entre l'état intellectuel du même européen et celui de cet étre dégénéré, dont l'arrêt intellectuel est dû à une atrophie cérébrale, congéniale ou acquise, ou å telle ou telle autre cause amenant un état maladif que nous désignons par les noms d'imbécillité , d'idiotie ou de démence. Le premier, en effet, est susceptible d'une modification radicale, et ses descendants peuvent rentrer dans un type plus parfait. Le second n'est susceptible que d'une amé lioration relative , et des influences héréditaires fatales pèse ront sur ses descendants . Il restera toute sa vie ce qu'il est en réalité : un spécimen des dégénérescences dans l'espèce humaine, un exemple de la déviation maladive du type normal de l'humanité ( 1 ) . ( 1 ) Je ne veux pas dire par la que certaines dégénérescences maladives de l'espèce ne soient pas succeptibles d'être heureusement modifiées par un traitement convenable. Un des éléments importants de notre classification reposera sur les dégénérescences curables , el sur celles qui sont au dessus des ressources de l'art ou des efforts de la nalure . Nous aurons à nous occuper spécialement de celle question dans la partic de cet ouvrage qui trailera des moyens à employer pour remédier aux causes si nombreuses des dégénérescences dans l'espèce humaine, et qui indiquera quelques - uns des essais thérapeutiques mis en usage pour sauver ces malheureux d'une dégénérescence complète . DEUXIÈME SECTION. $ 1. De la méthode à suivre pour étudier les causes des dégénérescences dans l'espèce humaine. J'ai fait tous mes efforts pour définir ce que j'enten dais par dégénérescences dans l'espèce humaine . J'ai cher ché, par des raisons déduites de l'étude des transformations observées dans les variétés de l'espèce humaine, à bien établir la différence qui existe entre les transformations que je regarde comme naturelles et celles qui sont le ré sultat d'une influence pathologique. J'ai fait entrevoir les avantages que l'anatomie et la physiologie comparée pou vaient nous apporter dans ces études . Il me reste mainte nant å indiquer la méthode que je vais suivre pour étudier les causes des dégénérescences, et pour classer les êtres dégénérés dans leurs rapports avec la cause qui les a fails ce qu'ils sont réellement : une déviation maladive du type normal de l'humanité. C'est en étudiant le mode d'action de ces causes que nous pourrons nous faire, si je ne me trompe, une idée exacte des transformations pathologiques de l'espèce, et trouver ainsi les éléments d'une classification naturelle. Dégénérescences par intoxication . –· 1 ° L'homme qui vit dans un milieu paludéen , est pour ainsi dire la victime involontaire des causes qui détruisent sa santé et amènent des états de cachexie héréditaire ; il subit nécessairement les phénomènes de l'intoxication . Mais il est d'autres cir constances où la dégénérescence de l'espèce est en rap port plus direct avec la dépravation du sens moral, la vio lation des lois de l'hygiène, les exigences de certaines 48 MÉTHODE A SUIVRE habitudes que donne l'éducation ; c'est ce que l'on remarque dans l'abus des alcooliques et de quelques narcotiques, tel que l'opium. Sous l'influence de ces agents toxiques il se produit des perversions si grandes dans les fonctions du système nerveux , qu'il en résulte, comme nous le démontre rons , de véritables dégénérescences , soit par l'influence directe de l'agent toxique, soit par la seule transmission héréditaire. L'histoire des substances narcotiques ou vé néneuses employées chez les différents peuples du monde pour se procurer une excitation factice et des sensations extraordinaires, complétera ce que nous avons à dire sur ce mode des dégénérescences par intoxication . 2. Les efforts que fait la nature pour adapter la consti tution de l'homme au pays dans lequel il est appelé å vivre, amėnent, comme nous l'avons vu , des variétés carac téristiques dans l'espèce . Mais il arrive aussi que les efforts de la nature sont neutralisés par des influences d'un ordre lellement actif, que les hommes qui vivent dans certains milieux sont soumis à une véritable intoxication ; c'est ce que l'on a vérifié dans les contrées marécageuses où la constitution des babitants finit par s’altérer , et ou l'espèce humaine dégénére. Des phénomènes analogues sont obser vés dans les pays où la constitution géologique du sol exerce sur l'homme une action dégénératrice ;; le créli nisme, cette dégénérescence sur laquelle nous avons déjà plus d'une fois appelé l'attention , en sera pour nous un des plus frappanls exemples. 3º L'humanité semble périodiquement condamnée à cer tains fléaux qui entrainent à leur suite des modifications fatales dans les lois de l'organisme . Je citerai les famines, les épidémies , qui altèrent si profondément la constitution générale et qui engendrent si souvent ces temperaments maladifs dont on retrouve les types dans les générations DANS L'ÉTUDE DES CAUSES. 49 qui succèdent à celles qui ont été si cruellement éprouvées. Les famines, les épidémies ne sont pas des faits isolés . Des perturbations extraordinaires dans la marche régulière des saisons , des boulversements étranges dans l'ordre des phénomènes naturels , ne sont que trop souvent les avant coureurs de ces grandes calamilés qui affligent l'espèce humaine. Il appartient à la philosophie de la médecine de constater non- seulement leurs effets destructeurs immé diats sur la santé générale, mais d'étudier encore dans quel sens les tempéraments des générations sont modifiés par ce que les anciens appelaient le génie des épidémies. Les remarquables travaux scientifiques qui se sont pro duits dans ce sens faciliteront nos propres recherches. L'idée d'une intoxication spéciale ne peut plus se séparer aujourd'hui de l'idée d'épidémie ; et si le miasme paludéen agit non- seulement comme élément toxique, mais comme agent dégénérateur, nous serons en droit de conclure que le principe miasmatique, dont il est rationnel d'admettre l'existence pour expliquer la marche et les ravages des épi démies, est dans des rapports intimes avec les plus graves perturbations que puisse éprouver l'espèce humaine dans son état présent et dans l'avenir des générations. 4 ° Il nous sera facile enfin d'établir que les conditions préjudiciables à la santé générale sont en relation directe , non - seulement avec la viciation de l'air que l'homme res pire, mais aussi avec la nature de ses aliments. L'insuffi sance de la nourriture, l'usage exclusif de certaines sub stances alimentaires, outre qu'ils introduisent des éléments d'appauvrissement dans les constitutions, et conséquem ment de dégénérescence dans l'espèce, produisent encore certaines affections d'un caractère endémique spécial ; la pellagre , celle maladie d'une nature si éminemment alté rante , nous en offrira un exemple des plus frappants . 2 4 30 MÉTHODE A SUIVRE Dégénérescences résultant du milieu social. Industries; profes sions insalubres ; misère.— Nous avons considéré jusqu'à pré . sent l'homme dans sa lutte avec la nature extérieure . Il peut modifier, avons- nous dit , l'action des éléments, mais il en est modifié à son tour . Nous avons eu soin de faire ressor tir la différence qui existe entre ces modifications natu relles et pour ainsi dire nécessaires qui amènent des va riétés dans l'espèce, et ces autres modifications maladives qui constituent pour nous la classe des dégénérescences . Mais les nouvelles conditions faites à l'homme par le milieu social où il est obligé de vivre , amènent aussi d'autres luttes , et l'exposent conséquemment à d'autres éléments de déviation maladive de son type normal . Ce n'est pas assez pour lui d'avoir vaincu la nature extérieure, il lui faut encore vaincre la nature intérieure, ou , si l'on aime mieux , la nature factice que lui impose la condition sociale dans lequel se passe son existence . C'est dire en d'autres termes que l'exercice de professions dangereuses ou insalubres, l'habitation dans des centres trop populeux ou malsains, soumettent l'organisme à de nouvelles causes de dépérissement et conséquemment de dégénérescence. Je sais parfaitement ce que peut le génie de l'homme quand il lutte contre les éléments nuisibles ; mais sa puissance est limitée, et malgré tous les progrès de la science, il est impossible qu'il ne soit pas modifié à son tour par les con ditions mauvaises que lui font la vie de fabrique , l'exploi tation de certains produits qui le mettent en contact avec des émanations toxiques , ou qui le forcent å passer la plus grande partie de son existence dans les entrailles de la terre. Si l'on joint maintenant à ces mauvaises condi tions générales l'influence si profondément démoralisatrice qu'exercent la misère , le défaut d'instruction , le manque de prévoyance, l'abus des boissons alcooliques et les excès DANS L'ÉTUDE DES CAUSES. 51 venériens , l'insuffisance de la nourriture , on aura une idée des circonstances complexes qui tendent à modifier d'une manière défavorable les temperaments de la classe pauvre (1) A l'objection qui peut m'être faite que ces dernières causes de dégradation intellectuelle, physique et morale sont depuis longtemps déjà soumises à l'étude des hommes spéciaux ; que de nombreux ouvrages ont été inspirés par le désir de résoudre ce douloureux problème de la misère dans le sens de l'amélioration matérielle de l'existence , sans qu'aucune solution satisfaisante et immédiatement ap plicable ait encore été donnée, je n'aurai rien à répondre. D'une part , l'objection ne parail pas m'atteindre (j'examine la question en médecin et non pas en économiste) , et de l'autre, rien ne me force á me laisser aller au décourage ment de ceux qui n'ont aucune foi dans l'amélioration des destinées humaines. Qu'il me suffise de laisser entrevoir que mes recherches dans ce monde si exploré et si bouleversé par le nombre infini des théories émises et par les opinions préconçues, m'amènent, concurremment avec mes autres investigations, au but définitif que je désire atteindre dans cet ouvrage et que j'ai déjà exposé en commençant. Ce but est de théoriser lout ce qui a rapport aux causes éloignées ou prochaines des dégénérescences, de classer leurs résultats , et de for muler les règles générales de la prophylaxie, de l'hygiène et du traitement à l'aide desquels il est possible de combattre tant de funestes influences . ( 1 ) Ce simple exposé nous laisse déjà entrevoir que si nous devons éludier séparément chaque élément de dégénération , il existe cependant tel ou tel état de dégénérescence qui est comme la résultante de plusieurs causes réunies . 52 MÉTHODE A SUIVRE De la dégénérescence qui résulte d'une affection morbide an lérieure ou d'un temperament maladif. - Ce chapitre ne sera que le complément des idées que j'ai déjà émises en matière d'aliénation mentale. Cependant, afin de ne laisser aucune incertitude dans l'esprit du lecteur sur ce que j'entends par la dégénérescence qui tient à une affection morbide pri mitive ou qui provient d'un tempérament maladif, il est indispensable que j'entre dans quelques nouvelles expli cations . Mes études sur les causes de l'aliénation mentale , et sur le développement ainsi que sur la terminaison de cette ma ladie nerveuse si compliquée, m'ont déjà amené à établir une relalion intime entre la nature des causes génératrices de l'aliénation mentale et la nature des idées et des ten dances de ceux qui souffrent de cette affection . C'est en partant de ce point de vue que j'ai pu tracer le caractère essentiel des délires épileptique , hystérique, hy pocondriaque, et démontrer jusqu'à quel point les idées dé lirantes des maniaques, des mélancoliques, des paralysés généraux et les différentes manifestations de leur nature affective, coïncident avec l'essence du trouble fonctionnel de l'organisme. J'ai été plus loin à cette même époque, et j'ai laissé entrevoir que cette similitude dans les idées déli rantes , dans les tendances et les habitudes des aliénés qui appartiennent à la même catégorie maladive , finit, dans l'état chronique surtout , par se refléter jusque dans l'ex pression des traits du visage et jusque dans ces nuances variées qui constituent ce que l'on est convenu d'appeler les habitudes extérieures . Les doctrines que j'ai émises alors que je ne m'occupais pas spécialement des dégénérescences dans l'espèce hu maine , se trouveront confirmées par mes éludes actuelles, et la proposition suivante se déduira naturellement des faits DANS L'ÉTUDE DES CAUSES. 53 nouveaux que j'aurai å meltre en évidence : à chaque ma ladie correspond une expression typique qui est la manifestation la plus palpable d'une lésion fonctionnelle. Cette vérité me parait d'une simplicité extrême, et les médecins habitués à voir un grand nombre de malades se méprennent rarement sur la nature intime d'une affection dans ses rapports avec son cachet extérieur. Bien mieux, les personnes étrangères à l'art de la médecine , mais chez qui la prévision dans le diagnostic est soudainement ré veillée par le danger de ceux qui leur sont chers, émettent souvent les idées les plus justes dans ces situations ex trémes , où ils n'ont cependant d'autre guide que le carac lére extérieur de la maladie, et d'autres inspirations que celles qui émanent de l'inquiétude de l'esprit et du cæur. que j'ai dit jusqu'à présent ne sort pas des données ordinaires de la science, et personne ne me contestera la justesse de ces déductions ; mais il nous reste à faire un pas pour amener la question sur le terrain des dégénéres Се cences . l'un La maladie peut être passagère ou chronique, et les causes qui la produisent, éphémères ou permanentes. Dans et l'autre cas , les effets seront différents. Lorsque la maladie ou les causes de la maladie tendront à se constituer comme un élément permanent, ou tout au moins périodique, le type de l'être souffrant tendra aussi à se constituer avec son cachet spécial . Or, c'est précisément ce que j'ai fait ressortir dans mes Etudes cliniques, à propos de la manie chronique, de la mélancolie, de l'épilepsie , de la démence, de la paralysie générale , de l'idiotie et de l'im . bécillité. Mais si certaines dégénérescences de l'espèce sont dans des rapports intimes et pour ainsi dire nécessaires avec des lésions essentielles du système nerveux , comment, me 54 MÉTHODE A SUIVRE demandera-t- on , ces mêmes dégénérescences pourront elles s'harmoniser avec un temperament maladif ? Pour répondre à cette question , je procéderai du simple au composé. J'établirai dans mes recherches ultérieures que les tempéraments, et même , comme personne ne l'ignore , que les ressemblances physiques se trausmettent des pères aux enfants. Tel tempérament, telle aptitude intellectuelle ou morale, telle qualité ou tel défaut physique, sont les pri viléges, ou si l'on veut, les éléments caractéristiques de certaines familles et même de certaines races. Et pour donner d'avance une idée de la manière dont je considère cet ensemble de propriétés physiologiques et d'aptitudes spéciales dans le fonctionnement ou le jeu des organes que l'on est convenu d'appeler temperament, voici ce que je pense. Le tempérament est le résultat des efforts que fait la na ture pour adapter la constitution de l'individu å tel ou tel élément qui prédomine dans l'organisme . Sous ce rapport , on conçoit qu'il y ait des tempéraments plus heureusement prédisposés , et ce n'est pas sans motifs aussi que l'on at tribue certaines affections spéciales à tel tempérament plutot qu'à tel autre. Le temperament lymphatique n'est- il pas dans ce cas ? et bien qu'on ait raison de ne pas consi dérer comme des perfections de la nature physique le plus ou moins de blancheur et de transparence dans la peau , la finesse plus grande des cheveux, la forme particulière que les affections du système osseux peuvent donner aux arti culations et l'ensemble en un mot des conditions physiolo giques qui constituent le tempérament lymphatique, il ne viendra cependant à l'esprit de personne de regarder les individus lymphatiques comme des malades, ni à plus forte raison comme des êtres dégénérés . Dans quels cas sera- t - il donc possible d'harmoniser un DANS L'ÉTUDE DES CAUSES. 55 étatdedégénérescence avec un temperament maladif ? Ce sera quand les efforts de la nature pour adapter la consti tution de l'individu à tel ou tel élément qui prédomine dans l'organisme, seront dépassés ou neutralisés par l'activité trop grande de cet élément prédominant. Qu'on l'appelle , si l'on veut, élément ou principe scrofuleux, et l'on aura une idée de la transformation d'un tempérament ordinaire ( tel que serait le tempérament lymphatique par exemple) , en un tempérament maladif qui ne se traduira plus au-debors par certains caractères généraux compatibles avec la con linuité normale de l'espèce , mais par certains caractères de dégénérescence maladive capables de compromettre l'a venir des générations. Le temperament scrofuleux avec tendance au rachitisme est un exemple frappant d'un de ces étals spéciaux , que je classe parmi les dégénérescences provenant des efforts infructueux de la nature pour adapter une constitution individuelle avec un élément maladif qui prédomine dans l'organisme. J'en montrerai par la suite types remarquables. La constitution rachitique nous servira encore à faire ressortir la solidarité pathologique invariable qui réunit certaines dégénérescences en appa rence distinctes . Qu'il me suffise de laisser entrevoir que dans lesmilieux où l'on observe un plusgrand nombre de femperaments maladifs spéciaux , là aussi on rencontre des conditions particulières d’endémicité pour la production de telle variété dégénérative, plutôt que de telle autre. 5 des 1 1 Desdégénérescences dans leurrapport avec le mal moral . - L'étude de l'influence réciproque du physique sur le moral a été dema part l'objet de préoccupations antérieures trop constantes , pour ne pas m'engager à donner une place impor aux dégénérescences physiques qui viennent d'un mal moral, Mais ici nous devons faire une distinction entre les tante 56 MÉTHODE A SUIVRE 18 ! causes d'un ordre purement intellectuel ou moral et celles que nous sommes conveau d'appeler causes mixtes ( 1 ) , par la raison que certaines conditions physiologiques bien dé terminées nous paraissaient aussi intervenir activement dans la production des dégénérescences . Si les passions mauvaises qui bouleversent le cour humain, si la direction vicieuse imprimée à l'éducation in tellectuelle et affective des enfants, si l'hérédité dans le mal moral, ne peuvent se séparer complétement des conditions physiques de l'organisme, l'étude de ces causes se rattache néanmoins à un élément d'un ordre plus intellectuel que la misère, par exemple , que les professions insalubres , ou que telle ou telle autre cause dont la complexité est un fait bien connu. Quoi qu'il en soit , je ne pourrai dans une question aussi importante ètre infidèle aux principes qui m'ont dirigé dans mes études antérieures . J'ai reconnu par l'observation ri goureuse des faits, qu'il est bien difficile, sinon impossible, d'étudier séparément l'influence des causes exclusivement morales et des causes exclusivement physiques. Dans l'idée que nous nous sommes faite des rapports des manifestations intellectuelles avec les conditions maladives de l'organisme, rien n'est moins matérialiste que de traiter de l'influence du pbysique dans les actions de l'âme . Je crois, avec M. le docteur Buchez, que le cerveau est l'organe de l'âme . Toute force quelle qu'elle soit , spiri tuelle ou autre , est nécessairement limitée par son organe ; elle ne peut rien faire, rien produire au -delà des puis sances contenues dans son instrument . L'âme peut bien avoir conscience des limites que son organisme lui impose, mais elle ne peut les dépasser. « Je ne crois pas, ajoute ce ( 1 ) Voir mes Etudes cliniques , lome II , page 64 . DANS L'ÉTUDE DES CAUSES . 57 savant médecin , qu'il y ait dans l'homme une seule possibi lité qui ne soit pas prédisposée organiquement . Dieu a créé l'homme pour une certaine fonction1 ; l'ame qu'il lui a donnée est une puissance de nature indéfinie ; mais en même temps il l'allie à un organisme dont il a déterminé les puissances , aussi bien dans le sens du mal que dans le sens du bien ..... » Nous en avons dit assez pour faire voir que l'action des influences d'un ordre purement intellectuel ou moral ne peut pas être éludiée d'une manière abstraite , ni indépen dante des modifications amenées tant par l'organisme de l'individu que par le milieu social où il se développe . 1 Des dégénérescences qui proviennent d'infirmités congéniales ou acquises dans l'enfance. - Quelques mots suffiront pour faire ressortir l'importance des matières qui seront traitées dans ce chapitre. Commençons d'abord par dire que sous le nom d'infirmités, nous n'entendons pas certaines défec luosités corporelles connues sous le nom de difformités. Une difformité telle que l'absence même congéniale d'un membre n'est pas nécessairement transmissible par l'hé rédité , et n'empêche pas l'individu de propager la grande famille humaine dans des conditions normales . Nous savons cependant que des difformités peuvent devenir héréditaires et former les caractères distinctifs de quelques races ; il en est de même des anomalies , des arrêts de développement et de certains états physiologiques anormaux , tel que l'al binisme ; mais nous aurons à nous expliquer sur toutes ces choses , et nous ne voulons ici que fixer l'attention sur les dégénérescences amenées par les infirmités congéniales ou acquises. L'état de dégénérescence, comme nous l'avons vu dans les considérations qui précédent , peut se constituer par la voie de l'intoxication , par celle des milieux malsains , par 58 MÉTHODE A SUIVRE 1 l'influence désastreuse de professions nuisibles , par la ma nière de se nourrir, par l'immoralité, etc. La dégénéres cence peut être aussi la suite d'une affection morbide an . térieure, ou la conséquence d'un temperament maladif. Dans ces situations diverses , l'homme, nous le supposons, avait atteint son développement normal, et s'il pottait en lui- même les germes d'une transmission dégénérative, rien dans son jeune age ne faisait prévoir encore qu'il s'arrête. rait d'une manière fatale, et qu'il serait classé plus tard parmi les êtres dégénérés . Dans les cas au contraire qui vont nous occuper, la dégénérescence était congéniale, ou bien elle a envahi l'enfance dès l'âge le plus tendre L'enfant peut naitre avec un cerveau incapable de rem plir ses fonctions, par la raison que cet organe est primi tivement atrophié et lésé dans sa structure intime , ou que la boite osseuse est conformée de manière à empêcher le développement du cerveau . Dans tous ces états morbides, les conséquences sont faciles à saisir . Les fonctions de l'organisme auxquelles préside l'influx perveux , ne s'exé cutent que d'une manière vicieuse . L'enfant reste dégénéré , parce que l'instrument indispensable à l'exercice des fa cultés humaines ne fonctionne plus que d'une manière incompléte ou maladive. Il est atteint , non- seulement dans le développement de son intelligence, mais encore dans celui de son organisme . Cependant les causes que j'ai citées sont loin d'être les seules . L'enfant est peut- être né dans des conditions héréditaires fatales ; il peut avoir puisé dans le sein même de sa mère les éléments de sa dégénérescence ultérieure ; ou bien encore , en dehors de toute influence héréditaire, en dehors de toute impression sensoriale res sentie par la mère, il est exposé à des affections convul sives , tuberculeuses ou autres , qui amènent les mêmes conséquences que l'imbécillité et l'idiotie congéniales ; et , DANS L'ÉTUDE DES CAUSES , 59 comme si ce n'était pas assez de toutes ces causes de dégé nérescence, il arrive encore, ainsi que je le démontrerai dans la partie historique de ces infirmités congéniales ou acquises du jeune âge , que des usages singuliers imposés à certains peuples par l'ignorance, par la superstition ou par tout autre motif, soumettent les enfants à des pratiques bizarres, qui ont pour but de comprimer le cerveau , de manière à donner à la tête une forme en rapport avec les idées étranges que ces mêmes peuples se font du type de la beauté, ou bien des lois de l'hygiène. Enfin, pour com pléter cet aperçu , il me reste à justifier les motifs qui m'ont engagé à placer la surdi- mutilé et la cécité congéniales parmi les causes de dégradation dégénérative. La privation de deux sens aussi importants que ceux de l'ouïe et de la vue, ne peut se comparer dans ses consé quences à certaines autres infirmités ou arrêts de dévelop pement que nous avons rayés du cadre nosologique des causes de dégénérescence. Sans doute , la surdi-mutilé et la cécité congéniales n'impliquent pas des résultats aussi graves que les conditions vicieuses de l'organisme céré bral , mais il n'en est pas moins vrai de dire qu'abandonnés à eux -mêmes, le sourd- muet et l'aveugle de naissance sont des élres essentiellement incomplets . Il est vrai qu'ils ne transmettent pas nécessairement l'infirmité dont ils sont atteints , mais si une éducation spéciale ne vient , au moyen de procédés ingénieux , suppléer à la privation des sens , ils restent inférieurs aux autres êtres pensants . Dans quel ques cas, leur état intellectuel se distingue à peine de celui de ces individus dégénérés compris sous les dénominations d'imbéciles et d'idiots ( 1 ) . ( 1 ) La privalion de ces deux sens exerce une telle influence sur les facollés , que les epſants qui ont perdu l'ouïe par suite d'un accident con 60 MÉTHODE A SUIVRE Une autre considération , il faut bien l'avouer, m'a en core engagé à classer la surdi-mutité et la cécité congé niales parmi les infirmités congéniales ou acquises que l'on peut considérer comme des éléments de dégénérescence ; c'est celle de l'abandon extrême dans lequel croupissent les cent mille sourds-muets et aveugles de naissance que la statistique la moins exagérée attribue à la France. N'es ! il pas déplorable, en effet, de voir que dans un siècle où les progrès en tous genres ont perfectionné jusqu'aux ma. chines dont l'industrie se montre si fière, on ait encore si peu fait dans l'intérêt de ces étres désbérités ? Et en ad mettant même que les idées scientifiques qui me guident dans l'étude ( 1 ) de la surdi-mutité et de la cécile congé niales ne soient pas admises par tout le monde, ne serait ce pas une gloire pour la médecine francaise de rattacher d'une manière plus intime à l'enseignement médical l'étude physiologique et intellectuelle de ces infirmes, et de provo quer ainsi la régénération à laquelle ils ont des droits in contestables. Dégénérescences en rapport avec les influences héréditaires. - Parmi les causes générales qui prouvent de la manière la plus péremptoire la solidarité qui existe entre tous les ètres du règne animal , il n'en est aucune dont l'influence sécutif deviennent progressivement muets. Ils s'isolent très - rapidement , et sont plus difficiles à instruire que ceux qui n'ont jamais parlé . ( 1 ) Je démontrerai que la surdi-mutilé et la cécité congéniales sont plus dépendantes qu'on ne le croit généralement des causes qui produisent d'autres dégénérescences de l'espèce . C'est dans les centres où j'ai vu régner avec le plus d'intensité l'élément scrofuleux , rachitique , ainsi que le principe de la dégénérescence crétineuse , qne j'ai rencontré le plas grand nombre de sur dilés congéniales et acquises. DANS L'ÉTUDE DES CAUSES. 61 soit aussi puissante , et je puis dire aussi saisissable que celle de l'hérédité . Il nous sera même impossible en étudiant l'action des différentes causes de dégénérescences dans l'es pèce, de ne pas faire intervenir le principe héréditaire, et de ne pas montrer à quel point cette intervention se fait sentir chez les êtres organisés , en dehors même de tout élément de transmission maladive . La physiologie com parée nous offrira des exemples frappants de ce que j'avance en ce moment. Nous aurions pu à la rigueur nous dispenser de traiter d'une manière spéciale de l'hérédité , mais nous avons pensé que celle étude des influences héréditaires serait de nature non - seulement à confirmer la plupart des idées émises dans nos descriptions particulières , mais à jeter un jour nouveau sur certains faits qui intéressent au plus haut degré l'étude des causes des maladies ainsi que celle de leur traitement. Nous ne craignons pas d'avouer que l'intérêt principal qu'offriront ces considérations sur les influences hérédi taires viendra de l'exposition des erreurs dans lesquelles Bous avons été nous- même involontairement entraîné , pour ce qui regarde le diagnostic et le pronostic de certaines formes des maladies mentales . Loin de nous la pensée de jeler le moindre découragement dans l'esprit de ceux qu'anime le désir de secourir et de guérir leurs sembla bles ; mais nous croyons utile de les prémunir contre des espérances trop cruellement déçues , quand on n'a pas assez présent à l'esprit que l'hérédité n'est pas un fait isolé , et que l'incurabilité, contre laquelle viennent souvent se briser nos efforts les mieux combinés, n'est parfois que la terminaison fatale d'une série d'existences antérieures qui se résument par leur colé maladif dans une existence individuelle . C'est dans le traitement de l'aliénation mentale que nous 62 MÉTHODE A SUIVRE avons surtout été exposé aux déceptions les plus grandes. Nous avons prédit la guérison dans des circonstances ou l'acuité même des symptomes maladifs nous donnait l'es poir d'une terminaison favorable ; mais lorsque le calme eut remplacé le trouble général des fonctions de l'orga nisme , nous avons pu constater que l'individu avait cessé de vivre intellectuellement . Des faits malheureusement trop nombreux nous ont prouvé que l'incurabilité dans ces cas n'était pas toujours en rapport avec telle forme de vésanie plus insidieuse dans sa marche que telle autre ce qui peut arriver sans doute), mais avec certaines influences héréditaires dont l'action mieux étudiée nous a permis de déduire les conclusions suivantes. Il existe des individus qui résument dans leur personne les dispositions organiques vicieuses de plusieurs généra tions antérieures . Un développement assez remarquable de certaines fa cultés peut quelquefois donner le change sur l'avenir de ces malades ; mais leur existence intellectuelle est circon scrite dans certaines limites qu'ils ne peuvent franchir. Les conditions de dégénérescence dans lesquelles se trouvent les héritiers de certaines dispositions organiques vicieuses, se révèlent non - seulement par des caracteres typiques extérieurs plus ou moins faciles à saisir , tels que la petitesse ou la mauvaise conformation de la tête , la prédominence d'un tempérament 'maladif, des difformités spéciales, des anomalies dans la structure des organes , l'im possibilité de se reproduire ; mais encore par les aberrations les plus étranges dans l'exercice des facultés intellectuelles et des sentiments moraux. On comprend combien de problèmes intéressants à ré soudre au point de vue médical et philosophique soulèvent ces conclusions . Je ne puis entrer pour le moment dans DANS L’ÉTUDE DES CAUSES 63 d'autres détails ; mais ce que j'en ai dit , justifie le plan que je me suis tracé, et je me plais à croire que l'étude des influences héréditaires complètera l'histoire des dégénéres cences dans l'espèce humaine, et me permeltra de classer dans leur ordre naturel certaines monstruosités encore mal définies de l'ordre physique et de l'ordre moral . SII. · Classification des ètres dégénérés. La classification des êtres dégénérés a été de ma part le sujet de préoccupations d'autant plus vives, que dans mes études antérieures en aliénation mentale j'ai profondément ressenti ce que le défaut d'une bonne classification laissait dans l'esprit de doutes, d'incertitudes , et quelle voie fu neste restait ainsi ouverte aux tâtonnements de l'empirisme . Qu'arriverait - il , en effet, si les causes dont nous allons étudier l'action ne pouvaient nous rendre compte de la for mation des dégénérescences ? Il arriverait que ces mêmes ètres dégénérés deviendraient réfractaires à toute espèce de classification. Ils ne seraient plus que des produits monstrueux de la nalure, de tristes jeux de la force créa trice déviée de son but . Dans l'impossibilité où nous serions de rattacher leur existence à des causes antérieures , ils se trouveraient par là même soustraits à toute influence régénératrice . L'empirisme remplacerait les procédés lo giques, et plus rigoureux qu'on ne le suppose générale ment, de l'observation médicale. Nous pourrions encore soigner les maladies d'après la nature de leurs principaux symptômes, mais l'homme malade deviendrait pour nous un mystère de plus en plus impénétrable, et les destinées de l'humanité souffrante péricliteraient entre nos mains . Heureusement il n'en est pas ainsi , et ce que j'ai dit dans le commencement de cet ouvrage nous fait entrevoir la 64 CLASSIFICATION possibilité de classer les diverses dégénérescences de l'es pèce humaine . « Ces dégénérescences ont en effet leur » cachet typique. Elles se distinguent les unes des autres par » la raison que certaines causes maladives qui atteignent » profondément l'organisme produisent plutôt telle dégé » nérescence que telle autre ; elles forment des groupes » ou des familles qui puisent leurs éléments distinctifs dans , la nature de la cause qui les a produites . Les dégénérescences ont un cachet typique , et c'est ce qui nous a déterminé à confier au burin le soin de donner une idée plus exacte des différents types des êtres dégé nérés dont nous aurons à nous occuper. Mais quels serout les caractères essentiels de ces types ? Les distinguerons nous les uns des autres par la forme de la tête , par la différence dans la taille , dans la couleur et la nature des cheveux et de l'enveloppe tégumentaire , par la prédomi nence de tel ou tel temperament, par le plus ou moins d'aptitude des fonctions génératrices ? Sera- ce la durée de la vie moyenne, la possibilité ou l'impossibilité de se re produire entre eux , et cela dans des conditions déter minées , qui nous guideront dans cette voie ? Etablirons nous une classification basée sur la plus ou moins grande perfection du langage , des idées , des dispositions morales, des instincts ? Je répondrai qu'aucun de ces caractères si important , si essentiel qu'il puisse être en lui - même, ne formera la base exclusive de notre classification , et la rai son m'en parait simple . En thèse générale , les éléments distinctifs des variétés dans les espèces animales ne re posent pas seulement sur des différences extérieures, mais sur des différences intérieures . De plus , quand il s'agit de l'homme, le plus ou moins de développement de l'intelli gence, qui chez lui est en rapport avec le plus ou moins de perfection de l'organisme, peut aussi devenir un élément DES ÊTRES DÉGÉNÉRÉS . 65 distinctif de classification . J'ajouterai même que nous sommes naturellement disposés à adopter au besoin un pareil mode de classification quand nous voyons, par exemple, un état borné des facultés se présenter dans les mêmes conditions chez un certain nombre d'individus , amener la perpétration des mêmes actes sous la même forme, et impliquer une perfectibilité relative dont il est possible d'assigner d'avance les limites ( 1 ) . Quelques exem ples suffiront pour expliquer ma pensée ; j'appelle sur ce sujet important toute l'attention du lecteur. Lorsque les naturalistes ont essayé d'établir les classifi cations des diverses variétés de l'espèce humaine, ils ont été généralement séduits par la simplicité des méthodes qui consistent à réunir sous un petit nombre de caractères les éléments différentiels des races. La forme de la tête a surtont joué un grand rôle dans ces classifications, et cela se conçoit ; car les moindres différences dans les formes de la tête en impliquent de non moins considérables dans l'expression typique de la figure, et se trouvent, on ne peut le nier, dans des rapports intimes avec le plus ou le moins de développement des facultés intellectuelles. Ce n'est qu'avec la plus grande circonspection que dans son bis toire naturelle de l'homme, M. le docteur Prichard essaie une classification basée sur ces signes distinctifs, et encore a- t-il soin de prévenir que la loi qu'il va essayer de for muler est sujette à beaucoup d'exceptions . Si je donne la classification de ce naturaliste ce n'est pas en vue de la critiquer, j'approuve au contraire la justesse des observa (1 ) C'est ainsi que dans mes études cliniques j'ai classé les débilités in tellectuelles comprises sous les dénominations d'imbécillité et d'idiotie , d'après la plus ou moins grande perfection du langage chez les êtres dé générés appartenant à ces catégories. 66 CLASSIFICATION tions de cet auteur, mais je veux seulement en inférer que certains signes, très- essentiels en eux-mêmes, ne sont pas suffisants pour établir les caractères distinctifs des races . C'est dans cet esprit que je m'occuperai tout à l'heure des dégénérescences dans l'espèce humaine. Il y a , dit le docteur Prichard, relativement à la forme de la tête et à quelques autres caractères physiques, trois variétés principales qui prédominent, l'une chez les peuples sauvages et chasseurs, l'autre chez les races pastorales et nomades, l'autre enfin chez les nations civilisées . Dans les tribus les plus grossières, composées de chas seurs ou d'habitants des forêts qui n'attendent leur nour riture que des productions spontanées du sol ou des ré sultats incertains de la chasse , dans ces tribus , parmi lesquelles il faut ranger les nations les plus dégradées de l'Afrique et les sauvages de l'Australie , on voit prédominer une forme de tête que le médecin anglais nomme forme prognathe. Ce mot, qui fait allusion à l'allongement ou pro éminence des mâchoires, rappelle en effet le trait principal de la physionomie de ces peuples. Une seconde forme de tête , très - distincte de la première , appartient surtout, d'après le même auteur, aux races nomades qui promènent leurs troupeaux dans des steppes immenses , et aux tribus qui errent misérablement sur les bords de la mer glaciale , vivant en partie des produits de leur pêche et de la chair de leurs rennes . Les Esquimaux, les Lapons, les Samoiëdes et les Kamschadales rentrent dans cette division , aussi bien que les nations tartares , c'est - à -dire, les Mongols, les Tongouses, les races Turques nomades. Ces peuples ont la face large, le crâne pyrami dal, et ressemblent encore par plusieurs traits de leur organisation aux nations du Nord de l'Asie . D'autres tribus du Sud de l'Afrique, ainsi que plusieurs races indigènes du DES ETRES DÉGÉNÉRÉS. 67 Nouveau Monde, nous présentent également quelque chose d'approchant du caractère de ces têtes . Enfin, les races les plus cultivées, celles qui vivent de l'agriculture et des arts de la civilisation , toutes les nations de l'Europe et de l'Asie qui sont le plus avancées sous le rapport intellectuel , ont une forme de tête différente de celles qui viennent d'être mentionnées ; c'est la forme éliptique ou ovale qui chez eux est caractéristique ( 1 ) . Je le répète, je ne veux pas mettre en doute la vérité de ces assertions, mais que l'on accepte trois ou quatre formes de tête ou un plus grand nombre encore , je défie né anmoins tout naturaliste de pouvoir classer les différentes variétés de l'espèce humaine d'après un caractère principal unique, telle que serait la forme osseuse des têtes . Il est facile du reste de se rendre compte des essais qui ont été lentés sous ce rapport et des résultats obtenus. Camper, d'aprés M. Flourens, est le premier qui ait mis quelque soin à faire remarquer aux naturalistes les différences phy. siques que présentent les lètes chez les différentes races humaines ; mais, « Camper, comme le remarque le savant » professeur de physiologie comparée , avait un génie fa cile , qu'il promenait partout et qu'il ne fixait sur rien . En dessinant à côté les unes des autres des têtes d'homme , blanc, d'homme noir, d'orang.outang, etc. , il vit qu'une ligne menée du front à la mâchoire supérieure et tom » bant sur les dents incisives, s'inclinait de plus en plus en arrière, à mesure qu'il passait de l'homme blanc å , l'homme noir et de l'homme noir à la brute . Il y a donc » une sorte de progrès gradué , une sorte d'échelle qui , du moins pour un certain rapport donné, s'élève du • quadrupède au singe, du singe à l'homme, de l'homme > (1 ) Prichard. Ouvrage cilé , t. I , p. 148. 08 CLASSIFICATION » noir à l'homme blanc ; el c'était là sans doute la re » marque d'un fait curieux. Mais combien n'a - t -on pas » abusé de ce fait curieux ? Que de conséquences n'a - t -on » pas voulu en tirer ? Ne semblait- il pas que la ligne faciale ► devait tout donner, et qu'il serait désormais aussi facile » de mesurer les degrés de l'intelligence que les degrés d'un angle..... Loin d'être un moyen qui donne tout , la ligne » faciale de Camper ne donne pas même les caractères phy siques qui distinguent les têtes osseuses des races bu maines , ou, du moins elle ne donne ces caractères que » pour quelques races ( 1 ) . » C'est du reste ce qu'avait déjà remarqué Blumenbach , que M. Flourens a lui- même eu soin de faire intervenir dans cette question . La ligne faciale, dit ce naturaliste , convient seulement pour les races que caractérise la direc tion des mâchoires, et ne peut s'admettre quand la largeur de la face forme le caractère distinctif... L'habitude el l'usage constant de ma collection de cránes , ajoute ce savant , me font connaitre chaque jour davantage l'im possibilité d'assujétir les variétés des cranes å la règle d'un angle quelconque , la tête étant susceptible de tant de formes, et les parties qui la composent étant de propor tions et de directions si différentes ( 2 ) . Or, si nous voulons en revenir maintenant à la classifi cation des étres dégénérés , il me sera facile de prouver que dans l'état de déviation maladive d'un type normal , il est aussi impossible de s'appuyer sur un caractère exclusif de classification, que lorsqu'il s'agit de ces déviations que nous avons signalées comme étant les conditions néces - ( 1 ) Flourens . Histoire des travaux et des idées de Buffon, p . 172. (2) Blumenbach . De l'unité du genre humain etc. Traduction française , p . 213. DES ETRES DÉGÉNÉRÉS . 09 saires des influences climatériques et hygiéniques . En examinant nos différents types ( 1 ) , on remarquera des tétes qui n'offrent aucune difformité extérieure, mais qui dans l'ensemble de leurs divers diamètres présentent un véri table état de microcéphalisme. Si d'autres têtes sont applaties d'avant en arrière, il en est quelques- unes qui ont un élar gissement latéral en dehors de loutes proportions avec la régularité de l'ensemble . Le rétrécissement extraordinaire des diamètres bi-latéraux , l'effacement presque total de la partie postérieure, la proéminence anormale de la région frontale pourront être à leur tour considérées comme des difformités en rapport avec des étals spéciaux de dégéné rescence de l'espèce. Nous examinerons altentivement toutes ces différences, el nous chercherons avec soin les relations qui existent entre elles et la nature de l'élément dégénérateur ; mais lorsque dans d'autres circonstances nous verrons l'état extrême d'idiotisme coïncider avec l'existence d'une tête parfaitement régulière et harmonique, ne serons-nous pas en droit de dire avec Buffon : « Les différences extérieures ne sont rien en compa raison des différences intérieures ; celles- ci sont , pour ainsi dire , les causes des autres qui n'en sont que les effets. L'in. térieur dans les êtres vivants est le fond du dessin de la nature ; c'est la forme constituante, c'est la vraie figure ; l'extérieur n'en est que la surface ou mème la draperie ; car combien n'avons- nous pas vu dans l'examen comparé que nous avons fait des animaux, que cet extérieur souvent très-différent, recouvre un intérieur parfaitement semblable, et qu'au contraire, la moindre différence intérieure en produit de très-grandes à l'extérieur, et change même les 3 (1 ) Voir les planches IX et X. 70 CLASSIFICATION habitudes naturelles , les facultés, les attributs de l'ani mal (1). ) Je n'insisterai pas plus longtemps sur des considérations qui trouveront en leur lieu et place leur développement naturel. J'en ai dit assez pour faire voir que le caractère typique de la tête des êtres dégénérés , caractère dont je suis du reste le premier à reconnaitre l'importance, ne sera pas l'élément unique de notre classification . Nous ferons nos efforts pour éviter l'obscurité dont se plaignait déjà Buffon , obscurité qui ne vient que des nuages répandus par une nomenclature arbitraire , souvent fausse, toujours individuelle, et qui ne saisit jamais l'en semble des caractères ; tandis que c'est de la réunion de tous ces caractères, et surtout de la différence ou de la res semblance de la forme, de la grandeur, de la couleur, et aussi de celle du naturel et des mæurs, qu'on doit conclure de la diversité ou de l'unité des espèces (2) . > ( 1 ) Tome VIII , p . 37. Cette idée de Buffon, est, dit M. Flourens , comme un sentiment confus de la belle théorie de la subordination des parties . Ecoulons Cuvier dans ses appréciations sur Buffon. « Ses idées concernant l'influence qu'exercent la délicalesse et le degré de développement de chaque organe sur la nature des diverses espèces, sont des idées de génie qui ſeront désormais la base de toute histoire naturelle philosophique, et qui ont rendu laol de services à l'art des méthodes , qu'elles doivent bien faire pardonner à leur auleur le mal qu'il a dit de cet art. » (Cuvier, Biographie univer selle , article Buffon .) (2) Buffon . Oiseaux , lome 1er, p . 74. On aurait pu croire que rien n'é tait aussi facile que de faire la classification des animaux d'après la forme particulière du squelelte dans chaque espèce, mais écoulons MM . Flourens et Cuvier, deux hommes dont il est impossible de décliner la compétence en pareille matière . Le levrier et le dogue, dit M. Flourens, ont une lèle très- différente et sont de la même espèce. Le cheval et l'âne onl une lèle tout à fait semblable el sont de deux espèces distincles . Dans un cas , la différence des lèles n'empêche pas l'unité de l'espèce ; dans l'autre, la 9 DES ETRES DÉGÉNÉRÉS . 71 1 Il existe des caractères généraux qui appartiennent à différentes catégories d'ètres dégénérés , mais il y a aussi des caractères spéciaux qui distinguent telle variété dégénérée de telle autre . Les éléments distinctifs ne reposent pas seulement sur des dissemblances extérieures , mais sur des dissemblances intérieures qui proviennent du plus ou moins de perfec tibilité du système nerveux et des appareils des sens . différence d'espèce n'empêche pas la ressemblance des têtes . (Flourens. Histoire des travaux et des idées de Buffon , p . 175. ) Les différences apparentes d'un matin et d'un barbel , d'un levrier et d'on doguin, sont plus fortes que celles d'aucune espèce sauvage d'un même genre palarel . ( Cuvier . Discours sur les révolutions de la surface du globe .) J'ai comparé avec soin les squelettes de plusieurs variétés de chevaux

ceux de mulet , d'âne , de zèbre et de couagga , sans pouvoir leur trouver de caractère assez fixe pour que j'osasse hasarder de prononcer sur aucune de ces espèces d'après un os isolé

la taille mème ne fournit que des moyens

incomplets de distinction , les chevaux et les ânes variant beaucoup à cet égard à cause de leur état de domesticilé. (Cuvier, Recherches sur les 08sements fossiles, 1823 , tome II , p . 112. ) Les Daluralistes en ont donc été rédoils , pour établir les caractères dis tinclifs des espèces , à chercher des dissemblances en dehors de la structure générale da squelette, et c'est contre Buffon lui-même que M. Flourens se sert d’ane méthode d'investigation éminemment propre à féconder l'étude des différences caractéristiques dans les espèces. Buffon avait cru pouvoir faire dériver le chien, le cheval , le loup et le renard d'une seule de ces qualre espèces . Mais , dit M. Flourens , pour nous en tenir au chien , qui est celle de ces quatre espèces que nous connaissons le mieux , il ne vient sûre ment pas du loup , car le loup est solitaire , et le chien est essentiellement social; il ne vient pas da chacal, car le chacal a une odeur si particulière, qu'il ne semble guère possible que le chien venu du chacal n'en conservat pas au moins quelques traces

d'un autre côté

, le mélange du chien avec le renard n'est point prolifique

et voici quelque chose de plas décisif encore

le chien a été rendu à l'état sauvage , et il n'est point passé à l'une des trois espèces ; il est resté chien . (Flourens, Histoire des travaux et des idées de Buffon , p . 87 , 88. ) 72 CLASSIFICATION Tel individu dégénéré se classera à côté de tel autre, malgré les dissemblances extérieures physiques les plus frappantes, par la raison que des lésions cérébrales orga niques de même nature impliquent chez tous les deux la même nullité de la pensée, l'évolution des mêmes habitudes et des mêmes tendances, et l'impossibilité de propager dans des conditions normales la grande et unique famille du genre humain . La dégénérescence peut être congéniale ou acquise , complėte ou incomplete, susceptible d'être heureusement modifiée ou entièrement incurable , et ces distinctions importantes nous fourniront encore de nouveaux éléments de classification . Le terme extrême de la dégénérescence existe, lorsque l'individu appartenant å telle ou telle classe d'ètres dégé nérés, est non- seulement incapable de propager dans des conditions normales la grande et unique famille du genre humain , mais se montre complétement impuissant , soit en raison du non-développement des organes génitaux, soit en raison de l'absence de toute faculté prolifique. Le crétinisme arrivé à sa période extrême nous offre un exemple frappant de ce résumé de toutes les dégénéres cences. Le crétin est , pour ainsi dire, l'étre dégénéré par excellence ( 1 ) ;; il se présente à notre observation avec une expression tout à fait caractéristique dans le type de la figure et dans la forme de la tête ; sa taille ne dépasse pas une certaine limite. Les crétins forment une grande famille d'êtres dégénérés ayant les mêmes aptitudes intellectuelles, les mêmes tendances instinctives . On remarque chez eux , il est vrai , des degrés dans leur état de dégénérescence , ou , pour me servir du langage anthropologique, des variétés, ( 1 ) Voir les planches II, IV, V. DES ETRES DÉGÉNÉRÉS . 73 dessous- races ; mais les analogies sont trop frappantes pour qu'on les confonde avec d'autres variétés d'ètres dégénérés. Le non -développement de la puberté offrira toujours, dans la période ultime de l'affection , un élément distinctif dont il est facile de saisir l'importance..... Je ne cherche pas à me faire illusion sur la valeur absolue de la classification que j'appliquerai anx différents types d'ètres dégénérés, mais ne důt-elle servir qu'à bien établir la démarcation qui existe , sous le rapport des causes, entre telle variété dégradée et telle autre, que son utilité serait incontestable . Bien mieux , j'espère arriver à la démons tration de ce fait, que les élres dégénérés forment des variétés comme nous en trouvons dans l'espèce humaine ; mais la différence ressort des principes que nous avons précédemment exposés. Les variétés de l'espèce humaine constituent des races naturellement transformées ( 1 ) , tandis que les variétés de l'espèce humaine dégénérée forment des races maladive ment transformées. La différence, comme on le voit , est es sentielle ; elle nous autorise à classer ces transformations maladives dans leurs rapports avec la cause génératrice . Les êtres maladivement transformés par suite d'excés alcooliques , rentreront dans la classe des dégénérés par intoxication , aussi bien que ceux qui sont maladivement transformés par l'influence du miasme paludéen, qui , dans notre théorie, agit aussi à la manière d'un poison spécial . La même méthode de classification nous guidera dans l'étude de l'action spéciale des causes que nous avons in diquées , et nous avons lieu de croire que si cette manière de classer les étres dégénérés peut présenter quelque chose ( 1 ) Si l'origine de la variété a été une maladie , sa puissaoce n'a pas été assez forte pour empêcher la continuité de l'espèce. 74 CLASSIFICATION d'arbitraire à la première vue, la partie descriptive de cet ouvrage fera disparaitre les obscurités inséparables de l'ex position générale que nous avons dû faire du plan de notre œuvre. Le principe que les élres dégénérés forment des groupes ou des familles qui puisent leurs éléments distinctifs dans la nature de la cause qui les a faits invariablement ce qu'ils sont en réalité : une déviation maladive du type normal de l'humanité, ce principe, dis- je, recevra une confirmation progressive, et les caractères qui distinguent une variété dégénérée, d'une autre variété, ressortiront avec la même certitude et la même évidence que les caractères qui for ment la base distinctive des diverses races humaines ( 1 ) . (1 ) La tendance de l'esprit humain à faire dériver telle dégénérescence de l'espèce de telle autre, est en contradiction avec les lois les plus simples de la formation des êtres dégénérés. Jamais , par exemple, le crélinisme ne sera remplacé par l'idiolie , et réciproquement. On peut sans doule rencontrer des idiots au milieu des populations crétinisées, mais ces deux variétés mala dives se forment d'après des lois distincles, et il ne peut y avoir aucune transformation de l'une dans l'autre . Rien de plus puisible aux progrès de l'histoire naturelle que ces déductions intempestives qui s'établissent dans le domaine de la science avec une ténacité d'autant plus grande , que le fait qui en est la base est facile à retenir , et que de plus il séduit aisément les hommes qui ont des opinions préconçues ou qui ne sont que très-super ficiellement initiés aux principes de la science. Camper n'a- t - il pas été obligé de combattre quelques-unes des conséquences absurdes que l'on a voulu tirer de son système ? « La singulière analogie qui existe, dit-il , entre la tèle du singe et celle du nègre, a porté quelques philosophes à celle idée extrême : s'il ne serait pas possible aux orangs-onlangs de parvenir insensiblement par l'éducation à une extreme perfection, et de mériter, par la suite des temps, d'être placés au rang de l'espèce humaine... Ce n'est pas ici le moment, ajoute Camper, de faire voir l'absurdité d'une pareille assertion . » ( Dissertation sur les variélés naturelles qui caraclériscnt la physionomie des hommes , p . 34) . Nous n'avons pas besoin aujourd'hui de grands déve loppements scicutifiques pour faire ressortir l'absurdité de pareilles idées. CONSIDÉRATIONS GÉNÉRALES SUR LE TRAITEMENT. 75 $ III. – Considérations générales sur les principes à suivre dans le traitement et dans les indications prophylactiques et hygiéniques . Quelques réflexions sur la manière de considérer le trai tement, l'hygiène et la prophylaxie des dégénérescences de l'espèce , termineront ces prolegomenes. Je commence rai par répondre à une objection dont je sens d'autant plus la valeur qu'elle m'a été adressée avec une intention des plus bienveillantes. Pourquoi , me disait- on, n'avoir pas circonscrit votre @uvre dans la description d'une seule dégénérescence , au lieu d'agrandir outre - mesure un sujet qui donne lieu à des développements immenses ? Je répondrai que les développements ne viennent pas tant du nombre indéfini des dégénérescences que de la grande variété des causes dégénératrices . Si , d'après l'idée de Sydenham , les espèces de maladies ne sont ni infinies ni incertaines , il m'a semblé qu'il en est de même des dégénérescences, que nous espé rons réunir dans un certain nombre de groupes ou de familles ( 1 ) . Mais après ce travail de réunion , il n'en est pas moins vrai de dire qu'une part très- large devra être Nous savons parfaitement que si les races et les variétés de ces races sont seules susceptibles de modification , l'espèce reste immuable. « Les espèces, dit M. Flourens, ne viennent pas les unes des autres , loutes sont primitives . L'homme qui ne peut rien sur l'espèce, peut lout , ou à peu près lout , sur les variétés, sur les races . » ( 1 ) Stahl avait été de même frappé du grand nombre de maladies qui affligent l'espèce humaine et du pelit nombre de maladies que présente chaque homme en particulier , surtont , ajoutait-il, lorsqu'on ne prend pas les attaques successives d'une mème maladie pour des maladies différentes les unes des autres. A ce point de vue, on comprend encore la large part 76 CONSIDÉRATIONS GÉNÉRALES faite à l'étude des influences extérieures, par la raison que, pour féconder ces éludes , nous avons dû considérer l'homme dans ses rapports intimes avec les lois qui régis sent l'universalité des êtres créés . C'est dire , en d'autres termes , que les causes qui amènent les dégénérescences de l'espèce ne se trouvent pas exclu sivement dans l'homme , ou , si l'on aime mieux , dans la lésion de ses fonctions; car, malgré la grandeur du but qu'il est destiné à atteindre, et quoique d'après l'expres sion de quelques philosophes il soit lui -même un bul, il n'en reste pas moins un être dépendant , coumis à l'action de causes générales qui sont extrêmement importantes å étudier, et sans la connaissance desquelles l'explication d'un grand nombre de phénomènes isolés devient tout à fait impossible ( 1 ) . Mais si notre attention doit se porter d'une manière aussi sérieuse et sur les influences extérieures , et sur les condi tions que font à l'homme le milieu social où il vit , l'hérédité , toutes les causes , en un mot, que nous avons énumérées et qui feront le sujet de nos études ultérieures ; par la même, on concoit que le but à atteindre dans l'application des moyens thérapeutiques et hygiéniques est singuliè d'influence laissée aux circonstances extérieures dans le développement des maladies , el comment la permanence de ces circonstances se manifeste par des maladies propres à certaines contrées , à cerlaines époques , à certaines professions, à certaines habitudes . ( Tessier . Etude de médecine générale, 1'e partie, p . 151. ) ( 1 ) On peut voir dans l'introduction à un traité complet de philosophie, la manière dont M. le docteur Buchez a compris la destinée de l'homme considéré comme une fonction dans l'humanité ; mais si l'homme est élevé à l'état de fonction, il n'en est pas moins , d'après le médecin que je viens de citer , soumis à des conditions qui prouvent la contingence des élres et leurs rapports de progression dans un but. SUR LE TRAITEMENT . 77 rement agrandi . Nous ne sommes plus en effet en face d'un homme isolé , mais en présence d'une société, et la puis sance des moyens d'action devra être en rapport avec l'importance du but . Cet agrandissement de la question thérapeutique est devenu aujourd'hui plus indispensable que jamais ; c'est du reste un des besoins scientifiques de l'époque. J'ajou terai que les médecins des asiles d'aliénés doivent sentir encore plus que tous les autres la nécessité de porter l'étude du traitement sur un terrain plus fécond en résultats. Que sont en effet les asiles d'aliénés , sinon la concen tration des principales dégénérescences de l'espèce hu maine ? De ce qu'un malade est placé dans ce milieu avec le certificat de maniaque ou de lypémaniaque, d'épileptique dangereux , de dément paralysé, d'idiot ou d'imbécile, il n'en est pas moins, dans la plupart des cas , sinon dans lous, le produit d'une des causes de dégénérescence qui nous occupent. Nous pouvons mieux que personne appré cier, dans le centre où nous agissons , l'influence des excès alcooliques et de l'hérédité , les conditions fàcheuses anté rieures faites à nos malades par la misère, les privations de toutes sortes, les professions insalubres, les milieux malsains où s'est développée l'existence de plusieurs. Si donc les causes de tant de misères peuvent céder en grande partie devant l'action favorable que seule l'autorité admi nistrative peut exercer d'une manière utile , nous sommes en droit de réclamer son intervention . L'influence que nous pouvons posséder, alors que nous sommes livrés à nos propres ressources , est très-belle sans doute , mais elle n'en est pas moins extrêmement limitée en présence de la masse énorme des incurables confiés à nos soins . Tont nous convie donc à sortir de la fausse position qui nous est faite, et à ne pas rester les contemplateurs inactifs 78 CONSIDÉRATIONS GÉNÉRALES de tant de causes destructrices de l'espece humaine. Nous devons prouver, quelle que soit la difficulté de la situation, que la médecine, bien loin d'être frappée d'impuissance comme le prétendent quelques-uns de ses détracteurs, peut encore, malgré la prédominance des cas incurables , de venir pour la société un précieux moyen de salut . Elle seule peut bien apprécier la nature des causes qui pro duisent les dégénérescences dans l'espèce humaine, å elle seule appartient l'indication positive des remèdes à em ployer. Sa prétention n'est pas de se poser comme une force médicatrice exclusive ; elle convie à cette œuvre de régénération ceux auxquels sont confiés le bien-être et les destinées des populations , el qui possèdent les moyens de réaliser les projets d'amélioration que la science médicale soumet à leur examen. J'admets volontiers que l'expérience qu'un homme peut acquérir dans une longue carrière suffit à peine pour ré soudre quelques- uns des nombreux problèmes contenus dans cet ouvrage ; mais au milieu de ces difficultés de tout genre, je me suis dit avec l'auteur de l'Introduction à la science de l'histoire. « Nul de nous ne sait quand son ► heure arrivera ; nul ne sait si l'idée qu'il porte ne périra » pas avec lui . Dans cette incertitude , il n'est qu'un parti > à choisir ; c'est de nous bater, afin que lorsque le soir viendra, il trouve notre ouvrage terminé . C'est cette ré flexion , ajoute M. le docteur Buchez, qui m'a toujours guidé moi-même ; c'est elle qui m'a toujours fait préférer » le travail rapidement productif, au travail qui arrive par » de longs efforts, à un mérite de forme qui ajoute peu å » l'utilité de l'auvre, mais tourne souvent au profit de la » vanité de l'écrivain . > > PREMIÈRE PARTIE. DÉGÉNÉRESCENCES PAR LES AGENTS INTOXICANTS. CHAPITRE PREMIER. PREMIÈRE SECTION . $ 1 . — De la maladie désignée sous le nom d'alcoolisme chronique . Historique de l'alcool. Les effets désastreux produits dans l'économie hu maine par l'abus des boissons alcooliques constituent une maladie qu'un savant auteur Suédois ( 1 ) a désignée sous le nom d'alcoolisme chronique. Pour lui , l'alcool absorbé dans des proportions inusitées modifie d'une manière fatale les éléments constitutifs du sang, et agit sur le système ner veux à la façon d'un principe intoxicant . Les symptômes de cet empoisonnement se traduisent au dehors par des alternatives d'excitation et de dépression. Les paralysies partielles ne sont ordinairement que les avant- coureurs de désordres plus graves, qui se résument en définitive dans ( 1 ) Le docteur Magnus Huss, professeur à l'Université de Stockholm , dans son ouvrage intitulé : Alcoholismus chronicus. Slockholm , 1852. C'est à celle excellente monographie que nous empruntons ce que nous avons à dire de l'influence de l'alcool sur les fonctions physiologiques. Lorsque l'observation médicale est parvenue à élucider aussi heureusement que l'a fait le savant Suédois un des côtés de la science, il est parfaitement inutile de remellre en question les résultats de travaux aussi consciencieux , 80 DÉGÉNÉRESCENCE PAR LES AGENTS INTOXICANTS. la paralysie générale, l'abrutissement et la perte absolue de l'intelligence . Les lésions que signalent les ouvertures cadavériques expliquent , par leur gravité, la fin prématu rée des malheureux que consume la plus bonteuse et la plus irrésistible des passions ; mais lå ne se termine pas la série des maux que l'alcoolisme entraine à sa suite . La dégradation physique, la perversion complète de l'intelligence et des sentiments , ne restent pas à l'état de ces faits isolés qui , n'ayant aucun rapport ni avec le passé des parents, ni avec l'avenir des descendanls , disparai traient tot ou tard avec les victimes de cette déplorable babitude. Il n'est , au contraire, aucune autre maladie ou les influences héréditaires soient aussi fatalement caractéris tiques . Si l'imbécillité congéniale, l'idiotie sont les termes extrêmes de la dégradation chez les descendants d'individus aleoolisés, un grand nombre d'états intermédiaires se ré vèlent à l'observateur par des aberrations de l'intelligence et par des perversions tellement extraordinaires des sen timents, que l'on chercherait en vain la solution de ces faits anormaux dans l'étude exclusive de la nature humaine déviée de son but intellectuel et moral . Il nous serait impossible , encore une fois, en dehors des données positives que nous offre l'observation des influen ces héréditaires , de nous faire une juste idée de certaines monstruosités morales et physiques . Peul- être nous sera t- il permis, en nous plaçant au point de vue scientifique que nous indiquons , de jeter un nouveau jour sur des situations intellectuelles encore inexpliquées, et de rendre un véritable service à la médecine légale , à l'éducation et même à la morale, en fixant aux tristes victimes de l'alcoolisme leur véritable place parmi les classes dégénérées. Quelques détails sur l'origine et les usages primitifs de l'alcool nous serviront d'introduction à l'exposé des phé ALCOOLISME CHRONIQUE . 81 nomènes pathologiques que fait naitre l'abus de cet agent intoxicant . Ces détails n'ont pas le simple but de satisfaire la curiosité que provoquent généralement les recherches bistoriques . Nous aurons en effet plus d'une occasion de faire ressortir l'ipfluence fatale exercée sur nos meurs , nos habitudes, notre hygiène , sur l'économie sociale en tière par certains produits qui n'ont été dans le principe préconisés qu'à titre de remèdes ou de passe- temps plus ou moins inoffensifs. L'usage immodéré de l'opium, du tabac et d'autres sub stances ou préparations narcotiques , seront la preuve de ce que nous avançons . Nous croirons avoir atteint le but scientifique et moral que nous nous proposons dans cet ouvrage , en prouvant d'une manière évidente que plusieurs dégénérescences dans l'espèce humaine ne reconnais sent d'autre origine que l'usage immodéré de ces sub stances , d'autant plus dangereuses qu'elles se trouvent à la portée de tout le monde, qu'elles sont tolérées par l'usage, vantées par la mode, imposées par l'habitude, elet que dans un grand nombre de circonstances elles pénètrent dans les mæors de la jeunesse, et souvent même de la première en fance, par l'exemple, les condescendances, et surtout par l'incurie des parents. L'art de préparer les liqueurs spiritueuses a été décrit pour la première fois par les médecins arabes, à ce qu'af firme M. le docteur Magnus Huss. D'après le même auteur, les Chinois et les Indiens paraissent cependant avoir été en ce point les maitres des Arabes. Cette opinion s'accorde avec celle d'un célèbre missionnaire français ( 1 ) , qui nous ap prend que le vin de riz ainsi que le produit d'autres prépa ( 1 ) L'Empire chinois par M. Hue, ancien missionnaire apostolique, l . II, p. 339. 6 82 DÉGÉNÉRESCENCE PAR LES AGENTS INTOXICANTS. rations fermentées remontent à plusieurs siècles avant l'ère chrétienne ; mais l'eau-de-vie de grain , ajoute ce savant, n'est pas aussi anciennement counue en Chine que le vin . On ne l'y trouve en usage que sous la dynastie Mongole des Yuen , c'est - à- dire, vers la fin du XIII siècle . Il parait qu'avant cette époque les Chinois ne savaient pas distiller les alcools. Quoi qu'il en soit , la préparation de l'esprit de vin parait avoir été trouvée par les Arabes dans le XIe siècle ; ils lui donnérent le nom de alkohol. La dénomination de aqua vilæ, eau-de- vie , se rattache probablement aux idées que se faisaient de cette préparation les médecins qui en intro duisirent l'usage dans la thérapeutique. On ne se doutait guère alors, dit M. le docteur Magnus Huss, qu'un jour les abus de cette liqueur, et ses effets désastreux lui mérite raient une qualification opposée. Mais l'alcool sortit bientot des officines, et l'emploi en devint général . Déjà dans le XVIe siècle on le regardait non- seulement comme une panacée universelle , mais comme un préservatif contre toutes les maladies . Les médecins qui en préconiserent l'usage le firent dans les termes d'un enthousiasme pour ainsi dire lyrique . « L'alcool , s'écrie l'un d'eux , dissipe la > mélancolie, réjouit le cæur, purifie l'entendement et illu » mine l'esprit . Il fortifie la jeunesse et ressuscite les vieil > lards . Il aide à la digestion , prévient la cécité , dissipe les » défaillances du cæur, empêche le tremblement des mains, » la rupture des gros vaisseaux et le ramollissement de la u moelle . » Ces exagérations n'ont rien qui surprennent, dit le doc teur ' Magnus Huss, quand on se reporte à l'esprit de ce XVIe siècle , si amateur des arcanes et de toutes les recettes merveilleuses pour guérir les maladies. De l'officine des pharmaciens, l'alcool ne tarda pas à entrer dans les usages ALCOOLISME CHIRONIQUE. 83 ordinaires de l'hygiène à titre de préservatif d'abord el ensuite de réconfortant; puis enfin dans le milieu du XVII. siècle il prit sa place parmi les boissons les plus usuelles, envahit les chaumières aussi bien que les palais , et ne tarda pas à devenir ce qu'il est aujourd'hui, le principe excitant le plus universellement répandu, ainsi que la cause des plus honteux désordres. Le XIXe siècle crut avoir atteint sur ce point la dernière limite du progrès , lorsque cette pernicieuse liqueur, ob tenue de la manière la plus économique, devint abordable à toutes les fortanes. La science a essayé de démontrer depuis , que les eaux- de- vie de pommes de terre et de grains, sont bien plus pernicieuses encore que celles que l'on extrait du vin ou du raisin , et l'avenir prouvera ce qu'il faut croire de cette dernière opinion . Nous ne pen sons pas au reste que les remarques qui précédent soient entachées de la moindre exagération, et les faits démon treront si les gouvernements actuels, ceux du nord de l'Eu rope surtout, ont tort de s'alarmer en voyant que la misère et l'abåtardissement des populations sont la conséquence directe de l'usage immodéré de l'eau- de- vie . On connait les moyens rigoureux employés récemment par le plus démocratique des gouvernements, qu'effraya å juste titre la voix de ses jurisconsultes , lorsqu'ils vinrent prouver, la statistique à la main , que la criminalité suivait dans sa marche ascensionnelle les proportions croissantes de l'i vrogaerie . Les mêmes conséquences se produisent dans tous les pays du monde ; tant il est vrai de dire que l'appé tence des boissons spiritueuses est une des plus irrésistibles el des plus démoralisatrices qui existent. « Cette horrible boisson , dit le missionnaire que nous avons cité, fait les délices des Chinois, surlout des Chinois du nord qui l'avalent comme de l'eau . Un grand nombre 84 DÉGÉNÉRESCENCE PAR LES AGENTS INTOXICANTS . se ruinent en eau-de-vie comme d'autres au jeu . Seuls ou en compagnie , ils passent les journées entières et quelquefois les nuits à boire par petits coups, jusqu'à ce que l'ivresse ne leur permette plus de porter la coupe à la bouche. Quand celte passion s'est emparée d'un chef de famille, la misère avec tout son lugubre cortege ne tarde pas à faire son entrée dans la maison . Les brûleries ont coutume de donner l'eau -de- vie à crédit pendant toute l'année ; aussi personne ne se gêne ; on va continuellement puiser selon sa fantaisie à celle source inépuisable » ( 1 ) . Si nous voulions compléter ces considérations par ce que l'antiquité nous apprend sur l'influence de l'ivrognerie, nous aurions à consulter plutot les écrits des moralistes que ceux des médecins . Les auteurs Grecs, d'après le docteur Magnus Huss, ne nous laissent aucuns détails sur les influences de l'abus des boissons spiritueuses . Hippocrate dit même : Si qua intemperantia subest, tutior est in potione quam in escâ . L'intempérance de la société romaine sous les empereurs, est un fait assez connu, et c'est dans Sénèque que nous trou vons une description tellement frappante des effets de l'i vrognerie, que l'on ne peut y méconnaitre les principaux symptômes que nous aurons nous-même å signaler å pro pos des effets désastreux de l'alcoolisme chronique. « De là , dit le philosophe romain , de la cette påleur, ce tremblement de nerfs qu'a pénétrés le vin , ces maigreurs par indigestions, plus déplorables que celles de la faim ; de lå cette incertaine et trébuchante démarche, celte allure constamment chancelante comme dans l'ivresse même ;ܪde ( 1 ) Il faul consulter cet ouvrage si l'on veul avoir une idée de la pro fonde demoralisation des Chinois ; si l'on ajoute encore à celle malheureuse passion celle de l'opium , qu'ils fument par quantités incroyables, on ne s'é toonera plus de l'élal de décadence du céleste empire . ALCOOLISME CHRONIQUE. 85 là celte eau infiltrée parlout sous la peau , ce ventre dis tendu par la malheureuse habitude de recevoir outre me sure ; de lå cet épanchement d'une bile jaunâtre, ces traits décolorés, ces consomptions, vraies putrefactions d'hommes vivants, ces doigts retords aux phalanges raidies, ces nerfs iosensibles détendus et torpides, ou tressaillants et vibrants sans repos. Parlerai- je de ces vertiges , de ces tortures d'yeux et d'oreilles , du cerveau qui bouillonne et que les vers semblent ronger ? , Nervorum sine sensu jacentium , aut palpitatio sine intermissione vibrantium . Quid capitis vertigines dicam ? quid oculorum auriumque tormenta et ce rebri æstuanlis verminationes ( 1 ) . Dans ces dernières expressions traduites par nous littéra lement, on ne peut méconnaitre les hallucinations spéciales de la vue et de l'ouïe chez les ivrognes. Bien mieux , l'état nerveux , que nous désignons aujourd'hui sous le nom de delirium tremens, semble à M. le docteur Magnus Huss par faitement indiqué dans la description où l'auteur latin parle d'étals febriles qui ne différent entre eux que par le plus ou le moins d'intensité , au point que certains de ces étals s'accompagnent d'un tremblement général des membres ( 2) . Il ne nous reste plus, après ces considérations prélimi naires , qu'à entrer nous - même dans le domaine des fails pathologiques. L'observation que l'on va lire résumera d'une manière générale l'ensemble des symptomes dont la description se trouve dans les auteurs qui traitent des ef fels désastreux de l'alcool . Nous ne pouvons dans cet ou vrage faire plus que nous arrêter aux faits principaux qui ( 1 ) Sénèque. Epist. 98. $ 16. (2) Innumerabilia prælerea febrium genera, aliarum impolu sævientium , aliarum tenui peste repentium, aliarum cum horrore et multu membrorum quassalione venientium . 86 DÉGÉNÉRESCENCE PAR LES AGENTS INTOXICANTS. nous aideront à comprendre la succession progressive des lésions qui sont les conséquences de l'alcoolisme. Ces lé sions, quand elles n'entraînent pas irrévocablement la mort de l'individu , produisent néanmoins et perpétuent dans ses descendants le germe de ces dégénérescences dont nous pourrons établir la filiation, et étudier les monstrueuses variétés. S II. - De l'influence de l'alcool sur les fonctions de l'économie . L'alcool produit un véritable empoisonnement. Les effets désastreux produits par l'abus de l'alcool peu vent se résumer dans l'observation suivante . Un homme âgé de 40 ans, abusait depuis dix à douze ans des liqueurs al cooliques au point d'en absorber journellement six ou huil verres . Il paraissait résister assez bien aux effets de ce poison, et sa santé générale n'en était pas notablement altérée . Toutefois, dans les trois ou quatre dernières années , on remarqua des changements inquiétants dans sa con stitution , et un phénomène, connu sous le nom de delirium tremens, fut le précurseur de troubles excessivement graves dans le système nerveux . Bien loin de modifier ses babi tudes, cet ivrogne ne fit que s'y plonger d'une manière de plus en plus funeste. Irrégulier dans tous ses repas, son dégoût pour les aliments augmenta dans la proportion tou jours croissante de ses libations . Un tremblement particulier des mains vint à se mani fester chaque matin à son réveil . Ce tremblement se re nouvelait dans le jour après le moindre effort. Le malade fut le premier à s'apercevoir que ses forces ne répondaient plus aux exigences d'un travail soutenu, et lout en se plai gnant de ce qu'il appelait l'affaiblissement de ses nerfs, il ne ALCOOLISME CHRONIQUE . 87 concevait d'autre remède que celui de doses toujours crois . santes d'alcool . L'excitation factice qui en fut le résultat, lui sembla d'un bon augure , et le remède était d'autant plus fréquemment renouvelé, que notre ivrogne уy trouvait la satisfaction de son funeste penchant. Plus tard , il fut sujet à un trouble nerveux d'une nature spéciale. Il lui semblait par moments qu'un voile s'éten dait devant ses yeux . Ce phénomène avait lieu tous les ma tins, et se renouvelait pendant le jour à la moindre conten tion de l'organe de la vue. Il éprouvait en même temps un certain tremblement de la langue , et c'était surtout au mo ment du réveil que l'hésitation dans la parole étail appré ciable . Le sommeil commença aussi à se troubler

les nuits

devinrent agitées , et des rêves effrayants se succédèrent sans relâche . Il ne s'endormait plus sans ressentir des fourmil lements sous la peau des extrémités inférieures, ainsi que des tiraillements et des mouvements convulsifs dans les mollets . Bientot ces mêmes phénomènes se présentérent pendant le jour , et leur persistance jetait le malade dans des troubles inexprimables . Il se rendait parfaitement compte de la nature de ses impressions , en se plaignant de sentir des fourmis ou d'autres animaux remonter des extrémités in férieures vers les bras et les mains , et redescendre vers le tronc

mais aussi

, lorsque sous l'influence d'un redouble ment d'énergie il se livrait à une marche forcée , les trem blements des mains et la faiblesse des extrémités inférieu res semblaient momentanément disparaitre . Cependant le malade ne tarda pas à s'inquièler de cet ensemble de symptomes facheux. Avail - il marché dans la journée plus qu'à l'ordinaire , ses genoux s'entrechoquaient lorsqu'il se tenait debout, et quand arrivait le soir la fai blesse était bien plus grande encore. Ses doigts de pou vaient plus alors serrer les objets que sa main saisissait , cette .3 88 DEGENERESCENCE PAR LES AGENTS INTOXICANTS. diminution dans les forces de la motilité, fit de rapides progrès et s'étendit aux muscles de la région lombaire . Il en fut réduit à ne plus pouvoir se tenir ni debout , ni assis , et la position horizontale devint sa seule ressource . A mesure que la paralysie augmentait, la sensibilité gé nérale allait en s'affaiblissant. Les extrémités des doigts et des orteils furent d'abord compromises ; l'engourdissement atteignit ensuite la région dorsale des mains et des pieds, et s'étendit plus tard aux avant-bras et aux jambes . Cette diminution de la sensibilité se changea bientôt en une véri table anesthésie des doigts et des orteils ; et elle gagna pro gressivement les parties supérieures, avec cette circonstance remarquable que la sensibilité n'était pas complétement disparue dans la région musculaire interne des bras et la région postérieure des jambes . Un phénomène d'un autre genre ne tarda pas à se mon trer avec l'augmentation de la paralysie et de l'insensibilité musculaire. Le malade éprouva des vertiges ; d'abord il lui semblait qu'il était soudainement plongé dans une obscurité profonde ; puis la crainte de défaillir et de cheoir s'emparait de lui. Cette crainte enfin se changeait en réalité , et s'il ne saisissait à temps les objets environnants, sa chute était inévitable. Dans cette même période il eut des hallucinations, sur tout vers le soir, avant de s'endormir ; il n'élait pas rare que le sommeil en fût troublé . Les hallucinations les plus fréquentes étaient celles de la vue, et alors il voyait des figures d'hommes et surtout d'animaux immondes ; parfois aussi il lui semblait entendre des voix . Les pupilles étaient considérablement dilatées et bien plus insensibles à la lu mière que dans l'état normal . Il arriva toutefois que , grâce à l'intervention médicale , il y eut une période de rémission dans l'ensemble de ces ALCOOLISME CHRONIQUE . 89 symptomes alarmanls . Effrayé sur sa propre situation , le malade renonça momentanément à ses fatales habitudes, et l'amélioration dura aussi longtemps qu'il fut possible de lui faire accepter une vie régulière et une hygiène convenable ; mais ses funestes penchants prirent bientot le dessus et il récidiva. Les phénomènes pathologiques antérieurement décrits de tardèrent pas à reparaitre . Les digestions devinrent de plus en plus pénibles , et il en résulta des aigreurs et des vomissements . Le dégoût pour la nourriture augmenta lous les jours aussi, et l'ingestion des aliments était accom pagnée d'un sentiment de tension et d'un état d'oppression dans la région de l'estomac . L'amaigrissement fil des pro grès rapides , et la peau prit celle teinte blafarde et légère ment jaunâtre, si caractéristique chez les individus arrivés à cette période d'intoxication . Les fourmillements des membres se compliquèrent bientot de mouvements spasmo. diques et de crampes dans les muscles des jambes. Le ma lade ne pouvait mieux comparer ces spasmes douloureux qu'à des commotions électriques, dont les unes instantanées et fugaces, et les autres plus persistantes, amenaient à leur suite des rétractions subites des extrémités . Les crampes existaient surtout dans les muscles des mollets et dans les fléchisseurs des jambes ; la durée en était variée et la dou leur plus ou moins vivement ressentie . Les spasmes et les crampes ne tardèrent pas à se généraliser, et la forme convulsive, avec perte complète de la connaissance, vint inaugurer une série de phénomènes de plus en plus inquié. lants. Ces convulsions ressemblaient à de véritables accés épileptiques , accompagnés de délire et d'hallucinations . La vision était troublée ; tout effort continu pour fixer la vue sur un point déterminé, amenait la confusion des objets ; la lecture devint impossible . La mémoire et l'intelligence 90 DÉGÉNÉRESCENCE PAR LES AGENTS INTOXICANTS. n'avaient pas encore complétement disparu, mais les fa cultés s'affaiblissaient notablement. La famille justement alarmée fit de nouveau intervenir l'autorité médicale, et il y eut encore un temps d'arrêt dans cette position mal heureuse. L'amélioration fut telle que l'on put concevoir de justes espérances ; mais les précautions prises dans l'intérêt de la direction morale du malade étaient inefficaces . Il aurait fallu, depuis longtemps, isoler dans une maison de santé celle triste victime de l'irrésistibilité de ses penchanls, tandis que ce malade avait malbeureusement l'entière li berté de ses actes ; aussi ne tarda- t-il pas à se livrer avec une nouvelle fureur à sa boisson de prédilection . Tous les symptomes anciens reparurent avec une intensité nouvelle , et la douleur, qui jusque là était tolérable, atteignit bientôt ses limites extrêmes. C'était dans la soirée , et surtout pendant la nuit, que le malade souffrait borriblement . Au milieu de la journée il éprouvait un moment de rémission et quelquefois même la douleur disparaissait entièrement ; mais le calme était rarement complet et la disposition à souffrir se traduisait par un état général d'agitation et d'inquiétude . Alors le pa tient cherchait en vain par de continuels mouvements de flexion et d'extension à se placer dans la position la plus favorable; le repos était pour lui de courte durée, et d'into lérables douleurs le réveillaient soudainement de sa torpeur et de son engourdissement. Il comparait ces douleurs à l'action d'un fer brûlant, à celle d'un instrument qui lui arracherait les muscles . Arrivé à cette triste période le malade ne devait plus Jaisser aucun espoir à sa famille. Privé d'ailleurs de son intelligence , réduit par suite de son abrutissement à l'insen sibilité morale la plus complète, ses forces diminuaient de jour en jour , et rien ne pouvait plus arrêter la marche ALCOOLISME CHRONIQUE. 91 progressive et fatale de ces symptomes alarmants. La peau devint parcheminée, les jambes étaient ædématisées et les fonctions digestives profondément troublées. Le délire , tout en continuant sans interruption , ne se montrait plus néan moins sous la forme d'exacerbations violentes . Le patient murmurait entre ses lèvres des mots inintelligibles , son regard était stupide et parfois hagard, sa figure abrutie, et lorsque la mort vint terminer cette triste existence, depuis longtemps déjà les manifestations de la conscience étaient complétement abolies . La paralysie était devenue générale, et cette déplorable victime de l'alcoolisme était tombée dans la dégradation la plus hideuse. Tels sont les principaux caractères de l'affection si bien désignée et décrite par le savant médecin suédois, sous le nom d'alcoolisme chronique. Sans doute cette description ne peut s'appliquer à l'universalité des faits que les médecins seront dans le cas d'observer. Il faut évidemment fixer la part qui revient à l'usage immodéré et continu de cette boisson , et probablement aussi à sa qualité ( 1 ) . Il est , ( 1 ) Nous disons probablement, car la science n'a pas encore résolu com plėlement la question . Les eaux -de- vie mal préparées, les eaux - de -vie de pommes de terre surtout, contiennent , il est vrai , une huile empyreumatique à laquelle on a altribué des propriétés intoxicaules. Mais quand même il se rait vrai, comme le fait observer M. le docteur Magnus Huss , que le delirium tremens élait bien moins fréquent lorsqu'on ne faisait usage que d'eau de-vie de vin ou de graips , il faudrait établir la part des consommations bien plas considérables qui ont été faites depuis que l'eau- de - vie de pommes de terre a envahi les principaux marchés de l'Europe et cela dans des pro portions vraiment effrayanles. D'un autre côté , le professeur suédois Dalhlström , qui a expérimeclé l'action de l'eau - de -vie sur les animaux , leur a administré séparément celle huile empyreumatique dans un mélange avec du pain blanc, sans obtenir, comme avec l'alcool , le moindre symptôme d'empoisonnement. La dose de 4 à 120 gouttes, donnée progressivement 92 DÉGÉNÉRESCENCE PAR LES AGENTS INTOXICANTS . d'un autre coté , un fait acquis å la statistique , c'est que dans les pays septentrionaux , la mauvaise influence de l'alcool n'étant pas tempérée par l'usage d'autres boissons fermentées, comme cela a lieu pour les pays méridionaux , les conséquences de l'intoxication alcoolique ont un ca ractère d'une gravité plus grande . Ceci est une vérité hors de contestation pour ce qui regarde la Suède , la Norvége , la Russie , les Etats - Unis d'Amérique , et même l'Angle terre . Les justes craintes des gouvernements de ces divers . pendant 6 à 7 semaines , n'a produit d'autre résultat qu'une soif plus grande chez ces animaux , et une espèce de constriction de gosier qui les empêchait d'aboyer . L'appétit continua et il n'apparut aucun symptôme de tremblement et d'inpervation . L'animal sacrifié ne présenta aucune de ces lésions qui sont le résultat de l'intoxication alcoolique . Le docteur Magnus Huss a lui -même essayé celle huile empyreumatique chez des individus qui n'avaient pas l'ba bitude de s'alcooliser . Prise à la dose de 2 ou 3 centigrammes , elle ne causait qu'un sentiment de chaleur dans l'estomac . L'emploi de 5 à 10 centigrammes amenait un dégoût profond , de l’élourdissement et une légère altération de la vue . Si la dose était porlée à 15 ou 20 centigrammes , il en résultail un sentiment de brûlure à l'épigastre , aiosi que des vomissements et des coli ques . La répulsion devenait ensuite si forte , que l'expérience ne pouvait élre continuée . D'ailleurs , ajoute M. le docteur Magnus Huss , il est prouvé que la quantité de celle huile empyreumatique ne s'élève guère qu'à 2 ou 3 centi grammes pour 12 ou 15 petits verres d'eau -de -vie, et moins peut - être quand elle est bien préparée . Mais tout en admeltant la valeur de ces divers essais, il n'est pas moins certain , et les médecins des grands hôpitaux ont pu le vérifier , qu'il est des boissons alcooliques plus pernicieuses que d'autres . J'ai cru , pour ma part , remarquer que l'absinthe produisait bien plus souvent le delirium Tremens que l'eau - de - vie pure

cela tiendrait

- il au principe volatil de l'absinthe ? Quoi qu'il en soit , les principaux cas de manie et de paralysie alcoolique qu'il m'a été donné d'observer dans notre asile , étaient le résultat de celle liqueur pernicieuse , dont l'abus , si nos informations sont exacles , se fait surlout sentir dans les garnisons de nos possessions d'Afrique. > 1 ALCOOLISME CHRONIQUE. 93 pays se révèlent assez par les mesures qu'ils ont prises à différentes époques, mesures qui, nous devons le dire, ont bien incomplétement atteint leur but, tant il est vrai que l'usage, en bien des cas, enfante trop facilement l'abus . D'un autre coté, l'influence morale et religieuse, la seule qui pourrait être ici une sauvegarde , n'offre cependant qu'un contre-poids insuffisant à l'ignorance et au défaut d'éducation des masses ; rien ne peut enlever aux habitants de ces climats rigoureux , l'idée que l'eau - de-vie leur est indispensable pour les soutenir dans leurs rudes travaux . Que l'on joigne à ce préjugé, les conditions déplorables imposées à l'hygiène physique et morale par la misère et par la démoralisation qu'elle entraine avec elle, par l'ab sence d'une nourriture convenable ou suffisamment répa ratrice , et l'on ne se sentira vraiment pas le courage de faire un crime à ces populations malheureuses de ce qu'elles cherchent à réparer leurs forces physiques, et même à relever leur moral, par l'abus d'une liqueur dont elles ne peuvent pas toujours connaitre les funestes conséquences. Celle question de la prophylaxie et du traitement recevra d'ailleurs dans la partie thérapeutique de notre euvre, les développements convenables ; nous n'avons d'autre but en ce moment, que de bien déterminer les caractères d'une maladie spéciale due à l'influence délétère de l'alcool , et d'arriver ainsi à la conception claire et nette des dégéné rescences qui en sont la suite . L'alcool produit une maladie qui offre les symptômes d'un véritable empoisonnement. Il existe sans doute d'autres substances qui agissent aussi sur le système nerveux et sur l'intelligence , de manière à amener des troubles particu liers, et quelquefois même à donner le change sur le dia gnostic différentiel, mais tonjours est-il que l'action de l'alcool a quelque chose de spécial . Celte spécificité rece 94 DÉGÉNÉRESCENCE PAR LES AGENTS INTOXICANTS . vra sa dernière preuve démonstrative dans le chapitre où nous aurons à trailer de l'intoxication par l'opium , le seigle ergole , le plomb, le mercure, etc. Il ne nous est même plus pos sible aujourd'hui de confondre l'alcoolisme chronique avec d'autres affections idiopathiques du cerveau et de la moelle épinière. La paralysie générale progressive des aliénés , lorsqu'elle est arrivée à ses dernières limites , est peut-être la seule affection dont le diagnostic différentiel offre quel que difficulté. Mais cette confusion n'a rien de compro mettant, ni pour la science , ni pour la santé des malades ; car il arrive souvent que l'on signale déjà des excés de boissons alcooliques chez des paralysés généraux avant leur isolement dans une maison de santé . Cette perversion dans les instincts est même une des complications de leur maladie cérébrale, et il faut de toute nécessité faire une distinction entre l'alcoolisme qui est le point de départ d'une affection organique, et l'alcoolisme qui n'est que la consė quence de cette même affection . Nous résumerons ce que nous avons à dire sur l'alcoolisme chronique, en précisant la nature des lésions que l'on re marque dans chacune des sphères de l'économie animale . Les principaux symptomes de l'intoxication alcoolique , ainsi qu'il résulte de l'observation générale que nous avons déjà donnée, sont le tremblement des pieds et des mains, la diminution des forces, la paralysie, les soubresauts des len dons, les crampes et les spasmes douloureux . Ce n'est que dans une période plus avancée que l'on observe les convul sions et les accés épileptiformes. Dans la sphère sensitive du système nerveux on remarque au début les formications ou fourmillements, l'exagération de la sensibilité et les douleurs névralgiques; plus tard on observe la diminution de la sensibilité générale, les troubles dans les organes des sens, la difficulté dans la parole , et ALCOOLISME CERONIQUE . 95 un autre phénomène encore, sur lequel nous n'avons pas assez insisté peut-être dans l'observation généralisée des faits pathologiques, nous voulons parler des modifications morbides dans les fonctions généralrices... Malgré la difficulté d'avoir des détails précis de la part des malades, on peut admettre avec M. le docteur Magnus Huss, que l'affaiblissement dans les fonctions génératrices coïn cide avec les progrès de la paralysie. Certains faits d'ob servation ont porté le même auteur à penser que l'alcoolisme agit pareillement d'une manière funeste sur la fé condité des femmes ; mais ce qui peut être vrai à une époque avancée de l'affection, ne l'est plus dans celte pé riode primitive où l'excitation des sens offre un aliment spécial au dévergondage des idées, ainsi qu'à l'érotisme dans les actes. Il en résulte que les dégénérescences hé réditaires que nous aurons å signaler chez les descendants d'individus alcoolisés, se rapportent, pour ce qui regarde leur évolution primitive, à celle même période dans laquelle l'activité des fonctions génératrices semble acquérir une nouvelle vigueur ; mais ce développement anormal des fonctions est plutôt factice que réel . Il est une loi préser Valrice de la nature humaine qui frappe d'une impuissance précoce les individus qui commettent de pareils excès, et nous aurons de nombreuses occasions de remarquer que cette même impuissance se retrouve chez les descendants d'individus qui ont fait abus des spiritueux . Ils ne sont pas seulement frappés de faiblesse intellectuelle congéniale , viclimes de pratiques mauvaises , mais à celle dégradation intellectuelle et morale vient encore se mêler l'impossibilité de se reproduire, et cela en dépit du développement normal des organes génitaux . Ce dernier symptome est pour nous le signe irréfragable de la dégénérescence avec conservation d'un type physique qui ne parait pas en apparence au 96 DÉGÉNÉRESCENCE PAR LES AGENTS -INTOXICANTS. moins dévier du type général de l'humanité. Il entraine de toute nécessité l'extinction de la famille, et celle de la race en serait la conséquence forcée si l'on pouvait supposer la généralisation de ces faits déplorables dans un état social déterminé. Sphère intellectuelle du système nerveux . Les troubles dans la sphère intellectuelle du système nerveux sont d'une nature tellement caractéristique, que malgré la courte et simple description dans laquelle nous devons nous limiter, on y trouvera néanmoins la confirmation de la doctrine qui domine l'ensemble de nos études sur les rapports qui existent entre la nature du délire et la spécificité de la cause . Pour éviter les confusions qui résulteraient de la com paraison entre les tempéraments divers, contentons-nous d'examiner le développement des troubles de l'intelligence en dehors des variations que peuvent amener dans la cir constance présente la diversité des constitutions organiques chez les individus, et la plus ou moins grande différence de leurs aptitudes intellectuelles , à l'état normal . Quel est le premier phénomène que nous remarquons chez celui qui a fait abus d'alcool ou de boissons fermen tées ? c'est l'ivresse . Ce mot désigne un ensemble de troubles de l'ordre physiologique et de l'ordre moral dont les di verses phases sont trop connues pour que nous les décri vions longuement . Nous voulons seulement faire ressortir avec quelle régularité les symptomes se produisent chez le même individu . A la période qui présente un redoublement d'activité dans les fonctions physiques et dans l'évolution des idées, succède invariablement un état qui se caractérise par des alternatives de dépression et d'excitation dans la sphère intellectuelle aussi bien que dans la sphère pbysique du ALCOOLISME CHRONIQUE . 97 système nerveux . Tous les phénomènes que nous avons décrits comme formant la succession progressive de l'état alcoolique chronique, depuis l'excitation jusqu'aux symp tèmes d'insensibilité et de paralysie , peuvent se trouver dans cette période passagere. Enfin , la troisième phase de l'ivresse , qui comprend l'hébétude, la résolution des mem bres et le sommeil comateux , nous rappelle ce dernier degré de la paralysie qui est accompagné de la perte abso . lue de l'intelligence et des sentiments . Ces situations sont transitoires , il est vrai

mais pour peu

que l'on sache combien le système nerveux est soumis aux lois de la périodicité , il n'y aura pas lieu de s'étonner si l'on voit surgir maintenant un ordre de phénomènes mala difs qui , par leur durée et leur complexité, rappellent non . seulement tout ce que le système nerveux a éprouvé an térieurement , mais constituent encore un véritable délire organisé que l'on a désigné sous le nom de folie des ivrognes ( Delirium tremens

Saüfer

-Wahnsinn ) . Pour que ce délire se produise, dit le docteur Magnus Huss, il suffit qu'une personne habituée, pendant un temps plus ou moins long , souvent pendant des années , à con sommer une quantité exagérée d'alcool, éprouve périodi quement les phénomènes de l'ivresse . Il n'est pas même nécessaire que l'ivresse ' soit complète, l'expérience ayant appris que la folie alcoolique est plus souvent encore le résul tat de doses progressives de cet agent intoxicant, sans que le malade ait perdu complétement la conscience de ses acles . Le délire peut éclater brusquement

mais, dans la

régle ordinaire , il est précédé de pesanteurs d'estomac, d'insomnie et de rêves fantastiques. Dans d'autres circonstances une vive émotion morale , une forte douleur physique, une hémorrhagie , la cessation brusque de l'usage de l'alcool , l'intercurrence d'une maladie 1 11 7 98 DÉGÉNÉRESCEXCE PAR LES AGENTS INTOXICANTS. incidente , déterminent l'explosion . Mais quelle que soit la nature de la cause déterminante (et ceci confirme ple ne ment la théorie du rapport du délire avec la spécificité de la cause), les symptomes de la maladie sont, dans tous les cas , les mêmes : insomnie, hallucinations, tremblement mus culaire général. « Une inquiétude universelle s'est emparée du malade, , il ne peut ni recueillir ses idées, ni diriger ses sentiments ; , il est devenu irritable et fantasque . Un sommeil fugace » est interrompu chez lui par des rêves effrayants ; l'ex pression de la figure est devenue plus vive et plus animée; , les extrémités supérieures et inférieures sont saisies de , tremblement, surtout lorsque la station est prolongée : » un délire général finit enfin par éclater ... L'accés délirant peut durer tout le jour, mais il arrive habituellement que , le malade, assez tranquille pendant la matinée, est à l'approche de la nuit en proie à une exacerbation plus > grande . » Ces alternatives de tranquillité et d'agitation varient dans la journée ; la raison du malade semble parfois compléte ment revenue, mais le soir amène un redoublement dans la gravité des symptômes ; les nuits se passent dans une agitation extraordinaire, et lorsque le jour parait , les acci dents cessent momentanément et une abondante transpira tion en est la terminaison critique ( 1 ) . Entre le délire impétueux et furieux qui caractérise , ordinairement cette situation , et un état de sub - délire , tranquille et quelquefois même expansif et gai , il existe ( 1 ) Ce sont ces intermittences singulières qui ont fait à tort comparer celle maladie par les premiers auteurs qui en ont parlé, à une fièvre inler millente , avec laquelle , dit le docteur Valke, elle a une certaine analogie ( Archives générales de médecine, année 1824, p . 100 ) . ALCOOLISME CHRONIQUE . 99 · des gradations et des nuances nombreuses . Les halluci . » nations, qui peuvent être variées , ont cependant presque , lonjours un caractère fixe et bien déterminé . Il semble au malade qu'il est entouré d'animaux de toutes les gran , deurs, et il étend la main pour les saisir ( 1 ) , Chez les jeunes sujets la figure est violemment injectée et les yeux » sont brillants ; chez les individus déjà épuisés par les o excės antérieurs, la face est pale , le regard terne et fixe, » l'expression générale des traits n'est pas changée. Les pupilles sont ordinairement normales, cependant on les » trouve parfois dilatées , et il n'est pas rare que les paupières soient agitées d'un tremblement convulsif. La voix est , altérée ; la parole devient brève, impétueuse, et se perd , le plus ordinairement dans un bredouillement inintelli gible. La peau est chaude et souvent moite, le pouls très ( 1 ) L'existence d'hallucinations de ce genre est confirmée par les récits con sécutifs de ceux qui ont éprouvé le délire alcoolique. La position peut devenir alors très -dangereuse pour les personnes qui entourent ces malades. On les a vus dans leur fureur, et préoccupés exclusivement du danger imaginaire qu'ils couraient , se précipiter sur leurs propres parents et les immoler. Lorsque les individus par suile d'accès successifs s'affaiblissent intellec tuellement ou lombent dans la démence , il n'est pas rare d'observer une modification dans les phénomènes hallucinatoires. Un de ces malades , cité par le docteur Magnus Huss , se dirigcail vers des tables qu'il croyait couvertes de mels succulents ; un autre saisissait des vases remplis d'eau , et tout en les avalant avec avidilé, se plaignait de ce que sa liqueur favorite n'avait pas le degré de forçe voola . Dans la période où les malades éprouvent des formications dans les jambes, il peut arriver aussi qu'ils se laissent illusionner à la façon des hypo condriaques. Un aliéné alcoolisé saivait ordinairement avec in quiétude les monvements d'on chat , qui en grimpant le long de ses jambes lai enfonçait ses griffes dans les chairs. Il se serrait violemment le scrotum , croyant s’ètre emparé de l'animal . 100 DÉGÉNÉRESCENCE PAR LES AGENTS INTOXICANTS. » variable. Les sécrétions urinaires sont peu abondantes, » rougeatres et sédimenteuses ; rarement les ai- je trouvées claires el abondantes . » Cette situation peut se prolonger trois à quatre jours » et ne se terminer parfois qu'à la fin d'un septenaire. Le sommeil est la terminaison critique de cet état délirant . » Lorsque le malade , après avoir dormi quelquefois pen » dant vingt- quatre heures consécutives, se réveille , il ne » conserve souvent aucun souvenir de son délire antérieur > et son corps reste couvert d'une abondante transpiration ; o si le calme se prolonge, on peut regarder cette transpira » lion comme une crise favorable. Mais si le sommeil est » court, agité , et s'il est interrompu par des rêves fati gants, si l'anxiété augmente quand arrive le soir, le pro » nostic est funeste . Les forces diminuent de plus en plus, el y un état adynamique ayant tous les caractères de la fièvre » typhoïde sera le précurseur d'une terminaison fatale ( 1 ) . , Troubles généraux des différents appareils de l'économie : digestion , sécrétions, circulation . - Les troubles nombreux de la digestion se révèlent par les vomissements, l'état saburral de la langue, les diarrhées et les épanchements abdominaux. Les fonctions importantes du foie sont trou blées, et si parfois l'autopsie ne trouve aucune lésion dans sa structure intime , l'anatomie pathologique a de nom breuses occasions de constater l'état granulé, la cyrrhose et l'atrophie de cet organe. Les prédispositions spéciales des ivrognes pour contracter la maladie de Bright sont aussi un fait reconnu . Sous l'influence de l'excitation alcoo. lique , l'énergie des fonctions du cæur est activée, et son hypertrophie peut en etre la conséquence ; mais cet organe n'est pas soustrait non plus à une autre condition patholo ( 1 ) Docteur Magnus Huss. Ouv. cité , p . 38. ALCOOLISME CHRONIQUE . 101 gique générale : nous voulons parler de la transformation graisseuse du système musculaire . La couche épaisse de graisse qui recouvre le cæur peut faire croire dans beau coup de cas à son hypertrophie, tandis que réduit à son moindre développement, il est parfois comme enseveli sous une masse adipeuse. On a cité aussi l'étal inflammatoire des parois artérielles, et la production de pseudomembranes dans les grands vaisseaux ; mais, comme le fait remarquer M. le docteur Magnus Huss, ni l'inflammation , ni la pro duction de ces fausses membranes et de ces corps étrangers que l'on a désignés sous le nom d'athéromes ( 1 ) , ne peuvent s'expliquer uniquement par les changements imprimés au cours mécanique du sang. Il faut faire aussi la part des altérations que l'on rencontre dans les éléments constitu tifs du sang et de la disposition pathologique de ce liquide à déposer la graisse dans la trame cellulaire des organes, et jusque dans celle des os ( 2) . Ce procédé pathologique implique une véritable dégénérescence graisseuse, et le savant médecin Suédois nous parait avoir le mieux compris le mécanisme de ces épanchements partiels et de ces apa sarques , qui se rencontrent si souvent dans les dernières périodes de l'alcoolisme chronique, en dehors des lésions organiques du foie (3) . ( 1 ) Ces athéromes , d'après M. Magnus Huss , ne sont pas composés, comme dans le cas d'inflammation, par la fibrine, mais ils sont formés en grande partie par la cholestérine , la graisse et l'albumine. (2) D'après Rokitansky, les os sont le siége d'un travail pathologique spécial, par la raison que la trame cellulaire graisseuse de la moelle aug mente anx dépens des os , qui deviennent plus légers et conséquemment plus friables. Le physiologiste Klencke avait déjà remarqué le même procédé pathologique chez les vaches qae l'on nourrit avec les résidus de pommes de terre dans les distilleries d'alcool . (3) Celle graisse de mauvaise nature est bientôt résorbée. Les cellules 102 DÉGÉNÉRESCENCE PAR LES AGENTS INTOXICANTS. Les troubles importants que nous avons sigoalės daus les fonctions du système nerveux ne peuvent se séparer des troubles de la circulation artérielle et veineuse ; c'est ce qui nous porte à concentrer dans le même paragraphe les déplorables conditions pathologiques dans lesquelles le système nerveux et le système artériel se trouvent vis - à - vis l'un de l'autre . Le fait de la dilatation plus grande des vaisseaux artériels a été remarqué par M. le docteur Magaus Huss, et cette dilatation est visible , dit-il, lorsqu'on coupe le cerveau par tranches : on voit alors que les orifices des vaisseaux sont plus prononcés même dans les plus petites artérioles ; dans les vaisseaux plus considérables la tunique interne est plus relâchée et plus friable . D'après le même auteur, les causes de cet état particulier des vaisseaux sont dues en partie à la stagnation du sang dans le cerveau lorsque l'ivresse a lieu , en partie aussi à la congestion qui résulte de l'hyper trophie du cœur. Il faut encore faire la part de la com pression que subit le cerveau par suite de cet état conges tionnaire, qui simule parfois les symptômes de la paralysie. graisseuses ne contiennent plus qu'un liquide jaunâtre, et l'on finit par observer des exsudations et des épanchements plus ou moins considérables. L’anasarque n'est pas toujours la conséquence inévitable d'un pareil élal de choses , mais l'amaigrissement si considérable des malades , l'atrophie des muscles, leur décoloration, leur dégénérescence graisseuse, sont les fails que l'on observe le plus ordinairement. Encore une fois, tous ces phénomènes palhologiques peuvent avoir pour point de départ les lésions du foie , des reios et des poumons, mais ils existent aussi en dehors de la désorganisation de ces importants appareils de l'économie . Chez nos aliénés qui succombent sans paralysie générale et sans intoxication alcoolique préalable , l'état que nous avons désigné sous le nom de marasme se signalc de même par l'a trophie musculaire porlée à son plus haut degré , par des épanchements séreux , des diarrhées chroniques, sans lésion toujours appréciable dans la structure du foie , des reins ou des poumons. ALCOOLISME CHRONIQUE . 103 Les lésions pathologiques les plus graves peuvent êlre la conséquence de cet ensemble de troubles dans la circulation arlérielle et veineuse. Nous ne citerons que la ruplure des vaisseaux, qui amène les extravasations du sang ainsi que l'apoplexie , plus fréquente qu'on ne le croit chez ceux qui font abus des spiritueux . Il est un autre phénomène qui a des suites bien plus graves sur la manifestation des facultés, et qui amene cet état spécial de dégénérescence des organes dont la dégénérescence générale de l'individu est la consé quence inévitable, je veux parler du défaut de nutrition du cerveau et de l'atrophie partielle ou générale de cet organe important ; l'atrophie générale est cependant le fait le plus commun . Cette atrophie , dit le docteur Magnus Huss, se présente sous une forme si caractéristique, que le cer veau est visiblement diminué , au point de ne plus remplir la boile osseuse . Les exsudations séreuses , soit dans les ven tricules , soit entre les membranes du cerveau , l'opacité de ces membranes, leur épaisissement , leur adhérence avec le cerveau ramolli, sont les conséquences nécessaires des lésions du système circulatoire ; et lorsque les malades en sont arrivés à cette période extrême, il n'y a pas lieu de s'étonner si l'on remarque chez eux tous les symptômes de la paralysie générale, et si ces deux affections qui ont des points de départ différents se confondent néanmoins dans leurs terminaisons. Les considérations dans lesquelles nous sommes entré nous ont préparé la voie pour nous aider dans la classifica tion des différents types d'etres dégénérés par suite d'into xication alcoolique . Nous pensons avec le docteur Magnus Huss , et les expériences faites par beaucoup de physio logistes modernes nous confirment dans cette idée ( 1 ) , que ( 1 ) Je ne puis revenir ici sur ce que j'ai dit ailleurs à propos de la pa 104 DÉGÉNÉRESCENCE PAR LES AGENTS INTOXICANTS . 1 l'alcool agit directement sur le système nerveux par son mélange avec le sang . Nous ne pouvons entrer dans le détail de toutes les expériences qui ont été faites à ce sujet par MM . Mitscherlich , Schultz >, Bouchardat , Sandras , 5 ralysie - générale (voir mes Etudes cliniques sur l’alienation mentale , t . II , p . 331 ) . Je ne crois pas , cependant, qu'il soit inutile d'exposer briève ment les principaux caractères distinctifs de ces deux affections . On remarque dans chacune d'elles au début le tremblement particulier des mains, la fai blesse des extrémités inférieures, une hésitation spéciale dans la parole , etc.; mais , comme le fait observer M. le docteur Magnus Huss , lous ces symptômes cessent chez les alcoolisés paralytiques lorsqu'ils renoncent à la boisson

et

, même au plus fort de leurs excès , il y a chez eux , dans la même journée , des rémissions que l'on ne remarque pas dans la paralysie progressive. Dans celte dernière affection on n'observe pas non plus ces troubles spé ciaux de la vue si fréquents chez les alcoolisés , ni ces formications si carac téristiques des bras et des jambes L'iosensibilité dans les extrémités supérieures et inférieures, les crampes , les convulsions , suivent chez les individus livrés à l'alcoolisme une marche régulière que l'on ne relrouve pas chez les paralysés progressifs de nos asiles . Les phénomènes de la digestion , invariablement troublés chez les pre miers , se montrent sous le rapport normal chez les seconds, dont l'appélit est encore bien plus prononcé . La voracité des paralysés progressifs de nos asiles et la puissance de leur digestion sont des faits assez connus . Dans l'alcoolisme chronique , la sensibilité commence à s'émousser aux extrémités

elle envahit ensuite les autres régions et se limite d'une manière

régulière dans les parties lésées

rien de semblable n'apparaît dans la para

lysie générale des aliénés lorsqu'elle existe sans intoxication alcoolique préa lable . Il y a certaines périodes de celle affection où la sensibilité générale est exaltée , mais lorsqu'arrive l'anésthésie , il n'est plus guère possible d'en fixer les limites . La sensibilité générale , comme le fait observer avec jastesse M. le docteur Lanier , est émoussée sous lous les points de l'enveloppe cutanéc . Enfin , nous trouverons des éléments de diagnostic différentiel remarquable dans la nature des hallucinations , du délire et des tendances des individus qui appartiennent à ces deux catégories maladives . ALCOOLISME CHRONIQUE . 105 Klencke et autres physiologistes . Le premier de ces savants pense que l'alcool arrive jusqu'au réseau capillaire que secouvre l'épithélium de l'estomac , et pénètre dans le sys tème circulatoire par le procédé de l'endosmose. Au reste , d'assez nombreuses analyses de l'air exhalé par les poumons, ainsi que des liquides contenus dans les ventricules du cer veau chez les individus morts dans l'ivresse , prouvent d'une manière évidente ce mélange de l'alcool avec le sang ( 1 ) . Une des conséquences immédiates de ce mélange, d'après Schultz, est que le sang devient impropre à la résorption de la quantité d'oxigéne qui lui est nécessaire, ainsi qu'à l'élimination de l'excès d'acide carbonique. L'artérialisation ( 1 ) Les expériences faites sur les chiens par M. le professeur Dahlstrom , jellent un nouveau jour sur la manifestation progressive des lésions patholo giques que nous avons signalées chez l'homme. Trois animaux de diverses grandeurs servirent aux expériences du professeur : il leur donna pendant huit mois une quantité de 240 à 250 grammes d'alcool mélangé à leurs ali ments. Chez le premier de ces animaux , l'alcool était débarrassé de toute huile empyreumatique, et chez les deux autres l'alcool n'avait pas été purifié, cependant les conséquences forent les mêmes chez les trois chiens. Le pre mier soccomba dans un état de marasme au commencement du 8 mois ; les deux autres furent sacrifiés à la même époque . On observa chez tous les trois Je même ensemble de symptômes et de lésions dans l'ordre suivant : 1 ° Altération de la voix ; 2° tremblement des extrémités ; soubresauts dans les tendons ; 4° affaiblissement musculaire surlout dans le Iraie postérieur ; sº diminution de la sensibilité ; on pouvait impunément leur pincer les oreilles ; 6° sommeil agité ; 70 caractère hargneux ; augmen tation de l'appétit dans les commencements, mais à la fin dégoût manifeste pour les alimenls ; 90 yeux larmoyants, ouïe obluse ; 10° transformation graisseuse des muscles ; 11 ° après la mort : inflammation chronique de la membrane muqueuse de l'estomac ; augmentation da foie ; membrane pitui laire, muqueuse et aérienne chroniquement enflammées ; vaisseaux du cer reau gorgés desang (dans un cas , exsudation de sérosilé entre les membranes) ; muscles làches, mous et graisseux . 3º spasmes, 106 DÉGÉNÉRESCENCE PAR LES AGENTS INTOXICANTS . devient nécessairement incomplète , et la prédominance du sang veineux en est le résultat ( 1 ) . 1 ( 1 ) Ogston assure avoir trouvé dans les ventricules du cerveau , chez une femme morte pendant l'ivresse , qualre onces d'une sérosité ayant, dit -il , les caractères physiques de l'alcool . ( Edimbourg , Journal de chirurgie , 1842. ) Je ne crains pas d'insister sur le véritable caractère des lésions patholo - giques qu'on rencontre dans le cerveau des individus morts , soit pendant l'ivresse , soit pendant un accès de delirium tremens . Les conclusions que nous pourrons en déduire s'appliqueron ! non -seulement à d'autres situations pathologiques , mais nous serviront à mieux comprendre la production de ces étals anormaux qui sont le but de nos recherches, el que nous sommes convenu d'appeler dégénérescences dans l'espèce humaine. Que remarque l-on dans le cerveau des iodividus morts à la suite de l'ivresse alcoolique ? Le cerveau exhale une odeur d'alcool

les tissus de la dure

-mère sont gorgés de sang , ainsi que les vaisseaux qui rampent dans les différents feuilles cérébraux

dans son ensemble

, le cerveau est l'expression pathologique de lous les phénomènes qu'on trouve dans la congestion cérébrale arrivée à ses dernières limites ; les poumons sont remplis d'un sang noir, et le ventricule droit du ceur et les grosses veines renferment parfois un sang tellement épais qu'il en acquiert une consistance sirupeuse . Mais ici l'on peut se faire une question : tous les symptômes de l'ivresse doivent - ils èire exclusivement allribués aux conséquences de la congestion cérébrale ? M. le docteur Magnus Huss se pose celle objection , et n'hésite pas à ré pondre que dans l'explication des phénomènes de l'ivresse il faul faire la part de l'action spécifique de l'alcool sur le cerveau . La ligne de démarcation est sans doule difficile à établir; mais l'expérience ayant appris que l'on n'a trouvé aucun symptôme congestionnaire dans le cerveau d'animaux sacrifiés dans la plus haute période d'intoxication alcoolique , il en résulle que nous ne devons pas être exclusif dans nos explications . L'autopsie des individus morts à la suite d'un delirium Tremens confirmera mieux encore celle assertion . L'état congestionnaire du cerveau semblerail devoir élre ici l'expression la plus certaine et la plus ordinaire d'une maladie qui se révèle à l'observation par des symptômes aussi graves que ceux que nous avons décrils , el cependaol que trouvons vous dans beaucoup de cas ? Une accumolation de sang qui n'est pas plus considérable que celle qu'on ALCOOLISME CHRONIQUE, 107 Quoi qu'il en soit du mode d'action de l'alcool , il n'en est pas moins constant , pour nous, que la dégénérescence physique ( 1 ) est le résultat des excès que font les buveurs, et que sous l'influence de cet agent pernicieux , l'intelligence se détruit et les sentiments se dépravent . Il nous reste main tenant à établir la classification des êtres dégénérés à la suite de l'intoxication alcoolique. a remarqué dans d'autres affections qui n'étaient pas accompagnées d'une aussi grande excitation cérébrale. Bien mieux , M. le docteur Magnus Huss, ce juge si compélent el qui a fait un grand nombre d'autopsies , affirme qu'il a trouvé parfois le cerveau et la moelle plus exangues qu'à l'état normal . Ne cherchons donc pas l'explication des phénomènes pathologiques dans l'influence exclusive produite par l'état congestionnaire ou jollammaloire. Les lésions de la nutrition pous rendent bien mieux compte de celle atrophie générale ou partielle du cerveau , de ces exsudations plastiques qu'on re trouve également chez les paralysés généraux , exsudations qu'on s'em presse trop de regarder comme des produits inflammatoires. C'est donc en étudiant le mode d'altération d'un organe aussi important que le cerveau , que nous nous formerons une idée bien plus saine de la manière dont se pro duisent les dégénérescences chez l'individa qui a été le premier soumis à ore des causes que nous étudions , el ensuite chez ses descendants . (1 ) Aucun autre agent intoxicant, si nous en exceptons l'opium , n'agit d'une manière aussi funeste sur les fonctions de l'économic. Le phénomène encore iuexpliqué de la combustion spoplanée est bien le dernier degré de l'anéantissement de l'individu . M. Magnus Huss admet la possibilité de la com bustion spontanée, ainsi que Franck et d'autres auteurs. Liebig est parveou , comme on sait , à jeter le plus grand doule sur la réalité des faits allégués par quelques médecins législes. Ses objections se trouvent consignées dans son mémoire sur la mort de la comlesse de Goerlitz. (Annales d'hygiène, 1. XLIV, pag. 191 , 1. XLV, p . 99.) Le savant chimiste a été comballa par Graff et Winckler. M. Magous Huss n'a vu aucun fait de ce genre , mais il n'en est pas moins certain que la croyance de la combustion spontanée est généralement répandue. Le célèbre missionnaire Huc dit qu'il a souvent enleodu parler en Cbioe de la combustion spontanée chez les ivrognes ; mais il avoue n'avoir jamais pu vérifier le fait par ses propres yeux . 108 DES DIFFÉRENTS TYPES DE DÉGÉNÉRESCENCES DEUXIÈME SECTION . DES DIFFÉRENTS TYPES DE DÉGÉNÉRESCENCES PRODUITS PAR L'INTOXICATION ALCOOLIQUE . Tout ce que nous avons dit jusqu'à présent prouve que l'alcoolisme chronique constitue une maladie dans laquelle on peut observer le développement des principales lésions du système nerveux, depuis le simple tremblement des extrémités supérieures jusqu'à la paralysie générale , qui les résume toutes , et qui constitue à elle seule l'état de dégradation extrême dans laquelle il est possible à l'homme de tomber . C'est par le tremblement et l'insensibilité des extrémités que débute la maladie ; c'est par les crampes,, les convulsions , les formications, les névralgies , c'est par les troubles dans la vie organique et dans la vie de rela tion , qu'elle poursuit son cours. Elle est de sa nature émi nemment progressive, et dans des rapports constants avec les excès qui la développent après l'avoir fail naitre . Aucune autre affection ne se présente avec une régula rité plus désespérante et sous des faces aussi diverses . Elle a ses formes prodromique, paralytique, convulsive , épilep tique . Elle revêt le caractère de certains étals névropa thiques, tels que la mélancolie, la manie,, la stupidité. Le phénomène hallucinatoire joue aussi un role considérable dans l'évolution des troubles cérébraux , et les tendances au suicide et à l'homicide surgissent parfois sous une forme d'autant plus dangereuse qu'elles sont plus imprévues et plus irrésistibles . L'affection peut se terminer par la mort, et lorsque la maladie a été de longue durée, il n'est , comme nous l'avons PRODUITS PAR L'INTOXICATION ALCOOLIQUE . 109 vu , aucun des organes importants de l'économie qui ne révèle les traces des désordres nombreux produits par l'intoxication alcoolique. Ce n'est pas ici le lieu d'examiner si la paralysie générale, qui lermine l'existence d'un si grand nombre de nos alié nés , a toujours été amenée par les excès de boissons ; ou bien , si ces excés sont venus apporter leur contingent d'ac tivité destructive à la maladie nerveuse préexistante ; tou jours est- il que nos asiles renferment une quantité déses pérante d'aliénés paralysés et autres , dont l'affection ne reconnait d'autre cause que l'abus des alcooliques. Sur 4,000 malades dont j'ai recueilli les observations spéciales , il n'en est pas moins de 200 chez lesquels l'affection mentale n'a pas eu d'autre cause . Ils n'appartiennent pas tous , il est vrai , à la même caté gorie maladive pour ce qui regarde l'aberration de l'intel ligence et des sentiments, ainsi que la nature particulière de la lésion nerveuse ; mais , tous peuvent être étudiés au point de vue de l'influence fatale des dégénérescences que pro duisent les excés de boissons , soit que ces dégénérescences aient été amenées directement chez les individus, soit qu'ils aient hérité du principe dégénérateur dans la per sonne de parents soumis aux mêmes habitudes. Les uns sont venus terminer tristement leurs jours dans les dernières convulsions de la paralysie générale , et dans l'état de la plus complète dégradation morale et physique ; les autres, soustraits de meilleure heure à la cause destruc live de leur santé et de leur raison , n'en ont pas moins trainé une vie misérable, dont la démence, l'hébétude, l'absence de toute initiative intellectuelle et l'abolition des sentiments moraux, forment le caractère le plus saillant . Celle catégorie d'êtres dégénérés est très-nombreuse Ils ne se distinguent ordinairement par aucun délire spé 110 DES DIFFÉRENTS TYPES DE DÉGÉNÉRESCENCES cial . Leur existence est toute automatique

ils n'expriment

d'autre désir que celui de recouvrer leur liberté , et de recommencer leurs honleux excès . Si quelques - uns , dans de bien rares proportions, ont pu reprendre la vie de fa mille et surmonter leur funeste passion , les autres, en plus grand nombre, hélas ! n'ont pas tardé å retomber, et à devenir pour leurs parents et pour la société une cause incessante de dangers. Il a fallu les isoler de nouveau , et ils se sont toujours pré sentés à notre observation avec la prédominance d'un pbé nomène de l'ordre psychique que j'ai déjà eu occasion de signaler. Je veux parler de l'abolition complète de tous les sentiments moraux . On dirait qu'il ne reste chez ces élres abrutis aucune distinction du bien et du mal ; ils ont désolé, ruiné leurs familles, sans en éprouver le moindre regret

ils ont failli, dans l'état aigu de leur affection , immoler å leurs appréciations délirantes ce qu'ils devaient avoir de plus cher ; quelques- uns même se sont livrés aux extrémités les plus funestes sans paraitre en conserver le souvenir . L'amour du vagabondage semble dominer les actes d'un grand nombre. Ils quittent le domicile conjugal ou paternel sans s'inquiéter où porter leurs pas. Ils ne peuvent expli quer les motifs de leurs tendances désordonnées ; leur existence se passe dans l'apalhie la plus grande , l'indiffé rence la plus absolue, et les actes volontaires sont rem placés chez eux par un stupide automatisme. La paralysie générale n'est pas ordinairement le terme extrême de ces tristes existences ; les individus qui appar tiennent à cette catégorie d'etres dégénérés ont quelques uns des caractères pathologiques propres à l'intoxication alcoolique , sans présenter d'une manière complète cette série de lésions progressives que termine invariablement la paralysie générale . La sensibilité pbysique est émoussée 1 PRODUITS PAR L'INTOXICATION ALCOOLIQUE . 111 > sans étre entièrement abolie . La parole est légèrement embarrassée, la démarche incertaine et tremblante , et lorsque l'on fait étendre la main à ces malades, on observe parfois ce mouvement vermiculaire si caractéristique chez ceux qui sont dans la période aiguë de l'affection . Ces symptomes alarmants offrent un certain mode intermittent ; ils disparaissent souvent sous l'influence d'un régime con venable ; il serait même permis d'espérer une amélioration radicale, si une triste expérience ne nous faisait sans cesse apprébender la terminaison funeste réservée à ces victimes de l'intoxication alcoolique . Ils portent dans l'expression de leur figure pâle et livide , le cachet d'une souffrance générale, d'un dépérissement profond dont ils n'ont pas conscience ; ils se croient, au contraire , pleins de force et de vigueur, et capables de reprendre leurs occupations antérieures. La plupart pré tendent même n'avoir jamais été souffrants , et repoussent comme une calomnie le récit des excès qu'ils ont commis ; mais l'agitation périodique à laquelle la plupart sont sujets , ne révèle que trop la souffrance des organes , et la gravité des lésions dont le cæur, les poumons et le foie sont le siége le plus ordinaire. Il n'est pas rare de voir ces exacerbations périodiques coïncider avec une difficulté plus grande de respirer, avec une perversion particulière des fonctions nutritives, et s'accompagner dans quelques cas des phéno mėnes que l'on a pu observer dans la période aiguë de l'intoxication alcoolique. Ils éprouvent alors le retour de ces hallucinations spéciales qui les obsèdent et les terrifient; quelques - uns même sont de nouveau sujets à ce tremble ment particulier aux ivrognes dans la période aiguë de leur affection . Lorsqu'une terminaison fatale ne vient pas couronner ce retour des symptômes primitifs, ils finissent leur existence fo li TI 21 Ek 2 112 DES DIFFÉRENTS TYPES DE DÉGÉNÉRESCENCES dans le marasme le plus complet , accompagné d'hydropisies générales ou partielles et de diarrhées interminables . Dans quelques cas , des hémorrhagies cérébrales foudroyantes enlèvent inopinément ces malades , qui offrent tout à la fois au philosophe, au moraliste et au médecin, le sujet des plus graves réflexions. En effet, si des affections physiques ou morales antérieures, d'une part, et l'hérédité de l'autre , exercent une grande influence dans les manifestations de ces déplorables tendances, nous ne pouvons cependant, dans un très -grand nombre de circonstances, nous expliquer une passion aussi honteuse que par l'action d'une volonté librement pervertie . Si le défaut d'éducation , l'influence de l'exemple des parents, le besoin de distraire la pensée des angoisses de la misère, peuvent être considérés comme des causes pré disposantes, nous avons aussi rencontré les victimes de cette honteuse passion dans les rangs les plus instruits de la société . La statistique nous offre incontestablement des chiffres plus élevés dans le sexe masculin que dans l'autre sexe ; mais à mesure qu'on descend l'échelle sociale, et qu'on observe les faits dans les grands centres manufac turiers , dans certaines contrées où l'alcoolisme est plus répandu que dans d'autres , dans certaines professions spé ciales , l'inégalité dans le rapport semble disparaitre et le sexe le plus faible l'emporte peut- être encore sur l'autre par la nature de ses excès et de ses tendances perverlies . Il est facile de calculer ce qu'un pareil ordre de choses doit apporter de troubles et d'éléments de dégradation dans l'intérieur des familles. Si l'alcoolisme étail un fait isolé, n'atteignant que celui qui abuse des liqueurs fortes, nous pourrions nous en tenir aux deux catégories d'alcoolisés dont nous avons fait l'histoire ; mais il n'en est malheureu sement pas ainsi . L'action dégénératrice dans l'espèce hu PRODCITS PAR L'INTOXICATION ALCOOLIQUE . 113 maine se propage par la voie de l'hérédité, et l'observation va nous placer en face d'êtres dégénérés dont il est impor tant de tracer le portrait . D'un autre côté, la question de l'alcoolisme se rattachant, comme nous l'avons fait entrevoir plus baut , à l'élude de la responsabilité des actes humains, à celle de l'éducation , il est indispensable que nous sachions comment celle mal beureuse passion , qui détruit non- seulement la santé phy sique de l'homme , mais le conduit encore à l'hébètement intellectuel et à la perversion de ses actes moraux, peut se produire chez lui dans des circonstances tout à fait in dépendantes de sa volonté. $ 1. Dégénérescences héréditaires chez les enfants issus de parents livrés à l'alcoolisme chronique. Nous avons déjà établi , comme on l'a vu , la classification de deux catégories bien distinctes d'etres dégénérés par suite d'excés alcooliques. Les uns, avons nous dit , arrivent par une série de lésions nerveuses bien déterminées, soit de l'ordre physique , soit de l'ordre intellectuel, jusqu'à la paralysie générale . Les autres, quoique profondément af fectés dans la sphère de l'innervation, restent stationnaires et trainent une vie misérable , caractérisée au point de vue physique par un état spécial de cachexie et de marasme, et au point de vue moral par la manifestation des tendances les plus mauvaises et par l'abrutissement le plus complet . Nous avons maintenant à étudier deux autres catégories d'etres dégénérés : ceux dont la maladie s'est développée sous l'influence de conditions héréditaires directes , et ceux dont les tendances dépravées pour les boissons doivent être attribuées à des affections spéciales de l'organisme. 8 114 DES DIFFÉRENTS TYPES DE DÉGÉNÉRESCENCES Première catégorie. — Nous pourrions à la rigueur établir plusieurs classes distinctes chez les descendants dégénérés de parents livrés aux excés alcooliques, mais les traits ca ractéristiques de leurs transformations maladives consti tuent plutôt les degrés différents d'une seule et même trans mission héréditaire, comme on peut en juger par la courte exposition qui suit : 1 ° Les enfants peuvent hériter directement des tendances alcooliques de leurs parents, et pour peu qu'ils apportent en naissant, comme c'est le cas le plus ordinaire, des dispo sitions intellectuelles bornées, ou que leur éducation ait été mal dirigée, l'avenir de ces enfants est on ne peut plus com promis , tant au point de vue de leur développement orga nique, qu'à celui du progrès de leurs facultés intellectuelles et affectives. « Dans les cas de ce genre, la dégénérescence, → comme je le disais dans mes prolegomenes, est un état » maladivement constitué , et l'être dégénéré, s'il est aban donné à lui-même, tombe dans une dégradation progres > sive ; il devient non - seulement incapable de former dans » l'humanité la chaine de transmissibilité d'un progrės, mais il est encore l'obstacle le plus grand à ce progrès par son contact avec la partie saine de la population ( 1 ) . » 2° Il n'est pas toujours nécessaire que les descendants de parents livrés à l'alcoolisme chronique commettent les mêmes excès pour nous offrir le type d'une dégradation progressive . Les uns apportent, même en naissant, le germe d'une dégénérescence complete, et ils viennent au monde imbéciles ou idiots (2) ; nous en parlerons en traitant des dégénérences congéniales. > ( 1 ) Dégénérescences dans l'espèce humaine , p . 4 et 6 . (2) C'est un fait sur lequel nous aurons à revenir dans nos considérations générales sur la propbylaxie et le traitement. La Slulistique de la Westphalie PRODUITS PAR L’INTOXICATION ALCOOLIQUE. 115 Les autres ne vivent intellectuellement que jusqu'à un certain åge, au- delà duquel ils s'arrêtent et lombent pro gressivement dans un état que je ne puis comparer qu'à l'idiotisme ; voici du reste les principales phases de l'exis tence chez ces êtres dégénérés. Après être péniblement parvenus à un état libéral , après avoir appris avec non moins de peine une profession industrielle, ils ne sont non seulement susceptibles d'aucun progrès ultérieur, mais ils deviennent successivement incapables de remplir leurs fonctions. Alors ces malheureux , d'autant plus à plaindre qu'ils sont les victimes involontaires des influences de l'hé rédité , se trouvent dans une situation des plus périlleuses : ils subissent ce que j'appellerai des phases critiques, qui fisent irrévocablement, pour l'avenir , les conditions de leur existence . L'âge du développement de la puberté, par ex emple , l'intercurrence des maladies incidentes , soit de l'ordre physique, soit de l'ordre moral , sont des crises d'au lant plus dangereuses, que ces infortunés, qui n'ont trouvé aucun secours dans une hygiène ou une propylaxie anté rieures convenables , n'ont pu davantage puiser les éléments de leur régénération dans le milieu défavorable qui les en tourait . Dans ces cas , la transition subite et irremediable å l'idiotisme est la terminaison fatale qui les attend . Je citerai pour exemples les observations suivantes : par le docteur Ruer, l'histoire récemment publiée des Maladies régnantes en Suède, par M. le docteur Magnus Huss, nos propres observalions, prou venl irrévocablement que nous sommes dans le vrai , en considérant la ques lion à ce point de vuc . Nous pouvons dire å'avance que la dégénérescence congéniale est d'autant plus certaine que le père et la mère se sont également livrés aux excès alcooliques. Il existe sans doule des cas d'imbécillité et d'idiolie congéniales en dehors de celle cause spéciale , mais ceci n'infirme nullement la thèse que je soutiens, pour ce qui regarde les dégénérescences béréditaires par suite des excès alcooliques des parents. 116 DES DIFFÉRENTS TYPES DE DÉGÉNÉRESCENCES fre Observation. — Un homme appartenant à la classe . instruile de la société , et chargé de fonctions importantes , parvint à cacher pendant longtemps aux yeux du public ses habitudes alcooliques , et sa famille souffrit seule de ses honteux débordements . Des cinq enfants qui durent le jour à une union dont les phases orageuses s'écoulérent tris tement au milieu des désordres du chef de famille et des angoisses de son épouse, un seul survécut , qui révéla de bonne heure sa dégradation physique et ses mauvaises dis positions morales . Edouard...... , qui à l'âge de 19 ans fut amené à l'asile de Maréville, comme atteint d'une aliénation mentale de terminée par l'excés des boissons alcooliques, avait été l'objet de tous les soins qui peuvent entourer l'unique héritier d'une belle fortune; mais tous ces soins avaient échoué contre la nature la plus perverse et le caractère le plus in domptable que l'on puisse se figurer. Des instincts cruels ( 1 ) se révélèrent chez cet enfant à une époque de la ( 1 ) J'ai remarqué le développement précoce des instincts les plus cruels chez plusieurs enfants pés dans ces conditions malheureuses . Celui dont je cile l'histoire n'avait pas de plus grand bonheur que d'arracher leurs petits à des animaux, de leur faire subir une espèce de jugement et de les poi · gnarder sous les yeux de leur mère . Il n'avait pas plus de 5 ou 6 aos lors qu'il accomplissait ces tristes exploits . Un autre , auquel je fais allusion dans ce même chapitre, était devenu à l'âge de 3 ans la lerreur des pelils enfants de sa localité , et il leur faisait subir des lorlures incroyables. J'ai décrit dans mes Etudes cliniques, sous le nom de manie instinctive , ce besoin irrésis sible qu'éprouvent quelques aliénés de faire le mal avec pleine connaissance de cause , el l'observation ultérieure m'a démontré que l'explication de ces tendances dépravées, de ces instincts cruels que nous ne savions le plus or dinairement à quelle lésion des organes rapporter, devait être recher chée dans les prédispositions organiques vicieuses léguées aux enfants par les parents . La plupart des maniaques ipstinctifs dont j'ai décrit l'histoire PRODUITS PAR L'INTOXICATION ALCOOLIQUE . 117 vie où le jeu est l'unique préoccupation , le seul besoin de l'existence . Edouard n'avait d'autre plaisir que de torturer les animaux, et il portait dans ses actes de cruauté un raf finement dont il est difficile de se faire une idée . Les pu nilions les plus sévères ne servirent qu'à aigrir cette nature désordonnée , dont les égarements étaient attribués , comme cela arrive ordinairement, à une cause différente de celle qui existait en réalité . Aux yeux d'un observateur médical , le jeune Edouard ne pouvait être regardé que comme un enfant prédisposé à finir ses jours dans un asile d'aliénés ; mais le développement de certaines facultés intellectuelles , et quelquefois même de dispositions artistiques que l'on a pu remarquer chez ces individus fatalement prédisposés, donne facilement le change sur les résultats que l'on peut espérer d'une éducation bien dirigée. Edouard , qui avait montré des aptitudes assez remarquables pour la lecture et le dessin , fut donc placé au collége, mais les maîtres ne lardèrent pas à s'apercevoir que leurs soins restaient com plétement stériles . Cet enfant déjà frappé d'un arrêt de dé veloppement physique, et offrant dans les proportions de sa tête les caractères des microcéphales, ne pouvait attein dre dans la sphère intellectuelle qu'on degré au-delà du quel tout progrès devenait impossible. Il devait irrévoca blement rester toute sa vie ce qu'il était à cette époque de son existence, un étre arriéré dont les tendances malfai santes ne pouvaient qu'augmenter avec l'age et la possession de sa liberté . Or, c'est ce qui ne manqua pas d'arriver aus sitôt qu'il fut revenu dans sa famille. Il est inutile de décrire toutes les phases de sa dégénérescence consécutive ; nous les avons exposées dans le tableau général du caractère étaient nés d'individus qui, sans être précisément aliénés , joignaient à des caractères bizarres, fantasques, les tendances alcooliques les plus prononcées . 118 DES DIFFÉRENTS TYPES DE DÉGÉNÉRESCENCES et des instincts de ces êtres malheureux . Chez ce jeune homme il y eut à noter celle circonstance particulière que les exemples de continuelle débauche que lui donnait son père, vinrent encore ajouter leur contingent d'activité à la fatale prédisposition organique qui pesait sur lui . Il est heureux qu'un isolement fait en temps opportun ( 1 ) ait prévenu les catastrophes qui seraient nécessairement arri vées si cet être dégradé avait joui de l'entière liberté de ses actes. 2e Observation . – Un autre jeune malade était devenu de notre part l'objet des soins les plus constants et les plus assidus. Nous espérions, eu égard à ses promesses solen nelles et à la honle qu'il ressentait de son penchant à la débauche, modifier ses déplorables tendances et arriver å la régénération de sa nature intellectuelle et morale. Les mauvaises conditions dans lesquelles s'étaient passées les premières années de ce jeune homme ne nous furent mal heureusement révélées que plus tard , et notre espoir, for tement ébranlé par des récidives fréquentes, finit par s'évanouir complétement, quand nous apprimes les tristes détails qui suivent. Né d'un père excentrique et adonné aux boissons alcooliques, Charles X..... avait montré dès (1 ) Lorsque les malades de celle catégorie ont passé un lemps plus ou moins long daös une maison de santé, ils reviennent ordinairement à des sentiments meilleurs, et leurs promesses soleonelles de changer de conduite donnent facilement le change sur leur guérison . Dans les cas de ce genre, l'intervention de l'autorité , ainsi que les exigences des familles nous forcent parfois à prendre des décisions dont tout le monde a lieu de se repentir. Je n'ai jamais vu guérir les malades dont les tendances alcooliques avaient leur point de départ dans les prédispositions héréditaires léguées par les parents. Leur sortie de l'établissement était immédiatement signalée par la répé tition des mêmes acles . Il fallait les isoler de nouveau , et à chaque fois nous remarquions un degré plus avancé de degradation . PRODUITS PAR L’INTOXICATION ALCOOLIQUE . 119 l'âge le plus tendre les instincts les plus cruels ; placé de bonne heure dans divers établissements d'éducation, il fut successivement chassé de tous et renvoyé à ses parents . On prit le parti de l'éloigner ; on le força à prendre du service , avec l'espérance que la discipline militaire assou plirait celle nature indomptable : vain espoir ! ... Ce mal heureux jeune homme ne cessa de désoler sa famille par les excès les plus honteux . Il vendit ses effets militaires pour se procurer de l'eau - de -vie , et déserta ; il n'évita une condamnation capitale , que grâce aux rapports des mé decins qui conclurent à l'irrésistibilité du penchant à la boisson . Depuis cette époque il traina sa triste existence dans divers établissements d'aliénés , en sortit plusieurs fois avec la promesse toujours renouvelée, et incessamment violée de ne plus se livrer à ses excès alcooliques. Il serait difficile aujourd'hui de se faire une juste idée de son état de dégradation , et cet étre abruti , complétement dégénéré, incapable même de se reproduire ( 1 ) , finira ses jours, soit dans la paralysie générale, soit dans cet élat de marasme avec anéantissement complet de l'intelligence et des senti ( 1 ) On comprend lorsqu'il s'agit d'unions matrimoniales, l'immense in térêt qu'ont les familles à connaitre les faits qui se rapportent à une passion aussi désastreuse. Mon opinion au resle n'a jamais varié , lorsque j'ai été consulté dans des cas de ce genre . J'ai pensé même dans une circonstance particulière, qu'il était de mon devoir de prendre l'initiative , afin d'empè cher un mariage monstrueux . Je ne sais trop, en stricte légalité , où s'arrèle le droit du médecin dans des circonstances de ce genre ; tout ce que je sais , c'est que la morale et l'humanité nous imposent des devoirs qui n'ont pas besoin d'être écrits dans le Code . S'il était d'ailleurs besoin de me justifier , je rappellerais ce que j'ai dit dans mes prolegomènes à propos de la dégra dation progressive que nous offrent les produits des ètres dégénérés, et sur ce qu'il n'est pas toujours besoin qu'ils arrivent au dernier degré de la dégradation pour rester frappés de stérilité. 120 DES DIFFÉRENTS TYPES DE DÉGÉNÉRESCENCES ments que nous avons déjà décrit dans l'histoire des termi. Daisons fatales de l'intoxication alcoolique. Je pourrais ajouler à ces faits particuliers d'autres dos criptions encore , car il est dans la nature de certaines causes de déterminer des effets similaires . Les dispositions à l'ivro gnerie lorsqu'elles sont poussées au point maladif que nous décrivons, amènent de toute nécessité à la dégradation la plus complète. Je ne puis m'empêcher de donner ici place à une note qui nous a été communiquée par un de nos con frères sur un individu appartenant à la classe riche de la société et qui est venu finir misérablement ses jours dans un asile d'aliénés . Les traits principaux de ce couri , mais énergique tableau se rapportent non -seulement aux des cendants de parents adonnés à l'alcoolisme, et qui ont eux-mêmes hérité de cette fatale babitude, mais encore à tous ceux qui sont devenus les victimes du plus dégradant de tous les vices en dehors de toute condition héréditaire . « Malgré une éducation première qui parait avoir été » assez soignée, malgré la position à laquelle il avait droit » de prétendre par l'aisance de sa famille, par les soins » affectueux de tous ceux qui l'entouraient et qui ont cher , ché à le pousser vers une profession honorable , il mène » une vie errante et vagabonde , courant de ville en ville , ► d'auberge en auberge, sans projet, sans regret du passé, » sans souci pour l'avenir, sans occupations, sans besoins, > sans idée autre que celle de satisfaire ses penchants aux o excés de boissons alcooliques, qui sont la principale, et » probablement l'unique source de sa dégradation morale , et du triste état qui le rapproche de la brute. » Couvert de baillons, objet de dégoût pour tous ceux » qui l'entourent par sa malpropreté repoussante, par la ► mauvaise odeur qu'il exhale, réduit au dernier dénu » ment, il tend la main comme un mendiant, quoiqu'on lui PRODUITS PAR L'INTOXICATION ALCOOLIQUE . 121 > > » orada 131 , E UTA. , fasse parvenir une pension suffisante, qu'il ne se donne , pas même la peine de toucher; il traite avec hauteur ses parents et ses amis ; il les repousse avec dédain . Toujours craintif, se croyant environné de fripons, il aime la soli » lude, ou ne recherche que la société des gens les plus crapuleux . Occupé de manger et de boire comme une brute , il se livre aux actes les plus extravagants et les plus ignobles, et s'il est exposé aux regards des passants, , il les étonne par son indécence et son cynisme . Il n'est pas toujours nécessaire, avons nous dit , que les descendants des parents livrés à l'alcoolisme commettent les mêmes excés, pour nous offrir le type d'une dégradation progressive . Héritiers d'une prédisposition fatale, des indi vidus qui ont toujours été sobres finissent par dégénérer ultérieurement. Leur intelligence , qui n'a jamais été bien développée , reste stationnaire et s'éteint sous l'influence des causes les plus diverses . Cette transition dégénérative est certainement un phénomène important à étudier , il mérite de fixer l'attention des familles et des maitres de la jeunesse , il peut apporter en médecine légale des indications précieuses et sauver des malheureux dont les actes ne se produisent plus dans la sphère de la liberté morale. Les deux faits suivants confirmeront la description générale que nous avons déjà faite de ces étres dégénérés . ge Observation . François ... , dont nous avons donné le portrait ( 1 ) , peut passer aux yeux de ceux qui ne connai traient pas ses antécédents pour un véritable imbécile de naissance . Il porte la tête penchée sur sa poitrine ; sa dé marche est lente, ses gestes automatiques . Sa figure ex prime l'hébétude la plus complète, et l'on y chercherait en vain la manifestation d'une idée ou d'un sentiment. Si une ire i de fa POT ara den ' 2 ( 1 ) Voir la planche nº I , figure I (François ...,> âgé de 54 ans) . 122 DES DIFFÉRENTS TYPES DE DÉGÉNÉRESCENCES a impulsion mécanique n'était pas imprimée aux actes de ce malheureux insensé, il resterait à la même place, et n'au rait pas même l'instinct de ses besoins les plus naturels, mais lorsqu'on le fait agir, il remplit en véritable automate quelques fonctions infimes dans le quartier des imbéciles où il est relégué . François est au reste un être compléle ment inoffensif ( 1 ) , mais il a besoin d'une surveillance con tinuelle , autrement il se gâte et déchire ses vêtements . Quels sont donc les antécédents de cet étre végétatif qui n'a plus ni souvenir, ni intelligence , ni aucune sorte d'initiative ; chez lequel la parole est absente, et dont la sensibilité phy sique est si obluse qu'il peut sans se plaindre supporter les intempéries des saisons ? François... appartient à une excellente famille ouvrière , dont le chef s'est adonné de bonne heure aux excès de boissons. La honteuse passion qui le consumait n'était pas connue de la femme qui fut pour son malheur associée å ses destinées et dont il profana dès la première nuit la couche nuptiale en s'y introduisant dans un complet état d'ivresse ( 2 ) . Les serments mille fois répétés que fit cet ivrogne de changer de conduite , n’amenèrent que des in termittences de peu de durée, et l'alcoolisme chronique devint son état permanent . Il finit par mourir après avoir passé par tous les degrés de celle honteuse maladie . Cet individu eut sept enfant , dont voici la triste histoire. ( 1 ) Les individus qui appartiennent à celle catégorie dégénérée ne sont pas lous également inoffeosiſs. Il en est qui restent plongés pour un temps plas ou moins long dans un état d'hébétude , et qui sous l'infuence d'exacer batioas maniaques périodiques deviennent très - dangereux . (2) Il est inutile d'entrer daps des détails plus intimes sur l'existence intérieure de ces ètres abrutis . Certaines confidences des familles doivent rester secrètes . En publiant même ces observations , j'ai cru ne devoir plas à l'avenir indiquer, ni les initiales , ni le pays des malades dont il est question . PRODUITS PAR L'INTOXICATION ALCOOLIQUE . 123 Les deux premiers moururent en bas-age, par suite de convulsions , à ce qui m'a été assuré ; le troisième devint aliéné à l'âge de vingt- deux ans . Il avait montré assez d'in telligence dans l'exercice d'une profession industrielle , et il finit cependant par succomber dans l'élat de l'idiotisme le plus dégradé . Le quatrième est celui dont nous écrivons l'histoire , et qui , après avoir acquis dans son industrie une certaine adresse qu'il ne put jamais dépasser, tomba dans une mélancolie profonde avec tendance au suicide, et passa , pres que sans transition , à l'état où il est aujourd'hui. Un autre frère est bizarre , d'un caractère irritable et misan thropique ; il a rompu ses relations avec tous les membres de la famille. Sa jeune seur souffrit toute sa vie d'un état névropathique avec prédominance de phénomènes hysté riques, et sa raison s'est déjà plusieurs fois troublée d'une maniére permanente. Elle a été de bonne heure terrifiée par les emportements du père, et le triste spectacle qui l'a continuellement entourée a produit sur sa sensibilité morale l'impression la plus fâcheuse . Enfin , le dernier des enfants de cette malheureuse famille est un ouvrier d'une intelli . gence remarquable, mais d'un temperament très - nerveux : dans les accés de tristesse qui sont fréquents chez lui , il émet spontanément sur son avenir intellectuel les pro nostics les plus désespérants. 4€ Observation . – Le jeune imbécile dont j'ai donné le portrait ( 1 ) a déjà été décrit dans mes études cliniques ( 2) . Je le cite encore aujourd'hui comme un des exemples si importants à étudier des diverses formes maladives qu'on remarque dans les familles soumises aux influences hérédi ( 1 ) Voir la planche nº I , figure 2. Joseph ... , âgé de 22 ans . (2) 2e volume, pages 290 à 292. Voir le chapitre intitulé : De l'ilat désigné sous le nom de Stupidité. p . 237. 124 DES DIFFÉRENTS TYPES DE DÉGÉNÈRESCENCES 1 D » taires . Je ne puis mieux faire que de donner cette observa tion telle que je l'ai produite il y a quelques années, en la complétant par les faits nouveaux qui se sont présentés depuis cette époque . « On nous amène il y a quelques mois, un jeune malade » de 18 ans, qui , par sa démarche vacillante, la fixité de » son regard , l'injection de sa face et la prostration générale ► du système locomoteur peut donner également l'idée » d'un état d'ivresse ou de paralysie . Lorsqu'on adresse la > parole à cet aliéné , il sourit d'une manière stupide ; sa figure s'injecte, sa bouche reste entr'ouverte et la salive > en découle ; il ne répond que par oui ou par non , long » temps après que la demande lui est faite, et les signes » affirmatifs ou négatifs de sa pensée sont rarement en rapport avec les questions qui lui sont adressées. Les renseignements qui accompagnent l'entrée du jeune » homme nous apprennent que son père est malade à l'asile ► depuis douze années déjà , et nous profitons de cette triste » circonstance pour mettre en présence le père et le fils. » Ce dernier reste impassible devant l'auteur de ses jours . » Le souvenir qu'il aurait pu en conserver ne pouvait être effacé par les années, puisqu'il était venu le voir il y avait » quelques mois à peine et avait demandé à l'administra » tion une place d'infirmier. Son état mental en présence » de son père ne subit aucune modification ; et depuis cing » mois que ce dernier a désiré le conserver sous sa garde ► spéciale, nous observons les mêmes phénomènes de stu . » peur et d'insensibilité , tant au moral qu'au physique . » Le pronostic de cette affection , si on l'isolait des » causes qui l'ont amenée, serait difficile à établir ; mais il » acquiert une triste signification, si on le rattache aux » antécédents de la malheureuse famille du jeune aliéné . » Son trisaïeul habitait les montagnes des Vosges, et les Pl> PRODUITS PAR L'INTOXICATION ALCOOLIQUE . 123 - tendances aux excés alcooliques , si communs dans ce pays , avaient atteint chez cet homme une forme maladive

c'était un dypsomane dans toute la force de cette expres , sion . Il fut iné dans une querelle qui avait pris naissance ? au cabarel

ce triste exemple ne corrigea pas son fils

. . Ce dernier , devenu maniaque , fut amené à l'asile . Après » une première sortie , il fut réintégré , et mourut des suites o d'une paralysie générale . Il est le père du malade que » nous avons depuis douze ans . Celui - ci eut des habi » tudes bien plus sobres que celles de ses ascendants , mais les dispositions héréditaires ont favorisé chez lui l'évolu tion d'un délire de persécutions. Quant à son fils, le jeune malade en question, il fut atteint , il y a huit mois, et sans cause connue , d'un accés de manie et tout nous fait a craindre que cet élat ne soit la transition à l'idiotisme consécutif . En suivant la succession des faits qui ont , amené l'extinction de cette famille , nous remarquons

· A la 1re génération

Immoralité

, dépravation , excés alcooliques , abrutissement moral

· A la 2e génération

Ivrognerie héréditaire

, accés ma niaques , paralysie générale

» A la ze génération

Sobriété

, tendances hypocon driaques , lypémanie , idées systématiques de persécu tions, tendances homicides

» A la 4e génération

Intelligence peu développée

, pre i mier accés de manie å 16 ans , stupidité , transition à » l'idiotisme, et en définitive extinction probable de la >$» гасе. » L'observation ultérieure a parfaitement justifié le pro nostic énoncé plus haut . Le jeune malade est tombé dans un idiotisme complet et irrémédiable . Frappé depuis son séjour ici d'une de ces affections incidentes qui déterminent parfois une crise salutaire dans le cas d'alienation mentale, 126 DES DIFFÉRENTS TYPES DE DÉGÉNÉRESCENCES . 9 son élal s'est empiré, la nature n'ayant pu trouver dans sa constitution dégénérée les éléments d'une renovation intel lectuelle physique et morale . L'idiotisme a suivi une marche ascensionnelle, et ce malheureux qui , au point de vue des fonctions génératrices n'est pas plus avancé qu'un enfant de 12 ans, dont la tête est petite et mal conformée, et dont la figure imberbe ne révèle aucune expression de virilité, devait être, indépendamment de son affection mentale in tercurrente, le dernier descendant de sa famille ( 1 ) . Que de faits ne pourrai- je pas encore citer à l'appui des idées que j'ai émises sur la dégénérescence des descen dants d'individus livrés à l'alcoolisme chronique . Nous avons eu occasion d'observer les trois fils d'un individu livré à la débauche la plus crapuleuse, ils ont été tous les trois frappés de dégénérescence à des degrés divers . Le premier a des accés de manie périodique, et son intelli gence ne semble fonctionner que sous l'influence de ces secousses galvaniques imprimées å son cerveau par l'élé ment de la périodicité ; le deuxième est dans une morne slupeur et capable seulement d'un travail automatique, c'est un être nul ; le troisième est un idiot complet. Je pressens l'objection qui va m'être faite el j'ai hâte d'y répondre . On connait, me dira- t - on , grand nombre d'en fants dont les parents sont adonnés aux excès de boissons " ? ( 1 ) J'ai eu depois occasion de voir les deux seurs de cet élre dégénéré . Ce sont des filles de 22 à 24 ans, qui sont arriérées au physique et au mo ral et que nous classons parmi les simples d'esprit . Eofin , pour compléter ce tableau des influences héréditaires, j'ajouterai que la mère de ce malade est accouchée depuis l'isolement de son mari à l'asile . L'enfant qui doit le jour à une nnion illégitime, est , m'assure- t -on , dans des conditions très différentes tant au point de vue physique qu'au point de vue moral, et ne présente aucun caractère de dégénérescence. PRODUITS PAR L’INTOXICATION ALCOOLIQUE . 127 1. et qui n'ont présenté ancun élément de dégénérescence . Bien mieux , on remarque parfois chez ces mêmes enfants des dispositions intellectuelles qui sont bien loin de faire craindre l'influence d'une transmission héréditaire de mau vaise nature . La réponse sera facile , et j'aurai une occasion naturelle d'examiner la question sous son coté le plus large et le plus philosophique. Je demanderai d'abord si l'intoxication alcoolique chez les parents s'est présentée avec toutes les phases que j'ai décrites ; mais en dehors même de cette condition indispensable pour la manifestation des dégéné rescences héréditaires complètes , est - il nécessaire, ajou terai -je, que la dégénérescence se montre immédiatement sous ses formes extrêmes ? N'avons - nous pas vu dans une malheureuse famille , l'intoxication alcoolique être le point de départ d'un état maladif spécial chez le descendant d'un père livré à l'ivrognerie chronique , et amener l'extinction de la race à la quatrième génération ? Mais en laissant même de côté ces cas extrêmes et bien déterminés, croit - on que la question de l'hérédité puisse être restreinte dans des limites fixes et infranchissables. L'observation journalière ne nous apprend - elle pas qu'il n'est au contraire aucune question qui soulève des problèmes aussi complexes , et je dirai presque aussi redoutables ? Gardons - nous donc de rester à la superficie des choses , et placons - nous bardiment sur le terrain de l'observation , le seul ou nos études peuvent de venir véritablement fécondes. C'est à l'observation que nous devons de voir disparaitre toutes les incertitudes que font naitre les théories les mieux établies

c'est grâce

à elle encore que nous pourrons faire entrer dans la ibéorie , les faits qui semblent s'en détacher en apparence . 5 ° Observation . Jamais il ne me serait venu à l'idée de classer à première vue la jeune Victorine ..... parmi les 128 DES DIFFÉRENTS TYPES DE DÉGÉNÉRESCENCES ètres voués ultérieurement à la plus triste des dégradations intellectuelles et physiques. Sa constitution physique était excellente , l'expression de sa ſigure pleine d'intelligence , ses sentiments avaient même quelque chose de cette exquise délicatesse qui n'est pas l'apanage ordinaire de la classe deshéritée . Victorine ..... ne demandait qu'à rendre service, et elle le faisait de manière à se concilier l'estime et l'at tachement de tout le monde. Quel pouvait donc être le genre de vésanie de celte jeune fille ? Comment se faisait il qu'elle avait été recueillie , loin de son pays , par la police, et placée à l'asile de Clermont? C'est sur quoi elle ne nous renseignait qu'avec un embarras visible ; elle attribuait ses malheurs à sa profession de marchande ambulante , aux mauvais traitements qu'elle avait subis de la part de son père, etc. Toutefois, avant de la renvoyer de l'asile , je voulus savoir à quoi m'en tenir sur ses relations de famille, et un médecin qui se chargea de prendre des renseigne ments , m'écrivait : « Gardez -vous de renvoyer cette mal ► heureuse à des parents qui non - seulement l'ont maltraitée » et chassée, mais encore lui donnent l'exemple des vices , les plus honteux. Le père est livré à la débauche la plus crapuleuse , son ivrognerie est un fait proverbial et peut » être considérée comme un triste héritage de ses ancêtres . » Je n'avais pas besoin d'en savoir plus pour prolonger le temps de l'épreuve, et l'événement me démontra que j'avais agi avec prudence. Un jour on nous apprend que cette malade si décente, si douce, si réservée , s'agite et trouble le repos général. Nous nous rendons sur le lieu de la scène et nous sommes témoin du plus triste des spec tacles . Ce n'est plus une femme que nous avons devant les yeux, c'est l'être le plus dégradé qui se puisse concevoir, tant elle se montre obscène dans ses paroles et cynique dans ses actes. Il nous semble qu'il s'est opéré comme une PRODUITS PAR L'INTOXICATION ALCOOLIQUE . 129 transformation étrange dans l'état général de cette fille ; ce n'est plus, ni la même expression de figurę, ni la même voix , ni les mêmes gestes. Elle marche en chancelant, son visage est injecté, et son imagination en délire lui fournit des paroles et lui inspire des actes que l'on ne retrouve que chez les natures les plus perverties . On dirait que le sang paternel coule exclusivement dans ses veines et place mo mentanément son organisme dans les conditions d'une existence toute différente de celle qui lui est propre. Le spectacle de son délire nous offre comme l'évocation de sou venirs anciens ; nous assistons à la reproduction de faits antérieurs de la plus déplorable espèce . Cet état qui durait ordinairement douze á quinze jours et qui laissait la malade dans une grande prostration , tend aujourd'hui à devenir cbronique . Les intermittences ne sont plus signalées par le retour des bons sentiments d'autrefois . L'intelligence faiblit ; l'apathie remplace l'activité ancienne ; les traits du visage sont allérés ; l'expression de la figure a quelque chose de rude et en même temps d'hébété, et plusieurs des actes dépravés qui surgissent dans le cours des accès se reproduisent dans la période de remittence ( 1 ) . La couleur de la peau est devenue grisâtre et plombée, et cette mal ( 1 ) Comme de se gåter, manger des ordures, elc . J'ai eu occasion de voir le frère de celle fille , qui m'a confirmé lous les tristes détails qui m'ont élé donnés sur le père . Ce jeune homme est lui -même marchand ambulanl . Son intelligence est plus qu'ordinaire , il reconnait qu'il est poussé par un besoin irresistible de changer de place . Il n'a jamais pu se fixer à aucun projet qui demandait de la suite et de l'esprit de conduite . Il avoue même qu'il est obligo de dissiper ses chagrins par de fréquentes libatious . L'indécision , la paresse, le besoin de vagabondage, l'obscurcissement du sens moral , l'affaiblissement intellectuel et les appétences ébrieuses, sont les caractères qu'on rencontre le plus fréquemment chez ces malheureux descendants de parents livrés à l'alcoolisme chroniqne. 9 1 30 DES DIFFÉRENTS TYPES DE DÉGÉNÉRESCENCES heureuse est non-seulement vouée à l'incurabilité la plus absolue, mais elle arrivera encore à ce terme extrême en passant par toutes les phases de la dégradation humaine. Or, nous le demandons, l'explication d'un pareil état de dégénérescence peut-elle être cherchée ailleurs que dans la transmission héréditaire ; et pour peu que chacun veuille recueillir ses souvenirs et regarder autour de soi , il sera facile de faire rentrer, dans la théorie de l'intoxication al coolique, des exemples qui se rapprochent plus ou moins de celui que nous venons de citer ? Les plus graves intérêts de l'ordre social nous engagentdà poursuivre nos recherches dans ce sens : nous y trouverons la solution d'une foule d'anomalies étranges dans un grand nombre d'existences individuelles ; nous pourrons expliquer ces perversions précoces, ces déviations incroyables des lois du bon sens le plus ordinaire ; nous comprendrons comment il est des hommes qui semblent naturellement portés au mal , et qui placés dans des positions où il leur serait facile de se faire aimer et respecter, n'accuinulent sur leur tête que les haines de ceux qu'ils persécutent avec une fureur instinctive. Le . philosophe, observateur et indulgent , trouvera moyen de rattacher la perversité de certains actes systématiques, chez ces individus, å des influences héréditaires qu'ils subissent à leur insu ; il se laissera guider, à l'aide de l'observation, dans ce monde exceptionnel , où nous voyons sous toutes leurs formes les produits des déviations maladives du type normal de l'humanité ; et l'idée qu'il doit se faire des dégé nérescences dans l'espèce humaine se complėtera par l'é tude et la classification de ces monstruosités , encore mal définies, de l'ordre intellectuel et moral ( 1 ) . ܪ ( 1 ) Dans mes Etudes cliniques sur l’alienation mentale , j'ai désigné quelques-uns des individus appartenant à celle cuiégorie dégénérée sous le PRODUITS PAR L'INTOXICATION ALCOOLIQUE . 131 S II . De l'influence des affections organiques sur le développement des tendances ébrieuses . Une double considération nous engage à dire quelques mots des tendances aux boissons provenant d'affections spé ciales : 1 ° Il est important, au point de vue de la médecine légale, de bien établir que tous les malheurs qu'entraine l'abus des spiritueux ne doivent pas être exclusivement at tribués à la perversité de la nature humaine, et que dans certaines situations pathologiques l'homme est irrésistible ment poussé à commettre des actes, que l'absence de liberté morale soustrait seule à l'action de la loi ; 2° Nous devons nom de maniaques instinctifs. Je ne savais à quel ordre de lésions rapporter certaines perversions incroyables dans les sentiments les plus oaturels au ceur de l'homme. J'ai réfléchi beaucoup depuis celle époque sur la produc lion de ces étranges anomalies , et je suis resté convaincu que c'est dans l'é tude des influences héréditaires qu'il faut chercher la solution de ce déses pérant problème. Si le lecteur veut bien consulter mes Etudes cliniques ( 2e vol . , p. 285) , il y verra au nom de François D..... la description d'un type des plus frappants de ces manies instinctives ; or, voici ce que j'ai appris depuis ce temps sur ce malade qui , par la palure du délire de ses idées et de ses sen liments , semblait échapper à toute classification. Le père de cet individu est mort dans le dernier degré de l'alcoolisme chronique ; un des frères du malade a mené la vie la plus excentrique que l'on puisse se figurer ; il s'était refugié dans un couveni , el a fini par mourir aliéné . François D..... qui fait le sujet de celle note , a toujours montré un caractère irascible el jaloux ; il a fait le malheur de sa femme, qu'il a failli plusieurs fois immoler à ses injustes soupçons. Les deux enfants qui lui restent, et qui sont âgés de 8 à 9 ans Onl un caractère triste et morose... On ne les a jamais vus rire, et l'on regarde cela comme mauvais, m’écrit un des parents du malade. Celle simple observation d'un homme de la campagne en dit plus qu'une longue discussion scientifique sur le même sujet a 132 DES DIFFÉRENTS TYPES DE DIÉGÉNÉRESCENCES » 1dans l'intérêt de nos études sur les dégénérescences exa miner la question sous toutes ses faces, et voir si les ten dances à l'alcoolisme provoquées par certaines affections organiques, ne réagissent pas à leur tour chez l'homme dans le sens des déviations maladives du type normal de l'espèce. Dans son ouvrage sur les maladies mentales, Esquirol a déjà fixé notre attention sur le même sujet : « Je n'ai pas, dit-il , à m'occuper de l'abus de boissons fermentées, ni » des effets pathologiques de cet abus. J'ai à prouver que si l'abus de liqueurs alcooliques est un effet de l'abru , tissement de l'esprit, des vices de l'éducation , des mau » vais exemples, il y a quelquefois un entrainement maladif qui porte certains individus à abuser des boissons fer » mentées ( 1 ) . , Cet entrainement maladif, Esquirol l'a rencontré chez des femmes à l'époque de l'âge du retour, et il cile aussi l'histoire d'un avocat alteint d'une affec tion cutanée , et dont le funeste penchant n'a pu être com battu avantageusement par les efforts les mieux entendus . J'ai eu de nombreuses occasions d'observer l'influence de maladies organiques et d'affections nerveuses spéciales sur le développement de cette passion irrésistible . Je ne parlerai pas de certains élats physiologiques tels que la grossesse et la menstruation qui amènent , comme on sait , de singulières perversions dans les habitudes et les pen chants des femmes les plus sobres et des filles les plus ré servées ; je ne veux faire allusion , comme je le disais , qu'à des maladies organiques , ainsi qu'à des affections nerveuses d'une nature bien déterminée. Sur les 200 individus qui ont fourni la matière de mes études sur l'alcoolisme chronique, il en est 35 que je dois ranger parmi ceux dont le funeste penchant à la boisson ( 1 ) Esquirol . Des maladies mentalrs. Paris, 1838 , 2e vol ., p 74. PRODUITS PAR L'INTOXICATION ALCOOLIQUE. 133 . doit être attribué à un état maladif. La paralysie générale qui avait été un phénomène initial chez des sujets an térieurement très- sobres , a produit dix fois ce penchant maladif ( 1 ) secondaire, et les maladies organiques du cœur trois fois. Chez six individus hypocondriaques et chez quatre femmes hystériques, les tendances les plus pronon cées pour l'alcool sont venues compliquer la névrose prin cipale , et ont amené des phénomènes perturbateurs très variés et singulièrement difficiles à juger au point de vue de la responsabilité des actes . Je puis citer aussi une affec lion dartreuse que j'ai traitée dans ma pratique civile . Enfin , l'hérédité que nous verrons toujours figurer parmi les causes appréciables des dégénérescences , s'est montrée avec toute l'intensité de son action dans seize cas bien déterminés . Mais il ne faut pas ici faire de confusion à propos d'influences béréditaires . Il ne s'agit pas de pa rents qui ont légué à leurs enfants le vice dont ils étaient alteints ( ceux- ci ont déjà été le sujet de nos observations ) . Je considere maintenant l'hérédité en dehors de toute complication de tendances à l'ivrognerie chez les parents qui étaient simplement aliénés , et qui n'avaient pu léguer directement à leurs enfants, une disposition maladive de la nature de celle qui nous occupe. Or, il est arrivé que les enfants de ces parents aliénés ont cependant montré dės l'âge le plus tendre une perversion maladive très-prononcée dans la manifestation de leurs actes . Ce fait est encore un (1) Je ne puis m'appayer que sur des chiffres restreints , par la raison que dans nos asiles nous n'assislons pas aux phénomènes initiaux de la maladie. D'un autre côté les débuts de l'aliénation mentale offrent une telle complexité, qu'il est bien difficile aux parents de se fixer sur l'influence principale sons laquelle se développe le mal . Il arrive bien souvent que lelle cause qu'ils regardent comme efficiente n'est souvent qu'un eſiet secondaire . 134 DES DIFFÉRENTS TYPES DE DÉGÉNÉRESCENCES de ces problèmes désespérants dont l'explication rentre dans l'élude des transmissions dégénératrices . Je vais dans un instant en citer un exemple remarquable, après avoir résumé en quelques mots ce que j'ai à dire sur l'influence des maladies incidentes. Les symptômes les plus constants dans l'évolution des maladies mentales sont les changements dans le caractère et les habitudes . Aussi , les motifs qui, dans quelques cas , portent les parents à regarder les excès de boissons comme la cause principale de la maladie, se comprennent facile ment. Le début de la paralysie générale progressive coïn cide souvent avec ces perversions spéciales dans les habi tudes de personnes ordinairement sobres . Les mêmes tendances, lorsqu'on les observe chez les hypocondriaques, offrent plus de difficultés dans l'explica tion ; on connait la scrupuleuse aiteption que portent ces malades dans les soins de leur hygiène ; mais c'est préci sément dans ces soins excessifs qu'ils achèvent souvent de perdre leur santé. L'interprétation exagérée qu'ils font parfois de certaines prescriptions hygiéniques, est déjà un symptome d'altération dans les idées. Un de ces malades, très-intelligent avant les excès qu'il a commis dans l'inté rêt de sa santé, nous offre aujourd'hui un type complet d'abrutissement ; il en était arrivé å se persuader que les toniques pouvaient seuls apporter un remède efficace à ses maladies imaginaires. Les vins généreux inaugurèrent ce traitement ; mais après quelque temps, ils ne parurent plus agir avec assez d'énergie , et ils furent remplacés par les alcooliques, et principalement par l'absinthe . Cette liqueur fut absorbée par cet hypocondriaque dans des proportions incroyables , et il éprouva bientôt tous les phénomènes de l'intoxication alcoolique précédemment décrite . L'isole ment de ce malade fut opéré avant que l'affection eût par ܪ PRODUITS PAR L'INTOXICATION ALCOOLIQUE . 135 couru loutes ses phases, et il en est maintenant à celle période de dépérissement et de marasme, signal ordinaire d'une terminaison prochaine. L'espoir que nous avions momentanément conçu s'est dissipé en présence de l'ab sence complète du sens moral , et de la manifestation de ces actes stupides , automatiques et malfaisants, que nous avons signalés comme formant les attributs du caractère de ces êtres dégradés dont la guérison est si rare. Sous l'influence d'un état névropathique bien déterminé, il se passe aussi un autre phénomène qui mérite d'être nolé : on dirait que sous cette influence, l'action de l'alcool , ou de tel autre agent intoxicant, est comme neutralisée, et que l'individu peut en consommer une très- grande quantité sans qu'il en ressenle les effets . Un hypocondriaque, auquel nous avons donné des soins couronnés d'un plein succès , en était arrivé à un tel dégoût de la vie , après avoir épuisé tous les remèdes imaginables, qu'il conçut l'idée de s'abrutir avec les boissons alcooliques (je cite ses propres expressions) ; il en consomma des quan tilés vraiment effrayantes, sans pouvoir ressentir le phé nomène de l'ivresse . Dans son désespoir, il avala un iur, presque d'un seul trait , et sans plus de succès, un live de kirsch ; honteux de ses égarements , il avait résolu d'en finir avec la vie par un moyen plus énergique, lorsque cédant à de sages avis , il prit la résolution de venir se placer lui -même dans notre asile où il retrouva la santé . Une fille hystérique que nous traitons, put consommer régulièrement tous les jours , et cela pendant plusieurs mois, jusqu'à un litre d'eau -de- vie ; cette quantité fut même très-souvent dépassée sans qu'elle eût éprouvé aucun des phénomènes nerveux que nous avons énumérés dans la des cription de l'intoxication alcoolique . L'attention de la fa mille ne fut même réveillée sur l'état intellectuel de celle 136 DES DIFFÉRENTS TYPES DE DÉGÉNÉRESCENCES malade, qu'à l'occasion d'un scandale énorme qu'elle pro voqua en formulant contre son oncle, desservant d'un vil lage, des accusations tellement monstrueuses, que l'opinion publique en avait déjà fait justice avant que l'autorité eût été mise en mesure de décider que cette femme serait placée dans un asile d'aliénés ( 1 ) . Cette espèce d'innocuité me parait même s'étendre à ceux de ces malades que j'ai indiqués plus haut, dont les dépra vations précoces ont leur point de départ dans l'influence héréditaire. Adrien..... est un jeune homme de 25 ans, né d'une mére aliénée, et qui dės l'age le plus tendre mani festa les tendances les plus vicieuses . Un frère ainé mourut très-jeune, épuisé par les débauches les plus bonteuses et par les excès alcooliques ; le malheureux père ne peut expliquer la dépravation si précoce de ses enfants, que par les habitudes qu'ils contractèrent dès la première enfance : une servante, livrée elle- même à des goûts effrenés pour la boisson , les aurait corrompus par ses exemples et ses inci lations répétées. Cette cause, à mes yeux , n'a qu'une va leur relative ; car si je compare la situation de plusieurs in dividus de la même catégorie, je vois qu'ils appartiennent 1 ( 1 ) Les médecins savent que dans certaines névroses , dans le létanos par exemple , on peut donner aux malades des quantités d'opium qui seraient plus que suffisantes pour empoisonner plusieurs personnes dans l'état de santé ordinaire. Nous voyons la reproduction du même fait dans quelques formes d'aliénation , et souvent même dans l'état de grossesse ; les perver sions du goût sont d'ailleurs des faits bien connus chez les femmes enceintes. Le jeune hypocondriaque dont j'ai parlé avalait, sans danger immédial, non seulement des quantités incroyables de liqueurs fortes, mais il mangeait en core des doses considérables de tabac à priser, saps qu'il en résultàl pour lui aucun effel fâcheux . On a vu des individus auxquels on avait soustrail des liqueurs alcooliques, se rejeler sur l'eau de Cologne et en consommer impunémeol. PRODUITS PAR L'INTOXICATION ALCOOLIQUE. 137 chez eux lous , par la nature de leurs idées , de leurs tendances et de leurs acles, à la même variété maladive d'etres voués de bonne heure à la dégénérescence ultérieure la plus com plėle. Nés de parents aliénés, les dispositions invariables qu'ils montrent dans leur enfance sont une grande irritabilité de caractère unie à une apathie excessive . La tendance au vol se déclare presqu'en même temps que l'appétence pour les boissons . Le premier de ces vices s'est montré sous une forme identique : tantôt ils ont volé pour satisfaire leur goût pour la boisson, tantot seulement pour obéir à un penchant irrésistible qui ne devait leur donner ni satisfaction ni profit ( 1 ). Des habitudes solitaires sont encore venues apporter leur contingent d'activité de moralisatrice à la situation générale, et ont amené tous les symptomes d'une impuissance précoce. Ceux de ces enfants qui avaient montré des dispositions ou des aptitudes spé ciales, se sont soudainement arrêtés dans leur dévelop pement intellectuel . Ils n'ont vécu désormais que pour sa tisfaire à tout prix leur passion pour les liqueurs fortes ; ils y ont cédé partout et toujours, dans la solitude aussi bien qu'en public . Ils ont évité la compagnie des jeunes gens de leur age appartenant à la même catégorie sociale , et ont recherché instinctivement leurs compagnons de débauche dans la classe la plus démoralisée de la société ; rien n'a pa agir sur ces natures que nous sommes obligés de plaindre de blåmer, car ils recèlent jusques dans les fibres les plus cachés de leur organisme le germe des fatales ܪܐ plutot que ( 1 ) Celle lendance au vol est un phénomène bien digne d'être cilé dans les sitaations maladives que nous décrivons . Je l'ai invariablement remar quée, et l'entité abstraile , désignée sous le nom de monomapie du vol , de pe uten aucun cas expliquer une pareille situation. 138 DES DIFFÉRENTS TYPES DE DÉGÉNÉRESCENCES prédispositions héréditaires dont ils sont les victimes. Toutes les tentatives opérées pour agir sur eux ont été infruc tueuses ; on les a fait voyager sans profit pour leur santé morale, et l'on a vu qu'ils étaient réfractaires à toute in fluence régénératrice , dans les maisons de correction aussi bien que dans les asiles d'aliénés où l'on aurait dû d'abord les placer. Ceux enfin que l'on n'a pas craint de marier se sont montrés ce qu'ils étaient de toute nécessité, des êtres monstrueusement débauchés, et si , par exception , ils ont pu continuer leur race, ce n'a été que dans des conditions de plus en plus appréciables de transmission dégénérative. Enfin , pour compléter ce triste tableau , on dirait que sous l'influence de l'état névropathique propre à ces ma lades , la résistance aux effets des boissons alcooliques est bien plus forte, et l'on se ferait difficilement une idée des excès qu'ils peuvent commettre avant d'éprouver les symp tomes de l'intoxication alcoolique que nous avons décrite . En traçant ce tableau général de l'état physique et moral des individus soumis à de fatales prédestinations hérédi taires , j'ai fait l'histoire du jeune Adrien . Nous avons échoué dans tous nos efforts pour l'amener å des sentiments meil leurs ; nous nous sommes prêtés à tous les essais sans pou . voir réussir ; nous avons renouvelé ces essais sous les formes les plus diverses , croyant toujours nous être trompé dans l'application , et n'avoir pas tenu un compte assez rigoureux des promesses solennelles du malade , et de quelques dis positions intellectuelles et morales qui se faisaient jour au milieu de tant de ruines . Encore une fois nous avons échoué, et il ne nous reste plus qu'à classer ces états de dégénéres cences héréditaires parmi les formes les plus incurables de l'aliénation mentale. Telles sont les principales considérations que je tenais à émettre sur les résultats de l'intoxication alcoolique ; l'ex 3 PRODUITS PAR L'INTOXICATION ALCOOLIQUE, 139

posé des lésions pathologiques produites par l'alcool, a précédé tous les essais de classification des êtres dégéné rés par suite de l'abus des boissons ; cette méthode était, à mon avis, la meilleure initiation à l'intelligence des faits ultérieurs . L'idée que l'on peut se faire d'une dégénéres cence complète dans l'espèce, se rattache ainsi d'une ma. nière plus logique à la série des lésions successives que produit dans l'organisme une cause dégénérative, de quel que nature qu'elle puisse être . Les dégénérescences qui sont le résultat de l'alcoolisme chronique ont été distribuées dans quatre classes distinctes : 1 ° La première classe comprend los individus qui , après avoir parcouru régulièrement toutes les phases de l'intoxi cation alcoolique, ont succombé, soit dans la période aiguë de l'affection, soit dans cet état de paralysie ou de marasme qui est comme la généralisation de toutes les lésions anté rieures, sans en excepter la perte complète de l'intelligence . 2 Dans la deuxième classe nous avons compris cette catégorie trés-nombreuse d'alcoolisés, qui ayant élé isolés dans nos asiles comme des êtres dangereux , se présentent à l'observation avec des caractères maladifs de l'ordre physique et de l'ordre intellectuel qui permettent de les rattacher à la même variété dégénérée. 3. Nous avons étudié les effets de l'alcoolisme chronique chez les descendants d'individus livrés à cette passion dé gradante, et nous avons eu occasion d'établir deux classes distinctes d'etres dégénérés . Les premiers sont frappés d'un arrêt congénial de développement ; ils naissent imbé ciles ou idiots . Les seconds ne vivent intellectuellement qu'un temps limité ; ils ont des époques critiques qui ne sont que trop souvent le signal de dégénérescences ulté . rieures irrémédiables. 4° Il nous a paru juste et légitime de suivre la question 140 DES DIFFÉRENTS TYPES DE DÉGÉNÉRESCENCES des dégénérescences par l'alcoolisme dans ses dernières ramifications, et de faire la part des tendances à la boisson qui surgissent chez quelques individus sous la double in fluence de maladies incidentes, et de l'hérédité considérée à un autre point de vue que celui de la transmission d'une tendance maladive de même nature. Il s'agit en effet de fatales prédispositions instinctives dont héritent les enfants issus de parents aliénés , en dehors de toute complexité chez ces derniers d'excés de boissons, prédispositions sous l'influence desquelles ces enfants se livrent de bonne heure, et d'une manière pour ainsi dire irrésistible , à tous les vices qui amènent la dégradation de l'homme . Si nous faisons dans ces études une large part aux dé générescences provenant de l'intoxication alcoolique, la raison en est dans la fréquence de cette cause et dans l'a bus toujours croissant qui se fait des boissons fermentées dans les pays Européens. Il nous reste maintenant à exa miner l'effet de certains agents narcotiques qui , pour être plus fréquemment employés dans d'autres pays que le nôtre, n'en sont pas moins dignes de figurer dans l'histoire générale des causes qui produisent les dégénérescences dans l'espèce humaine ( 1 ) . ( 1 ) La statistique des professions exercées par les malades qui font le sujet des 200 observations que nous avons recueillies , nous prouve que les ten - dances à l'ivrognerie ne doivent pas élre recherchées exclusivement dans la classe ouvrière . Nous comptons dans nolre relevé 9 officiers, 1 douanier, 3 instituteurs, 1 prêtre, 3 médecins, 1 avocat , 1 pharmacien, 1 libraire, 1 professeur, 2 employés d'administration , 6 marchands ou négociants , 5 aubergistes, 18 propriétaires rentiers. Les autres malades appartenaient aux professions industrielles et agricoles . Le nombre des femmes alleioles d'alcoolisme chronique , ne s'est élevé qu'à 13. Nous avons déjà donné le chiffre des individus chez lesquels les appétences ébrieuses sont le résultat d'une maladie principale. CHAPITRE DEUXIÈME. Des dégénérescences dans leur rapport avec l'intoxication produite par différents agents du règne végétal et du règne minéral. Ce chapitre se divisera naturellement en deux sections . Dans la première, nous aurons à traiter de l'action exercée sur l'économie par certains narcotiques dont , à défaut de boissons spiritueuses, les peuples orientaux surtout font usage , à l'effet de se procurer des excitations factices ( 1 ) . Dans la seconde section nous étudierons spécialement quelques produits du règne minéral particulièrement em ployés dans l'industrie , et dont l'action éminemment toxique amène les plus graves désordres dans l'économie. Nous pouvons d'avance citer le plomb et le mercure . A ces deux classes bien distinctes d'agents toxiques , nous ajouterons à titre de complément quelques considéra tions sur l'influence de diverses substances qui , pour ne rentrer ni dans l'une ni dans l'autre des deux sections , n'en ( 1 ) De tout temps les orientaux , à qui leur religion interdit l'usage du vin , ont cherché à satisfaire par diverses préparations ce besoin d'excitation intellectuelle commun à tous les peuples , et que les nations de l'occident salisſont au moyen de spiritueux et de boissons fermentées . ( Th . G ..... , cité par M. le docleur Moreau , dans son livre da Hachisth ). De tous lemps el en tous lieux , dit Esquirol , les hommes ont fait usage des boissons fermentées, et en ont plus ou moins abusé . Chaque peuple a sa liqueur qu'il préfère à toute autre , et qu'il prépare avec les productions du sol qu'il ha bite. ( T. II , p . 72. ) 142 ACTION DES POISONS VÉGÉTAUX ET MINÉRAUX produisent pas moins des maladies qui peuvent se ratta cher à nos études sur les dégénérescences. La gangrène causée par le seigle ergoté, la pellagre cette autre affec tion si étrange, et sur les causes de laquelle les auteurs ne sont pas tous d'accord, me semblent néanmoins avoir des rapports trop intimes avec les viciations de substances alimentaires très-usuelles pour que nous ayons le droit de les considérer comme de véritables poisons. Quel ques- unes des substances dont nous décrirons l'action ont été , et sont encore employées en médecine, soit à titre de médicaments très-énergiques, soit à titre d'excitants ou de simples réconfortants. Il est arrivé plus tard ce que nous avons vu pour l'alcool qui, lui aussi , est sorti des officines pharmaceutiques pour s'imposer comme un de ces pro duits dont il est impossible désormais de se passer. Le tabac et l'opium sont absolument dans ce cas, et l'on con coit alors que la démarcation entre les exigences de l'hy giène et l'abus qui peut être fait de certaines substances plus ou moins nuisibles , ne soit pas toujours facile à éta blir . Nous avons déjà fait remarquer que tel usage imposé par la mode et répandu plus tard par l'esprit d'imitation, est bientôt devenu un impérieux besoin , qui a fini par avoir les conséquences les plus graves sur les meurs et les ba bitudes des nations, sur la santé générale , sur l'économie sociale tout entière . Je ne citerai en passant que le tabac, dont la consommation, rien que pour la France, s'évalue aujourd'hui par centaines de millions, et qui est pour un grand nombre d'individus, non- seulement un objet de pre mière nécessité, mais encore une question de vie ou de mort pour le commerce, l'industrie et les revenus de beau. coup de gouvernements. Cette simple considération nous fait entrevoir combien sont complexes loutes les questions qui ont trail à l'histoire SUR L'ORGANISME . 143 des substances toxiques , tant du règne végétal que du régne minéral , non - seulement employées en médecine et dans l'industrie , mais formant encore la base de plaisirs ou de caprices passés à l'état de première nécessité. Il ne saurait entrer dans le plan de cet ouvrage d'aborder le sujet par les cotés qui le raltachent au commerce, à l'in dustrie , à la législation des peuples, ainsi qu'à l'économie sociale . Nous poursuivons un but non moins utile : nous voulons prouver que l'abus énorme qui se fait de certaines substances intoxicantes s'attaque à l'amélioration intellec tuelle , physique et morale des nations . Nous n'aurons , d'un autre côté, qu'à citer les remarquables travaux hygiéniques des temps modernes, pour confirmer l'influence funeste exercée sur l'avenir des générations ouvrières par des in dustries nuisibles . Le point de vue que nous adoptons do mine, on ne saurait le nier, les plus chers intérêts de la société ; il s'agit ici d'une question essentiellement médicale, et ce que nous aurons à dire rentre nalurellement dans l'étude des dégénérescences dans l'espèce humaine. De temps immémorial, dit M. le docteur Frédéric Tiede mann ( 1 ) , les peuples orientaux ont eu la coutume de brûler certaines plantes dont ils respiraient la fumée ; il en résul tait pour eux une ivresse spéciale , et ils éprouvaient des sensations qu'ils étaient avides de renouveler. Si nous en croyons Hérodote , nous voyons que les Massagétes, qui vivaient sur les bords de l'Araxe , s'enivraient avec les fruits

( 1 ) On consultera avec profit un onvrage récent qui offre un grand in lérél : Geschichte des Tabaks und anderer ähnliche Genussmitel ( Histoire du tabac et d'autres substances propres à procurer des sensations agréa bles, par Frédéric Tiedemaon . Francfort, 1854 ) . Nous emprunlerons à cel ouvrage quelques-uns des fails que nous aurons à citer à propos des effets nuisibles de l'opium . du tabac et d'autres substances narcotiques. 144 ACTION DES POISONS VÉGÉTAUX ET MINÉRAUX 1 d'un certain arbre ; ils projetaient ces fruits sur des char bons ardents ; puis sous l'influence de la vapeur qu'ils ab sorbaient, ils se mettaient å danser et à chanter ( 1 ) . Pomponius Mela ( 2) raconte aussi que plusieurs peuples de la Thrace cherchaient à se procurer des sensations analogues, par le même procédé, avec les semences d'une plante qu'il ne désigne pas . Plutarque ( 3 ) dit textuellement : en Thrace, sur les bords du fleuve Hebrus (aujourd'hui Maritza) , croit une herbe semblable à l'origanum . Des pointes aiguës arment les ex trémités de cette plante que les habitants font brûler, et dont ils respirent la fumée qui les enivre et les endort . On a longtemps discuté sur l'identité de cette plante : des au teurs ont pensé qu'il s'agissait de l'Apium , espèce d'ombel lifère ; d'autres croient y reconnaitre avec plus de raison la pomme épineuse, datura stramonium . Quoi qu'il en soit, la Flore de ces pays est riche en plantes narcotiques , et leurs habitants trouvent encore aujourd'hui dans la fumée ou la mastication des semences ou des fruits de ces plantes , un moyen d'exciter leur imagination jusqu'au délire , et une occasion , malheureusement trop facile , d'hébêter leur intelligence et détruire leur santé . L'existence des peuples orientaux s'identifie chez nous d'une manière trop intime avec les jouissances qu'ils se procurent au moyen de l'opium , et l'attention n'a pas été assez portée sur une foule de substances intoxicantes que nous trouvons employées chez les peuples les plus sauvages. Avant de parler des effets du chanvre, de l'opium et du tabac, nous dirons quelques mots de certains usages singu ( 1 ) Hérod . , bistor. , lib . I , cap. 202. ( 2) De sila orbis . , lib . II , cap. 2, 554. (3) Oralio XXXII, p . 680 .

SUR L'ORGANISME . 145 liers qui nous prouvent la généralisation du besoin invin cible que ressentent tous les peuples du monde, de se procurer des sensations factices, au risque de perdre mo mentanément la raison , et de s'exposer aux conséquences des maladies les plus graves . Les habitants de la Polynésie ne trouvent pas de plus grand bonheur que de s'enivrer avec une liqueur appelée ava ou kava, el qui est préparée avec un fruit de la famille des pipéracées ( piper inebrians seu methysticum ). On connait la prédilection des Kamschadales, des Koriakes et des Ton gouises pour l'agaricus muscarius, désigné encore en bota nique sous le nom de amenita muscaria ( 1 ) . Tous les procé dés imaginables sont mis en usage pour introduire dans l'économie ces différentes substances. On fume certaines plantes , on en réduit d'autres sous la forme de pâtes et de poudres sternutatoires intoxicantes . Ces poudres sont de temps immémorial en usage parmi de grandes tribus d'Indiens, et particulièrement chez les Otomaques . « Cette féroce nation , dit le savant de Humbold, n'a pas seulement l'habitude de s'enivrer avec les liqueurs fermentées qu'elle prépare avec le manioc , le maïs et le vin de palmier, mais elle connait encore une poudre dont les effets inebriants sont extraordinaires. C'est la poudre de niopo, appelée dans la langue Maypure poudre de napa. prennent les gousses d'un arbre de la famille des mimo , que de Humbold décrit sous le nom de accacia niopo. gousses sont réduites en morceaux ténus, et ils les lais Ils sées , Ces (1) On a tout licu de croire que dans les récits des anciens , il s'agit de l'effet intoxicant de la pomme épineuse. Les Bohémiens, dont l'origine est évidemment orientale, ont les premiers fail connaitre en Europe les proprié lés extraordinaires de cette plante, dont ils se servaieat, d'après le docteur Hecker, pour tromper la crédulité des peuples. 10 146 ACTION DES POISONS VÉGÉTAUX ET MINÉRAUX > sent fermenter, en ayant soin de les humecler. Lorsqu'elles deviennent noires, ils les triturent, et en les mélangeant avec de la pale de manioc et une certaine quantité de co- . quillages calcinés , ils en font des gâteaux qu'ils réduisent par la cuisson à l'état de dessication . La substance est ensuite râpée et placée sur des assiettes . Les sauvages hument cette poudre en s'introduisant dans les narines des os de poisson qui font l'office de tubes d'aspiration . La même habitude existe , d'après La Condamine, chez les Indiens des bords de l'Amazone . Quelques - uns font brûler cette poudre et en aspirent la fumée; d'autres se l'injectent en nature, non-seulement dans les narines, mais dans les yeux et les oreilles , excitant ainsi tous les organes des sens au point de se livrer à des délires furieux . Pâtes pour la mastication . Il existe sous ce rapport , dans les pays tropicaux , diverses plantes dont les unes subissent des préparations , et les autres sont mâchées dans leur état naturel . Ces plantes , ainsi que les différents élec tuaires dont elles forment la base , procurent des sensa tions délicieuses aux Indiens de Ceylan, aux naturels de l'Archipel Indien et de la Chine, aux Péruviens et Boliviens , aux habitants de l'Arabie heureuse, ainsi qu'aux Nègres de la Nubie méridionale. Ce sont : le Bétel , le Kaad , la noix de Kola et le Coca. Nous en dirons quelques mots, dans l'impossibilité où nous sommes d'entrer dans les détails que donnent les ouvrages d'histoire naturelle . Le bétel est un composé de feuilles d'une espèce d'arbre à poivre et de la noix d'un palmier, le tout entremêlé d'une poudre plus ou moins corrosive, composée de coquillages calcinés. Pour rendre la préparation plus délicieuse , on y ajoute des racines de cardamone, des clous de girofle et du cachou. Marco - Polo , Peron, Ritter et beaucoup de voyageurs, ont donné des détails sur celle préparation qui

SCR L'ORGANISME . 147 reçoit le nom de bellé , dans l'idiome lalinga , de siri chez les Malais , d'amo à Amboine ; dans l'Indoustan on l'appelle pan ou pawon, et wassilei chez les Malabres . Dans son voyage en Arabie, Niebubr raconte que dans les mois de mai , de juin et juillet , les Arabes de la terre d'Yemen apportent sur les marchés les extrémités bour geonneuses d'un petit arbrisseau dont ces nomades sont très-friands. Ils éprouvent une grande satisfaction à mâcher les bourgeons de cet arbrisseau , que Forskael , dans sa Flora Ægyplo arabica décrit sous le nom de Catho edulis. Ils ressentent pendant cette mastication une légère ivresse qui se dissipe promptement, ne leur laisse aucune sensation désagréable, active leur imagination quand ils reposent sous la tente , et les aide à supporter les fatigues de la marche à travers des déserts brûlants ( 1 ) . La noix de kola est avidement recherchée par les Nègres des différentes contrées de l'Afrique. Cette noix , décrite par Palissot de Beauvais sous le nom de Herculea acuminata ( 2) , est de la grosseur d'une chataigne : la chair en est rouge et exhale une odeur légèrement aromatique. Elle teint en jaune la bouche et les dents de ceux qui la machent, et leur fait excréter une grande quantité de salive . Il parait que cette noix entre comme condiment dans la préparation des mets, et les Nègres s'en servent pour désinfecter l'eau saumâtre. ΓΟ Les feuilles du coca se recueillent dans le Haut- Pé Tou ; les Indiens en faisaient, au temps de la conquête par les Espagnols, une grande consommation, et les mé langeaient avec une terre blanche appelée mambi. Ils ex portaient cette substance dans les villes du littoral de la ( 1 ) Frédéric Tiedemann , ouvrage cilé , p . 400. (2) Flore d’Oware et Benin , t . I, p. 41. Planche 24. .. 148 ACTION DES POISONS VÉGÉTAUX ET MINÉRAUX mer et dans les résidences des Incas . On la brûlait aussi dans les temples des prêtres du soleil , en l'honneur de la divinité qu'ils adoraient . M. d'Orbigny a donné récemment sur cette plante des détails intéressants ( 1 ) . Les Indiens ne peuvent vivre sans mácher le coca , et cette substance est devenue pour eux un besoin plus impérieux peut -être que ne l'est le tabac pour les Européens ( 2 ) . Ce que nous avons dit de ces différentes substances , nous suffira pour faire ressortir les tendances communes à tous les habitants du globe . Il nous reste à parler maintenant de trois plantes narcotiques trop généralement employées pour que nous n'entrions pas dans quelques détails spéciaux sur leur usage et sur les effets qu'elles produisent sur l'éco nomie : ce sont le chanvre, l'opium et le tabac . > $ PREMIÈRE SECTION . S 1. Hachisch . Son usage chez les Orientaux. Ses effets physiologiques. 31Chanvre. - Le chanvre ( Cannabis Indica ) qui joue un role si considérable dans l'hygiène des orientaux , est une plante de la famille des urticées et ne différe pas beaucoup , d'après M. le docteur Moreau , de notre chanvre d'Europe ( 3 ) . Celle 2 ( 1 ) C'est une plante de la famille des Malpighicées , décrite sous le nom de Erytroxylon peruvinnum . ( 2 ) Tiedemann , ouvrage cité , p . 422 à 436 . ( 3 ) On peut consulter l'ouvrage où M. le docteur Moreau consigne des détails si intéressaols sur les effets physiologiques du hachisch . Du hachisch el de l'aliénation mentale , éludes psychologiques, par le docteur J. Moreau de Tour:. Paris , 1845 . SUR L'ORGANISME . HACHISCH . 149 plante, ajoule ce médecin , est commune dans l'Inde et dans l'Asie méridionale, et son principe actif forme la base des di verses préparations enivrantes usitées en Egypte , en Syrie , et dans presque toutes les contrées orientales . D'après Kempfer, l'usage de cette plante est très- répandu en Perse où elle a reçu le nom de hachichah ou hachisch . Les feuilles sont presque toujours fumées à leur état naturel par le peuple en Turquie, en Perse, en Egypte et dans les Indes ; mais elles servent aussi mélangées avec le tabac . Les propriétés plus ou moins enivrantes qu'acquiert cette sub stance , sont dues aux préparations diverses qu'elle subii . La plus célèbre est celle qui est connue généralement sous le nom de bachisch, c'est l'extrait gras. La manière de l'obtenir est fort simple , dit M. le docteur Moreau : on fait bouillir les fleurs et les feuilles de la plante avec de l'eau , à laquelle on a ajouté une certaine quantité de beurre frais: ; puis le tout étant réduit par évaporation à la con sistance d'un sirop, on passe dans un linge . On obtient ainsi le beurre chargé d'un principe actif, et empreint d'une cou leur verdâtre assez prononcée. Cet extrait , qui ne se prend jamais seul à cause de son goût vireux et pauséabond; sert à la confection de différents électuaires , de pales et d'es pèces de nougats que l'on a soin d'aromatiser avec de l'es sence de rose ou de jasmin . L'électuaire le plus répandu est celui que les Arabes appellent daswamesc..... Dans le but d'obtenir les effets que les Orientaux recherchent avec ardeur à cause des excès auxquels ils se livrent , on mele à cet électuaire différentes substances aphrodisiaques , telles que la cannelle, le gingembre, le girofle, et peut- être aussi , comme M. Aubert- Roche est porté à le croire, la poudre de cantharides..... Ces mélanges ne sont pas les seuls, ajoute M. Moreau : l'opium , l'extrait de datura-stramonium , quand on les incorpore au hachisch , en varient singulière а 150 ACTION DES POISONS VÉGÉTAUX ET MINÉRAUX. ment les effets, comme il est facile de le comprendre ( 1 ) . Ces effets sont des plus curieux et des plus extraordi naires, il faudrait pour les décrire faire l'histoire entière du délire, depuis ce sentiment de bonheur indéfinissable qui va jusqu'à l'exaltation et qui ébranle convulsivement toute la sensibilité , jusqu'à cet état complet d'anéantissement de nous-même qui plonge l'existence tout enlière dans une espèce de rêve où l'on subit les influences les plus diverses , et ou l'on devient le jouet des impressions les plus opposées . M. le docteur Moreau , qui a décrit ces sensations étranges pour les avoir éprouvées lui-même, convient cependant que les jouissances que procure le hachisch , acquièrent plus d'intensité encore sous l'influence des circonstances extérieures . Il est même possible, d'après lui , de les diriger vers un but déterminé et de les concentrer vers un foyer unique. On conçoit alors tout ce que la réalité peut y ajouter, et quel puissant aliment acquièrent ces jouissances par les impressions venues du dehors , par l'excitation directe des sens ou l'exaltation des passions par des causes naturelles. C'est alors que prenant un corps, une forme, elles arrivent jusqu'au délire ..... Cette disposition d'esprit , était probablement la source féconde où les fanatiques habi tants du Liban puisaient ce bonheur, ces ineffables délices en échange desquelles ils donnaient facilement leur vie ( 2. ) Encore une fois, la description de tous ces phénomènes étranges nous ferait sortir des bornes de notre sujet, mais il est néanmoins important que nous ayons une idée de l'in fluence exercée par celle préparation ébriante si énergique, sur les fonctions de l'économie . Il nous sera plus facile alors de rattacher l'histoire du hachisch å l'étude des causes ( 1 ) Moreau, ouvrage cité , p . 8 . (2) Moreau, ouvrage cité , p. 53. SUR L'ORGANISME . - Hachiscá. 151 1 de dégénérescence dans l'espèce humaine ; j'emprunterai ce que j'ai à dire sur ce sujet à l'intéressant ouvrage de M. le docteur Moreau. 1 ° « A une dose encore faible, dit ce médecin , mais ce pendant capable de modifier profondément le moral , les effels physiques sont nuls, ou du moins si peu sensibles, que certainement ils passeraient inaperçus, si celui qui doit les éprouver n'était pas sur ses gardes et n'épiait en quelque sorte leur arrivée . On pourra, peut-être, s'en faire une idée, en se rappelant le sentiment de bien-être, de douce expan sion que procure une tasse de café ou de thé prise à jeun . 20 , Par l'élévation de la dose, ce sentiment devient de plus en plus vif, vous pénélre et vous émeut davantage , comme s'il devenait surabondant et allait déborder. Une légère compression se fait sentir aux tempes et à la partie supérieure du crâne . La respiration se ralentit , le pouls s'accélère , mais faiblement. Une douce et tiède chaleur, comparable à celle qu'on éprouve en se mellant au bain , pendant l'hiver, se répand par lout le corps , à l'exception des pieds, qui d'ordinaire se refroidissent. Les poignets et les avant- bras semblent s'engourdir et devenir plus pesants ; il arrive même qu'on les secoue machinalement, comme pour les débarrasser du poids qui les presse . Alors aussi naissent , dans les extrémités inférieures principalement, ces sensations vagues et indéfinies qui caractérisent si bien le nom qu'on leur a donné d'inquiétudes. C'est une sorte de frémissement musculaire sur lequel la volonté n'a aucun pouvoir 3º » Enfin, si la dose a été considérable, il n'est pas rare de voir survenir des phénomènes nerveux qui , sous beau coup de rapports, ressemblent assez à des accidents cholé riques . Des bouffées de chaleur vous montent à la tête , brus quement, par jets rapides comme ceux de la vapeur qui 152 ACTION DES POISONS VÉGÉTAUX ET MINÉRAUX 1 s'échappe du tuyau d'une locomotive . Ainsi quejel'ai entendu dire plusieurs fois , le cerveau bouillonne et semble soule ver la calotte du crâne pour s'échapper . Cette sensation qui cause toujours un peu de frayeur, quelque aguerri que l'on soit , a son analogue dans le bruit que l'on entend quand on a la tele plongée dans l'eau . Les éblouissements sont rares

je n'en ai jamais éprouvé

. Les tintements d'oreilles , au contraire , sont fréquents. On éprouve parfois de l'anxiété , une sorte d'angoisse , un sentiment de constriction à l'épi gastre . Après le cerveau , c'est vers cette région que les effets du hachisch paraissent avoir le plus de retentissement . Un jeune médecin disait qu'il croyait voir circuler le fluide ner veux dans les rameaux du plexus solaire . Les battements du cæur paraissent avoir une ampleut et une sonorité inac coutumées . Mais si on porte la main dans la région précor diale , on s'assure facilement que le cæur ne bat ni plus vite ni plus fort qu'à l'ordinaire . Les spasmes des membres ac quièrent parfois une grande énergie sans devenir jamais de véritables convulsions . L'action des muscles fléchisseurs prédomine . Si l'on se couche , ainsi qu'on en éprouve presque toujours le besoin , involontairement les jambes se fléchis sent sur les cuisses , les avant - bras sur les bras

ceux

- ci se rapprochent des parties latérales de la poitrine

la tête

, en s'inclinant , s'enfonce entre les épaules ; l'énergique con traction des pectoraux s'oppose à la dilatation du thorax et arrête la respiration ..... Ces symptômes n'ont qu'une durée passagère . Ils cessent brusquement pour reparaitre tout å coup , après des intervalles d'un calme parfait de quelques secondes d'abord, puis de quelques minutes, d'une demi heure , d'une heure.... , suivant qu'on s'éloigne davantage du moment de leur apparition . Les muscles de la face, ceux de la machoire surtout, peuvent etre pris également de 1 mouvements spasmodiques

j'ai éprouvé

, une fois, un véri SUR L'ORGANISME. HACHISCH . 153 i ܀ R 1 19 table trismus, ou au moins quelque chose d'analogue ; les mains semblent se contracter d'elles -mêmes pour saisir et serrer fortement les objets. · Tels sont , ou à peu près, les désordres physiques causés par le bacbisch , depuis les plus faibles jusqu'aux plus in lenses . On voit qu'ils se rapportent tous au système ner veux ( 1 ) . ) Comment est - il possible maintenant, me demandera-t-on , de rattacher l'histoire des effets exercés par le hachisch sur notre nature physique et intellectuelle , à l'étude des dé générescences dans l'espèce humaine ? Pour répondre à une question posée d'une manière aussi générale, il est juste que nous sortions un instant du cas particulier, et que nous abordions le sujet par son coté philosophique . Si nous consultons les auteurs , nous pourrons résumer tout ce qu'ils disent dans les données suivantes . Lorsque le chanvre, qui fait la base de la préparation désignée sous le nom de bacbisch , est fumé ou maché dans son état naturel , les effets sont légèrement excitants . Le voyageur Chardin les compare même à ceux du tabac , et ne leur attribue pas une influence malfaisante plus considérable. La question devient déjà plus compliquée , lorsque le chanvre ne forme plus la base exclusive de ces préparations, de ces électu aires dont les peuples Orientaux se montrent avides ; et les auteurs qui se sont occupés des effets du bachisch nous lais sent déjà entrevoir à quel point celle préparation sert å exciter les passions les plus honteuses et à donner une ac tivité nouvelle à tous les déréglements de l'imagination . Cependant, nous disent ces auteurs, il faut faire la part du plus ou moins de pureté dans les préparations de la sub stance ébriante , des dispositions particulières du sujet qui 1 (1 ) Moreau, ouvrage cité, p. 47 à 50. 154 ACTION DES POISONS VÉGÉTAUX ET MINÉRAUX les consomme, des influences extérieures, de la force de la volonté, capable jusqu'à un certain point, de diriger dans un sens déterminé le délire qui arrive à la suite de celle intoxication. C'est avouer, en d'autres termes, que le hachiscb , consommé dans des proportions modérés et dans des circonstances spéciales, peut être un agent assez inof fensif. Nous ne saurions accepter une pareille manière de raisonner, et l'objection qui se pose ici naturellement , nous force à émettre d'avance une conclusion qui se déduira de nos études ultérieures . Nous prouverons par les faits les plus péremptoires que causes les plus actives des dégénérescences dans l'espèce hu maine, sont celles qui, s'attaquant directement et fréquemment au cerveau, produisent des délires spéciaux , el placent pério diquement celui qui en fait usage dans les conditions d'une folie momentanée. L'alcool a déjà été à lui seul la preuve démonstrative de ce principe, et l'opium dont nous allons esquisser l'histoire en sera une confirmation nouvelle . El d'ailleurs , ce n'est pas dans l'observation isolée d'un fait qu'il faut chercher les éléments de ses convictions pour ce qui regarde la puissance dégénérative d'une cause , soit de l'ordre physique , soit de l'ordre moral . Cette cause ne doit pas être appréciée dans ses effels particuliers sur les indi vidus qui en raison de leur age, de leur sexe, de leurs dis positions spéciales , offrent plus ou moins de résistance å telle ou telle influence nuisible . Il est indispensable d'aborder la question par son coté le plus large et le plus philosophique . Il faut de toule nécessité examiner ce que devient, non pas l'individu qui abuse d'un certain agent intoxicant , mais la nation chez laquelle la généralisation d'un usage se pré sente sous ses formes les plus désorganisatrices . L'examen de l'état intellectuel des nations Orientales va nous offrir dans un instant l'occasion d'appliquer ce principe, el la SUR L'ORGANISME . OPIUM . 155 description des effets produits par l'opium nous prouvera jusqu'à quel point l'histoire des substances intoxicantes employées dans le but de se procurer des excitations factices ou des sensations agréables, se rattache à l'étude des dégé nérescences dans l'espèce humaine ( 1 ) . que le ere di $ II . — Considérations historiques et médicales sur l'usage de fumer l'opium . Danger pour les populations Européennes. inad A aucune époque de son histoire , l'humanité n'a peut ètre présenté un fait semblable à celui dont nous sommes témoins aujourd'hui. Trois cent millions d'individus ré unis sous l'autorité absolue d'un même gouvernement, par d'ent TIV ! ld . de ( 1 ) Les considérations que j'ai émises sur l'influence exercée par l'usage da bachisch se trouvent confirmées par les détails que j'extrais d'une lettre de M. le Doclenr Moreau . Voici ce que m'écrit ce savant coofrère : « Outre o l'état habituel d'hallucioations que l'extrait du chanvre indien produit chez quelques individus, je pense que son usage prolongé finit par amener un état de démence incurable . C'est le cas , j'ai du moins quelques motifs de » le croire, de certains individus , que de mon temps, il n'était pas rare de renconlrer dans les villes de l'Egyple, lesquels sont vénérés des populatioos ? comme de saints personnages (sanlons) , el qui ne sont aulres que des in dividus tombés en démence par suite d'abus du hachisch , me disait - on . · Mais étail - ce bien le hachisch seul qui les avait jelés dans cet état de • degradation physique et morale ? L'opium , dont l'usage est également assez répanda daos le Delta du Nil principalement, d'y était-il pour rien ? je • suis très-porlé à le croire. · Ce qui est certain d'un autre côté, c'est que j'ai connu une foule de gens qui ont usé et abasé de la drogue orientale, sans que leur santé morale • ou physique en ait souffert d'aucune sorte. " (Docteur Moreau, médecin des aliénés à Bicèlre .) Encore une fois, la question, si on veut la juger au point de vue de nos éludes sor les dégénérescences, ne doit pas être circonscrite dans l'examen de quelques cas particuliers. ka m 156 ACTION DES POISONS VÉGÉTAUX ET MINÉRAUX lant la même langue et dominés , en apparence au moins ( 1 ) par les mêmes idées religieuses, nous offrent le triste spec tacle d'une nation menacée dans ses plus chers intérêts par l'habitude la plus dégradante et la plus fatale qui se puisse concevoir. La description que nous avons faite de l'intoxi cation alcoolique laisse , peut-être, bien loin derrière elle ce qu'on nous raconte des effets désastreux exercés par l'opium . Comment est- il arrivé que cette substance si utile en mé decine soit tout d'un coup sortie des officines de la pbar macie pour s'imposer dans la sphère des besoins factices avec une universalité sans exemple ? chez quel peuple cel usage destructeur a- t-il pris naissance ? quelle est la nature des lésions de l'ordre physiologique et de l'ordre intellec tuel causées par cet agent intoxicant ? jusqu'à quel point l'habitude de fumer l'opium est- elle un péril pour les popu: lations Européennes ? Telles sont les importantes questions que nous allons examiner. Il s'agitici d'un fait des plus sé rieux, d'un fait qui n'a besoin ni des ressources de l'imagi nation ni des ornements du style pour provoquer l'intérêt général . Nous ferons l'histoire de l'opium et des ravages qu'entraine son abus, en nous appuyant sur les documents les plus authentiques. Il sera facile ensuite de juger, par la simple exposition de ce que d'autres ont vu et ressenti par eux- mêmes, si nous avons tort de classer l'intoxication par l'opium parmi les causes les plus actives des dégénéres cences dans l'espèce humaine, L'opium est , comme on sait , un des agents thérapeutiques dont la médecine ne saurait se passer (2) . Les modifications ( 1 ) Nous disons, en apparence au moins , car il résulte des relations de M. Hac, missionnaire, que les Chinois sont livrés à une démoralisation af . freuse, et au seplicisme le plus absolu . (2) Ce que nous avons à dire ici de l'action thérapeutique el physiolo SUR L'ORGANISME . OPIUM . 157 remarquables qu'il amène dans l'appareil digestif, dans les sécrétions, dans la circulation , les fonctions génitales, et l'ap pareil nerveux de la vie de relation , ont élé étudiées avec un soin spécial en ces derniers temps . L'augmentation de la soif est,d'après MM. Trousseau et Pidoux ( 1 ) , l'un des phéno mėnes que l'on observe le plus constamment à la suite de l'ad ministration des opiacées . La sécheresse de la bouche et de la gorge accompagne toujours la soif, et quelquefois même il existe de la gêne dans la déglutition . La perte de l'appétit , les lendances à vomir, sont des faits ordinaires, non- seulement chez les malades auxquels on administre ce médicament , mais ils se reproduisent d'une manière bien plus générale encore chez ceux qui ont la fatale habitude de fumer l'opium ou de le måcher. Il est un autre effet physiologique que nous voyons se manifester constamment, et chez les malades soumis à l'action de l'opium ainsi que chez les fumeurs effrenés de cette dangereuse substance, c'est qu'en même temps que les glandes et les follicules du tube digestif sont modifiées d'une manière énergique, les autres organes sécréteursex balants éprouvent des changements non moins singuliers. La chaleur de la peau est augmentée, et la face est plus ou moins colorée ; la sueur se montre promptement , et si les sels de morphine peuvent être considérés comme un sudo rifique puissant , l'opium que le fumeur absorbe, agit dans le même sens et produit des transpirations abondantes qui ne peuvent se répéter indéfiniment sans amener une grande déperdition des forces. gique de l'opium , sufft aux personnes étrangères à l'art de guérir . Les mé decins ont d'autres sources où ils peuvent puiser les connaissances qui leur sont indispensables sous ce rapport . (1 ) Traile de thérapeutique et de matière médicale, par Trousseau et Pidoux. Paris, 1881 , ive édition, l. II , p. 12. 158 ACTION DES POISONS VÉGÉTAUX ET MINÉRAUX

10L'action spéciale de l'opium sur les fonctions génitales a été décrite par MM. Trousseau et Pidoux, au point de vue de l'exhalation menstruelle ; mais personne n'ignore que les préparations diverses employées par les Orientaux , et dans lesquelles l'opium entre pour une part considérable, ont surtout pour but de ranimer leurs tendances lascives . Le premier effet de l'opium est de procurer une excitation fac tice ; mais nous verrons les conséquences dangereuses de ces excitations fréquemment répétées. Quant à ce qui regarde maintenant les modifications ap portées dans l'appareil nerveux de la vie de relation , elles ont été signalées par les auteurs à propos des troubles de la vision , des tintements d'oreilles , des douleurs et pesanteurs de la tête , de la faiblesse des muscles . L'action spéciale exercée par l'opium sur l'intelligence , trouvera sa place dans la généralisation des faits pathologiques que nous allons avoir à décrire dans un instant ( 1 ) .

( 1 ) Par quels moyens mystérieux l'opium produit- il les effets extraor dinaires dont nous sommes témoins ? Celle question , disent MM. Trous seau et Pidoux, a gravement occupé beaucoup d'expérimentateurs. La question principale est celle- ci : l'opium agil- il d'abord sur les extrémités nerveuses, el son action est - elle transmise au cerveau par les conduils ner veux ; ou bien , au contraire, est - il absorbé et porté par les vaisseaux jus qu'à l'encéphale ? La première opinion a été soutenue par Boerhaave et son école . L'on coonait les singulières expériences de Whylt et les élranges conclusions qu'il en tire . Tout nous porte à croire, au contraire, qu'il en est de l'action de l'opium comme de celle de l'alcool, et qu'il se transmet jusqu'aux centres nerveux par le système vasculaire . Monro répélant les mauvaises expériences de Whyll oblient , dit M. Trousseau , des résultats complétement opposés ; il injecte de l'opium dans les veines d'on animal , et immédiatement se produisent les mêmes effets que si le poison était mis longtemps en contact avec une autre parlie ; et d'ailleurs les expériences de Magendie, de Ségalas, de Fodéré ne permettent pas de sopposer que l'o pium agisse sur le cerveau autrement que par l'intermédiaire des vaisseaux . SUR L'ORGANISME . OPIUM . 159 L'habitude de fumer l'opium existe depuis longtemps dans les Indes , et si l'on en croit la plupart des auteurs, c'est dans la Perse, cette patrie du pavot, que ce détestable usage a pris naissance . De la Perse, l'opium eut bientôt en . vahi les Indes, d'après ce que pense M. Tiedemann ( 1 ) , et l'bistorien de la domination des Mahometans dans l'Inde dit que les empereurs du Mongol étaient adonnés à cette fu neste passion qui depuis a gagné plusieurs classes de la so ciété ( 2) . De l'Inde, l'opium pénétra à Ceylan , å Java et dans les iles de la Sonde ; il ful bientot connu á Siam , en Cochin chine, en Chine et au Japon . Les relations des navigateurs Portugais nous apprennent que l'opium était déjà dans le IVI° siècle un objet de commerce entre l'Inde et la Chine . Mais ce produit n'était employé dans ce dernier pays qu'au point de vue thérapeutique ; on le désignait sous le nom de 0 - fu - jung ou O - pien, et son usage était vanté dans la dys senterie et la mélancolie . Aujourd'hui on le connait sous le nom de ja -pien , boisson enivrante . Quoi qu'il en soit , l'usage en était encore fort peu répandu à la fin du dernier siècle , et la Compagnie des Indes Orientales, qui depuis cette époque a le monopole du commerce de l'opium , n'envoya en 1794 que 200 caisses de cette substance dans le port de Canton ( 3 ) . a Il faut aussi faire la part de l'action spécifique exercée par l'opium el de ses différents modes d'absorplion ; c'est ce que nous verrons pour les fu meors de ce puissant parcotique. ( 1 ) Tiedemand, ouvrage cité , p . 104. ( 2) Ferishla : History of the mahomedanian power in India. T. II , p. 83, 253. (3) Pour avoir une idée de l'accroissement du commerce de l'opium , on peut consulter le Singapore - Chronicle, p . 826, et l’Asiatic Jornal, vol . - Voici ce que nous apprennent ces documents : Dans les provinces de Bénarès, de Palna el de Malwa, la culture de 23, p. 40 . - 160 ACTION DES POISONS VÉGÉTAUX ET MINÉRAUX . Mais à daler de ce moment, l'habitude de fumer l'opium ne tarda pas à se répandre, et les édits sévères publiés par l'Empereur Kien-Long en 1796 nous prouvent que le mal étendait ses ravages . En 1801 , la peine de la bastonnade, de l'exposition publique et de l'exil ne suffisait déjà plus pour arrêler les transgresseurs de la loi , et la condamnation å mort frappa les fumeurs d'opium . Ce terrible moyen dut céder lui -même devant la généralisation du mal, et l'esprit recule effrayé, en présence des résultats d'une habitude aussi invétérée . $ . l'opium a pris des proportions extraordinaires . La compagnie paie aux pro ducteurs la caisse d'opium à raison de 50 livres sterling, el la revend 150. En 1810, le nombre des caisses d'opium envoyées à Canlon était de 2,500, et le tableau suivant n'a pas besoin d'autres commentaires : 1816 envoyé 5,210 caisses, valeur en dollars 3,657,000. 1820 4,770 5,400,800 . 1825 9,621 - « Се 7,608,205. 1830 18,760 12,900,031, 1832 23,760 15,358,160. 1836 27,111 17,904,248. E. 1837, on expédia 34,000 caisses, el en 1838 le chiffre s'élèva à 48,000 . On ne sera pas surpris de lire dans l'ouvrage de M. Huc, que la Chine achèle annuellement aux Anglais pour 150 millions d'opium . trafic , dit le célèbre missionnaire, se fait par contrebande sur les côtes de l'Empire , surtout dans le voisinage des cinq ports qui ont été ouverts aux Européens . Ce commerce illicite est également protégé , et par le Gouver nement anglais et par les Mandarins du céleste Empire . La loi qui défend sous peine de mort de fumer l'opium n'a pas été rapporlée ; cependant elle est tellement tombée en désuétude que chacun peut famer en liberté, sans avoir à redouter la répression des tribunaux . Dans toutes les villes on étale el on vend publiquement les pipes, les lampes et tous les instruments né cessaires aux fumeurs. Les Mandarins sont eux - mêmes les premiers à violer la loi et à donner le mauvais exemple au peuple. Pendant polre loog voyage en Chine, nous n'avons pas rencontré un seul tribunal où l'on ne famât l'opiam ouvertement et impunément. » (L'Empire chinois, par M. l'abbé Huc. T. I , p. 33. ) SUR L'ORGANISME . OPIUM. 161 L'opium subit des préparations diverses avant d'être livré aux fumeurs ; il faut d'abord le purifier ( 1 ) . Lorsque cette substance a acquis son dernier degré de perfection , elle porte le nom de tschandu et se vend très-cher . Pour obtenir le ischandu , les Chinois recherchent l'opium de Benarés, dont le prix est le moins élevé. Les Chinois riches donnent la préférence à l'opium de Patna , dont la fumée est plus suave , et l'effet plus permanent. Après avoir divisé l'opium en parties très- minces, on le fait cuire dans de l'eau , et l'on a soin d'enlever l'écume impure qui surnage à la surface. On fait avec le résidu des espèces de gâteaux qui sont encore une fois dissous dans de l'eau , et soumis à une évaporation qui permet de retirer l'opium rec tifié et concentré, et d'en faire de petites boulettes qui ont la consistance de la poix . Ce sont ces petites boulettes, qui, soumises à une lumière incandescente, au moyen de légers stylets en fer, sont déposées dans des pipes spécialement destinées aux fumeurs. Les hommes du peuple vont fumer dans des établissements particuliers garnis de banquettes en bambou sur lesquelles ils peuvent s'étendre . Les gens de la classe riche ont , dans leurs appartements, un boudoir élégamment décoré et meublé avec tous les appareils né cessaires pour fumer l'opium1 ; ils s'y réunissent avec leurs amis, et s'y livrent sans contrainte, tout en prenant le thé, aux vapeurs enivrantes du tschandu (2 ). ( 1 ) Les renseignements sur la manière de préparer l'opium, ainsi que sur les conséquences résultant de l'intoxication par cette substance, n'ont pas manqué dans ces derniers temps. On peal consulter les Transactions of the medical - botanical society, in London , par M. Sigmond ; The Lan cet du 19 fév. 1842, par E. G.-H. Smith ; Two years in China, par M. Phersow ; la relation du docteur Hill , médecin de la frégate la Sonde. (2) On croit généralement que les Chinois de fument que l'opium qui 1 11 162 ACTION DES POISONS VÉGÉTAUX ET MINÉRAUX La première impression est un sentiment de bien-être ac compagné d'une légère excitation qui se traduit au debors par une loquacité plus grande et par des rires involontaires . Chez quelques-uns, l'excitation produit des accès de colère et d'emportements. Bientôt les yeux deviennent brillants, les mouvements respiratoires sont plus précipités, et le sang circule avec une activité plus grande. A cette période de l'exaltation nerveuse , les fumeurs ressentent un bien - être est importé par le commerce anglais, mais c'est une erreur. Depuis pla sieurs années, dit M. Huc, quelques provinces méridionales s'occupeol avec beaucoup d'activité de la culture du pavol et de la fabrication de l'opium . Les marchands anglais confessent que les produits chinois sont d'excellente qualité, quoique cependant encore inférieurs à ceux qui viennent du Bengale , mais l'opium anglais subit tant de falsifications avant d'arriver dans la pipe du fumear... Les Chinois riches fument l'opium anglais qui est plas cher, par modeetpar vanité ... Pourtant, dit M. l'abbé Hac, on peut prévoir qu'un tel état de choses ne durera pas . Il est probable que les Chinois cultiveront le pavot sur une grande échelle, et pourront fabriquer chez eux tout l'o pium nécessaire à leur consommation . Les Anglais , incapables d'oblenir les mêmes produits à aussi bon marché que les Chinois, ne pourront sou tenir la coucurrence , surtout lorsque l'engouement pour les produits loin tains sera passé de mode. Ce jour-là les Indes britanniques recevront un coup terrible qui se fera ressentir jusqu'à la Métropole , et alors les Chinois se montreront moins passionnés pour celle funeste drogue . Qui sait ? lors que les Chinois pourront se procurer l'opium facilement et à bas prix , il ne serait pas surprenant de les voir abandooner peu à peu celle meurtrière et dégradante habitude . On prétend que le peuple de Londres et des autres villes manufactorières de l'Angleterre, s'est adonné , lui aussi , depuis quel ques années à l'usage de l'opium pris en liquide ou en mastication . Celle nouveauté est encore peu remarquée, quoi qu'elle fasse, dit- on , des progrès alarmants . Ce serait une chose à la fois curieuse et instructive, si un jour les Anglais élaient obligés d'aller acheter l'opium dans les ports de la Chine. En voyant leurs vaisseaux rapporter du céleste empire celte substance vé néneuse pour empoisonner l'Angleterre, il serait permis de s'écrier : laissez passer la justice de Dieu . (Huc. ouv . cilé, vol . 1er.. , p . 58 et 36.) SUR L'ORGANISME . OPIUM . 163 tout à fait particulier, et la chaleur périphérique est aug mentée. Les impressions sont plus vivaces et l'imagination en délire se lance dans le monde des plus étranges illusions . On observe alors un phénomène dont nous sommes témoin dans l'aliénation mentale . Des souvenirs , depuis longtemps évanouis , se présentent de nouveau à la mémoire avec leur fraicheur primitive. L'avenir se déroule avec ses plus bril . lantes perspectives,, et tout le bonheur que l'homme a dé siré et rêvé dans les circonstances difficiles de l'existence, se trouve réalisé pour le fumeur enivré par l'opium . S'il continue les inhalations de la substance intoxicante, l'ex citation fait place à l'abattement et à la prostration . L'ac lion des sens est suspendue ( 1 ) . Le fumeur n'entend plus ce qui se dit autour de lui ; il devient silencieux , son visage se couvre de pâleur, sa langue est pendante , et une sueur froide inonde sa face et tout son corps ; les membres sont dans un relâcbement universel et le fumeur affaissé sur lui même, privé de toute connaissance, reste comme anéanti et plongé dans un sommeil léthargique dont la duréc, en rapport avec la quantité d'opium absorbée, persiste quel quefois pendant des heures entières. Le réveil est pénible, et l'individu éprouve un sentiment de lassitude générale et de torpeur indicible . Le visage est d'une paleur mortelle , les yeux sont injectés et privés de leur vivacité ordinaire ( 2) . La physionomie hébétée ( 1 ) Les Chinois préparent et fument l'opium loujours couchés , lantól sur on côté et laploi sur un autre . Ils prétendent que celle position est la plus favorable. ( Huc, ouv . cité , l . Jer , p . 34. ) (2) En même temps que les pupilles sont resserrées , les paupières s'a baissent sur le globe oculaire ; elles ont une teinte légèrement violacée , qui se répand dans le sillon qui part de leur angle interae. (Trousseau et Pidoux . ) 164 ACTION DES POISONS VÉGÉTAUX ET MINÉRAUX reflėte une expression d'abaltemenl et de malaise. La res piration est pénible et sifflante ; le pouls déprimé et lent ; à peine compte- t -on 60 pulsations à la minute . Tels sont les principaux phénomènes de l'ordre physiologique et de l'ordre intellectuel que les fumeurs d'opium éprouvent dans le moment où ils se livrent à leur fatale habitude. Les con séquences sont bien autrement déplorables ; nous allons en parler dans un instant. Des médecins anglais ont expé rimenté sur eux - mêmes l'action de l'opium ; nous ne pouvons avoir de garants plus fidèles pour nous instruire des effets que produit cet agent pernicieux . Nous compren drons encore , que rien n'est exagéré dans leurs descrip tions, lorsqu'ils nous affirment que le fumeur d'opium , qui, à son début, peut à peine consommer cinq ou six grains de ce narcolique, en arrive bientôt au chiffre énorme de deux à trois cents grains, dont il absorbe les propriétés délétères. Dans aucun état de choses, le tabac ni la feuille du chanvre indien ne peuvent entrer en comparaison avec l'opium, soit pour les effets qu'il produit sur l'organisme, soit pour la difficulté qu'éprouvent les fumeurs, à quitter leur fatale habitude. Je dois affirmer, dit un médecin anglais, qui expérimenta sur lui -même les effets de l'o pium, que je comprends parfaitement la fureur avec la quelle les Chinois se livrent à cette passion . Cet aveu d'un homme intelligent, qui en arrive par le procédé ex périmental å savourer avec délices la fumée de l'opium , nous apprend , comment il se fait qu'en Chine , toutes les classes de la société sont les victimes de la même passion . Tandis que les mandarins, chargés de réprimer cet abus, ne se cachent plus pour assouvir leur funeste penchant, le peuple en est arrivé à un tel degré d'abrutissement, que les peines les plus sévères, ne l'empêchent pas de se pré cipiter dans les excės les plus dégradants . SUR L'ORGANISME.. OPIUM. 165 On a donné plusieurs raisons pour expliquer ee besoin, pour ainsi dire irrésistible, qui pousse les Orientaux et particulièrement les Chinois, à faire un tel abus de l'opium ; et l'on s'est appuyé sur la plupart des arguments allégués pour excuser les buveurs de liqueurs fortes. Des auteurs ont prétendu qu'un usage modéré de l'opium ne pouvait avoir qu'un excellent résultat sur le tempérament lympha tique des Chinois. Quelques moralistes ne tenant aucun compte des mæurs généralement dépravées de ce peuple, et de l'espèce de fureur avec laquelle il recherche les émotions factices, ont prétendu que l'on avait beaucoup exagéré les conséquences funestes de l'usage de l'opium. Si les riches trouvent, dit- on, dans cet usage le moyen d'exciter leur imagination blasée, les pauvres perdent, mo mentanément au moins, le souvenir poignant de leurs mi sères . On fume l'opium en Chine pour amortir les douleurs d'une maladie incurable ; les spéculateurs malheureux , les hommes que rongent les peines de l'esprit, cherchent dans ce puissant narcotique une consolation qu'ils ne peuvent trouver dans la morale de Confucius. Enfin , le suicide par l'opium , si commun en Chine, ne doit pas être blamé plus sévèrement que le suicide opéré en Europe de toute autre manière ..... Il nous est impossible, comme on le conçoit facilement, de suivre ces moralistes sur un pareil terrain. Notre but est d'examiner la question au point de vue des causes dė génératives de l'espèce humaine, et nous regardons comme un devoir impérieux de faire ressortir toutes les conséquen ces d'une habitude qui menace , à ce qu'on assure , d'en vahir, en Europe , quelques- uns des grands centres de la population. A part quelques rares fumeurs qui , grâce à une orga » nisation exceptionnelle, peuvent se contenir dans les 166 ACTION DES POISONS VÉGÉTAUX ET MINÉRAUX » » bornes d'une prudente modération, tous les autres vont » rapidement à la mort, après avoir passé successivement par la paresse, la débauche, la misère, la ruine de leurs » forces physiques et la dépravation complète de leurs forces intellectuelles et morales . Rien ne peut distraire » de sa passion un fumeur déjà avancé dans sa mauvaise habitude. Incapable de la plus petite affaire, insensible à » tous les événements, la misère la plus hideuse et l'aspect » d'une famille plongée dans le désespoir, ne sauraient le » toucher. C'est une atonie dégoûtante , une prostration » absolue de toutes les facultés et de toutes les éner » gies. » ( 1 ) Ce triste tableau est confirmé par les relations de tous les médecins qui , non- seulement ont été les témoins de ces faits, mais qui ont expérimenté sur eux l'action de ce poison redoutable . M. le docteur F. Tiedemann cite les paroles d'un médecin anglais qui rend compte de ce qu'il a lui - même éprouvé . Je ne suis plus étonné maintenant , dit ce médecin , de la fureur avec laquelle la nation chinoise se livre à la passion de fumer l'opium . Il faut avoir ressenti soi-même les félicités surnaturelles que procure l'extrait de pavot, il faut avoir été dominé par le besoin à peu près insurmontable de renouveler de pareilles sensations , pour comprendre que les édits les plus sévères , la peine de l'exil , la condamnation capitale n'aient pas empêché cette fatale habitude d'envahir la population du royaume du Mi lieu, depuis le chef de l'empire jusqu'au dernier de ses sujets ( 2). ( 1 ) Huc, ouv. cité , tome 1 , p . 36. (2) M. le docteur F. Tiedemann (ouv . cité, p . 415) s'appuie sur des documents qui me sont inconnus pour affirmer que l'usage de fumer l'o pium avait pénétré jusque dans le palais impérial. Le dernier empereur de la Chine, Tao - Keang (lumière de la raison ) aurait été soumis à celle SUR L'ORGANISME, - OPIUM . 167 1 3 3 Les hallucinations que procure l'opium sont loin de plonger toujours l'imagination dans le monde des rêves agréables, des félicités surnaturelles, pour me servir du lan gage des adeptes ; on connait les accès de fureur qui s'emparent quelquefois des fumeurs. Ces accés ont la plus grande analogie avec les délires qui sont le résultat de l'in toxication alcoolique , et dont nous avons déjà parlé.Les mal heureux fumeurs deviennent pareillement un objet de ter reur et de danger pour tous ceux qui les entourent ( 1 ) . Ajoutons que l'action de l'opium est plus pernicieuse encore que celle de l'alcool, non- seulement en raison de la diffi culté plus grande de rompre une pareille habitude, mais å cause de la promptitude avec laquelle se déclarent les lé sions du système nerveux. Lorsqu'on connait l'époque à laquelle un individu a commencé à fumer l'opium , il est facile de prédire le moment de sa mort, et l'on peut dire que ses jours sont comptés . Les désordres physiologiques s'inaugurent de la même manière chez tous ; ils se succé dent avec une régularité invariable, et produisent un résultat identique qui est la dégradation intellectuelle, pbysique et morale, la plus complète que se puisse con cevoir . Un engraissement considérable, dit le docteur Ainslie ( 2) , est le premier phénomène remarqué chez les fumeurs, les forces s'énervent, la démarche devient embarrassée et chancelante ; la mémoire se perd , les facultés intellectuel les s'éteignent et la démence se produit. La peau prend 3 le 5 ce habitude qu'il parvint à dompter par une volonté des plus énergiques. C'est le même qui a rendu des décrets aussi sévères contre les fumeurs d'opinm . (1 ) A Sumatra, à Java , il est permis de tuer ces furieux lorsqu'on les rencontre daps les rues. (2) Materia indica , art . opium . London, 1826. Vol . 1erp, . 271 . 168 ACTION DES POISONS VÉGÉTAUX ET MINÉRAUX une couleur terreuse , les lèvres et les paupières bleuissent, les yeux, profondément enfoncés dans leurs orbites, sont privés d'éclat et de vivacité, l'appétit disparait, et les fu meurs de conservent plus que le goût des mets sucrés. Le tremblement et la paralysie du système musculaire don nent à ces malheureux une conformité frappante avec les buveurs d'alcool de l'Europe ; les hallucinations nombreu ses de la vue et de l'ouïe complètent cette triste ana logie. C'est surtout à leur réveil que les fumeurs d'opium offrent le spectacle de toutes leurs misères ; car le sommeil de la léthargie n'a pas réparé leurs forces. Ils ont dans la bouche la sensation d'une grande sécheresse, d'un feu dé vorant, et ils ne peuvent calmer leurs souffrances qu'au moyen de nouvelles doses de poison. Interrompent-ils leurs habitudes, ils sont comme anéantis, éprouvent des synco pes , et il s'établit chez quelques-uns des pertes séminales . Veulent - ils cesser complétement de fumer, il surgit alors un ordre de phénomènes tout à fait spéciaux . Ils ressentent comme la sensation d'un froid glacial ; ils se plaignent de douleurs intolérables dans toutes les parties du corps . Leurs forces s'évanouissent sous l'influence de diarrhées dyssentériques et de transpirations continuelles, et la mort est le triste couronnement de cet état hideux. Aucun fu meur d'opium n'atteint un age avancé, et l'on a remarqué que la postérité de ces malheureux est étiolée , souffre teuse, misérable et comme frappée d'une déchéance intel lectuelle précoce. Il nous est impossible, comme on le conçoit facilement, d'étudier sous loutes ses faces, ainsi que nous l'avons fait pour l'alcoolisme chronique, la question des dégénéres cences héréditaires provenant de l'empoisonnement par l'opium : toutefois, il n'est pas à supposer que dans celle SUR L'ORGANISME. OPIUM 169 circonstance, la nature fasse une exception aux lois inva riables qui président à la formation des variétés dans l'es pèce, que ces variétés soient le résultat d'une transforma tion naturelle d'un type primitif ou d'une transformation maladive constituant une dégénérescence. Cette question de l'opium examinée au point de vue des ravages exercés par ce poison chez les individus, celle question, dis-je, peat facilement se généraliser, et si l'on considère l'état actuel de la Chine, on est effrayé de l'avenir intellectuel , physique et moral , réservé à ce malheureux pays ( 1 ) . Nous n'oserions même dans nos déductions scientifiques, aller aussi loin que quelques auteurs, qui témoins oculaires des maux qu'ils décrivent , n'ont pas craint d'affirmer : « que > si l'habitude de fumer l'opium continue encore en Chine

pendant une ou deux générations , la puissance de ce

pays disparaitra, et que cette nation presque innombra , ble ne présentera plus au monde civilisé qu'un spectacle d'horreur et de dégoût. » ( 2 ) ( 1 ) Voir notre chapitre des dégénérescencés dans leur rapport avec le mal moral. ( 2) Docteur Sigmond : Trunsactions of the medico - botanical society in London . Ce triste pronostic du docteur Sigmond n'a rien de trop exagéré, et si l'on vent consulter les nombreux documents qui existent aujourd'hui sur ce sujel , on aura lout lieu de s'en convaincre . Le fumeur d'opiom est , par le seul fait de sa fatale habitade, rayé du monde intellectuel , et devient, pour la société, on être non-seulement inutile , mais dangereux . Une grande partie de l'armée impériale est devenue, dit-on , impropre pour le service militaire. Dans un corps de troupes en destination, il y a quelques années, pour Canton, on comptait dès les premiers jours plusieurs milliers d'hommes qui manquaient à l'appel , et qui maraudaient pour trou ver de l'opium. Le docteur Schmidt , médecin de la frégate la Sonde, ra conte que les soldats chinois , chargés d'escorler à Canton l'équipage de ce 170 ACTION DES POISONS VÉGÉTAUX ET MINÉRAUX Le même fatal pronostic s'étend aux habitants de Java , de Sumatra et des autres iles de la Sonde, et rien n'égale, comme on le sait , la passion effrénée des Malais pour ce poison redoutable. Une dernière considération complétera ce que nous avons à dire sur l'opium . Serait-il vrai , comme l'affirment quel ques auteurs , et en particulier M. le docteur F. Tiedemann , que l'habitude de fumer l'opium ait déjà envahi la capitale de l'Angleterre ? S'il en est ainsi , je ne crains pas d'affir mer qu'il est impossible de calculer les maux dont la gé. nération actuelle est menacée. Au reste , la statistique a déjà pu recueillir des chiffres qui ont une triste significa tion : en 1830, 105,718 livres anglaises d'opium fu rent introduites à Londres ; en 1851 , ce chiffre atteignit 118,915, et en 1852 , 250,790 livres ! ( 1 ) bâtiment naufragė, s'enivraient régulièrement lous les soirs avec l'opium . Le même médecin affirme que la plupart des hôpitaux et des asiles d'indi gents en Chine sont remplis d'individus atteints de maladies incurables causées par l'habitude de fomer l'opium . Je tiens de M. l'abbé Huc, qui a bien voula me donuer des renseigne menls précieux sur l'état intellectuel , physique et moral des Chinois, que les grands avanlages remportés jusqu'à présent par le fameux chef des re belles, sur l'armée impériale, sont dûs à l'abstention de l'opium , que ses soldats ont juré de ne pas fumer. ( 1 ) Je laisse à M. le docteur Tiedemana la responsabilité du fait suivant dont il m'a été impossible de constater l'authenticité . Cet auteur prétend qu'il s'est établi à Paris une société dont les membres sont désignés sous le nom de Opiophiles. On se réunit pour fumer l'opium, et il existe dans les archives de la société un registre où chacun est libre de consigner les sensations qu'il a éprouvées. Tout nous fait espérer néanmoins que ce fait, s'il est vrai, est propre à quelques individus excentriques , el qu’un usage aussi déplorable ne s'impalronisera pas en France . SUR L'ORGANISME . - TABAC. 171 S III . — Du tabac et de ses effets physiologiques . Tabae. - Quel peut être le role que joue le tabac dans la production des dégénérescences de l'espèce ? Et en ad mettant même que l'action dégénérative de cette substance narcotique soit un fait bien démontré, jusqu'à quel point est-il d'une bonne hygiène médicale d'attaquer l'usage du tabac qui est devenu pour toutes les nations du monde, non- seulement l'objet d'un caprice, d'une habitude plus ou moins impérieuse, mais d'un véritable besoin que beaucoup d'individus doivent satisfaire à tout prix ? Ces premières objections qui se présentent pour ainsi dire naturellement à l'esprit , me permettront de fixer les limites dans lesquelles je veux me renfermer à propos de cette étude de l'influence du tabac sur l'économie hu maine . Je n'ai nullement l'intention d'attaquer l'usage de cette substance, et cela pour plusieurs motifs. Premièrement :: il est loin d'être démontré que l'habitude de fumer ou de priser, dans des proportions modérées bien entendu , soit en aucune façon nuisible à la santé . Deuxièmement : si nous examinons la question au point de vue de l'hygiène morale surtout, nous resterons convaincus que ce n'est pas sans danger qu'une législation si absolue et si efficace même qu'on puisse la supposer, sévirait contre une habitude pas sée à l'état de besoin irrésistible . Tout ce qu'il reste à faire à la médecine dans une situation pareille , est de signaler d'une part les dangers de l'abus, et de faire ressortir de l'autre les inconvénients non moins grands qu'il y aurait à ce qu'une substance qui produit une excitation d'une no cuité contestable, fut remplacée par une autre dont l'in fluence éminemment dégénérative ne peut être niée par 172 ACTION DES POISONS VÉGÉTAUX ET MINÉRAUX personne. C'est à l'opium que je veux faire allusion par ces dernières paroles, et mon argumentation se réduit pour le moment à cette vérité presque triviale : que de deux maux il faut choisir le moindre. Mais une fois ces considérations préliminaires bien éta blies, croit -on que la question de la nocuité ou de l'ino cuité du tabac soit pour cela soustraite au controle des médecins ? Ceci ne peut être admis, et pour prouver com bien cette étude intéresse, non - seulement la santé publique, mais encore l'hygiène physique et morale des peuples , je me contenterai de poser les questions suivantes : Le tabac ne contient - il pas un poison d'une activité for midable ? Est- il permis d'admettre que ceux qui abusent de cette substance , ne soient pas plus ou moins défavorable ment influencés par l'action de la nicotine ? S'il est prouvé que ceux qui font un usage modéré du tabac n'éprouvent qu'une excitation passagère qui n'est pas sans charme pour l'imagination, et sans profit pour certaines organisations , peut- on bien affirmer que les ouvriers qui travaillent dans les fabriques où cette plante subit des manipulations si nombreuses avant d'être livrée aux consommateurs, n'en ressentent aucun effet nuisible ? Et quand même les solu tions satisfaisantes de la science viendraient dissiper les doutes et les incertitudes que ce sujet peut faire naître dans quelques esprits, pourquoi n'aborderait-on pas la question par son côté économique et moral ! Serait- il indifférent de savoir l'influence que la culture spéciale du tabac exerce sur l'économie agricole d'un pays (1 ) , de connaitre jus qu'à quel point la population laborieuse sacrifie des besoins réels, à des besoins dont le point de départ est évidem ( 1 ) Plas de 9,000 hectares des meilleurs terrains sont consacrés en France à la culture du tabac . SUR L'ORGANISME. 173 - TABAC . ment factice, d'étudier enfin dans quel sens les mæurs et les habitudes sociales ont été modifiées par l'introduction de celle plante exotique ( 1 ) ? Il nous serait impossible dans ( 1 ) M. Frédéric Tiedemann a publié sur ce sujet un ouvrage que nous avons déjà cité, et que l'on consultera avec intérêt. Je me contenterai de donner dans celle note un très- court résumé historique de la découverte du tabac et de son invasion en Europe. La première connaissance que les Européens eurent du tabac coïncide avec la découverte de l'Amérique, le 12 octobre 1492. Gonzalo de Baldez, qui, en 1513, commença son grand ouvrage sur l'histoire générale des In des, qui ne devait pas avoir moins de 50 volumes, et dont 20 seulement virent le jour, Gonzalo de Baldez , dis -je, donne de longs détails sur l’u sage du tabac , qui était général parmi les indigènes de l'ile Guanabani , au moment où Christophe Colomb y débarqua . Rien n'égala la surprise des Es pagnols de voir ces insulaires humer, au moyen de longs tubes en bois qu'ils appelaient tabaco, la fumée d'une plante qu'ils brûlaient sur des charbons ardents, fumée qu'ils rejetaient ensuite par la bouche et les parines . Ceux qui voulaient les imiter éprouvèrent des nausées et tous les phénomènes dùs aux modifications spéciales que les narcotiques exercent sur les fonctions cérébrales . Leur première impr ion fut que ces effels devaient élre nui sibles . A mesure que les Européens étendirent leurs conquètes et leurs dé couvertes ils purent se convaincre que l'usage du tabac élait général daos le Nouveau Monde. Les historiens de Fernand- Corlez décrivent fort au long, sous ce rapport, les mæurs des Mexicains , et tout ce qui se passail à la cour de Montézuma. Les uns fumaient le labac, les autres , comme les Alzèques, le prenaient en poudre ou le chiquaient. Celle plante entrait encore dans la thérapeutique de ces peuples. Les relations d'André Thevel et de Jean de Lery nous apprennent que chez les indigènes du Brésil le tabac , connu sous le nom de pélun, était con sommé sous toutes ses formes. Dans l'Amérique du nord , l'usage de fumer dans les pipes se confonil avec l'origine des peuples de celle partie du monde comme on peut s'en convaincre par les instruments destinés à cet usage , et que l'on retrouve en quantilé dans les tombeaux les plus anciens. Quoi qu'il en soit, les Européens se chargèrent plus tard de répandre celle habitude, à laquelle sont adonnées aujourd'hui les peuplades les plus sauvages. 174 ACTION DES POISONS VÉGÉTAUX ET MINÉRAUX une æuvre où nous devons aborder tant de questions im portantes, de satisfaire à toutes ces données, et nous devons nous contenter de traiter ce sujet dans ses rapports avec les effets qu'il produit sur l'économie. L'usage du tabac est - il nuisible à la santé ? On dirait que pour élucider une question aussi simple, il ne s'agit L'apparition du tabac en Europe se fit, comme on sait, sous le couvert de la médecine , et c'est à Jean Nicot, ambassadeur de France à Lisbonne en 1560, que revient l'honneur des premières cures allribuées au tabac, que le peuple ne désignait pas autrement que sous le nom de plante de l'ambassadeur, comme il l'appela plus tard poudre de la reine, sous la do mination de Catherine de Médicis. L'usage du tabac se répandit bientôt eu Europe, malgré les défenses des gouvernements, en dépit des bulles d'Urbain VIII el d'Innocent XII, qui excommunièrent lous ceux qui priseraient dans les églises . Il est vrai de dire que ces bulles furent rapporlées plus tard par Benoil XIII, qui était, dit-on, lui-même un priseur émérite. Mais lonjours est- il que l'habitude de fumer et de priser avait déjà au commencement du XVIIe siècle jeté des racines trop profondes pour que les défenses des gouvernements, les amen des, les prédications dans les églises possent produire une réaction contre un usage qui lendait à se généraliser . C'était contre le tabac une croisade formidable. Jacques fer, roi d'Angleterre , crut devoir lui-même entrer dans la lice ; mais il eut beau dans son misocapnus ( seu de ubusu tabaci ; lusus regius) conjurer ses sujets de renoncer à un usage aussi destructeur pour la santé du corps que pour la santé de l'âme, Jacques 1er , dis - je, ne fut pas plus puissant que l'entraînement général qui portait loutes les classes de la société à s'adonner à l'usage du tabac. D'un autre côté , les exagérations de cerlains médecins qui attribuaient à celle plante les influences les plus désastreuses n'avaient aux yeux du peuple aucune espèce de valeur. Il pré férait s'en rapporter aux panegyriques non moins outrés d'autres médecins, qui ne pouvaient assez vanter le tabac et ses merveilleux effets . Enfin l'on peut dire que celle planle célèbre acquit son droit définitif de naturalisation en Europe lorsqu'elle devint pour le commerce et pour les gouvernements la source de bénéfices énormes et la base des impôts les plus productifs et les plus faciles à percevoir. SUR L'ORGANISME. - TABAC. 175 que de faire appel à l'expérience et à l'observation , mais il semblerait que dans l'un et l'autre cas, ces deux modes si précieux d'investigation n'aient pas jusqu'à présent complé. tement répondu à ce que l'on était en droit d'attendre . Si nous nous adressons à l'expérience , il ne peut rester aucun doute de l'activité malfaisante du principe renfermé dans le tabac. Les premières recherches de Vauquelin, et les analyses plus récentes de Brodie, d'Orfila , de Macarteney et de Stas nous ont fait connaitre l'huile essentielle désignée sous le nom de nicotine, et les expériences essayées dans ces derniers temps sur les animaux ont, comme nous le disions , parfaitement démontré la puissance extraordinaire de ce poison . « Sa violence , dit M. le docteur Mélier, ne peut » être comparée qu'à celle de l'acide prussique. Elle pro » duit sur les animaux les phénomènes les plus remarqua bles, et tue à la dose de quelques gouttes, ainsi que nous en sommes assuré dans une foule d'expérien > ces ( 1 ) . » > nous ( 1 ) Rapport de M. le docteur Mélier, sur la santé des ouvriers em ployés dans les manufactures de tabac . Ce rapport , très - remarquable, a élé lu à l'Académie le 22 avril 1845, et se trouve dans le Bulletin de l'A cadémie de Médecine, t . X, p . 569 à 631. M. Mélier cite à l'appui de son rapport les expériences qui ont été faites par M. Cl . Bernard , sur différents animaux. Il me suffira de citer la première de ces expériences sur un chien de forle taille, bien porlant. On fait une petite incision en dedans de la cuisse gauche ; la peau est sou levée et décollée dans l'étendue de quelques centimètres , en évitant de faire couler du sang , et on y dépose trois pelites gouttes de nicotine . L'im pression ne parait pas douloureuse ; l'animal ne s'agite pas au moment du contact. Au bout de deux minutes, la respiration s'accélère tout à coup , et devient gènće, anxieuse, pénible ; les pupilles sont dilatées. Au bout de trois minules , on le descenil de la table où il était relenu pour 176 ACTION DES POISONS VÉGÉTAUX ET MINÉRAUX Des nombreux essais tentés avec la nicotine, il est per mis de tirer les conclusions suivantes : l'expérience , et on le met à terre en liberté . Il urine abondamment et sem ble soulagé ; puis il se met à tourner sur lui-même en chancelant comme dans l'ivresse ; il s'appuie ensuite contre le mur pour éviter de tomber, el reste calme et immobile , les pattes écartées . Au bout de sept minules , il fait de violents efforts de défécation, el rend des matières solides . Huit minutes. Il est pris de vomissements et rend des mucosités filantes en bavant. Onze minutes . Grande agitation , expression de malaise , tremblement des cuisses, efforts continuels de vomissements qui amènent des mucosités blanchâtres . – Chaque vomissement parait être suivi de soulagement . Douze minutes. L'animal resle calme et lêle baissée, puis il essaye de marcher, el paraît moins souffrant. Quinze minutes. La respiration se modère ; il se calme. Le pouls est accéléré et fort ; les pupilles sont revenues à l’étal normal . Il fait quelques lours d'un pas incertain ; il se couche dans une altitude assez naturelle , el semble se remettre. On le laisse dans celle position . Au bout d'une heure, c'est-à-dire, une heure quinze minutes environ après l'instant où la nicotine a élé déposée dans la plaie , l'animal est de bout, dans un coio, et semble remis de ce qu'il a éprouvé . Tout indique qu'il survivra à l'expérience. Il a survécu , en effet, et s'est complétement rélabli , de manière à pouvoir élre utilisé pour d'autres expériences . D'après M. le docteur F. Tiedemann, Rédi aurait fait les premières ex périences sur l'effet du tabac chez les chiens . Il lai suffisait de raper une pelile quantité de feuilles sèches de celte plante , et de les faire prendre incorporées aux aliments, pour causer des vomissements aux animaux sur lesquels il expérimentait . Rédi fil promptement périr des poules en leur passant sous la peau un fil trempé dans l'huile empyreumatique du tabac. Une vipère dans la plaie de laquelle on introduisit quelques gouttes du même produit de larda pas à périr dans des conyolsions . Des expériences sous toutes les formes possibles ont été opérées anciennement déjà sur des chiens , des chals, des grenouilles et beaucoup d'autres animaux , et renouvelées SUR L'ORGANISME. - TABAC. 177 Si l'on dépasse les quantités infiniment petites que les animaux peuvent supporter lorsqu'on leur introduit ce poison, soit par des incisions faites sous la peau, soit dans l'orifice buecal, la mort est la terminaison inévitable . Si l'on dépose quelques gouttes de nicotine sur les or ganes qui possèdent des nerfs de sentiment, ou sur ces nerfs eux-mêmes, il se produit des douleurs des plus vives, et l'animal laisse voir ce qu'il éprouve par ses cris et ses mouvements convulsifs ( 1 ) . L'introduction de la nicotine dans le torrent circulatoire se fait avec une rapidité extrême, et une quantité presque impondérable suffit pour occasionner la mort. Si l'on mele de la nicotine au sang, ce liquide devient d'un noir foncé, et se transforme en une masse bilieuse dans laquelle il est difficile de reconnaitre les globules du sang primitif ( 2) . Lorsqu'un animal a été empoisonné avec la nicotine, sa respiration devient difficile , irrégulière et anxieuse ; les poumons exhalent une forte odeur de cetle substance . L'effet de ce poison sur la moelle épinière est remarquable. Les animaux empoisonnés éprouvent des tremblements du corps et des membres. Ils se relèvent pour retomber sur le ventre ou sur le flanc, mais non pas toujours sur le flanc par les plus célèbres chimisles modernes. M. Tiedemann a fait lui -même des expériences conjointement avec M. le professeur Bischoff. Une seule goulle de nicotine introduite dans l'orifice buccal d'une grenouille, suffit pour lui faire exécuter des bonds énergiques et précipités. Après 25 secon des l'animal fut pris de convulsions tétaniques , et une minute s'était à peine écoulée que la mort arrivait. ( 1 ) Chez l'homme , la nicotine , même étendue d'eau , produit une impres sion douloureuse sur les parties dénudées, telles que les lèvres , la langue el la muqueuse de l’ail . ( 2) Hamburger. Dissertationes inaugurales experimentorum circa san guinis coogulationem . Specimen primum . Berlin , 1839 . 12 178 ACTION DES POISONS VÉGÉTAUX ET MINÉRAUX 1droit, comme l'ont prétendu Stas et Berutti . Ils poussent des cris plaintifs, et leurs convulsions ont quelque chose qui ressemble au tétanos. Les pulsations du cœur sont fortes, et si tumultueuses qu'il devient impossible de les compter ; les mouvements respiratoires s'arrêtent , et la mort est inévitable . Si la quantité de nicotine introduite dans le sang n'est pas en rapport avec la grosseur de l'animal, les convul sions cessent peu à peu, et le poison s'échappe par les or ganes pulmonaires, et probablement aussi par les voies urinaires (1 ). Enfin, si l'on accepte le résultat des expériences citées par M. F. Tiedemann, la sensibilité du système nerveux est tellement modifiée par la nicotine, que l'on a pu, chez des animaux empoisonnés par cette substance, tirailler les nerfs qui président au sentiment et au mouvement, sans amener de contractions dans les muscles . L'électricité même n'aurait plus d'action sur les nerfs dénudés et imbi bés de nicotine, tandis que les moyens d'excitation portés directement sur le système musculaire lui- même, produi raient cependant des contractions énergiques ( 2) . Si nous voulions maintenant juger à priori l'action de la nicotine, on serail effrayé des conséquences funestes que doit exercer un poison aussi redoutable . Mais ici , comme nous l'avons dit , l'observation fait défaut, et nous devons conclure, sachant la quantité énorme de tabac consommée en Europe, que la dose de nicotine absorbée par chaque fumeur se réduit à des proportions trop minimes pour que 1 ( 1 ) Voir la relation des expériences faites au collège de France, par M. le docleur Cl . Bernard , relatées dans le rapport de M. le docteur Mélier. (2) F. Tiedemang. Ouv. cité , p . 347 . SUR L'ORGANISME . TABAC. 179 les accidents qui en résultent ne soient pas la très - rare exception ( 1 ) . Nous pouvons résumer en peu de mots les inconvénients cités par les auteurs. Les premiers essais de fumer le tabac sont accompagnés de nausées et souvent de vomissements : mais l'économie, à l'exception de quelques tempéraments réfractaires à l'action du tabac, s'accoutume bientôt à son usage . L'usage du tabac à fumer est nuisible chez les adultes qui n'ont pas atteint leur développement, et à plus forte raison chez les enfants . L'énorme quantité de salive qui est sécrétée chez eux ne peut qu'agir d'une manière fu neste sur les grandes fonctions de l'économie . Les jeunes fumeurs sont en général pales et maigres, et les phénomè nes de la nutrition ne s'exercent pas chez eux dans la plé nitude de leurs effets . Ceci est d'autant moins à contester, que les habitués se livrent à leur pratique dans les cir constances les plus nuisibles à leur santé, c'est - à-dire , avant ou après les repas . L'action périodique exercée sur le système nerveux par les inhalations de tabac, disent encore quelques hygiénis tes , amène des phénomènes d'excitation suivis de dépres sion. Les grands fumeurs passent généralement pour être ( 1 ) Il faut faire aussi la part de la quantité relativement plus considérable de nicotine renfermée dans telle ou telle espèce de tabac . D'après Schlös sing , cent parties de tabac rapé contiennent les proportions suivantes de nicotine : Tabac de Havane .... 2 Tabac d'Ile -et- Vilaine . . 6,20 p . cent . de Maryland... 2,29 du Nord ........ 6,58 d'Alsace .... 3,21 de Virginie...... 6,87 du Pas-de -Calais. 4,94 de Lot- et Garonne . 7,34 du Kentucky ... 6,09 du Lot......... 7,96 . pour cent . 180 ACTION DES POISONS VÉGÉTAUX ET MINÉRAUX indolents et phlegmatiques. La fumée agit encore, d'après quelques autres, sur les nerfs sensitifs de la langue, et mo difie d'une manière pathologique la membrane muqueuse de la bouche. L'appétit chez les fumeurs de profession ne peut etre excité que par des mets de haut gout, et les in flammations chroniques de l'arrière-gorge et des voies respiratoires sont, dit-on , communes chez ces individus. Si nous ajoutons à ce tableau excessivement restreint des in convénients du tabac, que cette habitude existe rarement isolée, que les fumeurs se livrent généralement à des liba tions énormes de bière et même d'alcool , et qu'ils sem blent n'éprouver de plaisir qu'à fumer en commun dans l'atmosphère fétide et viciée des tabagies, on ne sera pas étonné des conclusions désespérantes de certains auteurs, qui prétendent que l'abus du tabac est loin d'être sans influence sur le développement des affections mentales compliquées de paralysie générale ( 1 ) . ( 1 ) Cette opinion est celle de deux médecins aliénistes célèbres, MM. Guislain et Hagen. On ne peut certainement nier d'une manière absolue l'influence du tabac sur le système nerveux. Les exemples ne manquent pas d'accidents graves survenus dans des circonstances où l'on ne pouvait mé connaître un véritable empoisonnement. Le physiologiste Marschall- Hall cite un jeune homme qui , après avoir fumé dix- sept pipes coup sur coup , fat pris d'accidents létaniques avec dilatation énorme de la pupille , el laillit mourir dans les convulsions . Le docteur Helwig raconte l'histoire de deux jeunes gens qui, après avoir fait le pari de fumer le plus grand nombre possible de pipes, furent pris de convulsions et périrent ; mais ces faits ne sont que des exceptions. Les accidents étaient bien plus nombreux autre fois, lorsque le tabac était employé en thérapeutique. On s'en servait non seulement à l'extérieur, mais à l'intérieur . Dans quelques pays existe encore l'usage de laver les lèles teigneuses des enfants avec des décoclions de ta bac, et les accidents, d'après Kruger, ne sont pas rares . (Miscellanece academicæ naturæ curiosorum .) Il faut bien avouer encorc, que dans les ardentes polémiques qu'a susci SUR L'ORGANISME . ТАВАС . 181 > Nous allons maintenant déplacer la question , et voir si le tabac n'est pas nuisible aux ouvriers employés dans les fabriques où cette plante est soumise à de nombreuses ma nipulations. Quand on songe en effet qu'il ne faut pas moins d'une période de trois années pour que la feuille de tabac soit amenée à recevoir sa dernière préparation avant d'être livrée aux consommateurs, et que quelques- unes de ces préparations s'accompagnent du dégagement des gaz les plus méphytiques, on conçoit avec peine que ces émana tions ne soient pas nuisibles aux ouvriers qui les respi rent. Cependant nous constaterons que les auteurs qui se sont occupés de ce sujet sont loin d'être d'accord dans leurs conclusions. La fermentation des masses de tabac est le moment le plus important, et celui qui nous semble avoir le plus de danger dans le cours de la fabrication . Pour faire naitre celte fermentation , dit M. le docteur Mélier, on entasse le tabac dans de vastes magasins, que l'on a soin de tenir fermés, et l'on en forme d'énormes masses qui n'ont pas lées la question du tabac , chaque auteur entrait dans l'arène avec les sym pathies ou les antipathies qu'il professa il pour ce narcotique. Lorsque par exemple, Van-Helmont, Cotugno , Fagon , Tissot, etc., ont affirmé que le labac est un poison fent qui abrége la vie , il était facile de leur répon dre avec des exemples extraordinaires de longévité chez les fumeurs. Ce genre d'érudition est le plus facile à mellre en relief, et c'est aussi celui qui en impose le plus. Mais quand on nous citerait des exemples comme celui de l'invalide Brissiac, qui mourut à Trieste à l'âge de 116 ans avec la pipe à la bouche ; quand on y ajouterait encore celui de Henri Harlz do Schleswig, qui fumait depuis l'âge de 16 ans el qui mourut dans les mê mes conditions physiques et morales que Brissiac , à l'âge de 142 ans , cela ne prouverait absolument rien dans la généralité de la thèse. Il n'en reste rait pas moins bien établi que l'usage immodéré du tabac a une influence funeste sur la santé . 182 ACTION DES POISONS VÉGÉTAUX ET MINÉRAUX

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moins de 6 à 700 mètres cubes , et pésent de 3 à 400,000 kilogrammes. Ainsi accumulé , le tabac ne tarde pas à s'échauffer et à éprouver, par la réaction de ses principes , un travail intérieur qui lui donne de nouvelles qualités . La température des masses s'élève rapidement ; des ther momètres allachés à leur surface, et portés dans leur in térieur au moyen de conduits que l'on yy ménage , servent à la constater ; elle va jusqu'à 80 degrés..... La fermenta tion des masses donne lieu à un grand dégagement de gaz, dont l'hygiène serait très intéressée à bien connaitre la composition, afin de savoir au juste ce que cette fermen tation verse dans l'atmosphère et présente à la respiration des ouvriers ; mais il n'existe aucun travail précis à cet égard..... On sait seulement qu'il se produit une grande quantité d'ammoniaque et de l'acide acétique, et il est pro bable, ajoute M. Mélier, que la nicotine, ce principe actif et essentiel du tabac, dégagé et mis à nu par la fermentation , s'y mêle en proportion plus ou moins grande..... Ces gaz divers, ces émanations, l'odeur qui les accompagne, don - nent à l'atmosphère les qualités les plus irritantes , une åcreté difficile à supporter, particulièrement à un certain degré de l'opération. Une deuxième fermentation du tabac en poudre s'opère dans les cases, espèces de chambres ou cellules construites en planches, où le tabac pressé et foulé en tous sens est, autant que possible, à l'abri du contact de l'air (1 ). Ce simple résumé suffirait pour nous faire penser que la fabrication du tabac est loin d'être sans influence sur la C ! 2( 1 ) M. Mélier. Rapport sur la santé des ouvriers dans les manufactures de tabac . Il est cependant permis de douter que la nicotine se mêle à ces dégagements dans les proportions que suppose M. le docleur Mélier, car des accidents immédials ne manqueraient pas d'en être le résultat. SUR L'ORGANISME, TABAC. 183 santé des ouvriers ; toutefois, en présence des conclusions les plus opposées, nous sommes bien obligé de suspendre notre jugement. Dans le rapport publié en 1829, par MM . Parent-Duchatelet et d'Arcet ( 1 ), ces auteurs sont les pre miers qui se mettent en contradiction formelle avec Ra mazzini, sur les effets nuisibles de la fabrication du tabac. Ils disent positivement que, dans la plupart des fabriques, il est sans exemple qu'un individu ait été dans l'impossibi lité de s'accoutumer aux émanations du tabac, qu'il n'y a guère que la démolition des masses qui ait été nuisible à quelques-uns, etqu'en général ceux qui sont exposés à toutes les émanations de cette substance, pendant un , deux ou trois mois , n'en sont pas incommodés . Ces auteurs nient positivement les conséquences funestes de cette fabrication : les vertiges , les syncopes et les tremblements musculaires, le narcotisme, et finalement la mort. Hatons-nous d'ajou ter que les conclusions de M. le docteur Mélier sont loin d'être aussi favorables. En vain objecte - t- on que la durée de la vie moyenne n'est pas diminuée chez les ouvriers, qu'ils peuvent impu nément braver les lois de l'hygiène la plus ordinaire , que plusieurs , ainsi que l'a poté Parent, se couchent et dor ment sur le tabac en feuille ou haché, ou même sur le tabac en poudre, et que, loin d'en être incommodés, ils attribuent , à ce coucher d'une nouvelle espèce, des vertus curatives , il n'en résulte pas moins du rapport de M. Mé lier, que la fabrication du tabac apporte un changement profond dans la santé d'un certain nombre d'ouvriers, et qu'il leur imprime un cachet particulier. « Il consiste dans une altération spéciale du teint. Ce ( 1 ) Iofluence du tabac sur la santé des ouvriers . Annales d'hygiène publique et de médecine légale. Paris, 1829, t . 1er, pag. 169 . 184 ACTION DES POISONS VÉGÉTAUX ET MINÉRAUX. » A'est pas une décoloration , une pâleur ordinaire ; c'est » un aspect gris avec quelque chose de terne, une nuance » mixte qui tient de la chlorose et de certaines cachexies . » La physionomie en reçoit un caractère propre auquel un » wil exercé pourrait jusqu'à un certain point reconnaitre ceux qui ont longtemps travaillé le tabac ; car il faut dire » que ce facies ne s'observe que chez les anciens de la fa , brique, chez ceux qui y ont beaucoup séjourné et ont , passé par tous les travaux qui s'y font. M. le docteur » Hurtaux estime qu'il ne faut pas moins de deux ans pour > qu'il se produise. Les préparations ferrugineuses remédient , comme on le sait, à cet état , et rendent aux ouvriers leur coloration première. Mais qu'indiquent de pareils changements, et que s'est-il passé chez les ouvriers qui les présentent ? « Nous sommes très-porté à croire, dit M. Mélier , qu'il » y a eu chez eux à la longue, une modification du sang, , et que c'est à cette modification, conséquence elle-même , de l'action lente et prolongée du tabac, qu'il faut attribuer , leur physionomie particulière . Si nos conjectures sont » fondées, il doit y avoir eu absorption du tabac ou de cer » tains de ses principes ; disons le mot, une sorte d'intoxi calion, et par suite les effets que nous avonssigoalés . L'exposé que nous avons fait de l'influence du tabac sur la santé, nous éloigne également des opinions extre mes, et si l'observation ne nous permet pas d'attribuer å cette plante narcotique les mêmes effets toxiques que ceux qui sont produits par l'alcool , l'opium , et par d'autres sub stances dont nous ferons l'histoire , nous sommes loin cepen dant de rejeter tout ce qui a été avancé sur les conséquen ces funestes de l'abus du tabac, et nous pensons qu'il est un autre côté de la question qu'il serait utile d'examiner dans l'intérêt des causes générales des dégénérescences dans SUR L'ORGANISME. . TABAC. 185 l'espèce humaine. Quand on songe d'un coté à la quantité énorme de terrains employés à la culture de cette plante en Europe ( 1 ) , et de l'autre aux sommes fabuleuses dé pensées pour la satisfaction d'un besoin qui n'est pas, il s'en faut, un besoin de première nécessité, mais pour le quel néanmoins beaucoup d'individus prélèvent un tribut quotidien sur des salaires péniblement acquis , on se de mande si l'hygiène n'a pas à souffrir d'un pareil état de choses . Cette question offre un intérêt d'actualité d'autant plus vif, que tout ce que nous aurons à dire dans la suite de cet ouvrage, démontrera les rapports intimes qui exis. lent entre l'appauvrissement de la race et la difficulté de plus en plus grande qu'éprouve la classe peu fortunée de se procurer des aliments réparateurs . ( 1) Nous avons déjà dit que le nombre des hectares de terrains sacrifiés à cette culture ne s'élève pas à moins de 9,000 pour la France . D'après la statistique de Dieterich 80,441 jours de terres sont consacrés à la culture du tabac dans les pays de la Confédération germanique . L'Empire autrichien fournit à lui seul 25 millions de livres de tabac, qui absorbent l'emploi de 44,000 jours. Il serait intéressant de savoir quelle est en France et dans les autres pays de l'Europe, la quantité de tabac dépensée par individu . Mérat ne donde sous ce rapport aucun chiffre officiel dans le Dictionnaire des sciences mé dicales. Si l'on en croit M. Tiedemann , la consommation de la France élait en 1850 de 537 grammes par tête ; mais cette consommation se répartit d'ane manière inégale par départements. En première ligne se présentent les départements du Nord, du Pas-de- Calais et du Rhône, où la consom - mation a varié de 1 à 2 kilogrammes par tèle, tandis que dans l'Aveyron, il ne s'est dépensé que 187 grammes par individu . 486 INTOXICATION SATURNINE . DEUXIÈME SECTION . - SI. — De l'intoxication par les poisons minéraux et de leur action sur l'organisme . Les substances minérales dont nous allons nous occuper, telles que le plomb, le cuivre, le phosphore, le mercure , sont principalement employées dans l'industrie , et nous aurions pu,, à ce titre , décrire aussi bien leurs effets dans le chapitre des dégénérescences résultant des industries et des professions insalubres . Toutefois il nous a semblé que les analogies que nous aurons à faire ressortir entre l'ac tion des poisons végétaux et des poisons minéraux, per draient de leur valeur en disséminant des observations dont les rapports deviendraient ainsi plus difficiles à saisir. Nous suivrons au reste la méthode qui nous a guidé dans l'étude des poisons végétaux. De remarquables travaux ont paru dans ces derniers temps sur l'action de certains agents toxiques, ainsi que sur les progrès que l'on est en droit d'attendre de la science industrielle pour sauvegarder la santé du grand nombre d'ouvriers employés dans les fa briques . Cependant il est certain que la question des in fluences dégénératives ne pouvait primer dans l'ensemble des recherches faites au point de vue d'un intérêt plus immédiat. Il importait, d'abord , de savoir comment agis saient ces poisons , par quelles voies ils s'introduisaient dans l'économie, et quelle était la nature des lésions qu'ils amenaient dans l'organisme. Il fallait ensuite , vu l'impossibi. lité de proscrire des industries plus ou moins nuisibles, il est vrai , mais se rattachant à des intérêts si nombreux , il fallait, dis - je, recourir à toutes les données de la thérapeu lique et de l'hygiène pour atténuer le mal , quand on ne > SON ACTION SUR L'ORGANISME . 187 pouvait espérer le détruire complétement. Si donc aujour d'hui nous essayons d'utiliser dans l'intérêt de nos propres éludes les travaux qui ont eu pour but de définir l'action des poisons minéraux, nous ne prétendons pas amener la question des dégénérescences à ce degré où la science ne laisse plus rien à désirer. La part que nous pourrons re vendiquer sera assez belle encore, si notre propre travail est de nature å provoquer des recherches collectives , et à fixer l'attention des savants sur un sujet qui intéresse à un si haut degré l'amélioration intellectuelle, physique et mo rale de l'espèce humaine. S II . Intoxication salurnine. Observation. Un individu , agé de 23 ans, travaillait depuis six ans dans une fabrique de céruse, et éprouvait annuelle ment trois ou quatre attaques dans lesquelles l'intoxication se traduisait au - dehors par cet état névralgique si connu sous le nom de colique de plomb. Dans les derniers temps il ressentit des crampes et des soubresauts dans les extré - mités inférieures et supérieures, mais la nature intermil tente et fugace de ces symptômes ne fixa pas son attention sur la gravité du mal . Dans le courant de l'été qui pré céda l'explosion d'accidents bien plus graves, le malade fut pris d'une colique des plus douloureuses, et cette attaque fut suivie de tremblements dans les jambes , ainsi que d'un grand sentiment de lassitude et de faiblesse. Le trouble dans le sommeil et des ballucinations qui arrivaient surtout à l'en trée de la nuit, persistèrent jusqu'au moment où cet indi vidu , ayant été exposé à un grand refroidissement pendant un voyage maritime, éprouva des vomissements, et une série de phénomènes nerveux que M. le docteur Magnus Huss décrit dans les termes qui suivent. 188 INTOXICATION SATURNINE . La physionomie est abattue et la coloration du visage d'un gris plombé . La sclérotique est jaune et les pupilles fortement dilatées . Si le malade essaie de lever la tête , il éprouve des éblouissements . La parole est embarrassée el trémulente , et le sommeil troublé par des rêves fantasti ques et par des hallucinations

ce dernier phénomène

inaugure ordinairement le point du jour . La faiblesse du système musculaire est tellement marquée , que les bras ne se soulèvent que péniblement et retombent par leur propre poids . La moindre contention , le plus léger effort amène des spasmes et des tremblements . La sensibilité est presque disparue dans les mains . L'anesthésie remonte vers les parties supérieures et dépasse rarement l'avant bras . Des phénomènes à peu près identiques se passent aux extrémités inférieures . L'énergie des muscles lom baires est si notablement diminuée , que le malade ne peut garder la position assise . Les fourmillements n'ont été ressentis dans aucune partie du corps , et cela quelle que fut la période de la maladie

mais le malade se plaint

d'éprouver des tiraillements le long de la colonne ver tébrale et des douleurs ostéocopes qui le privent de som meil . Il a les gencives gonflées et cerclées par un léger liseré bleu . Les dents sont fuligineuses et l'baleine fétide

la langue est tremblottante et le ventre indolent . L'appétit est perdu et la soif est modérée

le pouls ne dénote au

cun état febrile particulier , mais la sécheresse de la peau , sa couleur d'un gris ardoisé , l'acidité des urines sont les signes les plus évidents d'un trouble dans l'appareil des sécrétions. Aussi longtemps que durèrent les spasmes , les douleurs nocturnes , la constipation avec colique , l'in somnie et l'état hallucinatoire , le malade fut traité par les laxatifs , tels que l'huile de croton , et par l'opium å hautes doses . On le soumit ensuite à la strychnine , > I SON ACTION SUR L'ORGANISME . 189 et la guérison ne fut complèle qu'à la fin du quatrième mois . Cette observation n'est pas donnée dans le but de pro duire un type des différents accidents dûs à l'intoxicalion saturnine. Ces accidents sont trop nombreux, trop variés, dans des rapports trop intimes avec l'âge , le temperament, et la profession des individus, avec leur degré de tolérance surtout , pour ne pas mériter une description à part , et il ne nous est pas possible d'entrer dans tous les détails que comporte un aussi vaste sujet ( 1 ) . Dans l'idée de M. le doc teur Magnus Huss et dans la mienne, il n'est question , pour le moment, que de faire ressortir les analogies qui peuvent exister entre les empoisonnements des divers agents intoxi cants végétaux et minéraux. Que voyons-nous, en effet, dans cette histoire d'intoxication saturnine ? Le tremblement au début, la faiblesse et la paralysie des extrémités inférieures, la diminution de la sensibilité générale. Bientot après l'élé ment douloureux reparait avec les tiraillements et les crampes . Le malade a des étourdissements , des rêves fantastiques et des hallucinations . Or, ce sont là des symp tomes que nous avons pareillement observés dans la forme anesthésique de l'intoxication alcoolique . Il ne manque que les fourmillements, ce phénomène si invariable dans l'empoisonnement par l'alcool et qui est pour ainsi dire un de ses caractères essentiels . Mais lå ne se bornent pas les analogies et les dissemblances. La question est trop im

( 1 ) Pour avoir une idée aussi complète que possible des lésions diverses causées par l'inloxication salurpine , on ne peut se dispenser de consulter l'ouvrage de M. Tadquerel Des Planches : Traité des maladies de plomb ou saturnincs, suivi de l'indication des moyens qu'on doit mettre en usage pour se préserver de l'influence délétère des préparations de plomb, 2 vol . in-8° , Paris, 1839. 190 INTOXICATION SATURNINE . portante pour que nous ne l'examinions pas dans quelques uns de ses détails principaux, dans ceux surtout qui peuvent offrir un intérêt réel à l'étude des causes dégénératives dans l'espèce humaine . Il est un fait incontestable qui résulte de toutes les observations que possède la science sur les effets causés par l'intoxication saturnine, c'est celui des lésions pro gressives éprouvées par les individus journellement ex posés aux émanations délétères des sels de plomb. Depuis cet état convulsif que provoque l'élément de la douleur arrivée à son dernier paroxisme, jusqu'à cette situation pathologique désignée par M. Tanquerel sous le nom d'en céphalopathie saturnine, il existe une foule d'états inter médiaires que nous voyons tous figurer dans les maladies causées par l'intoxication . Ce sont des altérations spéciales de nutrition , caractérisées par un amaigrissement considé rable porté jusqu'à la cachexie, et par cette teinte spéciale de la peau que nous avons déjà signalée chez les bu veurs d'alcool et chez les fumeurs d'opium . Vient ensuite cette série de phénomènes pathologiques qui affectent spé cialement le système nerveux, tels que spasmes, convul sions, tremblements musculaires, embarras de la langue, anesthésie, paralysie, coma, épilepsie, hallucinations, et troubles spéciaux de l'intelligence . Or ce sont là des symp tomes inséparables de toute intoxication chronique . Je dis plus, ce sont les signes essentiels qui annoncent par leur durée, leur continuité et leur marche progressive, que l'in dividu frappé jusque dans les fonctions les plus intimes de son organisme, tend invariablement à subir des transfor mations dégénératives de plus en plus radicales. Ces transformations, lorsqu'elles arrivent à leur période ultime, présentent dans les intoxications diverses de frap pantes analogies. Elles se traduisent invariablement au SON ACTION SUR L'ORGANISME . 191 dehors, non- seulement par cet état de cachexie et de marasme si caractéristique chez les buveurs d'alcool et les fumeurs d'opium , mais par d'autres phénomènes qui an noncent la profonde altération des centres nerveux , tels que les convulsions épileptiformes et le cortège de tous les accidents qui accompagnent la paralysie générale . Il n'y a donc pas lieu de s'étonner si des auteurs, qui n'ont observé quelques- uns de ces malades que dans le der nier degré de leur dégénérescence, aient souvent confondu des affections qui , vu la diversité de la cause, auraient du être étudiées dans la variété de leur marche et de leurs symptomes. L'intoxication alcoolique, l'empoisonnement par l'opium , ne nous ont -ils pas présenté le fait étrange du besoin qu'éprouvent les individus de renouveler l'ingestion de la substance ébriante, dans le but de dissiper la tor peur et l'hébétude qui les annihilent. On connait les doses énormes de poison qui peuvent etre absorbées dans des circonstances pareilles. Rien de semblable ne s'observe dans l'action des substances minérales toxiques , et si l'on peut admettre, jusqu'à un certain point, que quelques tem péraments acquièrent une tolérance spéciale, et qu'il peut exister une intoxication primitive ( 1 ) qui n'est pas incom ( 1 ) Les préparations salurnines introduites dans l'économie peuvent , avant le développement des maladies de plomb , y manifester leur présence par une action toute spécifique sur la plupart des solides et des liquides de l'organisme. Cette action préalable du plomb est désignée par M. le docteur Tanquerel Des Planches sous le nom d'intoxication saturnine primilive. D'après cet auteur , voici les principaux effets d'un empoisonnement qui in léresse à un si haut degré la population ouvrière. 1 ° Coloration saturnine des dents et de la membrane muqueuse buccale . La portion des gencives la plus voiside des dents, dans une étendue d'une à deux lignes , acquierl ordinairement une teinte bleuâtre d'un gris ardoisé . Le reste des gencives offre assez souvent un aspect d'un rouge bleu très 192 INTOXICATION SATURNINE . patible avec l'exercice normal des fonctions physiolo giques , toujours est- il que l'économie ne peut être saturée léger ..... La portion des gencives qui devient bleue éprouve unc altération de nutrition très - remarquable . Quelquefois elle s'amincit jusqu'à se réduire à l'épaisseur d'une feuille de papier ou bien elle perd de son étendue . Dans ce cas les dents se trouvent dégarnies d'une portion des gencives et sont déchaussées. 2° Les ouvriers sur les gencives et les dents desquels on constate on dépôt de sulfure de plomb considérable , se plaignent d'une saveur loule spéciale, ils accusent un goût sucré, slypuique, astringent. L'haleine a une odeur caractéristique ( haleine saturnine) ; quelques ouvriers ont souvent conscience de la félidité de leur haleine ; aussi disent - ils qu'ils s'empoi sonnent. 3° L'ictère saturnia (teinte jaune plombée des auteurs) est l'une des modifications générales les plus importantes produites par l'action primitive du plomb sur l'économie. Celle teinte jaune pâle, plus visible à la face que parloul ailleurs , s'observe jusque sur la conjonctive. L'urine et les matières fécales offrent une coloration d'un jaune fauve assez prononcé. Le serum du sang présente un léger reflet de la même couleur . M. Tanquerel a retrouvé celle teinte jaune, après la mort , dans presque tous les organes de l'écono mie, dans le cerveau , les poumons, le cæor, les intestins , l'estomac, le foie, les reins et la vessie . 4° L'amaigrissement saturnin est, pour ainsi dire, le phénomène initial de la dégénérescence ultérieure plus complète . En même temps que se déclare l'ictère saturnin, ou quelque temps après seulement, on commence à observer chez quelques individus une altération dans les fonctions nutritives. Cet amaigrissement est général ; mais il se trouve aussi plus prononcé à la face, qui offre alors des rides sensibles à tel point que les individus pa raissent être vieillis avant le temps fixé par la nature . Ces rides donnent une expression de tristesse à quelques visages. La fonte du tissu adipeux , ou dimination de l'embonpoint, offre des de grés intéressants à connaître . Ainsi , les ouvriers, de gras qu'ils élaient à leur entrée dans les fabriques, dépérissent au point de ne plus avoir, comme on dit, que la peau sur les os. Le fait le plus extraordinaire que nous apprenne M. Tanquereſ, est que SON ACTION SUR L'ORGANISME. 133 au-delà d'un certain degré par les poisons minéraux, et qu'en thèse générale ils ne tardent pas à manifester la spé cificité de leur action par des symptômes invariables, et cela au bout d'un temps limité . Quel que soit en outre le degré de tolérance plus ou moins extraordinaire de quelques in dividus, ils ne peuvent indéfiniment échapper à l'action de ces agents intoxicants, et la douleur poussée jusque dans ses dernières limites est l'expression la plus saisissante de la gravité du mal . Chez les personnes empoisonnées par les émanations de plomb , la douleur a une si grande inten sité , qu'elle jelte les malades dans la plus violente agitation . Nous ne pouvons nous dispenser de parler de ce phéno mène, qui nous aidera à expliquer la nature du délire , cet autre signe pathognomonique, dont le retour fréquent et périodique est , comme nous l'avons dit , le pronostic le plus certain des dégénérescences ultérieures irrémédiables. « La douleur n'est pas toujours la même, dit M. le docteur Tanquerel : elle revient plus aiguë par accés, soit le jour, chez les individus qui présentent un ou plusieurs caractères de l'action pri milive du plomb , toutes les autres fonctions de l'économie s'exécutent par failement bien, ou du moins elles ne sont pas troublées par l'action du poison . L'ouvrier n'accuse aucune douleur, et il continue ses travaux . L'intoxication primitive peut précéder le développemeot des maladies sa lurpines, depuis quelques beures jusqu'à des années entières. Il n'est pas rare de voir des individus qui, loute leur vie , portent quelques traces de la présence du plomb dans leur économie , sans que pour cela ils soient jamais alteints de maladies saturpines . Quand la coloration des dents et des gencives traduit seule la présence da plomb dans l'économie , on peut en induire que la maladie saturnine éclatera probablement , mais à une époque qu'il n'est pas possible de préciser. Lorsque tous les traits de l'action primitive du plomb existent chez un indi vidu , il peut être assuré qu'il éprouvera bientôt les phénomènes consécutifs de l'intoxicalion . ( Voir l'ouvrage cité de M. Tanquerel, t . I , pag . 1 à 21.) 13 194 INTOXICATION SATURNINE. soit la nuit. Si l'accés de colique est très - douloureux, c'est alors qu'en proie à l'anxiété la plus vive, la face toute dé composée, les traits grippés, les yeux enfoncés, ternes et égarés, ces malheureux malades poussent des cris déchi rants, des gémissements, quelquefois une sorte de mugis sement, suivant la remarque de Stoll . On les voit en même temps s'agiter sans cesse, et changer à chaque instant de situation , dans le but de s'étourdir sur la violence de la douleur, et dans l'espoir de trouver quelque sonlagement à l'aide d'une position nouvelle . « Les uns se couchent à plat ventre, quittent et repren nent alternativement la position horizontale. D'autres se placent transversalement sur leur lit , et en sortent subite ment pour se promener en soutenant un instant leur ventre avec leur main ; mais bientôt l'atrocité de la douleur les force à discontinuer leur marche . Quelques-uns se roulent dans leur lit ou même par terre , se mettent en double , se pelotonnent sur la face antérieure du tronc, ou prennent mille autres attitudes aussi bizarres . Nous en avons vu accrocher leurs mains å un point d'appui fixe, puis se livrer à un mouvement de balancement continu ..... « Il n'est pas rare de voir ces malheureux , dont le entier se trouve agité de mouvements saccadés ou trem blottants et analogues à ceux d'un violent frisson de fièvre intermittente , se cacher profondément et se ramasser sous leurs couvertures . Nous en avons observé qui se portaient eux-mêmes des coups sur l'abdomen, la figure et les mem bres , et se mordaient les doigts ( 1 ). » On voit dans des cas de ce genre se renouveler les scènes des anciennes épidémies convulsives . Quelques-uns de ces infortunés prient leurs camarades de monter sur leur, ven corps ( 1 ) Tanqnerel, ouvrage cilé, 1. I , page 198 . SON ACTION SUR L'ORGANISME . 195 tre, et ils paraissent en ressentir un soulagement momen tané. Il faut que l'exacerbation de la douleur atteigne un degré bien remarquable, pour que quelques- uns de ces ma lades deviennent insensibles à l'action de l'eau bouillante, ou des corps brûlants appliqués sur le ventre, et que d'autres enfin aient cherché à se suicider. Si la douleur persistait dans des conditions pareilles, il est clair que la vie ne pourrait se continuer ; mais au bout de quelques secondes, de quelques minutes, et quelquefois d'heures entières, d'après l'observation de M. Tanquerel , cet appareil formidable de souffrances disparait , ou du moins diminue d'une manière sensible . Pendant la rémission les cris se taisent , les contorsions s'arrêtent ; le calme se rétablit , le visage se recompose en partie ; le malade est immobile, fatigué, brisé, comme anéanti ; il se plaint à peine ... Dans des cas excessivement rares, il n'y a plus de traces de douleurs pendant la rémission ... Mais au calme succède bientôt un nouvel accés de colique saturnine . L'in tervalle de rémission peut varier, il est vrai , depuis quelques secondes, jusqu'à des heures et même des jours entiers , mais il n'est pas moins certain que celte périodicité dans les impressions douloureuses réagit d'une manière sympa tbique sur le cerveau, et améne des manifestations déli rantes qu'il nous est impossible de passer sous silence . Il n'y a pas lieu de s'étonner si les troubles du coté des fonctions cérébrales ne le cédent pas en intensité à ceux que nous venons d'indiquer . Nous ne voulons pas examiner si ces perturbations sont primitives ou secondaires, et si la maladie décrite dans ces derniers temps sous le nom de encéphalopathie saturnine doit être regardée comme une af fection distincte de celle qui semble atteindre d'une manière plus spéciale le système nerveux de la vie de nutrition . Les accidents cérébraux, nous le savons d'ailleurs parfaitement 196 INTOXICATION SATURNINE . bien, peuvent être parfois un phénomène initial , et par courir leurs formes , délirante, comateuse, epileptique et convulsive, sans être précédés par la colique saturnine ; mais dans l'une et l'autre hypothèse nous n'avons à considérer ici que le résultat de l'intoxication salurnine sur les fonc tions du système nerveux, et conséquemment sur les con ditions dégénératives dans l'espèce humaine. Or, ce résultat est des plus significatifs. Il nous indique que le système nerveux souffre, et que ses fonctions ne s'exercent plus que dans le sens le plus favorable à l'évolution des variétés maladives dans la race. Lorsque le système nerveux de la vie de relation est plus spécialement intéressé dans l'intoxication saturnine, il existe des phénomènes préliminaires qui sont comme les avant-coureurs d'accidents plus graves. Chez quelques ma lades les troubles précédemment décrits peuvent exister, et ils ont de violentes coliques . Dans d'autres circonstances, les éblouissements de la vue, les tintements d'oreille , l'a maurose, la dilatation ou la contraction des pupilles, des douleurs gravatives de la tête , l'insomnie, sont ordinaire ment, d'après les auteurs, les signes précurseurs d'un accès d'encephalopathie saturnine. Les malades sont subitement réveillés par des apparitions terribles ; ils éprouvent des hallucinations qui les jettent dans une frayeur extrême. L'exaltation de la sensibilité morale chez les uns, leurs pleurs, leur tristesse involontaire ; la stupeur, le malaise indéfinissable que ressentent les autres ; l'embarras et la lenteur dans leurs idées et dans leurs mouvements, sont pa reillement des symptômes que l'on retrouve au début de toutes les aliénations. Ils nous indiquent l'organisation d'un délire qui va éclater , non plus avec cette forme transitoire, fugace, telle qu'on peut l'observer dans les intoxications légères qui ne résistent pas à l'activité d'un traitement ra SON ACTION SUR L'ORGANISME . 197 tionel , ou à la simple influence d'un sommeil réparateur, mais bien au contraire avec cette forme caractéristique, fixe, permanente qui est l'indice d'autant plus certain d'une profonde lésion dynamique des centres nerveux, que ce dé lire s'accompagne ordinairement d'accidents convulsifs, et qu'il est précédé d'accès épileptiques formidables. Lorsque les choses en sont arrivées à ce point, rien de plus à craindre que la transformation dégénérative . Ce rapport des dégé nérescences avec des troubles nerveux spéciaux , tels que les convulsions, la paralysie, l'anesthésie et le délire, a déjà été entrevu dans tout ce que nous avons dit sur l'intoxication alcoolique . Cette vérité recevra du reste une nouvelle con firmation par les réflexions générales que nous suggèrera l'histoire des phénomènes pathologiques comparés qu'é prouve le système nerveux sous l'influence des divers agents intoxicants : achevons d'abord ce qu'il nous reste å dire sur le plomb ( 1 ) . Les médecins qui ont observé le délire de l'encephalo pathie saturnine ont été frappés de l'expression typique que présente la face de ces malades . L'immobilité des traits , la direction du regard , l'air de profonde absorption, semblent annoncer la concentration de la pensée vers un foyer d'i dées fixes, et cependant si l'on interroge les individus, on est frappé de l'incohérence de leurs réponses et du vague extraordinaire qui domine dans l'énonciation de leurs idées. Un autre phénomène psychologique est encore l'indice ( 1 ) La place importante que nous donnons au plomb dans ces Etudes sur les empoisonnements par les agents minéraux , est justifiée par les nom breuses applications qui sont faites des sels de plomb dans les arts et dans l'industrie. M. Tanquerel de comple pas moins de quarante professions d'ouvriers exposés aux influences de celle substance intoxicante. On connaît aussi les nombreux accidents qui sont dus à la falsification des vins el du cidre au moyen de la litharge . 198 INTOXICATION SATURNINE . de l'apparition du délire dans sa forme la plus généralisée. Je veux parler de ces transitions brusques qui étonnent par leur mobilité . Un rire sardonique remplace soudain l'apparence de dépression mélancolique ; à ce rire suc cèdent des larmes, ainsi que le cortège de ces ballucinations spéciales qui obsèdent les mélancoliques. Ce dernier phé noméne ne se présente pas toutefois avec la régularité et le caractère particulier que nous avons fait ressortir chez les alcoolisés chroniques , qui eux aussi sont lourmentés par des hallucinations d'une nature terrifiante, mais qui éprou vent bien rarement, comme on l'a observé chez quelques malades empoisonnés par le plomb , des troubles sensoriaux accompagnés de sensations agréables et riantes . Toutefois ces derniers phénomènes ne présentent rien de permanent et ne forment que l'exception . Ils sont bientot remplacés par des ballucinations qui entretiennent, chez ceux qui souffrent de cet état , des frayeurs indicibles et des visions de la nature la plus terrifiante . Les uns , d'après l'observation de M. Tanquerel, crient, pleurent, se lamentent comme des enfants, parce qu'ils voient sur leurs oreillers des pistolets dont on doit se servir pour les tuer. Ils vous supplient , implorent votre assistance pour éloigner ces objets, cause de leur désespoir. D'autres injurient l'infirmier qui a été envoyé pour les empoisonner. Ils touchent du doigt le poison , qu'ils repoussent avec une violence extrême ; ils se croient environnés de danger de toutes sortes ; et quelques-uns enfin, par suite de ces mêmes hallucinations , se sont donné la mort en se précipitant d'un élage élevé , croyant passer par la porte de leur chambre ou de leur atelier ( 1 ) . Ce délire peut persister plusieurs jours et il offre cela de ( 1 ) Tanquerel, ouv . cité , t . II , page 289 . SON ACTION SUR L'ORGANISME . 199 particulier qu'il est souvent interrompu par des intervalles lucides . Un sommeil profond peut en être la terminaison critique , ainsi que nous l'avons vu pour le délire résultant de l'intoxication alcoolique ; mais en règle générale il pré sente une forme plus persistante. Il se reproduit après chaque période de la somnolence qui caractérise la situation de ces malades . Enfin, il peut exister seul , ou se compliquer d'états nerveux spéciaux que M. Tanquerel désigne sous le nom de coma, convulsions et épilepsie. L'état comateux surgit parfois au milieu de la santé la plus florissante, mais cette forme se montre rarement seule pendant le cours de tous les phénomènes bizarres et inso lites que nous présente l'intoxication saturnine. Le plus habituellement, d'après l'auteur qui a si bien étudié et décrit cette maladie , le coma n'apparait qu'aprés des atta ques répétées d'épilepsie, et plus rarement à la suite de violents accés de délire furieuxS , dans ce dernier cas, on observe le plus ordinairement, pendant toute la durée de la maladie, les trois formes primitives de l'encéphalopathie. Les convulsions peuvent être partielles ou générales ; elles se distinguent de l'épilepsie , qui se présente avec des caractères tellement tranchés, et avec un ensemble de symptomes tellement désorganisateurs, que la description que nous devons emprunter à M. Tanquerel est bien de nature å justifier l'importance extrême que nous attachons à l'élément convulsif dans la production de certaines dégé nérescences spéciales de l'espece. « L'attaque la plus violente d'épilepsie saturnine est caractérisée de la manière suivante : perte immédiate de connaissance ; le globe de l'æil se porte en haut i; la tele devient immobile ; la figure s'injecte tout à coup, et , en un instant presque indivisible , la couleur rouge est remplacée par la pâleur de la mort . Si l'individu est debout, il tonibe 200 INTOXICATION SATURNINE. à la renverse comme une masse inerte , insensible à tous les excitants extérieurs. Quelques mouvements convulsifs parcourent les membres, surtout les supérieurs ; le corps se roidit , et l'on observe des secousses désordonnées qui jettent les malades hors du lit sur lequel ils reposent. « Bientot cet état, pour ainsi dire préliminaire, prend un accroissement prodigieux. La main se ferme, et les pouces se placent en dedans convulsivement, de violentes secousses spasmodiques agitent tout le corps ; dans les membres, elles consistent en mouvements précipités et alternatifs de flexion et d'extension qui durent jusqu'à la fin de l'attaque, ou sont remplacés par une tension ou roideur comme téta nique. Dans ce dernier cas, la tête se renverse fortement en arrière ; les muscles du tronc sont tellement contractés qu'on peut soulever le malade d'une seule pièce comme une barre de fer . La flexion des membres est impossible ; il y a des grincements de dents, ou une espèce de trismus qui alterne avec le claquement des machoires . Lorsque la roideur prédomine d'un côté, on voit la face horrible ment défigurée, les commissures sont fortement tirées à droite ou à gauche, et les paupières inégalement ouvertes. Cet état de rigidité générale peut terminer l'accès , ou être bientôt suivi d'une succession rapide de contractions brus ques, alternant avec un relâchement complet des muscles , « Enfin, la respiration elle - même est modifiée par l'état convulsif des muscles de la poitrine ; elle devient courte , pénible , incomplète, entrecoupée, saccadée, bruyante , et plus tard stertoreuse . Alors, une salive écumeuse, souvent sanguinolente, est expulsée avec bruit et difficulté ; ce der nier fait s'explique par la position renversée de la tête du sujet et par la précipitation avec laquelle l'air entre dans la poitrine et en sort . La langue, ordinairement déchirée , vingt- quatre fois sur quarante- six, donne la raison du mé SON ACTION SUR L'ORGANISME. 201 ܪ lange du sang avec la salive . Pendant la durée de cette horrible scène, la face se colore fortement au point de de venir violette , ou bien elle conserve sa paleur ; les lèvres deviennent bleuâtres ou décolorées ; les paupières sont le plus souvent entr'ouvertes, et le globe de l'æil convulsé en haut. Les paupières ont été trouvées quelquefois largement ouvertes ; alors les yeux sont fixes, hagards ou roulants, et même agités de mouvements convulsifs ; enfin, dans quelques cas, on a vu ces voiles membraneux complétement rapprochés . Les pupilles sont le plus ordinairement immo biles , dilatées ou contractées . La circulation participe plus ou moins à cette perturbation générale ; le pouls acquiert de la fréquence et prend de la force, ou conserve sa régula rité et sa lenteur habituelle. Ce dernier cas est peut - être le plus rare. On remarque ordinairement un gonflement pro noncé des veines du col . Les urines et les matières fécales peuvent être excrétées avec force et par saccades ; les muscles qui président à ces fonctions étant agités de mou vements convulsifs, rendent ce phénomène commun . « Après un temps qui varie entre deux et trente minutes , les mouvements convulsifs s'arrêtent ; les membres tombent dans une résolution complète ; la peau se couvre de sueur ; la respiration se rétablit , devient lente, profonde, suspi rieuse , et quelquefois ronflante pendant l'expiration. Dans quelques cas on a observé que chaque expiration était interrompue tout à coup, et l'on entendait aussitôt un bruit de soupape, comme si la glotte se fermait convulsivement, et ce n'était qu'après un effort, qui paraissait assez grand, que l'air contenu dans les poumons était chassé hors de la poitrine avec un bruit de ronflement ; les lèvres relâchées étaient poussées en avant, et les joues se gonflaient mo mentanément à chaque expiration . La paleur remplace la teinte violette de la face ; la bouche reste ouverte, les yeux 202 INTOXICATION SATURNINE. > à moitié fermés et les pupilles largement dilatées. Alors on peut remarquer dans la circulation un trouble qu'on n'avait pas observé pendant l'attaque. Les battements du cœur s'accélèrent d'une manière irrégulière ; le pouls est si de primé et devient si fréquent qu'on ne peut le compter. Des mouvements convulsifs, légers et partiels , peuvent sillonner quelques régions du corps . Nous trouvons même ici , plus souvent que dans les deux autres formes de l'en céphalopathie , ce mouvement des lèvres qu'on appelle fumer la pipe. Nous avons vu des individus pousser un profond soupir, des cris , et même des burlements affreux, lors de la terminaison de la crise . Enfin , la sensibilité revient progressivement. A la suite de cette attaque, jamais la raison n'est complėte . Le malade peut tomber dans un assoupis sement plus ou moins profond, délirer ou être repris de nouveaux accés d'épilepsie , entre lesquels il n'existe pres que aucun intervalle ( 1 ) ► Après une description aussi saisissante des convulsions épileptiques causées par le plomb, on ne peut méconnaitre à quel point les fonctions du système nerveux sont com promises par l'intoxication saturnine . Dans l'exposé rapide auquel nous avons dù nous borner des principales per turbations amenées par les sels de plomb, le lecteur a déjà pu faire des rapprochements avec l'intoxication par l'alcool et l'opium, et pressentir les analogies au point de vue des terminaisons dégénératives . Toutefois, avant d'entreprendre nous-même un travail de classification , il est indispensable de faire de nouveaux rap prochements. Diverses autres substances minérales et vé gétales agissent encore sur le système nerveux dans le sens de ces lésions spéciales qui dans notre théorie amènent de ( 1 ) Tanquerel , ouv. cité , l . II , page 202 . . SON ACTION SUR L'ORGANISME. 203 toute nécessité l'état de dégénérescence dans l'espèce . La similitude des effets est même si frappante, que nous serons forcé d'établir les éléments du diagnostic différentiel, d'ap précier la valeur des lésions pathologiques , et de les com parer entre elles , afin de placer chaque catégorie d'êtres dégénérés au rang que lui fixe invariablement la nature plus ou moins active des causes intoxicantes . L'influence sur l'organisme des substances alimentaires viciées va faire l'objet spécial de nos recherches . L'action exercée sur le système nerveux par le mercure, le cuivre, le phosphore et l'arsenic , n'entrera en ligne de compte que pour mieux faire ressortir certaines analogies , établir les bases du diagnostic différentiel, et prouver que des maladies, qui vu la nature de la cause, offrent des symptomes primitifs es sentiellement différents, présentent néanmoins dans leurs terminaisons des points de ressemblance tels , que l'on peut pour ainsi dire considérer ces affections comme apparte nant à la même entité pathologique ( 1 ) . ( 1) Il sera indispensable de rapprocher ces considérations du chapitre IV>, où nous étudierons l'influence dégénératrice des substances intoxicantes, non plus seulement sur l'individn, mais sur l'espèce en général . Dans ce mème chapitre nous ferons ressortir l'action de certaines autres substances minérales auxqvelles, va l'importance des nombreuses questions que nous avons à traiter, nous ne pouvons consacrer une aussi large place que pour le plomb. CHAPITRE TROISIÈME. De l'intoxication produite par les substances alimentaires altérées. S I. Des rapports qui existent entre la viciation des céréales et les perturbations atmosphériques . Considérations générales sur les épi démies, dans leurs rapports avec les causes dégénératives . L'histoire des maladies causées par l'altération des sub stances alimentaires et particulièrement par l'ergot du seigle , se rattache à nos études sur les dégénérescences d'une ma nière si intime, que le simple exposé des questions que nous allons soulever suffira pour en faire ressortir l'importance . Quels sont les rapports de la maladie désignée sous le nom d'ergotisme avec d'autres affections épidémiques, que l'on voit régner dans les années calamiteuses ? Le seigle est-il l'unique céréale dont l'altération produise cet empoisonne ment particulier qui , depuis le simple embarras gastrique avec manifestation de fourmillements dans les extrémités, peut atteindre les formidables proportions d'un empoison nement général suivi de crampes, de convulsions, de gan grène des membres, de troubles de l'intelligence et se ter miner par la mort ? L'ergotisme (convulsio cerealis) a- t-il des caracteres tellement tranchés dans les divers pays où ce mal a sévi , que l'on puisse attribuer son développement à des causes différentes ? Cette affection , lorsqu'elle arrive à sa période extreme, n'a- t- elle pas une analogie frappante avec l'ancienne épidémie connue sous le nom de mal des ardents, feu de Saint- Antoine ? Enfin ne serait-il pas pos INFLUENCE DES PERTURBATIONS ATMOSPHÉRIQUES, 205 > sible , en nous appuyant sur l'expérience du passé et sur la connaissance des maladies épidémiques , de rattacher la pellagre, cette affection qui nous présente, ainsi que nous le verrons, un type si frappant de la dégénérescence chez l'homme, par l'usage exclusif d'une plante qui n'arrive pas toujours à sa maturité complète, de rattacher, dis- je, la pel lagre aux causes qui produisent l'ergotisme, et d'arriver ainsi à démontrer l'influence importante qu'exerce la vicia tion des substances alimentaires sur le développement des affections épidémiques et endémiques, et conséquemment sur les conditions dégénératives dans l'espèce humaine ? Pour élucider ces différentes questions dans l'intérêt de pos éludes, il est nécessaire que nous choisissions notre point de départ historique. La période comprise entre les années 1769 et 1772 nous parait éminemment favorable à la démonstration du principe émis dans nos prolégomènes, à savoir : que les famines et les épidémies ne sont pas des faits isolés ... , que des perturbations extraordinaires dans la marche régulière des saisons , des bouleversements étranges dans l'ordre des phénomènes naturels, ne sont que trop souvent les avant- coureurs de ces grandes calamités qui affligent l'espèce humaine..., qu'il appartient enfin à la philosophie de la médecine non - seulement de constater leurs effets destructeurs immédiats sur la santé générale , mais encore d'étudier dans quel sens les tempéraments des générations présentes et des générations futures sont modifiés par ce que les anciens appelaient le génie des épidémies ( 1 ) . ( 1 ) Voir nos prolegomènes , p . 48, 49. Ce fameux Génie des épidémics ne nous parait autre chose dans l'esprit des auteurs qui ont employé ce terme, que l'interprétation du célèbre re berou d'Hippocrate. On sait ce que celle expression a de vague chez le Père de la médecine et dans son traité du propostic on ne peut guère s'empècher de croire , dit M. Lillré , qu'Hippocrate 206 ALTÉRATION DES CÉRÉALES. S II . — De l'influence des perturbations almosphériques sur les pro ductions de la terre . Aperçu des affections épidémiques qui régnèrent de 1769 à 1772. La ressemblance particulière que l'on remarque parfois entre les symptômes d'affections écloses sous les latitudes les plus diverses est , d'après le professeur Hecker, le signe irrefragable de la communauté d'origine des causes pertur batrices . La vérité de ce principe ful mise hors de doute dans la périodede 1769 à 1772, où sur tousles points du globe les populations semblaient frappées d'un mal qui se pré sentait avec des symptomes analogues sous les feux de la zone torride, aussi bien qu'au milieu des frimas des régions hyperboréennes . En ces mêmes années, l'influence morbi fique se fil sentir dans des proportions que les épidémies amérieures ont rarement dépassées ; toutefois, l'épidémie de 1769 à 1772 différa de ses devancières en ce sens que l'on n'avait pas à combattre seulement un mal unique, qui se serait propagé en tous lieux avec plus ou moins de rapi dité , mais un ensemble de perturbations organiques spé ciales à différents pays , et empruntant à la cause générale un degré jusqu'alors inconnu d'activité maladive . Cette cause générale n'était autre que l'inclémence, pres que sans exemple, d'un ciel constamment pluvieux qui amena altribue ici les maladies à une influence céleste. Il y a dans le trailé des Airs, des Eaux el des Licux , un passage qui a forl embarassé les commentateurs, c'est celui dans lequel Hippocrate soutient de la façon la plus explicite qu'aucune maladie n'est plus divine l'une que l'autre , que toutes sont divines et toutes sont humaines, et qu'aucune ne se produit sans une cause naturelle . ( OEuvres complèles d'Ilippocrale, traduction nouvelle avec le texte en regard , par E. Liliré . Paris , 1840, t . II . ) INFLUENCE DES PERTURBATIONS ATMOSPHÉRIQUES. 207 les conditions hygiéniques les plus désastreuses . La famine ne put etre que bien incomplètement combattue par le bé. néfice des échanges entre des contrées victimes des mêmes influences climatériques, et il advint que les populations en furent réduites pour apaiser leur faim à se contenter de substances altérées par les maladies, qui frappèrent aussi bien le règne végétal que le règne animal . Ajoutons de plus que les sophistications inspirées par le besoin , ou bien en core, comme cela se voit si fréquemment de nos jours, par le plus sordide et le plus coupable des intérêts , vinrent joindre leur contingent d'activité intoxicante aux causes déjà si nombreuses d'altération dans la santé générale ; aussi , conçoit- on facilement que des maladies bénignes de leur nature aient bientôt atteint les proportions formidables des affections épidémiques du moyen âge . On vit alors les fièvres endémiques de certaines contrées prendre un caractère des plus pernicieux , et passer successi vement par les transformations diverses qui séparent la fièvre intermittente simple, de la fièvre continue avec production de pétéchies et de bubons, ces caracteres essentiels de la peste orientale ; et cependant le fléau n'avait pas été importé des lieux ordinaires de son origine. Cette terrible maladie éclata dans les Principautés moldaves , en Pologne et dans le sud de la Russie. Il lui suffisait, pour se développer et se propager avec l'intensité que l'on observe en Egypte, que le principe de l'intermittence fébrile trouvat dans le milieu ambiant les éléments favorables pour acquérir les propriétés intoxicantes du miasme pestilentiel . Or, ces éléments ne firent pas défaut ; car si l'on ajoute à l'influence de con ditions atmosphériques désastreuses , la famine, l'altération des céréales, l'accumulation des armées belligérantes qui importaient en tous lieux le principe des affections les plus graves, on conçoit alors que le miasme intoxicant naissait 208 ALTÉRATION DES CÉRÉALES. au milieu des éléments les plus favorables pour se propager d'une manière contagieuse. L'Europe centrale fut préservée de la peste, mais les plus simples fièvres atteignirent bientot dans cette partie du globe les proportions du typhus , et causèrent des ravages incroyables. L'état morbide désigné le plus ordinairement par les médecins de cette époque sous les noms de fièvre de la famine, de pèvre pétéchiale, putride, ou de typhus propre ment dit , se présentait avec un caractère éminemment con tagieux et une prédominence marquée dans les troubles des voies digestives . Rien n'était plus commun que de voir l'élé ment catarrhal et l'élément rhumatismal s'adjoindre aux conditions pathologiques préexistantes , et se compliquer de l'éruption connue sous le nom de milliaire . Cette éruption s'éleva bientôt elle-même, comme nous l'avons fait remar quer pour toutes les maladies de cette époque, à un degré extraordinaire de nocuité, et aggrava de la manière la plus fàcheuse les affections des voies respiratoires . Les dénomi nations d'angine milliaire, d'angine maligne simple, d'angine milliaire scarlatineuse, indiquent assez du reste les éléments variés que les médecins avaient à combattre dans ces tristes circonstances épidémiques. La variole et la scarlatine exercèrent leurs ravages dans toutes les parties du monde connu, et les affections scorbu tiques et gangreneuses furent remarquées dans des pays ou jusqu'alors elles n'avaient apparu que sous la forme spo radique. L'Espagne, l'Italie et le Levant, l'Amérique, l'An gleterre, la Suisse , la France et la Suède , furent particuliè rement attaquées par le fléau . Enfin , la maladie qui va nous occuper spécialement et qui est en rapport avec l'altération de certaines céréales, fut non - seulement observée dans les contrées ou elle était connue de temps immémorial, mais elle franchit les limites dans lesquelles la renfermait, INFLUENCE DES PERTURBATIONS ATMOSPHÉRIQUES. 209 comme on a raison de le croire , la culture trop exclusive du seigle , pour envahir l'Allemagne et la France, y faire d'innombrables victimes, et rappeler ces terribles épidémies du moyen age dont les peuples n'avaient pas complétement perdu le souvenir. Quelques considérations sur les rapports des maladies épidémiques avec les dérangements extraordinaires dans l'ordre des phénomènes naturels , précèderont ce que nous avons à dire sur l'influence de l'élément endémique dans la production des dégénérescences . Sans doute , comme le fait très bien remarquer le savant professeur Hecker ( 1 ) , nos connaissances, à propos de l'action que peuvent exercer sur la santé les phénomènes météorologiques, sont encore trop restreintes pour nous permettre des appréciations rigou reuses, et nous devons éviter d'attribuer à telle ou telle in . terversion dans les lois naturelles, un résultat qui peut aussi bien appartenir à toute autre cause ; mais toujours est- il que l'apparition des grandes épidémies, a presque invariablement coïncidé avec de notables perturbations dans l'ordre des phénomènes célestes ou terrestres . Dans la période com prise entre 1769 et 1772 par exemple, on pouvait dire , d'a près le docteur Hecker, que la nature entière était souffrante, et que ce malaise général avait son retentissement jusque dans les fibres les plus intimes de tous les êtres organisés ( 2 ) . Aurores boréales, Tremblements de terre . Les aurores boréales du 25 octobre 1769 et du 18 janvier 1770 , furent visibles dans toute l'Europe et s'étendirent jusqu'au zenith . Les déviations de l'aiguille aimantée avant et pendant ( 1 ) Hecker. Geschichte der neueren Heilkunde. Die Volks- Krankheilen von 1770. Histoire de la médecine moderne . Epidémies de 1770. Berlin , 1839. (2) Hecker, ouv . cilé p . 133. 14 210 ALTÉRATION DES CÉRÉALES . l'apparition de ces météores, furent aussi des plus remar quables ( 1 ) . Les tremblements de terre et les éruptions volcaniques se montrerent pendant ces trois années avec une fréquence extraordinaire. Les commotions terrestres qui, le 14 août 1769 , ébranlèrent tout le midi de l'Allemagne, coïncidèrent avec un nombre infini de secousses partielles sur d'autres points du globe, ainsi qu'avec des éruptions du Vésuve, de l'Etna et des principaux volcans ( 2) . Rien ne pouvait être comparé à la violence des orages qui éclatérent dans les saisons les moins favorables à leur production . Cette circon stance indique assez, en l'absence même des observations météorologiques plus positives de la science moderne, quel était le role que devait jouer l'électricité atmosphérique dans la manifestation de ces différents phénomènes. Pluies, inondations. En admettant que l'influence des perturbations atmosphériques précédemment citées, soit encore un fait peu connu , il existe cependant une autre condition climatérique qui rentre plus facilement dans nos appréciations médicales . Je veux, avec le docteur Hecker, parler de la chaleur et de l'humidité , qui se trouvent dans des relations si intimes avec la quantité des eaux qui tom bent sur la surface de la terre . Or, les trois années cala miteuses dont nous esquissons l'histoire , ne peuvent être comparées sous ce rapport qu'aux cinq années de famine qui de 1529 à 1533 désolèrent l'Europe et produisirent des ( 1 ) Beguelin . Observations météorologiques fuiles à Berlin . Mémoires de l'Académie de Berlin ( 1770, p . 75) . ( 2) Le fameux tremblement de terre qui repversa le Port - au - Prince à Saint-Domingue et fit périr up si grand nombre de personnes, eut lieu le 9 juin 1770. Le 17 aoûl de la même année , Constantinople fut ébranlée jusque dans ses fondements . INFLUENCE DES PERTURBATIONS ATMOSPHÉRIQUES. 211 épidémies formidables. Les étés étaient froids et les hivers pluvieux et humides ; la pluie tombait dans des proportions tellement extraordinaires que les inondations furent géné rales ( 1 ) ; toutes les rivières et tous les fleuves de l'Europe , depuis l'Oural jusqu'à la mer Atlantique débordérent, et la France ne fut pas plus épargnée que les pays traversés par le Danube, l'Elbe , et d'autres grands fleuves dont les eaux formaient de véritables mers intérieures . " Il est facile de concevoir l'influence fatale que de pareilles perturbations climatériques durent exercer sur l'agriculture ; des ter rains immenses restérent en friche, et les semences con fiées à la terre ne purent germer au milieu de conditions telles qu'on en vit dans les pays riverains de l'Elbe, où sur 365 jours on n'en compta en 1770 que cinq parfailement sereins , et dix en 1771 . > ( 1 ) Le nombre des jours de pluie s'est réparti de la manière suivante : 1768, 177 jours de pluie. 1769, 201 1770, 208 1771 , 175 1772 , 166 Il est à regreller que le défaut d'observations météorologiques positives nous empêche de comparer la quantité cubique des eaux qui tombèrent à celle époque, avec celle qui a été signalée dans les années calamiteuses que nous avons pareillemeol traversées. On a remarqué, dit le docteur Hecker , que ce fut précisément à l'époque d'une sécheresse extraordinaire dans l'Asie du Sud , que l'Europe souffrait des inondations . Les haules montagnes de cette partie du globe formèrent la démarcation entre les pays que ravageaient les pluies continues , el ceux que désolait la sécheresse . Dans l'année de choléra de 1816 au contraire , des plaies torrentielles furent également déversées sur l'un et l'autre hémi - sphère , c'est-à- dire , en- deçà et au-delà de la ligne de démarcation ci -dessus indiquée (Hecker, ouvr. cité , page 137) . 212 ALTÉRATION DES CÉRÉALES. Le résultat le plus immédial de ces intempéries conti nuelles des saisons , fut une famine à peu près générale, et si l'année 1771 ne s'était pas présentée sous un aspect un peu plus favorable, il serait impossible de se faire aujour d'hui l'idée d'un tel état de choses. Les progrès de notre civilisation , les facilités plus grandes des transactions com merciales , ne nous exposent plus en effet å subir des souf frances pareilles ; nous n'en sommes plus réduits, comme en l'année 1769, à nous alimenter presque exclusivement avec des farines avariées, ou à y mêler l'écorce pilée de certains arbres ( 1 ) . Cependant les observations qu'il nous a été ( 1 ) Ua de mes honorables collègues a bien voulu , à propos de l'effet sur l'organisme des agents intoxicants, appeler mon altention sur les falsifications si nombreuses que subissent aujourd'hui, et dans des proportions plus consi dérables qu'autrefois, non-seulement un grand nombre de substances alimeo laires, mais encore les boissons qui entrent dans la consommation générale ; l'observation qui m'est adressée est juste, et j'ai déjà fait remarquer, en parlant de l'intoxication par l'alcool , qu'il fallait tenir compte non-seulement de la quantité , mais aussi de la qualité . Quant à entreprendre l'histoire des falsifications que subissent les substances alimentaires et les boissons , il me serait impossible de le faire. Ces falsifications sont aujourd'hui si nom breases que les études et les opérations que nécessitent leurs recherches for ment l'objet d'une science à part . Nous avons donc dù nous en tenir à faire l'histoire de l'action intoxicanle directe de différents agents du règne végétal et du règne minéral , en -dehors de l'étade des sophistications , ainsi que des phénomènes complexes que peuvent faire surgir dans l'économie l'al léralion des substances usuelles, quand même elles ne sont pas prises en excès. Nous ne nioos pas l'intérêt que peut offrir celle étude , mais comme nous l'avons dit , elle est devenue l'objet d'une science spéciale , et nous craiodrions d'être entrainés hors des bornes que nous nous sommes imposées . Si nous voulions seulement, par exemple , citer les falsifications que subit le pain , nous verrions qu’oulre Ics farines avariées , la fraude introdait encore dans la pâte destioée à la cuisson , l'alun , les sulfates de zinc el de cuivre, le carlonale d'ammoniaque, le bi - carbonate de potasse, les carbonales de INFLUENCE DES PERTURBATIONS ATMOSPHÉRIQUES. 213 donné de faire dans une maison hospitalière qui ne ren ferme pas moins de 1,000 malades , nous ont malheureuse ment appris que les privations endurées par la classe nécessiteuse depuis un certain nombre d'années, ont pa reillement agi dans le sens d'une perturbation plus consi dérable dans les fonctions du système nerveux . Les ma ladies incidentes ont revêtu un cachet plus insidieux ; des diarrhées interminables ont amené plus promptement la généralisation d'un état que nous n'avons su désigner au trement que sous le nom de marasme nerveux ; les transitions à la démence sont arrivées chez de jeunes sujets épuisés par magnésie et de chaux (craie) , les sels de morue, de la fécule de pommes de lerre, des farines de féveroles, d'orge, de maïs, etc. Toutes ces falsifications ne sont pas opérées dans le même but ; si les unes ont pour objet d'augmenter le poids du pain , les autres ont pour effet de rec lifier des farines avariées ou de rendre le pain plus blanc ou plus savoureux ; mais il n'en résulte pas moins qu'il y a des fraudes odieuses et qui ont pour effet d'altérer la santé et de causer souvent des accidents très - graves. L'in Iroduction du sulfate de cuivre dans la farine, par exemple, ne peut être ni assez blåmée , di assez punie . Il parail, dit M. le professeur Chevallier, que les fraudeurs en ont tiré de grands avantages par l'action incompréhensible que ce sel exerce sur le paio , surlout quand on considère combien sont mi nimes les quantités de sulfate de cuivre employées . Ainsi , l'addition de ce sel permet de se servir de farines de qualité médiocre et mélangées ; la main d'ouvre est moindre, la panification plus promple, la mie et la croûte plus belles ; on peut introduire dans la pâte une plus grande quantité d'eau. Toules ces propriétés, on pourrait dirc magiques du sulfate de cuivre, d'après l'ex pression de M. Chevallier, ont été d'une séduction dangereuse pour les bou langers . L'alun et le sulfate de zinc paraissent exercer une action analogue . On consultera avec le plus grand profit l'ouvrage récemment publié par M. A. Chevallier , sur ce sujet si important pour l'hygiène . Cet ouvrage a pour titre : Dictionnaire des altérations et falsificalions des substances alimentaires et commerciales, avec l'indication des moyens de les ricon naitre , 2e édition . Paris , 1835 . 214 ALTÉRATION DES CÉRÉALES. leurs souffrances antérieures, avec une rapidité extrême ; les guérisons ont été suivies de récidives plus immédiates, et le nombre des affections idiopathiques du cerveau a aug menté dans des proportions effrayantes. Les rapports d'une situation semblable avec les dégénérescences dans l'espèce humaine, ne doivent pas être étudiées seulement au point de vue de l'actualité du fait. Il importe que l'obser vation philosophique éclaire les efforts des statisticiens futurs, et appelle toute leur attention sur les influences qu'exercent les épidémies , non-seulement sur la génération présente, mais encore sur celle qui , se développant au mi lieu de ces conditions désastreuses, y puise le principe de ces constitutions étiolées , cachectiques et dégénérées , dont il serait difficile de comprendre l'existence si l'on oubliait leur origine. Productions anormales d'insectes . Végétations parasites. Pathologie comparée. - Quelques remarques sur la singu lière coïncidence de l'apparition d'insectes plus ou moins connus , avec ces perturbations extraordinaires dans la nature , ainsi que sur les végélations parasites , complete ront ces considérations générales sur les influences épide miques. Nous aurons ainsi l'occasion de faire ressortir la solidarité qui, dans ces circonstances exceptionnelles , unit tous les règnes de la nature . Les productions anormales d'innombrables insectes, les végétations insolites qui se développèrent sur un grand nombre de plantes usuelles, constituèrent en ces années épidémiques des altérations inconnues , ou plutot oubliées ; car tout nous porte à les considérer comme des accidents transitoires destinés généralement, selon la judicieuse re marque du docteur Hecker, à disparaitre avec les causes qui les amènent . L'alarme si légitime du reste que font paitre dans l'esprit INFLUENCE DES PERTURBATIONS ATMOSPHÉRIQUES. 215 des populations les phénomènes étranges qui surgissent dans le rigne végétal ainsi que dans le règne animal, tend à s'ac croitre en raison de l'ignorance plus grande où l'on est gé néralement des faits analogues observés dans les épidémies antérieures. Or, si nous consultons l'histoire , nous voyons que dans ces crises de la nature rien n'est plus commun que la production d'insectes et d'animaux parasites dont on n'avait jamais entendu parler . L'apparition d'innombrables nuées de sauterelles , par exemple, coïncide presque toujours avec les constitutions épidémiques des pays orientaux ; et chose singulière, les observateurs anciens avaient déjà re marqué que l'intensité des épidémies était invariablementen rapport avec la migration plus considérable de ces insectes vers les contrées occidentales ( 1 ) . A la fin de l'année 1771 , d'immenses quantités de saule relles partirent des steppes de l'Asie centrale, et parvinrent jusque dans la Volhynie, ravageant tout sur leur passage , el ajoulant ainsi un nouveau fléau à celui qui désolait l'uni vers. Au mois d'août 1771 , alors que la famine et les fièvres endémiques propres aux contrées de l'Inde sévissaient à Calculta , on observa une nuée d'insectes qui pendant trois jours entiers obscurcit la lumière du soleil . Au troisième jour, cette immense nuée s'abaissa vers la terre, et n'en était séparée que par une distance de dix mètres. On en tendait parfaitement le bourdonnement de ces insectes , que personne ne se rappelait jamais avoir vus, mais qui par leur formes extérieures paraissaient appartenir à l'espèce des ( 1 ) Ce phénomène a été observé dans les grandes épidémies du moyen åge . En 1842, lors de la suelle Anglaise, on a pu remarquer à Padoue le passage de nuées de sauterelles tellement compactes, que le soleil resta caché pendant plusieurs heures (Hecker, ouvr . cité , p . 143) . 216 ALTÉRATION DES CÉRÉALES. Libellés. Un vent impétueux du Nord les emporta subite ment dans d'autres directions ( 1 ) . L'année précédente, les Turcs campés à Chanteppé fu rent assaillis par une si prodigieuse quantité d'insectes de l'ordre des diptères, que ce fléau , réuni aux maladies qui les décimaient, les força d'abandonner la place. Dans le même temps , les campagnes de l'Amérique du Nord furent ravagées par une espèce de chenille noire qui parait avoir fait une nouvelle apparition en 1791 , et dont les naturalistes de ces diverses époques ne nous ont pas laissé de description spéciale. Les recherches microscopiques nous permettront peut- être un jour de mieux connaitre la nature des végétations para. sites qui semblent, dans les années calamiteuses , compro mettre le développement de certaines plantes usuelles si indispensables à l'existence . Toujours est - il que l'étude comparée des épidémies qui à diverses époques ont affligé l'humanité , nous porte à croire que ces produits anormaux se développent pareillement dans la plupart des conditions insolites que nous créent les révolutions dans l'ordre des phénomènes naturels . Les résultats de ces circonstances désastreuses sur la santé générale, ainsi que sur les déviations du type normal de l'espèce humaine, doivent être étudiées au point de vue de la continuité de leur action . L'on comprend facilement en effet que les épidémies pas sagères , si terrible que puisse être leur action , n'aient pas la même influence désastreuse sur la conservation normale de la race et sur son amélioration ultérieure, que ces états ( 1 ) D'après l'annual register de 1771 et l'appendix tho the chronicle, ces insecles, dont on ne put jamais saisir un seul de vivant , avaient le cor sage rouge , des ailes très - longues, el la tèle proportionnellement énorme. INFLUENCE DES PERTURBATIONS ATMOSPHÉRIQUES. 217 endémiquesqui puisent dans des causes permanentes , comme serait par exemple la constitution géologique du sol , les éléments de leur activité nuisible . Les épidémies de la première catégorie se trouvent vis å - vis les autres , dans les rapports des maladies aiguës aux maladies chroniques ; leur action est instantanée, souvent terrible, mais dans tous les cas transitoire . Elle amène des effets différents dans la spbère des fonctions physiologiques aussi bien que dans celle des fonctions intellectuelles . Dans le premier cas, nous voyons sous l'influence générale de la terreur se produire la mélancolie avec toutes ses va riétés et toutes ses transformations. D'autrefois encore, l'élément de la douleur qui prédo mine dans certaines affections épidémiques, fait naitre des crampes, des convulsions , et ces élats spéciaux du système nerveux désignés sous les noms de chorée et de catalepsie. Il n'est pas rare de voir ces situations pathologiques alter ner avec de formidables accés de manie, et les individus épuisés succomber plus tard avec tous les symptômes qui caractérisent la paralysie générale ( 1 ) . Les choses se passent différemment dans le cas d'endémi cité chronique , et les conditions dégénératives sont plus insidieuses et plus puissantes , par la raison que l'élément de la périodicité ramène incessamment les mêmes effets ma ladifs. On peut facilement observer ces phénomènes dans les pays marécageux, et dans tous ceux en général ou la ( 1 ) Dans la dernière épidémie de choléra , nous avons eu à soigner quel ques individus devenus aliénés par les conséquences morales et pbysiques de celle affection épidémique . Chez une femme, l'état extrême de stupidité a été suivi d'un accès formidable de manie . L'élat de stupeur el d'hébélude chez qaelques autres malades a continué, et leur position mentale nous offre de l'analogie avec ce que l'on remarque parfois après certaines fièvres yphoïdes graves. 218 ALTÉRATION DES CÉRÉALES . constitution géologique du sol expose les habitants à des émanations plus ou moins dangereuses pour leur santé. L'espèce humaine y dégénère non-seulement par le fait de l'intoxication miasmatique, mais l'influence héréditaire agit d'une manière d'autant plus frappante, que l'existence des individus n'étant pas toujours compromise par l'acuité du mal, ils transmettent à leurs béritiers ces constitutions ca chectiques que l'on trouve en si grandes proportions dans les milieux malfaisants. Les lésions intellectuelles sont pa reillement en rapport avec ces circonstances spéciales. Là, vous ne voyez plus les états aigus qui caractérisent la manie; mais l'élément endémique poursuivant sa marche progres sive produit ces cachexies intellectuelles et physiques trans missibles par l'hérédité et qui représentent déjà une sorte d'acclimalation. Il arrive enfin que, dans ces mêmes contrées soumises à des causes d'intoxication permanente, les tem péraments cachectiques ne sont que la transition aux dé générescences spéciales dont la torpeur intellectuelle , la stupeur et l'hébétude sont les manifestations les plus frap pantes, et qui finissent par constituer les variétés maladives fixes et déterminées, si connues sous les dénominations d'imbécillité, d'idiotie et de crétinisme. Ces considérations générales qui se trouveront ultérieu rement confirmées par de nombreux faits particuliers , peu vent également s'appliquer aux différents règnes de la na ture. Dans les grandes épidémies qui coïncidèrent avec des perturbations extraordinaires dans l'ordre des phénomènes célestes et terrestres , nous avons vu que la nature entière était pour ainsi dire souffrante, et que le malaise général avait son retentissement jusque dans les fibres les plus intimes de tous les elres organisés. C'est ainsi que les épizooties de 1769 et 1772 ne furent pas moins formidables dans leurs résultats sur l'espèce bovine que les autres maladies chez l'homme . INFLUENCE DES PERTURBATIONS ATMOSPHÉRIQUES. 219 L'affection qui altaqua les animaux dans les immenses steppes de l'Europe et de l'Asie , avait la plus grande analogie avec la peste chez l'homme, sans pourtant se communiquer åce dernier. Ce mal , d'une nature éminemment contagieuse, s'étendit et causa d'incroyables ravages en Hongrie, en Po logne, en Allemagne et dans les Pays - Bas. Les animaux qui partageaient la même nourriture intoxicante que l'homme, étaient invariablement atteints des mêmes symp tomes, comme on put l'observer dans les maladies causées par l'ergot de seigle . Dans beaucoup de circonstances ils refusaient les céréales altérées ; et cet admirable instinct de conservation chez les animaux se fit surtout remarquer chez les oiseaux voyageurs ( 1 ) . Dans l'état d'endémicité chronique, la même solidarité existe entre les différents règnes de la nature . Les causes permanentes qui altèrent la santé de l'homme el empêchent l'amélioration de l'espèce, agissent également sur les plantes et les animaux, et quoiqu'il ne soit pas toujours possible d'établir des analogies absolues, il n'en est pas moins vrai de dire , qu'en dépit de l'influence nuisible des causes que nous avons énumérées, la nature fait tous ses efforts pour adapter la constitution des différents etres souffrants au milieu dans lequel ils sont destinés à vivre . ( 1 ) Hecker, ouvr. cité , p . 148. Les médecins de celle époque qui ont eu de si nombreuses occasions d'étudier la peste , conviennent tous de ce fait. Orräus en parle , et Diemerbroeck qui a décrit la grande peste de Nimègue en 1636, en cite de nombreux exemples . Ce dernier raconle que les oiseaux avaient tous abandonné Nimègue alors que le mal exerçait ses ravages. Orräus affirme que lors de la peste de Moscou en 1771 , tous les oiseaux do mestiques moururent. Les autres , tels que les corbeaux , les corneilles , les moincaux, qui pichaient en très- grande quantité dans les différents clochers de la ville , prirent leur voléc dès le début de l'épidémie ponr se disperser. On ne les renconlrait plus qu'isolés, et la fin de l'épidémie les réunit de nou vean (Orräys, p . 153, 161 ) . 220 INTOXICATION PAR LES CÉRÉALES ALTÉRÉES. S III . De l'intoxication par l'ergot du seigle . L'affection désignée sous le nom d'ergotisme ( 1 ) , exerça d'incroyables ravages dans les années épidémiques de 1769 à 1772. Les rapports de cette maladie avec l'altéra tion spéciale qui se produit sur l'épi de seigle , et que l'on désigne sous le nom de ergot, 'sont un fait incontestable . Nous ne pouvons avoir de meilleurs lémoignages que ceux des médecins qui traitérent cette affection , et voici com ment s'exprime l'un de ceux qui s'est le plus distingué dans ces années calamiteuses (2) : 1 ° Les seules personnes atteintes étaient celles qui avaient fait usage de pain ou de mets dans lesquels entrait de la farine de seigle ; 2° les malades éprouvaient une amé. lioration immédiate quand on changeait leur nourriture ; 3° les récidives étaient inévitables quand ils revenaient au pain empoisonné ; 4° le seigle de ces années contenait une quantité énorme de grains altérés ( secale cornutum ) ; 5º ce seigle altéré paraissait avoir une propriété intoxicante plus active que celle que l'on avait observée dans les années antérieures , ainsi que dans les contrées où cette affection est endémique ; °6º on a pu calculer, qu'en dehors du seigle ergoté, le tiers à peu près de la récolte de cette céréale ( 1 ) Kriebelkrankheit, Mullerkornbrand des Allemands. - Ce que j'aurai à dire sur l'iploxication crgoline est puisé à des sources authentiques. J'ai consulté les travaux des médecins qui ont combattu les épidémies produiles par l'ergol du seigle. Mes principales autorités sont Taube, Hartmann , Leidenfrost, Wichmanu, et le savant Hecker dont l'opinion , en fait d'histoire d'épidémies, est si compétente . (2) Taube. Historia morbi spasmodico convulsi imprimis illius qui annis 1770 et 1774 Cellensem regionem pervasil. In - 4 ', Gettingen , 1782 . ERGOTISME CONVULSIF ET GANGRÉNECX . 221 était altéré, et renfermait probablement le même poison que celui que contenait l'ergot. Ces propositions sont nettement formulées, et nous n'a vons pas à les discuter . Nous allons immédiatement décrire les principaux symptomes de cet empoisonnement ; et l'exa men de l'action comparative exercée sur l'organisme par l'altération du seigle et par celle du maïs, nous prouvera combien nos études sur les dégénérescences de l'espèce sont intéressées dans cette question . M. Hecker reconnait , avec les auteurs qui ont décrit les épidémies de 1769 à 1772, trois formes spéciales dans la maladie produite par l'intoxication ergotine : la forme bé nigne, la forme aiguë et la forme chronique. Nous pourrions y ajouter cette forme gangreneuse qui avait des rapports si intimes avec l'ancien mal des ardents , et dont l'Alle magne fut préservée, tandis que la France éprouva toutes les horreurs de cette affection épouvantable ; nous en par lerons dans un instant . Forme bénigne. — La forme bénigne se résumait dans des symptomes qui atteignaient à peu près l'universalité des habitants dans les pays où le mal exerçait ses ravages . Ils se plaignaient de fourmillements dans les pieds et dans les mains, le tout accompagné d'un état assez vague d'a nésthésie et de surdité . Chez la plupart des individus , les fourmillements n'étaient ressentis que dans les doigts , et lorsque cette sensation envahissait les avant-bras et même la périphérie, elle n'était jamais assez violente pour em pêcher ceux qui en souffraient de se livrer à leurs travaux habituels . Si nous ajoutons à ce malaise, la manifestation d'embarras gastriques, les dispositions à la diarrhée et aux vomissements, on aura une idée assez exacte de cette forme bénigne à laquelle peu de personnes étaient sous traites . Ceci est confirmé par cette réflexion judicieuse de 222 INTOXICATION PAR LES CÉRÉALES ALTÉRÉES . Taube et de Wichmann, applicable d'ailleurs à toutes les épidémies, que là où le mal sévissait avec violence, tous les habitants de la contrée en ressentaient quelque chose. Forme aiguë. La forme aiguë nous rappelle une des phases les plus pénibles de l'intoxication saturnine. Il n'était pas nécessaire que l'accés fût annoncé par des four millements dans les mains ; il éclatait au contraire comme la foudre ; les malades étaient frappés de cécité et ils éprouvaient des syncopes qui leur enlevaient l'usage des sens. Ces phénomènes préliminaires inauguraient la série ultérieure des accidents les plus formidables. Un tremble ment général des membres était suivi de crampes et de contractions dans tous les muscles fléchisseurs. On voyait les individus prendre involontairement, sous l'influence de la douleur, les attitudes les plus bizarres ; le corps était convulsivement replié sur lui - même, et les contractures dans les doigts et dans les orteils, ainsi que l'application violente des bras contre la poitrine, indiquaient assez l'état spasmodique qui torturait ces malheureux . Ils éprouvaient un soulagement considérable lorsqu'on parvenait après beaucoup d'efforts à étendre leurs membres, mais le bien être n'était que momentané et la douleur ne tardait pas àd se généraliser. Ils ressentaient dans la région précordiale une tension gravative, accompagnée de coliques intolérables . Le spasme convulsif de la glotte amenait des efforts infructueux de vomissements. Les selles étaient rares et l'urine ne s'échap pait que goulte à goutte. Le corps se couvrait d'une sueur glaciale , et la face, inondée par l'écume qui s'échappait de la bouche, avait une couleur jaunâtre et terreuse . Pendant cette scène convulsive, le pouls restait petit et rien n'in diquait un trouble spécial dans le système circulatoire . Les rémissions n'étaient, du reste , que de courte durée, et ERGOTISME CONVULSIF ET GANGRÉNEUX . 223 а bientôt les spasmes se succédaient presque sans inter ruption. L'action des sens était abolie et les malades per daient l'usage de la parole . Vers le troisième jour, la série de ces accidents convulsifs se terminait par la mort, et l'on ne cite aucun malade qui ait pu être sauvé dans des con ditions pareilles . Il n'existait d'immunité ni pour l'age, ni pour le sexe ; les enfants à la mamelle échappaient seuls aux conséquences de l'intoxication ergotine; et l'on a raison de citer comme un phénomène extraordinaire, au milieu des angoisses d'un état pareil à celui que nous avons décrit, que le lait ne tarissait pas chez les mères et que les enfants n'en éprouvaient aucun dommage ( 1 ) . Forme chronique. - Cette forme, que Wichmann con sidère comme le deuxième degré de la maladie, avait une durée plus longue. Les premiers symptomes paraissaient avoir leur point de départ dans le système de la vie orga nique, et voici quel était le développement et la marche de cette affection . Quelques jours avant l'explosion de l'accès , les malades ressentaient de la pesanteur dans les membres, une espèce de tension dans la région précordiale avec dégoût pro poncé pour les aliments, et un sentiment de froid qui envahissait le tronc et s'étendait jusque dans la région vertébrale . De temps à autre, les individus qui en étaient à cette période d'incubation éprouvaient dans les membres quelques secousses accompagnées de crampes ; et les four millements, dont ils se plaignaient , n'étaient déjà plus perçus à la périphérie seulement, mais cette sensation existait jusque dans la profondeur des organes. Il n'en fallait pas davantage aux praliciens exercés pour diagnosti ( 1 ) Taube, $ 98. Celle forme violente est le troisième degré de la ma ladie d'après Wichmann . 224 INTOXICATION PAR LES CÉRÉALES ALTÉRÉES. quer l'existence de la maladie, et cependant il n'y avait encore aucun dérangement intestinal ; les fonctions de la peau étaient normales et les malades éprouvaient de le gères transpirations qui ne les fatiguaient nullement. A cet ensemble prodromique succédaient bientot des symptomes d'une nalure plus alarmante . Ils consistaient en étourdissements, avec constriction douloureuse dans la ré gion précordiale. Les vomissements d'une matière filante et muqueuse semblaient soulager les malades, mais l'espoir s'évanouissait bientôt avec la réapparition des crampes. Les muscles fléchisseurs se contractaient avec violence; les patients, exaspérés par la souffrance, imploraient la pitié des spectateurs pour les aider à étendre leurs membres . Ils étaient généralement inquiels, agités ; la sueur ruisse lait de leurs corps , et néanmoins il n'existait aucune élé vation du pouls , qui sous la pression du doigt paraissait même plus concentré et moins fréquent qu'à l'état ordinaire . L'expression de la figure révélait surtout chez ces infor lunés le sentiment des plus vives douleurs , et les convul sions spasmodiques des muscles de la face contribuaient encore à donner au visage ce cachet grimaçant signalé par les auteurs. La couleur jaune de la peau , sa leinte sale et terreuse pouvaient passer dans ce cas, ainsi que dans la plupart des intoxications dont nous avons parlé, pour l'in dice le plus certain d'une altération profonde dans les fonctions nutritives . Au reste , les perversions du goût chez ces malades étaient trop nombreuses pour ne pas dénoter l'influence spéciale exercée par l'intoxication ergotine sur les fonctions digestives . Le désir de manger se faisait par fois impérieusement sentir, et les mets acides étaient les seuls pour lesquels ils témoignaient une préférence mar quée . Toutefois les forces digestives ne répondaient pas chez eux à ce besoin anormal, et des diarrhées intermi ERGOTISME CONVULSIF ET GANGRÉNEUX . 225 nables étaient la conséquence du moindre écart de ré gime. Les vieillards et les enfants succombaient inévitable ment dans un état d'hydropisie et de marasme, et les ali ments que ces affamés avaient ingérés avec voracité étaient rendus dans leur éiat naturel . Souvent aussi remarquait- on la présence de nombreux vers intestinaux, dont l'expulsion était ordinairement regardée comme un signe favorable ( 1 ) . L'appétence pour les boissons acidulées n'était pas moins vive que pour les aliments de même nature, mais il n'en résultait aucun soulagement . Les liquides étaient à peine ingérés, que les vomissements reprenaient leur cours el que les crampes recommençaient. Les accés duraient des heures entières, après lesquelles s'établissait une prostra tion extrême, suivie d'un sommeil paisible . En se réveillant les malades éprouvaient de nouveau un grand besoin d'alimentation, auquel on s'empressait trop de satisfaire . ( 1 ) Ces détails peuvent paraître minutieux , mais nous ferons ressortir leur importance dans le chapitre où , généralisant tous les phénomènts pathologiques qui sont la conséquence des diverses intoxications minérales et végétales , nous élablirons les analogies et les dissemblances qui existent entre ces phénomèoes. Nous espérons que ce résumé comparatif et raisonné de tous les faits que nous avons exposés, facilitera le classement des êtres dégénérés par l'action intoxicante des divers agents minéraux et végétaux qui ont fait l'objet de nos élndes . En effet, en examinant l'état de dégéné rescence dans ses rapports avec la nature de la cause , la spécificité de son action, les lésions invariables que celle cause amène dans la structure du sys -tème nerveux et dans l'exercice de ses fonctions, nous devons arriver à une classification où les analogies , les dissemblances, et les caractères essen liels des diverses variétés maladives , seront parfaitement tranchés . Nous appuyons dans ce cas nolre hypothèse sur des données aussi certaines que que peuvent nous fournir les sciences d'observation . Seulement il ne s'agit pas de réunir des faits, mais il importe de les comparer el de les juger d'après leur valeur intrinsèque. celles 15 226 INTOXICATION PAR LES CÉRÉALES ALTÉRÉES . Ils se trouvaient ensuite assez forts pour vaquer à leurs travaux , mais ils ne tardaient pas à revenir, chancelants comme des hommes ivres , et en proie à de nouveaux accès dont la terminaison élait souvent falale . Cette espèce de titubation dans la marche tenait å diverses causes. 1 ° Les individus empoisonnés par les céréales altérées éprouvaient des éblouissements et des troubles particuliers du côté de la vue . Dans l'intoxication saturnine on a pu constater souvent l'amaurose, et dans l'intoxication ergo tine cette lésion spéciale du nerf oplique était loin d'être rare . Le plus ordinairement les pupilles étaient très -dila tées , les objets d'une nature circonscrite paraissaient doubles ; quelques personnes ne pouvaient plus lire et la lumière du soleil leur causait une impression pénible ; nous aurons occasion d'observer le même phénomène chez les pellagreux (1) ; 2° Un autre fait pathologique très-singulier amenait la marche chancelante si caractéristique chez ces malades . La rétraction continue du tendon d'Achille les empêchait de poser le talon sur le sol . Ils ne pouvaient trouver leur point d'appui que sur l'extrémité des orteils , et la progres sion devenait ainsi très difficile . Mais là he se bornaient pas les lésions du système ner veux et les troubles de ses fonctions. Cette étude nous intéresse au plus haut degré ; elle nous aidera dans l'exa. men comparatif des phénomènes pathologiques qui sont la conséquence des diverses intoxications . ( 1 ) Les accidents amauroliques m'ont paru avoir un résultat plus grave dans l'inloxication par les céréales . Taube cile comme une des conséquences de celle affection la production de la cataracte noire. Jamais, dit ce médecin , l'inslrument du chirurgien n'a pu guérir une cataracte de cette espèce (Taube 33, 238) . Il est probable que l'incurabilité dans ce cas tenait à la complication amaurotique . > ERGOTISME CONVULSIF ET GANGRENEUX. 227 2 Les doigts et les orteils restaient comme privés de sen timent , et la circulation ne revenait dans les extrémités que sous l'influence d'un travail manuel actif. Le sens du tact était comme aboli , dit le docteur Hecker, au point que les malades saisissaient des corps brûlants et s'enfonçaient des aiguilles dans les chairs sans éprouver de douleur ( 1 ) . Rien de régulier du reste dans l'apparition des crampes . On re marquait seulement que les accès étaient plus violents dans la soirée, et l'ensemble des fonctions nerveuses de la vie de relation et de la vie de nutrition se ressentait de la suscep tibilité spéciale que contractaient les malades sous l'in fluence de la périodicité . Dans tous les cas , les instants de rémission présentaient à peu près les mêmes caractères chez tous , savoir : insensibilité des extrémités, fourmillements, tremblement des membres, troubles de la vue (surtout chez ceux qui avaient été saignés d'une manière exagérée ), éblouissements, sentiment de tension dans la région précordiale. Celte dernière sensation était l'indice du retour des accés . Les différents symptomes que nous venons d'énumérer, sont les phénomènes pour ainsi dire initiaux de toutes les intoxications. Nous les avons retrouvés dans l'empoisonne ment par l'alcool , par l'opium et le plomb, et nous verrons pareillement que sous l'influence de la progression du mal , les accidents nerveux vont atteindre leur dernier degré de paroxisme . De tous les phénomènes nerveux, le plus persistant et le plus invariable était la sensation si souvent désignée so le nom de fourmillements. Il n'était aucune partie du corps > ( 1 ) Taube ( S 118) cile plusieurs fails de ce genre. Des couturières s'apercevaient à leur grande surprise que leurs doigts restaient allachés aux objels de leur travail . Elles ne s'étaient pas aperço que les chairs avaient été traversées par les aiguilles . 228 INTOXICATION PAR LES CÉRÉALES ALTÉRÉES . dans laquelle les malades ne se plaignissent d'éprouver des sensations de ce genre : dans la tère , les gencives, la bouche, dans l'intérieur de la poitrine et des intestins , aussi bien que dans les bras et les jambes . Les spasmes et les con vulsions alternaient parfois avec un état cataleptique qui ne durait que quelques minutes, et n'était souvent lui- même que la transition à ces formidables accés épileptiques dé crits par les auteurs de cette époque, et dont le délire était la conséquence inévitable. Un rire sardonique précédait ordinairement les trou bles intellectuels ; les malades perdaient le souvenir de ce qu'ils avaient antérieurement éprouvé , et les accès maniaques acquéraient une violence telle , que l'on était obligé d'enchaîner ces frénétiques. Au reste, cet état d'acuité ne tardait pas à avoir sa terminaison fatale. Lorsque les malades ne succombaient pas dans cette période aiguë de leur affection, ils tombaient dans un état de marasme et d'hébétude intellectuelle dont quelques-uns ne pouvaient plus se relever . Ceux qui furent assez heureux pour triom pher de ce redoutable fléau, dit Burghard , qui a décrit une épidémie convulsive en Silésie , conservèrent pendant un temps considérable de la débilité dans les membres, une sorte de roideur et même d'impuissance dans les mouve ments , et enfin de l'engourdissement dans les facultés intel lectuelles . Les convalescences étaient interminables, et les malades, épuisés par des diarrhées chroniques , succombaient or dinairement dans le dernier degré du marasme avec des épanchements dans les cavités splanchniques et abdo minales. Les terminaisons critiques les plus beureuses étaient celles qui s'accompagnaient de transpirations et d'une fièvre bien franche . Dans d'autres circonstances, des abcès et des éruptions exanthemaleuses , surtout chez ERGOTISYE CONVULSIF ET GAXGRÉSECI . 229

les enfants, étaient un signe favorable ( 1 ) . Mais quand l'affection devait avoir une issue fatale, les parties exté rieures devenaient de plus en plus insensibles à l'influence de la douleur ; les spasmes, les convulsions apparaissaient á de plus longues distances, et le mal semblait se concen trer à l'intérieur . Les patients restaient plongés dans une torpeur indicible : l'activité des sens disparaissait, la sur dité faisait des progrès, et l'embarras de la langue pouvait se comparer à ce que nous observons dans la paralysie générale et dans la pellagre, ainsi que dans les phases terminatives de utes ces affections du système nerveux où l'on peut suivre l'évolution régulière et progressive de l'ensemble des lésions sensoriales, depuis le fourmillement des extrémités inférieures, jusqu'à la paralysie convulsive avec perte absolue des facultés intellectuelles. C'est dans ces tristes conditions que succombaient les malades sou mis à l'intoxication ergotine, et l'élément convulsif et dou loureux semblait dominer jusque dans les derniers moments de leur existence . Des spasmes tétaniques pliaient le corps , tantôt en avant , tantot en arrière, jusqu'à ce qu'enfin une convulsion suprême vint mettre un terme à des tortures intolérables . Tels sont les principaux phénomènes maladifs observés dans l'ergotisme convulsif. Cette affreuse maladie a-t-elle existé avant l'année 1587 , où les ravages qu'elle exerça en Silésie attirérent pour la première fois, à ce qu'il parait, l'attention du monde médical ? Tout nous fait présumer, en l'absence des documents historiques, qu'à toutes les époques de l'humanité, l'avénement des mêmes causes ( 1 ) Les spasmes étaient parfois si violents que quelques -uns de ces ma lades, d'après ce que raconte Taube, restèrent plus ou moins muets pour s'être mordu la langue ou se l'ètre , parfois, entièrement coupée. 230 INTOXICATION PAR LES CÉRÉALES ALTÉRÉES. produit les mêmes effets. La substance toxique spéciale désignée sous le nom de ergot de seigle , augmente inva riablement dans les années pluvieuses , ceci est un fait in contestable ; mais le seigle n'est pas l'unique céréale, il s'en faut, qui subisse des altérations susceptibles d'amener dans l'organisme des effets similaires , c'est-à-dire , de vé ritables empoisonnements . Il est donc infiniment probable que des affections épidémiques analogues ont existé dans tous les temps et dans tous les lieux ; seulement l'ignorance où l'on était de la cause , a fait que des noms différents ont été donnés à des maladies appartenant à la même famille pathologique. L'erreur était d'autant plus facile à commettre que l'in toxication variait dans son intensité selon les temps, les lieux, les influences épidémiques générales , et selon les dispositions héréditaires des populations soumises å l'in fluence d'une cause endémique. Personne ne nie plus aujourd'hui que l'ancien mal des ardents , connu encore sous le nom de peste noire, de feu de Saint- Antoine, ne soit autre chose que l'ergotisme gangreneux qui a ravagé plusieurs provinces de la France à l'époque où l'ergotisme convulsif sévissait en Allemagne. Il m'est difficile d'ad mettre avec le savant Hecker que ces deux états patholo giques, qui dérivent incontestablement de la même cause, doivent être considérés comme deux affections essentielle ment distinctes . Je leur assigne, quelles que soient les diffé rences dans l'intensité de leur action sur l'organisme , la place qui leur convient naturellement dans la famille des maladies qui sont le résultat de l'intoxication par les sub stances alimentaires altérées ( 1 ) . (1 ) Il n'était pas rare de voir dans l'épidémie de 1771 des éruptions de ce genre , qui intéressaient parfois toule l'enveloppe légumentaire. Taube cite ERGOTISME CONVULSIF ET GANGRËNEUX . 231 La cause qui produit la pellagre rentre dans les mêmes éléments étiologiques . Il s'agit aussi dans ce cas de l'alté ration , ou même de l'usage exclusif d'une céréale qui n'al teint pas dans les pays septentrionaux son degré voulu de maturité, et dont l'action intoxicante est aujourd'hui mise hors de doute . C'est dans l'observation comparée de tous les phénomènes pathologiques dus à ces diverses sub stances, c'est dans l'examen de leur action dégénératrice sur l'espèce humaine , que nous puisons les motifs de nos analogies et les éléments de notre classification . Toutefois, comme le sujet qui nous occupe repose encore sur des opinions controversées, nous tenons à dissiper les doutes et les incertitudes qui pourraient surgir dans les esprits, en établissant notre théorie sur l'examen comparé des faits pathologiques . Ergotisme gangreneux . Dans le but de faire mieux ressortir les analogies qui existent entre l'ergotisme gan gréneux et l'épidémie du moyen âge connue sous le nom de feu de Saint-Antoine, peut-être n'est- il pas hors de pro pos de donner une courte description de cette dernière épidémie . Voici , d'après le docteur Hecker, les principaux symptomes de cette terrible affection ( 1 ) . le cas d'une jeune fille de 7 ans, dont le corps entier n'était devenu qu'un vaste ulcère ; la peau se détacha par fragments et sa renovation s'opéra dans d'excellentes conditions ; l'enfant guérit . Dans l'ergotisme gangreneux tel qu'il sévit en France, les parties molles étaient frappées de sphacèle et ne se renouvelaient pas . ( 1 ) Voir les recherches sur le feu de Saint-Antoine, par MM. de Jussieu, Paulet, Saillant et l'abbé Tessier. Histoire et mémoire de la sociélé royale de médecine, année 1776, p . 260. On trouve aussi dans les Annales géné rales de la médecine allemande , lome XXVIII, janvier 1834 , une excellente monographie du docleur C. H. Fuchs sur le même sujet. Il résulte de lous ces documents, que de l'année 857 à l'année 1547 , on ne compla pas moins 232 INTOXICATION PAR LES CÉRÉALES ALTÉRÉES. Les infortunés atteints par le mal souffraient d'une ma nière intolérable : les grincements des dents, les contorsions de tout le corps, les cris arrachés par la douleur, étaient l'expression la plus saisissante de cet état d'inexprimable angoisse. Ils accusaient un feu qui , caché sous la реаи , dé vorait leurs muscles et les séparait des os . Les parties extérieures étaient néanmoins d'un froid glacial , et l'on ne parvenait pas à réchauffer ces malades . Plus tard les par ties alteintes devenaient noires comme du charbon , et l'air était empesté par la putréfaction des chairs qui se déta chaient des os. La gangrène envahissait les membres dans des proportions si formidables, que des malheureux, privés de leurs bras et de leurs jambes , ne représentaient plus qu'un tronc informe et imploraient la mort à grands cris . Lorsque l'influence morbide envahissait les intestins, les malades ne tardaient pas à succomber au milieu des plus vives douleurs. Parfois aussi les symptômes ne se tradui saient pas au dehors par la gangrène des membres, et les terminaisons favorables étaient indiquées par la transition d'un froid glacial à une chaleur intense accompagnée de fièvre; cependant , l'absence de la gangrène était l'exception la plus rare . Dans quelques descriptions des épidémies qui sévirent en Allemagne et en Lorraine dans " le onzième siècle , les auteurs font aussi mention de crampes et de convulsions , nervorum contractione distorli cruciabantur ( 1 ) . de vingt -huit de ces terribles épidémies . La plus rapprochée de notre époque éclala en l'année 1830 . ( 1 ) Hecker . Ouvrage cilé , p . 347. Les ravages causés par le mal des ardents variaient beaucoup dans leur intensité. Dans quelques épidémies, le nombre des guérisons égalait celui des décès ; dans d'autres, au contraire, la mortalité était générale. C'est ainsi qu'en l'année 1099 , le mal sévit avec une violence telle qu'il n'échappa aucun malade. En 994, plus de 40,000 indi ERGOTISME CONVULSIF ET GANGRÉNEUX . 233 1 Si l'on rapproche maintenant ces faits, si incomplets qu'ils peuvent être, des observations modernes, il faut bien admeltre qu'il existe une grande analogie entre le mal des ardents et l'ergotisme gangreneux . C'est dans les années humides que le mal éclatait avec une intensité spéciale , et la famine était l'auxiliaire le plus puissant de la propaga tion . Au reste , les faits qui prouvent cette analogie sont consignés dans l'histoire de l'Académie des sciences, et tout ce qui se passait en 1709 et plus tard dans diverses con trées de la France, était la reproduction exacte de la peste du moyen âge . La maladie, d'après la relation que nous laisse le méde cin Langius ( 1718) , débutait par une lassitude extraordi naire , sans aucun mouvement fébrile. Bientot le froid s'emparait des extrémités , qui devenaient pales et ridées, comme elles le sont après une longue immersion dans l'eau chaude ; les rides étaient même si prononcées qu'elles ne vidus périrent dans le midi de la France . 14,000 personnes succombèrent à Paris en 1148. Il est inutile d'ajouter que l'on ne connaissait aucan moyen médical contre celle maladie . Les croyances religieuses de cette époque allri buaient une grande influence à saint Antoine pour la guérison de ce mal , el l'on sait que l'ordre fondé en 1089 par Gaston dans le Dauphiné, avait pour but de secourir les malheureux alleints de celle peste . Hecker fait la remarque intéressante qne lous les pays où l'ergotisme gangreneux s'est montré dans les temps modernes, ont pareillement été visités par le mal des ardents dans le moyen âge . La Flandre, le Dauphiné, l'Orléanais , les environs de Blois et d’Arras , ont été décimés par ces deux épidémies. En Espagne a régné l'ergorisme gangreneux ; mais celle région a été préservée da mal des ardents. L'Italie a été ravagée par le même mal , tandis que la plus grande partie de l'Allemagne et le nord de l'Europe n'ont jamais éprouvé que les alteintes de l'ergolisme convulsiſ. Hecker en conclut que ces deux affections, quoique reconnaissant la même cause, sont parfaitement distinctes l'une de l'autre . 234 INTOXICATION PAR LES CÉRÉALES ALTÉRÉES, permettaient pas de distinguer les traces des veines. En gourdis, privés de toute sensibilité , ne se mouvant qu'avec peine, les membres ressentaient intérieurement des dou leurs très-aiguës, qu'exaspérait encore la chaleur de la chambre ou celle du lit, et qui ne cédaient que lorsque les malades s'exposaient à l'influence d'un froid vif et à peine supportable. Ces douleurs s'étendaient peu à peu , et mon taient des mains aux bras et aux épaules, et des pieds aux jambes et aux cuisses, jusqu'à ce que la partie affectée devint séche, noire, sphacelée et se séparat du vif. Quel ques victimes de ce fléau trouvèrent dans leurs gants ou dans leurs bas une ou deux phalanges digitales compléte ment détachées . Dans le cours de la maladie, les autres organes du corps étaient en assez bon état , excepté que lors de l'accroissement de la douleur, les malades éprou vaient une légère chaleur fébrile , puis une sueur copieuse qui s'étendait depuis le sommet de la lète jusqu'au creux de l'estomac , et enfin un sommeil pénible agité par des rêvasseries fatigantes. Ceux qui n'avaient compris dans leur nourriture qu'une petite quantité de pain de seigle cornu en furent quittes pour quelques ressentiments de pesanteur et d'engourdissements dans la tête , auxquels succédait souvent une espèce d'ivresse assez notable, dernier symptome auquel étaient plus spécialement expo sés ceux qui avaient mangé le pain de seigle sortant du four (1 ) Toutes les descriptions que les médecins de cette époque nous ont transmises sur les effets de l'empoisonnement par l'ergot du seigle , ne nous laissent aucun doute sur l'identité de l'ergotisme gangreneux et du mal des ardents . On vit , dit le docteur Salerne, médecin à Orléans, un 1718. ( 1 ) Langins . Acta cruditorum ; anno, ERGOTISME CONVULSIF ET GANGRENEUX . 235 enfant de dix ans dont les deux cuisses se détachérent de leur articulation sans aucune hémorrhagie ; son frère , agé de 14 ans, perdit la jambe et la cuisse d'un coté, et la jambe de l'autre ; tous deux moururent aprės vingt-huit jours de maladie . Ceux auxquels on fit l'amputation d'un membre gangréné , périrent plutôt que ceux qui ne furent pas soumis à cette opération ; de plus de cent vingt malades opérés ou non , il n'en échappa que quatre ou cinq ..... Quelques -uns de ces malheureux criaient jour et nuit et se plaignaient d'élancements affreux . Salerne observa que tous ces malades avaient l'air hébété, stupide, et ne pouvaient rendre raison de leur mal ; que leur peau était généralement jaune ; que la face surtout, et le blanc des yeux présentaient cette teinte plus pronon cée qu'ailleurs, et qu'ils tombaient dans un amaigrissement extrême ( 1 ) . Dans l'ergotisme convulsif tel qu'il a existé générale ment en Allemagne et dans le nord de l'Europe, nous n'avons pas vu celte prédominence des accidents gangré neux qui formaient le caractère de l'intoxication par les ( 1 ) Le docleur Vetillarl, qui publia en 1770 une méthode curative appli cable aux maladies causées par le seigle ergolé , rapporte le fait suivan ! : « Un pauvre homme de Noyen , dans le Maine, voyant un fermier oublier son seigle, lai demande permission d'enlever le rebut ponr en faire du pain . Le fermier lui représenta que ce paio pourrait lui être préjudiciable, mais le besoin l'emporta sur la crainte . Le pauvre homme fit moudre ces criblures, composées pour la plus grande partie d'ergot, el il forma do pain de leur farine. Dans l'espace d'un mois , cet infortuné, sa femme et deux de ses enfants périrent misérablement ; un troisième qui était à la mamelle, et qui avait mangé de la bouillie de cette farine, échappa à la mort ; il existe encore, mais, quelle triste existence ! Sourd -muet et privé des deux jambes . Voir l'article ergotisme du Dictionnaire des sciences médicales, par le docteur Renauldin . 236 INTOXICATION PAR LES CÉRÉALES ALTÉRÉES. céréales en France ; mais peut--on en inférer que ces deux formes différentes, il est vrai , par leurs manifestations extérieures, étaient néanmoins distinctes dans leur nature intime ? Evidemment non. S'il en était ainsi , chacune de ces maladies parcourrait ses phases avec ses caractères essentiels, et l'on ne verrait jamais l'ergotisme convulsif subir ces transitions pathologiqnes qui nous offrent tous les phénomènes de l'ergotismo gangreneux. Le contraire a cependant eu lieu , de l'aveu du docteur Hecker lui-même, dans les épidémies d'ergotisme convulsif qui ravagérent la Suisse, le pays de Hartz et l'Artois dans les années 1709 , 1716, 1749 et 1750. Quoiqu'il nous soit impossible de spécifier pourquoi telle forme règne plutôt dans un pays que dans un autre, nous n'y voyons que les degrés diffé rents d'une intoxication similaire . La même difficulté d'ex plication se présentera lorsque nous aurons à étudier les dégénérescences résultant de l'intoxication paludéenne. Nous verrons les effets pathologiques les plus variés se produire selon les circonstances qui donnent au miasme paludéen un degré plus ou moins considérable d'activité . On conçoit que les variétés dans la constitution géologique du sol , dans les saisons, dans le temperament même des individus, amènent des différences radicales entre telle forme de fièvre et telle autre ; néanmoins, toutes ces diffé rences ne nous empêcheront pas d'établir une classe unique des dégénérescences provenant de l'intoxication palu déenne . Nous ne reviendrions pas sur les analogies de l'ergotisme gangrèneux et de l'ergotisme convulsif, si cette importante question de l'empoisonnement par les céréales altérées ne se rattachait pas à l'histoire des dégénérescences dans l'es pèce . C'est pour avoir perdu de vue la communauté d'ori gine de certaines affections épidémiques , que les patholo ERGOTISME CONVULSIF ET GANGRÉNEUX . 237 gisies en ont fait des entités morbides distinctes. Celle vérité ressortira bien mieux encore des considérations que va nous suggérer l'histoire de la pellagre , cette affection eminemment dégénératrice. Si l'on nous objectait que tout ce que nous avons dit sur l'ergolisme n'atteint que le passé, et n'intéresse que très-indirectement la question des dégénérescences, notre justification se trouverait dans l'étude de l'endémicité pellagreuse. L'origine de cette affection, la nature des lésions qu'elle produit dans l'orga nisme, son influence désastreuse sur la conservation nor male de l'espèce, offrent des analogies- si frappantes avec l'ergotisme convulsif , qu'il ne nous est pas possible d'a border la question des épidémies modernes, sans jeter un regard rétrospectif sur les épidémies anciennes. Cette méthode parait éminemment propre à favoriser le progrès de nos études . Elle nous démontre que les analogies qui existent entre des affections en apparence diverses, indiquent un mal toujours présent, et que les causes des dé générescences ne peuvent être bien comprises qu'en ratla chant l'histoire actuelle de l'humanité souffrante à celle de son passé. SIV. De la Pellagre , et des rapports de cette affection avec l'alimentation exclusive par le maïs . Nous avons cherché à établir l'identité qui existe entre l'ergotisme gangreneux et une autre affection dont le nom réveille le souvenir d'une des plus désastreuses épidémies qui ait jamais affligé l'humanité. Les preuves sur lesquelles nous avons basé nos appréciations sont plus ou moins vul nérables, sans doute, par leur coté théorique, mais elles n'en présentent pas moins à l'observateur qui étudie alten 238 DĖGÉNÉRESCENCE PELLAGREUSE . tivement la nature et la marche des épidémies, les éléments les plus indispensables à l'appui de ses convictions médi cales . Si , d'après la pensée aussi juste que profonde de Haller, les épidémies sont la vie des maladies, comment serait-il pos sible de concevoir cette vie en debors des causes qui, sous les latitudes les plus diverses, s'attaquent à la constitution des étres vivants, et modifient assez profondément leurs fonctions organiques pour qu'il en résulte , tantôt des races nouvelles et tantôt des variétés maladives parmi ces mêmes races. La science hygiénique, dont les progrès actuels ne peu vent être niés par personne, a pour but de nous enseigner les causes qui entretiennent la vie des maladies, et de nous indiquer les moyens de préservation . Toutefois les plus sages , les plus minutieuses précautions de rhygiène, ne peuvent rien contre certaines causes épidémiques . Les révo lutions dans la marche, l'ordre et la succession des phéno menes naturels, amènent, comme nous l'avons vu , les per turbations les plus graves dans la constitution de tous les etres organisés. Ce sont les influences climatériques qui en tretiennent de la façon la plus active la vie des maladies ; mais si l'homme devient en quelque sorle, et pour ainsi dire fatalement, le jouet de ces mêmes influences, il ne s'en suit pas qu'il reste d'une manière absolue sans moyens de préservation et de défense contre tant d'éléments réunis de destruction . Or, c'est précisément dans ces circonstances solennelles que la médecine est appelée à remplir le role qui lui acquiert les droits les plus incontestables à la reconnaissance des hommes. Elle s'appuie d'une part sur l'observation pour si gnaler les circonstances qui prêtent aux causes indépen dantes de la volonté humaine les éléments les plus actifs de INFLUENCE DE L'ALIMENTATION PAR LE MAPS. 239 propagation malfaisante ; elle s'éclaire ensuite des ensei gnements de l'histoire pour relier le présent des faits pa thologiques à leur passé, et prouver la solidarité qui existe entre des épidémies, dont les effets sont en apparence si différents . Dès le moment où la science est entrée dans cette voie, on peut dire qu'un grand progrés a été réalisé. L'étude comparative qui a été faite dans ces derniers temps des diverses maladies dont l'origine est due à la viciation des céréales, a fait pressentir à quelques bons esprils , et parti culièrement à M. le docteur Rayer, que la convulsion cé réale, l'acrodynie et la pellagre constituent un seul et même groupe nosologique . Ces affections, dit un auteur moder ne ( 1 ) , proviennent d'une altération encore mal connue du grain de diverses céréales , mais tout porte à croire que cette altération est à peu près semblable dans les trois cas. Les différences qu'elles offrent, ajoute le docteur Roussel , suivant qu'elles se présentent, comme maladie sporadique, comme affection épidémique ou endémique, tiennent uniquement à ce que , tantot l'altération du grain ne se développe que dans de petites proportions ou à de rares intervalles , et que tantôt elle se produit d'une manière plus géné rale et plus continue. La convulsion céréale, l'ergotisme, ( 1 ) M. Théophile Roussel : De la Pellagre, de son origine, de ses progrès, de son existence en France, de ses causes et de son traitement curatif et préservalif. Paris , 1845. La lecture de cet ouvrage est indispensable à ceux qui voudront avoir une notion complète de cette singulière affection, dont l'existence en France était à peine soupçonnée au commencement de ce siècle... J'ai eu moi -même, en 1845 , une occasion précieuse d'étudier la pellagre dans les provinces Vénitiennes et dans la Lombardie, et je puis affir mer que l'intéressant ouvrage du docteur Roussel répond parfaitement à ce qu'il est permis de savoir dans l'état actuel de la science. 240 DÉGÉNÉRESCENCE PELLAGREUSE . l'acrodynie ( 1 ) sont dans le premier cas ; la pellagre, au con traire , au moins dans les régions tempérées de l'Europe, présente en général les caractères d'une endémie, parce que le maïs, céréale exotique, s'alière plus souvent dans certaines contrées que dans sa propre patrie . ( 1 ) On a désigné sous le nom d'Acrodynie, une maladie épidémique qui régna à Paris , en 1828 el 1829 , et qui était particulièrement caractérisée par des douleurs ou des engourdissements dans les membres inférieurs et supé rieurs, et par des phénomènes inflammatoires, surlout à la paume de la main et à la plante des pieds . Dans ses Elements de pathologie médicale , Requin signale chez ces malades des engourdissements et des fourmillements des extrémités inférieures et supérieures ... Ces douleurs étaient ordinai rement plus fortes la nuit que le jour. Quelquefois, elles remontaient le long des jambes et des cuisses , le long des avant - bras et des bras, jasqu'au tronc . Tantôt c'était une sensation de froid , surtout à leurs extrémités ; tantôt c'était une chaleur brûlante qui forçait quelquefois les malades à tenir les pieds hors du lit. Chez quelques -uns l'hypertrophie des pieds et des mains était poussée à tel point, que la moindre pression ne pouvait être supportée, en sorte qu'il devenait impossible à ces pauvres gens de se tenir debout, et même de rien saisir entre leurs doigts . Chez d'autres encore, on observait l'anesthésie plus ou moins prononcée de ces mêmes parties ; en un mot, tous les degrés d'engourdissement, jusqu'à l'abolition presque complète du sentiment et du tact . Certains malades, heureusement en petit nombre, lombaient dans la pa ralysie proprement dile ; ils n'avaient plus que des membres inertes , qui allaient s'amaigrissant, et dans lesquels ils ressentaient encore , par inter valles, des élancements douloureux . Les soubresauts des tendons et les crampes se remarquaient dans quelques cas . (Voir l'ouvrage de Requin : Elé ments de pathologie médicale, tome II, p . 491. Chap . Epidémies parli culièrement mémorables.) De loules les opinions qui ont élé émises à celle époque sur la cause de celle singulière affection, celle de M. Cayol pous paraît se rapprocher davan lage de la vérité . Cet auteur signale une altération particulière du pain ; les symptômes de celle affection nous rappellent en effet quelques -uns des faits pathologiques observés daus l'ergotisme. INFLUENCE DE L'ALIMENTATION PAR LE MAÏS . 241 Les conséquences des idées modernes, à propos de la communauté d'origine des diverses affections dues à l'allé ration des céréales, sont faciles à saisir . Elles nous ap prennent que les causes qui ont provoqué ces terribles épidémies du moyen age ne sont jamais absentes , et que la même altération des céréales amène des résultats également défavorables à la propagation normale de la race et à son perfectionnement ultérieur. Ajoutons encore que ce n'est pas seulement cette vérité qui ressort de nos études, mais qu'il est un autre côté de la question dont l'importance a déjà été entrevue par quelques hygiénistes modernes ( 1 ) . Je veux parler de l'influence désastreuse exercée sur la santé des populations par une nourriture végétale trop exclusive. Cette atteinte aux lois les plus essen tielles de l'hygiène se traduit au- dehors par la cachexie, l'étiolement des individus, la diminution de la taille , et par cet état général d'énervation et d'anémie dont les géné rations nouvelles portent toutes la fatale empreinte . Ces con ditions dégénératives, dans les contrées ou le maïs forme la ( 1 ) En parlant des hygiénistes modernes, je ne veux pas faire exclusion des anciens, el prétendre par là qu'ils n'avaient aucune connaissance des ma ladies causées par la viciation des céréales ; mais, comme le fait remarquer avec jaslesse M. le docteur Th. Roussel , on chercherail en vain dans les anciens un tableau de la convulsion céréale et de l'ergotisme gangreneur, comparable de loules pièces à ceux que les médecins des derniers siècles nous ont laissés . Daps plusieurs passages des oeuvres de Galien, il est fait mention des graves inconvénients qui en résultaient pour ceux qui , poassés par le besoin, faisaient usage de légumes et de céréales de mauvaise nalare . Les fièvres pestilentielles qui proviennent de froment corrompu, sont si gpalées par cet auteur. Il cile même les pays où des épidémies de ce genre ont eu lieu , et dont les habilants ont été sujels à des crampes : frequentibus musculorum distensionibus. Voir 17 5 de diff. feb. ( 4 p . 100, lome VII ) , et le 6e commentaire des épidémies. 16 242 VÉGÉNÉRESCENCE. PELLAGREUSE . base exclusive de la nourriture , sont frappantes ; elles s'ac compagnent d'autres circonstances pathologiques qui nous rappellent les effets des intoxications précédemment dé crites. Un pareil état de choses n'a pu échapper aux mé decins qui exerçaient dans le pays où la pellagre est endé mique, et la juste sollicitude des gouvernements a provoqué les recherches des savants, afin d'aviser aux moyens les plus efficaces d'extirper le mal . L'importance de la question nous engage de notre coté à entrer dans quelques considé rations historiques , qui précéderont ce que nous avons à dire des symptomes et de la marche de cette affection , et de l'influence qu'elle exerce sur la constitution phy sique ainsi que sur l'état moral de ceux qui en sont les victimes . Historique. Les différents noms qui ont été donnés à Ja pellagre par les médecins Espagnols et Italiens , ne dé truisent pas le fait de la communauté d'origine de cette af fection ; tout ce que nous pouvons en conclure, comme le remarque justement M. le docteur Roussel, c'est que le défaut de relations scientifiques entre les médecins de ces différents pays est un des obstacles les plus sérieux aux progrès de la science médicale. La maladie que les mé decins Lombards ont décrite sous le nom de Pellagre à la fin du siècle dernier, el qu'ils crurent avoir observée les pre miers, a été signalée antérieurement en Espagne ; et dans un écrit qui n'a été publié qu'après la mort de son auteur, en 1762, D. Gaspar Casal donne tout les traits caractéris tiques de la Pellagre, dont le nom n'avait pas encore été prononcé dans le monde savant . Le médecin Espagnol dé sigoait cette maladie sous le nom de mal de la rosa, qu'elle portait dans les campagnes Asturiennes. C'est à un médecin Francais, attaché à l'ambassade du duc de Duras sous Louis XV, que l'on doit les premières INFLUENCE DE L'ALIMENTATION PAR LE MAïs.. 243 notions qui parvinrent en France sur cette maladie, et Thierry ( 1 ) reconnait avoir puisé dans les manuscrits de Casal ce qu'il sait de cette singulière affection . C'est en appréciant les indications de ce dernier médecin que Sau vages fit entrer la nouvelle maladie dans le cadre de sa Nosologie méthodique, sous le nom de Lepra asturiensis ; il la classait parmi les cachexies. Cette même lėpre des Asturies va recevoir vingt ans plus tard une désignation nouvelle dans les recherches d'un mé decin italien qui parait avoir ignoré ce qui avait été dit de celte affection . Antonio Pujati observait dans les villages du district de Felze une maladie insidieuse dans sa marche et dangereuse par la gravité de ses atteintes. Il la caractérisa par l'ensemble de ses principaux symptomes, et la désigna sous le nom de scorbut Alpin , en raison du mélange de scorbul et de lėpre qu'il remarqua chez ceux qui étaient atteints de ce mal. Pujali ne publia pas ses observations ; mais, ayant été nommé plus tard professeur à l'Université de Padoue, il se contenta de décrire la maladie sous le nom de scorbut Alpin . Ce n'est qu'en 1771 que les médecins Lombards portèrent leur attention sur une affection essentiellement endémique dans leur pays , et à laquelle ils conservèrent son nom po palaire de Pellagre ( 2) . Francesco Frapolli en publia le pre mier une courte description , et quatre ans plus tard un pra licien des environs du lac Majeur, Francesco Zanetti , qui ne connaissait pas le travail de Frapolli, composa de son côté un mémoire sur une affection qu'il observait depuis 1769. Or, à dater de ce moment , dit le docteur Roussel, « la » Pellagre s'estmontrée de loutes parls ; elle a altiré l'atten a ( 1 ) Observations de médecine failes en Espagne, Paris , 1791. ( 2) De deux mots italiens qui signifieul crevasses de la pean . 244 DÉGÉNÉRESCENCE PELLAGREUSE . » tion des médecins et des gouvernements qui se sont suc » cédés de l'autre côté des Alpes ; et au moment où j'écris , » et où malgré tant d'efforts on n'est pas arrivé à s'entendre i sur les causes de cette maladie, il semble que ses ravages » s'étendent chaque jour. » Il est inutile de suivre les médecins Italiens dans les dis cussions qui eurent lieu à cette époque sur l'identité de cette maladie . En effet, la différence des symptomes que l'on observait dans une province ou dans l'autre, pouvait donner facilement le change sur la spécificité de la cause, mais l'observation ultérieure nous apprendra que certaines influ ences locales donnent à la pellagre un caractère particulier, sans qu'il soit nécessaire pour cela d'attribuer le mal à des causes essentiellement différentes. Une autre question non moins importante va surgir pour nous de ces courtes con sidérations historiques . La pellagre est- elle une affection spéciale au climat du nord de l'Espagne et de l'Italie, ou bien ne doit- on pas plutot rattacher son origine à la culture du maïs ainsi qu'au mode qui préside à l'alimentation par celle céréale ? Il y a quelques années, le problème aurait été insoluble . Le peu que nous savions sur la pellagre nous faisait regarder cette maladie comme endémique dans le nord de l'Italie ; et lorsqu'en 1830 , M. Brierre de Boismont communiquait à l'Académie des sciences le résultat de ses recherches, il eut lieu de s'étonner de l'ignorance générale où l'on était d'une maladie qui sévissait à deux cents lieues à peine de la capitale de la France. Mais qu'aurait dit M. Brierre de Boismont, ajoute le docteur Roussel, s'il eût été instruit lui-même, qu'au moment où il reprochait leur indifférence aux médecins Français , la pellagre dévastait incognito plu. sieurs départements de la France. Un modeste praticien de la Tesle- de-Buch venait de lire, en 1829 , devant la Société INFLUENCE DE L’ALIMENTATION PAR LE MAïs . 245 > royale de Bordeaux une note commençant par ces mots : « Une maladie de la peau que je crois peu connue et qui est des plus graves, menace d'attaquer la population des · pays que j'habite . Je veux seulement en indiquer les » principaux symptomes pour savoir si elle aurait été ob » servée par quelqu'autre médecin , et par ce moyen me » mettre mieux à même de porter des secours efficaces à s ceux qui ont le malheur d'en être alteints ( 1 ) . » Or, cette maladie que le docteur Hameau observait depuis 1818 parmi les misérables habitants du bassin d'Arcachon , et à laquelle il n'osait pas donner un nom, était, si l'on en croit M. Roussel , celle que Casal et Thierry avaient décrite sous le nom de mal de la rosa ; celle dont Pujati, Odoardi et quelques autres avaient fait une sorte de scorbut endémique ; celle enfin qui sous le nom de Pellagre occupail depuis un demi- siècle, dit M. Th . Roussel, les médecins Lombards . Depuis cette époque, les occasions de faire des rappro chements et d'étudier le mal à sa source ont été nom breuses ; quelques faits isolés de pellagre rencontrés dans les hôpitaux de Paris ont attiré l'attention des médecins ; mais nous devons avouer que cette attention n'a pasété assez puissante pour imprimer à l'activité des esprits une impulsion favorable dans le sens des recherches ultérieures à faire sur la nature et l'origine de cette affection . L'incertitude même dans laquelle on a été si longtemps au - delà des Alpes sur les véritables causes de la pellagre, n'a pas réveillé chez nous l'instinct d'un danger immédiat. On ne soupcon nait pas, et bien des personnes sont encore dans la même illusion aujourd'hui, on ne soupçonnait pas, dis-je, que ( 1 ) Léon Marchant, Documents pour servir à l'étude de la pellagre des Landes, Paris , 1847, pag. 16. Bulletin de l'Académie de Médecine, 1837, t. II , pag. 7 ; 1. X, pag. 790, 854. 246 DÉGÉNÉRESCENCE PELLAGREUSE. des populations entières frappées par le même mal, forment pour ainsi dire des variétés maladives distinctes , et que ce mal se présente avec des complications si formidables et sous des formes si hideuses, que quelques médecins ont cru y voir une variété ou une transformation de la lėpre du moyen âge. Mais il est un autre point de vue qui offre å nos études un puissant intérêt, c'est celui des rapports de la pellagre avec les conditions dégénératives dans l'espèce humaine. Quand nous aurons prouvé que ce mal redoutable tend å se perpétuer, à s'étendre et à s'aggraver dans les fa . milles où il a fait invasion , les conséquences seront faciles à déduire pour ce qui regarde le dépérissement de la race ; et la pellagre sera naturellement classée parmi ces maladies qui , en se transmettant de génération en génération , per péluent ces types spéciaux de cachexie et d'abåtardis - sement qui ne peuvent plus propager la grande famille humaine dans les conditions de son développement nor mal ( 1 ) . Symptômes et marche de la maladic. Comme toutes les maladies chroniques qui sont le résultat d'une intoxication , la pellagre offre des phases diverses , et un ensemble de symptomes qui varient chez les auteurs, selon que ceux - ci se sont attachés de préférence à la description des troubles du système digestif ou du système nerveux , ou à celle des lésions extérieures ou des lésions internes. ( 1 ) Nous ne pouvons entrer ici dans les détails que comportera le chapitre spécial sur l'hérédité . Tout ce que nous pouvons dire d'avance , c'est que l'hérédité , considérée dans la pellagre au point de vue des tempéraments cachectiques et débilités dont les enfants héritent de leurs parents, nous pré sente les mêmes variétés de dégénérescence que celles que vous retrouverons dans les pays où les populations sont rongées par les fièvres des marais , et dans les contrées où la constitutiou géologique du sol est le point de départ d'affections inloxicantes spéciales . INFLUENCE DE L’ALIMENTATION PAR LE MAÏS. 247 Il existe d'autres différences en rapport , soit avec les influences spéciales qui règnent dans les pays où la pel lagre est endémique, soit avec la période d'acuité ou de rémittence, selon qu'elle a été étudiée dans la saison la plus favorable à la manifestation de ses symptômes, ou dans celle phase terminative qui présente à l'observa teur l'ensemble des désordres les plus graves qui puissent allecter l'économie . Mais ces différences sont plutôt appa rentes que réelles , et cela se conçoit facilement. Les di vers agents intoxicants agissent sur le système nerveux d'après un mode invariable. Ils ne produisent pas indiffé remment tel ou tel autre effet essentiellement distinct , mais tel effet et tel autre, selon l'activité plus ou moins consi dérable du poison , selon la tolérance plus ou moins grande de celui qui l'absorbe , et en définitive selon la période de la maladie . Celte simple considération nous aidera à ressaisir l'ordre , l'enchainement et la dépendance réciproque des phéno mėnes de l'économie dans leur évolution pathologique . Si j'ai cru utile de revenir sur ces principes élémentaires, c'est que l'expérience apprend combien l'esprit est prompt à s'égarer au milieu du dédale des symptômes les plus con tradictoires en apparence , et avec quelle facilité il rattache souvent les effets à des causes qui ne sont pas toujours celles qui en réalité dominent la situation . Le plus grand service que l'on puisse, à mon avis, rendre aux sciences d'observation , est de bien préciser les rapports nécessaires des effets et de leur cause. On arrive ainsi à simplifier l'histoire des maladies, et à classer ces dernières dans leur ordre naturel . Le diagnostic offre alors une cer titude plus grande , et le pronostic resume dans toute sa vérité la marche invariable qu'il nous est permis de fixer aux phénomènes ultérieurs de la maladie . De celte certi 248 DÉGÉNÉRESCENCE PELLAGREUSE . tude se déduisent non-seulement les craintes et les espé rances rationnelles du moment, ainsi que les légitimes indi cations thérapeutiques, mais le but principal de nos recher ches devient plus facile à atteindre, puisqu'il nous est permis d'entrevoir les véritables éléments de régénération de l'es pèce , au milieu de tant de causes qui concourent à entraver son amélioration et son progrés. La méthode que nous avons suivie jusqu'à présent dans l'histoire des diverses intoxications, soit de l'ordre végétal , soit de l'ordre minéral, est celle qui peut le mieux nous faire comprendre les influences générales et les influences spéciales des différents agents intoxicants ; c'est celle qui nous amène pareillement à préciser avec la plus grande exactitude possible leurs effets sur l'économie. Les ana logies et les différences que nous avons déjà laissé entre voir, nous apprennent que s'il est des symptômes com muns à toutes les intoxications, il en est d'autres dont l'action est plus spéciale . Ces analogies et ces différences nous permettent de fixer d'une manière plus précise les diverses conditions dégénératives dans l'espèce humaine. On comprend facilement que la résistance qu'offre l'éco nomie à l'action de certains poisons, produit des effets dont il est plus facile de calculer la portée, que lorsque cette action est prompte et pour ainsi dire instantanée. Dans le premier cas, les transformations successives qui s'opèrent dans l'organisme permettent d'apprécier les phases diverses qui séparent l'état normal de l'état dégénéré. Dans le second , l'existence n'étant pas immédiatement menacée, l'état de dégénérescence avec ses diverses modifications se retrouve chez les descendants des individus qui ont été exposés à toutes les conséquences de l'intoxication primitive ; c'est ce que nous avons déjà vu dans l'empoisonnement par l'alcool et l'opium ; c'est ce que nous remarquerons encore dans INFLUENCE DE L'ALIMENTATION PAR LE maïs. 249 tous les empoisonnements qui affectent une marche chro nique. Le plomb et l'ergot de seigle nous offrent déjà une suc cession toute autre dans l'évolution des phénomènes patho logiques, et les variétés maladives dans l'espèce ne sont plus aussi faciles à caractériser, à raison de la prompti lude avec laquelle sont enlevés ceux qui , les premiers , su bissent l'influence de ces poisons . Toutefois, il est rare, qu'en dehors de ces cas pour ainsi dire foudroyants d'in loxication , la maladie atteigne ses dernières limites sans passer par des phases bien tranchées, qui répondent à celles qu'on remarque dans toutes les affections et qu'on désigne sous les noms de périodes d'incubation, de développement, d'acuité et de terminaison. La pellagre, dont nous allons étudier l'origine dans un instant , est une maladie essentiellement chronique, et la variété très- grande des symptomes que décrivent les auteurs a précisément son point de départ dans la marche de cette affection . Les médecins Italiens sont à peu près unanimes pour partager en deux ou trois périodes la marche de la pellagre ; et cette dernière division , sans être bien rigou reuse, dit le docteur Roussel , a été adoptée presque uni versellement . Déjà Frapolli ( 1 ) avait admis trois états , sui vant que la maladie était commençante , confirmée ou déscs pérée. Titius ( 2 ) la divise en légère, grave, très -grave, et Strambio ( 3) admet une division qui ne diffère des précé dentes que par les termes ( 4) . ( 1 ) Frapolli , animadversiones in morbum vulgò Pellagram Milan , 1771 , 10-8º . (2) Salomo . Const .. Titii . Oratio de Pellagrâ ..., etc. , Wittemberg . 1792. (3) Strambio . De Pellagra ; observationes in regio pellagrosorum noso comio factæ . Mediol . 1784-1786, 3 parties , in - 4 . (4) Th. Roussel . Ouv, cité p . 32. 250 DÉGÉNÉRESCENCE. PELLAGRECSE . « J'ai cru, dit - il, pouvoir distinguer la pellagre en trois espèces, savoir : l'intermittente, la remittente, la continue. J'appelle pellagre intermiltente, le premier état de cette af fection , lorsque le malade s'aperçoit à peine de quelque in commodité au printemps, et qu'il jouit d'une bonne santé le reste de l'année . J'appelle pellagre rémittente, le second degré de la maladie , lorsque les accidents sont plus rares au printemps, qu'ils diminuent dans les autres saisons sans cesser tout à fait. Enfin je nomme continue, celle qui se montre avec la même violence pendant toute l'année . Néan moins , ajoute Strambio, je ne donne point cette classification comme fondée sur une marche toujours constante, ni comme déterminant d'une manière assez précise le développement et les degrés de la maladie ; quelquefois, en effet, celle-ci attaque brusquement un individu, et avec tant de force qu'elle le conduit en peu de temps au tombeau ; d'autrefois, au contraire, elle se cache longtemps sous les apparences d'une bonne santé ; il arrive aussi qu'après avoir maltraité cruellement un malade pendant beaucoup d'années , elle fait trève pendant plusieurs autres et revient enfin avec des symptomes mortels . » Essayons maintenant, ainsi que nous l'avons fait pour l'alcoolisme, de résumer dans une seule observation les principaux symptomes qui caractérisent le développement , la marche et la terminaison de la pellagre . SV. - Du maïs employé comme nourriture à peu près exclusive . Son influence sur les fonctions de l'économie . Observation . Un cultivateur agé de 34 à 35 ans, marié et père de plusieurs enfants, partageait avec les autres mem bres de sa famille les soins d'une exploitation agricole dans INFLUENCE DE L’ALIMENTATION PAR LE MAïs . 251 les environs de Brescia . Les conditions générales de l'exis tence chez ces pauvres gens étaient celles des paysans du Milanais et de la Vénétie. Leur nourriture consistait pres que exclusivement en polenta, en pain de maïs, ou en gå teaux préparés avec le seigle , le millet et assaisonnés avec l'buile de noix. La viande et le poisson salés n'entraient que comme une exception très - rare dans leur hygiène habituelle, et l'on réservait ces provisions pour le moment des travaux les plus pénibles de la campagne. Ils babitaient au reste un pays salubre où les eaux sont pures et abon dantes, et où il ne règne d'autre affection endémique que la pellagre. Cette cruelle affection y frappe les habitants dans des proportions si considérables , qu'un sixième à peu près de la population est atteint par le fléau . Cette maladie n'avait pas épargné non plus la famille de l'individu qui fait le sujet de cette observation . Son père était mort dans le dernier degré du marasme pel lagreux , et sa mère souffrait du même mal . Plusieurs de ses frères et sæurs avaient déjà subi les atteintes de cette affection ; et si lui- même jusqu'alors avait paru jouir d'une immunité plus grande , c'est qu'une existence de plusieurs années passée sous les drapeaux avait apporté dans son bygiène des changements dont sa constitution s'était heu reusement ressentie ( 1 ) . Toutefois, trois années s'étaient å peine écoulées depuis son retour dans ses foyers, qu'il ( 1 ) Plusieurs médecins Italiens m'ont affirmé que des jeunes sujets qui avaient éprouvé des alleintes de pellagre , se trouvaient guéris par le seul fait du changement de pays et de régime. Cela se concoil facilement, el con firme la théorie à laquelle nous nous rattachoos à raison du rapport de celle affection avec la nourriture exclusivement végétale dont le maïs forme la base. Lorsque ces mêmes individus revieonent dans leur pays après avoir fini leur service militaire , ils peuvent pendant un certain temps luller plus ou 252 DĖGÉNÉRESCENCE PELLAGREUSE . éprouva plusieurs des symptômes précurseurs de l'affec tion dont il était destiné à parcourir les phases les plus désespérantes . Le retour du printemps amenait invariablement les mêmes phénomènes. C'était un abattement considérable, accom pagné de troubles spéciaux dans les fonctions digestives . Le dégoût pour les aliments alternait avec la faim , et ce besoin une fois satisfait, le malade était sujet à des éructa tions , à des nausées, et quelquefois à des vomissements. La rougeur de la langue et son excoriation, la saveur plus ou moins âcre ressentie dans la bouche, une diarrhée pré cédée ou suivie de constipation, étaient des indices qui ne pouvaient laisser aucun doute sur les symptômes initiaux d'une maladie qui ne tarda pas à se compliquer d'autres phénomènes non moins inquiétants . Ils consistaient dans une affection particulière de l'enve loppe cutanée qui présentait tous les caractères d'un ery thème à l'aspect érysipélateux . C'était pareillement à l'équi noxe du printemps que les parties du corps dénudées et exposées au soleil ( 1 ) , se couvraient de plaques ou de taches moins avanlageusement contre l'endémicité pellagreuse , mais ils finissent par êtrc les victimes de l'influence commune. Ce que j'avance ici est confirmé par les réflexions du docteur Balardini . « Si quelques ouvriers du pays de Trente ou de Gènes, dit ce médecin, aban donnent leurs montagnes où la pellagre est encore inconnue et s'établissent dans la Basse-Lombardie , ils s'y maintiennent intacts pendant des années, quoiqu'ils fassent usage de la polenta ... Mais ce régime délétère finit à la longue par exercer sa mauvaise influence sur ces individus d'abord privi légiés, et ils sont à la fin exposés aux mêmes accidents que les palurels da pays . » ( Anali univ. di . medicina avril 1845, pag . 35 et suiv . ) ( 1 ) Les dernières recherches du docteur Calderini ont prouvé que l'éry thème gangreneux peut apparaitre en-dehors de l'influence du soleil . Sur 332 malades , ce médecin a pu constaler l'iofluence de l'insolation chez 128 INFLUENCE DE L'ALIMENTATION PAR LE MAïs . 253 2 de grandeur variable, d'une rougeur plus ou moins vive qui disparaissait sous la pression du doigt . Le dos des pieds et des mains, les avant-bras, la région sternale, et parfois le front et les joues au pourtour des orbites, présentaient les traces de cet érythème de nature érysipélateuse. Le malade se plaignait d'un sentiment assez vif de cuisson dans les parties affectées, qui se couvraient de vésicules remplies d'une sérosité roussatre. En général , au bout d'un temps plus ou moins variable, l'épiderme des parties altérées se détachait, et tombait en lames furfuracées. Le système nerveux ne restait pas étranger à la marche de ces différents phénomènes pathologiques . Un découra gement indicible s'emparait du pellagreux , et il éprouvait une répugnance de plus en plus grande å se livrer à ses travaux habituels ; il se plaignait d'une lassitude générale, de tintements d'oreilles , ainsi que d'étourdissements . Vou lait-il par un effort énergique surmonter cet état de malaise et d'oppression , il succombait bientôt à la fatigue, ses jambes fléchissaient sous lui , et il se retenait aux objets environ nants pour ne pas tomber. Aux symptômes précédemment décrits , se joignaient encore des douleurs le long du dos , surtout au sacrum et aux extrémités ; ces douleurs étaient quelquefois assez vives pour exiger un repos absolu. Toutefois, après avoir acquis une intensité croissante pendant quelques semaines , hommes et 152 femmes. Les autres n'avaient nullement élé exposés au so. leil , cependant ils avaient éprouvé au printemps , une sensation d'ardeur aux mains ; chez quelques-uns celle ardeur s'était accompagnée de l'erythème gangreneux (Annal. univ. , avril 1844) . Néanmoins l'iofluence du soleil est un fait incontestable. Nous avons déjà vu dans d'autres empoisonnements par les céréales allérées, les malades se plaindre que leurs souffrances étaient exaspérées par la même cause. 254 DÉGÉNÉRESCENCE PELLAGRECSE . les lésions que nous venons de signaler perdaient de leur gravité, et quand arrivait le solstice d'élé , le malade éprou vait un soulagement notable. L'amélioration fut même si grande pendant la saison d'hiver que l'on aurait pu croire à une guérison complète, si une malheureuse expérience n'avait pas appris que le retour du printemps amenait ordi nairement une recrudescence dans l'état de ce pellagreux , dont la maladie avait déjà revêtu les formes inquiétantes de la chronicité , et qui va nous offrir dans la deuxième période ou phase terminative de son affection, le triste tableau des souffrances auxquelles sont irrémédiablement vouées les victimes de ce mal épouvantable . Deuxième periode. —- Avec le retour du printemps, on vit les accidents précédemment décrits revêtir un caractère bien plus grave . L'éruption cutanée ne présentait plus l'ap parence érythémoïde, mais sous l'influence de l'insolation , la peau se couvrit de vésicules et de bulles , dont le liquide en se desséchant formait des squammes et de véritables croûtes . La peau devint brunalre, rugueuse et comme desséchée ; l'épiderme altérée se souleva sous forme d'écailles plus ou moins ternes , et laissa voir en tombant une peau luisante, d'un rouge livide ( 1 ) . L'altération de cette membrane se rap prochait de certaines formes d'icthyose ; aussi , les auteurs ont-ils comparé la peau des pellagreux , celle des mains et des doigts en particulier, à la peau des pattes d'oie, et lui ont-ils donné le nom de peau anserine. Chez notre malade, le front et les pommettes se couvrirent de petits tubercules d'un aspect terreux , et semblables à des végétations cornées. Symptômes nerveux . Les troubles du système nerveux se montrerent sous la forme la plus grave . Les étourdisse ( 1) Th. Roussel Ouv. cilé p . 40 . INFLUENCE DE L'ALIMENTATION PAR LE MAÏS . 255 ments étaient bien plus fréquents, les douleurs de tête plus continues et accompagnées de tiraillements qui avaient leur point de départ dans la moelle épinière. Les muscles si tués derrière le cou , et ceux des deux côtés et de devant, éprouvaient des contractions involontaires . Le pouls était ordinairement petit et concentré, mais soumis néanmoins à de notables variations sous l'influence de l'exacerbation des symptômes maladifs, et surtout du délire . La vue était obscurcie, et quelquefois les objets parais saient doubles au malade . Parfois encore un autre phéno mène nerveux venait compliquer ces troubles de la vision ; il arrivait qu'après le coucher du soleil notre pellagreux n'y voyait plus du tout, et souffrait ainsi d'une véritable umblyopie crépusculaire. La faiblesse dans les articulations inférieures que l'on avait observée dans les accės antérieurs, se montrait sous une forme plus grave . Non- seulement la démarche était plus tremblante, mais le malade ressentait dans les jambes ces crampes et ces spasmes que nous avons déjá signalés chez les buveurs d'alcool et chez les individus empoisonnés par les céréales altérées . La douleur se por tait d'une manière particulière sur l'épine vertébrale, à la poitrine, au ventre et aux extrémités, attaquant parfois tout un côté du corps et laissant l'autre libre de toute atteinte ( 1 ) . Il éprouvait en même temps dans la tête des sensations bi ( 1 ) C'est à Strambio que nous devons d'avoir insisté d'une manière spé ciale sur ces troubles du système nerveux . Celle douleur qui se montre d'un côlé plutôt que de l'autre est désignée par lui sous le nom de flemioplagie. Il nous apprend aussi que quelques pellagreux sont soumis à des spasmes cyniques. Le même auteur fixe notre attention sur un phénomène que j'ai eu aussi l'occasion de remarquer au début de la paralysie générale chez quelques aliénés . Il s'agit d'un mouvement involontaire de la bouche qui imite l'action par laquelle on goûle une liqueur, ou l'on mâche quelque ali ment , ou bien semblable à celui d'un enfant qui téle . 256 DÉGÉNÉRESCENCE PELLAGREUSE . zarres et douloureuses, et la plupart de ces phénomènes nerveux insolites qui forment chez les aliénés la base de leurs hallucinations. Tantot il se plaignait de ressentir dans le cerveau comme la sensation de flammes ; il avait une continuelle vacillation de la tèle , qui, sous certaines influ ences acquérait une intensité telle, que ce malheureux ne pouvait rester un seul instant sans se livrer à un mouvement irrégulier de tout le corps ( 1 ) ; tantot il lui semblait avoir dans l'intérieur du crâne une meule de moulin qui tournait, ou sentir les coups d'un marteau ; d'autrefois il accusait le son d'une cloche, le chant d'une cigale , et une foule d'au tres phénomènes non moins bizarres. Toutefois, au milieu de ces troubles du système nerveux , l'élément de la douleur prédominait, et le malade était tourmenté par une céphalalgie que la chaleur et l'insolation rendaient encore plus insupportable. Il se plaignait d'une ardeur dévorante qui l'accablait tous les soirs dans son lit , et qui tantot parcourait toute la périphérie du corps, et tan tot se portait sur un côté et puis sur l'autre , et d'autrefois enfin se bornait aux extrémités, et même aux méta carpes (2) . Cette chaleur insupportable que notre pellagreux com parait lui - même à un feu dévorant, était dans d'autres cir constances remplacée par une sensation insurmontable de froid . Des faits analogues ont été observés chez les indi vidus atteints d'ergotisme. Dans l'un et l'autre cas, on re marque pareillement une inertie profonde, qui s'accompa gne d'une diminution de la sensibilité dans les pieds et dans ( 1 ) Casal . llistoria natural y medicu de elprincipado de Asturias ; opra posthuma del doctor D. Gaspar Casal , 1 vol . in - 4° . Madrid, 1762. (2) Vehemens incendium melucarpos percurrens præsertim in lecto . Casal. Ouv. cité . Se Observation . INFLUENCE DE L’ALIMENTATION PAR LE MAïs. 257 les mains. La marche devient de plus en plus difficile et pénible ; elle est caractérisée par une titubation et des vacillations de la tête , en sorte que ces malades semblables, selon l'expression de Casal , à des roseaux agités par les vents contraires , sont exposés à tomber à chaque pas. Fonctions digestives . - Les dérangements dans les fonc tions digestives suivirent, à cette même période, une pro gression inquiétante . Le dévoiement était continu, et rien ne pouvait le modérer ; la peau prenait chez notre malade une teinte jaunâtre et terreuse de plus en plus prononcée, le visage était sillonné de rides profondes qui lui don naient un cachet de vieillesse anticipée ( 1 ). La diarrhée avait amené une faiblesse si grande que cet infortuné pou vait à peine se tenir sur ses jambes . Il existait chez lui comme un défaut d'équilibre dans les muscles locomoteurs, de telle sorte que ses forces le trahissaient à tout moment ; il éprouvait de violents tremblements dans les membres , et il tombait . Il se relevait encore lui - même et parcourait un certain espace sans rien ressentir, puis il tombait de nouveau . Les troubles du côté digestif se révélaient en outre par d'autres symptômes. L'intérieur de la bouche était d'un rouge livide , les lèvres gercées et sanguinolentes , et les vo missements suivaient de près l'ingestion des aliments . Il se plaignait aussi d'une sensation de chaleur incommode, qui de l'estomac remontait le long de l'æsophage jusqu'au ( 1 ) Celle vieillesse anticipée est encore plas frappante chez les femmes, car, ainsi que le fait remarquer M. Roussel, à celte même époque les symp lômes pellagreux chez celles- ci s'accompagnent souvent de chlorose ; d'autres malades , au licu d’être lourmentées par la leucorhée ou l'aménorrhée , sont sujelles à des métrorrhargies fréquentes ; l'avortement est aussi l'apanage du plus grand nombre (Roussel . Ouv . cité , p . 44) . i 17 258 DÉGÉNÉRESCENCE PELLAGREUSE . - pharinx ( 1 ) . Cet ensemble de phénomènes pathologiques était accompagné d'une petite fièvre continue, et le malade ayant été saigné dans ces circonstances, le sang présentait un aspect noirâtre ; il était quide et à peine voilé d'une légère couenne ( 2) . Troubles de l'intelligence. — Délire. - Jusqu'alors les seuls désordres du côté de l'intelligence ne s'étaient tra- . duits au dehors que par un sentiment vague et indéfinis sable de tristesse et d'abattement. Le malade ressentait un dégoût profond pour la vie active ; il était indolent, apa thique, et se rendait parfaitement compte d'une situation qu'il était le premier à déplorer. Mais il arriva que sous l'influence de la généralisation du mal , les troubles intellec tuels revêtirent un caractère plus grave ( 3) . ( 1 ) Hameau cite des faits analogues dans son Mémoire lu devant la Sociélé royale de Bordeaux, dans la séance du 4 mai 1829. ( L. Marchant, Docu ments sur la Pellagre des Landes, Paris , 1847, p . 16. ) ( 2) Calderini : Annal. univer. di medicina . Le même auteur, qui a fait des recherches sur le sang des pellagreux , affirme que beaucoup de ces malades, parmi ceux qui furent observés au grand hôpital de Milan, avaient eu la fièvre intermittente. Sirambio prétend de son côté que le délire et les autres symptômes signalés chez ces malades , conservent souvent un type tierce . ( 3) Les délirants se comportent de différentes façons : les uns tristes et comme frappés de stupeur, refusent le manger et le boire : interrogez- les , pas un mot de réponse ; d'autres sont gais, poussent des éclats de voix , des vociférations ; d'autres, farouches d’aspect, ne font entendre qu'un sourd murmure ; d'autres enfin , ce que j'ai vu fréquemment, agitent rapidement leur tèle de côté et d'autre , avec un bruit de bouche qui imite le linlement d'une sonnelle ... Le délire chronique peut se qualifier lantôt de démence, lantôt de stupeur morale (mentis stupiditas ), taplôt de mélancolie. Dans la démence produite par la pellagre, le malade , incapable de raisonner juste, indifférent à loul, rit , pleure sans sujet . Dans la slupeur que caraclérise l'abo lition de la mémoire , il y a paralysie de la pensée , oubli instanlané des choses, INFLUENCE DE L'ALIMENTATION PAR LE MAPS. 259 On observa d'abord une excitation passagère et fugace. Le patient paraissait tourmenté par des illusions et des hal Jucinations spéciales . Tantot son visage injecté, ses yeux brillants et ses mouvements agités , faisaient craindre l'ex plosion d'un accès de manie ; tantot il murmurait des mots inintelligibles et recherchait la solitude. Il semblait épou vapté comme s'il avait des fantômes devant les yeux, et son regard était farouche. D'autrefois encore une crise de lar mes mettait fin à cette situation pénible. Il implorait alors la justice divine , dont il semblait redouter les châtiments, et il priait jour et nuit ( 1 ) . Ces phénomènes, en apparence contradictoires , n'étaient que la transition à un état plus fixe et plus permanent, qui semble être spécial aux pellagreux qui en sont arrivés à cette période de leur affection, je veux parler de la mé l'impression même des objets présents n'éveille plus l'attention . La troisième forme, plus fréquente, est la mélancolie religieuse, avec prédominence chez le malade de sentiments oppressifs et disposition de sa part à errer dans les lieux solitaires (Melancholia, sæpè religiosa, altonita, errubunda et tristis). (Strambio .) En donoapt celle description de Strambio , je dois prémunir le lecteur contre l'idée que ces différents états intellectuels constituent dans la pellagre des troubles nerveux spéciaux, et indépendants les uns des autres . Ces dé sordres ne sont souvent que l'expression des périodes diverses d'une seule et même maladie , ou le résultat de quelque circonstance insolite . C'est ainsi que M. Roussel fail remarquer avec justesse, que lous les cas de manie furieuse dont on rencontre les observations dans les auteurs, se trouvent sous la dépendance d'une méningite intercurrente , développée sous l'influence des fortes chaleurs de l'été . Il est un fait certain qui résulte de l'ensemble de loutes les observations , c'est que la melancolie religieuse avec tendance au suicide est la manifestation principale, et jusqu'à un certain point essentielle , des troubles cérébraux dans la pellagre . ( 1 ) Elenim nonnulli judicia Dei metuentes, diem et noclem preces fun dunt. 260 DÉGÉNÉRESCENCE PELLAGREUSE . lancolie avec tendance au suicide. Ce funeste penchant avait revêtu chez notre malade tous les caractères de l'irrésisti bilité, et si ses actes n'avaient pas été surveillés, il aurait mis fin à son existence en se jetant à l'eau ( 1 ) . D'autrefois en core, ces violents accès de suicide alternaient avec une pros Iration extrême, que l'on pouvait comparer à la stupidité ; non pas que cette situation impliquat l'absence complète d'idées , elle coïncidait au contraire avec une activité déli rante toute intérieure. Le malade éprouvait des halluci nations qui le terrifiaient et immobilisaient ses mouvements . L'état de stupeur pouvait être considéré comme une période de rémittence qui n'enlevait pas à la mélancolie suicide son caractére essentiel. Troisième période. - L'aggravation de tous les symptomes précédemment décrits va caractériser chez notre malade les phases terminatives d'une aussi misérable existence. La ( 1 ) Celle propension au suicide est un phénomène sur lequel tous les ob servateurs sont d'accord . Quelques discussions ont seulement surgi dans ces derniers temps à propos du mode particulier de destruction adopté par ces malheureux. On ne peut nier que le suicide par immersion ne soit le plus commun. Strambio en avait fait un caractère pour ainsi dire essentiel de celte vésanie . « Celle fureur de se précipiler dans l'eau constitue chez ces malades, dit -il, une véritable hydromanie (hydromania dici potest ). Toutefois Strambio ne prélend pas que plusieurs ne mettent fin à leurs jours par d'autres moyens : « Les pellagreux, dit-il , se suicident sans donner de signes » de fureur et sans menacer personne . Les uns s'étranglent ou se précipilent « d'un lieu élevé , les autres cherchent à se mutiler . - Joseph Frank cite un pellagreux qui s'empata les parties génitales avec un couteau . Soller parle d'on malade qui se jeta dans les flammes. MM. Piantaneda et Brierre de Boismont ont observé chez un grand nombre de pellagreux aliénés l'idée de noyer ou d'étrangler leurs enfants. La plupart des aliénés pellagreux que j'ai vus pour mon compte dans les hospices de l'Italie avaient fait des tentatives de suicide par immersion ; ces malades étaient lous dans l'état de démence complèle ou de stupidité proprement dite . INFLUENCE DE L'ALIMENTATION PAR LE MAÏS . 261 fèvre est continue ; l'expression de la face, l'amaigrissement général , les diarrhées séreuses , la fétidité particulière de l'haleine et des sueurs ( 1 ) , révèlent la profonde lésion des organes ; c'est l'état du marasme arrivé à ses dernières limites. Le pouls est lent, misérable, souvent impercepti ble ; les membres inférieurs sont infiltrés; la langue est noire, fendillée , la bouche remplie d'une salive abondante qui s'écoule involontairement ( 2)) ; la peau a pris une teinte presque noire (3 ) , et l'épaisissement de l'épiderme, ainsi que ses diverses altérations, nous expliquent les erreurs dans lesquelles sont tombés quelques médecins , en ne voyant dans la pellagre qu'une dégénérescence de la lėpre ou de la syphilis , et en la confondant même avec l'éléphantiasis. Les lésions du système nerveux et les troubles des fonc tions intellectuelles suivirent pareillement une marche as cendante. L'état du malade était caractérisé par une stupi dité complète, et ses accès d'agitation avaient beaucoup de rapport avec ceux des paralysés généraux , et paraissaient ètre sous la dépendance d'une méningite chronique . Quelques convulsions précédèrent la mort qu'un dé voiement continu et incoercible, compliqué d'hydropisie générale, rendait depuis longtemps imminente. C'est ainsi que succomba ce pellagreux , après plus de sept années de souffrances, interrompues par de rares intervalles de rémission. ( 1 ) On ne peut oublier celle odeur quand on a visité dans les hôpitaux de l'Italie les salles consacrées au traitement des pellagreux. Elle rappelle d'après Japsen l'odeur du pain moisi , et d'après Strambio celle des larves de vers à soie à demi- pourries dans l'eau . ( 2) Roussel , ouv . cité , p . 45. ( 3) Universa corporis peripheria , præcipuè manuum , nigerrima , sca biosa , formidabilique pelle tegebatur . 262 DÉGÉNÉRESCENCE PELLAGREUSE . រ L'autopsie ( 1) révéla chez ce malade la rougeur , la mol lesse et la friabilité de la membrane muqueuse de l'es tomac

la muqueuse de l'intestin grèle et celle du gros in

testin sont colorées en rouge et l'on y trouve l'hypertrophie et le ramolissement . Les ulcerations intestinales sont com munes

elles présentent une forme irrégulière environnée

d'un tissu enflammé tout à fait blanc . Des vers lombrics se rencontrent en grand nombre dans les intestins ( 2 ) . La peau des mains , des pieds et du dos , ressemble à du cuir. Cette altération s'étend à toute l'épaisseur des tégu ments qui , examinés à la loupe , présentent un grand noms bre de crevasses irrégulières , peu distantes entre elles , se traversant å angle aigu , intéressant le derme dans toutes ses parties constitutives , L'épiderme est six ou huit fois plus épais qu'à l'ordi naire , brunâtre , craquant , friable , et ne pouvant être dé taché facilement de la peau ; les couches sous- épidermiques confondues présentent un aspect bigarré , et sont une ou deux fois plus épaisses que dans l'état naturel . La branche cutanée du nerf radial mise à nu parait un peu plus volu mineuse qu'à l'ordinaire

à la coupe , il s'en écoule de la sé rosité ; la pulpe est roussålre et mollasse . Les membranes du cerveau sont injectées de sang noir , la dure - mère se dé lache avec peine du parietal droit

la pie

- mère adhère aux circonvolutions cérébrales qui ont éprouvé une légère atro pbie . La substance du cerveau est en général plus molle qu'à l'état ordinaire , et l'on trouve deux onces environ de 4 ( 1 ) Je dois faire observer que l'histoire des lésions anatomiques laisse en core beaucoup à désirer . Le lecteur trouvera au chap . IV , mes appréciations générales sur la manière d'interpréter la valeur des lésions anotomiques chez les individus qui succombent à la suite des diverses intoxications . ( 2 ) Brierre de Boismont , Ouv . cité , p . 40 . INFLUENCE DE L'ALIMENTATION PAR LE MAïs. 263 sérosité dans les ventricules ; le cervelet est un peu injecté et un peu plus mou que dans l'état sain ; la moelle épinière est très- molle et comme pultacée, ses membranes semblent amincies et contiennent une grande quantité de sérosité ( 1 ) . Tels sont les symptomes généraux qu'offre cette af fection redoutable, et sur les causes de laquelle tant de fausses théories ont été émises, sans en excepter celle qui attribuait à la pellagre une origine aussi ancienne que le soleil , puisque les principaux accidents de cette maladie se raient dus à l'influence de cet astre . Je crois inutile d'insister sur ce qui a été dit de la filiation de la pellagre avec la lèpre du moyen age, avec le scorbut et d'autres affections qui ne sont qu'une complication , au lieu d'être un des ca ractères essentiels de cette endémie. Je n'insisterai pas da vantage sur le miasme milliaire du docteur Alleoni, lequel s'étant répandu partout, produisait, d'après l'auteur de cette théorie , des effets variés selon les climats et le régime ... La pellagre n'était aux yeux d’Alleoni qu'un résultat de ce miasme universel . Strambio , Cerri et d'autres auteurs ont déjà combattu ces chimères. D'un autre côté, les doctrines humorales qui dominaient la pathologie à la fin du siècle dernier, ainsi que le fait observer le docteur Roussel , fournirent un ample contingent d'hypothèses pour l'explication de la pellagre. Tous les ac cidents pellagreux n'étaient plus aux yeux des médecins humoristes que la répercussion de l'humeur insensible de la transpiration , et ils distinguaient deux espèces d'acri monie venant de cette humeur répercutée. L'une était chaude, active , survenant dans la belle saison par l'effet de ( 1 ) Rayer. Traité des maladies de la peau ( Description anatomique des portions malades de la peau d'une pellagreuse , morte dans la démence et le marasme après douze ans de maladie, par le docteur Fantonetti) . 264 DÉGÉNÉRESCENCE PELLAGREUSE. la chaleur extérieure, et se traduisant par une intolérable sensation de chaleur interne, par des douleurs et des érup tions érysipélateuses , La deuxième, que l'on observait chez *les individus affaiblis ainsi que chez les femmes et les enfants, était l'acrimonie froide de Gorter, produisant des symptômes semblables à ceux du scorbut , et donnant lieu à la tristesse , à la crainte , au ptyalisme, et à la diarrhée . Que dirons-nous de l'alonie de l'estomuc et du tube intes linal soutenue par Fanzago, en 1807 , aprés que le même auteur s'était montré le partisan exclusif de l'acrimonie pel lagreuse en 1798 ? Le solidisme ne fut pas plus heureux sous ce rapport que l'humorisme, et que la chimie nouvelle qui voulut voir dans la pellagre l'effet de la suroxigénation du sang . Lorsqu'enfin, à une époque plus récente, le contro stimulisme et la médecine physiologique eurent tout asservi dans le domaine médical au- delà des Alpes, la pellagre n'échappa point à leur joug. « Borda en fit une maladie tantot hypersthénique, tantot hyposthénique ; Facherès y vit tous les symptômes d'une dia thèse asthénique, provenant du manque d'une alimentation convenable, et entrainant l'épuisement de l'excitabilité. En France , dės 1819 , M. Jourdan envisageait la pellagre , comme n'étant que le résultat d'une inflammation sympathi que entretenue par l'état des premières voies ( 1 ) . Mais la doctrine de Broussais trouva bientôt un plus ardent défenseur dans la patrie même de Rasori, ce fut le fils de Strambio . Dans l'élan de son prosélytisme , il accusa son père d'avoir négligé la muqueuse gastro-intestinale des pellagreux ; il alla jusqu'à faire honte à la médecine italienne de n'avoir pas reconnu plus tot que la pellagre n'était qu'une phlegmasie. Pour lui , il la fit consister dans une irritation des filaments spinaux , ( 1 ) Dict . des Sciences médicales, art . PELLAGRE. INFLUENCE DE L'ALIMENTATION PAR LE MAÏS. 265 qui donnait naissance à une phlogose abdominale, à la gastro entérite chronique ou aiguë, jointe quelquefois à la périto nite, avec phlogose lente du névrileme des nerfs spinaux et des membranes de la moelle épinière. Ce fut d'après des idées analogues que les docteurs Liberalli et Carraro admirent un premier degré de la maladie produit par une mauvaise alimentation et consistant dans une gastro -entérite lente, et un deuxième degré causé surtout par les chagrins, et con sistant dans une gastro -méningite ( 1 ) . » Ajoutons encore que ces opinions étaient trop en rapport avec les idées médicales dominantes, pour n'avoir pas régné dans d'autres pays. Les doctrines du grand physiologiste français n'avaient plus permis en France et en Italie de re garder la pellagre autrement que comme une gastro -entérite, ou bien comme une gastro -méningite ; il en fut de même en Espagne, où le malde la rosa ne devait plus avoir d'autre point de départ que les troubles du système digestif. On ne peut révoquer en doute, dit le docteur De Alfaro, que le siège principal de la maladie ne soit dans le foie et les intestins , et que les symptômes ne se rapportent évidemment à la gastro- entérite chronique, modifiée par le climat, la misère, la malproprelé, les affections morales et les autres causes sous l'influence desquelles se trouvent les malades . On ne peut douter enfin que les désordres que produit cette affection ne proviennent du dérangement des fonctions digestives . Si nous voulions compléter ce résumé des idées émises sur la nature de la pellagre , par celles qu'ont professées les médecins français qui ont eu l'occasion d'observer celle endémie dans les Landes, nous pourrions citer l'opi pion de notre compatriote, M. Léon Marchant, qui n'est pas éloigné de voir dans cette affection une gastro-entéro -ra ( 1 ) Roussel, Ouv . cité p . 128 et 129. 266 DÉGÉNÉRESCENCE PELLAGREUSE . chialgie ... « Il est probable, d'après ce médecin, que ce mal ► nous présente une altération du sang, une obstruction des » viscères abdominaux , un virus contagieux, ou même la lėpre, à laquelle tout le monde l'assimile ( 1 ) . » Nous croyons inutile de pousser plus loin cet examen comparé des opinions et des doctrines médicales ; il nous suffit de voir qu'à mesure que nous avançons dans l'étude de cette maladie, sa véritable nature se dessine plus claire ment aux yeux des observateurs. Son siége primitif et prin. cipal parait irrévocablement fixé dans les voies digestives et dans le système nerveux . Mais quel est le principe qui agit sur ces importants ap pareils de l'économie ? Ici , nous affirmons sans aucune hé sitation , et d'accord sur ce point avec la plupart des auteurs modernes, que ce principe est le maïs . Nous pensons , avec le docteur Roussel , que la pellagre est une maladie produite par une alimentation défectueuse , qui affecte d'abord le tube digestif et le système nerveux, et modifie profondément l'économie tout entière . Seulement il nous importe de mieux spécifier les termes de cette proposition, et d'expliquer ce que nous entendons par alimentation défectueuse. Dans notre opinion , le mais tel qu'il est consommé par les populations de la Lombardie, des Asturies et des Landes , n'agit pas seulement comme nourriture insuffisante, et prédisposant les individus à la cachexie, mais le défaut de maturité de cette céréale exotique, les préparations qu'elle subit avant d'être consommée, en font un aliment qui agit comme un véritable poison . La pellagre est donc une maladie résultant d'une intoxi ( 1 ) Documents pour servir à l'histoire de la Pellagre des Landes, Paris , 1847, in - 8° , fig. INFLUENCE DE L'ALIMENTATION PAR LE maïs . 267 pas cation. Sans doute, nous serons tenu d'apporter nos preuves, et l'on peut entrevoir déjà que ce que nous avons dit de l'ergotisme convulsif et de l'ergotisme gangreneux, nous servira d'introduction pour légitimer notre théorie. Tou tefois le sujet n'a pu être épuisé dans l'examen auquel nous nous sommes livré, et il offre une importance trop grande pour que nous n'y revenions pas d'une manière spéciale. Les analogies de la pellagre avec l'ergotisme ressortiront d'une manière évidente, nous l'espérons du moins , dans le chapitre suivant qui traitera des diverses dégénérescences par les intoxications, ainsi que de leurs analogies et de leurs différences . Il n'est à dire pour cela que nous ne tiendrons aucun compte des causes secondaires auxquelles les auteurs ont trop souvent fait jouer le rôle de causes primitives . Nous savons parfaitement l'influence désastreuse exercée sur l'or ganisme par la misère, les privations, l'insalubrité des de meures , ainsi que par les peines dévorantes de l'esprit ; mais nous nous garderons de suivre la voie trop exclusive que nous avions pareillement adoptée dans nos premières études sur le crétinisme , et à laquelle nous avons dû re noncer pour nous attacher de toutes nos forces à ce que l'on appelle la cause essentielle des maladies . En dehors de la connaissance de cette cause essentielle, il ne peut y avoir que doutes et incertitudes dans nos recher ches ; nous pouvons bien, il est vrai , fixer quelques con ditions plus ou moins incertaines de prophylaxie, d'hygiène et de traitement, mais nous échouons dans nos tentatives pour déraciner un mal qui se propage en dépit des pallia tifs que nous appliquons . Une autre considération nous engage encore à donner à l'étude de la pellagre tous les développements que com porte cette redoutable endémie : c'est celle de la possibilité 268 DĖGÉNÉRESCENCE PELLAGREUSE . de faire ressortir les principes que nous avons émis à propos de la formation des races dégénérées dans l'espèce. L'intoxication par certaines substances minérales, telles que le plomb, nous a bien offert déjà les preuves de la dé générescence des individus ; mais l'énergie de l'agent to xique ne permet pas toujours à la nature d'adapter la con stitution des êtres souffrants au mode spécial d'existence que leur crée une industrie nuisible . La mort anticipée est la terminaison malheureusement trop fréquente que nous pouvons constater dans des intoxications semblables . D'un autre coté, le cercle relativement restreint dans lequel s'exerce cette action délétére, fait que nous suivons diffi cilement l'évolution du principe dégénérateur sur le terrain de l'hérédité. Les maladies causées par l'ergot du seigle tiennent, fort heureusement, å des causes qui ne se renouvellent plus avec l'intensité et la fréquence que l'on a pu observer autrefois, et dans ces circonstances encore les résultats de l'empoisonnement sont dans des rapports directs avec la marche plus ou moins rapide de l'épidémie. Dans l'intoxication qui produit la pellagre, au contraire , les causes sont permanentes et atteignent des populations compactes et asservies depuis des siècles à la même in fluence dégénératrice. Ces causes agissent d'après leurs modes les plus divers et par l'action toxique proprement dite et par l'action héréditaire . Les races dégénérées ont donc le temps de se produire d'après les lois fixes et inva riables qui président à la formation des êtres organisés en général , et ces lois constituent, ainsi que nous le disions dans nos prolegomenes , tantot des variétés normales, et tantot des variétés qui ne sont que la déviation maladive d'un type primitif ( 1 ) . ( 1 ) Des dégénérescences dans l'espèce humaine ( prolémogènes, p. 5) . CHAPITRE QUATRIÈME. Des diverses dégénérescences par intoxication . Analogies. Différences. Classification et formation des variétés maladives dans l'espèce. > Les différents agents intoxicants dont il a été fait men lion , produisent dans l'organisme des troubles dont nous avons étudié les manifestations multiples . Nous les avons observées dans leurs moindres détails , depuis les plus sim ples fourmillements qui , au début des intoxications , existent dans les extrémités inférieures, jusqu'à ces formidables états convulsifs, ces paralysies générales el ces délires spéciaux qui, dans la période du développement et du déclin , résu ment les principales lésions du système nerveux de la vie de relation et de la vie nutritive . Si jusqu'à présent nous avons paru examiner avec plus d'attention chez l'individu que dans l'espèce , l'origine et la marche de ces phénomènes pathologiques, nous n'avons ce pendant omis aucune occasion d'indiquer que l'étude de la dégénérescence dans la race était le but suprême auquel devaient aboutir nos efforts de détail et nos recherches en apparence isolées. Dans celle importante question des variétés maladives dans l'espèce, tout nous imposait le devoir de procéder, ainsi que nous l'avons fait, du simple au composé, et d'étu dier d'abord l'action dégénératrice des agents intoxicants sur les fonctions des individus . Cette méthode nous a semblé offrir une utilité incontes 270 DÉGÉNÉRESCENCES PAR INTOXICATION . table pour favoriser nos recherches, et féconder leurs ré. sultats . Ajoutons, qu'elle n'est pas seulement l'expression de la fragilité de notre nature qui nous empêche de saisir å pre mière vue les points de départ si variés et l'ensemble si complexe des faits pathologiques , mais qu'elle traduit en core la manière généralement adoptée dans l'étude de l'ori gine, de l'ordre et de la succession des phénomènes na turels. A plus forte raison devions-nous suivre la même méthode lorsqu'il s'agissait d'apporter quelque lumière dans ce monde si peu exploré jusqu'à présent de l'origine, de l'ordre et de la succession des phénomènes anormaux et maladifs qui , dans notre théorie, préparent l'avénement des dégénérescences dans l'espèce. Cette méthode était d'ailleurs d'autant plus rigoureusement indiquée, que dès le principe nous nous proposions un double but : 1 ° faire ressortir la différence qui existe entre la nature et l'ac tion des causes qui président à la formation des races na turelles et celles qui constituent les races dégénérées ; 2° arriver à la classification la plus méthodique des dé viations maladives du type normal de l'humanité, et consé quemment à la formule la plus générale et la plus féconde des indications curatives . Il nous tarde, pour notre propre compte, d'aborder plus largement tant du côté physique que du coté moral , cette question des dégénérescences , et d'en transporter l'étude au sein des grandes agglomérations qui représentent les sociétés humaines. Toutefois, il importe que nous nous arrêtions quelques instants encore à ces faits particuliers destinés, dans notre manière de voir, à imprimer aux faits généraux leur véritable valeur, et à leur conserver un caractère et une signification immuables, au milieu des ANALOGIES ET DIFFÉRENCES. 271 variations perpétuelles qui modifient ou bouleversent les doctrines et les opinions médicales. La question de l'influence dégénératrice des différents agents intoxicants de l'ordre végétal ou de l'ordre minéral sur les organisations individuelles, a été amenée assez loin déjà pour nous faire entrevoir les conséquences funestes que la généralisation des mêmes causes doit produire dans l'ordre des progrès de l'espèce humaine. Cependant quelques considérations sur les analogies et les différences que nous offrent les principaux agents intoxicans , eu égard à leur nature , aux symptomes que provoque leur introduction dans l'organisme, aux lésions qui en sont la conséquence, trouveront ici leur place naturelle. Ce que nous avons à dire nous servira non-seulement d'introduction aux études plus générales que nous allons entreprendre, mais fera ressortir la différence importante qu'il s'agit d'éta blir entre les causes essentielles et les causes secondaires des dégénérescences . Le lecteur qui a suivi avec attention les développements dans lesquels nous sommes entré , aura été frappé des ana logies qu'offrent les principaux agents loxiques dans leur influence ultérieure sur les fonctions nerveuses. Si l'on ex cepte en effet ces poisons énergiques dont l'action est ins tantanée, tous les autres semblent s'assimiler à l'organisme dans des conditions qui permettent de suivre pas à pas les ra vages qu'ils exercent sur l'économie . Les fourmillements dans les extrémités inférieures et supérieures, les anesthésies et les paralysies partielles , les délires fugaces et momen tanés , précédent invariablement ces états convulsifs qui sont les avant-coureurs de la paralysie générale et de la perte complète des facultés inellectuelles . En un mot, la pro gression régulière que l'on remarque dans les lésions orga niques, permet de fixer les phases que doit invariablement 272 DÉGÉNÉRESCENCES PAR INTOXICATION . parcourir, avant d'atteindre sa période extrême, la dégé nérescence des individus . Cette vérité qui ressort suffisamment des descriptions particulières, justifie notre classification des dégénéres cences dans leurs rapports avec le principe intoxicant. Il est bien avéré pour nous, qu'il existe une classe d'êtres dé générés dont la dégradation intellectuelle , physique et mo. rale doit être attribuée à l'influence éminemment pernicieuse des agents toxiques. Si donc nous revenons d'une manière plus particulière sur les caractères communs et les caractères différentiels que présentent dans leur action sur l'organisme les poisons végétaux et minéraux qui ont déjà fait l'objet de nos études, c'est que nous y voyons des avantages que nous allons ré sumer en quelques mots . L'étude comparée des analogies et des différences dans l'action des poisons végétaux et minéraux, non-seulement facilite le diagnostic des maladies qui en sont la conséquence, mais amène encore une simplification plus grande dans l'é tude des troubles et des lésions que ces substances toxiques exercent sur l'économie . Cette simplification nous aide d'un autre coté à préciser avec plus d'exactitude la part qui, dans les phénomènes pathologiques , doit être attribuée à l'action spéciale d'un poison d'un ordre déterminé . En effet, il ne faut pas croire que l'étude de telle ou telle dégénérescence dans l'espèce puisse, dans l'universalité des cas, s'isoler de l'action combinée de plusieurs éléments toxiques réunis. C'est ainsi que dans certains pays , en Chine , par exemple , les individus abusent également de l'opium et des alcooliques. La position de beaucoup d'ou vriers soumis dans nos fabriques à l'intoxication d'agents nuisibles, peut être pareillement aggravée par l'usage im modéré des boissons enivrantes . L'insuffisance de la nour ANALOGIES ET DIFFÉRENCES . 273 riture ou l'altération des céréales qui sont des causes si ac tives de dégénérescences , acquièrent, comme cela se re marque particulièrement en Suède, un degré de nocuité bien plus considérable, en raison de l'alcoolisme chronique qui dans ce malbeureux pays est justement regardé comme un véritable état endémique. Nous ne craignons pas enfin d'anticiper sur ce que nous avons à dire , en signalant l'intoxication paludéenne , l'im moralité sous toutes ses formes, l'influence héréditaire, comme des complications on ne peut plus facheuses dans l'évolution d'un état de dégénérescence du parfois à toute autre cause. Cela se conçoit d'autant mieux que le miasme paludéen , l'élément démoralisateur et l'hérédité , que nous ne considérons dans la circonstance présente que comme des causes adjuvantes, peuvent, ainsi que nous le prouve rons , agir avec l'indépendance de leur action comme causes dégénératrices primitives, et cela dans la plus haute accep tion de ce mot. Ces simples considérations suffisent pour faire voir l'uti lité de l'étude comparée que nous allons entreprendre . Nous aurons occasion d'entrer dans quelques nouveaux détails sur l'action dégénératrice de certains agents toxiques que nous n'avons fait qu'indiquer. Nous nous efforcerons de démontrer l'importance extrême que, dans l'intérêt du trai lement, il faut attacher à la connaissance différentielle des causes secondaires et des causes essentielles au point de vue de la génération des maladies par intoxication . Nous de manderons à l'anatomie pathologique tout ce que, dans l'état actuel de la science, elle peut nous fournir ,, non -seulement pour faire ressortir les analogies et les différences qui pen dant la vie peuvent se déduire de l'évolution des symptômes maladifs, mais nous insisterons sur l'importance de ne pas confondre les lésions primitives avec les lésions secondaires 18 274 VÉGÉNÉRESCENCES PAR INTOXICATION ( PHOSPHORE) . qui sont le résultat de la progression ou de la généralisation de la maladie. ' Enfin , comme nous le disions à propos de l'ergotisme gangreneux et de l'ergotisme convulsif, l'examen de l'état de dégénérescence dans ses rapports avec la nature de la cause, la spécificité de son action , les lésions invariables que cette cause amène dans la structure du système ner veux et dans l'exercice de ses fonctions, devront nous con duire à une classification où les analogies, les dissemblances et les caractères essentiels des diverses variétés maladives , seront parfaitement définis et trouveront leur place naturelle. SI. Analogies et différences que présentent les divers agents in toxicants considérés quant à la manifestation des symptômes patholo giques . Diagnostic différentiel. La classification que nous avons déjà établie entre les différents agents intoxicants dont nous avons fait l'histoire, nous aidera dans l'étude comparée des analogies et des différences que présentent les symptomes pathologiques . On conçoit en effet que le but qui dirige les individus dans l'emploi des substances toxiques, est de nature å modifier leurs effets. Le fumeur d'opium qui cherche à se procurer des sensations artificielles, a une espèce d'intérêt à prolonger le plus longtemps possible l'empoisonnement progressif auquel il se condamne ; il en est de même du buveur d'al cool ;; tandis que l'ouvrier qui se trouve en perpétuel contact avec des substances dangereuses, est involontairement sou mis à des émanations nuisibles , dont il ne lui est pas tou jours possible de modérer les influences . Les malheureux qui, poussés par la faim , consomment des céréales altérées, se trouvent pareillement dans les mêmes conditions facheu. ses ; et ce simple aperçu nous démontre qu'une foule de ANALOGIES ET DIFFÉRENCES. 275 circonstances spéciales peuvent modifier l'action des agents toxiques , et faire varier la nature des symptomes qu'ils produisent dans l'organisme. Ces circonstances n'enlèvent rien cependant à la spéci ficité de ces poisons, et les lésions similaires qui se dé clarent alors que le mal se généralise, nous ont déjà suffi samment prouvé que toutes les maladies qui sont le résultat des intoxications , constituent un seul et même groupe nosologique . Nous allons compléter ce que nous avons dit jusqu'à présent par quelques détails sur l'influence exercée par des poisons dont nous n'avons pas encore parlé. Empoisonnement par le phosphore ( 1 ) . – Un individu agé de 30 ans , et dont le genre de vie avait toujours été régulier, se livrait depuis trois ans à la fabrication des allumettes phosphoriques . Il vivait dans une chambre étroite qui ren fermait les substances et les appareils nécessaires à cette industrie . Cet ouvrier n'avait jusqu'alors ressenti aucun dérangement appréciable dans sa santé , lorsqu'un accident déterminé par l'explosion soudaine d'une grande quantité de phosphore accumulé dans sa demeure, occasionna des troubles sensoriaux , remarquables par la promptitude de leur apparition . Ce phénomène ne peut guère s'expliquer que par l'action , pour ainsi dire instantanée, que produisit sur le système nerveux de cet individu l'énorme quantité de vapeurs phosphoriques qu'il absorba. Lorsqu'il fut revenu à lui , il éprouva d'abord un grand sentiment de lassitude dans les reins , et pouvait à peine se soutenir. Ses jambes fléchissaient sous lui;; la marche de venait embarrassée , et les bras se mouvaient difficilement. Le moindre effort amenait des tremblements, et le malade ne tarda pas à ressentir des fourmillements sous la peau et de ( 1 ) Magnus Huss. Ouv. cité , p . 249 . 276 DÉGÉNÉRESCENCES PAR INTOXICATION (PHOSPHORE). légères secousses dans les muscles. Des tendances véné . riennes très -prononcées signalerent le début de cette in toxication ; mais dans les derniers mois, l'impuissance la plus absolue avait remplacé l'excitation factice des forces génésiaques . Au reste , les fonctions digestives ne laissaient rien à désirer : le sommeil était bon , la respiration normale, et rien dans la sphère de la vie nutritive ne pouvait faire soupçonner la profonde lésion dynamique des centres nerveux. 1A l'entrée de cet individu au Lazareth de Stockolm, voici 1 ce qui est observé par M. le docteur Magnus Huss. Les extré mités inférieures sont si faibles que le patient peut à peine faire quelques pas. Les efforts exagérés auxquels il se livre sont suivis de tremblements ; ses genoux s'entrechoquent, et les extrémités supérieures participent à cet état général de faiblesse. La position horizontale est la seule qui convienne au malade ; encore observe - t- on alors que le systèmemuscu laire tout entier est soumis à une sorte de frémissement, comme celui que provoquent les secousses électriques . Tou tefois les mouvements spasmodiques qui agitent les muscles n'amènent pas de douleurs. L'anesthésie , les fourmil lements et la faiblesse sont les symptômes qui dominent la situation. Les organes des sens n'ont subi aucune altération ; le cæur et les poumons fonctionnent comme à l'état nor mal : les facultés intellectuelles sont restées intactes , et ce pendant la paralysie progressive poursuit sa marche ascen dante ; toutes les ressources de la médecine viennent se briser contre cette situation désespérée, et le malade finit par succomber après être resté trois ou quatre ans soumis à cet état de paralysie générale. Si nous prenons l'alcoolisme chronique comme lype des intoxications dont nous avons parlé , nous voyons dans cette observation , ainsi que le fait remarquer M. le docteur 1 4 ANALOGIES ET DIFFÉRENCES. 277 Magnus Huss, quelques analogies du coté des symptômes qui dénotent les lésions de la moelle épinière. Il existe chez cet individu empoisonné par le phosphore, des formications, des tremblements et de la faiblesse dans les extrémités ; mais que de différences aussi n'y aurait- il pas à signaler dans la marche des troubles sensoriaux , et dans l'ensemble des fonc lions digestives ? Le malade n'éprouve aucune des halluci nations si communes dans l'empoisonnement par l'alcool , le plomb ou les céréales altérées , ni ces vomissements si fré quents chez les buveurs d'alcool , les fumeurs d'opium , et chez les malheureux réduits å se nourrir de seigle ergoté. L'amaigrissement, le marasme, l'impuissance et la paralysie , sont les seuls phénomènes communs à tous ces empoison nements dans leur période de terminaison ( 1 ) . ( 1 ) Je dois faire remarquer que ces symptômes diffèrent assez de ceax qui ont été signalés par les auteurs qui se sont le plus récemment occupés des maladies propres aux ouvriers qui travaillent dans les fabriques d'allu melles chimiques . C'est ainsi que dans un mémoire adressé à l'Académie des sciences, M. Th . Roussel cherche à établir que les ouvriers exposés à l'action des vapeurs phosphorées deviennentvictimes : 1 ° d'affections plus ou moins intenses des voies respiratoires ; 2° d'affections des gencives et des os maxil laires, se terminant par la nécrose, et quelquefois par la mort des malades. D'on autre côlé , dans les mêmes séances des 10 février et 9 mars 1846 , le docteur Sédillot communique des observations analogues recueillies dans son service. Plusieurs auleurs ont déjà sigoalé les faits émis par M. Roussel . Les Archives de médecine (oclobre 1845) et la Gazelle médicale de Strasbourg (novembre 1845) contiennent des arlicles de MM. Heyfelder et Strohl , sur la nécrose des maxillaires , observée dans les fabriques dont il s'agit ici . M. Gendrin a publié (époque du 28 octobre 1845) une leltre relative à une bronchile dont seraient alteints les ouvriers de ces fabriqnes, M. Rognetta a consacré un article à l'examen de celle même bronchite ( Annales de théra peutique, février 1846) , ainsi que M. A. Dapasquier (Annales d'hygiène, 1846 , 1. XXXVI, pag . 342) . On conçoit que nous ne puissions entrer dans des détails plus élendus sur 278 DÉGÉNÉRESCENCES PAR INTOXICATION ( ARSENIC) . Empoisonnement chronique par l'arsenic.- Si l'on en croit les relations qui ont paru dans des recueils périodiques de médecine, il existerait dans certaines contrées, en Styrie et en Carinthie, par exemple, un usage des plus étranges , auquel il serait difficile d'ajouter foi s'il n'était affirmé par des praticiens honorables : l'habitude de consommer des doses progressives d'arsenic n'aurait plus d'inconvénient chez les jeunes gens de l'un et de l'autre sexe qui attribuent, à tort ou à raison , à l'emploi de cet agent si redoutable dans son action sur l'économie, une influence spéciale pour la conservation de la fraicheur du coloris . Cet usage ne s'accorde guère avec les idées que nous nous formons des effets généralement produits par l'arsenic . On trouve dans l'ouvrage de M. le docteur Magnus Huss, des faits d'intoxication arsenicale qui offrent la plus grande analogie avec l'empoisonnement par l'alcool ou par le plomb . Le professeur Malmsten de Stockolm a commu niqué à son savant collègue un fait dont je citerai les prin cipaux détails . En 1817 , un individu était traité au Lazareth pour un eczéma chronique, et son affection fut très - heureusement modifiée par les pilules asiatiques , dont l'acide arsénieux, comme on sait , forme la base . Le malade ne consommait journellement qu'une seule pilule , contenant un douzième de grain de ce poison ; mais encouragé par les résultats heureux qu'il oblint, il prit sur lui d'augmenter la dose et 1 l'action physiologique de ces mêmes poisons, le but de notre cuvre étant surlout de faire ressortir l'action des causes dégénéralrices . D'un autre côté , les documents qui ont trail à l'action de ces poisons, se trouvent disséminés dans une foule de recueils périodiques , el ne constituent pas encore des mo nographies spéciales , comme il en existe pour les intoxications saluroine et alcoolique . ANALOGIES ET DIFFÉRENCES. 279 continua pendant quelques jours à prendre deux pilules . Les symptômes d'intoxication ne tardèrent pas à se montrer sous la forme de spasmes douloureux dans les muscles des, jambes et du dos. Il y eut de l'agitation , des tremblements et des formications dans tout le corps ; ces phénomènes alternaient avec un sentiment extrême de froid le long de la colonne vertébrale, et des crampes douloureuses dans les extrémités ; la faiblesse était si grande, que la marche en était devenue chancelante et semblable à celle des pa ralysés . Ces accidents cédèrent aux laxatifs, à l'opium et aux toniques dont le quinquina formait la base. Il n'y a pas à douter, dit M. le docteur Magnus Huss, que les symptomes pathologiques dont on vient de lire la des cription ne soient dus à l'action de l'acide arsénieux : le ma lade avant l'usage de ce médicament ne s'était jamais plaint ni de fourmillements, ni de crampes; il n'avait jamais ressenti de faiblesse dans les extrémités, ni aucun de ces accidents dont les lésions de la moelle épinière semblent être le point de départ. Quoique dans le cas qui nous occupe , on n'ait ob servé aucun phénomène spécial du coté du cerveau , comme troubles de la vision , bruissement dans les oreilles , halluci nations, anesthésie et paralysie des extrémités, ainsi que nous en avons remarqué dans l'alcoolisme , il n'est pas dou-. teux cependant qu'il ne se soit présenté des cas d'empoison nement par l'arsenic avec tout le cortège des symptômes propres aux intoxications que nous avons précédemment décrites . M. le docteur Magnus Huss en cite lui - même des exem ples . Il fait ressortir , entre autres, les perturbations singu lières du système nerveux encéphalique chez un individu qui avait voulu traiter une fièvre intermittente au moyen de la liqueur de Fowler. Une simple cuillerée à café de ce médi cament avait suſli pour développer les symptômes d'un em 280 DÉGÉNÉRESCENCES PAR INTOXICATION ( ARSENIC) . poisonnement aigu, caractérisé par une paralysie complète des extrémités inférieures . L'insensibilité avait même gagné toutes les parties du corps, à l'exception de la région dorsale qui était restée très- douloureuse à la pression . Les crampes et les spasmes qui envahirent les différents appareils mus culaires , avaient la plus grande analogie avec ce que l'on observe dans l'alcoolisme chronique , et l'état intellectuel du malade rappelait les caractères propres au delirium tremens . Nous ne citons ce cas qu'au point de vue des analogies , et nous ne voulons pas en tirer des conclusions spéciales . Les applications du traitement par l'arsenic sont trop nom breuses et trop connues dans leurs résultats , pour que l'on ne soit pas autorisé à regarder des exemples pareils comme formant l'exception , et pouvant à juste titre être attribués au tempérament des individus. Nos recherches sur les causes dégénératrices ne sont du reste que très- indirecte ment intéressées dans l'étude des agents toxiques qui ne sont employés que dans le traitement des maladies ( 1 ) . II > ( 1 ) Je ne veux pas inſérer de là que l'élude des effets de l'arsenic ne puisse èire poursuivie dans certaines applications iodustrielles. On a fait beaucoup de bruit dans le temps du chaulage des blés par l'arsenic ; mais celle mé thode qui pouvait entraîner de graves accidents a bientôt été abandonnée. Il existe d'un autre côté des professions industrielles où l'on est plus di rectement exposé à l'action de l'arsenic . Les ouvriers qui préparent le vert arsénical et ceux qui sont employés dans l'industrie des papiers peints se trouvent dans ce cas . Le mémoire de M. le docteur Blandet qui traite de l'empoisonnement externe produit par le vert de Schweinfurl, ou de l'adème cl de l'éruption professionnels des ouvriers en papiers peints, a causé une vive sensation à l'époque où ce médecin émit ses idées au sein de l'Institut (3 mars 1845) . Toutefois les conclusions du mémoire de M. Chevallier sur le même sujet sont lout à fait contraires à celles de M. Blandet , et il résulle des recherches et expertises faites par ce savant chimiste, que les accidents qui proviennent de celle fabrication sont peu nombreux , faciles à éviter , et ANALOGIES ET DIFFÉRENCES . 281 n'en est pas de même des substances qui figurent dans l'in dustrie, et parmi lesquelles le mercure tient un rang trop important pour que nous n'en disions pas quelques mots. Des principaux effets physiologiques du mercure, au point de vue des causes dégénératrices. - Les auteurs qui se sont occupés d'hygiène ont surtout examiné les effets du mercure chez les doreurs sur métaux el chez les ouvriers des mines d'où l'on extrait le mercure ; toutefois on ne peut nier que quelques -uns des accidents observés dans ces professions industrielles, ne se fassent pareillement remarquer chez des malades soumis à une médication mercurielle exagérée. Ces accidents intéressent d'abord spécialement le système mus culaire, et se résument dans les formications, les crampes et les spasmes des extrémités qui caractérisent d'une ma nière particulière l'alcoolisme chronique . Un état général de tremblement, accompagné de délire, complėle l'ana logie . A certaines périodes de la maladie, dit M. Trousseau, les troubles de l'intelligence sont ordinairement tels , qu'il y a une véritable manie. Cette manie qui a d'ailleurs tant de rapports avec celle des ivrognes, offre encore cette res semblance de plus , qu'elle est souvent caractérisée par des hallucinations el par des terreurs extraordinaires ( 1 ) . Il serait sans doute intéressant de savoir, ajoute M. Trousseau, si l'influence si remarquable exercée par le mercure sur la composition du sang, agit d'abord sur le cæur et sur les autres organes , directement ou indirecte ment, et si par hasard la modification première ne s'exerce pas sur les centres nerveux de la vie animale et de la vie sont loin d'avoir l'importance qu'y altache M. Blandet (Annales d'hygiène publique, t . XXXVIII, p . 56) . ( 1 ) Trousseau et Pidoux : déjà cité , tome second , 1re partie , p . 72 de la fre édition . 282 DĖGÉNÉRESCENCES PAR INTOXICATION (MERCURE) . organique ... Malheureusement, l'intimité des mouvements organiques qui suivent l'administration des remèdes, dit le savant professeur que je viens de citer , nous sera proba. blement toujours inconnue. Il en est de même de l'action intime exercée par certains poisons sur l'organisme ; nous ne pouvons les étudier que par les phénomènes patholo giques qu'ils provoquent. Cependant , on ne peut s'em pêcher de constater que les mercuriaux déterminent dans le système nerveux des accidents tout spéciaux , qu'aucun autre agent ne fait naître ( 1 ) . ( 1 ) Il est hors de doute que l'action du mercure sur le système nerveux s'élablit au moyen de l'introduction de cet agent loxique dans le torrent circulatoire . Cullerier niait la possibilité que le mercure métallique circulât avec le sang. Il prétendait aussi que la présence de ce métal dans le sang ou dans quelques parties que ce soit, n'avait jamais pu être démontrée. Celle opinion ne peut être soutenue aujourd'hui . Des expériences faites sur les animaux ont parfaitement démontré que le mercure peut être entraîné dans le torrent circulatoire . L'anatomie pathologique a eu de nombreuses occasions de vérifier ce fait. Chez une malade morte de peritonite aiguë dans service de M. Velpeau, et qui avait été traitée par les frictions mercurielles à hautes doses, M. Barruel trouva du mercure métallique dans divers organes et notamment dans les mamelles . Ajoutons que l'élude de l'action physiologique des divers agents intoxi cants n'est pas encore assez avancée , pour que l'on puisse donner la solution de tous les faits anormaux que les empoisonnements amènent dans l'orga nisme . Nous avons lieu d'espérer que les études spéciales auxquelles se livre en ce moment M. Cl . Bernard , jelteront un nouveau jour sur celle importante question . Voici , du reste , un résumé des opinions récemment émises au Collège de France par ce savant professeur. Toutes les sub slances qui font partie du sang et qui peuvent s'y fixer à titre d'éléments constitutifs, ne sont pas des poisons ; loutes celles au contraire qui n'en font pas partie , quand elles y pénétrent , produisent loujours un effet loxique ou tout au moins extraordinaire. Le phosphore, par exemple, est un poison, en lant qu'il pénètre dans le sang à l'état chimique ; mais si on l'introduit lel ANALOGIES ET DIFFÉRENCES . 283 Ces accidents sont remarquables pour ce qui regarde le système de la circulation et de la digestion . Si l'on élu die l'influence du mercure chez les individus soumis à l'emploi trop prolongé de ce médicament , voici ce que l'on observe « Le malade commence par palir , la peau du corps participe elle-même à cette décoloration. Le sang tiré de la veine, et qui avant le traitement avait la couleur et la consistance normales, perd un peu de sa coloration et surtout de sa consistance ; il est diffluent et se prend en caillots très-mous. Cependant, si l'action du mercure est continuée, cette dissolution du sang devient beaucoup plus manifeste : les paupières s'infiltrent, la bouche se bouffit un peu, les jambes se gonflent, et les malades tombent bientot dans un état d'anasarque générale. Surviennent ensuite les symptômes qui accompagnent ordinairement la liqué faction du sang : les palpitations du cæur, l'anhélation et les troubles fonctionnels divers, conséquences nécessaires d'un sang altéré en contact avec les organes . ) Cette action spéciale du mercure sur la constitution nor qu'on le trouve combiné dans le sang, il est tout à fait inoffensif. Mais il y a plus, pour que l'agent loxique, introduit dans le lorreni circulatoire, agisse d'une manière spéciale sur le système nerveux , il faut qu'il arrive nécessaire ment dans le système arlériel . La strychnine , par exemple, dit M. Cl . Bernard , la strychnine dont l'action sur le système nerveux est si énergique, est sans effet quand ce poison est mis directement en contact avec le système nerveux . Il faut qu'il soit résorbé d'abord par les veines et ramené à ce système par les artères. Ceci est tellement vrai qu'une substance toxique absorbée par la veine- porte ou par le système veineux général , ne produit aucune action si celle substance est éliminée avant d'arriver au torrent circulatoire artériel . M. Bernard injecte dans la jugulaire d'un chien ou dans le reclam , du gaz hydrogène sulfuré ; ce gaz est rejellé par les poumons . Pour s'en convaincre , il suffit de recevoir la respiration de l'animal sur un papier trempé dans une solution d'acétale de plomb ; il noircit immédiatement, 284 DÉGÉNÉRESCENCES PAR INTOXICATION (MERCURE ). male du sang, nous explique ces hémorragies passives dont on peut voir les descriptions dans les auteurs, ainsi que les anomalies qui ont été observées dans la circulation et la calorification. L'infection mercurielle, car on ne peut la qualifier autrement, en étudiant le phénomène de la sali vation et toutes les conséquences qui en sont la suite, l'in fection mercurielle, dis - je, s'accompagne toujours d'un ma laise notable et d'une accélération du pouls facilement appréciable. En même temps, dit M. Trousseau, la peau est plus chaude, il y a évidemment de la fièvre . Cette fièvre devient plus intense alors que prédominent les symptômes de la cacbexie, et lorsque les fonctions digestives sont per verties . Il n'est pas rare dans ce cas d'observer chez les ouvriers victimes de l'intoxication mercurielle, la diarrhée , accompagnée parfois de coliques douloureuses et de te nesme. Cette fièvre mercurielle a cela de particulier, qu'au lieu de s'accompagner d'exaltation des forces, elle est au contraire signalée par une dépression du pouls et par une débilité extraordinaire . On connait quels services a rendus à la médecine cette propriété debilitante du mercure ;; aussi les inconvénients que nous signalons , alteignent- ils rarement les malades confiés aux soins d'un médecin expérimenté. L'immunité est cependant loin d'être complete comme le prétendent quelques auteurs, et si les ouvriers doreurs sont principa lement exposés à l'action délétère du mercure, il ne s'en suit pas que les malades , ceux surtout qui se traitent en secrel, ne soient soumis aux mêmes accidents. D'après ce qui précède, ces accidents sont l'indice le plus certain que l'absorption du mercure constitue une véritable 'intoxication ; nous n'en voulons d'autre preuve que l'influence que cet agent exerce sur le système ner veux ; il en est encore une autre non moins puissante , dit 1 1 1 ANALOGIES ET DIFFÉRENCES. 285 M. Trousseau , nous voulons parler de celle que produit le mercure sur le sang qu'il altère. On comprend alors com ment le liquide réparateur n'arrivant plus aux organes avec les qualités qui lui sont propres , est un obstacle à la nutri tion , ainsi qu'à l'exercice fonctionnel des organes ( 1 ) . Ce que nous avons dit du mercure suffit pour faire voir les dangers auxquels sont exposés les ouvriers adonnés aux industries dans lesquelles on emploie ce métalloïde. Quant aux analogies que présentent les symptomes de l'in toxication mercurielle avec ceux des principaux poisons dont nous avons parlé , elles ne sont pas moins frappantes. Les débuts consistent également dans les formications et les crampes des extrémités inférieures. Le tremblement des membres , la paralysie , l'amaigrissement poussé jusqu'au marasme de la cachexie, le délire enfin avec trouble et affaiblissement ultérieur des facultés intellectuelles, com plètent ces analogies , que le diagnostic différentiel ne nous permet cependant pas de confondre au point de vue de la cause génératrice. L'action spécifique que le mercure exerce sur la mem brane muqueuse de la bouche, la fétidité spéciale de l'ha leine , les douleurs ostéoscopes, la connaissance enfin que l'on a de la profession du malade, suffisent toujours pour établir la différence. D'un autre coté encore , le tremblement des membres et l'embarras dans la parole, sont bien plus intenses et plus prolongés dans l'empoisonnement par le mercure que dans l'intoxication alcoolique. Le diagnostic de l'intoxication saturnine n'offre pas une difficulté plus grande . Outre qu'il est toujours facile de s'enquérir de l'élat professionnel du malade, il existe encore dans les symp tômes maladifs qu'il présente des caractères différentiels ( 1 ) Trousseau . Ouv. cilė , p . 74 . 286 DÉGÉNÉRESCENCES PAR INTOXICATION (MERCURE). 1 tranchés. Ce n'est en effet que chez les ouvriers qui tra vaillent les préparations de plomb que l'on trouve ce liseré bleu des gencives, et celle couleur terreuse de la peau dont nous avons déjà parlé . Ajoutons encore, que toutes ces into xications amènent chez les individus des délires intellec tuels et des perversions dans les tendances , qui ont un cachet tout à fait caractéristique. Si l'on voulait, en définitive , porter le diagnostic de toutes ces intoxications sur le terrain de la paralysie générale pro prement dite, les différences ne seraient pas moins frap pantes . La paralysie générale est une affection le plus ordi. nairement terminative . Elle poursuit sa marche ascendante avec une régularité désespérante ; et tandis que les symp tomes des intoxications diverses dont nous avons parlé, peuvent disparaitre momentanément , quelquefois même complétement , avec la cessation de la cause, la paralysie générale , qui est due à une affection spéciale des centres nerveux et qui se signale par un délire si particulier des grandeurs, n'en poursuit pas moins son cours, et ne par donne au malade que dans des circonstances trop ex ceptionnelles pour conclure à la curabilité d'une pareille situation . Sans doute , nous observons dans la paralysie générale, comme dans toutes les affections nerveuses, des périodes de rémittence, mais il n'en est pas moins vrai que le malade arrivé à cette phase terminalive ne soit irrévoca blement voué à la mort , et cela en dépit de la soustraction de la cause qui dans le principe a déterminé l'affection ( 1 ) . (1 ) Je suis obligé, pour ce qui regarde la paralysie générale, de renvoyer le lecteur aux ouvrages des aliénistes qui trailent spécialement de celle affec tion . Les opinions des médecins ne s'accordent pas encore sur le véritable caractère de la paralysie générale . Tandis que quelques-uns de voient daus celle maladie qu'un état terminatif, d'autres ne veulent y reconnaitre qu'une 1 4 ANALOGIES ET DIFFÉRENCES . 287 Je pense qu'il est maintenant inutile d'insister sur l'action différentielle des poisons de l'ordre minéral. L'empoison nement par les sels de cuivre est assez connu comme phé nomène aigu d'intoxication . Quant à ce qui regarde l'em poisonnement chronique qui atteint les ouvriers voués aux industries où ce métal est travaillé , je ne trouve dans les auteurs aucune des indications spéciales qui pourraient fa voriser les progrès de vos études . Les tendances aux ver tiges , les tremblements , la faiblesse musculaire , la perte de la sensibilité , les crampes et les convulsions sont , il est vrai , des phénomènes que l'on a cités ; mais la coordination et la dépendance réciproque de ces différents états pathologi ques, ainsi que leur action spéciale sur la dégénérescence ultérieure de l'individu , ne me sont pas assez connues pour que je puisse en tirer des inductions spéciales ( 1 ) . а maladie essentielle, comme on dit , et formant en nosologie une entité dis tincle . La manière de voir que j'ai émise dans mes Etudes cliniques est en core celle à laquelle je me rallache aujourd'hui. J'admets que dans certaines circonstances, l'affection désignée sous le nom de paralysie générale, ait son point de départ dans une lésion idiopathique du cerveau en dehors de loute maladie mentale préexistante. Mais dans les autres cas, et ceux-ci sont les plus pombreux , la paralysie générale n'est qu'une des phases terminatives d'une affection antérieure . Les diverses intoxications chroniques nous en offrent des exemples frappants, et j'aurai soin de faire ressortir dans le paragraphe consacré aux recherches nécroscopiques et aux conséquences qu'il est possible d'en déduire, les analogies qu'offrent les lésions du système nerveux chez tous les malades dont l'affection a commencé par les fourmille ments, les spasmes, l'élat convulsif, et s'est terminée par la paralysie géné rale avec un délire qui roule ordinairement sur les idées de grandeurs. ( 1 ) Il nous arrive bien rarement dans nos asiles d'avoir à traiter des aliénés dont l'état de démence reconnaisse pour cause l'intoxication par le plomb , le mercure ou le cuivre. Il existe une double raison pour l'explication de ce fail: 1 ° Les centres industriels où ces métaux sont travaillés pour leurs dif 288 DĖGÉNÉRESCENCES PAR INTOXICATION (MERCURE) . De ce que nous avons dit jusqu'à présent sur les analo gies et les différences que présentent les intoxications, on peut inférer que leurs caractères distinctifs se déduisent surtout de l'action chronique ou aiguë qu'exercent sur l'é conomie les divers poisons végétaux ou minéraux . Dans certaines circonstances, ces agents toxiques for ment une partie constitutive des usages, des modes ou même de la thérapeutique et de l'hygiène des nations ; c'est ce que nous avons vu pour l'alcool , l'opium , le hachich, le férents usages ultérieurs sont restreints, et les maladies qui sont le ré sultat de ces intoxications forment une spécialité qui ne peut être bien étudiée pour loutes les conséquences pathologiques qui s'en déduisent , que dans ces centres eux - mêmes; 2º Quand l'intoxication par un de ces agents arrive à sa dernière limite , ilest rare que l'ouvrier empoisonné ne meure pas dans les hôpitaux ordinaires où les premiers soins lui sont donnés . Celle circonstance n'enlève rien à l'action dégénératrice de ces mêmes agents loxiques sur l'individu el sur l'espèce . Deux de nos malades victimes d'intoxication chronique, l'un par le plomb el l'autre par le cuivre , nous sont arrivés de Bicêtre . Ils étaient alleints l'un el l'autre (car ils ont succombé depuis) d'une espèce de mapie périodique, et pendant les accès quelques -uns des phénomènes de l'intoxication primi live se montraient de nouveau . Chez le premier surlout, ancien ouvrier cé rusier , ce retour des phénomènes primitifs était frappant : il élait soumis à des crampes et des coliques extrêmement douloureuses , et semblables en tous points à celles que nous avons décrites comme formant le caractère essentiel de l'inloxication saturnine . L'affection du mouleur en cuivre s'étail compliquée d'épilepsie, et il a fini par succomber à une hémorragie cérébrale . Cet individu avait en outre été exposé dans son industrie à tous les inconvénients qui sont le résultat des poussières inorganiques. On sait que le charbon en poudre étail autrefois généralement employé dans l'industrie des mouleurs en cuivre . Voir à ce sujet : Etudes hygiéniques sur les professions des mouleurs en cuivre, pour servir à l'histoire des professions exposées aux poussières inorganiques. ( Annales d'hygiène, 1854 , 2e série , t . II , pag . 508 ) ANALOGIES ET DIFFÉRENCES 289 tabac et d'autres substances ébriantes; d'autrefois, c'est l'in dustrie qui transforme les métaux pour obtenir des produits dont tout le monde connait les nombreuses applications . Nous avons fait ressortir les dangers auxquels sont ex posés les ouvriers des fabriques où se manipulent et se transforment ces substances diverses, el nous avons étudié avec le plus d'exactitude possible la nature progressive des lésions qui amènent la dégénérescence des individus . Il ne peut nous rester aucun doute sur l'action spécifique exercée par les agents toxiques dont nous avons fait l'bistoire , et rien ne parait plus simple en apparence que de déterminer les moyens de préservation, quand on connait positivement quelle est la cause désorganisatrice qu'il s'agit de combattre . En dehors de la connaissance de cette cause essentielle , encore une fois, il n'est pas plus possible de déterminer la thérapeutique spéciale qui convient dans ces cas d'empoi sonnement, que de fixer les bases de l'hygiène et de la pro phylaxie à l'aide desquelles non- seulement l'individu , mais encore la famille et la société seront soustraites aux causes dégénératrices . Néanmoins , il se présente ici une occasion naturelle de faire ressortir les doutes et les incertitudes qui , dans des circonstances déterminées, envahissent l'esprit des observateurs, et faussent les véritables indications sur la nature et la curabilité des maladies . Autant les analogies que nous a fournies l'action des divers poisons végétaux et minéraux ont pu nous paraitre claires et fécondes dans leurs conséquences thérapeutiques , autant celles que nous allons chercher à déduire de l'action simi laire produite sur l'économie par les céréales altérées ont elles éprouvé de difficultés à prendre rang dans les opinions scientifiques, aussi bien que dans les croyances populaires de l'époque . L'identité de la cause intoxicante n'a point paru à tous clairement établie , et l'infériorité déplorable dans 19 290 DÉGÉNÉR ESCENCES PAR INTOXICATION . laquelle est restée la thérapeutique générale des endémies , relativement à la thérapentique spéciale des affections indi viduelles , devint la conséquence naturelle des idées erro nées qui ont régné trop longtemps sur l'origine et la nature des maladies qui affligent l'espèce humaine . Notre théorie des intoxications , à laquelle nous avons cru devoir dans un travail antérieur rattacher le développement de la dégé nérescence crétineuse ( 1 ) , est trop intéressée dans cette ma nière de voir , pour que l'on nous sache mauvais gré de re . venir sur les analogies de l'ergotisme et de la pellagre . D'un autre côté , la question des dégénérescences dans l'espèce se relie d'une manière trop intime aussi , non - seulement à la viciation des céréales , mais à l'insuffisance de l'alimentation chez l'homme , pour que l'étude de cette dernière cause ne devienne pas un des objets principaux de nos recherches ultérieures . Nous avons vu que dans les épidémies d'ergotisme qui ont régné sur différents points de l'Europe de 1769 à 1772 , les médecins ont franchement abordé la thèse de l'em poisonnement par l'ergot du seigle . L'observation directe des faits maladifs amenait les praticiens à cette idée théo rique , avant que la chimie ou la physiologie expérimen tale fût venue jeter un nouveau jour sur la question . Les individus qui avaient consommé du pain renfermant la substance intoxicante étaient seuls atteints , les autres étaient préservés . En vain , quelques médecins se firent- ils l'écho des sentiments irréfléchis de ceux qui prétendaient que la simple supposition d'un empoisonnement par les cé -1 ( 1 ) Influence de la constitution géologique du sol sur la production du crétinisme. Lettres de Mer Alexis Billiet , archevêque de Chambéry . Réponses de M. Morel . Ces lettres ont paru dans les Annalts médico -psycholo 1 giques de l'année 1858 . CÉRÉALES ALTÉRÉES (ERGOTINE) . 291 réales était une injure à la Providence, ils ne purent con vaincre les masses , qui étaient trop directement intéressées dans cette épidémie , et trop cruellement éprouvées par une maladie qui , dans ces années calamiteuses surtout, eignait non - seulement le seigle , mais d'autres céréales encore , ainsi que nous allons le voir dans un instant. Aujourd'hui c'est un fait acquis à la science que l'ergot du seigle est une substance toxique ( 1 ) . Les opinions peu ( 1 ) L'ergol est une végétation oblongue , légèrement angulease, ayant un pea la forme du grain de seigle, mais beaucoup plus développéc , car il est de ces ergots qui ont d'an demi - centimètre à un centimètre , et même plus, de longueur . Sa forme est un peu plus courbée sur sa longueur, quelquefois arquée et offrant qaelque ressemblance avec l'ergot d'un coq , d'où lui est venu son nom . Sa couleur est d'un violet noirâtre, marquée de plusieurs sil lons ; sa cassure est compacle, nelle comme celle d'une amande, blanche au centre , se colorant d'une leinle vineuse près de la surface . L'extrémité qui adhère à la fleur est jaunâtre ; l'autre supérieure, libre , est mince et comme crevassée . On remarque sur les ergots des déchirures transversales ; quel quefois elles sont au nombre de deux dans le sens de la longueur ; on pour . rail penser que la nature intérieure, trop à l'étroit, aurait fait éclater les pa rois de la pellicule externe qui la renferme ; l'odeur de l'ergot est celle des champignons, selon d'autres celle du moisi . Il présente une saveur peu mar quée d'abord , suivie d'astriction persistante vers l'arrière-bouche ( Chevallier, Ouv . cilé . T. II . p . 324.) L'analyse de l’ergot a été faite par les chimistes les plus distingués. Voici d'après Wigers la composition de ce produil, considéré par la plupart des bolapistes comme un champignon (Sclerotium calvus de M. de Candolle) : huilc grasse incolore, 35 ; extrait nitrogéné semblable à celui des cham pignons , 7 , 76; exlruil gommeux nitrogénė, avec un principe colorant rouge, 2,33; mannile, 1,55 ; albumine végétale, 1,46; ergoline, 1,25; plosphale acide de potasse, 4,42 ; phosphate calcaire, avec des traces d'oxyde de fer , 0,29 ; silice , 0,14. L'ivraie des champs (lolium temulenlium) d'après M. le docteur Arnal contribuerait pour une bonne part au développe - meni de l'ergotisme convulsif. M. Hecker cite encore l'agrestis stolonifera, 292 DÉGÉNÉRESCENCES PAR INTOXICATION . 7 vent être partagées sur la formation de ce produit, et l'on peut rester indécis de savoir si c'est une végétation de la nature du champignon, comme le pense M. de Candolle , ou si l'ergot résulte de la présence d'un insecte parasile , tel que l'anguilulla tritici. Quoi qu'il en soit , il est certain que c'est dans les années pluvieuses que l'ergol apparait avec le plus de fréquence, sans compter qu'il existe certaines con stitutions géologiques du sol qui favorisent sa production , ainsi que cela se voit dans la Sologne . Quelques botanistes allemands ont encore été tentés de croire que le phéno mène météorologique connu sous le nom de rosée de miel (Honigthau ), n'est pas étranger à la formation de l'ergot . Au reste , toutes ces opinions n'enlèvent rien à la nocuité vraiment extraordinaire de ce poison , et il nous importe bien davantage de savoir que des maladies spéciales, plus a l'aira cristala , l'alopecurus geniculatus et diverses autres graminées Ouv. cité p . 305). On comprend difficilement que plusieurs médecins et même des agronomes, dit-on , refusent d'admettre la production de l'ergot dans d'autres céréales que le seigle. Je tiens d'un des praticiens distingués de ce pays , M. le docteur Ancelon, de Dieuze, qu'au congrès scientifique d'Arras en 1853, il a eu occasion de montrer des échantillons d'ergot de blé , chose qui a paru étonder un grand nombre de personnes. M. Leveillé neveu , complélant les recherches de M. de Candolle, a été conduit à considérer l'ergol comme un ovaire non fécondé, mais qui n'en a pas moins végété . La cause qui , selon lui , s'est opposée à celle fécondation est le développement d'un champignon ( Spacelia segetum ) qui nail dans l'intérieur des glames, s'y développe, et recouvre l'ovaire de manière à empêcher le pollen d'arriver jusqu'à lui . Celte opinion qui avait cours dans la science et qui semblait avoir résolu heureusement le problème, vient d'être modifiée à son tour par M. Robin . Je suis obligé de renvoyer le lecleor à l'Union médicale de juillet 1853 , où cette nouvelle théorie, moins satisfaisante à mon sens que celle de M. de Candolle , a élé exposée . CÉRÉALES ALTÉRÉES (VERDERAME) . 293 ou moins semblables dans leurs conséquences à ce que l'on observe pour le seigle, se développent dans d'autres céréales . Le maïs n'y est pas plus soustrait que l'avoine ( avena saliva) , que le millet ( phalaris canarensis), et d'autres plantes encore dont la liste semble augmenter tous les jours . La maladie du maïs, dont il est intéressant pour nous de poursuivre les analogies avec l'ergot du seigle , a déjà été étudiée au commencement de ce siècle. On ne pensait pas alors , dit M. le docteur Roussel , que cette céréale půl etre sujelte à une autre maladie que celle dont du Tillet avait donné une description dans les Mémoires de l'Académie en 1760 , et qu'il désigne sous le nom de char bon ... Depuis cette époque, on a étudié le charbon au point de vue de l'histoire naturelle, et de Candolle en a fait un champignon qu'il a nommé uredo maïdis . Les Italiens con naissent bien cette affection et la désignent sous le nom de goitre du maïs (gozzo del formentone ). Dans le Roussillon, on connait depuis longtemps deux maladies du maïs, qui sont l'éliolement et le rachitisme. La tige du maïs étiolé est mince, effilée, ne fructifie pas ou pro duit des épis chétifs ; celle du maïs rachitique se courbe, et ne fournit point de grains . Parmentier, qui ne connaissait pas d'autres maladies que les précédentes, prétendait qu'elles constituaient des états particuliers du grain : « J'ai rencontré , disait- il , des tiges qui avaient une apparence saine, et les grains étaient néan moins gâtés dans l'épi . J'ai vu des pieds très-vigoureux ayant des points de moisissure sur toute la surface, et leurs épis cor rompus.. Souvent il y a des tiges très -belles, qui sont ce pendant infécondes; on les nomme pour cela chapons. » Notre savant compatriote M. Roulin , a décrit de son colé, sous le nom de sclerotium zeinum , l'ergot de maïs que 294 DÉGÉNÉRESCENCES PAR INTOXICATION . les Colombiens désignent sous la dénomination de pelladero . Ce produit morbide n'a pas encore été signalé en Europe. On a cependant reconnu dans nos provinces un sclerotium maïdis observé par M. Guépin, mais qui est différent de celui de la Colombie . On remarque sur les tiges , dans les années pluvieuses surtout, des expansions jaunâtres qui seraient d'après M. Bonafous le fusiporum aurantiacum ( 1 ) . Enfin, il est une autre affection du maïs qui a été spécia lement étudiée par le docteur Balardini , et qui intéresse à un haut degré l'hygiène des populations qui font de cette céréale leur nourriture exclusive . Cette affection qui s'étend d'une manière insolite dans les années humides, consiste dans le développement d'un parasite fongoïde ,qu'on observe fréquemment dans l'Italie septentrionale, où il est connu sous le nom de Verderame ( vert- de-gris) . Voici la description que donne du Verderame le docteur Balardini ( 2) . « Cette altération ne se manifeste qu'après la récolte, et lorsque le grain est placé dans les greniers. Dans le sillon celui- ci apparait oblong et couvert d'un épiderme très- mince , qui correspond au germe... Cet épiderme, lorsque la pro duction morbide que nous examinons est née, se détache du grain et s'épaissit un peu ; pendant quelque temps ce pendant il conserve son intégrité, laissant voir seulement une matière verdâtre quiparait lui être sous- jacente ; si l'on enlève la pellicule épidermique, on trouve en effet au - des ( 1 ) L'analyse chimique a été faite par M. le doctenr Stéphano Grandoni , pharmacien -chimiste des hôpitaux de Brescia . Il a trouvé que le parasite dont il s'agit qui est le septième environ en poids du grain lotal , est composé : 1º de fibres végétales qui forment en quelque sorte le squelette ; 20 de sté . arine ; 3° de résine ; 4° d'albumine ; 3° d'acide fongique ; 6° d'une sab slapce azotée fluide ; 7° de matière colorante . (2) Annali univ . de medicina vol. CXIV. Mai 1845, p. 261 el suiv. CÉRÉALES ALTÉRÉES ( VERDERAME) . 295 sous un amas de poussière, ayant la couleur du vert-de gris, plus ou moins foncé ; c'est un véritable produit para, site qui attaque d'abord la substance voisine du germe et se porte ensuite sur le germe lui-même et le détruit ( 1 ) , « La matière morbifique dont il s'agit , se sépare en une infinité de très - petits globules , tous égaux entre eux, par faitement sphériques, diaphanes , sans trace de sporidioles inlernes ou de diapbragmes , sans vestiges de cellulosités ou d'appendices à la surface, lisses et très - simples . « En comparant cette matière avec la farine de grain demeuré sain , on a trouvé que celle- ci était formée de cel lules ifrégulières , imparfaitement sphériques , ou plutôt po lyédriques , à angles oblus , souvent inégaux , et deux fois plus volumineuses que les granules mycetoïdes de la matière en question. « Après avoir réuni les caractères de celle- ci , le baron Cesati , qui s'est prêté sur ma demande à ce difficile examen , n'a pas hésité à la considérer comme un véritable fongus parasite qui doit être placé dans le genre sporisorium de Linck, et mérite de former une espèce particulière qu'il re garde comme nouvelle, et qu'il propose d'appeler sporiso rium maydis ... ( 1 ) M. le docteur Roussel rapporte que M. Balardini a plusieurs fois essayé de faire germer des graines de maïs attaquées de Verderame, en les plaçant dans les conditions les plus favorables, et qu'il n'a jamais pu réussir . Faisons encore observer en passant que le maïs tel qu'il est récolté dans nos pays septentrionaux renferme très - peu de principes azotés. D'après les analyses de M. Payen , la farine de maïs consiste : amidon, 28 , 4 ; matière azotée, 8 ; matière grasse, 6 ; matière colorante , 0, 2 ; cellulose, 20 ; dex trine, 0, 2 ; sels divers, 7 , 2. La grande quantité de matière grasse me pa - rait due à la présence d'une huile jaune qui s'élève d'après quelques chimistes à é pour 100. Ilen résulle que la farine de maïs doit être préparée au mo ment de s'en servir, autrement elle rancit par suite de l'allération de l'huile. 296 DÉGÉNÉRESCENCES PAR INTOXICATION . > « Outre l'analyse microscopique, une analyse chimique très -attentive a démontré la nature fongoïde de ce produit. On a trouvé en effet, au lieu des éléments ordinaires qui composent le maïs, une bonne dose de stéarine , de la ré sine, de l'acide fongique, et une substance azotée fluide ammoniacale . Ces rapprochements nous autorisent å admettre les ana logies qui existent entre l'ergotisme et la pellagre au point de vue du principe intoxicant . Si d'un autre côté la science, n'est pas encore parvenue à démontrer la parfaite identité qui règne entre l'altération du seigle et celle du maïs ; ceci ne fait rien à la théorie qui cherche à réunir dans un même groupe nosologique les maladies dont l'origine est due, soit à l'intoxication par les céréales altérées, soit à l'usage ex clusif d'une substance qui n'apporte pas à l'économie hu maine des éléments suffisamment réparateurs. Les analogies que l'on remarque entre les affections en démiques des divers pays où ces causes sont dominantes, sont démontrées par la similitude des symptômes patholo giques ; nous ne pouvons, sous ce rapport , que rappeler ce que nous avons dit de la marche de l'ergotisme et de la pel lagre. Quant à ces deux affections, tout observateur impar tial se rendra à l'évidence des analogies qu'elles présentent . Il n'est pas jusqu'aux expériences physiologiques qui ont été faites sur les animaux , qui ne soient de nature à fournir à l'esprit de nouveaux éléments de conviction . Mais , comme je le disais naguère dans une des plus célèbres sociétés sa. vantes de la capitale ( 1 ) , les expériences sur les animaux (1 ) La Société biologique de Paris , présidée par M. le docleur Rayer. Voici du reste le résumé des expériences qui ont été tentées sur les animaux avec l'ergot de seigle et le maïs alléré ( Verderame). Les expériences les plus anciennes, pour ce qui regarde l'ergol , paraissent avoir élé faites par CÉRÉALES ALTÉRÉES ( VERDERANE) . 297 sont loin d'élucider complétement la question des dégéné rescences dans l'espèce humaine . Tuillier, le père , médecin de Sully ( voir dans le Journal des Sçavants du 16 mars 1676 la lettre de M. Dodard de l'Académie royale des sciences, à l'auteur du Journal contenant des choses fort remarquables touchant quelques grains, p . 76) . Il est d'abord constaté dans celle lellre que le seigle dégénère en Sologne , en Berry, dans le pays Blaisois , en Gastinais et pres que partoul , particulièrement sur les terres légères et sablonneuses . « Il y » a peu d'années où il ne vienne de ce mauvais grain ... il en vient beaucoup » dans les années humides, et surlout lorsqu'après un temps pluvieux il » survient des chaleurs excessives ... , si celle gangreine ne vient qu'à ceux • qui mangent du pain de seigle, et ne leur vient que dans les années où il n y a beaucoup de seigle corrompu , il est comme certain que ce seigle cor » rompu est cause de celte gangreine . Pour s'en assurer davanlage, la

  • compagnie a donné ordre que l'on fasse da paia lant de ce seigle seul

que da même seigle meslé en différentes proportions avec le seigle nalurel, » pour remarquer les différents effets de ce scigle et de ces différents mé » langes sar des brutes de différentes espèces. Je ne connais pas le résultat de ces expériences qui paraissent si bien or données. Celles que Tuillier fit de son côté , en 1630, l'amenèrent à prouver que tous les animaux de basse-cour nourris avec l'ergot succombèrent . Dans le mémoire que le docteur Salerne présenla à l'Académie en 1748, on voil que ce médecin détermina chez un petit cochon måle très - vif et très bien porlaol, el qu'il nourrit avec du seigle ergolé bouilli avec da son de froment, qu'il détermioa , dis -je , les principaux accidents de l'ergotisme gangrenenx . Des expériences analogues ont été répétées avec le même résultat par le docteur Read , el les habitants des campagnes infestés par la contagion sa vaient parfaitement bien à quoi s'en tenir sous ce rapport . Les expériences plus récentes de Wigers lai ont appris que c'est l'ergo line qui est le principe actif de l'empoisonnement ; 9 grains d'ergoline ( 45 centigr. ) , correspondant à une once et demie ( 45 grammes) d'ergot , taè rent un coq. Dans une deuxième expérience , il employa la matière fongueuse , qui fat sans résultat. Les expériences de Lorinser méritent d'être répétées el paraissent bien plas concluantes que celles de Schleger. Le docteur Taube, qui s'est acquis une si grande réputation dans l'épi'émie de 1769>, raconte 298 DÉGÉNÉRESCENCES PAR INTOXICATION . Nous pouvons chez les animaux, en les soumettant à l'action de la même cause toxique, amener des effets pa thologiques semblables à ceux que nous observons chez l'homme ; mais il est impossible de suivre chez les premiers l'évolution du mal dans leurs descendants, et de fixer ainsi les véritables caractères des races maladivement dégénérées. > qu'il a vu un cochon et sepl moutons périr avec tous les accidents de l'ergo lisme convulsif ( Kriebelkrankheit ). Les chevaux, les boufs et les chiens ne contractaient pas la maladie . Les gallinacées, au contraire, subissaient avec facilité l'influence du mal, et restaient ipfécondes. Pour ce qui regarde le maïs affeclé de Verderame, M. Balardini, outre les expériences lentées sur lui , sur son fils et un de ses amis, en a essayé d'autres sur les gallinacées. Tous ces animaux n'ont pas tardé à dépérir et à lomber malades. Le même auteur ( Annali universali di medicina, Mai 1848, p. 244 ), rapporte encore le fait suivant d'après Giuseppe Bonelli de Cazzago : Un chien de chasse était nourri tous les jours avec de la bouillie de maïs , à laquelle on ajoutait quelques restes de la table de ses maîtres ; on vit à l'âge d'un an se développer sur son dos et jusqu'à l'extrémité de la queue un érythème mordicant, avec déchirure de l'épiderme, produite par l'action de se gratter, et suintement d'une humeur épaisse qui formait des croûtes, lesquelles en tombant entrainaient la chûle des poils . Le siège de celle affection variail, et lorsque les croûles étaient tombées sur un point, elles se reformaient sur un autre. On essaya inutilement divers médicaments contre celle maladie ; mais enfin, d'après le conseil des personnes du pays , qui avaient observé des fails semblables , on cessa de nourrir ce chien avec du maïs . Pendant quelque temps, on ne lui donna que des bouillies d'orge et de froment, auxquelles on ajoutait des raves et des pommes de terre . Bientôt op vit le pruril et le suintement diminner, et la desquammation disparaitre . Les poils reviorent epsoile et l'animal sembla totalement guéri ; en outre, il n'avait plus cet appétit dévorant que l'on avait remarqué pendant tout le temps de sa maladie . Plus tard , on repril l'usage de la polenta de maïs , et l'on vit reparaitre les mêmes altérations cutanées et les mêmes symptômes morbides qui ont élé décrits plus haut ; et une nouvelle interruption de ce régime rétablit de nou veau la santé de l'animal . CÉRÉALES ALTÉRÉES (VERDERAME) . 299 L'homme d'un autre coté est un être trop complexe et trop modifiable par le milieu social où se passe son existence , pour que les expériences tentées sur les animaux paissent donner l'explication complète des dégénérescences multi ples auxquelles il est exposé. Il importait donc pour faire avancer la question , de la placer sur son véritable terrain , et de l'étudier au sein même des populations où le mal exerce ses ravages . Ce ne fut que lorsque les médecins italiens eurent adopté cette voie que la véritable cause de la dégénérescence pellagreuse se dégagea de toutes les obscurités que les théories erronées avaient fait paitre. Quand il eut été bien prouvé que telle ou telle endémie n'atleignait qu'une certaine classe de la société , il s'agissait de savoir comment elle se nourrissait, et si l'action de la même cause produisait dans d'autres pays des effets identiques, et cela malgré la diffé rence du sol , du climat, des meurs et des habitudes . Or, quand ces mêmes effets existent, il est facile de dé barrasser la cause essentielle de la maladie de toutes les causes secondaires, et d'arriver ainsi aux véritables indica lions curatives . C'était la voie féconde dans laquelle était entré Casal et qu'il n'a pas cependant osé suivre jusqu'à ses dernières limites . « Le maïs , dit- il , ou le millet indien , est le principal ali ment de tous ceux qui sont atteints du mal de la rosa ; car c'est avec la farine de ce grain qu'est fabriqué leur pain ; on en fait aussi des bouillies auxquelles quelques -uns ajoutent pour leur nourriture ordinaire du lait ou un peu de beurre ( 1 ) . ( 1 ) C'est le plus petit nombre, et Casal fait remarquer que l'usage des paysans était de vendre le lait et le beurre et de ne boire que le sérum . La même remarque s'applique à la Lombardie, à la Suède et à d'autres pays on la nourriture devient de plus en plus insuffisante, par la nécessité où se 300 DÉGÉNÉRESCENCES PAR INTOXICATION , Ils se nourrissent aussi d'æufs et de châtaignes , de pois , de navets, etc. Ils n'usent que très -rarement de viandes salées et plus rarement encore de viandes fraiches. Presque tous ceux en effet qui ont cette maladie sont de pauvres culti vateurs , et c'est pourquoi ils ne peuvent manger de viande salée, de porc ou de lout autre animal , non-seulement cha que jour, mais pas même une fois tous les dix jours . Ce pain de maïs est presque toujours azyme, c'est -à- dire, non fermenté, et cuit sous la cendre ; leur boisson est de l'eau ; leurs vêtements, le linge, les lits , les habitations sont ana logues aux aliments . ) Il est curieux de voir comment les objections qui ont été soulevées de nos jours , arrêtent ce savant et scrupuleux observateur. On répétait déjà du temps de Casal , et il con firme lui -même ce dire , que tous les paysans qui suivaient ce régime n'étaient pas affectés du même mal ; qu'il y avait même des provinces ou les habitants qui se nourrissaient de maïs n'étaient pas atteints , tandis que les malades, pour me servir des expressions de Casal , étaient innombrables dans d'autres contrées . Cette objection, si bien résolue au jourd'hui , ébranle le médecin espagnol , et il arrive à cette conclusion : Que l'alimentation avec les substances inertes est la cause prédisposante, et l'almosphère la cause déterminante de la maladie. Si Casal avait pu suivre l'évolution de la maladie dans d'autres contrées , dans l'Italie par exemple , et dans les landes de Gascogne, il aurait vu que l'atmosphère, les eaux, la misère , la malpropreté, etc. , n'étaient pas les causes dé terminantes ; mais que la véritable cause résidait dans l'exclusivisme de toute autre nourriture que le maïs et dans trouvent les campagnards de convertir en argent les choses les plus nécessaires à leur subsistance (Casal Thesaur . rer . medic. nov . Hispan , I. VII , c . XL) . e. CÉRÉALES ALTÉRÉES (VERDERAME). 301 l'altération de cette céréale. Dans certains départements de la France, dans le département de l'Ain entre autres, on mange aussi une énorme quantité de farine de maïs , et la pellagre n'y est pas connue, que je sache ; mais la nourri ture y est plus variée, et le peuple consomme d'autres cé réales et se nourrit aussi de viande et de poisson . Dans les climals d'où le maïs est originaire et dans les pays chauds où sa culture a été introduite, cette céréale arrive à sa maturité et ne cause des accidents que dans des cas bien déterminés d'altération , comme cela a été remarqué même au Pérou. Toutes ces raisons sont capitales, sans compter encore la part qu'on doit faire des tempéraments individuels et de la facilité plus grande qu'ont les descendants de pa rents pellagreux à contracter la maladie . Encore une fois , c'est dans l'étude du genre de vie que suivent les populations affectées de maladies endémiques , que l'on peut trouver la véritable solution du point qui nous occupe. Aucun auteur, dit M. Roussel , ne donna plus d'im portance à cette manière d'envisager la question , que lo docteur Marzari , qui observa assidûment pendant plus de vingt ans les pellagreux dans les villages du territoire de Trévise. Je ne puis mieux faire de mon coté que d'em prunter à son Essai médico- politique, publié en 1810, l'exacle et bien triste peinture du genre de vie de la classe malheu reuse dans laquelle se rencontrent les pellagreux . Cet exposé, auquel je vais joindre la descriplion d'une maladie endémique en Suède , la gastrite chronique, nous aidera å bien apprécier l'influence de la nourriture sur les dégéné rescences dans l'espèce . L'apparition de la maladie, disait Marzari, est précédée de l'usage continuel et non interrompu de la nourriture végétale pendant la longue saison d'hiver . Cette nourriture se compose presqu'exclusivement de blé de Turquie, dési 302 DÉGÉNÉRESCENCES PAR INTOXICATION . gné sous le nom de cinquanlino ( 1 ) , Ce blé ne mûrit pres que jamais ; souvent il est moisi. On le consomme chez nous sous forme de polenta, et dans d'autres départements on en fait un pain toujours mal cuit et privé de sel . A cet aliment invariablement le même et qui forme au moins les dix-neuf vingtièmes de la nourriture tolale des paysans pendant tout l'hiver et une partie du printemps, on ajoute à peine des légumes cuits à l'eau , des choux, quelquefois du petit- lait, des recuites, du fromage frais, presque jamais des aufs parce qu'ils coûtent trop cher ; mais on les rem place par les laitues et la chicorée qui croissent spontané ment et que l'on récolte sans dépense. Durant les longs hivers des contrées subalpines , le cultivateur qui s'occupe à sa maison , qui ne va pas au marché pi à l'auberge pour ses affaires ou pour satisfaire ses instincts de débauche, comme cela arrive à quelques- uns , ne connait pas d'ali ment de nature animale, ni de pain de froment; ou s'il en use, c'est en quantité tellement petite , que l'on peut abso lument la négliger . Il réserve son peu de salaison pour l'été, saison des grands travaux de la campagne, il en mange tout au plus aux jours de fête ; quant au poisson salé, il n'en use que pendant le carême, dont il est obser vateur scrupuleux, et il en prend une quantité si minime, que sa ration est tout au plus d'une once par jour. Le cita din et le carmélite qui mangent, l'un quelquefois, l'autre constamment, du poisson et des aliments maigres , et qui n'ont jamais la pellagre comme le cultivateur, en prennent des rations vingt fois plus considérables que ce dernier , toujours sans accidents . » « A cette nourriture, qui est commune à tout le peuple pellagreux du royaume, et qui est bien plus maigre que et ( 1 ) Variété précoce qui se sème lard el mûrit difficilement. ORRÉALES ALTÉRÉES ( VERDERAME) . 303 celle que Pythagore conseillait à d'autres peuples et dans d'autres climats, il ne peut joindre pour sa boisson que l'eau, vu l'impossibilité absolue où il est de se procurer du vin , même de médiocre qualité . Mais comme cette boisson est désagréable, il n'en prend qu'en petite quantité et lors qu'il y est contraint par la soif ( 1 ) ; quelques- uns peuvent substituer à l'eau pendant quelques mois une teinture vi neuse trés- légère, souvent acide ou moisie, et connue ici sous le nom d'aquariola ; d'autres préfèrent un vin aigre et fortement travaillé .... Il faut en outre observer que du rant cette longue et froide saison pendant laquelle ils usent d'un régime si exclusivement végétal et si debilitant, les cultivateurs mènent une vie dés@uvrée et généralement pleine de tristesse , couchés pendant plusieurs heures du jour et pendant les longues nuits dans les élables des ani maux qui ne leur appartiennent point, pensant à leurs dettes et à ce que deviennent les produits de leur industrie , gémissant par conséquent, et sur les nécessités de chaque jour, et sur l'impossibilité où ils sont d'y faire face, et pár ticulièrement sur les charges ainsi que sur les maux de tout genre qui les inquiètent, les menacent et les oppri ment. J'ai plusieurs fois observé que si un villageois pas (1 ) Le paysan italien est très - sobre pour ce qui regarde l'usage des bois sons fermentées , et ce n'est guère que dans les villes que l'usage de boire l'eau -de - vie s'est répandue chez le peuple, par l'exemple que lui donnent les soldats étrangers qui occupent ce pays . E. Suède , au contraire, et en gé néral dans le nord de l'Europe, les classes ouvrières croient pouvoir remé dier à l'insuffisance de la nourriture par les boissons alcooliques. Or, nous connaissons l'action spéciale que l'eau - de- vie exerce sur les fonctions diges tives, et nous verrons que la maladie endémique connue en Suède sous le nom de gastritis chronica, ne reconnaît pas d'autres causes que la double influence d'une nourriture insuffisaple el de mauvaise qualité , et de l'alcool pris avec excès. 304 VÉGÉNÉRESCENCES PAR INTOXICATION . sait rapidement d'un état aisé à un élat misérable , comme cela arrive si souvent par suite d'une tempête, d'une sé cheresse ou de tout autre malheur, la pellagre ne manquait pas de porter le comble à ses maux et de mettre un terme à ses tristes jours . On voit donc que deux choses précédent constamment l'apparition de la pellagre : la première est l'usage continuel du blé turc ( maïs) ou du régime uniquement végétal ; la seconde est l'oisivelé de l'hiver que j'ai décrite , et qui appartient seulement à cette époque de l'année. C'est alors en effet que se forme ou se fortifie ce germe de la ma ladie, que la lumière ou la chaleur du printemps suivant vient régulièrement développer . » Cette opinion de Marzari n'a pas trouvé de plus éloquent défenseur en Italie que le docteur Balardini. Il a reproduit au dernier Congrés scientifique de Milan toutes les raisons qui militent en faveur de cette manière de voir. Ce qui a manqué aux médecins italiens , dit fort judicieusement M. le docteur Roussel , ce fut la connaissance exacte du domaine de la pellagre. On a pu en effet se convaincre aujourd'hui que les mêmes conditions générales dans le régime alimen taire par le maïs , ont partout amené les mêmes eſſels. L'endémicité pellagreuse tient évidemment à l'exclusivisme et à la mauvaise qualité de la nourriture, et le plus ou moins d'intensité dans le développement de la maladie dépend des modifications dans le régime, qui ne font plus du maïs la base fondamentale de l'alimentation. Si dans quelques districts montueux, comme ceux de Bellano, Dongo, Gravedona, S. Fedele et Mascagno , la pellagre s'observe peu, comparativement au reste du terri loire Comasque , on en trouve, dit Balardini , la raison évi dente dans les émigrations qui , pendant au moins neuf mois de l'année , entrainent hors de chez elles la plus grande partie de ces populations industrieuses qui vont exercer ailleurs CÉRÉALES ALTERÉES (VERDERAME). 305 loute espèce de métiers ou d'emplois, se livrent au petit trafic et à la contrebande, et qui pendant ce temps ont des aliments différents de ceux des autres campagnards et beau coup plus variés . Si dans la Basse -Lombardie, ajoute ce médecin , les pel lagreux sont en moins grand nombre que dans la partie haute, cela tient à la richesse du pays, à la fertilité du sol , donnant avec plus d'abondance des graios variés, et prin cipalement le riz , qui partage avec le pain et la polenta l'honneur de la table villageoise ( 1 ) . Pour moi, j'ai pensé que puisqu'un grand progrés avait été accompli en ne renfermant plus l'étude de la pellagre dans les limites d'une seule province, mais en faisant res sortir les dangers que courent les habitants d'un pays par la nourriture exclusive d'une céréale, souvent altérée ou mal préparée dans ses transformations secondaires, j'ai pensé, dis- je , que ce progrès pouvait recevoir une impulsion nou velle si nous en élargissions le cadre de nos recherches . Je vais donc aborder cet important problème du régime alimentaire sur l'amélioration des races ; problème qu'il ne faudra plus circonscrire dans l'examen comparé de deux céréales qui agissent à la manière des intoxicants , mais qu'il sera important d'étudier dans les rapports des dé générescences avec le genre de nourriture et l'hygiène des habitants d'une contrée. La description d'une maladie endémique, que je regarde comme une cause active de dégénérescence, et qui est connue en Suède sous la dénomination scientifique de gastritis chro. nica ( 2 ) , va nous fournir une occasion naturelle d'examiner ( 1 ) Annali. univ. di medicina . Avril 1843, p . 35 et suiv . (2) Ce que je viens de dire de la gastrite chronique est tiré d'un récent ouvrage de M. le doclear Magnus Huss, intitulé : Ueber dic endemischen 20 306 INFLUENCE D'UNE ALIMENTATION EXCLUSIVE . la valeur du régime alimentaire sur les dégénérescences, el d'établir de nouvelles analogies avec l'action des causes que nous avons précédemment étudiées. Cette affection , déjà ancienne en Suède, dépasse en fré quence tout ce que l'on avait observé jusqu'à ce jour. Les médecins la désignent sous différents noms, qui tous indi quent que c'est dans le système de l'appareil digestif que le mal a son siège principal . La gastrite chronique, la cardial gie, le pyrosis sont les termes génériques qui, dans la pen sée des médecins suédois, expriment la nature de celle maladie, dont un des principaux symptomes consiste dans la sécrétion d'une quantité de mucosités acides qui pro viennent de l'estomac . Le peuple, dans sa terminologie particulière, a donné d'autres noms à cette affection, mais le sens qu'il y attache indique pareillement un état de souf france dans lequel prédominent l'embarras gastrique avec tension douloureuse et brûlante , la faiblesse générale , le marasme, la cachexie et les infiltrations séreuses partielles ou générales. Il est inutile d'ajouter que, dans notre théorie , ces états de souffrance sont les signes pathognomoniques les plus certains du dépérissement de la santé chez les indi vidus, et de la dégénérescence dans les races, lorsque de pareilles situations constituent une endémie chronique. Krankheiten Schwedens ; sur les maladies endémiques de Suède . L'auteur, à l'aide de nombreux documents fournis par les médecins qui excrcent dans les différents districts du royaume, a pu présenter en 1851, à la Société générale des naturalistes scandinaves , un résumé des plus intéressants sur la nature et les causes des principales maladies endémiques qui règnent dans ce pays . Il est à regreller qu'un travail de ce genre n'existe pas pour la France et que les recherches spéciales que beaucoup de médecins ont failes sur les maladies endémiques qui sévissent dans leurs départements, ne se trouvent pas concentrées et coordonnées dans un annuaire qui représenterait a lopographie médicale de la France . GASTRITE CHRONIQUE DE SUÈDE , 307 > On peut, dit le docteur Magnus Huss, parcourir nos pro vinces depuis Schonen jusqu'à Haparanda, et partout on retrouvera la gastrite chronique dans les villes comme dans les campagnes. La prédominance de certains symptômes pathologiques dans leurs rapports avec les influences loca les, les idées différentes que l'on s'est faites du mal selon la nature présumée de la cause , ont fait varier les désignations, mais encore une fois, pour l'observateur attentif, c'est dans Je trouble des fonctions digestives qu'il faut en rechercher l'origine . Il est un autre point sur lequel les médecins sont d'ac cord , c'est que les classes malheureuses sont spécialement sujettes à cette endémie , et que les femmes y sont exposées dans de plus grandes proportions que les hommes. Dans certaines localités , le mal peut être considéré comme en démique, puisqu'il y atteint le cinquième de la popula tionh ; dans d'autres , au contraire, il regne avec moins d'in tensité et sévit à peine sur le vingtième des habitants. L'age où cette affection se montre avec plus de fréquence est celui de vingt à quarante ans. Dans les villes , toutes les saisons paraissent également favorables å sa propagation ; dans les campagnes, au contraire , c'est dans la dernière partie de l'été et pendant l'automne que les populations ressentent plus particulièrement les atteintes de la maladie. La tendance à la récidive est un des caractères essentiels de la gastrite chronique, et il est bien rare qu'une première attaque ne soit pas suivie de plusieurs autres . On se perd le plus ordinairement en conjectures sur la nature de la cause ; on recherche en vain les circonstances qui ont pu favoriser la propagation de ce mal. Le retour invariable et constant de l'affection fait le désespoir des médecins des villes ; car, avec les remèdes qu'ils emploient, ils ne par . viennent jamais à obtenir une guérison radicale . Quant 308 INFLUENCE D'UNE ALIMENTATION EXCLUSIVE . aux habitants de la campagne , ils ont perdu loule con fiance en la médecine ; ils traitent le mal à leur façon, soit au moyen de spécifiques qui se transmettent d'une généra tion à une autre , soit par l'abstention complète de tout re mède, et ils attendent patiemment l'hiver , dont le retour inaugure ordinairement la cessation de leurs maux ; nous avons du reste observé le même phénomène dans la pellagre . Heureusement, si l'on en croit quelques médecins, la gastrite chronique n'est pas aussi dangereuse qu'on pourrait le sup poser, et si l'on excepte certaines maladies dégénératives de l'estomac , telles que le cancer, ce qui est le cas le plus rare, ou le ramollissement et les tendances à l'ulcération (ulcera simplicia ), ce qui est le cas le plus commun , l'affec . tion se termine rarement par la mort ( 1 ) . Ajoutons maintenant que les observateurs sérieux ne s'en tiennent pas à de pareilles appréciations . Comment pour rait- on admettre qu'un mal endémique aussi universelle ment répandu , qu’un mal qui s'accompagne d'une perver sion aussi notable des fonctions digestives, soit une affection qui n'entraine pas à sa suite des conséquences très- graves !!! Cetle supposition est d'autant moins admissible que la ma ladie sévit , ainsi que nous l'avons vu, sur la partie la plus saine et la plus robuste de la population , et à cette époque de la vie où l'hérédité agit dans la plénitude de sa puis sance de transmission. Or, si nous voulons maintenant aborder le sujet par le côté qui intéresse nos études sur les causes dégénératrices de l'espèce humaine, il importe de voir quel peut être le principe d'une telle maladie . M. le docteur Magnus Huss fait l'examen critique des > ( 1 ) Le docteur Martio , qui a spécialement observé celle maladie dans le district de Nykæping, dit que les maladies organiques de l'estomac y sont communes. (Maludies endimiques de la Suède, p . 113.) GASTRITE CURONIQUE DE SUÈDE . 309 causes qui ont été alléguées, et il arrive à une conclusion où toutes les recherches que nous avons faites nous- même sur l'action des agents toxiques aurait naturellement amené ceux qui nous lisent . Cette maladie, dit-il d'abord , n'est pas nouvelle en Suède, on en trouve la description dans des auteurs anciens, mais il faut avouer que depuis quel ques années elle a pris une extension des plus inquiétantes . Attribuerons-nous ses progrès à la misère, ainsi que cela a été dit, à la malpropreté , à la manière de se vêtir et de se loger ? Mais ces causes ont existé de tout lemps, et pour M. Magnus Huss comme pour les médecins qui étu dient attentivement la marche des maladies endémiques, la misère et la malpropreté ne jouent pas le rôle de causes essentielles. Il n'y avait qu'un seul moyen de dégager le principe de la maladie de tous les éléments qui obscurcissaient son origine. Il fallait savoir quelle était la manière de vivre de ceux qui souffraient de cette endémie et si les individus dont l'hygiène était différente se trouvaient préservés. Or, cette dernière question est résolue dans les recherches de M. Magnus Huss. La gastrite chronique n'atteint que la classe malbeureuse dont la nourriture, sans compter sa mauvaise qualité, est invariablement la même, à très- peu d'exceptions prés, et subit toujours la même préparation ; mais quelle est cetle nourriture ? Je laisse ici parler le sa vant médecin suédois : « Les habitants des contrées scandinaves, ainsi que la classe pauvre des grandes villes , ont l'habitude de se char ger l'estomac d'aliments farineux et de pommes de terre . Ils n'empruntept au règne animal que la chair des poissons salés , lels que le hareng . Le lait , qui est consommé en grande quantité , est préalablement aigri, et les boissons les plus ordinaires subissent des préparations qui ont pour 310 INFLUENCE D'UNE ALIMENTATION EXCLUSIVE . résultat de les aciduler . L'habitant de la province de Scho nen se nourrit d'un pain de seigle aigri. Le Dalecarlien copsomme des quantités incroyables de bouillie de seigle. Dans les provinces de Halland , de Westergothland , le peuple ne vit que de pommes de terre mélangées à du lait aigri; il se régale encore d'un fruit acide qu'il fait cuire, l'airelle rouge ( Krosmus). Dans le Wermland, on ne connait que le pain d'avoine, les harengs salés , les pommes de terre et le lait aigre. Ce n'est que très- exceptionnellement que le peuple suédois mange de la viande, et la plupart du temps encore celte viande est du lard salé. On ne peut attri buer la gastrite chronique qu'à une hygiène qui consiste à surcharger l'estomac de mets peu nourrissants et de mau vaise nature . La fréquence plus grande de la maladie en été et en automne, doit être attribuée à ce que, pendant ces saisons de l'année les habitants , des campagnes surtout , absorbent de très- grandes quantités de lait aigre et de boissons acidulées ( 1 ) . Tel est le résumé d'une affection endémique qui doit son origine, non-seulement à l'insuffisance, mais encore à la mau vaise qualité de la nourriture . Sans doute ,dans les symptômes que nous avons décrits , l'élément toxique de manifeste pas ( 1 ) La gastrite chronique, la dyspepsie , le pyrosis et la cardialgie, lontes maladies synonimiques , ne se rencontrent pas seulement en Suède, mais aussi dans d'autres contrées de l'Europe et reconnaissent les mêmes causes . D'a près Thorstensen, cette lésion des fonctions digestives, due à une alimenta tion insuffisante ou de mauvaise nature, est observée en Islande , où la nour riture des habitants consiste principalement en beurre rauce , en mels farineux et lait aigre ( Skyr). Chez les enfants on observe communément un état de dyspepsie ( pyrosis insipida) accompagnée de cachexie .... Aux Iles Ferroë, cet état pathologique est très -commun, d'après le docteur Ma nicus . Dans le Jutland et la Finlande , le pyrosis , à ce que rapporte le docteur Berg, est encore plus commun qu'en Suède. GASTRITE CHRONIQUE DE SCÈDE 311 sa présence d'une manière aussi intime que dans l'ergo tisme et la pellagre, mais il est facile d'entrevoir que la perversion des fonctions digestives, qui constitue un des principaux caractères de la gastrite chronique, est le phé nomène maladif qui révèle de la manière la plus frappante l'état de souffrance que produisent ces déplorables condi tions d'hygiène publique. Remarquons encore que l'insuffi sance et la mauvaise qualité de la nourriture n'agissent pas seules dans la production des temperaments cachectiques et étiolés qui forment au sein de ces populations misérables des variétés maladives distinctes ; mais que l'excès des boissons alcooliques, la misère, l'immoralité, les conditions climatériques et autres, viennent encore ajouter des élé ments dégénérateurs complexes à la cause déjá si puissante qui s'attaque au bien- être des populations et compromet d'une manière si grave leur amélioration ultérieure. Nous entrevoyons dans ce simple fait,que la question des dégénérescences étudiée dans les races se présente d'une manière plus large que lorsque cette même question est circonscrite dans l'observation de l'individu . Dans le der nier cas, nous sommes en présence d'un phénomène mala dif, que nous isolons å dessein pour nous rendre un compte plus exact de l'influence produite sur l'économie par un agent toxique d'une nature déterminée. Dans le premier cas, au contraire, nous devons non-seulement faire la part de toutes les causes, soit de l'ordre moral soit de l'ordre physique qui exercent leur action sur l'individu et le pla cent sous leur dépendance fatale, mais nous devons encore examiner comment ces causes, en s'irradiant dans la fa mille et dans la société , parviennent à créer des races maladives et à constituer pour les nations un danger relatif, non moins sérieux que celui qui pèse sur l'individu . Quelques considérations encore sur l'utilité que l'étude 312 LÉSIONS ORGANIQUES, TROUBLES FONCTIONNELS des dégénérescences peut puiser dans l'étude de l'anatomie pathologique, et nous sortirons de l'observation des faits individuels pour aborder successivement notre sujet sous les différentes faces qui peuvent intéresser l'amélioration ou le dépérissement des races humaines. S II . Des lésions organiques et des troubles fonctionnels, dans leurs rapports avec la manifestation des dégénérescences chez l'individu et dans l'espèce. Considérations générales sur le sens à donner au mol lésion . Si nous voulions essayer de poursuivre l'histoire des dé générescences au point de vue exclusif des lésions cada vériques , nous risquerions fort d'étouffer le progrès de cette étude au milieu des doutes et des contradictions que les recherches nécroscopiques font naitre à chaque pas, et qui sont pour ainsi dire inséparables de l'état actuel de la science (1 ) ( 1 ) Pour se convaincre de la vérité de ce que nous disons , on peut con sulter le chapitre que M. Tanquerel- Des -Planches consacre dans son ouvrage aux altératious analomiques trouvées chez les individus qui ont succombé à l'encéphalopathie salurnine. L'auteur , dominé par les idées exclusives de l'école analomique de son époque, et ne faisant pas ressortir assez exacle ment les différents modes d'impressionnabilité et de souffrance du système nerveux , part de l'idée que le médecin doit toujours chercher à se rendre comple des phénomènes morbides fonctionnels qu'il observe, et pour cela tàcher de trouver un rapport matériel, c'est-à - dire, positif, entre la cause el l'effet. Or, il arrive que M. Tauquerel est naturellement amené à l'appréciation comparée des recherches nécroscopiques faites avant lui et à donner le ré sultat de ses propres investigations. Je ne connais pas de lecture capable de vous plooger dans une incertitude plus grande . L'engorgement et l'épan chement de sérosité aulour da cerveau , la distension des vaisseaux, les 1 DANS LEURS RAPPORTS AVEC LES DÉGÉNÉRESCENCES . 313 La valeur que les anatomistes eux-mêmes attribuent à la nature de ces lésions repose en effet sur des apprécia tions théoriques et pratiques si différentes, que là où les épanchements séreux ou sanguins entre les membranes, les ramollissements du cerveau et de la moelle , le tassement sensible des circonvolations , la påleur de la pulpe nerveuse et la décoloration marquée de la substance grise , la coloration jaupâtre de la substance médullaire , la présence de kystes , la sécheresse des méninges , l'atrophie cérébrale ou son augmentation , l'état congestionnaire, elc . , etc. , figurent chez les auteurs les plus recomman dables à côté d'autres autopsies, et celles - ci ne sont pas les moins nom breuses, où l'on ne trouve absolument rien . M. Tanquerel est un autear trop judicieux pour ne pas arriver à la scule conclusion possible au milieu des doutes et des incertitudes que font naître de pareilles recherches , et il finit par dire : « Souvent on ne peut rencontrer aucune lésion appréciable n dans le système nerveux des individus qui ont succombé à la maladie

  • cérébrale saturnine. Dans certains cas on a observé quelques altérations

» consécutives qui sont produites par les symptômes de cette maladie, el » insuffisantes d'ailleurs pour rendre raison des phénomènes observés pen - ▸ dant la vie . » Les recherches chimiques paraissent avoir eu un résultat plus satisfaisant, et MM. Devergie et Guibourt sont parvenus , dit M. Tanquerel , à découvrir du plomb en quantité notable dans le cerveau de deux sujets morts d'encé phalopathie saturnine. Au reste, la présence du plomb , du cuivre et d'au tres métaux dans le cerveau et les autres organes des ouvriers qui travaillent ces substances , est un fail généralement admis aujourd'hui. Ces substances loxiques , dit M. Cl . Bernard dans ses leçons au collège de France , peuvent faire partie de l'économie , mais l'immunité qui en résulle n'est complète qu'autant qu'elles ne circulent plus dans le sang . Tontes les fois qu'elles y circulent , il se produit toujours dans l'organisme des phénomènes insolites ou extraordinaires . Ces phénomènes persistent jusqu'à l'entière élimination de ces agents nuisibles. Celle élimination se fait, soit par les émonctoires nalu rels , soit par les organes eux-mêmes , en ce sens que les principes toxiques s'y fixent à l'état de combinaisons insolubles pour faire désormais partie des organes eux- mêmes ; aussi trouve l - on beaucoup de cuivre ou de plomb dans les organes des ouvriers sur cuivre, ou chez les ouvriers plombiers. Il pa 314 LÉSIONS ORGANIQUES, TROUBLES FONCTIONNELS uns affirment n'avoir trouvé aucune lésion , les autres soutiennent en avoir toujours rencontré. Que d'opinions encore qui se contredisent et se heurtent à propos de la signification à donner å telle ou telle lésion anatomique ! L'état congestionnaire, par exemple , que les uns pré tendent, d'après l'autopsie, avoir dů exister chez le vivant, n'est pour les autres que le résultat de la stase sanguine qui coïncide avec les derniers moments de l'existence : la vé ritable interprétation à donner au mot congestion n'étant pas acceptée et comprise par tous dans le même sens phy siologique ( 1 ) . Bref, une confusion regrettable est à signaler rait même, d'après ce que dit M. Cl . Bernard , que si , par un procédé quelconque, on parvepait à rendre solubles les substances ainsi fixées dans les organes , de façon à ce qu'elles puissent être absorbées de nouveau el repasser dans le torrent circulatoire , les phénomènes toxiques ou insolites se reproduiraient . En fait de lésions causées par les agents intoxicants dont nous avons fait l'histoire , les recherches nécroscopiques chez les pellagreux ne présentent pas moins d'incertitudes et de contradictions . ( 1 ) Aucun phénomène n'est si difficile à apprécier, dit avec beaucoup de justesse le docteur Hagen , que celui de l'état congestionnaire chez le vivani , si l'on ne veut s'en rapporter qu'aux indications que donne l'autopsie. La raison en est bien simple . Rien ne disparaît aussi vite à la mort que la congestion , en sorte que la non- cxistence de l'état congestionnaire chez le cadavre n'est nullement l'indice qu'il en élait de même chez le vivant... L'école anatomique allemande a cherché dans ces derniers temps à établir un rapport nécessaire entre l'état hypérémique du cerveau et de ses mem branes , et le trouble des facultés intellectuelles chez le vivant, mais voici ce que professe Engel dans un livre justement estimé ( Des autopsies cadavé riques, et de leur valeur, Vienne, 1854) . « Il est impossible, dit le médecin viennois, de démontrer si l'état hypérémique existait pendaut la vie ou s'il n'est pas la conséquence de la mort. La difficulté est bien plus grande lors qu'il s'agit du cerveau . Il y a cone lieu de s'élonner d'entendre beaucoup de médecins décider avec lant d'assurance, d'après les ouvertures cadavériques, a DANS LEURS RAPPORTS AVEC LES DÉGÉNÉRESCENCES . 315 à propos de la différence à établir entre la nature des lé sions primitives et celle des lésions secondaires, qui ne sont que la conséquence forcée de la progression du mal, et que l'on rencontre parfois dans les phases terminatives des maladies les plus dissemblables à leur origine . Nous voulons essayer, dans l'intérêt de nos éludes spé ciales , de dégager la question des obscurités qui l'enve loppent, et de la poser dans les termes qui nous mènent à une solution aussi satisfaisante que possible des rapports qui existent entre les lésions organiques , les troubles fonctionnels, et la manifestation des dégénérescences chez l'individu et dans l'espèce. Rappelons d'abord que l'être dégénéré a été et sera plus spécialement encore examiné par nous sous le double rap port de sa dégradation primitive et de sa dégradation secon daire ou consécutive. Une telle manière de traiter le sujet n'a rien que de très - rationnel et de parfaitement que le cerveau était dans un état d'hypérémie ou d'anémie... Que penser encore, dit le même auteur, de la facilité avec laquelle on établit la réplé tinn ou la déplétion des plus petits vaisseaux qui rampent dans la profondeur des organes ? » a Il est malheureux , dit de son côté le docteur Hagen , que lorsqu'il s'agit d'apprécier la valeur des lésions anatomiques , ce soient précisément les fails qui subissent le contrôle des opinions préconçues , tandis que cela devrait être l'inverse ... Il y a des anatomistes qui trouvent toujours de la congestion, tandis que les aulres n'en rencontrent jamais , précisément parce que ces derniers n'y croient pas . Combien ne voit- on pas de médecins qui dans l'ardeur qui les domine pour trouver des lésions , ne manquent pas de con stater que les plus petits vaisseaux du cerveau sont gorgés de sang, el que cet organe est pointillé ... Toutefois se sont- ils bien rendu comple de la quantité de sang dont les organes ont besoin pour que leurs fonctions s'exécutent d'une manière normale ? » – (Hagen : Psychiatrie et anatomie .) Voir le Journal de Psychiatrie. Vol . 12. Livraison fre . 316 LÉSIONS ORGANIQUES, TROUBLES FONCTIONNELS conforme au mode d'action des influences héréditaires sur l'individu et sur la race . Quand il s'agit de lésions anatomiques et des inductions que la science peut en tirer , autre chose est de considérer l'homme primitivement sain , mais qui a successivement subi les transformations maladives que déterminent dans sa constitution physique les différents agents intoxicants, autre chose est de l'étudier dans cet état de dégénérescence confirmée, dont le type se rattache aux conditions le plus souvent irremediables de la naissance. Dans l'une et l'autre de ces situations pathologiques, les conséquences qu'il est permis de déduire de la valeur des lésions organiques dans leurs rapports avec le plus ou moins de perfectibilité dans la manifestation ou le jeu des fonc tions , sont évidemment différentes. Dans le premier cas , nous suivons les progrès d'un mal qui amène, comme nous le disions, des transformations succes sives ; dans le second , nous constatons que le mal est con firmé. Il ne s'agit plus alors de savoir ici ce que deviendra l'individu avec telle ou telle lésion organique cérébrale , mais il suffit de l'étudier dans ce qu'il est , et les plus mi nutieuses recherches nécroscopiques ne feraient pas avan cer d'un seul pas la science de l'amélioration intellectuelle , physique et morale de l'espèce . Quelle conclusion tirer en effet des lésions trouvées dans le cerveau et les autres organes des dégénérés congéniaux , tels que les idiots et les crélins ? Affirmerons-nous que le plus ou moins de développement des circonvolutions cérébrales, que l'ædėme du cerveau , que les épanchements de sérosité dans les ventricules, que la plus ou moins grande quantité de phosphate calcaire contenue dans les os, sont les causes de cet état de dégradation ? Evidemment non. Ce n'est pas précisément parce que ces êtres informes et incomplets se DANS LEURS RAPPORTS AVEC LES DÉGÉNÉRESCENCES . 317 trouvent dans des conditions d'infériorité relative , pour ce qui regarde le développement normal de leurs organes , qu'ils sont idiots ou crélins ; mais c'est la nature même de leur dégénérescence qui constilue chez eux ces caractères anatomiques et pathologiques spéciaux qui en font une va. riété maladive, si tranchée , el cela sous le double rapport de leur organisation physique et de leur état intellectuel et moral . Nous étudions le scalpel à la main, les conditions dégé nératives de l'organisme chez ces individus, et nous faisons bien dans l'intérêt de l'anatomie comparée; mais encore une fois nous aurions tort d'y rechercher la cause exclu sive de l'état de dégénérescence. Bien mieux, et au risque d'être accusé d'exagération , nous pouvons soutenir que ces conditions organiques des crétins et des idiots , qui sont des conditions pathologiques par rapport à l'espèce en général , constituent néanmoins chez cette variété maladive un état pour ainsi dire normal . A l'objection qui peut m'être faite, que rien au moment de la naissance ne révèle cet état de dégénérescence, et que ce n'est que consécutivement que ces individus sont atteints , je répondrai d'abord que cette assertion n'est rien moins que prouvée , et que les faits les plus concluants militent en faveur de la théorie qui rattache aux conditions les plus intimes de la vie congéniale la disposition à con tracter les caractères propres à cette variété maladive. La preuve de ce que j'avance a du reste déjà été fournie quand il s'est agi pour nous de classer les descendants d'individus qui sont morts dans l'état d'alcoolisme chronique ( 1 ) ; et si je parle ici des idiots et des crétins, c'est que j'ai été invo ( 1 ) Voir à la page 108 de cet ouvrage ; 2e section : des différents types de déyénérescence produils par l'intoxication alcoolique . 318 LÉSIONS ORGANIQUES , TROUBLES FONCTIONNELS lontairement entraîné dans l'appréciation d'un ordre de faits qui se relient d'une manière intime à mes considéra tions ultérieures sur les influences héréditaires ( 1 ) . Je vais m'attacher maintenant à démontrer comment chez les in dividus primitivement sains, chez ceux surtout qui ont fait le sujet des observations qui précèdent, il faut comprendre la valeur des lésions organiques dans leurs rapports avec les dégénérescences dans l'espèce. Si l'on peut citer des cas nombreux d'intoxication alcoo lique, saturnine et autres où l'on n'a trouvé aucune espèce de lésions , quoique les individus eussent éprouvé des acci dents nerveux formidables, tels que crampes, convulsions , délire avec hallucinations, accés épileptiques se terminant par la mort, on ne doit en inférer qu'une chose : c'est que sous l'influence de certains empoisonnements, il peut s'établir un état suraigu qui enlève inopinément les ma lades , et ne laisse parfois d'autres traces dans les organes que les symptômes plus ou moins constatés de la conges tion et de l'hypérémie. L'intoxication saturnine nous offre divers exemples de ce genre de terminaison , et l'empoi sonnement par l'alcool , qui revet ordinairement une forme chronique, peut dans quelques circonstances arriver à son summum d'intensité , et tuer pour ainsi dire instantanément les malades . M. le docteur Delasiauve, médecin à Bicêtre, et qui a eu de nombreuses occasions d'observer le délire des ivrognes, cite des cas de ce genre qu'il désigne sous le nom de delire suraigu : « Dans cette situation pathologique le malade » n'a ni paix ni tréve, dit ce savant aliéniste ; aucune par » tie de son corps n'est exempte d'agitation ; les membres ( 1 ) Consulter dans cet ouvrage le chapitre des dégénérescences en rap port avec les influences héréditaires. DANS LEURS RAPPORTS AVEC LES DÉGÉNÉRESCENCES. 319 o tremblent; vultueuse, rouge, la face grimace par le fré > missement prononcé de ses muscles ; les yeux roulent » dans leur orbite ; la peau chaude et brûlante s'humecte » d'une sueur profuse , visqueuse , exhalant parfois une » odeur alcoolique ( 1 ) » . On conçoit que dans des situations analogues l'individu puisse succomber å l'intensité de son mal , sans que l'em poisonnement ait marqué son passage par des lésions qui accompagnent invariablement l'état d'intoxication ( 2) . a ( 1 ) D'une forme grave de delirium Tremens, par M. Delasiauve, médecin de Bicêtre ( Paris 1852) . On peut aussi consulter un opuscule du même auteur , intitulé : Diagnostic différentiel du Delirium tremens. Des cas d'intoxication suraiguë sont aussi cités par les médecins français quise sont occupés de ce sujet, tels que MM . Leveillé , Duméril , Rayer et Falret dans son remarquable article Délire , du Dictionnaire des Études médicales pratiques . (2) Il n'est pas à dire pour cela que la violence et l'instantanéité dans les effets de certaines intoxications, ne s'accompagnent jamais de ces lésions non -seulement faciles à vérifier sur le cadavre , mais qui se révèlent, pour ainsi dire, chez le vivant par la profonde décomposition des traits et la sus pension des principales fonctions de l'économie , ainsi que l'on a eu mille fois occasion de le vérifier dans le choléra . Si l'on consulte les auteurs qui ont vécu au milieu des grandes épidémies d'ergolisme convulsif ou gangreneux , on voit que les cas les plus violents d'intoxication par les céréales étaient invariablement accompagnés de ces désordres internes et externes, qui indi quaient suflisamment que le mal s’allaquait au principe même de la vie . A peine les malades avaient- ils succombé avec celle forme aiguë , dont nous avons donné la description , que leurs cadavres entraient immédiatement en putréfaction . Ce n'était que dans cet état de décomposition extrême que les membres contractés par la violence du mal perdaient leur rigidité . Les yeux étaient profondément enfoncés dans leurs orbites , el des mucosités infectes s'échappaient déjà , pendant la vie , de la bouche et des fosses nasales . Le ventre était coloré en jaune ; le foie, les poumons, et le cerveau élaient gorgés d'un sang noir , épais el visqueux, et les inteslios parsemés de 320 LÉSIONS ORGANIQUES, TROUBLES FONCTIONNELS Le dépérissement est alors progressif, comme nous avons eu occasion de le démontrer, et les grandes fonctions de l'économie sont toutes successivement compromises ; la pa ralysie générale est enfin le terme ultime cù les individus victimes des intoxications diverses dont nous avons fait l'histoire ( 1 ) , présentent un ensemble de symptomes pa thologiques dont les analogies sont tellement frappantes, que des observateurs qui avaient perdu de vue le point de départ de l'affection , n'ont plus fait aucune différence entre ces malades et les paralysés généraux de nos asiles d'aliénés . Que conclure des considérations qui précédent? Affir merons- nous que la recherche des lésions cadavériques, et que l'observation des phénomènes pathologiques n'inté ressent que très -indirectement nos études sur les dégéné rescences ? Evidemment, une déduction aussi absolue ne s'accorderait guère avec tout ce que nous avons dit jusqu'à présent . Chaque fois, au contraire, que l'occasion s'en est présentée, nous avons fait ressortir la valeur des altérations physiologiques produites par les divers agents intoxicants. Nous n'ignorons pas que certaines prédispositions orga niques défectueuses que l'individu acquiert par son genre de vie , se transmettent par hérédité et sont de nature à constituer des races maladives . Nous avons professé, avec M. le docteur Buchez, que le cerveau est l'organe de l'ame; que toute force, quelle qu'elle soit , spirituelle ou autre, est nécessairement limitée par son organe, et qu'elle ne peut rien faire, rien produire au-delà des puissances contenues plaques hémorrhagiques et parfois gangrenées. Le cæur présentait une flacci dité remarquable (Taube, Hermann, Hecker. Ouvrages cités) . ( 1 ) Voir ce que j'ai dit dans cet ouvrage, des troubles généraux des diffé rents appareils de l'économie ; digestion, sécrélions, circulation chez les iodividus victimes de l'intoxication alcoolique , p . 100 el suiv. DANS LEURS RAPPORTS AVEC LES DÉGÉNÉRESCENCES . 321 dans son instrument. Nous nous sommes rattaché à celle idée de Buffon, que les différences extérieures ne sont rien en comparaison des différences intérieures ... ; que l'inté rieur dans les êtres vivants est le fond du dessein de la nature ; que c'est la forme constituante, la vraie figure, l'extérieur n'élant que la surface ou même la draperie .... Mais en admettant ces vérités si fécondes pour expliquer les influences réciproques du physique et du moral , je dois en déduire toutes les conséquences et donner à la lésion organique sa signification la plus large , la plus applicable en un mot à la manière dont il est permis de comprendre la dégénérescence chez l'individu et dans l'espèce. Nous avons suivi l'évolution des ravages produits dans l'organisme par l'alcool , l'opium et les divers agents intoxi cants , et nous nous sommes rendu compte de la décadence progressive de l'individu . Nous avons compris qu'un mal qui tendait à se généraliser, était de nature à porter une alteinte irremédiable à toutes les fonctions sans lesquelles il est impossible de comprendre l'homme intellectuel , phy sique et moral ; nous avons vu de malheureuses victimes de l'intoxication volontaire ou forcée, arriver au dernier degré de leurs misères, et ne plus présenter aux yeux de l'observateur qu'un sujet d'horreur , de pitié ou de dégoût . L'organisation ne pouvant plus offrir de résistance à l'ac tion des causes dégénératrices , la déviation maladive du type normal a été un fait accompli , et le sujet, pour me servir d'une expression anatomique, a élé irrévocablement voué à la mort ; les derniers moments de sa triste existence n'ont plus élé qu’un enchainement fatal de souffrances dont les phases terminatives sont devenues faciles à prévoir. Ici donc , il ne saurait surgir dans l'esprit le moindre doute et la moindre incertitude sur les destinées ultérieures de l'homme malade. Pour nous, il est définitivement classé 21 322 LÉSIONS ORGANIQUES, TROUBLES FONCTIONNELS parmi les dégénérescences dans l'espèce , et l'anatomie pa thologique nous prouve dans plus d'une circonstance que les phénomènes insolites que nous avons observés durant la vie , sont bien en rapport avec la gravité des lésions orga niques . Mais lå ne se bornent pas nos recherches, et l'avenir de nos études sur la formation des dégénérescences exige que les mots de lésions organiques el troubles dans les fonc tions de l'économie reçoivent une signification plus étendue. Il est un fait incontestable, c'est que la lésion matérielle aussi franchement caractérisée que puisse nous la montrer l'investigation nécroscopique, ne suffit pas , il s'en faut, pour nous en expliquer dans la majorité des cas les phéno mènes insolites observés chez le vivant ; à plus forte raison ne nous sera - t-il pas toujours possible de rattacher à cette même lésion la dégénérescence progressive ou confirmée des descendants . Pour que l'état de dégénérescence con sécutive chez les descendants soit bien compris , il importe de distraire un instant la pensée du sens ordinaire attribué en anatomie au mot lésion , et d'entrer d'une manière plus intime dans la véritable signification du mot hérédité. « Personne n'ignore, dit M. le docteur Buchez, que dans l'espèce humaine un grand nombre de dispositions organi ques sont de nature à élre transmises par voie de généra tion des parents aux enfants ; mais tout le monde ne sait pas jusqu'où cette espèce d'hérédité peut s'étendre. On croit en général qu'elle comprend seulement ces quelques formes extérieures d'où résulte la ressemblance, mais la puissance de l'hérédité va beaucoup plus loin .... Les médecins ont constaté que toutes les dispositions morbides , ou toutes les prédispositions pathologiques, sont transmissibles des parents aux enfants , aussi bien celles qui résident dans les appareils les moins essentiels à la vie que celles qui sié gent dans les parties les plus nécessaires de l'économie, DANS LEURS RAPPORTS AVEC LES DÉGÉNÉRESCENCES. 323 c'est- à - dire, aussi bien dans les appareils de la vie végéta live que dans ceux de la vie animale . Ainsi la prédisposi lion aux maladies nerveuses , à l'épilepsie et à la folie est transmissible par voie de génération , aussi bien que la prédisposition aux affections goutteuses , rhumatismales, dartreuses , scrofuleuses, tuberculeuses , etc. , etc. Or, ces prédispositions n'ont pas constamment existé chez les ascendants de ceux chez lesquels on les observe ; elles ont été acquises par l'un quelconque de ces ascendants, et de lui , elles ont passé à tous ses descendants en se pronon çant davantage à chaque génération » ( 1 ) . La manière dont M. le docteur Buchez comprend l'ac tion de l'hérédité, a déjà été justifiée dans notre ouvrage par le simple exposé des dégénérescences qui atteignent les descendants des individus livrés aux excès alcooliques (2 ) . Quelle que soit la dégradation physique dans laquelle lom ( 1 ) Bochez . Essai d'un traité complet de philosophie au point de vue du catholicisme et du progrès. Paris, 1870, lome III , p . 546. Chap. des races dans l'espèce humaine. Pour que le lecteur puisse s'identifier complétement avec la question de l'hérédité, il est nécessaire qu'il consulte aussi le Trailė philosophique et physiologique de l'hérédité naturelle dans les élats de sunté et de maladie du système nerveux , par le docteur Prosper Lucas . Paris 1847. Il n'aurait manqné à cel excellent ouvrage , pour devenir classique , que de s'éloigoer nn peu moins de ce genre de lectures faciles auxquelles la génération ac quelle a élé malheureusement trop habiluée . L'ouvrage de M. Lucas aborde les plus difficiles problèmes de philosophie médicale, et demande, pour être parfaitement compris dans ses détails, one initiation à des connaissances dont l'étude est trop négligée de nos jours. Nous aurons au reste à revenir sor l'ouvrage de ce médecin , lorsque nous nous occuperons plus spécialement du phénomène de l'hérédité . ( 2) Voir dans cet ouvrage : Des différents types de dégénérescences produils par l'intoxicalion alcoolique, 2° section , p . 108 à 140 . 324 LÉSIONS ORGANIQUES , TROUBLES FONCTIONNELS bent les buveurs d'alcool et les fumeurs d'opium , quelle que soit la nature des lésions physiques auxquelles ces malheureux succombent, ce n'est précisément ni ce même cachet de dégradation extérieure, ni des lésions identiques qu'il faudra rechercher chez leurs descendants. La dévia tion du type normal de l'humanité se révèle au contraire dans les générations qui suivent , par des signes intérieurs et extérieurs bien plus alarmants peut-être , puisqu'ils nous représentent la faiblesse des facultés , la manifestation des tendances les plus mauvaises et la limitation de la vie intel lectuelle à une certaine période au-delà de laquelle l'in - dividu n'est plus en état de remplir une fonction dans l'humanité . Lorsque nous suivons l'évolution du principe dégénérateur dans les cas où aucune circonstance favo rable n'est venue rompre la fatalité ( 1 ) qui pèse sur les héritiers d'un mal primitif , nous parcourons une série d'affections nerveuses protéiformes, offrant la plupart du temps un type convulsif, et constituant sous nos yeux ces tempéraments éliolés , souffrants et maladifs, ainsi que ces perversités morales et ces aberrations intellectuelles in croyables, qui par leur fréquence et par leur nature éton nent , å juste titre , ceux qui n'ont pas suivi de près la ma à nière dont se forment les races dégénérées . ( 1 ) Nous désirons que ce mot fatalité ne soit pas compris dans sa signifi cation la plus absolue . Nous tenons à faire entrevoir dès ce moment que des circonstances favorables peuvent rompre cel enchainement de fails patho logiques, qui n'acquièrent, encore une fois, un caractère irrémédiable que lorsque l'hygiène physique et l'hygiène morale ne sont pas intervenues d’ane manière efficace, el en temps utile , dans la succession des ' phénomènes qui , après avoir été les effets nécessaires de causes déterminées , de viennent à lenr lour des causes produisant d'autres effels, jusqu'à ce que le cercle fatal ait été parcouru , et que les derniers vestiges de la dégéné rescence aieat disparu avec l'extinction de la famille ou de la race. DANS LEURS RAPPORTS AVEC LES DÉGÉNÉRESCENCES . 325 Ces différentes transformations pathologiques, conside rées au double point de vue physique et moral , ont à nos yeux une importance capitale. Elles nous apprennent com ment les dégénérescences des descendants se relient aux causes dont nous étudions les effets chez ceux qui ont été les premières victimes ; elles nous démontrent que cette étude, pour être fructueuse, ne doit être limitée ni par l'observation pure el simple du trouble des fonctions de l'é conomie et des lésions des organes, ni même par la connais sance de ces cas désespérés qui nous représentent l'homme sous ses formes extérieures les plus hideuses. Or, s'il en est ainsi , il est donc un autre élément qui doit intervenir dans la question , pour que l'idée qu'il est permis de se faire des dégénérescences dans l'espèce soit à la hauteur de cette définition qui veut que l'homme soit une fonction ; en d'autres termes, qu'il soit un esprit créé pour agir comme force libre el intelligente, et auquel Dieu a consacré un orga nisme, afin qu'il cooperat librement à l'auvre de la créa tion ( 1) Encore une fois, ce n'est pas dans l'étude exclusive de l'action de ces agents physiques sur l'organisme que nous trouverons la solution du problème qui nous occupe , et , nous devons de toute nécessité faire la part de l'influence exercée sur les phénomènes de la vie organique par le but intellectuel et moral que l'homme se propose d'atteindre . Je ne puis renouveler ici l'exposition des principes qui m'ont guidé dans mes Etudes cliniques sur l'alienation men lale, mais j'ai lieu d'espérer que les tendances qui se sont montrées dès le début de mon æuvre sur les dégénérescences dans l'espèce humaine, ont été assez fortement dessinées pour que le lecteur ne se méprenne pas sur la valeur qui ( 1) Buchez. Ouvrage cilé . Tome III , p . 248, § XI de l’bomme . 326 LÉSIONS ORGANIQUES , TROUBLES FONCTIONNELS s'altache aux troubles de l'ordre intellecluel et moral et aux lésions organiques qui peuvent en élre la conséquence. Elles nous serviront à établir la coordination et la dépen dance réciproque de toutes les causes qui font dévier l'homme de son type primitif, et amèneront à une classi fication en harmonie avec les véritables progrès de la science. Si , d'après l'idée d'un médecin philosophe dont l'autorité est grande en cette matière , la puissance intellectuelle ré sultant de l'union de l'âme à l'organisme nerveux , n'est rien de plus qu'un germe qui , comme l'auf renfermé dans l'o vaire, a besoin d'être fécondé pour produire un nouvel étre , et si , dans la génération intellectuelle, c'est l'ensei gnement qui est chargé de l ' @uvre de la fécondation ( 1 ) , il est clair que cette œuvre, sans laquelle il est impossible de comprendre le perfectionnement intellectuel , physique et moral de l'espèce, ne pourra avoir lieu en l'absence de cet enseignement dont la moralité doit faire la base. Nous aurions peine à comprendre maintenant qu'une objection sérieuse puisse nous être faite àછે propos de l'inter prétation plus large que nous croyons pouvoir donner au mot lésion , ainsi que pour ce qui regarde le secours que prêtent à la classification des êtres dégénérés certaines ana logies dans les idées , les habiludes et la dépravalion des lendances morales. Nous ne faisons en cela que suivre les exemples de naturalistes aussi distingués que Buffon et M. de Humboldt, qui n'ont pas hésité , de leur côté , à classer dans la même race des peuples séparés souvent par de grandes distances territoriales , lorsqu'en raison des idées superstitieuses, des croyances , des usages , de la férocité et de la dépravalion des meurs de ces mêmes peuples , ils ont cru voir qu'ils appartenaient à la même souche. • ( 1 ) Buchez . Ouv. cité . Tome III , p . 404. § Des idécs en général. DANS LEURS RAPPORTS AVEC LES DÉGÉNÉRESCENCES . 327 Après avoir décrit la race qui habite la Laponie et les côles seplentrionales de la Tartarie, race d'hommes d'une pelile stalure, d'une figure bizarre, dont la physionomie est aussi sauvage que les mœurs, Buffon en arrive à celle conclusion : « Les Samoïèdes, les Zembléens, les Boran diens, les Lapons, les Groënlandais et les sauvages du Nord au- dessus des Esquimaux, sont donc tous des hommes de même espèce, puisqu'ils se ressemblent par la forme, par la taille, par la couleur, par les meurs et même par la bizarrerie de leurs coulumes. Celle d'offrir aux étrangers leurs femmes et d'être fort flattés qu'on veuille bien en faire usage , peut venir de ce qu'ils connaissent leur propre dif formité et la laideur de leurs femmes ; ils trouvent appa remment moins laides , celles que les étrangers n'ont pas dédaignées ; ce qu'il y a de certain , c'est que cet usage est général chez tous ces peuples , qui sont cependant fort éloi gnés les uns des autres, et même séparés par une grande mer , et qu'on le retrouve chez les Tartares de Crimée, chez les Calmouques et plusieurs autres peuples de Sibérie et de Tartarie qui sont presque aussi laids que ces peuples du Nord ,, au lieu que dans toutes les nations voisines,, comme en Chine et en Perse , où les femmes sont belles , les hommes sont jaloux à l'excés » ( 1 ) . Nous pourions citer d'autres passages où ce savant, tout en faisant la part des ressemblances physiques qui réunis sent les individus appartenant à la même race , fait ressortir, au point de vue de la classification , la valeur des carac tères intellectuels et moraux qui établissent suffisamment la différence des races lorsque les caractères physiques font déſaut . ( 1 ) OEuvres complèles de Buffon . Tome IV, page 170-172 . Edition de la Société bibliophile. Paris, 1840. De l'homme. Variétés dans l'espèce humaine. 328 LÉSIONS ORGANIQUÉS, TROUBLES FONCTIONNELS « Le sang Tartare, dit encore Buffon, s'est mêlé d'un côté avec les Chinois, et de l'autre avec les Russes orien laux ; et ce mélange n'a pas fait disparaitre en entier les traits de cette race, car il y a parmi les Moscovites beau coup de visages Tartares ; et quoiqu'en général cette na tion soit du même sang que les autres nations européennes, on y trouve cependant beaucoup d'individus qui ont la forme du corps carrée, les cuisses grosses et les jambes courtes comme les Tarlares ; mais les Chinois ne sont pas, å beaucoup près, aussi différents des Tartares que le sont les Moscovites : il n'est pas même sûr qu'ils soient d'une autre race ; la seule chose qui pourrait le faire croire, c'est la différence totale du naturel, des moeurs et des coutumes de ces deux peuples . Les Tartares sont en général fiers , belliqueux , chasseurs ; ils aiment la fatigue, l'indépen dance ; ils sont durs et grossiers jusqu'à la brutalité. Les Chinois ont des mæurs tout opposées ; ce sont des peuples mous, pacifiques, indolents, superstitieux, soumis, dépen dants jusqu'à l'esclavage, cérémonieux , complimenteurs jusqu'à la fadeur et à l'excès ; mais , si on les compare aux Tartares par la figure et par les trails , on y trouvera des caractères d'une ressemblance non équivoque ( 1 ) . » Dans la description donnée par M. de Humboldt des tri bus errantes qui vivent entre l'Orénoque et le fleuve des Amazones, l'illustre savant nous parail animé par la pensée ( 1 ) Buffop . Ouv. cité , p . 72. En admellant que les Tartares et les Chi nois appartiennent à la mème race , nous ſerons remarquer que la différence dans le but d'activité de ces peuples a sufli pour modifier à tel point leurs habitudes , leurs mæurs et leurs dispositions intellectuelles, qu'ils peuvent bien passer aujourd'hui pour appartenir à des races différentes. Nous avons du reste à revenir sur celle importante question ስà propos de l'influence qu'exerce sur les individus le milieu social dans lequel ils viveol . DANS LEURS RAPPORTS AVEC CES DÉGÉNÉRESCENCES. 329 de Buffon , car la différence qu'il établit entre ces races nom breuses est principalement appuyée sur les dissemblances qui se remarquent dans les meurs et les habitudes de ces peuples .; il est même à regretter que leurs caractères phy siques n'aient pas été mis plus souvent en parallèle avec la dégradation morale et l'abaissement intellectuel , que plu sieurs voyageurs, et particulièrement l'auteur des Tableaux de la nature , ont si bien fait ressortir . « Au milieu de cette nature grande et sauvage, dit M. de Humboldt, vivent des peuplades diverses. Séparées par une singuliere dissemblance de langages, les unes comme les Ottomaques et les laroures, rebut de l'humanité, sont nomades, étrangères à l'agriculture , mangent des fourmis, de la gomme et de la terre ; d'autres, comme les Maquiri tains et les Macos, ont des demeures fixes, se nourrissent de fruils cultivés, sont intelligents et de mæurs douces .... De vastes espaces entre le Cassiquiare et l'Atabapo sont babités non par les hommes , mais par des tapirs et par des singes réunis en société . Des figures gravées sur le roc montrent que cette solitude même était jadis le siège d'un degré plus élevé de civilisation . Elles témoignent du sort changeant des nations, comme le font les idiomes flexibles inégalement développés , qui sont au nombre des monu ments historiques les plus anciens et les moins périssables . » Dans l'intérieur de la steppe, c'est le tigre et le cro codile qui font la guerre au cheval et au taureau ; dans les régions sauvages de la Guyane, c'est l'homme qui s'arme perpétuellement contre l'homme.... Là , quelques peuplades dénaturées boivent avidement le sang de leurs ennemis ; d'autres , en apparence sans armes , mais préparées au meurtre, donnent la mort avec l'ongle empoisonné de leur pouce ; les tribus les plus faibles, en foulant la rive sablon neuse , effacent soigneusement avec leurs mains la trace de ܪ 330 LÉSIONS ORGANIQUES, TROUBLES FONCTIONNELS leurs pas timides .... Ainsi dans la barbarie la plus abjecte comme dans l'éclat trompeur d'une civilisation raffinée, l'homme se crée toujours une vie de misère . Le voyageur qui parcourt l'espace, comme l'historien qui interroge les siècles , a devant lui le tableau altristant , uniforme, de la discorde humaine ( 1 ) . » Ces hommes qui , dans la description de M. de Humboldt, sont séparés par une singulière dissemblance de langage et que l'on ne peut regarder que comme le rebut de l'humanité, ces hommes qui boivent avidement le sang de leurs ennemis, qui se créent une vie de misère et n'offrent que le tableau attristant de la discorde humaine, ces hommes, dis -je, ne se trouvent pas exclusivement dans les forêts du nouveau monde ou dans les steppes que parcourent depuis des siè cles les tribus nomades. L'obscurcissement de la conscience ( 1 ) Tableau de la nature par Alexandre de Humboldt. Edition publiée à Berlin en 1849, traduite par Ferd . Hæfer. Paris, 1890. On peut voir dans l'ouvrage de M. le docteur Bachez la même idée exprimée peut- élre plus positivement que chez Buffon el M. de Humboldt. « Les moyens de dis linguer les races , dil ce médecin, doivent étre cherchés : 1 ° dans le système de croyances et d'activité qui a gouverné chaque peuple ; 2° dans la position que ce peuple occupe dans l'échelle de la civilisation ; 3º dans le calcul du lemps qui s'est écoulé depuis qu'il est parvenu à ce degré d'avancement . En un mot, nous devons trouver autant de races qu'il y a de degrés différents de civilisation et de diversités d'action dans chaque civilisation , et dans cha que race des variétés proportionnelles au ponbre des générations qui se sont écoulées depuis Kacceptation du but d'activité qui est le principe de la progression . Il n'est pas dificile de se convaincre de la valeur de ce procédé ; il suffit de jeter un coup -d'oeil sur les différences qui se remarquent seule ment entre les peuples chrétiens : ils ont une origine primordiale commune, et cependant quelle différence entre eux, en raison de la fonction spéciule que chacun d'eux s'est attribuée dans l'oeuvre de la progression chrétienne , et en raison du temps qui s'est écoulé depuis le jour où ils se sont rangés sous la loi de ce perfectionnement ! » ( Buchez, ouv . cilé , lome III , p . 558. ) DANS LEURS RAPPORTS AVEC LES DÉGÉNÉRESCENCES. 331 qui est le caractère dominant de ces races abandonnées, la cruauté de leurs instincts , l'abrutissement de leur intel ligence, leurs tendances dépravées, représentent des lésions d'un ordre intellectuel et moral , que nous ne pourrons passer sous silence en faisant l'histoire des races dégéné rées qui se forment au centre des civilisations les plus avancées . Ces analogies ont leur coté utile , et ne peuvent , en tout état de cause, donner lieu à des interprétations erro nées que dans le cas où nous aurions été mal compris dans notre définition des races maladives, et dans l'exposé des principes qui dominent la théorie des modifications natu relles et des modifications anormales dans l'espèce humaine ( 1 ) . Nous nous sommes prononcé contre l'opinion de quelques naturalistes qui , en exagérant l'infériorité physique et mo rale de certaines races placées en dehors de tout élément civilisateur, en ont fait une espèce à part, mais nous n'a d vons nullement prétendu que l'absence de tout enseigne ment ne constituait pas chez ces mêmes races une lésion morale qui empêchait l'oeuvre de la fécondation et maintenait l'homme sauvage dans un état de déchéance vis å- vis de l'homme civilisé . Encore une fois, nous avons signalé l'exagération des doctrines désolantes qui refusent à ces races malheureuses loute aptitude civilisatrice , mais nous avons fait implicitement nos réserves en admettant que la dégénérescence prise dans son acception de deviation ma ladive du type normal de l'humanité , pouvait également former au milieu des peuplades les plus abandonnées les va riétés dégénérées que nous trouvons au sein de notre civi . ( 1 ) Voir dans cet ouvrage le SIV, p . 23 : De la différence à fuiro entre les modifications nalurelles qui prouvent les variétés duns l'espère humuine et les modifications anormalcs ou maladives qui créent les deyi nérescenccs. 332 LÉSIONS ORGANIQUES, TROUBLES FONCTIONNELS lisation , variélés immodifiables si l'on s'en tient à l'action que l'homme peut exercer sur l'homme en dehors du se cours de la vérité révélée . Cette exposition de principes à propos de la manière de comprendre le mot de lésion organique, n'a pas seulement pour but de réagir contre l'école anatomique exclusive ; elle détermine , une fois pour toutes, la nature de nos croyances, elle fixe le point de vue que nous avons choisi et nous dispense de justifier incessamment nos assertions. Nous allons résumer dans les propositions suivantes notre manière de voir qui est , au reste , celle de tous les mé decins qui ont fait une étude approfondie des influences réciproques du physique et du moral ( 1 ) . Les lésions organiques qui sont le résultat des intoxica tions ou d'autres causes dégénératrices , se présentent sous la double forme de l'état aigu ou de l'état chronique. ( 1 ) Ces principes seraient universellement admis, si malheureusement l'éducation qui nous a été faite de nous empêchait souvent de nous com prendre dans les questions médicales qui touchent à la philosophie ou à l'ontologie. Ce fåcheux état de choses a été parfaitement défini par M. le docleur Buchez, lorsque, comparant des méthodes d'autrefois à celles qui cxistent aujourd'hui, il dil avec beaucoup de justesse : Il n'y a plus de méthode commune , plus de langage scientifique commun ; les diverses branches de la science sont isolées, autant par la différence des méthodes el des principes généraux que par celle de leurs idiomes propres. Chacune d'elles a en quelque sorte sa philosophie particulière, à laquelle trop souvent l'on ne comprend rien, si l'on n'est un des adeples de la spécialité . Autre fois, chez les Grecs comme dans le moyen âge, c'était par l'étude de la phi losophie que l'on se préparait à l'exercice de toutes les professions qu'on appelle libérales et dans lesquelles l'esprit joue le principal rôle, aussi bien à l'administration des affaires publiques qu'à la culture des sciences, des lettres et des arts. Il en résultait une intelligence commune sur loutes choses , et une simultanéité dans les lendances individuelles qui n'existe plus aujour d'hui... " ( Préface du Truilé complet de philosophie, 1ºr vol.) DANS LEURS RAPPORTS AVEC LES DÉGÉNÉRESCENCES, 333 Dans l'état aigu, l'action délétère peut élre si promple , que les plus minutieuses recherches nécroscopiques ne nous révèlent parfois aucune lésion organique appréciable . Dans l'état chronique, l'assimilation d'un agent nuisible à l'économie, si tant est que l'on puisse désigner ainsi l'in fluence exercée par une substance toxique, telle que l'alcool ou l'opium , par exemple, l'assimilation , dis - je, s'opère progressivement et fait surgir un ensemble de symptômes invariables . Les fourmillements, les crampes, les lésions de la moti lité et de la sensibilité , inaugurent une série de phénomènes pathologiques où dominent sous certaines formes déter minées les troubles de l'ordre intellectuel . Les convulsions, la paralysie et la démence, sont les phases terminatives qui indiquent la généralisation de la maladie , et les lésions organiques que l'autopsie révèle à cette période, sont le résultat de transformations secon daires , alors que l'individa est , parfois depuis longtemps déjà , soustrait à l'action de la cause primitive . Les lésions de l'ordre physique et de l'ordre moral que nous avons signalées chez l'individu , suffisent pour con stituer chez lui un état de dégénérescence et amener les conditions où les êtres dégénérés ne peuvent plus s'unir ensemble et propager en commun la grande et unique famille du genre humain . Toutefois, ce n'est pas avec celte période de l'existence , ou l'individu n'est plus que l'ombre de ce qu'il a été , que coïncident les éléments de la trans missibilité héréditaire . Nous avons dit , àd propos de l'influence exercée par l'al cool , l'opium , le bachich et d'autres substances ébriantes : « Les causes les plus actives de dégénérescence dans l'espèce humaine , sont celles qui, s'attaquant directement et fréquem ment au cerveau , produisent des élais speciaux et placent 334 LÉSIONS ORGANIQUES, TROUBLES FONCTIONNELS périodiquement celui qui fait usage de ces ayents intoricants dans les conditions d'une folie momentanée. » Nous devons ajouter : La transmission héréditaire a lieu d'une manière d'autant plus certaine, que le système ner veux est doué d'une virtualité assez grande pour que d'une part l'aptitude å reproduire des phénomènes maladifs pé riodiques devienne, nécessairement , une nouvelle faculté de l'encéphale, et pour que de l'autre les transformations mala dives chez l'individu se succèdent de telle sorte, qu'il semble parcourir un cercle fatal, dont les différents degrés périphé riques sont marqués par un ordre de phénomènes d'une nature fixe et déterminée . Ces phénomènes d'après la définition que M. le docteur Buchez donne de la loi et des forces de l'ordre circulaire ( 1 ) , paraissent , dans leur succession , se commander ou s'engendrer les uns les autres. Quelques exemples suffiront pour justifier ces propositions, à l'intelligence desquelles le lecteur a déjà été préparé par ce que nous avons dit antérieurement , mais qui ont une importance telle que nous devons y insister d'une manière spéciale , afin que nous ayons une idée aussi complète que possible des rapports des dégénérescences avec les troubles et les lésions de l'organisme. Les médecins qui ont l'habitude d'observer les maladies nerveuses sur une vaste échelle, sont plus à même encore que les autres de constater la reproduction de ces phéno mènes périodiques dont nous venons de parler. Un indi vidu , je le suppose , est soustrait depuis longtemps à l'influence des boissons alcooliques , et cependant le délire continue . On parvient ensuite, au moyen d'une hygiène et d'un traitement convenables, á rétablir le calme dans ( 1 ) Buchez. Ouvr. cité , lome III , p . 156. & VIII De la loi et des forces de l'ordre circulaire. DANS LEURS RAPPORTS AVEC LES DÉGÉNÉRESCENCES. 335 les manifestations intellectuelles , el le délire reparait soit sous la même forme, soit sous une forme plus inquié tante. Tant il est vrai , comme le dit très - judicieusement M. le docteur Falret , que l'organe persévère alors par une sorte d'habitude pathologique, dans l'état anormal qu'on a souvent provoqué ( 1 ) . Cette loi du retour périodique des phénomènes maladifs domine la pathologie entière des affections nerveuses . Nous l'observons d'une manière évidente dans l'hystérie , l'épi lepsie, les fièvres intermittenles , et même dans les phases terminatives de quelques maladies, où l'individu n'est plus qu'un étre végétatif soustrait , en apparence au moins , å toutes les influences de la périodicité : je veux parler de la paralysie générale . A ce phénomène de periodicité, s'en rattache un autre qui se trouve dans des relations intimes avec le premier, quoique pouvant être étudié séparément . Je veux parler de ces transformations maladives, que nous pouvons relier à la loi de l'ordre circulaire de M. le docteur Buchez, el qui semblent se commander et s'engendrer les unes les autres . Citons un exemple en dehors de ceux qui ont déjà fait le sujet de nos observations . Une jeune fille avait été sujette de très- bonne heure à des accidents hystériques, qui atteignirent successivement les proportions les plus inquiétantes . La puberté s'était dé veloppée péniblement chez la malade, et il n'est pas inutile de faire remarquer qu'elle devait le jour à une mère dont l'existence n'avait pas été à l'abri des souffrances et des ( 1 ) Falret . Article Délire du Dictionnaire des éludes médicales. Nous avons eilė , dans la pole de la page 287 de cet ouvrage, deux faits frappants du relour périodique des accidents nerveux chez deux ouvriers soustraits depuis longtemps à l'action intoxicante du cuivre et du plomb . 336 LÉSIONS ORGANIQUES, TROUBLES FONCTIONNELS orages que provoque dans l'organisme la prédominence d'un temperament nerveux . Diverses médications furent employées sans succés pour combattre les accès hystériques, dont la violence allait en augmentant , et s'accompagnait chaque fois d'un trouble assez notable des facultés intellectuelles . Toutefois, comme ces dernières perturbations disparaissaient assez vite , la famille ne s'en était pas inquiétée ; elle ne concevait pas non plus de craintes bien sérieuses au sujet des goûts bizarres de cette hystérique, et des modifications notables que présentait son caractère. Ses appétences extraordi naires pour les boissons fortes, son temperament irascible et emporté, les brusques revirements qui s'opéraient chez elle et qui modifiaient à tel point sa sensibilité que des rires convulsifs succédaient sans transition à des crises de larmes , tous ces phénomènes insolites trouvaient leur explication dansla nature même de la maladie, et devaient se dissiper sous l'influence d'un mariage depuis longtemps projeté. Cependant l'espoir de celle famille devait être cruelle ment déçu ; les symptomes maladifs suivaient une marche ascendante et s'encbainaient d'une manière fatale . Les soins les plus empressés , les distractions que l'on prodi guait, toutes les ressources enfin de la tendresse mater nelle , ne suffisaient plus pour conjurer les accidents . Le caractère irascible de la malade ne supportait aucune con tradiction ; le moindre reproche, les remontrances les plus justes suscitaient des tempêtes et provoquaient des menaces de suicide ; on dut même , dans la crainte d'une terminaison fatale, organiser une surveillance particulière. Enfin , lors que l'on crut devoir profiter d'un moment assez prolongé de tranquillité pour parler d'un mariage qui était dans les vaux de la famille et dans les goûts antérieurs de la jeune DANS LEURS RAPPORTS AVEC LES DÉGÉNÉRESCENCES. 337 malade, celle- ci annonça que son choix était fail et qu'elle n'aurait d'autre mari qu'un homme auquel l'unissaient les liens de la plus étroite consanguinité et qu'il lui était im possible d'épouser. La persistance de cette idée délirante fut une révélation terrible pour les parents . Il n'y avait plus de doute åà avoir sur un état d'aliénation , que vinrent bientôt confirmer les actes les plus excentriques et les plus désordonnés. Un violent accès maniaque éclata dans ces circonstances , et å cet accès succéda une profonde stupeur que remplaca plus tard un véritable état cataleptique . Lorsque la jeune fille, confiée depuis à nos soins , était éthérisée, l'enchainement de lous ces phénomènes maladifs semblait être momenta nément brisé , et une attaque complète d'hystérie se mani festait avec les spasmes, les pleurs et les rires qui signalent celte névrose. Malheureusement, cette excitation factice était de courte durée, et la lorpeur et l'hébétude qui sui vaient celle amélioration momentanée, nous indiquaient assez que le mal était irremediable, et qu'il avait déjà par couru le cercle fatal dont un des premiers degrés peut n'être qu'un simple état névropatbique et dont le dernier s'arrête à la démence. Si nous voulions faire l'histoire complète de cette malade et décrire les transformations diverses qui amenérent la dégénérescence la plus hideuse, nous devrions énumérer tous les symptômes qui se succédèrent sans rémission , et dont on peut dire aussi qu'ils se commandaient et s'engen draient réciproquement. Celle succession de phénomènes fut prompte et fatale . Deux années après son isolement, cette jeune fille , à peine agée de 24 ans, ne présentait plus que le triste spectacle de la dégradation physique et morale. Ses traits étaient changés et méconnaissables ; la peau avait pris une couleur livide et terreuse ; une vieillesse an 22 338 LÉSIONS ORGANIQUES, TROUBLES FONCTIONNELS ticipée avait remplacé toutes les grâces de la jeunesse. Les troubles fonctionnels se révélaient surtout par les irrégu larités de la menstruation, et lorsqu'un état de marasme général vint mettre fin à cette triste situation , l'intelligence était complétement abolie, les souvenirs éleints et les ins lincts pervertis . L'agitation intercurrente qui survenait encore à des époques périodiques , se caractérisait par des appétences dépravées et par des spasmes cyniques . Enfin l'autopsie ne révéla aucune lésion matérielle et palpable de l'organisme; tant il est vrai que, dans cette circonstance comme dans beaucoup d'autres, il serait impossible de rat tacher la dégénérescence de l'individu au mot lésion pris dans sa signification anatomique exclusive . Les nombreux exemples de ce genre que je pourrais citer, et dans lesquels les phénomènes pathologiques se commandaient et s'enchainaient ainsi réciproquement , m'ont fait réfléchir sur les phases terminatives de certaines affections nerveuses. Lorsque j'ai pu me convaincre que l'hystérie, l'épilepsie et l'hypocondrie , par exemple, impri maient à ceux qui souffrent de ces états névropathiques les mêmes caractères, les mêmes habitudes et les mêmes instincts maladifs , et je pourrais ajouter la même expression physiognomonique ; et que d'un autre côlé les affections les plus simples au début étaient celles où l'évolution cir culaire des faits maladifs produisait les résultats les plus dé sastreux , j'ai dû être amené à une classification où je dési gnais le délire sous le nom de sa cause génératrice ( 1 ) . ( 1 ) Voir mes Etudes cliniques, traité théorique et pratique des mala- . dies mentales, lome II. Le mot circulaire a également été employé par M. le docteur Falrel pour exprimer une variété particulière d'aliénation mentale. Je pense que le savant médecio de la Salpetrière aurait pu appli quer ce mène lerme à loutes les variétés d’ulienation meolale. La loi de la DANS LEURS RAPPORTS AVEC LES DÉGÉNÉRESCENCES. 339 J'atteignais ainsi un double but : d'une part je faisais mieux ressortir la nature du mal qu'il s'agissait de com

circularité , comme l'a très - bien démontré M. Buchez, se relrouve partout dans la nalure . On l'observe dans l'ordre astronomique , comme dans les phénomènes qui font l'objel de la physique. Si dans l'économie animale le même fait se remarque à l’étal sain , l'économie souffranle n'y sera pas soustraile. Bien mieux , le phénomène sera plus visible , par la raison bien simple que tout ce qui est insolite pous frappe davantage et a le pouvoir de mieux fixer notre altention . Au reste , pour ne pas laisser d'obscurité dans l'esprit .à propos du phénomène de la circularité dans l'économie ani male , je ne puis mieux faire que de citer les propres paroles de M. Buchez. Après avoir démontré la généralité de ce phénomène dans l'ordre brut aussi bien que dans l'ordre vivant , ce savant ajoute : « Dans l'économie animale, la méme chose arrive ; elle est également sou mise à l'ordre circulaire ; les effets de cet ordre sont ceux que l'on y aperçoit ordinairement ; ils forment en quelque sorle l’élai habituel de l'organisme . Pour s'en convaincre , il suffit d'examiner les relations des organes entre eux , dans un des animaux les plus compliqués de la série , dans un mammifère , par exemple. Qu'y remarque- l- on ? Sans les nerfs et sans l'action qu'ils exercent , il n'y a point de mouvements , point de digestion, point de sécré tion , point de respiration , point de circulation possibles . Les nerfs eux mèmes ne sool en élat d'agir que lorsqu'ils sont sous l'influence de la circulation , et si leurs facultés sont entretenues par celle - ci . Le sang est incapable d'entretenir les facultés diverses de l'économie , et particulièrement celles des nerfs, s'il n'est , comme on le dit , artériel ou rouge ; pour qu'il ait celle qualité , il faut qu'il soit , par la respiration , mis en contact avec l’air almosphérique pour y puiser l'oxigène qui le rend rouge, et y rejeter l'acide carbonique qui le surcharge. Eufin, le sang fournissant incessamment à lous les tissus les matériaux qu'ils perdent sans cesse par l'effet de l'action même, et que les sécrétions de diverses espèces éliminent, ce sang a besoin lui-même de recevoir continuellement des matériaux nouveaux pour réparer ces perles . C'est la digestion qui est chargée de les lui fournir. Or, la diges lion exige l'action des organes de locomotion et de préhension, celle des organes des sens , enfin de tous les moyens nécessaires pour reconnaitre , choisir el saisir la nourriture convenable à l'animal : voilà le cercle parfait ; 340 LÉSIONS ORGANIQUES, TROUBLES FONCTIONNELS battre, el de l'autre je rallachais les individus å un genre fixe qui caractérisail immédiatement leurs tendances et leurs habitudes maladives , par la raison que chez les aliénés appartenant à ce genre il existait plutot tel phéno . mène pathologique que tel autre . Une fois entré dans celle voie, je devais tendre inces samment à classer dans leur ordre naturelles nombreuses individualités pathologiques que j'avais sous les yeux , et voir si , en empruntant aux sciences naturelles quelques- ups de leurs procédés de classification , je ne pourrais pas arri ver à un résultat satisfaisant . Il s'agissait d'abord de savoir si d'autres causes n'étaient pas de nature à créer des va riétés maladives aussi distincles que celles qui avaient fait l'objet de mes investigations premières . Ces causes spé ciales une fois bien déterminées , il était important d'établir un ordre hiérarchique parmi ces variétés maladives, et tout en démontrant la spécificité des éléments perturbateurs, faire ressortir la complexité , et souvent aussi la dépendance réciproque de leur action . Enfin , dans un sujet où les influences du monde physique et du monde moral se partagent le domaine des maladies qui affligent l'espèce humaine, il était indispensable de donner au mot lésion l'interprétation la plus large, et de prouver, à moins d'abdiquer notre rôle de médecin , que l'hygiène de l'âme est inséparable de l'hygiène du corps, tous les organes sont nécessaires les uns aux autres ; tous semblent produits les uns par les autres ; un effet déposé dans l'un d'eux, se propage dans tous les autres , et lorsqu'on pénètre dans l'intimité de chaque organisme spécial , ou plutôt de chaque fonction, on rencontre la même circularité. Elle est tellement évideole qu'un illustre naturaliste , Cuvier , a défini la vie a un tourbillon plus ou moins rapide , plus on moins compliqué, dont la direction est constanle et qui en raioe des molécules de même sorte . » (Buchez : onv. cilé , vol . II, p . 162. § De la lui el des forces de l'ordre circulaire .) DANS LEURS RAPPORTS AVEC LES DÉGÉNÉRESCENCES. 341 si l'on veut réaliser un progrès et formuler les principes de l'amélioration intellectuelle, physique et morale de l'es pėce humaine . Ces données contenaient en germe le traité des dégéné rescences, nom sous lequel je pensais designer toutes les variétés maladives qui me paraitraient s'éloigner d'un type normal renfermant en lui-même les conditions indispensa bles à la continuité du progrés dans l'espèce . Mais avant de me mettre à l'auvre, je dus examiner si les opinions qui avaient cours dans la science et si mes propres convic tions étaient bien en harmonie avec le point de départ où je comptais me placer, pour examiner la question sous le jour nouveau que je croyais entrevoir. Or, il est de toute évidence que l'examen rétrospectif auquel se livre lout homme qui veut harmoniser ses con victions présentes avec la réalisation d'un progrès encore mal défini dans son esprit, est de nature à susciter chez lui cet état de doute et d'anxieuse incertitude , d'où il ne sort qu'à la condition d'apercevoir, avec la possibilité de l'atteindre, le but , objet de ses plus chères espérances . Je pense que l'exposé succinct de cette lutte intérieure , qui mène à la vérité lorsqu'on la recherche sincèrement , fera mieux ressortir les tendances de ce livre et l'esprit dans lequel il a été conçu . Le lecteur pardonnera facilement cette digression à un médecin qu'un public indulgent a depuis longtemps accoutumé à l'exposilion franche et nelle des raisons qui le guident dans ses recherches scientifiques. A mesure donc que j'avançais dans la carrière dont ja - vais fait ma spécialité, plutôt par goût, je peux le dire, et par vocation, que par tout autre motif, je ne tardai pas å m'apercevoir que la curabilité des affections mentales était un problème de plus en plus difficile à résoudre. La com plication survenant dans des états délirants très- simples au 342 LÉSIONS ORGANIQUES, TROUBLES FONCTIONNELS > début, la facilité des récidives, le cercle des transforma tions successives fatalement parcourues par les malades alleints de certaines formes d'aliénation mentale, enfin le défaut presque constant de rapports entre la gravité des symptômes et les lésions organiques trouvées après la mort , et la progression toujours croissante des cas incurables , de vinrent pour moi des faits qui se répétaient trop souvent pour n'avoir pas leur raison d'être dans la nature même du mal qu'il s'agissait de combattre . Celle première découverte , qui ne s'arrêtait encore qu'à la superficie des choses , n'eut d'autres résultats que de faire évanouir chez moi bien des illusions , et je me dé terminai à restreindre mon pronostic dans des limites que je ne franchissais qu'en connaissance de cause . Néanmoins, celte réserve de ma part ne put me faire éviter un double écueil ; je faillis me briser contre l'accusation de scepti cisme en fait de curabilité de l'aliénation mentale ; et j'ar rivai à faire nailre des doutes et de cruelles anxiétés dans le cœur des parents, à propos de l'efficacité de la médecine dans le traitement d'aussi cruelles affections. Cependant le premier de ces reproches n'était pas fondé : il était loin , du reste , je dois l'avouer, d'être général de la part de mes confrères . J'avais proclamé avec trop d'insi stance , dans différents écrils et en particulier dans mes: Etudes cliniques, la valeur de la thérapeutique physique et morale , pour que mes opinions pussent être mal interpré tées . J'avais cru , et Dieu merci , je crois encore, que grâce à l'intervention médicale, l'aliéné peut sortir triomphant de la lutte , el acquérir même une force intellectuelle et morale plus grande lorsque la crise est menée à bonne fin ; ainsi donc, sous ce rapport, il ne pouvait exister de méprise . Quant à l'appréciation des parents , si j'en tiens compte, ce n'est qu'au point de vue de l'élude plus approfondie des DANS LEURS RAPPORTS AVEC LES DÉGÉNÉRESCENCES. 343 · causes d'aliénation mentale . J'avais déjà remarqué , en maintes occasions, combien dans les recherches éliologi ques de certaines maladies , il est difficile d'arriver à la connaissance de la vérité : ceci est plus vrai encore pour la folie que pour toute autre affection . Les préjugés qui poursuivent ceux qui ont perdu la raison se reflètent d'une manière intime, on peut le dire , jusque dans le sentiment de tendresse des parents. Ils reculent presque tous devant l'examen d'un fait qui serait de nature å relier la maladie d'un des leurs à des prédispositions héréditaires ; et c'est malheureusement ce qui arrive dans la majorité des cas. Au reste , mon expérience sous ce rapport est aujourd'hui aussi complète que possible . Je me suis depuis longtemps accou lumé à ne plus regarder l'aliénation mentale comme un phénomène isolé . Cette simple appréciation indique la com plexité du mal et la nécessité d'en rechercher le point de départ en dehors de l'individu souffrant. Toutefois, avant de me replacer sur un autre terrain d'observation, je désirais compléter mes études dans le mi lieu qui m'était familier, et je visitai les principaux établis sements d'aliénés de l'Europe. Je pus tout d'abord me convaincre , sauf quelques dissemblances dans les idées délirantes spéciales, dissemblances faciles du reste à expli quer, que les mêmes causes produisent partout les mêmes variétés maladives . Les types qui m'avaient frappé dans le centre où s'était d'abord exercée mon action , je les retrouvai avec les carac tères spéciaux qui déterminent le jugement des naturalistes dans la classification des races humaines. Je reçus les confidences des médecins sur le sujet de mes préoccupations habituelles ; ils étaient unanimes de leur coté à reconnaitre et la complexité des causes et l'ex trême difficulté de les combattre avec efficacité : jamais , .344 LESIONS ORGANIQUES , TROUBLES FONCTIONNELS cependant, depuis l'origine des institutions médicales , au tant d'efforts n'avaient été déployés dans l'intérêt des mal. heureux aliénés . A quoi donc pouvait tenir un état de choses qui, sous le rapport des guérisons obtenues , était loin de répondre aux légitimes espérances des savants et aux progrès opérés dans le système hospitalier ? Devait-on admettre que la prédominence des affections idiopathiques du cerveau, prédominence que nous sommes loin de nier, fût une des cause des insuccès obtenus ( 1 ) ? Il est incontestable que les maladies idiopathiques du cer veau augmentent d'une manière effrayante, mais celte aug. mentation tient elle -même à des causes qui se relient intimement à nos éludes , et ce fait admis, le problème n'en restait pas moins posé avec toutes ses difficultés. Je n'ai vu qu'un seul moyen de le résoudre , c'était de considérer dans la presque généralité des cas, l'aliénation comme la résultante de plusieurs causes de l'ordre physi que , intellectuel et moral , qui , déterminant chez l'homme des transformations successives , le rattachent à ces variétés maladives que nous avons désignées sous le nom de dégé nérescences. A ce titre , l'aliénation mentale , dira- t-on , n'est donc autre chose qu'un état de dégénérescence ? ou, en d'autres termes, les individus atteints de ce mal ne représenteraient plus à l'esprit que ces variétés maladives caractérisées par nous, quand nous avons dit qu'elles étaient non - seulement in capables de former dans l'humanité la chaine de transmissibilité d'un progrès , mais qu'elles élaient encore l'obstacle le plus grand à ce progrès par leur contact avec la parlic saine de la population ( 2 ) ? ( 1 ) Voir dans ce volume le § Influence des perturbations almosphéri ques , p . 213 el suiv . ( 2) Mène ouvrage : Des dégénérescences dans l'espèce, p . 6 . DANS LEURS RAPPORTS AVEC LES DÉGÉNÉRESCENCES. 3.15 Je n'hésite pas à répondre par l'affirmative, tant cette déduction me paraît légitime et je vais la justifier. J'ai déjà prévenu l'objection principale en disant que la folie était dans la presque généralité des cas un état de dégé nérescence . En effet, nous sommes bien obligé d'avouer que, dans certaines circonstances , l'aliénation peut éclater chez un individu place complétement en dehors de ces causes dégénératrices qui amènent des transformations successives et qui finissent par créer des variétés mala dives . Nous voyons les choses se passer ainsi sous l'in fluence d'une maladie intercurrente, d'un violent chagrin , ou de la passion . La médecine sera d'autant plus utile dans des occurrences pareilles que son intervention aura été réclamée en temps opportunº; c'est dans la catégorie de ces malades que nos efforts sont ordinairement cou ronnés de succès et que nous faisons les applications les plus fécondes du traitement physique et du traitement mo ral . En un mot, ces aliénés sont guérissables , quoique leur maladie soit déjà par elle -même un fait très - grave, et devienne parfois le point de départ d'un phénomène nou veau qui peut se montrer avec toutes ses transformations pathologiques, tantôt chez les individus primitivement at teints, et tantôt chez leurs descendants . Ce dernier phéno mène ne manque pas d'arriver lorsque ceux- ci sont nés dans les circonstances ou la transmission héréditaire s'opère avec son efficacité constante et invariable ( 1 ) . ( 1 ) Celle distinction est extrêmement importanle à faire dans l'intérèt des familles qui nous consultent parfois sur les chances malheureuses d'hérédile auxquelles sont exposés les descendants de parents morts aliénés . Il est de loule évidence que lorsque l'aliénation survenue chez le père ou chez la mère est le résultat d'un accident forluit arrivé après la naissance des epfants , les chances de transmission pouvent dire nulles. Il n'en est pas de mène 346 LÉSIONS ORGANIQUES, TROUBLES FONCTIONNELS Nous entrevoyons déjà dans ce simple aperçu pourquoi nos succès sont limités à propos de la curabilité de l'alié nation mentale . Il ne peut en être autrement si l'on jette un coup d'ail sur la triste population que renferment les asiles . J'invoque ici le témoignage de tous mes collègues, et leur demande si l'exposé succinct que je vais faire de la population d'un asile particulier, ne peut s'appliquer å lous indistinctement . La classification des individus ren fermés dans les centres hospitaliers destinés aux aliénés, suffira à elle seule pour former le fond du tableau que je vais esquisser. A l'asile dont je suis le médecin , j'observe des variétés maladives qui offrent entre elles des caractères intellectuels, physiques et moraux essentiellement différents. Les individus qui appartiennent å telle ou telle variété se distinguent non- seulement par la nature de leurs idées délirantes, par celle de leurs tendances morales plus ou moins dépravées, mais encore par le cachet spécial de leur physionomie : c'est ce que l'on remarque particulièrement chez les épileptiques , les déments , les paralysés généraux , les idiots et les imbéciles . Toutefois, les analogies et les dissemblances entre alié més appartenant à la même variété maladive ou à une va riété différente, ne se limitent pas à ces troubles de l'ordre intellecluel qui sont pour tous les observateurs une dé lorsque les enfar is ont été conçus dans cette période de l'existence des pa rents où ceux - ci étaient déjà virtuellement alleints d'un mal dont ils trans - mellenl immanquablement le germe à leurs descendants. Cela est si vrai que dans plusieurs circonstances nous avons d'abord reçu à notre asile les enfants issus d'un père ou d'une mère chez lesquels l'aliénation n'a éclaté que plus Tard avec la manifestation des actes dangereux qui nécessitent ordinairement l'isolement de ces individus DANS LEURS RAPPORTS AVEC LES DÉGÉNÉRESCENCES . 347 viation frappante des lois de la raison et du sens commun, ni à ces formes extérieures tellement caractéristiques quo les hommes les moins spécialistes ne manquent pas de les saisir . Il est d'autres phénomènes qui tiennent à la vie plus intime du système nerveux , si je puis m'exprimer ainsi , et qui produisent des effets d'une analogie non moins évi dente que ceux dont nous avons précédemment parlé. Ces effets se rapportent aux grandes fonctions de l'éco nomie ; ils nous aident à déterminer si la circulation et la nutrition s'exécutent d'une manière normale , si les lois qui président à la manifestation de la sensibilité et de l'impres - sionnabilité n'ont reçu aucune atteinte , et si enfin la nature de la maladie est bien en rapport avec la nature de telle ou telle cause , soit de l'ordre physique , soit de l'ordre moral . L'étude de tous ces faits, leur coordination , leur dé pendance réciproque constituent la science de l'aliénation, et ce n'est pas ici le lieu de m'étendre sur ce sujet que j'ai traité d'une manière spéciale dans mon ouvrage sur les maladies mentales. Je n'ai d'autre but en précisant les analogies et les différences entre individus appartenant à la même variété maladive, et en insistant sur la signifi cation plus large à donner au mot de lésion organique, je n'ai d'autre but, dis -je, que de faire ressortir les rapproche ments essentiels qui existent entre mes études antérieures et mes études actuelles , et d'indiquer comment j'ai élé conduit à traiter les dégénérescences dans l'espèce . Ces analogies et ces dissemblances m'aidèrent d'abord å classer les aliénés confiés à mes soins ; ce but devait évi demment me préoccuper, puisqu'il ne s'agissait de rien moins, placé que j'étais au milieu d'une population consi dérable, que de coordonner les éléments maladifs les plus divers, les plus disparates, les plus difficiles, en un mot, å bien définir , sans un plan de classification méthodique. 318 LÉSIONS ORGANIQUES, TROUBLES FONCTIONNELS Lorsque j'eus fait rentrer chaque individualilé maladive dans sa catégorie naturelle, je ne tardai pas à m'apercevoir que les différences entre aliénés de diverses classes n'é taient pas tellement tranchées , qu'aucun des caractères appartenant aux individus d'une variété ne pút également se trouver chez quelques individus d'une autre variété. Citons un exemple. L'irritabilité et l'instantanéité dans les actes agressifs forment l'apanage du caractère des épilep tiques ; ces malades ont également une propension à ma nifester leurs sentiments religieux sous une forme qui leur est commune. Ils exagèrent facilement les souffrances qu'ils éprouvent, et leurs lendances égoïstiques attirent in cessamment l'allention du médecin sur leurs propres maux ; mais ceci ne veut pas dire que des phénomènes analogues ne se retrouveront pas chez des malades classés dans d'autres catégories tels que les hystériques et les hypocon driaques. Autre exemple : le délire des grandeurs se trouve universellement chez les paralysés généraux , mais ce fait n'implique pas non plus que d'autres aliénés ne possèdent pas de systématisation délirante basée sur l'idée exagérée qu'ils se font de leurs forces, de leurs richesses ou de leur puissance . Sommes- nous en droit maintenant de conclure de ce fait que les analogies et les différences entre telle ou telle va riété palbologique sont fictives ? Une pareille déduction serait certes l'opposé de ce que nous avons voulu prouver jusqu'ici . Il n'est qu'une seule conclusion légitime à déduire des observations qui précédent : c'est que, si les diverses catégories d'aliénés se distinguent entre elles par des carac lères particuliers , elles se rapprochent par des caractères généraux, ne serait- ce que par cette perversion singulière qui s'opère dans leurs sentiments, et qui forme un con traste si pénible avec leur existence intellectuelle et morale DANS LEURS RAPPORTS AVEC LES DÉGÉNÉRESCENCES. 349 antérieure . La raison en est facile à saisir : l'homme est un , l'espèce est une. Il ne peut y avoir, pas plus entre les races humaines qu'entre les variétés maladives de ces races, de distances infranchissables telles qu'il en existe entre les espèces et les règnes que renferme la nature . Une fois la question examinée à ce point de vue, je m'ac coutumai å considérer les aliénés confiés à mes soins comme les membres d'une grande famille ou variété maladive, pouvant se catégoriser en classes distinctes, il est vrai , mais offrant certains caractères généraux qui rappelaient dans une foule de circonstances une origine commune. Ces caracteres peu sensibles parfois lors de l'évolution des phénomènes initiaux, ressortaient bien mieux quand l'aliéné subissait les transformations maladives dont nous avons parlé , et qui se succèdent de façon qu'elles semblent se commander et s'engendrer les unes les autres. Lorsque le cercle étail parcouru pour ceux dont le mal était irremediable , j'observai que les caractères généraux de l'affection se ressemblaient d'une manière de plus en plus frappante, et que les démarcations naturelles que l'age, le sexe, l'éducation antérieure établissent entre les indi vidus , s'effaçaient toujours davantage. Ce fait , chacun est à même de le vérifier dans les asiles , où les aliénés qui sont arrivés à la phase terminative de leur maladie, se montrent à notre observation avec le triste cortège de tous les symptomes de l'ordre intellectuel , physique et moral , qui constituent la démence. Mais à côté de ce fait important, j'en observai un autre qui devait me conduire à examiner d'une manière plus sérieuse l'enchaînement des causes maladives , et préparer le point de départ de mes études nouvelles sur les dégé nérescences dans l'espèce . Je vis que, si la loi de l'cnchainement fatal des phéno 350 LÉSIONS ORGANIQUES, TROUBLES FONCTIONNELS mėnes pathologiques se commandant et s'engendrant les uns les autres , amenait les aliénés incurables à cette ter minaison qui les fait se ressembler d'une manière si frap pante malgré des différences sensibles à l'origine , il en est cependant un grand nombre qui naissent dans des con ditions irremediables, et qui forment dès le moment de leur naissance des variétés fixes , immodifiables, offrant invariablement à notre observation, pendant le cours de leur triste existence, le cachet indélébile de leur dégéné rescence congéniale. De là deux grandes classes bien distinctes å établir entre les aliénés confiés à nos soins; chez les uns la dégénéres cence est congéniale , chez les autres elle est consécutive . Mais, me dira-t- on , et cette objection vient de la part de médecins aliénistes , les individus de la première catégorie ne sont pas dans les asiles à titre d'aliénés ; ce sont des imbéciles, des idiots , des déments avec ou sans paralysie . Je pourrais répondre, qu'au point de vue où je me suis placé , les mots imbécillité, idiotie , démence avec ou sans paralysie , n'ont pour moi d'autre signification que celle que l'usage leur prête. Ces mots n'éclairent mon esprit, ni sur l'origine de ces étres dégradés , ni sur la nature de leur affection ; ils ne m'instruisent pas davantage sur les rap ports qui existent entre un état aussi anormal et les causes qui l'ont engendré , et je me trouve en présence d'un phéno mène pathologique dont je ne puis saisir la filiation avec d'autres phénomènes qui se ressemblent plus ou moins par les troubles de l'ordre intellectuel , physique et moral, également caractéristiques chez les individus de l'une et de l'autre catégorie . Je tiens au contraire à démontrer que , se retrancher derrière l'acception donnée à certains mots, n'est pas ré soudre une question. Or, c'est précisément en essayant de DANS LEURS RAPPORTS AVEC LES DÉGÉNÉRESCENCES. 351 sortir de la fausse position qui était faite aux médecins d'a liénés, à propos du traitement de ces malades, que j'ai con quis le terrain sur lequel je me suis placé , et que je me crois en droit de réunir sous le nom de dégénérescences, des variétés maladives entre lesquelles il ne doit pas exister de limites infranchissables. Ces variétés se signalent par des caractères communs, ne serait -ce que celui de l'impossibi lité ou de l'extrême difficulté de la guérison dans un grand nombre de cas , ainsi que nous allons le prouver dans un instant ( 1 ) . Un seul moyen me restait pour démontrer la vérité de ces principes , c'était de déplacer le point de vue de mon observation, et d'étudier sur le terrain de leur véritable origine ces variétés maladives reléguées dans les asiles pour soustraire la société å un danger, et d'où les administra lions et les familles s'étonnent ensuite de ne pas les voir sortir améliorées ou guéries. 2 7 ( 1 ) Si les imbéciles , les idiots , les paralysés , déments et autres ne doivent pas être considérés comme des aliéoés , nous demandons à quel titre ils sont isolés dans nos asiles ? Ces ètres dégradés sont devenus aujourd'hui, j'en conviens , une charge énorme pour la société , et les administrations s'ingénient à ne pas leur appliquer le bénélice de la loi de 1838 à propos des aliénés . On ne les admet à ce béoélice que lorsqu'ils sont devenus un danger public par la nature de leurs tendances et par celle de leurs acles délirants. Sous ce dernier rapport il n'existe aucune différence entre eux el les aliénés proprement dils , que l'on isole aussi pour les mêmes causes . Celle similitude dans les actes de tous les ètres également privés de raison, doit nous amener à la donnée scientifique que nous cherchons à faire ressor tir dans cet ouvrage sur les dégénérescences . Tous les individus appartenant à ces variétés pathologiques, ne peuvent plus propager dans des conditions normales la grande famille du genre humain , el leurs descendants pré scalent plus ou moins les caractères qui constituent une déviation maladive du lype normal de l'humanité. 352 LÉSIONS ORGANIQUES, TROUBLES FONCTIONNELS La seule connaissance des causes les plus ordinaires de l'aliénation suffisait pour me guider dans mes recherches , et le résultat de mes investigations m'a amené à la concep tion des dégénérescences dans l'espèce . Je savais que les excès des boissons alcooliques pro duisent une véritable intoxicalion , et déterminent dans la sphère du système nerveux des lésions qui se transmellent chez les descendants . J'étudiai alors l'influence de ces excès dans les milieux où leur fréquence est endémique, et je retrouvai les types dégénérés de nos asiles . L'éliolement de la race, le développement des affections paralytiques el convulsives, les conformations vicieuses de la tele , l'abaissement général des forces intellectuelles, la manifestation des tendances les plus mauvaises , l'immora lité , l'accroissement de la population dans les asiles et dans les prisons , étaient les faits déplorables que je retrouvais partout et toujours avec une constante uniformilé. La ressemblance intellectuelle , physique et morale entre les variétés maladives issues de cette cause était frap pante, malgré la diversité des conditions climatériques, el les éléments de dégénérescence dans l'espèce se trouvaient toujours en rapport avec l'intensité du mal et la complexité des causes qui aidaient à sa propagation . Je ne tardai pas en effet à m'apercevoir que mes inves tigations ne devaient pas se limiter à l'étude d'une cause isolée , et qu'étant donné un élément dégénérateur, il fallait faire la part d'une foule d'influences, soit de l'ordre phy sique, soit de l'ordre moral , qui impriment à la cause prin cipale une activité dégénératrice plus considérable . Cette loi ne souffrait aucune exception , et je la relrouvai même en étudiant les causes qui paraissent agir avec une indépendance complète sur les fonctions de l'économie huumaine, DANS LEURS RAPPORTS AVEC LES DÉGÉNÉRESCENCES . 353 L'intoxication paludéenne, par exemple, amène des effets déterminés bien connus. L'intermittence des phénomènes dans les accès fébriles, la formation des temperaments ca chectiques chez les individus qui vivent dans ces foyers d'infection , la transition aux types dégénérés fixes et irre médiables, sont des faits déjà signalés et que nous mettrons hors de doute ; cependant il est des circonstances qui peuvent modifier, retarder ou activer les conditions d'em poisonnement ou de dégénérescence dans l'espèce, ce sont l'hygiène des individus et les influences héréditaires. Dans l'intoxication alcoolique, nous devons également faire la part des mêmes éléments d'intervention . Nous avons vu que les transformations dégénératives chez les descendants d'individus livrés aux excès de boisson , con duisent en dernier résultat à l'imbécillité et à l'idiotie . Mais ce résultat est d'autant plus promptement obtenu, que la transmission héréditaire recoit une double impulsion sous l'influence de la débauche simultanée du père et de la mére , ainsi que cela se voit dans les pays où l'alcoolisme est une maladie endémique. En dehors de ce phénomène héréditaire , et en ne consi dérant l'influence dégénératrice des excès alcooliques que chez l'individu isolé , il est indispensable de faire la part des conditions de sa nourriture et de son logement, des travaux auxquels il se livre , et même de l'éducation antérieure . Il est triste de dire , pour l'honneur de l'espèce humaine, que les causes dégénératrices agissent avec une intensité d'au tant plus grande dans les classes démoralisées par la mi sére , que le manque complet d'éducation morale et reli gieuse, de leur entourage , que le mépris de ces conventions sociales, souvent fictives, il est vrai , mais salutaires encore dans certaines circonstances, n'établissent chez elles aucun contre -poids au débordement des plus mauvaises passions. 23 354 LÉSIONS ORGANIQUES , TROUBLES FONCTIONNELS Il est facile de concevoir maintenant que les enfants élevés au milieu de ces conditions déplorables sont exposés à un double danger . Non-seulement la prédisposition héréditaire est activée chez eux par l'incitation que produit l'exemple des parents, mais la puissance intellectuelle ne peut être fécondée en l'absence de tout enseignement et de toute moralité . Nous avons déjà vu que ces variétés n'existent pas en dehors de la société commune, par la raison qu'elles ne peuvent se propager entre elles dans des conditions qui perpétuent leur race d'une manière fixe et invariable . La loi de l'enchainement fatal des faits qui se com mandent et s'engendrent successivement , exerce la pléni tude de son action au sein des races maladives ; et l'influence progressive, constante et invariable de cette force circulaire dégénératrice amène et la dégradation physique et morale des individus, et leur impuissance , conséquemment leur extinction . Néanmoins, ainsi qu'il a déjà été indiqué, ce n'est pas dans les seules difformités extérieures, dans la vicieuse conformation du crâne ou dans le défaut de la taille , qu'il faut chercher les caracteres essentiels des dégénérescences, ni même dans la conformité du langage, des meurs, des tendances, des instincts et des habitudes . Ces anomalies de l'ordre intellectuel , physique et moral existent , on le sait , d'une manière invariable parmi les individus appartenant à une variété maladive : on les re trouve même à des degrés plus ou moins frappants par le coté analogique chez les représentants d'autres variétés, par la raison qu'il n'y a pas entre elles de distances infran chissables ; mais il est d'autres phénomènes pathologiques importants à connaître pour compléter l'idée que l'on doit se faire de la dégénérescence dans l'espèce. ܪ DANS LEURS RAPPORTS AVEC LES DÉGÉNÉRESCENCES. 355 Ces phénomènes , ainsi que nous le disions à propos des aliénés , tiennent à la vie plus intime du système nerveux, et constituent la dégénérescence intérieure, alors que la forme extérieure ne dévie pas encore sensiblement du type gé néral de l'humanité. C'est par eux que se pervertissent les lois de la nutrition et des autres grandes fonctions de l'économie . Ce sont eux qui président à l'évolution de tous les faits pathologiques qui modifient congénialement ou consécutivement les gé nérations présentes et compromettent ainsi l'organisation des générations futures. En présence de ces phénomènes modificateurs si puissants de l'économie et dont l'action se fait sentir jusque dans la vie fætale, nous avons dit que la lésion organique doit être comprise dans son acception la plus large et la plus élevée, et nous sommes autorisé à conclure que, si les conditions organiques des crétins et des idiots sont des conditions pathologiques par rapport à l'espèce en général , elles con à stituent néanmoins pour cette variété maladive un état pour ainsi dire normal . Il appartient à la science de l'anatomie comparée et de l'anatomie pathologique de constater ces lésions congéniales de l'organisme. Elle les retrouve dans la vicieuse conforma tion du cervean , dans le développement incomplet des divers systèmes de l'économie, conditions qui toutes peuvent mo difier ou empêcher même d'une manière radicale la pro pagation normale de l'espèce. Ces lésions sont visibles et palpables , il est impossible de ne pas les faire remonter à leur origine ; mais il est bon de signaler que la force circulaire , même à l'état maladif, ne reste jamais inactive , et que si elle modifie ou empêche le développement des organes, elle peut créer dans ces derniers une disposition pathologique qui se révèle au 356 LÉSIONS ORGANIQUES, TROUBLES FONCTIONNELS dehors sous la forme de productions anormales, et pour ainsi dire nouvelles, également transmissibles par l'hérédité . Je range dans ces productions certaines déviations ma ladives de l'espèce, qui ont été désignées sous le nom de monstruosités, telles que l'albinisme, l'éléphantiasis, le goitre et d'autres anomalies encore, dont nous aurons à nous oc cuper, incidemment , il est vrai , mais d'une manière assez suffisante pour appliquer à la formation de ces monstruosi lés la théorie des dégénérescences dans l'espèce . Il me suffit pour le moment d'avoir fait ressortir com ment l'étude des différents types de l'aliénation m'a conduit à recbercher l'origine de cette maladie dans les causes dégénératrices de l'espèce humaine. J'ai été amené à gé néraliser ces études en désignant sous le nom de dégéné rescences toutes les variétés maladives dans l'espèce, ayant , soit dės le moment de la paissance, un caractère fixe et permanent, ou bien possédant une virtualilé maladive assez considérable pour subire les transformations successives qui finissent par constituer les étres dégénérés . Les aliénés que renferment nos asiles sont, pour le plus grand nombre, les représentants des produits des causes dégénératrices qui existent dans l'état social . De l'étude de ces causes el de celle de leur action se déduit la connaissance des variétés dégénérées, et ces va riélés se reconnaissent à des signes certains. Les lois de leur formation peuvent devenir l'objet d'une science dont l'utilité n'a pas besoin d'être démontrée. Lorsqu'on étudie allentivement les caractères des individus dégénérés, on ne s'étonne plus des mécomptes de la thérapeutique dans un grand nombre de circonstances . Il n'est pas donné à l'homme de changer ce qui est im modifiable, mais il lui est possible d'exercer son action sur les causes des dégénérescences dans son espèce . 1 DANS LEURS RAPPORTS AVEC LES DÉGÉNÉRESCENCES . 357 Le rôle réservé à la médecine dans une occurrence pa reille sera digne du but à atteindre, mais, encore une fois, faut - il que ce but soit bien compris et parfaitement défini. Lorsque j'essayai , il y a quelques années à peine, de sor tir du cercle étroit que me créait l'aliénation mentale, et que je cherchais ma voie nouvelle dans l'étude des causes qui produisent les variétés dégénérées dans l'espèce, y compris l'aliénation elle-même, je ne manquai pas de voir mes efforts en butte aux critiques et aux objections. Le crétinisme avait été la première variété dégénérée sur laquelle s'étaient fixées mes recherches ; lorsque je voulus démontrer la formation de cette dégénérescence dans un des principaux foyers de production du départe ment que j'habite, on me répondit que, là où j'établissais un centre de crétinisme, cette endémie avait depuis long temps disparu , ou avait du moins considérablement dimi nué par la seule force des choses, et que la question telle que je la posais n'avait d'autre résultat que d'effrayer les ha bitants de la contrée, et d'entrainer les administrations locales dans des dépenses qu'elles ne pouvaient supporter . J'acceptai le fait de cette diminution de l'élément dégé rateur amenée par la force des choses, c'est - à- dire, à ce que je supposais , par l'amélioration des conditions hygiéniques et morales ; je l'acceptai avec empressement , comme un puissant motif d'encouragement pour des améliorations plus radicales ; mais j'ajoutai aussi que le mal n'avait pas complétement disparu et que sa présence se manifestait par des phénomènes qui , pour être moins visibles , n'en étaient pas moins inquiétants . Je faisais ressortir à l'appui de mon opinion le tableau de toutes les misères intellectuelles, phy siques et morales qui existent de préférence dans un centre où règne une affection endémique d'une nalure déterminée. 358 LÉSIONS ORGANIQUES, TROUBLES FONCTIONNELS 2 Tous mes efforts avaient pour but de prouver que lå où sévit une cause endémique capable de produire une dégé nérescence bien déterminée , se trouvent aussi d'autres affections se reliant à un principe dégénérateur. On y ren contre l'imbécillité et l'idiotie sous toutes les formes, le rachitisme, la surdi- mutité, la prédominence de l'élément scrofuleux , des difformités de toutes sortes et particuliè rement le goitre ; on y remarque enfin l'affaiblissement des intelligences å des degrés divers. Mais ce tableau des variétés dégénératives secondaires, qui ne sont souvent qu'une diminution de la dégénéres cence principale, dont elles possèdent au reste les caracteres fondamentaux , ce tableau, dis -je, n'était pas de nature à impressionner ceux qui ne voyaient la dégénérescence proprement dite que dans la manifestation de ces types extrêmes qui sont généralement un objet d'horreur et de dégout. Or, il suffisait que ces types eussent considérable ment diminué dans un pays , ou se fussent modifiés dans leur expression la plus significative, pour que l'on n'admit pas l'existence des causes dégénératrices, lå , précisément, où ces causes minent sourdement la santé des populations et produisent des types variés, en vertu de la loi qui veut que les phénomènes pathologiques amènent des effets qui se commandent et s'engendrent réciproquement . Il n'y avait qu'un seul côté de la question qui était par faitement saisi par ceux qui rejetaient la théorie des dé générescences dans l'espèce, c'était celui de l'impossibilité où sont les êtres dégénérés de s'unir entre eux et de pro pager indéfiniment la variété maladive à laquelle ils ap partiennent ; et de ce fait si évident, si palpable, on tirail des conséquences diametralement opposées à celles qu'il aurait été légitime d'en déduire. On y voyait, à propos du crétinisme, la disparition future d'une dégénérescence dont DANS LEURS RAPPORTS AVEC LES DÉGÉNÉRESCENCES . 359 les types extrêmes n'existaient déjà plus que dans la mé moire de ceux qui les avaient connus autrefois, et qui n'en trouvaient plus de pareils à leur opposer. Le point de vue où je me place fait assez ressortir l'ina nité d'une pareille espérance. Tout ce que nous savons déjà de l'activité des causes dégénératrices, des lois de for mation des variétés dégénérées, et de ce qui tient aux phé nomènes intimes des transmissions héréditaires , démontre péremptoirement que ce n'est point par la seule force des choses que disparait un mal dans l'humanité. L'élimination des branches desséchées d'un arbre ne suffit pas pour le régénérer, lorsque ses racines puisent incessamment dans un sol de mauvaise formation un suc impropre à entretenir la vie dans les extrémités . Ceci est d'une telle évidence qu'il n'y a que la paresse , l'égoïsme ou l'indifférence qui puissent faire admettre que l'activité d'une cause dégénératrice doive être combattue autrement que par l'activité des forces individuelles et des forces collectives . Cette æuvre immense, j'en conviens , ne peut être exclu sivement accomplie par les médecins ; il est temps même qu'ils sortent de la fausse position qui leur est faite ( 1 ) . Je l'ai dit et je le répèle : la prétention de la médecine n'est pas de se poser comme force médicalrice exclusive; elle convie à cette cuvre de régénération ceux aurquels sont confiés le bien - être et les destinées des populations, et qui possèdent les moyens de réaliser les projets d'amélioration que la science médicale soumet à leur examen ( prolégomėnes, p . 75 ) . ܪ

( 1 ) J'ai parlé de la fausse position faile aux médecins, et ceci a besoin de quelqne explication pour ne pas être pris en mauvaise part . Si je m'en tiens à la spécialité de l'aliénation , je ne puis que répéter ce que j'ai dit : il n'est aucune branche des iostitutions médicales où tant de progrès aient élé accomplis depuis un demi-siècle. Ce sera l'éternel honncur des médecins aliénistes de tous les pays d'avoir concouru avec un zèle el un dévouement 360 LÉSIONS ORGANIQUES, TROUBLES FONCTIONNELS 1 Mais à ce titre , m'a- t-il élé objecté, si l'espèce humaine dégénére, ou bien si les causes des dégénérescences sont plus actives aujourd'hui qu'autrefois, où sont donc les preuves de vos affirmations ? Car la thèse que vous soute pez est importante, et ce n'est pas sans avoir bien réfléchi à cette matière et en avoir pesé les résultats, qu'il est permis de la faire entrer dans le domaine des études générales, et conséquemment dans celui de la controverse et des inter prétations plus ou moins erronnées auxquelles le sujet ne manquera pas de prêter. Il peut paraitre étrange, à la première vue, que je n'aie pas cru devoir me préoccuper de la question principale, å savoir, si l'espèce humaine dégénère ; toute la raison en est simple : la question posée dans ces termes est insoluble ou plutot elle est mal posée. En effet, tant que les destinées de l'humanité seront celles que la sagesse de Dieu lui a fixées, on ne comprend pas que le mot dégénérescence puisse être appliqué dans son acception rigoureuse à l'espèce humaine toule entière. au -dessus de tout éloge à ce mouvement dans l'intérêt des aliénés et cela malgré les difficultés extrêmes dont ils ont été entourés à propos de leurs projets de réforme. Il est arrivé cependant que, dans le monde, on a exagéré ce qu'il nous était possible de faire pour la curabilité de l'aliénation, alors que dans l'éla , imprimé à la spécialité , vous ne reculions pas devant l'application des méthodes curatives ou modificatrices chez les idiots , les imbéciles et les crélios. A Dieu ne plaise que je veuille jeler le moindre blåme sur les efforts qui ont élé tentés et auxquels j'ai pris moi- même une faible part. Je veux seulement faire ressortir que notre position n'est plus à la hauteur de ce que l'on exige , plus ou moins justement , de nous . Je pense donc que nous sommes appelés à rendre un plus grand service, en fixant l'attention de la société sur la manière de combattre les causes des dégéné rescences dans l'espèce humaine, qu'en nous consumant en vains efforts pour modifier ce qui , la plupart du temps, est immodifiable . . 1 DANS LEURS RAPPORTS AVEC LES DÉGÉNÉRESCENCES. 361 D'après notre définition , la dégénérescence est la déviation maladive d'un type normal primitif; or, le progrès, qui est le but et la vie de l'humanité , est incompatible avec une situa tion pareille . Nous savons , d'un autre côté, que si les indi vidus meurent, que si les sociétés disparaissent, il ne s'en suit pas que l'espèce ne soit immuable. Ceci est de toute évidence, et n'a besoin d'autre démonstration que celle du fait lui- même . Que si l'on veut rechercher maintenant la fréquence des dégénérescences, relativement plus grande dans une société déterminée, la question prendra une autre face, plus pratique en apparence, mais la solution n'en laissera pas moins de grandes incertitudes dans l'esprit : nous allons en voir la raison . On s'est demandé aussi , plusieurs fois, si le nombre des aliénés est plus considérable aujourd'hui que dans les temps passés ? et pourtant je ne pense pas que les plus minutieuses recherches de la statistique soient de nature à amener une solution satisfaisante ; cela se comprend facilement. Les causes de l'aliénation, qu'on les fasse dériver de l'ordre physique ou de l'ordre moral , sont mobiles, elles peuvent être plus actives, plus nombreuses à une époque sociale qu'à une autre, et cela en dehors même de l'influence de la civilisation . Cette influence a , du reste , été interprétée de tant de manières différentes, selon l'idée que l'on se faisait de la civilisation, que je ne crois pas utile de faire surgir une discussion à ce sujet. Tout ce que je veux dé montrer en ce moment, c'est que la question du plus ou moins grand nombre des dégénérescences dans l'espèce est pareillement dans des rapports intimes avec la fréquence et l'activité des causes dégénératrices. Je n'ai donc pas cru devoir m'occuper d'une manière spéciale d'un problème qui, dans l'état actuel de la science, ne peut même être 362 LÉSIONS ORGANIQUES, TROUBLES FONCTIONNELS résolu d'une manière pertinente que lorsqu'on se sera bien entendu, et sur la manière de faire la statistique , et sur ce que l'on doit entendre par dégénérescence. Tout ce que j'ai voulu, ç'a été de bien fixer l'attention sur l'étude des causes dégénératrices . Il me suffit d'avoir exposé , avec trop de détails peut-être, comment j'ai été amené à cette étude, et quels sont les principes qui me gui dent dans les recherches sur l'origine , la formation et le classement des variétés maladives dans l'espèce humaine. Ma profession de foi a été faite, le but que je désire atteindre parfaitement défini; je n'en parlerai plus. Je rechercherai les causes des dégénérescences partout où je pourrai les trouver, et démontrerai comment les va riétés maladives se créent, se modifient et se propagent, ct combien un pareil état de choses, quand il tend à se géné raliser , offre de dangers pour la société . Je m'efforcerai de définir les caractères physiques ou moraux qui appartiennent à chaque variété dégénérée . Je prouverai que s'il existe entre chaque variété maladive des caractères qui les différencient les unes des autres , il y a cependant entre elles des caractères généraux qui n'éta blissentpas de limites infranchissables. Ceux qui me liront pourront se convaincre que ce sujet est digne de fixer l'attention de tous les amis du progrés dans l'humanité . Pour arriver à la démonstration du fait, je n'aurai pas besoin de recourir à l'existence d'un type normal primitif ; il me suffira de comparer l'état actuel d'une race ou d'une agglomération déterminée d'individus , avec les conditions antérieures de cette race ou de cette agglomération . Dans beaucoup de circonstances les faits sont évidents, palpables, et leur démonstration est à la portée de tous . Plusieurs sciences nous prêtent leur concours pour faire DANS LEURS RAPPORTS AVEC LES DÉGÉNÉRESCENCES . 363 avancer la question . La médecine , la physiologie, l'anato mie comparée , l'embryogénie , la philosophie et l'histoire nous apprennent également la manière dont les individus , les familles, les races et les nations se développent, se perpétuent, progressent, dégénèrent et disparaissent. En faisant appel à toutes ces sciences , je ne change pas mon programme; je suis conséquent avec les principes préliminairement posés. J'ai dit dans mes prolégomènes que la nature même du sujet m'obligeait d'agrandir l'hori zon de mes recherches, et qu'aucun des grands problèmes de la vie intellectuelle , morale et physique des individus et des peuples , ne devait passer inaperçu dans une æuvre qui , par ses côtés divers , tient également à la médecine, à la philosophie, à la pathologie comparée, et å l'anibro pologie ( pag . 9) . S III . — Classification et formation des variétés maladives dans l'espèce . Les recherches qui précédent nous ont préparé la voie à la classification et à la formation des variétés maladives dans l'espèce. Nous avons éludié , comme physiologiste et médecin , l'influence des agents intoxicants sur l'économie humaine; et quoique les conséquences déduites ne pa raissent se rapporter qu'aux lésions de l'organisme indivi duel , il est cependant facile d'entrevoir le point de vue plus général où nous allons nous placer. Quelques courtes considérations sur les moyens mis en potre pouvoir pour découvrir et classer les variétés maladives qui se forment dans l'espèce, nous serviront d'entrée en matière. La connaissance intime de l'influence exercée sur l'or ganisme bumain par les agents du monde extérieur, est considérée en médecine comme une des attributions impor tantes de l'hygiène. En dehors des notions médicales sur 364 DÉGÉNÉRESCENCES DANS L'ESPÉCE. lesquelles sont basées les observations qui précèdent, on peut à la rigueur se faire une idée de la dégradation chez l'individu ; mais il est impossible d'arriver à la formule de la classification des variétés maladives dans les races humaines, ou en d'autres termes à la conception de l'être dégénéré, dans le sens le plus élevé et le plus général de ce mot. Ceci nous parait incontestable, et la meilleure preuve que nous puissions en donner c'est l'ignorance extrême où l'on est généralement des caractères de l'ordre intellectuel , physique et moral, qui constituent la dégénérescence . Nous en avons dit assez pour démontrer la dangereuse sécurité qui , sous ce rapport, existe dans certaines classes sociales , plus intéressées cependant à porter remède à un état de choses qui tend tous les jours à s'aggraver en l'ab sence de toute intervention préservatrice. Les types extrêmes de dégénérescence, nous l'avons déjà dit, ont seuls le privilége de fixer l'attention . On ne se doute pas que l'action des causes dégénératrices est des plus insidieuse, et que son empire s'établit là où l'on ne se doutait même pas de sa présence. J'ai dû vivement me préoccuper du côté pratique de la question , et voir com ment l'idée médicale que nous pouvons nous faire de la dégénérescence de l'individu , pouvait se transformer en ces notions vulgaires également compréhensibles , et pour ceux qui sont initiés à la science médicale, et pour ceux qui possèdent les moyens et le pouvoir d'appliquer les principes hygiéniques et prophylactiques qui se déduisent de nos études spéciales . Or, il me semble que si nous parvenons à prouver la généralisation d'un mal dont pous avons déterminé l'existence chez l'individu, un grand pas aura été accompli dans l'intérêt de la société . Tout ce que nous avons dit jusqu'à présent àà propos de INTOXICATION ALCOOLIQUE EN SUÈDE . 365 la dégénérescence porte un caractère essentiellement mé dical : prenons l'intoxication alcoolique pour exemple . Nous avons assisté à la succession des phénomènes pathologiques chez l'individu , nous avons suivi dans leurs moindres dé tails la marche progressive des lésions de l'organisme. Les symptomes maladifs de l'ordre intellectuel et moral ont marché, dans notre description , sur une ligne parallèle avec les symptômes maladifs de l'ordre physiologique . Plus tard nous avons étudié la transformation de ces phénomènes chez les descendants d'individus livrés à l'alcoolisme, et nous sommes parvenu à établir des variétés dégénérées possédant les caractères à l'aide desquels il est possible de les reconnaitre . Que nous reste- t-il à faire maintenant pour sortir du cercle de l'individu et de la famille, et transporter cette étude au sein des grandes agglomérations constituant les peuples et les races ? Il faut recourir à tous les moyens d'investigation que nous offrent la statistique , l'histoire et l'observation comparée des faits, pour nous rendre un compte exact de l'état intellectuel, physique et moral d'une société déterminée . Lorsque dans une agglomération fixe d'individus con stituant une société , un peuple , une race , nous serons parvenu à prouver que les forces intellectuelles el phy siques ont subi un abaissement considérable ; que des ma ladies inconnues jusqu'alors portent une atteinte grave à la santé générale ; que le nombre des aliénés et des criminels augmente dans des proportions irrécusables, nous aurons le droit de conclure qu'une cause , dont nous avons étudié l'action dans le cercle restreint de l'individu et de la famille, est de nature à produire les mêmes effets dans la société. Je vais appliquer ce mode d'investigation å un pays sur l'état intellectuel , physique et moral duquel je suis mieux 266 DÉGÉNÉRESCENCES DANS L'ESPÈCE . renseigné que sur d'autres, à la Suède, et il résultera de cet examen que des recherches analogues pourront être faites au sein d'autres nationalités . Le lecteur ne perdra pas de vue que je ne puis donner ici qu'une formule géné rale les bornes étroites de ce livre ne me permettant pas d'étendre ces recherches, qui pour être exactes et fécondes doivent être faites avec tous les moyens que nous avons indiqués; il serait impossible autrement de détacher un fait général de toutes les circonstances capables de jeter du doute ou de l'obscurité sur la véritable nature d'un mal qu'il s'agit de connaitre dans son origine. Nous allons faire l'application de cette méthode en étudiant l'influence des alcooliques sur la population en Suède ( 1 ) . L'abus des boissons alcooliques remonte en Suède au siècle dernier. On en a la preuve dans les efforts lentés par les hommes les plus honorables en médecine et en admi nistration , pour éclairer le peuple suédois et le relenir sur la pente de sa ruine . En 1785 , le médecin provincial d'Ostergothland, le docteur Hagstrom , était déjà frappé des funestes effets de l'alcool , et il faisait un appel énergique à ses concitoyens pour les éclairer sur les conséquences d'un vice qui était non - seulement un outrage à la religion et à la morale, mais qui compromettait l'avenir des générations. Depuis le docteur Hagstrom, des milliers de voix se sont fait entendre dans le même sens ; cependant le mal a pris une extention si considérable que le docteur Magnus Iluss ne craint pas de dire : « Les choses en sont arrivées aujour » d'hui à un tel point, que si les moyens énergiques ne ( 1 ) Les principaux détails qu’on va lire sont dus à un ouvrage que j'ai déjà cité Sur les maladies endémiques en Suède, par M. le docteur Magnus Hluss. Ueber die endemischen Krankheiten Schwedens. Tradoit do suédois par M. le docteur Gerhard von dem Busch . INTOXICATION ALCOOLIQUE EN SUÈDE . 267 ) > >

» sont pas employés contre une habitude aussi fatale, la » nation suédoise est menacée de maux incalculables... Le » danger que fait courir l'alcoolisme à la santé intellec ► luelle et physique des populations scandinaves n'est pas » une de ces éventualités plus ou moins probables, c'est un » mal présent dont on peut étudier les ravages sur la géné » ration actuelle... Il n'y a plus moyen de reculer devant l'application des mesures à prendre, dussent ces mesures » léser bien des intérêts ... Mieux vaut-il se sauver à tout prix que d'être obligé de dire : il est trop tard. Je cite textuellement ces désespérantes paroles ; elles émanent d'un homme qui connait parfaitement la situation et qui , dit-il , se sent le cæur oppressé en signalant des faits qui peuvent donner une si triste idée de ses compatriotes , d'une nation de plus de trois millions d'habitants , dont le role a été si glorieux dans l'histoire . Faut-il , ajoute le savant médecin suédois , entrer dans de longues considérations pour prouver l'extension de plus en plus grande des habitudes d'ivrognerie du peuple scan dinave ? Non , ceci est parfaitement inutile ; le fait est évident comme le jour . Tout ce que nous pouvons dire , c'est que cette détestable passion n'est pas uniformément répandue dans le pays . Il existe des provinces , des villes , des districts où l'eau - de- vie est consommée dans de bien moins grandes proportions que dans d'autres . Dans le midi de la Suède, par exemple, on cite des localités où l'alcoo lisme a complétement disparu ; mais cette amélioration ne tient pas à un fait d'ensemble , elle dépend des efforts énergiques qui ont été tentés par des hommes de bien, pos sédant une influence assez grande pour se faire obéir dans le cercle où s'exerçait leur action . Tout porte à craindre que la digue morale, élevée par cette influence, ne soit tot ou tard envahie par la contagion de l'exemple . 368 DÉGÉNÉRESCENCES DANS L'ESPÈCE. La propagation de l'alcoolisme en Suède comporte quel ques développements historiques ; nous tenons à traiter ce sujet de manière à pouvoir servir de modèle pour les re cherches analogues , que les médecins qui s'occupent de statistique morale voudraient faire dans d'autres contrées . Si l'on remonte à l'époque où la tendance pour les bois sons fermentées s'est implantée dans ce malheureux pays, on voit que, sous le règne de Gustave-Adolphe- le -Grand , les préoccupations du gouvernement étaient déjà éveillées à ce sujet. Plusieurs ordonnances royales, émanées de ce prince, punissaient de fortes amendes les infracteurs à la loi qui défendait de vendre indifféremment de l'eau - de- vie dans les auberges el dans les cabarets. Plus tard , les com motions politiques, qui bouleversèrent la Suède, firent que les infractions devinrent de plus en plus communes ; el, sous Gustave III , le mal fut porté à son comble par l'é tablissement des distilleries de la couronne. Ce singulier moyen - terme qui avait pour but de centraliser entre les mains du pouvoir l'exploitation de l'eau- de- vie avec l'espoir, à ce que je suppose, d'en mieux régulariser l'usage, fut précisément le point de départ de la généralisation du mal . De la création des distilleries royales à l'établissement des distilleries particulières pour l'usage domestique, il n'y avait qu'un pas à franchir, et grâce aux réclamations éma nées des intérêts individuels, la transition devint facile. Le droit de distiller l'eau- de-vie fil surgir, il est vrai , les contestations les plus vives ; mais ceux qui luttaient contre un usage dont ils prévoyaient les fatales conséquences, succomberent sous les réclamations de l'industrie et de la grande propriété . La Suède peut être comparée, disent les auteurs qui se sont occupés de la question , à une im mense distillerie , et si l'industrie mercantile est parvenue à faire supprimer quelques établissements qui n'avaient INTOXICATION ALCOOLIQUE EN SUÈDE . 369 > d'autre but que de fournir aux besoins de la famille, toujours est-il que le chiffre de la quantité d'eau - de- vie fabriquée en ce pays, répond victorieusement à ceux qui étaient tentés de voir une amélioration dans la concurrence apportée à l'industrie privée . Il se fabrique annuellement en Suède, d'après les chiffres les plus modérés, 40 å 50 millions de kannes d'eau- de- vie , ou près de 200 millions de litres . Il est prouvé qu'il ne s'en exporte qu'une très - faible quantité, et que la presque tota . lité est consommée dans le pays même. Or, il est facile maintenant d'établir la répartition . La Suède renferme trois millions d'habitants, et si l'on défalque de ce nombre les enfants, une grande quantité de femmes, et ceux enfin qui par position sociale et par devoir se maintiennent dans les bornes de la modération , on aura une population de 1,500 mille individus qui consomme annuellement 80 à 100 litres d'eau -de - vie par personne ( 1 ) . Quelles peuvent être les conséquences d'un pareil état de choses ? Il est facile de les entrevoir, si l'on a suivi attentivement l'étude des dégénérescences progressives dans les familles où l'intoxication alcoolique a dominé l'ensemble des phénomènes héréditaires . M. le docteur Magnus Huss ne craint pas d'émettre l'opinion qui suit, et ( 1 ) On conçoit facilement que ces évaluations ne sont qu'approximatives . Dans certains districts de la Suède, comme dans quelques provinces des Etats -Unis de l'Angleterre et de la France , ainsi que je l'ai pu observer moi même dans les montagnes des Vosges, les femmes ne s'abstiennent pas d'eau -de- vie, et il est certains jours de l'année où l'ivresse résultant de l'in toxication alcoolique est le triste spectacle que le mari et la femme donnent également à leurs enfants. Il faut ensuite faire la part de ce qui se passe dans certains centres industriels où la consommation pour chaque individu monte à des proportions bien plus considérables . 24 370 DÉGÉNÉRESCENCES DANS L'ESPÈCE. qu'il livre, dans toute la douleur de son ame, aux vrais amis de l'humanité, à ceux auxquels sont confiées en Suède les destinées de ce peuple menacé d'une décadence irremediable, si l'on tarde quelque temps à recourir aux remèdes les plus énergiques. Il est un fait irrécusable, dit ce médecin , c'est que sous le rapport des forces physiques et de la stature, le peuple en Suède a dégénéré de ses ancêtres . Or, le fait de cette dégradation extérieure ne constitue pas à lui seul la dégénérescence dans l'espèce, ainsi qu'il ressort de la manière dont nous avons exposé et compris cette étude. Il faut de toute nécessité faire intervenir d'autres éléments d'investigation , si l'on veut avoir une idée complète, et de la gravité du mal et des remèdes qu'il convient d'y apporter. Ce point de vue ne pouvait échapper å un esprit aussi judicieux que celui de M. Ma gnus Huss , et les questions qu'il se pose sont celles dont tout statisticien sérieux devra chercher la solution , s'il veut arriver à la vérité. Quelles sont donc les principales indications qui doivent guider dans cette étude ? Elles se résument dans les ques tions suivantes. Depuis que l'habitude de boire de l'eau de-vie s'est généralisée en Suède, existe- t-il des maladies nouvelles, ou bien des affections propres au pays ont-elles pris un caractère de nocuité plus considérable ? La durée de la vie moyenne a-t- elle diminué ? A-t - on constaté une augmentation dans le nombre des aliénés et des criminels ? Examinons rapidement ces différents points de vue . Il est certain que le tempérament des Suédois a subi des modifications pathologiques considérables . En vain 're chercherait-on dans le pays ces constitutions d'hommes du nord si vantées par les historiens et par les poëtes . Des maladies spéciales, telles que la gastrite chronique dont nous avons déjà parlé et les scrofules , se sont généralisées INTOXICATION ALCOOLIQUE EN SUÈDE . 371 dans des proportions effrayantes; une affection inconnue autrefois, la chlorose, a envabi, d'après la relation des mé decins scandinaves, toutes les classes de la société , les riches et les pauvres , et sévit dans les campagnes aussi bien que dans les villes. La description de ces maladies , il est vrai, est de nature à faire surgir un doute dans l'esprit quant à l'étiologie . On peut se demander si leur existence est bien en rapport avec l'abus des alcooliques . J'élève à dessein cette objec tion , vu que je pense que l'on aurait tort de ne pas faire intervenir dans l'examen de celle question , d'autres élé ments qui prouvent la complexité des causes dégénéra trices . Dans beaucoup de départements de la France, et particulièrement dans celui que j'habite , la chlorose, l'état de cacbexie ou d'anémie, les scrofules, l'apparition de né vroses inconnues ou très- rares autrefois chez les habitants de la campagne, telles que l'hystérie et l'hypocondrie, ont pris un développement des plus considérables ; j'ai eu de trop nombreuses occasions d'observer ces fails pour que mes convictions ne soient pas arrêlées sous ce rapport. Je pense que les changements qui se sont opérés dans les meurs et dans les habitudes à la suite d'industries nou velles, et que la nourriture végétale trop exclusive, sont les causes principales de modifications aussi notables dans la santé générale. Ce sujet va du reste nous occuper dans un instant, et il révèle un ordre de choses que l'on peut vérifier en Suède comme en France, et dans lous les pays Européens où les mæurs industrielles et les changements dans l'hygiène ont profondément altéré la constitution des habitants . Toutefois, dans la thèse que nous soutenons, il est in contestable que l'usage plus généralisé de l'eau -de- vie est venu ajouter son contingent d'activité dégénéralrice aux 372 DÉGÉNÉRESCENCES DANS L'ESPÈCE. causes , précitées . L'intervention de l'alcool, du miasme paludéen ou de tout autre élément intoxicant, est de nalure å modifier la marche aussi bien que le caractère des mala dies qui règnent ordinairement dans un pays. Il suffit pour se convaincre de cette vérité d'avoir pratiqué la médecine dans les contrées ou différentes causes dégénéralrices sé vissent, tantot isolément , et tantôt dans la simultanéité de leur action . Je citerai à ce propos un extrait de documents qui m'ont été communiqués par un médecin distingué de ce pays, et qui a exercé autrefois dans les montagnes des Vosges ou l'alcoolisme est très - répandu . Depuis longtemps déjà, j'avais été frappé moi-même du nombre considérable d'idiots et d'imbéciles que ce département montagneux envoie à notre asile ; et , d'un autre côté, la constitution cachectique de ces montagnards, la prédominence chez eux des tempéraments lymphatiques et scrofuleux, le ra bougrissement de la taille , le rachitisme sous toutes ses formes, les conformations défectueuses du crâne étaient des faits qui se répétaient trop souvent aussi pour ne pas fixer mon attention. Or, voici ce que m'écrit M. le docteur Danis. « En admeltant que l'eau- de- vie soit un stimulant né cessaire au montagnard pour l'aider à supporter les ri gueurs de l'hiver, et pour faciliter la digestion de la nour riture grossière et exclusivement végétale dont il charge son estomac , il n'en est pas moins vrai de dire que l'u sage précoce qu'il fait de ce pernicieux liquide agit plus tard d'une manière funeste sur son temperament. En gé néral , dans les montagnes des Vosges , tous les sexes et tous les ages sont également adonnés à ce déplorable usage . La petite fille et le petit garçon boivent presque journelle ment de l'eau- de- vie . A mesure que l'enfant grandit, il conserve celle habitude qui dégénére bientôt en passion INTOXICATION ALCOOLIQUE EN SUÈDE . 373 quand il est devenu un homme. Beaucoup de femmes par lagent le même défaut et leur part est même assez large ; aussi la consommation d'eau- de- vie qui se fait dans les montagnes est- elle énorme... Lorsque le dimanche les ba bitants de ces contrées sont réunis à l'église , l'air est lillé ralement empesté par l'odeur de l'eau- de-vie de pommes de terre. Dans les maladies, ce même liquide , seul ou combiné avec d'autres drogues, est généralement employé comme un remède universel . Aussi , le médecin appelé près d'un malade a- t- il souvent à combattre les symptômes de l'ivresse avant de se livrer à la recherche de la maladie pour laquelle il est appelé . Avec des tendances et des habitudes pareilles on comprend la fréquence et la gravité des accidents nerveux dus à l'abus des boissons alcoo liques ... J'ai souvent observé, ajoute M. le docteur Danis, le delirium tremens à tous ses degrés et avec tous les dé sordres qui l'accompagnent . Chez ces individus, et le nombre en est fort grand , il consistait seulement en un tremblement nerveux plus ou moins considérable des membres supérieurs avec embarras dans la prononciation et sans désordre bien notable des facultés intellectuelles . Chez d'autres les complications ne tardaient pas d'arriver, et les accés épileptiques que j'ai eu souvent à traiter ne reconnaissaient pas d'autres causes. Comment s'étonner maintenant si les enfants issus de parents livrés à de pa reilles habitudes d'ivrognerie viennent au monde idiots ou imbéciles .. ? Dans les montagnes des Vosges , je ne connais pas de causes plus fréquentes d'idiolie et d'imbécillité, car en général les habitations sont saines , et la qualité des eaux excellente. >> Quelle que soit donc la contrée où nous examinions l'in fuence de l'excés des boissons, nous voyons invariable ment les mêmes effets se produire, et si l'on ne peut ralla > 374 DÉGÉNÉRESCENCES DANS L'ESPÈCE . cher d'une manière exclusive à ces excès la manifestalion de certaines maladies autrefois inconnues dans une région , il n'en est pas moins vrai de dire que l'alcoolisme y com plique et y aggrave les maladies ordinaires. L'hérédité s'y exerce dans des conditions d'autant plus désastreuses que les enfants, ainsi que cela se remarque en Suède, con tractent de bonne heure les habitudes de leurs parents. Les médecins suédois affirment que les enfants de huit , dix et douze ans, ont déjà les tendances quenous avons signalées chez les auteurs de leurs jours . Comment n'en serait-il pas ainsi sous l'influence pernicieuse de l'exemple, et comment aussi pourrait- on s'étonner de voir la dégradation intellec tuelle et morale s'unir silót chez ces enfants à la dégrada tion physique ? Rappelons- nous ces paroles de M. le docteur Buchez : « que la puissance intellectuelle résultanıdel'union du corps et de l'âme , n'est rien de plus qu'un germe qui , comme l'auf renfermé dans l'ovaire, a besoin d'être fé condé pour produire un nouvel étre , et que dans la géné ration intellectuelle , c'est l'enseignement qui est chargé de l'æuvre de la fécondation. Nous ne serons plus surpris alors de voir l'idiotie et l'imbécillité congéniale ou consécutive , sevir avec tant de fréquence dans les pays où règne une cause de dégradation aussi active que l'alcoolisme ( 1 ) . ( 1 ) C'est un fait que les slatistiques conçues dans l'esprit que nous indi. quons, mellent aujourd'hui hors de doute pour lous les pays où l'on reu contre les mêmes éléments dégénérateurs . Dans sa statistique de la Westphalic, le doclear Ruer a déjà fail entrevoir les rapports qui existent entre les excès alcooliques, l'idiotie et l'imbécillité des cnfants. Celle cause est néces sairement plus active lorsque ce vice est parlagé par le père et la mère. M. le docleur Magnus Huss nous apprend encore no fait singulier à propos des meurs suédoises ; c'est que dans ce pays les parents de la classe pauvre et ignoranle ne connaissent pas de meilleure manière de calmer les cris des enfants au berçeau que dc leur donner à sucer un tampon de linge trempé dans l'eau -de- vie . INTOXICATION ALCOOLIQUE EN SUÈDE . 375 << Influence de l'alcoolisme sur la durée de la vie moyenne en Suède. Il est certain que l'alcoolisme abrège la vie, a ne considérer seulement que les maladies qui sont la conse quence de cet usage déplorable. Les fails statistiques vont confirmer dans un instant les prévisions des médecins . Si je voulais, disait Linné, dont l'autorité peut bien être cilée à propos d'une question qui intéresse la nation sué doise, si je voulais faire l'énumération de toutes les ma ladies qui sont dues à l'ivrognerie , ce me serait chose impossible ; » et en admettant même que notre expérience aie besoin d'être complétée, il est de fait que l'exercice de la médecine dans les asiles d'aliénés ne nous laisserait au cun doute à cet égard. Voyons maintenant ce que nou apprend la statistique . La ville d'Erkistuna en Suède possède 3,691 habitants , el on la cite comme une des localités où il se consomme le plus d'eau- de- vie . Dans les années 1848, 1849 et 1850, on y compta 351 décès, ce qui établit une mortalité moyenne de trois pour cent, ou d'un individu sur trente- trois . Si l'on compare ce chiffre avec celui des décès de toute la pro vince de Südermanland où se trouve cette ville , voici les différences qui en résultent. En l'année 1845, le Süderman land renfermait 118,664 habitants . Il y eut en ce pays dans l'espace de cinq années une mortalité de 2,389 personnes, soit deux pour cent, ou un sur 49 individus . Les décès y sont ordinairement plus considérables parmi les hommes que parmi les femmes, par une raison facile à saisir. Dans la ville d'Erkistuna , il y eut un décès sur 30 hommes et un sur 40 femmės ; dans la campagne, un décès sur 47 indi vidus du sexe masculin et un sur 52 du sexe féminin . Ces chiffres n'auraient point par eux -mêmes une grande signification , si on ne les comparait pas avec ceux que fournissent les provinces où il se consomme une moindre 376 DÉGÉNÉRESCENCES DANS L'ESPÈCE . quantité d'eau- de-vie. Or, c'est le calcul auquel se sont livrés les statisticiens en Suède. Dans le Westmanland, où se consomme moins d'alcool que dans la province pré citée , et qui ne possède que 93,775 habitants , il en meurt 1,589 annuellement, et les décès s'établissent dans la pro portion de un sur 54 personnes du sexe masculin, et un sur 63 personnes du sexe féminin . Enfin, dans le Jamtland , province renommée pour la sobriété de ses habitants, peu nombreux du reste , et dont le chiffre s'élève seulement å 49,077 individus, la mortalité moyenne n'est que de 60 per sonnes , ou de une sur 80. Les proportions entre les décès des deux sexes s'y balancent de telle sorte qu'on en compte un sur 78 hommes et un sur 82 femmes ( 1 ) . Aliénation, suicides, délils . Je réunis å dessein ces trois termes si fondamentaux dans nos recherches statistiques . Il existe en effet entre les causes de l'aliénation , du suicide et de la criminalité , de telles analogies, que la fréquence

( 1 ) On comprend la signification de ces chiffres quand on les compare au nombre des naissances dans un pays. Si l'on en croit, par exemple, la sla tistique médicale de M. Hawkins ( Elements of medical statistic ), il y aurait en Suède une naissance par 27 babitants , proportion plus conside rable que pour la France, où d'après la même statistique on compte une naissance par 31 habitants. Le nombre plus considérable des naissances peut donc seul compenser le chiffre plus élevé des décès . Mais ici il y a encore une réflexion importante à faire . On a cité des pays où l'immoralité , l'imprévoyance et l'ivrognerie étaient très - répandues, et où les naissances s'élevaient à un chiffre considérable. J'admels ce fait, mais seulement comme fail anormal ou essentiellemenl transitoire. Je m'explique : 1 ° ces pais sances arrivées dans de pareilles conditions ne sont pas fruclueuses, et beaucoup d'enfants meurent en bas âge ; 2° quand ces fails d'immoralité se généralisent, la stérilité dans la descendance, ou l'impossibilité de repro duire la grande famille do genre humain , est la loi invariable qui domine la siluation . INTOXICATION ALCOOLIQUE EN SUÈDE . 377 plus grande dans les causes de l'aliénation , par exemple, amène une élévation dans les chiffres des suicides , ou ré ciproquement si l'on veut. Quant au rapprochement que j'établis avec la criminalité, je tiens à ne pas être accusé de confondre le crime avec la folie . J'ai fait dans ma vie assez d'efforts pour établir la ligne de démarcation de la folie et du délit. Toutefois, il faut bien reconnaitre que d'une part beaucoup d'individus sont mis en jugement pour des méfails qui leur sont imputés et qu'ils ont commis dans la période d'incubation de la folie ; et de l'autre que l'immo ralité , la misère, la contagion de l'exemple et l'ivrogneric, sont des causes très -actives dans la génération des troubles intellectuels . En Suède, au dire des hommes compétents , l'aliénation dans ces dernières années a augmenté dans des propor tions considérables , mais je n'insisterai pas d'une manière spéciale sur ce fait. Je veux bien admettre la raison , assez banale du reste, qui a été donnée pour d'autres pays, que si le nombre des aliénés s'est élevé à de plus grandes propor lions , cela prouve simplement que l'on s'est occupé davan lage de cette maladie , et que les refuges ouverts à celle classe d'infortunés , ont été accessibles à un plus grand nombre. Je ne me suis pas contenté dans les recherches statistiques auxquelles je me suis livré de mon côté, d'exa miner si l'aliénation allait en progressant , mais j'ai voulu savoir si , étant donné un nombre d'aliénés , l'origine de leur maladie pouvait plutôt étre attribuée aux excés de boissons qu'à toute autre cause . J'ai déjà fourni la preuve que sur mille individus observés par moi à l'asile de Maréville, il en était deux cents au moins dont la dégénérescence congéniale ou consécutive ne reconnaissait pas d'autre point de départ que l'alcoolisme . Ici l'on voit que j'ai exa miné l'influence de l'alcool au double point de vue de 378 DĖGÉNÉRESCENCES DANS L'ESPÈCE . l'hérédité et de l'intoxication directe exercée sur l'orga nisme . Il serait donc important, si l'on voulait appliquer dans cet esprit une pareille statistique à un pays comme la France , de tenir un compte exact de la différence qui existe entre les meurs, les habitudes et l'hygiène de telle ou telle circonscription territoriale et celles de telle autre. Je suis donc loin de donner le chiffre que j'ai trouvé dans le milieu où j'exerce la médecine, comme le chiffre généralement applicable à tous les aliénés renfermés dans les asiles en France et comme propre à donner une idée exacte du nombre des aliénations, soit primilives, soit consécutives produites en notre pays par l'abus des liqueurs fortes ; mais revenons à la Suède. Tout nous porte à croire que, si le nombre des aliénés pris en général n'a pas augmenté d'une manière notable, du moins le nombre de ces malades par suite d'intoxication alcoolique , s'est considérablement accru , la proportion toujours croissante des suicides et des délits va nous en fournir la preuve . Si l'on compare, pour ce qui regarde la Suède, les cinq années de 1836 à 1840, avec les cinq années de 1841 å 1845 , on voit que la différence entre les suicidés de ces deux périodes est assez insignifiante : 1,070 pour la première et 1,087 pour la deuxième, constituent le chiffre de ceux qui se sont volontairement donné la mort ; 1,757 hommes se sont suicidés, de 1836 å 1845 , et 420 femmes dans le même laps de temps ont terminé leur existence de la même manière. Mais il est maintenant un fait qu'il s'agit de faire ressortir. Les suicides qui sont dus en ce pays à l'abus des boissons se rencontrent avec une fréquence plus grande chez les individus de 25 à 50 ans ; il s'agit donc d'établir une proportion entre la totalité des décès pendant ces dix années et la totalité des suicidés ; nous ne ferons entrer en ligne de compte que la population male. INTOXICATION ALCOOLIQUE EN SUÈDE . 379 > Pendant ces dix années , il est mort en Suède 64,212 individus du sexe masculin âgés de 25 å 50 ans, el il s'en est suicidé 1,082 du même age, ce qui établit , à peu de choses prés , un suicide sur 57 hommes. Ce chiffre est énorme; mais , ajoute M. le docteur Magnus Huss, si l'on voulait maintenant considérer comme suicidés par l'alcool , tous les individus morts en état d'ivresse ou des suites de l'in. toxication alcoolique, le nombre atteindrait des proportions si effrayantes que nous trouverions un suicide sur 30 indi vidus décédés de l'âge de 25 à 50 ans . Voyons maintenant quel est le chiffre des délinquants dans ce malheureux pays , où les ravages exercés par l'alcool sont bien de nature à fixer toute la sollicitude de ceux qui dirigent ses destinées . Nous en savons d'abord assez sur les conséquences de l'ivrognerie pour ne pas ignorer que la plupart des délits qui outragent de la manière la plus déplorable et la plus grossière la morale publique , sont dus à cette cause si active de dégradation dans l'humanité . En Suède , le nombre des délinquants renfermés dans les maisons d'arrêt et de correction a augmenté dans des quantités, dont les chiffres suivants font assez ressortir la triste signification . En l'année 1830, 24,054 personnes furent accusées de délits plus ou moins graves , et 19,374 subirent une peine afflictive. La population de tout le royaume s'élevait alors à 2,771,252 individus; ce qui établit les proportions sui vantes : une accusation sur 115 habitants et une condam nation sur 143. En 1845, ces chiffres augmentent d'une manière inquiétante . 40,468 délinquants sont accusés et 35,026 condamnés . La population était alors de 3,316,536 individus, ce qui fait une accusation sur 81 babitants et une condamnation sur 100. Nous voudrions, disent les auteurs de cette statistique qui ont puisé leurs chiffres dans les docu ments officiels,> nous voudrions couvrir d'un voile impéné 380 DÉGÉNÉRESCENCES DANS L'ESPÈCE . trable des faits qui sont de nature å donner une si triste idée de la nation suédoise ! Mais que ces honorables méde cins se rassurent : en signalant le mal qui dévore la Suède, ils ont rendu un véritable service à leur pays ; les gouver nants sont avertis, et c'est à eux de faire leur devoir. Et puis encore, pense- t - on que les faits déplorables que nous apprend la statistique médicale de la Suède soient exclu sifs à ce pays, et que le même genre de recherches dans d'autres contrées ne serait pas de nature å révéler un état plus pitoyable encore ? Personne ne le pense, comme personne non plus ne met en doute l'importance qu'il y aurait à généraliser l'application d'une statistique morale conçue dans l'esprit de celle que nous avons indiquée . Enfin , si nous avons concentré nos recherches en Suède, c'est que les renseignements mis à notre disposition nous permet laient de ne pas nous égarer dans l'interprétation des faits, et d'avoir ainsi un criterium certain pour des études statisti ques analogues entreprises dans d'autres centres infestés par l'alcoolisme . L'ivrognerie, dit M. Quetelel , est un vice sur lequel on devrait avoir des renseignements exacts dans les pays où la police s'exerce avec quelque soin ; cependant il est å regretter qu'ils soient entièrement inconnus à ceux qui ont le plus d'intérêt à en faire usage . Comme l'ivrognerie est une source commune de plusieurs autres vices et sou vent même de crimes , comme elle tend à démoraliser et à délériorer l'espèce, les gouvernements devraient favoriser les recherches des savants qui s'occupent de déterminer l'état des peuples, et qui essaient de le rendre meilleur. L'ivrognerie est influencée par une foule de causes que l'on apprécierait assez facilement, parce que les données né cessaires exigeraient moins de recherches que celles rela tives à d'autres appréciations semblables. Je suis persuadé , INTOXICATION ALCOOLIQUE EN SUÈDE. 381 ajoute ce savant, qu'un travail bien fait, et qui aurait pour objet de reconnaitre les plaies que ce fléau produit dans la société , serait de l'utilité la plus grande, et donnerait l'ex plication d'une quantité de faits isolés qui en dépendent , et qu'on est dans l'habitude de regarder comme purement accidentels ( 1 ) . ” Les faits isolés, et que l'on regarde généralement comme purement accidentels sont , dans l'esprit de l'auteur, ceux qui se rapportent plus spécialement à la criminalité. En éludiant de notre coté les effets de l'intoxication alcoolique, nous tendons incessamment au but signalé dans les premières pages de cette œuvre, c'est- à-dire : jeter un jour nouveau sur des situations intellectuelles encore inexpliquées, et rendre un vérilable service à la médecine légale, à l'éducation et même à la morale, en fixant aux tristes victimes de l'alcoolisme leur véritable place parmi les êtres dégénérés. (Dégénérescence par les intoxicants, p. 80.) Que le lecteur me permette maintenant de me résumer brièvement sur les effets de l'ivrognerie chez d'autres peu ples . Ici , malgré l'absence presque complète des documents statistiques recueillis , il sera facile de voir l'intérêt immense qu'offriraient de pareilles recherches, si on les faisait dans cet esprit de généralisation que nous avons indiqué . Il y a un demi-siècle , dit l'auteur que nous venons de citer, l'Angleterre usait avec excès des liqueurs et des boissons forles ; aussi ses écrivains n'ont- ils pas tardé à reconnaitre combien ce vice apportait de déconsidération et de détriment à la nation , combien la santé de l'homme en souffrait, combien la mortalilé augmentail en même ( 1 ) Sur l'homme el le développement de ses fucullés, ou essai de physique sociale, par le docteur Quetelet, secrétaire perpélucl de l'Académie royale de Bruxelles , elc. Bruxelles, 1836. Tome II , p . 144 . 382 DÉGÉNÉRESCENCES DANS L'ESPÈCE . temps que la démoralisation du peuple. Leurs observations n'ont point été perdues, et la réforme s'est successivement opérée, en commençant par les classes les plus éclairées. Ce défaut autrefois si commun ei dont on tirait presque vanité , ne se trouve plus maintenant que dans les classes inférieures, d'où il disparaitra successivement, autant du moins que le comporte la nature d'un climat humide ou les toniques pris avec mesure ne peuvent produire qu'un effet utile... Quand un climat crée un besoin, il est bien difficile que l'homme n'en fasse pas un abus (1 ) . ( 1 ) Quetelel . Ouv. cité , lome II , p . 145. Jusqu'à quel point les alcoo liques doivent- ils ètre regardés comme des loniques indispensables dans les pays septentrionaux ? C'est là une question qui est diversement résolue, et sur laquelle je n'oserais pas me prononcer d'une manière absolue. M. Magnus Hiss et d'autres médecios suédois rejellent complétement, je ne dirai pas par esprit de réaction , mais par la conscience intime du mal que fait l'alcool , rejellent complétement , dis- je, l'usage de cette liqueur pernicieuse . Les ancêtres des Suédois actuels, dont la force physique et la longévilé élaient devenues proverbiales, n'usaient pas de liqueurs fortes et ne s'en portaient pas plus mal . On prétend encore que l'alcool est indispensable à des eslo macs qui n'ont pour loule nourriture que des aliments grossiers, indigesies ou souvent même insuflisants, mais la nourriture des anciens Suédois , ajontent ces médecins, étail- elle meilleure ?... Je pense que la question des excès alcooliques tient plus qu'on ne le croit à la mauvaise qualité ou à l'in suffisance de la nourriture. Dans les années calamiteuses, et celles que nous traversons en sont un exemple, les excès alcooliques dans la classe ouvrière augmentent avec la cherté des subsistances et le manque à peu près total de vin. Il est bien certain, d'un autre côté , que les toniques pris dans des pro portions modérées ne pourraient ètre que favorables à ceux qui se trouvent dans ces conditions malheureuses . Je tiens de M. le docleur Guislaid , dont l'autorité scientifique est bien connue, que les lempéraments acluels des ouvriers des Flandres et de la Hollande ne pourraient pas se passer d'une manière absolue du fonique de prédilection de ce pays, du genièvre. Il faut faire la part des modifications énormes , que depuis un demi- siècle ont subi INTOXICATION ALCOOLIQUE EN SUÈDE . 383 Il n'est peut- être aucun pays au monde où le danger que faisaient courir à la population les excès alcooliques, ait été aussi vivement senti qu'aux Etats- Unis . Au commence ment de ce siècle , et alors que l'abus des boissons était loin d'être aussi grand qu'il l'a été depuis en ce pays , il avait été démontré que l'usage des liqueurs fortes causait annuelle – ment la mort de 40 à 50,000 personnes, et que l'on devait à cet abus l'extension du paupérisme et le nombre plus grand des délits et des crimes ( 1 ) . les organisations de lous les peuples européens. Cela tient à des causes complexes qui ressortiront de tout ce que nous avons à dire dans ce trailé des dégénérescences. Toujours est-il que la génération aclúelle n'a pas , au point de vue du temperament physique, la force de résistance de celle qui s'est éleinte à la fin du siècle dernier. (1) Voir les lellres sur l'Amérique du Nord , par Michel Chevalier. Paris, 1838. Tome jer , p . 389. Nous aurons occasion, dans la partie de la prophylaxie et de l'hygiène , de parler des sociétés de tempérance , qui n'ont pu èire ridicalisées que par ceux qui ne connaissent pas la force d'énergie du caractère américain . La première de ces sociétés s'est organisée à Boston , en 1826. Elle doit son origine à l'influence morale exercée sur la popula tion des Etats - Unis par celle fraction désignée sous le nom de Yankee, el qui , d'après ce que nous apprend M. Michel Chevalier, est devenue l'ar bitre des mours et des coulumes ; c'est par « elle que le pays a une leiale

  • générale d'austère sévérité , qu'il cst religieux et même bigot ; par elle qne

» tous les délassements , qui sont considérés par nous comme des distractions honorables, sont proscrits ici comme des plaisirs immoraux ; c'est par elle que les prisons s'améliorent, que les écoles se multiplient , que les sociétés » de tempérance se répandent . » Les détails qui suivent sur les sociétés de tempérance me paraissent d'an tant plus dignes de figarer dans la qaestion de l'alcoolisme , qu'on des grands malheurs de la Suède , ainsi que le dit positivement M. le docleur Magnus Hass, est l'établissement des distilleries qui répandent annuellement des flols d'eau-de- vie sur ce malheureux pays . En 1831 , aux Etats - Unis, 3,000 sociétés de tempérance avaient été éla 384 DÉGÉNÉRESCENCES DANS L'ESPÈCE. Quelle que soit donc la contrée où nous examinions les conséquences de l'ivrognerie, quel que soit le degré de blies, dont 13 sociétés d'élats, comprenant plus de 500 mille membres : 1,000 distilleries avaient été fermées, 3,000 personnes avaient cessé le trafic des liqueurs spiritueuses. En 1833, il existait plus de 5,000 sociétés de lempérance, dont 21 sociétés d'états , comprenant plus d'un million de membres : plas de 2,000 personnes avaient abandonné la fabrication des spiritueux , et plus de 600 avaient cessé d'en détailler ; plus de 700 vais seaux naviguaientsans spiritueux à bord ; plus de 5,000 ivrognes s'étaient corrigés. En 1834, le nombre des sociétés de tempérance était de plas de 7,000, comptant au- delà de 1,250,000 membres ; plus de 3,000 distille ries s'étaient fermées, et plus de 7,000 marchands avaient renoncé à la venle des liqueurs fortes ; le pombre des vaisseaux naviguant sans spiri tueux à bord était de plus de 1,000 ; 10,000 ivrognes s'étaient corrigés. Le nombre des sociétés, en 1835, était de 8,000 , dont 23 d'élais ; une pour chaque état , exceplé en Louisiane, elles comptaient plas de 1,500,000 membres ; on avait obleno en tout la fermeture de plus de 4,000 distilleries et de 8,000 boutiques de détail. Le nombre des navires de tempérance excédait 1,200, celui des ivrognes réformés 12,000. On a calculé qu'en outre plus de 20,000 personnes avaient renoncé à la consommation de loules liqueurs enivrantes... Des rapports de sociétés de tempérance, des bro chures, des journaux de même pature, ont été répandus dans toutes les parties de l'Union . Des résolutions portant que le commerce des spirilueux est moralement criminel, ont élé formulées par divers corps ecclésiastiques de différentes dénominations chrétiennes, comprenant plas de 5,000 mipistres de l'Evan gile et plas de 6,000 Eglises. Les mêmes résolutions ont été adoptées par plusieurs sociétés d'états, par la société de tempérance du congrès, et par la société américaine de tempérance, à sa réunion à Philadelphie en 1834, composée par plus de 4,000 délégués des 21 Etats . En admettant avec M. Chevalier , qu'il y a quelqu'exagération dans l'ex posé qui précède, il est incontestable que la société américaine de lempé rance , et les sociétés qui se sonl créées à son exemple, ont rendu de grauds services à l'Union . Un motif particulier m'a engagé à entrer dans ces dé tails . Depuis longtemps , j'ai eu lieu de m'apercevoir que la possibilité du > 2 INTOXICATION ALCOOLIQUE EN SUÈDE . 385 civilisation d'un peuple adonné à ces excès pernicieux, nous voyons se reproduire les mêmes faits déplorables. Je tiens de l'auteur de l'Inde Anglaise, M. de Warren, que le peuple Hindou, chez lequel , comme on le sait , l'hygiène a été irrévocablement déterminée par la nature des institu tions religieuses , n'oublie que trop souvent sa misère en se livrant avec excès à l'usage du vin de palmier et à la fumée enivrante de l'opium . Les Européens, de leur côté, lui don nent malheureusement l'exemple de ces excès , et la par ticularité que nous apprend M. de Warren, à propos de la race des Halfcastes, rentre d'une manière trop particulière dans nos études pour ne pas être citée. Les Halfcastes , mélis ou mulâtres , sont une race née du mélange des con quérants Européens avec les populations indigènes. Vic times des préjugés qui, dans les Indes aussi bien qu'en Amérique, pèsent sur les individus de sang mélangé, les Halfcastes occupent une position sociale supérieure, il est vrai , à celle des indigènes, mais bien inférieure à celle des Européens . Leur nombre peut se monter à 40 ou 50 mille ; il devrait être beaucoup plus considérable en proportion des naissances, mais héritant des vices plus souvent que des qualités des deux races dont ils sont le produit, les Halfcastes ont en général , dit M. de Warren , toute la lubricité de l'Indien et loute l'ivrognerie de l'Anglais, et cette combinai Irailement moral appliqué à une société toute enlière, était regardée par beaucoup de personnes comme une chose d'autant plus irréalisable, que la valeur de ce traitement était mise en doule dans les cas particuliers. J'ai pensé devoir saisir celle occasion pour prouver que si l'élude des dégénéres cences étail de nalure à nous décourager sur l'avenir réservé à telle ou lelle fraction de l'humanité, ce n'était pas une raison pour reculer devant les remèdes à employer pour guérir des plaies sociales aussi profondes. Rai sooner autrement ce serait désespérer de l'avenir de l'humanité. 25 386 DËGÉNÉRESCENCES DANS L'ESPÈCE . son en amène un grand nombre à une fon prématurée el sans reproduction. S'il y a progéniture, celle- ci est chétive, mi sérable, vicieuse , et cette race dégénérée se confond le plus souvent avec les Topassies ou Topas ( 1 ) , pour se perdre à la longue parmi les indigènes . La stérilité des parents et la mort précoce des enfants, sont, en général , les deux symptomes précurseurs de la dé générescence des peuples et de leur décadence imminente . En vain , chercherait on aujourd'hui en Suède la vérification du fait attesté par Rudbeck, auteur suédois cité par Buffon , et qui dit que dans son pays les femmes sont fort fécondes, qu'elles y ont ordinairement huit, dix et douze enfants, et qu'il n'est pas rare qu'elles en aient dix-huit , vingt, vingt qualre, vingt-huit et jusqu'à trente . Il affirme de plus qu'il s'y trouve des hommes qui passent cent ans, que quelques uns vivent jusqu'à cent quarante ans , et qu'il y en a même eu deux, dont l'un a vécu cent cinquante- six et l'autre cent soixante et un ans ( 2 ). On remarquera seulement avec ( 1 ) On appelle Topassies ou Topas des indigènes qui n'ont rien de com mun avec les Européens qu'une partie de l'habillement el le plus souvent un catholicisme plus ou moins éclairé . Ils descendent généralement des anciens mélis Français, Portugais el Hollandais ( de Warren. L'Inde Anglaise . Paris , 1843-44, 2e édition , tome II , p. 71 ) . (2) Ces fails de longévité ne sont pas improbables, et il est possible qu'on les retrouve encore dans quelques parlies de la Suède, de même qu'on les observe dans tous les pays de l'Europe. Il est bien prouvé aujourd'hui que la longévilé peut être un fait héréditaire, et qu'on en retrouve des exemples dans loutes les races humaines , malgré la diversité des climats. Il est cer taines races, la race nègre, par exemple, qui offrent un plus grand nombre de centenaires que les autres, mais il n'en résulte pas moins que la longé vilé la plus prodigieuse est de toutes les races, et que dès lors, comme le pense M. le docteur Prosper Lucas, la race n'en est pas le principe. On pent, pour plus de détails , consulter à ce sujet l'ouvrage déjà cité de M. le CONSIDÉRATIONS ANTHROPOLOGIQUES. CLASSIFICATION . 387 Buffon , que cet auteur est un enthousiaste au sujet de sa patrie, et que selon lui , la Suède est à tous égards le premier pays du monde. L'objection tirée du grand nombre de naissances dans tel ou tel centre de libertinage et de démoralisation , n'a jamais pu être posée sérieusement. Nous avons déjà vu la valeur de naissances pareilles , et les faits ne manquent pas pour démontrer l'excessive mortalité des enfants nés dans d'aussi déplorables conditions. Je sais que ces conditions sont souvent complexes, mais l'ivrognerie est incontesta blement la cause qui domine de semblables situations ; c'est ce que des auteurs ont fait ressortir pour la province de Guanaxato au Mexique, où l'on compte apnuellement 100 naissances pour 1,000 babitants et 100 décès par 1,970 . Encore une fois, les opinions peuvent varier pour les causes, mais ceux qui auront fait une étude approfondie de la manière dont se créent les dégénérescences dans l'espèce, se tromperont rarement dans l'appréciation des faits, et sauront toujours remonter à l'origine du mal qu'il leur est donné d'observer . « Des voyageurs, dit M. D'Yver nois, qui ont observé au Mexique le triste concours d'une excessive mortalité , d'une excessive fécondité et d'une excessive pauvreté, l'attribuent au bananier, qui assure aux Mexicains une alimentation à peu près suffisante ; d'autres en accusent la dévorante chaleur du climat , qui inspire une insurmontable aversion pour le travail , et laisse en quelque sorte les habitants de celle zone d'indolence , insensibles à tout autre besoin qu'à celui qui pousse les deux sexes l'un vers l'autre . De là les myriades d'enfants, dont la plupart docleur Prosper Lucas : Traile philosophique el physiologique de l'hérédité naturelle dans les élais de santé et de maladie du syslème nerveux." Tome jer , S V. De l'hérédilé de la durée de lu vie . 388 DÉGÉNÉRESCENCES DANS L'ESPÈCE . a n'arrivent pas au sevrage, ou n'apparaissent sur les re gistres que pour faire place à d'autres, dont les survivants commencent l'inerte et courte existence de leurs devan ciers , victimes comme eux de la paresse, de l'apathie et des perpétuelles tribulations d'une vie de misère à laquelle ils s'habituent, sans éprouver plus que leurs pères le besoin d'en sortir . Pour se faire une idée de ce qui se passe dans celte république, il faut, ajoute M. D'Yvernois, lire le rap port d'un Suisse qui l'a visitée en 1830. Rien n'égale la masse de souillures physiques , morales et politiques dont il a dressé le hideux tableau . Quoiqu'il ait négligé de s'en quérir du nombre des naissances, il l'a deviné, puisqu'il appelle le Mexique une Chine barbare. On voit dans celte simple relation surgir une cause qui n'a pas manqué d'etre citée dans d'autres circonstances pour expliquer l'indolence, l'apathie et même le défaut d'activité morale de certains peuples , je veux parler de ces admirables conditions climatériques qui rendent la vie ma térielle si facile sous des cieux favorisés ; mais ce serait une élrange manière d'envisager une question que de s'en tenir ainsi à la superficie des choses . Le bananier était aussi un arbre connu des fortunés habitants des iles de l'Océan Pa cifique, et cependant la dépopulation de ces îles n'est arrivée que lorsque les Européens eurent inoculé à ces insulaires, avec leurs maladies , la funeste babitude de boire de l'eau - de- vie . Il est un fait, qu'à la honte de l'Europe civilisatrice il est impossible de cacher : c'est que la domi nation de la race conquérante chez les indigènes du nou veau monde s'est établie plus impitoyablement par la pro pagation de l'eau- de-vie que par la force des armes. On sait que beaucoup d'établissements, formés par le zèle des missionnaires au sein des populations américaines, n'ont pn résister à ce dissolvant moral, dont l'action est d'autant CONSIDÉRATIONS ANTHROPOLOGIQUES. CLASSIFICATION . 389 plas funeste que les races se rapprochent davantage de l'état de première enfance. Nous pourrions citer des milliers d'exemples de la funeste influence des liqueurs fortes chez les indigènes de l'Amérique, soit que ce goût pernicieux leur ait été communiqué par les Européens, soit qu'ils aient appris eux- mêmes à se servir de ces boissons ou de ces substances loxiques ébriantes dont nous avons déjà raconté les singuliers effets . Chez les peuples du Sud de l'Amérique, par exemple , l'usage de la liqueur fermentée provenant de la racine de manioc est très - fréquent. L'ivresse , dit M. d'Orbigny, dans son histoire de l'homme Américain , est le bonheur suprême de ces races . Elles poussent si loin celle passion , ajoute cet auteur, qu'il a vu une Indienne vendre son fils, pour s'assurer trois jours d'orgie à elle et à sa famille. Les Yuracares, circonscrits au sein de leurs forêts, immolent souvent leurs enfants pour s'épargner la peine de les élever, et seuls parmi les indigènes, ils connaissent le suicide et le duel . Nous n'avons pas besoin d'autres preuves pour démon trer que l'usage des substances toxiques ébriantes amène dans la race les mêmes effets pernicieux que chez l'indi vidu . Ces effets ont invariablement le même caractère sous toutes les latitudes . Ils se produisent avec une instantanéité d'autant plus grande, avec une efficacité d'autant plus for midable dans une société déterminée , qu'il y existe déjà d'autres causes dégénératrices, et que le degré moins avancé de civilisation où est parvenue cette société , ne peut y développer, comme contre- poids à des tendan désordonnées, l'action salutaire et conservatrice de la mo rale et de l'éducation . Sous l'influence d'une cause de dégradation aussi active que l'usage immodéré des boissons fermentées, par exem ple, et des substances toxiques ébriantes , il se produit des 390 DÉGÉNERESCENCES DANS L'ESPÈCE . maladies nouvelles, et les affections anciennes y revêtent une forme particulière de nocuité ; le lerme moyen de l'existence diminue, et la viabilité des enfants nouveau nés est de moins en moins assurée ; les troubles de l'ordre intellectuel et moral se signalent enfin par le chiffre plus élevé des aliénés , des suicides et des criminels . La statis tique nous aide à vérifier ces faits, et l'on peut sans crainte d'erreur généraliser l'influence d'une cause perturbatrice, dont on a d'une manière certaine apprécié les effets dans le cercle plus restreint de l'individu ou de la famille . Lorsque nous transportons cette élude au sein d'une société où ces excès tendent à devenir une partie pour ainsi dire constitutive des meurs, des usages et des habi ludes, nous retrouvons les mêmes transformations dégéné ratives que celles qui ont déjà fait le sujet de nos recherches antérieures. Ces transformations sont représentées par des catégories diverses . Dans la première nous classons les individus, ou agglo mérations d'individus qui sont les victimes directes de l'in toxication alcoolique, et qui après avoir subi , tant au point de vue physique qu'au point de vue moral , toutes les pbases pathologiques de cet empoisonnement , terminent tristement leur existence dans l'hébèlement et la paralysie. La deuxième comprend une classe très- nombreuse d'élres demoralisés et abrutis, qui se signalent par la dépravation souvent très-précoce de leurs instincts , par l'obscurcisse ment de leurs facultés intellectuelles et par la manifestation des actes qui outragent le plus grossièrement la morale. La paresse et le vagabondage forment les attributs princi paux du caractère de ces malheureux . Ils deviennent par fois , pour le médecin légiste , le sujet de problèmes très -difficiles à résoudre, quant à l'appréciation des actes répulés criminels. Les types de ce genre se trouvent fré > CONSIDERATIONS ANTHROPOLOGIQUES. CLASSIFICATION . 391 quemment dans les grandes cités , dans les centres indus triels surtout ; ils peuplent les maisons de détention, les dépots de mendicité, les prisons, et ils arrivent en défini tive dans les asiles d'aliénés, après avoir été souvent pour la société un sujet incessant de trouble, de scandale et de danger. Les transformations dégénératives fixes et irremediables s'observent chez les descendants de ces types dégradés , et il en résulte deux variétés dégénérées qui nous offrent des caractères distincts . La première variété comprend ces natures qui seraient in définissables si on ne les rattachait à leur véritable origine. Les individus nés dans ces conditions fatales se signalent de bonne heure par la dépravalion de leurs tendances. Ils sont bizarres, irritables , violents, supportent difficilement le frein de la discipline et se montrent le plus souvent ré fractaires à toute éducation ; ils se livrent instinctivement au mal , et leurs actes nuisibles et pervers sont à tort , en beaucoup de circonstances, désignés sous le nom de mono manies. Un des caracteres intellectuels qui distingue essen tiellement ces variétés dégénérées, c'est que certaines ap titudes remarquées dans le jeune âge s'évanouissent pour ainsi dire subitement. Les individus tombent dans une dé mence précoce et leur existence intellectuelle est limilée . Au point de vue physique, ils sont d'une constitution frèle et chétive. Leur stature est peu élevée , leur léte petite et mal conformée. La fréquence et la gravité des convulsions de l'enfance chez ces êtres dégénérés produisent le stra bisme ou les difformités des extrémités inférieures , ainsi que des anomalies ou des arrêts de développement dans la structure intime des organes . La surdi-mutité congéniale se rattache dans quelques cas à cet état dégénéré ; plu sieurs sont incapables de se reproduire. Quant à ceux qui 392 DĖGÉNÉRESCENCES DANS L'ESPÈCE . ne sont pas tout à fait impuissants, il est inouï, à moins de conditions exceptionnelles de régénération provenant de la femme, que les descendants de ces individus soient viables . Ils deviennent les victimes précoces des différentes lésions du système nerveux, et sont fatalement soumis à la loi de la succession des phénomènes pathologiques qui se com mandent et s'engendrent successivement. Dans d'autres cir constances, enfin , bien plus nombreuses qu'on ne pourrait le croire, ils rentrent dans la classe de ceux que poursuit la vindicte des lois et ils augmentent la population des prisons et des bagnes. La deuxième catégorie des transformations héréditaires dans les races comprend ces étres dégénérés, vulgairement désignés sous les noms d'imbéciles el d'idiots . Leur dégé nérescence est fixe et irremediable. Ils forment dans l'es pèce une variété maladive complète. Les caractères de l'ordre physique et de l'ordre moral qui leur appartiennent sont des plus significatifs et présentent une ressemblance et une analogie frappantes sur tous les points du globe où cette variété s'observe . Nous décrirons ultérieurement celte variété maladive en donnant l'explication des types qui forment la partie iconographique de cet ouvrage. Enfin , à la question qui pourrait m'être adressée sur la distribution géographique des variétés dégénérées, qui doivent leur origine à l'action des agents intoxicants, je répondrai par une réflexion si simple que le lecteur n'aura pas déjà manqué de la faire . Il existe, et ceci se comprendra encore mieux lorsqu'on aura sous les yeux l'ensemble des faits qui dominent la gé nération des races maladives, il existe des variétés irrévo cablement fixées dans tel endroit plutôt que dans tel autre . Il en est dont le développement sur un point déter miné du globe est en rapport avec la prédominence d'une CONSIDÉRATIONS ANTHROPOLOGIQUES. CLASSIFICATION , 393 > cause qui n'y régnait pas autrefois, et l'on y remarque en dernière analyse des maladies, et partant des dégénéres cences dans l'espèce qui sont le résultat d'un ensemble de causes que j'ai déjà désignées en aliénation sous le nom de causes mixtes. La recherche de ces causes, l'étude de leur influence spéciale sur l'individu et sur l'espèce, sont des plus impor tantes . Elles ouvrent à l'observateur le champ de l'im prévu , et lui font découvrir des maladies d'une nature caractéristique. Enfin , lorsqu'on poursuit altentivement l'évolution des phénomènes pathologiques et leur enchai nement successif , on retrouve de véritables dégénéres cences, dans tel ou tel milieu où l'on ne soupçonnait pas qu'il pouvait en exister . Il suffira d'énoncer quelques faits généraux pour justifier ces trois propositions : 1 ° Dans les contrées marécageuses, dans celles où la constitution géologique du sol agit sur l'organisme humain d'une façon délétére , on observe des variétés dégénérées propres au milieu dans lequel ces variétés se développent et dont le type invariable n'est créé que dans des milieux identiques. Exemple : les races maladives des pays à ma rais et les crétins . 2° Toutes les affections qui dérivent de l'excès des boissons alcooliques, de l'altération de certaines céréales , telle que le maïs, ont pris dans quelques régions de l'Eu rope un caractère de généralisation qui constitue l'endemi cité . Dans ce cas encore, il ne sera pas difficile de fixer aux variétés dégénérées leurs milieux de prédilection . C'est là qu'on les retrouvera, soit à l'aide de l'observation di recte des faits pathologiques, facilement compréhensibles pour les médecios qui auront étudié l'action des causes dégénératrices ; soit à l'aide des moyens d'investigation que la statistique morale, comme nous l'avons comprise,

394 DÉGÉNÉRESCENCES DANS L'ESPÈCE . met entre les mains de ceux qui recherchent sincèrement la vérité, et qui ne tentent pas de déduire de celte étude des conséquences improbables ou impossibles . 3 ° Le classement des variétés dégénérées provenant des causes mixtes , la désignation du milieu de prédilection qu'elles habitent , sont une chose plus difficile ; cela se comprend aisément puisque plusieurs éléments de l'ordre physique et moral , capables à eux seuls de déterminer un élat de dégénérescence, interviennent également dans la question . Il n'est pas toujours facile de faire la part exacte qui revient aux excès de boissons, à la mauvaise éduca - tion, aux conditions malsaines de logement et de nourri ture, à l'hérédité, etc. , etc. , lorsque ces causes agissent dans la simultanéité de leur action. J'ai néanmoins remar qué, que le type de la dégénérescence était ordinairement en rapport avec la cause prédominente, et qu'il était même possible en beaucoup de circonstances de suivre son action chez les descendants des individus soumis à l'influence de génératrice d'un groupe déterminé de causes mixtes. Il me suffit pour le moment d'avoir signalé celle difficulté, et il serait prématuré de poser, au point où nous en sommes arrivé, des règles fixes qui ne pourront se déduire que de l'ensemble de nos études . SIV. - Dégénérescence dans l'espèce sous l'influence des préparations toxiques ébrianles . De l'opium chez les Orientaux . Influences dégéné ratrices comparées. Manière d'appliquer l'étude des causes mixtes aux diverses civilisations. La dégénérescence de l'espèce dans les contrées ou se consomment l'opium et les diverses substances ébrianles dont il a élé fait mention au chapitre deuxième, sont plus difficiles à déterminer dans leurs relations avec la cause génératrice . La raison en est dans la difficulté plus grande OPIUM CHEZ LES ORIENTAUX . 395 d'arriver à l'appréciation exacte des fails au moyen de la statistique morale, dans la manière différente aussi, dont on doit juger chez les nations Orientales les actes qui , d'après nos idées religieuses ou philosophiques , sont enta chés de crime ou d'aliénation. L'aperçu de ce qui existe sous ce rapport dans une des contrées que nous avons signalées comme étant le plus exposées aux conséquences funestes de l'intoxication par l'opium , va nous fournir la preuve de celle assertion . On conçoit que, si le nombre plus considérable des délits et des crimes , si la fréquence des suicides sont , ainsi que nous l'avons vu, à propos de la Suède, des moyens de constater dans l'état actuel des sociétés européennes l'in fluence d'une cause dégénératrice , la même statistique morale appliquée à d'autres contrées, à la Chine, par exem ple , pourrait, sous ce point de vue au moins, nous entrai ner à des erreurs. En effet, si l'on parcourt le fameux livre intitulé : Si - Yeun (lavage de la fosse ), et qui renferme toute la médecine légale des Chinois, on demeure convaincu que le nombre des attentats contre la vie des hommes est très-considérable en ce pays , el que le suicide y est très commun. Toutefois, pour se rendre compte d'un fait qui chez nous se rattacherait incontestablement à la fréquence plus grande de l'aliénation , il est bon d'examiner sous quelle influence les Chinois se livrent à cet acte de folie ou de suprême désespoir. Nous citerons à ce propos l'opi nion d'un témoin oculaire des plus recommandables. « On ne saurait, dit M. l'abbé Huc, se faire une idée de l'extrême facilité avec laquelle les Chinois se donnent la mort ; il suffit quelquefois d'une futilité, d'un mot pour les porter å se pendre ou à se précipiter au fond d'un puits , ce sont les deux genres de suicide les plus en vogue . Dans les autres pays , quand on veut assouvir sa vengeance sur un 2 396 VÉGÉNÉRESCENCES DANS L'ESPÈCE. ennemi>, on cherche à le tuer ; en Chiue, c'est tout le contraire, on se suicide. » « Celle anomalie tient à plusieurs causes, dont voici les principales : d'abord la législation chinoise rend respon sables des suicides ceux qui en sont la cause ou l'occasion. Il suit de la que lorsqu'on veut se venger d'un ennemi, on n'a qu'à se luer et on est assuré de lui susciter une affaire horrible ; il tombe entre les mains de la justice qui , tout au moins , le torture et le ruine complétement si elle ne lui arrache pas la vie . La famille du suicidé obtient ordi nairement dans ce cas des dédommagements et des in demnités considérables ; aussi il n'est pas rare de voir des malheureux , emportés par un atroce dévouement à leur famille, aller se donner stoïquement la mort chez des gens riches . En luant son ennemi, le meurtrier expose, au contraire, ses propres parents et ses amis, les déshonore, les réduit à la misère, et se prive lui-même des honneurs funèbres, point capital pour un Chinois, et auquel il tient par- dessus tout ; il est à remarquer, en second lieu , que l'opinion publique , au lieu de flétrir le suicide , l'honore el le glorifie. On trouve de l'héroïsme et de la magnanimité dans la conduite d'un homme qui attente à ses jours avec intrépidité pour se venger d'un ennemi qu'il ne peut écraser autrement ; enfin , on peut dire que les Chinois redoutent bien plus les souffrances que la mort ! Ils font bon marché de la vie, pourvu qu'ils aient l'espérance de la perdre d'une manière brève et expéditive ; c'est peut-être celte considération qui a porté la justice chinoise à rendre le jugement des criminels plus affreux et plus terrible que le supplice même ( 1 ) . » Nous pourrions à propos de ce pays citer d'autres ( 1 ) M. Huc. L'empire chinois , tom . fer1, chapitre VII , pag . 509. OPIUM CHEZ LES ORIENTAUX . 397 exemples qui prouvent la diversité du point de vue où il faut se placer, quand on veut appliquer à une nation aussi étrange par ses contrastes, les principes qui dominent la statistique intellectuelle , physique et morale des peuples Européens. On commettrait néanmoins une grande erreur si l'on pensait que la différence des civilisations modifie à tel point la vie morale des pations , ou , en d'autres termes , obscurcit d'une manière si radicale chez les individus la notion différentielle du bien et du mal , qu'il soit impossible de juger les peuples les plus dissemblables par leurs meurs, par leur religion et leurs habitudes, les peuplades même les plus abandonnées , en appliquant à leurs actes le criterium de la morale qui est celle de l'humanité touto entière. C'est ainsi que, pour en revenir à la Chine, il est certain qu'aux yeux même des moralistes éclairés de ce pays, bien moins immobile qu'on ne le pense en Europe, la plupart des actes qui se rattachent dans les masses ignorantes à des idées erronées en morale ou en religion , sont consi dérés comme des infractions à la loi qui dirige la con science de tous les peuples de la terre. Je ne cilerai , en passant, que l'infanticide si commun en celle contrée, sui vant ce qu'on en croit généralement en Europe. Cet acte, un des plus horribles sans aucun doute qui se puisse ima giner, et sur la perpétration duquel l'opinion que peuvent s'en former les Européens a besoin encore d'être édifiée par la connaissance plus exacte des faits, est jugé diver sement par ceux qui ont eu l'occasion d'en être témoins ( 1 ) . ( 1 ) L'infanticide ou l'exposition des enfants sont-ils en Chine des actes aussi fréquents qu'on le croit communément ? A quelle idée erronée en morale ou en religion est- il possible de rallacher une détermination aussi horrible de la part des parents ? Telles sont les questions sur lesquelles 398 DÉGÉNERESCENCES DANS L'ESPÈCE . Quelle que soit l'interprétation, qui selon la diversité des meurs, des habitudes, des croyances religieuses, puisse vous sommes mieux renseignés aujourd'hui. Il est un fait certain, c'est que l'état extrême d'abjection où sont les femmes en Chine, exerce une grande influence sur l'exposition des enfants et principalement sur l'abandon des filles . Celle abjection repose sur l'idée généralement répandue que les femmes n'ont pas d'âme on possèdent une âme d'une aulre espèce ; de là dérive un état de servitude et de mauvais traitements, qui n'a son analogie que dans la société indienne . D'autres idées superstitieuses viennent encore nous rendre compte d'un pareil état de choses . D'après ce que raconle un lémoin bien digne de foi, Monseigneur Delaplace, vicaire apostolique dans les missions de la Chioe, chaque province de ce singulier pays a pour ainsi dire sa langue , ses coutumes et ses superstitions propres . C'est ainsi que dans le canlon de flo -Nan où ce missionnaire a particulièrement exercé son zèle, il existe une croyance à la métempsycose qui repose sur l'idée que chaque homme a son esprit, son génie désigné sous le nom de Iouen . Co Houen , génie plus ou moins malfaisant, résume en sa personne une espèce de trinité. A la mort de chaque iodividu , un de ces Houen transmigre dans un corps , un autre reste dans la famille, c'est comme le Houen domestique ; enfin , le troisième repose sur la tombe . Chacun de ces gépies reçoit un culle particulier qui consiste principalement en repas funèbres et en l'inci nération de bois de senteur. Quant aux enfants, l'usage de permet pas de leur élever des tablelles , ui de leur rendre un colte quelconque, parce que leur Houen n'est pas aussi parfait. On se débarasse en conséquence des enfants moribonds en les jetant à l'eau , ou bien on va les exposer ou les enlerrer dans un lieu écarlé ; dans d'autres circonstances, les parents croiront assouvir la vengeance des génies malfaisants en luant leurs eufants moribonds. Néanmoins, de pareilles atrocités sont loin d'être générales en Chine. M. Huc cite plusieurs édits très - sévères du gouvernement, dans le but de réprimer un usage aussi barbare que celui de l'exposition des enfants. Le même missionnaire de pie pas au reste que le paupérisme qui dévore la nalion chinoise ne soit une cause fréquente d'infanticides, cause bien plus commune sans contredit qu'en aucun pays du monde. D'an autre côté, d'a près ce que nous apprend le même 'auteur, il n'existe pas en Chine comme OPIUM CHEZ LES ORIENTAUX . 399 etre donnée aux faits anormaux de l'ordre intellectuel ou i moral qui se passent dans tel ou tel pays , nous ne possé dons pas moins des moyens certains de rallacher ces faits à des causes qui indiquent la décadence intellectuelle , morale et physique des peuples, ou en d'autres termes leur : dégénérescence . Il existe sous ce rapport, chez les nations Orientales, et particulièrement en Chine, des symptômes de la plus baute gravité , et si l'abus extraordinaire qui s'y fait des substances ébriantes, telles que l'opium , est une cause dégénératrice des plus actives, quant à ce qui re garde les individus, il est incontestable que ce poison opère dans le même sens sur l'espèce , et que son action se fait sentir chez les descendants des malheureux livrés à celle passion déplorable. S'il n'en n'était pas ainsi , la transmis sion héréditaire du principe dégénérateur chez les enfants de ceux qui s'adonnent à l'alcoolisme chronique pourrait être mise en doute ; or, nous avons prouvé par de nom breux exemples que les faits relatifs à cet ordre de phé nomènes se déduisent avec une rigueur trop désespérante en Europe de cimetière commun . Chaque famille enterre ses morts sur son terrain propre, d'où il résulle qu'une sépullore est ordinairement très coûteuse, et que les personnes per aisées sont souvent très -embarrassées pour reodre les honneurs funèbres à leurs proches. On ne se fait aucun scrupule à l'égard des enfants pauvres surtout, de les envelopper à leur mort de quelques lambeaux de natte, puis on les abandonne au courant des eaux , dans les ravios, sur les montagnes isolées ou le long de quelque sen tier . On peut done , ajoute M. Huc, rencontrer assez fréquemment dans les campagnes des cadavres de pelits enfants ; quelquefois même ils deviennent la pålure des animaux ; mais on aurait tort de conclure que ces enfanis étaient encore vivants quand ils ont été ainsi jelés et abandonnés . Cela pent cependant arriver assez souvent, surtout pour les petites illes dont on veut se défaire et qu'on expose de la sorte, dans l'espérance qu'elles seront peut èlre recueillies par d'autres . (Huc, ow , cité, tome II, p . 403. 400 DÉGÉNÉRESCENCES DANS L'ESPÈCE . de la cause productrice, pour ne pas reconnaitre de frap pantes, je dirai même de nécessaires analogies entre les conséquences de l'intoxication alcoolique et les consé quences de l'intoxication par les autres substances ébriantes . J'admets maintenant que les relations des Européens, à propos de l'usage de l'opium chez les Orientaux, soient exagérées, et qu'il existe aux Indes et particulièrement en Chine d'autres causes dégénératrices, mais ceci n'in firme en rien la thèse que je soutiens. Je m'empresse au contraire de répondre à celle double objection, les argu ments que j'aurai à produire me donneront l'occasion de faire ressortir l'influence des causes que j'ai désignées sous le nom de causes mixles, et dont l'intervention doit de toute rigueur être admise, lorsqu'on étudie l'influence d'un élément dégénérateur dans les grandes aggloméra tions d'individus constiluant les nationalités et les races. Les détails que nous connaissons sur l'influence de l'opium aux Indes et à la Gbine nous sont parvenus par les Européens, qui ont eu l'occasion d'en étudier les funestes effels, soit sur les indigènes, soit malheureusement sựr, leurs propres personnes . Nous savons que la facilité avec laquelle s'impatronise celte déplorable habitude, n'est éga lée que par la difficulté extrême d'en interrompre le cours ; mais nous n'ignorons pas non plus que la classe aisée peut seule assouvir une passion qui ne laisse pas d'élre très- dispendieuse. Il est très-probable encore que le long des cotes où la contrebande s'exerce avec une licence extrême, et que dans les villes du littoral où les Européens ont le droit d'établir leurs comptoirs, l'usage de l'opium soit devenu plus général , et que le peuple innombrable qui fourmille dans ces grands centres d'activité commerciale, soit plus facilement entrainé par l'incitation de l'exemple ; toutefois, il est impossible de conclure à la généralisation OPIUM CHEZ LES ORIENTAUX . 401 d'un mal qui ne laisse en perspective que l'extinction totale de la race . C'est la conclusion à laquelle, ainsi que nous l'avons vu , se sont arrêtés les médecins Anglais qui ont étudié les funestes effets de l'opium, et leur conclusion était légitime puisqu'elle se déduisait des faits dont ils étaient les témoins ; mais encore une fois il est permis de croire que ces faits ont été exagérés dans leurs consé quences sur les masses : plusieurs motifs nous portent à le penser. Premièrement, malgré l'état de décadence de la nation chinoise, décadence dont nous allons dans un instant exa miner sommairement les causes principales, ce peuple se montre néanmoins doué d'une activité trop grande pour qu'il soit permis de conclure que le mal soit aussi univer sellement répandu que quelques voyageurs l'ont affirmé. Secondement, le besoin de stimuler l'imagination au moyen de substances enivrantes ou narcotiques, besoin que nous avons vu exister chez tous les peuples de la terre et sous les applications les plus diverses, reçoit aussi sa satis faction en Chine par l'emploi très- général du tabac, ainsi que le constate un auteur dont nous avons plusieurs fois déjà invoqué le précieux témoignage. « L'usage du tabac est devenu universel dans tout l'em pire, dit M. Huc ; hommes, femmes, enfants, tout le monde fume, et cela presque sans discontinuer. On vaque à ses occupations , on travaille, on va, on vient, on chevauche , on écrit , on cultive les champs avec la pipe à la bouche. Pendant les repas , si on s'interrompt un instant , c'est pour fumer; pendant la nuit si on s'éveille on allume sa pipe... On comprend combien doit être importante la culture du tabac dans un pays qui doit en fournir à trois cents millions d'individus , sans compter les nombreuses tribus de la Tartarie et du Thibet qui viennent s'approvisionner sur les 26 402 DÉGÉNÉRESCENCES DANS L'ESPÈCE . a marchés chinois. La culture du tabac est entièrement libre, chacun a le droit d'en faire venir en plein champ et dans les jardins en aussi grande quantité qu'il lui plait... Les feuilles avant d'être livrées au commerce, subissent di verses préparations suivant les localités . Dans le midi on a l'habitude de les couper par filaments extrêmement dé liés ; les habitants du nord se contentent de les dessécher, puis de les broyer grossièrement et d'en bourrer ainsi les pipes ( 1 ) . Ce fait de l'usage aussi illimité que possible du tabac, suffirait déjà à lui seul pour prouver que les ravages cau sés par l'opium sont concentrés dans certaines classes de la société orientale. L'expérience constate en effet que les individus adonnés à l'opium ne trouvent aucune satisfac tion dans l'usage du tabac , et les Anglais qui ont contracté cette funeste habitude dans les Indes nous en offrent un exemple convaincant. Au reste , cette appréciation du fait n'enlève rien à la nocuité absolue d'un agent intoxicant de quelque nature qu'il soit , et il est facile de prévoir quel les pourraient être les conséquences de l'usage de l'opium , si l'habitude de fumer cette drogue devenait malheureu sement un jour une partie constitutive des mæurs européen ( 1 ) Huc, ouv . cilė , tom. I , page 222. Le tabac en poudre dont l'usage est loin d'élre aussi généralisé, est cependant très- répanda parmi les Tarlares Mantchoux et Mongols, el parmi la classe des Lettrés el des Mandarins. L'usage du tabac à priser a été introduit en Chine par les missionnaires, et c'est encore aujourd'hui le tabac français qui jouit d'une vogue tout à fait spéciale. Le tabac à priser indigène ne subit aucune fermentation, el de peut être étudié comme le nôtre au point de vue de ses effets directs el sur l'individu qui en fait usage, et sur l'ouvrier qui manipule celle substance. Les Chinois se contentent de pulvériser les feuilles, de lamiser la poudre jusqu'à ce qu'elle acquière la finesse de la farine, et de la parfumer ensuite avec des fleurs et des essences. OPIUM CHEZ LES ORIENTAUX . 403 ves. Je ne crains pas d'affirmer que ces conséquences seraient plus désastreuses encore que celles que nous observons dans les pays orientaux. Les raisons que je pourrais en donner se déduisent en partie de nos études antérieures, et en partie aussi de celles qui nous restent à faire pour établir l'action dégénératrice des causes dans leurs rapports avec l'usage et l'adaptation chez les indi vidus. Cette dernière question se rattache même d'une manière si intime, d'une part, à l'étude de l'anthropologie, et de l'autre , au domaine encore peu exploré de nos jours d'une certaine partie des sciences physiologiques, que je suis obligé de réclamer toute l'attention , en même temps que l'indulgence du lecteur pour les considérations qui suivent. Les efforts que fait la nature pour adapter la constitu tion des individus au climat dans lequel ils sont destinés à vivre, amènent chez eux une aptitude spéciale , désignée généralement sous le nom d'acclimatation ; ceci est un fait d'une connaissance vulgaire, mais ce qui est moins connu , ce sont les conditions intimes de l'organisation chez les races modifiées de manière à ce qu'elles puissent résister à des éléments qui seraient destructeurs, ou tout au moins nuisibles pour d'autres races . Or, celle aptitude, que nous désignons sous le nom d'acclimatation , se retrouve aussi chez les individus soumis à telle ou telle hygiène, ou voués par état å telle ou telle industrie . Ceci est encore un fait du domaine des connaissances ordinaires. On sait parfaite ment que l'hygiène des uns ne peut être suivie impunément par les autres , et que les ouvriers adaptés organiquement par suite de l'habitude à une industrie, ne se livrent pas impunément non plus sans transition à une autre industrie moins nuisible en apparence dans ses résultats généraux sur la race . Les expériences sous ce rapport ne sont pas à faire, elles se sont répétées sous mille et mille formes di 404 DÉGÉNÉRESCENCES DANS L'ESPÈCE . verses, dans le chômage des exploitations industrielles. On sait que l'ouvrier employé au travail insalubre du tissage ne peut aller travailler sans inconvénient dans les mines ; que le mineur privé de lumière et d'air pur supporte diffi cilement, dans le principe, le travail réparateur et essen tiellement utile des champs; que d'un autre côté l'ouvrière de nos campagnes adonnée sans relâche à l'industrie séden taire et automatique de la broderie, comme j'en ai vu des milliers d'exemples dans nos départements de l'Est , devient anémo-chlorotique , ressent des désordres radicaux dans les fonctions nutritives , et transmet à ses descendants ces constitutions cachecliques qui sont le point de départ de dégénérescences ultérieures dans les races humaines. L'observateur qui a suivi de près l'évolution de tous ces faits, jusques dans le développement successif et pro gressif des phénomènes pathologiques qui se commandent et s'engendrent réciproquement, est lui-même étonné des conséquences qui se produisent, et il craint que l'on n'ac cuse ses assertions d'être entachées de paradoxe. Il se demande comment il est possible que des individus puis sent s'acclimater à un milieu intoxicant, et vivre d'un ré gime qui amènerait inévitablement la mort de ceux qui n'y seraient pas façonnés. Ne voit-on pas en effet des ouvriers finir par s'accoutumer aux émanations délétères des fabriques où se préparent les sels de plomb ? et , quant à ce qui regarde le régime diététique , n'avons-nous pas sous les yeux l'exemple d'hommes intempérants qui con somment journellement pour leur part des quantités d'al cool qui en empoisonneraient plusieurs autres, de labou reurs enfin , dont la maigre alimentation serait insuffisante au cénobite le plus rigide , et å plus forte raison au sybarite de nos grandes villes , et même à l'homme le plus sobre occupé de travaux de cabinet ? Ces faits, encore une fois, OPIUM CHEZ LES ORIENTAUX . 405 sont bien connus, mais ce qui l'est moins est précisément ce qui forme l'objet de nos recherches . Il s'agit de déter miner les modifications organiques qui s'opèrent chez ceux qui subissent les lois de l'acclimatation , ou si l'on aime mieux de l'adaptation à tel ou tel milieu climatérique ou industriel , å telle ou telle nouvelle condition diététique ; il importe de savoir comment et dans quelles circonstances ces conditions nouvelles jouent vis-à-vis ceux qui y sont exposés, et vis-à- vis leurs descendants, le rôle de causes dégénératrices . J'ai déjà formellement exprimé mon opi nion sur l'impossibilité de la propagation indéfinie des races maladives, lorsque surtout le même ordre de faits tend à modifier d'une manière nuisible les générations qui suivent ; mais je n'ai pas eu l'occasion d'insister sur l'acti vité différentielle de tel ou tel agent intoxicant chez des races qui n'étaient pas accoutumées à son usage, et chez lesquelles les meurs, les habitudes , le temperament, pré sentaient des dissemblances notables, sans compter l'in fluence spéciale exercée par la nature du climat ; les considérations dans lesquelles je vais entrer serviront à éclairer cette partie si importante de nos études ( 1 ) . ( 1 ) On pourrait croire que rien n'est si facile que de déterminer les con ditions dégénératives chez les descendants de ceux qui sont soumis à une cause spéciale délétère, mais en réalité celle étude offre des difficultés extrêmes qui tiennent tant à la nature d'un sujet encore neuf, qu'à la ma nière dont les fails sont produits ou expliqués par ceux qui ont un intérêt plus ou moins direct à ce que l'alarme ne soit pas répandue sur les consé quences d'une industrie nuisible . On en jugera par l'exemple suivant . Il m'a élé , on ne peut plus difficile de me procurer des renseignements sur les conditions dégénératives des descendants d'ouvriers livrés à certaines indus tries dangereuses ; je ne citerai que la fabrication des sels de plomb . Encore ces renseignements sont- ils si incomplels que je ne crois pas devoir en faire usage dans l'état actuel de la question . Je me suis adressé à M. le docteur 406 INFLUENCES DÉGÉNÉRATRICES COMPARÉES. S V. - Influence différentielle des agents intoxicants selon les climats et la civilisation . Causes mixtes. Déviation de la loi morale. Conséquences . Exemples de dégénérescences dans diverses races . J'ai énoncé que les ravages causés par l'opium chez les Orientaux ne devaient pas être jugés d'une manière abso lue, au point de vue de l'effet produit sur les Européens, et que l'exagération du mal venait peut - être de ce que l'on était sorti de cette appréciation . Il n'est besoin pour s'en convaincre que de recourir aux notions les plus simples en médecine générale, en physiologie spéciale et en philoso phie de l'histoire . En effet, nous savons tous que l'usage progressif et fréquemment répété d'un poison, amène non Tanquerel des Planches, et j'ai fait appel à son expérience pour savoir ce qu'il connaissait sur l'état dégénéré des enfants issus de parents alleiols d'intoxication saturnine, et sur l'aptitude plus grande de ces mêmes enfants à contracter les maladies spéciales aux ouvriers en plomb . Voici ce que me répond ce juge si compelent en celle matière . « Depuis la publication de mon ouvrage, j'ai eu l'occasion de constater : 1º que les enfants provenant de parents atteints d'intoxication saturnine primitive, ou cachexie saturnine ou anémie saturnine, paraissaient quel quefois atteints en venant au monde de plusieurs des accideuts caractéris tiques de cet état d'empoisonnement qui se révèle au dehors par la teinte ardoisée des gencives , un teint plombé, l'amaigrissement, etc. Ce n'est que dans un petit nombre de cas qu'il m'a été donné de constater l’iufluence salurpine des parents sur les enfants ; 2° je n'ai pu vérifier par moi - même si les enfants nés de parents saturnins et non affectés de cachexie saturnine contractaient plus souvent les maladies satornines . On me l'a souvent affirmé. Quant aux enfants nés avec les signes de la cachexie salurnine, ils sont sans cesse sous l'influence du développement de la maladie. Ils ont une dispo sition tout à fait particulière à être alteints par la colique, par l'arthralgie, par la paralysie et l'encéphalopathieplombique, (CAUSES MIXTES) RACE PORTUGAISE EN MALAISIE. 407 seulement une tolérance plus grande de l'agent intoxicant, mais la possibilité d'en absorber relativement des quantités énormes ; ce que nous avons vu pour l'alcool , par exemple, peut également s'appliquer à l'opium . D'un autre coté, il est logique de supposer que la prédominance du tempérament lymphatique, le développement moindre de la sensibilité générale, l'indolence et l'apathie plus grande des Orien taux, et en particulier des Chinois, l'absence enfin de la plupart des motifs qui surexcitent les fonctions cérébrales chez les Européens , produit une différence notable dans l'action d'un poison déterminé sur l'économie humaine. C'est en nous plaçant à ces divers points de vue que nous sommes autorisé à conclure à la nocuité plus grande de l'opium sur les tempéraments des Européens, et celle conclusion n'est pas une simple hypothèse . Elle est l'ex pression bien véritable de ce que l'observation nous en seigne, la manifestation la plus palpable de cette loi pré servatrice qui fait que , sous toutes les latitudes , la nature non-seulement s'efforce d'adapter la constitution des indi vidus au climat, mais encore aux produits qui y naissent, et cela en dépit des passions , des erreurs et des mau vais instincts qui ne poussent que trop souvent l'homme en dehors de la voie tutélaire que la nature lui a tracée . Sans doute , il est un terme qu'il ne peut franchir sans danger pour lui et pour ses descendants, et le lecteur, déjà familiarisé avec les idées qui nous guident, entrera sans peine dans toute l'intimité de notre pensée . Nous ne prétendons pas que l'habitude enlève aux agents intoxicants leurs propriétés délétères , et que la loi dont nous nous plaisons à faire ressortir la sagesse , préserve à tout jamais l'humanité dans la personne de ceux qui la violent incessamment par leur ignorance, leur incurie et trop souvent aussi par la dégradation de leurs meurs . Il y 408 INFLUENCES DÉGÉNÉRATRICES COMPARÉES . a dans la question qui nous occupe un côté physiologique et 'un coté moral qui se rattachent, l'un et l'autre , aux destinées les plus chères de l'espèce humaine. Nous ne sommes pas faché au reste de faire ressortir à quel point l'étude des causes dégénératrices chez les individus tend à s'agrandir lorsqu'on la transplante au sein des races, et qu'on l'examine dans ses rapports avec la médecine géné rale, la philosophie et la morale, en d'autres termes avec tous les éléments en dehors desquels il est impossible de comprendre le mal dans l'humanité et la possibilité d'y porter remède. L'opium, qui exerce une influence plus funeste sur les tempéraments des Européens, est pareillement pour les Orientaux une cause active de dégradation , et les excès auxquels ils se livrent sous ce rapport finissent à la longue par déterminer les mêmes résultats funestes que l'alcool chez les Européens. On ne pourrait non plus conclure à la nocuité moins grande des boissons alcooliques, par la raison que l'habitude amène une tolérance plus considé rable chez ceux qui en font usage. Le contraire est facile à prouver, et ceci est encore un fait du domaine physiolo gique. Il est certain que dans tous les lieux où les Euro péens ont introduit l'usage de l'alcool , les conséquences en ont été désastreuses pour les peuples qui n'étaient pas accoutumés à celle boisson enivrante. Ces rapprochements entre l'action différentielle de l'opium et de l'alcool sont si simples que je n'y insisterais pas, si on ne pouvait les généraliser et les appliquer aux influences climatériques, à tout ce qui constitue en un mot l'hygiéne générale des nations , leurs habitudes , leurs industries et leurs mæurs, et j'ajouterai même leurs maladies. C'est pour n'avoir pas compris ces notions si simples en apparence que, dans leurs rapports avec les peuples du nouveau monde, les (CAUSES MIXTES) RACE PORTUGAISE EN MALAISIE. 409 Européens ont failli, dans la plupart des cas, à leur mission civilisatrice. Il est arrivé qu'au lieu de s'assimiler les indi genes par l'élément intellectuel et moral qui tend à régé nérer les races et à les relever de leur déchéance, ils leur ont imposé des habitudes incompatibles avec l'état de pre mière enfance, dans lequel ils les ont trouvés ; ils ont dé veloppé chez eux des désirs dangereux à satisfaire, et suscité la convoitise des appétits les plus grossiers. On con nait assez les conséquences d'un pareil système qui a trouvé des défenseurs au nom des prétendus intérêts du commerce et de l'industrie , et qui s'est abrité même sous l'égide de cette philosophie étroite qui a poursuivi jusque dans les forêts du nouveau monde l '@uvre de civilisation commencée par nos missionnaires ( 1 ) . Il est triste d'ajouter que la science des anthropologistes du xviº siècle a contri bué au résultat , en s'obstinant à classer dans une espèce nouvelle des races dont l'infériorité était une chose rela tive , et chez lesquelles les dissemblances physiques , intel lectuelles et morales, devaient étre étudiées au point de vue des causes qui modifient d'une manière naturelle ou d'une manière maladive les races humaines ... Le contact des ( 1 ) On connaît le sort des missions du Paraguay et de l'Amérique du sud , lorsque la tutelle religieuse à l'ombre de laquelle se développait la transformation morale des indigènes du nouveau monde eût élé violemment brisée. Les uns se sont replongés dans leurs forêts et sont devenus les ennemis naturels de leurs prétendus civilisateurs , les autres n'ont adopté que leurs vices et les ont surpassés dans leurs habitudes d'ivrognerie. Il n'est pas jusqu'à la Californie où des races, qui paraissaient indomptables, avaient élé amenées à vivre en commun sous une même loi morale, à culti ver la terre et à marcher progressivement vers la véritable civilisation . On se ferail difficilement une idée de l'abjection où sont retombés les indigènes de celle partie du globe devenue le réceptacle de toutes les mauvaises passions des babilants de l'ancien monde à la recherche de l'or . 410 INFLUENCES DÉGÉNÉRATRICES COMPARÉES. peuples de l'ancien et du nouveau continent, a même dans un grand nombre de circontances produit des résul tats tellement malheureux, que plusieurs auteurs pensent encore aujourd'hui que lorsque deux civilisations diffé rentes sont en présence, l'assimilation ne peut être opérée dans les conditions ordinaires du progrés dans l'humanité, et ils s'expliquent ainsi l'anéantissement de plusieurs des races qui ont habité l'Amérique, et le retour des autres à la vie sauvage avec des instincts plus dépravés même que ceux qui les dominaient autrefois. Ces auleurs trouvent encore la preuve de ce qu'ils avancent dans la présence au milieu des Européens des tristes débris de ces anciennes ra ces qui n'ont jamais pu être assimilées complétement å notre civilisation, ou qui n'en ont pris que les vices et les maladies, en d'autres termes les éléments les plus propres à les faire dégénérer de plus en plus ( 1 ) . > ( 1 ) Je trouve cette idée exprimée dans un ouvrage qui , sous une forme légère, contient néanmoins des aperçus pleins de sagacité et reporte l'espril du lecteur vers les questions les plus importantes en anthropologie. Voici ce que j'ai le regret de lire dans l'ouvrage du docteur Yvan : « S'il est vrai » que lous les peuples doivent être soumis aux mêmes lois morales, à la » même civilisation , il est sûr que certaines races humaines doivent dispa » raître de la terre. Plusieurs d'entre elles possèdent seulement des aptilades » compatibles avec certaines phases sociales : un ordre nouveau doit amener » leur anéantissement. Les espèces animales créées pour un milieu spécial » ont disparu au fur et à mesure que les conditions atmosphériques de notre planète se sont modifiées. Les phases sociales par lesquelles passe l'huma n nité sont pour l'homme ce que les révolutions du globe ont été pour les animaux dont nous trouvons les restes dans nos terrains stratifiés ; les

  • populations barbares ou sauvages s'éteignent dans l'atmosphère sociale que

» crée la civilisation, de même que les anoplothérium et les ichtyosaurus v de l'ancien monde, ont péri en changeant de milieu . » ( D. Yvan . De France en Chinc. Paris, 1855, p . 34.) Je ne discuterai pas ici une théorie qui s'appuie sur des analogies aussi » ( CAUSES MIXTES ) RACE PORTUGAISE EN MALAISIE . 411 Comme toutes les opinions extrêmes, celle- ci ne manque pas de preuves confirmatives. Elle exprime au reste un fait qui n'est que trop réel , celui de la destruction de peuples autochtones, mais sans que l'on puisse invoquer la théorie de deux civilisations dont l'une ne peut dominer sans l'anéantissement de l'autre . Je ferai remarquer mainte nant que les idées que nous avons précédemment émises sur les causes dégénératrices dans les races , nous expli quent assez ce fait de la dégradation des individus dans l'antagonisme de deux civilisations différentes ; mais si le contact des Européens a été funeste aux races du nouveau monde lorsque les seuls éléments civilisateurs ont été l'intérêt du commerce, l'imposition d'habitudes démorali satrices , incompatibles avec la nature des peuples enfants, il est vrai de dire que les premiers ont subi à leur tour l'influence fatale du contact des Orientaux lorsqu'ils n'ont contestables , quand elles s'appliquent à l'espèce humaine . Je crois être dans le vrai en scutenant que l'antagonisme des civilisations, ainsi que la destruc tion des individus qui représentent un élal social inférieur dans ses moyens d'action, lient évidemment aux causes qui constituent pour nous l'histoire des dégénérescences dans l'espèce. Les colonisaleurs modernes dont il est permis de contester les facultés civilisatrices , ont cru dans la plupart des circonstances qu'il suffisait d'imposer violemment aux races conquises ou asservies les meurs et les habitudes Européennes . Ils ne se sont pas fait faute de leur côté de prendre aux peuples de l'Iode el de l'Orient tout ce qui pouvail Naller leurs tendances sensuelles. Ils n'ont suivi daos celte cir constance aucune des conditions hygiéoiques que leur prescrivaient les condi lions climatériques nouvelles. A plus forte raison ne se sont- ils laissés guider par aucune des prescriptions de l'hygiène morale. On sait quelle a été an point de vue dégénératif l'influence des échanges entre deux civilisa lions différentes, et c'est ce que la thèse que nous soutenons en ce moment tend à faire ressortir. Pour en revenir à l'ouvrage de M. le docteur Yvan , il me serait facile de trouver chez lui-même les meilleurs arguments pour réſuler la citation que j'ai reproduite. 412 INFLUENCES DÉGÉNÉRATRICES COMPARÉES. pris à leur civilisation que les éléments qui pouvaient leur être nuisibles . Je ne connais pas en histoire naturelle de question qui soit plus digne d'intérêt et plus en rapport avec l'étude des dégénérescences dans l'espèce que celle des modifications amenées dans les races par les causes que j'indique. Cette question examinée au point de vue de la physiologie, de la médecine et de l'histoire, nous rend compte de la manière dont agissent les causes dégénéra trices , soit dans leur isolement , soit dans leur complexité. C'est ainsi que la seule influence du climat n'explique pas suffisamment les modifications subies par les races euro péennes transplantées dans les lndes , en Afrique ou en Asie ; il faut étudier ces changements dans les conditions nouvelles amenées par la conquête, par la colonisation , par l'immoralité, par l'ensemble de toutes les causes que j'ai désignées sous le nom de Causes mixtes. Lorsque je disais que telle ou telle cause dégénératrice d'une manière relative pour les Orientaux, devait être con sidérée à un point de vue plus fàcheux pour les nations occidentales, j'émettais une assertion qui ne repose pas seulement sur une vérité physiologique incontestable, mais sur ce que l'observation directe des faits bistoriques nous présente de plus certain et de plus convaincant. Ici encore l'expérimentation opérée sur une vaste échelle peut venir en aide à la théorie . Nous savons que dans la race européenne elle-même , il y a des différences à établir selon l'intensité plus grande avec laquelle les causes dégénératrices ont pesé sur telle fraction de cette race, plutôt que sur telle autre ; les Espagnols et les Portugais surtout nous offrent un exemple à citer dans l'intérêt de nos études. Il y a dans l'histoire des conquêtes des Espagnols et des Porlugais un fait remarquable que je ne puis exami ner ici dans ses causes diverses, c'est celui de la fatalité (CAUSES MIXTES) RACE PORTUGAISE EN MALAISIE. 413 qui a poursuivi les peuples asservis par ces premiers et bardis conquérants du nouveau monde. Le contact de ces races avec les Européens leur a été funeste; on sait quel a été le sort des malheureux Mexicains, et la chétive et inoffensive population de Cuba a aussi bien disparu, que la nation valeureuse des Guanches qui peuplaient les Ca naries, et qui ont été exterminés jusqu'au dernier. Dans les pays où les Espagnols sont restés les maitres absolus, ils n'ont pas tardé de leur côté à dégénérer, et leur mélange avec la population indigène n'a produit qu'une race abalar die dont l'avenir ne présente aucun élément de perfectibilité. Les métis ont généralement hérité des mauvaises qualités de leurs ancêtres, et leur état physique et moral est loin de répondre áà ce qu'il est généralement permis d'attendre de l'entrecroisement des races . C'est au Brésil et surtout dans la Malaisie que ce phénomène se montre sous le coté qui nous représente le plus tristement la dégradation et la dégénérescence dans l'espèce humaine. « Il existe à Malacca, dit M. le docteur Yvan, environ trente mille habitants . Cette population se compose, de Portugais , de Hollandais , d'Anglais , de Malais et de Chinois. Parmi les habitants d'origine Européenne les Por tugais sont les plus nombreux. Ce sont pour la plupart les descendants des anciens conquérants de la Malaisie . Leurs péres furent les compagnons de Vasco de Gama et d'Al buquerque . Mais semblables aux monuments qu'élevèrent leurs aïeux et qui couvrent le sol de leurs ruines, eux aussi ont été atteints par la dégradation et la vétusté. Au milieu de la population Malaise avec laquelle ils se sont depuis fort longtemps alliés , les trois mille descendants des an ciens Portugais sont ce qu'il y a de plus laid physique ment, et moralement de plus dégradé . On ne saurait les confondre avec les Malais d'origine pure ; ils n'ont pas 414 INFLUENCES DÉGÉNÉRATRICES COMPARÉES. dans le regard, dans l'attitude la sauvage énergie de ces hommes. On dirait plutôt qu'ils ont emprunté le caractère qui les distingue, aux races éthiopiennes ; leurs traits ont quelque chose de bestial , en un mot, ils portent sur leur front rétréci et huileux le signe d'une chute morale. Les pauvres gens n'ont aucune idée de leurs glorieux ancêtres. La tradition , souvenir consolateur des races déchues, s'est effacée de la mémoire du peuple. La plupart portent des noms illustres , et ils ignorent quels furent leurs péres et quel rayon du passé perce leur obscurité ( 1 ) . » Les détails dans lesquels entre l'auteur sur l'état phy sique et moral des anciens conquérants de ce pays , inté ressent au plus haut point les études que nous poursuivons. Pourquoi maintenant la dégradation dont parlé M. le doc teur Yvan a- t - elle plutot atteint la race Portugaise que les races Anglo - saxonne et Batave , qui possèdent à leur tour ce pays ? Celte question est certes assez importante pour fixer un moment notre attention . Constalons d'abord avec le médecin français que cet état de déchéance pour ce qui regarde la race Portugaise a parcouru toutes ses phases, et qu'elle est parvenue à ses dernières limites . Il est vraiment effrayant, dit M. le docteur Yvan , de dres ser le bilan des perles que ces hommes ont faites. Dans l'espace d'un demi- siècle peut- êlre , religion , morale , tradition , transmission écrite de la pensée, se sont effa cées de leurs souvenirs. La paresse la plus hideuse et l'absence de tous besoins se sont substituées aux jouis sances laborieusement acquises... » Celte dégradation se présente sous ses formes caractéristiques : rabougrisse ment de la taille , laideur physique, défaut de viabilité chez les enfants, intelligence obtuse, instincts pervertis, ( 1 ) D'Yvan . Ouvr . cile, p . 224. (CAUSES MIXTES) RACE PORTUGAISE EN MALAISIE . 415 succession progressive de transformations maladives attei gnant en résultat final les extrêmes limites de l'imbécillité . Celle dernière forme dégénérative ressort assez des descrip tions de M. le docteur Yvan , et je préfère citer ses propres paroles plutôt que de résumer sa pensée, qui exprime d'ail leurs d'une manière si vive, si originale, et toute empreinte, il faut le dire , de couleur locale , la triste position de cette race dégénérée . « Il existe aux environs de Malacca , dans la direction du Mont-Ophir, un petit Campon situé au milieu des jongles . Les habitants de cette espèce de hameau sont dans un état de dénûment affreux ; ils ne cultivent pas, ils vivent en dehors de toutes les lois sociales , n'ayant ni prêtre pour les marier, ni cadi , ni juge, ni maire pour régler leurs différends. Leurs demeures sont des espèces de cabanes en joncs, couvertes de feuilles de latanier, et leur seule in dustrie consiste à aller chercher dans les bois la cire pro duite par les abeilles sauvages, à laver les sables stanni fères, ou à recueillir la résine qui suinte le long des arbres . , On m'avait souvent parlé de cette population ; pendant une de nos relâches à Malacca, un prêtre des missions étrangères me proposa d'aller la visiter . Nous partimes á cheval , et après cinq heures de marche à travers des ri zières, des jongles et de vastes terrains couverts de plantes saccharifères, nous arrivâmes au pied d'une petite éléva tion sur laquelle le village est établi . Rien n'annonçait le voisinage d'un endroit habile ; aucun des bruits accoutumés n'interrompait le silence des solitudes ; on n'entendait ni les cris joyeux des enfants, ni le chant du coq. » Les signes auxquels on connait la présence de l'homme n'existaient même pas dans ce lieu sauvage. On ne voyait aucune trace de culture. On n'apercevait pas même entre les arbres ces blanches spirales de fumée qui signalent 416 INFLUENCES DÉGÉNÉRATRICES COMPARÉES. ordinairement la plus humble demeure. Les sinuosités battues, qui fuyaient en serpentant à travers la forêt, res semblaient plulot aux empreintes laissées sur le sol par des bêtes fauves qu'à des sentiers fréquentés par des hommes . ... Au reste , ce que j'appelle fastueusement un village était une réunion de cases délabrées, de l'aspect le plus mi sérable ; toutes ces bultes étaient ouvertes au premier arrivant; on voyait que les habitants ne cachaient rien à leurs voisins ; mais on comprenait immédiatement que s'ils mettaient tout en commun, ils ne jouissaient guère que de la misère commune. Lorsque nous arrivâmes, les femmes étaient accroupies autour des cases , les unes mâchant du bétel sans rien faire, les autres tenant suspendus à leurs mamelles affaissées quelques avortons débiles. » « Les trois ou quatre hommes que nous trouvâmes dans les campons étaient couchés à l'écart , fumant de gros ciga ritos de maïs et chiquant le siri comme les femmes. Tout ce monde était nu ou peu s'en faut. Le teint des enfants était presque blanc ; celui des hommes et des femmes avait la couleur de la suie. Ils avaient les lèvres grosses, les yeux noirs et grands, le nez droit et saillant , et les cheveux rudes et longs. Ils étaient tous petits et maigres . On aurait dit que cette population passait sans transition de l'enfance au déclin de la virilité ; la jeunesse semblait ne pas exister pour ces malheureux ; tous les yeux étaient caves et toutes les chairs étaient flétries. » « Ces groupes silencieux, nous considérant stupidement sans se déplacer, offraient un tableau sombre et fatal ; on sentait au milieu de cette belle nature tropicale que cet abrutissement était volontaire, ou plutôt qu'il pesait sur cette race comme une malédiction . Nos guides , qui étaient des Malais, s'adressérent à quelques femmes, leur deman dant comment on appelait leur village , ou étaient leurs ma ܪ (CAUSES MIXTES) RACE PORTUGAISE EN MALAISIE . 417 ris . Mais, après avoir ouï leurs réponses, ils nous déclarérent ne pas comprendre parfaitement ce qu'elles disaient , à cause d'un très-grand nombre de mots qui n'étaient pas malais . Le prêtre qui m'accompagnait descendit de cheval , s'ap procha d'elles et constata que le langage qu'elles parlaient étaient un simple mélange de malais et de portugais ( 1 ) » . Ce langage lui-même était l'expression la plus réelle du triste état mental de ces malheureux. Ils ne savaient ni qui ils étaient ni d'où ils sortaient. Les noms dont ils s'ap pelaient ne représentaient aucuns souvenirs de la famille, car ils vivaient dans une espèce de promiscuité. L'idée du temps était au-dessus de leur faible conception , et la plu part se faisaient remarquer par un tel abrutissement que leurs visiteurs ne pouvaient obtenir aucune réponse rai sonnable, même aux demandes les plus simples. Il est impossible de voir un exemple plus frappant de dégradation dans l'espèce . Il nous montre cette phase terminative de quelques affections mentales héréditaires dans les familles . L'enchainement fatal des phénomènes pathologiques qui s'engendrent et se commandent récipro quement, finit par amener chez les derniers descendants d'une race maladive un élat d'imbécillité et d'idiotisme incompatible avec la propagation normale de la grande famille humaine. Si nous recherchons maintenant les causes d'une pareille dégénérescence, nous serons d'abord tenté de les rapporter au défaut de croisement dans la race . Il incontestable que celle cause joue un rôle considérable dans l'histoire des dégénérescences, mais dans le cas présent elle n'est pas la seule qui agisse dans le sens d'une déviation mala dive du type primitif de l'humanité. La chose est facile à 1 ) Docteur Yvan. Ouvr. cilė, pag . 225, 226 . 27 418 INFLUENCES DÉGÉNÉRATRICES COMPARÉES. constater pour ce qui regarde les différentes variétés de la race Européenne qui se sont établies dans les Indes. Les Hollandais ont occupé Malacca après les Portugais, mais ils n'ont pas, au dire des historiens et des voyageurs, laissé sur le sol des traces vivantes de leur passage aussi nom breuses que leurs devanciers. La race Portugaise dans tous les lieux où elle s'est fixée a couvert le sol de sa nombreuse postérité, et s'est alliée dans des proportions considérables aux races indigènes. Les Portugais et les Espagnols ont eu pour ces unions moins d'antipathie que les Hollandais, les Français et les Anglais , mais la population, qui en a été le produit , est , ainsi que nous l'avons vu, lout ce qu'il y a de plus dégénéré ; les Hollandais, au contraire, ne se reproduisent que très - difficilement sous la zone tropi cale, mais ils le font dans des conditions qui assurent d'une manière plus certaine la propagation normale de l'espèce. Les causes d'une pareille différence s'expliquent par tout ce que nous avons dit sur les lois de l'acclimatation , et sur la manière dont les peuples, appartenant à des races et à des civilisations différentes, agissent les uns sur les autres, lorsqu'ils ne suivent pas, dans l'échange de leurs meurs , de leurs habitudes et de leur hygiène, les véritables principes de la morale et de la raison . Les infractions sous ces différents rapports se font sentir non - seulement chez l'individu mais chez ses descendants ; or, c'est précisément ce qui est arrivé à la race Portugaise malgré ses nombreuses alliances avec les indigènes ( 1 ) . Nous avons vu dans quelle ( 1 ) Je ne puis ètre complétement de l'avis de quelques auteurs à propos des causes qui ont amené une propagation plus grande de l'espèce chez les Portugais que chez les Hollandais. Les Portugais el les Espagools, a - t - il été dit , ont porté à Sierra - Léone, à Manille, à Malacca, à Ceylan , à Goa, un ( CAUSES MIXTES) RACE PORTUGAISE EN MALAISIE . 419 triste situation est leur postérité à Malacca , et si les limites de cel ouvrage ne m'imposaient pas une grande sobriété dans les détails , il me serait facile de trouver l'application de ce principe dans l'histoire générale des colonisations faites par les Européens . Les voyageurs qui ont visité le Brésil n'ont pas manqué d'élre frappés des contrastes que leur offre ce magnifique pays . A coté de cette nature grandiose qui étonne et ravit les yeux de l'étranger par l'exubérance des plus admi rables produits, l'homme de la race Européenne semble frappé d'une espèce d'éliolement ; les fruits memes de notre Europe, Iransplantés sous le ciel tropical , acquièrent un développement inaccoutumé, mais sont privés des qua a sang d'origine africaine qui , sous l'influence da soleil des tropiques, a contracté une pouvelle séve, tandis que ces lymphatiques Hollandais accou tumės aux brumes, n'ont pu habiluer leur nature physiologique , imprégnée d'humidité, à ce contact embrasé. ( Docteur Yvan , p . 231. ) Il est uo fail physiologique bien plus rationnel qui ressort de l'histoire des colonisations, c'est que s'il est vrai de dire que certaines variétés, parmi les races européennes , oot eu plus de difficultés que d'autres à s'acclimater el à se propager sous le ciel des tropiques, il leur a sofli de ne pas allier les excès et les vices qu'ils avaient rapportés de leur mère patrie , à ceux qui régnaient parmi les iodigènes de ces pays brûlaois, pour que la nature leur appliquâi la loi des efforts qu'elle fait pour adapter la constitution des indi vidus aux pays pouveaux qu'ils babitent . Sans doute l'acclimalation a élé difficile en tout élat de choses, et les tempéraments ont dû être modifiés après quelques générations ; les Créoles , comme on le sait , ne ressemblent plus exactement , sous le rapport des fonctions physiologiques , à leurs ancêtres . Mais, encore une fois, ces modifications naturelles , résultat nécessaire de la loi d'adaptation , ne constituent pas une dégénérescence dans l'espèce. La déviation maladive ne s'impalronise que dans les circonstances où la violation successive des lois de l'hygiène et de la morale par les générations présentes, a amené chez les générations suivantes les phénomènes qui sont le point de déparl des transformations dégénératives qui nous occupent. 420 INFLUENCES DÉGÉNÉRATRICES COMPARÉES. lités qui les distinguent dans la mère patrie, et ils dégénèrent. Mais c'est principalement sur la race Portugaise qui habite ces chaudes et splendides contrées que l'ail de l'observateur s'arrête avec tristesse . Ici encore, sous le rapport physique comme sous le rapport moral, tout indique un état de dé chéance qui n'est que l'indice de transformations dégéné ratives ultérieures. Que le même voyageur quitte Rio Janeiro et arrive au Cap, il sera frappé de la différence qu'offre la population Européenne de ce pays. Tout, en ces lieux, nous retraçait la France, dit un auteur ( dont j'ai dû combattre plusieurs assertions , mais qui cette fois est par faitement dans le vrai à propos des causes de la conserva tion normale de l'espèce et même de son amélioration) , tout nous rappelait l'ordre et la sécurité qui règnent dans notre pays ... Certes, nous n'avions rien vu de semblable, ajoute le docteur Yvan, au milieu de la population déguenillée de Ténériffe, ni dans celle de Rio, qui a tous les défauts inhé rents à son âge... Nous avions vu la décrépitude d'une société abrutie par la misère et par la débauche, dans le premier de ces deux pays ; dans le second une activité désordonnée et febrile ... Ici c'est la vie dans sa manifesta tion la plus normale, la vie laborieuse, grave et sensée avec toutes les jouissances et toutes les satisfactions que procure le développement des facultés bien employées. « On ne saurait s'empêcher en arrivant du Brésil au Cap, d'éta blir un parallèle entre les mœurs dissolues des habitants de l'Amérique méridionale qui a conservé l'esclavage , et celles qui honorent cette terre libre où les doctrines chrétiennes sont mises en pratique ... Ce parallèle est tout à l'avantage du dernier de ces pays . » Je me plais à citer cette pensée du médecin français, parce que, dans sa simplicité, elle résume pour ainsi dire les données les plus positives et les plus vraies de la conser (CAUSES MIXTES) RACE HOLLANDAISE AU CAP . 421 vation normale de la race et de son amélioration ultérieure. On ne saurait m'objecter que les conditions climatériques de cette partie de l'Afrique sont éminemment favorables à la colonisalion, et que les Européens qui y sont établis n'ont pas eu à lutter contre l'influence énervante du soleil des tropiques . Une pareille objection n'aurait rien de sé rieux en présence des fails capables de porter la convic tion dans les esprits les moins préparés aux études anthro pologiques. La race Européenne s'est propagée dans ce pays qu'elle a cultivé et fécondé; elle s'y est améliorée par la raison bien simple qu'elle a subi la double et salu taire influence de la loi morale et de la liberté ; elle est même parvenue à s'assimiler des races indigènes qui sem blaient jusqu'alors réfractaires à toute espèce de civilisa tion . Les excellentes traditions implantées par les premiers colons Hollandais , ainsi que par les Français qui sont venus chercher en ces climats lointains la liberté religieuse, se sont conservées chez leurs descendants . Nous n'avons å étudier dans cette terre privilégiée, ni les effets dégénéra teurs de l'intoxication par l'alcool , ni ceux de l'intoxication par l'opium et par les autres substances enivrantes dont nous avons fait l'histoire . Les statistiques modernes , si significa tives quant à la cause de la progression des délits , des crimes et de l'aliénation , ne sont pas applicables à ces populations qui se développent dans le sens de la morale, de la li berté, et qui se livrent de préférence aux travaux agri coles si éminemment propices à la conservation de la santé. Sous l'influence de ces conditions favorables, il est permis d'observer un fait qui , à la première vue, semble en contradiction avec la nécessité de l'entrecroisement des races, et l'on est étonné de retrouver les descendants d'an ciennes familles françaises chez lesquels il est impossible d'observer la moindre condition dégénérative, malgré lo 422 INFLUENCES DÉGÉNÉRATRICES COMPARÉES. cercle étroit dans lequel ont dû se propager leurs al Jiances ( 1 ) . Si l'on ne voulait voir absolument dans ce fait que l'in fluence d'un climat où les Européens ont été favorisés par des éléments de colonisation qui n'existent pas sous le ciel ardent des tropiques, on commeltrait une grave erreur. La question me parait même si importante dans l'intérêt de nos éludes, que pour ne laisser aucun doule dans les esprits , je vais transporter le champ de nos observations dans ces mêmes contrées , où l'on attribue trop gratuitement au climat les dégénérescences qui sont le résultat des in fractions aux lois de l'hygiène et de la morale ; infractions qui, dans les idées qui nous guident , sont des causes bien autrement actives de dégénérescence dans les races que celles qui résultent de l'action énervante des climats tropi caux . Encore une fois, je suis loin de nier l'influence des conditions climatériques , mais je tiens à prouver que ces conditions ne sont pas les seules qui agissent d'une ma nière plus ou moins fatale sur la conservation normale de l'espèce (2) , et qu'élant donnée une cause dégénératrice ( 1 ) L'origine des familles françaises dont on rencontre les types si bien conservés dans ce pays , remoule à l'époque de la révocation de l'édit de Nantes . Un certain nombre de ces expulsés se réfugia d'abord en Hollande , et vint ensuite fonder au Cap un établissement colonial . Quelques-uns se sont unis à des familles hollandaises, et l'on relrouve d'illustres noms his toriques, lels que celui de Mornay - Duplessis, chez quelques- uns de ces colons qui supportent avec une courageuse résignation la loi du travail, el qui eodorent sans dégénérer loules les conséquences de la pauvreté . (2) Dans son célèbre Irailé des Airs, des Eaux et des lieux, Hippo crale , qui fait une si large part à l'influence des conditions climatériques, se pronoace cependant assez clairement sur les causes morales qui modifient la constitution physique des peuples , et qui impriment à leurs facultés intel lectuelles uue direction spéciale . L'Asie diffère cousidérablement de l'Enrope, ( CAUSES MIXTES) RACE HOLLANDAISE AU CAP . 423 d'une nature déterminée, celle - ci eserce son action avec une intensité d'autant plus grande que, d'une part, d'autres éléments nuisibles viennent compliquer la situation et baler l'évolution des phénomènes pathologiques , et que de l'autre les tempéraments des individus ne sont encore habitués, dit le père de la médecine, aussi bien par la nature de loules les productions que par celles des habilants. Tout ce qui vient en Asie est beaucoup plus beau et plus grand, le climat y est meilleur et les peuples y ont un caractère plus doux et plus docile . La cause en est dans le juste équilibre des saisons ; située entre les deux levers du soleil , l'Asie est à la fois exposée à l'Orient el éloignée du froid ... Les hommes y ont de l'embonpoint, ils se distinguent par la beauté de leurs formes , par leur laille avanlageuse , el different très peu entre eux par leur apparence et par leur slalore ... Mais , di le courage viril , ni la patience dans les fatigues, ni la constance dans le travail , ni l'é nergie morale ne pourraient se développer chez des bommes pareils , quelle que soit leur race , indigène ou élrangère, et nécessairement le plaisir l'er porle sur lout le resle. Plus loin , Hippocrate spécialise encore mieux la valore de la cause ainsi que ses effels , tout en faisant une large part à l'influence des saisons. Quant à la pusillanimité et au défaut de courage, dit-il , si les asiatiques sont moins belliqueux el d'un naturel plus doux que les Européens, la cause en est surtout dans les saisons, qui n'éprouvent pas de grandes vicissitudes ni de chaud pi de froid , mais dont les inégalités de sopl que peu sepsibles . Là , en effet, ni l'intelligence n'éprouve de secousse , ni le corps de subit de changements intenses , impressious qui rendent le caractère plus farouche et qui y méleol upe part plus grande d'iodocilité et de fougue qu'une tempé rature loujours égale . Ce sont les changements du tout au lotit qui , éveil lant l'intelligence humaine, la tirent de l'immobilité . Telles sont les causes, d'où dépend ce me semble , la pusillapimilé des Asiatiques ; il faut encore y ajouler les institutions : la plus grande partie de l'Asie est en effet soumise à des rois ; or , là où les hommes ne sont pas maitres de leurs personnes , ils s'inquirlent, non comment ils s'exerceront aux armes , mais comment ils paraitrool impropres au service militaire . ( Hippocrale, quvres complètes, traité des Airs, des Eaux et des lieux . ) Traduction nouvelle , par E. Littré , tome secood , Paris 1840. > 42 INFLUENCES DÉGÉNÉRATRICES COMPARÉES, ni au milieu nouveau dans lequel ils vivent, ni à la tolé rance d'un agent nuisible de quelque nature qu'il puisse être. L'exemple que je vais citer pour confirmer les idées précédemment émises est peu connu , je le donne dans ses détails pour ne pas altérer l'appréciation de l'auteur. Il s'agit d'une fraction minime, il est vrai , de la popula tion française de l'Ile-Bourbon, désignée sous le nom de Petits Blancs, mais qui nous offre le fait singulier de la conservation normale de l'espèce , malgré son isolement et malgré la nécessité où s'est trouvée cette petite colonie de puiser dans son propre sein les éléments de sa repro duction . Je laisse parler l'auteur auquel j'emprunte le fait. « On appelle Petits Blancs les descendants des anciens co lons , qui vivent loin des villes , dans les étroites vallées du centre de l'Ile, et forment assurément la population la plus originale et la plus intéressante de notre possession . Les premiers aventuriers français qui abordèrent sur cette terre y subirent des chances diverses : les uns, favorisés par les circonstances firent rapidement fortune, les autres moins intelligents et moins heureux, n'ayant pu parvenir à acheter des esclaves et à établir des plantations , se retirèrent dans le haut pays. Depuis près de deux siècles leurs descendants habitent ces lieux sauvages . Ces familles qui constituent la noblesse, la véritable aristocratie coloniale , cachent fière ment leur pauvreté dans ces solitudes . La race qui s'est per pétuée ainsi sous l'influence d'un des climats les plus salubres de l'univers, au milieu de la température égale et fraiche des montagnes , a acquis un degré de beauté remarquable . Les hommes sont élancés et vigoureux , leur teint est légère ment halé , leur front intelligent et large ; ils ont une bouche étroite , des dents magnifiques, et le sourire qui s'épanouit sur leurs lèvres minces a une expression singu lière de douceur et de finesse . Leur contenance est noble, (CAUSES MIXTES) RACE FRANÇAISE A BOURBON . 425 assurée et avec leur pantalon rayé , leur simple jaquette de toile , ils ressemblent tous à des gentilshommes. Leurs femmes aussi sont élégantes ; elles ont de grands yeux bruns, des cheveux châtains qu'elles tordent et relèvent derrière la tête ; leurs formes sveltes , et qui n'ont jamais subi la pression du corset , sont couvertes d'une simple chemise altachée au cou et qui descend sur leurs pieds nus . Ces belles créatures, dont les traits droits et réguliers rappellent les types chers à la statuaire antique, auraient peut-être une physionomie trop fière, trop énergique, si les longs cils qui voilent leurs regards n'en adoucissaient l'expression , et si , lorsqu'elles parlent, un sourire d'une douceur infinie n'éclatait sur leurs lévres roses . » Les meurs des Petits Blancs sont simples et paisibles ; les fenimes se livrent aux travaux du ménage et confec tionnent les pattes, les chapeaux de paille que l'on vend å Saint - Denis . Les hommes s'assujétissent à de légers labeurs pour suffire aux besoins de leur famille . Ils cultivent l'étroit jardin qui environne leur case . Quelques - uns exploitent la forêt et fabriquent le charbon que l'on consomme dans la colonie : d'autres sont de hardis braconniers et d'intrépides chasseurs. Ces petites industries procurent quelque aisance aux Petits Blancs, mais ne les enrichissent jamais. Ils ne possèdent point d'esclaves ; parfois seulement ils louent des Nègres pour les aider dans leurs travaux . Ces familles isolées vivent dans la plus étroite union ... Il se commet peu de délits parmi eux , et un crime est à peu près chose inouïe ... Ce qui est digue de remarque encore , c'est que, malgré leur pauvreté , jamais les Petits Blancs ne se sont associés aux mulatres, aucune considération ne saurait les décider à altérer leur race par une goutte de sang meló ( 1 ) . » ( 1 ) Doctcur Yvan , ouv. cité, pag . 173 cl suiv. 426 INFLUENCES DÉGÉNÉRATRICES COMPARÉES. > Ce fait, choisi entre une infinité d'autres , est digne de fixer l'attention du lecteur ; sans doute, il ne s'agit ici que d'une très- pelile fraction de l'humanité, perdue, pour ainsi dire , dans une des iles du grand Océan ; mais il n'y a pas en histoire naturelle de fait si minime en apparence qui ne puisse servir à l'étude des races humaines. Il n'est pas besoin de sortir de l'Ile-Bourbon pour établir le contraste qui existe au physique et au moral, entre les Pelils Blancs et la population créole du reste de l'ile . Chez celte der nière la modification opérée par les influences réunies du climat , de l'hygiène et des meurs, est frappante, et la conservation normale de l'espèce n'a pu , comme dans d'autres colonies, du reste, s'opérer que grâce aux immi grations successives de la mère patrie ( 1 ) . Mais il est un autre point de vue très-important que j'ai déjà indiqué, et sous lequel doil être examinée la question, c'est celui de l'influence comparée qu'exercent sur des races différentes vivant sous le même ciel , non - seulement le climat, mais l'hygiène physique et morale sous l'empire ( 1 ) Je ne mels pas en doule qu'en dehors des influences climatériqnes que je suis loin de nier, la plupart des affections chroniques, celles du foie entre autres, contractées par les Européens dans les pays chauds , el en particulier aux lodes , de proviennent des infractions aux lois les plus simples de l'hygiène et à la conservation des habitudes d'intempérance apportées de la mère patrie. Ce fait m'a été affirmé par plusieurs Anglais avec lesquels j'ai eu des relations, et qui étaient les premiers à reconnaitre le point de départ des affections chroniques dont ils souffraient. L'@' ivre de la dégénérescence s'établit bien plus promplement encore, lorsque les nouveaux arrivants adoptent sans prévision les meurs et les habitudes hygiéniques des indi gènes , dans ce que ces mæurs et ces habitudes peuvent avoir de perni cieux pour la santé . C'est là précisément la thèse que je soutiens el qui me semble capitale, pour élucider l'histoire des dégénérescences dans l'espèce humaine. (CAUSES MIXTES) RACE FRANÇAISE A BOURBON . 427 de laquelle ces races se développent . A celle question s'en raltache une autre qui soulève un des problèmes les plus difficiles en fait d'hérédité dans l'état actuel de nos con naissances, mais dont la solution intéresse à un haut degré le progrés dans l'humanité ; c'est de savoir quelle est l'in fluence du mélange des races sur l'amélioration de l'espèce, et dans quelles circonstances les variétés déchues peuvent sortir de leur état d'infériorité et remonter l'échelle de progression qui les rapproche d'un type supérieur. Il est un fait qui se trouve déjà établi par ce qui précède, c'est que l'acclimatalion est d'autant plus facile, que les efforts que fait la nature pour adapter la constitution des individus au climal où ils sont destinés à vivre, sont favo risés par les bonnes conditions hygiéniques de l'ordre moral. Sans doute , il faut se garder de tomber dans les exagérations de certains auteurs qui , ne lenant pas un compte assez exact de l'influence réciproque du physique sur le moral , ont attribué aux facultés de l'ame une puis sance trop grande dans la lulle de l'bomme contre l'action du climat. Nous connaissons bien mieux aujourd'hui le role que jouent sur les fonctions physiologiques la chaleur excessive, ainsi que la constitution géologique du sol .. L'ex périence a prouvé que les premiers émigrants européens qui s'établissent dans certaines régions tropicales , ou sur des côtes fertilisées par des alluvions, mais excessivement insalubres, périssent presque tous, et que ce n'est qu'à la troisième ou quatrième génération que l'acclimatation commence à réussir . Dans beaucoup de circonstances les Européens qui , pour des raisons d'intérêt mercantile, n'ont pas, à l'instar des indigènes guidés par leurs seuls instincts , évité ces cotes malsaines, sont devenus les victimes de leur imprévoyance. Il existe même certaines conditions clima lériques tellement pernicieuses, que les individus, nés dans 428 INFLUENCES DÉGÉNÉRATRICES COMPARÉES. A les pays tempérés, n'ont jamais pu féconder ou remuer sans péril le sol de telle ou telle partie du monde où il leur était important de s'établir, et ils ont dû confier ce pénible et dangereux labeur, soit aux races indigènes, soit aux races déjà acclimatées , dans d'autres points du monde, aux éma nations malfaisantes des terrains alluvionnaires ( 1 ) . Ces vérités pour être d'une simplicité extrême n'en ont pas moins été méconnues dans leur application , et ne sont encore que trop négligées de nos jours . On a même lieu de s'étonner que le fruit de tant d'observations intéressantes faites par les navigateurs et par ceux qui, à leurs risques et périls , ont bravé les premiers dangers de l'acclimatation , aient été perdues pour leurs successeurs . Je n'ai pu lire sans un vif intérêt dans le Traité de l'homme et des variétés dans l'espèce humaine, par Buffon , un passage qui prouve que ce grand naturaliste avait déjà porté son attention sur un des points les plus difficiles et les plus délicats de l'in fluence exercée par les conditions climatériques, non-seule ment sur l'homme.adulte, mais encore sur l'enfant nou veau -né. « On ne trouve des Nègres, dit Buffon , que dans les cli mats de la terre où toutes les circonstances sont réunies pour produire une chaleur constante et toujours excessive ; cette chaleur est si nécessaire , non -seulement à la produc tion , mais encore à la conservation des Nègres , qu'on a observé dans nos îles , où la chaleur, quoique très - forte, n'est pas comparable à celle du Sénégal, que les enfants nouveaux-nés des Nègres sont si susceptibles des impres ( 1 ) C'est ce qui est arrivé, quand il s'est agi d’établir le chemin de fer de l'isthme de Panama. Les premiers Européens appliqués aux travaux ont loas péri , el il a fallu y employer des Nègres transportés des divers points da territoire des Etats-Unis. a ( CAUSES MIXTES) RACE NEGRE AUX COLONIES. 429 sions de l'air, que l'on est obligé de les tenir pendant les neuf premiers jours après leur naissance dans des chambres bien fermées et bien chaudes ; si l'on ne prend pas ces précautions et qu'on les expose à l'air au moment de leur naissance, il leur survient une convulsion à la mâchoire qui les empêche de prendre de la nourriture et qui les fait mourir. » Celte simple observation de Buffon dous prouve que la question est immense dans ses détails , et que pour être élucidée sous loutes ses faces, elle aurait besoin d'être élu diée à son origine, c'est - à-dire , au point de vue de l'action que le climat exerce même déjà sur la première enfance . D'un autre côté, pour nous en tenir à la race nègre, qui , dans ce moment, nous met sur la voie des recherches qu'il y aurait à entreprendre dans celle direction , nous ferons remarquer que l'on ne peut appliquer d'une manière abso lue aux Nègres de nos colonies ce qu'il serait juste de dire de la race nègre en général . Il n'est peut- être pas, comme on le sait , en anthropologie de questions aussi débatlues, aussi confuses que celles de l'état intellectuel , physique et moral des Nėgres , et des influences qui ont créé dans cette race, si caractérisée d'ailleurs , plusieurs différences très- grandes . La première de ces questions se rattache à des conside rations de l'ordre philosophique , moral et politique, ainsi qu'à des intérêts de l'ordre matériel qui ont trop profondé ment agité l'Europe , pour que le souvenir en soit effacé. Elle est encore aujourd'hui une des plus graves qui puisse surgir au sein des colonies de l'Amérique et des Indes, et il n'y a pas lieu de s'étonner que les opinions les plus con tradictoires se soient produites sur le degré d'éducabilité que les Nègres sont susceptibles de recevoir. Nous n'avons pas en ce moment à examiner, dans tous ses détails , la 430 INFLUENCES DÉGÉNÉRATRICES COMPARÉES. valeur des controverses ardentes qui ont eu lieu entre les partisans de l'esclavage et les abolitionistes ; nous aurons à y revenir d'une manière spéciale dans la deuxième partie de cel ouvrage où nous traiterons de l'éducalion intellec tuelle et morale applicable aux races dégénérées et aux variétés maladives dans l'espèce humaine . Quant à la seconde de ces questions, celle des influences qui ont créé dans la race nègre elle-même des variétés aussi nombreuses , nous ne sommes pas, il s'en faut, assez renseigné scientifiquement , pour nous prononcer sur la valeur relative de ces influences . Nous savons seulement, en rassemblant les témoignages des voyageurs, qu'il y a autant de variétés dans la race des noirs que dans celle des blancs, et que les poirs, d'après Buffon, ont comme les blancs , leurs Tarlares et leurs Circassiens . Cet auteur a même cru nécessaire de diviser les noirs en différentes races , et il lui semble qu'on peut les réduire à deux prin cipales, celle des Nègres et celle des Cafres. Dans la pre mière, il comprend les noirs de Nubie, du Sénégal, du Cap-Vert, de Sierra-Leone, de Gambie, de la Cote- d'Or, d'Angola et de tous les pays qui s'étendent jusqu'au Cap Nègre . Dans la seconde, il met tous les peuples qui sont au- delà du Cap-Nègre, jusqu'à la pointe de l'Afrique, où ils prennent le nom de Hollentols, ainsi que tous les peuples de la cote Orientale de l'Afrique, y compris ceux de la terre de Natal , de Sofala, de Monomolapa , de Mozam bique, etc. Les Nègres de Madagascar seraient aussi , d'a prés Buffon , des Cafres et non pas des Nègres . Ces deux espèces d'hommes noirs se ressemblent en effet plus par la couleur que par les trails du visage ; leurs cheveux, leur peau , l'odeur de leur corps, leurs mæurs et leur naturel sont aussi très - différents. Ensuite, ajoute Buffon , en exa minant en particulier les différents peuples qui composent (CAUSES MIXTES) RACE NÈGRE AUX COLONIES. 431 chacune de ces races noires, nous y verrons autant de va riétés que dans les races blanches , et nous y trouverons loutes les nuances du brun au noir, comme nous avons trouvé dans les races blanches toutes les nuances du brun au blanc . Il est certain maintenant que ces variétés , si dissembla . bles par leurs qualités morales et intellectuelles , supportent plus ou moins facilement les inconvénients d'un change ment de climat. Il est non moins évident que les tendances dégénératives plus prononcées que l'on a remarquées dans telle variété de Nègres plutot que dans telle autre, que leurs aptitudes intellectuelles plus ou moins développées, que leurs bonnes comme leurs mauvaises qualités , sont également en rapport avec des dispositions qui sont le propre de telle variété, modifiée congénialement par les in fluences spéciales dont nous parlons . On peut facilement s'en convaincre en lisant la description où Buffon , résumant avec la sagacité qui le distingue les opinions des voya geurs, s'exprime ainsi : « Les Nègres du Sénégal , de Gambie, du Cap- Vert, d'An gola et du Congo, sont d'un plus beau noir que ceux de la cote de Juida , d'Issigni , d'Arada et des lieux circonvoisins. Ils sont tous bien noirs quand ils se portent bien ; mais leur teint change dès qu'ils sont malades : ils deviennent alors couleur de bistre , ou même couleur de cuivre . On préfère dans nos iles les Nègres d'Angola à ceux du Cap-Vert pour la force du corps ; mais ils sentent si mauvais , lorsqu'ils sont échauffés, que l'air des endroits par où ils ont passé en est infecté pendant plus d'un quart d'heure . Ceux du Cap-Vert n'ont pas une odeur si mauvaise, à beaucoup prės, que ceux d’Angola , et ils ont aussi la peau plus belle et plus noire, le corps mieux fait, les traits du visage moins durs, le naturel plus doux et la taille plus avantageuse .

432 INFLUENCES DÉGÉNÉRATRICES COMPARÉES . Ceux de Guinée sont aussi très- bons pour le travail de la terre et pour les autres gros ouvrages. Ceux du Sénégal ne sont pas si forts ; mais ils sont plus propres pour le ser vice domestique, et plus capables d'apprendre des métiers. Le P. Charlevoix dit que les Sénégalois sont de tous les Nègres les mieux faits, les plus aisés à discipliner et les plus propres au service domestique ; que les Bambras sont les plus grands, mais qu'ils sont fripons ; que les Aradas sont ceux qui entendent le mieux la culture des terres ; que les Congos sont les plus petits , qu'ils sont fort habiles pe cheurs , mais qu'ils désertent aisément ; que les Nagos sont les plus humains, les Mandongos les plus cruels, les Mimes les plus résolus, les plus capricieux et les plus 'sujets à se désespérer ; et que les Nègres créoles, de quelque nation qu'ils tirent leur origine, ne tiennent de leurs pères et mères que l'esprit de servitude et la couleur ; qu'ils sont plus spirituels, plus raisonnables, plus adroits, mais plus fainéants et plus libertins que ceux qui sont venus d'Afrique. Il ajoute que tous les Nègres de Guinée ont l'esprit extrêmement borné, qu'il y en a même plusieurs qui paraissent être tout à fait slu pides ; qu'on en voit qui ne peuvent jamais compter au - delà de trois , que d'eux-mêmes ils ne pensent à rien , qu'ils n'ont છે point de mémoire, que le passé leur est aussi inconnu que l'avenir ; que ceux , qui ont de l'esprit , font d'assez bonnes plaisanteries et saisissent assez bien le ridicule ; qu'au reste, ils sont très- dissimulés, et qu'ils mourraient plutot que de dire leur secret ; qu'ils ont communément le natu rel fort doux ; qu'ils sont bumains , dociles , simples, cré dules et même superstitieux ; qu'ils sont assez braves, et que, si on voulait les discipliner et les conduire, on en ferait d'assez bons soldats . » Je relèverai d'abord dans cette citation , cette phrase significative : que les Nègres créoles, de quelque nation ܪܐ ( CAUSES MIXTES) RACE NÈGRE . 433 > qu'ils tirent leur origine, ne tiennent de leurs pères et mères que l'esprit de servitude et la couleur ; que s'ils sont plus spirituels , plus raisonnables, plus adroits, ils sont aussi plus fainéants et plus libertins que ceux qui sont venus d'Afrique. Il résulle donc qu'en dehors des prédispositions dégénéralives qui peuvent exister dans telle variété de Nègres plutôt que dans telle autre, les enfants de ceux qui sont nés dans les colonies ne tiennent de leurs pères que l'esprit de servilude et la couleur... Ils sont en général plus fainéants el plus liberlins que ceux qui sont venus d'Afrique. L'observation directe des faits vient confirmer ce triste diagnostic, et il est bien constaté que, si la race nègre a pu s’acclimater sans trop d'inconvénients dans nos colo nies , et s'y multiplier même dans une progression souvent inquiétante pour les possesseurs des pays à esclaves, il n'en est pas moins certain que la déchéance intellectuelle et morale de ceux qui ont subi le contact de la civilisation européenne, est un contraste aussi singulier que pénible avec l'état de ceux qui n'ont pas quitté le sol nalal. Je tiens à prouver que l'influence climatérique n'est pas la seule qui agisse , dans des circonstances déterminées , d'une manière fatale sur l'espèce humaine, mais que l'hy giène physique et morale, déviée de son véritable but, est une cause plus active de dégénérescence que les inconvé nients et les dangers inseparables de l'acclimatation . La dégradation de la race nègre dans nos colonies est un fait qui ne peut être nié que par ceux qui ont intérêt à vouloir nous persuader que le traitement , qu'ont subi les Nėgres jusque dans ces dernières années, a toujours été à la hau teur des améliorations réclamées depuis si longtemps, par les amis de l'humanité . Il n'en est rien cependant , et le tableau qu'a tracé Buffon, de la situation malheureuse de ces esclaves, il y a de cela près d'un siècle, peut se rappro 28 434 INFLUENCES DÉGÉNÉRATRICES COMPARÉES. cher de celle qu'en a faite un témoin oculaire qui a visité nos colonies en 1844 , et dont je citerai les paroles. « Quoique le sort des esclaves soit évidemment fort mal heureux, leurs maitres ne sauraient en convenir ; mais il suffit de visiter quelques- unes des misérables cases qu'ils habitent, pour se convaincre de l'affreux dénument dans lequel ils vivent. Un haut dignitaire colonial nous disait sou vent, pour nous convaincre de l'excellence de l'esclavage, que les Nègres étaient mieux nourris , mieux vélus , mieux soignés que la plupart des paysans de nos provinces . Nous ne demandions pas mieux que de voir par nos yeux ; nous allâmes donc visiter la propriété de ce colon. Nous devons le dire , jamais l'aspect d'une misère plus profonde, plus hideuse que celle dans laquelle vivent ses esclaves, ne nous avait autant affligés. Ces malheureux ne recevaient pour toute nourriture, qu'une faible ration de riz de Bengale, le moins chargé de tous les riz en substance nutritive ; la plupart étaient nus, ou bien ils portaient de si misérables baillons, que nos chiffonniers eussent hésité à les recueillir dans le ruisseau . La demeure de ces créatures humaines ne renfermait ancun meuble, pas de lit , pas de table , pas le moindre ustensile de ménage ; il n'y avait que quelques vases de grés, la plupart ébréchés ; le sol mal nivelé était humide et puant ; la toiture crevassée laissait passer la pluie et le soleil . Tel était le spécimen de la vie aisée des Negres, le modèle de ces cases confortables qu'on nous avait vantées ( 1 ) . » Mais ce n'était pas seulement au point de ( 1 ) Docteur Yvan , ouvr . cilė , p . 187. « La population esclave de Bourbon ne se composait pas seulement à celle époque de Nègres , mais encore de Malais , de Bengalis , de Malabars et mème de Blaucs . Celle dernière asser tion étonnera sans doute, dit l'auteur de de France en Chine. On ne saurait uéanmoins designer autrement ces hommes, aux formes accusées, el à l'épi (CAUSES MIXTES) RACE NÉGRE. 435 vue de la privation de nourriture et des mauvaises condi tions de logement, que la position des Nègres offrait le spectacle de toutes les misères ; les mauvais traitements dont on les accablait, l'absence de toute éducation intel lectuelle et morale, la débauche et l'ivrognerie (1 ) étaient derme d'une blancheur égale à celle des plus purs délégués coloniaux ... Les Malais , les Malabars , les Bengalis , retenus en esclavage, ont été amenés dans la colonie, par ces hardis aventuriers qui jadis pourvoyaient notre établissement de travailleurs... Le troupeau humain qu'ils ramenaient de leurs courses de forbans, était vendu sur-le-champ aux planteurs de Bour bon et de l'Ile- de- France, qui ne s'inquiétaient nullement des différences physiques qui existent entre les individus de ces races intelligentes, el les Nègres abrutis d’Angole et de Mozambique . On peut au reste comparer la situation des Nègres restés esclaves, avec la description qu'en a faite Buffon dans son traité des variétés dans l'espèce humaine, et l'on verra que leur position physique et morale est loujours aussi misérable. » (1 ) Nous avons déjà eu occasion de faire ressortir que les alcooliques et les autres substances ébriantes agissent d'une manière bien plus fatale sur les tempéraments inexpérimentés. Ce que nous avons dit des effets plus désastreux de l'opium sur les Européens , peut également s'appliquer à l'alcool pour ce qui regarde les races Africaines. L'ivresse a chez elles quel que chose de bestial ; on peut en juger par le récit qui suit . « Nous nous acheminions un jour, dit le médecin de la Sirène, vers de chéliſs ombrages qui bordaient la plaine . Alors un spectacle inouï frappa nos regards ; une douzaine de Nègres et de Négresses faisaient fète en ce lieu ( ceci se passait à l'Ile - Bourbon en 1843) . Les hommes couchés sur le sable, les paupières appesanties par l'ivresse, le corps immobile, semblaient se baigner avec une volupté nonchalanle dans les efflaves qu'exhalait cette gie africaine. L'un d'eux saisissait par intervalles une bouteille de rhum, en abreuvait ces com pagnons et répandait ensuite sur leur tête l'excédant de la libation , afin que l'atmosphère qui les environnait en fût tout imprégnée. Il y avait en ce moment sur le visage de ces malheureux une expression qui n'est pas habi tuelle chez le Nègre ; leurs yeux somnolents dardaient des éclairs ; leurs lèvres épaisses s'entr'ouvraient avec un rire silencieux , et leur front étroit , légèrement contraclé , semblail annoncer la vague et terrible exaltation que 436 INFLUENCES DÉGÉNÉRATRICES COMPARÉES. les éléments dégénérateurs sous l'influence desquels se formait le caractère menteur, perfide, vindicatif, qui sem ble faire l'apanage de celle race dégradée . Aussi , les inté ressés à la question de l'esclavage ont -ils pu faire ressortir que l'émancipation des Nėgres était prématurée, que leur éducation intellectuelle ne se prêtait nullement aux bien faits de la liberté , et que leur position antérieure ne peut se comparer comme bien- être physique, à ce qu'il est ac tuellement, les Nègres n'étant pas , vu leur état de dégrada tion et de paresse, capables de prévoyance ( 1 ) ... Je sais tout ce qui a été dit sous ce rapport , et je n'ignore pas que l'émancipation des Nègres n'a pas été et n'a pas dû elre, en beaucoup de circonstances, couronnée de succès. Pour nous, qui faisons une étude particulière des dégéné rescences dans l'espèce humaine, nous nous rendons par faitement compte des insuccès que l'on a signalés . Nos procurent l'opium et le haschich . Les femmes ivres aussi , dapsaient furieuses autour de ces hommes anéantis par une débauche prolongée ; elles dansaient celle pantomime licencieuse, la Bambola, à laquelle rien ne peut se compa rer en Europe... Les orgies les plus immondes des gens du peuple en France ne sauraient donner une idée de celle scène étrange, pendant laquelle les hommes foudroyés par l'ivresse , et les femmes excitées par des danses obscènes présentaient un contraste hideux . » Les relations les plus modernes, celle entre autres de M. Max Radiguet , Souvenirs de l'Amérique Espagnole, nous représentent des faits analogues chez les Nègres de cette partie du nouveau monde. ( 1 ) La même objection s'est reproduite à toules les époques de l'histoire contre loutes les aspirations des races opprimées vers un meilleur ordre de choses. Le sort des serfs russes paraît encore, à beaucoup de personnes, préférable à celui de nos paysans qui n'ont que trop souvent à lulter contre la misère et à se roidir contre les préoccupations du présent et de l'avenir . Celte opinion a été propagée par des auteurs qui semblent avoir désespéré de l'humanité , et qui oublient que le véritable progrès est incompatible avec l'absence de morale et de liberté . ( CAUSES MIXTES) RACE NÈGRE . 437 éludes antérieures nous autorisent déjà à conclure qu'pne race déchue et dégradée ne remonte pas subitement vers un type supérieur, et que l'enchainement successif des causes dégénératrices amène des effets qui se commandent et qui deviennent à leur tour des causes nouvelles de dé gradation ultérieure , jusqu'à ce que le cercle fatal soit accompli et que la race ou la variété disparaisse. Le tem pérament des individus s'adapte, jusqu'à un certain point, à ces conditions anormales d'existence ; et les manifesta tions de l'ordre intellectuel et moral sont en rapport avec ce triste état de décadence . En effet, les races déchues et les variétés maladives dans l'espèce n'offrent pas seule ment, quant à l'expression de la figure, un type spécial, ainsi que nous avons déjà pu nous en convaincre ; mais il existe dans leurs habitudes , dans leurs mæurs et dans leurs instincts , des conformités que l'on ne peut expliquer que par l'influence des mêmes causes dégénératrices . Ce fait que nous cherchons à élucider scientifiquement dans ses données les plus difficiles et les plus complexes, a été souvent entrevu et signalé comme un danger perma nent pour les sociétés européennes. Il faut moraliser les masses, a été le cri de tous ceux qui n'avaient pas une confiance absolue dans l'action répressive de la loi ; mais il est facile de voir que la moralisation des masses n'est pas une chose qui puisse se réaliser à la manière dont s'exécutent les grands travaux d'utilité publique . C'est un travail lent et difficile que celui de la transforma lion morale des peuples, et l'époque n'est pas éloignée peut- être ou la science médico- psychologique pourra jeter un jour pouveau sur ce problème difficile. Il s'agira de démontrer l'action , tantôt lente el progressive , tantôt rapide et parfois instantanée de certaines causes désorganisa trices, el d'établir les rapports qui existent entre ces causes 438 INFLUENCES DÉGÉNÉRATRICES COMPARÉES. et les transformations dégénératives chez l'individu et chez les descendants. Lorsqu'il sera bien prouvé pour tous, que sous l'influence des agents nuisibles dont nous étudions les effets sur l'état intellectuel , physique et moral de l'espèce humaine, il se produit dans l'organisme des modifications profondes, permanentes et transmissibles par l'hérédité , alors il sera plus facile de comprendre les résultats déplo rables d'une pareille situation . Aux yeux du médecin et du moraliste, l'état physique et mental de beaucoup d'indi vidus ne sera plus regardé, dans tous les cas, comme une de ces maladies ordinaires, qui a sa panacée dans les officines pharmaceutiques, ni comme l'expression d'une de ces mauvaises tendances dont le châtiment est fixé par les dispositions pénales de nos codes judiciaires . On com prendra que les individus auxquels je fais allusion sont les tristes représentants de variétés maladives dans l'espèce, et que les anomalies de leur organisation physique, ainsi que celles de leurs facultés intellectuelles et morales doivent être étudiées à un autre point de vue, et quant à leur origine, et quant aux remèdes qu'il s'agit d'y apporter. Pour en revenir à la race négre, il est juste de dire, que tous les auteurs n'ont pas partagé les préjugés de ceux qui avaient intérêt à les faire passer pour une race tellement dégénérée, que l'on devait à tout jamais perdre l'espoir de la faire remonter vers un type supérieur. Il y a déjà plus d'un siècle que Buffon a dit , que, quoique les Négres aient peu d'esprit , ils ne laissaient pas d'avoir beaucoup de sen timent ; qu'ils étaient gais ou mélancoliques, laborieux ou fainéants, amis ou ennemis, selon la manière dont ils étaient traités . Lorsqu'on les nourrit bien et qu'on ne les maltraite pas, ajoute l'auteur de l'Histoire de l'homme et des variétés dans l'espèce humaine, ils sont contents , joyeux , prêts à tout faire, et la satisfaction de leur ame est ( CAUSES MIXTES) RACE NÈGRE . 439 peinte sur leur visage ; mais quand on les traite mal , ils prennent le chagrin fort à ceur, et périssent quelquefois de mélancolie... Ils sont donc fort sensibles aux bienfaits et aux outrages, et ils portent une haine mortelle à ceux qui les ont maltraités ..... Lorsqu'au contraire ils s'affec tionnent à un maitre, il n'y a rien qu'ils ne fussent ca pables de faire, pour lui marquer leur zèle et leur dé vouement... Ils sont naturellement compatissants et même tendres pour leurs enfants, pour leurs amis , pour leurs compatriotes; ils partagent volontiers le peu qu'ils ont avec ceux qu'ils voient dans le besoin , sans même les connaitre autrement que par leur indigence . Ils ont donc, comme on le voit , le cæur excellent , ils ont le germe de toutes les ver tus ( 1 ) . Or, je demande qu'a - t-il été fait dans l'intérêt de l'amélioration morale de cetle race ? Quels moyens ont été employés pour développer ce germe de toutes les verlus, signalé par Buffon, et qui a été reconnu par des hommes dont les préjugés et les opinions préconçues se sont éva nouis devant l'observation des faits ? La réponse à ces questions est connue de tous, et les mauvais traitements dont les Negres ont été accablés , ne sont excusés aux yeux de beaucoup de personnes que par le sombre et triste ta bleau où l'on exagére leurs mauvaises qualités , leurs vices, leur abrutissement et leur état d'infériorité . Bien loin de s'améliorer au contact des Européens, ils se sont dégradés 2 ( 1 ) Ces mêmes idées ont été développées avec une grande puissance de logique, par M. le docteur Serres , dans son cours d'Anthropologie au jardin des planles . Le savant professeur a pu déduire de l'étude comparée des races humaines, des considérations philosophiques d'une haute porlée, qui lendent non- seulement à prouver l’anité de l'espèce humaine, mais qui ont pour but de rectifier bien des erreurs touchant les fonctions de l'ordre physiologique , intellectuel el moral chez les différentes races . 440 INFLUENCES DÉGÉNÉRATRICES COMPARÉES. en adoptant leurs vices et en se livrant surtout aux excès alcooliques . Le croisement des races, qui peut être le point de départ de la régénération de l'espèce, lorsque les unions sont fécondées par l'éducation intellectuelle et morale donnée aux enfants, n'a produit dans ce cas, ainsi que nous le verrons dans un instant, que des faits déplorables . Toutefois, je suis heureux de signaler un essai qui a été lenté avec succès, et dans la relation que je vais en faire, on trouvera l'exposition des véritables principes appli cables à l'amélioration intellectuelle , physique et morale des races déchues. Je craindrai d'autant moins d'entrer à ce sujet dans quelques détails , que ce.sera une occasion de faire voir que l'étude des dégénérescences ne se borne pas seulement à signaler les causes de dégradation dans l'espèce, et à classer ces variétés maladives selon les carac lères prédominants des lésions de l'ordre physique et de l'ordre moral , mais qu'elle nous amène encore aux vérita bles indications prophylactiques et curatives, qui placent la médecine à la bauteur de l'influence qu'elle doit exercer sur les destinées du genre humain . En 1835 , la Guiane française était peut- être celle de nos colonies où la question de l'émancipalion des noirs se présentait sous le jour le plus défavorable. En effet, les noirs libérés étaient loin de répondre aux espérances que l'on avail conçues : la paresse , l'insouciance et surtout l'ivrognerie , neutralisaient tous les efforts qu'on aurait pu faire pour relever le Nègre å ses propres yeux , et l'initier à la vie sociale que d'ardents philanthropes avaient rêvée pour lui . On paraissait donc avoir tout à craindre de l'avenir , lorsque l'esclave devenu libre pourrait assouvir ses haines contre ses oppresseurs, et se venger des mau vais traitements qu'il avait endurés . Les résultats heureux obtenus dans les colonies anglaises ne rassuraient que (CAUSES MIXTES) RACE NEGRE . 441 très-incomplétement nos planteurs , et l'on avait la con science que chez nous rien n'avait été tenté pour élever progressivement le Négre, du point d'abjection où il était tombé, à la hauteur de la vie nouvelle que lui créait la liberté. On en était à cette époque de pénibles et dangereuses transitions , lorsqu'une femme dont le souvenir est resté cher aux Negres de la Guiane française, conçut le plan de régénérer celle race dégradée . Madame Javoubey, supé rieure des Sæurs de Saint- Joseph de Cluny, puisait dans son propre cour et dans les inspirations d'une religion éclairée, les principes qui seuls pouvaient apporter une solution au difficile problème qu'il s'agissait de résoudre ( 1 ) . Celle respectable dame connaissait de longue main le ca ractère, les habitudes et les tendances des Negres . Elle savait par expérience à quel point l'éducation morale et religieuse , ainsi que la douceur dans les procédés, modi fient d'une manière favorable les temperaments de cette race. Plusieurs jeunes Nègres et Négresses avaient été libé rés par elle , puis envoyés en France où ils avaient été instruits, et tout le monde était resté frappé des excellentes dispositions intellectuelles et morales que l'on avait remar quées chez eux . Aussi , lorsqu'en 1841 , Mme Javoubey adres sait au Ministre de la marine et des colonies son rapport sur l'établissement de Mana dont elle était la directrice , n'hé sita- t- elle pas à considérer la régénération future des ( 1 ) Les détails qne l'on va lire me sont fournis par des témoins digoes de foi, dont quelques -uns ont connu et secondé Madame Javouhey dans sa mis sion civilisatrice . Je m'appuie d'un aulre côté sur le rapport officiel de M. le Gouverneur de Cayenne, et sur un autre document non moins pré cieux qui m'a été communiqué, l'original de la lettre écrite par Madame la Supérieure de l'ordre de Saint- Joseph de Cluny , à M. le Ministre de la Marine et des Colonies . 442 INFLUENCES DÉGÉNÉRATRICES COMPARÉES. Nègres de Cayenne comme un fait indubitable, si l'on pou vait placer dans une colonie agricole les enfants des Negres libérés, et développer dans un milieu moral les aptitudes particulières de cette race . Le gouvernement ne crut pas devoir souscrire à ce projet et, dans ses irrésolutions, il s'en tint à l'établissement agricole de Mana où l'on avait réuni plusieurs catégories de noirs, les unes composées de libérés et les autres d'esclaves, qui devaient recevoir leur libération après un temps déterminé . Il existait dans la colonie un certain nombre d'enfants, et l'on y avait placé les Nègres que nos croiseurs avaient capturés sur les bâtiments deceux qui se risquaient encore à faire la traite . Les difficultés qu'il y avait å diriger des individualités aussi disparates vers un but commun de perfectionnement sont faciles à comprendre . Les Nègres esclaves étaient déjà pour la plupart arrivés à un grand état de dégradation , et les autres arrachés au sol natal ne comprenaient pas notre langue et nourrissaient dans leur cæur cette sombre mé lancolie qui les rend dans le principe si refractaires à tout élément d'ordre, de discipline et de travail . « On devra donc » pour ceux qui sont parvenus à un certain dge se contenter , de leur donner une éducation exclusivement morale, > simple et entièrement en rapport avec leurs besoins. On » leur enseignera l'amour du travail et la fuite de l'oisiveté ; , on les portera à s'aimer et à s'entr'aider ; on les habituera » à l'obéissance et à la soumission , non à cette obéissance pénible qui n'est exigée que par la force brutale, mais à » cette obéissance douce et filiale, qui est obtenue par la ► bienveillance et par la conviction pour tous les devoirs » qu'impose la société. On leur dira qu'ils sont libres , et » par conséquent qu'ils doivent agir comme des hommes libres , c'est- à- dire , s'entretenir d'eux - mêmes dans la > paix et le bon ordre, sans qu'il soit nécessaire d'em (CAUSES MIXTES) RACE NÈGRE. 443 >> ployer à leur égard les moyens violents qui les régissaient » autrefois, et qui répugnent autant à mon cœur qu'au » système que j'ai adopté . » Les difficultés encore une fois sont grandes, et Mmo Ja vouhey comprend parfaitement que les moyens d'éducation pour les esclaves deviennent nuls, tant que les maitres ne sont pas contraints å y coopérer d'une manière efficace. Aussi réclame- t-elle l'intervention du gouvernement pour isoler les enfants, les soustraire aux milieux vicieux dans lesquels ils se dépravent, et former ainsi une génération nouvelle chez laquelle s'éteindra peut-être un jour celle haine qu'elle a vouée aux blancs . Ce fait d'une si baute va leur psychologique suffit pour inspirer cette réformatrice dévouée, et les considérations de son rapport méritent d'autant plus d'être connues, que cette femme aussi mo deste que pleine de foi dans les destinées de l'humanité, ne se doute pas que les principes de la haute philosophie morale qui font la force de ses convictions, sont également applicables aux vieilles sociétés en décadence qu'il s'agit de régénérer, qu'à celles qu'il faut tirer de la barbarie pour les appeler à une vie nouvelle . « Je crois , dit-elle , en s'adressant au Ministre, vous avoir posé ici une question d'une bien grande importance > locale et d'un intérêt à venir non moins grand. Je sens que de jour en jour les circonstances se développent plus > pressantes et que l'on ne peut trop tenter, si l'on ne veut » se laisser prévenir ; car de quoi s'agit-il en effet, sinon de » s'assurer les dispositions d'une classe nombreuse, long » temps opprimée, longtemps froissée, aussi ignorante que jalouse, et que l'on veut tout à coup élever à un rang » supérieur, alors qu'elle n'a pas la conscience de ses de > voirs sociaux? .. Pense-t-on qu'en multipliant les gardes o et les voies coërcitives , l'on pourra se flatter d'en être >> 444 INFLUENCES DÉGÉNÉRATRICES COMPARÉES. > ► longtemps les maitres ? Non , l'on ne fera que multiplier les embarras, car la discipline a peu de pouvoir, lorsque la » conviction du devoir n'existe pas dans le coeur , et les exem ples ne sont pas rares, qui nous prouvent qu'avant de cher » cher à se rendre maîtres d'un peuple, il faut se l'attacher » par les sentiments. » Après avoir ainsi posé les véritables principes de toute civilisation et de toute amélioration dans les races, l'au leur qui ne se fait pas illusion sur les difficultés de l'entre prise, s'écrie dans un de ces élans de ferme confiance aux destinées ultérieures d'un peuple abruti par le malheur et dégradé par l'esclavage : « Oh. ! qui me donnera de voir » s'élever du milieu des forêts de la Guiane, comme du » sein de la seule nature, appuyée d'un coté sur la reli ►gion et de l'autre sur la morale et l'amour du travail , » cette population d'enfants dirigée par la piété et par la » douceur, animée du désir de bien faire et forte contre la » séduction et le vice... Elle montrera à la terre que le » christianisme seul est capable de produire ces grands ► effets de civilisation que la philanthropie se contente de » rêver dans son impuissance. » Voyons maintenant quel a été le résultat de cet essai de régénération tenté par les Sæurs de Saint- Joseph dans la colonie de Mana. Les détails que nous allons citer nous sont fournis par le rapport officiel de M. le Gouverneur de la Guiane , chargé d'inspecter la colonie en 1838 ... M. Ducamper constate qu'à cette époque l'établissement se composait de 479 Nėgres et Négresses, Négrillons et Négrilleltes , appartenant à deux catégories distinctes . La première est celle des Nègres que l'on prépare à l'acte de leur affranchissement, la deuxième est formée par les esclaves que nos croiseurs ont capturés sur les bâliments des négriers. Quelques- uns sont mariés légitimement et (CAUSES MIXTES) RACE NÈGRE . 445 d'autres sont célibataires ;ܪsi l'on ajoule à ces 479 indivi dus, 39 noirs ou négresses affranchis par Madame la Supé. rieure , on aura avec les divers employés ou préposés , une population de 561 individus vivant dans les conditions d'une colonie agricole dirigée par un réglement commun. L'agriculture est la principale occupation de la colonie. Dans un terrain très- bien choisi pour y faire prospérer les produits de ce pays si admirable par sa fertilité, mais en même temps si malsain pour les Européens , les Nègres cul tiventavec succès le manioc , la banane et le riz ; ils y font prospérer d'une manière remarquable la canne à sucre, le café et le cacao. Le climat de Mana est comme celui du reste de la Guiane, très- chaud et fort humide pendant six mois de l'année que dure la saison des pluies, et l'on a pu constater que là où les essais de civilisation avaient été fatals aux Européens qui n'ont pu résister à la puissance du soleil et à l'influence des émanations délétères d'un terrain formé par des alluvions successives, la race nègre avait fini par s'acclimater ( 1 ) . Le rapport de M. le Gouver neur fait aussi ressortir un fait précieux dans l'intérêt de nos études ; il nous apprend que, si dans le principe l'accli matement a fait aussi des victimes parmi les Nègres , c'est que les premiers arrivants avaient apporté dans ce milieu des habitudes d'intempérance que l'éducation nouvelle à laquelle ils ont été soumis a fini par faire disparaitre. ( 1 ) Il est un fait qui est pareillement aujourd'hui du domaine de la phy siologie , c'est celui des dangers que fait courir l'acclimalement aux Négres transportés en Europe . La colonie de Mana avait envoyé en France , pour y faire leur éducation, des noirs de l'un et de l'autre sexe , sur lesquels on avait légitimement fondé les plus belles espérances. La plupart, malheureu sement , ont été enlevés par la phthysie pulmonaire. J'ai entre les mains des productions lilléraires de ces enfants de l'Afrique, qui démentept lout ce que l'on a dit de l'état d'infériorité absolue de celle ruce . 446 INFLUENCES DÉGÉNÉRATRICES COMPARÉES. Au reste, M. Ducamper s'exprime d'une manière caté gorique sur l'influence de la moralité, au point de vue de la régénération de l'espèce . « Plusieurs hommes fort re commandables, dit- il, qui ont longtemps travaillé à créer des établissements philanthropiques, et qui ont écrit sur la matière, ont fini par convenir qu'à moins d'avoir com mencé par réformer la moralité des hommes, l'on échoue rait toujours dans de semblables entreprises, et qu'il valait mieux agir par des théories religieuses que par celle des pratiques ordinaires . L'un d'eux, bien connu en Angleterre, a ajouté que la religion n'avait pour objet que l'exercice d'une bienveillance mutuelle, et le désir sans cesse crois sant de se rendre heureux les uns les autres, sans distinc tion de sang, de race ni de couleur... Ces idées sont pré cisément, ajoute M. Ducamper, celles que les Sæurs de Saint-Joseph, sous la direction de la Supérieure générale, ont mises en euvre envers la nouvelle population de Mana. La douceur la plus constante a agi avec efficacité sur ces individus, dont un grand nombre était connus pour avoir de grands défauts, unis à des inclinations vicieuses très prononcées . » Aussi voyons-nous que celle population composée de tant d'éléments hétérogènes, se soumet sans murmure à la loi du travail , de l'ordre et de la discipline. Les moyens de coërcition sont supprimés, et les délits si peu nombreux et si peu importants que l'on a pris le parti de les référer à un jury composé de noirs. Ces hommes dont la moralité antérieure se ressentait de la dégradation de l'esclavage , et dont la conscience était si obscurcie, ont cependant conservé dans leurs cæurs le sentiment du juste et de l'injuste, mais l'on est obligé de rectifier leurs décisions pénales qui outre passent toujours le châtiment mérité ( 1 ) . ( 1 ) Les conclusions de M. le Gouverneur sont on ne peut plus favorables (CAUSES MIXTES) RACE NÉGRE . 447 La tendance beureuse de ce peuple enfant å se laisser civiliser par l'élément religieux se retrouve chez d'autres races, que les Européens avaient regardées dans le principe comme tellement inférieures, que la possibilité de les rele ver de leur état de dégradation avait été niée par beaucoup de voyageurs et de colons . Je rapprocherai un fait impor tant, cité par le gouverneur de la Guiane, de ce qui s'est passé sous ce rapport dans les possessions bollandaises du Cap. La colonie de Mana avait été visitée , en 1838 , par un jeune prêtre des missions qui avait produit sur l'esprit des Nègres un effet si extraordinaire, que lorsque ces derniers eurent été mis à même d'exposer dans une pétition leurs plaintes ou leurs besoins, ils ne demanderent qu'une chose, c'est que ce missionnaire dont la présence et les discours avaient ouvert leurs cæurs à des impressions si nouvelles, fùt de nouveau renvoyé parmi eux. Or, voici maintenant ce qui s'est passé au Cap dans des circonstances à peu près semblables . « Lorsque la colonie du Cap, dit le docteur Prichard, dans son Histoire naturelle de l'homme, passa au pouvoir des Anglais, les bons effets de l'instruction donnée par les Frères Moraves étaient si évidents, ils se manifestaient d'une manière si marquée par l'amélioration survenue dans aux résultats obtenus dans la colonie . Malheureusement le gouvernement ne procéda jamais dans la voie des réformes qu'avec un esprit de défiance. Ma dame Javouhey mourut en 1851 , et l'établissement fut confié depuis à des maios séculières ; la période de transmission amena un grand état de souf france. Un dernier Irait caractérise les Nègres , que Madame Javouhey appelait de grands enfants. Lorsqu'en 1848 ils furent appelés à participer au suf frage universel , on ne put jamais leur faire comprendre qu'ils ne pouvaient pas élire Madame la Supérieure, et son nom sortit invariablement de l'urne électorale. 448 INFLUENCES DÉGÉNÉRATRICES COMPARÉES . les mæurs et dans l'industrie des Hottentots , que les mis sions obtinrent sans difficulté l'appui et la faveur du gouvernement. La première tentative d'introduction du christianisme fut faite par un missionnaire nommé Schmidt, homme zélé et de grand courage qui entreprit cette tache dans les premiers temps de l'Eglise Morave, en 1737. Di verses circonstances ruinèrent plus tard cet établissement connu dans le principe sous le nom de Bavians Kloof, et plus tard sous celui de Gnadenthal ( vallée de la Gráce) . A cette époque Gnadenthal était devenu un établissement populeux , qui offrait les plus beaux résultats agricoles , el était occupé par de nombreuses et heureuses familles de cultivateurs . Ces hommes, sortis de leur étal de dégrada tion morale et physique antérieure , obtenaient de riches produits d'un sol sur lequel leurs ancêtres avaient erré pendant des siècles, sans jamais essayer de l'améliorer. Pour agrandir cet établissement, le gouvernement donna aux Frères Moraves une autre partie du pays qui reçut le nom de Groene -Kloof. Dans l'espace d'une année le dé sert avait disparu , et avait fait place à une terre couverte d'abondantes moissons . La transformation intellectuelle de cette race, sous l'influence de cette période d'incubation des sentiments moraux , se révélait par le changement complet de leurs habitudes . Ils étaient autrefois nomades el parcou raient le pays par hordes de trois ou quatre cents individus, jusqu'à ce que le besoin de trouver de nouveaux patu rages les poussát dans d'autres directions . Un manteau de peaux de mouton cousues , dit le voyageur Kolbe, for mait leur vêtement ; leurs armes consistaient en un arc avec des flèches empoisonnées , et une légère javeline ou assagaie. Ils étaient en guerre perpétuelle les uns contre les autres et plusieurs tribus en élaient réduites à toutes les extrémités de l'existence des sauvages, celle des Bos (CAUSES MIXTES) RACE AMÉRICAINE . 449 > chimans entre autres, chez laquelle on ne trouve même pas cette prédominence des forces physiques, que l'on a considérée comme formant un des caractères des peuples qui vivent en debors de tout élément civilisateur. Il est bien avéré au contraire, que ces malheureux , vivant dans un état d'inquiétude , de privations et de miséres continuel. les, résument dans leur état organique et mental , la dégra dation physique et morale de l'espèce. » Toute leur religion consistait à adorer la June, et å » l'époque de son plein ou de son renouvellement ils lui >> offraient des sacrifices d'animaux avec toutes sortes de » grimaces, des contorsions, poussant des cris , jurant, frap , pant du pied , chantant et dansant , et accompagnant » toutes ces bizarres cérémonies de nombreuses prosterna , tions et de paroles appartenant à un jargon inintelligible . ” La différence amenée par l'influence d'une civilisation moralisante, va changer toutes ces habitudes , et les mission naires rapportent que , même dans la conduite des affaires temporelles, les Hottentots témoignaient de leurs tendances régénératrices. « Ils se portaient avec ardeur au travail , » soit pour construire leurs hultes , soit pour cultiver leurs terres, et Dieu bénissait l'ouvrage de leurs mains. » Quelques-uns des fermiers hollandais exprimèrent leur sur prise des changements qu'ils voyaient s'opérer chez ce peuple. « Ils étaient émerveillés, disent les missionnaires, » de voir que lorsque ces misérables ivrognes arrivaient å › Gnadenthal et entendaient la parole de Dieu , ils rece vaient véritablement la grâce et devenaient de tous autres » bommes. » Je suis parfaitement de l'avis du docteur Prichard, quand il dit que rien n'est peut- être plus remarquable dans l'his toire de ces établissements, que le fait de la profonde 29 450 INFLUENCES DÉGÉNÉRATRICES COMPARÉES. sensation produite par le spectacle de la prospérité dont jouissaient les nouveaux convertis ; celte sensation était non seulement générale dans la nation Holtenlote, mais elle élait également partagée par les tribus appartenant à d'autres peuples , et partout accompagnée d'un désir d'ob tenir les mêmes avantages. Des familles entières de Hot tentots et même de Boschismans partirent des frontières de la Cafrerie, et firent des voyages de plusieurs semaines pour venir s'établir á Gnadenthal . Des individus de la na tion Tambucki, et quelques-uns appartenant à la nation des Damaras, qui est au -delà du pays des grands Namaquois, se rendirent à Groene-Kloof, et y fixèrent leur demeure. Le fait singulier dans l'histoire de ces races, fait que je liens å rapprocher de ce que nous avons vu chez les Négres de la colonie de Mana, est celui que l'on rapporte des sau-. vages Boschismans, adressant de leur propre mouvement au gouvernement du Cap, qui travaillait alors à les réconcilier avec les colons, une sollicitation très- pressante pour qu'on leur envoyát des instructeurs semblables à ceux qui avaient résidé longtemps avec les Hottentots à Gnadenthal. « C'est, » dit l'historien de la mission , un cas que l'on a dù rare » ment observer que celui d'un peuple sauvage qui , traitant » avec une puissance chrétienne, demande comme une des » conditions de la paix qu'on lui envoie des missionnaires chargés de l'instruire dans les vérités du christianisme. » Celle observation est loin d'être aussi rare que le pense l'historien de la mission . Nous pouvons non-seulement en voir la justesse pour ce qui regarde les Nègres de la colonie de Mana, mais les indigènes de l'Amérique nous offrent de nombreux exemples des aplitudes plus ou moins spéciales qu'ils ont montrées pour accepter l'influence de la civili sation chréttenne. Le sombre tableau que trace le savant voyageur allemand Martius des indigènes de l'Amérique >> ( CAUSES MIXTES) RACE AMÉRICAINE . 451 du Sud ( 1 ) , ne peut s'appliquer à la race américaine, considérée dans l'ensemble de ses variétés . Il est même å regretter que cet auteur n'ail pas généralisé ses obser vations, et basé sa critique sur les rapports qui s'établissent entre le moral et le physique chez les races modifiées dans l'origine par les causes qui font le sujet de nos éludes. Ajoutons encore qu'il ne suffit pas seulement d'étudier telle ou telle variété de l'espèce humaine dans son élat présent, mais qu'il faut encore, lorsqu'il est possible de re monter à l'origine de la déchéance de cette variété, faire la part des mauvaises conditions intellectuelles et morales qui , se transmettant par l'hérédité, constituent chez les descendants ces instincts cruels et féroces, celle déprava tion extraordinaire , et celle ineptie des facultés mentales, toutes conditions que nous avons déjà regardées, dans nos réflexions générales sur le sens à donner au mot lésion, comme de véritables maladies de l'ordre moral . La théorie de M. le docteur Martius, qui considère les nations Américaines comme tombées d'un baut état de cul. ture intellectuelle dans l'état de barbarie, est développée d'une manière trop séduisante pour que j'essaie de la com baltre ; cependant je ne puis partager le découragement de cet auteur à propos de la possibilité d'améliorer les indigenes américains. J'admets que chez eux une certaine vigneur, et une certaine énergie de caractère sont unies a une tendance à la cruauté , à un esprit déterminé de vengeance, et que les affections sociales paraissent avoir ( 1 ) Entre autres ouvrages de M. le docteur Martius, on consollera avec fruit les suivants : Reise in Brasilien : Voyage au Brésil par MM . Spix et Marlius . Ueber die Zukunft und Vergangenheit des americanischen Volkslamme : De l'avenir el du passé de la race Américaine . Munich , 1832, 452 INFLUENCES DÉGÉNÉRATRICES COMPARÉES. moins d'influence sur eux que sur la plupart des races humaines ; mais , de là à la conclusion d'un état d'incurabilité ou de dégénérescence complète , la distance me parait grande. « Tous ceux , dit le docteur Prichard, qni ont observé ces espèces de brutes que l'on trouve encore dans quelques coins reculés de l'ancien continent, ces sauvages stupides uniquement occupés du soin de satisfaire les appé. tits grossiers, et incapables de fixer sur quelque autre chose que ce soit leur attention , tous ceux, dis-je, qui ont observé attentivement ces hommes , et les ont comparés aux indigènes du Nouveau-Monde, ont été frappés de la supériorité des Américains sous le rapport de la profon deur et de l'énergie des sentiments, de la vigueur de l'es prit, de l'aptitude à la réflexion , du courage et de la perse vérance. Ce qui les a non moins vivement étonnés, c'est la taciturnité et le défaut de sociabilité de ces bommes, l'absence chez eux de presque tout sentiment affectueux , l'orgueil qui se montre aussi bien dans leur affectation d'indifférence pour les objets capables d'éveiller leur curio sité , que dans leur apparence d'insensibilité au milieu des douleurs ; c'est la profondeur de leur haine, l'ardeur de leur soif de vengeance , la dissimulation sous laquelle ils cachent leurs projets infernaux, enfin, toutes ces qualités odieuses qui ont porté quelques personnes à supposer que les descendants du premier meurtrier étaient allés cher cher un refuge dans les sombres forêts de l'Amérique, loin des yeux des hommes, loin des êtres bienveillants ( 1 ) . » ( 1 ) Prichard, ouv. cilé , 1. II , p . 83. Dans mes Etudes cliniques, t . I , p . 70, je me suis déjà étendu sur la nécessité de se placer à un point de vue plus élevé que celui des influences climatériqnes et hygiéniques, pour expli qner la nature de certaines dépravations de l'intelligence . J'insistais déjà à celle époque sur les conséquences pathologiques de l'erreur, de l'ignorance (CAUSES MIXTES) RACE AMÉRICAINE. 453 Examinous rapidement quelques-unes des nuances que les mœurs, les habitudes el la transmission béréditaire el des mauvaises passions pour comprendre l'obscurcissement de l'intelligence, la dépravation des instincts et même la dégénérescence physique de l'homme. Je ne puis m'empêcher ici de citer les réflexions très -judicieuses de Buffon , sur la manière de juger les meurs et les habitudes de certaines nations sauvages. « Je ne crois pas, dil Buffon , devoir m'étendre beaucoup sur ce qui a rapport aux coutumes de ces nations sauvages . Tous les auteurs qui en ont parlé, n'ont pas fail altention que ce qu'ils nous doppajent pour des usages constants pour les meurs d'une société d'hommes, n'étaient que des actions particulières à quelques individus souvent déterminées par les cir constances ou par le caprice. Certaines nations , dous disent-ils, mangent leurs ennemis, d'autres les brûlent, d'autres les mutilent . Les unes sont perpétuellement en guerre ; d'autres cherchent à vivre en paix. Chez les unes, on lue son père lorsqu'il a alteint un certain åge ; chez les autres, les pères el mères mangent leurs enfants. Toules ces histoires sur lesquelles les voyageurs se sont éleodus avec tant de complaisance, se réduisent à des récits de faits particuliers, et sigoifient seulement que le sauvage a mangé son ennemi, tel autre a brûlé ou mangé son enfant, el lout cela peut se trouver dans une seule nation de sauvages , comme dans plusieurs nalions ; car loule nation où il n'y a ni règle, ni loi , ni maître, ni société habituelle, est moins une dalion qu'un assemblage lumultueux d'hommes barbares el indépendants qui n'obéissent qu'à leurs passions particulières, et qui pe pou vant avoir un intérêt commun, sont incapables de se diriger vers un mème but et de se soumeltre à des usages constants, qui lous supposent une suite de desseins raisonnés el approuvés par le plus grand nombre... Autant donc il est inutile de se trop étendre sur les coutumes et les mæurs de ces pré lendues nations , autant il serait peut- elre nécessaire d'examiner la nature de l'individu : L'homme sauvage est en effet de lous les animaux le plus singulier, le moios coonu et le plus difficile à décrire ; mais nous distio guons si peu ce que la nalure seule nous a donné, de ce que l'éducation, l'imitation , l'art el l'exemple, nous ont communiqué, ou nous le confondons si bien , qu'il ne serait pas élonnant que nous nous méconnussions lotalemen ! au portrait d'un sanvage , s'il nous était présenté avec les vraies cuuleurs et 454 INFLUENCES DÉGÉNÉRATRICES COMPARÉES. d'instincts dépravés ont établies entre les variétés appar tenant à une même race . La race Américaine indigène qui va faire le sujet des réflexions qui suivent, ne sera pas considérée par nous au point de vue si difficile de son origine ; il vous suffit de savoir que son existence comme race distincte et isolée, date probablement de cette époque si reculée, où les habi tants de l'ancien monde, se séparérent en plusieurs pa tions, et où chaque branche de la grande famille prit un langage et une individualité propres. Telle est au moins l'opinion des principaux naluralistes, et en particulier du docteur Pricbard . Il est un autre point sur lequel la plupart des anthropologistes sont d'accord au jourd'hui, c'est celui des liens de parenté qui réunissent les peuples divers répandus sur cel immense territoire , et les

les seals trails uaturels qui doivent en faire le caractère. » ( Buffon . Variėlės dans l'espèce humaine, page 203 de l'édition citée . ) Je suis de l'avis de Buffon : les variétés dans l'espèce humaine désignées sous la dépomination de sauvages se reconoaissent aux seuls traits naturels qui doivent en faire le caractère. Ce sont précisément ces traits naturels qu'il s'agit de melire en relief afin de pouvoir distinguer les variétés modi fiées d'une manière plus ou moins fàcheuse par les influences de l'ordre physiqne et de l'ordre moral , mais capables de remonter vers un type supé rieur, des variétés maladives dégénérées qui ne sonl -modifiables que dans les conditions caratives enseignées par la médecine, si tant est que dans certaines circonstances elles ne soient pas complélement INCURABLES. Buffon lui - mème n'a pas élé à même d'établir la distinction qui nous sert de guide. Ainsi, lorsqu'il parle du sauvage, absolument sauvage, tel que l'enfant élevé avec les ours que cite Connor, du jeune homme trouvé dans les forêts de Hanovre, ou de la pelile fille rencontrée dans les forêts de France, il fait évidem ment confusion . Tous ces prétendus sauvages , y compris celui de l'Aveyron, n'étaient que de malheureux imbéciles ou idiots , abandonnés par leors pa rents, ou échappés des maisons de détention où ils étaient renfermés à celle époque. ( CAUSES NIXTES) RACE AMÉRICAINE . 455 preuves sur lesquelles s'appuie celte opinion, sont de celles qui font le plus d'honneur à l'esprit d'investigation des sa vants modernes. Ils ont parfaitement compris en effet que les indications spéciales tirées de la couleur de la peau et même de la forme de la tête, ne suffisaient pas pour réunir dans un même groupe ou rattacher à une même famille des peuples séparés non-seulement par de grandes distances territoriales , mais encore par la différence de leurs mæurs et de leurs habitudes. C'est ainsi que la désignation de peaux rouges est loin de convenir à tous les indigènes de l'Amérique. Il existe , comme le fait très-bien remarquer le docteur Prichard , en Afrique et dans la Polynésie, des tribus également rouges, el qui même méritent peut- être mieux encore cette épithète ; d'un autre coté, les Améri cains ne nous offrent pas tous, il s'en faut, cette teinte rouge ou cuivrée. Quelques tribus sont aussi blanches que beaucoup de nations Européennes ; d'autres sont brunes ou jaunes, d'autres sont noires, et les voyageurs les dépeignent comme ressemblant beaucoup aux Nègres d'Afrique ; c'est ce que l'on a remarqué pour les indigènes de la Californie. Enfin, il est bien avéré aujourd'hui que la couleur de la peau que l'on avait souvent donnée comme un signe ca ractéristique de la différence des races , n'est parfois que le résultat des pratiques particulières à ces peuples pour s'enduire le corps de différentes matières grasses ou colo rantes (1 ) . ( 1 ) L'observation suivante du capitaine Dixoa pent s'appliquer à plusieurs variélés de la race Américaine . « Les naturels du port Malgrave, dit - il , ont la peau lellement couverte de peinture, qu'il nous était à peu près impossible d'en distinguer la couleur ; mais étant parvenus à déterminer une de leurs femmes à se laver les mains et le visage, nous fùmes confondus du change ment produit chez elle par celle ablution . Son teint avail la vivacité de celui 456 INFLUENCES DÉGÉNÉRATRICES COMPARÉES . Les formes spéciales du crâne dans la race Américaine ne suffisent pas non plus, comme le fait très-bien remar quer le docteur Prichard, pour constituer la forme cranéenne américaine qui est généralement arrondie. Celle partie si importante de l'anthropologie sera du reste pour nous l'objet d'une étude spéciale, lorsque nous aurons á compa rer la forme des fêtes chez les variétés naturelles avec ce qui existe sous ce rapport chez les variétés maladives . On trouve parmi les Américains des formes de tête variées, et les causes les plus diverses produisent ces différences, sans compler la cause par excellence, celle qui consiste à dé former artificiellement le crâne des enfants. Il ne serait pas possible non plus de tirer des indications d'une conforma tion corporelle qui serait commune à lous ; le genre de vie ne pourrait davantage amener à établir un caractère ethno logique spécial , et cela se comprend facilement, vu la di versité des habitudes et des maurs. Tous les naturels de l'Amérique ne sont pas chasseurs ; il y a parmi eux beau coup de tribus de pêcheurs ; il y a des tribus nomades, d'autres qui s'appliquent à la culture de la terre et qui ont des demeures fixes. Une partie de ces peuples étaient agri culteurs avant l'arrivée des Européens ; d'autres ont appris de leurs vainqueurs à labourer la terre , et ont changé les d'une laitière anglaise, et te vermillon de ses joues faisail on contraste char mant avec la blancheor de son cou . Son front était si poli , et la peau en était tellement transparente qu'on pouvail distinguer au travers les moindres rameaux veineux . » Ces renseignements sont parfaitement d'accord avec ceux qu'ont doonés Langsdorf et Rolio . Ce dernier était allaché en qualité de médecin et de naluraliste à l'expédition de l'infortuné Lapeyrouse, et il nous apprend que les cheveux de cette race étaient presque châlains . « La couleur de leur

  • peau est très - brupe, parce qu'elle est sans cesse exposée à l'air ; mais in leurs enfants naisscot aussi blanes que les pôlres. » ( Lapeyrouse .)

(CAUSES MIXTES) RACE AMÉRICAINE . 457 anciennes habitudes de leur race, ce qui prouve que ces habitudes n'étaient pas un résultat nécessaire de leur orga nisation, ou la conséquence d'un penchant instinctif, irré sistible (1) Mais il est une preuve plus péremptoire et plus décide ment marquée de la parenté qui existe entre ces nations, c'est celle qui résulte de la structure caractéristique de leur lan gage . On ne peut sous ce rapport assez rendre hommage, comme je le disais plus haut , aux travaux pbilologiques des modernes, et en particulier à ceux du docteur Smith Barton , de Philadelphie, qui le premier a fait une tenta tive sérieuse de classification pour les langues de l'Amé rique du Nord. Humboldt et Vater ont continué son æuvre sur une plus grande échelle et avec d'autres ressources. Toutefois, c'est à M. du Ponceau, dit le docteur Prichard, que nous devons les éclaircissements les plus importants sur ce sujet. Nous ne pouvons au surplus en pareille matière nous appuyer sur une autorité plus importante que celle de M. de Humboldt. « En Amérique, dit ce savant, depuis le pays des Esqui maux jusqu'aux rives de l'Orénoque, et depuis ces rives brûlanles jusqu'aux glaces du détroit de Magellan, les langues mères entièrement différentes par leurs racines, ont pour ainsi dire une même physionomie. On reconnait les analogies frappantes de structure grammaticale, non-seule ment dans les langues perfectionnées comme la langue de l'Inca , l'Aymara , le Guarani , le Mexicain et le Cora , mais aussi dans les langues extrêmement grossières. Des idiomes ( 1 ) D. Prichard , ouv . cité , t . II , p . 74. Nous pouvons ajouler encore que plusieurs nations de l'Amérique du Sud opt adopté le christianisme , el que le changement complet de leurs mæurs et de leurs habitudes est de pature à produire d'importaples modifications organiques . 458 INFLUENCES DÉGÉNÉRATRICES COMPARÉES. dont les racines ne se ressemblent pas plus que les racines du Slave et du Basque, ont des ressemblances de méca nisme intérieur qu'on trouve dans le sanskrit , le persan , le grec et les langues germaniques. Dans le deuxième volume de son Archeologia americania , M. Galaltin confirme, au moyen de recherches plus élen dues, les réflexions faites il y a longues années déjà par M. de Humboldt. « . Au milieu de la grande diversité que présentent les langues américaines, quand on les envisage seulement sous le rapport de leurs vocabulaires, il existe entre elles , dit cet auteur, relativement à la structure el aux formes grammaticales, une ressemblance qui a été aper çue et signalée par les philologues américains . Le résultat de leurs recherches párait confirmer l'opinion déjà soute nue par MM . du Ponceau, Pickering et autres écrivains, sa voir que les langues parlées en Amérique, non-seulement par nos Indiens, mais encore par toutes les peuplades indi gènes que l'on rencontre depuis l'Océan Arctique jusqu'au Cap Horn , ont un certain cachet qui leur est commun á toules , et qui ne permet de les assimiler à aucune des langues connues de l'ancien continent. » Ces considérations établissent assez pour nous que la race américaine appartient à une même famille. Nous n'a vons pas , encore une fois, à nous préoccuper de savoir á quelle époque remonte son origine, et si d'après la théorie du docleur Martius , ce peuple représente une ancienne civilisation éteinte , comme semblent le faire croire beau coup de restes de sculpture et d'architecture ancienne ré pandus dans le Mexique, le Yucatan et le Chiapa dans la haute plaine de Quilo, et dans d'autres parties de l'Amé rique méridionale, ainsi que les grands ouvrages d'art, tels que les fortifications et les vestiges de temples ou de palais , dans le Tenessi, ainsi que dans l'intérieur du Nou veau-Mexique, non loin de la rivière de Gilo... (CAUSES MIXTES) RACE AMÉRICAINE . 459 Notre intention, après nous étre appuyé sur l'homogé néité de la race Américaine, est d'examiner les modifica tions naturelles ou maladives amenées dans cette race par la diversité des influences climatériques, des mœurs et des habitudes ; de poursuivre le problème de l'influence exer cée par les causes mixtes, et de confirmer ce que nous avons dit précédemment de l'antagonisme des civilisations différentes, ainsi que des changements produits dans l'or ganisme par la déviation de la loi morale qui est le seul élément de progrés dans l'humanité . Ces changements orga niques sont eux- mêmes, ainsi que nous l'avons vu,, le point de départ de transformations dégénératives dans les races, par la raison qu'ils sont transmissibles et que, abandonnés à eux -mêmes, ils produisent à leur tour des phénomènes pathologiques qui s'enchainent, se commandent récipro quement et tendent sans cesse, en l'absence des éléments régénérateurs, à suivre une marche progressive . Nous ne pouvons que jeter un coup d'ail rapide sur ces importantes questions anthropologiques, et il nous est de toute impos sibilité de les étendre à l'ensemble des variétés dans l'es pèce humaine . Qu'il nous suffise, en nous appuyant sur des preuves nouvelles, de faire de mieux en mieux comprendre le but et l'utilité de nos recherches ; et si nous ne craignons pas de reporter incessamment l'attention du lecteur vers ce bul tant de fois déjà défini, c'est que l'étude des modi fications palurelles et des modifications maladives dans l'espèce doit , en outre, élre fécondée par cet esprit de saine appréciation médico-philosophique qui peut nous faire en trevoir les nuances parfois si fugitives de la période de tran sition d'une de ces modifications à l'autre . Il est utile de préciser, autant qu'il est possible de le faire, où finit la mo dification naturelle, où commence la modification mala dive, en d'autres termes, la dégénérescence. L'importance 460 INFLUENCES DÉGÉNÉRATRICES COMPARÉES. de cette distinction se comprend d'autant mieux que nous risquerions fort, sans cela , de faire fausse route dans l'ap plication des moyens curatifs , et dans l'interprélation à donner aux faits anormaux de l'ordre intellectuel et moral , Anciens habitants de l'Amérique centrale , Aztèques. Les peuples disséminés sur le vaste continent de l'Amérique du Nord révèlent, par les contrastes que l'on observe dans leur type physique , l'influence que le climat imprime à la nature organique et inorganique. Nulle part ce contraste n'est aussi frappant, si l'on en croit les naturalistes mo dernes , que dans les hautes plaines de l'Anahuac, compa rées aux parties basses de l'Amérique intertropicale. La chaine de la Cordilière, qui au Pérou est divisée en plusieurs cbainons parallèles comprenant entre eux de larges val Jées, devient dans la latitude du Mexique, un massif serré de montagnes qui forme un grand plateau sur la surface duquel sont dispersés des pics de 4 à 5 mille mėlres au dessus du niveau de la mer. « Dans les plaines dénuées d'arbres, des cactus de diffé » rentes formes, le maguey à feuilles piquantes, d'autres plantes étranges d'aspect couvrent le sol où errent le » chien muet et le loup chauve du Mexique, ainsi que des » reptiles sauriens que l'on ne rencontre pas ailleurs ... » Dans ce même pays où le cours des saisons n'amène ni » un hiver, ni un été proprement dit, et où le climat n'est , ni celui de la zone torride, ni celui de la zone tempérée, , les conquérants Espagnols trouvèrent un peuple qui n'a » vait ni la grossière simplicité de la vie sauvage, ni la ► douceur de mours des nations civilisées , un peuple qui » réunissait à des connaissances assez étendues, el å beau > coup d'habileté dans la pratique de différents arts utiles et » agréables, l'insatiable cruauté des barbares les plus féroces . ) J'ai cru utile de ciler celle observation du docteur Pri >> (CAUSES MIXTES) RACE AMÉRICAINE . 461 chard, confirmée du reste par les principaux historiens qui se sont occupés des antiquités mexicaines. Elle nous prouve une fois de plus qu'un développement même con sidérable dans les sciences et dans les arts, ne suffit pas pour assurer la continuation normale de l'espèce . L'absence ou l'inintelligence du devoir, tout aussi bien que l'action funeste exercée par une religion fausse, par la privation ou la perle des sentiments religieux , ont d'autres conséquences funestes. Elles placent les sociétés les plus vigoureuses en apparence sur la pente de cette dégénérescence morale, dont le principe dissolvant finit parimprimer à la constitution physique des individus , des peuples et des races, ce cachet de dégradation qui est le signe de la déviation du type primitif de l'humanité. Je pourrais trouver de nombreux exemples de ce que j'avance, dans les sociétés Européennes modernes, mais je préfère continuer l'observation que j'ai commencée. Chacun sera libre ensuite de déduire de cet exemple des conséquences applicables à cet état de profond malaise moral dont est travaillée la société moderne ( 1 ) . Les Aztèques étaient d'intelligents et laborieux agricul teurs ; ils avaient non-seulement l'art d'exploiter les mines ( 1 ) Celle analogie à établir pourra paraître élrange à première vue ; mais les hommes qui ont profondément réfléchi sur notre élal social me compren dront parfaitement. Ils n'ignorent pas qu'au sein de celle société si civilisée, existent de véritables variétés ( que l'on me pardonne celte expression en rapport avec le genre de nos éludes) , qui ne possèdent pi l'intelligence du devoir , ni le sentiment de la moralité des acles , et dont l'esprit n'est sus ceptible d'élre éclairé ou même consolé par aucune idée de l'ordre religieux . Quelques-unes de ces variétés ont été désignées à juste titre sous le nom de classes dangereuses. Tout ce que nous avons dit jusqu'à présent, et tout ce qui nous reste à dire, lend à démontrer l'importance de l'étude des causes qui amènent chez l'individu ape dégradation physique et morale, constituant pour la société un élai de danger permanent . 462 INFLUENCES DÉGÉNÉRATRICES COMPARÉES. et de préparer pour divers usages les métaux que recelait leur sol, mais encore celui de monter des pierres pré cieuses , et ils exécutaient des ouvrages dont la perfection était , à ce que nous apprend Clavigero , un sujet d'admira tion pour les ouvriers européens ; habiles architectes , ils avaient construit des monuments splendides qui pouvaient rivaliser avec ceux de l'Egypte ; enfin, s'ils n'étaient pas com plétement en possession de cette admirable découverte , la plus grande de celles qu'il a été donné aux hommes de faire (celle de représenter par des signes les sons articulés de la voix) , ils en sentaient du moins la nécessité, ils y aspi raient depuis longlemps , et ils avaient imaginé une mé . thode graphique pour conserver le souvenir des événe ments , et transmettre aux générations suivantes les traits saillants de leur histoire . Les Mexicains étaient même très-avancés dans les sciences, et ils avaient une année solaire avec un système d'intercalations fondé sur le même principe que le calen drier romain . Il parait qu'ils étaient sous l'influence d'un sentiment religieux très - profond , quoique singulièrement perverti . Ils avaient un ordre de prêtres dont la vie était consacrée à la pratique des rites d'un cérémonial imposant, des processions splendides en l'honneur des dieux aux quels ils offraient des sacrifices de la plus effrayanle cruauté, sacrifices inspirés à ce qu'il semble par ce senti ment si général parmi les hommes de la nécessité d'une expiation . Les relations que nous ont laissées les conquis ladores sont à peine suffisantes pour nous donner une idée un peu précise de leur état social ; mais d'après ce que nous en pouvons savoir, il parait que la culture des arts n'avait amené chez les Aztèques civilisés aucune amélio ration morale, n'avait apporté aucune modification à celle sombre cruauté, qui parail commune à toutes les tribus indi (CAUSES MIXTES) RACE AMÉRICAINE . 403 gènes du Nouveau -Monde. Leurs dieux n'ont pas d'attribut de clémence ou de miséricorde ; ce sont des démons, des vengeurs impitoyables du crime, les noires créations d'une mauvaise conscience ( 1 ) . Pour ceux qui sont au courant des annales mexicaines qui remontent à la plus baute antiquité, le fait récemment exploité de l'exhibition des derniers descendants des Az lèques paraitra pour le moins une mystification étrange ( 2 ) . Nous savons parfaitement aujourd'hui que dans les pro fondes vallées des Cordiliéres il se trouve des races crété. nisées qui offrent les mêmes caracteres de dégénérescence que ceux des crétins de notre Europe, MM. de Humboldt et Boussingault ont constaté ce fait, dans des localités qui étaient à 4,000 mètres au moins au-dessus du niveau de la mer . D'un autre coté, les cas de microcéphalisme sont loin d'être rares dans la race américaine, et il est très- probable que l'habitude existant chez certaines variétés de celle race de déformer artificiellement le crâne des nouveaux- nés a amené chez les descendants des dispositions organiques dégénératives ( 3) . . ( 1 ) Prichard , ouv. cité , t . II , p . 91 . ( 2) Voyez les opinions émises par MM. Baillarger et Ferrus lors de la présentation des Aztèques à l'Académie impériale de Médecine ( Bulletin de l'Académie de Médecine. Paris, 1838, T. XX, p . 1156) . (3) Voir dans la partie iconographique de cet ouvrage, planche II , fig. II , le portrait d'unc jeune microcéphale âgée de 22 ans, parfaitement bien con formée da reste, el qui nous donne l'exemple d'une dégénérescence dans l'espèce , avec une expression de figure qui dénote l'intelligence quoiqu'il y ait chez celle jeune fille absence complète de facultés. Il n'existe chez elle que la mobilité et la turbulence que l'on a pu remarquer chez ces petits élres incomplets ou arriérés que l'on nous a montrés comme les derniers repré senlauls des Aztèques, et qui sont des défauts communs aux enfants arriérés ou imbéciles, M. Baillarger a présenté récemment à l'Académie impériale de 464 INFLUENCES DÉGÉNÉRATRICES COMPARÉES. Les portraits des anciens Aztèques, d'après ce que dit M. de Humboldt, sont remarquables par la dépression du front, d'où résulte la petitesse de l'angle facial, et les figures de leurs divinités nous offrent la même expression typique; c'est une forme qui parait avoir appartenu au beau idéal de la race, et que beaucoup de nations améri caines ont cherché à imiter au moyen d'une compression artificielle de la tête . Le même savant auteur remarque qu'il n'y a sur tout le globe aucune race chez laquelle l'os frontal soit aussi ſuyanl, et le front aussi petit ; il fait ob server cependant que le peu de hauteur du front, est jus qu'à un certain point compensé par la largeur qui est en général considérable. Le front plat était considéré par un grand nombre de tribus comme une beauté, et celte étrange idée a conduit principalement à l'babitude de mouler la tète , par les moyens que nous avons signalés. Mais encore une fois, nous aurons à revenir sur celle question dans l'examen comparé des déformations du système osseux chez les races modifiées naturellement ou artificiellement, avec les mêmes déformations chez les races modifiées d'une manière maladive ( 1 ) . Esquimaux. Les Esquimaux qui , sous le rapport phy sique forment un contraste si étrange avec la race mexi caine, ont néanmoins été raltachés à cette race å cause de l'idiome dont ils se servent. Ils doivent être compris, d'a > Médecine une microcéphale offrant les mêmes caractères ( Bulletin de l'A cadémie de Médecine, 1836, T. XXI, p . 650, 684) . ( 1 ) Ce que je dis de la traosmission héréditaire d'une difformité orga pique est un fait qui peut être confirmé par de nombreux exemples. Dans le portrait des Mexicains de notre temps , donné par Clavigère , nous voyons qu'ils sont assez grands et que leur laille est ordinairement au -dessus de la moyenne, mais qu'ils ont en général le front élroil. (CAUSES MIXTES) RACE AMÉRICAINE . 465 près M. du Ponceau, dans la catégorie des nations parmi lesquelles fut originairement répandue la forme ancienne des langues propres au Nouveau -Monde. Ils appartiennent à la souche américaine, quoique différant par plusieurs caractères très- saillants de la majorité des autres tribus . Du reste , elles ne sont pas les seules nations du Nouveau Monde, qui d'après le docteur Prichard , présentent de pareils exemples de déviations, et la forme pyramidale de leurs têtes , ainsi que la proéminence de leurs maxillaires supérieures dénotent un mélange de sang tartare. Les caractères physiques et moraux de cette race ictyophage qui , d'après l'expression de Lapeyrouse, préfère l'huile au sang, ont frappé tous les voyageurs, et il n'est peut-être aucun peuple de la terre chez lequel le climat, les meurs, les babitudes et l'isolement de toutes les autres nations, aient réalisé des modifications naturelles aussi frappantes. « Il est certain , dit Charlevoix , que de tous les peuples connus de l'Amérique, il n'en est point qui remplisse mieux que celui-ci la première idée que l'on aa eue en Europe des sauvages. Il est presque le seul où les hommes aient de la barbe (1 ) , et ils l'ont si épaisse jusqu'aux yeux , qu'on a peine à découvrir quelques traits de leur visage. Ils ont d'ailleurs , je ne sais quoi d'affreux dans l'air , de petits yeux effarés, des dents larges et fort sales, des cheveux ordi nairement noirs, quelquefois blonds, fort en désordre et tout l'extérieur fort brut. Leurs mæurs et leur caractère > ( 1 ) Celle partic de la description de Charlevoix ne s'accorde pas avec celle de Cranız , qui dit qu'ils ont lous les cheveux épais, roides , et d'un noir de charbon , mais point de barbe parce qu'ils se l'arrachent. Nons ferons remarquer en passant que l'absence ou la rareté de la barbe chez quelques races indigènes de l'Amérique, peut pareillement être le résultat d'une trans mission héréditaire; lenrs ancêtres ayant eu l'habilude de se l'arracher. 30 466 INFLUENCES DÉGÉNÉRATRICES COMPARÉES . » ne démentent point cette mauvaise physionomie . Ils sont féroces, farouches, défiants, inquiets, toujours portés à faire du mal aux étrangers ( 1 ) . » a Les babitudes des Hyperboréens, dit Lesson , sont છેà peu près les mêmes partout où on les a soigneusement obser vés . Vivant sur des points du globe où la nature semble expirante, ensevelie sous les glaces éternelles du pole, leur industrie s'est tournée vers la chasse et la pêche, leurs seules ressources pour se nourrir ; aussi y ont-ils acquis une grande habileté . La rigueur du climat pendant les longs hivers les a ſorcés à se creuser des abris souterrains et å y entasser des vivres pour l'époque où la pêche et la chasse sont impraticables . Dans leurs longues nuits polaires qu'éclairent à peine les aurores boréales , ensevelis sous la glace et la neige dans des yourtes profondément creusées sous terre, les Esquimaux vivent de poisson sec , de chair de cétacés et boivent avec plaisir l'huile de baleine qu'ils conservent dans des vessies . Ils cousent avec des nerfs leurs vêtements d'hiver qui sont faits de peaux de phoques dont les poils leur servent de fourrure ; ceux d'été sont taillés dans les intestins des grands cétacés, et ressemblent à des étoffes vernissées... Superstitieux à l'excès, ajoute le même écrivain, la race polaire, à cela près de quelques nuances , a présenté dans toutes les tribus des idées religieuses iden tiques ; mais une morale très-reláchée a fait adopter aux hommes la polygamie, prostituer sans pudeur leurs femmes et leurs filles, qu'ils ne considèrent que comme des créa tures d'un ordre inférieur dont ils peuvent faire ce que bon leur semble . » ( 1 ) Charlevoix. Histoire et description générale de la nouvelle France ( Paris , 1744) . Il est bon d'ajouter qu'il faut généralement accepler avec des réscrves les jogements du P. Charlevoix . (CAUSES MIXTES) RACE AMÉRICAINE. 467 Si je reporte maintenant mes souvenirs à l'époque où , il y a quelques années déjà, je m'occupais de l'état intellectuel et moral des divers peuples de la terre dans ses relations avec les influences exercées par le climat, les maurs, les habitudes, je me vois forcé de rectifier des jugements qui ne répondent plus à la manière dont j'ai dû comprendre depuis les modifications naturelles et les modifications ma ladives dans l'espèce humaine . La race des Esquimaux, à s'en tenir exclusivement aux récits de quelques voyageurs, serait non -seulement une race inférieure, ce que nous pouvons admettre sans bles ser la vérité pour ce qui regarde ces peuples si pen favo risés par le climat des régions hyperboréennes , mais elle serait encore une race maladive au point de vue du peu de développement du sens moral , de l'impossibilité d'être assimilée à une civilisation plus élevée , et de remonter ainsi vers un type supérieur. Celle dernière conclusion , å la quelle je m'étais arrêté antérieurement , ne serait cependant pas exacte si l'on se rappelle les lésions de l'ordre phy sique, intellectuel et moral qui forment les caractères principaux des races maladives, et si l'on adopte ma ma nière de voir à ce sujet. En effet, les idées erronées répandues par les premiers voyageurs qui nous renseignèrent sur les habitudes et les meurs des habitants de ce pays, ont été mieux appréciées depuis , et il m'importe de prouver , dans l'intérêt de la question, que tout individu capable de subir sous l'influence de l'enseignement une évolution intellectuelle, physique et morale, indice d'une rénovation qui peut se transmettre par l'hérédité, n'est pas un étre maladivement dégévéré. Or, ce qui est vrai pour l'individu ne l'est pas moins pour la race ou telle variété dans la race . J'appelle sur ce point l'attention du lecteur ; il s'agit des conditions curatives de 468 INFLUENCES DÉGÉNÉRATRICES COMPARÉES. l'ordre moral applicables à l'espèce en général. Je conserve à ces conditions curatives la désignation de traitement moral, que dans un sens plus restreint nous appliquions jus qu'à présent aux aliénés, et je tiens à démontrer que nos études sur les dégénérescences dans l'espèce impriment un but plus élevé à l'action que nous sommes appelé à exercer sur les destinées de l'humanité souffrante . Les Esquimaux, qui fixent dans ce moment notre alten tion , appartiennent à la même variété de l'espèce humaine qui se trouve répandue le long des cotes de la mer polaire. Les premières relations des voyageurs nous représentent ces peuples, ainsi que nous l'avons dit , comme formant une race tellement abrutie, que l'on devait perdre à tout jamais l'espoir de l'améliorer et de l'assimiler à ces idées générales qui forment la base de la civilisation euro péenne, et qui constituent les véritables éléments du pro grės dans l'humanité . Cependant, å dater de 1721 , des hommes, dominés par une foi vive, résolurent d'implanter dans ces régions désolées les notions du christianisme . Leurs premiers efforts furent infructueux, et l'historien des missions moraves, Crantz, avoue que tout le zèle déployé par ces hommes dévoués était resté sans résultat. Jusqu'à ce moment, dit-il , nos missionnaires n'avaient pu décou vrir la trace d'aucune impression qn'auraient faite les vé rités qu'ils s'efforçaient de propager. Les Groënlandais, qui venaient de cantons un peu plus éloignés, étaient des hommes stupides, ignorants, incapables de réflexion , et le peu qu'on pouvait leur dire dans une courte visite , même quand ils l'avaient écouté avec quelqu'attention, s'éva nouissait bientot dans leurs perpétuelles pérégrinations. Ceux qui, vivant dans le voisinage des missionnaires, avaient reçu d'une manière suivie leurs instructions pendant plu sieurs années, n'en étaient pas devenus meilleurs ; ils étaient (CAUSES MIXTES) RACE AMÉRICAINE . 469 fatigués, blasés, endurcis contre la vérité... Les pressait on de prêter leur attention aux vérités du christianisme, ils témoignaient ouvertement leur répugnance, et leurs réponses évasives se formulaient à peu près en ces termes : « Montrez-nous le Dieu dont vous nous parlez, alors nous » croirons en lui et le servirons ... Nous l'avons invoqué » quand nous manquions de vivres et quand nous étions , malades, et rien ne nous montre qu'il nous ait entendus... · Nous pensons que ce que vous dites est vrai , mais puis » que vous le connaissez mieux que nous, faites en sorte par vos prières qu'il nous donne suffisamment de quoi , manger. Il nous faut un corps exempt de maladies, une » maison sèche , c'est tout ce dont nous avons besoin, tout » ce que nous désirons de lui ... Il nous faut des veaux ► marins, des poissons, des oiseaux, sans lesquels notre » & me ne pourrait pas plus subsister en paradis que notre » corps sur la terre ... Nous voulons descendre dans le sé jour de Torngarsuk, où nous trouverons en abondance , tout ce dont nous avons besoin , et sans qu'il nous en » coûte aucune peine . » Ces raisonnements et d'autres analogues indiquaient un peuple enfant, mais chez lequel existaient cependant cer taines idées d'une vie future, où ils ne pouvaient transpor ter, il est vrai, que les notions qui se rapportent à la vie matérielle et aux besoins incessants de chaque jour. Mais, d'un autre coté , l'avenir démontra aux Frères Moraves eux-mêmes qu'ils avaient eu tort de désespérer des condi tions régénératrices qui pouvaient exister au sein d'une population aussi misérable. Ces conditions ne se dévelop pent en tout état de choses que d'une manière lente et progressive. Elles subissent , que l'on me passe le terme, une période d'incubation . Elles n'atteignent le degré qui est l'indice de la véritable civilisation, que lorsque les gé 470 INFLUENCES DÉGÉNÉRATRICES COMPARÉES. nérations se sont successivement transformées, el que celles qui se sont éteintes ont légué à celles qui suivent des aptitudes intellectuelles et organiques, sans lesquelles on ne peut comprendre les progrès dans l'humanité. Ceux qui ont jugé l'état intellectuel , physique et moral de certaines races , en dehors de ces idées si simples, ont oublié le point de départ des peuples Européens qui marchent aujourd'hui à la tête de la civilisation . Les mæurs des anciens Germains, telles que les a dé crites Tacite, leurs habitudes, leurs tendances et le degré de leurs aptitudes ne différaient pas, que je sache, de ce que l'on raconte de l'état intellectuel et moral des peuplades désignées sous le nom de sauvages, et l'assimilation succes sive des peuples occidentaux à la civilisation dont ils ont raison de se glorifier aujourd'hui, donnerait le démenti le plus formel à l'historien romain s'il avait considéré ces races comme incapables d'être régénérées, vu leur état extrême d'abrutissement et de misère ( 1 ) . Le même jugement appliqué aux races qui font l'objet de nos études actuelles , trouverait probablement sa con damnation dans l'avenir. L'ordre d'idées que nous abor dons a précisément pour but d'éclairer un des côtés les ( 1 ) Il est cependant un fait frappant pour quiconque étudie les conditions de l'ordre intellectuel , moral et physique qui président à la transformation successive des peuples . Ce fait est celui de la transformation héréditaire de certaines tendances qui constiluent, pour ainsi dire, le caractère des individus et des races , tendances qui ne se perdeat jamais complétement, el que l'on peut retrouver dans l'état de la civilisation la plus avancée . Le duel , par exemple, qui était un fait anormal dans la civilisation grecque el romaine, existait , comme on le sait , chez les peuples dont Tacile nous donne la des cription , et je n'ai pas besoin de dire où nous en sommes aujourd'hui sons le rapport d'une habilude qui a un véritable caractère de sauvagerie, el qui fait l'étonnement des peuples que nous regardons comme barbares. (CAUSES MIXTES) RACE AMÉRICAINE. 471 plus importants, et les plus pratiques de l'histoire des dé . générescences dans l'espèce humaine , puisqu'il s'agit d'en arriver à la déduction scientifique des principes qui doivent nous guider dans les essais de régénération applicables aussi bien aux races déchues qu'aux variétés maladives dans l'espèce. Pour en revenir à la race hyperboréenne , si abrutie et si misérable, nous apprenons dans les rela tions des Frères Moraves que le premier individu de cette nation qui se soit converti , était un homme d'une capacité intellectuelle vraiment extraordinaire pour l'état social dans lequel il vivait, et les missionnaires en parlent comme d'une personne qui était à tous égards extrêmement remar quable ; son nom était Kajarnak : « Cet homme est pour » nous, disent - ils , un sujet d'étonnement, surtout quand » nous nous rappelons quelles sont la paresse d'esprit et la stupidité des Groënlandais en général . Pour lui , ajoutent » ils , il est rare qu'il ait besoin d'entendre deux fois une » chose , il la retient dans sa mémoire et dans son cæur . » Il témoigne pour nous une extrême affection, un grand » désir d'être instruit , de sorte qu'il ne laisse pas perdre → un des mots qui s'échappent de notre bouche, et nous » prêle une altention que nous n'avions pas trouvée jus » qu'ici, même à un moindre degré, dans aucun de ses . n compatriotes ( 1 ) . . > ( 1 ) Il est un fait psychologique qui mérite d'être relevé dans l'histoire comparée des civilisations naissantes , c'est celui de l'apparition de ces hommes exceptionnels qui , grâce à une intelligence qui n'avait cependant pas trouvé son aliment dans le triste milieu où ils vivaient, ont pu remplir le rôle de précurseurs dans l'oeuvre civilisatrice . Le Groënlandais Kajarnak était un de ces hommes. Il faut lire dans le récit même des missionnaires les détails qui regardent cet homme extraordinaire : ils perdraient à être analysés dans un ouvrage purement scientifique . Je ne puis résister Déan moins au plaisir de relaler la manière simple el louchaole avec laquelle est 472 INFLUENCES DÉGÉNÉRATRICES COMPARÉES . Il faut rendre cette justice au gouvernement danois qu'il a secondé de tous ses efforts celte cuvre de régénération. On lit dans les Historical sketches, p . 62, que dans toute l'étendue de la cote occidentale, rien n'est plus rare que de trouver des exemples de ces barbaries qui accompa gnent partout la vie sauvage , ou de ces monstruosités qu'autorise ou que commande en quelque sorte le paga nisme partout où il est dominant. Comparé à ce qu'il élait il y a quatre-vingts, ou seulement cinquante ans, l'état du pays est ce qu'on peut appeler un état de civilisation. La nature du sol , le climat, les moyens auxquels doivent avoir recours les habitants de ces malheureuses contrées pour se procurer leur subsistance, sont autant de causes qui s'op posent à l'introduction de la plupart des arts des sociétés civilisées ; il est clair que le Groënlandais dont le pied ne foule qu'un roc stérile , ne pourra jamais se livrer aux tra vaux de l'agriculture ; il est évident que sous un ciel aussi rigoureux, il ne pourra jamais adopter les vêtements de l'Européen, n'aura jamais besoin des produits de nos ma nufactures et ne songera pas surtout à créer des établisse ments de ce genre dans son pays ( 1 ) . > racontée l'initiation de ce païen aux croyances dont il n'avait jamais en lendu parler auparavant. L'on des missionnaires ayant fait à quelques misé rables Groënlandais réunis antour de lui la Darration de la passion et de la mort du Christ , Kajarnak s'avança vers la table , en disant : « Quelles sont » les choses dont vous me parlez ? Redites - les moi encore, car je me sens » un grand désir d'être sanvé . » Depuis celle époque ce nouveau converli devint un des instruments les plus actifs de la propagande religieuse et morale chez ses compatriotes . Il avait l'intelligence très-ouverte, et il soggérait aux Frères qui l'iostruisaient, les mois qui leur manquaient pour rendre leur pensée ; il les corrigeait même parfois quand ils se servaient d'une expression qui n'était pas la bonne, car il les entendait à demi-mol. ( 1 ) Il n'est pas inutile de faire ressortir que la plupart des jugements (CAUSES MIXTES) RACE AMÉRICAINE . 473 Enfin d'après un rapport publié à une époque toute ré cente, les superstitions nationales de ces peuples hyperbo erronés émis par des historiens et des voyageurs sur l'état intellectuel et moral des différents peuples de la terre, tiennent en partie à la manière de juger ces peuples en les observant à travers le prisme de notre civilisation . Nous pouvons nous appuyer sur M. Abel Rémusat , cet apprécialeur si com pétent des institutions asiatiques, afin de réduire à leur juste valeur une foule d'assertions plus ou moins fausses, plus ou moins exagérées qui se sont produites dans ces derniers lemps surlout. La critique de l'auteur des Mė linges asiatiques est peut-être un peu acerbe, mais il faut la pardonner à un homme qui a fait, des meurs et des habitudes des peuples orientaux , l'objet de l'étude de toute sa vie. « C'est, dous pouvons le dire entre nous , » je cite les paroles de M. Abel Rémusat, « ude race singulière que celle race européenne ; el les préven - » tions dont elle est armée , les raisonnements dont elle s'appuie, frappe » raient étrangement un juge impartial , s'il en pouvait exister un sur la terre . Enivrée de ses progrès d'hier, et surtout de sa supériorité dans les » arts de la guerre, elle voit avec un dédain superbe les autres familles » du genre humain ; il semble que toutes soient nées pour l'admirer et la servir , et que ce soit d'elle qu'il a été écrit que les fils de Japhet habite » ront dans les tentes de Sem , et que leurs frères seront leurs esclaves. Il • faut que toules pensent comme elle et travaillent pour elle ... Ses enfants · se promènent sur le globe en montrant aux nations humiliées lears figu » res pour type de la beauté, leurs idées comme base de la raison, leurs imaginations comme le nec plus ultra de l'intelligence ; c'est là leur uni " que mesure . Ils jugent tout d'après cette règle , et qui songerail à en con » tester la justesse ? • Après avoir critiqué sans pitié la civilisation imposée de foules pièces aux ancieos sujets de la reine Obeïra, et aux habitants des îles Sandwich , civi lisation qui consiste à assister le dimanche au prêche en habit de drap poir el a singer d'une manière plus ou moins grotesque quelques -uns de nos osa ges et voire même certaines de nos institutions , M. Abel Rémusal eolre dans quelques détails sur la manière dont beaucoup de personnes comprennent la civilisation , et il ajoute : « Que l'industrie de tous ces peuples ( Chinois , Indoux , Esquimanx, velc, etc. ) cède le pas à celle des Occidentaux ; qu'ils renoncent en notre fa . 474 INFLUENCES DÉGÉNÉRATRICES COMPARÉES. réens ont presque complétement disparu . Les pratiques de la sorcellerie sont, pour ainsi dire, maintenant inconnues tout le long du littoral . Dans les lieux où régnaient jadis la cruauté, la débauche et tous les vices qui les accompagnent, on trouve aujourd'hui, grâce à l'influence bienfaisante du christianisme , toutes les qualités opposées , la charité fra ternelle , la concorde, la modestie, et le degré de civilisa tion qui est compatible avec les circonstances particulières propres au pays. L'esprit des Groënlandais a été cultivé, leur cæur a été attendri et purifié, et quoique leur mode de vie , dit le rapport en question , annonce encore une cer taine rudesse, quoique leurs habitudes soient toujours très . différentes de celles que nous rattachons à l'idée de civili sation , il n'en est pas moins vrai de dire qu'ils forment aujourd'hui un peuple civilisé. Nations septentrionales de l'Amérique. Les belles races au teint cuivré , au sens si exquis que l'on trouvait depuis la baie d'Hudson jusqu'aux Montagnes -Rocheuses, et dont l'histoire se rattache d'une manière si intime aux guerres que nous avons eu à soutenir contre les Anglais au Canada, ont presque entièrement disparu . Ces penples avaient les plus admirables dispositions pour être assimilés d'une ma » veur à leurs idées , à leur littéralore, à leurs langues, à tout ce qui com » pose leur individualité nationale ; qu'ils apprennent à penser, à sentir et à » parler comme nous រ; qu'ils payent ces utiles leçons par l'abandon de leur » territoire et de leur indépendance ; qu'ils se montrent complaisants pour » les désirs de nos académiciens, dévoués aux intérêts de nos négociants, » doux, traitables et soumis ; à ce prix on leur accordera qu'ils ont fait quel » ques pas vers la sociabilité, et on leur permettra de prendre rang, mais » à une grande distance, après le peuple privilégié, la race par excellence, » à laquelle il a été donné de posséder, de dominer, de connaître et d'ins = truire. » ( Abel Rémusat : Melunges asiatiques, p. 244. Paris , 1829. ) (CAUSES MIXTES) RACE AMÉRICAINE . 475 > nière progressive au mouvement de la civilisation , mais leurs guerres intestines , les ravages de la petite vérole, les vices que leur ont inoculés les Européens, l'ivrognerie en tre autres, n'ont plus laissé de ces nations que quelques misérables débris qui errent par de lå les Montagnes-Ro cheuses où elles finiront par disparaitre. D'après l'aveu d'un auteur protestant, M. le docteur Prichard, il n'a pas tenu aux missionnaires catholiques français que ces peu ples ne fussent convertis au christianisme . Les missionnai res francais furent infatigables dans leurs tentatives , dit l'écrivain anglais, et un grand nombre trouvèrent la mort chez les Hurons . Le sang versé pour une cause si noble aurait fécondé cette terre, et ces races cannibales auraient subi une transformation des plus heureuses , si le contact de la civilisation telle que la comprenaient des colons avides et impitoyables, dont le lucre était le seul but d'acti vité , n'avait pas produit les effets dégénérateurs signalés par nous et qui font l'objet de nos études . Dans la partie méridionale du territoire des Etats- Unis, au sud des Lénapes et des Iroquois qui habitaient le Ca nada, vivaient une multitude de nations constituant , d'après le docteur Prichard , des races distinctes . La plupart de ces nations sont éteintes et les causes de leur disparition se rattachent à l'histoire des influences dégénératrices de l'or dre moral . Il suffit que quelques- uns de ces peuples aient survécu , et qu'ils aient subi une transformation radicale pour résoudre le problème des véritables éléments qui amė nent l'amélioration intellectuelle, morale et physique des races . Les Chérokees qui appartiennent à la confédération Creek, nous en présentent un exemple. L'histoire des Chérokees a été faite par M. Gallatin et l'on reste convaincu en lisant son ouvrage ( 1 ) que ces peu ( 1 ) Gallalin. Archéologia - Américania , p . 163. 476 INFLUENCES DÉGÉNÉRATRICES COMPARÉES . ples étaient admirablement organisés pour remonter vers un type supérieur. Le territoire qu'ils occupent est situé au nord et au sud du prolongement sud- ouest des monta gnes Appalachiennes . Leur population a augmenté , ce qui est déjà une preuve d'amélioration dans l'espèce, et de deux mille et quelques cents guerriers qu'ils étaient autrefois, ils se sont élevés à plus de quinze mille individus, y com pris douze cents nègres qu'ils possèdent comme esclaves. Il est probable, dit le docteur Prichard, que les Cherokees ont élé dans l'origine une branche de la race des Iroquois. Le docteur Barton et M. Gallatin s'accordent pour recon naitre une affinité essentielle quoiqu'éloignée entre les lan gues de ces deux races. Leur idiome est aujourd'hui une langue écrite. Un indien Chérokée nommé Séquoyah, que les Anglo-Américains connaissent sous le nom de Guess, a inventé un système de caractères syllabiques , lequel , sui vant M. Gallatin, est mieux adapté aux mots qu'il est des tiné à rendre que nos caractères alphabétiques . Les Chéro. kees ont maintenant des lois écrites, et paraissent marcher dans la voie de la civilisation ; on est donc fondé à croire, dit l'auteur de l'histoire naturelle de l'homme, qu'ils pourront transmettre leur nom aux siècles futurs, et qu'ils prouveront au monde, contrairement à l'opinion soutenue par quelques hommes prévenus , que les races natives de l'Amérique sont capables de participer aux bienfaits dont le christianisme a été la source pour les populations de l'ancien continent. Nous apprenons par M. Cattlin qui a visité les établisse ments des Cherokees et des Owhas sur la rivière Arkansas, dans la Louisiane, qu'ils ont de belles fermes, des champs immenses de blé et qu'ils habitent des maisons commodes el bien bâties . Il ajoute : « Les Creeks, de même que les Cherokees et les Choctaws, ont des écoles et des églises di rigées par des hommes pieux et d'un excellent caractère lont l'exemple leur sera d'une grande utilité . » ( CACSES MIXTES) RACE AMÉRICAINE. 477 Enfin , pour compléter cet aperçu , nous dirons que la constitution organique de ces peuples répond aux idées que nous pouvons nous faire d'un type parfait dans l'espèce humaine. On ne trouve pas chez eux l'occasion de leur ap pliquer ces dénominations qui , dans le langage des Indiens eux-mêmes, désignent une déviation d'un type normal . On n'y trouve ni la constitution physique des tétes plates, ni celle des pieds-noirs, ni les anomalies étranges que l'on ren contre chez quelques tribus indiennes sous le rapport de la forme de la lète , de la coloration de la peau et des che veux , soit que ces anomalies proviennent de maneuvres artificielles, d'usages particuliers transmissibles par l'héré dité ou qu'elles soient le résultat de quelque disposition organique maladive en rapport avec les habitudes, l'hy giène et les meurs des peuples nomades , chasseurs ou ic tyophages . La description suivante que j'emprunterai à la relation des voyages de Bartram dans l'Amérique, confir mera ce que je viens de dire, et quoiqu'il signale une ano malie spéciale chez les femmes de quelques-unes de ces tribus d'Indiens, il ne parait pas que cette anomalie, qui se rapporte surtout à la petitesse de la taille , ait exercé une influence marquée sur la déviation du type normal de l'hu manité chez les hommes de celte race . « Chez les Chérokees , dit Bartram, chez les Muscogulges et les nations confédérées des Creeks, les hommes sont de haute taille , d'un port noble, avec l'apparence de la vigueur, sans cependant avoir des formes athlétiques ; leurs mem bres sont bien proportionnés, leurs traits sont réguliers et leur physionomie est ouverte, pleine de dignité et d'une douceur qui n'exclut pas l'idée du courage ; au contraire, il y a dans la configuration de leur front, et de leurs sourcils quelque chose qui frappe, au premier abord , comme indi quant la bravoure et même l'héroïsme; leurs yeux, bien 478 INFLUENCES DÉGÉNÉRATRICES COMPARÉES. ܪ qu'un peu petits , sont vifs et pleins de feu , et l'iris en est toujours poir ; leur nez incline vers le caractère aquilin ; dans tout leur extérieur régne un air de magnanimité, de supériorité et d'indépendance ; leur teint est d'un brun rou geatre ou cuivré, leurs cheveux sont longs, droits , assez gros, d'un noir de corbeau, et offrant même, sous certai nes incidences de la lumière, les reflets du plumage de cel oiseau. Les femmes des Chérokees sont grandes, svelles , élancées et délicates de formes ; leurs traits ont une par faite symétrie, leur physionomie est gaie et bienveillante, il y a dans tous leurs mouvements une dignité et une grâce ravissantes. .. Les femmes Muscogulges, quoique remarquablement pe tites , sont bien faites ; elles ont le visage rond , les traits beaux et réguliers, les sourcils hauts et bien arqués ; leurs yeux grands, noirs et languissants expriment la modestie, la réserve et la timidité ; c'est peut- êlre la race des femmes la plus petite qui soil encore connue ; très- rarement elles dépas sent cinq pieds ( mesure anglaise) et je crois que la plupart n'atteignent pas cette taille ; leurs mains et leurs pieds ne sont pas plus grands que ceux des enfants d'Europe à l'âge de neuf ou dix ans ; cependant les hommes ont une stature plus éle. vée que les Européens ; ils sont d'une taille gigantesque, ayant communément de cinq pieds huit ou dix pouces , a six pieds de baut, souvent plus et très - rarement moins. Leur couleur est beaucoup plus foncée que celle d'aucune des tribus du nord que j'ai eu occasion d'observer ... Les Cherokees sont encore plus hauts de taille et plus robustes que les Muscogulgess ;; leur race est à peu près la plus grande et la plus forte de toutes celles que je connais. Leur teint est plus clair , et chez les adultes surtout, il est ce qu'on peut appeler olivâtre ; chez quelques jeunes fem mes, on trouve un teint presque aussi blanc et aussi frais que celui des femmes européennes . » ( CAUSES MIXTES) RACE AMÉRICAINE . 479 Nous ne pouvons, comme on le conçoit, aborder la des cription de toutes les variétés de la race américaine, mais ce que nous avons dit suffit déjà pour établir les dissem blances qui existent entre ces variétés , quand on examine l'influence comparée des causes modificalrices et dégénératrices . Le climat , l'hygiène et les meurs sont toujours les trois points fondamentaux autour desquels se grouperont les observations des anthropologistes, les trois points dont il faut tenir un compte rigoureux dans l'appréciation des cau ses dégénératrices dans l'espèce humaine. Nous avons déjà eu de nombreuses occasions de faire ressortir l'influence des conditions climatériques, et c'est surtout en étudiant les différences qui existent dans l'orga nisation des indigènes de l'Amérique, ainsi que dans la ma nifestation de leurs aptitudes intellectuelles et morales , que celle question du climat acquiert une grande importance. Il n'est peut-être en effet aucune partie du monde, selon la remarque très -juste du docteur Prichard, dont la géogra phie physique se dessine par des traits aussi tranchés que celle de l'Amérique du sud, aucune dans laquelle les diver ses régions se distinguent aussi nellement entre elles par leurs caractères physiques . « L'Amérique du sud, dont la superficie est égale à plus de la moitié de l'Europe , s'étend , dit M. d'Orbigny, depuis la zone torride, jusqu'aux régions glacées de la Terre de Feu . Sa constitution orographique l'élève du niveau de la mer aux neiges perpétuelles ; son sol est on ne peut plus varié dans ses formes et dans son aspect : à l'Occident une vaste chaine de montagnes qui s'élève jusqu'aux nues, suit les rives du Grand Océan ; gla cée à son extrémité méridionale, sous la zone torride, elle offre partout les climats les plus divers ; stérile, sèche et brûlante sur les pentes abruptes de son versant ouest ; tem pérée ou froide sur ses immenses plateaux ; couverte d'une 480 INFLUENCES DÉGÉNÉRATRICES COMPARÉES. végétation sur les pentes légèrement inclinées de son ver sant est . A l'Orient , des collines boisées, bornées par l'Océan Atlantique , présentent une uniformité remarquable d'as pect , de composition, de formes . Au milieu de ces terrains si distincts, des plaines immenses , d'abord froides, arides et sèches sur les parties méridionales , puis tempérées , verdoyantes avec un horizon sans bornes sur les pampas ; brûlantes enfin et couvertes de forêts sous la zone lorride. , Tels sont les trails généraux de la nature dans les lieux dont nous parlons ; et l'influence qu'ils exercent sur les carac tères physiques et moraux des hommes qui peuplent ces parties a été parfaitement définie par M. d'Orbigny , auquel nous avons emprunté cette description topographique. C'est d'après ce même auteur que nous avons pu faire ressortir dans nos prolegomėnes les caractères physiques de la race Quichua, chez laquelle on remarque celte sin gulière anomalie qui consiste dans le développement exa géré des poumons et des cavités pectorales, et les mêmes conditions climatériques impliquent pareillement dans la race Américaine, de nombreuses déviations d'un type phy sique qui serait propre aux habitants d'une autre contrée . Ces déviations se résument dans la diversité de coloration de la peau , et dans la contexture particulière des cheveus , le plus ou moins d'élévation de la taille , le plus ou moins de développement dans l'appareil du système musculaire, et finalement dans la forme de la tête elle-même. Mais cette dernière déviation d'un type primitif n'est pas loujours, comme on sait , le résultat d'une modification naturelle ; l'usage existant, chez les tribus du sud particulièrement, d'aplatir la tête des enfants, se rallache à des idées qui porteut ces peuples à modifier d'autres parties du corps ( 1 ) . ( 1 ) L'habitude de ces déformations artificielles forme un des caractères ( CAUSES MIXTES) RACE AMÉRICAINE. 481 Les différences dans l'hygiène et les meurs ne sont pas moins remarquables dans leurs effets sur la race Améri caine, que sur les autres races . Les tribus de cultivateurs des provinces de Moxos et de Cbiquitos ont montré beau coup plus d'aplitude pour la civilisation que les tribus nomades occupées de chasse et de pêche. Quelques- unes de ces premières tribus ont embrassé le christianisme, et l'intelligence de plusieurs s'est notablement développée. On compte dans l'Amérique du sud , plus d'un million et demi d'indigènes de race pure qui professent le christia nisme. Ces indigènes qui appartiennent aux branches Pé ruvienne, Moxéenne, Brasilo-Guaranienne ont échappé jusqu'à présent aux ravages causés par l'alcoolisme , et il y a tout lieu d'espérer que si ces indigènes parviennent un jour à se croiser avec les Européens dans les conditions morales qui assurent la continuité de l'espèce et son perfec tionnement ultérieur, il en résultera une race nouvelle dont l'avenir sera plus glorieux peut- être que celui des anciennes nationalités de cette partie du monde ( 1 ) . Il existe principaux de la race Américaine . Ce n'est pas seulement la léte que cer laines tribus se déſorment , mais il est encore d'usage chez quelques- unes de s'allonger indéfiniment les oreilles . Parmi les tribus du nord , il existe unc coutume dont il est fait mention dans les récits de tous les voyageurs qui ool visilé celle côle : c'est l'habitude qu'ont les femmes de se pratiquer dans la lèvre inférieure une incision où elles introduisent un ornement en bois . Ces praliques sont- elles le résultat de quelqu'idée religieuse ? Cela est très -douteux. Il est probable que ces singuliers usages , dont quelques-uns peuvent exercer une action si funesle sur l'organisme en général , et sur les facultés intellectuelles en particulier , tiennent à l'idée que se font les peuples d'un type absolu en fait de beauté . La mode des petits pieds chez les Chinoises, et celle des lailles déformées au moyen du corset chez les femmes européennes , ne reconnaissent pas d'autre origine. ( 1 ) Tout démontre , en étudiant l'histoire de celle race intéressante , 31 482 INFLUENCES DÉGÉNÉRATRICES COMPARÉES. une différence très-grande tant au moral qu'au physique entre les tribus agricoles dont nous parlons, et les Péche rais ou ictyophages de la Terre de Feu . Rien ne peut se comparer à leur vie misérable, ainsi qu'à la triste con dition de leurs femmes. Ces malheureuses supportent les l'existence d'un premier état de civilisation . Comment celle civilisation a-t - elle disparu ? A quelle époque faire remonter l'origine des ruines mo numentales trouvées dans les contrées habitées par les nations alpestres de l'Amérique du Sud ? Ce sont là des problèmes bien difficiles à résoudre. Nous savons seulement qu'a l'époque de la conquèle, plusieurs nations Amé ricaines conservaient encore des habitudes qui semblaient se rallacher à an état supérieur de civilisation . Si l'on en croit les auteurs et les voyageurs, plusieurs coulumes remarquables se conservent encore parmi les races allé ghaniennes ; quelques -uns ont cru y reconnaître des institutions du judaisme. Les Chérokees avaient une cité de refuge ou de paix ( Ecotheh ), où même les meurtriers trouvaient pour un temps un asile . On y entretenait un feu perpétuel, et c'était la résidence des hommes bien -aimés, en la présence desquels aucun acte de violence ne pouvait être commis. Quant aux monuments relrouvés dans le pays des Amayras el connus sous le nom de monuments de Tiaguanaco, annoncent, dit M. d'Orbigns, une civilisation plus avancée peal-être que celle de Palanqué. Ils se com posent d'un lumulus élevé de près de 100 pieds, entouré de pilastres ; de temples de 100 à 200 mètres de longueur, bien orienlés à l'est, ornés de socles, de colonnes anguleuses colossales, de portiques monolithes que re couvrent des grecques élégantes ; de reliefs plats d'une exécution régulière, quoique d'un dessin grossier, représentant des allégorics religieuses du soleil et du condor son messager ; de slalues colossales de basalle, char gées de reliefs plats, dont le dessin à tête carrée est à demi- égyptien, et enfin d'un intérieur de palais , formé d'énormes blocs de rochers parfaite ment laillés, dont les dimensions ont souvent 8 mètres de longueur sur 4 de largeur et 2 d'épaisseur. Dans les temples et dans les palais les pans des portes sont non pas inclinés comme dans ceux des Incas, mais perpendicu laires, et leur vaste dimension , les masses imposantes dont ils se composent dépassent de beaucoup, en beauté comme en grandeur, tout ce qui poslé rieurement aa été båti pour les locas . ( CAUSES MIXTES) RACE AMÉRICAINE . 483 privations les plus rudes, et le poids de l'esclavage auquel sont exposées les femmes des nomades, est incomparable ment plus pénible pour elles que pour les femmes des tribus sédentaires, qui demandent au sol leurs moyens d'existence . Cette dernière condition a peut-être une im portance plus grande qu'on ne pourrait le croire sur les dé générescences dans l'espèce humaine ; nous aurons occa sion d'en dire quelques mots en parlant des phénomènes de l'hérédité, ainsi que de la condition des femmes dans les sociétés orientales . Enfin , les influences de l'ordre moral doivent être prises en considération chez les peuples les plus séparés de nous par le mode de civilisation . « Les Guaranis du Paraguay , de Coriente et de Bolivia , soumis presque en esclaves aux co lons, ont, dit M. d'Orbigny, l'air triste , abaltu ; l'indiffé rence se peint sur leurs traits ; ils ne semblent ni penser, ni sentir . Les Guaranis indépendants ou Guarayos, nous montrent une figure douce, intéressante, pleine de fierté ; leur aspect dénote des hommes spirituels . ) C'est pareillement aux influences de l'ordre moral qu'il faut rattacher ces instincts spéciaux de cruauté et d'abru tissement que nous avons déjà signalés , d'après de Hum boldt et M. d'Obigny, chez les Ottomaques, les Iaroures , les luaracares et d'autres peuples dont l'état intellectuel peut être considéré comme une déviation du type normal de l'humanité . Les tendances mauvaises, qui forment le caractère dominant de ces peuplades , se sont transmises héréditairement à leurs descendants, avec certaines condi tions organiques qui doivent être prises en sérieuse consi dération au point de vue des indications curatives. Dans quelques circonstances ces conditions ont été modifiées par l'influence de la civilisation , mais dans d'autres elles ont constitué un de ces états de dégénérescence maladive qui 484 INFLUENCES DÉGÉNÉRATRICES COMPARÉES . amène inévitablement, dans la théorie qui nous guide, l'ex tinction de la race . C'est ainsi qu'au centre du groupe mé diterranéen de l'Amérique du sud, existait déjà au temps de la conquête une nation qui mangeait ses prisonniers, et qui , par la nature de ses instincts féroces, était redoutée des tribus qui l'environnaient. C'était la nation Canichana qui aujourd'hui encore est la terreur des autres . Les mæurs de ce peuple ont été modifiées, il est vrai , par le régime des missions , mais les récils des voyageurs mo dernes nous apprennent qu'il a conservé beaucoup de ses meurs primitives . Un des caractères auxquels on peut reconnaitre cet état de dégénérescence maladive, est l'isolement dans lequel vivent ces races, et leurs dispositions réfractaires à loul effort d'assimilation sociale . Dans les civilisations euro péennes on les a désignées sous le nom de classes dange reuses ; dans la société Indoue on rencontre pareillement des associations malfaisantes qui, sous l'influence d'impul sions dont on n'a pu encore pénétrer le caractère myslé rieux , sont devenues la terreur des populations Indiennes et des Européens eux -mêmes, par leurs tendances homi cides. Dans le rapport du gouverneur de la Guyanne, que j'ai eu l'occasion de citer à propos de la colonie de Mana, il у est fait mention de tribus indiennes qui vivent dans un état de vagabondage autour des habitations, et qui ne veulent ni se fixer au sol , qu'elles refusent de féconder par le plus léger travail , ni s'assimiler au mouvement civilisa teur dont elles sont les indifférents et stupides témoins. Ces hordes forment des associations de 35 à 40 personnes ; leur petit nombre qui va toujours en diminuant, les rend inoffensifs, mais ils sont d'une indolence sans exemple, et ils font consister le suprême bonheur dans la facullé de (CAUSES MIXTES) RACE AMÉRICAINE . 485 satisfaire leur paresse . Ils vivent de chasse et de pêche et passent leur vie couchés dans leurs hamacs qu'ils portent partout avec eux. Ils ont fui le voisinage des Hollandais qui n'ont pu les civiliser, et l'habitude de boire des liqueurs fortes est tout ce qu'ils ont conservé de leurs rapports avec les Européens. Cette passion dégénératrice à satisfaire est le seul mobile qui les stimule et les fasse momentanément sortir de leur apathie maladive, et ils font tout leur possible pour se procurer celle liqueur pernicieuse qui achèvera immanquablement l'æuvre de la dégénérescence dont ils ont le germe, et dont ils portent le cachet sur leur physio nomie abrutie. Ils n'ont en général pour habitation qu'un grand hangar appelé carbet dans le pays, et ils y suspendent leurs hamacs. Le gouverneur ayant témoigné sa surprise qu'aucun de ces hommes n'ait été converti à la foi catbo lique, ou ramené à nos usages, il lui fut répondu que toutes les tentatives avaient été infructueuses. Ils reconnaissent pour mobile supérieur un génie malfaisant, et croient à mille prestiges ou superstitions qui les portent à se per suader que celle maligue influence les menace incessam ment et les domine. A Dieu ne plaise que je veuille insinuer par ces exemples que ces races soient tombées dans un tel état de dégrada tion maladive, que la dégénérescence soit pour elles un fait acquis, et qu'il faille renoncer à les changer par la double et salutaire influence du traitement moral et du traitement physique. Les faits de guérison que nous avons déjá cités chez certaines tribus Africaines ( 1 ) et Améri ( 1 ) Il est certain que lorsque les Européens curent été pour la première fois frappés de la vue des Boschismans, ils durent concevoir l'idée que celle race dégradée appartenait à une espèce différente . Leurs jambes arquées comme celles des espèces animales qui se rapprochent le moins de nous , 486 INFLUENCES DÉGÉNÉRATRICES COMPARÉES. caines les plus dégradées en apparence , tout en nous don nani l'espoir de pouvoir modifier ces races, nous apprennent l'atrophie des muscles du mollel qui existent à peine chez enx à l'état rudi mevtaire, copsliigenl des déviations frappantes du type normal de l'huma pité ; et encore une fois, l'ensemble de leur physionomie repoussanle était de nalure à faire paitre une répulsion involontaire. Lorsqu'on eut mieux étudié les causes d'une pareille dégradation , on pul concevoir l'espérance d'améliorer ces malheureux , et les physiologistes qui se placèrent au poiol de vue élevé des influences réciproques du physique sur le moral, comprirent bien mieux les effets de la misère el de la persécution sur la race humaine. « Autant elle est belle et puissante, dil le docteur Yvan , au milieu du bien ètre, de l'abondance et de la sécurité, autant elle est hideuse , débile à l'élat de sauvagerie, et dans ce prétendu état primitif qu'on s'avise parfois de nous vanter. » Le même observateur se rattache aux idées que nous avons déjà émises daos nos prolégomèncs sur l'état de dégénérescence de ces malheurcox , et il elablit , d'accord en cela avec les savaots voyageurs qui opt si bien étudié le point de départ de la dégradation des Boschismans, qu'ils sont une ramifi calion de la race hollenlole réduite à la condition la plus misérable par les poursuites dont ils ont été l'objet. « Eulourés de Caffres, de Hottentols qui leur ont voué une baiae implacable, ces malheureux ont eu toutes les peines du monde à perpétuer leur race. Ils n'ont pas eu seulement à se défendre contre ces ennemis cruels, mais encore contre les formidables animaux qui peuplent celle vieille lerre d'Afrique, et pour lesquels ils devenaient une proie d'autant plus facile, qu'ils étaient dénués de tous moyens de défense . Pour échapper à lant de dangers, ils se sont vus contraints d'établir leurs demeures sur les arbres les plus élevés des forêts, dans les antres les plus ipaccessibles, et de soutenir leur misérable existence à l'aide des aliments les plus dégoûlants. Les persécutions et la misère ont rendu les Boschis mans méchants et cruels , et dans leur faiblesse , ils n'ont éladié la nature que pour lui emprunter tout ce qu'elle possède de funeste et de délétère, afia de l'employer contre leurs ennemis . Personne ne connait mieux qu'eux les plantes vénéneuses et les reptiles les plus dangereux , dont ils extraient les principes toxiques pour préparer leurs flèches ; aussi la plus légère bles sure faite avec les armes de ces ètres faibles el chétifs , est -elle loujours mortelle » ( D. Yvan , ouv . cilé , p . 125 ) . > 1 ( CAUSES MIXTES) RACE AMÉRICAINE. 487 en même temps que l'æuvre de la régénération est com plexe, et qu'il faut de toute nécessité établir la théorie de la formation des êtres dégénérés, et préciser les véritables caracteres distinctifs des modifications naturelles dans l'es pèce humaine, et des modifications maladives, afin de pou voir appliquer les remèdes convenables . L'étude de ces phénomènes pathologiques de l'ordre physique et de l'ordre moral qui s'enchainent et se commandent réciproquement, et qui se transmettent par l'hérédité , nous enseigne pa reillement que les causes dégénératrices si fatales pour les individus, le sont également pour la famille et pour l'es pèce. Il n'est pas de société où n'existent des races modi fiées maladivement, dont le contact constitue un état per manent de danger pour les autres parties du corps social . L'ignorance où l'on est le plus ordinairement des carac tères distinctifs de ces variétés maladives, établit une dé plorable confusion dans le traitement . Lå, où l'élément de la thérapeutique morale devrait exercer son influence, ré gne exclusivement la force répressive de la loi ; et d'un au. tre côté, des espérances qui doivent être tristement déçues dans la pratique, dirigent toute l'activité des forces médi cales vers la guérison d'étres immodifiables, ainsi que cela se voit pour les imbéciles , les idiots et les crétins confir més, ces types d'êtres dégénérés qui , la plupart du temps , ne sont déjà plus les représentants d'un état pathologique simple et isolé , mais qui résument parfois dans leurs per sonnes tous les éléments dégénératifs de leurs ascendants ( 1 ) . ( 1) Je signale dans ces quelques lignes un des côlés les plus délicals de la question thérapeutique, telle que nous aurons à la traiter dans la deuxième partie de cet ouvrage. Pour ce qui regarde l'amélioration des condamnés , par exemple, les systèmes se confondent et se heurlent à un point tel , que quelqnes hommes spéciaux out lout à fait perdu l'espoir de moraliser celle -488 INFLUENCES DÉGÉNÉRATRICES COMPARÉES. Des différentes considérations que nous avons émises sur les influences dégénératives comparées, on peut tirer les conclusions suivantes, dont les unes se rapportent au mode d'action de ces influences sur les races humaines, et dont les autres suffisent déjà pour nous mettre sur la voie des indications curatives générales , les indications spéciales devant être l'objet d'une œuvre tout à fait distincte . Les causes de la dégénérescence de l'individu , lorsqu'on Iransporle cette étude dans l'espèce, ne doivent plus être considérées dans leur action isolée, ainsi que nous avons dù le faire en étudiant les effets pathologiques produils dans l'organisme par l'alcool , l'opium , le plomb et les au tres agents intoxicants, mais il est indispensable de faire la part des modifications amenées par les causes mixtes . Nous faisons rentrer dans cet ordre de causes les influen ces générales signalées par les anthropologistes : le climat et les maurs ; nous y rattachons de toute nécessité les in catégorie d'individus . Il n'existe plus , à proprement parler, en France de système exclusif de moralisation dans les prisons ; et les nouveaux établisse ments de ce genre qui se crécnt, sont båtis , il faut bien l'avouer, aulant dans la prévision des systèmes existants, que dans celle des systèmes futurs. Il n'est, à mon avis , qu'un seul moyen de résoudre ce difficile problème de l'a mélioration des races et des variétés maladives dans l'espèce , c'est de bien établir, ainsi que nous cherchons à le faire , les différences qu’on observe entre les modifications naturelles et les modifications anormales dans l'espèce humaine , et d'en arriver ainsi à bien préciser les indications répressives et les indications curalives . Il existe, dans loute accumulation de prisonniers don née, des catégories diverses qui foules , au point de vue de la moralisation, réclament des traitements répressifs et moralisateurs divers . Je ne ſais pas sculement allusion à ceux que l'on doit considérer comme de véritables aliénés, mais à ceux encore qui, sous le rapport des influences héréditaires , et du milieu social dans lequel ils ont élé développés , forment des varié lés spéciales sur lesquelles j'aurai à m'expliquer. Ce serait prématuré quc de le faire en ce moment. DÉDUCTIONS PRATIQUES . 489 fluences particulières qui sont plus spécialement encore du domaine des sciences médicales . Ces influences , dont le degré plus ou moins considérable de nocuité est en rapport avec la constitution géologique du sol, avec les conditions de logement, de profession , d'industrie, de nourriture, sont pour beaucoup d'individus un second climat, et créent chez eux une seconde nature. Chacune de ces influences prise isolément suffit pour modifier d'une manière normale les races humaines, en ce sens que l'organisme finit par s'adapter au mode nouveau de l'existence qui lui est faite ; elle peut aussi, dans le cas d'intoxication surtout, les modifier d'une manière maladive et les faire dégénérer. Elle crée dans tous les cas des apti tudes organiques qui se transmettent par l'hérédité, et qui forment les caractères distinctifs des races humaines et des variétés maladives dans ces races . Mais de la combinaison des diverses causes réunies, (causes spéciales et causes mixles) résultent des modifications complexes, qui constituent l'histoire pathologique toute en tière du genre humain, non - seulement au point de vue des maladies ordinaires et des dégénérescences de l'ordre phy sique, mais encore au point de vue des lésions d'un ordre supérieur. Ces lésions se révèlent à l'observateur par des signes non moins certains que ceux qui consistent dans le rabougrissement de la taille , l'éliolement général, la con formation vicieuse de la tête , les arrêts généraux ou partiels de développement, l'improductivité et tous ces phénomènes extérieurs qui annoncent aux yeux les moins clairvoyants la dégradation physique de l'espece .... Les signes de dégénérescence de l'ordre moral se ré . sument dans les troubles ou l'affaiblissement des forces intellectuelles , dans la perversité des instincts, dans les manifestations si multiplices, en un mot, du mal moral dans l'humanité . 490 INFLUENCES DÉGÉNÉRATRICES COMPARÉES. La loi de succession des faits pathologiques qui se com mandent et s'enchainent réciproquement, se retrouve avec toutes ses conséquences fatales dans l'ordre moral, aussi bien que dans l'ordre physique. Les mauvaises tendances et les instincts pervertis, les erreurs et les préjugés sont également transmissibles par l'hérédité, et constituent ces phénomènes maladifs d'un ordre supérieur qui sont les signes précurseurs de la décadence des peuples, lorsque le mal tend à se généraliser ( 1 ) . ( 1 ) La séparation que nous établissons ici entre les dégénérescences phy. siques et les dégénérescences morales, repose plutôt sur le besoin de faciliter les côtés si multiples et si divers de celle difficile étade, que sur un principe absolu . J'ai déjà eu l'occasion de démontrer dans mes Eludes cliniques que l'homme, ce composé de matière et d'esprit, doit élre considéré comme unene unilė , qui ne peut dégénérer dans sa constitution physique, sans dégé nérer dans sa constitution intellectuelle et morale, et réciproquement. Mais il importe ici de prévenir une objection des plus graves, ou plutôt de pré munir conlre les conséquences que l'on pourrait déduire des principes que je viens d'émellre, si on leur donnait une application trop large au point de vue de la moralité des actes bumains , et de la responsabilité encourue par ceux qui violent les lois , et qui sont passibles de la justice humaine. Le principe en vertu duquel se transmeltent héréditairement les disposi tions organiques , intellectuelles et morales des parents , est irrefragable . Mais ce qui ne l'est pas moins , c'est la création de certaines variétés maladives dans l'espèce humaine qui résument dans la personne des individualités qui les composent, les déviations soit physiques, soit morales du type normal de l'humanité, qui font l'objet de nos études . Que chez la plupart de ces indi vidus les fonctions physiologiques ne s'exerceat plas dans la plénitade de leur action, et que d'un autre côté leurs intelligences soient plus réfractaires aux notions da progrès, leurs conscicoces p! us obscurcies et moins capables de s'assimiler les principes de toute justice et de loute morale, ceci est encore le résultat de leur condition dégénérée . Mais s'ensuit- il pour cela que tous les individus atteints de dégénérescence en soient également arrivés à ce point ex trème qui implique, vu l'absence complète des phénomènes de la conscience, l'irresponsabilité des acles ? Non certainement et nous avons déjà établi DÉDUCTIONS PRATIQUES . 491 Les données scientifiques au moyen desquelles il nous est possible d'établir l'action des causes dégénératrices , et la classification des êtres dégénérés , reposent sur l'obser vation des faits pathologiques de l'ordre intellectuel , phy sique et moral , tels que nous les fournissent l'histoire des différentes civilisations , ainsi que la statistique morale applicable à ces mêmes civilisations . Dans les anciennes sociétés fortement constituées, les va riétés dégénérées se retrouvent plus facilement à l'aide des moyens d'investigation que nous fournissent les statistiques des faits anormaux, qui intéressent le développement et l'action des forces administratives dans les pays européens . Ceci ne veut pas dire que toutes les causes des dégéné rescences dans l'espèce y soient parfaitement appréciées, et nous avons eu occasion de faire ressortir que là , où les dans nos prolégoinènes qu'il y a une distinction à faire entre les dégéné - rescences parlielles et les dégénérescences générales . En dehors de ce fail de classification, qui a son importance pour ce qui regarde la valeur des acles moraux chez les individus, il en est encore un autre qu'on doit admellre, à moins de porter alleinte à toutes les notions que nous pouvons avoir du juste el de l'injuste , du bien et du mal dans l'humanité ; c'est le fait de la compatibilité du mal moral avec un organisme sain , et celui d'un or ganisme défectueux ou maladif avec l'exercice vormal des facultés intellec luelles ou affectives : chacun peut trouver des exemples à l'appui de celle double proposition . Sans doute il y a souvent, dans ce dernier cas, souffrance el combat entre l'esprit et le corps ; mais si des individus placés dans ces positions perplexes sortent victorieux de la lutte , il y aurait injustice et souveraine inconséquence, à vouloir excuser ceux qui font le mal dans des conditions précisément inverses. Des milliers de faits nous prouvent que des individus pés dans des circonstances parfaites, et en dehors d'influences hé réditaires mauvaises , peuvent trouver en eux- mêmes les éléments de leur propre perversité, et devenir ainsi pour leurs descendants le point de départ de lendances dégénératives ultérieures , soit physiques, soit morales, soit des uocs et des autres réunics, 492 INFLUENCES DÉGÉNÉRATRICES COMPARÉES . administrations vivaient en parfaite sécurité, existaient sou vent des causes de dégénérescences qui minaient sourde ment la santé des populations, qui s'attaquaient d'une manière non moins dangereuse à leur état intellectuel et moral , et préparaient aux générations futures un avenir plein de périls . Dans les sociétés orientales et chez les tribus nomades, les mêmes modes d'investigations ne sont plus applicables , mais il nous reste le moyen précieux de juger par analogie l'action funeste exercée par une cause dégénératrice dont les eſſets nous sont bien connus. C'est ce que nous avons fait à propos de l'influence de l'opium sur les babitants de la Chine et d'autres contrées étrangères à nos habitudes et à nos mæurs, sans compter que l'bistoire comparée des civilisations nous fournit d'autres facilités encore d'éclai rer le diagnostic applicable au mal intellectuel, physique et moral, qui menace de dégénérescence des fractions plus ou moins considérables de l'espèce humaine. Nous n'igno rons pas aujourd'hui que la vie d'un peuple ou sa vila lité , si l'on préfère, se manifeste par ses progrès et par l'action salutaire qu'il exerce sur les autres peuples, et que lorsqu'une nation en est arrivée au point où elle ne peut plus remplir une fonction dans l'humanité, elle est en voie de décadence ( 1 ) . ( 1) Nous n'avons pas voulu , dans la crainte d'élre entrainé trop loio , appliquer celle méthode d'investigation aux peuples de l'Orient dont nous avons eu occasion de parler, et spécialement à la Chine . On peut voir daus l'ouvrage que nous avons cité de M. l'abbé Huc, que la nation chipoise co est à celle période critiquc. La décadence des Chinois a commencé sur plu sieurs poiots depuis un assez grand nombre d'années , dit M. Huc, el ils conviennent eux -mêmes qu'ils seraicot aujourd'hui incapables d'obtenir les produits qui leur étaient si faciles dans les temps passés. Les sciences palli relles n’eptreol absolument pour rien dans leur système d'coseignement, et a DÉDUCTIONS PRATIQUES . 493 Dans les sociétés nombreuses et organisées comme le sont les sociétés européennes, par exemple, l'action des les connaissances qui leur viennent de la longue expérience des siècles, n'ayant le plus souvent pour gardiens que des ouvriers ignorants, on com prend que bien des notions utiles el intéressantes doivent nécessairement se perdre. Un contact plus intime avec l'Europe sera seul capable de conserver une foule de germes précieux qui menacent de périr, el qui pourront se développer un jour sous l'influence de la science moderne. Non - seulement les Chinois de pos jours n'invenlent rien , ne perfectionnent rien , mais ils rélrogadent sensiblement du point avancé où ils étaient parvenus depuis si longtemps . M. lluc cile plusieurs causes de celle décadence qui ne sont autres que celles dont nous cherchons à faire ressortir l'influence ſuneste pour les sociétés européennes . En lenant même un comple rigoureux de l'effroyable désorganisation qui règne dans cet empire immense, et de l'incurie du gou vernement qui le régil , désorganisation et incurie qui ont amené le cala clysme social qui bouleverse aujourd'hui la Chine , il y existe d'autres élé ments de décadence qui intéressent plus spécialement pos éludes . Nous avons parlé des ravages exercés en ce pays par l'opium et par les boissons alcooliques , et l'on se ferait difficilement une idée de l'extension de l'iy rognerie dans le céleste empire. L'immoralité y a alleint ses dernières proportions. La fureur du jeu y est poussée à un point qui nous ferait douler des faits que l'on raconte, si des témoins dignes de foi ne les certifiaient. Le paupérisme y dépasse lout ce qu'on peut imaginer ailleurs .

  • Nulle parl , sans contredit , il ne s'est jamais vu une misère profonde et

» désastreuse comme dans l'Empire célesle ... Il n'est pas d'année ou tantôt » sur un point, et lantôt sur un autre , il ne meure de faim , de froid, une » multitude eſirayante d'individus . Le nombre de ceux qui vivent au jour le » jour est incalculable . » Que l'on ajoule à ces causes dégénératrices, les mariages qui se font souvent avant la puberlé, ainsi que l'état de misère et de dégradant esclavage dans lequel vivent les femmes chinoises, et l'on pourra juger approximativement des pombreuses variétés maladives qui doivent exisler au sein de celle agglomération de 550 millions d'individus ! Pour compléter les idées que j'ai émises sur les véritables destinées de l'humanité el sur les causes de décadence dans les diverses civilisations , je de puis mieux faire que de renvoyer le lecteur au Je volume du Trailé de philosophie de M. Buchez . S XXII . De l'humanilė, page 492 . 494 INFLUENCES DÉGÉNÉRATRICES COMPARÉES . causes dégénératrices est combattue par l'emploi des moyens dont disposent les peuples 'avancés en civilisation , et l'im minence du péril peut être retardée . Il arrive qu'en raison des nombreuses catégories que renferme notre civilisation, les éléments régénérateurs peuvent se trouver dans les couches sociales qui ne sont pas atteintes par un mal d'un ordre déterminé ; mais il est facile de comprendre aussi que la généralisation du mal rend de plus en plus difficile le système de rénovation , et qu'il doit arriver une époque où le danger se révèle sous ses conséquences les plus fa tales ; c'est ce que nous avons vu pour la Suède, c'est ce que nous voyons pour tous les milieux où une cause nui sible , d'une nature déterminée, agit dans la plénitude de son action dégénératrice ( 1 ) . Pour les sociétés restreintes , comme sont les tribus indi gènes qui existent encore en Amérique, pour les sociétés même plus nombreuses , mais qui n'ont encore parcouru que la période de l'enfance qui est celle du désir, le con tact de la civilisation est une chose fatale, lorsqu'au lieu de ( 1 ) Dans les cendres industriels où l'ivrognerie, la misère, l'iosalubrité des logements, la prédominence des constitations lymphatiques et scrofa leuses, comme cela se voit à Rouen , viennent ajouler leur contingent d'ac tion dégénératrice à la cause priocipale ; dans les pays marécageux , dans ceux où la constitution géologique du sol produit les phénomènes d'in toxication paludéenne avec toutes leurs conséquences ; dans lous les lieux où , sous l'influence d'une cause transitoire ou permanente, règne un élément endémique ou épidémique particulier, etc. , etc. Je suis certain qu'en prenant pour terme de ces recherches on pays comme la France, il n'est pas de cir conscription territoriale qui, en raison des mæurs, des habitudes, de l'hy giène des habitants, des industries spéciales , du genre de culture , du mode de propagation de l'ipstruction et d'autres circonstances encore, tant de l'ordre physique que de l'ordre moral , n'offre un sujet précieux d'étude pour les recherches que nous poursuivons. DÉDUCTIONS PRATIQUES . 495 la loi morale dont elle devrait être la dispensatrice , la civilisation ne leur apporte que les moyens de satisfaire leurs appétits grossiers, ainsi que les mauvaises tendances , fruit du manque complet de l'instruction acquise ou trans mise. L'extinction de la race s'opère alors avec une rapi dité d'autant plus grande que le mode uniforme d'existence, imprimé à ces sociétés restreintes , n'y a développé aucun élément d'antagonisme aux influences désorganisatrices , et que d'un autre coté les tempéraments des individus ne sont pas encore adaptés à aucune des causes qui lendent à les faire dégénérer. La revue anthropologique que nous avons faite , nous a appris que le grand élément de rénovation pour ces peuples , était la diffusion de la loi morale, et que si leurs aptitudes n'étaient pas également les mêmes pour accepter les in fluences régénératrices, et remonter vers un lype supérieur, la faute en était souvent à ceux qui n'avaient tenu aucun compte des modifications profondes opérées dans l'orga nisme par les influences de l'ordre moral et de l'ordre physique, modifications transmissibles par l'hérédité, et qui forment les caractères distinctifs des races et des variétés maladives dans les races ( 1 ) . ( 1 ) On me reprochera peut- être de revenir souvent sur la même idée, mais c'est que celle idée a une importance capitale pour ce qui regarde le traitement moral applicable à ces races , trailcment qui , dans les prin cipes qui me guident , est seule capable de les régénérer. Lorsqu'il s'agit d'éducation ou d'instruction, on perd trop souvent de vue que les mêmes méthodes ne sont pas propres à tous, et que l'évolution par laquelle l'individu , la famille on la race doivent passer pour sortir d'un état inférieur, ne se fait que d'une manière progressive : ce n'est souvent qu'à la Iroisième ou quatrième génération , que les efforts de rénovation se font re marquer d'une manière sensible , tant il est vrai de dire que les mauvaises lendances et les instincts pervers , transmis par l'hérédité , sont difficiles à 496 INFLUENCES DÉGÉNÉRATRICES COMPARÉES . Mais en raison même des dispositions organiques créées dans les races, les applications curatives devront être com plexes, et la manière dont nous avons envisagé les dégéné rescences, va nous mettre sur la voie d'une grande indica tion curative : je veux parler du croisement dans les ruces, qui va faire le sujet du paragraphe suivant. D déraciner, par la raison qu'ils créent des aplitudes organiques qu'il s'agil de modifier, el qui ne disparaissent souvent que par le croisement des races. Qu'on me permelle encore une petite digression historique. Qui de nous n'a pas été frappé, à sa première initiation à l'histoire, de voir la difficulté avec laquelle certains peuples ont accepté les bienfaits de la civi lisation ? Le peuple romain ne trouva jamais autant de résistance davs ses efforts d’assimilation, que chez les nations dont les instincts cruels s'étaient développés et transmis hérédiluirement par l'usage des sacrifices humains. On sait quel était sous ce rapport le caractère indomplable de la race cel tique, et nous voyons dans la bible que la race chananéenne est frappée d'anathème el vouée à l'extermination. « Tu ne donneras pas les eofants à » Molock, dit Dieu à son peuple ; tu ne commettras pas de péché contre » nalure, ni comme ces peuples que je vais chasser de devant toi à cause » de cela . « C'était une race maudite dont les instincts cruels et débauchés se transmettaient à leurs descendants , el se continuaient dans les colonies qu'ils fondaient. Carthage, colonie de Chananéens ne le cèdera pas à la mère patrie. C'est en vain que Gélon , après sa victoire , leur déſend d'immoler leurs eofants ; les Romains retrouveront plus tard les mêmes horribles cou lumes. Dans son Histoire de l'église , M. Rohrbacher se demande ce que serait devenue l'humanité si celle race de Chanaan, sortie des bords du golfe Persique et de la mer Rouge, et qui de là a envoyé ses colonies en Afrique et en Espagne, était devenue maitresse du monde... Le résultat est facile à prévoir. Les peuples qui auraient refasé d'adopler les mæurs et les habitudes de la nation conquérante , auraient été inévitablement exterminés , car il est de fait que rien ne développe aulant les instincts de cruauté , que la débauche et la dissolution dans les meurs. Il n'existe dans ce cas qu'une seule chance de salut ; c'est que la nation conquise soit assez nombreuseencore, et possède assez d'éléments de vitalité, pour s'assimiler ses dominateurs barbares, et les faire remonter vers un type supérieur, après avoir profilé elle- même du bénéfice résultant du croisement des races . 497 CHAPITRE CINQUIÈME. races . - Des indications curatives fournies par le croisement des - Considérations sur les efforts tentés pour régé nérer les espèces végétales et animales . Inductions four nies par l'analogie dans l'intérêt de l'espèce humaine. La nécessité de l'entrecroisement des races est un de ces faits généralement admis, un de ces faits contre lesquels on élève d'autant moins d'objections, que l'étude des dégénéres cences qui résultent du défaut de croisement chez l'homme, ne peut être bien comprise en dehors des nombreuses données que nous fournit la physiologie et l'embryogénie comparées. On recule devant les exigences d'une pareille étude, qui implique la connaissance de plusieurs branches de l'histoire naturelle ; on recule surtout devant les diffi cultés de l'application des moyens curatifs lorsqu'il s'agit de l'homme, et il est facile d'entrevoir que la satisfaction des intérêts de fortune ou de famille, primera toujours les dé terminations de ceux qui, par leur position sociale, seraient le plus à même de suivre les salutaires prescriptions de l'entrecroisement des races . Il existe bien d'autres difficul tés encore, et nous en dirons quelques mots. Nous n'avons pas la prétention de traiter à fond un sujet qui, par son im portance et les recherches scientifiques qu'il exige, méri terait certainement les honneurs d'une monographie par ticulière , et le concours de plusieurs aptitudes spéciales ; mais ce que nous en dirons suffira pour faire voir à quel point ce sujet intéresse nos études sur les dégénérescences 32 498 INDIGATIONS CURATIVES. dans l'espèce humaine. Aussi pour jeter quelque lumière sur ce sujet, n'hésiterons- nous pas à faire appel à la phy siologie comparée. SI . Dégénérescence dans les plantes. Résultat du croisement dans les espèces animales . Conditions de régénération . Les maladies qui s'attaquent aux végétaux sont impor tantes à connaitre pon- seulement au point de vue des affec tions qui en résultent pour les hommes et les animaux, ainsi que je l'ai prouvé dans la description de l'ergotisme gangreneux, de la pellagre et d'autres empoisonnements, mais encore au point de vue des dégénérescences compa rées dans le règne animal et végétal , ainsi qu'à celui des indications curatives qui nous sont fournies par l'expérience des siècles , et par les efforts de la science moderne. Quel ques- unes de ces maladies , nous l'avons déjà indiqué, sont dues à des influences épidémiques générales , mais d'autres sont aussi le résultat des cultures vicieuses , ainsi que du défaut de croisement et de rénovation des espèces végétales. La miellée ou le miėlat ( Melligo) ( 1 ) . Cette maladie, d'après Frédéric Heusinger, consiste dans l'exsudation d'un fluide d'une odeur désagréable, et d'une saveur sucrée, nauséa bonde, qui couvre les feuilles, les tiges , les fleurs et les fruits de beaucoup de plantes . Il est inutile d'entrer dans le détail des opinions contradictoires à propos de la cause de celle affection des plantes ; il nous suffit de savoir qu'elle est toujours' nuisible à la végétation, en attirant ( 1 ) On peut consulter pour plus de détails l'ouvrage imporlant de F. Heusinger : Recherches de pathologie comparée ( 2 volumes) . Cassel et Paris 1853. Le lecteur trouvera aussi dans le répertoire bibliograpbique, à la fin de cet ouvrage, l'indication des principaux traités sur cette matière. RÉGÉNÉRATION DES ESPÈCES VÉGÉTALES ET ANIMALES. 499 non-seulement des insectes, mais en affaiblissant encore la force de la végétation . Il en résulte l'avortement des grains et des fruits, et la transition à une autre maladie désignée dans la science sous le nom d'albigo , et dans le langage vulgaire sous le nom de blanc des arbres et des végétaux . Albigo. (Mehlthau des Allemands.) L'albigo est une des maladies les plus pernicieuses pour le règne végétal . Les plantes légumineuses y sont particulièrement sujettes, et il est bien prouvé aujourd'hui que la nature du champignon qui se développe sur les feuilles et les fruits, est très- nuisible à la santé de l'homme et à celle des animaux. Plusieurs mé decins vétérinaires , des naturalistes , entre autres Kausch, Beling, Rabe et Wiegmann , attribuent à l'albigo la cause des épizooties charbonneuses les plus meurtrières ( 1 ) , et il cite des cas où des familles éprouvèrent des phénomènes d'empoisonnement pour avoir mangé des légumes envahis par l'albigo . La race chevaline est, d'après Steiner, parti culièrement sujette , sous l'influence de ce produit morbide, à une affection gangréneuse qui offrirait celle bizarrerie inexplicable, d'être limitée aux taches blanches du corps . L'albigo est d'ailleurs aussi funeste aux arbres qu'aux plantes herbacées, et les pêchers souffrent particulièrement de ce mal. Il est probable, dit F. Heusinger , que c'est une affection analogue qui attaque les oliviers dans les Alpes maritimes, et qui est décrite par Fodéré comme une affec tion contagieuse qui rend ces arbres stériles . Selon cet auteur, elle s'est répandue peu à peu du midi au nord , et la plante qui en souffre le plus dans les climats seplen trionaux est le houblon . > (1 ) Kausch . Ueber den Milzbrand des Rindviels : Sur la gangrène de la rate chez les bètes à cornes ( Berlin , 1805) . Wiegmann. Krankheiten der Gewaechse : Maladies des plantes. 500 INDICATIONS CURATIVES. La rouille . ( Rubigo). Cette maladie, connue déjà à ce qu'il parait des Grecs et des Romains, aurait son siége dans le suc intercellulaire des plantes , et se montrerait à la face in térieure des feuilles et des tiges , sous la forme de végéta tions maladives appartenant à la classe des champignons. L'avortement ou le rachitisme du blé serait, d'après quelques auteurs, un ergot incomplet, et se développerait surtout dans les sols humides et appauvris . La nature du sol , l'engrais, l'électricité , le défaut de lumière, l'humidité ont été tour à tour invoqués pour expliquer la formation du charbon, ainsi que d'autres maladies des plantes désignées sous le nom de charbon, nielle, ergot; mais les discussions des natu ralistes à ce sujet, ne nous offriraient aucun intérêt ; il nous suffit de savoir, ainsi que nous l'avons vu dans l'histoire de l'ergotisme gangreneux, que ces maladies des plantes se développent ordinairement dans les années humides ; qu'elles existent la plupart du temps concurremment avec les épidémies qui affligent l'espèce humaine, el que si leur action délétère n'est pas encore bien connue, il est cepen dant permis de supposer qu'une foule d'affections gangré neuses des hommes et des animaux doivent leur étre attri buées. Il a pareillement été bien établi par nous, à propos de la pellagre, que lorsqu'une céréale altérée devient la nourriture exclusive de l'homme, il en résulte des affections endémiques particulières qui sont le point de départ de dé. générescences ultérieures dans l'espèce. L'histoire des ma ladies des plantes prend un tout autre intérêt, quand on ne l'examine plus seulement au point de vue de ces affections particulières du règne végétal qui peuvent être pour les plantes ce que sontlesmaladies aiguës pour l'homme ; mais quand on l'étudie au point de vue de ces dégénérescences spéciales qui sont en rapport avec la culture exagérée d'une plante dans un même terrain , ou bien encore avec le dé RÉGÉNÉRATION DES ESPÈCES VÉGÉTALES ET ANIMALES. 501 faut de régénération des espèces végétales. Les faits cités par les agriculteurs et les naturalistes modernes méritent d'être connus dans l'intérêt de nos propres études. Il est bien prouvé aujourd'hui que c'est dans l'alternance des cultures que git le véritable principe de la conservation normale et de l'amélioration des espèces végétales. L'épui sement du sol ne peut être donné comme la seule cause de la nécessité du changement de culture, et l'on sait d'une manière positive qu'en Amérique les anciennes forêts brû lées ne produisent jamais les mêmes espèces d'arbres, mais des espèces fort différentes de celles qui couvraient le sol . Cependant, comme le remarque judicieusement F. Heusin ger, ce fait ne peut pas dépendre d'un épuisement du sol , car ces forêts vierges ont formé par leur détritus un terreau de cinq à six mètres de hauteur, et ont rendu au sol tous leurs produits. Nous n'ignorons pas non plus que lorsque l'on abat sans ménagement des forêts de chênes et de he tres, le sol se refuse à la production des mêmes espèces, et que nos forestiers se voient forcés d'y cultiver des conifères. Dans son Histoire physique de l'homme, M. le docteur Pri chard affirme qu'à la place d'une forêt de pins qui fut brû lée en Angleterre, le sol se couvrit de chênes, et M. Ma ckay dans sa Flora hybernica, rapporte que le pin ( pinus sylvester) de se rencontre plus à l'état naturel en Irlande ; cette ile en était cependant tellement couverte autrefois, que l'on trouve encore de grandes quantités de troncs et de racines ensevelis dans les marais, et que l'on en fait un commerce considérable. Mais c'est surtout dans la Statistique classique des Bouches-du - Rhône par M. le comte de Ville neuve que l'on peut se convaincre à quel point cette ques tion agricole intéresse l'hygiène des populations présentes et l'avenir des générations futures . « C'est une chose bien digne d'admiration, dit M. de Vil. 302 INDICATIONS CURATIVES. leneuve , que ces grands changements, qui sont survenus dans la végétation naturelle de la Provence . Tandis que les arbres les plus anciens disparaissent, on voit végé ter des espèces nouvelles qui ont été apportées de l'étran ger, et qui se sont tellement acclimatées, qu'elles croissent spontanément, se multiplient avec la plus grande facilité, et commencent même à devenir nuisibles à l'ancienne vé gétation, qu'elles semblent vouloir repousser et détruire. De ce nombre sont les múriers, les jujubiers, les grena diers, les sycomores, les acacias , les gainiers, les platanes, sans compter une multitude d'arbres et de plantes herba cées . » Les conclusions de M. de Villeneuve ne laissent pas d'e . tre désespérantes pour l'avenir de la Provence. Il cherche à prouver, et ses prévisions sont confirmées par l'état ac tuel des choses et par la progression du mal, que les cul tures introduites en Provence par les Grecs, 600 ans avant notre ère, ne peuvent plus etre continuées. Les figuiers dont les produits étaient encore très-renommés il y a un siècle, et dont il se faisait une très -grande exportation, ne donnent plus que de mauvaises récoltes qui suffisent à peine à la consommation locale . Voici ce que l'auteur de la Statistique classique des Bouches-du - Rhône dit de l'olivier . « Depuis longtemps on s'aperçoit que cet arbre dépérit ainsi que le figuier et la vigne. Sa vigueur diminue, la zone dans laquelle il croit se rétrécit considérablement, et aban donne peu à peu ses anciennes limites septentrionales. Il succombe plus aisément aux impressions du froid : enfin le ralentissement de sa végétation le laisse en proie à des mal ladies ... Pour l'olivier, comme pour tous nos autres arbres dont la culture est très-ancienne, il n'y a plus que deux moyens à employer pour prévenir leur disparilion complète du sol , c'est de renouveler l'espèce par le semis, et de changer RÉGÉNÉRATION DES ESPÈCES VÉGÉTALES ET ANIMALES. 503 leur emplacement, toujours d'après les lois de l'alternance des cultures ( 1 ) . Telle est la conclusion pratique à laquelle arrive l'au leur et nous allons voir dans un instant, en faisant, bien en lendu, la part de la différence qui existe entre les espèces végétales et animales, que pour ce qui regarde les races ani males, les éleveurs ne sont pas éloignés de ce principe. Un mot seulement des théories scientifiques qui dominent la pathologie des espèces végétales . Nous pensons qu'aucune opinion exclusive ne doit nous guider dans le choix de la théorie. Nous avons vu que les intempéries des saisons expliquent dans un grand nombre de cas les coïncidences qui existent entre les maladies des différents règnes de la nature, et nous croyons, d'un autre coté, que l'abus qu'on a fait de certaines espèces, en ne les renouvellant pas d'après les principes qui président à la conservation et à l'amélio ration des étres , a amené cet état de dépérissement et de rachitisme, qui est une véritable dégénérescence, et dont les résultats sont si importants pour l'alimentation générale. Or, ce n'est pas seulement en Provence que le fait malheu reux dont se plaint M. de Villeneuve , est remarqué , mais dans d'autres pays encore. La principale richesse agricole de la Normandie, à ce que m'affirme M. le docteur de Boutteville, est menacée dans l'existence de ses pom miers dont les meilleures espèces ont déjà disparu , et dont les autres résistent à grand peine aux ravages du puceron laniger qui les dévore en s'attaquant aux branches, aux feuilles et aux fruits. Que cet insecte parasite soit le point de départ du mal, ou qu'il ne soit lui-même que le produit de la maladie qui détruit le végétal, ceci encore une fois ne ( 1 ) Villeneuve , Slulistique classique des Bouches- du- Rhône, l . I , p . 881 el l . III , p . 76, 432 et 4:43 . 504 INDICATIONS CURATIVES. doit pas nousoccuper ici d'une manière spéciale ; constatons seulement que les arbres vigoureux échappent ordinaire ment aux ravages de ce dangereux parasite qui choisit de préférence ceux qui sont déjà frappés de rachitisme, et qui offrent tous les signes extérieurs de la dégénérescence. En présence des maux incalculables dont nous serions menacés par la généralisation de l'état maladif des végé taux, on ne peut accorder trop d'éloges aux essais tentés par quelques agronomes qui me semblent avoir compris les véritables principes de la régénération des espèces vé gétales . Un savant agronome belge, M. Van -Mons, ayant remar qué que la greffe ne remédiait que trés - imparfaitement à la dégénération des arbres fruitiers dont les espèces s'a moindrissent journellement, et ne portent plus que des fruits difformes et rachitiques avant d'être frappés de stéri lité complète ( 1 ) , a réalisé, ainsi que le propose M. de Ville neuve, le renouvellement des espèces par les semis. Les pre miers produits qu'il obtient, en confiant au sol la semence d'un arbre fruitier cultivé dans nos jardins ne sont, il est ( 1 ) Il est un fait digne de remarque, c'est que la plupart des fruits atteints par les affections gangreneuses, ainsi que cela s'est vu pour la pomme de terre, commencent par dégénérer dans leurs formes extérieures. Longtemps avant la maladie qui a atteint ce précieux tubercule, les agriculteurs avaient remarqué que les différentes espèces s'étaient perdues, et que leurs formes extérieures de présentaient plus rien de caractéristique. Voir, pour plus de détail sur ce sujet, les ouvrages de MM. Payen , Raspail et autres auteurs cités au répertoire bibliographique à la fin de ce livre. Je crois que ces savants ont exagéré le rôle que jouent les êtres parasites dans la dégénéres cence des plantes, et je suis porté à penser que la maladie primitive de l'arbre et de la plante, aide puissamment à développer ces élres et ces végélations parasites. On sait que M. Raspail a pareillement porté la même exagération dans sa théorie sur les causes des maladies dans l'espèce bumaine . RÉGÉNÉRATION DES ESPÈCES VÉGÉTALES ET ANIMALES. 505 vrai , que des sauvageons épineux dont on attend la fructi fication ; les pepins fournis par les fruits de cette nouvelle génération sont semés à leur tour, et les arbres qui en résultent , présentent déjà bien moins le caractère des sau vageons ; on ne se contente pas de resemer les pepins de la nouvelle variété, mais on répéte la même opération du semis, sur les produits de quatre ou cinq générations suc cessives , et l'on obtient à la fin une nouvelle espèce parfai tement régénérée qui peut braver toutes les maladies dont sont atteintes les races rabougries ( 1 ) . Au point où nous avons amené la question, il n'est pas sans intérêt de voir les résultats que l'on obtient dans l'amélio ration de nos races domestiques, lorsqu'on se conforme aux principes qui guident les agriculteurs dans la régéné ration des espèces végétales. L'objection que l'on va nous poser dans un instant , ne nous empêchera pas de pour suivre la comparaison . Nous savons parfaitement que nous (1 ) On peut dire que ces idées pratiques des savants sont si simples qu'elles existaient dans les masses , non- seulement à l'état d'idées acquises par une lon gue expérience, mais encore à l'état de sentiment instinctif, sur le meilleur re mède à opposer au mal . C'est ainsi que de temps immémorial nos agriculteurs se gardent bien de semer dans le même sol le blé qu'ils y ont récolté . Il s'établit au moment des semailles des échanges entre les produits de lerrains divers, et la conservation normale de l'espèce est ainsi assurée. Toutes les varié tés des plaples formées et entretenues dans nos jardins, dit F. Heasinger, se perdent et retournent à l'espèce primitive aussitôt que les soins du jardinier se relâchent, ou que le sol qui les a formées et entretenues , vient à être mo difié dans sa constitution géologique. C'est la raison pour laquelle plusieurs plantes potagères de l'Europe, les choux- fleurs, les choux de Bruxelles, les melons, elc . , prospèrent très bien en Egypte, mais c'est à la condition de faire revenir des semences de l'Europe . Ces espèces ne peuvent être enlre lenues par la semence qu'elles produisent dans leur nouveau climat ; elles dégénèrent à la première génération. (Elliotson , Physiologie, p . 1138. ) 506 INDICATIONS CURATIVES, ne pourrons pas, en exposant les méthodes d'amélioration pour les espèces végétales et animales, déduire d'une ma nière absolue, ce qu'il est nécessaire de tenter pour l'homme. Il y a, en effet, une grande différence à établir entre des etres qui , privés de toute raison , ne sont plus que les in struments passifs des agents modificateurs, et l'homme qui, vu sa liberté , n'oppose que trop souvent sa volonté aux efforts qui sont tentés dans le sens de son amélioration. Néanmoins, ces études comparées ont leur utilité pour ce qui regarde les applications générales de l'hygiène, de la prophylaxie et même de la thérapeutique proprement dite . Nous faisons, encore une fois, la part de la différence qui existe entre l'homme et les animaux , mais personne ne niera que l'homme ne soit également soumis aux influences qui agissent d'après certaines lois déterminées sur les fonc tions physiologiques des animaux, et sur les conditions de transmission héréditaire pour ce qui regarde leurs habi tudes, leur caractère , leurs mæurs, leurs instincts , et, j'o serai même ajouter, leur conformation physique extérieure et intérieure. On connait les singuliers résultats auxquels sont arrivés dans ces derniers temps les éleveurs d'animaux , qui ont pour ainsi dire modelé les races à toutes les exigences de l'industrie, de l'agriculture et de la consommation . Ils sont parvenus de cette façon à créer des races sans cornes, á développer telle partie du corps plutôt que telle autre ; ils ont même, se reposant sur la loi des transmissions bérédi taires, profité de telle ou telle difformité congéniale qui pouvait avoir un but d'utilité , ou satisfaire un caprice dans les goûts, pour former des espèces qui conservent telle ou telle déviation de leur type normal. Mais ce premier ré sultat une fois obtenu , les éleveurs n'ignorent pas non plus que les races ſucliccs, abandonnées à elles - mêmes, se per RÉGÉNÉRATION DES ESPÈCES VÉGÉTALES ET ANIMALES . 507 dent bientot . Elles ne tardent pas dans ce cas à retourner au type primitif ; cela se voit surtout pour les races albinos chez les descendants desquels il n'est pas rare de rencontrer des individus tachetés , et qui dénotent une tendance à re venir au type primitif. La même chose se remarque chez les races bovines sans cornes , et les précautions les plus grandes n'empêchent pas non plus le retour accidentel au type primitif qui se révèle pareillement par la naissance de cornes imparfaites. Cette science nouvelle de la déformation des espèces est même assez avancée de nos jours pour que l'on soit arrivé à la formule de quelques lois dont l'impor tance ne peut être niée, pour ce qui regarde l'élude de la conversation et de l'amélioration des espèces animales . On sait généralement que dans les races nouvellement formées , ou qui existent seulement depuis quelques géné rations , ce retour est plus facile que dans les races an ciennes, chez lesquelles la conservation de telle forme dé terminée du corps , et même de telle qualité instinctive prédominante , a été fortifiée par les transmissions succes sives à travers un grand nombre de générations , ainsi que par l'éducation que l'homme à imposée à l'animal . D'un autre colé , la plupart des races formées ainsi d'une manière artificielle, ne pourraient vivre à l'état de nature

elles s'éteindraient bien vite une fois soustraites aux pro cédés créés par l'homme . On concevrait difficilement, par exemple , la continuation de l'espèce à l'état de liberté , chez les brebis àå face de loutre ( Otterbreed ) ,, ainsi que chez les chiens rachitiques et dégénérés qui par un caprice de la mode sont recherchés à cause de leur laideur . Les raisons qu'en donne F. Heusinger méritent d'être citées comme révélant un des côtés aussi curieux qu'instructif des ten dances , des habitudes et des instincts des animaux . Cet auteur affirme

1 ° que les animaux contrefaits ou peu .11 508 INDICATIONS CURATIVES. >

ressemblants a l'espèce sont tués par les parents eux mêmes ; 2º que les animaux déformés, et par là même dé biles , sont plus exposés que les autres à devenir les victimes de leurs ennemis ; 3º que dans l'acte de la reproduction , les animaux imparfaits sont repoussés par l'autre sexe. « Il est certain, ajoute cet auteur, que parmi les betes , bovines, les cerfs, ce sont les males les plus parfaits et » les plus forts qui couvrent les femelles ; les faibles, les » vieux sont repoussés et même tués, à l'état sauvage et » demi-sauvage. » (Heusinger. Ouv. cilé, p . 187.) L'expérience a encore conduit les éleveurs et les agro nomes à la connaissance d'une loi dont ils ont profité pour améliorer les espèces animales, savoir : que le mále qui s'ac couple la première fois avec une femelle agit encore sur les accouplements de cette femelle avec d'autres måles. Ce fait que de prime abord la simple hypothese serait tentée de repousser, est cependant confirmé par des exem ples si nombreux qu'il est impossible de ne pas l'admeltre. Tout le monde sait que si l'on enlève à un oiseau des æufs fécondés après un premier accouplement, il ne laisse pas d'en pondre d'autres qui sont également fécondés ; mais tous les physiologistes , malgré l'affirmation du principe posé plus haut, ne sont pas également portés à admettre que chez les quadrupèdes les eufs non fécondés dans l'ovaire, reçoivent au moment du premier accouplement, une cer tainc impression qui n'est pas sans influence dans les accou plements ultérieurs avec des mâles différents. Néanmoins, nombre de bons observateurs et d'éleveurs affirment qu'une jument qui , ayant été couverte par une ane produit un mulet, n'est plus capable de procréer avec un étalon des poulains de bonne race ; ils tiendront tous des qualités de l'âne . Les faits publiés dans les Philosophical transactions par MM . Morton et Giles mettent ce fait hors de doute, et RÉGÉNÉRATION DES ESPÈCES VÉGÉTALES ET ANIMALES . 509 . l'importance que les éleveurs y attachent ne repose pas , il s'en faut, sur de simples idées théoriques ( 1 ) . Quoi qu'il en soit , la croyance à la transmission des qua lités physiques et des bonnes dispositions instinctives guide d'une manière certaine les éleveurs dans leurs applications pratiques . Sans vouloir forcer les analogies , à cause de la condition spéciale que ses destinées ont créées à l'homme , nous devons admettre que la science de l'amélioration et de la régénération des animaux , ne doit pas être dédai gnée par tous ceux qui ont à cœur de trouver un remède aux dégénérescences dans l'espèce bumaine . J'emprunterai au cours de multiplication de M. Grognier des aperçus dont le lecteur pourra tirer des conséquences pratiques . « Les habitudes des animaux domestiques , dit M. Grognier , ne sont pas les mêmes que celles de leurs congénéres vivant à l'état sauvage, et l'on ne peut pas dire que ces différences soient les résultats de l'éducation et des conditions de la domesticité, car elles se manifestent dės la première en fance . Ce n'est pas seulement le poulain sauvage dont on s'est emparé dans une forêt qu'on élève difficilement, mais encore celui qui étant né dans une écurie a eu pour père un cheval sauvage . Si ce poulain devenu adulle est em ployé à la reproduction , il aura pour fils des animaux peu dociles , et ce n'est qu'à la troisième ou quatrième génération que s'éteindront les habitudes farouches de l'état de nature... » Il est arrivé que pour fortifier des races de canards , on a ramassé sur le bord d'un étang des œufs de canes sauvages , on les a fait couver par des canes domestiques

les cane

( 1 ) Ce fait a - t - il son analogue dans l'espèce humaine , ainsi que F. Heu singer est lenté de le croire ? C'est ce que je ne me crois pas en droit de décider . Dans son Traité d'obstétrique, lom . fer . p . 259 , Osiander prétend que les enfants d'un second mari ressemblent souvent au premier . > 1 510 INDICATIONS CURATIVES. tons à peine éclos ont montré l'instinct de leur race, ils se sont bientot échappés en grande partie de la domesticité ; et si l'on put en conserver quelques- uns pour la reproduc tion , il fallut attendre plusieurs générations avant d'ob tenir des canards entièrement privés. Il est chez l'espèce du cheval, comme chez celle du bæuf, des qualités qui s'étant transmises dans une longue suite de générations sont devenues des qualités, des carac tères de race : telles sont la douceur et la docilité dans la race carrossière du Cotentin. L'aptitude, dans la race bovine de Salers, l'indocilité du cheval Camargue, la paresse du bæuf Suisse, sont les uns et les autres des habitudes de race . Il est des habitudes individuelles qui sans découler d'une longue suite de générations, peuvent néanmoins se transmettre . Par exemple, le pas que l'on préfère en Co lombie, dit M. Roulin, est, dans les chevaux domestiques, l'amble et le pas relevé. On les y dresse de bonne heure ; quand ils l'ont bien pris , on les lâche , s'ils ont de belles formes, comme étalons dans les halos ; il résulte de lå une race dans laquelle l'amble, chez les adultes, est aussi na turel que le trot chez nos chevaux. On élève facilement le fils d'un étalon bien dressé. Il est très-rare que des poulains méchants et rétifs naissent d'étalons doux et dociles ; landis qu'on en voit tous les jours disposés à ruer et å mordre, dont les pères et mères étaient affectés des mêmes vices ... Un étalon entretenu à Alfort était méchant, et il a transmis son caractère à la plus grande partie de ses produits... Il en est de même des chevaux tiqueurs, car on a des exem ples de poulains dont les mères étaient atteintes de ce dé faut, et qui se sont mis à tiquer sur la mangeoire presque au moment de leur naissance ( 1 ) . ( 1 ) On peut aussi à ce sujel consulter Colin , Traité de physiologie com parée des animaux domestiques. Paris , 1856 , T. II , pag . 553 . RÉGÉNÉRATION DES ESPÈCES VÉGÉTALES ET ANIMALES . 511 Je pourrais multiplier les exemples , mais il me tarde de revenir à la race humaine et d'élucider un point des plus pratiques peul -être de ces études, et que je n'ai fait qu'in diquer à la page 427 de cet ouvrage, celui de savoir quelle est l'influence du mélange des races humaines sur l'améliora tion de l'espèce, et dans quelles circonstances les variétés dė chues peuvent sortir de leur état d'infériorité, et remonter l'échelle de progression qui les rapproche d'un type supéricur. S II . De l'influence du mélange des races sur l'amélioration de l'espèce . Des véritables conditions de régénération . Croisement des races . In convénient des unions consanguines . S'il est un fait que l'on peut affirmer sans crainte de contradiction , dit le docteur Prichard , c'est que dans le genre humain toutes les races , toutes leurs variétés , sont également capables de se propager par les unions mixtes , et que ces unions , lors même qu'elles ont lieu entre des individus appartenant à des races aussi distantes que pos sible l'une de l'autre , ne sont pas moins prolifiques que celles qui ont lieu entre les individus d'une même race . S'il y avait quelque différence dans les résultats , celte différence serait probablement à l'avantage des unions mixtes... Si nous étudions les faits qui se rapportent au mélange des Nègres et des Européens , nous ne pourrons conserver aucun doute touchant la tendance à multiplier l'espèce qui se manifeste chez les mulâtres. Les hommes de couleur qui sont la race intermédiaire entre les Créoles et les Nègres , s'accroissent très -rapidement dans la plupart des Antilles , et ils auraient grande chance de devenir finale ment maitres de ces iles , si les Nègres pur sang n'avaient pas sur eux une aussi grande supériorité numérique ( 1 ) . . ( 1 ) Prichard , ouv , cilé , 1. I , p . 224. Section V. Des races micles dans l'espèce humaine. 1 512 INDICATIONS CURATIVES . Mais la question n'est pas précisément de savoir si les races différentes peuvent procréer ensemble : cette ques tion a déjà été résolue. Elle est au point de vue physiolo gique, une preuve aussi évidente de l'unité de l'espèce hu maine, que peut l'être au point de vue psychologique, la possibilité existant chez toutes les races d'être réunies sous la même loi morale , et de sortir ainsi de l'état d'abjection et d'infériorité dans lequel l'ignorance, le défaut de l'en seignement révélé, et l'isolement de la véritable civilisation , retiennent encore des fractions si considérables de la grande famille humaine. La question qui nous occupe en ce mo ment est de rechercher les causes des tristes conditions in tellectuelles et morales que l'on a signalées dans certaines circonstances comme provenant du mélange de races di verses, et d'arriver ainsi à comprendre et à pouvoir formuler les véritables conditions régénératrices applicables à l'es pèce humaine. Nous allons ajouter quelques exemples nouveaux à ceux que nous avons déjà donnés , tout ce qui se rapporte à celle importanle question anthropologique étant digne de fixer l'attention du lecteur. Les Griquas ou Hottentots -Gri quas sont, dit l'auteur de l'Histoire naturelle de l'homme, un peuple d'origine mélée, descendu, d'un coté des Hol landais qui ont colonisé le sud de l'Afrique, et de l'autre , des Hottentots aborigènes . Ils habitent sur les limites du terri toire colonial , où ils sont nombreux , et où ils s'accroissent rapidement.... D'après les derniers renseignements , ils fournissent une tribu de plus de cinq mille ames. Ce sont de redoutables maraudeurs, ils désolent par leurs incursions dévastatrices toutes les tribus aborigènes du voisinage, et souvent ils deviennent très - incommodes pour les colons de la frontière. Il existe une race bien remarquable que les Portugais EFFETS DU CROISEMENT DES RACES. 513 ont désignée sous le nom de Cafusos, et qui descend d'un mélange d'indigènes de l'Amérique avec les Nègres impor tés d’Afrique. Ils habitent maintenant les plaines solitaires qui sont bordées par les forêts de Tarama , et il est curieux de voir dans les descriptions de MM. Spix et Martius le résultat du mélange de deux peuples qui sont l'un et l'autre placés à ce degré d'infériorité que nous avons déjà signalé. L'aspect des Cafusos, disent ces illustres voyageurs, a quel que chose d'étrange qui ne peut manquer de frapper vivement un Européen. Ils ont la taille svelte , et cepen dant le corps musculeux ; leurs bras surtout et leur poi trine offrent des muscles très-développés. Leurs jambes sont proportionnellement faibles; leur teint est cuivré, tirant sur le brun . En général leurs traits se rapprochent plus de la race Africaine que de la race Américaine : ils ont le visage ovale, les pommelles des joues hautes, mais pas si larges que les Indiens ; le nez large et aplati, nirelroussé, ni trés-arqué ; la bouche grande avec des lèvres épaisses mais égales, et qui , de même que la mâchoire inférieure, ne font pas en avant une saillie bien marquée. Leurs yeux noirs ont un regard plus ouvert et plus franc que ceux des Indiens ; ils sont d'ailleurs un peu obliques et pas aussi rapprochés que chez ces derniers . Mais ce qui donne sur tout à ces mélis un air des plus étranges, c'est l'énorme chevelure crépue qui s'élève perpendiculairement du front jusqu'à la hauteur d'un pied ou d'un pied et demi au - dessus de la tele , formant ainsi une sorte de perruque Irès -extra ordinaire et très- laide . Cette bizarre coiffure, qui au pre mier aspect semble un produit de l'art plutôt que de la nature , ajoutent ces auteurs, rappelle la plique polonaise, et pourtant ce n'est point l'effet d'une maladie, mais simple ment une conséquence de la double origine des Cafusos : leur chevelure en effet lient le milieu enire la laine du 33 514 INDICATIONS CORATIVES. Négre et les cheveux longs et roides de l'Américain. Cette perruque naturelle est quelquefois si haute qu'elle oblige les Cafusos å se baisser pour entrer et sortir par les portes ordinaires de leurs hulles ; elle est d'ailleurs si bien mélée, que toute idée de la peigner est hors de question. Cette disposition de la chevelure donne aux Cafusos une ressemblance avec les Papouas de la nouvelle Guinée dont la chevelure extraordinaire attira l'attention de tous les voyageurs, et surlout de Dampier qui, si je ne me trompe, en parle le premier. La masse énorme de cheveux frisés qui couronne leur tête , représente , d'après ce qu'en dit Forrest, une circonférence de trois pieds, et jamais moins de deux pieds et demi. On a de justes raisons de croire que les Papouas sont le produit d'une race mixte. L'opi nion de MM . Quoy et Gaimard, qui accompagnaient M. de Freycinet dans l'expédition de l'Uranie et de la Physi cienne, a depuis été confirmée par M. Lesson , et voici comment s'exprime ce savant naturaliste : « MM . Quoy et Gaimard sont les premiers qui ont dé montré que les habitants du littoral constituaient une espèce hybride provenant sans doute des Papouas Nègres et des Ma. lais qui se sont établis sur ces terres, et qui y forment à peu prés la masse de la population . Ces Nègres malais ont em prunté à ces deux races les habitudes qui les distinguent . Ces insulaires forment donc une sorte de peuple mélis placé naturellement sur les frontières des iles malaises et des terres des Papouas, et sur le littoral d'un petit nombre d'iles agglomérées sous l'équateur, et au milieu desquelles s'introduisent sans interruption des Malais de Timor et de Ternate, des Papouas de la nouvelle Guinée et même quelques Alfourous des montagnes de l'intérieur . » La masse de ces Papouas hybrides présente d'après M. Lesson des hommes d'une constitution grèle et peu vigoureuse . EFFETS DU CROISEMENT DES RACES. 515 Nulle part au monde, à ce que dit Buffon , il n'existe un peuple aussi mêlé qu'à Manille et aux iles Philippines. Ce mélange provient des alliances qu’ont faites ensemble les Espagnols, les Indiens, les Chinois, les Malabres et les Noirs, dont quelques-uns vivent dans les rochers et les bois de ces iles. Plusieurs de ces derniers ont les cheveux crépus comme les Nègres d'Angola , et d'autres les ont longs. Il en est même qui sont doués d'un appendice caudal assez considérable. L'existence de cette difformité transmise hé réditairement est un fait qui parait être avéré non- seule ment pour ces Noirs des îles Philippines , mais pour cer taines variétés de Noirs en Afrique, et il confirme ce que Ptolémée avait déjà avancé de son temps (1). Il serait curieux de savoir quels sont, tant au point de vue physio logique, qu'au point de vue intellectuel et moral , les résul tats de tous ces mélanges ; mais il est peu de voyageurs qui nous aient laissé sur cet intéressant sujet les détails que nous pourrions désirer dans l'intérêt de nos études. Nous voyons seulement que lorsque deux races différentes se sont croisées, il arrive que les traits les plus caractéris tiques de l'une et de l'autre race se perpétuent chez les descendants . Au Chili il existe un type modifié par le mé ( 1 ) Quelques voyageurs , et en particulier M. Thémaux (Voyageau Soudan oriental. 1832) , mellent en doute l'existence de cet appendice caudal . Cet auteur nenie pas que celle difformité ne puisse être une anomalie existant chez quelques individus , mais il pense qu'elle n'est pas le signe distinctif d'une va riélé dans l'espèce humaine . Se trouvant un jour dans le Fa-Zoglo au - delà da Sennaar, M. Thémaux fut invité à voir une race qui , au dire des Nègres, était munie de cet appendice extraordinaire . Il put constaler par lui- même, dit-il , que ce que les Nègres crédules prenaient pour une queue recouverte de poils , n'était que le prolongement de la peau d'un animal dont ces individus se ceignent les reins . Ce prolongement n'aurait d'autre but que de leur offrir le moyen de s'asseoir avec plus de commodité. 516 INDICATIONS CURATIVES, D lange de sang espagnol et de sang indien . Voici ce qu'en dit M. Max Radiguet dans ses souvenirs de l'Amérique espagnole : « Des cheveux noirs , épais et roides, des yeux » légèrement relevés vers les lempes, des mâchoires sail lantes, révèlent le sang indien. Des sourcils d'une cour > bure gracieuse, des yeux mobiles, lumineux et fendus » en amande, un nez mince, une main fine , un pied petil , » caractérisent l'origine espagnole. Malgré le mépris et le dédain dont les fils des anciens conquérants poursuivent la race de couleur désignée géné ralement sous le nom injurieux de gente de medio pelo , il ne s'ensuit pas moins que celle race deviendra un jour dominante. Il est possible que les individus issus de ces croisements portent pendant des siècles encore, tant au point de vue physique qu'au point de vue moral, le cache! de leur double origine ; mais on ne peut méconnaitre dans cette race tous les éléments de la régénération de l'espèce , malgré l'existence de certains instincts de sauvagerie dont nous allons donner l'explication dans un instant. Cette ré génération arrivera du jour, ou , sous l'influence de la loi morale et d'une sage liberté , celle race entreverra de nou velles destinées, et qu'il lui sera possible de faire une application utile des qualités énergiques dont elle porte le germe et qu'elle doit au mélange de deux sangs différents. Au Pérou, la race mélangée appartient à deux variétés principales qui se divisent naturellement en plusieurs sous variétés : on appelle Cholo le fils de l'indienne el du blanc, et Sambo le fils de l'indienne et du noir, à différents degrés. Le Cholo, d'après M. Max Radiguet, est de petite taille ; sa face est quelquefois jaune comme le santal, ou rouge comme l'orange. Les yeux relevés, un front étroit, des pommeltes trés - saillantes, des cheveux roides et noirs composent un ensemble peu agréable : « Toutefois, dit EFFETS DU CROISEMENT DES RACES . 17 » M. Radignet, la physionomie du Cholo est empreinte ► d'une sorle de mélancolie mystérieuse qui , chez les » femmes surtout, devient une séduction . Ces dernières » sont loin d'avoir la véhémence et la fierté des créoles » blanches ; leur physionomie couleur de santal où s'épa ► nouissent deux yeux d'un noir de jais légèrement relevés » aux coins, reflėle la timidité , la résignation, et celle » étrange expression vaguement inquiète qui trahit des » souvenirs douloureux ou des pressentiments funestes. » Le Sambo, d'après le même voyageur, est ordinairement vigoureux et de haute taille ; des cheveux crépus des cendent sur un front bas, où brillent des yeux viſs et intel ligents ; entre ses lèvres épaisses, toujours entr'ouvertes, éclatent ses dents blanches et bien rangées . Sa plrysionomie n'a rien de sympathique ; elle est expressive et animée, souvent aussi elle est dure et railleuse . Quant aux femmes Sambos, leur front rétréci que recouvre une chevelure rebelle dénote le sang africain . Leur regard provocateur , leur bouche sepsuelle, leurs narines aux ailes mobiles, tout chez ces femmes respire la passion dans ce qu'elle a d'im pétueux et de farouche. Il ne serait pas logique de déduire des faits que nous

  • venons d'exposer, que le croisement des races ne produit

que des variétés indomptables, dont l'avenir doit être aussi stérile que leur état présent est triste , et qui, en raison des dispositions mixtes dont elles ont hérité, ne pourront ètre assimilées à une civilisation plus parfaile, ni remonter vers un type supérieur . Nous avons dit , il est vrai , en fai sant l'histoire des transformations dégénératives de la race portugaise dans la Malaisie, « que les métis ont générale > ment hérité des mauvaises qualités de leurs ancêtres, et » que leur étal physique était loin de répondre à ce qu'il » est généralement permis d'altendre de l'entrecroisement 518 INDICATIONS CURATIVES. » des races, » mais ce que nous avons ajouté depuis, sur les conditions de dégénérescence dans le règne végétal et dans le règne animal , est de nature à rectifier ce que la proposition ci- dessus énoncée pourrait avoir de trop absolu . Ce n'est qu'à la troisième ou quatrième génération, ainsi que nous l'avons vu , qu'il est permis de recueillir les fruits des efforts tentés pour régénérer les espèces et les races abåtardies, et nous pouvons appliquer les mêmes principes à l'homme , dans les limites que nous permettent les analogies. Mais chez les espèces végétale et animale elles mêmes, la rénovation ne s'opère que dans certaines con ditions déterminées. Il ne suffit pas, nous l'avons prouvé, d'introduire des éléments régénérateurs au moyen du croisement avec des espèces et des races douées de toutes les qualités de la nature sauvage, il faut encore par des soins extrêmes de culture, d'aménagement et d'éducation, amener dans les variétés régénérées des améliorations progressives qui, se propageant par l'hérédité , finissent par constituer un type parfait dans la série des êtres créés. Croit-on maintenant que l'homme soit soustrait à la même loi et qu'il suffise de proclamer la nécessité de l'en trecroisement des races pour que les intérêts de l'humanité soient sauvegardés dans l'avenir ? Ces intérêts seraient au , contraire singulièrement compromis si la culture morale ne venait pas féconder les produits vigoureux qui sont le résultat du croisement et de la mésalliance . Il ne suffit pas, dit le docteur Buchez, « que comme chez les animaux, » l'individu soit engendré charnellement pour qu'il soit , complet ; il est nécessaire de plus qu'il soit engendré » spirituellement. » On peut dire que les éléments de ré génération dans l'espèce humaine sont contenus dans ces simples paroles, et si nous avons cité des exemples mal heureux de métis dont l'état actuel se présentait sous le > EFFETS DU CROISEMENT DES RACES. 519 jour le plus défavorable, c'est qu'aucune des conditions indispensables à la rénovation intellectuelle , physique et morale des races n'avait élé observées . Les alliances des Européens avec les indigènes du Nouveau -Monde ont pro duit, au contraire, les résultats les plus favorables, lorsque ces alliances n'ont plus eu exclusivement pour mobile, la débauche et la passion , lorsque la loi morale est intervenue pour les féconder, et que l'éducation ultérieure donnée aux descendants de ces races nouvelles a dirigé leurs aptitudes vers un but en rapport non- seulement avec les véritables destinées de l'humanité, mais encore avec ce qu'il était permis d'espérer de peuples qui n'en sont qu'à la période de leur première enfance . Aux exemples que nous avons déjà rapportés et que nous avons choisis à dessein dans les cas les plus désespérés, nous pourrions ajouter celui des Hottentots-Griquas eux -mêmes, de ces har dis maraudeurs qui sont les descendants des Hollandais et des Holtentots aborigènes. On sait que beaucoup d'hommes de celle race se livrent aujourd'hui avec succès à l'agri culturé, et que l'on a trouvé parmi eux des individus qui ont révélé des dispositions tout à fait remarquables . A Griqua-Town, par exemple, ils forment sous la direction des Frères Moraves, quiles ont convertis à la religion chré tienne, une grande communauté dans laquelle on voit ré gner une partie des habitudes des sociétés civilisées ( 1 ) . ( 1 ) a situation des Nègres dans les anciennes colonies espagnoles nous prouve que les inductions qu'il est permis de déduire d'un fait anthropolo gique ne doivent pas élre absolues , et qu'il faut toujours examiner le fait dans ses rapports avec le milieu moral dans lequel il se produit, et dans lequel il se développe. Au Pérou, la race Africaine s'est multipliée d'une façon considérable, mais si nous en croyons les voyageurs, la nalure semble ici , comme partout ailleurs, avoir traité les Nègres en véritable marâtre, en leur refusant ses dons physiques, et en leur accordant ceux de l'intelligence 520 INDICATIONS CURATIVES . La vérité des principes que nous avons émis , reçoit sa confirmation la plus solennelle lorsque l'observation , au lieu de s'en tenir à la superficie des choses et aux faits isolés , applique ces mêmes principes à l'histoire générale du genre humain . Qui peut nier anjourd'hui , en s'inspirant des dernières époques de la civilisation romaine, que l'in vasion des barbares n'ait pas été le point de départ d'une régénération complète pour d'anciennes races abàtardies, et pour des peuples énervés dont la mission civilisatrice avec une véritable parcimonie. Il résulte de tous les documents que j'ai pu recueillir, que presqne lonjours les Nègres créoles sont plas robastes que leurs parents africains ; malheureusement aussi la somme de leurs verlas n'équilibre point celle de leurs vices, et si nous en croyons M. Radiyael, plus ils sont libres, plus ils se montrent cruels, vindicatifs, paresseur. Conclarons - nons de cel exemple , comme l'ont fait plasieurs économistes,que Ics Nègres ne sont pas aples à être assimilés à une civilisation supérieure ! Nous ne répèlerons pas à ce sujet les arguments et les exemples que nous avons produits pour établir le contraire. Je trouve dans l'ouvrage de M. Radiguet lui -même la réponse à ce que l'on pourrait déduire de ce fait. Les Nègres qai habitent les villes et qui vivent sous l'æil du maitre devien nent presque toujours affables, honnêtes et dévoués. Ces conversions, dit l'auteur que je cite, tiennent sans doute à la mansuélude avec laquelle les Péruviens trailent leurs esclaves . A cet égard , leurs ancêtres Andalous leur ont légué les traditions de douceur et d'humanité qu'ils puisèrent eux -mêmes au long séjour des Maures dans le sud de l'Espagne ; elles se sont si bien perpétuées jusqu'à la génération actuelle, qu'on est tont surpris de rencontrer. dans la vie intérieure de certaines familles , des rapports de maître à esclaves qui remontent par les Arabes, aux temps primitifs de la genèse... Les enfants issus de ces unions y reçoivent la même éducation que les enfants légitimes. Nous n'en demandons pas davantage pour le moment aux Européens maitres de ces pays ; qu'ils assimilent progressivement les Nègres à la civi lisation par des traitements humains et par l'éducation morale, et l'on verra sortir plus tard de ces unions légitimées, une race qui se relèvera de l'étal de dégradation où elle est plongée anjourd'hui, et dont les aptitades intellectuelles élouneront les délracteurs mèmes de celle race. EFFETS DU CROISEMENT DES RACES . 521 était accomplie . Il se passe dans ces grandes circonstances un fait physiologique dont nous avons cité des exemples partiels , et dont on peut voir l'application sur une vaste échelle : je veux parler des modifications profondes im primées à la constitution physique de la race la moins privilégiée, modifications qui vont jusqu'à changer la forme de la tête , et qui sont l'indice de la transition à un type plus parfait, Qui pourrait, par exemple, à la forme de la tête des Turcs civilisés de l'Europe, complétement transfor més aujourd'hui , reconnaitre les descendants des tribus nomades des Turcs répandus dans l'Asie centrale et qui offrent à un Irés -haut degré la configuration pyramidale de la tèle ( 1 ) ? On pourra m'objecter que la transformation actuelle des Turcs n'est pas due exclusivement au croisement des races , vu que la différence des mœurs et de la religion a ( " ) On peut s'en faire une idée en comparant le type acloel des Turcs de l'Asie el de l'Europe avec celui des Kirghis qui errent dans les vasles plaines, depuis le lac Aksakal jusqu'à la haute région de Pames, sur les limites des empires Russe et Chinois . Voici quelques - uns des (rails caractéristiques des Kirghis, ces ancêtres des Turcs, d'après la relation qu'en a faile le lieutenant Woods dans son voyage aux sources de l'Oxus : « Ils sont petits n de taille et fort laids de visage . La partie supérienre de leur pez étant » très - affaissée, l'espace compris entre les deux yeux est tout plat, et par » faitement de niveau avec le reste de la face; les yeux sont allongés , très » couverts ; le front, très-saillant à sa partie inférieure, est fuyant vers la » parlie supérieure , el se porle en arrière beaucoup plus brusquement que » chez les Européens; leurs joues larges et bouffies semblent deux mor » ceaux de chair crve qu'on leur aurait collés sur les côtés du visage, leur n menton est recouvert d'une barbe rare ... Leur corps n'est pas musculeux . » Je me permeltrai aussi de renvoyer le lecteur à ce que j'ai dit sur ce sujet dans mes Etudes cliniques sur les maladies mentales, l . I , p . 269. Nous pouvons ajouter que le sang caucasique a beaucoup contribué à améliorer le type physique des anciens Turcs nomades. 522 INDICATIONS CURATIVES. tenu, dans les pays ottomans, les vainqueurs séparés des vaincus, comme cela se voit encore pour la Grèce actuelle et pour la Perse . Mais cette objection elle- même me donne l'occasion de revenir sur une importante question anthropo logique, celle des modifications imprimées aux races bu maines par les seules influences climatériques, en dehors du croisement des races. Ces modifications sont incontestables , ainsi que nous en avons fourni les preuves, mais elles sont longues à se produire, et je suis parfaitement de l'avis de Buffon, quand il dit qu'il faudrait des siècles, avant que le type nègre transporté en Europe se modifiât sans le croisement des individus. On a cependant un exemple frappant de celle modification dans l'étude récente que Blumenbach a faite des Nubiens du Nil , désignés sous le nom de Barabras. Cet auteur avait été vivement frappé de la ressemblance des Barabras avec les types que nous offrent les peintures retrouvées dans quelques monuments de l'antique Egypte . D'après ce qu'on a pu savoir de l'his toire des Barabras qui habitent la partie de la vallée com prise entre la frontière sud de l'Egypte et le Sennaar, on a la certitude que ce peuple descend d'une race nègre, les Nabales qui , il y a de cela quinze siècles, furent amenés d'un Oasis de l'ouest, par ordre de Dioclétien, pour habiter la vallée du Nil. Cette race nous présente un fait qui, d'a près le docteur Prichard, est du plus haut intérêt : c'est celui du passage du type nègre åà un type très - semblable à celui des anciens Egyptiens , et cela après la succession d'un très-grand nombre de générations. Les témoignages bistoriques les plus concluants semblent autoriser aujour d'hui à regarder ce fait comme certain ( 1 ) . Quoi qu'il en soit, il n'en reste pas moins bien établi , ( 1 ) La conservation du type grec anlique, malgré les malheurs qui ont ! 1 EFFETS DU CROISEMENT DES RACES. 523 que l'élément le plus actif de la régénération dans l'espèce est le croisement des races. Cette loi ne souffre d'excep frappé celle race, est encore un fait qui nous prouve d'une part la transmis sion héréditaire d'un type , et de l'autre sa propagation normale lorsqu'un sang étranger n'est pas venu le modifier, et que de bonnes conditions mo rales ont contribué à le transmellre, sans élément de dégénérescence, aux générations futures. Je citerai , à ce propos, ce que dit M. Pouqueville des Grecs modernes , et l'on pourra rapprocher ce fait de celui des Petits Blancs de l'Ile - de- France dont j'ai parlé . M. Pouqueville assure que les modèles qui ont inspiré Appelles et Phi dias se retrouvent encore parmi les habitants de la Morée. « Ils sool , dit-il , généralement grands et bien fairs, leurs yeux sont pleios de feu, • leur bouche est admirablement formée et garnie des plus belles dents . Cependant quoiqu'on puisse dire généralement de tous qu'ils sont beaux , il ny a parmi eux des degrés . Les femmes de Sparle sont blondes, sveltes, » et ont de la noblesse dans le maintien . Les femmes du Tayèle ont le port ► de Pallas lorsqu'elle portait au milieu des combals sa redoulable égide... - La Messénienne se fait remarqner par son embonpoint ; elle a les traits » réguliers, de grands yeux et de longs cheveux noirs . L'Arcadienne, cachée o sous de grossiers vêtements de laine , laisse à peine voir la régularité de

  • ses formes, mais son visage exprime l'innocence et la pureté de l'âme.

• Chastes avant le mariage, les femmes de Morce devenues épouses, » prennent un caractère de verlu qui va jusqu'à l'austérité. » Ajoulons que ce peuple ne connaît pas le vice dégradant de l'ivrognerie, et tout ce que l'on sait , de la triste condition des femmes dans les sociétés orientales, ainsi que de la précocité des mariages , ne peut lui être appliqué . « Dans ce pays , les enfants s'élèveot el grandissent dans une complète » liberté , comme ces plantes vigoureuses qui naissent spontanément d'un » sol fertile ; ils ne sont jamais traités durement comme le sont dans les

  • pays plus civilisés les enfants des classes inférieures, et leur figure ne porte

» jamais la trace d'un sentiment de peine. » Enfin, ce qu'il y a de plus singulier c'est la transmission des traits princi paux du caractère et celle des habitudes, dont la pluparl, il est vrai, sont en rapport avec les conditions climatériques et les productions spéciales du ' sol . « Les Laconiens, dit M. Pouqueville , diffèrent de port aussi bien que ► de mæars, de leurs voisins les Arcadiens : ces derniers portent la pane D . + 521 INDICATIONS CURATIVES , tion dans aucun des règnes de la nature. Nous avons vui • les applications qu'il est juste d'en faire, pour prévenir la dégénérescence des plantes, des animaux et de l'homme ; mais nous avons fait ressortir aussi les conditions spéciales que l'abus de la liberté et la déviation de la loi morale créaient à l'espèce humaine. Il n'est peut- être aucune loi dont la nécessité soit aussi profondément gravée dans l'esprit et les sentiments de l'humanité. Croisement des races, inconvénient des unions consanguincs, sont les termes de deux propositions qui se complètent l'une par l'autre, en ce sens que le remède se trouve indiqué à côté du mal. Celle loi , encore une fois, est gravée dans l'esprit et dans les sentiments de l'bumanile ; elle fait la base morale et religieuse de la plupart des légis lations des temps anciens et des temps modernes. Si les lois de quelques peuples, comme des Parthes, des Perses et des Egypliens ; si les coutumes des Scythes , des Tartares, des Caraïbes, etc. , etc. , ne proscrivaient pas les alliances con sanguines, même entre les parents du plus proche degré, il n'en était pas de même des grandes nations civilisées . « Les lois hindoue, mosaïque, romaine, chrétienne, mu sulmane, dit M. P. Lucas, celles de tous les peuples mo dernes civilisés , les usages mêmes d'une foule de peuplades sauvages, telles que les Iroquois, les Hurons et les Sa moïedes, l'interdisaient formellement . Des codes d'une haute antiquité vont même jusqu'à assimiler à l'inceste les rapports conjugaux, entre famille de la même tribu ou de tribus congénères ( 1 ) . » 1 D » tière et la houlelle, el mènent une vie loute paslorale ; les habitants de Sparle, au contraire , ont la passion des combals ; leur caractère est vif v cl lurbulent, peu de chose suſtit pour les irriter . » ( 1 ) P. Lucas, Traitc philosophique et physiologique de l'Aléridité na turelle. INFLUENCE FUNESTE DES UNIONS CONSANGUINES. 523 On a voulu , ajoute le même auteur,> élever la voix contre le principe de ces interdictions, du moins pour ce qui con cernait les espèces animales. Burdach a même écrit que Ja consanguinité avail, dans ces espèces, de bons résultats . M. P. Lucas réſule celte idée erronée par une observation des plus judicieuses. « L'erreur tient à deux causes, dit- il , à ce que l'on con fond la communauté de race avec celle de famille , et à ce que l'on fait abstraction du temps. » Les alliances entre famille d'une seule et même race , lorsque la race est assez nombreuse pour que les alliances n'y dégénèrent pas en unions consanguines , et surtout lors que les diverses fractions de la race occupent une certaine élendue de pays, qu'elles sont distantes l'une de l'autre, et qu'elles n'ont ni le même régime, ni le même système de vie , ces alliances, chez l'homme comme chez les animaux, ne sont que conservatrices du type de la race . Dans le cas contraire, la consanguinité s'y développe et produit les mêmes conséquences que dans le sein des familles. » L'autre cause d'erreur est , d'après M. P. Lucas , l'éli mination de l'influence du temps : la consanguinité dans l'union des sexes est- elle physiologique , c'est- à- dire, trouve - t- elle de bonnes conditions de santé, dans les mem bres unis de la même famille ? Les résultats varient selon que le système d'alliance se poursuit ou ne se poursuit pas . A la première et même parfois à la deuxième généra tion , elle peut ne déterminer aucun effet fàcheux ; mais l'expérience prouve d'une manière péremptoire que dès qu'elle se prolonge au - delà de cette limite, même dans le cas très- rare où elle n'entraine le développement d'aucun mal héréditaire, elle cause cependant l'abåtardissement de l'espèce et de la race, la duplication et le redoublement de toutes les infirmilés, de tous les vices, de toutes les pré 526 INDICATIONS CURATIVES. dispositions fâcheuses du corps et de l'âme, l'hébélude de toutes les facultés mentales, l'abrutissement, la folie, l'im puissance, la mort de plus en plus rapprochée de tous les produits ( 1 ) . Dans l'espèce humaine ces résultats se font voir sous leurs formes les plus déplorables, au sein des familles res treintes , aussi bien que dans les agglomérations plus consi dérables d'individus. Les aristocraties , réduites à se recru ter dans leur propre sein, s'éteignent de la même manière d'après M. Niebuhr et M. Benoiston de Châleauneuf (2) . Les terminaisons dégénératives se révèlent, dans ces cas, sous les formes de la folie, de la démence et de l'imbécillité, et l'observateur qui a suivi avec attention la liaison et l'enchai nement des phénomènes pathologiques n'a plus lieu de s'é tonner de la fréquence de l'aliénation mentale et de son hé rédité dans les grandes familles de France et d'Angleterre. Enfin , d'après ce que nous avons dit des conditions ré génératives dans les espèces animale et végétale, il est facile de concevoir que, pas plus que l'homme, l'animal n'est soustrait aux inconvénients de la dégénérescence, dans les cas de propagation indéfinie entre individus issus les uns des autres. On a constaté celle dégénérescence, d'après Hartmann , chez les bêtes fauves renfermées dans les parcs ; on l'a signalée dans la plupart de nos animaux domestiques, chez le cheval , le bæuſ, le cochon , le mouton, le chien , chez les poules et chez les pigeons . M. P. Lucas cite les témoignages des agronomes et des physiologistes les plus distingués, John Sebrigt, Sinclair, Princeps, Girou, ( 1 ) P. Lucas, ouvrage cité , l . II ,3 p . 903. S Règles du traitement de Phérédité morbide. (2) Mémoires sur la durée des familles nobles en France (Annales d'hy giène, Paris, 1846, t . XXXV, p . 27 ) . INFLUENCE FUNESTE DES UNIONS CONSANGUINES. 527 d'Iloudeville, etc. , etc. , pour prouver que les accou plements consanguins ne réussissent pas, ou réussissent mal ; et si l'on y persiste, espèce, race, santé, fécondité, viabilité, tout s'éteint. Ce système d'accouplements con sanguins mis un instant en vogue par Backwell, dont les races ainsi créées disparaissaient comme elles s'étaient for mées, a entrainé , d'après ce qu'en disent MM. Grogoier et Huzard , la perte de l'un des plus anciens haras de l'Angle terre, et celle de magnifiques races d'autres animaux . L'exposition de tous ces faits nous laisse entrevoir, et la multiplicité des données thérapeutiques qui devront faire le sujet de la deuxième partie de cet ouvrage, et en même temps la difficulté de leur application , lorsqu'il s'agit de l'homme. Nous tenons jusqu'à un certain point, dans notre dépendance absolue les espèces végétale et animale, qui ont besoin d'être régénérées, nous les déplaçons à volonté, nous les fixons sur le terrain qui leur est propre, nous éliminons les produits mauvais ; nous pouvons, en un mot , plier les végétaux et les animaux, non- seulement à des lois fixes et invariables, mais même à nos exigences et à nos caprices. L'action de l'homme sur son semblable se meut dans une toute autre sphère. La loi morale, si féconde en consé quences régénératrices, n'est véritablement fructueuse que lorsqu'elle est librement acceptée par lui ; la déviation à cette loi morale, ainsi que nous en avons produit de si nombreux exemples, ne crée pas chez les animaux ces causes infinies de dégénérescence que nous avons obser vées dans l'espèce humaine. Ils ne transmettent pas à leurs descendants les affections morbides qui sont le résultat de la débauche et de l'ivrognerie ; les besoins de la procréa tion ne sont pas satisfails chez eux avant l'époque fixée par la nature ; nous les tenons encore une fois lellement sous notre dépendance que leurs bonnes qualités elles- mêmes 28 INDICATIONS CURATIVES . peuvent être perfectionnées par l'éducation que nous leur donnons ( 1 ) . Chacun de nous peut fixer les limites où s'ar rètent les analogies et faire la part des difficultés à vaincre. Elles sont énormes, j'en conviens ; mais une chose peut nous consoler, c'est que ces difficultés ne sont pas iosur montables ; autrement il faudrait désespérer de l'avenir de l'humanité. Dans l'auvre de régénération, ainsi que nous la comprenons, l'homme n'est pas exclusivement livré à ses propres ressources ; il n'est pas , comme les animaux, dénué de toute faculté collective . « La société dételoppe l'homme, dit M. de Ballanche, l'homme perfectionne la société . Les perfectionnements de la société font ensuite les perfectionnements de l'homme ... » Chaîne'non interrom pue de causes primitives produisant des effets qui , à leur tour,deviennent causes. L'homme se perfectionne au moyen du milieu social où il se trouve ... C'est en partant de ces données que nous concluons à l'emploi des moyens collectifs pour mener à bonne fin l'euvre de la régénérescence dans l'espèce humaine. Il ne suffit pas en effet d'améliorer la position physique de l'homme, mais il faut encore amélio rer sa condition intellectuelle et morale , autrement la pros périté et l'aisance matérielle elle - même auraient leurs inconvénients. Nous avons vu dans l'histoire des causes mixtes les diffé rentes lésions qui résultaient de l'inobservance des règles de l'hygiène morale . Le défaut de toute culture intellec tuelle , l'absence de cette éducation qui nous enfante à la vie spirituelle comme nous avons été enfantés à la vie phy . 1 1 ( 1 ) « L'animal sait tout ce qu'il doit savoir, dit M. de Ballanche dans sa Palingénésie sociale, l'homme doit lout apprendre... Les apimaux font partie de l'homme ; ils tendent à s'assimiler à lui ; jusque-là ils sont sans individualité et sans faculle collective . » INFLUENCE FUNESTE DES UNIONS CONSANGUINES . 529 sique, et qui nous rend deux fois les fils de nos mères ( 1 ) , l'abrutissement de l'esclavage, l'action funeste exercée par ( 1 ) La multiplicité des points de vue que fail surgir l'étude des dégéné rescences dans l'espèce humaine de nous a pas permis de nous arrêter sur les conditions dégénératrices que l'on a déjà signalées chez les enfants naturels , en faisant ressortir dans les statistiques criminelles la proportion énorme qu'ils fournissent. Je ne meis pas en doute que les conditions mal heureuses de leur existence , et que l'absence de celle seconde éducation dont nous parlons ne contribuent à développer les germes dégénéraleurs que ces enfants ont apportés en naissant . Personne ne niera que l'état intel lectuel et moral des parents ne soit déjà enlaché de ces dispositions mau vaises qui , se transmellant par l'hérédité , finissent par constituer de véri tables variétés maladives dans l'espèce . Mon iplention élait aussi de relier à la même question l'influence que devail nécessairement exercer sur le dé veloppement intellectuel des enfants, la condition malheureuse des femmes dans la civilisation orientale. Un pareil sujet est digne de fixer la sagacité des anthropologues modernes qui semblent heureusement sortir de la voie ballue depuis longtemps , pour examiner les questions de l'homme et des variétés dans l'espèce, sous le côté moral que l'on avail peut- être trop né gligé jusqu'à ce jour . Que l'on me permelle néanmoins , puisque le temps et l'espace me manquent également , de donner un échantillon de l'existence de la femme dans la société indienne, telle que nous la dépeint un témoin oculaire qui a longtemps vécu dans ces pays: • Nulle part , die M. de Warren , la condition des femmes ne m'a paru si misérable que dans les basses classes chez les Hindoux , qui semblent repro duire leur espèce comme les animaux , sans une idée même confuse d'a mour. Les hommes sont portés à les considérer comme des créalures telle ment impures qu'on est étonné que le dégoûl ne réprime pas le penchani naturel . » Je rencontre grand nombre de pauvres familles en voyage ; si affamées qu'elles paraissent, si pues qu'elles soient , dans les derniers degrés de la misère et du dénuement, le mari marche invariablement silencieux devant ; la femme le suit à quelques pas en arrière , portant un enfant en bas-âge à cheval sur la hanche du côté gauche ; s'ils possèdent quelques meubles , c'est encore elle qui en est chargée . Je l'ai vue pliant sous un poids énorme, sans que son époux qui ne porte que son bâlon de voyage , songe à la soulager 34 530 INDICATIONS CURATIVES . l'ignorance, par les préjugés sociaux, par les religions fausses, par l'absence, en un mot, des éléments de la véri table civilisation , sont de nature å créer des causes dégė néralrices non moins funestes et non moins transmissibles par l'hérédité , que celles qui sont le résultat des intoxica tions diverses, des professions insalubres, des influences climatériques, et de toutes les infractions aux lois de l'hygiène physique. Quelques considérations sur l'influence dégénératrice exercée dans l'espèce humaine par l'alimentation insuffi sante ou altérée, précèderont ce que nous avons à dire sur les dégénérescences qui sont le résultat de l'intoxication paludéenne ou de la constitution géologique du sol . Nous aurons dans le même paragraphe occasion d'indiquer quel ques-uns des moyens curatifs proposés contre l'intoxica tion alcoolique, et de poser les bases de ce qu'il faudrait faire pour régénérer l'espèce humaine abatardie par l'in suffisance de l'alimentation, ainsi que par l'altération des céréales . même de son enfant; la femme est ici une vraie bête de somme, qui soit son mailre sans murmurer, sans chercher à allirer son attention ... Quelque fois il y a deux femmes pour partager les servitades et les dédains d'un mème homme. Elles marchent l'une derrière l'autre, la favorite la première, chacune portant ses propres enfants el se partageant entre elles le bagage ; j'ai suivi quelquefois de ces tristes caravanes l'espace de plusieurs heures sans les voir se joindre, ou se dire un moi. Quand plasieurs familles voyagent en com mun , tous les hommes marchent ensemble, les femmes réunies viennent après eux à une distance respeclueuse ; si une cavalcade étrangère, si un européen surloul vient à croiser ce dernier groupe, la plupart des femmes s'arrêlent el toorbent le dos, ou se couvrent le visage pour passer. Elles s'éloignent mornes el muelles comme si elles suivaient un euterrement ... Il est impossible de croire à quelque sentiment de bonheur dans leur existence . » ( Ed . de Warrco . L'Inde anglaise, l . II , p. 71 ) . 351 CHAPITRE SIXIÈME. De la dégénérescence dans l'espèce par suite de l'insnfli sance ou de l'altération des substances alimentaires . Indications curatives. La description que j'ai faite de l'ergotisme convulsif et gangreneux , et tout ce que j'ai dit de l'influence de l'alimentation par le maïs , était une introduction à des considérations générales sur une des causes les plus actives de dégénérescence dans l'espèce ; je veux faire allusion à l'insuffisance aussi bien qu'à l'altération des substances alimentaires. Les détails dans lesquels je suis entré précédemment se rapportaient davantage , j'en con viens, à l'histoire pathologique de l'individu qu'à celle de la race ou de l'espèce ; mais je n'ai pas oublié que celle observation du fait particulier était , dans ma pensée, un acheminement indispensable à des études d'un intérêt plus général , et dont personne ne contestera l'utilité . Je vais essayer de tenir ma promesse et d'appliquer aux dégénérescences dans l'espèce les données qui m'ont guidé à propos de la dégénérescence de l'individu . Je saisirai cette occasion pour rectifier certaines opinions erronées qui se produisent de temps à autre dans la science, ou qui dominent les croyances populaires relativement à l'action cxercée par une nourriture insuffisante sur l'homme et sur les races humaines , sans exception de ceux qui , nés dans les conditions malheureuses de disette ou d'altération des substances alimentaires , contractent dans le sein maternel 332 NOURRITURE INSUFFISANTE , EXCLUSIVE OU ALTÉRÉE . les germes de leur dégénérescence ultérieure. D'un autre colé, il me sera possible de faire ressortir un fait d'une valeur pratique incontestable, à savoir : que l'intoxication produite par l'ergot de seigle ou par le maïs , est un phéno mène pathologique propre à plusieurs autres céréales dont l'altération intéresse au plus baut degré les populations européennes qui en ont fait la base de leur nourriture. Les indications curatives se déduiront plus facilement en suite des considérations qui me restent à émettre sur la dégénérescence dans l'espèce causée par l'insuffisance ou l'altération des substances alimentaires . S. I. Des effets produits sur les races par une nourriture insuffisante ou exclusive. On peut dire que l'importante question de l'alimentation dans ses rapports avec l'état intellectuel , physique et moral des races , a été tour à tour abandonnée et reprise selon que l'actualité , ainsi que les opinions qui avaient cours dans certaines régions scientifiques, imprimaient à cette question un degré d'intérêt plus considérable, ou satisfaisaient assez les intelligences pour que l'on restat provisoirement fixé sur ce qu'il fallait admettre ou rejeter. Il est permis, toutefois, de supposer que l'indécision qui règne dans les opinions émises par beaucoup de bons esprits, dépend de la complexité de la question elle- même, qui , par ses côtés divers , tient également au domaine des sciences naturelles , médicales , économiques et philo sophiques . Les considérations dans lesquelles je vais entrer, ſeront voir que cette question, si simple en apparence, est non seulement très- délicate dans la forme, mais qu'elle sou lève encore des problèmes d'une grande difficulté. La plus FORCE PHYSIQUE DES RACES SAUVAGES. 533 sérieuse de toutes n'est pas précisément la détermination de la nature du mal auquel il s'agit de remédier, mais l'ap plication des moyens préventifs et curatifs indiqués par les médecins, les économistes et les moralistes. Il y a plus d'un siècle déjà que Buffon , rectifiant les opinions qui avaient généralement cours à son époque sur la supériorité physique de l'homme sauvage, faisait ressortir avec celle profondeur de vues qui lui est propre, que c'était dans l'action exercée sur l'économie humaine par la nourriture, qu'il fallait rechercher la cause principale des variétés dans la forme du corps et dans les traits des races humaines. « Un peuple policé qui vit dans une cer laine aisance, dit ce grand naturaliste , un peuple qui est accoutumé à une vie réglée, douce et tranquille, qui par les soins d'un bon gouvernement est à l'abri d'une cer laine misère, et ne peul manquer des choses de première nécessité, sera par cette seule raison composé d'hommes plus forts , plus beaux et mieux faits qu'une nation sauvage et indépendante où chaque individu, ne tirant aucun se cours de la société, est obligé de pourvoir à sa subsistance , de souffrir alternativement la faim ou les excès l'une nourri lure souvent mauvaise, de s'épuiser de travaux ou de lassi tude, d'éprouver les rigueurs d'un climat sans pouvoir s'en garantir, d'agir, en un mot, plus souvent comme animal que comme homme... En supposant ces deux différents peuples sous un même climat, on peut croire que les hommes de la nation sauvage seraient plus basanés, plus laids, plus petits, plus rides que ceux de la nation policée . S'ils avaient quel qu'avantage sur ceux- ci , ce serait par la force ou plutôt par la durelé de leur corps . Il pourrait se faire aussi qu'il y eût dans celle nation sauvage beaucoup moins de bossus , de boite: x, de sourds, de louches, elc . , etc. Ces hommes defectueux vivent, et même se multiplient dans une nation 534 NOURRITURE INSUFFISANTE , EXCLUSIVE OU ALTÉRÉE . policée où l'on se supporte les uns les autres, où le fort ne peut rien contre le faible, où les qualités du corps font beaucoup moins que celles de l'esprit ; mais dans un peuple sauvage, comme chaque individu ne subsiste, ne vit , ne se défend que par ses qualités corporelles, son adresse et sa force, ceux qui sont malheureusement nés faibles, dė fectueux , ou qui deviennent incommodes, cessent bientôt de faire partie de la nation ( 1 ) . Est-il nécessaire d'ajouter que ces idées de Buffon sont de nature å rectifier des opinions qui ont cours aujour d'hui ? En émettant cette assertion , je dois néanmoins faire remarquer que les croyances erronées qui existent å ce sujet, ne se retrouvent pas , que je sache, dans les écrits des naturalistes modernes. Ces derniers ont non- seulement adopté la manière de voir de Buffon, mais ils l'ont encore corroborée par des preuves nouvelles , irrécusables ; il serait donc plus vrai de dire que les croyances erronées auxquelles je fais allusion , sont plutôt l'expression de ces idées fausses qui, en se transmettant dans les masses , deviennent pour beaucoup de personnes une vérité que l'on admet généralement sans discussion . Pour moi per sonnellement, j'ai si souvent entendu émettre des opinions hasardées sur les causes qui entretiennent chez les peuples la force du corps, que je me crois en droit d'insister sur un point d'anthropologie aussi important, au risque de subir cette accusation banale, effroi de tant d'écrivains , celle de ne rien dire de nouveau , accusation qui les empêche de propager les vérités vulgaires, renfermant cependant , å mon sens, le côté pratique des questions scientifiques en général , et des questions hygiéniques en particulier . ( 1 ) Buffon. De l'homme. Variélés dans l'espèce humaine , p . 191 de l'édition cilée. FORCE PHYSIQUE DES RACES SAUVAGES. 835 > « Des nourritures grossières, malsaines ou mal prépa rées , dit encore Buffon, peuvent faire dégénérer l'espèce humaine ; tous les peuples qui vivent misérablement sont laids et mal faits. » Appliquant ensuite ces idées aux habi tants de nos villes et de nos campagnes, à ceux qui vivent dans les profondeurs des vallées ou sur les terres élevées comme les coteaux ou le dessus des collines , le naturaliste français en tire des conséquences qui lui font admettre que l'air, la terre, et surlout la nourriture influent beaucoup sur la forme des hommes, des plantes et des animaux. Ce qu'il dit des chevaux d'Espagne el de Barbarie qui , amenés en France, commencent déjà à dégénérer à la première géné ration , justifie son assertion que le climat et la nourriture, surtout, influent sur la forme des animaux . Les expériences sous ce rapport se sont répétées sur une vaste échelle. Il est parfaitement avéré aujourd'hui, ainsi que l'a constaté F. Heusinger, que la grandeur et la force du corps sont béréditaires chez l'homme et les animaux , quand ces qualités physiques , développées par une nour riture saine et abondante, sont entretenues dans les géné rations qui suivent par les mêmes bonnes conditions hy giéniques ( 1 ) . ( 1 ) Tout le monde sait , dit F. Heusinger, que les lièvres , les cerfs, les chevreuils, elc . , different considérablement selon la fertilité ou la stérilité des contrées . Il y a parmi nos animaux domestiques , des races de géants et de nains qui ne reconnaissent pas d'autre cause que la nourriture saine et abondante dans le premier cas , el son insuffisance dans le second . La race si pelile des chevaux du Shelland, désignée sous le nom de Pony, celle non noios chélive des montagnes de la Corse , opt subi , comparativement aux autres races de chevaux , un état de dégénérescence par suite du genre de nourriture . Que l'on transporte ces races rabougries dans des pays où se trouvent en abondance de gras pâturages, elles grandiront de génération en génération. Quant aux races najnes que l'on produit à volonté dans l'espèce 536 NOURRITURE INSUFFISANTE , EXCLUSIVE OU ALTÉRÉE. > Il est possible maintenant que les effets que nous signa lons soient moins prompts et moins apparents dans l'espèce humaine que chez les animaux, mais il n'en n'est pas moins certain qu'ils finissent par constituer, à la longue, des variétés très - différentes par la grandeur, la force et même par la forme du corps . « Les races d'hommes peu avancées dans la civilisation , dit M. le docteur Prichard, ont, ainsi que les races d'animaux qui n'ont point élé mo difiées par la culture , les membres grêles, maigres et allongés. ) « Les nations , ajoute le même auteur, qui ne vivent que d'aliments empruntés au règne végétal , et qui en usent en quantité à peine suffisante, sont moins vigoureuses que celles qui sont mieux nourries, et il semble que les pro portions de leurs membres soient différentes. Les Hindoux, et ceci est un fait bien connu, ont les bras et les jambes proportionnellement plus longs et moins musculeux que les Européens ; et l'on a remarqué que la poignée de leurs sabres était trop petite pour des mains anglaises ( 1 ) . , On sait encore que les races sauvages , sans exception , ont moins de force musculaire que les peuples civilisés , et ne peuvent supporter la fatigue dans les mêmes proportions. Les idées de Buffon , sous ce rapport, ont été confirmées par tous les voyageurs, et Péron trouva les naturels de l'Aus tralie , de Timor et de la Tasmanie, faibles en comparaison canine, on sait qu'elles ne sont pas seulement le résultal du genre de pourri lure, mais du soin qu'on a d'entretenir ces variélés dégénérées, en choisissanl, pour la propagation des individus de plus en plus rabovgris . ( 1 ) Une preuve que le climat n'est pas la cause unique de celle infériorité physique, c'est qu'aux lades les races Mahomélanes qui mangent de la viande, sont infiniment supérieures pour la force corporelle aux livdoux, et qu'elles fournissent à l'armée anglaise, à ce que m'a assuré M. de Warren , ses plus beaux et ses plus robustes cavaliers. FORCE PHYSIQUE DES RACES SAUVAGES . 537 des Européens ; Mackensie, Lewis et Clark, nous assurent que les indigènes de l'Amérique offrent la même infériorité dans le développement de la force physique ; dans les combats de troupe å troupe ou d'homme å homme, les Virginiens et les Kentuchiens ont toujours, suivant Volney, l'avantage sur les Américains sauvages (1 ) . J'ai cherché à me rendre compte des motifs qui avaient contribué à propager certaines idées erronées à propos de la force physique relativement plus grande des peuplades vivant à l'état naturel , et à faire, croire que l'insuffi sance de la nourriture n'avait pas les conséquences phy siologiques que nous lui attribuons. Je pense que les faits mal observés, et l'isolement dans lequel on a placé la ques tion physiologique, en l'étudiant en dehors des influences ( 1 ) Dans l'examen comparé que nous aurons à faire entre les tèles des races humaines modifiées naturellement, et les têtes des variétés maladives, nous aurons à émettre quelques considérations sur le rapprochement qu'on a voulu élablir chez l'homme entre les formes de certaines autres parties du corps, et ce qui existe chez les animaux , qui dans l'ordre zoologique actuel, sont placés immédiatement après l'homme , tel que le singe . J'admels parfaitement, et la thèse que je soutiens le prouve , que les causes dont nous éludions l'action , modifient non -seulement la forme de la tèle , mais celles d'autres parties du corps , telles que les bras , les jambes et le bassin . Toule fois, je puis dire d'avance, et d'accord en cela avec ies principaux anthropo logistes modernes, que l'examen des faits relatifs aux döfférences que pré sentent dans les races humaines les formes du corps et les proportions des parties , nous portera à conclure qu'aucune de ces déviations ne s'élève au rang de distinction spécifique. Le plus ou moins de courbure, par exemple , des os longs ; le plus ou moins de convexité du libia ou du péroné dans quelques races ; la hauteur proportionnelle plus longue du bassin, le défaut de concavité du calcanéum , la longueur plus grande des extrémités supé rieures, etc. , ne me conduiront pas , encore une fois, à penser , ainsi que je l'ai entendu professer à l'école de médecine de Paris , que ces faits sont suffisants pour baltre en brèche la croyance à l'unile de l'espèce humaine. 538 NOURRITURE INSUFFISANTE, EXCLUSIVE OU ALTÉRÉE. de l'ordre intellectuel et moral , ont été le point de départ de ces fausses appréciations, et parmi ces faits je n'en citerai que deux , choisis å dessein aux deux extrémités de la vie intellectuelle et sociale, et dont je vais disculer la valeur. 1 ° La force physique des sauvages est si considérable, ont prétendu quelques personnes, qu'ils sont capables de supporter les privations les plus grandes , et que l'on a vu des peuplades réduites å manger de la lerre sans que leur santé générale ait paru compromise ; 2° l'insuffisance de la nourriture et l'abstinence ont si peu les effets que leur aliribuent certains physiologistes , que les ordres religieux dont l'observance bygiénique est la plus sévère , n'en com portent pas moins dans leur sein l'existence d'individus bien portants , et dont les affections tercurrentes pré sentent le même degré d'acuité que chez ceux qui se noi " vissent de viande . La preuve en est que, dans leurs ma ladies, ces religieux austères éprouvent le besoin de fortes déplétions sanguines. J'examinerai ce dernier fa't en dehors de toute préoccu pation de doctrine, et au point de vue exclusif des con séquences physiologiques qu'il est permis d'en déduire. Voyons d'abord ce qui se rapporte à la première des ? eser lions ci-dessus énoncées . Il est certain que les peuplades vivant à l'état no made, et dont le sort dépend des produits de la chasse et de la pêche, sont exposées à des privations énormes et soumises la plupart du temps aux plus dures extrémités. On en a vu , à ce qu'affirment M. de Humboldt et d'autres voyageurs, réduites pendant plusieurs mois de l'année å manger une espèce d'argile sur les propriétés de laquelle on n'est pas encore fixé. Les Ottomaques, par exemple, qui fréquentent les eaux poissonneuses de l'Orénoque et de la Méla, vivent dans l'abondance tant que les eaux basses GÉOPHAGIE SOUS LES TROPIQUES. 539 de ces fleuves immenses leur permettent de tuer à coups de flèches les poissons et les tortues ;; mais lorsque la crue des eaux a inondé les rives , ils n'ont plus de ressources que de faire griller à un feu doux des boulettes d'une argile dont leurs huttes sont remplies, et qu'ils mangent près les avoir humectées. Les Oltomaques avouent eux- mêmes que , dans la saison des pluies, la terre glaise est leur principale nourriture. Cependant ils mangent ça et là des lézards, de petits pois sons , et quelques racines de fougères quand ils peuvent s'en procurer . Leur hygiène , dans ces cas, ne diffère pas beaucoup de celle des Boschismans dont nous avons eu déjà occasion de faire ressortir la dégradation physique, ainsi que l'état d'atrophie du système musculaire. Quant aux Ottomaques, ils sont, à ce que dit M. Humboldt, si friands de cette glaise , que même dans la saison de la sé cheresse, lorsque la pêche est abondante, ils en mangent tous les jours un peu après le repas par gourmandise ( 1 ) . ( 1 ) M. de Humboldt s'étonne avec raison que les Ollomaqnes de de viennent pas malades en mangeant des quantités aussi considérables de terre . 11 pense que celle peuplade est habituée depuis quelques générations à ce régime , car l'effet produit sur les tempéraments de plusieurs autres peu plades par celle terre glaise est loin d'être aussi inoffensif. C'est un fait vraiment curieux que celui de la Géophagie que M. de Humboldt a retrouvé dans loutes les régions tropicales . Les hommes, dit ce savant naturaliste , ont l'envie bizarre , presque irrésistible d'avaler de la terre, non pas ope lerre alcaline comme la chaux , afin de neutraliser peut élre les acides, mais une argile grasse , à odeur ſorte. On est souvent obligé d'enfermer les enfants pour les empècher après une pluie fraîchement tombée, de courir dehors et de manger de la terre . Au petit village de Banio , sur la rivière Madeleine , M. de Humboldt a vu avec surprise les lodiennes, occupées à faire de la poterie, porter pendant leur travail de gros morceaux d'argile à leur bouche . D'autres voyageurs , et en parli colier Gilij ( Saggio di storia Americana ), ont constaté le même fait, 540 NOURRITURE INSUFFISANTE , EXCLUSIVE OU ALTÉRÉE . Malgré l'aveu d'un moine Franciscain, le Frère Ramon Bueno qui a vécu de longues années avec les Ottomaques, on sail ausși qu'en hiver certains animaux carnivores, les loups entre autres, mangent de la terre , et il y a tout lieu de supposer que çelte sub slance fouroit plutôt un lest à leur estomac affamé qu’uo aliment répara leur. Le fait est que, hormis les Ollomaques, les individus des autres peuplades deviennent malades, s'ils s'abandoppent longtemps à celle singu lière envie de manger de la glaise. Dans la mission de San Barja, M. de Humboldi vit l'enfant d'une indienne qui , au dire de sa mère , ne voulait presque rien manger autre chose que de la terre ; aussi avait- il l'air d'un squelelle. Je suis teplé de croire , autant qu'il est possible de joger des fails qui ont encore besoiu d'élre examinés, que celle coutume de manger de la terre est non- seulement le résultat d'une habitude transmise par l'hérédité , mais qu'elle se rallache à certaines conditions névropathiques qui nous sont inconnues . Au moins , est-il permis d'en juger ainsi par apalogie, lor: que nous voyons que cel appélit morbide ne se retrouve dans nos climals que chez les enfants, chez les jeunes filles hyslériques et chlorotiques et chez les femmes enceintes . Toutefois, il est permis d'aflirmer avec M. de Homboldt , que la géophagie est propre aux régions tropicales de tout le globe. Dans la Guinée, les Nègres mangent une terre jaunátre qu'ils nomment Caovac. Transporlés comme esclaves aux Indes occidentales , ils cherchent à s'en procurer de semblable. En même temps ils assurent que l'usage de la terre , comme aliment, n'est nullement puisible dans leur patrie d'Afrique ; mais le Cuouac des iles d'Amérique rend au contraire les sauvages malades . Daos son Voyage à la Marlinique, page 85, Thibault de Chanvarlon raconte que les Nègres de la Guinée qui ont l'habitude de manger celle terre en sont si friands , qu'il n'y a pas de châtiment qui puisse les empêcher de la dévorer . La mème habitude se retrouve, d'après Labillardière ( Voyage à la recherche de La Peyrouse, tom . II , pag . 522) , dans les villages de l'ile de Java où se vendent de petits gâteaux que les indigènes appellent Tanah cimbo ( Tanah sigoifie terre en Javanais el en Malais ) . Dans les comptes rendus de l'Académie des sciences de Berlin, anpéu 1848, page 222-225, on voit que M. Mohike a envoyé, en 1847 à Berlin , de la glaise comestible de Samarang; elle est sous la forme de tybes roulés comme de la canelle ; M. Ehrenberg , qui a examiné celle lerre , a constalé que c'est une formation d'eau douce déposée sur du calcaire lertiaire , et GÉOPIAGIE SOUS LES TROPIQUES . 541 pous ne pouvons admellre que l'habitude de manger de la terre soit sans aucun inconvénient sur la santé de ces sauvages. Ce sont au reste les plus abrutis et les plus inci vilisables de tous ceux qui habitent celle partie de l'Amé rique, et il existe un proverbe parmi les nations les plus éloignées de l'Orénoque , qui, lorsqu'elles veulent exprimer quelque chose de bien dégoûtant, disent : c'est si sale qu'un Ottomaque le mangerait. Ces hommes, d'après les relations de M. de Humboldt, ont le teint couleur de composée d'animaux microscopiques ( Galionella navicula ), et de phyloli laires . Les habitants de la Nouvelle- Calédonie mangent , pour apniser leur faim , des fragments de sléalile friable gros comme le poing , dans lesquelles Vauquelio a trouvé des quantités notables de cuivre. Popayan et dans plusieurs endroits du Pérou on vend la chaux dans les rues comme un aliment pour les Indiens . Ils maogent cette chaux avec le Coca ( feuilles de l'Erytroxilon peruvianum ). ( Comparer avec ce que nous avons dit au chapitre II , page 141 de cet ouvrage, sur les tendances alimentaires de cer lains peuples.) Le fait le plus certain qui résulte de toutes ces observations , est que l'usage de manger de la terre se retrouve , d'après M. de Humboldt, dans loute la zone torride , chez les peuplades indolentes qui habitent les plus belles et les plus ferliles contrées du monde. D'après les rapports que fournissent sur les pays seplentrionaux, Berzelius ct Retzius , on consomme dans l'extrémité de la Suède annuellement une grande quantité de terre d'inſusoires, semblable à de la farine. Les paysans en font usage , moins par besoin et par nécessité que par caprice ( comme on fume du tabac) . Dans quelques endroits de la Finlande, on mèle ces lerres au pain : ce sont les carapaces vides d'animalcules , si pelites el si délicales qu'elles ne croquent pas même sous les dents ; elles rassasient saus nourrir. En temps de guerre et de diselle , celle terre est connue sous le pom de farine de montagne ; on en fil une grande consommation dans la guerre de trente ans . ( Voir, pour plus de détails , le Tableau de la nature, par Alex . de Humboldt, et l'intéressant ouvrage de Ehrenberg : Veber das unsichtbar wirkende organische Leben ( sur l'action de la vie orga nique invisible. (Leipsig, 1842. ) 7 542 NOURRITURE INSUFFISANTE , EXCLUSIVE OU ALTÉRÉE . cuivre foncé. I's ont les trails désagréables de la pbysio nomie tartare ; ils sont gros, mais sans avoir le ventre proéminent, et leurs dispositions intellectuelles sont, à ce qu'il parait, au niveau de leur dégradation physique, et des misères de toutes sortes qu'ils endurent avec l'indifférence et la résignation stupides des peuplades sauvages . J'admets avec M. de Humboldt que l'habitude de man. ger l'argile, s'étant transmise chez les Ottomaques de géné ration en génération , a moins d'inconvénients pour eux que pour les autres peuplades indiennes de cette partie du monde, mais ce serait aller contre tout ce que nous savons en fait de lois physiologiques , que d'admettre l'in pocuité absolue d'une pareille hygiène sur le perfectionne ment physique des races hụmaines . Il parait au contraire bien avéré, d'après les observations que contient la note explicative de ce fait, que l'usage de manger de la terre, propre à tous les peuples de la zone torride, est bien loin d'être regardé comme une preuve de la force physique, qu'il ne peut, en quoi que ce soit , entretenir et augmenter : cet usage doit plutôt etre considéré comme un phénomène pathologique qui se trouve sous la dépendance d'un état névropathique qu'il nous est impossible de préciser d'une manière plus complète dans l'état actuel de nos connais sances . Cet état n'aurait d'analogue dans nos pays septen trionaux , que ce que l'on observe , au point de vue maladif, chez les enfants, les jeunes filles hystériques et chloro tiques, ainsi que chez les femmes enceintes. Je crois inutile d'insister sur une observation aussi bien constatée que celle de l'infériorité physique des peuples dont l'hygiène ne présente rien de fixe, et qui , par la nature de leur élat social, sont exposés aux privations les plus compromet tantes pour leur santé . D'ailleurs , la force numérique si insignifiante de ces peuplades, nous prouve assez qu'ell - s EFFETS DE L'ABSTINENCE DANS LES ORDRES RELIGIEUX . 543 sont les victimes de toutes les causes dégénératrices dans l'espèce humaine, et les ressources que leur enlève la civi lisation , en les refoulant de plus en plus dans des contrées inhospitalières, les voue à une destruction complète . 20 Examinons maintenant la deuxième question qui a trait aux effets physiologiques produits par l'abstinence volontaire et par l'insuffsance forcée de nourriture . A cette deuxième question se rattache celle de l'usage trop exclu sif d'une même alimentation sur la dégénérescence de l'espèce , que je vais traiter dans le même paragraphe . Pour ce qui regarde les effets physiologiques produits par l'abstinence volontaire, je choisirai mon exemple dars l'hygiène d'un des ordres religieux dont les statuts sont généralement connus pour leur extrême sévérité, et leur conservation intacte depuis plus de huit siècles ( 1 ). Les Chartreux ne mangent jamais de viande , sous quel que forme que ce soit ( sive per modum cibi, sive per modum potionis aut sorbitionis ). Il n'existe à cette règle aucune ex ception , pas même celle de la maladie ( etiamsi leprosus). Leurs principaux aliments consistent en légumes, racines, herbes potagères, accommodées avec du beurre ou de l'huile . Le pain et les fruits cuits ou crus entrent aussi dans la composition de leurs repas . Ce n'est que pendant six mois de l'année que la régle permet aux Chartreux , et da : s une faible proportion , l'usage du lait , du poisson , du fro mage et des eufs. Leurs repcs n'excèdent jamais deux par ( 1 ) Je dois à l'obligeance de mon excellent ami, M. le docteur Beri'n , à Nancy, les intéressants détails que j'ai consignés dans ce paragraphe sur l'hygiène des Chartreux et sur les effets physiologiques qui en sont la consé querce . Médecin d'un établissement religieux de cet ordre , doué en outre d'un sens exquis d'observation , personne n'était plus à même que M. le doc leur Bera de me renseigner sur ce sujet. 344 NOURRITURE INSUFFISANTE , EXCLUSIVE OU ALTÉRÉE . jour, et sont réduits å un seul depuis le mois de septembre jusqu'à Pâques . Le vin coupé avec de l'eau , ou la bière suivant le pays, est donné à chaque repas mais en petite quantité, ils sont défendus l'un et l'autre certains jours d'abstinence ou de jeûne , où les légumes sont accommodés avec du sel seule ment. Ces exceptions sont d'autant plus fréquentes, qu'in dépendamment des jeunes prescrits par l'Eglise , il en est de particuliers à l'ordre. Les mets préparés suivant une méthode qui n'a pas varié depuis plusieurs siècles , ne peuvent être le sujet d'aucune plainte de la part des Religieux ; cependant ils ont le droit d'exposer leurs besoins au Prieur . Il est bon d'ajouter que le Frère préposé à la cuisine doit veiller à ce que les ali ments soient apprétés de telle façon que les Religieux n'aient pas à se plaindre . Il faut que le pain soit de bonne qualité, bien cuit, et qu'il n'ait pas de mauvais goût ; si le Frère est coupable de négligence, il doit faire l'aveu de sa faute et obtenir son pardon . L'ordre des repas est fixé invariablement , tant sous le rapport de l'heure que sous celui de la quantité permise à chacun des Religieux , et l'ordonnance ne peut être changée même en cellule . Le plus souvent les repas sont pris soli tairement; les jours de fête ils se font en commun, mais on n'y sert ni æufs, ni beurre , ni fromage. Tel est le régime alimentaire auxquels sont soumis les disciples de saint Bruno . Si à ce régime, dont personne ne contestera la sévérité, on joint , dit M. le docteur Bertin , l'obligation du silence, la vie en cellule , la nécessité de se lever chaque nuit pour aller au chậur, l'obéissance pas sive et toutes les mortifications auxquelles les Religieux s'as . sujellissent, on s'étonnera de voir cet ordre résister à une durée de huit siècles , et à toutes les révolutions qui ont > EFFETS DE L'ABSTINENCE DANS LES ORDRES RELIGIEUX. 545 bouleversé le monde pendant cette longue période ; mais cet étonnement cesse quand on connait les précautions prises pour l'admission des sujets qui se présentent. Le nombre des Chartreux a toujours été peu considérable, en raison même des difficultés dont la réception est entourée. Beaucoup de postulants se trouvant hors d'état de sup porter les épreuves de l'initiation, ont dû chercher dans un autre ordre monastique, ou dans la vie ordinaire, une position plus en rapport avec leur organisation physique et morale . M. le docteur Berlin ne croit pas devoir s'arrê. ter aux nombreux empêchements moraux qui éloignent de l'ordre un grand nombre de candidats, mais il porte notre attention sur les qualités physiques que l'on exige des élus. Cette dernière condition , jointe à une volonté éner gique, peut seule expliquer comment il se fait que les Chartreux supportent de longues années une vie aussi austère, sans être affligés de plus d'infirmités que dans toute autre profession . Pour être novice, il faut avoir vingt ans accomplis, jouir d'une bonne constitution , être bien conformé. Ce n'est qu'à ces conditions qu'on est jugé digne de remplir toutes les obligations imposées . Avant de prendre l'habit religieux , l'aspirant novice est admis dans le couvent pendant un certain temps ; il est observé et interrogé plusieurs fois par le prieur qui, s'il trouve ses dispositions convenables, le confie à des moines chargés de le surveiller, et de l'étu dier sous le rapport physique et moral. Si le jugement de ces derniers est favorable, un nouvel examen a lieu en présence de la communauté réunie . Le prieur interroge le candidat et lui rappelle dans ses détails toute la ri gueur de l'ordre qu'ilveut embrasser.Si après celte épreuve, dans laquelle on n'a rien caché des peines de la profession, le candidat persiste dans sa résolution , et s'il oblient la 35 546 NOURRITURE INSUFFISANTE, EXCLUSIVE, ALTÉRÉE . majorité des voix de l'assemblée, il est admis à prendre l'habit de novice, et mis en cellule où commence alors sa vie religieuse. Après une année, le novice, s'il en est jugé digne, fait une profession publique, et son engagement devient éternel. Si l'on réfléchit, ajoute M. le docteur Bertin, que c'est dans la première année qu'on observe le plus de mala dies, soit chez les militaires, soit chez les condamnés de toutes les classes, soit chez les marins, ou enfin chez tous les individus astreints à un régime particulier, et obligés de subir les premières épreuves de l'acclimatement, on ne sera pas surpris que la plupart de ceux qui se présentent pour être Chartreux, ne puissent accomplir le temps exigé par le noviciat, et que le plus grand nombre se retire ou soit éliminé avant l'année révolue, comme incapables de soutenir les austères prescriptions qui leur sont imposées. Dans le doute, le noviciat peut être prolongé de plusieurs années, et ce n'est qu'après cette aptitude bien reconnue, bien évidente, que la profession est faite . Cette sage lenteur dans l'admission, dit l'honorable mé decin de Nancy, cette rigueur dans l'épreuve nous font tout à la fois connaitre et la cause du petit nombre des maisons de Chartreux, et la longue durée de l'ordre. Elle nous explique encore comment il se peut qu'avec une exis tence aussi pénible, avec une vie toute de privation , les Chartreux soient moins souvent malades qu'on ne l'est dans d'autres professions. Quant à la nature de leurs affections elle ne diffère en rien de celle des personnes qui mènent une vie sage et régulière, et , chose remarquable , leurs maladies loin d'avoir un caractère asthénique , réclament souvent l'em ploi de la saignée. A quoi peut tenir un semblable phéno - mène qui parait en opposition avec toutes les lois de la EFFETS DE L'ABSTINENCE DANS LES ORDRES RELIGIBOX . 547 rels ; physiologie ? Il dépend sans contredit , comme l'a fait remarquer M. le docteur Ferrus, d'une rigoureuse conti nence , ainsi que de la régularité des exercices corpo la nature et la durée de ces derniers sont fixées par le règlement, et nul ne peut s'y soustraire . Que ce soit maintenant en raison de l'essence de leurs maladies, ou pour tout autre motif, il est à remarquer que les Char treux étaient obligés autrefois de se faire saigner cinq fois par an , à des époques fixes, et ces jours- là on permettait deux repas composés d'œufs, de poisson ou de laitage, comme pour les jours de fête . Aujourd'hui la saignée n'est plus pratiquée que quand le médecin l'a jugée nécessaire , et celui- ci n'est appelé que quand le prieur a reconnu l'opportunité de sa visite ( Nisi urgente necessitate et cum licentia prioris... ) . L'autorité du prieur est elle -même modifiée par les cas de maladie, mais seulement dans cette circonstance ... Si tamen infirmitatis magnitudo exigat. Il peut alors permettre le lait aux malades les jours d'abstinence, mais seulement dans les affections graves ; il est libre de dispenser de porter le cilice , d'accorder un lit moins dur, et de donner un garde malade dans la cellule ; mais il ne pourrait lever l'interdiction de l'usage de la viande, quelle que fût la gra vité de la situation (etiam si leprosus ) . La description que nous avons donnée des formalités qui président à l'élection des Chartreux, nous interdit toute déduction sur les rapports qu'il y aurait à établir dans ce cas, entre une nourriture insuffisante et les dégé nérescences dans l'espèce. La déviation maladive du type normal de l'humanité ne peut atteindre des hommes qui ont subi de pareilles épreuves, et dont la constitution physique a été progressivement adaptée au genre nouveau de vie qu'ils ont embrassé. Leur existence peut sans doute 548 NOURRITURE INSUFFISANTE, EXCLUSIVE , ALTÉRÉE. être abrégée par les austérités volontaires auxquelles ils se condamnent (1 ) , mais, encore une fois, nous ne voyons pas précisément dans ce mode de vivre aucun élément de dégénérescence ultérieure . Les hommes qui se résignent à cette vie austère sont d'une bonne constitution physique; et ni les maladies antérieures, ni les infirmités corporelles, ne sont un empêchement à l'exécution parfaite de la régle qu'ils se sont imposée. La nourriture des Chartreux est , j'en conviens, peu riche en éléments réparateurs (2) ; elle serait insuffisante ( 1) Je n'ai pas cru devoir faire entrer dans ce tableau la description de toutes les austérités auxquelles se condamnent certainos sectes religieuses dans les Indes . L'histoire de ces fanatiques rentre dans les éludes spéciales sur l'aliénation mentale, et j'en ai parlé dans mes Eludes cliniques. On se tromperait toutefois, si l'on voulait conclure de quelques fails isolés à l'in fluence da régime des Chartreux sur la longévité . M. le docteur Bertin m'assure que les sexagénaires, septuagénaires et même les octogénaires se rencontrent assez fréquemment chez les Chartreux. Le même médecin m'af firme avoir eu à soigner un Prieur de l'ordre, condamné il y a dix - huit ans, comme.phthisique et qui aujourd'hui se porte parfaitement. (2) Malgré celle circonstance en apparence si défavorable, nous voyons que les maladies des Charlreux sont loin d'avoir un caractère asthénique, el qu'ils sont obligés de recourir assez souvent à la saignée ; celle circonstance me suggère une réflexion dont'mes lecteurs sentiront loute la justesse. Mon intention avait d'abord été d’utiliser les travaux des physiologistes modernes, à propos de l'influence qu'exerce la nourriture sur la composition du sang. Un savant moderne, M. le docteur Nasse, a publié un excellent travail sur ce sujet : Ueber den Einfluss der Nahrung auf das Blut ( De l'influence de la nourriture sur le sang) Marburg, 1850. Mais ce que j'ai déjà avancé de l'élal physiologique des Chartreux, el ce que je pourrais citer encore de l'action de la nourriture sur d'autres agglomérations d'individus vivant sous ' une loi commune, me démontre que dans les questions de ce genre, il faut 'faire la part de ce que "Ehreuberg appelle l'Activité de la vie organique invisible (Das unsichtbar wirkende organische Leben ). Comment se fail- il, par exemple, que des individus soumis à une nourriture peu réparatrice, et EFFETS DE L'ABSTINENCE DANS LES ORDRES RELIGIEUX . 549 pour la plupart de nous, au milieu de nos agitations so ciales et de l'activité que nous avons à déployer dans les lultes de l'existence , pour nous soutenir nous et les nötres . Mais que l'on compare cette hygiène avec celle des popu lations agricoles de la Lombardie et de la Suéde, dont nous avons déjà parlé, et nous verrons que les causes dé génératrices ne peuvent atteindre des hommes préservés par des conditions de l'ordre physique et de l'ordre moral , que nous ne retrouvons pas , il s'en faut, au sein des classes malheureuses. La nourriture des Chartreux est peu abondante, mais elle est saine et se distribue avec la régularité et la certitude qui excluent, d'une part, les inconvénients de ces transitions brusques d'un état d'abon dance à un état de privation absolue, et qui empêchent, de l'autre , l'influence si terrible des peines dévorantes de l'esprit sur la constitution physique de l'homme. Au reste, les motifs de notre certitude, sous ce rapport, ne reposent pas sur de simples idées théoriques , et les travaux des statisticiens modernes nous ont complétement édifié sur les résultats funestes que les années de disette exercent, non seulement sur la génération qui en est la victime , mais ne contenant que de faibles proportions de principes azotés, comme cela se voit dans l'alimentation des habitants de la campagne, comment se fait-il, dis - je, que ces individus transportés lout à coup dans un milieu ou la nourriture est saine , abondante, éminemment réparatrice, ne peuvent , dans le principe, s'adapter à ce régime nouveau ? Les jeunes filles surtout, comme j'en ai va de nombreux exemples dans les maisons religieuses et dans nos asiles, deviennent chloro - anémiques , et elles éprouvent des troubles spé ciaux du côté des fonctions menstruelles. J'ai particulièrement eu l'occa sion d'observer ce fail chez de jeunes infirmières qui nous arrivaient de la campagne avec une santé florissante, et qui , une fois soumises au régime de la vie en commun, éprouvaient des troubles dans les fonctions menstruelles, et devenaient chlorotiques. 350 NOURRITURE INSUFFISANTE, EXCLUSIVE, ALTÉRÉE. encore sur celle qui reçoit le jour dans l'intercurrence de ces grandes calamités qui affligent, à des époques plus ou moins régulières, l'espèce humaine. Il n'est point, en éco nomie politique, de principe sur lequel les auteurs soient plus d'accord, dit M. Benoiston de Châteauneuf dans une notice sur l'Intensité de la fécondité en Europe, que celui qui établit que la population des états se proportionne toujours à la force de leurs produits . C'est en vertu de cette loi , qui souffre bien peu d'exceptions, qu'on n'ob serve pas de naissances nombreuses chez un peuple pau vre et opprimé, c'est-à-dire, manquant d'agriculture, d'in dustrie et de liberté. Bien loin de là , les populations esclaves s'affaiblissent au lieu de s'accroitre ; c'est un fait remarquable qu'à Saint-Domingue , en 1788 , trois ma riages ne donnaient que deux enfants parmi les noirs , tandis que chaque union en donnait trois parmi les blancs. L'extrême misère de la population , l'absence des choses les plus indispensables à la conservation de la vie , amènent dans les années calamiteuses les mêmes résultats déplo rables . Non - seulement la population générale diminue par suite du moins grand nombre de mariages , mais la mor talité , comme l'ont remarqué MM. Benoiston de Chateau neuf et Villermė, atteint dans des proportions bien plus considérables la classe pauvre que la classe riche ( 1 ) . La ( 1 ) Les recherches des statisticiens modernes ont non-seulement tendu à rectifier une foule d'erreurs qui avaient cours sur les causes de diminution dans la fécondité des peuples, mais ont encore amené à mieux apprécier les faits nouveaux . Il en est résulté, dans les lendances administratives, une impulsion meilleure dans l'intérêt des soins préventifs à prendre pour di minuer les effets désastreux des années de diselle. C'est ainsi qu'on allribuail généralement à la classe des pêcheurs une rare fécondité dans leurs mariages, et l'on pensait que la canse en était due au phosphore contenu en plus grande quantité dans la nourritare des INFLUENCE DES ANNÉES DE FAMINE SUR LA POPULATION . 551 funeste influence des années 1816 et 1817 , dit M. Que telet, se trouve inscrite dans les résultats généraux des peoples ichthyophages. Mais dans son mémoire sur l'Intensité de la fécon dilé en Europe, M. Benoiston de Châteauneuf démontre que le fait allégué était au moins très -douleux. Il se trouva, d'après les recherches de ce sa vant, que les arrondissements maritimes de la France, habités par les pè cheurs, donnaient à peu près exactement la même fécondité dans les ma riages que le reste du royaume. M. Villermé a fait observer qu'à l'époque de la révolution française, quand on venail de supprimer la dime, les impôls sur le sel , les redevances féodales, les maîtrises et les jurandes, le nombre des naissances augmenta , pour diminuer plus tard. C'est qu'aussi à la même époque, les petits ouvriers, les cultivateurs , les prolétaires, en un mot, qui formaient incontestablement la majorité de la nation , se trou vèrent lout à coup dans une aisance inaccoutumée qu'ils célébraient par des fèles, par des repas, et conséquemment par une meilleure nourriture . Jusqu'à quel point maintenant, d'après M. Villermé, le carème ainsi qu'on l'observe, et surlout ainsi qu'on le pratiquait autrefois, diminue- t -il le nombre des conceptions, pendant qu'il dure ? Celle question, il faut bien l'avoner, a été résolue différemment selon les sympathies ou les antipathies que faisait naitre la natare de l'institution . En admettant même que le carême, ainsi que le grand noinbre des corporations religieuses aient diminué le nombre des conceptions, je doule que l'on puisse en inférer des déductions qui se rapporteraient à la dégé nérescence dans l'espèce. Il nous serait facile de prouver, l'histoire en main , que les populations de celle époquc, y compris celle qui tenait immédiate ment à l'ordre des choses détruites en 1789, étaient plus robustes que celles qui existent aujourd'hui. Je n'en veux pour preuves que les grandes choses accomplies par les armées républicaines, au commencement de notre ré volution . Elles sopportèrent alors des privations que nos troupes actaelles, malgré leur valeur bien connue, seraient hors d'état d'endurer. Cela tient à des modifications générales dans l'organisme des peuples, sur lesquelles nous aurons occasion de revenir. L'institution du carème a son côté moral qui rentre, plus qu'on ne le croit, dans l'hygiène des peuples. Aujourd'hui , le carême est non -seule ment l'état permanent de beaucoup de classes de la société, mais les con ditions débilitantes amenées par la privation, l'insuffisance et la mauvaise 552 NOURRITURE INSUFFISANTE, EXCLUSIVE, ALTÉRÉE . décès pour toute la Belgique , aussi bien que dans les résultats particuliers de la mortalité pour les hospices des enfants trouvés et pour les dépôts de mendicité. Cette mortalité atteignit en effet des proportions effrayantes, non-seulement dans les institutions publiques de charité, où les individus arrivaient déjà épuisés par leurs priva tions antérieures, mais elle décima encore les populations agricoles. Ces résultats désastreux, ainsi que le fait ju dicieusement ressortir M. Quetelet , se continuent dans les années suivantes, et l'observation que nous avons pu faire nous- mêmes, dans des circonstances analogues, nous a appris que les enfants, qui naissent dans ces conditions, sont non-seulement moins viables, mais qu'ils ont le germe de dégénérescences , dont la manifestation ultérieure se traduit sous la forme d'affections scrofuleuses et rachi tiques . qualité des aliments , sont encore augmentées par les excès alcooliques, par la falsification des boissons, et par la diffusion plus grande, au sein de nos populations agricoles, des maladies syphilitiques concentrées jadis dans le sein des villes . Encore une fois, il est fâcheux que la plapart de ces grandes questions n'aient été souvent traitées qu'au point de vue de l'élément pas sionnel. Il n'a pas lenu, par exemple, à certains statisticiens du temps de l'empire, de nous faire accroire, qu'à celle époque, la population française loin de diminuer ne faisait qu'augmenter. Il y a longtemps que dans la Bibliothèque universelle de Genève, M. d'Ivernois a réfuté une assertion aussi étrange. Il ne faut pas être bien savant en statistique pour comprendre que dans les circonstances, où non-seulement l'industrie et l'agriculture sont en souffrance, mais où la fleur de la population est moissonnée sur les champs de bataille, celle - ci loin d'augmenter perde encore sa vigueur, par la raison bien simple, que les membres exemples du service militaire par fai blesse ou par infirmités corporelles, sont en grande partie chargés du soin de la propagation de l'espèce. 583 S II . Influence dégénérative d'une nourriture exclusive . A celle question de l'insuffisance de la nourriture s'en rattache une autre qui , dans les circonstances où nous vivons, se présente avec un intérêt d'actualité incontesta ble ; je veux parler de l'influence exercée par une nour riture exclusive . La pomme de terre qui a rendu de si incontestables services à nos populations, était connue en Europe depuis la découverte de l'Amérique ( 1 ) ; mais ce n'est qu'après les années de disette de 1770 à 1772 , que sa culture se généralisa en Allemagne , et les années désas treuses de 1816 et 1817 amenèrent les mêmes consé ( 1 ) La pomme de terre , inconnue au Mexique du temps de la conquéte, aiosi que l'a prouvé M. de Humboldt, étail cultivée au Pérou . Pierre Mar tyr, Cieca , Lopez , en font mention dès l'année 1553. Il est probable, dit M. F. Heusinger, qu'elle fut introduite de bonne heure en Espagne, où elle est encore connue sous le nom péruvien de Papas ou Patatas. Elle fut transportée plus tard en Italie , et de la dans les Pays- Bas où elle était désignée sous le nom italien de Tarlouffoli. Le célèbre botaniste Baubin å Bâle, publia en 1596, dans son Phytopinax , une figure de ce lubercule qu'il désigna sous le nom de Solanum tuberosum . Depuis cette époque le Solanum tuberosum fut cultivé dans les jardins en Allemagne, en Italie et en Angleterre. En 1613 les pommes de terre sont mentionnées dans un registre de dépense de la reine Anne ; mais ce n'est qu'en 1684 qu'elles furent cultivées , d'après ce que dit Philipps, dans les terres du Lancashire . ( Philipps : History of cullivated vegetables.) Ce n'est que dans le commencement du XVIIIe siècle, que leur culture s'étendit dans les différentes provinces de l'Allemagne, et lorsque Parmen tier prit, de 1770 à 1780, l'initiative qui lui fait tant d'honneur , la pomme de terre était déjà cultivée en Suède, dans le Palatinat, en Saxe, en Silésie , et même, ainsi qu'il ressort des recherches de F. Heusinger, en Alsace, en Lorraine el dans le Lyonnais . Celle plaole u'a jamais été la base de la nourriture en Espagne , et encore moins en Italie. 9 554 NOURRITURE INSUFFISANTE , EXCLUSIVE, ALTÉRÉE. quences pour la France. Il est incontestable que la pomme de terre a rendu d'immenses services aux populations européennes, et qu'elle a augmenté la base de la nour riture générale, en permettant d'élever one plus grande quantité de bétail . Il en résulte que les famines qui , à des époques périodiques, désolaient le monde, ont été moins à craindre ; mais cette considération importante n'Ole rien à la valeur de l'opinion des économistes modernes, qui pensent, avec juste raison, que la nourriture exclusive au moyen de la pomme de terre , a exercé une influence des plus funestes sur la santé générale des populations européennes. Les reproches adressés à la pomme de terre portent sur une double appréciation , dont la pre mière interesse plus particulièrement les progrès de l'a griculture, et dont la deuxième se renferme plus spéciale ment dans la question hygiénique ; je ne m'occuperai que de cette dernière question. Il serait d'un grand intérêt, dit le physiologiste allemand Berchtold, de rechercher, tant au point de vue physiolo gique , qu'au point de vue psychologique, les métamor. phoses opérées dans la santé intellectuelle et physique d'un peuple qui, se nourrissant d'abord de céréales, les a rem placées par un aliment qui est loin de présenter les mêmes principes nutritifs. Le même physiologiste fait intervenir ensuite dans cette question d'influence, la transformation de la pomme de terre en alcool ; mais c'est une question complexe sur laquelle nous n'avons plus å revenir. Le savant médecin suédois Magnus Huss est compléte ment d'avis que l'alimentation exclusive par la pomme de terre, doit entrer, pour une large part, dans la manifesta tion des maladies endémiques des populations scandinaves; et il va même jusqu'à se féliciter que la maladie de ce ALIMENTATION PAR LA POMME DE TERRE . 555 tubercule ait forcé les habitants à revenir à la culture des plantes alimentaires que l'on avait par trop abandonnées. L'analyse des principes alimentaires contenus dans la pomme de terre semble devoir dominer la question qui nous occupe ; toutefois, nous ferons remarquer que la quantité relative des principes que contiennent les pommes de terre , diffère considérablement d'après les variétés cultivées , et même d'après l'engrais , le climat et le sol dans lequel on les cultive (1 ) . Et d'un autre coté, comme ( 1 ) Je ne puis me disper de donner ici, d'après les analyses les plus récentes, la quantité relative des principes contenus dans la pomme de terre. Je publie celle analyse sous la responsabilité de M. F. Heusinger. 1. Eau : Quantité variable entre .... 60 et 80 p . 100 2. Principes amylacés : Quantités variant entre .. 5 el 30 p . 100 d'après les espèces de pommes terre , et les an nées . Le terme moyen généralement accepté est de .. 15 p . 100 En comparant les analyses on est tenté de croire que les pommes de terre crues dans les pays chauds contiennent plus de principes amylacés, et que la plante dégénère plus facilement dans les pays froids et humides. 3. Mucilage : A peu près ... 4. Asparagine .. 1 p. 100 5. Silicates, phosphates, citrates de fer. Manganium, aluminium et chlorure de calcium : A peu près 5 6. Albumine 1 à 1,8 p . 100 7. Extractif et pigmentum .. 1 à 4 p . 100 8. Gomme et tanin ..... des traces . 9. Solanum : Quantilé non encore déterminée et paraissant être en rapport avec les pommes de terre malades. 10. Un principe åcre : qui n'a pu encore être séparé du Solanum . 11. Graisse : Une très -petite quantité . Enfin une résine aromatique el cristallisable trouvée par MM. Vauquelin , John et Jasnüger, en très- petite quantité et différente suivant les variétés . $ p. 100 p. 100

556 NOURRITURE INSUFFISANTE , EXCLUSIVE , ALTÉRÉE . nous l'avons déjà fait ressortir pour le maïs, l'influence funeste exercée par une céréale doit être aussi examinée au point de vue de sa qualité et des excés qu'en font les consommateurs , lorsque cette céréale devient la base exclusive de l'alimentation . D'aprés l'analyse que nous avons donnée, on voit que les principes amylacés entrent pour une très -petite quantité dans la composition de la pomme de terre, et que ces principes ne s'y retrouvent pas en plus grande quantité, peut- être , que dans le foin et dans la paille , et même dans beauconp d'autres racines qui servent à l'alimentation de l'homme et à celle des animaux. La pomme de terre, ainsi que le pense M. Heu singer , pourra donc bien suppléer å la formation des principes carbonacés, de la graisse, du lait, et agir sur les fonctions de la peau, des poumons et du foie ; mais elle ne pourra jamais réparer les pertes de l'organisme animal en principes azotés, ni servir à la formation des organes Slbumineux et fibrineux. On observe, en effet, que la pomme de terre engraisse bien les animaux , mais elle ne produit pas de viande et ne répare pas leurs forces ; elle est loin dans tous les cas de pouvoir remplacer d'une manière absolue les céréales. Ajoutons encore que si les principes contenus dans ce tubercule n'ont pas une action malfaisante, il ne parait pas en être de même des prin cipes renfermés dans l'épiderme, et la chimie n'a pas encore dit son dernier mot à ce sujet (1 ) . 7 (1 ) Les principes malfaisants, auxquels nous faisons allusion , se retrouvent principalement sous l'épiderme da tubercule; à ce qu'affirme F. Heusinger. La Solanine, poison des plus actifs, a été trouvée dans les pelores des tu bercules murs et sains, par MM. Baup , Willing, Ollo . La graisse ou l'huile qui paraît entrer surtout dans la composition de l'eau - de - vie de pomme de lerre , a été découverte par Stickel , Becker, Michaëlis et Henry. MM. Vi borg , Pfaff, Krügelstein ont démontré l'existence d'un principe åcre cu ALIMENTATION PAR LA POMME DE TERRE . 557 Les opinions peuvent varier sur la plus ou moins grande quantité de ces principes malfaisants, dans leurs rapports avec la qualité de la pomme de terre, son espèce, le sol dans lequel on la cultive , et surtout les maladies qui , dans ces derniers temps, ont envahi ce précieux tubercule ; mais il n'en reste pas moins démontré , par les recherches de tous les physiologistes modernes, que l'usage exclusif de la pomme de terre est une cause active de dégénéres cence dans l'espèce. On a généralement constaté l'affai blissement du système musculaire, ainsi que l'état chlo roanémique des peuples qui ne se nourrissent que de pommes de terre, et les principes qui nous ont guide dans la formation des dégénérescences transmises par l'hérédité , nous dispensent d'entrer dans de grands détails sur les con ditions dégénératives que doivent offrir les enfants. En vain , un auteur anglais, M. Kilgour, a-t- il voulu défendre volatil qui fait naitre souvent une sensation de picotement dans le nez et le gosier des personnes qui pèlent ce lubercole ; ce même principe rougit aussi la peau des mains chez les individus délicats. Il paraît que ces mêmes principes contenus dans l'eau qui a servi à la cuisson des pommes de terre ont , dans certaines circonstances, amené des empoisonnements et déterminé la mort. M. Dubamel a rapporté un cas de ce genre , et M. de Candolle (Essai sur les propriétés médicinales des plantes, 1804, p. 83) rapporte que Le monier a vu une pauvre famille empoisonnée par des pommes de terre qu'on avait fail cuire dans de l'eau qui avait , plusieurs fois déjà, servi au mème usage. Celte eau était chargée de tout l'extractif qu'elle pouvait dis soudre, et au bout de quelques jours, les nouvelles pommes de lerre cuites ne pouvaient plus s'en dépouiller. Ce sont aussi , d'après Pelletier et Pellelan (Journal de Chimie médicale, t . I , p. 76 et 81 ) , les mêmes principcs qui entrent dans l'eau- de- vie de pommes de terre, el rendent , d'après quelques chimistes, son usage si malfaisant pour l'homme. ( On pourra consulter l'ouvrage déjà cité de F. Heusinger, t . I , p . 812) , et voir aussi ce que j'ai dil , à la page 91 dn Traité des dégénérescences, des effets physiologiques de celle huile empyreumatiqne sur les animaux . 558 NOURRITURE INSUFFISANTE , EXCLUSIVE , ALTÉRÉE . la pomme de terre contre l'accusation que faisait naitre l'alimentation exclusive des Irlandais au moyen de ce tu bercule, il n'a pas moins été démontré, qu'avant les ma ladies de cette plante qui ont forcé les Irlandais de modifier le mode de leur culture , la pomme de terre entrait pour les quatre cinquièmes dans l'alimentation du peuple de ce pays. Le même abus d'une alimentation exclusive a influé , d'une manière funeste , sur la constitution des montagnards des Vosges, ainsi que j'ai pu le constater par moi - même . Si l'on voulait maintenant citer comme preuve du contraire, qu'en Ecosse, où les hommes sont remarquables par leur force, les mêmes faits de dégéné rescence n'ont pas été signalés , il serait facile de répondre , avec les chiffres statistiques consignés dans le dernier rapport sanitaire publié sur ce pays , que les pauvres en Ecosse mangent bien plus de viande que les indigents en France ou en Allemagne. Les faits que je viens de citer sont irrécusables , et s'il existe quelque dissentiment entre les observateurs, c'est surtout à propos des maladies spéciales que peut faire naitre l'abus de l'alimentation par la pomme de terre . Serait - il vrai , par exemple , que l'augmentation des af fections scrofuleuses et du rachitisme , doive être attribuée à ce tubercule ? Haller, Kortum , Weber , Neumann , notre savant professeur M. Serres , Magnus Huss et d'autres médecins , semblent ètre de cet avis . On a cité comme un fait curieux , que les indigènes de la Nouvelle -Zélande ne connaissaient pas les maladies scrofuleuses avant la dé couverte , et qu'ils en ont été cruellement tourmentés après l'introduction en leur pays de la pomme de terre et du maïs (1 ) . 11 ( 1 ) Swaison . Climate of new Zealand , p . 63. Dieffenbach . Travels in new Zealand , t . II , p . 20 . AUGMENTATION DE LA SCROFULE ET DU RACHITISME. 559 M. le docteur Zokalski affirme de son côté (Archives de Physiologie, IV, p. 374), que la culture de la pomme de terre qui s'est répandue des frontières de l'Allemagne dans l'intérieur de la Pologne , a contribué à repousser la plique des bords de la mer Baltique; mais que d'un autre coté les scrofules sont devenues beaucoup plus fréquentes. D'après cet auteur on pourrait même croire que les scro fules ont remplacé la plique . Je pense avec F. Heusinger que Haller, Tostelmann et Weber surtout, dans son Traité des affections scrofuleuses, vont trop loin en attribuant, pour ainsi dire, exclusivement à la pomme de terre, la cause du rachitisme. La question des scrofules qui vient ici se rattacher, incidemment, à celle de l'alimentation exclusive par la pomme de terre, est complexe ; les quel ques considérations qui suivent vont l'établir. Avant l'introduction des pommes de terre à la Nouvelle Zélande, les insulaires étaient épargnés par les maladies scrofuleuses, c'est possible ; mais il est à remarquer que concurremment avec cette culture nouvelle, ils connurent la variole, la syphilis, et ils apprirent des Européens å user avec excès des liqueurs alcooliques. Il faudrait pour que la pomme de terre fût la cause exclusive des scrofules et du rachitisme, que ces affections éminemment com plexes, et que l'on a retrouvées, à très -peu d'exeptions près, sur tous les points du globe, quoique à des degrés bien différents, aient été inconnues avant la culture de cette plante ; or, il n'en est rien . L'auteur anglais Glisson rapporte que le rachitisme, dont il fait remonter l'appa rilion en Angleterre à l'année 1620 (date fort probléma tique) , est devenu une affection très-fréquente dans ce même pays, dès l'année 1660 ; mais à cette époque la culture des pommes de terre était loin d'être générale, et ce tubercule n'apparaissait que comme une exception très rare sur la table des riches . 560 NOURRITURE INSUFFISANTE , EXCLUSIVE, ALTÉRÉE. Que la diathèse scrofuleuse dont on retrouve d'ailleurs le principe dans la classe riche aussi bien que dans la classe pauvre, ait reçu un développement plus actif sous l'influence de la pomme de terre, cela peut s'admettre sans difficulté; que les autres maladies régnantes d'un pays déterminé , aient subi , sous cette même influence , des transformations à caractère dégénératif de plus en plus marqué, ceci est encore parfaitement admissible, et rentre complétement d'ailleurs dans la théorie que j'ai émise antérieurement (1 ) ; mais il ne serait pas juste de conclure à la solidarité absolue que l'usage plus ou moins exclusif de la pomme de terre établirait entre les affections scro fuleuses et le rachitisme. M. Magnus Huss, cet observa leur si consciencieux, est bien loin, il est vraiz de rejeter d'une manière complète la croyance populaire en Suède, d'une coïncidence entre l'introduction de la culture de la pomme de terre en ce pays, et la récrudescence de la scrofule ( 2) , mais il a soin de faire ressortir que cette ( 1 ) Voir dans cet ouvrage, p . 52, les idées exposées dans le paragraphe : De la dégénérescence qui résulle d'une affection morbide antérieure, ou d'un tempėranment maladif. ( 2) M. Magous Huss fait aussi mention d'une autre croyance pareillement répandue dans le penple, ct qui allribuerait à la vaccination une influence marquée sur le dévoloppement plus considérable des affections scrofuleuses. Je n'ai pas cra opportun d'intervenir dans une question qui a soulevé des débals aussi irritants dans quelques journaux ,el malgré ce qu'en dit M. Verdé Delisle, dont je cite l'ouvrage dans mon Répertoire bibliographique, je ne pense pas qu'aucun théoricien soit en droil, dans l'état actuel du débal, d'attribuer à la vaccine une part, si minime qu'elle soit , dans les causes de dégénérescences dans l'espèce humaine. Voici au resle ce que dit un mé decin étranger, M. le docteur Schleisner, sur les relations qui existeraient entre l'introduction de la vaccine, et la propagation plus grande des affee tions scrofuleuses. En Islande la vaccine a été généralement appliquée, et le pays offre une immunité spéciale contre les affections scrofuleuses. AUGMENTATION DE LA SCROFULE ET DU RACHITISME . 561 cause n'est pas la seule qui agisse dans la production de celte maladie essentiellement dégénéralive . L'influence des logements insalubres, certains états professionnels mal sains, le froid, l'humidité et beaucoup d'autres causes encore, concourent au développement d'une affection qui s'attaque à la constitution entière, et qui est dans des re lations si intimes avec la syphilis et les maladies tubercu leuses des poumons. Encore une fois, M. Magnus Huss admet, avec quelques restrictions sans doute, l'influence funeste exercée sur la production de la scrofule, par l'ali mentation exclusive au moyen de la pomme de terre, et il Les scrofules en Islande se présentent comme une exception très - rare, et M. Schleisner ne trouva celle affection que dans un canton à constitu lion géologique du Spath d'Islande. Admettrons- nous avec ce médecin que la grande quantité de substances oléagineuses qui entrent dans la nourriture de ce peuple , le foie de morue entre aulres, les préserve de cette maladie ? En nous ralliant à celle opinion , nous ne faisons qu'élre conséquents avec les idées thérapeutiques régnantes. Une autre théorie domine encore la ma nière de voir de M. Schleisner, c'est celle de la transformation de la syphi lis en scrofule. Etant donnée, dit-il , une syphilis tertiaire, il est indubilable qu'à la 2e ou ze génération, on verra apparaitre les scrofules chez les des cendants . Or, dit-il , la non existence de la syphilis en Islande, suffirait à elle seule pour expliquer l'absence des affections scrofuleuses. Quoi qu'il en soit, MM. les docteurs Manicas el Panum ont également constaté la rareté des affections scrofuleuses aux iles Ferroë. Je puis ajouter à ces fails le résultat de ma propre observation. La vaccination est aussi répandue dans les départements qui constituaient la Lorraine, que dans ceux qui formaient l'ancienne Normandie ; or, il m'a été affirmé, et j'ai eu de nombreuses occasions de vérifier le fait par moi-même, que les tempéramenis lympha tiques, la scrofule el le rachitisme sont bien plus fréquents en Normandie qu'en Lorraine . Tout nous porte à croire que les affections scrofuleuses sont indépendantes de la vaccine. Je tiens de M. le docteur Peiret, directeur de la prison de Bicêtre à Rouen , qu'il a souvent constaté l'invasion de la scrofule la plas grave chez des prisonniers, qui à leur entrée de présentaient aucune trace de celle affection . 1 36 562 NOURRITURE INSUFFISANTE , EXCLUSIVE OU ALTÉRÉE . s'appuie même, pour étayer cette opinion , sur une com munication importante qui lui a été faite par un savant dis tingué de Suède, M. le comte Trolle Vachtmeister. Je ne puis mieux faire que de donner la traduction fidèle de ce document, qui nous instruit sur la transformation que su birent les habitants d'une province de la Suède , après l'abstention forcée de la pomme de terre par suite de la maladie qui fit disparaitre ce tubercule. « La population de la province, dit M. Trolle Vachtmeis ter, ne mangeait autrefois du pain et des légumes que dans des proportions insignifiantes, et sa principale nourriture consistait en pommes de terre . Mais il est arrivé que, depuis quatre années , les pauvres habitants de la contrée sont privés de ce mode d'alimentation . La maladie de la pomme de terre les a forcés å se rejeter sur le pain et sur les lé gumes, mais on conçoit que l'exiguité de leurs ressources ait placé ces malheureux dans des situations bien per plexes, et qu'il leur ait été impossible de se procurer une nourriture assez abondante pour soutenir leurs forces . Il est donc arrivé que les souffrances endurées par ces pauvres gens ont été énormes, et cependant il est bon de constater un fait remarqué surtout chez les enfants ( 1 ) . Ce fait le voici dans sa simplicité. » Al'époque où ces enfants se nourrissaient exclusivement de pommes de terre, on observait qu'ils étaient bouffis, (1 ) Ce fait est intéressant à noter, au double point de vue de la physio logie et de l'hygiène. J'ai eu de nombreuses occasions d'observer que lors qu'un individu adulte en arrive, par suite d'une cause dégénératrice, à un état général de marasme, il y a bien peu de chances de régénérer sa constita tion , au moyen d'une bonne nourriture . On dirait que l'assimilation ne peut plus s'opérer dans des circonstances pareilles ; et j'ai continuellement vu succomber les individus qui en élaient réduits à cel état déplorable. Chez les jeunes enfants, au contraire , il y a loule probabilité qu'avec une nourriture AUGMENTATION DE LA SCROFULE ET DU RACHITISME. 563 pâles, et qu'ils avaient le gros venlre . Lorsqu'ils furent for cément sevrés de ce tubercule dont ils se bourraient litté ralement, ils ressentirent plus vivement, il est vrai , les atteintes de la faim , mais aussi un changement des plus heureux s'opéra dans toute leur constitution . Leurs visages bouffis et páles s'allongèrent , un incarnat plus vif colora les joues de ces petits êtres maladifs, et l'air de stupeur qui leur était habituel fit place à l'animation et à la gaité qui sont les caractères distinctifs de l'enfance . » Telles sont les réflexions que je tenais à émettre sur l'in suffisance de la nourriture dans ses rapports avec les dégé nérescences dans l'espèce. Nous pouvons conclure sans hésiter que les causes dégénératives sont bien plus puis santes lorsque la nourriture est non-seulement insuffisante, mais qu'elle est encore altérée . Ce que j'ai dit du seigle ergoté et du maïs nous indique la portée de ces éludes que nous avons circonscrites à dessein dans le fait patho logique individuel . Nous allons leur donner un intérêt plus général en émettant quelques considérations sur la manière dont il est nécessaire de comprendre la formation des dé générescences dans l'espèce . Ce sera le meilleur moyen d'initiation à ce qu'il est nécessaire d'entreprendre dans l'intérêt de l'hygiène et du traitement . et une hygiène convenables, on puisse, dans un grand nombre de cas , empè cher la dégénérescence ultérieure, dont , pour une cause ou pour une aulre , ils sont menacés. Nous avons eu l'occasion de faire ressortir ailleurs ce fait en parlant de l'influence heureuse exercée par le changement d'air et d'hygiène, sur les enfants atteints de diathèse crélineuse . Dans les contrées sujettes à cette triste dégénérescence, il n'est pas rare de voir les enfants prédisposés au crétinisme, éprouver un temps d'arrêt dans leur croissance et une sorte d'hébétude dans leurs fonctions intellectuelles. Une nouvelle hygiène physique et morale, le changement de milieu , sont seuls capables de prévenir les conséquences de la diathèse crétineuse . 564 HÉRÉDITÉ . LOI DE LA DOUBLE FÉCONDATION S III . Manière de comprendre l'hérédité dans les dégénérescences . Tout ce que j'ai dit antérieurement dans le cours de cel ouvrage , à propos de l'influence exercée par l'altération ou l'insuffisance des substances alimentaires sur la santé de l'individu (1 ) , a préparé l'esprit du lecteur à la manière dont il est juste de comprendre la dégénérescence dans l'espèce . J'ai eu maintes occasions de faire ressortir les circonstances malheureuses qui pesaient sur les enfants issus dans les conditions pathologiques que créent aux pa. rents l'intoxication des substances alimentaires, l'insuffi sance de la nourriture, et toutes les influences pernicieuses de l'ordre physique et de l'ordre moral que développent les causes dégénératrices mentionnées sous le nom de causes mixles. En étudiant les variétés maladives dont la dégénéres cence provenait de l'intoxication alcoolique chez les pa rents , nous avons pu voir que c'était à la première époque de développement de la vie fætale qu'il fallait faire remon ter l'évolution d'un mal qui , pour ne pas être toujours bien apparent au moment de la naissance, ne s'en révélait pas moins ultérieurement dans la jeunesse ou l'âge adulte, et souvent même dans la première enfance, avec des carac tères irréfragables. Ces caractères se répètent avec une telle constance et une telle uniformité , ils se trouvent dans des relations si intimes avec les causes dégénératrices, ( 1 ) Voir dans cet ouvrage les paragraphes suivants : 1 ° Dégénérescences par intoxication . Céréales altérées ( Ergotisme, Verderame), p. 290 à 305. 2º Influence d'une alimentation exclusive. Gastrite chronique en Suède, p . 306 à 313. DANS LE SENS DU MAL PHYSIQUE ET DU MAL MORAL . 565 qu'il nous a été possible de fixer aux tristes victimes de l'intoxication alcoolique, ainsi que de la dépravation mo rale des parents, la place qui leur convenait dans la hiérar chie des êtres dégénérés. Sans doute, pour comprendre la formation et l'évolution du principe dégénérateur dans ses rapports avec l'influence héréditaire, il est juste de donner au mot hérédité une acception plus large que celle qu'on lui assigue ordinairement. Nous n'entendons pas exclusivement par hérédité la ma ladie même des parents transmise à l'enfant, dans son dé veloppement et avec l'identité des symptômes de l'ordre physique etde l'ordre moral observés chez les ascendants ; nous comprenons sous le mot hérédité, la transmission des dispositions organiques des parents aux enfants . Il n'est pas nécessaire, encore une fois, pour démontrer l'existence de celte transmission , que la maladie des parents soit iden tiquement reproduite chez les enfants : il suffit que ces der niers soient doués d'une prédisposition organique malhcureuse qui devienne le point de départ de transformations patholo giques dont l'enchainement et la dépendance réciproque pro duisent de nouvelles entités maladives, soit de l'ordre physique, soil de l'ordre moral, et parfois des deux ordres réunis . Les médecins aliénistes ont de plus fréquentes occasions que d'autres, peut-être, d'observer cette transmission héré ditaire des dispositions organiques, ainsi que les trans formations diverses qui se montrent chez les descendants . Ils savent qu'un simple état névropathique des parents peut créer chez les enfants une disposition organique qui se résume dans la manie et la mélancolie, affections ner veuses qui , à leur tour, peuvent faire naitre des états dégé nératifs plus graves, et se résumer dans l'idiotie ou l'imbé cillité de ceux qui forment les derniers anneaux de la chaine des transmissions héréditaires. J'ai constamment observé, 566 HÉRÉDITÉ. LOI DE LA DOUBLE FÉCONDATION pour ma part, que les enfants d'un père ou d'une mère aliénés présentaient, dès l'âge le plus tendre, des anomalies du côté des fonctions nerveuses qui étaient les signes les plus certains d'une dégénérescence ultérieure, lorsque rien n'était fait pour combattre un danger aussi redoutable . Le péril est bien plus imminent, et pour ainsi dire inévitable, lorsque l'hérédité est double. Les dispositions organiques maladives se trouvent dans ce dernier cas tellement reliées aux conditions les plus intimes de la vie fætale, que les premières manifestations intellectuelles ou morales des en fants démontrent la gravité du mal dont ils sont atteints . Je n'ai trouvé d'autre nom pour désigner des situations pareilles que celui de manie instinctive. Cette désignation me parait exprimer mieux que d'autres cet état spécial de dégénérescence qui se traduit au dehors, bien moins peut être par la systématisation d'un délire particulier, que par la perversité précoce et complète des tendances, et par ce cachet de dégradation extérieure qui révèle assez aux yeux des observateurs la triste origine de ces malheureux, et l'état souvent irremediable de leur position. Est - il possible maintenant, en dehors des renseignements qui nous éclairent sur la position des parents, de rattacher l'état dégénératif des enfants aux causes qui l'ont déter miné ? En d'autres termes : étant donué un ensemble de phénomènes maladifs de l'ordre physique et de l'ordre moral, tels , par exemple , que des arrêts de développement et la perversité des tendances ou la faiblesse des facultés intellectuelles, est- on en droit de conclure à la prédomi nance de telle cause plutôt que de telle autre dans l'évo lution de la dégénérescence ? L'état actuel de nos con naissances sur la formation des êtres dégénérés nous permettrait difficilement d'arriver à un résultat absolu en fait de diagnostic et de certitude à propos de classification . DANS LE SENS DU MAL PHYSIQUE ET DU MAL MORAL . 567 D'un autre coté, l'intercurrence des causes mixtes, ainsi que je l'ai longuement démontré, imprime à la cause prin cipale un mode particulier qui se traduit dans l'espèce par la diversité des produits maladifs. Cependant, l'étude spé ciale que j'ai pu faire des caractères pathologiques de l'ordre physique et de l'ordre moral propres aux variétés dégénérées, m'a conduit à entrevoir l'existence de lois fixes et irréfragables, qui non-seulement président à la forma tion des variétés maladives, mais constituent chez ces mêmes variétés tel caractère distinctif plutôt que tel autre. Une loi que je crois ne pas souffrir d'exception, est celle qui place dans une situation bien plus périlleuse les enfants de ceux qui , d'une part, ont hérité de dispositions organiques mauvaises au point de vue physiologique, et qui, de l'autre , sont nés sous l'influence funeste des condi tions immorales ou vicieuses de leurs parents . C'est, si l'on veut , la loi de la double fécondation dans le sens du mal physique et du mal moral. J'ai constamment observé que les enfants qui naissaient dans ces conditions portaient le double cachet de leur origine. L'intoxication alcoolique chez les parents , pour citer un exemple de nous bien connu, est une de ces causes de dégénérescence qui ren trent dans la loi de la double fécondation dans le sens du mal physique et du mal moral. La raison en est facile à concevoir, lorsqu'on sait que le fait de l'ivrognerie des parents se rattache aux nombreuses conditions dégéné ratrices de l'espèce que créent la misère, l'immoralité , et l'absence pour les enfants de tout enseignement fécondant. J'ai retrouvé les tristes victimes de l'intoxication alcoo lique des parents dans leurs milieux de prédilection , les asiles d'aliénés et les maisons de détention ( 1 ) . J'ai con ( 1 ) J'ai pu me convaipcre en visitant les maisons de détention pour les 568 HÉRÉDITÉ . DĖGÉNÉRESCENCE CONGÉNIALE stamment observé chez eux ces dévialions du type normal de l'humanité qui se révélaient à l'observation, non -seule ment par les arrels de développement et les anomalies dans la constitution , mais encore par ces dispositions vi cieuses de l'ordre intellectuel qui semblent tenir à l'organi. sation intime de ces malheureux , et qui sont l'indice de leur double fécondation dans le sens du mal physique et du mal moral. Les conditions dégénératives qui sont le résultat de l'in suffisance ou de l'altération des substances alimentaires, se produisent dans des circonstances différentes, et quoique les dégénérescences qui en dérivent ne soient pas sou straites à l'intercurrence des causes mixtes, il n'est pas inutile d'insister sur le role que joue l'hérédité dans ce der nier cas. « Le peuple triste et affaissé des pellagreux, de même que les populations fébricitantes des pays વેà marais, engendre, dit M. le docteur Th. Roussel , une progéniture cacochyme et dégradée physiquement dans le sein maternel, générations condamnées à devenir après la naissance la proie des ma ladies, et en qui les germes de tous les maux physiques jeunes détenus au - dessous de 18 ans , que la loi que j'établis trouvait ses plus certaines et ses plus tristes applications. Les éludes que j'ai commen cées, sous ce rapport, sont continuées par moi , sur une plus vaste échelle , dans la capitale de l'ancienne Normandie. Les observations que j'ai pu faire dans des maisons de détention qui renſerment une énorme population de jeunes délenus, m'a donné la preuve que la loi de la double fécondation dans le sens du mal physique et du mal moral, souffre bien peu d'excep Lions . J'ai trouvé l'hérédité dans le crime chez de jeunes détenus dont l'arrêt de développement physique, la vicieuse conformation de la tèle ne révélaient que trop l'origine. J'ai été saisi d'un profond sentiment de tristesse en pensant que ces ètres déviés du type normal de l'humanité, étaient destinés un jour à propager la dégénérescence dont ils sont alteiots . à PAR ALTÉRATION DES SUBSTANCES ALIMENTAIRES. 569 . trouvent pour se développer une terrc merveilleusement pré parée . Aussi voit-on les maladies qui pèsent sur certaines familles et sur certaines classes d'hommes, s'étendre et s'aggraver de génération en génération. C'est là l'histoire de l'abatardissement des races , du dépérissement de l'homme et de la dépopulation de certaines contrées . « Immenses questions, ajoute M. le docteur Tb. Roussel, des plus belles qui puissent s'offrir aux méditations des hommes voués au soulagement de leurs semblables ; car il est tou jours difficile de guérir les maladies, tandis que l'hygiène publique et privée offre des moyens efficaces pour en pré venir un grand nombre (Th. Roussel , de la Pellagre, p.251 ) . » Ainsi donc, d'après les auteurs qui se sont le plus spé cialement occupés de la question , la cacochymie et l'état de dégradation physique sont les tristes attributs de ceux qui naissent de parents pellagreux . Ils portent en eux le germe de tous les maux physiques ; et si l'on se rappelle ce que nous avons dit à propos de l'insuffisance et de l'exclusivisme de la nourriture , on ne sera plus étonné que les éléments dégénérateurs dans l'espèce, se présentent plutôt avec le caractère distinctif d'affections scrofuleuses et de rachi lisme , qu'avec le caractère propre à toute autre cause dé génératrice, à l'alcoolisme par exemple, où la fécondation dans le double sens du mal physique et du mal moral est bien plus évidente. Il est bien certain maintenant que dans les idées théoriques qui nous guident, ces affections sont à leur tour le point de départ de dégénérescences ulté rieures, soit de l'ordre moral, soit de l'ordre physique. Il est hors de doute que l'intercurrence des causes mixtes trouve dans la population dégénérée, à la suite de l'insuffi sance ou de l'altération de la nourriture, des éléments propres à former de nouvelles variétés maladives dans l'espèce ;; mais il n'en est pas moins bien établi par nous 570 HÉRÉDITÉ . DÉGÉNÉRESCENCE CONGÉNIALE que la première génération , issue dans ces conditions mal heureuses, se présente à l'observation avec tous les carac tères de l'ordre physique et de l'ordre moral que produit la misère, et que les types qui en proviennent diffèreront de ceux qui , dans la vie fætale, ont été fécondés dans le double sens du mal physique et du mal moral . L'étiolement de la race , la faiblesse de l'intelligence, l'aptitude à contracter les mêmes maladies que les ascen dants , sont les caractères distinctifs d'une dégénérescence fomentée par l'invasion de l'état scrofuleux, et par les con ditions dangereuses d'asthénie qu'imprime aux maladies or dinaires l'appauvrissement général de la constitution . Nous ne serons donc plus étonné de voir que dans un pays ou règnent autant de causes dégénératrices qu'en Suède, les observateurs signalent des maladies nouvelles en appa rence, mais qui ne sont que la transformation , sous une forme plus grave, soit des affections ordinaires, soit des tempéraments maladifs ( 1 ) . La scrofule devenue mainte nant si fréquente en ce pays , la gastrite chronique et la chlorose qui ont revêtu un cachet endémique, les fièvres paludéennes qui prennent souvent un caractère pernicieux, les affections si nombreuses et si variées de la peau , qui rappellent le souvenir d'anciennes maladies endémiques que l'on croyait éteintes , n'ont plus lieu d'étonner les mé decins qui étudient les maladies au point de vue des causes qui font dégénérer l'espèce humaine. Je n'ai certes aucune raison de contredire les observa. tions de Strambio, Calderini et autres médecins qui veulent que la pellagre, maladie essentiellement héréditaire, ne se ( 1 ) Voir ce que j'ai dit dans cet ouvrage, sur la dégénérescence qui ré sulle d'un affection morbide antérieure, ou d'un temperament maladif, p . 32 à 37, PAR ALTÉRATION DES SUBSTANCES ALIMENTAIRES. 571 propage que par la transmission d'un germe pellagreux des parents aux enfants ( 1 ) . Je tiens seulement à démontrer que la pellagre , maladie éminemment dégénératrice aussi , s'attaque , à l'instar des affections chroniques provenant de l'altération des substances alimentaires, aux conditions les plus intimes de la propagation normale de l'espèce . Les faits rapportés par ces observateurs démontrent que la pel. lagre tend à se perpétuer, à s'étendre et à s'aggraver dans les familles qu'elle a envahies , ceci est incontestable ; mais ce qui ne l'est pas moins, c'est que des affections d'une nature déterminée , comme la pellagre, l'ergolisme gangreneux du convulsif, les diarrhées dyssentériques pro venant de la consommation de pommes de terre malades , n'ont pas besoin de se présenter sous la même forme chez les descendants pour constituer des affections dégénéra lives . Il nous suffit de savoir que la continuité des causes qui fomentent ces maladies , amène inévitablement des transformations de plus en plus graves, et que l'improduc tivité dans la race, et finalement son anéantissement, sont les derniers degrés de la dégénérescence due à l'insuffisance ou å l'altération des substances alimentaires . Ce sujet à une à ( 1 ) Les observations des docteurs Ghiolli et Longhi confirment pleine ment la transmission héréditaire de la pellagre : c'est ainsi que sur un total de 184 familles offrant des individus atleints de pellagre héréditaire, et se composant de 1,319 membres, ces médecins ont trouvé 671 individus sains et 648 pellagreux . Je me demande maintenant si , malgré ce germe héréditaire, ces enfants soustrails au milieu où ils habitaient et placés dans des conditions meil leures , auraient contracté la pellagre ? Je suis tenté de répondre par la né galive, persuadé que je suis qu'il ne suffit pas seulement d'avoir le germe d'une maladie pour que celle - ci se produise sous la même forme que celle qui a frappé les parents, mais qu'il est nécessaire qu'elle se développe dans le même milieu et dans les mêmes conditions . 572 PATHOLOGIE COMPARÉE. importance telle, dans les circonstances où nous vivons ( 1 ) , qu'au risque de revenir sur des considérations déjà émises, je tiens à rapprocher dans un tableau très-abrégé les in convénients de l'altération des substances alimentaires qui entrent dans la consommation des peuples Européens. S IV. Considérations sur les principales maladies produites chez l'homme et chez les animaux par l'insuffisance et l'altération des substances alimentaires . Indications curatives. Nous ne reviendrons pas sur les faits par lesquels nous avons suffisamment établi que la pellagre et l'ergotisme gangreneux étaient dus, dans le premier cas, à l'action d'une plante exotique qui n'arrivait pas toujours dans nos contrées au degré voulu de maturité , qui subissait des altéra tions spéciales ou devenait la base trop exclusive de la nourriture, au maïs ; et dans le second à des maladies par riculières du seigle et d'autres céréales . Nous avons été en droit de ranger les affections aiguës ou chroniques qui atteignaient les individus soumis à l'usage de ces substances viciées , dans la classe des dégénérescences par intoxication. En citant quelques faits nouveaux à l'appui de ce que nous avons dit, nous pensons atteindre un double but : ( 1 ) On lit dans le Journal de médecine de Bordeaux, à la date du 22 juillet 1836 : la pellagre devient chaque jour de plus en plas endémique dans certaines parties du département de la Gironde :'aujourd'hui elle enva hit un grand nombre de communes, en particulier celles de Lourtins, Car cans, Lacanais, Sainte-Hélène, Saumes, le Porge et plusieurs autres de l'arrondissement de Pazas. M. le Préfet de la Gironde a confié à M. le doc leur Henri Giolrac la mission de voir ces diverses localités, afin d'y consta ter le degré de fréquence et de gravité de la pellagre, ci de rechercher les moyens d'en arrèler le développement. DÉGÉNÉRESCENCE CHEZ L'HOMME ET CHEZ LES ANIMAUX . 573 démontrer premièrement que dans tous les pays du monde, et sous toutes les latitudes où l'on fait usage d'une nourri ture exclusive, il se développe des maladies qui , pour être différentes parfois dans leurs manifestations extérieures, n'en doivent pas moins être attribuées à la même cause . Les inconvénients d'une nourriture exclusive sont bien mieux démontrés encore, lorsque la plante qui fait la base de l'alimentation est altérée ou malade. Deuxièmement, nous pensons que la généralisation de ces faits est le meilleur moyen d'arriver aux indications curatives qui sont , en dernier résultat , le coté véritablement pratique de ces études . Un fait important, cité par M. Vallenzasca, est de nature å prouver le double but que nous espérons atteindre par ces recherches. Cet auteur rapporte que la pellagre n'existe plus dans les Alpes de Bellano, localité où elle fut obser vée pour la première fois par Odoardi, en 1776. Cette maladie a disparu depuis que l'on a généralement cultivé les pommes de terre, et que ce tubercule est devenu la base de la nourriture des pauvres, au lieu du maïs qui la formait auparavant. Dans son ouvrage sur les maladies du Brésil , M. Sigaud attribue au maïs la cause de la chlorose ou de l'hypoëmie intertropicale ; il dit que les esclaves noirs qui , dans les habitations au-delà de la Serra dos orgaos, s'alimentent exclusivement de maïs, sont très- sujets à la maladie. Or, les premiers symptômes qui se révèlent à l'observation sont, d'après M. le docteur Jubins, la paleur de la face et du corps ; la peau devient jaune, transparente et parfois verdalre . Les Noirs qui en sont attaques perdent leur couleur et deviennent blafards. Plusieurs médecins au Brésil ac cusent aussi le maïs d'être la cause d'une espèce de lépre tuberculeuse ( Sigaud , Maladies du Brésil, p . 315 et 382). 574 PATHOLOGIE COMPARÉE . Dans la Tierra Calienle des pentes occidentales de la Cordilière du Mexique , les médecins ont, d'après F. Heu singer, signalé une maladie appelée la Pinta, qui n'est autre que la Carate des parties chaudes et montagneuses de la Bolivie . De singulières décolorations de la partie de couverte du corps, du visage, du cou, des mains et des pieds, caractérisent cette affection qui débute invariablement par le trouble des voies digestives. Dans les deux pays que nous venons de citer, le maïs forme la nourriture presque exclu sive des habitants, et cette plante, d'après le témoignage de M. Roullin , que nous allons invoquer dans un instant, y est souvent malade . M. d'Orbigny parle de la même affection qu'il a observée chez les Américains indigènes de la Bolivie, et les détails dans lesquels il entre s'accordent avec ceux d'autres voya geurs et médecins qui ont traité le même sujet. En décri vant les caractères des Américains appartenant au rameau Antisien , M. d'Orbigny s'exprime en ces termes dans son ouvrage de l'homme américain : « Un autre caractère qui , parait néanmoins avoir pour cause quelque maladie cu , tanée, ainsi que nous avons pu le reconnaitre, mais qui » n'en est pas moins général parmi les individus de ce » rameau, c'est d'avoir la figure et tout le corps couvert ► de larges taches plus pales, ce qui les rend comme tapi » rés. » ( L'Homme américain, t . 1 , p . 344. ) Le maïs est à peu près l'unique culture de ces peuples, qui babitent les gorges profondes et sombres des pentes orientales des Andes . La maladie ne se retrouve plus sur les bauts plateaux ; elle est au reste connue depuis très longtemps en ce pays, et quelques auteurs pensent que les Yuracares en tirent leur nom ( Yurac) blanc, et ( Kari) homme, dans la langue des Incas. Dieffenbach est pareille ment d'avis que le maïs, introduit dans la nouvelle Zélande, y a contracté des maladies qui l'ont rendu malsain . DÉGÉNÉRESCENCE CHEZ L'HOMME ET CHEZ LES ANIMAUX . 575 Enfin, dans un sujet qui intéresse aussi vivement les populations italiennes , espagnoles, ainsi que les habitants de beaucoup de départements français, je ne puis m'em pêcher de rapporter les faits signalés par M. Roullin, dans le Journal de Chimie médicale, 1re série 1829, t . V, p. 608. Pendant son séjour en Amérique, l'auteur a eu l'occasion d'observer l'ergot sur une céréale qui , d'après lui , n'aurait jamais été attaquée en Europe, sur le maïs, et l'on sait que dans toutes les parties chaudes de la Colombie, cette cé réale entre pour beaucoup dans la nourriture du peuple. Les symptômes de la maladie observée par M. Roullin, ressemblaient jusqu'à un certain point à ceux que produit le seigle ergoté, mais sous d'autres rapports, ils en diffé raient complétement. Cet ergot se présente toujours sous la forme d'un pelit tubercule d'une à deux lignes de diamètre, et de trois à quatre de longueur. Ce n'est point comme dans le seigle un allongement de tout le grain, mais un petit cône entė sur une sphère représentant une poire ; sa couleur est livide, son odeur n'a rien de remarquable..... Quelquefois plusieurs plantations voisines sont attaquées en même temps par l'ergot ; mais il est rare que la maladie enva bisse tout un canton . On donne au grain ainsi altéré le nom de maïs peladero , c'est-à- dire, qui a causé la pelade. Il fait en effet tomber les cheveux des hommes qui en mangent, et c'est un accident remarquable dans un pays où la calvitie est presque in connue, même chez les vieillards . Quelquefois aussi , il cause l'ébranlement et la chute des dents ; mais il ne pro duit jamais les affections convulsives de l'ergot, avec ou sans gangrène des membres. Parmi les animaux domes tiques, les porcs ont d'abord quelque répugnance pour le mais peladero, cependant ils finissent par le rechercher avec 576 PATHOLOGIE COMPARÉE . avidité, mais après qu'ils en ont mangé pendant quel ques jours, leur poil commence à tomber... Plus tard on remarque de la gêne dans les mouvements du train de der rière, et le système musculaire semble s'atrophier . L'animal finit par maigrir, et si on le tue dans cet état et qu'on mange sa chair, il n'en résulte aucun effet nuisible . Les mules mangent très-bien aussi le maïs peladero, mais son usage leur fait tomber le poil et amène l'engorgement des pieds ... Les poules qui se nourrissent de maïs ma lade, pondent assez fréquemment des eufs sans coquille. M. Roullin croit que dans ce cas l'ergot est la cause d'une sorte d'avortement; en un mot, qu'il excite dansles organes destinés à l'expulsion de l'euf des contractions qui chas sent ce produit, avant qu'il ait eu le temps de se revêtir de son enveloppe calcaire . Dans les champs de maïs atteints de l'ergot , il n'est pas rare de voir des singes et des perroquets tomber comme ivres , et sans pouvoir jamais se relever. Des chiens indi gènes et des cerfs qui vont la nuit manger du mais, éprouvent le même sort .. Il ne parait pas au reste que l'ergot du maïs soit une maladie très-répandue ; on ne la connait pas au Pérou, au Mexique, ni dans les républiques du centre. Le docteur Roullin n'a jamais appris qu'elle existat hors des provinces de Neyba et de Mariquita. Dans ces provinces, on ne l'observe que dans les parties chaudes, quoique d'ailleurs le maïs, d'après le savant que j'ai cité , prospère dans les pays constamment froids. Cette dernière observation indiquerait que la cause de l'altération du maïs en Europe n'est pas exclusivement, ainsi que l'ont voulu quelques auteurs, le transport de cette plante exotique en des climats où elle ne peut attein dre le degré voulu de maturité. Il est évident pour nous que sous toutes les lalitudes où elle a été cultivée, cette DÉGÉNÉRESCENCE CHEZ L'HOMME ET CHEZ LES ANIMAUX . 577

céréale a contracté des maladies spéciales selon les con trées , et la preuve en est dans la diversité des phéno mènes pathologiques qu'elle fait naitre chez ceux qui en font usage dans les conditions toxiques que nous avons décrites . Je tiens à fixer l'attention du lecteur sur cette dernière considération, dont l'importance, au point de vue des indi cations proph; lactiques et hygiéniques, va etre démontrée dans un instant. Bien loin de vouloir, à l'instar de quelques médecins , proscrire d'une manière absolue l'usage du maïs, Je démontrerai que des modifications apportées dans la culture de cette céréale, si riche en principes nutritifs, ainsi que dans la manière de la consommer, suffiraient pour prévenir les accidents formidables qui sont la consé quence de trois causes bien évidentes : 1 ° Altération de la plante ; 2º mauvaise manière de la préparer, au point de vue alimentaire ; 3º exclusion d'autres céréales qui devraient entrer dans la nourriture des populations qui, aujourd'hui, ne man gent presque que le maïs sous ses diverses formes de prépara tion . Ajoutons encore que si les maladies de certaines cé réales étaient une cause de proscription absolue, il faudrait interdire, au même titre, l'usage du riz et des pommes de terre . Le riz (oryza sativa) qui fournit dans les Indes à la con sommation de plusieurs centaines de millions d'individus, est une plante qui peut aussi devenir nuisible à l'homme, non-seulement'en raison des maladies dont celte précieuse céréale est assez souvent atteinte , mais à cause de la ma nière dont se pratique sa culture . Le riz est , comme on le sait , une plante des marais, et pour la faire réussir, il est indispensable de la placer dans des conditions de culture qui offrent tous les inconvénients des marais artificiels. On relient l'eau des fleuves, et l'on élablit des puits forés qui 37 578 MALADIES DU RIZ ET DE LA POMME DE TERRE. alimentent les bassins d'irrigation ( fontanili). On sėme le riz dans la boue , et l'on inonde la rizière. Lorsque la vé gélation commence à poindre, on met la plante à sec pour lui donner plus de force, et la garantir contre les mol lusques et les insectes aquatiques . Lorsque la boue est séche, et lorsque les animaux nuisibles qui s'attaquent à la plante sont morts ou disparus, on inonde de nouveau le riz jusqu'à ce qu'il commence à jaunir, et on le met alors entièrement à sec jusqu'à la récolte qui se fait en septembre. Le riz est sujet à diverses maladies qui ne sont pas encore très-bien connues, malgré les nombreux ouvrages qui en traitent . La maladie figurée par M. Sandri dans son traité (Sulla causa del carolo del riso , Verona 1838) , a beau coup d'analogie avec la rouille des blés. Des uredo couvrent les tiges , les feuilles et les grains, qui souvent avortent. Les plantes commencent à jaunir, et la maladie qui apparait d'abord sur quelques tiges infeste peu à peu les autres. Les plus anciens livres des Hindous énumérent les mala dies auxquelles le riz est sujet, et ces maladies sont si nombreuses et se trouvent dans des relations si intimes avec les affections cholériques, qu'un auteur anglais, M. Tytler, a émis l'opinion, évidemment insoutenable, que le choléra dans les Indes ne reconnaissait pas d'autre cause que le riz malade. Ce qui est certain , c'est que les céréales alté rées amènent des dyssenteries qui aident éminemment à développer le choléra , lorsque l'invasion de cette épidémie coïncide avec les circonstances malheureuses que crée à la santé publique une alimentation insuffisante ou viciée. Nous en avons eu un exemple récent dans la terrible épidé mie de choléra en 1855. En cette même année, les pommes de terre, dans les contrées que j'habitais , élaient restées comme atrophiées, et les observations des médecins ont prouvé que la consommation qui se faisait de ce tubercule malade, amenait de nombreuses affections diarrhéiques. INFLUENCE SUR L'ÉCONOMIE . 579 La qualité très-variable du riz dans les Indes, selon qu'on le récolte dans la saison froide ( février), ou après les grandes pluies de l'été , produit aussi des maladies diffé . rentes . Le riz récolté dans ces dernières conditions est sou vent aussi nuisible que celui qu'on a cultivé dans des ma rais trop profonds pour pouvoir le dessécher. Il acquiert dans ces eaux stagnantes et empoisonnées des propriétés délétères, à la suite d'une maladie qui a beaucoup d'ana logie avec l'ergot du seigle. Chaque année , dit F. Heusin ger, il meurt une quantité de monde au Bengale d'une maladie que l'on nomme Alantha (sus el sous) ou mupet ( bouche et ventre) . Les ravages exercés par celle affection furent terribles en 1817, année exceptionnelle dans le monde entier, et les symptomes observés avaient beaucoup d'analogie avec ceux que développe l'usage des blés rouil lés ou cariés . Enfin, si nous sommes parvenu à prouver que l'alimenta tion exclusive par la pomme de terre était déjà par elle même une cause d'appauvrissement du sang , l'origine d'affections aiguës el chroniques, et conséquemment de dégénérescence dans l'espèce humaine ; il est à plus forte raison logique de supposer que les pommes de terre qui , par suite de maladie ( et les maladies de cette plante sont nom breuses) ( 1 ) , n'arrivent pas à une maturité suffisante ou sont altérées , deviennent pour ceux qui s'en nourrissent un aliment des plus nuisibles . ( 1 ) Dans ses Recherches de pathologie comparée, tome jer , page $ 19, F. Heusinger cite un grand nombre de maladies propres à la pomme de à terre, je ne mentionnerai que les principales . Le MiInt ou blanc Meünier , la rouille des feuilles et les moisissures (Botrytis) , s'attaquent principalement aux feuilles et aux liges des pommes de terre. Dans ce cas, le tubercule est presque toujours souffrant. Les maladies les plus importantes des lu bercules sont la gangrène sèche, et la pourrilure telles qu'on les a vues régner épidémiquement depuis 1845 surtout. 580 MALADIES DU RIZ ET DE LA POMME DE TERRE . Les résultats de l'analyse chimique des pommes de terre malades différent encore trop pour que nous puissions en tirer des indications précises ; il paraitrait certain que les parties malades contiennent une plus grande quantité de malières azotées , et que, d'après ce que dit M. Ad. Chatin, l'albumine est modifiée dès le commencement de la ma ladie . La quantité de solanine n'est pas encore assez pré cisée dans les tubercules sains, et il serait prématuré d'en déduire aucune indication spéciale pour ce qui regarde les tubercules malades . Toutefois, il n'est pas nécessaire que nous soyons édifiés complétement sur les quantités relatives de telle ou telle substance délétère contenue dans une céréale altérée, pour juger que son action est désastreuse. Les vétérinaires nous ont déjà depuis longtemps instruits sur une foule d'affec tions qu'ils ont observées chez les animaux dans des occur rences semblables . Chez le cheval , le ventre devient gros et proeminent , la peau se relache et se recouvre d'exanthèmes impéligi neux ; les ganglions lymphatiques se gonflent, les pieds s'infiltrent et les membranes pituitaires sécrètent des mu cosités de mauvaise nature. Le rachitisme des agneaux a été observé dans le cas où les brebis mères reçoivent trop de pommes de terre crues. L'emploi des tubercules à l'état cru , l'usage des tiges et le résidu des distilleries , produisent chez les animaux des diarrhées, des dyssenteries et souvent la mort. On lit dans l'Ami des Sciences du 31 août 1856 , un fait qui se rattache d'une manière trop intime à nos études sur les conséquences dégénératives de l'alimentation insuffi sante ou altérée, pour que nous ne le relations pas ici . M. Ch. Heiser a reconnu que les difformités du système osseux sont très -fréquentes chez les poules que fournissent INFLUENCE SUR L'ÉCONOMIE . 581 au marché de Strasbourg, les cantons où les marécages abondent, et où la pauvreté des paysans fait que les ani maux domestiques ne sont pas convenablement nourris, et ne sont pas en général sainement logés . Ces difformités tiennent à un rachitisme véritable qui, en atteignant un degré assez avancé, se traduit encore à l'ạil par la mai greur de l'oiseau . Les poules contrefaites, comme M. Heiser s'en est assuré, pondent fréquemment des oeufs difformes, eufs dans lesquels, le plus souvent, l'embryon ne se développe pas, ou meurt pendant l'incubation (1 ) . Quand le poulet vient à éclore, il porte déjà en lui les germes du rachitisme qui ne tarde pas à se manifester par la déformation de la charpente osseuse. Les difformités du sternum et de la colonne vertébrale , sont surtout communes chez les poules ; les affections des os longs d'ailleurs ne sont pas rares, elles paraissent plus fréquentes chez les femelles que chez les males . Les cantons qui fournissent aujourd'hui tant de poules rachitiques en donnaient moins à une époque anté rieure. Le haut prix des céréales dans ces dernières années, ayant nécessairement influé d'une manière défavorable sur le régime des oiseaux de basse- cour, n'est peut- être pas étranger à ce résultat , mais la mauvaise disposition des poulaillers doit y avoir contribué pour sa part ( 2) . Quoi (1 ) Je ne puis m'empêcher de fixer l'allention du lecteur sur ce point . Nous aurons occasion de faire ressortir que l'état d'arrêt de développement , et la stérilité, sont les caractères essentiels des êtres arrivés au terme extrême de la dégénérescence ; les crélins et les enfants étiolés par le tra vail trop prolongé dans le milieu mal sain des fabriques, nous en offriront des exemples frappants. Dans le règne végétal, nous voyons des faits sem blables. Depuis longtemps on a fait la remarque que les fleurs des pommes de terre ne produisent plus de semence . Dans beaucoup de cas elles de fleurissent pas, ou si la fleur paraît, elle s'étiole et ne devient pas féconde. (2) La mauvaise disposition des poulaillers , comme l'emménagement 582 INDICATIONS CURATIVES . qu'il en soit , la race parait être , dans les cantons dont il s'agit, en voie d'abátardissement, et il conviendrait de cher. cher à arrêter le mal, non-seulement dans l'intérêt des habitants de la campagne, mais aussi dans l'intérêt des villes dont les marchés reçoivent ces animaux maladifs. Il y a lieu de croire, en effet, que leur chair ne fournit pas une nourriture saine. « Dans deux cas même, dit M. Heiser, où le rachitisme était très- avancé, la chair des poulets a été dédaignée par un chien qui ne manifestait nulle répu gnance pour la chair des oiseaux non malades , Les faits plus nombreux encore que nous pourrions citer , ne seraient pas dans le cas d'augmenter nos convic tions touchant les rapports intimes qui existent entre l'in suffisance ou l'altération des substances alimentaires, et les dégénérescences dans l'espèce humaine. Il nous reste å émettre quelques considérations générales sur les indica tions curatives . Ces considérations suffiront pour faire voir l'esprit qui dominera nos recherches ultérieures dans la deuxième partie de cet ouvrage consacré exclusivement à l'hygiène, à la prophylaxie et au traitement des dégéné rescences dans l'espèce humaine. vicieux des écuries contribuent à développer les maladies spéciales chez les animaux, mais dans le cas précité ces conditions doivent être regardées comme une cause secondaire . Nous en dirons autant de l'influence funeste exercée par les logements insalubres sur le développement du crélinisme. Celle insalubrité aide au développement de la maladie dégénérative, mais elle n'est pas la cause essentielle. Dans mes lellres à Mer l'Archevêque de Cham béry , je me suis longuement étendu sur ce sujet. Je suis loin au reste de rejeter l'insalubrité des logements comme une des causes les plus impor lantes à éludier. Ce que je dirai plus loin de la malaria des grandes villes confirmera ma manière de voir sur ce sujel intéressant, DE L'ETAT AIGU ET DE L'ÉTAT CHRONIQUE . 583 S V. Indications curatives . Considérations générales sur la manière de comprendre la régénération de l'espèce chez les individus victimes des causes intoxicantes . Si nous jetons un coup d'oeil rétrospectif sur les nom breuses variétés maladives qui puisent les éléments de leur dégénérescence dans les diverses causes intoxicantes dont nous avons fait l'histoire , nous verrons que les individus soumis, dans ces cas, aux soins des médecins appartiennent à deux catégories distinctes . La première comprend les malades qui dans la période aiguë de leur affection , sont ordinairement placés dans les établissements que la charité a créés pour soulager les souffrances humaines. La deuxième se compose de la classe plus nombreuse peut- être des mal heureux , qui après avoir parcouru, soit chez eux , soit dans les hospices , le cercle fatal des transformations maladives que nous avons décrites, finissent tristement dans le ma rasme et la cachexie chroniques , non sans avoir légué à leurs descendants le germe de la dégénérescence dont ils étaient atteints . On peut affirmer que, depuis un demi- siècle surtout, la science et le dévouement des médecins n'ont pas fait dé faut à la cause de l'humanité . Le zėle des administrations a pourvu de son côté à ce que les malheureuses victimes , à divers degrés, des causes intoxicantes fussent reçues dans les hospices , où les soins les mieux entendus leur ont été prodigués . Cette partie du traitement forme la thérapeu tique spéciale de ces affections, et les détails que comporle son histoire ne nous permettent pas d'aborder ce sujet dans la première partie de cet ouvrage. En vain la critique s'est- elle exercée dans le sens des contradictions médicales à l'endroit du traitement dirigé à 584 INDICATIONS CURATIVES. diverses époques contre les maladies qui nous occupent. Il est facile de démontrer que ces contradictions sont plus apparentes que réelles, et que les erreurs que je suis loin de vouloir justifier, proviennent en grande partie de l'état peu avancé de la science. On a pu , j'en conviens , exagérer l'emploi des purgatifs et toutes les applications de la mé thode antiphlogistique ; mais lorsqu'on eut mieux compris l'action exercée sur l'économie par le plomb, l'alcool , les céréales altérées, et les nombreux agents intoxicants qui s'attaquent à la santé générale ; lorsqu'on a pu se con vaincre que le marasme et l'épuisement qui forment les caractères principaux des affections nerveuses, dominaient la situation de ces malheureux malades, on est revenu à des errements meilleurs . La saignée n'est plus devenue qu'une exception , et si nous voulions faire le relevé des abus qui ont été commis sous ce rapport, nous n'aurions qu'à citer la méthode qui a longtemps été en vogue dans le traitement des maladies mentales . La généralité des mé decins comprend aujourd'hui, et comprendra mieux encore un jour, que cette affection éminemment dégénérative ne doit plus être considérée, dans beaucoup de circonstances, que comme la phase terminative d'une foule de phéno mènes pathologiques préexistants qui s'engendrent, se com mandent successivement et s'irradient dans beaucoup de cas jusque dans l'existence des ascendants . Le délire, l'a gitation , la fureur, et tous ces symptomes alarmants que l'on croyait devoir combattre autrefois par des saignées répétées, sont mieux appréciés aujourd'hui dans la ma nière dont ils se produisent. On est généralement convenu que les toniques et tous les éléments régénérateurs de l'ordre physique et de l'ordre moral , que l'on trouve dans les milieux destinés à soulager cette infortune, sont les meilleurs moyens d'amener la guérison, si tant est que les DE L'ÉTAT AIGU ET DE L'ÉTAT CHRONIQUE. 585 malades, comme cela n'arrive que trop souvent, n'aient pas été isolés à l'asile dans un état de démence et de paralysie, en d'autres termes, dans la dernière période de leur état dégénératif. L'application d'un bon traitement hygiénique et répara teur dans les maladies dégénératives , ne fut jamais si bien justifiée que lorsque les médecins italiens , abandon nant les anciennes méthodes de traitement, entrèrent réso lument dans la voie indiquée par Frappolli , Fanzago, Ramazzini et autres praticiens, qui crurent, avec juste raison , devoir réagir contre les saignées exagérées qui faisaient la base du traitement de la pellagre . Frappolli avait déjà remarqué, d'après ce que dit M. Th. Roussel , que la saignée était promplement suivie d'un symptôme à peu près inconnu à cette époque de la maladie , le délire. Fanzago, de son côté, s'éleva vivement contre l'abus des émissions sanguines dont Ramazzini avait dès longtemps signalé les facheux effets sur la santé des villageois ; il regardait les saignées exagérées , non seulement comme une prédisposition à la maladie, mais encore comme une cause d'aggravation, lorsque le mal était déclaré ( 1 ) . Nous voyons les mêmes conséquences fatales se reproduire dans les autres affections qui sont dues à l'insuffisance de la nourriture, ou å l'altération des substances alimentaires. ( 1 ) Il n'y a pas lieu de s'étonner que les médecins italiens aient allaché une si grande importance au traitement de la pellagre, lorsqu'on connaît les ravages épouvantables causés par celle affection . La progression toujours croissante de ce mal a porté M. le docteur Calderini , à publier la statistique des pellagreux traités au seul hôpital de Milan, de 1832 à 1842. Ce chiffre s'élève au total effrayant de 7,023 individus . Encore ne représenle - t - il qu’one fraction restreinte des malades traités dans les hospices du royaume Lombardo-Vénitien . 586 INDICATIONS CURATIVES. La voie meilleure dans laquelle entrèrent les médecins, à dater du commencement de ce siècle, était destinée à ouvrir une ère nouvelle dans l'intérêt des moyens préven tifs ; la possibilité de combattre les causes d'aussi graves maladies commença , dès lors, à ne plus être regardée comme un problème insoluble . L'observation avait prouvé en effet que, grâce aux seuls soins de l'hygiène et de l'isole. ment, les pellagreux , ainsi que les victimes de l'insulti sance de la nourriture ou de l'altération des céréales, re venaient à des conditions de santé qui permettaient leur retour dans la société, et ce résultat favorable atteignait même les ètres dégradés qui puisent dans les excés alcoo liques les éléments de leur dégénérescence. Mais une triste expérience avait également appris aux médecins, que les malades guéris ne tardaient pas à récidiver, lorsqu'ils se trouvaient exposés aux mêmes causes intoxicantes, ou lorsque la passion pour les alcooliques élait passée à l'élat de tendance irrésistible. La récidive amenait invariable ment, ainsi que nous l'avons vu dans la description des diverses maladies par empoisonnement, des conditions pa thologiques de plus en plus désastreuses. En présence d'une situation pareille , les médecins diri gèrent tous leurs efforts vers les moyens de prévenir les causes de certaines maladies dont les ravages ne s'exer çaient plus dans un cercle restreint, mais revêtaient un caractère endémique excessivement dangereux pour les intérêts de la société. Cette ère nouvelle fut remarquable par le concours réciproque que se prêtérent toutes les di verses spécialités dans l'art de guérir, afin d'arriver à ce résultat si digne de nos efforts : prévenir les maladies qu'il est souvent impossible de guérir, vu que leurs causes s'exerçant tantôt d'une manière permanente, et tantôt d'une manière périodique, n'en constituent pas moins un immense danger pour l'avenir de l'humanité. ACTION SPÉCIALE DE LA MÉDECINE . 587 Ce fut, encore une fois, un spectacle digne de l'admira tion des hommes, que celui du zèle, du dévouement et de la profonde abnégation que déployérent les médecins dans la recherche et l'application des moyens préventifs. Tan dis que l'immense impulsion donnée à toutes les branches de l'industrie et du commerce frappait comme de vertige les populations haletantes ; tandis que la soiſ de la fortune, d'une part, et le besoin impérieux de vivre , de l'autre , pré cipitaient tout le monde, maitres, ouvriers et prolétaires dans cette voie exagérée ou tant d'individus ont laissé leur raison et leur santé, les médecins veillaient aux dan gers de la situation , ils la signalaient dans leurs ouvrages , ils étaient à la recherche de tous les moyens capables de combattre les causes des maux qu'ils prévoyaient. Les motifs qui les faisaient agir prenaient exclusivement leur source dans les devoirs de la profession ; leur seule consola tion souvent, en présence de l'ingratitude des hommes, a été la fidélité à cette noble devise qui a inspiré de si grandes choses : Science et Humanité. Heureux encore lorsque le zèle qu'ils déployaient n'était pas pris en mauvaise part, et ne leur attirait pas les persécutions ou les dédains de ceux qui , par leur haute position administrative, auraient dû se faire une gloire de soutenir leurs idées de réformes, d'améliorations et de progrés . Il serait impossible d'énumérer dans un cadre aussi res treint , tout ce qui a été tenté dans le sens des perfection nements que j'indique . Les sciences naturelles , la chimie , la physique, la physiologie, prêtèrent également leur con cours à la médecine pour élucider toutes les questions qui avaient trait à l'influence des professions nuisibles. Les savants étudièrent d'une manière spéciale l'action des poi sons végétaux et minéraux ; leurs observations s'élabo rèrent au milieu de grandes accumulations d'ouvriers qui

588 INDICATIONS CURATIVES, vivent dans les fabriques et dans les centres ou se meut l'activité industrielle des hommes. Pour ne citer que la pé. riode de temps qui sépare la publication du Traité des mala dies des artisans par Ramazzini, et celle du Tableau de l'état physique et moral des ouvriers, par M. le docteur Villermé, on se ferait difficilement une idée des recherches qui ont été entreprises dans cet intervalle de temps. Ces recher ches, nous pouvons le dire, au grand honneur de la méde cine, ont imprimé un tel progrès à la science de l'hygiène, que son influence se fait sentir de plus en plus dans les différentes couches sociales, qu'elle a même été assez puis sante pour modifier certaines dispositions législatives dans les pays Européens, et en amener de nouvelles éminem ment favorables pour combattre l'action des causes dégé. nératrices dans l'espèce humaine ( 1 ) . Ajoutons encore que celte tendance progressive pour les améliorations est au jourd'hui si profondément dessinée , que l'assertion sui vante que nous avons déjà eu l'occasion de faire ressortir n'a pas lieu de nous étonner. « L'histoire des maladies et surtout des épidémies, dit F. Heusinger, doit élre basée sur l'histoire de l'ayriculture et de l'industrie chez les peuples. ) & ( 1 ) Ce serait une souveraine injustice de notre part, si , dans ce tablean des efforts lentés pour combattre tant de causes de dégénérescence, et améliorer en définitive l'espèce humaine, nous omettions de dire qu'es dehors des médecins, beaucoup de savants étrangers à la médecine, des éco nomistes distingués, de zélés philanthropes, de simples ouvriers même ool dirigé leurs efforts dans le sens des améliorations que j'indique, et qui ſeront l'objet de nos recherches dans la deuxième partie de cet ouvrage. Comme preuve de celle dernière assertion , je citerai en passant l'inventioo de Jacquard, qui devint le point de départ d'une révolution complète dans une industrie, que jusque-là on pouvait , à juste raison , regarder comme une des causes les plus actives de dégénérescence parmi la population ouvrière de Lyon . DU TRAITEMENT DE L'ALCOOLISME CHRONIQUE . 589 Quelques considérations sur ce sujet nous meltront sur la voie des indications curatives pour ce qui regarde les deux causes les plus actives peut- être de dégénérescences dans l'espèce humaine : l'alcoolisme chronique et l'insuffisance, ainsi que l'altération des céréales les plus indispensables à la nourrilure de l'homme. Lorsque les médecins suédois eurent élucidé la ques tion des causes dégénératrices qui amènent la décadence du peuple scandinave, et qu'ils eurent prouvé que c'était principalement à l'usage excessif des alcooliques,qu'il fal lait faire remonter l'origine des tristes maladies physiques et morales que nous avons décrites, et qui sévissent d'une manière endémique en ce pays, il s'agissait de trouver un remède å tant de maux. Etablir des sociétés de tempé ránce, à l'instar de ce qui avait si bien réussi aux Etats Unis ( 1 ) , faire intervenir l'action du gouvernement pour proscrire l'alcool ou limiter sévèrement sa production , telles furent les mesures qui les premières s'offrirent à tous les esprits comme une ancre de salut . Mais sans vouloir infirmer la bonne influence de ces moyens, M. le docteur Magnus Huss fit observer qu'il ne serait pas prudent peut être de soumettre le peuple à une transition aussi brusque dans son hygiène , l'eau- de- vie ne devant pas être consi dérée comme la cause unique des maux qui pesaient sur la population . L'insuffisance du régimealimentaire, l'altéra tion des céréales, la nourriture exclusive par les pommes de terre, la privation presque générale de la viande, de vaient aussi entrer en ligne de compte dans les mesures qu'il s'agissait de prendre , pour prévenir tant de causes de dégénérescence dans l'espèce humaine. ( 1 ) Nous venons d'apprendre dans le dernier compte rendu des sociétés de tempérance établies en Suède, que des modifications très - heureuses ont déjà été apportées dans les habilades générales de la nation . 590 INDICATIONS CURATIVES . Sans doute, les excès alcooliques compliquent d'une manière fàcheuse les maladies qui sont le résultat des pri vations et de la misère ; mais comment remplacer une bois son qui , prise dans des proportions modérées, peut agir comme élément tonique et réparateur ? La question posée dans ces termes amenait dans l'esprit du médecin que j'ai cité , une solution qui , pour se ratta cher d'une manière étroite aux intérêts agricoles du pays , n'en demande pas moins l'intervention puissante du gou vernement ou les efforts de l'association , comme cela se voit dans les pays avancés en civilisation, où l'initiative des individus remplace bien plus avantageusement l'action gouvernementale. Si puissante en effet qu'on puisse la sup poser, celte action se trouve paralysée par l'incurie ou l'inertie des populations que la misère a démoralisées. Ce ne sont pas, on le comprend facilement, les pauvres babi tants des campagnes qui , livrés à leurs propres ressources, peuvent modifier d'une manière radicale des cultures dont les premiers frais sont aussi coûteux . Dans le système de M. le docteur Magnus Huss, le seul capable, en effet, d'amener à l'extinction d'une habitude aussi déplorable, il ne s'agit de rien moins que de produire une plus grande quantité de viande ; de revenir à la culture des céréales et des plantes légumineuses abandonnées en faveur de la pomme de terre; de cultiver en grand le houblon, cette plante si précieuse pour confectionner une boisson tonique et réparatrice. La question envisagée sous ce point de vue offre un intérêt considérable ; elle est une des plus belles dont l'by giène puisse s'occuper, non- seulement pour ce qui regarde la Suède, mais la plupart des populations européennes . Les ressources thérapeutiques des médecins dans les hopitaux sont trop restreintes , inapplicables , même au de hors, quand il s'agit de prescrire un régime tonique et DU TRAITEMENT DE L'ALCOOLISME CHRONIQUE. 591 réparateur. Il n'est pas impossible dans un hospice de gué rir les alcoolisés chroniques ; je ne parle pas du delirium tremens et de l'état aigu de la maladie , qui exigent un trai tement spécial , je fais allusion aux tendances dépravées des buveurs d'alcool . On a proposé d'amener chez eux une espèce de répugnance pour leur liqueur favorite, en les saturant de liquides nauséabonds, composés d'un mélange d'eau chaude avec addition d'une certaine quantité d'eau de- vie , d'émétique ou d'ipéca. Mais il est facile de voir que si des remèdes de ce genre peuvent être appliqués dans quelques conditions pathologiques individuelles, il serait ridicule d'en faire la base d'un traitement pour les masses ( 1 ) . C'est d'après d'autres indications que doivent être formulés les éléments régénérateurs capables d'obvier à un mal aussi.profond. Ces éléments ne sont autres que ceux qui peuvent modifier d'une manière radicale l'hy giène physique des peuples, et améliorer les conditions de leur état intellectuel el moral. Les médecins italiens ont bien compris la question , lors qu'il leur a été démontré que la nourriture exclusive par le maïs, l'altération de cette céréale , la manière vicieuse a ( 1 ) Il ne serait pas moins ridicule de chercher à guérir les causes de dé générescences des individus victimes de l'intoxication paludéenne ou de la constitution géologique du sol , en leur prescrivant le sulfale de quinine. Ce spécifique si puissant contre un accès de fièvre intermittente ne serait d'au cune efficacité , on le comprend facilement, contre les conditions dégénéra trices qu'un milieu nuisible crée aux individus qui y vivent d'une manière permanente . Dans les bôpitaux et les hospices, les médecins ont encore la faculté de disposer généralement d'une bonne nourriture , et de vins toniques pour combattre l'état cacheclique en rapport avec les causes dont nous dé crivons les effels ; mais dans sa pratique particulière, le médecin se trouve désarmé devant des populations trop misérables pour se procurer même les médicaments les moins coûleux . 592 INDICATIONS CURATIVES. de la préparer pour la consommation, étaient les causes de l'endémicité pellagreuse. Si quelques- uns ont été trop loin en frappant le maïs d'un espèce d'anathéme qui tendait à en interdire la culture, la généralité a parfaitement compris que cette céréale pouvait être d'un secours puissant dans l'alimentation générale, si elle cessait de devenir la base exclusive de la nourriture, et si les populations redon çaient aux procédés de panification qui rendaient cet ali ment si nuisible à la santé . Les études nouvelles à entre prendre sur les maladies propres au maïs, les changements dans le mode de culture de cette céréale, la préférence à donner å telle espèce plutôt qu'à telle autre, eu égard à la nature du terrain, aux conditions climatériques de tel ou tel pays, étaient ensuite les questions subsidiaires qui de vaient être soigneusement examinées dans l'intérêt de la santé générale. En attendant, il s'agissait de combattre le mal qu'on avait sous les yeux et d'appliquer des moyens énergiques pour empêcher sa propagation . On doit rendre cette justice aux médecins italiens , qu'ils sont entrés dans le vif de la question, et que les appels énergiques qu'ils ont faits au gouvernement autrichien , indiquaient assez la gravité d'un mal arrivé aujourd'hui à un tel degré de nocuité, qu'il ne peut plus être combattu par les seuls efforts individuels. Voici du reste les propres paroles d'un homme qui a étudié ce sujet sous toutes ses faces : « Dans une question d'une aussi haute importance, dit le docteur Balardini, il convient d'appeler sur ce sujet l'at tention des propriétaires et du gouvernement, auxquels il appartient surtout de pourvoir à un meilleur traitement du paysan et à l'amélioration de sa condition physico-écono mique. Qu'ils songent que dans les pays éminemment agri coles, tels que les provinces Vénitiennes, la Lombardie, le Piémont , l'Emilie, toute l'Italie supérieure, une maladie HYGIÈNE ET PROPHYLAXIE DE LA PELLAGRE. 593 qui saisit et paralyse le cultivateur, surtout pendant la sai son des travaux champêtres, altère la source principale de la prospérité nationale. Qu'ils ne perdent point de vue que Ja pellagre étant une maladie qui devient chronique et rend un grand nombre de bras inactifs, ceux-ci finiront par res ter à leur charge ou à la charge des communes, ce qui est à peu près la même chose ; et que cette maladie étant héré ditaire, et se propageant de plus en plus par les mariages, il est hors de doute que si on n'a pas le pouvoir de la détruire, elle se rendra générale avec le progrès du temps , et en lévera à nos cultivateurs toute leur ancienne vigueur ! Puissent-ils avec le pbilanthrope Fanzago se persuader que la condition économique de l'agriculture est, depuis quel que temps, détériorée dans nos pays ; dans les siècles passés, en effet, les familles rustiques possédaient quelques coins de terre et goûtaient un peu le fruit de la propriété. Quant au laboureur ou au métayer, le produit du sol qu'il arro sait de ses sueurs était partagé également entre lui et le propriétaire. Aujourd'hui les choses sont en partie chan gées avec le système des grandes fermes... Le fermier s'interposant entre le propriétaire et le laboureur ( trop souvent hélas ! dans le but de spéculer sur les travaux du pauvre cultivateur) , celui - ci n'est plus considéré que comme une machine araloire ( 1 ) , et le malheureux journalier lou jours en sueur, courbé sous les rayons du soleil pour fécon der une terre qui n'est ingrate que pour lui seul, ne reçoit et ( 1 ) Celle idée a été exprimée avec plus d'énergie encore par Zechinelli : Que l'affreux spectacle de ces maux, dit ce médecin , ouvre enfin les yeux » aux maitres, et puisse les délerminer à considérer au moins les travail » leurs qui labourent leurs champs , comme aulant d'ustensiles indissoluble » ment attuchés et absolument nécessaires à ces champs ! De mêmeque les » maîtres sont désireux de posséder de bons animaux , d'améliorer les races , » de veiller à leur santé ; de même qu'ils ont le plus grand soin de leurs 38 594 TRAITEMENT DES MALADIES CÉRÉALES . pour prix de ses fatigues qu'une faible portion de mais de la dernière qualité... » Quel que soit du reste le système agricole, il faudrait que les propriétaires s'imposassent la charge de pourvoir à une meilleure alimentation de ceux qui dépendent d'eux , afin que ceux- ci se fortifient et se rendent propres aux fatigues; dans ce but, il faudrait aussi qu'ils considérassent scrupu leusement comme un devoir de leur fournir du bon grain en quantité suffisante, et non-seulement du maïs, mais encore du froment ou du seigle, afin qu'il fût possible de préparer de bon pain, de la polenta saine et bien conditionnée ; il faudrait aussi veiller à ce que les paysans pussent se pour voir de nourriture animale. » On voit par ce simple exposé combien les indications curatives sont complexes, lorsqu'il s'agit de combattre les causes de dégénérescence dans l'espèce humaine. Cette manière d'examiner la question justifie aussi complete ment l'assertion que j'émettais dans les considérations générales de cet ouvrage ( p . 78) . Je disais : « la médecine > seule peut bien apprécier la nature des causes qui pro » duisent les dégénérescences dans l'espèce humaine ; å » elle seule appartient l'indication positive des remèdes å > employer. Sa prétention n'est pas de se poser comme , force médicatrice exclusive ; elle convie à celle quvre de > régénération ceux uuxquels sont confiés le bien - être et les » destinées des populations, et qui possèdent les moyens de réa » liser les projets d'amélioration que la science médicale soumet » à leur examen . >> . » charrues et autres ustensiles ruraux , qu'ils veillent donc aussi à la con i servation de l'ustensile humain (ustensile uomo), qui pour leur procurer • aisances et richesses , baigne tous les jours de sneurs et de larmes la terre » sur laquelle il traîne une pitoyable vie, et qui l'eogloulit avant l'heure. * HYGIÈNE ET PROPHYLAXIE DE LA PELLAGRE . 595 Celle intervention du gouvernement a été jugée néces saire par tous les médecins qui ont largement compris la question . En Italie , quelques- uns ont même été plus loin que nous n'oserions aller sous ce rapport, en demandant une de ces mesures dignes des codes mosaïques : l'inter diction du mariage pour ce qui reyarde les pellagreux . Stram bio a le premier, je crois , formulé cette idée qui depuis longtemps déjà était acceptée par ce secret assentiment des masses, qui ne manque jamais de se faire jour avant que la science ait prononcé son dernier mot et que la légis lation se soit modifiée dans le sens d'un nouveau progrès à réaliser . Balardini est revenu plus tard aux avis donnés par Strambio, et il demande que les pellagreux ne soient autorisés à se marier, que lorsque le fiancé aura subi un trai tement et obtenu un certificat du médecin constatant sa guérison . Sans défendre cette proposition d'une manière absolue, M. le docteur Th. Roussel pense que, formulée avec une convenable réserve , elle serait digne d'une sérieuse atten tion : « Elle se rattache, dit ce médecin , à l'une des plus graves questions de l'économie sociale, question à laquelle les législateurs de l'avenir s'arrêteront peut- être, lorsqu'ils s'occuperont plus qu'on ne l'a fait jusqu'ici, de perfection ner l'espèce humaine et d'améliorer ses conditions d'existence . » « La loi naturelle et la loi religieuse, ajoute M. Th. Rous sel , dans des vues dont les médecins sentent mieux que personne la sagesse, ont interdit le mariage entre cer taines catégories d'individus. Un jour peut-être la loi civile viendra donner un supplément à la loi naturelle et à la loi religieuse. De quel droit , en effet, la source des généra tions futures serait -elle livrée à discrétion aux tares et aux souillures qui la corrompent, aux vices qui l'épuisent et la font tarir ? Malheureusement, ajoute ce médecin, avant que ces hautes questions puissent être abordées par les légis 596 TRAITEMENT DES MALADIES CÉRÉALES. lateurs, il faut que la science en ait préparé la solution , en portant la lumière dans le domaine vaste et ténébreux des maladies héréditaires ( 1 ) . , Je suis loin de mon côté d'être hostile à une pareille mesure dont on comprendra bien mieux l'opportunité un jour, lorsque la question des in fluences héréditaires entrera d'une manière plus sérieuse dans le domaine des études législatives . Je me contenterai d'émettre pour le moment une simple réflexion, qui se rat tache aux idées que je me suis faites sur l'utilité et le vé ritable but des institutions hospitalières, et dont je dirai quelques mots dans un instant. En admettant que la légis lation , d'accord un jour avec la science, parvienne å for muler nettement les cas d'interdiction de mariage, je dis que la mesure serait incomplete tant que les individus ca pables de transmettre le principe de la dégénérescence dont ils sont atteints , seraient libres de vivre dans la so ciété , et ne pourraient être isolés dans un milieu préserva teur, ainsi que serait un bospice destiné à recueillir ces malheureux. La question , encore une fois, est des plus graves ; mais en attendant de l'avenir quelqu'une de ces solutions radi cales dont la science prépare les éléments, el que les admi nistrations intelligentes savent appliquer, il n'en est pas moins utile de chercher tous les moyens propres à soula ger la situation présente . Les conditions désastreuses, que créent aux individus et à leurs descendants l'endémicité pellagreuse, n'existent pas seulement en Italie , mais dans les campagnes espagnoles et dans nos départements pyré ( 1 ) Th . Roussel , De la Pellagre, de son origine, de ses progrès, de son existence en France . Paris, 1845, p . 262. J'ajouterai que les mêmes væux ont été formulés par plusieurs médecins suisses qui se sont spécialement occupés de l'extinction du crélinisme. HYGIÈNE ET PROPHYLAXIE DE LA PELLAGRE. 597 > néens . Il est constant, d'après les recherches de M. le doc teur Th. Roussel , que la vie du pauvre Aldeano des Asturies n'est pas beaucoup plus heureuse aujourd'hui qu'au temps de Casal , et qu'elle n'offre rien qui puisse faire envie au Contadino de Lombardie. « Et d'autre part , dit encore M. Th. Roussel , l'existence du berger et du résinier des Landes est-elle mieux partagée ? Et le patre des Pyré nées , le paysan du Lauragais , ont- ils reçu du Ciel une existence plus douce ? Les faits sont là pour montrer que d'affreuses misères étendent un dur niveau partout où il y a des pellagreux ; et s'il se présentait quelque trompeuse apparence pour couvrir le mal , la pellagre servirait å en indiquer la trace et à découvrir la réalité ( 1 ) . Plus on examine la question des épidémies et endémies dans leur rapport avec l'altération des céréales, et plus on reste convaincu que des causes multiples compliquent et aggra vent les affections qui en sont le résultat . Dans le premier moment de la frayeur, et dans la perplexité que font naitre souvent les opinions contradictoires sur l'origine du mal , on s'en prend exclusivement à la céréale ou à la plante que l'on consomme, sans songer que les mauvais procédés ( 1 ) Dans le numéro des Annales médico -psychologiques (octobre 1855) se trouve un excellent mémoire de M. le docteur Billod , sur une endémie pellagreuse observée dans les asiles des aliénés de Rennes et d'Angers. Quoique je ne sois pas parfaitement convaincu de l'identité de la maladie observée par M. le docteur Billod avec la pellagre proprement dite, il est impossible de ne pas reconnaître dans sa description cet état de cachexie causée par le trouble de l'innervation chez des malheureux épuisés par la misère . Les années calamiteuses que nous venons de traverser ont peuplé nos asiles de malades qui nous arrivaient dans le plus piloyable élat, et qui ne tardaient pas à succomber dans le marasme. La peau , le tube digestif et le système nerveux devenaient aples , ainsi que le dit M.Billod , à s'altérer dans le sens des trois séries de symptômes attribués à la pellagre, 598 TRAITEMENT DES MALADIES CÉRÉALES. > de culture, l'incurie des hommes et malheureusement aussi des causes indépendantes de la volonté , la misère et les influences climatériques, entrent pour une large part dans les maux qui affligent l'humanité . On consomme aussi de grandes quantités de maïs dans nos départements de l'Est et dans la Bourgogne, et cependant les paysans de ces contrées sont préservés de la pellagre . Mais il est vrai de dire que les cultivateurs mangent le maïs sous une autre forme. Ils ne composent pas avec sa farine ce pain si indi geste, si nuisible aux organes digestifs de ceux qui en font usage en Lombardie et dans nos contrées méridionales, ce pain d'une nature si détestable, que Parmentier se déter mina å entreprendre une foule d'essais pour arriver à la panification du maïs , mais sans pouvoir y réussir . « J'ose assurer, dit-il , que la farine de maïs manquera toujours de ce liant , de cette glutinosité si bien caractérisés dans le froment, si essentiels à la fermentation de la pâte et à la bonne qualité du pain ; que le pain dont il s'agit aura con stamment une nuance jaunâtre , qu'il sera compacte et gras, effets qui dépendent de matières inhérentes à ce grain, et que l'on parviendra bien, à force de recherches et de ten tatives, å diminuer, sans cependant pouvoir en faire dis paraître entièrement la cause ( 1 ) . » ( 1 ) Celte impossibilité paraît néanmoins avoir été levée dans ces derniers temps, et voici à ce sujet l'indication précieuse que me fournit M. le docteur Deboutteville . Dans le Journal pratique de l'Agriculture, année 1855 , M. Lelieur, ex - administrateur des parcs, pépinières et jardins de la Cou ronne , cite un procédé de panification du maïs employé, il y a quelques années en Pensylvanie, et qui aurait parfaitement réussi. Le pain serait de la meilleure qualité el aussi agréable que le pain de froment. M. Lelieur ajoute que la population de la Pensylvanie se fait remarquer par sa vigueur el par l'absence des maladies spéciales à ceux qui consomment le maïs dans les mauvaises conditions que nous avons indiquées. HYGIÈNE ET PROPHYLAXIE DE LA PELLAGRE . 599 Ces inconvénients incontestables de la panification sont évités par les habitants de l'est . Ils font avec la farine du maïs dont ils ont préliminairement torréfié le grain ( 1 ) , comme en Bourgogne, des bouillies dans lesquelles entrent du lait et du beurre . Ils confectionnent des gaudes qui n'ont rien de celte pále serrée, grasse et à peine cuite, qui faisait dire à Parmentier : quel pain mangent nos compatriotes les Béarnais ! Je regarde ce pain acide et rempli de moisis sure comme une des principales causes de la gastrite chro nique qui est l'état permanent des populations adonnées à une hygiène aussi nuisible . Enfin , les habitants des con trées où la pellagre n'existe pas, ne font pas du maïs la base exclusive de leur nourriture . Ils consomment d'autres céréales, ils font usage de viande , et l'on concevrait diffi cilement, dit le docteur Th. Roussel, que la pellagre pût prendre racine au sein d'un peuple, ayant chaque jour de la viande à sa disposition pour son repas principal . L'An gleterre est , de tous les pays de l'Europe, celui qui a le moins souffert des maladies , que l'auteur , que j'ai cité , a proposé d'appeler maladies céréales, et dont la France et l'Allemagne ont subi les ravages . L'ergotisme et le mal de la crampe y sont presque inconnus aujourd'hui , et la pel lagré n'y a jamais été observée ( 2) . ( 1 ) Dans ces mêmes contrées où le maïs n'a pas les propriétés intoxicanles que nous avons signalées , op a soin non -seulement de choisir les variétés en rapport avec la nature du terrain , mais le grain subit diverses préparations qui tendent à le conserver et à rendre la farine bien meilleure . On sèche le grain au four en Bourgogne, on le torrélie même pour avoir une farine plus succulente. Parmentier comparait ce dernier procédé à celui qui est en usage pour les graines du café. L'odeur et le goût du maïs vert ou lorréfié , diffèrent autant , dit Parmentier, que ceux du café brûlé et du café verl . (2) En Angleterre , et sous celle dénomination , il faut comprendre l’Angle terre proprement dite, le pays de Galles , l'Ecosse , l'Irlande même, c'est-à 600 TRAITEMENT DES MALADIES CÉRÉALES. Cette manière de considérer la question du maïs peut également s'appliquer à la culture du riz , de la pomme de terre et d'autres plantes ou céréales que l'on a accusées d'être la cause d'affections spéciales à l'homme et aux ani maux . Des agronomes , des médecins et des économistes emportés par leur zèle n'ont vu d'autre guérison aux maux qu'il s'agissait de combattre, que l'interdiction absolue des plantes ou des céréales dont l'action malfaisante était in contestable ; mais une pareille proscription n'entre pas dans l'esprit des indications curatives, dont je me contente pour le moment de signaler les points principaux et les plus propres à préparer l'esprit du lecteur à des investigations ultérieures . Le riz peut être nuisible, non- seulement par les mala dies que contracte cette céréale, ainsi que nous l'avons vu , mais par son procédé de culture qui crée aux habitants des contrées å rizières tous les inconvénients des effluves ma récageuses . Il ne m'a pas été possible de vérifier si les faits statistiques produits par Capsoni sont bien de nature å in dire , dans les îles Britanniques , la consommation lolale de la viande de bou cherie est de 360 millions de kil . de viande de mouton , 500 millions de kil . de beuf et 400 millions de porc, pour une population de 27 millions d'habitanls, ce qui établit une moyenne de 46 kil . par lèle . En France, nos 35,781,000 habitants consomment 144 millions de kil . de moulon , 400 millions de viande de bestiaux et 290 millions de kil . de porc , soit individuellement 25 kil . Quant aux céréales mêmes, la différence se poursuit encore , et si ce n'est avec un avantage aussi marqué pour nos rivaux, du moins avec une supériorité bien décidée co leur faveur. En An gleterre , la consommation des céréales est de 6 hectolitres 07 litres ; en France , elle est de 5 hectol. 43 litres par tête ( Journal des économistes, Revue de la Science économique et statistique, nº de février 1855) . Nous pourrions ajouter qu'en Angleterre il se consomme plus de chair de pois sons qu'en France . Les Anglais ont mieux compris que nous cet adage de Sully, si ma mémoire est exacle, que la pêche est une seconde agriculture. AMÉLIORATION DES CONDITIONS ALIMENTAIRES, 601 > firmer les rapports de M. de Candolle ( Rapports de deux Voyages botanique et économique, 1810) , et les conclåsions de l'ouvrage de Biroli ( Trattato del riso . Milano, 1807) . Ces auteurs sont loin d'attribuer à la culture du riz les mêmes inconvénients que Capsoni , qui émet les assertions sui · vantes. D'après lui , la population des contrées å rizières a une tendance notable å diminuer, et les chiffres sur les quels il s'appuie, comprennent une période de 28 ans , ( 1805 à 1833) . Or, si l'on prend un chiffre égal dans la population des pays á rizières et dans celle des pays sans rizières , voici à quoi l'on arrive : sur 7,630 habitants de communes å rizières , la population n'a augmenté que de 1,535 individus , tandis que dans les communes sans ri zières cette augmentation a été de 3,898 âmes, sur le même nombre de 7,630 habitants . Il est incontestable que la misère, le manque de ressources des cultivateurs, qui ne peuvent entreprendre les grands travaux d'assainissement que comporte cette culture , enfin l'incurie du gouverne ment , comme cela se voit au Bengale, sont de nature å compliquer la situation et à rendre cette culture on ne peut plus dangereuse pour la santé publique ( 1 ) . La pomme de terre , depuis les maladies qui l'ont atteinte , n'a pas été à l'abri des attaques dirigées contre les plantes ( 1 ) E. Chine où l'agriculture est, comme on le sait , très - avancée et en très- grand honneur, on cultive dans le nord de l'empire une espèce de riz qui croît en plein champ comme le blé, et qui n'a pas besoin d'être arrosé comme celui de nos rizières. L'introduction en Europe d'un riz de celle espèce serait certainement un grand progrès. En Chine, son usage est dû , d'après M. Huc, à l'empereur Kang-Hi qui le propagea . Le grain en est allongé et la couleur un peu rougeâtre ; mais il est d'un parfum fort doux et d'une saveur très -agréable. Nos missionnaires en ont envoyé à plusieurs reprises des échantillons au ministère de l'Agriculture et du Commerce en France, mais j'ignore le parti qu'on en a tiré . Si l'on en croit Mont 602 TRAITEMENT DES MALADIES CÉRÉALES. alimentaires nuisibles. Mais, dans cette circonstance encore, il est facile d'établir que les indications curatives doivent être recherchées dans le domaine des améliorations agri coles. On s'en est pris successivement à la nature du sol , aux influences atmosphériques, à l'humidité des années pluvieuses pour expliquer les maladies de ce précieux tu bercule . Il est bien prouvé aujourd'hui que ces influences secondaires ne constituent pas la cause essentielle de la maladie, que l'on doit chercher dans un concours de cir constances diverses . L'année 1845 , où la maladie des pommes de terre s'est généralisée, a été remarquable par sa sécheresse. On a vu le mal se propager dans les champs inondés et dans ceux qui avaient été préservés de l'humi dité . Les terrains sablonneux et les terrains argileux et basaltiques ont produit des tubercules gangrénés ; bien mieux, des pommes de terre qui avaient germé dans les caves, en dehors, conséquemment, de toute influence at mosphérique, ont donné des fruits de mauvaise nature. Il est bien démontré aujourd'hui que la maladie de la pomme de terre n'est autre chose que le résultat d'une dé générescence que l'on ne peut attribuer qu'à la négligence et à l'incurie de l'homme . La pomme de terre n'a pas été renouvelée par le semis. Sa culture répétée dans les mêmes terrains a fait que la plante n'y a plus trouvé les matériaux nécessaires à sa nutrition ; l'emploi exagéré du fumier a produit des variétés monstrueuses qui n'ont pas tardé à dégénérer ; ce tubercule est devenu enfin la base exclusive de la nourriture des indigents : nouvelles preuves falcon, la culture de l'espèce de riz dont les montagnes de Madagascar el de Cochinchine sont couverles , ne serait pas destinée à réussir dans nos climals ; mais ceci n'est qu'une simple prévision dénuée de loules preuves à l'appui . AMÉLIORATION DES CONDITIONS ALIMENTAIRES. 603 à ajouter à toutes celles que nous avons données pour élablir que les maladies dégénératives dans l'espèce humaine sont dans des rapports intimes avec les procédés vicieux en agriculture, et la déviation aux règles de l'hygiène . Nous avons poussé ces investigations aussi loin que nous le permettait le cadre restreint dans lequel nous devons provisoirement nous renfermer ; nous avons prévenu les objections que l'on pouvait faire en s'appuyant sur l'hygiène suivie par certains peuples, el par quelques cénobiles au stères . Les déductions que l'on voudrait en tirer ne peuvent résister à l'évidence des principes hygiéniques applicables aux populations Européennes, dans les conditions actuelles de leur existence ( 1 ) . Une alimentation meilleure, et dans laquelle la viande entrera en plus grande quantité , est indispensable pour arrêter la dégénérescence dont les classes ouvrières et né ( 1 ) On se tromperait si l'on comparail , pour ses résultats , le régime vé gétal suivi par les Hindous, avec le même régime observé dans toute sa rigueur par les populations agricoles nécessiteuses en Europe. Dans les cou trées orientales, la végétation , comme dit le docteur Tb . Roussel , offre non seulement plus de splendeur dans la forme, mais plus de richesse dans sa composition : c'est là que les fruits possèdent la saveur la plus exquise, et la chair la plus succulente; que les matières gommeuses et sucrées abondent dans les tiges , el l'azole dans les graines ; en un mot, la vie paraît en excès dans les plantes , et l'on dirait qu'elles tendent à se rapprocher davantage de l'organisation animale ... Et puis que l'on ne croie pas que ces peuples cherchent à corriger par d'autres substances ce que ce régime végétal pour rait avoir de trop énervant. Les Hindous boivent du via de palmier qui , lorsqu'il a fermenté , possède une propriété tonique des plus grandes . On connaît aujourd'hui le régime des Bramines et des Banianes. Ces derniers, d'après ce que dit H. Groze, dans son voyage aux Indes Orientales, ne mangent pas de viande, il est vrai , et ne boivent pas de liqueurs spiritueuses , mais ils cherchent à y sup pléer et à ranimer leurs forces, non-seulement par la chaleur des épices et 604 TRAITEMENT DES MALADIES CÉRÉALES. cessiteuses sont atteintes . L'insuffisance et la mauvaise qualité de la nourriture, la falsification des boissons de sont pas sans doute les causes uniques du mal que nous signalons, et que nous avons envisagé sous ses faces les plus importantes ; mais nous en avons dit assez néanmoins pour faire voir que l'action du gouvernement, en ce qui regarde les dispositions répressives à prendre et l'impul sion à donner, et que l'établissement et le perfectionnement des grandes associations individuelles pour améliorer les procédés de culture, propager et appliquer les idées de progrès , sont indispensables dans les situations aussi dé sespérées que celles que nous avons décrites . En effet, il est de toute impossibilité que, livré à ses propres res sources , le malheureux placé dans les conditions mala dives provenant de l'insuffisance ou la mauvaise qualité de ses aliments, sans compter les influences mixtes , telles que les constituent les logements insalubres, les intempéries climatériques , les constitutions épidémiques ou endé miques, etc. , puisse lutter contre toutes les causes dégé nératrices qui s'attaquent à sa personne et à celle de ses descendants. Nous pouvons ajouter que le besoin d'une alimentation meilleure est d'autant plus impérieusement indiqué, que la prédominence des affections nerveuses a créé dans toutes les classes de la société , sans exception aucune , des conditions physiologiques et pathologiques qui méritent au plus haut degré l'attention des hygiénistes modernes, et la sollicitude des administrations ( 1 ) . du poivre long, rouge ou vert, qu'ils mangent cru ou cuit dans leurs ragoûts, mais encore par l'usage de l'Assn folida. Ils prétendent que cette drogue, qui leur fait exhaler une odeur si insupportable, est saine , cordiale et très - propre à prévenir les crudités et les indigestions . ( 1 ) Une pratique de huit années dans un grand asile composé de plas de DES RAPPORTS DE L’AGRICULTURE ET DE L'INDUSTRIE . 605 Nous pouvons encore citer les indications curatives sur l'amélioration des races au moyen d'une alimentation meil leure, comme une de ces idées vulgarisées en dehors de l'influencc exercée par les écrits et les travaux des savants . Dans la crise alimentaire que nous venons de traverser, tous les regards se sont instinctivement tournés vers l'agri culture, cette mère nourricière des peuples, et les accu sations portées contre l'industrie qui enlèverait, au dire de ses détracteurs, des bras indispensables aux travaux agri coles , se sont formulées d'une manière plus acerbe depuis quelque temps, non-seulement dans des écrits spéciaux , mais aussi dans les feuilles périodiques. On sait généra lement, et nous avons bien été obligé d'en convenir nous 1,000 aliénés, ct qui, en desservant cinq départements, répondait aux exi gences maladives de plus de deux millions d'individus , m'a démontré que les affections que, par leur palure, je regarde comme éminemment dégénéra tives , se répandent de plus en plus parmi les habitants de la campagne. La constitution des paysans est plus épuisée ; les lendances aux excès alcoo liques se généralisent et font irraption dans les contrées préservées jusqu'à présent . Dans la statistique morale qu'il serait important de faire sur ce sujet , ainsi que sur la consommation toujours progressive da tabac à fumer, il ne faudrait pas oublier les individus à peine sortis de l'enfance qui croient dignement inaugurer leur existence d'adulte par des excès aussi nuisibles. Les maladies essentiellement héréditaires et transformables, telles que la syphilis, les scrofules , existent dans les lieux où l'on ne connaissait pas de pareilles calamités. Des névroses qui ne paraissaient être autrefois que l'apa . nage de la classe riche ou des individus blasés et épuisés , l'hystérie, l'hypo condrie, la chlorose, s’allaquent aujourd'hui aux filles et aux habitants des campagnes. Il en résulte une augmentation incontestable dans la manifesta tion des suicides et de l'aliénation mentale, sans compter un appauvrisse ment général dans les organismes qui se révèle au dehors par la débilité , la cachexie , et tous les attributs du tempérament nerveux et dégénéré. Je ne suis pas pessimiste, il s'en faut, et , bien loin d'exagérer la situation , je n'en signale que bien superficiellement les dangers . 606 TRAITEMENT DES MALADIES CÉRÉALES. même dans l'énumération des causes dégénératrices dans l'espèce humaine , que les professions industrielles et l'exi stence des fabriques, sont loin de créer à l'ouvrier des conditions normales de santé . Il existe des industries nui sibles , ceci est incontestable ; mais avant de faire le procés à l'industrie comme attirant à elle les bras indispensables à l'agriculture , il est nécessaire d'examiner la valeur de l'objection. La crainte de voir les populations rurales déserter les campagnes pour le séjour des villes et les travaux de l'in dustrie, est - elle réellement fondée ? si nous consultons les écrits des économistes modernes, et si nous nous en rap portons à l'expérience des faits , celte crainte serait tout å fait chimérique . Je dois à l'obligeance de M. le docteur Deboutteville, des renseignements à ce sujet qui sont à la hauteur des principes les plus avancés en matière de science économique moderne. Ce qui fait la prospérité de l'agricul ture et des agriculteurs , dit M. Deboutteville, est bien moins le grand nombre des bras appliqués aux travaux des champs, que les capitaux suffisants et une pratique éclairée. D'après M. le baron de Reden ( Journal des Économistes. Avril 1856) , la population agricole serait en Russie de 72 pour 100. En Autriche de 69, en France de 62, en Prusse de 61 , en Bel gique de 51 et en Angleterre de 32 pour 100. Ces données que l'on peut admettre comme assez exactes pour servir á des comparaisons , prouvent que le travail agricole de 52 hommes pourvoit en Angleterre, pays moins fertile que la France, à la consommation de 100 habitants, tandis que dans le dernier de ces pays il nécessite le labeur de 62 hommes . Ces calculs confirment un fait généralement admis, qu'a près la Grande-Bretagne, la Belgique est le pays où l'agri culture a reçu les meilleurs perfectionnements. Quant aux salaires ils sont plus élevés dans les régions où les ouvriers > DES RAPPORTS DE L'AGRICULTURE ET DE L'INDUSTRIE . 607 agricoles , se trouvent en contact avec une nombreuse population industrielle et commerçante qui assure le place ment avantageux des produits du sol . Dans son ouvrage sur la situation de l'agriculture anglaise ( 1850-1851 ) ( 1 ), James Caird a tracé sur une carte une li gne dirigée de l'Est à l'Ouest , qui indique la limite Sud de la formation houillère ; c'est dans cette limite que sont con finées en Angleterre les grandes branches des industries manufacturières , exception faite des pays de Galles, des comtés de Somerset et de Cornwall . Or, en comparant les salaires des ouvriers des fermes dans les districts situés au nord de cette ligne et qui comprennent les régions manu - facturières de la Grande-Bretagne, on les trouve générale ment plus élevés que ceux des ouvriers dans les contrées plus particulièrement agricoles , la différence est d'un tiers environ . Un exemple pris en France achèvera de constater l'in fluence de l'industrie sur l'agriculture . « Si j'avais à désigner » la plus heureuse partie de la France, dit M de Lavergne, > je n'hésiterais pas; j'indiquerais la Normandie... de nom » breuses industries y florissent . Les cotonnades, les draps, » les toiles , les serges , la dentelle, la ganterie, les épingles » occupent des milliers de bras et produisent tous les ans » des centaines de millions. La pêche donne des produits » abondants ; auprès de pareils auxiliaires, l'agriculture pros père toujours.... Les domestiques sont nourris comme les > maitres, me disait un jour un paysan normand, avec un juste ► sentiment de son bien- être . Dans la Seine- Inférieure, le , salaire ordinaire des ouvriers de la campagne est de deux » francs par jour, la nourriture avec , comme dans les > meilleurs districts de l'Angleterre. Dans les autres dé ( 1 ) James Caird . English agriculture, London , 1852, p . 812 et 315 . 608 TRAITEMENT DES MALADIES CÉRÉALES. partements normands, il atteint la moyenne anglaise de » un franc soixante centimes ; les fermiers ne sont pas en: » core aussi riches que les fermiers anglais, mais les petits > propriétaires sont plus nombreux, et comme la plupart ► jouissent d'un revenu suffisant , ils élèvent l'aisance » moyenne ( 1 ) . » Ces considérations répondent à l'idée erronée qui tend à constituer l'industrie comme une force antagoniste nuisi ble à l'agriculture, mais elles laissent intactes , je le sais , les objections déduites de l'influence pernicieuse que l'in dustrie exerce sur la santé des ouvriers et sur leur dégéné rescence ultérieure . D'importants travaux statistiques ont établi que les infirmités, donnant droit à l'exemption mili taire, étaient plus fréquentes dans les départements manufac turiers . La taille de l'homme parait être aussi diminuée dans ces mêmes milieux . Cette dernière et importante question des rapports de l'industrie avec les conditions dégénératives dans l'espèce humaine, est réservée à l'avenir de nos re cherches , et nous y reviendrons dans la partie du traitement proprement dit : je ne puis qu'émettre ici quelques consi dérations générales. J'ai déjà indiqué que les causes qui s'attaquent à la santé des ouvriers étaient mixtes, et la manière dont j'ai posé l'é. tude des dégénérescences explique assez ma pensée dans la circonstance présente. Elle se reporte toute entière vers les conditions d'amélioration intellectuelle, physique et mo rale de la classe ouvrière en particulier et de l'espèce humaine en général (2 ) . Personne ne niera que les progrès que nous ( 1 ) Lavergne, Économie rurale de la France, - Journal des Écono mistes. Mai 1856 , p . 329 à 331. Consulter aussi l'Essai sur l'Economie rurale de l'Angleterre, par le même. (2) Celle question de l'amélioration de la classe ouvrière a fait des pro AMÉLIORATIONS SOCIALES . 609 avons préconisés sous le rapport des indications curatives, progrès qui ont inauguré une ère nouvelle, n'aient été pro voqués et soutenus par les savants de toutes les spécialités. La médecine et l'hygiène, l'économie politique et la morale, l'esprit d'association , les sociétés de tempérance et de se cours mutuels, ont déterminé des efforts, et amené des améliorations que les hommes de la génération présente auront à cæur de continuer et de perfectionner. Je ne mets pas un moment en doute que, lorsqu'en France l'esprit d'association sera entre plus profondément dans nos mæurs et dans nos habitudes, lorsqu'on aura généralement compris que les êtres dégénérés dont nous faisons l'histoire demandent, au point de vue de leur traitement moral et physique, une assimilation plus large aux bienfaits de l'ins Iruction , un droit plus complet aux bénéfices du traitement el de l'isolement dans nos maisons hospitalières ( 1 ), alors grès, d'après les recherches des statisticieos modernes, qui ont trouvé pro portionnellement un moins grand nombre de crimes et de délits dans celle classe que dans les autres. Je n'ai pu m'assurer encore si les statistiques partielles que l'on m'a cilées se trouveraient d'accord avec une statistique générale sur le même sujet. Tout nous porte malheureusement à croire que les résultats que je signale n'ont pas un caractère général. Il est permis d'en juger ainsi en lisant les Etudes sur l'Angleterre, par M. Léon Faucher. ( 1 ) L'instruction à donner à l'énorme quantité des sourds et des aveugles de naissance qui existent en France , l'isolement à opérer sur une plus vaste ċchelle, non - seulement des aliénés, mais des idiots, des imbéciles, des épi leptiques, des crétins , et de tous les êtres dégénérés, sont des mestres so ciales dont on ne comprendra l'utilité réelle, que lorsque l'on sera bien con vaincu da danger des transmissions béréditaires et des transformations maladives de l'ordre physique et de l'ordre moral. Les hommes de cœur qui comprennent la situation ont à lutter aujourd'hui contre l'objection qui se réfugie incessamment derrière les charges énormes que les déparlements out à soutenir . On sait au moyen de celle objection se soustraire souvent au veu le plus formel de la loi du 30 juin 1838 , pour ce qui regarde l'isolement 39 610 TRAITEMENT DES DÉGÉNÉRESCENCES, aussi l'ére nouvelle que j'ai signalée grandira dans le sens des perfectionnements qu'il est permis à l'homme de réaliser, eu égard à la nature de ses institutions et de son degré plus ou moins avancé de civilisation . Celle ère nouvelle est dans les besoins de l'époque, dans les aspirations générales, el se révèle par l'état de souffrance physique et morale de la génération présente . Cet état se traduit tantôt d'une manière paciſique dans les écrits des savants , dans les efforts de tous ceux qui désirent ardem ment le progrés dans l'humanité par le développement plus large de la loi morale ( 1 ) et par l'amélioration progres sive de la condition matérielle et intellectuelle des peuples; des aliénés . La statistique générale de la France par M. Boudin , qui est loin d'être exacte pour ce qui concerne surtout les aliénés , les goitreux et qui ne parle même pas des variétés essentiellement dégénérées qui se ral lachent à l'aliénation , iels que les idiols , les crélins , les imbéciles, établit qu'il existe dans notre pays , 37,662 aveugles , 29,512 sourds el muets , 44,970 aliénés, 42,382 goitreux, 298,822 mendiants vagabonds , individus sans profession ct infirmes . ( 1 ) Encore une fois, ce développement plus large de la loi morale qui se résome dans celle phrase banale qu'il fuut moraliser les masses, ne peal se décréler par des lois , ni se réaliser à l'instar des grands travaux exécules · par les sociétés en commandile. La moralisation des masses est le résultat de la bonne éducation morale , intellectuelle et religieuse dont les effets se trapsmellent de génération en génération, el voal en se perfectionnant, grâce aux jostitutious dont jouissent les peuples libres , institutions qui leu dent également à améliorer l'état intellectuel, physique et moral des indivi dos. Il serail encore utile que ceux qui préconisent la moralisation des muisses, prèchassent eux- mêmes par l'exemple. Je ne pense pas, pour de citer en passant qu'un fait, que l'amour effréné du jeu , qui s'est emparé des clusses élevées de la société , soit bien propre à moraliser les masses. L'a mélioration des masses sera du reste loujours compromise tant que la société ne fera pas les plus énergiques efforts pour empêcher le développement in eessant des variélés maladives, el qu'elle ne s'imposera pas les sacrifices les be AMÉLIORATIONS SOCIALES. 611 lanlót aussi cette même souffrance fait entendre son cri de désespoir au milieu des révolutions qui depuis un demi siècle labourent le sol de l'Europe. L'idée que je me suis faite des destinées de l'humanité et du but que doit atteindre la véritable civilisation , me porte à envisager l'avenir sous un aspect plus consolant peut- être que beaucoup d'écrivains qui semblent n'avoir examiné la question que sous le rapport des obstacles que la perversité native de la nature humaine oppose à toute idée d'amélioration et de progrés . Sans doute dans l'étude que je fais des dégénérescences dans l'espèce humaine, je tiens aussi à faire ressortir l'obs tacle le plus grand , celui qui vient de la volonté pervertie de l'homme lui-même ; je ne recule devant l'examen d'au cun fait, si triste et désespérant qu'il puisse être, si ce fait peut nous aider à sonder l'abime que créent sous nos pas les causes dégénératrices ; mais on me rendra au moins la justice que je suis loin de regarder la situation comme dés espérée. Les indications curatives dont je ne fais ressortir en ce moment que l'esprit général , seront complétées dans leurs détails par mes recherches ultérieures . Je n'ambi tionne aujourd'hui d'autre satisfaction que de contribuer pour ma faible part à la solution d'un des plus redoutables problèmes qui puissent agiter l'époque actuelle. Quelques considérations sur les maladies produites par les effluves marécageuses et par la constitution géologique du sol , compléteront ce que j'ai à dire sur la théorie qui rattache à l'intoxication les causes les plus actives de dé générescence dans l'espèce humaine. plus complets pour donner aux institutions hospitalières destinées à re cueillir beaucoup de ces malheureuses victimes, an but en rapport avec l'idée régénératrice par excellence, qui consiste à faire ressortir le danger des Transmissions héréditaires. 612 CILAPITRE SEPTIÈNÉ. De la dégénérescence dans ses rapports avec l'intoxication paludéenne et la constitution géologique du sol . L'influence pernicieuse du miasme paludéen , son degré plus ou moins considérable de nocuité selon les saisons, les climals, la nature du sol dans lequel se développe cel agent délétére, et , nous pouvons ajouter encore, selon les conditions hygiéniques dans lesquelles se trouvent les indi vidus exposés à la malaria, sont aujourd'hui des faits géné ralement acceptés. Mon intention n'est pas , au resle , traiter la question des marais au point de vue des théories chimiques et physiologiques de l'intoxication paludéenne', et ce n'est que d'une manière incidente que je parlerai des fièvres plus ou moins pernicieuses qui en sont la consé quence. Je tiens seulement à faire ressortir les rapports intimes qui existent entre les dégénérescences dans l'espèce hu maine, et le milieu dans lequel vivent les populations des contrées marécageuses. J'ai lieu d'espérer que les faits sur lesquels je m'appuierai , feront non- seulement ressortir une des causes les plus actives de dégradation , et de dépérisse ment des hommes, des plantes, des animaux, mais qu'ils confirmeront encore la théorie que j'ai soutenue dans un autre travail pour ce qui regarde la cause essentielle du cré tinisme ( 1 ) . ( 1 ) Influence de la conslilulion géologique du sol sur la production du DÉGÉNÉRESCENCES CHEZ LES HABITANTS DES MARAIS . 613 S'il est une fois bien établi , que l'état extrême de cachexie qui signale la dégénérescence connue sous le nom de cré tinisme, n'a pas d'autre origine que celle qui détermine la cachexie des habitants des marais ; si nous parvenons : démontrer d'une manière aussi complète que possible les analogies qui se rencontrent au point de vue intellectuel , physique et moral entre les habitants des contrées maré cageuses, et ceux des pays où sévit l'endémicité crétineuse, nous aurons amené la question de traitement et de pro phylaxie au point où il est permis d'espérer une solulion favorable. Les indications curatives que j'ai déjà émises en traitant de la régénération des crétins, seront encore celles que je préconiserai dans ce traité général des dégénérescences. J'ai rendu justice aux efforts des savants qui se sont occu pés de celle triste infirmité, et qui ont eu recours à tous les moyens fournis par l'hygiène morale, par la pédagogie et par le traitement physique ; je sais tout ce qu'il est possi ble de réaliser par l'amélioralion de la nourriture et des logements, ainsi que par l'emploi de la médicalion iodée, mais je reste aussi plus convaincu que jamais que ce n'est qu'en s'attaquant à la cause essentielle des dégénérescences produites par l'intoxication paludéenne (ou pour m'exprimer d'une manière plus générique) , par la constitution géologi que du sol, que l'on parviendra à éteindre le mal dans sa source et à prévenir la formation et la propagation indéfi nies des êtres dégénérés dont nous allons tracer l'histoire. crélinisme. Lettres à Mgr . Alexis Billet, archevêque de Chambéry, par le doclear Morel ( Annales médico - psychologiques, 1855 ) . J'ai été heureux de m'associer à la manière de voir du savant Prélat, pour ce qui regarde la cause essentielle du crélinisme. Les dissentiments qui me séparent de Mgr Billel, quant à la cure radicale du crétinisme, disparaitront, j'espère, après l'exposé complet des indications curativcs. 614 INFLUENCES PALUDÉENNES . CONSTITUTION GÉOLOGIQUE. § 1. Tableau physique et moral des habitants des contrées marécageuses. Pathologie comparée . « La constitution , les babitudes physiques, les facultés morales et intellectuelles de l'habitant des contrées maréca geuses, sont , dit Montfalcon , un sujet d'études intéressant pour le physiologiste , et de première importance pour le médecin qui veut connaitre les maladies endémiques cau sées par les eaux stagnantes ( 1 ) . » Cet auteur ne croit pas pouvoir mieux procéder à l'histoire des influences perni cieuses exercées par les effluves marécageuses , qu'en don nant la description des ravages produits dans l'état physique, intellectuel et moral des malheureuses populations qui ha bitent ces contrées désolées. La peinture que fait Montfal con de la constitution des Bressans , rentre tellement dans nos études sur les causes dégénératrices de l'espèce hu maine, que je ne puis m'empêcher de rapporter les propres paroles de cet honorable et savant médecin . « Les Bressans, dit l'auteur de l'Histoire médicale des marais, les Bressans déshérités en quelque sorte par la na. ture, n'ont jamais senti que le poids de la vie ; la funeste influence de l'air dans lequel ils végétenl est imprimée for tement sur leurs traits ; elle modifie å un degré extraordi naire leurs fonctions et leurs facultés . Ils raissent valétudi naires, ils ont achevé d'exister dans l'âge de la vigueur. L'en. fance a perdu dans ce climat son charme et son enjouement; elle n'y montre pas ses contours arrondis, ses formes mol les et délicates , sa grâce enchanteresse ; des rides nom a ( 1 ) Histoire medicale des marais, a traité des fièvres intermillentes ruusées par les émanations des caur slugnantes, par Montfalcon ( 2e édi lion . Paris, 1826 ). VÉGÉNÉRESCENCES CHEZ LES HABITANTS DES MARAIS. 615 breuses sillonnent de jeunes visages ; une peau décolorée et sans ressort enveloppe des organes débiles, une bouffisure repoussante Ole aux membres leur agilité , et fait perdre å la physionomie son expression . Tous les éléments dont le Bressan reçoit l'action conspirent à sa ruine : l'air qu'il respire est empoisonné, l'eau dont il s'abreuve est corrom pue ; sa demeure chélive est exposée sans défense à l'in Nuence d'une atmosphère pernicieuse ; ses aliments sont grossiers et insuffisants, ses vêtements ne le protègent pas contre les modificateurs les plus nuisibles, et le genre de travail auquel il est condamné ne lui permet pas de con soler sa misère par les illusions d'un avenir plus heureux . » Quelle est la nature de ses travaux ? Le jour a com mencé de luire, il quilte sa chaumière et va s'ensevelir dans ງົ d'bumides forêts ; ou bien il s'acheminera péniblement vers des marais dont sa main ne cessera d'agiter la fange pe! -- Jant un grand nombre d'heures. Sa laille pelile et souvent contrefaite dès ses premières années par des vices de conforma tion , soil du tronc, soit des membres, est remarquable par le défaut de proportion des cavités splanchniques ; sa peau fine, très -pale, couverte souvent de taches d'un aspect ler reux, d'un blanc mat et blafard, ne présente pas les saillies musculaires et la coloration animée, ordinaire à l'organisa tion des montagnards. Ses formes extérieures sont arron dies et molles , ses chairs tuméfiées par des sucs séreux , dépourvues de lon et d'élasticité, conservent quelque temps l'impression du doigt qui les comprime. Ses cheveux sont d'un blond cendré el plats ; sa barbe est blonde et peu fournie, son @il est lerne, son regard triste et sans expres sion ;; une couleur jaune teint souvent son front, ses joues el ses yeux . » La mélancolie, l'apathie , une sorte d'idiotisme, telle est l'expression habituelle de son visage rarement modifié par > 616 INFLUENCES PALUDÉENNES. CONSTITUTION GÉOLOGIQUE . les passions . Son squelette est reconnaissable à une sorte d'é. tat rachilique des os , à la grosseur de leurs extrémités spon gieuses, à la faiblesse de la dimension en hauteur des ex trémités abdominales. Son cour se contracte avec peu d'énergie ; son pouls est mou, petit ; la circulation abdomi nale est chez lui , lente , difficile ; sa poitrine est resserrée, son cou allongé, son ventre bouffi, volumineux ; une trans piration presque continuelle l'affaiblit. Tout chez lui est en harmonie avec ces caractères, et c'est dans la Bresse surtout que le physique est une traduc tion fidèle du moral . Ecoutez l'homme qui est né sous le ciel de cette terre insalubre ; sa voix est gutturale el rau que, sa prononciation génée, les finales des mots sont trai nantes . Voyez-le se mouvoir, combien sa démarche est lente et pénible ! Quelle faiblesse dans l'age de la vigueur ! Combien ce corps cacochyme a peu de vie ! A vingt ans Jo mouvement de décomposition commence , et des maladies continuelles ajoutent à la débilité constitutionnelle. Com ment le Bressan ne serait-il pas chétif et cacochyme ? Il est sans cesse assailli par des fièvres qui , si elles ne le tuent pas immédiatement, abrègent sa vie en délruisant ses or ganes ; il n'a jamais complétement joui de l'existence , et pour lui , vivre c'est souffrir.... ( Montfalcon , ouvrage cité , page 113 ) . Cette description de l'état intellectuel , physique et moral des Bressans nous offre les principaux caractères des va riélés maladives dans l'espèce, et se complète par l'exis tence d'une condition dégénérative trop importante pour que je la passe sous silence, c'est celle du développement tardif de la constitution et parfois aussi de son arrêt général. Les mêmes éléments pathologiques se retrouvent chez l'habitant des marais de la Sologne cl du Berry. La population ché live du Forez et de la Brenne nous présente, comme celle DÉGÉNÉRESCENCES DANS LA BRESSE , LA SOLOGNE , ETC. 617 des Marais - Pontins et des marais salants de toutes les par lies du globe, un caractère typique, qui est l'idéal le plus saisissant de l'extrême dégénérescence de l'espèce hu maine . Le développement des Solognots est tardif , dit Mont ſalcon , « à vingt ans ils paraissent n'en avoir que seize ou dix-hụit ( 1 ) ; chaque année , à l'époque du recrulement, છે on remarque parmi les causes ordinaires de réforme, le de faut de taille, les hernies, et la faiblesse de la constitution . Presque tous les ans, il est des cantons de la Sologne qui ne peuvent fournir leur modeste contingent . » L'apathie et l'indolence de ces malheureux ne peuvent se comparer qu'à ce que l'on observe sous le rapport psycho , logique chez l'habitant du Forez, de la Brenne et de tous les pays marécageux . Entre les montagnards du Forez et les cultivateurs de la plaine, la différence est grande. Au lant les premiers sont robustes, agiles , éclairés sur leurs intérêts, autant les derniers sont apathiques, imprévoyanis, pleins d'indifférence sur leurs destinées , et opiniâtrement allachés à des praliques routinières . Les actes publics des paroisses de la plaine du Forez constatent, d'après Mont falcon , une décroissance rapide de la population .... Les Foreziens , à ce que dit le même auteur, sont presque con slammenl valétudinaires .... on les a comparés à des sque ( 1 ) Celle mème disproportion entre l'âge des individus et leur développe ment physique est le caractère dégénératil essentiel que j'observe dans la population des fabriques. A Rouen, l'industrie de la filature m'offre, sops ce rappori, les types les plus tristes de la dégradation dans l'espèce. Je me suis invariablement trompé dans mes premières appréciations , lorsque j'ai voulu fixer approximativement l'âge des individus . Des enfants auquel je doppais douze à lreize ans en avaicot seize , dix- huit ct vingt. M. Lćou Fau cher a fait la même remarque , pour les populations ouvrières de la Grande Bretagne. a 1 618 INFLUENCES PALUDÉENNES , CONSTITUTION GÉOLOGIQUE. Jelles ambulants .... leur teint est livide , plombé, et même jaunatre et verdatre pendant l'automne; la vieillesse com mence pour eux à la quarante- cinquième année ; ils sont décrépits à cinquante - cinq ans ; très-peu prolongent leur carrière jusqu'à soixante. La description que fait Montfalcon de l'habitant de la Bresse est peut-être plus triste encore. « Il souffre dės sa naissance et montre dès les premiers jours de sa vie la profonde empreinte de l'insalubrité du climat. A peine a-l-il quillé le sein de sa nourrice qu'il languit et maigrit; une couleur jaune teint sa peau et ses yeux, ses viscères s'engorgent , il meurt avant d'avoir atteint sa septième année. A - t - il francbi ce terme, il ne vit pas, il végete ; il reste cacochyme, boursouflé, hydropique, sujet à des fièvres putrides, malignes, à des fièvres d'automne inter minables, à des hémorrbagies passives, à des ulcères aux jambes qui se guérissent fort difficilement, et le malheu reux se défend à peine contre les maladies qui font de sa vie une agonie prolongée. L'habitant de la Bresse parvient à sa vingtième ou trentième année, et déjà le mouvement de désorganisation commence ; ses facultés s'affaiblissent, et généralement l'age de cinquante ans est le dernier terme de ses jours ! « Nous ne vivons pas, disait l'un des misérables habitants des Marais-Pontins à un étranger étonné que l'on půl exister dans un climat aussi insalubre, nous ne vivors pas, nous mourons , » Tel est le lamentable tableau des misères physiques el morales qui accablent les habitants des contrées ou régncul des causes actives de dégénérescences dans l'espèce. Les conditions dégénératrices peuvent varier selon l'intensile des éléments intoxicants, dont l'action sur l'économie ani male est aiguë ou chronique. Dans le premier cas, se dé veloppent ces états morbides, qui depuis la simple névrose DÉGÉNÉRESCENCES DANS LA BRESSE , LA SOLOGNE , ETC. 619 à lype périodique, connue sous le nom de fiévre intermit - lenle, alleignent parfois les proportions formidables de ces fièvres qui sont le plus haut degré de l'intoxication miasma tique , et que l'on désigne sous les noms de peste, choléra, fièvre jaune, vomito, fièvre des Jungles (Jungle fever ), etc. ( 1 ) .

( 1 ) Il est indispensable que nous entrions dans quelques détails pour bien clablir les relations qai existent entre l'intoxication paladéenne et des fièvres aussi graves que celles dont nous parlons, et entre celle même intoxication , et la constitution cachectique et dégénérée de ceux qui habi'ent les contrées marécageuses. Ce que pons allons dire de la manière de comprendre la production de la peste en Egyple, peut également s'appliquer à d'autres pays où règnent d'autres causes climatériques et hygiéniques , de nature à produire des affections endémiques et à déterminer la dégénérescence de l'espèce. Il existe en Egypte qualre saisons différentes, dans chacune des quelles on obscrve l'évolution régulière des phénomènes suivants : 1 ° La saison humide correspond à l'époque du débordement du Nil . C'est ao mois de juillet que le fleuve sort de son lit ; il y reptre en septembre c1 octobre , et c'est à celle époque que l'on ensemence les terres. Dans celle saison d'épais brouillards couvrent le Delta , et une grande humidité règne dans l'atmosphère. C'est à cette période de l'année que sévissent les ophthal inics, les affections catarrhales, éruptives, les dyssenteries et beaucoup de fièvres intermillentes ; 20 La saison fécondante est le printemps de l'Egypte, qui dure depuis le mois de novembre jusqu'à la fin de février . Des vents d'est entretiennent une chaleur moyenne, qui peut se comparer à celle que nous éprouvons en France dans le mois de juin . Celle saison est éminemment favorable à la végétation , ainsi qu'au maintien de la santé générale. On s'observe à celle époqne aucune des maladies endémiques particnlières à ce pays ; 3• La saison morbide commence au 1er mars pour finir à la fio de mai . Un vent brûlant du sud , le Chamsin , souffle savs interruption pendant cin quante jours el dure plusieurs heures par jour. La chaleur monte parfois à 40° Réaumur. De tous les points du lerritoire s'élèvent des émanations mal saines qni portent en tous lieux leurs miasmes fétides . Dans cette saison les maladies les plus ordinaires prennent un caractère des plus graves ; les plaies tournent facilement à la gangrène ; les lièvres intermittentes simples 020 INFLUENCES PALUDÉENNES. CONSTITUTION GÉOLOGIQUE. Dans le deuxième cas,, il arrive que les temperaments finissent par s'adapter å un milieu intoxicant, et les indi révèlent une forme dangereuse , el la peste, ce résumé de loules les causes d'intoxication qui alligeat l'espèce humaine en ces contrées, éclate alors dans le Delta du Nil , après s'être annoncée d'abord chez beaucoup d'iodi vidas sous la forme de fièvres dites putrides avec péléchies ; 4 ° Enfin commence la saison étésienne. Les maladies régnantes dispa. raissent de nouveau . Les vents rafraichissants du vord chassent les noages de la Méditerranée vers les hauteurs de l'Abyssinic ; les ooits soni fraiches sans être humides, et les fonctions de l'économie bumaine s'exécutent plus facilement. Le retour des mêmes phénomènes reproduit invariablement des effets similaires , et la conversion des fièvres paludéennes en fièvres plus grares de fait aucun doute, dit le docteur Chervín , pour les médecins qui ont pratiqué dans le midi de l'Europe, dans le sud des Etats- Unis d'Amérique, dans les régions équinoxiales des deux continents, et récemment dans le nord de l'Afrique (voir De l'identité des fièvres paludéennes, par Chervin, p. 77). Or, ce n'est pas précisément dans les pays où la fièvre jaune et la peste sont endémiques, que l'on rencontre les types des dégénérescences que pré sentent les différents pays marécageux de l'Europe. Le miasme intoxicant agit avec une intensité trop grande dans certaines contrées équaloriales, et dans d'autres où règnent des causes mixtes comme en Egypte, pour que le tempérament des individus puisse s'adapter à des conditions climalériques aussi mauvaises. Pour ce qui regarde l’Egypte, par exemple, il est certain, ainsi que le fait remarquer le docteur Hecker, que la peste n'a commencé à sévir dans ce pays que vers le vie siècle, et que les autres maladides endé miques, dont il a été fait mention dans l'histoire, avaient un tout autre caràc lère. Je ne puis entrer dans les détails qui prouvent que les conditions so ciales de l'Egypte ne sont plus ce qu'elles étaient au temps des Pharaons et des Plolémées , mais le lecteur pourra facilement induire de l'inobservance des règles de l'hygiène la plus vulgaire, la cause des maladies endémiques qui affligent ce pays , et il comprendra comment, sous cerlaines influences intoxicantes spéciales, les affections ordinaires yy revêtent un caractère aussi grave . Le même esprit de critique apporté dans l'étude des races misérables qui vivent daos les marais de Toscaue, daus les Marais- Pontius , dans les marais DÉGÉNÉRESCENCES DANS LA BRESSE , LA SOLOGNE, ETC. 621 vidus obligés de vivre dans ce milieu délétère, subissent dans leurs personnes et dans celles de leurs descendants des dégénérescences successives. L'existence du fébricitant acclimaté se continue dans certaines conditions qui ne re présentent ni l'état de santé parfaite, ni le danger d'une mort imminente ; il végéte plutôt qu'il ne vit ; et l'état dé génératif qui est la conséquence d'une profonde altération des fonctions nerveuses, idéalise un type qui , tant au point de vue physique, qu'au point de vue moral, nous présente le résumé des phénomènes pathologiques qui s'enchaînent et se commandent réciproquement ( 1 ) . La cachexie et le rabougrissement des individus, les engorgements des principaux viscères et surtout de la rate , salants de la France, dans la Bresse, la Sologne, elc . , ce même esprit de critique, dis- je, nous dévoilera la cause de la dégénérescence de ces popu lations, et nous mettra sur la voic des améliorations qu'il y aurait à apporter à un élal aussi déplorable. Il est certain , ainsi que le dit Tartini (sul boni ficamento delle Maremme) , que dans les Maremmes de la Toscane vivait unc population nombreuse, avant que les changements politiques et les dé vastations des barbares eussent détruit les conquètes de la civilisation . Les Marais - Pontips eux-mêmes , d'après Pline , renſermaient un grand nombre de cités Norissantes. Nous enlrevoyons immédiatement les indications cura lives les plus propres à nous encourager dans la description de pareilles calamités . ( 1 ) On cile des faits extraordinaires d'acclimalement et d'adaptalion des individus à un milicu délétère . Mais ces faits doivent être regardés comme une exception pour ce qui regarde la continuité normale de l'espèce . Quel ques auteurs prétendent que des races de mouton ont prospéré dans des marais où d'autres races périssaient . M. Parcot-Duchatelet cile aussi des exemples singuliers d'acclimatement parmi les ouvriers qui travaillent dans les égonts de Paris . Ce qui est évident, c'est qu'il n'y a pas de milieux si infects, de marais si délétères dans lesquels la pature ne fasse vivre et se propager des élres animés, mais il est certain aussi que ces ètres, adaplés par leur organisation à un pareil milieu, ne pourraient vivre ailleurs. 622 INFLUENCES PALUDÉENNES. CONSTITUTION GÉOLOGIQUE. la langucur et l'inertie de toutes les fonctions, l'aggrava tion des maladies ordinaires, des lésions complexes qui ne peuvent s'expliquer que par l'atonie et le peu de réaction du système nerveux , et finalement la durée moins longue de l'existence sont, au point de vue physique, les carac tères dégénératifs des races paludéennes. La torpeur de l'intelligence , l'apathie, une sorte d'hébétude qui dans cer taines circonstances va jusqu'à l'idiotisme et , dans lous les cas, jusqu'à l'indifférence la plus grande , révèlent le même élément dégénératif dans la sphère des fonctions intellec luelles el affectives ( 1 ) . Cette description générale est de nature à faire ressortir la dégradation physique et morale qui , sous loutes les lati tudes, frappe les populations soumises à l'action de la même cause dégénératrice. Qu'on lise dans Ilippocrate ou dans les auteurs modernes les effets funestes des eaux dor mantes et des marais, et l'on verra les mêmes conséquences pathologiques se reproduire dans tous les climats et sous toutes les latitudes , « Les femmes dans les contrées maré cageuses sont sujettes aux cedèmes et à la leucophlegmasie, dit le père de la médecine ; elles conçoivent difficilement, et leur accouchement est laborieux . Les nouveaux nés sont gros et boursouflés ; mais pendant la nourriture ils maigrissent et deviennent chétifs... Le flux qui suit les couches ne se fait pas d'une manière avantageuse, les en fants sont atteints de hernies ; les hommes le sont de va rices et de plaies aux jambes ; de sorte que la longévité est 1 ( 1 ) Voir à la planche VI , fig . 1 , le type d'un de ces habitants des pays marécageux tels que me les a offerts une constilution géologique du sol spécial de la Meurthe. Cet individu est d'une grande taille, mais l'hébéinde el l'apathic sont empreints sur ses traits . Il n'a jamais ea qu’une intelligence restreinte , el on peut lui appliquer la dénomination de pesant donnée en Suisse aux habitants de certains caplous crétinisés. DÉGÉNÉRESCENCES , ETC. PATHOLOGIE COMPARÉE . 623 impossible avec de pareilles constitutions; la vieillessc arrive avant le temps. » ( Des airs, des caux et des lieux, traduc tion de M. Lillré . ) On le voit, la dégénérescence des races fulures prélude, dans le cas d'intoxication paludéenne, par l'abréviation de l'existence et par l'état cachectique des enfants. On peut s'écrier avec M. Léon Faucher, dans la description qu'il fait des enfants dégénérés qui naissent dans les quartiers malsains de Londres : « Quel héritage qu'un pareil sang pour les générations à venir ( 1 ) ! Et si , comme le dit avec juste raison M. le docteur Michel Lévy, les résultats di rects ou éloignés des endémies ne doivent pas être con fondus avec ceux de la transmission primordiale, elles entrent à leur tour dans l'hérédité par l'altération graduelle des sources de la population . Des parents , devenus scrofu leux par l'action prolongée des canses accidentelles, pro créent des enfants plus disposés à celte maladie qu'ils ne l'étaient eux-mêmes, et si les enfants deviennent scrofuleux par la continuation des conditions d'insalubrité ou leurs parents ont vécu , la deuxième génération naitra avec des caractères non équivoques de la prédisposition à l'af feclion strumeuse . Les habitants des contrées maréca . geuses, affaiblis par les fréquentes récidives de la fièvre, engendrent une race malingre et cacochyme qui transmet à sa descendance des germes d'hérédité morbide ( 2) . » La pathologie comparée nous apprend que les animaux ne sont pas soustrails å l'action funeste que le miasme paludéen exerce sur l'homme, « Les quadrupėdes qui ha bitent les pays marécageux, dit Montfalcon , sont en géné ( 1 ) Léon Faucher, Etudes sur l'Angleterre. Paris , 1856 , 1. I , p. 25 . ( 2) Traité d'hygiène publique et privée, par Michel Lévy ( 2e édition . Paris, 1850 ). 624 INFLUENCES PALUDÉENNES. PATHOLOGIE COMPARÉE. ܪ ral de petite taille . Ils ont peu de force et paraissent être rachitiques ; ils paissent au milieu d'eaux stagnantes , et n'y trouvent que des substances nutritives de qualité vicieuse, à quelques exceptions près... J'ai vu , dit ce même auteur, des vaches et des bæufs étiques, chercher leurs aliments dans des étangs dont l'eau fangeuse atteignait leur poi trine ; ces ruminants, ainsi que les moutons, y dépérissent avec rapidité ; leur chair devient aqueuse, insipide, peu nourrissante ... C'est un fait reconnu que celle des brebis qui paissent dans les lieux marécageux, n'a pas la saveur et la délicatesse de celle des animaux nourris dans un pays sec et élevé ... En général , les grandes espèces dépé rissent dans les sols marécageux : dix ans suffisent au re nouvellement des races, et elles s'abátardissent à la première génération. » (Montfalcon, ouv. cité , p . 112. ) Dans son traité des fièvres intermittentes , Bailly fait observer que le charbon , l'anthrax , les fièvres charbon neuses sont, en quelque sorte, les maladies régnantes parmi les troupeaux en Italie , et la similitude des organes affectés chez l'homme et chez les animaux ( le développe ment énorme de la rale , par exemple) , est de nature å faire ressortir l'identité de l'agent intoxicant et la solidarité qui, dans des occurences semblables , unit les différents ètres de la création. « On sait , dit Bailly, qu'aux environs de Montpellier, par exemple, il y a des villages près des marais, tellement infectés de fièvres intermillentes , que pendant certains étés , sur quinze cents habitants, il y en a plus de douze cents malades ; eh bien, ce sont aussi ces pays qui donnent naissance aux épizooties les plus meur trières qui de lá se répandent dans le reste de la France . » Nulle part , l'action funeste exercée sur les animaux par la constilution géologique du sol , n'a pu élre aussi bien étudiée que dans les grandes steppes de l'Europe, de DÉGÉNÉRESCENCES , ETC. PATHOLOGU : COMPARÉE . 625 l'Asie et de l'Amérique . Quelques races d'animaux, il est vrai , recherchent de préférence le pâturage des sleppes, mais ce fait prouve que dans certaines proportions les prin cipes salins sont indispensables aux animaux. On sait que la Hongrie, l'Ukraine, la Podolie ' et les Pampas d'Amé rique nourrissent des espèces magnifiques, mais lorsque le sel prédomine en trop grande quantité et qu'il s'y joint l'influence pernicieuse de l'élément marécageux, les ani maux ne tardent pas à dépérir. Des ulcères de la peau, des exanthèmes avec une sécrétion acre sont, d'après Kaempfer, des affections fréquentes dans les steppes. Les fièvres intermittentes et rémittentes malignes, ainsi que l'a démontré M. le docteur Mélier ( 1 ) , sont bien plus dange reuses dans les marais salans que partout ailleurs . Enfin, il est incontestable que les steppes sont le berceau de la fameuse peste bovine qui se développe spontanément en Russie et en Hongrie. Ces considérations nous amènent naturellement à parler de quelques constitutions géologiques du sol dans leurs rapports avec les maladies chroniques des hommes et des animaux, et conséquemment avec les différentes dégéné rescences qui peuvent les affecter. Cette étude, ainsi que nous allons le voir dans un instant, peut seule nous donner l'explication de la manière dont se constitue une des plus hideuses dégénérescences dans l'espèce, je veux parler du crétinisme. Elle nous guide aussi d'une manière certaine ( 1 ) Rapport présenté à son excellence le Ministre de l'Agriculture et du Commerce, sur les Marais salants, par M. le docteur F. Mélier . Mé moires de l'Académie de Médecine. Paris , 1847, t. XIII , p. 611 à 706 . Une des conclusions de ce savant médecin est qu'un marais salant bien établi , bien exploité, bien entretenu, n'est pas, en soi , chose insalubre. Ce qui est dangereux , c'est l'abandon , sans précautions préalables, des marais salants. 2 40 626 INFLUENCES DES CONSTITUTIONS GÉOLOGIQUES. 1 - dans les véritables indications curatives fournies par l'hy giène et la prophylaxie. S II . Des rapports qui existent entre les différentes constitutions géolo giques du sol, et les maladies endémiques, ainsi que les dégénéres cences dans les espèces animales. L'étude des rapports de la constitution géologique du sol avec les différentes affections endémiques qui allligent l'espèce humaine, est une science nouvelle . C'est aux pro grés de la chimie et de la géologie, ainsi que le fait juste ment remarquer M. F. Meusinger, qu'il faut rapporter la connaissance plus exacte que nous avons aujourd'hui des sols et des sous- sols . Nous savons que la végétation dé pend en grande partie de la nature des terrains, par la raison que les plantes, outre leurs principes organiques et l'eau , y puisent encore leurs différents éléments inorga - niques. Or, ce n'est pas seulement l'existence des animaux herbivores qui dépend de la nature végétale de telle ou telle contrée , mais il est incontestable que le développe ment normal de l'être humain , sa constitution et le fonc tionnement intégral de ses organes, sont dans des rapports inlimes avec l'air qu'il respire et les végélaux dont il se nourrit, dans certaines conditions géologiques délerminées. Mais cette action médiate des sols n'est pas la seule qu'il soit intéressant de mettre en relief ; ils agissent encore sur les animaux d'une façon immédiate, ainsi que le prouvent les quelques considérations qui suivent. Nous devons aux travaux de MM . Gmelin , Schulze, Müller, Sprengel , Morton et autres géologues, non -seule ment les analyses de beaucoup de roches qui forment des sous -sols et qui par leur désagrégation constituent des sols , mais, grâce aux recherches de ces mêmes savants, nous commençons à élre mieux édifiés sur les influences phy SOLS SABLONNECX , CALCAIRE , ARGILEUX , ETC. 627 siques qu'esercent sur l'homme les différentes constitulions géologiques du sol. Les conclusions que l'on peut déduire de ces travaux sont, d'après Heusinger, les suivantes , et je crois que, dans l'état actuel de nos connaissances, ces conclusions no sont nullement hasardées . Je vais essayer de les dégager de la forme un peu obscure qui les enveloppe dans le livre de cet auteur. Il pense que les sols doivent agir différemment sur la température de l'almosphère, d'après leur plus grande force d'absorption ou de réflexion des rayons solaires, et d'a près cilité plus ou moins grande avec laquelle ils favo risent l'évaporation , et retiennent ou communiquent la chaleur. Les degrés variables dans l'évaporation et dans l'humidité fournis par certains sols , doivent influencer d'une manière différente l'état électrique de l'atmosphère. Par la même raison , les principes, chimiques contenus dans l'air seront modifiés par les émanations telluriques . Le carbone et d'autres éléments encore qui se dégagent du sol par l'évaporation , fournissent non - seulement à l'at mosphère des sels de diverses natures , mais aussi des principes organiques et même des organismes ( spores, aufs, infusoires). Les différentes constitutions géologiques du sol agissent sur le plus ou moins d'humidité de l'atmosphère par la plus ou moins grande radiation de la chaleur. L'influence de ces phénomènes sur la formation des rosées ne saurait etre contestée, et il semble très - logique aussi d'admettre qu'il doit exister de grandes différences dans la composition intime des plantes, selon la nature des terrains où elles croissent. C'est d'eux que les plantes reçoivent leurs prin cipes inorganiques, les sels terreux et alcalins , le soufre, l'iode , une partie même du carbone et tous les autres 3 628 INFLUENCE DES CONSTITUTIONS GÉOLOGIQUES. éléments que l'analyse chimique y découvre . Voyons main tenant ce que l'expérience a démontré relativement à l'in fluence des différents sols sur la nature des plantes qui y croissent, ainsi que sur la santé de l'homme. 1º Sol sablonneux ou siliceux . Ce sol varie considérable . ment, selon la nature du sous-sol . Lorsque l'humidité n'est pas retenue dans la couche inférieure par une constitution géologique spéciale, le sol sablonneux ou siliceux ne forme pas beaucoup de vapeurs, il ne refroidit pas l'atmosphère et n'influe pas d'une manière notable sur son état élec Irique. Il réfléchit la lumière, mais pas aulant que les sols crétacés ; il entre dans la composition des plantes plus que l'argile, mais moins que le calcaire. Si le climat est sec, la végétation dans ce sol est généralement pauvre ; dans un climat bumide elle est souvent belle et même vigoureuse, mais les plantes qui y croissent sont séches et peu suc culentes. Les pommes de terre y contiennent une plus grande proportion d'amylun ; elles y sont plus rarement malades et nourrissent mieux les hommes et les animaux . La rareté des cryptogames dans les terrains de celle nature a fait dire justement à MM. Bosc et Magne, que les animaux s'y font remarquer par la bonne santé, l'é nergie, la sobriété, plutôt que par la taille . Les chevaux y sont vifs el fins. Les ' moutons y ont la chair savou reuse ... Les animaux d'une forte stature n'y réussiraient pas bien. L'Auvergne et les Ardennes nous donnent la preuve de l'une et l'autre assertion, et F. Heusinger croit que l'on peut appliquer les conséquences des précédentes observa tions aux habitants de la Saxe et de la Marche de Brande bourg. Les cachexies et la scrofule sont , d'après cet au teur, aussi rares chez les habitants d'un tel sol , que la pourriture et le charbon chez les animaux domestiques. SOLS SABLONNEUX , CALCAIRE , ARGILEUX, ETC. 629 Celle même constitution géologique détermine incontes tablement d'autres affections ; mais quoi qu'en aient dit quelques auteurs et en particulier Schausberger, il est bien rare qu'elle favorise le crétinisme chez l'homme. Les rap ports de celle dégénérescence avec la formation granilique du sol tiennent à d'autres circonstances que nous allons élucider dans un iostani. 2º Sol calcaire. Dans son ouvrage sur l'influence des ler rains sur les plantes (Ueber Einfluss des Budens, p. 177 à 187) , Unger prétend que le gypse est aussi favorable à l'écoule ment de l'eau que le sable siliceux ; la chaux carbonatee relient bien mieux l'humidité, mais pas autant que le sol argileux . En général , le sol calcaire réfléchit fortement la chaleur, et la grande quantité de chaux carbonique ba sique que renferment beaucoup de roches et de sols attirent l'acide carbonique de l'atmosphère pour former un sel neutre et soluble. D'un autre coté , la chaux carbonatée a une grande ten dance pour entrer dans la composition des plantes qui croissent sur de pareils terrains , et ne peuvent guère vivre dans d'autres sols. M. de Saussure a prouvé que les plantes qui se développent dans les sols calcaires contiennent une plus grande quantité de chaux que celles qui croissent dans les montagnes granitiques . Ce phénomène n'est certaine ment pas sans influence sur les animaux herbivores et même sur l'homme , et le savant naturaliste génevois a dé montré qu'avec une égale quantité de fourrages, les vaches, sur les montagnes granitiques, étaient plus petites , plus maigres et donnaient moins de lait , tandis que sur les mon lagnes calcaires elles étaient plus belles, plus grasses et four nissaient du lait en abondance. On est étonné, dit M. Magne, de trouver de grandes et belles vaches sur quelques mam melons jurassiques, c'est que l'herbe de ces pacages y est 630 INFLUENCES DES CONSTITUTIONS GÉOLOGIQUES. trés- substantielle et nourrit beaucoup plus sous un petit volume; les fourrages artificiels venus sur ces sols sont éminemment nutritifs et propres à l'engraissement. (Gro goier, edit. Magne, p. 20. ) « L'expérience a pareillement appris aux bergers espa gnols, dit Korth ( Schafzucht, t . I , p. 83) , que dans les sols calcaires on pouvait retrancher aux mérinos le sel que l'on doit indispensablement allier à leur nourriture dans les pacages d'été des Deux - Castilles . » La pourriture et le charbon sont rares sur les sols calcaires, tels que le Mu schelkalk ; malheureusement, il n'en est pas de même du calcaire argileux dont la composition plus ou moins variée constitue, ainsi que nous allons le voir dans un instant, une des causes les plus actives de la dégénérescence crélineuse. Disons d'abord quelques mots du sol argileux proprement dit , ainsi que de la constitution géologique des marais. 3° Sol argileux. Les sols argileux favorisent singulière ment le développement des entophytes , de l'ergot, des uridinées ; les graminées y donnent plus de paille que de grains , et ils contiennent beaucoup d'herbes insipides et peu nutritives (Heusinger, ouv . citė, p . 220) . « Les animaux qui vivent sur les terrains argileux ou l'eau est stagnante, dit M. Magne, ne prennent pas de graisse, ils sont faibles , mous, peu propres au travail , souvent affectés de maladies organiques. Les femelles donnent un mince revenu de lail ... Les moutons y con Iractent la pourriture . Les poulains qu'on y élève ont rarement de belles formes ; la tête en est grosse , lourde, l'encolure chargée de crins, le ventre volumineux ; les yeux en sont mauvais , exposés à la fluxion périodique, les os gros, les membres peu dégagés, velus, les pieds grands, plats , à corne molle, les tissus Masques, les muscles mous, sans énergie . SOLS SABLONNEUX , CALCAIRE , ARGILEUX, ETC. 631 Quelquefois ce sol est recouvert d'une légère couche de sable ou de craie , et l'on serait bien trompé, ainsi que le fait ressortir Fodéré dans ses leçons sur les épidémics, si l'on se contentail de juger un tel sol par sa surface ( 1 ) . Il est telle oasis en Arabie, où tout voyageur qui se re pose est inévitablement alleint de la fiévre. Celle circon stance confirme la justesse de la réflexion de Fodéré, qui veut qu'au -dessous de ces sables il y ail , d'espace en espace, un fonds argileux qui retient les eaux dont le mélange avec les détritus des végélaux est ensuite la cause d'émanations mallaisantes . La même constitution géologique du sol forme, d'après MM . Bollex et Rivoire , la cause de l'insalubrité de Ja ( 1 ) Rien ne proave mieux lc danger qu'il y a à juger l'influence des ter vains par la constitution superficielle du sol , que le fait suivant rapporté par M. de Homboldt, dans ses lubleaux de la naturc. Dans la plaioe boisée de l'Orénoque, gisent éparses, sur une surface de 200 licues carrées, quelques couches sédimenleuses qui paraissenl plus élevées que le terrain environ Dant. Les indigènes leur ont donné le nom de Bancs, comme si par une sorte d'intuition, ils avaient devine cel état primitif où ces élévations étaient des bas - fonds, et les steppes mêmes, le lit d'une vaste mer médiler ranéeone. All milieu de ces plaques de rochers arides , grauit el syénite de quelques milliers de pieds de diamètre, à peine garnis de quelques lichen “ , on voit des ilots de terre végétalc couverts d'herbes basses toujours fleu ries. On dirail de petits jardins cultivés dans la solitude : les moines de l'Orénoque supérieur attribuent ( chose singulière) à ces plaines de pierres nues, d'une grande étendue , le pouvoir d'engendrer des fièvres cl d'autres maladies. A cause de celle circonstance , plus d'on village de missionnaires a été abandonné el transplanté ailleurs. Ces grandes plaques de roches ( luaus) agiraient - elles chimiquement sur l'atmosphère, ajoule le célebre naturaliste , ou seulement par une forte réverbération de la chaleur ? Je suis tenté pour ma part de rallacher les fièvres qui existent dans ces contrées à la présetce d'un sous -sol argileux qui retient les eaux et qui constilul dins serilables marais soulerrains. 632 INFLUENCE DES CONSTITUTIONS GÉOLOGIQUES. Dombes, la partie arable n'ayant, dit M. Rivoire, qu'une légère couche d'épaisseur, se laisse facilement pénétrer par les eaux de la pluie, lesquelles arrivées à la couche argi leuse compacle, y séjournent et forment une sorte de marais intérieur. Ces eaux, comme celles qu'absorbe la coucbe végétale, tiennent en macération et en dissolution une foule de débris animaux et végétaux. Ces débris par l'action de la chaleur se décomposent, entrent en fermenta tion, s'évaporent avec l'eau qui les tient en suspension, et se répandent dans l'atmosphère sous formes d'effluves ou d'émanations moins humides, moins aqueuses, si l'on peut s'exprimer ainsi , mais bien plus délétères que celles des étangs. ( Bottex et Rivoire. Causes d'insalubrité de la Dombes.) Dans son traité de la maladie du sang des bêtes à laine, M. Delafond fait ressortir d'une manière frappante l'influence de la constitution géologique du sol sur la com position des plantes et sur les maladies qui règnent spé cialement chez les animaux , qui sont nourris sur ces mêmes sols. Je ne puis m'empêcher de citer les réflexions de l'auteur, car je ne connais pas de meilleure initiation , que l'étude de la constitution géologique du sol , à tout ce qu'il est nécessaire d'entreprendre pour régénérer l'espèce humaine qui s'étiole et dépérit dans les milieux empoi sonnés que lui crée l'élément paludéen. « Dans le Loiret, sur la rive droite de la Loire, dit M. Delafond , se trouve une partie de la Sologne, pays humide et plat, peu cullivé , å surface sablonneuse et å fond argileux. La maladie du sang est inconnue dans cette loca lité, habitée par la race solognote, petite et rustique; mais cette race est souvent décimée par la pourriture et la cachexie aqueuses... » Dans la Bauce ou règne la maladie du sang, le sous-sol est formé par la terre, par l'argile SOLS SABLONNEUX , CALCAIRE , ARGILEUX . 633 blanche et le carbonate de chaux ; on le nomme terre blanche ; souvent cette couche marno-argileuse, parfois recouverte par un peu de sable rouge, est si peu profonde que le soc de la charrue l'amène à la surface du sol ... Ainsi , dans les plaines de la Beauce, le sol renferme les principaux éléments terreux qui concourent à favoriser la végétation des plantes. L'argile lui conserve de l'humi dité et s'oppose à la filtration profonde des sels solubles , le sous - sol marneux lui donne de la chaleur... Les plantes qui poussent sur un tel sol et au milieu d'un air sec et vif, doivent assurément sous un petit volume, renfermer une grande quantité de principes alibiles , et donner par consé quent beaucoup de principes fibrino -albumineux et globu leux au sang des animaux . La mortalité est annuellement plus considérable dans les fermes où la terre cultivée est peu profonde, et recouvre immédiatement le sable ferru gineux , et où le sol cultivable ne forme qu'une couche légère au - dessus du tuf ... 4º Sol marécageux . Malaria. Constitution paludéenne des grande villes, logements insalubres. Types de dégénérescences. Le sol marécageux , celui qui produit le miusme intoxicant, et la malaria, dans le cas où le mal se généralise par la conversion d'une grande étendue de pays en marais, ce sol marécageux, dis -je, exige pour sa formation les condi tions suivantes : un sol argileux qui retienne les eaux et empêche leur filtration ; la présence d'un bassin où les eaux puissent séjourner el où les corps organiques se dé composent, el enfin une température assez élevée pour déterminer l'évaporation des eaux chargées d'un principe miasmatique plus ou moins délélére , selon la nature des corps putréfiés qui ont fourni à sa composition . On se tromperait néanmoins si l'on croyait que le sol marécageux , tel que nous le décrivons, produit scul la 634 SOL MARÉCAGEUX . MALARIA DES GRANDES VILLES. Malaria ( 1 ) . Il existe des sols qui n'ont pas l'apparence des marais et qui en contiennent tous les éléments, tels sont les anciens marais et les étangs desséchés (Mac -Culloch ou malaria, p. 98 à 106) . Les hygiénistes citent encore les sols tertiaires , secs et souvent stériles, mais qui ancienne ment formaient le fond des mers et des marais, et qui contiennent encore des masses décomposables. Toutefois, il est utile d'ajouter que la nocuité de ces espèces de sols est dans des rapports essentiels avec la chaleur et l'humi dité, qui båtent et développent la décomposition des sels et surtout des sulfates. Les Maremmes de la Toscane nous offrent l'exemple d'un sol qui, pour ne pas avoir la consti lution spéciale des marais, n'en développe pas moins une malaria des plus funestes . M. Savi , qui s'est occupé de ces recherches, a remarqué que dans les contrées de Vol terra où la malaria sévit avec intensité , le sol est surtout formé par une marne bleuc, argileuse, marne de la période ( 1 ) Nous ne pouvons , va la spécialité de notre ouvre, aborder l'étude des recherches chimiques el physiologiques pour ce qui regarde la for malion et les propriétés de la malaria . Il parait cependant conslant, d'a près les travaux de Luciani , que le principe de la malaria est renfermé dans les vapeurs de l'almosphère ; l'air sec et sans vapeur o'en contient jamais . Les vapeurs et les brouillards qui transportent ces miasmes délélères se distinguent souvent par leur couleur qui est plus opaque, blanche ou grise, el par une odeur spécifique, ainsi que le rapportent les auteurs qui ool éludié ces phénomènes aux embouchures du Gange et de l'Iodus. Lorsque les Mexicains descendent des montagnes vers la plaine de Vera - Cruz, ci qu'ils aperçoivent ce brouillard blanc on gris qui s'élève leotement au lever du soleil et qui exhale une odeur inſecte, ils l'appellent le drap funèbre des Savannes. J'ai souvent pour ma part scpli cette odeur dans les brouillards qui déterminaient iavariablement la rouille des fooges de pommes de terre , el ultérieurement la maladie de ce tubercule . (Consultez T. Hopkios, Observations sur la nature et les effets du Malaria daas Annales d'hy yiène publique. Paris, 1831 , 1. XXV, p . 30. ) LOGEMENTS INSALUBRES, CAUSES DE DÉGÉNÉRESCENCE . 635 tertiaire , connue sous le nom de Mallajone. Des sols de celte nature forment aussi, d'après Heusinger, les steppes de la Russie. Il est de ces terrains qui ne deviennent mal sains que lorsque la culture a développé les miasmes que renferment de pareils sols ; mais il en est d'autres qui n'ont pas besoin de cette circonstance pour devenir très-nui sibles ( 1 ) , témoin les terrains alluvionnaires . Transportons maintenant cette étude du miasme intoxi cant au centre des grandes villes , et dans tous ces milieux infects où la population entassée respire un air vicié , et ( 1 ) Le transport de ces miasmes à des distances souvent énormes est um fail généralement admis, quoique les données scientifiques manquent cncore pour l'établir complétement. « On est persuadé aux Antilles, dit M. Moreau de Joonès, que les vents du sud qui ont passé sur les forèls humides de la Gnyane et du Delta de l'Orénoque apportenl les germes de la fièvre jaune. » Ce même auteur paraît ajouter confiance au moyen prophylactique employé par les Orientaux pour empêcher l'introduction dans l'économie du miasme pestilentiel. « Au milieu des marécages les plus redoutables des Indes occidentales, il nous a suſſi, pour éviter l'infection, de sommeiller enveloppés dans un tisso qui, sans intercepter l'air , arrêtait le miasme pernicieux, à peu près comme la loile métallique de la lampe des mines laisse passer la lamière sans permellre aux mofertes de s'ouvrir un passage » (Moreau de Joonès, Action des forêts, p . 98). La même opinion est exprimée par M. Magendie : « Ce sont ces mêmes exhalations putrides qui donnent lieu aux fièvres intermillenles des marais , lièvres que l'on évile quelquefois en se couvrant, pendant le sommeil , la figure avec un voile . L'air en Traversant son lissu se trouve pour ainsi dire tamisé , et arrive à l’organe respiraloire épuré des molécules végétales cl animales dont il était chargé. » (Magendic, Phénomènes physiques de la vic. Paris, 1842, 1. IV, p . 199. ) Quoi qn'il en soit , d'après les principaux auteurs qui se sont occupés de la question , deux choses sont nécessaires au développement du miasmo intoxicunt : la présence de corps organiques en décomposition et l'action de la chaleur. Plusieurs chimistes et en particulier Volla, Moscali, Thénard cl , dans ces derniers temps , M. Boussingault, se sont occupés de l'analyse do ce miasme. 636 SOL MARÉCAGEUX . MALARIA DES GRANDES VILLES . nous verrons les mêmes phénomènes pathologiques pro duire non -seulement les accidents aigus connus sous le nom d'affections typhoïdes ou de typhus proprement dit , mais nous aurons occasion de signaler l'étiolement de la race humaine , et une dégradation qui ne le cède en rien à celle que l'on remarque chez les habitants des pays maré-. cageux et chez les populations crétinisées . Ici , nous n'avons que l'embarras de choisir nos exemples, tant celle question des logements insalubres et des quar tiers malsains de certaines grandes villes , est devenue le pointde mire des hygiénistes modernes

nous suivrons pro

visoirement M. Léon Faucher dans les études qu'il a publiées sur les classes ouvrières en Angleterre , et la description qu'il a faite des rues de White - Chapel , à Londres , pourra servir d'introdution à l'histoire de la dégénérescence des classes nécessiteuses dans les grands centres de population . Depuis que la fièvre a décimé la population de ce quartier, dit M. Léon Faucher, l'on s'est décidé à con struire des égouts dans les rues principales , et quelles rues ! Mais l'enlèvement des immondices ne s'opère encore qu'une fois la semaine

on les enlasse pendant sept jours sur la voie publique, qui se couvre ainsi d'un lit permanent de

fumier... Suivez ces rues étroites qui sont les grandes ar tères de la circulation

à droite et à gauche , de distance en distance, s'ouvrent des impasses bordées de maisons à tra vers lesquelles on pénètre dans des cours enfoncées entre quatre murailles , et qui aboutissent à d'autres cours , le tout sans écoulement pour les eaux pluviales et ménagères, sans pavé pour assécher le sol , sans issue pour la circula tion de l'air

les espaces ouverts, je n'ose pas les appeler

des places publiques, présentent quelquefois sur une élen due de trois cents pieds, un marais où les matières animales et végétales s'enlassent à l'état de putrefaction , ct une

LOGEMENTS INSALUBRES, CAUSES DE DÉGÉNÉRESCENCE . 637 fange séculaire s'accumule partout . Dans cet affreux Jabi rynthe chaque famille n'a qu'une chambre pour se loger, quelquefois une chambre réunit deux familles... ( 1 ) . Les enquetes ordonnées à diverses reprises par le gou vernoment anglais ont révélé, on le sait, les faits les plus déplorables (2) . Une quantité de familles n'ayant que la mème chambre, et souvent le même lit puisent dans ces milieux méphitiques le germe de loutes sortes de maladies physiques et morales : et voici comment s'exprime à ce sujet un médecin anglais , M. Toynbee, à propos de l'en quele dirigée par Lord Sandon, au centre même de West End, dans la paroisse de Saint- Georges, à Londres. « Cet encombrement méphitique, qui se retrouve dans les plus beaux quartiers comme dans les plus bideux, partout enfin où des classes laborieuses peuvent obtenir un gite, outre ( 1 ) Léon Faucher. Etudes sur l’Angleterre, t . I , p. 24. (2) Le fait le plus saillant qui résulte de ces enquėles est celui de l'im moralité qui règne dans de pareils milieux . La dégradation intellectuelle et morale y alleint ses dernières limiles , et il n'est pas nécessaire d’élre initié à la théorie des dégénérescences dans l'espèce par les éludes que nous pour suivons , pour se faire uoe idée de l'avenir physique et moral des généra lions qui naissent et croissent dans de pareilles conditions. Si même nous ne voulons examiner que le côlé physique de la question, celui de l'influence exercée sur la santé par le miasme méphitique qui se dégage dans ces antres ou s'entassent les élres humains, nous aurons occasion de faire des rap prochements instructifs sur la nocuité des almosphères pestilentielles , soit qu'on étudie la question au milieu des Marais- Ponlins, ou dans les logements insalubres . Dans un des rapports dont je parle, on a donné une statistique qui établit d'une manière irrefragable le fait suivant : la mortalité est double dans les quartiers de Londres, exclusivement peuplés par les pauvres ' ouvriers (Report of the comissionners for inquinring into the stale of large towns and populous districts ). L'ouvrage de M. Léon Faucher ne laisse malheureusement rien à désirer sous le rapport du chiffre plus élevé de la mortalité et de la criminalité dans ces mêmes conditions . 038 SOL MARÉCAGEUX . MALARIA DES GRANDES VILLES . 1

1 1 la funeste influence qu'il exerce sur leur santé, lend å de nalurer les aſſections et à eſfacer toule Dotion morale . Selon le témoignage unanime des commissaires employés dans l'enquête sur le travail des enfants , partout où les hommes et les femmes passent la nuit dans la même chambre, les femmes deviennent communes aux hommes, et la promiscuité s'établit . » De pareils faits ne justifien! que trop celle observation du docteur Southwood-Smith : Dans les rues fungeuses et dans les foules agglomérées de nos grandes villes, on peut voir la figure humaine dégénérer el descendre au niveau de la brute, pendant que les maurs s'ac. coutument de celle dégradation . Ces conditions déplorables ne sont pas spéciales à l'An gleterre, et on les retrouve, à des degrés divers, dans les grands centres industriels. Elles se résument toutes dans les influences pernicieuses, soit de l'ordre physique, soit de l'ordre moral, qui s'exercent dans de pareils milieux . En décrivant les logements insalubres qu'il a examinés à Lille , de 1837 à 1840 , M. Villermé s'esprime ainsi : « Je voudrais ne rien ajouter à ce détail des choses hideuses qui révèlent, au premier coup d'æil , la profonde misére des malheureux habitants ; mais je dois dire que dans plu sieurs des lits dont je viens de parler, j'ai vu reposer ensemble des individus des deux sexes et d'ages très- diffé rents , la plupart sans chemises et d'une saleté repoussante ; père, mére, vieillards , enfants, adultes, s'y pressent, s'y entassent. Je m'arrête ... Le lecteur achèvera le tableau ; mais je le préviens que s'il tient à l'avoir fidèle, son imagi nation ne doit reculer devant aucun des mystères dégou tants qui s'accomplissent sur ces couches impures, au sein de l'obscurité et de l'ivresse ( 1 ) . ( 1 ) Villermé. Tableau de l'état physique et moral des ouvriers employés LOGEMENTS INSALUBRES, CAUSES DE DÉGÉNÉRESCENCE . 639 Quel héritage, nous écrierons- nons, avec M. Léon Fau cher, qu’un pareil sang pour les générations à venir. Iso lons un moment, si c'est possible, la question physique de la question morale, et examinons- la seulement au point de vue des influences marécageuses. Nulle part , malheureuse ment, nous ne pourrons l'étudier par son côté le plus vrai et le plus saisissant , aussi bien que dans les grands centres industriels , et particulièrement en Angleterre. « Partout où il y a des marais, dit le docteur Chadwick , dans son rapport sur l'état sanitaire des classes laboricuscs, il se trouve des reptiles pour les habiter, et le seul moyen de s'en délivrer, dit - il , est de dessécher les marais . » Telle est la conclusion bygiénique du rapport de ce médecin , dà pro pos de l'état misérable dans lequel croupissent les ouvriers Irlandais å White - Chapel , dans le sein de la capitale du Royaume-Uni. L'air qu'on y respire rend les abords de la vie bien difficiles, et pour ceux qui en jouissent il en abrège la durée. « Il meurt à White -Chapel, dit M. Léon Faucher, un enfant sur deux ! presque autant qu'à Manchester et å Liverpool ! Les chances de vivre qui sont dans le West End de 26 ans, pour la classe des artisans et des domes tiques, y descendent å 22 pour l'union de White- Chapel, et à 16 pour celle de Bethnal- Green . » « Voilà donc , dit le docteur Chadwick, les conséquences de l'élal effroyable dans lequel on laisse White -Chapel; la dans les manufactures de colon , de laine et de soie, t. I , p . 82. Depuis celle époque, si je suis bien ipformé, les coodilions des logements de la classe ouvrière se sont améliorées à Lille . ( Voyez Joire . Des logements du pauvre et de l'ouvrier considérés sous le rapport de l'hygiène publique et privce dans les villes industrielles dans Annales d'hygiène zrublique, 1. XLV , p . 290.) Il en est de même à Rouen, quoique certains quartiers, celui de Marlaioville en particulier, laissent beaucoup à désirer , sous le rapport de la salubrité des logements. 640 SOL MARÉCAGEUX . MALARIA DES GRANDES VILLES. a fièvre y est aujourd'hui endémique, et y met lous les aus la population en coupe réglée. New-York a la fièvre jaune en permanence, le Caire la peste, Rome la malaria, et Londres le typbus . » La négligence des hommes devient aussi meurtrière par ses conséquences dans la capitale de la Grande- Brelagne, que peuvent l'être sous le tropique l'effluve des eaux et le souffle des vents . « La chambre d'un malade allaqué de la fièvre , dans un appartement de Londres , où l'air frais ne circule pas, dit le docteur Smith, est dans des condi tions parfaitement semblables à celles d'un marais d'Ethio pie ou pourrissent des amas de sauterelles. Le poison qui s'engendre dans les deux cas est le même, et ne se distingue qu'au degré de puissance qu'il déploie . La pature avec son soleil brûlant, avec ses vents languissants, avec ses marais putrides, manufacture la peste sur une immense et formi dable échelle . La pauvreté, dans sa butle, couverte de bail lons, enveloppée de sa fange, s'efforçant d'écarter l'air pur et d'augmenter la chaleur, ne réussit que trop bien à imiter la nature . Le procédé est le même ainsi que le pro duit ; il n'y a d'autre différence que la grandeur des ré sultats. » On pense peut - être qu'après ce qu'on vient de lire, il n'y a plus rien à ajouter à la description des milieux mé. phitiques dans lesquels les êtres humains puisent les prin cipes de la malaria des grandes villes . Malheureusement , il est possible, encore de renchérir sur ces tableaux sans que pour cela l'imagination fasse les frais de pareilles ca lamités ; il suffit de citer les paroles des hommes hono rables qui ont observé les faits, soit qu'ils aient pris eux mêmes celle initiative , soit qu'ils aient accompli la mission dont la sollicitude des gouvernements ou des administra. tions les avait investis. LOGEMENTS INSALUBRES. CAUSES DE DÉGÉNÉRESCENCE . 641 « Les logements des ouvriers à Liverpool sont encore plus insalubres qu'ils ne sont misérables , dit M. Léon Fau cher, les familles y vivent en majeure partie dans les caves ( cellars ), ou dans des cours fermées, et manquent d'air avant de manquer de pain . On compte sept mille caves habitées par plus de vingt mille personnes ; cinquante à soixante mille personnes peuplent les arrières-cours . » > Les caves dans lesquelles végétent les tisserands de la Picardie et de la Flandre, sont des habitations de luxe au près de celles que recherche la population irlandaise å Liverpool . Que l'on se représente des espèces de trous de dix à douze pieds carrés de surface, ayant souvent moins de six pieds anglais de hauteur, en sorte qu'il est difficile å un homme de s'y tenir debout : ces tanières n'ont pas de fenêtres ;; l'air et la lumière n'y pénétrent que par la porte dont la partie supérieure est généralement au niveau de la rue . On y descend , comme dans un puits, par une échelle ou par un escalier presque droit . L'eau , la pous sière et la boue s'accumulent au fond, et comme le sol у est rarement parquelé , et que d'un autre coté aucune espèce de ventilation n'y est possible, il y règne une épaisse humidité . Dans quelques endroits, la cave a deux com partiments dont le second, qui sert de chambre à coucher, ne reçoit de jour que par le premier. Chaque cave est ba bitée par trois , quatre et jusqu'à cinq personnes . » (Léon Faucher, ouv . cité, tome 1 , p . 200. ) Ces descriptions que nous pourrions multiplier se com plėtent par les conséquences pathologiques que ces mi lieux pestiférés engendrent . Ces conséquences sont pré vues, elles sont inévitables. Les fièvres les plus pernicieuses régnent dans de pareilles conditions de logement ; le prin cipe intoxicant y est plus actif encore que dans les consti tutions marécageuses du sol des campagnes ; les généra 41 642 SOL MARÉCAGEUX. MALARIA DES GRANDES VILLES. tions présentes y sont moissonnées avant d'avoir atteint la moyenne de la vie humaine, et les sources de la vie sont empoisonnées pour les générations futures,. La mortalité se mesure partout à la densité des agglo mérations, a dit M. le docteur Duncan , mais il n'est pas besoin de citer les chiffres impitoyables de la statistique pour prouver cette assertion . Nous n'avons pas de peine à ajouter foi au témoignage de M. le docteur Duncan ( 1 ) , lorsqu'il explique comment l'air de Liverpool, vicié par cette agglomération contre nature, devient une sorte de poison qui agit, tantot en engendrant des épidémies , tantot en affaiblissant les constitutions et en les prédisposant aux maladies de toute espèce . Les cas de fièvre, y compris le typhus, sont infiniment plus nombreux dans cette ville que dans le reste du Royaume-Uni . Mais le fait le plus ami geant de la funèbre énumération donnée par M. le docteur Duncan, est , dit avec raison M. Léon Faucher, la morta lité qui se déclare parmi les enfants : 53 sur 100 meurent avant d'avoir atteint leur cinquième année, et ils meurent presque tous dans les convulsions, au point que les décès provenant de celle cause sont dans la proportion de 14,79/ 100 pour cent avec le nombre total. Quelle barbare imprévoyance n'y a- t- il pas , dirons-nous avec l'auteur que nous venons de citer, å tolérer ces entassements pesti lentiels des populations qui ont pour effet nécessaire la mort d'un enfant sur deux. M. le docteur Duncan n'a pas de peine non plus à élablir que les classes pauvres étant les plus mal logées, les plus agglomérées, sont aussi celles que le poison almosphérique épargne le moins. L'influence ( 1 ) On peut à ce sujet consulter les ipléressants rapports de M. Chad wick : On sanitary condition of labouring classes. 5 vol . in- 8°, el , On health of lowns, 2 vol . in - 8° .

LOGEMENTS INSALUBRES. CAUSES DE DÉGÉNÉRESCENCE. 643 et l'intensité de la fièvre se calculent rigoureusement, d'a près la quantité d'air respirable pour chaque individu. Tandis que dans tel quartier de la ville , la fièvre n'atteint qu'une personne sur 237, dans d'autres elle altaque une personne sur 26. Le milieu où la fièvre agit avec une telle in tepsité est celui où les caves et les cours qui servent à loger les ouvriers sont le plus obscures, le plus humides , et où le sol est le plus mal disposé pour l'écoulement des eaux . Mais c'est en vain que nous tentons , à propos de l'in toxication paludéenne , de poursuivre l'étude de cette cause spéciale de dégénérescence au point de vue physiologique , en l'isolant de son côté moral . Les causes que , dans mes considérations anthropologiques , j'ai désignées sous le nom de causes mixtes ( 1 ) , vont, pour ce qui regarde l'étude d'un élément dégénérateur spécial , se présenter à notre observation avec la complexité des phénomènes morbides que ces causes déterminent dans l'organisme. La malaria des grandes villes , qui produit dans des pro portions si formidables la dégénérescence de l'espèce ( 2 ), n'agit pas seule dans les circonstances que je signale ; n'ou blions pas que dans la généralité des cas , les conditions insalubres des logements dans les villes atteignent surtout les ouvriers des fabriques ; ils ne sortent d'une atmosphère viciée que pour rentrer dans une autre qui ne l'est pas moins. Et puis encore, pourquoi reculerions- nous devant l'examen des faits déplorables que les enquêtes modernes ont mis au jour, pour ce qui regarde la moralité des ou vriers ? A Dieu ne plaise que nous les rendions exclusive ( 1 ) Voir dans le Traité des dégénérescences le § V : Influence differen tielle des agents intoxicants selon les climals et la civilisation . Causes mixles. Déviation de la loi morale , etc. , 406 à 488 . (2) Voyez Th. Hopkins, Observations sur la nature et les effets du malaria ( Annales d'hygiène publique, 1841 , l . XXV, p . 33) . 644 ÉTAT INTELLECTUEL ET MORAL DES CLASSES OUVRIÈRES. ment responsables des résultats funestes qu'engendrent la misère, le manque de toute prévoyance (cette accusation tant de fois répétée ), l'absence de toute culture intellectuelle et morale, l'appétence pour les jouissances matérielles dont les classes supérieures leur donnent l'exemple, et celle sombre indifférence, enfin , qui les porte à jouir du présent sans se préoccuper de l'avenir . L'abus des boissons alcooli ques, cette cause de tant de calamités, n'est que trop sou vent chez eux une habitude engendrée par le désespoir et rendue irrésistible par l'oubli momentané qu'elle leur pro cure des angoisses de l'existence. La nourriture insuffisante, altérée ou falsifiée qu'ils absorbent, est pareillement une de ces causes dégénératrices dont il leur est difficile d'éviter les conséquences fatales; encore une fois, nous n'accusons pas ; nous ne faisons pas le procès de l'industrie ( notre manière de voir, à ce sujet, a déjà été formulée ), nous décrivons l'action des causes dégénératrices, et nous cher chons à nous rendre compte du mode de formation des variétés maladives dans l'espèce ( 1 ) . L'examen rapide que nous allons faire des conditions d'existence intellectuelle , physique et morale des ouvriers dans les fabriques, et particulièrement des enfants, n'est pas non plus une digression . Nous marchons imperturbablement å potre but, et l'examen de la constitution géologique du sol pour ce qui regarde la production du crétinisme sera le couronnement de notre æuvre, à laquelle nous annexe rons dans un chapitre final les déductions pratiques qu'il est permis d'en tirer, tant au point de vue de l'étude des causes dégénératrices qu'à celui de leur traitement . ( 1 ) En dehors des ouvrages mentionnés dans le répertoire bibliographiqae, consulter spécialement Lettres sur l'organisation du travail, ou études sur les principales causes de la misère et sur les moyens propres pour y remedier (Michel Chevalier. Paris, 1848) . DÉGÉNÉRESCENCE DES ENFANTS (TRAVAIL DES MINES) , 645 S III . Des conditions intellectuelles, physiques et morales des ouvriers des fabriques dans leurs rapports avec les dégénérescences . Des causes dégénératrices chez les enfants . Lorsque les lois préservatrices dont le gouvernement anglais crut devoir s'armer pour sauver d'une dégénéres cence complète le nombre infini d'enfants employés dans les fabriques, eurent produit leur effet, ce même gouverne, ment voulut savoir ce que devenaient les enfants qui avaient déserté les manufactures. Le 4 août 1840 , sur la proposi lion de lord Ashley , la chambre des communes provoqua une enquêle sur l'état des enfants et des adolescents em ployés dans les mines et les ateliers que n'atteignaient pas les dispositions de l'acte rendu en 1833. L'enquête, dirigée par les hommes les plus honorables et les plus expéri mentés, se prolongea prés de deux années . Les rapporls . de cette commission , dit M. Léon Faucher, prouvèrent que la sollicitude du législateur ne s'était pas portée jusque -là sur des individus qui avaient le plus grand besoin de sa protection , et que les travaux dans les manufactures pouvaient passer pour salubres , si l'on venait à les compa rer à ces travaux auxiliaires que la manufacture suscite, et qui ont pour objet, soit de lui fournir la puissance motrice, soit d'achever les produits. Une horrible clarté , dit le célèbre économiste sur lequel je m'appuie, fut projetée sur des faits qui semblent appar tenir à un autre siècle, et dont on n'aurait jamais soup conné l'existence au sein d'un pays civilisé . Dans les mines de houille , les enfants commençaient souvent à travailler dès l'âge de quatre ou cinq ans . On les employait en qualité de trappeurs. Accroupis derrière une porle ou trappe, leur fonction consistait à l'ouvrir , pour 646 ÉTAT INTELLECTUEL ET MORAL DES CLASSES OUVRIÈRES. laisser passer les wagons chargés de bouille et à la fermer aussitôt après . Si le trappeur eût négligé de la reſermer, les gaz qui se dégagent du charbon venant à s'échauffer, auraient pu faire explosion . C'est donc ce petit ètre, dans l'age de l'imprévoyance et à demi hébélé par la solitude , qui répondait de la sûreté de la mine, et qui avait , pour ainsi dire, droit de vie ou de mort sur les ouvriers . Rien de plus triste que son existence . Il descendait dans un puits å trois ou quatre heures du matin , pour n'en sortir qu'à cinq ou six du soir. Le dimanche seulement, il lui était donné de contempler la clarté du jour, et de respirer cet air libre qui vivifie les enfants aussi bien que les plantes. Tout le long de la semaine il restait dans l'obscurité et l'humidité, n'ayant d'autre distraction que celle d'aperce voir de temps en temps la lampe qui éclairait le passage des convois. C'était l'emprisonnement solitaire , l'empri sonnement ténébreux appliqué , sans motif possible de dé. lit , à la plus tendre , à la plus innocenle enfance. « A huit ou neuf ans les enfants étaient employés à trai ner ou à pousser les wagons des endroits où l'ouvrier dé tache la houille aux principales galeries . Le toit de la mine étant souvent très-bas, ces enfants devaient ramper sur leurs mains , une courroie passée autour du corps, et sup. portant la chaîne du wagon , absolument dans l'attitude d'une bête de somme chargée de son harnais . En Ecosse, il leur fallait grimper le long d'échelles presque verticales, portant une charge de bouille sur leur dos . Les garçons et les filles étaient employés partout indifféremment. Ce travail pénible el.qui exige un grand déploiement de forces mus culaires , durait quelquefois douze ou quatorze beures sans interruption . Les commissaires ont remarqué que lorsque les enfants ne descendaient pas dans la mine avant l'âge de dix ans, > ct DÉGÉNÉRESCENCE DES ENFANTS (TRAVAIL DES MINES) . 647 C ce rude labeur, tout en arrêtant leur croissance , dévelop pait leur vigueur musculaire . Les mineurs sont plus pe tits , mais plus carrés que les autres ouvriers. Au reste , cette vigueur un peu monstrueuse ne dure pas, et nous allons voir se reproduire ici le fait pathologique que nous avons signalé chez les habitants des pays marécageux . Entre vingt et trente ans, est-il dit dans ce rapport , les forces d'un mi neur déclinent ; il est vieux avant cinquante ans . Mais lorsque le travail commence trop tot , l'enfant perd sa frai cheur et sa force ; il devient rachitique et s'étiole , comme une plante qui ne voit pas la lumière . Que l'on joigne à ces conditions les mauvais traitements qui vont souvent jus qu'à la mutilation , el au meurtre même, et l'on aura une idée du sort que l'on réservait à ces malheureux pour les quels le nom d'esclaves eût été trop doux . Que dire de leur condition morale ? Il ne pouvait être question d'instruire des enfants qui passaient douze å qua lorze heures par jour à six cents pieds sous terre , et le reste de leur temps à réparer leðrs forces par un sommeil qui leur semblait toujours trop court . Les apprentis mi neurs fréquentaient rarement les écoles du dimanche et les églises , car leurs parents s'emparaient de leurs salaires pour le dépenser dans les cabarets ; la famille n'avait jamais de vêtements de rechange à leur offrir, les deux tiers des enfants ne savaient pas lire ; la plupart n'avaient jamais songé qu'ils eussent une ame, ni qu'il existat un Dieu . En revanche, il y avait pour eux une école toujours ouverte au sein de leurs travaux, école de blasphème et de dé bauche , à laquelle ils ne pouvaient pas échapper. Les hommes et les femmes mariées ou non , et même les femmes enceintes, les jeunes garçons et les jeunes filles travaillaient à peu près nus dans les mines ; ils travaillaient péle- méle, aux mêmes heures et aux mêmes occupations. Il en résul. > 648 ÉTAT INTELLECTUEL ET MORAL DES CLASSES OUVRIÈRES. > tait que dès l'âge de douze ans un apprenti buvait, fumait, jurait et tenait le langage le plus obscène. Dans cette classe d'ouvriers, le concubinage était de règle, et les naissances illégitimes étaient tellement communes qu'on ne les remar quait plus ; les vols , les rixes, les soulèvements tenaient les districts houillers dans un état perpétuel d'agitation . » Dans les mines de cuivre, de plomb et de zinc, l'immo ralité des ouvriers était moins grande , mais leurs forces déclinaient plus rapidement, et les organes de la respira tion étaient attaqués de maladies qui amenaient une inca. pacité absolue de travail , quand elles n'abrégaient pas la vie ( 1 ) . ( 1 ) Voir pour plus de détails sur ce sujet l'ouvrage cité de M. Léon Fau cher . Cette influence pernicieuse des mines de cuivre et de plomb rendre dans les études spéciales que nous avons failes sur l'intoxication par ces miné raux dans les fabriques où l'on travaille le cuivre et le plomb ( voir dans le Traité des dégénérescences les de l'intoxication par les poisonsminéraux et de leur action sur l'organisme, p . 186) . La multiplicité des sujets que j'ai été obligé d'aborder ne m'a pas permis, à propos des différentes con stitutions géologiques du sol , de parler des terrains minéraux. Le sol fer rugineux a été le sujel des observations de MM. Liebig , Weikard, Heyne (Madras, Quaterly Journal, 1841 , n° 10) , et surtout de M. Delafond pour ce qui regarde la maladie du sang chez les animaux . Quelques -unes des théories émises sur les sols ferrugineux dans leurs rapports avec les affec tions utérines des femmes sont peut- être hasardées ; mais ce qui l'est moins, c'est l'action spécifique des terrains plombifères sur la santé des hommes et sur celle des animaux . Déjà, en 1761 , Stokes ( Edinburgh Essays) avait observé que les vaches, les chevaux et les brebis qui paissent dans les contrées des mines de plomb en éprouvaient des effets funestes . Les chiens y sont alteints de coliques de plomb et les oiseaux cessent de pondre. Carle avait fait les mêmes obscrva tions dans le Derbyshire, en 1678. Heusinger a remarqué dans la Carinthie l'influence délétère exercée sur les plantes , les quadrupèdes et les oiseaux, par les caux qui contiennent de l'oxyde de plomb . M. Kuers (Diätelik, DÉGÉNÉRESCENCE DES ENFANTS ( TRAVAIL DES MINES) . 619 Une grande amélioration a sans doute été apportée dans une situation pareille , mais elle a produit des fruits assez malheureux pour mériter d'être mentionnés . Le mal que nous signalons se révèle d'ailleurs dans d'autres conditions non moins défavorables à l'amélioration de l'espèce hu maine, pour que le lecteur nous sache gré d'en dire quel ques mots. Une fois entré dans la voie des enquêtes sur les causes de la dégradation physique et morale des enfants qui tra vaillaient dans les manufactures , le gouvernement anglais poursuivit ses investigations sans relâche. Il faut avouer que les faits qui venaient à la connaissance de l'autorité étaient bien de nature å éveiller sa sollicitude . La progres sion effrayante de la criminalité chez les enfants au - des sous de quinze ans , était déjà, indépendamment d'autres circonstances , un symptome des plus graves . Et que l'on de croie pas que les fautes commises par les enfants étaient de ces simples délits qui rentrent dans la pénalité du vaga liv . Iºr , p . 58) prétend que sur ces mêmes terrains, les brebis ne réussissent pas . M. Meyer ( Verheerungen der Innersten , Gollingue 1822) a fait des observations très - étendues sur l'action des mines de plomb davs le Harz . Les poules , les canards et les oies soumis à ces influences iploxicanles , ne pondent plus- el très - souvent ils y succombent. Rien de si commun, d'après cet auleur, que les avortements chez les animaux domestiques. Dans le n° 2 du Casper Wochenschrift, 1836 , M. Sander fait des remarques analogues sur l'action des vapeurs de plomb dans les usines du Harz. Fuchs a décrit avec détail les maladies de plomb des animaux domestiques dans la Prusse -Rhé panne ( Die schädlichen Einflüsse der Bleibergewerke, Berlin 1842) . Il est très - probable, comme le fait observer M. Heusinger, que les sols qui contiennent du mercure, du cuivre , de l'arsenic, etc. , produisent une action non moins malfaisanle sur l'homme el sur les animaux . Quelques observations de Roraas , pour ce qui regarde la Suède, lendraient à le faire supposer, mais ce sujet d'hygiène si intéressant a besoin encore d'être éclairé par des observations nonvelles . 650 ÉTAT INTELLECTUEL ET MORAL DES CLASSES OUVRIÈRES. bondage ou même du vol . Le bilan de la justice dans le Royaume- Uni se résume par des chiffres tellement signi ficatifs, que M. Léon Faucher est en droit de dire, avec beaucoup de raison : « Le progrès du crime , lorsqu'il se manifeste avec cette rapidité violente, est toujours le symp tome de quelque trouble dans l'économie intérieure de la Société ( 1 ) . ) Arrivons aux faits signalés par ces enquêtes, et nous > ( 1 ) On avail complé dans l'Anglelerre proprement dile, 6,590 accusés pour 1814 ; ce nombre s'éleva soudainement à 7,818 en 1815 ; à 9,091 en 1816 ; à 13,902 en 1817, accroissement de 118 pour 100 en trois années . En 1842, le nombre des accusés étail de 31,309, accroissement de 391 pour 100 . Nous ne voyons aucune utilité immédiate pour les études que nous pour suivons , à faire le tableau comparatif de la criminalité en Angleterre et en France ; mais il est de fait, que pour le premier de ces pays la proportion est bien plus forte, en ce qui regarde surlout les grands centres de popu lation : ainsi si l'on voulait comparer Londres à Paris , en tenant comple, comme de jaste, du nombre des habitants , voici , d'après M. Léoo Faucher, les résultats auxquels on arrive . Entre Londres et Paris , les proportions s'établissent de la manière suivante : pour les crimes contre les personnes : 3 à 2, et pour les crimes contre les propriétés : 3 à 1. La population de Londres, dit M. Léon Faucher, parait tout à la fois plus violente et plas dé pravée que celle de Paris . Le meurtre , l'assassinat, le viol , la sodomie, les violences contre la force publique, lous les excès en un moi qui supposeal des passions sans frein, s'y doodent pleine carrière. L'intempérance y pro duit les mêmes effets qu'engendre ailleurs l'ardeur du climal . El quand on songe que les enfants figurent en quantité incroyable pour des crimes qui annoncent une dépravation d'une précocité effrayanle , on pent se faire ane idée de l'avenir réservé à une pareille société , si l'on tarde à comballre éner giquement lant de causes réunies de dégénérescence intellectuelle, physique et morale de l'espèce. Ce que nous avons dit antérieurement sur les rapports des dégénérescences avec les proportions croissanles de la criminalité et de l'aliénation , doit s'appliquer également à l'Angleterre . ( Voir dans le Traite des dégénérescences SS aliénation , suicides , délits , p . 376 et suivantes. DÉGÉNÉRESCENCE DES ENFANTS (TRAVAIL DES FABRIQUES) . 651 > verrons que le tableau affligeant de la situation physique et morale des enfants dans les mines , ne le cède en rien à l'avenir qui leur est réservé dans les manufactures et dans les grands centres industriels. Un premier fait révélé par M. Hickson, dans son rapport sur la condition des tisserands en Angleterre, nous apprend que la cupidité des parents va, dans certains districts , jus qu'à faire de leurs enfants une vile marchandise qu'ils étalent sans pitié aux regards des passants, et qu'ils offrent au plus fort enchérisseur qui les exploite et leur impose des travaux au- dessus de leurs forces. L'aspect uniformément maladiſ des enfants dans les ma nufactures, et dans plusieurs cas leur taille rabougrie, avait déjà frappé Robert Péel en 1816, et il prononçait à cette époque ces prophétiques paroles : « L'emploi sans choix et sans limites des pauvres qui peuplent les districts ma nufacturiers, aura pour la génération présente des effets tellement sérieux et tellement alarmants que je ne puis les envisager sans terreur ; en sorte que ce grand effort du génie anglais qui a porté à un si baut degré de perfection les machines de nos manufactures, au lieu d'étre un bienfait pour le pays, deviendra pour nous la plus amère malédiction . » Les efforts de Robert Péel amenèrent une diminution dans les heures de travail des enfants dans les fabriques, et le célèbre réformateur, Robert Owen, parvint encore à faire améliorer la situation sous le même rapport . Il avait pareillement remarqué que la plupart de ces enfants avaient les jambes déformées, qu'ils ne grandissaient pas, et que la fatigue énervant leur intelligence, ils apprenaient diffici lement même à épeler les lettres de l'alphabet. Les conclusions des commissaires de l'enquête ordonnée en 1832 , sur l'emploi des enfants qui travaillent le même nombre d'heures que les adultes, firent ressortir : 1 ° l'affai 652 ÉTAT INTELLECTUEL ET MORAL DES CLASSES OUVRIÈRES . blissement de la constitution ; 2° la production de maladies souvent incurables ; 3º l'impossibilité partielle et souven! complète de profiter des ressources offertes å l'éducation, On confronta ensuite les enfants qui travaillaient dans les fabriques avec ceux qui étaient occupés au dehors, et l'on constata que bien peu parmi les premiers paraissaient ro bustes . « Des garçons de quinze å seize ans , dit M. Léon Faucher, qui a résumé la plupart des faits signalés par les diverses enquêtes, n'ont que la taille des écoliers de douze å qua torze , sans être ni aussi forts ni aussi bien portants ; et cet état de rabougrissement se reproduit universellement. La disproportion de la taille avec l'âge des enfants est le phé nomène pathologique que j'ai pu observer moi-même, non seulement dans des conditions semblables, mais en dehors de l'influence de la vie de fabriques. Il est un des signes caractéristiques de la déviation maladive du type normal de l'humanité ( 1 ) . ( 1 ) La diminution de la taille est un phénomène dégénératif que l'on a signalé dans lous les pays de fabriques, el chez les enfants et chez les adultes en Angleterre . Voici ce que dit M. Besson , commissaire dans l'enquèle de 1840. « La taille des tisserands est généralement peu élevée et rabongrie. Durant la guerre on leva une brigade parmi eux ; mais la plapart des soldats avaient moins de cinq pieds . On ne trouverait plus même à Spitalfields, de quoi faire de la chair à canon . - « La constitution de ces hommes, dit le doc AN leor Mitchell, dégénère ; la race entière descend rapidement à la taille des Lilli putiens , les vieillards sont d'une plus forlc complexion que les jeunes gens . » A Birmingham , la population de la ville occupe ce degré intermédiaire qui, d'après le rapport des commissaires , n'est ni le rachitisme ni la vigueur; elle se maintient à une égale distance de la maladie et de la santé. Sur 613 hommes de Birmingham et des villes voisines , 258 seulement furen ! re connus propres au service militaire (Were approved for service ). Les mala dies de poitrine complent pour un liers dans les décès de celle première ville . Les familles des tisserands el celle des fileurs présentent, comme en DÉGÉNÉRESCENCE DES ENFANTS (TRAVAIL DES FABRIQUES) . 653 En Angleterre les maladies les plus communes signalées par les commissaires sont : les scrofules, les indigestions et les ophthalmies ; les femmes se plaignent d'enfanter avec peine, et les avortements sont très -fréquents . La distor sion presque universelle de la colonne vertébrale est citée aussi comme un accident très -commun. Ces maladies dégénératives n'ont nullement lieu de nous étonner. La diminution des heures de travail décrétée par la législation , n'a pu remédier aux inconvénients d'une ap plication trop précoce à un travail au -dessus des forces de l'enfant , ni aux conséquences non moins grandes des mau vais traitements , ainsi qu'à l'absence complète d'éducation intellectuelle et morale . Mais de crainte de nous égarer dans les détails , nous allons concentrer nos observations dans une ville manufacturière dont le sous- commissaire Horne a tracé le tableau de manière à justifier complé tement ce que nous avons dit sur l'intercurrence des causes mixtes dans la production des dégénérescences. Les faits rapportés par M. Horne n'ont pas besoin de commen taires . C'est l'histoire abrégée, si l'on veut, des causes dégénératrices dans l'espèce humaine , mais rien ne manque sous le rapport éliologique à ce tableau saisissant de tant de misères : logements insalubres, absence complète d'é ducation, ivrognerie, prédispositions héréditaires , double fécondation dans le sens du mal physique et du mal moral, amenant en dernière analyse l'étiolement de la race, sa dégradation physique et morale, et la frappant enfin de France , des types de rabougrissement et de rachitisme. Les commissaires anglais établissent un parallèle pittoresque entre celte population et celle des mineurs et des forgerons, ces athlètes du travail qui traversent la vie comme des coqs de combal . ( The live their Leife as figling coks) . M. le docteur Tlaxo signale aussi la diminution de la taille chez les habitants des Vosges . 654 ÉTAT INTELLECTUEL ET MORAL DES CLASSES OUVRIÈRES. stérilité dans la personne de ceux qui en sont arrivés au degré extrême de la dégénérescence . La ville de Wolverhampton est une ville opulente et une cité industrielle ; ses habitants sont appliqués au tra vail du fer sous toutes ses formes. La population y a aug menté de 50 pour 100 dans l'espace de 10 ans, ce qui sem blerait en contradiction avec les causes dégénératrices dans l'espèce humaine . Mais il ne faut pas se tromper sur la valeur de l'augmentation de la population dans les centres industriels ; beaucoup d'individus sont attirés du dehors par l'appat du gain, et d'un autre côté la misére a aussi sa fécondité maladive, qui s'explique plus tard par l'effrayanle mortalité des enfants nés dans de pareilles conditions. Il existe donc à Wolverhampton des riches et des pauvres qu'aucune classe intermédiaire ne joint . Deux camps et un fossé entre les deux, voilà , dit l'auteur des Etudes sur l'Angleterre, l'état social de celle ville . Logements. Dans les rues les plus obscures et les plus sales , on aperçoit des passages étroits qui s'ouvrent à des intervalles , tantot de huit à dix , tanlot de trois à quatre maisons. Ils n'ont guère plus de 2 pieds et demi de largeur sur 6 de hauteur , avec une profondeur de 12 à 24 pieds ; ces passages servent lout ensemble de voies publiques et de ruisseaux. Après les avoir traversés, vous vous trouvez dans un espace dont l'étendue varie suivant le nombre des maisons ou des bulles qu'il renferme. Cette allée aboulit souvent à un autre passage qui donne accès dans une sem blable cour... Les espaces les plus chargés de huttes figurent une sorte de garenne ; il- en est même qui ressem bleraient à une colonie de Castors, si l'on yy jouissait de la vue des vertes prairies et d'un air plus pur. Les conditions marécageuses et méphitiques des rues et des ruelles sont signalées dans les enquêtes des commissaires avec celle DÉGÉNÉRESCENCE DES ENFANTS (TRAVAIL DES FABRIQUES) . 655 énergie d'expressions que nous renonçons à traduire : Stagnant pools, colour of dead porter, with a glistering me tallic film over them ( Children's employement commission) ( 1 ) . Altéralion de la constitution . Ces détails très-abrégés sur l'état des logements à Wolverhampton , nous rappellent assez les condilions dans lesquelles se développe la mala ria , pour qu'il soit utile d'insister sur la fréquence des affections graves qui sévissent dans de pareils milieux . La position généralement salubre de la ville , la facilité qu'ont les classes pauvres de se procurer le combustible qui y est à bon marché, peuvent , à la vérité , atténuer l'effet des lo gements malsains , mais il n'en n'est pas moins vrai de dire , d'après le rapport des médecins, que les fièvres per nicieuses et le typhus y sont de plus en plus fréquents . Ce qui est certain , c'est que sous l'influence combinée du mauvais air et des privations , les mæurs s'altèrent et le sang s'appauvrit. L'affaiblissement de la race est particu lièrement manifeste chez les enfants ; ceux qui semblent robustes à la première inspection n'ont que des chairs sans muscles ( sic ); la plupart sont maigres, délicats et quelquefois difformes, les filles surtout. Leur stature est rabougrie à un point qui permet difficilement de croire à l'age qu'ils se donnent . Les enfants de 14 à 15 ans ont la taille des éco liers de 11 à 12 dans le reste de l'Angleterre. La puberté se manifeste tardivement . Un jeune garçon de 15 ans vous parle avec la voix aiguë d'un enfant. De pauvres filles de 16 à 17 ans , loin de présenter les symptômes extérieurs ( 1 ) Je crois devoir iosister avec d'autant plus de raison sur ces détails que dans mes études antérieures sur la dégénérescence crélineuse , j'ai si goalé dans les localités crélinisées de la Meurthe, des conditions à peu près semblables de logements , comme une des causes secondaires les plus propres à activer l'action de la cause essentielle qui réside dans la constitution géolo gique du sol . 656 ÉTAT INTELLECTUEL ET MORAL DES CLASSES OUVRIÈRES . de développement qui commencent à cet åge, ressemblent (pour me servir d'une de ces comparaisons si tristement pittoresques que l'on trouve dans les rapports des com missaires anglais) , ressemblent , dit - je , à des plunches de sapin que l'on aurail sciées en dcux. Leurs longues et mis lancoliques figures annoncent qu'elles ont conscience des ravages que fait dans leur organisation un travail sans me sure . Leur intelligence hébétée, abrutie, ne se développe pas mieux que le corps . Education intellectuelle. L'éducation de la première en fance, comme la chose est constatée dans le rapport de M. Horne, est absolument nulle. L'enfant de cinq ans berce l'enfant de deux ans , pendant que l'enfant de sept ans veille sur l'un et sur l'autre , et garde la maison tout le long du jour en l'absence des parents . Pour faciliter cette sur veillance , les mères administrent à leurs nourrissons, ainsi que cela se pratique à Manchester, des préparations d'o pium ... Il existe maintenant chez celle malheureuse race dégé nérée un autre phénomène pathologique que nos éludes antérieures sur l'action des causes dégénératrices nous ont déjà donné occasion de faire ressortir et de regarder comme la manifestation d'une loi constante , inévitable, dans l'existence des variétés maladives de l'espèce. Ce phéno mène se révèle à l'observateur par l'arrêt de développe ment des facultés intellectuelles chez les enfants , et par l'impossibilité absolue ou ils sont d'apprendre. Leur exis tence intellectuelle , ainsi que nous l'avons dit , est limitée à un certain age au- delà duquel , non - seulement l'évolution des facultés reste stationnaire, mais les enfants qui avaient pu apprendre, oublient d'une manière irremédiable loutes les notions qui leur avaient été inculquées . Ce fait a dù échapper å l'attention des commissaires de l'enquele, et il DÉGÉNÉRESCENCE DES ENFANTS (TRAVAIL DES FABRIQUES) . 657 n'est devenu bien clair et bien évident pour nous, qu'après l'étude comparée que nous avons faite de l'état physique, intellectuel et moral des différentes variétés maladives dans l'espèce ( 1 ) . Education morale. Les conditions morales dans les quelles se développent les sentiments de cette triste popu lation , ne sont pas moins désolantes que celles qui sont faites à son existence intellectuelle. Mais, à propos de mo ralité , l'enquête nous révèle un fait trop important dans l'histoire des dégénérescences, pour ne pas le citer dans son intégrité . Malgré le relâchement général des mœurs, conséquence inévitable de l'ivrognerie et de l'accumulation ( 1 ) Nous avons eu occasion de signaler le même fait à Rosières- aux -Sa lines, à Moyenvic, et dans loules les localités où sévissait l'endémicité créli neuse . Des enfants qui paraissaient extérieurement intelligents, éprouvaient cet arrêt intellectael qui fait le désespoir des instilateurs, et qui correspond , dans presque tous les cas, à un arrêt de développement physique. Ces mal heureux enfants deviennent souvent le sujet de punitions imméritées. Ils pe sont cependant pas coupables ; ils subissent nécessairement les conséquences d'an élat de dégénérescence congéniale. Ponr en revenir à Wolverhampton, les commissaires de l'enquête préten dent que l'éducation y est en arrière de cent ans ... Que malgré tous les efforls du clergé de toutes les communions, on réunit છેà peine la moitié des enfants dans les écoles du dimanche ; qu'il faudrait des méthodes plus sûres que celles que l'on emploie pour fixer leur altention, etc. Mais il est bien douteux que des méthodes plus sûres puissent obvier aox conséquences forcées d'on élat dégénératif amené par des causes désorga nisatrices aussi puissantes. Le fait est, je m'en rapporte aux enquêles, que même après avoir fréquenté les écoles pendant trois ou quatre ans , les en fanis ne savent ni lire , ni écrire. Le travail pesant sur l'esprit aussi bien que sur le corps élouffe toute idée, dit M. Léon Faucher. Un jeune enfant oc cupé dans une fonderie, à qui l'on demandait s'il savait lire, répondit qu'il savait lire de petits mols, pourvu que ces mois de fassent pas trop lourds. Le pauvre pelit malheureux, raisonnant par adalogie, voyait dans chaque lettre un poids à soulever. 42 658 ÉTAT INTELLECTUEL ET MORAL DES CLASSES OUVRIÈRES. des individus dans des logements étroits et insalubres , il est de fait, dit M. Horne, « que bien peu de jeunes filles, > eu égard au nombre de celles qui fréquentent les ale » liers , se laissent séduire, et l'on ne compte pas beaucoup , d'enfants naturels. Le torrent de la prostitution se répand , » il est vrai , dans les rues à la chute du jour ; mais les pros , tituées viennent presque toutes de Schrewsbury et de » Shropshire. La pauvreté du sang, la maigre chère, et l'épui » sement qui suit le travail, ne laissent aux jeunes filles de l'ol > verhampton , ni temps, ni force, ni désir pour le mal » ( 1 ) . Ainsi voilà des infortunées qui sont protégées contre les conséquences du vice par l'excès même de leurs souffrances, el de peur que l'on n'altribue celle chasteté matérielle à la re lenue des sentiments, M. Horne a soin de nous apprendre que le langage des jeunes filles est obscène et sans pudeur. Le commerce entre les sexes à cet age est donc, selon M. Léon Faucher, une corruption de l'ame s'il n'est pas une prostitution du corps. Du reste, point d'affection dans la famille ; les frères et les seurs, séparés de bonne heure, ne se connaissent pas ; les enfants, se voyant traiter par leurs parents comme des machines å salaire , ne peuvent ni les respecter ni les aimer. L'état de Wolverhampton, si déplorable qu'il soit , n'ap ( 1 ) Parmi les moyens d'investigation que la statistique nous offre pour arriver à l'apprécialion des causes dégénéralrices dans un milieu déterminé, nous avons cité le plus ou moins grand nombre des enfants naturels . Mais il s'agit de ne pas s'égarer sur la valeur absolue de ce fait. Le nombre des enfants naturels peut être plus grand dans les campagnes, par exemple, sans que l'immoralité plas répandue puisse être mise en cause. La raison esl, que les unions passagères y portent leurs fruits : il ne peut pas en être de même dans tel ou tel centre industriel, pour des causes qui se rapportent à la na lure des dégénérescences, el pour d'autres motifs que le lecteur devine ſa cilemcot. DÉGÉNÉRESCENCE DES ENFANTS ( TYPES DE DÉPRAYATioN ). 659 proche pas, au dire des commissaires anglais, de celui d'autres localités ; mais quels avantages trouverions-nous å reproduire le tableau de pareilles misères ? Nous en sa vons assez pour conclure à la puissante activité dégénéra trice des causes dont nous avons fait l'énumération . Ces causes sont complexes ; l'étude des influences de la constitution géologique du sol nous a conduit à examiner celles des logements insalubres et des autres conditious anti-hygiéniques qui reproduisent, au centre des grandes villes , tous les phénomènes de l'intoxication paludéenne . Celle espèce de Malaria physique n'a pu être séparée dans nos appréciations de celle autre Malaria morale qui agit d'une manière si funeste sur l'esprit et le cœur de l'ouvrier des fabriques, et se reflète dans sa constitution par le rabougrissement de la taille , l'infécondité et finalement par l'étiolement et la dégradation de la race. La dégénérescence physique de ces malheureux n'ap proche pas, il s'en faut, de leur dégénérescence intellec tuelle et morale. Nous avons apporté de nombreux exem ples à l'appui de l'opinion que les variétés maladives , marquées au double sceau de la fécondation dans le sens du mal physique et du mal moral, sont vouées à l'ineptie , et se révèlent par l'effrayante précocité des instincts les plus dépravés . Cette manière de voir peut paraitre exagérée à ceux qui n'ont pas étudié dans son origine et son dévelop pement la question des dégénérescences dans l'espèce . Elle est au contraire chez ceux qui ont fait de cet étude l'objet constant de leurs recherches, l'expression des croyances les plus inattaquables. Chacun est à même de les vérifier - dans le cercle des études spéciales qu'il poursuit ; aussi, moralistes et médecins , économistes et statisticiens , se trouvent-ils , sous ce rapport, réunis sur le même terrain . « J'ai vu bien des criminels, dit M. Léon Faucher, j'étu 660 ÉTAT INTELLECTUEL ET MORAL DES CLASSES OUVRIÈRES. die depuis douze ans la race particulière d'enfants qui ali mente les prisons, je l'ai observée en France, en Belgique, en Angleterre et en Ecosse ; dans toutes, ou presque toutes les grandes villes , j'ai trouvé que cette existence vagabonde portait les mêmes fruits. A quelques différences près dans l'ouverture de l'angle facial, le jeune détenu de Man chester et d'Edimbourg ressemble à celui de Paris ; mais celui de Londres ne ressemble à rien. Il est difficile d'ou blier , quand on les a examinées une fois avec attention , ces physionomies pales, muettes et dures qui ne trahissent déjà plus aucune émotion de l'ame ; et sur lesquelles on peut lire seulement la sombre résolution de persévérer dans le mal . Les geoliers de Newgatte gardent précieusement une col lection de plâtres qui représentent les bustes des plus fa meux criminels . Ces figures ne sont que brutales . Si l'on veut des types extraordinaires, inconnus, que ne reproduit- on , en les prenant au hasard, les traits de huit ou dix enfants parmi ceux qui sont à Newgatte ? on aurait figuré les pour voyeurs du vol, les cbacals de celte étrange société. » M. Léon Faucher se trompe ici en un seul point : ces types ne sont ni extraordinaires ni inconnus, pour ceux qui éludient les variétés maladives au double point de vue de l'état physique et de l'état moral des individus qui les com posent. Sous l'influence de causes bien définies, il se pro duit partout et toujours, nous l'avons suffisamment prouvé, des types identiques. Ces types sont la personnification des diverses dégénérescences dans l'espèce, et le mal qui les engendre constitue pour les sociétés modernes un danger plus grand que ne l'était pour les sociétés anciennes l'inva sion des Barbares. Je voudrais, par l'exposé de tout ce qui est fait pour re médier å un danger aussi imminent, effacer de l'esprit du lecteur l'impression pénible que doivent faire nailre en lui DÉGÈNÉRESCENCES DES ENFANTS (TYPES DE DÉPRAVATION ) . 661 > ces dernières considérations . Malheureusement, les iolen lions des hommes dévoués ont presque toujours été paraly sées par l'opposition ou l'inertie de ceux qui ne pourront ètre éclairés sur les dangers de la situation que par quelque cataclysme terrible . Les remèdes qui ont été appliqués ne sont le plus souvent que des palliatifs, et cependant l'effica cité de leur action dans certaines circonstances détermi nées, et lorsque les efforts individuels ont convergé forte ment et sans arrière-pensée d'égoïsme vers un même but, a prouvé que le problème de la régénération de l'espèce n'é lait pas insoluble. J'ai déjà abordé cette thèse dans mes considérations gé nérales sur les indications curatives.J'ai essayé de concilier, pour la question spéciale qui nous occupe, les intérêts de l'agriculture et ceux de l'industrie , mais je ne puis me dis simuler que la situation ne soit des plus graves. Un homme dont les ouvrages sont l'expression de la foi la plus vive en l'efficacité de la loi morale, et dont le dévouement pour les intérels sacrés de l'humanité ne peut être mis en doute , a déjà abordé ce même sujet dans sa Déontologie médicale. M. le docteur Max. Simon fait l'énumération de tout ce qui a été tenté ou proposé dans le sens des remèdes à appliquer aux influences funestes dont nous décrivons les effets, et il résume sa pensée dans ces mémorables pa roles : « Mais on ne peut se le dissimuler : quelqu'ingé nieuses que soient ces diverses combinaisons, il faut que le capital se décide à faire quelques sacrifices, ou que l'in dustrie coure les chances de cette foudroyante accusation , qu'elle n'est qu'une immense machine qui broie l'humanité dans ses engrenages , et qu'elle s'attende å la réaction ler rible que lot ou tard un tel état de choses doit amener ( 1 ) . » ( 1 ) Max. Simon . Déontologie médicale, ou des devoirs ct des droils dus 662 CONSTITUTION GÉOLOGIQUE DU SOL . S IV. De la constitution géologique du sol favorable au développement du crétinisme . « Je pense, dit le savant archevêque de Chambéry, Monseigneur Billiet , qu'il faut assigner au goitre et au cré médecins dans l'état actuel de la civilisation . Paris, 1845, page 467 . M. Léon Faucher dit , avec raison , en parlant des logements insalubres de Withe-Chapel : « de tels foyers d'infection résistent à l'énergie des efforts individuels et sollicitent l'intervention du gouvernement. » C'est ce que nous avons répété nous -même à propos des habitations de Rosières -aux -Salines et autres localités de la Meurthe qui sont des foyers de crélinisme. Malgré la loi sur les logements insalubres, les administrations locales et départemen tales en France ne font rien sans la pression de l'autorité centrale. Les projets d'amélioration qui se résument en dépenses locales seront toujours écartés, et les hommes qui s'occupent de ces questions reçoivent plus de blåme que d'éloges. Je sais par ma propre expérience à quoi m'en tenir sous ce rap port . J'ai parlé de l'efficacité des remèdes employés dans certaines circonstances déterminées pour moraliser les masses, et voici ce qne je puis citer à pro pos de l’Angleterre. Les prédications du père Matthieu, secondées par les efforts du clergé catholique, ont commencé à relever ces malheureux de leur dégradation. Ils s'enivrent moins et par suite les rixes sont moins fré quentes. Le dimanche 22 juillet 1843, vingt mille d'entre eux avaient pris l'engagement de s'abstenir de liqueurs spiritueuses. Le landi la police ra massait moitié moins d'ivrognes et de délinquants ..... Tel palais de gin , ( car les tavernes modernes sont décorées avec un luxe qui ne sollicite que trop les ouvriers à sortir de leur triste inlérieur ) , tel palais de gio qui avait conlume de réunir cinquante hommes à la fois, n'en complait plus que quinze ou vingt ... Il n'y a donc pas છેà désespérer d'une manière absolue de la moralisation des masses . Ce qu'il y a de plus remarquable, c'est la surveillance exercée par le clergé catholique sur l'édacation des cofants. A Manchester, où les enfants en bas âge, livrés à eux -mêmes , courent les rues pieds nus et en haillons , pendant que leurs parents s'enivrent , et où la police en a recueilli jusqu'à sing mille par an égarés sur la voie publique, les prètres catholiques liconeul DÉGÉNÉRESCENCE CRÉTINEUSE . 663 tinisme des causes secondaires ou accessoires et des causes directes, primilives, ou causes proprement dites. Je re le soir les chapelles ouvertes comme une espèce d'asile , où les jeunes filles et les jeunes garçons passent le temps à chauler des cantiques et à écou ier la parole de leur pasteur. M. Léon Faucher dit avoir vu , le dimanche, cinq à six mille de ces enfants défiler processionnellement sous la bannière de saint Patrick, et la demi-proprelé, la décence de celle foule enfantine, sont le progrès le plus grand, ainsi que le plus inattendu , qu'il lui ail élé dooné de constater. Les écrivains Anglais recopuaissent cux -mêmes, non sans élonnement , qu'il existe aujourd'hui parmi les Irlandais de Manchester, un plus grand nombre d'ouvriers sachant lire et écrire que dans la population d'origine Saxonne; les femmes irlandaises sont aussi beaucoup plus chastes et beaucoup plus a llachées à leurs devoirs domestiques. Nous aurons encore, co dehors des améliorations générales amenées par les dispositions législatives, à constaler dans notre ouvrage spécial sur la régé nération de l'espèce humaine, un grand nombre d'améliorations particulières réalisées dans l'industrie par des hommes généreux et dévoués. Des efforts dignes de tous éloges ont élé lentés en Alsace, en Suisse et en diverses autres contrées européennes . Malheureusement, la diminution des heures de travail dans certaines industries, n'empêche pas l'évolution diflicile des facultés jotellectuelles pour les enfants placés dans ces milieux où ils perdent le goût , et l'on pourrait ajouter, la possibilité de diriger leurs facultés vers des objets d'un ordre supérieur. Beaucoup de prélres el ile pasteurs qui exercent depuis longtemps leur ministère dans des pays de fabrique, m'ont affirmé qu'ils ont été généralement obligés de reculer l'âge de la première communion des cuſants, el qu'ils éprouvent infiniment plus de peine à entrer en relation intellectuelle avec la nouvelle génération . L'observation que je fais ici s'applique même aux professions industrielles qui s'exercent dans le sein de la famille, ca dehors du milieu des fabriques. L'influence de la broderie, par exemple, dans le déparlemcut de la Meurthe et dans celui des Vosges , a des conséquences que des médecins de ces dépar lements ont fait ressortir . ( Voir la brochure de M. le docteur Haxo, La bro derie et les brodeuses vosgiennes. Influence sur la sunté. ) Je tiens de l'ho norable docteur Barrey , médecin à Saint- Nicolas (Meurthe), des détails qui m'édifient complétement sur uge des causes de dégénérescence chez les 664 CONSTITUTION GÉOLOGIQUE DU SOL . garde comme causes secondaires les conditions hygiéni ques, la conliguration du sol , l'étroitesse des vallées , le défaut d'insolation ou de courants d'air, l'humidité exces sive , la mauvaise construction et la malpropreté des babi tations . Toutes ces circonstances peuvent influer sur ces deux affections, en favoriser le développement ; mais elles n'en sont pas la première cause, parce que, très-souvent, on trouve les mêmes conditions hygiéniques dans les pays où le goitre et le crétinisme sont inconnus. Il me semble qu'il faut chercher la vraie cause de ces maladies non dans la configuration extérieure du sol , mais dans sa constitution minéralogique, non dans les conditions météorologiques, mais dans la nature des terrains. Elles sont endémiques, parce que la population qui en est affligée a fixé son séjour dans le pays qui les produit. Les localités qui en ont au jourd'hui, en ont toujours eu et en auront toujours, à moins qu'on ne vienne à trouver un préservatif vérilable . Emme nez cette population dans un pays salubre, après une ou deux générations, elle ne se ressentira plus de ces infir mités; celle qui la remplacera en sera entièrement atteinte en très- peu de temps, parce que la vraie cause du mal n'est ni dans les conditions hygiéniques, ni dans le sang de la population ; elle est sous la surface du sol et non dessus. » « Le sol exerce son influence sur la population par les propriétés qu'il communique aux eaux , et peut- être aux fruits de la terre qui y croissent : quelle est la substance minéralogique qui produit ces effets ? Serait-ce la magnésie, habitants de ce département . Les enfants ne travaillent pas, il est vrai, la broderie dans les fabriques , mais leurs tempéraments sont énervés par leur application trop précoce et trop constante à une besogne qui ne leur permet aucuu mouvement corporel. De là , comme je l'ai déjà fait remar quer, une foule de névropathies inconnues autrefois chez les habitants des campagues . 3 DÉGÉNÉRESCENCE CRÉTINEUSE . 665 » comme le croit M. Grange, ou l'absence d'iode, comme l'assure M. Chatin ? ( 1 ) ► Je n'ose rien affimer à cet égard; seulement je crois pouvoir assurer qu'en Savoie, c'est presque exclusivement sur les terrains argileux et gypseux que ces deux mala dies se développent. La partie occidentale de la Savoie est calcaire ; on y trouve les calcaires jurassique, crétacé, néocomien en très grande quantité, avec quelques dépôts d'alluvion ancienne et quelques placages de grès. La partie orientale , qui semble appartenir principale ment au lias , est occupée spécialement par des schistes argileux et par des dépôts de gypse. Dans sa partie occi dentale, dont le calcaire compacte forme le terrain princi pal , le goitre et le crétinisme sont presque inconnus ; si l'on en trouve quelques cas, ce n'est que dans les habila tions qui sont situées sur la mollasse ou sur l'alluvion an cienne, ou sur les dépôts du Rhône ; sur la partie orientale au contraire, ces deux tristes affections sont très-com munes. Dès qu'on rencontre des collines formées d'un schiste argileux gris ou brun , ou friable, ou des pentes d'une terre poire et gluanle , sur lesquelles les eaux pluviales creusent de profondes rigoles ou d'énormes dépots de gypse, on peut être certain de trouver sur ces formations une popula lion gravement affligée par le goitre et le crétinisme. » ( In fluence de la constitution géologique du sol sur la production du goitre et du crétinisme. Lellre de Mgr. Alexis Billiet, ré ponse de M. Morel, p . 2 et 5 ) . J'ai cité les principaux points de la discussion qui s'est élevée entre moi et Monseigneur l'Archevêque de Cham ( 1 ) Bullclin dc l'Académie de Médecine. Paris >, 1851 , t . XVI, pag . 473, – 1. XVII, p . 341 . 666 CONSTITUTION GÉOLOGIQUE DU SOL. béry. Je me suis rattaché à l'opinion du savant prélat , et l'étude spéciale que j'ai faite de la nature du sol dans le département de la Meurthe, ni'a prouvé que c'est dans la constitution géologique des marnes irisées que se développe spécialement le crélinisme. D'autres motifs m'ont fortifié dans celte opinion . Le tempérament physique et moral des crétins opposé à celui des habitants des pays maréca geux, l'efficacité comparée du traitement destiné à com battre l'influence de la malaria et de l'intoxicalion créli ncuse, ont fixé d'une manière définitive la nature de mes croyances, et m'ont porté à penser que le crétinisme pou vait être extirpé d'une contrée sans qu'il fût nécessaire de recourir au moyen désespérant de quiller le pays. Je ne ferai que donner ici un extrait des opinions que j'ai sou lennes , vu l'impossibilité qu'il y a pour moi de trailer spécialement la question du crétinisme, dans un ouvrage où j'envisage d'une manière générale les diverses causes de dégénérescence dans l'espèce humaine. Les communes de la Meurthe dans lesquelles se déve. loppe le crétinisme, sont généralement balies , d'après l'ob servation de M. le docteur Ancelon, sur des terrains fan geux, salifères, marais d'alluvion , immenses tourbières qui recouvrent des stratifications de marnes irisées , de gypse et de sel gemme. D'après M. le docteur Simonin de Nancy, Rosières aux-Salines , cet ancien foyer du crétinisme, est située dans une plaine , entre la rive gauche de la Meurthe et un coteau étendu planté de vignes . Ce coteau est formé par des marnes irisécs , recouvertes par un grès auquel M. Guibal conserve le nom de Lias sandstein . Le sol sur lequel repose la ville est constitué , comme le prouve un sondage récent, sur une certaine épaisseur de terre végétale d'une formation alluvionnaire , une couche 1 1 DÉGÉNÉRESCENCE CRÉTINEUSE . 667 de pierre å plåtre ( sulfate de chaux) , d'une épaisseur de 42 mètres, et des couches de sel gemme séparées par de l'argile salifère. C'est après avoir fait la part de la cause essentielle du crétinisme, et des causes secondaires qui activent sa for mation , que j'ai été amené aux conclusions suivantes, qui résument mes travaux antérieurs sur la production et le traitement d'une dégénérescence que l'on retrouve, avec le même caractére typique, sur tous les points du globe. Le crétinisme est une affection du système cérébro -spi nal signalée par un arrêt de développement qui imprime à l'organisme un cachet typique, et entrave plus ou moins complétement l'évolution des facultés intellectuelles et aflectives ( 1 ) . Les influences qui exercent leur action sur le système cérébro - spinal peuvent atteindre l'individu dans sa vie foetale et agir sur lui après la naissance. L'époque à la quelle s'arrête cette influence morbide est indéterminée ; elle varie selon la puissance de la cause et la nature de résistance du sujet. Dans les pays les plus connus, il est un age critique cbez les enfants pour cette transition à l'état crélineux . Cet age est celui de sept à huit ans . Il existe cependant des loca lités où le principe morbide est si actif, que les adultes euxmêmes - sont alleints , ou , s'ils y échappent, leur progė niture est nécessairement frappée au cachet de la dégéné rescence crétineuse. On ne doit pas, dans l'étude, séparer le crétinisme des autres dégénérescences de l'espèce hu maine ; c'est une monstruosité. ( 1 ) Pour se former une idée du type physique du crélin , je renverrai le lecleur à la planche V (Tableau des dégénérescences progressives dans une famille existante , p . 7, types de transition ) , et à la planche III (lufluence de la constitution géologique du sol) . 668 CONSTITUTION GÉOLOGIQUE DU SOL . . La cause essentielle externe doit être recherchée, d'une part, dans la constitution géologique du sol , ou autrement dit dans l'influence tellurique, en dehors de laquelle il est difficile de comprendre les qualités, les propriétés et les formes des etres organisés et inorganisés. Je ne sépare pas de cette influence tellurique le milieu ambiant dans le quel l'homme vit , se meut et se développe : l'air, la lumière et les principes qui peuvent les constiluer ; pas plus que je n'en sépare l'eau et les fruits de la terre , qui empruntent à la constitution géologique du sol leurs principes bienfai sants ou leurs propriétés funestes. La cause essentielle interne doit être rechercbée dans les prédispositions organiques que l'individu apporte en nais sant et qui le rendent apte à contracter une maladie ende mique. Ceci s'applique à toutes les maladies. S'il est des constitutions géologiques du sol, ainsi que nous le démontre l'observation, plus aptes que d'autres à développer le principe maladif ( et les terrains schisteux sont dans ce cas) , nous devons admeltre en même temps qu'il est des exceptions à cette règle générale. On a vu le goitre et le crétinisme naitre sur des terrains primitifs, mais ceci ne contredit en rien le principe de l'influence géologique du sol . Le sol sur lequel l'individu vit et se meut, ne doit et ne peut, encore une fois, être séparé de l'air qu'il respire. C'est ce que nous démontre l'élévation du sol , qui n'est pas une loi absolue de préservation, si ce sol , malgré son élévation , est encaissé par des montagnes plus élevées ; si l'air n'y circule pas librement et n'y est pas renouvelé suf fisamment; si , en un mot, la maladie resserrée dans d'e troites limites , concentrée dans un foyer d'isolement, con tinue à se propager par l'hérédité, à s'alimenter pour ainsi dire par elle- même, en l'absence de lout élément propre à DÉGÉNÉRESCENCE CRÉTINEUSE . 609 S revivifier ces populations. Alors, comme nous l'avons déjà dit, ce n'est pas seulement le crélinisme, mais d'autres dé générescences qui peuvent se produire . La science anthropologique nous a appris depuis long temps que la configuration et la nature du sol que certains peuples babitent, ont déterminé aussi le caractère distinctif de leurs habitudes et de leur hygiène, au point de venir se refléter jusque dans le lype de leur physionomie, et même dans la direction de leurs idées . Cela se voit pour les peu. ples pasteurs et pour les peuples nomades. Pourquoi se rait -il donc ridicule d'admettre que la constitution géolo gique du sol , lorsque surtout elle s'barmonise d'une manière fatale avec la constilution atmosphérique et les transmis sions héréditaires dans les familles, est de nature å produire une dégénérescence maladive que nous désignons dans ce moment sous le nom de crétinisme ? Nous ne voulons pas tirer de ces analogies des conséquences forcées. Nous fai sons une différence entre les conditions telluriques , climate riques ou autres qui constituent des races à types distincts , d et les conditions de même nature qui produisent des dégé nérescences maladives à types pareillement distincts . Dans le premier cas , les conditions qui constituent le type d'une race , n'empêchent pas le développement de celle race, ni son but fonctionnel par la voie de la propa gation et de la continuité . Dans le second cas, au contraire, la dégénérescence typique maladive ne constitue pas une race, mais une monstruosité qui ne peut se transmeltre in définiment entre monstres de même nature ; qui disparaitrait même au bout de quelque temps, si des dispositions légis lalives et policières vigoureuses empêchaient le mariage entre ces êtres arrivés à un point quelconque de leur élat de dégénérescence et les individus sains de corps el d'es prit, ou si l'on pouvait transporter ces familles dans des milieux plus favorables . 070 CONSTITUTION GÉOLOGIQUE DU SOL . Les crétins ne sont pas une race à part , comme quel ques auteurs ont tenté de l'admettre . Je n'oserais pas même affirmer, malgré des autorités respectables, que les cagols des Pyrénées sont les derniers vestiges de la race sarrazine qui, sous Charles Martel , a fait invasion dans ce pays. Tout ce que je puis dire encore, et ceci est générale ment admis, c'est que le crétinisme n'est pas non plus la période la plus avancée de l'idiotie . Cette opinion , contraire à nos observations actuelles , n'a pas été sans exercer une fatale influence sur l'idée qu'il est permis de se faire du traitement et de la prophylaxie du crétinisme . Le crétinisme, encore une fois, est une dégénérescence de l'espèce, due à une action spéciale qu'un principe into xicant exerce sur le système cérébro-spinal ( 1 ) , soit par (1 ) Celle idée d'inloxication est - elle nouvelle ? Je me båte de dire que non , malgré la valeur qui s'attache dans ce siècle à tout ce qui parait pou veau . Les fails si frappants de crélinisme dans telle ou telle partie, plutot que dans telle ou telle autre d'une même localité, amènent aussi M. Gug genbühl à se rapprocher de l'opinion de MM . Forbes et Wirchow , qui croient à une malaria spécifique. Les crétios, dit M. Ferrus, sont en génė ral oblns, inerles , frappés de stupeur à cause des exhalaisons morbifiques qui compriment le cerveau . Après op mûr examen des conditions dans les quelles se développe le goitre et le crélinisme dans la vallée de la Seille . M. le docleur Ancelon dit : « Quel effet ne doivent pas avoir sar la compo silion et la marche de nos fluides les éléments d'une almosphère chargée de brouillards humides el empoisoupés par les miasmes des marais ? La colori fication s'abaisse , la sécrétion des glandes s'exagère, la perspication calavée s'affaiblit et se supprime, la perspication pulmonaire devient à peu près pulle, et, sous la pression d'une asphyxie lenle et graduelle, l'action céré brale s'efface pour abandonner l'organisme à l'empire du système nerveux ganglionaire. M. Chalin croit aussi que l'influence toxique sous laquelle sc développe le goitre , appartient au sol : elle est transporlée par les caux , pénètre, d'a près ce savant , dans l'économie par l'eau et les aliments ; c'est , ajoute -t -il, DÉGÉNÉRESCENCE CRÉTINEUSE. 671 l'air que l'on respire, soit par les substances que l'on ingere dans l'économie, et qui parait surtout être en rapport avec les terrains où prédomine le calcaire magnésien, sans qu'on puisse affirmer d'une manière absolue que ces infirmités ne se trouvent pas dans d'autres constitutions géologiques. Toutefois, partout où l'on rencontre ces dégénéres cences, il faudra admettre quelque chose de spécial, soit dans la constitution géologique du sol , soit dans la confi guration du pays, et les conditions atmosphériques qui amèneront pareillement le même résultat . Expliquons-nous : Je vois le goitre et le crétinisme régner endémiquement dans un vallon ouvert à tous les vents, situé dans les meil leures expositions, quelquefois même dans une plaine qui n'est dominée par aucune colline . Je remarque dans ce val. lon ou dans cette plaine une constitution géologique spéciale, des conditions particulières d'humidité , propres aux terrains alluvionnaires, et je suis invariablement porté à dire : le crétinisme est éminemment favorisé par les conditions géo logiques de cette localité , puisque, encore une fois, le mal se développe là , et non pas ailleurs, à titres égaux de mi seres, de privations, d’immoralité, etc ... Je vois pareille ment le goitre et le crétinisme régner endémiquement dans une opinion généralement reçue aujourd'hui. Dans un ouvrage qui émane d'un savant très-distingué, M. Vingtrinier, médecin des épidémies et des prisons , à Rouen, on lit : « Que le goitre a une cause de production unique, spécifique, locale , et fixée çà et là à la manière des bancs d'huilres, et que , de celle cause première, sort une fermentation on putréfaction qui donne naissance à un miasme sui generis, ainsi qu'il en est pour toutes les épidémies ( Annales d'hygiène, 1853-1834 ). » Je rassemble depuis longtemps des fails qui prouvent celle intoxication ; mais, comme il est facile de le comprendre, ces faits n'auront de valeur que par leur réunion et leur comparaison. 672 CONSTITUTION GÉOLOGIQUE DU SOL . des vallées longues, sombres, étroites et dominées par de haules montagnes, comme à Sainte- Marie, dans les Vosges , sur un terrain géologique primitif, et å une haute élévation au- dessus du niveau de la mer, et quoique je ne puisse plus dans ce cas m'abriter d'une manière absolue derrière la théorie, je n'en suis pas moins invariablement porté à dire : il existe ici un principe intoxicant qui agit d'une manière spéciale sur le système nerveux cérebro-spinal , puisque j'y trouve les types d'une même famille, que le mode d'in vasion , le parcours de la maladie ont les mêmes consé quences, parfaitement identiques, et que les applications thérapeutiques et hygiéniques produisent des résultats si milaires également favorables. La constitution géologique du sol est différente, il est vrai ; mais qui me dit qu'en raison même de certaines con figurations du terraio , sinon de la constitution proprement dile de ce sol , il ne se développe pas dans l'air que l'on respire le même principe intoxicant qui dans les vallons bien ouverts, ou dans les plaines que ne domine aucune montagne, produit le même effet ? Continuons : Avant que no! is puissions dire d'une manière absolue que la dégénérescence est amenée par le plus ou moins de dé veloppement de l'électricité , par l'absence de l'iode , par la présence de la magnésie, par les conditions d'un air froid et humide , par telle ou telle cause citée par les auteurs, il faudrait connaitre d'une manière certaine les principes essentiels existant dans l'air que nous respirons , par exemple, dans tout ce que l'on désigne sous le nom de Ingesta, et qui soutient l'existence matérielle ; principes dont l'absence, le défaut d'équilibre ou la trop grande abondance détruit l'harmonie des fonctions el crée les ma ladies en général . DÉGÉNÉRESCENCE CRÉTINEUSE . 673 En attendant donc que la science soit plus avancée sous ce rapport, nous sommes autorisé à déduire de la consti tution géologique du sol , l'existence d'un principe intoxicant qui agit sur le système nerveux à la manière d'un miasme délélère. Et, si notre amour- propre humilié de théoricien ne peut se résoudre à admettre telle cause plutot que telle autre, alors nous les admettons toutes, et comme praticien nous faisons bien . Quelle que soit, en effet, notre théorie, nous sommes instinctivement dominé par la rigoureuse né cessité de combiner plusieurs indications curatives , toutes inspirées par le besoin de remédier à l'état cachectique, propre aux individus qui vivent dans un milieu délétère . Plus j'étudie les conditions physiologiques des crélins, plus, d'un autre coté, j'approfondis les remarquables tra vaux des modernes, de Malacarne, Stahl , Maffeï et Roesch , entre autres, qui décrivent si bien les lésions pathologiques du système nerveux chez les crétins , plus je reste con vaincu que ce système est profondément, el originellement affecté chez eux , par ce principe miasmatique délétère. L'intoxication peut être complète ou incomplète, acti vée, retardée ou empêchée par certaines conditions qui, dans tous les pays du monde, activent, retardent ou em pêchent l'évolution des maladies. Ces conditions se résument sous le nom générique d'hy giène physique et d'hygiène morale. Elles font que dans les pays crétinisés , comme dans les pays soumis à l'intoxica tion paludéenne, comme dans ceux encore où se produisent le miasme cholérique, celui de la peste ou de la fièvre jaune, tous ne sont pas indistinctement atteints . Il en résulle encore qu'étant admises les causes essentielles en rapport avec la constitution du sol , avec les miasmes délétères que ce sol produit, et qui agissent sur l'économie, soit par l'air que l'on respire, soit par les substances que l'on consomme, 43 674 CONSTITUTION GÉOLOGIQUE DU SOL . il n'en existe pas moins des éléments de préservation dont l'application constitue le but que la médecine cherche à atteindre : préserver et guérir. Arrivé à ce point de la théorie, je suis invinciblement amené å briser les liens qui m'attachent à la croyance que tel ou tel agent du monde extérieur, électricité , iode, air humide, absence de lumière , etc ... , possède une propriété malfaisante spéciale pour produire le goitre et le crétinisme. Je me réfugie dans le miasme délétère en rapport avec la constitution géologique du sol et avec les conditions qui activenl son développement, et je raisonne par analogie. Je sais que le miasme du Delta du Gange ne produit pas une maladie identique à celle qui est le résultat de l'empoison nement miasmatique qu'on éprouve dans le Delta du Nil . J'admets que le miasme varie dans son essence avec la qualité du sol qui l'engendre, avec certaines conditions atmosphériques qui augmentent ou diminuent son inten sité. Je sais que dans une certaine saison, en Egypte, on n'observe que de simples fièvres intermittentes, dans une autre des fièvres putrides plus graves avec pétéchies, et dans une troisième, enfin , une intoxication complète avec bubons , ou , autrement dit , la peste . Le miasme cholérique est soumis aux même lois , et nous savons par une triste expérience qu'il est certaines consti tutions géologiques qu'il affectionne de préférence ; qu'il est certaines conditions de saison dans lesquelles il se dé veloppe avec plus d'intensité . Le miasme délétère, le principe intoxicant d'ou dérivent les dégénérescences crétineuses et goitreuses sont , je le soupconne, soumis aux mêmes lois . Il est certaines saisons de l'année plus favorables à leur développement , comme il est certaines conditions géologiques qui aclivent le prin cipe toxique, lequel , introduit dans notre économie, agit dans le sens pathologique que nous connaissons . HYGIÈNE ET PROPHYLAXIE . 675 Que l'eau trop chargée de principes magnésiens, privée d'iode, soit le produit qui, en raison même de l'immense consommation que nous en faisons , est plus propre à amener cet état de dégénérescence, je puis l'admettre sans être inconséquent . Que l'air privé d'iode , et ne possédant plus les qualités nécessaires à l'entretien des fonctions générales de l'éco nomie, soit encore une des causes les plus puissantes de la dégénérescence qui nous occupe, je l'admets volontiers, et sans que la théorie de l'intoxication du système nerveux en puisse être le moins du monde compromise. Toute théorie, ai- je dit , est admissible si elle amène à formuler la thérapeutique dans ses applications les plus fécondes. Et ici , malgré les incertitudes qui peuvent faire varier les opinions des hommes de science à propos du principe essentiel de la maladie, nous avons lieu de nous glorifier des résultats que nous obtenons, en nous réunis sant tous sur le terrain de la prophylaxie et du traitement . Tout ce que nous faisons pour alleindre ce but, les succès qui couronnent nos efforts par une action médicatrice in telligente , confirment la théorie de l'intoxication . Nous cherchons à soustraire, au milieu dans lequel ils vivent, les individus menacés ou frappés. Nous les trans porlons sur des lieux élevés où ils respirent un air plus pur . Nous changeons ou modifions la nature des eaux qu'ils boivent en y ajoutant de l'iode qui, dans tous les cas, est regardé comme un antidote puissant par ceux mème qui n'admettraient pas dans toutes ses conséquences la théorie de M. Chatin . Nous cherchons à fortifier par tous les moyens possibles la constitution affaiblie de ces malheureux , dont la physionomie respire celle stupeur propre aux individus exposés à l'influence d'un miasme paludéen, et qui dans leur constitution physique ont tant de rapprochements avec 676 DÉGÉNÉRESCENCE CRÉTINEUSE . les crétins. Nous administrons les amers, les toniques, les bains fortifiants; nous agissons sur le système nerveux au moyen de l'électricité ; nous employons la gymnastique. Nous cherchons à réveiller par toutes les ressources de la médecine les sens et les appareils des scns. Nous avons la plus grande confiance dans l'influence du moral sur le phy. sique. Nous essayons de stimuler les aptitudes engourdies et d'en créer de nouvelles ; nous faisons un appel éner gique à ce qu'il reste à ces infortunés de sentiments et d'intelligence pour enrayer la marche du mal , et pour les sauver, quand c'est possible, d'une dégénérescence com plėte. Ce ne sont plus ici de vaines idées théoriques ; car elles ont été consacrées par les faits, et plus d'un individu, soustrait au milieu intoxicant dans lequel ses forces ner veuses s'allanguissaient, a été préservé et occupe aujour d'hui son rang dans la société . Lorsque les conditions sociales des individus ne nous permettent pas de les déplacer, nous allaquons le mal à sa source : nous assainissons les localités par l'endiguement des rivières et par l'écoulement que nous donnons aux eaux stagnantes. Nous savons, par expérience, combien le miasme délétère qui produit les maladies endémiques et épidémiques, reçoit une activité malfaisante nouvelle sous l'influence de l'humidité, et lorsqu'il agit sur des étres souffreteux et maladiſs par suite d'une mauvaise hygiene et des conditions déplorables de leurs habitations . Nous ne connaissons pas la nalure des miasmes en général , ni ce qui peut distinguer le miasme du choléra du miasme de la peste, et de celui qui cause l'intoxication crétineuse. Tout ce que peut nous apprendre la chimie, c'est que des différences presque imperceptibles dans les combinaisons de tel ou tel gaz , de tel ou tel sel , amènent des différences radicales dans une substance, au point que celle substance, HYGIÈNE ET PROPHYLAXIE . 677 qui peut servir a la respiration ou à la nourriture dans un cas , devient un poison dans un autre. Nous savons encore par l'observation des faits qu'il est des sujets dont la dose de tolérance pour tel ou tel poison est plus forle, et qu'en général un individu est d'autant plus assuré de ne pas contracter une maladie épidémique ou endémique, qu'il est plus sobre d'abord, que l'intoxica lion miasmatique n'a pas été précédée par l'intoxication alcoolique, et qu'il est, d'un autre coté , mieux vêtu, mieux nourri, mieux logé. Nous formulons d'après ces principes notre hygiène physique. Nous puisons dans l'étude des influences du mo ral sur le physique, les données de notre hygiène morale. Nous tenons essentiellement à la création de bonnes écoles et de salles d'asile qui , dans les pays crétinisés , ont besoin d'être plus suivies et mieux organisées que partout ailleurs . Nous applaudissons de tout cænr au mouvement actuel qui tend à créer des institutions spéciales pour les enfants arriérés, imbéciles , crétinisés ou disposés à le devenir ; mais lå ne doit pas s'arrêter le progrès, et il faut détruire les pépinières où le crétinisme se produit et se perpélue. La disparition complète du mal dépend plus que jamais , dans ce cas, des efforts collectifs, et se rattache à la grande question des améliorations hygiéniques par le desséchement des marais, par l'isolement dans les institutions hospita lières de tous les individus qui peuvent propager le mal par la voie de l'hérédité ( 1 ) , et par la bonne direction in ( 1 ) Dans mon travail spécial sur le Crétinisme, j'ai relaté les succès qui ont été oblenus pour l'extirpation de celle endémie à la Robertsau, près de Strasbourg . La génération actuelle de celle localilė , dit M. le professeur Tourdes, ne fournit plus de crétins . Le crélinisme et le goitre ont presque complélement disparu sous l'ioflucoce des améliorations hygiéniques et des 678 SOLIDARITÉ DES CAUSES DÉGÉNÉRATRICES . tellectuelle et morale à donner aux écoles, dans les contrées où sévit un pareil fléau . Les éléments curatifs doivent recevoir une généralisa tion d'autant plus grande, que j'ai déjà prouvé dans mes travaux antérieurs, que la dégénérescence crétineuse se trouve dans des relations intimes avec d'autres affections dégénératives que l'on observe in variablement dans toutes les contrées infestées. Le goitre, la surdi- mutité, le rachitisme , l'imbécillité et l'idiotie , les affections scrofuleuses et tuberculeuses , les hernies, la gastrite chronique, résultat de la mauvaise nourriture , l'arrêt du développement intellectuel et phy sique, l'improductivité, l'abaissement général des facultés intellectuelles , sont les maladies, les infirmités et les états dégénératifs qui existent concurremment avec le créli nisme ( 1 ) . Mais ce n'est pas seulement dans des milieux où règne une dégénérescence comme le crétinisme, que l'on peut remarquer celte série d'affections chroniques spéciales dérivant de causes pathologiques qui s'enchaînent et se travaux de desséchement qui ont lout à fait modifié l'élal sanitaire de la Robertsau , grâce aux soins dévoués et intelligents de M. le docteur François. Il est bon d'ajouter que le département du Bas-Rhin n'a pas reculé devant les sacrifices de l'isolement, dans les maisons hospitalières, de tous les jodi vidus alleints de crélinisme . ( 1 ) Dans l'introduclion de mes leltres à Monseigneur Billiet , on peut voir la statistique que j'ai donnée des infirmités congéniales ou acquises existant sur une population de 1,100 habitauls. Il s'agit de Moyenvic dans la Meurthe, où le goitre , le crélinisme, la surdi- mutité, le rachitisme, l'arrèt de développement intellectuel et physique, en un mot , les principales dégé nérescences dans l'espèce humaine sévissent d'une manière endémique. Je n'en citerai qu'un exemple : on comple dans celle commune plus de 200 individus affeciés de herpics, la plupart doubles. SOLIDARITÉ DES CAUSES DÉGÉNÉRATRICES. 679 commandent réciproquement, et qui amènent, en dernière analyse, l'abátardissement et l'extinction de la race. Il existe, dit M. Leudet, des maladies chroniques dont la fréquence et la nature reflètent le type morbide local . Cet honorable et savant professeur de l'école de médecine de Rouen, appliquant à cette ville le principe posé plus baut, s'exprime en ces termes dans une note qu'il a bien voulu me communiquer : a La population de la ville de Rouen , comme celle de toutes les cités manufacturières, nait et se développe dans des conditions essentiellement défavorables. Aussi n'est-on pas étonné de rencontrer au nombre des maladies les plus ordinaires, la phthisie, le cancer, la néphrite albumineuse , Jes affections du tube digestif, gastralgies , entérites, enfin, des névroses telles que l'hystérie , la chlorose, la paralysie générale progressive . Une dernière catégorie de maladies nous a semblé refléter celle disposilion adynamo- cacheclique de notre population , c'est le parasitisme . , Il résulte des observations de M. le docteur Leudet , que, sur 1,526 malades observés par lui å l'Hôtel- Dieu de Rouen dans le cours d'une année, la phthisie et le can cer figurent dans des proportions énormes (1 ) . D'autres affections qui ne se rangent pas nosologiquement à côté des précédentes, mais qui ont une grande affinité au point de vue de l'étiologie , méritent d'en être rapprochées, ce sont les maladies gastro -intestinales, les stomatiles ulce rcuses scorbutiques, et enfin les néphrites albumineuses et le ( 1) M. Leudet comple sur ce nombre de malades : 155 phthisiques , proportion bien inférieure, dit - il , à ce qui existe en ville et dans les autres services pon cliniques de l'Hôtel - Dieu de Rouen . Le cancer est, relative ment, d'une fréquence plus grande encore , puisque sur le même nombre de malades , ce savant praticien a observé 35 cancers de l'estomac , 2 du duc denum , 3 primitils du foie, ct 1 des médiastins antérieurs . 680 SOLIDARITÉ DES CAUSES DÉGÉNÉRATRICES. diabète sucré. La dyspepsie chlorotique est très- fréquente chez les femmes de Rouen. Les autres dyspepsies se rat tachent évidemment à la mauvaise nourriture qui , la plu part du temps, est exclusivement végétale. La fréquence de la néphrite albumineuse peut se com prendre, dit M. Leudet, par l'existence de causes locales. Le climat de Rouen est humide ; la position de cette ville au fond d'une vallée , sur le bord d'un grand fleuve, l'étroi tesse des rues, le voisinage de la mer, favorisent cet état bygrométrique de l'atmosphère. Le genre d'occupation des habitants les expose d'une manière plus directe encore å l'influence fâcheuse de l'humidité et du froid . Le travail des manufactures soumet les ouvriers å de fréquentes al lernatives de chaud et de froid , sans compter l'action des autres causes puisibles qui se rattachent à la vie de fa brique, et que nous avons longuement énumérées. Celle siluation nous explique non-seulement la fréquence des népbrites albumineuses, des rhumatismes, des pneumonies ( maladies dont la manifestation est à peu près égale dans la classe élevée) , mais elle nous révèle encore que le rabon grissement de la taille chez les jeunes enfants des fabriques, et la torpeur de l'intelligence , sont les signes les plus caractéristiques de cet état de dégénérescence qui mine sourdement la santé intellectuelle , physique et morale des populations et amène des transformations falales. Les résultats d'un pareil état sont faciles à prévoir, el l'insistance que nous avons mise à décrire non- seulement les effets des causes spéciales, mais des causes mixtes de de générescence chez tous les peuples de la terre, indique assez l'importance que nous allachons à de pareilles re cherches. Il nous reste à faire entrevoir, dans quelques courtes considérations, la manière dont nous comprenons l'étude des causes régénératrices dans l'espèce humaine. 681 CHAPITRE HUITIÈME. Inductions pratiques. - Manière d'envisager l'étude des éléments régénérateurs dans l'espèce humaine. Arrivé au terme que je me suis imposé dans cet essai sur l'étude des causes dégénératrices dans l'espèce hu maine, il me parait utile de reporter un instant notre pen sée sur le but et la tendance de ce livre, ainsi que sur les inductions pratiques qui en découlent, pour l'avenir de nos recherches . L'hygiène, la prophylaxie et le traitement des dégéné rescences, deviendront le but constant de mes efforts ulté rieurs, et la voie dans laquelle je vais entrer est éclairée d'avance par le résumé des indications curatives générales exposées dans cet ouvrage . Mes considérations finales seront courtes et succinctes . Le lecteur qui a bien voulu me suivre dans celle æuvre de Jongue haleine, ainsi que dans mes Etudes cliniques sur l'aliénation mentale, a déjà parfaitement compris , et le but que je poursuis, et les intentions qui m'animent. Le traitement de la folie qui devait procéder naturelle ment de mes éludes sur les causes et la nature des affec lions nerveuses, a dû être envisagé par moi au point de vue nouveau de mes idées actuelles sur les dégénéres cences . Je ne regarde plus, dans la généralité des cas au moins, l'aliénation mentale comme une maladie primitive. Je pense que celle affection ne doit pas être étudiée dans son origine, sa marche el son traitement, en dehors des causes 082 INDUCTIONS PRATIQUES . qui s'allaquent aux fonctions de l'homme intellectuel, phy sique et moral . Ces causes, tantôt simples et tantól com plexes ou mixles, constituent ces altérations fondamentales que j'ai désignées sous le nom de dégénérescences. A ce titre , l'aliénation mentale est une dégénérescence, et comme telle son traitement rentre dans les indications cura tives de l'hygiène physique et morale que nous complons appliquer à toutes les dégénérescences de l'espèce. La manière dont j'ai envisagé la grande et importante question de l'homme malade et de l'homme déchu, a fail ressortir un triple point de vue : l'altération des fonctions organiques, et la transformation des phénomènes patholo giques qui s'engendrent et se commandentréciproquement; la disposition dégénérative congéniale ou acquise de l'être humain sous l'influence de certaines causes déterminées ; et finalement, sa dégénérescence confirmée qui se per . pélue à son tour avec des caractères fixes et invariables chez ses descendants . Je regarde l'état dégénératif comme une déviation du type primitif ou normal de l'humanité, et les individus de générés comme les représentants de variétés maladives, mo difiables dans quelques cas, mais irrévocablement voués á l'incurabilité dans d'autres . L'étude des causes qui préparent et créent , en dernière analyse, les états dégénératifs, a été poursuivie dans ses détails particuliers aussi bien que dans ses généralités. Dans le premier cas, mes observations se sont concen trées sur l'homme isolé , pour ainsi dire, du milieu social ; dans le deuxième cas , j'ai dirigé mes investigations dans le sens de l'action que le climat , les meurs, la nourriture, exercent sur les races humaines. En dehors de cette manière d'apprécier la question, il m'aurait été impossible d'établir la différence qui existe PLAN D'une HYGIÈNE PHYSIQUE ET MORALE . 683 entre les races modifiées naturellement, et les variétés mo difiées maladivement dans l'espèce humaine. Or, celte diffé rence est fondamentale ; elle est radicale, je l'ai fait longuement ressortir. Les variétés naturelles, si grande que soit l'action des influences climatériques, morales, hygiéniques, peuvent s'unir entre elles , propager en commun la famille humaine, et remonter, en cas d'infériorité, vers un type supérieur. Les variétés maladives se trouvent dans une situation différente . Leur mélange avec la partie saine des popula tions engendre des types de dégradation progressive , à moins de circonstances exceptionnelles de régénération. Nous en verrons des exemples dans la partie thérapeu lique proprement dite. J'ai formulé dans mes prolégomenes une proposition que je maintiens dans son intégrité , j'ai dit : la progression dégénérative résultant de l'union d'individus plus ou moins frappés au cachet de la dégénérescence, peut atteindre de telles limites que l'humanité ne se trouve préservée que par l'excès du mal , et la raison en est simple : l'existence des êtres dégénérés est nécessairement bornée, ct , chose merveilleuse, il n'est pas toujours nécessaire qu'ils arrivent au dernier degré de la dégradation pour qu'ils restent frappés de stérilité, et conséquemment incapables de re produire le type de leur dégénérescence . J'ai poursuivi toutes les données de ce problème dans l'étude des causes pathologiques qui atteignent l'individu , la famille et la race . J'ai cherché sa solution jusque dans les mystérieuses conditions de la vie fætale, et j'ai abordė la question de l'hérédité par son côté le plus fécond en applications régénératrices. J'ai lieu de croire, d'ailleurs, que les considérations anthropologiques dans lesquelles je suis entré ne seront pas regardées comme un bors 681 INDUCTIONS PRATIQUES. d'euvre dans le trailé des dégénérescences. Les médecins trouveront dans l'étude des causes qui modifient si pro fondément le type primitif des races, un sujet immense d'exploration, et l'influence qu'ils peuvent et doivent exer cer sur les destinées et l'avenir des sociétés, s'y présente sous un jour nouveau. Il est incontestable que pour atteindre le but que je me proposais, j'ai dû revenir sur des sujets déjà souvent trai lés . L'hérédité, par exemple, et l'inconvénient des unions consanguines, sont des questions qui ont été examinées par moi dans leurs rapports intimes avec la formation des dé générescences dans l'espèce, et je n'ai pas craint de trans porter mes recherches sur le terrain ardu des analogies que l'on peut déduire de la physiologie et de la pathologie comparées . Si j'ai bien réussi dans le plan que j'ai suivi , il en ré sultera que la manière de comprendre l'action des causes dégénératrices, ou si l'on préfère, du mal physique et du mal moral dans l'humanité, se présentera sous une forme plus claire et plus nette, qu'elle facilitera les recberches ultérieures qui seront faites dans la même voie, et fera ressortir cette vérité : qu'étant donnée une cause dégéné ratrice sévissant d'une manière endémique dans un milieu déterminé, on rencontrera dans ce même milieu des infir mités diverses plus nombreuses que partout ailleurs, et que l'enchainement des phénomènes pathologiques qui s'engendrent et se commandent successivement, s'y mon Irera sous une forme bien plus grave. J'ai été amené par mes propres études à donner peut être une idée plus simple, plus précise et plus féconde en applications thérapeutiques et pénales pour ce qui regarde les conditions de l'ordre intellectuel , physique et moral , propres aux étres dégénérés. PLAN D'UNE HYGIÈNE PHYSIQUE ET MORALE. 78 La moyenne de la vie intellectuelle est limitée dans les variétés maladives, et le double cachet de leur déchéance morale et physique se reflète dans la forme de leur corps aussi bien que dans la disposition de leur esprit. Ils offrent dans l'humanité des types distincts , parfaite ment définis, qui se reconnaissent à des signes extérieurs et intérieurs, et les conséquences funestes de la double fée condation dans le sens du mal physique et du mal moral, constituent la pathologie entière des êtres dégénérés ( 1 ) . Si donc , l'idée que je me suis faite des causes de l'ordre intellectuel , physique et moral qui amènent les caracteres distinctifs des races naturelles et des variétés maladives, est exacte, il en résulle que le plan que je dois suivre dans les indications curatives, ressort d'une manière logique et ri goureuse de mes études préliminaires. L'hygiène physique el morale, le traitement de l'état aigu et la prophylaxie, sont les trois termes qui représentent le mieux les questions thérapeutiques fondamentales que j'aurai à élucider. 1 ° Le mot de traitement moral que nous employons dans nos asiles pour définir l'action que le médecin cherche à exercer sur une fraction des dégénérés dans l'espèce hu maine, me parait être une désignation heureuse. Le traitement moral qui n'est que l'application des de voirs imposés par la loi morale, divine, fixe et immuable, n'est pas une chose nouvelle. La propagation de celte loi, sa pratique, son application aux individus , selon leur âge et le degré de leur intelligence , ne sont pas non plus des fonctions exclusivement réservées à quelques hommes, et ne représentent pas davantage des devoirs que les uns sont libres d'accepter et les autres de rejeter. ( 1 ) Voir les planches annexées à cet ouvrage et le texte explicatif. 086 INDUCTIONS PRATIQUES. La fonction que chaque individu est lenu de remplir dans l'humanité n'est vraiment utile qu'autant qu'il pratique la loi morale, et les propagateurs de cette loi , ceux qui sont chargés de l'appliquer, sont non-seulement les moralistes, les prêtres, les magistrats , les instituteurs de la jeunesse, les médecins, mais le père de famille et les membres qui composent la famille . Mais, me demandera-t- on, si la loi morale est aussi an cienne que l'homme vivant en société, à quel titre voulez vous la faire considérer comme une chose nouvelle dans son application au traitement des dégénérescences dans l'espèce ? La réponse est facile et m'amène naturellement à définir ce que j'entends par ce remède si souvent invo qué au milieu des événements journaliers qui effrayent, å juste titre , tant de bons esprits sur l'avenir de la sociélé, je veux parler de la moralisation des masses . Sans doute, la loi morale n'est pas une chose nouvelle, mais l'exposé clair et méthodique, fait au point de vue médical , de toutes les questions qui ont trait à l'améliora tion intellectuelle et physique des masses, autrement dit , å leur moralisation, est une science encore toute nouvelle. Ce qui est nouveau aussi , ce sont les données spéciales qui doivent présider à ce traitement moralisateur, eu égard au tempérament des individus, à leur âge, à leur prédis positions héréditaires et à toutes les conditions organiques maladives qui constituent des anomalies de l'ordre intel lectuel et physique, des états de souffrance, et en un mol, des dispositions dégénératives. Ce qui n'est pas moins nou veau , c'est de préciser dans quel sens l'organisme de l'homme et les aptitudes organiques des générations fu tures, sont modifiés par l'intervention de la loi morale et de l'élément intellectuel . Or, s'il en est ainsi, on comprend la situation exception PLAN D'UNE HYGIÈNE PHYSIQUE ET MORALE . 087 nelle et difficile qui nous est faite , lorsque nous voulons appliquer les bénéfices du traitement ou de l'hygiène mo rale , aux variétés maladives . Celle situation réclame non seulement une profonde étude du cœur humain , mais la connaissance de toutes les anomalies qui, sous l'influence des causes dégénératrices, se créent dans les conditions or ganiques et intellectuelles de l'homme . Et, que l'on ne croic pas que les difficultés soient moins grandes si l'on veut faire l'application de l'hygiène morale à d'autres variétés que les variétés maladives . La loi morale, avons- nous dit , est une, elle est univer selle , c'est vrai , et la possibilité pour tous de l'accepter et de la pratiquer, est une preuve aussi certaine de l'unité de l'espèce que celle que l'on peut déduire de l'union et de la propagation, entre elles , des différentes races humaines. Mais ces races ne sont pas loutes arrivées au même degré de civilisation , et au sein des nations civilisées , elles mêmes, existent des classes déchues qui entrevoient à peino le mouvement ascendant des classes , supérieures, et ne peuvent y atteindre si elles sont abandonnees à leurs propres forces. Les causes dégénératrices qui pèsent d'une manière spé ciale sur des fractions si nombreuses de la société, ont été désignées par nous sous le nom de causes mixtes, et l'ap plication du traitement moral à ces masses déshéritées sc présente comme un des plus nobles , mais aussi des plus difficiles sujets d'étude que puissent poursuivre les vrais amis de l'humanité . On le voit donc, la loi morale qui est une, universelle, a néanmoins des formules applicables d'une manière di verse aux individus aussi bien qu'aux masses . Dans l'un et l'autre cas , il faut faire non- seulement la part du degré de la civilisation et du perfectionnement des institutions , mais 688 INDUCTIONS PRATIQUES. de la modification organique maladive que l'élément dé générateur imprime aux individus dégradés, aussi bien qu'aux variétés déchues dans l'espèce . Or, c'est précisé ment dans ce sens que doivent se diriger nos investiga tions thérapeutiques de l'ordre moral, et nous n'aurions rien dit de nouveau , si nous nous contentions de répéter la for mule banale qu'il faut moraliser les masses pour préserver la société de l'activité dévorante des causes dégénératrices. Nos considérations anthropologiques générales nous ont déjà fait entrevoir, du reste, la nécessité d'arriver à des donnés médicatrices positives qui puissent entrer dans le formulaire de l'hygiène morale . Nous avons vu que les peuples esclaves sont moins favorisés, sous le rapport du développement de leurs facultés intellectuelles et du per fectionnement de leur sens moral , que les peuples libres. Les variétés primitives qui résultent du mélange des races se trouvent, nous l'avons pareillement prouvé, dans une situation exceptionnelle qui demandé un travail par ticulier d'assimilation , lorsqu'on veut régénérer ces races et les faire remonter vers un type supérieur. Les classes ouvrières sont également, dans beaucoup de cas, les victimes involontaires des dures nécessités qu'enfantent la misère et le défaut d'éducation intellectuelle, morale et religieuse. Leur santé physique, compromise aussi bien par la nalure de leurs travaux que par les excės auxquels ils se livrent, se reflète dans la constitution de leurs enfants et tend incessamment à se perpétuer et à se Iransmeltre avec le type d'une dégradation physique et morale progressive. C'est donc sous mille et mille formes diverses, plus ou moins scientifiques, et conséquemment plus ou moins en rapport avec les données d'une saine observation médicale, que doit se faire l'application de l'hygiène morale. PLAN D'UNE HYGIÈNE PHYSIQUE ET MORALE . 689 Je n'apprendrais rien de nouveau aux médecins en leur disant que l'hygiène physique est la compagne insépa rable de l'hygiène morale, mais il est des moralistes qui ont besoin de se convaincre que la loi morale ne peut pros pérer d'une manière féconde que dans un organisme sain . D'un autre coté , la théorie de quelques économistes mo dernes qui ne basent l'amélioration des masses que sur les éléments de prospérité matérielle, est peut- être entachée d'un exclusivisme non moins dangereux. La prospérité matérielle, poussée à son plus haut degré, peut devenir dans quelques circonstances une situation pleine de pé rils. L'avenir des générations futures serait essentiellement compromis si l'on s'obstinait à ne rechercher la solution du problème de l'amélioration sociale que dans une de ces conditions, et si l'on n'avait d'autre formule pour régéné rer les masses que de leur offrir en perspective la jouis sance des richesses, et de développer chez elles l'appétence des plaisirs matériels . 2° Le traitement de l'état aigu ressort de notre sujet, tel que nous l'avons examiné dans le livre des dégénéres cences. Si nous prenons seulement les diverses intoxications comme la base des causes dégénératrices les plus actives , nous voyons, sous cette influence, se produire une foule de maladies aiguës qui réclament les soins immédiats de la médecine. L'intoxication alcoolique et plombique, l'abus des nar cotiques propres à produire des délires spéciaux , l'em poisonnement par les céréales altérées , l'exclusivisme de la nourriture, les influences épidémiques, les miasmes palu déens, l'air méphitique des logements insalubres , etc. , etc. , modifient profondément, comme nous l'avons suffisamment prouvé, les temperaments des individus, et constituent pour 44 690 INDUCTIONS PRATIQUES. eux des maladies aiguës, sans compter que la force des générations futures est souvent , par le fait même de ces intoxications diverses, altérée à sa source . Il n'est pas peut- être d'affection à forme dégénérative, y compris l'aliénation mentale, qui n'ait sa période aiguë où la médecine peut intervenir avec succès, si son secours est imploré à temps. C'est là le terrain sur lequel l'art mé dical se produit dans la plénitude de son action , mais le devoir du médecin ne finit pas avec les soins transitoires qu'il donne aux maladies aiguës ou accidentelles. 3º Il est une autre sphère où s'exercent sa science et son dévouement, d'une manière moins brillante peut- être , mais plus utile pour l'avenir de l'humanité . Cette sphère est celle de la prophylaxie, ou autrement dit , de la science qui a pour but de combattre les causes des maladies et de pré venir leurs effets. Faire une large part dans notre traité spécial de théra peutique à la prophylaxie, c'est être conséquent à l'esprit qui nous a guidé dans le livre des dégénérescences. ous avons fait entrevoir dans maintes circonstances les induc tions pratiques qu'il est légitime de tirer des idées que nous avons émises sur la manière dont opèrent les causes dégénératrices de l'espèce . Ajoutons que la prophylaxie qui se confond du reste dans beaucoup de cas avec les prescriptions de l'hygiène physique et morale , nous ouvre une perspective des plus consolantes pour tout ce qui re garde l'amélioration de l'espèce humaine . Encore une fois, la part que nous lui ferons sera large ; mais il existe plusieurs sortes de prophylaxies . Il en est une que j'appellerais volontiers prophylaxie défensive, et les courtes considérations qui suivent expliqueront ma pensée. Les variétés maladives qui sont le produit des causes démoralisatrices et dégénératrices constituent pour la so PLAN D'UNE HYGIÈNE PAYSIQUE ET MORALE . 691 ciété une situation qui offre des dangers de plus d'une espèce. Je prie que l'on ne voie dans ce que je vais dire aucun rapprochement injurieux pour ceux qu'un état maladif comme l'aliénation , par exemple , rend dangereux pour la sécurité publique . Toutefois, on ne peut ignorer que les coupables atteints par le glaive de la loi , et que les aliénés devenus nuisibles par la perte de leur liberté mo rale , sont, à des titres divers , sans doute, mais dans un intérêt commun , séquestrés de la société . Mais la société n'a pas tout fait lorsqu'elle a puni les coupables el qu'elle a empêché les aliénés de compromellre l'ordre social . Les uns peuvent sortir à l'expiration de leur peine , et les autres au terme de leur guérison ; et les uns et les autres rentrent dans la catégorie de ceux auxquels l'application de la loi morale doit être faite dans l'acception la plus générale de ce mol. La société , dans un but de sécurité publique , a fait de la prophylaxie defensive en séquestrant des individus nui sibles , quelle que soit la cause qui constitue leur état ; elle doit faire de la prophylaxie préservatrice en essayant de modifier les conditions intellectuelles , physiques et mo rales de ceux qui, à des titres divers, ont été séparés du reste des hommes ; elle doit , avant de les renvoyer dans le milieu social , les armer pour ainsi dire contre eux-mêmes afin d'atténuer le nombre des récidives. Dans cette circonstance encore , la loi morale nous appa rait avec ses applications spéciales. Sans doute, la morali sation des prisonniers doit se faire par d'autres procédés que la moralisation des aliénés ; ces derniers sont des ma Jades, dont les uns sont modifiables et les autres immodi fiables, lorsque surtout leur dégénérescence se présente sous la forme de ces états de démence avec'paralysie, d'imbécillité , d'idiotie et de crétinisme , qui enlèvent à la plupart l'exercice de leurs facultés instinctives . 692 INDUCTIONS PRATIQUES. Mais quel que soit le degré extrême de la dégradation où sont tombés ces malheureux , il ne s'ensuit pas que tout espoir d'améliorer leur situation soit irremediable ment perdu. Les immenses progrès accomplis dans les institutions hospitalières nous font espérer un avenir meil. leur encore, et pour ceux qui y sont isolés, et pour ceux qu'il serait opportun d'y placer. La manière dont j'envisage le traitement prophylactique est donc parfaitement définie. Les centres dans lesquels ce traitement trouve son application dans l'intérêt des in dividus coupables et des étres dégénérés, sont les maisons de détention et les asiles d'aliénés. L'histoire des progrès accomplis dans les institutions pénales et hospitalières, entre en conséquence dans le plan de mon ouvrage sur l'hygiène morale et physique applicable à la guérison et à l'amélioration des variétés maladives . Et, de même que j'ai donné au mot dégénérescence une acception plus large en l'étendant à tous ceux qui, pour l'une ou l'autre des causes dont nous avons étudié l'action , s'éloignaient plus ou moins du type normal de l'humanité, de même aussi je voudrais voir appliquer á un plus grand nombre de variétés maladives les bénéfices de nos institu tions hospitalières . Je ne trouverais aucun inconvénient à ce que les sourds muets et les aveugles de naissance, dont les infirmités con géniales se rattachent si souvent aux causes dégénératrices de l'espèce, et dont l'état intellectuel, physique et moral présente des anomalies spéciales que les médecins n'ont pas encore assez étudiées, fussent admis dans les mêmes établissements que les aliénés . Ils y recevraient l'éduca tion qui leur convient, et qui leur est distribuée aujour d'hui avec une parcimonie qui fait honte à notre civilisa tion . Dirigés vers un but en rapport avec leur triste PLAN D'UNE HYGIENE PHYSIQUE ET MORAL . 693 infirmités, ces malheureux deviendraient des membres utiles d'une société, dont à raison de leur état dégénératif, ils ne sont aujourd'hui que des membres inutiles, incom modes ou dangereux. Je ne puis donner ici une extension plus grande aux idées que j'exprime et aux væux que je formule. C'est dans le traité spéciale de l'hygiène physique et moral qui fera suite aux dégénérescences, que seront exposés avec tous leurs détails , les principes qui doivent dominer dans l'em ploi des conditions régénératrices de l'espèce humaine. Le plan que je me suis tracé est vaste , et j'ai dû me faire sur sa réalisation des objections plus sévères encore que celles que m'avaient adressées des amis bienveillants. Cependant, je suis déterminé à parcourir jusqu'au bout la voie que je me suis tracée . La confiance qui me soutient ne repose nullement sur l'idée exagérée que je me fais de mes forces, elle ne pro cède que de la foi vive et profonde qui m'encourage et m'anime. Je crois que l'étude des causes dégénératrices et de leur traitement est une des plus importantes, des plus utiles et des plus fécondes qui puissent occuper l'esprit d'un médecin , et qu'il est du devoir de chacun de concourir dans la mesure de ses forces à empêcher la généralisation des maux que j'ai signalés, et à se rattacher au programme parfaitement défini dans les termes qui suivent : Amélioration intellectuelle , physique et morale de l'homme, ou, si l'on préfère, sa Régénération . FIN . TABLE DES MATIÈRES. recor PRÉFACE ... PROLÉGOMÈNES. Première Section , S I. Définition du mot dégénérescence . 1-7 S II . Variétés de l'espèce humaine. Dégénérescences suivant les naturalistes . Opinions de Buffon et de M. Flourens ........ 7-16 S III . Instincts des animaux modifiés par les climats . Opinion de M. Roulin .... 16-22 S IV. Différence entre les modifications qui produisent les variétés naturelles et les modifications qui créent les variétés maladives. Opinions de MM . Prichard, d’Orbigny, Buchez, Martius, Humboldt, Bory de Saint-Vincent. Exemples de races modi fiées naturellement . Races Hottentote, Boschismane, Nègre. Unité de l'espèce humaine..... 23 - 46 Deuxième Section . Milieu so -- S I. Méthode à suivre dans l'étude des causes dégénératrices. Causes principales . Intoxications. Famines. cial . Industrie . Professions insalubres . Misère . Transformations pathologiques héréditaires . Mal moral. Infirmités congéniales ou acquises. Hérédité ...... 47-63 S II . Classification des êtres dégénérés. — Théories des naturalistes sur la classification des variétés naturelles : Prichard, Flourens, Buffon, Cuvier, etc ........ 63-74 S III . Considérations générales sur les principes qui doivent guider le médecin dans le traitement des dégénérescences. Indi cations prophylactiques et hygiéniques .... 73-78 TABLE DES MATIÈRES. 695 ÉTUDE DES CAUSES DÉGÉNÉRATRICES DE L'ORDRE PHYSIQUE ET MORAL . FORMATION DES DÉGÉNÉRESCENCES CHEZ L'INDIVIDU ET DANS LES RACES . 79 CHAP. I. DÉGÉNÉRESCENCE PAR LES AGENTS INTOXICANTS ..... 79 Première Section . S I. De la maladie désignée sous le nom d'alcoolisme chronique. Historique. · Opinion de M. Magnus Huss et des auteurs anciens .... 79-86 S II . Influence de l'alcool sur les fonctions de l'économie . Empoisonnement. Lésions du système nerveux . Trou bles de l'intelligence . Paralysie . Observation . Pa thologie comparée. Lésions anatomiques. Opinions des auteurs ... 86-107 - Deuxième Section. .... 108-113 Des différents types de dégénérescences produits par l'intoxi cation alcoolique . SI. Dégénérescences héréditaires chez les enfants issus de pa rents livrés à l'alcoolisme . Caractères de l'ordre physique et de l'ordre moral. Observations ... 113 - 130 S II . Influence des affections organiques et des maladies men tales sur les tendances ébrieuses . Observations..... 131- 140 CHAP. II . DÉGÉNÉRESCENCES DANS LEURS RAPPORTS AVEC L'Intoxi CATION PRODUITE PAR DIFFÉRENTS AGENTS DU RÈGNE VÉGÉTALET DU RÈGNE MINÉRAL .. 141 - 148 Première Section. Poisons végétaux. SI. Hachisch. Son usage chez les orientaux . - Action sur l'intelligence . Opinions de M. le docteur Moreau .... 148-158 S II . De l'opium . Historique de l'usage de fumer l'opium . Effets physiologiques. - Ravages causés par l'opium en Chine . Opinions de M. Huc et des médecins anglais . Dangers pour les populations européennes ..... 155-170 S III. Du tabac et de ses effets physiologiques. Historique . - Travaux de F. Tiedmann et de M , le docteur Mélier. 696 TABLE DES MATIÈRES, Des relations qui existent entre l'abus du tabac et la produc tion des dégénérescences ....... 171-185 Deuxième Section . Poisons minéraux . S I. Intoxication par les poisons minéraux ... 186 S II . Intoxication saturnine . Observation . Phénomènes physiologiques et pathologiques . - Opinions de M. le docteur Tanquerel des Planches . Analogies et différences avec les intoxications par les végétaux ..... 187- 203 - CHAP. III . DE L'INTOXICATION PRODUITE PAR LES SUBSTANCES ALIMENTAIRES ALTÉRÉES .... 204 SI. Des rapports qui existent entre la viciation des céréales et les perturbations atmosphériques. Considérations générales sur les épidémies , dans leurs rapports avec les causes dégéné ratrices ..... 203 S II . Influences des perturbations atmosphériques sur l'altération des céréales . Maladies épidémiques ; leurs rapports avec les dégénérescences . - Opinion de Hecker ... ... 206-219 S III . Intoxication par l'ergot de seigle . Ergotisme convulsif ct gangreneux . Description de la maladie . Observations. - Épidémies en France et en Allemagne. Pathologie com parée. - Lésions pathologiques . ... 220-237 S IV et V. De la pellagre . Rapports de cette affection dégé nératrice avec l'alimentation par le maïs. Observation . Troubles de l'ordre physiologique et de l'ordre intellectuel . Opinions de M. Th. Roussel et des médecins italiens, es pagnols et français...... 237-268 - - - CLASSIFICATION ET FORMATION DES ANALOGIES . - CHAP. IV. Des DIVERSES DÉGÉNÉRESCENCES PAR INTOXICATION . DIFFÉRENCES . VARIÉTÉS MALADIVES DANS L'ESPÈCE ... 269-274 $ I. Diagnostic différentiel des principaux agents intoxicants . Phosphore . Arsenic . Mercure. Ergotine . Verde Expériences sur les animaux. Pathologie com parée . – Opinions de Marzari . Hygiène des populations pellagreuses. Gastrite chronique en Suède ......... 274-312 S II . Des lésions organiques et des troubles fonctionnels dans rame. TABLE DES MATIERES, 697 - leurs rapports avec la manifestation des dégénérescences chez l'individu et dans l'espèce . Dans quel sens faut- il prendre le mot lésion . Opinions de MM . Delasiauve , Falret , Rayer..... 312-323 Manière de comprendre l'hérédité. — Opinion de M. Buchez. Des phénomènes de l'ordre circulaire . De la loi et des forces de l'ordre circulaire .. - Dépendance réciproque des phénomènes pathologiques .. - Observation .. ... 323 - 345 Des données qui m'ont guidé dans l'étude des dégénérescences . L'aliénation mentale est une dégénérescence . Manière de comprendre l'augmentation des causes dégénératrices dans l'espèce humaine .... 345-363 S III . Classification et formation des variétés maladives dans l'espèce . Intoxication alcoolique en Suède. Statistique . Moyens d'investigation . Crimes . Délits . Suicides. Aliénation mentale . Augmentation de la mortalité . Exemples pris chez différents peuples civilisés et sauvages . Types de dégradation . — Avenir des sociétés livrées aux excès alcooliques ... 363-394 S IV. Dégénérescences dans l'espèce sous l'influence des prépa rations toxiques ébriantes . De l'opium chez les Chinois . Manière d'appliquer la statistique morale aux peuples orien taux . De la loi d'adaptation .... ... 394-405 SV. Influence différentielle des agents intoxicants selon les cli mats et les diverses civilisations . Causes mixtes . Dévia tion de la loi morale . Exemples de dégénérescences dans les diverses races . Causes dégénératrices comparées. Influence de l'opium sur les tempéraments européens et de l'alcool sur les peuples non accoutumés à son usage . Exemples...... 406-413 Influences des causes mixtes . Race portugaise en Malaisie . Opinion du docteur Yvan . Race hollandaise au Cap. Éléments de conservation des races . Race française à Bour bon . Race nègre aux Colonies . Caractère des Nègres . Des causes de leur infériorité relative . Éléments de régénération ... 413-449 Race américaine . Théorie de Martius. Caractère , moeurs, - 698 TABLE DES MATIÈRES. - maux. habitudes, intelligence de cette race . Causes de dégrada tion . Conditions régénératrices . Aztèques . Esqui Groënlandais. Influences des conditions clima tériques et hygiéniques. Des effets de l'ignorance et de l'absence de la religion révélée , sur la dégénérescence phy sique et morale des variétés dans l'espèce humaine ..... 449- 489 Déductions pratiques . Des conditions qui font remonter les races abâtardies vers un type supérieur .... 489-497 DES RACES . - CHAP. V. INDICATIONS CURATIVES FOURNIES PAR LE CROISEMENT Efforts tentés pour régénérer les espèces végétales et animales. Inductions fournies par l'analogie dans l'intérêt des races humaines .... 497 S I. Dégénérescences dans les plantes . Résultat du croise ment dans les espèces animales. Conditions de régénéra tion . Maladies des plantes . Alternance des cultures . Opinions de MM . de Villeneuve , F. Heusinger. Essai de régénération des plantes tenté avec succès par M. de Van Mons . Dégénérescences chez les animaux. Tentatives de régénération . ... 498-511 S II . Influence du mélange des races sur l'amélioration de l'es pèce humaine . Conditions de régénération . Croisement des races . — Inconvénient des unions consanguines . -Exemple des avantages résultant du croisement des races . - Conditions physiologiques et intellectuelles des premiers individus issus de ces unions . Différence des Turcs civilisés et des Turcs no mades. - Influences de l'élément civilisateur sur la forme de la tête . Opinions de M. P. Lucas ... 511-530 CHAP. VI. DE LA DÉGÉNÉRESCENCE DANS L'ESPÈCE PAR SUITE de l'insuffisaNCE OU DE L'ALTÉRATION DES SUBSTANCES ALIMEN TAIRES . · Indications curatives...... 531 SI . Des effets produits par une nourriture insuffisante ou exclu sive . — De la force physique des races sauvages . — Géophagie sous les tropiques. Opinion de M. de Humboldt . Hy giène des Chartreux . Effets physiologiques. Opinion de M. le docteur Bertin . Influence des années de famine sur la population. – Opinions de MM . Quetelet et Villermé. 552-552 TABLE DES MATIÈRES . 699 - - - S II . Influence dégénératrice d'une nourriture exclusive . Ali mentation par la pomme de terre . Action dégénératrice . Opinions des auteurs , Effets de cette alimentation sur le tempérament des peuples Européens. — Scrofules . - Rachi tisme . Pathologie comparée ..... 553-563 S III . Manière de comprendre l'action de l'hérédité dans les pro ductions des dégénérescences . – Loi de la double fécondation dans le sens du mal physique et du mal moral .... ... 564-572 SIV. Des principales maladies produites sur l'homme et sur les animaux par l'insuffisance et l'altération des substances ali mentaires . Maladies du maïs, du riz , des pommes de terre , etc .... 572-582 SV. Indications curatives . · Traitement de l'alcoolisme chro . nique et de la pellagre . Amélioration des conditions ali mentaires. Intervention de la législation . Modifications dans les cultures . - Des rapports de l'industrie et de l'agri culture . Associations . Action el intervention du gouver nement.... 583-611 RAPPORTS AVEC SOL ..... CHAP. VII . DE LA DÉGÉNÉRESCENCE DANS SES L’INTOXICATION PALUDÉENNE ET LA CONSTITUTION GÉOLOGIQUE DU 612 SI. Tableau physique et moral des habitants des contrées maré cageuses . – Pathologie comparée. Manière de comprendre l'action du miasme paludéen ..... .... 614-626 S II . Des rapports qui existent entre les différentes constitutions géologique du sol et les maladies endémiques, ainsi que les dégénérescences dans les espèces animales. - Sols sablonneux, calcaire, argileux. Influences exercées sur les plantes et les animaux .. Sol marécageux. Malaria , Constitution paludéenne des grandes villes . Logements insalubres . Types de dégé nérescences . Opinions de M. Léon Faucher et des médecins anglais. Statistiques. Malaria des grandes villes ... 633-644 S III . Des conditions intellectuelles, physiques et morales des ouvriers des fabriques dans leurs rapports avec les dégénéres Des causes dégénératrices chet les enfants. ...... 626-633 cences . 700 TABLE DES MATIÈRES. Travail des mines . - Des maladies régnantes dans les centres industriels . - Effets de l'immoralité. Mortalité . Types de dégénérescences physique et morale . Caractères de ces dégénérescences . — Statistique morale . Criminalisé.. 645 - 664 S IV. De la constitution géologique du sol favorable au dévelop pement du crétinisme . Opinion de Monseigneur Billiel . – Manière de comprendre la formation de la dégénérescence crétineuse . - Existence d'auires affections dégénératrices dans un centre où existe une cause endémique . — Maladies spéciales à la ville de Rouen . Opinion de M. le docteur Leudet ... 664-680 CHAP. VIII . INDUCTIONS PRATIQUES . MANIÈRE D'ENVISAGER L’ÉTUDE DES ÉLÉMENTS RÉGÉNÉRATEURS DANS L'ESPÈCE ......... 680 PIN DE LA TABLE DES MATIÈRES. 1

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