Vies de dames galantes (full French text, Charles Blot edition)  

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Vies des dames galantes

Contents

Ful text[1]

2 DEDICACE.

Monseigneur,

D'autant que vous m'avez fait cet honneur souvent à la Cour de causer avec moy fort privement de plusieurs bons mots et contes, qui vous sont si familiers et assidus qu'on dirbit qu'ils vous naissent à veiie d'œil dans la bouche, tant vous avez l'esprit grand, prompt et subtil, et le dire de mesme et très-beau, je me suis mis à com- poser ces Discours tels quels, et au mieux que j'ay pu, afin que si aucuns y en a qui vous plaisent, vous fasseni autant passer le temps et vous ressouvenir de moy parmy vos causeries, desquelles m'avez honoré autant que gentilhomme de la Cour.

Je vous en dédie donc, Monseigneur, ce livre, et vous supplie le fortifier de vostre nom et autorité, en atten-


dant que je me mette sur les discours sérieux, et en voyez un à part que j'ai quasi achevé, où je déduis la comparaison de six grands princes et capitaines qui voguent aujourd'huy en cesle chrestienté , qui sont le roy Henri III vostre frère, Vostre Altesse , le roy de Navarre vostre beau-frère, M. de Guise, M. du Maine et M. le prince de Parme (1) , alléguant de tous vous autres vos plus belles valeurs, suffisances, mérites et beaux faits, sur lesquels j'en remets la conclusion à ceux qui la sçauront mieux faire que moy.

Cependant, Monseigneur, je supplie Dieu vous aug- menter tousjours en vostre grandeur, prospérité et d- tesse. de laquelle je suis pour jamais.

Monseigneur,

Votre, très-humble et très-obéissant sujet et très-affectionné serviteur,

DE BOURDEILLE.


(1) A la fln d« «on Discours XLI, Det Capitcùnet élnmgtrt, 11 promet de même cette eofnj>iirai$(m, auennentée dn Tiens Biron et da comto Maurice ; mais elle manque.



AU LECTEUR.


j'avois voUé ce QeuxTcsme livre des Femmes à mondit seigneur d'Alençon durant qu'il vivoit, d'autant qu'il me faisoit cet honneur de m'aimer et causer fort priwment avec moy, et estoit curieux de savoir de bons contes. Ores, bien que son généreux et valheureux et noble corps glse sous sa lame hono- rable , je n'en ay voulu pourtant révoquer le vœu ; ainsi je le redonne à ses illustres cendres et divin esprit, de la valeur du- quel , et de ses hauts faits et mérites ie parle à son tour, comme des autres grands princes et grands capitaines; car certes il l'a esté s'il en fut oqc, encor qu'il soit mort fort jeune.


AVIS DE L'AUTEUR.


Ce Tolnme des Dames Galantes est dédié â M. le duc d'ÂIençon,de Br3baDt, t.'i comte de Flandres, qui contient plusieurs beaux discours.

Le premier traite de l'amour de plusieurs femmes mariées, et qu'elles n'en sont si blasmables comme l'on diroit pour le faire ; le tout sans rien nommer, et à mots couverts.

Le deuxiesme, sçavoir qui est la plus belle chose en amour, la plus plai- sante, et qui contenté le plus, ou la veiie, ou la parole, ou l'attouchement.

Le troisiesme traite de la beauté d'une belle jambe, et comment elle est fort propre et a grand vertu pour attirer à l'amour.

Le quatriesme, quel amour est plus grand , plus ardent et plus aisé, ou celuj de la fille, ou de la femme mariée, ou de la veufve, et quelle des trois se laisse plus aisément vaincre et abattre.

Le cinquiesme parle de l'amour d'aucunes femmes vieilles et comment au- cunes j sont autant ou plus sujettes et chauJes que les jeunes, comme se peut parestre par plusieurs exemples, sans rien nommer ny escandalyser.

Le sixiesme traite qu'il n'est bien séant de parler mal des honnestes dames, bien qu'elles fassent l'amour, et qu'il en est arrivé de grands inconvénients pour en médire. '

Le septiesme est un recueil d'aucunes ruses et astuces d'amour, qu'ont in- venté et osé aucunes femmes mariées, veufves et filles i l'endroit de leurs maris, amants et autres, ensemble d'aucunes de guerre de plusieP.rs- capitaines à l'endroit de leurs ennemis; le tout en comparaison : à sçavoir lesquelles ont esté les plus rusées, cautes, artificielles, sublimes et mieux inventées et prati- quées, tant des uns qîiè""des autres Aussi Mars et l'Amour font leur guerr.; presque de mesme sorte, et l'un a son camp et ses armes comme l'autre.

Discours sur ce que les belles et honnestes dames ayment les vaillants tiomm->«, et les brades hommes ayment les dames courageuses.


DISCOURS PREMIER;

Sur les dames qui font l'amour et leurs maris cocus (1).


D'autant que ce sont les dames qui ont fait la fondation du co- cuage, et que ce sont elles qui font les hommes cocus, j'ay voulu mettre ce discours parmi ce livre des Dames, encore que je parle- ray autant des hommes que des femmes. Je sçay bien que j'entre- prends une grande œuvre, et que je n'aurois jamais fait si j'en voulois monstrer la fin, car tout le papier de la chambre des comp- tes de Paris n'en sçauroit comprendre par escrit la moitié de leurs histoires, tant des femmes que des hommes ; mais pourtant j'en escriray ce que je pourray, et quand je n'en pourray plus, je quit- leray ma plume au diable, ou à quelque bon compagnon qui la re- prendra ; m'excusant si je n'observe en ce discours ordre ny demy, car de telles gens et de telles femmes le nombre en est si grand, si confus et si divers, que je ne sçache si bon sergent de bataille qui le puisse bien mettre en rang et ordonnance.

Suivant donc ma fantaisie, j'en diray comme il me plaira, en ce mois d'avril qui en rameine la saison et venaison des cocus : je dis des branchiers, car d'autres il s'en fait et s'en voit assez tous les mois et saisons de l'an. Or de ce genre de cocus, il y en a force de

(1) Dans cet ouvrage, l'auteur qualifie telle dame de belle et honneste, ionl pourtant

il parle comme d'une fieffée p ; mais lorsqu'il ajoute, comme il fait quelquefois

vertueuie à belle et honni$ie, il insinue par là que la dame étoit sage et se faisoi point parler d'elle.


6 VIES DES DAMES GALANTES.

diverses espèces ; mais de toutes la pire est, ei q»e les dames crai- gnent et doivent craindre autant, ce sont ces fols, dangereux, bi- zarres, mauvais, malicieux, crue]s, sanglants et ombrageux, qui frappent, tourmentent, tuent, les uns pour le vray, les autres pour le faux, tant le moindre soupçon du monde les rend enragés ; et de tels la conversalion est fort à fuir, et pour leurs femmes et pour leurs serviteurs. Toutefois j'ay cogneu des dames et de leurs servi- teurs qui ne s'en sont point soucié; car ils estoient aussi mauvai; que les autres, et les dames esloient courageuses, tellement que si le courage venoit à manquer à leurs serviteurs, le leur remettoient ; d'autant que tant plus toute entreprise est périlleuse et scabreuse, d'autant plus se doit-elle faire et exécuter de grande générosité. D'auires telles dames ay-je cogneu qui n'avolent nul cœur ny am- bition pour attenter choses hautes, et ne s'amusoient du tout qu'à leurs choses basses : aussi dit-on lasche de cœur comme une pu- tain.

3'ay cogneu une honnesie dame, et non des moindres, la- quelle, en une bonne ocusion qui s'offrit pour recueillir la jouis- sance de son amy, et luy remonslrant à elle l'inconvénient qui en adviendroit si le mary qui n'estoit pas loin les surprenoit, n'en St plus de cas, et le quitta là, ne l'eslimant hardy amant, ou bien pour ce qu'il la dédit au besoin : d'autant qu'il n'y a rien que la dame amoureuse, lors que l'ardeur et la fantaisie de venir-là luy prend, et que son amy ne la peut ou veut contenter tout à coup pour quelques divers empeschemenls, haïsse plus et s'en dépite. Il faut bien louer cette dame de sa hardiesse, et d'autres aussi ses pareilles, qui ne craignent rien pour contenter leurs amours, bien qu'elles y courent plus de fortune et dangers que ne fait un soldat ou un marinier aux plus hasardeux périls de la guerre ou de la mer.

Une dame espagnole, conduite une fois par un gallant caval-

lier dans le logis du Roy, venant à passer par un certain recoing caché et sombre, le cavallier, se mettant sur son respect et discré- Uon espagnole, luy dit : Senora, buen lugar, si no fuera vuessa merced. La dame luy respondit seulement : Si buen lugar, si no fuera vuessa merced: c'est-à-dire : a Voici un beau lieu, si c'es- » toit une autre que vous. — Oûy vraiment, si c'estoit aussi un autre que vous. » Par-là l'argiiant et incolpant de couardise, pour n'avoir pas pris d'elle en si bon lieu ce qu'il vouloit et elle dési- roit ; ce qu'eust fait un autre plus hardy ; et, pour ce, oncques plus ne l'ayma et le quittta.


DISCOUUS I. 7

— J*ay ouy parler d'une fort belle et honnesle dame, qui donua assignation à son amy de coucher avec elle , par tel si qu'il ne la toucheroit nullement et ne viendroit aux prises ; ce que l'autre ac- complit, demeurant toute la nuicl en grancTstasç, tentation et con- tinence, dont elle lui en sceut si bon gré, que quelque temps après luy en donna joiiissance, disant pour ses raisons qu'elle avoit voulu esprouver son amour en accomplissant ce qu'elle luy avoit com- mandé : et, pour ce, l'en ayma puis après davantage, et qu'il pour- roit faire toute autre chose une autre fois d'aussi grande adventure que celle-là, qui est des plus grandes. Aucuns pourront louer cette discrétion ou lascheté, autres non : je m'en rapporte aux humeurs et discours que peuvent tenir ceut de l'un et de l'autre party ec cecy

— J'ay cogneu une dame assez grande qui, ayant donné une as' signation à son amy devenir coucher avec elle une nuict, il y vir.v tout appresié, en chemise, pour faire son devoir; mais, d'autant que c'estoit en hyver, il eut si grand froid en allant, qu'estant cou- ché il ne put rien faire, et ne songea qu'à se' réchauffer : dont la dame l'en haït et n'en fit plus de cas.

— Une autre dame devisant d'amour avec un gentilhomme, il luy dit, entre autres propos, que s'il esloit couché avec elle, qu'il eutreprendroit faire six postes la nuict^ tant sa beauté le feroit bien piquer. e( Vous vous vantez de beaucoup, dit-elle. Je vous » assigne donc à une telle nuicl. » A quoy il ne faillit de compa- roistre ; mais le malheur fut pour luy qu'il fut surpris, estant dans le lict, d'une telle convulsion, refroidissement etretirementde nerf, qu'il ne put pas faire une seule poste ; si bien que la dame luy dit : « Ne voulez-vous faire autre chose ? or vuidez de mon lict , je ne » le vous ay pas preste, comme un lict d'hoslellerie, pour vous y » mettre à vostre aise et reposer. Parquoy vuidez. » Et ainsi le renvoya, et se moqua bien après de luy, l'baïssantplus que peste. Ce gentilhomme fust esté fort hetireux s'il fust esté de la complexion du grand protenotaire Baraud, et aumosnierdu roy François, que, quand il couchoit avec les dames de la Cour, du moins il alloii à la douzaine, et au matin il disoit encore : « Excusez-moi, madame, » si je n'ay mieux fait, car je pris hier médecine. » Je l'ay veu de- puis, et l'appeloit-on le capitaine Baraud, gascon, et avoit laissé ia robbe, et m'en a bien conté, à mon advis, nom par nom. Sur ses vieux ans, cette virile et vénéreique vigueur luy défaillit, et estoit pauvre, encore qu'il eust tiré de bons brins que sa pièce luy avoit


H VIES DES DAMES GALANTES.

valu ; mais il avoit tout brouillé, et se mit à escouler ei distiller des essences : « Mais, disoil-il, si je pouvois, aussi bien que de » mon jeune aage, distiller de l'essence spermaliqueje ferois bien ^ » mieux mes affaires et m'y gouvernerois mieux. » i

— Durant celte guerre de la ligue, un honneste gentilhomme, brave certes et vaillant, estant soriy de sa place dont il estoit gou- verneur pour aller à la guerre, au retour, ne pouvant arriver d'heur en sa garnison, il passa chez une belle et fort honneste et grande dame veufve, qui le convie de demeurer à coucher céans ; ce qu'il ne refusa, car il esloil las. Après l'avoir bien fait souper, elle lui donne sa chambre et son lict, d^autant que toutes ses autres cham- bres estoient dégarnies pour l'amour de la guerre, et ses meubles serrez, car elle en avoit de beaux. Elle se retire en son cabinet, où tUe y avoit un lict d'ordinaire pour le jour. Le gentilhomme, après plusieurs refus de cette chambre et ce lict, fut contraint par la prière de la dame de le prendre : et, s'y estant couché et bien endormy d'un très-profond sommeil, voicy la dame qui vient tout bellement se coucher auprès de luy sans qu'il en sentist rien ny de toute la nuict, tant il estoit las et assoupy de sommeil ; et reposa jusques au lendemain matin grand jour, que la dame s'ostanl près de luy qui s'accommençoit à esveiller, luy dit : « Vous n'avez pas » dormy sans compagnie, comme vous voyez, car je n'ay pas voulu » vous quitter toute la part de mon lict, et par ce j'en ay joui de » la moitié aussi bien que vous. Adieu : vous avez perdu une oc- » casion que vous ne recouvrerez jamais. » Le gentilhomme, mau-

)f gréant et détestant sa bonne fortune faillie ( c'estoit bien pour se pendre), la voulut arrester et prier; mais rien de tout cela, et fort dépitée contre luy pour ne l'avoir contentée comme elle vouloit, car elle n'estoit là venue pour un coup, aussi qu'on dit : « Un seul » coup n'est que la salade du lict, et mesmes la nuict, » et qu'elle )y n'estoit là venue pour le nombre singulier, mais pour le plurier, que plusieurs dames en cela ayment plus que l'autre. Bien contraires à une très-belle et honneste dame que j'ay cogneu, laquelle ayant donné assignation à son amy de venir coucher avec elle, en un rien

X il fit trois bons assauts avec elle ; et puis, voulant quarlei; et para- chever et multiplier ses coups, elle luy dit, pria et commanda de se découcher et retirer. Luy, aussi frais que devant, luy représente le combat, et promet qu'il feroit rage toute celte nuict là avant le jour venu, et que pourri peu sa force n'estoit en rien diminuée. Elle luy dit : « Contentez-vous que j'ay recogneu vos forces, qui


DISCOURS I. 9

N sont bonnes et belles, et qu'en temps et lieu je les sçauray mieux » employer qu'à st'heure; car il ne faut qu'un malheur que vous et » moy soyons descou verts ; que mon maryle sçache, me voilà per- » due. Adieu donc jusques à une plus seure et meilleure commodité, » et alors librement je vous employeray pour la grande bataille, et » non pour si petite rencontre. » Il y a force dames qui n^eusseni eu celte considération, mais ennivrées du plaisir, puisque tenoient déjà dans le camp leur ennemy, l'eussent fait combattre jusques au clair jour.

— Cette honnestedameque je dis de paravant celles cy, estoiide telle humeur, que quand le caprice lui prenoit, jamais elle n'avoit peur ny appréhension de son mary, encore qu'il eust bonne espée et fust ombrageux; et nonobstant elle y a esté si heureuse, que ny elle ny ses amants n'ont pu guières courir fortune de vie, pour n'avoir jamais esté surpris, pour avoir bien posé ses gardes et bon- nes sentinelles et vigilantes : en quoy pourtant ne se doivent pas fier les dames, car il n'y faut qu'une heure malheureuse, ainsi qu'il arriva il y a quelque temps à un gentilhomme brave et vaillant, qui fut massacré, allant voir sa maîtresse, par la trahison et menée d'elle mesme que le mary lui avoit fait faire (l) : que s'il n'eust eu si bonne présomption de sa valeur comme il avoit, certes il eust bien pris garde à soy et ne fust pas mort, dont ce fut grand dom- mage. Grand exemple, certes, pour ne se fier pas tant aux femmes amoureuses, lesquelles, pour s'eschapper de la cruelle main de leurs marys, jouent tel jeu qu'ils veulent, comme fit cette-cy qui eut la vie sauve, et l'amy mourut.

— 1! y a d'autres marys qui tuent la dame et le serviteur tout ensemble, ainsi que j'ay oùy dire d'une très-grande dame de la- quelle son mary estant jaloux, non pour aucun effet qu'il y eust certes, mais par jalousie et vaine apparence d'amour, il fil mourir sa femme de poison et langueur, dont fut un très-grand dommage, ayant paravant fait mourir le serviteur, qui estoit un honneste homme, disant que le sacrifice estoit plus beau et plus plaisant de tuer le taureau devant et la vache après. Ce prince fut plus cruel à l'endroit de sa femme qu'il ne fut après à l'endroit d'une de ses filles qu'il avoit mariée avec un grand prince, mais non si grand


(1) Le fameux Bussi d'Amboise, Louis de Clermont, massacré le 19 aofit 1ST9, A QD reDdez-trous que lui avoit donoé la comtesse de Honsoreau par le commaoaemept d« son man. [De Thou. liv. Lxviii.l


10 VIES DES DAMES GALANTES.

que luy qui esloit quasi uu monarque. Il eschappa à celle folle femme de se faire engrosser à un aulre qu'à son mary, qui esloil empesclié à quelque guerre; et puis, ayant enfanté d'un bel en- fant, ne sceut à quel sainct se voiler, sinoH à son père, à qui elle décela le tout par un gentilhomme en qui elle se fioit, qu'elle luy envoya. Duquel aussi-toslla créance ouye, il manda à sou mary que sur sa vie il se donuast bien garde de n'attenter sur celle de sa fille, autrement il attenteroit sur la sienne, et le rendroit le plus pauvre prince de la chreslienlé, comme esloit eu son pouvoir ; et envoya à sa fille une galère avec une escorte quérir l'enfant et la nourrice ; et l'ayant fourny d'une bonne maison et entretien , il le fit très-bien nourrir et élever. Mais au bout de quelque temps que le père vint à mourir , par conséquent le mary la fit mourir.

— J'ay ouy dire d'un autre qui fit mourir le serviteur de sa femme devant elle, et le fit fort languir, afin qu'elle mourust mar- tyre de voir mourir en langueur celui qu'elle avoit tant aymé et tenu entre ses bras.

— Uu autre de par le monde tua sa femme en pleine Cour (l), luy ayant donné l'espace de quinze ans toutes les libertés du monde, et qu'il estoit assez informé de sa vie, jusques à luy remonstrer et l'admonester. Toutefois une verve luy prit (on dit que ce fut par la persuasion d'un grand son maistre),et par un malin la vint trou- ver dans son lict ainsi qu'elle vouloit se lever, et ayant couché avec elle, gaussé et ryt bien ensemble, luy donna quatre ou cinq coups de dague, puis la fit achever à un sien serviteur, et après la fit mettre en lilière, et devant tout le monde fut emportée en sa maison pour la faire enterrer. Après s'en retourna, et se présenta à la Cour, comme s'il eust fait la plus belle chose du monde, et en triompha. Il eusl bien fait de mesme à ses amoureux ; mais il eust eu trop d'affaires, car elle en avoii tant eu et fait, qu'elle en eusi fait une petite armée.

— J'ay ouy parler d'un brave et vaillant capitaine pourtant, qui, ayant eu quelque soupçon de sa femme, qu'il avoit prise en très- bon lieu, la vint trouver sans autre suite, et l'eslrangla lui-même de sa main de son escharpe blanche, puis la fit enterrer le plus honorablement qu'il peut , et assista aux obsèques habillé en deuil, fort triste, et le porta fort longtemps ainsi babillé : et voilà

(1) Kené dt Tillequier, qui tua Fi'a>ivui>c uu La Karck, u première femme.


DISCOURS I. 1 1

la pauvre femme bien satisfaite, et pour la bien resusciler par cettr belle cérémonie : il en fit de mesme à une damoiselle de sa dit^. femme qui luy tenoit la main à ses amours. Il ne mourut sans li- gnée (le celle femme, car il eu eut un brave fils, des vaillants et des premiers de sa patrie, et qui, par ses valeurs et mérites, vint à de grands grades, pour avoir bien servy ses roys el maistres.

— J'ay ouy parler aussi d'un grand en Italie qui tua aussi sa femme, n'ayant pu alrapper son galant pour s' estre sauvé en France s mais on disoit qu'il ne la tua point tant pour le péché (car il y avoU assez de temps qu'il sçavoit qu'elle faisoit Tamour, et n'en faisoit point autre mine) que pour espouser une autre dame dont il estoit amoureux.

— Voyla pourquoy il fait fort dangereux d'assaillir et attaquer un c. armé, encore qu'il y en ait d'assaillis a<ussi bien et autant que des désarmez, voire vaincus, comme j'en sçay un qui estoit aussi bien armé qu'en tout le monde. Il y eut un gentilhomme, brave et vaillant certes, qui le voulut mugueiter ; encore ne s'en contentoit-il f pas, il s'en voulut prévaloir el publier : il ue dura guières qu'il ne lust aussi-tost tué par gens apposiez, sans autrement faire scandale, ay sans que la dame eu patist, qui demeura lenguemeut pourtant en tremble et aux alertes, d'autant qu'estant grosse, et se fiant qu'a- près ses couches, qu'elle eust voulu estre allongées d'un siècle, elle aurait autant ; mais le mary, bon et miséricordieux, encore qu'il fust des meilleures espées du monde, luy pardonna, et n'en fut ja- mais autre chose, et non sans grande allarme de plusieurs autres des serviteurs qu'elle avoit eus; car l'autre paya pour tous. Aussi

la dame, recoguoissaut le bienfait et la grâce d'un tel mary, ne luy; donna jamais que peu de soupçon depuis, car elle fut des assez. sages el vertueuses d'alors. t

— Il arriva tout autrement un de ces ans au royaume de Naples, à'donne Marie d'Avalos, l'une des belles princesses du pays, mariée avec le prince de Venouse, laquelle s'estantenamou.rachée du comte d'Andriane, l'un des beaux princes du pays aussi, et s'estans tous deux concertez à la jouissance (et le mary l'ayant descouvcrle par le moyen que je dirois, mais le conte en seroit trop long), voire couchez ensemble dans le lict, les fit tous deux massacrer par gens apposiez ; si que le lendemain on trouva ces deux belles créatures et moitiés exposées étendues sur le pavé devant la porte de la maison, toutes mortes et froides, à la vene de tous les passants, qui les lar-


I« VIES DES DAMES GALANTES.

moyolent et plaignoient de leur misérable estât. Il y eut des parents de ladite dame morte qui en furent très-dolents et trèfcêsioniacqués, /v jusques à s'en vouloir ressentir par la mort elle meurtre, ainsi que la loy du pays le porte, mais d'autant qu'elle avoit esté tuée par des marauts de valets et esclaves qui ne méritoieni d'avoir leurs mains teintes d'un si beau et si noble sang, et sur ce seul sujet s'en vouloient ressentir et rechercher le mary, fust par justice ou autre- ment, et non s'il eusl fait le coup luy-mesme de sa propn* :nain ; car n'en fust esté autre chose, ny recherché.

Voyla une sotte et bizarre opinion et formalisation, dont je m'en ra|)porte à nos grands discoureurs et bons jurisconsultes, pour sça- voir quel acte est plus énorme, de tuer sa femme de sa propre main qui l'a tant aimé, ou de celle d'un maraut esclave. Il y a force rai- sons à déduire là-dessus, dont je me passeray de les alléguer, crai- gnant qu'elles soyent trop foibles au prix de celles de ces grands.

J'ay ouy conter que le viceroy, en sçachant la conjuration, en aJvertit l'amant, voire l'amante ; mais telle estoit leur destinée, qui se devoit ainsi finer par si belles amours.

Cette dame estoit fille de dom Càrlo d'Avalos, second frère du marquis de Pescayre, auquel, si on eust fait un pareil tour eu au- cunes de ses amours que je sçay, il y a long-temps qu'il fust esté mort.

— J'ay cogneu un mary, lequel, venant de dehors, etayat;^ esté long temps qu'il n'avoit couché avec sa femme, vint résolu et bien joyeux pour le faire avec elle et s'en donner bon plaisir ; mais arri- vant de nuict, il entendit par le petit espion qu'elle estoit accom- pagnée de son amy dans le lict : luy aussi-tost mit la main à l'espée, et frappant à la porte, et estant ouverte, vint résolu pour la tuer ,* mais premièrement cherchant le gallant qui avoit sauté par la fenes- tre. vint à elle pour la tuer ; mais, par cas, elle s'estoit cette fois si bien alifée, si bien parée pour sa coiffure de nuict, et de sa belle chemise blanche, et si bien ornée (pensez qu'elle s'estoit ainsi dor- lotée pour mieux plaire à son amy), qu'il ne l'avoit jamais trouvée ainsi bien accommodée pour luy ny à son gré, qu'elle se jettauten chemise à terre et à ses genoux, luy demandant pardon par si belles et douces paroles qu'elle dit, comme de vray elle sçavoillrès-bieu dire, que, la faisant relever, et la trouvant si belle et de bonne grâce, le cœur lui fléchit, et laissant tomber son espée, luy, qui n'avoit fait rien il y avoit si long-temps, et qui en estoit affamé (dont possible bien eu prit à la dame, et que la nature l'émouvoit).


DISCOURS I. It

il luy pardonna el la prit et l'embrassa , et la remit au lict, et se deshabillant soudain, se coucha avec elle, referma la porte ; et la femme le contenta si bien par ses doux attrailset mignardises (pensez ju'elle n'y oublia rien), qu'enfin le lendemain on les trouva meil- leurs amis qu'auparavant, et jamais ne se firent tant de caresses : comme fît Ménélaûs, le pauvre cocu, lequel l'espace de dix ou douze ans menassant sa femme Heleine qu'il lalueroit s'il la tenoit jamais, et mesme luy disoit du bas de la muraille en haut ; mais, Troyë prise, el elle tombée entre ses mains, il fut si ravy de sa beauté qu'il luy pardonna tout, et l'ayma et caressa mieux que jamais. Tels marys furieux encor sont bons, qui de lions tournent ainsi en papillons ; mais il est mal aisé à faire une telle rencontre que celle-cy.

— Une grande, belle et jeune dame du règne du roy François I, mariée avec un grand seigneur de France, et d'aussi grande mai- son qui y soit point, se sauva bien autrement, el mieux que la pré- cédente ; car, fust ou qu'elle eust donné quelque sujet d'amour à son mary, ou qu'il fust surpris d'un ombrage ou d'une rage sou- daine, el fust venu à elle l'espée nuë à la main pour la tuer, dé- sespérant de tout secours humain pour s'en sauver, s'advisa sou- dain de se voiler à la glorieuse Vierge Marie, et en aller accomplir son vœu à sa chapelle de Loretle, si elle la sauvoit, à Sainct Jean de Mauverets, au païs^ d'Anjou. El sitost qu'elle eut fait ce vœu mentalement, ledit seigneur tumba par terre, et luy faillit son es- pée du poiiig ; puis lantost se releva, et, comme venant d'un songe, demanda à sa femme à quel sainct elle s'estoit recommandée pour éviter ce péril. Elle luy dit que c'esloità la Vierge Marie, en sa chapelle susdite, et avoil promis d'en visiter le saint lieu. Lors il luy dii : « Allez y donc, et accomplissez votre vœu ; » ce qu'elle fil, et y appendit un tableau contenant l'histoire, ensemble plu- sieurs beaux et grands vœux de cire, à ce jadis accouslumez, qui s'y sont veus long-temps après. Voyla un bon vœu, et belle escapade inopinée. Voyez la cronique d'Anjou.

— J'ay ouy parler que le roy François une fois voulut aller coucher avec une dame de sa Cour qu'il aymoit. Il trouva son mary l'espée au poing pour l'aller tuer ; mais le Roy lui porta la sien ne à la gorge, et luy commanda, sur sa vie, de ne luy faire aucun mal, et que s'il luy faisoil la moindre chose du monde, qu'il le tueroil, ou qu'il luy feroit trancher la teste ; et pour ceste nuicl l'envoya dehors, 2t prit sa place. Cette dame esioit bien heureuse d'avoir


J4 VIES DES DAMES GALAxMES.

trouvé un si bon champion et protecteur de son c; car oncques depuis le inary ne luy osa sonner mot, ains luy laissa du tout faire à sa guise. J'ai ouy dire que non seulement celte dame, mais plusieurs autres, obtindrenl pareille sauve garde du Roy. Comme plusieurs font en guerre pour sauver leurs terres et y mettent les armoiries du Roy sur leors portes, comme font ces femmes, celles de ces grands roys, au bord et au dedans de leur c, si bien que leurs marys ne leui- osoient dire mot, qui, sans cela, les eussent passez au fil de l'espèe.

— J'en ay cogneu d'autres dames, favorisées ainsi des roys et des grands, qui porioyent ainsi leurs passeports partout : toutefois , si en avoit-il aucunes qui passoyent le pas, auxquelles leurs marys, n'osant y apporter le couteau, s'aydoient des poisons et morts ca- chées et secreties, faisant accroire que c'estoyent catherres, apo- plexie et mort subile : et tels marys sont détestables, de voir à leurs costez coucher leurs belles femmes, languir et tirer à la mort ie jour en jour et méritent mieux la mort que leurs femmes ; ou bien les font mourir entre deux murailles, en chartre perpétuelle, comme nous en avons aucunes croniques anciennes de France et j'en ai oceu un grand de France, qui lit ainsi mourir sa lemme, qui es- toit une fort belle et honneste dame, et ce par arrest de la cour, prenant son petit plaisir par cette voye à se faire déclarer cocu. De ces forcenez et furieux maris de cocus soipt volontiers les vieillards, lesquels se defliant de leurs forces et chaleurs, et s'asseurant de celles de leurs femmes, mesme quand ils ont esté si sols de les es- pouser jeunes et belles, ils en sont si jaloux et si ombrageux, tant par leur naturel que leurs vieilles pratiques, qu'ils ont traînées eux-mêmes autrefois ou veu traicter à d'autres, qu'ils meinent si misérablement ces pauvres créatures, que leur purgatoire leur se- roit plus doux que non pas leur autorité. L'Espagnol dit : El dia- bolo sabe muclio, porque es viejo, c'est-à-dire que « le diable sçait beaucoup parce qu'il est vieux : » de niesmes ces vieillards, par leur aage et anciennes routines, sçavent force choses. Si sont ils grandement à blasmer de ce poinct, que, puisqu'ils ne peuvent contenter les femmes, pourquoi les vont-ils épouser? et les fem- mes aussi belles et jeunes ont grand tort de les aller espouser, sous l'ombre des biens, en pensant jouir après leur mort, qu'elles attendent d'heure à autre ; et cependant se donnent du bon temps avec des amis jeunes qu'elles font, dont aucunes d'elles en palis- sent griefvement.


DISCOURS I. IS

'— J'ai ouy parler d'une, laquelle estant surprise sur le fait, son ' mari, vieillard, luy donna une poison de laquelle elle languit plus d'un an et vint seiche coiume bois; et le mary l'âiloit voir sou< vent, et se plaisoit en cette langueur, et eu rioit, et disoit qu'elle n'avoit que ce qu'il luy falloit.

— Une autre, son inary l'enferma dans une chambre et la mit au pain et à l'eau, et bieu souvent la faisoit despouiller toute nue et la fouetloit son saoul, n'ayant compassion de celte belle cbar- nure nue, ni non plus d'émotion. Voyla le pis d'eux, car, estant dégarnis de chaleur et dépourveus de tentation comme une statue Je marbre, n'ont pitié de nulle beauté, et passent leurs rages par de cruels martyres, au lieu qu'estans jeunes la passeroyent possi- ble sur leur beau corps nud, comme j'ay dit cy devant. Voyla pourquoi il ne fait pas bon d'espouser de tels vieillards bizarres , car, encor que la veue leur baisse et vienne à manquer par faage, si en ont ils toujours prou pour espier et voir les frasques que leurs jeunes femmes leur peuvent faire.

— Aussy j!ay ouy parler d'une grande dame qui disoit que nul samedy fut sans soleil, nulle belle femme sans amours, et nut vieillard sans êlre jaloux ; et tout procède pour la débolezze^e ses ■( forces. C'est pourquoy un grand prince que je sçiy^ disoit qu'il v voudroit ressembler le lion, qui, pour vieillir, ne blanchit jamais ;

le singe, qui tant plus il le fait tant plus il le veut faire; le chien tant plus il vieillit son cas se grossit ; et le cerf, que tant plus il est vieux tant mieux il le fait, et les biches vont plusiôi à luy qu'aux jeunes. Or, pour en parler franchement, ainsi que j'ay ouy dire à un grand personnage, quelle raison y a-t-il, ni quelle puissance a-l-il le mary si grande, qu'il doive et puisse tuer sa ieiiime, veu qu'il ne l'a point de Dieu, ny de sa loy, ny de son saint Evangile, sinon delà répudier seulement? Il ne s'y parle point de meurtre, de sang, de mort, de tourments, de poison, de prisons ni de cruauiez. Ah ! que noslre Seigneur Jésus-Christ nous A bien remonslré qu'il y avoit de grands abus en ces façons de faire et en ces meurtres, et qu'il ne les approuvoit guières, lors< qu'on luy amena cette pauvre femme accusée d'adultère pour jele r sa sentence de punition ; il leur dit en escrivant en terre de so u doigt : a Celui de vous autres qui sera le plus net et le plus sim- » pie, qu'il prenne la première pierre et commence à la lapider; » ce que nul n'osa faire, se sentans atteints par telle sage et douc«  repréhension. Nostre Créateur nous apprenoit à tous de n'estre Sy


16 VIES DES DAMES GALANTES.

légers à condamner et faire mourir les personnes, mesmes sur ce »ujet, cognoissant les fragililez de noslre nature et l'abus que plu- sieurs ycommellent; car tel fait mourir sa femme qui est plus ail ullere qu'elle, et tels les font mourir bien souvent innocentes, se faschans d'elles pour en prendre d'autres nouvelles, et combien y en a-t-il! Sainct Augustin dit que l'homme adultère est aussi punissable que la femme.

— J'ay ouy parler d'un très-grand prince de par le monde, qui, ioubçonnant sa femme faire l'amour avec un galant cavallier, il le fit assassiner sortant un soir de son palais, et puis la dame, la- ■ju elle, un peu auparavant à un tournoy qui se fil à la Cour, et elle fixement arregardant son serviteur qui manioit bien son cheval, se mit à dire : « Mon Dieu ! qu'un tel pique bien I — Oùy , mais il » pique trop haut ; » ce qui l'esionna, et après fut empoisonnée par quelques parfums ou autrement par la bouche.

— J'ay cogneu un seigneur de bonne maison qui fit mourir sa femme, qui estoit très-belle el de bonne part et de bon lieu, en l'empoisonnant par sa nature , sans s'en ressentir , tant subtile et bien faite avoit esté icelle poison, pour espouser une grande dame qui avoit espousé un prince, dont en fut en peine, en prison et en danger sans ses amis : et le malheur voulut qu'il ne l'espousa pas, et en fut trompé et fort scandalisé, et mal veu des hommes et des dames. J'ai veu de grands personnages blasmer grandement nos Toys anciens, comme Louis Hutin et Charles le Bel, pour avoir fait mourir leurs femmes : l'une, Marguerite, fille de Robert, duc de Bourgogne; et l'autre. Blanche, fille d'Olhelin, comte de Bourgo- gne : leur mettant à sus leurs adultères ; et les firent mourir cruel- lement enire quatre murailles, au Chasteau Gaillard : et le comte de Foix en fit de mesme à Jeanne d'Artoys. Surquoy il n'y avoit point tant de forfaits et de crimes comme ils le faisoient à croire ; mais messieurs se faschoient de leurs femmes, et leur mettoient à sus ces belles besognes, et en espousèrent d'autres. i

— Comme de frais, le roy Henry d'Angleterre fit mourir sa femme Anne de Boulan, et la décapiter, pour en espouser une au- tre, ainsi qu'il estoit fort sujet au sang et au change de nouvelles femmes. Ne vaudroit-il pas mieux qu'ils les répudiassent selon la parole de Dieu, que les faire ainsi cruellement mourir ? Mais il leur en faut de la viande fraîche à ces messieurs, qui veulent tenir table à part, sans y convier personne, ou avoir nouvelles et secondes fem- mes qui leur apportent des biens après qu'ils ont mangé ceux de


DISiX)! KS II. »»

kurs preiijières, ou n'en ont eu assez pour les rassasier, ainsi que fil Baudouin, second roi de Jérusalem, qui, faisant croire à sa pre mière femme qu'elle avoii paillarde, la répudia pour prendre une lille du duc de Malilerne (l), parce qu'elle avoit une dot d'une grande somme d'argeut, dont il estoit fort nécessiteux. Cela se trouve ei\ l'histoire de la Terre Sainte, il leur sied bien de corriger la loy de Dieu, et en faire une nouvelle, pour faire mourir ces pauvres femmes I

— Le roy Loiiis le Jeune n'en âi pas de mesme à l'endroit de Léonor, duchesse d'Aquitaine, qui, soupçonnée d'adullere, possible à faux, en son voyage de Syrie, fut répudiée de luy seulement, sans vouloir user de la loy des autres, inventée et pratiquée plus par autorité que de droit et raison : dont sur oeil en îTcquist plus grande réputation que les autres roys, et titre de bon, et les autres de mau- vais, cruels et tyrans ; aussi que dans son ame il avoit quelques re- mords de conscience d'ailleurs : et c'est vivre en chrestien cela, voire que les payens romains la pluspart s'en sont acquittés de mesme plus chrestiennement que payennement, et principalement aucuns empereurs, desque'^ la plus grande part ont esté sujets à estre cocus, et leurs femu-es très-lubriques et fort putains : et, tels cruels qu'ils ont esté, vous en lirez force qui se sont défaits de leurs femmes, plus par répudiations que par tueries de nous autres Chresiiens.

— Jules César ne fit autre mal a sa lemme Porapeïa, sinon la répudier, laquelle avoit esté adultère de Publius Claudius, beau gentilhomme romain, de laquelle estant éperdument amoureux, et elle de luy, espia l'occasion qu'un jour elle faisoit un sacrifice en sa maison où il n'y entroit que des dames; il s'habilla en garce, luy qui n'a voit encore point de barbe au menton, qui se meslant de chanter et de joiier des instruments, et par ainsi passant par cette monstre, eut loisir de faire avec sa maistresse ce qu'il voulut ; mais estant recogneu, il fut chassé et accusé; et par moyen d'argent et de faveur il fut absous, et n'en fut autre chose. Cicéron y perdit son latin par une belle oraison qu'il flt contre lui. Il est vrai que César, voulant faire à croire au monde qui luy persuadoit sa femme inno- cente, il respondit qu'il ne vouloit pas que seulement son lict fust taché de ce crime, mais exempt de toute suspiiion. Cela estoit bon


(I) Liseï MeliUne; c'est connue les anciens appeloient celte ville, dont le nom moderne dans Moreri eU Mektit, en latio Malatia, dans rArménlo, sur l'Eupkrate.


18 VIES DES DAMES GALANTES.

pour en abbreuver ainsi le monde ; mais, dans son ame, il sçavoit bien que vouloit dire cela, sa femme avoii esté ainsi trouvée avec son amant; si que possible luy avoit-elle donné cette assignation et ^ cette commodité ; car, en cela, quand la femme veut et désire, il ne \/ faut point que l'amant se soucie d'excogiter des commoditez, car elle en trouvera plus en une heure q'ïïè"rôiis nous autres sçaurions faire en cent ans, ainsi que dit une dame de par le monde, que je sçay, qui dit à son amant : « Trouvez moyen seulement de m'en >» faire venir l'envie, car d'ailleurs, j'en trouveray prou pour enve- » nir là. » César aussi sçavoit bien combien vaut l'aune de ces cho- ses-là, car il esloil un fort grand ruffian , et l'appeloit-on le coq à tou- tes poules, et ei) fit force cocus en sa ville, tesmoing le sobriquet que luy donnoient ses soldats à son triomphe : Romani, servate uxoreSj mœchum adducimus calvum, c'est-à-dire, « Romains, » serrez bien vos femmes , car nous vous amenons ce grand » paillard et adultère de César le chauve, qui vous les repassera » toutes. » Voilà donc comme César, par cette sage response qu'il fit ainsi de sa femme, il s'exempta de porter le nom de cocu qm'il faisoit porter aux autres ; mais, dans son ame, il se sentoit bien touché.

— Octavie César répudia aussi Scribonia pour l'amour de S9 paillardise sans autre chose, et ne luy fit autre mal, bien qu'elle eust raison de le f^ire cocu, à cause .l'une infinité de dames qu'il entrelenoit; et devant leurs marys publiquement les prenoit à ta- ble aux festins qu'il leur faisoit, et les emnienoit en sa chambre, et, après en avoir fait, les renvoyoit, les cheveux défaits un peu et destortillez, avec les oreilles rouges : grand signe qu'elles en ve- noieni, lequel je n'avois ouy dire propre pour descouvrir que l'on en vient ; ouy bien le visage, mais non l'oreille. Aussi luy donna-t-on la réputation d'estre fort paillard ; mesnies Marc-Antoine le luy re- procha : mais il s'excusoit qu'il n'entreienoit point tant les dames pour la paillardise, que pour descouvrir plus facilement les secrets de leurs marys, desquels il se mesfioit. J 'ai cogneu plusieurs grands et autres, qui en ont fait de mesme et ont recherché les dames pour ce mesme sujet, dont s'en sont bien trouvez ; j'en nommerois bien aucuns : ce qui est une bonne finesse, car il en sort double plaisir. La conjuration de Catilina fut ainsi descouverte par une dame de joye.

— Ce mesme Octavie, à sa fille Julia, femme d'Agrippa, pour avoir esté une très-grande putain, et qui luy faisoit grande honte


DISCOURS I. 19

(car quelqnes-fois les filles font à leurs pères plus de deshonneur que les femmes ne font à leurs marys), fui une fois eu délibéralion de la faire mourir ; mais il ne la fit que bannir, luy ester le via et l'usage des beaux habillements, et d'user des parures, pour très- grande punition, et la fréquentation des hommes : grande punition pourtant pour les femmes de cette condition, de les priver de ces deux derniers points!

— César Caligula, qui estoit un fort cruel tyran, ayant eu opi- nion que sa femme Livia Hostilia lui avoit dérobé quelques coups en robe, et donné à son premier mary C. Piso, duquel il l'avoit oslée par force, et à luy encore vivant, luy faisoit quelque plaisir et gracieuseté de son gentil corps cependant qu'il estoit absent en quelque voyage, n'usa point en son endroit de sa cruauté accous- turoée, ains la bannit de soy seulement, au bout de deux ans qu'il l'eust ostée à son mary Piso et espousée. Il en fit de mesme à Tul- lia Paulina, qu'il avoit ostéc à son mary C. Memmius: il ne la fit que chasser, mais avec défense expresse de n'user nullement de ce mestier doux, non pas seulement à son mary : rigueur cruelle pour- tant de n'eu donner à son mary ! J'jy ouy parler d'un grand prince cbresiien qui fit cette défense à une dame qu'il entretenoit, et à son mary de n'y toucher, tant il estoit jaloux.

Ciaudius, fils de Drusus Germanicus, répudia tant seulement sa femme Plantia Herculalina, pour avoir esté une signalée pulain, et, qui pis est, pour avoir entendu qu'elle avoit attenté sur sa vie ; et, tout cruel qu'il estoit, encor que ces deux raisons fussent assez bastantes pour la faire mourir, il se contenta du divorce. Davan- tage, combien de temps porta-t-il les fredaines et sales bourdel- leries de Vaieria Messalina, son autre femme, laquelle ne se contentoit pas de le fi>ire avec l'un et l'autre, dissolumeut et indis- crètement, mais faisoit profession d'aller aux bourdeaux s'en faire donner, comme la plus grande bagasse de la ville, jasques-là, comme dit Juvenal, qu'ainsi que son mary estoit couché avec elle, se déroboit tout bellement d'auprès de luy le voyant bien endormy. et se déguisoit le mieux qu'elle pouvoit, et s'en alloit en pleii bourdeau, et là s'en faisoit donner si très-tant, et jusques qu'elle en partoit plustost lasse que saoule et rassasiée, et faisoit encore pis : pour mieux se satisfaire et avoir cette réputation et contente- ment en soy d'estre une grande putain et bagasse, se faisoit payer, et taxoit ses coups et ses chevauchées, comme an commissaire qui va par pays jusqu'à la dernière maille.


ÎO VIES DES DAMES GALANTES.

— J'ay ouy par.er dune dame de par le monde, d assez cbëre étoffe, qui quelque temps fit cette vie, et alla ainsi aux bourdeaux déguisée, pour en essayer la vie et s'en faire donner ; si que le guet de la ville, en faisant la ronde, l'y surprit une nuict. Il y en a d'aigres qui font ces coups, que l'on sçait bien.

Bocace, en son livre des Illustres Malheureux, parle de celtt Messaline gentiment, et la fait alléguant ses excuses en cela, d'au-^ a nt qu'elle estoit du tout née à cela, si que le jour qu'elle naquist ce fut en certains signes du ciel qui l'embrasèrent et elle et autres. Son mary le sçavoit, et l'endura long-temps, jusques à ce qu'il sceut qu'elle s'estoit mariée sous bourre avec un Caïus Silius, l'un des beaux gentilshommes de Rome. Voyant que c'estoit une assignation sur sa vie, la fit mourir sur ce sujet, mais nullement pour sa paillardise, car il y estoit tout accoustumé à la voir, la sça- voir et l'endurer. Qui a veu la statue de ladite Messaline trouvée ces jours passez en la ville de Bourdeaux, advouera qu'elle avoit bien la vraye mine de faire une telle vie. C'est une médaille anti- que, trouvée parmy aucunes ruines, qui est très-belle, et digne de la garder pour la voir et bien contempler. C'estoit une fort grande femme, de très-belle haute taille, les beaux traits de son visage, et sa coeffure tant gentille à l'antique romaine, et sa taille très-haute, démonstrant bien qu'elle estoit ce qu'on a dit : car, à ce que je tiens de plusieurs philosophes, médecins et physionomistes, les grandes femmes sont à cela volontiers inclinées, d'autant qu'el-e^ sonthommasses;et, estant ainsi, participent des chaleurs de l'homaîe et de la femme ; et, jointes ensemble en un seul corps et sujet, sont plus violentes et ont plus de force qu'une seule ; aussi qu'à un grand navire, dit-on, il faut une grande eau pour le soutenir. Davantage, à ce que disent les grands docteurs en l'art de Vénus, une grande femme y est plus propre et plus gente qu'une petite. Sur quoi il me souvient d'un très-grand prince que j'ai cogneu: f vo ulant loiier une femme de laquelle il avoit eu jouissance, il dit

■ es mots : « C'est une très-belle putain, grande comme madame

■ -a mère. » Dont ayant esté surpris sur la prompiiiude de sa pa- V le, il dit qu'il ne voulolt pas dire qu'elle fust une grande putain comme madame sa mère, mais qu'elle fust de la uille et grande comme madame sa mère.

— Quelquesfois on dit des choses qu'on ne pense pas dire, queî- quesfois aussi sans y penser l'on dit bien la vérité. Voilà doue comme il fait meilleur avec les grandes et hautes femmes, quaaii se


DISCOURS 1. Jl

ne seroil que pour la belle grâce, la majesté qui est en elles ; car, en ces choses, elle y est aussi requise et autant aimable qu'en d'autres actions et exercices, ny plus ny moins que le manège d'un beau et grand coursier du règne est bien cent fois plus agréable et plaisant que d'un petit bidet, et donne bien plus de plaisir à son L'scuyer; mais aussi il faut bien que cet escuyer soit bon et se tienne bien, etmonslre bien plus de force et d'adresse : de mesme se faut-il porter à l'endroit des grandes et hautes femmes ; car, de cette taille, elles sont sujettes d'aller d'un air plus haut que les autres, et bien souvent font perdre l'estrier, voire l'arçon, si l'on n'a bonne tenue, comme j'ay ouy conter à aucuns cavalcadours qui les ont montées ; et lesquelles font gloire et grand mocquerie quand elles les font sauter et tomber tout à plat : ainsi que j'en ay ouy parler d'une de celte ville, laquelle, la première fois que son serviteur coucha avec elle, luy dit franchement : « Embrassez-moy bien, et » me liez à vous de bras et de jnmbes le mieux que vous pourrez, j> et tenez- vous bien hardiment, car je vays haut, et gardez bien » de tomber. Aussi, d'un costé, ne m'espargnez pas ; je suis assez » forte et habile pour soutenir vos coups, tant rudes soient ils ; et j» si vous m'espargnez je ne vous espargneray point. C'est pour- » quoy à beau jeu beau retour. » Mais la femme le gaigna. Voilà donc comme il faut bien adviseràse gouverner avec telles femmes hardies, joyeuses, renforcées, charnues et proportionnées ; et, bien que la chaleur surabondante en elles donne beaucoup de contente- ment, quelquesfois aussi sont-elles trop pressantes pour esire si chaleureuses. Touîesfois, comme l'on dit, de toutes tailles bons lé- vriers : aussi y a-t-il de petites femmes nabottes qui ont le geste, la grâce, la façon en ces choses un peu approchante des autres, ou les veulent imiter, et si sont aussi chaudes et aspres à la curée, voire plus : je m'en rapporte aux maistres en ces arts. Ainsi qu'un petit cheval se remue aussi prestement qu'un grand, et, comme disoit un honneste homme, que la femme ressembloit à plusieurs animaux, et principalement à un singe, quand dans le licl elle ne fait que se mouvoir et remuer. J'ay fait cette digression ; en me souvenant il faut retoui ner à nostre premier texte. i — Et ce cruel Néron ne fit aussi que répudier sa femme Ocia-

ivia, fille de Claudius et Messalina, pour adultère, et sa cruauté s'abstint jusques-là. — Domiiiaii fit encore mieux, lequel répudia sn femme Dnmitia Longina parce qu'elle estoil si amoureuse d'un ci-riain coinedieD et


22 VIES DES DAMES GALANTES.

basteleur nommé Paris, et ne faisoit tout le jour que paillarde» avec luy, sans tenir compagnie à son mary; mais, au bout de peu de temps, il la reprit encore et se repentit de sa séparation ; pen sez que ce basteleur luy avoit appris des tours de souplesse et d( ma niement dont il croyoit qu'il se trouveroit bien.

— Perlinax en fit de mesme à sa femme Flavia Sulpitiana, noi [u'il la répudiast ni qu'il la reprist , mais la sachant faire l'amoui )i un chantre et joueur d'instruments, et s'adonner du tout à luy, n'en fit autre compte sinon la laisser faire, et luy faire l'amour de sm costé à une Cornificia estant sa cousine germaine; suivant en cel a l'opinion d'Eliogabale, qui disoit qu'il n'y avoit rien au monde

plus beau que la conversation de ses parents et parentes. Il y en a force qui ont fait tels eschanges que je sçay, se fondans sur ces opinions.

— Aussi l'empereur Severus non plus se soucia de l'honneur de sa femme, laquelle estoit putain publique, sans qu'il se souciast jamais de l'en corriger, disant qu'elle se nommoit Jullia, et, pour ce, qu'il la falloit excuser, d'autant que toutes celles qui por- toient ce nom de toute ancienneté estoient sujettes d'eslre très- grandes putains et faire leurs marys cocus : ainsi que je connois beaucoup de dames portans certains noms de notre christianisme, que je ne veux dire pour la révérence que je dois à noslre saincte religion, qui sont cousiumièrement sujettes à estre putles et à hausser le devant plus que d'autres portans autres noms, et n'en a-t-on veu guères qui s'en soient eschappées.

Or je n'aurois jamais fait si je voulois alléguer une infinité d'au- tres grandes dames et emperieres romaines de jadis, à l'endroict desquelles leurs marys cocus, et très-cruels, n'ont usé de leurs cruautez, autoriiez et privilèges, encore qu'elles fussent très-dé- bordées ; et croy qu'il y en a peu de prudes de ce vieux temps, comme la description de leur vie le manifeste : mesmes, que l'on regarde bien leurs effigies et médailles antiques, on y verra tout à plain, dans leur beau visage, la mesme lubricité toute gravée et peinte ; et pourtant leurs marys cruels la leur pardonnoient, et ne les faisoient mourir, au moins aucuns : et qu'il faille qu'eux payens, ne connaissans Dieu, ayent esté si doux et benings à l'endroit de leurs femmes et du genre humain, et la pluspart de nos roys, prin- ces, seigneurs et autres chrestiens, soyent si cruels envers elles pai un tel forfait !

— Encore faut-il loiier ce brave Philippe Auguste, nostre roj


DISCOURS 1. It

de France, lequel, ayant répudié sa femme Angerberge, sœur de Canut, roy de Danemarck, qui esloit sa seconde femme, sous pré- texte qu'elle estoit sa cousine en troisiesme degré du costé de sa première femme Isabel (autres disent qu'il la soubçonnoit défaire l'amour), néantmoins ce roy, forcé par censures ecclésiastiques, quoy qu'il fust remarié d'ailleurs, la reprit, et l'emmena derrière luy tout à clieval, sans le sceu de l'assemblée de Soissons faite pour cet effet, et trop séjournant pour en décider, Aujourd'huy aucun de nos grands n'en font de mesmes ; mais la moindre punition ' qu'ils font à leurs femmes, c'est les mettre en chartrej)erpétuelle, au pain et à l'eau, et là les faire mourir, les empoisonnent, les tuent, soit de leur main ou de la justice. Et s'ils ont tant d'envie de s'en défaire et espouser d'autres, comme cela advient sou- vent, que ne les répudient-ils, et s'en séparent honnestement, sans autre mal, et demandent puissance au pape d'en espouser une au- tre, encor que ce qui est conjoint l'homme ne le doit séparer? Toutesfois, nous en avons eu des exemples de frais, et du roy Charles huit et de Louis douze, nos roys; sur quoy j'ay ouy discourir un grand théologien, et c'estoit sur le feu roy d'Espagne Philippe, qui avoit espousé sa niepce, mère du roy d'anjourd'huy, et ce par dispense, qui disoit : a Ou du tout il faut advoiier le Pape pour » lieutenant général de Dieu en terre, et absolu, ou non : s'il l'est, » comme nous autres catholiques le devons croire, il faut du tout >» confesser sa puissance bien absolue et infinie en terre, et sans » bornes, et qu'il peutnoiier et desnoùer comme il luy plaist; » mais, si nous ne le tenons tel, je le quitte pour ceux qui sont en » telle erreur, non pour les bons catholiques, et par ainsi nostre » Père sainct peut remédier à ces dissolutions de mariages, et à I» de grands inconvénients qui arrivent pour cela entre le niary » et la femme, quand ils font tels mauvais ménages. » Certaine- nie nt les femmes sont fort blasmables de traitter ainsi leurs ma- rys par leur foy violée, que Dieu leur a tant recommandée ai ais pourtant de l'autre costé, il a bien défendu le meurtre, et lu est grandement odieux de quelque costé que ce soit : etjamai> gu ieres n'ay-je veu gens sanguinaires et meurtriers, mesmes de i eurs femmes, qui n'en ayent payé le debte, et peu de gens aima m le sang ont bien finy ;«ar plusieurs femmes pécheresses ont obteo u et gaigné miséricorde de Dieu, -comme la Madelaine. Enfin, ces pauvres femmes sont créatures plus ressemblantes à la Divinité que nous autres à cause de leur beatité ; car ce qui est beau est olos


24 VIES DES DAMES GALANTES.

approchant de Dieu qui est tout beau, que le laid qui appartient au diable.

— Ce grand Alphonse, roy de Naples, disoit que la beau lé es- toit une vraye signifiancede bonnes et douces mœurs, ainsi comme est la belle fleur d'un bon et beau fruit : comme de vray, en ma viej'ay veu force belles fejnmes toutes bonnes; et, bien qu'elles tissent l'amour, ne faisoyent point de mal, ny autre qu'à songer à ce plaisir, et y melloyent tout leur soucy sans l'applicquer ailleurs, D'autres aussi en ay-je veu très-mauvaises, pernicieuses, dange-* reuses, crueles et fort malicieuses, nonobstant songer à l'amour et au mal tout ensemble. Sera t-il doncques dit qu'estant ainsi su- jettes à l'humeur voilage et ombrageuse de leurs marys, qui méri- tent plus de punition cent fois envers Dieu, qu'elles soient ainsi punies ? Or de telles gens la complexion est autant fascheuse comme est la peine d'en escrire.

— J'en parle maintenant encore d'un autre, qui estait un sei- gneur de Dalmatie, lequel ayant tué le paillard de sa femme, la contraignit de coucher ordinairement avec son tronc mort, charo- gneux et puant ; de telle sorte que la pauvre femme fut suffoquée de la mauvaise senteur qu'elle endura par plusieurs jours,

— Vous avez, dans les Cent Nouvelles de la Beyne de Na- varre, la plus belle et triste histoire que l'on sçauroit voir pour ce sujet, de cette belle dame d'Allemagne que son mary conlraignoii à boire ordinairement dans le lest de la teste de son amy qu'il y avoit tué; dont le seigneur Bernage, lors ambassadeur en ce pays

1 pour le roy Charles huicliesme, en vit le pitoyable spectacle, et en I fit l'accord.

— La première fois que je fus jamais en Italie, passant par Ve- nise, il me fut hil un compte pour vray d'un certain chevalier al- banais, lequel, ayant surpris sa femme en adultère, tua l'amou- reux, et de despit qu'il eut que sa femme ne s'esloit contentée de luy; car il esloit un gallanl cavallier, et des propres pour Vénus, jusques à entrer en jouxte dix ou douze fois pour une nuict : pour punition il fut curieux de rechercher par-tout une douzaine de bons compagnons, el fort ribauls, qui avoient la réputation d'estre bienel grandement proportionnez de leurs membres, el fort adroits el chauds à l'exécuiion ; et les prit, les gagea él loua pour argent, el les serra dans la chambre de sa femme, qui estoit très-belle, et Is

. leur abandonna, les priant tous d'y faire bien leur d»'\oir. avec dou- ble p-iye s'ils s'en acquiimient bien : et se mirent loos après elle, les


DISCOURS 1. ib

uns après les autres, et la menèrent de telle façon qu'ils la rendi- rent morte, avec un irès-grand contentement du mary; à laquelle il Iny reproclia, tendante à la mort, que, puis qu'elle avoit tant aymé celle douce liqueur, qu'elle s'en saoulasl, à mode que dit Sémiramis (1) à Cyrus, luy mettant sa teste dans un vase plein de sang. Voila un terrible genre de mort ! Celle pauvre dame ne fust ainsi morte, si elle eust esté de la robuste complexion d'une garce qui fut au camp de César en la Gaule, sur laquelle on dit que deux légions passèrent par dessus en peu de temps, et au partir de là fît la gambade, ne s'en trouvant point mal.

— J'ai ouy parler d'une dame Françoise de ville, et damoisellc, et belle : en nos guerres civiles ayant esté forcée, dans une ville prise d'assaut, par une infinité de soldais, et, en estant échappée, elle demanda à un beau père si elle avoit péché grandement : après luy avoir conté son histoire, il lui dit que non, puisqu'elle avoit ainsi été prise par force, et violée sans sa volonté, mais y répugnant du tout. Elle répondit : a Dieu donc soit loiié, que je » m'en suis une fois en ma vie saoulée sans pécher ni offenser » Dieu! »

— Une dame de bonne part, au massacre de la Sainct-Barlhé- lemy, ayant été ainsi forcée, et son mary mort, elle demanda à un homme de sçavoir et de conscience si elle avoit offensé Dieu, et si elle n'en seroil point punie de sa rigueur, et si elle n'avoit point fait tort aux mânes de son mary qui ne venoit que d'esire frais tué. Il lui respondit que, quand elle estoit en celle be- sogne, si elle y avoit pris plaisir, certainement elle avoii péché; mais si elle y avoit eu du dégoust, c'étoit tout un. Voila une bonne sentence !

— J'ay bien cogneu une dame qui estoit différente de celte opi- nion, qui disoit qu'il n'y avoit si grand plaisir en celte affaire que quand elle estoit à demy forcée et abattue, et mesme fl'un grand ; d'autant que, tant plus on fait de la rebelle ei delà refusante, d'autant plus on y prend d'ardeur et s*efforce-t-on : car, ayani une fois faussé sa brèche, il jouit de sa victoire plus furieusement et rudement, et d'autant plus on donne d'appétit à sa dame, qui con- trefait pour tel plaisir la demi- morte et pasniée, comme il semble, mais c'est de l'extrême plaisir qu'elle y prend : mesme ce disoit cette dame, que bien souvent elle donnoit de ces venues et altères

(1) On plDtdt Thomyris.


26 VIES DES DAMES GALANTES.

à son mary, eifaisoitde la farouche, de la bizarre etdesdaîgneuse, le mettant plus en rut; et, quand il venoit là, luy et elle s'en iroa- voient cent fois mieux : car, comme plusieurs ont escrit, une dame plaist plus qui fait un peu de la difficile et résiste, que quand elle se laisse sitost porter par terre. Aussi en guerre, une victoire ob- tenue de force est plus signalée, plus ardente et plaisante, que par la gratuité, et en triompbe-t-il mieux. Mais aussi ne faut que la dame fasse tant en cela la revesche ny terrible, car on la liendroit plustost ))Our une putain rusée qui voudroit faire de la prude, dont bien souvent elle seroUescandalisée ; ainsi que j'ay ouy dire à des plus savantes et babiles en ce fait, auxquelles je m'en rapporte, ne voulant est re si présomptueux de leur en donner des préceptes qu'elles sçavent mieux que moy. Or j'ay veu plusieurs blasmer grandement aucun de ces marys jaloux et meurtriers, d'une cbose, que, si leurs femmes sont putains, eux-mêmes en sont cause. Car, comme dit saint Augustin, c'est une grande folie à un mary de requérir chasteté à sa femme, luy estant plongé au bourbier de paillardise: et en tel estât doit estre le mary qu'il veut trou- ver sa femme. Mesmes nous trouvons en nostre Sainte Escriture qu'il n'est pas besoin que le mary et la femme s'entr'ayment si fort; cela se veut entendre par des amours lascifs et paillards : d'autant que, mettant et occupant de tout leur cœur en ces plaisirs lubriques, y songent si fort et s'y adonnent si très-tant, qu'ils en laissent l'amour qu'ils doivent à Dieu ; ainsi que moy-mesme j'ay veu beaucoup de femmes quiaymoient si très-tant leurs ma- rys, et eux elles, et eu brusloient de telle ardeur, qu'elles et eux en oublioient du tout le service de Dieu, si que, le temps qu'il y falloit mettre, le meitoient et consommoient après leurs paillardises. De plus, ces marys, qui pis est, apprennent à leurs femmes, dans leur lict propre, mille lubricitez, mille paillardises, mille tours con- tours, façons nouvelles, et leur pratiquent ces figures énormes de l'Aretin : de telle sorte que, pour un tison de feu qu'elles ont dans le corps, elles y en engendrent cent, et les rendent ainsi paillardes; si bien qu'estant de telle façon dressées, elles ne se peuvent en- garder qu'elles ne quittent leurs marys, et aillent trouver autres chevaliers; et, sur ce, leurs marys en désespèrent, et punissent leurs pauvres femmes, en quoy ils ont grand tort : car puis qu'el- les sentent leur cœur pour estre si bien dressées, elles veulent monstrer à d'autres ce qu'elles sçavent faire; et leurs marys vou- dr}ient qu'elles cacbass&pt leur sçavoir, en quoj il n'y a apparence


DISCOURS I. 27

ny raison, non plus que si un bon escuyer avoit un cheval bien dressé, allant de tous ayrs, et qu'il ne voulust permettre qu'on le vist aller, ny qu'on monlast dessus, mais qu'on le creust à sa simple parole, et qu'on l'acheplast ainsi.

— J'ay ouy conter à un honneste gentilhomme de par Je monde, lequel estant devenu fort amoureux d'une belle dame, i! luyfut dit par un sien amy qu'il y perdroit son temps, car elle aimoit trop son mary. Il se va adviser une fois de faire un trou qui arregardoit droit dans leur lict, si bien qu'estant couchés en- semble il ne faillit de les ospier par ce trou, d'où il vit les plus grandes lubricitez, paillardises, postures sales, monstrueuses et énormes, autant de la femme, voire plus que du mary, et avec des ardeurs très-extrêmes ; si bien que le lendemain il .vint à trouver son compagnon et luy raconter la belle vision qu'il avoit eue, et luy dit : « Cette femme est à moy aussiiost que son mary sera » party pour tel voyage; car elle ne se pourra tenir longuement » en sa chaleur que la nature et l'art luy ont donné, et faut qu'elle I» la passe, et par ainsi, par ma persévérance je l'auray. »

— Je cognois un autre honneste gentilhomme qui, estant bien amoureux d'une belle et honneste dame, sçachant qu'elle avoit un Aretin en Ogure dans son cabinet, que son mary sçavoit et l'a- voit veu et permis, augura aussi-tost par là qu'il l'attraperoit ; et, sans perdre espérance, il la servit si bien et continua, qu'enfin il l'emporta ; et cognent en elle qu'elle y avoit appris de bonnes leçons et pratiques , ou fust de son mary ou d'autres , niant pourtant que ny les uns ny les autres n'en avoient point esté les premiers maistres, mais la dame nature, qui en estoit meil- leure maistresse que tous les arts. Si est-ce que le livre et la pratique luy avoient beaucoup servy en cela, comme elle luy con- fessa puis après.

— Il se lit d'une grande courtisane et maquerelle insigne du temps de l'ancienne Rome, qui s'appeloit Elefantina, qui fit et composa de telles figures de l'Aretin, encore pires, auxquelles les dames grandes et princesses faisant estât de putanisme estudioient comme un très-beau livre; et cettebonne dame putain cyrénieii*, laquelle estoit surnommée aux douze Inventions, parce qu'elle avoit trouvé douze manières pour reudre le plaisir plus voluptueux et lubrique.

— Héliogabale gaigeoit et entretenoit, par grand argentel dons, ceux et celles qui luy inventoient et produisoient nouvelles et


28 VIES DES DAMES GALANTES.

telles inventions pour mieux esveiller sa paillardise. J'en ay ouy parler d'autres pareils de par le monde.

— Un de ces ans le pape Sixie (l) fit pendre à Rome un secré- taire qui avoit esté au cardinal d'Est, et s'appeloit Cnpella, pour beaucoup de forfaits, mais entre autres qu'il avoit composé un livra de ces belles figures, lesquelles estoient représentées par un grand que je ne nommeray point pour l'amour de sa robe, et par une grande, l'une des belles dames de Rome, et tous représentés au vif, et peints au naturel (2).

— J'ay cogneu un prince de par le monde qui fit bien mieux, car il achepta d'un orfèvre une très-belle coupe d'argent doré, comme pour un chef-d'œuvre el grand spéciaulé, la mieux éla- bourée, gravée et sigillée qu'il estoii possible de voir, où estoient taillées bien gentiment et subtillement au burin plusieurs figures de l'Aretin, de l'homme et de la femme; et ce au bas estage de la coupe, et au dessus et au haut plusieurs aussi de diverses maniè- res de cohabitations de bestes, là où j'appris la première fois (car j'ay veu souvent ladicle coupe etbeu dedans, non sans rire) celle du lion et de la lionne, qui est toute contraire à celle des autres animaux, que je n'avois jamais sceu, dont je m'en rapporte à ceux qui le sçavent sans que je le die. Cette coupe esloit l'honneur du buffet de ce prince ; c^r, comme j'ay dit, elle esloit très-belle et riche d'art, et agréable à voir au dedans et au dehors. Quand ce prince feslinoiiles dames et filles de la Cour, comme souvent il les convioit, ses sommeilliers ne fai Uoient jamais, par son commande- ment, de leur bailler à boire dedans ; et celles qui ne l'avoient ja- mais veue, ou en beuvant ou après, les unes demeuroient estonnées et ne sçavoient que dire là-dessus : aucunes demeuroient honteu- ses, et la couleur leur sauioit au visage; aucunes s'entredisoient entr'elles : « Qu'est-ce que cela qui est gravé là-dedans î Je crois » que ce sont des salauderies. Je n'y bois plus. J'aurois bien 9 grand soif avant que j'y retournasse boire. » Mais il falloit qu'elles beussent là, ou bien qu'elles esclatassent de soif; et, pour


(I) Sixle T

(3) Le cardinal de Lorraine, du Perron el autres, avoient été représentât de même avec Cattierine de HéHcis, Marie Stuart et la duchesse de Guise, dans deux ta- bleaux dont il est parlé dans la Légende du cardinal de Lorrain», folio 24, et dans le Réveille-matin dtt Français , pages 11 et 123 Voyez ci-dessous, à la fiu du VU* livre j la description d'un pareil livre de figures, et le* matvait effets qu'il prodainL


DISCOURS I. Î9

c«, aucunes ftrmoient les yeux en beuvant ; les autres moins vergogneuses point ; qui en avoient ouy parler du meslier, tant dames que filles, se mettoyent à rire sous bourre ; les autres sn crevoient tout à trac. Les unes disoient, quand on leur deman- doit qu'elles avoient à rire et ce qu'elles avoient veu, disoient qu'elles n'avoient rien veu que des peintures, et que pour cela elles n'y lairroient à boire une autre fois. Les autres disoient : « Quant à moy, je n'y songe point k mal ; la veue et la peinture » ne souillent point l'ame. » Les unes disoient : « Le bon vin est » aussi bon leans qu'ailleurs. » Les autres aflfermoient qu'il y faisoit aussi bon boire qu'en une autre coupe, et que la soif s'y pnssoit aussi bien. Aux unes on faisoit la guerre pourquoy elles ne fermoient les yeux en beuvant ; elles respondoient qu'elles vou- loient voir ce qu'elles beuvoient, craignant que ce ne fusl du vin, mais quelque mé iecine ou poison. Aux autres on demandoit à quoy elles prenoient plus de plaisir, ou à voir ou à boire ; elles res- pondoient : « A tout. » Les unes disoient : « Voilà de belles M grotesques ; » les autres : « Voilà de plaisantes nommeries ; » les unes disoient : « Voilà de beaux images ; » les autres : « Voilà ■ de beaux miroirs ; » les unes disoient : « L'orfèvre estoit bien » à loisir de s'amuser à faire ces fadezes ; » les autres disoient : El vous, monsieur, encore plus d'avoir achepté ce beau hanap. » Aux unes on demandoit si elles sentoient rien qui les picquasl au milan du corps pour cela : elles respondoient que nulle de ces drollefies y avoit eu pouvoir pour les picquer : aux autres on de- mandoit si elles n'avoient point senty le vin chaut et qu'il les eust eschauffées, encore que ce fusl en hyver ; elles respondoient qu'elles n'avoient garde, car elles avoient beu bien froid, qui les avoii bien rafraischies : aux unes on demandoit quelles images de toutes celles elles voudroient tenir en leur lict ; elles respondoient qu'elles ne se pouvoient osier de là pour les y transporter. Bref, cent mille bro«  cards et sornettes sur ce sujet s'entre-donnoient les geniilshomme* et dames ainsi à table, comme j'ay veu que c'estoit une très-plai- sante gausserie, et chose à voir et ouyr ; mais surtout à mon gré, le plus et le meilleur estoit à contempler ces filles innocentes, ou qui feignoienl l'eslre, et autres dames nouvellement venues, à tenir leur mine froide riante du bout du nez et des lèvres, ou à se con- traindre et faire des hypocrites, comme plusieurs dames en fai- soient de mesme. El noiez que, quand elles eussent deu mourir de soif, les sommelliers n'eussent osé leur donner à boire en une autre


30 VIES DES DAMES GALANTES.

coupe ny verre. Et, qui plus est, aucunes juroient, pour faire bon minois, qu'elles ne lourneroieni jamais à ces fesiins; mais elles ne laissoieiil pour cela à y tourner souvent, car ce prince esloit irès- splendide et friand. D'autres disoient, quand on les convioit : K J'iray, mais en protestation qu'on ne nous baillera point à boire « dans la coupe; » et quand elles y estoient, elles y beuvoient plus que jamais. Enfin elles s'y anezèrent si bien, qu'elles ne firent plus de scrupule d'y boire ; et si firent bien mieux aucunes, qu'elles se servirent de telles visions en temps et lieu , et, qui, plus est, aucunes s'en débauscherent pour en lairel'essay; car toute per- sonne d'esprit veut essayer tout. Voilà les effets de celte belle coupe si bien historiée. A quoy se faut imaginer les autres discours, les songes, les mines et les paroles que telles dames disoient et fai- soieiil entr'elles, à part ou en compagnie. Je pense que telle coupe esloit bien différente à celle dont parle M. de Ronsard en l'une de ses premières odes, dédiée au feu Roy Henry, qui se commence ainsi :


Comme ud qui pread une couppe, Seul boDoeur de son trésor, Et de son rang verte à la irouppe Du vin qui rit dedans l'or.


Mais en celle coupe le vin ne rioit pas aux personnes, mais les personnes au vin : car les unes beuvoient en riant, et les autres beuvoient en se ravissant ; les unes se compissoient en beuvant, et les autres beuvoient en se compissant; je dis d'autre chose que du pissat. Bref, cette coupe faisoil de terribles effets, tant y estoient pénétrantes ces visions, images et perspectives : dont je me sou- viens qu'une fois, en une gallerie du comte de Chasieauvilain, dit le seigneur Adjacei, une troupe de dames avec leurs serviteurs es- tant allés voir celte belle maison, leur veue s'addressa sur de beaux et rares tableaux qui esloieut en ladite gallerie. A elles se présenta un tableau beau, oii estoient représentées force belles dames nu es qui estoient aux bains, qui s'entre touchoienl, se palpoient, sema- nioient et froltoient, s'entre-mesloieut, se tastonnoient, et, qui plus est, se faisoient le poil tant gentiment et si proprement e i monstrant tout, qu'une froide recluse ou hermites'en fusteschauffée el esmeue; et c'est pourquoy une grande dame, dont j'ay ouy par- ier et cogneue. se perdant en ce tableau, dit à son serviteur en se


DISCOURS I. SI

tournant vers luy, comme enragée de cette rage d'amour : « C'est » trop demeuré icy : montons en carrosse promptement, et allons » en mon logis, car je ne puis plus contenir cette ardeur; il la faut aller esteindre : c'est trop bruslé. » Et ainsi partit, et alla avec son "(^rviieur prendre de celle bonne eau qui est si douce sans sucre, que son serviteur lui donna de sa petite burette.

Telles peintures et tableaux portent plus de nuisance à une ame fragile qu'on ne pense; comme en esloit un là mesme d'une Vénus toute nue, couchée et regardée de son fils Cupidon ; l'autre d'un M ars couché avec sa Vénus, l'autre d'une Léda couchée avec son cygne. Tant d'autres y a-t-il, et là et ailleurs, qui sont un peu plus modestement peints et voilez mieux que les tigures del'Aretin; mais quasi tout vient à un, et en approchant de nostre coupe dont je viens de parler, laquelle avoit quasi quelque sympathie, par antinomie, de la coupe que trouva Renault de Montauban en ce cbasleau dont parle l'Arioste, laquelle à plein descouvroit les pau- vres cocus, et celte-cy les faisoit; mais l'une porloit un peu trop de scandale aux cocus et leurs femmes infidèles, et cette-cy point. Aujourd'huy n'en est besoin de ces livres ni de ces peintures, car les marys leur en apprennent prou : et voilà que servent telles es- cboles de marys.

— J'ai cogueu un bon imprimeur vénitien à Paris^ qui s'appel- loit messer Beruardo, parent de ce grand Aldus Manutius de Ve> nise (l), qui tenoit sa boutique en la rue de Sainct-Jacques, qui me dit et jura une fois qu'en moins d'un an il avoit vendu plus de cinquante paires de livres de l'Aretin à force gens mariés et non mariés, et à des femmes, dont il me nomma trois de par le monde, grandes, que je ne nommeray point, et les leur bailla à elles-mesmes, et très-bien reliés, sous serment preste qu'il n'eu sonneroit pas mot, mais pourtant il me le dist, et me dist davan- tage qu'une autre dame lui en ayant demandé au bout de quelque temps s'il en avoit point un pareil comme un qu'elle avoit veu en- ire les mains d'une de ces trois, il luy respondii : Signora, si, et peggio, et soudain argent en campagne, les acheptant tous au jtoids de l'or. Voilà une folle curiosité pour envoyer son mari faire un voyage à Cornette près de Civita-Vecchia.

Toutes ces formes et postures sont odieuses à Dieu, si bien que sainct Hierosme dit : « Qui se monstre plustost débordé amoureux

(1) Bernardia Turisao. qui avoit { our easeigne la devise det ■anocet, iM parento.


12 VIES DES DaMES GALANTES.

• de sa femme que mary, est adultère et pèche. » Et parce qu'au- cuns docteurs ecclésiastiques en ont parlé, je diray ce mot briefve- menl en mots latins, d'autant qu'eux-mesmes ne l'ont voulu dire en François. Excessus, disent-ils, conjugum fit, quando uxor c^gnoscitur ante rétro stando, sedendo in latere, et mulier mper virum; comme un petit quolibet que j'ay leu d'autrefois, i;ui dit :

In prato »iridi moniaUm ludere viit

Cum monacho leviur, ille sub, tlla tuper.

D'autres disent quand ils s'accommodent autrement que la femme ne puisse concevoir. Toutesfois il y a aucunes femmes qui disent qu'elles conçoivent mieux par les postures monstrueuses et surna- turelles et eslranges, que naturelles et communes, d'autant qu'elles y prennent plaisir davantage, et comme dit le poëie, quand elles s'accommodent more canino, ce qui est odieux : toutes-fois les femmes grosses, au moins aucunes, en usent ainsi de peur de se gaster par le devant. D'autres docteurs disent que quelque forme que ce soit est bonne, mais que semen ejaculetur in matricen mvr lieris, et quomodocunque uxor cognoscatur, si vir ejaculetur semen in matricem, non est peccalum mortale. Vous trouverez ces disputes dans Summa Benedicti, qui est un cordelier docteur qui a très-bien escrit de tous les péchés, et monstre qu'il a beau- coup leu et veu (l). Qui voudra lire ce passage y verra beaucoup d'abus que commettent les marys à l'endroit de leurs femmes. Aussi dit-il que, quando mulier est ita pinguis ut non possit aliter cotre, que par telles postures, non est peccalum mortale, modh vir ejaculetur semen in vas natnrale. Dont disent aucuns qu'il vaudroit mieux que les marys s'abstinssent de leurs femmes quand elles sont pleines, comme font les animaux, que de souiller le ma- riage par telles vilainies.

— J'ai cogneu une fameuse courtisane à Rome, dite la Gl^cque,

(I) Ce livre , intitule la Somme det péchét et le remède <f;;euz , imprime à lyn , cliei Charles Pesnot, dès 1584 , in-4*, et diverses autres fois depuis , est do la compo«ilion de Jean Benedicti , cordelier de Bretagne , qui ne l'a pas moins rempli d'ordures et de ieletés , que le jésuite Sanchez en a rempli son traité d( Matrimonio ; et ce qu'il ; a de fort singulier , c'est qu'un ouvrage si impur n'en est pas moins dédié à la sainte Vierge. Comme on voit , Braiilônie et ses scmb'.ablet savoient très- bien en faire leur profit i et y découvrir de nouveaux ragoûts de !•• kricitë.


DISCOURS I. 83

qu'un grand seigneur de France avoit là entretenue. Au bout de quelque temps, il luy prit envie de venir voir la France, par le moyen du seigneur Bonusi (l), banquier de Lyon, Lucquois très- riche, de laquelle il estoit amoureux; où estant elle s'enquit fort de ce seigneur et de sa femme, et, entr'autres choses, si elle ne le iaisoil point cocu, « d'autant, disoit-elle, que j'ay dressé son mary » de si bel air, et luy ay appris de si bonnes leçons, que les luy » ayant monstrées et pratiquées avec sa femme, il n'est possible » qu'elle ne les ait voulu monstrer à d'autres ; car nostre mestier » est si chaud quand il est bien appris, qu'on prend cent fois plus u de plaisir de le monstrer et pratiquer avec plusieurs qu'avec un.» Et disoitbien plus, que cette dame luy devoit faire un beau pré- sent et condigne de sa peine et de son sallaire, parce que, quand son mary vint à son eschole premièrement, il n'y sçavoit rien, et estoit en cela le plus sot, neuf et apprentif qu'elle visl jamais ; mais elle l'avoit si bien dressé et façonné, que sa femme devoât s'en trouver cent fois mieux. Et de fait cette dame, la voulant voir, alla chez elle en habit dissimulé, dont la courtisane s'en douta et luy tint tous les propos que je viens de dire, et pires encore et plus débordés, car elle estoit courtisane fort débordée. Et vdilà comment les marys se forgent les couteaux pour se couper la gorge; cela s'entend des cornes ; par ainsi, abusant du saint mariage, Dieu les punit ; et puis veulent avoir leurs revanches sur leurs femmes, en quoy ils sont cent fois plus punissables. Aussi "e m'es- tonne-je pas si ce sainct docteur disoit que le mariage estoit quasi une vraye espèce d'adultère : cela vouloit-il entendre quand on en abusoit de cette sorte que je viens de dire. Aussi a-t-on deffendu le mariage à nos prestres; car, venant^e coucher avec leurs fem- mes, et s'estre bien souillés avec elles, il n'y a point de propos de venir à un sacré autel. Car, ma foy, ainsi que j'ay ouy dire, au-; cuns bourdellent plus avec leurs femmes que non pas les ruffiensf avec les putains des bourdeaux, qui, craignant prendre mal, ne' s'acharnent et ne s'esclymlTent avec elles comme les marys avea leurs femmes, qui sont nettes et ne peuvent donner mal, au moins aucunes et non pas toutes ; car j'en ai bien cogneu qui leur en donnent aussi bien que leurs marys à elles. Les marys, abusans de leurs femmes, sont fort punissables, comme j'ay ouy dire à de grands docteurs, que les marys, ne se gouvernans avec leurs fem-

n\ Ou BouvisV.


S4 VIES DES DAMES GALANTES.

■|V)es modestement dans leur lict comme ils doivent, paillardent >j avec elles comme avec concubines; n'estant le mariage introduit que pour la nécessité et procréation, et non pour le plaisir désor- donné et paillardise. Ce que nous sceut très-bien représenter l'em- pereur Cejonius Commodus, dit autrement Anchus Verus (i), lors^ qu'il dit à sa femme Domitia Calvilla, qui se plaignoit à luy de quoy il porloil à des putains et courtisanes et autres ce qu'à elle «ppartenoit en son lict, et luy osioit ses menues et petites prati- jues : « Supportez, ma femme, luy dit-il, qu'avec les autres je • saoulle mes désirs, d'autant que le nom de femme et de consorte » est UD nom de dignité et d'honneur, et non de plaisir et de pail- » lardise. » Je n'ay point encore leu ny trouvé la response que luy fit là dessus madame sa femme l'impératrice ; mais il ne faut dou- ter que, ne se contentant de celte sentence dorée, elle ne luy res- pondit de bon cœur, et par la voix de la plus part, voire de toutes les femmes mariées : « Fy de cet honneur, et vive le plaisir ! Nous » vivons mieux de l'un que de l'autre. » Il ne faut non plus douter aussi que la plus part de nos mariés aujourd'hui, et de tout temps, qui ont de belles femmes, ne disent pas ainsi ; car ils ne se marient t!t lient, ny ne prennent leurs femmes, sinon pour bien passer leur temps et bien paillarder en toutes façons, et leur enseigner des préceptes, et pour le mouvement de leur corps, et pour les dé- bordées et lascives paroles de leurs bouches, afin que leur dormante Vénus en soii mieux esveillée et excitée ; et, après les avoir bien ainsi instruites et débauschées, si elles vont ailleurs, ils les punis- sent, les battent, les assomment, et les font mourir, il ya aussi un peu de raison en cela, cOTJme si quelqu'un avoit débausché une pauvre fille d'entre les bras de sa mère, et lui eust fait perdre l'honneur de sa virginité, et puis, après en avoir fait sa volonté, la battre et la contraindre à vivre autrement, en toute chasteté: vray- mentl car il en est bien temps, et bien à propos, qui e.-:t celuy qui ne le condamne pour homme sans raison.et digne d'estre chaslié ? L'on en deust dire de mesme de plusieurs niarys, lesquels, qua nd tout est dit, débauschent plus leurs femmes, et leur apprenne m plus de préceptes pour tomber en paillardise, que ne font leur propres amoureux : car ils en ont. plus de temps et loisir que es amans: etvenans à discontinuer leurs exercices, elles changent de main et de maisire, à mode d'un bon cavalcadour, qui prend plus de


U\ AoBios Terui : c'étoit it crand-Dère de cet empereui.


DISCOURS 1. 3&

plaisir cent fois de monter à cheval, qu'un qui n'y entend rien. • Et de malheur, ce disoit cette courtisane, il n'y a nul mestier au » monde qui ne soit plus coquin, ny qui désire tant de continue, » que celuy de Vénus. » En quoy ces marys doivent esire avertis de ne faire tels enseignements à leurs femmes, car ils leur sont par trop préjudiciables; ou bien, s'ils voyent leurs femmes leur jouer un faux-bon, qu'ils ne les punissent point, puisque ç'ont esté eux qui leur en ont ouvert le chemin.

— Si faut-il que je fasse cette digression d'une femme mariée, belle et honneste et d'estoffe, que je sçay , qui s'abandonna )> un honneste gentilhomme, aussi plus par jalousie qu'elle por- toit à une honneste dame que ce gentilhomme aymoit et en- tretenoit , que par amour. Pourquoy, ainsi qu'il en jouissoit, la dame luy dit : « A cette heure, à mon grand contentement, » triomphe-je de vous et de l'amour que portez à une telle. » Le gentilhomme lui respondit : « Une personne abattue, sub- » juguée et foulée, ne sçauroit Lien triompher. » Elle prend pied à cette réponse, comme touchant à son honneur, et luy réplique aussitôt : « Vous avez raison. » Et tout-à-coup s'ad- vise de désarçonner subitement son homme, et se dérober de dessous luy; et changeant de forme, prestement et agilement monte sur luy et le met sous soy. Jamais jadis chevalier ou gendarme romain ne fut si prompt et adextre de monter et re- monter sur ces chevaux désultoires, comme fut ce coup cette dame avec son homme ; et le manie de mesme en luy disant : « A B st'heure donc puis-je bien dire qu'à bon escient je triomphe » de vous, puisque je vous tiens abattu sous moy. » Voilà une dame d'ur.e plaisante et paillarde ambiikfi et d'une façon estrange» comment elle la irnilta.

— J'ay ouy . parler d'une fort belle et honneste dame de p »r le monde, sujette fort à l'amour et à la lubricité, qui pourtam fut si arrogante et si fière, et si brave de cœur, que, quand c^ venoit-là, ne vouloit jamais souffrir que son homme la montas ^t la mist sous soy et l'abattist, pensant faire un grand tofi

î la générosité de son cœur, et attribuant à une grande las , fbeté d'estre ainsi subjuguée et soumise, en mode d'une trio m- j I hante conqueste ou esclavilude, mais vouloit toujours garde» : ^ dessus et la prééminence. Et ce qui faisoit bon pour elle eu '; cela, c'est que jamais ne voulut s'adonner à un plus grand qae oy^ de peur qu'usant de son autonté et puissance, luy pust


36 VIES DES DAMES GALANTES.

donner la loy et la pust tourner, virer et fôuUer, ainsi qu'il luy eust pieu; mais en cela, choisissoit ses égaux et inférieurs, auxquels elle ordonnoit leur rang, leur assiette, leur ordre, et forme de combat amoureux, ne plus ne moins qu'un sergent major à ses gens le jour d'une bataille; et leur commandoit de ne l'outrepasser, sur peine fle perdre leurs pratiques, aux uns son amour^ et aux autres la vie, si que debout, ou assis au cou- chés, jamais ne se purent prévaloir sur elle de la moindre humi- liation, ni submission, ni inclination, qu'elle leur eust rendu et preslé. Je m'en rapporte au dire et au songer de ceux et celles qui ont traité telles amours, telles postures, assiettes et formes. Cette dame pouvoit ordonner ainsi, sans qu'il y allast rien de son honneur prétendu, ni de son cœur généreux offensé : car à ce que J'ay ouy dire à aucuns praticqs, il y avoit assez de moyens pour faire telles ordonnances et pratiques. Vojlà une terrible et plaisante humeur de femme, et bizarre scrupule de conscience généreuse. Si avoit-elle raison pourtant ; car c'est une fascheuse souffrance que d'estre subjuguée, ployée, foullée, et mesme quand l'on pense quelquefois à part soy, et qu'on dit : a Un tel m'a mis sous luy et foullée, par manière de dire, » si-non aux pieds , mais autrement : » cela vaut autant à dire.

Cette dame aussi ne voulut jamais permettre que ses inférieurs la baisassent jamais à la bouche, «d'autant, disoitelle, que le » toucher et le tact de bouche à bouche est le plus sensible et » précieux de tous les autres touchers, fust de la main et autres » membres ; » et pour ce. ne vouloit estre alleinée ny sentir à h sienne une bouche salle, ôrde et non pareille à la sienne. Or, sut cecy, c'est une autre question que j'ay veu traitter à aucuns : quel advantage de gloire a plus grand sur son compagnon, ob l'homme ou la femme, quand ils sont en ces escarmouches ou victoires vénériennes. L'homme allègue pour soy la raison pré- édente, que la victoire est bien plus grande que l'on tient sa douce ennemie abattue sous soy, et qu'il la subjugue, la suppé- dite et la dompte à son aise et comme il luy plaisl ; car il n'y a si grande princesse ou dame, que, quand elle est là, fust-ce avet son inférieur ou inégal, qu'elle n'en souffre la loy et la domina- tion qu'en a orJonné Vénus parmy ses statuts; et pour ce, la g'oire et l'honneur en demeure très-grande à rhorame. La femme dit : « Guy, je )e confesse, que vous vous devez sentir glorieux


DISCOURS I. 87

» quand tous me tenez sous vous et uie suppeditez; mais aus^^i^ » quand il me plaist, s'il ne tient qu'à tenir le dessus, je le tiens » par gayelé et une gentille volonté qui m'en prend, et non pour » une contrainte. Davantage, quand ce dessus me déplaisl, j'j » me fais servir à vous comme d'un esclave ou forçat de gallere, » ou, pour mieux dire, vous fais tirer au collier comme un vray » cheval de charrette, en vous travaillant, peinant, suant, hale- » tant, efforçant à faire les corvées et efforts que je veux tirer » de vous. Cependant, moy, je suis couchée à mon aise, je vois r> venir vos coups, quelquefois j'en ris et en tire mon plaisir à » vous voir en telles altères ; quelquefois aussi je vous plains se- » Ion ce qui me plaist ou que j'en ay de volonté ou de piiié ; et » après en avoir en cela très-bien passé ma fantaisie , je laisse » là mon galant, las, recreu, débilité, énervé, qu'il n'en peut ■ plus, et n'a besoin que d'un bon repos et de quelque bon re- » pas, dun coulis, d'u;i restaurant ou de quelque bon bouillon » confortatiC 3Ioy, pour telles courvées et tels efforts, je ne m'en » sens nullement, si-non que très-bien servie à vos despens,

monsieur le gallant,' et n'ay autre mal si-non de souhaiter » quelque autre qui m'en donnast autant, à peine le faire ren- » dre comme vous : et, par ainsi, ne me rendant jamais, mais » faisant rendre mon doux ennemy, je rapporte la vraye victoire » et la vraye gloire, d'autant qu'en un duel celuy qui se rend » est déshonoré, et non pas celuy qui combat jusques au der- » nier poinct de !a mort, s

- - Ainsi que j'ay ouy compter d'une belle et honneste femme, ' qui une lois, son mary l'ayant esveilléo d'ua profond sommeil et repos qu'elle prenoit, pour faire cela, après qu'il eut fait elle luy dit : « Vous avez fait et moy non ; » et, parce qu'elle estoit des- sus luy, elle le lia si bien de bras, de mains, de pieds et de ses jambes entrelacées : « Je vous apprendray à ne m'esvei 1er une » autre fois ; » et, le démenant, secoiiant et remuant à toute ou- trance son mary qui estoit dessous, qui ne s'en pouvoit défaire, et qui suoit, ahannoit et se lassoit, èl crioit mercy, elle le luy fi faire une autre fois en dépit de luy, et le rendit si las, si alenu ' et flac, qu'il en devint hors d'aleine et luy jura un bon coup qu'une autre fois il la prendroit à son heur, humeur et appétit. Ce conte est meilleur à se l'imaginer et repfréseiiter qu'à l'escrire. Voilà donc les raisons de la dame avec plusieurs autres qu'elle ontalli'çuer. Encore l'homme réplique là-dessus : a Je n'ay point

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33 VIES DES DAMES GALANTES.

M aucun vaisseau ny lascliot comme vous aveu le voslre, dans » lequel je jette un gassouil de pollution et d'ordure ( si ordure » se doit appeler la semence humaine jellée par mariage et pail- it lardise), qui vous salit et vous y pisse comme dans un pot. » — Ouy, dit la dame, mais aussilost ce beau sperme, que voua n autres dites cslre le sang le plus pur et net que vous avez, je le u vous vais pisser incontinent et jeiler dans un pet ou bassin, ou » en un retrait, et le mêler avec une autre ordure très-puante » et sale et vilaine ; car de cinq cents coups que l'on nous lou-

• chera, de mille, deux mille, trois mille, voire d'une infinité, » voire de nul, nous n'engroissons que d'un coup, et la matrice » ne retient qu'une fois; car si le sperme y entre bien et y est » bien retenu, celuy-là est bien logé, mais les autres fort salau- » dément nous les logeons comme je viens de dire. Voilà pour- » quoy il ne faut se vanter de gasouiller de vos ordures de » sperme, car, outre ce!uy-là, que nous concevons, nous le jet- » tons et rendons pour n'en faire plus de cas aussitôt que l'avons » receu et qu'il ne nous donne plus de -plaisir, et en sommes » quittes en disant : Monsieur le potogler, voilà vostre broùel » que je vous rends, et le vous claque là ; il a perdu le bon u goust que vous m'en avez donné premièrement. Et notez que

• la moindre bagasse en peut dire autant à un grand roy ou » prince, s'il l'a repassée ; qui est un grand mespris d'autant » que l'on lient le sang royal pour le plus précieux qui soit point. B Vrayment il est bien gardé et logé bien prccieusenienl plus J) que d'un autre 1 » Voilà le dire des femmes, qui est un grand cas pourtant qu'un sang si précieux se pollue et se contamine ainsi salaudement et vilainement ; ce qui esloit deflfendu en la loy de Muyse, de ne le nullement prostituer en terre ; mais on fait bien pis quand ou b mesle avec de l'ordure très-orde et salle. Encore, si elles faisoyent comme un grand seigneur dont j'ay ouy parler, qui , en songeant la nulct, s'estaRt corrompu parmy ses linceuls, les ût etiierrer, tant il esloit scrupuleux, di- sant que c'estoit un petit enfant provenu de là qui estoit mort, et que c'estoit dommage et une très-grande perte que ce sang û'eusl esté mis dans la matrice de sa femme, dont possible l'en- fant fust esté en vie. Il se pouvoit bien tromper par là, d'autant que de mille habitations que le mary fait avec fa femme l'année, possible, comme j'ay dit, n'en devient-elle grosse, non pas une fois en la vie^ voire jamais, pour aucunes femmes qui sont


DISCOURS 1. 39

bréliaignes et stériles, et lb conçoivent jamais ; d'où est venn

l'erreur d'aucuns mescréants, que le mariage n'avoit esié insti- tué tant pour la jTocréaiion que pour le plaisir; ce qui est mal creu et mal parlé, car encore qu'une femme n'engroisse toutes Jes fois qu'on l'entreprend, c'est pour quelque volonté de Dieu à nous occulte, et qu'il en veut punir et mary et femme, et d'au- tant que la plus grande bénédiction que Dieu nous puisse en- voyer en mariage, c'est une bonne lignée, et non par concubi- nage ; dont il y a plusieurs femmes qui prennent un grand plaisir d'en avoir de leurs amants, et d'autres non, lesquelles neveu- lent permettre qu'on leur lascbe rien dedans, tant pour ne sup- poser des eiifanls à leurs marys qui ne sont à eux, que pour leur sembler ne leur faire tort et ne les fiiire cocus si la rosée ne leur est entrée dedans, ny p'.us ny moins, qu'un estomach dé- bile et mauvais ne peut esire offensé de sa personne pour pren- dre de mauvais et indigeslifs morceaux, pour les mettre dans la bouche, les mascher et puis les crascher à terre. Aussi par le mot de cocu, jKjrtépar les oiseaux d'avril, qui sont ainsi appelez pour aller pondre au nid des autres, les hommes s';ippeltent co- cus par antinomie (l), quand les autres viennent pondre dans leur nid, qui est dans le c. de leurs femmes, qui est autant à dire leur jetter leur semence et leur faire des enfants. Voilà comme plusieurs femmes ne pensent faute à leurs marys pour mettre dedans et s'esbaudir leur saoul, mais qu'elles ne reçoi- vent point de leur semence ; ainsi sont-elles conscientieuses de bonne façon : comme d'une grande dont j'ay ouy parler, qui di- soit à son serviteur : « Esbaltez-vous tant que vous voudrez, et » dunnez-moi du plaisir; m^is sur vostre vie, donnez- vous garde » de ne rien m'arrouser là dedans, non d'une seule goutte, au- » tremenl il vous y va de la vie. a Si bien qu'il falloit bien que l'austre fust sage, et qu'il espiast le temps du mascaret (2) quand il devoit venir. '

— J'ay ouy faire un pareil compte au chevalier de Sanzay, de Bretagne, un trés-honneste et brave gentilhomme, lequel, si I ; n.ort n'eust entrepris sur son jeune âge, fust esté un grand homme de mer , comme il avoit uu très-bon commencement : aussi en portoit-il les marques et enseignes , car il avoit eu .ua

(1) Aotonninasie.

[7] Tojpi Ménage , Dict. étyn. . «a mot Mascaret


40 VIES DES DAMES GALANTES.

bras emporté d'un coup de canon en un combat qu'il fit sur mer. Le malheur pour luy fui qu'il fut pris des corsaires, et mené en Alger. Son maistre , qui le tenoit esclave, estoil le grand- presire de la mosquée de là , qui avoit une très-belle femme qui vint à s'amouracher si fort dudit Sanzay , qu'elle luy commanda de venir en amoureux plaisir avec elle , et qu'elle luy feroit très- bon trailtement, meilleur qu'à aucun de ses autres esclaves, mais suriuut elle lui commanda très-expressemenl , et sur la vie , ou une prison très-rigoureuse, de ne lancer en son corps une seule goutte de sa semence, d'autant, disoit-elle, qu'elle ne vouloit nullement esire polluée ny contaminée du sang chrestien , dont elle penseroit offenser grandement et sa loy et son grand prophète Mahomet.; et de plus luy commanda qu'encore qu'elle fust en ses chauds plaisirs , quand bien elle luy commanderoit cent fois d'hasarder le pacquel tout à trac , qu'il n'en fisl rien , d'autant que ce seroil le grand plaisir duquel elle estoit ravie qui luy feroit dire, et non pas la volonté de l'ame. LeJicl Sanzay, pour a\oir bon trailtement et plus grande liberté , encor qu'il fust chrestien , ferma les yeux pour ce coup à sa loy ; car un pauvre esclave rudement traitté et misérablement enchaisné peut s'ou- blier bien quelquefois. 11 obéit à la dame , et fut si sage et si abslraiut à son commandement, qu'il commanda fort bien à son plaisir , ei mouUoil au moulin de sa dame tousjours très -bien , sans y faire couUer d'eau ; car, quand l'escluse de l'eau voulow se rompre et se déborder , aussilost il la retiroit , la resserroit et la faisoil escouler où il pouvoil; dont cette femme l'en ayma davantage, pour eslre si abstraint à son eslroit commandement, encor qu'elle luy criasl : o Laschez , je vous en donne toute per- » mission. » Mais il ne voulut onc , car il craignoit d'estre battu à la turque, comme il voyoil ses autres compagnons devant soy. Voilà une terrible humeur de femme ; et pour ce il semble qu'elle faisoit beaucoup, et pour son ame qui estoil turque, et pour l'autre qui estoit chrestien, puisqu'il ne se deschargeoit nullement avec elle : si me jura-t-il qu'eu sa vie il ne fut en telle peine. Il me fit un auire compte , le plus plaidant qui est pos- sible , d'un trait qu'elle luy fit; mais d'autant qu'il est trop sallaud, je m'en tairay, de peur d'offenser les oreilles chastes. Du depuis ledict Sanzay fut achepté par les siens, qui sont gens d'honneur et de bonne maison en Bretagne , et qui appartieuneni à beaucoup de grands, . comme à monsieur le conneslalile, qui


Discours I 41

aymoii fort son frère aisné , et qui Itiy ayda beaucoup en celte dé- livrance, laquelle ayant eue, il vint à la cour, et nous en compta fort à monsieur d'Estrozze et à moy de plusieurs choses , et en tr'autres il nous fit ces comptes.

Que dirons-nous maintenant d'aucuns marys qui ne se conten- tent de se donner du contentement et du plaisir paillard de leurs femmes, mais en donnent de l'appétit, soit à leurs compagnons et amis, soit à d'autres, ainsi j'en ai cogneu plusieurs qui leur louent leurs femmes, leur disent leurs beautez, leur figurent leurs membres et parties du corps, leur représentent leurs plaisirs qu'ils ont avec elles, et leurs foUatreries dont elles usent envers eux, les leur font baiser, toucher, taster, voire voir nues? Que méritent-ils ceux-là, sinon qu'on les face cocus bien à point, ainsi que fit Gygès, par le moyen de sa bague, au roy Candaule, roy des Lydiens, le- quel, sot qu'il esloit, lui ayant loiié la rare beauté de sa femme, comme si le silence luy faisoit tort et dommage, et puis la luy ayant monstrée toute nue, en devint si amoureux qu'il en jouit tout à son gré et le fil mourir, et s'impalronisa de son royaume. On dit que la femme en fui si désespérée pour avoir esté représentée ainsi, qu'elle força Gygès à ce mauvais tour, en lui disant : « Ou celuy » qui t'a pressé et conseillé de telle chose, faut qu'il meure de ta j» main, ou loy, qui m'as regardée toute nue, que tu meures de la » main d'un autre. » Certes, ce roy esloit bien de loisir de donner ainsi appétit d'une viande nouvelle, si belle et bonne, qu'il devoit tenir si chère.

— Louis, duc d'Orléans, tué à la porte Barbette (j) à Paris, fit bien au contraire, grand desbaucheur des dames de la Cour, et tousjours des plus grandes , car, ayant avec luy couché une forj belle et grande dame, ainsi que son mary vint en sa chambre pour luy donner le bon-jour, il alla couvrir la teste de sa dame, femme de l'autre, du linceul, et luy descouvril (oui le corps, luy faisant voir tout nud et toucher à son bel aise, avec desfense expresse sur la vie de n'oster le linge du visage ny la descouvrir aucunement, à quoy il n'osa contrevenir; luy demandant par plusieurs fois ce qui luy sembloit de ce beau corps tout nud : l'autre en demeura tout esperdu et grandement satisfait.

Le duc luy bailla congé de sortir de la chambre, ce qu'il fit sans avoir jamais pu cognoistre que ce fust sa femme. S'il l'eusl bien

(1) Baudet ou Barb«Ue, comme Hit M^zer»r.


43 VIES DES DAMES GALANTES.

vue et recognue toute nue, comme plusieurs que j'ai veu, il l'eusl cogneu à plusieurs signes possible, dont il fait bon le visiter quel- quefois par le corps. Elle, après son mary party, fut interrogée de M. d'Orléans si elle avoit eu l'alarme et peur. Je vous laisse à pei>-

Xser ce qu'elle en dist, et la peine et l'altère en laquelle elle fut l'es- pace d'un quart-d'heure; car il nefalloït qu'une petite indiscrétion, ou la moindre désobéissance que son mary eusl commis pour lever le linceul; il est vray, ce dist monsieur d'Orléans, mais qu'il l'eusl tué aussi-tost pour l'empescher du mal qu'il eusl fait à sa femme. El le bon fut de ce mary, qu'estant la nuicl d'amprès couché avec sa femme, il luy dit que M. d'Orléans lui avoit fait voir la i)lus belle femme nue qu'il vil jamais, mais, quant au visage, qu'il n'en sça- voit que rapporter, d'autant qu'il lui avait interdit. Je vous laisse à penser ce qu'en pouvoil dire sa femme dans sa pensée. El de celle dame tant grande, el de M. d'Orléans, on dit que sortit ce brave et vaillant bastard d'Orléans, le soustien de la France et Le fléau de l'Angleterre, et duquel est venue i'ette noble et g,énéreuse race des comtes de Dunois.

— Or, pour retourner encor à nos marys prodigues de la vue de leurs femmes nues, j'en sçay un qui, pour un malin un sien compagnon l'estant allé voir dans sa chambre ainsi qu'il s'iiabilloit, luv monstra sa femme toute nue, étendue tout de son long toute endormie ; et s' estant elle-mesme osté ses linceuls de dessus elle, d'autant qu'il faisoit grand chaud, luy tira le rideau à demy, sy bien que le soleil levant donnant dessus elle, il eut loisir de la bien con- templer à son aise, où il ne vid rien que tout beau en perfection, et y put paistre ses yeux, non tant qu'il eusl voulu, mais tant qu'il put; et puis le mary ethiy s'en allèrent chez le Roy. Le len- demain, le gentilhomme, qui esloit fort serviteur de celte dame honneste, luy raconta celte vision et mesmes lui figura beaucoup de choses qu'il avoit remarquées en ses beaux membres, jusques aux plus cachées; et si le mary le luy confirma, et que c'estoit luy- mesme qui en avoit tiré le rideau. La dame, de dépit qu'elle con- ceut contre son mary, se laissa aller et s'octroya à son amy par ce se ul sujet ; ce que tout son service n'avoit sceu gaigner.

— J'ay cogneu un très-grand seigneur, qui, un matin, voubnt aller à la chasse, et ses gentilshommes l'estant venu trouver à son lever, ainsi qu'on le chaussoit, et avoit sa femme couchée près de luy et qui luy tenoit son cas en pleine main, il leva si promplement la couverture qu'elle n'eut le loisir de lever la


DISCOUhS l. 43

maia où elle estoit posée, que l'on l'y vil à l'aise et la moitié de son corps ; et en se nanl, il dit à ces messieurs qui esloient pré- sents : <f Hé bien, messieurs, ne vous ay-je pas fait voir choses « et autres de ma femme? » Laquelle fut si dépitée de ce trait, qu'elle lui en voulut un mal extrême, et mesme pour la surprise Jiî cette main ; et possible depuis elle le luy rendit bien.

— J'en sçay un autre d'un grand seigneur, lequel, cognoissa'it qti'un sien amy et pai'ent estoit amoureux de sa femme, fust ou pour luy en faire venir l'envie davantage, ou du dépit et déf.es- poir qu'il pouvoit concevoir de quoy il avoit une si belle femme st luy n'en tastoit point, la lui monstra un matin, l'estant allé voir dans le lict tous deux couchez ensemble à demye nue : et si fit bien pis, car il luy fit cela devant luy-mesme, et la mit en beso- gne comme si elle eust été à part; encore prioit-il l'amy de bien voir le tout, et qu'il faisoil tout cela à sa bonne grâce. Je vous laisse à penser si la dame, par une telle privaulé de son mary, n'avoit pas occasion de faire à son amy l'autre toute entière, et à bon escient , et s'il n'est pas bien employé qu'il en porlasl les cornes. ""

— J'ay ouy parler d'un autre et grand seigneur, qui le faisoil ainsi à sa femme devant un grand prince, son maistre, mais c'es- loit par sa prière et commandement, qui se délectoil à tel plaisir. Ne sont-ils pas donc ceux-là coulpables, puis qu'ayant esté leurs propres maquereaux, en veulent estre les bourreaux? Il ne faut jamais «lonstrer sa femme nue, ny ses terres, pays et places, comme je tiens d'un grand capitaine, à propos de l'eu M. de Sa- voye, qui desconseilla et dissuada nostre roy Henry dernier, quand, à son retour de Pologne, il passa par la Loinbardie, de n'aller ny entrer dans la ville de Milan, lui alléguant que le roy d'Espagne en pourroit prendre quelque ombre : mais ce ne fut pas cela ; il craignoit que le roy y estant, et la visitant bien h point, et con«  lemplaiil sa beauté, richesse et grandeur, qu'il ne fust tenté d'unj extrême envie de la ravoir et reconquérir par bon et juste droit comme avoient fait ses prédécesseurs. Et voilà la vraye cause comme dit un grand prince, qui le lenoil du feu roy, qui cognois- soit cette enc joëure : mais pour complaire à M. de Savoye, el M.'K rien aliérer du costé du roy d'Espagne, il prit son chemin à costé, bien qu'il eust toutes les envies du monde d'y aller, à ce qu'il me fist cet honneur, quand il fut de retour à Lyon, de me le dire : en auoi ne faut douter que M. de Savoye ne fust plus Espagnol


VIES DES DAMES GALANTES.

que François. J'estime les marys aussi condamnables, lesquels, après avoir receu la vie par la faveur de leurs femmes, en demeu- rent tellement ingrats, que, pour le soupçon qu'ils ont de leurs amours avec d'autres, les traittent très-rudement, jusques à atten- ter sur leurs vies.

— J'ay oay parler d'un seigneur sur la vie duquel aucuns con- jurateurs ayant conjuré et conspiré, sa femme, par supplication, les en destourna, et le garantit d'eslre massacré, dont depuis elle en a esté très-mal recogneue, et traittée très-rigoureusement.

— J'ay veu aussi un gentilhomme, lequel ayant esté accusé et mis en justice pour avoir fait très-mal son devoir à secourir son général en une bataille, si bien qu'il le laissa tuer sans aucune assistance ni secours ; estant près d'estre sentencié et condamné d'avoir la teste tranchée, nonobstant vingt mille escus qu'il pré- senta ponr avoir la vie sauve; sa femme, ayant parlé à un grand seigneur de par le monde, et couché avec lui par la permission et supplication dudit mary, ce que l'argent n'avoit pu faire, sa beauté et son corps l'exécuta, et luy sauva la vie et la liberté. Du depuis il la trailta si mal que rien plus^ Certes, tels marys, cruels et enra- gés, sont très-misérables. iÛ'autres en ay-je cogneu qui n'ont pas fait de mesme, car ils ont bien sceu recognoistre le bien d'où il venoit, et honoroient ce bon trou toute leur vie, qui les avoit sau- vez de mort.

— Il y a encore une autre sorte de cocus, qui ne se sont con- tentés d'avoir esté ombrageux en leur vie, mais allans mourir et sur le poinct du trépas le sont encores : comme j'en ay cogneu un qui avoit une fort belle et honneste femme, mais pourtant qui ne s'estoit point toujours estudiée à luy seul. Ainsi qu'il vouloit mourir, il luy disoit : « Ahl ma mye, je m'en vais mourir, et Il plust à Dieu que vous me tinssiez compagnie, et que vous ei » u.oy allassions ensemble en l'autre monde! ma moi t ne ni'ei; » seroit si odieuse, et la prendrois plus en gré. » Mais la femme qui estoit encore très-belle, et jeune de irenle-sept ans, ne le voulut point su'vre ny croire pour ce coup-!à, et ne voulut faire la sotie, comme nous lisons de Evadné, fille de Mars et de Tliébé, femme de Capanée, laquelle l'ayma si ardemment, que, lui es- tant mort, aussi-tost que son corps fut jette dans le feu, elle s'y jetta après toute vive, et se brusia et se consuma avec luy, par une grande constance et force, et ainsi l'accompagna à sa mort.

— Alceste fil bien mieux, car ayant sceu par l'oracle que son


Discouas J. 45

mary Admète, roy de Thessalie, devoit mourir bîen-tost si sa vie n'esloit racheptée par la mort de quelque autre de ses amys, elle soudain se précipita à la mort, et ainsi sauva son mary. Il n'y a plus picshuyjde ces femmes si charitables, qui veulent aller de leur gré da ns la fosse avant leurs niarys, ni les suivre. Non, il ne s'en trouve ji us : les mères en sont mortes, comme disent les maquignons de p aris des chevaux, quand on n'en trouve plus de bons. Et voilà pourquoi j'estimois ce mary, que je viens d'alléguer, mal-habile de tenir ces propos à sa femme, si fascheux pour la convier à la mort, comme si c'eust été quelque beau festin pour l'y convier. C'esloit une belle jalousie qui lui faisoit parler ainsi, qu'il concevoit en soy du déplaisir qu'il pouvoit avoir aux enfers là-bas, quand il verroit sa femme, qu'il avoit si bien dressée, entre les bras d'un sien amou- reux, ou de quelque autre mary nouveau. Quelle forme de jalousie voilà, qu'il fallut que son mary en fust saisi alors, et qu'à tous les coups il luy disoit, que s'il en reschappoit, il n'endureroit plus d'elle ce qu'il avoit enduré : et, tant qu'il a vescu, il n'en avoit point esté atteint, et luy laissoit faire à son bon plaisir.

— Ce' brave Tancrede n'en fit pas de mesme, luy qui d'autres- fois se fil jadis tant signaler en la guerre sainte : estant sur le point de la mort, et sa femme près de luy dolente, avec le comte de Try- poly, il les pria tous deux après sa mort de s'espouser l'un l'autre, et le commanda à sa femme ; ce qu'ils firent. Pensez qu'il en avoit vu quelques approches d'amour en son vivant ; car elle pouvoit être aussi bonne vesse que sa mère, la comtesse d'Anjou, laquelle, après que le comte de Bretagne l'eut entretenue longuement, elle vint trouver le roy de France Philippes, qui la mena de mesme, et luy fit cette fille bastarde qui s'appela Cicile, et puis la donna en ma- riage à ce valeureux Tancrede, qui certes, par ses beaux exploits, ne méritoit d'être cocu.

— Un Albanois, ayant esté condamné de-là les Monts d'estre pendu pour quelque forfait, estant au service du roy de France, ainsi qu'on le vouloit mener au supplice, il demanda à voir sa femme et luy dire adieu, qui esloit une très-belle femme et très-agréable. Ainsi donc qu'il lui disoit adieu, en la baisant il luy tronçonna toul le nez avec belles dents, et le luy arracha de son beau visage. En quoy la justice l'ayant interrogé pourquoi il avoit fait cette vilainie à sa femme, il respondit qu'il l'avoit fait de belle jalousie, « d'au- » tant, ce disoit-il, qu'elle est très-belle, et pour ce après ma mort » je sais qu'elle sera aussi-tost recherchée et aussi-tost abandonnée

i.


46 VIES DES DAMES GALANTES.

» à un antre de mes compagnons, car je la cognois fort paillarde, » et qu'elle m'oublieroit incontinent. Je veux donc qu'après ma » mort elle ail de moy souvenance, qu'elle pleure et qu'elle suit B affligée, si elle ne l'est par ma mort, au moins qu'elle le soit » pour estre défigurée, et qu'aucun de mes compagnons n'en ayt » le plaisir que j'ay eu avec elle. » Voilà un terrible jaloux.

— J'en ay ouy parler d'autres qui, se sentant vieux, caducs, bles- 1'/ sés^attenugz^ et proches de la mort, de beau dépit et dejalo»isie

secrètement ont advancé les jours à leurs moitiés, niesmes quand elles ont esté belles.

— Or, sur ces bizarres humeurs de ces marys tyrans et cruels, qui font mourir ainsi leurs femmes, j'ay ouy faire une dispute, sça- voir, s'il est permis aux femmes, quand elles s'apperçoivent ou se doutent de la cruauté et massacre que leurs marys veulent exercer envers elles, de gaigner le devant et de jouer à la prime, et, pour se sauver, les faire joiier les premiers, et les envoyer devant faire les logis en l'autre monde.

J'ay ouy maintenir que ouy, et qu'elles le peuvent faire, non selon Dieu, car tout meurtre est défendu, ainsi que j'ay dit, mais s^ selon le monde, jyou,: et ce fondent sur ce mot, qu'il vaut mieux prévenir que d'estre prévenu : car enfin chacun doit estre curieux, de sa vie ; et, puisque Dieu nous l'a donnée, la faut garder jusqu'à ce qu'il nous appelJe par nostre mort. Autrement, sçachant bien leur mort, et s'y aller précipiter, et ne la fuir quand elles peuvent, c'est se tuer soy-niême, ciiose que Dieu abhorre fort; parquoy c'est le meilleur de les envoyer en ambassade devant, et en parer le coup, ainsi que fit Blanche d'Anurbruckt à son mary le sieur de Fla\7, capitaine de Compiegne et gouverneur, qui trahit et fut cause de la perte et de la mort de la Pucelle d'Orléans. Et cette dame Blanche, ayant sceu que son mary la vouloit faire noyer, le prévint, et, avec l'aide de son barbier, l'esloufFa et l'estrangla, dont le roy Charles septième luy en donna aussi-tost sû grâce, à que y aussi ayda bien la trahison du mary pour l'obtenir, possible plu- que toute autre chose. Cela se trouve aux annales de France, el principalement celles de Guyenne.

De mesmes en fit une madame de la Borne, du règne du roj François premier, qui accusa et défiera son mary à la justice de quelques folies faites et crimes possible énormes qu'il avoit fait avec elle et autres, le fit constituer prisonnier, sollicita contre luy, et lu; fit trancher la teste. J'ay ouy faire ce compte à ma grand-


DISCOURS 1. 47

mère, quita disoit de bonne maison et belle femme. Cellt-là gai- gna bien le devant.

— La reyne Jeanne de Naples première en fil de mesmes à l'en- droit de l'infant de Majorque, son tiers mary, à qui elle fit tran- cher la teste pour la rafson que j'ay dit en son Discours ; mais il pouvoil bien eslre qu'elle se craignoit de luy, et le vouloit despes- cher le premier: à quoy elle avoit raison, et toutes ses semblables, de faire de mesme quand elles se doutent de leurs galants.

J'ay ouy parler de beaucoup de daines qui bravement se sont acquittées de ce bon office, et sont eschappées par cette façon ; et mesmes j'en ay cogneu une, laquelle, ayant esté trouvée avec son amy par son mary, il n'en dit rien ny à l'on ny à l'autre, mais s'en

al'a courroucé, et la laissa là-dedans avec son amy, fort panthoîse y

et désolée et en grand altération. Mais la dame fui résolue jusques ' là de dire : « Il ne m'a rien dit ni fait pour ce coup, je crains qu'il » me la garde bonne et sous mine ; mais, si j'estois asseurée qu'il

  • me deust faire mourir, j'adviserois à lui faire sentir la mort le

•K premier. » La fortune fut si bonne pour elle au bout de quel- nue tenjps, qu'il mourut de soy-mesme; dont bien luy en prit, car oncques puis il ne luy avoit fait bonne chère, quelque recher- che qu'elle luy fist.

— Il y a encore une autre dispute et question sur ces fous el enragés marys, dangereux cocus, à sçavoir sur lesquels des deux ils se doivent prendre et venger, ou sur leurs femmes, ou sur leurs amants.

Il y en a qui ont dit seulement sur la femme, se fondant sur ce proverbe italien qui dit que morta la beslia, morta la rabbia b ve- ne7W (l) : pensans, ce leur semble, eslre bien allégés de leur mal quand ils ont tué celle qui fait la douleur, ny plus ny moins que font ceux qui sont mordus et picqués de l'escorpion : le plus sou- > verain remède qu'ils ont, c'est de le prendre, tuer ou l'escarbouil- x 1er, et l'appliquer sur la morsure ou playe qu'il a faite; et disent volontiers et cousluniièrement que ce sont les femmes qui sont plus punissables. J'entends des grandes dames el de haute guise, et non des petites, communes et de basse marche ; car ce sont elles, par leurs beaux attraits, privautez,. commandements el paroles, qui allacquent les escarmouches, et que les hommes ne les font que soustenir ; et que plus sont punissables ceux qui demandent et lè-

U) C'ttU -à-dire, morU la bel*, VOrU la rage ou le ccntn.


«8 VIES DES DAMES GALANTES. -v^

vent guerre, que ceux qui la deffendeni; et que bien souve_ es hommes ne se jettent en tels lieux périlleux et hauts, sans l'ap e des dames, qui leur signifient en plusieurs façons leurs amours, iiinsi qu'on voit qu'en une grande, bonne et forte ville de fron'i'jro i! est fort mal-aisé d'y faire entreprise ni surprise, s'il n'y a quel- j}ue intelligence sourde parmy aucuns de ceux du dedans, ou qui (ne vous y poussent, attirent, ou leur tiennent la main.

Or, puisque les femmes sont un peu plus fragiles que les hom- mes, il leur faut pardonner, et croire que, quand elles se sont mi- ses une fois à aymer et mettre l'amour dans l'ame, qu'elles l'exé- cutent à quelque prix que ce soit, ne se contentans, non pas toutes, de le couver là-dedans, et se consumer peu à peu, et en devenir seiches et allanguies, et pour ce en effacer leur beauté, qui est cause qu'elles désirent en guérir et en tirer du plaisir, et ne mourir du mal de la furette (l), comme on dit.

Certes j'ai cogneu plusieurs belles dames de ce naturel, lesquelles les premières ont plustost recherché leur androgine que les hom- mes, et sur divers sujets; les unes pour les voir beaux, braves, vaillants et agréables ; les autres pour en escroquer quelque somme tue dinarij d'autres pour en tirer des perles, des pierreries, des ro- ches de toille d'or et d'argent, ainsi que j'en ay veu qu'elles en fai- soient autant de difliculté d'en tirer comme un marchand de sa denrée (aussi dit-on que femme qui prend se vend) ; d'autres pour avoir de la faveur en Cour; autres des gens de justice, comme plu- sieurs belles que j'ay cogneues qui, n'ayant pas bon droit, le fai- soient bien venir par leur cas et par leurs beautez ; et d'autres pour en tirer la suave substance de leur corps.

— J'ay veu plusieurs femmes si amoureuses de leurs amants, que quasi elles les suivoient ou couroient à force, et dont le monde en porloitla honte pour elles.

J'ay cogneu une fort belle dame si amoureuse d'un seigneur de par le monde, qu'au lieu que les serviteurs ordinairement portent les couleurs de leurs dames, cette-cy au contraire les portoit de son serviteur. J'en nommerois bien les couleurs, mais elles feroient une ttop grande descou verte.

J'en ay cogneu une autre de laquelle le mary ayant fait un af- fn nt à son serviteur en un tournoy qui fut fait à la Cour, cepen-


(J) Dans ce proyerbe, la furotte eit prise ponr rhermine, qui, dit ot, vme iBisux «e laisser prenilre que ât se salir.


DISCOURS I. 49

dant qu'il estoit en la salle du bal et en faisoit son triomphe, elle g'habilla de dépit , en homme , et alla trouver son amant et lui porter pour un moment son cas , tant elle en estoit si amoureuse qu'elle en mouroit.

— J'ai cogneu un honneste gentilhomme, et des moins deschi- rez de la Cour, lequel ayant envie un jour de serNÏr une fort belle et honneste dame s'il en fui oncques, parce qu'elle luy en donnoit beaucoup de sujets de son costé, et de l'autre il faisoit du retenu pour beaucoup de raisons et respects; cette dame pourtant y ayant mis son amour, et à quelque hasard que ce fust elle en avoit jette le dé, ce disoit-elle ; elle ne cessa jamais de l'attirer tout à soy par les plus belles paroles de l'amour qu'elle peut dire, dont entr' au- tres estoit celle-cy : « Permettez au moins que je vous ayme si B vous ne me voulez aymer, et ne arregar^z à mes mérites, mais > M a mes affections et passions, » encore certes qu'elle emportast le gentilhomme au poids eu perfections. Là-dessus qu'eust pu faire le gentilhomme, sinon l' aymer puis qu'elle l'aymoit, et la servir, puis demander le salaire et récompense de son service, qu'il eut, comme la raison veut que quiconque sert faut qu'on le paye ?

J'alleguerois une infinité de telles dames plustost recherchantes que recherchées. Voilà donc pourquoy elles ont eu plus de coulpe que leurs amants ; car si elles ont une fois entrepris leur homme, elles ne cessent jamais qu'elles n'en viennent au bout et ne l'at- tirent par leurs regards attirans, par leur beautez, par leurs gen- tilles grâces qu'elle s'estudient à façonne'r en cent mille façons, par leurs fards sublillement appliqués sur leur visage si elles ne l'ont beau, par leurs beaux artjjBieis, leurs riches et gentilles coiffures et J^ tant bien accommodées, et leurs pompeuses et superbes robes, et sur- tout par leurs paroles friandes et à demy lascives, et puis par leurs gentils et foUastres gestes et privautez, et par présents et dons ; et voilà comment ils sont pris, et estant ainsi pris, il faut qu'ils les prennent ; et par ainsi dit-on que leurs marys doivent se venger sur elles.

D'autres disent qu'il se faut prendre qui peut sur les hommes, ny plus ny moins que sur ceux qui assiègent une ville; car ce sont eux qui pi-emiers font faire les chamades, les somment, qui pre- miers recognoissent, premiers font les approches, premiers dressent gabionnades et cavalliers et font les tranchées, premiers font les batteries ol premiers vont à l'assaut, premiers parlementent : ainsi jit-on des amants.


60 VIES DES DAMES GALANTES.

Car comme les plus hardis, vaillants et résolus àssailleni le fort de pudîcité des dames, lesquelles, après toutes les formes d'assail- ' lement observées par grandes imporlunités , sont contraintes de faire le signal et recevoir leurs doux ennemys dans leurs forte- resses : en quoy me semble qu'elles ne sont si coulpables qu'on diroit bien ; car so défaire d'un importun est bien mal aisé sans y laisser du sien; aîissi que j'en ay veu plusieurs qui, par longs ser- vices et persévérances, ont jouy de leurs maislresses, qui dès le commencement ne leur eussent donné, pour manière de dire, leur cul à baiser; les contraignant jusques-là, au moins aucunes, que, la larme à l'œil, leur donnoient de cela ny plus ny moins comme l'on donne à Paris bien souvent l'aumosne aux gueux de l'hostière, plus par leur importunité que de dévotion ny pour l'amour de Dieu : ainsi font plusieurs femmes, plustost pour estre trop importunées que pour estre amoureuses, et mesmes à l'endroit d'aucuns grands, lesquels elles craignent et n'osent leur refuser à cause de leur au- torité, de peur de leur desplaire et en recevoir puis après de l'es- candale, ou un affront signalé, ou plus grand descriement de leui honneur, comme j'en ay veu arriver de grands inconvénients siu ces sujets.

Voylà pourquoy les mauvais marys, qui se plaisent tant au sang et au meurtre et mauvais traitements de leurs femmes, n'y doivent estre si prompts, mais premièrement faire une enqueste sourde de toutes choses, encore que telle cognoissance leur soit fort fascheuso et fort sujette à s'en gratter la teste qui leur en démange, et mesmes qu'aucuns, misérables qu'ils sont, leur en donnent toutes les occa- sions du monde.

— Ainsi que j'ai cogneu un grand prince estranger qui avoi» espousé une fort belle et honneste dame ; il en quitta l'entretien pour le mettre à une autre femme qu'on tenoit pour courtisanf de réputation, d'autres que c'estoit une dame d'honneur qu'il avoit débauschée ; et ne se contentant de cela, quand il la faisoii coucher avec luy, c'estoit en une chambre basse par dessous celK de sa femme et dessous son lict ; et lorsqu'il vouloit monter sur sa inaistresse, ne se contentant du tort qu'il luy faisoit, mais, par une risée et moquerie, avec une demye pique il frappoit deux ou trois coups sur le plancher, et s'escrioit à sa femme : « Brindes, » ma femme. » Ce desdain et mespris dura quelques jours, ei fascha fort h sa femme, qui, de desespoir et vengeance, s'accosta d'un fort honnête gentilhomme à qui elle dit ui^ iour priveœent •


DISCOURS I. 61

« Un tel, je veux que vous jouissiez de moi, autrement, je scay » un moyen pour vous ruiner. » L'autre, bien content d'une si / belle adventure, ne la refusa pas. Parquoy, ainsi que son ma ry avoit sa mie entre les bras, et elle aussi son amy, ainsi qu'il IhI crioit brindes, elle luy respondoit de mesmes, et may a vous, ou A bien, je m'en vais nous pleiger\ Ces brindes et ces paroles ei J{ responses, de telle façon et mode qu'ils s'accommodoient en leurs montures, durèrent assez longtemps, jusques à ce que ce prin ce, fin et douteux, se douta de quelque chose ; et y faisant faire le guet, trouva que sa femme le faisoit gentiment cocu, et faiso't brindes aussi bien que luy par revange_et vengeance. Ce qu'ayant '< bien au vray cogneu, tourna et changea sa comédie en tragédie; et l'ayant pour la dernière fois confiée à son brindes, et elle luy ayant rendu sa response et son change, monta soudain en haut, et ouvrant et faussant la porte, entre dedans et luy remonstre son tort; et elle de son costé luy dit : « Je sçay bien que je suis » morte : tiie-moi hardiment ; je ne crains point la mort, et la » préns en gré puisque je me suis vengée de toy, et que je t'ay » fait cocu et bec cornu, toy m 'en ayant donné occasion, sans la- A » quelle je ne me fusse jamais forfailte, car je l'avois voué toute » fidélité, et je ne l'eusse jamais violée pour tous les beaux su- it jets du monde : tu n'estois pas digne d'une si honneste femme » que moy. Or tue-moi donc à st'heure; et, si tu as quelque pi- <^, » tié en ta main, pardonne, je te prie, à ce pauvre gentilhomme, » qui de soy n'en peut mais, car je l'ay appelé à mon ayde pour B ma vengeance. » Le prince par trop cruel, sans aucun respect les tue tous deux. Qu'eust fait là dessus celte pauvre princesse sur ces indignitez et mespriz de maiy, si-non, à la desesperade pour le monde, faire ce qu'elle fit? D'aucuns l'excuseront, d'autres l'accuseront, et il y a beaucoup de pièces et raisons à rapporter là-dessus.

— Dans les Cent Nouvelles de la Reyne de Navarre, y a celle et très-belle de la reyne de Naples, quasi pareille à celle-cy, qui de mesme se vengea du Roy son mary; mais la fin n'en fut si tra- gique.

— Or laissons là ces diables et fols enragés cocus, et n'en par- lons plus, car ils sont odieux et mal plaisants, d'autant que je n'aurois jamais fait si je voulois tous descrire, aussi que subject n'en est beau ny plaisant.

Parlons un peu des gentils cocus , et qui sont bons compagnons


52 VIES DES DAMES GALANTES.

de douce humeur, d'agréable fréquentation et de sainte patience,

\ débonnaires, traittables, fermant les yeux, et bons hommenj^g^ ■ Or de ces cocus il y en a qui le sout en herbe, il y en a qui le sçavent avant se marier, c'est-à-dire que leurs dames, veufves et demoiselles, ont fait le sault; et d'autres n'en sçavent rien, mais les espousent sur leur foy, et de leurs pères et mères, et de leurs parents et amys.

— J'en ay cogneu plusieurs qui ont espousé beaucoup de fem- mes et de filles qu'ils sçavoient bien avoir été repassées en la monstre d'aucuns rois, princes, seigneurs, geniilshommes et plu- sieurs autres; et pourtant, ravys de leurs amours, de leurs biens, de leurs joyaux, de leur argent, qu'elles avoient gaigné au mestier

. amoureux, n'ont aucun scrupule de les espouser. Je ne parleray

/ point à st' heure que des filles.

• — J'ai ouy parler d'une fille d'un très-grand et souverain, laquelle estant amoureuse d'un gentilhomme, se laissant aller à luy de telle façon qu'ayant recueilli les premiers fruits de sou amour, en fut si friande qu'elle le tint un mois entier dans son cabinet, le nourrissant de restaurents, de bouillons friands, de >nandes délicates et rescaldaïïvpsrpoiïr rallambiquer mieux et en^- tirer sa substance ; et ayant îait sous luy son premier apprentis- sage, continua ses leçons sous luy tant qu'il Yfisciuit, et sous d'au- tres : et puis elle se maria en l'âge de quarante-cinq ans à un seigneur (l) qui n'y trouva rien à dire, encor bien-aise pour le beau mariage qu'elle luy porta.

— Bocace dit un proverbe qui couroit de son temps, que honche baisée, d'autres disent fille /"...., ne perd jamais sa for- tune, mais bien la renouvelle, ainsi que fait la lune ; et ce pro- verbe allegue-t-il sur un conte qu'il fait de cette fille si belle du sultan d'Egypte, laquelle passa et repassa par les piques de neuf divers amoureux, les uns après les autres, pour le moins plus de trois mille fois. Enfin elle fut rendue au roy Garbe toute vierge, cela s'entend prétendue, aussi bien que quand elle lui fut du com-

^.mencement compromise, et n'y trouva rien à dire, encor bien aise : { ie conte en est très-beau.

— j'ay ouy dire à un grand qu'entre aucuns grands, non pas \ tous volontiers, on n'arregarde^à ces fîUes-là, bien que trois ou qua-

(1] BrantAme veut peut-être parler ici de Marguerite de France, «Eur de Hean II, fui avait cet iige-li lorsqu'elle épousa le duc de Savoie.


DISCOURS ï. 53

ire les ayent passé par les mains et par les piques avant le wesi re ' marys ; et disoil cela sur un propos d'un seigneur qui esloit gran- dement amoureux d'une grande dame, et un peu plus qualifiée que lui, et elle l'aimoit aussi ; mais il survint empeschenient qu'ils ne s'espousèrent comme ils pensoient et l'un et l'autre, surquoy ce gentilhomme grand, que je viens de dire , demanda aussi-tosi : « A-t-il monté au moins sur la petite bête? » Et ainsi qu'il lui fusi respondu que non à son advis, encor qu'on le tinst : « Tant pis, » répliqua-t-il , car au moins et l'un et l'autre eussent eu ce » contentement, et n'en fust esté autre chose. » Car parmy les grands, on n'arregarde à ces reigles et scrupules de pucelage , A d'autant que pour ces grandes alliances il faut que tout passe ; encores trop heureux sont-ils les bons marys et gentils cocus en herbe.

— Lorsque le roy Charles fit le tour de son royaume, il fut laissé en une bonne ville que je nommerois bien une fille dont venoit d'accoucher une fille de très-bonne maison ; si fut donnée en garde à une pauvre femme de ville pour la nourrir et avoir soin d'elle, et luy fut avancé deux cents écus pour la nourriture. La pauvre femme la nourrit et la gouverna si bien, que dans quinze ans elle devint très-belle et s'abandonna ; car sa mère oncquespuis x^ n'en fit cas, qui dans quatre mois se maria avec un très-grand.

Ah I que j'en ai cogneu de tels et telles où l'on n'y a advisé en rien I

— J'ouys une fois, estant en Espagne, conter qu'un grand sei- gneur d'Andalousie ayant marié une sienne sœur avec un autre fort grand seigneur aussi, au bout de trois jours que le mariage fut consomné il luy dit : « Senor hennano, agora que soys D cazado con my hermana, y l'haveys bien godida solo, jo U » hago saber que sicndo hija, tal y tal gozaron d'ella. De le » passado no tenga cuydado, que pocacosa es. Delfuturo guar. » daie, que ivas y mucho a vos tota (l). » Comme voulant dire que ce qui est fait est fait, il n'en faut plus parler, mais qu'il faut se garder de l'advenir, car il touche plus à l'honneur que le passé.

Il y en a qui sont de cet humeur, ne pensans estre si bien

(1) C'esl-à-dire : c Monsieur mon frère, préientrroent que vous êtes marié avec » ma sœur et que vous en jouissez seul , Il faut que vous sachiez qu'étant Bile, te. > et tel en ont joui. Ne vous inquiétez point du passé, parce que c'est peu de » chose; mais gardez-vous de l'avenir, parce qu'il vous touche d« bien plat prè«. a


61 VIF.S riKS T>\MF<; r, vi. AiNTtS.

cocus par lier'e comme par la gerbe, en quoy il y a de l'appa- rence.

— J'ay ouy aussi parler d'un grand seigneur eslranger, lequel ayant une flUe des plus belles du monde, et estant recliercliée en

, mariage d'un autre grand seigneur qui la méritoit bien, liiy fut accordée par le p;\ai ; mais avant qu'il la laissasl jamais sortir de la maison, il. "eu voulut tasler, disant qu'il ne vouloil laisser si aisément une si belle monture qu'il avoil si curieusement éle- vée, que premièrement il n'eusl monté de.ssus et sceu ce qu'elle sçauroit faire à l'avenir. Je ne sçay s'il est vray, mais je l'ay ouy dire, et que non seulement luy en ûl la preuve, mais bien un autre beau et brave gentilhomme; et pourtant le mary par après n'y / trouva rien amer, sinon que tout sucre.

— J'ay ouy parler de mesme de force autres pères, et sur-tout d'un très-grand, à l'endroit de leurs filles, n'en faisant non plus de conscience que le cocq de la lable d'Esope, qui ayant esté ren- contré par le renard et menacé qu'il le vouloit faire mourir, dont «Tir ce le cocq, rapportant tous les biens qu'il faisoit au monde, et surtout de la belle et bonne poulaille qui sorloit de luy : « Hal » dit le renard, c'est-Ià où je vous veux, monsieur le gallant, cat » vous estes si paillard que vous ne faites difficulté de monter sur n vos filles comme sur d'autres poules ; » et pour ce le fil mourir.

C Voilà un grand justicier et ])litiq.

Je vous laisse donc à penser que peuvent faire aucunes tilles avec leurs amants ; car il n'y eut jamais fille sans avoir ou désirer un amy, et qu'il y en a que les pères, frères, cousins et parents ont fait de mesme.

— De nos temps, Ferdinant, roy de Naples, cognent ainsi par mariage sa tante, fille du roy de Castille, à l'âge de treize à qua- torze ans, mais ce fut par dispence du pape. On faisoit lors dif- ficulté si elle se devoit ou pouvoit donner. Cela ressent pour- tant son empereur Caligula, qui débausclia et repassa toutes ses sœurs les unes après les autres, par-dessus lesquelles et sur toutes il ayma extresmement la plus jeune, nommée Drusille, qu'estant petit garçon il avoil dépucellée; et puis estant mariée avec un Lucius Cassius Longinus, homme consulaire, il la luy enleva ei l'entretint publiquement, comme si ce fust esté sa femme légi- time; tellement qu'estant une fois tombé malade, il la fil iiéri- tière de tous ses biens, voire de l'empire. Mais elle vint à mou- rir, qu'il regretta si très-tant, qu'il en fil crier tes vacations de


DISCOURS I. 66

la justice et cessation de tous autres jeuvres, pour induire le V peuple d'en faire avec lu] uiT^cIéùilpublic, et en porta long- temps longs cheveux et longue barbe ; et quand il haranguoil le sénat, le peuple et ses ge nres de guerre, ne juroit jamais que par le V nom de Drusille.

Pour quant à ses autres sœurs, après qu'il en fut saoul, il les prostitua et abandonna à de grands pages qu'il avoit nourrys et cogneus fort vilainement : encor. s'il ne ne leur eust fait aucun mal, passe, puisqu'elles l'avoient accoustumé et que c'estoit un m al plaisant, ainsi que je l'ay veu appeler tel à aucunes filles estant dévirginées et à aucunes femmes prises à force ; mais il leur fit mille indignités : il les envoya en exil, il leur osta toutes leurs ba- gues et joyaux pour en faire de l'argent, ayant brouillé et dépendu fort mal-à-propos tout le grand que Tibère lui avoit laissé ; encor les pau\Teltes, estants après sa mort retournées d'exil, voyant le corps de leur frère mal et fort pauvrement enterré sous quelques mottes, elles le firent désenterrer, le brusler et enterrer le plus lion- nestement qu'elles purent : bonté certes grande do sœurs à tia frère si ingrat et dénaturé.

L'Italien, pour excuser l'amour illicite de ses. proches, dit que quando mésser Bernado cl bacirco stà in colera, él in sua rabia non riceve lege, et non perdona a nissuna dama.

— Nous avons force exemples des anciens qui en ont fait de mesme. Mais pour revenir à nostre discours, j'ay ouy conter d'un qui ayant marié une belle et honnesie demoselle à un sien amy, et se vantant qu'il lui avoit donné une belle et lionneste monture, saine, nette, sans sur-osj et sans malandrej_ comme il dist, et d'au- tant plus luy estoit obligé, il luy fut respondu par un de la compa- gnie, qui dit à pari à un de ses compagnons : a Tout cela est bon » et vray si elle ne fust esté montée et chevauchée trop tost, dont s pour cela elle est un peu foulée sur le devant. »

Mais aussi je voudrois bien sçavoir à ces messieurs de mary s, X que si telles montures bien souvent n'avoient un si, ou à di re quelque ciiose en elles, ou quelque deffectuosité ou deffaut ou tare, s'ils en auroient si bon marché, et si elles ne leur cousle- roient davantage ? Ou bien, si ce n'esloit pour eux, ou en accom- moderoit bien d'autres qui le méritent mieux qu'eux , comme ces maquignons qui se défont de leurs chevaux tarez ainsi qu'ils peuvent ; mais ceux qui en sçavent les sys, ne s'en pouvant deûaire autrement, les donnent à ces messieurs qui n'en sçavent


S6 VIES DES DAMF.S GALANTES.

rien, d'autant ( ainsi que j'ay ouy dire à plusieurs pères) qn«  c'est une fort belle défaite que d'une fille tarée, ou qui com- mence à l'estre, ou a envie et apparence de l'estre.

Que je connois de filles de par le monde qui n'ont pas porté ><, leur pucelage au lict hymenean, mais pourtant qui sont bien instruites de leurs mères7~ôtrlîutres de leurs parentes et amies, très-sçavantes maquerelles de faire bonne mine à ce premier assaut, et s'aident de divers moyens et inventions avec des subtilitez, pour le faire trouver bon à leurs marys et leur monS'- trer que jamais il n'y avoit esté fait brèche.

La plus grande part s'aident à faire une grande résistance et défence à cette pointe d'assaut, et à faire des opiniastres iusques à l'extrémité • dont il y a aucuns marys qui en sont très-contents , et croyent fermement qu'ils en ont eu tout l'hon- neur et fait la première pointe, comme braves et déterminez soldats ; et en font leurs contes lendemain matin, qu'ils sont -s4^crestez comme petits cocqs ou jolets qui ont mangé force millet le soir, à leurs compagnons et amys, et mesme possible à ceux qui ont les premiers entré en la forteresse sans leur sceu, qui en rient à part eux leur saoul, et avec les femmes leurs mais- tresses, qui se vantent d'avoir bien joué leur jeu et leur avoir donné belle.

Il y a pourtant aucuns marys ombrageux qui prennent mau- vais augures de ces résistances, et ne se contentent point de les voir si rebelles ; comme un que je sçay, qui, demandant à sa femme pourquoy elle faisoit ainsy de la farouche et de la difficul- tueuse, et si elle le desdaignoit jusque-là, elle, luy pensant faire son excuse et ne donner la faute à aucun desdain, luy dit qu'elle avoit peur qu'il luy fist mal. Il lui respondit : « Vous l'avez donc es- « prouvé, car nul mal ne se peut connoistre sans l'avoir enduré? » Mais elle, subtile, le niant, répliqua qu'elle l' avoit ainsi ouy dire è aucunes de ses compagnes qui avoient esté mariées, et l'en avoient ainsi advisée : « Voilà de beaux advis et entretiens, » dit-il.

— Il y a un autre remède que ces femmes s'advisent, qui est de monstrer le lendemain de leurs nopces leur linge tant de gouttes de sang qu'espandent ces pauvres filles à la charge dure de leur despucellement, ainsi que l'on fait en Espagne, qui en monstrent publiquement par la fenestre ledit linge, en criant tout haut : Firgen la tenemos. Nous la ténors pour vierge.


DISCOURS 1. ft7

Certes, encore ay-je ouy dire dans Vlterbe celte cousiume s'y observe tout de mesnie : et d'autant que celles qui ont passé pre- mièrement par les pioques ne peuvent faire cette monstre pnr leur propre sang, elles se sont advisées, ainsi que j'ay ouy dire, et que plusieurs courtisanes jeunes à Rome me l'ont assuré elles-mesmes, pour mieux vendre leur virginité, de teindre ledir linge de gouttes de sang de pigeon, qui est le plus propre de tous : et le lendemain le mary le voit, qui en reçoit un extrême contente- ment, et croit fermement que ce soit du sang virginal de sa femme, et lui semble bien que c'est un gallant , mais il est bien trompé.

Sur quoy je feray ce plaisant conte d'un gentilhomme, lequel ayant eu l'esguillette nouée la première nuict de ses nopces, et la mariée, qui n'esloit pas de ces pucelles très-belles st de bonne part, se doutant bien qu'il dust faire rage, ne faillit, par l'advis de ses bonnes compagnes, matrosnes, parentes et bonnes amies, d'avoir le petit linge teint : mais le malheur fut tel pour elle, que le mary fut tellement noué qu'il ne put rien faire, encore qu'il ne tinst pas à elle à luy en faire la monstre la plus belle et se parer au monloir le mieux qu'elle pouvoit, et au coucher beau jeu, sans faire de la farouche ny nullement de la diablesse, ainsi que les spectateurs, cachés à la mode accoustumée, rappor- toient, afin de cacher mieux son pucellage dérobé d'ailleurs ; mais il n'y eut rien d'exécuté.

Le soir, à la mode accoustumée, le réveillon ayant esté porté, il y eut un quidam qui s'advisa, en faisant la guerre aux nopces, comme on fait communément, de dérober le Unge qu'on trouva joUment teint de sang, lequel fust monstre soudain et crié haut en l'assistance qu'elle n'esloit plus vierge, et que c'esloit ce coup que sa membrane virginale avoit esté forcée e^. rompue : le mary, qui estoit assuré qu'il n'avoil rien fait, mais pourtant qui faisoil du gallant et vaillant champion, demeura fort estonné et ne sceut ce que vouloit dire ce linge teint, si-non qu'après avoir songé assez, se douta de quelque fourbe et astuce putanesques, mais pourtant n'en sonna jamais mol.

La mariée et ses confidentes furent aussi-bien faschées et es- tournées de quoy le mary avoit fait faux-feu, et que leur affaire ne s'en porloii pas mieux. De rien pourtant n'en fut fait aucun semblant jusques au bout de huict jours, que le mary vint à avoir l'esguillette desnoùée, et fit rage et feu, dont d'aise ne se sou- venant de rien, alla publier à toute la compagnie que c'esloit à


58 VIES DES DAMES GALANTES.

bon escient qu'il avoit fait preuve de sa vaillance et fait sa femme vraye femme et bien damée ; et confessa que jusques alors il avoit esté saisi de toute impuissance : de quoy l'assistance sur ce subject en fit divers discours, el jella diverses sentences sur la mariée qu'on pensoil esire femme par son linge teinture; el X s'escandalisa ainsi d'elle-mesme, non qu'elle en fust bien cause proprement, mais son mary, qui par sa débolesse, llaquesse et mollitude, se gasla luy-niesnie. ' '

— Il y a aucuns marys qui cognoissent aussi à leur première nuict le pucelage de leurs femmes s'ils l'ont conquis oui ou non par la trace qu'ils y trouvent; comme un que je cognois, lequel, ayant espousé une femme en secondes nopces, ei luy ayant fait accroire que son premier mary n'y avoit jamais touché par son impuissance, el qu'elle estoit vierge et pucelle aussi bien qu'au- paravant estre mariée, néanmoins il la trouva si vaste el si co- pieuse en amplitude, qu'il se mit à dire : « Hé comment 1 estes- » vous celte pucelle de Marolle, si serrée et si estroite qu'on me

X.» disoil I Hé I vous avez un grand em^ôûd, et le chemin y est » tellement grand et battu que je n'ay garde de m'csgarer. » Si fallut-il qu'il passât par-là et le beust doux comme laict ; car si son premier mary n'y avoit point touché comme il estoit vray, il y en avoit bien eu d'autres.

Que dirons-nous d'aucunes mères, qui, voyant l'impuissance de leurs gendres, ou qui ont l'esguillette nouée ou autre défec- tuosité, sont les maquerelles de leurs lilles, et que, pour, gai- gner leur douaire, s'en fout donner à d'autres, et bien souvent engroisser, afin d'avoir les enfants héritiers après la mort du père? J'en cognois une qui conseilla bien cela à sa fille, et de fait n'y espargna rien ; mais le malheur pour elle fut que jamaiis n'en put avoir. Aussi je cognois un qui, ne pouvant rien faire ù sa fenime, attira un grand laquais qu'il avoit, beau fils, pour coucher et dépuceler sa femme en dormant, et sauver son hon- neur par-là ; mais elle s'en aperçeut el le la(|uais n'y fit rien, qui fut cause qu'ils plaidèrent long-temps : Unalemeul ils se dém;.- riérent.

— Le roy Ilenry de Castille en fil de mesme, lequel, ainsi que raconte Daplisla Fulquosius (j) , voyant qu'il ne pouvoil

(I) Bjplista Fiilgosius, dont les Factorum et DUtorum memorabihum Ubri IX ont «^tc imprimés diverses Tois. Ce lait particulier te trouve dan; le chapitre 3 du IXe livre.


Li'SCOURS I. 8»

faire d'enfant à sa femme, il s'aida d'un beau et jeane geatil- bomnie de sa Cour pour lui en faire, ce qu'il fit ; dont pour sa peine il lui fit de grands biens et l'advança eu des honneurs, grandeurs et dignilez : ne faut douter si la femme ne l'en ayma et s'en trouva bien. Voilà un bon cocu.

— Pour ces esguilletes nouées, en fut dernièrement un procès en la cour du parlement de Paris, entre le sieur de Bra^, iréso-' rier, et sa femme, à qui il ne pouvoit rien faire ayant eu l'esguil- letle noiiée, ou autre défaut, dont la femme, bien marrie, l'en ap- pela en jugement. Il fut ordonné par la Cour qu'ils seroient visitea eux deux par grands médecins experts. Le mary choisit les siens et la femme les siens, dont en fut fait un fort plaisant sonnet à la Cour, qu'une grande dame me lisl elle-mesme, et me donna ainsi (- que je disnois avec elle. On disoit qu'une dame l'avoit fait, d'au-/ très un homme. Le sonnet est tel :

SONNET.

Entre les mëdecins reDomrnés à Pari* Ea sçavoir, en espreuve , en science, en doctrine. Pour lu^cr rimparfait de, la coulpe audro<;yDe, Par de Oray et ■» femme ont esté sept cboisis.

De Bray a eu pour Iny \<a trois de moindre prix, Le Coi:rl , l'Endormy, Pielro; et sa femme, plus 6ne, Les quatre plus exporls m l'an de modocine. Le Graud, le Gros, Dnret et Vigoureux a irii.

On peut par-là juger qui des deux gaigner^. Kl si le Grand du Court victorieux sera, Vigoureux d'Eodormy, le Gros, Durct de Piètre.

Et de Bray n'ayant point ces deux de son costé. Estant tant imparfait que mary le peut astre, A faute de bon droit en sera déboulé.

— J'ay ouy parler d'un autre mary, lequel la première nuict tenant embrassée sa nouvelle espouse, elle se ravit en telle joye ot plaisir, que, s'oubliant en elle-mesme, ne se put engarder de fa re un petit mobile tordion de remuement non accoustumé de faire aux nouvelles mariées; il ne dit autre chose sinon : « Ah I j'en ay I » et continua sa route. Et voilà nos cocus en herbe, dont j'en sçai une milUa ssfi-de -can tes ; mais je n'aurois jamais fait; et le pis que je vois en eux, c'est quand ils espousent la vache et le veau, comme on dit, et qu'ils les prennent toutes grosses.


v-


60 VIES DES DAMES GALANTES.

Comme un que je sçay, qui, s'estant marié avec une fort belle et honnesle demoiselle, par la faveur et volonté de leur prince el seigneur, qui aymoit fort ce gentilhomme el la luy avoit fait espouser, au bout de huit jours elle vint à estre cogneuë grosse, aussi elle le publia pour mieux couvrir son jeu. Le prince, qui s'es- toit tousjours bien douté de quelques amours entre elle et un au- tre, lui dit : « Une telle, j'ay bien mis dans mes tablettes le jour el X » l'heure de vos nopces; quand on les agrûatêlâ-à celuy et celle » de vostre accouchement, vous aurez de la honte. » Mais elle, pour ce dire, n'en fit que rougir un peu, et n'en fut autre chose, si-non qu'elle tenoit toujours mine de dona da ben.

Or il y a d'aucunes filles qui craignent si fort leur père et mère, qu'on leur arracheroil pluslot la vie du corps que le boucon puceau, les craignant cent fois plus que leurs marys.

— J'ay ouy parler d'une fort belle et honneste demoiselle, laquelle, estant fort pourchassée du plaisir d'amour de son ser- viteur, elle lui respondit : « Attendez un peu que je sois mariée, » et vous verrez comme, sous celte courtine de mariage qui cache » tout, et ventre enflé et descouverl, nous y ferons à bon escient. »

— Un autre, estant fort recherchée d'un grand, elle luy dit : « Sollicitez un peu nostre prince qu'il me marie bien-tost avec celui » qui me pourchasse, et me face vistemenl payer mon mariage qu'il » m'a promis; le lendemain de mes nopces, si nous ne nous reo- » controns, marché nul. »

— Je sçai une dame qui, n'ayant esté recherchée d'amours que quatre jours avant ses nopces, par un gentilhomme parent de son mary, dans six après il en jouyt; pour le moins il s'en vanta, et estoit aisé de le croire; car, ils se monslroienl telle privaulé qu'on eust dit que toute leur vie ils avoient estes nomjis ensemble;

' mesme il en dist des signes et marques qu'elle portoit sur son corps, et aussi qu'ils continuèrent leur jeu long-temps après. Le gentilhomme disoit que la privante qui leur donna occasion de ve- nir là, ce fut que, pour porter une mascarade, s'entrechangèrent leurs habillements; car il prit celui de sa maistresse, et elle celuy de son amy, dont le mary n'en fit que rire, et aucuns prindrent sub- ject d'y redire et penser mal.

Il fut fait une chanson à la Cour d'un mary qui fut marié le mardy et fut cocu le jeudy : c'est bien avancer le temps.

— Que dirons-nous d'une fille ayant esté sollicitée longuement d'un gentilhomme de bonne maison et riche, mais pourtant


DISCOURS I. SI

nigaud et non digne d'elle, el par l'advis de ses parents, pres- sée de l'espouser, elle fll response qu'elle aymoit mieux mourir que de l'espouser, et qu'il se déporlast de son amour, qu'on ne luyen parlast p'us ny à ses parents; car, s'ils la forçoient de l'es- pouser, elle le fevoit plustost cocu. Mais pourtant fallut qu'elle pas- sast par-là, car la sentence luy fut donnée ainsi par ceux et celles des plus grands qui avoient sur elle puissance, et niesme de ses parents.

La vigille des nopces, ainsi que son mary la voyoit triste el pensive, luy demanda ce qu'elle avoit , elle luy respondit toute en colère : « Vous ne m'avez voulu jamais croire à vousos ter V » de me poursuivre ; vous sçavez ce que je vous ay lousjours dit, ' » que, si je venois par malheur à estre vostre femme, que je M vous ferois cocu, et je vous jure que je le feray et vous tieii- » dray parole. »

Elle n'en faisoit point la petite bouche devant aucunes de ses compagnes et aucuns de ses serviteurs. Asseurez-vous que depuis elle n'y a pas failli ; et luy monstra qu'elle estoit bien gentille femme, car elle tint bien sa parole.

Je vous laisse à penser si elle en devoit avoir blasme, puis qu'un averly en vaut deux, et qu'elle l'advisoit de l'inconvénient où il tomberoit. Et pourquoi ne s'en donnoit-il garde? Mais pour cela, il ne s'en soucia pas beaucoup.

— Ces filles qui s'abandonnent ainsi sitost après estre mariées fent comme dit l'Italien : Chela vacca, che e stata molto tempo ligata, corre più che quella che hà havuto sempre piena li- bertà (i).

Ainsi que fit la première femme de Baudoiiin, roy de Jérusa- lem, que j'av dit ci-devant, laquelle, ayant esté mise en religion de force par son mary, après avoir rompu le cloistre et en estre sortie, et tirant vers Constantinople, mena telle paillardise qu'elle en donnoit à tous passants, allants et venants, tant gens-d'armes que pellerins vers Jérusalem, sans esgard de sa royale condition; mais le grand jeûne qu'elle en avoit fait durant sa prison en estoit cause.

J'en nommerois bien d'autres. Or, voilà donc de bonnes gens de cocus ceux-là, comme sont aussi ceux-là qui permettent à leurs femmes, quand elles sont belles el recherchées de leur

|1) C'est-à-dire : < Que la vache qui a longtemps été attachée court plus qu* > celle >|ni a toujoun en pleins liberté.


«B VIES DES DAMES (iALAMK-i.

beauté, et les abandonnent pour s'en ressenlir et tirer de la faveor, du bien et des moyens.

Il s'en voit fort de ceux-là aux cours des grands roys et prin- ces, lesquels s'en trouvent très-bien, car, de pauvres qu'ils au- ront esté, ou pour engagement de leurs biens, ou pour procès, ou bien pour voyages de guerres sont au tapis, les voilà remon- tez et aggrandis en grandes charges par le trou de leurs femmes, où ils n'y trouieut nulle diminution, mais pluslost augmentation; j for en une belle dame que j'ay ouy dire, dont elle en avoit perdu la moitié par accident, qu'on disoit que son mary luy avoit donné la vérole ou quelques cbancres qui la luy avoient mangée.

Certes les faveurs et bienfaits des grands esbranlent fort un cœur chaste, et engendrent bien des cocus.

— J'ay ouy dire et raconter d'un prince estranger (l), le- quel, ayant esté fait général de son prince souverain et maislre en une grande expédition d'un voyage de guerre qu'il luy avoit commandé, et ayant laissé en la Cour de son maislre sa femme, l'une des belles de la cbreslienté, se mit à luy faire si bien l'amour,, qu'il l'esbranla, la terrassa et l'abbaltit , si beau qu'il l'engrossa.

Le mary, tournant au bout de treize ou quatorze mois, h trouva en tel estât, bien marry et fasché contr'elle. Ne faut point demander comment ce fut à elle, qui estoit fort habile, à faire ses excuses, et à un sien beau-frère.

Enfin elles furent telles qu'elle luy dit : « Monsieur, l'événe- » ment de vostre voyage en est cause, qui a esté si mal receu ji de vostre maislre (car il n'y fit pas bien certes ses affaires), et y » en vostre absence l'on vous a tant pre,§tez_de_charitez pour » n'y avoir point fait ses besognes, que, sans que vostre sei- » gneur se mist à ra'aymer, vous estiez perdu ; et, pour ne vous » laisser perdre, je me suis perdue : il y va autant et plus de » mon honneur que du vostre; pour votre avancement, je ne » me suis espargnée la plus précieuse chose de nioy : jugez donc » si j'ay tant failly comme vous diriez bien; car, autrement, » vostre vie, voslre honneur et faveur y fust esté en bransle. » Vous estes mieux que jamais; la chose n'est si divult^uée que la N tache vous en demeure trop apparente. Sur cela, excusez-moi et » me pardonnez. »

(1) François de Lorraine, duc de Guite, lue par Poltrot. Yoy. Bem. sur le mot ^ULTÉMH, page m du Cath. d'Esp.. édit. de 1689.


DISCOURS 1. «3

Le beau-frère, qui sçavoil dire des mieux, et qui possible a'voil v part à la groisse, y en adjousla autres belles paroles et pfégnanteSj^^ si bien que tout servit, et par ainsi l'acconl fut fait, eli^'enr ensemble mieux que devant, vivants en toute fraucbise et bonne amitié; dont pourtant le prince leur niaistre, qui avoit fait la débausche et le débat, ne l'estima jamais plus (ainsi quej'ay ouy dire) comme il en avoit fait, pour en avoir tenu si peu de compte à l'endroit de sa femme et pour l'avoir beu si doux, tellement qu'il ne l'estima depuis de si grand cœur comme il l'avoit tenu auparavant, encore que, dans son ame, il estoit bien aise que la pauvre dame ne patisl point pour luy avoir fait plaisir. J'ay veu aucuns et aucunes excuser cette daioe, et trouver qu'elle avoit bien fait de se perdre pour sauver son mary et le remettre en faveur.

Oh ! qu'il y a de pareils exemples à celuy-cy, et encore à un d'une grande dame qui sauva la vie à son mary, qui avoit esté jugé à mort en pleine cour, ayant esté convaincu de grandes con- cussions et malles versations en son gouvernement et en sa charge, dont le mary l'en ayma après toute sa vie.

— J'ay ouy parler d'un grand seigneur aussi, qui, ayant esté jugé d'avoir la teste tranchée, si qu'estant déjà sur l'eschaflault sa grâce survint, que sa fille, qui estoit des plus belles, avoit obtenue, et, descendant de l'eschaffaull, il ne dit autre chose sinon: « Dieu sauve le bon c. . de ma fille, qui m'a si bien sauvé ! »

— Saint Augustin est en doute si un citoyen chrestien d'An- tioche pécha quand, pour se délivrer d'une grosse somme d'argent pour laquelle il estoit estroitemeut prisonnier, permit à sa femme

de coucher avec un gentilhomme fort riche qui lui promit de ■;: l'acquitter de sonjdejilg^ \

Si saint Augustin est de cette opinion, que peut-il donc per- mettre à plusieurs femmes, veufves et filles, qui pour rachepler leurs pères, parents et niarys voire mesmes, abandonnent leur gentil corps sur force inconvénients qui leur surviennent, comme de prison, d'esclavilude, de la vie, des assauts et prise de ville, bref une infinité d'autres, jusques à gaigner quelquesfois des capi- laines et des soldats, pour les bien faire combattre et tenir leurs partis, ou pour soutenir un long siège et reprendre une place. J'en conterois cent sujets, pour ne craindre pour eux à prostituer leur

hasteté ; et quel mal en peut-il arriver d\ escandale pour cela?

nais un grand bien.


«4 VIKS DKS DAMES GALANTES

y^ Oui dira donc le contraire, qu'il ne face bon eslre quelques fois cocu, puisque l'on en tire telles commoditez du salut de vies et de rembarquement de faveurs, grandeurs et dignitez et biens, que j'en cognois beaucoup, et en ay ouy parler de plusieurs, qui se sont bien avancés par la beauté et par le devant de leurs femmes ?

Je ne veux offenser personne ; mais j'oserois bien dire que je tiens d'aucuns et d'aucunes que les dames leur ont bien servy, et que certes les valeurs d'aucuns ne les ont tant fait valoir qu'elles.

— Je cognois une grande et habile dame, qui fit bailler l'ordre à son mary, et l'eut luy seul avec les deux plus grands princes de la ebrestienté. Elle luy disoit souvent, et devant tout le monde

■ (car elle estoit de plaisante compagnie, et rencontroit très-bien) . y- a Ha I mon amy, que tu eusses couru long-temps fauvettes avant que tu eusses eu ce diable que tu portes au col. »

— J'en ay ouy parler d'un grand du temps du roy François, lequel ayant receu l'ordre, et s'en voulant prévaloir un jour devant fea M. de la Chastaigneraye mon oncle, et luy dit : « Ha ! que vous » voudriez avoir cet ordre pendu au col aussi bien comme moy ! »

<^ Mon oncle, qui estoit prompt, haut à la main, et sçaJaliEeux s'il en fut onc, lui respondit : « J'aymerois mieux estre mort que de l'avoir » par le moyen du trou que vous l'avez eu. » L'autre ne luy dit rien, car il savoit bien à qui il avoit à faire.

— J'ay ouy conter d'un grand seigneur, à qui sa femme ayant ïoUicité et porté en sa maison la patente d'une des grandes charges du pays où il estoit, que son prince lui avoit octroyée par la faveur de sa femme, il ne la voulut accepter nullement, d'autant qu'il avoit sceu que sa femme avoit demeuré trois mois avec le prince fort favorisée, et non sans soupçons. Il nionstra bien par-là sa géné- rosité, qu'il avoit toute sa vie manifestée : toutes fois il l'accepta, après avoir fait chose que je ne veux dire.

Et voilà comme les dames ont bien fait autant ou plus de cheva- liers que les batailles, que je nommerois, les cognoissant aussi bien ^ qu'un autre ; n'estoit que je ne veux mesdire, ny faire ^scandale. ^ Et si elles leur eut donné des honneurs, elles leur donnent bien des richesses.

J'en cognois un qui estoit pauvre haire lorsqu'il amena sa femme à la Cour, qui estoit très-belle; et, en moins de deux ans, ils se remirent et devinrent fort riches.


DISCOURS 1. 6»

— Encore faut-il estimer ces dames qui eslèvent ainsi leurs marys en biens, et ne les rendent coquins et cocus tout ensemble: ainsi que l'on dit de Marguerite de Namur, laquelle fut si sotie de s'engager et de donner tout ce qu'elle pouvoit à Loiiis duc d'Orléans, luy qui estoit si grand et si puissant seigneur, et frère du Roy, et tirer de son mary tout ce qu'elle pouvoit, si bien qu'il en devint pauvre, et fut contraint de vendre sa comté de Bloys audit M. d'Orléans, lequel, pensez qu'il la luy paya de l'ar- gent et de la substance mesmes que sa sotte femme luy avoit don- née. Sotte bien estoit-elle, puisqu'elle donnoit à plus grand que soy; et pensez qu'après il se moqua et de l'une et de l'autre; car il esloit bien homme pour le faire, tant il estoit volage et peu constant en amours.

— Je cognois une grande dame, laquelle estant venue fort amoureuse d'un gentilhomme de la Cour, et luy par conséquent joiiissant d'elle, ne luy pouvant donner d'argent, d'autant que son mari luy tenoit son trésor caché comme un prestre, lui donna la plus grande partie de ses pierreries, qui montoient à plus de trente mille escus; si bien qu'à la Cour on disoit qu'il pouvoit bien baslir, puisqu'il avoit force pierres amassées et accumulées; et puis après, estant venue et escheue à elle une grande succession, et ayant mis la main sur quelques vingt mille escus, elle ne les garda guères que son gallant n'en eust sa bonne part. Et disoit on que si celle succession ne luy fust eschuë, ne sçachant que luy pouvoir plus donner, luy eust donné jusques à sa robe et che- mise ; en quoy tels escroqueurs et escornifleurs sont grandement à blasmer, d'aller ainsi allambiquer et tirer toute la substance de ces pauvres diablesses martelées et encapriciées ; car la bourse estant si souvent revisitée, ne peut demeurer toujours en son enfleure, ni en son eslre, comme la bourse de devant, qui est toujours en son mesme estât, et preste à y pescher qui veut, sans y trouver à dire les prisonniers qui y sont entrés et sortis. Ce bon gentilhomme, que je dis si bien empierré, vint quelque temps après à mourir; et toutes ses bardes, à la mode de Paris, vindrent à eslre criées et vendues à l'encan, qui furent appréciées à cela, et recognuës pour les avoir veuës à la dame par plusieurs personnes, non sans grande honte de la dame.

— Il y eut un grand prince, qui aymant une fort honneste dame, fît achepler une douzaine de boutons de diamants très- brillants, et proprement mis en œuvre avec leurs lettres égyp-

4.


66 VIES DES DAMES GALANTES.

tiennes et hiéroglyfiques, qui contenoienl leur sens caché, donl il eu fit un présent à sadite maislresse, qui, après les avoir regardées A^ fixement, lui dit qu'il n'en esloit jjiÊsliuyjjlus besoin à elle de lettres hiéroglyfiques, puisque lesescriluresesloienldes-jà accomplies en tw eux deux, ainsi qu'elles avoienl esté entre cette dame et le gentil homme de cy-dessus.

J'ai eogneu une dame qui disoit souvent à son mary qu'elle 1 rendroit plustost coquin que cocu ; mais ces deux mots tenant de l'équivoque, un peu de l'un de l'autre assemblèrent en elle et en 8on niary ces deux belles qualitez.

— J'ai bien eogneu pourlunt beaucoup et une inlinilé de dames qui n'ont pas ainsi fait: car elles ont plus tenu serré la bourse de leurs escus que de leur gentil corps : car, encor qu'elles fussent très -grandes dames , elles ne vouloient donner que quelques i)agues , quelques faveurs , et quelques autres petites gentillesses, manchons ou escharpes , pour porter pour l'aaioujr d'elles et les faire valoir.

— J'en ay eogneu une grande qui a esté fort copieuse et libérale en cela ; car la moindre de ses escharpes et faveurs qu'elle donnoit à ses serviteurs estoit de cinq cents c^cus, de mille et de trois mille, où il y avoit plus de broderies, plus de perles, plus d'enri- chissemenls, de chiffres, de lettres hiéroglyfiques et belles inven- tions, que rien au monde n'esloit plus beau. Elle avoit raison, afin que ces présents, après les avoir faits, ne fussent cachés dans des coffres ni dans des bourses, comme ceux de plusieurs autres dames,, mais qu'ils parussent devant tout le monde, et que son amy les fist valoir en les contemplanl sur sa belle commémoration, et que tels présents en argent sentoienl plustost leurs femmes communes qui donnent à leurs ru(fians, que non pas leurs grandes et honnestes dames. Quelquefois aussi elle donnoit bien quelques belles bagues de riches pierreries ; car ces faveurs et escharpes ne se portent pas communément, si-non en un beau et bon affaire; au lieu que la bague au doigt tient bien mieux et plus ordinairement compagnie à celuy qui la porte.

— Certes un gentil cavalier et de noble cœur doit estre de celte généreuse complexion, de plustost bien servir sa dame pour les Leautez qui la font reluire, que pour tout l'or et l'argent qui reluisent en elle.

I Quant à moy, je me puis vanter d'avoir servy en ma vie d'hon- nestes dames, et non des moindres ; mais si j'eusse voulu prendre


DISCOURS U 67

d'elles ce (ju'elles m'ont présealé, et en arracher ce que j'eiisseï pu, je serois riche aujourd* liuy, ou en bien, ou en argent, ou enj meubles, de plus de trente mille escws que je ne suis; mais je met suis toujours contenté de faire paroistre mes afî'eciions, plus pari ma générosité que par mon avarice.

Certainement il est bien raison que, puisque l'homme donne du sien dans la bourse du devant de la femme, que la femme de mesme donne du sien aussi dans celle de l'homme, mais il faut en cela peseï tout ; car, tout ainsi que l'homme ue peut taut jetier et donner du sien dans la bourse de la femme comme elle voudroit, il faut aussi que l'homme soit si discret de ne tirer de la bourse do la femme tant comme il voudroit, et faut que la loy en soit égaJç et mesurée en cela.

— J'ay bien vcu aussi beaucoup de gentilshommes perdre 1'» mour fhe leurs maistresses par l'importunité de leurs demandes ei avarices, et que les voyaus si grands demandeurs et si importun.' d'en vouloir avoir, s'en défaisoient gentiaient et les plantoienl là, ainsi qu'il esloit très-bien employé.

Voilà pourquoy tout noble amoureux doit plustost estre tenté de convoitise charnelle que pécuniaire; car quand la dame seroit par trop libérale de son bien, le mary, le trouvant se diminuer, en est plus marry cent fois que de dix mille libéralitez qu'elle feroit de son corps.

Or, il y a des cocus qui se font par vengeance : cela s'entend que plusieurs qui haïssent quelques seigneurs, gentilshommes ou autres, desquels en ont receu quelques desplaisirs et affronts, se vaiigent d'eux en faisant l'amour à leurs femmes, et les corrompent en les rendant gallants cocus.

— J'ai cogneu un grand prince, lequel ayant receu quelques traits de rébellion par un sien sujet grand seigneur, et ne se pou- vant vanger de luy, d'autant qu'il le fuyoit tant qu'il pouvoit, de sorte qu'il ne le pouvoit aucunement attraper ; sa femme estant un jour venue à sa Cour solliciter l'accord et les aflaires de son mary, le prince luy donna une assignation pour en conférer un jour dans un jardin et une chambre là auprès ; mais ce fut pour lui parler d'amours, desquels il jouit fort facilement sur l'heure sans grande résistance, car elle estoit de fort bonne composition : et ne se contenta de la repasser, mais à d'autres la prostitua, jusques aux valets-de-chambre ; et par ainsi disoit le prince qu'il se eentoit bien vangé de son sujet, pour luy avoir ainsi repassé


08 VIES DES DAMES GALANTES.

sa femme et couronné sa teste d'une belle couronne de cornes; pu'squ'il vouloit faire du petit roy et du souverain ; au lieu qu'il vouloit porter couronne de fleurs de lys (l), il lui en falloit bailler une belle de cornes.

Ce mesme prince en fit de mesmes par la suasion de sa mère, f;u'il jouist d'une fille et princesse; sçachant qu'elle devoit espouscr un prince qui lui avoit fait desplaisir et troublé l'Estat de son frère bien fort, la dépucella et en jouit bravement, et puis dans deux mois fut livrée audit prince pour pucelle prétendue et pour femme, dont la vengeance en fut fort douce en attendant une autre plus rude, qui vint puis après (2).

— J'ay cogneu un fort honneste gentilhomme qui , servant une belle dame et de bon lieu, lui demandant la récompense de ses ser\ices et amours, elle luy respondit franchement qu'elle ne luy en donneroit pas pour un double, d'autant qu'elle estoit très-asseu- rée qu'il ne l'aymoit tant pour cela, et ne luy portoit point tant d'af- fection pour sa beauté, comme il disoit, sinon qu'en jouissant d'elle il se vouloit vanger de son mary qui luy avoit fait quelque desplaisir, et pour ce il en vouloit avoir ce contentement dans son ame, et s'en prévaloir puis après ; mais le gentilhomme, luy asseurant du contraire, continua à la servir plus de deux ans si fidèlement et de si ardent amour, qu'elle en prit cognoissance ample et si certaine, qu'elle luy octroya ce qu'elle lui avoit tousjours refusé, l'asseurant que si du commencement de leurs amours elle n'eust eu opinion de quelque vengeance projettée en luy par ce moyen, elle l'eust rendu aussi bien content comme elle fit à la fin ; car son naturel estoit de l'aymer et favoriser. Voyez comme cette dame se sceut sagement commander, que l'amour ne la transporta point à faire ce qu'elle desiroit le plus, sans qu'elle vouloit qu'on l'aymast pour ses mérites et non pour le seul sujet de vindicte.

— Feu M. de Gua, un des parfaits et gallants gentilshommes du monde en tout, me convia à la Cour un jour d'aller disner avaC luy; il avoit assemblé un? douzaine des plus sçavants de la Cour, entre autres M. l'esvesque de Dole, de la maison d'Espinay en Bre- tagne, MM. de Ronsard, de Baïf, Dosportes, d'Aubigny (ces deux sont encore en vie, qui m'en pourroient démentir), et d'autres


]1) Cela pourroil liieo regarder H^nri de lorraine, duc de Guise, tue à Bloi». (2) Ceci pourroil encore mieux regarder Marguerile de Taloii^ le roi de Navarre, le duc d'An, ou et la Saint-Barthclemy.


LISLOLRS 1. pj

desquels ne me souviens, et n'y avoit homme d'espée que M. de Gua et moy. En devisant durant le disner de l'amour et des com- moditez et incommoditez, plaisirs et desplaisirs, du bien et du mal qu'il apportoit en sa joiiissance, après que chacun eut dit son opinion et de l'un et de l'autre, il conclud que le souverain bien de celle jouissance gisoit en cette vengeance, et pria un chacun de tous ces grands personnages d'en faire un quatrain irt^- promplu; ce qu'ils tirent. Je les voudrois avoir pour les insérer icy, sur lesquels M. de Dol, qui disoit et escrivoit d'or, emporta Je prix.

El certes, M. de Gua avoit occasion de tenir celle proposition contre deux grands seigneurs que je sçay, leur faisant porter les cornes pour la haine qu'ils luy portoient; car leurs femmes es- toient très-belles : mais en cela il en tiroit double plaisir, la ven- geance et le contentement. J'ay cogneu force gens qui se soni revangez et délectez en cela, et si ont eu cette opinion.

— J'ay cogneu aussi de belles et honnestes dames, disant el affirmant que quand leurs niarys les avoient maltraitées et rudoyée.' et tansées ou censurées, ou battues ou fait autres mauvais tours ei outrages, leur plus grande délectation estoit de les faire (homards, et en les faisant songer à eux, les brocarder, se moquer et rire d'eux avec leurs amis, jusques-là de dire qu'elles en enlroieni davantage en appétit et certain ramsement de plaisir qui ne se pouvoit dire.

— J'ay ouy parler d'une belle et honneste femme, à laquelle es- tant demandé une fois si elle avoit jamais fait son mary cocu, elle respondit: « Et pourquoy l'aurois-je fait, puisqu'il ne m'a jamais » battue ny menacée? » Comme voulant dire que, s'il eust fait l'un des deux, son champion de devant en eust tost fait la vengeance.

— El quant à la mocquerie, j'ay cogneu une fort belle el hon- neste dame, laquelle estant en ces doux altères de plaisirs, e a en ces doux bains de délices et d'aise avec son amy, il lui advi ni qu'ayant un pendant d'oreille d'une corne d'abondance qui n'est oit que de verre noir, comme on les portoit alors, il vint, par force de se remuer et entrelasser et foUastrer, à se rompre. Elle dit à son amy soudain: « Voyez comme nature est très-bien prévoyante; car

» pour une corne (;ue j'ai rompue, j'en fais icy une douzaine li d'autres à mon pauvre cornard de mary, pour s'en parer un jour » d'une bonne feste, s'il veut. » Une autre ayant laisiié son mary couché et endormy dans h lict^


70 VIES DliS DAMES GALANTES.

Tint voir son amy avant se coucher; et ainsi qu'il luy eut dsrnandè ou estoil son mary, elle luy respondit : « Il garde le licl et le nid » du cocu, de peur qu'un autre n'y vienne pondre; mais ce n'est i> pas à son lict, ny à ses linceuls, ny à son nid que vous en voulez, » c'est à moy qui vous suis venue voir, et l'ay laissé là en senti- » nelle, encore qu'il soit bien endormy. »

— A propos de sentinelle, J'ay ouy faire un conte d'un gentil- liomme de valeur, que j'ai cogneu, lequel un jour venant en ques- tion avec une fort honneste dame que j'ay aussi cogiieue, il luy demanda, par manière d'injure, si elle avoit jamais fait de voyage à Sainl-Mathurin (l). « Ouy, dit-elle ; mais je ne pus jamais en- j» trer dans l'église, car elle estoit si pleine et si bien gardée ■ de cocus, qu'ils ne m'y laissèrent jamais entrer : et vous qui » estiés des principaux, vous estiez au clocher pour feùre la senti- » nelle et advertir les autres. »

J'en conterois mille autres risées, mais je n'aurois jamais fait : {/ si e^père-je d'en dire pourtant en quelqwe coin de ce livre.

-~ Il y a des cocus qui sont débonnaires, qui d'eux-mesBies ae convient à celle fesle de cocuage; comme j'en ai cogneu aucuns ^ui disoient à leurs femmes : « Un tel est amoureux de vous, je le

cognois bien, il nous vienf souvent visiter, mais c'est pour l'a- » mour de vous, mamie. Faites-luy bonne chère; il nous peut faire » beaucoup de plaisir; son accoinlauce nous peut beaucoup servir.»

D'autres disent à aucuns : « Bla femme est amoureuse de vous, X elle vous ayme; venez la voir, vous lui ferez plaisir; vous cau- 9 serez et deviserez ensemble, et passerez le temps, a Ainsi con- Tient-ils les gens à leurs dcspens.

Comme ût l'empereur Adrian, lequel estant un jour en Angle- terre (ce_dUjaj^) menant la guerre, eut plusieurs advis comme sa femme, l'injpcratrice Sabine, faisoit l'amour, à toutes restes à Rome, avec force gallants gentilshommes romains. De cas de for- lune, elle ayant escrit une lettre de Rome en hors à un gen til- homme romain qui esloit avec l'empereur en Angleterre, se corn- plaignant qu'il l'avoil oubliée et qu'il ne faisoit plus corapU d'elle, e» qu'il n'estoit pas possible qu'il n'eusl quelques amourettes par de-là, et que quelque mignone affettée ne l'eus» espris dans les iacs de sa beauté ; celle lettre d'avanture tomba entre les mai ns


(t) C'est-à-dire, hit folie de son corps, comme on parle, parre ^u'oo vi ec pè- fwinage à l'ëglNe de ce «aiat pour iire gucti de la folie.


DISCOURS I. 71

d'Adriaii, et comme ce gentilhomme, quelques jours après, de- m.in.'îa cotiyé à l'Iiir.pereur sous couleur de vouloir aller jusques k Rome prnm[ilemenl pour les aflairt-s de sa maison, Adrjan luy dit eu se jouani : « EU bien, jeune homme, allez -y hardiment, car l'impéralrice ma femme vous y ailend en bonne dévoiion. » Qaoj voyant le Ilomain, et que l'Empereur avoit descouvert le secret et luy en pourroil fort mauvais tour, sans dire adieu ny gare, partit la nuit après cl s'enfuit en Irlande.

Il ne devoit pas avoir graml peur pour cela, comme l'Empereur luy-mesmedisoit souvent, estant abreuvé à toute heure des amours desbordés de sa femme : «Certainement si je n'eslois empereur, je » me serois bienlost défait de ma femme , mais je ne veux mons> » trer mauvais exemple. » Comme voulant dire que n'importe aux grands qu'ils soient-là logés, aussi qu'ils ne se divulguent. Quelle sentence pourtant pour les grands I laquelle aucuns d'eux ont pra- tiquée, mais non pour ces raisons. Voilà comme ce bon empereur assisloit joliment à se faire cocu.

— Le bon Marc Aurele, ayant sa femme Faustine une bona«  vesse, et luy estant conseillé de la chasser, il respondit : « Si nous » la quittons, il faut aussi quitter son douaire, qui est l'empire; et M qui ne voudroit estre cocu de mesme pour un tel morceau, voifô ■ moindre ? »

Son fils Aniouinus Vcrus, dit Commodus, encore qu'il devint fort cruel, en dit do niesme à ceux qui luy conseilloient de faire mou- rir ladite Faustine sa mère, qui fut tant amoureuse et chaude aprèf un gladiateur, qu'on ne la put jamais guérir de ce chaud mal, jus- ques à ce qu'on s'advisast de faire mourir ce maraut gladiateur et luy faire boire son sang.

— Force marys ont fait et font de mesme que ce bon Mare Aurele, qui craignent de faire mourir leurs femmes putains, de peur d en perdre les grands biens qui en procèdent, et ayment mieux estre riches cocus à si bon marché qu'estre coquins.

— Mon Dieu ! que j'ay cogneu plusieurs cocus qui ne cessoient jamsisde convier leurs parents, leurs amys, leurs compagnons, de venir voir leurs femmes, jusques à leur faire festins pour mieux les y attirer; et y estant, les laisser seuls avec elles dans leurs chambres, I3urs cabinets, et puis s'en aller et leur dÎM : « Je vous laisse ma » femme en garde. »

— J'en ay cogneu un de par le monde, que vous eussiés dit que toute sa félicité et contentement gisoit à estre cocu, et «"es-


îl VIES DES DAMES GALANTES.

tudioil d'en trouver les occasions , et surtout n'oublioit ce premiei mot : « Ma femme esl amoureuse de vous ; l'aymez-vous autant B qu'elle vous aime? » Et quand il vojoit sa l'emnie avec son servi- teur, bien souvent il emmenoil la compagnie hors de la chambre pour s'aller j)ourmener, les laissant tous deux ensemble, leur donnant beau loisir de traitler leurs amours ; et si par cas il avoil à faire à tourner prestement en la chambre, dès le bas du degré il crioit haut, il deaiandoit quelqu'un, il crachoitou il toussoit, afin qu'il ne trouvast les amants sur le fait; car volontiers, encore qu'on le sçache et qu'on s'eu doute, ces vues et surprises ne sont guières agréables ny aux uns ny aux autres.

Aussi ce seigneur faisant un jour bastir un beau logis, et le maistre masson luy ayant demandé s'il ne le vouloit pas illustrer de corniches, il respondit : « Je ne sçay que c'est que corniches ; de- u mandez-le à ma femme, qui le sçait et qui sçait l'art de géomé- » trie ; et ce qu'elle dira faites-le. »

— Bien fit pis un que je sçay, qui, vendant un jour une de ses terres à un autre pour cinquante mille escus, il en prit qua- rante-cinq mille en or et argent, et pour les cinq restants il prit une corne de licorne ; grande risée pour ceux qui le sceurenl. « Comme, » disoient-ils, s'il n'avoit assez de cornes chez soy sans y adjous- » ter celle-là. »

— J'ay cogneu un très-grand seigneur, brave et vaillant, lequel vint à dire à un honneste gentilhomme qui estoit fort son serviteur, en riant pourtant : « Monsieur un tel, je ne sçay ce que vous avez » fait à ma (emme, mais elle esl si amoureuse de vous que jour et » nuicl elle ne me fait que parler de vous, et sans cesse me dit vos » louanges. Pour toute rosponse je luy dis que je vous connois plus- » tost qu'elle, et sçay vos valeurs et vos mérites, qui sont giands. » Qui fut estonné, ce fut ce gentilhomme, car il ne venoil que de mener celte dame sous le bras à vespres, où la Reyne alloit. Toutes- lois le gentilhomme s'asseura tout d'un coup et luy dit : « Monsieur. » je suis très-humble serviteur de madame voslre femme, et fort » redevable de la bonne opinion qu'elle a de moi, et l'honore « beaucoup ; mais je ne luy fais pas l'amour (disoit-il en bouffon- w nant), mais je luy fais bien la cour par vostre bon advisque vous u me donnastes dernièrement; d'autant (ju'elle peut beaucoup à » l'endroit de ma maistresse, que je puis espouser par son moyea, D et par ainsi j'espère qu'elle m'y seia aidante. »

Ce prince n'en fit plis autre semblant, si-non que de rire et


DISCOURS I. 73

admonester le gentilhomme de courtiser sa femme plus que jamais, ce qu'il fit, estant lien-aise sous ce prétexte de servir une si belle dsinc de prince, laquelle luy faisoit bien oublier son autre maistresse qu'il vouloil espoiiser, et ne s'en soucier guières, si-non que ce masque bouchoit et déguisoit tout.

Si ne put-il faire tant qu'il n'entrast un jour en jalousie, que voyant ce gentilhomme dans la chambre de la Reyne porter au bras un ruban incarnadin d'Espagne, qu'on avoil apporté par belle nouveauté à la Cour, et l'ayant tasté et manié en causant avec luy, alla trouver sa femme, qui estoit près du lict de la Keyne, qui en avoit un tout pareil, lequel il mania et toucha tout Je inesme, et trouva qu'il estoit tout semblable et de la mesme pièce que l'autre : si n'en sonna-il pourtant jamais mot, et n'en fut autre chose. Et de telles amours il en faut couvrir si bien les feux par telles cendres de discrétion et de bons advis, qu'elles ne se puissent descouvrir ; car bien souvent l'escandale ainsi des- couvert dépite plus les marys contre leurs femmes, que quand le tout se fait à cachettes, pratiquant en cela le proverbe : Si non caste, tamen caute (i).

— Que j'ay veu en mon temps de grands escandales et de grands inconvénients pour les indiscrétions et des dames et de leurs ser\iteurs ! Que leurs marys s'en soucioient aussi peu que rien, mais qu'ils fissent bien leurs faits, sotto coperte (2), comme on dist, et ne fust point divulgué.

— J'en ay cogneu une qui tout à trac faisoit paroistre ses amours et ses faveurs, qu'elle déparloit comme si elle n'eust eu de mary et ne fust esté sous aucune puissance, n'en voulant rien croire l'advis de ses serviteurs et amys, qui lui en remonstroienl les inconvénients : aussi bien mal luy en a-l-il pris.

Cette dame n'a jamais fait ce que plusieurs autres dames ont fait.' c?r elles ont gentiment traitté l'amour, et se sont données du bon temps sans en avoir donné grand connoissance au monde, sinon par quehjues soupçons légers, qui n'eussent jamais pu iionrirerla vérité aux plus clairvoyants ; car elles accostoienl leurs serviteurs devant le monde si dextrement, et les entrelenoient si cscortement (3) que ny leurs marys ny les espions de leur vie n'v

(1) C'esi-à-dire, sinon chastemeot, du moins Cucment, |!i) C'esi-a-dii(>, :ious les couvertes, ou en cacUette. (3) Accouemtbt.


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74 VIES DES DAMES (iALANTES.

eussent sceu que mordre ; et quand ils alloient en quelque voyage, ou qu'ils vinssent à mourir, elles couvroient et cacboient leurs couleurs si sagement qu'on n'y connoissoit rien.

— J'ay cogneu une dame belle et honneste, laquelle, le jour qu'un grand seigneur son serviteur mourut, elle parut en la chambre de la Reyne avec un visage aussi guay et riant que le jour paravant. D'aucuns l'en eslimoient de cette discrétion, et qu'elle le faisoit de peur de desplaire et irriter le Roy, qui n'ayraclt jas le trespassé. D'aucuns la blasmoient, attribuant ce geste plustost à manquement d'amour, comme l'on disoit qu'elle n'en estoit guières bien garnie, ainsi que sont toutes celles qui se meslent de cette vie.

— J'ay cogneu deux belles et honnestes dames, lesquelles, ayant perdu leurs serviteurs en une fortune de guerre, firent de tels regrets et lamentations, et monstrèrent leur dueil par leurs habits bruns, plus d'eau-benistiers, d'aspergez d'or engravez, plus de testes de morts, et de toutes sortes de trophées de la mort en leurs affiquets, joyaux et bracelets qu'elles porloient, qui les escanda- lisèrent fort, et cela leur nuict grandement ; mais leurs marys ne s'en soucioient autrement.

Voilà en quoy ces dames se transportent en la publication de leurs amours, lesquelles pourtant on doit louer et priser en leurs constances, mais non eu leur discrétion ; car pour cela il leur en fait très-mal. Et si telles dames sont blasraables en cela, il y a beaucoup de leurs serviteurs qui en méritent bien la réprimande aussi bien qu'elles; car ils contrefont des transis comme une chèvre qui est en gesine, et des langoureux ; ils jettent leurs yeux sur elles et les envoyent en ambassade; ils font des gestes pas- sionnés, des souspirs devant le monde ; ils se parent des couleurs de leurs dames si apparemment ; bref, ils se laissent aller à tant de 50lles indiscrétions , que les aveugles s'en appercevroient : les uns aussi bien pour le faux que pour le vray, ahn de donner à entendre à toute une Cour qu'ils sont amoureux en bon lieu, et qu'ils ont bonne fortune ; et Dieu sçait, possible, on ne leur en donneroit pas l'aumosne pour un liard, quand bien on en devroit perdre les oeuvres de charité.

— Je cognois un gentilhomme et seigneur, lequel, voulant abrever le monde qu'il estoit venu amoureux d'une belle et hon- nésïTdame que je sçay, fit un jour tenir son petit mulet avec deux de ses pages et laquais au devant sa porte. Par cas, AL do


DISCOURS I U

Slrozze et moy passasnies par-là et visines ce mystère de ce mulet, ces pages et laquais. Il leur demaiuLi soudain où esloil leur maistre; ils ûrent response qu'il esloit dans le logis de celte dame . à quoy M. de Stroz.ze se mit à rire et me dii« que sur sa vie il gaigeroit qu'il n'y estoit point, et soudain posa son page en seali- iielle pour voir si ce faux amant sortiroit; et de-là nous en allasmes soudain en la chambre de la Reyne, où nous le trouvasmes, et non sans rire luy et moy : et sur le soir nous le vinsmes accos- ler y et en feignant de luy faire la guerre, nous luy demandasnies où il estoit à telle heure après-midy, et qu'il ne s'en sçauroit laver, car nous y avions veu le mulet et ses pages devant la porte de celte dame. Luy, faisant la mine d'eslre fasclié que nous avions veu cela, et de quoy nous luy en faisions la guerre de faire l'amour en ce bon lieu, il nous confessa vrayment qu'il y esloit; mais il nous pria de n'en sonner mot, autrement que nous le mettrions en peine, et celte pauvre dame qui en seroit escandalisée et mal venue de sou mary, ce que nous luy proniismes riants tousjours à pleine gorge et nous n)ocquaBt de luy, eucor qu'il fust assez grand seigneur et qualifié, de n'en parler jamais et que cela ne sorliroil de noslre bouche. Si est-ce qu'au bout de quelques jours qu'il conlinuoit ses coups faux avec son mulet trop souvent, nous luy descouvrismes la fourbe et luy en fismes la guerre à bon escient et en bonne com- pagnie, dont de honte s'en deàista ; car la dame le sceut par noslre moyen, qui fit guetter un jour le mulet et les pages, les faisant chasser de devant sa porte comme gueux de Tiiosliere : et si lismes bien mieux, car nous le dismes à sou mary, et luy en fismes îj le conte si plaisamment, qu'il le trouva si bon qu'il en rit luy- ' mesmes à son aise, et dist qu'il n'avoil pas peur que cet homme le fist jamais cocu ; et que s'il ne trouvoit ledit mulet et ses pages bien logés à la porte, qu'il la leur feroit ouvrir et entrer dedans, pour les mettre mieux à couvert et à leur aise, et se gai'der du «'.haud ou du froid, ou de la pluye. D'autres pourtant le faisoienl bien cocu. Et voilà comme ce bon seigneur, aux despens de celte honneste dame, de laquelle en estant devenu amoureux, se vouloit prévaloir sans avoir respect d'aucun escaiidale.

— J'ay cogneu un gentilhomme qui escandalisa par ses façons de faire une fort belle et honneste dame, de laquelle en estant devenu amoureux quelque temps, et la pressant d'en obtenir ce bon petit morceau gardé pour la bouche du mary, elle, luy refusa tout à plat, et après plusieurs refus, il luy dit comme desespéré :


76 VIES DES DAMES GALANTES.

« Hé bien I vous ne le voulez pas, et je vous jure que je vous » ruinerai d'honneur. » Et pour ce faire s'advisa de faire tanl d'allées et venues à cacbettes, mais pourtant non si secrettes qu'il ne se niontrast à plusieurs yeux exprès, et donnast moyen de s'en appercevoir de nuict et de jour, à la maison où elle se lenoit ; braver et se vanter sous main de ses bonnes fausses fortunes, et devant le monde rechercher la dame avec plus de privaulez qu'il n'a voit occasion de le faire, et parmy ses compagnons faire du gallant plus pour le faux que pour le vray ; si bien qu'estant venu un soir fort tard en la chambre de cette dame tout bouse hé de son manteau, et se cachant de ceux de la maison, après avoii joué plusieurs de ces tours, fut soubçonné par le maislre d'hoslel de la maison, qui fit faire le guet : et, ne l'ayant pu trouver, le mary pourtant battit sa femme et luy donna quelques soufflets, mais poussé après du maistre d'hostel, qui luy dit que ce n'esioit assez, la tua et la dagua, et en eut du Roy fort aisément sa grâce. Ce fut yrand dommage de cette dame, car elle estoit très-belle. Depuis, ce gentilhomme qui en avoit esté cause ne le porta g'uières

j loin, et fut tué en une rencontre de guerre par permission de Dieu,

' pour avoir si injustement osté l'honneur et la vie à celte honneste

I dame.

Pour dire la vérité sur cet exemple et sur une infinité d'autres que j'a*- veus, il y a aucunes dames qui ont grand tort d'elles- mesmes, et qui sont les vrayes causes de leurs escaudales et des- honneur ; car elles-mesmes vont attaquer les escarmouches, ei attirent les gallants à elles, et du commencement leur font les plu^-- belles caresses du monde, des privautez, des faiiiiliaritez, leur donnent par leurs doux attraits et belles paroles des espérances ; mais quand il faut venir à ce point, elles le desnienl tout à plat. De sorte que les honnesles hommes qui s'esloient proposez force choses plaisantes de leur corps, se désespèrent et se despitent en prenant un congé rude d'elles, les vont deshonorant et les publient pour les plus grandes vesses du monde, et en content cent fois

,plus qu'il n'y en a.

Donc voilà pourquoy il ne faut jamais qu'une honneste dame se mesle d'attirer à soy un gallant gentilliommme, et se laisse servir à luy, si elle ne le contenté à la fin selon ses mérites et ses services.

Il faut qu'elle se propose cela si elle ne veut estre perdue, mesme s» elle a affaire à un honneste et gallant homme; aiitrement,


DISCOURS I. 77

dès le commencement, s'il la vient accoster, et qu'elle voye que ce soit pour ce point tant désiré à qui il adresse ses vœux, et qu'elle n'aye point envie de luy eu donner, il faut qu'elle luy donne son congé dès l'entrée du logis ; car, pour en parler franchement, toutes dames qui se laissent aymer et servir s'obligent tellement, qu'elles ne se peuvent dédire du combat ; il faut qu'elles y viennent tostou tard, quoy qu'il tarde.

Mais il y a des dames qui se plaisent à se faire servir pour rien, sinon pour leurs beaux yeux, et disent qu'elles désirent estre servies, que c'est leur félicité, mais non de venir là, et disent qu'elles prennent plaisir à désirer, et non à exécuter. J'en ay veu aucunes qui me l'ont dit : toutesfois il ne faut pourtant qu'elles le prennent là, car si une fois elles se mettent à désirer, sans point de doute il faut qu'elles viennent à l'exécution ; car ainsi la loy d'amour le veut, et que toute dame qui désire, ou souhaite, ou songe de vouloir désirer à soy un homme, cela est fait: si l'homme le connoist et qu'il poursuive fermement celle qu'il atta- que, il en aura ou pied ou aile, ou plume ou poil, comme on dit.

— Voilà donc comme les pauvres marys se font cocus par telles opinions de dames qui veulent désirer et non pas exécuter, mais, sans y penser, elles se vont brusler à la chandelle, ou bien au feu qu'elles ont basty d'elles-mesmes, ainsi que Ibnt ces pauvres sim- plettes bergères, lesquelles, pour se chauffer parmy les champs en gardant leurs moiitons et brebis, allument un petit feu, sans son- ger à aucun mal ou inconvénient; mais elles ne se doanent de garde que ce petit feu s'en vient quelquesfois à allumer un si grand, qu'il brusle tout un pays de landes et de taillis.

Il faudroil que telles dames prissent l'exemple, pour les faire sages, de la comtesse d'Escaldasor, demeurant à Pavie, à laquelle M. de Lescu, qui depuis^ fut appelé le mareschal de Foix, estu- diant à Pavie (et pour lors le nommoil-on le proteuolaire de Foix, d'autant qu'il estoit dédié à l'Église; mais depuis il quitta la robbe longue pour prendre les armes) , faisant l'amour à cette belle dame, d'autant que pour lors elle emportoit le prix de la beauté sur les belles de Lombardie, et s'en voyant pressée, et ne le voulant rude- ment mécontenter, ny donner son congé, car il estoit proche pa- rent de ce grand Gaston de Foix, M. de Nemours, sous le grand renom duquel alors toute l'Italie trembloit; et un jour d'une grande magnificence et de feste, qui se faisoit à Pavie, où toutes les grandes dames, et mesmes les oli's belles de la ville et d'alentour, se trou-


T8 VIES DES DAMES GALANTES.

vèrent ensemble, les honnestes gentilshommes ne manquèrent pas aussi de s'y trouver,

Cette comtesse parut belle entre toutes les autres, pompeuse- ment habillée d'une robbe de satin bleu céleste, toute couverte et semée, autant pleine que vuide, de flambeaux et papillons volle- tans à l'entour et s'y bruslans, le tout en broderie d'or et d'argent, ainsi que de tout temps les bons brodeurs de Milan ont sceu bien faire par-dessus les autres; si bien qu'elle emporta l'estime d'eslre le mieux en point de toute la troupe et compagnie.

M. le protenotaire de Foix, la menant danser, fut curieux de luy demander la signitication des devises de sa robbe, se dou- tant bien qu'il y avoit lii-dessous quelque sens caché qui ne luy plaisoit pas. Elle luy respondit- « Monsieur, j'ay fait faire ma » robbe de la façon que les gens d'armes et cavaliers font à ■v' » leurs chevaux rioteux et vitieus, qui ruent et qui tirent du » pied; ils leur mettent sur leur crouppe une grosse sonnette d'ar- ». gent, afin que, par ce signal, leurs compagnons, quand ils sont » en compagnie et en foule, soient advertis de se donner garde » de ce meschant cheval qui rue, de peur qu'il ne les frappe. » Pareillement, par les papillons voUetans et se bruslans dans » ces flambeaux, j'advertis les honnestes hommes qui me font ce » bien de m'aymer et admirer ma beauté, de n'en approcher trop » près, ny en désirer davantage autre chose que la veuë ; car » ils n'y gagneront rien, non plus que les papillons, sinon désirer » et brusler, et n'en avoir rien plus. » Cette histoire est escritte dans les Devises de Paolo Jovio. Par ainsi, cette dame advertis- soit son serviteur de prendre garde à soy de bonne tieure. Je ne sçay s'il en approcha de plus près, ou comme il en fit ; mais pourtant, luy, ayant été blessé à mort à la bataille de Pavie, et pris prisonnier, il pria d'estre porté chez cette comtesse, à son logis dans Pavie, où il fut très-bien receu et traitté d'elle. Au bo ut de trois jours, il y mourut, avec le grand regret de la dame, ai nsi que j'ay ouy conter à M. de Monluc, une fois que nous es tiens dans la tranchée à La Rochelle, de nuict, qu'il estoit en ses causeries, et que je luy fis le conte de cette devise, qui m'as- seura avoir veu cette comtesse très-belle, et qui aymoit fort ledit mareschal, et fut bien honnorablement trailté d'elle : du reste, il n'en sçavoit rien si d'autrefois ils avoient passé plus outre Cet exemple devroit suffire pour plusieurs et aucunes dames qut j'ay allégué.


DISCOURS. I. T9

— Or, y a des cocus qui sont si bons, qu'ils font prescher et admonester leurs femmes, par gens de bien et religieux, sur leur conversion et corrections; lesquelles, par larmes feintes et pa«  rôles dissimulées, font de grands vœux, promettants monts et merveilles de repentance, et de n'y retourner jamais plus ; mais leur serment ne dure guieres, car les vœux et les larmes de telles dames valent autant que jurements et reniements d'amoureux Comme j'en ay veu et cogneu une dame à laquelle un grand prince, son souverain, tit cette escorne d'introduire et apposter un cordelier d'aller trouver son mary qui estoit en une province pour son service, comme de soy-mesme et venant de la Cour, l'ad- vertir des amours folles de sa femme et du mauvais bruit qui couroit du tort qu'elle luy faisoit ; et que, pour son devoir de son estât et vacation, il l'en advertissoit de bonne heure, afin qu'il mist ordre à cette ame pécheresse. Le mary fut bien esbahy d'une telle ambassade et doux office de charité : il n'en fit autre semblant pourtant, si- non de l'en remercier et luy donner espérauce d'y pourvoir; mais il n'en traitta point sa femme plus mal à son retour: car qu'y eust-il gaigné? Quand une femme une fois s'est mise à ce train, elle ne s'en détraque non plus qu'un cheval de poste qui a accoustumé si fort le gallop, qu'il ne le sçauroit chan- ger en un autre train d'aller.

Hé ! combien s'est-il veu d'honnestes dames qui, ayant été sur- prises sur ce fait, tancées, battues, persuadées et remonstrées, tant par force que par douceur, de n'y tourner jamais plus, elles promènent, jurent et protestent de se faire cliastes, que puis après pratiquent ce proverbe, Passato ilpericolo, gabatto il santo (l), et retournent plus que jamais en l'amoureuse guerre. Voire qu'il s'en est veu plusieurs d'elles, se sentant dans l'ame quelque vei rongeant, qui d'elles-mesmes faisoient des vœux bien saints et fort solennels, mais ne les gardoient guières, et se repentoient d'estre repenties, ainsi que dit M. du Bellay des courtisannes repenties (2); it telles femmes affirment qu'il est bien mal-aisé de se défaire


(t) C'est-à-ilire : Le péril passé , l'on se moque eu saiot.

('2) Joacbiin «lu Bellay, dans sa Contre-Repentte , i. 444, A. de s«t OBuvrei,

Mère d'amour, suivant mes premiers voeux, Dessous tes loix reniellrc je me veux , Donl je voudrois n'cslre j:imnis sortie; Et me reperis de m'c>lie rrneulia.


80 ViES DES DAMES GALANTES.

pour tout jamais d'une si douce habitude et coustume, puisqu'ellet sont bi peu en leur courte demeure qu'elles font en ce monde.

Je m'en rapporterois volontiers à aucunes belles filles, jeunea, repenties, fui se sont voilées et recluses, si on leur demandoit el en foy et en conscience ce qu'elles en respondroient, et comme elles desireroient bien souvent leurs hautes murailles abbaltues pour s'en sortir aussi-tost.

Voilà pourquoy ne faut point que les raarys pensent autrement réduire leurs femmes après qu'elles ont fait la première fausi-e

■pointe de leur honneur, si-non de leur lascher la bride, et leur recommander seulement la discrétion et tout guariment d'escan- dale ; car on a beau porter tous les remèdes d'amour qu'Ovide a y;^ jamais aopris, et une infinité qui se sont encore inventez su blins^ ny mesnies les authentiques de maistre François Rabelais , qu il apprit au vénérable Panurge, n'y serviront jamais rien; ou bien, pour le meilleur, pratiquer un refrain d'une vieille chanson qui

t fut faite du temps de François I, qui dit : « Qui voudroit garder

I » qu'une femme n'aille du tout à l'abandon, il la faudroit fermer

1 » dans une pippe, et en joiiir par le bondon. »

— Du temps du roy Henry, il y eut un certain quincailleur qui apporta une douzaine de certains engins à la foire de Sainct Ger- main pour brider le cas des femmes (l), qui estoient faits de fer et ceinturoient comme une ceinture, et venoient à prendre par le bas et se fermer à clef; si subtilement faits, qu'il n'estoit pas possible que la femme, en estant bridée une fois, s'en peust jamais préva- loir pour ce doux plaisir, n'ayant que quelques petits trous menus pour servir à pisser.

On dit qu'il y eut quelque cinq ou six marys jaloux fascheux qui en acheptèrent et en bridèrent leurs femmes de telle façon qu'elles purent bien dire : « Adieu bon temps. » Si y en eut-il une qui s'advisa de s'accoster d'un serrurier fort subtil en son art, à qui ayant monstre ledit engin, et le sieu et tout, son mary estant allé dehors aux champs, il y appliqua si bien son esprit qu'il luy forgea une fausse clef, que la dame le fermoit et ouvroit à toute heure et quand elle vouloit. Le mary n'y trouva jamais rien à dire : et se donna son saoul de ce bon plaisir, en dépit du fat jaloux, cocu de mary , pensant vivre toujours en franchise de cocuage. Mais ce meschant serrurier, qui fit la fausse clef, gasta tout; et si

(1) Ces sortes de odenas étoient déjà en usage à Venise.


DlSCOUHS I. g|

fit mieux , à ce qu'où dit, car ce Tut le premier qui en tasla et le fit cornard ; aussi n'y avoil-il danger , car Vénus , qui fut la plus belle femme et putain du monde, avoit Vulcain, serrurier et forgeron , pour mary , lequel esloit un fort vilain , salle , boiteux et très- laid.

On dit bien plus, qu'il y eut beaucoup de gallants bonnestes gentihonimes de la Cour qui menacèrent de telle façon le quin- quaillier, que, s'il se mesloit jamais de porter telles ravauderies, qu'on le tueroit, et qu'il n'y relournast plus et jeltast tous les autres qui esloient restez dans le retrait, ce qu'il fit; et depuis onc n'en fut parlé, dont il fut bien sage, car c'esloit assez pour faire perdre la moitié du monde, à faute de ne le peupler, par tels bridements, serrures et fermoirs de nature, abominables et détes- tables ennemis de la multiplication humaine.

— Il y en a qui baillent leurs femmes à garder à des eunuques, que l'empereur Alexandre Severus rejetta fort, avec rude com- mandement de ne pratiquer jamais les dames romaines ; mais ils y ont esté attrapés , non qu'ils engendrassent et les femmes conceussent d'eux , mais en recevoient quelques sentiments et superficies de plaisirs légers, quasi approchants du grand parfait : dont aucuns ne s'en soucient point, disants que leur principal marisson de l'adultère de leurs femmes ne procédoit pas de ce ^ qu'elles s'en faisoient donner, mais qu'il leur faschoit grandement de nourrir et élever et tenir pour «infanls ceux qu'ils n'avoient pas faits. Car sans cela ce fust esté le moindre de leurs soucis, ainsi que j'en ay cogneu aucuns et plusi^rs, lesquels , quand ils trouvoienl bons et faciles ceux qui les av^ent faits à leurs femmes, à donner un bon revenu, à les entretenir, ne s'en donnoient aucunement soucy, ainsi qu'ils conseillent à leurs femmes de leu r demander, et les prier de donner quelque pension pour nourri i et entretenir le petit qu'elles ont eu d'eux. Comme j'ay ouy conter d'une grande dame, laquelle eut Villecouvin , enfant du roi François I : elle le pria de lui donner ou assigner quelque peu de bien, avant qu'il mourust, pour l'enfant qu'il luy avoit fait ; ce qu'il fit, et luy assigna deux cents mille escus en banque, qui luy profitèrent et coururent toujours d'intérêts et de change en change : en sorte qu'estant venu grand, il despensoit si magni- fiquement et paroissoit en si belle despense et en jeux à la Cour, qu'un chacun s'en estonnoit, et présumoit-on qu'il joùissoit de quelque dame qu'on n'eusse point pensé, et ne croyoit-on sa mère

5.


82 VIES DKS DAMES GALANTES.

nullement; mais d'autant qu'il ne bougeoit d'avec elle, un chacun jugeoit que la grande despense qu'il faisoit procédoit de la jouis- sance d'elle, et pourtant c'estoit le contraire, car elle estoit sa mère, et peu de gens le sçavoienl, encore qu'on ne sceut bien si lignée ni procréation, si ce n'est qu'il vint à mourir à Constanti- y^nople, et son Jinfeei^, comme bastard, fut donnée au maresclial >^^de Retz, qui estoit fin et syblin à descouvrir tel pot aux roses, mesmes pour son profit, qu'il eust pris sur la glace, et vérifia la bastardise qui avoit esté si long-temps cachée, et emporta le don d'aubene pardessus M. de Teligny, qui avoit esté constitué héritier dudit Villecouvin.

D'autres disoient pourtant que cette dame avoit eu cet enfant d'autres que du Roy, et qu'elle l'avoit ainsi enrichy du sien propre; mais M. de Retz esplucha et clierclia tant parmy les banques, qu'il y trouva l'argent et les obligations du roy François. Les uns disoient pourtant d'un autre prince non si grand que le Roy, ou d'un autre moindre; mais, pour couvrir et caclier tout, et nourrir l'enfant, il n'estoit pas mauvais de supposer tout à la Majesté, comme cela se voit en d'autres.

Je croy qu'il y a plusieurs femmes parmy le monde, et mesmes en France, que si elles pensoient produire des enfants à tel prix, que les roys et les grands mouteroient aisément sur leurs ventres. Mais bien souvent ils y montent et n'en ont de grandes lippées; dont en ce elles sont bien trompées, car à tels grands volontiers ne s'adonnenl-elles, sinon pour avoir le galardon (l), comme dit l'Espagnol. """

Il y a une fort belle question sur ces enfants putatifs et incertains,

à sçavoir s'ils doivent succéder aux biens paternels et maternels,

et que c'est un grand péché aux femmes de les y faire succéder;

dont aucuns docteurs ont dit que la femme le doit révéler au mary,

et en dire la vérité. Ainsi le réfère le docteur subtil. Mais celte

. opinion n'est pas bonne, disent autres, parce que la femme se

diffameroit soy-mesme en le révélant, et pour autant elle n'y est

Wi 'HiCJU tenue ; car la bonne renommée est un plus grand bien que les

. Kl biens temporels, dit Salomon.

{-- , ,' Il vaut donc mieux que les biens soient occupez par l'enfant, que la bonne renommée se perde; car, comme dit un ancien pro- verbe, mieux vaut bonne renommée que ceinture dorée.

(1] Gutrdtm, gaiardon, qut dar donne , premio , nemnperMa , dit le Franttoiini,


DISCOURS I. 83

De là les lliéologiens tirent une maxime qui dit que quand deux préceptes et commandements nous obligent, le moindre doit céder au plus grand ; or est-il que le commandement de garder sa bonne renommée est plus grand que celui qui concède de rendie le bien d'autruy ; il faut donc qu'il soit préféré à celuj-là.

De plus, si la femme révèle cela à son mary, elle se met ea dan- ger d'estre tuée du mary mesme, ce qui est fort delTendu de so pourchasser la mort, non pas mesmes est permis à une femme de se tuer de peur d'estre violée ou après l'avoir esté; autrement elle péclieroit mortellement : si-bien qu'il vaut mieux permettre d'estre violée, si on n'y peut, en criant ou fuyant, remédier, que de se tuer soy-mesme; car le violement du corps n'est point péché, si- non du consentement de l'esprit. C'est la réponse que fit sainte Luce au tyran qui la menaçoit de la faire mener au bourdeau. » Si vous me faites, dit-elle, forcer, ma chasteté recevra double » couronne. »

Pour cette raison, Lucrèce est taxée d'aucuns. Il est vray que sainte Sabine et sainte Sophonienne, avec d'autres pucelles chres- tiennes, lesquelles se sont privées de vie afin de ne tomber en- tre les mains des barbares, sont excusées de nos pères et docteurs, disant qu'elles ont fait cela pour certain mouvement du Saint- Esprit.

Par lequel Saint-Esprit, après la prise de Cypre, une damoi- selle cypriotte nouvellement chrestienne, se voyant emmener es- clave avec plusieurs autres pareilles dames, pour estre la proye des Turcs, mit le feu secrètement dans les poudres de la gallere, si-bien qu'en un moment tout fut embrazé et consumé avec elle, disant : « A Dieu ne plaise que nos corps soient poilus et cogneus par ces » vilains Turcs et Sarrasins! » Et Dieu sçait, possible, qu'il avoit esté desja poilu , et en voulut ainsi faire la pénitence ; si ce n'est que son maistre ne l'avoit voulu toucher, afin d'en tirer plus d'ar- gent la vendant vierge, comme l'on est friand de taster en ces pays, voire en tous autres, un morceau intact.

Or, pour retourner encor à la garde noble de ces pauvres fera - mes, comme j'ay dit, les eunuques ne laissent à commettre adu 1 1ère avec elles, et faire leurs marys cocus, réservé la procréali OQ à part.

— J'ay cogneu deux femmes en France qui se niirent à aymer deux chastrez genlilhommes, afin de n'engroisser point; et pourtant en avoient plaisir, et si ne se scandalisoient. Mais il y a eu des marjs


84 VIES DES DAMl'S tiALAMhS.

si jaloux en Turquie et en Barbarie, lesquels s'eslanls apperceus de celte fraude, ils se sont advisez de faire chastrer tout k trac leurs pauvres esclaves, et leur couper tout net, dont, à ce qui di- sent et escrivent ceux qui ont pratiqué la Turquie, il n'en rescbappe deux de douze ausquels ils exercent cette cruauté, qu'ils ne meu- rent; et ceux qui en eschappent, ils les ayment et adorent comme rrays, seurs et chastes gardiens de la chasteté de leurs femmes et garantisseurs de leur honneur.

Nous autres Chrestiens n'usons point de ces vilaines rigueurs et par trop horribles ; mais au lieu de ces chastrez, nous leur donnons des vieillards sexagénaires, comme l'on fait en Espagne et mesmes à la Cour des Reynes de-là, lesquels j'ay veu gardiens des filles de leur cour et de leur suite : et Dieu sçait, il y a des vieillards cent fois plus dangereux à perdre filles et femmes que les jeunes, et cent fois plus inventifs, plus chaleureux et industrieux à les gai- gner et corrompre.

Je croy que telles gardes, pour estre chenues et à la teste et au menton, ne sont pas plus seures que les jeunes, et les vieilles femmes non plus; ainsi comme une vieille gouvernante espagnole conduisant ses filles et passant par une grande salle et voyant des membres naturels peints à l'advantage, et fort gros et desmesurez, contre la muraille, se prit à dire : Mira que tan bravos no los pintan eslos hombres, como qiiien no los cognosciesse. Et ses filles se tournèrent vers elles, et y prindrent avis, fors une que j'ay cogneu, qui, contrefaisant de la simple, demanda à une de ses compagnes quels oiseaux estoient ceux-là; car il y en avoit aucuns peints avec des aites. Elle luy respondit que c' estoient oi- seaux de Barbarie, plus beaux en leur naturel qu'en peinture; el Dieu sçait si elle n'en avoit point veu jamais ; mais il falloit qu'elle en fist la mine.

Beaucoup de marys se trompent bien souvent en ces gardes ; car il leur semble que, pourveu que leurs femmes soient entre les mains des vieilles, que les unes et les aulres-appellent leurs mères pour litre d'honneur, qu'elles sont très-bien gardées sur le devant, et de belles il n'y en a point de plus aisées à suborner et gaignei qu'elles; car de leur nature, estant avaricieuses comme elles sont, en prennent de toutes mains pour vendre leurs prisonnières.

D'autres ne peuvent veiller tousjours ces jeunes femmes, qui soni lousiours en bonne cervelle, et mesmes quand elles sont en amours, que la pluspart du temps elles dorment en un coin de che-


DISCOURS I. • 85

minée, qu'en leur présence les cocus se forgent sans qu'elles y prennent garde ny n'en sçaclient rien.

— J'ai cogneu une dame qui le fil une fois devant s» gouver- nante si subtilement, qu'elle ne s'en apperçeut jamais.

Une autre en fit de mesme devant son mary quasy visiblement, ainsi qu'il jouoit à la prime.

D'autres vieilles ont mauvaises jambes, qui ne peuvent pas suivre au grand trot leurs dames, qu'avant qu'elles arrivent au bout d'une allée, ou d'un bois, ou d'un cabinet, leurs dames ont dérobé leur coup en robbe, sans qu'elles s'en soient apperceues, n'ayant rien veu, débiles de jambes et basses de la veuë.

D'autres vieilles et gouvernantes y a-t-il qui, ayant pratiqué le mestier, ont pitié de voir jeusner les jeunes, et leur sont si débon- naires, que d'elles-mesnies elles leur en ouvrent le chemin, et les en persuadent de l'en suivre, et leur assistent de leur pouvoir.

Aussi l'Aretin disoit que le plus grand plaisir d'une dame qui a passé par-là, et tout son plus grand contentement, est d'y faire passer une autre de mesme.

Voilà pourquoy quand on se veut bien aider d'un bon ministre pour l'amour, on prend et s'adresse-t-on plustost à une vieille maquerelle qu'à une jeune femme. Aussi tiens-je d'un fort gallant homme qu'il ne prenoit nul plaisir, et le défendoit à sa femme expressément, de ne hanter jamais compagnies de vieilles, pour estre trop dangereuses, mais ayec de jeunes tant qu'elle voudroit; et en alléguoit beaucoup de bonnes raisons que je laisse aux mieux f discourans discourir. '

Et c'est pourquoy un seigneur de par le monde, que je sçay, confia sa femme, de laquelle il estoit jaloux, à une sienne cousine, fille pourtant, pour lui servir de surveillante ; ce qu'elle fit très- bien, encor que de son costé elle retinst moitié du naturel du chien de l'ortoUan, d'autant qu'il ne mange jamais des choux du jardin de son maistre, et si n'en veut laisser manger aux autres ; mais celle-cy en mangeoit, et n'en vouloit point faire manger à sa cousine : si est-ce que l'autre pourtant lui desroboit tousjours quelque coup en cotte, dont elle ne s'en appercevoit, quelque fine qu'elle fust, ou feignoit de s'en appercevoir.

— J'alléguerois une infinité de remèdes dont usent les pauvres jaloux cocus, pour brider, serrer , gesner, et tenir de court leur? femmes qu'elles ne fassent le saul; mais ils ont beau pratiquer tous ces vieux moyens qu'ils ont ouy dire, et d'en excogiter


86 VIES DES DAMES GALANTES.

de nouveaux, car ils y perdent leur escrime : car quand une fois les femmes ont mis ce ver-coquin amoureux dans leurs testes, les envoyent à toute heure chez Guillot le Songeur (ij, ainsi que j'espère d'en discourir en un chapitre, que j'ay à demi fait , des ruses et astuces des femmes sur ce point , que je confère avec les stratagesmes et astuces militaires des hommes de guerre (2). Et le plus beau remède, seure et douce garde, que le mary jaloux peut donner à sa femme, c'est de la laisser aller en son plein pouvoir, ainsi que j'ay ouy dire à un gallant homme marié, estant le naturel de la femme que, tant plus on luy défend une chose, tant plus elle désire le faire, et surtout en amours, où l'appétit s'eschaufife plus en le detTendant qu'au laisser courre,

— Voicy une autre sorte de cocus, dont pourtant il y a question, à sçavoir mon, si l'on à joui d'une femme à plein plaisir durant la vie de son mary cocu, et que le mary vienne à décéder, et que ce serviteur vienne après à espouser cette femme veufve, si, l'ayant espousée en secondes nopces, il doit porter le nom et litre de cocu, ainsi que j'ay cogneu et ouy parler de plusieurs, et de grands.

Il y en a qui disent qu'il ne peut estre cocu, puisque c'est luy- mesme qui en a fait la faction, et qu'il n'y aye aucun qui l'aye fait cocu que lui-mesme, et que ses cornes sont faites de soy-mesme. Toutes fois, il y a bien des armuriers qui font des espées des- quelles ils sont tuez où s'entretuent eux-mesmes.

Il y en a d'autres qui disent l'estre réellement cocu, et de fait, en herbe pourtant • ils en allèguent force raisons; mais, d'autant que 'le procès en est indécis, je le laisse à vuider à la première audience qu'on voudra donner pour cette cause.

Si diray-je encore cettuy-cy d'une bien grande, mariée encore, laquelle s'est compromise encore en mariage à celuy qui l'entrelienl encore, il y a quatorze ans, et depuis ce temps a toujours attendu et souliaitté que son mary mourust. Au diable s'il a jamais pu mourir encore à son souhait ; si bien qu'elle pouvoit bien dire : « Maudit soit le mary et le compagnon, qui a plus vescu que je » ne voulois I » De maladies et indispositions de son corps il en a eu prou, mais de mort point.

(1) On a appelé Giiillot le Son^^pur tout homme toDgeard , du chevallor luilUn le Pensif, l'un des personnages de YAmadis.

(2) On n'a poiut ce discoun oti chipili^


DISCOURS I. 87

Si bien que le roy Henry troisième, ayant donné la survivance de Testât beau et grand qu'avoit ledict mary cocu, à un fort hon- neste et brave genlilliomme, disoit souvent : « Il y a deux per- » sonnes en ma Cour auxquelles moult larde qu'un tel ne meure » bientost : à Tune pour avoir son estât, et à l'autre pour espouser w son amoureux : mais l'un et l'autre ont esté trompez jusques » icy. »

Voilà comme Dieu est sage et provident de n'envoyer point ce que l'on souhaitte de mauvais : toutesfois l'on m'a dit que depuis peu sont en mauvais ménage, et ont bruslé leur pro- messe de mariage de futur, et rompu le contrat, par grand dépit de la femme et joye du marié prétendu, d'autant qu'il se vouloii pourvoir ailleurs et ne vouloit plus tant attendre la mort de l'autre mary, qui, se mocquant des gens, donnoit assez souvent des allarmes qu'il s'en alloit mourir; mais enfin il a surveseu le mary prétendu.

Punition de Dieu, certes ; car il ne s'ouyt jamais guères parler d'un mariage ainsi fait; qui est un grand cas, et énorme, de faire Cl accorder un second mariage, estant le premier encor en son entier.

J'aymerois autant d'une, qui est grande, mais non tant que l'autre que je viens de dire, laquelle, estant pourchassée d'un gentilhomme par mariage, elleTespousa, non pour l'amour qu'elle luvportoit, mais parce qu'elle le voyoit maladif, atténué et allanguy , et mal disposé or- dinairement, et que les médecins lui disoient qu'il ne vivroit pas un an, et mesme après avoir cogneu cette belle femme par plusieurs fois dans son lict : et, pour ce, elle en esperoit bientost la mprt, et s'accommoderoit tost après sa mort de ses biens et moyens, beaux meubles et grands advantages qu'il luy donnoit par mariage : car il estoit très-riclie et bien-aisé gentilhomme. Elle fut bien trom- pée ; car il vit encore, gaillard, et mieux disposé cent fois qu'avant qu'il l'espousast ; depuis elle est morte. On dict que ledict gentil- S homme contrefaisoit ainsi du maladif et inarmiteux, afin que ^ connoissant cette femme très-avare, elle fust émue à l' espouser «M)us espérance d'avoir tels grands biens : mais Dieu là-dessus disposa tout au contraire, et fit brouster la chèvre là où eUe estoit attachée en despit d'elle. |

Que dirons-nous d'aucuns qui espousent des putains et courti- sannes qui ont esté très-fameuses , comme l'on fait assez coustu- mièrement en France mais surtout en «Espagne et en Italie . les-


88 VIES DES DAMES GALANTES.

quels se persuadent de gaigner les œuvres de miséricorde , por librar una anima christiana del infierno (l), comme ils disent, en la sainte voye.

Certainement, j'ai veu aucuns tenir cette opinion et maxime, qufl s'ils les espousoient pour ce saint et bon sujet, ils ne doivent tenir rang de cocus ; car ce qui se fait pour l'honneur de Dieu ne doit pas estre converty en opprobre : moyennant aussi que leurs fem- mes, estant remises en la bonne voye, ne s'en ostent et retournent à l'autre ; comme j'en ay veu aucunes en ces deux pays, qui ne se reudoient plus pécheresses après estre mariées, d'autres qui s'en pouvoient corriger, mais retournoient broncher dans la première fosse.

— La première fois que je fus en Italie, je devins amoureux d'une fort belle courtisanne à Rome, qui s'appeloit Faustine ; et d'autant que je n'avois pas grand argent, et qu'elle estoit en trop haut prix de dix ou douze escus pour nuict, fallut que je me conten- tasse de la parole et du regard. Au bout de quelque temps, j'y re- tourne pour la seconde fois, et mieux garny d'argent: je l'alloy voir en son logis par le moyen d'une seconde, et la trouvoy mariée avec un homme de justice, en son mesme logis, qui me recueillit de bon amour, et me contant la bonne fortune de son mariage, et me rejetant bien loin ses folies du temps passé, auxquelles elle avoit dit adieu pour jamais. Je luy monstroy de beaux escus fran- çois, mourant pour l'amour d'elle plus que jamais. Elle en fut tentée et m'accorda ce que voulus, me disant qu'en mariage faisant elle avoit arresté et concerté avec son mary sa liberté en- tière, mais sans escandale pourtant ny déguisement, moyennant une grande somme, afm que tous deux se pussent entretenir en grandeur, et qu'elle estoit pour les grandes sommes, et s'y laissoii aller volontiers, mais non point pour les petites. Celuy-là estoit bien cocu en herbe et gerbe.

— J'ai ouy parler d'une dame de parmy le monde qui, en mw- "iC^riageJaisant, voulut et arresta que son mary la laissast à la Cour

pour faire l'amour, se reservant l'usage de sa forest de Mort-Bois ou Bois-Mort, comme luy plairoit; aussi, en récompense, elle lui donnoit tous les mois mille francs pour ses menus plaisirs, et ne se soucioit d'autre chose qu'à se donner du bon temps. Par ainsi, telles femmes qui ont esté libres, volontiers ne sepeu-

(l] C'est-à-dire ; pour délivrer une dmc chrcUeDoe de l'end^r.


DISCOURS I. 89

vent garder qu'elles ne rompent les serrures estroites de leurs por- tes, quelque contrainte qu'il y ait, mesme où l'or sonne et reluit : tosmoin celte belle tille du roy Acrise, qui, toute reserrée et ren- lërmée dans sa grosse tour, se laissa à un doux aller à ces belles gouttes d'or de Jupiter.

Ha! que mal-aisément se peut garder, disoit un gallant homme, une femme qui est belle, ambitieuse, avare, convoiteuse d'eslre brave, bien habillée, bien diaprée, et bien en point, qu'elle ne donne non du nez, mais du cul en terre, quoy qu'elle porte son cas armé, comme l'on dit, et que son mary soit brave, vaillant, et qui porte bonne espée pour le défendre.

J'en ay tant cogneu de ces braves et vaillants, qui ont passé par-là ; dont certes estoit grand dommage de voir ces honnestes et vaillants hommes en venir-là, et qu'après tant de belles victoires gagnées par eux, tant de remarquables conquestes sur leurs enne- mis, et beaux combats demeslez par leur valeur, qu'il faille que, parmy les belles feuilles et fleurs de leurs chapeaux triomphants qu'ils portent sur la teste, l'on y trouve des cornes entremeslées, qui les déshonorent du tout : lesquels néantmoins s'amusent plus à leurs belles ambitions par leurs beaux combats, honorables char- ges, vaillances et exploicts, qu'à surveiller leurs femmes et esclairer leur antre obscur; et, par ainsi, arrivent, sans y penser, à la cité et conqueste de Cornuaille, dont c'est grand dommage pourtant; comme j'en ay bien cogneu un brave et vaillant qui porloit le titre d'un fort grand, lequel un jour se plaisant à raconter ses vaillances et conquestes, il y eut un fort honneste gentilhomme et grand, son allié et famillier, qui dit à un autre : « Il nous raconte ici ses » conquestes, dont je m'en estonne; car le cas de sa femme est plus » grand que toutes celles qu'il a jamais fait, ny ne fera oricques. »

— J'en ay bien cogneu plusieurs autres, lesquels, quelque belle grâce, majesté et apparence qu'ils pussent monstrer , si avoient-ils pourtant celte encolure de cocu qui les elTaçoit du tout; car, telle encolure et encloueure ne se peut cacher et feindre ; quelque bon e mine et bon geste qu'on veuille faire, elle se connoist et s'aperçoit à clair; et, quant à moy, je n'en ay jamais veu en ma vie auc n de ceux-là qui n'en eust ses marques, gestes, postures, et enco u- res, et encloueures, fors seulement un que j'ay cogneu, que le plus clair- voyant n'y eust sceu rien voir ny mordre, sans connoistre sa femme, lant il avoit bonne grâce, belle façon et apparence honno- rable et grave


90 VIES DES DAMES GALANTES.

Je prierois volontiers les dames qui ont de ces marys si parfaits, qu'elles ne leur fissent de tels tours et affronts : mais elles me pour- ront dire aussi : « Et où sont-ils ces parfait, comme vous dites qu'es- » toit celuy-là que vous venez, d'alléguer ? »

Certes, Mesdames, vous avez raison, car tous ne peuvent estre des Scipions et des Césars, et ne s'en trouve plus. Je suis d'advis doncques que vous ensuiviez en cela vos fantaisies ; car, puisque nous parlons des Césars, les plus gallants y ont bien passé, et les plus vertueux et parfaits, comme j'ay dit, et comme nons lisons de cet accomply emperepr Trajan, les perfections duquel ne purent engarder sa femme Plotine qu'elle s'abandonnast du tout au bon plaisir d'Adrian, qui fut empereur après, de laquelle il tira de grandes ccmmoditez, profits et grandeurs, tellement qu'elle fut cause de son advancement; aussi n'en fut-il ingrat estant parvenu à sa grandeur, car il l'ayma et honnora toujours si bien, qu'elle es- tant morte, il en démena si grand deuil et en conceut une telle tristesse, qu'enfin il en perdit pour un temps le boire et le manger, et fut contraint de séjourner en la Gaule Narbonnoise, où il sceut ces tristes nouvelles trois ou quatre mois après, pendant lesquels il escrivit au sénat de colloquer Plotine au nombre des déesses, et commanda qu'en ses obsèques on lui offrist des sacrifices très-ri- ches et très-somptueux ; et cependant il employa le temps à faire bastir et édifier, à son honneur et mémoire, un très-beau temple près Nemause, dilte maintenant Nismes, orné de très-beaux et ri- ches marbres et porfires, avec autres joyaux.

— Voilà donc comment, en matière d'amours et de ses con- tentements, il ne faut aviser à rien : aussi Cupidon leur dieu est aveugle ; comme il paroist en aucunes, lesquelles ont des marys des plus beaux, des plus honnestes et des plus accomplis qu'on sçau- roit voir, et néantmoins se mettent à en aymer n'aulres si laids et si salles, qu'il n'est possible de plus.

J'en ay veu force desquelles on faisoit une question : Qui est la dame la plus putain, ou celle qui a un fort beau et honneste mary, et fait un amy laid, maussade et fort dissemblable à son mary; on celle qui a un laid et fascheux mary, et fait un bel amy bien avenant, et ne laisse pourtant à bien aymer et caresser son mary, comme si c'estoit la beauté des hommes, ainsi que j'ay veu faire à beaucoup de femmes?

Cerlainement la commune voix veut que celle qui a un beau mary et le lai?se pour aymer un amy laid , est bien une grande


DISCOURS I. »l

putain, ny plus ny moins qu'une personne est bien gourmande qui laisse une bonne viande pour en manger une meschante ; aussi cette femme quittant une beauté pour aymer une laideur, il y a bien de l'apparence qu'elle le fait pour la seule paillardise, d'au- tant qu'il n'y a rien plus paillard ni plus propre pour satisfaire à la paillardise, qu'un homme laid, sentant mieux son bouc puant, ord et lascif que son homme ; et volontiers, les beaux et honnes- tes hommes sont un peu plus délicats et moins habiles à rassasier une luxure excessive et effirénée, qu'un grand et gros ribaul barbu, ruraud et satyre.

D'autres disent que la femme qui ayme un bel amy et un laid mary, et les caresse tous les deux, est bien autant putain, pour ce qu'elle ne veut rien perdre de son ordinaire et pension.

Telles femmes ressemblent à ceux qui vont par pays, et mesmes en France, qui, estant arrivés le soir à la souppée du logis, n'ou- blient jamais de demander à l'hoste la mesure du mallier, et faut qu'il l'aye, quand il seroit saoul à plein jusqu'à la gorge.

Ces femmes de mesmes veulent toujours avoir à leur coucher, quoy qu'il soit, la mesure de leur mallier, comme j'en ay cogneu une qui avoit un mary très-bon embourreur de bas; encores la veu- lent-elles croistre et redoubler en quelque façon que ce soit, vou- lant que l'amy soit pour le jour qui esclaire sa beauté, et d'autant plus en fait venir l'envie à la dame, et s'en donne plus de plaisir et contentement par l'ayde de la belle lueur du jour ; et monsieur laid pour la nuict, car, comme on dit que tous chats sont gris de nuict, et pourveu que cette dame rassasie ses appétits, elle ne songe point si son homme de mary est laid ou beau.

Car, comme je tiens de plusieurs, quand on est en ces extases de plaisir, l'homme ny la femme ne songent point à autre sujet ny imagination, si-non à celuy qu'ils traittent pour l'heure présente : encore que je tienne de bon lieu que plusieurs dames ont fait ac- croire à leurs amys que quand elles estoient-là avec leurs marys, elles addonnoient leurs pensées à leurs amys, et ne songeoient à leurs marys, afin d'y prendre plus de plaisir; et à des marys, ay-je ouy dire ainsi qu'estant avec leurs femmes songeoient à leurs mais- tresses, pour cette mesme occasion : mais ce sont abus.

Les philosophes naturels m'ont dit qu'il n'y a que le seul objet présent qui les domine alors, et nullement l'absent, et en allé- guoient force raisons ; mais je ne suis assez bon philosophe ny sça- ▼ant pour les déduire, ei aussi qu'il y en a d'aucunes salles. J« 


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92 VIES DES DAMES GALANTES.

veux observer la vérécondie, comme on dit. Mais pour parier de ces élections d'amours laid:es, j'en ay veu force en ma vie, dont je m'en suis estonné cent fois.

— Retournant une fois d'un voyage de quelque province estran- gere, que ne nommeray point de peur qu'on connoisse le sujet du- quel je veux parler, et discourant avec une grande dame de par le monde, parlant d'une autre grande dame et princesse que j'avois veue-là, elle me demanda comment elle faisoit l'amour. Je lui oommoy le personnage lequel elle tenoit pour son favory, qui n'es- toit ny beau ni de bonne grâce, et de fort basse qualité. Elle me fit response : « Vrayment elle se fait fort grand tort, et à l'amour » un très-mauvais tour, puis qu'elle est si belle et si honneste » comme on la tient. »

Celte dame avoit raison de me tenir ces propos, puis qu'elle n'y contrarioit point, et ne les dissimuloit par effet; car elle avoit un honneste amy et bien favory d'elle. Et quand tout est bien dit, une dame ne se fera jamais de reproche quand elle voudra aymer et faire eleclion d'un bel object, ny de tort au mary non plus, quand ce ne seroit autre raison que pour l'amour de leur lignée ; d'autant qu'il y a des marys qui sont si laids, si fats, si sots, si badauts, de si mauvaise grâce , si polirons, si covons et de si peu de valeur, que leurs femmes venans à avoir des enfants d'eux, et les ressemblans , autant vaudroit n'en avoir point du tout, ainsy quej'ay cogneu plusieurs dames, lesquelles ayant eu des enfants de tels marys, ils ont esté tous tels que leurs pères ; mais en ayant emprunté aucuns de leurs amys, ont surpassé leurs pères, frères et sœurs en toutes choses.

' — Aucuns aussi des philosophes qui ont traitté de ce sujet ont tenu toujours que les enfants ainsi empruntez ou derobbez, ou faits à cachettes et à l'improviste, sont bien plus gallants et tiennent bien plus de la façon gentille dont on use à les faire prestement et habillement, que non pas ceux qui se font dans un lict lourdement, fadement, pesamment, à loisir, et quasi à demy endormis, ne son- geans qu'à ce plaisir en forme brulalle.

Aussi ay-je ouy dire à ceux qui ont charge des barras des roys et grands seigneurs, qu'ils ont veu souvent sortir de meilleurs chevaux derobbez par leurs mères, que d'autres faits par la cu- riosité des maistres du haras et estallons donnez et apposiez : ainsi est-il des personnes. ,

Combien en ay-je veu de dames avoir produit des plus beaux el


DlSCOUaS I. 93

honnesles et braves enfants I Que si leurs pères putatifs les eussent faits, ils fussent esté vrays veaux et vrayes bestes.

Voilà pourquoy les femmes sont bien advisées de s'ayder et ac- commoder de beaux et bous eslallons , pour faire de bonnes races Mais aussi en ay-je bien veu qui avoienl de beaux marys, qui s'ai- doient de quelques amys laids et vilains eslallons, qui procréoyent de bideuses et mauvaises lignées.

Voilà une des signalées commoditez et incommodités de co- cuage.

— J'ay cogneu une dame de par le monde, qui avoit un mary fort laid et fort impertinent ; mais, de quatre filles et deux garçons qu'elle eut, il n'y eut que deux qui valussent, estants venus et faits de son amy ; et les autres venus de son çhalant de mary (je dirois i volontiers chat-huant, car il tn avoit la mine) , furent fort maus- sades.

Les dames en cela y doivent estre bien advisées et habiles, car coustumièreuient les enfants ressemblent à leurs pères, et touchent fort à leur honneur quand ils ne leur resseniblent. Ainsi que j'ay veu par expérience beaucoup de dames avoir cette curiosité de faire dire et accroire à tout le monde que leurs enfants ressemblent du tout à leur père et non à elles, encor qu'ils n'en tiennent rien ; car c'est le plus grand plaisir qu'on leur sçauroit faire, d'dutant qu'il y a apparence qu'elles ne l'ont emprunté d'autruy, encore qu'il soit le contraire.

— Je me suis trouvé une fois en une grande compagnie de Cour où l'on advisoit le pourtrait de deux filles d'une très-grande reyne. Chacun se mit à dire son àdvis à qui elles ressembloieut, i, de sorte cjue tous et toutes dirent qu'elles tenoient du_tout de la •" mère ; mais nîoy, qui estois très-humble serviteur de làlnère, je c .i pris l'affirmative, et dis qu'elles tenoieiU j u Jout du pè re, et que si ' l'on eusl cogneu et veu le père comme moy, l'on me condescend roit. ~^"^" Sur quoy la sœur de cette mère m'en remercia et m'en sçeut très- bon gré, et bien fort, d'autant qu'il y avoit aucunes personnes qui

le disoient à dessein, pour ce qu'on la soupçonuoit de faire l'amour, et qu'il y avoit quelque poussière dans sa fleute, comme l'on dit ; et par ainsi mon opinion sur celle ressemblance du père rabilla V ^out. Donc sur ce point, qui aymera quelque dame et qu'onTêrra enfants de son sang et de ses- os, qu'il dit tousjours qu'ils tiennent du père du loui, Liiin que non.

Il est \Tay qu'en disant qu'ils ont de la mère un peu il n'y aura


94 VIES DES DAMES GALANTES.

pas de mal, ainsi que dit un gentilhomme de la Cour, mon grand ainy, parlant en compagnie de deux gentilsliommes frères assez fa- voris du roy (t), à qui ils ressenibloieni, au père ou à la mère ; i! respondit que celui qui esloit froid ressembloit au père, et l'autre qui estoit chaud ressembloit a la mère ; par ce brocard le donnani bon à la mère, qui estoit chaudasse ; et de fait ces deux enfants participoient de cer deux humeurs froide et chaude.

— Il y a une autre sorte de cocus qui se forme par le desdain qu'ils portent à leurs femmes, ainsi que j'en ay cogneu plusieurs qui, ayant de très-belles et honnesies femmes, n'en faisoient cas, les mesprisoient et desdaignoient, celles qui estoient habilles et pleines de courage, et de bonne maison, se sentants ainsi desdai- gnées, se revangeoient h leur en Isire de niesme : et soudain après bel amour, et de là à l'effet; car, comme dit le refrain italien et na- politain, amor non si vince con altro che con sdegno (2).

Car ainsi une femme belle, honneste, et qui se sent telle et se plaise, voyant que son mary la desdaigne, quand elle luy porteroit le plus grand amour marital du monde, mesme quand on la pres- cheroit et proposeroit les commandements de la loy pour l'aymer, si elle a le moindre cœur du monde, elle le plante là tout à plat et fait un amy ailleurs pour la secourir en ses petites nécessitez, et élit son contentement.

— J'ay cogneu deux dames de la Cour, toutes deux belles-sœurs ; l'une avoit espousé un mary favory, courtisan et fort habille, et qui pourtant ne faisoit cas de sa fenmie comme il devoit, veu le lieu d'où elle estoit, et parloit à elle devant le monde comme à une sauvage, et la rudoyoit fort. Elle, patiente, l'endura pour quelque temps, jusques à ce que son mary vint un peu défavorisé ; elle, es» piant et prenant l'occasion au poil et à propos, la luy ayant gardée bonne, luy reudit aussitost le desdaiu passé qu'il luy avoit donné, en le faisant gentil cocu : comme fit aussi sa belle-sœur, prenant exemple à elle, qui ayant esté mariée fort jeune et en tendre ag e, son mary n'en faisant cas comme d'une petite fillaude, ne l'aymoiî comme il devoit; maiselle, se venant advancersur l'âge, et à sentir son cœur en reconnoissant sa beauté, le paya de mesme nionnoye, et luy fit un présent de belles cornes pour l'intérest du passé.

— D'autres-fois ay-je cogneu un grand seigneur, qui, ayant pri.';


|1) A qlii OD dcmaDcloiC

[% C'est-à-dire : l'amour ne se lurmonte que par le dédaiD.


DISCOURS 1. »&

deux courlisannes, dont il y en avoit une more, pour ses plus gran- des délices et aniyes, ne faisant cas de sa femme, encore qu'elle le recherchast avec tous les honneurs, aniitiez et révérances conjuga- les qu'elle pou voit ; mais il ne la pouvoit jamais voir de bon œil ny embrasser de bon cœur, et de cent nuicls il ne luy en déparloit pas deux. Qu'eusl-elle fait la pauvrette là-dessus, après tant d'in- dignitez, si-non de faire ce qu'elle fit, de choisir un autre lict vac- cant, et s'accoupler avec une autre moitié, et prendre ce qu'elle en vouloit ?

Au moins si ce mary eust fait comme un autre que je sçay, qui estoit de telle humeur, qui, pressé de sa femme, qui estoit très- belle, et prenant plaisir ailleurs, lui dit franchement : « Prenez vos » contentements ailleurs, je vous en donne congé. Faites de voslre » costé ce que vous voudrez faire avec un autre : je vous laisse » en vostre liberté ; et ne vous donnez peine de mes amours, et » laissez-moy faire ce qu'il me plaira. Je n'empescheray point vos » aises et plaisirs : aussi ne m'empeschez les miens. » Ainsi, cha- cun quitte de-là, tous deux mirent la plume au vent ; l'un alla à dextre et l'autre à seneslre, sans se soucier l'un de l'autre; et /\ voilà bonne vie.

J'aymerois autant quelque vieillard impotent, maladif, goûteux, que j'ay cogneu, qui dist à sa femme, qui estoit très-belle, et ne la pouvant contenter conmie elle le desiroit, un jour : a Je sçay bien, » m'amie, que mon impuissance n'est bastante pour voslre gail- - » lard âge. Pour ce, je vous puis être beaucoup odieux, et qu'il » u'est possible que vous nie puissiez être alfeclionnée femme, » comme si je vous faisois les olfices ordinaires d'un mary fort et » robuste. Biais j'ai advisé de vous permettre et de vous donner » totale liberté de faire l'amour, et d'emprunter quelque autre qui » vous puisse mieux contenter que moy. Mais, surtout, que vous » eu élisiés un qui soit discret, modeste, et qui ne vous escandalise » point, et moy et tout, et qu'il vous puisse faire une couple de » beaux enfants, lesquels j'aymeray et tiendray comme les miens u propres ; tellement que tout le monde pourra croire qu'ils sont w vrays et légitimes enfants, veu que encore j'ay en moy quelques i> forces assez vigoureuses, et les apparences de mou corps sufÛsau- » tes pour faire paroir qu'il sont miens. »

Je vous laisse a~pèhser si cette belle jeune femme fut aise d'avoir cette agréable, jolie petite remontrance, et licence d«  jouir de cette plaLsante liberté, qu'elle pratiqua si bien, qu'eu


96 VIES DES DAMES GALANTES.

un fien elle peupla la maison de deux ou trois beaux petits ea- fants, où le mary, parce qu'il la louchoit quelquefois et couchoil avec elle, y pensoit avoir part, et le croyoit, et le monde et tout ; et, par ainsi, le mary et la femme furent très-contents, et eurent belle famille.

— Voici une autre sorte de cocus qui se fait par une plaisante opinion qu'ont aucunes femmes, c'est à sçavoir qu'il n'y a rien plus beau ny plus licite, ny plus recommandable que la charité, disant qu'elle ne s'estend pas seulement à donner aux pauvres qui ont besoin d'estre secourus et assistez des biens et moyens des riches, mais aussi d'ayder à esteindre le feu aux pauvres amants langou- reux que l'on voit brusler d'un feu d'amour ardent : « Car, disent- » elles, quelle chose peut-il eslre plus charitable, que de rendre » la vie à un que l'on voit se mourir, et raffraichir du tout celui » que l'on voit se brusler? » Ainsi, comme dit ce brave palladin, le seigneur de Montauban, souslenant la belle Geneviève dans l'A- riosle, que celle justement doit mourir qui osle la vie à son servi- teur, et non celle qui la luy donne. S'il disoit cela d'une fille, à plus forte raison telles cbaritez sont plus recommandées à l'en- droit des femmes que des filles, d'autant qu'elles n'ont point leurs bourses déliées ny ouvertes encor comme les 'femmes, qui les ont, au moins aucunes, très-amples et propres peur en eslargir leiurs charitez.

Sur-quoy je me souviens d'un «xmte d'une fort belle dame de la Cour, laquelle pour un jour de Chandelleur s'estant habillée d'une robe de damas blanc, et avec toute la suille de blanc, si bien que ce jour rien ne parut de plus beau et de plus blanc, son serviteur ayant gaigné une sienne compagne qui esloit belle dame aussi, mais un peu plus aagée et mieux parlante, et pro- pre à intercéder pour luy; ainsi que tous trois regardoient un fort beau tableau où esloit peinte une Charité toute en candeur et voile blanc , icelle dit à sa compagne : « Vous portez aujour- » d'huy le mesme habit de celte Charité ; mais, puisque la re- » présentez en cela, il faut aussi la représenter en eflet à l'en- » droit de vostre serviteur, n'estant rien si recommandable » qu'une miséricorde et une charité, en quelque façon qu'elle M se face, pourveu que ce soit eu bonne intention, pour secourir » son prochain. Usez-en donc : et si vous avez la crainte de » vostre mary et du mariage devant les yeux, c'est une vaine su- » perslilion que nous autres ne devons avoir, puisque nature ciU-


DISCOURS I. 97

» a donné des biens en plusieurs sortes, non pour s'e^ servir en » espargue, comme une salle avare de son trésor, mais pour les » distribuer honnorablemeut aux pauvres souffreteux et nécessi- » leux. Bien est-il vray que nostre chasteté est semblable à un ' trésor, lequel on doit espargner en choses basses : mais, pour ' ("hoses hautes et grandes, il le fsnt despenser en largesse, et sans » espargne. Tout de mesmes faut-il faire part de nostre chasteté, » laquelle on doit eslargir aux personnes de mérite et vertu , » et de souffrance, et la dénier à ceux qui sont viles, de nulle va- » leur, et de peu de besoin. Quant à nos marys, ce sont vrayement » de belles idoles, pour ne donner qu'à eux seuls nos vœux et nos » chandelles, et n'en départir point aux autres belles images I « car c'est à Dieu seul à qui on doit un vœu unique, et non à » d'autres. » Ce discours ne déplut point à la dauie, et ne nuiîit non plus nullement au serviteur, qui, par un peu de persévérance, s'en ressentit. Tels presches de charité pourtant sont dangereux pour les pau\Tes marys.

— J'ay ouy conter (je ne sçay s'il est vray, aussi ne veux-je af- firmer) qu'au commencement que les Huguenots plantèrent leur religion, faisoient leurs presches la nuict et en cachettes, de peur d'estre surpris, recherchés et mis en peine, ainsi qu'ils furent un jour en la rue Saint-Jacques à Paris, du temps du roy Henri se- cond. Où des grandes dames que je sçay, y allans pour recevoir cette charité, y cuidèrent estre surprises. Après que le ministre avoit fait son presche, sur la fin leur reeoaimandoil la charité , )^ et incontinent après on tnôit.leurs chandelles, et là un chacun et chacune l'exerçoit envers son frère et sa sœur chrestienne, se j | la départans l'un à l'autre selon leur velouté et pouvoir ; ce que ] je n'oserois bonnement asseurer, encore qu'on m'asseurast qu'il ■ estoit vray ; msris possible que cela est pur mensonge et imposture. Toutefois je sçay bien qu'à Poitiers pour lors il y avoit une femme d'un advocat, qu'on nommoit la belle Gotlerelle (l), que j'ay veue, qui estoit des plus belles femmes, ayant la plus belle grâce et fa- çon, et des plus désirables qui fussent en la ville pour lors ; et poui ce chacun lui jeltoit les yeux et le cœur. Elle fut repassée au sortir ttu presche, par les mains de douze escoliers, l'un après l'autre, tant au lieu du consistoire que sous un auvent, encore ay-je ouy

(I) Cette femme rosserable assez à cette GodarJe de Blois, huguenote, pendu pour adultère en 1563.

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98 VIES DES DAMES GALANTES.

dire sous une potence du Marclie Vieux, sans qu'elle en fist un seul bruil iiy aulre refus ; mais , demandant seulement le mot du presche, les recevoit les uns après les autres coiirtoisement, comme ses vrays frères en Christ. Elle continua envers eux cett( aumosne long temps, et jamais elle n'en voulut prester pour un dou ble à un papiste : si en eut-ils néanlmoins plusieurs papistes qui, empruntans de leurs compagnons huguenots le mot et le jargon d( leur assemblée, en jouirent. D'autres alloient au presche exprès, et conlrefaisoient les Réformez, pour l'apprendre, afin de jouir de celte belle femme. J'élois lors à Poitiers jeune garçon estu- diai.t, que plusieurs bons compagnons, qui eu avoient leur part, me le dirent et me le jurèrent : mesme le bruil esioit tel en la ville. Voilà une plaisante charité, et conscien lieuse femme, faire ainsi clioix de son semblable en la religion !

Il y a une autre forme de charité qui se pratique, et s'est pra- tiquée souvent, à l'endroit des pauvres prisonniers qui sont es prisons, et privez des plaisirs des dames, desquels les geollieres et les femmes qui eu ont la garde, ou, les castellanes qui ont dans les chasleaux des prisonniers de guerre, en ayant pitié, leur font part de leur amour, et leur donnent de cela par charité et miséricorde; ainsi que dit une fois une courtisanne romaine à sa fille de laquelle un gallanl estoit exlresmement amoureux, el ne luy en vouloit pas donner pour un double. Elle luy dit : E da gli al manco per misericordia (l).

Ainsi ces geollieres, castellanes et autres, trailtent leurs pri- sonniers, lesquels, bien qu'ils soient captifs et misérables, ne laissent à sentir les picqueures de la chair, comme au meilleur temps qu'ils pourroient avoir. Aussi dii-on en vieil jH-uverbe : « L'envie en vienl de pauvreté ; v et aussi bien sur la paiiie et sur la dure messer Priape hausse la teste, comme dans le lict du monde le meilleur et le plus doux. Voilà pourquoy les gueux el les pri- sonniers, parmi leurs hospitaux il prisons, sont aussi paillards que les roys, les princes et les giauds, dans leurs beaux pallais et licls royaux et délicats.

Pour en confirmer mon dire, j'allégneray un conte que me fil un jour le capitaine Beaulieu, capitaine de galleres, duquel j'ay parlé quelquefois. Il estoii à ffU M. le grand-prieur de France, de la maison de Lorraine, et estoit fort aymé de luy : l'allant un

[t; C'est-à'dite: £bl la;s-lui cliarilé par pitié.


DISCC'JRS I. 99

jour trouver h Malthe dans une frégalle, il fut pris des galleres de Sicile , et mené prisonnier au Castel à Mare de Palerme, où i fut resserré en une prison fort estroite , obscure et misérable, et très-mal traité, l'espace de trois mois. Par cas, le castelian, qui estoit Espagnol, avoit deux fort belles filles, qui, l'oyant plain- dre et attrister, demandèrent un jour congé au père pour le vi- siter pour l'honneur de Dieu, qui leur permit librement. Et d'au- tant que le capitaine Beaulieu estoit fort gallant homme certes, et disoit des mieux, il les sceut si bien gagner dès l'abord de celte première visite, qu'elles obtinrent du père qu'il sortist de celte meschante prison, et fust mis en une chambre assez honneste, et receust meilleur traitement. Ce ne fut pas tout, car elles ob- lindrent congé de l'aller voir librement tous les jours une fois et causer avec luy. Tout cela se démena si bien que toutes deux en furent amoureuses, bien qu'il ne fust pas beau et elles très-belles, que, sans respect aucun, ny de prison plus rigoureuse, ny d'hazard de mort, mais tenté Je privaulez, il se mit à jouir de toutes deux bien et beau tout à son aise ; et dura ce plaisir sans escandale, et fut si heureux en cette conqueste l'espace de huict mois, qu'il n'en arriva nul escandale, mal, inconvénient, ni de ventre enflé, ny d'aucune surprise ny découverte : car ces deux sœurs s'entendoient et s'entredonnoient si bien la main, et se relevoient si gentiment de sentinelle, qu'il n'en fut jamais autre chose ; et me jura, car il es- toit fort mon amy, qu'en sa plus grande liberté il n'eut jamais si bon temps, ny plus grande ardeur, ny appétit à cela, qu'en cette prison, qui luy estoit très-belle, bien qu'on die n'y en avoir jamais aucunes belles. Et luy dura tout ce bon temps l'espace de huict mois, que la trêve fut faite entre l'Empereur et le roi Henri second, que tous les prisonniers sortirent et furent relaschés : et me jura que jamais il ne se fascha tant que de sortir de cette si bonne pri- son ; mais bien gasté laisser ces belles filles, tant favorisé d'elles, >' qui au départir en firent tous les regrets du monde.

Je luy demanday si jamais il appréhenda inconvénient s'il fust esté découvert. Il me dit bien qu'ouy , mais non qu'il le craignist . car, au pis aller, on l'eust fait mourir ; et il eust au- tant aymé mourir que rentrer en sa première prison. De plus, il craignoit que s'il n'eust contenté ces honnestes filles, puis- qu'elles le recherchoient tant, qu'elles en eussent conceu un tel desdaing et dépit, qu'il en eust eu quelque pire traitement en- core ; et pour ce, bandant les yeux à tout, il se hasarda à cette


100 VIES DES DAMES GALANTES

belle fortune. Certes on ne sçauroit assez louer ces bonnes filles espagnoles si charitables : ce ne sont pas les premières ny les der- nières.

— On a dit d'autres fois en nostre France, que le duc d'Ascot, prisonnier au bois de Viucennes, se sauva de prison par le moyen d'une honnesle d;Hue, qui toutesfois s'en cuida trouver mal, car il y alloit du service du Roy (l) : et telles charitez sont réprouva- bles, qui touchent le party du général, mais fort bonnes et louables, quand il n'y va que du particulier, et que le seul joly corps s'y ex- pose ; peu de mal pour cela. J'alléguerois force braves exemples faisant à ce sujet, si j'en voulois faire un discours à part, qui n'en V seroit pas trop mal plaisant. Je ne diray que cettuy-ci, et puis nul autre, pour estre plaisant et antique.

Nous trouvons dans Tile-Live que les Romains, après qu'ils eu- rent mis la ville de Capoue à totale destruction, aucuns des habi- tants vindrent à Rome pour représenter au sénat leur misère, le prièrent d'avoir pitié d'eux. La chose fut mise au conseil : en- tr'aulres qui opinèrent fut M. Atilius Regulus, qui tint qu'il ne leur falloit faire aucune grâce, « car il ne sauroit trouver en tout, » disoit-il, aucun Capoiian, depuis la révolte de leur ville, qu'on » pust dire avoir porté le moindre brin d'amitié et d'affection à la " république romaine, que deux honnestes femmes : l'une, Vesta « Opia, atellane, de la ville d'Atelle, demeurant à Capoiie pour » lors ; et l'autre, Francula Cluvia ; » qui toutes deux avoient esté aùlresfois flUes de joye et courtisannes, en faisant le mestier pubh- quement. L'une n'avoit laissé passer un seul jour sans faire prières et sacrifices pour le salut et victoire du peuple romain ; et l'autre, pour avoir secouru à cachettes de vivres les pauvres prisonniers de guerre mourants de faim et pauvreté.

Certes voilà des charitez et piétez très-belles ; dont sur ce un gentil cavalier, une honneste dame et moy, lisanlg un jour ce passage, nous nous entredismes soudain que, puisque ces deux honnestes dames s'estoient desjà avancées et estudiées à de si bons et pies offices, qu'elles avoient bien passé à d'autres, et a leur départir les charitez de leurs corps; car elles en avoient distribué d'autres fois à d'autres estans courtisannes, ou possible qu'elles l'estoyent encore; mais le livre ne le dit pas, et a laissé le


(1) On accusa la comtesse àe Senizon de l'avoir fait évader , et on lui en 6t ao« 

ailaire.


DISCOURS I. loi

doute-là ; car il se peut présumer. Mais quand bien elles eussent continué le mestier et quitté pour quelque temps, elles le purent reprendre ce coup-là, n'estant rien si aisé et si facile à faire; et peut-estre aussi qu'elles y cogneurent et receurent encore quelques ans de leurs bons amoureux, de leurs vieilles connoissances, qui leur avoient autresfois sauté sur le corps, et leur en voulurent en- cor donner sur quelques vieilles erres, ou du tout : aussi que, parmi les prisonniers, elles y en purent voir aucuns incogneus qu'elles n'avoient jamais veu que cette fois, et les trouvoient beaux, bra- ves et vaillants, de belles façons, qui méritoient bien la charité tout entière, et pour ce ne leyr espargnant la belle joiiissance de leur corps, il ne se peut faire autrement. Ainsi, en quelque façon que ce fust, ces honnesles dames méritoient bien la courtoisie que la république romaine leur fit et recogneut, car elle leur fit rentrer en tous leurs biens, et en jouirent aussi paisiblement que jamais ; encor plus, leur firent à sçavoir qu'elles demandassent ce qu'elles voudroient, elles l'auroienl; et pour en parler au vray, si Tite-Live ne fust esté si abstraint, comme il ne devoit, à la vérécondie et modestie, il devoit franchir le mot tout à trac d'elles, et dire qu'elles ne leur avoient espargné leur gent corps ; et ainsi ce passage d toire fust esté plus beau et plaisant à lire, sans aller l'abbréger laisser au bout de la plume le plus beau de l'histoire. Voilà ce que nous en discourusmes pour lors.

— Le roy Jean, prisonnier en Angleterre, receut de mesme plu- sieurs faveurs de la comtesse de Salsberiq, et si bonnes, que, ne la pouvant oublier, et les bons morceaux qu'elle luy avoit donnés, qu'il s'en retourna la revoir, ainsi qu'elle luy fit jurer et promettre.

— D'autres dames y a-t-il qui sont plaisantes en cela pour certain poinct de conscientieuse charité ; comme une qui ne vou- loit permettre à son amant, tant qu'il couchoit avec elle, qu'il la baisast le moins du monde à la bouche, alléguant par ses rai- sons que sa bouche avoit fait le serment de foy et de- fidélité i son mary, et ne la vouloit point souiller par la bouclie qui l'a- voit fait et preste ; mais quant à celle du ventre, qui n'en avoit point parlé ni rien promis, lui laissoit faire à son bon plaisir, et ne faisoit point de scrupule de la prester, n'estant en puissance de la bouche du haut de s'obliger pour celle du bas, ny celle du bas pour celle du haut non plus ; puisque la co'isfuîne du droit ordoiinoit de ne s'obliger pour autruy sans consentement et parole de l'une et de l'autre, ny un seul pour le tout eu cel;i.

fi.


'elles / .-,


lOJ VIES DES DAMEb GALANTES.

— Une autre conscenlicuse et scrupuleuse, donnant à son amy jouissance de son corps, elle vouloit toujours faire le dessus, et sous-mettre à soy son homme, sans passer d'un seul iota cette règle ; et, l'observant eslroitement et ordinairement, disoil-elle que si son niary ou autre lui demandoit si un tel liiy avoit fait cela, qu'elle pust jurer et renier, et seurement protester, sans offenser Dieu, que jamais il ne luy avoit fait ny monté sur elle. Ce serment sceut-elle si bien pratiquer , qu'elle contenta son mary et autres par ses jurements serrez en leurs demandes, et la creurent, veu ce qu'elle disoit, «; mais n'eurent jamais l'advis de demander, ce » disoit-dle, si jamais elle avoit fait le dessus, surquoy m'eussent » bien mespris et donner à songer. » Je pense en avoir encor parlé cy-dessus ; mais on ne se peut pas toujours souvenir de tout ; et aussi il y en a celtuy-cy plus qu'en l'autre, s'il me semble.

— Coustumièrement , les dames de ce meslier sont grandes menteuses, et ne disent mot de vérité ; car elles ont tant appris et accoustumé à mentir (ou si elles font autrement sont des sottes, et mal leur en prend ) à leurs marys et amants sur ces sujets et changements d'amour, et :i jurer qu'elles ne s'adonnent à autres qu'à eux, que, quand elles viennent à tomber sur autres sujets de conséquence, ou d'affaires, ou discours, jamais ne font que mentir, et ne leur peut-on croire.

D'autres femmes ay-je cogneu et ouy parler , qui ne don- noyent à leur amant leur joiiissance, si-non quand elles estoient grosses, afin de n'engroisser de leur semence ; en quoy elles fai- soient grande conscience de supposer aux marys un fruit qui n'es- toit pas à eux, et le nourrir, alimenter et élever comme le leur propre. J'en ay encore parlé cy-dessus. Mais, estant grosses une fois, elles ne pensoieiit point offenser le mary, ny le faire cocu, en se prostituant. Possible aucunes le faisoient pour les mesmes raisons que faisoit Julia, fille d'Auguste, et femme d' Agrippa, qui fui en son temps une insigne putain, dont son père en enrageoii plus que le mary. Luy estant demandé une fois si elle n'avoii point de crainte d'engroisser de ses amys, et que son mary s'en aperceusl et ne l'airolast, elle respondit : « J'y mets ordre, car je » ne reçois jamais personne ny passager dans mon navire, si-non » quand il est chargé et plein.

Voicy enoîre une autre sorte de cocus ; mais ceux-là sont Trays martyrs, qui ont des femmes laides comme diables d'enfer, qui se veulent mesler de taster de ce doux plaisir aussi bien que


1


DISCOURS 1. 103

les belles, ausquelles le seul privilège est deu, comme dit le pro- verbe : Les beaux hommes au gibet, et les belles femmes au bour- deau (l ): et,toutesfois, ces laides charbonnières font la folie comine les autres, lesquelles il faut excuser, car elles sont femmes comme les autres, et ont pareille nature, mais non si belle. Toulesfois, j'ai veu des laides, au moins en leur jeunesse, qui s'apprécient tant pourtant comme les belles, ayant opinion que femme ne vaut au- tant, si-non ce qu'elle se veut faire valloir et se vendre ; aussi qu'en iin bon marché toutes denrées se vendent et se dépositeni (2), les unes plus, les autres moins, selon qu'on en a à faire, et selon l'heure tardive que l'on vient au marché après les autres, et selon le bon prix que l'on y trouve ; car, comme l'on dit, l'on court tou- jours au meilleur marché, encore que l'estofTe ne soit la meilleure, mais selon la faculté du marchand et de la marchande. Ainsi est-il des femmes laides, dont j'en ay veu aucunes, qui, ma foy, estoient si chaudes et lubriques, et duiles à l'amour aussi bien que les plus belles, et se metloyent en place marchande, et vouloient s'a- vancer et se faire valloir tout de mesmes. Mais le pis que je vois en elles, c'est qu'au lieu que les marchands prient les plus belles, cel- les-cy laides prient les marchands de prendre et d'achepter de leurs denrées, qu'elles leur laissent pour rien et à vil prix : mesmes font- elles mieux ; car le plus souvent leur donnent de l'argent pour s'accoster de leurs chalanderies et se faire fourbir à eux ; dont voilà la pitié : car pour telle fourbissure, il n'y faut petite somme d'argent ; si bien que la fourbissure couste plus que ne vaut la personne, et la lexive que l'on y met pour bien la fourbir , et ce- pendant monsieur le mary demeure cocu et coquin tout ensemble d'une laide, dont le morceau est biei* plus dii'licile à digérer que d'une belle ; outre que c'est une misère extresme d'avoir à ses cos- tez un diable d'enfer couché, au lieu d'un ange. Sur quoy j'ay ouy souhailter à plusieurs galants hommes une femme belle et un peu putain, piustost qu'une femme laide et la plus chaste du monde ; car en une laideur n'y loge que toute misère et desplaisir , et nul brin de félicité. En une belle , tout plaisir et félicité y abonde , et bien peu de misère, selon aucuns. Je m'en rapporte à ceux qui ont battu cette sente et chemin. A aucuns j'ay ouy dire que, quelques

(1) Proverbe qui inai'q\ie le peu de liaison qu'il y a entre les dons de la nature et les qualllës de l'âme.

(2) De l'italien dispositare; c'est-à-dire qu'on dispose et trouve à m delaire des pierreries comme des meilleures denrées.


104 VIES DES DAMES GALANTES.

fois, pour les marys, îl n'est si besoin aussi qu'ils ayent leurs fem- mes SI chastes ; car elles en sont si glorieuses, je dis celles qui ont ce don très-rare, que quasi vous diriez qu'elles veulent dominer, non leurs marys seulement, mais le ciel et les astres : voire qu'il leur semble, par telle orgueilleuse chasteté, que Dieu leur doive du retour. Mais elles sont bien trompées; car j'ay ouy dire à de grands docteurs que Dieu ayme plus une pauvre pécheresse, humiliante et contrite (comme il fit la Magdelaine), que non pas une orgueilleuse et superbe qui pense avoir gagné le paradis, sans autrement vous loir miséricorde ny sentence de Dieu.

— J'ay ouy parler d'une dame si glorieuse pour sa chasteté qu'elle vint tellement à mépriser son mary, que, quand on lui de- mandoit si elle avoit couché avec son mary : « Non, disoit-elle, » mais il a bien couché avec moy. » Quelle gloire I Je vous laisse donc à penser comme ces glorieuses sottes femmes chastes gour- mandent leurs pauvres marys , d'ailleurs qui ne leur sçauroient rien reprocher, et comme font aussi celles qui sont chastes et ri- ches, d'autant que cette-cy, chaste et riche du sien, fait de l'olim- brieuse, de l'allière, de la superbe et de l'audacieuse, à l'endroit de son mary : tellement que, pour la trop grande présomption qu'elle a de sa chasteté et de son devant tant bien gardé, ne la peut rete- nir qu'elle ne fasse de la femme emperiere, qu'elle ne gourmande son mary sur la moindre faute qu'il fera, comme j'en ay veu aucu- nes, et sur tout sur son mauvais ménage. S'il joue, s'il dépend, ou s'il dissipe, elle crie plus, elle tempeste, fait que sa maison pa- roist plus un enfer qu'une noble famille : et s'il faut vendre de son bien pour subvenir à un voyage de cour ou de guerre, ou à ses procès, nécessitez, ou à sos petites folies et despenses frivolles, il n'en faut pas parler ; car la femme a pris telle impériosité sur lui, s'appuyant et se fortifiant sur sa pudicilé, qu'il hal que le mary passe par sa seulerice, ainsi que dit fort bien Juvenal en ses sa- 'vres.

Animus uxons st deditus unt,

Ifil unquam invilâ donabis conjuije vendes.

Hac obstante nikil hcsc si nolit emetur (1).

(1) Tout cela est renversé c-t estropié. Il fant ;

Si tibi timplicitas uxoria deditus uni i Est animus


DISCOURS I. 105

Il note bien par ces vers que telles humeurs des anciennes Ro- maines correspondoient à aucunes de nostre temps quant à ce poinct ; mais , quand une femme est un peu putain , elle se rend Lien plus aisée, plus sujette, plus docile, craintive, de plus douce et agréable humeur, plus humble et plus prompte à faire tout ce que le mary veut , et lui condescend en tout ; comme j'en aj veu plusieurs telles, qui n'osent gronder, ny crier, ny faire des acariastres, de peur que le mary ne les menace de leur faute, et ne leur mette au devant leur adultère, et leur fasse sentir aux despens de leur vie ; et si le galant veut vendre quelque bien du leur, les voilà plustost signées au contract que le mary ne l'a dit. J'en ay veu de celles-là force : bref, elles font ce que leurs marys veulent.

Sont-ils bien gastez ceux-là donc d'esire cocus de si belles femmes , et d'en tirer de si belles denrées et commoditez que celles-là, outre le beau et délicieux plaisir qu'ils ont de paillar- der avec de si belles femmes , et nager avec elles comme dans un beau et clair courant d'eau, et non dans un salle et laid bourbier? Et puisqu'il faut mourir, comme disoit un grand capitaine que je sçay, ne vaut-il pas mieux que ce soit par une belle jeune espée, claire, nette, luisante et bien tranchante, que par une lame vieille, rouillée et mal fourbie, là où il y faut plus d'é- meric que tous les fourbisseurs de la ville de Paris ne sçauroient fournir ?

Et ce que je dis des jeunes laides , j'en dis autant d'aucunes vieilles femmes qui veulent estre fourbies et se faire tenir et nettes et claires comme les plus belles du monde (j'en fais ailleurs un dis- cou rs à part (l) de cela) : et voilà le mal; car, quand leurs marys n'y peuvent vatquer, les maraudes appellent des suppléments, e( comme estants si chaudes, ou plus, que les jeunes : comme j'en ay veu qui ne sont pas sur le commencement et mitan prestes d'en- rager, mais sur la fln. Et volontiers l'on dit que la fin en ces mes- tiers est plus enragée que les deux autres, le commencement et le


Ifil unquam invild donabis conjuge : vendes Bac obstante nihil ; nihil, hœc si nolet, emetur.

Jdvenal. Sat. VI, 20 i et 6, 211 et 12.

Cest-à-dire : « Si vous vous attachez uniquement à votre femme , vous ne

» pourrez rien donner , ni veadre ni acheter , à moins qu'elle n'y consente. »

îl) Le V* diseurs suivant.


106 VIES DES DAMES GALANTES.

sJmUzn, pour le vouloir; car, la force et la disposition leur man- quent, dont la douleur leur est très-^riefve , d'autant que le vieil proverbe dit que c'est une grande douleur et dommage, quand un c... a très-bonne volonté, et que la force lui défaut. Si y en a-t-i' toujours quelques-unes de ces pauvres vieilles liaires qui passe nf

par bardot (l), et départent leurs largesses aux despens de leurs

deux bourses; mais celle de l'argent fait trouver bonne et eslroite l'autre de leurs corps. Aussi dit-on que la libéralité en toutes chose est plus à estimer que l'avarice et la chicheté , fors aux femmes, lesquelles, tant plus sont libérales de leurs cas, tant moins sont estimées, et les avares et chiches tant plus. Cela disoit une fois un grand seigneur de deux grandes dames sœurs que je sçay , dont l'une esloit chiche de son honneur, et libérale de la bourse et

y despense , et l'autre fort escarce (2) de sa bourse et despense, el très-libérale de son devant!

— Or, voici encore une autre race de cocus qui est certes par trop abominable et exécrable devant Dieu et les hommes, qui, aniouraschés de quelque bel Adonis , leur abandonnent leurs femmes pour jouir d'eux. La première fois que je fus jamais en Italie, j'en ouys un exemple à Ferrare , par un conte qui m'y fut fait d'un qui, espris d'un jeune homme beau , persuada à sa femme d'octroyer sa jouissance audit jeune homme qui estoit amoureux d'elle, et qu'elle luy assignast jour, et qu'elle fist ce qu'il luy commanderoit. La dame le voulut très-bien, car elle ne desiroit manger autre venaison que de celle-là. Enfin le jour fut assigné, el l'heure estant venue que le jeune homme et la femme estoienl en ces douces affaires etjdlçres, le mary, qui s'es- loicnt caché, selon le concert d'entre luy et sa femme , voici qu'il entra ; et les prenant sur le fait , approcha la dague à la gorge du jeune homme, le jugeant digne de mort sur tel forfait, selon les loix d'Italie, qui sont un peu plus rigoureuses qu'en France. Il fut contraint d'accorder au mary ce qu'il voulut, et firent es- change l'un de l'autre : le jeune homme se prostitua au mary, et le mary abandonna sa femme au jeune homme ; et par ainsi, voilà un mary cocu d'une vilaine façon.

— J'ai ouy conter (]u'en quelque endroit du monde [je ne le veux


(i) Bardot, synonyme d'âne. Ici, passer par bardot, se dit det vieilles qui *cn réduites à laisser passer pour bardot l'araaut qui les caresse. (3) Escbarae.


DISCOURS I. 1(17

pis nommer) il y eut un niary, et de qualité grande, qui esloit V îainemenl espris d'un jeune homme qui aimoit fort sa femme, Ile aussi luy : soit ou que le mary eust gaigné sa femme, ou .^ ' ce fust une surprise à l'improvisle, les prenant tous deux couchés et accouplés ensemble, menaçant le jeune homme s'il ne luy complaisoit, l'investit tout couché, et joint et collé sur sa femme, et en joiiit ; dont sortit le problème, comme trois amants furent jouissants et contents tout à un mesme coup ensemble.-

— J'ay ouy conter d'une dame, laquelle esperdument amoureuse d'un honnesle gentilhomme qu'elle avoit pris pour amy et favory, luy se craignant que le mary luy feroit et à elle quelque mauvais tour, elle le consola, lui disant : « N'ayez pas peur; car il n'oseroit » rien faire, craignant que je l'accuse de m'avoir voulu user de » l'arrière-Vénus, dont il en pourroit mourir si j'en disois le » moindre mot et le déclarois à la justice. Mais je le tiens ainsi en j» escliec et en allarme; si bien que, craignant mon accusation, il

» ne m'ose jjas rien dire. » Certes telle aiccusalion n'eust pas porté A moins de préjudice à ce pauvre mary que de la vie : car les légistes disent que la sodomie se punit pour la volonté ; mais possible que la dame ne voulut pas franchir le mot tout à trac, et qu'il n'eust passé plus avant sans s'arrêter à la volonté.

— Je me suis laissé conter qu'un de ces ans un jeune gentil- homme françois, l'un des beaux qui fust esté veu à la cour long- temps, estant allé à Rome pour y apprendre les exercices, connue autres ses pareils, fut arregardé de si bon œil, et par si grande admiration de sa beauté, tant des hommes que des femmes, que quasi on l'eust couru à force : et là où ils le sçavoient aller à la messe, ou autre lieu public et de congrégation, ne failloient, ny les uns, ny les autres, de s'y trouver pour le voir ; si bien que plusieurs marys permirent à leurs femmes de lui donner as- signation d'amours en leurs maisons, afin qu'y estant venu et surpris, fissent eschange, l'un de sa femme, et l'autre de luy : do nt luy en fut donné advis de ne se laisser aller aux amours et volontez de ces dames, d'autant que le tout avoit esté fait et apposté pour l'attrapper; en quoy il se fit sage, et préféra son hoaneur et sa conscience à tous les plaisirs détestables, dont ij en acquist une louange très-digne. Enfin , pourtant , son es- cuyer le tua. On en parle diversement pourquoy : dont ce fut très-grand dommage, car c'estoit un fort honneste jeune homme, <le bon lieu, et qui prometto>* bea^up de luy, autant de sa


108 VIES DES DAllES GALANTES.

physionomie, pour ses aclîons nobles, que pour ce beau et noble irait : car, ainsi que j'ay ouy dire à un fort gallant homme de

mon temps, et qu'il est aussi vray, nul jamais b , n'y bar-

dascb, ne fut brave, vaillant et généreux, que le grano Jules César ; aussi que par la grande permission divine telles gens abominables sont rédigés et mis à sens reprouvez : eu quoy je m'estonne que plusieurs, que l'on a veu tachés de ce méchant

vice, sont esté continuez du ciel en grands prospéritez ; mais Dieu
les attend, et à la fin on en voit ce que doit estre d'eux.

Certes, de telle abomination, j'en ay ouy parler que plusieurs marys en sont esté atteints bien au vif; car, malheureux qu'ils sont et abominables, ils se sont accomnwdez de leurs femmes plus par le derrière que par le devant, et ne se sont servis du devant que pour avoir des enfants ; et traittent ainsi leurs pauvres femmes, qui ont toute leur chaleur en leurs belles parties de la devantière. Sont-elles pas excusables si elles font leurs marys ^}>4:ocus, qui ayment kurs o,cde5. et salles parties de derrière ?

Combien y a-t-il de femmes au monde, (,ue si elles esioicnt visitées par des sages femmes, médecins et chirurgiens experts, ne se Irouveroient non plus pucelles par le derrière que iipar le devant, et qui l'eroieni le procès à leurs niarvs à l'instant; les- quelles le dissimulent, et ne l'osent découvrir, de peur d'es- candaîiser, et elles et leurs marys ou possible qu'elles y prennent quelque plaisir plus grand que nous ne pouvons penser; ou bien, pour le dessein que je viens de dire , pour tenir leurs maris en telle sujeclion, si elles font l'amour d'ailleurs, mesmes qu'au- cuns marys leur permettent; mais pourtant tout cela ne vaut rien.

— Summa Benedicli dit que si le mary veut recognoistre sa partie ainsi comre l'ordre de nature, qu'il offense mortellement; et s'il veut maintenir qu'il peut disposer de sa femme comme il luy plaist, il tombe en détestable et vilaine hérésie d'aucuns Juifs et mauvais rabins, dont on dit que duabus mulieribus apud synagogam conquesiis se fuisse à viris suis cognitu sodon}i- quo cognitis, respdnsum est ab illis rabinis, virum esse uxoris dominum, pi'oindii^ posse uti ejus utcunque libuerit, 7wn aliter quàm is qui piscem émit: ille enim, tam anterioribus quàm posterioribus parlibus, ad arbitrium vesci potest. J'ay mis cela \en latin sans le traduire en françoi/J, car il sonne très-mal à des loreilles bien honnesles et chl^s. Abominalles qu'ils sont 1 laisser


♦.

^^•'


DISCOURS 1. 108

une belle, pure et concédée partie, pour en prendre une villaine, salle, orde et défendue, et mise en sens réprouvé I

Et si l'homme veut ainsi prendre la femme, il est permis à elle se séparer de luy, s'il n'y a autre moyen de le corriger : et pourtant, dit-il encore, celles qui craignent Dieu n'y doivent jamais consentir, ains plustost doivent crier à la force, nonobstant l'escandale qui pourroit arriver en cela, et le deshonneur ny la crainte de mort ; car il vaut mieux mourir, dit la loy, que de consentir au mal. Et dit encor ledit livre une chose que je trouve fort eslrange : qu'en quelque mode que le mary connoisse sa femme , mais qu'elle ! en puisse concevoir, ce n'est point péché mortel, combien qu'il puisse estre véniel : si y a-t-il pourtant des méthodes pour cela fort salles et villaines, selon que l'Arétin les représente en ses figures, et ne ressentent rien la chasteté maritale; bien que, comme j'ay dit, il soit permis à l'endroit des femmes grosses, et aussi de celles qui ont l'haleine forte et puante, tant de la bouche que du nez : comme j'en ay cogneu et ouy parler de plusieurs femmes, lesquelles baiser «t alleiner autant vaudroit qu'un anneau de re- trait ; ou bien comme j'ai ouy parler d'une très-grande dame, mais je dis très-grande, qu'une de ses dames dit un jour que son balleine sentoit plus qu'un pot-à-pisser d'airain ; ainsi m'usa-t-elle de ces mots : un de ses amis fort privé, et qui s'approchoit près d'elle, me le confirma aussi : si est-il vray qu'elle estoit un peu sur l'âge.

Là-dessus que peut faire un mary ou un amant, s'il n'a re- cours à quelque forme extravagante, mais surtout qu'elle n'aille point à l'arrière-Vénus? J'en dirois davantage, mais j'ai hor- reur d'en parler : encore m'a-t-il fascbé d'en avoir tant dit; mais si faut-il quelquefois descouvrir les vices du monde pour s'en corriger,

— Or il faut que je die une mauvaise opinion que plusieurs ont eue et ont encores de la cour de nos roys, que les filles et femmes y bronchent fort, voire cousimièrement : en quoy bien souvent sont-il trompez, car il y en a de très-chastes, honnestes et vertueuses, voire plus qu'ailleurs, et la vertu y habite aussi- bien, voire mieux qu'en tous autres lieux, que l'on doit fort priser pour estre bien à preuve. Je n'allégueray que ce seul exemple de madame la grande duchesse de Florence d'aujour- d'huy, de la maison de Lorraine, laquelle estant arrivé à Florence le soir que le grand- duc l'épousa, et qu'il voulut aller coucher avec elle pour la dépuceler, il la fit avant pisser dans

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110 VIES DES DAMES GALANTES.

■l an_beau_urinal de cristal, le plus beau et le plus claîr qu'il put, ' ^ et en ayant vue_rurine, il la consulta avec son médecin , qui es- toit un très-grand et très-savant et expert personnage, pour sa- Foir de luy par cette inspection si elle estoit pucelle, ouy ou non. Le médecin l'ayant bien fixement et doctement inspicée, il trouva qu'elle estoit telle comme quand sortit du ventre de sa mère, et qu'il y allast hardiement, et qu'il n'y trouveroit point le chemin nullement ouvert, frayé ni battu; ce qu'il fit, et en trouva la vérité telle ; et puis, le lendemain en admiration, dit: « Voilà un grand miracle, que cette fille soit ainsi sortie pu- celle de cette cour de France I » Quelle curiosité et quelle opinion! Je ne sçai s'il est vrai, mais il me l'a ainsi esté asseuré pour véritable. Voilà une belle opinion de nos cours; mais ce n'est d'aujourd'huy, ains de long-temps, qu'on tenoit que toutes les dames de Paris et de la cour n'estoient si sages de leur corps comme celles du plat pays, et qui ne bougeoient de leurs mai- sons. Il y a eu des hommes qui estoient si consciencieux de u'espouser que des filles et femmes qui eussent fort paysé, et veu le monde tant soit peu. Si bien qu'en notre Guyenne, du temps de mon jeune aage, j'ay ouy dire à plusieurs gallants hommes et veu jurer qu'ils n'espouseroient jamais fille ou femme qui àuroit passé le port de Pille, pour tirer de longue vers la France. Pauvres fats qu'ils estoient en cela, encor qu'ils fussent fort ha- biles et gallants en autres choses, de croire que le cocuage ne se logeast dans leurs maisons, dans leurs foyers, dans leurs cham- bres, dans leurs cabinets, aussi bien, ou possible mieux, selon la commodité, qu'aux palais royaux et grandes villes royales! car on leur alloit suborner, gagner, abattre et rechercher leurs femmes, ou quand ils alloient eux-mesmes à la Cour, à la guerre, à la chasse, à leurs procez ou à leurs promenoirs, si bien qu'ils ne s'en appercevoyent ; et estoient si simples de penser qu'on ne leur osoit eulauier aucun propos d'amour, si-non que de mesuageries , de leurs jardinages, de leurs chasses et oiseaux; et, sous cette opinion et légère créance, se faisoient mieux cocus (Qu'ailleurs; car, partout, toute femme belle et habile, et aussi loui liomine honnesle et gallant, sçait faire l'amour, et se sçait accommoder. Pauvres fats et idiots qu'ils estoient! Et ne pouvoient-ils pas penser que Vénus n'a nulle demeure prefisse, comme jadis en Gypre, eu Paros et Amatonte, et qu'elle habite par-tout jusques dans les ca- banes fies paslres et girons des bergères, voiro des plus simolottesî


DISCOURS I. Ml

Depuis quelque temps en çà , ils ont commencé à perdre ces soties opinions ; car, s'estant apperceu que par-tout y avoit du danger pour ce triste cocuage , ils ont pris femmes partout où il leur a plu et ont pu ; et si ont mieux fait : ils les ont envoyées ou menées à la Cour , pour les faire valoir ou parestre en leurs beautez, pour en faire venir l'envie aux uns ou aux autres, afin de s'engendrer des cornes. D'autres les ont envoyées, et menées ■playder et solliciter leurs procez , dont aucuns n'en avoient nullement , mais faisoient à croire qu'ils en avoient ; ou bien s'ils en avoient , les allonjieoient le plus qu'ils pouvoient , pour allonj^'cr mieux leurs amours. Voire quelquefois les marys lais- soient leurs femmes à la garde du palais, et à la galerie et salle, puis s'en alloient en leurs maisons, ayant opinion qu'elles fe- roient mieux leurs besognes, et en gaigneroiert mieux leurs causes : comme de vray, j'en sçay plusieurs qui les ont gaignées mieux par la dextérité et beauté de leur devant, que par leur bon droit, dont bien souvent en devenoient enceintes ; et, pour n'estre escandalisées (si les drogues avoient failly de leur vertu pour les en garder ) , s'encouroient vistement en leurs maisons à leurs marys, feignant qu'elles alloient quérir des tiltres et piè- ces qui leur faisoient besoin, ou alloient faire quelque enqueste, ou que c'estoit pour attendre la Sainct Martin, et que, durant les vacations, n'y pouvant rien servir, alloient au bouc, et voir leurs mesnages et leurs marys. Elles y alloient de vray, mais bien enceintes. Je m'en rapporte à plusieurs conseillers, rapporteur? et présidents, pour les bons morceaux qu'ils en ont tastez des fera mes des gentilshommes.

— Il n'y a pas long-temps qu'une très-belle, honneste et grande dame que fay cogneue , allant ainsi solliciter son procez k Paris, il y eut quelqu'un qui dit : « Qu'y va-t-elle faire ? » Elle le perdra ; elle n'a pas grand droit. — Et ne porte-t-elle » pas son droit sur la beauté de son devant, comme César por- » toit le sien sur le pommeau et sur la pointe de son espée ? k Ainsi se font les gentilshommes cocus au palais, en récompense de ceux que messieurs les gentilshommes font sur mesdames les présidentes et conseille 'es : dont aussi aucunes de celles-là ay-je veu, qui ont bien vallu sur la monstre autant que plusieurs dames, damoiselles et femmes de seigneurs, chevaliers et grands gentils- hommes de la Cour, et autres.

— J'ay cogneu une dame grande, qui avoit esté Irès-belle,


i


Ilî VIES DES DAMES GALANTES.

mais la vieillesse l'avoit effacée. Ayant un procez à Paris, et voyant que sa beauté n'estoit plus pour ayder à solliciter et gai- gner sa cause, elle mena avec elle une sienne voisine, jeune et belle dame ; et pour ce l'appointa d'une bonne somme d'argent, jus- ques à dix mille escus ; et , ce qu'elle ne put ou eusl bien voulu faire elle-mesme, elle se servit de cette dame, dont elle s'en trouva fort bien, et la jeune aussi ; et tout en deux bonnes façons. N'y a pas long-temps que j'ay veu une dame mère y mener une de ses filles, bien qu'elle fust mariée, pour luy ayder à solliciter son procez, n'y ayant autre affaire ; et de fait elle est très-belle, et vaut bien la sollicitation.

Il est temps que je m'arreste dans ce grand discours de cocuage; car enfin mes longues paroles, tournoyées dans ces profondes eaux et ces grands torrents, seroient noyées, et n'aurois jamais fait, ny n'en sçaurois jamais sortir, non plus que d'un grand labyrinthe qui fust autresfois, encore que j'eusse le plus long et le plus fort fiUet du monde pour guide et sage conduite. Pour fin je concluray que si nous faisons des maux, donnons des tourments, des martyres et des mauvais tours à ces pauvres cocus, nous en portons bien la folle enchère, comme l'on dit, et en payons les triples intérests ; car la plupart de leurs persécuteurs et faiseurs d'amour, et de ces da- meretz, en endurent bien autant de maux ; car ils sont plus sub- jects à jalousies, mesmes qu'ils en ont des marys aussi bien que de leurs corrivals : ils portent des martels, des capriches, se met- tent aux hazards en danger de mort , d'estropiemenis, de playes, d'affronts, d'offenses , de querelles, de craintes, peines et mort ; endurent froidures, pluyes, vents et chaleurs. Je ne conte pas la Térole, les chancres, les maux et maladies qu'ils y gaignent, aussi bien avec les grandes que les petites ; de sorte que bien souvent ils acheptent bien cher ce qu'on leur donne, et la chandelle n'en vaut pas le jeu. Tels y en avons-nous veu misérablement mourir, qu'ils estoient battants pour conquérir tout un royaume , tesmoin M. de Bussi, l e poijv pair de son temps, et force autres. J'en allé- guerois une infinité d'autres que je laisse en arrière, pour finir et dire, et admonester ces amoureux qu'ils pratiquent le proverbe di l'Italien qui dit : Che molto guadagna chi putana perde (l).

— Le comte Amé second disoit souvent : « En jeu d'armes et » d'amours, pour une joie cent doulours ; » usant ainsi de ce

(1) Qm perd une putaia gagne beaucoup.


DISCOURS I. 113

mot aulieg V^^^ mieux faire sa rime. Disoit-il encore que la co- jf 1ère et l'amour avoient cela en soy fort dissemblable , que la colère passe tost, et se deffait fort aisément de sa personne quand elle y est entrée, mais mal-aisément l'amour. Voilà comment il se faut garder de cette amour, car elle nous couste bien autant qu'elle nous vaut, et bien souvent en arrive beaucoup de mal- heurs. Et pour parler au \Tay, la pluspart des cocus patients ont cent fois meilleur temps, s'ils se sçavoient connoistre et bien s'entendre avec leurs fenmies, que les agents ; et plusieurs en ay-je veu, qu'encor qu'il y allast de leurs cornes, se mocquoient de nous et se rioient de toutes les humeurs et façons de faire de nous autres qui traittons l'amour avec leurs femmes, et mesmes quand nous avions à faire à des femmes rusées, qui s'entendent avec leurs marys et nous vendent : comme j'ay cogneu un fort brave et honneste gentilhomme qui , ayant longuement aymé une belle et honneste dame, et eu d'elle la jouissance, ce qu'il en desiroit long-temps, s' estant un jour apperceu que le mary et elle se mocquoient de luy sur quelque trait, il en prit un si grand dépit qu'il la quitta et fit bien ; et , faisant un voyage lointain pour en divertir sa fantaisie, ne l'accosta jamais plus, ainsi qu'il me dit. Et de telles femmes rusées, fines et chan- geantes, il s'en faut donner garde comme d'une beste sauvage ; car, pour contenter et appaiser leurs marys, quittent leurs an- ciens serviteurs, et en prennent puis après d'autres, car elles ne s'en peuvent passer.

Si ay-je cogneu une fort honneste et grande dame, qui a eu cela en elle de malheur , que, de cinq ou six serviteurs que je luy ay veu de mon temps avoir , se sont morts tous les uns après les autres, non sans un grand regret qu'elle en portoit ; de sorte qu'on eust dit d'elle que c'estoit le cheval de Séjan, d'autant que tous ceux qui montoient sur elle mouroient et ne vi- vdent guieres ; mais elle avoit cela de bon en soy et cette vertu, que, quoy qui ait esté, n'a jamais changé ny abandonné aucun de ses amis vivants pour en prendre d'autres ; mais, eux ve- nans à mourir, elle s'est voulu tousjours remonter de nouveau pour n'aller à pied ; et aussi, comme disent les légistes, qu'il est permis de faire valoir ses lieux et sa terre par quiconque soit , quand elle est déguerpie de son premier maislre. Telle constance a esté fort en cette dame recommandable ; mais si celle-là a esté jusques-là ferme, il y en a eu une infinité qui ont


114 VIES DES DAMES GALANTES.

bien bransié. Aussi, pour en parler franchement, il ne se faut jamais envieiliir dans un seul trou, et jamais hom.ne de cœur ne le fit : il faut estre aussi bien aventurier de<;à et delà, en amour comme en guerre, et en autres choses ; car si }'on ne s'as- seure que d'une seule ancre en son navire, venant à se décro- cher, aisément on le perd, et mesme quand l'on est en pleine mer et en une tempeste, qui est plus subjecle aux orages et va- gues tempestueuses que non en une calme ou en un port. El dans quelle plus grande et haute mer ne sçauroit-on mieux met- tre et naviguer que de faire l'amour à une seule dame ? Que si de soy elle n'a esté rusée du commencement, nous autres la dres- sons et l'affinons par tant de pratiques, que nous menons avec elle, dont bien souvent il nous en prend mal, en la rendant telle pour nous faire la guerre, l'ayant façonnée et aguerrie. Tant y a, comme disoit quelque galant homme, qu'il vaut mieux se marier avec quelque belle femme et honneste, encore qu'on soit en danger d'eslre un peu louché de la corne et de ce mal de cocuage commun à plusieurs, que d'endurer tant de traverses à faire les autres cocus, contre l'opinion de 31. du Gua pourtant, auquel nioy ayant tenu propos un jour de la part d'une grande dame qui m'en avoit prié, pour le marier, me fil cette response seulement : qu'il me pensoit de ses plus grands amis, et que je luy en faisols perdre la créance par tel propos pour luy pour- chasser la chose qu'il haïssoit plus, que le marier et faire cocu, au heu qu'il faisoit les autres ; et qu'il espousoit assez de femmes l'année, appelant le mariage un pulanisme secret de réputation et de liberté, ordonné par une belle loy, et que le pis en cela, ainsi que je voy et ay noté, c'est que la pluspart, voire toute, de ceux qui se sont ainsi délectez à faire les autres cocus, quand ils viennent à se marier, infailliblement ils tombent en mariage, je dis en cocuage ; et n'en ay jamais veu arriver autrement, se- lon le proverbe : Ce que tu feras à autruy, il le sera fait.

— Avant que finir je diray encore ce mot : que j'ay veu faire une dispute qui n'est encore indécise, en quelles provinces et régions de nostre chrestienté et de nostre Europe il y a plus de cocus et de putains. L'on dit qu'en Italie les dames sont fort chaudes, et par ce, fort putains, ainsi que dit M. de Beze en une épigramme, d'autant qu'où le soleil, qui est chaud et donne le plus, y eschaufife davantage les femmes, en lisant de ce vers:


DISCOURS I. '15

tredibile est ignés muUipUeare moi (I).

L'Espagne est de mesme, encore qu'elle soit sur l'occident ; mais le soleil y eschaufle bien les dames autant qu'en orient. Les Flamandes, les Suisses, les Allemandes, Anglaises et Escossaises, encore qu'elles tirent sur le midy, et septentrion, et soient ré- gions froides, n'en participent pas moins de celle chaleur natu-

le, comme je les ai cogneues aussi chaudes que toutes les autres nations. Les Grecques ont raison de l'estre, car elles sont fort sur le levant. Ainsi souhailte-t-on en Italie Greca in letto : comme de vray elles ont beaucoup de choses et vertus attrayan- tes en elles, que, non sans cause, le temps passé elles ont esté les délices du monde, et en ont beauconp appris aux dames Italiennes et espagnolles, depuis le vieux temps jusques à ce nouveau; si bien qu'elles en surpassent quasi leurs anciennes et modernes maislresses aussi la reyne et impériere des pu- tains, qui estoit Vénus, estoit Grecque.

Quant à nos belles Françoises, on les a veues le temps passé fort grossières, et qui se contentoient de le faire à la grosse mode ; mais, depuis cinquante ans eu çà, elles ont emprunté et appris des autres nations tant de gentillesses, de mignardises, d'attraits et de vertus, d'habits, de belles grâces, lascivetez, ou d'elles-mesmes se sont si bien estudiées à se façonner, que main- tenant il faut dire qu'elles surpassent toutes les autres en tou- tes façons; et, ainsi que j'ay ouy dire, mesme aux estrangers, elles valent beaucoup plus que les autres, outre que les mots de paillardise françoise eu la bouche sont plus paillards , mieux sonnants et esmouvants que les autres. De plus, cette belle li- ' berté françoise, qui est plus à estimer que tout, rend bien nos dames plus désirables, accostables, aimables et plus passables que toutes les autres: et aussi que tous les adultères n'y sont si com- munément punis comme aux autres provinces, par la providence de nos grands sénats et législateurs françois, qui, voyant les abus en provenir par telles punitions, les ont un peu bridés, et un peu corrigé les loix rigoureuses du temps passé de^ hommes, qui s'estoient donnez en cela toute liberté de s'esbattre et l'ont ' ostée aux femmes ; si bien qu'il n'estoit permis à la femme in-

(t) U ett & croire qa'il multiplie leurs leux.


1(6 VIES DES DAMES GALANTES.

nocente -d'accuser son mary d'adultère, par aucunes lois impé» riales et canon (ce dit Cajetan). Mais les hommes fins firent cette loy pour les raisons que dit cette slance italienne, qui est telle :


Ferche di quel ehe natura tonudt Nel vieti tutan dura legg» d'honoré, Ella a noi libéral largo ne dieJt Corn' ayli altrt anirrtai legge d'amore. Ma l'huomo fraudulento, e serna fede, Che fu legislator di quest' errore, Vedendo nostre forxe e buona schiena , Copri la tua deboletza con la pena (1).


Pour fin, en France il fait bon faire l'amour. Je m'en rapporte à nos authentiques docteurs d'amour, et mesme à nos courti- sans , qui sçauront mieux sophistiquer là-dessus que moi : et, pour en parler bien au vray, putains par-tout, et cocus par-tout, ainsi que je le puis bien tester, pour avoir veu toutes ces ré- gions que j'ay nommées, et autres; et la chasteté n'habite pas en une région plus qu'en l'autre.

Si feray-je encore cette question, et puis plus, qui possible n'a point esté recherchée de tout le monde, ny possible songée : à sçavoir riion , si deux dames amoureuses l'une de 1 autre, comme il s'est veu et se voit souvent aujourd'huy, couchées en- semble, et faisant ce qu'on dit, donna con donna, en imitant la docte Sapho lesbienne, peuvent commettre adultère, et entre elles faire leurs maris cocus. Certainement, si l'on veut croire Martial en son l" livre, épigram. cxix, elles commettent adul- tère; où il introduit et parle à une femme nommée Bassa, tri- bade, luy faisant fort la guerre de ce qu'on ne voyoit jamais entrer d'hommes chez elle, de sorte qu'on la tenoit pour une seconde Lucrèce : mais elle vint à estre descouverte, en ce que l'on y voyoit aborder ordinairement force belles femmes et filles; et fut trouvé qu'elle-mesme leur servoit et contrefaisoil d'homme et d'adultère, et se conjoignoit avec elles, et use de


(I) O trop dure loi de l'honneur, pourquoi nous interdis-tu ce à quoi nous excite la nature? Elle nous accorde aussi abondammcul que liliéraleincnt , ainsi qu'a tout les animaux, l'usage de l'amour. Mais l'homme, trompeur et perfide, ne connais- sant que trop bien la vigueur de nos reins, a établi celle loi pleine d'erreur pour cachet ainsi la faiblesse des siens.


DISCOURS I. IIT

ces mois : geminos committere amnos. Et puis s'escriant, il dit et donne à songer et deviner cette énigme par ce vers latin:


Uie ubi vir non est, ut sit adulterium [i).

Voilà un grand cas, dit-il, que, là où il n'y a point d'homme,

il y ait de l'adultère.

J'ai cogneu une courtisanne à Rome, vieille et rusée s'il en fiist oncques, qui s'appeloit Isabelle de Lune, Espagnolle, la- quelle prit en telle amitié une courtisanne qui s'appeloit la Pandore, l'une des belles pour lors de tout Rome, laquelle vint à estre mariée avec un sommeiller de M. le cardinal d'Armai- gnac , sans pourtant se distraire de son premier mestier : mais celte Isabelle l'entretenoit, et couchoit ordinairement avec elle ; et , comme desbordée et désordonnée en paroles qu'elle estoit, je luy ay souvent ouy dire qu'elle la rendoit plus putain, et lui fai- soit faire des cornes à son mary plus que tous les ruffiants que jamais elle avoit eus. Je ne sçay comment elle entendoit cela, si ce n'est qu'elle se fondast sur cette épigramme de Martial.

On dit que Sapho de Lesbos a esté une fort bonne maislresse en ce mestier, voire, dit-on, qu'elle l'a inventé, et que depuis les dames lesbiennes l'ont imitée en cela et continué jusques au- jourd'liuy, ainsi que dit Lucian, que telles femmes sont les femmes de Lesbos, qui ne veulent pas souffrir les hommes, mais s'appro- chent des autres femmes, ainsi que les hommes mesmes ; et telles femmes qui aiment cet exercice ne veulent souffrir les hommes, mais s'adonnent à d'autres femmes, ainsi que les hommes mesmes, s'appellent tribades, mot grec dérivé, ainsi que j'ai appris des Grecs, de iptSw, rptêaiv, qui est autant à dire que fricare, frayer, ou friquer, ou s'entrefrotter ; et tribades se disent fricalrices, en françois fricalrices , ou qui font la friquarelle en mestier de donne con donne, comme l'on l'a trouvé ainsi aujourd'huy.

Juvenal parle aussi de ces femmes quand il dit : frictum Gris- sanlis adorât, parlant d'une pareille tribade qui adoroit et ai- moit la fricarelle d'une Grissante.

Le bon compagnon Lucian en fait un chapitre, et dit ainsi que les femmes viennent mutuellement à conjoindre comme les

(I) Là où il n'j a pomt d'homme, on commet pourtant l'adultère.

7.


118 VIES DES DAMES GALANTES.

hommes, conjoignants des instruments lascifs, obscurs et mon- strueux, faits d'une forme stérile, et ce nom, qui rarement s'en- tend dire de ces fricarelles, vacque librement partout, et qu'il faille que le sexe féminin soit Filenes, qui faisoit l'action de cer- taines amours hommasses. Toutesfois il adjousle qu'il est bien meilleur qu'une femme soit adonnée à une libidineuse affection de faire le masle, que n'est à l'itomme de s'effémincr; tant il se monstre peu courageux et noble. La femme donc, selon cela, qui contrefait ainsi l'homme, peut avoir réputation d'estre plus valeureuse et courageuse qu'une autre, ainsi que j'en ay cogneu aucunes, tant pour leurs corps que pour l'ame.

En un autre endroit, Lucian introduit deux dames devisantes de cet amour ; et une demande à l'autre si une telle avoit esté amoureuse d'elle, et si elle avoit couché avec elle, et ce qu'elle luy avoit fait, L'autra luy respondit librement. « Preniiére- B ment, elle me baisa ainsi que font les hommes, non pas seu- » lenient en joignant les lèvres, mais en ouvrant aussi la bouche, i> cela s'entend en pigeonne, la langue en bouche ; et encore » qu'elle n'eust point le membre viril, et qu'elle fust semblable a à nous autres, si est-ce qu'elle disoit avoir le cœur, l'affection B et tout le reste viril ; et puis je l'embrassay comme un » homme, et elle me le faisoit, me baisoit et allentoit (i) (je » n'entends point bien ce mot) , et me sembloit qu'elle y prit » plaisir outre mesure, et cohabita d'une certaine façon beaucoup » plus agréable que d'un homme. » Voilà ce qu'en dit Lucian.

Or, à ce quej'ayouy dire, il y a en plusieurs endroits et ré- gions force telles dames lesbiennes, en France, en Italie et en Espagne, Turquie, Grèce et autres lieux ; et où les femmes sont recluses et n'ont leur entière liberté, cet exercice s'y continue fort; car telles femmes bruslantes dans le corps, il faut bien, disent-elles, qu'elles s'aydeul de ce remède, pour se ralraischir un peu ou du tout qu'elles bruslenl. Les Turques vont aux bains plus pour cette paillardise que pour autre chose, et s'y adonneul fort ; mesme les courtisannes qui ont les hommes à commandement et à toute heure, encore usent-elles de ces friquarelles, s'entre-cherchen l et s'entr'aiment les unes les autres, comme je l'ay ouy dire à aucunes eu Italie et en Espagne. En nostre France, telles femmes sont assez


(1) C'est-à-(\ire : me baisait et me faisait pàmcr de plaiair. Alentir, daus Nicot, (e dit (le la douleur, ou des forces qui dioiiuueul ou se rsieuliweat.


DISCOUUS 1. I-I« 

communes ; et si dit-on pourtant qu'il n'y a pas long-temps qu'elles s'en sont nieslées, mesme que la façon en a esté portée d'Italie par une dame de qualité que je ne nomnieray point.

— J'ay ouy conter à feu M. de Clérmont-Tallard le jeune, qui mourut à La Rochelle, qu'estant petit garçon, et ayant l'honneur d'accompagner M. d'Anjou, depuis noslre roy Henry troisiesnie, en son estude, et estudler avec lui ordinairement, duquel M. de Gournay estoit précepteur, un jour, estant à Thoulouse , estu- diant avec son dit maistre dans son cabinet, et estant assis dans un coin à part, il vid, par une petite fente (d'autant que les cabi- nets et chambres estoient de bois, et avoient esté faits à l'im- proviste et à la haste, par la curiosité de M. le cardinal d'Armai- gnac, archevesque de là, pour mieux recevoir et accommoder le Roy et toute sa cour), dans un autre cabinet, deux fort grandes dames, toutes retroussées et leurs caleçons bas, se coucher l'une sur l'autre, s'entrebaiser en forme de colombe, se frotter, s'entre- friquer, bref, se remuer fort, paillarder, et imiter les hommes; et dura leur esbattement près d'une bonne heure, s'estant si très-fort eschauffées et lassées, qu'elles en demeurèrent si rougea et si en eau, bien qu'il fist grand froid, qu'elles n'en peurent plus et furent contraintes de se reposer autant ; et disoit qu'il veid joiier ce jeu que^ines autres jours, tant que la Cour fut là, de mesme façon ; et oncques plus n'eut-il la commodité de voir cet esbattement, d'autant que ce lieu le favorisoit en cela, et aux autres il ne put. H m'en contoit encore plus que je n'en ose escrire, et me nommoit les dames. Je ne sçay s'il est vray ; mais il me l'a juré et affirmé cent fois par bons serments : et, de fait, cela est bien vray-semhlable ; car telles deux dames ont bien eu lousjours cette réputation de faire et continuer l'amour de celte façon et de passer ainsi leur temps.

J'en ay cogneu plusieurs autres qui ont traité de mesmes amours, entre lesquelles j'en ay ouy conter d'une de par le monde, qui a esté fort superlative en cela, et qui aimoit aucunes dames, les honoroil et les servoit plus que les hommes, et leur faisoit l'amour comme un homme à sa maistresse; et si les pre- noit avec elle, les entretenoit à pot et à feu, et leur donnoit ce qu'elles vouloient. Son mary en estoit très-aise et fort content; ainsi que beaucoup d'autres raariyrs que j'ay eus, qui estoient fort aises que leurs femmes menassent ces amours plutost que celles des hommes (n'en pensant leurs femmes si folles ny pu-


120 VIES DES DAMES GALANTES.

tains). Mais je croy qu'ils sont bien trompez, car ce petit exer- cice, à ce que j'ay ouy dire, n'est qu'un apprentissage pour ve- nir à celuy grand des hommes ; car après qu'elles se son eschauffées et mises bien en rut les unes les autres, leur chaleur ne se diminuant pour cela, faut qu'elles se baignent par une eau vive et courante, qui raffraischisl bien mieux qu'une eau dor- mante , ainsi que je tiens de bons chirurgiens , et veu que , qui veut bien panser et guérir une playe, il ne faut qu'il s'amuse à la médicamenler et nettoyer alentour ou sur le bord, mais il la faut sonder jusques au fond, et y mettre une sonde et une tente bien avant.

Que j'en ay veu de ces Lesbiennes, qui, pour toutes leurs frica- relles el enlre-froltements, n'en laissent d'aller aux hommes ! mesme Sapho, qui en a esté la maislresse, ne se mit-elle pas à aymer son grand amy Phaon, après lequel elle mouroit? Car, enfin, comme j'ay ouy raconter h plusieurs dames, il n'y a que les hommes; et que de tout ce qu'elles prennent avec les autres femmes, ce ne sont que des tiroiiers pour s'aller paistre de gorges-chaudes avec les hom- mes : et ces fricarelles ne leur servent qu'à faute des hommes; que si elles les trouvent à propos et sans escandale , elles lairroienl bien leurs compagnes pour aller à eux et leur sauter au collet.

J'ay cogiieu de mon temps deux belles et honnestes damoiselles de bonnes maisons, toutes deux cousines , lesquelles ayant couché ensemble dans un mesme lit l'espace de trois ans, s'accouslumèrent si fort à celte fricarelle, qu'après s'eslre imaginées que le plaisir esloit assez maigre et imparfait au prix de celuy des hommes, se mirent à le taster avec eux, et en devinrent très bonnes putains, et confessèrent après à leurs amoureux que rien ne les avoit tant des- bauchées el esbranlées à cela que celle fricarelle, la détestant pour en avoir esté la seule cause de leur desbauche : et, nonobstant, quand elles serenconlroyent, ou avec d'autres, elles prenoient tous- jours quelque repas de cette fricarelle, pour y prendre tousjours plus grand appetii de l'autre avec les hommes. Et c'est ce que dit une fois une lionneste damoiselle que j'ay cogneue, à laquelle son serviteur demandoit un jour si elle ne faisoit point celle fricarelle avec sa compagne, avec qui elle couchoit ordinairement. «Ah ! non, dit-elle en riant, j'ayme trop les hommes; » mais pourtant elle faisoil l'un et l'autre.

Je sçay un honneste gentilhomme, lequel, désirant un jour à la Cour ^jourchassp? en mariage une fort honneste daraoiselle, eu de-


DISCOURS I. 121

manda l'advis à une sienne parente. Elle luy dit franchement qu'il y perdroit son temps; « d'autant, me dit-elle, qu'une telle dame, » qu'elle me nomma , et de qui j'en savois des nouvelles, ne per- » mettra jamais qu'elle se marie. » J'en cogneus soudain l'en- jjloiieure, parce que je sçavois bien qu'elle lenoit cette dandoi- selle en ses délices à pot et à feu, et la gardoit précieusement pour sa bouche. Le gentilhomme en remercia sa dite cousine de ce bon advis, non sans lui faire la guerre en riant, qu'elle par- toit ainsi en cela pour elle comme pour l'autre; car elle en tiroit quelques petits coups en robbe quelquesfois : ce qu'elle me nia pourtant. Ce trait me fait ressouvenir d'aucuns qui ont ainsi des putains à eux qu'ils ayment tant, qu'ils n'en feroient part pour tous les biens du monde, fust à un prince, à un grand, fust à leur compagnon, ni à leur amy, tant ils en sont jaloux, comme un ladre de son barillet ; encore le présente-t-il à boire à qui en veut. Mais cette dame vouloit garder celte damoiselle toute pour soy, sans en départir à d'autres : pourtant si la faisoit-elle cocue à la dérobade avec aucunes de ses compagnes.

On dit que les belettes sont touchées de cet amour, et se plai- sent de femelle à femelle à s'entreconjoindre et habiter en- semble ; si que par lettres hiéroglyfiques les femmes s'entr' ai- mantes de cet amour estoient jadis représentées par des belettes. J'ay ouy parler d'une dame qui en nourrissoit tousjours, et qui se niesloit de cet amour, et prenoit plaisir de voir ainsi ses pe- tites bestioles s'entre-liabiter.

Voici un autre poinct, c'est que ces amours féminines se traittent en deux façons, les unes par friquarelle, et par, comme dit ce poëte, geminos commiltere connos.

Cette façon n'apporte point de dommages, ce disent aucuns,

comme quand on s'aide d'instruments façonnés de , mais

qu'on a voulu appeler des g (l).

J'ay ouy conter qu'un grand prince, se doutant de deux dames de sa cour qui s'en aydoient, leur fit faire le guet si bien qu'il les surprit, tellement que l'une se trouva saisie et accommodée d'un gros entre les jambes, gentiment attaché avec de petites bandelettes à l'entour du corps, qu'il sembloit un membre naturel. Elle en fut si surprise qu'elle n'eut loisir de l'oster ; tellement que ce prince la contraignit de luy monstrer comment elles deux se U

1) Par corruption pour qau'le v:ihi.


IJ2 VIES DES DAMES GALANTES.

fàisoient. On dit que plusieurs remmes en sont mortes, pour engen- drer en leurs matrices des apostumes faites par mouvements et frottements point naturels. J'en svay bien quelques-unes de ce nom- bre, dont c'a esté grand dommage, car c'estoient de très-belles et honnestes dames et damoiselles, qu'il eust bien mieux vallu qu'elles eussent eu compagnie de (juelques honnestes genlilsiiommes, qui pour cela ne les font mourir, mais vivre et ressusciter ainsi que j'espère le dire ailleurs ; et mesmes , que, pour la guérison de tel mal, comme j'ay ouy conter à aucuns chirurgiens, qu'il n'y a rien plus propre que de les faire bien nettoyer là-dedans par ces membres naturels des hommes, qui sont meilleurs que des pesseres qu'usent les médecins et chirurgiens avec des eaux à ce composées; et toutesfois il y a plusieurs femmes, nonobstant les inconvénients qu'elles en voyent arriver souvent, si faut-il qu'elles en ayent de ces engins contrefaits .

— J'ay ouy faire un conte, moy estant lors à la cour, que la Reyne-mere ayant fait commandement de visiter un jour les chambres et coffres de tcus ceux qui estoient logés dans le Louvre, sans épargner dames et filles, pour voir s'il n'y avoit point d'armes cachées et mesmes des pistolets, durant nos trou- bles, il y en eut une qui fut trouvée saisie dans son coffre par le capitaine des gardes , non point de pistolets , mais de quatre gros

g gentiment façonnez, qui donnèrent bien de la risée au

monde, et à elle bien de l'estonnement. Je cognois la damoiselle : je croy qu'elle vit encores : mais elle n'eut jamais bon visage. Tels instruments enfin sont très dangereux. Je feray encore ce conte de deux dames de la cour qui s'entr'aimoient si fort, et estoient si chaudes à leur mestier, qu'en quelque endroit qu'elles fussent ne s'en pouvoient garder ny abstenir que pour le moins ne fissent quelques signes d'amourettes ou de baiser, qui les es- candalisoient si fort, et donnoieut à penser beaucoup aux hommes. Il y en avoit une veufve, et l'autre mariée; et comme la mariée, un jour d'une grand magnificence, se fust fort bien parée et habillée d'une robe de toile d'argent, ainsi que leur maislresse esloit allée à vespres, elles entrèrent dans son cabinet, et sur sa chaise percée se mirent à faire leur fricarelle si rudement et si mptlueusement, qu'elle en rompit sous elles, et la dame mariée qui faisoit le dessous tomba avec sa belle robe de toille d' ar- gent à la renverse tout à plat sur l'ordure du bassin, si bien qu'elle se gasta et souilla si fort, qu'elle ne sçeut que faire que


DISCOUKS 1. 123

s'essuyer le mieux qu'elle peut, se trousser, et s'en aller' k grande haste changer de robbe dans sa chambre, non sans pour- tant avoir esté apperceue et bien sentie à la trace, tant elle puoit : dont il en fut ryt assez par aucuns qui en sceurent le conte ; mesme leur maistresse le sceut, qui s'en aidoil comme elles, et en rist son saoul. Aussi il falloit bien que cette ardeur les maistrisast fort, que de n'attendre un lieu et un temps à pro- pos, sans s'escandaliser. Encore excuse-t-on les filles et femmes veufves pour aimer ces plaisirs frivoles et vains , aimans bien mieux s'y adonner et en passer leurs chaleurs, que d'aller aux hommes et de se faire engroisser et se deshonorer, ou de (aire perdre leur fruict, comme plusieurs ont fait et font ; et ont opi- nion qu'elles n'en offensent pas tant Dieu, et n'en sont pas tant putains comme avec les hommes : aussi y a-l-il bien de la diffé- rence de jeter de l'eau dans un vase, ou de l'arrouser seulement alentour et au bord. Je m'en rapporte à elles. Je ne suis pas leur censeur ny leur mary, s'ils le trouvent mauvais, encore que je n'en ay point veu qui ne fussent très-aises que leurs femmes s'amourachassent de leurs compagnes, et qu'ils voudroient qu'elles ne fussent jamais plus adultères qu'en cette façon; comme de vray telle cohabitation est bien différente de celle d'avec les hommes, et, quoy que die Martial, ils n'en sont pas cocus pour cela. Ce n'est pas texte d'Évangile, que celuy d'un poète fol. Donc, comme dit Lucian, il est bien plus beau qu'une femme soit virile ou vraye amazone, ou soit ainsi lubrique, que non pas un homme soit féminin, comme un Sardanapale et Hé- liogabale, ou autres force leurs pareils ; car d'autant plus qu'elle tient de l'homme, d'autant plus elle est courageuse : et de tout cecy je m'en rapporte à la décision du procès.

M. du Gua et moy lisions une foi un petit livre italien, qui s'inlitule de la Beauté, fait en dialogue par le seigneur Angello Fiorenzolle, Florentin, et tombasnies sur un passage où il dit qu'aucunes femelles qui furent faites par Jupiter au commence- ment, furent créées de cette nature, qu'aucunes se mirent à ay- mer les hommes, et les autres la beauté de l'une et de l'autre; mais aucunes purement et saintement, comme de ce genre s'est trouvée de notre temps, comme dit l'auteur, la irès-illuslre Mar- guerite d'Austriche, qui ayma la belle Laodamie, forte en guerre; les autres lascivement et paillardement, comme Sapho Lesbienne, et de nostre temps à Rome la grande courtisanne Cécile véné-


124 VIES DES DAMES GALANTES.

tienne ; et icelles de nature baissent à se marier, et fuyent la conversation des hommes tant qu'elles peuvent. Là-dessus M. du Gua, reprit l'auteur, disant que cela estoit faux que cette belle Marguerite aimast cette belle dame de pur et saint amour; car puis qu'elle l'avoit mise plustost sur elle que sur d'autres qui pouvoient estre aussi belles et vertueuses qu'elle, il estoit à pré- sumer que c' estoit pour s'en servir en délices, ne plus ne moins comme d'autres ; et pour en couvrir sa lasciveté, elle disoit et pu- blioil qu'elle l'aimoit saintement, ainsi que nous en voyons plu- sieurs ses semblables, qui ombragent leurs amours par pareils liiots. Voilà ce qu'en disoit M. du Gua ; et qui en voudra outre plus en discourir là-dessus, faire se peut. Cette belle Marguerite fusl la plus belle princesse qui fust de son temps en la chreslienté. Ainsi, beautez et beautez s'entr-aiment de quelque amour que ce soit, mais du lascif plus que de l'autre. Elle fut remariée en tier- ces nopces, ayant en premières espousé le roi Charles huitiesme, en secondes Jean, fils du roi d'Arragon, et le troisiesme avec le duc de Savoye qu'on appeloit le Beau ; si que, de son temps, on les disoit le plus beau pair et le plus beau couple du monde ; mais la princesse n'en joiiit guierre de cette copulation, car il mourut fort jeune, et en sa plus grande beauté, dont elle en porta les regrets très-extrêmes, et pour ce ne se remaria jamais. Elle fit faire bastir cette belle église qui est vers Bourg en Bresse, l'un des plus beaux et plus susperbes bastiments de la chrestienté. Elle estoit tante de l'empereur Charles-Quint, et assista bien à son nepveu ; car elle vouloit tout appaiser, ainsi qu'elle et madame la régente au traité de Cambray firent, où toutes à deux se virent et s'assemblèrent là, où j'ay ouy dire aux anciens et anciennes qu'il faisoit beau voir ces deux grandes princesses.

— Corneille Agrippa a fait un petit traité de la vertu des femmes, et tout en la louange de cette Marguerite. Le livre en est très-beau, qui ne peut estre autre pour le beau sujet, et pouj' l'auteur, qui a esté un très-grand personnage.

— J'ay ouy parler d'une grande dame princesse , laquelle , parmi les filles de sa suite, elle en aimoit une par-dessus toutes et plus que les autres : en quoy on s'estonnoit, car il y en avoit d'autres qui la surpassoient en tout ; mais enfin il fut trouvé et descouvert qu'elle estoit hermaphrodite, qui lui donnoit du passe- temps sans aucun inconvénient ni escandale. C'estoit bien autre chose qu'à ses tribades : le plaisir pénétroit un peu mieux. J'ay


UISCULIIS l. 136

)uy nommer une grande qui est aussi hermapiirodite, el qui a ainsi un membre viril, mais fort petit, tenant pourtant plus de la femme, car je i'ay veu très-belle. J'ay entendu d'aucuns grands médecins qui en ont veu assez de telles, et surtout très-lascives. Voilà enfin ce que je diray du sujet de ce chapitre, lequel j'eusse pu allonger mille fois plus que je n'ay fait, ayant eu matière si impie et si longue, que si tous les cocus et leurs femmes qui leï Ibnt se tenoient tous par la main, el qu'il s'en peust faire un cercle, je crois qu'il seroit assez bastant pour entourer et cir- cuir la moitié de la terre.

— Du temps du roy François fut une vieille chanson, que j'aj ouy conter à une fort honneste et ancienne dame, qui disoit :

Mais i|uaad viendra b saison

Que les cocus s'assemlileroot , Le Diien ira dcvanl, i|ui portera la baoDière; Les aulrvs suivrout après , le vo^tre sera au darrière,

la procession en sera grande , L'on y verra une très-lungue bande.

Je ne veux pourtant taxer beaucoup d'honnestes et sages femmes mariées, qui se sont comportées vertueusement et constamment en la foy saintement promise à leurs marys; et en espère faire un chapitre à part à leur louange, et faire mentir maistre Jean de Mun (i) , qui, en son Roman de la Rose, dit ces mots : « Tou- >» tes vous autres femmes estes ou fustes, de fait ou de volonté, D putes; » dont il encourut une telle inimitié des dames de la cour pour lors, qu'elles par une arrestée conjuration et avis de la Beyne, entreprirent un jour de le fouetter, et le dépouillèrent tout nud; et estant prestes à donner le coup, il les pria qu'au moins celle qui estoit la plus grande putain de toutes commen- çast la première : chacune, de honte, n'osa commencer; et par ainsi il évita le fouet. J'en ay veu l'histoire représentée dans une vieille tapisserie des vieux meubles du Louvre. J'aimerois autant un prescheur qui, preschant un jour en bonne compagnie, ainsi qu'il reprenuit les mœurs d'aucunes femmes, et leurs raarys qui enduroient ejtre cocus d'elles, il se mit à crier: « Oui, je les » connois, je les vois, et m'en vais jetter ces deux pierres à la teste » des deux plus grands cocus de la codr pagaie ; » et, faisant sem-

(1] SIchun on Meun.


126 VIES DES DAMES GALANTES.

blanl de les jeller, il n'y eut homme du sermon qui ne baissast la leste, ou niisl son manteau, ou sa cape, ou son bras au-de- vant, pour se garder du coup. Mais luy, les retenant, leur dit : « Ne vous dis-je pas ? je pensois qu'il n'y eusl que deux ou trois « cocus en mon sermon ; mais, à ce que je voy, il n'y en a pas » un qui ne le soit. » Or, quoy que disent ces fols, il y a de fort sages et honnesles femmes, ausquelles s'il falloil livrer bataille à leurs dissemblables, elles l'emporteroient, non pour le nom- bre, mais par la vertu, qui combat et abat son contraire aisé- ment. Et si ledit maistre Jean de M un blasme celles qui sont de volonté putes, je trouve qu'il les faut plustost louer et exalter jusqu'au ciel, d'autant que si elles brusient si ardemment dans le corps et dans l'ame, et, ne venant point aux effets, font pares- tre leur vertu, leur constance et la générosité de leur cœur, aymanl plustost brusler et se consumer dans leurs propres feux et flammes, comme un phénix rare, que de forfaire ni souiller leur honneur, et comme la blanclie hermine, qui aime mieux mourir que de se souiller ( devise d'une très-grande damhange. Ce n'est pas tout ; car il faut avec ces fruits nouveaux, et fruits des jardins et des champs, y adjouter de bons grands pastez que l'on a inventez depuis quelques temps, avec force pistaches, pignons, et autres drogues d'apoticaires scaldives, mais sur-tout des crestes et

G de cocq, que l'esté produit et donne plus en abondance

que l'hyver et autres saisons; et se fait aussi plus grand massacre en général de ces jolets et petits cocqs qu'en hyver des grands cocqs, n'estant si bons et si propres que les petits, qui sont chauds ardents et plus gaillards que les autres. Voila un entr-autres, des bons plaisirs et commoditez que l'esté rapporte pour l'amour. Et de ces pastez ainsi composez de menusailles de ces petits cocqs et culs d'artichaux et truffles , ou autres friandises chaudes en usent souvent quelques dames que j'ai ouy dire; lesquelles, quand elles en mangent et y peschent, mettant la main dedans ou avec


DISCOURS I. 188

(es fourclielles, et en rapportant et en remetiant en la bouche on l'artichaull, ou la trufile, ou la pistache, ou la creste de cocq, ou autre morceau, elles disent avec une tristesse morne : Blanque; et

quand elles rencontrent les gentils c de cocq, et les mettent

sous la dent, elles disent d'une allégresse : Béné^ce; ainsi qu'on fait à la blanque en Italie, et comme si elles avaient rencontré et gagné quelque joyau très-précieux et riche. Elles en ont cette obligation à messieurs les petits cocqs et jolets, que l'esté produit avec la moitié de l'automne pourtant, que j'entremesle avec l'esté, qui nous donne force autres fruits et petits volatiles qui sont cent fois plus chaudes que celles de l'hyver et de l'autre moitié de l'automne prochaine et voisine de l'hyver, qui, bien qu'on les puisse et doive joindre ensemble, si n'y peut-on si bien re- >ifcs cueillir tous ces bons simples en leur vigueur, ny autre chose ^ comme en la saison chaude, encore l'hyver s'efforce de produire ^ ce qu'il peut, comme les bonnes cardes qui engendrent bien de la «^ bonne chaleur et de la concupiscence, soit qu'elles soient cuittes ou \j crues, jusques aux petits chardons chauds, dont les asnes vivent v-^ et en baudoùinent mieux, que l'esté rend durs, et l'hyver les rend tendres et délicats, dont l'ou en fait de fort bonnes salades nou- vellement inventées. Et outre tout cela, on fait tant d'autres recherches de bonnes drogues chez les apoticaires, drogueurs et parfumeurs, que rien n'y est oublié, soit pour ces pastez, soit pour les bouillons : et ne trouve- t-on à dire guieres de la chaleur en Vhyver par ce moyen et entretenement tant qu'elles peuvent; t car, disent-elles, puisque nous sommes curieuses de tenir » chaud l'extérieur de nostre corps par des habits pesants et bonnes fourrures, pourquoy n'en ferons-nous de mesme à l'in- » térieur ? » Les hommes disent aussi : « Et de quoy leur sert-il « d'adjouster chaleur sur chaleur, comme soye sur soye, contre » la Pragmatique, et que d'elles-mesmes elles sont assez cha- » leureuses, et qu'à toute heure qu'on les veut assaillir elles M sont tousjours prestes de leur naturel, sans y apporter aucun » artifice ? Qu'y feriez-vous ? Possible qu'elles craignent que leur i> sang chaud et bouillant se perde et se resserre dans les » veines et devienne froid et glacé si on ne l'entretient, ny plus ■ ny moins que celuy d'un hermite qui ne vit que de racines. » Or laissons-les faire : cela est bon pour les bons compagnons ; car^ elles estant en si fréquente ardeur, le moindre assaut d'a- mour qu'on leur donne, les voilà prises» et messieurs les pauvres


134 VIES DES DAMES GALANTES.

marys cocus et cornus comme satyres. Encor font-elles mieux, les honnestes dames : elles font quelquesfois part de leurs bons pastez, bouillons et potages à leurs amants par miséricorde, afin d'estre plus braves et n'estre atténuez par trop quand ce vient à la besogne, et pour s'en ressentir mieux et prévaloir plus abon- ^ damment et leur en donnent aussi des recettes pour en faire faire en leur cuisine à part: dont aucuns y sont bien trompez, îinsi que j'ay ouy parler d'un galant genlilhomme, qui, ayant ïinsi pris son bouillon, et venant tout gaillard aborder sa maî- tresse, la menaça qu'il la meneroit beau et qu'il avoit pris son bouillon, et mangé son pasté. Elle lui respondit: « Vous ne me » ferez que la raison ; encore ne sçay-je : » et s' estant embras- sez et investis, ces friandises ne luy servirent que pour deux opérations de deux coups seulement. Sur quoy elle luy dit ou que son cuisinier l'avoit mal servy ou y avoit espargné des drogues et compositions qu'il y falloit, ou qu'il n'avoit pas pris tous ses préparatifs pour la grande médecine, ou que son corps pour lors estoit mal disposé pour la prendre et la rendre : et ainsy elle se moqua de luy. Tous simples pourtant, toutes dro- gues, toutes viandes et médecines, ne sont propres à tous ; aux uns elles opèrent, aux autres blanque , encore ay-je veu des femmes qui, mangeant ces viandes chaudes et qu'on leur en fai- soit la guerre que par ce moyen il pourroit avoir du déborde- ment ou de l'extraordinaire ou avec le mary ou l'amant, ou avec quelque pollution nocturne, elles disoient, juroient et affirmoient que, pour tel manger, la tentation ne leur en survenoit en aucune manière ; et Dieu sait il falloit qu'elles Bssent ainsi des rusées. Or les dames qui tiennent le parly de l'hiver disent que, pour les bouillons et mangers chauds, elles en sçavent assez de re- ceptes d'en faire d'aussi bons l'hyver qu'aux autres saisons: elles en font assez d'expérience, et pour faire l'amour le disent aussi très-propre ; car, tout ainsi que l'hyver est sombre, téné- breux, quiète, coy, relire de compagnies et caché, ainsi faut que soit l'amour et qu'il soit fait en cachette, en lieu retiré et obscur, soit en un cabinet à part, ou en un coin de cheminée près d'un bon feu qui engendre bien, s'y tenant de près et long-temps autant de chaleur vénéricque que le soleil d'esté. Comme aussi fait-il bon en la ruelle d'un lit sombre, que les yeux des autres personnes, cependant qu'elles sont près du feu à se chauffer, pénétrent fort mal-aiscmcni, ou assises sur des coffres et lits ù


DISCOURS I. 13S

l'escarl faisant aussi l'amour, ou les voyant se tenir près les unes des autres, et pensant que ce soit à cause du froid, et se tenir plus chaudement ; cependant font de bonnes choses, les flambeaus à part bien loin reculez, ou sur la table, ou sur le bulfel. De plus, qui est meilleur quand l'on est dans le lit? c'est tous les plaisirs du monde aux amants et amantes de s'entr'embrasser, de s'en- treserrer et se baiser, s'entre-lrousser l'un sur l'autre de peur de froid, non pour un peu, mais pour un long temps, et s'entre- eschaulfer doucement, sans se sentir nullement du chaud déme- suré que produit l'esté, et d'une sueur extrême, qui incommode grandement le déduit de l'amour ; car, au lieu de s'entretenir au large et fort à l'escart : et qui est le meilleur, disent les dames, par l'advis des médecins, les hommes sont plus propres, ardants et déduits à cela l'hyver qu'en l'esté.

— J'ay cogneu d'autres fois une très-grande princesse, qui avoit un très-grand esprit et parloit et escrivoit des mieux. Elle se mit un jour à faire des stances à la louange et faveur de l'hy- ver, et sa propriété pour l'amour. Pensez qu'elle l'avoit trouvé pour elle très-favorable et trailable en cela. Elles estoient très- bien faites, et les ay tenues long-temps en mon cabinet, et vou- drois avoir donné beaucoup et les tenir pour les insérer ici ; l'on y verroit et remarqueroit-on les grandes vertus de l'hyver, pro- priétés et singularités pour l'amour.

— J'ay cogueu une très-grande dame et des belles du monde, laquelle, veufve de frais, faisant semblant ne vouloir, pour son nouvel habit et estât, aller les après-soupers voir la Cour, ni le bal, ni le coucher de la Reine, et n'eslre estimée trop mondaine, ne bougeoit de la chambre, laissoit aller ou renvoyoit un chacun ou une chacune à la danse, et son fils et tout, se reliroit en une ruelle ; et là son amant, d'autres fois bien traité, aymé et favo- risé d'elle estant en mariage, arrivoit, ou bien, ayant soupe avec elle, ne bougeoit, donnant le bonsoir à un sien beau-frère, qui esloit de grand garde, et là traitoit et renouvelloit ses amours anciennnes, et en pratiquoit de nouvelles pour secondes noces, qui furent accomplies en l'esté après. Ainsi que j'ay considéré depuis toutes ces circonstances, je croy que les autres saisons ne fussent esté si propres pour cet hyver, et comme je l'ay ouy dire à une de ses dariolelles. Or, pour faire fin, je dis et affirme que toutes saisons sont propres pour l'amour, quand elles sont prises à propos, et selon les caprices des hommes et des femmes


136 VIES DES DAMES GALANTES.

qui les surprennent : car, tout ainsi que la guerre de Mars se fait en toutes saisons et tout temps, et qu'il donne ses victoires co mme il luy plaît et comme aussi il trouve ses gens d'armes bien appareillés et encouragés de donner leur bataille, Vénus en fait de mesmes, selon qu'elle trouve ses troupes d'amants et d'a- ma ntes bien disposées au combat : et les saisons n'y font guères rien, ny leur acception ny élection n'y a pas grand lieu; non plus ne servent guères leurs simples, ny leur fruits, ny leurs drogues, ny drogueurs, ny quelque artifice que fassent ny les unes ny les autres, soit pour augmenter leur chaleur, soit pour la rafraischir. Car, pour le dernier exemple, je connois une grande dame à qui sa mère, dez son petit âge, la voyant d'un sang chaud et bouillant qui la menoit un jour tout droit au che- min du bourdeau. luy fit user par l'espace de trente ans, ordi- nairement en tous ses repas, du jus de vinette, qu'on appelle en France ozeille, fust en ses viandes, fust en ses potages et avec bouillons, fust posir en boire de grandes esciielles à oreilles, sans autres choses entremeslées ; bref, toutes ses sausses estoient jus de vinette. Elle eut beau faire tous ces mystères réfrigératifs, qu'enfin c'a esté une très-grandissime et iHustrissime putain, et qui n'avoit point besoin de ces pastés que j'ay dit pour luy donner de la chaleur, car elle en a assez ; et si pourtant elle est aussi goulue à les manger que toute autre. Or je fais fin, bien que j'en eusse dit davantage et eusse rapporté davantage de rai- sons et exemples ; mais il ne faut pas tant s'amuser à ronger un mesme os ; et aussi que je donne la plume à un autre meilleur discoureur que moi, qui sçaura soustenir le party des unes et des autres raisons : me rapportant à un souhait et désir que fai- roit une fois une honneste dame espagnole, qui souhaitoit et désiroit de devenir hyver, quand sa saison seroit, et son ami un feu, afin, quand elle viendroit s'escbauifer à luy par le grand froid qu'elle auroit, qu'il eust ce plaisir de la chauffer, et elle de prendre sa chaleur quand elle s'y chaufferoit, et de plus se pré- senter et se faire voir à luy souvent et à son aise, et se chauf- fant retroussée, escarquillée, et eslargie de cuisses et de jambes, pour participer à la vue de ses beaux membres cachés sous son linge et habillements d'auparavant ; aussi pour la reschaufîer encore mieux et luy entretenir son autre feu du dedans et sa chaleur paillarde. Puis désiroit venir printemps, et son amy un •ardia tout en fleurs, desquelles elle s'en ornast sa teste, sa belle


DISCOURS I. 137

gorge, son beau sein, voire s'y veautrant parmy elles son beau corps tout nud entre les draps. De mesmes après desiroit deve- nir esté, et par conséquent son amy une claire fontaine ou re- luisant ruisseau, pour la recevoir en ses belles et fraisches eaux quand elle iroil s'y baigner et esgayer, et bien à plein se faire voir à luy, toucher, retoucher et manier tous ses membres beaux et lascifs. Et puis, pour la fin, desiroit pour son automne re- tourner en sa première forme et devenir femme et son mary homme, pour puis après tous deux avoir l'esprit le sens et la raison à contempler et remémorer tout le contentement passé, et vivre en ces belles imaginations et contemplations passées, et pour sçavoir et discourir entr'eux quelle saison leur avoit esté plus propre et délicieuse. Voilà comment ceste honneste dame départoit et compassoit les saisons ; en quoy je me remets au jugement des mieux discourants, quelle des quatre en ces for- mes pouvoil eslre à l'un et à l'autre plus douce et plus agréable. — Maintenant à bon escient je me départs de ce discours. Qui en voudra sçavoir davantage et des diverses humeurs des co- cus, qu'il fasse une recherche d'une vieille chanson qui fut faite à la Cour, il y a quinze ou seize ans, des cocus, dont le refrain est


Un cocu même l'autre, et toujours sont en peise. Un cocu l'autre meine.


Je prie toutes les bonne :les dames qui liront dans ce chapitrai aucuns contes, si par cas elles y passent dessus, me pardonner! s'ils sont un peu gras en saupiquets , d'autant que je ne les eusse sceu plus modestement déguiser, veu la sauce qu'il leur • faut; et diray bien plus, que j'en eusse allégué d'autres encore \ bien plus saugreneux et meilleurs, n'estoit que, ne les pouvant ; ombrager bien d'une belle modestie, j'eusse eu crainte d'offenser i les honnestes dames qui prendront cette peine et me feront cet i honneur de lire mes livres; et si vous diray de plus, que ces :

ontes que j'ay faiti; icy ne sont point contes menus de villes

ny villages, mais viennent de bons et hauts lieux ; et si ce sont de viles et basses personnes, ne m'estant voulu mesler que de coucher les grands et hauts subjets, encore que j'aye le dire bas ; el. en ne nommant rien, je ne pense pas scandaliser rien aussi.


IftS VIES DES DAMES GALANTES.

Femmes, qui traDs(oruiei vos uiaryi en oiseaux Ne vous eu lassez (>oint, la forme eu est Irès-belle; Car si vous les laissez eu Itsiirs premières ppaux , Ils voudront vous tenir lonjuiirs en curainlle, Bt comme h mmc Tondront user «Je leur puissance; Au lieu qu'cslauls oiseaux ne vous fcrual d'offense.


AUTRE.

Ceux qui voudront blasmer les femmes amiables Qui font secrètement leurs bous marjs coruards, Les blasment à grand Ion et ne seul que bavards; Car elles fonl l'auniosne el sont fort cliaritables Eu gantant bien ta loy à l'aumosuu itunner. Ne faut en kypocrit la trompiilic sonner.

Fieille rime du jeu d'amours, que j'ay trouvée dans des vieux papiers.

Le jeu d'amours, ou jeunesse s'esbat,

A un tablier se peut comparer.

Sur un tablier les dames on abat,

Puis il convient le trictrac préparer.

Et en celui ne faut que se |>arer.

Plusieurs font Jean : n'est-ce pas jeu honnetfe,

Qui par nature un joUeur admoneste

Passer le temps de cœur joyeusement ?

Hais en défaut de trouver la raye nette

Il s'eu ensuit un grand jeu de torment.

Ce mot raye nelle s'enlena en deux façons: l'une, pour le jeu de la raye nelle du Iriclrac; el l'autre, que, pour ne trouver la raye nelle de la dame avec qui l'on s'esbal, ou y gagne boiit;e Vérole, de bon mal et du tornieni.


ISCOUilS II. 139


DISCOURS SECOND

Sur le «ujet qui couteuie le ptii» eu amour, ou le toiicUcr, ou U «eue, ou la parole.


INTRODUCTION.

Voici une question en matière d'amours qui mériteroit un plas profond et meilleur discoureur que nioy, sçavoir qui contente plus en la jouissance d'amour, ou le tact qui est l'attouchement, ou la parole, ou la veuë? M. Pasquier, très-grand personnage certes, en sa jurisprudence, qui est sa profession, comme en autres belles et humaines sciences, en fait un discours dans ses lettres qu'il nous a laissées par escrit ; mais il a esté trop bref, et, pour estre si grand homme, il ne devoil tant là-dessus espargner sa belle pa- role comme il a fait ; car, s'il l'eust voulue un peu eslargir et en dire bien au vray et au naturel ce qu'il en eust sceu dire, sa lettre qu'il en fait là«dessus en eust esté cent fois bien plus plaisante et agréable.

U en fonde son discours principal sur quelques rimes ancienues du comte Thibault de Champagne , lesquelles je n'avois jamais vues, sinon ce petit fragment que ce M. Pasquier produit là; et trouve que ce bon et brave et ancien chevalier dit très-bien, non en si bons termes que nos gallants poètes d'aujourd'hui, mais pourtant en très-bon sens et bonnes raisons; aussi avoit-il un très- beau et digne sujet pourquoy il disoit si bien, qui estoit la reyne Blanche de Castille, mère de saint Louis, de laquelle il fut aucu- nement cspris, voire beaucoup, et l'avoit prise pour maistresse. Mais, pour cela, quel mal? et quel reproche pour celle reyne? en- i core qu'elle fusl esté très-sage et vertueuse, pouvoit-elle engarder ' le monde de l'aymer et brusler au feu de sa beauté et de ses ver- tus, Duisque c'est le propre de la vertu et d'une perfection que de


140 VIES DES DAMES GALANTES.

se faire aymer ? Le tout est de ne se laisser aller à la volon.lé de celuy qui ayme.

Voylà pourquoy il ne faut trouver estrange ny blasmer cette reyne si elle fut tant aimée, et que, durant son règne et son auto- rité, il y ait eu en France des divisions, séditions et querelles : car, comme j'ay ouy dire à un très-grand personnage, les divisions s'esmeuvent autant pour l'amour que pour les brigues de l'Esiat ; et, du temps de nos pères, il se disoit un proverbe ancien que tout le monde voloit du c. de la reine folle.

Je ne sçay pour quelle reyne ce proverbe se fit, comme pos- sible, fil ce comte Thibault, qui, possible, ou pour n'estre bien traité d'elle comme il vouloit, ou qu'il en fust desdaigné, ou un autre mieux aimé que luy, conceut en soy ces dépits qui le préci- pitèrent et firent perdre en ces guerres et tumultes, ainsi qu'il ar- rive souvent quand une belle ou grande reyne ou dame, ou prin- cesse, se met à régir un Estât : un chacun désire la servir, honorer et respecter, autant pour avoir l'heur d'estre bien venu d'elle et estre en ses bonnes grâces, comme de se vanter de régir et gou- verner l'Estat avec elle et en tirer du profit. J'en alléguerois quel- ques exemples, mais je m'en passeray bien.

Tant y a, que ce comte Thibault prit sur ce beau sujet, que je viens de dire, à bien escrire, et possible à faire cette demande que nous représente M. Pasquier, auquel je renvoyé le lecteur cu- rieux, sans en toucher icy aucunes rimes ; car ce ne seroil qu'une superfliiiié. Maintenant, il me suffira d'en dire ce qu'il m'en semble tant de moy que de l'avis des plus gallants que moy.


AHTICLE PREMIER. De l'aitouclicment eD amour


Or, quant à l'altouchemeni, cerlainement il faut avouer qu'il est

très délectable, d'aulanlquela perfection de l'amour c'est de jouir, et ce joiiir ne se peut faire sans l'allouchenient; car, tout ainsi que la faim et la soif ne se peut soulager et appaiser, sinon par le manger et le boire, aussi l'amour ne se passe ny par l'ouye ny par la veuë, mais par le toucher, l'embrasser et par l'usage de Vénus : à quoi le badin fat Diogène conique rencontra badmement, mais


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salaudement pourtant, quand il souhaitoit qu'il peust abattre sa faim en se frottant le ventre, tout ainsi qu'en se frottant la verge il passoit sa rage d'amour. J'eusse voulu mettre cecy en paroles plus nettes, il le faut passer fort légèrement; ou bien comme fil cet amoureux de Lamia, qui, ayant esté par trop excessivement rançonné d'elle pour jouir de son amour, n'y put ou n'y voulut en- tendre ; et, pour ce, s'advisa, songeantjenelle, se corrompre, se j^ polluer, et passer son envie en son imagination : ce qu'elle ayant sceu, le fit convenir devant le juge qu'il eust à l'en satisfaire et la payer, lequel ordonna qu'au son et tintement de l'argent qu'il lai monstreroit, elle seroit payée, et en passeroit ainsi son envie, de mesme que l'autre par songe et imagination , avoit passé la sienne.

Il est bien vray que l'on m'alléguera force espèces de Vénus que les anciens philosophes déguisent; mais de ce, je m'en rap- porte à eux et aux plus subtils qui en voudront discourir. Tant y a, puisque le fruit de l'amour mondain n'est autre chose que la joiiissance, il ne faut point la penser bien avoir, qu'en louchant et embrassant. Si est-ce que plusieurs ont bien eu opinion que ce plaisir estoit fort maigre sans la veuë et la parole ; et de ce nous en avons un bel exemple dans les Cent Nouvelles de la Reyne de Navarre, de cet honnesie gentilhomme, lequel, ayant joiiy plusieurs fois de cette honneste dame de nuict, bouchée avec son touret de nez car les masques n'esloienl encore en usage), en une galerie sombre et obscure, encore qu'il cogneust bien au toucher qu'il n'y avoit rien que de bon, friant et exquis, ne se contenta point de telle faveur, mais voulut savoir à qui il avoit à faire : par quoy, en l'embrassant et la tenant un jour, il la marqua d'une craye au derrière de sa robe, qui estoit de velours noir; et puis le soir après souper (car leurs assignations estoient à certaine heure assignée), lin si que les dames entroient dans la salle du bal, il se mit derrière la porte; et, les espiant attentivement passer, il vient à voir en- trer la sienne marquée surl'espaule, qu'il n'eust jamais pensé, car, en ses façons, contenances et paroles, on l'eust prise pour la Sa- piencede Salomoh, et telle que la Reyne la descrit. Qui fust esbahy, ce fut ce gentilhomme, pour sa fortune assise sur une femme qui n'eust jamais creu moins d'elle que de toutes les dames de la Cour ; ^ vray est qu'il voulul passer plus outre, et ne s'arrester là, car il luy voulut le tout descouvrir, et sçavoir d'elle pourquoy elle se cachoit ainsi de luy, et se faisoit ainsi servir à couvert et cachet-


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tes; mais elle, très-biea rusée, nia et renia tout, jusques à sa part de paradis et la damnation de son ame, comme est la cous- tume des dames, quand on leur va objecter des choses de leur cas qu'elles ne veulent qu'eu les sache, encore qu'on en soit bien cer- tain et qu'elles soient très-vrayes. Elle s'en dépita ; et par ainsi ce gentilhomme perdit sa bonne fortune. Bonne, certes, elle es- toit; car la dame estoit grande et valoit le faire, et, qui plus est, parce qu'elle faisoit de la sucrée, de la chaste, de la prude, de la feinte; en cela il pouvoit avoir double plaisir : l'un pour cette jouissance si douce, si bonne, si délicate; et le second, à la con- V templer souvent devant le monde en sa mixte cohue mine, froide et modeste, et sa parole toute chaste, rigoureuse et recliignarde, songeant en %o\ son geste lascif, folastre maniement et paillardise, quand ils esioient ensemble. Voilà pourquoy ce gentilhomme eut grand tort de luy en avoir parlé, mais devoit lousjours continuer ses coups et manger sa viande, aussi bien sans chandelle qu'avec tous les flambeaux de sa chambre. Bien devoit-il sçavoir qui elle estoit, et en faut loiier sa curiosité, d'autant que, comme dit le conte, il avoii peur avoir à faire avec quelque espèce de diable ; car volontiers ces diables se transforment et prennent la forme des femmes pour habiter avec les hommes, et les trompent ainsi ; ausquels pourtant, à ce que j'ay ouydire à aucuns magiciens subtils, est plus aisé de s'accommoder de la forme et visage de femme, que non pas de la parole. Voilà pourquoy ce gentilhomme avoit raison de la vouloir voir et cognoistre; et, à ce qu'il disoit luy-même, l'abstinence de la parole lui faisoit plus d'appréhension que la veuë, et le meitoit en resverie de monsieur le diable ; dont en cela il monstra qu'il craignoit Dieu. Mais, après avoir le tout des- couvert, il ne devoit rien dire. Mais quoy 1 ce dira quelqu'un, l'a- mitié et l'amour n'est point bien parfaite, si on ne la déclare et du cœur et de la bouche ; et pour ce, ce gentilhomme la luy vouloit faire bien entendre; mais il n'y gagna rien, car il y perdit tout. Aussi, qui eust cogneu l'humeur de ce gentilhomme, il sera pour excusé, car il n'esioit si froid ny discret pour jouer ce jeu, et se masquer d'une telle discrétion ; et, à ce que j'ay ouy dire à ma mère, qui estoit à la Reyne de Navarre, et qui en sçavoit quelques secrets de ses Nouvelles, et qu'elle en estoit l'une des devisantes, c'estoit feu mon oncle de La Chaslaigneraye, qui estoit brusq, prompt et un peu volage. Le conte est déguisé pourtant pour le cacher mieux, car mou dict oncle ue fut jan.ais au service de la grand princesse,


DISCOURS II. . 143

maistresse de cette dame, ouy bien dn roy son frère : et si n'en fat autre chose, car il estoit fort ajmé et du Roy cl de la princesse. La dame, je ne la nommeray point, mais elle estoit veufve et dame d'honneur d'une très-grande princesse, et qui sçavoit faire la mine de prude plus q»e dame de la Cour.

— J'ay ouy conter d'une dame de la cour de nos derniers roys, que je cognois, laquelle, estant amoureuse d'un fort honneste gen- tilhomme de la Cour, vouloit imiter la façon d'amour de celte dame précédente: mais autant de fois qu'elle venoit de son assignation et de son rendez-vous, elle s'en alloit à sa chambre, et se faisoit re- garder de tous costez à une de ses filles ou femmes de chambre si elle n'estoit point marquée; et, par ce moyen, se garda d'estre mé- prise et reconnue. Aussi ne ful-elle jamais marquée qu'à la neu- fiesme assignation, que la marque fut aussilost descouverte et re- cogneue de ses femmes ; et pour ce, de peur d'estre scandalisée, et tomber en opprobre, elle brisa là, et oncques puis ne retourna à l'assignation. Il eust mieux valu, ce dit quelqu'un, qu'elle luy eust laissé faire ses marques tant qu'il eust voulu, et autant de faites les deffaire et effacer; et pour ce eust eu double plaisir, l'un de ce contentement amoureux, et l'autre de se mocquer de son homme, qui iravailloit tant à cette pierre philosophais pour la des- couvrir et cognoistre, et n'y pouvoit jamais parvenir.

— J'en ay ouy conter d'un autre du temps du roy François, de ce beau escuyer Gruffy, qui estoit un escuyer de l'escurie du dit roy, et mourut à Naples au voyage de M. de Lautrec, et d'une très- grande dame de la Cour, dont en devint très-amoureuse : aussi esloit-il très-beau et ne l'appeloit-on ordinairement que le beau Gruffy, dont j'en ay veu le pourtrait qui le monstre tel. Elle attira un jour un sien vallet-de-chambre en qui elle se fioit, pourtant in- cogneu et non veu, en sa chambre, qui luy vint dire un jour, luj bien habillé, qu'il sentoit son gentilhomme, qu'une ifès-bonneste et belle dame se nnîommandoit à luy, et qu'elle en estoit si amou- reuse qu'elle en désiroit fort l'accointance plus que d'homme de la Cour, mais p;!r tel si, qu'elle ne vouloit, pour tout le bien dumonde, qu'il la visl ni la connust ; mais qu'à l'heure du coucher, et qu'un chacun de la Cour seroit retiré, il le viendroii quérir et prendre ea un certain lieu qu'il lui diroit, et de là il le meneroil coucher avec celte dame; mais par telle pache aussi, qu'il luy vouloit bouschei les yeux avec un beau moucnoûTblanc, comme un trompette qu'on meine en ville ennemie, afin qu'il ne peust voir ny recognoistre le


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lieu ny la chambre là où il le meneroit, et h liendroii tousjours par les mains afin de ne deflFaire ledit mouchoir; car ainsi luy avoii com- mandé sa maistresse luy proposer ces conditions, pour ne vouloir estre connue de luy jusques à quelque temps certain et préfix qu'il luy dit, et lui promit ; et pour ce qu'il y pensast et advisast bien s'il y vouloit venir à cette condition, afin qu'il luy sceut dire len- demain sa response; car il le viendroil quérir et prendre en un lieu qu'il luy dit, et surtout qu'il fust seul, et il le meneroit en une part si bonne, qu'il ne s'en repentiroit point d'y eslre allé. Voilà une plaisante assignation et composée d'une estrange condition. J'ai- merois autant celle-là d'une dame espagnole, qui manda à un une assignation, mais qu'il portasl avec lui trois S. S. S., qûî-éstolent à dire : sabio, solo, segreto; sage, seul, secret: l'autre luy manda qu'il iroit, mais qu'elle se garnist et fournist de trois F. F. F., qui sont qu'elle ne fust fea, fluca n'y fria; qui ne fust n'y laide, flaque n'y froide. Attant, le messager se départit d'avec Gruffy. Qui fut en peine et en songe, ce fut luy, ayant grand sujet de pen- ser que ce fust quelque partie jouée de quelque ennemy de Cour, pour luy donner quelque venue, ou de mort ou de charité envers le Roy. Songeoit aussi quelle dame pouvoil»elie estre, ou grande, ou moyenne, ou petite, ou belle, ou laide, qui plus luy fascboit (encore que tous chats sont gris la nuict, ce dit-on, et tous c... sont c... sans clarté). Par-quoy, après en avoir conféré à un de ses compagnons les plus privez, il se résolut de tenter la risque, et que pour l'amour d'une grande, qu'il présumoit bien estre, il ne falloir rien craindre et appréhender. Par-quoy, le lendemain que le Roy, les Reynes, les dames et tous et toutes de la Cour se furent retirez pour se coucher, ne faillit de se trouver au lieu que le messager lui avoit assigné, qui ne faillit aussi-tost l'y venir trouver avec un second, pour luy aider à faire le guet si l'autre n'estoit point suivy de page ni de laquais, ny vallet, ny gentilhomme. Aussi-tost qu'il le vit, luy dit seulement : « Allons, monsieur, madame vous attend.» Soudain il le banda, et le mena par lieux obscurs, estroits, et tra- verses incogneues, de telle façon que l'autre luy dit franchement qu'il ne sçavoit là où il le menolt ; puis il entra dans la chambre de la dame, qui estoit si sombre et si obscure qu'il ne pouvoit rien voir ni cognoistre, non plus que dans un four. Bien la trouva-t-il sentant à bon, et très-bien parfumée, qui luy fit espérer quelque chose de bon ; parquoy le fit deshabiller aussi-tost, et luy-même le deshabilla, et après le mena par la maia, luy ayant osté le mouchoir.


DISCOURS II. 145

au licl de la dame qui l'alteDdoit en bonne dévollon, else mil auprès d'elle à la lasler, l'embrasser, la carresser, où il n'y trouva rien que irès-bon et exquis, tarit à sa peau qu'à son linge et lict très-su- perbe, qu'il tastonnoit avec les mains ; et ainsi passa joyeusement la nuict avec celte belle dame, que j'ay bien ouy nommer. Pour fin, tout lui contenta en toutes façons, et cognent bien qu'il esloil très- bien hébergé pour celte nuict; mais rien ne lui faschoii, disoit-il, si-non que jamais il n'en sceut tirer aucune parole. Elle n'avoil. garde, car il parloil assez souvent à elle le jour comme aux autres idames, et, pour ce, l'eust cogneue aussitosl. De folalries, de mignar- jdises, de carresses, d'attouchements et de toute autre sorte de dé- monstrations d'amour et paillardises, elle n'y espargnoit aucune : tant y a qu'il se trouva bien. Le lendemain, à la pointe du jour, le messager ne faillit de venir esveiller, et le lever et habiller, le ban- der et le retourner au lieu où il l'avoit pris, et recommander à Dieu jusques au retour, qui seroit bien-lost; et ne fut sans lui deman- der s'il luy avoit menty, et s'il se trouvoit bien de l'avoir creu, et ce qu'il luy en sembloit de luy avoir servi de fourrier, et s'il luy avoit donné bon logement. Le beau Gruffy, après l'avoir remercié cent fois, luy dit adieu, et qu'il seroit tousjours prest de retourner pour si bon marché, et revoler quand il voudroil; ce qu'il fit, et la fesle en dura un bon mois, au bout duquel fallut à Gruffy par- tir pour son voyage de Naples, qui prit congé de sa dame et luy dit adieu à grand regret, sans en tirer d'elle un seul parler aucune- ment de sa bouche, sinon soupirs et larmes qu'il lui senioil couler des yeux. Tant y a qu'il partit d'avec elle sans la cognoistre nulle- ment ny s'en appercevoir. Depuis on dit que cette dame pratiqua celle vie avec deux ou trois autres de celte façon, se donnant ainsi du bon temps : et disoit-on qu'elle s'accommodoit de cette astuce, d'autant qu'elle estoit fort avare, et par ainsi elle espargnoit le sien et n'estoit sujette à faire présents à ses serviteurs; car enfin, tou te grande dame pour son honneur doit donner, soit peu ou prou, s cil argent, soit bagues ou joyaux, ou soyent riches faveurs : par ai nsi la gallante se donnoit joye à sou c, et espargnoit sa bourse, en ne se manifestant seulement quelle estoit; et pour ce, ne se pouvoir estre reprise de ses deux bourses, ne se faisant jamais cognoistre. Voilà une terrible humeur de grand dame. Aucuns ne trouveront ta façon bonne, autres la blasaoeront, autres la tiendront pour très- excorte, aucuns l'estimeront bonne mesnagere; mais je m'en rap- porte à ceux qui en discourront mieux q.ue moy : si est-ce que cette

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146 VIES DES DAMES GALANTES.

dame ne peut encourir tel blasme que celle reyne qui se tenoit à riiostel de Nesle à Paris, laquelle, faisant le guet aux passants, et ceux qui lui revenoyenl et agréoient le plu§, de quelques sortes de gens que ce fussent, les faisoit appeler et venir à soy ; et, après en avoir tiré ce qu'elle en vouloit, les faisoit précipiter du haut de la tour, qui paroist encores, en bas en l'eau, et les faisoit noyer (l). Je ne puis dire que cela soit vray ; mais le vulgaire, au moins la pluspart de Paris, l'affirme ; et n'y a si commun, qu'en iuy mons- trani la tour seulement, et en l'interrogeant, que de luy-mesme ne le die.

Laissons ces amours, qui sont plustost des avortons que des amours, lesquelles plusieurs de nos dames d'aujourd'hui abhor- rent, comme elles en ont raison, voulant communiquer avec leurs serviteurs, et non comme avec rochers ou marbres: mais après les avoir bien choisis , se sçavent bravement et gentiment faire servir et aimer d'eux. Et puis, en ayant cogneu leurs fidé- lilez et loyale persévérance , se prostituent avec eux par une fervente amour, et se donnent du plaisir avec eux, non en mas- ques, ny en silence, ny muettes, ny parmi les nuicts et ténè- bres, mais en beau plein jour se font voir, taster, toucher, em- brasser, les entretiennent de beaux et lascifs discours, de mots folastres et paroles lubriques: quelques fois pourtant s'aident de masques, car il y a plusieurs dames qui quelques fois sont contrainies d'en prendre en le faisant, si c'est au hasle qu'elles le facent, de peur de se gaster le teint ou ailleurs, afin que, si elles s'échauffent par trop, et si sont surprises, qu'on ne co- gnoisse leur rougeur ny leur contenance estonnée, comme j'en ay veu : et le masque cache tout, et ainsi trompent le monde.


(I) Voye» Baylf, Dict. ertt., au mot Buhidan. Villon , dans sa ballade lias O.im- (iei iimps jadis :

SimbUb'.pmpnt où est la reine. Qui comioaiida i)ue Biiridan Vust jeté en an sac en Seiiin?


DISCOURS n. 147

ARTICLB II.

De la parole en amour.

J'ay ony dire à plusieurs clames et cavalliers qui ont mené l'amour, que, sans la veiie et la parole, elles aymeroient autant ressembler les bestes brutes, lesquelles, par un appétit naturel el /' sensuel, n'ont autres soucy ne amitié que de passer leur rage et chaleur. Aussi ay-je ouy dire à plusieurs seigneurs et galiants gentilshommes qui ont couché avec de grandes dames, ils les ont trouvées cent fois plus lascives et débordées en paroles, que les femmes communes et autres. Elles le peuvent faire à finesse, d'autant qu'il est impossible à l'homme, tant vigoureux soit-il, de tirer au collier et labourer tousjours; mais, quand il vient à la pose et au relasche , il trouve si bon et si appétissant quand sa dame l'entretient de propos lascifs et mots folastrement prononcés, que, quand Vénus seroit la plus endormie au monde , soudain elle est esveillée; mesmes que plusieurs dames, entretenant leurs amants devant le monde, fugî^ aux chambres des reynes et princesses et y ailleurs, les pjj^oifipt , car elles leur disoient des paroles si lascives n et si friandes qu'elles et eux se corrompoient comme dedans un lict : nous, les arregardans, pensions qu'elles tinssent autres propos. C'est pourquoy Marc Antoine aima tant Cléopalre et la préféra à sa femme Octavia,qui estoit cent fois plus aimable et belle que la Cléopatre; mais celle Cléopatre avoit la parole si aflettée , et le mot si à propos, avec ses façons et grâces lascives , qu'Anloiiie oublia tout pour son amour. Plutarque nous en fait foy sur aucuns brocards ou sobriquets qu'elle disoit si gentimenti que Marc Antoine, la voulant imiter, ne ressembloit à ses devis (encore qu'il voulusl faire du gallani) qu'un soldai et gros gen- darme, au prix d'elle et de sa belle frase de parler. Pline fait un conte d'elle que je trouve fort beau, et , par ce, je le répéteray ici un peu. C'est qu'un jour, ainsi qu'elle estoit en ses plus gaillardes humeurs , et qu'elle s'esloit habillée à l'advenant et à l'advantage , et surtout de la teste d'une guirlande de diverses fleurs convenante à toute paillardise , ainsi qu'ils estoient à table, iX que Marc Antoine voulut boire , elle l'amusa de quelque gentil liscours , et cependant qu'elle pxloit , à mesure elle arrachoit de


148 VIES DES DAMES GALA.NTES.

ses belles fleurs de sa guirlande, qui néanimoins esloienl toutes semées de poudre empoisonnée , et les jettoit peu à peu dans la coupe que tenoit Marc Antoine pour boire; et ayant achevé son discours, ainsi que Marc Antoine voulut porter la coupe au bec pour boire, Cléopatre luy arreste tout court la main , et ayant aposlé un esclave ou criminel qui estoit là près, le fit venir à luy, et lui fit donner à boire ce que Marc Antoine alloit avaler , dont soudain il en mourut; et puis, se tournant vers Marc Antoine, lui dit : « Si je ne vous aimois comme je fais, je me fusse main- » tenant défaite de vous, et eusse fait le coup volontiers , sans que p je vois bien que ma vie ne peut estre sans la vostre. m Cette invention et cette parole pouvoient bien confirmer Marc Antoine en son amitié, voire le faire croupir davantage aux costez de sa cbarnure. Voilà comment servit l'éloquence à Cléopatre , que les histoires nous ont escrite très-bien disante : aussi ne l'appeloit-il que simplement la Reyne, pour plus grand honneur, ainsi qu'il escrit à Octave César, avant qu'ils fussent déclarés ennemys. « Qui » t'a changé, dit-il, pour ce que j'embrasse la Reyne? elle est ma » femme. Ay-je commencé dès ast heure? Tu embrasses Drusille, » Tortale, Leontile, ou Rufile, ou Salure Litiseme, ou toutes: que » t'en chaut-il sur quelle tu donnes, quand l'envie t'en prend ? » Par là Marc Antoine louoit sa constance et blasmoit la variété de l'autre d'en aimer tant au coup, et luy n'aimoit que sa Reyne, dont je m'estonne qu'Octave ne l'aima après la mort de Marc Antoine. Il se peut faire qu'il la vit quand il la vit et la fit venir seule en sa chambre, et qu'elle l'harangua : possible qu'il n'y trouva pas ce qu'il pensoit , ou la méprisa pour quelque autre raison, et en voulut faire son triomphe à Rome et la monstrer en ■parade ; à quoi elle remédia par sa mort advancée.

Certes , pour retourner à notre dire premier, quand une dame .,e veut mettre sur l'amour, ou qu'elle y est une fois bien en- -jBgée, il n'y a orateur au monde qui die mieux qu'elle. Voyez anime Sophonisba nous a esté descrite de Tite Live , d'Appian 4 d'autres, si bien disante à l'endroit de Massinissa, lorsqu'elle jint à luy pour l'aimer, gaigner et réclamer, et après quand il ai fallut avaller le poison. Bref, toute dame, pour estre bien ai- «née, doit bien parler, et volontiers on en voit peu qui ne parlent bien et n'ayent des mots pour esmouvoir le ciel et la terre, et fust-elle glacée en plein hyver. Celles surtout qui se mettent à l'amour, et si elles ne savent rien dire, elles sont si dessavou-


DlSCOUUS II. 148

rées, que le morceau qu'elles vous donnent n*a ny goust ny saveur : et quand M. du Bellay, parlant de sa courlisanne et déclarant ses mœurs, dit qu'elle estoit sage au parler et folastre à la couche (l), cela s'entend en parlant devant le monde et entretenant l'un et l'autre ; mais lorsque l'on est à part avec son amy, toute gallante dame veut estre libre en sa parole et dire ce qu'il luy plaist, afin de tant plus esmouvoir Vénus.

J'ay ouy faire des contes à plusieurs qui ont joui de belles et grandes dames, ou qui ont esté curieux de les escouter parlant avec d'autres dedans le lici, qu'elles estoient aussi libres et folles en leur parler que courtisannes qu'on eust sceu connoistre : et qui est un cas admirable, est que, pour estre ainsi accouslumées à entre- tenir leurs marys, ou leurs amys, de mots, propos et discours saliaux et lascifs, mesmes nommer to«t librement ce qu'elles por- tent au fond du sac sans farder, et pourtant, quand elles sont en leurs discours , jamais ne s'extravaguent , ni aucun de ces mots saliaux leur vient à la bouche : il faut bien dire qu'elles se savent bien commander et dissimuler ; car il n'y a rien qui frétille tant que la langue d'une dame ou fille de joie. S y ay-je cogneu une très-belle et honneste dame de par le monde, qui, devisant avec un honneste gentilhomme de la Cour des affaires de la guerre durant ces civiles, elle lui dit : « J'ay ouy dire que le Roy à fait rompre tous les c... de ce pays-là. » Elle vouloit dire les ponts. Pensez que, venant de coucher d'avec son mary, ou songeant à son amant , elle avoit encore ce nom frais en la bouche : et le gentil- homme s'en eschauSa en amours d'elle pour ce mot.

— Une autre dame que j'ai cogneue, entretenant une autre grand dame plus qu'elle, et luy louant et exaltant ses beautez, elle lui dit après : « Non, madame, ce que je vous en dis, ce n'est » point pour vous adultérer; » voulant dire adulater , comme elle le rhabilla ainsi : pensez qu'elle songeoit à l'adullère et à adultérer. Bref, la parole en jeu d'amours a une très-grande jgXûs. Mce; et où elle manque le plaisir en est imparfait : aussi, à la


(1) la Vieille Courtisanne, fol. 449. B. des OEuvret poit. de Joaeh. du Bellay, Mit. de 159T :

De la vertu je sçavois deviier,

El je sçavois tellemeDl eguiser,

Que rieo qu'honneur ne sorloit de ma bonche;

Base au parler et foiastre à la couch«.


150 VIES DES DAMES GALANTES.

vériié, si un beau corps n'a une belie ame, il ressemble mieux son idole qu'un corps liumain ; et s'il se veut faire bien aimer, tant beau soil-il, il faut qu'il se fasse seconder d'une belle ame : que s'il ne l'a de nature, il la faut façonner par art.

— Les courlisannes de Rome se moquent fort des gentilles da- mes de Rome, lesquelles ne sont apprises à la parole comme elles; et disent que chiavano corne cani, rua che sono quiele délia bocca coma sassi (1).

Et voilà pourquoy j'ai cogneu beaucoup d'honnesies gentils- hommes qui ont refusé l'accointance de plusieurs dames, je vous dis très-belles, parce qu'elles estoient idiotes, sans ame, sans esprit et sans parole, et les ont quittées tout à plat : et disoient qu'ils aimoient autant avoir à faire avec une belle statue de quel- que beau marbre blanc, comme celuy qui eu aima une à Athènes jusques à en jouir.

Et pour ce, les eslrangers qui vont par pays ne se mettent à guières aymer les femmes estraugères, ny volontiers s'en c apridient pour elles, d'autant qu'ils ne s'entendent point, ny leur parole ne leur touche aucunement au cœur ; j'entends ceux qui n'enten- dent leur langage : et s'ils s'accostent d'elles, ce n'est que pour contenter autant nature, et esteindre le feu naturel bestialement, et puis andar in barca (2) ; comme dist un Italien un jour desem- barqué à Marseille, allant en Espagne, et demandant où il y avoit des femmes. On luy monstre un lieu où se faisoil le bal de quel- ques nopces. Ainsi qu'une dame le vint accoster et arraisonner, il lui dit : F. S. mi perdonna, non voglio parlare, voglio sola^ mente chiavare, e poi me n' andar in barca (3).

Le François ne prend grand plaisir avec une Allemande, une jSuisse, une Flamande, une Angloise, Ecossoise, une Esclavonne ou autre estrangère , encore qu'elle babiilast le mieux du monde, s'il ne l'entend; mais il se plaist grandement avec sa dame fran- poise ou avec l'Italienne ou l'Espagnolle , car coustumièrement, la plus part des François aujourd'hui, au moins ceux qui ont veu ua peu, sçavent parler ou entendent ce langage; et Dieu sait s'il est affetté et propre pour l'amour? Car quiconque aura à faire avec .

(t) Elles s'abandonnent comme chiennes, et sont muettes de la bouche comme pierres.

(2) Se retirer à la barque.

(3) Pardonncz-moi , madame; je ne veux pomt jaser, mais seulement agir et puis me retirer à la barque.


DISCOURS II. 151

une dame fran^oise, italienne, espagiioUe ou grecque, et qu'elle soit diserte, qu'il die liardiuieat qu'il est pris et vaincu.

D'autres fois nostre langue Irançoise n'a esté si belle ny si en- richie comme elle l'est aujourd'hui ; mais il y a long-temps que l'italienne, l'espagnolle et la grecque le sont : et volontiers n'ay-je guieres veu dame de cette langue, si elle a pratiqué tant soit peu le mestier de l'amour, qui ne sache très-bien dire. Je m'en rapporte à ceux qui ont Iraiué celles-là.

Tant y a qu'une belle dame et remplie de belle parole contente doublenieot.


ARTICLE III.


De la veuë en amour.


Parlons maintenant de la veuë. Certainement, puisque les yeux sont les premiers qui attaquent le combat de l'amour, il faut ad- vouer qu'ils donnent un irès-grand contentement quand ils nous font voir quelque chose de rare en beauté.

Hé, quelle est la chose au monde que l'on puisse voir plus belle qu'une belle femme, soit habillée ou bien parée, ou nue entre deux draps? Pour l'habillée, vous n'en voyez que le visage à nud ; mais aussi, quand un beau corps, orné d'une riche et belle taille, d'un port et d'une grâce, d'une apparence et superbe majesté, à nous se présente à plein, quelle plus belle monstre et agréable veuë peut-il estre au monde? Et puis, quand vous en venez à jouir tout ainsi couverte et superbement habillée, la convoitise et jouis- sance en redoublent, encore que l'on ne voye que le seul visage de lout le reste des autres parties du corps : car malaisément peut-on jouir d'une grande dame selon toutes les commoditez que l'on dé- sireroit bien, si ce n'estoit dans une chambre bien à loisir et lieu secret, ou dans un lict bien à plaisir ; car elle est tant éclairée.

Et c'est pourquoy une grande dame, dont j'ay ouy parler, quand elle rencontroit son serviteur à propos, et hors de veuë et descou- irerte, elle prenoit l'occasion tout aussi-tost, pour s'en contenter le


I5Î VIES DES DAMES GALANTES.

plus promptemenl et briefvemeni qu'elle pouvoit, en lui disant un

  • jour : « C'estoient les soties, le temps passé, qui, par trop se vou-

» lant délicaler en leurs amours et plaisirs, se renfermoient, ou en » leurs cabinets, ou autres lieux couverts, et là faisoient tant d«rer » leurs jeux et esbats, qu'aussi-tost elles estoient descouvertes ei » divulguées. Aujourd'huy, il faut prendre le temps, et le plus » bref que l'on pourra, et, aussi-tosl assailly, aussi-tost investy et » achevé ; et par ainsi nous ne pouvons estre scandalisées. » Je trouve que cette dame avoit raison; car ceux qui se sont meslez de cet estât d'amour, ils ont toujours tenu cette maxime, qu'il n'y a que le coup en robbe.

Aussi, quand l'on songe que l'on brave, l'on toule, presse et gourmande, abat et porte par terre les draps d'or, les toiles d'ar- gent, les clinquants, lesesloffes desoye, avec des perles et pierre- ries, l'ardeur, le contentement, s'en augmentent bien davantage, et certes, plus qu'en une bergère ou autre femme de pareille qua- lité, quelque belle qu'elle soit.

Et pourquoy jadis Vénus fut trouvée si belle et tant désirée, sinon qu'avec sa beauté elle estoit toujours gentiment habillée, et ordinairement parfumée, qu'elle sentoit toujours bon de cent pas loin? Aussi tenoit-on que les parfums animent fort à l'amour.

Voilà pourquoy les jenjpéneres et grandes dames de Rome s'en accommodoient bien fort, comme font aussi nos grandes dames de France, et sur-toul aussi celles d'Espagne et d'Italie, qui, de tout temps, en sont esté plus curieuses et exquises que les nostres, tant en parfums qu'en parures de superbes habits, desquelles nos dames en ont pris depuis les patrons et belles inventions ; aussi les autres les avoient apprises des médailles et statues antiques de ces dames romaines, que l'on voit encor parmy plusieurs antiquitez qui sont encore en Espagne et en Italie; lesquelles, qui les contemplera bien, trouvera leurs coiffures et leurs habits en perfection, et très- propres à se faire aimer. Mais aujourd'huy, nos dames françoises surpassent tout : à la reyne de Navarre elles en doivent ce grand - tnercy.

Voilà pourquoy il fait bon et beau d'avoir à faire à ces belles da- mes si bien en poinct, si richement et pompeusement parées.

De sorte que j'ay ouy dire à aucuns courtisans, mes compagnons, ainsi que nous devisions ensemble, qu'ils les aimoient mieux ainsi que desacoustrées et couchées nues entre deux linceux, et dans un lict le plus enrichy de broderies que Ton sceut faire.


DISCOURS II. 163

^ D'autres disoienl , qu'il n'y avoit que le naturel , sans aucun ferd ny artifice , comme un grand prince que je sçay, lequel pourtant faisoit coucher ses courtisannes ou dames dans des draps de taffetas noir (l) bien tendus, toutes nues, afin que leur blan- cheur et délicatesse de chair parust bien mieux parmy ce noir , el donnast plus d'esbat.

Il ne faut douier vrayment que la veuë ne soit plus agréable que toutes celles du monde d'une belle femme toute parfaite en beauté; mais mal-aisément se trouve-t-elle.

Aussi on trouve par escril que Zeuxis , cet excellent peintre , ayant este prié , par quelques honnestes dames et filles de sa connoissance , de leur donner le pourlrait de la belle Helaine et la leur représenter si belle comme l'on disoit qu'elle avoit esté , il ne leur en voulut point refuser; mais , avant qu'en faire le pourtrait, il les contempla toutes fixement, et en prenant de l'une et de l'autre ce qu'il y put trouver de plus beau , il en fit le tableau comme de belles pièces rapportées , et en représenta par icelles Helaine si belle , qu'il n'y avoit rien à dire , et qui fut tant admirable à toutes, mais, Dieu mercy, à elles, qui y avoient bien tant aidé par leurs beautez et parcelles, comme Zeuxis avoit fait par son pinceau. Cela vouloit dire, que de trouver sur Helaine toutes les perfections de beauté il n'estoit pas possible, encore qu'elle ait esté en extrémité très-belle.

En cas qu'il ne soit vrai, l'Espagnol dit que pour rendre une femme toute parfaite et absolue en beauté , il lui faut trente beaux _sis__(2), qu'une dame espagnolle me dit une fois dans Tolède, là où il y en a de très -belles, bien gentilles et bien apprises. Les trente donc sont telles :


Très cosas blaneat : el euero, los dientes, y las manoê. Très negras : los ojos, las cejas, y las peslannas. Très coloradas : los labios, las mexillas, y las unnas. Très longas : el cuerpo, los cabellos, y las manos. Très cortas : los dientes , las orejas , y los pies. Très anehas -. los pechos, li (rente, y el entiejeco. Trcs estrechas : ta boca, l'una y otra, la cinta, y l'entrada del pic- Ires gruessas : «< braço, el muslo, y la paniorilla.

(1) Le Divorce satyrtque attribue celte invention à la reine Harguerite, poi rendre le roi de Navarre, son mari, plus amoureux d'elle et plus lascif.

(21 Ils sont pris d'un vieux livre français intitulé : De la louange et beauté des Dames. François Corniger les a mis en dix-huit vers latins. Vmcenlio Galmeia lei • auMi mit ea vers italiens, qui commencent par DoUe Flaminia.

/ 9.


164 VIES DES DAM.iS GALANTES.

Tret delgaldas : loi dedoi, lot eabellos, y los labios. Très pequennas : las tetas, la naris, y ta cabeça.

Qui sont en françois, afin qu on l'entende :

Trois clinses blanches : la peau, les dents et les mains.

Trois noires : les yeux, 1rs sourcils et les paupières.

Trois rouges : les lèvres , les joues et Us ongles.

Trois longues : le corps, les cheveux et, les mains.

Trois courles : les dénis, les oreilles et les pieds.

Trois larges: la poitrine ou le sein, le Iroul et l'entre-so.ircil

Trois cstroites : la bouche, l'une et l'autre, la ceinture ou la taille, et

l'eDliée du pied. Trois grosses : le bras, la cuisse et le gros de la jambe. Trois déliées : les doigts , les cheveux et les lèvres. Trois peines : les tetius, le nex et la teste.

Sont trente en tout.

Il n'est pas inconvénient , et se peut que tous ces sis e. n une dame peuvent eslre tous ensemble ; mais il faut qu'elle soit faite au moule de la perfection; car de les voir tous assemblez sans qu'il y en ait quelqu'un à redire et qu'il ne soit en défaut, il n'est possible.

Je m'en rapporte à ceux qui ont veu de belles femmes, ou en Terrent, et qui voudront esire soigneux de les contempler et essayer ce qu'ils en sauront dire. Mais pourtant , encore qu'elles ne soient accomplies ny embellies de tous ces poincis, une belle femme sera tousjours belle, mais qu'elle en aje la moitié et en aye les points principaux que je viens de dire : car j'en ay veu force qui en avoieiit à dire plus de la moitié, qui esloient très-belles et fort aimables ; ny plus ny moins qu'un bocage est trouvé tousjours beau en printemps, encore qu'il ne soit remply de tant de petits arbrisseaux qu'on voudrait bien ; mais que les beaux et grands arbres touffus paroissent, c'est assez de ces grands qui peuvent estouCfer la deffectuosité des autres petits.

M. de Ronsard me pardonne, s'il lui plaist; jamais sa mais- tresse, qu'il a faite si belle, ne parvint à cette beauté , ny quel- qu'aulre dame qu'il ait veue de son temps ou en ait escrit : et fust sa belle Cassandre qui je sçay bien qu'elle a esté belle, mais il 1';. déguisée d'un faux nom : ou bien sa Marie, qui n'a jamais au In nom porté que celuy-là , quant à celle-Ln ; mais il est permis aux poêles et peintres dire et laîre ce qu'il leur plaist , ainsi que vous avez dans Roland le furieux de très-belles beautez, descrites par l'Ariosle, d'Alcine et autres.


DISCOURS II. I&&

Tout cela est bon ; mais, comme je tiens d'un très-grund per- sonnage, jamais nature ne srauroil faire une femme si parfaite comme une ame vive et subtile de quelque bien-disant, ou le crayon et pinceau de quelque divin peintre la nous pourroient représenter. Baste, les yeux humains se contentent toujours de roirune belle femme de visage beau, blanc, bien fait : ei encore qu'il soit brunet, c'est tout un ; il vaut bien quelquefois le blanc, comme dit l'Espagnole : Aunque io sia mormica, no soy àa menos precinr ; « encorqueje sois brunette, je ne suis à mépri- ser. » Aussi la belle Marlise ero brunella alquanto{i). Mais que le brun n'efface le blanc par trop : un visage aussi beau, faut qu'il soit porté par un corps façonné et fait de mesme : je dis autant des grands que des petits ; mais les grandes tailles passent tout.

Or, d'aller chercher des points si exquis de beauté, comme je viens de dire ou qu'on nous les dépeint, nous nous en passerons bien, et nous resjoiiirons à voir nos beautez communes : non que je les veuille dire communes autrement , car nous en avons de si rares, que, ma foy, elles valent bien plus que toutes celles que nos poêles fantasque», nos quinteux peintres et nos pindariseurs de beautez, sçauroient représenter.

Hélas ! voicy le pis ; telles beautez belles , tels beaux visages, en voyons-nous aucuns, admirons, desironi leur beau corps, pour l'amour de leurs belles faces, que néantmoins, quand elles viennent à estre descouverles et mises à blanc, nous en font perdre le goust; car ils sont si laids, tarez, tachez, marquez et si hideux, qu'ils en démentent bien le visage ; et voilà comme souvent nous y sommes trompez.

Nous en avons un bel exemple d'un gentilhomme de l'isle de Mojorque, qui s'appeiioit Raymond Lulle, de fort bonne, riche et ancienne maison, qui, pour sa noblesse, valeur et venu, fut appelé en ses plus belles années au gouvernement de cette isle. Esiant en cette charge, comment souvent arrive aux gouverneurs des pro- vinces et places, il devint aniouieux d'une belle dame de l'isle des plus habilles, belles et mieux disantes de-là. Il la servit longue- ment et fort bien ; et luy demandant toujours ce bon point de joikissance, elle, après l'en avoir refusé tant qu'elle put, luy douna' un jour assignation, où il ne manqua ny elle aussi, et comparut plus belle que jamais et mieux en point. Ainsi qu'il pensoit entrer

(t) C'ett-A-dUe, éuii un peu brunette.


166 VIES DES DAMES GALANTES.

en paradis, elle luy vint à descouvrir son seio et sa poitrine toute couverte d'une douzaine d'emplastres, et, les arrachant l'un après l'autre, et de dépit les jetant par terre, luy monstra un effroyable cancer, et, les larmes aux yeux, luy renionstra ses misères et son mal, luy disant et demandant s'il y avoit tant de quoy en elle qu'il en dusi estre tant espris; et sur ce, lui en lit un si pitoyable discours , que luy , tout vaincu de piiié du mal de celte belle dame , la laissa ; el l'ayant recommandée à Dieu pour sa santé, se défit de sa charge et se rendit hermite. Et estant de retour de la guerre sainte, où il avoit fait vœux, s'eii alla estudier à Paris sous Arnaldus de Villanova, sçavant philosophe, et ayant fait son cours, se retira en Angleterre, où le Roy pour lors le receut avec tous les I bons recueils du monde pour son grand sçavoir, et qu'il transmua plusieurs lingots et barres de fer, de cuivre et d'estain, mesprisant cette commune et triviale façon de transmuer le plomb et le fer en or, parce qu'il sçavoil que plusieurs de son temps sçavoient faire cette besogne aussi bien que luy, qui sçavoit faire l'un et l'autre : mais il vouloit faire un pardessus les autres.

Je tiens ce conte d'un gallant homme qui m'a dit le tenir du jurisconsulte Oidrade, qui parle de Baymond Lulle au commen- taire qu'il a fiiit sur le code de falsa Moneta. Aussi le tenoit-il, ce disoit-il, de Carolus BoviHus (l), Picard de nation, qui a composé un livre en latin de la vie de Raymond de Lulle (2).

Voilà comment il passa sa fantaisie de l'amour de cette belle dame; si que possible d'autres n'eussent pas fait, et n'eussent laissé à l'aimer et fermer les yeux , mesme en tirer ce qu'il vouloit , puisqu'il esloit à mesme ; car la partie où il tendoit n'estoit touchée d'un tel mal.

J'ay cogneu un gentilhomme et une dame veufve de par le monde, qui ne firent pas ses scrupules ; car la dame estant touchée d'un gros vilain cancer au tetin, il ne laissa de l'espouser, et elle aussi le prendre, contre l'advis de sa mère, et toute malade et maléficiée qu'elle estoit, et elle et luy s'esmeurent el se remuèrent tellement toute la nuict, qu'ils en rompirent et enfoncèrent le iond du châlit.

J'ai cogneu aussi un fort honneste gentilhomme, mon grand


tl) En françois, Charles de Boovelles. On « de lai plnsienn ouvrages. (2) C'est OB iD-4' imprimé i Paris, chci Ascensius, le 3 des Dones de décem- bre 1511.


DISCOURS II. 157

tmy, qui me dil qu'un jour estant à Rome, il luy advint d'aimer une dame espagnolle, et des belles qui fust en la ville jamais. Quand il l'accostoit, elle ne vouloit permettre qu'il la vist, ny qu'il la touchast par ses cuisses nues, si-non avec ses callesons; si bien que quand il la vouloit toucher, elle lui disoil en espagnol : j4h ! no me tocays, hareis me cosquillas (l), qui esta dire : a Vous me chatouillez. » Un matin, passant devant sa maison, trouvant sa porte ouverte, il monte tout bellement, où estant entré sans ren- contrer ny fantesque ny page, ny personne, et entrant dans sa chambre , ISTrôuvàrqui dormoit si profondément , qu'il eut loisir de la voir toute nue sur le lict, et la contempler à son aise, car il faisoit très-grand chaud ; et il dit qu'il ne vid jamais rien de si beau que ce corps, fors qu'il vit une cuisse belle, blanche, poUie et refaite, mais l'autre elle l'avoit toute seiche, atténuée et fiàliûiHÊ- fti née, qui ne paroissoit pas plus grosse que le bras d'un petit enfant. ' Qui fust estonné? ce fut le gentilhomme, qui la plaignit fort, et oncques plus ne la tourna visiter ny avoir à faire avec elle".

Il se voit force dames qui ne sont pas ainsi estiomenées de ca- therres; mais elles sont si maigres, dénuées, assécTiées et deschar- nées, qu'elles n'en peuvent rien monstrer que le bastiment : comme j'ay cogneu une très-grande que M. l'evesque de Cisteron, qui di- soit le mot mieux qu'homme de la Conr, en brocardant affermoil qu'il valoit mieux de coucher avec une ratoire de fil d'archal qu'avec elle ; et, comme dit aussi un honneste gentilhomme de la Cour, auquel nous faisions la guerre qu'il avoit à faire avec une dame assez grande: « Vous vous trompez, dit-il, car j'aime trop la chair, et elle n'a que les os; » et pourtant, à voir ces deux dames, si belles par leurs beaux visages, on les eust jugées pour des mor- ceaux très-charnus et bien friands.

Un très-grand prince de par le monde vint une fois à eslre amoureux de deux belles dames tout à coup, ainsi que cela ar- rive souvent aux grands, qui ayment les variétez. L'une estoit fort blanche, et l'autre brunette, mais toutes deux très-belles et fort aimables. Ainsi qu'il venoit un jour de voir la brunette, la blanche jalouse luy dit : « Vous venez de voiler pour corneille. » A quoy lui respondit le prince un peu irrité, et fasché de ce . mol: « Et quand je suis avec vous, pour qui voUe-je? » La dame respondit : « Pour un phénix, » Le prince , qui disoit des

(1] Ah ! ne me toucbei \>a».


168*^ VIES DES DAMES GALANTES.

mieux, répliqua; « Mais dites pluslosl pour l'oiseau de paradis, ! » là où il y a plus de plume que de chair; » la taxant par là

qu'elle estoit maigre aucunement 
aussi estoil-elle fort jova-

note pour eslre grasse, ne se logeant coustuniièrement que sur

celles qui entrent dans l'aage, qu'elles commencent à se fortifier

et renforcer de membres et autres choses.

— Un gentilhomme la donna honne à un grand seigneur que je sçay. Tous deux avoient belles femmes. Ce grand seigneur trouva celle du gentilhomme fort belle et bien advenante. Il luy dit un jour : « Un tel, il faut que je couche avec vostre femme. >< Le gentilhomme, sans songer, car il disoil très-bien le mot, luy res- pondil: o Je le veux, mais je couche avec la vostre. » Le seigneur lui ré^)liqua: « Qu'en ferois-tu? car la mienne est si maigre, que lu n'y prendrois nul goust. n Le gentilhomme respoudit: « Je la lar- deray si menu, que je la rendray de bon goust. )/

— Il s'en voit tant d'autres que leurs visages poupins et gentils font desir»^ leurs corps; mais quand on y vient, on les trouve si décharnées, que le plaisir et la tentation en sont bien-tost passez. Enir'autres , l'on y trouve l'os barré qu'on appelle , si sec et SI décharné, qu'il foule et masche plus tout nud que le basl d'un mulet qu'il auroit sur luy. A quoy pour suppléer, tel- les dames sont coustumières de s'aider de petits coussins bien mollets et délicats à soutenir le coup et engarder de la mas- cheure; ainsi que j'ay ouy parler d'aucunes, qui s'en sont ai- dées souvent, voire de callesons gentiment rembourez et faits de satin, de sorte que les ignorants, les venants à toucher, n'y trouvent rien que tout bon, et croyent fermement que c'est leur embonpoint naturel ; car par-dessus ce satin il y avoit des pe- tits callesons de toile volante et blanche ; si bien que l'amant, donnant le coup en robbe, s'en alluit de sa dame si content et satis- fait, qu'il l'a tenoit pour très-bonne robbe.

D'autres y a-t-il encore qui sont de la peau fort maléficiées et marquetées comme marbre, ou en œuvre à la mosaïque, la^- vellées comAie faons de bische, gratleleuses, et subjecles à dartes farineuses et fascineuses; bref, L;asiées tellement, que la veuë n'en est pas guieres plaisante.

— J'ay ouy parler d'une dame grande, et l'ay cogneue et co- gnois encore, qui est pelue, velue sur la poitrine, sur l'estomac, sur les espaules et le long de l'eschine, et à son bas, comme un sauvage.

Je vous laisse à penser ce que veut dire cela : si le proverbe est


DISCOURS II. 159

vray, que personne atnst velue est ou riche, ou lubrique, celle-là a l'un et l'autre , je vous en asseure, et s'en fait fort bien donner, se voir et désirer.

D'autres ont la chair d'oison ou d'estourneau plumé, harée, brodequinée, et plus noire qu'un beau diable.

D'autres sont opulentes en telasses avalées, pendantes plus que d'une vache allaitant son veau.

Je m'asseure que ce ne sont pas les beaux telins d'Hélaine, laquelle, voulant un jour présenter au temple de Diane une coupe gentille par certain vœu, employant l'orfèvre pour la luy faire, luy 60 fit prendre le modelle sur un de ses beaux lelius, et en lit la coupe d'cr blanc, qu'on ne sçauroit qu'admirer de plus, ou la coupe ou la ressemblance du telin sur quoy il avoit pris le patron , qui se monstroit si gentil et si poupin, que l'art en pou voit faire désirer le naturel. PUne dit cecy par grande spéciauté, où il traite qu'il y a de l'or blanc. Ce qui est fort estrange est que cette coupe fut faite d'or blanc.

Qui voudroit faire des coupes d'or sur ces grandes telasses que je dis et que je cognois, il faudroit bien fournir de l'or à monsieur l'orfèvre, et ne seroit après sans coust et grand risée, quand on dîroit : « Voilà des coupes faites sur le modelle des lestins de telles » et telles dames. »

Ces coupes ressembleroient, non pas coupes, mais de vrayes auges, qu'on voit de bois toutes rondes, dont on donne à manger aux pourceaux; et d'autres y a-t-il, que le bout de leur letin ressemble à une vraye guine pourrie.

D'autres y a-l-il , pour descendre plus bas, qui ont le ventre si mal poly et ridé, qu'on les prendroil pour de vieilles gibessières ridées de sergents ou d'hosteliers; ce qui advient aux femmes qui on eu des enfants, et qui ne sont esté bien secourues et graissées de graisse de baleine de leurs sages-femmes. i^Iais d'autres y a-t-il, qui les ont aussi beaux et polis, et le sein aussi follet, comme si elles esloient encore filles.

D'autres il y en a, pour venir encore plus bas, qui ont leurs natures hideuses et peu agréables. Les unes y ont le poil nullement frisé, mais si long et pendant, que vous diriez que ce sont les moustaches d'un Sarrasin ; et pourtant n'en oslent jamais la toison, et se plaisent à la porter telle, d'autant qu'on dit : Chemin jonchu et c. velu sont fort propres pour chevaucher. J'ay ouy parler de quelqu'une très-grande qui les porte ainsi.


160 VIES DES DAMES GALANTES.

J'ay ouy parler d'une autre belle et lionneste dame qui les avoit ainsi longues, qu'elle les entortilloit avec des cordons ou rubans de joye cramoisie ou autre couleur, et se les frisonnoit ainsi comme des frisons de perruques, et puis se les attachoit à ses cuisses, et en tel estât quelquefois se les présentoit à son mary et à son amant, ou bien se les deslortoit de son ruban et cordon , si qu'elles paroissoient frisonnées par après, et plus gentilles qu'elles n'eussent fait autrement.

Il y avoit bien là de la curiosité, et de la paillardise et tout; car, ne pouvant d'elle-mesme faire et suivre ses frisons, il faltoit qu'une de ses femmes, de ses plus favorites, la servît en cela; en quoy ne peut estre autrement qu'il n'y ajt de la lubricité en toutes façons qu'on la pourra imaginer.

Aucunes, au contraire, se plaisent le tenir et porter raz, comme la barbe d'un prestre.

D'autres femmes y a-t-il, qui n'ont de poil point du tout, ou peu, comme j'ay ouy parler d'une fort grande et belle dame que J'aye cogneue ; ce qui n'est guières beau, et donne un mauvais soupçon : ainsi qu'il y a des hommes qui n'ont que de petits boucquets de barbe au menton, et n'en sont pas plus estimez de bon sang, ainsi que sont les blanquets et blanquettes (l).

D'autres en ont l'entrée si grande, vague et large, qu'on la prendroit pour l'antre de la Sibylle.

J'en ay ouy parler d'aucunes, et bien grandes, qui les ont telles qu'une jument ne les a si amples, encore qu'elles s'aident d'artifice le plus qu'elles peuvent pour eslrecir la porte ; mais, dans deux ou trois fréquentations, la mesme ouverture tourne : et, qui plur est, j'ay ouy dire que, quand bien on les arregarde le cas d'au- cunes, il leur cloise comme celuy d'une jument quand elle est en chaleur. L'on m'en a conté trois qui monstrent telles cloyses quand on y prend garde de les voir.

— J'ay ouy parler d'une dame grande, belle et de qualité, à qui un de nos roys avoit imposé le nom de Pan de c, tant il es loi i large et grand ; et non sans raison, car elle se l'est fait en son vivant souvent mesurer b plusieurs merciers et arpenteurs, et que tant plus elle s'esludioit le jour de l'eslrecir, la nuict en deux heures on le lui eslargissoit si bien, que ce qu'elle faisoit en une heure, on le défaisoit en l'autre, comme la toille de Pénélope. Enfin,

(I) Les ladres, les ladressrs.


DISCOUKS II. 161

elle en quilla tous artifices, et en fut quitte pour faire élection des plus gros moules qu'elle pouvoit trouver.

Tel remède fut très bon, ainsi que j'ay ouy dire d'une fort belle el honneste fille de la Cour, laquelle l'eut au contraire si petit et si estroit, qu'on en désespéroit à jamais le forcement du pucelage ; mais par advis de quelques médecins ou de sages-femmes, ou de ses amys ou amyes, elle en til tenter le gué ou le forcement par des plus menus et petits moules, puis vint aux moyens, puis aux grands, à mode des talus que l'on fait, ainsi que Rabelais or- donna les murailles de Paris imprenables; el puis, par telsessays les uns après les autres, s'accoustuma si bien à tous, que les plus grands ne luy faisoient la peur que les petits paravant faisoient si grande.

Une grande princesse estrangere que j'ay cogneue, laquelle i'avoit si petit et estroit, qu'elle aima mieux de n'en taster ja- mais que de se faire inciser, comme les médecins le conseilloient. Grande vertu certes de continence, et rare!...

D'autres en ont les labiés longues et pendantes plus qu'une creste de coq d'Inde quand il est en colère ; comme j'ay ouy dire que plusieurs dames ont, non-seulement elles, mais aussi des filles.

— J'ay ouy faire ce conte à feu M. de Randan, qu'une fois es- tants de bons compagnons à la Cour ensemble, comme M. de Ne- mours, M. le vidame de Chartres, M. le comte de la Rochefoucault, MM. de Montpezaz, Givry, Genlis et autres, ne sachants que faire, allèrent voir pisser les tilles un jour, cela s'entend cachés en bas et elles en haut. Il y en eut une qui pissa contre terre : je ne la nomme point ; et d'autant que le plancher estoit de tables, elle avoit ses lendilles si grandes, qu'elles passèrent par la fente des tables si avant, qu'elle en monstra la longueur d'un doigt, si que M. de Randan, par cas fortuit, ayant un baston qu'il avoit pris à un laquais, où il y avoit un fiçon, en perça si dextremenl ses len- dilles, et les cousit si bien contre la table, que la fille, sentant la piqûre, tout à coup s'esleva si fort, qu'elle les escarta toutes, et de deux parts qu'il en avoit en fit quatre, et les dites lendilles en demeurèrent découpées en forme de barbe d'escrevisses, dont pour- tant la tille s'en trouva très-mal, et la maistresseen fut fort en colère,

M. de Randan et la compagnie en firent conte au roy Henry, qui estoit bon compagnon, qui en rit pour sa part son saoul, et en apaisa le tout envers la Reyne sans rien en déguiser.


IG2 VIES DES DAMES GALANTES.

Ces grandes lendilles sont cause qu'une fois j'en demanday ia raison à un médecin excellent, qui me dit que, quand les tilles et femmes esloieiit en rulli , elles les touclioient , manioienl , vi- royent, coniournoient, allongeoieni et tiroient si souvent, qu'es- tants ensemble s'enlredonnoient mieux du plaisir.

Telles filles et femmes seroient bonnes en Perse, non en Tur- quie, d'autant qu'en Perse les femmes sont circoncises, parce que leur naiure ressemble de je ne sçay quoy le membre viril (di< sent-ils) : au contraire, en Turquie, les femmes ne le sont jamais, et pour ce les Perses les appellent hérétiques, pour n'estre circoa» cises, d'autant que leur cas, disent- ils, n'a nulle forme, et nft prennent plaisir de les regarder comme les Chrestiens. Voilà ce qu'en disent ceux qui ont voyagé en Levant.

Telles femmes et filles, disoit ce médecin, sont fort sujettes à faire la fricarelle, donna con donna.

J'ay ouy parler d'une irès-belle dame, et des plus qui ait esté en la Cour, qui ne les a si longues ; car elles luy sont accourcies pour un mal que son mary luy donna, voire qu'elle n'a de lèvre d'un coslé pour avoir esté tout mangé dechancres; si bien qu'elle peut dire son cas estropié et à demy démembré ; et néanmoins cette dame a esté fort recherchée de plusieurs, mesme elle a esté la moi- tié d'un grand quelques fois dans son lict.

Un grand disoit à la Cour un jour qu'il voudroit que sa femme ressemblast à celle-là, et qu'elle n'en eusl qu'à demy, tant elle en avoit trop.

J'ay aussi ouy parler d'une autre bien plus grande qu'elle cent fois, qui avoit un boyau qui luy pendilloil long d'un grand doigt au dehors de sa nature, et, disoit-on, pour n'avoir pas esté bien ser- vie en l'une de ses couches par sa sage-femme ; ce qui arrive sou- vent aux filles et femmes qui ont fait des couches à la dérobade, ou qui par accident se sont gastées et grevées ; comme une des belles femmes de par le monde que j'ay cogneue, qui, estan^ veufve, ne voulut jamais se remarier, pour eslre descouverte d'ui second mary de cecy, qui l'en eust peu prisée, et possible mal- traitée.

Celte grande que je viens de dire, nonobstant son accident, enfantoit aussi aisément comme si elle eusl pissé ; car on disoit sa natare très-ample ; et si pourtant elle a esté bien aimée et bien servie à couvert ; mais mal-aisément se laissoit-elle voir là

Aussi volontiers, quand une belle et honneste femme se met ft


DISCOURS II. J63

l'amour et à la privauté, si elle ne vous permet de voir ou tasler cela, dites hardiment qu'elle y a qualque tare, ou si que la veue ni le loucher n'approuvera guières, ainsi que je liens d'une hon- nesle femme; car s'il n'y en a point, et qu'il soit beau (comme certes il y en a et de plaisants à voir et manier), elle est aussi cu- rieuse et contente d'en faire la monsire et en presler ralioucbe- ment, que de quelqu'aulre de ses beaulez qu'elle ait, autant pour son honneur à n'estre soupçonnée de quelque défaut ou laideur en cet endroit, que pour le plaisir qu'elle y prend elle-mesme à le contempler et mirer, et surtout aussi pour accroislre la passion et tentation davantage à son amant.

De plus, les mains et les yeux ne sont pas membres virils pour rendre les femmes putains et leurs marys cocus , encore qu'après la bouche aident à faire de grands approches pour gaigner la place.

D'autres femmes y a-t-il qui ont la bouche de là si pasle, qu'on diroit qu'elles y ont la fièvre : et telles ressemblent aucuns y vrognes, lesquels, encor qu'ils boivent plus de vin qu'une truie de laict, ils sont pasles comme trespassez : aussi les appelle-l-ou> traislres au vin, non pas ceux qui sont rubiconds : aussi telles par ce coslé-là on les peut dire traisiraisses à Vénus, si ce n'est que l'on dit pasle pu- tain et rouge paillard. Tant y a que cette partie ainsi pasle et transie n'est point plaisante à voir, et n'a garde de ressembler à celle d'une des plus belles dames que l'on voye, et qui tieut grand rang, laquelle j'ay veu qu'on disoit qu'elle porloit là trois belles couleurs ordinairement ensemble, qui estoienl incarnat, blanc et noir : car cette bouche de là esioit colorée et vermeille comme co- rail, le poil d'alentour gentiment frisonne et noir comme ébene ; ainsi le faul-il, et c'est l'une des beaulez : la peau esloit blanche comme albastre, qui estoit ombragée de ce poil noir. Celle veuë est belle de celle-là, et non des autres que je viens de dire.

D'autres il y en a aussi qui sont si bas ennaiurées et fendues jus- ques au cul, mesme les petites femmes, que l'on devroil faire scru pule de les toucher pour beaucoup d'ordes et salles raisons que je n'oserois dire ; car on diroit que, les deux rivières s'assemblant et se touchant quasi ensemble, il est en danger de laisser l'une et naviguer à l'autre : ce qui est par trop vilain.

J'ay ouy conter à madame de Fonlaine-Chalandray, dite la belle Torcy, que la reyne Eléonor sa maistresse, estant habillée et ves- lue, paroissoit une très-belle princesse, comme il y en a encor


164 VIES DES DAMES GALANTES.

plusieurs qui l'ont veue telle en nostre Cour, et de belle et riche taille; mais, estant déshabillée, elle paroissoit du corps une géante, tant elle l'avoit long et grand : mais tirant en bas, elle paroissoit une naine, tant elle avoit les cuisses et les jambes courtes avec le reste.

D'une autre grande dame ay-je ouy parler qui esloit bien au contraire; car par le corps elle se monstroit une naine, lanleilu l'avoit court et petit, et du reste en bas une géante ou colosse, tant elle avoit ses cuisses et jambes grandes, hautes et fendues et pourtant bien proportionnées et charnues, si qu'elle en couvre t son homme sous elle, mais qu'il fusl petit, fort aisément, comme d'une tirasse de chien couchant.

— Il y a force marys et amys parmi nos Chrestiens, qui voulans en tout différer des Turcs, ne prennent plaiser d'arregarder le cas des dames, d'autant, disent-ils, comme je viens de dire, qu'ils n'ont nulle forme : nos Chrestiens au contraire qui en ont, disent-ils, de grands contentements à les contempler fort et se délecter en telles visions, et non-seulement se plaisent à les voir, mais à les baiser, comme beaucoup de dames l'ont dit et descouvert à leurs amants, ainsi que dit une dame espagnole à son serviteur, qui, la saluant un jour, luy dit : Bezo las manos y los pies, senora (i ) ; elle luy dit : Senor, en el medfo esta la mejor station (2). Comme voulant dire qu'il pouvoil baiser le mitant aussi-bien que les pieds et mains. Et, pour ce, disent aucunes dames que leurs marys et serviteurs y prennent quelque délicatesse et plaisir, et en ardent davantage : ainsi que j'ay ouy dire d'un très-grand prince, fils d'un grand roy de par le monde, qui avoit pour maistresse une très-grande prin- cesse. Jamais il ne la touchoit qu'il ne luy vist cela et ne le baisast plusieurs fois. Et la première fois qu'il le fit, ce fut par la persua- sion d'une très-grande dame, favorite du roy ; laquelle, tous trois un jour estants ensemble, ainsi que ce prince muguettoit sa dame, luy demanda s'il n'a voit jamais veu cette belle partie dont iljouissoit. Il respondit que non : a Vous n'avez donc rien fait, dit-elle, et ne » sçavez ce que vous aimez ; vostre plaisir est imparfait, il faut que » vous le voyiès. » Par-quoy, ainsi qu'il s'en vouloit essayer et qu'elle en faisoit de la revesche, l'autre vint par derrière, et la prit ei renversa sur un lict, et la tint tousjours jusques à ce que le prince


(1) C'e«t-à-dire : Madame, je tous haise les pieds et les mains.

(2) C'esl-à-<dire : Mousieur, la slatioD du milieu est bien meilleurs.


DISCOURS II. ie&

Tenst contemplée à son aise et baisée son saoul, tant quMl le trou- voit beau et gentil; et pour ce, continua tousjours.

D'autres y a-t-il qui ont leurs cuisses si mal proportionnées, mal advenantes et si mal faites en olive, qu'elles ne méritent d'estre regardées et désirées, comme de leurs jambes, qui en sont de même, dont aucunes sont si grosses qu'on en diroit le gras estre le ventre d'une conille qui est pleine.

D'autres les ont si gresles et menues, et si heronnières, qu'on les prendroit plustost pour des fleules que pour cuisses et jambes ; je vous laisse à penser que peut estre le reste.

Elles ne ressemblent pas une belle et honneste dame dont j'a^ ouy parler, laquelle estant en bon point; et non trop en extré- mité (car en toutes choses il faut un médium), après avoir donné à coucher à son amy, elle lui demanda le lendemain au matin comment il s'en trou voit. Il luy respondit que très-bien, et que sa bonne et grasse chair luy avoit fait grand bien, a Pour le » moins, dit-elle, avez-vous couru la poste sans emprunter de » coissinet. »

D'autres dames y a-t-il qui ont tant d'autres vices cachés, ainsi que j'en ay ouy parler d'une qui esloit dame de réputation, qui fâisoit ses affaires fécales par le devant ; et de ce j'en demaiiday la raison à un médecin suffisant , qui me dit parce qu'elle avoit esté percée trop jeune et d'un homme trop fourny et robuste ; dont ce fut grand dommage, car c'estoit une très-belle femme et veufve, qu'un honneste gentilhomme que je sçay la vouloit espouser; mais, en sachant tel vice, la quita soudain , et un autre après la prit aussi-tost.

— J'ay ouy parler d'un gallant gentilhomme qui avoit une des belles femmes de la Cour et n'en faisoit cas. Un autre, n'estant si scrupuleux que luy, habitant avec elle, trouva que son cas puoit si fort qu'on ne pouvoit endurer cette senteur, et, par ainsi , cogneut l'encloùeure du mary.

J'ay ouy parler d'une autre, laquelle estant l'une des filles d'une grande princesse, qui petoit de son devant : des médecins m'ont dit que cela se pouvoit faire à cause des vents et vento^itea qui peuvent sortir par-là, et mesmes quand elles font la fricareile.

Cette fille estoit avec celte princesse lorsqu'elle vint à Moulins, la Cour y estant, du temps du roy Charles neuviesme, qui en fut abreuvé, dont on en rioit bien.

D'autres j en a-t-il qui ne peuvent tenir leur urine , qu'il faut


166 VIES DES DAMES GALANTES.

qu'elles ayent toujours la petite esponge entre les jambes, comme j'en ay cogneu deux grandes, et plus que dames, dont l'une estant tille, Gt l'évasion tout à trac dans la salle du bal, du temps du roy Charles neuviesme, dont fut fort scandalisée.

D'une autre grande dame ay-je ouy parler, que quand on la faisoit cela, elle se compissoit à bon escient, ou sur le fait, ou après, comme une jument quand elle a esté saillie : à elle falloit-il jetterle seillaud d'eau comme à la jument, pour la faire retenir.

Tant d'autres y a-t-il qui sont ordinairement en sang et leurs mois, et autres qui sont viciées, tarottées, marquetées et marquées, tant par accident de #rolle de leurs marys ou de leurs amys, que par leurs mauvaises habitudes et humeurs; comme celles qui on[ les jambes louveiitines et autres fluxions et marques , que par les envies de leurs mères estant enceintes d'elles, portent sur elles, comme j'en ay ouy parler d'une qui est toute rouge par une moitié du corps, et l'autre non, comme un eschevin de ville.

D'autres sont si sujettes à leurs flux menstruaux, que quasi ordinairement leur nature flue comme un mouton à qui on a coupé la gorge de frais; dont leurs marys ou amants ne s'en contentent guieres, pour l'assidue fréquentation que Vénus ordonne et désire en ces jeux : car, si elles sont saines et nettes une semaine du mois, c'est tout, et leur font perdre le reste de l'année : si que des douze mois ils n'en ont cinq ou six francs, voire moins; c'est beaucoup, à la mode de nos .soldats desbandez, auxquels à la monstre les commissaires et trésoriers font perdre, de douze mois de l'an, plus de quatre, en leur faisant monter les mois jusques à quarante et cinquante jours, si que les douze mois de l'an ne leur reviennent pas à huit. Ainsi s'en trouvent les marys et amants qui telles femmes ont et se servent, si ce n'est que , du tout, pour assoupir leur paillardise, se veulent souiller vilainement sans aucun respect d'impudicilé ; et leurs enfants qui en sortent s'en trouvent mal et s'en ressentent.

Si j'en voulois raconter d'autres, je n'aurois jamais fait, et aussi que les discours en seroienl trop sallauds et déplaisants : et ce que j'en dis et dirois ce ne seroit des femmes petites et communes, mais des grandes et moyennes dames qui de leurs visages beaux /ont mourir le monde, et point le couvert.

Si feray-je encore ce petit conte, qui est plaisant, d'un gentil- homme qu'il me fit, qui est qu'en couchant avec une fort belle dame, et d'estolTc, eu faisant sa besogne il iuy trouva en cette partie


DT9C0URS II. I6T

quelques poils si piquants et si aigus, qu'avec toutes les incommo» dites il la put achever, tant cela le piquoit et le fiçonnoij . Enfin , )(_ ayant fait, il voulut taster avec la main : il trouva qu'alentour de sa motte il y avoit une demi-douzaine de certains iils garnis de ces poils si aigus, longs, roides et piquants, qu'ils en eussent servy aux cordonniers à faire des rivets comme de ceux de pourceaux, et les voulut voir ; ce que la dame luy permit avec grande difticullé ; et trouva que tels fils entournoient la pièce ny plus ny moins que vous voyez une médaille entouniée de quelques diamants et rubis, pour servir et mettre en enseigne en un chapeau ou au bonnet.

— Il n'y a pas long-temps qu'en une certaine contrée de Guyenne, une damoiselle mariée, de fort bon lieu et bonne part, ainsi qu'elle advisoit esludier ses enfants, leur précepteur, par une certaine manie et frénésie, ou possible pour rage d'amour qui luy vint soudain, il prit une espée qui esloit de son mary sur le lict, et luy en donna si bien, qu'il luy perça les deux cuisses et les deux labiés de sa nature de part en part, dont depuis elle en cuida mourir, sans le secours d'un bon chirurgien. Son cas pouvoit bien dire qu'il avoit esté en deux diverses guerres et attaqué fort diversement. Je crois que la veuë après n'en estoit guères plaisante, pour estre ainsi balafré et ses aisles ainsi bri- sées : je les dis aisles, par ce que les Grecs appellent ces labiés hymenœa; les Latins les nomment alœ, et les François, labiés, lèvres, landrons, landilles et autres mots : mais je trouve qu'à bon droit les Latins les appellent aisles ; car il n'y a ny animal ny oiseau, soit-il faucon, niais ou sor, comme celuy de nos fillaudes, soit-il de passage, ou hagard ou bien dressé, de nos femmes mariées ou veufves, qui aille mieux ny ait i'aisle si viste.

Je le puis appeler aussi animal avec Rabelais, d'autant qu'il s'esmeut desoy-mesme; et, soit à le toucher ou à le voir, on le sent et le void s'esmouvoir et remuer de luy-mesme, quand il est en appétit.

D'autres^ de peur de rhumes et catheres, se couvrent dans 1»» lict de couvre-chefs alentour de la leste, par Dieu, plus que sor- cières: au partir de-là, bien habillées, elles sont salTrelles comme poupines, et d'autres fardées et peintrées comme images, belles au jour, et la nuii t dépeintes et très-laides.

Il faudroit visiter telles dames avant les aimer, espouser et en jouir, ainsi que faisoit Octave César avec ses amis, qui faisoit despouiiler aucunes grandes dames ( (^ maliosnes romaines, voire


l«g VIES DES DAMES GALANTES.

t!es vierges mûres d'aage, el les visiloit d'un bout à l'autre, comme si ce fussent esclaves et serves vendues par uu certain maquignon nommé Torane ; et se!oii qu'il les trouvoit à son gré et sop 7)oint, ny tarées, il en joùissoit.

De mesme en font les Turcs en leur bazestan de Constanlino- ole et autres grandes villes, quand ils achettent des esclaves de

'un et de l'aulre sexe.

Or je n'en parleray plus, encore pensé-je en avoir trop dit ; et voilà comment nous sommes bien trompez en beaucoup de veuës que nous pensons el croyons très-belles. Mais, si nous y som- mes bien autant édifiés et satisfaits en d'aucunes autres, les- quelles sont si belles, si nettes, propres, fraisches, caillées, si ai- mables et si en bon point, bref, si accomplies en toutes parties du corps, qu'après elles toutes veuës mondaines sont chélives et vaines; dont il y a des hommes qui, en telles contemplations, s'y perdent tellen.eut, qu'ils ne songent qu'aux actions : aussi, bien souvent telles dames se plaisent à se monstrer sans nulle difficulté, pour ne se sentir taschées d'aucunes macules, pour nous faire plus entrer en tentation et concupiscence.

Nous estans un jour au siège de La Rochelle, le pauvre feu M. de Guise , qui me faisoit l'honneur de m'aimer, s'en vint me monstrer des tablettes qu'il venoit de prendre à Monsieur, frère du Roy, nostre général, dans la poche de ses chausses, et me dit: « Monsieur me vient de faire un desplaisir et la guerre pour l'a- » mour d'une dame; mais je veux avoir ma revanche; voyez ce » que j'y ai mis dedans et lisez. » Me donnant les tablettes, je vis escrits de sa main ces quatre vers gu'il venoit de faire, mais le mot de f. y estoit tout à tiac.


Si vous ne m'avez coguue Il n'a pas tenu à moy ; Car vous m'avei bien veu nue, Et vous ay monstre de quoy.

I

' Puis, me nommant la dame, ou pour mieux dire fille, de la- quelle je me doutois pourtant, je lui dis que je m'estonnois fort qu'il ne l'eust touchée et cogneue, d'autant que les approches en avoieut esté grandes, et que le bruit en estoit par trop com- mun ; mais il m'asseura que non, et que ce n'avoit esté que sa faute. Je luy replicquay : « Il falloit donc, Monsieur, ou qu'a-


DISCOURS II. 169

» lors il fust si las et recreu d'ailleurs, qu'il n'y pust fournir, ou » qu'il fust si ravi eu la contemplation de cette beauté nue, qu'il •> ne se souciasi de l'action! — Possible, me respondit ce prince, « qu'il se pourroil faire; mais tant y a que ce coup il y faillit, » et je luy en fais la guerre, et je luy vais remettre ces tablettes » dans sa poche, qu'il visitera selon sa couslume, et y lira ce qu'il » y faut; et, ambrés, me voilà vengé. » Ce qu'il fit, et ne fut am- près sans en rire tous deux à bon escient, et s'en faire la guerre' pHisamment; car, pour lors, c'estoit une très-grande amitié et privauté entr'eux deux, bien depuis eslrangement changée.

— Une dame de par le monde, ou plustost fille, estant fori aimée et privée d'une très-grande princesse, estoit dans le lict se rafraischissant, comme estoit la coutume : vint un gentilhomme la voir, qui pour elle brusloit d'amour; mais il n'en avoit autre chose. Cette dame fille estant ainsi aimée et privée de sa mais- tresse, s'approchant d'elle tout bellement, sans faire semblant de rien, tout- à-coup vint à tirer toute la couverture de dessus elle, si bien que le gentilhomme, point paresseux de ses yeux aucu- nement, les jetta aussi>tost, dessus qui vid, à ce que depuis il m'a ' fait le conte, la plus belle chose qu'il vid ny qu'il verra jamais, qui estoit ce beau corps nud, et ses belles parties, et cette blanche, jolie et belle cbarnure, qu'il pensa voir les beautez du paradis. Mais cela ne dura guieres ; car, tout aussi-lost la couverture fut tournée prendre par la dame, la fille en estant partie de là, et de bonheur. Celte belle dame, tant plus elle se remuoit à reprendre la couverture, tant plus elle se faisoit paroistre ; ce qui n'endom- mageoit nuUemeut la veuë et le plaisir du gentilhomme, qui autrement ne s'empeschoit à la recouvrir, bien sot fust esté : pourtant, tellement quellement, elle recouvra sa couverture, se remit, en se courouçant assez doucement contre la fille, et luy disant qu'elle le payeroit. La demoiselle luy dit, qui estoit un petit à Tescart : « Madame, vous m'en aviez fait une ; pardonuez-moy si » je TOUS l'ay rendue ; » et, passant la porte, s'en alla. Mais l'accord fut fait aussi-lost.

Cependant le gentilhomme se trouva si bien de telle veuë, et en telle extase de plaisir et contentement, que je luy ay ouy dire cent fois qu'il n'en vouloit d'autre en sa vie, que de vivre au songer de cette ordinaire contemplation; et certes il avoit raison : car, selon la monstre de son beau visage, le non-pareil, et sa belle gorge« dont elle a utnt repeu le monde, pouvoit assez mons-

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ITO VIES ETES DAMES GALANTES.

trer que dessous il y avoit de caché de plus exquis; et me disoit qu'entre telles beautez, c^estoit la dame la mieux flanquée et le plus haut qu'il eust jamais veue : ainsi le pouvoit-elle estre, car elle estoit de très-riche taille ; mesme entre les beaulez il faut qu'elle le soit, ny plus ny moins qu'une forteresse de frontière.

Amprès que ce gentilhomme m'eut tout conté, je ne lui peus que dire : « Vivez donc, vivez, mon grand amy, avec cette con- » templation divine et cette béatitude que jamais ne puissiez-vous » mourir; et moy au moins, avant mourir, puisse-je avoir une telle » veuë! »

Ledit gentilhomme en eut pour jamais cette obligation à la demoiselle, et tousjours depuis l'honora et l'aima de tout son cœur. Aussy luy estoit-il serviteur fort; mais il ne l'espousa, car un autre plus riche que luy la luy embla, ainsi qu'est la coustume à toutes de courir aux biens.

Telles veuës sont belles et agréables; mais il se faut donner garde qu'elles ne nuisent, comme celle de la belle Diane nuë au pauvre Acléon, ou bien une que je vais dire.

— Un Roy de par le monde aima fort en son temps une bien belle, honnesle et grand dame veufve, si bien qu'on l'en tenoit charmé; car peu il se soucioit des autres, voire de sa femme, si non que par intervalles, car cette dame eraportoit tousjours les plus belles fleurs de son jardin; ce qui faschoit fort à la Reyne, car elle se sentoit aussi belle et agréable que serviable, et digne d'avoir d'aussi friands morceaux, dont elle s'en esbahissoit fort; de quoy en ayant fait sa complainte à une sienne grand'dame fa- vorite, elle complotta avec elle d'aviser s'il y avoit tant de quoy, mesmes espier par un trou le jeu que joiieroient son mary et la dame. Par qu«y elle advisa de faire plusieurs trous au-dessus de la chambre de ladite dame, pour voir le tout et la vie qu'ils de- meneroient tous deux ensemble : dont se mirent à tel spectacle; mais ils n'y virent rien que très-beau, car elles y apperceurent ine femme très-belle, blanche, délicate et très-fraische, moitié en >;hemise et moitié nue, faire des caresses à son amant, des mignar- dises, des folastreries bien grandes , et son amant lui rendre la pareille, de sorte qu'ils sortoient du hct, et tout en chemise se couchoient et s'esbattoient sur le tapis velu qui estoit auprès du lict, affin d'éviter la chaleur du hct, et pour mieux en prendre le frais; car c'estoit aux plus grandes chaleurs. ^

Ainsi que j'ay cogneu aussi un très-grand prince, qui prenoit de


DISCOURS II. 171

mesme son déduit avec sa femme, qui esloit la plus belle femme du monde , affin d'éviter le chaud que produisoient les grandes chaleurs de l'esté, ainsi que luy-mesme disoit.

Celte princesse donc, ayant veu et apperceu le tout, de dépit s'en mit à plorer, gémir, souspirer et attrister, luy semblant, et aussi le disant, que son mary ne luy rendoit le semblable, et ne faisoil les folies qu'elle luy avoit veu faire avec l'autre.

L^autre dame qui l'accompagnoil se mit à la consoler et luy remonslrer pourquoy elle s'attrisloit ainsi, ou bien, puisqu'elle avoit esté si curieuse de voir telles choses, qui! n'eu falloil pas espérer de moins.

La princesse ne respondit autre chose, si non : a Hélas, ou y ! » j'ay voulu voir chose que je ne devois avoir voulu voir, puisque » la veuë m'en fait mal. »

Toutesfois, après s'estre consolée et résolue, elle ne s'en soucia plus, et le plus qu'elle put, continua ce passe-temps de veuë, et le convertit en risée, et possible en autre chose.

— J'ay ouy parler d'une grande dame de par le monde, mais grandissime, qui, ne se contentant de la lascivité naturelle, car elle esloil grand putain, et mariée et veufve, aussi esloit-elle fort belle : pour se provoquer et exciter davantage, elle faisoit des- poudler ses dsmes et lilles , je dis les plus belles, et se délicatoit fort à les voir ; et puis elle les battoii du plat de la main sur les fesses avec de grandes cîaquades et plamussacjes assez rudes, et les filles qui avoient délinqué quelque chose, avec de bonnes verges ; et alors son contentement esloit de les voir remuer et faire les mouvements et tordions de leur corps et fesses, lesquelles, selon les coups qu'elles recevoient, en monstroient de bien estranges et plaisantes.

Aucunes fois, sans les despouiller, les faisoit trousser en robbe (car pour lors elles ne portoient pa« de calsons), et les claqueloil et fouelloit sur les fesses, selon le sujet qu'elles luy donnoient, ou pour les faire rire, ou pour plorer : et, sur ces visions et contem- plations, y aiguisoit si bien ses appetis, qu'après elle les alloit passer bien souvent à bon escient avec quelque gallant homme bien fort et robuste.

Quelle humeur de femme! Si bien qu'on dit qu'ayant une fois veu par la fenestre de sont chasteau, qui visoit sur la rue, un grand cordonnier, estrangemeut proportionné» pisser contre la muraille dudit chasteau, elle eut envie d'une si belle et grande proportion;


172 VIES DES DAMES GALANTES.

el de peur de gaster son fruit pour son envie, elle luy manda par un page de la venir trouver en une allée secrète de son parc, où elle s'estoit retirée, et là elle se prostilua à luy en telle façon qu'elle en engrossa. Voilà ce que servit la veuë à ceite dame.

Et de plus, j'ay ouy dire qu'outre ses femmes et filles ordinaires qui estoienl à sa suite, les eslrangeres qui la venoient voir, dans les deux ou trois jours, ou toutes les fois qu'elles y venoient, elle les apprivoisoit aussi-tost à ce jeu, faisant monstrer aux siennes premièrement le chemin, et aller devant elles, et les autres après ; si bien qu'elles estoient estonnées de ce jeu les unes, et les autres non. Vrayment, voilà un plaisant exercice!

— J'ay ouy parler d'un grand aussi qui prenoit plaisir de voir ainsi sa femme nue ou habillée, et la fouetter de claquades, et la voir manier de son corps.

— J'ay ouy dire à une honneste dame qu'estant fille sa mère la foueiloit tous les jours deux fois, non pour avoir forfait, mais parce qu'elle pensoit qu'elle prenoil plaisir à la voir ainsi remuer les fesses et le corps, pour autant d'en prendre d'appétit ailleurs : et tant plus elle alla sur l'âge de quatorze ans, elle persista et s'y acharna de telle fayon, qu'à mode qu'elle l'accostoit elle la contemploit encore plus.

— J'àyBîén ouy dire pis d'un grand seigneur et prince, il y a plus de quatre-vingts ans, qu'avant qu'aller habiter avec sa femme se faisoit fouetter, ne pouvant s'esniouvoir ny relever sa nature baissante sans ce sot remède. Je desirerois volontiers qu'un mé- decin excellent m'en dist la raison.

Ce grand personnage, Picus Mirandula, raconte avoir veu ua certain gallant en son temps, qui, d'autant plus qu'on 5'estrilloit à grandes sanglades d'estrivieres, c'estoit lors qu'il esloit le plus enragé après les femmes ; et n'estoit jamais si vaillant après elles s'il n'estoit ainsi estrillé : après il faisoit rage. Voilà de terribles humeurs de personnes 1

Encore celle de la veuë des autres est plus agréable que la dernière.

— Moy estant à Milan, un jour on me fit un conte de bonne part, que feu M. le marquis de Pescaire, dernier mort, vice-roy en Sicile, vint grandement amoureux d'une fort belle dame ; si- bien qu'un matin, pensant que son mary fust allé dehors, l'alla visiter qu'il la trouva encores au lict; et, en devisant avec elle, n'en obtint rien que la voir et la contempler à son aise sous le linge, el la toucher de la main.


bISC.OLllS II. 178

Sur ces entrefaites survint le mary, qui n'esloit du calibre du marquis en rien, et les surprit de telle sorte, que le marquis n'eut loisir de retirer son gand, qui s'estoit perdu, je ne sçai comment, parmy les draps, comme il arrive souvent. Puis, luy ayant dit quelques mots, il sortit de la chambre, conduit pour- tant du gentilhomme, qui j> mprf>s eslre retourné, par cas for- tuit trouva le gand du marquis perdu dans les draps, dont la dame ne s'en estoit pas apperceue. Il le prit et le serra, et puis faisant la mine froide à sa femme, demeura long-temps sans coucher avec elle, ny la toucher : parquoy un jour elle seule dans sa chambre, mettant la main à la plume, se mit à faire ce quatrain :

Vigna era, vigna ton. Era podata, or più non ton; E son tô per quai cagion Aon mi poda il mio patron.

Et puis laissant ce quatrain escrit sur la table, le mary vint, qui vid ces vers sur lat able, prend la plume et fait response :

Vigna tri, tigna sei, Eri podata, e più non set, Per la granfa del leon , Non ti poda il tuo patron.

Et puis les laissa aussi sur la table. Le tout fut appporté au marquis, qui fit response :

A la' vigna che toi dicete

lo fui, e qui restete ;

Allai il pamparo, guardax la vite}

Ma non toecai, ti Dio m' ajute.

Cela fut rapporté au mary, qui, se contentant d'une si honora- ble réponse et juste satisfaction, reprit sa vigne et la cultiva aussi- bien que devant; et jamais mary et femme ne furent mieux.

Je m'en vais les traduire en fraiiçois, afin que chacun l'en- tende.

Je suii etté une belle vigne et le sois encore. Je suis esté d'aulrefoi't très- bien cultivée; Ast heure je ne le suis point; et si ne içaj Pourquoi mon patron ne me cultive plus.

10.


174 VIES DES DiJltS GALANTES.

Response.

Ouy, vous avez este vigne telle, et Testes encore Et d'autrefois bien cultivée, ast heure plus; Pour ramoor de la grilTe du lyoD, Tostre marr De vous cultive plus.

Response du marquis.

A la vigoe que vous autres dites

Je soii esté certes, et ; resiay un peu;

J'en haussay le pampre et en regardai la vis et le msin.

liais Dieu ne me puisse aider si jamais j'y ay touché 1

Par celte griffe de lion il veut dire le gand qu'il avoit trouvé es* gare entre les linceuls. Voylà encor un bon mary qui ne s'ombra- gea pas trop, et se despouiilant de soubçon, pardonna ainsi à sa l'emme : et certes il y a des dames, lesquelles se plaisent tant en

)lles-mesmes, qu'elles se contemplent et se regardent nues, de sorte

qu'elles se ravissent se voyans si belles, comme Narcissus. Que pouvons-nous donc faire les voyant et arregardaut?

— Marianne, femme d'Hérode, belle et honneste femme, son mary voulant un jour coucher avec elle en plein midy et voir à plein ce qu'elle portoit, lui refusa à plat, ce dit Joseplie. Il n'usa pas de puissance de mary, comme un grand se^neur que j'ay cogneu, à l'endroit de sa femme, qui esloii des belles, qu'il assaillit ainsi en plein jour, et la mit toute nue, elle le déniant fort. Après il luy renvoya ses femmes pour l'habiller, qui la trouvèrent toute honteuse et esplorée.

— D'autres dames y a-t-il lesquelles à dessein ne font pas grand scrupule de faire à pleine veuë la monstre de leur beaulé, et se descouvrir nues, atia de mieux encapricier et marteller leurs serviteurs, et les mieux attirer à elles; mais ne veulent permettre nullement la touche précieuse, au moins aucunes, pour quelque temps ; car, ne se voulans arrester en si beau che- min, passent plus outre, comme j'en ay ouy parler de plusieurs, qui ont ainsi long-lemps entretenu leurs serviteurs de si beaux aspects. Bien-heureux sont-ils ceux qui s'y arrestent aux pa- tiences, sans se perdre par trop en tentation : et faut que celuy soit bien enchanté de vertu, qui, en voyant une belle femme, ne se gaste point les yeux; ainsi que disoit Alexandre quei- quesfois à ses amis, que les HUes des Perses faisoient grand mal


DISCOURS II. 17S

anx yeax à ceux qui les regardoient ; et, pour ce, tenant les liiles (lu roy Darius ses prisonnières, jamais ne les saluoit qu'a- vec les yeux baisseï, et encor le moins qu'il pouvoit, de peur qu'il avoil d'esire surpris de leur excellente beauté. Ce n'est dès-lors seulement , mais d'aujourd'hui , qu'entre toutes les femmes d'Orient les Persiennes ont le los et le prix d'esire les plus belles et accomplies en proportions de leur corps et beauté naturelle, gentilles, propres en leurs babils et chaussures, mes- mement, et sur toutes, celles de l'ancienne et royale ville de Seiras, lesquelles sont tellement loiiées en leurs beautez, blan- clieurs et plaisantes civililez et bonne grâce, que les Mores, par un anlique et commun proverbe , disent que leur prophète Mahomet ne voulut jamais aller à Seiras, de crainte que s'il y eust veu une fois ces belles femmes , jamais amprès sa mort son ame ne fust entrée en paradis. Ceux qui y ont esté et en ont es- crit le disent ainsi; en quoy on notera l'hypocrite contenance de ce bon marault et rompu prophète, comme s'il ne se irouvoil pas escrit, ce dit Belon, en un livre arabe, iniitulé Des bonnes couslumes de Mahomet, le loiiant de ses forces corporelles, qui se vautoit de pratiquer et repasser ces unze femmes qu'il avoit en une mesme heure l'une après l'autre. Au diable soit le ma- rault! n'en parlons plus : quand tout est dit, je suis bien à loisir d'en parler. J'ay veu faire celte question, sur ce trait d'A- lexandre que je viens dédire, et de Scipioii l'Afriquain, lequel des deux acquist plus grand louange de continence. Alexandre, se défiant des forces de sa chasteté, ne voulut point voir ces belles dames persiennes : Scipion, après la prise de Carihage la neufve, vid celle belle fille espagnole que ses soldats luy ame- nèrent, et luy offrirent pour la part de son bulin, laquelle esloit si excellente en beauté et en si bel aage de prise, que par-tout où elle passoit elle auimoit et admiroit les yeux de tous à la regar- der, et Scipion mesme; lequel, l'ayant saluée fort courtoisement, s'enquist de quelle ville d'Espagne elle esloil, et de ses parents. Jl luy fut dil, eutr'auires choses, qu'elle esloit accordée à un jeune homme nommé Alucius, prince des Celiibériens, à qui i) 'a rendit, ei à ses père et mère, sans la toucher; dont il obligea. a dame, les parents et le fiancé, si bien qu'ils se rendirent de- |j)uis très-affection nez à la ville de Rome et à la République. Mais que sçail-on si dans son ame celte belle dame n'eust point désiré avoir esié un peu percée et entamée . premièrement de Scipion,


176 VIES DES DAMES GALANTES.

de luy, dis-je, qui estoit beau, jeune, brave, vaillant et victo- rieux? Possible que si quelque privé ou privée des siennes et des siens luy eust demandé en foy et conscience si elle ne l'eusl pas voulu, je laisse à penser ce qu'elle eust respondu, ou fait quelque petite mine approchant de l'avoir désiré, et, s'il vous plaist, si son climat d'Espagne et son soleil couchant ne la sça- voit pas rendre, et plusieurs autres dames d'aujourd'huy et de cette contrée, belles et pareilles à elle, chaudes et aspres à cela, comme j'en ay veu quantité. Il ne faut donc point douter si cette belle et honneste fille fut esté requise et sollicitée de ce beau jeune homme Scipion, qu'elle ne l'eust pris au mot, voire sur l'autel de ses dieux prophanes. En cela ce Scipion a esté certes loué d'aucuns de ce grand don de continence ; d'autres il en a esté blasmé : car en quoy peut monstrer un brave et val- leureux cavallier la générosité de son cœur, qu'envers une belle et honneste dame, si-non luy faire parestre par effet qu'il prise sa beauté et l'ayme beaucoup, sans luy user de ces respects, froideurs, modesties et discrétions, que j'ay veu souvent appeller, à plusieurs cavalliers et dames, plustost sottises et faillement de cœur que vertus. Non, ce n'est pas qu'une belle et honneste dame aime dans son cœur, mais une bonne jouissance, sage, discrète et secrète. Enfin, comme dist un jour une honneste dame lisant celte histoire, c'estoit un sot que Scipion, tout brave et généreux capitaine qu'il fust , d'aller obliger des personnes à soy et au party romain par un si sot moyen, qu'il eust pu faire par un autre plus convenable, et niesmes puis que c'estoit un butin de guerre, duquel en cela on doit triompher autant ou plus que de toute autre chose. Le grand fondateur de sa ville ne fit pas ainsi, quand les belles dames sabines furent ravies, à Yendroit de celle qu'il eust pour sa part, et en fit à son bon plaisir, sans aucun respect; dont elle s'en trouva bien, et ne s'en soucia guières, ny elle ny ses compagnes, qui firent leur accord aussi-tost avec leurs marys et ravisseurs, et ne s'en for- malisèrent comme leurs pères et mères, qui en firent esmouvoir grosse guerre. Il est vray qu'il y a gens et gens, femmes et femmes, qui ne veulent accointance de tout le monde en cette façon : et toutes ne sont pareilles à la femme du roy Oriragon, l'un des roys gaulois d'Asie, qui fut belle en perfection; et, ayant esté prise en sa deffaite par un cenlenicr romain, et sol- licitée de son honneur, la trouvant ferme, elle qui eut horreur


DISCOURS II. tJT

de se prostituer à luy, et à une personne si vile et basse, il h prit par force et nolence, que la fortune et advaniure de guerre lui avoit donné par droit d'esclavitude ; dont bien-tost il s'en repentit et en eut la vengeance ; car elle luy ayant promis une grande rançon pour sa liberté, et tous deux estants allez au lieu assigné pour en toucher l'argent, le fit tuer ainsi qu'il le con- toit, et puis l'emporta et la teste à son mary, auquel confessa librement que celuy-là lui avoit violé véritablement sa chasteté, mais qu'elle en avoit eu la vengeance en cette façon : ce que son mary l'approuva et l'honora grandement. Et depuis ce temps-là, dit l'histoire, conserva son honneur jusques au der- nier de sa vie avec toute sainteté et gravité : enfin elle en eui ce bon morceau, fust qu'il vint d'un homme de peu. Lucrèce n'en Ht pas de mesme , car elle n'en tasia point, bien qu'elle fust sollicitée d'un brave roy : en quoy elle fit doublement de la sotte, de ne luy complaire sur-le-champ et pour un peu, et de se tuer. Pour tourner encore à Seipion, il ne sçavoit point encore bien le train de la guerre pour le butin et pour le pillage : car, à ce que je liens d'un grand capitaine des nostres, il n'est telle viande au monde pour cela qu'une femme prise ^de guerre, et se mocquoit de plusieurs autres de ses compagnons, qui recommandoient sur toutes choses, aux assauts et surprises des villes, l'honneur des dames, mesmes aux autres lieux et rencontres : car elles aiment les hommes de guerre toujours plus que les autres, et leur violence leur en fait venir plus d'appétit et puis on n'y trouve rien à redire, le plaisir leur en demeure, l'honneur des marys et d'elles n'en est nullement honny ; et puis les voilà bien gastées ! et qui plus est, Sauvent les biens et les vies de leurs marys, ainsi que la belle Euiioe, femme de Bogudou Bocchus, roy de Mauritanie, à laquelle César fit de grands biens et à son mary, non tant, faut-il croire, pour avoir suivy son party, comme Juba, roy de Bithynie, celuy de Pompée, mais parce que c'estoit une belle femme, et que César en eut l'accointance et douce jouissance. Tant d'autres commo- ditez de ces amours y a-t-il que je passe : et toutesfois, ce disoit ce grand capitaine, ses autres grands compagnons pareils à luy, s'amusants à de vieilles routines et ordonnances de guerre, veu-' lent qu'on garde l'honneur des femmes, desquelles il faudroil auparavant sçavoir en secret et en conscience ï'advis, et puis en décider : ou possible sont-ils du naturel de notre Seipion, lequel^ ne se contentant tenir de celuy du chien de l'ortolan, lequel, comme


178 VIES DES DAMES GALANTES.

j'ay dit cy-devant, ne voulant manger des.choux du jardin, enipesche que les autres n'en mangent. Ainsi qu'il fli à l'endroit du pauvre Massinissa , lequel ayant tant de fois hazardé sa vie pour luy et pour le peuple romain, tant peiné , sué et iwivaillé pour lui acqué- rir gloire et victoire, il luy refusa et osta la b^lle reyne Sophonisba, qu'il avoit prise et choisie pour son principal et précieux bulin : il la luy enleva pour l'envoyer à Rome à vivre le reste de ses jours en mi- sérable esclave, si Massinissa n'y eusl remédié. Sa gloire en fust esté plus belle et plus ample si elle eust comparu en glorieuse et su perbe reyne, femme de Massinissa, el que l'on eusl dit, la voyant pas- Y ser: « Voilà l'une des belles vestiges des conquestes de Scipion ; » car ■ ^ la gloire certes gisl bienpTus en l'apparence des choses grandes et hautes, que des basses. Pour fin^ Scipion en tout ce discours fit de grandes fautes, ou bien il estoit ennemy du tout du sexe féminin, ou du tout impuissant de le contenter, bien qu'on die que sur ses vieux jours il se mit à faire l'amour à une des servantes de sa femme : ce qu'elle comporta fort patiemment pour des raisons qui se pourroient là-dessus alléguer. Or, pour sortir de la digression que je viens d'en faire, et pour rentrer au plain chemin que j'avois laissé, je dis, pour faire fin à ce. discours, que rien au monde n'est si beau à voir et regarder qu'une belle femme pompeusement ha- billée, ou délicatement déshabillée et couchée, mais qu'elle soit saine, nette, sans tare, suros ny mallandre, comme j'ay dit. Le roy François disoit qu'un gentilhomme, tant superbe soit-il, ne sçauroit mieux recevoir un seigneur, tant grand soit-il, en sa maison ou chasteau, mais qu'il y opposast à sa vue et première rencontre une belle femme sienne, un beau cheval et un beau lévrier : car, en jellant son œil tantost sur l'un, tantosl sur l'au tre, et tantost sur le tiers, il ne se sçauroit jamais fascher en cette maison ; mettant ces trois choses belles pour très-plaisantes à voit et admirer, el en faisant cet exercice Irès-agréable. La reyne de Caslille disoit qu'elle prenoit un très-grand plaisir de voir quatre choses: Hombre charmas en campo^ obisbopuesto en pontifical hnda dama en la cama, y ladron en la horca. C'est-à-dire : « Un homme d'armes sur les champs, un évesque en son ponti- » fical, une belle dame dans un lict, el un larron au gibet. »

J'ay ouy raconter à feu M. le cardinal de Lorraine le Grand^ dernier décédé, que, lorsqu'il alla à Rome vors le pape Paul IV, pour rompre la trêve faite avec l'Empereur, il passa à Venise, ou il fut très-honorablement receu. Il n'en faut point douter,


DTSCOUirs II. iry

pnis qu'il estoit un si grand favory d'un si grand roy. Tout ce grand et magnifique sénat alla au-devant de luy; et, passant par le grand canal, où tontes les fenestres des maisons estoienl bordées de toutes les femmes de la ville, et des plus belles, qui esloient là accourues pour voir cette entrée, il y en eut un des plus grands qui i'enlrelenoit sur les affaires de l'Estat, et luy en parloiî fort: mais, ainsi qu'il jettoit fort les yeux fixement sur ces belles dames, il luy dit en son patois langage : « Monseigneur, je crois que vous » ne m'entendez, et avez raison, car il y a bien plus de plaisir et » différence de voir ces belles dames à ces fenestres, et se ravii » en elles, que d'ouyr parler un fascheux vieillard comme moy, et » parlasi-il de quelque grande conquesle à vostre advantage. i» M. le cardinal, qui n'avoit faute d'esprit et de mémoire, luy res- pondil de mot à mot à tout ce qu'il avoit dit; laissant ce bon vieil- lard fort satisfait de luy, et en admirable estime qu'il eut de luy qui, pour s'amuser à la veuë de ces belles dames, il n'avoit rien oublié ny obmis de ce qu'il luy avoit dit. Qui aura veu la Cour de nos roys François premier et Henry deuxiesme et autres roys ses enfants, advouera bien, quel qu'il soit, et eusl-il veu toul le monde, n^avoir rien veu jamais de si beau que nos dames qui sont estées en leur Cour, et de nos reynes, leurs femmes, mères et sœurs; mais plus belle chose encore eusl-il veu, ce dit quelqu'un, si le grand-pere de maistre Gonnin eust vescu, qui, par ses inventions, illusions et sorcelleries et enchantements, les eust peu représenter devestues et nues, comme l'on dit qu'il le fil une fois en quelque compagnie privée, que le roy François luy commanda; car il esloit un homme fort expert et subtil en son art ; et son pelil-fi!s, que nous avons veu, n'y enteiidoit rien au prix de luy. Je pense que celle veuë seroit aussi plaisante comme fut jadis celle des dames égyptiennes en Alexandrie à l'accueil et réception de leur grand dieu Apis, au devant duquel elles alloient en très-grande cérémonie, et levant leurs robbes, cottes et chemises, et les retroussant le plus haut qu'elles pouvoient, les jambes fort eslargies et escarquillées, leur mon- troient leur cas tout-à-fait; et puis, ne le revoyant plus, pensez qu'elles cuidoient l'avoir bien payé de cela. Qui en voudra voir le conte, pu'il lise Alexand. ah Alexandra, au sixiesme livre des Jours jovials Je pense que telle veuë en estoit bien plai- sante, car pour lors les dames d'Alexandrie estoient belles, comme encor sont aujourd'huy. Si les vieilles et laides faisoient de mesme


180 VIES DES DAMES GALANTES.

passe, car la veuë ne se doii jamais esteodre que sur le beau, et fuir le laid tant que l'on peut.

En Suisse, les hommes et les femmes sont pesle mesle aux bains et esluves sans faire aucun acte deshonneste, et en sont quittes en mettant un linge devant: s'il est bien délié, encor peut-on voir chose qui plaist ou desplait, selon le beau ou le laid.

Avant que finir ce discours, si diray-je encor ce mot. En quelles tentations et récréations de veuë pouvoient entrer aussi les jeunes seigneurs, chevaliers, gentilshommes, plébéans et autres Romains, le temps passé, le jour que se célébroit la feste de Flora à Rome, laquelle on dit avoir esté la plus gentille et la plus triompban te courlisanne qu'oncques exerça le putanisme dans Rome, voire ailleurs I et qui plus la recommandoit en cela, c'est qu'elle esloil de bonne maison et de grande lignée ; et, pour ce, telles dames de si grande estoffe volontiers plaisent plus, et la rencontre en est plus excellente que des autres. Aussi cette dame Flora eut cela de bon et de meilleur que Lays, qui s'abandonnoit à tout le monde comme une bagasse , et Flora aux grands; si bien que sur le seuil de sa porte elle avoit mis cet escriteau : « Roys, princes, dictaleurj, con- » suis, censeurs, pontifes, questeurs, ambassadeurs, et autres grands » seigneurs, entrez, et non d'autres. » Lays se faisoit tousjours payer avant la main, et Flora point, disant qu'elle faisoit ainsi avec les grands, afin qu'ils fissent de mesme avec elle comme grands et illustres, et aussi qu'une femme d'une grande beauté et haut lignage sera tousjours autant estimée qu'elle se prise : et si ne prenoit si non ce qu'on luy donnoit, disant que toute dame gentille devoit foire plaisir à son amoureux pour amour, et non pour avarice, d'autant que toutes choses ont certain prix, fors l'amour. Pour fin, en son temps elle fit si gentiment l'amour, et se fit si brave- ment servir, que quand elle sorloit du logis quelquesfois pour se promener en ville, il y avoit assez à parler d'elle pour un mois, tant pour sa beauté, ses belles et riches parures, ses su- perbes façons, sa bonne grâce, que pour la grande suite des courtisans et serviteurs, et grands seigneurs qui estoient avec elle, et qui la suivoient et accompagnoient comme vrays es- claves, ce qu'elle enduroit fort patiemment: et les ambassa- deurs estrangers, quand ils s'en retournoient en leurs provinces, se plaisoieni plus à faire des contes de la beauté et singularité de la belle Flora que de la grandeur de la république de Rome, et sur-tout de sa Grande libéralité, contre le naturel pourtant


DISCOURS II. 181

de telles dames; mais aussi estoit-elle outre le commun, puis- qu'elle estoit noble. Enfin elle mourut si riche et si opulente, que la valeur de son argent, meubles et joyaux, esloit suffisante pour refaire les murs de Rome, et encor pour desengager la Ré- publique. Elle fit le peuple romain son héritier principal, et pour ce luy fut- édifié dans Rome un temple très-somptueux, qui (le Flora fui appelé Florian.

L a première fesle que l'empereur Galba célébra jamais fut celle de l'amoureuse Flora, en laquelle esloit permis aux Romains et Romaines de faire toutes les desbauches, deshonnestelez, sallau- deries et débordements à l'envy dont se pourroient adviser ; en sorte que l'on estimoit la plus sainte et la plus gallanle celle qui, ce jour-là, faisoit plus de la dissolue et de la deshonnesletez débordée. Pensez qu'il n'y avoit ny fîscaigne (que les chambrières et esclaves mores dansent les dimanches à Mallhe en pleine place devant le monde), ny sarabande qui en appr(Ji;hast, et qu'elles n'y oublioient ny mouvement ny remuements lascifs, ny gestes paillards, ny tordions bizarres; et qui en pouvoit escogiter de plus dissolus et débordez, tant plus gallante esloit la dame ; d'autant que telle opinion estoit parmi les Romains, que, qui alloit iu temple de celte déesse en habit et geste et façon plus lascive et paillarde, auroit mesme grâce et opulents biens que Flora avoit eu. Vrayment voilà de belles opinions et belle solemnisation de festes; aussi estoient-ils payens : là-dessus ne faut d«uter si elles y ou- blioient nul genre de lasciveté, et si longtemps avant ces bonnes dames esiudioienl leurs leçons, ny plus ny moins que les uostres à apprendre un ballet, et si elles estoient affectionnées en cela. Les jeunes hommes, voire les vieux , y estoienl bien autant empressez à voir et contempler t^les lascives simagrées. Si telles se pouvoienl représenter parmy nous, le monde en feroit bieu son proffil en toutes sortes ; et pour eslre à telles veuës le monde se tueroit de la presse. Il y a assez-là à gloser qui voudra; je le laisse aux bons galands : qu'on lise Suétone, Pausanias grec et Manilius latin, aux livres qu'ils ont fait des dames illustres, fameuses et amoureuses, on verra tout. Ce conte encor, et puis plus. I

Il se lit que les Lacédémoniens allèrent une fois pour mettre le siège devant Jlessene, à quoy les Mecéniens les prévindrent, car ib sortirent d'abord sur eux les uns et les autres, tirèrent et cou- rurent à Lacédémone, pensant la surprendre et la piller cependait/


182 VIES DES DAMES GALANTES,

qu'ils s'amusoient devant leur ville; mais ils furent valeurea- seinent repoussés et chassés par les femmes qui esloient de- meurées : ce que sçachanls, les Lacédémoniens rebroussèrent cUeniin et tournèrent vers leur ville: mais de loin ils découvrent leurs femmes toutes en armes, qui avoient donné la chasse, dont ils furent en alarme ; mais elles se firent aussi-tost à eux reco- nnu istre et leur racontèrent leur fortune, dont ils se mirent de joio à les baiser, embrasser et caresser, de telle sorte que, i»er dants toute honte, et sans avoir la patience d'osier leurs armes, ny eux ni elles, leur firent cela bravewent en mesme place qu'ils Iks rencontrèrent, où l'on put voir cLcses et autres, et ouyr un plaisent son et cliquetis d'armes et d'autre chose; en mémoire de quoy ils tirent bastir un temple et simulacre à la déesse Vénus, qu'ils appelèrent F'énus l'armée, au contraire de tous les autres, qui la peignent toute nue. Voilà une plaisante cohabitation, et un beau sujet de peindre Vénus armée, et l'appeler ainsi I 11 se voit souvent parmi les gens de guerres, mesmes aux prises de villes par assauts, force soldats tous armés joiiir des femmes, n'ayant le loisir et la patience de se désarmer pour passer leur rage et appétit, tant ils sont tentez ; mais de voir le soldat armé habiter avec la femme armée, il s^en void peu. Il faut là-dessus songer le plaisir qui s'en peut ensuivre, et quel plus grand pouvoir estre en ce beau mystère, ou pour l'action ou pour la veuë, ou pour la sonnerie des armes. Cela gist en l'imagination qu'on en pourroit faire, tant pour les agents que pour les arregardants qui estoient là pour lors. Or c'est assez, faisons fin : j'eusse fait ce discours ylus ample de plusieurs exemples, mais je craignois que, pour estre trop lascif, j'en eusse encouru mauvaise réputation.

Si faut-il qu'après avoir tant loué les belles femmes, que je fasse le conte d'un Espagnol qui, voulant mal à une femme, me le dépeignit un jour comme il falloil, et me dit : Senor, vieja; es como la lampada azeintunada d'iglesia, y de hechura del ar- marto larga y desvayada, el color y geslo como mascara mal pintada, el talle como una campana b mola demolino,la 'nsta como idolo del tiempo antiquo, el andar y vision duna mtigua fantasma de la noche, que tanto tuviesse encontrar la ie noche , come ver una mandagora. Jésus, Jésus, Dios me libre de su malencuentro, no se contenta de tener en su casa par huesped al pruvisor de obisbo, ny se contenta con la dema- sia da conversacion del vicnrin. nt/ del guardian, ny de la


DISCOURS II. 185

amistad anttgua del deen, sino que agora de nuevo atomado al que pide para las animas de purgatorio, paracabar su negra vida. C'esl-à-dire : « Voyez-la ; elle esl comme une lampe vieille et » toute graisseuse d'huile d'église ; de forme et façon, elle ressemble » un armoire grand et vague et mal basti; la couleur et la grâce «comme d'un masque mal peint; la taille comme une cloche de «monastère ou meule de moulin; le visage comme d'un idole du » temps passé ; le regard et l'aller comme un fantosme antique » qui va de nuict : de sorte que je craiiidrois autant de la ren- » contrer de nuict comme de voir une mandragore. Jésus ! Jésus I » Dieu m'en garde de telle rencontre I Elle ne se contente pas » d'avoir pour hoste ordinaire chez soy le proviseur de l'evesque, » ny se contente de la démesurée' conversation du vicaire, uy de la » continué visite du gardien, iiy de l'ancienne amitié du doyen, » sinon qu'à cette heure de nouveau elle a pris en main celui qui » demande pour les âmes du Purgatoire , et ce pour achever sa ■ noire vie. » Voilà comment l'Espagnol, qui a si bien dépeint les trente beautez d'une dame, comme j'ay dit cj-dessus eu ce discours, quand il veut, la sçait bien déprimer.


184 VIES DES DAMES GALANTES.

DISCOURS TR0I3IEME.

Sur la beauté de la belle jambe et de la vertu qu'elle a.


Entre plusieurs belles beautez que j'ay veu louer quelques fois parmi nous autres courtisans, et autant propres à attirer à l'amour, c'est qu'on estime fort une belle jambe à une belle dame, dont j'ay veu plusieurs dames en avoir gloire, .et soin de les avoir et en- tretenir belles. Entre autres, j'ay ouy raconter d'une très-grande princesse de par le monde, que j'ay cogneu, laquelle aimoit une de ses dames par-dessus toutes les siennes, et la favorisoit par-des- sus les autres, seulement parce qu'elle luy liroit ses chausses si bien tendues, et en accommodoit la grève, et mettoii si proprement la jarretière, et mieux que toute autre, de sorte qu'elle estoit fort avancée auprès d'elle, mesme luy fit de grands biens : et par ainsi, sur cette curiosité qu'elle avoit d'entretenir ainsi sa jambe belle, faut penser que ce n'estoit pour la cacher sous sa juppe, ny son cotillon ou sa robbe, mais pour en faire parade quelques fois avec de beaux calleçons de toilie d'or et d'argent, ou d'autre estoffe, irès-propremeni et mignonnement faits, qu'elle portoit d'ordinaire : car l'on ne se plaist point tant en soy, que l'on n'en veuille faire part à d'autres de la veuë et du reste. Cette dame aussi ne se pou- voit pas excuser en disant que c estoit pour plaire à son mary, comme la pluspart d'elles le disent, et mesmes les vieilles, quand /^ elles se font si pimpantes et aprgiases,, encores qu'elles soient i vieilles; mais cette-cy estoit veufve : il est vray que du temps de son mary elle faisoit de mesme, et pour ce ne voulut discoatinuei

X( par amgrès, l'ayant perdu. J'ay cogneu force belles, honnestes da- ' mes et filles, qui sont autant curieuses de tenir ainsi précieuses et propres et gentilles leurs belles jambes : aussi elles en ont raison, car il y gist plus de lasciveté qu'on ne pense. J'ay ouy parler d'une très-grande dame, du temps du roy François, et très-belle, la- quelle, s'esiani rompu une jambe, et se lestant faitie rabiller, elle trouva qu'elle n'estoit pas bien , et estoit demeurée toute torte : elle


DISCOURS II. 1S&

fut si résolue, qu'elle se la fit rompre une autre fois au rabilleur, pour la remettre eu son point, comme auparavant, et la rendre aussi belle et aussi droite. Il y en eut quelqu'une qni s'en esbaliil fort ; mais à celle une autre belle dame fort entendue fit response et lui dit : « A ce que je vois, vous ne savez pas quelle vertu amou- reuse porte en soy une belle jambe. »

— J'ay cogneu autresfois une fort belle et bonneste fille de par le monde, laquelle estant fort amoureuse d'un grand seigneur, pour l'attirer à soy, et en escroquer quelque bonne pratique, et n'y pouvant parvenir, un jour, estant en une allée de parc, et le voyant venir, elle fit semblant que sa jarretière lui tomboit; et, se mettant un peu à l'escart, haussa sa jambe, et se mit à ti- rer sa chausse et rabiller sa jarretière. Ce grand seigneur l'ad- visa fort, et en trouva la jambe très-belle, et s'y perdit si bien, que cette jambe opéra en luy plus que n'avoit fait son beau vi- sage ; jugeant bien en soy que ces deux belles colonnes souste- DOient un beau bastiment ; et depuis l'advoua-t-il à sa maislresse,» qui en disposa après comme elle voulut. Notez cette invention et gentille façon d'amour.

— J'ay ouy parler aussi d'une belle et bonneste dame, sur- tout fort spirituelle, de plaisante et bonne humeur, laquelle, se faisant un jour tirer sa chausse à sou vallei-de-chambre, elle luy demanda s^il n'entroit point pour cela en ruth, tentation et concupiscence (l) : encore dit-elle et franchit le mot tout outre. Le va'let, pensant bien uiù, pour le respect qu'il luy portoit, respondit que non. Elle soudain, haussant la main, luy donna un grand soufflet. « Allez, dit-elle, vous ne me servirez jamais » plus ; vous estes un sot, je vous donne vostre congé. » Il y a force vallets de filles aujourd'huy qui ne sont si continents, en levant, habillant et chaussant leurs maistresses : il y a aussi des gentilshommes qui n'eussent fait ce trait, voyant un si bel appas.

Ce n'est d'aujourd'huy seulement que l'on a estimé la beauté des belles jambes et beaux pieds, car c'est une mesme chose; mais, du temps des Romains, nous lisons que Lucius Yitellius, père de l'empereur Viiellius, estant fort amoureux de Messaline, et désirant estre en grâce avec son mary par son moyen, k pria


U) On en a dit autant de Hademoisclle, cousine germaine de Loui$ XIV, à cela près qu'à ceux de ses p^ges à qui ses charmes donnaient de la tentation elle don* uiit ]ueliiue« louis pour pouvoir se satisraire ailleurs.


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186 VIES DES DAMES GALANTES.

un jour de luy faire cet honneur de luy accorder un don. I/Em- periere luy demanda : « El quoy? — C'est, madame, dit-il, qu'il » vous plaise qu'un jour je vous deschausse vos escarpins. » Messaiine, qui esloit toute courtoise pour ses sujels, ne luy vou- lut refuser celte grâce; et l'ayant deschaussée, en garda un es- carpin et le porta tousjours sur soy entre la chemise et la peau, le baisant le plus souvent qu'il pouvoil, adorant ainsi le beau pied de sa dame par l'escarpin, puisqu'il ne pou voit avoir à sa disposition le pied naturel ny la belle jambe. Vous avez le Mi- lord d'Angleterre des Cent Nouvelles de la Reyne de Navarre, qni purla de mesme le gand de sa maistresse à son coslé, et si bien enrichy. J'ay cogneu force gentilshommes qui, premiergue porter leurs bas de soye, prioient les dames et maislressesUe les essayer et les porter devant eux quelques huict ou dix jours, du plus que du moins, et puis les portoient en très-grand vénéra- tion et contentement d'esprit et de corps. '

  • — J'ai cogneu un seigneur de par le monde, qui, estant sur

la mer avec une grande dame des plus belles du monde, qui, voyageant par son pays, et d'autant que ses femmes estoient ma- lades de la marette, et par ce très-mal disposées pour la servir, le bonheur fut pour luy qu'il fallut qu'il la couciiast et levast ; mais en la couchant et levant, la chaussant et deschaussant, il »n devint si amoureux qu'il s'en cuida desespérer, encor qu'il luy fust proche : comme certes la tentation en est par trop ex- Iresme, et il n'y a nul si morliflé qui ne s'en esmeust. Nous li- sons de Poppea Sabina, femme de Néron, qui estoit la plus fa- vorite des siennes, laquelle, outre qu'elle fut la plus profuse en toutes sortes de superfluïtez, d'ornements, de parures, de pom- pes et de ses coustrements d'habits, elle portoit des e scarpins et

Xpianelles toutes d'or. Cette curiosité ne tendoit pas pour cacher sa jamBe ny son pied à Néron, son cocu de niary : luy seul n'en avoit pas tout le plaisir ny la veuë, il y en avoit bien d'autres. Elle pouvoit bien avoir cette curiosité pour elle, puisqu'elle fai- soit ferrer les pieds de ses juments qui traisnoient son coche de fers d'argent. M. Saint Jerosme reprend bien fort une dame de son temps qui estoit trop curieuse de la beauté de sa jambe, par ces propres mots : « Par la petite boiine brunetle, et bien tirée » et luisante, el'ie sert d appeau aux jeunes gens, et d'amorces » par le son des Doucielles. » Pensez que c estoit quelque taçon de chaussure qui coaroit de ce temps-là, qui estoit par trop a^


DISCOUIIS m. 187

fêtée, et peu séame aux priides femmes. La chaussure de ces botines est encore aiijourd'liny en usage parmy les dnmes de Turquie, et des plus grandes et plus chastes. J'ay veu discourii et faire question quelle j;imbe estoit plus tentative et attrayante, ou la nue ou la couverte et chaussée. Plusieurs croyent qu'il n'y 1 que le naturel, mesme quand elle est bien faite au tour de la perfection et selon la beauté que dît l'Espagnol que j'ay dit cy«  (levant, et qu'elle est bien blanche, belle et bien polie, et mons- trée à propos dans un beau lict ; car autrement, si une dame la vouloii monsirer toute nue en marchant ou autrement, et des souliers aux pieds, quand bien elle seroit la plus pompeusement habillée du monde, elle ne seroit jamais trouvée bien décente ny l)elle ; comme une qui seroit bien chaussée d'une belle chaussure de soye de couleur ou de fillet blanc, comme on fait à Fleurence pour porter l'esté, dont j'ay veu d'autresfois nos dames en por- ter avant le grand usage que nous avons eu depuis des chausses de soye ; et après faudroii qu'elle fust tirée et tendue comme la peau d'un tabourin, et puis attachée ou avec esguillettes ou au- trement, selon la volonté et l'humeur des dames : puis faut ac- compagner le pied d'un bel escarpin blanc, et d'une mule de ve- lours noir ou d'autre couleur, ou bien d'un beau petit patin, tant bien fait que rien plus, comme j'en ay veu porter à une très- grande dame de par le monde, des mieux faits et plus mignon- nement. En quoy faut adviser aussi la beauté du pied; car s'il est par trop grand il n'est plus beau; s'il est par trop petit, il donne mauvaise opinion et signifiance de sa dame, d'autant qu'on dit petit pied grand c, ce qui est un peu odieux : mais il faut qu'il soit un peu médiocre, comme j'en ay veu plusieurs qui en ont porté grandes tentations, et mesmes quand leurs dames le faisoient sortir et paroistreà demy hors du cotillon, et le faisoient remuer et frétiller par certains petits tours et remuements lascifs, i'Stant couverts d'un beau petit patin peu liégé, et d'un escarpin l)lanc, pointu et point quarré par le devant, et le blanc est le plus beau. Mais ces petits patins et escarpins sont pour les grandes et Hautes femmes, non pour les courtaudes' et nabottes, qui ont leurs grands chevaux de patins liégés de deux pieds { autant vaudroit voir remuer cela comme la massue d'un géant ou la marotte d'un fou. D'une autre chose aussi se doit bien garder la dame, de ne déguiser son sexe, et ne s'habiller en garçon, soit pour une mas- carade ou autre chose : car encor au'elle eust la plus belle jambe


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188 VIES DES DAMES GALANTES.

du monde, elle s'en monstre difforme, d'autant qu'il faut que toutes choses ayent leur propriété et leur séance; tellement qu'en démen- tant leur sexe, défigurent du tout leur beauté et gentillesse natu- relle. Voylà pourquoy il n'est bien-séant qu'une femme se garçonne pour se faire monstrer plus belle, si ce n'est pour se gentiment ado- niser d'un beau bonnet avec la plume à la Guelfe ou Gibeline at- tachée, ou bien au-devant du front, pour ne trancher ny de l'un "ny de l'autre, comme depuis peu de temps nos damés d'aujour- d'huy l'ont mis en vogue : mais pourtant à toutes il ne sied pai iien ; il faut en avoir le visage poup'n et fait exprès, ainsi que l'on î vu à nostre reyne de Navarre, qui s'en accommodoit si bien, qu'à voir le visage seulement adonisé, on n'eust sceu jVger de quel sexe elle tranchoit, ou d'un beau jeune enfant, pu d'une très-belle dame qu'elle estoit.

Dont il me souvient qu'une^ de par le monde que j'ay cogneue qui, la voulant imiter sur 1 âge de vingt-cinq ans, et de par trop haute et grande taille, hommasse et nouvellement venue à la Cour, pensant faire de la galante, comparut un jour en la salle du bal, et ne fut sans estre fort regardée et assez brocardée, jusques au Roy qui en donna aussi-tosl sa sentence, car il disoit des mieux de son royaume, et dit qu'elle ressembloit fort bien une batteleuse, ou, pour dire plus proprement, de ces femmes en peinture que l'on porte de Flandres, et que l'on met au-devant des cheminées d'Iioslellerie et cabarets avec des fleustes d'Allemant au bec; si bien qu'il luy fit dire, si elle comparessoit plus en cet habit et contenance, qu'il luy feroit signifier de porter sa fleuste pour don- ner l'aubade et récréation à la noble compagnie. Telle guerre lui lit-il, autant pour ce que cette coiffure lui séoit mal, que pour haine qu'il portoii à son mary. Voilà pourquoy tels déguisements iiejLezÊnt bien à toutes dames; car quand bien cette reyne de Navarre, qui est la plus belle du monde, se fust voulu autrement déguiser de son bonnet, elle n'eust jamais comparu si belle comme elle est, et n'eust peu : aussi, qu'auroit-elle sceu prendre forme plus belle que la sienne, car de plus belle n'en pouvoit-elle prendre n'y emprunter de tout le monde? Et si elle eust voulu monstrer sa jambe, que j'ay ouy dire à aucunes de ses femmes, et la peindre pour la plus belle et mieux faite du monde , autrement qu'en wn naturel, ou bien estant chaussée proprement sous ses beaux iabits, on ne l'eust jamais trouvée si belle. Ainsi faut-il que les belles dames comparoissent et fassent monstre de leurs beautez.


DISCOLKS 111. 189

— J'ay lu dans un ifvre espagnol, inlilulé el Viage del Prin- cipe (l), qui fut celui que le roy d'Espagne fil en ses Pays-Bas du temps de l'empereur Charles son père, eiitr'autres beaux re- cueils qu'il receul parmi ses riches et opulentes villes, ce fut de la reyne d'Hongrie en sa belle ville de Bains, dont le proverbe dit : Mas brava que las fieslas de Bains [i). Entre autres magni- ficences fut que, durant le siège d'un chasteau qui fut battu en feinte, et assiégé en forme de place de guerre (je le descris ailleurs), elle fit un jour un festin, sur tous autres, à l'Empereur son bon frère, à la reyne Eleonor sa sœur, au Roy son nepveu, et à tous les seigneurs, chevaliers et dames de la Cour. Sur la fin du festin comparut une dame, accompagnée de six nymphes Oréades, vestues à l'antique, à la nymphale et mode de la vierge chasseresse, toutes vestues d'une toille d'argent et vert, et un croissant au front, tout couvert de diamants, qu'ils sembloient imiter la lueur de la lune, portant chacune son arc et ses flèches en la main, el leurs carquois fort riches au costé, leurs botiues de mesme toille d'argent, tant bien tirées que rien plus, El ainsi entrèrent en la salle, menans leurs chiens après elles, et présen- tèrent à l'Empereur, et luy mirent sur sa table toute sorte de ve- naison en pasle, qu'elles avoient prise en leur chasse. Et, après, vint Paies, la déesse des pasteurs, avec six nymphes Napées, vestues toutes de blanc de toille d'argent, avec les garnitures de meâme eu la teste, toutes couvertes de perles; et avoient aussi des chausses de pareille toille avec l'escarpin blanc, qui por- tèrent de toute sorte de laitage, et le posèrent devant l'Empe- reur. Puis, pour la troisième bande, vint la déesse Pomona, avec ses nymphes Nayades, qui portèrent le dernier service du fruict. Cette déesse esloit la lille de donna Béatrix Pacheco, comtesse d'Autremont, dame d'honneur de la reyne Eleonor, laquelle pou- voil avoir alors que neuf ans. C'est celle qui est aujourd'huy ma- dame l'admirale de Chastillon, que M. l'admirai espousa en se- condes nopces; laquelle fille et déesse apporta, avec ses com- pagnes, toutes sortes de fruicts qui se pouvoient alors trouver, car c'esloit en esté, des plus beaux et plus exquis, et les présenta à l'Empereur avec une haranj:ue si éloquente, si belle,. et prononcée de si bonne grâce, qu'elle s'en fil fort aimer et ad-


(t) Le Voyage du Prince.

(S) Plus magnil!que que lei fètci de Baioi.

11.


190 VIES DES DAMES GALANTES.

mirer de l'Empereur et de toute l'assemblée, veu son jeune âge, que dès lors on présagea qu'elle seroit ce qu'elle est aujourd'huy, une belle, sage, honneste, vertueuse, habile et spirituflie dame. Elle estoit pareillement habillée à la nymphale comme les autres, vestue de toilles d'argent et blanc, chaussée de mesme, et garnie à la teste de force pierreries ; mais c'estoient toutes esmeraudes, pour représenter en partie la couleur du fruict qu'elles appor- toient; et outre le présent du fruict, elle en fit un à l'Empereur et au roy d'Espagne d'un rameau de victoire tout esmaillé de ▼erd, les branches toutes chargées de grosses perles et pierre ries, ce qui estoit fort riche à voir et inestimable; à la reyne Eleonor un esvantail, avec un mirouer dedans, tout garni de pierreries de grande valeur. Certes cette princesse et reyne d'Hongrie monslroit bien qu'elle estoit une honneste dame en tout, et qu'elle savoit son entregent aussi bien que le mestier de la guerre; et à ce que j'ay ouy dire, l'Empereur son frère avoil un grand contentement et soulagement d'avoir une si honneste sœur et digne de luy. Or, l'on me pourroit objecter pourquoy j'ay fait cette disgression en forme de discours. C'est pour dire que toutes ces filles, qui avoient joué ces personnages avoienl esté choisies et prises pour les plus belles d'entre toutes celles des revues de France et de Hongrie et madame de Lorraine, qui esloient françoises, italiennes, flamandes, allemandes et lorrai- nes ; parmy lesquelles n'y avoit faute de l^eauté ; et Dieu sait si la reyne d'Hongrie avoit esté curieuse d'en choisir de plus belles et de meilleure grâce. Madame de Fontaine-Ciialandry, qui est encore en vie, en sauroit bien que dire, qui estoit lors fille de la reyne Eleonor, et des plus belles : on l'appeloit aussi la belle Torcy, qui m'en a bien conté. Tant il y a que je tiens d'elle et d'ailleurs, que les seigneurs, gentilshommes et cavaliers de cette cour, s'amusèrent à regarder et contempler les belles jambes, grèves et beaux petits pieds de ces dames ; car, vestues ainsi à la nymphale, elles estoieut courtement habillées et en pouvoient faire une très belle monstre, plus que de leurs beaux visages qu'ils pouvoient voir tous les jours, mais non leurs belles jam- bes ; dont aucuns en vindrent plus amoureux par la veuë et monstre d'icelles belles jambes , que non pas de leurs bellet faces; d'autant qu'au dessus des belles colonnes, coustumiè- rement il y a de belles corniches de frize, de beaux architraves, riches chapiteaux, bien polis et entaillés. Si faut-il que je fasse


DISCOURS III. t9l

eijccr celte digression et que j'en fasse ma fantaisie, puisque nous sommes sur les feintes et représentations. Quasi en mesme temps que ces belles festes se f;iisoient es Pays-Bas, et surtout à Bains, sur la réception du roy d'Espagne, se fit l'entrée du roy Henry, tournant de visiter son pays de Piedmond et ses garni- sons à Lyon, qui certes fui des belles et plus triomphantes, ainsi que j'ay ouy dire à d'honnesles dames et gentilshommes de !a Cour qui y estoient. Or, si celte feinte et représentation de Diane et de sa chasse fut trouvée belle en ce royal feslin de la reyne d'Hongrie, il s'en fit une à Lyon, qui fut bien autre et mieux imitée; car, ainsi que le Roy marchoit, venant à rencon- trer un grand obélisque à l'antique, à costé de la main droite, il rencontra de mesme un préau ceint, sur le grand chemin, d'une muraille de quelque peu plus de six pieds de hauteur, et ledit préau aussi haut de terre, lequel avoit esté distinctement rem- ply d'arbres de moyenne fustaye, entreplantez de taillis espais et à force de touffes d'autres petits arbrisseaux, avec aussi force arbres fruitiers. Et en celle petite forest s'esbattoient force petits cerfs tous en vie, biches, chevreuils, toutefois privez. Et lors Sa Majesté entrouyt aucuns cornets et trompes sonner, et tout aussiiost apperceut venir, au travers ladite forest, Diane chas- sant avec ses compagnes et vierges forestières, elle tenant à la main un riche arc turquois, avec sa trousse pendant au costé, accoutrée en atours de nymphe, à la mode que l'antiquité nous la représente encore; son corps estoit vestu avec un demy bas à six grands lambeaux ronds de toile d'or noire, semée d'estoiles d'argent, les manches et le demeurant de salin cmmoisy, avec profilure d'or, troussée jusqu^s h demy jambe, découvrant sa belle jambe et grève, et ses botines à l'aniique de satin cramoisy, couvertes de perles en broderie : ses cheveux estoient entrelacés de gros cordons de riches perles, avec quantité de pierreries et joyau» de grand valeur; et au dessus du front un petit croissant d'ar- gent, brillant de menus petits diamants ; car d'or ne fust esté si beauny si bien représentant le croissant naturel, qui est clair et ar- gentin.

Ses compagnes estoient accoutrées de diverses façons d'habits et de taffetas rayez d'or, tant plein que vuide, le tout à l'antique, et de plusieurs autres couleurs à l'antique, entremeslées tant [jour la bizarreté que pour la gaylé; les chausses et botines de salin: leurs teste» adornée» de mesme à la nymphale, avec force perles


192 VIES DES DAMES GALANTES.

et pierreries. Aucunes conduisoient des limiers et petits lévriers, espaigneuls et autres chiens, en laisse avec des cordons de soye blanche et noire, couleurs du Roy pour l'amour d'une dame du nom de Diane qu'il aimoit: les autres accompagnoient et faisoient courre les chiens courants qui faisoient grand bruit. Les autres portoient de petits dards de bresil, le fer doré avec de petites ei gentilles houppes pendantes, de soye blanche et noire, les cornets et trompes mornées d'or et d'argent pendantes en escharpes à cordons de fil d'argent et soye noire. Et ainsi qu'elles apperceu- rent le Roy, un lion sortit du bois, qui estoit privé et fait de longue main à cela, qui se vint jetter aux pieds de la dite déesse, lui faisant feste; laquelle, le voyant ainsi doux et privé, le prit avec un gros cordon d'argent et de soye noire, et sur l'heure le pré* senta au Roy; et s'approchant avec le lion jusque sur le bord du mur du préau joignant le chemin, et à un pas près de Sa Majesté, lui offrit ce lion par un dixain en rime, tel qu'il se faisoit de ce temps, mais non pourtant trop mal limée et sonnante; et par icelle rime, qu'elle prononça de fort bonne grâce, sous ce lion doux &L gracieux luy offroit sa ville de Lyon, toute douce, gracieuse, et huniiUée à ses loix et commandements. Cela dit et fait de fort bonne grâce, Diane et toutes ses compagnes lui firent une humble révérence, qui, les ayant toutes regardées et saluées de bon œil, monstrant qu'il avoit très-agréable leur chasse, et les en remer- ciant de bon cœur, se partit d'elles et suivit son chemin de son entrée. Or notez que celte Diane et toutes ses belles compagnes esloient les plus apparentes et belles femmes mariées, veufves et filles de Lyon, où il n'y en a point de faute, qui jouèrent leurs mystères si bien et de si bonne sorte, que la pluspart des princes, seigneurs, genulhonimes et courtisans, en demeurèrent fort ravis. Je vous laisse à penser s'ils en a voient raison. Madame de Vaientinois, dite Diane de Poictiers, que le Roy servoit, au nom de laquelle cette chasse se faisoit, n'en fut pas moins contente, et en aima toute sa vie fort la ville de Lyon ; aussi esloit-elle leur voisine, à cause de la duché de Vaientinois qui en est fort, proche. Or, puis que nous sommes sur le plaisir qu'il y a de voir une belle jambe, il faut croire, comme j'ay ouy dire, que non le Roy seulement, mais tous ces gallants de la Cour, prirent un beau et merveilleux plaisir à contempler et mirer celles de ces belles nymphes si folastrement accoutrées et retroussées, qu'elles en donnaient autant ou plus de tentation pour monter


DI3C0UUS III. 193

au second estage, que d'admiration et de sujet à louer une si gentille invention.

Pour laisser donc notre digression et retourner où je l'avoij prise, je dis que nous avons veu faire en nos Cours et représenter par nos Reynes, et principalement par la Reyne-mere, de fort gentils ballets; mais d'ordinaire, entre nous autres courtisans, nous jettions nos yeux sur les pieds et jambes des dames qui les représentoient, et prenions par dessus très-grand plaisir leur voir porter leurs jambes si gentiment, et démener et frétiller leurs pieds si aflFettement que rien plus; car leurs robbes et cottes estoient bien plus courtes que de l'ordinaire, mais non pourtant si bien à la nymphale que de l'ordinaire, ny si hautes comme il le falloit et qu'on eust désiré; néantmoins nos yeux s'y baissoient un peu, et mesme lorsqu'on dansoit la volte, qui, en faisant vo- leter la robbe, monstroit toujours quelque chose agréable à la veuë, dont j'en ay veu plusieurs s'y perdre et s'en ravir entr'eux- mesmes. Ces belles dames de Sienne, au commencement de la révolte de leur ville et république, firent trois bandes des plus belles et des plus grandes dames qui fussent; chacune bande montoit à mille, qui estoit en tout trois mille, l'une vestue de taffetas violet, l'autre de blanc, et l'autre incarnat; toutes ha- billées à la nymphale d'un fort court accoustrement, si-bien qu'à plein elles monstroient la belle jambe et belle grève ; et firent ainsi leur monstre par la ville devant tout le monde, et mesme devant M. le cardinal de Ferrare et M. de Thermes, lieutenants- généraux de noslre roy Henry; toutes résolues, et promettant de mourir pour la république et pour la France, et toutes prestes de mettre la main à l'oeuvre pour la fortification de la ville, comme desjà elles avoient la fasciiie sur l'espaule; ce qui rendit k" en admiration tout le monde. Je mets ce conte ailleurs, où je parle des femmes généreuses; car il touche l'un des plus beaux traits qui fut jamais fait parmy galantes dames. Pour ce coup je me contenteray de dire que j'ay ouy raconter à plusieurs gentils- hommes et soldats, tant François qu'estrangers, mesmes à aucuns de la ville, que jamais chose du monde plus belle ne fut veuë, à cause qu'elles estoient toutes grandes dames, et principales cita- dines de ladite ville, les unes plus belles que les autres, comme l'on sçail qu'en cette ville la beauté n'y manque point parmy les dames, car elle y est très-commune; mais s'il faisoit beau voir leur beau visage, il faicoit bien autant beau voir et contempler


194 VIES DES DAMES' GALANTES.

lenrs belles jambes et grèves, par leurs gentilles chaussures tant bien tirées et accommodées , comme elles sçavent très-bien faire, et aussi qu'elles s'estoient fait faire leurs robbes fort courtes à la nymphale, afin de plus légèrement marcher, ce qui tentoit et eschauflbit les plus refroidis et mortifiés; et ce qui faisoit bien autant de plaisir aux regardants, estoit que les visages estoient bien veus toujours et se pouvoient voir, mais non pas ces belles jambes et grèves. Et ne fut sans raison qui inventa cette forme d'habiller à la nymphale ; car elle produisit beaucoup de bons aspects et belles œillades ; car si l'aocouslrement en est court, il est^ fendu par les costea, ainsi que nous voyons encor par ces belles anliquiiez de Rome, qui en augmente davantage la veuë lascive. Mais aujourd'huy les belles dames et filles de l'isle de Sic, quoi et qui les rend aimables? Certes ce sont bien leurs beautez et leurs gentillesses, mais aussi leurs gor giases f açons de s'habiller, et surtout leurs robbes fort courtes, qui monstrent à pl des parties tant nobles, pour en user et mettre en besogne, et non pour les laisser chô- mer oisivement, ne leur défendant ny imposant plus qu'aux au- tres aucune vacation. Disent plus (au moins aucunes de nos dames ), que celle loy d'honneur n'est que pour celles qui n'ai- ment point et qui n'ont fait d'amys bonnestes, ausquelles est très-mal-séant et blasmable. de s'aller abandonner et prostituer


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leur chasteté et leur corps, comme si elles estoient quelques courtisannes : mais celles qui aiment, et qui ont fait «Jes amys, cette loy ne leur défend nullement qu'elles ne les assistent en leurs feux qui les bruslent, et ne leur donnent de quqy pour les esteindre ; et que c'est proprement donner la vie à un qui la demande, se monslrant en cela bénignes, et nullement barbares ny cruelles, comme disoit Regnaud sur le discours de la pauvre Geneviefve affligée. Sur quoy j'ai cogneu une fort honneste dame et grande, laquelle, un jour son amy l'ayant trouvée en son cabinet, qui traduisoit celte stance dudil Regnaud, iina dona deve donque morire, en vers françois aussi beaux et bien faits que j'en vis jamais (car je les vis depuis), et ainsi qu'il luy de- manda ce qu'elle avoit escrit : « Tenez, voilà une traduction que » je viens de faire, qui sert d'autant de sentence par moy don- » née, et arrest formé pour vous contenter en ce que vous desi- » rez, dont il n'en reste que l'exécution; » laquelle, après la lecture, se fit aussitost. Lequel arrest fut bien meilleur que s'il eust esté rendu à la Tournelle ; car, encore que l'Ariosle ornast les paroles de Regnaud de très-belles raisons, je vous asseure qu'elle n'en oublia aucune à les très-bien traduire et représen- ter, bien que la traduction valoit bien autant pour esmouvoir que l'original; et donna bien à entendre à tel amy qu'elle lui vouloit donner la vie, et ne luy estre nullement inexorable, ainsi que l'autre en sceut bien prendre le temps.

Pourquoy donc une dame, quand la nature la fait bonne et miséricordieuse, n'usera-t-elle librement des dons qu'elle lui a donnés, sans en estre ingrate, ou sans répugner et contredire du tout contre elle? Comme ne lit pas une dame dont j'ay ouy par- ler, laquelle, voyant un jour dans une salle son mary marcher y et se pourmener, elle se peut empescher de dire à son amant : « Voyez, dit-elle, notre homme marcher ; n'a-t-il pas la vraye » encloùeure d'un cocu? N'eusse-je pas donc offensé grandement » la nature, puis qu'elle l'avoit fait et destiné tel, si je l'eusse » démentie et contrefaite? » J'ay ouy parler d'une autre dame, laquelle, se plaignant de son mary, qui ne la traitoit pas bien, l'espioit avec jalousie, et se doutoit qu'elle lui faisoit des cornes. « Mais il est bon ! disoit-elle h son amy; il luy semble que son » feu est pareil au mien : car je luy esteins le sien en un tourne- » main, et en quatre ou cinq gouttes d'eau; mais, au mien, » qui a un braisier bien plus grand et une fournaise plus ardente,


DISCOURS IV. J08

» il y en faut davantage : car nous sommes du naturel des » hydropiques ou d'une fosse de sable, qui d'autant plus qu'elle » avale d'eau, et plus elle en veut avaler. »

Une autre disoit bien mieux, qu'elles estoient semblables aux poules qui ont la pépie faute d'eau, et qui en peuvent mourir si elles ne boivent. L'on peut dire le mesme de ces femmes, que la soif engendre la pépie, et qu'elles en meurent bien souvent si on ne leur donne à boire souvent ; mais il faut que ce soit d'autre eau que de fontaine. Une autre dame disoit qu'elle esloil du na- turel du bon jardin, qui ne se contente pas de l'eau du ciel, mais en demande à son jardinier, pour en estre plus fructueux. Uiie dame disoit qu'elle vouloii ressembler aux bons _ceconomes et f mesnagers , lesquels ne donnent tout leur bien à mesnager et faire valoir à un seul, mais le départent à plusieurs mains ; car une seule n'y pourroit fournir pour le bien esvaluer. Sem- blablement vouloit-elle ainsi mesnager son cas, pour le méliorer, et elle s'en irouvoil mieux. J'ay ouy parler d'une honnesle dame qui avoit un amy fort laid et un beau mary, et de bonne grâce, aussi la dame estoit très-belle. Une sienne familière luy remons- trani pourquoy elle n'eu choisissoit un plus beau : « Ne savons- » nous pas, dit-elle, que pour bien cultiver une terre, il y faut » plus d'un laboureur, et volontiers les plus beaux et les plus dé- » licats n'y sont pas les plus propres, mais les plus ruraux et les » plus robustes? » Une autre dame que j'ay cogneue, qui avoit un mary fort laid et de fort mauvaise grâce, choisit un amy aussi laid que luy; et comme une sienne compagne'luy demanda pour- quoy : 9. C'est, dit-elle, pour mieux m'accoustumer à la laideur de « mon mary. »

Une autre dame discourant un jour de l'amour, tant à son esgard que de^ autres de ses compagnes, dit ces paroles : « Si » les femmes estoient tousjours chastes , elles ne sçauroieut ce » que c'est de leur contraire , » se fondant en cela sur Topinion d'Héliogabale, qui disoit que la moitié de la vie devoit estre em- ployée à cultiver les vertus, et l'autre moitié dans les vices; au- trement si l'on estoit toujours d'une mesme façon, tout bon ou tout mauvais, il seroit impossible de juger de son contraire, qui sert souvent de tempérament. J'ay veu de grands personnages appprouver cette maxime, et mesme pour les femmes. Aussi la femme de l'empereur Sigismond, qui s'appeloit Barbe, disoit qu'estre tousjours en un mesme estât de chasteté appartenoit aux


204 VIES DES DAMES GALANTES.

sottes, et en reprenoit fort ses dames et damoiselles qui persis- toient en cette sotte opinion ; ainsi que de son costé elle la renvoya bien loin, car tout son plaisir fut en festes, danses, bals et amour, en se mocquant de celles qui ne faisoient pas de mesmes, ou qui jeusnoient pour macérer leur chair, et qui faisoient des retraites. 7e vous laisse à penser s'il faisoit bon à la cour de cet empereur et impératrice, je dis pour ceux et celles qui se plaisoient à l'amour.

— J'ay ouy parler d'une fort honneste dame et de réputation, laquelle venant à estre malade du mal d'amour qu'elle portoit à son serviteur, sans vouloir bazarder ce petit honneur qu'elle portoit entre ses jambes, à cause de cette rigoureuse loy d'hon- neur tant recommandée et preschées des marys ; et d'autant que de jour en jour elle alloit bruslant et seichant, de sorte qu'en un instant elle se vid devenir seiche, maigre, allanguie, tellement que, comme auparavant, elle s'estoit veue fraische, grasse et en bon point, et puis toute changée par la connoissance qu'elle en eust dans son miroir : « Comment, dit-elle alors, seroit-il donc » dit qu'à la fleur de mon aage, et qu'à l'appétit d'un léger point » d'honneur et volage scrupule pour retenir par trop mon feu, je » vinse ainsi peu à peu à me seicher, me consommer et devenir » vieille et laide avant le temps, ou que j'en perdisse le lustre » de ma beauté qui me faisoit estimer, priser et aimer, et qu'au » lieu d'une dame de boUe chair je devinsse une carcasse, ou plus- » lost une anatomie, pour me faire chasser et bannir de toute » bonne compagnie, et estre la risée d'un chacun ? Non, je m'en » garderay bien, mais je m'aidray des remèdes que j'ay en ma » puissance. » Et, par ainsi, elle exécuta tout ce qu'elle avoit dit, et, se donnant de la satisfaction et à son amy, reprit son embon- point, et devint belle comme devant, sans que son mary sceust le remède dont elle avoit usé, mais l'attribuant aux médecins, qu'il remercioit et honoroit fort, pour l'avoir ainsi remise à son gré pour eu faire mieux son profit.

— J'ay ouy parler d'une autre bien grande, de fort bonne hu- meur, et qui disoit bien le mot, laquelle estant maladive, son médecin luy dit un jour qu'elle ne se irouveroit jamais bien si elle ne le faisoit ; elle soudain respondit : « Eh bien ! faisons-le « donc. » Le médecin et elle s'en donnèrent au cœur joye, et se flontentèrent admirablement bien. Un jour, entre autres, elle luy dit : ♦; On dit partout que vous m«|,le faites; mais c'est tout un, » puisque je me porte bien ; » et franciiissoit tousjours le mot


DISCOURS IV. 205

galant qui commence par f. « Et tant que je pourray je le feray, » puis que ma saïUé en dépend. » Ces deux dames ne ressem- bloient pas à celle honnesle dame de Pampelone que j'.iy dit encore ci-devant, dans les Cent Nouvelles de la Reyne de Na- varre, laquelle , estant devenue esperduement amoureuse de M. d'Avannes, aima mieux cacher son feu et le couver dans sa poîctrine qui en brusloit, el mourir, que de faillir son honneur. C'est de quoy j 'ay ouy discourir cy-dessus à quelques honnestes dames et seigneurs. C'estoii une sotte, et peu soigneuse du salut de son ame, d'autant qu'elle -mesme se donnoit la mori, estant en sa puissance de l'en chasser, ei pour peu de chose. Car enfin, comme disoit un ancien proverbe françois, d'une herbe de pré tondue, et d'un c. /"....., le dommage est bien-tost rendu. Et qu'est-ce après que tout cela est fait? La besogne, comme d'au- tres, après qu'elle est faite, paroist-elle devant le monde? La dame en va-t-elle plus mal droit? y connoist-on rien? Cela s'en- tend quand on besogne à couvert, à huis clos, et que l'on n'en voit rien. Je voudrois bien sçavoir si beaucoup de grandes dames que je connois ( car c'est en elles que l'amour va plustost loger, comme dit cette dame de Pampelone, c'est aux grands portaux que battent de grands vents ) délaissent de marcher la teste haut eslevée, ou en cette Cour ou ailleurs, et de paroistre braves comme une Bradamante ou une Marfise. El qui seroil celuy tant présompteux qui osast leur demander si elles en viennent ? Leurs marys mesmes (vous dis-je) ne leur oseroient dire quoy que ce soit, tant elles savent si bien contrefaire les prudes et se tenir en leur marche alliere; et si quelqu'un de leurs marys pense leur en parler ou les menacer, ou outrager de paroles ou d'effet, les voilà perdus ; car, encore qu'elles n'eussent songé au- cun mal contre eux, elles se jettent aussi -tosl à la vengeance, et la leur rendent bien ; car il y a un proverbe ancien qui dit que, quand et aussi-losl que le mary bal sa femme, son cas en rit : cela s'appelle qu'il espère faire bonne chère, connoissani le naturel de sa maisiresse qui le porte, et qui, ne pouvant se van- ger d'autres armes, s'aide de luy pour son second et grand amy, pour donner la venue au galant de son mary, quelque bonne garde et veille qu'il fasse auprès d'elle. Car, pour parvenir à leur but, le plus souverain remède qu'elles ont, c'est d'en faire leurs plaintes entre elles-mesmes, ou à leurs femmes et filles- de-chambre, et puis les gagner, ou à faire des amys nouveaux^


206 VIES DES DAMES GALANTES.

si elles n'en ont point; ou, si elles en ont, pour les faire venir aux lieux assignez : elles font la garde que leurs marys n'entrent et ne les surprennent. Or ces dames gagent leurs filles et fem- mes, et les corrompent par argent, par présents, par promesses, et bien souvent aucunes composent et contractent avec elles, à sçavoir que leur dame et maislresse de trois venues que l'amy leur donnera, la servante en aura la moitié ou au moins le tiers. Mais le pis est que bien souvent les maislresses trompent leurs servantes eu prenant tout pour elles, s'excusant que l'amy ne leur en a- pas plus donné, aius si petite portion, qu'elles-mes- mes n'en ont pas eu assez pour elles; et paissent ainsi de bayos ces pauvres filles, femmes et servantes, pendant qu'elles sont en sentinelle et font bonne garde: en quoy il y a de l'injustice; et je croy que si celle cause esioit plaidée par des raisons allé- guées d'un costé et d'autre, il y auroit bien à débattre et à rire; car enfin c'est un vray larcin de leur dérosber ainsi leur salaire et pension convenue. Il y a d'autres dames qui tiennent fort bien leur pact et promesse, et ne leur en desrobent rien, et sont comme les bous facteurs de boutique, qui font juste part de leur gain et profit du talent k leur maisire ou compagnon; et, par ainsi, telles dames méritent d'estre bien servies pour estre si bien reconnoissanies des peines qu'on a pris à les si bien veil- ler et garder. Car enfin, elles se mettent en danger et bazard. Ce qui esi arrivé à une que je sçay, qui faisant un jour le guet pendant que sa maistresse estoil en sa chambre avec son aœy et i'aisoii grande chère, et ne chaumoit point, le maistre.d'hosteldu mary la reprit et la lança aigrement de ce qu'elle faisoil, et qu'il valoit mieux qu'elle fust avec sa maislresse que d'estre ainsi ma- querelle et faire la garde au dehors de sa chambre, et un si mau- vais tour au mary de sa maistresse; etadjoula qu'il l'en adverliroit. Mais la dame le gagna par le moyen d'une autre de ses filles-de- chambre de laquelle il esioit amoureux, luy promettant quelque chose par les prières de la maistresse ; et aussi qu'elle luy fil quel- que présent, dont il fut appaisé. Toutefois, depuis elle ne l'ayma y plus et luy gard a bonne ; car, espiant une occasion prise à la volée, le fil chasser par son mary.

— Je sçay une belle et honneste dame, laquelle ayant une servante en qui elle avoil mis son amitié, luy faisoit beaucoup de bien, mesme usoil enveis elle de grandes privaulez et l'avoil très-bien dressée à telles mnées^ si bien que quelquefois,


DISCOUKS IV. 507

qaond elle voyoit le mary de cette dame longuement absent de sa maison, empesché à la Cour et en autre voyage, bien souvent elle regardoit sa maisiresse en rhabillant, qui estoit des plus bel- les et des plus aimables, et puis disoil : « Hé ! n'est-il pas bien >• malheureux, ce mary, d'avoir une si belle femme et la lais- » ser ainsi seule si long-temps sans la venir voir? ne mérite-t-il » pas que vous le fassiez cocu tout à plat ? Vous le devez ; car » si j'estois aussi belle que vous, j'en ferois autant à mon mary » s'il <«lemeuroit autant absent. » Je vous laisse à penser si la dame et maisiresse de cette servante trouvoit goust à cette noir, mesme si elle n'avoit pas trouvé chaussure à son pied, et ce qu'elle pouvoit faire par après par le moyen d'un si bon instru- ment. Or, il y a des dames qui s'aydent de leurs servantes pour couvrir leurs amours, sans que leurs maris s'en apperçoivent, et leur mettent en main leurs amants, pour les entretenir et les tenir ponr serviteurs, afin que, sous cette couverture, les marys, entrant dans la chambre de leurs femmes, croyent que ce sont les serviteurs de telles ou de telles damoiselles : et, sous ce pré- texte, la dame a on beau moyen de jouer son jeu, et le mary n'en connoist rien.

— J'ay connu un fort grand prince qui se mit à faire l'amour à une dame d'autour d'une grande princesse, seulement pour sa- voir les secrets des amours de sa maistresse, pour y mieux parve- nir en après. J'ay veu joiier en ma vie quantité de ces traits, mais non -pas de la façon que faisoit une honneste dame de par le monde, que j'ay connue, laquelle fut si heureuse d'estre ser- vie de trois braves et galants gentilshommes, l'un après l'autre, lesquels, la laissant venoient à aimer et servir une très-grande princesse qui estoit sa dame, si bien qu'elle rencontra là-dessus gentiment qu'elle estoit reyne des Romains (l). Ce qui lui estoit un honneur bien plus grand qu'à une que je sçay, laquelle, es- tant à la suite d'une grande dame mariée, ainsi que cette grande dame fut surprise dans sa chambre par son mary, lors qu'elle ne venoit que de recevoir un petit poulet de papier de son amy, vint à estre si hien secondée par cette dame qui estoit avec elle, qu'aussi-tost elle prit finement le poulet, et l'avala tout entier, sans en faire à deux fois ny que le mary s'en apperceust, qui l'en

(1) Le lilre de Hui des Romains n'est oropretnent qu'une itstion po«r parrcntr i la dignité d'empereur.


208 VIES DES DAMES GALANTES.

eust sans doute très-mal traitée s'il eust veu le dedans : ce qui fut une très-grande obligation de service, que la grande dame a tousjours reconnu. Je sçay bien bien des dames pourtant qui se sont trouvées mal pour s'estre trop fiées à leurs servantes, et d'autres aussi qui ont couru le mesme hazard pour ne s'y estre pas fiées. J'ay ouy parler d'une dame belle et honneste, qui avoit pris et choisi un gentilhomme des braves, vaillants et ac= complis de la France, pour lui donner jouissance et plaisir db son gentil corps. Elle ne se voulut jamais fier à pas une de ses femmes, et le rendez-vous ayant esté donné en un logis autre que le sien, il fut dit et concerté qu'il n'y auroit qu'un lict en la cham- bre, et que ses femmes coucheroient à l'antichambre Comme il fust arresté ainsi fut-il joué ; et d'autant qu'il se trouva une chatonnière à la porte, sans y penser et sans y avoir préveu que sur le coup, ils s'advisèrent de la boucher avec un ais, afin que, si l'on la venoit à pousser, qu'elle fist bruit, qu'on l'entendist, et qu'ils fissent silence et y pourveussent . Or, d'autant qu'il y avoit anguille sous roche, une de ses femmes, faschée et despi- tée de ce que sa maistresse se defûoit d'elle, qu'elle tenoit pour la plus confidente des siennes, ainsi qu'elle luy avoit souventes- fois monstre, elle s'advisa, quand sa maistresse fut couchée, de faire le guet et estre aux escoutes à la porte. Elle leniendoit bien gazouiller tout bas; mais elle connut que ce n'estoit point h lecture qu'elle avoit accoustumé de faire en son lict, quelques jours auparavant, avec sa bougie, pour mieux colorer son fait. Sur cette curiosité qu'elle avoit de sçavoir mieux le tout, se pré- senta une occasion fort bonne et fort à propos : car, estant entré d'avanture un jeune chat dans la chambre, elle le prit avec ses compagnes, le fourra et le poussa par la chatonnière en la chambre de sa maistresse, non sans abattre l'ais qui l'avoit fer- mée, ny sans faire bruit. Si bien que l'amant et l'amante, en es- tant en cervelle, se mirent en sursaut sur le lict, et ad visèrent, à la lueur de leur flambeau et bougie, que c'esloit un chat qui estoit entré et avoit fait tomber la trappe. Parquoy, sans autre- ment se donner de la peine, se recouchèrent, voyant qu'il estoit tard et qu'un chacun pouvoil dormir, et ne refermèrent pour- tant la dite chatonnière, la laissant ouverte pour donner passage au retour du chat, qu'ils ne vouloient laisser là-dedans renfermé tout la nuict. Sur cette belle occasion, la dite dame suivante, avec ses compagnes, eut moyen de voir choses et autres de sa


DISCOURS IV. 209

maislresse, \esquelles, depuis, déclarèrent le tout aa niary, d'où s'ensuivit la mort de l'amant et le scandale de la dame. Yoilà à quoy sert un despil et une mestiance que l'on prend quelquefois des personnes, qui nuit aussi souvent que la trop grand con- fiance. Ainsi que je sçay d'un très-grand personnage, qui eut une fois dessein de prendre toules les ÊUes-de-chambre de sa femme, qui esloit une très-grande et belle dame, et les faire gesner, peur leur faire confesser tous les desponemeiits de sa femme et les services qu'elles lui faisoient en ses amours. Mais celte partie pour ce coup fut rompue, pour éviter plus grand scan- dale. Le premier conseil vint d'une dame que je ne nommeray pas, qui vouloit mal à cette grande dame : Dieu l'en punit après.

Pour venir à la fin de nos femmes, je conclus qu'il n'y a que les femmes mariées dont on puisse tirer de bonnes denrées, et preste- ment ; car elles sçavent si bien leur mestier, que les plus fins et les plus haut hupez de marys y sont trompez. J'en ay dit assez au chapitre des cocus (l) sans en parler davantage.


ARTICLB II.

De l'amour des fiUet.

Partant, suivant l'ordre de Bocace, notre guide en ce discours, je viens aux filles, lesquelles, certes, il faut advoùer que de leur nature, pour le commencement, elles sont très-craintives et n'o- sent abandonner ce qu'elles tiennent si cher, à raison des conti- nuelles persuasions et recommandations que leur font leurs pè- res et mères et maislresses, avec les menaces rigoureuses ; si- bien que, quand elles en auroient toutes les envies du monde, elles s'en abstiennent le plus qu'elles peuvent : et aussi elles ont peur que ce meschant ventre les accuse aussi-tost, sans lequel elles mangeroient de bons morceaux. Mais toutes n'ont pas ce respect, car, fermant les yeux à toutes considérations, elles y vont har- diment non la teste baissée, mais très-bien renversée : en quoy elles errent grandement, d'autant que le scandale d'une fille dt-s- bauchée est très-gr^ind, et d'importance mille fois plus que

(1) Discourt I.

12.


210 VIES DES DAMES GALANTES.

d'une femme mariée ny d'une veufve; car elle, ayant perdu ce beau trésor, en est scandalisée, vilipendée, monstrée au doigt de tout le monde, et perd de très- bons partis de mariage, quoy que j'en aye bien cogneu plusieurs qui ont eu lousjours quelque ma- lotru, qui, ou volontairement, ou à l'improviste, ou sciemment, ou dans l'ignorance, ou bien par contrainte, s'est allé jetter en tre leurs bras, et les espouser telles qu'elles estoient, encore bien-aises.

J'en ay cogneu quantité des deux espèces qui ont passé par -là, enlr'aulres une îervante qui se laissa fort scandaleusement en- grosser et aller à un prince de par le monde, et sans cacher ny mettre ordre à ses couches; et estant descouverle, elle ne respon>* doit autre chose sinon : « Qu'y saurois-je faire? il ne m'en faut » pas blasmer, ny ma faute, ny la pointe de ma chair, mais mon » peu de prévoyance : car, si j'eusse esté bien fine et bien a?i- > sée, comme la plupart de mes compagnes, qui ont fait autant » que moy , voire pis , mais qui ont très-bien sceu remédier à » leurs grossesses et à leurs couches, je ne fusse pas maintenant » mise en cette peine, et on n'y eust rien connu. « Ses compa- gnes, pour ce mot, luy en voulurent très-grand mal, et elle fut renvoyée hors de la troupe par sa maistresse, qu'on disoit pour- tant luy avoir commandé d'obéir aux volontez du prince; car elle avoit affaire de luy et desiroit le gagner. Au bout de quel- que temps, elle ne laissa pour cela de trouver un bon party et se marier richement ; duquel mariage en estoit sorty une trèsrbelle lignée. Voilà pourquoy, si cette pauvre fille eust été rusée comme ses compagnes et autres, «ela ne luy fusi arrivé; car, certes, j'ay veu en ma vie des lilles aussi rusées et fines que les plus anciennes femmes mariées, voire jusqu'à eslre très-bonnes et rusées maque- relles, ne se contentant de leur bien, mais en pourchassoienl àauiruy.

— Ce fut une fille en noslre Cour qui inventa et fit joiier celte belle comédin intitulée le Paradis d'Amour, dans la salle de Bourbon, à huis clos, où il n'y avoit que ies comédiens, qui ser- voient de joueurs et de spectateurs tout ensemble. Ceux qui en sçavent l'histoire m'entendent bien. Elle fut jouée par six per- sonnages de trois hommes et trois femmes; l'un estoit prince, qui avoit sa dame qui estoit grande , mais non pas trop aussi; toute- fois il l'aimoit fort : l'autre esloit un seigneur, et celui-là jouoit avec la grande dame, qui estoit de riche matière : le troisiesme estoit gentilhomme, qui s'apparioit avec la fille : car, la galante qu'elle estoit, elle vouloit jouer son personnage aussi bien que les


DISCOURS IV. 211

autres. Aussi costumierement l'auleor d'une comédie joiie son personnage ou le prologue, comme fit celle-là, qui certes, toute fille qu'elle estoit, le joua aussi bien, ou possible, mieux que les mariées. Aussi avoil-elle vu son monde ailleurs qu'en son pays, et, comme dit l'Espagnol, raffinadaen Secobia, « raffiné en Ségo- vie, >» qui est un proverbe en Espagne, d'autant que les bons draps se raffinent en Ségovie.

— J'ay ouy parler et raconter de beaucoup de filles, qui, en servant leurs dames et maistresses de darioleltes (i), vouloient aussi taster de leurs morceaux. Telles dames aussi souvent sont esclaves de leurs damoiselles, craignants qu'elles ne les descouvrent et publient leurs amours. Ce fut une fille à qui j'ouys dire un jour que c' estoit une grande sottise aux filles de mettre leur hon- neur à leur devant, et que, si les unes, sottes, en faisoient scru- pule, qu'elle n'en daignoit faire : et qu'à tout cela il n'y a que le scandale : mais la mode de tenir son cas secret et caché ra- billetout; et ce sont des sottes et indignes de vivre au monde, qui ne s'en sçavent aider et la pratiquer. Une dame espagnole, pensant que sa fille appréhendast le forcement du premier lict nuptial, et y allant, se mit à l'exhorter et persuader que ce n'es- toit rien, et qu'elle n'y auroit point de douleur, et que de bon cœur elle voudroit estre en sa place pour luy faire mieux à con- noisire; la fille respondit : Bezo las manos, senora madré, de tal merced, que bien la tomare yo por my ; c'est à dire : « Grand » mercy, ma mère, d'un si bon office, que moy-mesme je me le j» feray bien. »

— J'ay ouy raconter d'une fille de très-haut lignage, laquelle s'en estant aidée à se donner du plaisir, on parla de la marier vers l'Espagne. Il y eut quelqu'un de ses plus secrets amys qui luy dit un jour en jouant qu'ils s'eslonnoit fort d'elle, qui avoit tant aimé le levant, de ce qu'elle alloit naviguer vers le couchant et occident, parce que l'Espagne est vers l'occident. La dame luy respondit : « Ouy, j'ay ouy dire aux mariniers qui ont beaucoup » voyagé, que la navigation du levant est très-plaisante et agréable; » ce que j'ay souvent pratiqué par la boussole que je porte ordi- » nairement sur moy; mais je m'en aideray, quand je seray en » l'occident, pour aller droit au levant. » Les bons interprètes sçauronl bien interpréter cette allégorie et la deviner sans que je

(1) ConBdenUt.


A


212 VIES DES DAMES GALANTES.

la glose. Je vous laisse à penser par ces mots si cette fille avoit tousjours dit ses heures de Noslre-Dame.

— Une autre que j'ay ouy nommer, laquelle ayant ouy raconter des merveilles de la ville de Venise, de ses singularitez, et de la liberté qui regnoit pour toutes personnes, et mesme pour les pu- tains et courtisannes : a Hélas! dit-elle à une de ses compagnes, » si nous eussions fait porter tout nostre vaillant en ce lieu-là par » lettre de banque, et que nous y fussions pour faire cette vie » courtisanesque, plaisante et heureuse, à laquelle toute autre ne » sçauroit approcher, quand bien nous serions emperieres de tout » le monde! » Voilà un plaisant souhait, et bon ; et de fait, je croy que celles qui veulent faire celte vie ne peuvent estre mieux que là.

— J'aymerois autant un souhait que fit une dame du temps passé, laquelle se faisant raconter à un pauvre esclave esuhapé de la main des Turcs des tourments et maux qu'ils luy faisoieiU et à tous les autres pauvres chresliens, quand ils les tenoient, celuy qui avoii esté esclave luy en raconta assez, et detoutes sortes de cruautez. Elle s'advisa de lui demander ce qu'ils faisoient aux femmes. « Hélas ! madame, dit-il , ils leur font tant cela qu'ils les en font » mourir. — Pleust-il doncques au ciel, respondit-elle, que je » mourusse pour la foy ainsi martyre! »

— Trois grandes dames esloient ensemble un jour, que je sçay, qui se mirent sur des souhaits. L'une dit : « Je voudrois » avoir un tel pommier qui produisist tous les ans autant de » pommes d'or comme il produit de fruit naturel. » L'autre di-

' soit : « Je voudrois qu'un tel pré me produisist autant de perles » et pierreries comme il fait de fleurs. » La troisième, qui es- toit fille, dit : « Je voudrois avoir une s]jjfi_dont les trous me » valussent autant que celuy d'une telle dame favorisée d'un » tel roy que je ne nommeray point; mais je voudrois que mon » trou fust visiié de plus de pigeons que n'est le sien. » Ces da- mes ne ressembloient pas à une dame espagnolle dont la vie est escrite dans ["Histoire d'Espagne, laquelle, un jour que le grand Alphonse, roy d'Arragon, faisoit son entrée dans Sarragosse, se vint jelier à genoux devant luy et luy demander justice. Le Roy ainsi qu'il la vouloit ouyr, elle demanda de luy parler à part, ce qu'il luy octroya : et, s'estant plainte de son mary, qui couchoit avec elle trente-deux fois tant de jour que de nuict, qu'il ne luj donnoit patience, ny cesse, ny repos ; le Roy, ayant envoyé qué- rir le mary et sceu au'il esioit vrav, ne pensant point faillir


DISCOURS IV. 213

puis qu'elle estolt sa femme ; le conseil de Sa Majesté arresié sur ce fait, le Roy ordonna qu'il ne la toucheroit que six fois ; non sans s'esmerveiller grandement (dit-il) delà grande chaleur et puissance de cet homme, et de la grande froideur et conti- nence de cette femme, contre tout le naturel des autres (dit THis- loire), qui vont à jointes mains requérir leurs marys et autres hommes pour en avoir, et se douloir quand ils donnent à d'au- tres ce qui leur appartient. Cette dame ne ressembloit pas à une fille, damoiselle de maison, Uquelle, le lendemain de ses nopces, racontant à aucunes de ses compagnes ses advenlures de la nuict passée : « Comment! dit-elle, et n'est-ce que cela? Comme j'a- » vois entendu dire à aucunes de vous autres, et à d'autres fem- » mes, et à d'autres hommes, qui font tant des braves et galants, » et qui promettent monts et merveilles, ma foy, mes compa- » gnes et amyes, cet homme (parlant de son mary), qui faisoit tant >• de l'eschaulTé amoureux, et du vaillant, et d'un si bon coureur » de bague, pour toute course n'en a fait que quatre, ainsi que l'on » court ordinairement trois pour la bague, et l'autre pour les da- » mes : encore entre les quatre y a-t-il fait plus de poses qu'il n'en » fut fait hier au soir au grand bal. » Pensez que puis qu'elle se plaignoit de si peu, elle en vouloit avoir la douzaine : mais tout le monde ne ressemble pas au gentilhomme espagnol. Et voilà comme elles se moquent de leurs marys. Ainsi que fit une, laquelle, au commencement et premier soir de ses nopces, ainsi que son mary la vouloit charger, elle fit de la re- vesche et de l'opiniastre fort à la charge. Mais il s'advisa de luy dire que, s'il prenoit son grand poignard, il y auroit bien un autre jeu, et qu'il y auroit bien à crier; de quoy elle, craignant ce grand dont il la menaçoit, se laissa aller aussitost : mais ce fut elle qui le lendemain n'en eut plus peur, et, ne s'estant contentée du petit, luy demanda du premier abord où esloit ce grand dont il l'avoit menacée le soir avant. A quoy le mary respondit qu'il n'en avoil point, qu'il «e moquoit ; mais qu'il faloit qu'elle se contentast de si peu de provision qu'il avoit sur luy. Alors elle dit : « Est-ce bien » fait cela, de se moquer ainsi des pauvres et simples filles ?» Je ne sais si l'on doit appeler celte fille simple et niaise, ou bien fine et rusée, qui en avoit tasté auparavant. Je m'en rapporte aux diffini- teurs Bien plus esloit simple une autre fille, laquelle s'estant plainte h la justice qu'un galant l'avoit prise par force, et luy enquis sur ce fait, il respondit : « Messieurs, je m'en rapporte à elle s'il est vray,


214 VIES DES DAMES GALANTES.

» fit si elle-mesme n'a pris mon cas et l'a mis de la main propre dans » \e sien. — Ilà ! Messieurs, dit h fille, il est bien vray cela; « mais qui ne l'eust fait? car, après qu'il m'eust couchée et trous- » sée, il me mit son cas roide et pointu comme un baslon contre I) le ventre, et m'en donnoit de si grands coups que j'eus peur B qu'il ne me le perçast et n'y list un trou. Dame, je le pris alors » et le mis dans le trou qui estoit tout fait. » Si celte tille esloit limpletle, ou le coiitreHiisoil, je m'en rapporte,

— Je vous feray deux comptes de deux femmes mariées, sim- ples comme celle-là, ou bien rusées, ainsi qu'on voudra. Ce fut d'une très-grande dame quej'ay connue, laquelle esloit très-belle, fi pour cela fort désirée. Ainsi qu'un jour un très-grand prince la requit d'amour, voire l'en solliciloit fort en luy promettant de (rès-beiles et grandes conditions, tant de grandeurs que de ri- chesses pour elle et pour son mary, tellement qu'elle, ayant de telles douces tentations, y presta assez doucement l'oreille ; toute- fois du premier coup ne s'y voulut laisser aller, mais, comme simplette, nouvelle et jeune mariée, n'ayant encore veu son monde, vint descouvrir le tout à son mary et luy demander avis si elle le feroit. Le mary luy respondit soudain : « Nenny, m'a- » mie. Hélas 1 que penseriez-vous faire, et de quoy parlez-vous? » d'un infâme trait à jamais irréparable pour vous et pour moy. » — Hà ! mais, Monsieur, répliqua la dame, vous serez aussi » grand, et moi si grande qu'il n'y aura rien à redire. » Pour fin le mary ne voulut dire ouy; mais la dame, qui commença à prendre cœur par après et se faire habile, ne voulut perdre ce party, et le prit avec ce prince et avec d'autres encore, en renonçant à sa solte simplicité. J'ay ouy faire ce conte à un qui le tenoit de ce grand prince et l'avoit ouy de la dame, à laquelle il en fit la réprimande, et qu'en telles choses il ne faloit jamais s'en con- seiller au mary, et qu'il y avoit autre conseil en sa Cour. Cette dame estoii aussi simple, ou plus, qu'une autre que j'ay ouy dire, à laquelle un jour un honneste gentilhomme présentant son service amoureux assez près de son mary, qui entretenoit pour lors de devis une autre dame, il luy vint mettre son eprevier, ou, pour [ilus clairement parler, son instrument entre les mains. Elle le prit, et, le serrant fort eslroitement et se tournant vers son mary, luy dit : « Mon mary, voyez le beau présent que me » fait ce gentilhomme ; le recevray-je? dites-le-moy. » Le pauvre gentilhomme, estonné, retire à soy son eprevier de si grande


DISCOURS IV. 216

rudesse, que, rencoiilraut une poinle de diamant qu'elle avoil '. au doigt, le luy essexta. de lelle façon d'un bout à l'autre, qu elle Y le cuida perdre du loul, et non sans grande douleur, voire en danger de la vie, ayant sorti de la porte assez hastivement, et arrousanl la chambre du sang qui desgoutoit par-tout Mais le- niary ne courut après luy |K)ur luy faire aucun outrage |)0ur ce sujet ; il s'en mit seulement fort à rire, tant pour la simplicité de sa pauvre (emmeleiie, que pour le beau présent produit, joint qu'il eu estoit assez puay. V^oilà deux femmes fort simples, lesquelles, et quelques-unes de leurs semblables ( car il y en a assez), ne ressemblent pas à plusieurs et à une intiuilé qui se ren- contrent dans le monde, qui sont plus doubles et fines que celles-là, qui ne demandent conseil à leurs niarys, nyqui leur montrent tels présents qu'on leur fait.

J'ay ouy raconter en Espagne d'une fille, laquelle la première nuict de ses nopces, ainsi que son mary s'etTorçoit et s'abanoil (i) de forcer sa forteresse, non sans se faire mal, elle se mit à rire et lui dire : Senor, bien es razon que seays marlyr,fues que io goy virgen ; mas, pues que io tomo la palientia, bien la podeys tomar ; c'est-à-dire : « Seigneur, c'est bien raison que vous soyez martyr, puis que je suis vierge ; mais d'autant que je prends » patience, vous la pouvez bien prendre » Celle-là, en revanche de l'autre qui s'esloit moqué de sa femme, se moquoil bien de son mary. Comme certes plusieurs filles ont bien raison de se moquer à telle nuict, niesme quand elles ont sceu auparavant ce que c'est, ou l'ont appris d'autres, ou d'elles-mesmes s'en sont doutées et imaginées ce grand point de plaisir qu'elles estiment très-grand et perdurable. Une autre dame espagnole, qui, le lendemain de ses nopces, racontant les vertus de son mary, en dit plusieurs, f<yrs, dit-elle, que no era bue7i conlador y arilhmelico, porque no sapra multiplicar; en françois, « qu'il u'estoit point bon comp- » teur et arithméticien, parce qu'il ne sçavoit pas multiplier. »

Une dame de bon lieu et de bonne maison, que j'ay connue et ouy parler, le soir de ses nopces, que chacun estoit aux escoutes à Taccoustumée, comme sou mary luy eusl hvré le premier assaut, estant un peu sur son repos, non pas du dormir, luy demanda si elle en voudroit encore; gentiment elle luy respondit : Ce qu'il vous plaira, monsieur. » Pensez qu'à telle respoose le galant mary

(1) Àkmnoit i te fatignaiu De l'espagnol o/dnar, qui répoad i aotre ahaner.


216 VIES DES DAMES GALANTES.

devoit estre bien eslonné. Telles filles qui disent de telles sor- nettes si promptement après les nopces, pourraient bien donner de bons martels à leurs pauvres marys et leur faire à croire qu'ils ne sont les premiers qui ont mouillé l'ancre dans leur fonds, ny .les derniers qui le mouilleront; car il ne faut point douter que qui ne s'efforce et ne se tue à saper sa femme, qu'elle ne s'advise à luy faire porter les cornes, ce disoit un ancien proverbe françois : Et gui ne la contente pas, va ailleurs chercher son repas. Toute- fois, quand une femme tire ce qu'elle peut de l'homme, elle l'as- somme, c'est-à-dire qu'il en meurt; et c'est un dire ancien qu'il ne faut tirer de son amy ce qu'on voudroit bien, et qu'il le faut espargner tant que l'on peut; mais non pas le mary, duquel il en faut tirer ce qu'on peut. Voilà pourquoy, dit le refrain espagnol, que el primero pensamiento de la muger, luego que es casada, es de embiv darse ; c'est-à-dire : « Le premier pensementde la » femme mariée est de songer à se faire veufve. » Ce refrain n'est pas général, comme j'espère le dire ailleurs, mais il n'est que pour aucunes.

— Il y a de certaines filles qui, ne pouvant tenir longuement leurs chaleurs, ne s'addonnent aisément qu'aux princes et aux seigneurs, qui sont gens fort propres pour les esbranler, tant pour leurs faveurs que pour leurs présents, et aussi pour l'amour de leurs gentillesses, car enfin tout est beau et parfait en eux, encore qu'ils fussent des fats. Au contraire, j'en ay veu d'autres qui ne les recherchent pas, mais les fuyent grandement, à cause qu'ils ont un peu la réputation d'estre scandaleux, grands vanteurs, causeurs et peu secrets; aimans mieux des gentilshommes sages et discrets, desquels pourtant le nombre est rare ; et bien heu- reuse pourtant esi celle-là qui en trouve. Mais, pour obvier à tout cela, elles choisissent (au moins aucunes) leurs valets, desquels aucuns sont beaux, d'autres non, comme j'en ay connu qui l'ont fait, et si n'en faut prier longuement leurs dits valets : car, les le- vant, couchant, deshabillant, chaussant, deschaussant et leuf baillant leurs chemises, comme j'ay veu beaucoup de filles à la Cour et ailleurs qui n'en faisoient aucune difficulté ni scrupule, il c'est pas possible qu'eux, voyans beaucoup de belles choses en •elles, n'en eussent des tentations, et plusieurs d'elles qu'elles ne le fissent exprès ; si bien qu'après que les yeux avoient bien fait leur office, il falloit bien que d'autres membres du corps vinssent à faire le leur.


DISCOURS IV. 217

— J'ay connu une fille Je par le monde, belle s'il en fust ja- mais, qui rendit son valet compagnon d'un grand prince qui l'entretenoit, et qui pensoit estre le seul heureux jouissant; mais le valet en cela alloit du pair avec luy; aussi l'avoit-elle bien sceu choisir, car il estoit très-beau et de très-belle taille ; si bien que, dans le lict ou bien à la besogne, on n'y eust connu aucune différence. Encor le valet en beaucoup de beautez emportoit le prince, auquel telles amours et telles privautez furent inconnues jusqu'à ce qu'il la quitta pour se marier ; et pour cela il n'en traita plus mal le valet, mais se plaisoit fort de le voir ; et quand il le voyoit en passant, il disoit seulement : « Est-il possible que » cet homme ait esté mon corrival? ouy, je le voy, car, ostée ma » grandeur, il m'enporte d'ailleurs. » Il avoit aussi mesme nom que le prince, et fut un très bon tailleur, et des renommez de la Cour; si bien qu'il n'y avoit guères de filles ou femmes qu'il ii'habillast quand elles vouloient estre bien habillées. Je ne sçay s'il les liabilloit de la mesme façon qu'il habilloit sa maislresse, mais elles n'estoient point mal.

— J'ay cogneu une fille de bonne maison, qui, ayant un laquais de l'aage de quatorze ans, et en ayant fait son bouffon et plai- sant, parmy ses bouffonneries et plaisanteries, elle faisoit autant de difBcullés que rien à se laisser baiser, toucher et taster à luy, aussy privemenl que si c'eust esté une femme, et bien souvent devant le monde, excusant le tout, en disant qu'il estoit fol et plaisant bouffon. Je ne sçay s'il passoit oufre, mais je sçay bien que depuis, estant mariée et veufve, et remariée, elle a este une très-insigne putain. Pensez qu'elle alluma sa mesche en ce pre- mier tison; si bien qu'elle ne luy faillit jamais après entre ses autres plus grandes fougues et plus hauts feux. J'avois bien de- meuré un an à voir cette fille; mais quand je les vis en ces pri- vautez devant sa mère, qui avoit la réputation d' estre l'une des plus prudes femmes de son temps, qui en rioil et en estoit bien- aise, je présageay aussitost que de ce petit jeu l'on viendroit au grand, et à bon escient, et que la damoiselle seroit un jour quelque bonne fripesaulce, comme elle le fut.

— J'ay cogneu deux sœurs d'une fort bonne maison de Poio- tou, filles desquelles on parloit estrangement, et d'un grand la- quais basque qui estoit à leur père, lequel, sous ombre qu'il dansoit très-bien, non seulemeui le bransle de son pays, mais tous autres, les menoit danser ordirairemeul, mesme les y ap-


21g VIES DES DAMES GALANTES.

prenoit. Il les fil danser, et leur api^ril la danse des putnins 2t la fin, et en furent assez gentiment scandalisées; toutefois elles ne laissèrent à estre bien mariées, car elles esloient riches, et sur ce nom de richesses on n'y advise rien, on prend tout, et fust-il encore plus chaud et plus ardent. J'ay connu ce Basqne depuis, gentil soldat et de brave façon, et qui monstroit bien avoir fait le coup. Il fut soldat des gardes de la coronelle de M. de Strozze.

— J'ai cogneu aussi une maison de par le monde, et grande, d'où la dame faisoil profession de nourrir en sa compagnie des hon- nestes filles, entr' autres des parentes de son mary ; et d'autant que la dame estoit fort maladive et sujette aux médecins et apothicaires, il y en abordoit ordinairement là-dedans, et par ce aussi que les filles sont sujettes à maladies comme à pasies couleurs, mal de la furefte, fièvres et autres. 11 advint que deux entr 'autres tombè- rent «n fievre-quarte : un apothicaire les eut en charge pour les pen- ser. Certes il les pensoit de ses drogues, de la main et de médeci- nes; mais la plus propre fut qu'il coucha avec une (maraud qu'il fut), car il eut affaire avec une fort belle et honnesie fille de la France, de laquelle un très-grand roy s'en fust dignement contenté; et il fallut que ce M. l'apoticaire luy passast celle paille sur le ventre. J^ay cogneu la fille, qui certes méritoit d'autres assaillants, et après bien mariée, et telle qu'on la donna pucelle, telle la trouva- on. En quoy pourtant je trouve qu'elle fut bien fine ; car, puis- qu'elle ne pouvoit tenir son eau, elle s'adressa à celui qui donnoit des antidotes pour engarder d'engrosser, car c'est ce que les filles craignent le plus : dont en cela il y en a de si experts qui leur don- nent des drogues qui les engardent très-bien d'engrosser ; ou bien, si elles engrossent, leur font escouler leur grossesse si subtilement et si sagement, que jamais on ne s'en apperçoit, et n'en sent-on rien que le vent. Ainsi que j'en ay ouy parler d'une fille, laquelle avoit esté autrefois nourrie fille de la feue reyne de Navarre Marguerite. Elle vint par cas fortuit, ou à son escient, à engros- ser sans qu'elle y pensast pourtant. Elle rencontra un sutllji)_(i) apothicaire, qui, luy ayant donné un breuvage, luy fit évader son fruit, qui avoit déjà six mois, pièce par pièce, morceau par mor- iSKn, si aisément, qu'estant en ses affaires jamais elle n'en sentit ny mal ny douleur ; et puis après se maria galamment, sans que le mary y connust aucune trace; car on leur donne des remèdes

(1) Subltn : &ti , nué.


DISCOURS IV. î<9

pour se faire paroistre vierges et pucelles comme auparavatit, ainsi que j'en ay allégué un au Discours dea Cocus (l). Et un que j'ay ouy dire à un empirique ces jours passez, qu'il faut avoir des sangsues et les mettre à la nature, et faire par-là tirer et succer le sang : lesquelles sangsues, en sucçant, laissent et engendrent de petites ampoules et Hstules pleines de sang, si bien que le galant mary, qui vient le soip des nopces les assaillir, leur crevé ces ampoulles d'où le sang en sort, et luy et elle s'en- sanglantent, qui est une grande joie à l'un et à l'autre; et par ainsi, Ihonor délia citella è salva (2). Je trouve ce remède plus souverain que l'autre, s'il est vray; et s'ils ne sont bons tous deux, il y en a cent autres qui sont meilleurs, ainsi que le savent très-bien ordonner, inventer et appliquer ces messieurs les méde- cins sçavants et experts apoiicaires. Voilà pourquoy ces messieurs ont ordinairement de très-belles et bonnes fortunes, car ils sçavent blesser et remédier, ainsi que fit la lance de Pélias. J'ai cogneu cet apoticaire dont je viens de parler à celte heure, duquel faut que je die ce petit mot en passant, que je le vis à Genève la première fois que je fus en Italie, par ce que pour lors ce chemin par-là estoit commun pour les François, et par les Suisses et Grisons, à cause des guerres. Il me vint voir à mon logis. Soudain je luy demanday ce qu'il faisoit en celte ville, et s'il estoit-là pour médeciner les filles, comme il avoit fait en France. Il me respondit qu'il estoit- là pour en faire pénitence. « Comment 1 ce dis-je, est-ce que vous » n'y mangez de si bons morceaux comme là? — Hàl monsieur, » me répliqua-il, c'est parce que Dieu m'a appelle, et que je suis « illuminé de son Saint-Esprit, et que j'ay maintenant la connois- » sance de sa sainte parole. — Ouy, luy dis-je ; et dès ce temps-là » si estiés-vous de la religion, et si vous vous mesliez de médeoi- » ner les corps et les âmes, et preschiés et instruisiés les filles. — » Mais, monsieur, je reconnois à cette heure mieux mon Dieu, » répliqua-il encore, qu'alors, et ne veux plus pécher. » Je lais plusieurs autres propos que nous eusmes sur ce sujet, taat sé- rieusement qu'en riant. Mais ce maraud joiiit de ce boucon, qui estoit bien plus digue d un galant homme que de luy. Si est-ce que bien luy servit de vuider de cette maison de bonne heure, car mal luy en eust pris. Or laissons cela. Que maudit soit-U


(1) Discours I.

(2) L'l>oBDear de II cit8d<>Ue «st nm6-


820 VIES DES DAMES GALANTES.

pour la haine et l'envie que je luy porte, ainsi que M. de Ron- sard parloit à un médecin qui venoit voir sa maistresse soir et malin, plus pour luy lasler son lelon, son sein, son ventre, son flanc el son beau bras, que pour la médeciner de la fièvre qu'elle avoil; dont il en Ot un irès-gentil sonnet, qui est dans son second livre des Amours, qui se commence :

Ha ! que je porte et de haine et d'envie Au médecin qui vient soir et matin, Sans nul propos, tastouner le lestin. Le (eio, le ventre et les flancs de m'amie!

— Je porte de mesme une grande jalousie à un médecin qui faisoit traits pareils à une belle grande dame, que j'aymois, et de qui je n'avois telle et pareille privaulé, et je l'eusse désirée plus qu'un petit royaume. Telles gens certes sont extrêmement bien- venus des dames, et y acquièrent de belles adventures, quand ils les veulent rechercher. J'ay cogneu deux médecins à la Cour, qui s'appeloient, l'un M. Castelan, médecin de la Reyne-mère, at l'auire le seigneur Cabrion, médecin de T^ de Nevers , et qui avoit esté à feu Ferdinand de Gonzague. Ils c^it eu tous deux des ren- contres d'amour, à ce qu'on disoit, que les plus grands de la Cour se fussent donnez au diable, par manière de parler, pour estre leurs corrivaux. Je devisois un jour, le feu baron de Vitaux et moy, avec M. Le Grand, un grand médecin de Paris, de bonne compagnie et de bon devis, luy estant venu voir le dit baron, qui estoit malade des affaires d'amour ; et tous deux l'interrogeant sur plusieurs propos et négociations des dames, ma foy, il nous en conta bien, et nous en fit une douzaine de contes qui levoient la paille ; et s'y enfonça si avant, que, l'heure de neuf venant à sonner, il nous dit, en se levant de la chaire où il estoit assis : « Vrayment, je suis plus grand fol que vous autres, qui m'avez » retenu icy deux bonnes heures à baguenauder avec vous autres, ». et cependant j'ay oublié six ou sept malades qu'il faut que j'aille » voir, » Et, nous disant adieu, paît et s'en va, non sans nous dire, après que nous luy eusmes dit : « Vous avez, messieurs les » médecins, vous en sçavez et en faites de bonnes, et mesmes » vous, monsieur, qui en venez parler comme maistre.» Il respondii (en baissant la leste) : « Semon, semon, ouy, ouy, nous en sçavons » et faisons de bonnes, car nous sçavons des secrets que tout le » monde ne sçait pas : mais à cette heure que je suis vieux, j'ay


DISCOURS IV. 221

» dil adieu à Vénus et à son enfant ; je laisse cela à vous autres » qui estes jeunes. » Une autre espèce de gens y a-t-il qui a bieu gasté des filles quand on les met à apprendre les lettres, qui sont leurs précepteurs, et le font quand ils veulent estre meschants ; car, leur faisants leçons, et estants seuls dans une chambre ou dans une estude, je vous laisse à penser quelles commoditez ils y ont, et quelles histoires, contes et fables ils leur peuvent alléguer à propos pour U»s mettre en chaleur; et, lorsqu'ils les voyent en telles altères et appétits, comme ils vous sçavent prendre l'occa- sion au poil.

— J'ay cogneu une fille de fort bonne maison, et grande, vous dis-je, qui se perdit et se rendit putain pour avoir ouy raconter à son maislre d'escole l'histoire, ou plutost la fable de Tirésias; le- quel, pour avoir essayé l'un et l'autre sexe, fut éleu juge par Jupiter et Junon,sur une question meue entr'eux deux, à sçavoir qui avoit et senloit plus de plaisir au coït et acte vénérien, ou l'homme ou la femme. Le juge député jugea contre Junon que c'estoitla femme ; dont elle, de dépit d'avoir esté jugée, rendit le pauvre juge aveugle et luy osla la veuë. Il ne se faut esbabyr si cette fille fut tentée par un tel conte; car, puis qu'elle oyoit souvent dire, ou à ses com- pagnes, ou à d'autres femmes, que les hommes estoient si ardents après cela, et y prenoient si grand plaisir, que les femmes, veue la sentence de Tirésias, en dévoient bien prendre davantage ; et, par conséquent, il le faut esprouver. Vrayment, telles leçons se dévoient bien faire à ces filles; n'y en a-t-il pas d'autres? Mais leurs mais- ires diront qu'elles veulent tout sçavoir, et que, puis qu'elles sont à l'estude, si les passages et histoires se rencontrent qui ont besoin d' estre expliquées ( ou que d'elles -mesmes s'expliquent ), il faut bien leur expliquer et leur dire sans sauter ou tourner le feuillet. Combien de. filles estudiantes se sont perdues lisant cette histoire que je viens de dire, et celle de Biblis, de Camus (l), et force au- tres pareilles, escriles dans la Métamorphose d'Ovide, jusques au livre de ÏArt éH aimer qu'il a fait; ensemble une infinité d'autres fables lascives, et propos lubrics d'autres poètes, que nous avons en lumière, tant françois, latins, que grecs, italiens, espagnols! Aussi dit le refrain espagnol : de una mula que haze hin, y de una hija que habla latin, libéra nos, Domine (S). Et on sçait, quand leurs

(1) CauQus.

[7] C'est-à-dire : D'une mule ui lait bio, et d'une fille qui parle Utio, délivre nous, Seigorur.


522 VIES DES DAMES GALANTES.

maistres veulent eslre meschants, et qu'ils font de telles leçons à leurs disciples, comment ils les sçavent engraverel donner lasaulce, que le plus pudique du monde s'y laisseroil aller. Saint Augustin mesmes, en lisant le quatrième livre de l'Enéide, où sont contenus les amours et la mort de Didon, ne s'en esmeut-il pas de compas- sion, et ne s'en adoloraî Je voudrois avoir aut^it de centaines d'es- cus comme il y a eu de filles , tant du monde que de religie ises, qui se sont emeues , pollues et despucelées , par la lecture d^Amadis de Gaules. Je vous laisse à penser que pouvoient faire des livres grecs , latins et autres , glosez , commentez et interprétez par leurs maistres , fins renards et corrompus , mes- chants garnements , dans leurs chambres secrètes et parmy leurs oisi vêlez.

— Nous lisons en la vie de saint Louis , dans l'Histoire de Paul Emile, d'une Marguerite, comtesse de Flandres, soeur de Jeanne, fille du premier Baudouin, empereur de Grèce et qui luy succéda, d'autant qu'elle n'eut point d'enfants, dit l'his- toire : on luy bailla en sa première jeunesse un précepteur ap- pelé Guillaume, homme de sainte vie, estimé, et qui avoit déjà pris quelques ordres de prestrise, qui néanmoins ne l'empescha pas de faire deux enfants à sa disciple, qui furent appelés Jean et Beaudoùiu, et si secrètement que peu de gens s'en apperceu- rent, lesquels furent après pourtant approuvez légitimes du pape. Quelle sentence et quel pédagogue ! Voyez l'histoire.

— J'ay cogneu une grande dame à la Cour, qui avoit la répu- tation de se faire entretenir à sou liseur et faiseur de leçons ; si bien que Chicot, bouffon du Roy, luy en fit le reproche publiquement devant Sa Majesté et force autres personnes de sa Cour, luy disant si elle n' avoit pas de honte de se faire entretenir (disant le mot) à un si laid et si vilain masle que celuy-là, et si elle n'avoit pas l'esprit d'en choisir un plus beau. La compagnie s'en mit fort à rire et la dame à pleurer, ayant opinion que le Roy avoit fait joiier ce

lA jeu ; car il estoit couslumier de faire jouer ces esleufs.. Cette dame, et les autres qui font telles élections de telles manières de gens, ne sont nullement excusables, mais bien fort blasmables d'autant qu'elles ont leur libéral arbitre, et toutes franches sont pleines de leurs libertez et commoditez pour faire tel choix qu'il leur plaist. Mais les pauvres fillesqui sont sujettes esclaves de leurs pères et mères, parents, tuteurs, maistresses, et craintives, sont contraintes de pren-


DISCOURS IV. «i

dre toutes pierres quand elles les trouvent, pour mettre en œu- Yre , et n'aviser s'il est froid ou chaud, ou rosly ou bouilly : et par ce, selon que l'occasion se rencontre, tant qu'elles se servent le plus souvent de leurs valets, de leurs maistres d'escole et d'es- lude, des joueurs de luth, des violons, des appreneurs de danses, des peintres, bref, de ceux qui leur apprennent des exercices et sciences, voire d'aucuns preacheurs, comme en parle Bocace, et la Reyne de Navarre en ses Nouvelles ; comme font aussi des pages comme j'en ay connus, et des laquais, enfln de ceux qu'elles trou- vent à propos. Et voilà pourquoy le mesme Bocace, et autres avec luy, trouvent que les filles simples sont plus constantes en amours et plus fermes que les femmes elveufves; d'autant qu'elles resi«mblenl les personnes qui sont sur l'eau dans un bateau qui vient à s'enfoncer : ceux qui ne savent nager nullement se vien- nent à prendre aux premières branches qu'ils peuvent attraper, et les tiennent fermement et opiniastrement jusque ce que l'on les soit venu secourir ; les autres, qui sçavent bien nager, se jettent dans l'eau, et bravement nagent jusques à ce qu'elles en ayent atteint la rive: tout de mesmes les filles, aussi-tost qu'elles ont attrapé un serviteur, lequel elles ont premier choisi, le tiennent et le gardent fermement, tellement qu'elles ne veulent désamparer et l'aiment constamment, de peur qu'elles ont de n'avoir la liberté et la commodité d'en pouvoir recouvrer un autre comme elles vou- droient • au lieu que les femmes mariées ou veufves, qui sça* vent les ruses d'amour et qui sont expertes, et en ont les libertez et commoditez de nager dans des eaux sans danger, prennent tel party qu'il leur plaist; et si elles se faschent d'un serviteur ou le perdent, en savent aussi-tost prendre un nouveau ou en recouvrent deux; car à elles, pour un perdu deux recouverts. Davantage, les pauvres filles n'ont pas les moyens, ny les biens, ny les escus, pour faire les acquiets tous les jours de nouveaux serviteurs ; car, c'est tout ce qu'elles peuvent donner à leurs amou- reux, que quelques petites faveurs de leurs cheveux, ou petite» perles, ou grains, ou bracelets, quelques petites bagues ou es- charpes et autres petits menus présents qui ne coustent guères ; car, quelquf fille, comme j'en ay veu, grande, de bonne maison et riche héritière qu'elle soit, elle est tenue si courte en ses , moyens, oh de ses père et mère, frères, parents et tuteurs ; qu'elle n'a pas les moyens de les despartir à son serviteur ny


^«4 VIES DES DAMES GALANTES.

deslier guère largemenl sa bourse, si ce n'est celle du devant : ei aussi que d'elles-mesmes elles sont avares , quand ce ne se- roit que celte seule raison qu'elles n'ont guères de quoy pour eslargir , car la libéralité consiste et dépend du tout des moyens. Au lieu que les femmes et veufves peuvent disposer de leurs moyens fort librement, quand elles en ont : et mesme quand elles ont envie d'un homme, et qu'elles s'en viennent enamou- racher et encapricher, elles vendroient et doniieroient jusqu'à leur chemise plustost qu'elles n'en tastassent; à la mode de^ friants et de ceux qui. sont sujets à leur bouche, quand ils ont envie d'un bon morceau, il faut qu'ils en tastent, quoy qu'il leur couste au marché : Ces pauvres filles ne sont de mesme, lesquelles, selon qu'elles le rencontrent, ou bons ou mauvais, il faut qu'elles s'y arreslenl. J'en alléguerois une infinité d'exemples de leurs amours et de leurs divers appétits et bizarres jouissances ; mais je n'aurois jamais finy, et aussi que les contes n'en vaudroient rien si on ne les nommoit et par nom et par surnom, ce que je ne veux faire pour tout le bien du monde, car je ne les veux scandaliser, et j'ay protesté de fuyr en ce livre tout scandale, car on ne me sçauroit reprocher d'aucune médisance. Et pour alléguer des contes et oster les noms, il n'y a nul mal, et j'en laisse à deviner au monde les personnes dont il est question ; et bien souvent en penseront une qui en sera l'autre,

— Or, tout ainsi que l'on voit des bois de telles et diverses na- tures, que les uns bruslent tous verts, comme est le fresne, le fayan ; et aussi-tost d'austres, qui auroient beau eslre secs, vieux et taillez de long-temps, comme est l'hommeau, le vergne, et d'au- tres, ne bruslent qu'à toutes les longueurs du monde : force autres, comme est le général naturel de tous bois secs et vieux, bruslent en leurs seicheresses et vieillesse si soudainement, qu'il semble qu'il soit plastosl consommé et mis en cendres que bruslé. De mesmes sont les filles, les femmes et les veufves : les unes, dés lors qu'elles sont en la verdeur de leur âge, bruslent aisément ei si bien, qu'on diroit que dès le ventre de leur mère elles en rap portent la chaleur amoureuse et le putanisme ; et ainsi que fit l.i belle Laïs de la belle Timandre, sa putain de mère très-insigne, jusques là qu'elle n'attend pas seulement le temps de maturité, qui peut eslre à douze ou treize ans, qu'elle monte en amour, . mesme plustost, ainsi qu'il advint il n'y a pas douze ans à Paris, 1 d'une fille d'un pâtissier, laquelle se trouva grosse en l'âge de neuf


DISCOURS IV. 285

ans (l) ; si bien qu'estant fort malade de sa grossesse, son père en ayant porté de l'urine au médecin, ledit médecin dit aussi-tosl qu'elle n'avoil autre maladie, sinon qu'elle esloit grosse. « Com- » ment 1 respondit le père, monsieur, ma fille n'a que neuf ans. » Qui fut esbahyî ce fut le médecin, a C'est tout un, dit-il ; pour » le seur elle est grosse. » Et, l'ayant visitée de plus près, il la trouva ainsi ; et ayant confessé avec qui elle avoit eu à faire, son galand fut puny de mort par la justice, pour avoir eu à faire à elle à un âge si tendre, et l'avoir fait porter si jeunemenl. Je suis bien mary qu'il m'ait fallu apporter cet exemple et le mettre icy, d'autant qu'il est d'une personne privée et de basse condition, pour ce que j'ay délibéré de n'e^chaliaur£iu»on papier de si petites ){ personnes, mais de grandes et hautes. Je me suis un peu extra- vagué de mon dessein ; mais , par ce que ce conte est rare et inu- sité, je seray excusé ; et aussi que je ne sçache point tel miracle advenu à nos grandes dames d' estât, que j'aye bien sceu , ouy bien qu'en tel âge de neuf, de dix, de douze et de treize ans, elles ayenl porté et enduré fort aisément le masie, soit en fornication, soit en mariage, comme j'en alléguerois plusieurs exemples de plusieurs desvirginées en telles enfances , sans qu'elles en soient mortes, non pas seulement pasmées du mal, si-non du plaisir. Surquoy il me souvient d'un conte d'un galant et beau seigneur s'il en fut oncques, lequel est mort, et, se plaignant un jour de la capacité de la nature des filles et femmes avec lesquelles il avoit négocié, il disoit qu'à là fin il seroit contraint de rechercher les filles enfantines, et quasi sortantes hors du berceau, pour ny sen- tir tant de vagues en si pleine mer, comme il avoit fait avec les autres, et pour plus à plaisir nager à un destroit. S'il eust adressé ces paroles à une grande et honneste dame que je connois, elle lui eust fait la mesme response qu'elle fit à un gentilhomme de par le monde, qui, lui faisant une mesme complainie, elle luy respondit : « Je ne sçay qui se doit plustosl plaindre, ou vous h autres hommes de nos capacitez et amplitudes, ou nous autres , j> femmes de vos petitesses ou naenuises, ou plustosl petites me- -V » nuseries; car il y a autant à se plaindre en vous autres que vous » en nous, que si vous portiez vos mesures pareilles à nos calibres.


i) Alheric de Rosate , au mot Hatrimonium de .«on Dictionnaire , rapporte ud ,

exemple tout pareil. Barbatias dit même quelque cliose de plas, qu'un garçoa de | sepi ans engrossa sa nourricv

u.


226 VIES DES DAMES GALANTES.

» nous n'aurions rien à nous reprocher les uns aux autres. » Celle-là parloil par vraye raison ; el c'est pourquoy une grande dame, un jour à la Cour regardant et contemplant ce grand Hercule de bronze qui est en la fontaine de Fontainebleau, elle estant tenue sous les bras par un genliiliomme qui la conduisoit, elle lui dit que cet Hercule, encore qu'il fust très-bien fait el représenté, n'es- toit pas si bien proportionné de tous ses membres comme il fal- loil, d'autant queceluy du milan estoit par trop petit et par trop inesgal, et peu correspondant à son grand colosse de corps. Le gentilhomme luy respondit qu'il n'y trouvoii rien à redire de ce qu'elle luy disoit, si-non qu'il falloit croire que de ce temps les dames ne l'avoient si grand comme du temps d'aujourd'huy.

— Une très-grande dame et princesse (l), ayant sgeu que quel- ques-uns avoient imposé son nom à une grosse et grande colou- vrine, elle demanda pourquoy. Il y eu eut un qui respondit : « C'est » par ce, madame, qu'elle a le calibre plus grand et plus gros que » les autres. » Si est-ce pourtant qu'elles y oui trouvé assez de re- mède, et en trouvent tous les jours assez pour rendre leurs portes plus estroiles, quarrées el plus malaisées d'entrée; dont aucunes en usent, et d'autres non ; mais nonobstant, quand le cliemin y est bien bailu et frayé souvent par continuelle habitation et fré- quentation, ou passages d'enfants, les ouvertures de plusieurs en sont toujours plus grandes el plus larges. Je me suis là un peu perdu et desvoyé ; mais puis que ça esté à propos il n'y a point de mal, et je retourne à mon chemin.

— Plusieurs autres filles y a-t-il lesquelles laissent passer cette grande tendreur et verdeur de leurs ans, et en attendent les plus grandes maturitez el seicheresses, soit ou qu'elles sont de leur nature très-froides à leur commencement et à leur aveuemeni, car il y en a et s'en trouve, soit ou qu'elles soient tenues de court, comme il est bien nécessaire à aucunes, comme dit le refrain es- gnol, vignas e hinas son muy malas à guardar; c'est-à-dire : « Les vignes et les jeunes filles sont tort difficiles à garder, » que pour le moins quelque passant, paysant ou séjournant n'en taste aacunes» Il y en a aussi qui sont immobiles, que tous les aquilons et yeuts d'un hyver ne sçauraient esmouvoir ny esbranler. 11 y a d'autres si sottes, si simples, si grossières et si ignares, qu'elles


(I) ta reine-mère Catherine de Médicii. l'auteur la nomme dans son discours des Dames illustres, où il fait le même conte.


DISCOURS IV. 527

De voudroient pas ouyr nommer seulement ce nom d'amour. Comme j'ay ouy parler d'uoe femme qui faisoit de l'auslère el réformée, que quand elle eniendoil parler d'une putain elle en eva- nouissoil soudain; et ainsi qu'on faisoit ce conte à un grand sei- gneur devant sa femme, il disoit : « Que celle femme ne vienne » donc pas céans; car si elle évanouit pour ouyr parler des puiains, » elle mourra tout à trac céans pour en voir. » Il y a pourtant des filles que, lorsqu'elles commencent un peu à sentir leur cœur, elles s'y apprivoisent si bien, qu'elles viennent manger aussitosl dans la main. D'aulressontsi dévoles et consciencieuses, craignant tant les commandements de Dieu nostre souverain, qu'elles ren- voyenl bien loin celuy d'amour. Mais pourtant en ay-je veu force de ces dévoies patenostrieres, mangeuses d'images, etciladines or- dinaires d'églises, qui, sous celte hypocrisie, convoient et cachoier* leurs feux, afin que par telles feintes et faux semblants, le raoudk nes'en apperceusl, elles estimast très-prudes, voire à demi sain- tes. Mais bien souvent elles ont trompé le monde et les hommes. Ainsy que j'ay ouy raconter d'une grande princesse, voire reynt, qui est morte, laquelle, quand elle vouloil attaquer quelqu'un d'a- mour (car elle y estoit fort sujette), commençoit tousjours ses pro- pos par l'amour de Dieu que nous lui devons, et soudain les fai- soit tomber sur l'amour mondain, et sur son intention qu'elle en vouloit à celuy auquel elle parloit, dont par après elle en venoit au grand oeuvre, ou, pour le moins, à la quittessence. Et voilà comme nos dévotes, ou plustosl bigotes, nous trompent; je dis ceux-là qui, peu rusez, ne connoissent leur vie.

— J'ay ouy faire un conte, je ne sçay s'il est vray; mais un de ces ans, se faisant une procession générale à une ville de par le monde, se trouva une femme, soit grande ou petite, en pieds nuds et grande condition (l), faisant de lamarmiteuse plus que dix, et c'estoit en caresme : au partir de là elle s'en alla disner avec son ïmant d'un quartier de chevreau et d'un jambon : la senteur en rint jusqu'à la rue; on monta en haut, et on la trouva en telle magnificence, qu'elle fut prise el condamnée de la promener par fe ville avec son quartier d'agneau à la broche sur l'espaule et le jambon pendu au col. N'esloit-ce pas bien employé de la punir de cette façon ?

— D'autres dames y en a qui sont superbes, orgueilleuses, qui

(1) Appartimncni coDiritiom


Î58 VIES DES DAMES GALANTES.

dédaignent el le ciel el la terre par manière de dire, qui rabrouent Us hommes et leurs propres amoureux, et les rechassent loin; mais à telles il faut user de temporisement seulement et de pa- icnce et de continuation, car avec tout cela el le temps vous les mettez el avez sous vous à l'humiliié, estant le propre et superbe de la gloire, après avoir fait assez des siennes el monié bien haut, de descendre el venir au rabais : et mesmes de ces glorieuses en ay-je veu aucunes lesquelles bien souvent, après avoir bien des- daij^né l'amour el ceux qui leur en parloienl, s'y rangeoient, les aimoient, jusqu'à espouser aucuns qui estoienl de basse condition et nullement à elles en rien pareils. Et ainsi se joue amour d'elles et les punit de leur ouirecuidance, et se plaisl de s'attaquer à elles pluslost qu'à d'aulres, car la victoire en est plus glorieuse, puis qu'elles surmontent la gloire. J'ay cogneu d'autrefois une fille à la Cour, si entière et si desdaigneuse, que quand quelque habile et galant homme la venoit accoster el la laster d'amour, elle luy respondoil si orgueilleusement, en si grand mespris de l'a- mour, par paroles si rebelles et arrogantes (car elle disoit des mieux ), que plus il n'y relouruoit : etsi, par casfortuit, quelquefoison la vouloil accoster et s'y prendre, comment elle les renvoyoit et ra- broùoit, el de paroles, et de gestes, avec mines desdaigneuses ; car elle esloil très-habile. Enfin l'amour la punit, et se laissa si bien aller à un qu'il l'engrossa quelque vingt jours avant qu'elle se mariasl ; el si pourtant c'est un qui n'estoit nullement compara- ble à force autres honuestes gentilhommes qui l'avoient voulu servir. En cela il faut dire avec Horace, sic placel Feneri; c'est- à-dire, « c'est ainsi qu'il plaist à Vénus; » et ce sont de ses mi- racles.

— Il me vint en fantaisie une fois à la comédie d'y servir une belle et honnesle fille, habile s'/l en fut oncques, de . fort bonne maison, mais glorieuse et fort haute à la main, dont j'estois amou- reux extrêmement. Je m'advisois de la servir et arraisonner aussi arroganiment comme elle me pouvoit parler el respondre ; car à brave brave et demy. Elle ne s'en sentit pour cela nullement in- lerossée, car, en la menant de telle façon, je la loùois extrêmement, d'autant qu il n'y a rien qui amollisse plus un cœur dur d'une dame que la loiiange, autant de ses beaulez et perfections, que de sasuperbité; voire luy disant qu'elle luy séoit très -bien, veu qu'elle ne teuoil rien du commun, et qu'une fille ou dame, se rendant par trop privée et commune, ne se tenant sur un port allier et sur


DISCOURS IV. J2»

une répulalion hautaine, n'esloit bien digne d'estre ferme (l); et pour ce , que je l'en houorois davantage, et que je ne la voulois jamais appeler autrement que ma Gloire. En quoy elle se pleut tant , qu'elle voulut aussi m'appeler son Arrogant. Continuant ainsi lousjours, je la servis longuement ; et si me peux vanter que j'eus part eu ses bonnes grâces autant ou plus que grand seigneur de la Cour qui la voulut servir ; mais un très- grand favory du Roy, brave certes et vaillant gentilhomme, me la ravit, et par la faveur de son Roy Tespousa. Et pourtant, tant (]uelle a \escu, telles alliances ont tousjours duré entre nous deux, et l'ay lousjours irés-honorée. Je ne sçay si je seray repris d'avoir fait ce conte, car ou dit voloatiers que tout conte fait de soy n'est pas bon; mais je me suis esgaré à ce coup, encore que dans ce livre j'en aye fait plusieurs de moy-mesme en toutes façons, mais je tais le nom.

— Il y a encore d'autres filles qui sont de si joyeuse com- plexion, et qui sont si folastres, si endemeuées et si enjouées, qui ne se mellenl autres sujets en leurs pensées qu'à songer à rire, à passer leur teuips et à folastrer, qu'elles n'ont pas l'arrest d'ouyr ny songer à autre chose, sinon à leurs petits esbatiements.. J'en ay connues plusieurs qui eussent mieux aimé ouyr un violon, ou danser, ou sauter, ou courir, que tous les propos d'amour : aucu- nes la chasse, si bien qu'elles se pouvoient plustost nommer sœurs de Diane que de Vénus. J'ay cogueu un brave et galant seigneur, mais il est mort, qui devint si fort perdu de l'amour d'urve fille, et puis dame, qu'il en mouroit; « car, disoit-il, lorsque je luy veux » renionslrer mes passions, elle ne me parle que de ses chiens et de a sa cliasse, si bien que je voudrois de bon cœur estre métamor- » phosé en quelque beau chieu ou lévrier, ou que mon ame fust » entrée dans leur corps, selon l'opinion de Pythagore, afin qu'elle • se pust arrester à mon amour, et mon ame guérir de ma play. » Sbis après il la laissa, car il n'estoil pas bon laquais, et ne la pou- voit suivre ny accompagner partout où ses humeurs gaillardes, ses plaisirs et ses esbatiements la conduisoieut. Si faul-il noter uue chose, que telles filles, après avoir laissé leurpoulinage et jette leur gourme (comme l'on dit des poulains), et après s'estre ainsi esbat- tues au petit jeu, veulent essayer le grand, quoy qu'il tarde; et telle jeunesse ressemble à celle de petits jeunes loups, lesquels sont tou

(1) Servie.


230 VIES DES DAMES GALANTES.

jolis, gentils et enjoûez en leur poil follet; mais, venant sur l'aage, ils se converlissenl en malice et à mal faire. Telles filles que je viens de dire font de mesme, lesquelles, après s'eslre bien joiiée» et passé leurs fantaisies en leurs plaisirs, et jeunesses en chasses, en bals, en voiles, en couranles et en danses, ma foy, après elles se veulent mettre à la grande danse el à la douce carolle de la déesse d'amour. Bref, pour faire fin finale, il ne se voit guère» de filles, femmes ou veufves qui tost ou lard ne bruslent, on en leurs saisons ou hors de leurs saisons, comme tous bois, fors un qu'on nomme larix, duquel elles ne tiennent nullement. Ce larix donc est un bois qui ne brusie jamais, et ne fait feu, nj flamme, ny charbon, ainsi que Jules César en fit l'expérience retournant de la Gaule. Il avoil mandé k ceux du Piedmonl de lu; fournir vivres et dresser eslappes sur son grand chemin du camp. Ils luy obéyrent, fors ceux d'un cliasleau appelé Larignum, où s'estoient retirés quelques meschanls garuemenis, qui tirent des refusants et rebelles, si bien qu'il fallut à César rebrousser et les aller assiéger. Approchant de la forteresse, il vit qu'elle n'es- toit fortifiée que de bois, dont il s'en moqua, disant que soudain il l'auroit. Parquoy commanda aussi-tost, d'apporter force fa- gots et paille pour y mettre le feu, qui fut si grand et fit si grande flamme , que bien-losl on en espéroit voir la ruine et destruction ; mais, après que le feu fut consommé et la flamme disparue, tous furent bien eslonnez, car ils virent la forteres.se en mesme estât qu'auparavant et en son entier, et point brus- lée ny ruynée : dont il fallut à César qu'il s'aidast d'autre re- mède, qui fut par sappe, ce qui fut cause que ceux de de- dans parlementèrent et se rendirent ; et d'eux apprit César la vertu de ce bois larix, duquel portoil nom ce chasleau Larignum, parce qu'il en estoit basti et fortifié. Il y a plusieurs pères, mè- res, parents et marys, qui voudroient que leurs filles et femmes participassent du naturel de ce bois, ils en auroienl leur esprit plus content, et n'auroient si souvent la puce en l'oreille, el n'y luroit tant de pulains ny de cocus. Mais il n'en est pas de besoin, car e monde en demeureroil plus despeuplé, et y vivroit-on comme iiarbres, sans aucuns plaisirs ny sentiments, ce disoit quelqu'un et quel(|u'une que je sçay, el nature demeureroil imparfaite ; au lieu qu'elle est Irès-parfaile, laquelle si nous suivons comme un bon capitaine, nous ne sortirons jamais du bon chemin.


DISCOURS IV. J31


AKTICLE III.


De l'amour des »eufvcs


Or, c'est assez parlé des filles, il est raison maintenant que nous parlions de mesdames les veufves à leur tour. L'amour des veufves est bon, aisé et profitable, d'autant qu'elles sont en leur pleine liberté, et nullement esclaves des pères, mères, frères, pa- rents et marys, ny d'aucune justice, qui plus est. Ou a beau faire l'amour à une veufve et coucher avec, on n'en est point puny, comme l'on est des filles et des femmes. Mesmes les Romains, qui nous ont donné la pluspart des loix que nous avons, ne les ont ja- mais fait punir pour ce fait, ny en leur corps ny en leurs biens : ainsi que je tiens d'un grand jurisconsulte, qui m'alléguoit Ik-des- sus Papinian, ce grand jurisconsulte aussi, lequel, traitant de la matière des adultères, dit que, si quelquefois par mesgarde on avoil compris sous ce nom d'aduUere la honte de la fille ou de la veufve, c'estoit abusivement parler ; et en autre passage il dit que l'héritier n'a nulle réprimende ou esgard sur les mœurs de la veufve du def- funt, n'esloil que le mary en son vivant eust fait appeler sa femme en justice pour cela, car lors ledit héritier en pouvoit prendre arre^ meiUâ. de la poursuite, et non autrement. El, de fait, on ne trouve point en tout le droit des Romains aucune peine ordonnée à la veufve, si-non à celle qui se remarieroit dans l'an de son deuil, ou qui, ne se remariant, avoit fait enfant après l'onsiesme mois d'un mesme an, estimant le premier an de son veufvage estre affecté à l'honneur de son premier licl. Et, quant à sou douaire, l'héritier ne luyeust sceu faire perdre, quand bien elle eusl fait toutes les folies du monde de son corps ; et en alleguoit une belle raison (celuy de qui je tiens cecy ) ; car si Thérilier qui n'a aucun pensemenl que le bien, en luy ouvrant la porte pour accuser la veufve de ce forfait et b priver de son dot, on l'ouvriroit tout d'une main à la calomnie ; et n'y auroii veufve, si femme de bien fusl-elle, qui pusl se sauver des calomnieuses poursuites de ces galants héritiers, selon ces dires. Comme je voy, les veufves romaii>es avoienl bon temps et bon su- jet de s'esbaltre : et ne se faut estonner si une, du temps de Marc Aurele, ainsi qu'il se trouve en sa vie, comme elle alloit au coo- vo; de$ funérailles de son mary, parmy ses plus grands cris, sau-


Î32 VIES DES DAMES GALANTES.

glols, soupirs, pleurs el lamentations, serroil la main si eslroilement à celuyqui la tenoit etconduisoit, faisant signal par-là quec'esloit en nom d'amour el de mariage, qu'au bom de l'an, ne le pouvoit espouser que par dispense (ainsi que fut dispensé Pompée quant.' il espousa la tille de César; mais elle ne se doiinoit guéres qu'au> plus grands et grandes, comme j'ay ouy dire à un grand per- sonnage), il l'espousa, et cependant en tiroil tousjours de boni brins, et emprunloit force pains sur la fournée, comme l'on dit. Cette dame ne vouloit rien perdre, mais se pourvoyoil de bonne heure ; et, pour cela, ne perdoit rien de son bien ny de son douaire.

Voilà comme les veufves romaines estoient heureuses, comme sont bien encore nos veufves françoises, lesquelles, pour se donner à leur cœur et gentil corps joye, ne perdent rien de leurs droits, bien que par les parlements il y en ait eu plusieurs causes dé- battues. Ainsi que je sçay un grand et riche seigneur de France, qui fil long-temps plaider sa belle-sœur sur son dot, luy imposant sa vie eslre un peu lubrique, et quelque autre crime plus grief que celuy meslé parmy ; mais, nonobstant, elle gagna son procès, et fallut que le beau-frere la dolast très-bien, ei luy donnast ce qui luy appartenoit : mais pourtant l'administration de son fils el îille luy fut ostée, d'autant qu'elle se remaria; à quoy les juges et grands sénateurs des parlements ont esgard, ne permettant aux veufves qui convolent au second mariage, la tutelle de leurs en- fants. Et encore il n'y a pas long-temps que je sçay deux veufves d'assez bonne qualité, qui ont emporté leurs filles mineures, s'es- t.ant remariées, par dessus leurs beaux-freres et autres de leurs parents ; mais aussi elles furent grandement secourues des faveurs du prince qui les entrelenoit. Mais de ces sujets, ni esbuy j e m'en desparls d'en parler, d'autant que ce n'est pas ma profession, et que, pensant dire quelque chose de bon, possible ne dirois-je rien qui vaille: je m'en remets à nos grands législateurs.

Or, de nos veufves, les unes se plaisent à tourner encore en mariage, et en resonder encore le guay, comme les mariniers qui, sauvez de deux, trois ou quatre naufrages, retournent encore à la mer, et comme font encore les femmes mariées, qui, en leur mal d'enfant, jurent, protestent de n'y retourner jamais, et que jamais homme ne leur fera rien ; mais elles ne sont pas plustost purifiées, les voilà encore au premier branle. Ainsi qu'une dame espagnolle, laquelle, estant en mal d'enfant, se fit allumer une chandelle de Nostre-Dame de IHontferral qui aide fort à enfan-


DISCOURS IV. «33

1er, pour la vertu de ladite Nostre-Dame. Toutefois, ne laissa d'avoir de grandes douleurs, et à jurer que plus jamais elle n'j retourneroit. Elle ne fut pas plustost accouchée, qu'elle dit à la femme qui la luy donnoit allumée : Serra esto cabillo de can,' delà para otra vez; c'est-à-dire : « Serrez ce bout de chandelle V pour une autre fois. »

D'autres dames ne se veulent marier; et de celles qui n'en veulent point, plusieurs y en a, et y en a eu, lesquelles, venues en viduilé sur le plus beau de leur âge, s'y sont contenues. Nous avons veu la Reine-Mere, en l'âge de trente-sept à trente-huit ans, es- tant tombée veufve, qui s'est tousjours contenue veufve ; et, bien qu'elle fust belle, bien agréable et très-aimable, ne songea pas tant seulement à un seul pour l'espouser. Mais l'on me dira aussi, qui eust-elle sceu espouser qui eusl esté sorlable à sa grandeur, et pareil à ce grand roy Henry, son feu seigneur et mary, et qu'elle eusl perdu le gouvernement du royaume, qui valoit mieux que cent marys, et dont l'entretien en estoit bien meilleur et plus plaisant. Toutefois, il n'y a rien que l'amour ne fasse oublier ; et d'autant est-elle à loiier, et à estre recoudée au temple de la gloire et immorlalilé, de s'estre vaincue et côÉomandée, et n'avoir £ait comme une Reyne Blanche, laquelle, ne se pouvant contenir, vint à espouser son maislre d'hoslel, qui s'appelloit le sieur de Rabau- dange; ce que le roy son fils, pour le commencement, trouva fort eslrange et amer; mais pourtant, parce qu'elle estoit sa mère, il excusa et pardonna audit Rabaudange, pour l'avoir espousée, en ce que, le jour, devant le monde, il la servoit tousjours de mais- tre-d'hostel, pour ne priver sa mère de sa grandeur et majesté; et la Ruict elle en feroit ce qu'elle voudroil, s'en serviroit, ou de va- let ou de maistre, remettant cela à leurs discrétions et volontez, et de l'un et de l'autre; mais pensez qu'il commandoit : car, quel- que grande qu'elle soit, venant-là, elle est tousjours subjugué par le supérieur, selon le droit de la nature et de l'agent en cela. Je tiens ce conte du feu grand cardinal de Lorraine dernier, lequel le faisoil à Poissy au roy François second, lorsqu'il lit les dix-huit chevaliers de l'ordre de Saint-Michel, nombre très-grand, non encore veu, ny jamais ouy jusqu'alors ; et, entre autres, il y eut le seigneur de Rabaudange, fort vieux, lequel on n'avoit veu de long- temps à la Cour, si-non à aucuns voyages de nos autres guerres, s'eslani retiré dès la mort de M. de Laulrec, de tristesse et de despit, comme l'on voit souvent, pour avoir perdu son boi mais-


234 VIES DES DAMES GALANTES.

tre, duquel il esloit capitaine de sa garde au voyage du royaume de Naples, où il mourut; et disoil encore monsieur le cardinal, qu'il pensoit que ce monsieur de Rabaudange esloit venu el des- cendu de ce mariage. Il y a quelque temps qu'une dame de France espousa son page aussi-lost qu'elle l'eust jeté hors de page^ et qui s'estoil assez tenue en viduité.

Or c'est assez parlé de ces veufves. Parlons maintenant d'autres, qui sont celles qui, abhorra nt les vœux et reformations des secon- des nopces, s'en accommodent, et réclament encore le doux et plai- sant dieu Hymenée. Il y en a les unes qui, par trop amoureuses de leurs serviteurs durant la vie de leurs niarys, y songent desji avant qu'ils soient morts, el projeileat entre elles et leurs servi- teurs comment ils s'y comporleroient. « Ah ! disent-elles, si moa » mary esloit mort, nous ferions cecy, nous ferions cela; nous « vivrionsde cette façon, nous nous accommoderions de celte autre, » et ainsi si accortement, que l'on ne se douleroit jamais de nos » amours passez; nous ferions une vie si plaisante I après nous » irions à Paris, à la Cour; nous nous entretiendrions si bien que » rien, ne nous sçauroit nuire : vous fériés la cour à une telle, et » moy à un tel ; nous aurions cecy du Roy, nous aurions cela. Nous » ferions pourvoir nos enfants de tuteurs et curateurs : nousn'au- » rions à faire de leurs biens ny affaires, et ferions les noslres, ou » bien nous jouirions de leurs biens en attendant leur majorité. » Nous aurions les meubles el ceux de mon mary. Pour le moins, » cela ne me sçauroit manquer, car je sçay où sont les titres et » escrits (et force autres paroles) . Bref, qui seroit plus heureux » que nous ? »

Voilà les beaux desseins que font ces femmes mariées à leurs serviteurs avant le temps ; dont aucunes y en a qui ne les font mourir que par souhaits, par paroles, que par espérance et attenles; et autres y en a qui les advancenl de gagner le logis mortuaire s'ils tardent trop; de quoy nos cours de parlement en ont eu et en ont tous les jours tant de causes par-devant elles qu'on ne sçauroit dire. Mais le meilleur, et le plus, est qu'elles ne fon.l pas comme une dame d'Espagne, laquelle, estant très-mal traitée de son mary, eUe le tua, et puis après elle se tua, ayant fait avant cette épilaphe qu'elle laissa sur la table de son cabinet, escrite de sa main :


A^utjaie qui ha buscado una muger,

ï oin ella caiado , no l'a pùdidr hâter muger.


DISCOUUS IV. 235

A lot otrat , no a my, cerca my, dona conUntanmnt».

Y par ette, y su flaquesta y atrevimitnto ^

Yo lo he malado , Por le dar pena de su pecado .

Y amy tan bien , por falla de my juysio ,

Y por da /In a la mal-adveniura qu' io aeio.

C'esl-à-dire .

< Icy giit qui a cherché uoe femme ei ne l'a pu faire femme : aux autre*, M » non à moy, prêt de moy, dounoil conteoicmcnt , et , pour cela et pour ta laschelé

> et ontre-cnidaace, je l'ay tué, pour lui donner la peine de son pécbé; el à moi

> aussi je me suis donné la mort , par faute d'entendement , et pour donner lin à » Il maladvenlure que j'avais. >

Cette dame se Dommoit dona Magdalana de Soria, laquelle, selon aucuns, fil un beau coup de tuer son mary pour le sujet qu'il luy avoit donué ; mais elle fit aussi bien de la sotte de se faire mourir r aussi Tadveue-elle bien, que pour faute de jugement elle se lua. Elle eust mieux fait de se donner du bon temps par après, si ce n'estoit qu'elle eust possible craint la justice, et avoit-elle peur d'en estre reprise, et pour ce ayma mieux triompher de soy-mesme que d'en bailler la gloire à l'autborilé des juges. Je vous asseure qu'il y en a eu, et y en a, qui sont plus aceortes que cela ; car elles jouent leur jeu si finement, que voilà les marys trespassez et elles très-bien vivantes et fort accordantes à leurs galants serviteurs, pour faire avec eux non pas gode mihi, mais gods chère»

Il y a d'autres veufves qui sont plus sages, vertueuses et plus aimantes leurs marys, et point envers eux cruelles ; car elles les regrettent, les pleurent, les plaignent à telle extrémité, qu'à les voir on ne les jugeroit pas vives une heure après. « Hàl ne suis-je » pas, disent-elles, la plus malheureuse du monde, la plus inforlu- » née d'avoir perdu chose si grétieuse? Dieu! pourquoy ne m'an- ■ voyes-tu la mort à cette heure, pour le suivre de près ! Non, je » ne veux plus vivre après luy ; car et que me peut-il jamais res- » ter et advenir au monde qui me puisse donner allégement î Si ce » n'esloient ses petits enfants qu'il m'a laissés pour gages, et qui » ont besoin encore de quelque soustien, non, je me tueray toute » à cette heure. Que maudite soit l'heure que je fus jamais née ! « Au moins si je le pouvois voir en phanstome, ou par vision, ou » par songes, encore aurois-je trop d'heur. Ah I mon cœur, ah I » mon ame, n'est-il pas possible que je te suive? Ouy, Je te soi-


236 VIES DES DAMES GALANTES.

m vray quand, à part de tout le monde, je me defferois toute seule. » Hé, qui seroil la chose qui me pourroil soutenir la vie, ayant » fait la perle inestimable de loy, que, toy vivant, jen'aurois d'au- » ire sujet que de vivre, et, toy mouruni, que de mourir? El » quoyl ne vaut-il pas mieux que je meure maintenant en ton » amour, en ta grâce, et en ma gloire, el en mon contentement, » que de traisner une vie si fascheuse et malheureuse, el nullement » loiiable? Hà! Dieu! que j'endure de maux et tourments pour » une absence! ei que j'en seray délivrée, si je te vais voir bien- » tost, et comblée de grands plaisirs! Hélas! il esioit si beau, il » estoit si aimable, il estoit si parfait en tout, il esioit si brave, si ). vaillant ! C'esloit un second Mars, un second Adonis : qui plus » est, il m'estoit si bon, il m'aimoit tant, il me Irailoil si bien ! » Bref, le perdant, j'ay perdu tout mon heur. « Ainsi vont disant nos veufves desplorées telles et une infinité d'autres paroles après la mort de leurs marys, les unes d'une façon, les autres de l'autre; les unes déguisées d'une sorte, les autres d'une autre; mais pour- tant tousjours approchantes de celles que je viens de produire ; les unes despitent le ciel, les autres maugréent la terre ; les unes blas- phèment contre Dieu, les autres maudissent le monde; les unes font des évanouissements, les autres contrefont les mortes; les unes font des transies, les autres les folles, les forcenées et hors de leurs sens, qui neconnoissentpersonne, qui ne veulent manger, qui neveu- lent parler. Bref, je n'aurois jamais fait, si je voulois spécifier toutes leurs méthodes hypocrites et dissimulées dont elles usent pour monstrer leur deuil et ennuy au monde. Je ne parle pas de toutes, mais d'aucunes, voire de plusieurs en pluriel et en nombre. Leurs consolants et consolajiles, qui n'y pensent point en mal el y vont à la bonne rouline^i y" perdent leur escrime et ne gagnent rien d'aucuns ; el d'aucuns de ceux-là quand ils y voyent que leur pa- lienle et leur dolente ne fait pas bien son jeu ni la grimacée, les instruisent. Comme une dame de par le monde que je sçay, qui di- soit à une autre qui estoit sa fille : « Faites l'esvanouye, mainie; » vous ne vous contraignez pas assez. » Or, après tous ces grands mystères jouez, et ainsi qu'un grand torrent, après avoir fait son cours el violent effort , se vient à remettre et retourner à son ber- ceau, comme une rivière qui a aussi esté desbordée, ainsi aussi voyez- vousces veufves se remettre el retourner à leur première nature, re- prendre leurs esprits, peu à peu se hausser en joie, songer au monde. Au lieu de telles de mort qu'elles portoienl, ou peintes, ou gravées


DISCOURS IV. Î37

et eslevées ; au lieu d'os de trespasses mis en croix ou en lacs mortuaires, au lieu de larmes, ou de jayel ou d'or maillé, ou en peinture ; vous les voyez convertir en peintures de leurs mary? portées au col, accommodées pourtant de testes de mort et larmes peintes en chiffres, en petits lacs; bref, en petites gentillesses, des- guisées pourtant si gentiment, que les contemplants pensent qu'elle les portent et prennent plus pour le deuil des marys que pour la mondanité. Puis, après tout, ainsi qu'on voit les petiis oiseaux, quand ils sorleni du nid, ne se mettre du premier coup à la grande volée, mais, volletant de branche en branche, apprennent peu à peu l'usage de bien vcrler ; ainsi les veufves, sortant de leur grand deuil désespéré, ne le monsirent au monde si-tost qu'elles l'ont laissé, mais peu à peu s'esmancipent, et puis tout à coup jettent et le deuil et le froc de leur grand voile sur les orties, comme on dit, et mieux que devant reprennent l'amour en leur teste, et ne songent à rien tant qu'à un second mariage ou autre lascivelé : et voilà comment leurs grandes violences n'ont point de durée. Il vaudroit mieux qu'elles fussent plus posées en leurs tristesses.

— J'ay cogneu une très-belle dame, laquelle, après là mort de son mary, vint à estre si esplorée et désespérée, qu'elle s'arrachoit tes cheveux, se tiroit la peau du visage et de la gorge, l'allongeant tant qu'elle pouvoit ; et, quand on lui remonstroil le tort qu'elle faisoit à son beau visage : « HàDieu! que me dites-vous? disoit- » elle; que voulez-vous que je fasse de ce visage?» Au bout de huit mois aprèr, ce fut elle qui s'accommoda de blanc et de rouge d'Espagne, les cheveux bien poudrez ; qui fut un grand changement.

— J'alléiiueray là-dessus lii bel exemple, qui pourra servir à semblable, d'une belle et honneste dame d'Ephese, laquelle ayant perdu son mary, il fut impossible à ses parents et amys de luy trouver aucune consolation ; si bien que, accompagnant son mary à ses funérailles, avec une infinité de regrets, de sanglots, de cris, de plaintes et de larmes, apr-^-s qu'il fut mis et colloque dans le charnier où il devoit reposer, elle, en despitde tout le monde, s'y jetta, jurant et prolestant de n'en partir jamais, et que là elle se vouloit laisser aller à la faim, et là finir ses jours auprès du corps de son mary ; et de fait fit cette vie l'espace de deux ou trois jours. La

. fortune sur ce voulut qu'il fust exécuté un homme de-là, et pendu,

' pour quelque forfait, dans la ville et après fut porté hors de !a

ville au gibet accoustumé, où fuloil que tels corps pendus et exé-


238 VIES DES DAMES GALANTES.

cutez fussent gardez quelques jours soigneusement par quelques soldats ou sergents, pour servir d'exemple, afin qu'ils ne fussent de enlevez. Ainsi donc qu'un soldat estoit à la garde de ce corps, "et estoit en sentinelle et escoule, il oujt-là-près une voix desplo«  rante, et s'en approchant vid que c'estoit dans le charnier, où, es- tant descendu, il y ajiperceut cette dame belle comme le jour, toute esplorée et lamentante ; et, s'advançant à elle, se mit à l'in- terroger de la cause de sa désolation, qu'elle luy déclara benigne- ment;else mettant à la consoler là-dessus, n'y pouvant rien gagner pour la première fois, y retourna pour la deuîrtesme et troisiesme, et fit si bien qu'il la gagna, la remit peu à peu, luy fit essuyer ses larmes, et, entendant la raison, se laissa si bien aller qu'il en joûyt par deux fois, la tenant couchée sur le cercueil mesme du mary ; puis après se jurèrent mariage : ce qu'ayant ac- comply très-heureusement, le soldat s'en retourna,'par son congé, à la garde de son pendu; car il y alloitde la vie. Mais, tout ainsi qu'il avoit esté bienheureux en celte belle entreprise et exécution, le malheur fut tel pour luy, que, cependant qu'il s'y amasoit par trop, vbicy venir les parents de ce pauvre corps au hazard, pour le despendre s'ils n'y eussent trouvé des gardes; et, n'y en ayant point trouvé, le despendirent aussi-lost et emportèrent de vitesse pour l'enterrer où ils pourroient, afin d'estre privez d'un tel deshoniv?ur et spectacle ord et sale à leur parenté. Le soldat, ne voyant ny ne trouvant plus le corps, s'en vint courant desespéré à sa dame, luy annoncer son infortune, et comment il estoit perdu, d'autant que la loy de-là porloit que quiconque soldat s'endormoit en garde, et qui laissoit emporter le corps, devoit eslre mis en sa place et estre pendu, et que pour ce il couroit celte fortune. La dame qui, aupa- ravant avoit esté consolée de luy, et avoit besoin de consolation pour elle, s'en trouva garnie à propos pour luy et pour ce luy dit : « Oslez-vous de peine, et venez-nioy seulement aider pour ester » mon mary de son tombeau, et nous le mettrons et pendrons au » lieu de l'autre , et par ainsi le prendra-on pour l'autre. » Tout ainsi qu'il fut dit, tout ainsi fut-il fait: encore dil-on que le pendu de devans avoit eu une oreille coupée, elle en fit de mesme pour représenter mieux l'autre. La justice vint le lendemain, qui n'y trouva rien à dire. Et par ainsi sauva son galand par un acte et opprobre fort vilain à son mary, elle, dis-je, qui l' avoit tant pleuré et regretté, qu'on n'east jamais espéré si ignominieuse issue.


DISCOURS IV. 239

La première fois que j'ouys celle histoire, ce fui M. d'Aural qui U conla au brave RI. du Gua et à quelques-uns qui disnoient avec luy ; laquelle M . du Gua sceut très-bien relever et remarquer, car c'esloit l'homme du monde qui aimoit mieux un bon conte et le sçavoil mieux faire valoir. Et, sur ce point, estant allé à la chambre de la Reyne-mere, il vid une belle jeune veufve qui ne venoitque d'eslre faite, et de frais esmoulue, et fort esplorée, son voile bas jusqu'au bout du nez, piteuse, marmiteuse, avare de paroles à un chacun. Soudain monsieur me dit: a Voy celle-là; avant qu'il soit » un an, elle fera un jour de la dame d'Ephese. » Ce qu'elle fit, non pas si ignominieusement du toui, mais elle espousa un homme de peu, et conmie M. du Gua le prophétisa. Et me dit de mesme M. de Beanjeux, valet-de-chambre de la Reyne-mere, et le meilleur violon de la chrélienlé. Il n'esloit pas parfait seulement en son art et en la musique, mais il esloit de fort gentil esprit, et sçavoit beaucoup de fort belles histoires et beaux contes, et point com- muns, mais très-rares ; et n'en estoit point chiche à ses plus privez amis ; et en contoit quelques-uns des siens, car en son temps il avoit eu et veu de bonnes adventures d'amour ; car avec son art excellent et son esprit bon et audacieux, deux instruments bons pour l'amaur, il pouvoit faire beaucoup. M. le maréchal de Brissac i'avoit donné à la Reine-mere, estant reyna régente, et lui avoit envoyé de Piedmont avec sa bande de violons très-exquise, toute complette : et luy s'appeloit Ballazarin ; depuis il changea de nom. C'est luy qui composoit ces beaux balets qui ont esté tousjours dansez à la Cour. Il estoit fort amy de M. du Gua et de moy, et sou- vent causions ensemble, et tousjours nous faisoit quelque beau conte, mesme de l'amour et des ruses des dames, dont il nous fit celuy-là de cette dame ephesienne que nous avions desjà sceu par M. d'Aurat, comme j'ay dit, qui disoit le tenir de Lempridius, et depuis je l'ay leu dans le livre des Funérailles, très-beau certes, dédié à feu M. de Savoye. Je me fusse passé, ce dira quelqu'un, d'avoir fait celle digression : ouy, mais je voulois parler de mon amy en cela, lequel souvent me faisoit souvenir, quand il voyoit quelques-unes de nos veufves esplorées : « Voilà, disoit-il, qui 9 jouera un jour le roUe d« « nostre dame d'Ephese, ou bien elle l'a desjà joué, s Et certes ce fut une eslrange tragi comédie, pleine de grande inhumanité, d'offenser si cruellement son mary. Elle ne fit pas comme une dnme de nostre temps, que j'ay ouy dire, la- quelle, son mary mort, elle lui cou[i:i ses parties du devant ou du


J40 VIES DES DAMES GALANTES.

milan, jadis d'elle tant aimées, et les embauma, aromatisa et odo- rifera de parfums et poudres musquées et très-odoriférantes, et puis les enchâssa dans une boëte d'argent doré, qu'elle garda et conserva comme une chose très-précieuse. Pensez qu'elle les visi- toit quelquefois en commémoration éternelle. Je ne sçay s'il est vray, mais le conte en fut fait au Roy, qui le refit à plusieurs autres de ses plus privez; et j'ay ouy dire à luy qu'au massacre de la Saint-Barthelemy fut tué le seigneur de Pleuvian.qui en son temps Bvoit esté brave soldat, et en la guerre de Toscane sous M. de Soubise, et en la guerre civile comme il le fit bien paroîlre en la bataille de Jarnac, commandant à un régiment, et dans le siège de Niort. Quelque temps après, le soldat qui le tua dit et remonsira à sa femme, toute esperdue de pleurs et d'ennuys, qui estoit riche et belle, que, s'il ne l'espousoit, qu'il la tueroit, et luy feroit passer le pas de son mary; car, en cette feste, tout estoit de guerre et de couteau. La pauvre femme, qui estoit encore belle et jeune, pour se sauver la vie, fut contrainte faire et nopces et funérailles tout ensemble. Encore estoit-elle excusable ; car qu'eust pu faire moins une pauvre femme, fragile et foible, si ce n'eust esté de se tuer elle-mesme, ou tendre sa belle poictrine à l'espée du meurtrier ? Mais le temps n'est plus, belle bergeronnette ; il ne se trouve plus de ces folles et sottes de jadis; aussi que nostre saint christianisme nous le deflend ; ce qui sert beaucoup aujourd'huy à nos veufves d'excuse, qui disent, s'il n'estoit deffendu de Dieu, elles se tue- roieut, et par ainsi couvrent leur mommon.

— Audit massacre de la Saint- Barthélémy fut faite une veufve par la mort de son mary, tué comme les autres. Elle en eut un tel extrême regret, que, quand elle voyoit un pauvre catholique, en- core qu'il n'eust esté de la feste, elle se pasmoit quelquefois, ou le regardoit en horreur et haine comme la peste. D'entrer dans Paris, voire de deux lieues à la ronde, il n'en falloit point parler, car ses yeux ny son cœur ne le pouvoient souffrir; quedis-je de la voir? non pas d'en ouyr parler. Au bout de deux ans elle s'y ré- soud, vient saluer la bonne ville, et s'y pourmener et visiter le palais dans son coche ; mais de passer par la rue de la Huchette où son mary avoit esté tué, plustost la mort ou le feu, dans lequel elle se fast plustost jettée et précipitée que dans cette rue : comme fait le serpent, qui abhorre si fort l'ombre d'un fresne, qu'il aime mieux se bazarder dans un feu bien ardent, comme dit Pline, que dans celte ombre tant odieuse à luy. Si bien que le feu Roy y es-


DISCOURS IV. Ut

tant, disoii à Monsieur qu'il n'avoit veu femme si hagarde en sa perte et en sa douleur que celle-là ; et enfin il la faudroit abattre pour la chapperonner, comme les oiseaux hagards. Mais au bout de quelque temps, il dit que d'elle-mesme elle s'estoit assez gen- timent apprivoisée, de sorte que d'elle-mesme elle se laissa fort bien et privémenl chapperonner, sans l'abattre que de soy- mesme. Que fit-elle dans peu de temps après? ce fut-elle qui voit Paris de très-bon œil, qui l'embrasse, qui s'y pourmene, qui l'ar- pente et deçà et delà, et de longueur et de largeur, et de droit et de travers, sans respect d'aucun serment: et puis fiés-vous en elle I Un jour, moi, tournant d'un voyage, absent de la Cour huit mois, ayant fait la révérence au roy, je vis entrer dans la salle du Louvre celte veufve tant parée, tant attifée, accorrpagnée de ses parentes et amyes, comparoisire devant le Roy, les Reynes et toute la Cour, et là recevoir les premiers ordres de mariage, qui sont les fian- çailles, des mains d'un évesque de Digne, grand aumosnier de la reyne de Navarre. Qui fust esbahi ? ce fut moi ; mais, à ce qu'elle me dit après, elle fut esbabye davantage quand, sans y penser, elle me vid en celle noble assistance des fiançailles, la regardant et rou- lant de mes yeux finement, me souvenant de ses serments et mines que je luy avois veu faire. Et elle de mesme regarda fort, car je luy avois esté serviteur, et pour mariage, pensant, ce luy sembloit, que j'estois là arrivé à propos, et avois pris la poste exprès pour me produire à jour nommé là, pour luy servir de lesmoin et juge, et la condamner en celte cause. Et me dit et jura qu'elle eust voulu avoir baillé dix mille escus de son bien, et que je ne fusse comparu là, qui luy aidois à juger sa conscience.

— J'ay cogneu une grande dame, comtesse et veufve, de très- haut lieu, laquelle en fil de mesme : car, estant huguenotte fort et ferme, accorda mariage avec un fort honneste genlilhomme catho- lique; mais le malheur fut qu'avant l'accomplissement une fièvre pestilenle la saisit a Paris si conlagieusement, qu'elle luy causa la mort. Et, estant sur ses artères (l), se perdit fort en grands regrets, jusqu'à dire : « Hélas ! faut-il qu'en une si grande ville, où toute « science abonde, ne se puisse trouver un médecin qui me gué- « risse 1 Hé ! qu'il ne tienne point à argent, car je luy en don- • neray prou. Au moins si ma mort se fust ensuivie après mon ■ mariage accomply, et que mou mary m'eust connue avant corn-

(Il Altem.


•HZ VIES DF.S DAME3 GALANTES.

« bien je l'aimois «t lionorois ! » Sofonisbe dit autrement , car elle se repentit d'avoir fiancé avant boire le poison. Et ainsi disant ( celte comtesse) et plusieurs autres semblables paroles, se tourna de l'autre cosié du Ht et mourut. Que c'est de la ferveur d'amour, d'aller se ressouvenir, en un passage slygien et oublieux, des plai- sirs et fruits amoureux dont elle en eust bien voulu taster encore avant que de sortir du jardin ! Or si ces dames huguenotes ont fait tels traits, j'ay bien cogneu des dames cailioliques qui en ont fait de pareils, et ont espousé des huguenots, après en avoir dit pis que pendre, et d'eux et de leur religion. Si je les voulois mettre en place je n'aurois jamais fait. Voilà pourquoy les veufves doivent estre sages, et ne braire tant au commencement de leur veufvage, de crier, de tourmenter, de faire tant d'éclairs, de tonnerres, pluyes de leurs larmes, pour après faire ces belles levées de bou- cliers, et s'en faire moquer: il vaut mieux en dire moins et en faire plus. Hlais elles disent là-dessus : « Et bien, pour le commen- cement il faut faire de la résolue comme un meurtrier, de l'ef- frontée, de l'asseurée à boire toute honte. Cela dure quelque peu, mais cela passe; après qu'on m'a mis sur le bureau, on me laisse et en prend-on une autre. »

— J'ay leu dans un petit livre espagnol, de Victoria Colonne, fille de ce grand Fabrice Colonne, et femme de ce grand marquis de Pescaire, le non-pair de son temps. Après qu'elle eut perdu son mary. Dieu sçait qu'elle entra en tel désespoir de douleur, qu'il fut impossible de lui donner ni innover aucune consolation; et quand on luy en vouloit à sa douleur appliquer quelqu'une ou vieille ou nouvelle, elle leur disoit : « Et sur quoy me voulez- » vous consoler? sur mon mary mort? vous vous trompez : il n'est » pas mort, car il est encore tout vivant et tout grouillant dans » mon ame. Je l'y sens tous les jours et toutes les nuicts revivre, » remuer et renaistre. » Ces paroles certes eussent esté belles, si au bout de quelque temps, ayant pris congé de luy, et l'ayant en- voyé pourmener par de -là VAchéron, elle ne fust remariée avec l'abbé de Farfe, certes fort dissemblable à son grand Tescaire. Je ne veux point dire en race, car il estoit de la noble maison des Ursins, laquelle vaut bien autant, et est autant ancienne ou plu que celle d'Avalos. Mais les effets de l'un à l'autre n'alloient à la balance, car ceux de Pescaire esloient incomparables, et sa valeui inestimable : encore que le dit abbé fist de grandes preuves de sa personne en «'employant fort fidèlement cl vaillamment pour le


DISCOURS IV. 543

service du roy François ; mais c'estoit en forme de petites, cou- vertes et légères deffailes, et contraires à celles de l'autre, puisqu'il les avoil faites grandes, descouvertes, avec des victoires tréa-si* gnalécs : aussi la profession des armes de l'autre, accommencée et accoustumée dès le jeune aage et continuée ordinairement, devoii bien surpasser de Lien loin celle d'un homme d'église, qui lard (s'estoit mis au mcsiier : non que je veuille pour cela nial-dire d'aucuns voiiez à Dieu et à sou église, qu'ils ont rompu le vœu et quitté la profession pour empoigner les armes, car je ferois tort à tant de braves capitaines qui l'ont esté et ont passé par-là.

César Borgia, duc de Valenlinois, n'a-t-il pas esté auparavant cardinal, qui a esté un si grand capitaine, que M;icliiavel, le véné- rable précepteur des princes et des grands, le met pour exemple et pour rare miroir à tous les auires pareils, de l'ensuivre et s'y mirer? A'ous avons eu M. le maresclial de Foix, qui a esté d'église, et se nommoil avant le prolo-nolaiie de Foix, qui a este un Irès- grand capitaine. M. le mareschal Strozzy esloil voué à l'église; et pour un chapeau rouge qui luj lut deiuié, quitta la robbe, et se mil aux armes. M. de Salvçftson, dont j'ay parlé (qui l'a suivy de près, voire en titre de grand capitaine eust marché avec lu} s'il eust esté d'aussi grande maison, et parent de la ReyneJ, fusi, en sa première profession, traisiiani lu robbe longue ; et pourtaul quel capitaine a-t-il esté? Co fusl esté l'incomparable s'il eust plus vescu. Le mareschal de Beliegarde n'a-t-il pas porté le bonnet quarré, qu'un long temps ou appelloil le Prévost d'Ours? Feu M. Danguien (l), qui mourut en la bataille de Saincl-Quenlin, avoiteslé évesque; M. le chevalier de Bonnivel de mesme. Et ce g:ilant homme, M. de Marligues, avoil esié aussi d'église; bref, infinité d'autres, desquels je ne pourrois emplir ce papier. Si faut- il que je loue les miens, et uon sans un irès-grand sujet. Le capi- taine Bourdeille, mon trere, le Rodomont jadis du Piedmont, en tout fut dédié à l'église aussi ; mais n'y connoissant son naturel propre, changea sa grande robbe à une courte, et en un tourne- main se rendit un des bons capitaines et vaillants du Piedmont, e' s'en alljii très-^ranJ et une irès-belle vogue, sans qu'il mourut, hélas I en l'âge de vingt-cinq ans. Denoslre temps, en nostre Cour, nous en avons tant veus, et n.esnie le petit monsieur de Clermont- Tallard, lequel j'ay veu abbé de BourFort, et depuis, a^ant quiilé

(1] D'Enghien.


244 VIES DES DAMES GALANTES.

l'abbaye, a esté veu parmy nos armées et en nosire Cour, un des braves, vaillants et honnesles hommes que nous eussions ; ainsi qu'il le raonstra très-bien à sa mort, qu'il acquit si glorieusement ï la Rochelle, la première fois que nous enlrasmes dans le fossé. l'en nommerois une milliasse; mais je n'aurois jamais fait. M. de Souillelas (l), dit le jeune Oraison, avoit esté évesque de Rieux, et depuis eust un régiment, servant le Roy fort fidèlement et vail- lamment en Guyenne, sous le mareschal de Matignon. Bref, je n'aurois jamais fait si je voulois nombrer tous ces gens : parquoy je me lais pour la briefveté, et de peur aussi qu'on ne m'impute que je suis trop grand faiseur de digressions. Pourtant j'ay fait' celle-cy à propos, en parlant de celte Victoria Colonna, qui espousa cet abbé. Si elle ne se fust remariée avec luy, elle eust mieux porté titre et nom de Victoria, pour avoir esté victorieuse sur soy-mesme ; et que puis qu'elle ne pouvoil rencontrer un second pareil au pre- mier, se devoit contenir.

J'ay cogneu force dames qui ont imité cette précédente. J'en ay veu une qui avoit espousé un de mes oncles, le plus brave, le plus vaillant, le plus parfait qui fust de son temps. Après qu'il fust mort, elle en espousa un autre qui le ressembloil autant qu'un asne à un cheval d'Espagne ; mais mon oncle esloii le cheval d'Es- pagne. Une autre dame ay-je cogneu, qui avoit espousé un ma- reschal de France, beau, honnesie gentilhomme et vaillant : en secondes nopces, elle en alla prendre un tout contraire à celuy-là, et avoit esté aussi d'église. Une veufve ay-je cogneue, venant à mourir son mary, elle fil l'espace d'un an des lamentations si de- sespérées, qu'on la pensoil voir morte à toute heure de champ^_ Au bout de l'an qu'il faloit laisser son grand deuil, et prendre le petit, elle dit à une de ses femmes : a Serrez-moi bien ce crespe, » car possible en auray-je affaire un autre coup ; » et puis tout-à- coup se reprit : « Mais qu'ay-je î dit-elle. Je resve, plustost mou- » rir que d'en avoir jamais affaire. » Au bout de son deuil, elle se remaria à un second, fort inesgal au premier. « Mais disent-elles, » ces femmes, il esloit d'aussi bonne maison que le premier. » Ouy, je le confesse ; mais aussi, où est la vertu et la valeur ? ne sont -elles pas plus à priser que tout? Et le meilleur que je trouve

(l) André de Soleillai, évêque de fliei en Provence, en 1576. Il avait une mai- tresse ]ni contrefaitoit la bigote, mais dont l'Iiypocrisie ne trompa pas lo roi Henri IV. Ce prince reprochoit plaisamment à cette dame ses amours, en lui disant qu'elle ne ie plaisait qu'au jeûne et à l'oraison.


DlSCOlrtS IV. 14»

en cela, c'est que le coup fait, elles ne l'emportent guères loin; car Dieu permet qu'elles sont maltraitées et rossées comme il faut: après, les voilà aux repeniailles; mais il n'est plus temps. Ces da- mes ainsi convolantes ont quelque opinion et humeur en leur teste, que nous ne savons pas bien : comme j'ai ouy p:irler d'une dame espagnole, qui se voulant remarier, et qu'on lui remonslroit que deviendroii l'amitié grande que son mary lui avoit porté, elle res- pondit : La muerte del marido, y nuevo casamiento no han de ramper el amor d'una casta muger ; c'est-à-dire : « La mon du « mary et un nouveau mariage ne doivent point rompre l'amour » d'une femme chaste. « Or accordez-moy ces deux contraires, s'il vous plaist. Une autre dame espagnole dit bien mieux, qu'on vouloil remarier : Si hallo un marido bueno, no quiero tener el temor de perdcr lo ; y si malo, que necessidad ay del ; c'est-à- dire : «Si je trouve un bon mary, je ne veux point estre en la crainte de le perdre ; si un mauvais, quelle nécessité ai-je de l'avoir?

— Valeria, dame romaine, ayant perdu sou mary, et ainsi que la reconfortoient aucunes de ses compagnes sur sa perle et sa mon, elle leur dit : « Il est mort certes pour vous autres, mais il » vit en moy éternellement. » Cette marquise, que je viens de dire, avoit emprunté d'elle pareil mot. Ces dires de ces honnesies dames sont bien contraires à un qui me dit, en parlant espagnol, que la Jornada de la biudez d'una muger es d'una dia; c'est-à- dire : que la journée du veufvage d'une femme se fait tout en un » jour. M Aucunes sont-là logées, d'autres non. Mais que dirons- nous des femmes veufves qui cachent leur mariage, et ne veulent qu'il soit publié ? J'en ai cogneu une qui tint le sien sous la presse plus de sept ou huit ans, sans le vouloir jamais faire imprimer, ny le publier : el disoit-on qu'elle le faisoit de crainte qu'elle avoit de son jeune fils, qui estoit un de ses vaillants el honnesies hom- m es du monde, et qu'il ne fist du diable, et sur elle el sur l'homme, 1.0 core qu'il fust bien grand. Mais, aussi-tost qu'il vint à mourir a une rencontre de guerre qui le couronna de beaucoup de gloire, aussi-tosl elle !e fit imprimer et mettre en lumière. J'ay ouy parler d'une grande dame veufve, qui est mariée à un très-grand prince il seigneur, veuf il y a plus de quinze ans ; mais le monde n'en ï-çait ny n'en connoisl rien, tant cela est secret et discret : et di- i.oii-0'i que le seigneur craignoit sa belle-mère, qui luy estoit fort impérieuse, et ne vouloil qu'il se remariast à cause de ses petits en fa ils.

14.


446 VIES DES DAMES GALANTES.

— J'ay ouy raconter à une dame de grande qualité et ancienne, que feu M. le cardinal du Bellay avoit espousé, estant évesque et cardinal, madame de Chasiillon , et est mort marié : et le disoil sur un propos qu'elle tenoil à M. de Manne, Provençal, de la mai- son de Seulal et évesque de Frejus, lequel avoit suivy l'espace de quinze ans en la Cour de Rome ledit cardinal, et avoit esté de ses privez protonotaires : et, venant à parler dudit cardinal, elle lui demanda s'il ne luy avoit jamais dit et confessé qu'il euçt eslé marié. Qui fut estonné? ce (ut M. de Manne de telle demande. Il est encore vivant, qui pourra dire si je mens; car j'y eslois. Il respondit que jamais il n'en avoit ouy parler, ny à lui ny à d'au- tres. « Or, je vous l'apprens donc, dit-elle ; car, il n'y a rien de » si vray qu'il a eslé marié : » et est mort marié réellement avec ladite dame de Chasiillon. Je vous asseure que j'en ris bien, con» templanl la contenance eslonnée dudit M. de Manne, qui estoit fort conscienlieux et religieux, qui pensoit savoir tous les secrets de son feu maistre ; mais il esloit de Gallice pour celuy-là : aussi estoit-il scandaleux, pour le rang sauii qu'il lenoit. Cette madame de Chasiillon estoit la veufve de feu M. Chasiillon, qu'on disoil qui gouvernoit le petit roy Charles huitiesme avec Bourdillon et Bon- neval, qui gouvernoienl le sang royal. Il mourut à Ferrare, ayant esté blessé au siège de Ravenne, et là fut porté pour se faire pen- ser. Celle dame demeura veufve fort jeune et belle, sage et ver- ilieuse, et pour cela fut eslue pour dame d'honneur de la feue -çyne de Navarre. Ce fut celle-là qui bailla ce beau conseil à cette Jame et grande princesse, qui est escrit dans les Cent Nouvelles de ladile Reyne, d'elle et d'un gentilhomme qui avoit coulé la nuict dans sou lit par une trapeile dans la ruelle , et en vouloit jouir ; mais il n'y gagna que de belles esgratigneures dans son beau visage ; elle s'en voulant plaindre à son frère, elle luy fil cette belle remonslrance qu'on verra dans celle Nouvelle, et lui donna ce beau conseil, qui est un des beaux et des plus sages, el des plus propres pour fuyr scandale, qu'on eust sceu donner, et fusl-ce eslé un premier président de Paris, et qui monstroit bien pourtant que la dame esloit bien autant rusée et fine en tels mystères, que sage el advisée : et pour ce, ne faut douter si elle tint son cas se- cret avec son cardinal. Ma grande-mère, madame la séneschalle do Poilou, eut sa place après sa mort, par l'élection du roy Fran* çois, qui la nomma et l'esleut, el l'envoya quérir jusques eu sa maison, et la donna de sa mam à la Reyne sa sœur, pour la coo-


DISCOURS IV. 247

noistre très-siu^e et très-vertueuse dame, mais non si fine, ny ru- sée, ny accorte en telle chose que sa précédente, ny convolée en secondes nopces. Et si voulez sçavoir de qui la nouvelle s'entend, c'estoil de la reyne mesmes de Navarre, et de l'amiral de Bonnl- vet, ainsi que je tiens de ma feue grande-mère : dont pourtant me semble que ladite reyne n'en devoii céder son nom, puis que l'autre ne peut rien gagner sur sa cliasieié, et s'en alla en confu- sion, et qui vouloit divulguer le fait, sans la belle et sage remons- irance que lui fit celle ilile dame d'honneur madame de Chas- lillon ; et quiconque l'a leue la trouvera telle ; et je crois qua M. le cardinal, son dit mary, qui esloit l'un des mieux disants, sçavanls, éloquents , sages et advisez de son temps, luy avoit mis cette science dans le corps , pour dire el remonslrer si bien. Ce conte pourroit être un peu scandaleux, à cause de la sainte et re- ligieuse profession de l'autre ; mais, qui le voudra faire, il faut qu'il desguise le nom. El si ce trait a esté tenu secret touchant ce mariage, celuy de M. le cardinal de Chasiillon dernier n'a pas esté de même ; car il le divulgua et publia luy-mesme assez, sans em- prunter de trompette, el est mort marié sans laisser sa grande robbe et bonnet rouge. D'un coslé, il s'excusoit sur la religion réformée, qu'il tenoit fermement ; et de l'autre, sur ce qu'il vouloit tenir son rang tousjours et ne le quitter (ce qu'il n'eust fait autrement), et entrer en conseil, là où entrant il pouvoil beaucoup servir à sa ' religion et à son parly, ainsi que certes il esloit très-capable, très-suffisani et très-grand personnage. Je pense que mondii sieur cardinal du Bellay en a peu faire de mesme ; car, de ce temps-la, il penchoit fort à la religion et doctrine de Luiher , ainsi que la cour de France en estoit un pe u abreu vée ; car toutes choses nou- velles plaisent, et aussi que ladite dame doctrine licentioil assez gentiment les personnes , et mesme les ecclésiastiques , au ma- riage. Or, ne parlons plus de ces gens d'honneur, pour la ré- vérence grande que nous devons à leur ordre et à leurs saints grades.

— Il faut un peu mettre sur les rangs nos vieilles veufves qui n'ont pas six dents en gueule, el qui se remarient. Il n'y a pas longtemps qu'une dame, veufve de trois marys, espousa en Guyenne pour le quatriesme un gentilhomme qui lient assez quelque grade, elleestaiit de l'ago de quatre-vingts ans. Je ne sçay pas pourquoy elle le faisoil (car elle esloit très-riche et avoil force escus), dont pour ce le gentilhomme la pourchassa, si ce n'estoit qu'elle ne se


«48 VIES DES DAMES GALANTES.

vouloit encore rendre, et vouloil encore fringuer sur les lauriers (l), comme disoit mademoiselle Sevin, la folle de la reyne de Navarre.. J'ay cogueu aussi une grande dame qui, eu l'âge de soixante- seize ans, se remaria et espousa un gentilliomme qui n'estoit pas de la qualité de son premier, et vesquit cent ans, et pourtant s'y entretint belle; car elle avoiteslé des belles femmes en son temps, et avoit bien fait valoir son jeune et gentil corps en toutes façons, et à marier, et mariée, et veufve, ce disoil-on. Voilà deux terribles humeurs de femmes 1 il falloit bien qu'elles eussent de la chaleur; aussi ay-je ouy dire aux bons et experts fourniers qu'un vieux four est plus aisé à s'eschauffer beaucoup qu'un neuf, et quand il est une fois eschauffé, il garde mieux sa chaleur et fait meilleur pain. Je ne sçay quels appétits savoureux y peuvent prendre leurs cha- lanls et amoureux ; mais j'ay veu beaucoup de galants et braves gentilshommes aussi affectionnez à l'amour des vieilles, voire plus que des jeunes, et si me disoil-on que c'estoit pour eu tirer des comniodiiez. Aucuns en ay-je veu aussi qui les aimoienl d'une très- ardente amour , sans en tirer rien de leur bourse, sinon de leur corps ; ainsi que nous avons veu autrefois un très-grand prince souverain (2) qui aimoit si ardemment une grande dame veufve âgée, qu'il quitloit sa femme et toutes autres, tant belles fussent- elles et jeunes, pour coucher avec elle. Mais en cela il avoit rai- son car c'estoit une des belles et aimables dames que l'on eust sceu voir; et son hyver valoit plus certes que les printemps, estez et automnes des autres. Ceux qui ont pratiqué les courtisannes d'I- tahe, aucuns a-t-on veu et voit-on choisir tousjours les plus fameu- ses et antiques et qui ont plus traisné le balel, pour y trouver quelque chose de plus gentil, tant au corps qu'en l'esprit. Voilà pourquoy cette gentille Gléopâlre, ayant esté mandée par Marc An- toine de le venir trouver, ne s'en esmeul autrement, s'asseuranl bien que, puisqu'elle avoit sceu attraper Jules César et Cnejns Pompejus, fils du grand Pompée, lorsqu'elle estoit encore jeunette fi Telle, et ne sçavoil encore bien que c'estoit de son monde ny di3 son mestier, qu'elle meneroit bien autrement son homme, qui esioil fort grossier, et sentant son gros gendarme, elle estant en la

(1) Fringuer, dans Oudin , c'csl Ici far l'alto venero. Celle veufve, non contente d'avoir triomplié de trois maris , vouloit eucore combalire sur cette même couche, déjà jonchée des lauriers qu'elle avoit remportés de ses vicloircs passées.

[1] Henri 11, <|ui préicroit à la reine sa femme, qui eloit jeune, la ducheteede Valentiuois dcià vieille, et qui avait été la maîtresse du roi son oère.


DISCOURS IV. 249

vigueur de son eolendement et de son âge, comme elle fit Aussi , pour en parler au vray , si la jeunesse est propre pour l'amour à aucuns, à d'autres la maturité d'un âge, d'un bon esprit et longue expérience, et d'un beau parler, de longue main pratiqués, servent beaucoup pour les suborner.

Un doute y a-t-il que j'ay demandé autrefois à des médecins, d'un qui disoil pourquoy il ne vivoit plus longuement, puis qu'en sa vie il n'avoit tenu ny touché vieille, sur cet aphorisme des mé- decins qui disent : velulam noncognovi (l), avec d'autres quoli- bets. Certes, ces médecihs m'ont dit un proverbe ancien qui di- soil : « qu'en vieille grange l'on bat bien; mais de vieux fléaux « on n'en fait rien de bon. » Aussi un autre : o 11 n'en chaut quel » âge la besle ait, mais qu'elle porte. » Et aussi que par expérience ils oui connu des vieilles si ardentes et chaudasses, que, venant à habiter avec un jeune homme, elles en tirent ce qu'elles en peu- vent, et l'alambiquent tant qu'il a de substance ou de suc dans le corps, afin de se humecter mieux : je dis celles qui, pour l'amour de l'âge, sont asseichées et ont faute d'humeurs. Lesdits médecins me disoieot autres raisons; mais aux plus curieux je les laisse à leur demander.

— J'ay veu une vieille veufve, dame grande, qui mit sur les dents, en moins de quatre ans, et son troisiesme mary et un jeune gentilhomme qu'elle avoit pris pour son amy; et les renvoya dans la terre, non par assassinat ny poison, mais par atténuation et alambiquement de leur substance. Et, à voir celle dame, onn'eust jamais pensé qu'elle eust fait le coup; car elle faisoit devant les gens plus de la dévote, de la marmiteuse et de l'hypocrite, jusques- là qu'elle ne vouloit pas preiîïrésa chemise devant ses femmes, de peur de la voir nue; ny pisser devant elles : mais, comme di- soil quelque dame de ses parentes, qu'elle faisoit ces difficultez à ces femmes et point à ses galands. IVIais quoy, est-il plus deffen- sible et plus loisible à une femme d'avoir eu plusieurs marys en sa vie, comme il y en eu prou qui en ont au trois, quatre et cinq, ou bien à une autre qui en sa vie n'aura eu que son mary et un amy, ou deux, ou trois? comme certes j'en ay cogneu aucunes continentes et loyales jusques-là ? El en cela j'ay ouy dire à une' grande dame de par le monde, qu'elle ne metioit aucune différence entre une dame qui avoit eu plusieurs marys et une qui n'avoit eu

(1) le n'ai point connu la vieille.


350 VIES DES DAMES GALANTES.

qu'un amy ou deux, avec son niary, si ce n'esl que ce voile ma- rital cache tout ; mais, quant à la sensualité et lascivelé, il n'y a pas différence d'un double ; e!, ev cela pr:iliquenl le refrain espagnol, qui dit que algunas mugeres son de natura de auguillas en re- tener y de lobas en excoger; c'est-à-dire : « de nature des an- » guilles à retenir, et des louves à choisir; » car l'anguille est fort glissante et mal tenable, et la louve choisit tousjours le loup le plus laid.

— Il m'advint une fois à la Cour, qu'une dame assez grande, qui avoit esté mariée quatre fois, me vint dire qu'elle venoit de disner avec son beau-frère, et que je devinasse avec qui, et me le disoit naïvement sans y songer malice ; et moy. un peu mnlicieu- sèment, et riant pourtant, je luy respondis : « Et qui diable se- » roit le devin qui le pourroit deviner? Vous avez esté mariée » quatre fois : je laisse à penser au monde la qualité des beaux- » frètes que vous pouvez avoir. » Alors elle me respondil, et répli- qua : « Vous y songez en mal, » et me nomma le beau-frère, « C'est bien parlé, lui répliquay-je, cela ; mais non comme vous parliez. »

— Il y eut jadis à Rome (l) une dame qui avoit eu vingt-deux marys l'un après l'autre, et pareillement un homme qui avoit eu vingt-une femmes, dont ils s'advisèrent tous deux, pour faire un bon concert, de se remarier ensemble. Le mary à la fin survesquit sa femme : en quoy le mary fut tellement estimé el honoré dans Rome de tout le peuple, d'une si belle victoire, que comme victo- rieux, il fut mené el pourmené en un char triomphant, couronné de lauriers et la palme en main. Quelle victoire, et quel triomphe!

— Du temps du roi Henry, en sa Cour fut le seigneur de Bar- bazan, dit Saint-Anian, qui se maria par trois fois l'une après l'autre. S^ troisiesme femme estoii fille de madame de Moue hy, gouvernante de madame de Lorraine, qui, plus brave que les deux premières, eut raison de luy, car il mourut sous elle ; et, ainsi qu'on le plaignoit à la Cour, et qu'elle de mesme se desc on- fortoit outrageusement de sa perte, M. de Montpesat , qui disoit très-bien le mot, alla rencontrer qu'au lieu de la plaindre on la devoit exalter et louer beaucoup de sa victoire qu'elle avoit eu sur son homme, qu'on disoit qu'il estoit si vigoureux et si fort et enTitaillé, qu'il avoit fait mourir ses deux premières femmes de

, |t) Environ l'an 400 ilc l'ère chrétienne , saint Jérôme vit 1rs funérailles de h I feaime, et c'est lui qui rapporte le fait en question. Epitt, XCI ad Âgeruchtam, I de Uonogamid.


DISCOURS IV 251

force de leur faire ; et cette-cy, ne s'estre rendue au combat, mais demeurée victorieuse, devoit estre louée et admirée par la Cour» pour si belle victoire d'un si vaillant et robuste champion, et pour ce elle-mesme devoit s'en tenir très-glorieuse. Quelle gloire!

— J'ay ony tenir cette raesme maxime de cy-devant d'un sei- gneur de France, qu'il ne melioit pas plus de différence entre une femme qui avoil eu quatre ou cinq marys, et une putain qui a eu quatre serviteurs l'un après l'autre; si-non que l'une se colore par le mariage, et l'autre point. Aussi un galant homme que je sçay, ayant espousé une femme qui avoit été mariée trois fois, il y eut quelqu'un que je sçay, qui disoit bien : « Il a espousé, dit-il, en- » fin une putain sortant du Ix^rdel de réputation. » Ma foy, telles femmes qui se remarient ressemblent les chirurgiens avares, les- quels veulent tout à coup resserrer les plaies d'un pjuvre blessé, afin d'allonger la guérison et en gagner tousjours mieux la petite pièce d'argent. Au>si, se disoit une : « Il n'est beau de s'arrêter » au beau mitan de la carrière; mais il la faut achever, et aller » jusques au bout. » Je m'estonne que ces femmes, qui sont si chaudes et promptes à se remarier, et mesme si surannées,, n'u- sent pour leur honneur de quelques remèdes réfrigéraiifs et po- tions tempérées, pour ex^eHer^touies ces chaleurs; mais tant s'en faut qu'elles en veulent user, qu'elles s'en aident du tout de leur contraire. J'ai veu et leu un petit livret d'autrefois, en italien, sot pourtant, qui s'est voulu mesler de donner des receptes contre la luxure, et en met trente-deux; mais elles sont si sottes que je ne conseille point aux femmes d'en user, pour ne mettre leur corps à trop fascheuse subjeclion. Voilà pourquoy je ne les ay mises icy par escrit. Pline en allègue une, de laquelle usoient le temps passé les vestales; et les dames d'Athènes s'en servoient «jbssi durant les fêtes de la déesse Cérès, dites Themnphoria (l), pour se re- froidir et ester tout appétit chaud de l'amour, et par ce vouloieut célébrer cette feste en plus grnnde chasteté, qu'estoient des pail- lasses de feuilles d'arbre dit agnns castus. Mais pensez que durant la feste elles se chastroieni de cette façon, et puis après elles jet- toient bien la paillasse au vent. J'ay veu un pareil arbre en une maison en Guyenne, d'une grande, honneste et très belle dame, et qui le monstroit souvent aux estrangers qui la venoient voir, par grande sp^é ciâuté , et leur en disoit la propriété : mais au diable

(1) Tht$mophMri4i.


252 VIES DES DAMES GALANTES.

si j'ay jamais veu ny ouy dire que femme ou dame en ait encore osé cueillir une seule branche, ny fait pas seulement un peiil re- coin de paillasse, non pas même la dame propriétaire de l'arbre et du lieu, qui n'en eust peu disposer comme il luy eusl pieu. Ce fust esté aussi dommage, car son mary ne s'en fust pas mieux trouvé : aussi qu'elle valoit bien que l'on laissast se régler au cours de la nature, tant elle estoit belle et agréable, et aussi qu'elle a fait une très-belle lignée. Et pour dire vray, il faut laisser et or- donner telles receptes austères et froides aux pauvres religieuses, lesquelles, encore qu'elles jeusnent et macèrent leurs corps, si sont-elles souvent assaillies, les pauvrettes des tentations de la chair ; et si elles avoient liberté au moins aucunes, elles se vou- droient rafraischir comme les mondaines ; et bien souvent pour s'eslre repenties se repentent, ainsi qu'on voit les courtisa nnes de Rome, dont j'en allégueray un plaisant conte d'une, laquelle s'es- tant vouée au voile, avant qu'aller au monastère, un sieur ami, gentilhomme français, la vint voir pour luy dire adieu puisqu'elle s'en alloit estre recluse; et avant que s'en aller, la pria d'amour; et la prenant, elle luy dit : Fate dunque presto ; cKadesso mt verrano cercar perfarmi monaca, e menare al monasterio (i), Pensez qu'elle voulut faire ce coup pour prendre sa dernière main, et dire : Tandem hœc olimmeminissejuvabit ; c'est-à-dire : « Encore me fait-il grand bien de m'en ressouvenir pour la dernière fois. » Quelle repentance et quelle intrade de religion! Et quand une fois elles y ont esté professes, au moins les belles, je dis au- cunes, je croy qu'elles vivent plus de repentance que de viandes corporelles ny spirituelles. Dont aucunes y a qui sçavent y remé- dier, ou par dispenses et par pleines libériez qu'elles prennent d'elles-mesmes ; car on ne les traite icy comme les Romains le temps passé traitoient cruellement leurs vestales quand elles avoient forfait; ce qui estoit une chose horrible et abominable : aussi es- toienl-ils payens, et pleins d'horreurs et de cruautez; nous autres chrestiens, qui en suivons la douceur de nostre Christ, devons es- tre bénins comme luy ; et comme il nous pardonne, il faut que nous pardonnions. Je mettrois icy par escrit la façon de laquelle ils ies traitoient ; mais je la laisse au bout de la plume. Or laissons ces pauvres âmes, que, ma foy, quand eJles sont-là une fois renfer-


(1) Dépêcbei-vous donc, car ils vonl me wnir cberoher pour me faire religieue, et m'emmeoer au couvent.


I DISCOURS IV. -n^

mées. elles endurent assez de mal ; ainsi que dit une fois unedume d'Espagne, vcyanl mettre en religion une fort belle et bouneMe damoiselle : tristezilla, y en quepecaste, que tum presto ne- nés à penitentia, y seys metida en sepuUura viva ! c'esl-à-dire : c pauvre misérable, en quoi avez-vous tant péché, que si pres- » temeni vous venez à pénitence, et estes mise toute vive en sé- » puilurel » Et voyant que les religieuses luy faisoient toutes les bonnes clieres, recueils et honneurs du monde, elle dit.gt<e todo le hedia, hasla elenccnsio de la yglesia; c'est-à-dire,: « que tout luy puoil, jusqnes à l'encens de l'église. »

— Une question y a-t-il que je voudrois qui me fust dissolue, en toute vérité et sans dissimulation, par aucunes dames qui ont fait le voyage ; à sçavoir, quand elles sont remariées, comment elles se comportent à l'endroit de la mémoire des premiers marys. En cela 1 y a une maxime • que les dernières amiliez et inimiliez font oublier les premières ; aussi les secondes nopces ensevelissent ler premières. Sur quoy j'ailégueray un exemple plaisant, non pour tant qu'il doive eslre fort aulhorisable ; si est-ce qu'on dit que sous un lieu obscur et vil encore la sapience et science s'y cache. Une grande dame de Poictou demandant une fois à une paysanne, sienne tenancière, combien de marys elle avoit eus, et comment elle s'en esloil trouvée, elle, faisant sa petite révérence à la pi- taude, luy respondit de sang froid : « Je vous dirai, madame, j'ay » eu deux marys, grâce à Dieu. L'un s'appoioit Guillaume, qui » esloit le premier; et le second s'appeloit Col:is. Guillaume estoit T» bon homme, aisé de moyens, et me traitoit fort bien ; mais Dieu » pardonne à Colas, car Colas me le fuisoit bien. » Mais elle disoit tout à trac ce qui se commence par f., sans le déguiser ou farder comme je le déguise. Voyez, s'il vous plaist, comme celte maraude prioit Dieu pour l'nme du Irépaîsé bon compagnon, et, s'il vous plaist, sur quel sujet, et du premier mérite. Je penserois que df mesmes en font plusieurs dames convolantes et revolantes; car, puisqu'elles en vietinenl là, c'est pour ce grand point; et, peur ce, qni le joiie le mieux est le plus aimé. Et volontiers 'croyent que le second doit faire rage; mais bien souvent aucunes sont trompées, car elles ne trouvent en leurs boutiques rassortiment qu'elles y pensoieutlrouvi-r, ou bien à d'aucunes, s'il y en a, il est si chelifet usé et gasiô, flasque et foulé et iusche, qu'on se repend d'y avoir mis soc denier; comme j'en ay veu force exemples que je ne vjux «Uéguer, car il est temps, ce me semble, de faire On ou jamais non.

n


254 VIES DES DAMES GALANTES.

— D'autres daines y a-t-il qui disent qu'elles aiment mieux leurs derniers marys de beaucoup que les premiers : « D'autant, » m'ont dit aucunes, que les premiers que nous espousons, le plus « souvent nous les prenons par le commandement de nos roys et » reynes maistresses, par la coiilrainle de nos pères et mères, pa- ». rents, tuteurs, non par la volonté pure de nous aulres : au lieu M qu'en nos viduilez, comme très-bien émancipées, nous eu faisons » telle élection qui nous plaist, et ne les prenons que pour nos » beaux et bons plaisirs, et par amourettes, et à nostre gentil » contentement. » Ceriainemenl il peut y avoir de la raison, si ce n'estoit que bien souvent les amours qui s'accommencent par anneaux se finissent par couleaux, ce dit un vieux proverbe, ainsi que tous les jours nous en voyons les expériences et exemples d'aucunes, qui pen sants, estre bien traitées de leurs bommes, qu'elles avoient tirez de la justice et du gibet, de la pauvreté, de la chetiverie du bordel, et eslevez, les battoieni, rossoient, les iraitoient fort mal, et bien souvent leur ostoient la vie, dont en cela c'esloit juste punition divine, pour avoir esté par trop in- grates à leurs premiers marys, qui leur estoient par trop bous et en disoient pis que pendre. Et ne ressembloient pas à une que j'ay ouy raconter, laquelle la première nuict de ses nopces, ainsi que son mary la commençoit à assaillir, elle se mil à pleurer et souspi- rer bien fort, si bien que tout à un coup elle faisoit deux choses fort contraires. Son maiy luy demandoit ce qu'elle avoit à s'attris- ter, et s'il ne s'acquittoit pas bien de son devoir. Elle luy respondit : « Hélas prou : mais je me ressouviens de mon mary, qui ra'avoit » tant priée et repriée de ne me remarier jamais après sa mort, j» et que j'eusse souvenance et pitié de ses petits enftints. Hélas I » je voy bien que j'en auray encor tant de vous. Hé, que feray-je ! 9 Je croy que s'il me peut voir du lieu où il est maintenant, il me » maudit bien. » Quelle humeur de n'avoir point songé à telles considérations, ny avoir esté sage, si-non après le coup 1 Mais le mary, l'ayant appaisée et fait souvent passer celle fantaisie par le trou lu milieu, le lendemain matin, ouvrant la feneslre de la cham- bre, envoya dehors toute la mémoire du mary premier ; car se disoit un grand proverbe ancien, que femme qui enterre un mary ne se soucie plus d'en enterrer un autre : et aussi un autre qui dit: Plus de mine en une femme perdant son mary, que de mé- lancolie.

— J'ay cogneu une autre veufve, grande dame, bien contraire


a.


DISCOURS IV. 255

à cette-cy, qui ne pleura ainsi ; car, la première nuicl et seconde de ses nopces, elle se conjoignil lellemenl avec son mary second, qu'ils enfoncèrent et rompirent le chaslis, encore qu'elle eust une espèce de cancre à un télin ; et nonobstant son mal, ne laissa d'un seul point son amoureux plaisir, l'entretenant par après souvent de la sotiise et inhabilité de son premier mary. Aussi, à coque j'ay ouy dire à aucuns et aucunes, c'est la chose que les seconds marys veulent le moins de leurs femmes, qu'elles les entretiennent de la vertu et valeurs de leurs premiers marys, comme estants jaloux des pauvres trépassez, qui y songent autant comme de re- venir en ce monde : d'en dire mal tant que l'on voudra. Si en a- t-il force pourtant qui leur en demandent des nouvelles; mais, comme se sentant fort vigoureux et forts, et faisans comparaisons, les interrogent de leurs forces et vigueurs en ces douces charges, comme j'ay ouy dire à aucuns et aucunes, lesquelles, pour leur faire trouver meilleur, leur font accroire que les autres n'estoient qu'ap- prentifs, dont bien souvent elles s'en trouvent mieux. Autres di- soient le contraire, et que les premiers faisoient rage, afin de faire efforcer les derniers à faire les asnes desbalez. Telles femme? veufves seroient bonnes à l'isle de Chio, la plus belle isle et gen- tille et plaisante du Levant, jadis possédée des Gennois, et depuis trente-cinq ans usurpée par les Turcs, dont c'est un grand dom- mage et perte pour la chreslienté. En cesie isle donc, comme je tiens d'aucuns marchands gennois, le coustume est que si une femme veut demeurer en viduïlé, sans aucuns propos de se rema- rier, le seigneur la contraint de payer un certam prix d'argent, qu'ils appellent argomoniatique, qui vaut autant dire (sauf l'hon- neur des dames) c reposé et inutile. Je leur ay demandé sur quoy cette coutume pouvoil estre fondée : ils me respoudirent que pour tousjours mieux repeupler l'isle. Je vous assure que noslre France ne demeurera donc indeserte ny infertile par faute de nos veufves qui ne se remarient point; car je pense qu'il y en a plus qui se remarient que d'autres, et par ce ne payeront de tribut du. c. inutile et reposé; que si ce n'est par le mariage, pour le moins autrement qu'ils le font travailler et frudiiier, comme j'espère de dire. Non plus ne payeront aussi aucunes de nos filles de France' qu eceiles de Chio, lesquelles, soit des chajTips ou de ville, si elle» laissent perdre leur pucelage avant que d'eslre mariées, et qu'elles veulent continuer le meslier sont tenues de bailler pour une fois un ducat ((iont c'est un très-bon marché pour faire cela toute leur vie)


256 VIES DES DAMES GALANTES.

au capiiaine de la nuict, afin de le pouvoir faire à leur plaisir, sani: aucune crainte et danger; et en cela gist le plus grand et asseuré gain qu'ait le gentil capitaine en son Estât.

— Il ne fut jamais que les Grecs n'eussent tousjours quelques inventions tendantes à la puillardise; comme le temps passé nous lisons de la coustume de l'isle de Cypre , qu'on dit que la bonne dame Vénus, patronne de-là, introduisit une loy que les filles de-là falloil qu'elles allassent se pourmenanls le long des rivages, costes et orées de la mer, pour gagner leur ma- riage par la libéralité de leurs corps aux mariniers, passants ot navigeants , qui descendoienl exprès , voire bien souvent se destouriioient de leur chemin droit de la boussole pour pren- dre la terre, el là, prenants leurs petits rafraischissemenls avec elles, les payoient très-bien, el puis s'en alloient les uns à re- gret pour laisser telles beautez ; el par ainsi ces belles filles ga- gno'.eiil leurs mariages, qui plus qui moins, qui bas qui haut, qui grand qui pelil, selon les beautez, qualitez et tentations des lilaudes.

— Aujourd'huy aucunes de nos filles de nos nations chres- liennes ne vont point se pourmener, s'exposer ainsi aux vents, aux pluyes, aux froids, au soleil, aux chaleurs, car la peine est Irop laborieuse el trop dure pour leurs tendres el délicates peaux et blanches charnures ; mais elles se fout venir trouver sous de riches pavillons et dans de pompeuses courtines, et là tirent leur solde amoureuse et maritale de leurs amoureux, sans payer au- cun tribut. Je ne parle pas des courtisannes de Rome qui en payent, mais de plus grandes qu'elles : si bien qu'à aucunes, la plus part du temps, leurs pores, mères el fn-rês n'ont pas grande peine de chercher argent ny leur en donner pour les marier; ains, au contraire, bien souvent aucunes y a-l-il qui en bailleni aux leurs, el les advanceul en biens el chirges, en grades et di- gnilez, çtinsi que j'en ay veu plusieurs. Aussi Lycurgus ordoniK) que les filles vierges fussent mariées sans douaire d'argent, à ce que les hommes les espousassenl pour leurs vertus, non pour l'avarice. Mais quelles venus esloil-ce, qu'aux bonnes fesles so- lemnelles elles chantoieul , dansoient publiquement toutes nues avec les garçons, voire luitoienl en belle place marchande; et qui se faisoit pourtant avec toute honnesleté, dit riiistoire : c'est k sçavoir, et quelle honnesleté en tel estai estoit ce, les belles filles voir publiquement ? D'honnesleté q'v en avoit-il ooinU


DISCOURS II. 25Î

mais ouy bien un plaisir pour la veuë, et mesme en leur mou- vement de corps à danser, et encore plus a luiter : et puis quand ils venoient à tomber l'un sur l'autre, et, comme dit le latin, nia sub, ille super, et Ule sub, illa super, c'esi-à-ilire, « elle » dessous, luy dessus, et elle dessus, luy dessous. » Et comment me pourroit-on desguiser cela, qu'il y eust là toute honnosletéî Je croy qu'il n'y a chasteté qui ne s'en esbranlast, et, que, se faisant là en public et de jour les petites attaques, qu'à couvert et de nuict et du rendez-vous les grands combats et camisades s'en ensuivissent. Tout cela se pouvoit faire sans aucun doute veu que le lit Lycurgus permit à ceux qui estoient beaux et dis- pos d'emprunter les femmes des autres pour y labourer comme en terre grasse : et si n'estoit chose reprochable à un vieil et lassé de prester sa femme belle et jeune à un galant jeune homme qu'il choisissoit ; mais il vouloil qu'il fust permis à la femme de choi- sir pour secours le plus proche parent de son mary, tel qu'il luy plairoit, pour se coupler avec luy, à ce que les enfants qu'ils pourroient engendrer fussent au moins du sang et de la race mesme du mary. Les Juifs a voient celte loy de la belle-sœur au beau-frère ; mais noslre loy chreslienne a tout rabillé cela, encore que nostre Saint Père en aye baillé plusieurs dispenses fondées sur plusieurs raisons.

— Or, parlons un peu, et le plus sobrement que nous pour- rons, d'aucunes autres veufves, et puis nous jairons la fin. Il y a une autre espèce de veufves dont il y en a qui ne se remarient point, mais fuyent le mariage comme peste : ainsi que me dit une, et de grande maison, et bien spirituelle, à laquelle ayant demandé si elle offriroil encore son vœu au dieu Hymenée, elle me respondit : a Par vosire foy, seroit-il pas fat et malhabile le » forçat ou l'esclave, après avoir longuement tiré à la rame, al- » taché à la cadene, s'il venoil à recouvrer sa liberté, s'il s'en alloil de son bon gré encore s'assujettir sous les loix d'un ora- » geux corsaire? Pareillement moy, après avoir assez esté sous » l'esclavage d'un mary, et en reprendre un autre, que merile- B rois-je, puis que d'ailleurs, sans aucun hazard, je me puis I) donner du bon temps î » Et une autre dame grande, et ma pa- rente (car je ne veux pasjgrendr§.Jfi-^Tun;), luy ayant demandé si elle n'avoit point envie de convoler, « nenny, me respondit- u elle, mon cousin, mais bien de conjoùir : » faisant une allu- sion sur ce mot de conjoùir, comme voulant dire qu'elle vouloit


258 VIES DES DAMES GALANTES.

bien faiie à son c. jouir d'autre chose qu'à un second mary, sui- vant le proverbe ancien qui dit qu'il vaut mietix voler en amour qu'en mariage : aussi que les femmes sont soiles par-lout.

— J'ay ouy parler d'une autre à qui il fut demandé par un gentilhomme qui vouloit tenter le guay pour la pourchasser, et luy demandant si elle ne vouloil point un mary: « Hàl dit-elle, » ne me parlez point de mary, je n'en auray jamais plus : mais p avoir un amy, c'est une autre îfTaire. — Permettez donc, ma- » dame, que je sois cet amy, puisque mary je ne puis estre. » Elle luy répliqua : « Servez bien et persévérez ; possible le serez- » vous. »

— J'ay cogneu une grande dame qui, durant qu'elle estoit fille et mariée, on ne parloil que de son embonpoint : elle vint à perdre son mary, et en faire un regret si extrême qu'elle en de- vint seiche comme bois (i) ; pourtant ne délaissa de se donner au cœur joye d'ailleurs, jusqu'à emprunter l'aide d'un sien se- crétaire, voire de son cuisinier ce disoit-on ; mais pour cela ne recouvroit son embonpoint, encore que le dit cuisinier, qui es- toit tout gresseux et gras, ce me semble, la devoit rendre grasse. Et ainsi en prenoienl et de l'un et de l'autre de ses valets, fiaisant, avec cela, la plus prude et chaste femme de la Cour, n'ayant que la vertu en la bouche, et mal-disanle de toutes les autres femmes, et y trouvant à toutes à redire. Telle estoit cette grande dame de Dauphiné, dans les Cent Nouvelles de la Reyne de Na- varre, qui fut trouvée couchée sur belle herbe avec son palefre- nier ou muletier dessus elle, par un gentilhomme qui en estoit amoureux à se perdre ; mais par ainsi guérit aisément son mal d'amour.

— J'ay leu dans un vieux roman de Jean de Saintré, qui est imprimé en lettres gothiques, que le feu roy Jean le nourrit page. Par l'usance du temps passé les grands envoyoient leurs pages en message, comme on fait bien aujourd'huy ; mais alors alloient partout et par pays à cheval ; mesme que j'ay ouy dire à nos pères qu'on les envoyoil bien souvent en petites ambassades; car, en depeschant un page avec un cheval et une pièce d'ar- gent, on en estoit quitte^ et autant espar^né. Ce petit Jean do.


[l] Ce fut à elle que Henri IV dit au bal , qu'elle avoit employé le rerd et te )ec pour divertir la compagnie. Il lui Cl celle raillerie, di*. Le Laboureur, parce fat celle femme n'épargnoit la répulaliou d'aucune dame.


DISCOURS IV. 259

Saintré (car ainsi l'appoloil-oii long-temps) esloit fort aimé de son maistre le roy Jean, car il esloil tout plein d'esprit, fut en- voyé souvent porter de petits messages à sa sœur, qui esloit pour lors veufve (le livre no dit pas de qui). Cette dame en devint imoureuse après plusieurs messages par luy faits; et un jour, le trouTanl à propos et hors de compagnie, elle l'arraisonna, et se mit à demander s'il ainioit point oueune dame de la Cour, et laquelle luy revenoit le mieux; ainsi qu'est la cousiume de plu- sieurs dames d'user de ces propos quand elles veulent donner à aucuns la première pointe ou attaque d'.amour, comme j'ay veu pratiquer. Ce petit Jean de Saintré, qui n'avoil jamais songé rien moins qu'à l'amour, luy dit que non encore, f^lle luy en alla descouvrir plusieurs, et ce qui luy en sembloit. « Encore » moins, » respondii-il, après luy avoir presché des vertus et louanges de l'amour. Car, aussi bien de ce temps vieux comme aujourJ'Imy, aucunes grandes dames y estoient sujettes ; car le monde n'estoit pas fin comme il est: et les plus fines tant mieux pour elles, qui en f;iisoient passer de belles aux marys, mais avec leurs hypocrisies et naïvelez. Celle dame donc, voyant ce jeune garçon qui esloil de bonne prise, luy va dire qu'elle luj vouloit donner une maislresse qui l'aymeroit bien, mais qu'il la servist bien , et luy fit promettre, avec toutes les hontes du monde qu'il eusl sur ce coup, et surtout qu'il fust secret: enfin elle se déclara à luy qu'elle vouloit esire sa dame et amoureuse ; car de ce temps ce mot de maislresse ne s'usoii. Ce jeune page fut fort estonné, pensant qu'elle se moquusl ou le voulusl faire alrapper ou le faire foiietler. Toutefois elle luy monslra aussilost tant de signes de feu et d'embrasement d'amour, qu'il connut que ce n'estoit pas moquerie; luy disant toujours qu'elle le vou- loit dresser de sa main et le faire grand. Tant y a que leurs amours et jouissances durèrent longuement, et estant page et hors de page, jusques à ce qu'il luy fallut aller à un lointain voyage, qu'elle le changea en un gros, gras abbé ; et c'est h conte que vous voyez en les Nouvelles du monde advantureux, . d'un valet de chambre de la reyne de Navarre ; là où vous voyea l'abbé faire un alTront au dit Jean de Saintré, qui estoil si brave \ et si vaillant; aussi bien-tost après le rendit-il à M. l'abbé par

bon eschange, et au triple. Ce conte est très-beau, et est pris

de là où je vous dis. Voilà comme ce n'est d'aujourd'huy que les dames aiment les pages, et mesmes quand ils sont maillés


Î60 VIES DES DAMES GALANTES.

comme perdreaux. Quelles humeurs de femmes, qui veulent avoir des amys prou , mais des marys point ! Elles font cela pour l'amour de la liberté, qui. est une si douce chose; et leur semble que quand elles sont hors de la domination de leurs ma-

ys, qu'elles sont en paradis; car elles ont leur douaire très-

eau, et le mesnagent; ont les affaires de la maison en manie-

ment; elles touchent les deniers ; tout passe par leurs mains:

u lieu qu'elles estoient servantes, elles sont maistresses, font eslection de leurs plaisirs et de ceux qui leur en donnent à leur souhait. Aucunes il y a qui se faschent certes de ne rentrer en se- cond mariage, soit pour les grandeurs, dignitez, biens et richesses, grades, bons et doux traitements, comme elles faisoient aux au- tres; ou pensant y trouver du pire, et par ce se contiennent: ainsi que j'ay cogneu et ouy parler de plusieurs grandes dames et princesses, lesquelles, de peur de ne rencontrer à leur souhait de la grandeur, et de perdre leurs rangs, n'ont jamais voulu se marier; mais ne laissent pour cela à faire bien l'amour, et le mettre et convertir en jouissance; et n'en perdoienl pour cela ny leurs rangs, ny leurs tabourets, ny leurs sièges et séances. N'esloieiit-elles pas bienheureuses celles-là, jouyr de la gran- deur, et de monter haut et s'abaisser bas tout ensemble? De leur en dire mot, ou leur en faire la remonstrance, n'en filoii point parler ; autrement il y avoil plus de «iespits, plus de desmeiitis, de négatives, de contradictions et de vengeances.

— J'ay ouy raconter d'une dame veulve et l'ay cogneue, qui s'estoil fait longuement servir à un honneste geniilliomme, sous prétexte de mariage; mais il ne se meltoit nullement en évi- dence. Une grande princesse, sa maistresse, luy en Toulut faire la réprimande. Elle, rusée et corrompue, luy respondit : « Et » quoy, madame, seroit dulTendu de uaimer d'amour honneste ? » ce seroit par irop grande cruauté. « Et on sçail que cet amour honneste s'appeloii un amour bien lascif, et composé de con- fitures spermatiques : comme certes sont toutes amours, qui naissent toutes pures, chastes et honnesles ; mais après se dé- pucellent, et, par quelque certain attouchement d'une pierre philosophale, se converti.bbeni et se rendent deshonnestes et lu- briques.

— Feu M. de Bussy, qui estoit rhomme de son temps qui di- soit des mieux , et racontoit aussi plaisamment , un jour à la Cour, voyant une dame veufve, grande, qui coulinuoit toujours


OISCOL'HS IV. Î6I

le mestier d'amour, « El quoy, dil-il, celte jument va-elle cnrore » à IVstallon ? Cela fut rapporté à la dame, qui luy en voulut mal morleli ce que M. de Bussy sceut: « El bien, ilit-il, je sçay » comme je feray mon accord et rabilleray cela. Dites-luy , je » vous prie, que je n'ay pas parlé ainsi ; mais bien j'ay dit : » Celle poultre (l) va-elle encore au cheval? Car je sçay bien » qu'elle n'est pas marrye de quoy je la liens pour dame de » joye, mais pour vieille; et lorsqu'elle sçaura que je l'ay nom- » mée poultre, qui est une jeune cavalle, elle pensera que je Tay » encore en estime d'une jeune dame. » Par ainsi, la dame, ayant sceu celle satisfaction et mbillcment de paroles, s'appaisa, et se remit en amitié avec M. de Bussy ; dont nous en rismes bien. Toutefois elle avoit beau f;nre, car on la tenoii lousjours pour une jument vieille et réparée, qui, toute suragée qu'elle estoit, hannis soit encore aux chevaux. Cette dame ne ressembloit pas à une autre dont j'ay ouy parler, laquelle, ayant esté bonne com- pagne en son premier temps, et se jellant fort sur l'âge, se mit à servir Dieu en jeusnes et oraisons. Un genlilhomme honnesie luy remonslrant pourquoy elle faisoit lant de veilles à l'église, et tant de jeusnes à la table, et si c'esloit pour vaincre et maltei les aiguillons de la chair, « Ilé'.as! dit-elle, ils me sont tous pas- » sez; » proférant ces mois aussi piteusement que jamais fit Milo Croloniales, ce fort et puissant luiteur ; lequel un jour estant descendu dans l'arène, ou le champ des luileurs, pour y voir l'es- bat seulement, car il estoit devenu fort vieux, il y en eut un de la troupe qui luy vient dire s'il ne vouloit point faire encore un coup du vieux temps. Luy, se rebrassant et retroussant ses bras fort piteusement, regardant ses nerfs et muscles, il dit seule- ment : « Hélas! ils sont morts. » Si celte femme en eusl fait Je mesme et se fust retroussée, le trait estoit pareil à celny de Mile; mais on n'y eust veu grand cas qui valust ny qui lentasl. Un au- tre pareil trait et mot au précédent M. de Bussy fit un genlil- homme que je sçay. Venant à la Cour, d'où il avoit esté absent six mois, il vid une clame qui alloii à l'Académie, qui estoit alors introduite à la Cour par le feu Roy: « Comment, dii-il, l'Aca- » demie dure encore? on m'avoil dit qu'elle estoit abolie,— » En douiez-vous, luy respondit un, si elle y va ? son magister


(1) Suivant Rabelais, ou appelle poultre une umeot Don «ncore saillie. Aiosi Bussy parloit incongromcot.

15.


262 VIES DES DAMES GALANTES.

» luy apprend la philosophie, qui parle et traite du mouvement » perpétuel. »

— Une dame de par le monde rencontra bien mieux d'une autre à laquelle on loùoit fort ses beautez, fors qu'elle avoit ses yeux immobiles, qu'elle ne remuoil nullement. « Pensez, dit- I) elle, que toute sa curiosité est à mettre son mouvement au » reste de son corps, et mesme à celuy du milan, sans le ren- » voyer à ses yeux. » Or, si je voulois mettre par escril et tous les bons mots et bons contes que je sçay pour bien amplifier ce sujet, je n'aurois jamais fait, et d'autant que j'ay d'autres pas à faire je m'en désiste, et concluray avec Bocace, cy-des- sus allégué, que, et filles, et mariées, et veufves, au moins la plus grande part, tendent toutes à l'amour.

Je ne veux point parler des personnes viles, ny des champs, ny de ville, car telle n'a point esté mon intention d'en escrire, mais des grandes, pour lesquelles ma plume vole. Toutefois, si au vray on me demandoit mon opinion, je dirois volontiers qu'il n'y a que les mariées, tout hazard et danger des marys à part, pour eslre propres à l'amour et en tirer prestement l'essence ; car les marys les eschauffent tant, que, comme une fournaise qui est souvent bien embrasée, elles ne demandent que de la matière et du bois pour entretenir tousjours leur chaleur ; et aussi qui se veut bien servir de la lampe, il y faut mettre souvent de l'huile; mais aussi garde le jarret^ et les embusches de ces marys jaloux, où les plus habiles bien souvent y sont attrapez ! Toute- fois il y faut aller le plus sagement que l'on peut et le plus har- diment, et faire comme un Roy, lequel, comme il estoit fort sujet à l'amour, et fort aussi respectueux aux dames, et discret, et par conséquent bien-aimé et receu d'elles, quand quelquefois il changeoit de lict et s'alloit coucher en celuy d'une autre dame qui l'attendoit, ainsi que je tiens de bon lieu, jamais il n'y alloit, et fust-ce en ses galeries cachées de Saint Germain, Bloys et Fontainebleau, et petits degrés eschapatoires, et recoins, et gal- letas de ses chasteaux, qu'il n'eust son valet-de-chambre favory, dit Griffon, qui portoit son espie u devant luy avec le flambeau, et luy après, son grand manteau devant les yeux ou sa robe de nuict, et son espée sous le bras ; et estant couché avec la dame, se faisoil mettre sou espjeii et son espée auprès de son chevet, et Griffon à la porte Bien fermée, qui quelquefois faisoit le guet et quelquefois dormoit. Je rous laisse à penser, si un grand


DISCOURS IV. S6a

roy prenoit si Ken garde à soy ( car il y en a eu d'atrapez, ei des roys et de grands princes) ;,ce que les petits compagnons auprès de ce grand doivent faire. Rbis il y a de cerlains pré- somptueux qui desdaignent tout; aussi sonl-ils bien airappea souvent.

— J'ay ouy conter que le roy François, ayant en main une fort belle dame qui luy a longtemps duré, allant un jour inopiné à ladite dame et en heure inopinée coucher avec elle, vint à frapper à la porte rudement, ainsi qu'il devoit et avoil pouvoir, car il estoit maistre. Elle qui estoit pour lors accompagnée du sieur de Bonnivet, n'osa pas dire le mot des courlisannes de Rome • Non si parla, la signora è accompagnaia (1). Ce fui à s'adviser là où son galand se cacheroit pour plus grande seu- relé. Par cas c'esloit en esté, où l'on avoil mis des branches et feuilles dans la cheminée, ainsi qu'est la couslume de France. Parquoy elle luy conseille et l'advisa aussitost de se jeter dans la cheminée, et se cacher dans ces feuillages tout en chemise, que bien luy servit de quoy ce n'estoit en hyver. Après que le Roy eut fait sa besogne avec la dame, il voulut faire de l'eau ; et se levant, la vint faire dans la cheminée, par faute d'aulre commodité ; dont il en eusl si grande envie, qu'il en arrosa le pauvre amoureux plus que si l'on luy eust jellé un sceau d'eau, car il l'en arrousa, en forme de clianlepleure de jardin, de tous costez, voire et sur le visage, par les yeux, par le nez, la bou- che, cl par tout ; possible en esc!iappa-l-il quelque goutte dans la bouche. Je vous laisse à penser en quelle peine estoit ce gen- tilhomme, car il n'osoit se remuer, el quelle patience et con- stance lodl ensemble ! Le Roy, ayant fait, s'en alla, prit congé de la dame et sortit de la chambre. La dame fit fermer par der- rière, et appella son serviteur dans son lict, l'eschaufla de son feu, et lui fit prendre chemise blanche : ce ne fusl pas sans rire après la grande appréhension ; car s'il eusl esté descouvert, el luy et elle estoient en très-grand danger. Celle dame est celle-là mesme laquelle estant fort amoureuse de M. de Bonnivet, eu voulant monstrer au Roy le contraire, qui en concevoit quelque petite jalousie, elle luy disoit : a Mais il est bon, Sire, de Bon- » nivet, qui pense eslre beau ; et tant plus je luy dis qu'il l'est, 9 tant plus il se voit ; el je me moque de luy, et par ainsi j'en

(t) Ob ne pule point , madame e<t en compsgnie.


26» VIES DES DAMES GALANTES.

» passe mon temps, car il est fort plaisant et dit de très-bons mots, si bien qu'on ne sçauroil s'en garder de rire quand on » est près de liiy, tant il raconte bien. » Elle vouloit parla monstror au Roy que sa conversation ordinaire qu'elle avoit avec luy n'estoit point l'aimer et en jouir, ny pour fausser com- pagnie au Roy. Ha ! qu'il y a plusieurs dames qui usent de ces ruses pour couvrir leurs amours qu'elles ont avec quelques-uns ; elles en disent du mal,i s'en moquent devant le monde, et derrière n'en font pas ce beau semblant, et cela s'appellent ruses et astuces d'amour.

— J'ay rogneu une très-grande dame, laquelle, ayant veu un jour sa fille, qui esloit l'une des belles du monde, esire en peine à cause de l'amour d'un genlilhoninie dont son frère estoil esto- maqué, entr'aulres discours que la mère luy dit : « lié ! ma fille, » n'aimez plus cet homme-là ; il a si mauvaise grâce et façon ! il a est si laid ! il ressemble à un vray pastissier de village. » La fille s'en mit à rire el moquer, et applaudir au «lire de sa mère, et l'advouer pour semblance de pastissier de village; mais qu'il eusl un bonnet rouge, toutefois elle l'aimoit. Mais, quelque temps après, qui fut environ six mois, elle le quitta pour en avoir un autre. J'ay connu plusieurs dames qui ont dit pis que pendre des femmes qui aimoient en lieux bas, comme leurs se- crétaires, valets de chambre et autres personnes basses, et dé- testoient devant le monde cet amour plus que poi>on ; et toute- fois elles s'y abandonnoient autant, ou plus qu'à d'autres. Et ce sont les finesses des dames, jusque là que, devant le monde, elles se courroucent contre eux, les menacent, les injurient ; mais derrière elles s'en accommodent galamment. Ces femmes ont tant de ruses! car, comme dit l'Espagnol, mucho sabe la sorra; pero sab mas la dama enamorada ; c'est à dire : « Le renard » sait beaucoup, mais une dame amoureuse sait bien davan- » lage » Quoy que fist cette dame précédente pour osier martel au roy François, si ne peut-elle tant faire qu'il ne lui en restast quelques grains en teste : car, comme j'ay sceu, et surquoy il me souvient, qu'une fois m'eslant allé pourniener à Chambord, un vieux concierge qui estoit céans, et avoit rslé valet de cham- bre du Roy François m'y reçut fort honneslement ; car il avoit dès ce temps-là connu les miens à la Cour et aux guerres, et luy-mesme me voulut monstrer tout; et m'ayant mené à la chambra du Roy, il me monslra un escrit au costé de la fenes-


DISCOURS IV. 565

tre : « Tenez, dil-il, lisez cela, monsieur ; si vous n'avez veu de » l'escriiure du Roy mon maislre, en voilà. * Et l'avant leu en grandes lellres, il y avoiJ ce mol : « Toute femme varie. » J'a- vois avec nioy un fort honnesle gentilhomme de Périgord, mon amy, qui s'appeloit M. de Roclie, qui me dit soudain : « l^ensez » que quelijues-unes de ces dames qu'il aimoil le plus, et de la » fideliié desquelles il s'assuroit le plus, il les avoit trouvées va- » rier et luy faire faux-bons, et en elles avoit découvert quelque » changement dont il n'esloit guères content, et, de despit, en » avoit escril ce mol. » Le concierge, qui nous ouyl, dil : « C'est » mon, vrayment, ne vous en pensez pas moquer: car, de toutes » celles que je luy ay jamais veues ei cogneues, je n'en ay veu » aucune qui n'allasl au change plus que ses chiens de la meule K à la chasse du cerf; mais c'esloit avec une voix fort basse, car » s'il s'en fusi apperçu, il les eusl bien relevées. » Voyez, s'il vous plaisl, de ces femmes qui ne se contenlenl ny de leurs ma- rys, ny de leurs serviteurs, grands roys et princes et grands seigneurs; mais il faut qu'elles aillent au change et que ce grand roy les avoit bien connues et expérimentées pour h lies, et pour les iivoir desbauchées et tirées des mains de leurs marys, de leurs mères et de leurs libériez et viduilez.

— J'ay cogneu une bien grande dame, veufve , qui en a fait de mesnie ; car, encore qu'elle fust quasi adorée d'un très-grand, si falluit-il avoir quelques menus autres serviteurs, ufin de ne pas perdre toutes les heures du temps et demeurer en oisiveté; car un seul ne peut pas en ces choses y vaquer ny fournir tou- jours : au.<si que telle est la règle de l'amour, que la dame d'a- mour n'est pas pour un temps préfix, n'y aussi pour une perionne préfixe, ny seule arreslée. Je m'en rapporte à cette dame des Cent Nouvelles de la Reyne de Navarre, qui avoit trois servi- teurs au coup, et esloil si habile qu'elle les sçavoit tous trois fort accoriement entretenir.

— J'ay cogneu une dame, laquelle ayant esté servie d'un fort honnesle genlillionime, et puis en ayant esté quittée au bout de queKjue temps, se vinrent à raconter de leurs amours passez. Le gentilhomme, qui voulut faire du galant, lui dit: « Et quoy 1 » penseriez vous que vous seule fussiez de ce temps ma mais- » ires-e? vous seriex bien eslonnée si, avec vous, j'en avois eu u deux uuiie.>. ? » Elle luy respondit aussi-iosl: « Vous seriez il bien plus esto.iué si vous eussiez pensé estre le seul iron ser-


866 VIES DES DAMES GALANTES.

» vileur, car j'en avois bien trois autres pour réserve. » Voilà comment un bon navire veut avoir tousjours deux ou trois ancres pour bien s'affermir. Pour faire fin, vive l'amour pour les fem- mes! et, comme j'ay trouvé une fois dans les tablettes d'une très-belle et bonneste dame qui babloit un peu l'espagnol et l'en- lendoit très-bien, ce petit refrain escrit de sa propre main, car je la connois très-bien : I/embra o dama sin campagnero, espe- rança sin trabajo , y navio sine timon, nunca pueden haser cosa que sea buena; c'est-à-dire: « Jamais femme ou dame sans » compagnon, ny espérance sans travail; ny navire sans gouver- » naii, ne pourroient faire cbose qui vaille. » Ce refrain peut estre bon et pour la femme et pour la veufve, et pour la fille; car et l'une et l'autre ne peuvent rien faire de bon sans la com- pagnie de l'bomme, ny l'espérance que Ton a de les avoir n'est point tant agréable à les atlrapper aisément, comme avec un peu de peine et travail, rudesse et rigueur. Toutefois la femme et la veufve n'en donnent pas tant que la lille, d'autant que l'on dit qu'il est plus aisé et facile de vaincre et abattre une personne qui a esté vaincue, abattue et renversée, que celle qui ne le fust ja- mais; et qu'on ne prend point tant de travail et peine à marcher par un chemin desjà bien frayé et battu, que par celuy qtii n'a jamais esté fait ny tracé : et de ces deux comparaisons je m'en rapporte aux voyageurs et guerriers. Ainsi est-il des filles ; car mesuïe il y en a aucunes si capricieuses, qui jamais n'ont voulu se marier, ains vivre toujours en condition filiale; et si on leur demandoit pourquoy, « C'est ainsi, et telle est mon humeur, » disent-elles. Aussi que Cybele, Junon, Vénus, Thélis, Cérès et autres déesses du ciel, ont toutes méprisé ce nom de vierge, fors Pallas, qui prit du cerveau de Jupiter sa naissance, faisant voir par-là que la virginité n'est qu'une opinion conçue eu la cer- velle. Aussi demandez à nos filles qui ne se marient jamais, ou, si elles se marient, c'est le plus tard qu'elles peuvent, et fort surannées, pourquoy elles ue se marient. « Parce, disent-elles, » que je ne le veux, et telle est mon humeur et mon opinion. » Nous en avons veu aux Cours de nos roys aucunes du temps du roy François. Madame la régente avoit une fille belle et bonneste, qui s'oppeloit Poupincourt, qui ne se maria jamais, et mourut vierge de l'âge de soixante ans , comme elle nasquit, car elle fut très-sage. La Brelaudière est morte fille et pucelle en l'âge de quatre-vingts ans, laquelle on a veu gouvernante de madame


DISCOURS IV. 267

l'Ângoulesme estant fille, mademoiselle de Charansonoe de Sa«  voje mourut à Tours dernièremeul tille, et fut enterrée avec son ciiapeau et son habit blanc virginal, très-solemnellement, en grande pompe, solemnilé et compagnie, en l'âge de quarante- cinq ans ou plus : et ne faut point mettre en doute si c'estoit à faute de parly, car, estant l'une des belles et honnesles filles et sages de la Cour, je luy en ay veu refuser de très-bons et très- grands. Ma sœur de Bourdeille, qui est à la Cour fille de la Ueyne, a refusé de mesme de fort bons partis, et jamais n'a voulu se ma- rier ny ne le fera, tant elle est résolue et opir..;asire de vivre et mourir fille et bien âgée ; et s'est jusques ici laissée vaincre à cette opinion, et a un bon âge. J'ai veu l'infante de Portugal, lille de la feue reyne Eleonor, en mesme résolution , et est morte fille et vierge en l'âge de soixante ans ou plus. Ce n'est pas faute de gran- deur, car elle esloit grande en tout, ny par faute de biens, car elle en avoit force, et mesme en France, où M. le général Gour- gues a bien fait ses affaires ; ny pour faute de dons de nature, car je l'ay veiie à Lisbonue, en l'âge de quarante-cinq ans, une très- belle et agréable fille, de bonne grâce, de belle apparence, douce, agréable, et qui méritoit bien un niary pareil à elle en tout, cour- toise, et mesme à nous autres Français. Je le peux dire, pour avoir eu cet honneur d'avoir parlé à elle souvent et privement. Feu M. le grand prieur do Lorraine, lorsqu'il mena ses galères du le- vant en ponant pour aller en Ecosse, du temps du petit roy Fran- çois, passant et séjournant à Lisbonne quelques jours, la visita et vid tous les jours : elle le receut fort courtoisement et se pleust fort en sa compagnie, et luy fit tout plein de beaux présents. En- tre autres', elle luy bailla une chaisne pour pendre sa croix, toute de diamants et rubis, et perles grosses proprement et ricliement élabourées ; et pouvoit valoir de quatre à cmq mille escus, et luy faisoit trois tours; car je croy qu'elle pouvoit bien valoir cela: aussi l'engageoit-il toujours pour trois mille escus, ainsi qu'il fil une fois à Londres, lorsque nous tournions d'Ecosse ; mais aussi- tost en France il l'envoya desengager, car il l'aimoit pour l'amour de la dame de laquelle il esloit encapricié et fort pris : et croy quelle ne l'aimoit pas moins, et que' vôlôntrèfs elle eusl rompu son nœud virginal pour luy ; cela s'appelle par mariage, car c'estoit une très- sage et vertueuse princesse : et 8i dirayje bien plus, que, sans les troubles qui commencèrent en France, messieurs ses frères l'at- liroient et l'y tenoient. Il vouloit luy-mesme retourner avec ses


vus MES DKS DAM lis GALANTES.

gulèies et reprendre mesme roule, el revoir cPlle princesse, el luy parier de nopces : el croy qu'il n'en fusl point eslé esconduit, car il esloit d'aussi boitin; maison qu'elle, el extrait de grands roys comme elle, el surloul l'un des beaux, des agréables, des honnes- les el des meilleurs de la chreslienté ; messieurs ses Irères, [)rin- ci paiement les deux aisnez, car ils estoienl les oracles de tous el coiiduisoieiit la barque: je vis un jour qu'il leur en parloit, leur racontant son voynge elles plaisirs qu'il avoil receus là, el les fa- veurs : ils vouloient fort qu'il refisl le voyage el y relournast en tore, et luy conseilloient de donner là, car le Pape en eust aussi- lost donné la dispense de la croix : et, sans ces maudits troubles, il y alloil et en fusl sorly, à mon advis, à son honneur el contente- ment. La dite princesse l'aimoit fort, el m'en parla en très-bonne part, et le regreila beaucoup, m'inlerrogeanl de sa mort, et comme esprise, ainsi qu'il est aisé, en telle chose, à un homme un peu clairvoyant le connoislre.

— J'ay ouy dire une aulre raison encore à une personne fort habile, je ne dis fille ou femme, el possible avoil-elle expérimenté, pourquoy aucunes filles sont si tardives de se marier. Elles (iisent que c'est propier molliiiem ; et ce mot mollities s'interprète qu'elles soni si molles, c'est-à-dire tant amatrices d'elles-mesmes et tant soucieuses de se délicaier et se plaire seules en elles-mes- nies, ou bien avec d'aucunes de leur compagnie, à la mode les- bienne, el y prennent tel plaisir à part elles, qu'elles pensent et croyent fermement qu'avec les hommes elles n'en sçauroient ja- mais tant tirer de plaisir ; et, pour ce, se contentent-elles en leur joye et savoureux plaisirs, sans se soucier des hommes, ny de leurs accointances, ny du mariage. Ces filles ainsi vierges et pucelles eussent esté à Rome fort honoiées et fort privilégiées, jusques-là j que la justice n'avoil pouvoir sur elles à les senlencier à la mort : i si bien que nous lisons que, du temps du triumvirat, il y eut un

sénateur romain parmy les proscrits, qui fut condamné à mourir,

■ non luy seulement, mais toute sa lignée de luy procréée ; et estant • sur l'eschaffaul représentée une sienne fille forl belle et gentille,

d'âge pourtant non meure et encore trouvée pucelle, il fallut que

■ le bourreau la dépucelast et la dévirginisast luy-mesme sur l'es- ' chafFaut ; et puis ainsi pollue la repassa par le cousieau : cruauté

certes fort v'ilaine. Les vestales de mesme esloient très-honorées et respectées, autant pour leur virginité que pour leur religion : car si elles venoient le moins du monde à faillir de leurs corps,


flISCOUUS IV. 269

elles esioieiii cent fois plus punies rigoureiisemeni que quand elles n'avoieui |);is bien gardé le feu sacré* car on les enterroit toutes vives avec des pitiés effroyables. Il se lit d'un Albinus, Romain, \m, :»yani rencontré hors de Rome quelques vestales qui s'en alloient à pied en quelque part, il commanda à sa femme de descendre avec ses enfants de son churlot, pour les y monter à parfaire leur chemin. Elles avoienl aussi telle authorité, que bien iouvem ont elles esté crues et nioyinnere>ses à faire l'accord entre le peuple de Rome et les cfiêvaliers, quand queli|uefois ils avoieul rumeur ensemble. L'empereur Théodose les ciiassa de Rome par le conseil des chresliens, envers lequel empereuiles Romains députèrent un Sjmmaclius, pour le prier de les re- meiire avec leurs biens , rentes et facultez qu'elles avoient grandes, et telles, que tous les jours elles donnoient si grande quantité d'uumosnes, qu'elles n'ont jamais permis à nul Roniaio ny esiranger, passant ou venant, de demander l'aumosne, tant leur pie charité s'estendoit sur les pauvres : et toutefois Théo- dose ne les y voulut jamais remettre. Elles s'appeloient vestales, de ce mol de P'esla, qui signifie feu, lequel a beau tourner, virer, mouvoir, flamber, jamais ne jette semence ny n'en reçoit : de mesme la vierge. Elles duroient trente ans ainsi vierges, au bout desquels se vouvoient marier; desquelles peu sortant de là se irouvoient plus heureuses, ny plus ny moins que nos religieuses qui se sont dévoilées et ont quitté leurs habits. Elles estoieni fort pompeuses et superbement habillées, lesquelles le poëte Prudence descril gentiment, telles comme peuvent estre les cha- noiuesses daujourd'huy de Mons en Hainauli, et de Remiremoni en Lorraine, qui se marient. Aussi ce poêle Prudence les blasme fort qu'elles alloient parmy la ville dans des coches fort super- bes, et ainsi si bien vesiues aux amphithéâtres, voir les jeux des gladiateurs et combattants à outrance entre eux et des bestes sauvages, comme prenant grand plaisir à voir ainsi les hommes s'entre tuer et répandre le sang; ei pour ce il supplie l'Empe- leur d'abolir ces sanguinaires combats et si pitoyables spectacles. Ces vestales," certes, ne dévoient voir tels jeux ; mais pouvoieni- elles dire aussi : « Par faute d'autres jeux plus plaisants, que » les autres dames voyent et pratiquent, nous pouvons nous a coûieuter en ceux-cy. »

— Quant à la condition de plusieurs veufves, il y en a aussi plusieurs qui font l'amour de mesme que ces filles, ainsi que


270 VIES DES DAMES GALANTES.

l'en ay cogneu aucunes, et autres qui aimenl mieux s'esbattre jvec les hommes en caclielle, et en toute leur pitiniere volonté, que leur estant sujettes par mariage: pour ce, quand on en voit aucunes garder longemenl leurs viduïiez, il ne les en faut pas tant louer, comme l'on diroit, jusqu'à ce que l'on sçache leur vie. C'est après , selon que l'on descouvre, qu'il les en faut loiier ou mespriser; car une femme, quand elle veut desplier ses esprits, comme on dit, est terriblement fine, et mené l'homme vendre au marché sans qu'il s'en prenne garde ; et, estant ainsi fine, elle sçait si bien ensorceller et esbloiier les yeux et les pen- sées des hommes, qu'ils ne peuvent jamais guères bien connois- tre leur bien ; car telle prendra-ton pour une prude femme et confite en sapii'uce, qui sera une bonne putain, et jouera son jeu si bien à point, ei si à couvert, qu'on n'y connoistra rien. Je sçay bien que plusieurs me pourroient dire que j'ay obmis plusieurs bons mois et contes qui eussent mieux encore embelly et annobly ce sujet. Je le vois; mais, d'ici au bout du monde, je n'en eusse veu la fin; et, qui en voudra prendre la peine de faire mieux, l'on luy aura grande obligation.

Or, mes dames, je fais fin, et m'excusez si j'ay dit quelque chose qui vous offense. Je ne fus jamais né ny dressé pour vous offenser ni desplaire. Si je parle d'aucunes, je ne parle pas de toutes; et de ces aucunes, je n'en parle que par noms couverts et point divulgués. Je les cache si bien, qu'on ne s'en peut aper- cevoir, et le scandale n'en peut tomber sur elles que par coûte t et soupçons, et non par vrnye apparence


DISCOURS V. i7l


DISCOURS CINQUIÈME.

Sur a<uuncs dames vieilles qui aimenl aulaol à faire l'amour comme les jeuaes.


Puisque j'ay parlé cy-devant des vieilles dames qui aiment à roussiner, je me suis mis à faire ce discours. Par quoy j'accom- mence, et dit qu'un jour moy, estant à la Cour d'Espagne, devi- sant avec une fort houneste et belle dame, mais pourtant un peu aagée, me dit ces mois : Que ningunas damas lindas, o allô menos pocas, sç hazen ficjas de la cinla hasta a baxo ; « que » nulles dames belles, ou au moins peu, se font vieilles de la cein- » ture jusques en bas. » Sur quoy je luy demanday comment elle l'entendoit, sf c'esloit ou pour la beauté du corps de cette ceinture en bas, qu'elle n'en diminuast aucunement par la vieillesse, ou pour l'envie et l'appelit de la concupiscence qui vinssent à ne s'en eslreindre ny s'en refroidir par le bas aucunement. Elle res- pondil qu'elle l'entendoit et pour l'un et pour l'autre; « car, » quant à la picqueure de la chair, disoit-elle, ne faut pas pen- » ser que l'on s'en guérisse que par la mort, quoiqu'il semble » que l'aage y vueille répugner; d'autant que toute femme belle » s'aime e.xlresiiiement , et en s'ainiant ce n'est point pour elle, o mais pour autruy; et nullement ressemble àNarclsus, qui, fat » qu'il estoil, aimé de soy et de soy-mesme amoureux, abhorroit B toutes autres amours. » La belle femme ne lient rien de cette humeur ; ainsi que j'ay ouy raconter d'une très-belle dame, la- quelle, s'aimant et se plaisant fort bien souvent seule et à part soy, dans son lit se nieltoit toute nuë, et en toutes postures se contem- ploit, s'admiroit et s'arregardoit lascivement, en se maudissant d'estre voiiée à un seul qui n'estoit digne d'un si beau corps, en- tendant son mary nullement égal à elle. Enfin elle sen[lamma telle- ment par telles contemplations et visions qu'elle dit adieu à sa chasteté et à son sot vœu marital, et fit amour et serviteur nou- veau. Voilà donc comme la beauté allume le feu et la flamme d'une dame, qui la transporte à ceux qu'elle veut puis après, soit aux


J72 VIES ])ES DAMKS GALANTES.

marys ou aux serviteurs, pour les inellre en usage ; aussi qu'un amour en amené un autre. De plus, estant ainsi belle el reclier- cliée de quelqu'un, et qu'elle ne dédaigne de respondre, la voilà troussée : ainsi que Lays disoit que toute femme qui ouvre la bouche pour dire quelque rosponse douce h son amy, le cœur s'y en va el s'ouvre de mesme. Davantage, toute belle el lionneste femme ne refuse jamais louange qu'on lui donne ; et si une fois elle se plaist ou permette d'estre louée en sa beauté, bonnes grâces el gentilles façons, ainsi que nous autres courtisans avons accous- lumé de faire pour le premier assaut de l'amour, quoyqu'il tarde, avec la continue nous l'emportons. Or est-il que toute belle femme s' estant une fois essayée au jeu d'amour ne le desapprend jamais, et la continue luy est toujours ircs-douce et agréable ; ny plus ny moins que, quand l'on a acouslumé une bonne viande, on se fasche fort de la laisser ; et tant plus on va sur l'aage, tant meilleure est- elle pour la personne, ce disent les médecins.: aussi, tant plus la femme va sur l'aage, tant plus est friande d'une bonne chair qu'elle a accouslumé ; et si sa bouche d'en haut y prend de la saveur, sa bouche d'en bas aussi en prend bien autant ; et la friandise ne s'en oublie jamais ny ne s'en lasse par la charge des ans, oui pluslosl bien par une longue maladie, ce disent les mé- decins, ou autres accidents : que si l'on s'en fasche pour quelque temps, pourtant on la reprend bien.

L'on dit aussi que tous exercices décroissent el diminuent par l'aage, qui oste la force aux personnes pour les faire valoir, fors celui de Vénus , qui se pratique Irès-doucenient, sans peine el sans travail dans un mol el beau lit, et très-bien à l'aise. Je parle pour la femme el non pour l'homme, à qui pour cela tout le travail et corvée eschoit en partage. Luy donc, privé de ce plaisir, s'en abstient de bonne heure, encor que ce soit en dépit de luy; mais la femme, en quelque aage qu'elle soit, reçoit en soy, comme une fournaise, tout feu et toute matière ; j'entends si on lui en veut donner : mais il n'y a si vieille monture, si elle a désir d'aller et veuille estre piciiuée, qui ne trouve quelque chevauclieur malautru ; et quand bien une femme aagée n'en sçauroit clieyir bonnement, et n'en irouveroil à point comme en ses jeunes ans, elle a de l'argent el des moyens pour en avoir au prix du marché, en de bons, comme j'ai ouy dire. Toutes mar- chandises qui couslenl faschent fort à la bourse, contre l'opinion u'iiéliogabale, qui, tant plus il acheploil les viandes chères, tant


meilleures les trouvoit-il ; fors la marchandise de Vénus, laquelle tant plus cousle, lanl plus plaist, pour le grand désir que l'on a de bien faire valloir la besogne et denrée que l'on aura bien acheplée; et le tallent que l'on a en main, on le fait valloir au triple, voir au centuple, si l'on peut. Ce fust ce que dist une courtisanne espagnole à deux braves cavaliers espagnols qui prindrenl querelle pour elle, et sortants de son logis mirent les espées aux mains et se commencèrent à battre : elle mit la tête à la feneslre, ets'escria à eux : Senores, mis amorcs se gagna)i cou oroyplala, non con hierro; c'est-à-dire:» Messieurs, mes » amours se gagnent avec l'or et l'argent, et non avec le fer. » Voilà comme tout amour bien achepté est bon. Force dames et cavaliers qui ont traflqué tels marché en S(;avent bien que dire : d'alléguer des exemples de plusieurs dames qui ont bruslé en leur vieillesse aussi bien qu'en jeunesse, ou qui ont passé, ou, pour mieux dire, entretenu leurs feux par seconds et nouveaux niarys et serviteurs, ce seroit à moi maintenant chose superflue, puis qu'ailleurs j'en ay allégué plusieurs ; ci en rapporteray-je icy aucuns, car la chose la requiert et sert à cette cause.

— J'ai ouy parler d'une grande dame, qui renconlroit le mot aussi bien que dame de son temps, laquelle, voyant un jour un jeune gentilhomme qui avoit his mains très-blanches , elle luy demanda ce qu'il faisoit pour les avoir telles : il respondit eu riant et gaussant, que le plus souvent qu'il pouvoit il les froltoit de sperme. « Voilà, dit-elle donc, un malheur pour nioy, car jB il y a plus de soixante ans que j'en lave mon cas (le nommant » tout à trac) , il est aussi noir que le premier jour ; et si je » l'en lave encore tous les jours.»

— J'ai ouy parler d'une dame d'assez bonnes années, laquelle se voulant remarier, en demanda un jour l'advis à un médecin , fondant ses raisons sur ce qu'elle estoit très-humide et remplie de toutes mauvaises humeurs, qui luy estoient venues et l'avoien entrenue depuis qu'elle estoient veufve, ce qui ne luy estoit arrlv du temps de son mary, d'autant que, par les assidus exercice qu'ils faisoient ensemble, ces humeurs s'asséchoient et consom- moient. Le médecin, qui estoit bon compagnon, et qui luy voulut en ceia complaire, luy conseilla de se remarier et de chasser les humeurs de son corps de celte façon, et qu'il valloit mieux eslre sèche qu'humide. La dame pratiqua ce conseil, et l'approuva très-bien, toute surannée qu'elle estoit; mais je dis avec un uiary


274 ViF.S DES DAMES (lAl.A.NTKa.

et un amoureux nouveau qui l'aimoit bien autant pour l'amour du bon argent que du plaisir qu'il tiroit d'elle : encore qu'il y ait plusieurs dames aagces avec lesquelles on prend bien autant de plaisir, et y fait aussi bon et meilleur qu'avec les plus jeunes, pour en sçavoir mieux l'art et la façon , et en donner le goust aux amants. Les courlisannes de Rome et d'Italie, quand elles sont sur l'aage, tiennent celte maxime, que unu galina vecchia fà miglior brodo che urCallra (»). Horace fait mention d'une vieille, laijuelle s'agiloit et se niouvoil, quand elle venoit là, de telle façon et si rudement et inquiélement, qu'elle faisoit trembler non-seulement le lit, mais toute la maison. Voilà une gente vieille I Les Latins appellent s'agiter ainsi et s'esmouvoir, subare à sue, qu'est à dire une porque, ou truye. Nous lisons de l'empereur Calicula, de toutes ses femmes qu'il eut il aima Cezonnia, non tant par sa beauté qu'el'.e eut, ni d'aage florissant, car elle estoit desja for» avancée, mais à cause de sa grande lascivité et paillardise qui estoit en elle, et la grande industrie qu'elle avoit pour l'exercer, que la vieille saison et pratique luy avoit apportée, laissant toutes les autres femmes, encor qu'elles fussent plus belles et jeunes que celle-là; et la menoit ordinairement aux armées avec luy, habillée et armée en garçon, et chevauchant de mesme costé à costé de luy, jusques à la montrer souven'.es fois à ses amys toute nuê, et leur faire voir ses tours de souplesse et de paillardise. 11 falloit bien dire que l'aage n'eust rien diminué en celle femme de beau et de lascif, puis qu'il l'aimoit tant. Neanlmoins, avec tout ce grand amour qu'il lui portoit, bien souvent, quand il l'enibrassoit et touschoit à sa belle gorge, il ne se pouvoit empesclier de luy dire, tant il estoit sanglant : a Voilà une belle gorge, mais aussi il est » en mon pouvoir de la faire couper. » Hélas! la pauvre femme fut de mesme avec lui occise d'un coup d'espée à travers le corps par un cenieoier, et sa fille brisée et accra^oiée. contre une muraille, qui ne pouvoit mais de la méchanceté de son père.

— Il se lit encore de Julia, maraslre de Caracalla, empereur, estant un jour quasi par négligence nue de la moitié du corps, et Caracalla la voyant, il ne dit que ces mots : « Ha I que j'en » voudrois bien, s'il m'esloit permis ! » Elle soudain respoudit : « S'il vous plaist, ne savez-vous pas que vous estes empereur, » et que vous donnez des loix et non pas les recevez? » Sur ce

(t) Oue U'une vieille pou)e od r»il uu intiUeur bouilbn que d'une autre.


DISCOURS V. S75

bon mot ei bonne volonié, il l'espousa et se coupla avec elle. Pa- reilles quasi paroles furent données à l'un de nos trois rojs der- niers, que je ne nonimeruy point. Estant espris et devenu amoureux d'une fort belle et honnesle dame, après lui avoir jellé des pre- mières pointes et paroles d'amour, luy en fit un jour entendre sa volonté plus au long, par un lionneste et irès-habile gentilhomme que je scay, qui, luy portant le petit poulet, se mit en sou mieux dire pour la persuader de venir là. Elle, qui n'esloit point sotte, ie défendit le mieux qu'elle put, par force belles raisons qu'elle sceul bien alléguer, sans oublier sur- tout le grand, ou, pour mieux dire, le petit point d'Iionneur. Somme, le gentilhomme, après force contestations, luy demanda, pour fin, ce qu'elle vouloit qu'il distau Roy? Elle, ayant un peu songé, tout à coup, comme d'une désespérade, proféra ces mois : a Que vous luy direz? dit-elle; » autre chose, si-non que je sçay bien qu'un refus ne fut jamais » profitable à celuy ou à celle qui le fait à son Roy ou à son souve- » rain, et que bien souvent, usant de sa puissance, il sçait n plusiosl prendre et commander que requérir et prier. » Le gen- tilhomme, se contentant de celte response, la porte aussilost au Roy, qui prit l'occasion par le poil et va trouver la dame en sa chambre, laquelle, sans trop grand effort de lutte, fut abattue. Cette response fut d'esprit et d'envie d'avoir affaire à son Uoy , encore qu'on die qu'il ne fait pas bon se jouer ni avoir affaire avec son Roy : il s'en faut ce point, dont on ne s'en trouve jamais mal si la femme s'y conduit sagement et constamment Pour reprendre cette Julia, maraslre de cet empereur, il falloit bien qu'elle fust puiain, d'aimer et prendre à niary celui sur le sein de laquelle; quehiue temps avant, il luy avoil tué son propre fils; elle esloil bien puiain celle-là et de bas cœur. Touieslbis c'esloit grande chose que d'estre impératrice, et pour tel honneur tout s'oublie. Cette Julia fut fort aimée de son mary, encore qu'elle {usl bien fort en l'aage, n'ayant pourtant rien abattu de sa beauté; car elle estoit très-belle et très-accorte, témoins ses paroles, qui lui haussèrent bien le chevet de sa grandeur. ':'^

— Philippes-Maria, duc troisiesme de Milan, espousa en sc- andes nopces Beatricine, veuve de feu Facin Cane , estant fort Veille ; mais elle luy porta en mariage quatre cents mille escus, jans les autres meubles, bagues et joyaux, qui monloienl à un haut prix, et qui effaçoienl sa vieillesse ; nonobstant laquelle fut soupçonnée de son mary d'aller ribauder ailleur.s, et pour tel


276 VIES DES DAMES GALANTES.

soupçon la fil mourir. Vous voyez si la vieillesse luy fit perdre 1p gousl du jeu d'amour; pensez que le grand usage qu'elle en avoil luy en donnoit encore l'envie.

— Constance, reyne de Sicile, qui, dès sa jeunesse, et loule sa vie, n'avoil bougé vestale du cul d'un cloistre en chasteté, venan» à s'émanciper au monde en l'aage de cinquante ans, qui n'esloi» pas belle pourtant et toute décrépite, voulut tasler de la douceur de la chair et se marier, et engrossa d'un enfant en l'aage de cinquante deux ans, duquel elle voulut enfanter publiquement dans les prairies de Palerme, y ayant fait dresser une tente et un pavillon exprès, afin que le monde n'entrast en doute que son fruit fut apposté : qui fust un des grands miracles que jamais on ait veu depuis sainte Elisabeth. L'histoire de Naples pourtant dit qu'on le reputa supposé. Si fut-il pourtant un grand personnage ; mais ce sont-ils ceux-là, la pluspart, des braves, que les bastards, ainsi que me dit un jour un grand.

— J'ay cogneu une abbesse de Tarascon, sœur de madame d'Usez, de la maison deTallard, qui se deffroqua et sortit de re- ligion en l'aage de plus de cinquante ans, et se maria avec le grand Chanay, qu'on a veu grand joueur à la Cour. Force autres religieuses ont fait de tels tours, soit en mariage ou autrement, pour tasler de la chair en leur aage très-meur. Si telles font cela, que doivent donc faire nos dames, qui y sont accoutumées dès leurs tendres ans? la vieillesse les doit-elle empescher qu'elles ne tastenl ou mangent quelquefois de bons morceaux dont elles en ont pratiqué lusance si longtemps? El que deviendroienl tant de bons potages restaurants, bouillons composez, tant d'ambres- gris, et autres drogues escaldatives et confortalives pour eschaulfer et conforter leur estomach, vieil et Iroid? Dont ne faut douter que telles compositions , en remettant et entrenant leur débile estomach , ne fassent encore autre seconde opération sous bourre, qui les eschauffent dans le corps et leur causent quelques chaleurs vénériennes ; qu'il faut par après expulser par la coha- bitation et copulation, qui est le plus souverain remède qui soit, et le plus ordinaire, sans y appeler autrement l'advis des médecins, dont je m'en rapporte à eux. Et qui meilleur est pour elles, est, qu'estant aagées et venues «sur les cin- quante ans, n'ont plus de crainte d'engrosser, et lors ont pleiniere et toute ample liberté de se jouer et recueillir les arrérages des plaisirs, que possible aucunes n'ont osé prendre de peur de l'en-


DISCOUilS V. S77

flure de leur iraistie ventre : de sorte que plusieurs y en a-t-il qui se donnent plus de bon temps en leurs amours depuis cin- quante ans en bas, que de cinquante ans en avant. De plusieurs grandes et moyennes dames en ay-je oy parler en telles com- plexions, jusques-là que plusieurs en ay-je cogneu et otiy parler qui ont souhaité plusieurs fois les cinquante ans chargés sur ellcr, pour lej. empescher de la groisse, et pour le faire mieux sans au- cune crainte ni escandale. Mais pouquoy s'en en garderoient-elies sur l'aageî vous diriez qu'après la mort aucunes ont quelque mouvement et sentiment de chair. Si faui-il que je Casse un co» que je vais faire.

— J'ay eu d'autres fois un frère puisné qu'on appeloit le capi- i laine Bourdeille, l'un des braves et vaillants capitaines de son temps/ Il faut que je die cela de luy, encore qu'il fust mon frère, sans of- fenser la loiiange que je luy donne : les combats qu'il a faits aux guerres et aux esia^uades en font foy ; car c'estoit le gentilhomme )( de France qui avoit les armes mieux en la main : aussi l'appeloit- on en Piedmont l'un des Rodomonts de-lâ. Il fut tué à l'assaut de Ilesdin, à la dernière reprise. Il fut dédié par ses père et mère aux lettres, et pour ce il fut envoyé à l'aage de dix-huit ans en Italie pour estudier, et s'arresta à Ferrare, pour ce que madame Renée de France, duchesse de Ferrare, aimoit fort ma mère, et pour ce le retint là pour vaquer à ses études, car il y avoit uni- versité. Or, d'autant qu'il n'y estoit Qây.ny propre, il n'y vaquoii / gueres, ains plutost s'amusa à faire la cour et l'amour: si bien qu'il s'amouracha fort d'une _damoiselle françaiseveufvej. qui estoit à madame de Ferrare, qu'on appeloit nîâcIemoiselle^La Roche ( i ) , et en tira de la jouissance, s'eutr'aimant si fort l'un et l'autre, que mon frère, ayant esté rappelé de son père, le voyant mal pro- pre pour les lettres, fallust qu'il s'en relouniast. Elle qui l'aimoit, ;. et qui craignoit qu'il ne luy mesadviul, parce qu'elle sentoil fort de / Luther, qui voguoit pour lors, pria mou frère de l'emmener avec ' \ liiy en France, et eu la cour de la reyne de Navarre, Marguerite, à qui elle avoit esté, et l'avoit donnée à madame Renée lorsqu'elle lut mariée, et s'en alla en Italie, ftlon^" frère, qui estoit jeune et sans aucune considération, estant bien aise de celte bonne com- pagnie, la conduisit jusques à Paris, où estoit pour lors la Reyne, qui fut fort aise de la voir, car c'estoit la femme qui avoii le plus

(1) i-a y 01 lie.


278 VIES DES DASlEi GALANTES.

d'esprit et disoit des mieux, et estoit une veufve belle et accomplie en tout. Mon frère, après avoir demeuré quelques jours avec ma grand-mere et ma mère, qui estoienl lors en sa Cour, s'en letourna voir son père. Au bout de quelque temps, se dégoustanl fort des lettres, et ne s'y voyant propre, les quitte tout à plat, et s'en va aux guerres de Piedmont et de Parme, où il acquit beaucoup d'honneur, et les pratiqua l'espace de cinq à six mois sans venir à sa maison; au bout desquels il vint voir sa mère, qui esloit lors à la Cour avec la reyne de Navarre, qui se lenoit lors à Pau, à laquelle il fit révérence ainsi qu'elle tournoit de vespres. Elle, qui esloit la meilleure princesse du monde, luy lit une fort bonne chère, et, le prenant par la main, le pourmena par l'église environ une heure ou deux, luy demandant force nouvelles des guerres de Piedmont et d'Italie, et plusieurs autres particularitez auxfjuelles mon frère respoiidit si bien, qu'elle en fut satisfaite (car il disoit des mieux) , tant de son esprit que de son corps, car il estoit très-beau gentilhomme, et de l'aage de vingt-quatre ans. Enfin, après l'avoir entretenu assez de temps, et ainsi que la nature et la complexion de cette honorable princesse estoit de ne dédaigner les belles conversations et entreliens des honnestes gens, de propos en propos, tousjours en se pourmenant, vint précisément arrester coy mon frère sur la tombe de mademoiselle de La Roclie, qui esloit morte il y avoit trois mois; puis le prit par la main et luy dit : « Mon cousin (car ainsi l'appeloit-elle, d'autant qu'une fille » d'Albret avoit esté mariée en noire maison de Bourdeille ; mais » pour cela je n'en mets pas plus grand pot au feu, n'y n'en » augmente davantage mon ambition), ne sentez-vous point rien » mouvoir sous vous et sous vos pieds?— Non, madame, respondil- » il. — Mais songez-y bien, mon cousin, lui répliqua-elle. » Mon » frère lui respondil : « Madame, j'y ay bien songé, mais je ne sens >i nen mouvoir; car je marche sur une pierre bien ferme — r Or, i> je vous advise, dit lors la Reyne, sans le tenir plus en suspens, »-■ que vous estes sur la tombe et le corps de la pauvre mademoi- y selle de La Roche, qui est ici dessous vous enterrée, que vous X avez tant aimée ; et puis quêjes âmes ont du sentiment après » nostre mort, il ne faut pas douter que cette honneste créature, k morte de frais, ne se soit esmue aussi-tost que vous avez esté • sur elle ; et si vous ne l'avez senty à cause de l'espaisseur de la » tombe, ne faut douter qu'en soy ne se soit esmue et ressentie; » et d'autant que c'est un pieux office d'avoir souvenance des très-


DISCOURS V. 279

» passés, et mesme de ceux que l'on a aimez, je vous prie luy » donner un Pater noster et un j4ve Maria, et un De pro- » fundis, et l'arrousez d'eau bénits; et vous acquerrez le nom » de irès-lidèle amant et d'un bon ciiresiien. Je vous jaimy donc / » pour cela, et pars. » Et s'en va. Feu mon frère ne (aïllit à ce qu'elle avoit dit, et puis l'alla trouver, qui luy en fit un peu la guerre, car elle en estoit commune en tout bon propos et y avoit bonne grâce. Voilà l'opinion de cette bonne princesse laquelle la tenoit plus par gentillesse et par forme de devis que par tréance, à mon advis. Ces propos gentils me font souvenir d'une tpitaphe d'une courtisanne qui est enterrée à Rome à Nostre- Dame del Populo, où il y a ces mots : Quœso, vialor, ne me diutius calcalam, amplius cakes : « Passant, m'ayant tant de t> fois foulée et irépée, je te prie ne me tréper ny ne me fouler » plus. » Le mot latin a plus de grâce. Je mets tout cecy plus pour risée que pour autre chose. Or, pour faire iiit, ne se fau* esbahir si cette dame espagnole tenoit celte maxime des belles dames qui se sont fort aimées, et ont aimé et aiment, et se plaisent à estre louées, bien qu'elles ne tiennent guieres du passé ; mais pourtant c'est le plus grand plaisir que vous leur pouve? donner, et qu'elles aiment plus, quand vous leur dites que ce sont tausjours elles, et qu'elles ne sont nullement changées nj envieillies, et sur-tout qui ne deviennent point vieilles de la ceinture jusqu'au bas.

J'ay ouy parler d'une fort belle et honneste dame qui disoit un jour à son serviteur : « Je ne sais que désormais la vieillesse m'ap- » portera plus grande incommodité (car elle avoit cinquanie'-cinq » ans) ; mais Dieu merci, je ne le fis jamais si bien comme je le » fais, et n'y pris jamais tant de plaisir ; que si cecy dure et con- » tinuë jusqu'à mon extrême vieillesse, je ne m'en soucie d'elle » autrement, ny ne plains point le passé. » Or, touchant l'amour et la concupiscence', j'ay allégué ici et ailleurs assez d'exemples, sans en tirer davantage sur ce sujet. Venons maintenant à l'autre maxime, touchant cette beauté des belles femmes qui ne se diminue par vieillesse de la ceinture jusques en bas. Certes, sur cela, cette dame espagnole allégua plusieurs belles raisons et gentilles comparaisons, acconiparant ces belles dames à ces beaux, vieux et superbes édifices qui ont esté, desquels la ruine en demeure encor belle ; ainsi que l'on voit à Rome, en ces orgueil- leuses antiquitez, les ruines de ces beaux palais, ces superbes


580 VIES DES DAMES GALANTES.

colissées et grands termes, qui monstrent bien encore quels ont esté, donnent encore admiration et terreur à tout le monde, et la ruine en demeure admirable et espouvantable ; si-bien que sur ces ruines ont y bastit encore de très-beaux édifices, monslrant que les fondements en sont meilleurs et plus beaux que sur d'au- tres nouveaux : ainsi que l'on voit souvent aux massonneries que nos bons architectes et massons entreprennent ; et s'ils trouvent quelques vieilles ruines et fondements, ils bastissent aussi-tost dessus, et plus-tost que sur de nouveaux. J'ay bien veu aussi sou- vent de belles galleres et navires se bastir et se refaire sur de vieux corps et de vieilles carennes, lesquelles avoient demeuré long-temps dans un port sans rien faire, qui valloient bien autant que celles que l'on baslissoit et charpeiitoit tout à neuf, et de bois neuf venajit de la forest. Davantage, disoit cette dame espagnole, ne void-on pas souvent les sommets des hautes tours par les vents, les orages, les tonnerres eslre emportez, défraudez et gastez, et le bas de- meurer sain et eniier? car tousjours à telles hauteurs telles lem- pestes s'adressent ; mesmes les vents marins minent et mangent les pierres d'enhaut, et les concavent plustost que celles du bas , pour n'y estre si exposées que celles d'enhaut. De mesme, plu- sieurs belles dames perdent le lustre et la beauté de leurs beaux visages par plusieurs accidents, ou de froid ou de chaud, ou de soleil et de lune, et autres, et, qui pis est , de plusieurs fards qu'elle y applicquent, pensans se rendre plus belles, et gasleni tout; au lieu qu'aux partis d'enbasn'y applicquent autre fard que le naturel spermatic, n'y sentant ni froid, ny pluye, ny vent, ny soleil, ny lune, qui n'y touchent point. Si la chaleur les importune, elles s'en sçavent bien garantir et se raffraischir; de mesmes remédient au froid en plusieurs façons : tant d'incommo- ditez et peines y a-t-il à garder la beauté d'enhaut, et peu à garder celle d'enbas : si-bien qu'encore qu'on ayt veu une belle femme se perdre par le visage, ne faut présumer qu'elle soit perdue par le bas, et qu'il n'y reste encor quelque chose de beau et de bon, et qu'il n'y fait point mauvais bastir.

— J'ay ouy conter d'une grande dame qui avoit esté très-belle et bien adonnée à l'amour : un de ses serviteurs anciens l'ayant perdue de veuë l'espace de quatre ans, pour quelque voyage qu'il entreprit, duquel retournant, et la trouvant fort changée de ce beau visage qu'il luy avoit veu autres fois, et par ce en devint fort dégouslé et reffroidy, qu'il ns la voulut plus attaquer, ny


DISCOURS V. 281

renouveller avec elle le plaisir passé. Elle le recogneul bien, et fit tant qu'elle trouva moyen qu'il la vint voir dans son lict; et, pour ce, un jour elle contrefit de la malade, et lui l'estant venue voir sur jour, elle luy dit : « Je sçay bien, mcnsieur, que vous me des- » daignez à cause de mon visage changé par mon aage ; mais « tenez, voyez ( et sur ce elle luy descouvrit toute la moitié du » corps nud en bas) s'il y a rien de changé là; si mon visage » vous a trompé, cela ne vous trompe pas. » Le gentilhomnie la contemplant, et la trouvant par-là aussi belle et nette que jamais, entra aussitost en appétit , et mangea de la chair ([u'il pensoit estre pourrie et gastée. « Et voilà, dit la dame, monsieur, » voilà comme vous autres estes trompez. Une autre fois, n'ad- » jouslez plus de foy aux menteries de nos faux visages ; car le » reste de nos corps ne les ressemble pas toujours. Je vous » apprens cela. » Une dame comme celle-là, estant ainsi devenus changée de beau visage, fut en si grand colère et despit contre luy, qu'elle ne le voulut oncques plus jamais mirer dans son miroir, disant qu'il en estoit indigne ; et se faisoit coiffer à ses femmes, et, pour récompense, se miroitets'arregardoit par les parties d'en- bas, y prenant autant de délectation comme elle avoit fait par le visage autresfois.

— J'ay ouy parler d'une autre dame, qui, tant qu'elle cou- choit sur jour avec son amy, elle couvroit son visage d'un beau mouchoir blanc d'une fine toile d'Hollande, de peur que, la voyant au visage, le haut ne refroidist et empeschast la batterie du bas, et ne s'en degouslast; car il n'y avoit rien à dire au bas du beau passé. Sur q'ioy il y eut une fort honneste dame, dont j'ay ouy parler, qui rencontra plaisamment, à laquelle un jour son mary luy demandant « pourquoy son poil d'en-bas n' estoit pas devenu » blanc et .chenu (omme celuy de la teste : Hà, dit-elle, le aies- t chant iraislre qu'il est, qui a fait la folie, ne s'en ressent point, » ny ne la boit point. Il la fait sentir et boire à d'autres de mes B membres et à ma teste; d'autant qu'il demeure toujours, sans B changer, et en mesme estât et vigueur, en mesme disposition, a et sur-tout en mesme chaud naturel, et a nieime appétit et » santé, et non des autres membres, qui en ont pour luy des » maux et des douleurs, et mes cheveux qui en sont devenus blancs » et chenus. » Elle avoit raison de parler ainsi ; car cette partie leur engendre bien des douleurs, des gouttes et des maux , sans que leur gallant du milan s'en sente; et, pour trop estre chaudes

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585 VIES DES DAMES GALANTES.

à cela, ce disent les médecins, deviennent ainsi chenues. Voilà pourquoy les belles dames ne vieillissent jamais par-l;i en toutes les deux façons.

— J'ay Guy raconter à aucuns qui les ont pratiquées, jusques aux courlisannes, qui m'ont asseuré n'en avoir veu guères de belles estres venues vieilles par-là: car tout le bas et milan, et cuisses et jambes, avoient le tout beau, et la volonté et la dis- position pareille au passé. Mesmes j'en ay ouy parler à plusieurs niarys qui trouvoient leurs vieilles (ainsi les appeloient-ils) aussi belles par le bas comme jamais, en vouloir, en gaillardise, en beauté, et aussi volontaires, et n'y trouvoient rien de changé que le visage ; et aimoient autant coucher avec elles qu'en leurs jeunes ans. Au reste, combien y a-t-il d'Iiommes qui aiment au- tant de vieilles dames pour monter dessus plustost que sur des jeunes; tout ainsi comme plusieurs qui aiment mieux des vieux chevaux, soit pour le jour d'un bon affaire, soit pour le manège et pour le plaisir, qui ont esté si bien appris en leur jeunesse, qu'en leur vieillesse vous n'y trouverez rien à dire, tant ils ont esté bien dressés, et ont continué leur gentille addresse.

— J'ay veu à l'escurie de nos roys le cheval qu'on appelloit le Quadragant, dressé du temps du roy Henry. 11 avoit plus de vingt-deux ans; mais encore, tout vieux qu'il estoit, il faisoit très-bien et n'avoit rien oublié ; si bien qu'il donnoit encore à son roy, et à tous ceux qui le voyoient manier, du plaisir bien grand. J'en ay veu faire de mesmes à un grand coursier qu'on appeloit le Gonzague, du haras de Mantouë, et estoit contempo- rain du Quadragant. J'ay veu le Moreau superbe, qui avoit esté mis pour eslalon. Le seigneur M. Antonio, qui avoit la charge du haras du Roy, me le monstra à Mun, un jour que je passay pf.r-là, aller à deux pas et un sault, et à voiles, aussi bien que lorsque M. de Carnavallet l'eut dressé, car il estoit à luy ; et feu M. de Longueville luy en voulut donner trois mille Hvres de rente; mais le roy Charles ne le voulut pas, qui le prit pour luy, et le récompensa d'ailleurs. Une infinité d'autres en nommerois-je, mais je n'aurois jamais fait, m'en remettant aux braves escuyers, qui en ont prou veu. Le feu roy Henry, au camp d'Amiens, avoit choisi pour son jour de bataille le £ay de la JPay, un très-beau et fort courcier et vieux ; et mourut de la lièvre, par le dire des plus experts mareschaux, au camp d'A- miens ; ce qu'on trouva estrange. Feu M. de Guise envoya que-


DISCOUIIS V. S83

rtr en son haras d'EscIairon le Bay Samson, qui servoit là d'estalon, pour le servir en la bataille de Dreux, où il le servit très-bien. Aux premières guerres, feu !\I. le prince prit dansMun vingt-deux chevaux qui servoienl-là d'cstalous, pour s'en servir en ses guerres, et les départit aux uns et aux autres des seigueurs qui estoient avec luy, s'en estant réservé sa part ; dont le brave Avaret eut un courcier que M. le connestable avoil donné au roy Henry, et l'appeloil-on le Compère : tout vieux qu'il esloit, jamais n'en ùit veu un meilleur, et son maistrelelit trouver eu de bons combats, qui luy servit très-bien. Le capitaine Dourdcl eut le Turc, sur lequel le feu roy Henry fut blessé et tué, que feu M. de Savoye luy avoit donné, et l'appelloit-on le. Malheureux : et s'appelloit ainsi quand il fut donné au Roy, ce qui fut un très-mauvais présage pour le Roy. Jamais il ne fut si bon en sa jeunesse comme il fut en sa vieillesse : aussi son raaistre, qui estoit un des vaillants gentilshom- mes de France, le faisoitbien valloir. Bref, tout tant qu'il en eust de ces estalons, jamais l'aage m'empescha qu'ils ne servissent bien à leurs maislres, à leur prince et à leur cause. Ainsi sont plusieurs chevaux vieux qui ne se rendent jamais: aussi dit-on que jamais bon cheval ne devint rosse. De mesme sont plusieurs dames, qui en leur vieillesse valent bien autant que d'autres en leur jeunesse, et don- nent bien autant de plaisir," pour avoir esté en leur temps très-bien apprises et dressées ; et volontiers telles leçons mal-aisément s'ou- blient : et ce qui est le meilleur, c'est qu'elles sont fort libérales et larges à donner pour entretenir leurs chevaliers et cavalcadours, qui prennent plus d'argent et veulent plus grand entrelien pour mon- ter sur une vieille monture que sur une jeune ; qui est au contraire des escuyers, qui n'en prennent tant des chevaux dressés que des jeunes et à dresser : ainsi la raison en cela le veut.

Une question sur le sujet des dames aagées ay-je veu faire, à savoir quelle gloire plus grande y a-l-il à desbaucher une dame aagée et en jouir, ou une jeune. A aucuns ay-je ouy dire que c'est pour la vieille, et disoient que la folie et la chaleur qui est en la jeunesse, sont de soy assez toutes desbauchées et aisées à perdre ; mais la sagesse et la froideur qui semblent estre en la vieillesse, malaisément se peuvent-elles corrompre ; et qui les corrompt en est en plus belle réputation. Aussi cette fameuse courtisanne Lays se vantoit et se glorifîoit fort de quoy les philosoplies alloient si souvent la voir et apprendre à son escliole, plus que de tous autres jeunes gens et fols qui allassent. De mesme Flora se


284 VIES DES DAMES GALANTES.

gloritioit de voir venir à sa porte de grands sénateurs romains, plustost que de jeunes fols chevaliers. Ainsi me senib!e-l-il que c'est grand gloire de vaincre la sagesse qui pourroil eslre aux vieilles personnes, pour le plaisir et contentement. Je m'en rapporte à ceux qui l'ont expérimenté, dont aucuns ont dit qu'une monture dressée est plus plaisante qu'une farouche et qui ne sçait pas seulement trotter. Davantage, quel plaisir et quel plus grand aise peut-on avoir en l'ame quand on voit entrer dans une salle du bal, dans des chambres de la Reyne, ou dans une église, ou une autre grande assemblée, une dame aagée de grande qualité et d'alta giiisa (i), comme dit l'Italien, et mesmes une dame d'honneur de la Reyne ou d'une princesse, ou une gouvernante des damoiselles ou filles de la Cour, que l'on prend , et l'on met en cette digne charge pour la tenir sage? On la verra qui fait la mine de la prude, de la chaste, de la vertueuse, et que tout le monde la tient ainsi pour telle, à cause de son aage, et, quand on songe en soy, et qu'on le dit à quelque sien fidèle compagnon et confident : « La voyez-vous-là en sa façon grave, » sa mine sage et dédaigneuse et froide, qu'on diroit qu'elle » ne feroit pas mouvoir une seule goutte d'eau ? Hélas ! quand » je la liens coucliée en son lict, il n'y a girouette au monde » qui se remiie et se revire si souvent et si agilement que 9 font ses reins et ses fesses. » Quant à moi, je croy que celuy qui a passé par-là et le peut dire, qu'il est très-content en soy. Ha ! que j'en ay cogneu plusieurs de ces dames en ce monde, qui cnntrefaisoienl leurs dames sages, prudes et censoriennes, qui es- loient très-débordées et vénériennes quand venoient-là, et que bien souvent on abattoit plustost qu'aucunes jeunes, qui par trop peu rusées, craignent la lutte I Aussi dit-on, qu'il n'y a chasse que de vieilles renardes pour chasser et porter à manger à leurs petits. Nous lisons que jadis plusieurs empereurs romains se sont fort délectez à déliauscher et repasser ainsi ces grandes dames d'hon- neur et de répulalion, autant pour le plaisir et contentement, comme certes il y en a plus qu'en des inférieures, que pour la gloire et honneur qu'il s'attribuoient de les avoir desbaucbées et suppédilées : ainsi que j'en ay cogneu de mon temps plusieurs seigneurs, princes et gentilshommes, qui s'en sont sentis très- ('lorieux et très-contents dans leur ame, pour avoir fait de

|l) De hiine apparence .'


DISCOURS V. J85

mesme. Jules César et Octave son successeur sont esté fort ar- dents à telles couquestes, ainfi que j'ay dit cy-devant ; et après eux Calligula, lequel, conviant à ses fes ins les plus illutres dames romaines avec leurs marys, les contemplant et considérant fort fixement ; mesmes avec la main leur levoit la face, ci aucunes de honte la baissoient pour se sentir dames d'honneur et de répu- tation, ou bien d'autres qui voulussent les contrefaire, et des fort prudes et chastes, comme certainement y en pouvoit avoir peu es temps de ces empereurs dissolus ; mais il falloit faire la mine et en estre quitte pour cela, autrement le jeu ne fust esté bon, comme j'en ay veu faire de mesmes à plusieurs dames. Celles après qui plaisoient à ce monsieur l'Empereur, les prenoil privément et publiquement près de leurs marys, et, les sortant de la salie, les menoit en une chambre, où il en tiroit d'elles son plaisir ainsi qu'il luy plaisoit : et puis les retournoit en leur place se rasseoir, et devant toute l'assemblée loiioit leurs beautez et singularitez qui estoient en elles cachées, les spécifiant de part en part; et celles qui avoient quelques tares, laideurs et deffecluositez, ne les celoit nullement, ains les descrioit et les déclaroit, sans rien déguiser ni cacher. Néron fut aussi curieux, qui pis est encore, de voir sa mère morte, la contempler fixe- ment, et manier tous ses membres, louant les uns et vitupérant les autres. J'en ay ouy compter de mesme d'aucuns grands seigneurs chrétiens, qui ont bien cette mesme curiosité envers leurs mères mortes. Ce n'esloit pas tout de ce Calligula; car il raconloil leurs mouvements, leurs façons lubriques, leur manie- ments et leurs airs qu'elles obser;oient en leur manège, et sur- tout de celles qui avoient esté sages et modestes, ou qui les con- trefaisoient ainsi à table : car, si à la couche elles en vouloient faire de mesme, il ne faut point douter si le cruel ne les me- lassoit de mort si elles ne faisoient tout ce qu'il vouloit pour le îontenter, et crainte de mourir; et puis après les scandalisoit linsi qu'il luy plaisoit, aux dépens et risée commune de ces pau- vres dames, qui, pensans estre tenues fort chastes et sages , comme il y en pouvoit avoir, ou faire des hypocrites, et contre- faire les donne da ben, estoient tout à trac divulguées réputées bonnes vesses et ribaudes; ce qui n'esloit pas mal employé, de les découvrir pour telles qu'elles ne vouloient qu'on les cogneust. Et qui estoil le meilleur, c' estoient, comme j'ay dit, toutes grandes dames, comme femmes de consuls, dictateurs, préteurs.


2g6 VIES DES DA5IES GALANTES.

questears>, sénateurs, censeurs, clievaliers, et d'autres de très- grands estats et dignitez; ainsi que nous pouvons dire aujour- d'huy en notre chrestionlé les reynes, qui se peuvent comparer aux femmes des consuls, puir qu'ils commandoient a tout le monde; les princesses grandes et moyennes, les duchesses grandes et petites, les marquises et niarquisoltes, les comtesses et contines, les baronnesses et clievaleresses, et autres dames de grand rang et riche élofle : sur quoy il ne faut douter que, si plusieurs empereurs et roys enpouvoient faire de mesme envi^rs telles grandes dames, comme cet empereur Calligula, ne le fissent ; mais ils sont chrestiens, qui ont la crainte de Dieu devant les yeux, ses saints commandements, leur conscience, leur honneur, le diffame des hommes, et leurs marys ; car la tyran- nie seroit insupportable à des cœurs généreux. En quoy certes les roys chrestiens sont fort à estimer et louer, de gaigner l'amour des belles dames plus par douceur et amitié que par force et rigueur; et la conquesle en est beaucoup plus belle.

J'ai ouy parler de deux grands princes qui se sont fort pleus à descouvrir ainsi les beautez, gentillesses et singularitez de leurs dames, aussi leurs dilforniitez, tares et deflauis , ensemble leurs manèges, mouvements et lascivetez, non en public pourtant, comme Galligula, mais en privé avec leurs grands amys particuliers. Et voilà le gentil corps de ces pauvres dames bien employé; pensant bien faire et joiieh pour complaire à leurs amants, sont décriées et brocardées.

Or, afin de reprjnftre cncDre nostre comparaison, tout ainsi que l'on voit de beaux édilices baslis' sur meilleurs fondements et de meilleures pierres et matière les uns plus que les autres, et pour ce durer plus longuement en leur beauté et gloire; aussi y a-t-il des corps de dames si bien complexionnez et composez, et empraints en beautez, qu'on void volontiers le temps n'y gagner tant comme sui l'aulres, ny les miner aucunement.

— Il se lit qu'Arlaxerces, entre toutes ses femmes qu'il eut, celle qu'il aima le plus fut Asiasia, qui estoit fort aagée, et toutesfois très-belle, qui avoit été putain de son feu frère Daire. Son lils en devint si fort amoureux, tant elle estoit belle nonobstant l'aage, qu'il la demanda à son père en partage, aussi-bien que la pari du royaume. Le père, par jalousie qu'il en eut, et qu'il pariicipast avec luy ce bon boucon, la fit presiresse du Soleil, d'autant qu'en Perse celles qui ont tel estât se vouent du tout à la cliasielé.

— Nous lisons dans l'histoire de Naples, que Ladislaùs Hon-


DISCOURS V. 287

gre et roy de Naples, assiégea dans Tarente la duche&se Marie, femme de feu Ramniondelo de Balzo, et, après plusieurs assauts et faits d'armes, la prit par composition avec ses enfants, et l'espousa, bien qu'elle fustaagée, mais très-belle, et l'enmiena avec soy à Naples ; et fut appelée la reyne Marie, fort ain.ée de luy et chérie. — J'ay veu mada^pe la duchesse de Valcnliuois, en l'aage de soixante-dix ans, aussi belle de face, aussi fraische et aussi ai- mable comme en l'aage de trente ans : aussi fut-elle fort aimée et servie d'un des grands roys et valeureux du monde. Je le peux dire franchement, sans faire tort à la leaulé de celle dame, car toute dame aimée d'un grand roy, c'est signe que perfeclion ha- bite et abonde eu elle, qui la fait aimer : aussi la beauté donnée des cieux ne doit estre esparguée aux demy-dieux. Je vis celle dame, six mois avant qu'elle mourust, si belle encor, que je ne sçache cœur de rocher qui ne s'en fust émeu, encore qu'aupa- ravant elle s'estoil rompue une jambe sur le pvé d'Orléans^ allant et se tenant à cheval aussi dextremenl et dispostemei<t comme elle avoit fait jamais ; mais le cheval tomba et glissa sous elle. Et, pour telle rupture et maux et douleurs qu'elle endura, il eusl semblé que sa belle face s'en fust changée; mais rien moins que cela, car sa beauté, sa grâce, sa majesté, sa belle ap- parence, estoient toutes pareilles qu'elle avoit toujours eu : et sut tout elle avoit une très-grande blancheur, et sans se farder aucunement ; mais on dit bien que tous les matins elle usoit de quelques bouillons composez d'or potable et autres drogues que je ne sçay pas comme les bons médecins et subtils apolicaires. Je crois que si cette dame eusl encor vescu cent ans, qu'elle n'eust jamais vieilly, fust du visage, tant il esioll bien composé, fust du corps, caché et couvert, tant il esloit de bonne trempe et b elle habitude. C'est dommage que la terre couvre ces beaux corps I J'ai veu madame la marquise de Rotlielin, mère à ma- dame la douairière, princesse de Condé et de feu M. de Longue- ville, nullement offensée en sa beauté ny du temps, ny de l'aage , et s'y entretenir en aussi belle fleur qu'en la première, lors q ue le visage luy rougissoit un peu sur la fin ; mais pour- tant ses beaux yeux, qui estoient des nompareils du monde, dont madame sa fille en a hérité, ne changèrent oncques, et aussi prests à blesser que jamais. J'ai veu madame de La Boui* desiere, depuis en secondes nopces mareschale d'Aumonl, aussi belle sur ses vieux jours que l'on eust dit qu'elle estoit en ses


Î88 VIES DES DAMES «VALANTES.

plus jeunes ans; si-bien que ses cinq filles, qui ont esté des bel- les, ne l'effaçoienl en rien : et volontiers, si le choix fusl été à faire, eust-on laissé les filles pour prendre la mère ; et si avoit eu plusieurs enfants : aussi estoit-ce la dame qui se contregardoit le mieux, car elle estoit ennemie mortelle du serain et de la lune, et les fuyoit le plus qu'elle pouvoit ; le fard commun, pratiqué de plusieurs dames, luy estoit incogneu. J'ay veu, qui est bien plus, madame de Mareuil, mère de madame la marquise de Mezieres, et grand-mère de la princesse Dauphin, en l'aage de cent ans, auquel mourut, aussi .d ispote, fraische et belle et saine qu'en l'aage de cinquante ans : ç'avoil esté une très-belle femme en sa jeune sai- son. Sa fille, madame la dite marquise, avoit esté telle, et mourut ainsi, mais non si aagée de vingt ans, et la taille lui appetissa un peu. Elle estoit tante de madame de Bourdeille, femme à mon frère aisné, qui lui portoit pareille vertu ; car, encore qu'elle eust passé cinquante-trois ans et ait eu quatorze enfants, on diroit, comme ceux qui la voyent sont de meilleur jugement que moy et l'asseu- rent, que ces quatre filles qu'elle a auprès d'elle se monstreut ses sœurs : aussi void-on souvent plusieurs fruits d'hyver et de la der- nière saison, se parangonner à ceux d'esté et se garder, et estre aus.si beaux et savoureux, voire plus. Madame l'admiralle de Brioii, et sa fille, madame de Barbezieux, ont esté aussi très-belles en vieil- lesse. L'on nie dit dernièrement que la belle Paule de Toulouse, tant renommée de jadis, est aussi belle que jamais, bien qu'elle ail quatre-vingts ans, et n'y trouve-t-on rien changé, ny en sa haute taille ny en son beau visage. J'ai veu madame la présidente Cpnite de Bordeaux, tout de mesnie et en pareil aage, et très-aimable et désirable : aussi avoil-elle beaucoup de perfections. J'en noriimerois tant d'autres, mais je n'en pourrois faire la fin.

— Un jeune cavalier espagncF parlant d'amour à une dame aagée, mais pourtant encore belle, elle luy respondit : A mis complétas pesta mancra me habla V. M. ? « Con.ment à mes » compUes me parlez vous ainsi? » Voulant signifier par les compiles son aage et déclin de son beau jour, et l'approche de sa nuict. Le cavalier luy respondit : Sus complétas valeii maSf y son mas graciosas, que las horas de prima de qualquicr olra éama. « Vos compiles vallent plus, et sont plus belles et gra- » cieuses que les heures de prime de quelque autre dame qu « soit. I» Cette allusion est gentille. Un autre parlant de niesme «l'amour à une dame aagée, et l'autre luy remonstrant sa beauté


DISCOURS V. 589

flestrie, qui pourtant ne l'estoit trop, il luy respondit : j^îas vis- peras se cognosce la fiesta : a A vespres la feste se connoist. » On voit encore aujourd'huy madame de Nemours, jadis en son avrii •a beauté du monde, faire affront au temps, encore qu'il efface tout. Je la puis dire telle, et ceux qui l'ont veuë avec moy, que c'a esté la plus belle femme, en ses jours verdoyants, de la chres- tienté. Je la vis un jour danser comme j'ay dit ailleurs, avec la reyne d'Escosse, elles deux toutes seules ensemble et sans autres dames de compagnie, et par ce caprice, que tous ceux et celles qui les advisoient danser ne sceurent juger qui l'emportoit en beauté, et eust-on dit, ce dit quelqu'un, que c'estoient les deux soleils assemblez qu'on lit dans Pline avoir apparu autrefois pour faire esbahir le monde. Madame de Nemours, pour lors madame de Guise, monslroit la taille la plus riche ; et, s'il m'est loisible ainsi de dire, sans offenser la reyne d'Escosse, elle avoit la ma- jesté plus grave et apparente, encor qu'elle ne fust reyne comme l'autre ; mais elle estoit peliie-fiUe de ce grand roy Père du peuple, auquel elle ressembloit en beaucoup de traits du visage, comme je l'ay veu pourtrait dans le cabinet de la reyne de Na- varre, qui monstroit bien en tout quel roy il estoit. Je pense avoir esté le premier qui l'ay appelée du nom de pelite-EUe du roy Père du peuple, et ce fut à Lyon quand le Roy tourna de Pologne, et bien souvent l'y appelois-je : aussi me faisoit-elle cet honneur de le trouver bon, et l'aimer de moy. Elle estoit certes vraye petite-flUe de ce grand roy, et sur-tout en bonté et beauté ; car elle a esté très-bonne, et peu ou nul se trouve à qui elle ayt fait mal ny desplaisir, et si en a eu de grands moyens du temps de sa faveur, c'est-à-dire que celle de l'eu M. de Guise son mary, qui a eu grand crédit en France. Ce sont donc deux très-grandes perfections qui ont esté en cette dame, que bonté et beauté, et que toutes deux elle a très-bien entretenu jasques icy, et pour lesquelles elle a espousé deux honnestes marys, et deux que peu ou point en eust-on trouvé de pareils; et s'il s'en trouvoit encore un pareil et digne d'elle, et qu'elle le voulust pour le tiers, elle le pourroit encor user, tant elle est encor belle. Aussi qu'en Italie l'on tient les dames ferraroises pour de bons et friands morceaux, dont est venu le proverbe, po!a ferraresa, comme l'on dit cazzo mantouan. Sur-quoy, un grand seigneur de ce pays-là pourchassant une fois une belle et grande prin- cesse (le nostre France, ainsi qu'on le loiioit à la cour de ses


290 VIES DES DAMES GALANTES,

belles vertus, valeurs et perfection pour la mériter, il y eut feu M. Dau, capitaine des gardes escossaises, qui rentra mieux que tous, en disant . « Vous oubliez le meillenr, cazzo man- » (uun. « J'ay ouy dire un pareil mot une fois, c'est que le duc de Manlouë qu'on appeloit le Gobin (l), parce qu'il estoit fort bossu, vouloit espouser la sœur de l'empereur Maximilian, il fut dit à elle qu'il estoit ainsi fort bossu. Elle respondit, dit-cn : Non importa purche la campajia habhia qualche diffeilo, ma ch' el sonaglio sia buono (2); voulant entendre le cazzo man- tuan. D'autres disent qu'elle ne profera le mot, car elle estoit trop sage et bien apprise ; mais d'autres le dirent pour elle. Pour tourner encore à cette princesse ferraroise, je la vis, aux nopces de feu M. de Joyeuse, parestre vestue d'une mante à la mode d'Ita- lie, et retroussée à demy sur le bras à la mode sienoise ; mais il n'y eut point encore de dame qui l'elTaçast, et n'y eut aucun qui ne dist : « Cette belle princesse ne se peut rendre encor, tant » elle est belle ; et est bien aisé à juger que ce beau visage » couvre et cache d'autres grandes beautez et parties en elle

  • que nous ne voyons point ; tout ainsi qu'à voir le beau et su-

» perbe front d'un beau basliment, il est à juger qu'au dedans il » y a de belles chambres, anti-chambres, garde-robbes, beaux » recoins et cabinets. » En tant de lieux encor a-t-elle fait pa- roistre sa beauté depuis peu, et en son arriére-saison, et mesme en Espagne aux nopces de M. et madame de Savoye, que l'admi- ration d'elle et de sa beauté, et de ses vertus, y en demeurera gravée pour tout jamais. Si les aisles de ma plume estoient assez fortes et simples pour la porter dans le ciel, je le ferois; mais elles sont trop foibles, si en parleray-je encore ailleurs ; tant il y a que ce c'a esté une très-belle femme en son printemps, son esté et son automne, et son hyver encor, quoy (ju'elle ait eu grande quantité d'ennuys et d'enfants. Qui pis est, les Italiens, mépri sauts une femme qui a eu plusieurs enfants, l'appellent scrofa, qui est à dire une truye; mais celles qui en produisent de beaux, braves et généreux, comme cette princesse a fait, sont à louer, et sont indignes de ce nom, mais de celuy des benistes de Dieu. Je puis faire cette exclamatioa : Quelle mondaine et merveilleuse

(I) De cubtniM , diminutif de cubut , comme qui diroit à quatrt pointes ou boises.

|2) n n'importe paa que la clodke ait quelque défaut, pourvu que son battacl soit bon.


DISCOURS V. 291

Incoustance, que la chose qui est la plus légère et inconstante fait la résistance an temps, qu'est la belle femme I Ce n'est pas moy qui le dit; j'en serois bien marry, car j'estime lort la con- stance d'aucunes femmes, et toutes ne sont inconstantes : c'est d'un autre de qui je tiens cette exclamation. J'alléguerois encore volontiers des dames estrangeres, aussi bien que de nos Fran- çoises, belles en leur autonne et hyver, mais pour ce coup je ne mettray en ce rang que deux. L'une, la reyne Elisabeth d'An- gleterre qui règne aujourd'huy, qu'on m'a dit estre encor aussi belle que jamais. Que si elle est telle, je la tiens pour une belle princesse ; car je l'ay veuë en son esté et en son automne : quant à son hyver, elle y approche fort : si elle n'y est ; car il y a long- temps que je ne l'ay veuë. La première fois que je la vis, je sçav l'aage qu'on luy donnoit alors. Je crois que ce qui l'a maintenue si long-temps eu sa beauté, c'est qu'elle n'a jamais esté mariée, ny a supporté le faix du mariage, qui est fort onéreux, et mesmes quand l'on porte plusieurs enfants. Celte reyne est à loiier en toutes sortes de louanges, n'estoit la mort de cette brave, belle et rare reyne d'Escosse, qui a fort souillé ses vertus. L'autre princesse et dame eslrangere est madame la marquise de Gouast, donne Marie d'Arragon, laquelle j'ay veue une très-belle dame sur sa dernière saison ; et je vous le . vais dire par un discours que j'abregeray le plus que je pourray. Lors que leroy Henry mourut.. le pape Paul quairiesme, Caraffe, et pour l'élection d'un nouveau fallut que tous les cardinaux s'assemblassent. Entr'autres partit de France le cardinal de Guise, et alla à Rome par mer avec les galle- resdu Roy, desquelles estoit général M. le grand-prieur de France, frère dudit cardinal, lequel, comme bon frère, le conduisit aVec seize galleres ; et flrent si bonne dilligence et avec si bon vent ta poupe, qu'ils arrivèrent en deux jours et deux nuicts à Civita- Vetchia, et de-là à Rome ; où estant, M. le grand-prieur voyant qu'on n'estoit pas encor prest de faire nouvelle élection (comme de vray elle demeura trois mois à faire), et par conséquent son frère ne pouvoit retourner, et que ses galleres ne faisoient rien au port, il s'advisa d'aller jusques à Naples voir la ville et y passer son temps. A son arrivée donc , le vice-roy, qui estoit lors le duc d'Alcala, le receut comme si ce fust esté un roy; mais SK'ant que d'y arriver salua la ville d'une fort belle salue qui dura long-temps, et la mesme luy fut rendue de la ville et des chasteaux, qu'on eust dit que le ciel tonnoit estrangemeut


492 «'lES DES DAMES GALANlIiS.

durant cette salue; et tenant ses galleres en batailles et en loljr^, «lassez loin, il envoya dans un esquif M. de l'Estrange, de Lan- guedoc, fort habile et honneste gentilhomme, qui parloit fort bien, vers le vice-roy, pour ne luy donner l'allarme, et lui de- mander permission (encore que nous fussions en bonne paix, mais pourtant nous ne venions que de frais de la guerre) d'en- trer dans le port pour voir la ville et visiter les sépulchres de ses prédécesseurs qui estoient là enterrez, et leur jeiter de l'eau beniste et prier Dieu sur eux. Le vice-roy l'accorda très-libre- ment. M. le grand-prieur donc s'advança et recommença la salue aussi belle et aussi furieuse que devant, tant des canons de cour- cie des seize galleres, que des autres pièces et d'harquebusades, tellement que tout estoit en feu; et puis entra dans le mole fort superbement, avec plus d'eslendarts, de banderolles, de flam- bants de taffetas cramoisi, et la sienne de damas, et tous les for- çats vestus de velours cramoisi, et les soldats de sa garde de mesme, avec mandilles couvertes de passement d'argent, des- quels estoit capitaine le capitaine Geoffroy, Provençal, brave et vaillant capitaine . et bien que l'on trouvast nos galleres fran- çaises très-belles, lestes et bien espaverades, et sur-tout la Réaile, à laquelle n'y avoit rien à redire ; car ce prince estoit en tout très-magnifique et libéral. Estant donc entré dans le monde en un si bel arroy, il prit terre, et tous nous autres avec luy, où le vice-roy avoit commandé de tenir prests des chevaux et des coches pour nous recueillir et nous conduire en la ville, comme de vray nous y trouvasmes cent chevaux, coursiers, ge- nêts, chevaux d'Espagne, barbes et autres, les uns plus beaux que les autres, avec des housses de velours toutes en broderies, les unes d'or, les autres d'argent. Qui vouloit montoit à cheval, montoit qui en coche vouloit, caf il y en avoit une vingtaine des plus b iles et riches et des mieux attelées, et traisnées par des coursiers des plus beaux qu'on eust sceu voir. Là se trou- vèrent aussi force gratids princes et seigneurs, tant du règne qu'espagnols, qui receurent M. le grand-prieur, de la part du nce-roy , très-honnorablement. Il monta sur un cheval d'Es- pagne, le plus beau que j'aye veu il a long-temps, que depuis le vice-roy luy donna, et se manioit très-bien, et faisoit de très- belles courbettes, ainsi qu'on parloit de ce temps. Luy, qui es- toit un très-bon homme de cheval, et aussi bon que de mer, il le fit très-beau voir là-dessus : et il le faisoit très-bien valloir et


DISCOUllS V. Î93

aller, et de fort bonne grâce, car il estoit l'un des plus beaux princes qui fusl de ce temps-là et des plus agréables , des plus accomplis, et de fort haute et belle taille et bien dénoiiée; ce qui n'advient guieres à ces grands hommes. Ainsi il fut conduit par tous ces seigneurs et tant d'autres gentilshommes chez le vice-roy, lequel l'attendoit, et luy fit tous les honneurs du monde, et logea en son palais, et le festoya fort sumptueusement, et luy et sa troupe : il le pouvoit bien faire, car il luy gaigna vingt mille escus à ce voyage- Nous pouN-ions bien estre avec lui deux cents gentilshommes, que capitaines des galleres et autres ; nous fusmes logés chez la pluspart des grands seigneurs de la ville, et très-magnifiquement. Dès le matin, sortant de nos chambres, nous rencontrions des estaffiers si bien créez qui se venoient présenter aussi-tost et de- mander ce que nous voulions faire et où nous voulions aller et pourmener, et si nous voulions chevaux ou coches. Soudain, aussi- tost nostre volonté dite aussi-tost accomplie, et alloient quérir les montures que voulions, si belles, si riches et si superbes, qu'un roy s'en fust contenté ; et puis accommencions et accom- plissions nostre journée ainsi qu'il plaisoit à chacun. Enfin nous n'estions guieres gastez d'avoir faute de plaisirs et délices en celte ville : ne faut dire qu'il n'y en eust, car je n'ai jamais veu ville qui en fust plus remplie en toute sorte. Il n'y manque que la familière, libre et franche conversation d'avec les dames d'honneur et réputation, car d'autres il y en a assez : à quoi pour ce coup sceut très-bien remédier madame la marquise de Gouast, pour l'amour de laquelle ce discours se fait; car, toute courtoise et pleine de toute honnesteté, et pour la grandeur de sa maison, ayant ouy renommer M. le grand-prieur des perfections qui estoient en luy, et l'ayant veu passer par la ville à cheval et recogneu, comme de grand à grand, cela est deu communément, elle qui esloit toute grande en tout, l'envoya visiter un jour par un gentilhomme fort honneste et bien créé, et lui manda que, si son sexe et la coustume du pays lui eussent permis de le visiter, volontiers elle y fust venue fort librement pour luy offrir sa puis- sance, comme avoient fait tous les grands seigneurs du royaume , mais le pria de prendre ses excuses en gré, en luy offrant et ses maisons, et ses chasteaux, et sa puissance. M. le grand-prieur, qui estoit la mesme courtoisie, la remercia fort comme ildevoit, et luy manda qu'il luy iroit baiser les mains incontinent après dis-


394 VIES DES DAMES GALANTES.

ner ; b quoi il ne faillit avec sa suite de tous nous autres qui es- tions avec luy. Nous trouvasmes la marquise dans sa salle avec ses deux filles, donne Antonine, et l'autre donne Hieronyme ou donne Joanne (je ne sçaurois bien le dire, car il ne m'en souvient plus) , avec force belles dames et damoiselles, tant bien en point et de si belle et bonne grâce, que, horsmis uos cours de France et d'Espa- gne, volontiers ailleurs n'ay -je point veu plus belle troupe .d,^âmes. Madame la marquise salua à la française et receut M. le grand- prieur avec un très-grand honneur ; et luy en fit de mesnies, encore plus humble, con mas gran sossiego, comme dit l'Espagnol. Leurs devis furent pour ce coup de propos communs. Aucuns de nous autres, qui sçavions parler italien et espagnol, accostasmes les autres dames, que nous trouvasmes fort honnestes et gallantes, et de fort bon entretien. Au départir, madame la marquise, ayant sceu de M. le grand-prieur le séjour de quinze jours qu'il vouloit faire-là, lui dit : « Monsieur, quand vous ne saurez que faire et » qu'aurez faute de passetemps, lorsqu'il vous plaira venir céans » vous me ferez beaucoup d'honneur, et y serez le très-bien » venu comme en la maison de madame vostre mère ; vous priant » de disposer cette-cy de mesme et ainsi que de la sienne, et y » faire ny plus ny moins. J'ay ce bonheur d'estre aimée et » visitée d'honnestes et belles dames de ce royaume et de cette » ville, autant que dame qui soit; et d'autant que vostre jeu- » nesse et vertu porte que vous aimez la conversation des honnestes « dames, je les prieray de se rendre icy plus souvent que de cous- » tume, pour vous tenir compagnie et à toute cette belle noblesse » qui est avec vous. Voilà mes deux filles, auxquelles je comman- » deray, encores qu'elles ne soient si accomplies qu'on diroit » bien, de vous tenir compagnie à la française, comme de rire, » danser, joiier, causer librement, et modestement, honneste- o ment, comme vous faites à la Copr de France, à quoy je m'offri- )j rois volontiers ; mais il fascheroit fort à un prince jeune, beau » et honneste comme vous estes, d'entretenir une vieille surannée, » fascheuse et peu aimable comm»* moy ; car volontiers vieillesse » et jeuneise ne s'accordent guieres bien ensemble. »

M. le grand-prieur luy releva aussi -tost ces mots, en luy fai- sant entendre que la vieillesse n'avoit rien gaigné sur elle, el que mal-aisément il ne passeroit pas celuy-là, et que son au- tomne surpassoit tous les printemps et estez qui estoient en celte salle. Comme de vray, elle se monstroit encor une très-belle


DLSCOUHS V. I9&

dame et fort aimable, voire plus que ses deux fitles, toutes belles et jeunes qu'elles estoient ; si avoit-elle bien alors près de soixante bonnes années. Ces deux petits mots que M. le grand- prieur donna à madame la marquise luy plurent fort, selon que nous pusmes cognoistre à son visage riant, à sa parole et à sa façon. Nous parlismes de-là extresmement bien édifiés de cette belle dame et surtout M. le grand-prieur, qui en fust aussi-tost espris, ainsi qu'il nous le dit. Il ne faut donc douter si cette belle dame et honneste, et sa belle troupe de dames, convia M. le grand- prieur tous les jours d'aller à son logis; car si on n'y alloit l'après- dinée on y alloit le soir. M. le grand-prieur prit pour sa maistresse sa fille aisnée, encore qu'il aimast mieux la mère ; mais ce fut per adtimbrar la cosa (1).

Il se fit force courements de bague, où M. le grand-prieur em- porta le prix, force ballets et danses. Bref, celte belle compagnie fut cause que, luy ne pensant séjourner que quinze jours, nous y fusmes pour nos six sepmaines, sans nous y fascher nullement, car nous y avions nous autres aussi bien fait des maistresses comme nostre général. Encore y eussions demeuré davantage, sans qu'un courrier vint du Roy son maislre, qui lui porta nouvelles de la guerre eslevée en Escosse; et pour ce falloit mener et faire passer ses galleres de levant en gonant, qui pourtant ne passèrent de huict mois après. Ce fut à ce départir de ces plaisirs délicieux, et de laisser la bonne et gentille ville de Naples : et ne fut à M. nostre général et à tous nous autres sans grandes tristesses et regrets, mais nous faschant fort de quitter un lieu où nous nous trouvions si bien.

Au bout de six ans, ou plus, nous allasmes au secours de Malte. Moy estant à Naples, je m'enquis si madite dame la marquise estoil encor vivante; on me dit qu'ouy, et qu'elle esloit en la ville. Sou- dain je ne faillis de l'aller voir, et fus aussi-tost recogneu par un vieux maistre d'hostel de céans, qui l'alla dire à madite dame que je luy voulois baiser les mains. Elle, qui se ressouvint de mon nom de Bourdeille, me fit monter en sa chr\mbre et la voir. Je la trouvay qui gardoit le lict, à cause d'un petit feu voilage qu'elle avoit d'un costé de joue. Elle me fit, je vous jure, une très-bonw chère : je ne la trouvay "que fort peu changée, et encore si belle qu'elle eust bien fait commettre un péché mortel, fust de fait ou de

(l) Four voiler la choie.


196 VIES DES DAMES GALANTES.

volonté. Elle s'eiiquil fort à moy des nouvelles de M. le grand- prieur, et d'aflection, et comme il estoit mort, et qu'on lui avoit dit qu'il avoit esté empoisonné, maudissant cent fois le malheureux

}ui avoit fait le coup. Je luy dis que non, et qu'elle otast cela de sa

fantaisie, et qu'il estoit mort d'un purisy faux et sourd qu'il avoil gaignéà la bataille de Dreux, où il avoit combattu comme un César tout le jour; et le soir à la dernière charge, s' estant fort échauffé au combat, et suant, se retirant le soir qu'il geloit à pierre fendre, se morfondit, et se couva sa maladie, dont il mourut un mois ou six semaines après. Elle nionslroit, par sa parole et sa façon, de le regretter fort : et notez que, deux ou trois ans auparavant, il avoit envoyé deux galleres en cours sous la charge du capitaine Beaulieu, l'un de ses lieutenants de galleres. Il avoit pris la ban- diere de la reyne d'Escosse, qu'on n' avoit jamais veue vers les mers de levant, ny cogneuë, dont on estoit fort esbahy; car, de prendre celle de France, n'en falloit point parler, pour l'alliance entre le Turc.

M. le grand-prieur avoit donné charge au dit capitaine Beau- lieu de prendre terre à Naples, et de visiter de sa part madame la marquise et ses filles, auxquelles trois il envoyoit force présents de toutes les petites singularitez qui estoient lors à la Cour et au palais, à Paris et en France ; car ledit sieur grand-prieur estoit la libéralité et magnificence mesme : à quoy ne faillit le capitaine Beaulieu, et de présenter le tout, qui fut très-bien receu, et pour ce fut récompensé d'un beau présent. Madame la marquise se resseutoit si fort obligée de ce présent, et de la souvenance qu'il avoit encor d'elle, qu'elle me le réitéra plusieurs fois, dont elle l'en aima encore plus. Pour l'amour de luy elle fit encore une courtoi- sie à un gentilhomme gascon, qui estoit lors aux galleres de M. ie grand-prieur, lequel, quand nous partismes, demeura dans la ville, malade jusqu'à la mort. La fortune fut si bonne pour luy, que, s'addressant à la dite dame en son adversité, elle le fit si bien secou- rir qu'il eschappa, et le prit en sa maison, et s'en servit, que, venant à vacquer une capitainerie en un de ses chasteaux, elle la luy ilonna, et luy fit espouser une femme riche. Aucuns de nous autres »e sceusmes qu'estoit devenu le gentilhomme, et le pensions mort, si non lors que nous fismes ce vojage de Jlalte il se trouva un gentilhomme qui estoit cadet de celuy dont j'ay parlé, qui un jour, sans y penser, parlant à moy de la principale occasion de son voyage qui estoit pour chercher nouvelles d'un sien frère qui avoil


DISCOURS V. Î97

esté à M. le grand-prieur, et estoit resté malade à Naples il y avoit plus de six ans, et que depuis il n'en avoit jamais sceu nouvelles, il m'en alla souvenir, el depuis m'enquis de ses nouvelles aux gens de madame la marquise, qui m'en contèrent, et de sa bonne for- tune : soudain je le rapportay à son cadet, qui m'en remercia fort, et vint avec moi chez ma dite dame qui en prit encor plus de langue, et l'alla voir où il estoit.

Voilà une belle obligation pour une souvenance d'amitié qu'elle avoit encore, comme j'ay dit; car elle m'en fit encore meilleure chère, et m'entretint fort du bon temps passé, et de force autres choses qui faisoient trouver sa compagnie très-belle et très-aimable; car elle estoit de très-beau et bon devis, et très-bien parlante. Elle me pria cent fois ne prendre autre logis ny repas que le sien mais je ne le voulus jamais, n'ayant esté mon naturel d'estre impor- tun ny coquin. Je l'allois voir tous les jours, pour sept ou huict jours que nous demeurasmes, et y estois très-bien venu, et sa chambre m' estoit toujours ouverte sans difficmlté. Quand je luy dis adieu, elle me donna des lettres de faveur à son fils M. le marquis de Pescaire, général pour lors en l'armée espagnole : outre ce, elle me fit promettre qu'au retour je passerois pour la revoir, et de ne prendre autre logis que le sien. Le malheur fut tant pour moy, que les galleres qui nous tournèrent ne nous mirent à terre qu'à 'Terracine, d'où nous allasmes à Rome, et ne pus tourner en arrière ; et aussi que je m'en voulois aller à la guerre d'Hongrie ; mais, estans à Venise, nous sceusmes la mort du grand Soliman. Ce fut- là où je maudis cent fois mon malheur que je ne fusse retourné aussi bien à Naples, où j'eusse bien passé mon temps, et possible, par le moyen de ma dite dame la marquise, j'y eusse rencontré une bonne fortune, fust par mariage ou autrement; car elle me faisoit ce bien de m'aimer. Je croy que ma muUieureuse destinée ne le voulut, et me voulut encore ramener en France pour y estre à jamais malheureux, et où jamais la bonne fortune ne m'a monstre bon visage, si-non par apparence et beau semblant ; d'estre estimé gallant homme de bien et d'honneur prou, mais des moyens et des grades point, comme aucuns de mes compagnons, voire d'autres plus bas, lesquels j'ay veu qu'ils se fussent estimez heureux que j'eusse parlé à eux dans une Cour, dans une chambre de roy ou de reyne, ou une salle, encore à costé ou sur l'espaule, qu'aujourd'huy je les vois advancés comme potirons, et fort aggrandis, bien que je n'aye affaire d'eux et ne les tienne plus grands que moy, ny


298 VIES DES DAMES GALANTES.

que je leur voulusse déférer en rien de la longueur d'un ongle. Op bien pour nioy je peux en cela pratiquer le proverbe que noslre rédempteur Jésus-Christ a profféré de sa propre bouche, que nul ne peut, estre prophète en son pays. Possible, si j'eusse servi des princes eslrangers, aussi bien que les miens, et cherché l'adventure parmy eux comme j'ay fait parmy les nostres, je serois maintenant plus chargé de biens et dignitez que ne suis de douleurs et d'an- nées. Patience : si ma parque m'a ainsi filé, je la maudis; s'il tient à mes princes, je les donne à tous les diables, s'ils n'y sont.

Voilà mon conte achevé de ceite honnorable dame. Elle est morte en une très-grande réputation d'avoir esté une très-belle et bon neste dame, et d'avoir laissé après elle une belle et généreuse lignée, comme M. le marquis son aisné, don Juan, don Carlos, don Césare d' Avales ; que j'ay tous veus et desquels j'en ay parlé ail- leurs : les filles de raesme ont ensuivy les frères.

Or, je fais fin à mon principal discours.


DISCOUUS VI. iij


DISCOURS SIXIEME


Sur ce que le< belles et bonnestes femmes aiment les vaillant; hommei, et les braTes hommes aiment les dames courageosei.


Il ne fut jamais que les belles et honnestes dames n'aimassent les gens braves et vaillants, encore que de leur nature elles soyent poltronnes et timides; mais la vaillance a telle vertu à l'endroit d'elles, qu'elles l'aiment. Que c'est que de se faire aimer à son con- traire, malgré son naturel ! Et, qu'il ne soit vray, Vénus, qui (ut jadis la déesse de beauté, de toute gentillesse et honnesteté, es- tant à mesme, dans les cieux et en la cour de Jupiter, pour choisir quelque amoureux gentil et beau, et pour taire cocu son bon- homme de mary Vulcain, n'en alla aucun choisir des plus mignons» des plus fringants ny des plus Irisés, de tant qu'il y en avoit, mais choisit et s'amouracha du dieu Mars, dieu des armées et des vail- lances, encore qu'il fusl tout sallaud, tout suant de la guerre d'où il venoit, et tout noirci de poussière et malpropre ce qu'il se peut, centanl mieux son soldat de guerre que son mignon de cour; et, qui pis est encore, bien souvent, possible, tout sanglant, revenant des batailles, couchoit-il avec eiie sans autrement se nettoyer et parfumer.

— La généreuse belle reyne Pantasilée, la renommée luy ayant fait à sçavoir les valeurs et vaillances du preux Hector, et ses mer- veilleux faits d'armes qu'il faisoit devant Troye sur les Grecs, au seul bruit s'amouracha de luy tant, que, par un désir d'avoir d'un si vaillant chevalier des enfants, c'est-h-dire filles qui succédassent à son royaume, s'en alla le trouver à Troye, et, le voyant, le con- templant el l'admirant, fit tout ce qu'elle peut pour su mettre en grâce avec luy, non moins par les armes- qu'elle faisoit, que par sa beauté, qui estoit très-rare ; et jamais Heclor ne faisoit saillie Sur ses ennemis qu'elle ne l'y accompagnas!, et ne se meslast aussi avant que Hector là oîi il faisoit le plus chaud ; si que l'on dit que plusieurs fois, faisant de si grandes prouesses, elle en faisoit es- merveiller Hector, tellement qu'il s'arrestoit tout court comme


800 VIES DES DAMES GALANTES.

ravy souvent au milieu des combats les plus forts, et se meltoil un peu à l'escart pour voir et contempler mieux à son aise celle brave reyne à faire de si beaux coups. De-là en avant il est à penser au monde ce qu'ils firent de leurs amours, et s'ils les mirent à exécu- tion : le jugement en peut estre bientost donné; mais tant y a que leur plaisir ne peut pas durer longuement; car elle, pour mieux complaire à son amoureux, se précipitoit ordinairement aux hasard s, qu'elle fut tuée à la fin parmi la plus forte et plus cruelle mes- lée. Aucuns disent pourtant qu'elle ne vid pas Hector, et qu'il esioit mort devant qu'elle arrivast, dont arrivant et sçachani la mort, entra en un si grand dépit et tristesse, pour avoir perdu le bien de sa veuë qu'elle avoit tant désiré et pourchassé de si loing- tain pays, qu'elle s'alla perdre volontairement dans les plus san glantes batailles, et mourut, ne voulant plus vivre puisqu'elle n'a- voit peu voir l'objet valeureux qu'elle avoit le mieux choisi et plus aimé. De mesmes en fit Talleslride, autre reyne des Ama- zones, laquelle traversa un grand pays, et fit je ne sçay combien de lieues pour aller trouver Alexandre le Grand, luy demandant par mercy, ou à la pareille, de ce bon temps que l'on faisoit, et le donnoit-oii pour la pareille ; coucha avec luy pour avoir de la li- géne d'un si grand et généreux sang, l'ayant ouy tant estimer; ce que volontiers Alexandre luy accorda ; mais bien gastéet dégousté s'il eust fait autrement, car la digne reyne esioit bien aussi belle que vaillante. Quinte Curce, Oroze et Justin l'asseurent, et qu'elle vint trouver Alexandre avec trois cents dames à sa suite, lant bien en point et de si bonne grâce, porlans leurs armes, que rien plus; e fit ainsi la révérence à Alexandre, qui la recueillit avec un très- grand honneur, et demeura l'espace de treize jours et treize nuicts avec luy, s'accommoda du tout à ses volontez et plaisirs, luv disant pourtant lousjours que si elle en avoit une fille, qu'elle la garderoit comme un très-précieux trésor : si elle en avoit un fils, qu'elle luy envoyeroit, pour la haine extrême qu'elle port oit au sexe masculin, en matière de régner, et avoir aucun commande- ment parmy elles, selon les loix introduites en leurs conipagnies depuis qu'elles tuèrent leurs marys. Ne faut douter là-dessus que les autres dames et sous-dames n'en firent de mesme et ne se firent couvrir aux autres capitaines et gendarmes du dit Alexandre ; car, en cela, il falloit faire comme la dame.

La belle vierge Camille, belle ei généreuse, et qui servoit si fî- dellement Diane, sa maislresse, parmy les forests et les bois, eu


DISCOURS VI. 301

ses chasses, ayant' senly le vent et la vaillance de Turnus, et qu'il avoit à faire avec un vaillant homme aussi, qui esloit Enée, et qui luy donnoit de la peine, choisit son parti et le vint trouver seule- ment avec trois fort honnestes et belles dames de ses compagnes, qu'elle avoit esleu pour ses grandes amies et fiJeles confidentes, ei Iribades pensez, et pour friquarelle; et pour l'honneur en tous lieux s'en servoit, comme dit Virgile en ses Mneïies, et s'appeloi» l'une Armie la vierge et la vaillante, et l'autre lulle, et la troisiesme Tarpée, qui sçavoit bien bransler la pique et le dard, en deux fa- jons diverses pensez, et toutes trois filles d'Italie. Camille donc vint tinsi avec sa belle petite bande (aussi dit-on petit et beau et bon) trouver Turnus, avec lequel elle fit de très-belles armes, et s'ad- vança si souvent et se mesla parmy les vaillants Troyens, qu'elle fut tuée, avec très-grand regret de Turnus, qui l'honnoroit beau- coup, tant pour sa beauté que pour son bon secours. Ainsi ces da- mes belles et courageuses alloient rechercher les braves et vail- Iant5, les secourans en leurs guerres et combats. Qui mit le feu d'amour si ardent dans la poitrine de la pauvre Didon, si-non la vaillance qu'elle sentit en son Enéas, si nous voulons croire Virgile? Car, après qu'elle l'eut prié de luy raconter les guerres, désolations et destruction de Troye, et qu'il l'en eut contenté, à son grand regret pourtant pour renouveller telles douleurs, et qu'en son dis- cours il n'oubhoit pas ses vaillantises, et les ayant Didon très-bien remarquées et considérées en soy, lorsqu'elle commença à déclarer à sa sœur Anne son amour, les plus prégnantes et principales pa- roles qu'elle luy dit, furent : «c Hà ! ma sœur, quel hoste est cet- » tuy-cy qui est venu chez moyl la belle façon qu'il a, et combien » se monstre-t-il en grâce d'estre brave et vaillant, soit en armes » et en courage! et croy fermement qu'il est extraict de quelque D race des dieux; car les cœurs villains sont couards de nature. » Telles furent ses paroles. Et croy qu'elle se mit à l'aimer, tant aussi parce qu'elle estoit brave et généreuse, et que son instinct a poussoit d'aimer son semblable, aussi pour s'en aider et servir en cas de nécessité. Mais le malheureux la trompa et l'abandonna misérablement; ce qu'il ne devoil faire à cette honneste dame qui luy avoit donné son cœur et son amour ; à luy, dis-je, qui esloit un estranger et un forbanny (l). — Bocace, en son livre des Illustres malheureux, fait un conte

<0 Forliuj,


J02 VIES DES DAMES GALANTES.

d'une duchesse de Furly, nommée Romilde, laquelle, ayant perdu son mary, ses terres et son bien, que Caucan, roy des Avarois, luy avoil tout prit, et réduite à se retirer avec ses enfants dans sou chasteau de Furly, là où il l'assiégea. Mais un jour qu'il s'en ap- ()rochoit pour le recognoistre, Romilde, qui estoitsur le haut d'une tour, le vid, et se mit fort à le contempler et longuement; et le voyant si beau, estant à la fleur de son aage, monté sur un beau cheval, et armé d'un harnois très-superbe, et qu'il faisoit tant de beaux exploict d'armes, et ne s'espargnoit non plus que le moindre soldat des siens, en devint incontinent passionnément amoureuse ; et, laissant arrière le deuil de son mary et les affaires de son chas- teau et de son siège, luy manda par un messager que, s'il la vou- loil prendre en mariage, qu'elle luy rendroil la place dès le jotir ijue les nopces seroient célébrées. Le roy Caucan la prit au mot. Le jour donc compromis venu, elle s'habille pompeusement de ses plus beaux et superbes habits de duchesse, qui la rendirent d'au- tant plus belle, car elle l'esloit très-fort; et estant venue au camp du Roy pour consommer le mariage, afin qu'on ne le pust blasmer qu'il n'eust tenu sa foy, se mit toute la nuict à contenter la du- chesse eschauffée. Puis lendemain au matin, estant levé, fit appeler douze soldats avarois des siens, qu'il estimoit les plus forts et % roides compagnons, et mit Romilde entre leurs mains pour en faire leur plaisir l'un après l'autre; laquelle repassèrent tout une nuict tant qu'ils purent : et le jour venu, Caucan, l'ayant fait appeller, luy ayant fait forces reproches de sa lubricité et dit force injures, la fil empaler par sa nature, dont elle en mourut. Acte cruel et barbare certes, de traitler ainsi une si belle et honneste dame, au lieu de la reconnoisire, la récompenser et traitter en toute sorte de courtoisie, pour la bonne opinion qu'elle avoit eue de sa géné- rosité, de sa valeur et de son noble courage, et l'avoir pour cela aimé î A quoy quelquefois les dames doivent bien regarder, car il y a de ces vaillants qui ont tant accouslumé à tuer, à manier et à battre le fer si rudement, que quelquefois il leur prend des hu- meurs d'en faire de mesme sur les dames. Mais tous ne sont pas de ces complexions ; car, quand quelques honnestes dames leur font cet honneur de les aimer et avoir bonne opinion de leur va- leur, laissent dans le camp leurs furies et leurs rages, et dans des cours et dans des chambres s'accommodent aux douncurs et à toutes les honnestetft et courtoisies. Bandel, daus ses Histoires Ira- qiqms, en raconte une, qui est la plus belle que j'aye jamais leu.


DISCOURS VI. 808

d'une duchesse (io Savoye, laquelle un jour en sortant de sa ville de Thurin, et ayant ouy une peilerine espagnole, qui alloit à Lorelte pour certain veu, s'esorier et admirer sa beauté, et dire

out haut que si une belle et parfaite dame estoit mariée avec son

frère le seigneur de Mendozze, qui estoit si beau, si brave et si vaillant, qu'il se pourroit bien dire partout que les deux plus beaux pairs du monde estoient couplez ensemble. La duchesse, qui en- lendoit très-bien la langue espagnole , ayant en soy très-bien engravés et remarqués ces mois, et dans son ame s'y mit aussi à en graver l'amour, si bien que par un tel bruit elle devint tant passionnée du seigneur de Mendozze, qu'elle no cessa jamais jusques à ce qu'elle eust projeté un feint pellerinage à Saint Jacques, pour Toir son amoureux si-tost conceu ; et, s'estant acheminée en Es- pagne, et pris le chemin par la maison du seigneur de Mendozze, eut temps et loisir de contenter et rassasier sa veuë de l'objet beau qu'elle avoit esleu ; car la sœur du seigneur de Mendozze, qui ac- compagnoit la duchesse, avoit adverty son frère d'une telle et si noble et belle venue: à quoy il ne faillit d'aller au devant d'elle bien en point, monté sur un beau cheval d'Espagne, avec une si belle grâce que la duchesse eut occasion de se contenter de la re- nommée qui luy avoit esté rapportée, et l'admira fort, tant pour sa beauté que pour sa belle façon, qui monstroit à plein la vaillance qui estoit en luy, qu'elle estimoit bien autant que les autres vertus et accomplissements et perfections ; présageant dès lors qu'un jour elle en auroit bien affaire, ainsi que par après il luy servit gran- dement en l'accusation fausse que le comte Pancalier fit contre sa chasteté. Toutes fois, encore qu'elle le tint brave et courageux pour les armes, si fut-il pour ce coup couard en amours; car il se monstra si froid et respectueux envers elle, qu'il ne luy fit nul assaut de paroles amoureuses ; ce qu'elle airnoit le plus, et pour- quoy elle avoit entrepris son voyage ; et, pour ce, dépitée d'un tel froid respect ou plustost de telles couardises d'amours, s'en panit le lendemain d'avec luy, non si contente qu'elle eust voulu. Voilà comment les dames quelquefois aiment bien autant les hommes hardis pour l'amour comme pour les armes, non qu'elles veuillent qu'ils soient effrontez et hardis, impudents et sots, comnae j'en ay cogneu; mais il faut en cela qu'ils tiennent le médium. J'ay cogneu plusieurs qui ont perdu beaucoup de bonnes fortunes pour tels respects, dont j'en ferois de bons contes st je ne craignois m'esgarer trop de mon discours; mais j'espère les faire à part: si


304 VIES DES DAMES GALANTES.

diray-je cetluy-cy. J'ay ouy conter d'autres fois d'une dame, et de* très-belles du monde, laquelle, ayant de mesme ouy renommer un pour brave et vaillant, et qu'il avolt desjà en son aage fait et par- fait de grands exploicts d'armes, et surtout gaignées deux gr andci? et signalées batailles contre ses ennemis (i), eut grand désir de le voir, et pour ce fil un voyage dans la province où pour loi s il y faisoit séjour, sous quelque autre prétexte que je ne diray point". Enfin elle s'achemina; mais et qu'est-il impossible à un brave ' cœur amoureux? Elle le void et contemple à son aise, car il vint fort loing au-devant d'elle, et la reçoit avec tous les honneurs et respects du monde, ainsi qu'il devoit à une si grande, belle et ma- gnanime princesse, et trop, comme dit l'autre, car il luy arriva de mesme comme au seigneur de Mendozze et à la duchesse de Sa- voye; et tels respects engendrèrent pareils mescontentements et dépits, si bien qu'elle partit d'avec luy non si bien satisfaite comme elle y estoit venue. Possible qu'il y eusl perdu son temps et qu'elle n'eust obéy à ses volontez ; mais pourtant l'essay n'en fust esté mauvais, ains fort honorable, et l'en eust-on estimé davantage. De quoy sert donc un courage hardy et généreux, s'il ne se monstre en toutes choses, et mesmes en amours comme aux armes, puisque armes et amours sont compagnes, marchent en- semble et ont une mesme sympathie : ainsi que dit le poète , tout amant est gendarme, et Cupidon a son camp et ses armes aussi-bien que Mars. M. de Ronsard en a fait un beau sonnet dans ses premières amours.

Or, pour tourner encore aux curiositez qu'ont les dames de voir et aimer les gens généreux et vaillants, j'ay ouy raconter à la Reyne d'Angleterre Elisabeth, qui règne aujourd'huy, un jour, elle estant à table, faisant souper avec elle M. le grand- prieur de France, de la maison de Lorraine, et M. d'Anville, au- jourd'huy M. de Montmorency et connestable, parmy ce devis d table et s'estant mis sur les loiianges du feu roy Henry deuxiesme le loua fort de ce qu'il esioit brave, vaillant et généreux, et, ei usant de ce mot, fort martial, et qu'il l'avoit bien monstre ei toutes ses actions; et que pour ce, s'il ne fust mort si tost, elh avoit résolu de l'aller voir en son royaume, et avoit fait accom- moder et apprester ses galères pour passer en France et touchei entre leurs deux mains la foi et leur paix. « Enfin c'estoit une àe

U\ I>fc duc il'Auiou , depuis Heuri III.


DISCOURS VI. 305

» mes envies de le voir; je crois qu'il ne m'en eust retusée, car, » disoii-elle, mon humeur est d'ayraer !es gens vaillants, et veux » mal à la mort d'avoir ravy un si brave roy, au moins avant que

- » je ne l'aye veu. » Celte mesme reyne, quelque temps après, ayant ouy tant renommer M. de Nemours des perfections et valleurs qui estoient en luy, fut curieuse d'en demander des nouvelles à feu M. de Rendan, lorsque le roy François second l'envoya en Escosse faire la paix devant le petit lict qui esloit assiégé; et ainsi qu'il luy en eust conté bien au long, et toutes les espèces de ses grandes et belles vertus et vaillances, M. de Rendan , qui s'entendoit en amours aussi bien qu'en armes, cogneut en elle et son visage que^ que estincelle d'amour ou d'affection, et puis en ses paroles une grande envie de le voir. Par quoy ne se voulant arrester en si beau chemin, fit tant envers elle de sçavoir, s'il la venoit voir, s'il seroit le bien venu et receu; ce qu'elle l'en asseura, et par là présuma qu'ils pourroient venir en mariage. Estant donc de retour de son ambassade à la Cour, en fit au Roy et à M. de Nemours tout le discours; à quoy le roy recommanda et persuada à M. de Nemours d'y entendre : ce qu'il fit avec une très-grande joye, s'il pouvoit parvenir à un si beau royaume par le moyen d'une si belle, si ver- tueuse et honueste Reyne. Pour fin, les fers se mirent au feu; par les beaux moyens que le roy lui donna, il fit de fort grands prépa- ratifs, et très-superbes et beaux appareils, tant d'habillement, chevaux, armes, bref, de toutes choses exquises, sans y rien ob- Hiettre (car je vis tout cela), pour aller parestre devant celle belle princesse; n'oubliant surtout d'y mener toute la fleur de la jeu- nesse de la Cour ; si bien que le fol Greffier, rencontrant là-dessus, disoil que c' esloit la fleur des febves, par-là brocardant la follaslre jeunesse de la Cour. Cependant M. de Lignerolles, très-habile et accort gentilhomme, et lors fort favory de M. de Nemours son maistre, fut depesché vers la dite Reyne, qui s'en retourna avec

I une response belle el très-digne de s'en contenter et de presser et avancer son voyage ; et me souvient que la Cour en tenoit le ma- riage pour quasi fait : mais nous nous donnasmes la garde que, tout k coup, ledit voyage se rompit et demeura court, et avec une très- grande despense, très-vaine et inutile pourtant. Je dirois, aussi bien qu'homme de France, à quoy il tint que cette rupture se fit si-non qu'en passant ce seul mot, que d'autres amours, possible, ky serroyent plus le cœur et le tenoient plus captif et arresté ; car il estoit si accomply en toutes choses et si adroii aux armes el autres


S06 VIES DES DAMKS GALANTES.

vertus, que les dames à l'envy volontiers l'eussent coijru a Force, ainsi que j'en ai vu de plus fringantes et plus chastes, qui rom«  poient bien leur jeusne de chasteté pour luy.

— Nous avons, dans les Cents Nouvelles de la reyne de Net- varre Marguerite, une très-belle histoire de cette damede Milan, qui, ayant donné assignation à feu M. de Bonnivet, depuis amiral de France, une nuict attira ses femmes de chambre avec des espées nues pour faire bruit sur le degré ainsi qu'il seroit prest à se coucher : ce qu'elles tirent très-bien, suivant en cela le commandement de leur maistresse, qui de son côté, fit de l'elTrayée et craintive, disant que c'estoient ses beaux-frères qui s'esioient aperceus de quelque chose, et qu'elle estoit perdue, et qu'il se cachast sous le lict ou derrière la tapisserie. Mais M. de Donnivet, sans s'effrayer, prenant sa cape à l'eniour du bras et son espée de l'autre, il dit : « Et où sont-ils ces braves frères qui » me voudroient faire peur ou mal ? Quand ils me verront, ils >» n'oseront reganier seulement la pointe de mon espée. » Et, ouvrant la porte et sortant, ainsi qu'il vouloit commencer à charger sur ce degré, il trouva ces femmes avec leur tintamarre, qui eurent peur et se mirent à crier et confesser le tout. M. de Bonnivet, voyant que ce n'estoit que cela, les laissa et les re- commanda au diable ; et se rentra en la chambre, et ferma la porte sur lui, et vint trouver sa dame, qui se mit à rire et l'em- brasser, et luy confesser que c'estoit un jeu aposté par elle, et l'asseurer que, s'il eust fait du poltron et n'eust monstre en cela sa vaillance, de laquelle il avoit le bruit, que jamais il n'eust couché avec elle ; et pour s'estre monstre ainsi généreux et as- seuré, elle l'embrassa et le coucha auprès d'elle; et toute la nuict ne faut point demander ce qu'ils firent; car c'estoit l'une des belles femmes de Milan, et après laquelle il avoit eu beaucoup de peine à la gaigner.

— J'ay cogneu un brave gentilhomme, qui un jour estant à Rome couché avec une gentille dame romaine, son mary absent, luy donna une pareille allarme, et fit venir une de ses femmes en sursaut l'advertir que le mary tournoit des champs. La femme, faisant de l'estonnée, pria le gentilhomme de se cacher dans un cabinet, autrement elle estoit perdue. « Non, non, dit » le gentilhomme, pour tout le bien du monde je ne ferois pas » cela ; mais s'il vient, je le tueray. n Ainsi qu'il avoit sauté à son espée, la dame se mit à rire et confesser avoir fait cela à poste


DISCOURS VI. 807

pour l'esprouvep, si son mary luy vouloil faire mal, ce qu'il feroit el iadéfendroil bien.

— J'ay cogneu une très-belle dame qui quitta tout à trac un serviteur qu'elle avoit, pour ne le tenir vaillant, et le changea en «m autre qui ne le ressembloii, mais estoit craint et redouté ex- tresmement de son espée, qui estoit des meilleures qui se trouvas- sent pour lors.

— J'ay ouy faire un conte à la Cour aux anciens, d'une d ame qui estoit à la Cour, maistresse de feu M. de Lorge, le bonhomme, en ses jeunes ans l'un des vaillants el renommez capitaines des gens de pied de son temps. Elle, en ayant ouy dire tant de bien de sa vaillance, un jour que le roy François premier faisoit combattre des lions en sa Cour, voulut faire preuve s'il estoit tel qu'on luy avoit fait entendre, el pour ce laissa tomber un de ses gands dans le parc des lyons, estants en leur plus grande furie, el là-dessus pria M. de Lorge de l'aller quérir s'il l'aimoit tant comme il le di- soil. Luy, sans s'estonner, met sa cape au poing et l'espée à l'au- tre main, et s'en va asseurément parmy ces lyons recouvrer le gand. En quoy la fortune luy fut si favorable, que, faisant toujours bonne mine, et monstrant d'une belle asseurance la pointe de son espée aux lyons, ils ne l'osèrent attaquer; et ayant recouru le gand, il s'en retourna devers sa maistresse et luy rendit; en quoy elle et tous les assistants l'en estimèrent bien fort. Mais on dit que, de beau dépit, M. de Lorge la quitta pour avoir voulu tirer son passe-temps de luy et de sa valeur de cette façon. Eiicores dit-on qu'il luy jeta par beau dépit le gand au nez; car il eust mieux voulu qu'elle luy eust commandé cent fois d'aller enfoncer un bataillon de gens de pied, où il s'esloii bien appris d'y aller, que non de combattre des bestes, dont le combat n'en est guères glorieux. Certes tels essais ne sont ny beaux, ny honnesies, et les personnes qui s'en aident sont fort à reprouver. J'aimerois autant un tour que fit une dame à son serviteur, lequel, ainsi qu'il luy pré- sentoil son service, et l'asseuroil qu'il n'y auroit chose, tant hasar- deuse fust-elle, qu'il ne la fist, elle, le voulant prendre au mot, luy dit : « Si vous m'aimez tant, et que vous soyez si courageux » que vous le dites, donnez-vous de vostre dague dans le bras » pour l'amour de moy. » L'autre , qui mouroit pour l'amour d'elle, la tira soudain, s'en voulant donner: je luy tins le bras et luy ostay la dague, luy remonslrant que ce seroit un grand fol d'aller faire ainsi el de telle façon preuve de son amour et de sa


S08 VIES DES DAMES GALANTES.

valeur. Je ne nommeray point la dame, mais le gentilhomme estoil feu M. de Clermont-Tallard l'aisné, qui mourut à la balaille de Moncontour, un des braves et vaillants gentilshommes de France, ainsi qu'il le monsira à sa mort, commandant à une compagnie de gens-d'armes, quej'aimois elhonorois fort. J'ay ouy dire qu'il en arriva tout de mesme à feu de Genlis, qui mourut en Allemagne, menant les troupes huguenolles aux troisiesmes troubles : car, passant un jour la rivière devant le Louvre avec sa maistresse, elle laissa tomber son mouchoir dans l'eau, qui estoit beau et ri- che, exprès, et luy dit qu'il se jelast dedans pour luy recourre, Luy, qui ne sçavoit nager que comme une pierre, se voulut excuser; mais elle, luy reprochant que c'estoit un coiiard amy, et nullement hardy, sans dire g^re se jeta à corps perdu dedans, et, pensant avoir le mouchoir, se fust noyé s'il n'eust esté aussitost secouru d'un autre batteau. Je crois que telles femmes se veulent défaire par tels essays ainsi gentiment de leurs serviteurs, qui possible les ennuyent. 11 vaudroit mieux qu'elles leur donnassent de belles fa- veurs, et les prier, pour l'amour d'elles, les porter aux lieux ho- norables de la guerre, et faire preuve de leur valeur, ou les y pousser davantage, que non pas faire dé ces sottises que je viens de dire, et que j'en dirois une infinité.

— Il me souvient que, lors que nous allasmes assiéger Rouen aux premiers troubles, mademoiselle de Piennes, l'une des hon- nestes fdies de la Cour, estant en doute que feu M. de Gergeay ne fust esté assez vaillant pour avoir tué lui seul, et d'homme à homme, le feu baron dlngrande, qui estoit un des vaillants gentilshom- mes de la Cour, pour esprouver sa valeur, luy donna une faveur d'une escharpe qu'il mit à son habillement de teste : et, ainsi qu'on vint pour reconnoistre le fort de Sainte-Catherine, il donna si courageusement et vaillamment dans une troupe de chevaux qui estoieiit sortis hors de la ville, qu'en bien combattant il eut un coup de pistollet dans la leste, dont il mourut roide mort sur la place : en quoy ladite demoiselle fut satisfaite de sa valeur; et s'il ne fust mort ce coup, ayant si bien fait, elle l'eust espousé ; mais, doutant un peu de son courage, et qu'il avoit mal tué ledit baron, ce luy sembloit, elle voulut voir celte expérience, ce disoit-elle. Et certes, encor qu'il y ait beaucoup d'hommes vaillants de leur nature, les dames les y poussent encore davantage; el, s'ils son» las et froids, elles les esmeuvent et eschauffent. Nous en avons un très-bel exemple de la belle Agnès, laquelle, voyant le roy Charles Vil


DISCOURS VI. 309

snamouraché d'elle et ne se soucier que de luy faire l'amour, et, mol ei lasche, ne tenir compte de son royaume, luy dit un jour que, lorsqu'elle estoit encores jeune fille, un nstrologue lui avoit prédit qu'elle seroit aimée et servie de l'un des plus vaillants et courageux roys de la chrestienté ; que, quand le Roy lui fit cet noniieur de l'aimer, elle pensoit que ce fust ce roy valleureux qui luy avoit esté prédit; mais le voyant si mol, avec si peu de soin de ses affaires, elle voyoit bien qu'elle estoit trompée, et que «*■ roy si courageux n'esloit pas luy, mais le roy d'Angleterre, q ui faisoit de si belles armes, et luy prenoii tant de belles villes à sa barbe; « dont, dit-elle au Roy, je m'en vais le trouver, car c'est V celuy duquel entendoit l'astrologue. » Ces paroles piquèrent si fort le cœur du Roy, qu'il se mit à plorer; et de-!à en avant, pre^ nant courage, et quittant sa chasse et $es jardins, prit le frein aux dents; si bien que par son bonheur et vaillance, chassa les Anglois de son royaume.

— Bertrand du Guesclin, ayant espousé sa femme, madame Thipbanie, se mit du tout à la contenter et laisser le train de la guerre, luy qui l'avoit tant pratiquée auparavant, et qui avoit ac- quis tant de gloire et de loiiange, mais elle luy en fit une répri- mende et remonstrance, qu'avant leur mariage on ne parloit que de luy et de ses beaux faits, et que désormais on luy pourroit reprocher à elle-mesme une telle disconiinuaiion de son mary; qui portoit un très-grand préjudice à elle et à son mary, d'estre devenu un si grand casannier, dont elle ne cessa jamais jusques à ce qu'elle lui eust remis son premier courage, et renvoyé à la guerre, où il fit encore mieux que devant. Voilà comment celte honneste dama n'aima point tant son plaisir de nuict comme elle faisoit l'honneur de son mary: et certes, nos femmes mesmes, encor qu'elles nous trouvent près de leurs costez, si nous ne sommes braves et vaillants, ne nous sçauroient aymer ny nous tenir auprès d'elles de bon cœur; mais, quand nous retournons ^ des armées, et que nous avons fait quelque chose de bien et de ! beau, c'est alors qu'elles nous ayment et nous embrassent de bon cœur, et qu'elles le trouvent meilleur.

1 — La quatriesme fille du comte de Provence, beau-pere de saint Louis, et femme à Charles, comte d'Anjou, fifère dudit roy, magnanime et ambitieuse qu'elle estoit, se faschant de n'estre que simple comtesse de Provence et d'Anjou, et qu'elle seule de ses trois sœurs, dont les deux estoient reyne et l'autre impératrice.


SIO VIES DES DAMES GALANTES.

De porloit autre titre que de dame et comtesse, ne cessa jamais, jusques à ce qu'elle eust prié, pressé et importuné son mary d'avoir et de conquester quelque royaume; et firent si bien qu'ils furent eslus par le pape Urbain roy et reyne des Deux-Siciles ; et allèrent tous deux à Rome avec trente galleres se faire cou- ronner par sa Sainteté, en grande magnificence, roy et reyne de Jérusalem et de Naples. qu'il conquesta après tant par ses armes valeureuses que par les moyens que sa femme luy donna, vendant toutes ses bagues et joyaux pour fournir aux frais de la guerre : et puis après régnèrent assez paisiblement et longuement en leurs beaux royaumes conquis. Longtemps après, une de letirs petite."- ûlles, descendues d'eux et des leurs, Isabeau à^ Lorraine, fit, sans son mary René, semblable trait; car luy estant prisonnier entre les mains de Charles, duc de Bourgogne, elle estant princesse, sage et de grand magnanimité et courage, de Sicile et de Naples le royaume leur estant escheu par succession, assembla une armée de trente mille hommes, et elle-mesme la mena et conquesta le royaume, et se saisit de Naples. Je nommerois une infinité de dames qui ont servi de telles façons beaucoup à leurs marys , et qu'elles, estant hautes de cœur et d'ambition, ont poussé et en- couragé leurs marys à se faire grands, acquérir des biens et des grandeurs et richesses : aussi est-ce le plus beau et le plus hono- rable que d'en avoir par la pointe de l'espée. J'en ay cogneu beaucoup en nosire France et en nos Cours, qui, plus poussez de leurs femmes, quasi que de leurs volontés, ont entrepris et parfait de belles choses. Force femme ay-je cogneu aussi, qui ne son- geans qu'à leurs bons plaisirs, les ont empeschez et tenus tous- jours auprès d'elles; les empeschant de faire de beaux faits," ne voulant qu'ils s'amusassent si-non à les contenter du jeu de Vénus, tant elles y estoieni aspres. J'en ferois force contes , mais je m'extravaguerois trop de mon sujet, qui est plus beau certes , car il touche la vertu , que l'autre qui lou(;he le vice , et contente plus d'ouyr parler de ces dames qui ont poussé les hommes à de beaux actes. Je ne parle pas seulement des femmes mariées, mais de plusieurs autres, qui, pour une seule petite faveur, ont fait faire à leurs serviteurs beaucoup de choses qu'ils n'eussent pas fait ; car quel contentement leur est-ce , quelle am- bition et eschauCfement de cœur? Est-il plus grande que, quand on est en guerre, que l'on songe que l'on est bien aymé de sa maistresse , et que si l'on fait quelque belle chose pour l'amour


DISCOURS VI. 311

d'elle , combien de bons visages , de beaux aurait , de belles œillades, d'embi assades, de plaisirs, de faveurs, qu'on espère après de recevoir d'elles.

— Scipion, entre autres reprimendes qu'il fit à Massiiiissa lors- que, quasi tout sanglant, il espousa Soplionisba, luy dit qu'il n'es- loi t bien séant de songer aux dames et à l'amour lorsqu'on est à la guerre. Il me pardonnera s'il lui plaist ; mais, quant à moy, je pense qu'il n'y a point si grand contentement , ny qui donne plus de courage ny d'ambition pour bien faire, qu'elles. J'en ay esté logé-là d'aulresfois. Qu;inl à pour moy, je croy que tous ceux qui se trouvent aux combats en sont de mesmes : je m'en rapporte à eux. Je crois qu'ils sont de mon opinion, tant qu'ils sont, et que, lorsqu'ils sont en quelque beau voyage de guerre et qu'ils sont parmy les plus chaudes presses de l'ennemy, le cœur leur double et accroist quand ils songent à leurs dames, à leurs faveurs qu'ils portent sur eux, et aux caresses et beaux recueils qu'ils re- cevront d'elles au partir de-là s'ils en eschapent, et, s'ils viennent à mourir, quels regrets elles feront pour l'amour de leurs irespas. Enfin, pour l'amour de leurs dames et pour songer en elles, toutes entreprises sont faciles et aisées, tous combats leur sont des tour- nois, et toute mort leur est un triomphe.

— Je me souviens qu'à la bataille de Dreux feu M. des Bordes, brave et gentil cavalier s'il en fut de son temps, estant lieutenant de M. de Nevers, dit avant comte d'Eu, prince aussi très-accomply, ainsi qu'il fallut aller à la charge pour enfoncer un bataillon de gens de pied qui marchoit droit à l'avant-garde, où commandoit feu M. de Guise le Grand, et que le signal de la charge fut donné, ledict des Bordes, monté sur un turc gris, part tout aussi-lost, enrichy et garny d'une fort belle faveur que sa maistresse luy avoit donnée (je ne la nommeray point, mais c'estoit l'une des belles et honnestes filles, et des grandes de la Cour); et en par- tant , il dit : « Hà ' je m'en vais combattre vaillamment pour » l'amour de ma maistresse, ou mourir glorieusement. » A ce il ne faillit, car, ayant percé les six premiers rangs, mourut au sep- tiesme, porté par terre. A voslre advis, si cette dame n'avoit pas bien employé sa belle faveur, et si elle s'en devoit desdire pour luy avoir donnée?

— M. de Bussy a esté le jeune homme qui a aussi bien fait va- loir les faveurs de ses maislresses que jeune homme de son temps, et mesmes de quelques-unes que je sçay, qui méritoient plus de


31 ï VIES DES DAMES GALANTES.

combats , d'exploits de guerre, de coups d'espée, que ne fit iamais la belle Angélique des paladins et chevalliers de jadis, tant iirestiens que sarrazins ; mais je luy ouy dire souvent qu'en tant le combats singuliers et guerres et rencontres générales (car il en j fait prou) où il s'est jamais trouvé, et qu'il a jamais entrepris, ce a'estoit point tant pour le service de son prince ny pour ambition, que pour la seule gloire de complaire à sa dame. Il avoit certes rai- son, car toutes les ambitions du monde ne vallent pas tant que l'a- «lour et la bienveillance d'une belle elhonneste dame et maistresse. Et pourquoy tant de braves chevalliers errants de la Table-Ronde, •et de tani de valleureux paladins de France du temps passé, ont entrepris tant de guerres, tant de voyages lointains, tant fait de belles expéditions, si-non pour l'amour des belles dames qu'ils ser- voient ou vouloient servir? Je m'en rapporte à nos palladins de France, nos Rollands, nos Renauds, nos Ogiers, nos Olliviers, nos Yvons, nos Richards, et une infinité d'autres. Aussi c'estoit un boa temps et bien fortuné ; car, s'ils faisoient quelque chose de beau pour l'amour de leurs dames, leurs dames, nullement ingrattes, les en sçavoient bien récompenser quand ils se venoient rencon- trer, ou donner des rendez-vous dans des forests, dans les bois, auprès des fontaines ou en quelques belles prairies. Et voilà le guer- don des vaillantises que l'on désire des dames. Or il y a une de- mande : pôur-quoi les femmes aiment tant ces vaillants hommes, et, comme j'ay dit au commencement, la vaillance a celle vertu et force de se faire aimer à son contraire ? Davantage, c'est une cer- taine inclination naturelle qui pousse les dames pour aimer la gé- nérosité, qui est certainement cent fois plus aimable que la couar- dise : aussi toute vertu se fait plus aimer que le vice. Il y a aucunes dames qui aiment ces gens ainsi pourvus de valeur, d'autant qu'il leur semble que, tout ainsi qu'ils sont braves et adroits aux armci et au mesdier de Mars, qu'ils le sont de mesmes à celuy de Vénuso Cette règle ne faut en aucuns, et de fait ils le sont, comme fut ja- dis César, le vaillant du monde, et force autres braves que j'ay cogneus que je tais , et tels y ont bien toute autre force et grâce ' que des ruraux et autres gens d'autre profession ; si-bien qu'un eoup de ces gens-là en vaut quatre des autres, je dis envers les da- mes qui sont modestement lubriques, mais non pas envers celles qui le sont sans mesure, car le nombre leur plaist. Et si cette règle est bonne quelques fois en aucuns de ses gens, et selon l'humeur d'au- cunes femmes* elle faut en d'autres ; car il se trouve de ces vail'


DISCOURS VI. 31 1

lants qui sont tant rompus de Tharnois et des grandes corvées de guerre, qu'ils n'en peuvent plus quand il faut venir à ce doux jeu, ie sorte qu'ils ne peuvent conte nier leurs dames; dont aucunes, et plusieurs y en a, qui aimeroient mieux un bon artisan de Vénus, frais el bien émoulu, que quatre de ceux de Mars, ainsi a ljebrenez. V J'en ay cogneu force de ce sexe féminin et de celle humeur; car enfin, disent-elles, il n'y a que de bien passer son temps el en ti- rer la quintessence, sans avoir acceplioii de personnes. Un bon homme de guerre est bon, et le fait beau voir à la guerre; mais «'il ne sçail rien faire au lict (disent-elles), un bon gros vallet bien à séjour vaut bien aulaul qu'un beau et vaillant gentilhomme lassé. Je m'en rapporte à celles qui en ont fait l'essay et le font tous les |ours ; car les reins du gentilhomme, tout gallant et brave soil-il, esfans rompus et froissés de l'harnois qu'ils ont lant porté sur eux, ne peuvent fournir à l'appoinlement comme les autres qui n'ont jamais porté peine ni fatigue. D'autres dames y en a-t-il qui ai- ment les vaillants, soient pour marys, soient pour serviteurs, afin qu'il déballent et souslienuent mieux leurs honneurs et leurs chas- tetez, si aucuns médisants il y en a qui les veulent souiller de pa- roles ; ainsi que j'en ay veu plusieurs à la Cour, où j'y ay cogneu d'autresfois une fort belle et grande dame, que je ne nommeray ' point, estant fort sujette aux médisances, quilla un serviteur fort favory qu'elle avoit, le voyant mol à départir de la main et ne bra- ver et ne quereller, pour en prendre un autre qui estoil un esca- , la^reuXj brave et vaillant, qui porloit sur la jiointe de son espée " * l'honneur de sa dame, sans qu'on y osasl aucunement toucher. Force dames ay-je cogneu de celte humeur, qui ont voulu lousjours avoir un vaillant pour leur escorte et deffense ; ce qui leur est très-bon et très-utile bien souvent : mais il faut bien qu'elles se donnent garde de broncher et varier devant eux si elles se sont une fois soumises sous leur domination ; car, s'ils s'apperçoivent le moins du monde de leurs fredaines et mutations, il les mainent beau et les gourmandeut terriblement, et elles et leurs gallants, si elles changent; ainsi que j'en ay veu plusieurs exemples en ma vie. Voilà donc, telles femmes qui se voudront mettre en posses- sion de tels braves et scalabreux, faut qu'elles soient braves et très-constantes envers eux, ou bien qu'elles soient si fort secrètes «n leurs affaires, qu'elles ne se puissent évantsr : si ce n'est qu'elles voulussent faire en composant, comme les courlisannes d'Ilalie et de Rome, qui veulent avoir un brave ( ainsi le nomment-elles )

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314 VIES DES DAMES GALAiNTES.

pour les défendre et maintenir ; mais elles mettent tousjours par le marché qu'elles auront d'autres concurrences, et que le brave n'en sonnera mot. Cela est fort bon pour les courtisannes de Rome et pour leurs braves, non pour les gallants gentilshommes de nostre France ou d'ailleurs. Mais si une honnesle dame se veut maintenir en sa fermeté et constance, il faut que son serviteur n'es- pargne nullement sa vie pour la maintenir et défendre si elle court la moindre fortune du monde, soit, ou de sa vie, ou de son honneur, ou de quelque meschante parole ; ainsi que j'en ay veu en nostre Cour plusieurs qui ont fait taire les médisants tout court, quand ils sont venus à détracter de leurs maistresses et dames; auxquelles, par devoir de chevallerie et par les lois, nous sommes tenus de servir de champions en leurs afflictions; ainsi que fit ce brave Renaud de la belle Genevre en Escosse, le seigneur de Mendozze à cette belle duchesse que j'ay dit, et le seigneur de Carouge à sa propre femme du temps du roy Char- les sixiesme, comme nous lisons dans nos Croniques. J'en allé- guerois une infinités d'autres, et du vieux et du nouveau temps, ainsi que j'ay veu en nostre Cour; mais je n'aurois jamais fait. D'autres dames ay-je cogneues qui ont quitté des hommes pusila- nimes, encores qu'ils fussent bien riches, pour aimer et espouser des gentilshommes qui u'avoient que l'espée -et la cappe, pour manière de dire ; mais ils estoient valeureux et généreux, et avoient espérance, par leurs valeurs et générosilez, de parvenir aux grandeurs et aux estais, encore certes que ne ne soient pas les plus vaillants qui le plus souvent y parviennent, en quoy on leur fait tort pourtant; et Lien souvent voit-on les couards et pu- silanisnies y parvenir ; mais, quoy qu'il soit, telle marchandise ne paroist point sur eux comme quand elle est sur les vaillants. Or je n'aurois jamais fait si je voulois raconter les diverses causes et raisons pourquoy les dames aiment ainsi les hommes remph's de générosité. Je sçay bien que si je voulois amplifier ce dis-

o urs d'une infinité de raisons et d'exemples, j'en pourrois faire

un livre entier; mais ne me voulant amuser sur un seul sujet, f ai ns en varier de plusieurs et divers, je me contenteray d'en

avoir dit ce que j'ay dit, encore que plusieurs me pourront re-

1 prendre que celiuy-cy estoit bien assez digne pour eslre enrichy de plusieurs exemples et prolixes raisons, qu'eux-mesmes pourront i bien : a 11 a oublié celluy-cy, il a oublié cetiuy-là. » Je le sçay bien, et en sçay possible plus qu'ils ne pourront alléguer, et des


DISCOURS Yl. 3t5

plus sublins et secrets; mais je yeux les tous publier et nommer. Voilà pourquoy je me tais. Toutefois, avant que faire pose, je di- rai ce mot en passant, que, tout ainsi que les dames aiment les hommes vaillants et hardis aux armes, elles aiment aussi ceux qui le sont en amours ; et jamais homme couard et par trop respec tueux en icelles n'aura bonne fortune ; non qu'elles les veuillent si outrecuidez, hardis et présomptueux, que de haute lutte les vins- sent porter par terre ; mais elles désirent en e^ix une certaine mo- destie hardie, ou hardiesse modeste ; car d'elles-mesmes, si ce ne sont des louves, ne vont pas requérir ni se laisser aller, mais elles en sçavent si bien donner les appétits, les envies, et attirent si gentiment h l'escarmouche, que qui ne prend le temps à point et ne vient aux prises, sans aucun respi-ct de majesté et de gran- deur, ou de scrupule, ou de conscience, ou de crainte, ou de quel- que autre sujet, celuy vrajement est un sol et sans cœur, et qui mérite à jamais estre abandonné de la bonne fortune.

— Je sçay deux honnestes gentilshommes compagnons, pour lesquels deux fort honnestes dames, et non certes de petite qualité, ayant fait pour eux une partie un jour à Paris, et s'aller pourmener en un jardin, chacune, y estant, se sépara à l'escart l'une de l'autre, avec un chacun son serviteur, en cha- cune son allée, qui estoit si couverte de belles treilles que le jour quasi ne s'y pouvoit voir, et la fraischeur y estoit gra- cieuse. Il y eut un des deux hardy, qui, cognoissant celle partie n'avoir esté faitie pour se pourmener et prendre le frais, et selon la contenance de sa dame qu'il voyoil brusler en feu , et d'autre envie que de manger des muscats qui esloient en la treille, et selon aussi les paroles eschauflées, affettées et folasires, ne perdit si belle occasion; mais, la prenant sans aucun respect, la mit sur un petit lict qui estoit fait de gazons et de molles de terre; il en jouit fort doucement, sans qu'elle dist autre chose, si-non : a Mon Dieul que voulez-vous faire? N'ètes-vous pas le » plus grand fol et eslrange du monde ? et si quelqu'un vient, n que dira-l-on? Mon Dieu, ostez-vous. » Mais le gentilhomme, sans s'estoniier, continua si bien, qu'il en partit si content, et elle et tout, qu'ayant fait encor trois ou quatre tours d'allée, ils re- commencèrent encore une seconde charge. Puis, sortant de là en autre allée couverte, ils virent d'autre coslé l'autre gentilhcimme et l'autre dame, qui se pourmenoient ainsi qu'ils les y avoient laissez auparavant. Â quoy la dame contente dit au gentilhomme


316 VIES DES DAMES GALANTES.

.montent : « Je croy qu'un tel aura fait du sot, et qu'il n'aura » fait à sa dame autre entretien que de paroles, de discours et » de pourmenades. » Donc, tous quatre s'assemblans, les deux daines se vindrent à demander de leurs fortunes. La contente respondit qu'elle se porloit fort bien elle, et que pour le coup elle ne se sauroit pas mieux porter. La mécontente de son costé dit qu'elle avoit eu affaire avec le plus grand sot et le plus couard amant qui s'estoit jamais veu. Et surtout les deux gentilshommes les virent rire et crier entre elles deux en se pourmeoant. « le sot I ô le couard ! ô monsieur le respectueux ! » Sur quoy le gen- tilhomme content dit à son compagnon : « Voilà nos dames qui » parlent bien à vous , elles vous foiieltent : vous trouverez que » vous avez fait trop du respectueux et du badin. » Ce qu'il advoua : mais il n'estoit plus temps, car l'occasion n'avoit plus de poil pour la prendre. Toutesfois, ayant cogneu sa faute, au bout de quelque temps il la repara par quelque certain autre moyen que je dirois bien.

— J'ay cogneu deux grands seigneurs et frères, et tous deux bien parfaits et bien accomplis, qui, aymans deux dames, mais il y en avoit une plus grande que l'autre en tout, et estant en- trez en la chambre de cette grande qui gardoit pour lors le lict, chacun se mit à part pour entretenir sa dame. L'un entretient la grande avec tous les respects et tous les baisements humbles qu'il put, et paroles d'honneur et respectueuses, sans faire jamais aucun semblant de s'approcher de près ny vouloir forcer la roque. . L'autre frère, sans cérémonie d'honneur ny de paroles, prirTa J^ dame à un coing de fenesire, et lui ayant tout d'un coup essarté ses caleçons qui estoient bridez (car il estoit bien fort), luy fil sentir qu'il n'aimoit point à l'espagnole, par les yeux, ny par les gestes de visage, ny par paroles, mais par le vray et propre point et effet qu'un vray amant doit souhaiter: et ayant achevé son prix-fait, s'en part de la chambre, et en partant dit à son frère, assez haut que sa dame Touyl: « Mon frère, si vous ne faites » comme moy vous ne faites rien, et vous dis que vous pouvez » estre tant brave et hardy ailleurs que vous voudrez; mais si » en ce lieu vous ne monstrez votre hardiesse, vous estes des- » honoré; car vous n'estes ici en lieu de respect, mais en lieu » où vous voyez vo're dame qui vous attend. » Et par ainsi laissa son frère, qui pourtant pour l'heure retint son coup et le remit à une autre fois : ce ne fut pourtant que la dame ne l'en eslimasi


DISCOURS VI. 3*7

davantage, ou qu'elfe luy altribuast une trop grande froideur d'a- mour, ou faute de courage, ou inhabileté de corps; si l'avoit moos' Iré assez ailleurs, soit en guerre, soit en amours.

— La feu reyne-mère fil une fois joiier une fort belle comédie en Italien, pour un mardy gras, à l'hostel de Reims, que Cornelio Fiasco, capitaine des galleres, avoit inventée. Toute la Cour s'y trouva, tant hommes que dames, et force autres de la ville. Entre autres choses, il fut représenté un jeune homme qui avoit demeuré caché tout une nuict dans la chambre d'une très-belle dame et ne l'avoit nullement touchée; et ayant raconté cette fortune à son compagnon, il luy demanda : Ch'avele fatto (l)? L'autre respon- dit : JSiente (2). Sur cela son compognon lui dit : Ahl pollro- nazzo, senza cuore'! non havete falto niente I Che maldita sia la tua poUronneria (3)! Après que la dite comédie fut jouée, le soir, ainsi que nous estions en la chambre de la Reyne, et que nous discourions de cette comédie, je demanday à une fort belle et hon- ncste dame, que je ne nommeray point, quels plus beaux traits elle avoit observés et remarqués en la comédie, qui luy eussent pieu le plus. Elle me dit tout naïvement : « Le plus beau trait que r> j'ay trouvé, c'est que l'autre a respondu au jeune homme qui » s'appeloit Lucio, qui luy avoit dit che non haveva falto niente : » j4h poltronazzo ! non havete fatto niente! Che maldila sia » la tua poUronneria ! » Voilà comme cette dame qui me parlait estoit de consente avec l'autre qui luy reprochoit sa poltronnerie, et qu'elle ne l'estimoit nullement d'avoir esté si mol et lasche; ainsi comme plus à plain elle et moy nous discourusmes des fautes que l'on fait sur le sujet de ne prendre le temps et le vent quand il vient h point, comme fait le bon marinier. Si faut-il que je fasse encore ce conte , et le mesle, tout plaisant et bouffon qu'il est, parmy les autres sérieux.

— J'ay donc ouy conter à un honneste gentilhomme mien amy, qu'une dame de son pays, ayant plusieurs fois monstre de grandes familiaritez et privautez à un sien vallet-de-chambre, qui ne ten- doient toutes qu'à venir à ce point, ledit vallet, point fat et sot, un jour d'esté trouvant sa maistresse par un malin à demi endor- mye dans son lict toute nue, tournée de l'autre cosié de la ruelle,

(1) Qu'avei-Toas fait T

(2) Hien.

(31 Ah! pollron, Mai cœur! vous n'avei rieo fait! Que maudite toit votre poIlroDoerie.

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318 VIES DES DAMES GALANTES.

tenté d'un si grande beauté, et d'une fort propre posture, et aisée pour l'investir et s'en accommoder, estant elle sur le bord du lict, vint doucement et investit la dame, qui, se tournant, vid que c'es- loit son vallet qu'elle desiroit ; et, toute investie qu'elle esioit, sans JUtrementse desinveslir ny remuer, ny se défaire, ny depesirer de sa prise tant soit peu, ne ût que dire, tournant la teste, et se te- nant ferme de peur de ne rien perdre : « Monsieur le sot, qui » est-ce qui vous a fait si hardy de le meltre-là ? » Le vallet luy respondii en toute révérence : « Madame, l'osteray-je ? — Ce n'est » pas ce que je vous dis, monsieur le sot, luy respondil la dame. 1» Je vous dis: Qui vous a fait si hardy de le mellre-là»? L'autre relournoit toujours à 'dire: « Madame, l'osleray-je? et si vous » voulez, je l'osleray : » et elle à redire : « f.e n'est pas ce que je » vous dis encore, monsieur le sol. » Enfin, et l'un et l'autre fi- rent ces mesmes répliques et dupliques par trois ou quatre fois, sans se desbauscher autrement de leur besogne, jusques à ce qu'elle fûTacbevée ; dont la dame s'en trouva mieux que si elle eust commandé à son galland de l'oster, ainsi qu'il iuy demandoit. Et bien servit à elle de persister en sa première demande sans va- rier, et au gallant en sa réplique et duplique : et par ainsi conti- nuèrent leurs coups et cette rubrique long-temps après ensemble; car il n'y a que la première fournée ou la première pinte chère, ce dii-on. Voilà un beau vallet et hardy ! et à tels hardis, comme dit l'italien, il faut dire : j4 bravo cazzo mai non manca favor. Or, par ainsi vous voyez qu'il y en a plusieurs qui sont braves, hardis et vaillants, aussi bien pour les armes que pour les amours; d'autres qui le sont en armes et non en amours ; d'autres qui le sont en amours et non aux armes, comme esioit ce marault de Paris, qui eut bien la hardiesse et vaillance de ravir Ileleine k son pauvre cocu de mary Menelaiis, et coucher avec elle, et non de se battre avec luy devant Troyes. Voilà aussi pourquoy les dames n'aiment les vieillurds ny ceux qui sont trop avancés sur l'aage, d'autant qu'ils sont forts timides en amours et vergo- gneux à demander; non qu'ils n'ayent des concupiscences aussi grandes que les jeunes, voire plus, mais non pas les puissances : et c'est ce que dit une fois une dame espagnole, que les vieil- lards ressembloient beaucoup de personnes que, quand elles voient les roys en leurs grandeurs, dominations et auiorilez, ils souhaiteroient fort d'eslre comme eux, non pas qu'ils osassent rien attenter contre eux pour les déposséder de leurs royaumes et pren»


DISCOURS VI. 819

dre leurs places ; et disoU-elle : F a pends es nascido el d sseo, quando se muere luego ; c'est-à-dire « qu'à peine le désir est » né qu'il meurt aussi-tost : » aussi les vieillards, quand ils voyeni de beaux objets, ils les désirent fort, mais ils ne les osent attaquer, por que los viejos naturalmente son temerosos ; y amor y temor no se caben en xm saco ; a car les vieillards sont craintifs fort » naturellement ; et l'amour et la crainte ne se trouvent jamais » bien dans un sac. » Aussi ont-ils raison ; car ils n'ont armes ny pour offencer ny pour défendre , comme des jeunes gens, qui ont la jeunesse et beauté : ^t aussi, comme dit le poëte, rien n'est mal séant à la jeunesse, quelque chose qu'elle fasse ; aussi, dit un autre, il n'est point beau de voir un vieU^gendarme ny un vieil amoureux. Or c'est assez parlé sur ce sujet ; parquoy je fais fin et n'en dis plus, si-non que j'adjousteray un autre nouveau sujet faisant et approchant quasi à ce sujet, qui est que, tout ainsi que les dames aiment les hommes braves, vaillants et généreux, les hommes aiment pareillement les dames braves , de cœur et géné- reuses. Et comme tout homme généreux et courageux est plus ai- mable et admirable qu'un autre, aussi de mesme en est toute dame illustre, généreuse et courageuse ; non que je veuille que celte dame fasse les actes d'un homme, ny qu'elle s'agendarme comme un homme, ainsi que j'en ay veu, cogneu et ouy parler d'aucunes qui montoient à cheval comme un homme, porloieni le pistolet à l'arçon de la selle, et le tiroient, el faisoient la guerre comme un homme. J'en nommerais bien une qui durant ces guerres de la Ligue en a fait de mesme. Ce desguisement est démentir le sexe; outre qu'il n'est beau et bien séant, il n'est permis, et porte plus grand préjudice qu'on ne pense : ainsi que mal en prit à celte génie pucelle d'Orléans, laquelle en son procès fut calomniée de cela, el en partie cause de son sort et sa m.ort. Voilà pourquoi je ne veux ny estime trop tel garçonnement ; mais je veux el aime une dame qui monstre son brave et valleureux courage, estant en adversité el en bon besoin, par de beaux actes féminins, qui ap- proschent fort d'un cœur masle. Sans emprunter les exemples des généreuses dames de Rome et de Sparte de jadis, qui ont en cela excédé toutes autres, ils sont assez manifestes et exposez à nos yeux, j'en veux escrire de nouveaux et de nos temps. Pour le premier, et à mon gré le plus beau que je sçache, ce fut celuy de ces belles, honnesies et courageuses dames de Sienne, alors de '.a révolte de leur ville contre le joug insuportable des Impériaus/


820 VIES DES DAMES GALANTES.

car, après que l'ordre y fut estably pour la garde, les dames, en estant mises à part pour n'eslre propres à la guerre comme les hommes, voulurent monstrer un par-dessus, et qu'elles sçavoîent faire autre chose que besogner à leurs ouvrages du jour et de la nuict ; et, pour porter leur part du travail, se départirent d'elles- mesmes en irois bandes : et, un jour de Saint Anthoine, au mois de janvier, comparurent en public trois des plus belles, graiides et principales de la ville, en la grande place (qui est certes très-belle), avec leurs tambours et enseignes. La première esloit la signera Forleguerra, vestuë de violet, son enseigne et sa bande de mesme parure avec une devise de cesmoisiPurche siail vero. Et estoient toutes ces dames vestues à la nymphale, d'un court accouslrement qui en descouvroit et monstroit mieux la belle grève. La seconde estoit la signera Piccolomini, veslue d'incarnat, avec sa bande et enseigne de mesme, avec la croix blanche, et la devise en ces mots : Purche no l habbia iutto. La troisiesme estoit la signera Livia Fausta, vestue toute à blanc, avec sa bande et enseigne blanche, en laquelle estoit une palme, et la devise en ces mots : Purche Vhabbia. A l'entour et à la suite de ces trois dames , qui sembleient

^ trois déesses, il y avoit bien trois mille dames, que gentilles-fem- mes, bourgeoises qu'autres, d'apparence toutes belles, ainsi bien parées de leurs robbes et livrées, toutes ou de satin ou de taffetas, de damas ou autres draps de soye, et toutes résolues de vivre ou mourir pour la liberté ; et chacune portoit une fascine sur l'es- paule à un fort que l'on faiseit, criants : France! France! Dont M. le cardinal de Ferrare et M. de Termes, lieutenants du Roy, en furent si ravis d'une chose si rare et belle, qu'ils ne s'amusèrent à autre chose qu'à voir, admirer, contempler et loiier ces belles et honnestes dames : comme de vray j'ay ouy dire à aucunes et au- cuns qui y esloient, que jamais rien ne fut si beau ; et Dieu sçait si les belles dames manquent en cette ville, et en abondance, sans spéciauté.

Les hommes, qui, de leur benne volonté, estoient fort enclins k leur liberté, en furent davantage poussez par ce beau trait, ne •j voul^j^en rien céder à leurs dames pour cela : tellement que tous à l'envy, gentilshommes, seigneurs, bourgeois, marchands, artisans, riches et pauvres, tous accoururent au fort à en faire de mesme que ces belles, vertueuses et honnestes dames; et en grande émulaiion, non-seulement les séculiers, mais les gens d'église poussèrent tous à cet œuvre, et au releur du fort, les


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DISCOURS VI. 321

hommes à part, et les femmes aussi rangées en bataille en la place auprès du palais de la Seigneurie, allèrent l'un après l'autre, de main en main, saluer l'image de la Vierge Marie, patronne de i* ville, en chantant quelques hymnes et cantiques à son honneur par un si doux air et agréable armonie, que, partie d'aise, partie de pitié, les larmes tombaient des yeux à tout le peuple; lequel, après avoir receu la bénédiction de M. le révérendissime cardiaal de Ferrare, chacun se retira en son logis, tous et toutes en résolution de faire mieux à l'advenir. Cette cérémonie sainte d» dames me fait ressouvenir (sans comparaison) d'une profane^ mais belle pourtant, qui fut faite à Kome du temps de la guerre punique, qu'on trouve dans Tite-Live. Ce fut une pompe et une procession qui s'y fit de trois fois neuf, qui sont vingt-sept jeunes belles filles romaines, et toutes pucelles, vestues de rebelles assez longuettes { l'histoire n'en dit point les couleurs ) ; lesquelles, après leur pompe et procession achevée, s'arrestèrent en une place, où elles dansèrent devant le peuple une danse en s'entre- donnans une cordelette, rangée l'une après l'autre, faisant un tour de danse, et accommodant le mouvement et frétillement de leurs pieds en cadence de l'air et de la chanson qu'elles disoient : ce qui fut une chose très-belle à voir autant pour la beauté de ces belles filles que pour leur bonne grâce, leur belle façon à la danse, et pour leur affetté mouvement de pieds, qui certes l'est d'une belle pucelle, quand elle les sçait gentiment et mignarde- ment conduire et mener. Je me suis imaginé en moy cette forme de danse, et m'a fait souvenir d'une que j'ay veu de mon jeune temps danser les filles de mon pays, qu'on appeloit la jarre- tierre; lesquelles, prenans et s'entredonnans la jarretierre par la main, les passoient et repassoient par-dessus leur teste, puis les mesloient et entrelassoient entre leurs jambes en sautant dispos- tement par-dessus, et puis s'en desveloppoient et desengageoieni si gentiment par de petits sauts, tousjours s'entresuivans les uns après les autres, sans jamais perdre la cadence de la chanson ou de l'instrument qui les guidoit; si que la chose estoit très-plai- sante à voir, car les sauts, les entrelassements, les desgagements, le port de la jarretierre et la grâce des filles, porioient je nf> sçay quelque lasciveté mignarde, que je m'eslonne que celte danse n'a esté pratiquée en nos cours de nostre temps, puis que les calleçons y sont fort propres, et qu'on y peut voir aisément k* belle jambe, et qui a la chausse la mieux tirée, et qui a la plus


822 \niS Di:S DAMES GALANTES.

belle disposition. Celte danse se peut mieux représenter par la veuë que par l'escrilure. Pour retourner à nos dames siennoises : o Hà ! belles et braves

V » dames, vous ne deviez jamais mourir, non plus que voslre los, » qui a jamais ira de conserve avec l'immorlalité, non plus aussi » que cette belle et gentille fille de vostre ville, laquelle, en vostre » siège, voyant son frère un soir delenu malade en son lict, et » fort mal disposé pour aller en garde, le laissant dans le lict, » tout coyment se desrobe de luy, prend ses armes et ses ha- it billements, et, comme la vraye effigie de son frère, paroist en » garde ; et fut prise pour son frère, ainsi incogneue par la fa- B veur de la nuict. » Gentil trait, certes; car, bien qu'elle se fust garçonnée et gendarmée, ce n'estoit pourtant pour en faire une continuelle habitude, que pour celle fois faire un bon office

. à son frère. Aussi dil-on que nul amour est égal à la fraternelle, et qu'aussi, pour un bon besoin, il ne faut rien éspargner pour monstrer une gente générosité du cœur, en quelque endroit que ce soit. Je croy que le corporal qui lors commandoit à resc[uade où estoit cette belle fille, quand il sceui ce trait, fut bien marry qu'il ne l'eust mieux recogneue, pour mieux publier sa louange sur le coup, ou bien pour l'exempter de la sentinelle, ou du tout pour s'amuser d'en contempler la beauté, sa grâce et sa façon militaire; car ne faut point douter qu'elle ne s'estudiast en tout à la contrefaire. Certes on ne sçauroit trop loiier ce beau trait, el mesme sur un si jusie sujet pour le frère. Tel en fit ce gentil Richardet, mais pour divers sujets, quand, après avoir ouy le soir sa sœur Bradamer.te discourir des beautés de cette belle princesse d'Espagne, et de ses amours et désirs vains, après qu'elle fut couchée il prit ses armes et sa belle cotte , el s'en déguise pour paroislre sa sœur, tant ils esloient de semblance de visage et beauté ; et après, sous telle forme, tira de celte belle princesse ce qu'à sa sœur son sexe luy avoit desnié; dont mal pourtant très-grand luy en fust arrivé sans la faveur de Roger, qui, le prenant pour sa maistresse Bradamenle, le garantit de mort. Or j'ay ouy dire à M. de La Chapelle des Ursins, qui lors estoit en Italie, et qui fit le rapport de si beau trait de ces dames siennoises au feu roy Henry, il le trouva si beau, que la larme à l'œil il jura que, si Dieu luy donnoyt un jour la paix ou la trefve avec l'Empereur, qu'il iroit par ses galleres en la mer de Toscane, et de là à Sienne, pour voir cette ville si affectée à soy


DlSCOUnS Vi. »Î3

et à son parly, et la remercier de celle brave et bojine volonté, et sur-tout pour voir ces belles et honnesies dames, ei leur en rendre grâces particulières. Je croy qu'il n'y eust pas faiily, car il hoDoroit fort les belles et honnestes dames; et si leur escri- vit, principalement aux trois principales, des lellres les plus honnestes du monde de remerciements et d'offres, qui les con- tentèrent et animèrent davantage. Hélas ! il eut bien quelque temps après la Irefve ; mais, l'attendant à venir, la ville fut prise, comme j'ay dit ailleurs; qui fut une perte inestimable pour la France, d'avoir perdu une si noble et si chère alliance, laquelle, se ressouvenant et se ressentant de son ancienne origine, se vou- lut rejoindre et remettre pariny nous ; car on dit que ces braves Siennois sont venus des peuples de France qu'en la Gaule on appeloit jadis Senonnes, que nous tenons aujourd'hui ceux de Sens; aussi en tiennent-ils encore de l'humeur de nous autres François, car ils ont la teste près du bonnet, et sont vifs, sou- dains et prompts comme nous. Les dames, pareillement aussi, se ressèment de ces gentilles, gracieuses façons, et familiariiez fran- çaises.

— J'ay leu dans une vieille chronique que j'ay allégué ail- leurs, que le roy Charles huictiesme, en son voyage de IS'aples, lorsqu'il passa à Sienne, il y fut receu par une entrée si triom- phante et si superbe, qu'elle passa loules les autres qu'il fit en toute l'Italie ; jusques à là que, pour plus grand respect et signe d'humililé, toutes les portes de la ville furent ostées de leurs gonds et portées par terre; et tant qu'il y demeura furent ainsi ouvertes et abandonnées à tous allants et venants, et puis après, venant son départ, remises. Je vous laisse à penser si le Roy, toute sa Cour et son armée, n'eurent pas grand sujet d'ayraer et honorer cette ville (comme de vray il fit toujours), et en dire tous les biens du monde : aussi la demeure à luy et à tous en fut très-agréable, et sur la vie fut défendu de n'y faire aucune insolence, comme certes la moindre du monde ne s'ensuivit. Ha 1 braves Siennois, vivez pour jamaisl Que pleust à Dieu fussiés- vous encore nostres ea tout, comme possible vous lestes en cœur et en ame ! car la domination d'un roy de France est bien plus douce que celle d'un duc de Florence ; et puis le sang ne peut mentir. Que si nous esiions aussi voisins comme nous sommes re- culez, possible, tous ensemble conformes de volontez, en feriocs-i aous-dire.


324 VI ES DES DAMES GALANTES.

— Les principales dames de Pavie, en leur siège du roy Fran- çois sous la conduite et exemple de la signora conlessa Hippo- tita de Malespina, leur générale, se mirent de mesme à porter 1 a hotte, remuer terre et remparer leurs bresches, faisant à l'env} des soldais. Un pareil trait de ces dames siennoises que je viens de raconter je vis faire à aucunes dames rocheloises au siège de ■leur ville dont il me souvient : que le premier dimanche de ca- resme que le siège y esloit, Monsieur, noslre général, manda -sommer M. de La Noue de sa parole, et venir parler à luy et luy rendre compte de sa négociation que luy avoit chargé pour celte ville ; dont le discours en est long et fort bizarre, que j'es- père ailleurs descrire. M. de La Noue n'y faillit pas, et pour ce M. de Strozze fut donné en oslage dans la ville, et trefves furent faites pour ce jour et pour le lendemain. Ces trefves ainsi failles, parurent aussi-tost comme nous hors des tranchées force gens de la ville sur les remparts et sur les murailles ; et sur-tout pa- rurent une centaine de dames et bourgeoises des plus grandes, plus riches et des plus belles, toutes veslues de blanc, tant de la teste que du corps, toutes de toile de Hollande line, qu'il fit très-beau voir : et ainsi s'estoient-elles veslues k cause des for- tifications des rempars où elles travailloient, fut ou à porter la hotte ou à remuer la terre ; et d'autres habillements se fussent Y epsaloudis, et ces blancs en esloient quittes pour les mettre à la Vlessive ; et aussi qu'avec cet habit blanc se fissent mieux remar- quer parmy les autres. Nous autres fusmes fort ravis à voir ces belles dames, et vous asseure que plusieurs s'y amusèrent plus qu'à autre chose: aussi voulurent-elles bien se monstrer à nous, et ne furent à nous guières chiches de leur veuë, car elles sa planloient sur le bord du ramparl d'une fort belle grâce et dé- marche, qu'elles valoient bien le regarder et désirer. Nous fusmes curieux de demander quelles dames c'esloient. Ils nous; respoiidireut que c'estoit une bande de dames ainsi jurée, asso- ciée el ainsi parée pour le travail des fortifications, et pour faire de tels services à leur ville ; comme certes de vray elles en fireu ; de bons, jusques-là que les plus viriles et robustes menoient le: armes : si que j'ay ouy conter d'une, pour avoir souvent re- poussé ses ennemis d'une pique, elle la garde encor si soigneu- sement comme sacrée relique, qu'elle ne la donneroil, ny ne voudroit pour beaucoup d'argent la bailler, tant elle la tient chère chez soy.


DISCOURS VI. 3?i

— J'ay ouy raconter k aucuns vieux commandeurs de Rhodes, il mesmes je l'ay leu eu un vieux livre, que lors que Riiodes fut assiégé par le sultan Soliman, les belles filles el dames de la ville ne pardonnrreni à leurs beaux visages el tendres et déli- cats corps, pour porter leur bonne part des peines et fatigues du siège, ju.îqu'à-là que bien souvent se présentoient aux plus pressés et dangereux assauts, et courageusement secondoienl les chevaliers el soldats à les soutenir. Ah! belles Rhodiennesl voslr«  nom, voslre los a valu de tout temps el ne mériteriez d'eslre -^ ,sous la domination des barbares!

. — Du temps du roy François I, la ville de Saint-Riquier, en Picardie, fut entreprise el assaillie par un gentilhomme flamand, , ^^y^ nommé Domrin, enseigne de M. du Ru, accompagné de cent/' hommes d'armes el de deux, mille hommes de pied, el quelque artillerie. Dedans il n'y avoil seulement que cent hommes de pied, qui estoienl fort peu, el esloit prise, ne fut que les dames de la ville se présentèrent k la muraille avec armes, eau el huile bouillante el pierres, el repoussèrent bravement les ennemis, bien qu'ils fissent tous les efforts pour entrer. Encore deux des- diles dames levèrent deux enseignes des mains des ennemis, et les tirèrent de la muraille dafts la ville ; si bien que les assié- geants furent contraints d'abandonner la bresche qu'ils avoieat faite et les murailles, et se retirer et s'en aller : dont la renom- mée fut par toute la France, la Flandre et la Bourgogne. Au bout de quelque temps le roy François passant par-là, en vou- lut voir les femmes, les loua et les remercia. Les dames de Péronne en firent de mesme quand la ville fut assiégée du comte de Nassau, el assistèrent aux braves gens de guerre qui estoienl dedans tout de mesme façon ; qui en furent estimées, loiiées et remerciées de leur roy. Les femmes de Sanccrre, en ces guerres civiles el leur siège, furent recommandées et louées des bea ux effets qu'elles y firent en toutes sortes. Durant celte guerre de la Ligue, les dames de Vitré s'acquitlérent de mesme en leur ville assiégée par M. de Mercœur. Elles y sont très-belles el lousjours fort proprement habillées de tout temps; et pour ce n'espar- gnoienl leurs beaulez à se monstrer viriles et courageuses : comme certes tous actes virils et généreux, à un tel besoin, sont autant à estimer en les femmes qu'en les hommes. Ainsi que de mesme îurenl jadis les gentiles femmes de Carlhage, lesquelles, quand elles virent leurs marvs leurs frères, leurs pères, leurs

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8t6 VIES DES DAMES GALANTES.

parents et leurs soldais cesser de tirer à leurs ennemis, par faute

de cordes en leurs arcs, qui estoienl toutes usées lie force de

tirer par une si grande longueur de siège : et par ce, ne pouvans

y plus chesir de chanvre, de lin, ny de soie, ny d'autres choses

' ! pour faires cordes, s'aJvisérent de couper leurs belles tresses et

/ blonds cheveux, et ne pardonner à ce bel honneur de leurs testes

et parement de leurs beautez; si bien qu'elles-mêmes, de leurs

belles, blinches et délicates mains, en retorsérenl et en firent

des cordes, et en fournirent à leurs gens de guerre : dont je vous

laisse à penser de quels courages et de quels nerfs ils pouvoient

tendre et bander leurs arcs, en tirer et en combattre, portans si

belles faveurs des dames.

— Nous lisons dans l'histoire de Naples que ce grand capi- taine Sforce, sous la charge de la reyne Jeanne seconde, ayant esté pris par le mary de la reyne, Jacques, mis en estroite prison et en quelques traits de corde, sans doute il avoit la teste tran- chée, sans que sa sœur Marguerite se mit en armes et aux champs, et fit si bien, elle en personne, qu'elle prit quatre gen- tilshommes napolitains principaux, et manda au roy que tel trailtement il feroit à son frère, telle feroit-elle à ses gens; si bien qu'il fut contraint de faire accord et le lascher sain et sauvg. Ah! brave et généreuse sœur! ne tenant guiere en cela de son sexe. Je scay aucunes sœurs et parentes que, si elles eus- sent fait traits partil il y a quelque temps, possible eussent-elles sauvé un brave frère qu'elles avoient, qui fut perdu pour faute de secours et d'assistance pareille. Maintenant je veux laisser ces aanies en général guerrières et généreuses : parlons d'aucu- nes particulières. Et pour la plus bel'e monstre de l'antiquitté, je n'allégueray que cette seule Zénobie pour toutes, laquelle, après la mort de mary, ne s'amusa, comme plusieurs, à per- dre le temps à le plorer et regretter, mais à s'emparer de l'em- pire au nom de ses enfants, et faire la guerre aux Romains et à l'empereur Aurelian, qui en estoit lors empereur, en leur don- nant de la peine beaucoup l'espace de huit ans, jusques à ce qu'estant descendue en champ de bataille contre luy, fut vain- cue et prise prisonnière, et menée devant l'Empereur ; lequel, après lui avoir demandé comment elle avoit eu la hardiesse de faire la guerre aux Empereurs, elle luy respondit seulement : « Vrayinent, je cogoois bien que vous estes empereur, puisque » vous m'avez vaincue. » Il eut si graad aise de l'avoir vaincue.


DISCOURS VI. S2T

et en tira une si grande ambition, qu'il en voulut triompher; et avec une très-grande pompe et magnificence elle marchoit de- vant son char triomphant, fort superbement habillée et accom- modée d'une grande richesse de perles et pierreries, de grands joyaux et de chaisnes d'or, dont elle estoit enchaisnée au corps, aux pieds et aux mains, en signe de captive et d'esclave ; si que, par la grande pesanteur de ses joyaux et chaisnes qu'elle portoit sur elle, fut contrainte de faire plusieurs pauses et se reposer souvent en ce triomphe. Grand cas, certes, et admirable, que, toute vaincue et prisonnière qu'elle estoit, encore donnoit-elle loy au vainqueur triompheur, et le faisoit arrester et attendre jusques à ce qu'elle eust repris son halleine ! Grande aussi et honneste courtoisie esloit-ce à l'Empereur de luy permettre son aise et re- pos et endurer sa débilité, et ne la contraindre ny presser de se haster plus qu'elle ne pouvoit : de sorte que l'on ne sçait que plus loiier, ou l'honnesteté de l'Empereur, ou la façon de faire de la Reyne, qui possible pouvoit-elle jouer ce jeu exprès, non tant pour son imbécilité ou lassitude, que pour quelque ostentation de gloire, et monstrer au monde qu'elle en vouloit recueillir ce petit brin sur le soir de sa belle fortune, comme elle avoit fait sur le matin, et que monsieur l'Empereur luy cedoit ce coup-là pour i'âttandre en ses pas lents et graves marchers. Elle se faisoit fort X regarder et admirer autant des hommes que des dames, desquelles aucunes eussent fort voulu ressembler cette belle image ; car elle estoit des plus belles, selon que disent ceux qui en ont escrit. Elle estoit d'une fort belle, haute et riche taille, son port très-beau, sa grâce et sa majesté de mesmes, par conséquent son visage très-beau et fort agréable, les yeux noirs et fort brillants. Entre autres beautez, il luy donnoit les dents très-belles et fort blanches, l'esprit vif, fort modeste, sincère et clémente au besoin ; la parole fort belle et prononcée d'une voix claire : aussi elle-mesme faisoit entendre toutes ses conceptions et volontez à ses gens de guerre, et les haranguoit souvent. Je pense certes qu'il la faisoit bien aussi beau voir ainsi vestue si superbement et gentiment en ha- bit de femme, que quand elle estoit armée tout à blanc ; car tous- jours le sexe l'emporte : aussi est-il à présumer que l'Empereur ne b voulut exhiber en son trionjphe qu'en son beau sexe fémi- nin, qui la représenteroit mieux et la rendroit au peuple plus agréable en ses perfections de beauté. De plus, il est à présumer aussi qu'estant si belle. l'Empereur en avoit tasté, joui et en jcuis-


328 VIES DES DAMES GALANTES.

soit encore; et que s'il l'avoit vaincue d une laçon, il ou elle (les deux se peuve.il entendre ) l'avoit vaincu aussi de l'autre. Je m'estonne que, puisque cette Zénobie estoit si belle, l'Empereui ne la prist et entretiiist pour l'une de ses garces, ou bien qu'elle n'ouvrisl et dressast par sa permission, ou du sénat, boutique d'amour et de putauisme, comme fit Flora, afin de s'enrichir et accumuler force biens et bons moyens au travail de son corps et bnmslement de son lict ; à laquelle boutique eussent pu venir les plus grands de Rome à l'eiivy tous les uns des autres ; car enfin il n'y a tel contentement et félicité au monde, s'il semble, que se ruer sur la rcyaulé et principauté, et de joijir d'une belle reyne, d'une princesse et grande dame. Je m'en rapporte à ceux qui ont esté en ces voyages, et y fait si belles factions. Et par ainsi celte reyne Zénobie se fust faite tost riche par la bourse de ces grands, ainsi que fit Flora, qui n'en recevoit point d'autres en sa boutique. N'eust-il pas mieux vallu pour elle de iraitter cette vie en bombances, magnificences, chevances et honneurs, que de tomber en la nécessité et extrémité quelle tomba, à gaigner sa vie à filer parmy des femmes communes et mourir de faim , sans que le sénat, ayant pitié d'elle, veu sa grandeur passée, luy or- donna pour son vivre quelque pension , et quelques petites terres et possessions , que l'on appela long-temps les possessions zé- nobiennes; car enfin c'est un grand mal que la pauvreté, et qui la peut éviier, en quelque forme qu'on se puisse transmuer, fait bien, ce disoit quelqu'un que je sçai. Voilà pourquoi Zénobie ne mena son grand courage au bout de la carrière, comme elle devoit, et qu'il faut qu'on la persiste tousjours en toutes actions. On dit qu'elle avoit fait faire un charriot triomphant, le plus superbe qui fust jamais veu dans Rome, et ce, disoil-elle souvent durant ses grandes prosperilez et vanteries, pour triompher dans Rome, tant elle estoit présumplueuse de conquérir l'empire romain : mais tout cela au rebours, car l'Empereur l'ayant vaincue le prit pour luy, et en triompha, et elle alla à pied, en faisant d'elle plus grand triomphe et pompe que s'il eust vaincu un puissant roy. El dilies que la victoire qu'on emporte sur une dame, en quelque façon que ce soit, n'est pas grande et très-illustre l Ainsi dé- sira Auguste de triompher de Cléopatre; mais il n'y procéda pas bien. Elle y pourveut de bonne heure, et de la façon que Paulus-^milius le dit à Perséus, qui , le priant en sa captivité d'avoir pitié de luj, il luy responJit (ii:e c'avoit esté à luy


DISCOUHS VI. S29

à y mettre ordre auparavant, voulant entendre qu'il se devoii estre tué.

J'ay ouy dire que le feu roy Henry second ne déairoit rien tant que de faire prisonnière la reyne de Hongrie, non pour la iraitter mal, encore qu'elle luy eust donné plusieurs sujets par ses bruslements, mais pour avoir celle gloire de tenir celte grande reyne prisonnière, et voir quelle mine et conlenance elle tiendroil en sa prison, et si elle y seroit si brave et orgueilleuse qu'en ses armées : car enfin il n'y a rien si superbe et brave qu'une belle, brave et grande dame, quand elle veut et qu'elle a du courage, comme estoil celle-là , et qui se plaisoit fort au nom que luy avoient donné les soldats espagnols, qui, comme ils appeloient l'Empereur son frère el Padre de los soldatos (l ), eux l'appeloient la Madré (2) : ainsi que Vittoria, ou Viltorina, jadis du temps des Romains, fut appelée en ses armées la mère du camp. Certes, si une dame grande et belle entreprend une charge de guerre, elle y sert de beaucoup, et anime fort ses gens : comme j'ay veu en nos guerres civiles la Reyne-Mère, qui bien souvent venoit en nos armées et les asseuroit tout plein et eucourageoit fort ; et comme fait aujourd'huy l'iufanie Isabelle, sa peiite-tille, en Flandres, qui préside en son armée, et se fait paroistre à ses gens de guerre toute valeureuse, si que sans elle el sa belle el agréable présence, la Flandre n'auroil moyen de tenir, ce disent tous : et jamais la reyne de Hongrie, sa grande tanie, ne parut telle en beauté , va- leur et générosité et belle grâce. Dans nos histoires de France, nous lisons- combien servit la présence de cette généreuse comtesse de Montfort, estant assiégée dans Annebon ; car, encore que ses gens de guerre fussent braves et vaillants, et qu'ils eussent com- battu et soustenu des assauts el faits aussi bien que gens de monde, ils commencèrent à perdre cœur et vouloir se rendre; mais elle les harangua si bien, et anima de si belles el courageu se:> paroles, et les anima si beau el si bien, qu'ils attendirent le se- cours, qui leur vint à propos, tant désiré, et le siège fut levé; el fit bien mieux, car, ainsi que ses ennemis estoienl amusez à l'as* saut, et que tous y estoieut, et vid les tentes qui en estoient tou vu vides, elle, montée sur un bon cheval, el avec cinquante bonf chevaux, lit une saillie donne l'alarme, met le feu dans le camp,

(1) Le père dei «oldals. S] La méie.


880 VIES DES DAMES GALANTES.

si-bieu que Charles de Blois , cuidant estre trahy, fit aussi-tost cesser Tassaut. Sur ce sujet je feray ce petit conte. Durant ces dernières guerres de la Ligue, feu M. le prince de Condé, dernier mort, estant à Saint-Jean, envoya demander à madame de Bour- deille, veufve de Taage de quarante ans, et très-belle, six ou sept des gens de sa terre, des plus ricbes, et qui s'esloient retirez en son chasteau de Mathas près elle. Elle les luy refusa tout à trac, et que jamais elle ne trahiroit ny ne livreroit ces pauvres gens, qui s'esloient allez couvrir et sauver sous sa foy. Il luy manda pour la dernière fois que, si elle ne les luy envoyoit, qu'il luy appren- droit de luy obéyr. Elle luy fit response (car j'estois avec elle pour l'assister) que, puisqu'il ne savoit obéyr, qu'elle trouvoit fort es- trange de vouloir faire obéir les autres, et lorsqu'il auroit obéy à

'i^ son Roy elle luy chéyrjjij; au reste que, pour toutes ses menaces,

'elle ne craignoit ny son canon, ny son siège, et qu'elle esloit

descendue de la comtesse de Monlfort, de laquelle les siens avoient

hérité de celle place, et elle et tout de son courage ; et qu'elle

j .estoit résolue de la garder si-bien qu'il ne la prendroit point;

I / et qu'elle feroit autant parler là d'elle j gans que son ayeule, la- dite comtesse, avoit fait dans AnnebonT RT. le prince songea long-temps sur cette response, et temporisa quelques jours sans la plus menacer. Pourtant s'il ne fust mort il l'eust assiégée ; mais elle s'estoit bien préparée de cœur, de résolution , d'hom- mes et de tout, pour le bien recevoir ; el croy qu'il y eust receu de la honte. Machiavel, en son livre de la Guerre, raconie que Catherine, comtesse de Furly, fut assiégée dans sa dite jplace par César Borgia, assisté de l'armée de France, qui luy résista fort valleurusement , mais enfin fut prise. La cause de sa perte fut que celle place estoit trop pleine de forteresses et lieux forts, pour retirer d'un lieu à l'autre ; si-bien que, César ayant fait ses approches, le seigneur Jean de Casale (que ladite comtesse avoit pris pour sa garde et assistance) abandonna la brèche pour se retirer en ses forts ; et par cette faute, Borgia faussa et prit La place : si-bien, dit l'auteur, que ces fautes firent tort au courage généreux et à la réputation de cette brave comtesse, laquelle avoit attendu une armée que le roy de Naples et le duc de Mi- lan n'avoient osé attendre. Et bien que son issue en fust mal- fa eureuse, elle emporta l'honneur que sa vertu méritoit ; et pour ce en Italie se firent force vers et rimes en sa loiiange. Ce pas- sage est digne de lire pour ceux qui se mcslent de loriifier des


DISCOURS VI. 3S1

p.aces et y basllr grande quantité de forts, chasteaux, roques et cittadelles. Pour retourner à nostre propos, nous avons eu le temps passé force princesses et grandes dames en nostre France, qui ont fait de belles marques de leurs prouesses : comme fil Paule, fille du comte de Penlhièvre, laquelle fut assiégée dans Roy par le comte de Cbaroullois, et s'y monstra si brave et si gé- néreuse, que la ville estant prise, le comte luy fit très-bonne guerre et la fit conduire à Compiegne, seurement, ne permettant qu'il luy fust fait aucun tort; et l'bonora fort pours;i vertu, encor qu'il voulust grand mal à son mary, qu'il cbargeroit de l'avoir voulu faire mourir par sortilleges etcbarmes d'aucunes images et chan> délies.

— Ricbilde, fille unique et héritière de Monts, en Hainault, femme de Beaudoiiin sixiesme, comte de Flandres, fit tous efforts contre Robert le Frizon son beau frère, institué tuteur des en- fants de Flandres, pour luy en oster la connoissance et admi- nistration et se l'attribuer : quoy poursuivant à l'aide de Phi- lippes roy de France, luy bazarda deux batailles; en la première elle fut prise, ce que fut aussi Robert son ennemy, et ainprès furent rendus par eschange : luy en livra la seconde, laquelle elle perdit, et y perdit son fils Arnuphe, et chassée jusques à Monts.

— Isabelle de France, fille du roy Philippes le Bel, et femme du roy Edouard II, duc de Guyenne, fut en mal-grace du Roy son mary, par de meschants rapports de Hue le despensier, dont fut contrainte de se retirer en France avec son fils Edouard; puis s'en retourna en Angleterre avec le chevalier de Hainaut son parent, et une armée qu'elle y mena, au moyen de laquelle elle prit son mary prisonnier, lequel elle délivra entre les mains de ceux avec lesquels il lui convint finir ses jours; ainsi qu'à elle-mesme il luy en prit, qui, pour traiter l'amour avec un seigneur de Mortemer, fut par son fils confinée en un chasteau à finir ses jours. C'est elle qui a baillé sujet aux Anglais de que-* relier à tort la France. Mais voilà une mauvaise reconnoissanc pourtant, et grande ingratitude de fils, qui, oubliant un gran bienfait, traita ainsi sa mère pour un si petit forfait ; petit l'ap pelle-je, puisqu'il est naturel et que mal-aisément ayant prati que les gens de guerre, et qu'elle s'estoit tant accoustumée à garçonner avec eux parmi les armées et tentes et pavillons, fal«  loit bien qu'elle garçounast aussi entre les courtines, comme


832 VIES DES DAMES GALANTES.

cela se voit souvenu »e m en rapporte à noslre rejne Léonor, duchesse de Guyenne, qui accompagna le Roy sou mary outre mer et eu la guerre sainte. Pour pratiquer si souvent la gen- darmerie et la soudardaille, elle se laissa fort aller à son iion neur, jusqu'à-là qu'elle eut affaire arec les Sarrazins, dont pour ce le Roy la répudia; ce qui nous cousta bon. Pensez qu'elle voulut esprouver si ces bons compagnons estoient aussi braves chamoinns à couvert comme en pleine campagne, et que pos- sible son honneur estoit d'aimer les gens vaillants, et qu'une vaillance attire l'autre, ainsi que la vertu ; car jamais celuy ne dit mal qui dit que la vertu ressembloit la foudre qui perce tout. Celte reyne Léonor ne fut pas la seule qui accompagna en cette guerre sainte le roy son mary ; mais avant elle, et avec elle, et après, plusieurs autres princesses et grandes dames avec leurs marys se croisèrent, mais non leurs jambes, qu'elles ou- vrirent et eslargirent à bon escient, si qu'aucunes y demeurè- rent, et les autres en retournèrent de très-bonnes vesses; et sous la couverture de visiter le saint supulcre, parmi tant d'armes, faisoient à bon escient l'amour : ' aussi, comme j'ay dit, les armes et l'amour conviennent bien ensemble, tant la sympathie en est bonne et bien conjointe. Encore telles dames sont-elles à estimer, d'aimer et traitter ainsi les hommes, non comme firent jadis les amazones, lesquelles, «ncore qu'elles se di- sent filles de Mars, se desfirent de leurs marys, disans que ce mariage estoit une vraye servitude : mais prou d'ambition avoient- eiles avec d'autres hommes pour en avoir des filles, et faire mou- rir les enfants.

Joanuclerus, en sa CosmographiSj récite q'ie, l'an de Christ 1123, après la mort de Tibussa, reyne des Bohèmes, et qui lu renfermer la ville de Prague de murailles , et qui abborroit fort la domination des hommes, il y eut une de ses damoiselles de j;rand courage, nommée Valasca, qui gaigna si bien et filles et dames du pays, et leur proposa si bien et beau la liberté, et les dégousta si fort de la servitude des hommes, qu'elles tuèrent chacune, qui son mary, qui son frère, qui son parent, qui son voisin, qu'en moins d'un rien elles furent maislresses; et ayant, pris les armes de leurs hommes, s'en aidèrent si bien et se ren- dirent si braves et si adextres, à mode d'amazones, qu'elles eu- rent plusieurs victoires. Mais après, par les menées et finesses d'un Primislaûs, mary de Tibussa, homme qu'elle avoit pri« de


DISCOURS VI. 833

ville et basse condition, furent défaites et mises à mort. Ce fut par permission divine de l'acte énorme perpétré pour faire ainsi perdre le genre humain. Ces dames pouvoient bien montrer leurs beaux courages par d'autres actions courageuses et viriles, que par telles cruautez, ainsi que nous avons veu tant d 'impé - rieres, de reynes, de princesses el grandes dames, par actes no- bles, et aux gouvernements et maniements de leurs Estais, et au- tres sujets dont les histoires en sont assez pleines sans que je les raconte; car l'ambition de dominer, régner et imjDérier loge dans leurs âmes aussi bien que des hommes, et en sont aussi friandes. Si en vays-je nommer une qui n'en fut tant atteinte, qui est Vic- toria Colonna, femme du marquis de Pescayre, de laquelle j'ay leu dans un livre espagnol que, lorsque ledit marquis entendit aux belles oQres que luy fil Hieronimo Mouron de la part du pape (comme j'ay dit cy-devant) du royaume de Naples, s'il vouloit entrer en ligne avec luy, elle, en estant advertie par son mary mesme, qui ne luy céloit rien de ses plus privées aflfaires, ny grands ny petits, lui escrivit (car elle disoit des mieux), et luy demanda qu'H se souvinsl de son ancienne valeur et vertu, qui luy avoit donné telle louange el réputation qu'elle excédoil la gloire et la fortune des plus grands roys de la terre, disant que no con gran- dezza de los reynos, de Eslados ny de hormosos iitulos si no con fé illuslre y clara virlud, se alcançava la honra, la quai con loor siempre vivo, llegava à los descendientes ; y que no huvia nigun grado tan alto que no fuesse vencido de una tra- hicion y mala fé, que por esta nigun desseo ténia de ser mu- Ijuer de rey, queriendo antes ser mugner de talcapilan, que no "olamente en guerra con valorosa mano , mas en pas con ijvan honra de animo no vencido avia sabido vencer reys, y /r andissimos principes, y capilanes, y darlos triumphos, y ■n periarlos; disant « que uon avec la grandeur des royaumes, des ,) gr ands Estais ni hauts el beaux litres, sinon avec une foy illustre » et claire vertu, l'honneur s'acqueroit, laquelle a.vec une louange » tou sjours vive alloil à nos descendants ; et qu'il n'y avoit nul " grade si haut qui ne fust vaincu ni gasté par une trahison com-

mise et foy rompue ; el que pour l'amour de cela elle n'avoit nul

» désir d'eslre femme de roy, mais d'un tel capitaine, lequel non- ») seuieraenl en guerre avec sa main valeureuse, mais en paix » avec grand houneur d'uu esprit uod vaincu, avoit sceu vaincre

>» les roys, les crauds princes et rapiiames, et les donner aux

19.


su VIES DES DAMES GALANTES.

j/ » triomphes et les iropmer - » Cette femme parloit d'un grand courage, d'une grande vertu, et de vérité et tout : car de régner par un vice esl fort vilain, et de commander aux royaumes et aux roys par la vertu esl très-beau. Fulvia, femme de P. Claudius, et en secondes nopces de Marc Antoine, ne s'amusant guières à faire les afTaires de sa maison, se mit aux choses grandes, à trailter les BiTaires d'Estat jusque-là qu'on lui donnas! la réputation de com- mander aux empereurs. Aussi Cleopalre l'en sçeut très-bien re- mercier, et luy avoir cette obligation, que d'avoir si bien instruit et disuipliné Marc Antoine à obéyr et ployer sous les lois de sub- mission. Nous lisons de ce grand prince fiançois Charles Martel qui onc ne voulut prendre et porter le titre de roy, qui esloit en sa puissance, mais ayma mieux régenter les roys et leur commander. — Parlons d'aucunes de nos dames. Nous avons eu en nostre guerre de la Ligue madame de Monlpensier, sœur de fèu M. de Guise, qui a esté une grande femme d'Estat, et qui a porté sa bonne part de matière, d'inventions de son gentil esprit, et du travail de sou corps, à bastir ladite Ligue ; si qu'après avoir esté bien bastie, jouant aux cartes un jour et à la prime (car elle aime fort ce jeu), ainsi qu'on lui disoit qu'elle meslast bien les caries, elle repondit devant beaucoup de gens : « Je les ay si » bien meslées qu'elles ne se sçauroint mieux mesler ni demes- "» 1er. » Cela fust esté bon si les siens ne fussent esté morts : des- quels, sans perdre cœur d'une telle perte, en entreprit la ven- geance ; et en ayant sceu les nouvelles dans Paris, sans se tenir recluse en sa chambre à en faire les regrets à mode d'autres femmes, sort de son hostel avec les enfants de M. son frère, les tenant par les mains, les po urmeine par la ville, fait sa déplora- lion devant le peuple, l'animant de pleurs, de cris, de pitié et de paroles qu'elle fil à tous, de prendre les armes et s'élever en furie, el faire les insolences sur la maison et le tableau du Roy, comme l'on a veu, et que j'espère de dire en sa vie ; et à luy de- nier toute fidélité, ains au contraire toute rébellion : dont puis après son meurtre s'en ensuivit; duquel el à sçavoir qui sont ceux el celles qui en oui donné les conseils et en sont coupables. Certainement le cœur d'une sœur perdant tels frères ne pouvoit pas digérer tel venin sans venger ce meurtre. J'ay ouy conter qu'après qu'elle eut ainsi bien mis le peuple de Paris en beso • gne de telles animositez el insolences, elle partit vers le prince de Parme à luy demander secours el vengeance ; et j va à si


DISCOURS VI. 335

grandes et longues traities, qu'il fallut un jour à ses chevaux de coche demeurer si las et recreus au beau mitan de la Picardie dans les fanges , qu'ils ne pouvoient aller ny en avant , ny en ar- rière, ny meure un pied l'un devant l'aulre. Par cas passa un fort bonneste gentilhomme de ce pays , qui esloit de la religion, qui, encore qu'elle fust déguisée el de nom et d'habit, il la cogneul; et, estant de devant les yeux les menées qu'elle avoit fait con- tre ceux de la religion , et l'animosilé qu'elle leur portoit , luy, tout plein de courioisie , il luy dit : « Madame , je vous connois N bien ; je vous suis serviteur : je vous vois en mauvais estât ; vous » viendrez, s'il vous plaist, en ma maison que voilà près, pour » vous seicher et vous reposer. Je vous accommoderay de tout ce » que je pourray au mieux qu'il me sera possible. Ne craignez » point; car encore que je sois de la religion, que vous nous » haïssiez fort, je ne voudrois me départir d'avec vous sans vous i> oflrir une courtoisie qui vous est très-nécessaire. » A telle offre elle se laissa aller, et l'accepta fort librement : et , après l'avoir accommodée de ce qui lui estoit nécessaire , reprend sou chemin et la conduit deux lieiies, elle pourtant luy celant son voyage; dont depuis celte courtoisie, à ce que j'ay ouy dire, en cette guerre, elle s'en acquitta à l'endroit du gentilhomme par force autres courtoisies. Plusieurs se sont estonnez comment elle se lia à luy. estant huguenot. Mais quoy ! la nécessité fait faire beau- coup de choses; ei aussi qu'elle le vid si bonneste, et parler si bonnestement et franchement , qu'elle jugea qu'il estoit enclin à faire un trait bonneste. Madame de Nemours, sa mère, ayant esté prisonnière après la mort de messieurs ses enfants, ne faut point douter si elle demeura désolée par une telle perte insupportable, jusques à là que de son naturel elle est dame de fort douce humeur et froide, et qui ne s'esmeut que bien à propos, elle vint à déba- gouller mille injures contre le Roy, et lui jeter autant de malé- dictions et d'exécrations (car, et qui n'est la chose , la parole qu'on ne fit et ne dit pour une relie véhémence de perte et de douleur?), jusques à ne nommer le Roy autrement et lousjours que ce tyran. « Non ! je ne le veux plus appeler tel , mais roy » très-bon et clément, s'il me donne la mort comme à mes en- » fants , pour m'osler de la misère où je suis , et me colloque en » la béatitude de Dieu. » Puis après, appaisant ses paroles et cris, et y faisant quelque surcéance, elle ne disoit, si-non : « Ah! » mes enfants 1 ah! mes enfants I v réitérant ordinairement ces


S86 VIES DES DAMES GALANTES.

paroles avec ses belles larmes, qui eussent amoly un cœur de ro- cher. Hélas! elle les pouvoit ainsi plorer et regretter, estant si bons, si généreux, si vertueux et valLureux, mais surtout ce grand duc de Guise, vray aisiié et vray parangon de toute valeur et géné- rosité. Aussi qu'elle aimoit si naturellement ses enfants, qu'un jour, moy discourant avec une grande dame de la Cour de maditte dame de Nemours, elle me dit que c'estoit la plus heureuse prin- cesse du monde, pour plusieurs raisons qu'elle m'alléguoit, fors en une chose, qui estoit qu'elle aimoit messieurs ses enfants par trop; car elle les aimoit si tiès-tant, que l'appréhension ordinaire qu'elle avoit d'eux Iroubloit toute sa félicité, vivant ordinairement pour eux en inquiétude et alarme. Je vous laisse donc à penser tombien elle sentit de maux, d amertumes et de picqueures par la mort de ces deux, et par l'appréhension de l'autre, qui estoit vers Lyon, et M. de Nemours prisonnier : car de sa prison, disoit- t'Ue, ne s'en soucioit point, ny de sa mort non plus, ainsi que je viens de dire. Lorsqu'on la sortit du chasieau de Blois pour la mener en celuy d'Amboise en plus estroite prison, ainsi qu'elle eut passé la porte elle haussa et tourna la teste en haut vers le portrait du roy Louis XII, son graud-pere, qui est là engravé en pierre au-dessus sur un cheval avec une fort belle grâce et guer- rière façon. Elle, s'arrestant là un peu et le contemplant, dit tout haut devant force monde là accouru, d'une belle et asseurée con- tenance, dont jamais n'en fut espourveue : o Si celuy qui est là » représenté estoit en vie, il ne permettroit pas qu'on enimenast sa •> peiite-fille ainsi prisonnière, et qu'on la traiitast de cette sorte; > • et puis suivit son chemin sans plus rien dire. Pensez que dans son ame elle imploroit et invoquoii les mânes de ce généreux ayeul, pour estre justes vengeurs de sa prison : ny plus ny moins que iirent jadis aucuns des conjuraleurs de la mort de César, lesquels,

&( ainsi qu'ils alloient faire leurs coups, se tournèrent vers l 'estau jji (t(! Pompée, et sourdement implorèrent et invoquèrent l'ombre de sa main, jadis si valleureuse, pour conduire leur entreprise à hire le coup qu'ils firent. Possible que l'invocaiion de cette prin- cesse peut servir et avancer la mort du Roy, qui l'avoil ainsi ous- iragoe. Une dame de grand cœur qui couve une vindicte est fort a craindre. Je me souviens que, quand feu monsieur son mary, M. de Guise, eut son coup dont il mourut, elle estoit pour alors au camp, qui estoit venue là pour le voir quelques jours avant.

N-^Ainsi qu'il entra en son logis blessé, elle vint à l'endevapt de


DISCOURS VI. SS7

luy jusqu'à la porte de son logis toute esperdue et esplorée, et l'ayant salué s'escria soudain : « Est-il possible que le malheu» » reux qui a fait le coup et celuy qui l'a fait faire ( se doutant de » M. l'admirai ) en demeurent impunis ? Dieu ! si tu es juste, » comme tu le dois estre, vange cecy ; autrement » et n'a- chevant le mot, M. son mary la reprit, et luy dit : « Mamie, » n'offensez point Dieu en vos paroles. Si c'est luy qui m'a en- » voyé cecy pour mes fautes, sa volonté soit faite, et louange luy » en soit donnée. S'il vient d'ailleurs, puisque les vengeances luy » sont réservées, il fera bien cette-cy sans vous. » Mais, luy mort, elle la poursuivit si bien, que le meurtrier fut tiré à quatre che- vaux, et l'auteur prétendu d'elle fut massacré au bout de quelques années, comme j'espère dire en son lieu, par les instructions qu'elle donna à M. son fils, comme je l'ay veu, et les conseils et persua- sions dont elle le nourrit dès sa tendre jeunesse jusques après que la vengeance en fut faite totale. Les advis et exhortations des femmes et mères généreuses peuvent beaucoup en cela : dont je me souviens que le roy Charles IX, faisant le tour de son royaume, estant à Bourdeaux, fut mis en prison le baron de Bournazel, un fort brave et honneste gentilhomme de Gascogne, pour avoir tué un autre gentilhomme de son pays mesme, qui s'appelloit La Tour : on disoit que c'estoit par grande supercherie. La veufve en pour- suivit si vivement la punition, qu'on se donna la garde que les nouvelles vindrent en la chambre du Roy et de la Reyne, qu'on alloil trancher la teste au dit baron. Les gentilshommes et dames s'esmeurent soudain, et travailla-t-on fort pour luy sauver la vie. On en pria par deux fois le Roy et la Reyne de lui donner grâce. M. le chancelier s'y porta fort, disant qu'il falloit que justice s'en fist. Le Roy le vouloit fort, qui estoii jeune et ne demandoit pas mieux que le sauver ; car il esioil des gallants de la Cour; et M. de Cypierre l'y poussoit aussi fort. Cependant l'heure de l'exécution approchoit, ce qui estonnoil tout le monde. Sur quoy survient M. de Nemours (qui aimoit ce pauvre baron, lequel l'a voit suivy en de bons lieux aux guerres), qui s'alla jeter de genoux aux pieds de la Reyne, et la supplia de donner la vie à ce pauvre gentilhomme, et la pria et pressa tant de paroles qu'elle luy fut octroyée ; dont sur le champ fut envoyé un capitaine des gardes, qui l'alla quérir et prendre en la prison, ainsi qu'il sortoit pour le mener au supplice. Par ainsi fut-il sauvé, mais avec une telle peur, qu'à jamais elle demeura empreinte sur son visage^ et oncques puis ne peut recoa-


338 VIES DES DAMES GALANTES.

vrer couleur, comme j'ay veu et comme j'ay ouy dire de M. de Saint- Vallier, qui l'eschappa belle à cause de M. de Bourbon. Ce- pendant la veufve ne chauma pas, et vint trouver le Roy le lende- main, ainsi qu'il alloit à la messe, et se jetta à ses pieds. Elle luy présenta son flls, qui pouvoil avoir trois ou quatre ans, et luy dit : « Sire, au moins puis que vous avez donné la grâce au meurtrier » du père de cet enfant, je vous supplie de la luy donner aussi dès » cette heure, pour quand il sera grand, il aura eu sa revenebe et » tué ce malheureux. » Du depuis, à ce que j'ay ouy dire, la mère tous les malins venoil es veiller son enfant; et, en luy monstrant la chemise sanglante qu'avoit son père lorsqu'il fut tué, et luy disoit i par trois fois : a Ad vise-la bien : et souviens-toi bien, quand I » tu seras grand, de venger cecy : autrement je te déshérite. » 1 Qnelle animosilét

— Moy estant en Espagne, j'ouys conter qu'Antonio Roque, l'un des plus braves, vaillants, fins, cauts, habiles, fameux, et des plus courtois bandoulliers avec cela qui fut jamais en Es- pagne (ce lient-on), ayant eu envie de se faire preslre dès sa première profession, le jour venu qu'il lui falloit chanter sa pre- mière messe, ainsi qu'il sorloit du revesliaire et qu'il s'en allMt avec grande cérémonie au grand autel de sa paroisse, bien re- veslu et accommodé à faire son office, le calice à la main, il ouyt sa mère qui lui dit ainsi qu'il passoit : Ah ! vellaco, vel- laco, mejor séria de vengar la muerte de tu padre, que de cantar missa ; « Ah ! malheureux et meschant que tu es ! il » vaudroit mieux de venger la mort de ton père que de chan- » ter messe. » Celte voix lui toucha si bien au cœur, qu'il re- tourne froidement du my-chemin, et s'en va au revestiioire : là se dévestit, faisant acroire que le cœur lui avoit fait mal et que ce seroit pour une autre fois : el s'en va aux montagnes parmy les bandoulliers, s'y fist si fort estimer el renommer, qu'il en fui esleu chef, fait force maux et voleries, venge la mort de son père, qu'on disoit avoir esté tué d'un autre; d'autres qu'il avoit esté exécuté par justice. Ce conte me fît un bandoullier mesme, qui avoit esté sous sa charge autrefois, et me le loiia jusques au jiersciei, si que l'empereur Charles ne lui put jamais faire mal. Pour retourner encore à madame de Nemours, le roy ne la re- tint guieres en prison, et M. Descars en fut cause en partie; car il la fît sortir pour l'envoyer à Paris vers MM. du Mayne et de Nemours, et autres princes ligués, et leur porter à tous pa-


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rôles de paix et oubliance de tout le passé ; et qui estoit mort, et amys comme devant. De fait le Roy tira serment d'elle qu'elle feroit cette ambassade. Estaal donc arrivée, au premier abord ce De furent que pleurs, lamentations et regrets de leur perte; et puis fit le rapport de sa charge. M. du Maine lui fit la res- ponce en luy demandant si elle luy conseilloit cela. Elle luy res- pondit seulement : « Mon fils, je ne suis pas venue ici pour » vous conseiller, si-non pour vous dire ce qu'on m'a dit et chargé. » C'est à vous à songer si vous avez sujet et si le devez faire ce » que je vous dis. Vostre cœur et vostre conscience vous en » doivent donner bon conseil. Quant à moy, je me descharge de » ce que j'ay promis. » Mais, sous main, elle en sceut très-bien attiser le feu, qui a duré longtemps. Il y a eu plusieurs personnes qui se sont fort estonnez comment le Roy, qui estoit si sage et des habiles de son royaume, s'aidoit de cette dame pour un tel mi- nistère, l'ayant oûensée, qu'elle n'eust eu cœur ny sentiment, si elle s'y fust employée le moins du monde: aussi se mocqua-t-elle bien de luy. On disoit que c'étoit le beau conseil du maréchal de Rbelz, qui en donna un pareil au roy Charles, pour envoyer M. de La Noue dans La Rochelle à persuader les habitants à la paix et à leur obéyssance et devoir; jusque-là que, pour entrer en créance avec eux, il luy permit de faire de l'eschauffë et de l'animé pour eux et pour son party, à faire la guerre à outrance, et leur bailler advis et conseil contre le Roy ; mais pourtant sous condition que, quand il seroit commandé et sommé par le Roy ou Monsieur, son lieutenant-général, de sortir, qu'il le feroit. Il fit et l'un et l'autre, et la guerre, et sortit; mais cependant il asseura si bien ses gens et les aguerrit, et leur fit de si bonnes leçons et les anima tel- lement; qu'ils nous firent ce coup la barbe. Force gens trouvoient qu'il n'y avoit là nulle finesse : j'ay veu tout cela, j'espère en faire tout le discours ailleurs. Mais ce mareschal valut cela à son roy et à la France: lequel mareschal tenoit-on mieux pour char- latan et cajoleur, que pour un bon conseiller et mareschal de France. Je diray encor ce petit mot de ma susdite dame de Ne- mours. J'ay ouy dire qu'ainsi qu'on bastissoit la Ligue , et qu'elle voyoit les caliiers et les listes des villes qui adhéroient, et n'y voyant point encore Paris, elle disoit toujours à M. son fils : a Mon » fils, cela n'est rien, il faut encore Paris, et si vous ne l'avez, » vous n'avez rien fait; pourquoy ayez Paris. » Et rien que Paris ne luy sonnoit à la bouche, si bien que les Barricades par après


S40 VIES DES DAMES GALANTES.

s'en ensuivirent. Voilà comme un cœur généreux tend toujours au plus haut; ce qui me fait souvenir d'un petit conle que j'ay lu dans un roman espagnol, qui s'intitule Za conquisla di Navarra. Ce royaume ayant esté pris et usurpé sur le roy Jean par le roy d'Aragon, le roy Louis douziesme y envoya une armée, sous M. de La Palice, pour le reconquérir. Le Roy manda à la reyne donne Catherine, de par M. de La Palice, qui lui en porta la nouvelle, qu'elle s'en vinst à la Cour de France et y demeurer avec la reyne Anne sa femme, cependant que le roy «on mary avec M. de La Pa- ' lice attenleroienl de recouvrer le royaume. La Ueyne lui respondil généreusement: « El comment, monsieur 1 je pensois que le roy » voslre maislre vous eust ici envoyé pour m'amener avec vous en » mou royaume et me remettre dans Pampeloime, et moy vous » y accompagner, ainsi que je m'y eslois résolue et préparée ; et à » celle heure vous me conviez de m'aller tenir à la Cour de » France? Voilà un mauvais espoir et sinistre augure pour moil » je vois bien que je n'y enlreray jamais plus. » Et ainsi qu'elle le présagea, ainsi il arriva.

Il fut dit et commandé à madame la duchesse de Valentinois, sur rapprochement de la mort du roy Henry et le peu d'espoir de sa santé, de se retirer en son hoslel de Paris et n'entrer plus en sa chambre, autant pour ne le perturber en ses cogitations à Dieu, que pour inimitié qu'aucuns lui porloienl. Estant donc- ques retirée on luy envoya demander quelques bagues et joyaux qui apparlenoient à la couronne, et les eust à rendre. Elle de- manda soudain à M. l'harangueur : « Comment! le Roy est-il « mort? — Non, madame, respondil l'autre, mais il ne peut » guieres tarder. — Tant qu'il luy restera un doigt de vie donc, » dit-elle, je veux que mes ennemys sachent que je ne les crains » point, et que je ne leur obéyrai tant qu'il sera vivant. Je suis » encore invincible de courage , mais lorsqu'il sera mort je ne I) veux plus vivre après luy; et toutes les amertumes qu'on me » sauroit donner ne me seront que douceurs au prix de ma x perte: et par ainsi, mon roy vif ou mort, je ne crains pas mes » ennemis. » Celle dame monstra-Ià une grande générosité de cœur. Mais elle ne mourut pas, ce dira quelqu'un, comme elle avoit dit. Elle ne laissa pourtant à sentir plusieurs approches de la mort ; et aussi que plustost que mourir, elle fit mieux de vou- loir vivre, pour monslrer à ses ennemys qu'elle ne les craignoit point, et que, les ayant veus d'aulresfois bransler et s'humiliei


DISCOURS VI. 241

âous elle, m en vouloii faire de mesme en leur endroit, et leur monslrer si bien leste et visage qu'ils n'osèrent jamais luy faire desplaisir, mais bien mieux, dans deux ans ils la reclierciièrent plus que jamais et rentrèrent en amitié, comme je vis : ainsi qu'est la coutume des grands et grandes, qui ont peu de tenue en leurs amiresjouissoient, n'avoient pas bon temps. Aussi les aima-l-il fort et les servit bien, voire trop; car, tournant de son voyage de Naples très-victorieux et glorieux, il s'amusa si fort à les servir, caresser, et leur donner tant de plaisirs à Lyon par les beaux combats et tournois qu'il fit pour l'amour d'elles, que, ne se sou- venant point des siens qu'il avoil laissés en ce royaume, les laissa perdre, et villes et royaume et cliasteaux qui tenoient encore et luy lendoient les bras pour avoir secours. On dit aussi que les dames furent cause de sa mort, auxquelles, pour s'estre trop aban- donné, luy qui esloit de fort débile complexion, s'y énerva et dé- bilita tant que cela luy aida à mourir.

— Le roy Louis douziesme fut fort respectueux aux dames ; car, comme j'ay dit ailleurs, il pardonnoit à tous les comédians de son royaume, comme escoUers et clercs de palais en leurs basoches, de quiconque ils parleroient, fors de la reyne sa femme et de ses dames et damoiselles, encor qu'il fust bon compagnon en son temps et qu'il aimast bien les dames autant que les autres, tenant en cela, mais non delà mauvaise langue, ny de la grande présomp- tion, ny vanterie du duc Louis d'Orléans, son ayeul : aussi cela lui cousta-t-il la vie, car s'eslanl une fois vanté tout haut, en un banquet où estoit le duc Jean de Bourgogne son cousin, qu'il avoit en son cabinet le pourtrait des plus belles dames dont il avoit joijy, par cas fortuit, un jour le duc Jean entra dans ce cabinet ; la première dame qu'il voit pourtraitte et se présente du premier aspect à ses yeux, ce fut sa noble dame espouse, qu'on tenoit de ce temps-là très-belle : elle s'appeloit Margueritte, fille d' Albert


85« VIES DES DAMES GALANTES.

de Bavière, comte de Haynault et de Zelande. Qui fut esLahy? ce fut le bon espoux : pensez que tout bas il dit ce mot : « Ah I j'en ay. » Et ne faisant cas de la puce qui le piquoit autrement, dissi- , mula tout, et, en couvant vengeance, le querella pour la régence et administration du royaume ; et colorant son mal sur ce sujet et non sur sa femme, le fit assassiner à la porte Barbette à Paris, et sa femme première morte, pensez de poison : et après la vache morte, espousa en secondes noces la fille de Louis troisiesme, duc de

Bourbon. Possible qu'il n'empira le marché ; car à tels ger.s su-

^ Jets aux cornes ils ont beau changer de chambres et de repaires, ils y en trouvent toujours. Ce duc en cela fit très-sagement de se vanger de son adultère sans s'escandaliser ny lui ny sa femme; qui fut à luy une très-sage dissimulation. Aussi ay-je ouy dire à un trèa-grand capitaine qu'il y a trois choses lesquelles l'homme sage ne doit jamais publier s'il en est offensé , et en doit taire le sujet, et plustost en inventer un autre nouveau pour en avoir le combat et la veangeance, si ce n'est que la chose fust si évidente et claire devant plusieurs, qu'autrement il ne se pust desdire. L'une est quand on reproche à un autre qu'il est

cocu et sa femme publique; l'autre, quand on le taxe de b

et sodomie; la troisiesme, quand ou luy met à sus qu'il est un poltron, et qu'il a fuy vilainement d'un combat ou d'une bataille. Ces trois choses, disoit ce grand capitaine, sont fort escan- daleuses quand on en publie le sujet de laquelle on combat, et pense-t-on quelquefois s'en bien nettoyer que l'on s'en sallist villainement ; et le sujet en estant publié scandalise fort, et tant plus il est remué, tant plus mal il sent, ny plus ny moins qu'une grande puanteur quand plus on la remue. Voilà pourquoy qui Y peut avoir son honneur caler c'est le meilleur, et excogiter et ten- /x ter un nouveau sujet pour avoir raison du vieux; et telles offen- ses, le plus tard que l'on peut, ne se doivent jamais mettre en cause, contestation ny combat. Force exemples alléguerois-je pour ce fait; mais il m'incommoderoit et allongeroit par trop

  • mon discours. Voilà pourquoy ce duc Jean fut très-sage de

dissimuler et cacher ses cornes, et se revanger d'ailleurs sur son cousin qui l'avoit hony; encor s'en mocquoil-il et le faisoil entendre : dont il ne faut point douter que telle dérision et escandale ne luy touchast autant au cœur que son ambition, et luy fit faire ce coup en fort habile et sage mondain. — Or. pour retourner de-là où j'estois demeuré, le roy Fran-


DISCOURS VII. 3hi

çois, qui a bien aimé les dames, et encore qu'il eust opinion qu'elles fussent fort inconstantes et variables, comme j'ay dit ailleurs, ne voulut point qu'on en médist en sa cour, et voulut qu'on leur por- tast un grand honneur et respect. J'ay ouy raconter qu'une fois, luy passant son caresme à Meudon près Paris, il y eut un sien gen- tilhomme servant, qui s'appelloit Busembourg de Xaintonge, lequel servant le Roy de la viande, dont il avoit dispense, le Roy lui com- manda de porter le reste, comme l'on void quelquefois à la Cour, aux dames de la petite bande, que je ne veux nommer, de peur d'escandale. Ce gentilhomme se mit à dire, parmy ses compagnons et autres de la Cour, que ces dames ne se contentoient pas de manger de la chair crue en caresme, mais en mangeoient de la cuitte, et leur benoist saoul. Les dames le sceurent, qui s'en plai- gnirent aussitosTâu Roy, qui entra en si grande coUere, qu^à l'ins- tant il commanda aux archers de la garde de son hostel de l'aller prendre et pendre sans autre delay. Par cas ce pauvre gentilhomme en sceut le vent par quelqu'un de ses amis, qui évada et se sauva bravement : que s'il eust été pris, pour le seur il esioit pendu, encor qu'il fust gentilhomme de bonne part, tant on vid le Roy cette fois en coUere, ny faire plus de jurement. Je tiens ce conte d'une personne d'honneur qui y esioit, et lors le Roy dit tout haut que quiconque toucheroit à l'honneur des dames, sans rémission il seroit pendu.

— Un peu auparavant, le pape Paul Farnèse estant venu à Nice, le Roy le visitant en toute sa Cour, et de seigneurs et dames, il y eu eut quelques-unes , qui n'étoient pas des plus laides, qui lui allèrent baiser la pantoufle ; sur quoy un gentilhomme se mit à dire qu'elles estoient allées demander à Sa Sainteté dispense de taster de la chair crue sans escandale toutesfois et quanig s qu'elles -^ voudroient. Le Roy le sceut ; et bien servit au gentilhomme de se sauver, car il fut esté pendu, tant pour la révérence du Pape que du respect des dames. Ces gentilshommes ne furent si heureux en leurs rencontres et causeries comme feu M. d'Albanie. Lors que le pape Clément vint à Marseille faire les nopces de sa niepce avec M. d'Orléans, il y eut trois dames, belles et honnestes veuf ves, lesquelles, pour les douleurs, ennuys et tristesses qu'elles avoient de l'absence et des plaisirs passez de leurs marys, viudrent si bas et si fort atténuées, débiles et maladives, qu'elles prièrent M. d'Albanie, son parent, qui avoit bonne part aux grâces du Pape, de lui demander dispense pour elles trois de manger de la chair


SS6 VIES DES DAMES GALANTES.

les jcurs deffendus. Le duc d'Albanie leur accorda, elles Bl venir un jour fort familièrement au logis du Pape ; et pour ce en adver- lit le Roy, et qu'il lui en donneroil du passe-temps, et luy ayant découvert la_ba^e. Estant toutes trois à genoux devant Sa Sainteté, M. d'Albanie commença le premier, et dit assez bas en italien, que les dames ne l'entendoient point : « Père saint, voilà trois » dames veufves, belles et bien honnestes, comme vous voyez, les- » quelles pour la révérence qu'elles portent à leurs marys trespas- » sez, et à l'amitié des enfants qu'elles ont eu d'eux, ne veulent pour » rien du monde aller aux secondes nopces, pour faire tort à leurs » marys et enfants ; et, parce que quelquesfois elles sont tentées » des aiguillons de la chair, elles supplient très-humblement Vos- » tre Sainteté de pouvoir avoir approche des hommes hors ma- » riage, si et quauies fois qu'elles seroient en celte tentation.— » Comment, dit le Pape, mon cousin î ce seroii contre lescomman- » déments de Dieu, dont je ne puis dispenser. Les voilà, père » saint, disoitle duc, s'il voust plaist lesouyr parler. » Alors l'une des trois, prenant la parole, dit : « Père saint, nous avons prié » M. d'Albanie de vous faire une requeste très-humble pour nous » autres trois, et vous remonstrer nos fragilitez et débiles com- » plexions. — Mes filles, dit le Pape, la requeste n'est nullement » raisonnable, car ce seroit contre les commandements de Dieu. » Les dites veufves, ignorantes de ce que luy avoil dit M. d'Alba- nie, luy répliquèrent : « Père saint, au moins plaise nous en don- » ner congé trois fois de la sepmaine, et sans escandale. — Com- i> ment! d-it le Pape, de vous permettre ilpeccato di lussaria (i)? » je me damnerois ; aussi que je ne le puis faire. » Les dites dames, connoissant alors qu'il y avoit de la fourbe et raillerie, et que M. d'Albanie leur en avoit donné d'une, dirent: « Nous ne » parlons pas de cela, père saint, mais nous demandons permis- » sion de manger de la chair les jours prohibés. » Là-dessus le duc d'Albanie leur dit : « Je pensois, mes dames, que ce fust de » la chair vive. » Le Pape aussi-tost entendit la raillerie, et se prit à sourire, disant : « Mon cousin, vous avez fait rougir ces honnes- » tes dames; la reyne s'en faschera quand elle le sçaura » : la- quelle le sceut et n'en fit autre semblant, mais trouva le conte bon ; et le Roy puis après en rit bien fort avec le Pape, lequel, après leur avoir donné sa bénédiction, leur octroya le congé qu'elles

(1) Le pécbé de luxaic.


DISCOURS VII. in

demandoient, et s'en allèrent très-contenies. L'on m'a nommé les trois dames: madame de Cbasteau-Briant ou madame de Canaples, madame de Cliastillon, et madame la baillive de Caen, très-bon- nesies dames. Je tiens ce conte des anciens de la Cour (l).

— Madame d'Uzez fu bien mieux du temps que le pape Paul troisiesme vint à Nice voir le roy François. Elle estant madame du Bellay, et qui dès sa jeunesse a tousjours eu de plaisants trail> et dit de fort bons mots, un jour, se prosternant devant Sa Sain- teté, le supplia de trois choses : l'une, qu'il luy donnast l'absolu- tion, d'autant que, petite garce, fille à madame la régente, et qu'on la nommoil Tallard, elle perdit ses ciseaux en faisant son ouvrage ; elle fit voeu à saint Aiivergot de le luy accomplir si elle les trou voit, ce qu'elle fit ; mais elle ne l'accomplit ne sçachant où gisoit son corps saint. L'autre requesle fut qu'il lui donnast pardon de quoy, quand le pape Clément vint à Marseille, elle es- tant fille Tallard encore, elle prit un de ses oreillers en sa ruelle de lict, et s'en torcha le devant et le derrière, dont après Sa Sain- teté reposa dessus son digne chef et visage et bouche, qui le baisa. La troisiesme, qu'il excommuniast le sieur de Tays, par ce qu'elle l'aimoit et luy ne l'aimoit point, et qu'il est maudit et est cetuy excommunié qui n'aime point s'il est aimé. Le Pape, estonné de ses demandes, et s' estant enquis au Roy qui elle estoil, sceui ses causeries et en rit son saoul avec le Roy. Je ne m'estonne pas si depuis elle a esté huguenotte et s'est bien mocquée des papes, puis que de si bonne heure elle commença : et de ce temps, tou- tes fois, tout a esté trouvé bon d'elle, tant elle avoit bonne grâce en ses traits et bons mois. Or ne pensez pas que ce grand roy fust si absiraint et si réformé au respect des dames, qu'il n'en aimast de bons contes qu'on luy en faisoit, sans aucun escandale pourtant ny descriemeiit, et qu'il n'en fist aussi ; mais, comme grand roy qu'il estoil et bien privilégié, il ne vouloit pas qu'un chacun, ny le com- mun, usast de pareil privilège que luy.

J'ay ouy conter à aucuns qu'il vouloit fort que les honnestes gentilshommes de sa cour ne fussent jamais des sans maistresses ; et s'ils n'en faisoient il les estimoit des fats et des sots : et bien souvent aux uns et aux autres leur en demandoit les noms, et

(1) Ce conte, que Brautôme dit tenir des aociens de la Cour, est pris presque mot pour mot de J. Boiicliet, iaos ses Annales d'Aquitaine , édit. de 1644, pag. 473, au Dom des trois dames près, qui est ai'paieoimeDt ce qu'il veut dire qu'il leuoit de boD lieu.


35S VIES DES DAMES GALANTES.

promettoit les y servir et leur en dire du bien, tant il estoit bon et familier : el souvent aussi quand il les voyoit en grand arraison- nement avec leurs maisiresses, il les venoit accoster ei leur de- mander quels bons propos ils avoient avec elles; et s'il ne les trouvoil bons, il les corrigeoit et leur en apprenoil d'autres. A ses plus familiers il n'estoil point avare ny cbicbe de leur en dire ny départir de ses coûtes, dont j'en ay ouy faire un plaisant qui luy advint, puis après le récita, d'une belle jeune dame venue à la Cour, laquelle, pour n y eslre bien rusée, se laissa aller fort dou- cement aux persuasion^ des grands, et sur-tout de ce grand roy ; lequel un jour, ainsi qu'il voulut planter son estandart bien arboré dans son fort, elle qui avoit ouy dire, et qui commença desjà à le voir, que quand on donnoit quelque chose au Roy, ou que quand on le prenoit de luy et qu'on le touchoit, le faloit premièrement baiser, ou bien la main, pour le prendre et toucher; ellemesme, sans autre cérémonie, n'y faillit pas, et baisant très-humblement la main, prit l'estandart du Roy et le planta dans le fort avec une très-grande humilité ; puis luy demanda de sang froid comment il vouloit qu'elle le servist ou en femme de bien et chaste, ou en desbauchée. Il ne faut point douter qu'il luy en demandast la des- baucbée, puisqu'en cela elle y estoit plus agréable que la modeste; en quoy il trouva qu'elle n'y avoit perdu son temps, et après le coup et avant, et tout; puis luy faisoil une grande révérence en le remerciant humblement de l'honneur qu'il luy avoit fait, dont elle n'estoit pas digne, en luy recommandant souvent quelque avancement pour son mary. J'ay ouy nommer la dame, laquelle depuis n'a esté si sotte comme alors, mais bien habile et bien rusée.

Ce roy n'en espargna pas le conte, qui courut à plusieurs oreilles. Il estoit fort curieux de sçavoir l'amour et des uns el des autres, et surtout des combats amoureux, et mesme de quels beaux airs se manioient les dames quand elles estoient en leur manège, et quelle contenance et posture elles y lenoient, et de quelles paroles elles usoient : et puis en rioit à pleine gorge, et après en défendoit la publication et l'escandale, et recomman- doit le secret el l'honneur. Il avoit pour son bon second ce îrès-grand, très-magnifique et très-libéral cardinal de Lorraine ; très-libéral le puis-je appeler, puis qu'il n'eut son pareil de son temps : ses despenses, ses dons, gracieusetez, en ont fait foy, et lurtout la charité envers les pauvres. Il portoit ordinairement une


DISCOURS VII. S59

grande gibecière, que son talet-de-chanibre qui luy manioit son argent des menus plaisirs ne Tailoit d'emplir tous les matins, de trois ou quatre cents escus ; et tant de pauvres qu'il irouvoit il mettoit la main à la gibecière, et ce qu'il en liroit sans considéra- tion il le donnoit, et sans rien trier. Ce fut de lui que dit un pau- vre aveugle, ainsi qu'il passoit dans Rome et que l'aumosne lui fut demandée de luy, il luy jetia à son accoustumée une grande poignée d'or, et en s'escriant fout haut en italien : O tu sei Christo, b veramente el cardinal di Lorrena; c'est-à-dire: « Ou tu es Christ, ou le cardinal de Lorraine. » S'il estoit au- mosnier et charitable en cela, il estoit bien autant libéral es au- tres personnes, et principalement à l'endroit des dames, lesquelles il attrapoit aisément par cet appât ; car l'argent n'estoit en si grande abondance de ce temps comme il est aujourd'huy; et pour ce en estoient-elles plus friandes, et des bombances et des parures. J'ay ouy conter que quand il arrivoit à la Cour quelque belle fille ou dame nouvelle qui fusl belle, illa venoit aussi tost accoster, ell'ar- jRaisonjiaûL.il disoitqu'il la vouloit dresser de sa main. Quel dresséuri Je croy que la peine n'estoil pas si grande comme à dresser quel- que poulain sauvage. Aussi pour lors disoit-on qu'il n'y avoit guère de dames ou filles résidentes à la Cour ou fraischement ve- nues, qui ne fussent desbauchées ou attrappées par son avarice et par la largesse dudit M. le cardinal ; et peu ou nulles sont-elles sorties de cette cour femmes ei filles de bien. Aussi voyoit-on pour lors leurs coffres et grandes garde-robbes plus pleines de robbes, de cottes, et d'or et d'argent el de soye, que ne sont aujourd'huy celles de nos reynes et grandes princesses d'aujourd'huy. J'en ay fait l'expérience pour l'avoir veu en deux ou trois qui avoient.ga- gné tout cela par leur devant ; car leurs pères, mères et marys ne leur eussent peu donner en si grande quantité. Je me fusse bien passé, ce dira quelqu'un, de dire cecy de ce grand cardinal, veu son honorable habit et révérendissime estât ; mais son roy le vou- loit ainsi et y prenoit plaisir; et pour complaire à son roy Ton est dispensé de tout, et pour faire l'amour et d'autres choses, mais qu'elles ne soient point meschantes, comme alors d'aller à la guerre, à la chasse, aux danses, aux mascarades et autres exer- cices; aussi qu'il eslCit un homme de chair comme un autre, et qu'il avoit plusieurs grandes vertus et perfections qui offusquoient cette petite imperfection, si imperfection se doit appeler faire l'a" mour.


360 VIES DES DAMES GALANTES.

J'ay ouy faire un conte de luy à propos du respect deu aux dames : il leur en porloit de son naturel beaucoup : mais il l'oublia, et non sans sujet, à l'endroit de madame la duchesse de Savoye, donne Béalrix de Portugal. Luy, passant une fois par le Piedmond, allant à Rome pour le service du Roy son maistre, visita le duc et la duchesse. Après avoir assez entretenu M. le duc, il s'en alla trouver madame la duchesse en sa cham- bre pour la saluer, et s'approchant d'elle, elle, qui estoit la mesme arrogance du monde, luy présenta la main pour la bai- ser. M. le cardinal, impatient de cet affront, s'approcha pour la baiser à la bouche, et elle de se reculer. Luy, perdant patience et s'approchant de plus près encore d'elle, la prend par la teste, et en dépit d'elle la baisa deux ou trois fois. Et quoy qu'elle en fist ses cris et exclamaiions à la portugaise et espagnole, si fallut- il qu'elle passàst par-là. « Comment, dit-il, est-ce à moi à qui il » faut user de celte mine et façon? je baise bien la Reyne ma » maistresse, qui est la plus grande reyne du monde, et vous je » ne vous baiserois pas, qui n'estes qu'une petite duchesse crottée ! » Et si veux que vous sçachiés que j'ay couché avec des dames » aussi belles et d'aussi bonne ou plus grande maison que vous. » Possible pouvoit-il dire vrai. Celle princesse eut tort de tenir celte grandeur à l'endroit d'un tel prince de si grande mai- son, et mesme cardinal, car il n'y a cardinal, veu ce grand rang d'Église qu'ils tiennent, qui ne s'accompare aux plus grands princes de la cbreslienté. M. le cardinal aussi eut tort d'u- ser de revanche si dure ; mais il est bien fascheux à un noble et généreux cœur, de quelque profession qu'il soit, d'endurer un affront.

Le cardinal de Grandvelle le sceut bien faire sentir au comte d'Egmont, et d'autres que je laisse au bout de ma plume, car je broiiillerojs par trop mes discours, auxquels je retourne ; et le re- prens au feu roy Henry II, qui a esté fort respectueux aux dames, et qu'il servoit avec de grands respects, qui deiesioit fort les ca- lomniateurs de l'honneur des dames : et lorsqu'un roy sert te4le8 dames, de tel poids, et de telle complexion, mal-aisément la suite de la Cour ose ouvrir la bouche pour en parler mal. Déplus la Reyne-mere y lenoit fort la main pour sousteuir ses dames et filles, et le bien faire sentir à ces détracteurs et pasquineurs, quand ils estoient une fois descouverts, encore qu'elle-mesme n'y ait esté espargnée non plui^ que ses dames ; o^js ne s'en soucioit pas tant


DISCOURS Vil. 381

d'elle comme des autres, d'autant, disoit- elle, qu'elle sentoii son ame el sa conscience pure et nette, qui parloit assez pour soy ; el la pluspart du temps se rioit et se mocquoit de ces mesdisanis es- orivains el pasquineurs. a Laissez-les tourmenter, disoit-elle, et se prendre de la peine pour rien ; » mais quand elle les descoa- vroit elle leur faisoii bien sentir. Il escbeut à l'aisnée Li- meuil, à son commencement qu'elle vint à la Cour , de faire un pasqum (car elle disoit et escrivoit bien) de toute la Cour, mais noa poiut scandaleux pourtant, si non plaisant; mais asseurez-vous qu'elle la repassa par le fouet à bon escient, avec deux de ses com pagnes qui en esioient de consente ; et sans qu'elle avoit cet hon- neur deluy appartenir, à cause delà maison de Tburenne, aliiéeà celle de Boulogne, ellel'eust chastiée ignominieusement par le com- mandement exprès du Roy, qui déiesloit estrangement tels escriis.

— Je me souviens qu'une fois le sieur de Maiha, qui estoit un brave et vaillant gentilhomme que le Roy aimoit, et estoit pa- rent de madame de Yaleutinois; il avoit ordinairement quelque plaisante querelle contre les dames et les filles, tant il esioit fol. Un jour, s'esiant attaqué à une de la Reyne, il y en avoit une qu'on nommoit la grande Meray, qui s'en voulut prendre pour sa compagne ; luy ne fît que simplement respondre : « Hà l je ne » m'atiaque pas à vous, Meray, car vous estes une grande cour- siere bardable. » Comme de vray c'estoit la plus grande iille et femme que je vis jamais. Elle s'en plaignit à la Reyne que l'autre l'avoit appelée jument et coursiere bardable. La Reyne fut en telle colère qu'il fallust que Malha vuidasi de la Cour pour aucuns JQurs, quelque faveur qu'il eust de madame de Va- lentinois sa parente; et d'un mois après son retour n'entra en la chambre de la Reyne et des filles.

Le sieur de Gersay fit bien pis à l'endroit d'une des filles de la Reyne à qui il vouloit mal pour s'en venger, encore que la parole ne luy manquast nullement; car il disoit et rencontroit dos mieux, mais sur-tout quand il n.esdisoit, dont il en estoit le maisti-' j mais la raesdisance estoit lors fort défendue. Un jour qu'elle es- toit à l'après-dinée en la chambre de la Reyne avec ses compjignes et gentilshommes, comme alors la coustume estoit qu'on ne s'as- sioit autrement qu'en terre quand la Reyne y estoit, le dit sieur^ ayant pris entre les mains des pages et laquais une c de bé- lier dont ils s'en joûoient à la basse-court (elle estoit fort grosse

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«62 VIES DKS DAMES GALA.NTES.

et enflée tout bellement), estant couché près d'elle, la coula entre la roblx) et la Juppé de cette fille, et si doucement qu'elle ne s'en adyisa jamais, si-non que. lors que la Reyne se vint à se lever de sa chaise pour aller en son cabinet, cette fille, que je ne nommeray, se vint lever aussi-tost, et en se levant tout devant la Reyne, pousse si fort cette balle bellinière, pelue, velue, qu'elle fit six ou sept bonds joyeux, que vous eussiez dit qu'elle vouloit donner de soy-mesme du passe-temps à la compagnie sans qui'il luy cous- tast rien. Qui fut estonnée? ce fut la fille et la Reyne aussi, car c'étoit en belle place visible sans aucun obstacle. « Nostre-Damel «s'écria la Reyne, et qu'est cela, m'amie, et que voulez-vous faire »de cela?» La pauvre fille, rougissant, à demy esplorée, se mit à dire qu'elle ne sçavoit que c'estoit, et que c'estoit, quelqu'un qui luy vouloit mal qui luy avoit fait ce meschant trait, et qu'elle pen- soit que ce ne fust {.utre que Gersay. Luy, qui en avoit veu le commencement du jeu et des bonds, avoit passé la porte. On l'en- voya quérir; mais il ne voulut jamais venir, voyant la Reyne si colère, et niant pourtant le tout fort ferme. Si fallut-il que pour quelques jours il fuyt sa colère et du Roy aussi : et san^

qu'il estojt un des grands favoris du Roy -Dauphin avec

Fontaine-Guerrin, il eust esté en peine, encore que rien ne se prouvast contre luy que par conjecture, nonobstant que le Roy fit ses courtisans et plusieurs dames ne s'en peussent engarder d'en rire, ne l'osant pourtant manifester, voyant la colère de la Reyne : car c'estoit la dame du monde qui sçavoit le mieux ra» broUer et estonner les personnes.

— Un bonneste gentilhomme et une damoiselle de la Cour vindrent une fois, de bonne amitié qu'ils avoient ensemble, à tom- ber en haine et querelle, si-bien que la damoiselle luy dit tout haut dans la chambre de la Reyne, estant sur ce différent : « Lais- » sez-moi, autrement je diray ce que vous m'avez dit : » Le gentilhomme, qui luy avoit rapporté quelque chose en fliélité d'une très- grande dame, et craignant que-mal ne luy advinsi que pour le moins il ne fust banny de la Cour, sans s'estonner il respondit (car il disoit très-bien le mot) : « Si vous dites ce » que je vous ay dit, je diray ce que je vous ay fait. » Qui fust estonnée? ce fust la fille: toutesfois elle respondit: « Que m'a- vez-vous fait? » L'autre respondit; « Que vous ay-je dit?» La fille par après réplique : « Je sçay bien ce que vous m'avez dit; » l'autre : « Je sais bien ce que ie vous ai fait » La flije duplique


DISCOURS Vil, 3

« Je prouveray fort bien ce que vous m'avez dit; » l'autre res- pondit : a Je proiiveray encore mieux ce que je vous ay fait. » £nfin, après avoir demeuré assez de temps en tulles contestations ]j|)ar dialogues et répliques et dupliques, et pareils et semblables mots, s'en séparèrent par ceux et celles qui se trouvèrent là, encore qu'ils en tirassent du plaisir.

Tel débat parvint aux oreilles de la Reyne, qui en fut fort en colère, et en voulust aussitost sçavoir les paroles de l'un et les faits de l'autre, et les envoya quérir. Mais l'un et l'autre, voyant que cela tireroit à conséquence, ad visèrent à s'accorder aussi-lost ensemble, et comparoissant devant la Reyne, de dire que ce n'es- toit qu'un jeu qu'ils se contestoient ainsi, et que le gentilhomme ne luy avoit rien dit, ny luy rien fait à elle. Ainsi ils payèrent la Reyne, laquelle pourtant tança et blasma fort le gentilhomme, d'autant que ses paroles estoient trop scandaleuses. Le gentil- homme me jura vingt fois que, s'ils ne se fussent ragatriés et concertés ensemble, et que la damoiselle eust descouvert" les paroles qu'il luy avoit dites, qui luy tournoient à grande consé- quence, que résolument il eust mainteûu son dire qu'il luy avoit fait, à peine qu'on la visitast, et qu'on ne la trouveroit point pu- celle, et que c'estoit luy qui l'avoit dépucellée. « Oui, lui res- » pondis-je: mais si l'on î'eust visitée et qu'on l'eust trouvée j» puceîle, car elle estoit fille, vous fussiez esté perdu, et vous » y fust allé de la vie. — Hà! mort Dieu! me respondii-il, c'est » ce que j'eus voulu le plus qu'on l'eust visitée : je n'avoi* point » peur que la vie y eust couru ; j'estois bien asseuré de mon » baston; car je sçavois bien qui l'avoit dépucellée, et qu'un B autre y avoit bien passé, mais non pas moy, dont j'en suis très- w bien marry : et la trouvant entamée et tracée, elle estoit perdue » et moy vengé, et elle scandalisée. Je fusse esté quitte pour » l'espouser, et puis m'en défaire comme j'eusse peu. » Voilà comme les pauvres filles et femmes courent fortune, aussi bien à droit comme à tort.

— J'en ay co^neu une de très-grande part, laquelle vint à estre grosse d'un très-brave et galland prince (l) : on disoit pourtant

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(I) Françoise de HohaD , dame de ta Carnache , ai nous en croyons Bayla Dict. erit., pag. 1317 de la deuiième éJiiion. Mais je doute que lai-même en (ftt bien persuadé, puisque, dant la citation de ce passage de Brantôme, il n'a Jug i propos de marquer |ue par dei points certaines paroles qui ne convienneftt ■uiletncnt à I* dame dt La Garnache ; savoir, que d abord on iUoii que cette damtt B« t'étoit laissé engrosae lo'en nom de mariage , et qu'après oo sut le contrain.


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X


26 4 VIES DES DAMES GALANTES.

que c'eslou en nom de mariage, mais par après on sceui le con- traire. Le roy Henry le sceul le premier qui en feust oxtresmemeiit fasché, car elle luy en appartenoit un peu : toulesfois, sans faire plus grand bruit ny scandale, le soir au bal la voulut nienei danser le bransle de la Torche (l) et puis la fît mener danser à un ïutre la gaillarde et les autres brandies, là où elle monstra sa iisposilion et sa dextérité mieux que jamais, avec sa taille qui es~ '.oit très-belle et qu'elle accommodoit si bien ce jour-là, qu'il nj woit aucune apparence de grossesse : de sorte que le Roy, qui avo U ses yeux toujours fort fixement sur elle, ne s'en apperceust non plus que si elle ne fust esté grosse, et vint à dire à un très-grand de ses plus familiers: « Ceux-là sont bien meschants et malheureux » d'eslre allés inventer que cette pauvre fille esloit grosse ; jamais D je ne luy ay veu meilleure grâce. Ces meschants détracteurs qui » en ont parlé ont menly et ont très-grand tort. » Et ainsi ce bon prince excusa celte fille et honneste damoiselle, et en dit de mesme à la Reyne estant couché le soir avec elle. Mais la Reyne, ne se fiant à cela, la fit visite» le lendemain au malin, elle estant pré- sente, et se trouva grosse de six mois ; laquelle luy advoûa et con- fessa le tout sous la courtine de mariage. Pourtant le Roy, qui esloit tout bon, fit tenir le jiyslère le plus secret qu'il put sans escandaliser la fille, encore que la Reine en fust fort en colère. Toulesfois ils l'envoyèrent tout coy chez ses plus proches parents, où elle accoucha d'un beau fils, qui pourtant fut si malheureux qu'il ne put jamais estre advoùé du père putatif; et la cause en traîna longuement, mais la mère n'y put jamais rien gagner.

— Or le roy Henry aimoit aussi -bien les bons coules que ses prédécesseurs ; mais il ne vouloit point que les dames en fus- sent escandalisées ny divulguées: si bien que luy, qui esloii d'assez amoureuse complexion, quand il alloit voir les dames, j alloit le plus caché et le plus couvert qu'il pou voit, afin qu'el'es iussenl hors de soupçon et diffame; et s'il en avoit aucunes qu; fiissenl descouverles, ce n'esloit pas sa faute nj de son consen- toment, mais pHislost de la dame: comme uce que j'ay ouy dire, de bonne marson, nommée madame Flamin, d'Escosse, laquelle, îyant été enceinte du fait du Roy, elle n'en faisoit point la petite bouche, mais très-hardiment disoit en son escossijnenj^jraiicisés « J'ay fait tant j'ay pu, que, Dieu merci, je s^Isébceinte du Roy,

(1) Dante d'Allemagne; les Allemands appellen! ce hrani oeM-^sntg,


DISCOCRS VII. 36&

)> (îont je m'en sens très-bonorée et irès-heureuse ; et si je veux p dire que le sang royal a je ne sais quoy de plus suave et friande > liqueur que l'autre, tant que je m'en trouve bien, sans conter » les bons brins de présents que l'on en tire. » Son fils, qu'elle en eust alors, fut le feu grand prieur de France, qui fut tué der- nièrement à Marseille, qui fut un très-grand dommage, car c'es-. toit un très-honneste, brave et vaillant seigneur: il le monsira bien à sa mort. El si esloit homme de bien et le moins tyran gou- verneur de son temps ny depuis, et la Provence en sauroit bien que dire, et encore que ce fust un seigneur fort splendide et de grande despense ; mais il estoit homme de bien et se contenioit déraison. Celte dame, avec d'autres que j'ay ouy dire, estoit en cette opinion, que, pour coucher avec sou roy, ce n'estoit point diffame, et que putains'sont celles qui s'adonnent aux petits, mais non pas aux grands roys et galants gentilshommes ; comme cette reyne amazono que j'ai dit, qui vint de trois cent lieues pour se faire engrosser à Alexandre, pour en avoir de la race : toutesfois l'on dit qu'autant vaut l'un que de l'autre.

— Après le roy Henry vint le roy François second, duquel le règne fust si court que les mesdisanis n'eurent loisir de se mettre en place pour mesdire des dames : encore que s'il eust régné long- temps, ne faut point croire qu'il les eust permis en sa Cour; car c'esloil un roy de très-bon et très-franc naturel, et qui ne se plai- soit point en médisances; outre qu'il estoit fort respectueux à l'en- droit des dames et les honoroit fort: aussi avoit-il la reyne sa femme et la reyne sa mère, et messieurs ses oncles, qui rabroùoienl fort ces causeurs et picqueurs de la langue. Il me souvient qu'une fois, luy estant à Saint Germain en Laye, sur le mois d'aoust et de septembre, il lui prit envie d'aller le soir voir les cerfs en leurs ruths, en cette belle forest de Saint Germain, et menoit des princes ses plus grands familiers et aucunes grandes dames et filles que je diroià bien. Il y en eut quelqu'un qui en voulut causer et dire que cela ne sentoit p^int sa femme-de-bien, ny chaste, d'aller voir de tels amours et tels ruths de bestes, d'autant que l'appétit de Vénus les en eschauffoit davantage à telle imitation et telle vueue, si bien que, quand elles s'en voudroient degouster, l'eau ou la salive leur en viendroit à la bouche du milan, que par après il n'y auroit aucun remède de l'en osier, si-non par autre cause ou salive de sperme. Le Roy le sceut, et les princes et dames qui l'y avoient accompagné. Asseurez-vous que si le gentilhomme n'eust si-tost


S66 VIES DES DAMES GALANTES.

escampé, il estoit très-mal ; et ne parut à la Cour qu'après sa mort et son règne. Il y eut force libelle^ diffamatoires contre ceux qui gouvernoient alors le royaume; mais il n'y eut aucun qui pi- quast et offensast plus qu'une invective intitulée le Tigre (sur l'i- mitation de la première invective de Gicéron contre Catilina), d'au- tant qu'elle parloit des amours d'une très-grande et belle dame, et d'un grand son proche. Si le galant auteur fust esté appréhen- dé, quand il eust eu cent mille vies il les eust toutes perdues; car y^ et le grand et la grande en furent si estommaqués qu'ils en cuid£ - A ^rent desespérer. Ce roy François ne fut point sujet à l'amour comme ses prédécesseurs; aussi eust-il eu grand tort, car il avoit pourespouse la plus belle femme du monde et la plus aimable; et qui l'a telle ne va point au gourchag^ comme d'autres, autrement il est bien misérable; et qui n y va peu se soucie- t-il de dire mal des dames, ny bien et toui, si-non que de la sienne. C'est une maxime que j'ay ouy tenir à une bonneste personne; toutesfois je l'ay vue faillir plusieurs fois.

Le roy Charles IX vint après, lequel, pour sa tendresse d'aage, ne se soucioit du commencement des dames, ains se soucioit plus- test à passer son temps en exercice de jeunesse. Toutefois feu M. de Sipierre, son gouverneur, et qui estoit, à mon gré et de chacun aussi, le plus bonneste et le plus gentil cavalier de son temps e* le plus courtois et révérentieux aux dames, en apprit si bien la leçon au Roy son maislre et disciple, qu'il a esté autant à l'endroit des dames qu'aucuns roys ses prédécesseurs; car jamais et peti» et grand, il n'a veu dames, fust-il le plus empesché du monde ailleurs, ou qu'il courust ou qu'il s'arreslast, ou à pied ou à cheval, qu'aussitost il ne la saluast et luy otast son bonnet fort reveren lieusement. Quand il vint sur l'aage d'amour, il servit quelques honnestes dames et filles que je sçay, mais avec si grand honneur et respect que le moindre gentilhomme de sa Cour eust sceu faire, 'y De son règne les grands pasquiueurs commencèrent pourtant avoir vogue, et mesme aucuns gentilshommes bien gallanls de la Cour, lesquels je ne nommeray point, qui délracloient estrangement des dames, et en général et en particulier, voire des plus grandes; dont aucuns en ont eu des querelles à bou escient, et s'en soûl très-mal trouvez : non pourtant qu'iU advoiiassent le fait, car Us nioieut tout; aussi s'en fussent-ils trouvez de l'escot s'ils l'eussent advoùé, et le Roy leur eust bien fiait sentir, car ils s'allaquoient a de trop grandes. D'autres faiscieut bonne u;ine, et enduroieiU a


DISCOURS VII. 8«7

Jeur barbe mille démentis qu'on disoit conditioneis ei en .'air, et mille injures qu'ils buvoient doux comme laict, et o'osoienl nulle- ment repartir ; autrement il leur ailoit de la vie : en quoy bien souvent me suis-je estonné de telles gens qui se raeltoient ainsi à mesdire d'autruy, et permettre qu'on mesdist à leur nez tant el tant d'eux. Si avoientils pourtant la réputation d'estre vaillants ; mais en cela ils enduroient le petit atfront ^llantement sans sonner mot.

— Je me souviens d'un ^asquin qui fust fait contre une très- grande dame veufve, belle et^SSîT honneste, qui vouloit convoler avec un très-grand prince jeune et beau. Il y eut quelques-uns que je sçay bien, qui, ne voulantg^ce mariage, pour ea destourner le, prince, firent un pasquin d'elle, le plus scandaleux que j'aye point veu, là où ils l'accomparoient à cinq ou six grandes putains an- ciennes, fameuses, fort lubriques , et qu'elle les surpassoit toutes. Ceux-mesnies qui avoient fait le pasquin le luy présentèrent, disants pourtant qu'il venoit d'autres, et qu'on leur avoit baillé. Ce prince, l'ayant veu, donna des démentis et dit mille injures en l'air à ceux qui l'avoient fait; eux passèrent tout sous silence, eucor qu'ils fussent des braves et vaillants. Cela donna pourtant pour le coup à songer au prince, car le pasquin portoit et monstroit au doigt plu- sieurs particularitez, mais au bout de deux ans le mariage s'ac- complit.

Le Roy estoit si généreux et bon, que nullement il favorisoil tels gens d'a.oir de petits mots joyeux avec eux à part. Bien les aimoit- il, mais ne vouloit que le vulgaire en fust abreuvé, disant que sa Cour, qui estoit la plus noble et la plus illustre de grandes et belles dames de tout le monde, et pour telle réputée, ne vouloit qu'elle fust villipendée et mésestimée par la bouche de tels cau- seurs et galants : et c' estoit à parler ainsi des courtisannes de Rome, de Venise et d'autres lieux, et non de la Cour de France ; et que, s'il estoit permis de le faire, il n'estoit permis de le dire. Voilà comment ce roy estoit respectueux aux dames, voire telle- ment qu'en ses derniers jours je sçay qu'on luy voulut donner quelque mauvaise impression de quelques très-grandes et très- belles et honnesles dames, pour estre brouillées en quelques très- grandes affaires qui luy toiichoient; mais il n'en voulut jamais rien croire, ains leur flt aussi bonne chère que jamais et mourut avec ,' leurs bonnes grâces et grande quantité , de leurs larmes qu'elles espandirent sur son corps. Et le trouvèrent à dire puis après bien


368 VIES DES DAMES GALANTES.

quand le roy Henry troisiesme vint à luy succéder, lequel, pour aucuns mauvais rapports qu'un luy avoil fait d'elles en Pologne, n'en fit à son retour si grand conte comme il avoit fait auparavant, \et d'icelle et d'autres que je sçay s'en fit un très-rigoureux censeur, dont pour cela il n'en fut pas plus aimé ; si que je croy qu'en par- tie elles ne luy ont point peu nuy, ny à sa malle fortune ny à sa ruyne. J'en diray bien quelques particularitez, mais je m'en pas- seray bien : si-non qu'il faut considérer que la femme est fort encline à la vengeance ; car, quoy qu'il tarde, elle l'exécute : au contraire du naturel de la vengeance d'aucuns, laquelle du com- mencement est fort ardente et chaude à s'en faire accroire, mais par le temporisement et longueur elle s'attiédist et vient à néant. Voilà pourquoy il s'en faut garder du premier abord, et par le temps parer aux coups ; mais la furie, l'abord et le temporisement durent toujours en la femme jiisqu'à la fin; je dis d'aucunes, mais f*eu. Aucuns ont voulu excuser le Roy de la guerre qu'il faisoit aux dames par descriements, que c'estoit pour refréner et corriger le vice, comme si la correction en cela luy servoit; veu que la femme est de tel naturel, que tant plus on luy défend cela, tant plus y est-elle ardente, et a-t-on beau luy faire le guet. Aussi, par expé- rience, ay-je veu que pour luy on ne se détournoit de son grand chemin. Aucunes dames a-t-il aimé, que je sçay bien, avec de très-grands respects, el servy avec très-grand honneur, et mesme une très-grande et belle princesse, dont il devint tant amoureux avant qu'aller en Poulogne, qu'après estre roy il se résolut de l'es- pouser, encor qu'elle fust mariée à un grand et brave prince, mais il estoit à luy rebelle et réfugié en pays estrange pour amasser gens et luy faire la guerre ; mais à son retour en France la dame mou- rut en ses couches. La mort seule empescha ce mariage, car il y estoit résolu : par la faveur et dispense du Pape il l'espousoit; qui ne luy eust refusée, estant un si grand roy, et pour plusieurs autres raisons que l'on peut penser. A d'autres aussi a-t-il fait l'amour pour les descrier.

J'en sçay une grande que, pour des desplaisirs que son mary luy avoil faits, et ne le pouvant atrapper, s'en vengea sur sa femme, qu'il divulgua en la présence de plusieurs : encore cette vengeance estoil-elle douce, car, au lieu de la faire mourir, il la faisoit vivre. J'en sçay une qui , faisant trop de la galante, el pour un desplaisir qu'elle luy fit, exprès luy fit l'amour, el sans grand peine de persuasion luv donna un rendez-vous en un jar-


DISCOURS VII. se 9

din (ù ne faillit de se trouver; mais il ne la voulut toucher autre- ment (ce disent aucuns, mais il la toucha fort bien), ains la fairf iroir en place de marché, el puis la bannit de la Cour avec oppro- bre. Il désiroil el estoit fort curieux de sçavoir la vie des unes et des autres et en sonder leur vouloir. On dit qu'il faisoit quelque- fois part de ses bonnes-fortunes à aucuns de ses plus privez. Bien- heureux estoient-ils ceux-là ; car les restes de ces grands roys ne sçauroient estre que très-bons. Les dames le craignoienl fort, comme j'ay veu, et leur faisoit luy-mesme des réprimandes, ou en prioit la Reyne sa mère, qui de soy en estoit assez prompte, mais non pour aimer les mesdisans, ainsi que je l'ay monslré cy-devani par ces petits exemples que j'ay allégués, auxquels y prenant pied et altération, que pouvoit-elle faire aux autres quand ils touchoicnt au vif et à l'honneur des dames ?

Ce roy avoil tant accoustumé dès son jeune aage, comme j'ay veu, de sçavoir des contes de dames, voire moy-mêrae luy en ay-je fait aussi quelqu'un : et en disoit aussi, mais fort secrè- tement, de peur que la Reyne sa mère le sceusl, car elle ne vou- loit qu'il le dist à d'autres qu'à elle, pour en faire la correction : tellement que, venant en aage et en liberté, n'en perdit la pos- session ; et pour ce, sçavoit aussi-bien comme elles vivoienl en sa cour et en son royaume, au moins aucunes, et mesmes les gran- des, que s'il les eust toutes pratiquées ; et si aucunes y en avoit qui vinssent à la Cour nouvellement, en les accostant fort cour- toisement et honnestement pourtant, leur en contoit de telle façon qu'elles en demeuroient estonnées en leure âmes d'où il avoit ap- pris toutes ces nouvelles, luy niant et désadvoïiant pourtant le tout. Et s'il s'amusoit en cela, il ne laissoil d'appliquer son esprit en autres et plus grandes choses, si hautement, qu'on l'a tenu pour le plus grand roy que de cent ans il y a eu en Fran ce, aiusi que j'en ay escrit ailleurs en un chapitre de luy fai t à pan (l). Je n'en parle donc plus, encor qu'on me pusldire que je ne suis esté assez copieux d'exemples de luy pour ce sujet, et que j'en devois dire davantage si j'en sçavois. Ouy, j'en sçai prou* e'> des plus sublins; mais je ne veux pas tout à coup dire les n eu velles de la Cour ny du reste du monde ; et aussi que je pour: ois si bien pailler et couvrir mes contes, que l'on ne s'en apper:eust sans escandale.


(1) Oo n'a point ce cli. pitre on •):>eour^


370 VIES DES DAMES GALANTES.

- Or il y a de ces détracteurs des dames de diverses sortes. Les uns en médisent d'aucunes pour quelque desplaisir qu'elles leur auront fait, encor qu'elles soient des plus chastes du monde, et les font, d'un ange beau et pur qu'elles sont, un diable tout in- fect de mesclianceté : comme un honneste gentilhomme que j'ay veu et cogneu, lequel pour un léger desplaisir qu'une très-hon- neste et sage dame luy avoit fait, la descria furt vilainement; dont il en eut bonne querelle. Et disoit : « Je sçay bien que j'ay » tort, et ne nie point que cette dame ne soit très-chaste et ires- » vertueuse : mais quiconque sera telle, celle-là qui m'aura le » moins du monde offensé, quand elle seroit aussi chaste et pu- » dique que la vierge Marie, puis qu'autrement il ne nfest per- » mis d'en avoir raison comme d'un homme, j'en dirai pis que » pendre. » Mais Dieu pourtant s'en peut irriter. D'autres détrac- leurs y a-t-il qui, aimant des dames et ne pouvant rien tirer de leur chasteté, de dépit en causent comme de publiques ; et si font pis : ils publient et disent qu'ils en ont tiré ce qu'ils vou- loient, mais, les ayant connues et apperceues par trop lubriques, les ont quittées. J'en ay cogneu force en nos cours de ces hu- meurs. D'autres, qui à bon escient quittent leurs mignons et fa- voris de couchettes, et puis, suivant leurs légèretés et inconstan- ces, s'en sont desgouslées et repris d'autres en leur place : sur ce, ces mignons, despitez et dese^-pérez, vous peignent et des- crient ces pauvres femmes, ne faut pas dire comment, jusques à raconter particulièrement leurs lascivetez et paillardises qu'Us ont ensenible exercées, et à descouvrir leurs ^is_qu'elles portent sur leur corps nud, aiin que mieux ou les croye. D'autres y a- l-il qui, despilez qu'elles en donnent aux autres et non à eux, en mesdisent à toute oustrance, et les font guetter, espier et veiller, enlin qu'au monde ils donnent plus grande conjecture de leurs véritez. D'autres qui, espris de belle jalousie, sans aucMïi sujet que celuy-là, maldisent de ceux qu'elles aiment le plus, et qu'eux-mesmes aillent tant qu'ils ne les voyent pas à demy Voilà l'un des plus grands effets de la jalousie : et telsdotrac leurs ne sont tant àblasmer qu'on le diroit bien; car il faut im- puter cela à l'amour et à la jalousie, deux frère et sœur d'une mesme naissance. D'autres détracteurs y a-t-il qui sont si fort nez et accoutumez à la mesdisance, que plustost qu'ils ne mesdisent de quelque personne ils mesdiroient d'eux-mesnies. A votre ad- vis, si l'honneur des dames est espargné en la bouche de teli^


DISCOURS 11. 371

gens ? Plusieurs en nos cours en ay-je veu tels qui, craignant de parler des hommes de peur de la touche, se meltoient sur la dra- perie des pauvres dames, qui n'ont autre revanche que les larmes, regrets et paroles. Toutes-fois en ay-je cogneu plusieurs qui s'en sont très-mal trouvez ; car il y a eu des parents, des frères, des amis de leurs serviteurs, voire des maiis, qui en ont fait repenti) plusieurs, et remascher et avaller leurs paroles. Enfin, si je vou- lois raconter toutes les diversilez des deslraoleurs des dames qu'il y en a, je naurois jamais fait. Une opinion en amour ay-je veu tenir à plusieurs, qu'un amour secret ne vaut rien s'il n'est paS un peu manifeste, si-non à tous, pour le moins à ses plus privez amis : et si à tous il ne se peut dire pour le moins que le mani- feste s'en fasse, ou par monstre ou par faveuis, ou de livrées et couleurs, ou actes chevaleresques, comme courremenls de bague, tournoi,?, masquarades, combats à la barrière, voire à ceux de bon escient quant on est à la guerre ; certes le contentement en est très-grand en soy. Comme de vray, de quoy serviroit à un grand capitaine d'avoir fait un beau et signalé exploit de guerre, et qu'il fust teu et nullement sceu ? je croy que ce luy seroit un despit mortel. De mesme en doivent estre les amoureux qui aiment eu bon lieu, ce disent aucuns : et de celle opinion en a esté le prin- cipal chef M. de Nemours, le parangon de toute chevalerie ; car, si jamais prince, seigneur ou gentilhomme a esté heureux en amours, c'a eslé celuy-là. Il ne (irenoil pas plaisirs à les cacher à ses plus privez amis ; si esl-ce qu'à plusieurs il les a tenues si se- creltt'S qu'on ne les jugeoit que mal aisément. Certes pour les da- mes mariées la descouverte en est fort dangereuse : mais pour les filles et veufves qui sont à marier, n'importe ; car la couleur et prétexte d'un mariage futur couvre tout .

— J'ay cogneu un gentilhomme très-honnesie à la Cour, qui, servant une très-grande dame, estant parmy ses compagnons utt jour en devis de leurs maistresses, et se conjurans tous de les des» couvrir entr'eux de leur faveur, ce gentilhomme ne voulut jamais déceler la sienne, ains en alla controuver une autre d'autre part, ^ et leur donna ainsi lebiinK encore qu'il y eust un grand prince ♦v en la troupe qui l'en conjurasl et se doutsst pourtant de cet amour secret: mais luy et ses compagnons n'en lirorent que cela de luy; et pourtant à part soy maudit cent fois sa destinée qui l'avoit là contraint de ne raconter, comme les autres, sa bonne fortune, qui est plus gracieuse à dire que sa maie.


872 VIES DES DAMES GALANTES.

— Un autre ay-je cogneu, bien galant cavalier, lequel, par sa présomption trop libre qu'il prit de descouvrir sa maislre^se qu'il devoit taire, tant par signes que paroles et effets, en cuida estre tué par un assassinat qu'il faillit : mais pour un autre sujet il n'en faillit un autre, dont la mort s'ensuivit.

— J'estois à la Cour du temps du roy François II, que le comte de Saint-Agnan espousa à Fontainebleau la jeune BourJeziere. Le lendemain, le nouveau marié estant venu en la chambre du Roy, un chacun luy commença à faire la guerre, selon la couslunie; dont il y eut un grand seigneur très-brave qui luy demanda lombiende postes il avoit couru. Le marié respondil cinq. Par cas il y eut présent un honneste gentilhomme, secrétaire, qui estoil-là fort favory d'une très-grande princesse que je ne nommeray point, qui dit que ce n'esloit guères pour le beau chemin qu'il avoit battu et pour le beau temps qu'il faisoit, car c'estoit en esté. Ce grand sei- gneur lui dit : « lia ! mordieu ' il vous faudroit des perdriaux a » vousl » Le secrétaire répliqua : « Pourquoy non? Par Dieu ! » j'en ay pris une douzaine en vingt -quatre heures sur la plus B belle motte qui soit ici à l'entour, ny qui soit possible en France. k Qui fust esbahy ? ce fut ce seigneur ; car par-là il apprit ce dont il se doutoit il y avoit long-temps : et d'autant qu'il estoit forl amoureux de cette princesse, fut fort marry de ce qu'il avoit lon- guement chassé en cet endroit et n'avoit jamais rien pris, et l'au- tre avoit esté si heureux en rencontre et en sa prise. Ce que le seigneur dissimula pour ce coup ; mais depuis, en temporisant son martel, la luy guida rendre chaud et couvert, sans une con-

1 sidération que je ne diray point : mais pourtant il luy porta tous jours quelque haine sourde ; et si le secrétaire fust esté bien ad- visé, il n'eust vanté ainsi sa chasse, mais l'eust tenue très-secrète, et mesme en une si heureuse adventure, dont il en cuida arri- ver de la broûillerie et de l'escandale. Que diroit-oii d'un gen- \ tilhommc de par le monde,que7l)Our quelque déplaisir que luy avoit fait sa maistresse, alla jouer et perdre son portrait qu'elle luy avoit donné, qu'il portoit au col, dont le mary fut lort es- tonné et moins aimant sa femme, qui en sceut colorer le fait ainsi qu'elle put? Qne diroit-on d'un gentilhomme de par le monde, que, pour quelque desplaisir que luy avoit fait sa mais- tresse, alla jouer et perdre son portrait aux dez contre un de ses soldats, car il avoit grande charge en l'infanterie; ce qu'elle sceut, et en cuida crever de de-pit, et qui s'en fascha lort. La


DISCOURS VII. 27 3

Reyne-mère sceut, qui luy en fit la réprimende, sur ce que le des- dain en estoit par trop grand, que d'aller ainsi abandonner au sort de dez le portrait d'une belle et honneste dame. Mais ce seigneur en rabilla le fait, disant que de sa couche il avoii réservé le par- chemin du dedons, et n'avoit que couché la boëie qui l'enserroit, qui esioit d'or et enrichie de pieireries. J'en ay veu souvent dé- mener le conte entre la dame et le seigneur bien plaisamment, et en ay ry d'autrefois mon saoul. Si diray-je une chose, qu'il y a d ci dames, dont j'en ay veu aucunes, qui veulent estre en leurs amours bravées, menacées, voire gourmandées, et les a-t-on plustost de ti'lle sorte que par douces compositions ; ny plus ny moins qu'au- cunes forteresses qu'on a par force, et d'autres par douceur; mais pourtant elles ne veulent estre injuriées ny descriées pour putains; car bien souvent les paroles offensent plus que les effects.

— Sylla ne voulut jamais piirdonner à la ville d'Athènes qu'il ne la ruinast de fond en comble, non pour opiniaslreté d'avoir tenu contre luy, mais seulement par ce que dessus les murailles ceux de dedans en parlèrent mal, et touchèrent l'honneur bien au vif de Melella, sa femme.

— En quelques lieux de par le monde, que je ne nommera) point, les soldats aux escarmouches et aux sièges de places se reprochoient les uns aux autres l'honneur de deux de leurs prin- cesses souveraines, jusques-là à s'entredire: « La tienne joue » bien aux quilles ; — la tienne rempelle aussi. ■ Par ces bro- cards et sobriquets, les princesses animoient bien autant les leurs à faire du mal et des cruautez, que d'autres sujets, ainsi que je l'ay veu.

— J'ay ouy raconter que la principale occasion qui anima plus ia reyne d'Hongrie à allumer ses beaux feux vers la Picardie et au très parts de France, ce fut à l'appétit de quelques insole nts bavards et causeurs, qui parloient ordinairement doses amours, , a et chantoieni tout haut et pajMoujLjn ' -^m Barhanson et i& -\ rey ne d'Hongrie, chanson grossière pourtant, et sentant à pie 'ne

gor ge son avaniurier ou villageois.

— Caton ne peut jamais aimer César, depuis qu'estant au sén al qu'on dèlibéroii contre Catilina et sa conjuration, et qu'on en so uj^ çonnoit César estant au conseil, fut apporté audit César, ea ca- chette, un petit billet, ou, pour mieux dire, un poulet, qi:f Servilia, sœur de Caton, lui envoyoit, qui portoit assignation ou rendez-vous pour coucher ensemlile. Oaton, ne s'en doutant point,


374 VIES DES DAMES GALANTES.

ainsi de la consente dudit Gésar avec Catilina, cria tout haut que le sénat luy fist commandement d'exliiber ce dont estoit question. César, à ce contraint, le monstra, où l'honneur de sa sœur se trouva fort escandalisé et divulgué. Je vous laisse à penser donc si Caton, quelque bonne mine qu'il fist d'haïr Gosar à cause de la république, s'il le put jamais aimer, veu ce irait scandaleux. Ce n'es- »it pas pourtant la faute de César, car il falioit nécessairemen' qu'il manifestas! ce brevet ; autrement il lui alloit de la vie. E' croy que Servilia ne luy en voulut point de mal auiremeiu pour cela : comme de fait ne laissèrent à continuer leurs amours, des- quelles vint Brutus, qu'on disoit César en estre père; mais il luy rendit mal pour l'avoir mis au monde. Or les dames, pour s'aban- donner aux grands, courent beaucoup de fortune ; et si elles en en tirent des faveurs, des grandeurs et des moyens, elles les acheptent bien. J'ay ouy conter d'une dame belle, honnesle et de bonne maison, mais non de si grande comme d'un grand seigneur qui en estoit très-fort amoureux ; ci l'ayant trouvée un jour en sa chambre, seule avec ses femmes, assise sur son lit, après quelques propos et devis tenus d'amour, ce seigneur vint à l'embrasser, et par douce force la coucha sur son lict; puis, venant au grand assaut, et elle l'endurant avec une petite et civile opiniastreté, elle luy dit : « C'est un grand cas que vous autres grands sei- » gneurs ne vous pouvez engarder d'user de vos auioritez et » libériez à l'endroit de nous autres inférieures. Au moins, si le » silence vous estoit commun comme la liberté de parler, vous » sériés par trop désirables et pardonnables. Je vous prie donc, » monsieur, tenir secret cecy que vous faites, et garder mon hon- » neur. » Ce sont les propos coustumiers dont usent les dames inférieures à leurs supérieurs: « Hàt monsieur, disent-elles, ad- » visez au moins à mon honneur ! » D'autres disent : « Ah l » monsieur, si vous dites cecy, je suis perdue; gardez, pour Dieu, » mon honneur. » D'autres disent : « Monsieur, mais que vous » n'en sonniez mol, et mon honneur soit sauvé, je ne m'en soucie » point. » Comme voulant arguer par- là qu'on en peut f;»ire tant qu'on voudra en cachette, et mais que le monde n'en sçache rien, elles ne [lensent point estre deshonorées. Les plus grandes et su- perbes dames disent à leurs galands inférieurs : « Donnez-vous » bien de garde d'en dire un mot, tant seul soit-il; autrement il » vous va de la vie; je vous feray jetier en sac dans l'eau, ou je » vous feray couper les jarretz ; » et autres tels et semblables


DISCOURS VII. 375

propos prononcent- elles : si bien qu'il n'y a dame, de quelque qua- lité qui soit, qui veuille estre scandalisée ny pourmeuée tant soit peu par le palais de la bouche des hommes. Si en a-t-il aucunes qui sont si mal-advisées, ou forcenées, ou transportées d'amour, que, sans que les hommes les accusent, d'elles-mesmes se descrienl, comme fut, il n'y a pas long-temps, une très-belle et honnesie dame, de bonne paît, de laquelle un grand seigneur en estant devenu fort amoureux, et puis après en joiiissant, et luy ayant donné un très-beau et riche bracelet, où luy et elle esioient très- bien pourtraits, elle fut si maladvisée de le porter ordinairement sur son bras tout nud par-dessus le coude ; mais un jour son raary, estant couché avec elle, par cas il le trouva elle visita, et là-dessus trouva sujet de s'en défaire par la violence de la mort. Quelle mal- advisée femme !

— J'ay congneu d'autres fois un très-grand prince souverain, lequel, ayant gardé une maistresse des plus belles de la Cour l'es- pace de trois ans, au bout desquels il luy fallut faire un voyage pour quelque conqueste, avant qu'y aller vint tout à coup très-amou- reux d'une très-belle et honneste princesse s'il en fut oncques : et pour luy monstrer qu'il avait quitté son ancienne maistresse pour elle, et la vouloil du tout honorer et servir sans plus se soucier de la mémoire de l'autre, il luy donna avant partir toutes les faveurs, joyaux, bagues, portraits, bracelets et toutes gentillesses que l'an- cienne lui avait données, dont aucunes estant veues et apperceues d'elle, elle en cuida crever de despit, non pourtant sans le taire ; mais en se scandalisant fut contente de scandaliser l'autre. Je croy que, si cette princesse ne fust morte par après, le prince, au retour de son voyage, l'eust espousée.

— J'ay connu un autre prince, mais non si grand, lequel durant ses premières nopces et sa viduïlé vint à aimer une fort belle et honneste damoiselle de par le monde, à qui il Ht, durant leur«  amours et soûlas, de fort beaux présents de carcans, de bagues, de pierreries et force autres belles bardes, dont entr'autres il y avoit un fort beau et riche miroir où estait sa peinture. Or le prince vint à espouser une fort belle et très-honnesie princesse de par le monde, qui lui fit perdre le goust de sa première maistresse, en- core qu'elles ne se deussent rien l'une à l'autre de la beauté. Cette princesse sollicita et persuada tant M. son mary, qu'il envoya de- mander à sa première maistresse tout ce qu'il luy avoit janxiis doDué de plus exquis et de plus beau. Cette dame en eut un grand


376 VlfcS DES DAMES GALANTES.

crévecœur, mais pourtant elle avoit le cœur si grand et si haut, encore qu'elle ne fust point princesse, mais pourtant d'une de? meilleures maisons de France, qu'elle lui renvoya le tout du plu' beau et du plus exquis, où estoit un beau miroir avec la peintun du dit prince; mais avant, pour le mieux décorer, elle prit um plume et de l'encre, et luy ficha dedans de grandes cornes au beat mitan du front; et délivrant le tout au gentilhomme, luy dit ; Tenez, mon amy, portez cela à voslre maislre, et que je luy en- » voye tout ainsi qu'il me le donna, et que je ne luy en ay rien osté ■ ni adjoulé, si ce n'est que de luy-mesme il y ait adjoustc quelque t chose du depuis; et dites à cette belle princesse sa femme qui l'a » tant sollicité à me demander ce qu'il m'a donné, que si un sei- » gneur de par le monde (le nommant par son nom comme je sçay) » en eust fait de mesme à sa mère, et lui eust répété et osté ce

> qu'il luy avoit donné pour coucher souvent avec elle, par don » d'amourette et joiiissance, qu'elle seroit aussi pauvre d'affiquets

> et pierreries que damoiselle de la Cour ; et que sa teste, qui en » est si fort chargée aux dépens d'un tel seigneur et du devant de • sa mère, que maintenant elle seroit tous les matins par les jardins » h cueillir des fleurs pour s'en accommoder, au lieu de ces pierre- B ries : or, qu'elle en fasse des pastez et des chevilles, je les luy » quitte. » Qui a connu cette damoiselle la jugerait telle pour avoir fait ce coup, et ainsi elle-mesme me l'a-t-elle dit, et qui estoit très- libre en paroles : mais pourtant elle s'en cuida trouver mal, tant du mary que de la femme, pour se sentir ainsi descriée ; à quoy on lui donna blasme, disant que c'esloit sa faute, pour avoir ainsi dépité et désespéré cette pauvre dame", qui avoit très-bien gagné tels présents par la sueur de son corps. Cette damoiselle, pour être l'une des belles et agréables de son temps, nonobstant l'aban- don qu'elle avoit fait de son corps à ce prince, ne laissa à trouver party d'un très-riche homme, mais non semiblable de maison, si bieï que, venant un jour à se reprocher l'un à l'autre les honneuK qu'ils s'estoicnt fait de s'estre entre-mariez, elle qui estoit d'un si grand lieu, de l'avoir espousé, il luy fit response : « Et moi, j'ay s fuit plus pour vous que vous n'avez fait pour moy ; car je me » suis deshonnoré pour vous remettre vostre honneur. » Voulant inférer par-là que, puis qu'elle l'avoit perdu estant fille, le luy avoit remis l'ayant prise pour femme.

— J'ay ouy conter, et le tiens de bon lieu, que, lorsque le roy François premier eut laissé madame do Chasieau-Briand, sa mais-


DISCOURS Vil. 377

tresse fort favorite, pour prendre madame d'Estampes, estant fille appellée Helly, que madame la Régente avoit prise avec elle pour l'une de ses filles, et la produisit au roy François à son retour d'Es- pagne à Bordeaux, laquelle il prit pour sa maistresse, et laissa ladite mademoiselle de Chasteau-Brian i, ainsi qu'un cloud chasse l'autre ; madame d'Estampes pria 1*» Roy de retirer de ladite ma- dame de Chasieau-Briand tous les plus beaux joyaux qu'il luy avoit donnez, non pour le prix et la valeur, car pour lors les per- les et pierreries n'avoient la vogue qu'elles ont eu depuis, mais pour l'amour des belles devises qui estoient mises, engravées et empreintes, lesquelles la Reyne de Navarre, sa sœur, avoit faites et composées ; car elle en estoit très-bonne maistresse. Le roy François lui accorda sa prière, et lui promit qu'il le feroit ; ce qu'il fit : et, pour ce, ayant envoyé un gentilhomme vers elle pour les luy demander, elle fit de la malade sur le coup, et remit le gentilhomme dans trois jours à venir, et qu'il auroit ce qu'il de- mandoit. Cependant, de despit, elle envoya quérir un orfèvre, et luy fil fondre tous ses joyaux, sans avoir respect ni acception des belles devises qui y estoient engravées : et après, le gentilhomme tourné, elle luy donna tous les joyaux convertis et contournez en lingots d'or. « Allez, dit-elle, portez cela au Roy, et dites luy » que, puis qu'il luy a pieu me révoquer ce qu'il m'avoit donné si » libéralement, que je luy rends et renvoyé en lingots d'or. Pour » quant aux devises, je les ay si bien empreintes et colloquées en » ma pensée, et les y tiens si chères, que je n'ay peu permettre » que personne en disposast, en joiiist el en eust de plaisir, que » moy-mesme. » Quand le Roy eut receu le tout, et lingots et propos de cette dame, il ne dit autre chose, si-non : « Rotournez- » luy le tout ; ce que j'en faisois, ce n'estoit pour la valeur (car je » luy eusse rendu deux fois plus) , mais pour l'amour des devises ; » et puis qu'elle les a fait ainsi perdre, je ne veux point de l'or, » et le luy renvoyé : elle a monstre en cela plus de courage et gé- » Dérosi té que n'eusse pensé pouvoir provenir d'une femme. » Un cœur de femme généreuse dépilé, et ainsi desdaigné, fait de grandes choses.

— Ces princes qui font ces révocations de présents, ne font pas comme fit une fois madame de Nevers, de la maison de Bourbon, fille de M. de Montpensier, qui a esté en son temps une très-sage, très-vertueuse et belle princesse, et pour telle tenue en France et en Espagne, où elle avoit esté nourrie quelque temps avec la revne


878 VIES DES DAMES GALANTES.

Elisabeth de France, estant sa coupiere, luy donnant a Loire, d'au- tant que la reyne estoit servie de ses dames et filles, et .-hacunes avoit son estât, comme nous autres gentilshommes à l'eniour de nos roys. Cette princesse fut mariée avec le comte d'Eu, fils aisné de M. de Nevers, elle digne de luy, et luy très-digne d'elle, car c'estoit un des beaux et agréables princes de son temps, et pour ce il fut aimé et recherché des belles et honnestes de la Cour, et entr'autres d'une qui estoit telle, et avec ce très-excorte et habile. Advint qu'il prit un jour à sa femme une bague dans son doigt fort belle, d'un diamant de quinze cents à deux mille escus, que la reyne d'Espagne luy avoit donnée à son départ. Ce prince, voyant que sa maislressela luy loiioit fort et monstroit envie de la vouloir, luy, qui estoit très-magnanime et libéral, la luy donna librement, luy faisant accroire qu'il l'avoit gagnée à la paulme : elle ne la refusa point, et la prit fort privément, et, pour l'amour de luy, la portoit toujours au doigt ; si bien que madame de Itevors ( à qui monsieur son mary avoit fait accroire qu'il l'avoit perdue à la paulme, ou bien qu'elle demeuroit en gage) vint à voir la bagne entre les mains de cette damoiselle, qu'elle sçavoit bien estre la maistresse de son mary. Elle fut si sage et si fort commandante à soy, que changeant seulement de couleur, et rongeant tout dou- cement son despit, sans faire autre semblant, tourna la teste de l'austre côté, et jamais n'en sonna mot à son mary ni à sa mais- tresse. En quoy elle fut fort à louer, pour ne conlrefa-ire de l'ac- cariastre, et se courroucer, et escaiidaliser la damoiselle, comme plusieurs autres que je sçay qui en eussent donné plaisir à la cono- pagnie, et occasion d'en causer et en jnesdire. Voilà comment la modestie en telles choses y est fort nécessaire et très- bonne, et aussi qu'il y a là de l'heur et du malheur aussi-bien qu'ailleurs ; Jar telles dames y a-t-il qui ne sçauroient marcher ni broncher le moins du monde sur leur honneur, et en taster seulement du petit bout du doigt, que les voilà aussilost descriées, divulguées et pasquinées par- tout. D'autres y a-t-il, qui à pleines voiles voguent dans la mer et douces eaux de Vénus, et à corps nuds et estendus y nagent à nages eslendues, et y folastrenl leurs corps, et voya- gent vers Cypre au temple de Vénus et ses jardins, et si délectent comme il leur plaist : au diable si l'on parle d'elles, ny plus ny moins que si jamais ne fussent esté nées. Ainsi la fortune favorise les unes et défavorise les autres en mesdisance ; comme j'en ay veu plusieurs en mon temps, et j en a encore.


DISCOURS VI. S79

— DU temps du roy Charles IX fut fait un pasquin à Fontai- nebleau, fort vilain et escaudaleux, où il n'espargnoit les princesses et les plus grandes dames, ny autres. Que si l'on en eust sceu au vray l'auteur, il s'en fust trouvé très-mal. A Blois aussi, lorsque le mariage de la reyne de Navarre fut accordé avec le roy son mary, il s'en flt un autre, aussi fort escandaleux, contre une très-grande dame, dont on n'en peut sçavoir l'auteur ; mais bien y eut-il de braves et vaillants gentilshommes qui y estoient compris, qui bra- vèrent fort et donnèrent force démentis en l'air. Tant d'autres se sont faits qu'on ne voyoit autre chose, ni de ce règne, ni de celuy du roy Henry troisiesme; dont entr'autres en fut fait un fort escandaleux en forme d'une chanson, et sur le chant d'une cou- rante qui se dansoit pour lors à la Cour, et pour ce se chanta entre les pages et laquais en basse et haute note. Du temps du roy Henry III fut bien pis fait ; car un gentilhomme, que j'ay ouy nommer et connu, fit un jour présent à sa muistresse d'un livre de peintures où il y avoit trente-deux dames grandes et moyennes de la Cour, peintes au naturel, couchées et se joûans avec leurs serviteurs peints de mesme et au naïf. Telles y avoit-il qui avoient deux ou trois serviteurs, telle plus, telle moins : et ces trente-deux dames représentoient plus de sept-vingts figures de celles de l' Are- tin, toutes diverses. Les personnages estoient si bien représentez et au naturel, qu'il sembloit qu'ils parlassent et le fissent; les unes déshabillées et nues, les autres vestues avec mesmes robes, coëlTu- res, parements et habillements qu'elles pcnoient et qu'on les voyoit quelquefois. Les hommes tout de mesme. Bref, ce livre fut si curieusement peint et fait, qu'il n'y avoit rien que dire : aussi »voit-il cousté huit à neuf cents escus, et estoit fout enluminé. Cette dame le presta et monslra un jour à une autre sienne com- pagne et grande amie, laquelle estoit fort aimée et fort familière d'une grande dame qui estoit dans le livre, et des plus avant et au plus haut degré; ainsi que bien luy appartenoit, luy en fit cas. Elle, qui estoit curieuse du tout, voulut voir avec une grande dame sa cousine, qu'elle aymoit fort, laquelle l'avoit conviée au festin de cette veuë, et qui estoit aussi de la peinture comme d'autres. La vbite en fut faite curieusement et avec grande peine, de feuillet à feuifet, sans en passer un à la légère : si-bien qu'elles y con^ju- mèrent deux bonnes heures de l'après disnée. Elles, au lieu de s'en estomaquer et de s'en fascher, ce fut à elles à en rire, et de les admirer et de les fixement considérer, et se ravir tellement


380 VIES DES DAMES GALANTES.

en leurs sens sensuels et lubriques, qu'elles s'entremirent à s'entre- baiser à la colombine, et à s'entre-ennbrasser et passer plus outre, car elles a voient entre elles deux accoutumé ce jeu très-bien, des deux dames furent plus hardies et vaillantes et constantes qu'une qu'on m'a dit, qui, voyant un jour ce mesme livre avec deus autres de ses amyes, elle fut si ravie et entra en telle extase d'a- mour et d'ardent désir à l'imitation de ces lascives peintures, qu'elle ne peut voir qu'au quatriesme feuillet, et au cinquiesme elle tomba esvanouiiie. Voilà un terrible évanoiiissement ! bien contraire à celuy d'Octavia, sœur de César Auguste, laquelle, oyant un jour réciter à Virgile les trois vers qu'il avoit faits de son fils Marcellus mort dont elle luy en donna trois mille escus pour les trois seulement, s'esvanoiiit incontinent. Que c'est que d'amour, et d'une autre sorte I

— J'ay ouy conter, et lors j'estois k la Cour, qu'un grand prince de par le monde, vieux et fort âgé, et qui, depuis sa femme per- due, s'estoit fort continemment porté en veufvage, comme sa grande profession de sainteté le portoil, il voulut revoler en secon- des nopces avec une très-belle, vertueuse et jeune princesse. Et, d'autant que depuis dix ans qu'il avoit esté veuf n'avoit louché à femme, et craignant d'en avoir oublié l'usage (comme si c'estoit on art qui s'oublie) et de recevoir un affront la première nuict de ses nopces, et ne faire rien qui vallust, pour ce il se voulut essayer, et par argent fit gagner une belle jeune fille, pucelle comme la femme qu'il devoit espouser : encore dit-ou qu'il la fit choisir qu'elle ressemblast un peu des traicts du visage de sa femme future. La fortune fut si bonne pour luy, qu'il monstra n'avoir point oublié encore ses vieilles leçons, et son essay luy fut si heureux que, hardi et joyeux, il alla à l'assault du fort de sa femme, dont il en rapporta bonne victoire et réputation. Cet essay fut plus heureux que celuy d'un gentilhomme que j'ay ouy nommer, lequel estant fort jeune et nigault, pourtant son père le voulut marier. Il voulut pre- mièrement faire l'essay, pour sçavoir s'il seroit gentil compagnon avec sa femme; et pour ce, quelques mois avant, il recouvra quelque fille de joye belle, qu'il faisoit venir toutes les après- dinées dans la garesne de son père, car c'estoit en esté, et là il s'esbaudissoil et se rigoloit, sous la fraischeur des arbres verds et d'une fontaine, avec sa damoiselle qu'il faisoit rage : de façon qu'il ne craignoit nul homme pour faire celte diantrerie à sa I femme. Mais le pis fut que, la soir des nopces, venant èi joindre


DISCOURS VII. 381

sa temme, il ne peut 'i en faire. Qui fulcibahy; ce fui luy, ei maugréer sa maudite pièce traislresse, qui luy avoit faillyleu, ensemble le lieu où il estoit; puis, prenant courage, il dit à sa femme : « Mamye, je ne sçay que veut dire cecy, car tous les » jours j'ay fait rage à la garesne de mon père; » et U\ compta ses vaillances, a Dormons, et j'en suis d'avis, demain après dis- » lier je vous y meneray, et vous verrez autre jeu. » Ce qu'il fit, et sa femme s'en trouva bien ; dont depuis à la Cour courut le proverbe : o Si je vous tenois à la garesne à mon père, vouj » verriez ce que je sçaurois faire. » Pensez que le dieu des jar- dins, messer Priapus, les faunes et les satyres paillards, qui pré- sident aux bois, assistent-Ià aux bons compagnons, et leur fa- vorisent leurs faits et exécutions. Tous essais pourtant ne sont pas pareils, ny ne portent pas coup tousjours, car, pour l'amour, j'y en ay veu et ouy dire plusieurs bons champions s'eslre faiU lis à recorder leurs leçons et recoller leurs tesmoins quand ils venoient à la grande escole. Car les uns ou sont trop ardents ei froids, ainsi que telles humeurs de glace et de chaud les y sur- prennent tout à coup; les autres ou sont perdus en extases d'un si souverain bien entre leurs bras; autres viennent appréhensifs; les autres tout à trac viennent flacqs, qu'ils ne sçauroient qu'eu dire la cause ; autres tout de vray ont i'esguillette nouée. Bref, il y a tant d'inconvénients inopinés qui là-dessus arrivent à l'im- proviste, que, si je les voulois raconter, je n'aurois fait de long- temps. Je m'en rapporte à plusieurs gens mariés et aui^jes ad- veuturiers d'amour, qui en sçauroient p.'us dire cent fois que moy. Tels essais sont bons pour les hommes, mais non pour les

, femmes; ainsi que j'ay ouy conter d'une mère et dame de qua- lité, laquelle, tenant une fille très-chère qu'elle avoit, et un»»_. V

_que, l'ayant compromise à un honneste gentilhomme en ma-/| riage, avant que de l'y faire entrer, et craignant qu'elle ne peusi souffrir ce premier et dur effort, à quoy on disoit le gentil- homme esire très-rude et fort proportionné, elle la fit essayer premièrement par un jeune page qu'elle avoit, assez grandet, une douzaine de fois, disant qu'il n'y avoit que la première ou- verture fascheuse à faire, et que, se faisant un peu douce et petite au commencement, qu'elle endureroit la grande plus ai- sément ; comme il advint, et qu'il y peut avoir de l'apparence. / Cet essay est encore bien plus honneste et moins scandaleux/ ' qu'un qui me fut dit une fois en Italie, d'un père qui avoit mar


382 VIES DES DAMES GALANTES.

rié son fils, qui esioit encore un jeune sol, avec une fort belle fille, à laquelle, tant fat qu'il estoit, il n'avoit rien peu faire ny la première ny la seconde nuit de ses nopces ; et, comme il eut demandé et au fils et à la ti flre comme ils se trouvoient en ma- riage, et s'ils avoient triomphé, ils respondirent l'un et l'autre « Dt'iente. — A quoi a-t-il tenu? » demanda à son fils. Il res- pwidil tout follement qu'il ne sçavoit comment il falloit faire. Sur quoi il prit son fils par une main et la nore par une autre, et les mena tous deux en une chambre, et leur dit : « Or je vous » Veux donc monstrer comme il faut faire. » El fit coucher sa nore sur un bout du lit, et lui fit bien eslargir les jambes ; et puis dit à son fils 4 o Or voy comment je fais ; » et dit ii sa nore : « Ne bougez; non importe, il n'y a point de mal. » Et en mettant son membre bien arboré dedans, dit : « Advise bien » comme je fais, et comme je dis : Dentro fuero, dentro fuero ; d et répliqua souvent ces deux mots en s'advançant dedans et reculant, non pourtant tout dehors. El ainsi, après ces fréquen- tes agitations et paroles, dentro et fuero, quand ce vint à la con- sommation, il se mit à dire brusquement et viste : Dentro, den- trOj dentro, dentro, jusqu'à ce qu'il eust fait. Au diable le mol de fuero. Et par ainsi, pensant faire du magister, il fut tout à plat adultère de sa nore, laquelle, ou qu'elle fist de la niaise, ou, pour mieux dire, de la fine, s'en trouva très-bien pour ce coup, voire pour d'autres que luy donna le fils et le père et tout, possible pour luy mieux apprendre sa leçon, laquelle il ne luy voulut pas apprendre à demy ni à moitié, mais à perfection. Aussi toute leçon ne vaut rien autrement, J'ay ouy dire et conter à plusieurs amants adventuriers et bien fortunez , qu'ils ont veu plusieurs dames demeurées ainsi esvanouyes et pasmées estans dans ces doux altères de plaisir ; mais assez ai- sément pourtant retournoient à soy-mesmes : que plusieurs, quand elles sont là, elles s'escrient : « Hélas ! je me meurs ! c Je croy que cette mort leur est très-douce, il y en a d'autres qui contournent les yeux en la teste pour telle délectation, comme si elles dévoient mourir de la grande mort, et se lais- sant aller comme du tout immobiles et insensibles. D'autres ay j'- ouy dire qui roidissent et tendent si violemment leurs oerr^, arleres et membres, qu'ils engendrent la gouiecrampe; conime d'une autre que j'ay ouy dire, qui estoit si sujette qu'elle n'y pouvoit remédier.


DISCOURS VII. 83

D'autres font peter leurs os, comme si on leur rchabilloil de quelque rompure. J'ay ouy parler d'une, à propos de ses évanouis- sements, qu'ainsi que son amoureux la manioit dessus un coffre, que, quand ce fut à la douce fin, elle sepasma de telle façon qu'elle se laissa tomber derrière le coffre à jambes ribaudaines, et s'en- gagea tellement entre le coffre et la tapisserie de la muraille, qu'ain- si qu'elle s'efforçoit à s'en d^ager et que son amy lui aidoit, entra quelque compagnie qui la surprit faisant ainsi l'arbre fourchu, qui eut le loisir de voir un peu de ce qu'elle portoit, qui estoit tout très-beau pourtant; et fut à elle à couvrir le fait, en disant qu'un tel l'avoit poussée en se jouant ainsi derrière le coffre, et dire par beau semblant que jamais ne l'aymeroit. Cette dame courut bien plus grande fortune qu'une que j'ay ouy dire, laquelle, ainsi que son amy la tenoit embrassée et investie sur le bord de son lit, quand ce vint sur la douce fin qu'il eut achevé, et que par trop il s'estendoit, il avoil par cas des escarpins neufs qui avoient la se- melle glissante, -et s'appuyanl sur des quarreaux plombez dont la chambre estoit pavée, qui sont fort sujets à faire glisser, il vint à se couler et glisser si bien sans se pouvoir arrester, que du pourpoint qu'il avoit, tout recouvert de clinquant, il en escorcha de telle façon le ventre, la motte, le cas et les cuisses de sa maistresse, que vous eussiez dit que les griffes d'un chat y avoient passé ; ce qui cuisait si fort la dame qu'elle en fit un grand cri et ne s'en put engarder ; mais le meilleur fut que la dame, parce que c' estoit en esté et fai- soit grand chaud, s'estoit mise en appareil un peu plus lubrique que les autres fois, car elle n'avoit que sa chemise bien blanche et un manteau de satin blanc dessus, et les calleçons à part ; si bien que le gentilhomme, après avoir fait sa glissade, fit précisément l'arrest du nez, de la bouche et du menton, sur le cas de sa mais- tresse, qui venoit fraischem.enl d'estre barbouillé de son bouillon, que par deux fois desja il luy avoil versé dedans, et emply si fort qu'il en estoit sorty et regorgé la moitié sur les bords, dont par ainsi se barbouilla et nez, et bouche, et moustache, que vous eus- siez dit qu'il venoit de frais de savoner sa barbe ; dont la dame, oubliant son mal et son esgratigneure, s'en mit si fort à rire qu'elle» luy dit : « Vous estes un beau fils, car vous avez bien lavé et nestoyé n voslre barbe, d'autre chose pourtant que de savon de Naples. n La dame en fit le conte à une sienne con:.pagrie, et le gentilhomme à uji sien compagnon. Voilà comment on l'a sçeu, pour avoir esté redit à d'autres; car la conte esfolt bon et propre à faire rire. Et


S84 VIES DES DAMES GALANTES.

ne faut point douter que ces daines, quand elles sont à part, parmy leurs amies plus privées, qu'elles ne s'en fassent des contes aussi bons que nous autres et ne s'eiitredisent leurs amours et leurs tours les plus secrets, et puis en rient à pleine bouche, et se mocquent de leurs galands, quand ils font quelque faute ou quelque act'.on de risée et mocquerie. Et si font bien mieux ; car elles se dérobent les unes les autres leurs serviteurs, non tant quelquefois pour l'amour, mais pour en tirer d'eux tous les secrets, menées et folies qu'ils ont faites avec elles; et en font leur profit, soit pour en attiser davantage leurs feux, soitpour vengeance, soit pour s'entre- faire la guerre les unes aux autres en leurs privez devis, quand elles sont ensemble. Un pareil livre de figures à ce précédent que je viens de dire, fut fait à Rome du temps du pape Sixte dernier mort, ainsi que j'ai dit ailleurs. Or c'est assez sur ce sujet parlé. Je vou- drois volontiers de bon cœur que plusieurs langues de notre France se fussent corrigées de ces mal-dires, et se comportassent comme celles d'Espagne; lesquelles, sur la vie, n'oseroient toucher tant soit peu l'honneur des dames de grandeur et réputation; voire les honorent-ils de telle façon, que, si on les rencontre eu quel jue lieu que ce soit, et que l'on crie tant soit peu lugar a las damas (l) tout le monde s'incline et leur porte-t-on tout honneur et révé- rence ; et devant elles toutes insolences sont défendues sur la vie.

— Quand l'Impératrice, femme de l'empereur Charles, fit son entrée à Tolède, j'ay ouy dire que le marquis de Villane, l'un des grands seigneurs d'Espagne, pour avoir menacé un argusil qui l'avoit pressé de marcher et de s'advancer, il cuida estre eu grande peine, parce que cette menace se fit en la présence de la dite Impératrice ; et si ce fust esté en celle de l'Empereur n'en fust esté si grand bruit.

— Le duc de Féria estant en Flandre, et les reynes Eiéonor et Marie marcha ns par pays, et leurs dames et filles après, et luy estant près de sa maistiesse, et venant à prendre question contre un autre cavalier espagnol, tous deux cuidèrent perdre leurs vies, plus pour avoir fait tel scandale devant les Rejnes et impératrices, que pour tout autre sujet. De mesmes don Carlos d'Avalos à Madrid, ainsi qu'i la reyne Isabelle de France raar- choit par la ville, s'il ne se fust soudain jette dans une église qui sert là de refuge aux pauvres malheureux, il fust aussi-tost

[ 1 ) Honneu aux d<<mes.


DISCOURS VII. 385

este exécuté à la mort ; et luy fallut eschapper desguisé et s'en- fuyr d'Espagne, dont il en a esté toute sa vie banny et confiné en la plus misérable isle de toute l'Italie, qui est Lipary.

— Les boufons mesmes, qui ont tout privilège de parler, s'ils touchent les dames, en pâtissent; ainsi qu'il en arriva une fois à un qui s'appeloit Légat, que j'ai congneu. Un jour nostre reyne Elisabeth de France, en devisant et parlant des demenres de Madrid et Valladolid, combien elles étoient plaisantes et délec- tables, elle dit que de bon cœur elle voudroit que ces deux places fussent si proches qu'elle en pust toucher l'une d'un pied, el l'auire de l'autre; et ce disoit en eslsrgissanl fort les jambes. Le Jit boufon, qui ouyl cela, dit: « Et moy je voudrois être au beau » milan, con un carrajo de bourrico, para encargar y planiar » la raya. » Il en fut bien foùellé à la cuisine ; dont pourtant il n'avoil tort de faire ce souhait, car celle Reyne esloil Tune des belles, agréables et honnestes qui fust jamais en Espagne, et valoit bien estre désirée de celte façon, non pas de luy, mais de plus honnesles gens que luy cent mille fo?j. Je pense que ces messieurs les mesdisants et causeurs des dames voudroieni biei avoir et jouir du privilège de liberté qu'ont les vendangeurs de la campagne de Naples au temps dos vendanges, auxquels il est permis, tant qu'ils vendangent, de dire tous les mois, pouil'es et injures à tous les passants qui vont et vieuuenl sur les eliemins; si-bien que vous les verriez crier, [(Urbr après eux, el les arau- der sans en espargner aucuns, et grands el moyens, el petits, del quelque estai qu'ils soyent ; e'., qui est le plaisir, n'en espar- gnent aussy les dames, princesses et grandes qu'elles soyei t ; si-bien que de mon temps j'ay ouy dire el vu que plusieurs d'entre elles, pour en avoir le plaisir, se don noient des affaires et alloient exprès aux champs, et passoient par les chemins pour les ouyr gazouiller et entendre d'eux mille sallauderies et parole* lubriques qu'ils leur disaient et débagouloient, leur faisant la guerre de leurs paillardises et lubricitez, qu'elles exeiç ient en- vers leurs maris et serviteurs, jusques à leur reprocher leurs amours el habitations avec leurs cochers, pages, laquais et eslafiers qui les conduisoient; et, qui plus est, leur demandoient librement la courtoisie de leur compagtiie, et qu'ils les assailleroient el irai- leroient bien mieux que tous les autres ; et ce disoient en fran- chissant naïvement et naturellement les mots ^ans autrement les déguiser. Elks en estoi.^ quilles pour en rire leur saoïul et en

22


asG VIES DES DAMES GALANTES.

passer leur temps, et leur en faire rendre response à leurs gêna qui les accompagnoient , ainsi qu'il est permis d'en rendre le change. Les vendanges faites, ils se font trêves de tels mois ja'î ques à l'autre année, autrement en seroienl recherchés et bien punis. Ou m'a dit que celte coustume dure encore, qu^ beaucoup de gens en France voudroient bien qu'elle fust observée en quelque ^i son de l'année, pour avoir le plaisir de leurs mesdisances en u>ule seiu'eté, qu'ils aiment tant. Or, pour faire fin, les dames doivent estre respeclées par tout le monde, leurs amours et leurs faveurs tenues secreltes. C'est pourquoy l'Aretin disoil que, quand on esloit à ce point, les langues, que les amants el amantes s'entredonnenl les uns aux autres, n'estoient desdiées tant pour §e délecter, ny pour le plaisir qu'on y prenoit, que pour s'enlrelier de langues ensemble et s'entrefaire le signal que l'on tienne caché le secret de leurs escoles, mesmes qu'aucuns lubriques et pail- lards maris imprudents se trouvent si libres el desbordez en paroles, que, ne se contentant des paillardises el lascivelez qu'ils com- mettent avec leurs femmes, les déclarent et publient à leurs compagnons et en font leurs contes; si bien que j'ay cogneu aucunes femmes en hayr leurs maris de mal mortel, et se retirer bien souvent des plaisirs qu'elles leur donnoient, pour ce sujet, ne voulant eslre scandalisées, encore que ce fust un fait de femme à mary. M. du Bellay, le poëte, en ses tombeaux latins qu'il a composez, qui sont très-beaux, en a fait un d'un chien, qui me semble qu'il est digne estre mis ici, car il est fait à notre matière* qui dit ainsi.

f

Latratu furet excepi, mutut amantes, '

SicplaiMi Uomino, ste placui dominai.

C'est-à-dire î

P»r mon japper, j'ay chaise les larrons, et, pour me tenir muet, j'ay ac«lele«  amants : ainsi j'ay pieu à mon maistre, ainsi j'ai pieu i ma malstre»se.

Si donc on doit aimer les animaux pour eslre secrets, que doit- on faire des hommes pour se taire? El s'il faut prendre advis pour ce sujet d'une courlisanne qui a esté des plus fameuses du temps passé, et de grande Dlergesse en son mestler qui estoit Lamta, faire le peut-on ; qui disoïï^'dQ quoy une femme se contenloil I9


DISCOURS VU SOT

plus de son amant, c'estoit quand il estoit discret en propos et se- cret en ce qu'il faisoit ; et surtout qu'elle hayssoit un vanteur qui 88 vantoi^t de ce qu'il ne faisoit pas et n'accomplissoit ce qu'il pro» mettoit. Ce dernier s'entend en deux choses. De plus, disoit que la femme, bien qu'elle fist, ne vouloit jamais estre appelée putain n'y pour telle divulguée. Aussi dit-on d'elle que jamais elle ne se mocqua d'homme, ny homme oncques se mocqua d'elle ny mes- dit. Telle dame savante en amour en peut bien donner leçon aui autres.

Ur, c'est assez parlé de ce sujet ; un autre mieux disant que moy l'eust pu mieux agrandir et embellirj c'est pourquoy je luy en quitte les armes et la plume?


TABLE DES MATIERES


Epitrb DEDICATOIRK 1

Au Lecteur s

Avis'db l'Auteur 4


DISCOURS PREMIER.

Sar les dames qni font l'amour et leurs maris cocus c », 5

DISCOURS DEUXIÈME.

Sur le sujet qui conteate plus en amour, ou le toiiclier. ou !a vue, oo la

parole 139

Introdcctior t6.

Article i. — De l'attouchement en amour 140

Article ii. — De la parole en amour til

Article ni. — De la vue en amour IS»

DISCOURS TROISIÈME.

ur la beauté de la belle jambe, et de la vertu qu'elle a m*

DISCOURS QUATRIÈME.

Bur 1rs femmes mariées, les veufves et les filles; sçavoir dosqucHes les

unes sont plus portées à l'amour que les autres i77

Intïioddction if>.

Article i. — De Tamour des femmes marines s-îO

Article m. — De l'amour des filles 209

A BT1CLE III. — Dï Paraour des veufves , ■a.'îo


S90 TABLE DES MATIERES.


DISCOURS CINQUIÈME.

Sar aucunes dames vieilles qui aiment autant i Taire l'amour comme les ]«aDes ,^, 999

DISCOURS SIXIÈME. \ .

/\ Sur c« que les belles et honnêtes dames aiment les vaillants hommes, e|( les braves hommes aiment les dames courageuses - i ait

DISCOURS SEPTIÈME.

Sur ce qu'il ne faut jamais parler mal des dames , et de la conséquence qui en vient >..i«»>i •••••>••> « .....••••3Si


ÏAMS. — IMPRIMERIE CH. BLOT, RCE BLKUB, 7.






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